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(Dix heures huit minutes)
Le Président (M. Lachance): À l'ordre, s'il vous
plaît! La commission du budget et de l'administration se réunit ce
matin pour étudier la politique budgétaire du gouvernement et
l'évolution des finances publiques.
On m'a signalé qu'il n'y avait pas de remplacement des membres de
la commission. Je voudrais rappeler à ceux-ci que nos règles de
procédure donnent à la commission du budget et de
l'administration le mandat très spécifique de procéder
à cette étude. L'article 284 est explicite. Cet article se lit
comme suit: À chaque trimestre, la commission du budget et de
l'administration consacre une séance à l'étude de la
politique budgétaire du gouvernement et à l'évolution des
finances publiques.
Il y a eu entente au niveau du comité directeur qui, je vous le
rappelle, est formé du président de la commission, du
vice-président et du secrétaire, à savoir d'entendre le
ministre des Finances, député de l'Assomption, de
déterminer que la séance durait de 10 heures à midi et de
14 heures à 18 heures. Évidemment, c'est un maximum. Selon les
questions qui seront posées, la séance pourrait être d'une
durée moindre. Est-ce que M. le ministre des Finances a une
déclaration préliminaire avant de commencer?
Remarques préliminaires M. Jacques
Parizeau
M. Parizeau: Non, je ne pense pas. Comme c'est la première
réunion de ce type que nous avons et que nous n'avons pas
dégagé de cadre d'habitude ou de mode de fonctionnement, je me
limiterai simplement à faire distribuer deux documents qui ne sont pas
nouveaux, mais qui peuvent éclairer les membres de la commission ou
susciter des interrogations. D'une part, la synthèse trimestrielle au 30
juin - la seconde synthèse trimestrielle de l'année n'est
évidemment pas publiée puisqu'elle s'applique au trimestre qui va
jusqu'au 30 septembre. Cela prend invariablement un mois pour qu'elle sorte
-deuxièmement, un petit document dont nous nous servons de plus en plus
fréquemment maintenant pour discuter avec les milieux financiers et qui
est ce que nous appelons les faits saillants de l'économie
québécoise.
Je ne sais pas dans quelle mesure, en dehors de ces milieux financiers,
ce document a circulé. Il est remis à jour périodiquement.
La copie qu'on va vous remettre s'applique. Enfin, elle a été
remise à jour jusqu'en septembre. Bien qu'il n'y ait rien
là-dedans de nouveau comme chiffres -les sources de chiffres sont celles
auxquelles on peut avoir accès par les documents du gouvernement - il y
a là un effort à la fois de simplification et de
présentation qui me semble intéressant pour les membres de la
commission. Ce document vous est distribué en français mais je
n'ai pas besoin de vous dire que la copie qui circule le plus
généralement dans les milieux financiers est la traduction
anglaise. Nous en avons même, vous voyez, des traductions en japonais.
Voilà. Au-delà de la distribution de ces deux documents, je n'ai
pas de déclaration à faire et je me mets entre les mains de la
commission.
Le Président (M. Lachance): Merci, M. le ministre. Je
cède donc la parole au député de Vaudreuil-Soulanges et
vice-président de la commission.
M. Daniel Johnson
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Merci, M. le Président.
Effectivement, comme l'a dit le ministre, on n'a pas encore d'habitudes de
fonctionnement ici. On verra ce que ce nouveau règlement de
l'Assemblée nationale nous permet de faire et de ne pas faire au fur et
à mesure des trimestres.
Comme première expérience, dans le fond, il y aura
peut-être lieu de souligner qu'à mon sens une revue de la
politique budgétaire du gouvernement à tous les trimestres
devrait se concentrer très spécifiquement sur l'évolution
des revenus, les causes de l'évolution des revenus, que ce soit à
la hausse ou à la baisse, sur l'évolution également des
dépenses publiques. Cela m'apparaît parfaitement utile. Je ne vois
pas pourquoi nécessairement on parlerait de cela avec le
président du Conseil du trésor.
Il m'apparaît que lorsqu'on regarde de façon globale
l'évolution de la politique budgétaire du gouvernement, il y a
trois grands blocs: les revenus et les dépenses, et
la différence entre les deux quelque part. Cela va nous amener
nécessairement à regarder quelle est la politique d'emprunt du
gouvernement, quelle est l'évolution des emprunts pour l'année en
cours, quels sont les choix que le ministre a retenus afin de financer
l'écart entre les revenus et les dépenses. Cela nous permettra
surtout d'avoir une discussion sur des éléments de fond de la
politique gouvernementale, dans la mesure où elle a un effet sur
l'évolution des grands axes budgétaires. On l'avait fait en juin
dernier, à la première occasion qui nous a été
fournie de compléter en commission parlementaire plutôt qu'en
Chambre les heures assignées pour l'étude du budget. On a eu
facilement une dizaine d'heures de discussions ici même entre les membres
de la commission, d'une part, et le ministre qui était notre
invité. On a parlé d'investissements; on a parlé des choix
d'investissements; on a parlé des choix de politiques gouvernementales
dans la mesure où le gouvernement aide certains secteurs ou non. Ce
genre de discussion va revenir, à mon avis, à tous les
trimestres, parce qu'il y a une certaine mise à jour à faire.
Il y aura de la part du ministre des précisions à apporter
sur les nouveaux choix ou les orientations nouvelles qu'il a pu faire. Quant
à nous, encore une fois, on sera en mesure ici à la commission de
poser des questions concernant les choix que le ministre aura retenus.
Donc, il est bien évident qu'en grande partie l'évolution
des revenus repose sur la tenue générale de l'économie, ce
qui nous amène à nous demander quels sont les gestes que le
gouvernement pose pour améliorer la situation au Québec. Je veux
bien croire qu'il y a une reprise économique aux États-Unis. Je
veux bien croire qu'il y a eu une récession économique aux
États-Unis qui nous a entraînés vers le bas. Mais ce que je
constate, c'est que la reprise économique américaine ne semble
pas nous entraîner vers le haut. Il n'y a pas vraiment de façon
dramatique, comme on le voit chez nos voisins du Sud, une amélioration
de la condition économique des Québécois.
Je comprends que le ministre des Finances, quand il voit des chiffres
révisés du Conference Board ou de Statistique Canada, trouve que
les gouttes d'eau dans l'océan dont nous serions les
bénéficiaires additionnels - je devrais dire "les gouttes d'eau
additionnelles dans l'océan" - en termes de retombées
d'investissements, par exemple, soi-disant les hausses d'investissements au
Québec depuis la dernière année, comparativement aux
prévisions initiales du ministre, c'est littéralement
insignifiant. Mais le ministre -je comprends que c'était
l'été - a réussi à faire une conférence de
presse là-dessus. Les journalistes s'ennuyaient, le ministre aussi sans
doute, et cela a donné des en-têtes de journaux qui ont permis de
faire croire à la population que cela allait bien, que les gestes du
gouvernement pouvaient expliquer une espèce de mini-reprise
économique. Je ne vais pas au devant des coups dans le fond, parce que
je suis sûr que le ministre, à la fin du trimestre qu'on est
censé discuter, va nous reparler de sa conférence de presse d'il
y a quelques semaines pour nous expliquer comment cela se fait que cela va si
bien au Québec, même si on n'est même pas rendus au niveau
d'emplois d'il y a deux ans et demi.
Du côté des dépenses, dans le fond, c'est aussi
influencé par la tenue générale de l'économie.
Quand il y a beaucoup de chômage, les prestations d'aide sociale
augmentent, il y a toutes sortes de programmes d'aide. On voit les
évolutions, notamment à la Main-d'Oeuvre et à la
Sécurité du revenu depuis l'an dernier par rapport aux
prévisions, les variations d'un trimestre à l'autre. Il est bien
entendu qu'il y a des dépenses additionnelles à ce titre. Il y a
également le contrôle des dépenses comme tel dont le
gouvernement nous parle depuis environ deux ans maintenant, ses efforts pour le
contrôle des dépenses. Cela est un travail; étant
donné qu'on ne l'a pas fait durant les cinq ou six années
antérieures, je ne vois pas comment on s'imagine qu'avant les prochaines
élections le gouvernement pourra avoir un bilan positif quant au
contrôle des dépenses publiques. Je me souviens trop des
démonstrations invraisemblables du président du Conseil du
trésor de l'époque, M. Bérubé, qui se vantait que
le rythme d'augmentation des dépenses était inférieur
à l'inflation, alors que la vraie mesure était de savoir si on
avait toujours les moyens de se payer les programmes que le PQ a
inventés depuis qu'il est au pouvoir. Essentiellement, on aurait pu
constater que cela dépassait largement la capacité des
Québécois à rencontrer ces programmes de dépenses.
Les impôts n'ont pas augmenté autant qu'ils auraient pu parce que
le ministre a décidé qu'il finançait tout cela par un
déficit, par emprunt avec les effets que cela peut avoir à long
terme et qu'il connaît, mais il s'imagine qu'il ne sera pas obligé
d'en acquitter la facture avant la prochaine élection.
La trame de fond de tout cela, de toute façon, au-delà de
l'équilibre financier, c'est de savoir si le gouvernement, par ses
politiques, aide ou n'aide pas le développement économique du
Québec. S'il a une volonté de rejoindre les objectifs qui ont du
bon sens, cela va aider. En matière d'investissement, quel genre de
volonté le gouvernement a-t-il exprimée? Quel genre d'objectif
s'est-il fixé pour appuyer l'investissement au Québec à
des rythmes qui
vont pouvoir supporter une création d'emplois dont on a besoin?
Tout ce que je retiens... Le ministre s'est probablement échappé,
mais je me charge de lui rappeler souvent son lapsus parce que, manifestement,
du point de vue politique, cela a été un lapsus que de se vanter
que les investissements représentant 15% du PIB du Québec,
c'était là une grande victoire pour le gouvernement du PQ.
En juin dernier, le ministre s'est pété les bretelles sur
un taux d'investissement comme celui-là alors que cela ne fait
qu'illustrer la baisse constante des investissements par rapport au produit
intérieur brut du Québec depuis - d'après les
séries de chiffres qu'on a ici - 1976, 1977, étrangement. On
était rendu, en 1984, à 14,8% comme étant la proportion
d'investissement par rapport au PIB du Québec. En juin, le ministre
s'est dit content de cela pendant qu'on a frappé des niveaux de 19%,
20%, 22% et 23%, pendant les années qui ont précédé
l'arrivée du PQ au pouvoir, pendant que dans les autres régions
du Canada on se maintient à des taux supérieurs à 20%,
pendant que les pays du monde, de toute façon, qui ont
décidé de commencer à créer de l'emploi, font des
sacrifices, ont une volonté politique exprimée claire de
consacrer un minimum de 25% de leurs activités économiques
à des activités d'investissements, parce que c'est sûr,
c'est de cette façon qu'on va créer des emplois... Cela n'a pas
de sens, quant à moi, qu'un ministre des Finances, donc un gouvernement,
celui qui parle pour le gouvernement en matière économique avec
tous les chapeaux qu'il porte, trouve que c'est sensationnel 15%
d'investissements par rapport au PIB. Je n'ai pas encore compris le
raisonnement du ministre qui se vante d'être à la queue au Canada,
dans les pays industrialisés, de l'effort que les gens font pour
créer de l'emploi par le biais de l'encouragement à
l'investissement, de consacrer l'épargne et inciter les gens à
investir au Québec. Cela est un aspect.
Le deuxième aspect, une volonté politique exprimée
clairement qui soutient le développement économique. C'est
évidemment le régime politique, c'est la stabilité,
l'équilibre politique qu'on présente notamment aux investisseurs
de l'extérieur. Les Québécois sont parfaitement au courant
de ce qui se passe au Québec. On peut bien dire au Japon, en faisant une
conférence de presse, que les Japonais s'alimentent de nouvelles
canadiennes avec le Toronto Star et le Globe and Mail, donc reprocher à
tout ce monde de ne pas refléter fidèlement la
réalité québécoise et, par conséquent, de
mal informer les étrangers. Ce n'est certainement pas le problème
des Québécois qui, eux, sont bien informés par leurs
propres journaux. Ils n'ont qu'à écouter les représentants
du gouvernement et de l'Opposition à la radio, à la
télé, tout ce que vous voulez. Les Québécois sont
bien informés de la situation.
La question est de savoir ce que le gouvernement représente
lorsqu'il va sur les marchés étrangers, notamment aux
États-Unis, quant à l'avenir du Québec, quant à sa
volonté d'en faire une terre d'accueil pour les investisseurs qui
recherchent, pour pouvoir planifier de façon intelligente à long
terme, une certaine stabilité.
Mais le gouvernement lui-même est devenu responsable de
l'incertitude qui, nécessairement, résulte des différentes
déclarations que les collègues du ministre -le ministre est
extrêmement discret là-dessus - ont faites sur l'avenir
constitutionnel du Québec. Le ministre est obligé, imaginez-vous,
de par sa position, de signer des documents importants qui vont sur les
marchés financiers américains. Il est obligé -c'est
divulgué dans les prospectus d'Hydro-Québec et de la province de
Québec sur les émissions d'obligations - d'indiquer quelle est la
perspective politique qui attend le Québec, quelles sont les
décisions qu'on doit prendre au Québec d'ici à quelques
années.
Je vais vous citer deux lignes qui apparaissent dans quatre prospectus
consécutifs d'Hydro-Québec. Le 17 août 1982,
premièrement, émission de 150 000 000 $ sur les marchés
américains: "Constitutional framework", toile de fond constitutionnelle
du Québec, les deux dernières lignes, après avoir dit
qu'en mai 1982, il y avait eu un référendum: "The result was 40%
in favor of the Government's proposal and 60% against", résultat du
référendum, 40 à 60, comme nous le savons. En juin 1983,
émission de débentures garanties par la province de Québec
- les débentures d'Hydro-Québec de même que les "warrants",
les droits d'achat, les débentures - page 36. Après avoir
répété mot à mot que le référendum
avait connu un tel résultat, on ajoute: "It is expected that the status
of Québec within the present constitutional framework will be an issue
in the next general election to be held not later than April 1986." Traduction
libre: "On s'attend que le statut du Québec à l'intérieur
de l'arrangement constitutionnel actuel sera un enjeu de la prochaine
élection générale qui doit avoir lieu au plus tard en
avril 1986." Septembre 1983, 200 000 000 $, émission d'obligations de la
province. Ce que je viens de vous lire est le mot à mot,
c'est-à-dire qu'on s'attend que les statuts du Québec, dans
l'arrangement constitutionnel actuel, soient un enjeu.
Étrangement, le 27 août 1984, il y a une petite
modification. Je ne peux m'empêcher de me demander ce que les
marchés financiers pensent de ce que le gouvernement du Québec
est en train de faire ou de fabriquer avec les enjeux, avec la
définition des enjeux que les Québécois auront à
trancher d'ici et jusqu'aux
prochaines élections. On a remplacé la phrase que je vous
ai lue à deux reprises pour confectionner un paragraphe qui reprend les
résultats du vote de 1980 et qui se termine ainsi: "It is expected that
the political sovereignty of Québec will be an issue at the next general
election to be held not later than April 1986." "Il est prévu que la
souveraineté politique du Québec sera un enjeu de la prochaine
élection qui doit avoir lieu au plus tard en avril 1986."
C'est un changement. Je vous ai lu des extraits de quatre prospectus sur
une période de 26 mois où on n'a pas toujours parlé de la
même chose. Je serais extrêmement curieux de savoir en grande
primeur ce que le ministre des Finances va écrire ou faire écrire
dans le prochain prospectus de la province de Québec, lorsqu'il y aura
une nouvelle émission. Est-ce qu'on dira que le premier ministre a
indiqué qu'il ne sait pas exactement sur quoi la prochaine
élection portera? Est-ce qu'on peut, à un moment donné, en
arriver à une situation claire en matière de publicité et
de promotion du Québec sur les marchés financiers, purement et
simplement en matière de renseignement que l'on transmet? C'est un
signal que le gouvernement donne. C'est ainsi que fonctionnent les
investissements et le développement économique. Un gouvernement,
qui est un très gros acteur dans ce secteur, donne des signaux, pose des
gestes parce qu'il a de l'argent. Il n'y a pas de problème
là-dessus. Il a des états financiers, des programmes, des lois,
des règlements. C'est écrit noir sur blanc et il y a
également des signaux qui sont donnés.
Je demanderais au ministre des Finances de nous dire quel genre de
signaux il a l'intention de donner. Je pourrais peut-être lui demander -
ce qui serait encore plus pertinent - quels sont les signaux que le premier
ministre va peut-être donner, quels sont les signaux que les deux
nouveaux ministres, les deux nouveaux collègues du ministre vont donner
ou ont déjà donnés ou ne donneront plus quant à
l'enjeu, à l'objectif du gouvernement du Québec pour amener les
Québécois à trancher un débat. C'est un signal qui
a son importance. On ne peut pas simplement éviter la question, ce sont
des documents publics. Si on fait de fausses représentations dans ces
documents, on s'expose, selon la Security and Exchange Commission, à des
sanctions absolument terrifiantes. On doit donc accepter que c'est la
vérité telle que conçue par le gouvernement du
Québec qui apparaît ici. (10 h 30)
Est-ce que le prochain prospectus indiquera que malgré la
politique du Parti québécois, on ne parlera pas
d'indépendance à la prochaine éiection? Est-ce qu'on
réitérera que la question de l'indépendance sera l'enjeu
"référendaire, peut-être" - entre guillemets - de la
prochaine élection? Ce sont des documents qui circulent en Allemagne, au
Japon, aux États-Unis et partout. Il serait extrêmement
intéressant de savoir quel est l'objectif du gouvernement du
Québec, quelle est sa volonté exprimée. Parce qu'il doit
encourager l'investissement, il n'a pas le choix. Le ministre peut se vanter
que 15% plutôt que 25% comme ailleurs, comme part d'investissement dans
le PIB, cela a du bon sens, ce n'est pas vrai; 15% c'est nettement insuffisant,
c'est un nouveau record à la baisse. Premièrement cet objectif
est étrange dans la tête d'un ministre des Finances, est
étrange et irresponsable pour un gouvernement.
Le deuxième attribut du gouvernement qui est de donner les
signaux à la communauté des affaires, autant ici au Québec
que dans le reste du Canada et en Amérique, de quelle façon
exerce-t-il sa responsabilité? Depuis 26 mois c'est la valse
hésitation. J'aimerais beaucoup qu'on ait des réponses
là-dessus, M. le Président.
Le Président (M. Lachance): M. le ministre des
Finances.
Réponse du ministre M. Jacques Parizeau
M. Parizeau: M. le Président, c'est avec un vif plaisir
que je vais tenter de répondre aux questions et aux objections du
député de Vaudreuil-Soulanges. Pour ce faire on va s'appuyer sur
un certain nombre de chiffres et, d'autre part, je reviendrai assez longuement
sur cette question de nos emprunts sur les divers marchés financiers et
la perception qu'on peut avoir, sur ces marchés, des orientations
politiques du gouvernement.
Commençons par cette question du pourcentage du PIB au
Québec consacré à l'investissement puisque le
député de Vaudreuil-Soulanges tient à ce point à
revenir là-dessus. D'abord il n'est pas exact que dans les autres
régions du Canada le pourcentage du PIB consacré à
l'investissement soit supérieur à 20% comme vient de le dire le
député de Vaudreuil-Soulanges et qu'au Québec ce soit 15%.
Je m'excuse, cela n'est pas exact.
Si on se fie aux chiffres réalisés en 1983, au
Québec c'est 15,2% du PIB consacré à l'investissement et,
en Ontario, c'est 15,2%. C'est exactement le même niveau. Ah! dans
d'autres provinces, c'est beaucoup plus élevé que cela. Par
exemple c'est au-delà de 30% en Alberta mais, si on se compare à
une province à laquelle on veut constamment nous comparer, en 1983 c'est
exactement le même niveau.
En 1984, sur la base de juillet, nous allons être en avance sur
l'Ontario. L'Ontario
va tomber autour de 14,7%. Dire que cela suffit... Évidemment
cela ne suffit pas, 15%, sauf qu'évidemment, au Québec, il faut
se rendre compte que les investissements d'Hydro-Québec, depuis que les
travaux à la Baie James se terminent les uns après les autres,
ont beaucoup tombé et qu'ils représentaient, par exemple, en
1979, 30% de tous les investissements au Québec, de tous les
investissements productifs. Évidemment, une chute des investissements
d'Hydro-Québec a pesé, d'un poids considérable, sur
l'ensemble des investissements réalisés et, forcément, sur
la proportion du PIB québécois qui est investie. Dans ce sens,
d'être encore, cette année par exemple, légèrement
au-dessus de 15% quand l'Ontario est tombé en dessous de 15%, c'est
extrêmement révélateur parce que en Ontario les
investissements dans l'électricité, à cause de son
programme nucléaire, ne sont pas tombés comme ils sont
tombés au Québec. Donc, c'est assez significatif ce qui s'est
passé au Québec à cet égard.
Je vais essayer de vous en donner quelques exemples, et je m'excuse de
revenir sur certains des chiffres dont j'ai fait état cet
été. Je comprends que, cet été, le Parlement
n'était pas très actif et peut-être les journalistes
s'ennuyaient-ils, comme disait le député de Vaudreuil-Soulanges,
encore qu'à mon sens, avec tout ce qui se passait à
Québec, ils ne devaient pas s'ennuyer tant que cela. Mais il n'en reste
pas moins qu'on va voir s'ils continuent de s'ennuyer, les journalistes, parce
que les chiffres que je vais répéter sont assez remarquables.
J'ai fait état, par exemple, de ce que, en tenant compte de la
prévision de la mi-année, qui n'est pas faite par moi, qui est
faite par Statistique Canada...
Une voix: C'est bon.
M. Parizeau: C'est bon. Cela ne peut pas être mauvais. Les
investissements privés non résidentiels au Québec
augmenteront cette année de 22,5% par rapport à l'année
précédente, alors que, pour l'ensemble du Canada, l'augmentation
est de 5,2%. Cette augmentation des investissements privés non
résidentiels au Québec est quatre fois plus rapide que dans le
Canada tout entier. Je ne vois pas pourquoi je me plaindrais d'une telle
situation.
Pour ce qui est des investissements manufacturiers, la hausse pour
l'ensemble du Canada serait de 4,4%. On sait quel rôle les
investissements manufacturiers jouent, d'abord sur le rythme de croissance et,
dans un bon nombre de cas, sur l'emploi. Pour le Québec, la hausse par
rapport à 1983 est de 41,6%, presque dix fois le taux moyen au Canada...
Je m'excuse, mais les chiffres sont ce qu'ils sont. Même s'ils sont
apparus alors que tout le monde était en vacances, cela n'empêche
pas les investissements de se faire, les vacances.
M. le Président, je répète les taux. Pour le
Canada, c'est 4,4% d'augmentation par rapport à 1983 et, au
Québec, c'est 41,6%. Si on veut picocher sur les décimales, je
n'ai pas d'objection.
Qu'est-ce que cela révèle? En soi, cela
révèle qu'il se passe quelque chose au Québec qui ne doit
pas être à ce point affecté par les orientations du
gouvernement. J'imagine que les orientations gouvernementales, quant à
l'avenir politique du Québec, ne doivent pas troubler à ce point
les investisseurs. Vous me direz qu'il y a passablement d'investissements qui
sont faits dans le domaine manufacturier à l'heure actuelle par des
sociétés d'État. Évidemment, des
sociétés d'État ne réagissent pas comme le secteur
privé à ce que nos amis d'en face pourraient appeler
l'incertitude. Je veux bien. Mais, pour les investissements privés non
résidentiels, ce n'est pas la même chose; c'est du privé,
privé. Et, quand cela augmente d'un an sur l'autre de plus de 20%, je
veux bien qu'on dise que l'atmosphère ambiante et l'incertitude
gênent considérablement les choses. Si c'est ce que pense le
député de Vaudreuil-Soulanges, qu'est-ce que ce serait autrement?
Je dirai simplement qu'une augmentation de cet ordre me paraît... Il me
permettra de dire qu'elle me paraît satisfaisante? Oui. Je pense qu'elle
est non seulement satisfaisante, elle est assez remarquable.
Comment en est-on arrivé à des choses comme cela? Comment
sommes nous arrivés à une pareille expansion des investissements?
