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Version finale

30th Legislature, 4th Session
(March 16, 1976 au October 18, 1976)

Tuesday, March 30, 1976 - Vol. 17 N° 10

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Etude des crédits du ministère des Affaires sociales


Journal des débats

 

Commission permanente des affaires sociales

Etude des crédits du ministère des Affaires sociales

Séance du mardi 30 mars 1976

(Seize heures cinquante-cinq minutes)

M. Lafrance (président de la commission permanente des affaires sociales): A l'ordre, messieurs!

Nous commençons aujourd'hui l'étude des crédits du ministère des Affaires sociales. Avant de commencer l'étude proprement dite, je voudrais annoncer à la commission que M. Lapointe de Laurentides-Labelle, remplace pour la présente séance M. Lecours (Frontenac). A l'unanimité des membres de la commission, M. Boudreault a été choisi rapporteur de la commission. Alors, nous passons à l'étude des crédits. Le ministre des Affaires sociales.

Exposé général du ministre

M. Forget: Merci, M. le Président. Comme il est d'usage de le faire au début de l'étude des crédits, j'aimerais passer brièvement en revue les principales activités du secteur des Affaires sociales dans l'année qui s'est écoulée et dresser un tableau sommaire de l'évolution des crédits budgétaires de 1975/76 à 1976/77. Sur le plan des mesures législatives et réglementaires, je rappelle aux membres de la commission que nous avons vu dans le secteur des Affaires sociales l'an dernier trois mesures législatives, dont l'une à l'état d'esquisse. Je fais référence ici à la loi et à sa promulgation, la loi relative à la Commission des affaires sociales, qui a commencé son fonctionnement régulier à compter du mois d'août 1975 et qui, depuis, a vu ses activités se développer à la fois en quantité et en qualité par la nomination à titre permanent d'un nombre accru de commissaires et d'assesseurs. Les activités nouvelles, comme on sait, étaient attribuées à la commission, en plus du regroupement d'un certain nombre de juridictions d'appel qui étaient auparavant dispersées dans différentes mesures législatives.

Sur le plan de la loi relative à la protection de la jeunesse déposée en juin, un avant-projet de loi qui a été étudié à cette commission au cours de quatre séances publiques; nous avons entendu un certain nombre de groupes privés nous faire des représentations quant aux améliorations et aux retouches à apporter à cet avant-projet. Ce sera là, comme je l'indiquerai tantôt, une des préoccupations majeures de l'année 1976, à la fois sur le plan législatif et sur le plan du développement des services.

Enfin, durant la toute dernière partie de la session, nous avions étudié et adopté, à l'Assemblée nationale, à l'unanimité, une loi relative au maintien des services essentiels dans les services de santé et les services sociaux.

Il y a eu deux mesures législatives qui ont touché le secteur des rentes-retraites, à la fois une modification au régime de rentes qui est entrée en vigueur en janvier 1975, après avoir été adoptée à la toute fin de l'année 1974, qui permettait une indexation des rentes de retraite et une nouvelle formule de détermination de l'indice des rentes et qui introduisait aussi, un certain nombre de dispositions, en particulier, des dispositions destinées à supprimer la discrimination entre les hommes et ies femmes dans le régime de rentes.

Nous avons à l'Assemblée nationale, l'été dernier, adopté plusieurs modifications à la Loi des régimes supplémentaires de rentes. C'était la première série de modifications à cette loi qui avait été adoptée en 1965. Après dix ans d'expérience et en s'aidant des discussions et des mesures parallèles adoptées dans d'autres juridictions, un certain nombre de modifications ont été apportées à la loi.

Sur le plan des mesures réglementaires, nous avons également connu plusieurs développements dont quelques-uns fort importants. Au début de mai 1975, il y a eu l'extension du régime de soins dentaires pour les enfants de huit à neuf ans, c'est-à-dire une extension aux enfants âgés de neuf ans, des services aux parents assurés au bénéfice des enfants âgés de huit ans et moins.

En juillet 1975, il y a eu l'inauguration du régime de remboursement des prothèses et orthè-ses, un autre régime administré par la Régie de I'assurance-maladie.

Il y a eu plusieurs autres mesures réglementaires; en particulier, le travail d'élaboration des règlements relatifs au fonctionnement et à l'équipement des ambulances a été terminé en cours d'année. Ils ont été publiés en janvier de cette année, mais étaient terminés dès les derniers mois de l'année 1975.

Nous avons également effectué une refonte complète — la première depuis l'inauguration du régime — des règlements de l'aide sociale. Ces règlements refondus et modifiés ont été mis en vigueur au début de janvier de cette année.

Il y a eu également, à partir de juillet 1975, l'application du règlement relatif à la contribution des bénéficiaires dans les centres d'accueil pour adultes et la détermination d'allocations de dépenses personnelles pour les personnes hébergées dans les foyers d'hébergement et — ceci était une innovation — pour la première fois, une allocation de dépenses versée sur des bases rigoureusement identiques à celles appliquées aux centres d'accueil pour les bénéficiaires des centres hospitaliers pour malades chroniques et pour les centres hospitaliers à vocation psychiatrique.

J'allais oublier une dernière mesure législative qui consistait en un amendement à la Loi de la santé publique adopté en juin 1975 et qui comptait deux éléments: un premier élément relatif à la fluoration des eaux de consommation et un deuxième élément qui a déjà subi de façon assez spectaculaire — je crois que c'est le mot particulièrement approprié — le test des tribunaux, c'est à dire une disposition qui interdisait les spectacles animés par des déficients mentaux ou des personnes affectées de troubles psychiatriques.

C'est là, M. le Président — je pense que les

membres de cette commission en conviendront — un tableau assez complet, assez impressionnant de mesures législatives et de mesures réglementaires. J'omets évidemment toute une série de petits amendements, soit à nos lois, soit à nos règlements, qui sont plutôt des corrections, des ajustements de détails. Il y a eu deux amendements durant l'année à la Loi sur les services de santé et les services sociaux et différents autres amendements à différentes mesures réglementaires, mais je n'insisterai pas ici. J'ai voulu simplement dégager les principales préoccupations législatives et réglementaires de l'année qui vient de s'écouler.

Sur la plan administratif — je suis sûr que sur ce point, nous reviendrons au cours de nos discussions — il y a eu des mesures administratives, aussi des mesures très nombreuses, portant sur des points particuliers, sur lesquels je n'insiste pas, mais deux mesures de type général qui ont une certaine importance à plus long terme.

