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Version finale

29th Legislature, 2nd Session
(February 23, 1971 au December 24, 1971)

Tuesday, August 24, 1971 - Vol. 11 N° 75

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Projet de loi no 65 - Loi de l'organisation des services de santé et des services sociaux


Journal des débats

 

Commission permanente des Affaires sociales

Projet de loi no 65 — Loi de l'organisation

des services de santé et des services sociaux

Séance du mardi 24 août 1971

(Dix heures dix minutes)

M. FORTIER (président de la commission permanente des Affaires sociales): A l'ordre, messieurs !

Il me fait plaisir de souhaiter la bienvenue à chacun. Après que le ministre aura fait un énoncé de principe, les membres du comité pourront, évidemment, donner leur opinion et nous entendrons ensuite les différents organismes.

S'il y a des membres de ce côté-ci qui veulent adresser la parole, il faudrait qu'ils aillent au micro pour pouvoir parler. M. Castonguay.

Procédure

M. CASTONGUAY: Merci, M. le Président. Avant de faire un exposé général de ce projet de loi, il me semble qu'il y aurait peut-être lieu de dire quelques mots quant à la procédure qu'il paraîtrait utile de suivre, étant donné le nombre assez élevé d'organismes qui, jusqu'à ce jour, ont exprimé le désir de se faire entendre par la commission.

Le secrétariat des commissions a déjà reçu, selon la liste qu'on m'a remise, 28 demandes. Ce que je proposerais, si les membres de la commission sont d'accord, c'est que nous demandions au secrétaire des commissions de communiquer avec tous les organismes afin de leur demander de nous faire parvenir leur mémoire au moins une semaine avant la prochaine séance, si ce sont des organismes qui doivent être entendus lors de la prochaine séance.

Il me semble également qu'il va nous falloir prévoir une troisième séance au début d'octobre. La même règle s'appliquerait donc pour les organismes qui seraient entendus au début d'octobre; nous leur demanderions de nous faire parvenir leur mémoire au moins une semaine à l'avance. Selon la teneur des mémoires, nous pourrions également tenter de fixer un horaire pour chacune des séances, de telle sorte que les organismes convoqués aient une allocation de temps raisonnable et qu'il soit possible d'entendre au cours d'une même journée tous les organismes convoqués.

Si une quatrième séance s'avérait nécessaire à cause du nombre des organismes, il serait toujours temps de la prévoir. C'est un premier point, il me semble, qu'il serait peut-être important de fixer entre nous. Un second: selon la première réaction vis-à-vis des communications que nous avons reçues, il est possible qu'un certain nombre d'organismes, soit par manque d'informations de notre part ou pour d'autres raisons, aient des points de vue à exposer qui portent davantage sur d'autres législations à venir, telles les lois sur les corporations professionnelles.

Alors, étant donné, encore une fois, le grand nombre d'organismes qui ont demandé à se faire entendre, il me semble que, compte tenu du fait que le dépôt de ces lois a été annoncé — il apparaît au feuilleton de l'Assemblée — nous devrions, si telle est la teneur des mémoires, demander aux organismes de revenir lors de l'étude de ces projets de loi afin de ne pas confondre deux questions qui sont d'ordre différent.

Alors, ce sont les deux points avant de passer à l'étude spécifique du bill 65. Peut-être, M. le Président, pourrions-nous demander l'opinion des membres de la commission et nous entendre sur cette procédure au départ.

M. CLOUTIER (Montmagny): M. le Président, je suis parfaitement d'accord quant à la suggestion que le secrétaire des commissions communique avec chacun des organismes pour voir la possibilité d'obtenir, une semaine avant les séances de la commission, copie des mémoires. Evidemment, j'imagine qu'on prendra des dispositions aussi, comme ça se fait d'habitude, pour que les membres de la commission reçoivent copie de ces mémoires afin qu'ils puissent en faire une étude de façon que nous puissions un peu les disséquer et préparer aussi notre travail d'interrogation et de dialogue avec les organismes qui viendront ici devant la commission.

Il était facile de prévoir, évidemment, que les deux seules séances de la commission qui avaient été prévues à ce jour ne seraient pas suffisantes. On le voit par le nombre de mémoires et il est question d'une troisième et d'une quatrième séance. De toute façon, il n'est pas question pour la commission de bousculer les travaux parce qu'il s'agit là d'un projet de loi extrêmement important qui touche tellement de personnes et d'institutions dans le vaste secteur des affaires sociales. Je crois que la commission prendra tout le temps nécessaire pour faire une étude approfondie du projet de loi.

M. CASTONGUAY: Me permettez-vous simplement une question? Etes-vous d'accord sur le principe que nous essayions de fixer un horaire pour les séances? A tout le moins pour la prochaine, le 16 septembre, convoquer, par exemple, sept ou huit organismes, selon la longueur ou le type de questions soulevées dans les mémoires, réserver une certaine période de temps à chacun. Si cette façon de procéder fonctionne bien, on pourrait faire de même pour la séance qui suivra au lieu de convoquer un trop grand nombre d'organismes, de donner parfois passablement de temps à un organis-

me et être obligé de restreindre vers la fin un autre comme ça été un peu le cas lors de l'étude du bill 69.

Est-ce que vous seriez d'accord qu'on essaie cela?

M. CLOUTIER (Montmagny): Il est préférable, évidemment, de fixer un tel horaire et de permettre aux organismes qui viennent ici de se faire tous entendre, mais sans cependant les priver, priver qui que ce soit de son droit de parole, ce qu'il faut éviter. Vers la fin du travail des commissions, il se produit énormément de répétitions dans les mémoires, et c'est normal. Alors, on ne nous en voudra pas si, au moment des répétitions, on passe un peu plus rapidement, parce que tout le monde pourra retrouver dans le journal des Débats une discussion de fond qui a été faite sur un problème particulier. Ce n'est pas l'intention du ministre, je crois bien, de restreindre le droit de parole de qui que ce soit, mais de fixer plutôt un plan de travail qui va nous permettre de passer plus rapidement à travers l'audition des mémoires.

M. LAURIN: Je suis d'accord, moi, que tous les points de vue soient exprimés, ce qui ne correspond pas toujours avec le nombre des associations puisque, en réalité, certaines associations, certains groupes ou individus vont se répéter, mais j'aimerais quand même que tous les points de vue soient exprimés, quitte à ce que les membres de la commission procèdent plus rapidement lorsqu'ils s'aperçoivent qu'il y a des répétitions.

Je suis aussi pour la fixation la plus précise possible d'un calendrier de travail pour éviter à ceux qui viendront ici les inconvénients de venir simplement écouter, alors qu'ils aimeraient parler. J'ajouterais cependant quelque chose à la suggestion du ministre. Est-ce qu'il serait possible, comme pour le projet de loi 69, de réserver, après que tous les représentants se seront fait entendre — les représentants des divers points de vue — une réunion de la commission entre parlementaires pour que nous puissions faire le point sur tous les mémoires qui ont été présentés et que nous puissions, à notre tour, présenter nos points de vue?

M. BOIS: M. le Président, j'endosse le point de vue qui vient d'être exprimé ici à l'effet que tous les organismes qui ont soumis des mémoires puissent être entendus d'une façon adéquate, même s'il y a parfois des répétitions. J'endosse aussi le point de vue que la commission parlementaire devrait se réunir pour faire l'étude complète du bill, même avant qu'il soit soumis en deuxième lecture.

M. CASTONGUAY: Vous êtes d'accord également sur la nécessité ou sur le fait que nous tentions de tracer un programme de travail, un horaire de travail, pour la prochaine séance? On verra si ça fonctionne bien et s'il y a lieu d'ajuster pour les séances subséquentes. Quant à la tenue d'une séance au terme de l'audition des mémoires pour faire le point, je suis tout à fait d'accord. Je pense bien que c'est le but réel de ces séances de commissions.

M. LE PRESIDENT: M. Castonguay, vous avez des principes généraux à énoncer.

Objectifs

M. CASTONGUAY: M. le Président, avant de débuter mon exposé général du projet de loi qui, évidemment, ne prend pas tout à fait la même forme que si nous étions au niveau de la deuxième lecture, je voudrais rappeler d'abord, de façon très sommaire, les grands objectifs du ministère des Affaires sociales et tenter de préciser les objectifs les plus fondamentaux de ce projet de loi. Je pense qu'il est important de mentionner qu'en ce qui a trait à ces objectifs fondamentaux, il nous apparaissent suffisamment importants pour que, de façon générale, ils ne puissent être profondément modifiés, à moins que l'on démontre clairement le bien-fondé des modifications profondes à ces objectifs.

Par contre, au plan des modalités, je voudrais mentionner dès maintenant, et aussi clairement que possible, que nous voulons faire en sorte que ce projet de loi réponde le mieux possible aux objectifs fixés. C'est pourquoi, je veux l'indiquer également dès maintenant, nous sommes tout à fait disposés à apporter tout changement qui serait de nature à améliorer ce projet. La rédaction d'un tel projet est une entreprise extrêmement complexe et difficile. Nous n'avons pas la prétention d'avoir le dernier mot ou d'avoir apporté la réponse idéale à tous les problèmes qu'il soulève. C'est pourquoi, au plan des modalités particulièrement, nous sommes tout à fait disposés à envisager tout changement de nature à améliorer le projet.

Après cette description ou cette définition des objectifs fondamentaux du projet de loi, je voudrais donner une description des aspects détaillés pour en faire une synthèse aussi claire que possible ou en donner un aperçu aussi clair que possible étant donné l'ampleur du projet, sa complexité et enfin faire quelques commentaires d'ordre général.

En ce qui a trait aux grands objectifs du ministère des Affaires sociales, je crois qu'il est important de rappeler que la politique du ministère a pour but général de mieux adapter les services aux besoins de la population, de les rendre plus accessibles et aussi d'en assurer la continuité. Cette politique est nécessaire pour atteindre les grands objectifs sociaux du ministère des Affaires sociales, à savoir l'amélioration de l'état de santé de la population, l'amélioration des conditions sociales des individus, des familles et des groupes, ainsi que l'état du milieu où s'inscrivent leurs activités.

La réalisation de cette politique doit évidemment se faire dans le cadre de la responsabilité de l'Etat d'assurer une allocation des ressources humaines et financières aussi juste et rationnelle que possible et aussi dans le cadre de la responsabilité de l'Etat d'exercer le contrôle nécessaire sur l'utilisation de ces ressources.

Pour atteindre ces fins, il faut un cadre adéquat de services de santé et de services sociaux. C'est le but que vise le bill 65, c'est-à-dire de fournir un cadre qui puisse permettre d'appliquer les politiques et programmes du ministère des Affaires sociales, de les adapter et de les modifier selon les exigences diverses de l'évolution des besoins, des ressources et des connaissances. Une bonne organisation, une organisation cohérente est nécessaire pour assurer la réalisation ou la mise en application efficace des politiques et des programmes.

Il s'agit donc essentiellement — je crois que ce point est très important — d'une loi touchant, comme son nom l'indique, l'organisation des services. C'est la raison pour laquelle elle ne traite pas des programmes de santé et des services sociaux comme tels ou encore de la philosophie plus précise qui pourrait sous-tendre des politiques particulières ou des programmes particuliers.

Cette définition très générale des objectifs ou de la politique sociale du ministère est un cadre très général à travers lequel on doit examiner plus précisément maintenant les objectifs fondamentaux du projet de loi no 65. Comme je l'ai déjà mentionné d'une façon plus générale, l'objectif le plus fondamental, je crois, de ce projet est d'assurer à la population l'accessibilité et la continuité des services de santé et des services sociaux.

Aussi, il devient donc nécessaire de relier les différents éléments du réseau général des institutions et des services sur la base d'une complémentarité tant au niveau des objectifs qu'au niveau des fonctions, des programmes et des activités qui en découlent.

Les implications d'une telle approche supposent, entre autres, une décentralisation des moyens d'intervention vers les offices régionaux des affaires sociales dont la création est proposée par le projet de loi.

Les implantations de cette approche supposent également une intégration, au niveau des centres locaux, de services communautaires sur deux plans: une intégration au niveau de l'approche même des problèmes de l'individu, de la famille et des groupes; également une intégration au niveau de la formation des équipes qui, par voie de conséquence, devront être polyvalentes et multidisciplinaires. Ici, il est peut-être important, j'y reviendrai, de préciser que ce projet de loi ne touche pas les autres modes de distribution de services qui n'entrent pas dans le cadre des définitions données par le projet de loi, par exemple, l'exercice autonome d'une profession en cabinet privé, je pense en particulier aux médecins.

Troisièmement, la poursuite des grands objectifs, dont est responsable le ministère des Affaires sociales, suppose également, à titre d'objectif fondamental, la nécessité de relier les programmes de prévention aux activités de traitement, de même que la condition des individus et des familles à leur milieu de vie où naissent et se développent un grand nombre des causes des divers désiquilibres que visent en définitive nos politiques.

Elle suppose également, pour des raisons qui ont été longuement discutées et qui le seront sans doute lors de l'étude des lois sur les corporations professionnelles, le maintien du contrôle de l'acte professionnel par les professionnels eux-mêmes. Ici, les exigences du respect de cet objectif seront plus clairement définies selon qu'il s'agit d'actes professionnels relevant de professions qui doivent être fermées, de par la nature des actes qu'ils posent, ou, en d'autres termes, que ces actes ne peuvent être posés que par les membres de cette corporation. De toute façon, nous aurons l'occasion de revenir sur cette question lors de l'étude des lois sur les corporations professionnelles.

Quant aux autres objectifs, même si je les situe au plan des objectifs fondamentaux, je pense qu'il paraît nécessaire de faire une distinction puisque, dans tous les cas, il me semble, ils se situent au plan des moyens précis à être utilisés. Avant de les énumêrer, je pense qu'il est bon de rappeler ici que, dans un assez bon nombre d'institutions, on constate ou on est témoin d'une certaine stabilité qui va à l'encontre du besoin de dynamisme ou de renouvellement nécessaire des institutions, à l'époque où nous vivons, compte tenu de l'évolution rapide des besoins et aussi des modes d'intervention.

Aussi, nous devons tenir compte de la faiblesse de l'administration de plusieurs institutions. Bien souvent il ne s'agit pas nécessairement des individus en cause qui sont à la source de cette faiblesse, mais bien souvent la taille des institutions elles-mêmes ou encore d'autres facteurs. Nous aurons l'occasion d'y revenir. Si je fais cette précision, je ne vise personne en particulier en soulignant la faiblesse de l'administration de plusieurs institutions. Ce qui apparaît important, soulignant ces deux caractéristiques d'un certain nombre d'institutions, c'est que les effets se traduisent par des services trop souvent ou bien souvent inadaptés aux besoins. Les effets aussi se traduisent dans bien des cas par une mauvaise utilisation des ressources, aussi bien en termes de personnel, d'équipement, de ressources financières. Ils se traduisent aussi en termes de coûts élevés.

Ces objectifs sont :

Premièrement, la nécessité de bien établir la composition des institutions, de telle sorte que toutes les parties en cause y soient représentées, et aussi prévoir le renouvellement, particulièrement au niveau des conseils d'administration, des membres de ces conseils.

Deuxièmement, la nécessité de bien partager

les responsabilités au plan de la planification, de la programmation, du financement et de l'administration, de la distribution des services, afin qu'à chaque niveau, soit au niveau du ministère, des organismes régionaux, au niveau également des institutions, chacun puisse, le plus efficacement possible, s'acquitter de ses responsabilités propres.

Nous avons déjà eu l'occasion de discuter cette question lors de l'étude des crédits du ministère. Je relisais le journal des Débats. Nous avons étudié les structures du ministère. Je pense que, pour le moment, il ne serait pas opportun de reprendre un exposé détaillé du partage des responsabilités que nous envisageons.

Troisièmement, à l'intérieur des institutions, la nécessité de distinguer entre l'administration générale de l'institution et l'organisation et la distribution des services professionnels, tout en respectant la nécessité fondamentale ou la nécessité d'assurer une administration efficace, selon le principe de l'unité de direction.

Mais, comme je l'ai mentionné, au niveau des principes fondamentaux, des objectifs fondamentaux, tout en respectant également le besoin de laisser aux professionnels eux-mêmes, avec les nuances que j'ai faites, le contrôle de l'acte professionnel lui-même.

Au niveau de l'approche même des problèmes de l'homme, c'est-à-dire particulièrement au niveau des unités ou des institutions qui sont chargées de maintenir le lien le plus immédiat, le plus constant avec les individus, les familles et les groupes, c'est-à-dire au niveau des CLSC, dont la création est proposée par le bill 65, la nécessité de prévoir dans l'administration de ces services une plus grande participation de la population qui reçoit ces services.

Toujours au plan de la participation, la nécessité d'introduire, malgré les difficultés que présente la recherche de formules adéquates de participation, aux divers niveaux des institutions responsables de la distribution des services cette participation, compte tenu du fait par contre qu'à mesure que les institutions sont responsables de dispenser des services plus spécialisés ou encore se situent à un niveau où s'introduisent des fonctions plus générales de planification, de contrôle, la nécessité d'introduire en contrepartie à ces niveaux une participation alors accrue des responsables de la distribution des soins.

Enfin, compte tenu de la responsabilité du ministère des Affaires sociales d'assurer à la population les services de santé, les services sociaux dont elle a besoin, la nécessité d'un pouvoir d'intervention rapide et souple au niveau du ministère des Affaires sociales ou encore des offices régionaux des affaires sociales. Au cours des années ou au cours des derniers mois, cette nécessité a été démontrée, à mon sens non seulement au plan des principes, mais aussi au plan très concret. Nous avons des situations sur lesquelles nous pourrons revenir au besoin lorsque nous discuterons cet aspect plus particulier du projet. Cette énumération complète, à notre sens, celle des objectifs les plus fondamentaux que vise le projet de loi 65.

Au plan des dispositions de ce projet de loi, j'aimerais en faire une énumération aussi rapide que possible, mais il m'apparaît nécessaire de le faire de telle sorte qu'à travers le grand nombre de dispositions que le projet de loi contient on puisse en faire ressortir les aspects les plus importants. Le projet met donc l'accent en premier lieu sur la décentralisation des services, la participation des citoyens à leur gestion et la clarification des responsabilités du gouvernement, du ministre des Affaires sociales et des institutions.

Deuxièmement, le projet prévoit la création d'offices régionaux d'affaires sociales qui serviront de lien entre la population, le ministre des Affaires sociales et les institutions, et qui auront certaines fonctions de programmation et de surveillance sur ces institutions, de façon qu'elles satisfassent le mieux possible les besoins de la population. Les offices régionaux conseilleront également le ministre des Affaires sociales quant aux besoins régionaux dans les domaines de la santé et des services sociaux.

Troisièmement, les offices régionaux seront institués dans les régions que déterminera le gouvernement. Il est important, je pense, de spécifier que tous les offices régionaux ne seront pas institués en une seule étape ou en une seule opération.

Quatrièmement, le gouvernement pourra conférer, en tout ou en partie, les pouvoirs que le projet de loi permet à un tel office d'exercer. Même principe quant à la délégation de pouvoirs à ces offices.

Cinquièmement, le projet de loi prévoit que le ministre des Affaires sociales préparera, en consultation avec les offices régionaux, des plans quinquennaux de développement, lesquels devront être approuvés par le gouvernement sous forme de tranches annuelles.

Sixièmement, les offices devront, chaque année, transmettre au ministre les projets de budgets des institutions que celles-ci lui adressent, également y joindre leurs recommandations.

Septièmement, chaque office sera administré par un conseil d'administration formé du directeur général et de vingt membres représentant la population, les universités et les diverses catégories d'institutions.

Huitièmement, l'administration courante des offices relèvera d'un comité administratif formé du directeur général et de quatre membres du conseil de l'office.

Neuvièmement, le gouvernement nommera le directeur général de l'office à même une liste de trois noms soumise par le conseil de l'office.

Dixièmement, chaque office sera investi d'un pouvoir d'enquête à l'égard des institutions situées dans sa région.

Onzièmement, chaque office sera doté d'un

pouvoir règlementaire s'appliquant aux institutions et devra soumettre chaque année un rapport qui sera déposé devant l'Assemblée nationale.

Douzièmement, le projet de loi prévoit la création de nouvelles institutions, connues sous le nom de centres locaux de services communautaires, qui seront appelées à recevoir les personnes ou familles qui requièrent des services de santé ou des services sociaux, des conseillers, à les diriger vers les institutions les plus aptes à leur venir en aide, et si nécessaire, à leur prodiguer elles-mêmes les services de santé ou les services sociaux courants dont ils ont besoin.

Treizièmement, la moitié des membres des conseils des centres locaux de services communautaires seront élus directement par la population qu'ils desservent.

Quatorzièmement, les hôpitaux seront désormais connus sous le nom de centres hospitaliers; les agences de service social, sous le nom de centres de service social; et les divers foyers pour personnes âgées, foyers nourriciers, services d'adoption, etc., sous le nom de centres d'accueil.

Ici, je voudrais bien préciser que, si ces appellations n'apparaissent pas adéquates pour les fins du projet de loi, nous sommes encore disposés à les modifier. Ce qui nous apparaît important de faire, c'est qu'étant donné la nature du projet de loi qui est de déterminer un cadre pour le fonctionnement, la mise sur pied, l'opération des institutions, il fallait également établir certaines catégories. Ces descriptions ou ces appellations sont donc proposées dans ce contexte.

Quinzièmement, ces diverses institutions verront leurs structures internes modifiées suivant une formule mieux adaptée aux exigences de l'heure et qui consacrera la participation à leur gestion de la population, des corps intermédiaires, des professionnels et du personnel qui constituent leur clientèle, leurs moyens d'action et également leur soutien.

Seizièmement, le conseil d'administration d'un centre local de services communautaires se composera de dix personnes; celui d'un centre hospitalier et d'un centre de service social, de quatorze; et celui d'un centre d'accueil, de huit, et des répartitions précises sont prévues.

Le projet de loi prévoit également un mécanisme selon lequel des groupes particulièrement intéressés à la vie d'une institution ou à aider cette institution pourront être maintenus ou formés.

Dix-septièmement, le projet de loi établit clairement le principe de l'unité de direction dans chacune des institutions. Cette direction sera exercée par un directeur général responsable à un comité administratif composé de représentants du conseil d'administration de l'institution et du directeur général.

Dix-huitièmernent, l'administration courante de l'une ou l'autre de chacune de ces catégories de centres ou d'institutions relève d'un comité administratif formé du directeur général de l'institution et de quatre membres du conseil. Au moins un et pas plus de deux professionnels exerçant dans l'institution doivent faire partie du comité administratif.

Dix-neuvièmement, le directeur général de chacun de ces centres est nommé par le conseil d'administration et rémunéré suivant les normes et barèmes établis par le gouvernement.

Vingtièmement, le directeur général est responsable de l'administration de l'institution dans le cadre de ses règlements. Il devra notamment préparer le budget de l'institution ainsi que les plans d'organisation.

Vingt et unièmement, un conseil consultatif des professionnels est institué dans chaque centre hospitalier et centre de services sociaux. Il est composé de tous les professionnels exerçant leur profession dans le centre et il a pour fonction de faire des recommandations au conseil d'administration sur l'organisation scientifique et technique du centre.

Vingt-deuxièmement, sur l'avis du conseil des professionnels, le conseil d'administration de tout centre hospitalier ou centre de service social doit nommer un directeur des services professionnels responsable vis-à-vis du directeur général de l'organisation des services de santé, des services sociaux et, le cas échéant, de l'enseignement qui sera dispensé par les professionnels du centre.

Vingt-troisièmement, un conseil des médecins et dentistes est prévu dans chaque centre hospitalier. Ce conseil remplacera le bureau médical prévu par l'actuelle Loi des hôpitaux. Il est composé de tous les médecins et dentistes exerçant leur profession dans le centre et ses pouvoirs sont exercés par un comité d'au plus cinq membres élus annuellement par les médecins et dentistes du centre.

Vingt-quatrièmement, le conseil des médecins et dentistes est responsable, vis-à-vis du directeur des services professionnels, de la mise en place et du fonctionnement d'un mécanisme requis pour assurer le contrôle des actes professionnels posés dans l'institution ainsi que de l'appréciation des actes professionnels, médicaux et dentaires qui y seront posés. Il fait rapport au conseil d'administration.

Vingt-cinquièmement, le projet de loi donne au ministre des Affaires sociales et au gouvernement des pouvoirs d'intervention et d'enquête rapide lorsque des problèmes surviennent dans l'administration d'une institution.

Vingt-sixièmement, le projet de loi prévoit que les institutions qui demeurent ou deviennent des institutions publiques seront totalement subventionnées par l'Etat.

Vingt-septièmement, le projet de loi prévoit que les institutions privées devront choisir soit de faire leurs propres frais sans l'aide de l'Etat, auquel cas seul un permis sera exigé d'elles, soit d'être subventionnées pour leurs dépenses et pour une rémunération représentant le rende-

ment moyen du capital investi dans une entreprise du même genre dans la région où elles opèrent, auquel cas la loi s'appliquera à elles dans son entier.

Lorsque nous discuterons ce principe ou ces modalités, je crois qu'il sera assez important de rappeler que, dans bien des cas d'institutions dites privées, sinon dans la très très grande majorité, leur source de fonds, à toutes fins utiles unique, provient du gouvernement dans la situation actuelle.

Vingt-huitièmement, le projet de loi prévoit que toute institution privée ou publique devra, pour pouvoir dispenser des services de santé ou des services sociaux, détenir un permis délivré par le ministre. Il y aura un appel à la cour Provinciale de toute décision du ministre refusant, suspendant ou annulant un permis dans tous les cas où la décision n'a pas été rendue conformément à la loi.

Le projet de loi prévoit aussi la possibilité pour une corporation d'administrer plus d'un établissement et aussi la fusion d'établissements au sein d'une même corporation.

Vingt-neuvièmement, le projet de loi prévoit que toutes les institutions dispensant des services de santé ou des services sociaux devront, sauf qu'il s'agit d'institutions privées, dans les deux ans qui suivront l'adoption de la nouvelle loi, obtenir une nouvelle charte, soit en se convertissant en une corporation régie par la nouvelle loi, en se fusionnant avec une telle corporation ou, si elles le préfèrent, en cédant leur entreprise à une telle corporation.

Trentièmement, le projet de loi deviendra applicable à toutes les institutions, qu'elles aient ou non obtenu une nouvelle charte, un an après son adoption. Enfin, le projet de loi prévoit l'abrogation de la Loi des hôpitaux, de la Loi des hôpitaux privés et de la Loi de l'assistance publique, ainsi que des modifications à plusieurs autres lois dans le domaine de la santé et des services sociaux. Et, comme je l'ai mentionné au moment de l'étude des crédits du ministère, une loi de la santé mentale ou de l'hygiène mentale, un projet de loi, plutôt, sera déposé au cours de la reprise des travaux de la session à l'automne. Cette loi sera destinée à remplacer la Loi des hôpitaux psychiatriques et la Loi des hôpitaux pour malades mentaux ou détenus. J'oublie l'appellation, la description, le nom spécifique de ces deux projets. Voici pour la description des diverses modalités du projet.

Avant de terminer, j'aimerais faire certains commentaires généraux. Au moment de l'étude des crédits du ministère des Affaires sociales, on a demandé si ce projet de loi soulèverait des résistances ou des oppositions. A ce moment, outre les grandes lignes du projet que nous avions discuté ensemble, j'avais mentionné à l'époque que le projet n'avait rien, à mon sens, de révolutionnaire, qu'il se voulait plutôt une mise à jour, qui s'impose, de la législation de ce secteur, une meilleure adaptation de la législation aux conditions actuelles et aux besoins actuels. Je crois que l'exposé des objectifs et des modalités que je viens de faire respecte, dans ses grandes lignes, cette description que j'avais faite.

Toutefois, il m'apparaît évident que le bill 65 va soulever des objections, des résistances. A ce sujet, il m'apparaît important de rappeler qu'on ne saurait ignorer, au moment où ces objections seront formulées, qu'il existe présentement, dans le domaine de l'organisation des services de santé et des services sociaux, des déficiences sérieuses: la pénurie ou encore le déséquilibre de certains types de ressources par rapport à d'autres; la répartition inégale des ressources selon les besoins; bien souvent, l'incapacité d'agir efficacement et de façon proportionnée aux problèmes, de la part du ministère; les coûts élevés dans le secteur, coûts qui croissent à un rythme rapide, alors que les besoins demeurent encore très grands par rapport aux ressources.

Si je fais ces remarques, c'est qu'à la fois on ne peut exiger qu'il y ait des changements pour répondre à ces exigences et refuser, d'autre part, ces changements. Le projet de loi se veut une réponse en fait — et je l'ai mentionné au début — aux problèmes au plan de l'organisation des services et il constitue dans son ensemble, compte tenu de ces déficiences, de ces déséquilibres, un projet de loi essentiel.

D'ailleurs, c'est pourquoi, comme je l'ai mentionné au début, quant aux objectifs fondamentaux, il ne pourrait être modifié de façon fondamentale ou profonde sans qu'il existe des raisons extrêmement sérieuses. Au plan des modalités, c'est une tout autre affaire. Mais là, je voudrais faire aussi, au plan des modalités, une mise en garde. Il est évident qu'un certain nombre de ceux qui vont exprimer des points de vue devant cette commission vont trouver que le projet de loi va trop loin dans une direction donnée, et d'autres vont trouver qu'il ne va pas suffisamment loin.

Encore là, il ne sera pas possible de satisfaire tous et chacun. Je crois que ce qui importe le plus, c'est de se rappeler qu'il existe des problèmes, que nous sommes dans un secteur de services essentiels et que, si l'on a des objections sérieuses, il faut aussi apporter des propositions.

Il s'agit, encore une fois, d'un projet qui touche à l'organisation des services. Au plan des modalités, il n'existe pas de réponse parfaite ou absolue; que l'on invoque une théorie de la gestion ou de la participation par rapport à une autre, ce qui importe le plus, c'est d'en arriver, à ce stade, compte tenu des études et des discussions qui ont été faites au cours des années, à des propositions concrètes visant à améliorer la situation. Il ne nous apparaît pas que le statu quo soit possible.

De façon plus particulière, au plan de la participation, je crois que nous avons fait un effort valable pour reconnaître concrètement sa nécessité à tous les niveaux possibles, mais

également nous avons été obligés, concrètement, de tenir compte du fait qu'il ne s'agit pas d'une panacée et qu'il n'est pas possible de prévoir la solution de tous les problèmes par un degré plus grand de participation. Egalement, il nous a été extrêmement difficile, lors de la rédaction du projet de loi, d'introduire de façon bien concrète des mécanismes de participation qui seront à la fois valables et assez souples, tout en respectant le nécessité de fonctionnement des organismes chargés de la distribution des services, organismes qui, on ne peut l'oublier, sont complexes et sont chargés de responsabilités très précises et très grandes.

Toujours au plan des réactions possibles au projet de loi, je crois qu'il apparaît également important de rappeler qu'en tant que tel ce projet ne vise aucunement à hausser le niveau des dépenses publiques; au contraire, il vise plutôt que les dépenses considérables effectuées dans le secteur des affaires sociales le soient le plus efficacement possible. Le projet ne vise pas à créer de nouvelles ressources en tant que telles. Les ORAS, comme nous l'avons mentionné, ne seront pas mis sur pied en une seule opération. Lorsque l'on se réfère à de nouvelles désignations d'institutions, l'on n'a pas en tête la création de ces institutions par ce projet de loi, mais plutôt l'établissement de catégories, comme je l'ai mentionné.

J'attire l'attention sur ce point de nouveau, même si, pour plusieurs, il peut sembler que tout ceci est bien clair; il y a, à mon sens, un certain danger de confusion avec les étapes qui ont été franchies ou le mode d'approche qui a été adopté dans la réforme de l'éducation. Je ne voudrais pas faire ici le procès de cette réforme ou essayer de porter des jugements, mais à tout le moins, étant donné que pour bien des gens dans la population il est susceptible de se faire des parallèles entre la présentation, l'étude et l'adoption de ce projet de loi et la réforme dans le domaine de l'éducation, il m'apparaissait nécessaire de bien établir ce point le plus clairement possible.

Il me semble également important d'éviter de tomber dans des critiques trop faciles d'un tel projet de loi le qualifiant, par exemple, de lourd et technocratique. La rédaction d'un projet de loi n'est pas chose aussi facile qu'on pourrait le croire à prime abord. Il s'agit d'abord et avant tout d'un projet de loi et je crois que tous ceux qui ont eu à faire face à des litiges provenant d'une rédaction trop imprécise d'un projet de loi ou encore d'un projet contenant de belles affirmations mais qui n'étaient pas traduites dans des dispositions précises sont en mesure d'apprécier jusqu'à quel point il est nécessaire qu'un projet de loi soit rédigé de façon précise, qu'il contienne ce qui est essentiel, qu'il ne contienne pas ce qui est superflu ou ce qui pourrait l'être.

Malheureusement, la rédaction d'un projet de loi fait rarement un texte qui a tellement d'attraits ou qui est tellement intéressant à lire.

Il ne faudrait pas, à partir de la rédaction même du projet, porter des jugements sur son contenu. Pour nous, à mon sens, ce qui importe le plus c'est d'analyser le véritable contenu de ce projet.

En définitive et en résumé donc, il faut, à mon avis, au moment d'aborder l'étude de ce projet de loi, se rappeler que son but n'est pas de modifier tout le système actuel. Il s'agit beaucoup plus et avant tout d'un projet qui donnera un cadre d'organisation permettant d'ajuster, d'adapter, de modifier les ressources ou les services nécessaires pour répondre aux besoins de la population dans des secteurs où les services sont essentiels et aussi où les besoins sont beaucoup plus grands que les ressources dont nous disposons pour y répondre.

Merci, M. le Président.

M. LE PRESIDENT: Est-ce que les membres de la commission veulent entendre les représentations des organismes et ensuite faire leurs commentaires ou si on préfère que cela se fasse maintenant?