Que certaines politiques du gouvernement fédéral aient
joué dans ce sens comme, par exemple, l'aide à la recherche et au
développement, sans doute, c'est vrai. Mais cela s'appliquait à
toutes les provinces canadiennes. Il y a eu un relèvement de
l'économie américaine non seulement très fort mais plus
fort que ce qu'on attendait et cela s'est appliqué dans son impact
à toute l'économie canadienne. Qu'est-ce qui a fait qu'au
Québec les résultats soient nettement plus élevés
qu'ailleurs? Je pense que cela vient essentiellement... Il faut bien tenir
compte ici des politiques qui ont été suivies par le gouvernement
du Québec et qui ont été orientées vers un
relèvement très systématique de l'investissement. Il est
évident qu'on n'investit pas suffisamment au Québec. C'est
là un problème qui date de très longtemps,
singulièrement dans l'industrie manufacturière. Je trouve cela
désolant de voir que, depuis 30 ans, 40 ans au Québec, on a
toujours eu sur le plan de l'investissement manufacturier une sorte de
sous-investissement, par exemple, par rapport à l'Ontario.
Puis on a décidé de prendre le taureau par les cornes et
de chercher à remonter
cela. On l'a fait par un certain nombre de moyens que je voudrais
résumer brièvement. D'abord, pour la première fois depuis
toujours, on a eu au Québec de très gros surplus
d'électricité, d'une part, à cause de la récession
et, d'autre part, en raison de l'arrivée en très peu de temps de
tout le jus - si vous me passez l'expression - de la baie James. La combinaison
des deux a provoqué des surplus d'électricité qui ne sont
pas passagers. Hydro-Québec a déjà eu dans cette salle
l'occasion de faire état des surplus d'électricité qui
sont envisageables. Nous allons avoir des surplus pendant plusieurs
années. Cela est tout à fait nouveau au Québec parce que,
au fond, n'importe qui qui a travaillé à Hydro-Québec
pendant 20 ou 25 ans a été complètement obnubilé
par la possibilité de manquer d'électricité invariablement
le même jour, entre les mêmes heures. C'est la fameuse pointe du 21
décembre, de 5 heures à 7 heures. C'est le jour le plus court de
l'année, le chauffage fonctionne partout, les gens reviennent du bureau,
allument les lumières, allument la télévision, allument
les poêles et allument l'arbre de Noël dehors. La possibilité
de manquer d'électricité le 21 décembre entre 5 heures et
7 heures, si vous me passez l'expression qu'utilisent des gens plus jeunes que
nous, cela a toujours fait "freaker" les gens de l'Hydro. Là, tout
à coup, pendant plusieurs années, apparaissent d'énormes
surplus sur une base, enfin, pas permanente, mais pour plusieurs années.
La décision qui va être prise, cela va être de se servir de
ces surplus d'électricité pour les vendre à des taux
très très inférieurs au tarif grande puissance pendant
plusieurs années.
Deuxièmement, il a aussi été décidé
d'offrir à certains très grands consommateurs
d'électricité du tarif à très long terme
relativement stabilisé, avec une assurance de ce qui se passerait pour
20, 25 ou 30 ans. Les résultats ne se sont pas fait attendre. Reynolds,
qui avait décidé de reporter à beaucoup plus tard
l'agrandissement de l'usine de Baie-Comeau, s'est retournée en l'espace
de deux mois et a commencé les travaux. Son plan était
prêt. C'était facile pour eux de commencer. Ils se sont
retournés comme cela en deux mois. J'entends parler d'un programme
d'aluminerie de Pechiney depuis que j'étais au bureau de M. Jean Lesage
en 1964. Cela fait 20 ans que j'entends parler de cela. Cela n'avait jamais
abouti. Là, tout à coup, cela aboutit avec le résultat
qu'on sait. L'Alcan, qui voit cette nouvelle concurrence apparaître
décide de lancer Laterrière, là, pas à cause des
taux d'électricité, mais beaucoup plus en termes de
stratégie globale de l'entreprise compte tenu de ce qui se passe.
Nous sommes en train de négocier avec d'autres entreprises
d'aluminium la possibilité de projets additionnels au Québec. Il
se ferme, à l'heure actuelle, dans le monde, à peu près 2
000 000 de tonnes de capacité à cause de tarifs
d'électricité trop élevés. Nous avons réussi
à prendre à peu près 600 000 tonnes de ces 2 000 000
grâce aux mesures dont je viens de parler. Il n'y a pas de raison de
s'arrêter là. Je ne vois pas pourquoi on s'arrêterait
jusqu'à 1 000 000 de tonnes. Si on est capable d'avoir deux ou trois
alumineries de plus, pourquoi pas? À l'heure actuelle, c'est dans le
public, tout le monde sait que nous négocions, par exemple, avec Kaiser.
Une étude de faisabilité est en préparation, si bien qu'on
devrait savoir d'ici à la fin de cette année ou au plus tard
probablement en janvier prochain si ça fonctionnera ou pas.
Nous avons, à l'heure actuelle, deux autres dossiers très
sérieux. On m'excusera de ne pas les mettre dans le public parce que ce
ne serait pas correct dans l'état actuel des tractations. Il n'y a pas
de doute qu'il y a une politique de l'aluminium au Québec à
l'heure actuelle largement basée sur ces tarifs
d'électricité dont je parlais tout à l'heure. Cette
politique de tarifs d'électricité a eu, d'ailleurs, un impact
ailleurs que dans l'aluminium et nous voyons, pour la première fois
depuis longtemps, dans l'industrie électrochimique ou dans certaines
autres industries électrométallurgiques, des investissements
importants, très importants dans certains cas, qui apparaissent.
D'autre part, nous avons décidé, au sortir de la
récession, de chercher à accélérer certains projets
d'investissements qui, à cause de la récession et de la situation
générale du marché, avaient été mis sur la
glace. Ces subventions étaient, en un certain sens, très
discrétionnaires. J'ai eu l'occasion, d'ailleurs, de le souligner
à plusieurs reprises. Seulement, cela a donné des
résultats étonnants. Il n'y a pas de doute, par exemple, que la
vague considérable d'investissements miniers au Québec que nous
connaissons à l'heure actuelle est due à ce programme, à
peu près en totalité. Il est tout à fait clair que des
mesures comme celles-là nous ont permis d'intervenir juste au bon moment
pour aller chercher le projet de Bell Helicopter. Beaucoup d'autres provinces
le voulaient. Le gouvernement fédéral, à cet égard
- j'ai eu l'occasion de le dire d'ailleurs - a collaboré très
étroitement avec nous. Nous avions cependant l'instrument
nécessaire pour aller le chercher. Cela s'est fait à
l'intérieur de la marge des 20% dont je parlais tout à l'heure.
(10 h 45)
II n'y a pas de doute aussi que l'on a réussi à
accélérer certains investissements dans la pâte et le
papier toujours avec ce type de subvention discrétionnaire. Parfois,
nous avons combiné les deux, la subvention
discrétionnaire et le tarif d'électricité. C'est le
cas, par exemple, de l'investissement de Gould, à Cowansville. Toute une
série de programmes de projets d'investissements sont apparus soit
à cause de l'électricité, ou à cause de ce
programme de subventions pouvant aller jusqu'à 20% du coût total
d'un projet.
En outre, pour chercher à isoler la PME d'un retour en force des
hausses de taux d'intérêt, nous avons mis au point, dans le
programme de relance, un plan de garantie de prêt qui fonctionne bien
dans lequel nous sommes disposés, comme on l'a dit, à mettre
jusqu'à 2 000 000 000 $ de garantie qui a l'avantage de protéger
jusqu'à un certain point la PME des aléas qui peuvent se produire
sur le marché des taux d'intérêt. Bien sûr, en outre,
sur ce plan, nous avons poursuivi Corvée-habitation qui est un
succès tout à fait remarquable. Quand je pense qu'il y a des gens
qui, il y a quelques mois encore, disaient: Mais, si le Québec a
construit 41 000 logements l'an dernier, il n'y aura pas plus de 28 000 ou 30
000 mises en chantier cette annéel Eh bien, ne vous en faites pas, les
30 000 mises en chantier sont déjà réalisées et il
reste encore trois mois dans l'année. Il est probable qu'on va,
grâce encore à Corvée-habitation, avoir 40 000 à 41
000 mises en chantier cette année. Je serais vraiment surpris qu'on ne
maintienne pas ce niveau.
En somme, le succès tout à fait remarquable de
Corvée-habitation se poursuit. Il est évident que ce programme ne
dépassera pas le 31 décembre prochain parce que nos partenaires,
c'est-à-dire les syndicats et les patrons dans l'industrie de la
construction, qui portent une fraction appréciable du programme disent:
Écoutez, cela fait quand même trois ans maintenant qu'on porte
cela à bout de bras, dégagez-nous de ces obligations; et je pense
qu'ils ont raison. Ils ont fait largement leur part. C'est grâce à
eux et au programme de Corvée-habitation que nous avons pu redresser la
situation de la construction résidentielle à ce point.
M. le Président, je pourrais faire intervenir bien d'autres
choses plus ponctuelles dans certains secteurs de l'investissement public.
Mais, je pense qu'il faut effectivement reconnaître qu'il y a une
politique d'expansion des investissements par le gouvernement actuel et qui
marche. Je veux bien me battre les flancs par masochisme, et Dieu sait si nous
vivons dans une société masochiste, qu'est-ce que vous voulez,
quand quelque chose marche, il faut bien le reconnaître.
Passons maintenant à cette question de l'atmosphère dans
laquelle ce relèvement des investissements au Québec peut
être perçu à l'étranger, en s'arrêtant un
instant sur la question de la présentation que nous faisons dans les
milieux financiers étrangers de la situation économique et
politique du Québec. Je dois vous dire, M. le Président, que
chaque fois que je rencontre des banquiers étrangers, je parle de la
souveraineté du Québec. Je l'ai toujours fait et je continue de
le faire. Qu'est-ce que vous voulez? Si je voulais cacher que je suis
souverainiste je ne convaincrais pas bien des gens. Je ne pense pas que ce
serait tout à fait crédible.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): ...M. le ministre.
M. Parizeau: Dans ces conditions, si je ne leur en parle pas, ils
vont m'en parler. Alors, je préfère leur en parler. Bien
sûr, les prospectus traduisent cela. Je ne vois pas en quoi le dernier
prospectus trahit quoi que ce soit de ce que j'ai toujours dit, de ce que le
gouvernement a pris comme orientation. Dans ce sens, mes prospectus sont
corrects et ils sont perçus comme cela. On va dire: Mais, cela
crée un climat d'incertitude. Écoutez, si cela crée un
climat d'incertitude, il existe ce climat. Cela fait huit ans qu'il existe dans
ces milieux. J'imagine que dans un climat d'incertitude, on dirait: Dans ces
conditions prêtons à ce gouvernement de Québec le plus
court possible. S'ils sont orientés vers des changements politiques de
cette ampleur, on va leur prêter de l'argent à trois mois,
à six mois et on cessera de leur prêter juste avant les
élections. Si c'est cela l'incertitude...
Regardons ce qui s'est passé. Comme tout le monde, pendant la
période où les taux d'intérêt sont montés
à 16%, 17% ou 18%, vous comprendrez que je n'ai pas emprunté pour
20 ans. Personne n'emprunte pour 20 ans quand les taux d'intérêt
sont à 18%; il faudrait être malade pour faire cela. Alors, j'ai
réduit l'échéance de ma dette. Une fois que les taux
d'intérêt se sont mis à redescendre, j'ai allongé
l'échéance de ma dette. Ce phénomène est cyclique.
Il n'y a pas d'inconvénient à raccourcir l'échéance
à certains moments, à condition qu'on l'allonge. Regardez, dans
ce climat d'incertitude que voudrait faire flotter le député de
Vaudreuil-Soulanges, ce que cela donne. J'ai récemment fait un emprunt
"bulldog" en Angleterrre - emprunt "bulldog", c'est en livres sterling - le
plus long "bulldog" qui ait jamais été fait sur le marché
du sterling, c'est-à-dire 36 ans. C'est un mariage, cela, n'est-ce pas?
Non, mais vraiment, pour des gens qui peuvent penser que l'incertitude
politique...
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Est-ce que...
M. Parizeau: ...36 ans: c'est le plus long "bulldog" qui ait
jamais été fait sur le marché du sterling.
Je viens d'émettre 250 000 000 $ US aux États-Unis: une
tranche de 100 000 000 $ pour 10 ans, l'autre tranche de 150 000 000 $ pour 30
ans. L'automne dernier, je suis retourné pour la première fois
sur le marché américain. Cela vaut la peine qu'on dégage
ici un peu de perspective. Pendant sept ans, j'ai laissé le
marché US des États-Unis - je ne parle pas de l'eurodollar -
entièrement à Hydro-Québec pour son financement de la baie
James; c'était normal. Le gouvernement du Québec n'était
jamais retourné durant ces sept ans sur le marché
américain; il y est retourné l'automne dernier, il y a un an.
J'ai fait ce qu'on appelle un "Road Show": je suis allé rencontrer des
banquiers de Hartford, de New-York, de Boston, de Chicago, de Los Angeles, de
San Francisco. C'est de San Francisco que j'ai placé ce premier emprunt
depuis sept ans: une tranche de 100 000 000 $ à 10 ans
d'échéance; l'autre tranche de 100 000 000 $ à 30 ans
d'échéance. Cette année, je fais la même chose: 10
ans et 30 ans; je veux avoir un marché secondaire un peu actif aux
États-Unis. Donc, il faut que je revienne chaque année pour
alimenter ce marché dans des échéances analogues.
Le Président (M. Lachance): Je m'excuse, M. le ministre.
Le temps de parole qui est alloué, à moins que les membres de la
commission soient d'accord pour le prolonger, est de 20 minutes...
M. Parizeau: Excusez-moi, M. le Président.
Le Président (M. Lachance): ...pour répondre aux
questions. Alors, votre temps est terminé.
M. Parizeau: Est-ce que je peux seulement conclure?
Le Président (M. Lachance): D'accord, votre
conclusion.
M. Parizeau: Tout cela pour dire essentiellement ceci: Oui, il y
a une politique d'investissement du gouvernement du Québec. Oui, elle
donne des résultats qui sont appréciables. Oui, nous empruntons
sur les marchés étrangers et dans des conditions favorables. Oui,
nous nous présentons sur les marchés étrangers en disant:
Voici quelle est l'orientation politique de ce gouvernement. Je pense que tous
les chiffres que nous sommes à même de constater depuis quelque
temps indiquent que cette espèce d'argument de l'incertitude que le
député de Vaudreuil-Soulanges, comme quelques-uns de ses
collègues, cherchent à véhiculer, n'a plus guère de
prise sur la réalité des choses. Merci, M. le
Président.
Le Président (M. Lachance): M. le député de
Roberval.
Le déficit du Québec comparé
à celui des autres provinces
M. Gauthier: Merci, M. le Président. On retrouve avec
plaisir nos collègues de l'Opposition de qui on s'était presque
ennuyés durant la période estivale tant ils étaient, comme
leur chef, introuvables. On a pensé à un moment donné
qu'ils avaient choisi de se retirer dans quelque lieu éloigné
avec leur chef pour décider s'ils allaient ou non faire des apparitions
publiques au cours de la prochaine année. On s'inquiétait de ce
côté-ci de ce silence, de même que les journalistes qui se
sont probablement ennuyés considérablement, las qu'ils
étaient de rechercher le chef libéral qu'ils n'ont toujours pas
trouvé d'ailleurs.
Cela dit, je me plierai aux commentaires de mon collègue.
J'aimerais revenir au sujet qui nous concerne aujourd'hui. Le
député de Vaudreuil-Soulanges a soulevé une question
extrêmement intéressante dans une remarque au début de son
intervention, une remarque qui m'amènera évidemment à
demander au ministre des Finances certaines comparaisons sur l'augmentation des
déficits des gouvernements provinciaux. Il a soulevé un point
très intéressant: a-t-on encore les moyens de se payer les
programmes inventés par le PQ depuis qu'il est au pouvoir? Ce sont,
à toutes fins utiles, ses paroles presque textuelles. Je
réfléchissais, au fur et à mesure de son intervention, sur
ces programmes que le PQ a choisis effectivement depuis qu'il est au pouvoir.
Il a fait des choix sociaux et je me demandais si le député de
Vaudreuil-Soulanges allait enfin nous annoncer en grande primeur, après
tant de critiques, si son parti avait décidé, quant à lui,
de ne plus payer des programmes du genre de la gratuité des
médicaments pour les personnes âgées. Parlait-il du
réseau des CLSC? Parlait-il des mesures d'emploi chez les jeunes?
Quelles mesures a-t-il décidé d'enlever? Est-ce celles de
l'assainissement des eaux, les mesures d'accès à la
propriété, d'aide à l'industrie? Bref, un tas de mesures
que le gouvernement du Parti québécois, par choix social, a
décidé de donner aux Québécois qui l'ont
porté au pouvoir.
Cette réflexion sur les programmes m'amène à parler
du déficit au ministre des Finances. Beaucoup de choses ont
été dites au sujet du déficit du gouvernement du
Québec. Ce déficit a été établi à un
certain niveau par choix sociaux - je le répète - de même
que, dans les autres provinces, on a établi des déficits à
un montant X par choix sociaux. On avait décidé de donner des
services à la population et on établissait un
niveau de déficit qui correspondait dans bien des cas à
ces choix que les gouvernements avaient faits.
Si on veut réellement comparer la performance du Québec on
a parlé d'investissements, de progression, de toutes ces choses - on
doit considérer le niveau du déficit tel qu'il avait
été établi par les différents gouvernements, par
choix sociaux, avant la crise, durant la crise et après la crise. Ceci
m'amène à poser deux questions au ministre des Finances. Je ne
sais pas s'il dispose de toutes les informations en main, mais des indications
d'ordre général pourraient nous être utiles
présentement.
Ma première question, c'est, comparativement au déficit
des autres provinces et celui du gouvernement du Québec qui est stable
depuis plusieurs années maintenant, avec la détérioration
de l'activité économique partout au Canada, en Amérique du
Nord et même dans tout l'occident, j'aimerais que le ministre des
Finances nous donne des indications quant à l'évolution du
déficit dans d'autres gouvernements avec cette
détérioration économique et l'évolution du
déficit du gouvernement du Québec dans le même
contexte.
Ma deuxième question concerne principalement ce même
déficit, la façon dont le ministre des Finances le calcule et
l'évalue actuellement, comparativement aux pratiques comptables qui
pouvaient exister en 1975 et 1976, quand le Québec était
dirigé par d'autres gouvernements. On sait qu'il y a différentes
façons de comptabiliser le déficit, il y a différentes
choses qui peuvent être incluses dans un déficit. J'aimerais avoir
des éclaircissements du ministre des Finances sur cette façon
dont il identifie le déficit, dont il le comptabilise, par rapport aux
pratiques courantes, au moment où l'ex-nouveau chef du Parti
libéral était à la tête du Québec et
comptabilisait lui-même le déficit. Je prendrai l'année
1976 pour fins de comparaison. J'aimerais que le ministre des Finances nous
fasse des commentaires quant à ces deux éléments.
Le Président (M. Lachance): Merci, M. le
député de Roberval. M. le ministre des Finances. (11 heures)
M. Parizeau: M. le Président, la difficulté qu'on
peut avoir de comparer les déficits entre les provinces vient justement
de la deuxième partie de la question du député de
Roberval. Cela tient aussi à la façon de comptabiliser les
engagements à l'égard des fonds de retraite. Dans ces conditions,
j'ai l'habitude de comparer les besoins financiers nets, c'est-à-dire
les appels de chacun des budgets aux fonds externes à des fins
d'emprunts de chacun des gouvernements de province parce que cela, c'est une
comparaison qui est tout à fait, comment dire... les pratiques
comptables sont à peu près les mêmes, c'est facile de
s'adapter à cela. Et on en tire au fond la conclusion suivante: c'est
qu'en 1983, en termes de besoins financiers nets per capita, le Québec
avait le plus bas niveau de besoins financiers nets per capita sauf une
province.
En 1984-1985, il semblerait que nous soyons à peu près au
milieu du peloton. La difficulté ici vient de ce que... Il y a des
provinces où entre le discours sur le budget et les résultats de
fin d'année, il peut y avoir des variations considérables si bien
que je donne cela sous toute réserve. Par exemple, il apparaît
déjà clairement que certains gouvernements de province ont
beaucoup anticipé des augmentations de revenus qui sont là, mais
peut-être pas avec l'ampleur qui avait été
envisagée. Mais enfin, sur la base des discours sur le budget, il
semblerait que c'est à peu près comme cela que le problème
se présente.
Nous avons bien sûr passé... je rappellerais ici que le
déficit du gouvernement de Québec est à peu de chose
près à peu près le même depuis cinq ans alors qu'on
a vu dans d'autres provinces des augmentations considérables du
déficit. On pouvait donc, il y a trois ou quatre ans dire: La situation
au Québec est relativement défavorable par rapport à celle
de passablement de provinces. Cela n'est plus le cas maintenant. Dans ce sens,
il n'y a pas de doute que les mesures prises par le gouvernement du
Québec pour contrôler les dépenses ont corrigé la
situation de façon assez remarquable. Évidemment, elle serait
corrigée davantage si nous n'avions pas pour les années 1984-1985
et 1985-1986 une chute du niveau absolu des transferts fédéraux,
mais cela c'est une autre histoire.
Pour ce qui a trait maintenant à la comptabilisation des fonds de
retraite. C'est effectivement un problème embêtant. Lorsque nous
sommes arrivés au pouvoir, il est apparu clairement - et cela nous est
venu un peu comme une surprise cependant - que l'ancien gouvernement ne
comptabilisait que les sommes découlant du RREGOP, c'est-à-dire
du nouveau fonds de retraite des employés du secteur public qui avait
été établi, si ma mémoire est correcte, en 1973,
mais ne comptabilisait pas les engagements au titre des anciens programmes de
retraite où un déficit actuariel énorme était
apparu; un déficit actuariel qui - là encore, je cite des
chiffres de mémoire - devait être, en 1976, de l'ordre de 8 500
000 000 $ ou quelque chose comme cela et pour lequel aucune provision
n'était prise dans le budget, rien. Si bien que les engagements à
l'égard de ces fonctionnaires, de ces enseignants, de ces
employés d'hôpitaux étaient là, mais ils
n'apparaissaient nulle part.
C'est dans ce sens où nous avons
commencé à comptabiliser une bonne partie de ces
engagements, à les montrer dans les livres comme dépenses, pas en
totalité. Je n'ai pas pu rattraper quarante ou cinquante ans de pratique
antérieure d'un coup sec, c'est évident, ce n'est pas faisable;
les montants en cause sont trop importants. Mais il reste que, si j'adoptais
les mêmes pratiques comptables que celles qui existaient en 1976, mon
déficit aujourd'hui serait inférieur de plusieurs centaines de
millions. J'ai fait venir les chiffres, je vais les avoir dans un instant, mais
il n'y a pas de doute que ce sont plusieurs centaines de millions de moins dans
le déficit qui apparaîtraient si j'avais simplement fait ce qui a
été fait avant moi.
Je me pose des fois la question à savoir si j'aurais dû
être aussi transparent. J'aurais probablement évité des tas
de problèmes dans l'opinion publique, avec l'Opposition qui a souvent la
mémoire courte sur ces choses. Mais il reste qu'il fallait tout de
même le faire. Cela n'avait pas de bon sens de traîner des
déficits pareils dans des fonds de retraite qui n'apparaissaient pas
dans nos...
Voici, M. le Président. J'ai les chiffres. Il s'agit de l'effet
total sur le déficit des pratiques comptables à l'égard
des fonds de retraite que j'ai introduites après notre arrivée au
pouvoir. Si je n'avais pas introduit ces pratiques comptables, le
déficit, en 1982-1983, aurait été de 728 000 000 $
inférieur à ce que j'ai déclaré; en 1983-1984, de
773 000 000 $; en 1984-1985, il serait de 917 000 000 $ inférieur,
c'est-à-dire presque 1 000 000 000 $. C'est l'effet d'avoir
changé les pratiques comptables pour passer dans les dépenses des
choses qui, jusque là, n'y étaient pas et auraient dû y
être.
Le Président (M. Lachance): M. le député de
Sainte-Anne.
La politique de rémunération des
employés
M. Polak: Merci, M. le Président. J'aurais seulement
quelques questions. À la page 6 du livre qui s'appelle "Faits saillants
sur l'économie et les finances publiques, septembre 1984", on parle de
la nouvelle politique de rémunération des employés des
secteurs public et parapublic. En d'autres termes, quand on regarde le
graphique no 14, on dit que c'est plus ou moins sous contrôle et qu'il y
a une nouvelle politique de rémunération. Le ministre peut-il
nous informer - et là, on parle un peu de prévisions - si on
prévoit que ce secteur restera sous contrôle, qu'il y aura plus ou
moins un gel ou au moins qu'il n'y aura pas un éclat de demandes de
certains pourcentages? Sur quoi se base-t-on quand on parle de cette nouvelle
politique de rémunération des employés des secteurs public
et parapublic?
