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Commission permanente des Affaires sociales
Projet de loi no 65 Loi de
l'organisation
des services de santé et des services
sociaux
Séance du mardi 24 août 1971
(Dix heures dix minutes)
M. FORTIER (président de la commission permanente des Affaires
sociales): A l'ordre, messieurs !
Il me fait plaisir de souhaiter la bienvenue à chacun.
Après que le ministre aura fait un énoncé de principe, les
membres du comité pourront, évidemment, donner leur opinion et
nous entendrons ensuite les différents organismes.
S'il y a des membres de ce côté-ci qui veulent adresser la
parole, il faudrait qu'ils aillent au micro pour pouvoir parler. M.
Castonguay.
Procédure
M. CASTONGUAY: Merci, M. le Président. Avant de faire un
exposé général de ce projet de loi, il me semble qu'il y
aurait peut-être lieu de dire quelques mots quant à la
procédure qu'il paraîtrait utile de suivre, étant
donné le nombre assez élevé d'organismes qui,
jusqu'à ce jour, ont exprimé le désir de se faire entendre
par la commission.
Le secrétariat des commissions a déjà reçu,
selon la liste qu'on m'a remise, 28 demandes. Ce que je proposerais, si les
membres de la commission sont d'accord, c'est que nous demandions au
secrétaire des commissions de communiquer avec tous les organismes afin
de leur demander de nous faire parvenir leur mémoire au moins une
semaine avant la prochaine séance, si ce sont des organismes qui doivent
être entendus lors de la prochaine séance.
Il me semble également qu'il va nous falloir prévoir une
troisième séance au début d'octobre. La même
règle s'appliquerait donc pour les organismes qui seraient entendus au
début d'octobre; nous leur demanderions de nous faire parvenir leur
mémoire au moins une semaine à l'avance. Selon la teneur des
mémoires, nous pourrions également tenter de fixer un horaire
pour chacune des séances, de telle sorte que les organismes
convoqués aient une allocation de temps raisonnable et qu'il soit
possible d'entendre au cours d'une même journée tous les
organismes convoqués.
Si une quatrième séance s'avérait nécessaire
à cause du nombre des organismes, il serait toujours temps de la
prévoir. C'est un premier point, il me semble, qu'il serait
peut-être important de fixer entre nous. Un second: selon la
première réaction vis-à-vis des communications que nous
avons reçues, il est possible qu'un certain nombre d'organismes, soit
par manque d'informations de notre part ou pour d'autres raisons, aient des
points de vue à exposer qui portent davantage sur d'autres
législations à venir, telles les lois sur les corporations
professionnelles.
Alors, étant donné, encore une fois, le grand nombre
d'organismes qui ont demandé à se faire entendre, il me semble
que, compte tenu du fait que le dépôt de ces lois a
été annoncé il apparaît au feuilleton de
l'Assemblée nous devrions, si telle est la teneur des
mémoires, demander aux organismes de revenir lors de l'étude de
ces projets de loi afin de ne pas confondre deux questions qui sont d'ordre
différent.
Alors, ce sont les deux points avant de passer à l'étude
spécifique du bill 65. Peut-être, M. le Président,
pourrions-nous demander l'opinion des membres de la commission et nous entendre
sur cette procédure au départ.
M. CLOUTIER (Montmagny): M. le Président, je suis parfaitement
d'accord quant à la suggestion que le secrétaire des commissions
communique avec chacun des organismes pour voir la possibilité
d'obtenir, une semaine avant les séances de la commission, copie des
mémoires. Evidemment, j'imagine qu'on prendra des dispositions aussi,
comme ça se fait d'habitude, pour que les membres de la commission
reçoivent copie de ces mémoires afin qu'ils puissent en faire une
étude de façon que nous puissions un peu les disséquer et
préparer aussi notre travail d'interrogation et de dialogue avec les
organismes qui viendront ici devant la commission.
Il était facile de prévoir, évidemment, que les
deux seules séances de la commission qui avaient été
prévues à ce jour ne seraient pas suffisantes. On le voit par le
nombre de mémoires et il est question d'une troisième et d'une
quatrième séance. De toute façon, il n'est pas question
pour la commission de bousculer les travaux parce qu'il s'agit là d'un
projet de loi extrêmement important qui touche tellement de personnes et
d'institutions dans le vaste secteur des affaires sociales. Je crois que la
commission prendra tout le temps nécessaire pour faire une étude
approfondie du projet de loi.
M. CASTONGUAY: Me permettez-vous simplement une question? Etes-vous
d'accord sur le principe que nous essayions de fixer un horaire pour les
séances? A tout le moins pour la prochaine, le 16 septembre, convoquer,
par exemple, sept ou huit organismes, selon la longueur ou le type de questions
soulevées dans les mémoires, réserver une certaine
période de temps à chacun. Si cette façon de
procéder fonctionne bien, on pourrait faire de même pour la
séance qui suivra au lieu de convoquer un trop grand nombre
d'organismes, de donner parfois passablement de temps à un organis-
me et être obligé de restreindre vers la fin un autre comme
ça été un peu le cas lors de l'étude du bill
69.
Est-ce que vous seriez d'accord qu'on essaie cela?
M. CLOUTIER (Montmagny): Il est préférable,
évidemment, de fixer un tel horaire et de permettre aux organismes qui
viennent ici de se faire tous entendre, mais sans cependant les priver, priver
qui que ce soit de son droit de parole, ce qu'il faut éviter. Vers la
fin du travail des commissions, il se produit énormément de
répétitions dans les mémoires, et c'est normal. Alors, on
ne nous en voudra pas si, au moment des répétitions, on passe un
peu plus rapidement, parce que tout le monde pourra retrouver dans le journal
des Débats une discussion de fond qui a été faite sur un
problème particulier. Ce n'est pas l'intention du ministre, je crois
bien, de restreindre le droit de parole de qui que ce soit, mais de fixer
plutôt un plan de travail qui va nous permettre de passer plus rapidement
à travers l'audition des mémoires.
M. LAURIN: Je suis d'accord, moi, que tous les points de vue soient
exprimés, ce qui ne correspond pas toujours avec le nombre des
associations puisque, en réalité, certaines associations,
certains groupes ou individus vont se répéter, mais j'aimerais
quand même que tous les points de vue soient exprimés, quitte
à ce que les membres de la commission procèdent plus rapidement
lorsqu'ils s'aperçoivent qu'il y a des répétitions.
Je suis aussi pour la fixation la plus précise possible d'un
calendrier de travail pour éviter à ceux qui viendront ici les
inconvénients de venir simplement écouter, alors qu'ils
aimeraient parler. J'ajouterais cependant quelque chose à la suggestion
du ministre. Est-ce qu'il serait possible, comme pour le projet de loi 69, de
réserver, après que tous les représentants se seront fait
entendre les représentants des divers points de vue une
réunion de la commission entre parlementaires pour que nous puissions
faire le point sur tous les mémoires qui ont été
présentés et que nous puissions, à notre tour,
présenter nos points de vue?
M. BOIS: M. le Président, j'endosse le point de vue qui vient
d'être exprimé ici à l'effet que tous les organismes qui
ont soumis des mémoires puissent être entendus d'une façon
adéquate, même s'il y a parfois des répétitions.
J'endosse aussi le point de vue que la commission parlementaire devrait se
réunir pour faire l'étude complète du bill, même
avant qu'il soit soumis en deuxième lecture.
M. CASTONGUAY: Vous êtes d'accord également sur la
nécessité ou sur le fait que nous tentions de tracer un programme
de travail, un horaire de travail, pour la prochaine séance? On verra si
ça fonctionne bien et s'il y a lieu d'ajuster pour les séances
subséquentes. Quant à la tenue d'une séance au terme de
l'audition des mémoires pour faire le point, je suis tout à fait
d'accord. Je pense bien que c'est le but réel de ces séances de
commissions.
M. LE PRESIDENT: M. Castonguay, vous avez des principes
généraux à énoncer.
Objectifs
M. CASTONGUAY: M. le Président, avant de débuter mon
exposé général du projet de loi qui, évidemment, ne
prend pas tout à fait la même forme que si nous étions au
niveau de la deuxième lecture, je voudrais rappeler d'abord, de
façon très sommaire, les grands objectifs du ministère des
Affaires sociales et tenter de préciser les objectifs les plus
fondamentaux de ce projet de loi. Je pense qu'il est important de mentionner
qu'en ce qui a trait à ces objectifs fondamentaux, il nous apparaissent
suffisamment importants pour que, de façon générale, ils
ne puissent être profondément modifiés, à moins que
l'on démontre clairement le bien-fondé des modifications
profondes à ces objectifs.
Par contre, au plan des modalités, je voudrais mentionner
dès maintenant, et aussi clairement que possible, que nous voulons faire
en sorte que ce projet de loi réponde le mieux possible aux objectifs
fixés. C'est pourquoi, je veux l'indiquer également dès
maintenant, nous sommes tout à fait disposés à apporter
tout changement qui serait de nature à améliorer ce projet. La
rédaction d'un tel projet est une entreprise extrêmement complexe
et difficile. Nous n'avons pas la prétention d'avoir le dernier mot ou
d'avoir apporté la réponse idéale à tous les
problèmes qu'il soulève. C'est pourquoi, au plan des
modalités particulièrement, nous sommes tout à fait
disposés à envisager tout changement de nature à
améliorer le projet.
Après cette description ou cette définition des objectifs
fondamentaux du projet de loi, je voudrais donner une description des aspects
détaillés pour en faire une synthèse aussi claire que
possible ou en donner un aperçu aussi clair que possible étant
donné l'ampleur du projet, sa complexité et enfin faire quelques
commentaires d'ordre général.
En ce qui a trait aux grands objectifs du ministère des Affaires
sociales, je crois qu'il est important de rappeler que la politique du
ministère a pour but général de mieux adapter les services
aux besoins de la population, de les rendre plus accessibles et aussi d'en
assurer la continuité. Cette politique est nécessaire pour
atteindre les grands objectifs sociaux du ministère des Affaires
sociales, à savoir l'amélioration de l'état de
santé de la population, l'amélioration des conditions sociales
des individus, des familles et des groupes, ainsi que l'état du milieu
où s'inscrivent leurs activités.
La réalisation de cette politique doit évidemment se faire
dans le cadre de la responsabilité de l'Etat d'assurer une allocation
des ressources humaines et financières aussi juste et rationnelle que
possible et aussi dans le cadre de la responsabilité de l'Etat d'exercer
le contrôle nécessaire sur l'utilisation de ces ressources.
Pour atteindre ces fins, il faut un cadre adéquat de services de
santé et de services sociaux. C'est le but que vise le bill 65,
c'est-à-dire de fournir un cadre qui puisse permettre d'appliquer les
politiques et programmes du ministère des Affaires sociales, de les
adapter et de les modifier selon les exigences diverses de l'évolution
des besoins, des ressources et des connaissances. Une bonne organisation, une
organisation cohérente est nécessaire pour assurer la
réalisation ou la mise en application efficace des politiques et des
programmes.
Il s'agit donc essentiellement je crois que ce point est
très important d'une loi touchant, comme son nom l'indique,
l'organisation des services. C'est la raison pour laquelle elle ne traite pas
des programmes de santé et des services sociaux comme tels ou encore de
la philosophie plus précise qui pourrait sous-tendre des politiques
particulières ou des programmes particuliers.
Cette définition très générale des objectifs
ou de la politique sociale du ministère est un cadre très
général à travers lequel on doit examiner plus
précisément maintenant les objectifs fondamentaux du projet de
loi no 65. Comme je l'ai déjà mentionné d'une façon
plus générale, l'objectif le plus fondamental, je crois, de ce
projet est d'assurer à la population l'accessibilité et la
continuité des services de santé et des services sociaux.
Aussi, il devient donc nécessaire de relier les différents
éléments du réseau général des institutions
et des services sur la base d'une complémentarité tant au niveau
des objectifs qu'au niveau des fonctions, des programmes et des
activités qui en découlent.
Les implications d'une telle approche supposent, entre autres, une
décentralisation des moyens d'intervention vers les offices
régionaux des affaires sociales dont la création est
proposée par le projet de loi.
Les implantations de cette approche supposent également une
intégration, au niveau des centres locaux, de services communautaires
sur deux plans: une intégration au niveau de l'approche même des
problèmes de l'individu, de la famille et des groupes; également
une intégration au niveau de la formation des équipes qui, par
voie de conséquence, devront être polyvalentes et
multidisciplinaires. Ici, il est peut-être important, j'y reviendrai, de
préciser que ce projet de loi ne touche pas les autres modes de
distribution de services qui n'entrent pas dans le cadre des définitions
données par le projet de loi, par exemple, l'exercice autonome d'une
profession en cabinet privé, je pense en particulier aux
médecins.
Troisièmement, la poursuite des grands objectifs, dont est
responsable le ministère des Affaires sociales, suppose
également, à titre d'objectif fondamental, la
nécessité de relier les programmes de prévention aux
activités de traitement, de même que la condition des individus et
des familles à leur milieu de vie où naissent et se
développent un grand nombre des causes des divers désiquilibres
que visent en définitive nos politiques.
Elle suppose également, pour des raisons qui ont
été longuement discutées et qui le seront sans doute lors
de l'étude des lois sur les corporations professionnelles, le maintien
du contrôle de l'acte professionnel par les professionnels
eux-mêmes. Ici, les exigences du respect de cet objectif seront plus
clairement définies selon qu'il s'agit d'actes professionnels relevant
de professions qui doivent être fermées, de par la nature des
actes qu'ils posent, ou, en d'autres termes, que ces actes ne peuvent
être posés que par les membres de cette corporation. De toute
façon, nous aurons l'occasion de revenir sur cette question lors de
l'étude des lois sur les corporations professionnelles.
Quant aux autres objectifs, même si je les situe au plan des
objectifs fondamentaux, je pense qu'il paraît nécessaire de faire
une distinction puisque, dans tous les cas, il me semble, ils se situent au
plan des moyens précis à être utilisés. Avant de les
énumêrer, je pense qu'il est bon de rappeler ici que, dans un
assez bon nombre d'institutions, on constate ou on est témoin d'une
certaine stabilité qui va à l'encontre du besoin de dynamisme ou
de renouvellement nécessaire des institutions, à l'époque
où nous vivons, compte tenu de l'évolution rapide des besoins et
aussi des modes d'intervention.
Aussi, nous devons tenir compte de la faiblesse de l'administration de
plusieurs institutions. Bien souvent il ne s'agit pas nécessairement des
individus en cause qui sont à la source de cette faiblesse, mais bien
souvent la taille des institutions elles-mêmes ou encore d'autres
facteurs. Nous aurons l'occasion d'y revenir. Si je fais cette
précision, je ne vise personne en particulier en soulignant la faiblesse
de l'administration de plusieurs institutions. Ce qui apparaît important,
soulignant ces deux caractéristiques d'un certain nombre d'institutions,
c'est que les effets se traduisent par des services trop souvent ou bien
souvent inadaptés aux besoins. Les effets aussi se traduisent dans bien
des cas par une mauvaise utilisation des ressources, aussi bien en termes de
personnel, d'équipement, de ressources financières. Ils se
traduisent aussi en termes de coûts élevés.
Ces objectifs sont :
Premièrement, la nécessité de bien établir
la composition des institutions, de telle sorte que toutes les parties en cause
y soient représentées, et aussi prévoir le renouvellement,
particulièrement au niveau des conseils d'administration, des membres de
ces conseils.
Deuxièmement, la nécessité de bien partager
les responsabilités au plan de la planification, de la
programmation, du financement et de l'administration, de la distribution des
services, afin qu'à chaque niveau, soit au niveau du ministère,
des organismes régionaux, au niveau également des institutions,
chacun puisse, le plus efficacement possible, s'acquitter de ses
responsabilités propres.
Nous avons déjà eu l'occasion de discuter cette question
lors de l'étude des crédits du ministère. Je relisais le
journal des Débats. Nous avons étudié les structures du
ministère. Je pense que, pour le moment, il ne serait pas opportun de
reprendre un exposé détaillé du partage des
responsabilités que nous envisageons.
Troisièmement, à l'intérieur des institutions, la
nécessité de distinguer entre l'administration
générale de l'institution et l'organisation et la distribution
des services professionnels, tout en respectant la nécessité
fondamentale ou la nécessité d'assurer une administration
efficace, selon le principe de l'unité de direction.
Mais, comme je l'ai mentionné, au niveau des principes
fondamentaux, des objectifs fondamentaux, tout en respectant également
le besoin de laisser aux professionnels eux-mêmes, avec les nuances que
j'ai faites, le contrôle de l'acte professionnel lui-même.
Au niveau de l'approche même des problèmes de l'homme,
c'est-à-dire particulièrement au niveau des unités ou des
institutions qui sont chargées de maintenir le lien le plus
immédiat, le plus constant avec les individus, les familles et les
groupes, c'est-à-dire au niveau des CLSC, dont la création est
proposée par le bill 65, la nécessité de prévoir
dans l'administration de ces services une plus grande participation de la
population qui reçoit ces services.
Toujours au plan de la participation, la nécessité
d'introduire, malgré les difficultés que présente la
recherche de formules adéquates de participation, aux divers niveaux des
institutions responsables de la distribution des services cette participation,
compte tenu du fait par contre qu'à mesure que les institutions sont
responsables de dispenser des services plus spécialisés ou encore
se situent à un niveau où s'introduisent des fonctions plus
générales de planification, de contrôle, la
nécessité d'introduire en contrepartie à ces niveaux une
participation alors accrue des responsables de la distribution des soins.
Enfin, compte tenu de la responsabilité du ministère des
Affaires sociales d'assurer à la population les services de
santé, les services sociaux dont elle a besoin, la
nécessité d'un pouvoir d'intervention rapide et souple au niveau
du ministère des Affaires sociales ou encore des offices
régionaux des affaires sociales. Au cours des années ou au cours
des derniers mois, cette nécessité a été
démontrée, à mon sens non seulement au plan des principes,
mais aussi au plan très concret. Nous avons des situations sur
lesquelles nous pourrons revenir au besoin lorsque nous discuterons cet aspect
plus particulier du projet. Cette énumération complète,
à notre sens, celle des objectifs les plus fondamentaux que vise le
projet de loi 65.
Au plan des dispositions de ce projet de loi, j'aimerais en faire une
énumération aussi rapide que possible, mais il m'apparaît
nécessaire de le faire de telle sorte qu'à travers le grand
nombre de dispositions que le projet de loi contient on puisse en faire
ressortir les aspects les plus importants. Le projet met donc l'accent en
premier lieu sur la décentralisation des services, la participation des
citoyens à leur gestion et la clarification des responsabilités
du gouvernement, du ministre des Affaires sociales et des institutions.
Deuxièmement, le projet prévoit la création
d'offices régionaux d'affaires sociales qui serviront de lien entre la
population, le ministre des Affaires sociales et les institutions, et qui
auront certaines fonctions de programmation et de surveillance sur ces
institutions, de façon qu'elles satisfassent le mieux possible les
besoins de la population. Les offices régionaux conseilleront
également le ministre des Affaires sociales quant aux besoins
régionaux dans les domaines de la santé et des services
sociaux.
Troisièmement, les offices régionaux seront
institués dans les régions que déterminera le
gouvernement. Il est important, je pense, de spécifier que tous les
offices régionaux ne seront pas institués en une seule
étape ou en une seule opération.
Quatrièmement, le gouvernement pourra conférer, en tout ou
en partie, les pouvoirs que le projet de loi permet à un tel office
d'exercer. Même principe quant à la délégation de
pouvoirs à ces offices.
Cinquièmement, le projet de loi prévoit que le ministre
des Affaires sociales préparera, en consultation avec les offices
régionaux, des plans quinquennaux de développement, lesquels
devront être approuvés par le gouvernement sous forme de tranches
annuelles.
Sixièmement, les offices devront, chaque année,
transmettre au ministre les projets de budgets des institutions que celles-ci
lui adressent, également y joindre leurs recommandations.
Septièmement, chaque office sera administré par un conseil
d'administration formé du directeur général et de vingt
membres représentant la population, les universités et les
diverses catégories d'institutions.
Huitièmement, l'administration courante des offices
relèvera d'un comité administratif formé du directeur
général et de quatre membres du conseil de l'office.
Neuvièmement, le gouvernement nommera le directeur
général de l'office à même une liste de trois noms
soumise par le conseil de l'office.
Dixièmement, chaque office sera investi d'un pouvoir
d'enquête à l'égard des institutions situées dans sa
région.
Onzièmement, chaque office sera doté d'un
pouvoir règlementaire s'appliquant aux institutions et devra
soumettre chaque année un rapport qui sera déposé devant
l'Assemblée nationale.
Douzièmement, le projet de loi prévoit la création
de nouvelles institutions, connues sous le nom de centres locaux de services
communautaires, qui seront appelées à recevoir les personnes ou
familles qui requièrent des services de santé ou des services
sociaux, des conseillers, à les diriger vers les institutions les plus
aptes à leur venir en aide, et si nécessaire, à leur
prodiguer elles-mêmes les services de santé ou les services
sociaux courants dont ils ont besoin.
Treizièmement, la moitié des membres des conseils des
centres locaux de services communautaires seront élus directement par la
population qu'ils desservent.
Quatorzièmement, les hôpitaux seront désormais
connus sous le nom de centres hospitaliers; les agences de service social, sous
le nom de centres de service social; et les divers foyers pour personnes
âgées, foyers nourriciers, services d'adoption, etc., sous le nom
de centres d'accueil.
Ici, je voudrais bien préciser que, si ces appellations
n'apparaissent pas adéquates pour les fins du projet de loi, nous sommes
encore disposés à les modifier. Ce qui nous apparaît
important de faire, c'est qu'étant donné la nature du projet de
loi qui est de déterminer un cadre pour le fonctionnement, la mise sur
pied, l'opération des institutions, il fallait également
établir certaines catégories. Ces descriptions ou ces
appellations sont donc proposées dans ce contexte.
Quinzièmement, ces diverses institutions verront leurs structures
internes modifiées suivant une formule mieux adaptée aux
exigences de l'heure et qui consacrera la participation à leur gestion
de la population, des corps intermédiaires, des professionnels et du
personnel qui constituent leur clientèle, leurs moyens d'action et
également leur soutien.
Seizièmement, le conseil d'administration d'un centre local de
services communautaires se composera de dix personnes; celui d'un centre
hospitalier et d'un centre de service social, de quatorze; et celui d'un centre
d'accueil, de huit, et des répartitions précises sont
prévues.
Le projet de loi prévoit également un mécanisme
selon lequel des groupes particulièrement intéressés
à la vie d'une institution ou à aider cette institution pourront
être maintenus ou formés.
Dix-septièmement, le projet de loi établit clairement le
principe de l'unité de direction dans chacune des institutions. Cette
direction sera exercée par un directeur général
responsable à un comité administratif composé de
représentants du conseil d'administration de l'institution et du
directeur général.
Dix-huitièmernent, l'administration courante de l'une ou l'autre
de chacune de ces catégories de centres ou d'institutions relève
d'un comité administratif formé du directeur
général de l'institution et de quatre membres du conseil. Au
moins un et pas plus de deux professionnels exerçant dans l'institution
doivent faire partie du comité administratif.
Dix-neuvièmement, le directeur général de chacun de
ces centres est nommé par le conseil d'administration et
rémunéré suivant les normes et barèmes
établis par le gouvernement.
Vingtièmement, le directeur général est responsable
de l'administration de l'institution dans le cadre de ses règlements. Il
devra notamment préparer le budget de l'institution ainsi que les plans
d'organisation.
Vingt et unièmement, un conseil consultatif des professionnels
est institué dans chaque centre hospitalier et centre de services
sociaux. Il est composé de tous les professionnels exerçant leur
profession dans le centre et il a pour fonction de faire des recommandations au
conseil d'administration sur l'organisation scientifique et technique du
centre.
Vingt-deuxièmement, sur l'avis du conseil des professionnels, le
conseil d'administration de tout centre hospitalier ou centre de service social
doit nommer un directeur des services professionnels responsable
vis-à-vis du directeur général de l'organisation des
services de santé, des services sociaux et, le cas
échéant, de l'enseignement qui sera dispensé par les
professionnels du centre.
Vingt-troisièmement, un conseil des médecins et dentistes
est prévu dans chaque centre hospitalier. Ce conseil remplacera le
bureau médical prévu par l'actuelle Loi des hôpitaux. Il
est composé de tous les médecins et dentistes exerçant
leur profession dans le centre et ses pouvoirs sont exercés par un
comité d'au plus cinq membres élus annuellement par les
médecins et dentistes du centre.
Vingt-quatrièmement, le conseil des médecins et dentistes
est responsable, vis-à-vis du directeur des services professionnels, de
la mise en place et du fonctionnement d'un mécanisme requis pour assurer
le contrôle des actes professionnels posés dans l'institution
ainsi que de l'appréciation des actes professionnels, médicaux et
dentaires qui y seront posés. Il fait rapport au conseil
d'administration.
Vingt-cinquièmement, le projet de loi donne au ministre des
Affaires sociales et au gouvernement des pouvoirs d'intervention et
d'enquête rapide lorsque des problèmes surviennent dans
l'administration d'une institution.
Vingt-sixièmement, le projet de loi prévoit que les
institutions qui demeurent ou deviennent des institutions publiques seront
totalement subventionnées par l'Etat.
Vingt-septièmement, le projet de loi prévoit que les
institutions privées devront choisir soit de faire leurs propres frais
sans l'aide de l'Etat, auquel cas seul un permis sera exigé d'elles,
soit d'être subventionnées pour leurs dépenses et pour une
rémunération représentant le rende-
ment moyen du capital investi dans une entreprise du même genre
dans la région où elles opèrent, auquel cas la loi
s'appliquera à elles dans son entier.
Lorsque nous discuterons ce principe ou ces modalités, je crois
qu'il sera assez important de rappeler que, dans bien des cas d'institutions
dites privées, sinon dans la très très grande
majorité, leur source de fonds, à toutes fins utiles unique,
provient du gouvernement dans la situation actuelle.
Vingt-huitièmement, le projet de loi prévoit que toute
institution privée ou publique devra, pour pouvoir dispenser des
services de santé ou des services sociaux, détenir un permis
délivré par le ministre. Il y aura un appel à la cour
Provinciale de toute décision du ministre refusant, suspendant ou
annulant un permis dans tous les cas où la décision n'a pas
été rendue conformément à la loi.
Le projet de loi prévoit aussi la possibilité pour une
corporation d'administrer plus d'un établissement et aussi la fusion
d'établissements au sein d'une même corporation.
Vingt-neuvièmement, le projet de loi prévoit que toutes
les institutions dispensant des services de santé ou des services
sociaux devront, sauf qu'il s'agit d'institutions privées, dans les deux
ans qui suivront l'adoption de la nouvelle loi, obtenir une nouvelle charte,
soit en se convertissant en une corporation régie par la nouvelle loi,
en se fusionnant avec une telle corporation ou, si elles le
préfèrent, en cédant leur entreprise à une telle
corporation.
Trentièmement, le projet de loi deviendra applicable à
toutes les institutions, qu'elles aient ou non obtenu une nouvelle charte, un
an après son adoption. Enfin, le projet de loi prévoit
l'abrogation de la Loi des hôpitaux, de la Loi des hôpitaux
privés et de la Loi de l'assistance publique, ainsi que des
modifications à plusieurs autres lois dans le domaine de la santé
et des services sociaux. Et, comme je l'ai mentionné au moment de
l'étude des crédits du ministère, une loi de la
santé mentale ou de l'hygiène mentale, un projet de loi,
plutôt, sera déposé au cours de la reprise des travaux de
la session à l'automne. Cette loi sera destinée à
remplacer la Loi des hôpitaux psychiatriques et la Loi des hôpitaux
pour malades mentaux ou détenus. J'oublie l'appellation, la description,
le nom spécifique de ces deux projets. Voici pour la description des
diverses modalités du projet.
Avant de terminer, j'aimerais faire certains commentaires
généraux. Au moment de l'étude des crédits du
ministère des Affaires sociales, on a demandé si ce projet de loi
soulèverait des résistances ou des oppositions. A ce moment,
outre les grandes lignes du projet que nous avions discuté ensemble,
j'avais mentionné à l'époque que le projet n'avait rien,
à mon sens, de révolutionnaire, qu'il se voulait plutôt une
mise à jour, qui s'impose, de la législation de ce secteur, une
meilleure adaptation de la législation aux conditions actuelles et aux
besoins actuels. Je crois que l'exposé des objectifs et des
modalités que je viens de faire respecte, dans ses grandes lignes, cette
description que j'avais faite.
Toutefois, il m'apparaît évident que le bill 65 va soulever
des objections, des résistances. A ce sujet, il m'apparaît
important de rappeler qu'on ne saurait ignorer, au moment où ces
objections seront formulées, qu'il existe présentement, dans le
domaine de l'organisation des services de santé et des services sociaux,
des déficiences sérieuses: la pénurie ou encore le
déséquilibre de certains types de ressources par rapport à
d'autres; la répartition inégale des ressources selon les
besoins; bien souvent, l'incapacité d'agir efficacement et de
façon proportionnée aux problèmes, de la part du
ministère; les coûts élevés dans le secteur,
coûts qui croissent à un rythme rapide, alors que les besoins
demeurent encore très grands par rapport aux ressources.
Si je fais ces remarques, c'est qu'à la fois on ne peut exiger
qu'il y ait des changements pour répondre à ces exigences et
refuser, d'autre part, ces changements. Le projet de loi se veut une
réponse en fait et je l'ai mentionné au début
aux problèmes au plan de l'organisation des services et il
constitue dans son ensemble, compte tenu de ces déficiences, de ces
déséquilibres, un projet de loi essentiel.
D'ailleurs, c'est pourquoi, comme je l'ai mentionné au
début, quant aux objectifs fondamentaux, il ne pourrait être
modifié de façon fondamentale ou profonde sans qu'il existe des
raisons extrêmement sérieuses. Au plan des modalités, c'est
une tout autre affaire. Mais là, je voudrais faire aussi, au plan des
modalités, une mise en garde. Il est évident qu'un certain nombre
de ceux qui vont exprimer des points de vue devant cette commission vont
trouver que le projet de loi va trop loin dans une direction donnée, et
d'autres vont trouver qu'il ne va pas suffisamment loin.
Encore là, il ne sera pas possible de satisfaire tous et chacun.
Je crois que ce qui importe le plus, c'est de se rappeler qu'il existe des
problèmes, que nous sommes dans un secteur de services essentiels et
que, si l'on a des objections sérieuses, il faut aussi apporter des
propositions.
Il s'agit, encore une fois, d'un projet qui touche à
l'organisation des services. Au plan des modalités, il n'existe pas de
réponse parfaite ou absolue; que l'on invoque une théorie de la
gestion ou de la participation par rapport à une autre, ce qui importe
le plus, c'est d'en arriver, à ce stade, compte tenu des études
et des discussions qui ont été faites au cours des années,
à des propositions concrètes visant à améliorer la
situation. Il ne nous apparaît pas que le statu quo soit possible.
De façon plus particulière, au plan de la participation,
je crois que nous avons fait un effort valable pour reconnaître
concrètement sa nécessité à tous les niveaux
possibles, mais
également nous avons été obligés,
concrètement, de tenir compte du fait qu'il ne s'agit pas d'une
panacée et qu'il n'est pas possible de prévoir la solution de
tous les problèmes par un degré plus grand de participation.
Egalement, il nous a été extrêmement difficile, lors de la
rédaction du projet de loi, d'introduire de façon bien
concrète des mécanismes de participation qui seront à la
fois valables et assez souples, tout en respectant le nécessité
de fonctionnement des organismes chargés de la distribution des
services, organismes qui, on ne peut l'oublier, sont complexes et sont
chargés de responsabilités très précises et
très grandes.
Toujours au plan des réactions possibles au projet de loi, je
crois qu'il apparaît également important de rappeler qu'en tant
que tel ce projet ne vise aucunement à hausser le niveau des
dépenses publiques; au contraire, il vise plutôt que les
dépenses considérables effectuées dans le secteur des
affaires sociales le soient le plus efficacement possible. Le projet ne vise
pas à créer de nouvelles ressources en tant que telles. Les ORAS,
comme nous l'avons mentionné, ne seront pas mis sur pied en une seule
opération. Lorsque l'on se réfère à de nouvelles
désignations d'institutions, l'on n'a pas en tête la
création de ces institutions par ce projet de loi, mais plutôt
l'établissement de catégories, comme je l'ai
mentionné.
J'attire l'attention sur ce point de nouveau, même si, pour
plusieurs, il peut sembler que tout ceci est bien clair; il y a, à mon
sens, un certain danger de confusion avec les étapes qui ont
été franchies ou le mode d'approche qui a été
adopté dans la réforme de l'éducation. Je ne voudrais pas
faire ici le procès de cette réforme ou essayer de porter des
jugements, mais à tout le moins, étant donné que pour bien
des gens dans la population il est susceptible de se faire des
parallèles entre la présentation, l'étude et l'adoption de
ce projet de loi et la réforme dans le domaine de l'éducation, il
m'apparaissait nécessaire de bien établir ce point le plus
clairement possible.
Il me semble également important d'éviter de tomber dans
des critiques trop faciles d'un tel projet de loi le qualifiant, par exemple,
de lourd et technocratique. La rédaction d'un projet de loi n'est pas
chose aussi facile qu'on pourrait le croire à prime abord. Il s'agit
d'abord et avant tout d'un projet de loi et je crois que tous ceux qui ont eu
à faire face à des litiges provenant d'une rédaction trop
imprécise d'un projet de loi ou encore d'un projet contenant de belles
affirmations mais qui n'étaient pas traduites dans des dispositions
précises sont en mesure d'apprécier jusqu'à quel point il
est nécessaire qu'un projet de loi soit rédigé de
façon précise, qu'il contienne ce qui est essentiel, qu'il ne
contienne pas ce qui est superflu ou ce qui pourrait l'être.
Malheureusement, la rédaction d'un projet de loi fait rarement un
texte qui a tellement d'attraits ou qui est tellement intéressant
à lire.
Il ne faudrait pas, à partir de la rédaction même du
projet, porter des jugements sur son contenu. Pour nous, à mon sens, ce
qui importe le plus c'est d'analyser le véritable contenu de ce
projet.
En définitive et en résumé donc, il faut, à
mon avis, au moment d'aborder l'étude de ce projet de loi, se rappeler
que son but n'est pas de modifier tout le système actuel. Il s'agit
beaucoup plus et avant tout d'un projet qui donnera un cadre d'organisation
permettant d'ajuster, d'adapter, de modifier les ressources ou les services
nécessaires pour répondre aux besoins de la population dans des
secteurs où les services sont essentiels et aussi où les besoins
sont beaucoup plus grands que les ressources dont nous disposons pour y
répondre.
Merci, M. le Président.
M. LE PRESIDENT: Est-ce que les membres de la commission veulent
entendre les représentations des organismes et ensuite faire leurs
commentaires ou si on préfère que cela se fasse maintenant?
Remarques préliminaires
M. CLOUTIER (Montmagny): M. le Président, après
l'exposé du ministre, je ne voudrais, à ce moment-ci de nos
travaux, que faire un bref commentaire et on comprendra pourquoi. Il faudra
évidemment relire attentivement la déclaration que le ministre
vient de nous faire pour voir si on a pu traduire dans ce projet de loi la
poursuite des objectifs fondamentaux que le ministre vient de nous
décrire. On pourra, peut-être, être d'accord en substance
sur certains objectifs qu'il a décrits comme l'accroissement de
l'accessibilité aux soins, et de la continuité des soins. Je
pense bien qu'aucun de ceux qui ont eu à travailler dans ce vaste
secteur au cours des dernières années ne désire pas la
poursuite de ces objectifs fondamentaux, ce que nous poursuivions
également quand nous avons instauré un régime
d'assurance-maladie.
