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Commission permanente des affaires sociales
Etude des crédits du ministère des
Affaires sociales
Séance du mardi 30 mars 1976
(Seize heures cinquante-cinq minutes)
M. Lafrance (président de la commission permanente des
affaires sociales): A l'ordre, messieurs!
Nous commençons aujourd'hui l'étude des crédits du
ministère des Affaires sociales. Avant de commencer l'étude
proprement dite, je voudrais annoncer à la commission que M. Lapointe de
Laurentides-Labelle, remplace pour la présente séance M. Lecours
(Frontenac). A l'unanimité des membres de la commission, M. Boudreault a
été choisi rapporteur de la commission. Alors, nous passons
à l'étude des crédits. Le ministre des Affaires
sociales.
Exposé général du
ministre
M. Forget: Merci, M. le Président. Comme il est d'usage de
le faire au début de l'étude des crédits, j'aimerais
passer brièvement en revue les principales activités du secteur
des Affaires sociales dans l'année qui s'est écoulée et
dresser un tableau sommaire de l'évolution des crédits
budgétaires de 1975/76 à 1976/77. Sur le plan des mesures
législatives et réglementaires, je rappelle aux membres de la
commission que nous avons vu dans le secteur des Affaires sociales l'an dernier
trois mesures législatives, dont l'une à l'état
d'esquisse. Je fais référence ici à la loi et à sa
promulgation, la loi relative à la Commission des affaires sociales, qui
a commencé son fonctionnement régulier à compter du mois
d'août 1975 et qui, depuis, a vu ses activités se
développer à la fois en quantité et en qualité par
la nomination à titre permanent d'un nombre accru de commissaires et
d'assesseurs. Les activités nouvelles, comme on sait, étaient
attribuées à la commission, en plus du regroupement d'un certain
nombre de juridictions d'appel qui étaient auparavant dispersées
dans différentes mesures législatives.
Sur le plan de la loi relative à la protection de la jeunesse
déposée en juin, un avant-projet de loi qui a été
étudié à cette commission au cours de quatre
séances publiques; nous avons entendu un certain nombre de groupes
privés nous faire des représentations quant aux
améliorations et aux retouches à apporter à cet
avant-projet. Ce sera là, comme je l'indiquerai tantôt, une des
préoccupations majeures de l'année 1976, à la fois sur le
plan législatif et sur le plan du développement des services.
Enfin, durant la toute dernière partie de la session, nous avions
étudié et adopté, à l'Assemblée nationale,
à l'unanimité, une loi relative au maintien des services
essentiels dans les services de santé et les services sociaux.
Il y a eu deux mesures législatives qui ont touché le
secteur des rentes-retraites, à la fois une modification au
régime de rentes qui est entrée en vigueur en janvier 1975,
après avoir été adoptée à la toute fin de
l'année 1974, qui permettait une indexation des rentes de retraite et
une nouvelle formule de détermination de l'indice des rentes et qui
introduisait aussi, un certain nombre de dispositions, en particulier, des
dispositions destinées à supprimer la discrimination entre les
hommes et ies femmes dans le régime de rentes.
Nous avons à l'Assemblée nationale, l'été
dernier, adopté plusieurs modifications à la Loi des
régimes supplémentaires de rentes. C'était la
première série de modifications à cette loi qui avait
été adoptée en 1965. Après dix ans
d'expérience et en s'aidant des discussions et des mesures
parallèles adoptées dans d'autres juridictions, un certain nombre
de modifications ont été apportées à la loi.
Sur le plan des mesures réglementaires, nous avons
également connu plusieurs développements dont quelques-uns fort
importants. Au début de mai 1975, il y a eu l'extension du régime
de soins dentaires pour les enfants de huit à neuf ans,
c'est-à-dire une extension aux enfants âgés de neuf ans,
des services aux parents assurés au bénéfice des enfants
âgés de huit ans et moins.
En juillet 1975, il y a eu l'inauguration du régime de
remboursement des prothèses et orthè-ses, un autre régime
administré par la Régie de I'assurance-maladie.
Il y a eu plusieurs autres mesures réglementaires; en
particulier, le travail d'élaboration des règlements relatifs au
fonctionnement et à l'équipement des ambulances a
été terminé en cours d'année. Ils ont
été publiés en janvier de cette année, mais
étaient terminés dès les derniers mois de l'année
1975.
Nous avons également effectué une refonte complète
la première depuis l'inauguration du régime des
règlements de l'aide sociale. Ces règlements refondus et
modifiés ont été mis en vigueur au début de janvier
de cette année.
Il y a eu également, à partir de juillet 1975,
l'application du règlement relatif à la contribution des
bénéficiaires dans les centres d'accueil pour adultes et la
détermination d'allocations de dépenses personnelles pour les
personnes hébergées dans les foyers d'hébergement et
ceci était une innovation pour la première fois,
une allocation de dépenses versée sur des bases rigoureusement
identiques à celles appliquées aux centres d'accueil pour les
bénéficiaires des centres hospitaliers pour malades chroniques et
pour les centres hospitaliers à vocation psychiatrique.
J'allais oublier une dernière mesure législative qui
consistait en un amendement à la Loi de la santé publique
adopté en juin 1975 et qui comptait deux éléments: un
premier élément relatif à la fluoration des eaux de
consommation et un deuxième élément qui a
déjà subi de façon assez spectaculaire je crois que
c'est le mot particulièrement approprié le test des
tribunaux, c'est à dire une disposition qui interdisait les spectacles
animés par des déficients mentaux ou des personnes
affectées de troubles psychiatriques.
C'est là, M. le Président je pense que les
membres de cette commission en conviendront un tableau assez
complet, assez impressionnant de mesures législatives et de mesures
réglementaires. J'omets évidemment toute une série de
petits amendements, soit à nos lois, soit à nos
règlements, qui sont plutôt des corrections, des ajustements de
détails. Il y a eu deux amendements durant l'année à la
Loi sur les services de santé et les services sociaux et
différents autres amendements à différentes mesures
réglementaires, mais je n'insisterai pas ici. J'ai voulu simplement
dégager les principales préoccupations législatives et
réglementaires de l'année qui vient de s'écouler.
Sur la plan administratif je suis sûr que sur ce point,
nous reviendrons au cours de nos discussions il y a eu des mesures
administratives, aussi des mesures très nombreuses, portant sur des
points particuliers, sur lesquels je n'insiste pas, mais deux mesures de type
général qui ont une certaine importance à plus long
terme.