Il s'agit, d'une part, de la mise en application d'un mandat confié aux conseils régionaux pour l'étude et l'octroi de sommes ne dépassant pas $50 000 relativement à des aménagements mineurs dans les établissements du réseau, un mandat qui leur a été confié au début de l'année 1975 et dont ils se sont acquittés à la satisfaction générale. Ceci a permis de décongestionner les rouages administratifs centralisés du ministère et d'accorder une attention d'autant plus concentrée et d'autant plus efficace à la réalisation de certains grands travaux, de certains grands projets et en particulier de la mise en place d'un programme de construction de foyers pour personnes âgées. Quelque 22 projets ont été mis en route durant l'année 1975 et ceci a été, dans une large mesure, rendu possible par le décongestionnement que nous a permis de faire une délégation aux conseils régionaux.

En outre, c'est la deuxième mesure administrative que j'aimerais souligner, les structures du ministère des Affaires sociales ont subi une légère modification, mais une modification, malgré tout, fort significative, par la création d'une nouvelle direction générale, la direction générale de l'équipement et des services communs. Ceci a permis de donner à cette unité administrative une tâche mieux définie et a rendu possible des performances dans le domaine de l'exécution des grands travaux qui sont tout à fait sans précédent et très satisfaisantes à la fois sur le plan des coûts et sur le plan du respect des échéanciers.

Les discussions avec le gouvernement fédéral — et ce sont les derniers aspects que je veux toucher — se sont poursuivies sur l'ensemble des programmes qui appartiennent à la juridiction des affaires sociales, tant au plan fédéral qu'au plan provincial. Les conférences fédérales-provinciales sur la sécurité du revenu se sont poursuivies durant toute l'année au niveau des fonctionnaires, au niveau des conférences des ministres. Il y a eu en particulier une conférence à la fin d'avril, au début de mai 1975, où cet effort entrepris en 1973 est venu très près d'achopper.

Il avait été convenu au départ, dès 1973, que cet effort que faisaient onze gouvernements pour définir les orientations dans le domaine de la sécurité sociale et tout particulièrement de la sécurité de revenu se dérouleraient pendant une période de deux ans. Nous étions donc, en avril 1975, à la période d'échéance. Confronté par cette échéance, le gouvernement fédéral a, à l'époque, souhaité obtenir un accord des provinces à un plan qui était encore trop mal défini et dont les implications n'étaient pas suffisamment connues, explicites pour nous permettre de donner à ce moment-là une adhésion quelconque. Devant ce demi-échec de la conférence d'avril-mai 1975 sur ce plan seulement — je toucherai les autres aspects tout à l'heure — nous sommes venus bien près d'abandonner tout espoir de faire progresser ce dossier.

Fort heureusement, la position que nous avons adoptée, à l'époque, de prolonger le travail et particulièrement de faire porter nos efforts sur une étude des groupes, dans la population, auxquels nous destinions de nouvelles mesures de sécurité du revenu, en particulier les futurs bénéficiaires d'un régime de supplément de revenu, ces travailleurs pauvres ou ces travailleurs à faible revenu que tout cet effort de discussion visait à aider sur le plan des revenus, sur le plan financier, eh bien, il fallait faire un effort, avons-nous dit à l'époque, mieux les connaître, mieux connaître leurs caractéristiques économiques, sociales, familiales de manière à bien comprendre si l'objectif que nous nous étions fixé en théorie serait atteint en pratique par l'extension des mesures actuelles de sécurité de revenu.

Cet effort a été fait durant le reste de l'année. D'ailleurs, la nécessité de mener à bonne fin avant de se rencontrer, de se réunir à nouveau, au niveau ministériel, a fait que la rencontre initialement prévue pour le mois de septembre a été différée jusqu'à ce que, en février de cette année, nous puissions enfin faire le point et nous concerter sur une proposition qui soit acceptable, compte tenu des objectifs et des possibilités d'action des provinces dans ce domaine, en permettant un financement, un partage fédéral des sommes qui pourraient être consacrées à un tel régime.

Par ailleurs, et en parallèle avec cet effort, le Québec a préparé un modèle de ce que pourrait être un régime québécois de revenu familial garanti. Nous avons publié, avant même cette conférence, le rapport du comité interministériel formé un an auparavant à cette fin et nous avons constaté que dans l'ensemble, le chemin que le Québec avait parcouru dans l'étude de ce dossier, de même que le chemin qu'avait parcouru le gouvernement fédéral dans l'énoncé d'une proposition de partage des coûts d'un tel régime, étaient compatibles. Ils ne sont pas identiques, bien sûr: plusieurs points restent à élucider, c'est ce à quoi nous nous employons actuellement. Mais nous avons pu voir que c'étaient des chemins parallèles qu'avaient poursuivi les deux ordres de gouvernement sur cette question et qu'il était réaliste

d'envisager, en juin de cette année, qu'au moins sur le plan des principes, sans nécessairement s'engager quant à une date précise de mise en vigueur, il n'y aurait probablement pas de contentieux majeur entre le gouvernement fédéral et nous-mêmes.

Je me permets de signaler, M. le Président, que cette position du Québec était, en substance, partagée par l'ensemble des autres provinces.

Mais les négociations, les discussions, les travaux conjoints avec le gouvernement fédéral et les gouvernements des autres provinces ne se sont pas poursuivis seulement dans le secteur de la sécurité du revenu, même s'il est extrêmement important. Ils ont porté également sur le partage des coûts dans le secteur des services sociaux.

Dans ce secteur, nous avons, de façon générale, été fort satisfaits de l'évolution de ces discussions. Il faut voir que cette satisfaction du Québec est basée sur un fait qui mérite d'être souligné. C'est essentiellement celui-ci: La nouvelle loi fédérale qui est envisagée et qui est à l'état d'esquisse actuellement, reprend dans l'essentiel les orientations que le Québec, par sa législation, s'est donné dans ce secteur d'activité publique depuis quelques années.

Il reprend la notion des services sociaux à vocation universelle, au moins quant aux clientèles auxquelles ces services sont destinés, par opposition à la situation passée où les services sociaux étaient essentiellement considérés comme des services aux défavorisés.