M. Parizeau: Pour ce qui a trait aux employés des secteurs
public et parapublic, en vertu des décrets, jusqu'à la fin de
1985, jusqu'au 31 décembre 1985, le taux d'augmentation est le taux
d'inflation moins 1,5%. C'est vrai pour 1984 et c'est vrai pour 1985. Taux
d'inflation, moins 1,5%. Le graphique de la page 16, c'est autre chose. Ce ne
sont pas des conventions collectives dans le secteur public; c'est l'ensemble
des grandes conventions collectives du secteur privé et là, on
notera un phénomène qui est surprenant. Les conventions
collectives qui sont signées à l'heure actuelle au Québec
comportent des taux d'augmentation, en moyenne, assez nettement
inférieurs aux conventions collectives qui sont signées dans le
Canada tout entier. L'écart est assez substantiel, comme on peut le
constater. Si on prend le deuxième trimestre de 1984, le taux moyen des
conventions collectives signées au Québec est de l'ordre - je
dirais seulement à vue de nez - probablement de 1,5% ou 1,75%, alors que
dans le reste du Canada, c'est deux fois cela. Cela correspond d'ailleurs
à un phénomène qui est un peu nouveau. Lorsque le taux
d'inflation commence à baisser, normalement, on tient toujours pour
acquis que cela se traduira par un abaissement des taux d'augmentation dans les
conventions collectives seulement au bout d'une période de huit ou neuf
mois. Il y a habituellement huit ou neuf mois de décalage, enfin, un
virage important dans le taux d'inflation et un virage tout aussi important
dans les taux d'augmentation des conventions collectives. Cette fois-ci, depuis
la dernière récession, cela ne s'est pas produit comme cela.
L'abaissement du taux d'inflation a entraîné une baisse dans les
taux d'augmentation des conventions collectives presque instantanée,
presque en même temps. Cela vient probablement effectivement du fait que
la récession a été tellement forte, que cela a tellement
frappé l'imagination du public, qu'il y a tellement de gens qui ont
perdu leur emploi que probablement, dans les milieux syndicaux, on s'est
adapté très vite à cette situation en disant: Ayons
plutôt de faibles augmentations de salaire ou pas d'augmentation de
salaire du tout et gardons nos emplois. J'imagine que c'est cela,
l'explication. Mais il faut bien comprendre que c'est un
phénomène nouveau à cet égard. Le décalage
habituel de huit à dix mois, on ne l'a pas vu.
M. Polak: M. le Président, le ministre nous parle des
conventions collectives des secteurs public et parapublic jusqu'à la fin
de décembre 1985. Quand on regarde, par exemple, le graphigue 15,
"Déficit budgétaire et besoins financiers nets", on parle des
années fiscales 1985-1986 et même de 1986-
1987 et on voit la ligne allant vers le bas. Peut-on présumer de
tout cela que le gouvernement sera obligé, soit de continuer,
après décembre 1985, la même politique, soit un gel. Au
moins que cela ne soit pas une augmentation qui excédera 2% ou 3%, mais
qu'il y ait dans toutes ces prévisions une sorte de formule rigide
prévue car, autrement, tous ces chiffres tomberaient. Est-ce qu'on peut
tirer cette conclusion?
M. Parizeau: Non. Il est trop tôt à l'heure actuelle
pour discuter du genre de mandat qui serait donné à nos
négociateurs dans le courant de l'année 1985, pour l'année
1986-1987, enfin pour le renouvellement des conventions collectives. Il est
évident que ce n'est pas au milieu de 1984 qu'on commencerait à
discuter de ces choses. Cela ne veut pas dire qu'on n'a pas notre petite
idée. Cela ne veut pas dire qu'on ne sait pas ou qu'on n'a pas une
certaine idée quant à savoir où on veut aller. Cela veut
simplement dire qu'on ne tient pas de discussion publique là-dessus. Ce
n'est pas le moment.
D'ailleurs, entre nous, cela ne serait pas très
apprécié des centrales syndicales si, au lieu de se
présenter devant elles au moment prévu par la loi, sujet
évidemment aux modifications du régime de négociation dont
tout le monde discute, des mois auparavant, on commençait à
lancer ces choses dans le public. Elles n'apprécieraient pas beaucoup le
procédé. Je me mets à leur place. Je comprends très
bien cela.
Encore une fois, cela ne veut pas dire que nous n'avons pas une petite
idée d'où nous voulons aller, bien sûr. Mais cela veut
simplement dire qu'on n'"exubère" pas sur la place publique en dehors
des délais prévus par la loi.
M. Polak: Quand on nous présente des graphiques pour les
années 1985-1986 et même 1986-1987, il faut avoir plus qu'une
petite idée, à moins que les graphiques ne veuillent rien dire.
Mais, si les graphiques veulent dire quelque chose, il faut que vous ayez en
tête, au moment où ces prévisions ou ces états vous
sont présentés, une sorte de politique à savoir si on a
respecté le statu quo quand on a préparé ces graphiques ou
est-ce qu'on a considéré que les revenus seraient beaucoup plus
importants qu'on pensait? Par conséquent, on pourra peut-être se
permettre le luxe de payer un peu plus. Quelles sont les idées
maîtresses derrière cette pensée dans les graphiques?
M. Parizeau: La question est bonne, M. le Président. Il y
a une hypothèse derrière cela mais, encore une fois, je trouve
qu'il serait incorrect d'en faire état parce que ce qui est une
hypothèse à des fins de calcul deviendrait quasiment une offre
sur la table un an avant qu'elle apparaisse.
Quand je dis qu'on a quand même une petite idée, passons
cela pour un euphémisme si vous voulez, mais il est évident qu'il
y a une hypothèse précise, autrement, on ne pourrait pas faire de
projection. Mais il faut prendre cela comme des projections.
Compression des dépenses dans le secteur de la
santé
M. Polak: Dernière question, M. le Président. Dans
le déficit budgétaire, où en est-on rendu? Quand on
regarde, par exemple, des secteurs comme celui des hôpitaux où il
y a des lits dans les corridors, ce qu'on considère comme étant
un problème qui doit vraiment être corrigé, est-ce qu'on
est rendu au point qu'on peut prendre un peu d'argent pour régler des
problèmes qui sont devenus vraiment trop sérieux? On ne va pas se
chicaner sur le fait de savoir si des lits dans le corridor consistent en un
problème vraiment sérieux ou non. Je veux rester le plus
apolitique possible. Est-ce qu'on en est venu au point qu'il faut continuer
à se serrer la ceinture ou à continuer de couper les
dépenses? À quel point en est-on actuellement?
M. Parizeau: J'ai eu l'occasion dans le discours sur le budget
d'indiquer que, précisément oui, une phase s'est terminée
et qu'une autre commence. D'ailleurs, quand je dis qu'elle commence, j'aurai
à qualifier cela tout à l'heure.
Je pense qu'il est exact que la phase des grandes compressions
très générales dans le système gouvernemental, qui
a duré trois ans, est terminée. Une autre phase s'est ouverte.
Quand je dis qu'elle s'est ouverte, au fond, elle reprend des techniques et des
modes d'administration qui étaient antérieurs à cette
phase des trois ans. Une nouvelle phase s'ouvre mais elle s'appuie sur des
techniques qui sont assez bien connues. Cette phase va comporter
essentiellement un jugement sélectif sur chacun des secteurs et,
à l'intérieur d'un secteur, sur le genre de dépenses qui
s'y font.
On ne peut d'aucune façon considérer -je pense que cela
est vrai de tous les secteurs de l'activité gouvernementale - que toute
compression utile a été faite. Ce n'est pas vrai. Il y a encore
des endroits où il y a du mou. Ce n'est pas tout le gouvernement. Mais
il y a des endroits où il y a du mou. Il y a d'autres endroits, au
contraire, où on a l'impression que c'est à peu près
correct. Ce n'est ni sous-budgétisé ni
surbudgétisé, c'est à peu près comme cela qu'il
faut fonctionner. Il y a d'autres secteurs où une
sous-budgétisation est apparue. (11 h 15)
Je reviens à la question du député de Sainte-Anne.
Oui, il est clair que, dans ces
secteurs où on voit apparaître une
sous-budgétisation, il faut transférer les sommes
nécessaires additionnelles pour être capable de les faire
fonctionner correctement. Je vais vous donner un exemple de cela. Il y a
quelques années encore, il y avait dans les centres d'accueil,
passablement de cas dits Al et A2. Il y avait des A3 et A4, bien sûr,
c'est-à-dire des cas lourds, mais il y avait encore un certain nombre de
cas légers. Les années ont passé, les pratiques
administratives ou les pratiques d'accueil dans ces centres d'accueil ont
changé aussi et nous constatons à l'heure actuelle qu'il y a
à peu près exclusivement des A3 et A4 dans les centres d'accueil.
Qu'est-ce que cela veut dire? Cela veut dire qu'il faut mettre davantage de
ressources de nature médicale dans les centres d'accueil qu'il n'y en
avait avant. Cela va de soi, il faut être capable de faire des mouvements
comme ceux-là.
Pour reprendre toujours le cas de la santé dont parlait le
député de Sainte-Anne, il y a beaucoup de plaintes quant à
l'état des équipements dans certains hôpitaux ou à
l'état des immobilisations générales. Cette année,
il y a eu un transfert de fonds - qui n'est peut-être pas tout ce qu'on
aurait demandé dans ce secteur-là - nouveaux à cette
fin.
Cela va maintenant être très sélectif. Il faut bien
comprendre qu'il n'est pas question de dire: On ratiboise les 25
ministères avec des réductions de pourcentages égales sur
certains types de dépenses. Cette phase-là est terminée.
Ce qu'il faut maintenant, c'est une approche extrêmement sélective
où, chaque année, on remet en cause un certain nombre de
programmes. On se dit: Est-ce qu'ils servent vraiment le but pour lequel ils
ont été créés? Est-ce qu'ils coûtent trop par
rapport aux résultats qu'ils donnent ou pas assez cher parce que des
besoins nouveaux sont apparus? En somme, on revient à ce qui est,
remarquez bien, une technique très courante chez les gouvernements et
qu'on ne fait que reprendre.
M. Polak: Merci, M. le Président.
Le Président (M. Lachance): M. le député de
Bourassa.
L'impact des budgets antérieurs
M. Laplante: Merci, M. le Président. Vous avez
évoqué tout à l'heure les fonds de retraite. Je pense que
cela nous ouvre une porte pour parler un petit peu des années 1970
à 1976. Nous autres, députés de 1976, n'avons pas eu la
chance de questionner l'Opposition sur l'administration qu'on nous avait
laissée. On en a très peu parlé pendant les deux mandats
qui ont suivi. Premièrement, parce que le premier ministre du temps a
été défait dans son comté. Il n'était donc
pas à l'Assemblée nationale pour pouvoir défendre les
politiques qu'il y avait de 1970 à 1976. Deuxièmement, la seule
personne qui restait et qu'on aurait pu questionner en matière de
finances sur l'administration de 1970 à 1976 était le ministre
des Finances qui a démissionné à son tour comme
député. On avait donc très peu de réponses à
recevoir de l'Opposition à ce moment-là.
On est toujours dans l'attente à l'Assemblée nationale du
nouveau ancien chef libéral, M. Bourassa, pour qu'il puisse rendre des
comptes aussi sur certaines questions peut-être assez embarrassantes
qu'on pourrait lui poser sur l'administration de 1970 à 1976.
On pourrait se demander aujourd'hui, M. le ministre, quel effet, dans
les budgets de 1977-1978 à aujourd'hui, peuvent avoir eu les engagements
de l'ancien gouvernement, par exemple, sur les fonds de retraite - vous en avez
parlé tout à l'heure - qui totaliseraient près de 2 500
000 000 $. Cela a un effet direct sur le budget. On pourrait ajouter les 500
000 000 $ du trou scolaire qu'on a eu à payer. On pourrait parler du
déficit des hôpitaux de près de 600 000 000 $ qu'on a eu
à payer aussi depuis 1976. On pourrait parler aussi de l'effet qu'a eu
sur les budgets d'aujourd'hui le gonflement dans la fonction publique. Si on
s'en souvient bien, près de 93 000 fonctionnaires ont été
embauchés à ce moment-là, dans le public et dans le
parapublic. Aussi, quel effet cela a-t-il dans le budget même si avec les
600 000 000 $ d'engagements dès le mois d'octobre 1976 de ce
gouvernement avec SIDBEC et les compagnies américaines, plus 12 000 000
$, si je me souviens bien, que le Québec est obligé de payer
à une entreprise américaine qui n'a rien à voir dans
l'exploitation du fer, des redevances pour les prochaines années?
Ce sont toutes des questions qui vont devoir revenir d'actualité,
M. le ministre. Essayez de nous informer quant à savoir ce que cela a eu
comme effet dans les budgets d'aujourd'hui. Est-ce 1 000 000 000 $ par
année? Est-ce 2 000 000 000 $ par année qu'on a sur les bras,
qu'on est obligé de traîner bon an, mal an jusqu'en 1990, jusqu'en
1995? Je ne le sais pas. Vous pourriez peut-être nous éclairer
dans ce domaine. C'est sûr que le député de
Vaudreuil-Soulanges préférerait avoir seulement des mauvaises
nouvelles lors de vos conférences de presse. Pour eux, ce serait
bénéfique. Il faudrait tenir le Québec dans la noirceur
des nouvelles politiques économiques de développement qu'on a pu
réaliser surtout au cours des trois dernières années
durant la crise. Je pense qu'il serait aujourd'hui opportun de commencer
à éclairer les citoyens du Québec sur l'état des
finances qui prévalait.
Dans les statistiques canadiennes révélées au cours
de l'été et tout dernièrement, on nous dit que le
Québécois portait le plus haut fardeau de taxes entre 1970 et
1976 comparativement à aujourd'hui. Déjà, vous nous aviez
dit que, comparativement à l'Ontario, c'est 19% de plus que le
Québécois payait en taxes et qu'on avait réussi à
abaisser ce taux, je crois, à 8%. Aujourd'hui, il serait remonté
autour de 11%. Entre 1970 et 1976, si on était rendu à payer
autant d'impôt avec autant d'argent, avec une économie ouverte
à ce moment-là, alors que la construction fonctionnait
admirablement bien, qu'il y avait très peu de chômage, que nos
tables d'impôt n'étaient même pas indexées -
c'était la seule province qui n'avait aucune indexation sur ses tables
d'impôt - comment se fait-il que l'on a réussi à endetter
encore plus le Québec dans ces années-là si l'on tient
compte de l'argent qu'on a aujourd'hui?
C'est ce tour d'horizon, M. le ministre, que j'aimerais approfondir. Je
pense que les Québécois aimeraient le savoir aussi, tout en
invitant l'ancien et nouveau chef libéral, même s'il a
manqué sa chance alors que tout était planifié pour se
présenter dans le comté de Jeanne-Mance où ils ont
préféré jouer un autre jeu pour la mairie... Ils ont
changé d'idée à la dernière minute. M. Bourassa a
préféré se tenir encore dans l'ombre jusqu'à
l'élection générale. Dans le comté de
Saint-Jacques, il ne veut pas y aller parce que c'est un comté où
il y a trop de travail, trop de pauvres; il n'a pas le temps d'avoir soin
d'eux, selon ce que le Devoir a écrit.
Une voix: Ils vont l'envoyer dans Verdun.
M. Laplante: M. le ministre, ce sont toutes les questions que je
vous pose.
Le Président (M. Lachance): M. le ministre des
Finances.
Une voix: Bien sûr qu'il va y aller dans...
Le Président (M. Lachance): Cela a bien été
jusqu'à maintenant. Je sollicite, des deux côtés de la
table, votre collaboration pour qu'on revienne à...
M. Laplante: Je vous ferai remarquer, M. le Président, que
je n'ai dérangé personne quand les autres ont posé leurs
questions.
Le Président (M. Lachance): La réponse par M. le
ministre des Finances.
M. Parizeau: M. le Président, ce sont des choses dont
j'aimerais beaucoup discuter avec M. Bourassa s'il nous faisait l'honneur
d'être en face de nous. Comme il ne l'est pas, j'imagine que c'est
inévitable que nous abordions cette question dans le cadre actuel.
Je dois d'abord dire au député que c'est toute une
commande qu'il me passe en quelques minutes. Je vais essayer de répondre
d'une façon aussi précise que possible sauf que, compte tenu du
temps dont on dispose, on conviendra que je vais essayer... Enfin, je ne
pourrai toucher que certaines choses.
Il faut d'abord se souvenir que durant les années soixante-dix
jusqu'au choc pétrolier de 1979, les taux de croissance un peu partout
dans le monde occidental sont beaucoup plus élevés que ceux qu'on
connaîtra après. Les années soixante-dix et soixante-seize
ont été de très fortes années de croissance au
Québec comme, d'ailleurs, elles l'étaient ailleurs. Cela a
donné au gouvernement, à tous les gouvernements, des ressources
telles que certains ont pensé que la manne durerait indéfiniment.
C'est peut-être compréhensible. J'imagine que ceux qui ont
traversé l'année 1973, par exemple, ont dû s'en souvenir
longtemps; c'était une année qui, économiquement,
était merveilleuse.
Et là, il se passe en 1975 et 1976, je pense que c'est
ramassé vers les deux dernières années de l'ancien
régime, une sorte d'effervescence qui va coûter très cher,
dont on se rendra d'ailleurs compte à la fin de la période
qu'elle est allée trop loin. Puis on commencera à repousser vers
les années suivantes le paiement de certaines
échéances.
Commençons par les conventions collectives. On se souviendra du
contexte. Quelque temps avant que M. Bourassa déclenche les
élections, les syndicats "effervescent" un peu partout, il y a des
grèves assez nombreuses et il y a une pression considérable pour
participer à l'ambiance de croissance générale. Pour
régler le mieux possible ces grèves avant ses élections,
le gouvernement du temps va consentir des augmentations de salaires, des
augmentations d'effectifs absolument mirobolantes.
Par exemple, je vous rappellerai qu'une clause d'enrichissement
réel de 2,5% par an a été incluse dans ces conventions
collectives. S'il avait fallu qu'on soit pris avec cela... J'expliquerai tout
à l'heure comment on s'est dépris. Cela va vite 2,5% par
année, sur une période de trois ans, au-dessus de
l'inflation.
Les augmentations de postes ont été extraordinaires pour
régler certaines conventions collectives. Cela a été
vraiment un feu d'artifice. J'ai eu l'occasion de dire, après la
négociation de 1979-1980, que si j'avais su quelle était la
situation réelle dans les effectifs, je n'aurais jamais
concédé 1400 postes à l'enseignement. Je l'ai
regretté par
la suite. Si j'avais su au début de la convention collective, si
j'avais eu tous les chiffres en main, je n'aurais jamais lâché
cela. Et, bien sûr, on est revenu longuement là-desssus, mais
est-ce qu'on se rend compte que M. Bourassa en a lâché 6600 juste
avant ses élections?
Une voix: 6600 nouveaux postes.
M. Parizeau: Nouveaux postes. Cela coûte quelque chose.
À la fois sur le plan des effectifs, sur le plan des conditions
de salaire, sur le plan de certaines clauses normatives qui avaient un impact
direct, cela a été très coûteux. La RIO a
été une flambée extraordinaire et il a fallu...
Écoutez, vous savez qu'on n'a pas tout payé. À l'heure
actuelle, en affectant la taxe sur le tabac, j'ai dû l'augmenter encore.
La proportion de la taxe sur le tabac qui va au paiement de la RIO. On en a
jusqu'en 1991 pour des jeux qui ont eu lieu en 1976. On conviendra que c'est un
peu long et que c'est pas mal coûteux. Si cette seule dette était
remboursée, à l'heure actuelle, on économiserait 123 000
000 $ par année. Si, au fond, les folies qui ont été
faites à l'égard de la RIO n'avaient pas été
faites, si les dépenses n'avaient pas explosé comme cela, on
économiserait 123 000 000 $ par année actuellement. Tenez compte
qu'on a cette charge jusqu'en 1991, jusqu'à ce que finalement la dette
soit épuisée. (11 h 30)
Le trou, le fameux trou des commissions scolaires. M. Garneau, dans son
dernier discours sur le budget, avait indiqué qu'effectivement il
semblait y avoir des dépenses faites par les commissions scolaires qui
ne correspondaient pas aux crédits votés par l'Assemblée
nationale et qui étaient empruntées à la banque. Au bout
de quelques mois, je me suis rendu compte que ce genre de choses
s'élevait à 485 000 000 $. J'ai donc décidé, parce
que je suis un homme prudent et conservateur, de rembourser cela le plus vite
possible. Juste au moment où j'avait tout remboursé, la
même chose m'est arrivée. Là, je dois dire: II faut quand
même équilibrer les responsabilités. Je pense que l'ancien
gouvernement n'avait pas vu du tout en vertu de quel mécanisme les
commissions scolaires allaient emprunter dans les banques pour ensuite refiler
la note au ministre des Finances. Nous avons remboursé tout ce qu'elles
avaient accumulé et, pendant ce temps, les commissions scolaires nous
ont fait le même coup. J'ai recommencé à épuiser les
montants en question, sauf qu'au moins on a changé quelque chose par
rapport à la situation antérieure. On a fermé les budgets
des commissions scolaires et, maintenant, cela ne peut plus jamais se
reproduire. Mais tenez pour acquis que 485 000 000 $ en 1976, c'était
passablement plus d'argent que 500 000 000 $ quatre ans plus tard, à
cause du taux d'inflation. Encore une fois, comme cela nous est arrivé
une fois aussi jusqu'à ce qu'on corrige les choses, il faut quand
même être de bon compte.
Les fonds de retraite, j'en ai parlé tout à l'heure. Dans
les fonds de retraite, j'aurais un déficit de 1 000 000 000 $ de moins,
si j'avais les mêmes techniques comptables que celles qui ont
été utilisées en 1976.
Les municipalités. Les municipalités avaient des
états financiers tragiques. Cela faisait des années que les
municipalités demandaient au précédent gouvernement de
changer le système financier, le système de taxation, de les
dégager de cela, de cesser cette espèce de lutte
épouvantable qu'il y avait entre les commissions scolaires et les
municipalités pour le partage de la taxe foncière, ce qui faisait
que le fardeau foncier était beaucoup trop élevé au
Québec. Cela n'avait pas de bon sens, d'autant plus qu'il y a des
éléments de régressivité dans cette taxe qui
étaient graves. Cela n'a pas été réglé tant
qu'on n'est pas arrivé au pouvoir. Vous noterez que depuis qu'on a fait
cette réforme de la fiscalité municipale sur ce plan, au
Québec, ça gazouille par rapport aux tensions effrayantes qu'il y
avait entre les municipalités et le gouvernement
précédent. Cela a voulu dire une chose; cela a voulu dire qu'on a
pris à notre charge les dépenses de l'enseignement, le plus clair
des dépenses de l'enseignement, alors qu'avant cela une partie ne
passait pas par nos crédits; cela n'apparaissait pas dans nos
crédits; c'était payé par la taxe foncière
scolaire.
Oui, on a raison de dire que la structure fiscale que nous a
laissée M. Bourassa était certainement la plus onéreuse
qu'on n'ait trouvée jusque-là et qu'on n'a retrouvée
depuis. Le fardeau fiscal des particuliers, au Québec, en 1977, avant
qu'on commence à changer les régimes d'impôt, était
de 19,6%, c'est-à-dire, à toutes fins utiles, 20%
supérieur à celui de l'Ontario. On l'a réduit à
7,7%, en 1980. On a été obligé de l'augmenter à
14%, en 1983, à la suite de ce que la récession a exigé de
nous, mais, à l'heure actuelle, on l'a réduit à moins de
12%. On a fait des efforts importants. Remarquez que, pour toute espèce
de raisons, il restera toujours supérieur au Québec à ce
qu'il est en Ontario. Il ne faut jamais rêver, compte tenu de notre
structure de dépenses et du genre de services que la population, sur une
période de 20 ou 25 ans, a voulu se payer au Québec. On
n'égalisera jamais la chose, mais 20%, cela n'a pas de bon sens, cela
n'a pas d'allure, cela n'a tout simplement pas d'allure. Cela vient, pour une
part, de ce que disait le député, c'est-à-dire du fait que
les tables, au Québec, n'ont pas été indexées alors
qu'elles l'étaient partout
pendant plusieurs années. C'est nous qui avons introduit
l'indexation. On me dira: L'indexation est partielle. Elle s'applique aux
exemptions personnelles. Le montant est arbitrairement déterminé
chaque année. Je veux bien tout cela, mais au moins on l'a introduite
alors qu'avant il n'y en avait pas.
À tous égards, c'est sûr que si l'on veut faire un
cas, on peut faire un très beau cas. J'aurai, au moment que vous jugerez
approprié, M. le Président, quelques indications plus
précises à donner en réponse à la première
question du député de Roberval tout à l'heure.