Il s'agit, d'une part, de la mise en application d'un mandat
confié aux conseils régionaux pour l'étude et l'octroi de
sommes ne dépassant pas $50 000 relativement à des
aménagements mineurs dans les établissements du réseau, un
mandat qui leur a été confié au début de
l'année 1975 et dont ils se sont acquittés à la
satisfaction générale. Ceci a permis de décongestionner
les rouages administratifs centralisés du ministère et d'accorder
une attention d'autant plus concentrée et d'autant plus efficace
à la réalisation de certains grands travaux, de certains grands
projets et en particulier de la mise en place d'un programme de construction de
foyers pour personnes âgées. Quelque 22 projets ont
été mis en route durant l'année 1975 et ceci a
été, dans une large mesure, rendu possible par le
décongestionnement que nous a permis de faire une
délégation aux conseils régionaux.
En outre, c'est la deuxième mesure administrative que j'aimerais
souligner, les structures du ministère des Affaires sociales ont subi
une légère modification, mais une modification, malgré
tout, fort significative, par la création d'une nouvelle direction
générale, la direction générale de
l'équipement et des services communs. Ceci a permis de donner à
cette unité administrative une tâche mieux définie et a
rendu possible des performances dans le domaine de l'exécution des
grands travaux qui sont tout à fait sans précédent et
très satisfaisantes à la fois sur le plan des coûts et sur
le plan du respect des échéanciers.
Les discussions avec le gouvernement fédéral et ce
sont les derniers aspects que je veux toucher se sont poursuivies sur
l'ensemble des programmes qui appartiennent à la juridiction des
affaires sociales, tant au plan fédéral qu'au plan provincial.
Les conférences fédérales-provinciales sur la
sécurité du revenu se sont poursuivies durant toute
l'année au niveau des fonctionnaires, au niveau des conférences
des ministres. Il y a eu en particulier une conférence à la fin
d'avril, au début de mai 1975, où cet effort entrepris en 1973
est venu très près d'achopper.
Il avait été convenu au départ, dès 1973,
que cet effort que faisaient onze gouvernements pour définir les
orientations dans le domaine de la sécurité sociale et tout
particulièrement de la sécurité de revenu se
dérouleraient pendant une période de deux ans. Nous étions
donc, en avril 1975, à la période d'échéance.
Confronté par cette échéance, le gouvernement
fédéral a, à l'époque, souhaité obtenir un
accord des provinces à un plan qui était encore trop mal
défini et dont les implications n'étaient pas suffisamment
connues, explicites pour nous permettre de donner à ce moment-là
une adhésion quelconque. Devant ce demi-échec de la
conférence d'avril-mai 1975 sur ce plan seulement je toucherai
les autres aspects tout à l'heure nous sommes venus bien
près d'abandonner tout espoir de faire progresser ce dossier.
Fort heureusement, la position que nous avons adoptée, à
l'époque, de prolonger le travail et particulièrement de faire
porter nos efforts sur une étude des groupes, dans la population,
auxquels nous destinions de nouvelles mesures de sécurité du
revenu, en particulier les futurs bénéficiaires d'un
régime de supplément de revenu, ces travailleurs pauvres ou ces
travailleurs à faible revenu que tout cet effort de discussion visait
à aider sur le plan des revenus, sur le plan financier, eh bien, il
fallait faire un effort, avons-nous dit à l'époque, mieux les
connaître, mieux connaître leurs caractéristiques
économiques, sociales, familiales de manière à bien
comprendre si l'objectif que nous nous étions fixé en
théorie serait atteint en pratique par l'extension des mesures actuelles
de sécurité de revenu.
Cet effort a été fait durant le reste de l'année.
D'ailleurs, la nécessité de mener à bonne fin avant de se
rencontrer, de se réunir à nouveau, au niveau ministériel,
a fait que la rencontre initialement prévue pour le mois de septembre a
été différée jusqu'à ce que, en
février de cette année, nous puissions enfin faire le point et
nous concerter sur une proposition qui soit acceptable, compte tenu des
objectifs et des possibilités d'action des provinces dans ce domaine, en
permettant un financement, un partage fédéral des sommes qui
pourraient être consacrées à un tel régime.
Par ailleurs, et en parallèle avec cet effort, le Québec a
préparé un modèle de ce que pourrait être un
régime québécois de revenu familial garanti. Nous avons
publié, avant même cette conférence, le rapport du
comité interministériel formé un an auparavant à
cette fin et nous avons constaté que dans l'ensemble, le chemin que le
Québec avait parcouru dans l'étude de ce dossier, de même
que le chemin qu'avait parcouru le gouvernement fédéral dans
l'énoncé d'une proposition de partage des coûts d'un tel
régime, étaient compatibles. Ils ne sont pas identiques, bien
sûr: plusieurs points restent à élucider, c'est ce à
quoi nous nous employons actuellement. Mais nous avons pu voir que
c'étaient des chemins parallèles qu'avaient poursuivi les deux
ordres de gouvernement sur cette question et qu'il était
réaliste
d'envisager, en juin de cette année, qu'au moins sur le plan des
principes, sans nécessairement s'engager quant à une date
précise de mise en vigueur, il n'y aurait probablement pas de
contentieux majeur entre le gouvernement fédéral et
nous-mêmes.
Je me permets de signaler, M. le Président, que cette position du
Québec était, en substance, partagée par l'ensemble des
autres provinces.
Mais les négociations, les discussions, les travaux conjoints
avec le gouvernement fédéral et les gouvernements des autres
provinces ne se sont pas poursuivis seulement dans le secteur de la
sécurité du revenu, même s'il est extrêmement
important. Ils ont porté également sur le partage des coûts
dans le secteur des services sociaux.
Dans ce secteur, nous avons, de façon générale,
été fort satisfaits de l'évolution de ces discussions. Il
faut voir que cette satisfaction du Québec est basée sur un fait
qui mérite d'être souligné. C'est essentiellement celui-ci:
La nouvelle loi fédérale qui est envisagée et qui est
à l'état d'esquisse actuellement, reprend dans l'essentiel les
orientations que le Québec, par sa législation, s'est
donné dans ce secteur d'activité publique depuis quelques
années.
Il reprend la notion des services sociaux à vocation universelle,
au moins quant aux clientèles auxquelles ces services sont
destinés, par opposition à la situation passée où
les services sociaux étaient essentiellement considérés
comme des services aux défavorisés.