Mais, joignant à cette universalisation de la clientèle à laquelle on destine les services sociaux, le gouvernement fédéral, comme le gouvernement du Québec, tient compte, dans les règles d'accessibilité aux services sociaux, du revenu des bénéficiaires. C'est là, par les mesures que nous avons appliquées, dès l'an dernier, relativement aux bénéficiaires des centres d'accueil pour personnes âgées et, l'année précédente, relativement aux bénéficiaires des centres d'accueil pour enfants, des orientations que le Québec s'est déjà données, à la fois par ces deux règlements et par la Loi sur les services de santé et les services sociaux, où, pour la première fois, à notre connaissance un gouvernement et une assemblée délibérante adoptaient le principe de services sociaux publics à destination universelle.

Les développements de côté, bien sûr, se feront au cours des prochains mois et des prochaines années, puisqu'une législation est nécessaire sur le plan fédéral et que les discussions ne sont pas encore tout à fait terminées.

Du côté des régimes de rentes, j'ai souligné, tout à l'heure, les modifications législatives que nous avons effectuées en 1975. Ces modifications, pour une part seulement, découlent de discussions antérieures au niveau fédéral-provincial, mais n'épuisent pas l'ensemble des modifications que nous souhaitons apporter au Régime de rentes.

D'ailleurs, les modifications déjà apportées dans le passé, même si elles ont commencé à apporter un début de solution au problème de la dis- crimination vis-à-vis des femmes, sous la rubrique du Régime de rentes, n'ont pas éliminé toutes les causes, toutes les sources de discrimination et nous avons tenté, au cours des derniers mois, de compléter ce travail. Fort heureusement, nous avons formulé une proposition en 1975 qui aurait cet effet, vis-à-vis des femmes qui abandonnent temporairement le marché du travail pour s'occuper de jeunes enfants, par exemple. La proposition du Québec, à cet égard, a été retenue par le gouvernement fédéral, dans le cadre d'amendements à envisager et qui se feraient en parallèle pour le Régime de rentes du Québec — qui dépend de notre juridiction — et le Régime de pensions du Canada.

Il reste encore d'autres points que nous espérons pouvoir éclaircir durant les prochaines semaines, de manière qu'en juin de cette année, lorsque les ministres des provinces et du gouvernement fédéral se réuniront à nouveau, il nous soit possible de conclure ce volet de la revue des programmes de sécurité sociale par des conclusions définitives sur ce chapitre que constituent les régimes de rentes du Québec et le régime de pension du Canada. Si, du côté des services sociaux et de la sécurité du revenu, la situation de nos travaux et de nos discussions avec le gouvernement fédéral a été, somme toute, satisfaisante, mais constitue une condition pour de nouveaux progrès dans ces secteurs, il en va passablement différemment de la situation relativement aux services de santé.

Je fais un très bref rappel des événements pour tous ceux qui, ne vivant pas quotidiennement dans ce secteur, ont pu en oublier le déroulement. Je commencerai, non pas au début de l'histoire, ce qui nous ferait remonter à 1970 et à une longue et très décevante série de rencontres et de discussions de projets et de contre-projets, qui nous amenait, à l'automne 1974 et au début de 1975, devant un échec total des efforts entrepris jusqu'à ce moment pour trouver un nouveau cadre de coopération fédérale-provinciale relativement aux services de santé... Ce qu'il importe de souligner à ce moment, c'est la décision fédérale tout à fait unilatérale prise en juin 1975, lors du discours sur le budget du ministre des Finances de l'époque, M. Turner, et ayant pour effet de plafonner le taux de croissance pour les années futures des contributions fédérales au titre de l'assurance-maladie. Simultanément, un avis formel était donné par le gouvernement fédéral, avis qu'il était, évidemment, autorisé à donner en vertu des ententes existantes, mais ayant pour effet de dénoncer, avec préavis de cinq ans, les ententes relatives à l'assurance-hospitalisation, ce qui nous plaçait, après ce discours sur le budget, devant la situation de règles de jeu entièrement nouvelles, constituant possiblement une très lourde pénalité pour le Québec et les autres provinces quant à leur possibilité d'obtenir un partage complet, selon les règles établies depuis de nombreuses années de la part du gouvernement fédéral.

Nous avons, comme il est normal, protesté contre cette action unilatérale du gouvernement

fédéral. Nous avons souhaité pouvoir en discuter avec notre collègue fédéral, M. Lalonde, le ministre de la Santé et du Bien-Etre social, lors d'une rencontre des ministres de la santé que nous souhaitions la plus rapprochée possible. Malheureusement, le projet de loi a été déposé à l'automne sans que nous ayons eu l'avantage d'une telle discussion. Cette rencontre des ministres de la santé, qui s'est toujours tenue depuis des années, soit en décembre, soit en janvier, n'a pas encore eu lieu au moment où cette commission se réunit aujourd'hui.

Ce qui veut dire que nous n'avons pas encore eu l'occasion de commencer cette discussion avec le gouvernement fédéral. Nous savons, par ailleurs, comme tout le monde, que cette loi a été votée en deuxième lecture, il y a quelques semaines, par le Parlement d'Ottawa.

C'est donc dans une situation de beaucoup moins grande satisfaction — c'est le moins que l'on puisse dire — que nous abordons cette question des services de santé et du partage fédéral au titre des programmes d'assurance-santé.

Cependant, la discussion et les réunions qui ont été différées pendant de si longs mois vont finalement se tenir au cours des prochaines semaines et il nous sera alors possible d'avoir ces discussions; mais nous les aurons dans un contexte différent, différent non seulement théoriquement, mais pratiquement différent, puisque cette loi fédérale que nous n'aimons pas et qui vient bouleverser unilatéralement les règles du jeu quant au partage est sur le point de s'appliquer.

Il faudra donc, à ce moment, et dans le contexte ainsi modifié de façon unilatérale, réévaluer la position du Québec dans ces discussions et voir si les propositions que nous avions formulées l'automne dernier pour modifier de façon qu'ils soient mutuellement acceptables, non pas unilatéralement comme Ottawa l'avait fait, les régimes d'assurance-santé si, encore une fois, il est toujours à propos d'en discuter..

On sait que la position traditionnelle du Québec, qui n'a jamais été abandonnée, qui n'a jamais été reniée, quelle que soit notre volonté, par des discussions sur les aspects techniques de l'évolution des coûts dans le secteur de la santé, n'est pas finalement la seule qui soit possible et qui doive être retenue. Cette position traditionnelle, j'ai à peine besoin de le souligner, consistait à demander un retrait définitif des provinces et tout particulièrement du Québec de ces accords de partage des coûts, des accords à frais partagés qui sont ceux utilisés depuis le tout début de l'assurance-hospitalisation et depuis le tout début de l'assurance-maladie au Québec.

