To use the Calendar, Javascript must be activated in your browser.
For more information

Home > Parliamentary Proceedings > Committee Proceedings > Journal des débats (Hansard) of the Commission conjointe des affaires sociales et de la justice

Advanced search in the Parliamentary Proceedings section

Start date must precede end date.

Skip Navigation LinksJournal des débats (Hansard) of the Commission conjointe des affaires sociales et de la justice

Version finale

30th Legislature, 4th Session
(March 16, 1976 au October 18, 1976)

Tuesday, March 9, 1976 - Vol. 17 N° 5

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Avant-projet de loi sur la protection de la jeunesse


Journal des débats

 

Commission conjointe des affaires sociales et de la justice

Avant-projet de loi sur la protection de la jeunesse

Séance du mardi 9 mars 1976

(Dix heures quarante-trois minutes)

M. Pilote (président de la commission conjointe des affaires sociales et de la justice): A l'ordre, messieurs!

La commission conjointe de la justice et des affaires sociales est réunie ce matin pour entendre les mémoires qui sont présentés par différents organismes.

Sont membres de cette commission: M. Bé-dard (Chicoutimi); M. Bellemare (Johnson); M. Bellemare (Rosemont); M. Chagnon (Lévis) qui remplace M. Bienvenue (Crémazie); M. Bonnier (Taschereau); M. Boudreault (Bourget); M. Burns (Maisonneuve); M. Charron (Saint-Jacques); M. Cho-quette (Outremont); M. Ciaccia (Mont-Royal); M. Desjardins (Louis-Hébert); M. Forget (Saint-Laurent); M. Fortier (Gaspé); M. Giasson (Montmagny-L'Islet); M. Lalonde (Marguerite-Bourgeoys); M. Lachance (Mille-Iles) qui remplace M. Lecours (Frontenac); M. Levesque (Bonaventure); M. Malépart (Sainte-Marie); M. Massicotte (Lotbinière); M. Harvey (Charlesbourg) qui remplace M. Pagé (Portneuf); M. Perreault (L'Assomption); M. Saint-Germain (Jacques-Cartier) qui est remplacé par M. Lacroix (Iles-de-la-Madeleine); M. Samson (Rouyn-Noranda); M. Springate (Sainte-Anne); M. Sylvain (Beauce-Nord) et M. Tardif (Anjou). Il y a une correction. M. Lacroix remplace M. Tardif (Anjou), M. Saint-Germain (Jacques-Cartier) étant présent.

Nous entendrons dans l'ordre, aujourd'hui, les organismes suivants: La Fédération des unions de familles Inc., le Conseil du Québec de l'enfance exceptionnelle, l'Association professionnelle des criminologues du Québec, l'Association des centres d'accueil du Québec, le Centre communautaire juridique de Montréal, la maison Notre-Dame-de-Laval et les officiers de probation à titre personnel.

J'inviterais M. Robert Dubuc, porte-parole de la Fédération des unions de familles Inc., à bien vouloir prendre place et à présenter son mémoire ainsi qu'à identifier ceux et celles qui l'accompagnent. Vous avez 20 minutes pour présenter votre mémoire. Le parti ministériel a 20 minutes pour vous poser des questions et les partis d'Opposition ont 20 minutes chacun pour vous poser des questions. La parole est à M. Dubuc.

M. Dubuc (Robert): Comme c'est Mme Bédard qui est chef de la délégation, je lui passe la parole.

Fédération des unions de familles

Mme Bédard (Colette): Nous représentons la Fédération des unions de familles Inc. C'est un organisme qui regroupe des locales et des associations régionales.

Le but de notre organisme est une promotion de la politique familiale à tous les niveaux et l'obtention de services à ses membres. Nous désirons vous demander d'excuser, M. le Président, Gilles Dupont et notre secrétaire-général, Jacques Lizée que des engagements antérieurs empêchent de se rendre ici; c'est pourquoi nous venons.

Je suis Colette Bédard, membre du comité famille-école et j'ai fait partie du comité qui a étudié le projet. M. Robert Dubuc est membre du comité qui a étudié l'avant-projet.

En 1973, lors de la présentation de l'avant-projet, nous avions déjà présenté un mémoire et ce mémoire... L'année dernière, M.Choquette et M. Forget ont envoyé une lettre à la fédération soulignant le fait que certaines des présentations que nous avions faites étaient retenues pour la base et on nous a demandé de revenir. Comme à lafédération, la politique familiale peut en être une de prévention, nous sommes très intéressés à faire entendre notre point de vue. Je passe la parole à M. Dubuc.

M. Dubuc: M. le Président, MM. les membres de la commission parlementaire, la Fédération des unions de familles tient d'abord à vous exprimer sa satisfaction face à la présentation de cet avant-projet de loi. Nous croyons que c'est une question qui est extrêmement importante, qui est extrêmement urgente. La fédération se réjouit de constater que des points sur lesquels elle avait insisté en particulier, la nécessité de décentraliser les services, de rattacher la partie fonctionnelle de ces services au ministère des Affaires sociales et la nécessité de maintenir l'enfant, dans toute la mesure du possible, dans son milieu familial naturel, apparaissent avoir été à la base de la restructuration de cet avant-projet de loi.

Il nous semble important que, dans toute cette question de la protection de la jeunesse, on puisse avoir une vision globale, on envisage l'enfant dans son milieu familial, dans son milieu de dépannage, soit dans les foyers nourriciers ou les garderies, dans son milieu scolaire, les classes régulières et les classes pour l'enfance exceptionnelle, mais aussi dans son milieu social, loisirs, sports, etc.

La Fédération des unions de famille soumet à l'attention du législateur certaines propositions sur des points particuliers de l'avant-projet. En particulier à l'article 8, il nous semble opportun d'insister sur la nécessité de ne pas multiplier les milieux de vie de l'enfant et que les transferts de l'enfant en différents foyers fassent l'objet d'une planification et d'une préparation et qu'ils n'obligent pas l'enfant à des réadaptations constantes.

A l'article 12 où il est prévu que les recommandations pour la nomination des membres de la commission soient faites par les ministres de la Justice et des Affaires sociales, nous demandons d'ajouter que ces recommandations s'appuient aussi sur les recommandations d'associations et d'organismes représentatifs des parents, puisqu'ils sont, au premier chef, intéressés à l'enfance.

Il nous apparaît opportun que les corps intermédiaires, à ce stade, aient leur mot à dire.

Nous soulignons aussi, à l'article 26, la nécessité absolue du service de 24 heures; cette permanence à assurer, je pense qu'elle est absolument importante. Quand les cas urgents se posent, il faut absolument que les gens qui sont impliqués dans le conflit puissent savoir à qui ils vont s'adresser.

A l'article 32, il nous apparaîtrait opportun de donner à la formulation de cet article une forme plus positive, de façon à assurer la destruction effective du dossier pour que l'enfant, une fois parvenu à sa majorité, ne coure pas le risque d'être entravé par la présence d'un dossier cumulatif qu'il traîne avec lui.

A l'article 42, nous recommandons également la représentation de la base dans la nomination du personnel, des membres de la direction de la protection de la jeunesse dans les centres de services sociaux. Il nous apparaît que cette participation de la base est une garantie à la fois d'efficacité et de protection pour l'enfant.

A l'article 44, nous demandons de faire disparaître de la cinquième ligne l'expression "agent de la paix" parce que nous craignons qu'à cause de cette possibilité explicitement prévue par la loi, en particulier durant les fins de semaine et dans des circonstances particulièrement difficiles, les responsables délèguent trop facilement leurs responsabilités à cet égard à un agent de la paix. Il nous apparaît opportun que la coloration policière de ces diverses opérations soit atténuée le plus possible.

A l'article 48, en plus de tous les cas énumérés à cet article, nous en ajoutons un autre. Il s'agit évidemment des cas où on peut considérer que l'enfant est en danger. C'est le cas où l'enfant est soumis à des pressions d'ordre psychologique et affectif excessives de la part de l'un ou l'autre parent.

Evidemment, la loi prévoit des cas de mauvais traitement, mais il y a certainement des cas aussi où des parents qui sont émotivement troublés peuvent exercer sur leurs enfants des pressions aussi nocives que peuvent être des mauvais traitements. Parfois, on peut étouffer davantage un enfant par excès d'affection que par des mauvais traitements.

A l'article 55, puisqu'on parle des mesures provisoires qui s'imposent de façon urgente, il nous semble nécessaire d'ajouter, à l'alinéa a), la formulation suivante: "en changeant les conditions compromettant la protection de l'enfant et en appliquant immédiatement certaines mesures", parce que si on se contente de laisser l'enfant dans la situation telle qu'elle est et si, effectivement, la situation est urgente et qu'on ne fait rien pour y remédier, il semble absolument superflu de mettre cet alinéa dans la loi.

A l'article 65, on ajouterait, au paragraphe d): "Si des problèmes d'ordre financier ont été identifiés comme une des causes importantes du problème, que des possibilités financières soient accordées à la famille." Cela nous semble simplement implicite dans le texte de loi, à l'heure actuelle. Il nous semble que cela devrait être explicité davantage.

De même, à l'article 68 où on parle de la contribution financière des parents au placement de l'enfant, il nous semble qu'il faudrait ajouter que l'impossibilité dûment attestée de respecter cette norme de la part des parents ne puisse pas remettre en question le placement lui-même.

A l'article 96 où il est question de la protection judiciaire de la jeunesse, on se demande pourquoi, l'âge de la majorité étant désormais fixé à 18 ans, on exige le maintien du dossier jusqu'à 21 ans. Il nous semble que le dossier doit être effectivement détruit lorsque l'enfant a atteint sa majorité. Pour la même raison qu'on avait soulignée tout à l'heure, il nous semble qu'à la majorité, tout le monde doit avoir la chance de partir sur le même pied et que personne ne doit être impunément lésé par la présence d'un dossier qui, dans certains cas, pourrait être invoqué de façon défavorable pour la personne qui en a fait l'objet.

L'article 128, qui traite de la réglementation, nous apparaît important parce que, dans l'équipe qui a étudié cet avant-projet de loi, certaines personnes avaient été saisies de circonstances où, un règlement ayant été invalidé par un tribunal, le règlement restait quand même en vigueur et continuait d'être appliqué dans les autres endroits. Alors, il nous apparaît opportun de réclamer que, si une directive est prouvée aller à l'encontre de la loi après jugement, cette directive doit être nécessairement, et dans un court délai, révisée, modifiée ou retirée selon le cas, de façon à assurer la compatibilité entre la loi et le règlement.

Dans les dispositions transitoires et finales, c'est simplement des précisions qu'il nous apparaît opportun d'ajouter; par exemple, à l'article 132, on se réfère aux articles 109 et 110, sans dire de quelle loi il s'agit. Je pense que, pour la clarté et la compréhension de cet article, il faudrait dire explicitement à quelle loi les articles 109 et 110 se rapportent. Même chose à l'article 140; pour éviter toute ambiguïté, il faudrait préciser de quel conseil d'administration il s'agit à l'article 74 b).

La Fédération des unions de familles, je pense, regrette que cet avant-projet ne fasse pas davantage état de l'aspect préventif de la protection de la jeunesse. Par contre, nous constatons qu'il est prévu dans la loi une fonction d'information qui est extrêmement importante et qui devrait être, je pense, développée le plus possible pour que les jeunes et leurs parents soient au courant de leurs droits et de leurs prérogatives. Il nous semble, à cet égard, que le milieu scolaire pourrait s'avérer un excellent agent d'information et de prévention dans ce domaine.

La Fédération des unions de familles, comme le soulignait tout à l'heure Mme Bédard, envisage la question de la protection de la jeunesse dans une optique de prévention qui devrait s'insérer dans une politique familiale globale, de façon à permettre à la famille de jouer pleinement son rôle qui est d'être le lieu privilégié et normal de l'épanouissement de l'enfant. C'est bien sûr que, si tout l'environnement et si tout le contexte social ne permettent pas à la famille de jouer pleinement son rôle, les cas où il faudra recourir à la loi se multiplieront. Il nous apparaît que c'est encore en

intensifiant le réseau de services aux familles dans tous les milieux de vie que le nombre de cas visés par un tel projet sera effectivement réduit.

Enfin, il nous semble, pour conclure, qu'il y a trois points sur lesquels il serait bon qu'on insiste. C'est d'abord la multiplication des centres d'accueil, l'amélioration en qualité et en quantité des services qu'ils offrent, et ensuite l'amélioration de la compétence du personnel qui oeuvre à l'intérieur des centres existants.

Je pense que cela résume la position de notre organisme face à ce projet de loi. Nous sommes disposés, Mme Bédard et moi-même, à répondre aux questions que vous voudrez bien nous poser.

Le Président (M. Pilote): L'honorable ministre des Affaires sociales.

M. Forget: Merci, M. le Président. J'aimerais remercier les représentants de la Fédération des unions de familles pour leur présentation et leur mémoire.

Je n'ai que très peu de questions, à leur poser, M. le Président. J'aimerais, m'inspirant de l'introduction à leur mémoire, relever une affirmation qu'ils considèrent sûrement comme très importante, puisqu'elle est soulignée dans leur texte, mais au sujet de laquelle, même si on la retrouve dans le projet de loi, certains groupes ont exprimé un peu de scepticisme disons.

Il s'agit de cette notion que l'intérêt des enfants doit être le motif déterminant des décisions prises à leur sujet en vertu de la nouvelle loi. Il semble que, pour certaines personnes, une affirmation comme celle-là ouvre la porte à l'arbitraire, puisque, à défaut de préciser comment interpréter l'intérêt des enfants, on peut, en utilisant une telle expression justifier à peu près n'importe quoi, y compris même, à la limite, des situations que la loi a le but de changer.

J'aimerais demander à ceux qui sont devant nous si, sans abandonner ce principe, ils pourraient nous aider à formuler différemment le but véritable qu'on recherche par une affirmation comme celle-là, et peut-être diminuer la part de l'arbitraire dans l'interprétation d'une formule qui, dans le fond, ne veut rien dire, sauf par un rappel assez vague à des bons sentiments, si vous voulez. Je crois que, dans la rédaction d'une loi, même s'il est assez facile de tomber d'accord sur l'expression "de bons sentiments" — on le retrouve à ce moment-ci, on le retrouve ailleurs également — il faut se rendre compte qu'une loi est interprétée par un très grand nombre de personnes qui ont des optiques différentes, des motivations différentes, qui font face à des contraintes différentes les unes des autres. Je crois que l'effort qu'il faut faire, de tous côtés, c'est de bien préciser ce que l'on veut atteindre par des principes généraux qui, justement, parce qu'ils veulent dire bien des choses à bien des personnes peuvent ne vouloir rien dire du tout.

M. Dubuc: Certainement, M. le ministre, mais je pense qu'on peut dire d'un principe ce qu'on peut dire de n'importe quelle loi ou de n'importe quel texte de portée générale: Avec de bonnes ou de mauvaises intentions, on peut en faire n'importe quoi.

Mais il nous apparaîtrait peut-être opportun de remplacer le mot "intérêt" par un terme plus précis comme "bien-être" à condition qu'on entende "bien-être" dans un sens extrêmement global.

Au fond, ce qu'on veut, c'est que l'enfant ait le droit fondamental et légitime de tout être humain de pouvoir développer ses ressources et d'être un citoyen, parvenu à l'âge adulte, capable de fonctionner efficacement à l'intérieur du cadre social que nous connaissons.

Alors, si c'est cette intention qui est derrière la loi, c'est-à-dire permettre à l'enfant d'accéder à son épanouissement intégral et complet, je pense qu'on ne peut aller plus loin que cela. Si on veut invoquer ce principe pour légitimer des intentions plus douteuses, à ce moment, c'est aux gens qui ont ces intentions qu'il faudrait s'en prendre. Parce qu'il est difficile de formuler quelque chose d'une façon tellement précise qu'on ne puisse pas jouer sur l'interprétation. Mais en substituant le concept d'intérêt à celui de l'épanouissement intégral, on aurait peut-être quelque chose de plus précis.

M. Forget: Je vais essayer de donner un exemple de ce que je veux dire par cette imprécision. Je ne mets pas du tout en doute la bonne volonté de ceux qui ont à interpréter ou à appliquer la loi; pour l'appliquer, il faut l'interpréter.

Il est clair, par exemple, qu'on a insisté beaucoup, et avec raison, sur le fait qu'un enfant devait avoir — d'ailleurs, c'est la loi fondamentale sur les droits et les libertés des personnes qui le proclame — tous les droits qu'ont les adultes et, en plus, certains droits spécifiques qui découlent de leur situation particulière. Ils ont droit à une protection, dans le fond, qu'on n'étend pas aux adultes.

Donc, ils ont au moins les droits des adultes et ils ont en plus de cela quelques droits quant à une protection spéciale.

Quand, en plus de ce principe qu'on retrouve ailleurs dans la loi, on a une notion dans un des articles qui est censée nous aider à interpréter la loi, c'est donc qu'on a à l'esprit des situations où le principe précédent ne nous sera d'aucun secours.

Ces situations sont peut-être celles où l'enfant ayant des droits et lui reconnaissant des droits, il y a aussi d'autres individus, d'autres personnes qui ont des droits, par exemple, des adultes.

Est-ce que le principe que l'intérêt des enfants doit être le motif déterminant veut dire, dans ces cas, que l'intérêt de l'enfant, c'est-à-dire le droit d'un enfant, en fonction des lois, est supérieur au droit des adultes? On peut imaginer des cas, par exemple, où des décisions sont prises par les tribunaux dans des causes de divorce, relativement au placement des enfants, ou à la garde des enfants. Est-ce qu'effectivement, en parlant de la suprématie de l'intérêt des enfants, on veut dire que des décisions relatives à la garde, mais découlant

de procédures légales qui mettent en présence les droits d'adultes, peuvent être écartées au bénéfice d'une disposition ou d'une décision qui porte strictement sur la situation de l'enfant? Vous voyez là que c'est un principe qui peut être extrêmement important. Mais quand on dit: L'intérêt des enfants doit être le motif déterminant, on ne tranche pas cette question et on reste dans le même doute, avec une disposition comme celle-là, qu'on peut l'être dans le moment; donc, on n'a fait aucun progrès. Je me demande si, sur un sujet comme celui-là, vous allez jusqu'au point de dire: Non seulement un enfant a-t-il des droits comme un adulte, mais quand on actualise son droit, quand on cherche à lui octroyer ce droit, à lui permettre d'en jouir, si vous voulez, cela est supérieur aux droits d'un adulte.

M. Dubuc: II me semble qu'il y a une hiérarchie de droits aussi et qu'à ce moment-là, c'est justement cette hiérarchie des droits qu'il faut respecter. Si le droit de l'adulte, pour reprendre l'exemple que vous nous avez cité dans le cas de la garde d'un enfant, peut mettre en péril le droit fondamental de l'épanouissement de l'enfant, qui m'apparaît supérieur à celui de pouvoir garder son enfant, à ce moment-là, il me semble qu'il n'y a pas de doute que c'est l'intérêt de l'enfant qui doit primer. Par contre, si l'intérêt de l'enfant tombe sur un droit accessoire et que cela enfreint un droit important de l'adulte, il me semble, encore là, que c'est le droit important qui doit primer. Il me semble qu'il y a une notion de hiérarchisation des droits dont on ne peut pas faire abstraction dans un cas comme celui-là. Mais il reste qu'à la base—je reviens encore à cette notion de l'épanouissement de l'enfant—je pense que c'est le bien fondamental que la loi doit sauvegarder et je pense qu'il doit être prioritaire sur un même plan quand les droits se situent à un même niveau.

M. Forget: Merci. Une autre question. Si je peux la trouver, je vais vous la poser. Vous suggérez, relativement à l'article 48, d'ajouter un autre paragraphe. L'article 48 est celui qui, dans le fond, est la charnière de toute la loi, puisque c'est l'article qui énumère les cas où, se prévalant d'une loi, les autorités professionnelles, administratives et même judiciaires peuvent intervenir dans une famille. Il y a une enumeration qui est fort longue, mais je pense qu'elle doit être longue si l'on veut être bien clair sur les faits de la loi.

Vous suggérez d'ajouter une autre cause d'intervention et j'aimerais que vous précisiez un peu le sens que vous donnez à cette autre disposition. Vous dites: "L'enfant est soumis à des pressions d'ordre psychologique et affectif de la part de l'un ou l'autre parent." J'aimerais que vous développiez un peu cette idée ou que vous donniez des exemples.

M. Dubuc: D'accord. D'abord, on a ajouté des pressions d'ordre affectif et psychologique excessives. Je pense que ce n'était pas une précision inutile; elle ne figure pas dans le texte original. Il nous est apparu que, dans les divers cas qui avaient été énumérés par la loi, la plupart des choses étaient prévues, sauf le cas où l'enfant, en présence de parents peut-être émotivement dérangés, pouvait être soumis à des influences ou à des pressions qui pouvaient justement être de nature à gêner son épanouissement normal. Je sais que c'est beaucoup plus difficile à quantifier que quand il s'agit de mauvais traitements physiques. Mais il m'apparaîtrait incomplet de laisser de côté cette possibilité de tenir compte de certains facteurs d'ordre psychologique ou affectif dans une situation familiale donnée qui, souvent, peut traumatiser l'enfant encore plus que des mauvais traitements physiques. Pensons à une mère absolument tyrannique, par exemple, qui ne permet pas à l'enfant de mener une vie d'enfant normale et qui est extrêmement possessive ou des cas comme ça qui peuvent, je pense, se présenter. Ou encore elle peut inculquer à son enfant ses propres problèmes émotifs de telle sorte que l'enfant lui-même se trouve dérangé émotivement dans son fonctionnement. Cela m'apparaît des cas dont il faut tenir compte dans certaines circonstances. Est-ce que c'est plus clair?

M. Forget: C'est plus clair, mais j'aimerais peut-être attirer votre attention sur le danger qu'il y a, malgré tout, sous la meilleure des intentions de protéger l'enfant, de développer, basé sur des lois, donc avec possibilité d'infractions, de mesures judiciaires à la limite, un système qui soit trop inquisitorial sur le plan des intentions. Je pense que ce qu'il est utile de faire dans la loi, c'est de distinguer des effets d'un comportement néfaste chez des parents, puisqu'on peut facilement s'entendre sur l'existence des effets que sur l'existence des intentions indépendamment des effets. L'avant-projet souligne, par exemple, qu'évidemment le développement émotif ou mental d'un enfant peut être mis en péril par une privation d'affection ou un rejet. Je pense que c'est déjà aller très loin, mais je crois qu'il y a là des comportements qui sont vérifiables, dont on peut témoigner ou dont des tiers peuvent témoigner.

Un autre paragraphe prévoit que, si un enfant est privé de tout contact avec la société extérieure, qu'on le tient tellement dans un cocon pour le protéger qu'il devient impossible pour lui de se socialiser normalement, ça peut être des motifs d'intervention. Mais j'aurais beaucoup de réticence à dire: Si des parents exercent des pressions, mais dont on ne peut pas encore constater les effets, il y a là un motif d'une intervention, même par la cour.

M. Dubuc: Ne croyez-vous pas que l'excès d'affection peut être aussi pernicieux que la privation, dans certains cas, quand c'est pathologique, bien sûr?

M. Forget: Je pense que vous avez raison, mais mon argumentation et ce sur quoi j'attire votre attention, c'est la nécessité de constater les effets de cet excès d'affection ou de cette privation d'affection, des effets qui sont démontrables, plutôt que des attitudes et des traits de personnalité

chez les parents. Il ne faut quand même pas faire le procès des parents sur la base de leur personnalité.

Je pense que si leur personnalité est telle que, vis-à-vis de leurs enfants, ils ont des comportements qui sont démontrables et qui sont, sur un certain plan, matériellement démontrables, à ce moment-là, on est justifié d'invoquer la loi.

M. Dubuc: Dans notre intention, en tout cas, c'étaient des comportement nettement pathologiques et non pas des choses qui pouvaient se situer à la limite de la normalité.

Mme Bédard: II pouvait y avoir aussi le cas des enfants dont les parents préparent le divorce ou une séparation et font du chantage vis-à-vis de l'enfant. C'était aussi un des aspects qui avaient attiré notre attention. C'est ce point de vue de chantage, pour avoir l'enfant d'un côté ou de l'autre et on trouvait que c'était malsain de placer l'enfant dans une situation malsaine.

M. Forget: Je pense que vous avez touché des points importants. Il ne faut pas oublier—et je pense que c'est un facteur qu'il est important de rappeler, du moins en commission parlementaire— que nous étudions un texte de loi. Nous n'étudions pas un traité de pédagogie enfantine, par exemple, et il est nécessaire de faire la distinction. Un texte de loi acquiert une autorité, devient un levier, un instrument d'intervention, même dans les cas où cette intervention n'est pas souhaitée, ni par l'enfant, ni par les adultes. Je crois qu'il faut respercter un certain équilibre dans les ouvertures qu'on fait aux possiblités d'intervention, parce qu'il faut également respecter la vie privée des familles, leurs responsabilités premières. Il ne s'agit pas de les assumer toutes.

Si l'on intervient, je pense qu'il faut baser notre intervention sur des choses assez concrètes, assez palpables, assez facilement démontrables éventuellement même devant une cour de justice pour ne pas tomber dans un certain arbitraire et pour éviter que la loi donne sa bénédiction, en quelque sorte, à une intrusion pour n'importe quel prétexte, si léger soit-il, dans la vie privée des familles. C'est cet équilibre qu'il est nécessaire de respecter.

Je ne prendrais pas tout ce temps-là pour faire ce développement et en discuter avec vous si, justement, cet article 48 n'était pas tellement important à mes yeux. On se souviendra des rédactions antérieures qui sont extrêmement sommaires. Dans les rédactions antérieures, on disait: Tout ce qui est mauvais, dans le fond, donne ouverture à la protection de la jeunesse. Je pense qu'on ouvre la porte, à ce moment-là, à ce que des situations, que la plupart des gens trouveraient mauvaises, ne soient pas sanctionnées, puisque l'individu qui est chargé des services, lui, trouve que ce n'est pas mauvais, donc de trop peu faire. D'autre part, on prend le risque, par une rédaction trop générale, de trop faire.

La seule solution, c'est de nommer spécifiquement des cas où, d'un commun accord, le concensus social justifie une intervention, une intervention qui peut aller jusqu'à l'action devant le tribunal.

Il faut être très précis. Il faut que toutes les causes d'intervention soient mentionnées, mais toutes les causes qui ont suffisamment un caractère d'objectivité, que l'on puisse prouver autrement que par des querelles d'intention ou des procès d'intention.

Je crois qu'un effort de réflexion là-dessus peut très certainement nous aider pour ajouter, au besoin, des clauses additionnelles, toujours s'assurer que ces clauses additionnelles aient suffisamment de caractère d'objectivité pour ne pas qu'on tombe dans un régime inquisitorial, un régime dont personne ne veut, je pense, même si c'est pour un grand principe qui est la protection de la jeunesse.

M. Dubuc: Je pense que nous sommes tout à fait d'accord avec le principe, mais il nous apparaît comme une lacune que les cas de comportement de pathologie affective, à l'intérieur d'un milieu familial, ne soient pas entrés en ligne de compte.

M. Forget: D'accord. Je n'ai pas d'autres questions, M. le Président.

Le Président (M. Pilote): Le député de Saint-Jacques.

M. Charron: M. Dubuc, Mme Bédard, je vous remercie aussi du témoignage que vous avez apporté ce matin. Je suis très heureux que ce soit la Fédération des unions de familles qui apporte cet élément nouveau dans notre discussion. Vous êtes le premier groupe qui identifiez, dans les causes qui peuvent conduire un jeune à être sous l'empire de la loi dont nous traitons, les excès d'affection.

D'ailleurs, la loi fait mention, à l'article 48, qu'une des causes, au sens de la présente loi, qui peut toucher la santé de l'enfant, c'est l'absence, la privation d'affection. Vous êtes le premier groupe qui venez nous parler de la situation inverse.

J'ai fait une émission de radio, dernièrement, à Montréal, sur cette question. Une auditrice, très généreuse, semble-t-il, m'a identifié le problème fondamental de la jeunesse québécoise d'aujourd'hui comme étant la disparition des coeurs de maman; si les coeurs de maman revenaient à la surface, une bonne partie des problèmes serait réglée. Je n'ai pas partagé totalement son opinion— vous me comprendrez—mais j'aimerais avoir des explications, parce que, au moment où vous disiez cela, j'avais aussi en tête une statistique. Une famille sur douze dont nous parlons, et probablement membre de la fédération ou touchée par les politiques que vous réclamez, est, au Québec, une famille monoparentale. Est-ce que vous pouvez identifier ces cas où il y a présence de l'enfant auprès d'une personne seule, devenue seule, pour cause de décès de l'autre ou disparition de l'autre? Est-ce que c'est dans ces cas que vous pouvez identifier le fait que l'enfant prend

une valeur encore plus importante, à cause de la privation de l'autre personne du couple et que ce serait dans cette situation, souvent, qu'on retrouverait des cas d'excès d'affection, comme vous le dites, qui peuvent nuire au développement et à l'épanouissement intégral de l'enfant?

M. Dubuc: C'est certain que, dans ces cas, cela constitue un milieu propice à l'éclosion de situations comme celle-là. Evidemment, c'est beaucoup fonction de l'équilibre du parent restant. C'est certain que, dans certaines familles monoparentales, l'attitude des parents est tout à fait saine, excellente et ils s'adaptent très bien à une situation difficile, Mais, si, déjà, la personne qui a la garde de l'enfant a un équilibre émotif un peu précaire, c'est certain que, dans des situations comme celle-là, oela peut être générateur de comportements où l'excès d'affection peut être vraiment traumatisant et gênant pour le développement normal de l'enfant.

M. Charron: Vous êtes, encore une fois, le premier groupe à nous faire réfléchir là-dessus; j'aimerais que vous développiez encore un peu à partir de quelle expérience, de quelle analyse vous avez identifié cela.

M. Dubuc: C'est peut-être beaucoup de parler d'analyse. Dans un mouvement comme le nôtre, on fonctionne beaucoup par empirisme, parce que, évidemment, nos crédits ne sont pas très généreux et on ne peut pas affecter des fonds à la recherche par des sociologues.

C'est certain que, dans nos expériences quotidiennes, on est témoin de cas d'enfants dont le développement de la personnalité a été entravé par ce qu'on a appelé, faute peut-être d'un terme plus technique, l'excès d'affection ou le comportement pathologique d'un parent à l'égard de cet enfant. Je pense que le cas se présente assez fréquemment dans certaines situations difficiles où la famille ne peut pas retrouver son équilibre normal. A ce moment, évidemment, cela donne prise à des comportements qui ne sont pas normaux effectivement et qui sont au détriment de l'enfant.

M. Charron: Cela vous apparaît suffisamment important et même répandu pour que vous nous suggériez d'ajouter à la loi qui, elle, parle de privation de l'affection, son contraire?

M. Dubuc: Je pense que la loi parle de mauvais traitements physiques aussi. Les "mauvais traitements psychologiques" sont peut-être aussi fréquents que les cas de lésions physiques ou de mauvais traitements physiques. C'est moins constatable, si vous voulez, mais...

M. Charron: M. Dubuc, l'avant-projet de loi porte déjà des mentions quant aux traitements psychologiques infligés à l'enfant; l'article 48, je vous y réfère tout de suite, parce que c'est là-dessus que je veux poursuivre la discussion, dit dans son paragraphe b): ... lorsque le développement émotif ou mental de l'enfant est mis en péril par le rejet de la part de ses parents ou par privation d'affection...

M. Dubuc: C'est cela. Alors, ce qui manque, à notre avis, à cette dimension, c'est la contrepartie. Cela peut être mis en péril aussi par un excès ou une déviation.

M. Charron: D'accord. Là, je rejoins un peu les propos du ministre. Quand on se met à ajouter tous ces... cela devient difficile.

M. Dubuc: C'est sûr.

M. Charron: Je vous réfère aussi au premier paragraphe de l'article 48. C'est le cas où la sécurité, le développement et la santé d'un enfant peuvent être considérés en danger, si — et c'est la toute première remarque que fait l'avant-projet de loi — l'enfant ne bénéficie pas de conditions matérielles d'existence appropriées à ses besoins et proportionnelles aux ressources de sa famille.

La commission s'est déjà arrêtée à ce paragraphe de l'article 48 en disant que si on le prend à la lettre, encore une fois il y a toujours un danger lorsqu'on intervient là-dedans. Ainsi, une bonne partie de mes concitoyens du centre-sud de Montréal se trouveraient visés par ce paragraphe, parce qu'effectivement plusieurs des enfants du centre-sud de Montréal ne bénéficient pas de conditions matérielles d'existence appropriées à leurs besoins. Vous nous suggérez à votre article 65 d'ajouter au pouvoir d'intervention du CLO, si des problèmes d'ordre financier ont été identifiés comme une des causes importantes du problème, que des possibilités financières accrues soient accordées à la famille. C'est encore une fort généreuse intention, en même temps que, à mon avis, une analyse très poussée, parce qu'effectivement, à l'origine de plusieurs déviations, de plusieurs problèmes, il y a la situation socio-économique de la famille dans le milieu. Cela rejoint le paragraphe a) de l'article 48, votre suggestion à l'article 65, mais j'aimerais que vous la concrétisiez, parce que vous imaginez bien que, de l'autre côté, on ne doit pas être très favorable à l'inclusion de ce genre de projet dans la loi. Cela voudrait dire que le CLO aurait en même temps des ressources financières qui lui permettraient d'intervenir presqu'à discrétion pour combler une lacune financière dans une famille, donc jouer dans une politique sociale que, jusqu'ici, le ministre a voulu conserver très jalousement entre ses mains. C'est lui qui veut continuer à faire vivre des familles à $347 par mois et il n'aime pas que d'autres interviennent pour corriger des lacunes financières de ces familles.

Est-ce que, quand la fédération a posé cette suggestion à l'article 65, vous vous doutiez des arguments à l'encontre qu'on allait apporter? Est-ce que vous en avez pesé toute la portée réelle, si on devait jamais se pencher là-dessus?

M. Dubuc: Je pense que notre intention, en ajoutant cette disposition à l'article 65, se situait dans les cas de crise.

Evidemment, si ce qui a amené le conflit ou la crise est à l'origine un problème strictement financier et qu'il faut faire face, dans les 24 ou 48 heures, à une situation de crise dont la solution implique une intervention financière directe, il nous apparaît important que l'organisme compétent puisse bénéficier des crédits pour au moins remédier à la crise dans ce qu'elle a d'aigu. On n'a pas envisagé cette disposition comme un mécanisme social permanent. Mais si le cas qui a amené la crise a sa racine dans une situation d'urgence, il faudrait que l'organisme compétent puisse bénéficier des crédits nécessaires pour pouvoir intervenir et au moins enlever ce qu'il peut y avoir de critique dans cette situation, quitte à trouver, à long terme, des solutions plus équitables et plus acceptables, compte tenu de l'équilibre financier de l'Etat et d'autres facteurs analogues.

M. Charron: Je comprends le sens de votre intervention. Votre conclusion rejoint celle du mémoire, où vous dites, et c'est en caractères gras: "La Fédération des unions de familles recommande la mise en place d'une politique de prévention qui devrait s'insérer dans une politique familiale globale."

Ce n'est pas la première fois qu'un organisme parle d'une politique familiale globale. Le Conseil des affaires sociales a souvent employé cette expression, mais c'est curieux, quand on vient à parler concrètement d'un certain nombre de mesures qui font une politique familiale globale, les arguments tombent. Quelles seraient ces mesures de prévention à insérer dans une politique familiale globale que suggère la fédération?

M. Dubuc: On rejoint évidemment des questions très fondamentales, mais il nous apparaît que, pour que la famille puisse jouer son rôle qui est, en fait, d'être le lieu privilégié d'épanouissement de l'enfant — et c'est son rôle normal, c'est ce qu'elle doit parvenir à faire — il ne faut pas qu'elle soit constamment en butte à des difficultés qui l'écrasent et la dépassent, qui ce soit sur le plan du logement, que ce soit sur le plan du revenu garanti, que ce soit sur le plan scolaire ou autre. Si on est toujours réduit à des solutions de cataplasme,... si chaque fois qu'il se présente un petit bobo, on applique le cataplasme, finalement, la personne est toujours malade. Il n'y a pas de solution de base, parce qu'on est toujours confronté avec des problèmes précis qu'il faut régler dans l'immédiat, et, à ce moment, je pense qu'on ne peut pas permettre à la famille de jouer son rôle proprement parce que les énergies qu'elle pourrait appliquer à être un milieu propice à l'épanouissement de l'enfant, elle doit les absorber pour régler les problèmes auxquels elle peut difficilement faire face et s'en sortir.

M. Charron: Une dernière question, M. le Président, à M. Dubuc.

Le dernier paragraphe de votre mémoire vous permet de revenir à l'article III. Vous dites: "II faudrait que la présente loi prévoie soit la multiplica- tion de centres d'accueil, soit l'amélioration tant des services en qualité et en quantité que la compétence du personnel..."

Vous n'avez pas attiré pour rien, j'imagine, l'attention de la commission, en dernier lieu de votre mémoire, sur ce phénomène qui nous a déjà d'ailleurs beaucoup occupés depuis les travaux, parce que c'est fondamental. Quelle est l'opinion que vous vous faites actuellement des centres d'accueil du Québec?

M. Dubuc: De l'avis des personnes qui ont travaillé à la révision de cet avant-projet de loi et qui ont participé à la rédaction de ce mémoire, au fond, les centres d'accueil nous apparaissent, à l'heure actuelle, comme des outils qui ne disposent pas de ce qu'il faut pour faire leur travail efficacement. Ils sont trop peu nombreux et, à l'intérieur de ce petit nombre, ils sont mal équipés pour faire face à l'ampleur des problèmes auxquels ils doivent répondre.

Il nous semble qu'il y a une disproportion entre la multiplicité des problèmes, la complexité des problèmes et les moyens dont ces centres d'accueil disposent pour les résoudre.

M. Charron: Merci.

Le Président (M. Pilote): Y a-t-il d'autres questions? Nous vous remercions, madame et monsieur.

J'inviterais M. Pierre Paradis, porte-parole du Conseil du Québec de l'enfance exceptionnelle, à bien vouloir s'approcher et à nous présenter les personnes qui l'accompagnent.

Conseil du Québec de l'enfance exceptionnelle

M. Paradis (Pierre): M. le Président, j'aimerais vous présenter les membres du conseil d'administration qui sont avec moi et qui interviendront, à tour de rôle, dans la présentation de notre mémoire.

Il y a d'abord le président de notre organisme, M. Gaétan Reid. Il y a le vice-président du Conseil du Québec de l'enfance exceptionnelle, M. Pierre Gauthier et le secrétaire-trésorier, M. Mario Tardif.

Nous avons choisi de faire une présentation visuelle de notre mémoire et cette présentation est aussi complémentaire au contenu de notre mémoire.

Vous trouverez, dans cette présentation visuelle, des suggestions pour appuyer nos positions philosophiques.

Présentation audio-visuelle

Une Voix: Quatre mois après l'adoption du bill 78 sur la protection des enfants maltraités physiquement, plus de 2,000 plaintes étaient portées par le public et, de ce nombre, plus de 900 étaient retenues pour vérification sérieuse par le personnel du comité mis en place par la loi. Plus de 900 enfants de zéro à dix-sept ans en seulement quatre mois.

Les premières statistiques nous permettent la projection suivante: Durant sa première année d'entrée en vigueur, la loi aura identifié près de 3,000 enfants soumis à de mauvais traitements physiques seulement.

Qu'en sera-t-il lorsque le projet de loi sur la protection de la jeunesse dont il est question à cette commission parlementaire aura élargi les motifs de plainte ou situation morale et physique?

Le Conseil du Québec de l'enfance exceptionnelle désire vous faire part aujourd'hui de ses préoccupations et de ses recommandations pour donner à cette loi l'ampleur qui protégera efficacement la jeunesse du Québec.

M. Paradis: Voici la présentation. Nous aimerions d'abord situer notre organisme. Nous aimerions aussi poser le problème tel qu'il nous est apparu dans son envergure et surtout vous faire réfléchir sur ce que nous avons considéré comme très important, c'est-à-dire les moyens de prévention possibles. On vous donnera quelques suggestions. Nous avons identifié dans la loi, telle qu'elle nous est présentée dans l'avant-projet, des paliers de décision. Nous vous expliquerons nos appréhensions face au cheminement de l'enfant dans ces différents paliers. Nous aimerions donner notre opposition, aussi, aux services qui pourraient supporter l'application d'une telle loi et, finalement, nous allons terminer avec une synthèse et nos recommandations. il est évident, dans notre présentation, que nous aimerions, si possible, éviter le formalisme et nous aimerions que les membres de la commission puissent intervenir et nous questionner, dialoguer avec nous au moment qui leur semblera bon, si c'est possible, M. le Président.