Mais, joignant à cette universalisation de la clientèle
à laquelle on destine les services sociaux, le gouvernement
fédéral, comme le gouvernement du Québec, tient compte,
dans les règles d'accessibilité aux services sociaux, du revenu
des bénéficiaires. C'est là, par les mesures que nous
avons appliquées, dès l'an dernier, relativement aux
bénéficiaires des centres d'accueil pour personnes
âgées et, l'année précédente, relativement
aux bénéficiaires des centres d'accueil pour enfants, des
orientations que le Québec s'est déjà données,
à la fois par ces deux règlements et par la Loi sur les services
de santé et les services sociaux, où, pour la première
fois, à notre connaissance un gouvernement et une assemblée
délibérante adoptaient le principe de services sociaux publics
à destination universelle.
Les développements de côté, bien sûr, se
feront au cours des prochains mois et des prochaines années, puisqu'une
législation est nécessaire sur le plan fédéral et
que les discussions ne sont pas encore tout à fait terminées.
Du côté des régimes de rentes, j'ai souligné,
tout à l'heure, les modifications législatives que nous avons
effectuées en 1975. Ces modifications, pour une part seulement,
découlent de discussions antérieures au niveau
fédéral-provincial, mais n'épuisent pas l'ensemble des
modifications que nous souhaitons apporter au Régime de rentes.
D'ailleurs, les modifications déjà apportées dans
le passé, même si elles ont commencé à apporter un
début de solution au problème de la dis- crimination
vis-à-vis des femmes, sous la rubrique du Régime de rentes, n'ont
pas éliminé toutes les causes, toutes les sources de
discrimination et nous avons tenté, au cours des derniers mois, de
compléter ce travail. Fort heureusement, nous avons formulé une
proposition en 1975 qui aurait cet effet, vis-à-vis des femmes qui
abandonnent temporairement le marché du travail pour s'occuper de jeunes
enfants, par exemple. La proposition du Québec, à cet
égard, a été retenue par le gouvernement
fédéral, dans le cadre d'amendements à envisager et qui se
feraient en parallèle pour le Régime de rentes du Québec
qui dépend de notre juridiction et le Régime de
pensions du Canada.
Il reste encore d'autres points que nous espérons pouvoir
éclaircir durant les prochaines semaines, de manière qu'en juin
de cette année, lorsque les ministres des provinces et du gouvernement
fédéral se réuniront à nouveau, il nous soit
possible de conclure ce volet de la revue des programmes de
sécurité sociale par des conclusions définitives sur ce
chapitre que constituent les régimes de rentes du Québec et le
régime de pension du Canada. Si, du côté des services
sociaux et de la sécurité du revenu, la situation de nos travaux
et de nos discussions avec le gouvernement fédéral a
été, somme toute, satisfaisante, mais constitue une condition
pour de nouveaux progrès dans ces secteurs, il en va passablement
différemment de la situation relativement aux services de
santé.
Je fais un très bref rappel des événements pour
tous ceux qui, ne vivant pas quotidiennement dans ce secteur, ont pu en oublier
le déroulement. Je commencerai, non pas au début de l'histoire,
ce qui nous ferait remonter à 1970 et à une longue et très
décevante série de rencontres et de discussions de projets et de
contre-projets, qui nous amenait, à l'automne 1974 et au début de
1975, devant un échec total des efforts entrepris jusqu'à ce
moment pour trouver un nouveau cadre de coopération
fédérale-provinciale relativement aux services de santé...
Ce qu'il importe de souligner à ce moment, c'est la décision
fédérale tout à fait unilatérale prise en juin
1975, lors du discours sur le budget du ministre des Finances de
l'époque, M. Turner, et ayant pour effet de plafonner le taux de
croissance pour les années futures des contributions
fédérales au titre de l'assurance-maladie. Simultanément,
un avis formel était donné par le gouvernement
fédéral, avis qu'il était, évidemment,
autorisé à donner en vertu des ententes existantes, mais ayant
pour effet de dénoncer, avec préavis de cinq ans, les ententes
relatives à l'assurance-hospitalisation, ce qui nous plaçait,
après ce discours sur le budget, devant la situation de règles de
jeu entièrement nouvelles, constituant possiblement une très
lourde pénalité pour le Québec et les autres provinces
quant à leur possibilité d'obtenir un partage complet, selon les
règles établies depuis de nombreuses années de la part du
gouvernement fédéral.
Nous avons, comme il est normal, protesté contre cette action
unilatérale du gouvernement
fédéral. Nous avons souhaité pouvoir en discuter
avec notre collègue fédéral, M. Lalonde, le ministre de la
Santé et du Bien-Etre social, lors d'une rencontre des ministres de la
santé que nous souhaitions la plus rapprochée possible.
Malheureusement, le projet de loi a été déposé
à l'automne sans que nous ayons eu l'avantage d'une telle discussion.
Cette rencontre des ministres de la santé, qui s'est toujours tenue
depuis des années, soit en décembre, soit en janvier, n'a pas
encore eu lieu au moment où cette commission se réunit
aujourd'hui.
Ce qui veut dire que nous n'avons pas encore eu l'occasion de commencer
cette discussion avec le gouvernement fédéral. Nous savons, par
ailleurs, comme tout le monde, que cette loi a été votée
en deuxième lecture, il y a quelques semaines, par le Parlement
d'Ottawa.
C'est donc dans une situation de beaucoup moins grande satisfaction
c'est le moins que l'on puisse dire que nous abordons cette
question des services de santé et du partage fédéral au
titre des programmes d'assurance-santé.
Cependant, la discussion et les réunions qui ont
été différées pendant de si longs mois vont
finalement se tenir au cours des prochaines semaines et il nous sera alors
possible d'avoir ces discussions; mais nous les aurons dans un contexte
différent, différent non seulement théoriquement, mais
pratiquement différent, puisque cette loi fédérale que
nous n'aimons pas et qui vient bouleverser unilatéralement les
règles du jeu quant au partage est sur le point de s'appliquer.
Il faudra donc, à ce moment, et dans le contexte ainsi
modifié de façon unilatérale, réévaluer la
position du Québec dans ces discussions et voir si les propositions que
nous avions formulées l'automne dernier pour modifier de façon
qu'ils soient mutuellement acceptables, non pas unilatéralement comme
Ottawa l'avait fait, les régimes d'assurance-santé si, encore une
fois, il est toujours à propos d'en discuter..
On sait que la position traditionnelle du Québec, qui n'a jamais
été abandonnée, qui n'a jamais été
reniée, quelle que soit notre volonté, par des discussions sur
les aspects techniques de l'évolution des coûts dans le secteur de
la santé, n'est pas finalement la seule qui soit possible et qui doive
être retenue. Cette position traditionnelle, j'ai à peine besoin
de le souligner, consistait à demander un retrait définitif des
provinces et tout particulièrement du Québec de ces accords de
partage des coûts, des accords à frais partagés qui sont
ceux utilisés depuis le tout début de l'assurance-hospitalisation
et depuis le tout début de l'assurance-maladie au Québec.