Il est clair, d'après l'expérience de ces derniers mois, que nous n'avons guère de choix que de revenir à cette position traditionnelle, la réaffirmer comme la seule voie possible pour continuer d'assurer des services à la population dans un contexte où il soit possible de planifier d'avance le genre de ressources financières dont nous disposons.

Dans toutes ces discussions — et il est essen- tiel de le souligner — nous n'avons jamais été en désaccord avec ceux qui prétendent que les coûts de la santé doivent être contrôlés, ne peuvent pas progresser sans frein et ne peuvent certainement pas progresser au rythme où ils ont progressé durant les dix dernières années.

D'ailleurs, je crois qu'il serait inutile de souligner les efforts du gouvernement du Québec et du ministère des Affaires sociales, en particulier, pour venir à bout d'assurer que ces services de santé, tout en demeurant accessibles à la population, tout en assurant un niveau de qualité qui va continuellement en augmentant sur le plan scientifique, sur le plan technique, ne soient pas tels dans son évolution que la totalité des activités gouvernementales soit menacée, puisque tous les fonds pourraient être absorbés de ce côté.

Nous avons donc souscrit à cet objectif, mais il n'est pas besoin d'une entente fédérale-provinciale pour nous rappeler l'importance de cet objectif, ni surtout pour nous motiver à le transcrire dans les faits. Il devient de plus en plus clair que, en tout état de cause, il est nécessaire de disposer d'un cadre relativement certain pour pouvoir orienter nos actions à long terme et que les accords fédéraux-provinciaux actuels ne fournissent plus ce cadre de certitude, ce cadre de permanence qui est essentiel pour que les orientations retenues — et on sait combien dans ce secteur ces orientations ont une portée à long terme — puissent être prises en connaissance de cause et de façon responsable. C'est donc la conclusion à laquelle nous en arrivons dans le secteur des services de santé qui fait un contraste très marqué avec l'issue relativement bonne et optimiste que nous pouvons enregistrer du côté des services sociaux et de la sécurité du revenu. C'est donc dire que nous aurons au cours des prochains mois à affirmer à nouveau la position du Québec relativement à cette question de partage des coûts dans le secteur de la santé; d'ailleurs, le discours inaugural a très clairement souligné l'intention du gouvernement du Québec de ne plus s'inscrire dans ce contexte qui a perdu encore une fois son caractère de sécurité, son caractère de permanence et qui n'est plus un cadre acceptable pour l'exercice de nos responsabilités à nous.

En terminant, et sans abuser de la patience de la commission, j'aimerais donner un sommaire de l'évolution des masses budgétaires et des grands ensembles qui sont regroupés sous les principaux programmes de la mission sociale. Le budget de l'exercice 1976/77 totalise $3 261 000 000, ce qui représente un accroissement de $473 000 000 par rapport au budget initial de 1975/76 et de $225,5 millions par rapport au budget modifié de 1975/76.

J'aimerais ici faire une note de caractère un peu technique, mais puisque l'expression de budget modifié va réapparaître probablement assez souvent, au cours des travaux de cette commission, j'aimerais un peu décrire comment on y arrive, puisqu'il ne s'agit pas seulement d'ajouter au budget initial de 1975/76 les budgets supplémentaires et, dans le cas du ministère des Affaires sociales, le seul budget supplémentaire que nous

ayons eu, et c'était en l'occurrence le budget supplémentaire no 2, mais qu'il faut en plus ajouter certains montants transférés du ministère des Finances au titre des conventions collectives, ainsi que des sommes qui sont affectées au budget des Affaires sociales ou qui le grèvent, et qui sont destinées à effectuer les paiements de la partie patronale au régime supplémentaire de rentes du secteur gouvernemental et parapublic.

Il y a aussi d'autres modifications de structures budgétaires qui viennent corriger certains chiffres, puisque certaines classifications d'établissements, certaines classifications de dépenses ont provoqué des transferts d'un poste à l'autre, mais ce sont, dans la plupart des cas, surtout à comparer aux autres corrections, des sommes relativement modestes.

Donc, le budget modifié correspond à toutes ces corrections successives et représente les dépenses totales autorisées, non pas nécessairement les dépenses effectivement réalisées, mais les dépenses totales autorisées et imputées de différentes façons dans le budget original et dans les budgets supplémentaires, mais qui sont dues aux activités de la mission sociale.

Comme ordre de grandeur, le budget initial a été augmenté de $247 490 000, pour totaliser $3 036 000 000 et l'augmentation dont j'ai fait la description tantôt se répartit ainsi: $44 200 000 par un budget supplémentaire, $130 452 000 par différents transferts du ministère des Finances et $72 800 000 pour la contribution de l'employeur aux régimes de retraite. Ce sont les éléments que j'ai énumérés tout à l'heure.

L'évolution en pourcentage du budget de 1976/77 par rapport au budget initial de 1975/76 est de 17% et l'augmentation est de 7,4% lorsque la comparaison est effectuée avec le budget modifié. L'évolution par secteur est intéressante parce qu'elle permet de juger assez bien des priorités, quoique de nombreuses qualifications doivent être faites, étant donné certaines modifications techniques dans la ventilation budgétaire, mais elle permet malgré tout de juger assez bien les priorités du ministère des Affaires sociales et du gouvernement relativement aux affaires sociales. Nous avons, pour chacun des programmes, d'abord le budget modifié de 1975/76, le budget de 1976/77 et la variation en pourcentage donnée successivement, ce qui donne, pour le régime de compensation du revenu, $684 millions l'an dernier comparé à $754 millions cette année, pour une augmentation de 10,2%. Pour la prévention et l'amélioration, $163,5 millions l'an dernier et $184 millions cette année, pour une augmentation de 12,6%. La réadaptation sociale, $510 millions en 1975/76 contre $573 millions en 1976/77, une augmentation de 12,4%. Le recouvrement de la santé, c'est-à-dire le secteur hospitalier, dans une très large mesure, $1 620 000 000 l'an dernier contre $1 684 000 000 cette année, soit une augmentation de 4%, et l'administration et les services, $59 millions l'an dernier contre $66 millions en 1976/77, pour une augmentation de 11,6%.