D'abord, la présentation de notre organisme sera faite par M. Gaétan Reid, notre président.

M. Reid (Gaétan): J'aimerais brièvement vous situer notre organisme, parce que ce n'est pas l'élément important de notre présentation. D'abord, c'est un organisme professionnel et scientifique qui regroupe actuellement au-delà de 1,500 membres professionnels de toutes les disciplines oeuvrant directement ou indirectement auprès de l'enfance en difficulté. On n'a pas comme objectif de donner des services directs aux enfants, mais plutôt de donner des services par les professionnels que l'on regroupe et cela dépasse même les professionnels parce qu'on regroupe aussi les futurs professionnels, les étudiants, et des parents et des membres d'autres organismes qui s'occupent de l'enfance en difficulté. Le principal but est de favoriser le mieux-être individuel et collectif des exceptionnels et les objectifs sont donc le perfectionnement, la sensibilisation de la société en général, la définition de normes professionnelles en éducation spéciale, la prévention et l'étude de législations et recommandations aux autorités compétentes ainsi que l'identification de besoins et de pistes de recherche. Les principaux services offerts sont donc de permettre aux membres de se regrouper selon leur champ d'intérêt par l'intermédiaire de nos divisions et groupe- ments d'étude, ensuite de donner de l'information par notre revue qui est L'enfant exceptionnel ainsi que d'autres publications scientifiques, par des journées scientifiques, des journées d'étude et un congrès annuel.

La principale caractéristique de l'organisme est donc de regrouper des professionnels de plusieurs disciplines allant des médecins aux travailleurs sociaux, aux psychologues, aux éducateurs, aux enseignants, aux administrateurs, etc., et ensuite d'avoir des actions qui sont centrées nettement en fonction des enfants et non pas de l'aide à apporter à des catégories de professionnels. Une des principales caractéristiques, c'est que l'ensemble de cette action est bénévole. La structure: Le conseil d'administration est constitué de personnes représentant l'ensemble des régions administratives du Québec. Le comité de rédaction du mémoire vous a déjà été présenté. Ce sont les trois personnes qui m'accompagnent.

M. Paradis: On arrive maintenant à la situation du problème. Aussi étonnant que cela puisse paraître, le oheminement qu'on a fait nous dégage, jusqu'à un certain point, un diagramme qui pourrait représenter un enfant. Vous remarquerez que nous identifions trois paliers, c'est-à-dire qu'il y a la société où il y a des familles et ces familles peuvent être monoparentales, soit le père qui est responsable de l'enfant ou la mère, ou encore le couple. Il arrive que des situations difficiles de ces familles amènent qu'un enfant a besoin d'être protégé. La loi précise que c'est le devoir de tout citoyen ou organisme d'identifier, à un comité local d'orientation, la situation difficile dans laquelle un enfant peut être placé.

Le comité local d'orientation doit le diriger au directeur de la protection de la jeunesse et celui-ci a une alternative, c'est-à-dire, tenter de trouver des mesures volontaires ou encore, s'il n'y a aucune entente possible, acheminer la situation à une cour de bien-être, de là, il doit y avoir des services. Il y a donc trois paliers qui, pour nous, sont impliqués dans cette Loi de la protection de la jeunesse, c'est-à-dire la famille, la loi et ensuite les services. Si on regarde, si on étudie la première partie, c'est-à-dire la situation de la famille, des études nous indiquent que les parents qui soumettent leur enfant à des difficultés sociales ou psychologiques ou à des mauvais traitements physiques sont la plupart du temps financièrement défavorisés. Ils ont connu eux-mêmes des échecs sociaux répétés, ils ont des conditions d'habitation laissant à désirer, ils vivent dans un isolement social, c'est-à-dire qu'ils sont pris avec leurs problèmes, ils ne peuvent pas communiquer, c'est ce qui les intéresse et les préoccupe au prime abord et leurs voisins les mettent dans un isolement, si vous voulez. Ils ont eux-mêmes vécu des situations familiales pénibles, ils les perpétuent.

Finalement, ils attendent beaucoup trop, ils sont constamment soumis à des frustrations. A ce moment-là, ils attendent beaucoup de la part des enfants et les enfants ne sont pas des adultes, ils ne peuvent pas remplir ces attentes. Nos préoccupations, au CQEE, face à ces problèmes, c'est que,

d'après nous, il faut s'attaquer aux causes, il faut dépister très rapidement et surtout offrir des services adéquats.

Maintenant, que fait-on au Québec et surtout, peut-être, que peut-on faire de plus? Pour nous, quand il s'agit d'étudier des besoins de protection pour la jeunesse du Québec, il y a deux solutions qui nous apparaissent évidentes. D'abord, il y a une solution de correction, c'est ce que la loi prévoit, c'est-à-dire mettre une structure en place qui va permettre que des enfants qui sont soumis à des difficultés seront pris en charge, il y aura une correction établie. Mais aussi pour nous, c'est peut-être une chose importante, il y a la prévention.

Nous nous sommes permis, dans le cadre de notre présentation — cela a été suggéré tantôt, on a demandé s'il y avait des suggestions ou des modèles pratiques — de vous faire réfléchir très rapidement sur une politique de prévention qui pourrait être mise en place très facilement avec les moyens qui existent actuellement au Québec.

D'abord, les objectifs généraux qui devraient animer cettre présentation ou cette prévention seraient d'abord une offensive générale au Québec pour revaloriser d'abord le rôle de parents. Ce n'est plus important d'être parents. On n'a pas de préparation pour être parents et ce n'est pas valorisant tout simplement de jouer le rôle de parents, d'intervenir auprès d'un enfant, parce qu'on ne connaît pas nos possibilités. Une deuxième chose, c'est de respecter les aspects positifs des jeunes. On les voit très souvent, toujours comme des gens qui nous dérangent et il faudrait peut-être essayer de trouver ce qu'il y a de positif en eux et ne pas toujours voir simplement l'aspect négatif.

Un troisième objectif ou une troisième philosophie pourrait nous guider — et ça peut peut-être sembler paradoxal venant d'une association de professionnels — c'est d'utiliser les ressources non professionnelles du milieu. On a, je pense, peut-être trop éduqué les gens à chercher la compétence en dehors de leur propre compétence. Ils ont des ressources dans la communauté, mais on est porté souvent à les faire se considérer comme non compétents et ils ont des compétences, ils peuvent faire quelque chose.

Maintenant, des moyens. Vous avez les trois éléments de notre philosophie. Les moyens qui peuvent exister, par exemple, nous donnons notre appui à une formule de revenu minimum garanti, nous croyons que la partie financière est une partie importante. Nous donnons aussi notre appui par des moyens qui peuvent être mis à la disposition des différents groupes de la communauté, un support parental communautaire. C'est-à-dire qu'il existe, dans la communauté, une philosophie véhiculée qui permet à des parents de se rencontrer socialement, de s'apercevoir qu'il y a d'autres parents comme eux qui ne sont pas isolés comme parents, que ça peut être intéressant d'être parents, et on devrait donner notre appui à tout ce qui s'appelle soutien parental communautaire.

On pourrait, comme troisième moyen, sous le principe de l'utilisation d'une bibliothèque, avoir ce qu'on appelle une joujouthèque ou un centre de jouets. Vous savez comment ça peut être dispendieux de se procurer des jouets, vous savez comment ça peut être difficile, le choix des jouets.

Pourquoi n'y aurait-il pas — selon le même principe qu'une bibliothèque — dans les différentes communautés, des centres de jouets où les parents pourraient être conseillés, selon l'âge de l'enfant, à utiliser tel jouet, pour tel objectif? Du fait que ce serait sous la forme de prêt, il ne serait pas question de dépenses et ce serait pour le plus grand bien de l'enfant. Je pense que c'est cela qui est important.

Finalement, il y aurait une quatrième possibilité de préparer les adolescents graduellement à leur rôle de parents. Il pourrait y avoir, par exemple, des garderies dans les écoles secondaires où les adolescents feraient des stages afin de prendre contact avec des plus jeunes, les amuser, etc.

D'autres suggestions ou solutions, si vous les considérez ainsi. Nous appuyons une politique générale qui pourrait s'appeler planification familiale, mais dans une optique positive, dans une optique où on donnerait toute une série de renseignements sur le fait d'avoir un enfant, sur le fait d'élever un enfant, de préparer à accepter un enfant dans la famille. Il y a toutes sortes de modalités communautaires possibles autour de cette idée.

M. Gauthier (Pierre): M. le Président, on a convenu entre nous d'intervenir à mesure que l'occasion se présenterait. Je pense que les mesures dont Pierre Paradis vient de parler s'inscrivent dans une espèce de démarche qu'on a faite, à savoir que l'enfant qui est battu, l'enfant qui est maltraité, fait partie d'une famille qui vit dans une situation d'échec. Au lieu d'être une structure de support et de protection de l'enfant, c'est devenu une structure d'oppression de l'enfant, c'est devenu une structure hostile à l'enfant.

Quand on examine comme il faut dans quelle situation se trouvent les parents qui battent les enfants, par exemple, on s'aperçoit qu'habituellement, eux-mêmes sont soumis à un stress socio-économique très important; ils sont isolés, comme on l'a déjà mentionné, socialement, ils sont soumis à un stress économique très fort, de sorte qu'ils ne font que transférer la pression à laquelle ils sont eux-mêmes soumis.

Si on s'en va dans la ligne des solutions, évidemment, il y a des mesures correctives immédiates qui doivent être apportées une fois qu'une famille ou qu'un couple parental ou qu'un parent est dans cette situation, le mal est déjà fait dans une grande mesure. Là, il y a des mesures de correction à prendre.

Mais si on se place dans une perspective préventive, l'échelle de temps change. Au lieu d'intervenir dans les heures qui suivent ou dans les jours qui suivent, il faut presque intervenir sur une génération. Cela veut dire qu'on veut préparer la génération actuelle à pouvoir mieux jouer son rôle parental. Et si on veut que la génération actuelle joue mieux son rôle parental, cela veut dire que la fonction qu'on a confiée à la famille, qu'on a confiée presque exclusivement à la famille et à l'école, celle de préparer la génération suivante,

soit assumée par l'ensemble de la société plutôt que de simplement dire aux parents: C'est vous qui êtes responsables d'éduquer les enfants et vous ferez cette tâche comme vous pourrez, on vous donnera des mesures le plus possible. Mais, à toutes fins pratiques, la préparation de la nouvelle génération, c'est l'affaire de la famille et de l'école.

On s'aperçoit que la famille est de moins en moins capable d'accomplir cette fonction toute seule, de socialiser la nouvelle génération. Les taux de divorce augmentent, le nombre de familles monoparentales augmente constamment et il semble bien que le nombre de parents qui maltraitent leurs enfants augmente aussi.

Donc, cela veut dire une action concertée et cela veut dire une espèce de train de mesures qui vont faire que la jeunesse n'est plus seulement l'affaire de la famille et de l'école, mais la jeunesse est l'affaire de tout le monde.

Sur ce plan, on a constaté — surtout aux Etats-Unis dernièrement, à une commission parlementaire américaine, sous Coleman et d'autres — qu'au cours des dernières cinquante années, la jeunesse a été de plus en plus "ségré-guée" dans la société. On a de moins en moins confié de véritables tâches à la jeunesse et on l'a de plus en plus confinée dans des tâches d'apprentissage purement scolaires. Le lien entre l'école et, par exemple, le milieu de travail, la participation des jeunes à l'activité économique, est devenu de plus en plus marginal et a eu lieu de plus en plus tard, à un âge de plus en plus reculé, de sorte que, malgré des dépenses de milliards de dollars dans des secteurs comme la santé, l'éducation et le bien-être, on s'aperçoit que nos jeunes vivent dans un état de confort relativement grand, matériellement, ils ne sont pas trop mal pris, surtout lorsqu'on pense aux adolescents et aux jeunes adultes.

A l'âge où ils veulent absolument jouer un rôle social, où ils ont même besoin de cela pour leur développement personnel, tout ce qu'on leur offre, ce sont des tâches d'apprentissage et souvent d'apprentissage dans des domaines de simulation. Ils sont à l'école où ils simulent les situations où ils seront quand ils seront adultes.

C'est sûr qu'il faut qu'une société soit drôlement riche pour être capable de se passer complètement de sa jeunesse. Il y a un bonhomme comme Hobbs, par exemple, aux Etats-nis, qui pousse le concept de l'inutilité relative de la jeunesse. On n'a qu'à se demander ce qui arriverait, aujourd'hui, si l'ensemble des jeunes qui ont entre 10 et 16 ans cessaient d'être là. Je pense qu'il n'y a rien dans notre société qui arrêterait. Les jeunes, il faut le constater, on n'en a vraiment pas besoin, actuellement, au rythme où vont les choses.

Cette situation suppose qu'on ne peut pas simplement dire aux parents: Travaillez plus fort ou bien à l'école travaillez plus fort. Cela suppose qu'on redéfinit la fonction de la jeunesse dans la société moderne. Ce n'est pas une mince tâche, mais il ne nous semble pas que ce soit impossible de le faire. Une des avenues, c'est de réintégrer le jeune dans des activités économiques. Il y a actuellement des entreprises, des efforts partiels, un peu partout en Amérique du Nord, qui se font où la fonction économique du jeune fait partie de sa formation tout court. De même que les étudiants en médecine font des stages dans des hôpitaux où ils font vraiment de la médecine, de même des jeunes font des stages dans des commerces, dans des industries, dans l'agriculture, dans toutes sortes d'entreprises où ils exercent une fonction réelle. Cette fonction est supervisée — cela sert d'apprentissage — mais ils jouent un rôle vraiment économique.

L'autre domaine, qui est le dépistage et le soutien à l'école se place plus dans la perspective corrective. C'est que, si le jeune est maltraité, la première personne, habituellement, hors de sa famille, qui peut s'en apercevoir, c'est la maîtresse d'école ou le maître d'école. Donc, si l'école est conscientisée à cela, à une fonction potentielle de dépistage, il y a énormément de cas qui peuvent être décelés très rapidement. Il y a des enfants, par exemple, qui ont été littéralement assassinés par des mauvais traitements. La maîtresse d'école disait, par la suite, qu'elle s'en était bien aperçue, mais qu'elle ne savait pas quoi faire avec ces cas.

Simplement, une espèce de structure qui fait que les responsables scolaires savent effectivement quels mécanismes prendre et peuvent effectivement les prendre, accomplirait une fonction de dépistage très grande. La seule crainte qu'on a, c'est que, si on se met à dépister plus, il est fort possible qu'on inonde tous les services, parce que, sans doute, si le taux de mauvais traitements augmente, avec une plus grande attention, on va en déceler beaucoup plus. On peut présumer que ce qu'on décèle, ce n'est qu'une fraction de ce qui existe. Là encore, on revient à la nécessité de l'aspect préventif. Evidemment, le dépistage en soi est absolument nécessaire et le support, c'est-à-dire l'intervention immédiate, dans le milieu scolaire même, est une chose très possible et très faisable, mais qui supposerait une espèce de réaménagement du rôle actuel des enseignants et aussi une diversification des fonctions actuelles de l'école, qui s'est très spécialisée dans la fonction de l'instruction.

M. Charron: M. le Président, me permettez-vous d'intervenir tout de suite, parce que cette intervention théorique — je ne le dis pas dans le sens péjoratif du tout — qu'on vient de faire m'incite à ajouter une réflexion qui ne me vient pas sur-le-champ, mais parce que je travaille depuis un bout de temps à chercher une explication de la jeunesse nord-américaine dont vous avez parlé, québécoise, en particulier, et de son comportement?

Je me fais souvent poser la question — je ne sais pas pourquoi, d'ailleurs, cela persiste — sur ce que je pense des jeunes, ce qui arrive avec les jeunes et tout cela. Vous venez de parler de la fonction économique de la jeunesse. Les mesures que vous proposez vont dans le sens d'un développement de la fonction économique de la jeunesse.

Je ne suis pas convaincu que vous ayez enfourché le bon cheval en insistant sur ce point. Je crois que la jeunesse québécoise actuelle, celle dont on parle, celle que l'on veut protéger, est profondément marquée par des phénomènes de la fin des années quarante, de ceux qui sont nés à la fin de la guerre, comme moi, en descendant, des phénomènes bien propres qu'aucune autre génération de Québécois n'avait jamais connus auparavant. La première chose, qui tranche, c'est que c'est la première génération de Québécois instruite. Ce n'est pas un mince facteur, quand on y pense.

On est la première génération de Québécois qui a une moyenne de scolarité plus élevée que huit ans. On peut chialer sur la qualité de ce qu'on reçoit dans les polyvalentes et dans les CEGEP, sur l'humanisation de cette éducation, mais il reste un fait, il n'y a pas une génération de Québécois qui a eu autant d'accès à l'information et à l'instruction que nous autres. On a vécu, à part cela, dans une période de développement technologique incroyable. On est né avec la bombe atomique. Cela s'est développé par la suite. Ce qui a fait que la planète a pris une toute petite dimension. On est la première génération de la télévision qui a eu le loisir de voir des peuples se faire assassiner tous les soirs entre 10 h 30 et II heures quand cela nous tentait. On est le premier peuple qui a eu des images réelles quotidiennes d'autres humains qui vivent aux antipodes et qui, auparavant, devaient nous écrire à trois mois de distance avant qu'on se rejoigne. Là, on peut le faire quotidiennement.

Finalement, je pense aussi que le fait que la plupart des sociétés occidentales vivent encore dans des institutions politiques, des institutions économiques qui ont été tracées dans un autre siècle, qu'on s'efforce de faire durer en les aménageant, affecte beaucoup aussi le développement intégral des Québécois. Cela a amené les jeunes Québécois, dans l'ensemble, à être beaucoup plus exigeants ayant tout ce stock que les autres n'ont pas eu.

Quand on cherche une valeur culturelle chez les jeunes Québécois, je dis qu'ils font la différence avec les autres. Je ne dis pas avoir trouvé le Pérou en disant cela, mais le point fondamental de divergence des jeunes Québécois par rapport aux autres, c'est la chute fantastique que le mythe du travail a pris dans cette jeune génération québécoise, c'est la valorisation du travail dans laquelle mon père s'est enfoncé à l'âge de 14 ans et où il est encore prisonnier à 56 ans, et même la génération qui me précède juste d'un peu plus. On ne se posait même pas de question là-dessus, c'était obligatoire que de travailler, tu étais à l'index si tu ne travaillais pas, etc.

Maintenant, le travail est beaucoup moins considéré comme un objet de valeur, mais il est considéré malheureusement comme un des fardeaux de la condition humaine. On se sent bien plus apte à faire autre chose qu'à travailler. Ce courant social est tellement fort que même les Etats ont été obligés d'y répondre. Ce n'est pas pour rien qu'il y a des Initiatives locales, des Perspectives-jeunesse, ce gaspillage économique de ressources financières incroyables auquel les gouvernements se prêtent pour répondre à un phénomène culturel. Tu ne peux plus convaincre un jeune d'entrer dans une usine à 20 ans en disant: Tu vas prendre ta retraite à 65 ans. Tu vas toujours travailler là. Il n'y a plus aucun attrait à cela.

Quand vous arrivez avec des fonctions économiques, quand vous dites que vous allez valoriser le jeune dans une fonction économique, je pense que vous allez faire face au même problème aussi, vous allez devoir développer vous aussi des à-côtés, parce que la qualité intellectuelle de jeunes québécois qui ne veulent plus se prêter à ce jeu d'un travail, à moins qu'il ne soit intéressant, qu'il ne développe leur personnalité, fait qu'ils aiment autant ne pas en avoir. Ils choisissent de vivre. L'Etat leur fournit les moyens: six mois avec Perspectives-jeunesse, six mois avec Initiatives locales. On a une loi d'assurance-chômage parmi lés plus généreuses. Tu peux travailler trois mois, et tu te "sacres" sur l'assurance-chômage pendant 40 semaines. Il y en a beaucoup de jeunes qui choisissent cela. Pourquoi? Parce que la société n'est plus capable de leur offrir un travail intelligent. Le système économique dans lequel on vit est rendu dans une super production monstrueuse où ils se sentent happés dès l'âge de 18 ans. Ils ne veulent plus y aller. La fonction économique que leur propose le système actuel leur apparaît tellement dévalorisante — ils n'ont qu'à regarder la génération qui les précède pour savoir comment ces gens ont été prisonniers d'un mythe du travail — qu'ils ne veulent plus s'y lancer.

Je ne m'éloigne pas tant que cela. Je me permets de faire cette digression parce qu'on s'est demandé, quand on parlait des jeunes délinquants, pourquoi le milieu que vous avez identifié, qui est un milieu que je connais bien, pourquoi c'est ce milieu qui en projette le plus de délinquants? Ils voient devant eux, ils ont 16 ans... Je connais des adultes de 50 ans qui ne l'ont pas encore découvert. Il y a des jeunes de 16 ans qui découvrent très vite que tout ce qui leur est offert, c'est cela, c'est le travail. Le travail comme leurs pères en ont eu, c'est-à-dire au salaire minimum ou dans une petite maudite "shop" ou une "job-bine" ou une affaire comme cela. A 16 ans, ils se sentent déjà prisonniers pour embarquer là-dedans jusqu'à 60 ans et disent: Je n'embarque pas, je vais faire une passe quelque part, je vais faire un coup de "bacon", et je ne travaillerai plus jusqu'à la fin de mes jours.

La voie du crime, à l'occasion, les voies illégales sont favorablement tentantes pour ces jeunes, parce qu'il n'y a plus rien en avant deux.

Je pense que, quand on s'adresse à la fonction économique de la jeunesse et qu'on essaie de la valoriser, on a besoin de changer l'économie dans laquelle on veut introduire les jeunes, parce qu'actuellement on ne leur offre à peu près rien.

M. Gauthier: Nous sommes d'accord avec

vous là-dessus dans une grande mesure. Evidemment, valoriser la fonction économique des jeunes et leur en donner une, cela ne veut pas nécessairement dire les entrer dans ce qui existe, dans un statu quo irréversible. On pense bien, en tout cas, que s'il y avait un influx important de jeunes dans les milieux de travail, les conditions mêmes de travail devraient changer si on veut que ce soit éducatif.

Evidemment, on ne voulait pas refaire toute la société ce matin, et on présume qu'à l'aide des expériences qu'on a vues, il y a certains milieux où les jeunes peuvent effectivement travailler sans que ce soit un travail déshumanisant ou un travail qui en fasse des gens aliénés définitivement.

L'autre élément que vous apportez, celui qui est au bas de la liste, c'est que si on veut intégrer un grand nombre de jeunes dans une fonction socio-économique significative, cela veut dire qu'on aura à définir les grands projets qu'on leur confiera, par exemple, des projets qui ne sont peut-être pas économiques au sens traditionnel du terme, mais qui ont besoin d'être faits, la mise en valeur des ressources naturelles, la participation à l'agriculture d'une façon significative, tout ce qui s'appelle rénovation urbaine et revalorisation du milieu urbain.

Il y a là un grand nombre de possibilités de définition de tâches vraies où des jeunes seront volontaires, si on peut dire, assez joyeusement, et auxquelles ils accepteront de participer plutôt que d'être dans des espèces de limbes sociales où ils se trouvent, surtout si on pense aux adolescents "dropouts", que vous connaissez bien, je pense, et qu'on voit dans les milieux urbains, des adolescents qui sont officiellement à l'école, dans le sens qu'ils sont inscrits au mois de septembre, mais qui ne vont pas à l'école. Comme la loi même leur défend de travailler, même pour pourvoir à leur propre subsistance ou à celle de leur famille, ils se trouvent à être dans une espèce de "no man's land" social, parce qu'ils font un petit peu de travail pour subsister, ils sont censés être à l'école, mais ils n'y sont pas. Ils ne peuvent pas être au travail, parce que s'ils veulent entrer dans un travail un peu significatif, cela deviendra officiel et cela n'a pas le droit d'être officiel. On pense que c'est un bouillon de culture pour la mésadaptation sociale, et que des jeunes qui ont vécu dans ces conditions seront appelés à être des parents qui vont maltraiter leurs enfants, parce qu'ils n'auront pas les compétences requises et ne seront pas assez socialement intégrés pour être, eux, ce qu'on appelle "de bons parents", c'est-à-dire des parents qui offrent un soutien d'une qualité minimale à leurs enfants.

De ce plan, le problème des enfants battus pose le problème de la réintégration dans le grand courant social de la jeunesse québécoise, et on pense qu'on n'est pas trop farfelu, on a osé aborder le problème de ce biais, premièrement, parce qu'on pense qu'actuellement, au ministère, il y a certainement des disponibilités et des capacités d'élargir la portée de la loi actuelle et que c'est une bonne occasion de le faire. C'est peut-être beaucoup de travail, mais on pense que c'est pos- sible de le faire, et qu'à ce moment cela rendrait un service énorme à toute la jeunesse actuelle. Cela aurait des effets sur le taux d'incidence de mauvais traitements infligés aux enfants. Cela ne corrigera évidemment pas les situations des parents qui, aujourd'hui ou hier, ont battu ou battent leurs enfants. C'est un autre genre d'intervention qu'il faut à ce niveau.

Quand on parle des grands projets, à la fin, cela couvre les domaines écologique, civique et culturel, où il y a énormément de possibilités. On a vu, par des choses comme les Initiatives locales et Perspectives-Jeunesse, qu'il y a une espèce de désir chez un grand nombre de jeunes de se lancer dans des initiatives nouvelles et de faire des travaux qui ont une signification, qui sont neufs.

Organisation de la vie parascolaire, évidemment par un autre personnel que le personnel scolaire, non pas parce que le personnel scolaire n'est pas compétent, mais parce que la tâche qu'on lui a confiée est déjà très lourde. Ils ont la tâche d'instruire un très grand nombre de jeunes. Même si la dénatalité est avec nous maitenant, il reste que la tâche des enseignants n'est pas négligeable. C'est une tâche importante et relativement lourde.

Si on veut revaloriser la vie étudiante et revaloriser la vie autre que strictement d'instruction à l'école, si on veut créer une société jeune, intéressante à vivre, cela suppose que tout le niveau parascolaire et culturel est réactivé et cela suppose un influx de nouvelles personnes, des personnes qui sont dans le milieu, qui ne sont pas nécessairement des professionnels, des mères de famille qui ont du temps, des personnes âgées qui ont du temps, d'autres jeunes qui ont du temps. On s'est aperçu que les jeunes, entre eux, sont "ségré-gués" non seulement comme jeunes, mais qu'à l'intérieur même de la catégorie jeunesse, les jeunes sont "ségrégués" par mince couche d'âge.

Un jeune a affaire à des gens qui ont un an de plus ou de moins que lui, point. Les jeunes adolescents, par exemple, ne savent pas comment avoir affaire à un tout jeune, à un bébé. Ils ne savent pas quoi faire avec eux. Quand ils sont parents, ils ne le savent pas plus, évidemment, alors que, dans le temps des grosses familles, ces compétences se transmettaient comme par la force des choses.

Actuellement, il faut presque faire consciemment le développement de cette compétence, d'avoir affaire à des plus jeunes et d'avoir affaire aussi à des plus vieux. Qu'un jeune homme de dix-sept ans ou une jeune fille de seize ans ou de dix-sept ans ait affaire à des personnes âgées, c'est inouï. Cela ne se voit pas. Ils n'ont jamais l'occasion de se rencontrer.

S'il y a des stages, par exemple, des stages de travail ou des projets communs où ces gens sont dans la situation d'agir les uns avec les autres, à ce moment, évidemment, il y a ce fameux dialogue "intergénérationnel" dont on parle tout le temps.

L'autre aspect, je pense que je vais laisser à mes confrères, peut-être, la formation à la tâche parentale...

M. Paradis: Rapidement, il s'agit tout simplement peut-être de considérer... C'est un exemple qu'on donne. Dans tout ce qu'on vient d'énumé-rer, ce sont des exemples de possibilités. Peut-être y aurait-il moyen de former, d'offrir quelque chose — cela pourrait être obligatoire ou cela pourrait ne pas l'être, cela pourrait être accessible — une formation à ceux qui vont devenir parents, tout simplement. Il est sûr que la mère qui est enceinte va avoir un enfant. Alors, il y a peut-être possibilité d'offrir des services un peu plus élaborés et on profite de l'occasion pour souligner à M. Forget que nous apprécions énormément les nouveaux films qui sont faits sur la périnatalité. Nous croyons que c'est un élément important dans cette optique.

Comme je vous dis, c'étaient simplement quelques suggestions que nous avons proposées. Nous aimerions que les différents organismes qui composent notre communauté puissent peut-être les étudier et que chacun puisse intervenir à son niveau.

Nous avons identifié neuf paliers de décisions dans la loi en ce qui concerne le cheminement d'un enfant.

M. Tardif (Mario): En ce moment-ci, on trouve quand même important de faire certaines mises en garde, quoique nous soyons conscients qu'avec ce qui a été énuméré, les solutions efficaces ne pleuvent pas. mais il y a un risque de danger quand on connaît les services professionnels qui sont offerts actuellement. Il y a un danger très grand de multiplier les intervenants auprès de l'enfant et c'est sur ce point que nous voulons attirer votre attention maintenant.

Les statistiques du comité de protection aux enfants battus démontrent que l'ensemble des interventions qu'il a eu à faire, dans une proportion approchant 50%, se situe entre la naissance et cinq ans... On se rend compte, à la lumière des facteurs qui ont été énumérés tout à l'heure, comme l'isolement social et ces choses, qu'il y a risque qu'il y ait un délai très long qui ait lieu avant l'intervention de la loi ou des intervenants auprès de cet enfant.

Ce qu'on veut éviter, dans le fond, par une telle loi, ce sont les causes mêmes, en fait, qui créent des situations où les enfants sont soumis à des mauvais traitements physiques ou psychologiques.

Il arrive que les enfants sont soumis à des mauvais traitements par des parents qui sont eux-mêmes — je le disais tout à l'heure — isolés et une des causes est justement l'instabilité de la famille ou du milieu dans lequel ils vivent et c'est ce qui risque de se répéter au niveau de l'intervention en soumettant le jeune à une batterie de professionnels.

On a pu identifier, à un certain moment, que cela pouvait aller jusqu'à treize dans les 36 premières heures de son intervention. A ce moment-là, on désire mettre en garde les législateurs contre le fait de reproduire la cause même dans un désir de bien faire, une situation presque iden- tique à celle qui a amené l'enfant à s'insérer dans le processus de protection, c'est-à-dire un milieu qui est instable et où l'enfant est charrié d'un professionnel à l'autre. Nous trouvons primordial d'identifier clairement la responsabilité. A ce niveau, la médecine fournit peut-être certaines pistes; quand un parent ou un malade entre à l'hôpital, on confie la responsabilité à un praticien qui assume le malade du début de son traitement jusqu'à la fin. Au niveau de la protection, on trouverait important de retrouver ce même parrain ou cette même responsabilité légale de l'enfant assumée par un seul professionnel qui accompagnerait le jeune et qui pourrait servir de tampon au cours de ce cheminement que nous croyons difficile, compte tenu de toutes les prérogatives adultes et de la loi qui nous est imposée pour respecter différentes lois qui sont là. Il servirait de tampon entre l'enfant et tout ce cheminement; il protégerait l'enfant de toutes ces difficultés bureaucratiques, administratives et de communication qui peuvent s'insérer et être multipliées à chacun de ces paliers.

M. Gauthier: De plus, je pense qu'on peut dire qu'il semble bien que les paliers qui sont là doivent exister ou, enfin, qu'il serait difficile de s'en passer. L'application de la loi suppose que chaque palier fonctionne adéquatement. Mais, si on imagine que chaque palier fonctionne inadéquatement, qu'il y a des erreurs, on s'aperçoit qu'il y a multiplication d'erreurs et que l'enfant qu'on a voulu aider, en dernière analyse, on lui nuit peut-être autant que la situation d'origine. Cela est un danger considérable qui habituellement ne dépend pas de la mauvaise volonté de qui que ce soit. Exemple: Supposons qu'à tel palier de décision l'enfant est obligé d'être en attente; il doit être quelque part en attendant le processus qui doit se dérouler à ce palier. Pendant qu'il est en attente, il y a quelqu'un qui doit s'en charger. Supposons que l'attente est terminée, il passe au palier et il doit aller ensuite à un autre niveau. Là, on le transfère d'un groupe de personnes à un autre groupe, il devient à la charge d'autres personnes, de sorte que pour lui le milieu, les gens qui sont autour de lui et qui s'occupent de lui changent constamment. Cet enfant se trouve littéralement perdu, aliéné, dans des sentiments très pénibles, surtout s'il est très jeune.

Alors, la solution que Mario souligne c'est que peut-être il faut que toutes ces opérations se fassent, mais qu'à ce moment-là ce soit un adulte qui voie à ce qu'elles se fassent, mais toujours le même. Que l'enfant soit confié à un adulte et que tout au long du processus il ait affaire à cet adulte comme personne centrale, constamment, de sorte qu'il n'y ait pas cette espèce de — comme on dit en bon français — "run around" de tous les bureaux, de tous les spécialistes, de toutes les phases administratives. Qu'il ne soit pas littéralement acheminé, un peu mécaniquement, comme quand on produit une automobile ou quelque chose, il y a différentes phases dans le processus, et, peu à peu, le processus se complète.

Lorsqu'il s'agit d'un être vivant et fragile, ce processus doit se dérouler aussi puisqu'il y a toutes sortes d'instances administratives en cause, mais il n'est pas nécessaire que physiquement, l'enfant passe à travers tout cela. Ce peut être un adulte qui l'accompagne ou qui fait les démarches requises en son nom.

M. Tardif: (Mario): Un autre des dangers qui a été identifié aussi à la lumière de ce qu'on sait du Comité de protection de la jeunesse pour les enfants battus, c'est de polariser et de canaliser l'ensemble des ressources humaines dans des structures. C'est-à-dire que si on regarde, par exemple, les conseils d'administration, les cadres, ça va, les gens sont en place. Mais quand on arrive au niveau du praticien sur la ligne de feu, on remarque que les sommes engagées sont déjà presque dépensées. En termes de structures, c'est parfait, la population est sécurisée. Mais en termes de services, sur la ligne de feu, pour les gens qui sont dans des situations où ils ont besoin d'aide et de soutien, ça devient plus difficile, ça devient plus pénible pour eux d'avoir du personnel.

Il y a des ajustements qui seraient importants, je pense. Il y a un danger là aussi qui guette le législateur et dont il devrait être conscient.

M. Paradis: L'étude que nous avons faite de l'avant-projet de loi nous amène à des mises en garde. Nous considérons que, dans la rédaction que nous avons consultée, l'énumération des droits de l'enfant, sous le titre, Droits des enfants, est très restrictive. Ce sont finalement les droits des enfants qui tombent dans le processus de la loi, mais on n'a pas dit que ce sont les droits des enfants du Québec. Peut-être qu'il y aurait moyen de changer la formulation à l'intérieur de la loi et, au lieu d'être les droits des enfants, ce seraient plutôt les droits des enfants tombant sous le processus de la loi.

Une deuxième mise en garde. Il y a certainement danger, vous le comprendrez, de faire porter sur des enfants la responsabilité de gestes d'adultes ou provenant de la structure sociale. Il est dangereux d'escamoter tout les système et de tout simplement placer l'enfant et penser qu'on a résolu les problèmes. Il faut éviter que l'enfant soit pénalisé, surtout s'il est évident qu'il n'est pas responsable. C'est pour ça que nous suggérons un appui pratiquement inconditionnel au rôle parental.

Une troisième mise en garde porte sur la portée corrective et non préventive du projet. Je pense que la présentation que nous en avons faite vous a bien dégagé cet aspect, que vous le voyez aussi bien que nous. La loi, en fin de compte, pour nous, ne protège pas réellement les enfants du Québec. Elle veut éviter des abus. Même si nous sommes d'avis que le projet est un effort louable et très intéressant, nous aurions aimé qu'il déborde les cadres de la correction et qu'il envisage une protection réelle pour tous les enfants du Québec. C'est la génération de demain. C'est important, je pense, que les jeunes du Québec continuent ce que nous pensons avoir bien fait.

Une quatrième mise en garde. On l'a vu il y a quelques instants, il y a un accent sur des structures de contrôle plutôt que sur des services de première ligne. Dans notre mémoire, vous remarquerez que nous disons que nous attendons les suites qui seront données, entre autres, au rapport Batshaw.

Une cinquième mise en garde. Il y a définitivement danger de multiplier les réseaux parallèles. Nous ne voulons pas dire que la loi multiplie les réseaux parallèles, mais il nous a semblé qu'elle n'indiquait pas réellement de quelle façon elle s'insérait dans la loi 65 des services sociaux et de santé.

Nous croyons quand même que cela doit être considéré dans les règlements, qu'elle s'insère très bien dans les cadres qui existent déjà, de façon que les utilisants — le public — ne soient pas continuellement confus sur les endroits où ils doivent aller pour avoir de l'aide.

Il y a le danger aussi, vous en conviendrez, qu'une structure unique à l'étendue de la province puisse ne pas respecter les besoins de certaines régions, les besoins de certains groupements. Il y a assurément là un danger. Il y a aussi un danger — et nous aimerions vous mettre en garde, c'est difficile de le contrôler, nous en convenons — de se servir de la délation comme un moyen de vengeance, mais je pense que la structure de vérification du bien-fondé de la délation ou de l'alerte, si vous voulez, parce que délation peut être pris péjorativement, nous pensons, dis-je, que la loi est quand même prudente face à cela.

Il y a — et pour nous c'est peut-être le point majeur — absence totale de responsabilité bien identifiée, légale, continue, d'un praticien à l'égard de l'enfant impliqué dans le processus prévu dans la loi, et cela est dangereux. C'est dangereux que personne ne se sente responsable de cet enfant et qu'il dise: Je prendrai une décision la semaine prochaine. Si vous en avez l'occasion, regardez notre position face au système judiciaire.

Il serait peut-être important que toute la communauté, que toutes les structures du Québec soient disponibles pour l'enfant et qu'il n'y ait pas d'horaires précis et spéciaux.

Finalement, il y a la structure à neuf paliers de décision. Vous conviendrez, si vous avez lu notre mémoire, qu'il y a des gens qui doivent prendre des décisions; il y a des décisions qui peuvent être retardées; comme il n'y a personne de responsable, il n'y a personne qui suit l'enfant, on peut escamoter; par exemple, au niveau des droits de l'enfant, qui va le faire? De quelle façon cela va-t-il être fait? Est-ce que les droits expliqués retarderont le processus? Il y a du danger.

Nos recommandations finales. Nous proposons l'adoption — et nous ne sommes pas les seuls — d'une charte québécoise des droits de l'enfant. Cela se situerait dans une philosophie ou dans une considération positive des enfants. Nous recommandons que le public et les enfants soient informés, avec des moyens à leur niveau. Nous sommes informés actuellement que le comité qui met en place le bill 78 n'ose pas faire de publicité sur la loi et sur la délation, entre autres, ou, si

vous voulez, l'alerte, parce qu'il n'a pas actuellement les moyens de répondre aux demandes.

Il reste quand même que lorsque cette loi devra être portée à la connaissance du public, il faut que les enfants sachent qu'ils peuvent être protégés ou se protéger eux-mêmes et qu'aussi le public comprenne bien l'esprit de la loi.

En passant, nous avons remarqué que le projet de loi du gouvernement fédéral sur les jeunes en conflit avec la justice, l'avant-projet de loi, a une présentation théorique jusqu'à un certain point de l'esprit de la loi. Nous aurions aimé qu'en introduction on ait aussi l'esprit ou les contenus de l'esprit de la loi.

Finalement, il est évident pour nous que ce serait peut-être souhaitable que soient fondus les services du comité régional de protection de l'enfance et la structure du bill 65, tel qu'on l'a mentionné il y a quelques instants, et que le CLO, le Comité local d'orientation, soit présent dans le CLSC, de sorte qu'au niveau des centres de services sociaux on ne soit pas porté à être juge et partie en même temps, c'est-à-dire qu'on soit amené à évaluer la situation et qu'en même temps on soit amené à donner le service. Il est important que la référence et l'orientation soient faites à deux niveaux différents.

Finalement, nous considérons qu'il est très important d'exiger que le système judiciaire offre un service de 24 heures par jour et de 7 jours par semaine, comme dans tous les autres services sociaux. Si la justice est un service social, elle devrait être disponible aux enfants à toute heure.