Il est clair, d'après l'expérience de ces derniers mois,
que nous n'avons guère de choix que de revenir à cette position
traditionnelle, la réaffirmer comme la seule voie possible pour
continuer d'assurer des services à la population dans un contexte
où il soit possible de planifier d'avance le genre de ressources
financières dont nous disposons.
Dans toutes ces discussions et il est essen- tiel de le souligner
nous n'avons jamais été en désaccord avec ceux qui
prétendent que les coûts de la santé doivent être
contrôlés, ne peuvent pas progresser sans frein et ne peuvent
certainement pas progresser au rythme où ils ont progressé durant
les dix dernières années.
D'ailleurs, je crois qu'il serait inutile de souligner les efforts du
gouvernement du Québec et du ministère des Affaires sociales, en
particulier, pour venir à bout d'assurer que ces services de
santé, tout en demeurant accessibles à la population, tout en
assurant un niveau de qualité qui va continuellement en augmentant sur
le plan scientifique, sur le plan technique, ne soient pas tels dans son
évolution que la totalité des activités gouvernementales
soit menacée, puisque tous les fonds pourraient être
absorbés de ce côté.
Nous avons donc souscrit à cet objectif, mais il n'est pas besoin
d'une entente fédérale-provinciale pour nous rappeler
l'importance de cet objectif, ni surtout pour nous motiver à le
transcrire dans les faits. Il devient de plus en plus clair que, en tout
état de cause, il est nécessaire de disposer d'un cadre
relativement certain pour pouvoir orienter nos actions à long terme et
que les accords fédéraux-provinciaux actuels ne fournissent plus
ce cadre de certitude, ce cadre de permanence qui est essentiel pour que les
orientations retenues et on sait combien dans ce secteur ces
orientations ont une portée à long terme puissent
être prises en connaissance de cause et de façon responsable.
C'est donc la conclusion à laquelle nous en arrivons dans le secteur des
services de santé qui fait un contraste très marqué avec
l'issue relativement bonne et optimiste que nous pouvons enregistrer du
côté des services sociaux et de la sécurité du
revenu. C'est donc dire que nous aurons au cours des prochains mois à
affirmer à nouveau la position du Québec relativement à
cette question de partage des coûts dans le secteur de la santé;
d'ailleurs, le discours inaugural a très clairement souligné
l'intention du gouvernement du Québec de ne plus s'inscrire dans ce
contexte qui a perdu encore une fois son caractère de
sécurité, son caractère de permanence et qui n'est plus un
cadre acceptable pour l'exercice de nos responsabilités à
nous.
En terminant, et sans abuser de la patience de la commission, j'aimerais
donner un sommaire de l'évolution des masses budgétaires et des
grands ensembles qui sont regroupés sous les principaux programmes de la
mission sociale. Le budget de l'exercice 1976/77 totalise $3 261 000 000, ce
qui représente un accroissement de $473 000 000 par rapport au budget
initial de 1975/76 et de $225,5 millions par rapport au budget modifié
de 1975/76.
J'aimerais ici faire une note de caractère un peu technique, mais
puisque l'expression de budget modifié va réapparaître
probablement assez souvent, au cours des travaux de cette commission,
j'aimerais un peu décrire comment on y arrive, puisqu'il ne s'agit pas
seulement d'ajouter au budget initial de 1975/76 les budgets
supplémentaires et, dans le cas du ministère des Affaires
sociales, le seul budget supplémentaire que nous
ayons eu, et c'était en l'occurrence le budget
supplémentaire no 2, mais qu'il faut en plus ajouter certains montants
transférés du ministère des Finances au titre des
conventions collectives, ainsi que des sommes qui sont affectées au
budget des Affaires sociales ou qui le grèvent, et qui sont
destinées à effectuer les paiements de la partie patronale au
régime supplémentaire de rentes du secteur gouvernemental et
parapublic.
Il y a aussi d'autres modifications de structures budgétaires qui
viennent corriger certains chiffres, puisque certaines classifications
d'établissements, certaines classifications de dépenses ont
provoqué des transferts d'un poste à l'autre, mais ce sont, dans
la plupart des cas, surtout à comparer aux autres corrections, des
sommes relativement modestes.
Donc, le budget modifié correspond à toutes ces
corrections successives et représente les dépenses totales
autorisées, non pas nécessairement les dépenses
effectivement réalisées, mais les dépenses totales
autorisées et imputées de différentes façons dans
le budget original et dans les budgets supplémentaires, mais qui sont
dues aux activités de la mission sociale.
Comme ordre de grandeur, le budget initial a été
augmenté de $247 490 000, pour totaliser $3 036 000 000 et
l'augmentation dont j'ai fait la description tantôt se répartit
ainsi: $44 200 000 par un budget supplémentaire, $130 452 000 par
différents transferts du ministère des Finances et $72 800 000
pour la contribution de l'employeur aux régimes de retraite. Ce sont les
éléments que j'ai énumérés tout à
l'heure.
L'évolution en pourcentage du budget de 1976/77 par rapport au
budget initial de 1975/76 est de 17% et l'augmentation est de 7,4% lorsque la
comparaison est effectuée avec le budget modifié.
L'évolution par secteur est intéressante parce qu'elle permet de
juger assez bien des priorités, quoique de nombreuses qualifications
doivent être faites, étant donné certaines modifications
techniques dans la ventilation budgétaire, mais elle permet
malgré tout de juger assez bien les priorités du ministère
des Affaires sociales et du gouvernement relativement aux affaires sociales.
Nous avons, pour chacun des programmes, d'abord le budget modifié de
1975/76, le budget de 1976/77 et la variation en pourcentage donnée
successivement, ce qui donne, pour le régime de compensation du revenu,
$684 millions l'an dernier comparé à $754 millions cette
année, pour une augmentation de 10,2%. Pour la prévention et
l'amélioration, $163,5 millions l'an dernier et $184 millions cette
année, pour une augmentation de 12,6%. La réadaptation sociale,
$510 millions en 1975/76 contre $573 millions en 1976/77, une augmentation de
12,4%. Le recouvrement de la santé, c'est-à-dire le secteur
hospitalier, dans une très large mesure, $1 620 000 000 l'an dernier
contre $1 684 000 000 cette année, soit une augmentation de 4%, et
l'administration et les services, $59 millions l'an dernier contre $66 millions
en 1976/77, pour une augmentation de 11,6%.