Remarques préliminaires

M. CLOUTIER (Montmagny): M. le Président, après l'exposé du ministre, je ne voudrais, à ce moment-ci de nos travaux, que faire un bref commentaire et on comprendra pourquoi. Il faudra évidemment relire attentivement la déclaration que le ministre vient de nous faire pour voir si on a pu traduire dans ce projet de loi la poursuite des objectifs fondamentaux que le ministre vient de nous décrire. On pourra, peut-être, être d'accord en substance sur certains objectifs qu'il a décrits comme l'accroissement de l'accessibilité aux soins, et de la continuité des soins. Je pense bien qu'aucun de ceux qui ont eu à travailler dans ce vaste secteur au cours des dernières années ne désire pas la poursuite de ces objectifs fondamentaux, ce que nous poursuivions également quand nous avons instauré un régime d'assurance-maladie.

Le ministre a dit, il y a un instant que certains pourront qualifier ce projet de loi d'une rédaction lourde et technocratique. Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement des projets de loi, parce qu'on nous a toujours expliqué qu'un projet de loi bien conçu devait être difficile de rédaction, tellement c'était technique. De toute façon, ce n'est pas ça que nous allons retenir et ce n'est pas ça que nous allons tenter de déceler dans le projet de loi. Nous allons tenter de déceler si réellement nous allons pouvoir atteindre les objectifs qu'il nous a décrits par ce projet de loi et si, par voie de conséquence, les modalités qui y ont été inscrites sont les meilleures ou celles qui assurent davantage la poursuite de ces objectifs.

Le ministre ne sera certainement pas surpris si nous lui disons immédiatement que nous désirerons discuter assez longuement de certaines modalités. D'ailleurs, il nous a ouvert une

porte en nous disant que ces modalités ne sont pas un dogme en elles-mêmes, mais qu'il est disposé à accepter, après l'audition des mémoires et après les travaux de la commission parlementaire, des modifications qui pourront améliorer le projet de loi.

Pour notre part, après les échanges que nous avions eus au cours de l'étude des prévisions budgétaires du ministère des Affaires sociales, nous ne sommes pas surpris que ce projet de loi ait été apporté. Il fait suite aux travaux de la commission Castonguay-Nepveu que nous avions nous-mêmes mise sur pied, en 1966, pour étudier tout ce vaste secteur de la santé, dans ses relations aussi avec le secteur du bien-être social.

Alors, on peut tenir pour acquis que cette législation fait suite aux travaux de la commission Castonguay-Nepveu, dont nous attendions le rapport avec beaucoup d'impatience.

Est-ce qu'on a traduit, est-ce qu'on a inscrit dans cette législation la substance, les objectifs ou l'orientation que les travaux de la commission ont voulu inscrire dans une législation ou dans une réorganisation des services de santé et des services sociaux?

C'est ce que nous allons vérifier également et c'est ce qui fera l'objet de discussions au cours de ces travaux. C'est ce que probablement plusieurs mémoires voudront souligner devant cette commission.

Le ministre nous dit que cette législation est opportune parce qu'il y a des déficiences peut-être plus considérables dans certains secteurs du bien-être social et de la santé, déficiences qu'il faut corriger. Il en a mentionné quelques-unes au passage. Je pense bien qu'il n'a pas voulu faire une étude exhaustive, de même qu'il n'a pas voulu mentionner, j'imagine bien, les déficiences pour nous montrer qu'il n'y avait que des faiblesses dans ce secteur mais qu'il y a aussi une tradition. Il y a tout un bagage, il y a toute une façon de procéder, une façon de dispenser des soins qu'on ne peut pas écarter du revers de la main sans examiner si on va remplacer toutes ces modalités de dispensation des soins par des mesures véritablement supérieures en efficacité et en qualité.

Il a mentionné au passage la stabilité des conseils d'administration ou de l'administration de nos institutions versus le dynamisme qu'on devrait y introduire. Il a mentionné la faiblesse de l'administration de certaines institutions, la mauvaise utilisation de certaines ressources de l'équipement. Pour ma part, je crois que tous ceux qui travaillent dans ce secteur sont conscients de ces faiblesses, mais cependant il ne faut pas généraliser non plus pour en arriver à conclure que le système est véritablement un système qu'il faut complètement écarter, qu'il faut complètement rejeter. Je pense que, si on avait voulu corriger des déficiences de cette nature, on aurait pu le faire aussi graduellement sans imposer, ce que je n'appellerai pas une révolution, mais une transformation radicale des structures et des modalités de dispensation des services et des soins de santé.

Le ministre nous a dit il y a un instant que cette législation ne serait pas appliquée globalement, c'est-à-dire qu'elle ne serait pas appliquée à la fois dans toutes les régions du Québec, mais qu'on devra procéder par étapes. Je suis parfaitement d'accord sur cette orientation que le ministre veut donner à l'application de cette législation. Il s'agit d'une transformation, on l'a dit il y a un instant, trop radicale, d'une transformation qui touche tous ceux qui oeuvrent dans ce secteur, non seulement les institutions elles-mêmes, car les institutions évidemment ne peuvent pas fonctionner dans l'abstrait, il faut des ressources humaines pour les faire fonctionner. Alors ici ça touche non seulement, comme dans l'assurance-maladie, les professionnels de la santé qui dispensaient les soins, mais à peu près tout le monde.

Alors il est important, je crois, avant d'imposer cette législation en pratique dans toutes les régions de la province, qu'on en fasse un essai loyal et prudent aussi afin qu'on puisse vérifier en pratique si les objectifs que l'on s'était fixés sont bien atteints et d'autre part pour vérifier si les modalités d'application de cette législation y gagneraient à être modifiées en cours de route.

Quant à la participation, il est facile d'inscrire dans une législation les désirs de participation de la population, mais les traduire dans la réalité quotidienne et dans le fonctionnement quotidien des institutions, c'est une autre chose. De quelle façon peut-on introduire l'équilibre dans la participation afin que ça ne devienne pas non plus de l'obstruction, mais qu'on en retire véritablement les avantages positifs? Eh bien, c'est une question un peu plus difficile.

Quant à la hausse du coût des services de santé et de bien-être, évidemment ç'a été l'objet, ces dernières années, de la préoccupation de tous les gouvernements. Il est difficile de dire à première vue si cette législation ou cette transformation n'entraînera pas des hausses de coûts qui n'avaient pas été prévues ou qu'il était difficile de prévoir. Je n'ai pas l'intention de faire le parallèle avec le ministère de l'Education. D'ailleurs, si on en parle au cours de ces travaux du bill 65, ce sera seulement par incidence. Mais il est difficile au début et quand on introduit une réforme de véritablement mesurer toutes les implications financières. Espérons que cette réforme de l'organisation des services de santé et de bien-être n'entraînera pas de conséquences sur le plan financier, conséquences que n'avait pas prévues le gouvernement, de sorte qu'en définitive ce sera le contribuable qui en subira les frais.

S'il y avait aussi — et c'est là l'un des objectifs que poursuit le projet de loi — une amélioration sensible dans la distribution, l'accessibilité et la qualité des soins, je pense que ça vaudrait la peine aussi qu'un effort financier additionnel soit consenti. Si ce n'était pas le cas, je crois qu'à ce moment-là les contribuables

porteraient un jugement assez sévère sur cette réforme.

Alors, M. le Président, il est entendu que cette législation apportera des résistances. Pour ma part, ces résistances, à prime abord, sans avoir vérifié, je ne peux tenir pour acquis qu'elles viennent de ceux qui travaillent dans le champ quotidien, de ceux qui présenteront ici des mémoires ou des porte-parole de l'Opposition. Je ne crois pas que cette résistance soit négative. Je crois qu'elle aura pour effet de mieux démontrer que cette législation importante comporte peut-être des faiblesses et qu'elle est susceptible d'améliorations. C'est dans ce sens que personnellement, au cours de tous les travaux de cette commission, j'apporterai des commentaires plus élaborés.

Il est normal que nous entendions aussi le point de vue de tous ceux qui viendront s'exprimer devant cette commission, ceux qui ont l'occasion, tous les jours et depuis plusieurs années, de vivre ces problèmes, alors que nous, les législateurs, parfois et assez souvent, nous voyons ces problèmes, nous voyons le fonctionnement de ces institutions de façon plus lointaine. Ceux qui vivent continuellement ces problèmes, qui ont à dispenser les soins, qui ont à oeuvrer dans le secteur administratif de ces institutions vont certainement nous apporter un éclairage dont la commission et le gouvernement ont besoin pour faire la meilleure législation possible. Nous aurons des observations; nous aurons des objections à certaines modalités, mais ce sera toujours dans une intention, dans un aspect très positifs, afin de, comme nous l'avons fait antérieurement dans les législations d'assurance-maladie ou autres, donner aux citoyens du Québec les meilleurs mécanismes de santé et de bien-être possibles.

M. LE PRESIDENT: Alors, messieurs...

M. BOIS: Nous devrions entendre les représentants qui ont des mémoires à nous fournir.

M. LAURIN: M. le Président, le ministre des Affaires sociales ne veut pas que l'on qualifie son projet de révolutionnaire. Il me semble pourtant qu'il l'est quand même, par la nature des articles qu'il contient — il en a d'ailleurs énuméré une trentaine qui montrent à quel point ils sont essentiels — mais surtout à cause du contexte dans lequel ce projet de loi est introduit. Il s'introduit dans le courant des dix dernières années où nous avons vu l'Etat prendre des responsabilités de plus en plus grandes dans le domaine de la santé. En 1960 il y eut un premier pas, alors que l'Etat décidait de financer tous les soins hospitaliers, ce qui était déjà une minirévolution, révolution qui a été continuée par le fait que dix ans plus tard l'Etat va financer tous les soins individuels dispensés par les médecins.

Révolution aussi en ce sens que, dès le début de cette période, vers 1961-1962, l'Etat décidait d'instituer une commission qui ferait une étude exhaustive, globale et approfondie de notre régime de santé. Dieu sait que cette commission a mis du temps à pousser ses études ! Elle nous a donné un rapport exhaustif couvrant tous les aspects du régime de santé, l'étendant même au régime des soins sociaux, puisque la commission s'était aperçue qu'on ne pouvait pas séparer les soins sociaux des soins de santé.

Troisième mouvement, donc, de cette révolution: étude approfondie du régime actuel et proposition d'un régime nouveau.

Quatrième étape: la fusion des ministères et la direction — je l'ai reconnu à plusieurs reprises — très dynamique du ministère des Affaires sociales dans la mise en place des objectifs et des modalités de dispensation des soins.

Ce projet de loi constitue un cinquième palier, pourrait-on dire, qui entend s'atteler, après l'assurance-hospitalisation et l'assurance-maladie, à la réforme complète du régime de distribution des services de santé. C'est plus qu'un ajustement, c'est plus qu'une mise en ordre. C'est l'essai de concrétisation des réformes de structures, d'organisation, de distribution, qui a été préconisée par le rapport de la commission Castonguay-Nepveu. Pour moi, c'est plus qu'un ajustement parce que, quand on veut réformer les structures, on s'attaque à ce qu'il y a de plus essentiel dans la vie quotidienne de ceux qui ont été appelés dans le passé à dispenser ces soins. On s'attaque aux modalités d'exécution, de participation, de distribution qui ont eu cours pendant une centaine d'années, modalités, comme on l'a vu, qui étaient marquées au coin de l'initiative privée puisque jusqu'à il y a dix ans le gouvernement s'était très peu préoccupé de ce secteur. Avec l'assurance-hospitalisation et l'assurance-maladie, il est maintenant obligé de modifier son rôle, de supplétif qu'il était, en un rôle d'animateur, en un rôle de financier, de contrôleur, d'où l'importance des réformes de structures qui s'ensuivent avec le bouleversement des rôles réciproques du citoyen, des institutions et de l'Etat. Toutes les fois qu'on parle de bouleversement des rôles, on appelle nécessairement un bouleversement des structures et, comme les structures témoignent d'une certaine philosophie, il importe d'y accorder une extrême attention.

Je ne veux pas, moi non plus, tracer un parallèle exact entre ce qui a été fait dans le domaine de l'éducation et dans le domaine de la santé, mais je pense quand même qu'on ne peut pas s'empêcher de faire un parallèle, étant donné que nous y retrouvons ce même facteur, c'est-à-dire l'intervention de l'Etat qui de supplétive est devenue initiatrice, est devenue animatrice et a acquis un pouvoir de contrôle que nous n'avions pas dans le passé.

Je pense que le parallèle doit quand même être fait. Le seul parallèle que je ferai ce matin c'est que dans le rapport Parent on nous a proposé un modèle. L'Etat, lorsqu'est venu le moment de légiférer, a d'abord choisi de légifé-

rer au plan des structures. Selon moi, cela témoignait déjà d'une certaine philosophie. Mais déjà, dans le temps, on a dit qu'on laisserait la réforme de la substance de l'éducation pour un autre moment, la réforme de la pédagogie, des structures pédagogiques. Nous l'attendons encore après dix ans. Ce qui montre que, si on n'a pas le souci de lier la réforme des structures avec les réformes de substance, on peut retarder indéfiniment et on peut rendre plus difficile la réforme au plan de la substance. C'est la raison pour laquelle j'aimerais, en ce qui concerne cette réforme majeure dans le domaine de la santé, qu'on n'oublie pas trop, quand même, les réformes de substance, qu'elles paraissent davantage dans le projet de loi, ne serait-ce que pour motiver l'ensemble de la population, les citoyens, les professionnels de la santé à prendre toute leur part de ce qu'on veut être un renouveau dans le domaine de la santé, les amener à se motiver eux-mêmes pour ce grand changement, pour ce bond en avant que l'on veut faire afin de remplir les objectifs du ministère des Affaires sociales. Objectifs, d'ailleurs — nous l'avons dit à plusieurs reprises — que nous partageons entièrement, c'est-à-dire accessibilité plus grande à tous les soins, continuité des soins, participation de la population, à tous les niveaux, à cette vaste entreprise de l'amélioration du capital social et sanitaire du peuple québécois.

Donc, nous voudrions, comme remarque très préliminaire, inciter le ministre à ce que, même si ce projet de loi est technique et traite des structures, on y voie quand même un peu plus la substance des réformes qui sont contenues dans le rapport de la commission Castonguay-Nepveu et dans les exposés de principe que le ministre a faits à plusieurs reprises depuis un an, afin que la population sente que nous sommes à l'orée d'une nouvelle époque dans le domaine de la santé et qu'elle soit amenée à y participer moralement, psychologiquement et ensuite "organisationnellement" — si je peux me permettre ce terme — à tous les niveaux.

Car une réforme de cette envergure qui ne serait pas appuyée par l'ensemble de ceux qui sont appelés à la faire, à toutes fins pratiques, me paraîtrait s'engager dans une mauvaise direction. Autre remarque préliminaire: Nous sommes tout à fait d'accord non seulement sur les objectifs du ministère des Affaires sociales et sur les nouveaux objectifs du gouvernement qu'il a énoncés à plusieurs reprises, mais aussi sur les grands objectifs que nous devinons dans ce projet de loi, par exemple, sur celui de l'ouverture à la population des conseils d'administration de quelque institution qu'ils soient. Nous nous réjouissons, par exemple, que, la population soit invitée à participer aux conseils locaux de services communautaires par l'élection d'une part, ce qui nous paraît un très grand progrès et, ensuite, par le choix de membres résidant dans la communauté et appartenant aux divers groupes socio-économiques de ces régions ou de ces quartiers. C'est là une réforme extrêmement importante et nous y applaudissons. Nous espérons que cette réforme sera maintenue, quelles que soient les résistances qu'elle rencontrera.

Nous sommes également tout à fait d'accord sur l'uniformisation et sur la systématisation des institutions. Là aussi, il faut bien reconnaître qu'il ne faut accuser personne, puisque ces institutions sont nées par rapport aux besoins qui se manifestaient dans une communauté et qu'elles ont pris la marque de ceux qui croyaient nécessaire de les fonder pour répondre aux besoins.

Mais, étant donné que nous sommes à une époque où les conditions ont changé, où les soins doivent être gratuits, où le capital humain doit être amélioré, où l'Etat doit jouer un rôle majeur, nous sommes en effet d'avis que le temps est venu d'uniformiser ces institutions, de les systématiser, de les classifier et de les catégoriser afin que soit introduit ce nécessaire principe d'ordre, de clarté, de rationalité qui est absolument nécessaire, d'ailleurs, pour toute coordination et pour toute planification.

Nous y applaudissons donc de tout coeur et nous espérons que ce principe majeur sera sauvegardé, quelles que soient les critiques d'ailleurs, que l'on puisse faire en ce qui concerne les modalités, et nous en aurons nous-mêmes à faire. Mais, encore une fois, ceci n'entache en rien notre appui de fond au principe de clarté, d'uniformisation, de systématisation des institutions.

Là où nous nous posons des questions, c'est justement sur la façon dont ce projet de loi va concrétiser les nouvelles avenues qui ont été soumises à notre attention par la commission Castonguay-Nepveu. Nous avons étudié avec énormément d'attention ce projet de loi 65. Nous l'avons relu à plusieurs reprises, nous l'avons comparé avec les multiples rapports de la commission Castonguay et nous nous demandons encore jusqu'à quel point aussi bien les objectifs que les modalités proposés dans ce rapport se concrétisent dans ce projet de loi.

Nous avons l'impression, après ces quatres ou cinq lectures que nous avons faites, que la substance de la révolution dans le système de soins proposé par la commission Castonguay-Nepveu ne paraît pas encore assez dans ce projet de loi. Par exemple, la commission proposait un idéal de médecine globale qui s'adresse à la personne totale dans sa dimension physique, psychologique et sociale, une médecine globale qui irait rejoindre l'individu, non seulement dans le quartier, mais à l'école, à son domicile, à l'usine où il travaille. Nous ne voyons pas dans le projet de loi, encore une fois, comment cet idéal de médecine globale peut se concrétiser.

Je suis bien d'accord avec le ministre qui disait tout à l'heure qu'on ne peut pas mettre tout dans un projet de loi. Il faut laisser de côté ce qui est un peu plus périphérique, un peu plus superficiel pour garder l'essentiel.

Mais il reste quand même qu'un projet de loi devrait se référer d'une façon claire à ce qui lui a au fond donné naissance et devrait refléter peut-être davantage les idéaux globaux d'une réforme que nous avons applaudie pour notre part et que bien d'autres milieux ont applaudie. Nous ne voyons pas, en tout cas, dans ce projet de loi à quel point la médecine globale aura des chances de se matérialiser d'une façon aussi facile, aussi aisée, aussi rapide que nous le voudrions.

De la même façon, nous ne voyons pas jusqu'à quel point cette nécessaire coordination entre les divers paliers que proposait la commission Castonguay-Nepveu va se réaliser. On parlait, dans le rapport, de soins au niveau local, première ligne à laquelle le patient ou le client pouvait s'adresser; soins généraux, ensuite soins semi-spécialisés, le centre communautaire de santé, ensuite soins ultra-spécialisés, centres hospitalo-universitaires, avec des variantes. Par exemple, le centre communautaire de santé pouvait également donner certains soins ultraspécialisés.

Nous ne voyons pas dans le projet de loi ce qu'il est advenu de cet étagement, de cette intégration verticale des soins. Nous ne voyons aucune mention des centres communautaires de santé, des centres hospitalo-universitaires. Nous ne savons pas le sort qui a été fait par le ministre à ces propositions de la commission et nous voudrions, à tout le moins, avoir non seulement des explications, mais aussi des clarifications quant à la politique du ministère en ce qui concerne ce que nous croyons toujours être nécessaire dans cet étagement des soins et dans la coordination qui doit exister entre ces différents niveaux.

La commission disait, par exemple, que les centres communautaires de santé auraient la fonction d'organiser les centres locaux de santé, qui leur étaient non pas subordonnés mais à un autre niveau. Nous voyons également que les ORS, les offices régionaux de santé devaient organiser les centres communautaires de santé qui leur étaient un peu inférieurs dans le palier administratif.

Dans le projet de loi nous ne voyons pas cette coordination organique, cette coordination rationnelle à l'intérieur des étages de distribution de soins. Là aussi ce sont plutôt des questions que nous posons et nous espérons qu'aussi bien les témoignages que nous entendrons que les déclarations du ministre pourront éclairer notre lanterne à cet égard.

Nous avons un autre type de remarque préliminaire à faire également et ceci concerne le grand dilemme centralisation-décentralisation. Nous partons d'une époque où une grande partie du régime de soins était décentralisée. Ceci est dû, comme je le disais tout à l'heure, aux conditions qui ont présidé à la naissance de ces instititions, c'est-à-dire l'initiative locale, l'initiative privée qui devait faire face d'une façon urgente aux besoins. Par ce projet de loi nous voyons que le gouvernement centralise davantage, c'est-à-dire qu'il sent le besoin d'établir des normes, des normes de plus en plus précises. D'ailleurs, le chapitre du projet de loi qui traite des règlements comporte énormément d'articles. Donc, on enlève d'un certain côté à des institutions privées des pouvoirs qu'elles avaient antérieurement et on les met au niveau du gouvernement, même si la participation du milieu est assurée d'une certaine façon par la composition des conseils d'administration.

On voit que le gouvernement se réserve tout ce qui est normes, règlements alors qu'auparavant ceci était le lot des institutions privées. Dans le rapport de la commission Castonguay-Nepveu nous avions l'impression qu'une bonne partie de ces pouvoirs, aussi bien en ce qui concerne les normes, les règlements, la présentation des budgets, l'organisation des soins, les plans pour l'avenir de même qu'un certain rôle en ce qui concerne l'hygiène publique, la protection de l'environnement, étaient dévolus aux offices régionaux de santé qui étaient d'ailleurs assez peu nombreux et qui devenaient ainsi des agents du gouvernement dans la communauté, un peu l'équivalent de gouvernements régionaux en ce qui concerne les affaires sociales.

Dans ce projet de loi nous croyons déceler un changement d'orientation assez radical de la part du ministère par rapport à l'esprit des propositions du rapport Castonguay-Nepveu. Nous avons l'impression que, pour des raisons que nous ignorons, le gouvernement a l'intention de faire beaucoup moins confiance au milieu, aux institutions qui sont enracinées dans ce milieu et qui devaient trouver leur achèvement dans ces offices régionaux de santé.

On voit en effet que le projet de loi ne leur donne pas certains pouvoirs que la commission Castonguay-Nepveu voulait leur donner, comme, par exemple, l'organisation de la distribution régionale des soins, l'approbation des plans d'immobilisation des établissements, y compris ceux des universités, la proposition et l'administration du budget régional à partir de l'enveloppe budgétaire annuelle mise à sa disposition par le ministre, l'élaboration d'une politique générale d'achat, la mise en place de divers services communs. Dans ce domaine, nous voyons une sorte non pas de déviation — car un gouvernement n'est jamais lié par le rapport d'une commission, c'est bien entendu — mais une sorte de non-approbation au fond d'une recommandation essentielle qui nous paraissait, en tout cas, essentielle de la commission Castonguay-Nepveu.

Dans ce domaine-là, nous aimerions savoir, si notre hypothèse est vraie, ce qui a pu amener le gouvernement à ne pas accepter cette proposition de la commission et à centraliser, au niveau du gouvernement, l'approbation de tous les budgets, aussi bien des centres hospitaliers que ceux des régions, ainsi que l'édification de toutes les normes et règles qui doivent présider d'en haut à l'administration et au fonctionnement de tous ces organismes.

Enfin, une dernière question que nous nous sommes posée, c'est comment ce régime de santé pourra s'harmoniser, s'intégrer aux autres lois que nous ne connaissons pas encore. Nous aurions aimé, pour pouvoir en discuter d'une façon plus sérieuse, plus approfondie, avoir déjà une idée de ce que sera, par exemple, la politique du gouvernement en ce qui concerne les diverses professions, puisque ce sont les professionnels de la santé qui auront à concrétiser le nouveau régime de santé, ainsi que la nouvelle loi sur la santé publique et la loi sur la santé mentale que le ministre nous a annoncée.

Si nous avions un peu plus de détails sur ces lois-là, peut-être nous serait-il plus facile de situer le présent projet de loi dans un contexte global et pourrions-nous y faire des observations plus pertinentes. Tout ceci, M. le Président, pour dire que nous voyons la nécessité d'études approfondies, et nous remercions tous ceux qui se présenteront à cette commission pour nous aider à poursuivre ces études approfondies. En temps et lieu, nous aurons des suggestions très concrètes à apporter qui porteront sur le détail des articles du projet de loi, mais pour le moment, nous voulions nous limiter à ces considérations générales.

M. CASTONGUAY: Je vous remercie, M. le Président, je pense que nous pourrions passer, à ce stade-ci, à l'audition des mémoires. J'ai pris bonne note des commentaires à la fois du député de Montmagny et du député de Bourget et je vais les analyser et voir si, à l'occasion peut-être d'une prochaine séance, avant de passer à l'audition des mémoires, il n'y aurait pas lieu de répondre à certaines de ces questions qui sont formulées.

M. LE PRESIDENT: Alors, pour l'information de chacun, cinq organismes ont des mémoires à présenter. Nous allons suspendre les travaux de la commission à midi et trente et nous recommencerons à trois heures, pour terminer à six heures. Alors, comme plusieurs organismes ont des mémoires à présenter, je voudrais encore une fois rappeler aux porte-parole du gouvernement de s'en tenir strictement au bill 65.

Alors le premier organisme est le Service de probation dont le porte-parole est M. Marcel Godin.

Je vais demander aux porte-parole de s'identifier quand ils prendront la parole, s'il vous plaît.

Service de probation de Hauterive

M. GODIN: Marcel Godin, directeur du Service de probation de Hauterive, pour la région du district judiciaire de Hauterive et de Saguenay, de Baie-Saint-Paul à Blanc-Sablon, Schefferville, Gagnon.

M. LE PRESIDENT: Est-ce que les porte- parole pourraient se mettre au centre pour que tous les membres de la commission les voient? Autrement, nous ne les voyons pas.

M. GODIN: M. le Président, M. le ministre et MM. les membres de la commission, je veux vous remercier, d'abord, d'avoir accepté que je vous présente mon mémoire. Je veux que cette rencontre soit un dialogue et une discussion afin d'améliorer et d'en arriver à une meilleure planification des services du ministère des Affaires sociales au Québec.

Je travaille sur la Côte-Nord depuis environ dix ans dans le domaine sanitaire et social. En 1969-70, j'étais boursier du gouvernement du Québec afin d'aller étudier à l'Ecole nationale d'administration publique, à l'Ecole nationale de la santé à Rennes. A la suite de ces études, chacun devait présenter un mémoire pour obtenir le diplôme. Pour ma part, j'ai présenté un mémoire sur la façon dont je verrais la décentralisation des services du ministère de la Famille et du Bien-Etre social du temps pour la région administrative que l'on appelait la Côte-Nord, la région no 9.

Malheureusement, je n'ai pas pu démontrer comment, comme je l'aurais aimé, faire la décentralisation du ministère de la Santé puis des Affaires sociales parce que ç'aurait été un travail trop long et, de plus, je ne connaissais pas assez bien les structures de ce ministère. Le but de mon mémoire, au départ, était d'essayer de faire l'inventaire des ressources sanitaires et sociales dans la région. A la suite de l'arrêté en conseil du ministère de l'Industrie et du Commerce, le bill 514 du 29 mars 1966, qui divisait la province de Québec en dix régions administratives, je suis parti avec cette structure.

Le ministère de l'Industrie et du Commerce avait divisé la province, comme je le mentionnais, en dix régions administratives et, déjà, au ministère de la Famille et du Bien-Etre social, on avait commencé à appliquer un peu la décentralisation des services, par exemple, par la nomination des directeurs régionaux. Dans le temps, il y en avait environ quatre: Rimouski, Québec, Nord-Ouest québécois... J'ai essayé de déterminer exactement, à partir du rôle du directeur régional, ce qu'il devrait faire dans sa région et son travail de coordination et de planification; il deviendrait un représentant du ministère dans sa région, il serait le responsable. A ce moment-là, il devrait coordonner tous les organismes de sa région, voir à la planification, à l'orientation des services, à l'approbation des budgets et même à la surveillance opérationnelle de leurs services.

Conséquemment, j'en ai profité pour pousser mon étude parce que je me suis aperçu qu'il faudrait que tout cela soit relié sur le plan provincial à une autre structure qui existait, l'Office de planification et de développement du Québec qui, lui, voyait à la préparation, à l'organisation et à la planification de tous les budgets du ministère pour toute la province.

J'ai essayé aussi de démontrer le rôle de tous les organismes, par exemple, des CRD, le rôle des organismes sociaux qui pouvaient apporter leur collaboration à l'intérieur d'une région donnée. Le but du mémoire était de démontrer vraiment la décentralisation des services et non pas aller vers une décentralisation des services du ministère.

Est-ce que la plupart d'entre vous avez eu l'occasion de prendre connaissance du mémoire?

DES VOIX: Non.

M. GODIN: Je vais essayer de le résumer en partant, plus précisément, des fonctions, du rôle du ministère.

Alors, moi, ce que je voyais, c'est que les divisions territoriales du ministère en régions administratives était déjà un départ dans la province de Québec en vue de la planification et de la déconcentration des services.

Je suis parti avec l'idée que tout était centralisé à Québec. Chaque fois qu'on avait besoin de services, qu'on avait besoin de ressources communautaires, il fallait créer une corporation privée et il fallait aller à Québec. Tous les budgets étaient acceptés à Québec.

A ce moment-là, je voyais la création d'un directeur régional qui, lui, verrait par exemple, à tout ce qui concerne le ministère des Affaires sociales. Dans le temps, c'étaient les ministères de la Santé et de la Famille. Il serait le coordonnateur régional qui verrait à l'application des budgets que le ministère à Québec pourrait lui donner. Ensuite, il verrait à la planification et surtout à la préparation de programmes quinquennaux. Cela n'existe pas encore au Québec, la préparation de budgets quinquennaux. A ce moment-là, j'imaginais que c'était vraiment nécessaire afin de déterminer et de savoir où on s'en allait.

Ensuite, on s'aperçoit que, dans la région, il y avait un manque de coordination des différents services, ou organismes, par exemple, entre le service social, le service de probation, l'unité sanitaire, les hôpitaux. Nous n'étions pas capables de nous organiser et je pense que c'est un problème qui existe dans toutes les régions.

Disons que, pour moi, le directeur régional était le représentant du ministre dans la région. Il avait une équipe avec lui pour travailler. Par exemple, une équipe de la planification et de la recherche qui verrait, dans la région, à planifier et à préparer les plans quinquennaux. Il y avait aussi un responsable qui s'occupait de l'aide et de la sécurité sociales. Un autre s'occupait de la famille et de la population. C'étaient les anciennes structures du ministère. Un autre s'occupait de l'administration. Un autre s'occupait des finances et de l'équipement.

Alors, le directeur régional avait avec lui des personnes spécialisées qui s'occupaient des finances, de l'équipement et de la préparation du plan quinquennal. Sous sa responsabilité, ces gens devaient voir à l'organisation et à la surveillance opérationnelle des organismes sociaux de la région: service social, service de probation, institutions de transition, foyers pour personnes âgées, tous les organismes.

Pour coordonner toutes ces ressources, nous, dans notre région, nous avions un problème. Lorsque nous avions besoin de l'évaluation psychologique, de l'évaluation clinique de nos enfants avant de les diriger dans une école de protection ou que nous avions besoin d'un diagnostic avant de faire un travail, eh bien, nous n'avions pas, dans la région cette ressource qu'on appelle une clinique médico-sociale.

Que cela appartienne au ministère de la Famille ou que cela appartienne au ministère de la Santé, j'avais pensé qu'on crée une clinique médico-sociale régionale qui s'occuperait de recevoir tous les enfants et d'évaluer tous les enfants, de sorte que soit le service de probation, les commissions scolaires, les médecins, les hôpitaux, le service social puissent envoyer ces enfants à cette clinique. Les enfants seraient évalués dans leur région, dans leur milieu et, ensuite, on pourrait avoir des discussions avec le personnel professionnel dans la région pour, ensuite, en arriver à un diagnostic.

Actuellement, nous sommes obligés d'envoyer nos enfants à Québec ou à Montréal et, depuis les deux dernières années, nous avons ce qu'on appelle un psychiatre volant qui vient deux jours ou une journée par semaine pour faire l'évaluation.

Disons que je voyais, comme rôle de la clinique médico-sociale, qu'elle aurait des relations fonctionnelles avec tous les organismes de la région. C'était vraiment une nécessité.

Dans le temps, je ne pouvais pas prôner la fusion des deux ministères, le ministère de la Famille et le ministère de la Santé. J'y pensais, mais cela a été fait entre-temps.

Ensuite, disons que moi, à travers tout ça, avec la définition de l'arrêté en conseil concernant la division de la province en dix régions administratives, je voyais que le directeur régional du ministère des Affaires sociales, le directeur régional du ministère des Terres et Forêts, le directeur régional du ministère de l'Agriculture et de la Colonisation, le directeur régional du ministère de l'Education, enfin tous ces directeurs régionaux qui, eux, sont au courant de leurs problèmes, qui connaissent leur ministère dans la région et qui sont en relation directe avec le sous-ministre ou le ministre à Québec, à ce moment, toutes ces personnes créaient ce qu'on appelle la commission régionale de planification et de coordination.

Là, vraiment, c'était en fin de compte la déconcentration de tous les services du gouvernement. On faisait de la région un petit gouvernement. Par contre, au lieu d'avoir des corporations privées, c'étaient vraiment des fonctionnaires qui étaient nommés par l'Etat et qui jouaient le rôle de coordonnateur ou de directeur ou de collaborateur pour leurs différents ministères.

Moi, je voyais, par exemple, à la commission

régionale de planification pour la Côte-Nord, les directeurs régionaux de tous les ministères qui formaient la commission régionale de planification et de coordination, le président était automatiquement responsable vis-à-vis de la région à la commission régionale de planification et de coordination du Québec. Alors, à ce moment-là, en ce qui concerne le ministère des Affaires sociales, par exemple, le directeur régional préparait son budget à chaque année, arrivait même à préparer un plan quinquennal et il était en relation directe avec le ministère des Affaires sociales. Moi, je voyais vraiment une déconcentration du ministère des Affaires sociales.

Alors, disons que c'est le résumé en gros du mémoire que j'ai présenté. Ce n'est peut-être pas complet, j'oublie peut-être quelque chose. Maintenant, j'aimerais revenir au bill. M. le Président, est-ce qu'il y a des personnes qui voudraient des explications sur les points que je viens de mentionner et qui ne seraient pas clairs dans leur esprit avant de continuer?