M. Laplante: Simplement une petite question additionnelle. Vous
me direz si je me trompe sur cela. Compte tenu de tous les chiffres que vous
venez de donner, compte tenu aussi les baisses de taxe de vente d'indexation,
si on avait reçu en 1976 un héritage d'un gouvernement
responsable en matière de finance, c'est peut-être 2 000 000 000 $
par année aujourd'hui, si je ne me trompe pas en arrondissant les
chiffres, qu'on aurait de moins à financer et cela pourrait
représenter peut-être la différence avec l'Ontario de 4%,
ou 5% au point de vue de l'impôt ce que nous aurions de différent
avec l'Ontario, si nous avions eu comme héritage une administration
saine.
M. Parizeau: M. le Président, là je n'avancerai pas
un chiffre, j'aurais besoin de faire faire des calculs. Cela me...
M. Laplante: C'est environ 2 000 000 000 $ ce que vous nous
donnez comme chiffres d'héritage qu'on a eu à venir jusqu'en
1991.
M. Parizeau: Autant je peux placer des montants, faire des
additions sans être certain que j'ai fait tout le tour du potager je ne
me risquerais pas à faire ce genre de chose, ce serait sûrement
inférieur, ce seraient sûrement des montants importants. Mais on
conviendra ici que je tiens à ce que les chiffres que je lance sur la
table aient une certaine crédibilité. La meilleure façon
de le faire c'est de ne pas commencer à faire des additions instantes
comme on fait cuire du riz minute.
M. Laplante: Pourriez-vous nous fournir ces chiffres, M. le
ministre?
M. Parizeau: II faudrait que je voie le temps que cela peut
prendre. Cela implique un jugement sur certains gestes.
M. Laplante: On aurait le temps de les avoir.
M. Parizeau: Si l'on peut avoir une approximation je la fournirai
volontiers, mais je voudrais... Pour le moment, voyez-vous j'ai
préféré simplement mettre l'accent sur certaines choses en
disant, par exemple, combler ou satisfaire le service de la dette de la RIO
c'est 123 000 000 $ par année que cela coûte. Je sais cela. De
combien est-ce que notre déficit est augmenté par rapport
seulement aux règles comptables applicables au fonds de retraite? Cela
j'ai dit le chiffre, c'est 1 000 000 000 $ cette année, cela oui. Dans
d'autres cas, c'est plus difficile à apprécier. Simplement, je
vais vous en donner un exemple. Une des choses majeures obtenues pendant les
négociations collectives de 1979-1980, cela a été
d'enlever cette clause automatique d'enrichissement réel de tous les
employés du secteur public chaque année à 2 1/2%. Mais on
ne l'a pas enlevé totalement; cela n'était pas possible de
prendre le virage d'un seul coup. Alors, sauf erreur, je pense que la
première année c'était zéro, la deuxième
c'était point quelque chose et la troisième cela devait
être 1,4 ou 1,5. Je cite des chiffres de mémoire. Il me faudrait
revenir sur toutes ces affaires et le travail qu'on me demande est quelque
chose qui est assez considérable. Il faudrait que je regarde ce qui
serait arrivé si au lieu de mettre 6600 postes dans l'enseignement on en
avait mis combien là? Je serais obligé de porter un jugement de
valeur en disant: Qu'est-ce qui est exagéré? Peut-être que
zéro c'est trop demander, mais peut-être qu'un gouvernement
prudent en aurait mis seulement 2000? Là je suis obligé de porter
un jugement de valeur. Il faut faire tous ces jugements pour être capable
de faire l'addition qu'on me demande. Je ne me risquerais pas aujourd'hui.
Le Président (M. Lachance): Avant de céder de
nouveau la parole au député de Vaudreuil-Soulanges, vous
permettrez à M, le ministre, de donner le complément de
réponse à la question du député de Roberval.
Les déficits des provinces
M. Parizeau: Bon, voici comment la chose se présente et
comment les provinces se comparent quant à leur déficit d'une
part, et à leurs besoins financiers nets d'autre part pour la
dernière année terminée, c'est-à-dire 1983-1984.
Déficit en pourcentage des revenus budgétaires - je reviendrai
tout à l'heure sur les besoins financiers nets. Le déficit par
rapport au revenu budgétaire: Québec, 14 1/2%; Ontario, 15,3%;
Manitoba, 17,8%; Saskatchewan, 11,3%; Alberta, 6,3%; Colombie-britannique,
18,4%. Vers l'Est maintenant: Nouveau-Brunswick, 16,9%; Nouvelle-Écosse,
18,4%; Île-du-Prince-Édouard, 5,7%; Terre-Neuve, 17,7%.
Besoins financiers nets pour la même année: Québec,
10,4%; Ontario, 11,0%;
Manitoba, 28,1%; Saskatchewan, 36%; Alberta, 9,4%; Colombie britannique,
17,5%. Vers l'est maintenant: Nouveau-Brunswick, 18,1%; Nouvelle-Écosse,
18,6%; Île-du-Prince-Édouard, 9,6%; Terre-Neuve, 18%. On
conviendra que ce n'est pas mal, relativement. Je dis "relativement", parce je
ne voudrais pas que le député de Vaudreuil-Soulanges dise un jour
que j'étais ravi d'avoir un déficit de 3 000 000 000 $.
Le Président (M. Lachance): M. le député de
Vaudreuil-Soulanges.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): M. le Président, je
voudrais d'abord faire une remarque qui s'impose absolument quand on parle de
pourcentages. Jouer avec des pourcentages dans une année
financière particulière, c'est extrêmement dangereux, et le
ministre le sait. Comparer des pourcentages les uns aux autres, c'est encore
plus dangereux. On est rendu dans des équations du second degré
et, si on ne s'arrête pas à temps, on va être dans le calcul
interplanétaire qui dépasse largement les complications de
l'algèbre polaire et du calcul intégral et différentiel.
L'exemple le plus frappant qu'on pourrait donner pour cela serait de dire que
le taux de chômage en Ontario est de 6% - théoriquement, pour les
fins de la discussion - et qu'au Québec il est de 8%. Aller conclure que
le chômage au Québec est de 33% pire qu'en Ontario, on voit,
à sa face même, que cela n'a pas de sens quand on compare ces
chiffres. Si on calcule 6% ici et 8% là-bas sur des bases de population
différente, sur une base de populative active différente, etc.,
dire que cela dénote une situation au point de vue du chômage au
Québec qui serait de 33%, du tiers pire que ce qu'elle est en Ontario,
faire des comparaisons comme celle-là, c'est un peu inquiétant
seulement du point de vue de la manipulation arithmétique des chiffres.
Cela ne donne pas vraiment une bonne image de la réalité.
Je préfère tenir compte des tendances historiques qu'on
peut observer. C'est là qu'à mon sens le ministre veut nous
inviter à manquer le bateau. Je soulevais le cas des investissements
tout à l'heure. En isolant l'année 1983 pour les investissements
privés non domiciliaires au Québec et en Ontario, on est
arrivé à des chiffres qui se ressemblaient étrangement et
qui oscillaient - je dis cela de mémoire - autour de 15%, ce que le
ministre nous a indiqué comme part de ces investissements dans le PIB;
croissance par rapport à l'année dernière, etc. Ce qu'il
faut regarder, ce sont les tendances de fond de l'économie. Si on
considère, au Québec, depuis 1970, l'espèce de courbe des
investissements, tout en ayant à l'esprit que les investissements
à la baie James - investissements publics s'il en est - sont
effectivement passablement substantiels, il ne faut pas oublier que ces
investissements sont le fruit d'une volonté politique de
développer ce secteur. Cela n'arrive pas tout seul. Si le gouvernement
décide de prendre une place dans l'économie, c'est à
l'avantage des Québécois, c'est à l'avantage du
développement des ressources. On ne peut pas dire que ce n'est pas
comparable parce qu'on développait la baie James, qu'on faisait des
barrages. Dans les années soixante, on en faisait. On est malvenu de
prétendre que ce n'est pas une bonne base de comparaison quant au niveau
d'activité économique déterminé par le
gouvernement. Cela m'apparaît important. (11 h 45)
L'autre aspect, c'est toujours dans les tendances de se comparer, de
façon assez récente, avec l'Ontario parce que, dans le fond, on
commence à se comparer à une économie qui est relativement
malade. La part des investissements dans le produit intérieur brut de
l'Ontario est vraiment... Il n'y a rien pour grimper dans les rideaux. Les
Ontariens le savent. C'est une économie qui est vieillissante aussi. Les
États-Unis connaissent à peu près le même
phénomène. La part qu'occupent dans l'économie les
investissements sur une longue période, depuis dix à quinze ans,
ce n'est pas non plus tellement excitant quand on compare avec les pays qui
sont dotés d'une politique industrielle volontaire d'encouragement de
l'investissement pour faire du rattrapage au point de vue de la création
d'emplois, au point de vue de pénétration de nouveaux
marchés, les nouveaux produits de qualité, etc., une
volonté politique, nationale, dans certains endroits, de dire: On
favorise l'épargne pour l'orienter par voie d'incitation vers
l'investissement, et là on se ramasse avec des taux de 25%, 30% de parts
d'investissements dans ces économies. Nous comparer avec nos 15% par les
temps qui courent avec ce qui se passe en Ontario, je vais vous dire
franchement, cela ne me console pas tellement. Ce que je regarde, c'est comment
on s'est comporté ici au Québec, quelle est la tendance
très claire qu'on observe au Québec depuis une quinzaine
d'années et de voir qu'avec les sommets qu'on a atteints grâce, en
partie, aux investissements publics, cela on est en train de le reperdre. On
est en décroissance constante depuis sept, huit ans. On est parti autour
de 20% pour se ramasser de façon très constante vers 15% de parts
d'investissements dans notre économie. Cela est un peu plus
inquiétant.
La même chose au point de vue des comparaisons que le ministre
emprunte quant à sa gestion des finances publiques. C'est à peu
près le même défaut que je reprocherais au ministre.
C'est-à-dire qu'il se vante d'avoir plafonné le déficit et
les besoins
financiers nets à un certain niveau depuis quatre, cinq ans. Mon
déficit est 3 000 000 000 $ depuis cinq ans. Les besoins financiers nets
sont autour de 2 000 000 000 $ pour des raisons qu'il nous a expliquées,
des raisons comptables. Là on regarde quels sont les chiffres que tous
ces beaux niveaux représentent dans le budget du Québec. On vient
nous faire une longue liste des neuf autres provinces où, ma foi, la
classification du Québec, si on regarde ces pourcentages, pourcentage de
déficit, pourcentage des besoins financiers nets, compte tenu des grands
axes budgétaires, nous placerait dans des situations qui ne sont pas,
à leur face même, les pires possible. Sauf que le ministre se
trouve à dire essentiellement que les finances publiques au
Québec, à ce niveau de déficit, sont malades depuis
longtemps. Le ministre dit essentiellement: Je suis très malade depuis
longtemps et là les autres commencent à avoir l'air
fatigués.
Ce qu'il faut retenir, c'est que ce nouveau plafond de déficit
que le gouvernement a atteint est un boulet qu'on traîne depuis plus
longtemps. C'est un boulet plus lourd qu'ailleurs, qu'on traîne depuis
plus longtemps. C'est cela qui est important. On ne peut pas s'imaginer que
cela a un effet annuel, un déficit ou un besoin financier net. Cela
s'accumule d'une année à l'autre. Il ne faut pas nous faire
croire avec un discours comme celui-là que les 3 000 000 000 $ de
déficit encourus depuis quatre ans ont été
remboursés à mesure et que cela ne paraît pas. Ils sont
toujours là. On paie toujours l'intérêt là-dessus.
Il contribue à un effet d'éviction, "crowding out", en partie
à l'égard des investissements privés, à
l'égard des choix budgétaires que le gouvernement est
obligé de faire. Il doit - il n'a pas le choix - consacrer des centaines
de millions, que dis-je, des milliards, au service de la dette parce qu'il a
accumulé des besoins financiers nets considérables, beaucoup plus
considérables qu'ailleurs, depuis beaucoup plus longtemps
qu'ailleurs.
À l'époque de la crise économique qu'on a connue,
on a déjà discuté du fait que le gouvernement, par son
choix d'encourir des déficits considérables presque dès
son arrivée au pouvoir, s'est lié les mains et a donc
été incapable, contrairement à d'autres régions du
Canada, d'encourir des déficits qui auraient été
stimulateurs de l'économie. Au contraire, le gouvernement a fait pendant
la crise des ponctions tout à fait inopportunes au niveau de ce qu'il a
retiré au point de vue de la demande des consommateurs par ses coupures
dans la rémunération des employés du secteur public, par
l'augmentation de la taxe sur l'essence et j'en passe. On en a parlé
assez souvent. J'aimerais échapper à cette espèce
d'exercice tellement répétitif qu'on s'impose ou que le
règlement nous impose tous les trois mois ou à chaque occasion
qu'on a de parler des finances publiques, répétitif des discours
qu'on a déjà tenus de toute sorte de façons.
Ce sur quoi je voudrais insister pour cette fois-ci, c'est qu'une fois
qu'on a fait le tour de nos jardins respectifs - c'est ce qu'on fait depuis une
couple d'heures; le député de Bourassa a d'ailleurs fait une
excellente démonstration de la façon dont on peut ressasser des
choses dont on a déjà parlé - une fois qu'on a dit cela,
cela devient de plus en plus évident que le boulet des finances
publiques commence à comporter des effets à long terme quant
à la marge de manoeuvre du gouvernement, quant à sa
capacité d'intervenir de façon positive dans
l'économie.
Les choix sont très différents entre les formations
politiques qui sont ici. D'une part, l'intervention massive du secteur public;
d'autre part, une approche plus douce: subventions, incitation, que nous
privilégions. C'est l'une des différences que les gens constatent
de plus en plus. D'une façon ou de l'autre, quelle que soit la
stratégie qu'on va favoriser, il y a un boulet que le gouvernement du
Québec va traîner pour les années à venir qui tient
au fait que les dépenses qui ont été faites n'ont pas
toujours donné lieu à la création d'actifs permanents,
créateurs d'emplois ou de soutien à l'emploi. Il faut bien
distinguer, quand on parle de finances publiques, les emprunts, etc. Ce que
Hydro-Québec fait, elle construit un barrage et elle vend de
l'électricité. C'est là pour longtemps, tant que l'eau va
couler et que le ciment, le béton va tenir. Ce n'est pas la même
chose dans les autres actions gouvernementales.
À la limite, je dirais que certains investissements dans le
capital humain qu'un gouvernement peut faire, je pense à l'enseignement,
recherche et développement, pourraient être assimilés
à de l'investissement dans du capital physique, parce qu'on est en train
de former des gens, on est en train de former nos gens et ils vont être
productifs plus tard; s'ils bénéficient d'un niveau plus
élevé d'éducation, d'instruction, s'ils
bénéficient d'un accès à de l'équipement
moderne, sophistiqué, à la page, cela va devenir des citoyens
plus productifs. Les idées innovatrices qu'ils pourront avoir verront
une suite concrète. Mais l'investissement dans le capital humain au
Québec, et notamment -dans le fond je vais poser une question bien
spécifique au ministre - en matière d'éducation, comment
peut-on assister - je comprends que ce sont des variations, cela peut
être extrêmement périodique, saisonnier ou quoi que ce soit,
c'est l'objet de ma question - à des baisses dans les postes de
dépenses budgétaires du gouvernement? Au
poste de l'éducation, une baisse de 28% d'un trimestre à
l'autre, cette année par rapport à l'an dernier, une baisse
variation annuelle quand on compare prévisions et l'an dernier de 5%, on
n'est certainement pas en train d'investir dans le capital humain. On devra me
faire la démonstration qu'on a une productivité extraordinaire
dans chaque dollar qui est dépensé par le gouvernement du
Québec en matière d'éducation.
On pourra répondre, en partie - c'est le ministre qui a les
chiffres à sa disposition -que la rationalisation des effectifs dans
l'enseignement y est pour quelque chose; que certaines dépenses
d'immobilisation peuvent y être pour quelque chose; que certaines
pratiques comptables, il y a peut-être des raisons comptables
passagères, y sont pour quelque chose.
Une voix: ...
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges):
Justement, on verra à ce moment. Mais ce dont on entend parler de
façon concrète et manifeste, c'est le degré - quels que
soient les chiffres en cause - de motivation des enseignants;
l'atmosphère qui règne dans les écoles depuis les
décrets; l'organisation du travail; la façon dont on impose
tranquillement des niveaux de tâche aux enseignants qui sont l'expression
même de l'investissement en capital humain qu'on veut faire. Les finances
publiques connaissent des niveaux de déficit et des besoins financiers
nets considérables. C'est admis. Le ministre nous dit: J'ai
stabilisé. Regardez les pourcentages courants que cela représente
dans les finances publiques.
Je réponds que le ministre se vante d'être atteint d'une
très grave maladie depuis plus longtemps que les autres et qu'il semble
encouragé du fait qu'on donne des signes d'essoufflement ailleurs. Ce
qu'il néglige, c'est que s'il a été malade depuis
longtemps, il a pris beaucoup de médicaments et cela a certainement
modifié ses réflexes et son métabolisme, pour continuer
dans cette veine-là sous forme d'images, pour des fins de comparaison.
Je ne vois pas en quoi le fait d'avoir plafonné à un haut niveau
le déficit budgétaire et les besoins financiers nets peut
permettre au ministre de se péter les bretelles. Je ne vois pas comment
le boulet est acceptable sous prétexte que cela fait longtemps qu'on le
traîne.
Le Président (M. Lachance): M. le ministre, je voudrais
signaler, avant que vous ne preniez la parole, qu'il est 11 h 56. Nous avions
commencé la commission avec huit ou neuf minutes de retard. Donc, si les
membres de la commission sont d'accord, on pourra vous permettre de
dépasser l'heure convenue de midi, de façon que, lorsque nous
reprendrons vers 14 heures, ce soit un nouveau dialogue. M. le ministre.
M. Parizeau: M. le Président, je vais commencer par la
deuxième partie de l'intervention du député de
Vaudreuil-Soulanges. Il dit en substance: Nous traînons - je pense
utiliser presque ses expressions -un boulet plus élevé et depuis
plus longtemps que d'autres, en parlant des besoins financiers nets. Je
voudrais lui rappeler ici certains chiffres et cela va, je pense, retrouver une
intervention tout à l'heure du député de Jeanne-Mance.
À l'heure actuelle, tel qu'on peut l'imaginer pour 1984-1985 - je dis
cela sous toutes réserves; je sais que dans mon cas, cela va être
ça, mais je ne suis pas capable d'assurer que pour l'Ontario, cela va
être ça - cela semblerait indiquer que nos besoins financiers nets
sont de 9,3% de nos revenus budgétaires et 8,7% en Ontario.
Reculons maintenant. Il veut une perspective, le député de
Vaudreuil-Soulanges? On va la lui donner, la perspective. Où en
était-on en 1976-1977, avec les besoins financiers nets, des deux
provinces? Nous étions à 13,7% de nos revenus au Québec
et, en Ontario, à 12,5%. En 1977-1978, nous sommes tombés,
à la suite de nombreux resserrements que j'ai essayé
d'appliquer, à 10,5%. L'Ontario était à 15,9%. En
1978-1979, j'étais à 10,6%; l'Ontario était à 9,6%.
Là, l'Ontario va faire un effort énorme, que nous ne ferons pas.
En 1979-1980, nous sommes toujours à 10,3%; l'Ontario tombe à
4,1%. Cela a été l'époque où ces gens ont
rationalisé leur main-d'oeuvre, où ils ont réduit
considérablement l'embauche dans les services, où ils ont
coupé certains programmes. Ils ont fait du bon travail pendant deux ans,
sur ce plan-là. En 1980-1981, nous sommes à 15,7% au
Québec et l'Ontario est à 5,2% seulement. Mais l'Ontario n'est
plus capable de tenir et il se met à augmenter alors que nous
réduisons. En 1981-1982, nous tombons à 12,3%; l'Ontario monte
à 8,4%. En 1982- 1983, nous baissons encore à 11,6% au
Québec; l'Ontario monte à 12,8%. En 1983- 1984, nous sommes
à 10,4% et l'Ontario est encore à 11%.
On conviendra que, sauf pour deux années, nous traînons
peut-être un boulet. Il y en a d'autres qui traînent aussi un
boulet. Je ne vous ai pas parlé du Manitoba. Je pourrais vous parler de
quelques autres provinces. Je vous assure que ce n'est pas jojo en termes de
pourcentage. Mais nous avons cherché constamment à maintenir cet
écart à l'intérieur de limites relativement
précises.
Évidemment, si on se compare avec Ottawa, et l'Ontario et nous
sommes dans une situation impeccable. Impeccable; tout est relatif. Seulement,
on a réussi, je pense,
au Québec, dans ces années, à maintenir une sorte
d'autodiscipline dont je conviens qu'elle est nécessaire. Il y a des
échappées parfois, comme en 1980-1981. Mais, au bout du compte,
reconnaissons simplement qu'au cours des quelques dernières
années, en fait, sauf pour l'année 1980-1981, nos besoins
financiers nets au Québec en pourcentage des revenus budgétaires
sont systématiquement en dessous de ceux que les libéraux nous
ont laissés en 1976-1977.
Alors, il faudrait d'abord trouver l'inventeur du boulet avant de tirer
sur celui qui le porte. On nous dit: Cette discipline qu'on cherche quand
même à maintenir réduit considérablement nos marges
de manoeuvre. C'est vrai. Bien sûr. J'aimerais beaucoup avoir davantage
de marge de manoeuvre. N'importe quel gouvernement rêverait d'avoir une
marge de manoeuvre plus grande que celle qu'il a. Néanmoins, depuis la
récession, cette marge de manoeuvre nous l'avons, dans ce gouvernement,
affectée essentiellement à l'économie. Parfois on nous en
fait grief d'ailleurs, en disant: Vous ne mettez pas suffisamment d'argent
à l'amélioration des services publics. On en est même rendu
à nous dire: Vous mettez un peu trop d'argent dans vos priorités
économiques, dans le plan de relance, par exemple, dans le plan de
Mont-Sainte-Anne sûrement. Mais cela, on l'a fait à dessein et pas
dans une optique d'augmentation systématique des investissements
publics, contrairement à ce que suggérait le député
de Vaudreuil-Soulanges.
En fait, on conviendra que le plan de relance et le plan d'action de
Mont-Sainte-Anne ont été orientés très très
systématiquement à l'égard du secteur privé. Ce qui
a été fait, par exemple, dans le domaine de la recherche et du
développement, dans le sens de la recherche scientifique, dans le sens
de l'augmentation des investissements, les cas et les exemples que je donnais
plus tôt, on conviendra que c'est d'abord et avant tout à
l'égard du secteur privé que cela a été fait parce
qu'il faut bien reconnaître à cet égard que le secteur
privé créant 80% des emplois dans notre société, on
ne peut pas se permettre d'avoir un secteur privé trop lent sur le plan
de ses transformations, sur le plan de ses investissements, sur le plan de son
efficacité, de sa capacité à exporter.
Dans ce sens-là, le député de Vaudreuil-Soulanges
et moi nous entendons au moins sur une chose: c'est vrai que sur le plan de la
part de notre production qui est investie, nous sommes trop bas à 15%.
Quand on se compare à l'Ontario et qu'on dit: l'Ontario est malade! Oui,
bien sûr, mais convenons d'une chose: si on compare ces deux provinces
sur une longue période de temps, sur une certaine perspective, comme le
voudrait le député de Vaudreuil-Soulanges, on se rendra compte
que, d'une part, le problème existe depuis assez longtemps et que,
d'autre part, le parallélisme des deux provinces est assez
remarquable.
J'ai devant moi un tableau qui remonte à 1961. Je ne vais pas
passer toutes les années, ce serait ennuyeux pour rien. En 1961, 18,5%
du produit intérieur brut du Québec étaient investis et,
en Ontario, 18,1%. Dix ans plus tard, en 1971, 17,8% du produit
intérieur brut du Québec étaient investis et, en Ontario,
19,6%. En 1981, 17,4% au Québec et 18,2% en Ontario. Actuellement on a
l'air d'être plus fort que l'Ontario mais à un niveau plus faible,
c'est-à-dire autour de 15%.
Il faut bien reconnaître qu'il y a une sorte de
parallélisme - je pourrai vous donner d'autres années si cela
vous intéresse d'ailleurs - très grand depuis 21 ou 22 ans entre
ces deux provinces dans la part qu'elles investissent.