Finalement, nous croyons que l'avant-projet de loi sur la protection de la jeunesse, tel qu'il est présenté, s'est fait attendre beaucoup. Nous croyons qu'analyser et interpréter la protection de la jeunesse déborde un sens correctif et que, s'il doit rester comme il est, on devrait en modifier le titre, en parlant de la protection des enfants qui sont en difficulté et ne pas dire que c'est la protection de la jeunesse du Québec. Nous sommes disponibles pour vos questions.

Le Président (M. Pilote): Le ministre des Affaires sociales.

M. Forget: M. le Président, je remercie les représentants du Conseil du Québec de l'enfance exceptionnelle. Je ne voudrais pas que mes questions soient interprétées trop négativement, mais j'ai, malgré tout, un sentiment que, dans une certaine mesure, on n'a peut-être pas progressé beaucoup dans l'étude de ce projet à la lumière des commentaires que je viens d'entendre.

L'impression générale qui se dégage de la lecture de votre mémoire est assez ambiguë. En effet, d'une part, vous attirez l'attention sur une chose qui m'apparaît évidente, mais je suis content que vous partagiez cette perception, soit que la loi s'insère dans un contexte beaucoup plus large, de mesures sociales, de mesures de toutes sortes qui touchent au plan de l'éducation comme au plan de l'organisation des loisirs, comme au plan du travail même, puisqu'on en a parlé aussi. Si votre ob- jectif était de souligner que la loi sur la protection de la jeunesse ne peut pas régler tous ces aspects qui constituent l'environnement dans lequel se trouvent les jeunes et les moins jeunes dans n'importe quelle société, je crois que vous avez raison. Je pourrais concourir au jugement que vous portez.

D'un autre côté, lorsqu'on finit l'étude du dossier, il y a tellement de qualifications qu'on se demande si cela vaut la peine de parler de changements à la loi.

Il est évident qu'on ne pourra pas, par une loi de protection de la jeunesse, modifier l'organisation scolaire, changer la disponibilité ou la non-disponibilité des enseignants, changer les mécanismes ou le fonctionnement du marché du travail. J'ai peine à comprendre si votre jugement, dans le fond, est positif ou négatif quant à l'opportunité d'adopter cette loi.

Pour être plus spécifique, vous parlez de prévention. Alors, je crois que la prévention est essentiellement meilleure, mais c'est un vieux proverbe qui le dit: Mieux vaut prévenir que guérir. Donc, personne ici n'a inventé cela. La prévention des problèmes de l'enfance, à supposer qu'on sache comment la faire, il faudrait le démontrer. Existe-t-il un point précis par lequel on doit, dans une loi, imposer à une personne, à un intervenant sur le plan social ou judiciaire, à une famille ou à un enfant, quelque chose qui soit obligatoire? On parle, encore une fois, non pas, je l'ai dit tantôt, d'un traité de pédo-psychiatrie, de pédagogie infantile ou quoi que ce soit, mais on traite essentiellement d'une loi. Si vous insistez tellement pour parler de ces autres aspects, est-ce que vous avez un cas où, dans une loi, on devrait dire: Une personne est obligée de se soumettre à telle ou telle intervention de nature préventive? Que serait cette intervention? Est-ce approprié de faire cela dans une loi?

Cela m'échappe un peu, ce genre de discussions, à moins qu'on puisse dire de façon assez concrète: D'accord, il faut que ce soit dans un contexte, il faut qu'il y ait toutes sortes de choses qui se passent dans la société; en plus de faire des lois, j'en suis.

Mais dans cette loi, est-ce qu'il y a quelque chose qu'on a omis de dire, qu'il est important de dire et qui a un caractère obligatoire? Si cela n'a pas de caractère obligatoire, ce n'est pas la peine de le mentionner dans une loi. Les lois ne sont pas faites pour exprimer des voeux pieux, mais pour dire à des gens: Vous avez telles responsabilités, tels devoirs, telles obligations. Qu'est-ce qu'on pourrait faire de plus au niveau d'une loi sur le plan de la prévention?

M. Reid: J'aimerais simplement peut-être, pour répondre partiellement à la question du ministre des Affaires sociales, dire qu'en principe, le conseil du Québec est d'accord sur le projet de loi qui est présenté. Maintenant, on voulait par notre mémoire le situer comme étant quand même une mesure qui est très partielle pour essayer d'aider davantage la jeunesse du Québec. On a voulu dé-

border le cadre de la loi. C'est évident que notre mémoire déborde de beaucoup toutes les mesures préventives.

On ne croit pas non plus qu'on puisse intégrer à l'intérieur même du projet de loi les mesures préventives dont on a parlé. Mais on voulait faire connaître aux membres de la commission que ce projet de loi n'est qu'un élément dans la solution des problèmes de la jeunesse et qu'il y a beaucoup d'autres paliers où le gouvernement devra intervenir pour vraiment protéger non pas la jeunesse en difficulté seulement, mais l'ensemble de la jeunesse du Québec.

On pense que le projet est davantage centré sur la jeunesse qui est déjà aux prises avec des difficultés de famille.

M. Forget: Sur un autre point, M. le Président, le mémoire souligne — on est revenu là-dessus à plusieurs reprises — la complexité du mécanisme de protection.

Je dois vous avouer que j'ai peine à être d'accord avec la description d'un mécanisme de décision en neuf paliers. Premièrement, parce qu'un certain nombre de ces paliers ne sont pas des paliers de décision, le premier étant que l'enfant fait face à des difficultés. Je pense qu'on voudrait bien le supprimer, mais si cela arrive, si on appelle cela un palier, il est là et on n'a qu'à le constater.

Par ailleurs, dans les remarques que M. Tardif a faites, je pense, à la fin, vous indiquez que la référence et l'orientation doivent être deux phases distinctes d'une prise en charge quelconque d'un enfant qui a besoin de protection.

On sait par ailleurs que beaucoup de groupes ont demandé une chose qui n'était pas présente dans le projet initial d'il y a trois ans, à savoir qu'il y ait possibilité d'appel d'une décision du tribunal.

J'ai donc peine à voir quels paliers au juste on souhaiterait éliminer. Je les énumère: la délation... Je crois que sur la délation, vous avez jugé que même s'il y a un danger — je pense que tout le monde en est conscient — l'avant-projet, tel qu'il est rédigé, établit un certain équilibre entre le danger d'un abus et la nécessité qu'il y ait quelque chose de prévu. L'intervention pour vérifier si la délation est bien fondée, je pense qu'on ne peut pas supprimer cela. Il faut quand même s'assurer qu'on ne fait pas des délations à la légère. L'information sur les droits, ce n'est pas un palier de décision. On pourrait évidemment éliminer l'information. Je pense que personne ne le souhaite non plus. L'évaluation, dans certains cas, faite par des professionnels qui sont seuls capables de le faire, est également inévitable, et, enfin, il faut prendre des décisions. Ces décisions sont soumises à un processus de contestation judiciaire qui va jusqu'à l'appel.

Si je pose la question c'est que, sur ce point aussi, je trouve une certaine ambiguïté. Je pense que nous déplorons tous que la vie et la société soient aussi compliquées qu'elles le sont.

Je pense que c'est bien clair que si on pouvait en trois paragraphes disposer de la protection de la jeunesse, tout le monde serait largement sou- lagé. Malgré tout, si, dans un mémoire, vous dites: Ecoutez, c'est compliqué et cela nous cause un souci, une inquiétude, je partage avec vous le souci et l'inquiétude, mais je ne vois pas de façon de simplifier les choses sans éliminer un élément essentiel. Et je me dis: S'entend-on là-dessus? Etes-vous d'accord avec nous? Avez-vous une proposition qui aurait pour effet de trancher le noeud gordien, d'éliminer les complications inutiles?

Vous soulignez — et ceci est important et il me semblait que c'était une chose nouvelle dans l'avant-projet et sur laquelle j'ai personnellement beaucoup insisté, même au moment où l'avant-projet a été rendu public, — la désignation de la responsabilité et de la continuité dans la responsabilité.

Il y a d'ailleurs un chapitre dans l'avant-projet qui parle de la continuité. Il est clair qu'on ne veut pas demander à tous les services sociaux, aux services de la cour, d'affecter une personne individuelle du début à la fin du processus. D'ailleurs, vous êtes d'accord avec nous pour dire que certaines de ces choses sont presque des situations de conflits, sinon d'intérêts, du moins d'opinions, qu'il faut que quelqu'un contrôle, qu'il n'y ait pas d'abus dans l'exercice d'un pouvoir par une autre personne. Mais malgré tout, il y a une désignation de responsabilité, c'est-à-dire de façon nominative, en quelque sorte, dans la loi, il y a la responsabilité du protecteur de la jeunesse, du directeur de la protection de la jeunesse.

Ce n'est pas, remarquez-le bien, la direction. Ce n'est pas à une structure que nous donnons cette responsabilité dans l'avant-projet de loi. C'est au directeur de la protection de la jeunesse. Pourquoi cette expression? Pour, justement, qu'il y ait dans la loi une base à une responsabilité individuelle.

Il est bien évident que le directeur ne sera pas en mesure d'assumer la responsabilité vis-à-vis de tous les enfants. Mais il n'y a pas d'autre mécanisme, dans une loi, que de l'attribuer à un individu et d'avoir une disposition très claire qui indique que cet individu, étant responsable de la protection de la jeunesse, va lui déléguer cette responsabilité. Et la délégation sera faite par la loi, ce qui veut dire que celui qui va la recevoir va disposer de tous les pouvoirs et va assumer toutes les responsabilités que la loi donne au directeur de la protection de la jeunesse, et ceci, du moment de la prise en charge jusqu'au moment où on ferme le dossier.

Et il peut arriver des cas où plus qu'une delegation successive se fait dans le cas d'un enfant en particulier, un enfant, par exemple, qui est référé dans un centre d'accueil pour une phase de réadaptation, de rééducation prolongée; il est normal qu'il y ait une délégation d'autorité à quelqu'un dans le centre d'accueil qui va être en contact avec cet enfant. Il ne faudrait pas que le souci de rigueur dans le concept de la continuité soit tel que, quand un enfant est situé dans des circonstances radicalement différentes de celles du départ, on adhère, de façon trop absolue, à la

notion de continuité, mais il s'agit que la continuité se déplace d'un individu à l'autre selon des procédures prévues dans la loi. Il me semble que cela est clair. Si cela ne l'est pas, de toute façon, je serais intéressé à ce qu'on nous aide à l'éclaircir parce que je pense que c'est, effectivement, à travers toutes les complexités inévitables, jusqu'à preuve du contraire de la loi, le filon conducteur qui va permettre qu'un enfant ne soit pas perdu dans ce dédale, un dédale qui, encore une fois, peut-être, peut être simplifié, mais je ne vois vraiment pas où, dans le moment du moins.

M. Paradis: Est-ce que je peux répondre, M. le Président?

Le Président (M. Pilote): Oui, parlez.

M. Paradis: Vous avez deux questions majeures. Voici la réponse à la première question: Est-ce qu'il y a moyen d'éliminer, au niveau des paliers? Ce n'était pas notre objectif, en identifiant des paliers de décision, de suggérer d'en éliminer. Notre objectif était surtout de souligner les dangers et il faut qu'on vous précise que, quand on a étudié ces paliers de décision, on s'est placé du point de vue d'un enfant plutôt que du point de vue d'une structure et on a dit: L'enfant, du début jusqu'à la fin, par quoi passe-t-il au niveau des décisions? Quelles décisions prend-on à son endroit? Il n'est pas question de dire: On peut éliminer. Ce n'était pas notre objectif. C'était d'identifier le cheminement de l'enfant. On a dit: II y a neuf endroits où on prend des décisions. Si je reviens, par exemple, au premier que vous avez souligné, il y a un enfant qui est en danger. L'idée était simplement celle-ci. Il semble, dans les 900 cas... On est allé au comité de protection des enfants maltraités et, dans les quatre premiers mois, dans les 900 cas, il y avait 43% des cas qui étaient pour des enfants de zéro à cinq ans. On s'est dit: Ce n'est pas l'enfant entre zéro et cinq ans qui va prendre le téléphone pour dire: On vient de me battre. Il ne faut pas s'attendre non plus que le parent dise: Je viens de battre mon enfant, venez me voir. On a dit: II y a 43% des cas comme cela qui vont devoir être soumis à une décision d'un voisin ou d'un individu qui dit: Selon mon schème de valeur, cet enfant est maltraité ou il est soumis à des situations qui seront au détriment de son développement. Il faut faire quelque chose. C'est la moitié des cas, jusqu'à maintenant, en quatre mois d'existence de la loi. Pour nous, c'est important. C'est un palier, il y a une décision qui se prend-là. On ne peut pas l'éliminer. Il n'y a aucun des neuf qui peut être éliminé.

Je ne sais pas si je réponds à votre première question. Il faut voir notre position ce matin dans un contexte global; on a essayé de situer la loi dans une politique globale de l'enfant. La deuxième question, vous parlez de responsabilité. Vous dites que c'est le directeur qui a la responsabilité. A notre connaissance, nous avons présenté un rapport à la commission Batshaw et c'est un des phénomènes de cette délégation de pouvoir qui existait. Cela allait mal dans les centres d'accueil, parce que chacun se délègue le pouvoir de l'un à l'autre. On se dit: Dans la loi telle qu'elle est présentée actuellement, c'est encore la même affaire; qui va donner à qui, à qui, à qui finalement la responsabilité réelle de cet enfant? On sait, vous le savez, M. le ministre, qu'il y a des enfants qui ont poireauté, si on peut employer le terme, dans des centres d'accueil, dans des centres de détention à sécurité minimum ou maximum pendant des mois, parce que leur cas ne pouvait pas passer, leur juge était en vacances, ainsi de suite.

On se dit: Cet enfant qui est pris dans la structure de la loi telle qu'elle nous est présentée, qui va en avoir la responsabilité, qui va dire au juge demain matin que cela fait trois semaines qu'il est ici, qu'il faut qu'il y ait une décision qui soit prise? C'est vrai que dans la loi on dit qu'après un certain temps, s'il n'y a pas de décision prise pour l'enfant, c'est fini. Mais il reste que cet enfant continue à avoir des besoins. Nous, on se dit: Dans une perspective de donner à cet enfant l'appui qu'il lui faut, qui s'assure que, dans tout le réseau des délégations, l'enfant va s'acheminer et ça va être bon pour lui? C'est ça, notre préoccupation.

J'espère que cette fois-ci aussi, dans la deuxième question, on précise notre pensée. Pour nous, on ne voit pas le directeur s'occuper de tous les enfants. Il va certainement déléguer des pouvoirs et la loi le lui permet. Mais c'est très dangereux, justement parce qu'on a l'expérience antécédente de l'ancienne loi de protection de l'enfance qui n'a pas démontré, à notre avis, toute la perfection de cheminement ou de fonctionnement qu'elle aurait dû démontrer. Il ne semble pas qu'il y ait une amélioration pour le moment, au niveau de cette responsabilité.

M. Forget: J'aimerais relever cette remarque parce que je pense qu'on aurait avantage à regarder de plus près la différence entre la loi qui est actuellement en vigueur et ce que l'avant-projet contient à ce sujet. Dans le moment, il n'y a pas de dispositions équivalentes et il ne faut pas se méprendre sur la signification des termes. Quand on dit que les enfants sont envoyés d'un individu à l'autre à l'intérieur du réseau, on ne parle pas de délégation faite en vertu d'une loi. On dit tout simplement que les gens n'assument pas peut-être de façon convenable des responsabilités qui sont, par contre, fort imprécisément définies et qui sont, s'il y a quelque chose, attribuées à des structures, c'est-à-dire, par exemple, en certain cas, au ministre lui-même et, si le directeur, dans chaque région, n'est pas capable de s'occuper de tous les enfants, je n'ai pas besoin de vous dire que le ministre non plus, et à plus forte raison.

Donc, quand des lois pour la protection de la jeunesse attribuent au ministre la tutelle des enfants ou la garde des enfants, c'est une fiction. Ce n'est même pas une fiction, c'est tellement fantaisiste que cela n'a aucune raison d'exister à mon avis, même à titre de fiction juridique, parce que cela ne peut pas correspondre à quoi que ce soit de réel.

Dans l'avant-projet, il y a une responsabilité

qui est attribuée au directeur et le directeur va la déléguer. Mais justement, il va la déléguer à quelqu'un qu'il va désigner lui-même parce qu'il est le patron de tous ceux qui s'en occupent ou qui peuvent s'en occuper et qu'il va le faire nominativement. Il va y avoir au dossier une désignation de cette personne, personne qui va demeurer légalement responsable au point même d'engager sa responsabilité professionnelle devant les tribunaux jusqu'à ce qu'il soit levé ou qu'il soit dégagé de cette responsabilité par une reprise en main du dossier par le directeur qui peut la confier à une troisième personne ou parce que le dossier est fermé. Donc, il y a là un ensemble de dispositions qui assurent qu'il y a un adulte à chaque moment, entre la prise en charge et la fermeture du dossier, qui va être responsable, professionnellement, légalement, de ce qui arrive à cet enfant et qui devra se comporter en conséquence.

Si jamais il y a des problèmes dans la façon dont c'est rédigé, on va s'assurer à ce que cet effet, qui est poursuivi depuis le début — c'est un des éléments essentiels de cet avant-projet de loi — on le retrouve intact ou amélioré, si possible, dans la version finale. C'est évident, on l'a tous constaté à la vue de certains dossiers, que la discontinuité dans la prise en charge, l'absence de points précis où la responsabilité portait, étaient à la racine d'un tas de problèmes. Je crois que, si la loi ne faisait presque rien que cela, personnellement, je crois qu'on aurait déjà un progrès significatif, indépendamment de tout le reste.

Je pense que, même avec les structures actuelles, les mécanismes actuels, pourvu qu'on ait déterminé clairement la responsabilité vis-à-vis un enfant, on aurait déjà un bon bout de chemin.

M. Tardif (Mario): A ce niveau, je trouve primordial que ce soit vraiment spécifié et on se demande même si ce n'est pas possible d'aller jusqu'à préciser le nombre de délégations possibles, parce qu'à ce niveau-là, dans l'application, en travaillant directement auprès des enfants, je peux vous dire qu'il y a des situations qui sont vraiment très déplorables. Ce n'est pas une recherche scientifique, mais il y a à peu près un mois et demi, lorsqu'on nous a avisé qu'on devait venir ici, j'ai relevé dans trente dossiers, dont neuf en centre d'accueil et 21 en milieux ouverts, à l'intérieur d'un an, de quatre à neuf chargés de cas par enfant. Le minimum de chargés de cas pour un enfant a été de quatre, le maximum étant de neuf.

Aussi, au niveau de l'évaluation, je pense qu'il y a là un abus. On parle aussi de protéger les gens contre l'ingérence, mais je pense qu'il faut aussi spécifier d'une façon très claire l'ingérence au niveau des enfants. C'est fantastique de voir comment un enfant de neuf ans ou de dix ans peut en arriver, à un moment donné, avec un paquet incompréhensible d'évaluations. Il y a des enfants qui nous arrivent à dix ans avec six, sept ou huit évaluations qui ont été faites dans un laps de temps d'un an. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond à ce niveau. Ce n'est pas l'esprit comme tel, mais il s'agit d'être le plus spécifique possible, pour éviter ces situations dans l'application pratique.

M. Forget: Je pense que vous avez aussi mis le doigt sur un problème qu'il est peut-être difficife ou même impossible de régler législativement. J'ai été conscient aussi de ce qu'on fait une succession rapide de chargés de cas. Il reste que l'explication qu'on obtient souvent, lorsqu'on pose la question, c'est que le chargé de cas a démissionné, a déménagé, travaille ailleurs ou Dieu sait quoi. Il est possible que, dans la majorité des cas, ce soit ce genre d'explication. Si le taux de roulement du personnel professionnel, par exemple, dans les centres de services sociaux, est trop élevé, sans que personne n'y puisse rien, à court terme, on va trouver plusieurs chargés de cas pour le même enfant. Même si la loi l'interdisait, je pense bien qu'il faudrait faire des exceptions tellement nombreuses... Vous posez, dans le fond, le problème, et je suis heureux que vous le fassiez, parce que vous êtes un groupe multidisciplinaire, des standards d'éthique professionnelle et des standards de pratique professionnelle pour les différents groupes qui sont chargés de la protection de la jeunesse.

Je n'ai pas besoin de vous souligner que la Loi sur la protection de la jeunesse n'abroge pas le Code des professions et qu'on suppose que les mécanismes de surveillance professionnelle et de discipline professionnelle vont s'appliquer pour les groupes professionnels qui sont impliqués et où cela peut jouer. Je pense qu'il y a passablement de chemin à faire de ce oôté. Je pense que les corporations et les groupes professionnels impliqués en sont également conscients, mais j'ai de grandes réticences à voir l'Etat ou le gouvernement devenir un organisme qui dit directement aux professionnels comment faire leur travail.

C'est évident, d'après les résultats, que c'est parfois moins que souhaitable, ce que l'on fait, mais je ne pense pas que ce soit à la loi de préciser qu'un professionnel qui s'occupe d'un enfant doit s'en occuper de la façon la plus continue possible, qu'il doit téléphoner à la famille une fois par semaine, dans certaines circonstances, une fois tous les quinze jours et tous les mois, dans d'autres circonstances.

Je ne crois pas que ce soit le rôle de lEtat, du gouvernement, de faire ce travail. Cependant, par l'Office des professions, comme vous le savez, l'Etat, malgré tout, doit s'assurer que les groupes professionnels font leur travail. On part de zéro dans certaines situations. Je suis sûr que les groupes professionnels impliqués voudront améliorer leur pratique. C'est de ce côté, à mon avis, qu'il faut mettre nos espoirs dans l'immédiat. Par ailleurs, sur le plan des établissements, vous savez qu'à la suite de la publication du rapport du comité d'études sur les enfants, on a annoncé notre acceptation d'une recommandation visant à créer un conseil d'agrément des services à l'en-

fance inadaptée. Je crois que tous les groupes, y compris le groupe que vous représentez, seront invités à participer à cet organisme qui ne sera pas un organisme gouvernemental, qui n'aura donc pas à juger si les programmes gouvernementaux qu'il applique sont bons ou pas bons, mais qui pourra le faire de l'extérieur, qui pourra aussi tourner son attention, ce qui est très important, sur les standards de pratique professionnelle, sur les dossiers qui n'existent pas. Ce n'est pas parce qu'il y a des directives gouvernementales qui interdisent qu'il y ait des dossiers pour les enfants. On se rend compte, dans certains milieux, que les dossiers n'existent pas ou que les éléments essentiels ne s'y trouvent pas.

Je crois qu'il y a là énormément de travail à faire qui se situe en dehors de la loi et qui doit se situer en dehors de la loi si l'on veut que chacun joue son rôle de façon appropriée. C'est tout, M. le Président.

Le Président (M. Pilote): D'autres questions?

M. Charron: M. le Président, j'ai une seule remarque à faire, et non pas une question. Le conseil a voulu faire porter la majeure partie de son intervention sur la nécessité de la prévention. Ma remarque, je la rattache à la première question que le ministre lui a posée sur l'incapacité de mettre dans une loi des mesures de prévention. Pour un certain temps, j'ai suivi son raisonnement. Effectivement, il est difficile de mettre dans une loi de la prévention, autrement que de la souhaiter; mais je ne partage pas son opinion. Je pense que le conseil avait raison d'insister là-dessus. La prévention n'est pas complètement absente dans la loi. Par exemple, la loi crée un nouvel organisme qui s'appelle le CLO, le Centre local d'orientation. Nous pouvons, par la loi et dans la loi, donner comme mandat et vocation au CLO, également sur le territoire qu'il sera appelé à desservir, un véritable rôle de prévention. Ce pourquoi le ministre peut être réticent, je pense, ce n'est pas à cause des difficultés légales que cela apporterait, mais nécessairement des difficultés financières que cela voudrait dire, parce qu'on ne dit pas à un organisme: "Vous avez le rôle de faire de la prévention sur un territoire", si on ne lui donne pas l'argent pour le faire.

Je pense que, si vous disiez à la commission que votre objection porte sur les engagements financiers que cela vous obligerait à faire, la commission aurait peut-être une véritable réponse. Mais rien ne nous empêche, dans la loi, de créer un organisme à l'intérieur duquel on fixe des mandats. Nous avons, nous tous ici, adopté des lois, comme la loi 65, par exemple, qui régit maintenant les services sociaux et les services de santé du Québec, où nous ne nous sommes pas gênés pour donner des mandats. Par exemple, il y en a eu lors de la création des centres locaux de services communautaires. Mais on savait, quand on faisait ce mandat, qu'on allait leur donner le budget pour le faire par la suite.

On pourrait faire cela du CLO. D'ailleurs, le rapport Batshaw, auquel vous venez, vous-même, de vous référer, parle d'un centre d'accueil de l'avenir. On pourrait aussi, à l'intérieur de la loi qui est là, lorsqu'on atteint le chapitre des centres d'accueil, donner une vocation. En parlant du centre d'accueil de l'avenir, le rapport parle d'un rôle de prévention des centres d'accueil. Il dit: Ils ne doivent plus être seulement des maisons closes où des jeunes sont forcés de se retrouver parce qu'ils ont passé devant les tribunaux ou parce qu'ils y ont été référés. Ils doivent oeuvrer sur le milieu. On doit ouvrir les centres d'accueil sur le milieu. Rien ne nous empêche, dans cette loi — je ne sais pas à quel article, M. le Président — lorsque nous procéderons à l'étude article par article, de le faire effectivement. Mais là, le ministre pourra peut-être me dire ses argumentations légales pour le refuser. Moi, je pense que son argumentation est financière. On ne peut pas faire le mauvais jeu de donner aux gens le mandat de prévention à oeuvrer dans le milieu si on ne leur donne pas les moyens pour le faire par la suite. On aura trompé la population. On aura une loi qui ne sera pas efficace.

C'est la seule remarque que je voulais faire en remerciant le Conseil du Québec de l'enfance exceptionnelle, parce que l'intervention qu'il a faite en insistant sur le devoir de prévention n'est pas absente de la loi que nous sommes en train d'étudier. Il ne s'agissait pas de voeux pieux. On peut effectivement inclure certaines mesures, certaines obligations d'oeuvrer à la prévention par certains des organismes que nous mettons sur pied dans ce projet de loi, mais encore faudrait-il s'assurer que ces organismes auront le budget pour remplir le mandat qu'on leur donnera.

Le Président (M. Pilote): On vous remercie, messieurs.

Il est déjà une heure moins dix. Il nous reste cinq organismes à entendre cet après-midi. La commission suspend ses travaux jusqu'à 2 heures cet après-midi.

M. Charron: Deux heures?

Le Président (M. Pilote): A 2 heures, parce qu'il nous reste cinq organismes que nous avons convoqués.

M. Charron: M. le Président, 2 h 30. On ira plus vite, c'est tout.

M. Forget: Est-ce qu'on peut faire un compromis pour 2 h 15?

Le Président (M. Pilote): A 2 h 15, d'accord! M. Charron: A 2 h 15, d'accord

Le Président (M. Pilote): La séance est suspendue jusqu'à 2 h 15.

(Suspension de la séance à 12 h 52)

Reprise de la séance à 14 h 30

M. Pilote (président de la commission conjointe des affaires sociales et de la justice): A l'ordre, messieurs!

J'inviterais M. Pierre Brien, président de l'Association professionnelle des criminologues du Québec, à bien vouloir s'approcher et à nous présenter celui qui l'accompagne.

Je vous rappelle que vous avez 20 minutes pour présenter votre mémoire. Le parti au pouvoir...

Association professionnelle des criminologues du Québec

M. Brien (Pierre): C'est une contrainte que d'autres organismes n'ont pas eue. J'imagine que qualitativement vous vous êtes sensibilisés à notre mémoire pour éviter une trop longue période d'éclaircissement, mais j'aimerais que les règles du jeu, sans trop empiéter et sans exagérer dans la longueur de notre mémoire, soient les mêmes que pour d'autres organismes. Sans charrier, sans aller trop...

Le Président (M. Pilote): Bien, j'espère, monsieur.

M. Brien: Toutes choses étant égales, c'est pour éviter les approches discriminatoires.

Le Président (M. Pilote): Allez, on verra.

M. Brien: D'accord. M. Marc Côté est celui qui m'accompagne. C'est une personne-ressource comme criminologue qui vit dans le milieu, qui a coordonné notre groupe de travail et qui, suite à la présentation du mémoire que je vais vous faire, ajoutera des commentaires pertinents en prolongement de ce mémoire parce que nous avons consulté nos cellules régionales et sectorielles en criminologie réparties dans toute la province. Nous avons reçu des mémoires qui nous ont été acheminés de sorte que ce que vous avez reçu est le fruit d'une consultation au niveau des criminologues répartis dans toute la province et dans leur secteur de spécialisation.

L'avant-projet de loi sur la protection de la jeunesse et le projet concernant les jeunes qui ont des démêlés avec la justice, inclus dans le rapport du comité du ministère du Solliciteur général sur les propositions formulées en remplacement de la loi sur les jeunes délinquants, ont été rendus publics presque simultanément par les gouvernements du Québec et du Canada.

Cette coïncidence chronologique ne nous semble pas être le fruit du hasard, mais bien celui d'une action concertée — d'ailleurs, les fonctionnaires des deux paliers se rencontrent fréquemment; on l'a senti dans cet avant-projet de loi, tout comme dans celui du fédéral — visant à une certaine complémentarité entre les deux lois. L'APCQ, dont plusieurs membres sont en contact quotidien avec des jeunes ayant des problèmes re- levant de l'une ou de l'autre de ces lois, se propose donc dans le présent mémoire de soumettre ses commentaires et recommandations.

Notre approche s'effectuera à travers l'étude des objectifs fondamentaux qui sont ou doivent être visés par lesdites lois. Ceux-ci seront explicités et commentés dans un premier chapitre.

Compte tenu des mémoires présentés par d'autres associations — d'ailleurs, il y a eu des réunions avec les autres associations pour tâcher d'éviter la répétition dans notre mémoire comme dans celui des autres; on doit souligner cela dans les mécanismes de consultation — et de l'analyse des textes des deux lois, certaines finalités nous ont semblé quelque peu reléguées au second plan.

Il s'agit, nommément, de la coordination entre les ministères impliqués et plus particulièrement entre les services qui relèvent ou qui pourraient relever de chacun d'entre eux. Nous y consacrerons, par conséquent, un second chapitre.

Finalement, nous tenterons de dégager nos principales conclusions et recommandations dans l'espoir qu'il en soit tenu compte lors de la rédaction des textes définitifs.

En termes de philosophie de base au niveau des objectifs de l'avant-projet de loi sur la protection de la jeunesse, on reprend un peu la démarche du ministre, M. Claude Forget, dans un discours prononcé au congrès du "Child Welfare League of America", en date du 7 mai I975, où il donnait déjà les principaux objectifs visés par la loi sur la protection de la jeunesse, à savoir, comme objectif premier, la reconnaissance de l'enfant comme sujet de droits: Droit d'être informé, droit d'être entendu — cela a été repris un peu ce matin, comme on l'a vu — droit d'être représenté par un avocat, droit à des services de réadaptation conformes à ses besoins.

Le deuxième objectif était celui du droit de l'enfant à vivre dans son milieu familial naturel.

Enfin, un troisième objectif. M. Forget insistait aussi sur l'action sociale préventive comme étant de toute première importance.

Une telle action pourrait s'exercer, selon ses déclarations, quant à l'orientation des enfants et des jeunes dans le système de protection de la jeunesse ou même par un effort important de dé-judiciarisation pour les jeunes impliqués dans le processus judiciaire. D'ailleurs, comme vous le savez, le fédéral, au niveau du Solliciteur général du Canada, a des projets dans ce sens, en termes de diversion, de déjudiciarisation.

Le cheminement de ladite action préventive se ferait via les comités d'"intake" ou comités locaux d'orientation.

Pour rendre effectif de tels objectifs, M. Forget envisageait, à l'époque, une meilleure coordination de l'appareil judiciaire et des services sociaux, le souci d'individualisation de la relation entre l'enfant en besoin de protection et les services de protection et, finalement, l'accroissement de la qualité et de l'efficacité des mesures de protection et de réadaptation de l'enfance.

Donc, trois objectifs importants, si on re-

prend: reconnaissance des droits de l'enfant, droit de l'enfant à vivre dans son milieu familial naturel; d'ailleurs, même dans les récentes répliques du ministre Forget au rapport Batshaw, il y a l'histoire des familles d'accueil qui remplacent la famille naturelle, et dont le rôle est de se rapprocher — j'imagine que c'est dans l'esprit de cela aussi — le plus proche possible de la famille naturelle, d'où responsabilité des parents à l'égard de leurs enfants, et action sociale préventive.

Ces objectifs peuvent être mis en parallèle, voire même étoffés par l'article 4 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, chapitre 48. Ledit article précise que toute personne a droit de recevoir des services de santé et des services sociaux adéquats sur les plans à la fois scientifique, humain et social, avec continuité et de façon personnalisée, compte tenu de l'organisation et des ressources des établissements qui dispensent ces services.

Le ministère des Affaires sociales met donc l'accent sur le droit de toute personne, donc l'enfant, le jeune, à des services accessibles de qualité, continus, efficaces, complémentaires et, somme toute, des services personnalisés. C'est un peu une préoccupation, aussi, qu'on a constatée en écoutant les rapports de ce matin.

Nous aborderons donc les objectifs sous-jacents à la loi de protection de la jeunesse avec l'éclairage de la loi sur les jeunes qui ont des démêlés avec la justice. L'un et l'autre palier, fédéral et provincial, semblent nourrir, à l'égard de la jeunesse en danger, une même philosophie qui apparaît acceptable, de prime abord.

C'est, toutefois, au niveau de la coordination entre les ministères provinciaux de la Justice et des Affaires sociales que se posent des problèmes de nature organisationnelle qui semblent avoir d'importantes implications sur le plan de la duplication des institutions relevant de chacun de ces paliers, duplication qui serait préjudiciable à la concrétisation des objectifs mentionnés. On irait même jusqu'à la structurer, des fois.

La reconnaissance de l'enfant comme sujet de droit, la reconnaissance, donc, des droits fondamentaux de l'enfant. La reconnaissance, le respect des droits de l'enfant sont une nouvelle fois soulignés dans une monographie du ministère des Affaires sociales intitulée "Les services à l'enfance, mémoire de programmes". Je passe la citation, vous la retrouvez à la page 15 de ce mémoire de programmes. L'avant-projet de loi sur la protection de la jeunesse insiste, tantôt à l'affirmative, tantôt à la négative, sur certains de ces droits. Il y a là, nous le reconnaissons, un effort louable de la part du législateur. A ce sujet, une nette amélioration sur l'actuelle Loi de la protection de la jeunesse est perceptible, mais le législateur devrait aller beaucoup plus loin et instaurer une charte des droits et devoirs de l'enfant. Par extension, les droits et devoirs des parents devraient aussi être clairement définis. Ce sujet ayant été largement abordé par des mémoires émanant d'autres associations, nous estimons qu'il serait superflu d'y reve-

Le milieu familial naturel de l'enfant comme milieu privilégié. Ce principe, nous le trouvons fondamental. Il pose toute la question du maintien de la responsabilité parentale. De nouveau, on cite dans notre mémoire l'ouvrage que nous vous avions déjà indiqué.

L'avant-projet de loi sur la protection de la jeunesse, dans ses articles 2 et 3, confirme et cristallise cet objectif du ministère des Affaires sociales, à savoir l'intérêt des enfants, qui doit être le motif déterminant des décisions qui sont prises à leur sujet en vertu de la présente loi. Ces décisions doivent tendre à maintenir les enfants dans leur milieu familial naturel. Nous ne pouvons donc que souhaiter l'application à la fois fidèle et lucide de ces principes. Nous disons fidèle, car il faut que la famille soit consciente de ses responsabilités et qu'en même temps le recours à l'institutionnalisation ne soit pas pris comme une solution de facilité. Nous disons, par ailleurs, lucide, car le milieu familial n'est pas toujours propice au développement normal de l'enfant. Dans pareil cas, il est du devoir de la société, à travers les services communautaires, notamment, de prendre en charge la réalisation de l'épanouissement de l'enfant dans un cadre qui se rapproche le plus possible de celui de la famille naturelle.

La coordination entre les structures préconisées par les deux lois en question en constituerait, à notre avis, la garantie.

On parle, Marc y reviendra tantôt, je vais aller plus vite ici, d'action préventive tertiaire et d'action préventive secondaire et on revient, dans un deuxième chapitre, sur la coordination entre les deux lois; on fait état — je vais vite, je réponds à votre désir — en page 9 de ce mémoire de l'éclairage de la loi fédérale; on y indique de façon schématique le double emploi qu'on a noté. Il y a, par exemple, le bureau de sélection, qui peut se retrouver dans le projet de loi fédéral au niveau du comité local d'orientation, au niveau de "l'intake", et le comité de révision fédéral, qui ressemble étrangement, dans ses termes de référence, à la commission de protection de la jeunesse, d'une part, et le conseil de surveillance régional, d'autre part; et, à la fin, où il était question du directeur de protection de la jeunesse comme responsable, qui, à son tour, délègue à des chargés de cas, ce matin, on voit un directeur au provincial et au niveau fédéral également.

Donc, il nous a semblé qu'il y avait certains recoupements, jusqu'à un certain point, entre les deux textes de loi. C'est ce qu'on soulève ici. Egalement, en termes de la coordination des structures, dans un souci certain d'individualisation, de la relation de protection, d'accroissement de la qualité et d'efficacité des mesures de protection et des mesures de réadaptation de l'enfance et de la jeunesse, dans un souci certain d'obtention pour la jeunesse de services accessibles continus, efficaces, personnalisés, on propose, comme association, ci-dessous, un organigramme où vous avez la commission de protection de la jeunesse pour ce qui est de la protection, du bien-être, de la probation, de la santé; le comité local d'orientation ou

bureau de sélection, selon l'appellation qu'on veut lui donner au plan fédéral, au plan provincial, le directeur de protection de la jeunesse et en dessous, protection sociale d'une part, la protection judiciaire d'une part, la protection sociale qui se veut volontaire, la protection judiciaire qui émane de l'application des lois fédérales ou du code criminel avec en dessous des agents de protection de la jeunesse.

Les attributions des uns et des autres — c'est un peu important, on va s'y attarder — la commission de protection de la jeunesse aurait les mêmes fonctions que lui a dévolues l'avant-projet de loi à l'exception de l'institution de conseils de surveillance régionaux à l'article 22 b); en plus, elle assumerait les fonctions du comité de révision prévu par la législation fédérale, dont l'importance nous paraît considérable, et qui pourrait prendre le style du comité de révision défini dans la Loi sur la santé mentale; ainsi, selon certaines modalités, les jeunes en protection sociale ou judiciaire pourraient voir réviser leur cas au moins une fois par six mois. Ladite commission devrait, dans sa composition, tenir d'une égale représentation des ministères de la Justice et des Affaires sociales.

Pour les fins de la loi fédérale, le président de la commission pourrait également assumer la fonction de directeur provincial. Le comité local d'orientation devrait également être constitué à part égale de représentants des ministères des Affaires sociales et de la Justice. Il servirait d'organisme d'"intake" ou, encore, comme le prévoit la loi fédérale, de bureau de sélection. Ce même comité recevrait les enfants dont la sécurité, le développement ou la santé sont considérés être en danger. Les circonstances où la sécurité, le développement ou la santé d'un enfant peuvent être en danger sont énumérées aux articles, comme on le sait, 48 a) et r) de l'avant-projet de loi de la protection de la jeunesse.

En ce qui concerne l'article 48j) de lavant-projet, lorsque des dispositions d'une loi du Canada sont visées, il faudrait s'en référer à la procédure décrite dans la loi fédérale sur les jeunes qui ont des démêlés avec la justice.

Grosso modo, le processus pourrait être le suivant: le jeune âgé de plus de 14 ans est amené devant le procureur général ou son substitut, substitut qui serait intégré au CLO, qui peut, avant de décider si une dénonciation doit être portée contre un jeune, utiliser les autres services du bureau de sélection approprié, le bureau de sélection détermine si les besoins de la justice, l'intérêt du jeune ou celui de la société peuvent être satisfaits sans avoir recours aux procédures judiciaires, à savoir déjudiciarisation, la recommandation du bureau de sélection au procureur général ou à son substitut de porter une dénonciation n'est pas exécutoire mais bien discrétionnaire.

Si le bureau de sélection recommande de ne déposer aucune dénonciation, il ne peut être déposé de dénonciation à aucun moment. Avant de formuler sa recommandation, le bureau de sélection peut proposer aux jeunes des conditions telles dédommagement, restitution, services communautaires et, si le jeune les accepte, le bureau de sélection est considéré comme ayant recommandé au procureur ou à son substitut de ne pas procéder contre le jeune.