Alors, voilà, M. le Président, tout ce que j'ai à
dire pour le moment en guise de remarques préli- minaires. Bien
sûr, je pourrais enchaîner en faisant le tableau des
priorités d'action pour l'année qui vient, mais je crois que nous
pourrons le faire plus commodément lors de l'étude de chacun des
éléments du budget, puisque ce genre d'implication des
crédits budgétaires pour la prochaine année va se
dégager très nettement quand nous en viendrons à
l'étude de chacun des crédits.
Le Président (M. Lafrance): L'honorable
député de Saint-Jacques.
Commentaires de l'Opposition
M. Charron: M. le Président, je voudrais remercier d'abord
le ministre pour son exposé et saluer à ses côtés le
sous-ministre des Affaires sociales qui participera à nos travaux au
cours des prochaines séances.
J'avais le plaisir, M. le Président, de rencontrer, ce midi, des
étudiants du CEGEP de Rimouski qui nous font le plaisir d'assister au
début des travaux de la commission, et je leur disais, en les invitant
ici, ce que j'ai déjà eu l'occasion d'exprimer ailleurs
également, c'est-à-dire que nous commencions cet
après-midi ce que je considère comme l'événement le
plus intéressant dans une année parlementaire à
l'Assemblée nationale du Québec. C'est, pour un
député de l'Opposition, et surtout dans une petite équipe
de l'Opposition, le moment le plus harassant probablement et le plus fatigant,
mais, si le plan physique en sort sérieusement magané à
l'occasion, à la fin de l'étude des crédits de tous ces
ministères, parce que je n'ai pas que celui-là, M. le
Président, je n'ai pas la chance du ministre des Affaires sociales.
Il reste que, au plan de l'intérêt intellectuel, c'est
certainement l'endroit où, au-delà des querelles strictement
partisanes à l'occasion et qui ont leur part, leur dû, il nous est
loisible, sans trop d'embarras dans le règlement, de
véritablement réfléchir ensemble au développement
de la société québécoise et, en particulier, au
développement des services sociaux, des services de santé qui
sont offerts à cette société.
Donc, M. le Président, puisque j'aborde cette période de
discussion avec toutes ces bonnes intentions, je l'affirme, je puis vous
offrir, à vous et au ministre, une collaboration certaine pour un
déroulement harmonieux des travaux de la commission parlementaire au
cours des prochains jours. Il n'y aura pas ici de harcèlement sur des
questions qui, à l'occasion, n'en méritent pas la peine; je ne
suis pas ici pour faire la guérilla parlementaire non plus, je n'ai
aucun objectif de faire durer les travaux de la commission au-delà des
forces de chacun, ce qui n'écartera pas non plus, M. le Président
j'en préviens immédiatement la commission des
entêtements légitimes à certains endroits qui sont
commandés, à l'occasion, par la raison et, à d'autres
occasions, par de simples convictions morales, sans oublier non plus ce qu'on
appelle en politique les entêtements de circonstance auxquels le ministre
devient de plus en plus familier lui-même.
J'ai, dans le domaine politique, le double de
l'âge du ministre des Affaires sociales, M. le Président,
et je puis vous affirmer que j'ai vu grandir ce politicien avec beaucoup de
plaisir, beaucoup de satisfaction. J'ai vu, déjà dans son
intervention du départ, la même franchise qui l'a
caractérisé depuis qu'il occupe le fauteuil qu'il tient
aujourd'hui, s'adapter, s'enrouler dans une habileté de
présentation qui nécessitera de chacun des membres de la
commission, d'être extrêmement vigilant devant les
vérités que je soutiens qu'il a le don de nous présenter
à sa manière.
J'ai quand même largement apprécié qu'il n'ait pas
voulu, comme on le dirait, noyer le poisson dès le départ dans
une espèce de satisfaction que, malheureusement je le dis
certains de ses collègues du même gouvernement ont l'habitude
d'opposer comme une espèce de fin de non-recevoir à l'ouverture
de l'étude de leurs crédits. C'est particulièrement
désagréable parce que ça signale, la plupart du temps, un
manque d'ouverture d'esprit qui, dans une société moderne, n'a
véritablement plus sa place.
En fait, je ne sais pas si je dois rendre à son mérite ou
à sa franchise et à sa bonne foi, ou simplement à son
intelligence le fait que le ministre n'ait pas choisi d'écarter les
problèmes. J'ai dit à son intelligence parce qu'il aurait
été, je pense, inacceptable aujourd'hui de présenter aux
membres de la commission parlementaire, qui auront à voter le budget des
Affaires sociales, une espèce de satisfaction repue de ce qui aurait
été fait au cours des dernières années, de ce qu'on
s'apprête tout bonnement à faire et à continuer au cours
des prochaines années. Cela a été de fort mauvaise
grâce pour quiconque d'entre nous, non seulement dans son propre
comté, mais qui, à l'occasion en tout cas, c'est le cas
des députés de l'Opposition, je peux vous l'assurer, de
façon même méritoire voyage d'une région
à l'autre du Québec et ce serait vraiment de mauvaise grâce
que d'aborder l'étude du budget des Affaires sociales avec une pareille
satisfaction. Ce n'est vraiment pas le cas et ce n'est vraiment pas le
climat du Québec qu'il est maintenant de notre devoir, nous
députés québécois, de rapporter à celui qui
dirige et qui administrera le budget que nous allons lui confier.
La population du Québec éprouve, à l'égard
des services déjà offerts ou de ceux qu'elle attend impatiemment
du ministère des Affaires sociales, une angoisse fort légitime.
Nous pouvons apprécier les correctifs que cette assemblée
en tout cas au cours des six dernières années où j'y ai
participé a apportés à l'établissement des
services sociaux et de santé. Nous pouvons souscrire à nouveau
aux objectifs qui ont fait, à chaque occasion, je pense, en tout cas
dans les cas majeurs, l'unanimité de l'Assemblée nationale, sur
ce qu'ii fallait faire et ce vers quoi nous nous dirigions.
Mais il n'y a plus d'unanimité possible et il n'y a certainement
pas de satisfaction grandissante à éprouver devant la
manière dont on a appliqué et réalisé
concrètement, jusque dans la peau et jusque dans les droits de chacun
des citoyens, les objectifs qui faisaient ici notre unanimité.
On dirait que là où nous nous entendions, là
où nous souscrivions à certaines paroles énoncées
du côté ministériel et la réussite concrète
sur le terrain québécois, de Gaspé à Rouyn-Noranda,
de Hull, Sherbrooke, Montréal à La Tuque, il y a une marge, il y
a une différence, il y a à l'occasion un égarement qu'il
ne nous serait absolument pas permis d'ignorer car il faut le signaler à
la table de cette commission.