Le ministre a dit, il y a un instant que certains pourront qualifier ce
projet de loi d'une rédaction lourde et technocratique. Je ne vois pas
comment il pourrait en être autrement des projets de loi, parce qu'on
nous a toujours expliqué qu'un projet de loi bien conçu devait
être difficile de rédaction, tellement c'était technique.
De toute façon, ce n'est pas ça que nous allons retenir et ce
n'est pas ça que nous allons tenter de déceler dans le projet de
loi. Nous allons tenter de déceler si réellement nous allons
pouvoir atteindre les objectifs qu'il nous a décrits par ce projet de
loi et si, par voie de conséquence, les modalités qui y ont
été inscrites sont les meilleures ou celles qui assurent
davantage la poursuite de ces objectifs.
Le ministre ne sera certainement pas surpris si nous lui disons
immédiatement que nous désirerons discuter assez longuement de
certaines modalités. D'ailleurs, il nous a ouvert une
porte en nous disant que ces modalités ne sont pas un dogme en
elles-mêmes, mais qu'il est disposé à accepter,
après l'audition des mémoires et après les travaux de la
commission parlementaire, des modifications qui pourront améliorer le
projet de loi.
Pour notre part, après les échanges que nous avions eus au
cours de l'étude des prévisions budgétaires du
ministère des Affaires sociales, nous ne sommes pas surpris que ce
projet de loi ait été apporté. Il fait suite aux travaux
de la commission Castonguay-Nepveu que nous avions nous-mêmes mise sur
pied, en 1966, pour étudier tout ce vaste secteur de la santé,
dans ses relations aussi avec le secteur du bien-être social.
Alors, on peut tenir pour acquis que cette législation fait suite
aux travaux de la commission Castonguay-Nepveu, dont nous attendions le rapport
avec beaucoup d'impatience.
Est-ce qu'on a traduit, est-ce qu'on a inscrit dans cette
législation la substance, les objectifs ou l'orientation que les travaux
de la commission ont voulu inscrire dans une législation ou dans une
réorganisation des services de santé et des services sociaux?
C'est ce que nous allons vérifier également et c'est ce
qui fera l'objet de discussions au cours de ces travaux. C'est ce que
probablement plusieurs mémoires voudront souligner devant cette
commission.
Le ministre nous dit que cette législation est opportune parce
qu'il y a des déficiences peut-être plus considérables dans
certains secteurs du bien-être social et de la santé,
déficiences qu'il faut corriger. Il en a mentionné quelques-unes
au passage. Je pense bien qu'il n'a pas voulu faire une étude
exhaustive, de même qu'il n'a pas voulu mentionner, j'imagine bien, les
déficiences pour nous montrer qu'il n'y avait que des faiblesses dans ce
secteur mais qu'il y a aussi une tradition. Il y a tout un bagage, il y a toute
une façon de procéder, une façon de dispenser des soins
qu'on ne peut pas écarter du revers de la main sans examiner si on va
remplacer toutes ces modalités de dispensation des soins par des mesures
véritablement supérieures en efficacité et en
qualité.
Il a mentionné au passage la stabilité des conseils
d'administration ou de l'administration de nos institutions versus le dynamisme
qu'on devrait y introduire. Il a mentionné la faiblesse de
l'administration de certaines institutions, la mauvaise utilisation de
certaines ressources de l'équipement. Pour ma part, je crois que tous
ceux qui travaillent dans ce secteur sont conscients de ces faiblesses, mais
cependant il ne faut pas généraliser non plus pour en arriver
à conclure que le système est véritablement un
système qu'il faut complètement écarter, qu'il faut
complètement rejeter. Je pense que, si on avait voulu corriger des
déficiences de cette nature, on aurait pu le faire aussi graduellement
sans imposer, ce que je n'appellerai pas une révolution, mais une
transformation radicale des structures et des modalités de dispensation
des services et des soins de santé.
Le ministre nous a dit il y a un instant que cette législation ne
serait pas appliquée globalement, c'est-à-dire qu'elle ne serait
pas appliquée à la fois dans toutes les régions du
Québec, mais qu'on devra procéder par étapes. Je suis
parfaitement d'accord sur cette orientation que le ministre veut donner
à l'application de cette législation. Il s'agit d'une
transformation, on l'a dit il y a un instant, trop radicale, d'une
transformation qui touche tous ceux qui oeuvrent dans ce secteur, non seulement
les institutions elles-mêmes, car les institutions évidemment ne
peuvent pas fonctionner dans l'abstrait, il faut des ressources humaines pour
les faire fonctionner. Alors ici ça touche non seulement, comme dans
l'assurance-maladie, les professionnels de la santé qui dispensaient les
soins, mais à peu près tout le monde.
Alors il est important, je crois, avant d'imposer cette
législation en pratique dans toutes les régions de la province,
qu'on en fasse un essai loyal et prudent aussi afin qu'on puisse
vérifier en pratique si les objectifs que l'on s'était
fixés sont bien atteints et d'autre part pour vérifier si les
modalités d'application de cette législation y gagneraient
à être modifiées en cours de route.
Quant à la participation, il est facile d'inscrire dans une
législation les désirs de participation de la population, mais
les traduire dans la réalité quotidienne et dans le
fonctionnement quotidien des institutions, c'est une autre chose. De quelle
façon peut-on introduire l'équilibre dans la participation afin
que ça ne devienne pas non plus de l'obstruction, mais qu'on en retire
véritablement les avantages positifs? Eh bien, c'est une question un peu
plus difficile.
Quant à la hausse du coût des services de santé et
de bien-être, évidemment ç'a été l'objet, ces
dernières années, de la préoccupation de tous les
gouvernements. Il est difficile de dire à première vue si cette
législation ou cette transformation n'entraînera pas des hausses
de coûts qui n'avaient pas été prévues ou qu'il
était difficile de prévoir. Je n'ai pas l'intention de faire le
parallèle avec le ministère de l'Education. D'ailleurs, si on en
parle au cours de ces travaux du bill 65, ce sera seulement par incidence. Mais
il est difficile au début et quand on introduit une réforme de
véritablement mesurer toutes les implications financières.
Espérons que cette réforme de l'organisation des services de
santé et de bien-être n'entraînera pas de
conséquences sur le plan financier, conséquences que n'avait pas
prévues le gouvernement, de sorte qu'en définitive ce sera le
contribuable qui en subira les frais.
S'il y avait aussi et c'est là l'un des objectifs que
poursuit le projet de loi une amélioration sensible dans la
distribution, l'accessibilité et la qualité des soins, je pense
que ça vaudrait la peine aussi qu'un effort financier additionnel soit
consenti. Si ce n'était pas le cas, je crois qu'à ce
moment-là les contribuables
porteraient un jugement assez sévère sur cette
réforme.
Alors, M. le Président, il est entendu que cette
législation apportera des résistances. Pour ma part, ces
résistances, à prime abord, sans avoir vérifié, je
ne peux tenir pour acquis qu'elles viennent de ceux qui travaillent dans le
champ quotidien, de ceux qui présenteront ici des mémoires ou des
porte-parole de l'Opposition. Je ne crois pas que cette résistance soit
négative. Je crois qu'elle aura pour effet de mieux démontrer que
cette législation importante comporte peut-être des faiblesses et
qu'elle est susceptible d'améliorations. C'est dans ce sens que
personnellement, au cours de tous les travaux de cette commission, j'apporterai
des commentaires plus élaborés.
Il est normal que nous entendions aussi le point de vue de tous ceux qui
viendront s'exprimer devant cette commission, ceux qui ont l'occasion, tous les
jours et depuis plusieurs années, de vivre ces problèmes, alors
que nous, les législateurs, parfois et assez souvent, nous voyons ces
problèmes, nous voyons le fonctionnement de ces institutions de
façon plus lointaine. Ceux qui vivent continuellement ces
problèmes, qui ont à dispenser les soins, qui ont à
oeuvrer dans le secteur administratif de ces institutions vont certainement
nous apporter un éclairage dont la commission et le gouvernement ont
besoin pour faire la meilleure législation possible. Nous aurons des
observations; nous aurons des objections à certaines modalités,
mais ce sera toujours dans une intention, dans un aspect très positifs,
afin de, comme nous l'avons fait antérieurement dans les
législations d'assurance-maladie ou autres, donner aux citoyens du
Québec les meilleurs mécanismes de santé et de
bien-être possibles.
M. LE PRESIDENT: Alors, messieurs...
M. BOIS: Nous devrions entendre les représentants qui ont des
mémoires à nous fournir.
M. LAURIN: M. le Président, le ministre des Affaires sociales ne
veut pas que l'on qualifie son projet de révolutionnaire. Il me semble
pourtant qu'il l'est quand même, par la nature des articles qu'il
contient il en a d'ailleurs énuméré une trentaine
qui montrent à quel point ils sont essentiels mais surtout
à cause du contexte dans lequel ce projet de loi est introduit. Il
s'introduit dans le courant des dix dernières années où
nous avons vu l'Etat prendre des responsabilités de plus en plus grandes
dans le domaine de la santé. En 1960 il y eut un premier pas, alors que
l'Etat décidait de financer tous les soins hospitaliers, ce qui
était déjà une minirévolution, révolution
qui a été continuée par le fait que dix ans plus tard
l'Etat va financer tous les soins individuels dispensés par les
médecins.
Révolution aussi en ce sens que, dès le début de
cette période, vers 1961-1962, l'Etat décidait d'instituer une
commission qui ferait une étude exhaustive, globale et approfondie de
notre régime de santé. Dieu sait que cette commission a mis du
temps à pousser ses études ! Elle nous a donné un rapport
exhaustif couvrant tous les aspects du régime de santé,
l'étendant même au régime des soins sociaux, puisque la
commission s'était aperçue qu'on ne pouvait pas séparer
les soins sociaux des soins de santé.
Troisième mouvement, donc, de cette révolution:
étude approfondie du régime actuel et proposition d'un
régime nouveau.
Quatrième étape: la fusion des ministères et la
direction je l'ai reconnu à plusieurs reprises très
dynamique du ministère des Affaires sociales dans la mise en place des
objectifs et des modalités de dispensation des soins.
Ce projet de loi constitue un cinquième palier, pourrait-on dire,
qui entend s'atteler, après l'assurance-hospitalisation et
l'assurance-maladie, à la réforme complète du
régime de distribution des services de santé. C'est plus qu'un
ajustement, c'est plus qu'une mise en ordre. C'est l'essai de
concrétisation des réformes de structures, d'organisation, de
distribution, qui a été préconisée par le rapport
de la commission Castonguay-Nepveu. Pour moi, c'est plus qu'un ajustement parce
que, quand on veut réformer les structures, on s'attaque à ce
qu'il y a de plus essentiel dans la vie quotidienne de ceux qui ont
été appelés dans le passé à dispenser ces
soins. On s'attaque aux modalités d'exécution, de participation,
de distribution qui ont eu cours pendant une centaine d'années,
modalités, comme on l'a vu, qui étaient marquées au coin
de l'initiative privée puisque jusqu'à il y a dix ans le
gouvernement s'était très peu préoccupé de ce
secteur. Avec l'assurance-hospitalisation et l'assurance-maladie, il est
maintenant obligé de modifier son rôle, de supplétif qu'il
était, en un rôle d'animateur, en un rôle de financier, de
contrôleur, d'où l'importance des réformes de structures
qui s'ensuivent avec le bouleversement des rôles réciproques du
citoyen, des institutions et de l'Etat. Toutes les fois qu'on parle de
bouleversement des rôles, on appelle nécessairement un
bouleversement des structures et, comme les structures témoignent d'une
certaine philosophie, il importe d'y accorder une extrême attention.
Je ne veux pas, moi non plus, tracer un parallèle exact entre ce
qui a été fait dans le domaine de l'éducation et dans le
domaine de la santé, mais je pense quand même qu'on ne peut pas
s'empêcher de faire un parallèle, étant donné que
nous y retrouvons ce même facteur, c'est-à-dire l'intervention de
l'Etat qui de supplétive est devenue initiatrice, est devenue animatrice
et a acquis un pouvoir de contrôle que nous n'avions pas dans le
passé.
Je pense que le parallèle doit quand même être fait.
Le seul parallèle que je ferai ce matin c'est que dans le rapport Parent
on nous a proposé un modèle. L'Etat, lorsqu'est venu le moment de
légiférer, a d'abord choisi de légifé-
rer au plan des structures. Selon moi, cela témoignait
déjà d'une certaine philosophie. Mais déjà, dans le
temps, on a dit qu'on laisserait la réforme de la substance de
l'éducation pour un autre moment, la réforme de la
pédagogie, des structures pédagogiques. Nous l'attendons encore
après dix ans. Ce qui montre que, si on n'a pas le souci de lier la
réforme des structures avec les réformes de substance, on peut
retarder indéfiniment et on peut rendre plus difficile la réforme
au plan de la substance. C'est la raison pour laquelle j'aimerais, en ce qui
concerne cette réforme majeure dans le domaine de la santé, qu'on
n'oublie pas trop, quand même, les réformes de substance, qu'elles
paraissent davantage dans le projet de loi, ne serait-ce que pour motiver
l'ensemble de la population, les citoyens, les professionnels de la
santé à prendre toute leur part de ce qu'on veut être un
renouveau dans le domaine de la santé, les amener à se motiver
eux-mêmes pour ce grand changement, pour ce bond en avant que l'on veut
faire afin de remplir les objectifs du ministère des Affaires sociales.
Objectifs, d'ailleurs nous l'avons dit à plusieurs reprises
que nous partageons entièrement, c'est-à-dire
accessibilité plus grande à tous les soins, continuité des
soins, participation de la population, à tous les niveaux, à
cette vaste entreprise de l'amélioration du capital social et sanitaire
du peuple québécois.
Donc, nous voudrions, comme remarque très préliminaire,
inciter le ministre à ce que, même si ce projet de loi est
technique et traite des structures, on y voie quand même un peu plus la
substance des réformes qui sont contenues dans le rapport de la
commission Castonguay-Nepveu et dans les exposés de principe que le
ministre a faits à plusieurs reprises depuis un an, afin que la
population sente que nous sommes à l'orée d'une nouvelle
époque dans le domaine de la santé et qu'elle soit amenée
à y participer moralement, psychologiquement et ensuite
"organisationnellement" si je peux me permettre ce terme à
tous les niveaux.
Car une réforme de cette envergure qui ne serait pas
appuyée par l'ensemble de ceux qui sont appelés à la
faire, à toutes fins pratiques, me paraîtrait s'engager dans une
mauvaise direction. Autre remarque préliminaire: Nous sommes tout
à fait d'accord non seulement sur les objectifs du ministère des
Affaires sociales et sur les nouveaux objectifs du gouvernement qu'il a
énoncés à plusieurs reprises, mais aussi sur les grands
objectifs que nous devinons dans ce projet de loi, par exemple, sur celui de
l'ouverture à la population des conseils d'administration de quelque
institution qu'ils soient. Nous nous réjouissons, par exemple, que, la
population soit invitée à participer aux conseils locaux de
services communautaires par l'élection d'une part, ce qui nous
paraît un très grand progrès et, ensuite, par le choix de
membres résidant dans la communauté et appartenant aux divers
groupes socio-économiques de ces régions ou de ces quartiers.
C'est là une réforme extrêmement importante et nous y
applaudissons. Nous espérons que cette réforme sera maintenue,
quelles que soient les résistances qu'elle rencontrera.
Nous sommes également tout à fait d'accord sur
l'uniformisation et sur la systématisation des institutions. Là
aussi, il faut bien reconnaître qu'il ne faut accuser personne, puisque
ces institutions sont nées par rapport aux besoins qui se manifestaient
dans une communauté et qu'elles ont pris la marque de ceux qui croyaient
nécessaire de les fonder pour répondre aux besoins.
Mais, étant donné que nous sommes à une
époque où les conditions ont changé, où les soins
doivent être gratuits, où le capital humain doit être
amélioré, où l'Etat doit jouer un rôle majeur, nous
sommes en effet d'avis que le temps est venu d'uniformiser ces institutions, de
les systématiser, de les classifier et de les catégoriser afin
que soit introduit ce nécessaire principe d'ordre, de clarté, de
rationalité qui est absolument nécessaire, d'ailleurs, pour toute
coordination et pour toute planification.
Nous y applaudissons donc de tout coeur et nous espérons que ce
principe majeur sera sauvegardé, quelles que soient les critiques
d'ailleurs, que l'on puisse faire en ce qui concerne les modalités, et
nous en aurons nous-mêmes à faire. Mais, encore une fois, ceci
n'entache en rien notre appui de fond au principe de clarté,
d'uniformisation, de systématisation des institutions.
Là où nous nous posons des questions, c'est justement sur
la façon dont ce projet de loi va concrétiser les nouvelles
avenues qui ont été soumises à notre attention par la
commission Castonguay-Nepveu. Nous avons étudié avec
énormément d'attention ce projet de loi 65. Nous l'avons relu
à plusieurs reprises, nous l'avons comparé avec les multiples
rapports de la commission Castonguay et nous nous demandons encore
jusqu'à quel point aussi bien les objectifs que les modalités
proposés dans ce rapport se concrétisent dans ce projet de
loi.
Nous avons l'impression, après ces quatres ou cinq lectures que
nous avons faites, que la substance de la révolution dans le
système de soins proposé par la commission Castonguay-Nepveu ne
paraît pas encore assez dans ce projet de loi. Par exemple, la commission
proposait un idéal de médecine globale qui s'adresse à la
personne totale dans sa dimension physique, psychologique et sociale, une
médecine globale qui irait rejoindre l'individu, non seulement dans le
quartier, mais à l'école, à son domicile, à l'usine
où il travaille. Nous ne voyons pas dans le projet de loi, encore une
fois, comment cet idéal de médecine globale peut se
concrétiser.
Je suis bien d'accord avec le ministre qui disait tout à l'heure
qu'on ne peut pas mettre tout dans un projet de loi. Il faut laisser de
côté ce qui est un peu plus périphérique, un peu
plus superficiel pour garder l'essentiel.
Mais il reste quand même qu'un projet de loi devrait se
référer d'une façon claire à ce qui lui a au fond
donné naissance et devrait refléter peut-être davantage les
idéaux globaux d'une réforme que nous avons applaudie pour notre
part et que bien d'autres milieux ont applaudie. Nous ne voyons pas, en tout
cas, dans ce projet de loi à quel point la médecine globale aura
des chances de se matérialiser d'une façon aussi facile, aussi
aisée, aussi rapide que nous le voudrions.
De la même façon, nous ne voyons pas jusqu'à quel
point cette nécessaire coordination entre les divers paliers que
proposait la commission Castonguay-Nepveu va se réaliser. On parlait,
dans le rapport, de soins au niveau local, première ligne à
laquelle le patient ou le client pouvait s'adresser; soins
généraux, ensuite soins semi-spécialisés, le centre
communautaire de santé, ensuite soins ultra-spécialisés,
centres hospitalo-universitaires, avec des variantes. Par exemple, le centre
communautaire de santé pouvait également donner certains soins
ultraspécialisés.
Nous ne voyons pas dans le projet de loi ce qu'il est advenu de cet
étagement, de cette intégration verticale des soins. Nous ne
voyons aucune mention des centres communautaires de santé, des centres
hospitalo-universitaires. Nous ne savons pas le sort qui a été
fait par le ministre à ces propositions de la commission et nous
voudrions, à tout le moins, avoir non seulement des explications, mais
aussi des clarifications quant à la politique du ministère en ce
qui concerne ce que nous croyons toujours être nécessaire dans cet
étagement des soins et dans la coordination qui doit exister entre ces
différents niveaux.
La commission disait, par exemple, que les centres communautaires de
santé auraient la fonction d'organiser les centres locaux de
santé, qui leur étaient non pas subordonnés mais à
un autre niveau. Nous voyons également que les ORS, les offices
régionaux de santé devaient organiser les centres communautaires
de santé qui leur étaient un peu inférieurs dans le palier
administratif.
Dans le projet de loi nous ne voyons pas cette coordination organique,
cette coordination rationnelle à l'intérieur des étages de
distribution de soins. Là aussi ce sont plutôt des questions que
nous posons et nous espérons qu'aussi bien les témoignages que
nous entendrons que les déclarations du ministre pourront
éclairer notre lanterne à cet égard.
Nous avons un autre type de remarque préliminaire à faire
également et ceci concerne le grand dilemme
centralisation-décentralisation. Nous partons d'une époque
où une grande partie du régime de soins était
décentralisée. Ceci est dû, comme je le disais tout
à l'heure, aux conditions qui ont présidé à la
naissance de ces instititions, c'est-à-dire l'initiative locale,
l'initiative privée qui devait faire face d'une façon urgente aux
besoins. Par ce projet de loi nous voyons que le gouvernement centralise
davantage, c'est-à-dire qu'il sent le besoin d'établir des
normes, des normes de plus en plus précises. D'ailleurs, le chapitre du
projet de loi qui traite des règlements comporte
énormément d'articles. Donc, on enlève d'un certain
côté à des institutions privées des pouvoirs
qu'elles avaient antérieurement et on les met au niveau du gouvernement,
même si la participation du milieu est assurée d'une certaine
façon par la composition des conseils d'administration.
On voit que le gouvernement se réserve tout ce qui est normes,
règlements alors qu'auparavant ceci était le lot des institutions
privées. Dans le rapport de la commission Castonguay-Nepveu nous avions
l'impression qu'une bonne partie de ces pouvoirs, aussi bien en ce qui concerne
les normes, les règlements, la présentation des budgets,
l'organisation des soins, les plans pour l'avenir de même qu'un certain
rôle en ce qui concerne l'hygiène publique, la protection de
l'environnement, étaient dévolus aux offices régionaux de
santé qui étaient d'ailleurs assez peu nombreux et qui devenaient
ainsi des agents du gouvernement dans la communauté, un peu
l'équivalent de gouvernements régionaux en ce qui concerne les
affaires sociales.
Dans ce projet de loi nous croyons déceler un changement
d'orientation assez radical de la part du ministère par rapport à
l'esprit des propositions du rapport Castonguay-Nepveu. Nous avons l'impression
que, pour des raisons que nous ignorons, le gouvernement a l'intention de faire
beaucoup moins confiance au milieu, aux institutions qui sont enracinées
dans ce milieu et qui devaient trouver leur achèvement dans ces offices
régionaux de santé.
On voit en effet que le projet de loi ne leur donne pas certains
pouvoirs que la commission Castonguay-Nepveu voulait leur donner, comme, par
exemple, l'organisation de la distribution régionale des soins,
l'approbation des plans d'immobilisation des établissements, y compris
ceux des universités, la proposition et l'administration du budget
régional à partir de l'enveloppe budgétaire annuelle mise
à sa disposition par le ministre, l'élaboration d'une politique
générale d'achat, la mise en place de divers services communs.
Dans ce domaine, nous voyons une sorte non pas de déviation car
un gouvernement n'est jamais lié par le rapport d'une commission, c'est
bien entendu mais une sorte de non-approbation au fond d'une
recommandation essentielle qui nous paraissait, en tout cas, essentielle de la
commission Castonguay-Nepveu.
Dans ce domaine-là, nous aimerions savoir, si notre
hypothèse est vraie, ce qui a pu amener le gouvernement à ne pas
accepter cette proposition de la commission et à centraliser, au niveau
du gouvernement, l'approbation de tous les budgets, aussi bien des centres
hospitaliers que ceux des régions, ainsi que l'édification de
toutes les normes et règles qui doivent présider d'en haut
à l'administration et au fonctionnement de tous ces organismes.
Enfin, une dernière question que nous nous sommes posée,
c'est comment ce régime de santé pourra s'harmoniser,
s'intégrer aux autres lois que nous ne connaissons pas encore. Nous
aurions aimé, pour pouvoir en discuter d'une façon plus
sérieuse, plus approfondie, avoir déjà une idée de
ce que sera, par exemple, la politique du gouvernement en ce qui concerne les
diverses professions, puisque ce sont les professionnels de la santé qui
auront à concrétiser le nouveau régime de santé,
ainsi que la nouvelle loi sur la santé publique et la loi sur la
santé mentale que le ministre nous a annoncée.
Si nous avions un peu plus de détails sur ces lois-là,
peut-être nous serait-il plus facile de situer le présent projet
de loi dans un contexte global et pourrions-nous y faire des observations plus
pertinentes. Tout ceci, M. le Président, pour dire que nous voyons la
nécessité d'études approfondies, et nous remercions tous
ceux qui se présenteront à cette commission pour nous aider
à poursuivre ces études approfondies. En temps et lieu, nous
aurons des suggestions très concrètes à apporter qui
porteront sur le détail des articles du projet de loi, mais pour le
moment, nous voulions nous limiter à ces considérations
générales.
M. CASTONGUAY: Je vous remercie, M. le Président, je pense que
nous pourrions passer, à ce stade-ci, à l'audition des
mémoires. J'ai pris bonne note des commentaires à la fois du
député de Montmagny et du député de Bourget et je
vais les analyser et voir si, à l'occasion peut-être d'une
prochaine séance, avant de passer à l'audition des
mémoires, il n'y aurait pas lieu de répondre à certaines
de ces questions qui sont formulées.
M. LE PRESIDENT: Alors, pour l'information de chacun, cinq organismes
ont des mémoires à présenter. Nous allons suspendre les
travaux de la commission à midi et trente et nous recommencerons
à trois heures, pour terminer à six heures. Alors, comme
plusieurs organismes ont des mémoires à présenter, je
voudrais encore une fois rappeler aux porte-parole du gouvernement de s'en
tenir strictement au bill 65.
Alors le premier organisme est le Service de probation dont le
porte-parole est M. Marcel Godin.
Je vais demander aux porte-parole de s'identifier quand ils prendront la
parole, s'il vous plaît.
Service de probation de Hauterive
M. GODIN: Marcel Godin, directeur du Service de probation de Hauterive,
pour la région du district judiciaire de Hauterive et de Saguenay, de
Baie-Saint-Paul à Blanc-Sablon, Schefferville, Gagnon.
M. LE PRESIDENT: Est-ce que les porte- parole pourraient se mettre au
centre pour que tous les membres de la commission les voient? Autrement, nous
ne les voyons pas.
M. GODIN: M. le Président, M. le ministre et MM. les membres de
la commission, je veux vous remercier, d'abord, d'avoir accepté que je
vous présente mon mémoire. Je veux que cette rencontre soit un
dialogue et une discussion afin d'améliorer et d'en arriver à une
meilleure planification des services du ministère des Affaires sociales
au Québec.
Je travaille sur la Côte-Nord depuis environ dix ans dans le
domaine sanitaire et social. En 1969-70, j'étais boursier du
gouvernement du Québec afin d'aller étudier à l'Ecole
nationale d'administration publique, à l'Ecole nationale de la
santé à Rennes. A la suite de ces études, chacun devait
présenter un mémoire pour obtenir le diplôme. Pour ma part,
j'ai présenté un mémoire sur la façon dont je
verrais la décentralisation des services du ministère de la
Famille et du Bien-Etre social du temps pour la région administrative
que l'on appelait la Côte-Nord, la région no 9.
Malheureusement, je n'ai pas pu démontrer comment, comme je
l'aurais aimé, faire la décentralisation du ministère de
la Santé puis des Affaires sociales parce que ç'aurait
été un travail trop long et, de plus, je ne connaissais pas assez
bien les structures de ce ministère. Le but de mon mémoire, au
départ, était d'essayer de faire l'inventaire des ressources
sanitaires et sociales dans la région. A la suite de
l'arrêté en conseil du ministère de l'Industrie et du
Commerce, le bill 514 du 29 mars 1966, qui divisait la province de
Québec en dix régions administratives, je suis parti avec cette
structure.
Le ministère de l'Industrie et du Commerce avait divisé la
province, comme je le mentionnais, en dix régions administratives et,
déjà, au ministère de la Famille et du Bien-Etre social,
on avait commencé à appliquer un peu la décentralisation
des services, par exemple, par la nomination des directeurs régionaux.
Dans le temps, il y en avait environ quatre: Rimouski, Québec,
Nord-Ouest québécois... J'ai essayé de déterminer
exactement, à partir du rôle du directeur régional, ce
qu'il devrait faire dans sa région et son travail de coordination et de
planification; il deviendrait un représentant du ministère dans
sa région, il serait le responsable. A ce moment-là, il devrait
coordonner tous les organismes de sa région, voir à la
planification, à l'orientation des services, à l'approbation des
budgets et même à la surveillance opérationnelle de leurs
services.
Conséquemment, j'en ai profité pour pousser mon
étude parce que je me suis aperçu qu'il faudrait que tout cela
soit relié sur le plan provincial à une autre structure qui
existait, l'Office de planification et de développement du Québec
qui, lui, voyait à la préparation, à l'organisation et
à la planification de tous les budgets du ministère pour toute la
province.
J'ai essayé aussi de démontrer le rôle de tous les
organismes, par exemple, des CRD, le rôle des organismes sociaux qui
pouvaient apporter leur collaboration à l'intérieur d'une
région donnée. Le but du mémoire était de
démontrer vraiment la décentralisation des services et non pas
aller vers une décentralisation des services du ministère.
Est-ce que la plupart d'entre vous avez eu l'occasion de prendre
connaissance du mémoire?
DES VOIX: Non.
M. GODIN: Je vais essayer de le résumer en partant, plus
précisément, des fonctions, du rôle du
ministère.
Alors, moi, ce que je voyais, c'est que les divisions territoriales du
ministère en régions administratives était
déjà un départ dans la province de Québec en vue de
la planification et de la déconcentration des services.
Je suis parti avec l'idée que tout était centralisé
à Québec. Chaque fois qu'on avait besoin de services, qu'on avait
besoin de ressources communautaires, il fallait créer une corporation
privée et il fallait aller à Québec. Tous les budgets
étaient acceptés à Québec.
A ce moment-là, je voyais la création d'un directeur
régional qui, lui, verrait par exemple, à tout ce qui concerne le
ministère des Affaires sociales. Dans le temps, c'étaient les
ministères de la Santé et de la Famille. Il serait le
coordonnateur régional qui verrait à l'application des budgets
que le ministère à Québec pourrait lui donner. Ensuite, il
verrait à la planification et surtout à la préparation de
programmes quinquennaux. Cela n'existe pas encore au Québec, la
préparation de budgets quinquennaux. A ce moment-là, j'imaginais
que c'était vraiment nécessaire afin de déterminer et de
savoir où on s'en allait.
Ensuite, on s'aperçoit que, dans la région, il y avait un
manque de coordination des différents services, ou organismes, par
exemple, entre le service social, le service de probation, l'unité
sanitaire, les hôpitaux. Nous n'étions pas capables de nous
organiser et je pense que c'est un problème qui existe dans toutes les
régions.
Disons que, pour moi, le directeur régional était le
représentant du ministre dans la région. Il avait une
équipe avec lui pour travailler. Par exemple, une équipe de la
planification et de la recherche qui verrait, dans la région, à
planifier et à préparer les plans quinquennaux. Il y avait aussi
un responsable qui s'occupait de l'aide et de la sécurité
sociales. Un autre s'occupait de la famille et de la population.
C'étaient les anciennes structures du ministère. Un autre
s'occupait de l'administration. Un autre s'occupait des finances et de
l'équipement.
Alors, le directeur régional avait avec lui des personnes
spécialisées qui s'occupaient des finances, de
l'équipement et de la préparation du plan quinquennal. Sous sa
responsabilité, ces gens devaient voir à l'organisation et
à la surveillance opérationnelle des organismes sociaux de la
région: service social, service de probation, institutions de
transition, foyers pour personnes âgées, tous les organismes.
Pour coordonner toutes ces ressources, nous, dans notre région,
nous avions un problème. Lorsque nous avions besoin de
l'évaluation psychologique, de l'évaluation clinique de nos
enfants avant de les diriger dans une école de protection ou que nous
avions besoin d'un diagnostic avant de faire un travail, eh bien, nous n'avions
pas, dans la région cette ressource qu'on appelle une clinique
médico-sociale.
Que cela appartienne au ministère de la Famille ou que cela
appartienne au ministère de la Santé, j'avais pensé qu'on
crée une clinique médico-sociale régionale qui
s'occuperait de recevoir tous les enfants et d'évaluer tous les enfants,
de sorte que soit le service de probation, les commissions scolaires, les
médecins, les hôpitaux, le service social puissent envoyer ces
enfants à cette clinique. Les enfants seraient évalués
dans leur région, dans leur milieu et, ensuite, on pourrait avoir des
discussions avec le personnel professionnel dans la région pour,
ensuite, en arriver à un diagnostic.
Actuellement, nous sommes obligés d'envoyer nos enfants à
Québec ou à Montréal et, depuis les deux dernières
années, nous avons ce qu'on appelle un psychiatre volant qui vient deux
jours ou une journée par semaine pour faire l'évaluation.
Disons que je voyais, comme rôle de la clinique
médico-sociale, qu'elle aurait des relations fonctionnelles avec tous
les organismes de la région. C'était vraiment une
nécessité.
Dans le temps, je ne pouvais pas prôner la fusion des deux
ministères, le ministère de la Famille et le ministère de
la Santé. J'y pensais, mais cela a été fait
entre-temps.
Ensuite, disons que moi, à travers tout ça, avec la
définition de l'arrêté en conseil concernant la division de
la province en dix régions administratives, je voyais que le directeur
régional du ministère des Affaires sociales, le directeur
régional du ministère des Terres et Forêts, le directeur
régional du ministère de l'Agriculture et de la Colonisation, le
directeur régional du ministère de l'Education, enfin tous ces
directeurs régionaux qui, eux, sont au courant de leurs
problèmes, qui connaissent leur ministère dans la région
et qui sont en relation directe avec le sous-ministre ou le ministre à
Québec, à ce moment, toutes ces personnes créaient ce
qu'on appelle la commission régionale de planification et de
coordination.
Là, vraiment, c'était en fin de compte la
déconcentration de tous les services du gouvernement. On faisait de la
région un petit gouvernement. Par contre, au lieu d'avoir des
corporations privées, c'étaient vraiment des fonctionnaires qui
étaient nommés par l'Etat et qui jouaient le rôle de
coordonnateur ou de directeur ou de collaborateur pour leurs différents
ministères.
Moi, je voyais, par exemple, à la commission
régionale de planification pour la Côte-Nord, les
directeurs régionaux de tous les ministères qui formaient la
commission régionale de planification et de coordination, le
président était automatiquement responsable vis-à-vis de
la région à la commission régionale de planification et de
coordination du Québec. Alors, à ce moment-là, en ce qui
concerne le ministère des Affaires sociales, par exemple, le directeur
régional préparait son budget à chaque année,
arrivait même à préparer un plan quinquennal et il
était en relation directe avec le ministère des Affaires
sociales. Moi, je voyais vraiment une déconcentration du
ministère des Affaires sociales.
Alors, disons que c'est le résumé en gros du
mémoire que j'ai présenté. Ce n'est peut-être pas
complet, j'oublie peut-être quelque chose. Maintenant, j'aimerais revenir
au bill. M. le Président, est-ce qu'il y a des personnes qui voudraient
des explications sur les points que je viens de mentionner et qui ne seraient
pas clairs dans leur esprit avant de continuer?