Les fonctions du comité local d'orientation seraient donc celles libellées aux articles 51 a), b), c) de l'avant-projet. Ces articles précisent que le CLO doit effectuer sans délai une évaluation de la situation, appliquer les mesures provisoires qui s'imposent de façon urgente et acheminer l'information à la DPJ avec les recommandations appropriées.

Il nous semble toutefois inutile que ladite direction fournisse un rapport sur la situation dans les 72 heures, tel que mentionné à l'article 51 c). Dans les cas visés par une disposition d'une loi du Canada, Code criminel, statut fédéral, il est recommandé de se référer aux fonctions du bureau de sélection, tel que stipulé dans la loi sur les jeunes qui ont des démêlés avec la justice.

La direction de la protection de la jeunesse, pour sa part, se verrait confier la pleine responsabilité des cas que lui réfère le comité local d'orientation, ce qui n'empêche nullement la création d'un comité de révision intégré à la commission. La DPJ aurait donc à voir à l'application des mesures de prévention et de 'déjudiciarisation ' pour les jeunes de 0 à 18 ans.

Maintenant, il est impérieux de situer la DPJ dans l'organigramme des services sociaux. Sous forme schématique, de nouveau, nous avons reproduit un peu le portrait que cela nous donnait et nous avons fait des commentaires.

En conclusion de ce mémoire, nous voulons dégager les principales conclusions auxquelles la réflexion effectuée dans les pages précédentes nous conduit: Nécessité d'élaborer une charte des droits et devoirs de l'enfant; application fidèle et lucide des principes de maintien de l'enfant dans son milieu familial naturel; inclusion dans les fonctions du directeur de la protection de la jeunesse, de la planification des programmes de prévention secondaires; allégement des structures prévues à l'intérieur de l'avant-projet de loi, afin de permettre une relation de protection plus individualisée et plus efficace; coordination des organismes créés par les deux lois, fédérale et provinciale, selon les détails mentionnés à notre chapitre 2.

Nous aimerions, en outre, formuler les recommandations suivantes:

Dans le but de limiter l'inférence de l'Etat dans la vie des particuliers, faire disparaître, dans l'avant-projet de loi, les énoncés par lesquels on dévolue à peu près à n'importe qui le rôle d'agent de la paix. D'ailleurs, nulle part là-dedans, il n'est question du domaine policier et ce qu'on entend précisément par agent de la paix. Evidemment je travaille à la Commission de police, je fais cette remarque à titre personnel.

Si un besoin en est, se référer à la cour pour l'obtention d'un mandat. Limiter les évaluations psychosociales conformément à l'esprit de la loi fédérale, évidemment, dans les rapports prédécisionnels. Que le CLO ne puisse contraindre quiconque à comparaître devant lui.

2- Préciser les notions de protection sociale et de protection judiciaire. Selon nous, une protection sociale ne devient pas judiciaire parce qu'autorisée par la cour. On pourrait parler de protection sociale volontaire ou non ou de protection sociale à incidence judiciaire, uniquement quand il y a délit.

L'avocat, enfin, se devrait d'avoir une formation spéciale pour la population de la cour juvénile, l'intérêt de l'enfant n'étant pas nécessairement uniquement dans la preuve de la matérialité des faits et de l'imputabilité de l'acte.

Pour terminer notre présentation, M. Marc Côté va revenir sur certains aspects du mémoire en étoffant davantage et en prolongement de ce mémoire qui était présenté au mois de novembre, en réalité, pour relever les problèmes de concordance entre les deux projets de loi, de direction intégrée et d'expérience vécue, car il est lui-même dans un CSS présentement. Il va vous situer certains problèmes que pourrait soulever l'avant-projet de loi, les aspects préventifs si on parle de prévention tertiaire et secondaire et leurs implications, de même que la distance qui est apparue chez nous entre l'évaluation et le traitement.

On donne à deux structures différentes l'évaluation et le traitement. Il va vous indiquer en quoi cela nous apparaît un certain danger. J'ai communiqué avec Maurice Cusson, criminologue, qui faisait partie du comité Batshaw. Au niveau de notre association, je dois vous rappeler que — cela a une incidence sur l'article 55 a) et b) de l'avant-projet de loi sur la protection de la jeunesse; c'est pertinent au sujet d'aujourd'hui — le comité Batshaw demandait à tout prix que les cas de protection ne puissent être l'objet de détention dans des prisons provinciales, par exemple, ou à un centre de détention de sécurité tel que cela traumatise ou que cela ait une influence de contamination plus grave que ce qu'on veut viser par cet article. C'est un autre aspect que je relève et que je vous signale.

M. Côté (Marc): Pour ma part, j'aimerais donner mes coordonnées qui, disons-le, sont très particulières dans l'actuel réseau des affaires sociales. En fait, j'appartiens à un service de consultation en délinquance, service de consultation en délinquance qui est intégré à un CSS, le CSS Richelieu pour ne pas le nommer. C'est le seul service de consultation en délinquance au Québec intégré à un centre de services sociaux.

Ailleurs, ce qu'on retrouve, finalement, ce sont des criminologues qui sont intégrés au service jeunesse ou à un service qu'on appelle famille-jeunesse, selon le CSS dans lequel on se trouve.

Traditionnellement, dans le réseau des affaires sociales, les cas de protection, qu'on appelait les articles 15, allaient automatiquement ou à peu près aux gens du service jeunesse, par opposition, par exemple, aux articles 20. Encore là, on l'a mentionné à une session antérieure de la commission, souvent même on collait un article 20 à un enfant pour pouvoir mieux le placer ou le placer plus vite. Ces cas de l'article 20 étaient acheminés à peu près automatiquement au service de probation.

Avec la création d'un service de consultation en délinquance, nous autres, on arrive et, évidemment, on boycotte tout le réseau. Le travail qui est fait jusqu'ici par la probation, on peut, d'une part, le prendre et non seulement on peut le prendre ou le donner à un équivalent, lorsqu'il y a un service judiciaire ou à la demande du juge, mais on peut aussi aller beaucoup plus loin, dans le sens d'un visage, par exemple, psychosocial de délinquance et non pas uniquement une définition juridique de la délinquance, parce que, lorsque l'on parle de délinquance, les délits, c'est une chose, mais des caractères prédélinquants ou des comportements prédélinquants ou délinquantiels, c'est également une chose. Ce n'est pas parce que quelqu'un fait un délit que nécessairement c'est un délinquant.

Notre objectif général, au niveau d'un service, c'est de promouvoir la création, le développement, la coordination des services de traitement et de prévention de la délinquance juvénile. C'était là rapidement ma présentation, un peu ce que je fais comme travail. Je voudrais déboucher sur le mémoire et apporter rapidement un peu plus de précision.

On a parlé tantôt de concordance entre les deux projets de loi. C'est important pour nous. Si on a présenté notre mémoire en tenant compte à la fois des deux projets de loi, c'est que les gens que nous représentons oeuvrent dans différents secteurs juvéniles, à savoir probation, milieu ouvert, milieu institutionnel et même milieu scolaire, parce qu'on a tout de même des criminologues scolaires, travail de rue, travail de milieu, etc. Ils sont en contact quotidien, comme le disait tantôt Pierre, ou à l'intérieur du mémoire, avec des jeunes visés dans l'un et dans l'autre projet de loi.

Il va donc de soi que nous ne pouvions aborder l'étude de l'avant-projet de loi sans aborder parallèlement le projet de loi fédéral. Raison de plus, lorsque nous savons que la probation sera intégrée officiellement au CSS en avril 1976 et que ce même service de probation, qui travaille en contexte judiciaire et à la demande du juge, devra sûrement être pensé à nouveau à la lumière de la nouvelle pièce de la législation fédérale.

Pour notre part, les concordances qu'on retrouve à l'intérieur des deux projets de loi sont donc on ne peut plus heureuses si nous voulons déboucher sur une politique globale et unifiée de la protection de la jeunesse en danger au Québec. Je voulais aller plus loin à l'intérieur des concordances entre les deux projets de loi, mais je vais en parler assez rapidement. Si vous avez des questions par la suite, je pourrais y revenir.

On parlait tantôt de concordance quant à la date de parution de ces deux projets de loi, concordance aussi quant à la philosophie, concordance quant aux organismes créés. On parlait du CLO, on parlait aussi du bureau de sélection.

Encore une fois, je pense que pour la plupart d'entre vous, cette concordance, vous l'avez su-

rement vue jusqu'ici. D'ailleurs M. Forget — je lisais le journal des Débats — en parlait même, à savoir que c'étaient des organismes identiques. Alors, qu'on parle donc de CLO, au fédéral, on parle de bureaux de sélection. Par contre, un bonhomme qui est un peu plus difficle à placer là-dedans, c'est celui que la loi fédérale appelle directeur provincial. Est-ce l'équivalent du directeur de la protection de la jeunesse? Pour nous autres, la somme de pouvoirs qu'on lui donnait semblait nous faire croire que non. Ce bonhomme, on le situait davantage au niveau de la commission, ce qui aurait pu être, par exemple, le président de la commission de la protection de la jeunesse.

Un deuxième point que je voudrais apporter au nom du groupe, ce sont les difficultés soulevées par les notions de direction de protection de la jeunesse et par la notion elle-même de protection de la jeunesse. J'aimerais, M. Forget, que vous puissiez tantôt nous donner plus de précisions là-dessus. Il est important de savoir que, compte tenu des responsabilités importantes qui sont dévolues au directeur de la protection de la jeunesse, et là, notre point de vue n'est pas nécessairement lié à une question de structurite, mais compte tenu des pouvoirs importants qu'on semble lui donner, il est important donc que ce directeur soit vraiment à la tête d'une direction, non pas à la tête d'un chef de service. Si on se situe un peu, et c'est pour cela que c'est intéressant ici de le mentionner... Si vous prenez l'organigramme des centres de services sociaux, vous avez une direction générale, vous avez des directeurs de directions, vous avez des directeurs de divisions, vous avez aussi des chefs de services. C'est clair que si le directeur de la protection de la jeunesse, avec les pouvoirs qu'on lui veut dans la loi, est nommé ou est dans la DPJ, c'est-à-dire, si ce directeur est intégré à ce qu'on appelle actuellement dans les CSS la direction de la gestion des programmes, il y aurait donc le directeur de la gestion des programmes, il y aurait le directeur et son subalterne de la protection de la jeunesse, et ensuite, il y aurait ses praticiens. Si de fait, on veut une loi efficace et personnalisée, je pense qu'il sera tout de même important de préciser cette notion de direction.

Il en va de même, pour la notion de protection qui est étroitement liée à cette notion de direction, à savoir que si on s'en tient au libellé actuel de l'article 48, c'est qu'on peut toucher à peu près tous les enfants du Québec. Evidemment, si on reprend le mémoire de l'ACSS, l'Association des centres de services sociaux, le gros de l'argumentation, c'était tout simplement de restreindre la portée de cette notion de protection pour l'attribuer uniquement à des cas d'exception, à savoir, les enfants en danger moral ou physique. Alors, c'est pour cela que je trouverais drôlement important qu'on puisse revenir là-dessus. Quant à notre position à nous, comme association, cette direction de la protection de la jeunesse, pour qu'elle soit le plus efficace possible, on l'avait vue liée directement au directeur général, et non pas sous le directeur de la gestion des programmes, pour qu'on puisse nettement identifier qui est responsable de qui dans les CSS et au niveau, par exemple, des enfants qui ont des problèmes, à la fois de délinquance ou sont en besoin de protection.

On pourrait même aller, parce que je n'ai pas nécessairement toutes les réponses pour situer cette direction dans les CSS, on pourrait même prévoir aussi, ce qui serait probablement plus efficace à l'intérieur des structures actuelles des CSS, un programme juvénile par opposition à un programme adulte, ou le programme juvénile, si on tient compte actuellement de l'étendue de la notion de protection. Alors, le directeur de la protection de la jeunesse pourrait avoir sous lui tout ce qui touche actuellement les juvéniles qui se présentent dans les centres de services sociaux. Je parle là de services cliniques, également de ressources.

On a parlé ce matin de prévention. Il semble que c'était difficile de prévoir cette notion dans le texte de loi. M. Charron, par contre, a repris ensuite. Pour nous, ce qui est important, si on se réfère à la monographie du ministère des Affaires sociales, intitulée les services à l'enfance, mémoires de programmes, on parle de prévention primaire, secondaire et tertiaire. La prévention étant davantage liée à des grandes mesures socio-économiques, la prévention tertiaire, de son côté, étant davantage au niveau de la limitation des conséquences. Lorsqu'on intervient au niveau des centres de services sociaux ou lorsqu'on fait une demande de protection, il s'agit, selon nous, davantage de prévention tertiaire.

Bien souvent, la notion de prévention secondaire est laissée de côté, cette notion de prévention secondaire, qui est tout de même incluse actuellement dans le chapitre de la loi sur les services de santé et services sociaux et qui serait dévolue aux CLSC. Je pense qu'il devrait y avoir ici un lien plus étroit de fait entre les CLO ou entre tout cet aspect de direction de la protection de la jeunesse et, en même temps, les CLSC.

Un autre point important aussi que nous voulions apporter. Le ministre disait, ce matin, qu'on ne dit pas quoi faire aux professionnels. Je voudrais bien, mais lorsqu'il passe une directive, par exemple, pour les CSS — je ne sais pas si la directive est encore la même — de créer, à l'intérieur d'une direction de la protection de la jeunesse, un service "accueil et évaluation" et, à côté de cela, par exemple, un service "probation" ou un service de protection judiciaire, c'est donc d'arriver à scinder l'aspect évaluation de l'aspect traitement. Pour les professionnels que nous représentons, c'est clair que le fait de dichotomiser ce processus, on ne peut pas accepter cela, si vous voulez. Pour nous, on ne se situe pas là-dedans.

Je pourrais tantôt développer les avantages là-dessus, mais je ne veux pas tout de même prendre trop de votre temps. Il serait important, par contre, de se référer à l'expérience qui se fait présentement en Belgique. On a adopté la Loi de la protection de la jeunesse en Belgique, en 1965, et depuis onze ans, ceux qui font l'évaluation auprès de la cour essaient de sortir de ce guêpier, et

ce qui est cocasse, c'est que nous, actuellement, on est en train de vouloir y sombrer. Je pourrai expliquer cela aussi, avec les problèmes que cela peut poser. C'est tout!

Le Président (M. Pilote): L'honorable ministre des Affaires sociales.

M. Forget: Merci! J'aimerais féliciter particulièrement l'Association des criminologues du Québec de son mémoire qui est très bien fait et qui nous permet d'aborder un domaine qui n'a peut-être pas suffisamment fait l'objet des travaux de cette commission jusqu'à maintenant. C'est le problème de concordance entre la législation fédérale et la législation provinciale.

Il est tout à fait exact, comme l'a perçu le groupe qui est devant nous, que ce n'est pas par hasard que les deux projets sont présentés au même moment. D'ailleurs, on se souviendra peut-être que, lorsqu'en 1974 on pressait le gouvernement de dévoiler à quel moment il déposerait enfin une nouvelle version de la Loi de la protection de la jeunesse, j'ai, à chaque occasion, répété qu'il était important d'essayer, le plus possible, de coordonner cette nouvelle version avec ce que l'on savait qui se préparait du côté de la législation fédérale. D'ailleurs, et je crois qu'il est important de le souligner ici, des fonctionnaires du gouvernement du Québec, tant sur le plan de la Justice que des services sociaux, ont travaillé à un comité d'étude fédéral-provincial pendant plusieurs mois — plus d'un an — à l'élaboration du document qui a été rendu public l'automne dernier et qui suggère un cadre qui s'intègre assez bien avec celui qui fait l'objet de l'avant-projet de loi que nous étudions maintenant.

Cela nous amène peut-être à apporter quelques précisions sur ce problème de coordination. Vous avez dit, avec raison, qu'une des préoccupations qui nous a guidés était précisément d'assurer une meilleure coordination entre l'appareil judiciaire et les services sociaux. Ceci peut se faire, évidemment, de bien des façons. Le problème se pose à plusieurs niveaux. Il se pose d'abord au niveau des relations, sans doute, entre les deux ministères, le ministère de la Justice et le ministère des Affaires sociales.

Cependant, je crois qu'il y a beaucoup de choses qui ont été dites un peu sans fondement, et je parle de façon très générale, à ce moment-ci, relativement à des problèmes de coordination à ce niveau. Bien sûr, il y a des discussions entre les fonctionnaires, occasionnellement les ministres. Les points de vue ne sont pas toujours absolument les mêmes, mais, de façon générale, il y a une très remarquable convergence au niveau gouvernemental, parce qu'après tout, c'est le gouvernement qui propose le projet de loi, et non pas seulement un des deux ministères.

Les problèmes beaucoup plus substantiels apparaissent non pas au niveau administratif et gouvernemental mais apparaissent soit dans les lois elles-mêmes, qui sont administrées, bien sûr, dans deux optiques différentes: l'une est une version pour les jeunes du Code criminel, l'autre est une loi qui aménage certains services de protec- tion sociale.

Il est évident qu'il y a là deux conceptions. Le problème se pose au niveau des individus qui, ayant des formations différentes, formation juridique ou formation dans les sciences de l'homme, n'abordent pas les problèmes exactement de la même façon. C'est essentiel de sentir qu'il y a ces différents niveaux dans les problèmes de coordination parce que l'appel que l'on entend souvent, de confier à un seul ministère la juridiction, par exemple, sur l'ensemble des problèmes de l'enfance, ne résoudrait pas la plus importante des difficultés — on s'attache beaucoup plus, je pense, au symbole qu'à la réalité — ne changerait pas le fait qu'il y aurait quand même une loi fédérale et une loi provinciale, et ne changerait pas le fait que, la formation professionnelle, les orientations, la personnalité même, dans certains cas, des gens étant différente, il y aura toujours, quels que soient les aménagements administratifs, des difficultés et des nécessités de concilier les choses.

Vous avez très bien perçu que le comité local d'orientation et le bureau de sélection étaient une seule et même chose, dans le fond. Je pense qu'il n'y a aucune objection à ce que, dans une loi provinciale, on lui donne un nom différent et aussi une vocation plus large. Il restera, sur les derniers milles de la législation, à préciser dans une des clauses à la fin que ce que, dans cette loi-ci de protection de la jeunesse, on appelle un comité local d'orientation doit être compris en interprétant la loi fédérale comme étant un bureau de sélection. C'est une question très minime.

Vous avez soulevé, cependant, une question plus importante, c'est celle du directeur provincial de la jeunesse qui est prévu dans la législation fédérale. A première vue, l'attitude qu'on semble pouvoir adopter de ce côté — il faudra voir, sur le plan législatif, s'il n'y a pas d'erreur dans cette position —-c'est de dire que, pour le Québec, au moins, le directeur provincial de la jeunesse c'est, pour chacune des régions du Québec, le directeur régional de la protection de la jeunesse. Il semble qu'on puisse interpréter comme cela la loi fédérale. Autrement dit, il n'y aurait pas de directeur provincial, il y aurait des directeurs généraux qui auraient tous les pouvoirs que la loi de protection leur donnerait plus ceux que la loi fédérale donne au directeur provincial de la jeunesse.

Cela, avant de vous dire que c'est nécessairement comme cela qu'on trancherait le problème, vous semblez avoir peut-être des réserves et des hésitations à ce qu'on n'ait pas du tout, par exemple, de directeur de la protection de la jeunesse sur un plan provincial. Vous semblez suggérer que la commission de la protection de la jeunesse joue un certain rôle de révision.

J'aimerais peut-être que vous développiez cela un peu, parce qu'on nous fait déjà le reproche, je pense, avec raison, qu'il y a peut-être des améliorations à apporter, que c'est un peu compliqué. Là, vous suggérez, dans le fond, un rôle peut-être qui s'ajoute à d'autres. J'aimerais que vous soyez un peu plus complet là-dessus.

M. Côté (Marc): Pour le directeur, c'est-à-dire

pour le comité de révision, actuellement, c'est clair que ce n'est pas prévu dans l'avant-projet de loi sur la protection de la jeunesse. Maintenant, à partir du moment où on met sur pied une commission qui s'appelle commission de protection de la jeunesse et qui doit voir à l'application donc de la protection de cette même jeunesse, ce que nous considérons important, c'est que les gens qui sont présentement sous le coup de cette loi-là, qui sont touchés par cette loi, par exemple si quelqu'un se retrouve dans un centre d'accueil, il peut y être pour six mois, il peut y être pour un an, il peut y être pour dix ans...

Ce qu'on dit tout simplement, c'est qu'à l'intérieur de cette même commission, il pourrait tout simplement y avoir un comité permanent qui réviserait tous les cas de ce genre, par exemple. Il est facile de faire un parallèle, comme on le disait tantôt, avec le comité de révision où, au niveau de la Loi de protection de la santé mentale, sur demande du patient, des parents, ou bien automatiquement une fois par année, par exemple, il y a nécessairement une révision. Alors, c'est dans ce sens qu'on parle, en tout cas... le souhait actuellement est très bien défini au niveau de la loi fédérale, à savoir que ce même comité de révision soit également intégré, ici dans la loi sur la protection de la jeunesse. On le voyait au niveau de la commission de protection de la jeunesse.

M. Brien: M. Forget, si je peux me permettre d'ajouter un mot brièvement, il s'agit d'utiliser les ressources en place, les structures existantes; c'est un peu le sens de notre intervention. S'il y a un mécanisme d'établi au niveau de la santé mentale, ou s'il y a des structures qui sont envisagées au niveau du fédéral, il faut qu'il y ait une saine coordination, il faut éviter les duplications, soit internement ou au niveau du fédéral. C'est le sens de notre intervention.

M. Forget: Je suis tout à fait d'accord avec vous. Dans le fond, ce que vous suggérez, c'est que ce pouvoir de révision qui existerait en vertu de la loi fédérale soit attribué à des organismes qui existent déjà, ou qui sont prévus de toute manière dans le cadre de cette loi. Je cherche l'article, mais il me semble que, dans la rédaction actuelle, sauf erreur, on prévoit une révision périodique justement des cas d'hébergement obligatoire et il me semble que ce pouvoir est donné à la commission; de mémoire, je dois vous avouer que je ne peux pas retrouver l'article rapidement, mais il me semble que c'est déjà là.

M. Côté (Marc): il peut se présenter une difficulté toutefois. On a mis à l'intérieur des CSS, des comités de révision au niveau des centres d'accueil; mais le problème, c'est que ceux qui font partie du comité de révision sont à la fois juges et parties, à savoir que ce sont des représentants du centre d'accueil et du CSS.

Alors, si moi, j'arrive, comme praticien, et je dis: Le jeune qui est là, il n'a pas d'affaire à être là, c'est clair que le gars qui représente le centre d'accueil ne viendra pas dire: Ecoute, nous sommes capables de travailler avec lui. Alors, c'est important d'avoir un organisme indépendant. C'est dans ce sens que notre intervention est faite.

M. Forget: Si vous me permettez, il y a un dernier aspect qui devient de plus en plus d'actualité dans ce problème d'interrelation entre la législation fédérale et la législation provinciale; c'est que, maintenant que plusieurs étapes ont été franchies ici, dans l'étude de l'avant-projet, il semble, d'autre part, que le projet fédéral, tout en étant public, n'est pas encore sur le point d'être adopté. Je dois vous avouer que, sur le plan de la préparation d'un projet final, tant et aussi longtemps que cette situation d'incertitude existe, il faudra envisager une rédaction un peu plus compliquée, peut-être, de notre projet, de manière à prévoir les deux situations, c'est-à-dire la situation dans laquelle on sera si la loi fédérale n'est pas changée ou si elle changeait seulement dans un an ou un an et demi, et la situation qui prévaudra au moment où la loi sera effectivement changée.

C'est un peu ennuyeux cette situation-là. Je ne sais pas si c'est le temps de le dire, mais je crois qu'il y a, du côté des provinces et du côté du Québec, certainement, une certaine impatience à attendre que la révision de la loi fédérale se fasse et se termine de manière que la coordination qu'il faut réaliser, on puisse la faire avec un texte qui soit définitif. Sinon, nous serons obligés d'avoir une loi un peu compliquée en disant: Tant que ce n'est pas changé, c'est d'une façon et, quand ce sera changé, ce sera d'une autre façon.

Il ne faut pas oublier l'ampleur des modifications qui sont impliquées parce que la loi fédérale à envisager a pour effet de restreindre son champ d'application aux infractions au Code criminel. Toutes les infractions à des lois provinciales ou à des règlements municipaux deviendront des délits, si on peut dire, qui seront punissables en vertu d'une loi provinciale. Il faudra le prévoir dans la loi de la protection de la jeunesse, de manière qu'on couvre complètement le champ. Ce qui veut dire que non seulement certains articles fonctionnels, en quelque sorte, du projet de loi risquent d'être modifiés, mais son champ même d'application sera conditionné par l'adoption d'une autre loi.

Je pense qu'il est bon d'en être conscient, à ce moment-ci, parce que, évidemment, on risque d'être un peu déçu par l'apparition d'un texte qui doit faire la part de toutes ces possibilités-là si, au moment où on sera prêt à le faire, ce qui ne devrait pas tarder, on est encore dans la même situation d'incertitude du côté fédéral.

J'aimerais que vous expliquiez un peu une affirmation que vous avez faite à l'effet de limiter l'évaluation psychosociale. Vous avez cela dans une partie de votre texte. Vous avez également dit: Dans le domaine de l'évaluation auprès de la cour, la division de l'évaluation et du traitement, nous ne sommes pas trop en faveur de cela; nous trouvons que ce n'est pas extrêmement bon.

Je serais porté à être d'accord avec vous et je

pense que les deux questions sont liées. Ils est clair que l'évaluation qui se fait indépendamment de tout traitement devient rapidement une espèce d'exercice un peu théorique, un peu futile. D'autre part, un traitement qui n'est pas basé sur une évaluation l'est également. N'y aurait-il pas lieu de préciser un peu davantage justement l'évaluation? C'est peut-être cela que vous voulez dire, de ne pas faire constamment des évaluations pour des gens pour lesquels l'évaluation n'est pas fondamentalement nécessaire. C'est un peu une présomption, à moins d'avoir des signes clairs, qu'il n'est pas nécessaire d'évaluer les gens sur le plan psychiatrique ou psychologique.

Il y a une présomption d'intelligence et de normalité envers n'importe qui, dans le fond, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas une évaluation au moins sommaire sur le plan social, sur le plan du contexte familial, etc., qui est requise, qui, elle, peut se faire par les mêmes équipes que celles qui s'occupent du traitement proprement dit.

M. Côté (Marc): D'accord, mais, avant de répondre à votre question, j'aurais peut-être deux commentaires très rapides. Vous avez parlé tantôt du directeur provincial. Vous avez dit également que cela pourrait être l'équivalent du directeur de la protection de la jeunesse; encore faudrait-il que la loi sur la protection de la jeunesse soit amendée sûrement de façon significative. En effet, on dit dans la loi fédérale que le directeur provincial pourrait même ordonner, à un moment donné, l'hébergement obligatoire, ce qui n'est pas le cas actuellement pour le directeur de la protection de la jeunesse; c'est un premier commentaire.

Un deuxième commentaire pour ce qui est des délits mineurs. Les délits mineurs sont également prévus à la Loi de la protection de la jeunesse, à l'article 48; ils sont tout de même inclus. Il y a à la fois ceux dont on parle qui tomberaient sous le coup des règlements municipaux ou de statuts provinciaux. C'est tout de même défini à l'article 48 de la loi sur la protection de la jeunesse.

M. Forget: Oui, mais sur ce point-là — je suis content que vous le mentionniez — il y a un aspect très important de la coordination des deux lois. Ce paragraphe-là de l'article 48 ne vise pas seulement les délits mineurs, dans le sens suivant, c'est qu'il parait possible de dire ceci dans une loi provinciale visant la protection de la jeunesse; dans tous les cas où un jeune est mis en rapport avec les autorités judiciaires, que ce soit pour des délits mineurs ou même pour des délits majeurs, toutes les dispositions non incompatibles de la loi sur la protection de la jeunesse s'appliquent également.

La proposition à ce moment-là — et c'est ce que certains groupes n'ont pas saisi dans, par exemple, les articles relatifs à la détention, etc., quoiqu'il y ait des aménagements nécessaires — ce que nous cherchons à faire, mais qu'il faudra faire plus explicitement, c'est de dire que, même dans le cas de délinquance, même dans le cas d'infractions au code criminel et qui devient passible, à ce moment-là, de sanctions en vertu de la Loi sur les jeunes délinquants, toutes les dispositions de protection de la jeunesse s'appliquent même à ces jeunes, toutes les dispositions non incompatibles.

Ceci permet d'envisager que, même dans les cas de délinquance, les mesures de protection peuvent également être invoquées. Certaines provinces nous ont précédé sur cette voie et je crois que c'est un aspect extrêmement important. Non seulement il y a un trou à boucher, mais il y a une espèce de couverture générale qu'il semble possible de donner par le projet de loi sur la protection de la jeunesse.

M. Brien: Si vous voulez, c'est l'aspect de l'évaluation et du traitement, que vous avez soulevé et Marc va compléter tantôt, qui nous a paru significatif. Dans un continuum normal entre l'aspect de l'évaluation psychosociale et le plan de traitement qui est décidé — on parle de concordance, là on peut parler d'interrelation entre deux rôles qui sont, de fait, complémentaires— nous on voyait un danger de réévaluation. C'est que vous avez une structure qui s'occupe d'évaluation et une autre qui va déterminer le plan de traitement. Cela peut, des fois, s'il n'y a pas de concertation entre les deux, amener une réévaluation ni plus ni moins du cas, et on voulait éviter ce danger dans un continuum normal.

D'ailleurs — et Marc va faire un commentaire là-dessus — M. Debuyst est ici présentement, avec lequel il a des séminars; il vient de Belgique comme on le sait, c'est une autorité en la matière. Je sais que vous vous êtes inspirés fortement, entre autres schèmes de référence, du projet belge; ils sont en train de réviser cela et ils se demandent s'ils n'ont pas fait fausse route eux-mêmes depuis onze ans, là-bas, en Belgique. Or, c'est pour cela qu'on a un moment d'arrêt et qu'on dit: N'y aurait-il pas lieu de réviser le présent texte de loi pour éviter ce danger dans lequel la Belgique même a versé jusqu'à un certain point.

M. Côté (Marc): Je veux faire une application pratique. Par exemple, je faisais tantôt un peu une boutade, en reprenant le fait que vous avez dit que vous ne dictiez pas aux professionnels quoi faire; c'est un peu une boutade. Mais ce que je veux dire, c'est qu'il semble y avoir une directive au niveau des CSS de préparer une direction de la protection de la jeunesse avec un service accueil-évaluation, lequel service est même d'ailleurs opérant actuellement au CSSMM, de sorte qu'il y a une série de cas, donc tous les cas de protection à ce moment-là, qui sont acheminés aux CSS qui sont nécessairement évalués. Donc, liste d'attente et tout ce que cela peut comporter.

A côté de cela, il y a d'autres services qui font uniquement de la pratique. Nos soupçons étaient vraiment fondés parce que cela fait plusieurs fois que je me fais dire par des praticiens qui travaillent a l'intérieur des autres services que, déjà, cela peut créer une certaine classe entre les évalua-teurs chevronnés et les petits praticiens, les minus. Ce que je veux dire, c'est que les praticiens

qui sont là, à côté, doivent reprendre l'évaluation qui a été faite parce qu'elle ne colle pas nécessairement à la réalité qui est la leur, à savoir le service vers lequel on les achemine.

Dans ce sens, si on reprend, par exemple, le projet de loi sur la protection de la jeunesse et qu'il y a une première évaluation au CLO, même si elle est la plus succincte possible, si on veut, cela voudrait dire qu'il pourrait y en avoir une deuxième à ce service d'accueil et d'évaluation, une troisième à l'intérieur du service où on les envoie parce que les praticiens ne sont pas nécessairement satisfaits. Ce qui arrive, aussi, c'est que plus des gens se prêtent uniquement à faire de l'évaluation, plus ils deviennent des spécialistes et plus ils sont coupés de la réalité avec laquelle ils ont à travailler.

La contrepartie à cela, c'est que pour les praticiens qui n'ont pas fait l'évaluation, cela ne veut pas dire... et non seulement cela ne veut pas dire mais, la plupart du temps, ils vont boycotter le plan de traitement qui peut être fixé par les évalua-teurs.

M. Forget: Je crois que c'est un point très valable que vous soulevez là, qui mérite une très sérieuse attention, effectivement.

Assez brièvement, j'aimerais peut-être vous demander comment vous interpréteriez cette disposition de l'article 2 où on dit que, dans l'application des mesures, etc., la mise en vigueur de la loi, il faut donner la priorité au meilleur intérêt de l'enfant? Selon vous, qu'est-ce que cela veut dire, si cela veut dire quelque chose?

M. Côté (Marc): Bonne question! En fait, vous me prenez un peu, comme on dit, les culottes baissées parce qu'on est passé, disons, assez rapidement là-dessus à l'intérieur du mémoire. C'est dans ce sens que je vous dis que vous nous prenez les culottes baissées. A ce moment-là, la réponse que je vais vous donner n'engage que moi.

Quand on parle de l'intérêt des enfants, par exemple, un point sur lequel on a très peu insisté au niveau du projet ou au niveau des commentaires que j'ai eus des sessions, c'est — et j'y reviens — le point de l'ingérence de l'Etat dans la vie privée de ces mêmes enfants. Cela peut être un danger aussi grand. Je parlais, tantôt, d'évaluation-traitement. Je pense que l'évaluation-traitement — vous l'avez mentionné tantôt — peut être importante pour certains cas alors que pour les autres, cela n'a absolument rien à voir.

Dans ce sens, si on parle d'ingérence bien souvent aussi du domaine judiciaire, on peut avoir aussi de l'ingérence du domaine psychosocial. Pour moi, en tout cas, l'intérêt de l'enfant peut déboucher là-dessus; il a certains droits, c'est clair, mais, en même temps aussi, il a droit à ce que sa vie privée soit sauvegardée. Mais je ne pourrais pas vraiment aller plus loin que cela.

M. Brien: M. le ministre, en réalité, je pense que tous les organismes sont préoccupés par la même chose; quand on parle d'une charte des droits de l'enfant, c'est que l'on ne veut pas que l'enfant soit l'objet de manipulation ou de maraudage d'un professionnel à l'autre, d'une structure à l'autre; on veut qu'il y ait vraiment à travers cela un cheminement qui évite toute forme de traumatisme à l'enfant qui peut être exposé, qui est déjà en danger moral et qu'on expose davantage, par exemple, en milieu de détention sécuritaire. Dans le même style, si les interventions de professionnels se multiplient, si les structures qu'on crée amènent davantage d'ambiguïté, c'est lui qu'on oublie dans tout le processus, car on est plus préoccupé à se donner des mécanismes de fonctionnement que des intérêts de l'enfant, lui-même. Du moins, je le perçois comme cela.

M. Forget: Merci. Je n'ai pas d'autres questions, M. le Président.

Le Président (M. Pilote): Le député de Saint-Jacques.

M. Charron: M. le Président, le ministre a attaché le grelot sur les points vraiment spécifiques. L'association nous a fait valoir, par rapport à tous les autres mémoires qu'on a entendus, plusieurs des questions que j'avais à l'esprit, notamment sur la concordance des deux lois. Il a même devancé le ministre sur une question que j'allais lui adresser à lui. C'est dans l'hypothèse où le cheminement fédéral se faisait plus lent que le nôtre. Avec la session qui débute, la semaine prochaine, on peut espérer cette loi avant l'été. J'avais remarqué aussi, dans le mémoire, qu'il pouvait y avoir des difficultés dont il faudrait tenir compte dans l'action finale, lorsque l'avant-projet de loi deviendrait un projet de loi déposé.

Je vais poser également cette question à nos invités. Si le projet de loi fédéral, tel qu'annoncé dans le livre bleu, ne devait jamais se rendre ou tardait à se rendre — ou il peut arriver modifié, comme on le sait, eux aussi peuvent modifier un livre en route — est-ce que, à votre avis, cela peut toucher fondamentalement la réussite du projet de loi sur lequel nous allons travailler ?

M. Brlen: Surtout pour l'officier de probation, cela crée davantage de difficultés. Nous, c'est là qu'on a commencé à avoir des préoccupations premières en voyant des concordances. Evidemment, si on en met sur pied des mécanismes qui viennent se superposer à une structure antérieure qui est drôlement semblable, avec d'autres personnes en poste, qui détiennent une autorité, cela peut amener une certaine confusion. Si on veut éviter un climat confusionnel, je pense qu'il va falloir qu'il y ait vraiment une bonne coordination entre les deux paliers.

M. Charron: Est-ce que...

M. Côté (Marc): ... plus loin que cela, je ne pense pas que cela amène la remise en question de la réussite du projet de loi, mais cela va sûre-

ment avoir un effet très important, par exemple, sur le comité local d'orientation. A partir du moment où le seuil de responsabilité pénale est haussé à 14 ans, à partir du moment où certains délits, par exemple, l'article 59 a) et b) et les récidives... Cela, nécessairement, va être touché. A partir du moment aussi où on intègre les officiers de probation à l'intérieur d'un réseau des Affaires sociales et que ces mêmes officiers de probation travaillent dans un contexte judiciaire et à la demande du juge, à savoir, actuellement, par la loi des jeunes délinquants, c'est clair que cela va être touché. Comment va-t-on pouvoir concilier cela? Je ne le sais pas.

Par exemple, il pourrait y avoir un enfant de onze ans. Il est puni au fédéral, il est rendu ici et il ne serait pas punissable; dans ce sens-là, on va parler d'inconstitutionnalité. C'est clair que c'est nécessairement touché.

M. Charron: Vous avez fort bien fait d'attirer notre attention là-dessus parce que c'est la réussite même de certains objectifs auxquels on va travailler, quand on s'apprêtera à adopter la loi, qui peuvent être mis en cause. Le deuxième point sur lequel je voulais vous interroger — parce que cela m'a frappé hier soir quand j'ai pris connaissance de votre mémoire — c'est sur l'évaluation. Mais, je pense que la réponse que vous avez donnée était fort complète. Il y a quand même un point que j'ai moi-même pris en note hier soir. A la page 11 de votre mémoire, je veux savoir si je vous ai bien compris. C'est juste cela que je veux savoir.

En parlant du fonctionnement du comité local d'orientation, que moi, j'estime être peut-être l'innovation principale du projet de loi que nous avons — en tout cas, les chances de "déjudiciarisa-tion" y résident — vous dites, à l'avant-dernier paragraphe précédé d'un tiret, que le jeune âgé de plus de 14 ans est amené devant le procureur général ou son substitut lequel serait intégré au CLO.

M. Côté (Marc): Cela, c'est une grosse difficulté lorsqu'on parle de concordance. M. Forget en a parlé tantôt, c'est clair qu'il faut y aller beaucoup plus à fond. C'est beau de dire que le comité local d'orientation serait la même chose qu'un bureau de sélection, mais une difficulté majeure est justement ce que vous touchez là. Si, par exemple, dans l'avant-projet de loi de la protection de la jeunesse, le jeune passe directement au CLO, au niveau de la loi fédérale, il y a discrétion de la part du procureur général de l'envoyer au bureau de sélection ou bien de l'envoyer directement, de le confier directement à la Cour de bien-être.

M. Charron: C'est une différence fondamentale, cela.

M. Côté (Marc): C'est une différence qui n'est pas nécessairement fondamentale. Je pense que le texte de loi provincial peut résoudre cette difficulté. Si, par exemple, on se réfère à l'article 27 du projet de loi provincial, à ce moment-là, on y dit à peu près qu'une seule personne du comité local d'orientation peut être mandatée pour prendre seule une décision. Je pense qu'au niveau des cas des jeunes qui ont des démêlés avec la justice, il pourrait être fait état de cet article de sorte que le procureur ou son substitut soit mandaté pour, face à ces cas, acheminer directement les...

M. Charron: Oui, mais l'effet escompté de la loi peut être différent dans son fonctionnement pratique. Si vous laissez le représentant du ministère de la Justice, membre du CLO, à l'occasion, prendre des décisions seul, presque au nom du CLO, l'esprit que nous voulions et que nous voulons encore quant à cette décision, cette évaluation, quant à savoir par quelle porte le cheminement du jeune va commencer dans les dédales de la loi, c'est qu'on aurait voulu une approche multidisciplinaire qui fasse que quelqu'un venant du milieu social pourrait faire valoir d'autres arguments.