Qu'on soit malade à cet égard-là, oui, en un
certain sens. Je suis d'accord avec le diagnostic, de la même
façon qu'aux États-Unis, peut-être moins depuis quelque
temps, mais enfin, dans l'ensemble aux États-Unis, depuis un certain
nombre d'années, on n'investit pas suffisamment. C'est vrai que certains
pays, en Europe en particulier, investissent bien davantage que nous, que c'est
fondamental pour l'avenir et qu'il nous faut, à cet égard, une
politique d'investissement qui n'a pas peur, qui ne craint pas de se dissocier
des politiques d'investissement qui peuvent s'appliquer ailleurs au Canada. Si
on ne se dissocie pas, si on ne trouve pas des moyens un peu originaux
d'augmenter les investissements au Québec, le parallélisme dont
je viens de faire état va continuer pendant des années.
Il y a une maladie canadienne. Il faut bien le reconnaître, il y a
une maladie canadienne à l'heure actuelle. Au Québec et en
Ontario, on n'investit pas suffisamment. On investissait suffisamment dans
l'Ouest depuis plusieurs années. Les coefficients étaient
extraordinaires dans l'Ouest, sauf que, on le sait, cela s'est effondré
et la récession dans l'Ouest dure encore. L'élimination des
grands mégaprojets dans l'énergie a porté un coup terrible
à l'économie de l'Ouest du Canada. Dans ce sens, il est vrai que
le Canada est une sorte d'homme malade sur le plan économique depuis
quelques années. Ne parlons pas des marges de manoeuvre du gouvernement
fédéral. Avec un déficit largement au-dessus de 30 000 000
000 $, qu'est-ce que vous voulez? Lui, il ne peut à peu près plus
bouger. Nous avons, par un minimum de discipline, je dirais même un
maximum de discipline au Québec, dégagé des marges de
manoeuvre. On a commencé à élaborer une politique
industrielle qui nous est propre et il
est évident qu'on doit continuer de mettre l'accent
là-dessus parce que, pour un certain temps - on verra ce que le nouveau
gouvernement est capable de faire comme réorientation - en tout
état de cause, jusqu'à maintenant, on ne peut pas dire que les
politiques suivies au Canada ont été particulièrement
incitatrices à un niveau d'investissement suffisant.
C'est pour cela qu'on a sorti au Québec, d'abord, le premier
volume de "Bâtir le Québec", ensuite le deuxième volume,
"Le virage technologique". On cherchait à dégager des optiques,
des orientations. Ensuite, on s'est donné les moyens financiers de les
réaliser. Vous me direz: Cela ne coûte pas
énormément d'argent. Vous ne m'entendez jamais dire: Le
gouvernement de Québec va mettre 3 000 000 000 $ dans le
développement économique. Non. D'abord, on ne les a pas et,
deuxièmement, ce n'est pas nécessaire. On ne règle pas des
problèmes -si vous me passez l'expression vulgaire - en garrochant de
l'argent dessus. Ce n'est pas vrai. L'intelligence des politiques et, j'allais
dire le raffinement des politiques, c'est fondamental là-dedans. On n'a
pas augmenté avec des centaines de millions de dollars de façon
aussi spectaculaire les investissements dans l'industrie minière. Tout
ce qu'on a réussi à faire, on l'a réalisé sur
plusieurs années. Le dernier compte que j'ai vu, c'était 87 000
000 $ sur trois ou quatre ans, et on a eu notre résultat.
Évidemment, il faut une politique d'investissement. Je suis parfaitement
d'accord avec le député de Vaudreuil-Soulanges quand il dit que
le niveau des investissements reste insuffisant. Seulement on pense qu'on a
trouvé les moyens de faire en sorte que, précisément, on
puisse les accélérer considérablement.
Une dernière chose avant de terminer sur la question des 28% de
chute d'un trimestre à l'autre dans les versements à
l'éducation. M. le Président, c'est essentiellement dû au
fait que j'ai fait, comme je l'avais d'ailleurs annoncé, des versements
anticipés sur les arrérages pour les commissions scolaires et les
hôpitaux. Forcément, quand je paie un compte à l'avance, je
le paie à une certaine date. Cette date tombe dans un certain trimestre.
Le trimestre suivant, les paiements n'y sont pas puisque je les ai
déjà faits, comme dirait M. de La Palice. Forcément, il
faut bien que cela tombe. Cela me paraît aller de la nature des choses.
Cela n'indique pas que d'un trimestre à l'autre l'accent que met le
gouvernement sur l'enseignement s'est tout à coup effondré.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): ...aux transferts
fédéraux de l'an dernier, n'est-ce pas?
M. Parizeau: Ah! Je l'ai indiqué longuement. En un certain
sens, heureusement que j'ai payé mes comptes à l'avance; compte
tenu du fait de ce qui va arriver aux transferts fédéraux cette
année et l'année prochaine, heureusement que je me suis conduit
comme cela. Je prends cela comme un grand témoignage de la prudence que
j'ai manifestée, M. le Président.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): ...M. le Président.
Le Président (M. Lachance): Merci, M. le ministre. La
commission suspend ses travaux jusqu'à 14 heures.
(Suspension de la séance à 12 h 9)
(Reprise de la séance à 14 h 5)
Le Président (M. Lachance): À l'ordre, s'il vous
plaît! La commission du budget et de l'administration poursuit son mandat
aux fins d'étudier la politique budgétaire du gouvernement et
l'évolution des finances publiques. La parole est au
député de Roberval.
La stratégie d'emprunt du gouvernement
M. Gauthier: Merci M. le Président. On a traité, ce
matin, abondamment des perspectives d'investissements au Québec, de
statistiques et de choses fort intéressantes. Il y a tout de même
un aspect que je désire beaucoup aborder avec le ministre des Finances
cet après-midi. C'est un aspect auquel on n'a pas touché
très souvent dans les débats ici à l'Assemblée
nationale, que ce soit à l'Assemblée nationale même ou aux
commissions parlementaires. Cela concerne toute la stratégie d'emprunt
du gouvernement. Tout le monde sait que le gouvernement doit emprunter
annuellement certaines sommes, aux alentours de 2 000 000 000 $, pour combler
le déficit. On nous a rarement expliqué comment le ministre des
Finances - j'aurai probablement plusieurs questions ou sous-questions sur le
sujet - d'abord, partage ces emprunts parce qu'il y a plusieurs marchés.
On a parlé, ce matin, du marché américain, du
marché japonais, du marché suisse, du marché
européen dans son ensemble. On a parlé de ces différents
marchés. J'aimerais savoir, dans un premier temps, comment un ministre
des Finances choisit d'aller travailler dans tel ou tel marché, d'une
part. À quel endroit le ministre des Finances du Québec a-t-il
choisi de travailler pour les emprunts du Québec au cours
peut-être de la dernière année, dans un premier temps? Si
le ministre des Finances veut s'éloigner un peu dans le temps pour nous
donner une meilleure perspective, il lui sera loisible de le faire.
J'aimerais connaître un peu cette dimension du choix et, d'autre
part, j'aimerais également qu'on puisse nous préciser - on sait
que le gouvernement utilise les services de syndicats financiers pour
réaliser son programme d'emprunts - comment se fait le choix de ces
syndicats financiers, de qui ils sont constitués, pour l'essentiel en
tout cas, s'il y a des partenaires qui reviennent de façon
régulière. Enfin, j'aimerais avoir certaines indications quant au
rôle de ces syndicats financiers dans le programme d'emprunt du
gouvernement.
Le Président (M. Lachance): M. le ministre.
M. Parizeau: M, le Président, je peux donner un certain
nombre d'indications, quitte à ce qu'on y revienne pour préciser
certaines choses ou dégager certaines perspectives par la suite. En
vertu du niveau de nos besoins financiers nets, on a donc un peu plus de 2 000
000 000 $ à emprunter sur les marchés. D'autre part, il faut
ajouter à cela 600 000 000 $, 700 000 000 $, 800 000 000 $ ou 900 000
000 $ d'emprunts, selon les années, qui viennent à
échéance et qui doivent être renouvelés. Il faut
bien comprendre le sens d'un emprunt qui vient à échéance.
On doit rembourser les créanciers et emprunter d'autres
créanciers, ou des mêmes, selon la nature des émissions
qu'on fera. Il faut donc considérer qu'on a, à l'heure actuelle,
à peu près 3 000 000 000 $ à emprunter par an sur les
marchés financiers dans leur ensemble. C'est un peu plus
élevé que cela ne le devrait si on ne tenait pas compte de ce
que, pendant la période de très hauts taux
d'intérêt, comme j'ai eu l'occasion de le dire ce matin, on a
emprunté davantage à court terme, donc que certaines
échéances reviennent plus vite qu'elles ne seraient revenues
autrement, mais disons qu'un chiffre de 3 000 000 000 $ comme celui-là
n'est pas anormal. À l'heure actuelle, le programme d'emprunts pour
l'année 1984-1985 est pour le gouvernement de 2 965 000 000 $, tel que
je viens de le définir.
Une des premières questions qu'on se pose à cet
égard, c'est de savoir combien on retirera de la Caisse de
dépôt et placement du Québec. La Caisse de
dépôt et placement du Québec, contrairement à ce qui
se passe dans toutes les autres provinces canadiennes, n'affecte qu'une partie
de ces rentrées de fonds au financement de la dette du gouvernement du
Québec ou de ses organismes, tel Hydro-Québec. Ce n'est pas exact
dans les autres provinces canadiennes. Dans les autres provinces canadiennes la
totalité de ce que rapporte le Canada Pension Plan est
prêtée aux gouvernements provinciaux au taux de la dette
fédérale à long terme plus 0,25%. Au Québec, ce
montant va dans la Caisse de dépôt et vont dans la Caisse de
dépôt aussi des choses comme la Régie de
l'assurance-automobile, les fonds de retraite de l'industrie de la
construction; enfin il y a toutes espèces de sources de fonds. Nous ne
prenons, comme gouvernement, à la Caisse de dépôt, qu'une
partie des sommes qui s'y accumulent chaque année. Invariablement,
compte tenu des projets que la Caisse de dépôt peut avoir dans
d'autres domaines comme par exemple, l'achat d'actions de compagnies et des
choses comme cela, la Caisse de dépôt nous fait une proposition
chaque année en disant: Voici, le montant d'obligations du gouvernement
du Québec que je serais prêt à prendre. Cette année,
par exemple c'était 850 000 000 $. Cela ne donne pas lieu normalement
à beaucoup de discussions. Mais il faut dire que les habitudes se sont
créées depuis plusieurs années, et que si on me demandait,
par exemple, l'année prochaine qu'est-ce que la Caisse de
dépôt pourrait mettre dans le financement des titres
gouvernementaux, j'arriverais probablement à un chiffre à peu
près du même ordre. Presque tout ce qui vient au secteur public
québécois va au gouvernement du Québec. Il y a peu de
chose de la Caisse de dépôt qui vont à Hydro-Québec,
par exemple: 100 000 000 $ ou 200 000 000 $ par an mais pas
énormément.
La deuxième décision à prendre a trait au montant
qu'on attend chaque année des campagnes d'obligations d'épargne.
Nous avons pris un chiffre de 600 000 000 $ ou 700 000 000 $ et ce n'est pas
anormal. C'est le genre de choses que j'avais visées cette année
mais là on peut tomber en dessous de ce montant, on peut aller largement
au-dessus dépendant dans une certaine mesure des taux
d'intérêt qu'on paie. Par exemple, il y a quelques années
je n'ai pas réussi à aller au-delà de 300 000 000 $ parce
que le taux d'intérêt, le marché avait tellement
bougé pendant la campagne de financement des obligations
d'épargne que nos obligations n'étaient pas très
concurrentielles. Cette année je cherchais à avoir 700 000 000 $
et là, en mettant le taux à 11 3/4%, il était probablement
un tout petit peu plus élevé que ce qu'il aurait dû
être. Peut-être qu'à 11 1/2% j'aurais pu avoir les 600 000
000 $ ou 700 000 000 $, mais à 11 3/4% le gouvernement
fédéral est sorti avec une rectification de son taux. Il n'avait
pas d'obligations d'épargne à vendre mais il y avait eu beaucoup
d'hémorragies; beaucoup de gens demandaient le remboursement de leurs
obligations d'épargne fédérales. À ce moment il a
monté son taux mais il a monté tellement en dessous de celui des
obligations du gouvernement du Québec qu'on a reçu une avalanche.
J'ai maintenu le taux de 11,75% non pas pour 600 000 000 $ ou
700 000 000 $, mais pour 1 200 000 000 $. Je dois dire que maintenant,
compte tenu de la hausse des taux d'intérêt, mon taux de 11,75% a
l'air remarquable. C'est beau d'avoir ramassé 1 200 000 000 $ à
11,75% dans les conditions actuelles du marché, mais maintenant j'ai un
peu l'air du chat qui a avalé le canari. C'est une décision qui
n'est pas mauvaise.
Une fois qu'on a déterminé cela - je suis rendu à 1
200 000 000 $ d'obligations d'épargne, à environ 850 000 000 $ de
la Caisse de dépôt - il me reste un peu moins de 1 000 000 000 $,
mettons 900 000 000 $, à emprunter sur les marchés conventionnels
d'obligations. Sur ces marchés conventionnels, il ne serait pas bon de
ne pas emprunter assez régulièrement sur le marché
canadien proprement dit. Nous sommes vraiment, sur le plan des titres majeurs,
des titres "seniors" de la dette publique au Québec, deux à
emprunter sur les marchés canadiens: Hydro-Québec et nous. On y
va normalement par alternance. Il serait très rare
qu'Hydro-Québec irait pour deux émissions et le gouvernement du
Québec pour une troisième. Normalement, nous passons,
Hydro-Québec passe ensuite et on alterne de cette façon. Pour des
montants de combien? Le marché canadien d'obligations ne s'est pas
beaucoup développé depuis quelques années. Il ne faut pas
normalement penser aller chercher beaucoup plus que 150 000 000 $ ou 200 000
000 $ à la fois. On ira pour une ou deux émissions par an au
gouvernement; une ou deux émissions par an à
Hydro-Québec.
En second lieu, il y a le marché américain. Comme je l'ai
dit ce matin, nous ne nous sommes pas présentés sur le
marché américain pendant sept ans comme gouvernement. C'est
Hydro-Québec qui a systématiquement exploité les
ressources du marché américain pour la baie James. Nous avons
décidé, étant donné que les besoins
d'Hydro-Québec ont beaucoup baissé depuis quelque temps, de
retourner l'automne dernier - il y a un an - sur le marché
américain pour aller chercher 200 000 000 $ US. Seulement, cela ne peut
pas être un coup; si on veut avoir un marché actif sur nos titres
aux États-Unis, il faut le faire régulièrement, une fois
par année. Il faut donc compter que, dorénavant, nous allons sur
le marché américain, comme gouvernement, à chaque automne
pour environ 200 000 000 $ ou 250 000 000 $ à chaque fois. Cela veut
dire 250 000 000 $ à 300 000 000 $ d'argent canadien. On s'entend
bien.
En mettant 850 000 000 $ de la Caisse de dépôt, 1 200 000
000 $ d'obligations d'épargne, mettons 150 000 000 $ ou 300 000 000 $
sur le marché canadien et 300 000 000 $ sur le marché
américain. Si je prends une seule émission sur le marché
canadien, je suis déjà rendu à 2 500 000 000 $ et si je
fais deux émissions sur le marché canadien, je suis à 2
650 000 000 $ ou quelque chose comme cela alors que j'ai besoin de 2 900 000
000 $.
Nous passons à ce qu'on appelle dans certains milieux, les titres
exotiques. C'est un peu de l'arrogance nord-américaine de
considérer que tout ce qui n'est pas nord-américain est exotique.
Je veux dire par là, des marchés moins exotiques comme
l'eurodollar américain, l'eurodollar canadien et pour certains
Nord-Américains, des marchés franchement exotiques comme le
deutsche mark, le franc suisse, le yen, le sterling.
Ce que j'ai adopté depuis quelques années à
l'égard de ces émissions, cela a été d'abord de
chercher des montants pas nécessairement très
élevés, mais assez réguliers sur chacun de ces
marchés de façon à les habituer à recevoir notre
crédit, à vendre nos obligations, et, d'autre part, à
faire une sorte de moyenne d'évolution des taux de change. Vous voyez,
à l'égard de ces emprunts exotiques, il y a deux attitudes
possibles: L'une qui consiste à se dire: Qu'est-ce que vaudra le
deutsche mark dans huit ans? Comment évoluera le yen d'ici à cinq
ans?
Dans le genre de monde où on vit, j'imagine qu'on commence sa
carrière normalement en cherchant à être plus intelligent
que le marché et à comprendre mieux que tout le monde. On finit
par s'apercevoir que c'est un exercice futile et donc on fait des moyennes.
J'ai une sorte de panier de devises dans mes emprunts qui comporte du dollar
américain, du sterling, du yen, du deutsche mark, du franc suisse, du
gulden hollandais et en empruntant assez régulièrement dans
chacun de ces marchés, je me trouve à faire une sorte de moyenne
des mouvements. Certains de ces emprunts peuvent être obtenus à
des taux d'intérêt très bas. Il faut bien comprendre qu'on
peut à l'heure actuelle obtenir de l'argent à 5,5% sur le
marché suisse. Certains de ces emprunts exotiques, l'argent est
disponible à 10%. Au Japon, on peut avoir de l'argent -ce serait combien
actuellement - à 7%, 7,5%. Et pourquoi est-ce que les taux sont à
ce point différents? Parce que le marché prévoit que
certaines monnaies vont s'apprécier dans l'avenir et d'autres, au
contraire, ne vont pas s'apprécier. C'est pour cela que,
grossièrement parlant, les taux d'intérêt sont à ce
point différents.
Donc, depuis quelques années, j'ai une sorte de panier
constitué de ces monnaies. Et d'autre part, il y a une monnaie exotique
qui elle-même est un panier de monnaie et dans lequel nous empruntons
périodiquement pour être capables de comparer comment, notre
panier que nous avons constitué nous-
même, évolue par rapport à ce panier qu'on pourrait
appeler une sorte de panier de base, c'est l'écu. L'écu est une
monnaie européenne constituée de la valeur pondérée
d'un certain nombre de monnaies européennes. À peu près
toutes les monnaies de la Communauté économique européenne
sont dedans. C'est une moyenne pondérée. Évidemment, au
début, les premières années, cela a été une
monnaie qui n'avait pas de signification autre que pour l'emprunteur ou le
prêteur. Cette monnaie n'était pas utilisée, par exemple,
à des fins commerciales. Le marché était très
étroit. Il était, à toutes fins utiles, dominé par
les Belges et on disait couramment que le marché de l'écu
était le marché des dentistes de Bruxelles. Ce marché a
commencé dans un milieu tout à fait restreint. On dit "les
dentistes", on pourrait dire les médecins ou les avocats. En fait, ce
sont des professionnels belges qui ont accepté d'investir dans ce genre
de fonds assez tôt. Maintenant, c'est un marché qui prend beaucoup
d'ampleur et qui est en train de devenir le marché d'une monnaie
véritablement européenne. Il est remarquable, par exemple, de
penser que les Allemands, qui ont toujours hésité à
transiger en écus, commencent à se faire pousser dans ce genre de
transaction. Et par qui? Par les Russes. Parce que les Russes ne
détesteraient pas que l'écu devienne une monnaie
européenne distincte du dollar américain et ils encouragent
beaucoup dans leur façon de régler leurs paiements en Europe la
circulation de l'écu.
Dans ce sens, il n'est pas mauvais pour un gouvernement comme le
nôtre d'avoir, pour tout ce qui est exotique, son propre panier qu'il
constitue lui-même avec des emprunts pas nécessairement
très gros, mais fréquents ou réguliers dans chacun des
marchés, et, d'autre part, un panier institutionnel comme l'écu
et de regarder comment l'un évolue par rapport à l'autre. Il est
évident que cette année, parce que je suis allé à 1
200 000 000 $ d'obligations d'épargne plutôt que 600 000 000 $ ou
700 000 000 $, j'aurai, comme je l'indiquais tout à l'heure, très
peu de place pour l'exotique. C'est un peu mon problème pour les six
prochains mois. Avec ce qui va me venir de la Caisse de dépôt,
à l'heure actuelle, à l'heure où je vous parle, fin
septembre, 97% du programme d'emprunt du gouvernement du Québec est
réalisé. À toutes fins utiles, pendant six mois, je n'ai
plus rien à faire tout ce temps-là. Il s'agit de savoir si je
prends de l'avance, parce que je tiens néanmoins, de temps à
autre, à faire ces emprunts exotiques et à faire les
équilibres dont je viens de vous parler. Mon problème, à
l'heure actuelle, c'est de dire: Pour les six prochains mois, est-ce que je
prends de l'avance ou pas?
Les syndicats. Nous avons des syndicats dans chacune des monnaies. Il
faut bien comprendre que la situation a profondément changé au
Québec à l'égard des syndicats financiers depuis une
vingtaine d'années. J'ai connu des gouvernements au Québec qui
n'avaient pas encore inventé les obligations d'épargne, qui
n'avaient pas encore inventé la Caisse de dépôt, qui
n'avaient pas l'habitude d'aller à l'étranger, sauf sur le
marché américain de temps à autre, et dont l'essentiel des
transactions se faisait en obligations conventionnelles par le syndicat
canadien. Le syndicat canadien avait, en ce sens, une sorte de monopole sur
l'accès des fonds par le gouvernement du Québec. Le rôle du
syndicat financier canadien, à l'occasion de la défaite de M.
Duplessis en 1939, n'est pas exactement un des plus glorieux épisodes de
notre histoire.
Le rôle du syndicat financier canadien, à l'époque,
par exemple, des changements apportés aux subventions des
universités au Québec, au milieu des années soixante,
n'est pas un glorieux épisode de notre histoire. J'ai connu des
époques où on se demandait où était le pouvoir
véritable: au gouvernement du Québec ou au syndicat? D'ailleurs,
le syndicat canadien avait une pérennité que le gouvernement du
Québec n'avait pas. Les gouvernements changeaient, le syndicat restait
toujours le même.
Le rôle politique du syndicat était absolument majeur dans
ce temps-là. Toutes les premières études que j'ai faites,
comme fonctionnaire dans le gouvernement du Québec, sur SIDBEC,
l'étaient à partir d'études préparées par le
syndicat. Cela allait jusque-là. Évidemment, nous avons eu une
fonction publique qui a évolué et qui a commencé à
être capable de faire des études assez étoffées; on
a créé la Caisse de dépôt et placement; on s'est
engagé dans les obligations d'épargne et on a pris l'habitude
d'aller à l'étranger. Mais, à part les bons yens, au
début des années soixante, les transactions en yens
n'étaient pas particulièrement répandues.
Maintenant, tout cela a changé et nous avons, dans chacune des
monnaies dont je parlais tout à l'heure, des syndicats qui sont
organisés par le gouvernement du Québec. Comme le gouvernement du
Québec est considéré comme un crédit assez
remarquable dans le monde où nous vivons à l'heure actuelle -
vous comprenez que la plupart des crédits sont très
inférieurs en qualité au nôtre - il n'est pas très
difficile pour le gouvernement du Québec de monter les syndicats comme
il le désire. Nous avons un syndicat en dollars canadiens tout à
fait distinct de notre syndicat en dollars américains à New York.
Nous avons un syndicat en eurodollars américains tout à fait
différent de celui qui fonctionne à partir de Londres. Par
exemple, nos deux leaders à
New York sont la First Boston et Merrill Lynch. À
Montréal, le chef de notre syndicat, c'est Lévesque, Beaubien.
Nous avons à Londres en eurodollars américains un syndicat
dirigé par Crédit Suisse, First Boston et par Warburg qui est un
bureau britannique. Notre syndicat d'eurodollars canadiens - c'est assez
curieux - est dirigé par la Société générale
en France. La direction de notre syndicat en yens est assurée par des
maisons de courtage japonaises Nomura Yamaïchi. Notre syndicat en
Allemagne est dirigé par des banques allemandes Westdeustche Landesbank
et la Commerce Bank. Les trois grandes banques suisses - l'Union des banques
suisses, le Crédit suisse et la Société de banques suisses
- dirigent en alternance notre syndicat en Suisse. C'est dire que le
gouvernement du Québec, maintenant, a des syndicats organisés,
habituellement assez fixes, d'ailleurs - cela n'évolue pas tellement
souvent - qui dirigent ses emprunts dans différentes monnaies et dans
différents marchés, de façon que l'influence politique du
milieu financier telle qu'on l'a connue il y a 20 ans ne puisse jamais
réapparaître, comme c'était le cas autrefois.
Un dernier élément quant à l'organisation de ces
syndicats: je suis en train de réorganiser le syndicat de l'écu.