M. CASTONGUAY: Il y aurait peut-être une question, M. le
Président. Je comprends que M. Godin nous a donné une analyse
qu'il a faite à une certaine époque de moyens qu'il croyait
nécessaires pour assurer une meilleure coordination des actions des
ministères dans la région de la Côte-Nord pour combler ou
répondre à certains besoins provenant de l'absence de ressources
suffisantes. Est-ce que par rapport au bill 65, par contre, il a des
commentaires très précis ou très concrets ou des
recommandations précises à formuler quant à ce bill qui ne
traite que d'un aspect de la question, comme cela a été
mentionné lors de l'exposé général du bill?
M. GODIN: Je vais continuer et j'arrive au bill 65. Concernant le bill
65, la première chose qui m'apparaît, eh bien on parle de
révolution, on parle de changement, de la réorganisation des
services sociaux et des services de santé en voulant créer une
nouvelle structure. On s'aperçoit que l'on retombe encore dans les
mêmes procédures qu'auparavant, on recommence avec des
corporations privées. On sait que les corporations privées ont
toujours joué un rôle important dans les régions, mais on
sait que certains membres de ces corporations ne sont pas compétents et
ne sont pas capables d'administrer vraiment une corporation.
Moi, au départ, je me pose des questions concernant le bill 65.
Est-ce que vraiment, avec la décentralisation, c'est la meilleure
solution, c'est-à-dire en créant un office régional,
encore une corporation privée qui va diriger d'autres corporations
privées?
On veut changer ce système, car il semble que ça ne
fonctionne pas, et créer une autre superstructure pour remplacer la
structure que nous avons actuellement. Est-ce que ce serait mieux, par exemple,
que ce soient des fonctionnaires qui sont déjà en place
actuellement, des directeurs régionaux dans chaque région, qui
jouent ce rôle? C'est une question que je me pose.
Il y a aussi un danger lorsque nous formulons une nouvelle loi. Je
trouve qu'il n'y a rien de défini concernant les offices
régionaux. On sait que le ministre va en organiser, au fur et à
mesure qu'il va en sentir le besoin. Disons qu'il décide de créer
un office régional pour tout l'est du Québec. Qui va participer?
Quels sont les membres qui vont pouvoir être élus? On sait qu'il
va y avoir des membres du service social. Si on a, pendant dix ans, un office
régional qui va desservir tout l'est de la province, la Côte-Nord,
le Bas-du-Fleuve et les autres régions ne seront pas
représentées. Disons que c'est une question que je me pose,
à savoir si vraiment ce sera bien structuré, si on ne recule pas
ou si on devrait garder les structures que nous avons actuellement.
En ce qui concerne la nomination des directeurs régionaux, il n'y
a rien qui explique dans la loi de quelle manière nous allons choisir le
directeur général. Disons que les membres de la commission
présenteront trois noms au président et c'est la commission qui
va choisir. Pourquoi des fonctionnaires ne pourraient-ils pas poser leur
candidature ou des hommes qui sont dans le domaine de l'action sanitaire ou
sociale dans une région donnée? Qu'il y ait concours afin de
choisir le meilleur parmi les représentants de toute la commission.
Je trouve aussi qu'on veut décentraliser, donner des pouvoirs aux
régions, mais à la fin de tout ça, c'est toujours le
ministre qui accepte ou refuse les budgets.
Ce sont, en gros, M. le Président, mes recommandations concernant
le bill 65. Je voulais surtout faire la comparaison entre le bill 65 et la
décentralisation. Mon mémoire expose comment je verrais la
décentralisation. C'est un autre moyen d'administration.
L'expérience acquise au cours de stages faits en France m'a permis de
constater que la France pratique la déconcentration des services sur une
base nationale. Je me pose des questions sur les structures actuelles du bill
65.
S'il y en a qui ont des questions à poser...
M. LE PRESIDENT: Merci, M. Godin. Est-ce qu'il y a des
députés qui ont des questions à poser? Alors, je
demanderais à M. l'abbé Pierre Hurteau de venir parler à
titre personnel. Vous pouvez vous asseoir.
M. HURTEAU: Je peux m'asseoir? M. Pierre Hurteau
M. LE PRESIDENT: Oui, on va vous installer le micro. Veuillez vous
placer au centre de la barre. Que ceux qui sont là veuillent bien
s'asseoir en arrière de la barre. Ils reviendront plus tard.
M. HURTEAU: M. le Président, M. le ministre, messieurs les
commissaires, messieurs les
députés, je remercie la commission parlementaire de me
donner l'occasion d'exprimer ma prise de position sur le bill 65. Cette prise
de position m'est personnelle, mais je sais qu'elle rejoint les
préoccupations d'un très grand nombre de collègues du
milieu dans les domaines de la santé et du service social, et elle
s'appuie sur l'expérience que j'ai acquise dans le domaine du
bien-être depuis vingt ans.
Je reconnais l'importance d'une meilleure organisation de l'ensemble des
réseaux de services de santé et de bien-être de l'Etat du
Québec. Je partage le souci d'assurer à la population des
services mieux répartis, mieux coordonnés et conforme à
ses besoins. Je préconise une décentralisation véritable
des responsabilités du ministère des Affaires sociales, mais je
crois rendre service à mes concitoyens en m'opposant au bill tel qu'il
est soumis parce que ce projet de loi, qui entraîne une transformation
radicale et globale des structures des services existants, ne paraît pas
avoir fait l'objet, par ailleurs, d'une consultation suffisante des milieux
compétents dans le sens d'une participation que le bill 65
prétend justement institutionnaliser; parce que la commission
d'enquête Nepveu n'a pas encore remis son rapport sur les services
sociaux; parce que le conseil des affaires sociales, récemment
constitué, n'a pas été en mesure d'être
consulté pour la mise en marche de ce projet de loi; parce que le bill
65 ne paraît pas tenir compte des caractéristiques ethniques,
culturelles et religieuses de la population; parce qu'il ne semble pas que le
bill tienne compte des fonctions propres aux services de santé et des
fonctions propres des services sociaux dont les méthodes et les objets
sont différents et ne sauraient être confondus sans dommages
sérieux; parce que le type de participation que le bill impose risque
d'entraîner des confusions et des conflits qui auraient pour
résultat de paralyser l'action des organismes impliqués; parce
que le style de "management" qu'il impose est centralisateur et bureaucratique
et va à l'encontre des lois modernes d'une administration vraiment
dynamique, progressiste et véritablement participative.
En conséquence, étant donné l'ampleur des
amendements qu'il faudrait faire, à mon sens, pour adopter ce projet de
loi aux besoins du milieu d'une façon prudente, j'émets le voeu
que le bill soit retiré, et qu'un nouveau projet de loi soit
élaboré par un comité multipartite en y associant des
représentants des instances concernées et en tenant compte des
réalités existantes et des particularités
régionales de la province. Comme on peut le lire dans les notes
explicatives du bill: "... toutes les institutions autres que les institutions
privées qui dispensent des services de santé ou des services
sociaux devront, sauf s'il s'agit d'institutions privées, dans les deux
ans qui suivent l'adoption de la nouvelle loi, obtenir une nouvelle charte,
soit en se convertissant en une corporation régie par la nouvelle loi,
en se fusionnant avec une telle corporation ou, si elles le
préfèrent, en cédant leur entreprise à une telle
corporation." Fin de la citation des notes explicatives. Comme la
grande majorité des services de santé et de bien-être au
Québec, hôpitaux, institutions pour enfants ou vieillards, agences
sociales, sont des services essentiels et d'intérêt public, aucun
n'aura de fait la liberté, apparemment laissée par le projet de
loi, "si elles le préfèrent," disent les notes
explicatives de refuser d'entrer dans les cadres proposés par le
bill 65. En conséquence, toute l'opération constitue bel et bien
une mainmise de l'Etat sur l'ensemble des réseaux de santé et de
bien-être.
Cette entreprise énorme, vaste et complexe repose sur une vision
abstraite de la réalité qui donne la préférence
à l'idéologie sur l'étude des faits. Elle s'appuie sur des
prémisses qu'on n'a pas démontrées, elle s'inspire d'une
vision bureaucratique et directive de l'administration sous les allures d'une
participation de conception naive. Cette réforme, si elle devait se
faire, entraînerait toutes sortes de confusions préjudiciables
à la clientèle, des déboursés
supplémentaires et extravagants pour la province, des conflits
paralysants en un temps où toutes les énergies créatrices
devraient être encouragées et conjuguées vers la poursuite
progressive d'objectifs proportionnés aux moyens réels dont nous
disposons.
Pour situer le bill 65, il n'est pas sans intérêt de relire
le texte de l'allocution de M. le ministre des Affaires sociales, lors de la
soixante-deuxième réunion annuelle de l'Association canadienne de
l'hygiène publique, tenue à Toronto le 22 avril dernier. Il rend
d'abord hommage à un nouvel aspect dans l'action de l'Action canadienne
de l'hygiène publique qui consiste, déclare-t-il, "en la
recherche de nouvelles approches, de nouveaux mécanismes susceptibles
d'accroître la rapidité de la réalisation des objectifs que
vous visez. Remettre en cause les modes traditionnels d'intervention exige, de
la part de tout organisme, une maturité et une honnêteté
dont on ne peut que vous féliciter."
Peut-être conviendrait-il de rappeler ici qu'au Québec nos
organismes non gouvernementaux ont su drôlement modifier leur mode
traditionnel d'intervention depuis dix ans. Remettre en cause n'est pas
synonyme de rupture de continuité, et comme le rappelait autrefois Yves
de Montcheuil: "Il n'y a de véritable progrès humain que celui
qui s'enracine dans la tradition." En d'autres termes, la nature ne fait pas de
sauts.
Mais lorsque M. le ministre passe de cette idée à
l'annonce de la réorganisation des services de santé et des
services sociaux, j'avoue ne pas avoir bien saisi l'enchaînement d'une
telle pensée. Il poursuit en effet en ces ternies: "Le domaine de la
santé n'échappe pas aux effets provoqués par les
changements de valeurs et l'évolution des connaissances de la
réalité politique, économique et sociale. Feindre
d'ignorer un tel phénomène serait accepter le
développe-
ment désordonné des multiples ressources qui surgissent
devant les besoins croissants de la population et camoufler ce qui risque de
n'être qu'une multitude de palliatifs extrêmement
coûteux."
Je me permets de demander que signifie un jugement aussi global et aussi
pessimiste par rapport à ce qui existe chez nous? En quoi justifie-t-il
la conclusion qui suit: "C'est ce que le gouvernement du Québec veut
éviter en prônant la réorganisation des services de
santé et des services sociaux afin de les adapter le mieux possible aux
nouvelles dimensions de la relation besoins-services et de faire
disparaître le traditionnel cloisonnement entre les services de
traitements et les interventions à caractère
préventif"?
De tels propos appelleraient de longs commentaires. Retenons surtout
qu'il est abusif de réduire à une question de réforme de
structure, en ces années de participation, la solution de
problèmes qui relèvent avant tout d'un bon "management". C'est
là, me semble-t-il, que réside l'ambiguïté
fondamentale de la problématique dans laquelle veut nous enfermer le
bill 65. Quant à ce qui est des retards apparents de nos services par
rapport à ce qui existe ailleurs, je puis dire, parce que je connais le
milieu depuis assez longtemps et que j'ai voyagé, que nous, qui avons
les mains sales, qui connaissons la réalité quotidienne, nous
pouvons témoigner combien nos collègues, rencontrés lors
de congrès au Canada, aux Etats-Unis et en Europe, sont
intéressés par nos structures non gouvernementales, justement, et
les envient souvent lorsque, surmontant notre complexe
d'infériorité national, nous leur permettons de découvrir
les valeurs qui nous sont propres.
Ce n'est pas en regroupant physiquement ou administrativement des
services divers qu'on réglera, pour certaines catégories de
clientèle, la difficulté qu'elles auraient de savoir où
s'adresser pour tout l'éventail des problèmes que
déployait M. le ministre dans son allocution du 22 avril:
sécurité du revenu, main-d'oeuvre, services sociaux, y compris
ceux qui sont reliés à l'administration de la justice, services
de santé, y compris les mesures de financement telles
l'assurançe-hospitalisation et l'assurance-maladie, habitation et
loisirs.
Dans toute cette question de faciliter l'accès aux services, ne
se trouve-t-on pas d'abord devant un problème de communications, de
création de filiales par les services de base existants, de
publicité et de relations publiques?
Sans doute y aura-t-il toujours des progrès à faire pour
coordonner les services entre eux et les rapprocher de la clientèle mais
les moyens d'y arriver sont tout autres et bien moins coûteux qu'une
réforme des structures comme celle que veut imposer le bill 65.
Hôpitaux, institutions et agences sociales même s'ils sont
spécialisés, et la spécialisation est une condition de
compétence et d'efficacité de nos jours, n'en sont pas pour
autant cloison- nés. Si l'on cherche vraiment des moyens de servir la
clientèle de façon plus simple, plus souple, plus rapide et plus
efficace, on devrait surtout se méfier de la confusion des rôles
de chaque discipline et de la paralysie qu'engendrent le gigantisme et le
globalisme de structures pyramidales. Si l'on essayait d'abord la coordination
au niveau régional, puis au niveau provincial et une véritable
décentralisation des pouvoirs de décisions. Depuis le temps que
le ministre nous promet l'une et l'autre.
Quant à la question de réviser les champs de juridiction
des divers ministères comme le ministre l'a fait entendre encore dans
son allocution du 22 avril, il me semble que cela aussi pourrait se faire sans
chambarder les réseaux de services existants. Mais pourquoi faut-il
qu'au Québec on ne sache procéder, semble-t-il, que par
réformes globales des structures? N'est-ce pas là chez nous un
signe de faiblesse de nos facultés créatrices en
administration?
Comme on le sait, la solution préparée par le bill 65
consiste principalement en la création d'une superstructure, l'office
régional des affaires sociales, ORAS, et l'installation d'une structure
intermédiaire, les centres locaux de services communautaires, CLSC. Le
centre local devra assumer le rôle de coordination du domaine de l'action
sanitaire et sociale afin de préserver notre approche globale aux
problèmes, comme l'annonçait le ministre dans son allocution
citée.
Ayant fréquenté les milieux officiels de santé et
de service social de France où l'on trouve ce type de structures, il me
semble reconnaître l'image des services départementaux d'action
sanitaire et sociale qui doivent, en principe, là-bas exercer un
rôle de coordination et de leadership social. Nos CLSC seraient donc
placés sous la surveillance des offices régionaux des affaires
sociales et appuieraient leurs interventions sur des centres hospitaliers, des
centres de service social et des centres d'accueil. Toutes ces institutions
seraient publiques, de droit comme de fait, quoique érigées en
corporations sans but lucratif au sens de notre code civil et suivant une
formule qui consacrera la participation à leur gestion de la population,
des corps intermédiaires, des professionnels et du personnel qui
constituent leur clientèle, leurs moyens d'action et leur soutien.
(Extrait des notes explicatives).
Leur statut ne serait pas cependant celui de nos CEGEP, qui sont des
organismes semi-publics. Grâce à une savante construction
juridique, les conseils des différents organismes sont tellement
imbriqués les uns dans les autres, les délégations de
pouvoirs des administrateurs et des directeurs généraux tellement
hiérarchisées et étroitement interdépendantes
qu'à la fin, sous des dehors de participation généreuse,
nul parmi les responsables n'est libre vis-à-vis du pouvoir. Le
résultat paradoxal d'une telle réforme, loin d'élargir la
participation, risque fort d'éloigner de nos organismes de santé
et de
bien-être les éléments les plus dynamiques de notre
population au profit des idéologues. Les concepteurs de ce beau plan
cartésien d'organisation sociale à l'élaboration duquel
les agences sociales n'ont pas été invitées à
participer se sont trompés de destinataires. Une telle
réorganisation des services de santé et de bien-être
constituerait peut-être un progrès pour la France. Au vrai, je ne
serais pas étonné qu'on en retrouve les épures dans les
tiroirs du ministère des Affaires sociales de Paris.
Par rapport aux structures existant là-bas, notre bill 65
pourrait continuer, en effet, un certain progrès en ce qu'il ouvrirait
la porte à la participation des communautés locales aux affaires
des services officiels de santé et de bien-être qui sont
téléguidées à partir de Paris. Une telle
réforme irait dans le sens de la loi d'orientation de l'enseignement
élaborée par Edgar Faure et votée le 12 novembre 1968,
après les événements que l'on sait.
Mais quiconque a suivi de près la vie française, depuis
les événements de mai 1968 que j'ai observés sur place,
sait également que cette loi d'orientation, pourtant
généreuse, n'est pas sans rencontrer actuellement encore des
difficultés imprévues, car cette loi et toutes celles qui
s'apparentent à son esprit, comme le bill 65, reposent sur
l'hypothèse d'une volonté de participation
générale. Mais, lorsque les citoyens, comme les étudiants
de Nanterre, refusent la participation au nom d'une idéologie qui en
fait des casseurs du système, que deviennent les belles structures?
Elles sont paralysées et les agents du système, les esprits les
plus libéraux, comme ce pauvre Paul Ricoeur ignominieusement
coiffé d'une poubelle le 26 janvier 1970, n'hésitent pas à
faire appel à la police, quitte à démissionner ensuite. On
a alors bouclé la boucle. Demain, c'est tout le système qui
serait renversé si l'anarchie triomphait. Mais, alors, la participation
pourrait bien faire place à des Soviets.
Il n'est pas sans intérêt de rappeler ici ce
qu'écrivait récemment M. Claude Ryan sur les avatars de la
démocratie dans les CEGEP. "Un CEGEP forme en théorie, disait-il,
une communauté exemplaire où représentants du milieu, de
professeurs, des cadres, des étudiants et des parents sont
appelés à participer aux décisions. Impressionnante sur
papier, cette structure se prête dangereusement aux jeux de pouvoir et
aux conflits d'intérêts. Elle ouvre des avenues nombreuses aux
marchands d'intrigues. Elle risque de rendre difficile l'exercice concret de
l'autorité et de favoriser la démolition des responsables qui
entendent diriger et non pas se laisser ballotter sans cesse par les
intérêts des uns et des autres."
Quand on lit, dans le bill 65, les articles relatifs à la
composition des divers conseils et comités administratifs, on en vient
à se demander combien parmi ces auteurs ont fait fonctionner avec
succès une entreprise. Combien, je le demande, ont fait
l'expérience de la partici- pation dans le sens qu'ils nous proposent:
vaste, communautaire et multidisciplinaire?
Pour ma part, j'aurais plusieurs questions très concrètes
à soulever sur le fonctionnement des différentes instances
entrevues par le bill 65 et dans lesquelles on a l'impression que tout le monde
va guetter tout le monde. Je crains fort qu'après une période
d'exaltation et d'efforts collectifs, comme ceux qu'on retrouve au commencement
de toute révolution, les meilleurs démissionnent ou prennent leur
partie du système en essayant de s'éviter les embêtements.
Je ne vois pas beaucoup la possibilité que le bill 65 suscite un grand
nombre de chefs d'entreprises. La marge de véritable autonomie
laissée à ces corporations publiques et à leurs directeurs
généraux est sûrement trop étroite pour qu'ils se
sentent vraiment engagés et, conséquemment, de véritables
témoins de leur communauté.
La participation est une valeur de notre époque, mais, comme le
rappelait déjà M. Laurent Picard, vice-président de
Radio-Canada, le 29 septembre 1968, au colloque organisé par l'Institut
canadien des affaires publiques, il est important de ne pas liquider la
participation avant de l'avoir inventée. Or, il apparaît que
certaines formes de participation qui nous sont proposées font justement
cela. Le leadership n'en demeure pas moins nécessaire. C'est pourquoi il
faut se garder d'ériger la participation en absolu, de succomber au
mythe de la démocratie rêvée.
Le bill 65 veut commencer par remodeler tout notre réseau de
services de santé et de bien-être selon le patron bureaucratique
à la française, ainsi que le désigne M. Gustave
Gélinier, un auteur renommé en management, avant d'y introduire
l'idée de participation.
Or, la structure actuelle de la plupart de nos institutions,
hôpitaux et agences sociales administrés par des
bénévoles désintéressés et
représentants de leur communauté locale en fait juridiquement des
partenaires de l'Etat. Celui-ci, selon le principe de subsidiarité,
subventionne les organismes en respectant leur liberté et leur
responsabilité de gestion et en les soumettant à de
légitimes contrôles. Tout cela fait l'envie de nos
collègues de France et d'ailleurs.
Il est évident, pour tout observateur informé du
modèle français, entre autres, et de tout modèle qui lui
ressemble, que le bill 65 nous fait rétrograder gravement. Si nos
services de santé et de bien-être paraissent aussi loin du peuple
qu'on veut parfois le faire croire, si leur conseil d'administration n'a pas
toujours exercé le leadership, s'ils ne se renouvellent pas assez
souvent, s'ils ne sont pas assez dynamiques, sont-ils seuls en cause? Il
conviendrait peut-être que le ministère fasse aussi son
autocritique.
Après une longue période pendant laquelle l'Etat du
Québec on l'a rappelé tout à l'heure s'est
déchargé de ses responsabilités sur les oeuvres mises sur
pied par les Eglises et des groupes de citoyens dévoués, il a
adopté
une attitude de contrôle de plus en plus tatillon et
stérilisant. Depuis dix ans, on a tout fait pour étouffer le sens
de l'initiative et des responsabilités des agences sociales à
l'endroit de leur propre milieu. Exception faite, cependant, quand, incapable
de mettre sur pied les services qui devaient normalement dépendre de
lui, le ministère exploitait à son avantage l'esprit d'entreprise
des agences et leur souci pour les indigents. Aussi, ceux qui ont osé
affronter Dieu le Père ou ses saints à Québec ont-ils
dû le faire à leurs risques?
Il semble que seul pratiquement, le domaine psychiatrique n'ait pas
connu le carcan. Se pourrait-il que, par le biais du bill 65, on assiste
à une nouvelle forme de mise en tutelle du service social par la
psychiatrie dite communautaire par exemple? Cela s'est déjà vu
aux Etats-Unis, il y a plus de 30 ans; cela se voit encore en France,
justement, dans le champ de juridiction des services d'action sanitaire et
sociale. D'une façon générale, ce sont les institutions
existantes, les hôpitaux, les agences sociales qui ont
entraîné le ministère dans la voie du progrès, alors
que les meilleurs éléments du même ministère
étaient souvent contrariés par des tiraillements
idéologiques "underground". Aussi, le ministère a-t-il rarement
exercé un véritable leadership, comme je l'ai vu en Hollande, par
exemple.
Ainsi, dans ce petit pays qui ressemble au nôtre sous bien des
rapports, on a entrepris, en 1960, tout un plan de réformes graduelles
des services de protection de l'enfance non pas en chambardant les structures,
mais en proposant des objectifs réalistes et annuels, et en soumettant
les subventions à la réalisation de ces objectifs.
Pendant ce temps, au Québec, sous prétexte ou parce qu'il
y avait une véritable austérité financière qui
s'imposait, on imposait et on impose encore des contrôles administratifs
périmés qui entraînent des déboursés
superflus; on pourrait en donner de multiples exemples. On est loin de la
méthode de gestion moderne du "Program Planning Budgetary System" que
tient en grande estime, paraît-il, notre premier ministre et le ministre
Castonguay lui-même. Il aurait fallu que le ministère apporte son
aide technique aux services pour moderniser leur "management". Je suis d'accord
pour dire qu'une grande faiblesse de nos services est sur le plan du
"management", mais il aurait fallu qu'on apporte son aide technique à
ces services pour moderniser leur "management". Au lieu de cela, on a
multiplié très souvent la paperasse inutile.
Après avoir réduit ou voulu réduire tous les
responsables d'hôpitaux, d'institutions et d'agences sociales au
rôle de valets, comment peut-on prétendre, avec la structure
bétonnée édifiée par le bill 65, changer le cours
des choses? Qu'on regarde ce qui se passe dans le domaine de
l'éducation: ou bien les responsables qui ont à coeur de bien
administrer s'usent à la tâche ou démissionnent, ou bien,
quand ils élèvent la voix, l'Etat prend des allures de dame
offensée. Le moins que l'on puisse dire de systèmes pareils,
c'est qu'ils ne sont guère propices à la créativité
de la part des responsables.
Les sommes d'argent que le ministère ne peut pas consentir
aujourd'hui pour développer des services urgents en faveur de la
population, il devra les consacrer tout à l'heure, si le bill 65 devait
devenir loi, à la mise en place de nouvelles structures artificiellement
conçues.
En 1961, la NASA a relevé le défi imposé par John
Kennedy: la conquête de la lune. La plupart d'entre nous, sans doute,
n'avons pas cru que ce serait possible. Werner Von Braün et son
équipe n'ont pas attendu qu'on ait harnaché l'énergie
nucléaire pour la propulsion de leurs fusées, même s'ils
savaient que cette énergie nucléaire, un jour, leur permettrait
d'aller mieux et plus loin qu'avec l'hydrogène. Ils ont entrepris une
tâche gigantesque avec les moyens disponibles. Ce sont les objectifs qui
comptent d'abord. Mais la NASA a dû coordonner pourtant 300,000
ingénieurs, techniciens ou hommes de métiers de toutes sortes,
dispersés dans plus de 27,000 entreprises pour réussir. L'une de
ces entreprises ne comptait que deux employés, c'est-à-dire le
propriétaire et son frère. On ne lui a pas demandé de se
fusionner avec une autre.
La NASA n'a pas commencé, donc, par procéder à un
regroupement rationnel des diverses entreprises impliquées. Le
résultat le plus remarquable, quoique le moins spectaculaire de l'effort
spatial américain, c'est le progrès du "management", et
"software".
Le "management gap" américain résulte justement d'une
conception de l'administration qui reconnaît le dynamisme créateur
des tensions qui accompagnent la concurrence, la multiplicité des
entreprises et la diversité des disciplines en présence.
Il n'y a pas de raison que ce soit différent quand il s'agit de
servir les humains. Il est certaine forme de planification par ailleurs
et l'expérience est faite ailleurs certaine planification par le
haut qui se retrouve périodiquement essoufflée.
L'organisation sociale des services de santé et de
bien-être que propose le bill 65 et qui paraît bien avoir
été empruntée au modèle français ou à
un qui lui ressemble devrait en principe prévenir le mal que
dénonçait M. le ministre dans son allocution à Toronto et
qui serait "le développement désordonné de multiples
ressources qui surgissent devant les besoins croissants de la population, ce
qui risque de n'être qu'une multitude de palliatifs extrêmement
coûteux".
Mais je dis que c'est la vie qui le veut ainsi. Pourquoi devrait-il en
être autrement dans le domaine des services à l'être humain
que dans le domaine économique? Ici, on souhaite la création
d'entreprises, on souhaite le développe-
ment de chefs d'entreprise; là, on veut tout planifier par le
biais de l'organisme régional des Affaires sociales, quitte à ce
que les enragés du service à leur prochain le fassent à
titre privé comme des coupables en liberté surveillée.
Prenons garde de verser dans une espèce de malthusianisme social.
Voyons ce qui se passe en France où on a déjà le type de
structure et de contrôle par le haut, voulu par le bill 65 pour nous. A
côté des services d'Action sanitaire et sociale, services
officiels dans chaque préfecture et sous-préfecture, on trouve
des services sociaux indépendants: l'armée, les chemins de fer,
les PTT, Michelin et d'autres grandes entreprises, et surtout une
pléthore de petites oeuvres de toutes sortes mises sur pied par des
bénévoles pour pallier les insuffisances criantes de l'appareil
officiel qui devait au préalable, dans les plans sur papier,
prévenir justement la multiplication de services anarchi- ques.
Loin de corriger le mal que redoute M. le ministre, un tel modèle
d'organisation provoque son aggravation, surtout quand on connaît
l'individualisme de nos cousins de France, qui est un peu le note aussi, et
leur passion pour le système "D". Autant j'admire le sens de l'initiave
et la générosité d'un grand nombre de ces
bénévoles que j'ai connus en France, autant j'ai toujours
regretté, lors des nombreux contacts que j'ai eus avec eux, le
gaspillage d'énergie qu'entraînent leurs efforts pour trouver des
subsides d'origine privée.
Est-ce vraiment là la meilleure façon pour un Etat moderne
de mobiliser toutes ses ressources au service des plus démunis? A long
terme, ce qu'on doit redouter du bill 65 aussi c'est le faux sentiment de
sécurité que l'Etat contribue encore à donner à
notre population avec l'esprit de dépendance chronique qui en
découle et qui nous affecte tous.
Alors qu'il faudrait reprendre le mot de Kennedy, en 1960: "Ne vous
demandez pas ce que l'Etat peut faire pour vous, mais demandez-vous
plutôt ce que vous pouvez faire pour vos concitoyens," et dire aux
Québécois: Regardez autour de vous la misère de vos
concitoyens, groupez-vous, agissez et nous vous aiderons. On pourrait leur dire
encore une fois: Attendez, nous allons refaire les structures et vous verrez,
vous aurez tous les services voulus.
Et si ça ne marchait pas comme on l'a conçu en Chambre?
"On va essayer et si ça ne marche pas, on va essayer autre chose," comme
disait un coryphée du bill 65 à l'émission Présent
du 19 juillet. Les humains sont-ils donc devenus au Québec des cobayes
entre les mains de savants technocrates? Se pourrait-il que le ministère
des Affaires sociales, après avoir englouti des millions pour les
structures de nouvelles bâtisses parce que je ne crois vraiment
pas qu'on va réaliser cela en abaissant les coûts; pour moi, mon
opinion est faite se retrouve dans la situation du ministère de
l'Education et je m'excuse de l'allusion au ministère de l'Educa-
tion incapable de fournir les tuteurs qui devaient, d'après les
auteurs du rapport Parent, contribuer à personnaliser l'enseignement
auprès d'étudiants programmés par ordinateurs et courant
chaque jour d'un professeur à l'autre, d'un édifice à
l'autre dans les corridors de nos polyvalentes et de nos CEGEP?
Ce que nos agences non gouvernementales de service social affranchies de
la tutelle de la santé auront davantage mis en valeur chez nous, c'est
la personnalisation du service au client; c'est la défense de ses droits
et de ses besoins en face de l'appareil étatique souvent exposé
à perdre de vue la personne dans la forêt des règlements
administratifs et de la paperasse.
C'est la synthèse heureuse que le service social a fait des
techniques nord-américaines avec notre conception de l'humanisme. Qu'on
n'ait pas toujours, ni partout, également réussi dans cette
tâche, on ne saurait en tenir grief aux agences sociales quand on
connaît les expédients auxquels elles ont dû souvent
recourir sous la pression des besoins du milieu.
Ajoutons aussi qu'une nouvelle orientation de la pensée en
service social, ces dernières années, qui paraît
privilégier le collectif aux dépens de la personne individuelle,
n'est pas sans exercer une certaine influence. Mais n'est-il pas à
craindre que le système que préconise le bill 65 accentue une
certaine insensibilité à l'autre dans ce qu'il a de plus intime
et de plus profond? Déjà, on peut déceler cette tendance
chez quelques jeunes praticiens dans le domaine de la santé et dans
celui du service social, influencés à leur insu par une formation
en sciences humaines dominé par la mathématique et par ce que
Pascal appelait l'esprit de géométrie.
Dernièrement, je voyais "Le Sang du condor", un film qui veut
illustrer l'expérience de l'Alliance pour le progrès, en Bolivie.
On est arrivé là et, comme la population est pauvre, on a
entrepris de s'arranger pour qu'elle ne grandisse pas au-delà de trois
ou quatre enfants, on stérilisait les femmes à leur insu et
à l'insu de leur mari. Le film se termine sur l'image suivante: c'est un
pauvre homme qui cherche par tous les moyens à obtenir du plasma sanguin
pour son père qui se meurt. Il va frapper à la porte du
médecin de sa région. Lui, il est puissant; sa femme se
prépare à aller au banquet où il va adresser la parole
précisément sous les auspices de l'Alliance pour le
progrès afin de dire toute la beauté de ce plan qui est
extraordinaire pour l'humanité. Eh bien, c'est cela! On en vient
à aimer l'humanité, mais à oublier l'homme concret.
Il est permis de redouter que, dans ces nouveaux services bien
structurés avec un personnel bien protégé par l'armure de
la convention collective, l'approche du client soit de plus en plus
fonctionnelle. Pourtant, nos clients ont besoin de saisir le sens de la
gratuité chez le praticien. L'homme moderne étouffe
déjà dans nos communautés technologiques où la
rationa-
lité triomphe. Je suis, moi aussi, pour la rationalisation, mais
il y a un excès à ne voir dans l'homme que la dimension
rationnelle. L'efficacité est nécessaire, bien sûr, mais il
n'est pas fatal qu'on doive n'être que fonctionnel pour être
efficace. L'exemple du métro de Montréal le souligne bien, lui
qu'on a voulu beau, en même temps que pratique.
Peut-être devrait-on adjoindre des humanistes de formation
littéraire, si notre monde en forme encore, à nos équipes
de planificateurs. Tout le domaine des services à l'humain est
déjà menacé par la rationalité excessive au pays du
Québec. On l'a déjà dit pour ce qui est de
l'éducation. Déjà, on le découvre et on le
déplore dans le secteur de la santé.
Demain sera-ce le tour de celui du service social?
Il est un autre aspect, enfin, du bill 65 qui ne manque pas
d'étonner et c'est la rupture qu'il annonce avec tout un passé en
matière de valeurs religieuses. Nulle part il n'apparaît qu'on
reconnaisse un rôle aux diverses Eglises, soit au niveau des
différents conseils d'administration, soit au niveau des services de la
clientèle. Est-ce à dire que, demain, les institutions qui se
voudraient identifiées par des valeurs de foi religieuse, au niveau
même de leur structure, ne sauraient être que "privées", au
sens de l'article lc) ou ld)? Le statut et les chances de survie de cette
dernière catégorie paraissent par ailleurs assez
aléatoires. Je vous réfère à l'article 136. Il
semble, en effet, qu'ils n'ont droit de naître, d'exister et de survivre
ces entreprises, ces oeuvres, ces services privés et
subventionnés que dans la mesure où l'Etat ne peut se passer
d'eux.
S'agit-il d'un oubli ou d'une politique arrêtée d'exclure
les Eglises comme telles du champ de la santé et de celui du
bien-être? Cette dernière hypothèse serait alors un indice
de plus pour identifier comme étrangères les ressources qui
paraissent avoir inspiré la pensée sous-jacente au bill 65.
Ainsi, il n'y aurait plus, demain, d'hôpitaux publics catholiques ou...
juifs. Il n'y aurait plus d'agences sociales où la clientèle
serait assurée de par la qualité de leur structure même,
que seront respectées ses valeurs morales et religieuses. Cela va bien
au-delà des questions de culte. Il s'agit, pour un catholique, pour un
chrétien, de toute l'inspiration doctrinale de l'agir professionnel.
Là encore, il est permis de douter de la sagesse du législateur
qui rompt avec une tradition, non seulement québécoise, mais
canadienne et même nord-américaine. La paix sociale n'est-elle
donc plus un bien auquel les Eglises et les croyants puissent contribuer
officiellement au Québec?
Voudrait-on, quelque part au ministère, imposer aux catholiques
des conditions de pénurie pour avoir le droit de rendre service à
leurs concitoyens dans les structures conformes à leurs valeurs? Il
serait assez bizarre qu'au Québec seule la minorité juive puisse
maintenir des services confessionnels.
Seule peut-être elle disposerait, d'une part, des moyens
financiers et, à l'époque actuelle, elle aurait le cran voulu
pour arriver à se constituer en institution privée selon 1-c) ou
pour se faire reconnaître comme institution privée
subventionnée en vertu des articles 1-d) et 136.