Il ne s'agit pas d'y procéder avec mauvaise foi, il s'agit de
rapporter ce que nous avons légitimement constaté: une angoisse,
une inquiétude, une insatisfaction, en même temps qu'une attente
qui n'en finit plus de se démantibuler en désespoir.
Ceux dont je parle, M. le Président, ceux dont nous allons
parler, en fin de compte, dans la plupart de ces programmes, sont
effectivement, la plupart du temps, les citoyens les plus démunis du
Québec.
Quand nous parlons d'eux, quand nous parlons d'une angoisse, d'une
inquiétude et d'une anxiété, c'est donc que nous rajoutons
à des gens que la nature ou que la situation économique n'a
déjà pas épargnés, un sort qu'il est de notre
devoir de combattre.
Or, quels sont donc les obstacles qui nous empêcheraient, nous,
une société qui s'apprête à voter, des ressources de
la collectivité, $3 milliards pour continuer le développement des
services sociaux et de santé? Quels sont donc les obstacles qui font
qu'une aussi importante partie de nos ressources collectives, qui sera
agréée éventuellement à l'unanimité par
l'Assemblée nationale, continuent quand même à entretenir
et, à l'occasion, à augmenter cette angoisse et cette
inquiétude devant le développement des services de santé
et des services sociaux?
M. le Président, je ne veux pas reprendre ce que, à
l'ouverture des travaux de la commission, l'année dernière
à pareille date ou à peu près, je signalais d'une
façon un peu théorique et un peu générale
c'est le seul moment que nous ayons dans tous les travaux parlementaires de le
faire mais j'aurais mauvaise grâce, sans le reprendre
intégralement, de ne pas le signaler, à nouveau, parce que nous
n'avons vu, aucun d'entre nous, d'améliorations sur ce que j'identifiais
comme certaines causes là-dedans.
La première chose, la première cause tient d'abord au
modèle de développement économique qui est celui du
Québec à l'heure actuelle, un développement
économique absolument incontrôlé où l'intervention
de la collectivité n'est tragiquement, à l'occasion, qu'en termes
de correctifs, qu'en termes de garde-fous, qu'en termes de limites, où
on dirait que l'intervention collective de l'Etat, au nom de tous les
Québécois, ne vient que pour creuser et réparer des
dommages... que pour creuser des tranchées avant qu'un égarement
du développement économique incontrôlé de la
société québécoise prenne des proportions trop
gigantesques et trop graves au point d'augmenter des injustices qui sont
devenues déjà très criantes.
Je réfère le ministre des Affaires sociales à un
document extrêmement important dont il a certai-
nement parcouru, à plusieurs reprises, la sagesse de l'analyse et
la portée réelle d'une intelligence qui s'est penchée sur
le sort de la société québécoise.
En octobre 1970, dans le cadre des travaux de la Commission
Castonguay-Nepveu, le sociologue Gérald Fortin, de l'Université
Laval, proposait, en annexe, dans un document qu'il préparait pour et
aux fins de la commission à plusieurs reprises, d'ailleurs, vous
verrez, M. le Président, nous retrouverons certaines des recommandations
ou certaines des analyses un constat sur l'évolution,
fixée alors en 1970, du modèle de développement
économique que s'était donné le Québec, constat non
pas négatif, car je pense que l'optimisme est à la source de
chaque ligne de ce texte, mais angoissé et anxieux, sur le fait qu'ici,
cette société avait "choisi" le modèle de
développement capitaliste nord-américain...
Le Président (M. Lafrance): Je ne voudrais pas
être...
M. Charron: Non, M. le Président, je vous en prie.
Le Président (M. Lafrance): J'espère ne pas
m'être trompé de commission et ne pas être à la
commission de l'industrie et du commerce.
M. Charron: Vous verrez, M. le Président. Je vous ai
offert ma collaboration et je requiers immédiatement la vôtre.
Le Président (M. Lafrance): Je voudrais qu'on...
D'accord.
M. Charron: Vous verrez bien, si vous me laissez poursuivre, que
je n'écarte pas les sujets. Vous le verrez. D'ailleurs, M. le
Président, si je peux profiter de votre interruption...
Le Président (M. Lafrance): On vous donne la permission de
faire une entrée en matière.
M. Charron: Si je peux profiter de votre interruption, M. le
Président, je voudrais vous dire que vous êtes exactement
l'exemple de ce que je suis en train de prouver; c'est que ceux qui ont
l'habitude de croire que le développement économique, c'est une
chose et que...
Le Président (M. Lafrance): II faut que vous en veniez
à quelque chose, quand même.
M. Charron: ... ceux...
Le Président (M. Lafrance): Allez-y.
M. Charron: Je vous en prie, M. le Président. ... qui ont
l'habitude de croire que le développement économique, c'est une
chose qui est réservée à une autre commission, à un
autre ministère, ou à un autre service, ou à une autre
partie du budget et que le développement d'une politique sociale, c'est
comme à-côté, c'est comme des ser- vices accessoires qu'il
s'agit de mener, obligatoires parce que, de temps en temps, quelques-uns
d'entre nous sont malades, parce que, de temps en temps, quelques-uns d'entre
nous sont infirmes, parce que, de temps en temps, quelques-uns d'entre nous,
dans cette société, ne reçoivent pas le revenu minimum
suffisant pour s'assurer un minimum décent de vie dans une
société qui a un développement économique
incontrôlé, ceux-là portent sur le Québec une
analyse étroite, ridicule et qui, à l'occasion, conduit à
des développements anarchiques d'une politique sociale qui n'en finit
plus de multiplier les services, de multiplier les entrées en
matière de l'Etat dans chacun des coins de la vie des citoyens, sans
jamais répondre adéquatement à leurs besoins.
C'est cela le problème auquel nous faisons face actuellement.
L'année dernière, le budget était de $2,861 milliards. Il
est, aujourd'hui, de $3 milliards, pour la première fois. L'année
prochaine, si vous êtes encore le président de cette commission,
vous verrez que nous aurons encore progressé. Pourtant, chacun des
députés, membres de la commission, viendra dire que c'est
insuffisant, que, chez lui, par exemple, les besoins en hébergement pour
personnes âgées correspondent ou ne correspondent plus et combien
de députés pourraient apporter une liste de personnes sur des
listes d'attente. Tout le monde pourra dire que les développements de
soins de santé, même s'ils sont rendus à $1,6 milliard
continuent à faire que chacun des citoyens du Québec continue
à craindre pour le développement de sa santé, a des
craintes légitimes sur les soins adéquats qu'il recevra s'il est
obligé de se rendre dans un centre hospitalier, craint devoir effectuer
des séjours prolongés en salle d'attente, n'a pas la satisfaction
garantie d'être bien traité par un médecin depuis que
l'assurance-maladie est en vigueur, ne reçoit pas les soins dentaires
adéquats qu'une société civilisée devrait lui
offrir, actuellement.