Je ne voudrais pas, avant que tout le monde en soit averti, faire état
de ces changements. Il doit y avoir des changements profonds dans la
façon dont nous faisons fonctionner nos syndicats de l'écu,
justement parce que l'écu est en train de prendre une telle place dans
les transactions financières internationales que j'ai besoin de quelque
chose d'un peu plus différent et d'un peu plus articulé que ce
que j'avais quand j'empruntais rigoureusement auprès des dentistes de
Bruxelles. J'ai besoin de quelque chose d'un peu plus musclé, ce que je
suis en train de faire.
Le Président (M. Lachance): Merci. M. le
député de Vaudreuil-Soulanges.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): M. le Président, je
croyais que le député de Roberval avait des sous-questions,
etc.
M. Gauthier: La réponse était tellement claire et
précise.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): La réponse était
claire, complète et précise. C'est extraordinaire de faire partie
de la même formation politique pour avoir ces jugements-là.
M. Gauthier: Je comprends.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): En l'occurrence, c'était
une description technique. C'est peut-être la première fois que le
ministre a l'occasion de le faire pour le bénéfice de certains de
ses collègues.
Quant au rôle de la Caisse de dépôt sur lequel le
ministre s'est attardé un peu, je notais dans les états
trimestriels que, sur environ 1 700 000 000 $ du programme d'emprunt qui a
été réalisé au 30 juin, 150 000 000 $ seulement qui
venaient de la Caisse de dépôt. Donc on peut compter sur elle,
comme le ministre l'a fait remarquer, pour 600 000 000 $ ou 700 000 000 $.
Est-ce que le ministre se comporte à l'égard de cette source de
financement comme quelqu'un qui la garde pour le dessert ou pour la fin si,
d'aventure, il trouvait de la résistance sur d'autres marchés?
Dans la mesure, par ailleurs, où c'est un taux déterminé
comme il l'a décrit, c'est entendu qu'on ne peut pas demander à
la Caisse de dépôt de prêter à n'importe quel taux
préférentiel; c'est bien évident. Mais je me demandais si
c'était typique de voir que, dans le programme d'emprunt, il y a
seulement 150 000 000 $ - même pas 10% dans le fond - des besoins
financiers qui ont été satisfaits par cette source,
d'après les états devant nous, d'après le texte
signé par le sous-ministre. (14 h 30)
M. Parizeau: Non, il n'y a pas de... En fait, quant au montant,
quant au moment où la Caisse de dépôt rendra de l'argent
disponible, c'est plutôt son choix. Cela dépend, d'une part, de
ses entrées de caisse et, d'autre part, du genre de projet
d'investissements qu'ils peuvent avoir. Normalement, d'une année portant
l'autre, cela se présenterait à peu près de la
façon suivante: nous pourrions prêter au gouvernement les sommes
suivantes à telle date, mais est-ce que le gouvernement aurait des
objections, par exemple, à retarder de trois mois telle date parce que
nous aurions, dans l'intervalle, telle transaction importante à faire?
Il peut y avoir là des discussions, mais, dans l'ensemble, c'est la
caisse qui établit le calendrier.
Deuxièmement, quant au taux d'intérêt qui sera
payé, il y a deux types de taux d'intérêt. Ou bien le
montant que la Caisse de dépôt est prête à nous
fournir tombe à peu près au moment où nous irions sur le
marché privé et à ce moment-là il arrive que la
Caisse de dépôt attache 60 000 000 $, 75 000 000 $ ou 100 000 000
$ de souscriptions à un emprunt public que nous allons faire. Là,
le taux est, évidemment, celui qui sera dicté par le
marché à ce moment-là. Ou bien encore - et c'est ce qui
arrive le plus souvent - nous faisons auprès de la Caisse de
dépôt un placement privé. À quel taux
d'intérêt? Le taux d'intérêt est normalement
déterminé par les taux d'intérêt sur le
marché d'obligations du Québec correspondantes pour les cinq
jours ouvrables qui précèdent. On prend les taux tels
qu'ils sont apparus sur le marché et c'est ce qu'on paie.
Vous me direz que cela n'a pas toujours été comme cela et
que, pendant une certaine période, nous avons emprunté, par
placements privés auprès de la Caisse de dépôt,
à un taux inférieur à celui-là. C'est vrai. Cela a
coïncidé avec la période où le "Heritage Fund" de
l'Alberta faisait des prêts aux autres provinces ou à leurs
utilités publiques au taux de la province qui avait le meilleur taux au
Canada, c'est-à-dire l'Ontario.
On se trouvait placé devant une situation absolument
invraisemblable où notre Caisse de dépôt nous aurait
prêté de l'argent à plus cher que le "Heritage Fund" de
l'Alberta. Tant que cette pratique a duré, la Caisse de
dépôt a changé sa formule pour s'enligner sur le "Heritage
Fund". Pour les raisons qu'on sait, c'est-à-dire que le "Heritage Fund"
a cessé d'accumuler de l'argent à cause de la politique nationale
de l'énergie, il a cessé de faire ces prêts aux provinces
aux conditions que je viens d'indiquer et, donc, nous sommes revenus dans nos
rapports avec la Caisse de dépôt au taux du marché. Pour
nos obligations, on prend la moyenne des cinq jours qui précèdent
et c'est ce qu'on paie.
Dans nos transactions avec la Caisse de dépôt, il y a un
élément sur lequel le gouvernement de Québec se garde une
sorte de prépondérance. Quant à l'agenda, la
prépondérance, c'est la Caisse de dépôt. Quant au
taux d'intérêt, ce sont les cinq jours qui précèdent
par rapport à cet agenda. Il y a un élément où le
gouvernement se garde, par rapport à la Caisse de dépôt,
une sorte de prépondérance, c'est dans les
échéances. C'est-à-dire que, parce que nous sommes
clients, nous pensons pouvoir être en mesure de dire à la Caisse
de dépôt: Ce qui ferait davantage notre affaire pour la prochaine
émission, c'est plutôt du court terme ou plutôt du long
terme. Remarquez que la Caisse de dépôt a, elle aussi, ses
exigences et que cela se discute. Tout ce que je veux dire, c'est que si
j'avais une sorte d'équilibre à faire à savoir où
se trouve la prépondérance, ce serait plutôt du
gouvernement du Québec quand il s'agit des échéances.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges):
Contrairement aux autres marchés, sans doute, où vous
arrivez avec des besoins et à ce moment-là le gouvernement est
obligé essentiellement à un taux particulier d'offrir une
échéance particulière?
M. Parizeau: Non, non, pas du tout. Je pense que c'est une des
choses qu'il faut demander du marché. La recommandation de mon syndicat
à New York, pour notre dernière émission, en dollars US,
c'était de faire exclusivement du 30 ans. Vous voyez que ce qu'il y
avait dans le prospectus au sujet de la signification des prochaines
élections au Québec n'avait pas l'air de les affoler. Il m'avait
suggéré de ne faire que du 30 ans. Je ne voulais pas parce que,
comme je mets une insistance particulière à ce que nous ayons un
bon marché secondaire actif aux États-Unis, puisque j'avais sorti
du 10 ans et du 30 ans l'an dernier, je voulais que, cette fois-ci, ce soit du
10 ans et du 30 ans. Et là, qu'est-ce que vous voulez, le syndicat a
bien été forcé d'accepter ma commande. Effectivement, on a
fait un peu plus de 30 ans, 150 000 000 $. On a fait aussi 100 000 000 $ 10
ans, parce que je tiens à ce que, puisqu'on a commencé dans le 10
ans et dans le 30 ans, on continue dans cette voie pendant un certain temps
pour avoir un marché secondaire un peu dynamique.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Par ailleurs, les
échéances moyennes ont diminué quelque peu depuis quelques
années, je présume. Évidemment, quand les taux
d'intérêt étaient très élevés,
personne ne voulait se lier pour une éternité relative avec des
taux comme ceux-là. Je me demandais encore une fois si, aujourd'hui, les
émissions du Québec dont l'échéance moyenne,
d'après le dernier prospectus, est de neuf années et une
poussière, cela se retrouve également dans le portefeuille de 9
000 000 000 $ ou à peu près de la Caisse de dépôt.
Parce qu'elle a à peu près l'échéance moyenne de
titres du secteur public québécois qui correspond à la
grande moyenne de ce que les autres marchés semblent vouloir consentir.
Les renseignements ne sont pas vraiment là. On a, chaque année,
dans le rapport annuel de la caisse, sa participation aux nouvelles
émissions, etc. Il y a beaucoup de 10 ans évidemment, mais, 10
ans, ce n'est pas si loin de 9 ans. Alors, je ne m'énerve pas avec cela,
quant à 1983, qui est le dernier disponible. Mais, sur une longue
période, pour les 9 700 000 000 $ ou à peu près, vous
n'avez peut-être pas cela de disponible, à portée de la
main. Je suis sûr que la caisse l'a. Je me demandais si le ministre avait
cela à titre de renseignement pour nous. Je suis curieux de savoir la
différence, s'il y en a une, dans les échéances moyennes
des obligations détenues par la caisse par opposition à ce qui
est détenu par le reste du marché.
M. Parizeau: Je n'ai pas indiqué, dans tout ce que j'ai
dit jusqu'à maintenant, quelle était l'échéance
moyenne dans des portefeuilles. Je parle de l'échéance, le 9 ans
et quelques mois dont on parle, comme échéance moyenne. C'est
l'échéance moyenne de l'émetteur. Mon impression, c'est
que
l'échéance moyenne dans un portefeuille comme celui de la
Caisse de dépôt, c'est probablement plus long que 9 ans et 3 mois,
mais j'hésite à m'engager trop dans cette voie, parce que la
Caisse de dépôt est quand même passablement active sur le
marché secondaire des obligations du Québec, et il est tout
à fait possible que, sur l'émission de 20 ans, mais qui vient
à échéance dans deux ans, elle en ait tout à coup
acheté beaucoup, revendu beaucoup. Je pourrais essayer de voir dans
quelle mesure on pourrait, sans un travail immense, déterminer
l'échéance moyenne dans le portefeuille de la caisse, mais il
faut bien comprendre que cela n'a pas de rapport avec l'échéance
moyenne de l'émetteur.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): À cause de leur
présence sur le marché secondaire.
M. Parizeau: À cause de leur présence sur le
marché secondaire. On ne peut pas prendre, par exemple, tous ses achats
sur le marché primaire, faire la moyenne et considérer que cela a
moindre signification. Cela dépend de ce qu'elle fait comme
opération secondaire à partir de là. Je peux me renseigner
pour savoir si on pourrait fournir le renseignement à cette commission.
N'y comptez pas pour cet après-midi, mais je pourrais le fournir. Je
pourrais demander à la caisse quelle est son évaluation à
elle de l'échéance moyenne des titres du Québec qu'elle a
en portefeuille, à une date définie.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Je vous remercie. Quand on
parle d'emprunt en devise étrangère, très souvent, quand
c'est du court terme et quand ce sont des transactions commerciales, celui qui
devient le débiteur d'une devise étrangère tente de
s'assurer contre le risque de fluctuation des devises. Évidemment, cela
présume qu'il a des revenus dans cette devise contre lesquels il marie
son obligation éventuelle. Cela me laisserait soupçonner que le
gouvernement du Québec n'est pas du tout actif dans le marché de
s'assurer contre les fluctuations de devises pour les obligations qu'il a en
cours, les obligations de payer qu'il a en cours éventuellement. Est-ce
que j'aurais raison de présumer cela?
M. Parizeau: Nous sommes actifs de deux façons ici.
À très court terme, oui, bien sûr, on va se protéger
dans le cas du rapatriement des fonds d'un emprunt. Surtout lorsque les
marchés sont particulièrement fluctuants, il est normal que, pour
la période... Cela m'est arrivé, à cet égard, de
rapatrier des fonds au bout d'un mois et, dans d'autres cas, de les rapatrier
au bout de 24 heures, et de prendre des protections, le "edging"
nécessaire.
Sur une période de temps plus longue, on commence à se
protéger - parce que c'est un marché qui n'est pas très
vieux, n'est-ce pas - par des "swaps" entre les monnaies. Là, on est
assez actif sur le plan du "swap", peut-être moins qu'on le sera. C'est
un marché qui est trop récent pour que je réponde à
chacune des offres de "swap" qui me sont faites. Il y a des "swaps" absolument
exotiques, tout à fait étonnants qui nous sont offerts à
certains moments. On peut se protéger sur une période de quelques
années essentiellement par la méthode des "swaps" et nous avons
commencé depuis quelques années à faire rouler ce genre
d'opérations.
Par exemple, il est évident que le risque de change d'un emprunt
à 30 ans aux États-Unis en monnaie américaine, il faut
l'accepter tel qu'il est. Il n'y a pas encore de technique pour se
protéger contre cela.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Le ministre parlait tout
à l'heure des taux d'intérêt extrêmement attrayants
à leur face même, les taux nominaux pour certaines monnaies
exotiques qui, évidemment, sont pondérés, qui
pondèrent ou refroidissent l'enthousiasme quand on considère les
perspectives de réévaluation de ces monnaies par rapport à
la nôtre.
Tous les députés autour de la table ici ont sans doute
déjà reçu au moins un appel téléphonique
depuis quelques années quant aux possibilités qu'il y aurait dans
certains marchés superexotiques - je vois le ministre sourire -
d'assurer des sources de fonds à long terme absolument -
l'éternité, c'est court comparé à ce qu'on offre
dans ces marchés - à des taux imbattables, en devises qu'on
choisira bien; donc pas de risque, si j'ai toujours bien compris, pour des
sommes mirobolantes. J'ai eu l'occasion d'être l'objet de certaines
démarches de la part de personnes qui s'imaginent qu'elles ont un
produit vendable. Certains de vos collègues du cabinet, M. le ministre,
m'ont déjà même parlé d'avoir reçu les
mêmes appels téléphoniques. Je me demandais si vous n'aviez
jamais eu l'occasion de commenter publiquement - dans la mesure où ce
qu'on fait ici est public - quelle était votre attitude, votre opinion
sur ces offres mirobolantes de 1 000 000 000 $ pour 50 ans à 4% ou je ne
sais trop, sans exagérer ou à peine, de source relativement
mystérieuse mais qui parle arabe en général.
M. Parizeau: Je pense que c'est la seule chose que nous ayons
tous en commun: de s'être fait offrir, pour le compte du gouvernement du
Québec, des histoires pareilles. Non. En fait, j'ai connu mieux que
cela. Je pense que le record était 10 000 000 000 $ d'un seul coup.
Je pense que c'est le plus gros montant
que j'aie vu passer. Il faut bien comprendre de quoi il s'agit. Oui, je
me félicite de l'occasion que j'ai de parler publiquement de ce genre de
choses parce que nous sommes effectivement inondés de ces offres. Moins
maintenant. À force de dire non, je pense que les gens ont fini par
comprendre alors j'en ai moins ces temps-ci. Enfin, c'est peut-être que
cela ne remonte même pas à moi et que les gens qui travaillent
pour moi au ministère ne m'en parlent même pas. C'est
possible.
Au fond, finalement, la question se présente toujours de la
même façon: Seriez-vous intéressé à importer
des fonds arabes pour des milliards de dollars à 8% pour 20 ans? Qui
peut avoir l'âme assez basse pour refuser de telles choses? Le
moindrement que vous vous engagez un peu avant là-dedans, vous vous
rendez compte que celui qui vous l'offre exige cependant que, pour des frais de
représentation, des commissions payées à l'avance, des
frais de voyage, la transaction serait considérablement facilitée
si on lui donnait 100 000 $ au départ, avant même que la
transaction soit conclue. Puis, vous mettez 100 000 $ sur la table - je ne l'ai
jamais fait; d'autres l'ont fait - et vous ne revoyez jamais le bonhomme.
De ce genre de truc, il y en a autant qu'on en veut. Quand on demande
l'assurance que les fonds sont quelque part dans une banque ou qu'une banque va
cautionner cela, parfois on a des cautions de banques, mais de banques
bizarres. Par exemple, à l'occasion de la transaction de 10 000 000 000
$ qu'on me suggérait, la banque qui servait de caution à cela -
qui est une banque étrangère - avait un actif total - on a quand
même le moyen de se renseigner - qui était un peu inférieur
à l'actif de la caisse populaire de Saint-Alphonse d'Youville. (14 h
45)
J'ai trouvé d'autres cas. Par exemple, j'ai trouvé des cas
où quelqu'un m'offrait de l'argent et ensuite, trois semaines plus tard,
était amené devant les tribunaux pour fraude dans une autre
cause, etc. Il faut bien comprendre. Ce qu'on peut faire de plus utile, je
pense, chaque fois qu'on se fait harceler par des choses comme
celles-là, quel que soit le côté de la Chambre où on
siège ou quel que soit notre statut dans ce Parlement, c'est de sourire
d'un air serein, de remercier beaucoup et d'en rester là. Je pense que
c'est la seule chose prudente à faire. Si vraiment il y avait de
l'argent très bon marché en très grande quantité,
quelque part dans le monde, par rapport aux conditions actuelles, cela se
saurait.
Il y a une chose que je me permettrai d'ajouter au sujet des taux
d'intérêt très bas sur certains marchés comme, par
exemple, le franc suisse ou le yen. Il ne faut pas oublier non plus que, si ce
taux d'intérêt très bas reflète la perception qu'a
le marché des possibilités d'appréciation de ces monnaies
dans l'avenir, ce sont aussi des marchés qui sont très fortement
contrôlés par leurs gouvernements quant à l'accès
que les étrangers peuvent y avoir. Évidemment, cela permet de
maintenir les taux d'intérêt, j'allais dire, à un niveau
artificiellement bas par rapport à celui qui s'établirait si on
laissait toute la demande internationale entrer sur le marché. Assez
curieusement, ce ne sont pas des pays qui sont considérés, ceux
qui contrôlent leurs marchés comme cela, comme, disons,
socialistes. En Suisse, on se met en ligne. Il y a une queue d'accès au
marché suisse par les emprunteurs étrangers. Vous vous mettez en
ligne, vous attendez que votre tour arrive. Si les conditions ne vous plaisent
pas, à ce moment, vous pouvez sortir de la ligne et vous remettre
à l'arrière. Vous vous mettez en ligne. En Allemagne, c'est la
même chose. En Allemagne, il y a un calendrier. Et vous vous mettez en
ligne pour avoir accès aux marchands deutschemark.
En yens, le ministère des Finances contrôle la ligne de
façon absolument rigoureuse. Non seulement le ministère des
Finances au Japon contrôle l'accès à la ligne, mais,
d'autre part, il contrôle le montant emprunté, c'est-à-dire
qu'on sait que, lorsque, par exemple, les pressions des emprunteurs sont trop
fortes au Japon, le ministère des Finances détermine qu'il va,
par exemple, baisser le montant maximum qu'un emprunteur étranger peut
obtenir. Il faut bien comprendre, ce sont des marchés à
accès limité. C'est une des façons, ce n'est pas la seule
cause... Bien sûr, le jugement qu'on porte quant à
l'appréciation de ces monnaies dans l'avenir est le facteur principal.
Mais l'accès à ces marchés contrôlé par la
banque centrale ou le ministère des Finances, selon les pays, joue un
rôle important quant au maintien du taux d'intérêt à
un certain niveau plutôt qu'à un niveau supérieur.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): J'ai une question dans ce
bloc-ci. Nous avions, ce matin, fait état du profil économique de
l'Ontario et du Québec depuis plusieurs années, qui se
ressemblait à maints égards quant à la vigueur des
investissements et la croissance économique, etc. Donc, on pourrait
présumer qu'en disant cela les données fondamentales qui
permettent d'établir le crédit de l'Ontario et du Québec
seraient, ma foi, assez semblables s'il n'y avait pas autre chose
d'inégal. Évidemment, on doit constater, par ailleurs, que
l'écart entre le taux de rendement offert aux prêteurs par
l'Ontario demeure toujours en faveur de l'émetteur ontarien. Je me
demandais si le ministre pouvait nous faire partager ses opinions, ses
idées quant à lui
sur les raisons fondamentales, encore une fois, de l'écart qu'il
y a entre les taux de rendement offerts par l'Ontario et le Québec. Nous
devons encore payer un peu plus cher que les Ontariens pour des
émissions sur les mêmes marchés.
J'ai beaucoup de difficultés à croire qu'il y a des
facteurs culturels là-dedans. Je vais vous dire franchement que, quand
les gens, que ce soit pour des "bulldogs" ou des américains à 30
ans, font des placements de cette nature, la culture entre très peu en
jeu, quant à moi. Le ministre a déjà évoqué,
sinon lui certainement son collègue, le premier ministre, l'existence de
cinquième colonne et tout ce qu'on veut. Je me demandais si le ministre
ne pouvait pas nous préciser davantage ce qui, selon lui,
détermine l'écart qui existe encore entre les obligations du
Québec et celles de l'Ontario.
M. Parizeau: On me demande d'entrer dans des choses
extrêmement contentieuses. Je ne refuse pas d'y entrer, au contraire.
L'on comprendra cependant que, pour avoir travaillé dans ces affaires
bien avant de devenir ministre, l'opinion que je donne porte à la fois
sur une vie professionnelle et, inévitablement, sur une partie de ma vie
politique. Je suis profondément persuadé, et depuis fort
longtemps, bien avant de faire de la politique, qu'il y a un escompte de la
latinité, qu'il a toujours existé et que le fait que nous soyons,
à Québec, un gouvernement pas comme les autres, cela se paie. Et
si on me demandait un prix là-dessus, je vais utiliser une expression ou
un critère que le député de Vaudreuil-Soulanges
connaît bien, je dirais 30 "basis point" sur le marché
nord-américain, non pas en Europe, non pas au Japon, mais sur le
marché nord-américain, le fait que nous ne soyons pas semblables,
cela coûte probablement entre 20 et 30 points de base sur un emprunt.
J'irais plus loin que cela. À chaque changement de gouvernement,
jusqu'à ce qu'on prenne l'habitude de la Caisse de dépôt et
placement du Québec, des groupes nous flanquaient des dizaines de
millions de dollars d'obligations - je vous rappellerai que, dans ces
années, quelques dizaines de millions de dollars d'obligations
flanquées sur le marché, en 48 heures, cela avait son impact;
c'était beaucoup d'argent -du Québec. Les écarts de taux
de rendement entre le Québec et l'Ontario augmentaient de façon
monstrueuse pendant les premiers jours d'accès du nouveau gouvernement
au pouvoir. Des choses se réglaient ou enfin des conversations qu'il
devait y avoir avaient lieu et les mêmes groupes rachetaient dans les
jours qui suivaient les obligations d'épargne, les obligations du
gouvernement du Québec et les écarts par rapport à
l'Ontario baissaient. On a connu cela longtemps.
L'une des principales victimes de cela a été M. Bourassa,
assez curieusement. Cela a été, bien sûr, le gouvernement
de M. Johnson, en 1966, lorsqu'il est arrivé au pouvoir. C'est
très clair. C'est là que s'est déclenchée la
première fuite de capitaux, mais une des principales victimes, sinon la
principale victime, a été M. Bourassa, lorsqu'il est
arrivé au pouvoir. Pensez que les écarts entre l'Ontario et le
Québec, non pas après les événements d'octobre...
Comprenons-nous bien, après les événements d'octobre,
compte tenu de l'ampleur de la chose, on se serait attendu que les
écarts entre le Québec et l'Ontario augmentent passablement. Non,
non, non. M. Bourassa est élu le 29 avril 1970. En juin, dans le mois
qui suit, ou le mois et demi qui suit, les écarts entre l'Ontario et le
Québec passent à plus de 100 points de base, alors qu'ils
étaient à 45 points au milieu de 1969. Et, alors que les
événements d'octobre éclatent, ces écarts sont en
train de tomber et vont tomber de façon radicale. Au moment des
événements d'octobre, les écarts entre l'Ontario et le
Québec plongent. La crise, sur le plan des milieux financiers, n'est pas
associée aux événements d'octobre. Le pire taux qu'on a,
c'est en juin. Ce coup-là, jusqu'à ce que la Caisse de
dépôt et placement du Québec prenne du muscle, on l'a fait
à chacun de nos gouvernements.
Ce n'est pas facile de vivre dans un cadre comme celui-là. Ce
n'est surtout pas facile de comprendre ce que cela implique comme pressions
à tout nouveau gouvernement qui arrive. La Caisse de dépôt
et placement du Québec nous a évité cela. Remarquez bien
que cela n'a pas empêché, lorsque nous sommes arrivés au
pouvoir, de voir les écarts entre l'Ontario et le Québec
augmenter. En mars 1977, les écarts ne sont pas tout à fait de 80
points de base, mais lorsque nous sommes arrivés au pouvoir, lorsqu'il
apparut clairement que nous allions prendre le pouvoir, quelques jours avant le
15 novembre 1976, j'ai téléphoné à la Caisse de
dépôt pour leur demander ce qu'ils avaient comme liquidité
à court terme. J'ai été accueilli avec un
éclat de rire en disant: Cela va on a quelques centaines de millions de
dollars de liquidité à court terme, il n'y aura pas de
catastrophe. La Caisse de dépôt maintenant le sait, enfin les gens
qui agissent dans cela le savent bien et c'était préparé.