Si on dit que le représentant du procureur général peut, à toutes fins pratiques, faire lui-même la "job", on ne modifiera pas grand-chose, mais la porte sur le plan judiciaire peut être à l'occasion plus... Moi, ce que j'aime dans le fait que cela commence devant le CLO, c'est que là, il y aura au moins trois personnes différentes qui auront l'occasion de se prononcer, d'étudier. Le représentant du procureur général pourra à sa guise suggérer le cheminement judiciaire là où la loi lui laisse une certaine discrétion en vertu de 59 et l'autre pourra plaider une autre approche. Ainsi, il me semble que le meilleur intérêt de l'enfant, prenons l'expression, sera protégé.

Si, à cause de la loi fédérale, c'est le procureur général, ipso facto, qui est l'initiateur du cheminement, beaucoup de fruits escomptés d'une approche différente, d'une "déjudiciarisa-tion" du processus, je ne dis pas disparaissent, mais sont en veilleuse en tout cas.

M. Côté (Marc): Je pense que ce que vous soulevez est très important. D'ailleurs, un groupe précédent ici l'a déjà mentionné, il serait important qu'au niveau fédéral aussi, il y ait une obligation de la part du procureur de déférer le cas, même si ensuite la décision qu'il prend peut être discrétionnaire.

M. Charron: Oui, actuellement il n'y en a pas.

M. Côté (Marc): Non. Savez-vous il y a un grand problème. Si on parle de déjudiciarisation actuellement, il n'y a pas de consensus d'établi nécessairement entre les diverses disciplines qui perçoivent la déjudiciarisation, la magistrature voit la déjudiciarisation d'une façon, le policier la voit comme l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le clinicien la voit comme un moyen de travail interdisciplinaire. Chacun a une perception de déjudiciarisation qui fait que concrètement, au moment où on se parle, je pense que c'est très difficile d'articuler cela à l'intérieur des lois.

M. Charron: Vous avez raison, mais je vous remercie d'avoir attiré mon... Pourtant, il me semblait que je l'avais lu assez de fois, l'article 27, effectivement. On verra quand le projet de loi reviendra, mais j'en prends bonne note comme dirait le ministre. Je vais vous poser une dernière question. C'est dans la présentation que M. Côté a faite, en parlant de la prévention — cela aussi, j'aime y revenir — en parlant de la prévention secondaire, vous avez parlé de la possibilité de joindre cette action sur le terrain, à la structure actuelle des services sociaux et de santé, c'est-à-dire les centres locaux de services communautaires, les CLSC.

Moi, je pense qu'effectivement les CLSC peuvent, le ministre va dire que je prêche pour ma paroisse, mais je pense effectivement que les CLSC peuvent prendre cette vocation.

M. Côté (Marc): ...dans la loi, d'ailleurs.

M. Charron: C'est cela, mais j'aimerais que vous précisiez, parce que vous l'avez juste mentionné. Est-ce qu'à votre avis, cela va jusqu'à dire que ce sont les centres locaux de services communautaires qui voudraient prendre cette tâche?

M. Côté (Marc): Mais, si on se réfère tout simplement au texte de loi, sur les services de santé et les services sociaux, je pense, enfin pour plusieurs il semble que ce soit clair, mais, en tout cas, pour moi cela me paraît assez clair, lorsqu'on parle d'action sociale préventive, d'action de première ligne, à ce moment-là d'action peut-être à caractère communautaire et pour moi, cela c'est de la prévention. C'est clair qu'à l'intérieur de services du CSS vous ne pouvez pas faire, vous ne pouvez pas rendre ces services et si vous avez des gens qui font de l'évaluation du traitement, cela ne veut pas dire nécessairement qu'ils sont prêts à aller faire du travail de rue.

M. Charron: Vous croyez qu'étant donné... Ma question est plus précise que cela. Je sais que, dans la loi constituant les centres locaux de services communautaires, lorsqu'on parle d'action sociale préventive, donc la possibilité égale de leur confier cette action de la prévention en milieu de jeunes, cela n'est même pas un embarras comme on dirait prévu, mais je veux savoir, s'il est souhaitable — c'est une autre chose — à votre avis, que les centres locaux de services communautaires, comme ils fonctionnent là, avec la structure qu'ils ont là, prennent cette responsabilité.

M. Côté (Marc): Pour moi, c'est peut-être une réponse personnelle, c'est sûr que ce soit souhaitable. Quand on parlait de prévention, ce matin, je pense qu'au niveau de la commission ou bien même au niveau de la direction de la protection de la jeunesse, il serait important qu'on puisse au moins en faire état et qu'on puisse en faire mention.

M. Charron: Je vous remercie, M. le Président. Je remercie les invités.

Le Président (M. Pilote): Je vous remercie, messieurs.

M. Côté (Marc): II y a peut-être juste une question finale où M. Forget s'est peut-être défilé un peu rapidement. J'avais demandé des précisions, peut-être, sur la direction, la notion de direction et sur la notion de protection. Pour nous c'est très important, et si vraiment on veut donner un pouvoir réel, des responsabilités vraies à notre directeur, on n'en fera pas un chef de service.

M. Forget: Là-dessus, je pense que le point de vue, d'ailleurs, qui a été exprimé aux centres de services sociaux était conforme au voeu que vous exprimez dans votre mémoire. Il est évident que si la loi fait de la protection de la jeunesse une vocation majeure des centres de services sociaux, il importe que cette responsabilité soit située assez haut dans son organisation. Cela peut se faire, je pense, seulement s'il y a, effectivement, au niveau d'un directeur ou d'une direction, plutôt que d'un service, une responsabilité d'ensemble sur les services à la jeunesse, y compris la mise en application des dispositions de la loi mais sans exclure d'autres responsabilités également.

Je pense que c'est une chose qui n'est pas encore complètement finalisée...

M. Côté (Marc): Cela va sûrement causer de gros conflits, parce que, pour les centres de services sociaux, c'est ce qu'ils veulent, justement, cette notion de protection qui va de pair aussi, soit la plus rétrécie possible, si on veut, à savoir d'arriver tout simplement à des cas d'exception, alors que c'est vraiment le contraire qu'on veut faire avec l'avant-projet de loi.

M. Forget: II y a deux aspects différents dans votre intervention, il y a l'aspect administratif; il s'agit que la responsabilité soit assumée suffisamment haut pour qu'il n'y ait pas de contrainte ni d'empêchement à un véritable fonctionnement efficace. Pour ce qui est de l'autre option, il est clair que, comme pas seulement les centres de services sociaux mais un tas d'autres groupes l'ont précisé, une loi de protection de la jeunesse c'est une loi d'exception. Enfin, on espère que cela ne s'applique pas à tous les jeunes et à tous les enfants du Québec. C'est une loi qui donne des instructions d'intervention légaux dans les situations où la santé, la sécurité ou le développement des enfants est menacé.

Je pense que c'est encore vrai que c'est une minorité de jeunes. Et même parmi ceux qui ont besoin de certains services, c'est une minorité pour laquelle il est nécessaire d'avoir un instrument légal pour intervenir.

Donc, je crois que les deux propositions sont justifiables; le service de la protection de la jeunesse constitue une des responsabilités majeures des centres de services sociaux, et leur organisation devrait réfléter ce fait-là. Il demeure que ce n'est pas tous les services qu'ils donnent qui doivent être donnés en fonction d'une loi ou des dispositions d'une loi. La loi est un mécanisme d'in-

tervention assez sérieux et assez grave et n'a besoin d'être invoquée que dans des cas exceptionnels.

Je crois que les deux propositions ne sont pas en contradiction du tout l'une avec l'autre; ce sont deux aspects très différents de la question. L'une reflète l'importance générale des services à l'enfance, alors que l'autre reflète le caractère très exceptionnel d'une intervention, où toute l'autorité de l'appareil de l'Etat et de l'appareil judiciaire doit être mise à la disposition de ceux qui donnent des services.

M. Côté (Marc): Est-ce que l'article 48, à ce moment-là, sera amendé? Si vous prenez le libellé présentement de l'article 48, même lorsqu'il y aurait certaines difficultés, par exemple, au niveau scolaire, si quelqu'un était malade et tout cela, en forçant un peu et même pas en forçant beaucoup, on pourrait entrer le jeune dans la loi. C'est dans ce sens que je posais ma question. Parce que l'article 48 est tout de même très englobant.

M. Forget: M est très englobant dans le sens où on énumère toutes les causes où il peut être nécessaire d'invoquer la loi. Ce qui ne veut pas dire que la loi doit être invoquée dans tous ces cas-là, de manière à appliquer des mesures obligatoires. Mais il est clair que si un enfant est privé de soins médicaux, privé même d'affection à un point où on croit que sa santé et sa sécurité sont en jeu, il faut pouvoir disposer des moyens d'intervention qui vont jusqu'à forcer la famille à recevoir certains services ou à donner à l'enfant des soins médicaux appropriés.

C'est l'utilisation qu'on en fait qui est exceptionnelle. Il est clair que les causes énumérées là sont toutes des occasions où il semble nécessaire de disposer de l'instrument. Je ne dis pas que, dans tous les cas, on sera nécessairement obligé de s'en servir.

Le Président (M. Pilote): Merci, messieurs! J'inviterais M. Gaspard Massue, directeur général de l'Association des centre d'accueil du Québec, à bien vouloir se présenter.

Association des centres d'accueil du Québec

M. Gaudreault: Je me présente, Denis Gau-dreault, président de l'Association des centres d'accueil. M. Massue aura de la difficulté à venir vous parler aujourd'hui. Est-ce le contexte de la loi qui a fait qu'il est rendu aujourd'hui au Cameroun? Je ne le crois pas. Alors, mes deux collègues qui se présentent avec moi: M. Paul-Emile Parent, qui est président du comité d'étude de l'avant-projet de loi et vice-président de l'Association des centres d'accueil, et M. Armand Tremblay, membre du comité d'étude et ex-président de l'Association provinciale des institutions pour enfants.

M. le Président, je tiens, en premier lieu, à remercier cette commission d'avoir bien voulu rece- voir, d'une part, notre mémoire et, d'autre part, de nous entendre aujourd'hui.

L'Association des centres d'accueil du Québec est née, le 1er juillet 1974, de la fusion de deux associations: l'Association des centres d'accueil pour adultes et l'Association provinciale des institutions pour enfants. Ces deux dernières associations avaient été fondées en 1974. Les objectifs de l'association se trouvent dans le mémoire et je vous en fais grâce. Disons qu'au niveau des structures, pour comprendre notre fonctionnement, nous avons nos membres, notre conseil d'administration, un comité exécutif, des comités régionaux qui s'appellent des conseils régionaux des centres d'accueil, des comités consultatifs et des comités ad hoc. C'est un de ces comités ad hoc qui a produit le présent travail.

Notre personnel comprend une dizaine de permanents. L'association regroupe 104 institutions pour enfants et 208 pour adultes. Nos établissements ont une capacité d'environ 26,538 lits, dont 16,000 d'hébergement pour les adultes et 10,000 de réadaptation et de transition pour les enfants.

Le rapport a été déposé depuis quelques mois déjà et ce n'est pas notre intention aujourd'hui de venir le reprendre en détail; c'est surtout notre intention de venir répondre à des questions. Toutefois, parmi les dix-huit recommandations qui s'y trouvent, certaines sont, à notre point de vue, fondamentales. Mais, avant d'y référer, nous aimerions signaler que notre comité s'est attaché à l'esprit de la loi plus qu'à la lettre, laissant ainsi aux spécialistes le soin de traduire nos préoccupations dans un langage plus juridique.

Voici les recommandations sur lesquelles nous nous permettons d'insister. La première: que l'avant-projet de loi soit révisé de manière à attribuer au ministère des Affaires sociales le premier rôle dans le domaine de la protection de la jeunesse; la deuxième: qu'aucune intervention judiciaire auprès des jeunes ne s'apparente aux procédures habituellement utilisées pour les adultes, tant en matière criminelle que civile.

La neuvième recommandation: que la loi prévoie appui et aide supplémentaires aux parents les plus dépourvus de ressources et incapables, de ce fait, d'élever et d'éduquer convenablement leurs enfants. La douzième: que la commission de la protection de la jeunesse soit rattachée au ministère des Affaires sociales; soit composée de représentants des ministères des Affaires sociales, de la Justice et de l'Education, d'organismes parapu-blics et de groupes socio-économiques intéressés à la protection de la jeunesse; qu'elle assume, en plus des rôles énoncés dans l'avant-projet de loi, celui de protecteur du jeune citoyen. La treizième: que les conseils de surveillance ne soient pas crées et que les pouvoirs, fonctions et devoirs qui leur sont attribués par l'avant-projet de loi soient répartis comme suit: à la commission de la protection de la jeunesse, la surveillance de l'application de la loi et aux conseils régionaux de la santé et des services sociaux, l'étude des plaintes et des

programmes d'information à la population, au niveau régional.

La seizième est, pour nous aussi, fondamentale: Que pour atteindre pleinement ces objectifs, la Loi sur la protection de la jeunesse doit assurer aux centre d'accueil et aux centres de services sociaux le concours effectif des centres hospitaliers généraux et spécialisés dans le traitement psychiatrique des enfants.

La dernière, la dix-huitième: Que la loi appuie sur la notion de traitement et de besoins de l'enfant plutôt que celle de culpabilité lorsqu'il s'agit d'assurer protection, soins ou traitements aux enfants et adolescents en difficulté. Nous aimerions, si vous le permettez, ajouter la dimension suivante à la dix-huitième recommandation: Que le directeur de la protection de la jeunesse oriente l'enfant vers le service ou l'établissement, c'est-à-dire centre d'accueil ou centre hospitalier, le plus susceptible de répondre à ses besoins, compte tenu de leurs critères d'admission.

Voilà pour les recommandations que nous jugeons les plus prioritaires sans minimiser pour autant le mémoire dans son ensemble. Nous demeurons à votre entière disposition si des questions se posent et c'est principalement pour cela d'ailleurs que nous sommes ici. Enfin, nous tenons à mentionner que nous considérons que la loi vient à son heure et qu'elle est certainement supérieure à la loi actuelle. C'est pour qu'elle le soit davantage que nous avons cru bon d'intervenir. Je vous remercie.

Le Président (M. Pilote): L'honorable ministre des Affaires sociales.

M. Forget: M. le Président, je suis reconnaissant à l'Association des centres d'accueil de son mémoire, dont j'ai pris connaissance. J'ai eu l'occasion, d'ailleurs, de discuter avec elle à une autre occasion. Je me demande si, étant donné l'avancement de l'heure, on me permettrait — je ne voudrais pas que ce soit vu comme un manque d'intérêt; au contraire, c'est un mémoire qui est très complet — de m'abstenir de poser des questions, de manière à essayer peut-être d'entendre aujourd'hui tous les groupes qui ont été convoqués, étant donné la difficulté de siéger ce soir.

Le Président (M. Pilote): D'autres questions? L'honorable député de Saint-Jacques.

M. Charron: M. le Président, je veux remercier les représentants de l'Association des centres d'accueil, dont nous attendions avec impatience le mémoire. Il a été beaucoup question de vous depuis que nous sommes alentour de cette table. Effectivement, j'ai fait remarquer à mes collègues membres de la commission, dès le départ, que la loi ne faisait qu'une toute petite partie du chemin, c'est-à-dire qu'elle nous explique le jeune à partir du moment où il est en démêlé avec la justice, où il est sous la protection. Elle demande à la société de lui offrir une protection qu'il ne reçoit plus dans sa famille. Elle explique toutes les conditions et tous les cheminements jusqu'au centre d'accueil, mais la loi s'arrête à la porte du centre d'accueil.

Pour nous qui sommes intéressés à la réadaptation et à la réhabilitation de ces enfants, il est évident que ce qui se passe dans les centres d'accueil est encore mille fois plus important que le cheminement pour y faire entrer un jeune.

Il a été question des centres d'accueil. Je puis à peu près souscrire aux recommandations que vous avez choisi d'isoler parmi les 18 que vous avez déposées au début de votre mémoire. J'ai déjà souscrit, depuis l'ouverture des travaux de la commission, à peu près à tous les principes que vous défendez dans ces points. Donc, je suis prêt, sans ambages, à les reprendre lorsque la loi franchira le cap de l'étude régulière.

L'Association des centres d'accueil est mêlée de très près, je pense, à la négociation en cours dans le secteur des affaires sociales. Pour nous, c'est capital. Quand je dis que ce qui arrive dans les centres d'accueil, c'est en fin de compte l'objet de l'intérêt de tous les membres de la commission, savoir aux mains de qui nous remettons les enfants après tout le cheminement le plus sécuritaire et le moins aliénant possible que nous puissions choisir dans cette loi demeure une question fondamentale.

Je vous pose une question très directe: Est-ce que vous estimez que les travailleurs, dans les centres d'accueil, ceux à qui on remet le soin de réhabiliter ces enfants, de travailler avec eux à leur épanouissement, sont des travailleurs qui reçoivent le traitement — je ne veux pas dire uniquement le salaire — équivalant à la charge que nous leur remettons?

M. Gaudreault: C'est une question à laquelle on ne pouvait pas s'attendre d'avoir à répondre aujourd'hui. Quand même, je pense que lorsqu'on pose la question de cette façon, nous, qui représentons la partie patronale, nous pouvons quand même répondre qu'un salaire qui est échu depuis le 30 juin 1975 ne peut pas être suffisant en 1976. C'est le premier élément de réponse.

Pour le deuxième élément de réponse, en ce qui concerne les travailleurs qui sont plus près des enfants, les éducateurs entre autres, je me réfère aux propos de M. Forget lors d'une conférence de presse, qui insistait personnellement pour que cette rémunération soit plus appropriée à la compétence et à la qualité que l'on exigeait de ces personnes.

Nous, tout comme vous, déplorons le fait que, parfois, la négociation en cours puisse ralentir les activités dans les centres d'accueil, mais je puis vous assurer qu'on a pris les moyens pour que cela fonctionne relativement bien quand même dans les centres d'accueil, compte tenu de la clientèle que nous avons.

M. Tremblay.

M. Tremblay (Armand): Pour prendre la question sous un angle plus éloigné, je pense que votre

question est on ne peut plus pertinente dans le contexte actuel. Cela fait plus de 20 ans que je suis dans le domaine des centres d'accueil. Il n'est pas facile, présentement, de travailler dans un centre d'accueil. Le traitement qu'on reçoit, généralement, soit de l'opinion publique, soit des journaux ou même parfois, pour ne pas dire souvent, les "come-back" qu'on reçoit du côté du gouvernement, ce n'est pas facile à assumer parce qu'on a nettement discrédité, je pense, dans l'image du public, le rôle des centres d'accueil depuis un certain temps.

C'est parti de situations assez explosives. On parle de Notre-Dame-de-Laval, de Berthelet et d'autres qui faisaient appel forcément à des correctifs. Mais à côté de cela, il y a quantité de soins — et de soins très pertinents — qui ont été apportés à un grand nombre d'enfants par les centres d'accueil qui ont pris des enfants à charge. Ce n'est pas une facette qu'on reconnaît volontiers à l'heure actuelle.

Bien sûr, pour les enfants qui ont été placés — la demande est grande et parfois il faut même se battre pour qu'on ne nous amène pas les enfants — bien des fois, c'était la seule ressource qui existait. C'est une ressource qui s'est voulue... Si on considère les progrès et l'évolution qui se sont faits dans les centres d'accueil depuis une dizaine d'années, on a fait des progrès énormes. Il y a des maisons qui ont fait des progrès énormes. La formation du personnel a fait des progrès énormes, si on se réfère aux dix ou quinze dernières années.

C'est une ressource. En tout cas, il y a une lueur d'espoir dans ce qui découle du rapport Batshaw voulant qu'on donne aux centres d'accueil un rôle encore plus étendu, plus ouvert, correspondant mieux, peut-être pas encore à ce qu'est notre société mais à ce qu'on pourrait souhaiter qu'elle soit idéalement face aux problèmes qu'elle rencontre quand il y a des enfants difficiles.

A côté de cela — je voudrais essayer de ne pas être long mais cela ne m'est pas facile car j'aurais tellement de choses à dire; c'est regrettable qu'il n'y ait pas plus de questions de posées — actuellement, on ne retrouve pas, dans la loi, grand-chose sur les centres d'accueil. On ne retrouve à peu près rien, sinon qu'ils ont l'obligation de prendre des enfants. Tout à l'heure, on a même soulevé une question absolument pertinente. On s'est dit: Si le directeur prévoit un plan de traitement et que le plan de traitement consiste à prendre cet enfant et à le placer dans un centre d'accueil qui est le plus pertinent pour lui, est-ce qu'il y aurait conflit entre ce qu'on propose et ce que l'établissement a charge, à travers ses professionnels, d'assumer? C'est fort possible et il faut arriver à définir ces rôles de façon un peu plus claire. Sans cela, nos maisons vont devenir strictement de l'hébergement.

Quand on parle d'un placement en centre d'accueil pour une période de six mois, par exemple, à mon avis, il est très important que les établissements aient à se justifier de garder un enfant en traitement plus longtemps que telle ou telle période.

Par ailleurs, il est inacceptable qu'on ne conçoive pas encore le traitement des enfants comme une mesure, des fois, à long terme, parce que la difficulté psychique de certains enfants est toute là. Et, des fois, elle est très grave. On ne la considère souvent que du côté de sa manifestation sociale; tant que l'enfant n'a pas cassé de vitre on s'en préoccupe peu. Mais la question pathologique est derrière; il y a des enfants qui ont des difficultés d'adaptation telles que vous avez beau les déplacer d'un foyer à l'autre, d'une famille à l'autre, à un moment donné, il faut une approche plus globale.

M. Charron: Si vous me permettez. Je ne veux vous interdire aucunement de dire ce que vous voulez; je voulais même y venir tôt ou tard à votre opinion sur ce qui doit se faire et ce qui se fait et ce que la loi prévoit. Mais je n'avais pas commencé ma série de questions par celle que je vous ai posée au départ par hasard, non plus. J'allais, en partant de la question du personnel que vous avez chez vous, comme A conduit à B, vous poser des questions sur ce que vous pouvez offrir dans un centre d'accueil. Par la suite, je voulais m'interroger et vous laisser me répondre quant aux conditions et aux obligations qu'on vous fait, à la liberté que la loi vous donne ou ne vous donne pas de faire. Mais, avant de discuter de la liberté que vous avez ou pas de faire quoi que vous vouliez à l'intérieur du centre d'accueil dont vous êtes le directeur, je veux savoir quelles sont les ressources humaines que vous avez en main, avant de savoir ce que la loi devrait vous laisser faire ou pas. C'est fondamental pour nous, cette question.

Vous pouvez me dire que vous disposez d'un personnel absolument insatisfait des conditions de travail dans lesquelles il est. Plusieurs directeurs de centres d'accueil, j'en ai visité, m'ont fait état du fait que — vous pouvez peut-être me le confirmer — on assiste dans les centres d'accueil à un roulement de personnel incroyable. Certains ont une longévité qui dépasse à peine six mois à l'intérieur du centre d'accueil. On procède à des réaménagements administratifs continuels avec ou sans l'accord du syndicat local des travailleurs, mais tout cela pour moi se trouve à informer les membres de la commission sur ce qui se passe dans un centre d'accueil. Ainsi, tantôt, par exemple — c'est une question éventuelle que j'ai toute prête pour vous — quand je vous poserai des questions sur ce que le rapport Batshaw suggère pour cela, on saura de quoi on parle.

Ma première question est quand même là. Est-ce que vous — vous êtes de la partie patronale estimez que les travailleurs dans les centres d'accueil, actuellement, reçoivent un traitement convenable ou que ce traitement qui leur est actuellement offert vous empêche de recruter du personnel plus compétent, ainsi que vous l'espéreriez? Est-ce que cela vous oblige à des contingences, du fait que vous avez parfois à assumer de difficiles relations patronales-ouvrières qui ne sont pas nécessairement dans le meilleur intérêt de l'enfant qui vous est confié? Je pense que la question vous l'avez dit vous-même — est pertinente.

M. Tremblay (Armand): La question est très pertinente. Mais, il faut drôlement distinguer. Je pense qu'il y a des établissements qui ont des objectifs clairs, qui ont développé, à l'intérieur, des programmes tout à fait significatifs et valables. On rejoint une certaine quantité de gens qui aiment leur travail. D'autres maisons, au contraire, n'ont pas atteint ces objectifs du tout; certaines ont éclaté complètement. Mais je ne ferais pas un parallèle direct, je ne pense pas qu'il y ait de malaises fondamentaux. Il y a des problèmes qui sont reliés, par exemple, au fait qu'actuellement, professionnellement, quelqu'un qui est formé est pénalisé de travailler dans un centre d'accueil. Il faut qu'il aime vraiment son travail, parce qu'il est près des enfants et près du client, ce que tout le monde ne fait pas naturellement. Il y a beaucoup de monde qui intellectualise les enfants, mais il n'y a pas beaucoup de monde qui les assume. Quelqu'un est pénalisé par le fait que, par exemple, il peut remplir souvent la même fonction, à d'autres niveaux, à de bien meilleures conditions de travail. C'est la motivation qui fait la différence. Eventuellement cela est appelé à être reconnu, certainement.

M. Charron: Quand vous dites à d'autres niveaux, c'est à quels niveaux? Il peut le faire à quels niveaux?

M. Tremblay (Armand): II peut travailler à l'intérieur d'une commission scolaire, d'un hôpital ou bien des services comme cela; on peut même travailler dans un CSS. Puis je pense au personnel qui veut travailler auprès des enfants à l'intérieur d'un certain cadre d'activités. Ceux qui travaillent, par exemple, dans les commissions scolaires, le personnel spécialisé, ils travaillent auprès des enfants dans le jour, mais ils ne les assument que très partiellement. Ils n'assument forcément pas les enfants qui ont les plus graves problèmes. Alors cela nous dévalorise un peu par rapport au reste; cela nous désavantage, en tout cas, par rapport au reste. Actuellement, cela maintient un certain dynamisme mais c'est cliniquement parfois plus gratifiant d'assumer plus pleinement les enfants. Et ce serait encore plus gratifiant si on ouvrait un peu les cadres de nos interventions de centre d'accueil. Parce qu'il y a justement une notion de centre d'accueil qui est prévue dans la loi.

On dit: Un enfant placé dans un centre d'accueil. Mais est-ce qu'on parle du centre d'accueil qui est le lit d'établissement ou si on parle aussi du centre d'accueil avec une notion plus élargie, à l'heure actuelle, qui pourrait être celle de foyers de groupes attachés à ce centre d'accueil et des choses comme cela. Il faudrait peut-être faire attention, dans la loi, pour qu'on ne soit pas bloqué éventuellement par ces notions. Si un enfant a un placement volontaire de six mois ou est dans un centre d'accueil, il faut que le centre d'accueil ait la possibilité de le placer dans un foyer de groupes.

M. Charron: Est-ce que les centres d'accueil sont assez bien équipés actuellement pour procéder comme ils l'entendent à une formation du personnel, de leurs employés?

M. Parent (Paul-Emile): Je ne suis pas capable de répondre oui, dans certains centres d'accueil tout au moins. Actuellement, si vous regardez la clientèle qui fréquente les CEGEP, dans la spécialisation de l'enfance inadaptée, on retrouve un très faible pourcentage de garçons par rapport aux filles.

M. Charron: Oui, c'est vrai.

M. Parent (Paul-Emile): Deuxièmement, sur le marché du travail, actuellement, dans un établissement pour garçons et même pour filles, on ne trouve pas de diplômés de CEGEP actuellement disponibles. Il faut donc, pour beaucoup de centres, vraiment remplacer par de la formation en cours d'emploi. Là, on est pris dans un dilemme: S'il remplit son horaire régulier, qui est déjà très lourd... Quand vous parliez, tantôt, de conditions de travail et qu'Armand parlait de plus de facilités dans une commission scolaire, c'est que, forcément, ayant les enfants 24 heures par jour et sept jours par semaine, l'horaire de travail prévoit que les éducateurs ou les éducatrices vont travailler le soir, vont travailler en fin de semaine, en rotation. Ce sont donc des conditions de travail beaucoup plus difficiles. Ils sont en contact direct avec l'enfant; il y a certains aspects gratifiants, mais il y a certains aspects aussi qui présentent le contraire. Il faut prendre cela comme un "package deal".

Au point de vue de la formation, il y a des ouvertures qui nous permettent de grandes espérances à la suite des déclarations qui ont été faites le 16 février et des propositions pas trop nuancées mais assez fortes du comité Batshaw, parce que, quand le comité Batshaw a visité les centres pour assistés sociaux affectifs, il a pu faire une étude assez complète de la situation qui prévalait au point de vue de la formation. C'est un problème majeur. Si l'éducateur suit des cours d'emploi, il peut prendre, pour terminer son "deck", trois, quatre ou cinq ans. S'il prend trop de cours, il va ou négliger son travail, négliger ses études ou s'épuiser. Le travail, en soi, est un travail épuisant, c'est entendu. Il y a un coup de barre à donner de ce côté-là; quant à nous, il est actuellement annoncé et on pense bien que pour nous c'est une chose... C'est la première fois, de toute façon, que c'est annoncé comme cela.

M. Charron: Quand vous dites que cela occasionnera pour lui, s'il veut compléter sa formation pour donner un meilleur rendement, à l'occasion, une surcharge ou que cela affectera le travail qu'il a à faire actuellement dans le centre d'accueil, comment procède-t-on dans la majorité des centres d'accueil actuels? Est-ce qu'il y a des libérations pures et simples?

M. Parent (Paul-Emile): Non. M. Charron: Non?

M. Parent (Paul-Emile): Dans la majorité des cas, il n'y a pas de libération pure et simple. Le sujet remplit ses heures de travail régulières. Il y a des adaptations à son horaire, mais il va suivre un ou deux cours à la fois au CEGEP. Encore là, c'est important qu'il n'aille pas trop vite; autrement, ce serait certainement acquérir une formation académique ou technique sous forme de garage. Il doit assimiler graduellement la formation qu'il reçoit et c'est excellent qu'il puisse suivre des cours d'emploi, mais il faudrait pouvoir alléger son travail par la suppléance, ce qui demande qu'automatiquement l'individu qui est libéré pour quelques heures de travail soit remplacé et qu'il soit payé tout de même. Ce sont sur le plan des dépenses des complications assez considérables. Ce serait la formule idéale, par cours-bloc ou autrement.

M. Charron: M. le Président, le rapport Bat-shaw a touché la litigieuse question des admissions dans les centres d'accueil. Je vais profiter du passage des représentants de l'association pour leur poser la question fondamentale: Qui devrait être responsable des admissions dans les centres d'accueil, selon vous? Qui y fixerait les critères?

M. Gaudreault: II y a deux questions: Qui devrait être responsable de l'admission et quels seraient les critères? En ce qui concerne le rapport Batshaw, je dois vous signaler immédiatement que nous avons formé un comité de travail qui s'est mis en branle pour étudier en profondeur toutes les recommandations. Nous n'avons pas encore les opinions de nos membres sur le rapport Batshaw. Si mes collègues veulent tenter une réponse, je ne peux prétendre parler au nom des membres sur ce point.

M. Tremblay: Je peux tenter de répondre malgré que je sois un peu gêné de prolonger la conversation. Je pense qu'il est très important que chaque enfant trouve une réponse à son besoin. Je pense que c'est dans l'optique, dans l'existence d'un éventail complet de services d'accueil en particulier qu'on peut établir, de s'assurer que chaque enfant va trouver réponse à son besoin. Normalement, ceux qui connaissent le mieux l'enfant qui a besoin d'être référé, ce sont les membres du centre de service social. Même si vous regardez notre mémoire, on y fera même disparaître les CLO ou presque. On le suggère délicatement...

M. Charron: Cette année, cela?

M. Tremblay: ... pour que la direction de la jeunesse qui se rattache au CSS assume pleinement l'admission au service. Après cela, c'est elle, normalement, qui est censée connaître l'éventail et devrait proposer, en s'assurant de par la démarche de complimentarité qui a été souventefois désirée dans la région de Montréal... On s'assure que, s'il y a suffisamment de places ou s'il y a suffisamment de services satellites dans un centre d'accueil qui présente des lits d'hébergement, pour être capable d'avoir de la place pour tout le monde, cela suppose... Dans le rapport Batshaw on retrouve un éventail assez complet des genres de besoins qui sont nécessaires. Il y a des genres de besoins qu'il faut développer. Berthelet est une institution qui devrait recevoir des garçons au niveau sécuritaire. Naturellement, s'il n'a que trente places et qu'il y a 75 enfants, vous avez là un impact. S'il a 75 places et qu'il y a une demande d'à peu près 75 clients, vous n'avez plus d'impact au niveau des places. Vous n'avez pas réglé le problème de la réadaptation, mais c'est une autre facette. La même chose quand je regarde les maisons pour les enfants en bas de douze ans, la politique est d'en placer le moins possible dans les établissements. Il reste que, dans la région de Montréal, actuellement, la demande est énorme. Mais il y a tant de places et c'est vite rempli. Naturellement, il y a certaines catégories qui sont mal assumées. Cela, je pense que c'est la responsabilité des divers établissements, et c'est dans ce sens que le travail est commencé dans la région de Montréal et les tables de concertations promises par M. le ministre, à la suite du rapport Batshaw, devraient permettre une table de travail et une concertation sérieuse. Il y a le conseil régional, la CSS et tout le monde. La responsabilité finale, je pense qu'il faut que ce soit une entente entre les deux partis, c'est-à-dire la CSS qui dit: J'ai un enfant qui a tel besoin et vous offrez un service qui est de telle nature. Il est censé y avoir une concordance. S'il y a vraiment un secteur de la population qui n'est pas servi, il s'agit de savoir si les centres d'accueil peuvent y répondre ou si on doit mettre sur pied un service complémentaire pour y répondre. Ce n'est pas magique cela. Je parle beaucoup dans l'optique de la région de Montréal parce que je donne la réponse là.

M. Charron: Je vous comprends très bien quand vous parlez dans cette optique aussi. Je voudrais revenir, M. le Président, en avant-dernier lieu, sur la formation du personnel et la vie à l'intérieur des centres d'accueil. J'écoutais la réponse d'un représentant de l'association et j'imagine qu'il a pris connaissance de cette nouvelle publiée dans le Devoir du mercredi 25 février dernier, selon laquelle le ministère de l'Education a décidé de contingenter les effectifs en éducation spécialisée. L'article débute en disant: "L'enthousiasme des éducateurs spécialisés pour le rapport Batshaw sur la réadaptation des enfants et des adolescents placés s'est considérablement refroidi hier.

Les éducateurs se réjouissaient, la semaine dernière, de ce que le comité d'étude et le ministre des Affaires sociales leur donnent une place plus importante, mais voici que, dans une lettre du 23 janvier dont ils ont pris connaissance de façon indirecte, les éducateurs spécialisés apprennent de la DIGEC que leurs effectifs seront désormais contingentés à 30%. En chiffres, cela signifie qu'au lieu de former 750 étudiants par année dans cette discipline, et on connaît l'état actuel, il n'y en aura plus que 480 d'admis. Actuellement, quatorze

CEGEP publics, trois CEGEP privés offrent ce programme d'éducation, mais les malsons d'enseignement privé ne sont pas touchées par les mesures de la DIGEC, comme par miracle, car, en vertu de la loi 56, elles peuvent admettre autant d'élèves qu'elles le veulent.

L'Association des éducateurs spécialisés, qui regroupe environ 10,000 membres, dont 3,000 dans les 73 centres d'accueil visités par le comité Bat-shaw, s'insurge contre le contingentement qui va à rencontre de l'évolution de la profession et voue à l'échec la réforme des centres d'accueil préconisée par le ministère des Affaires sociales.

M. Forget recommandait en priorité la revalorisation professionnelle du personnel de base qui s'occupe des enfants et des adolescents perturbés. Cette priorité s'expliquait ainsi: 44% des employés des 73 centres de transition n'ont pas de diplôme d'enseignement collégial et cette situation ne peut être corrigée que par des cours de perfectionnement. C'est grâce à un corps d'éducateurs de carrière bien sélectionné, bien formé et bien payé, disait le rapport Batshaw, que tout naturellement les centres d'accueil s'orienteront vers des modes d'intervention diversifiés et mieux adaptés aux besoins des jeunes.

L'association qualifie la décision du ministère d'incroyable, en complète contradiction avec les besoins de la société québécoise et avec les affirmations du ministre des Affaires sociales. C'est ce qui s'appelle avoir deux poids et deux mesures, j'ai l'impression.

Je voudrais avoir, de la part de l'Association des centres d'accueil du Québec, une réaction à cette décision du ministère de l'Education, puisque ce n'est pas passer du coq-à-l'âne, je pense que nous nous comprenons bien autour de cette table, il en va même de la chance de succès des centres d'accueil. SI, maintenant, on doit se limiter à ce contingentement, quel espoir entretenez-vous encore même d'aboutir à cette espèce d'ouverture sur le monde que proposait le rapport Batshaw?

M. Gaudreault: Si vous parlez de contingentement, le problème a plusieurs aspects. Je crois que le contingentement lui-même du ministère de l'Education... Chez moi, en tout cas, dans une région, par exemple, comme la région 02, cela n'a pas de consonnance particulière. Si je le définis de façon différente, c'est que l'ensemble des institutions pour enfants de la région 02 aura 90% ou 95% de son personnel qui aura pris, par les soirs ou autrement, d'ici un an, qui aura son DEC, diplôme d'éducation collégiale en éducation spécialisée.

Alors, les étudiants, maintenant, qui sortent des cours de CEGEP à Jonquière vont avoir un problème puisque, à ma connaissance, la plupart doivent aller travailler à l'extérieur, ne peuvent pas se placer à l'intérieur de la région.

J'imagine que cela reflète assez bien le portrait des régions en dehors des centres urbains; peut-être que quelqu'un pourra répondre pour les centres urbains. Il y a aussi un deuxième aspect dont il faut tenir compte; c'est que, dans les cen- tres d'accueil, dans le recrutement de personnel compétent, de personnel qualifié au point de vue scolaire, il est plus difficile, selon les informations que j'ai, de recruter le personnel masculin. Alors, moi, le contingentement, je vous répète que cela n'a pas de consonnance particulière. Mes inquiétudes, quand je parle en tant que représentant d'une région, puisque je suis aussi président d'un conseil régional de centres d'accueil, c'est de trouver, de recruter suffisamment d'éducateurs, par rapport aux éducatrices, spécialisés et bien formés au niveau scolaire. Dans le contexte urbain de Montréal ou de Québec, est-ce que les difficultés de recrutement sont les mêmes? Est-ce que le contingentement aurait une signification différente? Mes collègues, tous les deux, connaissent cela mieux que moi.

M. Parent (Paul-Emile): Je voudrais juste ajouter un mot. Moi, je ne sais pas sur quoi est basée l'histoire de contingentement, mais j'ai été mêlé à la préparation du programme des CEGEP, lorsque cela a commencé, avant que cela ouvre. Ce programme-là en particulier, le programme pour l'éducation spécialisée, ainsi que pour les assistantes sociales, c'est à peu près le même niveau, avec des cours diversifiés, j'y ai été mêlé en cours de route quand cela a commencé et je m'en mêle moins maintenant, mais il m'est arrivé souvent de différer d'opinion avec ceux qui faisaient un calcul de projection sur le besoin de main-d'oeuvre dans cette spécialisation et le besoin que je pourrais constater dans le milieu où je travaille depuis un grand nombre d'années.

Nous ne sommes jamais venus d'accord là-dessus, mais ce contingentement, s'il ne touche pas du tout le personnel masculin, cela ne crée pas de problèmes particuliers, sauf qu'on en manque énormément. Il me faudrait plus d'explications, plus d'informations pour pouvoir prononcer un jugement de valeur. Je m'excuse de ne pas être capable... je n'avais même pas lu cet article dans le journal et je ne suis vraiment pas capable de me prononcer ou de répondre intelligemment à cette question.

M. Charron: En fait, c'est que dans le rapport Batshaw, on dit que, et vous l'avez affirmé vous-même, 44% des employés des centres d'accueil à qui on confie les jeunes et, comme vous disiez tantôt, il y en a plusieurs qui théorisent sur les jeunes, mais ceux qui vivent en contact avec eux, ce sont eux qui sont importants quand on parle de réhabilitation, ceux qui vont leur donner le goût de se réhabiliter et qui vont rater... le rapport, après avoir fait le tour de 73 centres d'accueil dit que 44% des employés n'ont aucune formation collégiale. Ce sont eux, j'imagine, que vous encouragez à aller chercher une formation professionnelle, et c'est pour eux que les places vont diminuer.

M. Parent: Je me demandais si le contingentement, dont il était question, était pour des élèves à temps plein ou si c'était pour des élèves qui suivaient les cours à court d'emploi. On dit couram-

ment "cours aux adultes", je ne sais pas, remarquez. Je me posais la question.

M. Charron: Je vais vous le dire.

Le Président (M. Cornellier): M. le ministre aimerait ajouter quelque chose à ce stade-ci.