Alors, voilà, M. le Président, tout ce que j'ai à dire pour le moment en guise de remarques préli- minaires. Bien sûr, je pourrais enchaîner en faisant le tableau des priorités d'action pour l'année qui vient, mais je crois que nous pourrons le faire plus commodément lors de l'étude de chacun des éléments du budget, puisque ce genre d'implication des crédits budgétaires pour la prochaine année va se dégager très nettement quand nous en viendrons à l'étude de chacun des crédits.

Le Président (M. Lafrance): L'honorable député de Saint-Jacques.

Commentaires de l'Opposition

M. Charron: M. le Président, je voudrais remercier d'abord le ministre pour son exposé et saluer à ses côtés le sous-ministre des Affaires sociales qui participera à nos travaux au cours des prochaines séances.

J'avais le plaisir, M. le Président, de rencontrer, ce midi, des étudiants du CEGEP de Rimouski qui nous font le plaisir d'assister au début des travaux de la commission, et je leur disais, en les invitant ici, ce que j'ai déjà eu l'occasion d'exprimer ailleurs également, c'est-à-dire que nous commencions cet après-midi ce que je considère comme l'événement le plus intéressant dans une année parlementaire à l'Assemblée nationale du Québec. C'est, pour un député de l'Opposition, et surtout dans une petite équipe de l'Opposition, le moment le plus harassant probablement et le plus fatigant, mais, si le plan physique en sort sérieusement magané à l'occasion, à la fin de l'étude des crédits de tous ces ministères, parce que je n'ai pas que celui-là, M. le Président, je n'ai pas la chance du ministre des Affaires sociales.

Il reste que, au plan de l'intérêt intellectuel, c'est certainement l'endroit où, au-delà des querelles strictement partisanes à l'occasion et qui ont leur part, leur dû, il nous est loisible, sans trop d'embarras dans le règlement, de véritablement réfléchir ensemble au développement de la société québécoise et, en particulier, au développement des services sociaux, des services de santé qui sont offerts à cette société.

Donc, M. le Président, puisque j'aborde cette période de discussion avec toutes ces bonnes intentions, je l'affirme, je puis vous offrir, à vous et au ministre, une collaboration certaine pour un déroulement harmonieux des travaux de la commission parlementaire au cours des prochains jours. Il n'y aura pas ici de harcèlement sur des questions qui, à l'occasion, n'en méritent pas la peine; je ne suis pas ici pour faire la guérilla parlementaire non plus, je n'ai aucun objectif de faire durer les travaux de la commission au-delà des forces de chacun, ce qui n'écartera pas non plus, M. le Président — j'en préviens immédiatement la commission — des entêtements légitimes à certains endroits qui sont commandés, à l'occasion, par la raison et, à d'autres occasions, par de simples convictions morales, sans oublier non plus ce qu'on appelle en politique les entêtements de circonstance auxquels le ministre devient de plus en plus familier lui-même.

J'ai, dans le domaine politique, le double de

l'âge du ministre des Affaires sociales, M. le Président, et je puis vous affirmer que j'ai vu grandir ce politicien avec beaucoup de plaisir, beaucoup de satisfaction. J'ai vu, déjà dans son intervention du départ, la même franchise qui l'a caractérisé depuis qu'il occupe le fauteuil qu'il tient aujourd'hui, s'adapter, s'enrouler dans une habileté de présentation qui nécessitera de chacun des membres de la commission, d'être extrêmement vigilant devant les vérités que je soutiens qu'il a le don de nous présenter à sa manière.

J'ai quand même largement apprécié qu'il n'ait pas voulu, comme on le dirait, noyer le poisson dès le départ dans une espèce de satisfaction que, malheureusement — je le dis — certains de ses collègues du même gouvernement ont l'habitude d'opposer comme une espèce de fin de non-recevoir à l'ouverture de l'étude de leurs crédits. C'est particulièrement désagréable parce que ça signale, la plupart du temps, un manque d'ouverture d'esprit qui, dans une société moderne, n'a véritablement plus sa place.

En fait, je ne sais pas si je dois rendre à son mérite ou à sa franchise et à sa bonne foi, ou simplement à son intelligence le fait que le ministre n'ait pas choisi d'écarter les problèmes. J'ai dit à son intelligence parce qu'il aurait été, je pense, inacceptable aujourd'hui de présenter aux membres de la commission parlementaire, qui auront à voter le budget des Affaires sociales, une espèce de satisfaction repue de ce qui aurait été fait au cours des dernières années, de ce qu'on s'apprête tout bonnement à faire et à continuer au cours des prochaines années. Cela a été de fort mauvaise grâce pour quiconque d'entre nous, non seulement dans son propre comté, mais qui, à l'occasion — en tout cas, c'est le cas des députés de l'Opposition, je peux vous l'assurer, de façon même méritoire — voyage d'une région à l'autre du Québec et ce serait vraiment de mauvaise grâce que d'aborder l'étude du budget des Affaires sociales avec une pareille satisfaction. Ce n'est vraiment pas le cas — et ce n'est vraiment pas le climat du Québec — qu'il est maintenant de notre devoir, nous députés québécois, de rapporter à celui qui dirige et qui administrera le budget que nous allons lui confier.

La population du Québec éprouve, à l'égard des services déjà offerts ou de ceux qu'elle attend impatiemment du ministère des Affaires sociales, une angoisse fort légitime. Nous pouvons apprécier les correctifs que cette assemblée — en tout cas au cours des six dernières années où j'y ai participé — a apportés à l'établissement des services sociaux et de santé. Nous pouvons souscrire à nouveau aux objectifs qui ont fait, à chaque occasion, je pense, en tout cas dans les cas majeurs, l'unanimité de l'Assemblée nationale, sur ce qu'ii fallait faire et ce vers quoi nous nous dirigions.

Mais il n'y a plus d'unanimité possible et il n'y a certainement pas de satisfaction grandissante à éprouver devant la manière dont on a appliqué et réalisé concrètement, jusque dans la peau et jusque dans les droits de chacun des citoyens, les objectifs qui faisaient ici notre unanimité.

On dirait que là où nous nous entendions, là où nous souscrivions à certaines paroles énoncées du côté ministériel et la réussite concrète sur le terrain québécois, de Gaspé à Rouyn-Noranda, de Hull, Sherbrooke, Montréal à La Tuque, il y a une marge, il y a une différence, il y a à l'occasion un égarement qu'il ne nous serait absolument pas permis d'ignorer car il faut le signaler à la table de cette commission.