À chaque changement de gouvernement, j'imagine la Caisse de
dépôt maintenant sait qu'on prend X centaines de millions de
dollars de liquidité à court terme et si effectivement le
gouvernement change, on achète ce qui est lancé sur le
marché en reculant un peu de façon que ceux qui vendent sur le
marché prennent une perte. Et au bout de quelques jours, on reprend le
mouvement, on recommence à acheter. C'est pénible et encore une
fois ce n'est pas un phénomène propre à un gouvernement
particulier. On a tous été logés à la
même
enseigne. Il n'y a aucune autre explication que l'escompte à la
latinité pour expliquer cela.
Les gouvernements de Québec, quels qu'ils soient et de quelque
parti politique qu'ils soient, font apparaître des situations
potentiellement dangereuses parce qu'ils ne sont pas pareils. Il y a ce
phénomène. Je ne vois pas comment on peut l'éviter. Nous
vivons avec depuis longtemps. On vivra avec pendant longtemps. Cela ne changera
pas. Tout ce qu'on peut espérer - c'est plus que de l'espoir, enfin
c'est une constatation -c'est que la Caisse de dépôt, qui a
compris | ces choses, se débrouille pour remplir justement une des
fonctions peut-être majeures qu'elle a à remplir,
c'est-à-dire -ce n'est pas la seule bien sûr - d'éviter des
fluctuations complètement aberrantes sur les titres du Québec.
Elle le fait très bien, bravo! Heureusement qu'on a cela, parce que
autrement on serait tous logés à la même enseigne à
laquelle M. Bourassa l'a été ou M. Johnson d'avoir tout à
coup des "spreads" qui augmentent de façon absolument fabuleuses dans
les semaines de l'apparition de leur gouvernement.
Cela est une donnée de base, il faut vivre avec, c'est comme cela
que nous avons vécu et c'est comme cela que nous vivrons. Je ne vois
vraiment pas en vertu de quoi quelque chose changerait dans ce domaine.
Deuxièmement, il arrive que pour des raisons qui n'ont rien de
politique, absolument rien, les écarts s'accroissent entre l'Ontario et
le Québec. Par exemple, il n'y a pas de doute que le niveau du
déficit québécois en 1980-1981 qui a atteint presque 3 000
000 000 $ a été très mal jugé par les milieux
financiers nord-américains.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Merci, M. le ministre.
M. Parizeau: Oui, mais ce n'est pas l'Opposition qui fait les
"spreads". Cela coïncidait avec le résultat des efforts faits par
le ministre des Finances de l'Ontario M. Darcy McKeough - il n'était
plus en poste à ce moment mais la machine qu'il avait mise en place
donnait des résultats - de réduire l'expansion des
dépenses, j'en parlais ce matin, les deux années où
l'expansion des dépenses aux États-Unis. Donc le montant du
déficit des besoins nets en Ontario a baissé
considérablement alors que chez nous il augmentait. Là on voit
les "spreads" augmenter. C'est essentiellement dans le courant de
l'année 1982, à la fin de 1981 si vous voulez et milieu de 1982.
C'est normal d'ailleurs il y a toujours une sorte de décalage entre
l'événement et la perception que le marché en a. Cela, je
dirais, c'est un phénomène normal, compréhensible,
explicable qui n'est pas politique en lui-même et qui est davantage
financier qu'autrement.
Un troisième phénomène, je vous signale que depuis
ce temps les "spreads" ont baissé et qu'à l'heure actuelle nous
agissons habituellement avec des "spreads" par rapport à l'Ontario entre
25 et 30 "basis points" depuis déjà un bon bout de temps ce qui
correspond à quelque chose de tout à fait acceptable. Là
depuis quelques mois nous agissons à peu près au niveau de
l'escompte de latinité. Il n'y a pas de phénomène
financier par-dessus. (15 heures)
Troisièmement, il est possible qu'à certain moment, un
certain nombre d'investisseurs publics décident de faire des tests sur
le marché. Je me souviens par exemple, que quelque part dans les
années soixante-dix, cela peut-être en 1974 ou quelque chose comme
cela, non seulement les "spreads" sont disparus entre le Québec et
l'Ontario mais ils ont été renversés pendant quelques
semaines ou quelques jours, je ne sais pas très bien. Les obligations du
Québec se vendaient avec un rendement inférieur à celles
de l'Ontario. Ô miraclel crie-t-on en regardant comment cette chose a pu
se produire. Cela a pu se produire parce que les fonds de retraite du
gouvernement, les fonds de retraite d'Hydro-Québec et la Caisse de
dépôt se sont donné la main pour voir s'ils pouvaient tous
les trois ensemble - ils voulaient faire le test - par leurs transactions sur
le marché, faire descendre le rendement des obligations du gouvernement
du Québec en bas de celui des obligations de l'Ontario. Ils l'ont fait
pendant quinze jours. Ils ne pouvaient pas tenir, c'est clair, mais le test
avait réussi. Ce qui démontre que c'est faisable, sauf que c'est
amusant sans plus parce qu'on sait très bien qu'on ne peut aller
à l'encontre des éléments fondamentaux dont je parlais
tout à l'heure. Il est donc tout à fait possible qu'en mettant
ensemble tous les fonds de retraite dans le secteur public et la Caisse de
dépôt on puisse, en agitant beaucoup le marché pendant
quinze jours, réussir à réduire ces écarts. On
comprend qu'on s'amuse. On peut le faire. Il est important qu'on puisse
démontrer au moins une fois que c'était faisable, mais cela
n'aurait pas pu durer. Voyez! Trois niveaux, l'escompte de latinité, les
phénomènes financiers, les jugements financiers
véritables, réels, du marché et, de temps à autre,
comme cela, trois ou quatre fonds de retraite qui se donnent la main pendant
quinze jours et qui peuvent provoquer des variations considérables.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Je remercie le ministre de ses
explications. J'aurais simplement un commentaire. Il peut parler de l'escompte
de latinité, j'aimerais mieux appeler cela le coût volontaire de
la différence que tous les gouvernements ont voulu maintenir, le
coût de la différence
dans le niveau des services sociaux, donc les dépenses publiques,
qu'on a voulu instaurer ici. C'est un choix politique qu'un tas de
gouvernements ont fait, les uns après les autres. Le coût de la
différence au point de vue de notre place à l'intérieur de
l'ensemble canadien, le bruit qu'on peut faire en brassant la cage plus que
d'autres. Il est bien évident qu'on peut appeler cela l'escompte de
latinité, mais quand on regarde l'une après l'autre les
manifestations de cette latinité, de cette différence, il faut
bien voir que cela n'échappe pas à l'analyse assez froide des
gens du marché, non plus, qui regardent quel genre de stabilité
à long terme on envisage pour le Québec, quel genre de direction
on emprunte au point de vue du caractère social-démocrate d'une
part, des velléités de gauche, d'autre part. Ce sont aussi des
différences qui n'ont strictement rien à faire avec, à mon
sens, les différences de langue qui peuvent exister entre les
prêteurs et les emprunteurs. De toute façon, le ministre a
chiffré cette différence à 25 ou 30 points de base. Sauf
que ce prix de la différence on le paie à cause de
décisions politiques qui font qu'au point de vue des finances publiques,
on a un plus haut fardeau fiscal. On peut se gargariser tant qu'on veut sur la
diminution qui a eu lieu depuis quelques années, d'après les
chiffres du ministre et ceux de ses collègues de l'autre
côté de la table. Il n'en reste pas moins que l'effort fiscal, la
capacité de taxer d'un gouvernement est une donnée fondamentale
pour un analyste sérieux qui regarde les titres. Même si c'est un
peu théorique à bien des égards, il faut quantifier ces
choses. L'accumulation des besoins financiers nets d'une année à
l'autre, d'un mandat à l'autre d'un tas de gouvernements n'est pas non
plus étranger à un écart dans le taux de rendement qui est
offert au prêteur. En résumé, il ne faut quand même
pas charrier sur le vouloir politique des différents gouvernements comme
l'explication des différences de taux de rendement. Il faut vraiment
voir ce que la volonté politique a déterminé dans le
fonctionnement quotidien ou à long terme des gouvernements, les choix
budgétaires qui ont été faits, les programmes de
dépenses qui ont été adoptés. Cela m'apparaît
de façon beaucoup plus rationnelle que ces données fondamentales
déterminent les 25 ou 30 points de base. Par ailleurs, si on prend comme
modèle les équilibres financiers et budgétaires de la
province de l'Ontario depuis plusieurs années, toutes choses
étant égales, je ne conçois pas que les écarts de
taux de rendement aient pu atteindre ce qu'ils ont atteint dans certains cas.
C'est essentiellement ma réplique plutôt qu'une question aux
propos du ministre, mais je vois qu'il se garde un autre droit de
réplique.
Le Président (M. Lachance): Certainement. M. le ministre
des Finances.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Une alternance...
M. Parizeau: Nous ne sommes pas...
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): ...toujours dans le même
sens.
Le Président (M. Lachance): C'est ce qu'on appelle un
dialogue.
M. Parizeau: Nous ne sommes pas vraiment en désaccord
là-dessus. Il s'agit essentiellement de l'accent qu'on met sur
différents phénomènes. Par exemple, quant au jugement des
marchés financiers, regardons les moyennes trimestrielles d'écart
entre le Québec et l'Ontario en 1963. En 1963, c'étaient les
premières années de M. Lesage. M. Duplessis a remboursé
une bonne partie de sa dette. Sur le plan financier, c'est absolument
remarquable au Québec. M. Duplessis n'a jamais voulu se faire prendre
à nouveau comme il s'était fait prendre en 1939 par le syndicat.
Donc, il n'emprunte pas et il rembourse sa dette. M. Lesage arrive au pouvoir
et recommence à emprunter. En 1963, on part d'une base impeccable, c'est
merveilleux comme situation. On a des écarts entre le Québec et
l'Ontario, au premier trimestre, de 14 points, au deuxième trimestre, de
13 points, au troisième trimestre, de 15 points, au quatrième
trimestre, de 18 points.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): En quelle année?
M. Parizeau: En 1963.
En 1981 nous sommes au pouvoir, les affreux séparatistes font
peur à tout le monde.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): M. le ministre, c'est quel mois
en 1981?
M. Parizeau: Premier trimestre 18, deuxième trimestre 21,
troisième trimestre 15 et quatrième trimestre 31.
Une voix: Cela prend...
M. Parizeau: Entre un gouvernement impeccable sur le plan de
l'unité nationale comme l'était M. Bourassa, impeccable. On n'est
même pas rendu à la crise de la Régie des rentes en 1964,
en 1963 c'est très beau, cela baigne dans l'huile. La situation
financière au Québec, à cause du remboursement de dette
par M. Duplessis pendant treize ans, est absolument extraordinaire. Et nous, au
contraire, en 1981 - ce ne sont pas des blagues - c'est l'année
de l'élection après le référendum. En 1980,
l'année du référendum: le premier trimestre 17 points, le
deuxième trimestre 13 points, le troisième trimestre 14 points et
le quatrième trimestre 17 points, cela est l'année du
référendum.
Puis-je maintenant revenir à ce qui est arrivé à M.
Bourassa? Dieu sait pourtant si M. Bourassa n'arrivait pas au pouvoir le
couteau entre les dents. Qu'est-ce qu'il avait, M. Bourassa? Il était
rassurant pour tout le monde. Il jouait en 1970 ce qu'il cherche à faire
maintenant: Je suis l'individu rassurant. "I will not upset the apple-cart".
Deuxième trimestre de 1970, 102 points. Qu'est-il arrivé? Il est
arrivé qu'il a été élu. Je ne disconviens pas qu'il
y ait des critères financiers, je n'en disconviens pas, je vous dis
simplement qu'il y a une sorte de jugement politique qui s'exerce
régulièrement. Si vous me dites maintenant: Bien sûr, il y
a des critères financiers et il y a une sorte de jugement qui
s'établit de la situation financière du Québec par rapport
à d'autres provinces canadiennes, je n'en disconviens pas. Tout ce que
je vous dis, c'est qu'il faut tenir compte des deux éléments. Il
y a un élément politique dans le jugement qui est apporté
et il y a un jugement financier. Le fait que je mette l'accent sur le premier
ne veut pas dire que je ne considère pas le second comme important. Ce
n'est pas cela, la question; dans ce sens, je n'ai pas de querelle avec le
député de Vaudreuil-Soulanges.
J'aimerais simplement l'amener à repenser à cette question
qu'il y a, dans les écarts entre l'Ontario et le Québec, des
choses absolument inexplicables autrement que par un phénomène
d'ordre rigoureusement politique, une sorte de jugement politique sur une
société qui est différente. Remarquez qu'il y a des
gouvernements qui n'ont jamais voulu subir ce test pour les mêmes
raisons. Le gouvernement du Mexique n'a jamais été coté et
vous me direz: Depuis trois ou quatre ans ce gouvernement a des
problèmes. Je veux bien, il a des problèmes depuis trois ou
quatre ans. Je ne parle pas des trois ou quatre dernières années,
je parle des vingt-cinq dernières années. Il a toujours
refusé l'exercice des cotes en disant: On va se faire avoir. Il a
toujours refusé, même quand il a eu une explosion extraordinaire
de sa production pétrolière; on avait l'impression que l'avenir
était devant lui et que c'était extraordinaire, monumental et
merveilleux; pas de cote du tout.
Il faut tenir compte de ces choses. Il ne faut pas s'en formaliser. Je
vous répète qu'en Europe cela n'existe pas, cette
différence de traitement. Le Québec, en Europe, n'a rien à
envier à quelque province canadienne que ce soit. C'est un excellent
crédit. On n'a pas de "spread" là-bas. Au Japon, pas plus. Au
Canada et en Amérique du Nord, il y a des habitudes qui se sont faites.
Il faut simplement les prendre en toute sérénité, accepter
que c'est comme cela et jouer le jeu de cette façon. Mais quand il y a
des gens qui nous disent: À quoi cela sert, la Caisse de
dépôt? Oh, sur ce plan-là comme sur bien d'autres, je sais
à quoi sert la Caisse de dépôt.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Un dernier petit mot à
caractère technique. Le ministre a utilisé, si j'ai bien compris,
l'écart basé sur la moyenne trimestrielle des taux de rendement
des obligations du Québec et de l'Ontario. Ce sont nécessairement
les taux de rendement offerts sur le marché secondaire...
M. Parizeau: Ah, bien, forcément.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): ...à l'émission?
Ah bon! Voilà!
M. Parizeau: Pourquoi?
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Parce que je me demandais, si
c'est disponible, si c'est l'écart qui existe quant au prix
d'émission à l'intérieur d'une même période
où l'Ontario et le Québec pourraient aller sur le marché.
Cela m'apparaît un peu plus pertinent que ce qu'il y a...
M. Parizeau: Mais non.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): ...sur le marché
secondaire.
M. Parizeau: Ce n'est rigoureusement pas faisable. Pour cela, il
faudrait que nous ayons le même jour une émission de l'Ontario et
une émission du Québec. Or, par définition - c'est un peu
à cela que servent nos syndicats financiers - on ne veut pas tomber le
même jour. Si l'Ontario passe, on ne passe pas. Si on passe, l'Ontario ne
passe pas. Pour avoir des comparaisons valables, il faut prendre le
marché secondaire chaque jour, un gouvernement par rapport à
l'autre. Si on prend les émissions primaires, je ne me souviens pas -
c'est peut-être arrivé à un moment donné - qu'on ait
jamais sorti en même temps que l'Ontario. On fait bien attention à
ne pas sortir en même temps et vice versa, d'ailleurs. Quand on sort,
l'Ontario s'éloigne.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Dans les deux cas, on peut
quand même comparer les taux de rendement offerts par l'Ontario et le
Québec à ceux offerts par les obligations du Canada...
M. Parizeau: Ah oui, les obligations du Canada, bien
sûr.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): ...qui deviennent la base
commune. Ils sont toujours sur le marché ou à peu près
à cause du volume. Ayant une présence sur le marché qui
est considérable, cela m'apparaissait une façon de voir, à
l'égard des prix d'émission, quel pouvait être
l'écart.
M. Parizeau: Non, ce n'est pas possible pour la même
raison. À l'heure actuelle, le gouvernement canadien est constamment
fourré sur les marchés. Forcément, avec son déficit
de 32 000 000 000 $, il ne peut pas l'éviter, mais au cours des
années dont je parle, dont j'ai parlé jusqu'à maintenant,
le Canada ne venait pas si souvent que cela. On oublie qu'au Canada il y a eu
des années de surplus là-dedans. Il y a eu de tout petits
déficits. Donc, c'est exactement la même chose. Quand le Canada
sort, une province ne sort pas. Quand les provinces sortent, le Canada se
débrouille pour ne pas être là. On n'a pas d'autres choix
que de prendre les rendements sur le marché secondaire, mais si on veut
prendre les rendements pour les Canadiens, on arrive exactement à la
même chose.
Dans le cas des écarts entre le Québec et le Canada,
là, il se passe quelque chose de curieux. Par rapport au Canada, le
Québec va atteindre un sommet au moment des événements
d'octobre, mais à l'occasion de l'élection de M. Bourassa
l'écart est déjà de presque 170 points de base au-dessus
du Canada, alors qu'à la fin de 1968 il était de 75. Il est
passé de 75 à 175, parce que M. Bourassa a été
élu. On n'a jamais fait peur au marché comme cela quand on a
été élus, nous autres. Au milieu de 1976, juste avant
l'élection qui nous a portés au pouvoir, on avait 100 points de
base par rapport au Canada. On est élus et on passe à 145 points
de base. Notre élection a amené un sommet à 145 points de
base; l'élection de M. Bourassa, à 175. Il n'y a jamais quelqu'un
qui a fait peur comme M. Bourassa au marché.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): II faut également voir
les taux de rendement absolus. Évidemment, il faut voir les taux de
rendement. On pourrait continuer longtemps. Place à d'autres.
Le Président (M. Lachance): Oui, M. le
député de Sainte-Anne. Cela fait longtemps que vous m'avez
demandé la parole. Vous l'avez.
M. Polak: Merci, M. le Président. M. Laplante: II y
a l'alternance.
M. Polak: Mais vous l'avez eue. Le ministre a pris votre
tour.
Le Président (M. Lachance): M. le député de
Bourassa, je vous reconnaîtrai avec plaisir après. Le
député de Sainte-Anne a demandé la parole et je ne me sens
pas du tout mal à l'aise de la lui accorder à ce moment-ci. (15 h
15)
M. Polak: En passant, vous savez, M. le Président, que mes
questions sont toujours courtes. J'ai trois questions à poser. D'abord,
on a parlé tout à l'heure des obligations d'épargne. Si
j'ai bien compris, le ministre a dit, concernant le taux de 11,75%, qu'il avait
très bien agi comme un bon père de famille et un très bon
administrateur. Mais le 1er novembre, le gouvernement fédéral
sera encore sur le marché. Je n'ai pas encore vu ce qu'ils vont offrir,
ce qu'ils cherchent et quels seront leurs taux d'intérêt, mais n'y
a-t-il pas un danger, si les taux d'intérêt augmentent, que les
gens puissent encaisser ces obligations de 11,75%? Disons que le gouvernement
fédéral donne un taux de 12%... Je ne sais pas. Je n'en ai aucune
idée. Peut-être que vous allez rire en me disant: Je viens juste
de parler avec M. Wilson. Il confirme qu'il vend ses obligations sur le
marché à 11%. Là, vous êtes encore le grand
héros, mais pourriez-vous nous renseigner un peu là-dessus? Sans
trahir des secrets.
M. Parizeau: Vous avez tout à fait raison. Cela m'est
déjà arrivé une fois que le gouvernement
fédéral émette un coupon beaucoup plus élevé
que le mien du mois de juin. Il a été émis à 19%,
vous souvenez-vous? Moi, je l'avais sorti pas mal en bas de cela. Je ne me
souviens plus ce qu'il était.
Des voix: À 16%.
M. Parizeau: Combien? 16,50%.
M. Polak: C'est cela.
M. Parizeau: Je l'avais émis à 16,50% en juin; le
fédéral l'émet en novembre à 19%.
Évidemment, tout le monde au Québec était en train de
convertir. J'ai donc augmenté le mien au niveau de celui du
fédéral pour éviter d'en perdre. Donc, ce n'est pas une
question théorique que vous posez. Cela m'est déjà
arrivé.
À l'heure actuelle, je n'ai pas de secret du nouveau gouvernement
au sujet de ces taux. Le problème se présente un peu de la
façon suivante. Leurs taux, par rapport au marché, sont bas. Il y
a eu beaucoup d'encaissements. Il ne faut pas oublier qu'ils doivent avoir
environ 38 000 000 000 $ d'obligations d'épargne en cours. Alors, le
moindrement que leurs taux sont bas, cela rentre. Les encaissements sont
très considérables. Ils ont deux possibilités pour
l'automne: ou bien d'avoir un taux qui permet simplement non pas
d'arrêter mais de
ralentir considérablement les encaissements et d'avoir une
émission modeste qui comblerait le trou. Ils peuvent probablement avoir
cela autour de 11%.
Si vous me demandez mon jugement, je vous dirais que s'ils sortent avec
un taux de 11%, ils bouchent le trou qui s'est produit par de nouvelles
émissions. Cela ne fera pas une très grosse émission. Cela
ne sera pas un énorme succès, mais cela leur permet de flotter.
Si, d'autre part, ils veulent en vendre bien davantage, alors là, de
deux choses l'une: ou bien ils émettent quelque chose d'inférieur
à 11,75% et, là, il n'y aura peut-être pas d'occasion pour
moi de changer le mien, ou de 11,50% ou quelque chose comme cela, ou bien ils
arrivent à 12%. Alors, là, je serais certain de perdre beaucoup
des miennes. Simplement parce qu'il est avantageux pour le courtier d'aller
voir ses clients et de dire: Écoutez, un taux de 11,75% remplacé
par un taux de 12% est préférable. Peut-être que pour le
client, le fait de passer de 11,75% à 12%, cela ne
l'énervé pas plus que cela, mais, enfin, c'est mieux. Il ne faut
pas oublier que cela donne une commission au courtier. Il y a donc une pression
considérable du courtier. Quand on arrive à des taux presque
équivalents, il y a une pression considérable du courtier pour
faire rouler les obligations, comme on dit. Mais la nature humaine est ce
qu'elle est. Je ne vois pas pourquoi le courtier renoncerait à une
commission.
Mais ce que cela peut m'amener à faire, à supposer que le
gouvernement fédéral émette à 12% et qu'il faille
11,75%, c'est que je "match" - si vous me passez l'expression - son taux.
C'est-à-dire que, voyant son taux sortir, j'annonce le lendemain que les
miens sont à 12,25%. Là, je n'en perdrai pas ou j'en perdrai
très peu.
M. Polak: D'accord. Deuxième question, M. le
Président. J'ai vu sur le graphique no 17 qu'il y a un taux de 24,1% de
la dette obligataire avec un taux d'intérêt variable. Est-ce qu'il
y a maintenant une tendance de plus en plus vers le taux variable? Par exemple,
quand on lit dans les journaux que les pays d'Amérique du Sud ont ces
énormes difficultés de rembourser à cause des
intérêts fixes qui sont très élevés, quelle
est l'expérience du gouvernement, quand on regarde la dette obligataire
au taux d'intérêt fixe - on est censé avoir une moyenne -
en comparaison avec ce qu'on a obtenu en intérêt variable? Est-ce
qu'il y a de plus en plus une tendance vers les taux d'intérêt
variables? Je voudrais savoir également ce que veut dire le taux
variable. Est-ce que cela veut dire le taux du marché plus un certain
escompte?
M. Parizeau: Le taux d'intérêt variable veut
simplement dire que le taux est déterminé par les conditions
à court terme sur le marché. Il y a deux raisons pour lesquelles
notre dette à taux variable est ce qu'elle est actuellement. La
première, c'est que nous avons commencé, surtout au moment
où les taux d'intérêt ont atteint des niveaux
invraisemblables, à émettre des bons du trésor. Le bon du
trésor est émis normalement pour 91 jours. Nous en avons
quelques-uns émis à 181 jours, mais très peu. En fait, nos
bons du trésor donnent lieu à des enchères chaque
mercredi, pour 91 jours. C'est évidemment un taux variable puisque
chaque fois que cela vient à renouvellement, c'est remplacé par
un autre et le taux varie selon l'état du marché financier ce
jour-là.