Ce disant, loin de moi l'idée d'en faire grief à nos
compatriotes, mais, si cela devait se faire, on ne pourra que les admirer et
les envier. Faut-il donc, après avoir épousé les
schèmes administratifs de la France, assumer rétroactivement son
douloureux passé laïciste? Quand donc aurons-nous la
maturité suffisante pour conserver à la France notre
amitié sans nous croire obligés de la copier dans ce qu'elle a de
moins bon à nous proposer?
Que ce soit, en effet, au niveau des valeurs ou au niveau de
l'organisation, des services comme ceux de l'Action sanitaire et sociale de
France ne sauraient constituer pour notre milieu un modèle valable.
L'adopter serait purement et simplement régresser. Je connais bien ces
services pour les avoir visités à plusieurs reprises et pour
avoir entretenu des relations de travail suivies avec quelques-uns d'entre eux.
D'autres que moi les connaissent aussi. Je pense à certains officiers du
ministère qui ont fait des stages d'études à
l'école de Rennes, par exemple, ces dernières années. Leur
stage comprenait un séjour d'observation dans l'un ou l'autre de ces
services départementaux. J'ai toujours assez mal compris, cependant, que
nos amis du ministère aient eu le loisir de vivre un mois dans un
service d'Action sanitaire et sociale de France, alors qu'ils n'avaient jamais
passé plus d'une journée dans l'une ou l'autre de nos agences
sociales, ici au Québec, pour en comprendre véritablement le
fonctionnement.
M. LE PRESIDENT: Pourrais-je avoir un renseignement, s'il vous
plaît? Vous en reste-t-il encore beaucoup?
M. HURTEAU: Deux pages, cinq minutes.
M. LE PRESIDENT: La commission est-elle d'accord pour continuer? Alors,
très bien.
M. HURTEAU: Cela est assez paradoxal et c'est dangereux aussi, quand ce
sont les hauts fonctionnaires qui fréquentent l'ENA. On risque alors de
préconiser, par la suite, des réformes à rebours.
Malgré soi, on se prend à penser à certaines chansons de
Félix Leclerc. Pour ma part, je n'ai jamais été
renversé par ce que j'ai vu dans ces services officiels français,
qu'il s'agisse des méthodes administratives ou qu'il s'agisse de la
profession de service social qui s'y exerce dans la plus complète
sujétion par rapport à la médecine et à la
psychiatrie.
Dans un département du nord-ouest que son directeur me
décrivait pourtant comme privilégié, le service d'action
sanitaire et sociale ne
comptait que deux inspectrices et six assistantes sociales pour
s'occuper de 4,000 pupilles. Je me souviens d'avoir éprouvé de la
gêne devant leurs questions sur le fonctionnement de nos services, sur
notre liberté de manoeuvre en faveur de notre clientèle et que
nous permet le caractère non gouvernemental et la direction
privée de nos services. Ce n'est pas le directeur de l'action sanitaire
et sociale de France qui aurait pu faire l'opération Youville de l'an
passée. Je sentais que mes réponses faisaient mal à mes
collègues de France, des collègues dévoués, mais
coincés entre la pression de leur tâche et la lourdeur et la
lenteur de l'appareil administratif.
Je revois encore cette jeune psychopédagogue qui s'acharnait,
seule et sans ressources suffisantes, à placer en foyer nourricier des
enfants de trois à six ans, alors que nous, ici, nous étions en
plein essor de la sortie massive d'enfants qui avaient vécu
jusqu'à six ans à la crèche, que nous avions établi
des méthodes nouvelles. On n'a jamais eu le temps d'écrire
là-dessus parce qu'on a été pris par l'action. On le
faisait. Elle devait, elle, les arracher à des directrices d'orphelinats
qui lui reprochaient de leur causer un déficit de fonctionnement. En
même temps, elle devait chercher à échapper au
contrôle de la psychiatre de l'hôpital auquel était
rattaché le dépôt d'assistance publique dont elle
s'occupait des enfants. Cette psychiatre était en effet convaincue qu'un
enfant n'était pas récupérable après avoir
vécu trois ans en institution. Nous avons connu aussi des psychiatres
ici qui, il y a dix ans, nous disaient la même chose.
Cette jeune psychopédagogue allait contre les canons de la
science psychiatrique officielle qui avait définitivement établi,
après les expériences de Spitz aux Etats-Unis et de Aubry en
France, que la carence maternelle causait au jeune enfant un dommage
irréparable. Notre époque connaît aussi ses Galilée.
C'était en 1965, et je nous trouvais bien chanceux de vivre au
Québec et dans nos structures. Je ne pensais vraiment pas à ce
moment-là devoir un jour chercher à convaincre mes concitoyens
que nous n'avions rien à gagner à adopter des structures
centralisatrices, bureaucratiques, étatiques en matière de
santé et de bien-être social.
Je conclus. Les problèmes soulevés par le ministre sont
réels, mais on pourrait les résoudre graduellement, me
semble-t-il, grâce à un leadership éclairé et bien
informé de la part des instances gouvernementales, à un effort
réel de coordination régionale, à quelques fusions
graduelles et prudentes d'organismes naturellement apparentés, à
une décentralisation véritable des pouvoirs de décision du
ministère, à une pratique de présence des organismes au
sein de leur communauté. Grâce à un recours judicieux aux
relations publiques, à la modernisation des méthodes de gestion
des organismes avec l'aide technique du ministère, à la
spécialisation des services chaque fois que le volume de population le
suggère et à la révision de certains critères
territoriaux.
Depuis dix ans, la province de Québec, en ce qui concerne le
champ d'action des agences sociales, a été comme frappée
d'attentisme. Il y a eu d'abord le comité Boucher, puis la commission
Castonguay-Nepveu. C'est long, dix ans de commission d'enquête. Pendant
ces années-là, la vie a continué.
Aujourd'hui que le bill 65 veut imposer une réforme globale et
radicale peut-être ferions-nous bien de nous demander si toutes les
données recueillies au cours de ces années sont aussi valables
qu'elles ont paru l'être il y a cinq ou huit ans, si certaines
conceptions idéologiques aussi ne sont pas démodées, car
la pensée sociale a évolué pendant ce temps.
Il y a dix ans, on était à la veille de la belle
époque de Bécancour et de la SGF, des grandes réalisations
qu'elle promettait. Le concept de l'Etat et de son rôle dans la vie des
citoyens était prédominant. La réalité s'est
révélée plus d'une fois différente de celle qu'on
avait entrevue dans plus d'un domaine. Nous vivons au-dessus de nos moyens,
disait M. Gérard Plourde à la Chambre de commerce l'an dernier.
Ce qui est pire encore, c'est que nous avons déjà engagé
une partie importante de nos revenus futurs. C'est la résultante de
programmes éducatifs et sociaux dont on avait mal prévu les
coûts, le rattrapage qu'on voudrait trop rapide.
Je conclus finalement. La structure de nos services actuels, qui en fait
des organismes semi-publics, partenaires de l'Etat et responsables à
leur communauté, tout cela peut s'améliorer, mais cela offre
déjà à notre population des avantages plus grands que ceux
que prétend apporter demain le bill 65. Qu'on permette enfin à
ces organismes de jouer tout le rôle que leur confère leur charte;
qu'on les associe vraiment à l'élaboration des politiques
sociales selon les exigences d'une saine coordination et d'une prudente
planification.
Très tôt, l'on découvrira toute la valeur d'un
dynamisme qu'on a trop longtemps jusqu'ici contrarié. Par voie de
conséquence, leurs administrateurs retrouveront un nouveau sens des
responsabilités qui entraînera, à son tour, une
participation active mais cohérente des milieux qu'ils
représentent. Ce dont le Québec a besoin aujourd'hui ce n'est pas
de transformer ses structures, c'est de retrouver une âme et le sens de
l'entreprise.
M. LE PRESIDENT: Je vous remercie, M. Hurteau. La commission suspend ses
travaux jusqu'à trois heures. J'inviterais M. Hurteau à revenir
parce que je crois que des membres de la commission voudraient lui poser
certaines questions.
Reprise de la séance à 15 h 10
M. FORTIER (président de la commission permanente des Affaires
sociales): A l'ordre, messieurs !
Monsieur Castonguay.
M. CASTONGUAY: M. le Président, étant donné la
teneur du mémoire qui a été présenté ce
matin, savoir: la recommandation de retirer le projet de loi pour qu'il soit
reformulé par une commission multipartite, j'aimerais faire un certain
nombre de commentaires, plutôt que de poser des questions, et indiquer
pourquoi il ne peut être question de retirer ce projet de loi.
Evidemment, je ne reprendrai pas tous les points soulevés dans le
mémoire mais ceux ou certains parmi ceux qui m'apparaissent les plus
importants de commenter pour bien justifier le fait qu'il ne peut être
question de retirer ce bill.
En premier lieu, M. l'abbé Hurteau pose l'hypothèse qu'il
s'agit d'une copie de ce qu'il appelle le modèle français ou
encore d'un modèle qui s'y apparente. A ce sujet-là, je ne
voudrais pas faire une analyse comparative de ce qui existe en France, de ce
qui existe ici, de ce qui est proposé, mais je voudrais simplement
attirer l'attention sur le fait que les comités mis sur pied par le
gouvernement fédéral et les provinces, comités
composés en grand nombre de représentants de tous les secteurs
d'activités qui ont fait rapport au cours des dernières
années, avaient comme objet, au tout début, l'étude du
coût des soins médicaux. Si l'on examine les conclusions de ces
comités et les propositions qui sont dégagées, on retrouve
une très grande similitude entre ce qui est proposé dans ce
bill-ci.
Egalement, étant donné que l'on a souligné le
dynamisme du gouvernement américain, particulièrement en ce qui a
trait à la NASA, je voudrais simplement faire remarquer qu'en ce qui a
trait au domaine des services de santé, particulièrement les
services sociaux dans une certaine mesure, les commissions du président,
ou "President's commissions", ont été formées
également et encore là il s'agissait de commissions
composées de personnes venant de divers secteurs d'activités, de
divers niveaux d'activités aux Etats-Unis. Et si on lit les
recommandations, les conclusions de ces commissions, qui ont joui d'un
très grand prestige aux Etats-Unis, on y retrouve également le
même esprit que celui qui anime le rapport de la commission
d'enquête.
Au plan, ici, du bill 65, les propositions qui y sont faites, je ne
crois pas qu'il soit exact de dire, en aucune façon, que nous nous
soyons inspirés du modèle français. Nous avons
dégagé les conclusions qui s'imposaient de l'analyse de la
situation que nous avons constatée. Si on peut y voir certaines
similitudes, on peut y voir de grandes divergences.
Dans le mémoire qui a été présenté on
propose des objectifs généraux tels que, par exemple, la
mobilisation de toutes les énergies et la nécessité de
susciter le dynamisme du milieu. Nous sommes tout à fait d'accord sur
cet objectif.
On mentionne aussi la nécessité de maintenir la
créativité au plan des initiatives individuelles et l'on
mentionne, justement à ce sujet, qu'une certaine concurrence, que des
tensions peuvent être génératrices de
créativité. Sur ce plan, je voudrais mentionner que nous
proposons la création de centres locaux de services communautaires qui,
par définition, devront venir justement du milieu et mettre en
présence des représentants de diverses disciplines qui,
présentement, pratiquent de façon tout à fait
isolée les unes par rapport aux autres, et que, justement, ceci peut
être un facteur générateur de tensions créatrices,
comme on l'a mentionné.
On mentionne également la nécessité de mettre
davantage l'accent sur le "management"; sur ce plan non plus l'on ne peut
être en désaccord. Justement, comme ministère, nous avons
déjà posé des gestes pour essayer d'améliorer la
possibilité de donner plus de latitude à des institutions pour
qu'elles puissent exercer un "management", comme on l'a dit, plus efficace.
Evidemment, tout ne peut se faire en un jour. Ici, je réfère plus
particulièrement à l'expérience pilote du projet global
dont il a été fait mention lors de l'étude des
crédits du budget du ministère.
Alors que l'on propose tous ces objectifs qui sont valables, que nous
partageons et que nous croyons nécessaire de poursuivre, que nous
croyons pouvoir poursuivre avec le cadre proposé, dans le mémoire
on limite toutefois l'Etat, lorsque l'on regarde bien la philosophie ou
l'idéologie du mémoire, à la fixation de très
grands objectifs et à un rôle de conseil auprès des
institutions, des organismes; aussi, on limite le gouvernement à un
rôle, dans une large mesure, de bailleur de fonds. Pourtant, l'Etat a un
rôle, comme je l'ai mentionné, et des responsabilités
très précises aussi bien au plan de la planification des
services, de la programmation de certains types de services, du
financement.
Ce rôle, au plan de financement, doit aller plus loin que de
distribuer des fonds, mais voir également de quelle façon ces
fonds sont utilisés.
Nous sommes dans un secteur, je pense qu'il est nécessaire de le
rappeler, où les besoins excèdent de beaucoup les ressources et
il est nécessaire de nous assurer que les ressources qui nous
proviennent de la taxation sont utilisées de la façon la plus
efficace possible et surtout en fonction des besoins.
Je ne crois pas qu'il soit possible de laisser à des institutions
autonomes, séparées des autres, de déterminer quelle doit
être l'allocation de ces ressources et aussi, de passer des jugements sur
leur utilisation de façon générale. Justement à ce
sujet-là, j'ai rappelé ici les fonctions qui doivent être
conservées ou données à l'Etat,
d'une façon plus claire, faire certaines clarifications. Dans le
système que nous proposons, nous ne proposons pas que l'Etat prenne
lui-même en charge la mise sur pied de services, services animés
par des fonctionnaires, services sous le contrôle direct du gouvernement.
Il en existe présentement de ce type de services: les unités
sanitaires, par exemple, les bureaux d'aide sociale. J'ai déjà
indiqué, justement à ce sujet, que c'était notre
intention, en ce qui a trait aux unités sanitaires, de les
intégrer graduellement aux autres services ou ressources dans le
système.
On vise non pas la mise sur pied de ce type de services qui seraient
vraiment des services étatiques, mais, au contraire, la mise sur pied de
corporations sans but lucratif avec représentation de toutes les parties
intéressées, aussi bien au niveau des organismes régionaux
qu'au niveau des institutions.
Il n'y a pas tellement de différence, dans les faits, avec la
plupart des institutions qui existent présentement, surtout si l'on
considère que ces institutions sont financées, dans un
très grand nombre de cas, entièrement par l'Etat. Ce sont des
corporations sans but lucratif, dans un très grand nombre de cas, mais
comme je l'ai mentionné ce matin, des corporations qui ont une certaine
tendance à se perpétuer. Et bien que j'accepte la
nécessité de maintenir des traditions, la nécessité
d'une certaine stabilité en contrepartie, et nous croyons que ceci est
nécessaire, il doit y avoir renouvellement et infusion de sang nouveau,
ventilation d'institutions.
En d'autres termes et je crois que c'est résumer assez
précisément ce que l'on propose c'est de donner un
rôle supplétif à l'Etat c'est ce qu'on propose dans
ce mémoire alors qu'à notre avis il est nécessaire
de lui donner un rôle beaucoup plus dynamique. L'époque du rapport
de la commission Tremblay, où on venait de reconnaître, vers les
années 1956, 1957, la nécessité d'un rôle
supplétif à l'Etat dans ce domaine, est maintenant
révolue. D'autant plus qu'on peut percevoir dans la présentation
du mémoire une certaine méfiance traditionnelle à
l'égard de l'Etat. Ici, il y a une ambiguïté, à mon
avis, qu'il serait bon de dissiper.
D'une part, la population demande de façon systématique
l'intervention de l'Etat dans tous les domaines possibles et impossibles. La
population aussi, souvent et avec raison, blâme le gouvernement de ne pas
intervenir, de ne pas assumer ses responsabilités surtout dans des
secteurs essentiels. Par contre, lorsque l'Etat, pour assumer ses
responsabilités, croit devoir préciser la façon dont il
doit assumer son rôle et ceci est aussi nécessaire que la
façon de préciser le rôle des institutions on refuse
ou on fait état d'une méfiance très grande à
l'égard de l'Etat. Or, on ne peut avoir les deux: d'une part, cette
demande d'intervention constante de l'Etat et, d'autre part, l'absence de
moyens pour s'en acquitter.
Je rappelle ici justement que nous avons, dans toute la mesure du
possible, essaye de maintenir ce qui est bon du système actuel,
c'est-à-dire le système des corporations sans but lucratif, mais
d'y injecter ou d'y introduire de nouveaux éléments que les
conditions, les besoins actuels exigent et aussi de préciser les
fonctions de l'Etat.
Encore une fois, je voudrais faire une autre distinction. Lorsque la
population demande l'intervention de l'Etat, il ne s'agit pas toujours d'une
réaction provenant d'un phénomène de dépendance de
l'Etat; bien souvent, il s'agit tout simplement de l'expression de besoins
vis-à-vis des services essentiels et de besoins qui ne sont pas
satisfaits et qui doivent l'être.
Autant je suis partisan de l'élimination ou de tout ce qui peut
contribuer à éliminer la dépendance de la population
vis-à-vis de l'Etat, autant je crois qu'il est nécessaire de
faire certaines distinctions lorsqu'on écoute les représentations
de la population.
Je crois également qu'il est nécessaire de faire une
certaine mise en garde j'avais souligné ce danger ce matin
brièvement lorsqu'on compare ce qui doit être fait ici avec
la réforme dans le domaine de l'éducation. Il est facile en effet
de dire aujourd'hui que tout ce qui a été fait dans le domaine de
l'éducation est mauvais et qu'on s'y est pris de la mauvaise
façon.
Evidemment, pour ceux qui ont amorcé cette réforme, pour
ceux qui en ont vécu les problèmes, pour ceux qui ont
essayé de l'animer, il s'agissait d'une tâche extrêmement
difficile, extrêmement ingrate. Lorsque l'on se reporte en
arrière, que l'on considère ce qui existait en 1960 et ce qui
existe aujourd'hui, je crois que nous avons fait d'énormes
progrès, même s'il demeure des problèmes dans le domaine de
l'éducation et même si on est assuré qu'il en demeurera
toujours. C'est une réalité de la vie qu'on continue, dans tous
les secteurs de la vie, à faire face à des problèmes.
Quant à moi, ce parallèle qu'on peut faire avec
l'éducation, il me semble qu'on devrait le faire d'une façon
beaucoup plus nuancée. Il me semble aussi qu'on devrait se rappeler que,
dans le domaine de l'éducation, lorsqu'on a amorcé la
réforme, tout ne pouvait être fait à la fois.
C'était, ici au Québec, une des premières réformes
d'envergure que l'on amorçait. S'il y a eu des tâtonnements, s'il
y a eu une stratégie plus ou moins adaptée, il est beaucoup plus
facile de le dire aujourd'hui qu'il n'était facile de le faire à
l'époque. Pour ma part, si l'on se reporte à l'exemple de
l'éducation pour préconiser le statu quo, je crois que c'est un
mauvais exemple.
Lorsque l'on se reporte aux propositions ou aux objectifs que l'on
mentionne comme étant absolument nécessaires et que nous
partageons, ceux que j'ai mentionnés plutôt: mobilisation des
énergies, créativité au plan des initiatives
individuelles, meilleur "management", etc., leadership de l'Etat, mais à
un niveau vraiment
non interventionniste, il faut aussi ne pas oublier les
déficiences du système actuel. J'en ai mentionné certaines
ce matin, mais je vais revenir sur d'autres de façon plus précise
cet après-midi.
Lorsqu'on examine ce qui a été fait dans tout le domaine
de l'enfance déficiente au plan physique et mental, on constate, par
exemple, qu'il y a une concentration de corporations à but lucratif. On
peut se demander justement comment il se fait que les corporations sans but
lucratif, les corporations privées ne se soient pas
préoccupées davantage de ces secteurs. La même chose dans
le secteur des malades chroniques. Comment se fait-il qu'il y ait tant de
corporations à but lucratif et qu'il n'y ait à peu près
pas de corporations sans but lucratif? On peut se poser des questions.
Pourtant, ce sont des secteurs qui exigent énormément de
dévouement, des secteurs extrêmement ingrats, des secteurs aussi
où la population est peu consciente des problèmes qui
existent.
Egalement au plan de l'accessibilité aux services, il est bon de
parler de créativité, de "management", de coordination prudente,
mais est-ce que, face à des problèmes comme ceux qui ont
été mis en lumière par la commission Marsan, l'on ne croit
pas nécessaires des interventions un peu plus énergiques et qui
permettent un déplacement de ressources qui n'est pas possible au niveau
d'institutions purement individuelles, purement isolées les unes par
rapport aux autres.
Egalement lorsque l'on parle du traitement des alcooliques, comment se
fait-il qu'il nous a été nécessaire de demander aux
institutions de traiter les alcooliques dans les hôpitaux? Pourtant il
s'agit d'un problème extrêmement répandu dans notre milieu,
d'un problème qui ne peut être ignoré. La même chose
pour les toxicomanes et pourtant, il s'agit encore là d'un
problème extrêmement sérieux. Je sais par la correspondance
que nous recevons, par les mémoires, on n'a qu'à lire le
rapport préliminaire de la commission LeDain que ce sont des
problèmes qui existent, qui ont été identifiés et
pour lesquels il n'y a pas eu de réponse apportée. Même si
ce n'est pas une critique adressée directement aux institutions que je
veux formuler, je veux faire ressortir qu'il y a un besoin d'intervention de la
part de l'Etat dans l'allocation des ressources, dans la planification des
services, un dynamisme et un leadership plus collé aux
réalités et aux besoins que celui auquel on nous invite dans les
mémoires présentés ce matin.
Aussi, on a proposé que le ministère fasse sa propre
autocritique. Je suis tout à fait d'accord et d'ailleurs, ici,
aujourd'hui, je serais beaucoup moins à mon aise vis-à-vis du
bill 65 si nous n'avions pas abordé en toute priorité
l'intégration des deux ministères de la Santé, de la
Famille et du Bien-être, et si nous ne nous étions pas fixé
un calendrier aussi exigeant que celui que nous nous sommes fixé,
malgré les mises en garde qui nous ont été faites, aussi
bien lors de l'étude de ce projet de loi qu'au moment de l'étude
des crédits du ministère. C'est justement parce que
j'étais bien conscient et que nous étions bien conscients de la
nécessité de redéfinir le rôle du ministère,
de lui redonner un nouveau dynamisme et de s'assurer qu'il répondait
bien comme structures aux besoins de la population et aux exigences des
responsabilités qui doivent être assumées par l'Etat dans
ce secteur.
Egalement, les institutions ont besoin de faire leur autocritique aussi
bien que le ministère. Lorsque nous parlons des institutions, je suis
tout à fait d'accord pour qu'elles maintiennent le statut de
corporations sans but lucratif, je suis extrêmement attaché
à ce principe.
Il n'en demeure pas moins qu'il faut faire attention parce que,
justement dans le passé, on peut se demander si nous n'avons pas un peu
abusé. Et ce qu'on a décrit comme le phénomène de
l'institutionnalisation n'est certainement pas venu de l'Etat. Il y a
également une certaine autocritique à faire au niveau des
institutions elles-mêmes. C'est justement ce pourquoi, en tant que
ministère, nous voulons tellement mettre l'accent plutôt sur les
services, sur le développement des ressources telles que les centres
locaux de services communautaires qui sont vraiment conçus uniquement
à partir de la nécessité de services et non pas partir du
concept de l'institution.
D'ailleurs, et ceci est un point, lorsque l'on parle des institutions,
du rôle qu'elles peuvent jouer dans le contexte, pour reprendre
l'expression du mémoire, une prudente coordination, ici
également, il faut faire une certaine mise en garde ou rappeler certains
faits. Depuis un bon nombre d'années, ce problème du manque de
complémentarité, du manque de continuité dans les
services, la dispersion, a été soumis à diverses reprises
dans des mémoires très sérieux qui ont été
présentés à la commission, qui ont été
présentés à d'autres endroits et discutés.
Et pourtant, lorsque l'on regarde les résultats de la
coordination sur une base volontaire, on s'aperçoit que c'est un
processus extrêmement lent et, dans bien des cas, absolument impossible
à réaliser. Nous en avons eu, d'ailleurs, des exemples au cours
de la dernière année, et je pourrai au besoin donner plus de
détails sur ce plan. D'ailleurs, les questions qui m'ont
été adressées en Chambre à plusieurs reprises
provenaient justement de difficultés entre institutions d'un même
milieu desservant la même population et qui refusaient absolument
d'engager tout dialogue.
On a mentionné aussi que le bill établit ou va provoquer
une rupture avec un passé de valeurs religieuses. Encore là, il
m'apparaît assez important, il me semble, que ce que nous avons
vécu au cours des dernières années démontre assez
clairement que ce n'est pas tellement le statut d'une institution, le statut de
la personne morale qui conditionne l'esprit de ceux qui
animent ces institutions mais que ce sont beaucoup plus les convictions
des personnes qui sont importantes.
Aussi, il me semble que ce projet, ne faisant pas
référence à des hôpitaux publics, ne
présuppose absolument pas et en aucune façon ce que devraient
être les convictions des personnes qui oeuvrent au sein de ces
institutions.
De même, on a mentionné ici il s'agit d'un
détail, mais je crois qu'il est assez important de le rappeler; je relie
ça à la première remarque que j'ai faite au sujet du
modèle français que des fonctionnaires étaient
allés faire des stages à Rennes. Un des premiers gestes que j'ai
posés en arrivant au ministère, ce fut de demander qu'il n'y ait
plus de nos fonctionnaires qui aillent faire des stages à Rennes ou
encore à l'ENAP en France et il n'y en a pas eu qui y sont
retournés depuis que je suis arrivé.
Si l'on examine attentivement le mémoire qui nous est
présenté, on nous propose la formation d'une commission
multipartite pour reprendre la rédaction du projet de loi. Je crois
qu'on nous propose, en définitive, le statu quo, une idéologie
sur laquelle nous ne pouvons être d'accord. Je crois également que
retirer ce projet pour le remettre à une commission multipartite, ce
serait nier le rôle des législateurs qui sont ici à
l'Assemblée nationale et qui sont justement chargés de la
responsabilité de rédiger les lois. Encore là, on peut
justement percevoir cette méfiance à l'égard de
l'Etat.
Rédiger des projets n'est pas une responsabilité qui est
confiée à des commissions multipartites; c'est une
responsabilité qui appartient aux législateurs. Justement, le
bill 65, je l'ai dit, est un projet de loi dans lequel nous avons exposé
des points qui nous apparaissent plus importants, des objectifs plus
fondamentaux. Par contre, c'est un projet de loi que nous sommes tout à
fait disposés à améliorer au plan des modalités et
même au plan des objectifs fondamentaux. Nous sommes également
disposés à les modifier si l'on nous prouve qu'il est possible de
les améliorer. Aussi, constituer une telle commission multipartite
serait reconstituer sous une autre forme une commission d'enquête, alors
qu'on a signalé, avec justesse, que nous sommes au terme d'une
période de dix ans de commissions d'enquête.
Alors, en tant que ministre et de représentant du gouvernement,
je rejette cette proposition. Je préfère faire confiance aux
législateurs.
M. CLOUTIER (Montmagny): M. le Président, je voudrais
également, à la suite de l'abbé Hurteau et du ministre des
Affaires sociales, faire un bref commentaire.
Etant donné que le mémoire soumis par le directeur de la
Société d'adoption et de protection de l'enfance de
Montréal est suffisamment explicite et suffisamment clair et que les
énoncés de principe qui y sont contenus sont sans
équivoque, ça nous dispense, à ce moment-ci, de poser des
questions beaucoup plus précises.
Je voudrais souligner que c'est une très bonne chose,
évidemment, que la commission parlementaire des Affaires sociales
siège. C'est là que l'on voit l'utilité de la commission
afin que toutes les expressions d'opinions, même si elles vont à
l'encontre d'une législation, puissent se faire valoir. Cela a
demandé, évidemment, à celui qui a présenté
le mémoire une certaine dose de courage.
Je crois que l'on doit féliciter l'abbé Hurteau d'avoir eu
le courage de venir devant la commission exprimer ses opinions sur un domaine,
un champ d'activité qu'il connaît bien puisqu'il y a
consacré, avec énormément de sincérité et de
motivation, au-delà de vingt ans de sa vie.
On peut être d'accord ou différer d'opinion on l'a
dit ce matin fondamentalement sur le projet de loi 65. Nous aurons
l'occasion, nous de l'Opposition, de faire valoir certains points de vue, de
reprendre des expressions d'opinions, des suggestions qui ont été
faites et qui seront faites par ceux qui viennent ici, devant la commission
parlementaire, afin de tenter d'amener le gouvernement à modifier son
point de vue sur certains articles ou certains points de la loi qui nous
apparaissent particulièrement importants.
Vous avez souligné, dans votre mémoire, les dangers que
vous parait comporter cette législation. Il y a certainement des points
extrêmement importants à retenir dans votre argumentation.
Jusqu'où doit aller l'intervention de l'Etat, que ce soit dans le
domaine de l'éducation, que ce soit dans le domaine des affaires
sociales, pour répondre aux besoins de la population et à
l'évolution que l'on constate actuellement non seulement au
Québec, mais un peu partout? Jusqu'où doit aller l'intervention
de l'Etat et quelles doivent en être les modalités afin que ceux
qui oeuvrent dans ces secteurs demeurent des partenaires de l'Etat? Ce n'est
pas l'Etat qui va lui-même comme tel, quelles que soient les structures,
quels que soient les objectifs à atteindre, assurer la distribution et
l'organisation des services. C'est le rôle de ceux qui, comme vous, dans
le secteur de l'enfance, rendent quotidiennement à la population les
services qu'elle attend et qui sont constamment les intermédiaires entre
la population et vos institutions. Jusqu'où l'Etat doit-il aller? Quelle
est la ligne de démarcation? C'est ce que nous avons essayé de
trouver, pour notre part, depuis les années que nous discutons à
cette table. Où doit-on tracer cette ligne pour que l'on assure un
équilibre entre l'Etat, qui assume sa responsabilité, et les
institutions et les personnes chargées de donner suite à
l'exécution d'un programme dans le domaine social?
A ce stade-ci de nos travaux, je ne suis pas certain que la ligne de
démarcation soit tracée exactement à l'endroit où
elle doit être tracée. Je reviens sur une affirmation que vient de
faire à nouveau le ministre.
A la suite de l'audition des mémoires devant la commission
parlementaire et des travaux de cette commission, il est possible de modifier
des objectifs fondamentaux que poursuit cette loi et il est possible
également d'en modifier les modalités.
Pour ma part, il nous apparaît, à ce moment-ci, que
certaines modalités de cette loi vont peut-être, comme vous l'avez
dit, compromettre, entraver le développement normal et le dynamisme des
institutions. Alors au cours de nos travaux, devant cette commission
parlementaire, en recevant des points de vue différents, des points de
vue opposés parce que j'imagine bien que tous les porte-parole
qui viendront devant cette commission n'auront pas la même opinion sur
cette loi nous essaierons et je veux attirer de nouveau
l'attention du ministre là-dessus de bien recevoir toutes les
suggestions qui seront faites ici. Ce sera le rôle de la commission de
prendre ses responsabilités dans les suggestions qu'elle fera au
ministre, et ce sera au ministre des Affaires sociales et au gouvernement,
ensuite, à prendre leurs responsabilités dans l'adoption de cette
loi et dans les conséquences qui s'ensuivront.
Mais il faut retenir une chose, et le député de Bourget
l'a soulignée ce matin, il est important qu'une loi aussi importante,
une loi globale dans le domaine des Affaires sociales, au départ,
commence sur un bon pied. Il aurait peut-être été bon qu'il
y ait davantage de consultations de la part du ministère des Affaires
sociales dans la préparation de cette loi, malgré que cela aurait
pu occasionner des retards. Le ministre nous a donné, depuis un an, un
calendrier de travail auquel il s'est soumis et auquel il a soumis ses
fonctionnaires, à partir de la fusion, de l'intégration des deux
ministères, à partir de certaines réformes dans le domaine
des affaires sociales. Evidemment, un programme aussi rigoureux va
entraîner, sur le plan de l'exécution, des problèmes. Il en
est conscient mais il serait important, cependant, qu'il ait, dans le champ des
institutions et des personnes, des ressources humaines, des partenaires
à qui il devra expliquer longuement le pourquoi, la philosophie qui
sous-tend tous ces changements, toutes ces modifications. Qu'il donne, autant
que possible, des réponses aux questions légitimes qui sont
posées, parce que ceux qui vont venir ici, devant nous, ont certainement
une expérience dans le champ des services, que ce soit dans le domaine
de la santé ou du bien-être social, qui peut se comparer
avantageusement au jugement que nous pourrions exercer dans la fabrication
d'une législation. C'est important.
Donc, il nous faut trouver un équilibre entre le dynamisme des
institutions, leur désir aussi de se renouveler, de s'adapter, de ne pas
refuser l'évolution dans le contexte social. Aussi, il faut concilier
cela avec le désir qu'exprime souvent la population d'interventions
toujours plus poussées du gouvernement dans certains secteurs.
M. LE PRESIDENT: Le député de Saint-Sauveur.
M. BOIS: M. le Président, je remercie ceux qui sont venus
présenter leur mémoire. Je dois mentionner à ce stade-ci
que nous comprenons fort bien que certaines sphères de l'activité
sociale et médicale n'ont peut-être pas été
développées par des corporations lucratives et non lucratives.
Cependant, il faut quand même penser avant d'avancer ce reproche que le
coût prohibitif de l'instauration de certaines de ces institutions est
directement un empêchement à ce que souventefois l'initiative
privée s'y immisce d'une façon totale.
Cependant, comme M. l'abbé Hurteau est venu nous présenter
un mémoire que j'apprécie parce qu'il a eu une loyauté et
une franchise d'opinion que je trouve formidable, je voudrais lui poser trois
questions, si vous me permettez, pour lui demander de préciser sa
pensée sur des points particuliers.
Alors, ma première question est celle-ci: Est-ce que vous
êtes d'avis que les conseils et les centres régionaux
proposés dans le bill 65 vont hâter ou ralentir l'offre des
services médicaux et sociaux, ou vont-ils simplement imposer un fardeau
financier supplémentaire aux citoyens?
M. HURTEAU: Vous voulez dire les ORAS et les CLSC?
M. BOIS: Non, est-ce que, en réalité, les conseils et les
centres régionaux, tels que proposés dans le bill 65, vont
hâter ou ralentir l'offre des services médicaux et sociaux ou bien
s'ils vont surtout contribuer à imposer un fardeau supplémentaire
aux citoyens?
M. HURTEAU: J'entendais l'autre jour un collègue de la
Fédération des services sociaux à la famille dire qu'il y
avait dans la province quelque 127 points de services en service social et on
parle de créer 250 CLSC. Alors je ne sais pas...
M. CASTONGUAY: Monsieur l'abbé, je voudrais juste corriger un
point ici. On a parlé, au cours des deux prochaines années, de
former 25 centres locaux de services communautaires et ce ne sont pas des
nouvelles ressources mises en place, cela va être un regroupement dans
bien des cas de ressources existantes.
M. HURTEAU: Ce sont des choses qui n'apparaissent pas à
l'évidence à la lecture du bill, ni non plus les informations que
nous pouvons avoir par ailleurs. Je suis content d'apprendre ou d'avoir ces
précisions du ministre et je les accepte.