M. CASTONGUAY: Il y aurait peut-être une question, M. le Président. Je comprends que M. Godin nous a donné une analyse qu'il a faite à une certaine époque de moyens qu'il croyait nécessaires pour assurer une meilleure coordination des actions des ministères dans la région de la Côte-Nord pour combler ou répondre à certains besoins provenant de l'absence de ressources suffisantes. Est-ce que par rapport au bill 65, par contre, il a des commentaires très précis ou très concrets ou des recommandations précises à formuler quant à ce bill qui ne traite que d'un aspect de la question, comme cela a été mentionné lors de l'exposé général du bill?

M. GODIN: Je vais continuer et j'arrive au bill 65. Concernant le bill 65, la première chose qui m'apparaît, eh bien on parle de révolution, on parle de changement, de la réorganisation des services sociaux et des services de santé en voulant créer une nouvelle structure. On s'aperçoit que l'on retombe encore dans les mêmes procédures qu'auparavant, on recommence avec des corporations privées. On sait que les corporations privées ont toujours joué un rôle important dans les régions, mais on sait que certains membres de ces corporations ne sont pas compétents et ne sont pas capables d'administrer vraiment une corporation.

Moi, au départ, je me pose des questions concernant le bill 65. Est-ce que vraiment, avec la décentralisation, c'est la meilleure solution, c'est-à-dire en créant un office régional, encore une corporation privée qui va diriger d'autres corporations privées?

On veut changer ce système, car il semble que ça ne fonctionne pas, et créer une autre superstructure pour remplacer la structure que nous avons actuellement. Est-ce que ce serait mieux, par exemple, que ce soient des fonctionnaires qui sont déjà en place actuellement, des directeurs régionaux dans chaque région, qui jouent ce rôle? C'est une question que je me pose.

Il y a aussi un danger lorsque nous formulons une nouvelle loi. Je trouve qu'il n'y a rien de défini concernant les offices régionaux. On sait que le ministre va en organiser, au fur et à mesure qu'il va en sentir le besoin. Disons qu'il décide de créer un office régional pour tout l'est du Québec. Qui va participer? Quels sont les membres qui vont pouvoir être élus? On sait qu'il va y avoir des membres du service social. Si on a, pendant dix ans, un office régional qui va desservir tout l'est de la province, la Côte-Nord, le Bas-du-Fleuve et les autres régions ne seront pas représentées. Disons que c'est une question que je me pose, à savoir si vraiment ce sera bien structuré, si on ne recule pas ou si on devrait garder les structures que nous avons actuellement.

En ce qui concerne la nomination des directeurs régionaux, il n'y a rien qui explique dans la loi de quelle manière nous allons choisir le directeur général. Disons que les membres de la commission présenteront trois noms au président et c'est la commission qui va choisir. Pourquoi des fonctionnaires ne pourraient-ils pas poser leur candidature ou des hommes qui sont dans le domaine de l'action sanitaire ou sociale dans une région donnée? Qu'il y ait concours afin de choisir le meilleur parmi les représentants de toute la commission.

Je trouve aussi qu'on veut décentraliser, donner des pouvoirs aux régions, mais à la fin de tout ça, c'est toujours le ministre qui accepte ou refuse les budgets.

Ce sont, en gros, M. le Président, mes recommandations concernant le bill 65. Je voulais surtout faire la comparaison entre le bill 65 et la décentralisation. Mon mémoire expose comment je verrais la décentralisation. C'est un autre moyen d'administration. L'expérience acquise au cours de stages faits en France m'a permis de constater que la France pratique la déconcentration des services sur une base nationale. Je me pose des questions sur les structures actuelles du bill 65.

S'il y en a qui ont des questions à poser...

M. LE PRESIDENT: Merci, M. Godin. Est-ce qu'il y a des députés qui ont des questions à poser? Alors, je demanderais à M. l'abbé Pierre Hurteau de venir parler à titre personnel. Vous pouvez vous asseoir.

M. HURTEAU: Je peux m'asseoir? M. Pierre Hurteau

M. LE PRESIDENT: Oui, on va vous installer le micro. Veuillez vous placer au centre de la barre. Que ceux qui sont là veuillent bien s'asseoir en arrière de la barre. Ils reviendront plus tard.

M. HURTEAU: M. le Président, M. le ministre, messieurs les commissaires, messieurs les

députés, je remercie la commission parlementaire de me donner l'occasion d'exprimer ma prise de position sur le bill 65. Cette prise de position m'est personnelle, mais je sais qu'elle rejoint les préoccupations d'un très grand nombre de collègues du milieu dans les domaines de la santé et du service social, et elle s'appuie sur l'expérience que j'ai acquise dans le domaine du bien-être depuis vingt ans.

Je reconnais l'importance d'une meilleure organisation de l'ensemble des réseaux de services de santé et de bien-être de l'Etat du Québec. Je partage le souci d'assurer à la population des services mieux répartis, mieux coordonnés et conforme à ses besoins. Je préconise une décentralisation véritable des responsabilités du ministère des Affaires sociales, mais je crois rendre service à mes concitoyens en m'opposant au bill tel qu'il est soumis parce que ce projet de loi, qui entraîne une transformation radicale et globale des structures des services existants, ne paraît pas avoir fait l'objet, par ailleurs, d'une consultation suffisante des milieux compétents dans le sens d'une participation que le bill 65 prétend justement institutionnaliser; parce que la commission d'enquête Nepveu n'a pas encore remis son rapport sur les services sociaux; parce que le conseil des affaires sociales, récemment constitué, n'a pas été en mesure d'être consulté pour la mise en marche de ce projet de loi; parce que le bill 65 ne paraît pas tenir compte des caractéristiques ethniques, culturelles et religieuses de la population; parce qu'il ne semble pas que le bill tienne compte des fonctions propres aux services de santé et des fonctions propres des services sociaux dont les méthodes et les objets sont différents et ne sauraient être confondus sans dommages sérieux; parce que le type de participation que le bill impose risque d'entraîner des confusions et des conflits qui auraient pour résultat de paralyser l'action des organismes impliqués; parce que le style de "management" qu'il impose est centralisateur et bureaucratique et va à l'encontre des lois modernes d'une administration vraiment dynamique, progressiste et véritablement participative.

En conséquence, étant donné l'ampleur des amendements qu'il faudrait faire, à mon sens, pour adopter ce projet de loi aux besoins du milieu d'une façon prudente, j'émets le voeu que le bill soit retiré, et qu'un nouveau projet de loi soit élaboré par un comité multipartite en y associant des représentants des instances concernées et en tenant compte des réalités existantes et des particularités régionales de la province. Comme on peut le lire dans les notes explicatives du bill: "... toutes les institutions autres que les institutions privées qui dispensent des services de santé ou des services sociaux devront, sauf s'il s'agit d'institutions privées, dans les deux ans qui suivent l'adoption de la nouvelle loi, obtenir une nouvelle charte, soit en se convertissant en une corporation régie par la nouvelle loi, en se fusionnant avec une telle corporation ou, si elles le préfèrent, en cédant leur entreprise à une telle corporation." — Fin de la citation des notes explicatives. — Comme la grande majorité des services de santé et de bien-être au Québec, hôpitaux, institutions pour enfants ou vieillards, agences sociales, sont des services essentiels et d'intérêt public, aucun n'aura de fait la liberté, apparemment laissée par le projet de loi, — "si elles le préfèrent," disent les notes explicatives — de refuser d'entrer dans les cadres proposés par le bill 65. En conséquence, toute l'opération constitue bel et bien une mainmise de l'Etat sur l'ensemble des réseaux de santé et de bien-être.

Cette entreprise énorme, vaste et complexe repose sur une vision abstraite de la réalité qui donne la préférence à l'idéologie sur l'étude des faits. Elle s'appuie sur des prémisses qu'on n'a pas démontrées, elle s'inspire d'une vision bureaucratique et directive de l'administration sous les allures d'une participation de conception naive. Cette réforme, si elle devait se faire, entraînerait toutes sortes de confusions préjudiciables à la clientèle, des déboursés supplémentaires et extravagants pour la province, des conflits paralysants en un temps où toutes les énergies créatrices devraient être encouragées et conjuguées vers la poursuite progressive d'objectifs proportionnés aux moyens réels dont nous disposons.

Pour situer le bill 65, il n'est pas sans intérêt de relire le texte de l'allocution de M. le ministre des Affaires sociales, lors de la soixante-deuxième réunion annuelle de l'Association canadienne de l'hygiène publique, tenue à Toronto le 22 avril dernier. Il rend d'abord hommage à un nouvel aspect dans l'action de l'Action canadienne de l'hygiène publique qui consiste, déclare-t-il, "en la recherche de nouvelles approches, de nouveaux mécanismes susceptibles d'accroître la rapidité de la réalisation des objectifs que vous visez. Remettre en cause les modes traditionnels d'intervention exige, de la part de tout organisme, une maturité et une honnêteté dont on ne peut que vous féliciter."

Peut-être conviendrait-il de rappeler ici qu'au Québec nos organismes non gouvernementaux ont su drôlement modifier leur mode traditionnel d'intervention depuis dix ans. Remettre en cause n'est pas synonyme de rupture de continuité, et comme le rappelait autrefois Yves de Montcheuil: "Il n'y a de véritable progrès humain que celui qui s'enracine dans la tradition." En d'autres termes, la nature ne fait pas de sauts.

Mais lorsque M. le ministre passe de cette idée à l'annonce de la réorganisation des services de santé et des services sociaux, j'avoue ne pas avoir bien saisi l'enchaînement d'une telle pensée. Il poursuit en effet en ces ternies: "Le domaine de la santé n'échappe pas aux effets provoqués par les changements de valeurs et l'évolution des connaissances de la réalité politique, économique et sociale. Feindre d'ignorer un tel phénomène serait accepter le développe-

ment désordonné des multiples ressources qui surgissent devant les besoins croissants de la population et camoufler ce qui risque de n'être qu'une multitude de palliatifs extrêmement coûteux."

Je me permets de demander que signifie un jugement aussi global et aussi pessimiste par rapport à ce qui existe chez nous? En quoi justifie-t-il la conclusion qui suit: "C'est ce que le gouvernement du Québec veut éviter en prônant la réorganisation des services de santé et des services sociaux afin de les adapter le mieux possible aux nouvelles dimensions de la relation besoins-services et de faire disparaître le traditionnel cloisonnement entre les services de traitements et les interventions à caractère préventif"?

De tels propos appelleraient de longs commentaires. Retenons surtout qu'il est abusif de réduire à une question de réforme de structure, en ces années de participation, la solution de problèmes qui relèvent avant tout d'un bon "management". C'est là, me semble-t-il, que réside l'ambiguïté fondamentale de la problématique dans laquelle veut nous enfermer le bill 65. Quant à ce qui est des retards apparents de nos services par rapport à ce qui existe ailleurs, je puis dire, parce que je connais le milieu depuis assez longtemps et que j'ai voyagé, que nous, qui avons les mains sales, qui connaissons la réalité quotidienne, nous pouvons témoigner combien nos collègues, rencontrés lors de congrès au Canada, aux Etats-Unis et en Europe, sont intéressés par nos structures non gouvernementales, justement, et les envient souvent lorsque, surmontant notre complexe d'infériorité national, nous leur permettons de découvrir les valeurs qui nous sont propres.

Ce n'est pas en regroupant physiquement ou administrativement des services divers qu'on réglera, pour certaines catégories de clientèle, la difficulté qu'elles auraient de savoir où s'adresser pour tout l'éventail des problèmes que déployait M. le ministre dans son allocution du 22 avril: sécurité du revenu, main-d'oeuvre, services sociaux, y compris ceux qui sont reliés à l'administration de la justice, services de santé, y compris les mesures de financement telles l'assurançe-hospitalisation et l'assurance-maladie, habitation et loisirs.

Dans toute cette question de faciliter l'accès aux services, ne se trouve-t-on pas d'abord devant un problème de communications, de création de filiales par les services de base existants, de publicité et de relations publiques?

Sans doute y aura-t-il toujours des progrès à faire pour coordonner les services entre eux et les rapprocher de la clientèle mais les moyens d'y arriver sont tout autres et bien moins coûteux qu'une réforme des structures comme celle que veut imposer le bill 65.

Hôpitaux, institutions et agences sociales même s'ils sont spécialisés, et la spécialisation est une condition de compétence et d'efficacité de nos jours, n'en sont pas pour autant cloison- nés. Si l'on cherche vraiment des moyens de servir la clientèle de façon plus simple, plus souple, plus rapide et plus efficace, on devrait surtout se méfier de la confusion des rôles de chaque discipline et de la paralysie qu'engendrent le gigantisme et le globalisme de structures pyramidales. Si l'on essayait d'abord la coordination au niveau régional, puis au niveau provincial et une véritable décentralisation des pouvoirs de décisions. Depuis le temps que le ministre nous promet l'une et l'autre.

Quant à la question de réviser les champs de juridiction des divers ministères comme le ministre l'a fait entendre encore dans son allocution du 22 avril, il me semble que cela aussi pourrait se faire sans chambarder les réseaux de services existants. Mais pourquoi faut-il qu'au Québec on ne sache procéder, semble-t-il, que par réformes globales des structures? N'est-ce pas là chez nous un signe de faiblesse de nos facultés créatrices en administration?

Comme on le sait, la solution préparée par le bill 65 consiste principalement en la création d'une superstructure, l'office régional des affaires sociales, ORAS, et l'installation d'une structure intermédiaire, les centres locaux de services communautaires, CLSC. Le centre local devra assumer le rôle de coordination du domaine de l'action sanitaire et sociale afin de préserver notre approche globale aux problèmes, comme l'annonçait le ministre dans son allocution citée.

Ayant fréquenté les milieux officiels de santé et de service social de France où l'on trouve ce type de structures, il me semble reconnaître l'image des services départementaux d'action sanitaire et sociale qui doivent, en principe, là-bas exercer un rôle de coordination et de leadership social. Nos CLSC seraient donc placés sous la surveillance des offices régionaux des affaires sociales et appuieraient leurs interventions sur des centres hospitaliers, des centres de service social et des centres d'accueil. Toutes ces institutions seraient publiques, de droit comme de fait, quoique érigées en corporations sans but lucratif au sens de notre code civil et suivant une formule qui consacrera la participation à leur gestion de la population, des corps intermédiaires, des professionnels et du personnel qui constituent leur clientèle, leurs moyens d'action et leur soutien. (Extrait des notes explicatives).

Leur statut ne serait pas cependant celui de nos CEGEP, qui sont des organismes semi-publics. Grâce à une savante construction juridique, les conseils des différents organismes sont tellement imbriqués les uns dans les autres, les délégations de pouvoirs des administrateurs et des directeurs généraux tellement hiérarchisées et étroitement interdépendantes qu'à la fin, sous des dehors de participation généreuse, nul parmi les responsables n'est libre vis-à-vis du pouvoir. Le résultat paradoxal d'une telle réforme, loin d'élargir la participation, risque fort d'éloigner de nos organismes de santé et de

bien-être les éléments les plus dynamiques de notre population au profit des idéologues. Les concepteurs de ce beau plan cartésien d'organisation sociale à l'élaboration duquel les agences sociales n'ont pas été invitées à participer se sont trompés de destinataires. Une telle réorganisation des services de santé et de bien-être constituerait peut-être un progrès pour la France. Au vrai, je ne serais pas étonné qu'on en retrouve les épures dans les tiroirs du ministère des Affaires sociales de Paris.

Par rapport aux structures existant là-bas, notre bill 65 pourrait continuer, en effet, un certain progrès en ce qu'il ouvrirait la porte à la participation des communautés locales aux affaires des services officiels de santé et de bien-être qui sont téléguidées à partir de Paris. Une telle réforme irait dans le sens de la loi d'orientation de l'enseignement élaborée par Edgar Faure et votée le 12 novembre 1968, après les événements que l'on sait.

Mais quiconque a suivi de près la vie française, depuis les événements de mai 1968 que j'ai observés sur place, sait également que cette loi d'orientation, pourtant généreuse, n'est pas sans rencontrer actuellement encore des difficultés imprévues, car cette loi et toutes celles qui s'apparentent à son esprit, comme le bill 65, reposent sur l'hypothèse d'une volonté de participation générale. Mais, lorsque les citoyens, comme les étudiants de Nanterre, refusent la participation au nom d'une idéologie qui en fait des casseurs du système, que deviennent les belles structures? Elles sont paralysées et les agents du système, les esprits les plus libéraux, comme ce pauvre Paul Ricoeur ignominieusement coiffé d'une poubelle le 26 janvier 1970, n'hésitent pas à faire appel à la police, quitte à démissionner ensuite. On a alors bouclé la boucle. Demain, c'est tout le système qui serait renversé si l'anarchie triomphait. Mais, alors, la participation pourrait bien faire place à des Soviets.

Il n'est pas sans intérêt de rappeler ici ce qu'écrivait récemment M. Claude Ryan sur les avatars de la démocratie dans les CEGEP. "Un CEGEP forme en théorie, disait-il, une communauté exemplaire où représentants du milieu, de professeurs, des cadres, des étudiants et des parents sont appelés à participer aux décisions. Impressionnante sur papier, cette structure se prête dangereusement aux jeux de pouvoir et aux conflits d'intérêts. Elle ouvre des avenues nombreuses aux marchands d'intrigues. Elle risque de rendre difficile l'exercice concret de l'autorité et de favoriser la démolition des responsables qui entendent diriger et non pas se laisser ballotter sans cesse par les intérêts des uns et des autres."

Quand on lit, dans le bill 65, les articles relatifs à la composition des divers conseils et comités administratifs, on en vient à se demander combien parmi ces auteurs ont fait fonctionner avec succès une entreprise. Combien, je le demande, ont fait l'expérience de la partici- pation dans le sens qu'ils nous proposent: vaste, communautaire et multidisciplinaire?

Pour ma part, j'aurais plusieurs questions très concrètes à soulever sur le fonctionnement des différentes instances entrevues par le bill 65 et dans lesquelles on a l'impression que tout le monde va guetter tout le monde. Je crains fort qu'après une période d'exaltation et d'efforts collectifs, comme ceux qu'on retrouve au commencement de toute révolution, les meilleurs démissionnent ou prennent leur partie du système en essayant de s'éviter les embêtements. Je ne vois pas beaucoup la possibilité que le bill 65 suscite un grand nombre de chefs d'entreprises. La marge de véritable autonomie laissée à ces corporations publiques et à leurs directeurs généraux est sûrement trop étroite pour qu'ils se sentent vraiment engagés et, conséquemment, de véritables témoins de leur communauté.

La participation est une valeur de notre époque, mais, comme le rappelait déjà M. Laurent Picard, vice-président de Radio-Canada, le 29 septembre 1968, au colloque organisé par l'Institut canadien des affaires publiques, il est important de ne pas liquider la participation avant de l'avoir inventée. Or, il apparaît que certaines formes de participation qui nous sont proposées font justement cela. Le leadership n'en demeure pas moins nécessaire. C'est pourquoi il faut se garder d'ériger la participation en absolu, de succomber au mythe de la démocratie rêvée.

Le bill 65 veut commencer par remodeler tout notre réseau de services de santé et de bien-être selon le patron bureaucratique à la française, ainsi que le désigne M. Gustave Gélinier, un auteur renommé en management, avant d'y introduire l'idée de participation.

Or, la structure actuelle de la plupart de nos institutions, hôpitaux et agences sociales administrés par des bénévoles désintéressés et représentants de leur communauté locale en fait juridiquement des partenaires de l'Etat. Celui-ci, selon le principe de subsidiarité, subventionne les organismes en respectant leur liberté et leur responsabilité de gestion et en les soumettant à de légitimes contrôles. Tout cela fait l'envie de nos collègues de France et d'ailleurs.

Il est évident, pour tout observateur informé du modèle français, entre autres, et de tout modèle qui lui ressemble, que le bill 65 nous fait rétrograder gravement. Si nos services de santé et de bien-être paraissent aussi loin du peuple qu'on veut parfois le faire croire, si leur conseil d'administration n'a pas toujours exercé le leadership, s'ils ne se renouvellent pas assez souvent, s'ils ne sont pas assez dynamiques, sont-ils seuls en cause? Il conviendrait peut-être que le ministère fasse aussi son autocritique.

Après une longue période pendant laquelle l'Etat du Québec —on l'a rappelé tout à l'heure — s'est déchargé de ses responsabilités sur les oeuvres mises sur pied par les Eglises et des groupes de citoyens dévoués, il a adopté

une attitude de contrôle de plus en plus tatillon et stérilisant. Depuis dix ans, on a tout fait pour étouffer le sens de l'initiative et des responsabilités des agences sociales à l'endroit de leur propre milieu. Exception faite, cependant, quand, incapable de mettre sur pied les services qui devaient normalement dépendre de lui, le ministère exploitait à son avantage l'esprit d'entreprise des agences et leur souci pour les indigents. Aussi, ceux qui ont osé affronter Dieu le Père ou ses saints à Québec ont-ils dû le faire à leurs risques?

Il semble que seul pratiquement, le domaine psychiatrique n'ait pas connu le carcan. Se pourrait-il que, par le biais du bill 65, on assiste à une nouvelle forme de mise en tutelle du service social par la psychiatrie dite communautaire par exemple? Cela s'est déjà vu aux Etats-Unis, il y a plus de 30 ans; cela se voit encore en France, justement, dans le champ de juridiction des services d'action sanitaire et sociale. D'une façon générale, ce sont les institutions existantes, les hôpitaux, les agences sociales qui ont entraîné le ministère dans la voie du progrès, alors que les meilleurs éléments du même ministère étaient souvent contrariés par des tiraillements idéologiques "underground". Aussi, le ministère a-t-il rarement exercé un véritable leadership, comme je l'ai vu en Hollande, par exemple.

Ainsi, dans ce petit pays qui ressemble au nôtre sous bien des rapports, on a entrepris, en 1960, tout un plan de réformes graduelles des services de protection de l'enfance non pas en chambardant les structures, mais en proposant des objectifs réalistes et annuels, et en soumettant les subventions à la réalisation de ces objectifs.

Pendant ce temps, au Québec, sous prétexte ou parce qu'il y avait une véritable austérité financière qui s'imposait, on imposait et on impose encore des contrôles administratifs périmés qui entraînent des déboursés superflus; on pourrait en donner de multiples exemples. On est loin de la méthode de gestion moderne du "Program Planning Budgetary System" que tient en grande estime, paraît-il, notre premier ministre et le ministre Castonguay lui-même. Il aurait fallu que le ministère apporte son aide technique aux services pour moderniser leur "management". Je suis d'accord pour dire qu'une grande faiblesse de nos services est sur le plan du "management", mais il aurait fallu qu'on apporte son aide technique à ces services pour moderniser leur "management". Au lieu de cela, on a multiplié très souvent la paperasse inutile.

Après avoir réduit ou voulu réduire tous les responsables d'hôpitaux, d'institutions et d'agences sociales au rôle de valets, comment peut-on prétendre, avec la structure bétonnée édifiée par le bill 65, changer le cours des choses? Qu'on regarde ce qui se passe dans le domaine de l'éducation: ou bien les responsables qui ont à coeur de bien administrer s'usent à la tâche ou démissionnent, ou bien, quand ils élèvent la voix, l'Etat prend des allures de dame offensée. Le moins que l'on puisse dire de systèmes pareils, c'est qu'ils ne sont guère propices à la créativité de la part des responsables.

Les sommes d'argent que le ministère ne peut pas consentir aujourd'hui pour développer des services urgents en faveur de la population, il devra les consacrer tout à l'heure, si le bill 65 devait devenir loi, à la mise en place de nouvelles structures artificiellement conçues.

En 1961, la NASA a relevé le défi imposé par John Kennedy: la conquête de la lune. La plupart d'entre nous, sans doute, n'avons pas cru que ce serait possible. Werner Von Braün et son équipe n'ont pas attendu qu'on ait harnaché l'énergie nucléaire pour la propulsion de leurs fusées, même s'ils savaient que cette énergie nucléaire, un jour, leur permettrait d'aller mieux et plus loin qu'avec l'hydrogène. Ils ont entrepris une tâche gigantesque avec les moyens disponibles. Ce sont les objectifs qui comptent d'abord. Mais la NASA a dû coordonner pourtant 300,000 ingénieurs, techniciens ou hommes de métiers de toutes sortes, dispersés dans plus de 27,000 entreprises pour réussir. L'une de ces entreprises ne comptait que deux employés, c'est-à-dire le propriétaire et son frère. On ne lui a pas demandé de se fusionner avec une autre.

La NASA n'a pas commencé, donc, par procéder à un regroupement rationnel des diverses entreprises impliquées. Le résultat le plus remarquable, quoique le moins spectaculaire de l'effort spatial américain, c'est le progrès du "management", et "software".

Le "management gap" américain résulte justement d'une conception de l'administration qui reconnaît le dynamisme créateur des tensions qui accompagnent la concurrence, la multiplicité des entreprises et la diversité des disciplines en présence.

Il n'y a pas de raison que ce soit différent quand il s'agit de servir les humains. Il est certaine forme de planification par ailleurs — et l'expérience est faite ailleurs — certaine planification par le haut qui se retrouve périodiquement essoufflée.

L'organisation sociale des services de santé et de bien-être que propose le bill 65 et qui paraît bien avoir été empruntée au modèle français ou à un qui lui ressemble devrait en principe prévenir le mal que dénonçait M. le ministre dans son allocution à Toronto et qui serait "le développement désordonné de multiples ressources qui surgissent devant les besoins croissants de la population, ce qui risque de n'être qu'une multitude de palliatifs extrêmement coûteux".

Mais je dis que c'est la vie qui le veut ainsi. Pourquoi devrait-il en être autrement dans le domaine des services à l'être humain que dans le domaine économique? Ici, on souhaite la création d'entreprises, on souhaite le développe-

ment de chefs d'entreprise; là, on veut tout planifier par le biais de l'organisme régional des Affaires sociales, quitte à ce que les enragés du service à leur prochain le fassent à titre privé comme des coupables en liberté surveillée.

Prenons garde de verser dans une espèce de malthusianisme social. Voyons ce qui se passe en France où on a déjà le type de structure et de contrôle par le haut, voulu par le bill 65 pour nous. A côté des services d'Action sanitaire et sociale, services officiels dans chaque préfecture et sous-préfecture, on trouve des services sociaux indépendants: l'armée, les chemins de fer, les PTT, Michelin et d'autres grandes entreprises, et surtout une pléthore de petites oeuvres de toutes sortes mises sur pied par des bénévoles pour pallier les insuffisances criantes de l'appareil officiel qui devait au préalable, dans les plans sur papier, prévenir justement la multiplication de services anarchi- ques.

Loin de corriger le mal que redoute M. le ministre, un tel modèle d'organisation provoque son aggravation, surtout quand on connaît l'individualisme de nos cousins de France, qui est un peu le note aussi, et leur passion pour le système "D". Autant j'admire le sens de l'initiave et la générosité d'un grand nombre de ces bénévoles que j'ai connus en France, autant j'ai toujours regretté, lors des nombreux contacts que j'ai eus avec eux, le gaspillage d'énergie qu'entraînent leurs efforts pour trouver des subsides d'origine privée.

Est-ce vraiment là la meilleure façon pour un Etat moderne de mobiliser toutes ses ressources au service des plus démunis? A long terme, ce qu'on doit redouter du bill 65 aussi c'est le faux sentiment de sécurité que l'Etat contribue encore à donner à notre population avec l'esprit de dépendance chronique qui en découle et qui nous affecte tous.

Alors qu'il faudrait reprendre le mot de Kennedy, en 1960: "Ne vous demandez pas ce que l'Etat peut faire pour vous, mais demandez-vous plutôt ce que vous pouvez faire pour vos concitoyens," et dire aux Québécois: Regardez autour de vous la misère de vos concitoyens, groupez-vous, agissez et nous vous aiderons. On pourrait leur dire encore une fois: Attendez, nous allons refaire les structures et vous verrez, vous aurez tous les services voulus.

Et si ça ne marchait pas comme on l'a conçu en Chambre? "On va essayer et si ça ne marche pas, on va essayer autre chose," comme disait un coryphée du bill 65 à l'émission Présent du 19 juillet. Les humains sont-ils donc devenus au Québec des cobayes entre les mains de savants technocrates? Se pourrait-il que le ministère des Affaires sociales, après avoir englouti des millions pour les structures de nouvelles bâtisses — parce que je ne crois vraiment pas qu'on va réaliser cela en abaissant les coûts; pour moi, mon opinion est faite — se retrouve dans la situation du ministère de l'Education — et je m'excuse de l'allusion au ministère de l'Educa- tion — incapable de fournir les tuteurs qui devaient, d'après les auteurs du rapport Parent, contribuer à personnaliser l'enseignement auprès d'étudiants programmés par ordinateurs et courant chaque jour d'un professeur à l'autre, d'un édifice à l'autre dans les corridors de nos polyvalentes et de nos CEGEP?

Ce que nos agences non gouvernementales de service social affranchies de la tutelle de la santé auront davantage mis en valeur chez nous, c'est la personnalisation du service au client; c'est la défense de ses droits et de ses besoins en face de l'appareil étatique souvent exposé à perdre de vue la personne dans la forêt des règlements administratifs et de la paperasse.

C'est la synthèse heureuse que le service social a fait des techniques nord-américaines avec notre conception de l'humanisme. Qu'on n'ait pas toujours, ni partout, également réussi dans cette tâche, on ne saurait en tenir grief aux agences sociales quand on connaît les expédients auxquels elles ont dû souvent recourir sous la pression des besoins du milieu.

Ajoutons aussi qu'une nouvelle orientation de la pensée en service social, ces dernières années, qui paraît privilégier le collectif aux dépens de la personne individuelle, n'est pas sans exercer une certaine influence. Mais n'est-il pas à craindre que le système que préconise le bill 65 accentue une certaine insensibilité à l'autre dans ce qu'il a de plus intime et de plus profond? Déjà, on peut déceler cette tendance chez quelques jeunes praticiens dans le domaine de la santé et dans celui du service social, influencés à leur insu par une formation en sciences humaines dominé par la mathématique et par ce que Pascal appelait l'esprit de géométrie.

Dernièrement, je voyais "Le Sang du condor", un film qui veut illustrer l'expérience de l'Alliance pour le progrès, en Bolivie. On est arrivé là et, comme la population est pauvre, on a entrepris de s'arranger pour qu'elle ne grandisse pas au-delà de trois ou quatre enfants, on stérilisait les femmes à leur insu et à l'insu de leur mari. Le film se termine sur l'image suivante: c'est un pauvre homme qui cherche par tous les moyens à obtenir du plasma sanguin pour son père qui se meurt. Il va frapper à la porte du médecin de sa région. Lui, il est puissant; sa femme se prépare à aller au banquet où il va adresser la parole précisément sous les auspices de l'Alliance pour le progrès afin de dire toute la beauté de ce plan qui est extraordinaire pour l'humanité. Eh bien, c'est cela! On en vient à aimer l'humanité, mais à oublier l'homme concret.

Il est permis de redouter que, dans ces nouveaux services bien structurés avec un personnel bien protégé par l'armure de la convention collective, l'approche du client soit de plus en plus fonctionnelle. Pourtant, nos clients ont besoin de saisir le sens de la gratuité chez le praticien. L'homme moderne étouffe déjà dans nos communautés technologiques où la rationa-

lité triomphe. Je suis, moi aussi, pour la rationalisation, mais il y a un excès à ne voir dans l'homme que la dimension rationnelle. L'efficacité est nécessaire, bien sûr, mais il n'est pas fatal qu'on doive n'être que fonctionnel pour être efficace. L'exemple du métro de Montréal le souligne bien, lui qu'on a voulu beau, en même temps que pratique.

Peut-être devrait-on adjoindre des humanistes de formation littéraire, si notre monde en forme encore, à nos équipes de planificateurs. Tout le domaine des services à l'humain est déjà menacé par la rationalité excessive au pays du Québec. On l'a déjà dit pour ce qui est de l'éducation. Déjà, on le découvre et on le déplore dans le secteur de la santé.

Demain sera-ce le tour de celui du service social?

Il est un autre aspect, enfin, du bill 65 qui ne manque pas d'étonner et c'est la rupture qu'il annonce avec tout un passé en matière de valeurs religieuses. Nulle part il n'apparaît qu'on reconnaisse un rôle aux diverses Eglises, soit au niveau des différents conseils d'administration, soit au niveau des services de la clientèle. Est-ce à dire que, demain, les institutions qui se voudraient identifiées par des valeurs de foi religieuse, au niveau même de leur structure, ne sauraient être que "privées", au sens de l'article lc) ou ld)? Le statut et les chances de survie de cette dernière catégorie paraissent par ailleurs assez aléatoires. Je vous réfère à l'article 136. Il semble, en effet, qu'ils n'ont droit de naître, d'exister et de survivre ces entreprises, ces oeuvres, ces services privés et subventionnés que dans la mesure où l'Etat ne peut se passer d'eux.

S'agit-il d'un oubli ou d'une politique arrêtée d'exclure les Eglises comme telles du champ de la santé et de celui du bien-être? Cette dernière hypothèse serait alors un indice de plus pour identifier comme étrangères les ressources qui paraissent avoir inspiré la pensée sous-jacente au bill 65. Ainsi, il n'y aurait plus, demain, d'hôpitaux publics catholiques ou... juifs. Il n'y aurait plus d'agences sociales où la clientèle serait assurée de par la qualité de leur structure même, que seront respectées ses valeurs morales et religieuses. Cela va bien au-delà des questions de culte. Il s'agit, pour un catholique, pour un chrétien, de toute l'inspiration doctrinale de l'agir professionnel. Là encore, il est permis de douter de la sagesse du législateur qui rompt avec une tradition, non seulement québécoise, mais canadienne et même nord-américaine. La paix sociale n'est-elle donc plus un bien auquel les Eglises et les croyants puissent contribuer officiellement au Québec?

Voudrait-on, quelque part au ministère, imposer aux catholiques des conditions de pénurie pour avoir le droit de rendre service à leurs concitoyens dans les structures conformes à leurs valeurs? Il serait assez bizarre qu'au Québec seule la minorité juive puisse maintenir des services confessionnels.

Seule peut-être elle disposerait, d'une part, des moyens financiers et, à l'époque actuelle, elle aurait le cran voulu pour arriver à se constituer en institution privée selon 1-c) ou pour se faire reconnaître comme institution privée subventionnée en vertu des articles 1-d) et 136.