Il ne s'agit pas d'y procéder avec mauvaise foi, il s'agit de rapporter ce que nous avons légitimement constaté: une angoisse, une inquiétude, une insatisfaction, en même temps qu'une attente qui n'en finit plus de se démantibuler en désespoir.

Ceux dont je parle, M. le Président, ceux dont nous allons parler, en fin de compte, dans la plupart de ces programmes, sont effectivement, la plupart du temps, les citoyens les plus démunis du Québec.

Quand nous parlons d'eux, quand nous parlons d'une angoisse, d'une inquiétude et d'une anxiété, c'est donc que nous rajoutons à des gens que la nature ou que la situation économique n'a déjà pas épargnés, un sort qu'il est de notre devoir de combattre.

Or, quels sont donc les obstacles qui nous empêcheraient, nous, une société qui s'apprête à voter, des ressources de la collectivité, $3 milliards pour continuer le développement des services sociaux et de santé? Quels sont donc les obstacles qui font qu'une aussi importante partie de nos ressources collectives, qui sera agréée éventuellement à l'unanimité par l'Assemblée nationale, continuent quand même à entretenir et, à l'occasion, à augmenter cette angoisse et cette inquiétude devant le développement des services de santé et des services sociaux?

M. le Président, je ne veux pas reprendre ce que, à l'ouverture des travaux de la commission, l'année dernière à pareille date ou à peu près, je signalais d'une façon un peu théorique et un peu générale — c'est le seul moment que nous ayons dans tous les travaux parlementaires de le faire — mais j'aurais mauvaise grâce, sans le reprendre intégralement, de ne pas le signaler, à nouveau, parce que nous n'avons vu, aucun d'entre nous, d'améliorations sur ce que j'identifiais comme certaines causes là-dedans.

La première chose, la première cause tient d'abord au modèle de développement économique qui est celui du Québec à l'heure actuelle, un développement économique absolument incontrôlé où l'intervention de la collectivité n'est tragiquement, à l'occasion, qu'en termes de correctifs, qu'en termes de garde-fous, qu'en termes de limites, où on dirait que l'intervention collective de l'Etat, au nom de tous les Québécois, ne vient que pour creuser et réparer des dommages... que pour creuser des tranchées avant qu'un égarement du développement économique incontrôlé de la société québécoise prenne des proportions trop gigantesques et trop graves au point d'augmenter des injustices qui sont devenues déjà très criantes.

Je réfère le ministre des Affaires sociales à un document extrêmement important dont il a certai-

nement parcouru, à plusieurs reprises, la sagesse de l'analyse et la portée réelle d'une intelligence qui s'est penchée sur le sort de la société québécoise.

En octobre 1970, dans le cadre des travaux de la Commission Castonguay-Nepveu, le sociologue Gérald Fortin, de l'Université Laval, proposait, en annexe, dans un document qu'il préparait pour et aux fins de la commission — à plusieurs reprises, d'ailleurs, vous verrez, M. le Président, nous retrouverons certaines des recommandations ou certaines des analyses — un constat sur l'évolution, fixée alors en 1970, du modèle de développement économique que s'était donné le Québec, constat non pas négatif, car je pense que l'optimisme est à la source de chaque ligne de ce texte, mais angoissé et anxieux, sur le fait qu'ici, cette société avait "choisi" le modèle de développement capitaliste nord-américain...

Le Président (M. Lafrance): Je ne voudrais pas être...

M. Charron: Non, M. le Président, je vous en prie.

Le Président (M. Lafrance): J'espère ne pas m'être trompé de commission et ne pas être à la commission de l'industrie et du commerce.

M. Charron: Vous verrez, M. le Président. Je vous ai offert ma collaboration et je requiers immédiatement la vôtre.

Le Président (M. Lafrance): Je voudrais qu'on... D'accord.

M. Charron: Vous verrez bien, si vous me laissez poursuivre, que je n'écarte pas les sujets. Vous le verrez. D'ailleurs, M. le Président, si je peux profiter de votre interruption...

Le Président (M. Lafrance): On vous donne la permission de faire une entrée en matière.

M. Charron: Si je peux profiter de votre interruption, M. le Président, je voudrais vous dire que vous êtes exactement l'exemple de ce que je suis en train de prouver; c'est que ceux qui ont l'habitude de croire que le développement économique, c'est une chose et que...

Le Président (M. Lafrance): II faut que vous en veniez à quelque chose, quand même.

M. Charron: ... ceux...

Le Président (M. Lafrance): Allez-y.

M. Charron: Je vous en prie, M. le Président. ... qui ont l'habitude de croire que le développement économique, c'est une chose qui est réservée à une autre commission, à un autre ministère, ou à un autre service, ou à une autre partie du budget et que le développement d'une politique sociale, c'est comme à-côté, c'est comme des ser- vices accessoires qu'il s'agit de mener, obligatoires parce que, de temps en temps, quelques-uns d'entre nous sont malades, parce que, de temps en temps, quelques-uns d'entre nous sont infirmes, parce que, de temps en temps, quelques-uns d'entre nous, dans cette société, ne reçoivent pas le revenu minimum suffisant pour s'assurer un minimum décent de vie dans une société qui a un développement économique incontrôlé, ceux-là portent sur le Québec une analyse étroite, ridicule et qui, à l'occasion, conduit à des développements anarchiques d'une politique sociale qui n'en finit plus de multiplier les services, de multiplier les entrées en matière de l'Etat dans chacun des coins de la vie des citoyens, sans jamais répondre adéquatement à leurs besoins.

C'est cela le problème auquel nous faisons face actuellement. L'année dernière, le budget était de $2,861 milliards. Il est, aujourd'hui, de $3 milliards, pour la première fois. L'année prochaine, si vous êtes encore le président de cette commission, vous verrez que nous aurons encore progressé. Pourtant, chacun des députés, membres de la commission, viendra dire que c'est insuffisant, que, chez lui, par exemple, les besoins en hébergement pour personnes âgées correspondent ou ne correspondent plus et combien de députés pourraient apporter une liste de personnes sur des listes d'attente. Tout le monde pourra dire que les développements de soins de santé, même s'ils sont rendus à $1,6 milliard continuent à faire que chacun des citoyens du Québec continue à craindre pour le développement de sa santé, a des craintes légitimes sur les soins adéquats qu'il recevra s'il est obligé de se rendre dans un centre hospitalier, craint devoir effectuer des séjours prolongés en salle d'attente, n'a pas la satisfaction garantie d'être bien traité par un médecin depuis que l'assurance-maladie est en vigueur, ne reçoit pas les soins dentaires adéquats qu'une société civilisée devrait lui offrir, actuellement.