Quant à la prévision des coûts, vous comprenez que
je ne suis pas placé ici pour faire une projection pareille, je n'ai
vraiment pas les moyens de faire une étude semblable. Seulement, je
pense que, pour y arriver, il faudrait
que des praticiens puissent dialoguer non pas avec l'Etat qui
rédige les lois, ni avec les législateurs, mais avec ceux qui
pour l'Etat préparent les canevas des lois et eux, ce ne sont pas les
législateurs, ce sont des personnes humaines qui ont une formation X, Y,
Z, qui ont une expérience de vie et une interprétation des
données sur lesquelles ils se sont penchés.
Si j'avais à émettre un voeu ici, un voeu qui peut
être réaliste, c'est que, lorsque les commissions d'enquête
sont formées, je trouve qu'il est bon qu'elles aillent à la
pêche pour recueillir toutes les informations données de la part
de gens qui collaborent très bien et qui se livrent entièrement
le plus possible et en pleine collaboration avec elles. Mais je pense que,
lorsque les recommandations sortent, il faut bien voir qu'elles sont
passées par le tamis d'une interprétation par des gens qui ont
une formation scientifique donnée, que ce soit en sociologie, en
psychologie ou en n'importe quelle autre science humaine.
Si le point de vue des théoriciens des sciences dans
l'interprétation des données de fait qui ont pu être
fournies par les praticiens, était à son tour confronté
avec la perception que peuvent avoir de cette synthèse des praticiens,
des administrateurs dans le quotidien, peut-être que ce serait là
une étape intermédiaire fort utile avant qu'on saute du niveau
conceptuel de l'interprétation faite souvent par des théoriciens
à partir de données pour compromettre ensuite ceux qui devront
vivre avec la chose qu'on va élaborer sur papier. Je pense que c'est une
démarche sur laquelle il serait bon qu'on s'arrête.
Vous me posez une question quant aux coûts. Je peux conjecturer,
moi, que ça va augmenter les coûts, ne serait-ce que par les
tensions que ça va créer quand il faudra regrouper des services
qui sont actuellement spécialisés sur la base du schéma de
la polyvalence en administration. Je pense que là on entre dans des
coûts imprévisibles, facilement. Si on veut les prévoir, il
faudrait que les équipes s'arrêtent et aillent jusqu'au fond de la
réflexion, de leur démarche, pour établir vraiment toutes
les étapes de cette réalisation et tous les
éléments qui sont à considérer.
Moi, je ne suis pas ici pour le faire. Je peux seulement conjecturer,
d'après mon expérience, qu'il y a là matière
à problème et probablement j'émets
l'hypothèse un accroissement de coûts. Je peux me
tromper.
M. BOIS: Ma deuxième question, M. Hurteau, est celle-ci: Que
pensez-vous des relations ou encore des effets que peut avoir la
création de bureaux à contrôle régional sur les
centres universitaires et aussi sur les centres de formation médicaux et
hospitaliers alors que ces hôpitaux ou ces universités devront se
soumettre aux directives d'un fonctionnaire local pour la diffusion et
l'entraide universitaire qui concerne les recherches et les découvertes
sur la science de la médecine?
M. HURTEAU: Ce point est un peu trop particulier pour que je me
prononce. Je pense que mes collègues qui sont dans le domaine
hospitalier seraient plus en mesure que moi de vous répondre. Même
si j'ai émis des hypothèses, ce n'est qu'une opinion personnelle
et vraiment pas assez fondée pour émettre une idée
là-dessus.
M. BOIS: Une troisième question: Est-ce qu'à la suite de
la présentation de votre mémoire vous sembleriez entrevoir, par
exemple, la formation de petits royaumes d'administration dans la fonction des
conseils régionaux?
M. HURTEAU: Je ne saisis pas trop.
M. BOIS: Est-ce que vous sembleriez entrevoir la formation de petits
royaumes d'administration dans la fondation des conseils régionaux?
M. HURTEAU: Vous voulez parler des ORAS?
M. BOIS: Oui.
M. HURTEAU: Ecoutez, si vous touchez à des éléments
de politique, je me refuse à émettre une opinion
là-dessus, même si comme citoyen je puis en avoir une. Il est
certain que tous les systèmes dans lesquels l'Etat s'introduit ouvrent
davantage la porte à des abus de ce genre.
M. BOIS: Je vais finir, M. le Président, en parlant d'une chose
qui, à mon point de vue, peut amener un certain danger; c'est justement
la formation d'unités où joueront certainement beaucoup
d'influences pour l'obtention de divers postes et le contrôle, par
exemple, des relations surtout universitaires et hospitalières. Je crois
que si un hôpital ou une université, par exemple, sont soumis
à un conseil régional d'administration, dans leurs relations, ces
gens n'attendent pas toujours l'autorisation de l'Etat pour l'avancement des
recherches ou de la science. Cela créera certainement des complications
qui ne seront pas de nature à aider l'avancement de la médecine
et des découvertes scientifiques au point de vue médical dans le
Québec. Merci, M. le Président.
M. CASTONGUAY: Si vous me permettez juste un commentaire,
j'apprécierais que vous nous indiquiez à quel endroit dans le
projet de loi vous voyez les dispositions spécifiques qui permettraient
aux organismes régionaux de faire ça. Si tel est le cas, on
apportera des modifications.
M. BOIS: M. le ministre, si un conseil régional est formé
avec le privilège d'exercer un certain contrôle sur la
création de cliniques ou encore sur l'emplacement ou la distribution des
services médicaux, est-ce qu'à plus ou moins
brève échéance on n'en viendra pas à vouloir
établir le contrôle, par exemple, des recherches des centres
universitaires ainsi que des centres hospitaliers?
M. CASTONGUAY: C'est une autre question. Pour autant que ce projet de
loi est concerné, si vous y voyez ce genre de danger du contrôle
des centres universitaires par ce projet de loi ou encore le contrôle de
la recherche en milieu hospitalier, s'il existe vraiment comme je vous l'ai
mentionné, je serai tout à fait disposé à changer
les dispositions du projet de loi.
M. BOIS: M. le Président, ce que notre groupement redoute surtout
nonobstant les rires que j'entends en face de moi ce n'est pas le
projet de loi lui-même que nous pouvons voir, lire et étudier,
mais les règlements qu'autorise un projet de loi. C'est surtout sur ce
sujet-là que j'aimerais beaucoup que M. le ministre se penche avec la
législation ici lorsque nous aurons à étudier tous les
aspects de la loi 65.
M. LAURIN: M. le Président, j'aurais quelques questions à
poser au premier intervenant. Vous avez fait précéder la lecture
de votre mémoire d'une série d'affirmations qui me paraissent
tellement importantes que j'aimerais beaucoup avoir quelques clarifications ou
éclaircissements. Je prends, par exemple, la quatrième
affirmation; quand vous dites que le projet de loi 65 ne parait pas tenir
compte des caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses de la
population. Je me demande vraiment, d'une part, à quoi vous faites
allusion dans l'expérience qui est la vôtre et surtout,
deuxièmement, en ce qui se rapporte aux divers articles du projet de
loi. Où voyez-vous dans les articles du projet de loi des implications
qui menaceraient les caractéristiques ethniques, culturelles et
religieuses de la population? Dans le mémoire que vous nous avez lu ce
matin, vous avez fait allusion à un moment donné au
caractère confessionnel des institutions, mais je crois que
c'était justement une allusion. Votre affirmation au paragraphe 4 est
beaucoup plus globale, va beaucoup plus profondément. Comme c'est un
sujet d'importance majeure pour notre population, j'aimerais beaucoup que vous
puissiez "substantifier" cette affirmation.
M. HURTEAU: Mon quatrième attendu se lit comme suit: "Le bill 65
ne paraît pas tenir compte des caractéristiques ethniques,
culturelles et religieuses de la population." Tous les mots sont importants.
"Ne paraît pas tenir compte..." Je ne dis pas qu'il y a une menace, je
dis qu'on n'en parle pas. C'est différent. On peut menacer les gens qui
existent par l'indifférence à leur existence. Les gens peuvent se
sentir menacés bientôt; ils peuvent développer des
résistances, ils peuvent prendre des voies de détour pour
affirmer leur droit à exister et je dis que, pour une
société, c'est mauvais parce que la première
responsabilité de l'Etat est de maintenir la paix sociale. Si un bill,
quel qu'il soit, par la projection à long terme d'objectifs qui peuvent
peut-être être atteints par une évolution lente et naturelle
d'une société, menace des groupements quels que soient leur
importance, leur nombre, leur dimension, en ce sens qu'ils sont tentés
éventuellement de se constituer en ghetto et de s'arranger pour vivre
par leurs propres moyens, je dis qu'à ce moment-là l'Etat ne
travaille pas pour la paix sociale. Il édifie dans le corps social des
points où il y aura des points de douleur, il y aura des épines.
Je dis que, pour le Québec, il est malheureux qu'on fasse des lois qui
peuvent faire que bientôt des groupes humains peuvent se sentir
aliénés dans cette société ou se sentir à
l'écart. Parce qu'ils auront un certain idéal de vie en
société, ils devront s'imposer des sacrifices encore plus grands
que d'autres citoyens pour avoir des services à la dimension de leurs
choses. Cela est déjà commencé. Quand on sait, par
exemple, que des individus peuvent être l'objet d'une décision de
cour sous prétexte qu'une mère naturelle a donné naissance
à huit ou neuf enfants, quand on sait qu'un tribunal peut imposer
à cette mère naturelle de se soumettre à une
opération de la ligature des trompes et que le juge qui le fait le fait
après consultation d'un psychiatre, je dis qu'il y a dans notre
société un mal qu'il faut dénoncer. Si bientôt des
structures n'existent pas où des citoyens seront sûrs, par le
caractère même de leurs structures, nonobstant l'opinion que M. le
ministre a émise, que leurs valeurs sont respectées et que ceux
qui travaillent dans ces structures n'auront pas à être
héroïquement à la hauteur de leurs valeurs en faisant face
à toute la contestation qui peut se présenter dans le milieu ou
ils évoluent, on ne va pas demander à tout le monde d'être
héros pour avoir le courage qu'il faut pour s'imposer devant des
collègues ou une administration qui ne respectera pas ces valeurs.
Je dis que ce sont les clients qui vont souffrir. On le verra quand nous
serons devant des problèmes aigus. Et alors, ceux qui, dans la
société de demain, auront le droit de s'élever, ce seront
les journalistes seuls mais ils le feront quand le mal sera arrivé.
Cela, c'est grave. Entre-temps, il y aura des humains qui auront souffert
gravement, dans le secret.
Evidemment, avant que le législateur, que l'Assemblée
nationale soit sensibilisée au problème, il y aura beaucoup
d'humains qui auront souffert. Comme je dis qu'actuellement, par exemple, il y
a des humains qui peuvent être contrariés dans le traitement qu'on
leur donne par une certaine vue idéaliste de la conception globale de
l'approche médico-sociale à leur endroit et qu'il y a une
approche de psychiatrie communautaire qui fait que des citoyens, que des
enfants, que des adultes ne font pas l'objet de services individuels mais
qu'ils sont intégrés à un groupe et que parce que
l'approche des
savants se fait en fonction d'une théorie scientifique, il est
regrettable, mais il y a des hommes, des femmes et des enfants qui souffrent
pour ça.
On peut bien avoir des théories mais, à un moment
donné, la vie se charge de faire éclater des
vérités.
M. LAURIN: M. l'abbé, dans les structures hospitalières
actuelles que nous connaissons, qui n'ont pas encore été
changées par le projet de loi 65, qu'est-ce qui aurait
empêché une situation comme celle que vous avez décrite,
d'un psychiatre qui préconise une ligature de trompes, de se
développer?
M. HURTEAU: Il faut voir ça dans un ensemble de choses. Nous
sommes actuellement dans un monde où les gens qui veulent
témoigner de certaines valeurs, ça leur prend tout leur courage
pour le dire. Je sais très bien qu'en venant ici et en disant ce que
j'ai dit, j'ai dit ce que beaucoup de gens pensent. Mais peut-être que
l'assemblée peut comprendre que mon col romain me permet de dire ce que
j'ai dît ce matin et que beaucoup d'autres collègues ne peuvent
pas venir parce qu'ils ont femme et enfants.
Il y a un climat dans la société actuelle qui fait que
même des institutions techniquement confessionnelles sont soumises
à de telles pressions d'opinions, qu'il faut qu'elles fassent violence
aux valeurs des individus. Parce que précisément, on ne peut pas
demander à tout le monde d'être un héros, il y a de ces cas
qui passent à travers ça, et c'est grave.
M. LAURIN: Mais est-ce à dire, M. l'abbé, que vous
préconisez un système confessionnel de santé et de
services sociaux?
M. HURTEAU: En Hollande, M. Laurin, on a respecté dans le domaine
de l'éducation et dans le domaine des services au bien-être,
jusque dans le domaine de l'enfance, le pluralisme de la société,
bien avant Vatican Il. Partout, on a, mettons dans le domaine de la jeunesse,
des conseils de la jeunesse, il peut y en avoir 19 sur le territoire de la
Hollande. Il sont construits un peu comme nos ORAS ici, ils ont un rôle
de leadership dans la région pour laquelle ils sont
constitués.
Mais le conseil royal, donc l'Etat, l'Assemblée nationale a
prévu justement, après avoir fait l'essai pendant quelque 25 ans,
de 1901 à 1925, après les expériences de France, dans le
domaine de l'éducation, d'une certaine approche uniforme
standardisée et d'écoles publiques par exemple.
On a reconnu les différences qui existent, de fait, qui font les
hommes. Parce que ce ne sont pas des hommes sur papier qui vivent dans la
société, ce sont des hommes en chair et en os. Ils tiennent
à des valeurs ou ils n'y tiennent pas. On a reconnu ça. Et vous
avez dans ces conseils de la jeunesse, et c'est la même chose pour
l'ensemble des organisations sociales, je crois, en tenant compte de la
population du milieu, des représentants protestants, catholiques,
humanistes, c'est-à-dire agnostiques et juifs. On reconnaît cette
réalité-là. S'il y avait des musulmans, il y aurait des
musulmans et je dis qu'à ce moment-là l'Etat joue son rôle
de gardien de la paix sociale.
Cela n'empêche pas les gens d'être dynamiques mais au moins
chacun sait qu'il n'a pas en partant le fardeau de la preuve des valeurs qu'il
veut défendre et qu'il lui importe plus encore peut-être que des
services concrets. Je dis qu'on pourrait tout aussi bien concevoir les ORAS ici
selon un patron semblable et qu'il n'y aurait aucun danger que le
ministère soit empêché à cause de ça de jouer
son rôle de leadership. Parce que, personnellement, je n'ai rien contre
le leadership de l'Etat et je regrette si mon mémoire donne l'impression
que je suis animé par la peur de l'Etat, ça fait longtemps que je
me suis affranchi de ce mythe-là.
Mais je pense par exemple qu'il ne faut pas tomber dans un autre mythe
et croire que l'Etat peut tout faire. L'Etat vit avec des citoyens qui sont des
hommes.
Un citoyen, ça n'épuise pas la réalité
complète d'un homme, et un homme véhicule aussi des valeurs qu'il
veut transmettre. Ou on reconnaît ces réalités-là ou
on veut les rayer par une approche purement rationnelle et abstraite de la
vérité. Mais je dis qu'à ce moment-là on se
prépare pour demain des difficultés qu'on pourrait
déjà conjecturer. Et si un jour il arrive que nous soyons dans
une société où les valeurs religieuses n'importent plus
à personne, nous y arriverons, et il y aura une espèce de nirvana
des valeurs religieuses, et il n'y aura plus de problème, mais il ne
faut pas faire comme si nous étions arrivés là.
M. LAURIN: Je pense que vous n'avez pas répondu à ma
question. Est-ce à dire que vous préconisez des conseils
d'administration des institutions pour catholiques, pour juifs pour
protestants, ou si vous préconisez dans les conseils d'administration de
toutes les institutions des représentants de toutes les Eglises et de
toutes les ethnies?
M. HURTEAU: Mais pourquoi est-ce que ce ne serait pas possible une
perspective oecuménique là où c'est possible, pour
certains territoires donnés? Quand vous êtes dans un territoire
comme Montréal, vous avez un volume de population qui peut permettre
à des institutions de garder une dimension humaine et qui peuvent
suffire pour tel groupe de population, mettons les Juifs, telle autre, des
catholiques. Mais qu'il y ait, dans certaines régions, des conseils
d'administration de services sociaux à caractère
oecuménique ou non confessionnels mais où toutes les confessions
sont représentées, où elles peuvent être gardiennes
de ces
valeurs de la clientèle finalement, je n'ai pas d'objection
à ça, mais on ne parle même pas de cette
hypothèse-là. Le bill parait traiter les humains de la province
de Québec comme si les valeurs religieuses, puisque nous sommes
là-dessus, on en faisait totalement abstraction.
Mais tout à l'heure les gens vont le vivre, ça, et si
ça n'existe pas par les services officiels qu'on aura mis sur pied, que
verrons-nous apparaître? Quand les catholiques auront passé par
leur période de matraqués où les gens ont eu un coup de
matraque sur la tête et où les gens n'osent plus s'affirmer comme
tels, quand ils auront ressenti l'urgence de témoigner de leurs valeurs
qui sont propres, eh bien, on retrouvera des gens qui en créeront des
petites "bistournes" d'oeuvres catholiques, et qui s'en iront à
côté des services officiels et qui nous feront honte à ce
moment-là. Nous avons déjà des structures,
financées par l'Etat, qui se distinguent par leur caractère
confessionnel, pourquoi jeter cela par terre tout d'un coup? Je dis que c'est
imprudent. Si, un jour, il arrive que la population soit indifférente
à ça, eh bien, on avisera. Mais pourquoi faire comme si elle
l'était, alors que nous savons très bien qu'elle ne l'est pas.
L'on peut invoquer quelque théologien ou quelque opinion comme
ça, mais ce n'est pas l'opinion de l'Eglise sur ce point-là
officiellement. Pourquoi va-t-on chercher plutôt des opinions plus ou
moins ajustées?
Evidemment on peut arriver à le faire mais la vie va se charger
tout à l'heure d'apporter un démenti. Je pense qu'il serait
beaucoup plus prudent de procéder en respectant les étapes
d'évolution. Dans notre société d'adoption à
Montréal, si vous permettez que je continue, on nous a longtemps fait
grief de servir les francophones, et que les non-catholiques ne pouvaient pas
adopter. J'ai souvent dit à ce moment-là, en 1964 ou 1965: Il n'y
a rien qui empêche n'importe quel francophone qui le veut de faire une
corporation; il suffit d'être trois. Qu'ils forment un service non
confessionnel pour les francophones et nous, à la société
d'adoption, nous fournirons tous les services techniques, nous vous aiderons
à mettre l'affaire sur pied. Cela ne s'est pas fait. Nous avons
créé nous-mêmes, à l'intérieur de nos
structures, une approche de la clientèle qui respectait la
liberté totale des clientes-mères-non-mariées à
opter pour le baptême ou le non-baptême de leur enfant. Et les
enfants non baptisés pouvaient être ensuite offerts aux parents
adoptifs qui se présentaient à l'autre porte de la rue Sherbrooke
et qui, eux, avaient fait abstraction des valeurs chrétiennes dans leur
vie s'ils étaient chrétiens. S'ils étaient Juifs
français, nous les envoyions à l'agence juive. Mais s'ils
étaient d'autre religion ou s'ils étaient agnostiques, nous
pouvions et nous pouvons leur offrir un enfant non baptisé. Mais je
pense qu'on ne peut pas nous accuser, parce que nous étions
confessionnels, d'avoir été étroits et d'avoir
empêché les citoyens d'avoir un service.
Mais pour le faire il n'était pas nécessaire de supprimer
le droit des catholiques à servir leurs enfants, leurs mères
naturelles, les parents catholiques dans la ligne de leurs valeurs, c'est ce
que je veux dire.
C'est un exemple que je vous donne. On pourrait, je pense, si on
procède prudemment, créer des ORAS. Je veux bien qu'il y ait des
services comme ceux-là. On pourrait ensuite discuter des
modalités du conseil d'administration, mais peu importe! Qu'il y ait des
ORAS qui respecteraient cette dimension parce que l'on est sur cette
question-là. Qu'il y ait, dans Montréal, des ORAS où il y
aurait des représentants catholiques, protestants, juifs, francophones
ou anglophones. Je n'y ai aucune objection et je trouve que ce serait un
avantage pour le milieu, c'est tout. L'Etat, à ce moment, aurait plus de
chances de travailler pour la paix sociale.
M. LAURIN: Maintenant, en ce qui concerne le paragraphe 5, vous dites
que le projet de loi ne tient pas compte des fonctions propres aux services de
santé et aux services sociaux, dont les méthodes et les objets
sont différents et ne sauraient être confondus.
Pourriez-vous détailler là-dessus? Il nous semble quand
même, à certains égards, que si c'est différent,
c'est quand même complémentaire et que l'un ne peut pas être
conçu sans l'autre. Même si chaque discipline doit définir
ses objectifs, ses fonctions et ses méthodes, par ailleurs, ils ne
peuvent fonctionner indépendamment.
M. HURTEAU: Bien oui. L'idée de coordination m'habite
constamment. Loin de moi le fait de penser à l'oeuvre chez nous comme en
une entité isolée, au contraire. Il reste que, si nous traitons
d'adoption, il n'est pas nécessaire que l'on ait un psychiatre qui voie
tous les parents adoptifs. Si nos travailleurs sociaux ont reçu une
formation qui a intégré les données fournies par la
psychiatrie des profondeurs, la psychologie des profondeurs, si c'est
intégré à leur formation c'est un acquis en
Amérique du Nord c'est une démarche superflue que de
penser que les clients seraient mieux évalués s'ils voyaient
aussi un psychiatre ou un assistant-psychiatre.
Nous faisons le travail, et c'est intégré. Nous avons un
psychiatre consultant pour les cas difficiles, pour les cas sur lesquels nous
désirons être éclairés. Nous sommes toujours
prêts à demander l'avis d'autres spécialistes dans tous les
domaines. Vous avez actuellement la psychiatrie dite communautaire.
Peut-être qu'il serait bon que l'on se demande aussi s'il n'y a pas des
problèmes qui sont à se développer de ce
côté-là.
M. LAURIN: Comme ce n'est pas un bill ni sur l'adoption, ni sur la
psychiatrie...
M. HURTEAU: Non, d'accord.
M. LAURIN: ... je me demandais où vous aviez vu, dans le projet
de loi, qu'on ne tenait pas suffisamment compte des fonctions propres aux
services de santé et aux services sociaux.
M. HURTEAU: Evidemment, peut-être que je me suis laissé
emporter, en écrivant cela, par autre chose que le texte de loi
lui-même. Un texte de loi peut aussi être interprété
en fonction de la connaissance que nous pouvons avoir d'autres documents ou
d'autres démarches. Ce que je sais, c'est qu'actuellement il y a des
projets de CLSC dans la province au sujet desquels les agents dans les
territoires où ils vont être établis n'ont nullement
été consultés.
C'est du oui-dire parce que ce sont des collègues du territoire
qui me l'ont dit à l'occasion de la préparation de mon
mémoire. Mais je sais que si on grattait un peu, si les journalistes
faisaient leur travail dans ce domaine-là ils pourraient peut-être
décrouvrir que l'initiative a été prise à
l'instigation de certains psychiatres. Peut-être que toutes les cartes ne
sont pas sur la table. Je trouve un peu étrange qu'au mois d'août
1971 on en soit encore à se demander, par rapport à la mise en
application du bill 65, la fonction, demain, du service social. Je pense que le
service social n'a pas à se redéfinir chez nous. Il a atteint un
statut d'adulte et il devrait pouvoir être associé à la
démarche sans qu'on l'oblige à démontrer en quoi il se
distingue des autres.
Le seul fait qu'on le fasse me laisse à penser que les vues ne
sont pas claires là-dessus et que peut-être tout à l'heure
on peut s'embarquer dans une approche que l'on dit globale et où
finalement le travailleur social va être comme une espèce
d'assistant-secrétaire pour l'équipe médico-psychiatrique.
Je m'excuse, je n'ai rien contre les médecins et les psychiatres, mais
je dis: "A chacun son domaine". En Amérique du Nord, nous avons la
chance que le service social ait intégré justement beaucoup de
données qui sont le fait propre de la psychiatrie contemporaine. Donc,
utilisons les travailleurs sociaux en respectant tout à fait l'autonomie
de la profession.
M. LAURIN: Enfin, M. l'abbé, s'il y a plusieurs psychiatres qui
ont songé, avant même le projet de loi, à fonder des
centres locaux de services communautaires avec pour but de créer un
médecine globale, je considère cela comme un éloge parce
que justement c'est peut-être la nécessité où ces
gens qui oeuvrent dans la communauté, se sont vus de relier, dans la
pratique, l'aspect social et l'aspect médical ou psychologique.
Ce qui montre bien, encore une fois, que c'est très difficile de
les séparer, même une fois que leurs fonctions différentes
ont été précisées. Il me semble que, dans ce
domaine-là, les exemples que vous avez apportés montrent
justement la nécessité de la complémentarité,
plutôt que de cette tension qui devient de l'hostilité, d'autant
plus que l'exemple a démontré que, dans la plupart de ces centres
locaux qui fonctionnent avant la lettre, l'entente entre les travailleurs
sociaux et les travailleurs de la santé est parfaite.
M. HURTEAU: Tant mieux.
M. LAURIN: J'aurais, enfin, une dernière question sur votre type
de participation. Vous blâmez un type de participation. Est-ce qu'il
serait possible de savoir de vous quel type de participation vous
paraîtrait idéal? Lequel proposez-vous?
M. HURTEAU: Je ne sais pas si on a le droit de me demander ici de
proposer un type de participation. Justement, je pense que ces choses-là
doivent se faire à partir de discussions, en tenant compte des
objectifs. Ce qui me paraît prioritaire dans une démarche ou dans
l'administration, à quelque niveau que ce soit, c'est d'abord de bien
clarifier les objectifs que l'on veut atteindre.
Evidemment, on ne peut, pour beaucoup de raisons, que conjecturer des
objectifs. Les objectifs qui nous sont mentionnés et explicités
le sont souvent dans des termes très généraux. Evidemment,
si on voulait en savoir davantage, il faudrait aller au niveau de certaines
personnes qui peuvent être plus près des réalités,
n'est-ce pas, qui sont exprimées par ces objectifs
généraux. A ce moment-là, peut-être que nous
pourrions mieux exprimer notre pensée. A propos de la participation
telle qu'on la propose, si j'ai référé au domaine de
l'éducation, ce n'est pas de façon gratuite. J'ai cité non
pas des encycliques, mais des journalistes de chez nous et des choses qui sont
connues de tout le monde. Il ne semble pas que cette participation marche
à plein. J'ai fait allusion à ce qui s'est passé en
France, pas parce que, encore une fois, la France m'intéresse
particulièrement, mais, que voulez-vous, je la connais plus qu'un autre
pays. Je ne suis pas allé en Suède.
J'aimerais qu'avant d'imposer à toute la province un tel type de
participation on en ait fait l'expérience quelque part où cela
marche. Par exemple, pour être, peut-être, concret, j'aimerais
beaucoup savoir ce qu'en penserait un journal comme Le Devoir, qui appartient
en principe à toute la population canadienne-française. Je doute
fort que les administrateurs du Devoir, soucieux de respecter les objectifs de
leur fondateur, très sensibles aux valeurs que véhicule le
Devoir, un journal qui appartient en principe à toute la population
canadienne-française, à toute l'entité
canadienne-française, accepteraient ce modèle de participation
qu'on veut imposer à toute la province pour l'ensemble des services dans
le domaine de la santé et du bien-être et qui affecte les citoyens
de tout
âge de façon très concrète. Cela implique des
valeurs.
Evidemment, il est sûr qu'il faut faire abstraction des valeurs
distinctes ethniques ou religieuses quand on propose un type de participation
semblable. A ce moment-là, tout ce qui compte au point de vue de la
participation, c'est la compétence professionnelle des gens qui y
participent ou la connaissance du milieu dans lequel ils sont, abstraction
faite des particularismes ethniques, religieux ou autres.
Il s'agit de pure technique. C'est justement ce fossé entre
l'approche technique des concepteurs de la participation et la vie qui fait
qu'on n'a pas affaire à des êtres de raison, comme on le disait en
philosophie autrefois, mais à des êtres en chair et en os qui,
eux, sont aux prises avec des valeurs qui vont imposer des tensions.
Là, on va les ramener au sein d'un conseil d'administration.
Quand je regarde surtout la constitution des conseils telle qu'on l'a, eh bien,
par le biais des études des sociologues et, enfin, des animateurs
sociaux, Marcuse et autres, on introduit chez nous une idée
généreuse de participation, mais qui reproduit au fond, le
gouvernement qui était celui de la troisième et de la
quatrième républiques en France, où au sein de
l'Exécutif on avait même l'opposition.
Alors, on a vu, c'est la réforme essentielle du
général de Gaulle en 1958, qu'il fallait que l'exécutif
soit distinct du législatif et qu'on ne reproduise pas au sein de
l'exécutif le patron qui vaut pour le législatif.
Or, si on a un conseil d'administration où l'opposition est dans
son sein même, où l'opposition est potentielle, bien je dis que
peut-être on se prépare des difficultés énormes au
point de vue du fonctionnement, au point de vue de l'efficacité. On va
peut-être avoir beaucoup de parlotte, mais, au point de vue de
l'efficacité, au point de vue de la liberté du directeur
général d'agir ensuite, de se sentir vraiment responsable, je ne
suis pas sûr qu'on ne se prépare pas des problèmes.
Je souhaite que ça marche, remarquez bien, je le souhaite, mais
j'émets l'opinion qu'on prend peut-être la bouchée un peu
grosse. J'aimerais peut-être comme compromis qu'on fasse
l'expérience dans un territoire donné de la province, on verra
après. Mais on a vu dans certains territoires très
défavorisés de la province combien il peut y avoir des
oppositions au sein de la population alors qu'on a fait de grands plans pour
relever l'économie du district, de la région, combien on peut
avoir là finalement de divergences d'opinions, ce qui fait que les gens
sont paralysés.
On n'a pas fait la preuve que ça marche. Et nous autres, tout
à coup, dans le Québec, nous sommes les premiers et nous allons
faire tout ça d'un coup sec. Bien, j'avoue que je trouve ça
naïf, je n'y peux rien. C'est comme ça que je le pense et c'est
comme ça que je le dis.
M. LE PRESIDENT: Je remercie M. l'abbé
Hurteau de l'exposé de son mémoire. Je demanderais
maintenant à M. Paul de Boies de parler au nom du Comité des
assistés sociaux.
Comité des assistés sociaux
M. DE BOIES: Paul de Boies, président du Comité des
assistés sociaux du Québec.
M. le Président, M. le ministre, messieurs les membres de la
commission parlementaire. Que M. le ministre des Affaires sociales me permette
en premier de lui présenter une requête sur une chose que nous
considérons très urgente. Le Comité des assistés
sociaux le prie de bien vouloir régler au plus tôt le cas des
assistés sociaux de Hull qui sont en conflit avec le bureau du
bien-être social.
DES VOIX: A l'ordre!
M. LE PRESIDENT: Ce n'est pas tout à fait à l'ordre.
M. CASTONGUAY: M. de Boies, pour ne pas prolonger la discussion, vous
devriez revenir à l'objet du mémoire.
M. DE BOIES: C'est tout simplement cette chose-là, une
observation.
M. CASTONGUAY: J'ai vu mon chef de cabinet ce matin avant de venir
à la commission et je lui ai demandé qu'on me fasse rapport sur
la situation à Hull. Nous avons déjà pris un certain
nombre de décisions au plan administratif. Il semble qu'il y ait eu
confusion dans les moyens de communication. Je crois qu'il n'y a pas lieu de
poursuivre la discussion sur ceci pour le moment, il y a déjà des
gestes qui sont en voie d'être posés, s'ils ne l'ont pas
déjà été à l'insu de certaines
personnes.
M. DE BOIES: M. le Président, que l'on me pardonne, si le
Comité des assistés sociaux n'a pas soumis de mémoire aux
membres, c'est que notre comité ne possède pas les moyens
techniques à sa disposition.
M. le Président, oui, la province de Québec n'est pas une
province comme les autres parce qu'elle possède le plus grand
pourcentage de chômeurs au Canada, parce qu'elle possède le plus
grand nombre d'assistés sociaux au Canada, tout près de 600,000
dans la province de Québec.
Elle possède 55 p.c. de sa population qui vit sous le seuil ou la
ligne de pauvreté; parce qu'elle possède près de 55 p.c.
des enfants d'âge scolaire dans les zones grises qui sont
sous-alimentés et malades; parce qu'elle possède le double au
Canada d'enfants placés dans des foyers nourriciers; parce que la
société manufacture actuellement des sous-alimentés, des
mendiants, des rachitiques, des anémiques et des débiles
mentaux.
Depuis plusieurs années, notre comité, de
concert avec d'autres comités de citoyens, a
réclamé et réclame dans le délai le plus bref ces
centres communautaires de santé et de services sociaux. Si on regarde
les statistiques dont je me permettrai de vous donner simplement quelques
chiffres, d'après un rapport médical du docteur Handfield, au
mois de janvier 1970, sur 311 enfants dans le comté de Saint-Jacques 105
souffraient d'alimentation insuffisante; 97, de retard staturo-pondéral;
153 de problèmes affectifs; 48 de vision inadéquate; 18 de
strabisme. Si nous regardons la mortalité dans les zones grises à
comparer avec les quartiers de classe moyenne, par 1,000 naissances, nous
trouvons, dans les zones grises, 35.1, tandis que, dans les quartiers de classe
moyenne, c'est 14.8. Ce qui veut dire que, dans les zones grises, il y a deux
fois plus de mortalité chez les enfants que dans la classe moyenne.
Nous croyons, nous du Comité des assistés sociaux, qu'il
est plus que temps que ces centres communautaires de santé et de
services sociaux soient institués dans le Québec. Si nous
retardons le projet de loi actuel de dix ans encore, eh bien, mon Dieu, je me
demande si ça ne sera pas la déchéance de la population
québécoise.
On parle de structures, on parle de participation. Nous sommes pour la
participation, car nous croyons, nous du Comité des assistés
sociaux du Québec, qu'en vue d'acquérir un sens des
responsabilités et de triompher de leurs prédispositions à
l'inefficacité les pauvres doivent prendre part d'une façon
active à la solution de leurs problèmes. A cette fin, il est
opportun de songer à consulter les désavantagés
eux-mêmes avant de formuler des analyses précises de leur
condition et de dresser des programmes visant leur avenir. Nous
considérons que l'heure est venue d'étayer les recommandations
des politiciens, des hauts fonctionnaires du gouvernement et des professionnels
sur les opinions mêmes des personnes démunies.
Il y a une chose qui me fait peur dans le bill 65, c'est la
participation. Quand j'entendais M. le ministre, ce matin, dire qu'il
désirait la participation de la population à ces centres
communautaires, je me demandais de quelle population il voulait parler. Il y a
en page 6 du bill 65, dans la structure régionale du conseil
d'administration, ceci qui nous laisse un peu perplexes: "Pour six d'entre eux
dans la structure régionale du conseil d'administration, des groupes
socio-économiques les plus représentatifs" je me demande ce que
l'on entend par des groupes socio-économiques.