Ce disant, loin de moi l'idée d'en faire grief à nos compatriotes, mais, si cela devait se faire, on ne pourra que les admirer et les envier. Faut-il donc, après avoir épousé les schèmes administratifs de la France, assumer rétroactivement son douloureux passé laïciste? Quand donc aurons-nous la maturité suffisante pour conserver à la France notre amitié sans nous croire obligés de la copier dans ce qu'elle a de moins bon à nous proposer?

Que ce soit, en effet, au niveau des valeurs ou au niveau de l'organisation, des services comme ceux de l'Action sanitaire et sociale de France ne sauraient constituer pour notre milieu un modèle valable. L'adopter serait purement et simplement régresser. Je connais bien ces services pour les avoir visités à plusieurs reprises et pour avoir entretenu des relations de travail suivies avec quelques-uns d'entre eux. D'autres que moi les connaissent aussi. Je pense à certains officiers du ministère qui ont fait des stages d'études à l'école de Rennes, par exemple, ces dernières années. Leur stage comprenait un séjour d'observation dans l'un ou l'autre de ces services départementaux. J'ai toujours assez mal compris, cependant, que nos amis du ministère aient eu le loisir de vivre un mois dans un service d'Action sanitaire et sociale de France, alors qu'ils n'avaient jamais passé plus d'une journée dans l'une ou l'autre de nos agences sociales, ici au Québec, pour en comprendre véritablement le fonctionnement.

M. LE PRESIDENT: Pourrais-je avoir un renseignement, s'il vous plaît? Vous en reste-t-il encore beaucoup?

M. HURTEAU: Deux pages, cinq minutes.

M. LE PRESIDENT: La commission est-elle d'accord pour continuer? Alors, très bien.

M. HURTEAU: Cela est assez paradoxal et c'est dangereux aussi, quand ce sont les hauts fonctionnaires qui fréquentent l'ENA. On risque alors de préconiser, par la suite, des réformes à rebours. Malgré soi, on se prend à penser à certaines chansons de Félix Leclerc. Pour ma part, je n'ai jamais été renversé par ce que j'ai vu dans ces services officiels français, qu'il s'agisse des méthodes administratives ou qu'il s'agisse de la profession de service social qui s'y exerce dans la plus complète sujétion par rapport à la médecine et à la psychiatrie.

Dans un département du nord-ouest que son directeur me décrivait pourtant comme privilégié, le service d'action sanitaire et sociale ne

comptait que deux inspectrices et six assistantes sociales pour s'occuper de 4,000 pupilles. Je me souviens d'avoir éprouvé de la gêne devant leurs questions sur le fonctionnement de nos services, sur notre liberté de manoeuvre en faveur de notre clientèle et que nous permet le caractère non gouvernemental et la direction privée de nos services. Ce n'est pas le directeur de l'action sanitaire et sociale de France qui aurait pu faire l'opération Youville de l'an passée. Je sentais que mes réponses faisaient mal à mes collègues de France, des collègues dévoués, mais coincés entre la pression de leur tâche et la lourdeur et la lenteur de l'appareil administratif.

Je revois encore cette jeune psychopédagogue qui s'acharnait, seule et sans ressources suffisantes, à placer en foyer nourricier des enfants de trois à six ans, alors que nous, ici, nous étions en plein essor de la sortie massive d'enfants qui avaient vécu jusqu'à six ans à la crèche, que nous avions établi des méthodes nouvelles. On n'a jamais eu le temps d'écrire là-dessus parce qu'on a été pris par l'action. On le faisait. Elle devait, elle, les arracher à des directrices d'orphelinats qui lui reprochaient de leur causer un déficit de fonctionnement. En même temps, elle devait chercher à échapper au contrôle de la psychiatre de l'hôpital auquel était rattaché le dépôt d'assistance publique dont elle s'occupait des enfants. Cette psychiatre était en effet convaincue qu'un enfant n'était pas récupérable après avoir vécu trois ans en institution. Nous avons connu aussi des psychiatres ici qui, il y a dix ans, nous disaient la même chose.

Cette jeune psychopédagogue allait contre les canons de la science psychiatrique officielle qui avait définitivement établi, après les expériences de Spitz aux Etats-Unis et de Aubry en France, que la carence maternelle causait au jeune enfant un dommage irréparable. Notre époque connaît aussi ses Galilée. C'était en 1965, et je nous trouvais bien chanceux de vivre au Québec et dans nos structures. Je ne pensais vraiment pas à ce moment-là devoir un jour chercher à convaincre mes concitoyens que nous n'avions rien à gagner à adopter des structures centralisatrices, bureaucratiques, étatiques en matière de santé et de bien-être social.

Je conclus. Les problèmes soulevés par le ministre sont réels, mais on pourrait les résoudre graduellement, me semble-t-il, grâce à un leadership éclairé et bien informé de la part des instances gouvernementales, à un effort réel de coordination régionale, à quelques fusions graduelles et prudentes d'organismes naturellement apparentés, à une décentralisation véritable des pouvoirs de décision du ministère, à une pratique de présence des organismes au sein de leur communauté. Grâce à un recours judicieux aux relations publiques, à la modernisation des méthodes de gestion des organismes avec l'aide technique du ministère, à la spécialisation des services chaque fois que le volume de population le suggère et à la révision de certains critères territoriaux.

Depuis dix ans, la province de Québec, en ce qui concerne le champ d'action des agences sociales, a été comme frappée d'attentisme. Il y a eu d'abord le comité Boucher, puis la commission Castonguay-Nepveu. C'est long, dix ans de commission d'enquête. Pendant ces années-là, la vie a continué.

Aujourd'hui que le bill 65 veut imposer une réforme globale et radicale peut-être ferions-nous bien de nous demander si toutes les données recueillies au cours de ces années sont aussi valables qu'elles ont paru l'être il y a cinq ou huit ans, si certaines conceptions idéologiques aussi ne sont pas démodées, car la pensée sociale a évolué pendant ce temps.

Il y a dix ans, on était à la veille de la belle époque de Bécancour et de la SGF, des grandes réalisations qu'elle promettait. Le concept de l'Etat et de son rôle dans la vie des citoyens était prédominant. La réalité s'est révélée plus d'une fois différente de celle qu'on avait entrevue dans plus d'un domaine. Nous vivons au-dessus de nos moyens, disait M. Gérard Plourde à la Chambre de commerce l'an dernier. Ce qui est pire encore, c'est que nous avons déjà engagé une partie importante de nos revenus futurs. C'est la résultante de programmes éducatifs et sociaux dont on avait mal prévu les coûts, le rattrapage qu'on voudrait trop rapide.

Je conclus finalement. La structure de nos services actuels, qui en fait des organismes semi-publics, partenaires de l'Etat et responsables à leur communauté, tout cela peut s'améliorer, mais cela offre déjà à notre population des avantages plus grands que ceux que prétend apporter demain le bill 65. Qu'on permette enfin à ces organismes de jouer tout le rôle que leur confère leur charte; qu'on les associe vraiment à l'élaboration des politiques sociales selon les exigences d'une saine coordination et d'une prudente planification.

Très tôt, l'on découvrira toute la valeur d'un dynamisme qu'on a trop longtemps jusqu'ici contrarié. Par voie de conséquence, leurs administrateurs retrouveront un nouveau sens des responsabilités qui entraînera, à son tour, une participation active mais cohérente des milieux qu'ils représentent. Ce dont le Québec a besoin aujourd'hui ce n'est pas de transformer ses structures, c'est de retrouver une âme et le sens de l'entreprise.

M. LE PRESIDENT: Je vous remercie, M. Hurteau. La commission suspend ses travaux jusqu'à trois heures. J'inviterais M. Hurteau à revenir parce que je crois que des membres de la commission voudraient lui poser certaines questions.

Reprise de la séance à 15 h 10

M. FORTIER (président de la commission permanente des Affaires sociales): A l'ordre, messieurs !

Monsieur Castonguay.

M. CASTONGUAY: M. le Président, étant donné la teneur du mémoire qui a été présenté ce matin, savoir: la recommandation de retirer le projet de loi pour qu'il soit reformulé par une commission multipartite, j'aimerais faire un certain nombre de commentaires, plutôt que de poser des questions, et indiquer pourquoi il ne peut être question de retirer ce projet de loi.

Evidemment, je ne reprendrai pas tous les points soulevés dans le mémoire mais ceux ou certains parmi ceux qui m'apparaissent les plus importants de commenter pour bien justifier le fait qu'il ne peut être question de retirer ce bill.

En premier lieu, M. l'abbé Hurteau pose l'hypothèse qu'il s'agit d'une copie de ce qu'il appelle le modèle français ou encore d'un modèle qui s'y apparente. A ce sujet-là, je ne voudrais pas faire une analyse comparative de ce qui existe en France, de ce qui existe ici, de ce qui est proposé, mais je voudrais simplement attirer l'attention sur le fait que les comités mis sur pied par le gouvernement fédéral et les provinces, comités composés en grand nombre de représentants de tous les secteurs d'activités qui ont fait rapport au cours des dernières années, avaient comme objet, au tout début, l'étude du coût des soins médicaux. Si l'on examine les conclusions de ces comités et les propositions qui sont dégagées, on retrouve une très grande similitude entre ce qui est proposé dans ce bill-ci.

Egalement, étant donné que l'on a souligné le dynamisme du gouvernement américain, particulièrement en ce qui a trait à la NASA, je voudrais simplement faire remarquer qu'en ce qui a trait au domaine des services de santé, particulièrement les services sociaux dans une certaine mesure, les commissions du président, ou "President's commissions", ont été formées également et encore là il s'agissait de commissions composées de personnes venant de divers secteurs d'activités, de divers niveaux d'activités aux Etats-Unis. Et si on lit les recommandations, les conclusions de ces commissions, qui ont joui d'un très grand prestige aux Etats-Unis, on y retrouve également le même esprit que celui qui anime le rapport de la commission d'enquête.

Au plan, ici, du bill 65, les propositions qui y sont faites, je ne crois pas qu'il soit exact de dire, en aucune façon, que nous nous soyons inspirés du modèle français. Nous avons dégagé les conclusions qui s'imposaient de l'analyse de la situation que nous avons constatée. Si on peut y voir certaines similitudes, on peut y voir de grandes divergences.

Dans le mémoire qui a été présenté on propose des objectifs généraux tels que, par exemple, la mobilisation de toutes les énergies et la nécessité de susciter le dynamisme du milieu. Nous sommes tout à fait d'accord sur cet objectif.

On mentionne aussi la nécessité de maintenir la créativité au plan des initiatives individuelles et l'on mentionne, justement à ce sujet, qu'une certaine concurrence, que des tensions peuvent être génératrices de créativité. Sur ce plan, je voudrais mentionner que nous proposons la création de centres locaux de services communautaires qui, par définition, devront venir justement du milieu et mettre en présence des représentants de diverses disciplines qui, présentement, pratiquent de façon tout à fait isolée les unes par rapport aux autres, et que, justement, ceci peut être un facteur générateur de tensions créatrices, comme on l'a mentionné.

On mentionne également la nécessité de mettre davantage l'accent sur le "management"; sur ce plan non plus l'on ne peut être en désaccord. Justement, comme ministère, nous avons déjà posé des gestes pour essayer d'améliorer la possibilité de donner plus de latitude à des institutions pour qu'elles puissent exercer un "management", comme on l'a dit, plus efficace. Evidemment, tout ne peut se faire en un jour. Ici, je réfère plus particulièrement à l'expérience pilote du projet global dont il a été fait mention lors de l'étude des crédits du budget du ministère.

Alors que l'on propose tous ces objectifs qui sont valables, que nous partageons et que nous croyons nécessaire de poursuivre, que nous croyons pouvoir poursuivre avec le cadre proposé, dans le mémoire on limite toutefois l'Etat, lorsque l'on regarde bien la philosophie ou l'idéologie du mémoire, à la fixation de très grands objectifs et à un rôle de conseil auprès des institutions, des organismes; aussi, on limite le gouvernement à un rôle, dans une large mesure, de bailleur de fonds. Pourtant, l'Etat a un rôle, comme je l'ai mentionné, et des responsabilités très précises aussi bien au plan de la planification des services, de la programmation de certains types de services, du financement.

Ce rôle, au plan de financement, doit aller plus loin que de distribuer des fonds, mais voir également de quelle façon ces fonds sont utilisés.

Nous sommes dans un secteur, je pense qu'il est nécessaire de le rappeler, où les besoins excèdent de beaucoup les ressources et il est nécessaire de nous assurer que les ressources qui nous proviennent de la taxation sont utilisées de la façon la plus efficace possible et surtout en fonction des besoins.

Je ne crois pas qu'il soit possible de laisser à des institutions autonomes, séparées des autres, de déterminer quelle doit être l'allocation de ces ressources et aussi, de passer des jugements sur leur utilisation de façon générale. Justement à ce sujet-là, j'ai rappelé ici les fonctions qui doivent être conservées ou données à l'Etat,

d'une façon plus claire, faire certaines clarifications. Dans le système que nous proposons, nous ne proposons pas que l'Etat prenne lui-même en charge la mise sur pied de services, services animés par des fonctionnaires, services sous le contrôle direct du gouvernement. Il en existe présentement de ce type de services: les unités sanitaires, par exemple, les bureaux d'aide sociale. J'ai déjà indiqué, justement à ce sujet, que c'était notre intention, en ce qui a trait aux unités sanitaires, de les intégrer graduellement aux autres services ou ressources dans le système.

On vise non pas la mise sur pied de ce type de services qui seraient vraiment des services étatiques, mais, au contraire, la mise sur pied de corporations sans but lucratif avec représentation de toutes les parties intéressées, aussi bien au niveau des organismes régionaux qu'au niveau des institutions.

Il n'y a pas tellement de différence, dans les faits, avec la plupart des institutions qui existent présentement, surtout si l'on considère que ces institutions sont financées, dans un très grand nombre de cas, entièrement par l'Etat. Ce sont des corporations sans but lucratif, dans un très grand nombre de cas, mais comme je l'ai mentionné ce matin, des corporations qui ont une certaine tendance à se perpétuer. Et bien que j'accepte la nécessité de maintenir des traditions, la nécessité d'une certaine stabilité en contrepartie, et nous croyons que ceci est nécessaire, il doit y avoir renouvellement et infusion de sang nouveau, ventilation d'institutions.

En d'autres termes — et je crois que c'est résumer assez précisément ce que l'on propose — c'est de donner un rôle supplétif à l'Etat —c'est ce qu'on propose dans ce mémoire — alors qu'à notre avis il est nécessaire de lui donner un rôle beaucoup plus dynamique. L'époque du rapport de la commission Tremblay, où on venait de reconnaître, vers les années 1956, 1957, la nécessité d'un rôle supplétif à l'Etat dans ce domaine, est maintenant révolue. D'autant plus qu'on peut percevoir dans la présentation du mémoire une certaine méfiance traditionnelle à l'égard de l'Etat. Ici, il y a une ambiguïté, à mon avis, qu'il serait bon de dissiper.

D'une part, la population demande de façon systématique l'intervention de l'Etat dans tous les domaines possibles et impossibles. La population aussi, souvent et avec raison, blâme le gouvernement de ne pas intervenir, de ne pas assumer ses responsabilités surtout dans des secteurs essentiels. Par contre, lorsque l'Etat, pour assumer ses responsabilités, croit devoir préciser la façon dont il doit assumer son rôle —et ceci est aussi nécessaire que la façon de préciser le rôle des institutions — on refuse ou on fait état d'une méfiance très grande à l'égard de l'Etat. Or, on ne peut avoir les deux: d'une part, cette demande d'intervention constante de l'Etat et, d'autre part, l'absence de moyens pour s'en acquitter.

Je rappelle ici justement que nous avons, dans toute la mesure du possible, essaye de maintenir ce qui est bon du système actuel, c'est-à-dire le système des corporations sans but lucratif, mais d'y injecter ou d'y introduire de nouveaux éléments que les conditions, les besoins actuels exigent et aussi de préciser les fonctions de l'Etat.

Encore une fois, je voudrais faire une autre distinction. Lorsque la population demande l'intervention de l'Etat, il ne s'agit pas toujours d'une réaction provenant d'un phénomène de dépendance de l'Etat; bien souvent, il s'agit tout simplement de l'expression de besoins vis-à-vis des services essentiels et de besoins qui ne sont pas satisfaits et qui doivent l'être.

Autant je suis partisan de l'élimination ou de tout ce qui peut contribuer à éliminer la dépendance de la population vis-à-vis de l'Etat, autant je crois qu'il est nécessaire de faire certaines distinctions lorsqu'on écoute les représentations de la population.

Je crois également qu'il est nécessaire de faire une certaine mise en garde — j'avais souligné ce danger ce matin brièvement — lorsqu'on compare ce qui doit être fait ici avec la réforme dans le domaine de l'éducation. Il est facile en effet de dire aujourd'hui que tout ce qui a été fait dans le domaine de l'éducation est mauvais et qu'on s'y est pris de la mauvaise façon.

Evidemment, pour ceux qui ont amorcé cette réforme, pour ceux qui en ont vécu les problèmes, pour ceux qui ont essayé de l'animer, il s'agissait d'une tâche extrêmement difficile, extrêmement ingrate. Lorsque l'on se reporte en arrière, que l'on considère ce qui existait en 1960 et ce qui existe aujourd'hui, je crois que nous avons fait d'énormes progrès, même s'il demeure des problèmes dans le domaine de l'éducation et même si on est assuré qu'il en demeurera toujours. C'est une réalité de la vie qu'on continue, dans tous les secteurs de la vie, à faire face à des problèmes.

Quant à moi, ce parallèle qu'on peut faire avec l'éducation, il me semble qu'on devrait le faire d'une façon beaucoup plus nuancée. Il me semble aussi qu'on devrait se rappeler que, dans le domaine de l'éducation, lorsqu'on a amorcé la réforme, tout ne pouvait être fait à la fois. C'était, ici au Québec, une des premières réformes d'envergure que l'on amorçait. S'il y a eu des tâtonnements, s'il y a eu une stratégie plus ou moins adaptée, il est beaucoup plus facile de le dire aujourd'hui qu'il n'était facile de le faire à l'époque. Pour ma part, si l'on se reporte à l'exemple de l'éducation pour préconiser le statu quo, je crois que c'est un mauvais exemple.

Lorsque l'on se reporte aux propositions ou aux objectifs que l'on mentionne comme étant absolument nécessaires et que nous partageons, ceux que j'ai mentionnés plutôt: mobilisation des énergies, créativité au plan des initiatives individuelles, meilleur "management", etc., leadership de l'Etat, mais à un niveau vraiment

non interventionniste, il faut aussi ne pas oublier les déficiences du système actuel. J'en ai mentionné certaines ce matin, mais je vais revenir sur d'autres de façon plus précise cet après-midi.

Lorsqu'on examine ce qui a été fait dans tout le domaine de l'enfance déficiente au plan physique et mental, on constate, par exemple, qu'il y a une concentration de corporations à but lucratif. On peut se demander justement comment il se fait que les corporations sans but lucratif, les corporations privées ne se soient pas préoccupées davantage de ces secteurs. La même chose dans le secteur des malades chroniques. Comment se fait-il qu'il y ait tant de corporations à but lucratif et qu'il n'y ait à peu près pas de corporations sans but lucratif? On peut se poser des questions. Pourtant, ce sont des secteurs qui exigent énormément de dévouement, des secteurs extrêmement ingrats, des secteurs aussi où la population est peu consciente des problèmes qui existent.

Egalement au plan de l'accessibilité aux services, il est bon de parler de créativité, de "management", de coordination prudente, mais est-ce que, face à des problèmes comme ceux qui ont été mis en lumière par la commission Marsan, l'on ne croit pas nécessaires des interventions un peu plus énergiques et qui permettent un déplacement de ressources qui n'est pas possible au niveau d'institutions purement individuelles, purement isolées les unes par rapport aux autres.

Egalement lorsque l'on parle du traitement des alcooliques, comment se fait-il qu'il nous a été nécessaire de demander aux institutions de traiter les alcooliques dans les hôpitaux? Pourtant il s'agit d'un problème extrêmement répandu dans notre milieu, d'un problème qui ne peut être ignoré. La même chose pour les toxicomanes et pourtant, il s'agit encore là d'un problème extrêmement sérieux. Je sais par la correspondance que nous recevons, par les mémoires, — on n'a qu'à lire le rapport préliminaire de la commission LeDain — que ce sont des problèmes qui existent, qui ont été identifiés et pour lesquels il n'y a pas eu de réponse apportée. Même si ce n'est pas une critique adressée directement aux institutions que je veux formuler, je veux faire ressortir qu'il y a un besoin d'intervention de la part de l'Etat dans l'allocation des ressources, dans la planification des services, un dynamisme et un leadership plus collé aux réalités et aux besoins que celui auquel on nous invite dans les mémoires présentés ce matin.

Aussi, on a proposé que le ministère fasse sa propre autocritique. Je suis tout à fait d'accord et d'ailleurs, ici, aujourd'hui, je serais beaucoup moins à mon aise vis-à-vis du bill 65 si nous n'avions pas abordé en toute priorité l'intégration des deux ministères de la Santé, de la Famille et du Bien-être, et si nous ne nous étions pas fixé un calendrier aussi exigeant que celui que nous nous sommes fixé, malgré les mises en garde qui nous ont été faites, aussi bien lors de l'étude de ce projet de loi qu'au moment de l'étude des crédits du ministère. C'est justement parce que j'étais bien conscient et que nous étions bien conscients de la nécessité de redéfinir le rôle du ministère, de lui redonner un nouveau dynamisme et de s'assurer qu'il répondait bien comme structures aux besoins de la population et aux exigences des responsabilités qui doivent être assumées par l'Etat dans ce secteur.

Egalement, les institutions ont besoin de faire leur autocritique aussi bien que le ministère. Lorsque nous parlons des institutions, je suis tout à fait d'accord pour qu'elles maintiennent le statut de corporations sans but lucratif, je suis extrêmement attaché à ce principe.

Il n'en demeure pas moins qu'il faut faire attention parce que, justement dans le passé, on peut se demander si nous n'avons pas un peu abusé. Et ce qu'on a décrit comme le phénomène de l'institutionnalisation n'est certainement pas venu de l'Etat. Il y a également une certaine autocritique à faire au niveau des institutions elles-mêmes. C'est justement ce pourquoi, en tant que ministère, nous voulons tellement mettre l'accent plutôt sur les services, sur le développement des ressources telles que les centres locaux de services communautaires qui sont vraiment conçus uniquement à partir de la nécessité de services et non pas partir du concept de l'institution.

D'ailleurs, et ceci est un point, lorsque l'on parle des institutions, du rôle qu'elles peuvent jouer dans le contexte, pour reprendre l'expression du mémoire, une prudente coordination, ici également, il faut faire une certaine mise en garde ou rappeler certains faits. Depuis un bon nombre d'années, ce problème du manque de complémentarité, du manque de continuité dans les services, la dispersion, a été soumis à diverses reprises dans des mémoires très sérieux qui ont été présentés à la commission, qui ont été présentés à d'autres endroits et discutés.

Et pourtant, lorsque l'on regarde les résultats de la coordination sur une base volontaire, on s'aperçoit que c'est un processus extrêmement lent et, dans bien des cas, absolument impossible à réaliser. Nous en avons eu, d'ailleurs, des exemples au cours de la dernière année, et je pourrai au besoin donner plus de détails sur ce plan. D'ailleurs, les questions qui m'ont été adressées en Chambre à plusieurs reprises provenaient justement de difficultés entre institutions d'un même milieu desservant la même population et qui refusaient absolument d'engager tout dialogue.

On a mentionné aussi que le bill établit ou va provoquer une rupture avec un passé de valeurs religieuses. Encore là, il m'apparaît assez important, il me semble, que ce que nous avons vécu au cours des dernières années démontre assez clairement que ce n'est pas tellement le statut d'une institution, le statut de la personne morale qui conditionne l'esprit de ceux qui

animent ces institutions mais que ce sont beaucoup plus les convictions des personnes qui sont importantes.

Aussi, il me semble que ce projet, ne faisant pas référence à des hôpitaux publics, ne présuppose absolument pas et en aucune façon ce que devraient être les convictions des personnes qui oeuvrent au sein de ces institutions.

De même, on a mentionné ici — il s'agit d'un détail, mais je crois qu'il est assez important de le rappeler; je relie ça à la première remarque que j'ai faite au sujet du modèle français — que des fonctionnaires étaient allés faire des stages à Rennes. Un des premiers gestes que j'ai posés en arrivant au ministère, ce fut de demander qu'il n'y ait plus de nos fonctionnaires qui aillent faire des stages à Rennes ou encore à l'ENAP en France et il n'y en a pas eu qui y sont retournés depuis que je suis arrivé.

Si l'on examine attentivement le mémoire qui nous est présenté, on nous propose la formation d'une commission multipartite pour reprendre la rédaction du projet de loi. Je crois qu'on nous propose, en définitive, le statu quo, une idéologie sur laquelle nous ne pouvons être d'accord. Je crois également que retirer ce projet pour le remettre à une commission multipartite, ce serait nier le rôle des législateurs qui sont ici à l'Assemblée nationale et qui sont justement chargés de la responsabilité de rédiger les lois. Encore là, on peut justement percevoir cette méfiance à l'égard de l'Etat.

Rédiger des projets n'est pas une responsabilité qui est confiée à des commissions multipartites; c'est une responsabilité qui appartient aux législateurs. Justement, le bill 65, je l'ai dit, est un projet de loi dans lequel nous avons exposé des points qui nous apparaissent plus importants, des objectifs plus fondamentaux. Par contre, c'est un projet de loi que nous sommes tout à fait disposés à améliorer au plan des modalités et même au plan des objectifs fondamentaux. Nous sommes également disposés à les modifier si l'on nous prouve qu'il est possible de les améliorer. Aussi, constituer une telle commission multipartite serait reconstituer sous une autre forme une commission d'enquête, alors qu'on a signalé, avec justesse, que nous sommes au terme d'une période de dix ans de commissions d'enquête.

Alors, en tant que ministre et de représentant du gouvernement, je rejette cette proposition. Je préfère faire confiance aux législateurs.

M. CLOUTIER (Montmagny): M. le Président, je voudrais également, à la suite de l'abbé Hurteau et du ministre des Affaires sociales, faire un bref commentaire.

Etant donné que le mémoire soumis par le directeur de la Société d'adoption et de protection de l'enfance de Montréal est suffisamment explicite et suffisamment clair et que les énoncés de principe qui y sont contenus sont sans équivoque, ça nous dispense, à ce moment-ci, de poser des questions beaucoup plus précises.

Je voudrais souligner que c'est une très bonne chose, évidemment, que la commission parlementaire des Affaires sociales siège. C'est là que l'on voit l'utilité de la commission afin que toutes les expressions d'opinions, même si elles vont à l'encontre d'une législation, puissent se faire valoir. Cela a demandé, évidemment, à celui qui a présenté le mémoire une certaine dose de courage.

Je crois que l'on doit féliciter l'abbé Hurteau d'avoir eu le courage de venir devant la commission exprimer ses opinions sur un domaine, un champ d'activité qu'il connaît bien puisqu'il y a consacré, avec énormément de sincérité et de motivation, au-delà de vingt ans de sa vie.

On peut être d'accord ou différer d'opinion — on l'a dit ce matin — fondamentalement sur le projet de loi 65. Nous aurons l'occasion, nous de l'Opposition, de faire valoir certains points de vue, de reprendre des expressions d'opinions, des suggestions qui ont été faites et qui seront faites par ceux qui viennent ici, devant la commission parlementaire, afin de tenter d'amener le gouvernement à modifier son point de vue sur certains articles ou certains points de la loi qui nous apparaissent particulièrement importants.

Vous avez souligné, dans votre mémoire, les dangers que vous parait comporter cette législation. Il y a certainement des points extrêmement importants à retenir dans votre argumentation. Jusqu'où doit aller l'intervention de l'Etat, que ce soit dans le domaine de l'éducation, que ce soit dans le domaine des affaires sociales, pour répondre aux besoins de la population et à l'évolution que l'on constate actuellement non seulement au Québec, mais un peu partout? Jusqu'où doit aller l'intervention de l'Etat et quelles doivent en être les modalités afin que ceux qui oeuvrent dans ces secteurs demeurent des partenaires de l'Etat? Ce n'est pas l'Etat qui va lui-même comme tel, quelles que soient les structures, quels que soient les objectifs à atteindre, assurer la distribution et l'organisation des services. C'est le rôle de ceux qui, comme vous, dans le secteur de l'enfance, rendent quotidiennement à la population les services qu'elle attend et qui sont constamment les intermédiaires entre la population et vos institutions. Jusqu'où l'Etat doit-il aller? Quelle est la ligne de démarcation? C'est ce que nous avons essayé de trouver, pour notre part, depuis les années que nous discutons à cette table. Où doit-on tracer cette ligne pour que l'on assure un équilibre entre l'Etat, qui assume sa responsabilité, et les institutions et les personnes chargées de donner suite à l'exécution d'un programme dans le domaine social?

A ce stade-ci de nos travaux, je ne suis pas certain que la ligne de démarcation soit tracée exactement à l'endroit où elle doit être tracée. Je reviens sur une affirmation que vient de faire à nouveau le ministre.

A la suite de l'audition des mémoires devant la commission parlementaire et des travaux de cette commission, il est possible de modifier des objectifs fondamentaux que poursuit cette loi et il est possible également d'en modifier les modalités.

Pour ma part, il nous apparaît, à ce moment-ci, que certaines modalités de cette loi vont peut-être, comme vous l'avez dit, compromettre, entraver le développement normal et le dynamisme des institutions. Alors au cours de nos travaux, devant cette commission parlementaire, en recevant des points de vue différents, des points de vue opposés — parce que j'imagine bien que tous les porte-parole qui viendront devant cette commission n'auront pas la même opinion sur cette loi — nous essaierons — et je veux attirer de nouveau l'attention du ministre là-dessus — de bien recevoir toutes les suggestions qui seront faites ici. Ce sera le rôle de la commission de prendre ses responsabilités dans les suggestions qu'elle fera au ministre, et ce sera au ministre des Affaires sociales et au gouvernement, ensuite, à prendre leurs responsabilités dans l'adoption de cette loi et dans les conséquences qui s'ensuivront.

Mais il faut retenir une chose, et le député de Bourget l'a soulignée ce matin, il est important qu'une loi aussi importante, une loi globale dans le domaine des Affaires sociales, au départ, commence sur un bon pied. Il aurait peut-être été bon qu'il y ait davantage de consultations de la part du ministère des Affaires sociales dans la préparation de cette loi, malgré que cela aurait pu occasionner des retards. Le ministre nous a donné, depuis un an, un calendrier de travail auquel il s'est soumis et auquel il a soumis ses fonctionnaires, à partir de la fusion, de l'intégration des deux ministères, à partir de certaines réformes dans le domaine des affaires sociales. Evidemment, un programme aussi rigoureux va entraîner, sur le plan de l'exécution, des problèmes. Il en est conscient mais il serait important, cependant, qu'il ait, dans le champ des institutions et des personnes, des ressources humaines, des partenaires à qui il devra expliquer longuement le pourquoi, la philosophie qui sous-tend tous ces changements, toutes ces modifications. Qu'il donne, autant que possible, des réponses aux questions légitimes qui sont posées, parce que ceux qui vont venir ici, devant nous, ont certainement une expérience dans le champ des services, que ce soit dans le domaine de la santé ou du bien-être social, qui peut se comparer avantageusement au jugement que nous pourrions exercer dans la fabrication d'une législation. C'est important.

Donc, il nous faut trouver un équilibre entre le dynamisme des institutions, leur désir aussi de se renouveler, de s'adapter, de ne pas refuser l'évolution dans le contexte social. Aussi, il faut concilier cela avec le désir qu'exprime souvent la population d'interventions toujours plus poussées du gouvernement dans certains secteurs.

M. LE PRESIDENT: Le député de Saint-Sauveur.

M. BOIS: M. le Président, je remercie ceux qui sont venus présenter leur mémoire. Je dois mentionner à ce stade-ci que nous comprenons fort bien que certaines sphères de l'activité sociale et médicale n'ont peut-être pas été développées par des corporations lucratives et non lucratives. Cependant, il faut quand même penser avant d'avancer ce reproche que le coût prohibitif de l'instauration de certaines de ces institutions est directement un empêchement à ce que souventefois l'initiative privée s'y immisce d'une façon totale.

Cependant, comme M. l'abbé Hurteau est venu nous présenter un mémoire que j'apprécie parce qu'il a eu une loyauté et une franchise d'opinion que je trouve formidable, je voudrais lui poser trois questions, si vous me permettez, pour lui demander de préciser sa pensée sur des points particuliers.

Alors, ma première question est celle-ci: Est-ce que vous êtes d'avis que les conseils et les centres régionaux proposés dans le bill 65 vont hâter ou ralentir l'offre des services médicaux et sociaux, ou vont-ils simplement imposer un fardeau financier supplémentaire aux citoyens?

M. HURTEAU: Vous voulez dire les ORAS et les CLSC?

M. BOIS: Non, est-ce que, en réalité, les conseils et les centres régionaux, tels que proposés dans le bill 65, vont hâter ou ralentir l'offre des services médicaux et sociaux ou bien s'ils vont surtout contribuer à imposer un fardeau supplémentaire aux citoyens?

M. HURTEAU: J'entendais l'autre jour un collègue de la Fédération des services sociaux à la famille dire qu'il y avait dans la province quelque 127 points de services en service social et on parle de créer 250 CLSC. Alors je ne sais pas...

M. CASTONGUAY: Monsieur l'abbé, je voudrais juste corriger un point ici. On a parlé, au cours des deux prochaines années, de former 25 centres locaux de services communautaires et ce ne sont pas des nouvelles ressources mises en place, cela va être un regroupement dans bien des cas de ressources existantes.

M. HURTEAU: Ce sont des choses qui n'apparaissent pas à l'évidence à la lecture du bill, ni non plus les informations que nous pouvons avoir par ailleurs. Je suis content d'apprendre ou d'avoir ces précisions du ministre et je les accepte.

Quant à la prévision des coûts, vous comprenez que je ne suis pas placé ici pour faire une projection pareille, je n'ai vraiment pas les moyens de faire une étude semblable. Seulement, je pense que, pour y arriver, il faudrait

que des praticiens puissent dialoguer non pas avec l'Etat qui rédige les lois, ni avec les législateurs, mais avec ceux qui pour l'Etat préparent les canevas des lois et eux, ce ne sont pas les législateurs, ce sont des personnes humaines qui ont une formation X, Y, Z, qui ont une expérience de vie et une interprétation des données sur lesquelles ils se sont penchés.