Comment se fait-il donc que nous développons, que nous multiplions les politiques sociales — nous allons encore le faire cette année — mais que, en fin de compte, tout cela ne correspond jamais, quel que soit l'effort financier que nous y apportions, à rattraper l'augmentation des besoins et l'augmentation des services que requiert la population? Il y a une raison, entre autres, et je me permets de la dire tout de suite, c'était celle-là que j'étais en train d'expliquer, c'est que le développement économique du Québec, n'étant pas contrôlé, le Québec ne contrôlant pas son développement économique, n'est pas lui-même le maître du développement de son produit national et ainsi de la répartition qu'il y sera faite. Le sort des régions les plus excentriques du Québec et donc la façon dont on répondra aux besoins sociaux et aux besoins de santé dans chacune de ces régions n'appartiennent pas à la collectivité québécoise. Ce n'est pas s'égarer du sujet que de dire et de réaffirmer qu'un modèle de développement capitaliste à profit maximum effréné où les décisions de certains hommes peuvent, à l'occasion, paralyser le développement social d'une région, fait qu'aujourd'hui nous sommes appelés à

augmenter en aide sociale de $548 millions l'année dernière, à $610 millions les sommes que la collectivité québécoise doit consacrer à l'aide sociale. Il y a peut-être là le fait qu'au Témiscamingue, par exemple, une entreprise capitaliste a décidé d'un seul coup de fermer ses portes parce que son profit ne s'y trouvait plus, mais que le profit social de la collectivité était clairement indiqué, aide sociale, assurance-chômage, soutien de revenu obligatoire de la part de l'Etat. Quand une collectivité, quand une société dépend essentiellement des étrangers pour développer elle-même les ressources économiques, il ne faut pas se surprendre que quand ces facteurs étrangers se retirent de la place, on se ramasse comme le ministre des Affaires sociales s'est ramassé, à l'occasion, quand Ottawa abandonne un plan social, avec l'obligation morale de le prendre à sa rescousse. Je ne parle pas de problèmes économiques qui sont loin des préoccupations de cette Assemblée. Je dis qu'aujourd'hui, nous avons $3 milliards, que, l'année prochaine, nous aurons $3,5 milliards, que, d'ici dix ans, il n'est pas du tout ridicule de penser que la partie des Affaires sociales dans le budget québécois ne fera que croître à un taux incroyable. Pourquoi? Parce que les effets négatifs d'un peuple qui ne contrôle pas son développement économique sont clairement inscrits là-dedans. Le développement économique, par exemple, du système capitaliste actuel utilise avec force et avec de grands déploiements la publicité; il touche à l'esprit de chacun des citoyens et augmente le nombre de besoins des citoyens. Ce qui, autrefois, aurait pu apparaître comme un luxe, à force d'être répété dans la tête des citoyens par la publicité, apparaît pour n'importe qui, y compris celui qui vit de l'aide sociale, aussi bien que pour celui qui a le revenu d'un professionnel de la santé, par exemple, le goût légitime de le posséder. Ce goût créé et moussé à l'occasion par des gens qui n'ont comme unique objet que d'augmenter leurs profits, devient tellement fort que l'Etat se voit dans l'obligation morale d'y répondre.

Et quand l'Etat se voit dans l'obligation morale d'y répondre, c'est ici que cela se retrouve.

Je dis et je soutiens que si le Québec était lui-même le maître de son économie et contrôlait le développement économique des Québécois, nous ne serions pas toujours obligés de courir un peu comme un veau se court après la queue, comme une queue de veau, derrière des besoins qui sont créés, inventés par d'autres facteurs et que l'Etat finit avec peine par combler.

Combien de députés, membres de cette commission, vous diront que le fait de la progression en pourcentage que nous a indiqué le ministre des Affaires sociales correspondra à la solution des besoins que chacun a constatés dans son comté? Aucunement.

Si le budget augmente de 10%, je vous dirai que les besoins, je vous dirai que les nécessités de la population, je vous dirai que le dépérissement de la santé des Québécois qu'on retrouve de statistique en statistique font que si le budget a augmenté de 10%, les besoins ont augmenté de 15% ou de 20%. Ce qui fait que, l'année prochaine, nous nous retrouverons dans le même contexte.

Je ne m'écarte pas du sujet en disant que l'absence de contrôle économique des Québécois est à l'origine du fait que nous serons nombreux à étaler sur la table, devant le ministre des Affaires sociales, au cours de cette commission, l'insatisfaction, l'angoisse et les désirs légitimes des Québécois.

Il y a aussi une autre raison et celle-là, vous la comprendrez probablement mieux que la première, parce que le ministre lui-même vient de l'aborder.

Ne vous ayant pas vu interrompre le ministre sur ce sujet, j'imagine que vous me laisserez à mon tour développer à ma façon les arguments que le ministre des Affaires sociales lui-même a invoqués.

Il n'y a pas que le fait que le Québec ne contrôle pas son développement économique. Il y a aussi le fait que le Québec ne contrôle pas ses outils politiques. Il y a le fait qu'il est, dans plusieurs domaines, tragiquement dépendant des décisions qu'une majorité anglaise d'un autre pays peut, elle, décider de s'offrir et que le ministre des Affaires sociales, lui, peut très bien établir avec ses hauts fonctionnaires et avec l'assentiment de toute l'Assemblée nationale ce que nous croyons être des normes à offrir à des Québécois. Mais ne recevant pas l'assentiment de la maison-mère, et se perdant, le ministre le dit lui-même, et je cite: "...dans de longues et décevantes séries de discussions, cette loi que nous n'aimons pas, a-t-il dit, ces accords qui nous ne fournissent plus de satisfaction...", ce n'est pas seulement le ministre des Affaires sociales que cela frustre, ce ne sont même pas les hauts fonctionnaires qui travaillent d'arrache-pied à négocier morceau par morceau avec leurs homologues fédéraux des ententes où ils essaient de trouver le mieux pour le Québec.