Est-ce que ce sont les chambres de commerce? Est-ce que ce sont les
professionnels ou les organisations de professionnels ou encore les
comités de citoyens? Nous croyons que le bill 65 est un peu ambigu sur
la question de la participation et nous nous demandons, non seulement le
Comité des assistés sociaux du Québec, mais plusieurs
autres comités de citoyens de la province, si les hauts fonctionnaires
du ministère des Affaires sociales ne veulent pas les étouffer ou
s'ils ne veulent pas leur disparition complète. Nous croyons que, dans
ces centres communautaires de santé et de services sociaux, le
ministère des Affaires sociales devrait faire partager les
responsabilités par les comités de citoyens qui ont fondé
dans des quartiers défavorisés des cliniques médicales et
des cliniques juridiques. La plupart des comités de citoyens, que ce
soit dans Sainte-Marie, Saint-Jacques, Saint-Louis, Saint-Henri,
Pointe-Saint-Charles, Maisonneuve-Hochelaga, Rouyn ou Saint-Roch, furent
bâtis en premier lieu avec des moyens très restreints et je dirais
même avec des moyens de broche à foin.
Les comités de citoyens qui ont mis sur pied ces cliniques ont
donné leur temps bénévolement. Ils ont dû faire des
démarches auprès des professionnels afin d'avoir les soins
médicaux pour les gens défavorisés de leur quartier. De
plus, avec les faibles revenus qu'ils avaient avant que le bill 26 soit mis en
application, combien ces cliniques médicales ont donné aux
défavorisés des médicaments, des lunettes et des dentiers.
Je crois que, dans le conseil d'administration, dans les conseils
régionaux ou dans les conseils locaux, les comités de citoyens
qui ont formé ces cliniques doivent participer d'une très large
part en ayant des responsabilités. Les comités de citoyens qui
ont fondé ces cliniques, ont pris seuls les responsabilités de
mener ces cliniques avec un certain succès. Je veux simplement
mentionner je laisse le soin à Mgr Lavoie de parler pour
Saint-Roch le quartier Saint-Jacques où la clinique fut
fondée par le comité de citoyens de Saint-Jacques dans un hangar.
Aujourd'hui, grâce à certaines subventions du
fédéral et du provincial, on a réussi à mettre sur
pied une clinique médicale qui donne toute la gamme des soins
médicaux et une clinique juridique.
Nous croyons donc que, si le ministère des Affaires sociales
désire la participation de la population, cette participation de la
population ne doit pas venir des socio-économiques comme les chambres de
commerce, ou les marchands détaillants, ou les organisations de
professionnels. Il ne faudrait pas que ces centres communautaires de
santé et de services sociaux enlèvent aux différents
comités de citoyens qui ont travaillé d'arrache-pied leurs
cliniques. Au contraire, nous considérons que le ministère des
Affaires sociales doit donner à ces comités tous les moyens
techniques et même les moyens financiers afin que ces cliniques
médicales et juridiques deviennent de vrais centres communautaires.
En terminant, notre comité désire faire les
recommandations suivantes. Nous croyons qu'il faudrait regrouper sous un
même toit tous les services de santé et d'aide sociale pour les
familles déshéritées ou économiquement faibles.
Nous recommandons les services suivants: tous les soins médicaux, y
compris les services de spécialistes, les médicaments et les
préparations pharmaceutiques pour lesquels le patient
paierait dans la mesure de ses besoins, tous les soins dentaires, y
compris le traitement des dents, services ophtalmologiste, garderies pour
enfants et soins diurnes pour les adultes qui ont besoin de surveillance
médicale.
Service d'orthogénie, y compris les examens, les ordonnances, les
conseils et l'orientation. Un personnel suffisant pour un programme
d'orientation à l'intention de tous ceux qui sont aux prises avec des
problèmes matrimoniaux ou prématrimoniaux, ou autres
problèmes personnels. Des programmes de psychothérapie pour les
femmes abandonnées par leur maris, les jeunes délinquants, avant
ou après la délinquance. Un programme d'assistance judiciaire
prévoyant des services juridiques, soit dans les locaux du centre, soit
dans l'étude des avocats, le cas échéant.
Les gens qui vivent dans la pauvreté sont toujours aux prises
avec la loi. Qu'il s'agisse de délinquance juvénile,
d'alcoolisme, de drogue, d'une épouse abandonnée qui a besoin de
conseils, il devrait toujours y avoir un service juridique prêt à
intervenir. Etablir un répertoire de logements et aider les gens
à trouver des logis convenables et à prix modique. Nombreux sont
nos malades qui vivent dans des logements inadéquats pour lesquels ils
payent cher.
Notre principe étant que la santé est un bien indivisible
et que le fait de renvoyer une famille dans une maison trop froide et
infestée de rats n'est pas une bonne pratique sanitaire, que des
apôtres de la santé au centre même se chargent de
promouvoir, d'assurer et de protéger la santé des familles en
général. Un service temporaire de gardiennes d'enfants où
les parents pourraient s'adresser lorsqu'ils doivent s'absenter en cas
d'urgence.
Des centres préscolaires, à la demi-journée ou
à la journée, pour les enfants âgés de deux mois
à cinq ans. Nous remplaçons le terme "garderie", qui
évoque le stigmate de l'assistance sociale, par programme
préscolaire ou maternelle. De plus, ces centres pourraient créer
des coopératives de consommation, des coopératives agricoles et
industrielles afin de préparer le retour au travail des assistés
sociaux.
Que les comités de citoyens aient la préséance dans
l'administration de ces centres et que des assistés sociaux soient
engagés dans ces centres communautaires pour remplir certaines fonctions
ou emplois. Que les centres communautaires prennent à leur charge les
refuges de nuit afin d'établir des ateliers de travail pour la
réadaptation des clients.
Je termine, M. le Président, dans l'espérance que le bill
65 ne sera pas mis en application dans dix ans mais sera mis en application le
plus tôt possible pour le bien-être de la population
québécoise. Quoique ces centres communautaires de santé et
de services sociaux ne résolvent pas le problème de la
pauvreté, ne résolvent pas non plus le problème de la
sous-alimentation. Tout de même, nous croyons que ces centres
communautaires de santé et de services sociaux apporteront un petit
bien-être aux défavorisés. Merci.
M. CASTONGUAY: M. de Boies, j'aurais quelques commentaires à
formuler. Vous avez parlé, entre autres choses, de la participation des
groupes socio-économiques et vous avez dit que cette expression vous
fait peur. Je sais que, pour beaucoup, elle évoque un type de
représentation, uniquement. Si nous avons utilisé cette
expression, c'est à défaut d'une meilleure et je puis vous
assurer que nous n'avons, en l'utilisant, aucune conception de cette
participation autre que celle d'un éventail aussi large que possible de
tous les groupes dans les divers milieux.
Si des suggestions nous sont formulées quant à une
meilleure expression, une expression plus descriptive, plus
représentative, qui en même temps pourrait être acceptable
par les légistes, je puis vous dire que nous les étudierons avec
grand soin.
Vous avez mentionné également la crainte que par le bill
65 on enlève, en définitive, à des groupes
défavorisés les cliniques que ces groupes ont mises sur pied.
Ici, je voudrais également apporter une assurance que ce n'est pas notre
intention. Je pense que le geste que nous avons posé justement
vis-à-vis de la clinique Hochelaga-Maisonneuve pour prendre un
exemple était un indice très clair de notre orientation.
Toutefois, je voudrais aussi attirer l'attention sur un point, et je sais qu'il
s'agit de la solution d'un problème qui n'est pas facile. Dans certains
cas, de bonne foi, des cliniques ont été mises sur pied.
Toutefois, à mesure que nous pourrons allouer de nouvelles ressources
plus adéquates, je pense qu'il sera important de faire attention de ne
pas maintenir des cliniques dont la qualité des soins n'est pas
suffisante c'est le cas présentement mais je pense bien
qu'il serait mauvais d'éliminer ces cliniques et de ne rien substituer
à la place. C'est le danger que nous courrions en les éliminant
dans certains cas. Toutefois, au fur et à mesure que nous pourrons
progresser, je crois qu'il faudra résoudre ce problème.
Egalement, dans les propositions quant au contenu des centres locaux des
services de santé, des services communautaires que vous formulez, quant
à la gamme des services qui devraient y être offerts, il y a un
problème de ressources disponibles qu'on ne peut ignorer. Je ne veux pas
dire que nous ne tenterons pas de progresser aussi rapidement que possible,
mais il y a ce problème des ressources qu'il nous faudra continuellement
résourdre: ressources financières, ressources en
équipement, en personnel. Il faudra également prendre soin de ne
pas reconstituer des organismes trop élaborés qui viendraient
regrouper des services trop disparates ou qui donneraient lieu à des
nouvelles structures difficiles à administrer par leur ampleur.
C'est simplement un petit rappel ici qu'il m'apparaît
nécessaire de faire. Enfin, sur les autres points aussi il s'agit
beaucoup plus d'assurance que je voudrais donner que de questions que je
voudrais formuler.
M. LE PRESIDENT: Y a-t-il d'autres mem-
bres de la commission qui ont des questions à poser à M.
de Boies?
M. LAURIN: Je reprends à mon compte une bonne partie de vos
affirmations, M. de Boies. Je suis bien convaincu malheureusement avec vous que
Québec compte un trop grand nombre de sous-alimentés, de
débiles et qu'il y a une double réponse à apporter: celle
que le bill 65 apportera en partie avec un nouveau régime de
santé mais aussi une autre réponse qui, celle-là, se situe
dans d'autres domaines: celui de la sécurité du revenu, des
efforts beaucoup plus accentués en ce qui concerne la correction des
méthodes alimentaires des Québécois, et ainsi de suite.
Là-dessus, je suis tout à fait d'accord avec vous.
En ce qui concerne la participation des défavorisés aux
mesures qui sont mises sur pied pour leur venir en aide, je suis
également tout à fait d'accord avec vous en principe.
Je ne sais pas si votre déception, en lisant le projet de loi 65,
s'atténuera une fois que les travaux de la commission seront
terminés, mais je verrais aussi, un peu comme vous, la
nécessité de témoignages constants venant de la partie de
la population que vous représentez. J'espère qu'il n'y en aura
pas toujours des pauvres et des défavorisés, contrairement
à ce qu'on a dit, mais, aussi longtemps qu'il y en aura, il me semble
qu'il y aurait là un effet de rétroaction extrêmement
important.
On met sur place des structures, on émet des programmes, on les
exécute mais, après cela, on va voir si vraiment cela fonctionne
tellement. Une bonne façon de le savoir, c'est d'aller faire des
enquêtes sur place, d'avoir des témoignages de la population qui
est desservie pour voir si cela va, dans quelle proportion, les obstacles et
les difficultés qu'on a éprouvées. Si c'est ce genre de
participation auquel vous faisiez allusion tout à l'heure, j'ai
l'impression que le ministère et le législateur y feront
peut-être droit. Si vous pensez à un autre genre de participation,
celle qui ferait des défavorisés des membres à part
entière des conseils d'administration, là aussi j'espère
qu'on pourra y donner suite jusqu'à un certain point, tout en se
rappelant quand même que beaucoup d'autres groupes sociaux sont
intéressés à une meilleure distribution des services de
santé, à part les employés des institutions, le personnel,
ceux qui ont la compétence scientifique, ceux aussi qui maintiennent sur
leurs épaules le poids de la société, ceux qui
travaillent, les classes moyennes.
Je conçois donc qu'il est un peu difficile de faire place pour
tout le monde. Au fond, on aurait un conseil d'administration extrêmement
élaboré. Je considère quand même avec vous que le
point de vue de l'usager sera d'autant mieux perçu par ces conseils
d'administration qu'il sera présent à côté d'eux et
qu'il pourra même constituer pour eux un vivant reproche, un
témoignage permanent du progrès qu'il reste à faire.
Je me pose quand même un problème. Je sais qu'il y a des
comités de citoyens qui ont déjà fait beaucoup dans ce
sens-là, qui nous ont aidés, en tout cas, à prendre
conscience du problème, mais je me demande si eux-mêmes seront
tellement intéressés à participer, à
côté d'autres groupes socio-économiques, à part
entière à ces conseils d'administration. Je me demande s'ils
n'auront pas peur de se faire noyer dans ces conseils d'administration. C'est
la raison pour laquelle je prête une particulière attention
à votre dernière suggestion de laisser les cliniques qui
fonctionnent déjà actuellement dans le milieu et qui ont
été érigées par les comités de citoyens
aussi longtemps, comme le disait le ministre, que leur qualité sera
bonne.
Je pense que le problème demeure de l'intégration des
comités de citoyens à d'autres structures. Eux qui se veulent le
levain de l'opinion, eux qui se veulent des animateurs sociaux, eux qui se
veulent, peut-être parfois à juste titre, des gens qui tracent la
voie, ils auront peut-être peur de se voir intégrer dans des
structures où ils risquent de perdre leur identité, de se noyer
et peut-être de perdre le stimulus qui les a soutenus jusqu'ici.
Je n'ai pas de réponse pour le moment, mais je trouve que la
question est extrêmement intéressante. Je pense que
peut-être nous serons éclairés au fur et à mesure de
nos délibérations sur la meilleure réponse à y
apporter.
M. CASTONGUAY: Est-ce que, avec la permission des membres de la
commission, je pourrais attirer l'attention sur l'article 90 du projet de loi
qui introduit un autre mécanisme, en fait...
M. LAURIN: L'assemblée annuelle.
M. CASTONGUAY: Oui. ...qui est de nature à susciter un certain
nombre de réactions vis-à-vis de la façon dont s'acquitte
l'administration d'une institution publique? Ce n'est peut-être pas un
mécanisme parfait, mais c'est mieux que cette absence de ce type de
mécanisme.
M. LE PRESIDENT: Est-ce qu'il y a d'autres...
M. BOIS: M. le Président, je tiens à dire au ministre que
cela constitue quand même 1/365 de l'activité pratique des
comités régionaux.
M. LE PRESIDENT: Je remercie M. de Boies. J'inviterais la
Société de podiatrie de la province de Québec,
représentée par les porte-parole, M. Ronald Perreault et Me
Claire L'Heureux-Dubé. J'ai lu un peu votre mémoire et les
membres de la commission m'ont interrogé à savoir si votre
mémoire se présente dans l'aspect du bill 65.
Société de podiatrie
MME L'HEUREUX-DUBE: Je crois que oui,
M. le Président. Le mémoire avait été
présenté, il y a longtemps déjà. Il n'a
peut-être pas été remis dans la forme que vous auriez
souhaitée; seulement, je pense que je dois, au nom de la
Société de podiatrie de la province de Québec, que je
représente présentement, vous faire part de ses craintes et de
son intérêt quant au projet de loi no 65.
Pour bien identifier le groupe que je représente, ce sont des
podiatres. Dans la province de Québec, il en existe à peu
près 250 et cette société en regroupe 85. Ce sont des
professionnels de la santé qui sont reconnus partout au Canada, sauf au
Québec et dans les Maritimes.
Evidemment, la Société de podiatrie de la province de
Québec a demandé de se faire entendre devant cette commission
parlementaire dans le but de souligner une situation extrêmement confuse
et urgente qui existe actuellement par rapport à certains professionnels
de la santé qui sont couverts par le bill 65, dont les podiatres. La
société ne se propose pas ici, évidemment, de faire une
étude exhaustive du bill 65, mais plutôt de souligner certains
aspects du projet de loi qui la concernent plus particulièrement.
La Société de podiatrie apporte son appui à
l'effort considérable que représente le bill 65 dans la
restructuration des services de santé, en particulier par la
décentralisation qu'elle propose, et au but ultime que ce projet de loi
vise. Cependant, elle ne peut que s'inquiéter que le projet de loi
concentre toute l'administration entre les mains d'administrateurs
gouvernementaux, plus ou moins par le biais de ces conseils, reléguant
au simple plan consultatif l'apport des professionnels de la santé. Ceci
représente, à notre avis, des dangers évidents de scission
entre deux disciplines qui peuvent présenter des problèmes
sérieux en pratique. Je crois que ceci a déjà
été souligné antérieurement.
La Société de podiatrie aurait voulu une plus grande
participation des professionnels de la santé au niveau même des
décisions administratives. Toutefois, seul le rodage de la loi pourra
déceler toutes ses failles dans la pratique.
La Société de podiatrie partage aussi certaines des
inquiétudes soulevées par l'abbé Hurteau, ce matin, dans
son mémoire, particulièrement au niveau de la
considération qui pourra être apportée à
l'être humain à travers ces structures qui sont extrêmement
lourdes. Par contre, comme elle le dit, elle approuve le principe de la loi et
croit qu'une structuration était absolument nécessaire.
En particulier, la Société de podiatrie de la province de
Québec se dit d'accord quant aux services locaux communautaires et aux
centres régionaux. Elle y voit justement un champ d'action important
pour certains professionnels de la santé, tels que les podiatres.
Je ne sais pas si vous le savez, mais il existe présentement au
Québec une collaboration extrêmement étroite entre les
podiatres et, par exemple, des hôpitaux comme le CHUL. Ils font une
expérience à Québec, à l'hôpital de
l'Enfant-Jésus. Les podiatres rendent des services extrêmement
intéressants qui, souvent, empêchent qu'un orthopédiste ne
soit obligé de s'occuper de problèmes tels que, pour donner un
exemple, des verrues plantaires, des ongles incarnés, etc. Il s'est
établi une collaboration très étroite. Mais ce qui est
étonnant, c'est que les podiatres n'ont aucun statut juridique
quelconque ni aucun statut professionnel. C'est justement ce qui les
inquiète et le projet de loi...
M. LE PRESIDENT: Mais cela entre dans un autre projet de loi, la Loi des
corporations. Disons que vous y reviendrez.
MME L'HEUREUX-DUBE: Nous savons, M. le Président et je
vous remercie de nous le souligner que le gouvernement prépare
actuellement une loi. Mais nous n'en connaissons pas le moindre mot à
l'heure actuelle. Nous croyons que l'article 1 j), qui définit le
professionnel de la santé comme étant "toute personne qui, dans
une institution, dispense des services de santé ou des services sociaux
et qui fait partie d'un groupe de personnes à qui la loi confère
le droit exclusif d'exercer une profession", les exclut automatiquement de ce
champ d'action, puisqu'ils n'ont pas le statut de corporation
professionnelle.
Or, je comprends que le projet de loi que vous voulez présenter
régit les corporations professionnelles déjà existantes.
Mais quant à celles qui n'existent pas, il me semble qu'il n'y a, dans
les informations que nous avons jusqu'à maintenant, aucune indication
disant que leur statut professionnel sera clarifié. Il est
évident qu'on dit à ce même article: "Tout autre groupe de
personnes déterminé par les règlements." Or,
évidemment, nous ne savons pas ce que les règlements seront.
Donc, c'est une inquiétude des podiatres par rapport à leur
statut comme professionnels de la santé.
On parle aussi dans le projet de loi d'un conseil des médecins et
des dentistes. Est-ce que ce conseil-là ne devrait pas inclure un
éventail plus large des professionnels de la santé, entre autres,
justement, des gens comme les optométristes, les podiatres et tous ceux
qui collaborent étroitement à procurer à la population un
service indispensable?
Il existe présentement dans la province de Québec une
situation extrêmement confuse quant au statut réel des podiatres
et il n'y a aucune réglementation qui régit leurs
activités professionnelles. Il s'ensuit évidemement qu'une
personne sans aucun diplôme et même sans une scolarité
suffisante peut s'intituler du jour au lendemain podiatre. La
Société de podiatrie soumet que c'est une situation
extrêmement nuisible d'abord aux podiatres qui sont légalement
qualifiés et aussi pour la protection du public qui ne peut pas
s'adresser à un corps professionnel qui est en mesure de répondre
aux critères qu'on voudrait y voir.
M. LE PRESIDENT: Je vous demanderais encore une fois de revenir au bill
65 parce que les membres de la commission font des signes sérieux
à l'effet que vous semblez un peu déroger à l'ordre
établi. Alors, on revient au bill 65, si vous voulez.
MME L'HEUREUX DUBE: Comme je vous l'ai dit, notre grand
intérêt dans le bill 65 est de susciter le problème:
Où est la place des professionnels de la santé tels que les
podiatres? On ne les voit nulle part et on est inquiet. Nous voudrions savoir
du gouvernement quelle est son intention par rapport à ces
professionnels. Est-ce qu'ils feront partie des conseils de disciplines, des
conseils régionaux? Est-ce qu'ils seront amalgamés aux
médecins? Enfin, on ne sait pas. Je crois qu'il est extrêmement
important pour eux, avant de savoir les implications pour eux de ce bill, de
clarifier cet aspect du problème.
Evidemment, M. le Président, tout ceci influe beaucoup sur
l'aspect de réglementation interne des podiatres. Comment peuvent-ils se
recycler? Comment peuvent-ils former leurs membres quand cela ne rapporte
absolument rien sur aucun plan quelconque, aucune reconnaissance ni quoi que ce
soit? Si leur statut est beaucoup plus défini, on pourra espérer
que la profession pourra être valable.
Si vous me permettez de continuer et peut-être
d'abréger...
M. LE PRESIDENT: Je suis obligé de tout de même vous
rappeler qu'actuellement vous ne semblez pas parler du bill 65 et, si vous
continuez comme cela, je vais être obligé de vous demander de
terminer votre discussion puisque ce n'est pas sur le bill 65.
MME L'HEUREUX-DUBE: Je croyais que j'avais demandé
interrogativement au ministre des Affaires sociales de nous donner une
réponse sur cet aspect particulier qui, je crois, concerne tout à
fait le bill 65. Quelle est leur place? On ne les retrouve pas dans le
bill.
M. CASTONGUAY: Bien, voici, je ne voulais pas vous interrompre. Tout ce
que je peux dire, c'est que dès la reprise ou au début de la
reprise des travaux, tel que cela a été annoncé vers la
fin des travaux de l'Assemblée nationale au mois de juillet, les projets
de loi sur les corporations professionnelles devraient normalement être
déposés. Je peux dire que dans ces projets de loi non seulement
les groupes qui sont présentement reconnus par des lois corporatives
vont se retrouver, mais de nouveaux groupes tels que je l'ai
déjà mentionné, je crois; de toute façon je le
mentionne aujourd'hui les podiatres, d'une part, et les chiropraticiens,
d'autre part.
Comme il n'est pas possible d'aborder à la fois tous les projets
de loi simultanément étant donné leur ampleur, leur
complexité, et qu'il est nécessaire aussi de diviser les
principes à l'intérieur d'un projet de loi de telle sorte que
chaque projet porte sur un sujet bien défini, il n'a pas
été possible de les étudier tous les deux
simultanément. Mais dès le dépôt de ces lois sur les
corporations professionnelles, je crois qu'un certain nombre des
préoccupations que vous exprimez, des interrogations que vous formulez
trouveront leur réponse.
MME L'HEUREUX-DUBE: M. le ministre, j'apprécie votre
réponse. Il y a seulement un autre point d'interrogation. Je me demande,
une fois que le statut de ces corporations professionnelles sera défini,
si l'on devra revenir à ce bill-là pour le faire amender? C'est
que je vois tellement d'interrelation entre les deux choses.
Dans le moment, on n'a pas ce statut et il n'y a que ces gens qui sont
considérés comme professionnels de la santé. Or si plus
tard on nous définit comme professionnels de la santé,
très bien. Si on ne nous définit pas comme professionnels de la
santé, à ce moment-là où se trouve-t-on?
M. CASTONGUAY: Je pense bien qu'on ne peut pas commencer l'étude
d'un autre projet cet après-midi, mais comme je vous ai dit, le projet
de loi ou les projets de loi portant sur les corporations professionnelles qui
regroupent les professionnels de la santé, projets de loi qui vont
être déposés au cours de la reprise des travaux, vont
toucher également les podiatres, de même que les chiropraticiens.
Je crois que cela répond, pour le moment, de façon suffisamment
précise à cette préoccupation que vous formulez.
MME L'HEUREUX-DUBE: Mais quand on parle de conseils et qu'on se limite
aux dentistes et aux médecins....
M. CASTONGUAY: Je ne voudrais pas vous interrompre, mais si vous avez
terminé votre exposé, je vais commenter certains des points que
vous avez soulevés plus tôt; mais j'aimerais mieux que vous
terminiez, au lieu d'engager la discussion. Le but de mon intervention
était simplement de répondre à votre question
spécifique sur les corporations professionnelles.
MME L'HEUREUX-DUBE: M. le ministre, je pourrais continuer mon
exposé mais j'ai l'impression que le président de la commission
croit que nous sommes un peu en dehors de la question. J'ai souligné les
problèmes principaux qui nous préoccupent. Nos conclusions sont
que les podiatres voudraient obtenir un statut profesisonnel, voudraient que
l'enseignement de la science de la podiatrie soit reconnu, et voudraient
pouvoir participer à l'Association canadienne des podiatres en tant que
membres reconnus. Il semble que l'Association canadienne des podiatres suspende
son appui parce qu'ils
ne sont pas reconnus dans la province de Québec. Alors on tourne
toujours en cercle vicieux. Somme toute, c'était le but de notre
exposé et je crois qu'il est terminé, en ce sens-là. Je
vous fais plaisir.
M. CASTONGUAY: Pour reprendre une expression qui doit être
chère aux podiatres, on peut reprendre sur un meilleur pied! Je vais
reprendre certains des points à peu près dans le même ordre
que vous les avez soulevés. Vous avez mentionné une certaine
crainte que les conseils soient composés, en définitive,
d'administrateurs gouvernementaux. Ici je crois qu'il est assez important de
faire ressortir une chose. Si on regarde la composition des conseils, un
certain nombre de membres vont être nommés par le
lieutenant-gouverneur en conseil, d'accord, mais ce ne sont pas des membres du
gouvernement ou des fonctionnaires. Ce sont des représentants, comme on
l'a dit, des groupes socio-économiques, ou encore d'un éventail
de la société ou de la population desservie par les
institutions.
Quant aux autres membres, si on regarde attentivement, ce sont soit des
professionnels, soit des travailleurs, soit des délégués
d'un autre niveau d'institutions ou, si on est au niveau des centres locaux,
des gens élus par la population desservie par les centres locaux. Il
s'agit là de personnes, en fait, qu'il m'apparaît difficile
d'associer par le simple fait que leur nomination est faite par le
lieutenant-gouverneur en conseil, en définitive, mais il
m'apparaît difficile de les assimiler à des administrateurs
gouvernementaux.
Vous avez mentionné aussi que les professionnels n'étaient
peut-être pas suffisamment représentés au sein de ces
conseils. Ici je voudrais attirer l'attention sur le conseil des professionnels
qui est formé par l'article 76 du projet de loi où il est dit
qu'un conseil consultatif de tous les professionnels est institué dans
chaque centre hospitalier ou de service social. On dit quelles sont ses
fonctions, sa composition : tous les professionnels exerçant leur
profession dans le centre. Il a pour fonction de faire des recommandations au
conseil d'administration sur l'organisation scientifique et technique du
centre. Comme le conseil d'administration ne peut se réunir tous les
jours, ou même très fréquemment, ses fonctions sont
plutôt de fixer les grandes orientations, s'assurer qu'il y a une bonne
gestion du centre ou de l'institution, voir aussi, par le biais du directeur
général des services professionnels, à ce que des services
adéquats, soit des services de bonne qualité ou des services
répondant aux exigences de normes, soient dispensés. Il n'en
demeure pas moins que l'étude de l'organisation scientifique et
technique est une question qui demande beaucoup de travail d'une autre nature,
et c'est justement une fonction qui est dévolue au conseil regroupant
tous les professionnels pratiquant dans le centre.
Il n'y a pas uniquement la représentation au niveau du conseil
d'administration, qui est importante sur ce plan, mais aussi au niveau de ce
conseil.
Vous avez aussi posé des questions quant au conseil des
médecins et dentistes. Vous avez demandé s'il n'y avait pas lieu
de s'interroger quant à la possibilité que d'autres
professionnels fassent partie de ce conseil. Ici on touche à une
question bien particulière. On sait que présentement, en vertu
des lois corporatives, certains types d'actes professionnels ne peuvent
être posés que par les professionnels membres de ces corporations.
Vous faites partie vous-même d'une telle corporation, les
médecins, les dentistes, les pharmaciens et je pourrais en nommer
d'autres. La raison d'être de ces corporations, la raison pour laquelle
on empêche toute autre personne de poser des actes que les membres de ces
corporations posent, c'est la protection du public. Et aussi la nature
même de ces actes qui sont tels que toute autre personne qui pourrait les
poser, si elle n'avait pas les connaissances nécessaires, si elle
n'avait pas l'appartenance à un groupe qui impose des normes très
précises de déontologie, si elle n'avait pas les obligations qui
lui proviennent de son statut soit d'avocat, de médecin, etc., s'il n'y
avait pas le caractère de confiance qui doit s'établir, confiance
aussi grande, aussi totale que possible entre celui qui donne le service et
celui qui le reçoit, s'il n'y avait pas également le fait que
celui qui reçoit le service n'est pas toujours en mesure
d'apprécier la valeur des services qu'il reçoit, les corporations
professionnelles n'auraient pas leur raison d'être. Ce sont pour les
corporations où seuls les membres de ces corporations peuvent poser des
actes bien identifiés.
Il y a une autre catégorie d'actes professionnels qui peuvent
être posés non seulement par les membres de la corporation, mais
par d'autres membres. Ce sont des actes posés par les membres des
corporations professionnelles où simplement le titre est
protégé en ce sens que l'appartenance à cette corporation
donne le droit d'utiliser un titre professionnel qui donne une garantie
à la population, mais pas une garantie aussi grande et pour lesquels
également d'autres personnes qui n'ont pas nécessairement les
compétences des membres de ces corporations peuvent aussi rendre ce type
de services.
Nous avons d'autres exemples, je crois, de service social. Il est
évident qu'il n'est pas possible de définir de façon assez
précise ce qu'est le service social pour dire que demain, seuls les
travailleurs sociaux vont poser tel type d'actes. D'autres personnes font du
travail social dans les faits et je pourrais reprendre d'autres exemples de la
même nature.
Ce que nous avons voulu faire ici au sein de l'institution, du centre
hospitalier, c'est de former un conseil qui est chargé de façon
bien spécifique de contrôler les actes professionnels posés
par leurs membres dans les cas très
spécifiques où seuls les membres de ces corporations
peuvent poser ces actes. Nous avons identifié, pour le moment, les
médecins et les dentistes. Il y aura peut-être lieu de revenir,
d'étendre, mais c'est le principe général qui nous a
guidés dans la formation de ce conseil qui, en définitive, est la
continuation des bureaux médicaux sous une forme un peu
différente et reliée de façon quelque peu
différente aux structures de l'hôpital.
Enfin, quant à l'autre problème, soit la question de
savoir que recouvre la définition de professionnel, je crois que je dois
vous référer à mes commentaires antérieurs. Je
crois que vous aurez des réponses adéquates et j'espère
qu'elles seront satisfaisantes quant à vous lors du dépôt
des lois portant sur les corporations professionnelles au cours des travaux de
la session à compter du 26 octobre prochain.
MME L'HEUREUX-DUBE: M. le ministre, si je pouvais revenir sur l'un de
vos commentaires que j'ai beaucoup appréciés d'ailleurs
quand vous parlez de conseil consultatif. On sait ce que veut dire
conseil consultatif. Cela ne veut rien dire. Je fais partie d'un conseil
consultatif. On n'a aucune voix. On n'a aucune autorité quelconque.
Alors, si le conseil consultatif des professionnels de la santé
recommande quelque chose, il n'y a rien qui oblige dans la loi le conseil
d'administration à se plier aux demandes du conseil consultatif. C'est
un peu inquiétant.
M. CASTONGUAY: Non, mais il n'en demeure pas moins, non plus, qu'on ne
peut pas avoir deux autorités dans une même institution et c'est
ce que nous tentons de concilier. Nous confions au conseil consultatif des
professionnels la responsabilité de faire des recommandations sur
l'organisation scientifique et technique du centre, mais nous devons laisser au
conseil d'administration l'autorité dernière de décider
s'il retient ces recommandations ou non. Nous retrouvons, au sein du conseil
d'administration, des représentants de toutes les parties
intéressées, y compris les professionnels.
M. LE PRESIDENT: Est-ce qu'il y a d'autres membres du comité qui
veulent parler? Me Claire L'Heureux-Dubé, je vous remercie.
J'espère que nous aurons l'occasion de vous entendre encore ici.
MME L'HEUREUX-DUBE: Vous êtes gentil, merci. Je ne refuse jamais
d'occasion.
M. LE PRESIDENT: Nous allons maintenant entendre Mgr Raymond Lavoie, du
secrétariat social de Saint-Roch Inc.
Secrétariat social de Saint-Roch
M. LAVOIE: M. le Président, M. le ministre, une petite
précaution oratoire avant de com- mencer mon exposé qui est
rédigé. Je pense bien que tout le monde l'a en main. M. le
ministre, je tiens à vous dire mon estime et mon appréciation
à tous égards. J'ai remarqué qu'à plusieurs
reprises vous aviez rassuré les gens en leur disant que votre intention
n'était pas d'appliquer tel règlement ou tel article de loi dans
tel sens, mais dans tel autre sens et que ce sens-là était celui
qu'on désirait pour le bien commun de la population.
En parlant, ce n'est pas à vous que je pense; je pense à
l'hypothèse peu probable où l'Union Nationale reprendrait le
pouvoir, le Parti québécois ou le Crédit social. Donc, je
vois d'autres que vous derrière tout ce que je dis, puisqu'à ce
moment-là ce seront eux qui appliqueront la loi que vous avez
rédigée.
M. CASTONGUAY: Dieu nous protège de ces calamités !
M. LAVOIE: M. le Président, devant le projet de loi 65, je me
suis posé deux questions: L'Etat veut-il réprimer des abus et
constituer un réseau tellement étanche de contrôle dans les
domaines social et médical que tous les requins devront renoncer
à dévorer leurs proies habituelles? L'Etat veut-il plutôt
poser un jalon majeur dans la construction d'une société dont il
a le modèle en tête sans le dire?
Avec toute la modestie qu'exige une universelle incompétence et
une situation de clerc détrôné par l'histoire contemporaine
de ses positions de puissance d'autrefois, je voudrais vous donner les
réponses que je crois découvrir dans le bill 65. A la
première question, je réponds: Si l'Etat a voulu se donner la
longa manus requise pour réprimer tous les abus, il ne s'est
sûrement pas demandé quel bien il lui faudrait détruire
pour extirper tout le mal qu'il déplore et que je déplore avec
lui.
Il y a une écologie sociale comme il y a une écologie
biologique. Je ne puis pas détruire les crocodiles dans les fleuves
tropicaux sans entraîner une série d'interactions
désastreuses pour la faune aquatique et, en définitive, pour
l'homme que mangent parfois les crocodiles. Il m'a semblé que le bill 65
mettait en danger la démocratie elle-même en instaurant un
régime à peu près totalitaire dans les deux domaines les
plus importants de la vie humaine: la santé et l'activité
sociale.
Je tiens à dire, comme précaution oratoire
supplémentaire, que, dans tout ce qui s'est dit à ce jour, on
s'est presque toujours référé à la santé
alors que, moi, j'ai manifestement toujours à l'esprit le social. Le
bill 65 m'apparaît totalitaire pour quatre motifs. Il atteint tout ce qui
bouge et respire dans la vie sociale des hommes, et je le prouve. Il propose
une nouvelle définition du mot "public"; ce n'est pas rassurant.
Jusqu'ici, nous du peuple, nous avions compris qu'était public ce
qui émanait de l'Etat et demeurait sous son contrôle. Mais
à l'article 1,
paragraphe 2 ou 3 je pense, "toute institution maintenue par une
corporation sans but lucratif" devient publique; ne sont privées que les
institutions qui ne sont pas publiques, donc celles qui ne sont pas
incorporées du tout ou le sont en vertu de la première ou de la
deuxième partie de la Loi des compagnies.