Si j'avais à émettre un voeu ici, un voeu qui peut être réaliste, c'est que, lorsque les commissions d'enquête sont formées, je trouve qu'il est bon qu'elles aillent à la pêche pour recueillir toutes les informations données de la part de gens qui collaborent très bien et qui se livrent entièrement le plus possible et en pleine collaboration avec elles. Mais je pense que, lorsque les recommandations sortent, il faut bien voir qu'elles sont passées par le tamis d'une interprétation par des gens qui ont une formation scientifique donnée, que ce soit en sociologie, en psychologie ou en n'importe quelle autre science humaine.

Si le point de vue des théoriciens des sciences dans l'interprétation des données de fait qui ont pu être fournies par les praticiens, était à son tour confronté avec la perception que peuvent avoir de cette synthèse des praticiens, des administrateurs dans le quotidien, peut-être que ce serait là une étape intermédiaire fort utile avant qu'on saute du niveau conceptuel de l'interprétation faite souvent par des théoriciens à partir de données pour compromettre ensuite ceux qui devront vivre avec la chose qu'on va élaborer sur papier. Je pense que c'est une démarche sur laquelle il serait bon qu'on s'arrête.

Vous me posez une question quant aux coûts. Je peux conjecturer, moi, que ça va augmenter les coûts, ne serait-ce que par les tensions que ça va créer quand il faudra regrouper des services qui sont actuellement spécialisés sur la base du schéma de la polyvalence en administration. Je pense que là on entre dans des coûts imprévisibles, facilement. Si on veut les prévoir, il faudrait que les équipes s'arrêtent et aillent jusqu'au fond de la réflexion, de leur démarche, pour établir vraiment toutes les étapes de cette réalisation et tous les éléments qui sont à considérer.

Moi, je ne suis pas ici pour le faire. Je peux seulement conjecturer, d'après mon expérience, qu'il y a là matière à problème et probablement — j'émets l'hypothèse — un accroissement de coûts. Je peux me tromper.

M. BOIS: Ma deuxième question, M. Hurteau, est celle-ci: Que pensez-vous des relations ou encore des effets que peut avoir la création de bureaux à contrôle régional sur les centres universitaires et aussi sur les centres de formation médicaux et hospitaliers alors que ces hôpitaux ou ces universités devront se soumettre aux directives d'un fonctionnaire local pour la diffusion et l'entraide universitaire qui concerne les recherches et les découvertes sur la science de la médecine?

M. HURTEAU: Ce point est un peu trop particulier pour que je me prononce. Je pense que mes collègues qui sont dans le domaine hospitalier seraient plus en mesure que moi de vous répondre. Même si j'ai émis des hypothèses, ce n'est qu'une opinion personnelle et vraiment pas assez fondée pour émettre une idée là-dessus.

M. BOIS: Une troisième question: Est-ce qu'à la suite de la présentation de votre mémoire vous sembleriez entrevoir, par exemple, la formation de petits royaumes d'administration dans la fonction des conseils régionaux?

M. HURTEAU: Je ne saisis pas trop.

M. BOIS: Est-ce que vous sembleriez entrevoir la formation de petits royaumes d'administration dans la fondation des conseils régionaux?

M. HURTEAU: Vous voulez parler des ORAS?

M. BOIS: Oui.

M. HURTEAU: Ecoutez, si vous touchez à des éléments de politique, je me refuse à émettre une opinion là-dessus, même si comme citoyen je puis en avoir une. Il est certain que tous les systèmes dans lesquels l'Etat s'introduit ouvrent davantage la porte à des abus de ce genre.

M. BOIS: Je vais finir, M. le Président, en parlant d'une chose qui, à mon point de vue, peut amener un certain danger; c'est justement la formation d'unités où joueront certainement beaucoup d'influences pour l'obtention de divers postes et le contrôle, par exemple, des relations surtout universitaires et hospitalières. Je crois que si un hôpital ou une université, par exemple, sont soumis à un conseil régional d'administration, dans leurs relations, ces gens n'attendent pas toujours l'autorisation de l'Etat pour l'avancement des recherches ou de la science. Cela créera certainement des complications qui ne seront pas de nature à aider l'avancement de la médecine et des découvertes scientifiques au point de vue médical dans le Québec. Merci, M. le Président.

M. CASTONGUAY: Si vous me permettez juste un commentaire, j'apprécierais que vous nous indiquiez à quel endroit dans le projet de loi vous voyez les dispositions spécifiques qui permettraient aux organismes régionaux de faire ça. Si tel est le cas, on apportera des modifications.

M. BOIS: M. le ministre, si un conseil régional est formé avec le privilège d'exercer un certain contrôle sur la création de cliniques ou encore sur l'emplacement ou la distribution des services médicaux, est-ce qu'à plus ou moins

brève échéance on n'en viendra pas à vouloir établir le contrôle, par exemple, des recherches des centres universitaires ainsi que des centres hospitaliers?

M. CASTONGUAY: C'est une autre question. Pour autant que ce projet de loi est concerné, si vous y voyez ce genre de danger du contrôle des centres universitaires par ce projet de loi ou encore le contrôle de la recherche en milieu hospitalier, s'il existe vraiment comme je vous l'ai mentionné, je serai tout à fait disposé à changer les dispositions du projet de loi.

M. BOIS: M. le Président, ce que notre groupement redoute surtout — nonobstant les rires que j'entends en face de moi — ce n'est pas le projet de loi lui-même que nous pouvons voir, lire et étudier, mais les règlements qu'autorise un projet de loi. C'est surtout sur ce sujet-là que j'aimerais beaucoup que M. le ministre se penche avec la législation ici lorsque nous aurons à étudier tous les aspects de la loi 65.

M. LAURIN: M. le Président, j'aurais quelques questions à poser au premier intervenant. Vous avez fait précéder la lecture de votre mémoire d'une série d'affirmations qui me paraissent tellement importantes que j'aimerais beaucoup avoir quelques clarifications ou éclaircissements. Je prends, par exemple, la quatrième affirmation; quand vous dites que le projet de loi 65 ne parait pas tenir compte des caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses de la population. Je me demande vraiment, d'une part, à quoi vous faites allusion dans l'expérience qui est la vôtre et surtout, deuxièmement, en ce qui se rapporte aux divers articles du projet de loi. Où voyez-vous dans les articles du projet de loi des implications qui menaceraient les caractéristiques ethniques, culturelles et religieuses de la population? Dans le mémoire que vous nous avez lu ce matin, vous avez fait allusion à un moment donné au caractère confessionnel des institutions, mais je crois que c'était justement une allusion. Votre affirmation au paragraphe 4 est beaucoup plus globale, va beaucoup plus profondément. Comme c'est un sujet d'importance majeure pour notre population, j'aimerais beaucoup que vous puissiez "substantifier" cette affirmation.

M. HURTEAU: Mon quatrième attendu se lit comme suit: "Le bill 65 ne paraît pas tenir compte des caractéristiques ethniques, culturelles et religieuses de la population." Tous les mots sont importants. "Ne paraît pas tenir compte..." Je ne dis pas qu'il y a une menace, je dis qu'on n'en parle pas. C'est différent. On peut menacer les gens qui existent par l'indifférence à leur existence. Les gens peuvent se sentir menacés bientôt; ils peuvent développer des résistances, ils peuvent prendre des voies de détour pour affirmer leur droit à exister et je dis que, pour une société, c'est mauvais parce que la première responsabilité de l'Etat est de maintenir la paix sociale. Si un bill, quel qu'il soit, par la projection à long terme d'objectifs qui peuvent peut-être être atteints par une évolution lente et naturelle d'une société, menace des groupements quels que soient leur importance, leur nombre, leur dimension, en ce sens qu'ils sont tentés éventuellement de se constituer en ghetto et de s'arranger pour vivre par leurs propres moyens, je dis qu'à ce moment-là l'Etat ne travaille pas pour la paix sociale. Il édifie dans le corps social des points où il y aura des points de douleur, il y aura des épines. Je dis que, pour le Québec, il est malheureux qu'on fasse des lois qui peuvent faire que bientôt des groupes humains peuvent se sentir aliénés dans cette société ou se sentir à l'écart. Parce qu'ils auront un certain idéal de vie en société, ils devront s'imposer des sacrifices encore plus grands que d'autres citoyens pour avoir des services à la dimension de leurs choses. Cela est déjà commencé. Quand on sait, par exemple, que des individus peuvent être l'objet d'une décision de cour sous prétexte qu'une mère naturelle a donné naissance à huit ou neuf enfants, quand on sait qu'un tribunal peut imposer à cette mère naturelle de se soumettre à une opération de la ligature des trompes et que le juge qui le fait le fait après consultation d'un psychiatre, je dis qu'il y a dans notre société un mal qu'il faut dénoncer. Si bientôt des structures n'existent pas où des citoyens seront sûrs, par le caractère même de leurs structures, nonobstant l'opinion que M. le ministre a émise, que leurs valeurs sont respectées et que ceux qui travaillent dans ces structures n'auront pas à être héroïquement à la hauteur de leurs valeurs en faisant face à toute la contestation qui peut se présenter dans le milieu ou ils évoluent, on ne va pas demander à tout le monde d'être héros pour avoir le courage qu'il faut pour s'imposer devant des collègues ou une administration qui ne respectera pas ces valeurs.

Je dis que ce sont les clients qui vont souffrir. On le verra quand nous serons devant des problèmes aigus. Et alors, ceux qui, dans la société de demain, auront le droit de s'élever, ce seront les journalistes seuls mais ils le feront quand le mal sera arrivé. Cela, c'est grave. Entre-temps, il y aura des humains qui auront souffert gravement, dans le secret.

Evidemment, avant que le législateur, que l'Assemblée nationale soit sensibilisée au problème, il y aura beaucoup d'humains qui auront souffert. Comme je dis qu'actuellement, par exemple, il y a des humains qui peuvent être contrariés dans le traitement qu'on leur donne par une certaine vue idéaliste de la conception globale de l'approche médico-sociale à leur endroit et qu'il y a une approche de psychiatrie communautaire qui fait que des citoyens, que des enfants, que des adultes ne font pas l'objet de services individuels mais qu'ils sont intégrés à un groupe et que parce que l'approche des

savants se fait en fonction d'une théorie scientifique, il est regrettable, mais il y a des hommes, des femmes et des enfants qui souffrent pour ça.

On peut bien avoir des théories mais, à un moment donné, la vie se charge de faire éclater des vérités.

M. LAURIN: M. l'abbé, dans les structures hospitalières actuelles que nous connaissons, qui n'ont pas encore été changées par le projet de loi 65, qu'est-ce qui aurait empêché une situation comme celle que vous avez décrite, d'un psychiatre qui préconise une ligature de trompes, de se développer?

M. HURTEAU: Il faut voir ça dans un ensemble de choses. Nous sommes actuellement dans un monde où les gens qui veulent témoigner de certaines valeurs, ça leur prend tout leur courage pour le dire. Je sais très bien qu'en venant ici et en disant ce que j'ai dit, j'ai dit ce que beaucoup de gens pensent. Mais peut-être que l'assemblée peut comprendre que mon col romain me permet de dire ce que j'ai dît ce matin et que beaucoup d'autres collègues ne peuvent pas venir parce qu'ils ont femme et enfants.

Il y a un climat dans la société actuelle qui fait que même des institutions techniquement confessionnelles sont soumises à de telles pressions d'opinions, qu'il faut qu'elles fassent violence aux valeurs des individus. Parce que précisément, on ne peut pas demander à tout le monde d'être un héros, il y a de ces cas qui passent à travers ça, et c'est grave.

M. LAURIN: Mais est-ce à dire, M. l'abbé, que vous préconisez un système confessionnel de santé et de services sociaux?

M. HURTEAU: En Hollande, M. Laurin, on a respecté dans le domaine de l'éducation et dans le domaine des services au bien-être, jusque dans le domaine de l'enfance, le pluralisme de la société, bien avant Vatican Il. Partout, on a, mettons dans le domaine de la jeunesse, des conseils de la jeunesse, il peut y en avoir 19 sur le territoire de la Hollande. Il sont construits un peu comme nos ORAS ici, ils ont un rôle de leadership dans la région pour laquelle ils sont constitués.

Mais le conseil royal, donc l'Etat, l'Assemblée nationale a prévu justement, après avoir fait l'essai pendant quelque 25 ans, de 1901 à 1925, après les expériences de France, dans le domaine de l'éducation, d'une certaine approche uniforme standardisée et d'écoles publiques par exemple.

On a reconnu les différences qui existent, de fait, qui font les hommes. Parce que ce ne sont pas des hommes sur papier qui vivent dans la société, ce sont des hommes en chair et en os. Ils tiennent à des valeurs ou ils n'y tiennent pas. On a reconnu ça. Et vous avez dans ces conseils de la jeunesse, et c'est la même chose pour l'ensemble des organisations sociales, je crois, en tenant compte de la population du milieu, des représentants protestants, catholiques, humanistes, c'est-à-dire agnostiques et juifs. On reconnaît cette réalité-là. S'il y avait des musulmans, il y aurait des musulmans et je dis qu'à ce moment-là l'Etat joue son rôle de gardien de la paix sociale.

Cela n'empêche pas les gens d'être dynamiques mais au moins chacun sait qu'il n'a pas en partant le fardeau de la preuve des valeurs qu'il veut défendre et qu'il lui importe plus encore peut-être que des services concrets. Je dis qu'on pourrait tout aussi bien concevoir les ORAS ici selon un patron semblable et qu'il n'y aurait aucun danger que le ministère soit empêché à cause de ça de jouer son rôle de leadership. Parce que, personnellement, je n'ai rien contre le leadership de l'Etat et je regrette si mon mémoire donne l'impression que je suis animé par la peur de l'Etat, ça fait longtemps que je me suis affranchi de ce mythe-là.

Mais je pense par exemple qu'il ne faut pas tomber dans un autre mythe et croire que l'Etat peut tout faire. L'Etat vit avec des citoyens qui sont des hommes.

Un citoyen, ça n'épuise pas la réalité complète d'un homme, et un homme véhicule aussi des valeurs qu'il veut transmettre. Ou on reconnaît ces réalités-là ou on veut les rayer par une approche purement rationnelle et abstraite de la vérité. Mais je dis qu'à ce moment-là on se prépare pour demain des difficultés qu'on pourrait déjà conjecturer. Et si un jour il arrive que nous soyons dans une société où les valeurs religieuses n'importent plus à personne, nous y arriverons, et il y aura une espèce de nirvana des valeurs religieuses, et il n'y aura plus de problème, mais il ne faut pas faire comme si nous étions arrivés là.

M. LAURIN: Je pense que vous n'avez pas répondu à ma question. Est-ce à dire que vous préconisez des conseils d'administration des institutions pour catholiques, pour juifs pour protestants, ou si vous préconisez dans les conseils d'administration de toutes les institutions des représentants de toutes les Eglises et de toutes les ethnies?

M. HURTEAU: Mais pourquoi est-ce que ce ne serait pas possible une perspective oecuménique là où c'est possible, pour certains territoires donnés? Quand vous êtes dans un territoire comme Montréal, vous avez un volume de population qui peut permettre à des institutions de garder une dimension humaine et qui peuvent suffire pour tel groupe de population, mettons les Juifs, telle autre, des catholiques. Mais qu'il y ait, dans certaines régions, des conseils d'administration de services sociaux à caractère oecuménique ou non confessionnels mais où toutes les confessions sont représentées, où elles peuvent être gardiennes de ces

valeurs de la clientèle finalement, je n'ai pas d'objection à ça, mais on ne parle même pas de cette hypothèse-là. Le bill parait traiter les humains de la province de Québec comme si les valeurs religieuses, puisque nous sommes là-dessus, on en faisait totalement abstraction.

Mais tout à l'heure les gens vont le vivre, ça, et si ça n'existe pas par les services officiels qu'on aura mis sur pied, que verrons-nous apparaître? Quand les catholiques auront passé par leur période de matraqués où les gens ont eu un coup de matraque sur la tête et où les gens n'osent plus s'affirmer comme tels, quand ils auront ressenti l'urgence de témoigner de leurs valeurs qui sont propres, eh bien, on retrouvera des gens qui en créeront des petites "bistournes" d'oeuvres catholiques, et qui s'en iront à côté des services officiels et qui nous feront honte à ce moment-là. Nous avons déjà des structures, financées par l'Etat, qui se distinguent par leur caractère confessionnel, pourquoi jeter cela par terre tout d'un coup? Je dis que c'est imprudent. Si, un jour, il arrive que la population soit indifférente à ça, eh bien, on avisera. Mais pourquoi faire comme si elle l'était, alors que nous savons très bien qu'elle ne l'est pas. L'on peut invoquer quelque théologien ou quelque opinion comme ça, mais ce n'est pas l'opinion de l'Eglise sur ce point-là officiellement. Pourquoi va-t-on chercher plutôt des opinions plus ou moins ajustées?

Evidemment on peut arriver à le faire mais la vie va se charger tout à l'heure d'apporter un démenti. Je pense qu'il serait beaucoup plus prudent de procéder en respectant les étapes d'évolution. Dans notre société d'adoption à Montréal, si vous permettez que je continue, on nous a longtemps fait grief de servir les francophones, et que les non-catholiques ne pouvaient pas adopter. J'ai souvent dit à ce moment-là, en 1964 ou 1965: Il n'y a rien qui empêche n'importe quel francophone qui le veut de faire une corporation; il suffit d'être trois. Qu'ils forment un service non confessionnel pour les francophones et nous, à la société d'adoption, nous fournirons tous les services techniques, nous vous aiderons à mettre l'affaire sur pied. Cela ne s'est pas fait. Nous avons créé nous-mêmes, à l'intérieur de nos structures, une approche de la clientèle qui respectait la liberté totale des clientes-mères-non-mariées à opter pour le baptême ou le non-baptême de leur enfant. Et les enfants non baptisés pouvaient être ensuite offerts aux parents adoptifs qui se présentaient à l'autre porte de la rue Sherbrooke et qui, eux, avaient fait abstraction des valeurs chrétiennes dans leur vie s'ils étaient chrétiens. S'ils étaient Juifs français, nous les envoyions à l'agence juive. Mais s'ils étaient d'autre religion ou s'ils étaient agnostiques, nous pouvions et nous pouvons leur offrir un enfant non baptisé. Mais je pense qu'on ne peut pas nous accuser, parce que nous étions confessionnels, d'avoir été étroits et d'avoir empêché les citoyens d'avoir un service.

Mais pour le faire il n'était pas nécessaire de supprimer le droit des catholiques à servir leurs enfants, leurs mères naturelles, les parents catholiques dans la ligne de leurs valeurs, c'est ce que je veux dire.

C'est un exemple que je vous donne. On pourrait, je pense, si on procède prudemment, créer des ORAS. Je veux bien qu'il y ait des services comme ceux-là. On pourrait ensuite discuter des modalités du conseil d'administration, mais peu importe! Qu'il y ait des ORAS qui respecteraient cette dimension parce que l'on est sur cette question-là. Qu'il y ait, dans Montréal, des ORAS où il y aurait des représentants catholiques, protestants, juifs, francophones ou anglophones. Je n'y ai aucune objection et je trouve que ce serait un avantage pour le milieu, c'est tout. L'Etat, à ce moment, aurait plus de chances de travailler pour la paix sociale.

M. LAURIN: Maintenant, en ce qui concerne le paragraphe 5, vous dites que le projet de loi ne tient pas compte des fonctions propres aux services de santé et aux services sociaux, dont les méthodes et les objets sont différents et ne sauraient être confondus.

Pourriez-vous détailler là-dessus? Il nous semble quand même, à certains égards, que si c'est différent, c'est quand même complémentaire et que l'un ne peut pas être conçu sans l'autre. Même si chaque discipline doit définir ses objectifs, ses fonctions et ses méthodes, par ailleurs, ils ne peuvent fonctionner indépendamment.

M. HURTEAU: Bien oui. L'idée de coordination m'habite constamment. Loin de moi le fait de penser à l'oeuvre chez nous comme en une entité isolée, au contraire. Il reste que, si nous traitons d'adoption, il n'est pas nécessaire que l'on ait un psychiatre qui voie tous les parents adoptifs. Si nos travailleurs sociaux ont reçu une formation qui a intégré les données fournies par la psychiatrie des profondeurs, la psychologie des profondeurs, si c'est intégré à leur formation — c'est un acquis en Amérique du Nord — c'est une démarche superflue que de penser que les clients seraient mieux évalués s'ils voyaient aussi un psychiatre ou un assistant-psychiatre.

Nous faisons le travail, et c'est intégré. Nous avons un psychiatre consultant pour les cas difficiles, pour les cas sur lesquels nous désirons être éclairés. Nous sommes toujours prêts à demander l'avis d'autres spécialistes dans tous les domaines. Vous avez actuellement la psychiatrie dite communautaire. Peut-être qu'il serait bon que l'on se demande aussi s'il n'y a pas des problèmes qui sont à se développer de ce côté-là.

M. LAURIN: Comme ce n'est pas un bill ni sur l'adoption, ni sur la psychiatrie...

M. HURTEAU: Non, d'accord.

M. LAURIN: ... je me demandais où vous aviez vu, dans le projet de loi, qu'on ne tenait pas suffisamment compte des fonctions propres aux services de santé et aux services sociaux.

M. HURTEAU: Evidemment, peut-être que je me suis laissé emporter, en écrivant cela, par autre chose que le texte de loi lui-même. Un texte de loi peut aussi être interprété en fonction de la connaissance que nous pouvons avoir d'autres documents ou d'autres démarches. Ce que je sais, c'est qu'actuellement il y a des projets de CLSC dans la province au sujet desquels les agents dans les territoires où ils vont être établis n'ont nullement été consultés.

C'est du oui-dire parce que ce sont des collègues du territoire qui me l'ont dit à l'occasion de la préparation de mon mémoire. Mais je sais que si on grattait un peu, si les journalistes faisaient leur travail dans ce domaine-là ils pourraient peut-être décrouvrir que l'initiative a été prise à l'instigation de certains psychiatres. Peut-être que toutes les cartes ne sont pas sur la table. Je trouve un peu étrange qu'au mois d'août 1971 on en soit encore à se demander, par rapport à la mise en application du bill 65, la fonction, demain, du service social. Je pense que le service social n'a pas à se redéfinir chez nous. Il a atteint un statut d'adulte et il devrait pouvoir être associé à la démarche sans qu'on l'oblige à démontrer en quoi il se distingue des autres.

Le seul fait qu'on le fasse me laisse à penser que les vues ne sont pas claires là-dessus et que peut-être tout à l'heure on peut s'embarquer dans une approche que l'on dit globale et où finalement le travailleur social va être comme une espèce d'assistant-secrétaire pour l'équipe médico-psychiatrique. Je m'excuse, je n'ai rien contre les médecins et les psychiatres, mais je dis: "A chacun son domaine". En Amérique du Nord, nous avons la chance que le service social ait intégré justement beaucoup de données qui sont le fait propre de la psychiatrie contemporaine. Donc, utilisons les travailleurs sociaux en respectant tout à fait l'autonomie de la profession.

M. LAURIN: Enfin, M. l'abbé, s'il y a plusieurs psychiatres qui ont songé, avant même le projet de loi, à fonder des centres locaux de services communautaires avec pour but de créer un médecine globale, je considère cela comme un éloge parce que justement c'est peut-être la nécessité où ces gens qui oeuvrent dans la communauté, se sont vus de relier, dans la pratique, l'aspect social et l'aspect médical ou psychologique.

Ce qui montre bien, encore une fois, que c'est très difficile de les séparer, même une fois que leurs fonctions différentes ont été précisées. Il me semble que, dans ce domaine-là, les exemples que vous avez apportés montrent justement la nécessité de la complémentarité, plutôt que de cette tension qui devient de l'hostilité, d'autant plus que l'exemple a démontré que, dans la plupart de ces centres locaux qui fonctionnent avant la lettre, l'entente entre les travailleurs sociaux et les travailleurs de la santé est parfaite.

M. HURTEAU: Tant mieux.

M. LAURIN: J'aurais, enfin, une dernière question sur votre type de participation. Vous blâmez un type de participation. Est-ce qu'il serait possible de savoir de vous quel type de participation vous paraîtrait idéal? Lequel proposez-vous?

M. HURTEAU: Je ne sais pas si on a le droit de me demander ici de proposer un type de participation. Justement, je pense que ces choses-là doivent se faire à partir de discussions, en tenant compte des objectifs. Ce qui me paraît prioritaire dans une démarche ou dans l'administration, à quelque niveau que ce soit, c'est d'abord de bien clarifier les objectifs que l'on veut atteindre.

Evidemment, on ne peut, pour beaucoup de raisons, que conjecturer des objectifs. Les objectifs qui nous sont mentionnés et explicités le sont souvent dans des termes très généraux. Evidemment, si on voulait en savoir davantage, il faudrait aller au niveau de certaines personnes qui peuvent être plus près des réalités, n'est-ce pas, qui sont exprimées par ces objectifs généraux. A ce moment-là, peut-être que nous pourrions mieux exprimer notre pensée. A propos de la participation telle qu'on la propose, si j'ai référé au domaine de l'éducation, ce n'est pas de façon gratuite. J'ai cité non pas des encycliques, mais des journalistes de chez nous et des choses qui sont connues de tout le monde. Il ne semble pas que cette participation marche à plein. J'ai fait allusion à ce qui s'est passé en France, pas parce que, encore une fois, la France m'intéresse particulièrement, mais, que voulez-vous, je la connais plus qu'un autre pays. Je ne suis pas allé en Suède.

J'aimerais qu'avant d'imposer à toute la province un tel type de participation on en ait fait l'expérience quelque part où cela marche. Par exemple, pour être, peut-être, concret, j'aimerais beaucoup savoir ce qu'en penserait un journal comme Le Devoir, qui appartient en principe à toute la population canadienne-française. Je doute fort que les administrateurs du Devoir, soucieux de respecter les objectifs de leur fondateur, très sensibles aux valeurs que véhicule le Devoir, un journal qui appartient en principe à toute la population canadienne-française, à toute l'entité canadienne-française, accepteraient ce modèle de participation qu'on veut imposer à toute la province pour l'ensemble des services dans le domaine de la santé et du bien-être et qui affecte les citoyens de tout

âge de façon très concrète. Cela implique des valeurs.

Evidemment, il est sûr qu'il faut faire abstraction des valeurs distinctes ethniques ou religieuses quand on propose un type de participation semblable. A ce moment-là, tout ce qui compte au point de vue de la participation, c'est la compétence professionnelle des gens qui y participent ou la connaissance du milieu dans lequel ils sont, abstraction faite des particularismes ethniques, religieux ou autres.

Il s'agit de pure technique. C'est justement ce fossé entre l'approche technique des concepteurs de la participation et la vie qui fait qu'on n'a pas affaire à des êtres de raison, comme on le disait en philosophie autrefois, mais à des êtres en chair et en os qui, eux, sont aux prises avec des valeurs qui vont imposer des tensions.

Là, on va les ramener au sein d'un conseil d'administration. Quand je regarde surtout la constitution des conseils telle qu'on l'a, eh bien, par le biais des études des sociologues et, enfin, des animateurs sociaux, Marcuse et autres, on introduit chez nous une idée généreuse de participation, mais qui reproduit au fond, le gouvernement qui était celui de la troisième et de la quatrième républiques en France, où au sein de l'Exécutif on avait même l'opposition.

Alors, on a vu, c'est la réforme essentielle du général de Gaulle en 1958, qu'il fallait que l'exécutif soit distinct du législatif et qu'on ne reproduise pas au sein de l'exécutif le patron qui vaut pour le législatif.

Or, si on a un conseil d'administration où l'opposition est dans son sein même, où l'opposition est potentielle, bien je dis que peut-être on se prépare des difficultés énormes au point de vue du fonctionnement, au point de vue de l'efficacité. On va peut-être avoir beaucoup de parlotte, mais, au point de vue de l'efficacité, au point de vue de la liberté du directeur général d'agir ensuite, de se sentir vraiment responsable, je ne suis pas sûr qu'on ne se prépare pas des problèmes.

Je souhaite que ça marche, remarquez bien, je le souhaite, mais j'émets l'opinion qu'on prend peut-être la bouchée un peu grosse. J'aimerais peut-être comme compromis qu'on fasse l'expérience dans un territoire donné de la province, on verra après. Mais on a vu dans certains territoires très défavorisés de la province combien il peut y avoir des oppositions au sein de la population alors qu'on a fait de grands plans pour relever l'économie du district, de la région, combien on peut avoir là finalement de divergences d'opinions, ce qui fait que les gens sont paralysés.

On n'a pas fait la preuve que ça marche. Et nous autres, tout à coup, dans le Québec, nous sommes les premiers et nous allons faire tout ça d'un coup sec. Bien, j'avoue que je trouve ça naïf, je n'y peux rien. C'est comme ça que je le pense et c'est comme ça que je le dis.

M. LE PRESIDENT: Je remercie M. l'abbé

Hurteau de l'exposé de son mémoire. Je demanderais maintenant à M. Paul de Boies de parler au nom du Comité des assistés sociaux.

Comité des assistés sociaux

M. DE BOIES: Paul de Boies, président du Comité des assistés sociaux du Québec.

M. le Président, M. le ministre, messieurs les membres de la commission parlementaire. Que M. le ministre des Affaires sociales me permette en premier de lui présenter une requête sur une chose que nous considérons très urgente. Le Comité des assistés sociaux le prie de bien vouloir régler au plus tôt le cas des assistés sociaux de Hull qui sont en conflit avec le bureau du bien-être social.

DES VOIX: A l'ordre!

M. LE PRESIDENT: Ce n'est pas tout à fait à l'ordre.

M. CASTONGUAY: M. de Boies, pour ne pas prolonger la discussion, vous devriez revenir à l'objet du mémoire.

M. DE BOIES: C'est tout simplement cette chose-là, une observation.

M. CASTONGUAY: J'ai vu mon chef de cabinet ce matin avant de venir à la commission et je lui ai demandé qu'on me fasse rapport sur la situation à Hull. Nous avons déjà pris un certain nombre de décisions au plan administratif. Il semble qu'il y ait eu confusion dans les moyens de communication. Je crois qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la discussion sur ceci pour le moment, il y a déjà des gestes qui sont en voie d'être posés, s'ils ne l'ont pas déjà été à l'insu de certaines personnes.

M. DE BOIES: M. le Président, que l'on me pardonne, si le Comité des assistés sociaux n'a pas soumis de mémoire aux membres, c'est que notre comité ne possède pas les moyens techniques à sa disposition.

M. le Président, oui, la province de Québec n'est pas une province comme les autres parce qu'elle possède le plus grand pourcentage de chômeurs au Canada, parce qu'elle possède le plus grand nombre d'assistés sociaux au Canada, tout près de 600,000 dans la province de Québec.

Elle possède 55 p.c. de sa population qui vit sous le seuil ou la ligne de pauvreté; parce qu'elle possède près de 55 p.c. des enfants d'âge scolaire dans les zones grises qui sont sous-alimentés et malades; parce qu'elle possède le double au Canada d'enfants placés dans des foyers nourriciers; parce que la société manufacture actuellement des sous-alimentés, des mendiants, des rachitiques, des anémiques et des débiles mentaux.

Depuis plusieurs années, notre comité, de

concert avec d'autres comités de citoyens, a réclamé et réclame dans le délai le plus bref ces centres communautaires de santé et de services sociaux. Si on regarde les statistiques dont je me permettrai de vous donner simplement quelques chiffres, d'après un rapport médical du docteur Handfield, au mois de janvier 1970, sur 311 enfants dans le comté de Saint-Jacques 105 souffraient d'alimentation insuffisante; 97, de retard staturo-pondéral; 153 de problèmes affectifs; 48 de vision inadéquate; 18 de strabisme. Si nous regardons la mortalité dans les zones grises à comparer avec les quartiers de classe moyenne, par 1,000 naissances, nous trouvons, dans les zones grises, 35.1, tandis que, dans les quartiers de classe moyenne, c'est 14.8. Ce qui veut dire que, dans les zones grises, il y a deux fois plus de mortalité chez les enfants que dans la classe moyenne.

Nous croyons, nous du Comité des assistés sociaux, qu'il est plus que temps que ces centres communautaires de santé et de services sociaux soient institués dans le Québec. Si nous retardons le projet de loi actuel de dix ans encore, eh bien, mon Dieu, je me demande si ça ne sera pas la déchéance de la population québécoise.

On parle de structures, on parle de participation. Nous sommes pour la participation, car nous croyons, nous du Comité des assistés sociaux du Québec, qu'en vue d'acquérir un sens des responsabilités et de triompher de leurs prédispositions à l'inefficacité les pauvres doivent prendre part d'une façon active à la solution de leurs problèmes. A cette fin, il est opportun de songer à consulter les désavantagés eux-mêmes avant de formuler des analyses précises de leur condition et de dresser des programmes visant leur avenir. Nous considérons que l'heure est venue d'étayer les recommandations des politiciens, des hauts fonctionnaires du gouvernement et des professionnels sur les opinions mêmes des personnes démunies.

Il y a une chose qui me fait peur dans le bill 65, c'est la participation. Quand j'entendais M. le ministre, ce matin, dire qu'il désirait la participation de la population à ces centres communautaires, je me demandais de quelle population il voulait parler. Il y a en page 6 du bill 65, dans la structure régionale du conseil d'administration, ceci qui nous laisse un peu perplexes: "Pour six d'entre eux dans la structure régionale du conseil d'administration, des groupes socio-économiques les plus représentatifs" je me demande ce que l'on entend par des groupes socio-économiques.

Est-ce que ce sont les chambres de commerce? Est-ce que ce sont les professionnels ou les organisations de professionnels ou encore les comités de citoyens? Nous croyons que le bill 65 est un peu ambigu sur la question de la participation et nous nous demandons, non seulement le Comité des assistés sociaux du Québec, mais plusieurs autres comités de citoyens de la province, si les hauts fonctionnaires du ministère des Affaires sociales ne veulent pas les étouffer ou s'ils ne veulent pas leur disparition complète. Nous croyons que, dans ces centres communautaires de santé et de services sociaux, le ministère des Affaires sociales devrait faire partager les responsabilités par les comités de citoyens qui ont fondé dans des quartiers défavorisés des cliniques médicales et des cliniques juridiques. La plupart des comités de citoyens, que ce soit dans Sainte-Marie, Saint-Jacques, Saint-Louis, Saint-Henri, Pointe-Saint-Charles, Maisonneuve-Hochelaga, Rouyn ou Saint-Roch, furent bâtis en premier lieu avec des moyens très restreints et je dirais même avec des moyens de broche à foin.