M. Forget: Merci M. le Président. J'aimerais intervenir brièvement sur cette question puisque, évidemment cela déborde un peu le texte de la loi, ce sont des problèmes budgétaires administratifs, d'une part, et des problèmes de formation professionnelle, d'autre part, qui ne peuvent pas être réglés par la loi. Cependant comme on a déjà passé plusieurs minutes là-dessus, il faudrait peut-être indiquer que le ministère de l'Education, le lendemain de la parution de cet article, a indiqué que tout cela demeurait, de toute manière, révisable, que la décision qui, par hasard, a été publiée après la publication du rapport et notre propre prise de position sur la nécessité d'une meilleure formation, etc... cette décision du ministère de l'Education datait d'avant la publication, à la fois du rapport et de la réponse apportée par le ministère des Affaires sociales, et qu'il était disposé quant à lui à revoir ce dossier. Mais les réponses qu'on vient d'avoir des représentants de l'Association des centres d'accueil montrent qu'il y a plus qu'une simple question de quantité dans le problème de la formation. Effectivement, on sait par ailleurs que l'Association des éducateurs spécialisés compte quelque dix mille membres et c'est beaucoup de monde si l'on compare le nombre d'éducateurs qu'il pourrait y avoir dans les centres d'accueil. Effectivement ce nombre ne pourrait pas dépasser quelque 2000 ou peut-être, au grand maximum, 3000 personnes, même si tout le monde était formé.

C'est donc dire que le problème n'est pas tellement un problème de quantité, il y a des problèmes qualitatifs. On vient d'illustrer l'équilibre nécessaire entre le nombre d'éducateurs masculins et féminins. Cela est un premier élément aussi qui manifeste que cela n'est pas simplement une question de nombre. Il y a aussi des problèmes de mieux intégrer la formation clinique, si l'on peut dire, et la formation théorique. De ce côté, ce que nous recherchons, ce n'est pas simplement à multiplier les cours et les crédits qui, sans aucun doute, ont leur mérite, mais à vraiment équiper l'éducateur à faire face aux situations de crises qu'il rencontre dans sa vie quotidienne à l'intérieur du centre d'accueil, à l'équiper de manière que le travail de réinsertion sociale puisse se faire et à savoir à quel moment il doit avoir recours à des ressources plus spécialisées.

Ces deux ou trois aspects de sa formation, y compris la dimension clinique et la dimension pratique, sont des dimensions extrêmement importantes et qui, à mon avis, ont fait un peu défaut dans la formation des éducateurs. Je crois que c'est un aveu qu'il est facile d'obtenir en parlant à ceux qui s'intéressent à cette question. Une partie du roulement des éducateurs découle sans doute du fait que les conditions matérielles de paie, etc., pourraient être meilleures.

Là-dessus, nous avons indiqué notre intention de faire tous les ajustements raisonnables qu'il est possible de faire. Il y a aussi le sentiment, qui est très désespérant pour une personne qui a un diplôme, de se sentir incapable parfois de faire face au défi parce que la formation qu'elle a reçue ne l'a pas préparée à faire face à certaines situations extrêmement difficiles que l'on rencontre dans les centres d'accueil pour les jeunes mésadaptés sociaux.

C'est sur le plan qualitatif qu'on sent le besoin de faire des efforts particuliers. Les tables de concertation qui seront mises sur pied ces jours-ci seront en mesure, je pense, de faire le lien entre l'élargissement du rôle des centres d'accueil, que vous appelez de vos voeux et que le comité Bat-shaw également a indiqué comme étant une priorité, et aussi la nécessité de transformer les programmes de formation, de les élargir de la même façon qu'on veut élargir le rôle des centres d'accueil, mais aussi d'avoir une meilleure intégration des périodes de formation pratique aux périodes de formation théorique.

Des éducateurs m'ont confessé bien des fois que, devant des situations qu'ils rencontraient dans les centres d'accueil, ils se sentaient incapables d'appliquer les connaissances théoriques qu'on leur avait inculquées au CEGEP et que, au CEGEP, on rejetait également du revers de la main la pertinence des expériences pratiques qu'ils avaient accumulées au cours de leur travail. C'est cette jonction entre le pratique et le théorique qu'il est particulièrement nécessaire de faire, je pense; du moins, c'est le sentiment qu'on peut avoir, à la suite de nombreuses discussions, de nombreuses interventions sur le sujet. Je crois qu'il faut éviter, là comme dans bien d'autres domaines, de privilégier la quantité par rapport à la qualité. Si on a une meilleure qualité de formation, une meilleure intégration des formations pratiques et des formations théoriques, on va voir baisser le taux de roulement, on va voir le recrutement s'améliorer, quelles que soient, par ailleurs, les difficultés au niveau de la rémunération.

Vous savez, même avec un taux de salaire double de ce qu'il est, il est difficile de persuader les gens de faire un travail qu'ils se sentent incapables de faire parfois. Je ne veux pas dire par là qu'ils se sentent toujours incapables de le faire, mais il y a, malgré tout, particulièrement dans les centres sécuritaires, des situations extrêmement dures, extrêmement difficiles et dont les gens s'écartent à l'expérience, souvent parce qu'ils n'ont peut-être pas eu la préparation et aussi l'encadrement nécessaires. La quantité là-dessus est une considération qui est bien secondaire, je pense. Je crois qu'il était nécessaire de préciser ces choses-là parce que l'indication donnée par le ministère de l'Education ne met pas du tout en péril cette orientation; au contraire, il y a un comité conjoint des affaires sociales et de l'éducation qui va, avec les tables de concertation régionales, essayer de nous faire progresser dans la direction souhaitée.

M. Gaudreault: M. le Président, puisqu'on m'en donne l'occasion en ayant posé des questions sur la formation, je voudrais corriger une impression qu'on a souvent dans le public en lisant des journaux ou encore à la suite du rapport de M. Batshaw, quand on parle des 44%. Je puis vous affirmer^ pour avoir été dans le réseau depuis quinze ans, que les centres d'accueil ont été parmi les instigateurs et, dans certaines régions, les seuls instigateurs de cours de formation pour leur personnel.

Oisons que les employés en place, au fur et à mesure qu'ont évolué les centres d'accueil, que les objectifs de réadaptation se sont précisés, que les orphelinats se sont fermés... L'histoire des orphelinats qui ont été fermés en masse, de ces enfants qu'on a sortis des institutions, qui ne devaient pas y être, est quand même jeune. On a hérité d'un personnel et, en plus, on a précisé nos objectifs. Nous avions non seulement le devoir, mais l'obligation aussi, à cause des conventions collectives, de garder le personnel en place. Mais c'était pour nous plus un devoir qu'une obligation; les centres d'accueil ont participé à l'organisation de cours de formation pour le personnel et ont travaillé étroitement avec le ministère de l'Education pour le faire.

Qu'il s'agisse de la psychoéducation, qu'il s'agisse de l'éducation spécialisée, de la génago-gie, du cours d'éducateur de groupe, et j'en passe, tous ces cours ont eu et ont obtenu une collaboration étroite de la part des centres d'accueil.

J'affirme que, dans plusieurs régions, c'est seulement l'intervention des centres d'accueil qui ont, en quelque sorte, forcé le milieu enseignant à venir offrir des cours, quand même, à des gens qui, sur place, ne pouvaient pas bénéficier d'autres moyens pour parfaire leur formation.

M. Charron: Je veux bien prêter foi aux propos que vient de tenir le représentant de l'Association des centres d'accueil, mais je crois que si cela s'est produit comme il le dit, il admettra avec moi qu'il s'agit de cas exceptionnels.

Je cite le rapport Batshaw lui-même sur les centres d'accueil, qui dit ceci: "Sur le plan de la supervision, la situation est, elle aussi, insatisfaisante. Rares sont les centres d'accueil qui offrent à leurs éducateurs la supervision et la consultation dont ils ont besoin. C'est ainsi que l'éducateur doit affronter seul des situations difficiles sans support, sans conseils, sans encouragement. "Soulignons finalement que la définition du rôle de l'éducateur, ou, du moins, la manière dont cette définition est comprise dans de nombreux centres d'accueil, relègue l'éducateur à des tâches de surveillant (être présent, voir à la discipline, activités occupationnelles). On hésite trop souvent à faire confiance à l'éducateur, on limite son initiative. "Devant ces faits, il nous apparaît essentiel d'améliorer la condition de l'éducateur et de valoriser son rôle, et la première mesure devrait se faire sur le plan salarial".

Je pense que ce témoignage d'un comité d'étude qui a visité 73 centres d'accueil, dont la plupart, j'imagine, sont membres de l'association qui est devant nous, mérite la considération de la commission.

Je n'ai plus d'autres questions, M. le Président.

Le Président (M. Cornelller): Est-ce qu'il y a d'autres questions à l'adresse de l'Association des centres d'accueil? Messieurs, je vous remercie.

J'inviterais maintenant les représentants du Centre communautaire juridique de Montréal.

Centre communautaire juridique de Montréal

M. Boisvert (Marc): Je me présente: Marc Boisvert, directeur de la section jeunesse du Centre communautaire juridique de Montréal. A ma droite, Me Françoise Plante, avocate permanente à la section; Marc Bélanger, également employé permanent de la section; et Me Yolande Brassard, qui a travaillé à la rédaction du mémoire.

Je vais essayer de résumer brièvement la philosophie qui est à la base de notre mémoire. Ensuite, Me Plante vous rappellera les grandes lignes de notre mémoire.

Depuis 1971, la section jeunesse du Centre communautaire juridique de Montréal est présente aux activités des Cours de bien-être social de Montréal, de Verdun et de Pointe-Claire. A l'heure actuelle, un bureau de neuf avocats représente quotidiennement auprès du tribunal une partie appréciable des jeunes qui y sont traduits en vertu de la Loi des jeunes délinquants.

La représentation des jeunes qui y sont amenés en vertu de la Loi de la protection, la représentation des parents de ces jeunes, quoique moins considérable en volume, est toutefois aussi étendue quant à la gamme des situations familiales et sociales faisant l'objet d'une décision de la Cour.

Notre rôle premier est d'assurer une représentation légale aux personnes qui font appel à nous. L'exercice de ce rôle nous permet, par ailleurs, d'observer quotidiennement la naissance et le dénouement de situations de crises personnelles et sociales dont la gravité est variable à l'infini. Notre rôle nous permet également d'observer directement le processus par lequel le jeune ou ses parents ont été amenés devant le tribunal, le processus selon lequel la situation de crise trouve un dénouement plus ou moins adéquat, les nombreuses situations où l'action du tribunal n'était pas requise.

En un mot, notre contact avec le réseau des personnes ou établissements chargés de dépistage, de diagnostic, de traitement, est quotidien. La cadre législatif dans lequel opèrent ces personnes et établissements nous est également connu, et nous sommes heureux de constater que le législateur s'apprête à le réviser en profondeur.

Nous sommes tout particulièrement préoccupés par la situation du jeune en contact avec le tribunal. Cette préoccupation fondamentale nous amène inévitablement à prendre position sur tout

le système afin d'éviter toute intervention inutile ou abusive du système judiciaire.

Je veux attirer ici votre attention sur la philosophie de base de notre mémoire.

Premièrement, nous affirmons que l'intervention de la cour doit être limitée aux cas où elle s'avère strictement nécessaire. Les frontières de cette nécessité en ce domaine doivent reculer de plus en plus, grâce à une meilleure utilisation des ressources de la communauté.

Deuxièmement, nous affirmons que toutes les procédures prises en vertu de la présente loi doivent l'être en accord avec les droits fondamentaux de l'individu.

Enfin, troisièmement, nous affirmons que lorsque des procédures judiciaires ont lieu, en vertu de la présente loi, elles doivent se faire selon des règles de stricte légalité évitant tout abus pouvant résulter d'une justice expéditive.

L'intervention de la cour doit être limitée aux cas de nécessité. Les pratiques actuelles font de la Cour de bien-être social un fourre-tout où le justiciable est forcé de comparaître pour un motif souvent futile. Il y a nécessité absolue d'un mécanisme unique d'accueil et de tamisage des cas de délinquance et de protection. La constitution et le fonctionnement des comités locaux d'orientation, tels que nous les avons décrits tout au long de notre document, constituent ce mécanisme. Les comités locaux doivent être strictement autonomes par rapport à tout établissement de traitements, et coordonnés au niveau provincial par la Commission de protection de la jeunesse.

Nous affirmons également que toutes les procédures prises doivent respecter les droits individuels. A l'article 32 de notre mémoire, nous prévoyons la nomination d'un défenseur public chargé de voir à ce que les droits des individus soient respectés. Les procédures prises par le CLO pour saisir la cour ne doivent, en aucune façon, se faire au détriment de l'individu.

L'article 59 de notre document l'exprime clairement. Le CLO ne peut se servir des informations qu'il recueille pour incriminer l'enfant ou ses parents. Le fait de ne pas avoir collaboré avec un établissement communautaire ou un comité n'est pas en soi l'indication d'un besoin de thérapie. En ce sens, la cour elle-même doit tenir une enquête impartiale avant de rendre une décision.

Enfin, nous sommes heureux de constater que les règles d'enquête prévues au Code de procédure civile s'appliqueront désormais aux enquêtes tenues en vertu de la nouvelle Loi sur la protection de la jeunesse. Par ailleurs, nous désirons voir la cour ouverte aux média d'information accrédités par la commission. Nous avons vécu tous les défauts inhérents aux enquêtes à huis clos et croyons qu'une saine justice se doit d'être relativement publique. Nous croyons, enfin, qu'en matière de protection de la jeunesse, toute décision est importante et peut être portée en appel. Cet appel, selon nous, vu l'importance des questions soulevées pour l'avenir du jeune et de ses parents, devrait entraîner un procès de novo, c'est-à-dire, donner à la personne qui veut en appeler la possi- bilité de faire réentendre sa cause par un tribunal supérieur.

En conclusion, nous désirons assurer le respect des droits de l'enfant. Le ministre des Affaires sociales introduit des dispositions pour faciliter la continuité des mesures de protection obtenues. Nous suggérons, pour notre part, que les dispositions facilitant la qualité des premières décisions concernant la vie d'un enfant sont pour le moins aussi importantes. Les droits de l'enfant seront assurés par la haute qualité d'organismes qui président à l'entrée dans le système de protections sociales ou judiciaires. Le meilleur des effectifs professionnels doit y être représenté.

Maintenant, Me Plante va vous faire un bref résumé des principales recommandations de notre mémoire.

Me Plante (Françoise): Nous avons cru nécessaire de regrouper les droits des enfants en un chapitre spécial afin que ces droits fassent partie intégrante de la Loi sur la protection de la jeunesse et non pas simplement une considération d'ordre purement philosophique.

Nous croyons également indispensable d'affirmer, en lien avec la charte des droits de la personne au Québec, que les enfants jouissent des mêmes libertés et droits fondamentaux que les adultes. De plus, ils auraient un droit aux mesures spéciales qui assurent la sauvegarde de leurs droits individuels. Nous prévoyons cela aux articles 2, 3 et 5. Les enfants auraient également droit à la scolarisation. L'enfant a droit en pleine égalité à une audition impartiale par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé. L'enfant a droit d'être représenté par un avocat à tous les stades de la procédure prévue à la présente loi.

Au sujet de la Commission de la protection de la jeunesse, nous croyons que la commission doit jouer un rôle prépondérant au Québec, en matière de protection de la jeunesse. En plus des fonctions générales de promotion, de recherche d'éducation, la commission doit jouer un rôle administratif étendu et précis. Sa principale fonction doit être, selon nous, de constituer des comités locaux d'orientation et d'en coordonner les activités. La même tâche s'applique aux comités consultatifs que nous suggérons en remplacement des conseils de surveillance. Nous croyons qu'instaurer une commission responsable de l'évaluation des besoins et de la relance des cas, par l'intermédiaire des comités locaux d'orientation, ne mène pas à la constitution d'un réseau de services parallèles. Nous croyons, par ailleurs, que la commission est indispensable à l'amélioration des services sociaux aux jeunes pour l'ensemble du Québec. Cette commission ne doit pas empiéter sur le travail naturellement assigné à d'autres commissions.

Après mûre réflexion, nous optons également pour que la gestion des centres de services sociaux et des centres d'accueil demeure indépendante de l'autorité directe de la commission.

Nous croyons que la commission doit jouer un rôle particulier en ce qui a trait à la protection

des enfants maltraités physiquement. La tâche spécifique confiée à ce titre à la commission consiste à établir un fichier central pour tout le Québec. Ce serait un outil indispensable pour assurer une protection efficace auxdits enfants.

Au sujet des comités locaux d'orientation, nous croyons que les comités locaux d'orientation constituent la base du système de toute la protection de la jeunesse. Au comité local doivent être assignées les tâches suivantes: 1) faire l'accueil et l'évaluation de toutes les situations où la sécurité, la santé et le développement d'un enfant sont en danger; 2) faire l'accueil et l'évaluation de toutes les situations où un jeune a été arrêté au sens de la loi. Le CLO doit, selon nous, jouer le rôle du bureau de sélection prévu au projet de loi fédéral sur les jeunes qui ont des démêlés avec la justice.

Les fonctions assignées au comité local d'orientation justifient sa composition de la façon suivante: un avocat en exercice, une personne dont l'expérience de travail antérieure vient du secteur des services sociaux, une personne dont l'expérience vient du secteur scolaire et un résident du territoire compétent en matière de protection de la jeunesse. La nomination de ces personnes doit être faite par la commission. De plus, nous croyons opportun d'ajouter à ces quatre personnes un défenseur public nommé par la Commission des droits de la personne et dont les fonctions sont décrites à l'article 32 de notre mémoire.

Au sujet des comités consultatifs, nous avons remplacé les conseils régionaux de surveillance par des comités consultatifs rattachés au CLO. Nous croyons que la principale tâche confiée à ces comités devrait être de conseiller le CLO sur les besoins de la jeunesse du territoire et d'assurer une bonne diffusion des informations appropriées. Cette limitation au mandat des comités consultatifs constitue, selon nous, une approche originale à la participation de la population aux organismes professionnels. Nous estimons également qu'à un CLO desservant plusieurs localités puissent être rattachés plus d'un comité consultatif. Il appartiendra à ce moment-là à la commission de déterminer, après étude des besoins du milieu, le nombre de comités requis pour chaque CLO.

Au chapitre de la protection sociale, considérant que le CLO est, dans notre optique, un organisme très près de la collectivité locale et de ses besoins, et considérant qu'il est composé d'un personnel diversifié et compétent, nous croyons qu'il vaut mieux s'abstenir d'une longue énumération de situations où l'enfant peut être en danger, tel que prévu à l'avant-projet de loi, d'autant plus que cette énumération ouvre la porte à des abus. Nous faisons référence à l'article 48-a), b), f), g), et k) de l'avant projet de loi.

Nous croyons que tout mineur détenu ou arrêté à quelque titre que ce soit doit être immédiatement confié au comité local d'orientation, seul organisme habilité à décider des premières mesures à prendre à l'égard d'un enfant.

Nous croyons que le CLO doit être avisé de toute situation où un enfant est retiré de sa famille d'origine pour être placé en famille d'accueil ou en centre d'accueil, même sur une base volontaire.

Nous optons en faveur d'une déjudiciarisation authentique. Chaque fois que cela est souhaitable et réalisable, les délits posés par les mineurs doivent être traités en dehors du contexte de la cour. Inversement, des délits même objectivement moins graves que d'autres pourront donner lieu à une dénonciation auprès du tribunal lorsque l'intérêt du jeune l'exige. Une telle option se situe dans la ligne des pratiques courantes et leur assure une plus grande objectivité et plus de chance de succès lorsqu'il s'agit de réhabilitation. Le pouvoir discrétionnaire de la police et du procureur devient, à ce moment-là, en partie celui d'un groupe multidisciplinaire attaché à une localité ou à une région. Cette activité locale est, par ailleurs, sous le contrôle d'une commission provinciale, rappelons-le.

Nous affirmons l'indépendance du tribunal qui doit procéder de lui-même à toute enquête menant à une décision du pouvoir judiciaire. La cour n'a pas à rendre une décision écrite et motivée uniquement lorsque celle-ci va à rencontre des recommandations faites par les organismes de protection sociale ou les services de communauté, nous croyons qu'en tout temps, elle doit le faire.

Selon nous, le moment est venu d'admettre les journalistes à la Cour de bien-être social. Toutefois, ces journalistes devront être reconnus par la commission et auront de ce fait de plein droit accès à toute cour de bien-être. La possibilité d'un appel de piano à la Cour supérieure est indispensable, selon nous, à la saine administration de la justice. Les décisions prises par la cour sont en effet d'une importance primordiale pour toutes les parties concernées.

Nous affirmons avec insistance que la cour peut confier l'enfant à une autre ressource que le centre des services sociaux et nous songeons ici à tous les projets de la communauté financés par des sources diverses.

M. Boisvert: Je remercie les membres de la commission de leur attention et nous sommes prêts à apporter des lumières sur certaines de nos recommandations.

Le Président (M. Cornellier): Le ministre des Affaires sociales.

M. Forget: Merci, M. le Président. Je remercie le groupe qui est devant nous pour un mémoire qui nous amène à discuter de certains articles qui n'ont pas jusqu'à maintenant été l'objet de beaucoup de discussion, dans certains cas du moins, mais, avant de passer à ces articles-là, je note que le groupe... Comme c'est un groupe juridique, c'est peut-être une discussion qu'il est plus approprié de faire avec vous qu'avec d'autres.

Je pense à toute cette question du droit des enfants. Il semble qu'il n'y ait rien de plus populaire à faire que de proclamer le droit des enfants et je pense qu'aucun groupe n'a fait défaut de

souhaiter que le droit des enfants soit assuré le plus complètement possible et c'est évident, cela devrait du moins être évident à ce moment-ci, que tout le monde souscrit à ce voeu-là.

Cependant, sur un plan juridique, il semble qu'on ait un certain nombre de problèmes à trancher pour être bien sûr que l'on parle tous de la même chose. On a, d'une part, l'opposition entre l'interprétation de cet avant-projet de loi comme définissant des mesures d'exception, et je crois que c'est là l'approche que vous prenez également, par rapport à une autre option qui verrait dans cette loi de protection de la jeunesse une espèce de charte générale visant tous les services donnés à l'enfance. Je crois que, sans faire d'injustice à aucun des groupes qui se sont présentés devant la commission, le consensus semble être de considérer que c'est une loi d'exception, que la loi sur l'organisation des services de santé et des services sociaux permet déjà d'organiser des services pour les enfants, entre autres groupes qui peuvent avoir besoin de services de santé ou de services sociaux, et que cette loi-ci a pour but d'aménager des interventions où l'autorité administrative ou judiciaire doit intervenir pour protéger l'enfant.

Il ne s'agit donc pas simplement de disposer un contexte qui permet de donner des services, mais de faire intervenir une notion d'autorité, d'obligation, de coercition dans la réalisation de l'objectif qui est la protection de la jeunesse. A ce moment-là, comment interpréter un chapitre sur les droits des enfants? Il est clair que l'on ne veut pas invoquer les droits des enfants seulement dans des situations d'exception, mais de façon beaucoup plus générale. Plusieurs possibilités s'offrent de ce côté-là. Nous avons déjà une loi qui proclame les droits et les libertés fondamentales de la personne. Je crois qu'il est clair dans cette loi qu'elle s'applique aux enfants comme aux adultes. Si ce n'est pas clair, on peut le préciser, mais se borner à apporter cette précision.

Il y a également, dans le dernier volume, le volume II du rapport de l'Office de révision du Code civil, une proposition que, s'il y a un endroit où les droits des enfants doivent être proclamés, c'est dans le Code civil puisque, dans le chapitre des droits de la personne, on a le cadre absolument général le plus approprié pour proclamer de tels droits.

Alors, lorsque l'on passe à la phase législative, il faudra clarifier un peu ces notions, en tenant pour acquis que tout le monde veut protéger le droit des enfants au moins aussi bien que celui des adultes et en tenant, je pense, pour acquis un certain consensus que la loi sur la protection de la jeunesse est une loi d'exception et qu'on ne veut certainement pas promulguer les droits des enfants seulement dans les situations d'exception.

Qu'est-ce qu'il vous semble donc le plus approprié de faire, à ce moment-ci, tenant compte de ces deux impératifs? Que souhaitez-vous? Je pense que, sur le plan législatif, on ne souhaite pas qu'on reprenne dans toutes les lois les mêmes déclarations puisque cela deviendrait peut-être un peu odieux, et ce n'est pas le rôle des lois de se faire des références les unes aux autres. Comment répondez-vous à cette interrogation? Est-ce qu'il y a une des voies suggérées qui semble plus appropriée qu'une autre?

M. Bélanger: Je pense que la rédaction de notre mémoire indique déjà cette voie. Comme d'autres groupes, nous sommes conscients qu'il peut exister une charte des droits de l'enfant. Cela peut exister, c'est sans doute souhaitable, cela existe peut-être dans d'autres Etats, entre autres, aux Etats-Unis. Ils ont fait un effort particulier sur le sujet. De toute façon, nous nous sommes limités, très consciemment et volontairement, au cadre législatif de la loi sur la protection de la jeunesse. Si vous vous rappelez , quand on a donné, dans le chapitre II, les droits des enfants, après une affirmation de principe général qui ne soit jamais en contradiction avec aucune charte, qui, de toute façon, repose justement sur les chartes existantes, nous nous sommes limités à tenter une définition de droits dans le cadre de la présente loi.

Nous avons essayé d'être assez factuels, à la lumière de l'expérience la plus concrète que l'on peut vivre à la Cour de bien-être social; quand on dit, par exemple, que l'enfant qui fait l'objet d'une décision en vertu de la présente loi a droit à la scolarisation, c'est fondé sur des choses qui se passent et ce n'est pas fondé sur des théories ou sur une belle affirmation de principe. Comme le soulignait Me Plante tout à l'heure, si nous avons inscrit ces droits des enfants à l'intérieur même de la loi et non pas dans des attendus, c'est que nous comptons qu'un juge puisse fonder une décision sur un article de loi. On ne fonde pas, à ma connaissance, des décisions sur des préambules, mais on peut fonder des décisions sur la définition qui a été donnée des droits.

Donc, c'est dans ce cadre très limitatif que l'on a voulu apporter une contribution. Si on essaie de mêler toutes les sauces à la fois, je pense qu'on ne s'entendra jamais. Les enfants qui font l'objet d'une mesure de protection ont des droits — on en a peut-être oublié plusieurs — mais, en tout cas, ils ont des droits qui sont énumérés, pour nous, dans la loi.

M. Forget: Fort bien. A ce moment-là, je suis heureux que vous cherchiez, comme cela, à énoncer les droits qui puissent justement être invoqués devant le tribunal. C'est également le but que nous recherchons. Dans ce sens, je m'interroge un peu sur votre suggestion que l'article 48 soit réduit dans le fond à sa plus simple expression. Si vous regardez l'article 48, vous avez une série de propositions qui sont toutes rattachées à des choses vérifiables, démontrables. Vous dites, par exemple, qu'il y a des possibilités d'abus; à l'article 48, paragraphe b), on dit, que, au sens de la présente loi, la sécurité, le développement et la santé d'un enfant peuvent être considérés en danger si, notamment, le développement émotif ou mental de l'enfant est mis en péril par le rejet, de la part des parents, ou par la privation d'affection.

Je comprends très bien que cela peut constituer un danger. Le fait d'éliminer l'article et de lui substituer une déclaration générale qu'il faut éviter de mettre en danger la santé, la sécurité et le développement d'un enfant, à mon avis, ne fait pas progresser beaucoup la discussion.

Des actes posés vis-à-vis d'un enfant contreviennent à cette disposition et, à ce moment, on demande à chacun d'appliquer son jugement, son évaluation subjective de ce que nos normes éthiques générales veulent dire ou ne veulent pas dire. Autrement dit, on dit: Bon, on ne réglera pas ce problème dans la loi, on va laisser chacun évaluer ce que sont les standards sociaux vis-à-vis du comportement des parents dans ce domaine. Je comprends que c'est dangereux de le dire, mais c'est également dangereux de ne pas le dire, dans le même souci d'avoir des choses qu'on peut invoquer devant les tribunaux et qui circonscrivent justement le pouvoir d'intervention même d'un centre de services sociaux, d'une dénonciation. Peut-on dénoncer n'importe quoi qui ne nous apparaît pas valable ou des choses qu'on ne ferait pas à ses propres enfants?

Je crois qu'il y a une nécessité de circonscrire cela si on ne veut pas, d'une part, envahir la vie privée des gens sur la base de conceptions purement suggestives de ce qui est bon ou mauvais ou, d'autre part, rien faire sous prétexte que la loi ne l'interdit pas expressément. Je crois qu'au moment de regarder l'article 48, il faut s'entendre sur ce qu'est la protection de la jeunesse. On peut, évidemment, laisser cela à l'arbitraire de tout le monde, mais on n'a pas fait un progrès, à mon sens, très visible si on fait cela.

M. Bélanger: II va sans dire que nous partageons totalement ce que vous venez de mentionner comme préoccupation. Si on l'a supprimé, ce n'est pas parce qu'on voulait tomber dans l'arbitraire dont vous parlez. Je pense qu'on peut faire la remarque préliminaire qu'il y a des positions ou certains aspects de notre avant-projet de loi que l'on sait évidemment très relatifs. Cela dépend de l'expérience de travail, cela dépend d'une série de choses. Cela en est un. Maintenant, si on l'a fait comme cela, c'est parce qu'on a vu tous les abus qu'entraîne une définition, parce qu'à ce moment des gens qui présentent un cas ne font qu'utiliser un mot dans la loi et ne ('étoffent pas. Si vous saviez combien il y a d'enfants pour qui on fait des plaintes par rejet. On n'a rien dit après et on n'a rien dit avant.

C'est donc un choix qui présente des inconvénients. Sur quoi repose-t-il maintenant si je réponds d'une façon positive? Là, je pense qu'on entre plus à fond dans le sujet. Il y a des questions qui ont été discutées ce matin, sur lesquelles on reviendra certainement en réponse à des questions où on entrera.

C'est que pour nous tout le système repose finalement sur le comité local d'orientation. Or, le comité local d'orientation, premièrement, a une assise locale et communautaire. Quand je prends, par exemple, le paragraphe a) de l'article 48, je le trouve extrêmement dangereux, parce que si ce sont les gens qui appartiennent à telle couche sociale ou tel milieu spécialisé de travail qui ont à l'appliquer pour une population qui, elle, ne correspond pas aux mêmes normes... On l'a mentionné, je pense, ce matin. Je parle de milieux de travail que je connais, à titre d'intervenant social, où j'ai travaillé moi-même pendant plusieurs années. Ainsi, 80% des enfants du secteur centre-sud de Montréal tombent sous le coup de l'article 48a) tel que formulé ici.

M. Boisvert: C'est qu'on a peur aussi finalement que l'article 48, avec l'énumération, soit interprété comme étant des cas où, nécessairement, on doit intervenir.

M. Bélanger: Je pense qu'il faut ajouter une autre dimension. Dans les attendus de la loi, on a souligné qu'il y a des situations où la santé ou le développement d'un enfant peuvent être mis en danger et on a ajouté ceci: à cause du refus ou de l'incapacité de leurs parents ou substituts à ceux-ci d'en prendre soin. On affirme par là le principe général de la loi d'exception. Cette loi n'est pour nous, en aucune façon, une loi d'organisation générale des services sociaux et de santé au Québec. Je pense que cela complète.

M. Forget: Je suis d'accord, mais cela ne me satisfait pas malgré tout, parce que même si vous me répétez qu'il y a des dangers à interpréter ce que c'est que de bénéficier de conditions matérielles d'existence appropriées aux besoins, mais aussi proportionnées aux ressources de sa famille, je comprends que c'est dangereux cette affirmation. Vous ne calmez cependant pas du tout mes inquiétudes quand vous me dites: On va mettre au contraire dans la loi qu'il ne faut pas que la vie, la sécurité, la santé d'un enfant soient menacées, parce que le caractère subjectif de l'interprétation qui s'applique aux conditions matérielles d'existence, appropriées ou non, je comprends qu'on peut l'évaluer de façon très subjective, c'est encore plus vrai pour une affirmation plus générale de principe.

A ce moment-là, on ne sait même plus si une famille qui aurait les moyens de s'occuper d'un enfant d'une certaine façon, de lui donner des conditions matérielles d'alimentation et de logement convenables, qui aurait les moyens de le faire et qui ne le fait pas, on ne sait même plus si c'est contraire à la loi ou si ce ne l'est plus. On tombe dans le subjectivisme le plus total; vous allez voir un intervenant qui va juger que, pour lui, d'après son expérience personnelle, c'est inacceptable, et son voisin va juger que non, tout est bien, après tout, tout le monde n'a pas le droit d'avoir tels ou tels éléments de confort. C'est très subjectif.

Je ne vois encore pas comment on fait un progrès en étant plus vague, parce que le problème d'interprétation qui crée le danger, il faut bien le situer quelque part. Si vous exigez que, dans la loi, il soit basé au moins sur certains élé-

merits un peu plus précis, vous aurez une interprétation par la jurisprudence. Quand les lois donnent ouverture à des possibilités d'interprétation, au moins y a-t-il la jurisprudence qui, avec le temps, vient apporter des précisions: qu'est-ce que cela veut dire que de priver un enfant de conditions d'existence matérielle appropriées à ses besoins mais aussi proportionnelles à ce que sa famille peut lui offrir? Bien, on le verra par l'accumulation de l'expérience.

Sauf que si on n'a aucune jurisprudence sur une clause comme celle-là, on restera toujours devant la position où, si c'est monsieur X qui pose le jugement, cela veut dire une chose, et si c'est monsieur Y qui pose le jugement, cela veut dire quelque chose d'entièrement différent. Et ils seront tous les deux en fonction de la loi. Interprétons ce que veulent dire la sécurité et la santé. C'est la situation que nous avons dans le moment. Il y a des situations, et on l'a vu d'ailleurs à l'automne 1974, où enfermer un enfant dans un placard, apparemment pendant six semaines, c'était quelque chose qui n'était pas anormal et il n'y a aucune loi qui empêchait cela. Des gens, très sincèrement, et même des corporations professionnelles, ont dit: Cela fait partie du traitement, ou je ne sais pas quoi.

Bien, écoutez, c'est cela, parce que, avec la bonne foi, on peut justifier n'importe quoi. Or, je crois qu'on a le devoir, comme législateurs, de dire à un moment donné: II y a un début de preuve; si un enfant est vraiment privé d'alimentation, s'il a une diète vraiment inappropriée, ce n'est pas parce que les gens sont dans une situation de pauvreté abjecte; à ce moment-là, cela peut toujours se comprendre. Il y a quelqu'un qui a manqué à son devoir et, là, il y a au moins une cause raisonnable et probable pour qu'un mécanisme d'intervention débouchant éventuellement même sur une action devant le tribunal puisse être entrepris. Mais si on ne peut pas au moins prouver cela, bien, pour l'amour du ciel, laissez-les tranquilles, ces gens-là.

M. Bélanger: Je voudrais reprendre d'abord la remarque qu'on a faite tout à l'heure, que c'est d'une position que l'on sent très relative. Deuxièmement, l'actuelle Loi de la protection de la jeunesse, à l'article 15, a à peu près la même formulation que celle que l'on projette. S'il y a des problèmes, cela ne vient pas — expérience faite couramment — du manque de définitions en priorité. Vous vous référez au cas de l'enfant placé dans le placard; j'en ai déjà discuté avec vous dans un autre contexte. Le problème ne vient pas de ce que la personne trouvait que c'était une situation normale; il portait sur l'obligation ou la non-obligation de signaler le cas et tout le monde s'entend sur un consensus que ce n'est pas normal. C'est sur le signalement et non pas sur la nature du problème.

Quand on prend le fonctionnement général de la Cour de bien-être social et de tout ce qui y arrive, habituellement, le problème est au niveau — et on y reviendra — de l'évaluation et non pas du signalement du besoin. Pour le signalement de la situation problématique, il y a un consensus social très facile à réaliser et il n'y a pas d'arbitraire à ce niveau. Mais l'évaluation de l'importance de cette situation et surtout l'évaluation de la décision qu'il faut prendre pour y remédier et, encore plus, surtout, sur qui va le faire après, c'est là que le système accroche actuellement. Tout le reste de notre mémoire propose, vous l'avez sans doute noté, un certain basculement du centre de gravité des établissements créés par la loi 48 à des organismes créés éventuellement par cette loi-ci. C'est là le noeud de la question et non pas, selon nous, sur la définition, parce qu'il y en a un consensus social. Il n'y a personne qui accepte qu'un enfant ne soit pas nourri, mais le problème est de savoir qui va dire qu'il n'est pas nourri, par exemple. Et, une fois qu'on l'a dit, qu'est-ce qu'on fait avec cet enfant? Bien, là, c'est une autre histoire.

M. Forget: Oui, mais il reste que, si l'évaluation plutôt que le signalement est le problème, on n'aide pas le problème de l'évaluation en soustrayant les critères ou en les reléguant à d'autres instances. Le problème de l'évaluation va demeurer. S'il n'y a pas de consensus sur l'évaluation, à plus forte raison il me semblerait, à première vue au moins, qu'il faut essayer de circonscrire le domaine où le consensus va demeurer à être fait.

Il y a des exemples nombreux qu'on pourrait signaler dans le domaine de l'intervention même des services sociaux — mettons de côté même l'intervention du tribunal dans ces questions — où ce qui est vérité en deça des Pyrénées est erreur au-delà. C'est un problème de valeurs, c'est un problème de s'entendre sur ce qui constitue un signal suffisant pour justifier l'intervention et sur ce qui est en dehors de ces situations. Aussi, on pourrait citer un très grand nombre de cas où, presque d'autorité, même les services sociaux interviennent dans des situations familiales, alors que, dans le fond, c'est une ingérence qui n'est basée sur rien de précis.

M. Bélanger: Je ne voudrais pas qu'on prolonge indûment, peut-être, cet aspect. Je voudrais ajouter une autre chose qui fait suite aux discussions qui ont eu lieu ce matin, auxquelles on assistait.

L'évaluation et la continuité des mesures, et la responsabilité légale dont il a été question à plusieurs reprises, je pense que, si on veut y comprendre quelque chose, il faut que l'on fasse une différence très nette entre l'évaluation sociale d'un besoin et l'évaluation des personnes qui vivent ce besoin. J'espère que cela allume des choses, là.

Pour nous, le comité local d'orientation n'a, en aucune façon, le rôle de faire une évaluation des personnes, donc des correctifs à apporter. Le comité local a pour objectif de faire l'évaluation des situations. C'est pour cela qu'il doit avoir une assise strictement locale. C'est pour cela qu'il doit avoir une assise strictement multidisciplinaire,

c'est-à-dire, dans tel contexte, telle situation sociale est un symptôme de mauvais fonctionnement très général, alors que, dans tel autre contexte social, le même symptôme, tout simplement, fait partie d'un mode culturel.

La fonction donnée au comité local d'orientation, pour nous, elle est là. C'est là qu'on fait une distinction entre les évaluations à caractère psychologique, psychiatrique, médical et tout ce qu'on voudra. Expérience faite, il est extrêmement dangereux de confier à un homme qui a une compétence limitée — heureusement, il en a une, mais il ne peut en avoir qu'une — une responsabilité sociale globale.

Est-il nécessaire de donner des exemples dans d'autres cadres que celui-ci? Prenons la médecine. Pensons aux maladies industrielles. Bon. Dans le cas de la protection de la jeunesse, cela se révèle encore plus vrai. Si le centre de services sociaux — je pourrais dire tout autre organisme; je prends celui-là parce qu'on se réfère ici surtout à celui-là — a pour objet de faire l'évaluation du besoin de la personne en même temps qu'il fait l'évaluation implicite des traitements qu'il peut lui donner, c'est faussé au départ, pas par mauvaise volonté, mais c'est au départ faussé parce qu'il ne peut pas faire autre chose que le voir à travers ce qu'il peut offrir.

Pour cette première fonction d'évaluation sociale: est-ce que, oui ou non, c'est tolérable? Est-ce que c'est urgent? Est-ce que c'est un faux problème que, dans cette communauté, telle relation entre les parents et l'enfant soit de tel ordre, ce n'est pas pour nous un seul professionnel ou un seul organisme habilité à donner des traitements qui peut poser la meilleure évaluation? C'est un organisme social, c'est une responsabilité sociale venant de personnes qui sont multiples dans leur provenance.

A ce moment-là, cet organisme est ouvert—c'est un autre aspect primordial de notre mémoire, je le souligne — sur la gamme la plus large possible des ressources. L'expérience courante, ce qui est à retenir de l'expérience qui s'est faite au Massachusetts, aux Etats-Unis, on le revoit continuellement; c'est qu'il n'y en a pas de système thérapeutique d'intervention sociale parfait.