Ces institutions promues au rang de publiques sont toutes atteintes,
j'allais dire investies par le bill 65 si elles sont des centres locaux de
services communautaires, c'est-à-dire des "établissements qui,
sur une base locale, assurent à la communauté des services
d'action sanitaire et sociale" ou si elles sont des centres de service social,
c'est-à-dire "si elles sont des établissements qui fournissent,
sur une base régionale, des services d'action sociale ce
mot-là a été sauté sur tous les points,
notamment sur certains qui sont énumérés." Il faut
reconnaître, par ailleurs, qu'on cite comme exemple des cas d'assistance
médicale plutôt que d'action sociale, mais le mot est
là.
Cela veut dire, dans le quartier où je vis et travaille, que le
Secrétariat social de Saint-Roch Inc., dont le but corporatif est le
suivant, d'après ses lettres patentes du 18 avril 1967: "Susciter la
formation des services nécessaires à l'amélioration des
conditions de vie de la population du quartier Saint-Roch de Québec et
soutenir ces services dans leur fonctionnement."
C'est le secrétariat social qui chez nous a donné
naissance et financement, il faut bien le dire, à tout ce qui suit, ce
que j'énumère après; il y a bien d'autres choses que
j'énumérerai sans commentaire ou dont je ne parlerai pas du tout.
En fait, il a joué le rôle de CLSC bien avant que le mot n'ait
été inventé.
Deuxièmement, le comité des citoyens, incorporé
aussi, toujours d'après la troisième partie de la Loi des
compagnies. Le but et la fonction de ce comité des citoyens sont
essentiellement de l'action sociale et il a provoqué la création
de nombreux services et la fondation de plusieurs corporations, toujours sans
but lucratif. Les Loisirs communautaires de Saint-Roch incorporé, qui ne
visent pas simplement à amuser les enfants mais à provoquer une
assistance sociale et communautaire à des gens dont le métier
essentiellement est d'être chômeurs irrécupérables
pour un grand nombre.
Quatrièmement, les Ateliers R-10 incorporé, qui veulent
faire de la réhabilitation par le travail, l'encadrement et l'action
sociale auprès des familles de ceux qu'ils atteignent.
Cinquièmement, je suis moins catégorique pour le
cinquièmement mais j'ai des inquiétudes tellement fortes que j'ai
pris la peine de l'exprimer ici: La Coopérative industrielle du pied de
la falaise, incorporée en juin 1967; c'est d'après la Loi des
syndicats corporatifs, mais son but corporatif tombe aussi dans le social. Je
le cite d'après sa charte: "Fournir aux citoyens qui n'arrivent pas
à se situer sur le marché du travail et de la
responsabilité sociale le moyen de le faire par l'initiative et la
coopération". C'est très vaste. Elle aura bientôt, cette
coopérative, commis à peu près tous les
péchés qu'il est possible de commettre contre le capitalisme
puisqu'elle a déjà des clubs d'achat coopératifs, un
funérarium coopératif, une caisse de crédit
coopérative, des transports coopératifs, des chantiers
coopératifs il y en a plusieurs en marche et qu'elle aura
bientôt un condominium coopératif pour gens à faible
revenu, nous dit M. le maire de Québec.
Sixièmement, la Clinique socio-médicale incorporée,
qui hésite entre le dernier soupir et la résurrection
puisqu'après avoir prospéré et rendu d'énormes
services elle a cessé de fonctionner à toutes fins utiles le jour
où la Loi sur l'assurance-hospitalisation est survenue. Il fallait
attendre ce que deviendrait ce monde nouveau qui nous était ouvert.
Septièmement, une clinique socio-juridique gratuite qui rend
d'immenses services à tout le monde.
Huitièmement, une clinique socio-administrative qui a
dépanné des tas de gens et notamment a permis à l'Etat de
recevoir des rapports d'impôt bien faits cette année.
Neuvièmement, l'Association socio-culturelle du pied de la
falaise, qui est de fondation assez récente et qui cherche à
devenir impresario au Grand Théâtre puisque c'est le seul moyen
d'y entrer à bon compte, nous on dit ceux qui avaient promis que le
peuple, enfin, dans ce temple des caves et des écoeurés, pourrait
s'abreuver quasi gratuitement aux vraies sources de la culture. J'ajoute le
très dangereux Secrétariat du bien commun, le centre UNEV, le
CPRemovers, qui n'est pas incorporé ni incorporable.
Je vous épargne le reste mais tous se sentent menacés de
dépression et d'aliénation par le bill 65. On dirait que l'Etat,
dans ce projet, ne reconnaît pas plus d'amplitude au mot social qu'au mot
médical et qu'il croit pouvoir enserrer dans un même étau
ce qui relève de l'affaiblissement de la vie, le médical, et ce
qui relève de l'intensité de la vie, l'activité sociale;
ou encore que le social et le médical n'ont qu'à s'identifier
dans le concret puisque, par la volonté du chef d'Etat, le
médical est devenu une affaire sociale et qu'un seul homme,
vous-même, M. le ministre, est chargé des deux secteurs.
Les deux mots sont juxtaposés dans le bill comme s'ils
étaient de même densité et de même poids. En tout cas
les réalités qu'il désigne sont totalement
absorbées par la définition des termes du bill 65. "Toute
institution publique ou privée devra, pour pouvoir dispenser des
services de santé ou des services sociaux, détenir un permis
délivré par le ministre". C'est au préambule, dernier
paragraphe et à l'article 93.
Deuxièmement, je continue toujours à parler de
totalitarisme dans le bill 65, celui-ci est d'inspiration totalitaire en raison
des pouvoirs
d'investigation et de contrôle qu'il confère aux offices et
aux nouvelles institutions dont parle la section III. On jurerait que c'est la
Loi des mesures de guerre qui a inspiré tout cet aspect du bill. a)
L'office peut recevoir des pouvoirs par la loi mais aussi en marge de la loi,
par le lieutenant-gouverneur en conseil. C'est 41 e). b) Le
lieutenant-gouverneur en conseil nomme d'autorité le directeur d'un
office si ce directeur devient malade ou si l'on a décidé qu'il
l'était. Article 27. Vous voyez un peu, M. le ministre, l'Union
Nationale au pouvoir avec un article comme celui-là. c) Le pouvoir
d'investigation donné aux offices est absolument discrétionnaire
et absolu. Articles 30 à 35. d) Le pouvoir de nommer les officiers des
institutions publiques rappelons-nous la définition de l'article
1 est également discrétionnaire et absolu puisque le
lieutenant-gouverneur le détient, demain, aussi bien que le conseil
d'administration. e) Le pouvoir de fusionner d'autorité toute
institution publique nous entendons par là les corporations sans
but lucratif de même catégorie ou ayant des objets
similaires (article 83 a) et b), et donc le pouvoir d'abolir d'autorité
tout ce qui existe, (article 87). f) Le pouvoir de faire et défaire tous
les règlements des institutions et offices est accordé au
ministre, (article 133). Les visiteurs mêmes ce n'est pas dit que
ce sont les visiteurs d'hôpitaux; je pense aussitôt aux visiteurs
du presbytère où se tient le chef-lieu du secrétariat
social ou du comité des citoyens sont atteints par cet
omniprésent ministre; (l'article 133k), il peut décider s'ils
entrent ou s'ils sortent. Le ministre annule ou suspend sans que l'on ait
d'autre recours que celui d'être entendu, (article 105) on ne sait pas
par qui, d'ailleurs, car ce n'est pas dit. On peut toujours se plaindre
à son voisin, je présume. En plus des offices qui peuvent
enquêter à leur guise, le lieutenant-gouverneur peut aussi
enquêter pardessus la tête des offices (article 129). Enfin, l'Etat
a aussi le pouvoir d'annuler les chartes, de liquider et de s'approprier les
biens des victimes de ses enquêtes (articles 131 et 132).
Troisièmement, cette loi est d'inspiration totalitaire en raison
de la position de force du directeur général des offices, comme
des institutions, de l'immunité pratique dont il jouit. Le directeur ne
peut être qu'une émanation du tout-puissant ministre, cela va de
soi (articles 71 à 75 et un peu partout dans le bill).
Quatrièmement, enfin, cette loi est totalitaire parce qu'elle
ignore à peu près complètement que le secteur privé
ait quelque importance. On a commencé par vider le secteur privé
en déclarant public tout ce qui était privé, bien
qu'incorporé jusqu'ici, du moins, c'est ce que j'ai compris. Ce qui
pourrait subsister de privé est traité avec une
désinvolture telle que je me demande si on a songé un moment que
c'était ce qu'il y a de plus privé dans la société,
le simple citoyen, qui élisait les députés.
On définit le privé négativement. Ce qui est
privé, c'est ce qui n'est pas public. C'est assez simple et
élémentaire comme définition.
Les institutions privées, dans le préambule, on dit
qu'elles continueront leur oeuvre pourvu qu'elles choississent de faire leurs
propres frais sans l'aide de l'Etat. Cela ressemble un peu à ce qu'on a
dit aux CEGEP et à un certain nombre d'institutions scolaires lorsqu'il
s'est agi de beaucoup d'institutions privées: Vous avez le droit de
vivre, seulement, on ne vous donne que les moyens de mourir. C'est ce que font
aussi beaucoup de capitalistes américains qui viennent acheter toutes
nos entreprises canadiennes en leur disant: Vous avez le droit de vivre,
messieurs, seulement nous autres, on vous achète, si vous voulez, et on
vous donne des postes honorifiques en grand nombre. Si vous ne voulez pas, on
vous fait la concurrence sur le plan publicitaire et on vous tue. Alors, ils se
vendent les uns après les autres.
Aux offices, six membres sur quatorze seront choisis dans les "groupes
socio-économiques les plus représentatifs". Qui choisira ces
groupes? On ne le sait pas. Le ministre toujours, sans doute, mais ce n'est pas
dit. A choisir entre une chambre de commerce, un syndicat et un comité
de citoyen," qui prendra-t-on? Ici, on consultera probablement.
Il n'est pas question que le ministre donne des lettres patentes
à ce qui existe (articles 41 et suivants) cela n'est pas envisagé
du tout. Le ministre a dit ce matin que cela se faisait ou que cela se ferait,
mais ce n'est pas dans le bill. Au contraire, non seulement c'est absent, mais
cela semble contre-indiqué. L'Etat crée puis il fusionne
après avoir créé et il anéantit tout ce qu'il n'a
pas créé, c'est aussi simple que cela.
On tente de donner un certain masque démocratique en commandant
d'autorité une assemblée publique annuelle (article 2 a et 90).
Quand on sait quelles foules les candidats aux élections parviennent
à réunir dans les assemblées électorales, j'ai
connu ce jeu-là, mes chers amis, et je sympathise avec vous, on n'a
personne et c'est malheureux. On est obligé de faire les
assemblées dans les cuisines parce qu'il y a au moins la mère qui
est là. Quand on sait, comme je le sais, qu'il faut six ans de travail
acharné pour réveiller quelques centaines de personnes, on voit
ce que signifie, comme correctif démocratique, cette assemblée
annuelle.
Loi d'inspiration totalitaire; ai-je tort ou raison de le dire? Elle
l'est à ce point que je ne puis pas supposer qu'on l'ait
rédigée sans avoir une vision globale du monde à l'esprit.
J'en arrive à me poser la deuxième question, que j'indiquais au
début: Quelle est cette vision du monde? Le ministre a dit ce matin,
dans ses préambules que nous n'avons pas eus par écrit
malheureusement, je le déplore que la philosophie de cette loi
n'était pas indiquée et
que le programme non plus n'était pas indiqué, que
c'était simplement la mécanique qu'on nous proposait, qu'on nous
démontait, somme toute, devant les yeux. Je dirai cependant que ce qui
m'intéresse, c'est la philosophie qui est en dessous. Le ministre
Castonguay a dit des choses sensationnelles à Ottawa, il n'y a pas
tellement longtemps, rappelant que toutes nos lois sociales s'inspiraient de
philosophies disparates et inconsistantes parce que disparates par
conséquent, qu'il fallait en arriver à avoir une philosophie
unique.
Moi, je me demande quelle est la vision du monde, le projet, pour
demain, qui est à l'origine de cette loi, à quoi veut-on en
venir? Cette question est d'importance car nous ne vivons pas un quelconque
soubresaut de l'histoire, me semble-t-il. Nous avons à inventer une
civilisation nouvelle. "L'histoire de l'humanité, déclare H.G.
Wells bien connu de vous tous, j'en suis sûr devient de
plus en plus une course entre l'éducation et la catastrophe." Tout chef
d'Etat doit être un futurologue et toute loi doit être une
ouverture et non pas une fermeture. "L'expérience du passé ne
peut plus orienter le monde et celui qui lui fait totalement confiance
s'égare. Les changements qui nous affectent sont si rapides et si
radicaux que tout ce qui nous paraît aller de soi risque de
paraître insensé d'ici vingt ans.
C'est le futurologue George Picht qui parle ainsi dans le numéro
de l'Express du 16-22 août 1971. Ce sont ses trois ou quatre
dernières phrases. "Il ne faut plus partir du passé mais de
l'avenir. Ce sont nos choix concernant l'avenir et une planification globale
qui doivent guider désormais toutes les actions du présent."
Si l'on prend le mot "socialisme" dans son sens le plus
général, c'est-à-dire "l'état d'une
société où les relations interpersonnelles se multiplient
intensément et deviennent des relations multiples et complexes de
caractère communautaire au sein desquelles l'Etat joue un rôle
central et capital", je dirai que le bill 65 tente de donner à notre
socialisation une ligne maîtresse qui le caractérisera
définitivement et le précipitera vers une escalade que, sans
doute, on voulait justement éviter.
La ligne maîtresse la plus apparente dans le bill 65, c'est celle
d'un socialisme politicailleur et technocratique.
Politicailleur parce qu'il redonne à l'Etat, et cette fois pas
seulement au niveau d'un réseau plus ou moins secret ou officieux de
faits et de liens, mais au niveau de la loi, de la police et des tribunaux,
toute la puissance de contrôle, de musellement et de strangulation qu'on
a si bien connues à la fin du régime Taschereau et tout au long
du régime Duplessis. Il permettra de rééditer cent et
mille fois ce que l'actuel gouvernement je me trompe en disant l'actuel
gouvernement , ou mieux certains de ses membres que je connais bien sont
en train de rééditer et ils sont parmi les plus influents
parfois depuis deux ans: installer tous les organisateurs du parti aux
postes de commande; refuser l'incorporation et très bientôt
annuler l'incorporation de tout ce qui n'est pas dominé par les amis,
les prestateurs de la caisse électorale il y a des exemples
indiqués entre parenthèses que je ne développe pas parce
que je ne voudrais pas donner de noms classer comme indésirables
et dangereux tous les groupes qui contestent quelque chose ou tentent de
créer quelque chose; dénoncer comme agitateurs tous ceux qui
pensent tout haut; enraciner dans le bon vouloir de l'Etat toutes les
libertés qui tentent de se déclencher pour la rédemption
sociale de leurs frères, etc.
Technocratique enfin, ce socialisme totalitaire. Je veux dire par
là conforme aux visions aprioristes et simplistes de certains
visionnaires qui se constituent, à même le patrimoine de
responsabilité publique confié par le peuple aux
députés et aux ministres et ça, il faut que ce soit
bien compris qui se constituent donc de petits empires qui deviennent
peu à peu une reprise du régime féodal sur le papier. On
le pensait aboli pour toujours et tous les députés le
dénoncent en période électorale pourtant.
Pour eux, ces idéologues, la sociologie qui décrit le
présent à partir du passé tient lieu de prospective. On
peut obtenir, grâce à eux, des millions pour faire des recherches
et compiler des données, pour publier des rapports et garnir des
tablettes, mais pas un sou pour supporter de l'expérimentation sociale
et politique vivante. Tout pour décrire et rien pour inventer. Chercher
veut dire raconter le caillou où j'ai les deux pieds et non pas scruter
l'horizon pour découvrir vers quoi l'on va. Penser veut dire, pour eux,
tenter d'immobiliser l'histoire au point où ils l'ont observée,
la réduire en cartes perforées, la mécaniser, la
quantifier et la fixer pour que les conclusions de la sociologie cessent enfin
d'être en retard sur la vie qui court et qui trépigne.
Si ces technocrates, tous cousus de diplômes, ont à
concevoir une législation, ils vont tenter de cristalliser la vie. Mais,
dit encore George Picht, "le monde futur ne sera pas fondé sur les
besoins des technocrates mais sur les besoins réels de la
société, des peuples et sur l'organisation des cadres
scientifiques et politiques ayant atteint un haut niveau de
responsabilité". Les membres du Centre international de
développement ne tiennent pas un autre langage, eux qui affirment
du moins ceux que j'ai rencontrés n'être jamais parvenus
à développer à partir des Etats qui les ont
employés.
L'expérience multimillionnaire du BAEQ marque de façon
magistrale à quoi aboutit un socialisme technocratique comme celui que
l'on semble vouloir construire. Parti du papier, il aboutit au papier.
Cette double coloration du socialisme, dont le visage est
esquissé par le bill 65, nous semble pourtant dominée par un
élément qui s'insère depuis quelques années dans le
réseau de nos
institutions et constitue le plus significatif des
phénomènes socio-politiques des dix dernières
années: la concentration et l'escalade totalitariste. L'Etat prend tout
en main. Il a pris l'éducation d'abord. Il le fallait pour se mettre au
pas, a-t-on dit, et on avait largement raison. Largement, j'ai dit. Mais
fallait-il vraiment construire ces énormes machines à instruction
où tout est dispensé par l'Etat? Fallait-il détruire tout
ce que tant d'efforts avaient construit dans ce domaine de telle façon
qu'il ne reste plus aucun point de comparaison possible entre le gradué
de la nouvelle machine et celui des anciennes boutiques plus ou moins
artisanales? Elles ont cessé de produire, c'est pour cela qu'on ne peut
pas comparer. Fallait-il absolument faire de l'éducation non plus une
vocation, mais un "job" bien rémunéré et bien
mesuré sur toutes ses frontières horaires?
Il y a également les soins hospitaliers qui furent ensuite
étatisés. Nos bonnes soeurs n'avaient pas le rythme, c'est bien
connu. Elles n'avaient ni le talent ni l'argent, même si on les disait
riches. Bien des gens aimaient pourtant mourir à bon marché entre
les mains d'une bonne soeur, mais il n'y a plus de bonne soeur et plus de bon
marché. C'est $60 par jour avant le dernier soupir et bien davantage
après.
Vous ne savez même plus à quel savant médecin vous
devez les joies du bonheur éternel, car il y en a bien cinquante qui
sont responsables à chaque fois qu'un patient meurt ou qu'il survit. En
tout cela, il y a progrès, mais le prix du progrès par l'Etat
n'est-il pas trop élevé en argent quand l'Etat agit seul? Il
fallait bien étatiser l'électricité, pour remonter plus
loin un peu, mais fallait-il pour cela rayer d'un trait de plume toutes ces
coopératives de production à qui M. Duplessis, dans un moment de
distraction ou de lucidité, avait permis d'exister?
Est-ce que le prix de cette évolution par l'unique initiative de
l'Etat n'est pas trop élevé en liberté également? A
partir du moment où la concentration de tout s'effectue entre les mains
de l'Etat, il ne peut pas ne pas mobiliser sa puissance constringente et
répressive pour maintenir son empire. Quand c'est lui qui instruit et
lui qui soigne les malades, ce qui s'oppose à ses cours et à ses
traitements devient illégal. Tout est infraction et crime de ce qui
était auparavant maladresse ou simple désordre.
Le mot "infraction" est une erreur ici, je m'excuse. Je n'ai pas un
système secrétarial très complexe, vous pouvez le supposer
dans mon milieu.
Et comme la liberté des gens est un peu comme l'eau, elle cherche
à s'infiltrer par les moindres fissures pour échapper au barrage,
l'Etat doit multiplier les crimes et les délits pour que sa pression sur
la société se maintienne. Par voie de conséquence, les
tribunaux et la police doivent être mobilisés en permanence pour
consolider, reprendre, réprimer, châtier, suspendre, annuler,
enquêter, destituer toutes fonctions que l'on voit
énumérées avec insistance dans le bill 65.
Cette fois, le domaine où l'on entre pour ordonner et niveler est
beaucoup plus vaste que tous les autres ensemble. Il les inclut, mais il
atteint les moindres manifestations de ce besoin de vie communautaire et
sociale qui définit l'homme à ce point que, s'il ne le ressent
pas, "il est ange ou bête" disait ce vieux fou d'Aristote.
Ne s'agit-il pas d'escalade totalitaire vraiment? Et qu'en sortira-t-il?
L'Eglise catholique a découvert que le légalisme était en
train d'étouffer. Elle tente patiemment de s'en guérir. Et c'est
long. La Russie et la Chine ont choisi la voie du légalisme le plus
outré pour construire le monde et ont réduit la liberté
des individus à un niveau tellement bas que nous le
dénonçons tous à qui mieux mieux. Mais au lieu de profiter
de l'expérience de l'Eglise, on s'enfonce dans l'imitation servile des
pouvoirs communistes qu'on dénonce, du moins ça me paraît
comme ça.
Il y a pourtant une socialisation possible et désirable, c'est
celle qui se construit au plan politique et social sur la participation et au
plan économique sur la coopération. C'est celle-là que,
dans notre petit coin de Québec, nous essayons de mettre en place en
réunissant tous les éléments qui peuvent sortir de
l'initiative des citoyens, en faisant de la démocratie non pas
l'éternel mensonge qu'elle a toujours été, mais
l'authentique essor d'un peuple qui essaie de se réaliser en chacun de
ses membres, pour tous par tous.
Les expériences que nous poursuivons à l'aire 10, seuls et
à peu près sans aide, cela il faut bien le dire, devraient
être l'objet de la plus grande attention de l'Etat plutôt que la
victime d'un rapt public comme celui qui se prépare. Pourquoi est-ce que
je parle ainsi? Parce que la vanité m'aveugle ou que la réaction
de cette classe des défavorisés à laquelle j'essaie de
m'identifier me rendrait agressif et contestataire? Je ne crois
sincèrement pas.
Mais dans l'aire 10 se trouve une part importante du tiers-monde
québécois et c'est le tiers-monde qu'il faut étudier pour
savoir quoi faire demain. Nous avons l'air, nous, de Saint-Roch, d'être
en retard, puis à Saint-Jacques de Montréal ou ailleurs, c'est
pareil, nous avons l'air d'être en retard sur les autres, mais en
réalité, nous sommes bien en avant des autres parce que nous
sommes cette partie de l'humanité qui a été la
première atteinte par tous les phénomènes sociaux qui nous
obligent à inventer un monde nouveau.
Tous ces grands mots en "ion" et en "isme", quelle influence ont-ils sur
l'homme? Urbanisation, industrialisation, automation, récession, et vous
savez qu'il y en a beaucoup d'autres. Quand cela fait 25 ans que pèse
sur l'homme le progrès du monde, que devient l'homme au plan
psycho-social et même psychosomatique? Par combien de peurs est-il
habité? Et quelles
sont les réactions organiques et communautaires qui se produisent
comme mécanisme d'autodéfense?
Questions importantes, aujourd'hui à Saint-Roch de Québec
et à Saint-Jacques de Montréal, on le sait. Mais demain, ce sera
peut-être 25 p.c. ou 50 p.c. de la population totale qui sera
entrée dans le cycle où nous sommes déjà. Nous
aurons trouvé 100,000 emplois nouveaux peut-être, mais nous en
aurons perdu 500,000 demain, cela c'est sûr. Questions importantes car
demain ce sera le tiers-monde de toute la planète qui sera à nos
portes avec béliers et massues pour nous demander ce que nous avons
l'intention de faire d'eux. André Malraux a révélé
ces paroles prophétiques du général de Gaulle: "Il ne
reste plus qu'une génération pour séparer l'Occident de
l'entrée en scène du tiers-monde, aux Etats-Unis, il est
déjà en place. Gandhi, Churchill, Staline, Nehru, même
Kennedy, c'est le cortège des funérailles d'un monde."
Dans cette perspective, que provoquera le bill 65? Une rupture de
dialogue entre les citoyens et l'Etat, je le crains beaucoup. Un durcissement
des résistances, une clandestinité plus grande des mouvements
subversifs d'inspiration marxiste et maoïste que vous n'avez jamais chez
vous, au Parlement, mais que nous avons dans les jambes du matin au soir nous
autres, par exemple. Faites-nous confiance pour tenir le coup. Ne venez pas
nous remplacer, vous n'êtes pas capables. Une lutte à finir des
meilleurs éléments de la population, ceux qui ont conservé
la préoccupation des valeurs profondes et ont découvert qu'ils
étaient capables de les promouvoir et de les défendre. Et de
ceux-là, il y en a quelques centaines dans mon quartier. Ils ne m'ont
pas chargé explicitement de parler en leur nom, je n'ai pas eu le temps
de mettre en marche l'étude de ce texte. Mais nous mangeons à la
même table tous les jours.
Je suis sûr de ne trahir la pensée de personne, même
si je ne parle qu'au nom du secrétariat social.
J'ajoute un petit mot avant d'arriver aux conclusions au sujet de ce
qu'a répété M. Castonguay plusieurs fois tout à
l'heure. Il a dit: On dirait que les gens se méfient de l'Etat. M.
Castonguay et vous autres, chers amis, qui êtes chargés des
pouvoirs publics, je vous dirai: Prenez-en votre parti, les gens se
méfient de vous. Dès que vous parlez de vous présenter,
ils se méfient de vous. Pourquoi ça? Parce que vous êtes
forts ou que vous espérez l'être et que nous sommes faibles. On a
toujours peur d'un plus fort que soi. Quand votre petit gars rencontre son
grand frère, vous voyez bien qu'il se sauve. Il a peur; c'est comme
ça partout.
Deuxièmement, parce que le gouvernement, c'est d'abord, pour
nous, l'organisation locale du parti politique qui est au pouvoir. Il faut bien
se mettre ça dans la tête. On l'a dans le nez du matin au soir,
cette organisation locale. Si vous aviez fait partie de notre comité des
citoyens, de toutes nos organisations sociales depuis six ans, vous verriez ce
que ça veut dire. Il faut maintenir constamment une lutte sourde, une
lutte terrible contre tous ceux qui sont chargés de détruire ce
qui pourrait peut-être devenir une menace pour le parti au pouvoir, quel
qu'il soit. Remarquez bien: quel qu'il soit. Que personne ne se sente la patte
trop blanche dans ce domaine-là.
Troisièmement, qu'est-ce que le gouvernement pour nous? Ce sont
les profiteurs du parti qui obtiennent les contrats et on voit très bien
qu'ils se paient des cigares de taille parfois fort impressionnante. Qu'est-ce
que c'est que l'Etat pour le petit peuple? Ce sont les percepteurs de taxes
contre lesquels on n'a aucun moyen de se défendre, parce que, si on
retarde d'une journée, on reçoit un compte de 10 p.c. du montant
le lendemain. J'en ai justement un sur mon bureau.
Qu'est-ce que l'Etat? C'est celui qui donne l'instruction à mes
enfants maintenant. Mon petit gars a bloqué ou encore il n'a pas
bloqué, mais il n'a pas d'ouvrage et il vient de finir. C'est ça
l'Etat pour le citoyen ordinaire. C'est celui qui traite le patient à
l'hôpital, mais j'ai attendu de huit heures du matin jusqu'à
quatre heures du soir à l'urgence pour voir un médecin, et je
n'en ai pas vu parce qu'ils sont tous partis, car, à quatre heures, leur
temps était fini.
Qu'est-ce que l'Etat pour les gens? C'est celui qui n'a pas
réglé ce qui ne marche pas rond. C'est lui qui n'a pas
empêché les Etats-Unis de mettre une barrière tarifaire de
10 p.c, ce qui va causer tout un imbroglio dans tous les pays du monde. Vous
allez me dire que ce n'est pas votre faute. Je le sais bien, mais
n'empêche qu'aux yeux du peuple c'est ce qu'on va dire: Ils n'ont pas vu
venir ça. Vous ne pouvez pas le voir, non plus, je le sais, mais, enfin,
c'est comme ça que ça va être interprété, je
vous le garantis. Qu'est-ce que l'Etat? C'est celui qui m'a tout promis le jour
des élections et les jours qui précédaient et,
après, je n'ai rien eu.
Enfin, l'Etat c'est celui qui a fait une bonne loi. Acceptez
d'être tout ce que j'ai dit d'abord avant d'être ce que j'ai dit en
terminant. Vous voyez, par conséquent, qu'on se méfie de l'Etat.
Il n'y a rien à faire contre ça, je pense. Il faut accepter
ça comme étant une des servitudes du métier et
peut-être l'un des stimulants du métier: gagner l'amitié.
Il y a DeBané qui fait des efforts pour renouveler la fonction
actuellement. Je ne sais pas s'il va réussir, mais dans le style qu'il
a, même si on dit que c'est par pur intérêt
électoral, il y a quelque chose de nouveau sur quoi il faut
réfléchir. Est-ce qu'il faut être uniquement l'homme qui
donne la main à toutes les mamans et qui donne un bec à tous les
bébés pendant la semaine qui précède le jour du
vote ou bien s'il ne faudrait pas être plus cordial un peu tout le temps?
A ce moment-là, vous n'avez plus le temps de réfléchir ou
d'étudier. Alors, il faut faire un choix. Je me demande ce qu'il faut
faire.
Conclusions et recommandations. Aurai-je l'audace d'en faire? Pourquoi
pas? Quand on est ignorant comme je le suis, on peut poser avec une
égale compétence les prémisses et les conclusions.
Premièrement, je recommanderais de dissocier complètement
le secteur médical du secteur social. Vouloir les traiter dans une seule
et même loi, c'est confier à la fois ses souliers et son pantalon
à son cordonnier, sous prétexte que c'est la même personne
qui porte les deux vêtements. Il peut être utile de confier au
même ministre, à défaut d'un nombre suffisant de ministres
compétents, les deux plus gros budgets de la province, mais, dans la
vie, le médical et le social ne sont pas identiques. Même s'il est
vrai que les malades ont souvent des problèmes sociaux et que les
problèmes sociaux conduisent parfois à la maladie, autant il y a
prolifération d'institutions spontanées et riches du
côté social, autant il y en a peu dans le domaine médical
qui sont le bureau, l'hôpital, quelques cliniques
spécialisées et des fonds pour toutes les maladies, sauf pour la
pauvreté qui est la plus grave de toutes les maladies modernes. Vous ne
pouvez traiter de la même façon les potagers et les forêts.
Cela me paraît certain quand on se situe devant la liste que
j'énumérais tantôt de nos institutions locales.
Deuxièmement, je recommanderais de se demander très
sérieusement où on veut aller d'ici dix ans. Est-ce vers la
dictature policière ou vers la démocratie de participation et de
coopération? Il faut faire un choix avant de partir, surtout si on est
déjà parti sans se demander exactement où on allait. Cela
fait plusieurs années qu'on est parti.
Troisièmement, je recommanderais de bien considérer que,
si toutes les libertés sont brimées au Québec, on
précipitera la population vers le fédéral qui a une
tendresse particulière pour les Québécois malheureux.
Une politique autonomiste ne peut se promouvoir qu'en maintenant et en
renforçant l'unité interne de la province. Quant une population
rurale commence à s'ébranler, comme cela arrive dans l'Est du
Québec actuellement, il faut avoir autre chose à lui dire que de
prendre garde d'encombrer la province de "pitounes" non vendues et de ne pas
trop se fier au curé en sylviculture, comme ça s'est dit il n'y a
pas tellement longtemps.
Quatrièmement, je recommanderais de redonner existence et
consistance au secteur privé de l'hospitalisation tout en
réprimant les abus des requins de la santé et en
accélérant l'évolution. Dans les principes du
libéralisme auxquels nous devons tant et de si grands malheurs, tout
n'était pas mauvais. Il ne faudrait pas le mettre de côté
complètement, le pauvre libéralisme les libéraux
surtout. Laisser faire, disait-il, la libre concurrence ne peut produire que le
progrès. Nous savons tous qu'en pratique on a abouti à
l'absorption des petits par les gros et souvent la mise en tutelle de l'Etat
par le capital, comme c'est le cas pour le CPR et le fédéral
depuis cent ans. Mais la concurrence a valeur de stimulation et permet des
comparaisons. Si l'Etat soutient un secteur privé de l'hospitalisation,
particulièrement celui qui a été forgé par les
communautés religieuses où sont nos soeurs, nos cousines et nos
tantes j'allais dire nos nièces, mais cela serait faux parce
qu'on a si bien vidé la profession de religieuses hospitalières
de son contenu que finalement nos nièces n'y vont plus il aura
à ce moment-là plus de recul et il aura deux leviers à
manoeuvrer au lieu d'un seul. Cela pourrait être utile plus tard si le
gouvernement change naturellement.
Cinquièmement, je recommanderais que l'Etat ne fasse pas tout son
possible pour que tous les cataclysmes qui surviennent lui soit imputés
par le peuple. Cela ressort très clairement de ce que j'ai dit
tantôt. Au train où vont les choses, toutes les colères,
toutes les grèves, toutes les impatiences se dirigent vers le Parlement
car l'Etat est source et cause de tout. Par contre, aucune joie, aucune
gratitude ne conflue au même endroit car l'Etat ne fait pas de cadeaux et
n'a pas droit à la gratitude. Il en fait parfois à ses amis,
c'est tout. Il exerce la justice pour le peuple. Les députés et
les ministres sont bien payés, ils ne font que leur devoir. Quand tout
va bien donc, c'est la faute du peuple. Quand cela va mal, c'est votre faute.
Est-ce que les gens ont complètement tort de raisonner comme cela?
Serviteur du bien commun, c'est plus beau à dire qu'à vivre, je
pense.
Sixièmement, je recommanderais de beaucoup retarder une
législation qui voudrait coiffer et domestiquer l'activité
sociale des citoyens. C'est à ce niveau de l'activité sociale que
la civilisation nouvelle s'élabore. Il y a des bouillonnements qui sont
nécessaires pour que naisse l'alcool au sein de la fermentation du jus
de la vigne. Si vous arrêtez tout, vous n'aurez jamais de vin. La
puissance normative de l'Etat et le contrôle des technocrates
étoufferont toujours la vie s'ils interviennent
prématurément. C'est très exactement ce que fera le bill
65. A moins qu'ayant tenté de comprimer la vie il n'en provoque
l'explosion. Ce serait bien le plus grand des malheurs.
Septièmement, je recommanderais qu'on commence par aider et
assister les organismes d'action sociale issus de tant de milieux urbains comme
le fait le fédéral, remarquez-le. Comme le fait le
fédéral. On a trouvé le chemin et on trouve des
subventions là-bas. Imaginez donc. Et pas un cent ici, jamais, jamais,
jamais. On nous dit: C'est merveilleux votre affaire, mais on ne peut pas.
Pourquoi? On n'a jamais pu le savoir non plus. Donc, aider et assister les
organismes d'action sociale de tant de milieux urbains. Ces organismes sont
parfois boiteux, c'est parce qu'il leur manque une chaussure. Achetez-leur un
soulier, messieurs, ils vont bien marcher après. Mais ils sont pauvres,
ils doivent tout faire. Moi, j'ai au moins huit métiers de
front que je mène parce que je ne peux pas faire autrement. C'est
pareil pour beaucoup de gens de mon coin au comité des citoyens. Donc,
essayons de les aider et de les assister sérieusement avant de leur
annoncer qu'ils sont devenus publics sans l'avoir demandé et qu'on les
fusionne de gré ou de force avec leur voisin descendu la veille, du ciel
parlementaire.