Les comités de citoyens qui ont mis sur pied ces cliniques ont donné leur temps bénévolement. Ils ont dû faire des démarches auprès des professionnels afin d'avoir les soins médicaux pour les gens défavorisés de leur quartier. De plus, avec les faibles revenus qu'ils avaient avant que le bill 26 soit mis en application, combien ces cliniques médicales ont donné aux défavorisés des médicaments, des lunettes et des dentiers. Je crois que, dans le conseil d'administration, dans les conseils régionaux ou dans les conseils locaux, les comités de citoyens qui ont formé ces cliniques doivent participer d'une très large part en ayant des responsabilités. Les comités de citoyens qui ont fondé ces cliniques, ont pris seuls les responsabilités de mener ces cliniques avec un certain succès. Je veux simplement mentionner — je laisse le soin à Mgr Lavoie de parler pour Saint-Roch — le quartier Saint-Jacques où la clinique fut fondée par le comité de citoyens de Saint-Jacques dans un hangar. Aujourd'hui, grâce à certaines subventions du fédéral et du provincial, on a réussi à mettre sur pied une clinique médicale qui donne toute la gamme des soins médicaux et une clinique juridique.

Nous croyons donc que, si le ministère des Affaires sociales désire la participation de la population, cette participation de la population ne doit pas venir des socio-économiques comme les chambres de commerce, ou les marchands détaillants, ou les organisations de professionnels. Il ne faudrait pas que ces centres communautaires de santé et de services sociaux enlèvent aux différents comités de citoyens qui ont travaillé d'arrache-pied leurs cliniques. Au contraire, nous considérons que le ministère des Affaires sociales doit donner à ces comités tous les moyens techniques et même les moyens financiers afin que ces cliniques médicales et juridiques deviennent de vrais centres communautaires.

En terminant, notre comité désire faire les recommandations suivantes. Nous croyons qu'il faudrait regrouper sous un même toit tous les services de santé et d'aide sociale pour les familles déshéritées ou économiquement faibles. Nous recommandons les services suivants: tous les soins médicaux, y compris les services de spécialistes, les médicaments et les préparations pharmaceutiques pour lesquels le patient

paierait dans la mesure de ses besoins, tous les soins dentaires, y compris le traitement des dents, services ophtalmologiste, garderies pour enfants et soins diurnes pour les adultes qui ont besoin de surveillance médicale.

Service d'orthogénie, y compris les examens, les ordonnances, les conseils et l'orientation. Un personnel suffisant pour un programme d'orientation à l'intention de tous ceux qui sont aux prises avec des problèmes matrimoniaux ou prématrimoniaux, ou autres problèmes personnels. Des programmes de psychothérapie pour les femmes abandonnées par leur maris, les jeunes délinquants, avant ou après la délinquance. Un programme d'assistance judiciaire prévoyant des services juridiques, soit dans les locaux du centre, soit dans l'étude des avocats, le cas échéant.

Les gens qui vivent dans la pauvreté sont toujours aux prises avec la loi. Qu'il s'agisse de délinquance juvénile, d'alcoolisme, de drogue, d'une épouse abandonnée qui a besoin de conseils, il devrait toujours y avoir un service juridique prêt à intervenir. Etablir un répertoire de logements et aider les gens à trouver des logis convenables et à prix modique. Nombreux sont nos malades qui vivent dans des logements inadéquats pour lesquels ils payent cher.

Notre principe étant que la santé est un bien indivisible et que le fait de renvoyer une famille dans une maison trop froide et infestée de rats n'est pas une bonne pratique sanitaire, que des apôtres de la santé au centre même se chargent de promouvoir, d'assurer et de protéger la santé des familles en général. Un service temporaire de gardiennes d'enfants où les parents pourraient s'adresser lorsqu'ils doivent s'absenter en cas d'urgence.

Des centres préscolaires, à la demi-journée ou à la journée, pour les enfants âgés de deux mois à cinq ans. Nous remplaçons le terme "garderie", qui évoque le stigmate de l'assistance sociale, par programme préscolaire ou maternelle. De plus, ces centres pourraient créer des coopératives de consommation, des coopératives agricoles et industrielles afin de préparer le retour au travail des assistés sociaux.

Que les comités de citoyens aient la préséance dans l'administration de ces centres et que des assistés sociaux soient engagés dans ces centres communautaires pour remplir certaines fonctions ou emplois. Que les centres communautaires prennent à leur charge les refuges de nuit afin d'établir des ateliers de travail pour la réadaptation des clients.

Je termine, M. le Président, dans l'espérance que le bill 65 ne sera pas mis en application dans dix ans mais sera mis en application le plus tôt possible pour le bien-être de la population québécoise. Quoique ces centres communautaires de santé et de services sociaux ne résolvent pas le problème de la pauvreté, ne résolvent pas non plus le problème de la sous-alimentation. Tout de même, nous croyons que ces centres communautaires de santé et de services sociaux apporteront un petit bien-être aux défavorisés. Merci.

M. CASTONGUAY: M. de Boies, j'aurais quelques commentaires à formuler. Vous avez parlé, entre autres choses, de la participation des groupes socio-économiques et vous avez dit que cette expression vous fait peur. Je sais que, pour beaucoup, elle évoque un type de représentation, uniquement. Si nous avons utilisé cette expression, c'est à défaut d'une meilleure et je puis vous assurer que nous n'avons, en l'utilisant, aucune conception de cette participation autre que celle d'un éventail aussi large que possible de tous les groupes dans les divers milieux.

Si des suggestions nous sont formulées quant à une meilleure expression, une expression plus descriptive, plus représentative, qui en même temps pourrait être acceptable par les légistes, je puis vous dire que nous les étudierons avec grand soin.

Vous avez mentionné également la crainte que par le bill 65 on enlève, en définitive, à des groupes défavorisés les cliniques que ces groupes ont mises sur pied. Ici, je voudrais également apporter une assurance que ce n'est pas notre intention. Je pense que le geste que nous avons posé justement vis-à-vis de la clinique Hochelaga-Maisonneuve — pour prendre un exemple — était un indice très clair de notre orientation. Toutefois, je voudrais aussi attirer l'attention sur un point, et je sais qu'il s'agit de la solution d'un problème qui n'est pas facile. Dans certains cas, de bonne foi, des cliniques ont été mises sur pied. Toutefois, à mesure que nous pourrons allouer de nouvelles ressources plus adéquates, je pense qu'il sera important de faire attention de ne pas maintenir des cliniques dont la qualité des soins n'est pas suffisante — c'est le cas présentement — mais je pense bien qu'il serait mauvais d'éliminer ces cliniques et de ne rien substituer à la place. C'est le danger que nous courrions en les éliminant dans certains cas. Toutefois, au fur et à mesure que nous pourrons progresser, je crois qu'il faudra résoudre ce problème.

Egalement, dans les propositions quant au contenu des centres locaux des services de santé, des services communautaires que vous formulez, quant à la gamme des services qui devraient y être offerts, il y a un problème de ressources disponibles qu'on ne peut ignorer. Je ne veux pas dire que nous ne tenterons pas de progresser aussi rapidement que possible, mais il y a ce problème des ressources qu'il nous faudra continuellement résourdre: ressources financières, ressources en équipement, en personnel. Il faudra également prendre soin de ne pas reconstituer des organismes trop élaborés qui viendraient regrouper des services trop disparates ou qui donneraient lieu à des nouvelles structures difficiles à administrer par leur ampleur.

C'est simplement un petit rappel ici qu'il m'apparaît nécessaire de faire. Enfin, sur les autres points aussi il s'agit beaucoup plus d'assurance que je voudrais donner que de questions que je voudrais formuler.

M. LE PRESIDENT: Y a-t-il d'autres mem-

bres de la commission qui ont des questions à poser à M. de Boies?

M. LAURIN: Je reprends à mon compte une bonne partie de vos affirmations, M. de Boies. Je suis bien convaincu malheureusement avec vous que Québec compte un trop grand nombre de sous-alimentés, de débiles et qu'il y a une double réponse à apporter: celle que le bill 65 apportera en partie avec un nouveau régime de santé mais aussi une autre réponse qui, celle-là, se situe dans d'autres domaines: celui de la sécurité du revenu, des efforts beaucoup plus accentués en ce qui concerne la correction des méthodes alimentaires des Québécois, et ainsi de suite. Là-dessus, je suis tout à fait d'accord avec vous.

En ce qui concerne la participation des défavorisés aux mesures qui sont mises sur pied pour leur venir en aide, je suis également tout à fait d'accord avec vous en principe.

Je ne sais pas si votre déception, en lisant le projet de loi 65, s'atténuera une fois que les travaux de la commission seront terminés, mais je verrais aussi, un peu comme vous, la nécessité de témoignages constants venant de la partie de la population que vous représentez. J'espère qu'il n'y en aura pas toujours des pauvres et des défavorisés, contrairement à ce qu'on a dit, mais, aussi longtemps qu'il y en aura, il me semble qu'il y aurait là un effet de rétroaction extrêmement important.

On met sur place des structures, on émet des programmes, on les exécute mais, après cela, on va voir si vraiment cela fonctionne tellement. Une bonne façon de le savoir, c'est d'aller faire des enquêtes sur place, d'avoir des témoignages de la population qui est desservie pour voir si cela va, dans quelle proportion, les obstacles et les difficultés qu'on a éprouvées. Si c'est ce genre de participation auquel vous faisiez allusion tout à l'heure, j'ai l'impression que le ministère et le législateur y feront peut-être droit. Si vous pensez à un autre genre de participation, celle qui ferait des défavorisés des membres à part entière des conseils d'administration, là aussi j'espère qu'on pourra y donner suite jusqu'à un certain point, tout en se rappelant quand même que beaucoup d'autres groupes sociaux sont intéressés à une meilleure distribution des services de santé, à part les employés des institutions, le personnel, ceux qui ont la compétence scientifique, ceux aussi qui maintiennent sur leurs épaules le poids de la société, ceux qui travaillent, les classes moyennes.

Je conçois donc qu'il est un peu difficile de faire place pour tout le monde. Au fond, on aurait un conseil d'administration extrêmement élaboré. Je considère quand même avec vous que le point de vue de l'usager sera d'autant mieux perçu par ces conseils d'administration qu'il sera présent à côté d'eux et qu'il pourra même constituer pour eux un vivant reproche, un témoignage permanent du progrès qu'il reste à faire.

Je me pose quand même un problème. Je sais qu'il y a des comités de citoyens qui ont déjà fait beaucoup dans ce sens-là, qui nous ont aidés, en tout cas, à prendre conscience du problème, mais je me demande si eux-mêmes seront tellement intéressés à participer, à côté d'autres groupes socio-économiques, à part entière à ces conseils d'administration. Je me demande s'ils n'auront pas peur de se faire noyer dans ces conseils d'administration. C'est la raison pour laquelle je prête une particulière attention à votre dernière suggestion de laisser les cliniques qui fonctionnent déjà actuellement dans le milieu et qui ont été érigées par les comités de citoyens aussi longtemps, comme le disait le ministre, que leur qualité sera bonne.

Je pense que le problème demeure de l'intégration des comités de citoyens à d'autres structures. Eux qui se veulent le levain de l'opinion, eux qui se veulent des animateurs sociaux, eux qui se veulent, peut-être parfois à juste titre, des gens qui tracent la voie, ils auront peut-être peur de se voir intégrer dans des structures où ils risquent de perdre leur identité, de se noyer et peut-être de perdre le stimulus qui les a soutenus jusqu'ici.

Je n'ai pas de réponse pour le moment, mais je trouve que la question est extrêmement intéressante. Je pense que peut-être nous serons éclairés au fur et à mesure de nos délibérations sur la meilleure réponse à y apporter.

M. CASTONGUAY: Est-ce que, avec la permission des membres de la commission, je pourrais attirer l'attention sur l'article 90 du projet de loi qui introduit un autre mécanisme, en fait...

M. LAURIN: L'assemblée annuelle.

M. CASTONGUAY: Oui. ...qui est de nature à susciter un certain nombre de réactions vis-à-vis de la façon dont s'acquitte l'administration d'une institution publique? Ce n'est peut-être pas un mécanisme parfait, mais c'est mieux que cette absence de ce type de mécanisme.

M. LE PRESIDENT: Est-ce qu'il y a d'autres...

M. BOIS: M. le Président, je tiens à dire au ministre que cela constitue quand même 1/365 de l'activité pratique des comités régionaux.

M. LE PRESIDENT: Je remercie M. de Boies. J'inviterais la Société de podiatrie de la province de Québec, représentée par les porte-parole, M. Ronald Perreault et Me Claire L'Heureux-Dubé. J'ai lu un peu votre mémoire et les membres de la commission m'ont interrogé à savoir si votre mémoire se présente dans l'aspect du bill 65.

Société de podiatrie

MME L'HEUREUX-DUBE: Je crois que oui,

M. le Président. Le mémoire avait été présenté, il y a longtemps déjà. Il n'a peut-être pas été remis dans la forme que vous auriez souhaitée; seulement, je pense que je dois, au nom de la Société de podiatrie de la province de Québec, que je représente présentement, vous faire part de ses craintes et de son intérêt quant au projet de loi no 65.

Pour bien identifier le groupe que je représente, ce sont des podiatres. Dans la province de Québec, il en existe à peu près 250 et cette société en regroupe 85. Ce sont des professionnels de la santé qui sont reconnus partout au Canada, sauf au Québec et dans les Maritimes.

Evidemment, la Société de podiatrie de la province de Québec a demandé de se faire entendre devant cette commission parlementaire dans le but de souligner une situation extrêmement confuse et urgente qui existe actuellement par rapport à certains professionnels de la santé qui sont couverts par le bill 65, dont les podiatres. La société ne se propose pas ici, évidemment, de faire une étude exhaustive du bill 65, mais plutôt de souligner certains aspects du projet de loi qui la concernent plus particulièrement.

La Société de podiatrie apporte son appui à l'effort considérable que représente le bill 65 dans la restructuration des services de santé, en particulier par la décentralisation qu'elle propose, et au but ultime que ce projet de loi vise. Cependant, elle ne peut que s'inquiéter que le projet de loi concentre toute l'administration entre les mains d'administrateurs gouvernementaux, plus ou moins par le biais de ces conseils, reléguant au simple plan consultatif l'apport des professionnels de la santé. Ceci représente, à notre avis, des dangers évidents de scission entre deux disciplines qui peuvent présenter des problèmes sérieux en pratique. Je crois que ceci a déjà été souligné antérieurement.

La Société de podiatrie aurait voulu une plus grande participation des professionnels de la santé au niveau même des décisions administratives. Toutefois, seul le rodage de la loi pourra déceler toutes ses failles dans la pratique.

La Société de podiatrie partage aussi certaines des inquiétudes soulevées par l'abbé Hurteau, ce matin, dans son mémoire, particulièrement au niveau de la considération qui pourra être apportée à l'être humain à travers ces structures qui sont extrêmement lourdes. Par contre, comme elle le dit, elle approuve le principe de la loi et croit qu'une structuration était absolument nécessaire.

En particulier, la Société de podiatrie de la province de Québec se dit d'accord quant aux services locaux communautaires et aux centres régionaux. Elle y voit justement un champ d'action important pour certains professionnels de la santé, tels que les podiatres.

Je ne sais pas si vous le savez, mais il existe présentement au Québec une collaboration extrêmement étroite entre les podiatres et, par exemple, des hôpitaux comme le CHUL. Ils font une expérience à Québec, à l'hôpital de l'Enfant-Jésus. Les podiatres rendent des services extrêmement intéressants qui, souvent, empêchent qu'un orthopédiste ne soit obligé de s'occuper de problèmes tels que, pour donner un exemple, des verrues plantaires, des ongles incarnés, etc. Il s'est établi une collaboration très étroite. Mais ce qui est étonnant, c'est que les podiatres n'ont aucun statut juridique quelconque ni aucun statut professionnel. C'est justement ce qui les inquiète et le projet de loi...

M. LE PRESIDENT: Mais cela entre dans un autre projet de loi, la Loi des corporations. Disons que vous y reviendrez.

MME L'HEUREUX-DUBE: Nous savons, M. le Président — et je vous remercie de nous le souligner — que le gouvernement prépare actuellement une loi. Mais nous n'en connaissons pas le moindre mot à l'heure actuelle. Nous croyons que l'article 1 j), qui définit le professionnel de la santé comme étant "toute personne qui, dans une institution, dispense des services de santé ou des services sociaux et qui fait partie d'un groupe de personnes à qui la loi confère le droit exclusif d'exercer une profession", les exclut automatiquement de ce champ d'action, puisqu'ils n'ont pas le statut de corporation professionnelle.

Or, je comprends que le projet de loi que vous voulez présenter régit les corporations professionnelles déjà existantes. Mais quant à celles qui n'existent pas, il me semble qu'il n'y a, dans les informations que nous avons jusqu'à maintenant, aucune indication disant que leur statut professionnel sera clarifié. Il est évident qu'on dit à ce même article: "Tout autre groupe de personnes déterminé par les règlements." Or, évidemment, nous ne savons pas ce que les règlements seront. Donc, c'est une inquiétude des podiatres par rapport à leur statut comme professionnels de la santé.

On parle aussi dans le projet de loi d'un conseil des médecins et des dentistes. Est-ce que ce conseil-là ne devrait pas inclure un éventail plus large des professionnels de la santé, entre autres, justement, des gens comme les optométristes, les podiatres et tous ceux qui collaborent étroitement à procurer à la population un service indispensable?

Il existe présentement dans la province de Québec une situation extrêmement confuse quant au statut réel des podiatres et il n'y a aucune réglementation qui régit leurs activités professionnelles. Il s'ensuit évidemement qu'une personne sans aucun diplôme et même sans une scolarité suffisante peut s'intituler du jour au lendemain podiatre. La Société de podiatrie soumet que c'est une situation extrêmement nuisible d'abord aux podiatres qui sont légalement qualifiés et aussi pour la protection du public qui ne peut pas s'adresser à un corps professionnel qui est en mesure de répondre aux critères qu'on voudrait y voir.

M. LE PRESIDENT: Je vous demanderais encore une fois de revenir au bill 65 parce que les membres de la commission font des signes sérieux à l'effet que vous semblez un peu déroger à l'ordre établi. Alors, on revient au bill 65, si vous voulez.

MME L'HEUREUX DUBE: Comme je vous l'ai dit, notre grand intérêt dans le bill 65 est de susciter le problème: Où est la place des professionnels de la santé tels que les podiatres? On ne les voit nulle part et on est inquiet. Nous voudrions savoir du gouvernement quelle est son intention par rapport à ces professionnels. Est-ce qu'ils feront partie des conseils de disciplines, des conseils régionaux? Est-ce qu'ils seront amalgamés aux médecins? Enfin, on ne sait pas. Je crois qu'il est extrêmement important pour eux, avant de savoir les implications pour eux de ce bill, de clarifier cet aspect du problème.

Evidemment, M. le Président, tout ceci influe beaucoup sur l'aspect de réglementation interne des podiatres. Comment peuvent-ils se recycler? Comment peuvent-ils former leurs membres quand cela ne rapporte absolument rien sur aucun plan quelconque, aucune reconnaissance ni quoi que ce soit? Si leur statut est beaucoup plus défini, on pourra espérer que la profession pourra être valable.

Si vous me permettez de continuer et peut-être d'abréger...

M. LE PRESIDENT: Je suis obligé de tout de même vous rappeler qu'actuellement vous ne semblez pas parler du bill 65 et, si vous continuez comme cela, je vais être obligé de vous demander de terminer votre discussion puisque ce n'est pas sur le bill 65.

MME L'HEUREUX-DUBE: Je croyais que j'avais demandé interrogativement au ministre des Affaires sociales de nous donner une réponse sur cet aspect particulier qui, je crois, concerne tout à fait le bill 65. Quelle est leur place? On ne les retrouve pas dans le bill.

M. CASTONGUAY: Bien, voici, je ne voulais pas vous interrompre. Tout ce que je peux dire, c'est que dès la reprise ou au début de la reprise des travaux, tel que cela a été annoncé vers la fin des travaux de l'Assemblée nationale au mois de juillet, les projets de loi sur les corporations professionnelles devraient normalement être déposés. Je peux dire que dans ces projets de loi non seulement les groupes qui sont présentement reconnus par des lois corporatives vont se retrouver, mais de nouveaux groupes tels que — je l'ai déjà mentionné, je crois; de toute façon je le mentionne aujourd'hui — les podiatres, d'une part, et les chiropraticiens, d'autre part.

Comme il n'est pas possible d'aborder à la fois tous les projets de loi simultanément étant donné leur ampleur, leur complexité, et qu'il est nécessaire aussi de diviser les principes à l'intérieur d'un projet de loi de telle sorte que chaque projet porte sur un sujet bien défini, il n'a pas été possible de les étudier tous les deux simultanément. Mais dès le dépôt de ces lois sur les corporations professionnelles, je crois qu'un certain nombre des préoccupations que vous exprimez, des interrogations que vous formulez trouveront leur réponse.

MME L'HEUREUX-DUBE: M. le ministre, j'apprécie votre réponse. Il y a seulement un autre point d'interrogation. Je me demande, une fois que le statut de ces corporations professionnelles sera défini, si l'on devra revenir à ce bill-là pour le faire amender? C'est que je vois tellement d'interrelation entre les deux choses.

Dans le moment, on n'a pas ce statut et il n'y a que ces gens qui sont considérés comme professionnels de la santé. Or si plus tard on nous définit comme professionnels de la santé, très bien. Si on ne nous définit pas comme professionnels de la santé, à ce moment-là où se trouve-t-on?

M. CASTONGUAY: Je pense bien qu'on ne peut pas commencer l'étude d'un autre projet cet après-midi, mais comme je vous ai dit, le projet de loi ou les projets de loi portant sur les corporations professionnelles qui regroupent les professionnels de la santé, projets de loi qui vont être déposés au cours de la reprise des travaux, vont toucher également les podiatres, de même que les chiropraticiens. Je crois que cela répond, pour le moment, de façon suffisamment précise à cette préoccupation que vous formulez.

MME L'HEUREUX-DUBE: Mais quand on parle de conseils et qu'on se limite aux dentistes et aux médecins....

M. CASTONGUAY: Je ne voudrais pas vous interrompre, mais si vous avez terminé votre exposé, je vais commenter certains des points que vous avez soulevés plus tôt; mais j'aimerais mieux que vous terminiez, au lieu d'engager la discussion. Le but de mon intervention était simplement de répondre à votre question spécifique sur les corporations professionnelles.

MME L'HEUREUX-DUBE: M. le ministre, je pourrais continuer mon exposé mais j'ai l'impression que le président de la commission croit que nous sommes un peu en dehors de la question. J'ai souligné les problèmes principaux qui nous préoccupent. Nos conclusions sont que les podiatres voudraient obtenir un statut profesisonnel, voudraient que l'enseignement de la science de la podiatrie soit reconnu, et voudraient pouvoir participer à l'Association canadienne des podiatres en tant que membres reconnus. Il semble que l'Association canadienne des podiatres suspende son appui parce qu'ils

ne sont pas reconnus dans la province de Québec. Alors on tourne toujours en cercle vicieux. Somme toute, c'était le but de notre exposé et je crois qu'il est terminé, en ce sens-là. Je vous fais plaisir.

M. CASTONGUAY: Pour reprendre une expression qui doit être chère aux podiatres, on peut reprendre sur un meilleur pied! Je vais reprendre certains des points à peu près dans le même ordre que vous les avez soulevés. Vous avez mentionné une certaine crainte que les conseils soient composés, en définitive, d'administrateurs gouvernementaux. Ici je crois qu'il est assez important de faire ressortir une chose. Si on regarde la composition des conseils, un certain nombre de membres vont être nommés par le lieutenant-gouverneur en conseil, d'accord, mais ce ne sont pas des membres du gouvernement ou des fonctionnaires. Ce sont des représentants, comme on l'a dit, des groupes socio-économiques, ou encore d'un éventail de la société ou de la population desservie par les institutions.

Quant aux autres membres, si on regarde attentivement, ce sont soit des professionnels, soit des travailleurs, soit des délégués d'un autre niveau d'institutions ou, si on est au niveau des centres locaux, des gens élus par la population desservie par les centres locaux. Il s'agit là de personnes, en fait, qu'il m'apparaît difficile d'associer par le simple fait que leur nomination est faite par le lieutenant-gouverneur en conseil, en définitive, mais il m'apparaît difficile de les assimiler à des administrateurs gouvernementaux.

Vous avez mentionné aussi que les professionnels n'étaient peut-être pas suffisamment représentés au sein de ces conseils. Ici je voudrais attirer l'attention sur le conseil des professionnels qui est formé par l'article 76 du projet de loi où il est dit qu'un conseil consultatif de tous les professionnels est institué dans chaque centre hospitalier ou de service social. On dit quelles sont ses fonctions, sa composition : tous les professionnels exerçant leur profession dans le centre. Il a pour fonction de faire des recommandations au conseil d'administration sur l'organisation scientifique et technique du centre. Comme le conseil d'administration ne peut se réunir tous les jours, ou même très fréquemment, ses fonctions sont plutôt de fixer les grandes orientations, s'assurer qu'il y a une bonne gestion du centre ou de l'institution, voir aussi, par le biais du directeur général des services professionnels, à ce que des services adéquats, soit des services de bonne qualité ou des services répondant aux exigences de normes, soient dispensés. Il n'en demeure pas moins que l'étude de l'organisation scientifique et technique est une question qui demande beaucoup de travail d'une autre nature, et c'est justement une fonction qui est dévolue au conseil regroupant tous les professionnels pratiquant dans le centre.

Il n'y a pas uniquement la représentation au niveau du conseil d'administration, qui est importante sur ce plan, mais aussi au niveau de ce conseil.

Vous avez aussi posé des questions quant au conseil des médecins et dentistes. Vous avez demandé s'il n'y avait pas lieu de s'interroger quant à la possibilité que d'autres professionnels fassent partie de ce conseil. Ici on touche à une question bien particulière. On sait que présentement, en vertu des lois corporatives, certains types d'actes professionnels ne peuvent être posés que par les professionnels membres de ces corporations. Vous faites partie vous-même d'une telle corporation, les médecins, les dentistes, les pharmaciens et je pourrais en nommer d'autres. La raison d'être de ces corporations, la raison pour laquelle on empêche toute autre personne de poser des actes que les membres de ces corporations posent, c'est la protection du public. Et aussi la nature même de ces actes qui sont tels que toute autre personne qui pourrait les poser, si elle n'avait pas les connaissances nécessaires, si elle n'avait pas l'appartenance à un groupe qui impose des normes très précises de déontologie, si elle n'avait pas les obligations qui lui proviennent de son statut soit d'avocat, de médecin, etc., s'il n'y avait pas le caractère de confiance qui doit s'établir, confiance aussi grande, aussi totale que possible entre celui qui donne le service et celui qui le reçoit, s'il n'y avait pas également le fait que celui qui reçoit le service n'est pas toujours en mesure d'apprécier la valeur des services qu'il reçoit, les corporations professionnelles n'auraient pas leur raison d'être. Ce sont pour les corporations où seuls les membres de ces corporations peuvent poser des actes bien identifiés.

Il y a une autre catégorie d'actes professionnels qui peuvent être posés non seulement par les membres de la corporation, mais par d'autres membres. Ce sont des actes posés par les membres des corporations professionnelles où simplement le titre est protégé en ce sens que l'appartenance à cette corporation donne le droit d'utiliser un titre professionnel qui donne une garantie à la population, mais pas une garantie aussi grande et pour lesquels également d'autres personnes qui n'ont pas nécessairement les compétences des membres de ces corporations peuvent aussi rendre ce type de services.

Nous avons d'autres exemples, je crois, de service social. Il est évident qu'il n'est pas possible de définir de façon assez précise ce qu'est le service social pour dire que demain, seuls les travailleurs sociaux vont poser tel type d'actes. D'autres personnes font du travail social dans les faits et je pourrais reprendre d'autres exemples de la même nature.

Ce que nous avons voulu faire ici au sein de l'institution, du centre hospitalier, c'est de former un conseil qui est chargé de façon bien spécifique de contrôler les actes professionnels posés par leurs membres dans les cas très

spécifiques où seuls les membres de ces corporations peuvent poser ces actes. Nous avons identifié, pour le moment, les médecins et les dentistes. Il y aura peut-être lieu de revenir, d'étendre, mais c'est le principe général qui nous a guidés dans la formation de ce conseil qui, en définitive, est la continuation des bureaux médicaux sous une forme un peu différente et reliée de façon quelque peu différente aux structures de l'hôpital.

Enfin, quant à l'autre problème, soit la question de savoir que recouvre la définition de professionnel, je crois que je dois vous référer à mes commentaires antérieurs. Je crois que vous aurez des réponses adéquates et j'espère qu'elles seront satisfaisantes quant à vous lors du dépôt des lois portant sur les corporations professionnelles au cours des travaux de la session à compter du 26 octobre prochain.

MME L'HEUREUX-DUBE: M. le ministre, si je pouvais revenir sur l'un de vos commentaires — que j'ai beaucoup appréciés d'ailleurs — quand vous parlez de conseil consultatif. On sait ce que veut dire conseil consultatif. Cela ne veut rien dire. Je fais partie d'un conseil consultatif. On n'a aucune voix. On n'a aucune autorité quelconque.

Alors, si le conseil consultatif des professionnels de la santé recommande quelque chose, il n'y a rien qui oblige dans la loi le conseil d'administration à se plier aux demandes du conseil consultatif. C'est un peu inquiétant.

M. CASTONGUAY: Non, mais il n'en demeure pas moins, non plus, qu'on ne peut pas avoir deux autorités dans une même institution et c'est ce que nous tentons de concilier. Nous confions au conseil consultatif des professionnels la responsabilité de faire des recommandations sur l'organisation scientifique et technique du centre, mais nous devons laisser au conseil d'administration l'autorité dernière de décider s'il retient ces recommandations ou non. Nous retrouvons, au sein du conseil d'administration, des représentants de toutes les parties intéressées, y compris les professionnels.

M. LE PRESIDENT: Est-ce qu'il y a d'autres membres du comité qui veulent parler? Me Claire L'Heureux-Dubé, je vous remercie. J'espère que nous aurons l'occasion de vous entendre encore ici.

MME L'HEUREUX-DUBE: Vous êtes gentil, merci. Je ne refuse jamais d'occasion.

M. LE PRESIDENT: Nous allons maintenant entendre Mgr Raymond Lavoie, du secrétariat social de Saint-Roch Inc.

Secrétariat social de Saint-Roch

M. LAVOIE: M. le Président, M. le ministre, une petite précaution oratoire avant de com- mencer mon exposé qui est rédigé. Je pense bien que tout le monde l'a en main. M. le ministre, je tiens à vous dire mon estime et mon appréciation à tous égards. J'ai remarqué qu'à plusieurs reprises vous aviez rassuré les gens en leur disant que votre intention n'était pas d'appliquer tel règlement ou tel article de loi dans tel sens, mais dans tel autre sens et que ce sens-là était celui qu'on désirait pour le bien commun de la population.

En parlant, ce n'est pas à vous que je pense; je pense à l'hypothèse peu probable où l'Union Nationale reprendrait le pouvoir, le Parti québécois ou le Crédit social. Donc, je vois d'autres que vous derrière tout ce que je dis, puisqu'à ce moment-là ce seront eux qui appliqueront la loi que vous avez rédigée.

M. CASTONGUAY: Dieu nous protège de ces calamités !

M. LAVOIE: M. le Président, devant le projet de loi 65, je me suis posé deux questions: L'Etat veut-il réprimer des abus et constituer un réseau tellement étanche de contrôle dans les domaines social et médical que tous les requins devront renoncer à dévorer leurs proies habituelles? L'Etat veut-il plutôt poser un jalon majeur dans la construction d'une société dont il a le modèle en tête sans le dire?

Avec toute la modestie qu'exige une universelle incompétence et une situation de clerc détrôné par l'histoire contemporaine de ses positions de puissance d'autrefois, je voudrais vous donner les réponses que je crois découvrir dans le bill 65. A la première question, je réponds: Si l'Etat a voulu se donner la longa manus requise pour réprimer tous les abus, il ne s'est sûrement pas demandé quel bien il lui faudrait détruire pour extirper tout le mal qu'il déplore et que je déplore avec lui.

Il y a une écologie sociale comme il y a une écologie biologique. Je ne puis pas détruire les crocodiles dans les fleuves tropicaux sans entraîner une série d'interactions désastreuses pour la faune aquatique et, en définitive, pour l'homme que mangent parfois les crocodiles. Il m'a semblé que le bill 65 mettait en danger la démocratie elle-même en instaurant un régime à peu près totalitaire dans les deux domaines les plus importants de la vie humaine: la santé et l'activité sociale.

Je tiens à dire, comme précaution oratoire supplémentaire, que, dans tout ce qui s'est dit à ce jour, on s'est presque toujours référé à la santé alors que, moi, j'ai manifestement toujours à l'esprit le social. Le bill 65 m'apparaît totalitaire pour quatre motifs. Il atteint tout ce qui bouge et respire dans la vie sociale des hommes, et je le prouve. Il propose une nouvelle définition du mot "public"; ce n'est pas rassurant.

Jusqu'ici, nous du peuple, nous avions compris qu'était public ce qui émanait de l'Etat et demeurait sous son contrôle. Mais à l'article 1,

paragraphe 2 ou 3 je pense, "toute institution maintenue par une corporation sans but lucratif" devient publique; ne sont privées que les institutions qui ne sont pas publiques, donc celles qui ne sont pas incorporées du tout ou le sont en vertu de la première ou de la deuxième partie de la Loi des compagnies.