Le seul système qui a de l'allure est celui qui permet une gamme de possibilités où les gens sont habilités à décider et non pas tout simplement des clients. Il faut donc que la porte d'entrée soit ouverte sur des possibilités multiples et c'est dans ce sens qu'on croit que le comité local d'orientation doit être important.

Juste pour terminer le dernier point là-dessus, je voudrais mentionner que je doute de l'efficacité qui va suivre de la responsabilité légale, comme on le mentionnait ce matin. Quand un cas est confié au directeur de la protection de la jeunesse, je ne suis pas sûr que c'est parce qu'il y a une loi qui va dire qu'il est responsable que cela va être plus efficace. De toute façon, comme on vient de le mentionner, si le personnel change toujours dans la boîte, il faut s'habituer cliniquement à penser des nouveaux modèles, compte tenu des changements de mentalité professionnelle. Il n'existe plus de professionnels qui veulent des clients pour cinq ans ou pour trois ans. Non seulement cela est passé à un niveau théorique mais c'est probablement beaucoup plus dommageable pour l'individu. Plus il est longtemps en thérapie, moins il a de chance de succès actuellement.

Donc, on croit que la responsabilité de relance devrait plutôt relever d'un organisme qui a une responsabilité sociale globale et non pas limitative au plan professionnel. Je me permets, à titre d'hypothèse, de douter sérieusement de l'efficacité du caractère légal qu'on attribue à quelqu'un pour faire une thérapie à un autre. En cour, il va être capable de s'en sortir facilement.

M. Forget: Vous faites une distinction entre le comité consultatif et le conseil de surveillance. Vous suggérez qu'on n'ait pas de conseil de surveillance et vous suggérez un comité consultatif. Pourriez-vous résumer très brièvement la différence entre les deux, parce que je ne suis pas sûr que je la perçoive très clairement?

M. Boisvert: En ce qui a trait au comité de surveillance, on trouvait que les pouvoirs qu'on leur donnait étaient un peu les mêmes que ceux donnés au CLO, des pouvoirs d'enquête, et on trouvait que c'était peut-être augmenter la complexité de la loi. On ne voyait pas la nécessité de ces conseils de surveillance. Pour nous, la commission de protection de la jeunesse telle qu'on la voit a tous les pouvoirs en fait. Parce qu'il y a déjà une trop grande multiplicité d'organismes de surveillance en place, on croit que le CLO devrait avoir tous ces pouvoirs. Par contre, on est très favorable à une participation des gens de la base à la protection de la jeunesse.

Peut-être que nous, à l'aide juridique, on a ces comités consultatifs. Je trouve que, dans certaines régions où j'ai déjà été directeur, comme celle du Nord-Ouest, on en avait créés et j'ai trouvé cela très utile pour connaître les besoins des gens et même pour les informer. On ne voit pas vraiment la nécessité des conseils de surveillance tels que créés dans la loi, mais on croit qu'un comité consultatif pourrait être d'un apport assez appréciable.

M. Forget: Moins de pouvoirs...

M. Bélanger: L'expérience est qu'il est extrêmement facile de mettre en boîte n'importe quel comité consultatif si on lui demande de s'occuper de question administrative. Qu'on regarde tous les organismes actuellement en place. Ce qu'on a voulu dire, ce qu'on a voulu centrer, c'est que là où il n'est pas facile de mettre les gens en boîte pour un organisme professionnel, c'est sur les besoins de la population. Ce n'est pas facile, parce que, à ce moment, ils vont le dire. Indirectement, ayant défini les besoins et pouvant parler au niveau des besoins, ils auront un pouvoir réel au niveau de parler de la qualité des ressources qui sont offertes en réponse à ces besoins.

M. Forget: Cela répond à ma question. Je vous remercie. Il y a un dernier aspect. Je vais vous suggérer que le huis clos soit abandonné. Plusieurs groupes en ont discuté et je crois que c'est le Barreau, entre autres, qui a pris la position que la disposition qu'on trouve dans l'avant-projet ne change rien puisqu'on dit que ce n'est essentiellement pas de huis clos et que les audiences peuvent être publiques, mais qu'il y a un élément de discrétion qui demeure. Par contre, vous suggérez que le huis clos demeure avec une exception qui ne serait pas discrétionnaire au niveau du juge, mais au niveau de la commission, par la désignation de journalistes accrédités.

J'aimerais savoir, dans le domaine de l'enfance — parce qu'il y a aussi d'autres propositions visant à considérer les tribunaux pour l'enfance de la même façon que les tribunaux d'adultes, sous réserve, bien sûr, que le nom des parties ne soit pas révélé, etc. — pourquoi vous tenez ou vous jugez bon de restreindre, malgré tout, l'accès aux Cours de bien-être social à seulement certaines personnes accréditées.

M. Boisvert: En fait, la restriction qu'on propose n'est pas sur telle ou telle cause. On demande que la Commission de la protection de la jeunesse accrédite les journalistes pour éviter, en fait, de tomber dans le jaunisme. On est conscient du fait que, si, demain matin, la Cour du bien-être social était ouverte à tous les journalistes, on pourrait très facilement tomber dans le jaunisme; les situations, on pourrait les monter en épingle. Maintenant, on pense que la présence de journalistes sérieux... D'abord, personnellement, le grand public je ne vois pas pourquoi il devrait être admis dans ces causes-là; mais on croit que la présence de journalistes sérieux serait une garantie, premièrement, d'objectivité et, deuxièmement, de respect de la loi.

En fait, je suis convaincu que, si les journalistes étaient admis présentement à la Cour du bien-être social, il n'y aurait peut-être pas, comme la semaine dernière, des jeunes détenus, en vertu d'un article de protection, pendant des journées aux quartiers généraux de la police de la Communauté urbaine de Montréal. Nous croyons qu'en fait la présence du journaliste serait une garantie que le juge respecterait — je ne dis pas qu'il ne le respecte pas — mais il serait forcé de tenir davantage compte du fait que le jeune est un sujet de droit et non pas un objet de droit.

M. Forget: Je n'ai pas d'autres... La question de l'appel de piano... Malgré tout, l'on veut aider les jeunes dans des situations où parfois leur protection est quand même un objectif assez impératif; il ne s'agit pas de conflit entre des intérêts pécuniaires ou, enfin les appels peuvent durer des années entre deux compagnies d'assurance ou Dieu sait comment. Il n'y a pas de coût social attaché au délai. Cependant, si toutes les décisions, dans tous les cas, peuvent être l'objet d'un appel, cela pose certains problèmes. Dans le domaine de l'enfance, qu'est-ce qui arrive pendant l'appel?

Est-ce que la décision s'applique? Si elle ne s'applique pas, il y a des droits des adultes ou des parents, des droits des enfants qui sont impliqués là-dedans. Il y a quand même une menace là aussi, il y a un danger que l'on abuse des procédures de manière à retarder les choses, dans le fond à prolonger le mal qu'on veut guérir. N'est-ce pas un peu imprudent d'aller aussi libéralement sur la voie de procédures judiciaires?

Je pense que le droit d'appel est important, il est consacré dans l'avant-projet mais, si on ne l'assortit pas de certaines précautions, est-ce qu'on ne tombera pas dans une procédurite aiguë?

M. Boisvert: Moi, je trouve que le droit d'appel donné par l'avant-projet de loi n'est, en fait, que la codification des brefs de prérogative du Code de procédure civile. En fait, avec le droit d'appel tel qu'il est là, on n'en a presque pas. Nous, peut-être avons-nous trop vécu l'absence de droit d'appel. Pour des situations d'urgence, on n'en a pas, de droit d'appel, présentement, en vertu de la Loi de la protection de la jeunesse. Peut-être qu'on va un peu trop loin, mais on pense qu'en matière de protection de la jeunesse toute décision est importante et que, s'il y a un cas où on pourrait peut-être permettre l'appel, c'est bien dans ces cas-là.

Pourquoi l'appel... En fait, on demande un appel de piano et on demande également un procès de novo parce qu'on croit que, vu qu'il s'agit de situations humaines, il est important de permettre aux juges qui vont siéger en appel de pouvoir connaître précisément, exactement toute la situation, voir les témoins, etc. J'admets avec vous qu'il y aurait peut-être un abus du droit d'appel mais pratiquement je ne crois pas que les avocats vont abuser de ce droit d'appel parce qu'un avocat n'est jamais intéressé à aller plaider n'importe quoi en appel.

Moi, je ne vois pas énormément de dangers, présentement. C'est clair qu'il faudrait prévoir, par exemple, des articles dans la loi pour voir ce qui pourrait se faire en attendant que l'appel soit entendu, je suis d'accord avec vous.

Je crois que le droit d'appel doit exister de piano, parce que ce sont des décisions trop importantes, quand on enlève un enfant à sa mère ou, en fait qu'on le place pour deux ou trois ans. Ce sont tout de même des situations, d'après moi, qu'on devrait pouvoir faire réviser.

M. Forget: Oui, on peut y réfléchir, mais, enfin, il y a des dangers des deux côtés. Merci.

M. Boisvert: ... trop, nous, les dangers inhérents à ce système, parce qu'actuellement il n'y en a pas, de fait.

Le Président (M. Cornellier): Le député de Saint-Jacques.

M. Charron: Merci, M. le Président. Cela va être à mon tour de faire ce que le ministre a fait tantôt, parce que j'ai déjà rencontré le groupe

aussi, puis, deuxièmement, parce que le ministre a fait pas mal tout le tour du terrain. La question que je voulais poser au groupe, et c'est ce qui m'avait frappé à la lecture du mémoire, avait trait à la place importante qu'ils accordent — on s'était entendu, je pense, quand on s'était rencontré aussi — au comité local d'orientation. Je pense que nos invités ont répondu à cette question tout à l'heure. Je les remercie d'avoir apporté ce mémoire et des lumières qu'ils nous ont données davantage.

Le Président (M. Cornellier): Est-ce qu'il y a d'autres questions de la part des membres de la commission? Me Bélanger.

M. Bélanger: On peut ajouter que c'est la double fonction du fédéral et du provincial, le comité local d'orientation étant considéré comme organisme de déjudiciarisation. Je pense qu'il y a assez de positions, surtout avec le groupe précédent, le groupe des criminologues, qui ont été données là-dessus. I! reste qu'il y a une nuance assez importante que l'on introduit dans notre mémoire. Je veux juste la souligner. La déjudiciarisation pour nous doit être intégrale. L'avocat en exercice dont on parle au comité local d'orientation, ce n'est pas par oubli que cela n'a pas été nommé un substitut du procureur général. C'est qu'on n'est pas au niveau où c'est le procureur général qui a le pouvoir. Il est délégué, ce pouvoir, à un groupe, de la même façon qu'il existe actuellement au sein de la police un pouvoir de classer une série de choses dans la communauté, qui ne vont jamais à aucun niveau. Malheureusement, très souvent, cela dépend des quartiers, s'ils sont riches ou pauvres. Si le quartier est pauvre, cela s'en va automatiquement à la cour ou ailleurs. Si dans le quartier c'est riche, on va voir papa, pas parce qu'il est riche, mais parce qu'on présume qu'il peut assumer la situation.

Donc, il semble que juridiquement, à ce moment-là, on soit dans un cadre qui demeure possible. Maintenant, l'autre élément important aussi — je rejoins un point qui a été discuté tout à l'heure — c'est qu'il semble bien que la fonction de directeur provincial nommé au projet de loi fédéral puisse être reporté, au niveau québécois, au président ou enfin à la commission de protection de la jeunesse.

Il est extrêmement important pour nous que la commission de protection de la jeunesse puisse non seulement nommer les membres du comité local d'orientation ou les instituer par régions administratives, mais leur donner un pouvoir réel de coordonner les activités, entre autres toute la fameuse question de déjudiciarisation qui fait l'objet de discussions à travers tout le pays, pas simplement au Québec, avec — vous en êtes au courant — des divergences d'opinions assez radicales, dans certains coins. Je pense que la meilleure garantie que l'on peut offrir, c'est d'avoir une commission provinciale qui va être chargée d'établir, je ne dirai pas une nouvelle jurisprudence, mais une nouvelle façon de procéder, parce que tout le champ est nouveau. Si cette pratique de déjudiciarisation est laissée aux interventions sectionnées, non coordonnées entre elles — et l'expérience de Kingston, en Ontario, où cela a été fait pendant un an, va dans ce sens — je pense qu'à ce moment-là on va aboutir à un échec et, là, on va dire: Ce n'est pas possible. Mais, cela n'a pas été possible uniquement parce qu'on ne s'est pas donné les outils pour le réaliser. Pour nous, la commission de protection de la jeunesse doit avoir un rôle indispensable à ce niveau.

Si on l'a fait relever du ministre des Affaires sociales et non de celui de la Justice, ce n'est pas par évaluation de l'un ou l'autre des ministères. C'est tout simplement que la philosophie de base est orientée précisément vers le règlement hors cour, le traitement, les décisions et tout ce qu'on voudra hors cour le plus possible pour toutes les raisons qu'on voudra imaginer, y compris les raisons économiques.

A ce titre-là, le rôle de la commission est extrêmement important.

Le Président (M. Cornellier): Alors, mesdames, messieurs, nous vous remercions. J'invite maintenant les représentants de la Maison Notre-Dame-de-Laval.

Maison Notre-Dame-de-Laval

M. Foucault (Pierre): Mon nom est Pierre Foucault. Je suis psychologue consultant à la Maison Notre-Dame-de-Laval. Je suis accompagné de M. Germain Plamondon, qui est directeur de la vie de groupe dans cette institution et de M. Pierre Charest, qui est directeur responsable du service des consultants et lui-même psychologue consultant à la même institution.

Nous voudrions d'abord situer la présentation du mémoire que vous avez entre les mains. Nous sommes conscients, en venant présenter un mémoire à la commission parlementaire, de représenter ici à peu près 1% ou 1.5% du réseau des enfants en institution; ce qui est, finalement, fort peu. C'est un centre qui est conçu pour recevoir, en milieu sécuritaire partiellement et en milieu non sécuritaire, des adolescentes délinquantes avancées. C'est ce qu'on peut appeler le bout de la ligne, en ce sens que, quand les filles viennent à Laval — elles le disent elles-mêmes — on ne peut pas aller plus loin, il n'y a plus de place après cela.

Nous sommes donc bien conscients que notre point de vue est extrêmement limité, il est très étroit. Il ressort d'un travail de cliniciens; c'est-à-dire que ce sont des gens qui sont en pratique courante, tous les jours, avec les adolescentes et avec des adolescentes hautement perturbées. Ils sont en contact avec énormément de souffrances, énormément aussi, je pense, d'injustices dont la majorité, nous le reconnaissons, ne viennent pas de la structure du réseau, mais dont une certaine partie sont les résultats des faiblesses du réseau et, en ce sens, sont peut-être plus criantes pour ceux qui y travaillent.

Vous pourrez retrouver, à l'intérieur du texte,

à un moment ou l'autre, un certain sentiment de frustration ou d'impuissance qui se manifeste par des termes qui sont souvent durs et par des jugements qui sont souvent beaucoup plus orientés vers les aspects négatifs, ou les aspects qui nous semblent manquer dans le projet de loi. Il y a quand même des points extrêmement positifs que nous tenons à relever à l'intérieur de ce texte-là. C'est, je pense, le point de vue de gens qui travaillent à la base et tout à fait à la base, dans des situations que le ministre qualifiait tantôt de très dures et, je pense, avec raison, dans des situations de frustration et d'échecs souvent répétés, parce que les conditions ne favorisent pas, peut-être autant qu'on le voudrait, des résultats plus positifs.

Nous voudrions, dans la présentation du mémoire, insister un peu sur chacune des trois parties en lesquelles le mémoire se divise, à savoir, l'esprit de la loi, sa philosophie et les modèles qu'il emploie, en faisant remarquer que dans la première partie, sur l'esprit de la loi, nous avons voulu montrer d'abord comment l'intentionnalité profonde de la loi nous apparaît excellente. A cet égard, je pense que nul ne peut trouver à redire. On n'a pas à refaire l'historique de la situation sociale de l'enfant, mais cela s'inscrit dans le prolongement du développement du droit de l'enfant et cela nous apparaît tout à fait valable, tout à fait remarquable.

Par ailleurs — et c'est peut-être le point de vue que nous souhaiterions apporter ici aujourd'hui — sa généralité même, à certains égards, ou appelons cela son étroitesse, si vous voulez, sur le plan strictement légal, nous semble en limiter la portée d'une façon regrettable. Par exemple, au niveau du droit de l'enfant ou au niveau de l'intérêt de l'enfant qui est défini au chapitre deux, on peut se demander si le respect du droit légal de l'enfant, le respect du droit à la santé physique, le respect de sa situation physique est suffisant pour garantir son intérêt réel. Les droits légaux étant respectés, est-ce que l'intérêt réel de l'enfant sera respecté? Personnellement, nous sommes en mesure de pouvoir en douter, au moins en certaines occasions. On a l'impression qu'il devient important, dans le contexte où nous sommes situés en tout cas, d'élargir de façon très notable le sens du mot "intérêt" de l'enfant.

Je le rapporte ici, parce qu'on a eu l'occasion de le faire en rencontrant un juge de la Cour de bien-être social de Montréal, d'avoir entendu dire, à un moment donné, à un avocat: Ecoute, que penses-tu que cela va donner à l'enfant ce que tu es en train de faire en lui demandant de plaider non coupable? J'admets que c'est un cas d'exception, je le reconnais bien volontiers. L'avocat aurait simplement répondu: Je m'en fiche, ce que cela va lui donner, mais ses droits vont être respectés. Je pense que c'est une position qui ne devrait pas pouvoir se produire, au sens où le droit légal doit être respecté. Cela nous apparaît extrêmement important qu'il le soit, mais il y a plus que le droit légal et le projet de loi devrait, en ce sens, élargir la notion de l'intérêt de l'enfant et y inclure la dimension sociale, que le rapport Batshaw a mise en évidence de façon très notable, et la dimension psychologique qui, je pense, n'a pas été mise en évidence, ni dans le rapport Batshaw, ni dans l'avant-projet de loi.

Un point sur lequel il nous apparaît important d'insister, c'est la distinction que le projet de loi ne fait pas entre l'enfant et le jeune, distinction que nous avons faite dans le mémoire. La distinction est psychologique et, par le fait même, délicate à manipuler au niveau d'un texte de loi. Quand on parle de la responsabilité d'un enfant, quand on parle de la possibilité de déjudiciariser le processus, est-ce que, parce que l'enfant a 14 ans, il va pouvoir se retrouver devant le tribunal alors qu'au moment où il en a seulement 12, il ne pourra pas se retrouver devant le tribunal? Au point de vue légal, c'est relativement facile de faire la distinction à l'âge de 14 ans. Je pense qu'elle est souvent inopérante au point de vue psychologique, au sens où l'enfant peut très bien, à l'âge de 12 ans, avoir un certain nombre d'acquis de son milieu ou de sa formation ou de son éducation qui l'amènent à avoir une structure ou un agir psychologique d'adolescent, tandis que, rendu à 14 ans ou même à 15 ans dans certains cas, il n'aura pas encore cette structure ou cet agir psychologique qui pourrait le faire considérer comme judiciable. Et c'est dans ce sens qu'on souhaiterait que la loi prévoie la distinction, laisse cela à la compétence de ceux qui seront chargés d'évaluer l'enfant au moment où ils auront à entrer en contact avec lui.

Est-ce qu'on est en face de quelqu'un qui a la responsabilité au moins partielle de ses actes et donc susceptible de se retrouver en cour ou devant la justice ou si on n'est pas en face de ce cas-là, quelque soit, par ailleurs, son âge? La distinction de 14 ans est facile, elle est utile, facilement manipulable; je pense qu'elle est un peu courte au sens où, psychologiquement, on pourrait se situer; ce qui fait, par exemple, qu'on se retrouve chez nous, dans la maison, avec des adolescentes qui ont treize ans. On ne voit pas très bien comment il se fait que des adolescentes de treize ans soient dans une maison comme la nôtre, il n'y a pas de raison pour qu'elles soient là et elles y sont quand même. Ce n'est pas nous qui pouvons en décider autrement. C'est regrettable, je pense. Une évaluation plus stricte, plus rigoureuse aurait permis d'éviter cela. Comme, dans certains cas, il faut que les adolescentes soient peut-être dans la maison, chez nous, elles sont rendues à un stade où il est nécessaire qu'une intervention se fasse à ce niveau.

On me permettra de signaler, de façon peut-être un peu aigre, le fait que. dans certains cas — c'est loin d'être l'ensemble du projet de loi — on a l'impression que telle ou telle mention, tel article du projet de loi est plus réactionnel à l'opinion publique ou à la peur de l'opinion publique qu'au bien des enfants comme tel.

Nous avons été évidemment frappés, parce que nous étions directement concernés, par la mention qui est faite dans le projet de loi du fait que certaines mesures disciplinaires peuvent être

prises par les centres d'accueil contre les enfants. Vous allez retrouver cela au niveau de l'article 128, d'abord pour le lieutenant-gouverneur en conseil, et, à l'article 6, par rapport aux centres d'accueil. Il est dit ceci: Les centres d'accueil ne peuvent prendre de mesures disciplinaires contre les enfants qu'ils hébergent que conformément, etc., et, à l'article 128, la même phrase est répétée exactement et on dit ceci: Les mesures disciplinaires ne peuvent être prises à l'égard des enfants par le lieutenant-gouverneur en conseil que... Je pense que les centres d'accueil, malgré tout ce qu'on a pu en dire dans les journaux et, à cet égard, M. Tremblay a été explicite tout à l'heure, ont été fort mal jugés et présentés à l'opinion publique et en particulier celui dans lequel nous avons la charge de travailler.

Les centres d'accueil ne travaillent pas contre les enfants, malgré tout ce qu'on peut en dire par ailleurs. Ils font un travail qui est souvent difficile, souvent ardu et le fait qu'à un moment donné, dans un texte comme celui-là, on retrouve une certaine réactivité à l'opinion publique plus qu'au travail qui, de fait, se fait dans les centres d'accueil, devient à la fois dévalorisant, démoralisant et devient une source de laisser-aller ou de goût de laisser faire. L'insistance qui est mise, par exemple, sur les mauvais traitements physiques dans les centres d'accueil ou, éventuellement, hors des centres d'accueil, mais, en particulier, bien sûr, chez nous, parce qu'on a été directement concerné par cette situation...

C'est une chose qui, bien sûr, existe. Il y en a eu, il n'est pas question de le nier. Il y a aussi le fait que cela reste épisodique, cela reste quelque chose qui est malheureux et qui ne doit pas se reproduire, mais qui reste aussi quelque chose de fort partiel et qui ne correspond pas à la réalité globale d'une institution comme celle-là. Je pense que la tonalité est souvent regrettable à entendre.

Je soulève un point particulier, qui m'apparaît très caractéristique à cet égard, c'est la confidentialité du courrier. Autant, je pense, on a un bon exemple de ce que je voulais dire tantôt par la responsabilité qu'on peut attendre d'un enfant ou d'un adolescent, autant le droit à la confidentialité du courrier doit être quelque chose de sacré et respecté intégralement, autant s'il était consacré comme tel dans le projet de loi, sans nuance, on se retrouve, dans un centre comme le nôtre, avec un problème de drogue qui va courir la grandeur de la maison dans le temps de le dire et avec des scandales qui risquent d'être autrement plus importants que ceux qu'on a déjà connus. Parce que, inévitablement, les adolescentes qui sont chez nous ne sont pas des adolescentes qui fonctionnent comme des enfants dans une famille normale, elles sont perturbées. Quand on dit perturbées, c'est qu'elles ont tendance à utiliser différents moyens qui ne sont pas ceux qu'on retrouve tous les jours.

A cet égard, une loi trop catégorique au niveau des droits à la confidentialité du courrier nous mettrait dans une situation quasi impossible pour protéger l'enfant dans des droits qui sont, me semble-t-il, fort importants aussi, à savoir sa santé, sa sécurité au point de vue simplement du fait de ne pas absorber une quantité de drogue anormale ou hors de propos.

Un point nous apparaît important dans la première partie, aussi, au niveau de la fonction du directeur de la protection de la jeunesse; c'est une fonction qui, du point de vue de la base, nous apparaît capitale au sens où il a en main le centre nerveux de l'application des mesures que le comité local d'orientation pourrait être amené à décider. Nous craignons un peu que le directeur de la protection de la jeunesse ait, de par la loi, beaucoup de pouvoirs; il ne nous apparaît pas clair, à la lecture du texte de l'avant-projet de loi, qu'il va avoir à sa disposition beaucoup de moyens nouveaux. S'il devait avoir la responsabilité directe des enfants, ce que M. le ministre ce matin a simplement contredit, je pense avec raison que cela devient une impossibilité, il va devoir déléguer ses pouvoirs; à ce moment-là, la délégation va se faire à des gens, je pense, comme des travailleurs sociaux, des officiers de probation ou des criminologues actuels, qui vont se retrouver devant les mêmes problèmes que ceux qu'on a actuellement, avec pas plus de moyens que ceux qu'on a actuellement et dans une situation où on va se retrouver avec des enfants en centres d'accueil qui ne devraient pas y être, parce qu'on n'a pas de place où les mettre.

Je pense que le fait de prévoir des pouvoirs spécifiques ou des responsabilités spécifiques attachées au directeur de la protection de la jeunesse ne lui donne pas les moyens de réaliser ces obligations. C'est, on en a parlé du moins, une des faiblesses du projet de loi que de développer, je pense, avec beaucoup de valeur la structure qui se situe entre l'enfant et les ministères mais peu entre le directeur de la protection de la jeunesse et l'enfant comme tel. C'est que les différents moyens qui pourraient être mis à la disposition des officiers ou des agents de probation ne sont pas assez explicités, à notre avis. En ce sens, le ministère des Affaires sociales a fait un pas dans le bon sens avec l'acceptation du rapport Bat-shaw; peut-être qu'il y aura des mesures très concrètes qui pourront suivre de façon plus explicite mais peut-être qu'il serait intéressant aussi de les insérer dans le projet de loi.

Dans la deuxième partie de cette première section, sur l'esprit de la loi, il y a un point qui nous apparaît capital et qu'on souhaiterait beaucoup mettre en évidence. Par rapport aux adolescentes qui nous sont confiées, chez nous, en tout cas, c'est l'importance primordiale de la stabilité dans le processus par lequel on essaie d'aider l'adolescente qui est perturbée. Il n'est pas rare chez nous de voir des adolescentes qui arrivent, indépendamment du fait qu'elles ont eu plusieurs responsables dans leur cas, plusieurs agents de probation, par exemple, avec quatre, cinq, six placements; je pense que la moyenne est de huit. J'ai en traitement actuellement une adolescente qui a eu 30 placements et elle a quatorze ans. Je ne suis pas convaincu que ce soit bénéfique à l'enfant que

de vivre des situations qui sont des situations de rejet, parce qu'elle le vit comme cela, indépendamment de ce qu'on peut en dire. Ce n'est pas le cas de celui qui le fait, bien sûr, mais c'est le cas de l'enfant qui le reçoit. C'est absolument dévastateur au point de vue psychologique pour l'enfant que d'être "barrouetté" constamment d'un centre, d'une maison ou d'un foyer à un autre et cela sans arrêt, indépendamment du fait que c'est la même personne qui change chaque fois de place.

Peut-être que l'évaluation, au point de départ, devrait être mieux faite, de façon plus rigoureuse, que le plan de traitement devrait être mieux établi, mais une fois qu'on décide qu'un enfant va avoir besoin de tel type de ressources, si c'est bien fait, on peut assurer une certaine stabilité qui va lui permettre, à lui, de créer une relation telle qu'à travers cela il va pouvoir se retrouver et retomber sur ses pieds. Quand un enfant nous arrive après avoir subi 15, ou 20, ou 21 placements — et ce sont des cas relativement fréquents — c'est désespérant d'entreprendre de vouloir créer une relation avec lui; il a toujours vécu une relation qui a duré trois mois et il a été mis dehors.

Essayer de restituer cela dans un contexte où on va essayer, nous, d'entrer en contact avec lui et de lui dire que cela va durer, on peut s'atteler. Cela va prendre un certain temps avant qu'il nous croie que cela va durer. Quand il commencera à nous croire, il va "tester", il va "tester" toujours pour être bien sûr qu'on ne le mettra pas dehors. C'est chanceux si, à ce moment-là, la justice n'intervient pas pour décider que cela ne sert à rien, qu'on ne pourra pas réussir et qu'on va le changer de place encore une fois. C'est ce qui arrive malheureusement.

La stabilité nous apparaît donc extrêmement importante. A cet égard, le projet de loi demande la collaboration de l'enfant dans la mesure du possible et nous trouvons que c'est une mesure qui est fort intéressante. Dans la mesure où elle peut être acquise, cela doit être maintenu.

Il est peut-être bon de signaler que, dans une perspective qui est plus psychologique, si vous arrivez avec un délinquant — je pense en particulier au garçon, bien sûr, mais cela va arriver aussi avec la délinquante — et que vous lui demandez s'il est disposé à suivre tel type de procédure pour réussir à se sortir des difficultés dans lesquelles il se trouve, il va vous répondre non, et de façon bien simple. Il va vous répondre: Non, en aucune façon.

Cela ne veut pas dire —je pense que c'est une partie importante du mémoire qui vous est présenté quand il vous dit non, qu'il ne veut pas, au fond de lui-même, arriver à sortir des difficultés à cause même de ce qu'il a vécu, à cause même de sa situation, à cause même des frustrations qui l'ont blessé pendant de nombreuses années, il n'est plus en mesure de vous dire: Oui, je le veux. Il n'y croit plus. Il n'a plus cette conviction intérieure que c'est possible pour lui d'en sortir. Alors, n'importe quoi que vous pouvez essayer, il va vous dire non d'abord.

On table, en un sens, sur le fond positif qu'on croit toujours présent chez l'enfant ou chez l'adolescent en particulier et on dit: Au fond, je pense que tu veux, oui, et je vais essayer de prendre le temps de te faire voir que tu veux, oui. Quand ils ont vu — c'est le fait qui se présente chez bien des adolescents de chez nous — et qu'ils savent qu'ils peuvent en sortir, ils embarquent tout de suite. On n'a plus de difficulté. Il n'est plus question de les garder en milieu sécuritaire, ils peuvent facilement sortir les fins de semaine, sortir pendant les vacances et ils reviennent à la maison. C'est très facile de le vérifier opérationnellement tous les jours.

Maintenant, le temps de lui faire prendre conscience que c'est possible d'en sortir, c'est plus délicat. Si on se fie à sa première réponse, quand il vous dit non, et que tout de suite on l'envoie devant le juge, on le place dans une situation où il est porté à s'ancrer davantage devant ses positions. En ce sens, il nous apparaîtrait que le directeur de la protection de la jeunesse devrait avoir le pouvoir, même si l'enfant lui dit non, qu'il ne veut pas collaborer aux mesures, de les lui imposer, indépendamment du processus judiciaire s'il n'y a pas de conflit ouvert avec les parents. Bien sûr, si les parents tiennent à maintenir leurs droits sur l'enfant, il y a une question de conflit où les droits des parents sont en cause, mais il ne devrait pas nécessairement faire intervenir un juge pour forcer un enfant à accepter une mesure alors que l'enfant, au fond, la veut peut-être sans pouvoir le dire qu'il la veut.

Il faudrait peut-être tenir compte du fait qu'on est dans une situation qui ressemble souvent à cela. A cet égard, au niveau de la stabilité, le groupe qui nous a précédés parlait du droit d'appel et nous aimerions le signaler. Il nous apparaît extrêmement important qu'au niveau des faits, au niveau de l'établissement des faits, la cour ait toute latitude lorsque l'enfant s'y trouve, et que l'avocat puisse faire appel tant et aussi longtemps que c'est nécessaire pour statuer sur l'état des faits. Mais une fois que c'est fait et une fois que la procédure est suivie jusqu'au bout, pour assurer même la stabilité du processus, il nous apparaîtrait important que le droit d'appel soit effectivement limité au sens où si, à tous les six mois, un adolescent peut faire appel à son juge pour recommencer toute la procédure et remettre en cause tout le processus de développement, la réhabilitation devient littéralement impossible. Elle est toujours en espérance de pouvoir échapper à des choses qui sont souvent difficiles à vivre et on n'a aucune chance d'aller la chercher.

Dans la mesure même où, à un moment donné, une décision est prise, et fermement prise, il est clair qu'il est important qu'à ce moment-là tous ses droits soient respectés, par exemple, mais une fois que la décision est prise, qu'on ne puisse plus revenir dessus. Je pense que l'enfant, à ce moment-là, se trouve dans une situation où il doit faire face à une réalité qui n'est pas facile mais il doit y faire face et il va apprendre à passer à travers.

A l'égard des droits de l'enfant, il y a un point

qui nous apparaît bien caractéristique, du côté professionnel où nous nous trouvons, bien sûr, c'est que les droits de l'enfant tels qu'ils sont présentés dans le projet de loi, c'est intéressant, cela doit être maintenu dans sa totalité mais cela doit être étendu au sens suivant. L'enfant est souvent considéré, dans lavant-projet de loi, comme un adulte miniature, au sens où on veut lui accorder la même chose qu'on accorde aux adultes. Il nous apparaît, en particulier comme professionnels cliniciens, que l'enfant n'est pas un adulte miniature. C'est un être complet en lui-même à qui il ne manque rien mais qui est en développement, qui est en mouvement et qui, à ce titre, a des droits qui sont les siens mais qui ne sont pas nécessairement ceux d'un adulte. Je pense — il doit y avoir des pères de famille parmi vous — qu'il n'y en a pas beaucoup qui laisseraient indifféremment leurs enfants, je pense, aller jouer avec n'importe qui sans tenir compte de qui c'est, de quelle sorte de bonhomme c'est, quelles sortes d'habitudes il a et ce qu'il fait. Ces droits, en ce sens, sont limités. On lui donne la possibilité d'agir ou d'interagir avec les autres dans la mesure où on est capable d'évaluer son sens des responsabilités.

Il ne faudrait pas que le projet de loi arrive à consacrer ce qu'on appelle, nous autres, une certaine indépendance de fait de l'enfant, face à toute structure et toute autorité. L'enfant n'est pas un être indépendant, c'est un être qui, de fait, est dépendant; que ce soit de sa famille ou de quelqu'un d'autre, il reste dépendant. Et même dans l'exercice de ses droits il reste dépendant. Cela nous paraît important qu'à cet égard le projet de loi soit nuancé, que la dépendance de fait de l'enfant soit remise en question ou signalée de façon plus forte dans le texte de loi.

Cela se manifeste en particulier au niveau de la question de l'âge. De temps en temps, à onze ans, vous vous retrouvez devant un enfant dont la maturité, à cause même de son évolution, est nettement plus grande qu'un autre qui a quatorze ou quinze ans. Puis, peut-être qu'à ce moment il y a lieu, même si les âges sont différents, de traiter différemment un enfant de onze ans de celui de quatorze. Ils n'ont pas nécessairement le même sens des responsabilités, ils n'ont pas nécessairement la même maturité.

A cet égard, c'est peut-être le résumé, et peut-être le point le plus central de ce que nous voulons apporter par rapport au projet de loi, nous nous opposons au projet de loi. Vous le voyez dans la conclusion; c'est dit: Nous croyons que, tel qu'il est là, il ne devrait pas être adopté. Ce n'est pas que ce qui est là n'est pas bon, c'est qu'à notre avis il est encore trop incomplet, il suit trop la voie actuelle de la réflexion de l'opinion publique, sans la précéder pour créer le mouvement évolutif qui nous permettrait d'avoir une loi qui orienterait davantage le mouvement dans les années à venir. Ce qu'on veut dire par là, c'est que les droits légaux de l'enfant, en particulier médicaux, ou appelons cela les droits physiques, si vous voulez, d'un enfant, sont bien précisés, sont bien structurés, sont bien établis, et on pense que cela doit demeurer.

L'aspect plus social des droits de l'enfant et en particulier l'aspect plus psychologique pour ce qui nous concerne ne sont pas mentionnés ou à peu près pas mentionnés si ce n'est en passant dans le projet de loi, et cela nous paraît une faiblesse. C'est comme si vous aviez un livre qui sur la page de droite est bien imprimé et sur la page de gauche ne l'est que d'une façon épisodique. En ce sens, on souhaiterait que le projet de loi soit aussi complet du point de vue social et du point de vue psychologique qu'il peut l'être du point de vue légal et du point de vue physique. On pense qu'à ce moment on obtiendrait quelque chose de plus complet, plus susceptible d'aider l'enfant mais aussi, à long terme, plus susceptible de créer des ressources et des moyens d'intervention plus efficaces, plus valables auprès des adolescents en particulier. C'est un peu ce...

Le Président (M. Pilote): Le ministre des Affaires sociales.

M. Forget: Je vous remercie. J'étais très intéressé d'entendre ce mémoire. Je pense qu'on a, comme ses auteurs l'indiquent, certains développements extrêmement importants et qu'il est très difficile de traduire dans les lois. Je ne m'arrêterai pas au détail, si vous me le permettez, étant donné que c'est un mémoire passablement long et assez explicite. Ce ne sont pas tellement des questions que d'attirer l'attention sur le fait qu'aujourd'hui, en particulier, on a, à l'occasion, discuté du sens à donner à l'article 2, et il faut que toute la loi soit interprétée dans l'intérêt de l'enfant. On proclame très clairement des droits et, d'un autre côté, on nous fait part, dans le fond, de l'extrême ambiguïté de cette notion sur un plan juridique; les considérations que vous amenez, par exemple, sont que, parfois, même si on consulte l'enfant, il faut pouvoir prendre des mesures en dépit de lui et dans son intérêt. Evidemment, je comprends très bien le sens dans lequel vous le dites.

Je peux imaginer facilement qu'au début d'un programme de rééducation dans un centre sécuritaire, il n'y a pas beaucoup de consultations qui vont déboucher sur l'harmonie parfaite et le consensus. Dans ce sens, les droits de l'enfant ne doivent pas être interprétés à la lettre, impliquant le droit pour l'enfant de quitter le centre d'accueil. C'est un cas peut-être évident; l'autre que vous indiquez l'est peut-être davantage: Jusqu'à quel point un enfant, tout en ayant des droits, doit-il être considéré comme indépendant du monde des adultes et être capable de s'autodéterminer dans tous les cas?

Cependant, je pense que les informations ou les indications que vous nous avez données seront très certainement utiles pour essayer de donner un sens le moins ambigu possible à la notion d'intérêt de l'enfant.

Sur la question des mesures disciplinaires, vous avez avec raison — je le dis parce que le rapport du comité d'étude le dit aussi — affirmé que les centres d'accueil — d'ailleurs, l'Association des centres d'accueil l'avait dit de façon plus générale avant vous — ont souvent été méjugés à cause

d'éléments particuliers et très isolés. Le comité d'étude également a dit que, dans l'immense majorité des cas, les centres d'accueil font un travail valable et qu'il ne fallait pas se laisser emporter dans nos jugements par certains éléments isolés. Je crois que cela mérite d'être répété parce que c'est la vérité, premièrement, et qu'une autre impression est susceptible de nous amener beaucoup plus loin qu'il est souhaitable de le faire.

Malgré tout, le même comité d'étude a suggéré, relativement aux mesures disciplinaires, qu'il y ait certaines règles du jeu qui soient précisées. Je ne suis pas sûr que cela devrait se faire par voie réglementaire, j'ai plutôt l'impression que cela pourrait se faire dans la loi comme telle, mais les principes qui sont suggérés par le comité d'étude semblent, malgré tout, établir des conditions minimales pour que cela se fasse correctement, que l'application de mesures disciplinaires, qui sont parfois inévitables dans un centre d'accueil... En particulier, il cite le fait que la mesure soit décidée par un tiers et non pas par la personne qui a pu être directement visée par les incartades de langage ou de comportement d'un jeune; je pense que c'est normal qu'une personne ne soit pas juge et partie et je crois que la loi pourrait très bien dire cela.

Il suggère également que lorsqu'il y a implication d'une mesure d'isolement, qu'il y ait une négligence légale comme on le retrouve dans le secteur de la santé, dans le fond, s'il y a l'application de moyens de contention dans un hôpital psychiatrique, par exemple, qui est une mesure courante, qu'il y ait, à ce moment-là, un membre du personnel professionnel qui soit constamment en présence de la personne de manière que ce ne soit pas une façon de régler le problème et de l'oublier.

Enfin, que toute espèce de mesures disciplinaires, et les raisons qui leur ont donné lieu, soit consignée au dossier. Des règles du jeu de ce genre peuvent facilement être prévues, donnent un sens plus complet et plus concret à la notion des droits de l'enfant sans malgré tout enlever des possibilités d'action légitimes de la part des éducateurs et du personnel des centres d'accueil qui ont, malgré tout, une tâche assez difficile à assumer.