Huitièmement, je recommanderais que l'Etat renonce à
intervenir dans le domaine de l'action sociale à moins de payer le prix
de l'éducation et de la transformation de la mentalité des
humains. On ne change rien avec des structures. Je retrouve ce que disait le Dr
Laurin ce matin et ce que l'abbé Hurteau a dit également: la
substance et le contenu. Je recommande que l'Etat se rende compte que la chose
qui lui est la plus impossible, c'est d'éduquer. Il peut diriger par ses
lois, il peut contrôler par sa police, il peut conditionner par sa
propagande, il peut tenter de manipuler par l'action de tous les caïds des
organisations de partis; il ne peut pas éduquer. Qu'il ait donc la
modestie de le reconnaître et d'aider ceux qui ont quelques chances de le
faire, même s'ils sont curés ou pasteurs protestants.
Neuvièmement, je recommanderais enfin à l'Etat de ne pas
avoir peur. Au fond, j'ai l'impression que, si le bill 65 tire son origine des
visions de quelques technocrates, il a eu l'assentiment des élus du
peuple parce que ces derniers sont inconsciemment habités par la
peur.
C'est peut-être fort, ce que je dis là. Vous me direz que
vous n'avez pas peur si ce n'est pas vrai. Vous allez dire quelle peur? La peur
de perdre ses élections, la peur de ne pas avoir assez d'argent dans sa
caisse électorale, la peur de reculer et de se le faire dire par
l'Opposition, la peur de la révolution, la peur de la montée des
chômeurs et des prolétaires et toutes les autres peurs.
Je trouve que le monde est merveilleux. Il ne faut pas avoir peur; c'est
le temps de la création. Avec Dieu tous les soirs, voyons donc comme
cela est beau et très beau, ce temps où tout le monde redevient
adolescent et où le salut se fera par le ministère de ceux qui
auront su demeurer adultes, comme vous, messieurs.
M. CASTONGUAY: Monseigneur, on peut se parler; vous étiez
aumônier quand j'étais à la faculté.
M. LAVOIE: Nous étions à la même école.
M. CASTONGUAY: Il me semble que, dans votre mémoire, il y a des
choses extrêmement valables. Si vous me le permettez, je vais vous parler
aussi franchement que vous parlez. Dans votre mémoire, il y a des
sur-simplifications dangereuses. Dangereuses parce que des gens vous
respectent, vous écoutent et peuvent voir dans ce bill des choses qui
n'y sont absolument pas. Lorsque vous dites que nous voulons chapeauter toute
l'activité sociale par ce bill, je crois que c'est une grande
exagération.
Le bill ne vise qu'à l'organisation de services professionnels et
techniques qui doivent recevoir les finances de l'Etat pour pouvoir
fonctionner. Il vise aussi des services où il faut, je pense, de l'avis
de tous, qu'il y ait certaines normes de respectées. Il ne vise pas
à contrôler toute l'activité sociale. Lorsque vous parlez
des initiatives prises dans votre milieu par divers groupes pour
améliorer le milieu, pour faire en sorte que les gens prennent davantage
leurs responsabilités, je crois que ce sont des initiatives qui sont
valables. S'il fallait que le bill tende à détruire cela, ce
serait extrêmement mauvais.
S'il faut clarifier le bill, tout comme l'a mentionné le Dr
Laurin ce matin, pour mieux faire ressortir sa philosophie, son objet, sa
portée, nous sommes prêts à le faire. Il y a un point: Je
reconnais que le bill est peut-être un peu trop dénué de
contenu; c'est la deuxième ou la trosième fois que c'est
mentionné aujourd'hui. Nous allons faire un effort considérable
pour répondre à ce genre de réaction qu'il suscite.
Je voudrais aussi mentionner, parce que vous le dites à la fin
et ça peut être aussi assez dangereux si c'est pris au pied
de la lettre que ce projet de loi n'est pas adopté
présentement. Il est déposé et nous en commençons
l'étude aujourd'hui. Alors, il ne faut pas le prendre comme un bill qui
est approuvé, comme une loi, mais simplement comme un projet soumis
à l'étude. Ce matin, j'ai pris bien soin de mentionner que nous
étions disposés à y apporter toute modification qui
pourrait l'améliorer.
Vous avez aussi, je crois, repris, dans une optique bien
particulière, certains articles du bill et vous les avez associés
ensemble en y faisant voir ce que vous avez décrit comme un ensemble de
dispositions qui donne un pouvoir total à l'Etat, des pouvoirs
très discrétionnaires et absolus d'intervention. Maintenant, je
crois encore que là il y a une certaine simplification. Si l'on regarde
le bill dans son ensemble et sur ce plan, je crois qu'il serait utile, si de
notre côté nous faisons un effort sérieux de clarification
de ce qu'est la philosophie du bill, d'y introduire un contenu, comme on a dit,
de ne pas simplement garder ce que nous croyions nécessaires d'y
introduire, c'est-à-dire des dispositions portant sur un mode
d'organisation et non pas sur une philosophie. Donc, si nous faisons l'effort
d'y introduire ces éléments donnant les grands objectifs, la
philosophie du bill, je crois aussi qu'on peut demander, vis-à-vis des
remarques comme celles que vous avez faites et là je ne m'adresse
pas nécessairement à vous mais à d'autres groupes
de faire aussi des propositions un peu plus concrètes quant à des
articles où on semble voir des pouvoirs trop grands ou trop absolus.
Il est facile d'extraire un article d'un projet qui en compte 166 et de
dire, à partir de cet article, sans voir quels sont les contrepoids, en
faisant abstraction du fait qu'il nous faut aussi répondre à la
Chambre, en faisant aussi abstraction du fait que nous devons répondre
aux
élections, malgré le peu de confiance que vous semblez
avoir dans notre système parlementaire, dans notre système
électoral il nous faut malgré tout répondre, aussi
, il est assez facile, dis-je, de tirer un article comme vous l'avez fait
et de dire, à partir de cet article ou de la combinaison de deux
articles, qu'on veut s'approprier des pouvoirs absolus.
Je crois que si vous faisiez l'effort de nous faire des propositions
très concrètes pour réduire ces pouvoirs dans la mesure
où vous les voyez, vous verriez peut-être en faisant l'analyse
plus détaillée qu'il y a des contrepoids, qu'il y a des garanties
qui sont données. Si vous mettiez le doigt précisément sur
certains articles vus dans l'ensemble, qui à votre avis vont trop loin,
je l'apprécierais également et ce serait peut-être une
contrepartie de l'effort que nous allons faire. Il n'en demeure pas moins
ceci a été souligné, je crois, aujourd'hui, et vous
l'avez vous-même souligné qu'il est nécessaire
d'assurer une organisation des services de santé, des services sociaux
où les gens auront les services techniques, profesionnels avec
l'équipement que ça présuppose, avec une certaine
protection. Je pense que nous sommes là dans un domaine où il y a
des besoins essentiels qui doivent être distingués de
l'activité sociale, de l'action sociale, du dynamisme d'un milieu, que
je reconnais comme étant bien nécessaire et
particulièrement dans bien des endroits au Québec où
justement nous pouvons tous déplorer, comme vous le faites, une trop
grande apathie de la population. Ce n'est pas ce que vise le bill.
M. LAVOIE: M. le Président, puis-je me permettre d'ajouter un mot
à ce qu'a dit M. le ministre? Je suis très heureux que M. le
ministre dise qu'il faudrait que dans le préambule on mette autre chose
que ces notes préliminaires que j'ai lues, notes explicatives qui sont
plus terrifiantes que tout le reste. En fait une philosophie serait d'une
extrême utilité parce que c'est la philosophie dont nous nous
inspirons qui nous permet de voir où nous voulons aller et qui nous
permet en même temps d'interpréter certains des articles
décrivant un mécanisme tout simplement.
M. CASTONGUAY: Bien souvent, dans des discours je pensais que
vous me lisiez je n'avais pas besoin de...
M. LAVOIE: M. le ministre, si vous m'aviez demandé de faire un
mémoire sur votre pensée, j'aurais fait quelque chose de bien
différent de ce que j'ai fait là.
Mais, encore une fois, je vous le disais tantôt, j'ai vu ce bill
administré par un autre parti que celui qui est au pouvoir, à un
moment donné, et c'est à ce moment que je me suis mis à
trembler.
J'ajouterai peut-être aussi quelque chose. L'article 83, au sujet
des fusions et des conver- sions, ne laisse pas d'autre issue que la fusion
pour les institutions de même catégorie et pour ceux qui ont des
objets similaires. Or, nous, par besoin de nature, nous avons
créé à peu près tout ce que vous pouvez
créer d'autorité, nous l'avons créé
spontanément en bataillant, en luttant, en surnageant malgré tout
et sans aide de personne. Vous savez très bien qu'on n'a jamais pu avoir
un cent pour financer la moindre de nos affaires lorsqu'il s'est agi de
l'ensemble du petit CLSC local que nous avons.
Le contrepoids dont parle le ministre, j'ai l'impression que dans le
bill il est surtout constitué par le lieutenant-gouverneur en conseil
sur la recommandation du ministre. Tous ces conseils d'administration, qui
peuvent être fort bien inspirés et fort ouverts sur toutes les
disciplines auxquelles ils ont à se référer pour
administrer leur entreprise, leur institution, sont, somme toute,
dominés par le lieutenant-gouverneur en conseil qui, d'après les
articles 130 et 133, peut légiférer, décider, abolir,
réprimer, faire tout ce qu'il veut à peu près n'importe
quand sans qu'il soit obligé de passer par le conseil d'administration.
C'est probablement que la garantie de paix et de sécurité, dans
l'application de la loi, que voit M. Castonguay vient surtout de ces
articles-là, les pouvoirs du ministre et du lieutenant-gouverneur en
conseil sur toutes les institutions qui naîtront de ce bill ou qui seront
fusionnées par ce bill, à partir de ce bill.
A ce moment-là, je me dis que la sécurité n'est pas
très grande. Elle est peut-être encore plus faible qu'autrement
parce que ce pouvoir, accordé au ministre, vaut ce que vaut le ministre.
Je fais grande confiance à M. Castonguay, mais comme il n'est pas
éternel, pas plus que moi, je me dis: Est-ce que le ministre,
étant changé, on n'aura pas bâti l'instrument le plus
puissant qui soit pour établir à l'intérieur du pays la
pire forme de dictature, celle même de la pensée? Je donnais
tantôt, avec un peu d'humour, l'exemple du directeur
général que l'on destitue parce que, n'étant pas malade,
il est réputé malade en vertu d'une décision du ministre.
A ce moment-là, sa maladie est peut-être rouge ou bleu alors que
ce n'est pas la couleur à la mode. C'est peut-être une maladie,
cela.
A ce moment-là, vous voyez un peu comment la puissance du
ministre peut être redoutable dans toute cette affaire-là.
M. LE PRESIDENT: Le député de Montmagny.
M. CLOUTIER (Montmagny): Si monseigneur me le permet, je voudrais
engager le dialogue quelques instants avec lui. Le ministre me souhaite bonne
chance. Je ne suis pas allé à l'école avec monseigneur,
mais de toute façon, on n'aurait pas été à
l'école longtemps ensemble parce qu'il était trop
indiscipliné; je pense bien qu'il aurait été obligé
de changer...
M. LAVOIE: En effet, je me suis fait mettre à la porte.
M. CLOUTIER (Montmagny): Monseigneur, nous recevons votre mémoire
avec autant d'humour que vous y en avez mis. Je crois que les remarques que
vous faites ne sont pas méchantes, dans le fond. Elles partent d'un bon
naturel. Vous êtes un observateur de la scène politique, vous avez
failli vous-même y entrer, vous y entrerez peut-être un jour car
c'est par l'intérieur que l'on corrige les lacunes et les
faiblesses.
Je reviens à une recommandation que vous avez faite. Dans la
première recommandation, vous suggérez que l'on dissocie
complètement le secteur médical du secteur social.
Vous-même, monseigneur Lavoie, qui oeuvrez dans ces deux secteurs par le
truchement de différentes corporations, différents
secrétariats je note au passage que plusieurs d'entre elles sont
nées durant le terme de la méchante Union Nationale...
M. LAVOIE: L'Esprit-Saint existait même à cette
époque-là.
M. CLOUTIER (Montmagny): Est-ce que vous voulez dire qu'il faisait
partie de notre comité consultatif?
M. LAVOIE: J'espère que oui!
M. CLOUTIER (Montmagny): Mgr Lavoie, voici ma question. Vous avez
certainement constaté que le médical et le social sont intimement
liés.
M. LAVOIE: Bien sûr.
M. CLOUTIER (Montmagny): Dans toutes ces organisations, dans tous ces
organismes que vous animez et dont vous vous occupez très
étroitement et dans lesquels vous travaillez, est-ce que cette relation
directe que vous constatez quotidiennement ne vous porte pas à conclure
que, davantage, on doit les rapprocher dans les structures, dans la
législation, plutôt que de les dissocier même si, dans leur
prolongement, dans leur action, évidemment, ils peuvent avoir une
approche différente? Cela me surprend un peu que vous arriviez avec une
recommandation aussi formelle, alors que depuis quelques années, tous
les gouvernements successifs se sont dirigés vers ce rapprochement du
médical et du social.
M. LAVOIE: M. le Président, ce que je vois, c'est ceci. C'est
qu'on a eu l'assurance hospitalisation et on a maintenant l'assurance-maladie.
C'est un état complètement nouveau. Je crois que c'est
véritablement révolutionnaire. Cela commande un
réaménagement des structures politiques de façon
absolument inévitable. Ou bien on abolit les deux assurances ou bien on
continue à marcher. Il n'est pas possible de ne faire que la
moitié du chemin. J'estime alors que, du côté
médicale, une loi, je ne dis pas exactement celle-là, mais une
loi est nécessaire une loi-cadre, une loi qui érige des
structures et qui permet de vivre à l'intérieur du nouveau
régime constitué par les deux types d'assurances dont on vient de
parler.
Je pense, d'autre part, que la profession médicale évolue
relativement plus, si ce n'est sur le plan scientifique. Elle n'a pas besoin
d'avoir des structures qui sont tellement différentes d'un siècle
à l'autre, me semble-t-il. Il y a par ci, par là, une branche
nouvelle qui survient, la podiatrie, la psychanalyse, il y a peut-être 25
ou 30 ans, la psychiatrie, mais enfin... Tandis que du côté
social, il y a une prolifération extraordinaire d'initiatives tout
à fait diverses et peut-être plus salutaires les unes que les
autres La dernière en liste est peut-être plus utile, en
définitive, que les autres. Je pense que c'est dans ce domaine social,
de la réaction des populations qui sont chez nous, d'une part, plus
malades que d'autres, qui ont une mortalité infantile plus forte que
d'autres, d'accord, mais qui sont d'abord des gens qui essaient de lutter pour
vivre et qui inventent, parce qu'ils sont tellement près de la
réalité que souvent, on n'a pas d'autre choix que d'inventer pour
pouvoir vivre. Alors ils sont forcés d'inventer, ce que l'Etat peut
difficilement faire, à mon avis.
Le citoyen qui est député ou ministre peut inventer dans
son coin, d'accord, mais, comme Etat, ce n'est pas facile d'inventer, je ne le
pense pas. Alors, nous, nous inventons sur le plan social. Nous essayons
d'inventer, de bâtir à partir du besoin de ceux qui sont 25 ans en
avant des autres. Cela, je le maintiens, par exemple. Le prophète
d'aujourd'hui, c'est véritablement celui qui est mal pris; ce n'est pas
celui qui est bien pris.
Alors, si on chapeaute trop vite, on n'a pas du tout la même
situation. C'est un monde en construction, en effervescence, en pleine
créativité. Or, la créativité du côté
social est infiniment plus forte que du côté médical, me
semble-t-il, excluant l'aspect scientifique du côté
médical. C'est pour cela, justement, que je trouve que ce n'est pas
facile de mettre les deux têtes dans le même chapeau. C'est
ça qui nous fait trembler. Imaginez-vous avec tout ce que j'ai
énuméré d'institutions que nous avons bâties chez
nous depuis six ans, tout un paquet ensemble, nous ne nous sentirions pas
menacés par le bill 65 du tout s'il ne touchait que l'aspect
médical des problèmes en laissant des portes ouvertes du
côté social peut-être, en préparant les chemins ou un
terrain où le social et le médical se rencontrent, mais sans
exiger que tout passe exactement dans le même laminoir. C'est ça
qui me fait peur.
M. CLOUTIER (Montmagny): Dans toutes ces institutions, ce sont
évidemment des conseils d'administration différents, mais est-ce
que
vous retrouvez, au sein de ces conseils d'administration, les
mêmes animateurs ou si vous avez diversifié davantage
l'éventail selon le type d'organisation?
M. LAVOIE: Il y a des membres variés dans les conseils
d'administration. Nous avons tenté quelque chose dans notre coin qui n'a
peut-être pas été tenté suffisamment partout.
Ailleurs, cela s'est fait aussi, quand même; on n'est pas seul. Nous
avons tenté de toujours réunir toutes les classes sociales dans
nos affaires.
M. CLOUTIER (Montmagny): Dans le bill 65, ce qui regarde la formation
des corporations, est-ce que ça va en complète contradiction avec
l'orientation que vous avez voulu donner à la formation de vos
corporations?
M. LAVOIE: Si on nous dit qu'il faut être fusionnés par un
monsieur qui descend directement du ciel parlementaire, comme je le disais
tantôt, vous imagninez qu'on n'est pas de bonne humeur tout de suite.
C'est certain qu'à ce moment-là ça équivaut, pour
nous autres, à une menace de meurtre, à une tentative de meurtre.
Lorsqu'on a construit de ses mains et qu'on a pioché là-dedans,
on les aime ses affaires, puis on nous dit: Maintenant qu'ils sont beaux, bien
douillets, vos petits bébés, on va les passer à un
père adoptif qui vient directement du ciel pour les prendre en main.
Cela revient à ça. C'est comme ça, le problème. Si
je disais tantôt que l'Etat ne peut pas éduquer, c'est parce qu'il
ne peut pas aimer. Pour éduquer, il faut aimer, il faut être
proche, il faut être dedans. Une maman ne peut pas éduquer son
enfant si elle n'est jamais là, vous le savez bien. C'est fondamental.
L'éducation se fait à travers le coeur, à travers les
tripes, à travers l'esprit et tout ce qu'on est
véritablement.
Donc, c'est pour cela que je dis que nous nous sentons, je crois que
tout le monde se sentira très menacé parce que, justement, on
nous offre de nous prendre nos petits, de nous les enlever et de nous dire: A
présent, arrangez-vous! Vous avez bien réussi, alors, changez de
père. Votre petit n'est plus à vous! C'est quelque chose qui est
contre la nature même de l'homme, ce qu'on propose de faire. Cette fusion
et tout le reste. On ne peut pas imaginer que la machine gouvernementale, dont
on se méfie, vous m'entendez, on ne peut pas faire autrement que de s'en
méfier! Et avant d'être dedans, vous vous en êtes tous
méfiés vous-mêmes. Je suis sûr que vous vous en
méfiez encore aujourd'hui. Vous vous méfiez au moins de celui qui
est dans la même machine, mais qui n'est pas de la même couleur !
Je suis convaincu de cela. Tout simplement parce que c'est puissant, c'est
tout! C'est parce que c'est puissant, on a toujours peur de ce qui est
puissant. Le tonnerre, les éclairs, etc, on a toujours peur de ce qui
est puissant.
M. CLOUTIER (Montmagny): Monseigneur Lavoie, ce n'est pas une question,
c'est une remarque que je voudrais faire, à ce moment-ci. Dans une
recommandation, vous parlez d'entreprises privées dans le secteur de la
santé, dans le secteur du bien-être. Vous dites, à la
recommandation no 4: "Je recommanderais de redonner existence et consistance au
secteur privé de l'hospitalisation tout en réprimant les abus des
requins de la santé." Je pense que, sur cette question de l'entreprise
privée dans le secteur hospitalier et dans le secteur du
bien-être, au cours des séances des commissions parlementaires, au
cours des réunions qui seront tenues par les parlementaires seuls, nous
aurons l'occasion de discuter beaucoup plus longuement de cette question qui,
je crois, jusqu'à maintenant dans les mémoires a
été touchée par vous et par l'abbé Hurteau,
particulièrement ce matin. Je ne crois pas que l'on puisse, du revers de
la main, comme semble le faire le bill 65, sauf si le ministre nous apporte
d'autres précisions, ne pas tenir compte que dans ce secteur il y a eu
je fais abstraction évidemment des déficiences et des
lacunes très graves, soit dans certaines régions ou dans
certaines institutions... Je ne crois pas qu'on puisse porter un jugement aussi
global et aussi sévère sur tout ce secteur privé qui, un
certain temps, avant la naissance des corporations publiques, soit dans le
domaine de l'enfance ou dans le secteur des personnes âgées,
particulièrement, ou dans le secteur des services sociaux, a
donné à la population des services dont elle avait besoin.
Je crois bien qu'il ne faudrait pas porter un jugement aussi global et
aussi sévère sans un peu évidemment pondérer et
voir s'il n'y aurait pas de place, moyennant certains critères que nous
avions commencé à étudier quand j'étais au
ministère, s'il n'y aurait pas certains secteurs d'activités,
dans le domaine des affaires sociales, dont les responsabilités
pourraient continuer d'être assumées par le secteur privé
et avec beaucoup d'avantages. Ne serait-ce que pour une saine émulation
avec le secteur public et ne serait-ce que pour permettre une comparaison avec
le rendement que l'on obtient dans le secteur public.
Pour ma part, je rejoins votre préoccupation quand vous dites
qu'on semble porter un jugement assez sévère sur le secteur
privé.
M. CASTONGUAY: Est-ce que je pourrais faire juste un commentaire? Comme
l'a mentionné le député de Montmagny, nous aurons
l'occasion d'y revenir. Ce que nous avons voulu faire, dans le projet de loi,
est une tentative, un essai valable de clarification de ce que devrait
être la notion de profit, dans le domaine des corporations avec but
lucratif, et en même temps clarifier ce que l'on entendait par notion
d'institution publique et privée. Il y a deux notions, ici il ne faut
pas l'oublier. Celle de profit, cela c'est une chose et on a essayé de
la clarifier. Dans le cas des institutions publiques
et privées, il ne faut pas voir plus dans le mot "public" qu'il
ne contient. Présentement, les hôpitaux généraux, en
vertu de la loi des hôpitaux, sont considérés comme des
hôpitaux publics. Malgré tout ce n'est pas la mainmise de
l'Etat.
Par contre, on appelle des institutions privées, des institutions
cela c'est dans le langage courant, concret qui sont
financées à cent pour cent par l'Etat, qui sont sans but
lucratif, qui sont composées de conseils d'administration qui
comprennent des membres de divers milieux. Pourquoi les appelle-t-on
"privées" par rapport à "publiques"? Je ne le sais pas. On a fait
une tentative de clarification, mais il ne faut pas voir plus non plus dans
cette tentative que ce qu'elle comporte, et si elle doit être plus
différente, encore là, pour autant que ce sont des tentatives de
clarification, il est tout à fait possible de le faire.
Maintenant, il reste un autre problème, et je n'ai pas
l'intention de l'escamoter ou d'éviter sa discussion. C'est qu'il y a
des institutions qui reçoivent des fonds de deux sources, des fonds du
gouvernement et des fonds de source privée, et qui sont des corporations
sans but lucratif. Cette question mérite probablement d'être
discutée, d'être approfondie. Cela en est une troisième, je
crois.
Sur ce point, je ne crois pas qu'on puisse faire des parallèles
parfaits avec d'autres secteurs. Il faut d'abord se rappeler quels sont les
services rendus par ces institutions. Est-ce qu'il s'agit purement de fonctions
d'hébergement? Si tel est le cas, ce n'est pas de même nature que
des services de santé ou des services sociaux.
Si ces institutions comportent la dispensation de services
professionnels, services techniques, services de santé, services
sociaux, c'est encore une autre chose. Il y aura évidemment à se
pencher sur ce problème. Mais il y a aussi et je crois qu'il
était peut-être nécessaire de le rappeler certaine
confusion présentement dans la perception de ce que recouvrent les
désignations que l'on fait d'institutions.
M. LAVOIE: M. le Président, est-ce que je pourrais poser une
question à M. le ministre? Comment a-t-on pu définir les mots
"institution publique" dans les termes qui sont employés à
l'article l b)? "Institution publique": une institution maintenue par une
corporation sans but lucratif. Il me semble que l'élément formel
dans une institution publique est qu'elle est rattachée à l'Etat
et qu'elle dépend de l'Etat. Donc, elle est publique parce qu'elle est
l'Etat présent à l'intérieur d'un tel secteur.
Dans la Loi des compagnies, je n'ai jamais vu une indication dans ce
sens disant qu'une corporation qui est toujours considérée comme
privée, parce qu'elle est érigée en vertu de la
troisième partie de la Loi des compagnies, devient publique
d'autorité comme celle-là. Il me semble que cela bouleverse
complètement la Loi des compagnies.
M. CASTONGUAY: Un instant, je suis à la recherche d'un
renseignement et je vais essayer de donner une réponse. Il y a aussi des
mystères, des aspects qui ne sont pas toujours faciles à
expliquer dans la rédaction des projets de loi. Dans la Loi des
hôpitaux, je vais vous donner la désignation que l'on fait.
Hôpital public: hôpital maintenu par une corporation sans but
lucratif. Tous nos hôpitaux maintenus par des corporations sans but
lucratif présentement, et c'est le cas d'environ 200, 250, sont
désignés dans la loi comme des hôpitaux publics. C'est le
cas dans le moment. Cette loi a été adoptée en 1961.
On a tout simplement repris cette définition parce qu'elle
semblait satisfaire. Je n'ai pas entendu de critique de cette
définition.
M. LAVOIE: Excusez-moi, M. le ministre, il me semble qu'il y a une
équivoque fondamentale au sujet du sens du mot "public" ici. Un
hôpital public, c'est un hôpital ouvert au public, alors ça
s'oppose à un hôpital privé qui est ouvert, disons,
à ceux qui le possèdent uniquement, disons un hôpital juif
pour les Juifs seulement. Je comprends ça comme ça. Mais, ici
c'est "institution publique" donc je prends le mot "public" dans un autre sens
complètement, pas en ce sens qu'il est ouvert à tout le monde,
mais en ce sens qu'il est rattaché à l'Etat.
M. CASTONGUAY: Oui, mais ce n'est pas le sens qu'il faut lui donner. Je
vais faire part de vos commentaires à nos légistes. Ils avaient
fait la même chose en 1961 et il ne semble pas que cela ait donné
trop de difficulté. Peut-être que là serait-il bon de
modifier...
M. LAVOIE: Quant aux cinq ou six corporations fondées...
M. CASTONGUAY: ... la définition compte tenu de vos
remarques?
M. LAVOIE: ... selon la troisième partie de la Loi des compagnies
qui se pensent privées, elles découvrent à un moment
donné qu'elles sont publiques, ça vous donne un choc au coeur
vous savez, c'était toute une gloire mais c'est aussi
inquiétant.
M. LE PRESIDENT: Le député de Saint-Sauveur.
M. BOIS: M. le Président, je remarque que depuis le début
de la présentation des mémoires, à l'exception d'un,
peut-être, depuis le matin, ce que l'on met en cause, ce n'est pas la
capacité ou les valeurs de la production ou de l'industrie du pays, ni
de l'ouvrier comme tel, mais je remarque que finalement ça glisse
toujours vers la faiblesse d'un système financier qui est dû au
capitalisme actuel sous lequel nous vivons. Je crois, M. le Président,
que si le gouvernement actuel voulait simplement se prévaloir des
suggestions que nous lui faisons et
c'est le seul point sur lequel je vais différer de l'opinion de
monseigneur Lavoie, nous serions en mesure de le priver du plaisir de nous voir
administrer ce bill. En réalité, le gouvernement nous aura
empêchés du grand plaisir d'avoir à le révoquer
parce que si l'économie était appropriée, demain matin,
nous serions en mesure de mettre des milliers d'hommes au travail et un
père de famille qui a un salaire est capable de faire vivre ses enfants.
Je comprends le besoin de lois comme celle que l'on nous apporte
présentement parce qu'en réalité nous allons vers la fin
des choses et non pas vers la cause des maux.
M. le Président, je suis très heureux d'avoir pris
connaissance de tous les mémoires qui ont été
présentés aujourd'hui, mais une grosse partie de ces
mémoires visent toujours à la même chose et c'est celle que
je viens de mentionner. Je vous remercie.
M. LE PRESIDENT: Le député de Bourget.
M. LAURIN: M. le Président, je voulais juste ajouter un mot,
étant donné l'heure tardive. Monseigneur, votre réflexion
débordait largement le projet de loi 65.
M. LAVOIE: Cela paraissait moins que pour Mme L'Heureux.
M. LAURIN: Cela portait, au fond, sur l'évolution de la
société contemporaine, sur le rôle grandissant de l'Etat,
sur le rapport entre l'Etat et la population, tout ça appliqué
à notre société québécoise en particulier.
Je dois avouer que j'y ai pris un très vif intérêt et que
j'y reviendrai pour m'en inspirer, car je pense qu'il est valable à
plusieurs égards.
Je dois aussi avouer que, n'appartenant pas au gouvernement, j'y ai pris
un plaisir plus vif que le ministre. Mais en ce qui concerne vos
préoccupations profondes touchant le projet de loi 65, j'ai cru
discerner que vous faisiez peut-être trop peu état de
l'évolution qui, même dans le domaine médical, se poursuit
actuellement, non pas au strict point de vue de la discipline scientifique,
mais surtout au point de vue de l'assistance médicale, du système
de distribution de soins.
Il y a beaucoup de médecins qui, depuis une dizaine
d'années, se préoccupent énormément de l'incidence
sociale de leur discipline. Ceci se traduit dans les nouveaux modèles
que nous proposons pour la distribution des soins, le régime des
organisations. Là aussi, cette évolution peut souffrir, si on n'y
prend garde, d'un régime qui pourrait lui être proposé
d'une façon prématurée et qui l'enserrerait dans un
certain modèle. C'est une préoccupation que nous avons tous ici,
je pense, même si elle est moins vive que celle que vous avez dans le
domaine de l'action sociale. Je pense avoir bien compris votre
préoccupation quand vous disiez qu'il ne faudrait pas qu'un projet de
loi, avec le régime qu'il instaure, d'une part, cristallise ou
gèle trop tôt une évolution qui, de toute façon, est
en train de se faire et qui est prometteuse. Est-ce que je trahis votre
pensée en disant cela?
M. LAVOIE: C'est exactement cela.
M. LAURIN: Votre autre préoccupation, si je la comprends bien,
c'est celle qu'une action de l'Etat dans un domaine particulier qui est
très vaste, celui de l'action sociale et de la distribution des services
de santé, puisse nuire aussi aux initiatives qui se situent à
l'extérieur de ce cadre, mais d'une façon tellement proche
qu'elle entre définitivement et étroitement en relation avec ce
nouveau cadre qui est proposé.
M. LAVOIE: Et donc en conflit.
M. LAURIN: Moi aussi, je pense que c'est une préoccupation que
nous devons avoir à l'esprit. A cet égard, j'aimerais poser une
question au ministre. Est-ce qu'il sera possible aux offices régionaux
de santé de passer des contrats de service avec des comités de
citoyens qui, tout en oeuvrant dans le même champ, ont quand même
une orientation, des objectifs et des activités différentes, de
façon à complémenter ou à relier à un autre
niveau, d'une façon encore plus totale et plus bénéfique,
l'action totale des organismes communautaires, ceux de l'Etat et ceux de la
communauté?
M. CASTONGUAY: Bien, je pense qu'un des aspects, dans la question que
vous me posez, est assez important. Lorsque vous dites: Est-ce qu'il serait
possible pour un office régional de passer un contrat avec un
comité de citoyens, il va falloir se poser la question: Quel serait
l'objet de ce contrat? Est-ce que le comité de citoyens va être
engagé dans la distribution de services?
M. LAURIN: Oui, je pense précisément qu'il serait
très difficile, au départ...
M. CASTONGUAY: Quelle nature? ...
M. LAURIN: ... de préciser. Qui aurait pu prévoir, par
exemple, que ce Secrétariat social de Saint-Roch aurait fait surgir, en
moins de quatre ou cinq ans, des organisations comme loisirs communautaires,
ateliers, coopératives industrielles? Au fond, ce serait un contrat
comme certains organismes de recherche accordent à certaines
équipes à qui ils font totalement confiance. Nous vous donnons de
l'argent, nous savons qu'il sera bien employé, travaillez avec cet
argent et on verra bien après ce qu'on peut en concrétiser. Non
pas un blanc-seing, mais une sorte de contrat beaucoup plus large que celui qui
est habituellement le contrat qu'un gouvernement passe avec une institution
organisée pour telle ou telle fin spécifiquement.
Je pense que ces contrats ne pourraient pas
se passer avec n'importe quel comité de citoyens, avec n'importe
quelle organisation d'action sociale, mais avec, justement, des organisations
sociales ou des comités de citoyens qui ont fait montre d'un dynamisme
particulièrement remarquable et qu'on voudrait conscrire, mais sans leur
dire exactement quoi faire pour les oeuvres de promotion sociale et de
progrès social auxquels les gouvernements sont aussi
intéressés que tout autre.
C'est une avenue qui m'a été suggérée par le
mémoire de monseigneur Lavoie.
M. LAVOIE: Je peux ajouter un tout petit mot à ce que dit le Dr
Laurin? Je trouve que c'est une suggestion d'importance capitale.
Effectivement, quand vous donnez une subvention de $50,000 à un
chercheur dans un laboratoire de la faculté des sciences quelque part ou
même dans les ateliers de recherche du gouvernement du Québec,
vous ne lui dites pas: Mon garçon, là, avec $50,000, trouve-nous
cela. C'est ce qu'on fait. Si vous donnez un contrat de recherche sociologique
à un sociologue qui veut vous décrire la réalité
à partir du passé, vous lui donnez $50,000 et vous lui dites:
Produits un bouquin, après ça, tu as ton argent et c'est
fini.
Mais quand on veut faire du laboratoire vivant, une
expérimentation sociale à partir du psychosocial, du
psychosomatique, à partir de ce phénomème d'une population
qui est 25 ans en avant des autres parce que ça fait 25 ans qu'elle est
malade, on n'est pas capable d'avoir un sou. Parce qu'on est
présumé incompétent et presque, j'allais le dire,
imbécile, on doit prouver que cela a du bon sens, notre affaire et
personne ne vient voir, par-dessus le marché, ce qu'on fait. Cela, je
vous avoue que c'est vrai. On n'est pas capable d'avoir quoi que ce soit, ni au
fédéral ni au provincial.
On peut avoir de l'argent pour une "patente" précise. Exemple:
vous allez à Vancouver avec une vingtaine de familles, vous avez
$22,000. Pas de problème de ce côté-là; ça va
bien. Ce ne sont que les pieds qui marchent, dans ce voyage; c'est un
détail dans notre affaire. On voudrait avoir de l'argent pour alimenter
la tête qui fait marcher tout le reste chez nous et on ne peut pas avoir
un sou. Il y a une méfiance chronique vis-à-vis des gens qui sont
dans un milieu qu'on dit défavorisé. Cette méfiance
chronique est, je pense, l'un des préjugés de classe les plus
néfastes qui soient parce qu'on devrait nous traiter comme des
prophètes et non pas commes des parias.
M. LE PRESIDENT: Au nom des membres de la commission, je remercie
monseigneur Lavoie et les autres qui ont présenté un
mémoire.
La commission ajourne ses travaux au 16 septembre, à dix heures
du matin.
(Fin de la séance: 18 h 18)