Au bout d'une longue et décevante série de discussions, au bout d'une loi que nous n'aimons pas, au bout d'accords qui ne fournissent plus, il y a des Québécois qui attendent, il y a des Québécois qui souffrent, il y a des Québécois qui sont sur des listes d'attente, il y a des Québécois qui espèrent une action rapide et légitime et qui se contresacrent, mais se contresacrent éperdument de la durée et des arguments fédéraux, provinciaux, de ces ribambelles de conférences fédérales-provinciales. C'est la première année que le ministre nous dit que cela ne nous satisfait plus. Je dirais, avec tout le respect que je lui dois, que je me fous que cela ne le satisfasse plus lui-même. Il aura mis six ans et toute son expérience à s'en apercevoir. Mais il y a combien de citoyens qui eux ne sont plus satisfaits de ce genre d'attente et de ce genre d'obligation à avoir? Ottawa s'apprête à passer, de façon unilatérale... On me signalait que ce sont — et c'est malheureux — les pressions de l'Ontario qui empêchent qu'aujourd'hui la loi, adoptée en deuxième lecture, soit une loi adoptée d'ores et déjà par la Chambre des Communes. J'aurais espéré que ce soit le gouver-

nement québécois qui mène plus que l'Ontario ce genre d'affrontement, quant aux intentions fédérales de limiter la participation au financement de l'assurance-maladie.

Mais cela a des conséquences directes sur les soins de santé des citoyens, ce taponnage fédéral-provincial, M. le Président, cette décision d'un gouvernement, qui, parce qu'il a perdu le contrôle de l'inflation à un moment ou à un autre, s'est senti obligé à une autre occasion de resserrer la vis et d'avertir ses partenaires qu'il entendait ne plus participer de la même façon. Ce n'est pas le ministre qui l'a refuté, ce sont des milliers de Québécois qui attendaient le développement du Régime d'assurance-maladie avec une participation normale du gouvernement central.

Quand, par exemple, peuple non souverain qui n'a pas l'occasion lui-même de participer, de décider au développement de ses soins de santé et ses services sociaux, il peut même arriver, à l'occasion, qu'une décision d'une autre province — même pas du gouvernement fédéral — affecte considérablement notre propre loisir à développer les services que nous voulons offrir à nos concitoyens; quand l'Ontario, province bénie de cette confédération, a décidé de transférer ses budgets de laboratoire à l'assurance-hospitalisation, n'est-ce pas le ministère des Affaires sociales qui disait lui-même que cela privait le Québec de revenus d'une douzaine de millions? Quand, par exemple, le gouvernement fédéral a pris la décision unilatérale, encore une fois, de ne pas indexer les allocations familiales, il y a de cela peu de temps, est-ce que cela n'a pas eu pour effet de faire perdre un peu plus de $50 millions aux familles du Québec, en plus de forcer le gouvernement à compenser la perte de revenu subie par les familles bénéficiaires de l'aide sociale.

N'avons-nous pas, malgré tout ce que nous avions décidé ici en commission, été obligés, au niveau ministériel, de procéder à des remaniements parce qu'une autre majorité avait décidé de procéder de façon différente? Ne sont-ce pas là des limites quotidiennes, claires et nettes? Quand le ministre fédéral de la santé et du bien-être, M. Lalonde, disait au lendemain de cet échec de la conférence, dont faisait lui-même état le ministre des Affaires sociales tout à l'heure, qu'il ne faut pas attendre un revenu familial garanti avant deux ou trois ans — il l'a affirmé publiquement à la télévision devant les commentateurs — n'était-ce pas toutes les familles québécoises? Et le ministre des Affaires sociales est probablement plus pressé de l'établir, lui qui apprenait qu'il n'a pas les capacités de le faire dans le régime actuel.

Quand on dit qu'au domaine des services sociaux, par exemple, je cite le ministre qui disait tout à l'heure: Les discussions sont non finalisées, il faudra, de toute façon, une loi fédérale qui devra venir trancher cette chose-là, nous attendons, n'est-ce pas aussi tous les Québécois qui attendent, M. le Président, derrière cette obligation anormale d'une société moderne d'attendre le consentement d'une autre société, à côté, pour procéder? C'est tellement évident, M. le Président, que cela a amené le ministre à dire et à annoncer, curieusement, un peu de façon sibylline — parce que ce gouvernement n'a pas l'habitude d'annoncer ses désaccords avec les gouvernements fédéraux — qu'il nous faudra effectuer un retour aux positions—il l'a dit lui-même — traditionnelles du Québec. Il a même pensé reprendre une formule que son propre gouvernement a abandonnée tapageusement en 1970 en disant: Nous n'aurons plus besoin du "opting out". Nous allons faire un fédéralisme rentable. Nous n'aurons pas besoin de nous retirer des programmes, comme même Jean Lesage l'a fait à l'occasion. Quant à nous, cela va marcher dans l'harmonie, parce que nous sommes clairement fédéralistes et, de l'autre côté, la porte nous est ouverte. C'est un ministre de ce même gouvernement qui n'était pas là en 1970, mais qui a participé à sa réélection en 1973 qui dit: Je retourne aux positions traditionnelles, celles que ces mêmes ministres libéraux pourfendaient sur les tribunes en 1970, se moquant de l'Union Nationale en disant: La vieille Union Nationale, ces "plorines", comme les appelait le premier ministre candidat, à l'époque en disant: C'est fini ces positions traditionnelles. C'est un ministre de ce même gouvernement qui nous annonce d'y retourner. Pourquoi, M. le Président? Non pas parce que le ministre n'est plus un fédéraliste; parce que le ministre s'est aperçu que le fédéralisme, s'il est bon pour lui, dans sa tête, dans son raisonnement intellectuel d'arrangements administratifs, il n'est plus bon pour les Québécois et qu'il lui faut donc faire un autre choix que ces éternelles ribambelles de conférences qui se suivent les unes après les autres, qu'il a qualifiées lui-même de longue et décevante série de discussions.

M. le Président, ces positions sont importantes dans le développement social des Québécois. Le retour aux positions traditionnelles du Québec ne devrait pas vouloir dire... Si vous voulez, M. le Président, suspendre la discussion jusqu'à demain, je reprendrai demain à cet endroit.

Le Président (M. Lafrance): Je m'excuse de vous interrompre à nouveau, même si vous me l'aviez demandé.

M. Charron: Vous en avez pleinement le droit, M. le Président.

Le Président (M. Lafrance): Pour une raison bien évidente. La commission ajourne ses travaux sine die.

(Fin de la séance à 18 h 2)

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