Je n'ai pas de question. Je crois qu'il était peut-être opportun d'apporter cette précision pour souligner l'intérêt des remarques qu'on vient d'entendre. J'aimerais féliciter le groupe qui les a faites et les remercier de leur présence devant nous.

Le Président (M. Pilote): L'honorable député de Saint-Jacques.

M. Charron: M. le Président, je veux remercier aussi les gens de la Maison Notre-Dame-de-Laval de ce témoignage très personnel et dont on avait besoin.

J'ai l'impression que vous avez utilisé une approche que personne n'avait employée encore. Il y a non seulement quelques-unes des remarques que vous avez faites, mais quelques passages du mémoire que j'ai parcouru hier sur lesquels j'aimerais revenir, parce que ce sont des suggestions nouvelles. Prenons la première qui me vient à l'esprit. Vous mentionnez à un endroit qu'il serait important qu'il y ait une contribution des parents. Je ne me rappelle plus à quel endroit, mais j'ai vu cela, qu'il y ait une contribution des parents, fixée par le directeur de la protection de la jeunesse, au traitement de l'enfant, une fois qu'il aurait été retiré et placé en centre d'accueil. J'aimerais que vous défendiez non seulement la philosophie de cette suggestion, mais que vous en manifestiez la faisabilité, quand on sait le milieu d'où peuvent provenir ces gens.

M. Foucault: Au niveau de la philosophie, je n'ai pas de difficulté. Si je ne me trompe pas, au moment où la recommandation est formulée, on ne demande pas que ce soit statué dans la loi que les parents doivent contribuer, mais que ce soit laissé à l'initiative du directeur de la protection de la jeunesse...

M. Charron: C'est cela, oui.

M. Foucault: ...pour que lui puisse évaluer si, de fait, les parents peuvent le faire ou pas et l'imposer selon que les parents peuvent ou non le faire. Dans le cas du principe philosophique qui est en dessous, il est bien sûr que, si on peut amener les parents à collaborer à la réhabilitation et à la rééducation de l'enfant, on a 90% des chances de réussir.

M. Charron: Vous croyez que, si l'argument de l'argent est en jeu, vous allez attirer encore plus l'attention des parents au traitement que reçoivent leurs enfants dans un centre d'accueil.

M. Plamondon (Germain): C'est-à-dire qu'on ne s'adresse pas à ce moment-là ou, du moins, très peu à la notion d'argent et beaucoup plus à cette participation d'ordre psychologique ou à ce qu'ils peuvent apporter en tant que parents. Alors, ce n'est pas, pour nous, une question de rémunération comme telle pécuniaire ou économique, mais il s'agit d'amener les parents justement à cette participation concrète dans le traitement de leur enfant.

M. Charron: Mais je ne dis pas qu'on veut faire de l'argent avec cela. Je veux dire: Vous croyez que l'intérêt économique est tel que, si les parents ont $25 à $30 par mois à payer pour cela, ils vont, étant donné que chacun est très soucieux de l'utilisation de son avoir, faire plus attention que si... Je trouvais cela curieux parce qu'il me semble qu'un centre d'accueil ou un directeur peut développer d'autres moyens pour attirer l'attention des parents sur ce qui arrive à leurs enfants.

M. Plamondon: Je répète ce que je viens de dire: Ce qui est important pour nous, ce n'est pas cette notion d'ordre pécuniaire justement; c'est

d'amener les parents, dans la mesure où ils sont capables, à une participation, mais vraiment à une participation au plan du traitement comme tel et non pas d'ordre économique.

M. Charron: Ah bon! C'est parce qu'il mentionnait d'ordre économique.

M. Foucault: Je vais vous lire la recommandation, si vous voulez. La recommandation 19 dit ceci: "Que l'avant-projet de loi exige une participation active des parents au processus d'aide apportée à leur enfant. Que cela soit laissé au jugement du directeur de la protection de la jeunesse, en particulier pour la responsabilité de fixer la participation financière qu'on pourra exiger des parents...

M. Charron: Bon, c'est cela.

M. Foucault: ...s'il y a lieu. Si, à un moment donné, quand on met un enfant en isolement, on exige de l'éducateur qu'il aille le voir toutes les cinq minutes, de telle sorte qu'il ne s'en débarrasse pas comme cela, mais qu'il soit obligé d'entrer en contact avec lui, il est bien sûr que, si on force les parents d'une certaine façon à poser des gestes, ils ne se débarrasseront pas non plus de l'enfant parce que c'est tentant de se débarrasser de l'enfant et de l'envoyer au centre d'accueil. Une fois qu'il est là, on l'oublie.

M. Charron: Vous devancez ma question. Est-ce un phénomène courant, le désintérêt des parents à l'égard des enfants qui vous sont confiés?

M. Foucault: Si je me réfère à ce que je connais du réseau, il semble bien que, plus les difficultés des enfants sont grandes, plus les parents s'en désintéressent. Chez nous, on peut calculer que 80% des enfants ont des familles brisées, dont les parents ne s'occupent plus ou dont les parents ne veulent plus.

M. Charron: Complètement seules quand elles vont sortir du centre.

M. Foucault: Quand elles sortent, il faut pratiquement qu'elles soient autonomes pour être capables de fonctionner adéquatement; autrement, il est trop tard; il n'y a personne pour les prendre en relève. Souvent, les expériences qu'elles ont vécues sont tellement négatives qu'il n'est pas question d'envisager de foyer de remplacement ou de foyer d'accueil; elles ne veulent plus en entendre parler, mais il faut les préparer à fonctionner de façon quasi autonome. On est en train d'essayer de penser à des foyers de groupes, mais je veux dire...

M. Charron: Oui.

M. Charest (Pierre): La preuve de ce qu'il avance c'est que, souvent pour l'adolescente, c'est la première fois qu'elle a une chambre.

M. Charron: Oui.

M. Charest: Une chambrette qui lui appartient dans l'unité, c'est la première chambre qu'elle a. Parce qu'elle n'en a pas chez elle, ou elle n'en avait pas. Même lorsqu'elle sort, que ce soit pour une fin de semaine ou pour des vacances, lorsqu'elle va chez elle, elle ne retrouve pas une chambre.

M. Charron: Vous avez mentionné aussi une objection que d'autres groupes avaient signalée avant vous, savoir la limite de six mois de traitement, de séjour dans un centre d'accueil. Pour ma part, tel que j'ai suivi les travaux de la commission et tel que j'ai entendu le ministre l'expliquer également, cela m'a toujours apparu comme n'étant pas une obligation que d'y mettre fin après six mois, mais qu'on procède à une réévaluation de six mois, laquelle évaluation, si elle s'avère positive, dans le sens de poursuite du traitement, il n'y a pas d'objection; il n'est pas question de retirer un enfant à qui, après une évaluation, on aurait dit: II est nécessaire de maintenir le traitement.

M. Charest: Par rapport à cela, quant aux professionnels qui travaillons au centre, cette évaluation se fait, je pourrais dire, quotidiennement. Mais je pense que le fait que Pierre voulait souligner est que, tout ce qui est impliqué ou tout ce qui peut être impliqué, par exemple, du point de vue judiciaire, si on fait cette révision au bout de six mois et qui peut être en somme, à un moment donné, une contre-indication au traitement comme tel...

M. Foucault: Ce que je veux dire par cela, c'est qu'il m'apparaît important de distinguer bien clairement que l'évaluation est faite nettement plus souvent qu'à tous les six mois dans la maison pour voir où on en est rendu; est-ce que le plan de traitement est suivi? Est-ce que cela avance? A tous les six mois, c'est bien sûr que c'est bien trop long; régulièrement l'adolescente est suivie chaque semaine et il y a une étude de son cas chaque mois, à peu près, pour savoir où on en est rendu.

Au point de vue judiciaire, que le responsable de l'enfant soit informé régulièrement, à tous les six mois, de l'état ou du développement du traitement, très bien. Que cela ne remette pas en cause, dans l'esprit de l'enfant, le fait qu'il est impliqué dans un processus et que ce processus doit se poursuivre. Cela nous apparaît extrêmement important, parce que... Essayez de penser à l'adolescente de 15 ans qui vit quelque chose de pas facile, au sens qu'elle est en train de prendre conscience d'un paquet d'affaires qui ne font peut-être pas son affaire, mais dont elle est obligée de prendre conscience. Si on lui offre la possibilité d'en sortir dans six mois, trois mois avant, elle ne bronche plus. C'est un peu comme aux Etats-Unis, quand le président sera réélu, il attend, il ne fait plus rien jusqu'à ce que la réaction soit passée. C'est un peu la même chose pour l'adolescente, elle attend que le jugement de la cour soit venu et là, si je suis libérée, je m'en tire. Alors, pendant trois mois

elle ne fait plus rien. Elle perd littéralement trois mois et elle prolonge son séjour de trois mois, parce qu'elle attend le jugement de la cour. Si le processus n'est pas remis en cause à tous les six mois, mais que l'évaluation est refaite et au besoin que l'enfant soit consulté, oui, mais le processus n'est pas remis en cause, nécessairement.

M. Charron: Est-ce qu'il n'y a pas une autre raison, aussi, je vous demande presque de me répondre par oui ou par non? Est-ce que vous ne craignez pas qu'à l'occasion, contrairement à votre avis professionnel sur l'évolution d'une adolescente, par exemple, qui vous est confiée à Notre-Dame-de-Laval, pour une raison ou pour une autre, le secteur judiciaire propose un avis contraire à celui que vous pourriez formuler professionnellement?

M. Foucault: Je ne voudrais pas être trop dur dans ma réponse, mais je ne vous cache pas que les expériences que nous venons de vivre dans la maison, au cours des trois dernières semaines, me porteraient à être assez mordant. Oui, cela arrive. Cela arrive et c'est particulièrement, à notre avis en tout cas, désastreux pour les adolescentes et démoralisant pour le personnel, en ce sens qu'à un moment donné vous avez un processus qui est impliqué, l'adolescente, simplement, s'y conforme. Vous savez, une bonne délinquante est comme n'importe quel bon délinquant, si vous les embarquez dans un système ils s'y conforment.

Et, après quatre mois, il a acquis la conviction qu'il peut en sortir, c'est déjà quelque chose, et il a acquis en plus la conviction qu'il est capable de fonctionner parce que là cela fait quatre mois qu'il fonctionne et qu'il ne fait de "flagosse" nulle part. Son affaire va bien. Seulement, il ne réalise pas qu'il est structuré, qu'il est encadré et qu'il est protégé. Alors, il se présente devant son juge et il demande d'être libéré et il dit: Je fais cela, cela et cela et il n'y a plus de problème, je suis capable de me trouver une job et cela va marcher. Le juge décide de la fin du traitement. Je pense, avec tout le respect qu'il faut avoir pour les juges, qu'ils n'ont pas la compétence pour décider si le traitement est fini ou pas. Que l'évaluation décide de la qualité ou du type de traitement qui est nécessaire et, une fois que cela est décidé ou qu'il a fait son statut avec le juge, qu'il a pris sa décision, que la fin du traitement soit laissée aux professionnels qui en sont responsables et non pas à la cour. Je pense que cela est indispensable parce qu'on n'a pas de possibilités autrement. Le personnel qui est impliqué dans le processus de réhabilitation avec l'adolescente est habituellement pas formé ou peu formé. Il se forme au fur et à mesure de son expérience, mais il devient, à un moment donné, profondément engagé face à l'adolescente; s'il a la frustration de voir son travail brisé par une décision extérieure qui lui apparaît bien souvent arbitraire, il se démoralise et il s'en va.

Alors, on a un taux de roulement qui fait qu'on est toujours en train de former du personnel et de recommencer à zéro.

M. Charron: Bon, vous vous êtes conduit vous-même à ma dernière question sur ce sujet. Vous avez mentionné tout à l'heure l'importance de la stabilité pour une enfant, non seulement dans son lieu de séjour, ne pas faire 30 places ou 15 places en dedans de trois ans, mais j'imagine, même à l'intérieur d'un temps de séjour, une stabilité dans le milieu avec lequel elle évolue. Si elle doit changer de figure perpétuellement, cela ne doit pas, j'imagine, faciliter, si j'ai bien compris ce que vous disiez tantôt, son développement. En m'adressant au directeur de la vie de groupe de Notre-Dame-de-Laval, j'aimerais que vous me traciez rapidement à l'intention des membres de la commission puisque ce centre est un des plus importants de Montréal, un portrait de la mobilité du personnel et de la formation du personnel à Notre-Dame-de-Laval.

M. Plamondon: Je pense qu'il est connu quand même que, dans la plupart des centres d'accueil, nous avons une rotation de personnel relativement grande, j'apporterais quand même une nuance, de l'ordre peut-être globalement — et je nuancerai après — de 25% à 30%. Par contre, il faut aussi distinguer la rotation qui se passe du côté de la détention par rapport à ce qui se passe du côté de la rééducation, parce que, le processus au niveau du personnel est généralement beaucoup plus stable au niveau de la rééducation qu'il ne l'est au niveau de la détention. M. le ministre disait tout à l'heure que c'était un milieu de travail extrêmement complexe, extrêmement difficile. Par contre, au niveau de la rééducation, il est plus facile d'impliquer l'éducateur ou l'éducatrice à travers tout le processus qu'on fait suivre à l'adolescente, au niveau de la continuité du traitement, ce qui n'est pas le cas, bien sûr, en détention, du fait que l'adolescente reste là trois jours, cinq jours, deux mois ou trois mois, mais avec une rotation très grande aussi au niveau des adolescentes, qui sont très peu connues en termes d'évaluation; à ce moment, on se retrouve donc avec des groupes qui peuvent être ou bien très perturbés ou bien très calmes, mais, de toute façon, avec une hétérogénéité très grande

Alors, cela provoque nécessairement une relation encore plus grande du côté du personnel, du côté de la détention.

M. Charron: Je me rappelle, quand je suis allé à Notre-Dame-de-Laval, d'avoir discuté avec des employés, des syndiqués et les deux membres du syndicat avec qui je m'étais entretenu dans une des unités me disaient qu'une avait un an et demi et l'autre deux ans d'existence dans la maison et elles étaient les deux plus vieilles employées.

M. Plamondon: C'est un fait. Si on sortait les statistiques là-dessus, les plus anciennes se situent peut-être à environ trois ans, mais ce sont des exceptions. Quelques-unes sont à deux ans, mais on a actuellement une moyenne peut-être d'un an et demi.

M. Foucault: C'est vrai du côté de Franc-Bord tout particulièrement; c'est moins vrai du côté du Tournesol, en rééducation, où vous avez des édu-catrices qui sont plus âgées que moi, mais j'ai quand même quatre ans dans la maison. Il y a des éducatrices qui sont nettement plus stables du côté du Tournesol, mais le travail est aussi plus gratifiant, au sens où on voit l'adolescente progresser, on la voit avancer. Alors, c'est nettement plus intéressant, c'est bien sûr.

M. Charron: Je vous remercie.

Le Président (M. Pilote): On vous remercie, messieurs. A moins qu'il y ait d'autres questions? J'inviterais MM. Walter Lienert et Claude Guillemette, porte-parole des officiers de probation, à titre personnel.

Officiers de probation (à titre personnel)

M. Guillemette (Claude): M. le Président, messieurs, moi, c'est Claude Guillemette; lui, c'est Walter Lienert. Si vous me permettez un rappel de quelques lignes d'un poème de Khalil Gibran qui dit que vos enfants ne sont pas vos enfants, ils viennent à travers vous, vous êtes...

M. Bellemare (Rosemont): M. le Président, est-ce que je peux poser une question, s'il vous plaît, avant que ces messieurs débutent?

M. Guillemette: Oui.

M. Bellemare (Rosemont): Vous êtes ici à titre personnel?

M. Guillemette: Oui, à titre d'officiers de probation.

M. Bellemare (Rosemont): Les officiers de probation.

M. Guillemette: Oui.

M. Bellemare (Rosemont): Au départ, j'ai lu votre texte en diagonale; cela m'inquiéterait que vous soyez le mien, en partant, et vous nous dites que c'est la secrétaire qui a écrit la lettre à la machine, excusez les fautes. Est-ce que vous avez une secrétaire pour deux officiers de probation?

M. Guillemette: Non, ce n'est pas le contexte. Moi, je suis à Val-d'Or et j'ai une secrétaire; lui est à Rouyn avec d'autres officiers de probation et ils ont une secrétaire.

M. Bellemare (Rosemont): Mais vous représentez seulement vous deux?

M. Guillemette: On représente seulement nous deux, on ne représente pas le service; c'est en notre nom personnel, au nom de Claude Guillemette et de Walter Lienert.

M. Bellemare (Rosemont): D'accord.

M. Guillemette: On travaille dans la probation.

M. Bellemare (Rosemont): C'est ce que je voulais faire préciser, merci.

M. Guillemette: Le poème qui dit que vos enfants viennent à travers vous; de même qu'il aime la flèche qui vole, il aime l'arc qui est stable.

Nous autres, on a relu notre mémoire et on essaie aussi de se tenir au courant de ceux des autres qui suivent tout cela. On garde un peu la même position qu'avant. On a trois points majeurs; c'est la faiblesse du statut accordé aux jeunes, le traitement répressif réservé aux délinquants. Le troisième point qui est soulevé au niveau des structures, cela, je pense qu'on peut le concéder bien facilement, ce n'est pas notre inquiétude à nous autres. Par contre, pour d'autres développements qui ont été faits, nous autres, on est assez d'accord pour l'ouverture du huis clos et pour garder une espèce de lien personnel avec le collaborateur, avec l'enfant, puis moi, on est pris de même.

Pourquoi nous disons cela? C'est à partir de nos expériences quotidiennes, on ne fait que cela, de la probation, puis à cause des trous qu'on croit remarquer dans les deux lois antérieures, la Loi des jeunes délinquants et la Loi des écoles de protection. On trouve que le projet de loi reproduit les côtés déplaisants de ces deux lois, les trous qu'il y a dans les deux autres; on trouve que c'est une protection possessive et on trouve que notre principal mouton noir, dans la Loi des jeunes délinquants, c'est l'article 9. Et c'est reproduit dans une autre forme, même dans ce projet de loi, quand on parle de la partie délinquante. La réponse qu'on veut essayer d'apporter, c'est qu'il faudrait peut-être aller encore plus avant que cela et laisser les jeunes vivre. Si on donne les moyens au jeune, bien souvent, il est bien plus capable qu'on pense.

Il a un grand degré de capacité et de compréhension de lui-même et c'est peut-être, en résumé, un pari à prendre avec ces jeunes.

M. Lienert (Walter): Je voudrais seulement renchérir un peu en disant que nous avons essayé de voir le projet de loi à travers les yeux de l'enfant et nous pouvons dire que ce n'est pas facile. Ce n'est pas facile d'expliquer à l'enfant qui est devant un tribunal qu'il perd de la crédibilité. Je m'explique.

L'enfant commet une infraction au code de la route. Cela passe par la machine du ministère des Transports et du ministère de la Justice et il reçoit une réclamation pour un montant. Le montant peut aller — on a eu des cas — à $50 alors que la Loi sur les jeunes délinquants dit que le maximum, c'est $25. Donc, parfois il arrive que l'enfant a payé son montant et il est amené par la cour quand même à cause de bonnes raisons administratives mais il se trouve devant le juge et qui va lui remettre ses $25? Lui, il sait qu'il a payé $25 de trop. Le juge lui dit: Cela, ce n'est pas mon problème. On essaie de faire éclaircir la chose au niveau du ministère pour avoir, nous, vis-à-vis de cet enfant, une certaine crédibilité et on nous dit: C'est ainsi.

Alors, les $25, ce n'est pas grave. Mais, après cela, on est pris avec un enfant qui se dit: Leur affaire, elle ne marche pas. Quand on arrive avec de la motivation vis-à-vis de cet enfant, on trouve que ces tracasseries sont plus importantes qu'on peut le penser. Lorsqu'on essaie de voir cela à travers les yeux de l'enfant — je pense qu'on l'a répété à l'autre commission parlementaire à laquelle on est venu — c'est le jargon du sine die, tout cela. L'enfant est perdu là-dedans. Il ne se sent pas chez lui. Il se sent obligé de jouer le jeu de l'adulte.

En gros, nous, si on pouvait juste... Vous avez demandé, à une couple de reprises, pour nous, c'est quoi, l'intérêt de l'enfant. Si on pouvait vous le dire, j'essaierais de vous dire que c'est si, à chaque article de la loi, on se posait la question suivante: De quelle façon j'aide l'enfant comme tel et non pas le gars qui est sur la machine, l'autre qui est chargé de l'administration des greffes?

C'est un autre exemple. Les greffes ont décidé de centraliser leur mode de paiement. On a une Cour de bien-être avec notre greffier et tout cela. Mais, pour des raisons administratives qui sont certainement valables, on dit à l'enfant: Va payer ton amende en haut avec les adultes. Donc, je suis sûr qu'on n'a pas regardé l'enfant et qu'on n'a pas été prêt à payer le prix que cela aurait coûté pour le traiter en enfant. On dit: Bon, c'est cela.

M. Guillemette: Tout à l'heure, M. le ministre, à un autre groupe, vous avez demandé: Est-ce qu'il y a une omission dans la loi? Lui, il vous parle de l'utilisation des mots "intérêt de l'enfant". Dans l'autre projet de loi, il y a deux ans, on disait à un moment donné: Le juge peut dispenser l'enfant de comparaître si son meilleur intérêt exige qu'il soit ailleurs, probablement à l'hôpital ou quelque part. Dans le nouveau projet, on a corrigé, on dit: Avec le consentement de l'enfant. Mais si l'on gratte là-dedans, on s'aperçoit que ce n'est pas l'enfant qui est dispensé, c'est la cour qui se dispense. Son meilleur intérêt va être là où va se décider son affaire. Autrement on va lui donner deux billets pour aller à une partie de hockey et on va lui régler son afffaire. S'il est à l'hôpital, la cour doit être capable d'attendre. C'est pour cela qu'on dit qe l'intérêt de l'enfant, nous on ne le voit pas de la même façon que vous autres parce que le petit gars il nous dit que ce n'est pas cela. Jeudi passé, il y en a un qui vient me voir et il me dit: Cela n'a plus de bon sens, Claude, cela fait X fois que je me fais arrêter par la police. C'est réellement un cas grave. Je me chicane avec le juge pour que le juge dise à la police de ne plus l'arrêter. Je pensais même ce matin que la meilleure réponse était peut-être de vous le dire à vous, M. le ministre. Quand le ministre dit: Au jour J je suis sûr qu'il n'y a pas d'enfants en prison, je dis qu'il ne doit pas être sûr parce que moi je suis seulement le plus petit représentant du ministre à Val-d'Or et il m'arrive que je ne le sais pas. C'est bien simple, ils viennent des fois me parler à la maison; en fin de semaine, mon téléphone reste ouvert et, quand je suis fatigué, je dis à ma petite fille: Dis que je ne suis pas là. Des fois, je le sais une semaine après parce qu'il y a un des deux qui est venu me le dire. Voyez-vous dans quelle situation on est placé? On est là-dedans et c'est pour cela qu'on dit: les côtés déplaisants qui existaient auparavant vis-à-vis des enfants, ils sont encore là.

Dans le nouveau projet, il y a une notion nouvelle, les trois ans. Mais ces trois ans réfèrent à un délit qui a été commis par un adulte. Bien, tout de suite, cela me paraît faux; ce n'est pas un adulte, c'est un enfant. Pourquoi réfère-t-on à un gars de 30 ans, quand c'est un gars de quinze ans? Je sais bien que, si c'était un homme de 30 ans, c'est autre chose qu'il aurait, lui. Puis l'enfant, on ne peut pas le référer de cette façon. C'est pour cela qu'on dit que, dans les autres lois avant, il y avait ces failles, puis on revient d'une autre façon, peut-être.

On avait toute une série d'exemples de petits bonshommes qui nous disent des choses. C'est pour cela qu'on marquait cela dans notre mémoire; c'est peut-être un peu balourd, cette affaire C'est parce qu'on est toujours pris avec cela, nous autres. Les gars qu'on a, le jeune qu'on a, il nous demande toujours des choses, puis des fois lui-même il nous dit des choses. Il ne me pose pas une question. Ce qu'il m'a demandé jeudi passé, là je l'ai compris ce matin. Il faut que je vous le dise, mais il faudra que je retourne le dire encore au juge et peut-être aller le dire au chef de police, parce que cela n'a vraiment plus d'allure. Le petit gars, il va croire encore à moi.

Voilà peut-être deux mois — je me suis rappelé cela ce matin — le juge m'a promis de prendre cet enfant, de le présenter à la cour et de servir son avocat, à cet enfant. Littéralement, à trois reprises on a ajourné. On avait pris cinq causes. J'y suis allé tout seul avec le petit gars et remarquez que l'aide juridique était là, disponible, et le procureur de la couronne était là. Moi et le procureur de la couronne, on ne marche pas toujours. Je suis allé tout seul avec le petit bonhomme. On s'est entendu sur trois causes et je pensais que c'était seulement cela. On est revenu devant le juge, on a plaidé coupable. Il a dit: Vous ne pouvez pas continuer sur les autres aussi? On y est retourné et ce n'était pas des peccadilles. A un moment donné, il faut que je lui donne sa réponse.

Il est venu encore vendredi passé me dire cela. La réponse, c'est même lui qui me l'a donnée. Il m'a dit à un moment donné qu'au commencement il était bien monté contre la police. Ensuite, il est allé à l'hôpital et il est revenu une heure plus tard. Là, il parlait un petit peu mieux. Il me dit, à un moment donné: Qui est responsable de toute cette affaire? Il dit: C'est toi, Claude, et c'est Diane à côté, c'est moi et c'est tout nous autres. Si ce petit bonhomme qui est vraiment perturbé de même et qui vient tout juste d'avoir ses seize ans, comprend cela, il me semble que cela doit se voir.

M. Lienert: C'est difficile de parler au nom de l'enfant, mais on a essayé à notre façon.

M. Forget: Je suis très intéressé à ce que vous dites, parce que ce que vous essayez de cerner, et

vous le faites de façon très concrète, c'est ce que beaucoup de gens essaient de cerner avec des mots, mais c'est beaucoup plus difficile parfois de le faire avec des mots qu'avec des exemples concrets: c'est l'intérêt de l'enfant.

Ce que je comprends de ce que vous me dites, c'est que, lorsque vous essayez d'aider un jeune, il y a tellement de gens qui interviennent à droite et à gauche que vous n'êtes plus capables de contrôler la situation, vous n'êtes plus capables de vraiment l'aider parce qu'il n'a plus confiance en vous. Est-ce essentiellement cela?

M. Guillemette: Pas tellement qu'il y a des gens qui interviennent, mais qu'il y a des situations. A un moment donné, on parle de législateurs anonymes. Je suis obligé de regarder le tableau en haut parce que la loi remonte à 1927. Je ne sais même pas qui l'a faite à ce moment. Je ne peux pas accuser quelqu'un. Si c'était seulement vous, je pourrais m'obstiner avec vous, mais l'autre, il n'est même plus là. Je vois quand même qu'il a resté des trous, mais, à cause de cela, on est pris avec cela.

M. Forget: Le trou en particulier, est-ce que ce n'est pas ce qu'on essaie de combler par le comité d'orientation? Le rôle de ce comité sera justement d'éviter que vous comme officier de probation, que les services sociaux d'un autre côté, que la cour ou le procureur interviennent de leur façon à eux, chacun de son côté, vis-à-vis d'un même enfant.

On veut s'assurer que la décision est prise, en tenant compte du point de vue de la justice, du point de vue des services sociaux, mais de prendre une décision et de la prendre rapidement. Est-ce que cela ne vous paraît pas une façon de trancher, de boucher ce trou, pour employer votre expression?

M. Guillemette: Ce n'est peut-être pas qu'il n'y a pas de décisions de prises, il y en a peut-être trop de prises, c'est pour cela que nous autres... Elles sont possessives.

M. Forget: II va y en avoir une, là, il n'y en aura pas cinq.

M. Guillemette: Oui, mais elles sont possessives. On prend l'enfant... et après cela, il reste pris là-dedans. Moi, un des principaux griefs que j'ai toujours eus, cela a été que j'ai eu des sentences indéterminées et j'ai demandé à peu près à tout le monde d'essayer de m'aider là-dessus. On disait: Non, c'est impossible, parce que le gars va penser qu'il fait du temps quand il est en institution. Il a fallu que je leur dise moi-même: Pourtant, tous les enfants qui vont à l'école savent que l'école commence en septembre et va finir au mois de juin. Ils ne passent pas tout leur temps à faire du temps.

Si les enfants ordinaires sont capables de comprendre cela, pourquoi les autres enfants que nous avons ne peuvent-ils pas comprendre cela aussi un peu? L'éducateur, lui, a un problème. C'est difficile de fixer le temps et cela joue, à un moment donné, carré comme cela. Le petit bonhomme est là, il accepte d'aller en institution et il dit au juge: M. le juge, je veux savoir pour combien de temps. Puis, le juge dit: Je ne peux pas déterminer ton temps, c'est l'éducateur qui va te dire cela. Mais il dit: Je voudrais savoir combien de temps je vais être là. Mais l'éducateur dit: Cela va dépendre de toi, en voulant dire de ta démarche, de cela. Bien, il dit: Si cela dépend de moi, ce ne sera pas long que je vais m'en aller.

M. Lienert: Vous riez, mais on serait porté à pleurer.

M. Forget: Oui, mais comment réglez-vous cela?

M. Guillemette: Bien, comment voulez-vous régler au moins vis-à-vis d'une institution? Je peux dire: Quand tu t'en vas à telle place, c'est basé sur un cours de métier et cela prend deux termes scolaires. Il est capable de comprendre cela? Un cours de métier, cela ne s'apprend pas dans deux semaines.

M. Charron: Mais il y en a des maisons qui marchent de même. Il y en a des maisons comme cela!

M. Guillemette: On marche de même nous aussi.

M. Charron: Oui.

M. Lienert: J'aimerais juste souligner l'intervention de ceux qui étaient avant nous à Notre-Dame-de-Laval et qui parlent d'une contribution. A ma connaissance, il y en a une obligatoire pour tout enfant placé dans une institution selon les barèmes. Le ministère a fait parvenir aux centres de services sociaux une directive disant que, selon les allocations familiales et les revenus de... On est là à demander cela quand on l'a. On demande la scolarisation, on a déjà des lois, le Code scolaire. C'est là qu'on se dit: L'intérêt de l'enfant serait peut-être de tenter de coordonner tout ce qu'on a déjà parce qu'on se dit: Décider aujourd'hui avec une nouvelle loi quelque chose qui est déjà décidé dans un autre et qu'on n'applique pas. Comment ferons-nous aujourd'hui pour appliquer celle-là?

C'est là que nous autres on se perd avec l'enfant. Pour des choses qui existent déjà, on dit: II n'a pas droit à plus que $25 d'amende et il reçoit $50, puis il paie et cela a l'air correct, toute cette affaire, et cela ne devrait pas être correct. C'est dommage que je n'aie pas amené ces documents. J'ai fait de la correspondance avec le ministère de la Justice pour essayer de comprendre ces choses, pour pouvoir les dire à mon enfant, si je viens à les comprendre, mais tant que je ne les comprendrai pas, je ne pourrai pas les lui faire comprendre. Mais je n'ai rien eu encore. C'est cela qu'on essaie de venir vous dire aujourd'hui.

M. Forget: Oui, vous avez des éléments de solution malgré tout, si on veut essayer de distinguer les choses, prenez votre exemple d'amende, c'est vrai, vous avez une amende de $50 dans la loi provinciale et vous avez une limite de $25 dans la loi fédérale sur les jeunes délinquants,

M. Lienert: Exactement.

M. Forget: Mais il y a quand même une situation qui va être plus claire quand la loi fédérale va être changée et va dire: La question fédérale est simplement l'application du Code criminel quand c'est un mineur qui commet une offense criminelle. Là, il ne sera plus question de mélanger les choses. Quand on va appliquer la loi des jeunes délinquants, on va appliquer cela, point.

Maintenant, dans la loi provinciale, il va falloir dire que lorsqu'on commet une infraction à une loi provinciale ou à un règlement municipal, ce qui revient au même, mais à ce moment, c'est la Cour de bien-être social qui est compétente et, indépendamment de ce que toute autre loi peut dire, les sanctions qui peuvent être adoptées sont les sanctions que prévoit la Loi de la protection de la jeunesse.

Je crois que ce genre de problème va être réglé. Il sera réglé parce qu'il ne sera pas question de modifier l'effet d'une loi provinciale dans une loi fédérale. Les deux choses seront carrément bien identifiées.

J'ai l'impression — à moins que je ne comprenne pas la nature de votre intervention que s'il y a trop de monde qui décide, évidemment, on est dans une situation impossible. Le comité local d'orientation cherche justement à faire prendre les décisions par un même organisme, que ce soient des conséquences judiciaires ou des conséquences de services sociaux. A partir de ce moment, les officiers de probation qui continueront, comme vous le savez, à intervenir dans les cas qui leur seront confiés — il n'y a pas de doute là-dessus parce que c'est une des mesures qui va rester, qui va demeurer, qui est nécessaire — n'auront pas à se demander de qui ils relèvent, à qui ils se rapportent et qui est responsable de la décision. Je pense que cette question sera assez bien clarifiée.

Evidemment, il ne faut pas supprimer les différences de points de vue entre les gens qui ont une opinion et d'autres qui en ont d'autres, mais, de toute façon, ce n'est pas par les lois qu'on va régler cela.

M. Lienert: Justement, on a le cas des Bérets blancs. On a eu une cause dans notre bout. Les Bérets blancs ne croient pas à l'école. Il y a quelqu'un qui a dit: II faudrait bien leur montrer que dans le code scolaire, il y a une obligation d'aller à l'école. Ils ont fait une grosse cause et cela a eu pour conséquence qu'ils ne sont pas plus allés à l'école.

Mais on se dit: On les a toutes. Si on pouvait seulement se servir des lois que nous avons, on serait un peu mieux, mais espérons, comme vous dites que...

M. Forget: Je suis tout à fait d'accord avec vous là-dessus. Je n'ai pas d'autres questions.

M. Charron: Merci, M. le Président.

M. Bellemare (Rosemont): J'aimerais savoir de la part de ces deux messieurs quelle est la pensée de vos confrères qui sont comme vous des agents de probation, suivant le document que vous nous présentez. Avez-vous fait des sondages parmi eux?

M. Lienert: Non. On peut vous dire que nous n'avons pas fait de sondage. C'est la raison pour laquelle nous ne nous sommes pas présentés au nom de tout ce monde. Nous pouvons vous dire que, vu la situation telle que décrite dans le rapport Batshaw vis-à-vis de la probation, dans laquelle on est sensiblement en état de crise, nos rapports avec nos confrères des grands centres se sont un peu amenuisés.

M. Guillemette: J'aimerais peut-être ajouter que nous ne voulons pas non plus, sous cet aspect... Ce n'est pas sur ce plan. Je pense que nous ne représentons même pas l'enfant. Nous présumons que nous n'avons pas le droit de... Nous faisons seulement vous dire ce que nous vivons et ce qu'il vit avec nous. Nous ne venons pas parler au nom du petit gars. Cela ne l'intéresse peut-être pas que nous venions ici aujourd'hui.

M. Lienert: Cela serait curieux...

M. Bellemare (Rosemont): Je m'excuse. Je n'ai pas terminé.

M. Lienert: Pardon.

M. Bellemare (Rosemont): Si vous me permettez. Vous me dites que vous ne représentez pas les enfants, mais j'aimerais que vous définissiez votre pensée parce que vous nous dites, dans le chapitre La faiblesse du statut de l'enfant: "Tout d'abord, au sens de cette loi, qui est un enfant? A partir de la définition générale, excluant (peu importe son âge) tout enfant marié, on lui accorde un quelconque intérêt, on lui concède quelques vagues droits (avoir un milieu familial, etc.)" Pouvez-vous nous dire ce que cela signifie?

M. Guillemette: Nous voulons dire que c'est difficile justement de se sentir comme un enfant.

M. Bellemare (Rosemont): II n'est plus enfant. Il est marié. Vous parlez d'un enfant marié.

M. Guillemette: Non. Je pense qu'il y a une erreur.

M. Bellemare (Rosemont): Je ne sais pas ce que vous entendez par enfant marié.

M. Guillemette: Nous voulons dire que même un enfant qui a moins de 18 ans... Le projet de loi dit qu'un enfant qui est marié n'est plus un enfant

à ce moment. C'est seulement cela que nous disons, mais on dit que peu importe l'âge, même quatorze ans.

On dit: Lorsqu'il a quatorze ans, on peut le consulter, et nous pensons que nous pouvons aussi le consulter en bas de ça et à un certain moment, il y a quelqu'un qui nous a dit: Mais il faudrait terminer quelque part. Que cela finisse en bas, au moins à huit ans. Même en bas de huit ans ou en bas de six ans quand on prend un petit bonhomme, il faut lui dire qu'il sera placé parce que c'est lui qui aura le contrecoup. Il est capable de comprendre qu'il y a quelque chose qui ne va pas et qu'il a besoin d'aller coucher ailleurs ce soir.

C'est dans ce sens qu'on dit que c'est faible. Cela ne le rejoint pas.

M. Bellemare (Rosemont): Cela revient-il à dire, ce que vous avez dit tantôt au ministre, que vous manquiez peut-être de personnel?

M. Guillemette: Non, parce que nous...

M. Bellemare (Rosemont): C'est un peu dans ce sens-là.

M. Lienert: Si on va au service social, on va en avoir du monde.

M. Bellemare (Rosemont): Je sais très bien parce que vous....

M. Guillemette: Pour nous d'ailleurs, ce n'est pas notre point.

M. Bellemare (Rosemont): Ma dernière question serait celle-ci: Comme agents de probation, présentez-vous de tels documents aux jeunes parce que, si vous nous avez pris pour des enfants en nous présentant de telles niaiseries... Je trouve que ce que vous nous présentez — je vous le dis en toute honnêteté, en toute sincérité — c'est très vulgaire; je ne parle pas de vos idées, je parle de votre présentation. Il va chez "l'yabe", "c'te fois là on était supposé d'être", "plusse" et tout le "kit", tout ce qui est là-dedans, je vous assure que vous nous prenez pour des enfants. Du moins, c'est l'impression que j'ai et je ne parle pas au nom de mes collègues. Je parle en mon nom personnel.

M. Guillemette: Pour essayer de me comprendre à mon tour, le petit bonhomme que je citais tout à l'heure, si je vous disais que je suis pris avec lui. Il y a une semaine, il était à l'hôpital à L'Assomption et le psychiatre m'a envoyé un petit rapport qui dit telle chose, que le gars est un psychopathe. C'est moi qui l'ai. Quand je disais qu'il était allé dans tous les hôpitaux, il est entré et il a cassé la vitre. Quand j'ai plaidé avec lui à cause du délit, c'étaient des menaces à tel docteur.

M. Bellemare (Rosemont): Qu'est-ce que cela vient faire dans votre présentation de document?

M. Lienert: C'est pour cela que je vous dis qu'il y a moyen...

M. Bellemare (Rosemont): Bien certain. Qu'est-ce que cela peut faire quand vous nous parlez qu'il va chez "l'yable", chez "l'bonyeu"?

M. Lienert: Non. On fait une blague tout simplement. On ne parle pas de personne.

M. Bellemare (Rosemont): Justement, vous nous prenez pour des enfants. Si vous travaillez ainsi comme agent de probation, je vous assure que, si vous parlez ainsi aux enfants, sans chercher des mots classiques, c'est normal qu'ils doutent un peu parce que vous savez que les enfants à dix ans sont aussi intelligents que n'importe quel adulte.

M. Lienert: C'est cela que nous essayons de vous dire, qu'ils sont intelligents et je regrette que ,ous l'ayez pris ainsi. Je peux vous dire que ce n'est pas ainsi que nous l'avons envoyé. Maintenant, si ce que nous vous avons dit aujourd'hui confirme ce que vous pensiez au début, je m'excuse. Je vous présente des excuses.

M. Bellemare (Rosemont): J'accepte les excuses et retire tout ce que j'ai dit.

Le Président (M. Pilote): Messieurs, nous vous remercions...

M. Lienert: C'est moi qui vous remercie.

Le Président (M. Pilote): ...et peut-être que je suggérerais au député de Rosemont, comme votre texte finit: "Sans rancune, Messieurs, Dames, et achetez-vous une musique à bouche".

La commission ajourne ses travaux sine die.

(Fin de la séance à 18 h 23)

Document(s) related to the sitting