Comment se fait-il donc que nous développons, que nous
multiplions les politiques sociales nous allons encore le faire cette
année mais que, en fin de compte, tout cela ne correspond jamais,
quel que soit l'effort financier que nous y apportions, à rattraper
l'augmentation des besoins et l'augmentation des services que requiert la
population? Il y a une raison, entre autres, et je me permets de la dire tout
de suite, c'était celle-là que j'étais en train
d'expliquer, c'est que le développement économique du
Québec, n'étant pas contrôlé, le Québec ne
contrôlant pas son développement économique, n'est pas
lui-même le maître du développement de son produit national
et ainsi de la répartition qu'il y sera faite. Le sort des
régions les plus excentriques du Québec et donc la façon
dont on répondra aux besoins sociaux et aux besoins de santé dans
chacune de ces régions n'appartiennent pas à la
collectivité québécoise. Ce n'est pas s'égarer du
sujet que de dire et de réaffirmer qu'un modèle de
développement capitaliste à profit maximum effréné
où les décisions de certains hommes peuvent, à l'occasion,
paralyser le développement social d'une région, fait
qu'aujourd'hui nous sommes appelés à
augmenter en aide sociale de $548 millions l'année
dernière, à $610 millions les sommes que la collectivité
québécoise doit consacrer à l'aide sociale. Il y a
peut-être là le fait qu'au Témiscamingue, par exemple, une
entreprise capitaliste a décidé d'un seul coup de fermer ses
portes parce que son profit ne s'y trouvait plus, mais que le profit social de
la collectivité était clairement indiqué, aide sociale,
assurance-chômage, soutien de revenu obligatoire de la part de l'Etat.
Quand une collectivité, quand une société dépend
essentiellement des étrangers pour développer elle-même les
ressources économiques, il ne faut pas se surprendre que quand ces
facteurs étrangers se retirent de la place, on se ramasse comme le
ministre des Affaires sociales s'est ramassé, à l'occasion, quand
Ottawa abandonne un plan social, avec l'obligation morale de le prendre
à sa rescousse. Je ne parle pas de problèmes économiques
qui sont loin des préoccupations de cette Assemblée. Je dis
qu'aujourd'hui, nous avons $3 milliards, que, l'année prochaine, nous
aurons $3,5 milliards, que, d'ici dix ans, il n'est pas du tout ridicule de
penser que la partie des Affaires sociales dans le budget
québécois ne fera que croître à un taux incroyable.
Pourquoi? Parce que les effets négatifs d'un peuple qui ne
contrôle pas son développement économique sont clairement
inscrits là-dedans. Le développement économique, par
exemple, du système capitaliste actuel utilise avec force et avec de
grands déploiements la publicité; il touche à l'esprit de
chacun des citoyens et augmente le nombre de besoins des citoyens. Ce qui,
autrefois, aurait pu apparaître comme un luxe, à force
d'être répété dans la tête des citoyens par la
publicité, apparaît pour n'importe qui, y compris celui qui vit de
l'aide sociale, aussi bien que pour celui qui a le revenu d'un professionnel de
la santé, par exemple, le goût légitime de le
posséder. Ce goût créé et moussé à
l'occasion par des gens qui n'ont comme unique objet que d'augmenter leurs
profits, devient tellement fort que l'Etat se voit dans l'obligation morale d'y
répondre.
Et quand l'Etat se voit dans l'obligation morale d'y répondre,
c'est ici que cela se retrouve.
Je dis et je soutiens que si le Québec était
lui-même le maître de son économie et contrôlait le
développement économique des Québécois, nous ne
serions pas toujours obligés de courir un peu comme un veau se court
après la queue, comme une queue de veau, derrière des besoins qui
sont créés, inventés par d'autres facteurs et que l'Etat
finit avec peine par combler.
Combien de députés, membres de cette commission, vous
diront que le fait de la progression en pourcentage que nous a indiqué
le ministre des Affaires sociales correspondra à la solution des besoins
que chacun a constatés dans son comté? Aucunement.
Si le budget augmente de 10%, je vous dirai que les besoins, je vous
dirai que les nécessités de la population, je vous dirai que le
dépérissement de la santé des Québécois
qu'on retrouve de statistique en statistique font que si le budget a
augmenté de 10%, les besoins ont augmenté de 15% ou de 20%. Ce
qui fait que, l'année prochaine, nous nous retrouverons dans le
même contexte.
Je ne m'écarte pas du sujet en disant que l'absence de
contrôle économique des Québécois est à
l'origine du fait que nous serons nombreux à étaler sur la table,
devant le ministre des Affaires sociales, au cours de cette commission,
l'insatisfaction, l'angoisse et les désirs légitimes des
Québécois.
Il y a aussi une autre raison et celle-là, vous la comprendrez
probablement mieux que la première, parce que le ministre lui-même
vient de l'aborder.
Ne vous ayant pas vu interrompre le ministre sur ce sujet, j'imagine que
vous me laisserez à mon tour développer à ma façon
les arguments que le ministre des Affaires sociales lui-même a
invoqués.
Il n'y a pas que le fait que le Québec ne contrôle pas son
développement économique. Il y a aussi le fait que le
Québec ne contrôle pas ses outils politiques. Il y a le fait qu'il
est, dans plusieurs domaines, tragiquement dépendant des
décisions qu'une majorité anglaise d'un autre pays peut, elle,
décider de s'offrir et que le ministre des Affaires sociales, lui, peut
très bien établir avec ses hauts fonctionnaires et avec
l'assentiment de toute l'Assemblée nationale ce que nous croyons
être des normes à offrir à des Québécois.
Mais ne recevant pas l'assentiment de la maison-mère, et se perdant, le
ministre le dit lui-même, et je cite: "...dans de longues et
décevantes séries de discussions, cette loi que nous n'aimons
pas, a-t-il dit, ces accords qui nous ne fournissent plus de satisfaction...",
ce n'est pas seulement le ministre des Affaires sociales que cela frustre, ce
ne sont même pas les hauts fonctionnaires qui travaillent d'arrache-pied
à négocier morceau par morceau avec leurs homologues
fédéraux des ententes où ils essaient de trouver le mieux
pour le Québec.