Ces institutions promues au rang de publiques sont toutes atteintes, j'allais dire investies par le bill 65 si elles sont des centres locaux de services communautaires, c'est-à-dire des "établissements qui, sur une base locale, assurent à la communauté des services d'action sanitaire et sociale" ou si elles sont des centres de service social, c'est-à-dire "si elles sont des établissements qui fournissent, sur une base régionale, des services d'action sociale — ce mot-là a été sauté — sur tous les points, notamment sur certains qui sont énumérés." Il faut reconnaître, par ailleurs, qu'on cite comme exemple des cas d'assistance médicale plutôt que d'action sociale, mais le mot est là.

Cela veut dire, dans le quartier où je vis et travaille, que le Secrétariat social de Saint-Roch Inc., dont le but corporatif est le suivant, d'après ses lettres patentes du 18 avril 1967: "Susciter la formation des services nécessaires à l'amélioration des conditions de vie de la population du quartier Saint-Roch de Québec et soutenir ces services dans leur fonctionnement."

C'est le secrétariat social qui chez nous a donné naissance et financement, il faut bien le dire, à tout ce qui suit, ce que j'énumère après; il y a bien d'autres choses que j'énumérerai sans commentaire ou dont je ne parlerai pas du tout. En fait, il a joué le rôle de CLSC bien avant que le mot n'ait été inventé.

Deuxièmement, le comité des citoyens, incorporé aussi, toujours d'après la troisième partie de la Loi des compagnies. Le but et la fonction de ce comité des citoyens sont essentiellement de l'action sociale et il a provoqué la création de nombreux services et la fondation de plusieurs corporations, toujours sans but lucratif. Les Loisirs communautaires de Saint-Roch incorporé, qui ne visent pas simplement à amuser les enfants mais à provoquer une assistance sociale et communautaire à des gens dont le métier essentiellement est d'être chômeurs irrécupérables pour un grand nombre.

Quatrièmement, les Ateliers R-10 incorporé, qui veulent faire de la réhabilitation par le travail, l'encadrement et l'action sociale auprès des familles de ceux qu'ils atteignent.

Cinquièmement, je suis moins catégorique pour le cinquièmement mais j'ai des inquiétudes tellement fortes que j'ai pris la peine de l'exprimer ici: La Coopérative industrielle du pied de la falaise, incorporée en juin 1967; c'est d'après la Loi des syndicats corporatifs, mais son but corporatif tombe aussi dans le social. Je le cite d'après sa charte: "Fournir aux citoyens qui n'arrivent pas à se situer sur le marché du travail et de la responsabilité sociale le moyen de le faire par l'initiative et la coopération". C'est très vaste. Elle aura bientôt, cette coopérative, commis à peu près tous les péchés qu'il est possible de commettre contre le capitalisme puisqu'elle a déjà des clubs d'achat coopératifs, un funérarium coopératif, une caisse de crédit coopérative, des transports coopératifs, des chantiers coopératifs — il y en a plusieurs en marche — et qu'elle aura bientôt un condominium coopératif pour gens à faible revenu, nous dit M. le maire de Québec.

Sixièmement, la Clinique socio-médicale incorporée, qui hésite entre le dernier soupir et la résurrection puisqu'après avoir prospéré et rendu d'énormes services elle a cessé de fonctionner à toutes fins utiles le jour où la Loi sur l'assurance-hospitalisation est survenue. Il fallait attendre ce que deviendrait ce monde nouveau qui nous était ouvert.

Septièmement, une clinique socio-juridique gratuite qui rend d'immenses services à tout le monde.

Huitièmement, une clinique socio-administrative qui a dépanné des tas de gens et notamment a permis à l'Etat de recevoir des rapports d'impôt bien faits cette année.

Neuvièmement, l'Association socio-culturelle du pied de la falaise, qui est de fondation assez récente et qui cherche à devenir impresario au Grand Théâtre puisque c'est le seul moyen d'y entrer à bon compte, nous on dit ceux qui avaient promis que le peuple, enfin, dans ce temple des caves et des écoeurés, pourrait s'abreuver quasi gratuitement aux vraies sources de la culture. J'ajoute le très dangereux Secrétariat du bien commun, le centre UNEV, le CPRemovers, qui n'est pas incorporé ni incorporable.

Je vous épargne le reste mais tous se sentent menacés de dépression et d'aliénation par le bill 65. On dirait que l'Etat, dans ce projet, ne reconnaît pas plus d'amplitude au mot social qu'au mot médical et qu'il croit pouvoir enserrer dans un même étau ce qui relève de l'affaiblissement de la vie, le médical, et ce qui relève de l'intensité de la vie, l'activité sociale; ou encore que le social et le médical n'ont qu'à s'identifier dans le concret puisque, par la volonté du chef d'Etat, le médical est devenu une affaire sociale et qu'un seul homme, vous-même, M. le ministre, est chargé des deux secteurs.

Les deux mots sont juxtaposés dans le bill comme s'ils étaient de même densité et de même poids. En tout cas les réalités qu'il désigne sont totalement absorbées par la définition des termes du bill 65. "Toute institution publique ou privée devra, pour pouvoir dispenser des services de santé ou des services sociaux, détenir un permis délivré par le ministre". C'est au préambule, dernier paragraphe et à l'article 93.

Deuxièmement, je continue toujours à parler de totalitarisme dans le bill 65, celui-ci est d'inspiration totalitaire en raison des pouvoirs

d'investigation et de contrôle qu'il confère aux offices et aux nouvelles institutions dont parle la section III. On jurerait que c'est la Loi des mesures de guerre qui a inspiré tout cet aspect du bill. a) L'office peut recevoir des pouvoirs par la loi mais aussi en marge de la loi, par le lieutenant-gouverneur en conseil. C'est 41 e). b) Le lieutenant-gouverneur en conseil nomme d'autorité le directeur d'un office si ce directeur devient malade ou si l'on a décidé qu'il l'était. Article 27. Vous voyez un peu, M. le ministre, l'Union Nationale au pouvoir avec un article comme celui-là. c) Le pouvoir d'investigation donné aux offices est absolument discrétionnaire et absolu. Articles 30 à 35. d) Le pouvoir de nommer les officiers des institutions publiques — rappelons-nous la définition de l'article 1 — est également discrétionnaire et absolu puisque le lieutenant-gouverneur le détient, demain, aussi bien que le conseil d'administration. e) Le pouvoir de fusionner d'autorité toute institution publique — nous entendons par là les corporations sans but lucratif — de même catégorie ou ayant des objets similaires (article 83 a) et b), et donc le pouvoir d'abolir d'autorité tout ce qui existe, (article 87). f) Le pouvoir de faire et défaire tous les règlements des institutions et offices est accordé au ministre, (article 133). Les visiteurs mêmes — ce n'est pas dit que ce sont les visiteurs d'hôpitaux; je pense aussitôt aux visiteurs du presbytère où se tient le chef-lieu du secrétariat social ou du comité des citoyens — sont atteints par cet omniprésent ministre; (l'article 133k), il peut décider s'ils entrent ou s'ils sortent. Le ministre annule ou suspend sans que l'on ait d'autre recours que celui d'être entendu, (article 105) on ne sait pas par qui, d'ailleurs, car ce n'est pas dit. On peut toujours se plaindre à son voisin, je présume. En plus des offices qui peuvent enquêter à leur guise, le lieutenant-gouverneur peut aussi enquêter pardessus la tête des offices (article 129). Enfin, l'Etat a aussi le pouvoir d'annuler les chartes, de liquider et de s'approprier les biens des victimes de ses enquêtes (articles 131 et 132).

Troisièmement, cette loi est d'inspiration totalitaire en raison de la position de force du directeur général des offices, comme des institutions, de l'immunité pratique dont il jouit. Le directeur ne peut être qu'une émanation du tout-puissant ministre, cela va de soi (articles 71 à 75 et un peu partout dans le bill).

Quatrièmement, enfin, cette loi est totalitaire parce qu'elle ignore à peu près complètement que le secteur privé ait quelque importance. On a commencé par vider le secteur privé en déclarant public tout ce qui était privé, bien qu'incorporé jusqu'ici, du moins, c'est ce que j'ai compris. Ce qui pourrait subsister de privé est traité avec une désinvolture telle que je me demande si on a songé un moment que c'était ce qu'il y a de plus privé dans la société, le simple citoyen, qui élisait les députés.

On définit le privé négativement. Ce qui est privé, c'est ce qui n'est pas public. C'est assez simple et élémentaire comme définition.

Les institutions privées, dans le préambule, on dit qu'elles continueront leur oeuvre pourvu qu'elles choississent de faire leurs propres frais sans l'aide de l'Etat. Cela ressemble un peu à ce qu'on a dit aux CEGEP et à un certain nombre d'institutions scolaires lorsqu'il s'est agi de beaucoup d'institutions privées: Vous avez le droit de vivre, seulement, on ne vous donne que les moyens de mourir. C'est ce que font aussi beaucoup de capitalistes américains qui viennent acheter toutes nos entreprises canadiennes en leur disant: Vous avez le droit de vivre, messieurs, seulement nous autres, on vous achète, si vous voulez, et on vous donne des postes honorifiques en grand nombre. Si vous ne voulez pas, on vous fait la concurrence sur le plan publicitaire et on vous tue. Alors, ils se vendent les uns après les autres.

Aux offices, six membres sur quatorze seront choisis dans les "groupes socio-économiques les plus représentatifs". Qui choisira ces groupes? On ne le sait pas. Le ministre toujours, sans doute, mais ce n'est pas dit. A choisir entre une chambre de commerce, un syndicat et un comité de citoyen," qui prendra-t-on? Ici, on consultera probablement.

Il n'est pas question que le ministre donne des lettres patentes à ce qui existe (articles 41 et suivants) cela n'est pas envisagé du tout. Le ministre a dit ce matin que cela se faisait ou que cela se ferait, mais ce n'est pas dans le bill. Au contraire, non seulement c'est absent, mais cela semble contre-indiqué. L'Etat crée puis il fusionne après avoir créé et il anéantit tout ce qu'il n'a pas créé, c'est aussi simple que cela.

On tente de donner un certain masque démocratique en commandant d'autorité une assemblée publique annuelle (article 2 a et 90). Quand on sait quelles foules les candidats aux élections parviennent à réunir dans les assemblées électorales, j'ai connu ce jeu-là, mes chers amis, et je sympathise avec vous, on n'a personne et c'est malheureux. On est obligé de faire les assemblées dans les cuisines parce qu'il y a au moins la mère qui est là. Quand on sait, comme je le sais, qu'il faut six ans de travail acharné pour réveiller quelques centaines de personnes, on voit ce que signifie, comme correctif démocratique, cette assemblée annuelle.

Loi d'inspiration totalitaire; ai-je tort ou raison de le dire? Elle l'est à ce point que je ne puis pas supposer qu'on l'ait rédigée sans avoir une vision globale du monde à l'esprit. J'en arrive à me poser la deuxième question, que j'indiquais au début: Quelle est cette vision du monde? Le ministre a dit ce matin, dans ses préambules — que nous n'avons pas eus par écrit malheureusement, je le déplore — que la philosophie de cette loi n'était pas indiquée et

que le programme non plus n'était pas indiqué, que c'était simplement la mécanique qu'on nous proposait, qu'on nous démontait, somme toute, devant les yeux. Je dirai cependant que ce qui m'intéresse, c'est la philosophie qui est en dessous. Le ministre Castonguay a dit des choses sensationnelles à Ottawa, il n'y a pas tellement longtemps, rappelant que toutes nos lois sociales s'inspiraient de philosophies disparates et inconsistantes parce que disparates par conséquent, qu'il fallait en arriver à avoir une philosophie unique.

Moi, je me demande quelle est la vision du monde, le projet, pour demain, qui est à l'origine de cette loi, à quoi veut-on en venir? Cette question est d'importance car nous ne vivons pas un quelconque soubresaut de l'histoire, me semble-t-il. Nous avons à inventer une civilisation nouvelle. "L'histoire de l'humanité, déclare H.G. Wells — bien connu de vous tous, j'en suis sûr — devient de plus en plus une course entre l'éducation et la catastrophe." Tout chef d'Etat doit être un futurologue et toute loi doit être une ouverture et non pas une fermeture. "L'expérience du passé ne peut plus orienter le monde et celui qui lui fait totalement confiance s'égare. Les changements qui nous affectent sont si rapides et si radicaux que tout ce qui nous paraît aller de soi risque de paraître insensé d'ici vingt ans.

C'est le futurologue George Picht qui parle ainsi dans le numéro de l'Express du 16-22 août 1971. Ce sont ses trois ou quatre dernières phrases. "Il ne faut plus partir du passé mais de l'avenir. Ce sont nos choix concernant l'avenir et une planification globale qui doivent guider désormais toutes les actions du présent."

Si l'on prend le mot "socialisme" dans son sens le plus général, c'est-à-dire "l'état d'une société où les relations interpersonnelles se multiplient intensément et deviennent des relations multiples et complexes de caractère communautaire au sein desquelles l'Etat joue un rôle central et capital", je dirai que le bill 65 tente de donner à notre socialisation une ligne maîtresse qui le caractérisera définitivement et le précipitera vers une escalade que, sans doute, on voulait justement éviter.

La ligne maîtresse la plus apparente dans le bill 65, c'est celle d'un socialisme politicailleur et technocratique.

Politicailleur parce qu'il redonne à l'Etat, et cette fois pas seulement au niveau d'un réseau plus ou moins secret ou officieux de faits et de liens, mais au niveau de la loi, de la police et des tribunaux, toute la puissance de contrôle, de musellement et de strangulation qu'on a si bien connues à la fin du régime Taschereau et tout au long du régime Duplessis. Il permettra de rééditer cent et mille fois ce que l'actuel gouvernement — je me trompe en disant l'actuel gouvernement —, ou mieux certains de ses membres que je connais bien sont en train de rééditer — et ils sont parmi les plus influents parfois — depuis deux ans: installer tous les organisateurs du parti aux postes de commande; refuser l'incorporation et très bientôt annuler l'incorporation de tout ce qui n'est pas dominé par les amis, les prestateurs de la caisse électorale — il y a des exemples indiqués entre parenthèses que je ne développe pas parce que je ne voudrais pas donner de noms — classer comme indésirables et dangereux tous les groupes qui contestent quelque chose ou tentent de créer quelque chose; dénoncer comme agitateurs tous ceux qui pensent tout haut; enraciner dans le bon vouloir de l'Etat toutes les libertés qui tentent de se déclencher pour la rédemption sociale de leurs frères, etc.

Technocratique enfin, ce socialisme totalitaire. Je veux dire par là conforme aux visions aprioristes et simplistes de certains visionnaires qui se constituent, à même le patrimoine de responsabilité publique confié par le peuple aux députés et aux ministres — et ça, il faut que ce soit bien compris — qui se constituent donc de petits empires qui deviennent peu à peu une reprise du régime féodal sur le papier. On le pensait aboli pour toujours et tous les députés le dénoncent en période électorale pourtant.

Pour eux, ces idéologues, la sociologie qui décrit le présent à partir du passé tient lieu de prospective. On peut obtenir, grâce à eux, des millions pour faire des recherches et compiler des données, pour publier des rapports et garnir des tablettes, mais pas un sou pour supporter de l'expérimentation sociale et politique vivante. Tout pour décrire et rien pour inventer. Chercher veut dire raconter le caillou où j'ai les deux pieds et non pas scruter l'horizon pour découvrir vers quoi l'on va. Penser veut dire, pour eux, tenter d'immobiliser l'histoire au point où ils l'ont observée, la réduire en cartes perforées, la mécaniser, la quantifier et la fixer pour que les conclusions de la sociologie cessent enfin d'être en retard sur la vie qui court et qui trépigne.

Si ces technocrates, tous cousus de diplômes, ont à concevoir une législation, ils vont tenter de cristalliser la vie. Mais, dit encore George Picht, "le monde futur ne sera pas fondé sur les besoins des technocrates mais sur les besoins réels de la société, des peuples et sur l'organisation des cadres scientifiques et politiques ayant atteint un haut niveau de responsabilité". Les membres du Centre international de développement ne tiennent pas un autre langage, eux qui affirment — du moins ceux que j'ai rencontrés — n'être jamais parvenus à développer à partir des Etats qui les ont employés.

L'expérience multimillionnaire du BAEQ marque de façon magistrale à quoi aboutit un socialisme technocratique comme celui que l'on semble vouloir construire. Parti du papier, il aboutit au papier.

Cette double coloration du socialisme, dont le visage est esquissé par le bill 65, nous semble pourtant dominée par un élément qui s'insère depuis quelques années dans le réseau de nos

institutions et constitue le plus significatif des phénomènes socio-politiques des dix dernières années: la concentration et l'escalade totalitariste. L'Etat prend tout en main. Il a pris l'éducation d'abord. Il le fallait pour se mettre au pas, a-t-on dit, et on avait largement raison. Largement, j'ai dit. Mais fallait-il vraiment construire ces énormes machines à instruction où tout est dispensé par l'Etat? Fallait-il détruire tout ce que tant d'efforts avaient construit dans ce domaine de telle façon qu'il ne reste plus aucun point de comparaison possible entre le gradué de la nouvelle machine et celui des anciennes boutiques plus ou moins artisanales? Elles ont cessé de produire, c'est pour cela qu'on ne peut pas comparer. Fallait-il absolument faire de l'éducation non plus une vocation, mais un "job" bien rémunéré et bien mesuré sur toutes ses frontières horaires?

Il y a également les soins hospitaliers qui furent ensuite étatisés. Nos bonnes soeurs n'avaient pas le rythme, c'est bien connu. Elles n'avaient ni le talent ni l'argent, même si on les disait riches. Bien des gens aimaient pourtant mourir à bon marché entre les mains d'une bonne soeur, mais il n'y a plus de bonne soeur et plus de bon marché. C'est $60 par jour avant le dernier soupir et bien davantage après.

Vous ne savez même plus à quel savant médecin vous devez les joies du bonheur éternel, car il y en a bien cinquante qui sont responsables à chaque fois qu'un patient meurt ou qu'il survit. En tout cela, il y a progrès, mais le prix du progrès par l'Etat n'est-il pas trop élevé en argent quand l'Etat agit seul? Il fallait bien étatiser l'électricité, pour remonter plus loin un peu, mais fallait-il pour cela rayer d'un trait de plume toutes ces coopératives de production à qui M. Duplessis, dans un moment de distraction ou de lucidité, avait permis d'exister?

Est-ce que le prix de cette évolution par l'unique initiative de l'Etat n'est pas trop élevé en liberté également? A partir du moment où la concentration de tout s'effectue entre les mains de l'Etat, il ne peut pas ne pas mobiliser sa puissance constringente et répressive pour maintenir son empire. Quand c'est lui qui instruit et lui qui soigne les malades, ce qui s'oppose à ses cours et à ses traitements devient illégal. Tout est infraction et crime de ce qui était auparavant maladresse ou simple désordre.

Le mot "infraction" est une erreur ici, je m'excuse. Je n'ai pas un système secrétarial très complexe, vous pouvez le supposer dans mon milieu.

Et comme la liberté des gens est un peu comme l'eau, elle cherche à s'infiltrer par les moindres fissures pour échapper au barrage, l'Etat doit multiplier les crimes et les délits pour que sa pression sur la société se maintienne. Par voie de conséquence, les tribunaux et la police doivent être mobilisés en permanence pour consolider, reprendre, réprimer, châtier, suspendre, annuler, enquêter, destituer toutes fonctions que l'on voit énumérées avec insistance dans le bill 65.

Cette fois, le domaine où l'on entre pour ordonner et niveler est beaucoup plus vaste que tous les autres ensemble. Il les inclut, mais il atteint les moindres manifestations de ce besoin de vie communautaire et sociale qui définit l'homme à ce point que, s'il ne le ressent pas, "il est ange ou bête" disait ce vieux fou d'Aristote.

Ne s'agit-il pas d'escalade totalitaire vraiment? Et qu'en sortira-t-il? L'Eglise catholique a découvert que le légalisme était en train d'étouffer. Elle tente patiemment de s'en guérir. Et c'est long. La Russie et la Chine ont choisi la voie du légalisme le plus outré pour construire le monde et ont réduit la liberté des individus à un niveau tellement bas que nous le dénonçons tous à qui mieux mieux. Mais au lieu de profiter de l'expérience de l'Eglise, on s'enfonce dans l'imitation servile des pouvoirs communistes qu'on dénonce, du moins ça me paraît comme ça.

Il y a pourtant une socialisation possible et désirable, c'est celle qui se construit au plan politique et social sur la participation et au plan économique sur la coopération. C'est celle-là que, dans notre petit coin de Québec, nous essayons de mettre en place en réunissant tous les éléments qui peuvent sortir de l'initiative des citoyens, en faisant de la démocratie non pas l'éternel mensonge qu'elle a toujours été, mais l'authentique essor d'un peuple qui essaie de se réaliser en chacun de ses membres, pour tous par tous.

Les expériences que nous poursuivons à l'aire 10, seuls et à peu près sans aide, cela il faut bien le dire, devraient être l'objet de la plus grande attention de l'Etat plutôt que la victime d'un rapt public comme celui qui se prépare. Pourquoi est-ce que je parle ainsi? Parce que la vanité m'aveugle ou que la réaction de cette classe des défavorisés à laquelle j'essaie de m'identifier me rendrait agressif et contestataire? Je ne crois sincèrement pas.

Mais dans l'aire 10 se trouve une part importante du tiers-monde québécois et c'est le tiers-monde qu'il faut étudier pour savoir quoi faire demain. Nous avons l'air, nous, de Saint-Roch, d'être en retard, puis à Saint-Jacques de Montréal ou ailleurs, c'est pareil, nous avons l'air d'être en retard sur les autres, mais en réalité, nous sommes bien en avant des autres parce que nous sommes cette partie de l'humanité qui a été la première atteinte par tous les phénomènes sociaux qui nous obligent à inventer un monde nouveau.

Tous ces grands mots en "ion" et en "isme", quelle influence ont-ils sur l'homme? Urbanisation, industrialisation, automation, récession, et vous savez qu'il y en a beaucoup d'autres. Quand cela fait 25 ans que pèse sur l'homme le progrès du monde, que devient l'homme au plan psycho-social et même psychosomatique? Par combien de peurs est-il habité? Et quelles

sont les réactions organiques et communautaires qui se produisent comme mécanisme d'autodéfense?

Questions importantes, aujourd'hui à Saint-Roch de Québec et à Saint-Jacques de Montréal, on le sait. Mais demain, ce sera peut-être 25 p.c. ou 50 p.c. de la population totale qui sera entrée dans le cycle où nous sommes déjà. Nous aurons trouvé 100,000 emplois nouveaux peut-être, mais nous en aurons perdu 500,000 demain, cela c'est sûr. Questions importantes car demain ce sera le tiers-monde de toute la planète qui sera à nos portes avec béliers et massues pour nous demander ce que nous avons l'intention de faire d'eux. André Malraux a révélé ces paroles prophétiques du général de Gaulle: "Il ne reste plus qu'une génération pour séparer l'Occident de l'entrée en scène du tiers-monde, aux Etats-Unis, il est déjà en place. Gandhi, Churchill, Staline, Nehru, même Kennedy, c'est le cortège des funérailles d'un monde."

Dans cette perspective, que provoquera le bill 65? Une rupture de dialogue entre les citoyens et l'Etat, je le crains beaucoup. Un durcissement des résistances, une clandestinité plus grande des mouvements subversifs d'inspiration marxiste et maoïste que vous n'avez jamais chez vous, au Parlement, mais que nous avons dans les jambes du matin au soir nous autres, par exemple. Faites-nous confiance pour tenir le coup. Ne venez pas nous remplacer, vous n'êtes pas capables. Une lutte à finir des meilleurs éléments de la population, ceux qui ont conservé la préoccupation des valeurs profondes et ont découvert qu'ils étaient capables de les promouvoir et de les défendre. Et de ceux-là, il y en a quelques centaines dans mon quartier. Ils ne m'ont pas chargé explicitement de parler en leur nom, je n'ai pas eu le temps de mettre en marche l'étude de ce texte. Mais nous mangeons à la même table tous les jours.

Je suis sûr de ne trahir la pensée de personne, même si je ne parle qu'au nom du secrétariat social.

J'ajoute un petit mot avant d'arriver aux conclusions au sujet de ce qu'a répété M. Castonguay plusieurs fois tout à l'heure. Il a dit: On dirait que les gens se méfient de l'Etat. M. Castonguay et vous autres, chers amis, qui êtes chargés des pouvoirs publics, je vous dirai: Prenez-en votre parti, les gens se méfient de vous. Dès que vous parlez de vous présenter, ils se méfient de vous. Pourquoi ça? Parce que vous êtes forts ou que vous espérez l'être et que nous sommes faibles. On a toujours peur d'un plus fort que soi. Quand votre petit gars rencontre son grand frère, vous voyez bien qu'il se sauve. Il a peur; c'est comme ça partout.

Deuxièmement, parce que le gouvernement, c'est d'abord, pour nous, l'organisation locale du parti politique qui est au pouvoir. Il faut bien se mettre ça dans la tête. On l'a dans le nez du matin au soir, cette organisation locale. Si vous aviez fait partie de notre comité des citoyens, de toutes nos organisations sociales depuis six ans, vous verriez ce que ça veut dire. Il faut maintenir constamment une lutte sourde, une lutte terrible contre tous ceux qui sont chargés de détruire ce qui pourrait peut-être devenir une menace pour le parti au pouvoir, quel qu'il soit. Remarquez bien: quel qu'il soit. Que personne ne se sente la patte trop blanche dans ce domaine-là.

Troisièmement, qu'est-ce que le gouvernement pour nous? Ce sont les profiteurs du parti qui obtiennent les contrats et on voit très bien qu'ils se paient des cigares de taille parfois fort impressionnante. Qu'est-ce que c'est que l'Etat pour le petit peuple? Ce sont les percepteurs de taxes contre lesquels on n'a aucun moyen de se défendre, parce que, si on retarde d'une journée, on reçoit un compte de 10 p.c. du montant le lendemain. J'en ai justement un sur mon bureau.

Qu'est-ce que l'Etat? C'est celui qui donne l'instruction à mes enfants maintenant. Mon petit gars a bloqué ou encore il n'a pas bloqué, mais il n'a pas d'ouvrage et il vient de finir. C'est ça l'Etat pour le citoyen ordinaire. C'est celui qui traite le patient à l'hôpital, mais j'ai attendu de huit heures du matin jusqu'à quatre heures du soir à l'urgence pour voir un médecin, et je n'en ai pas vu parce qu'ils sont tous partis, car, à quatre heures, leur temps était fini.

Qu'est-ce que l'Etat pour les gens? C'est celui qui n'a pas réglé ce qui ne marche pas rond. C'est lui qui n'a pas empêché les Etats-Unis de mettre une barrière tarifaire de 10 p.c, ce qui va causer tout un imbroglio dans tous les pays du monde. Vous allez me dire que ce n'est pas votre faute. Je le sais bien, mais n'empêche qu'aux yeux du peuple c'est ce qu'on va dire: Ils n'ont pas vu venir ça. Vous ne pouvez pas le voir, non plus, je le sais, mais, enfin, c'est comme ça que ça va être interprété, je vous le garantis. Qu'est-ce que l'Etat? C'est celui qui m'a tout promis le jour des élections et les jours qui précédaient et, après, je n'ai rien eu.

Enfin, l'Etat c'est celui qui a fait une bonne loi. Acceptez d'être tout ce que j'ai dit d'abord avant d'être ce que j'ai dit en terminant. Vous voyez, par conséquent, qu'on se méfie de l'Etat. Il n'y a rien à faire contre ça, je pense. Il faut accepter ça comme étant une des servitudes du métier et peut-être l'un des stimulants du métier: gagner l'amitié. Il y a DeBané qui fait des efforts pour renouveler la fonction actuellement. Je ne sais pas s'il va réussir, mais dans le style qu'il a, même si on dit que c'est par pur intérêt électoral, il y a quelque chose de nouveau sur quoi il faut réfléchir. Est-ce qu'il faut être uniquement l'homme qui donne la main à toutes les mamans et qui donne un bec à tous les bébés pendant la semaine qui précède le jour du vote ou bien s'il ne faudrait pas être plus cordial un peu tout le temps? A ce moment-là, vous n'avez plus le temps de réfléchir ou d'étudier. Alors, il faut faire un choix. Je me demande ce qu'il faut faire.

Conclusions et recommandations. Aurai-je l'audace d'en faire? Pourquoi pas? Quand on est ignorant comme je le suis, on peut poser avec une égale compétence les prémisses et les conclusions.

Premièrement, je recommanderais de dissocier complètement le secteur médical du secteur social. Vouloir les traiter dans une seule et même loi, c'est confier à la fois ses souliers et son pantalon à son cordonnier, sous prétexte que c'est la même personne qui porte les deux vêtements. Il peut être utile de confier au même ministre, à défaut d'un nombre suffisant de ministres compétents, les deux plus gros budgets de la province, mais, dans la vie, le médical et le social ne sont pas identiques. Même s'il est vrai que les malades ont souvent des problèmes sociaux et que les problèmes sociaux conduisent parfois à la maladie, autant il y a prolifération d'institutions spontanées et riches du côté social, autant il y en a peu dans le domaine médical qui sont le bureau, l'hôpital, quelques cliniques spécialisées et des fonds pour toutes les maladies, sauf pour la pauvreté qui est la plus grave de toutes les maladies modernes. Vous ne pouvez traiter de la même façon les potagers et les forêts. Cela me paraît certain quand on se situe devant la liste que j'énumérais tantôt de nos institutions locales.

Deuxièmement, je recommanderais de se demander très sérieusement où on veut aller d'ici dix ans. Est-ce vers la dictature policière ou vers la démocratie de participation et de coopération? Il faut faire un choix avant de partir, surtout si on est déjà parti sans se demander exactement où on allait. Cela fait plusieurs années qu'on est parti.

Troisièmement, je recommanderais de bien considérer que, si toutes les libertés sont brimées au Québec, on précipitera la population vers le fédéral qui a une tendresse particulière pour les Québécois malheureux.

Une politique autonomiste ne peut se promouvoir qu'en maintenant et en renforçant l'unité interne de la province. Quant une population rurale commence à s'ébranler, comme cela arrive dans l'Est du Québec actuellement, il faut avoir autre chose à lui dire que de prendre garde d'encombrer la province de "pitounes" non vendues et de ne pas trop se fier au curé en sylviculture, comme ça s'est dit il n'y a pas tellement longtemps.

Quatrièmement, je recommanderais de redonner existence et consistance au secteur privé de l'hospitalisation tout en réprimant les abus des requins de la santé et en accélérant l'évolution. Dans les principes du libéralisme auxquels nous devons tant et de si grands malheurs, tout n'était pas mauvais. Il ne faudrait pas le mettre de côté complètement, le pauvre libéralisme — les libéraux surtout. Laisser faire, disait-il, la libre concurrence ne peut produire que le progrès. Nous savons tous qu'en pratique on a abouti à l'absorption des petits par les gros et souvent la mise en tutelle de l'Etat par le capital, comme c'est le cas pour le CPR et le fédéral depuis cent ans. Mais la concurrence a valeur de stimulation et permet des comparaisons. Si l'Etat soutient un secteur privé de l'hospitalisation, particulièrement celui qui a été forgé par les communautés religieuses où sont nos soeurs, nos cousines et nos tantes — j'allais dire nos nièces, mais cela serait faux parce qu'on a si bien vidé la profession de religieuses hospitalières de son contenu que finalement nos nièces n'y vont plus — il aura à ce moment-là plus de recul et il aura deux leviers à manoeuvrer au lieu d'un seul. Cela pourrait être utile plus tard si le gouvernement change naturellement.

Cinquièmement, je recommanderais que l'Etat ne fasse pas tout son possible pour que tous les cataclysmes qui surviennent lui soit imputés par le peuple. Cela ressort très clairement de ce que j'ai dit tantôt. Au train où vont les choses, toutes les colères, toutes les grèves, toutes les impatiences se dirigent vers le Parlement car l'Etat est source et cause de tout. Par contre, aucune joie, aucune gratitude ne conflue au même endroit car l'Etat ne fait pas de cadeaux et n'a pas droit à la gratitude. Il en fait parfois à ses amis, c'est tout. Il exerce la justice pour le peuple. Les députés et les ministres sont bien payés, ils ne font que leur devoir. Quand tout va bien donc, c'est la faute du peuple. Quand cela va mal, c'est votre faute. Est-ce que les gens ont complètement tort de raisonner comme cela? Serviteur du bien commun, c'est plus beau à dire qu'à vivre, je pense.

Sixièmement, je recommanderais de beaucoup retarder une législation qui voudrait coiffer et domestiquer l'activité sociale des citoyens. C'est à ce niveau de l'activité sociale que la civilisation nouvelle s'élabore. Il y a des bouillonnements qui sont nécessaires pour que naisse l'alcool au sein de la fermentation du jus de la vigne. Si vous arrêtez tout, vous n'aurez jamais de vin. La puissance normative de l'Etat et le contrôle des technocrates étoufferont toujours la vie s'ils interviennent prématurément. C'est très exactement ce que fera le bill 65. A moins qu'ayant tenté de comprimer la vie il n'en provoque l'explosion. Ce serait bien le plus grand des malheurs.

Septièmement, je recommanderais qu'on commence par aider et assister les organismes d'action sociale issus de tant de milieux urbains comme le fait le fédéral, remarquez-le. Comme le fait le fédéral. On a trouvé le chemin et on trouve des subventions là-bas. Imaginez donc. Et pas un cent ici, jamais, jamais, jamais. On nous dit: C'est merveilleux votre affaire, mais on ne peut pas. Pourquoi? On n'a jamais pu le savoir non plus. Donc, aider et assister les organismes d'action sociale de tant de milieux urbains. Ces organismes sont parfois boiteux, c'est parce qu'il leur manque une chaussure. Achetez-leur un soulier, messieurs, ils vont bien marcher après. Mais ils sont pauvres, ils doivent tout faire. Moi, j'ai au moins huit métiers de

front que je mène parce que je ne peux pas faire autrement. C'est pareil pour beaucoup de gens de mon coin au comité des citoyens. Donc, essayons de les aider et de les assister sérieusement avant de leur annoncer qu'ils sont devenus publics sans l'avoir demandé et qu'on les fusionne de gré ou de force avec leur voisin descendu la veille, du ciel parlementaire.