Au bout d'une longue et décevante série de discussions, au
bout d'une loi que nous n'aimons pas, au bout d'accords qui ne fournissent
plus, il y a des Québécois qui attendent, il y a des
Québécois qui souffrent, il y a des Québécois qui
sont sur des listes d'attente, il y a des Québécois qui
espèrent une action rapide et légitime et qui se contresacrent,
mais se contresacrent éperdument de la durée et des arguments
fédéraux, provinciaux, de ces ribambelles de conférences
fédérales-provinciales. C'est la première année que
le ministre nous dit que cela ne nous satisfait plus. Je dirais, avec tout le
respect que je lui dois, que je me fous que cela ne le satisfasse plus
lui-même. Il aura mis six ans et toute son expérience à
s'en apercevoir. Mais il y a combien de citoyens qui eux ne sont plus
satisfaits de ce genre d'attente et de ce genre d'obligation à avoir?
Ottawa s'apprête à passer, de façon unilatérale...
On me signalait que ce sont et c'est malheureux les pressions de
l'Ontario qui empêchent qu'aujourd'hui la loi, adoptée en
deuxième lecture, soit une loi adoptée d'ores et
déjà par la Chambre des Communes. J'aurais espéré
que ce soit le gouver-
nement québécois qui mène plus que l'Ontario ce
genre d'affrontement, quant aux intentions fédérales de limiter
la participation au financement de l'assurance-maladie.
Mais cela a des conséquences directes sur les soins de
santé des citoyens, ce taponnage fédéral-provincial, M. le
Président, cette décision d'un gouvernement, qui, parce qu'il a
perdu le contrôle de l'inflation à un moment ou à un autre,
s'est senti obligé à une autre occasion de resserrer la vis et
d'avertir ses partenaires qu'il entendait ne plus participer de la même
façon. Ce n'est pas le ministre qui l'a refuté, ce sont des
milliers de Québécois qui attendaient le développement du
Régime d'assurance-maladie avec une participation normale du
gouvernement central.
Quand, par exemple, peuple non souverain qui n'a pas l'occasion
lui-même de participer, de décider au développement de ses
soins de santé et ses services sociaux, il peut même arriver,
à l'occasion, qu'une décision d'une autre province
même pas du gouvernement fédéral affecte
considérablement notre propre loisir à développer les
services que nous voulons offrir à nos concitoyens; quand l'Ontario,
province bénie de cette confédération, a
décidé de transférer ses budgets de laboratoire à
l'assurance-hospitalisation, n'est-ce pas le ministère des Affaires
sociales qui disait lui-même que cela privait le Québec de revenus
d'une douzaine de millions? Quand, par exemple, le gouvernement
fédéral a pris la décision unilatérale, encore une
fois, de ne pas indexer les allocations familiales, il y a de cela peu de
temps, est-ce que cela n'a pas eu pour effet de faire perdre un peu plus de $50
millions aux familles du Québec, en plus de forcer le gouvernement
à compenser la perte de revenu subie par les familles
bénéficiaires de l'aide sociale.
N'avons-nous pas, malgré tout ce que nous avions
décidé ici en commission, été obligés, au
niveau ministériel, de procéder à des remaniements parce
qu'une autre majorité avait décidé de procéder de
façon différente? Ne sont-ce pas là des limites
quotidiennes, claires et nettes? Quand le ministre fédéral de la
santé et du bien-être, M. Lalonde, disait au lendemain de cet
échec de la conférence, dont faisait lui-même état
le ministre des Affaires sociales tout à l'heure, qu'il ne faut pas
attendre un revenu familial garanti avant deux ou trois ans il l'a
affirmé publiquement à la télévision devant les
commentateurs n'était-ce pas toutes les familles
québécoises? Et le ministre des Affaires sociales est
probablement plus pressé de l'établir, lui qui apprenait qu'il
n'a pas les capacités de le faire dans le régime actuel.
Quand on dit qu'au domaine des services sociaux, par exemple, je cite le
ministre qui disait tout à l'heure: Les discussions sont non
finalisées, il faudra, de toute façon, une loi
fédérale qui devra venir trancher cette chose-là, nous
attendons, n'est-ce pas aussi tous les Québécois qui attendent,
M. le Président, derrière cette obligation anormale d'une
société moderne d'attendre le consentement d'une autre
société, à côté, pour procéder? C'est
tellement évident, M. le Président, que cela a amené le
ministre à dire et à annoncer, curieusement, un peu de
façon sibylline parce que ce gouvernement n'a pas l'habitude
d'annoncer ses désaccords avec les gouvernements fédéraux
qu'il nous faudra effectuer un retour aux positionsil l'a dit
lui-même traditionnelles du Québec. Il a même
pensé reprendre une formule que son propre gouvernement a
abandonnée tapageusement en 1970 en disant: Nous n'aurons plus besoin du
"opting out". Nous allons faire un fédéralisme rentable. Nous
n'aurons pas besoin de nous retirer des programmes, comme même Jean
Lesage l'a fait à l'occasion. Quant à nous, cela va marcher dans
l'harmonie, parce que nous sommes clairement fédéralistes et, de
l'autre côté, la porte nous est ouverte. C'est un ministre de ce
même gouvernement qui n'était pas là en 1970, mais qui a
participé à sa réélection en 1973 qui dit: Je
retourne aux positions traditionnelles, celles que ces mêmes ministres
libéraux pourfendaient sur les tribunes en 1970, se moquant de l'Union
Nationale en disant: La vieille Union Nationale, ces "plorines", comme les
appelait le premier ministre candidat, à l'époque en disant:
C'est fini ces positions traditionnelles. C'est un ministre de ce même
gouvernement qui nous annonce d'y retourner. Pourquoi, M. le Président?
Non pas parce que le ministre n'est plus un fédéraliste; parce
que le ministre s'est aperçu que le fédéralisme, s'il est
bon pour lui, dans sa tête, dans son raisonnement intellectuel
d'arrangements administratifs, il n'est plus bon pour les
Québécois et qu'il lui faut donc faire un autre choix que ces
éternelles ribambelles de conférences qui se suivent les unes
après les autres, qu'il a qualifiées lui-même de longue et
décevante série de discussions.
M. le Président, ces positions sont importantes dans le
développement social des Québécois. Le retour aux
positions traditionnelles du Québec ne devrait pas vouloir dire... Si
vous voulez, M. le Président, suspendre la discussion jusqu'à
demain, je reprendrai demain à cet endroit.
Le Président (M. Lafrance): Je m'excuse de vous
interrompre à nouveau, même si vous me l'aviez demandé.
M. Charron: Vous en avez pleinement le droit, M. le
Président.
Le Président (M. Lafrance): Pour une raison bien
évidente. La commission ajourne ses travaux sine die.
(Fin de la séance à 18 h 2)