Huitièmement, je recommanderais que l'Etat renonce à intervenir dans le domaine de l'action sociale à moins de payer le prix de l'éducation et de la transformation de la mentalité des humains. On ne change rien avec des structures. Je retrouve ce que disait le Dr Laurin ce matin et ce que l'abbé Hurteau a dit également: la substance et le contenu. Je recommande que l'Etat se rende compte que la chose qui lui est la plus impossible, c'est d'éduquer. Il peut diriger par ses lois, il peut contrôler par sa police, il peut conditionner par sa propagande, il peut tenter de manipuler par l'action de tous les caïds des organisations de partis; il ne peut pas éduquer. Qu'il ait donc la modestie de le reconnaître et d'aider ceux qui ont quelques chances de le faire, même s'ils sont curés ou pasteurs protestants.

Neuvièmement, je recommanderais enfin à l'Etat de ne pas avoir peur. Au fond, j'ai l'impression que, si le bill 65 tire son origine des visions de quelques technocrates, il a eu l'assentiment des élus du peuple parce que ces derniers sont inconsciemment habités par la peur.

C'est peut-être fort, ce que je dis là. Vous me direz que vous n'avez pas peur si ce n'est pas vrai. Vous allez dire quelle peur? La peur de perdre ses élections, la peur de ne pas avoir assez d'argent dans sa caisse électorale, la peur de reculer et de se le faire dire par l'Opposition, la peur de la révolution, la peur de la montée des chômeurs et des prolétaires et toutes les autres peurs.

Je trouve que le monde est merveilleux. Il ne faut pas avoir peur; c'est le temps de la création. Avec Dieu tous les soirs, voyons donc comme cela est beau et très beau, ce temps où tout le monde redevient adolescent et où le salut se fera par le ministère de ceux qui auront su demeurer adultes, comme vous, messieurs.

M. CASTONGUAY: Monseigneur, on peut se parler; vous étiez aumônier quand j'étais à la faculté.

M. LAVOIE: Nous étions à la même école.

M. CASTONGUAY: Il me semble que, dans votre mémoire, il y a des choses extrêmement valables. Si vous me le permettez, je vais vous parler aussi franchement que vous parlez. Dans votre mémoire, il y a des sur-simplifications dangereuses. Dangereuses parce que des gens vous respectent, vous écoutent et peuvent voir dans ce bill des choses qui n'y sont absolument pas. Lorsque vous dites que nous voulons chapeauter toute l'activité sociale par ce bill, je crois que c'est une grande exagération.

Le bill ne vise qu'à l'organisation de services professionnels et techniques qui doivent recevoir les finances de l'Etat pour pouvoir fonctionner. Il vise aussi des services où il faut, je pense, de l'avis de tous, qu'il y ait certaines normes de respectées. Il ne vise pas à contrôler toute l'activité sociale. Lorsque vous parlez des initiatives prises dans votre milieu par divers groupes pour améliorer le milieu, pour faire en sorte que les gens prennent davantage leurs responsabilités, je crois que ce sont des initiatives qui sont valables. S'il fallait que le bill tende à détruire cela, ce serait extrêmement mauvais.

S'il faut clarifier le bill, tout comme l'a mentionné le Dr Laurin ce matin, pour mieux faire ressortir sa philosophie, son objet, sa portée, nous sommes prêts à le faire. Il y a un point: Je reconnais que le bill est peut-être un peu trop dénué de contenu; c'est la deuxième ou la trosième fois que c'est mentionné aujourd'hui. Nous allons faire un effort considérable pour répondre à ce genre de réaction qu'il suscite.

Je voudrais aussi mentionner, parce que vous le dites à la fin — et ça peut être aussi assez dangereux si c'est pris au pied de la lettre — que ce projet de loi n'est pas adopté présentement. Il est déposé et nous en commençons l'étude aujourd'hui. Alors, il ne faut pas le prendre comme un bill qui est approuvé, comme une loi, mais simplement comme un projet soumis à l'étude. Ce matin, j'ai pris bien soin de mentionner que nous étions disposés à y apporter toute modification qui pourrait l'améliorer.

Vous avez aussi, je crois, repris, dans une optique bien particulière, certains articles du bill et vous les avez associés ensemble en y faisant voir ce que vous avez décrit comme un ensemble de dispositions qui donne un pouvoir total à l'Etat, des pouvoirs très discrétionnaires et absolus d'intervention. Maintenant, je crois encore que là il y a une certaine simplification. Si l'on regarde le bill dans son ensemble et sur ce plan, je crois qu'il serait utile, si de notre côté nous faisons un effort sérieux de clarification de ce qu'est la philosophie du bill, d'y introduire un contenu, comme on a dit, de ne pas simplement garder ce que nous croyions nécessaires d'y introduire, c'est-à-dire des dispositions portant sur un mode d'organisation et non pas sur une philosophie. Donc, si nous faisons l'effort d'y introduire ces éléments donnant les grands objectifs, la philosophie du bill, je crois aussi qu'on peut demander, vis-à-vis des remarques comme celles que vous avez faites — et là je ne m'adresse pas nécessairement à vous mais à d'autres groupes — de faire aussi des propositions un peu plus concrètes quant à des articles où on semble voir des pouvoirs trop grands ou trop absolus.

Il est facile d'extraire un article d'un projet qui en compte 166 et de dire, à partir de cet article, sans voir quels sont les contrepoids, en faisant abstraction du fait qu'il nous faut aussi répondre à la Chambre, en faisant aussi abstraction du fait que nous devons répondre aux

élections, malgré le peu de confiance que vous semblez avoir dans notre système parlementaire, dans notre système électoral — il nous faut malgré tout répondre, aussi —, il est assez facile, dis-je, de tirer un article comme vous l'avez fait et de dire, à partir de cet article ou de la combinaison de deux articles, qu'on veut s'approprier des pouvoirs absolus.

Je crois que si vous faisiez l'effort de nous faire des propositions très concrètes pour réduire ces pouvoirs dans la mesure où vous les voyez, vous verriez peut-être en faisant l'analyse plus détaillée qu'il y a des contrepoids, qu'il y a des garanties qui sont données. Si vous mettiez le doigt précisément sur certains articles vus dans l'ensemble, qui à votre avis vont trop loin, je l'apprécierais également et ce serait peut-être une contrepartie de l'effort que nous allons faire. Il n'en demeure pas moins — ceci a été souligné, je crois, aujourd'hui, et vous l'avez vous-même souligné — qu'il est nécessaire d'assurer une organisation des services de santé, des services sociaux où les gens auront les services techniques, profesionnels avec l'équipement que ça présuppose, avec une certaine protection. Je pense que nous sommes là dans un domaine où il y a des besoins essentiels qui doivent être distingués de l'activité sociale, de l'action sociale, du dynamisme d'un milieu, que je reconnais comme étant bien nécessaire et particulièrement dans bien des endroits au Québec où justement nous pouvons tous déplorer, comme vous le faites, une trop grande apathie de la population. Ce n'est pas ce que vise le bill.

M. LAVOIE: M. le Président, puis-je me permettre d'ajouter un mot à ce qu'a dit M. le ministre? Je suis très heureux que M. le ministre dise qu'il faudrait que dans le préambule on mette autre chose que ces notes préliminaires que j'ai lues, notes explicatives qui sont plus terrifiantes que tout le reste. En fait une philosophie serait d'une extrême utilité parce que c'est la philosophie dont nous nous inspirons qui nous permet de voir où nous voulons aller et qui nous permet en même temps d'interpréter certains des articles décrivant un mécanisme tout simplement.

M. CASTONGUAY: Bien souvent, dans des discours — je pensais que vous me lisiez — je n'avais pas besoin de...

M. LAVOIE: M. le ministre, si vous m'aviez demandé de faire un mémoire sur votre pensée, j'aurais fait quelque chose de bien différent de ce que j'ai fait là.

Mais, encore une fois, je vous le disais tantôt, j'ai vu ce bill administré par un autre parti que celui qui est au pouvoir, à un moment donné, et c'est à ce moment que je me suis mis à trembler.

J'ajouterai peut-être aussi quelque chose. L'article 83, au sujet des fusions et des conver- sions, ne laisse pas d'autre issue que la fusion pour les institutions de même catégorie et pour ceux qui ont des objets similaires. Or, nous, par besoin de nature, nous avons créé à peu près tout ce que vous pouvez créer d'autorité, nous l'avons créé spontanément en bataillant, en luttant, en surnageant malgré tout et sans aide de personne. Vous savez très bien qu'on n'a jamais pu avoir un cent pour financer la moindre de nos affaires lorsqu'il s'est agi de l'ensemble du petit CLSC local que nous avons.

Le contrepoids dont parle le ministre, j'ai l'impression que dans le bill il est surtout constitué par le lieutenant-gouverneur en conseil sur la recommandation du ministre. Tous ces conseils d'administration, qui peuvent être fort bien inspirés et fort ouverts sur toutes les disciplines auxquelles ils ont à se référer pour administrer leur entreprise, leur institution, sont, somme toute, dominés par le lieutenant-gouverneur en conseil qui, d'après les articles 130 et 133, peut légiférer, décider, abolir, réprimer, faire tout ce qu'il veut à peu près n'importe quand sans qu'il soit obligé de passer par le conseil d'administration. C'est probablement que la garantie de paix et de sécurité, dans l'application de la loi, que voit M. Castonguay vient surtout de ces articles-là, les pouvoirs du ministre et du lieutenant-gouverneur en conseil sur toutes les institutions qui naîtront de ce bill ou qui seront fusionnées par ce bill, à partir de ce bill.

A ce moment-là, je me dis que la sécurité n'est pas très grande. Elle est peut-être encore plus faible qu'autrement parce que ce pouvoir, accordé au ministre, vaut ce que vaut le ministre. Je fais grande confiance à M. Castonguay, mais comme il n'est pas éternel, pas plus que moi, je me dis: Est-ce que le ministre, étant changé, on n'aura pas bâti l'instrument le plus puissant qui soit pour établir à l'intérieur du pays la pire forme de dictature, celle même de la pensée? Je donnais tantôt, avec un peu d'humour, l'exemple du directeur général que l'on destitue parce que, n'étant pas malade, il est réputé malade en vertu d'une décision du ministre. A ce moment-là, sa maladie est peut-être rouge ou bleu alors que ce n'est pas la couleur à la mode. C'est peut-être une maladie, cela.

A ce moment-là, vous voyez un peu comment la puissance du ministre peut être redoutable dans toute cette affaire-là.

M. LE PRESIDENT: Le député de Montmagny.

M. CLOUTIER (Montmagny): Si monseigneur me le permet, je voudrais engager le dialogue quelques instants avec lui. Le ministre me souhaite bonne chance. Je ne suis pas allé à l'école avec monseigneur, mais de toute façon, on n'aurait pas été à l'école longtemps ensemble parce qu'il était trop indiscipliné; je pense bien qu'il aurait été obligé de changer...

M. LAVOIE: En effet, je me suis fait mettre à la porte.

M. CLOUTIER (Montmagny): Monseigneur, nous recevons votre mémoire avec autant d'humour que vous y en avez mis. Je crois que les remarques que vous faites ne sont pas méchantes, dans le fond. Elles partent d'un bon naturel. Vous êtes un observateur de la scène politique, vous avez failli vous-même y entrer, vous y entrerez peut-être un jour car c'est par l'intérieur que l'on corrige les lacunes et les faiblesses.

Je reviens à une recommandation que vous avez faite. Dans la première recommandation, vous suggérez que l'on dissocie complètement le secteur médical du secteur social. Vous-même, monseigneur Lavoie, qui oeuvrez dans ces deux secteurs par le truchement de différentes corporations, différents secrétariats — je note au passage que plusieurs d'entre elles sont nées durant le terme de la méchante Union Nationale...

M. LAVOIE: L'Esprit-Saint existait même à cette époque-là.

M. CLOUTIER (Montmagny): Est-ce que vous voulez dire qu'il faisait partie de notre comité consultatif?

M. LAVOIE: J'espère que oui!

M. CLOUTIER (Montmagny): Mgr Lavoie, voici ma question. Vous avez certainement constaté que le médical et le social sont intimement liés.

M. LAVOIE: Bien sûr.

M. CLOUTIER (Montmagny): Dans toutes ces organisations, dans tous ces organismes que vous animez et dont vous vous occupez très étroitement et dans lesquels vous travaillez, est-ce que cette relation directe que vous constatez quotidiennement ne vous porte pas à conclure que, davantage, on doit les rapprocher dans les structures, dans la législation, plutôt que de les dissocier même si, dans leur prolongement, dans leur action, évidemment, ils peuvent avoir une approche différente? Cela me surprend un peu que vous arriviez avec une recommandation aussi formelle, alors que depuis quelques années, tous les gouvernements successifs se sont dirigés vers ce rapprochement du médical et du social.

M. LAVOIE: M. le Président, ce que je vois, c'est ceci. C'est qu'on a eu l'assurance hospitalisation et on a maintenant l'assurance-maladie. C'est un état complètement nouveau. Je crois que c'est véritablement révolutionnaire. Cela commande un réaménagement des structures politiques de façon absolument inévitable. Ou bien on abolit les deux assurances ou bien on continue à marcher. Il n'est pas possible de ne faire que la moitié du chemin. J'estime alors que, du côté médicale, une loi, je ne dis pas exactement celle-là, mais une loi est nécessaire une loi-cadre, une loi qui érige des structures et qui permet de vivre à l'intérieur du nouveau régime constitué par les deux types d'assurances dont on vient de parler.

Je pense, d'autre part, que la profession médicale évolue relativement plus, si ce n'est sur le plan scientifique. Elle n'a pas besoin d'avoir des structures qui sont tellement différentes d'un siècle à l'autre, me semble-t-il. Il y a par ci, par là, une branche nouvelle qui survient, la podiatrie, la psychanalyse, il y a peut-être 25 ou 30 ans, la psychiatrie, mais enfin... Tandis que du côté social, il y a une prolifération extraordinaire d'initiatives tout à fait diverses et peut-être plus salutaires les unes que les autres La dernière en liste est peut-être plus utile, en définitive, que les autres. Je pense que c'est dans ce domaine social, de la réaction des populations qui sont chez nous, d'une part, plus malades que d'autres, qui ont une mortalité infantile plus forte que d'autres, d'accord, mais qui sont d'abord des gens qui essaient de lutter pour vivre et qui inventent, parce qu'ils sont tellement près de la réalité que souvent, on n'a pas d'autre choix que d'inventer pour pouvoir vivre. Alors ils sont forcés d'inventer, ce que l'Etat peut difficilement faire, à mon avis.

Le citoyen qui est député ou ministre peut inventer dans son coin, d'accord, mais, comme Etat, ce n'est pas facile d'inventer, je ne le pense pas. Alors, nous, nous inventons sur le plan social. Nous essayons d'inventer, de bâtir à partir du besoin de ceux qui sont 25 ans en avant des autres. Cela, je le maintiens, par exemple. Le prophète d'aujourd'hui, c'est véritablement celui qui est mal pris; ce n'est pas celui qui est bien pris.

Alors, si on chapeaute trop vite, on n'a pas du tout la même situation. C'est un monde en construction, en effervescence, en pleine créativité. Or, la créativité du côté social est infiniment plus forte que du côté médical, me semble-t-il, excluant l'aspect scientifique du côté médical. C'est pour cela, justement, que je trouve que ce n'est pas facile de mettre les deux têtes dans le même chapeau. C'est ça qui nous fait trembler. Imaginez-vous avec tout ce que j'ai énuméré d'institutions que nous avons bâties chez nous depuis six ans, tout un paquet ensemble, nous ne nous sentirions pas menacés par le bill 65 du tout s'il ne touchait que l'aspect médical des problèmes en laissant des portes ouvertes du côté social peut-être, en préparant les chemins ou un terrain où le social et le médical se rencontrent, mais sans exiger que tout passe exactement dans le même laminoir. C'est ça qui me fait peur.

M. CLOUTIER (Montmagny): Dans toutes ces institutions, ce sont évidemment des conseils d'administration différents, mais est-ce que

vous retrouvez, au sein de ces conseils d'administration, les mêmes animateurs ou si vous avez diversifié davantage l'éventail selon le type d'organisation?

M. LAVOIE: Il y a des membres variés dans les conseils d'administration. Nous avons tenté quelque chose dans notre coin qui n'a peut-être pas été tenté suffisamment partout. Ailleurs, cela s'est fait aussi, quand même; on n'est pas seul. Nous avons tenté de toujours réunir toutes les classes sociales dans nos affaires.

M. CLOUTIER (Montmagny): Dans le bill 65, ce qui regarde la formation des corporations, est-ce que ça va en complète contradiction avec l'orientation que vous avez voulu donner à la formation de vos corporations?

M. LAVOIE: Si on nous dit qu'il faut être fusionnés par un monsieur qui descend directement du ciel parlementaire, comme je le disais tantôt, vous imagninez qu'on n'est pas de bonne humeur tout de suite. C'est certain qu'à ce moment-là ça équivaut, pour nous autres, à une menace de meurtre, à une tentative de meurtre. Lorsqu'on a construit de ses mains et qu'on a pioché là-dedans, on les aime ses affaires, puis on nous dit: Maintenant qu'ils sont beaux, bien douillets, vos petits bébés, on va les passer à un père adoptif qui vient directement du ciel pour les prendre en main. Cela revient à ça. C'est comme ça, le problème. Si je disais tantôt que l'Etat ne peut pas éduquer, c'est parce qu'il ne peut pas aimer. Pour éduquer, il faut aimer, il faut être proche, il faut être dedans. Une maman ne peut pas éduquer son enfant si elle n'est jamais là, vous le savez bien. C'est fondamental. L'éducation se fait à travers le coeur, à travers les tripes, à travers l'esprit et tout ce qu'on est véritablement.

Donc, c'est pour cela que je dis que nous nous sentons, je crois que tout le monde se sentira très menacé parce que, justement, on nous offre de nous prendre nos petits, de nous les enlever et de nous dire: A présent, arrangez-vous! Vous avez bien réussi, alors, changez de père. Votre petit n'est plus à vous! C'est quelque chose qui est contre la nature même de l'homme, ce qu'on propose de faire. Cette fusion et tout le reste. On ne peut pas imaginer que la machine gouvernementale, dont on se méfie, vous m'entendez, on ne peut pas faire autrement que de s'en méfier! Et avant d'être dedans, vous vous en êtes tous méfiés vous-mêmes. Je suis sûr que vous vous en méfiez encore aujourd'hui. Vous vous méfiez au moins de celui qui est dans la même machine, mais qui n'est pas de la même couleur ! Je suis convaincu de cela. Tout simplement parce que c'est puissant, c'est tout! C'est parce que c'est puissant, on a toujours peur de ce qui est puissant. Le tonnerre, les éclairs, etc, on a toujours peur de ce qui est puissant.

M. CLOUTIER (Montmagny): Monseigneur Lavoie, ce n'est pas une question, c'est une remarque que je voudrais faire, à ce moment-ci. Dans une recommandation, vous parlez d'entreprises privées dans le secteur de la santé, dans le secteur du bien-être. Vous dites, à la recommandation no 4: "Je recommanderais de redonner existence et consistance au secteur privé de l'hospitalisation tout en réprimant les abus des requins de la santé." Je pense que, sur cette question de l'entreprise privée dans le secteur hospitalier et dans le secteur du bien-être, au cours des séances des commissions parlementaires, au cours des réunions qui seront tenues par les parlementaires seuls, nous aurons l'occasion de discuter beaucoup plus longuement de cette question qui, je crois, jusqu'à maintenant dans les mémoires a été touchée par vous et par l'abbé Hurteau, particulièrement ce matin. Je ne crois pas que l'on puisse, du revers de la main, comme semble le faire le bill 65, sauf si le ministre nous apporte d'autres précisions, ne pas tenir compte que dans ce secteur il y a eu — je fais abstraction évidemment des déficiences et des lacunes très graves, soit dans certaines régions ou dans certaines institutions... Je ne crois pas qu'on puisse porter un jugement aussi global et aussi sévère sur tout ce secteur privé qui, un certain temps, avant la naissance des corporations publiques, soit dans le domaine de l'enfance ou dans le secteur des personnes âgées, particulièrement, ou dans le secteur des services sociaux, a donné à la population des services dont elle avait besoin.

Je crois bien qu'il ne faudrait pas porter un jugement aussi global et aussi sévère sans un peu évidemment pondérer et voir s'il n'y aurait pas de place, moyennant certains critères que nous avions commencé à étudier quand j'étais au ministère, s'il n'y aurait pas certains secteurs d'activités, dans le domaine des affaires sociales, dont les responsabilités pourraient continuer d'être assumées par le secteur privé et avec beaucoup d'avantages. Ne serait-ce que pour une saine émulation avec le secteur public et ne serait-ce que pour permettre une comparaison avec le rendement que l'on obtient dans le secteur public.

Pour ma part, je rejoins votre préoccupation quand vous dites qu'on semble porter un jugement assez sévère sur le secteur privé.

M. CASTONGUAY: Est-ce que je pourrais faire juste un commentaire? Comme l'a mentionné le député de Montmagny, nous aurons l'occasion d'y revenir. Ce que nous avons voulu faire, dans le projet de loi, est une tentative, un essai valable de clarification de ce que devrait être la notion de profit, dans le domaine des corporations avec but lucratif, et en même temps clarifier ce que l'on entendait par notion d'institution publique et privée. Il y a deux notions, ici il ne faut pas l'oublier. Celle de profit, cela c'est une chose et on a essayé de la clarifier. Dans le cas des institutions publiques

et privées, il ne faut pas voir plus dans le mot "public" qu'il ne contient. Présentement, les hôpitaux généraux, en vertu de la loi des hôpitaux, sont considérés comme des hôpitaux publics. Malgré tout ce n'est pas la mainmise de l'Etat.

Par contre, on appelle des institutions privées, des institutions — cela c'est dans le langage courant, concret — qui sont financées à cent pour cent par l'Etat, qui sont sans but lucratif, qui sont composées de conseils d'administration qui comprennent des membres de divers milieux. Pourquoi les appelle-t-on "privées" par rapport à "publiques"? Je ne le sais pas. On a fait une tentative de clarification, mais il ne faut pas voir plus non plus dans cette tentative que ce qu'elle comporte, et si elle doit être plus différente, encore là, pour autant que ce sont des tentatives de clarification, il est tout à fait possible de le faire.

Maintenant, il reste un autre problème, et je n'ai pas l'intention de l'escamoter ou d'éviter sa discussion. C'est qu'il y a des institutions qui reçoivent des fonds de deux sources, des fonds du gouvernement et des fonds de source privée, et qui sont des corporations sans but lucratif. Cette question mérite probablement d'être discutée, d'être approfondie. Cela en est une troisième, je crois.

Sur ce point, je ne crois pas qu'on puisse faire des parallèles parfaits avec d'autres secteurs. Il faut d'abord se rappeler quels sont les services rendus par ces institutions. Est-ce qu'il s'agit purement de fonctions d'hébergement? Si tel est le cas, ce n'est pas de même nature que des services de santé ou des services sociaux.

Si ces institutions comportent la dispensation de services professionnels, services techniques, services de santé, services sociaux, c'est encore une autre chose. Il y aura évidemment à se pencher sur ce problème. Mais il y a aussi — et je crois qu'il était peut-être nécessaire de le rappeler — certaine confusion présentement dans la perception de ce que recouvrent les désignations que l'on fait d'institutions.

M. LAVOIE: M. le Président, est-ce que je pourrais poser une question à M. le ministre? Comment a-t-on pu définir les mots "institution publique" dans les termes qui sont employés à l'article l b)? "Institution publique": une institution maintenue par une corporation sans but lucratif. Il me semble que l'élément formel dans une institution publique est qu'elle est rattachée à l'Etat et qu'elle dépend de l'Etat. Donc, elle est publique parce qu'elle est l'Etat présent à l'intérieur d'un tel secteur.

Dans la Loi des compagnies, je n'ai jamais vu une indication dans ce sens disant qu'une corporation qui est toujours considérée comme privée, parce qu'elle est érigée en vertu de la troisième partie de la Loi des compagnies, devient publique d'autorité comme celle-là. Il me semble que cela bouleverse complètement la Loi des compagnies.

M. CASTONGUAY: Un instant, je suis à la recherche d'un renseignement et je vais essayer de donner une réponse. Il y a aussi des mystères, des aspects qui ne sont pas toujours faciles à expliquer dans la rédaction des projets de loi. Dans la Loi des hôpitaux, je vais vous donner la désignation que l'on fait. Hôpital public: hôpital maintenu par une corporation sans but lucratif. Tous nos hôpitaux maintenus par des corporations sans but lucratif présentement, et c'est le cas d'environ 200, 250, sont désignés dans la loi comme des hôpitaux publics. C'est le cas dans le moment. Cette loi a été adoptée en 1961.

On a tout simplement repris cette définition parce qu'elle semblait satisfaire. Je n'ai pas entendu de critique de cette définition.

M. LAVOIE: Excusez-moi, M. le ministre, il me semble qu'il y a une équivoque fondamentale au sujet du sens du mot "public" ici. Un hôpital public, c'est un hôpital ouvert au public, alors ça s'oppose à un hôpital privé qui est ouvert, disons, à ceux qui le possèdent uniquement, disons un hôpital juif pour les Juifs seulement. Je comprends ça comme ça. Mais, ici c'est "institution publique" donc je prends le mot "public" dans un autre sens complètement, pas en ce sens qu'il est ouvert à tout le monde, mais en ce sens qu'il est rattaché à l'Etat.

M. CASTONGUAY: Oui, mais ce n'est pas le sens qu'il faut lui donner. Je vais faire part de vos commentaires à nos légistes. Ils avaient fait la même chose en 1961 et il ne semble pas que cela ait donné trop de difficulté. Peut-être que là serait-il bon de modifier...

M. LAVOIE: Quant aux cinq ou six corporations fondées...

M. CASTONGUAY: ... la définition compte tenu de vos remarques?

M. LAVOIE: ... selon la troisième partie de la Loi des compagnies qui se pensent privées, elles découvrent à un moment donné qu'elles sont publiques, ça vous donne un choc au coeur vous savez, c'était toute une gloire mais c'est aussi inquiétant.

M. LE PRESIDENT: Le député de Saint-Sauveur.

M. BOIS: M. le Président, je remarque que depuis le début de la présentation des mémoires, à l'exception d'un, peut-être, depuis le matin, ce que l'on met en cause, ce n'est pas la capacité ou les valeurs de la production ou de l'industrie du pays, ni de l'ouvrier comme tel, mais je remarque que finalement ça glisse toujours vers la faiblesse d'un système financier qui est dû au capitalisme actuel sous lequel nous vivons. Je crois, M. le Président, que si le gouvernement actuel voulait simplement se prévaloir des suggestions que nous lui faisons et

c'est le seul point sur lequel je vais différer de l'opinion de monseigneur Lavoie, nous serions en mesure de le priver du plaisir de nous voir administrer ce bill. En réalité, le gouvernement nous aura empêchés du grand plaisir d'avoir à le révoquer parce que si l'économie était appropriée, demain matin, nous serions en mesure de mettre des milliers d'hommes au travail et un père de famille qui a un salaire est capable de faire vivre ses enfants. Je comprends le besoin de lois comme celle que l'on nous apporte présentement parce qu'en réalité nous allons vers la fin des choses et non pas vers la cause des maux.

M. le Président, je suis très heureux d'avoir pris connaissance de tous les mémoires qui ont été présentés aujourd'hui, mais une grosse partie de ces mémoires visent toujours à la même chose et c'est celle que je viens de mentionner. Je vous remercie.

M. LE PRESIDENT: Le député de Bourget.

M. LAURIN: M. le Président, je voulais juste ajouter un mot, étant donné l'heure tardive. Monseigneur, votre réflexion débordait largement le projet de loi 65.

M. LAVOIE: Cela paraissait moins que pour Mme L'Heureux.

M. LAURIN: Cela portait, au fond, sur l'évolution de la société contemporaine, sur le rôle grandissant de l'Etat, sur le rapport entre l'Etat et la population, tout ça appliqué à notre société québécoise en particulier. Je dois avouer que j'y ai pris un très vif intérêt et que j'y reviendrai pour m'en inspirer, car je pense qu'il est valable à plusieurs égards.

Je dois aussi avouer que, n'appartenant pas au gouvernement, j'y ai pris un plaisir plus vif que le ministre. Mais en ce qui concerne vos préoccupations profondes touchant le projet de loi 65, j'ai cru discerner que vous faisiez peut-être trop peu état de l'évolution qui, même dans le domaine médical, se poursuit actuellement, non pas au strict point de vue de la discipline scientifique, mais surtout au point de vue de l'assistance médicale, du système de distribution de soins.

Il y a beaucoup de médecins qui, depuis une dizaine d'années, se préoccupent énormément de l'incidence sociale de leur discipline. Ceci se traduit dans les nouveaux modèles que nous proposons pour la distribution des soins, le régime des organisations. Là aussi, cette évolution peut souffrir, si on n'y prend garde, d'un régime qui pourrait lui être proposé d'une façon prématurée et qui l'enserrerait dans un certain modèle. C'est une préoccupation que nous avons tous ici, je pense, même si elle est moins vive que celle que vous avez dans le domaine de l'action sociale. Je pense avoir bien compris votre préoccupation quand vous disiez qu'il ne faudrait pas qu'un projet de loi, avec le régime qu'il instaure, d'une part, cristallise ou gèle trop tôt une évolution qui, de toute façon, est en train de se faire et qui est prometteuse. Est-ce que je trahis votre pensée en disant cela?

M. LAVOIE: C'est exactement cela.

M. LAURIN: Votre autre préoccupation, si je la comprends bien, c'est celle qu'une action de l'Etat dans un domaine particulier qui est très vaste, celui de l'action sociale et de la distribution des services de santé, puisse nuire aussi aux initiatives qui se situent à l'extérieur de ce cadre, mais d'une façon tellement proche qu'elle entre définitivement et étroitement en relation avec ce nouveau cadre qui est proposé.

M. LAVOIE: Et donc en conflit.

M. LAURIN: Moi aussi, je pense que c'est une préoccupation que nous devons avoir à l'esprit. A cet égard, j'aimerais poser une question au ministre. Est-ce qu'il sera possible aux offices régionaux de santé de passer des contrats de service avec des comités de citoyens qui, tout en oeuvrant dans le même champ, ont quand même une orientation, des objectifs et des activités différentes, de façon à complémenter ou à relier à un autre niveau, d'une façon encore plus totale et plus bénéfique, l'action totale des organismes communautaires, ceux de l'Etat et ceux de la communauté?

M. CASTONGUAY: Bien, je pense qu'un des aspects, dans la question que vous me posez, est assez important. Lorsque vous dites: Est-ce qu'il serait possible pour un office régional de passer un contrat avec un comité de citoyens, il va falloir se poser la question: Quel serait l'objet de ce contrat? Est-ce que le comité de citoyens va être engagé dans la distribution de services?

M. LAURIN: Oui, je pense précisément qu'il serait très difficile, au départ...

M. CASTONGUAY: Quelle nature? ...

M. LAURIN: ... de préciser. Qui aurait pu prévoir, par exemple, que ce Secrétariat social de Saint-Roch aurait fait surgir, en moins de quatre ou cinq ans, des organisations comme loisirs communautaires, ateliers, coopératives industrielles? Au fond, ce serait un contrat comme certains organismes de recherche accordent à certaines équipes à qui ils font totalement confiance. Nous vous donnons de l'argent, nous savons qu'il sera bien employé, travaillez avec cet argent et on verra bien après ce qu'on peut en concrétiser. Non pas un blanc-seing, mais une sorte de contrat beaucoup plus large que celui qui est habituellement le contrat qu'un gouvernement passe avec une institution organisée pour telle ou telle fin spécifiquement.

Je pense que ces contrats ne pourraient pas

se passer avec n'importe quel comité de citoyens, avec n'importe quelle organisation d'action sociale, mais avec, justement, des organisations sociales ou des comités de citoyens qui ont fait montre d'un dynamisme particulièrement remarquable et qu'on voudrait conscrire, mais sans leur dire exactement quoi faire pour les oeuvres de promotion sociale et de progrès social auxquels les gouvernements sont aussi intéressés que tout autre.

C'est une avenue qui m'a été suggérée par le mémoire de monseigneur Lavoie.

M. LAVOIE: Je peux ajouter un tout petit mot à ce que dit le Dr Laurin? Je trouve que c'est une suggestion d'importance capitale. Effectivement, quand vous donnez une subvention de $50,000 à un chercheur dans un laboratoire de la faculté des sciences quelque part ou même dans les ateliers de recherche du gouvernement du Québec, vous ne lui dites pas: Mon garçon, là, avec $50,000, trouve-nous cela. C'est ce qu'on fait. Si vous donnez un contrat de recherche sociologique à un sociologue qui veut vous décrire la réalité à partir du passé, vous lui donnez $50,000 et vous lui dites: Produits un bouquin, après ça, tu as ton argent et c'est fini.

Mais quand on veut faire du laboratoire vivant, une expérimentation sociale à partir du psychosocial, du psychosomatique, à partir de ce phénomème d'une population qui est 25 ans en avant des autres parce que ça fait 25 ans qu'elle est malade, on n'est pas capable d'avoir un sou. Parce qu'on est présumé incompétent et presque, j'allais le dire, imbécile, on doit prouver que cela a du bon sens, notre affaire et personne ne vient voir, par-dessus le marché, ce qu'on fait. Cela, je vous avoue que c'est vrai. On n'est pas capable d'avoir quoi que ce soit, ni au fédéral ni au provincial.

On peut avoir de l'argent pour une "patente" précise. Exemple: vous allez à Vancouver avec une vingtaine de familles, vous avez $22,000. Pas de problème de ce côté-là; ça va bien. Ce ne sont que les pieds qui marchent, dans ce voyage; c'est un détail dans notre affaire. On voudrait avoir de l'argent pour alimenter la tête qui fait marcher tout le reste chez nous et on ne peut pas avoir un sou. Il y a une méfiance chronique vis-à-vis des gens qui sont dans un milieu qu'on dit défavorisé. Cette méfiance chronique est, je pense, l'un des préjugés de classe les plus néfastes qui soient parce qu'on devrait nous traiter comme des prophètes et non pas commes des parias.

M. LE PRESIDENT: Au nom des membres de la commission, je remercie monseigneur Lavoie et les autres qui ont présenté un mémoire.

La commission ajourne ses travaux au 16 septembre, à dix heures du matin.

(Fin de la séance: 18 h 18)

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