Deuxièmement, nous avons de très fortes marges d'emprunts
syndicataires. Les emprunts syndicataires sont des emprunts fournis
essentiellement par des banques un peu partout dans le monde. Le leader de
l'emprunt peut être une banque canadienne -c'est habituellement une
banque canadienne. Comme leader, j'ai la Banque nationale dans un cas et la
Banque de commerce dans le deuxième cas, la Banque de la
Nouvelle-Écosse dans un troisième cas et Morgan, une banque
américaine, pour un emprunt moins élevé. Ces banques
souscrivent un montant d'emprunt à conditions variables et redistribuent
cet emprunt auprès d'un très grand nombre de banques: 30, 40, 50
banques dans le monde. Ces emprunts, on s'en sert comme protection.
Admettons que je ne puisse pas faire un emprunt pour 10 ans ou pour 15
ans autrement qu'à des taux de 16% ou 17%, je ne vais pas m'engager
à des taux pareils pour 10 ans. Je vais aller piger dans mes marges de
crédit, dans mes emprunts syndicataires. Les taux de ces emprunts
syndicataires changent. L'emprunt syndicataire peut être passé
pour dix ans, mais le taux qui s'applique au montant qu'on emprunte change tous
les trois mois ou tous les six mois, en fonction des conditions sur le
marché financier. Si les taux sont exorbitants à un moment
donné, je les paie, ces taux exorbitants, mais pendant six mois. Si les
taux redescendent, le nouveau taux sera beaucoup plus bas. Les banques
s'engagent pour des années, par exemple, pour dix ans, mais à un
taux qui varie tous les trois mois ou tous les six mois. Par exemple,
actuellement, j'ai des marges d'emprunts syndicataires disponibles pour le
gouvernement de 2 600 000 000 $. J'adore avoir des ceintures et des bretelles:
je suis allé en chercher 2 600 000 000 $. Au 28 septembre de cette
année, j'en ai utilisé 1 015 000 000 $. Cela, c'est l'emprunt
à taux variable. J'ai à ma disposition, au cas où - on ne
sait jamais - 1 600 000 000 $. Je n'y touche pas; je n'emprunte pas; je sais
que c'est là. La combinaison des bons du trésor et des emprunts
syndicataires, c'est la
base, c'est la quasi-totalité de ce qu'on appelle les emprunts
à taux variable.
M. Polak: Maintenant, le pourcentage...
M. Parizeau: Excusez-moi, j'oubliais que les obligations
d'épargne sont aussi des obligations à titre variable, puisque je
peux en changer le taux selon le marché, dans le sens de ce que je
disais tout à l'heure. Les obligations d'épargne sont comprises
là-dedans aussi.
M. Polak: Ce taux qui peut varier, comme vous le dites, tous les
trois ou six mois, est-ce que dans l'entente dès le début, quand
on va sur le marché pour faire un tel emprunt, il y a un maximum et un
minimum de pourcentage fixé ou si cela va selon le marché?
M. Parizeau: Selon le marché.
M. Polak: D'accord. Ma troisième question: On parlait tout
à l'heure de l'escompte sur le marché canadien, le marché
de l'Amérique du Nord, l'escompte de dignité. J'avais compris que
c'était l'escompte de latinité.
M. Parizeau: Moi aussi. C'est bien ce que j'ai dit.
M. Polak: Donc, je pense que notre porte-parole apprend quelque
chose quand je lui dis avec fierté que l'escompte de dignité
s'appelle aussi l'escompte de latinité. Ce n'est pas seulement moi qui
suis un peu sourd.
M. Parizeau: Non, non. Le mot que j'ai utilisé, c'est
l'escompte de "latinité".
M. Polak: Ah! bon. J'avais compris escompte de
"dignité".
M. Parizeau: Non, non.
M. Polak: Latinité. Vous avez expliqué cette
situation. Maintenant, le Québec fait partie de la
Confédération canadienne - on a déjà un peu cet
escompte-là - est-ce qu'il n'y a pas un danger que cela devienne pire
si, à un moment donné, les hommes de la ligne dure - comme vous
peut-être - qui sont en faveur de l'option souverainiste la plus pure
possible, voulaient changer le régime au Québec? Est-ce que ce ne
serait pas un argument pour dire: ce facteur de nervosité ou d'escompte
de latinité va peser encore plus fort?
M. Parizeau: Ce matin, M. le Président, on faisait
état des prospectus du gouvernement du Québec et on notait - je
ne sais pas exactement pourquoi on notait cela d'ailleurs; ma candeur
peut-être - qu'on disait dans mes prospectus exactement la situation
telle qu'on peut la voir. Je vais reprendre ce qui était cité par
le député de Vaudreuil-Soulanges: En juin 1982 - nous sommes
élus à nouveau depuis un an à peu près -
l'orientation de la prochaine campagne électorale n'est pas
fixée. On ne sait pas très bien comment cela va s'orienter. Tout
ce qu'on met dans notre prospectus, à ce moment-là, c'est: "In
May 1980, le gouvernement du Québec held a referendum on attaining the
political sovereignty of Québec while maintaining a commercial and
economic association with Canada. The result was 40% in favor of the
Government's proposal and 60% against." Pas d'autres commentaires.
À mon premier emprunt - c'était Hydro-Québec - en
juin 1983, les positions se précisent sur le plan politique. On commence
à dire que la souveraineté sera un élément majeur
pour la prochaine élection. On ajoute à la phrase que je viens de
vous lire dans le prospectus: "It is expected that the status of Québec
within the present constitutional framework will be an issue in the next
general election to be held not later than April 1986." C'était en juin
1983.
En juin 1984, je vous signale que le congrès du Parti
québécois adopte la résolution dont tout le monde parle et
sur laquelle je ne reviendrai pas.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges):
Pourquoi?
M. Parizeau: Parce que je tiens pour acquis que tout le monde la
connaît.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges):
Pouvez-vous nous en rappeler le libellé, M. le ministre?
M. Parizeau: Non, je ne l'ai pas avec moi.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): II s'est trompé de
micro.
M. Parizeau: Que se passe-t-il dans le prospectus d'août
1984? On est des gens corrects, nous. On ajoute à la phrase sur le
référendum: "It is expected that the political sovereignty of
Québec - une étape plus loin, compte tenu de ce qui vient de se
produire -will be an issue in the next general election to be held not later
than April 1986." Vous ne pouvez pas dire, hein? On est d'une correction
parfaite à l'égard de nos prospectus. On cherche à
traduire cela au fur et à mesure que cela vient.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): La prochaine
émission.
M. Parizeau: Quel est le résultat? Je viens de placer une
émission de 10 ans et de 30 ans aux États-Unis, qui s'est
très bien vendue. Pas trop vite! Quand je vends une émission
comme cela en une heure, cela veut dire que j'ai payé trop cher. Si cela
prend trois jours à se vendre, cela veut dire que je n'ai
peut-être pas payé assez. Quand cela se vend dans une
journée, une journée et demie, c'est bien et l'essentiel a
été placé. Parfait! Très bien, c'est donc que mon
taux était correct. Sans histoirel Impeccable! Sans cacher quoi que ce
soit. Et puis mes "spreads" à l'heure actuelle? Que voulez-vous? En
1984, par rapport à l'Ontario, sur le marché canadien, ils
étaient à 57; au deuxième trimestre, à 34; en
juillet, à 29 et, au 31 août, à 30. C'est-à-dire que
je suis à peu près au niveau de l'escompte de latinité et
bien en dessous de la plupart des crises qu'on a connues avant. (15 h 30)
Je vous dirai qu'à cet égard, sur le plan politique,
l'important, c'est qu'ils sachent où on va, c'est que ces milieux nous
connaissent bien sur le plan financier, sur le plan économique, qu'ils
sachent ce qui nous arrive, où on va. À partir du moment
où on est très clair avec eux, beaucoup des appréhensions
que certains peuvent avoir quant au changement de statut politique, on se rend
bien compte que cela n'a pas du tout les significations qu'on pourrait
imaginer. Je vous rappelle les taux que je vous donnais en 1980, l'année
du référendum. Les "spreads" entre le Québec et l'Ontario
sur le marché canadien, premier trimestre, 17; deuxième, 13;
troisième, 14; quatrième, 17. Je veux bien qu'on affirme comme
vérité d'Évangile que la souveraineté fait peur aux
milieux financiers. J'ai regardé mes chiffres. Les chiffres sont ce
qu'ils sont. Qu'est-ce que vous voulez? À l'heure actuelle, mes
"spreads" sont à peu près ceux de Jean Lesage il y a 21 ans. Non.
20 ans, en 1964. Soit dit en passant, les taux d'intérêt à
l'heure actuelle sont bien plus élevés qu'à
l'époque de M. Lesage. Alors, 30 points de base aujourd'hui par rapport
à 30 points de base d'écart quand les taux d'intérêt
sont à 5,5% ou 6%, tout ce que cela indique, c'est que les "spreads" en
valeur relative ont encore baissé, et pourtant, les affreux
souverainistes sont encore au pouvoir et ils veulent, n'est-ce pas, dit leur
congrès, que la prochaine élection porte sur la
souveraineté. Cela n'a pas l'air d'énerver grand monde dans les
milieux dont nous discutons depuis deux mois.
Le Président (M. Lachance): M. le député de
Sainte-Anne.
M. Polak: M. le Président, il faut bien réaliser
que ce dont vous parlez maintenant, ce sont des énoncés. Vous
avez ajouté un petit paragraphe après le dernier congrès
du Parti québécois qui parle maintenant de la souveraineté
qui va être le sujet en cause à la prochaine élection.
Évidemment, il ne faut pas oublier - j'imagine bien que ces banquiers
internationaux lisent les journaux et savent ce qui se passe - qu'ils doivent
savoir sans doute que cet énoncé ne semble plus valide.
Apparemment, quand on lit ce qui se passe un peu autour, ici au Québec,
on parle déjà d'une manière de chercher une
fédération renouvelée ou je ne sais quoi. En tout cas, on
ne parle plus du même énoncé. À part tout cela,
comment le ministre peut-il nous assurer, si jamais la journée de la
souveraineté arrivait et pas en simple énoncé, pas en
élection 60%-40% comme au référendum, mais à
l'inverse - par exemple, le Parti québécois gagnerait
l'élection sur ce sujet de la souveraineté - qu'à ce
moment-là, le facteur d'escompte ne changerait pas
énormément pour le pire? J'ai autant le droit de dire cela que
vous avez le droit de dire: Je ne crois pas.
M. Parizeau: Ah non, non, non! Un instant. Mais regardons les
chiffres. Lorsque nous arrivons au pouvoir en 1976 pour la première
fois, nous sommes un élément inconnu sur ces marchés; du
point de vue du député de Sainte-Anne, possiblement dangereux;
troisièmement, potentiellement hostiles. N'est-ce pas? Les écarts
entre le Québec et l'Ontario montent moins que quand M. Bourassa a
été élu. En 1980, le député de Sainte-Anne
reconnaîtra qu'il fut un temps, singulièrement juste après
le débat à l'Assemblée nationale sur la question
référendaire, où, de son côté, certains
pouvaient probablement appréhender que nous gagnions. Il s'en est fallu
de peu, hein? Je comprends que cela a viré à un moment
donné, mais, de l'autre côté de la Chambre, il y en avait
qui avaient une sainte frousse qu'on le gagne notre référendum.
La preuve, c'est tout le monde qu'ils ont été cherché pour
les appuyer. Pourtant, cette année-là, les écarts entre le
Québec et l'Ontario n'ont jamais été aussi bas, sauf
peut-être, encore une fois, les premières années soixante
dont je parlais tout à l'heure. Il faut donc reconnaître que les
chiffres sont là. Qu'est-ce qu'ils indiquent? Pas que le
député de Sainte-Anne peut affirmer quelque chose dans un sens et
moi affirmer le contraire. Le député de Sainte-Anne peut affirmer
quelque chose. Moi, je peux affirmer le contraire, mais j'ai les chiffres avec
moi. C'est une nuance importante.
M. Polak: Par exemple, le changement de statut à Hong
Kong, une histoire sauvage sans doute, mais le Québec essaie de
bénéficier maintenant d'une énorme fuite de capitaux des
gens de Hong Kong, vers, précisément, des pays comme le Canada
et
la province de Québec également. En huit, neuf ou dix ans,
l'accord entre la Chine et l'Angleterre aura son effet. On n'a pas un simple
énoncé de cela. On sait que d'ici dix ans telle et telle chose
arriveront. En considérant cet événement qui aura lieu
dans neuf ou dix ans, il y a déjà une fuite de capitaux. Tout ce
que je voudrais dire c'est que je comprends que le chiffre que le ministre a
mentionné tout à l'heure doit avoir une certaine valeur mais -
j'ai déjà entendu dire que si on avait un changement de
système, si on avait, par exemple, un Québec totalement
souverain, sur le plan de la dette de la province de Québec et la
possibilité d'offrir des emprunts partout dans le monde, il n'y aurait
aucun changement, que cela ne serait pas plus difficile. Je crois que j'ai
autant le droit de dire que cela pourrait être l'inverse.
M. Parizeau: M. le Président, oui et non. Il y a quelques
petites nuances entre Hong Kong et le Québec que j'aimerais souligner.
Entre le gouvernement chinois et le nôtre, il y a quelques distinctions
à établir. D'abord, il a une armée; nous n'en avons pas.
Dans ce coin du monde, on craint parfois certaines armées. Il a des
camps de rééducation; nous n'en avons pas. Il a un système
politique un peu astreignant que nous n'avons pas. Il a refusé de
s'engager sur quelque précision que ce soit à l'égard des
élections à Hong Kong et de la nomination des autorités
publiques à Hong Kong. Je pense que nous faisons la démonstration
d'une certaine démocratie dans nos façons de procéder,
n'est-ce pas? Dans ce sens, si j'avais, comme prêteur suisse, à
porter un jugement entre l'occupation de Hong Kong par l'armée chinoise
et l'apparition au pouvoir des souverainistes à Québec, je pense
que, comme banquier suisse, j'établirais une petite distinction. Petite,
bien sûr.
M. Polak: M. le Président...
M. Parizeau: Une dernière observation là-dessus.
Écoutez! Lorsque, dans l'Opposition, je faisais des discours pour le
compte du Parti québécois, invariablement, on mettait mon
discours - parce qu'on est correct dans ce pays; on rapporte toujours ce qui
s'est passé - à côté d'une photographie d'enfant
étripé au Biafra ou, quand on ne trouvait pas quelque chose de
majeur de cet ordre, à côté au moins d'un accident d'auto.
L'important c'est de relier cela à la violence. Enfin, après
toutes ces années, après huit ans - "for the devil you know is
better than the devil you do not know" - on nous connaît un peu.
L'idée du péquiste avec le couteau entre les dents, non. Vous
comprenez, les milieux financiers, comme tous les milieux d'ailleurs, ont
légèrement évolué.
Une voix: II est resté chez les libéraux.
M. Polak: M. le Président, le ministre est d'ailleurs un
très bon acteur aussi, vous savez, quand il prend la comparaison Hong
Kong-Québec. Cela n'est pas seulement sa peur de relever une phrase
parce que ce que j'ai voulu démontrer c'est que le facteur
psychologique... J'aurais pu prendre l'exemple de la France avec le
système socialiste. Excusez-moi. J'aurais pu prendre l'exemple de
l'Italie. Quand je parle de fuite de capitaux et quand on parle de la France,
on ne parle pas de Hong Kong au point de vue de l'armée qui
contrôle, qui occupe le pays.
Une voix: La Hollande.
M. Polak: Non, pas la Hollande parce qu'on n'a jamais eu ce
problème. Mais, certainement, en Italie et en France on a ce
problème à un moment donné d'une sorte de facteur
psychologique.
Ce que je voudrais dire c'est qu'on se souvient qu'en 1976, avant
l'élection où le Parti québécois a pris le pouvoir
ou tout de suite après - il n'y a pas de doute que le ministre est au
courant du fait - il y a eu une fuite de capitaux. À tort ou à
raison, c'est cela. On avait parlé de cela.
Tout ce que je voudrais établir, c'est que cela ne devient plus
une formule mathématique de regarder les statistiques de ceux qui
possèdent un poste. C'est vrai que cela nous aide un peu mais, tout de
même, c'est un facteur qui est très difficile à calculer.
C'est tout ce que je voulais faire comme point.
M. Parizeau: M. le Président, cette question de la fuite
des capitaux, je voudrais en dire quelques mots parce que, au fond, c'est une
sorte d'épée de Damoclès sous laquelle vit cette
société depuis des années. Lorsque M. Daniel Johnson est
arrivé au pouvoir, je pense qu'il a été placé en
face de la première chose qu'on a appelée une fuite de capitaux.
Nous n'avions pas encore beaucoup l'habitude de la Caisse de dépôt
à ce moment. Sous les coups répétés dans l'opinion
publique d'un certain nombre d'hommes politiques et d'hommes d'affaires de
Montréal, on a fait croire qu'il y avait une fuite de capitaux et
pendant plusieurs mois on n'a parlé que de cela. Il a fallu, à un
moment donné, sortir les résultats quotidiens du "trading desk"
de la Caisse de dépôt pour se rendre compte à quel point
cela avait été une histoire montée de toutes
pièces. Pendant tous ces jours de la fameuse fuite de capitaux - on s'en
est rendu compte après, on n'avait pas l'habitude, et moi je prends ma
part de responsabilité là-dessus, cela a pris un certain temps
pour comprendre comment fonctionnent ces instruments - il n'y a eu aucun
mouvement
sur les obligations du Québec pendant tout ce temps de la
soi-disant fuite de capitaux. Il n'y a pas eu de ventes anormales. Il n'y a pas
eu de recul sur le plan des obligations.
Lorsque nous arrivons au pouvoir - je passe sur d'autres épisodes
parce qu'il y a eu bien d'autres menaces de fuites de capitaux - il y a fuite
de capitaux, dit-on. Surtout quand il s'agit de chiffres d'investissements, on
les a toujours plus tard. Cela prend un certain temps pour les avoir. On va
reprendre les chiffres d'investissements auxquels tient tellement M. le
député de Vaudreuil-Soulanges. En 1977, 21,4% du produit
intérieur brut québécois a été investi
contre 18,7% en Ontario. Si vous voulez parler de l'année
précédente, c'était 21,1% au Québec et 19,1% pour
l'Ontario. 21,4% au Québec, 18,7% en Ontario. L'année suivante,
19,4% au Québec, 18,1% en Ontario. En 1979, 19,2% au Québec,
18,1% en Ontario. En 1979, 19,2% au Québec, 17,6% en Ontario. Où
est-elle la fuite des capitaux?
Si vous me parlez de l'histoire de la Brink's et des images, c'est une
autre paire de manches. J'ai regretté, au moment de l'histoire de la
Brink's en 1970, une chose: C'est que le bonhomme qui a inventé cela
n'ait pas travaillé pour moi. C'était brillant, s'adresser
à des Québécois qui, singulièrement à cette
époque, ne savaient pas ce que c'était que des actions pour la
plupart d'entre eux, qui commençaient seulement à en acheter. On
a paniqué les classes moyennes avec des images. Il y a deux groupes de
Québécois, en 1970, sur l'affaire de la Brink's qui n'ont pas
bougé. Les bénéficiaires de l'aide sociale parce qu'ils ne
savent pas ce que c'est qu'une action et ils n'en ont jamais eu, et les gens
d'Outremont et de Westmount qui savent que c'est simplement un
aide-mémoire le certificat d'actions. Vous pouvez en déplacer des
"trucks", si vous voulez. Cela ne change rien au fait que votre nom est inscrit
dans le registre de la compagnie.
Vous pouvez allumer une cigarette avec un certificat d'actions et dire
à votre secrétaire le lendemain d'en demander un autre pour le
remplacer. Déménager des stocks de certificats d'actions,
c'était une image sensationnelle à l'égard de toutes ces
classes moyennes québécoises. Je l'ai vu dans mon comté.
Dieu sait si c'était un comté de classe moyenne, Ahuntsic,
à ce moment. On a paniqué le monde en jouant sur la confusion
entre le papier et la réalité. C'était brillant sur le
plan politique. Seulement, si on s'imagine que cela a quelque
conséquence politique que ce soit sur l'économie, "bull's-eye".
Ce n'est pas sérieux, ce genre de truc.
Néanmoins, cela fait 20 ans qu'on tient cette
société québécoise sous la menace de soi-disant
fuites de capitaux contredites par les chiffres réels, mais qu'on
applique à chaque gouvernement l'un après l'autre. Ceux qui,
à l'heure actuelle, cherchent à contribuer à renforcer
cette épée de Damoclès font un bien mauvais calcul parce
que, si jamais ils arrivent au pouvoir, cela va jouer dans leur cas exactement
de la même façon et par les mêmes gens à part cela.
La fuite de capitaux, c'est la façon de tenir le Québec et
singulièrement le Québécois francophone tranquille. Qu'on
me trouve des chiffres qui indiquent cela. Si vous me dites, d'autre part, et
je terminerai là-dessus, est-ce que, par exemple, dans
l'hypothèse où le Québec deviendrait un pays souverain il
serait important dans les semaines ou les mois qui suivent d'être capable
de contrecarrer sur les marchés toute espèce de mouvement
à court terme et de mouvement de nervosité sur l'achat et les
ventes d'obligations? oui, bien sûr, il faut prendre des
précautions à cet égard.
Pourquoi pensez-vous que j'ai des lignes de crédit pareilles en
emprunts syndicataires? Moi, je veux être capable en tout temps, si
à un moment donné des gens commencent à s'exciter et
à s'énerver et à brasser du papier, d'être capable
d'annuler cela. Pour cela, j'ai besoin de gros emprunts syndicataires. C'est
pour cela que je les ai. Je ne l'ai jamais caché, d'ailleurs. Seulement,
il ne faut pas confondre des mouvements comme ceux-là avec la
réalité des choses. (15 h 45)
Le Président (M. Lachance): M. le député de
Bourassa, vous avez maintenant la parole.
M. Laplante: Vous en avez assez là?
M. Polak: J'ai seulement une dernière question à
poser, parce que le ministre vient de dire quelque chose que je n'ai pas bien
compris. Vous dites que vous avez des fonds en réserve au cas où
la journée de la victoire arrive et qu'il y a de la nervosité
temporaire. Ces fonds sont-ils en réserve seulement dans ce but ou
a-t-on besoin de ces fonds généralement pour le fonctionnement du
Québec?
M. Parizeau: À tous égards, il faut toujours
singulièrement dans le monde où on vit à l'heure actuelle
avoir des réserves de cette forme. Tous les gouvernements prudents en
ont. Cela peut venir de différentes façons. Je ne vous cacherai
pas qu'à un moment donné, lorsque les taux d'intérêt
sont montés, lorsque le "prime rate" est monté au-delà de
20%, j'ai eu des sueurs froides. Il ne restait plus grand-chose du
marché des obligations à long terme et même à moyen
terme. Ce n'était pas facile d'emprunter pour n'importe quel
gouvernement. Il faut avoir des réserves comme celles-là au cas
où. Il peut arriver
énormément de choses. Dans la vie des peuples et des
gouvernements, il peut arriver n'importe quoi. Dans ce sens, il faut avoir
invariablement des ceintures et des bretelles. Tout gouvernement prudent
devrait constamment en avoir. Je vous signale, par exemple,
qu'Hydro-Québec a, depuis des années - de mémoire, cela
fait peut-être dix ans - 1 500 000 000 $... Est-ce 1 000 000 000 $ ou 1
500 000 000 $?
Une voix: C'est 1 300 000 000 $.
M. Parizeau: 1 300 000 000 $ d'emprunts syndicataires comme cela.
Elle n'y touche à peu près jamais, mais un cas où,
à un moment donné, des marchés conventionnels
d'obligations fléchiraient ou s'arrêteraient, elle a cela. C'est
la règle de prudence élémentaire de tout gouvernement.
M. Polak: Merci, M. le Président.
Le Président (M. Lachance): M. le député de
Bourassa.
La nouvelle taxe fédérale et les ventes
au détail
M. Laplante: Actuellement, quel est le taux
d'intérêt des bons d'épargne?
M. Parizeau: II est de 11,75%.
M. Laplante: II est de 11,75% actuellement. J'en ai. Je voulais
savoir s'ils étaient performants.
Le gouvernement fédéral, sous l'ancien régime, a
porté la taxe sur les matériaux de construction de 5% à
6%. Le nouveau gouvernement a été obligé de mettre cela en
vigueur depuis le 1er octobre. Quel effet cela pourra-t-il avoir sur la
construction au Québec?
M. Parizeau: Je ne pense pas que ce soit suffisamment important
pour avoir un impact significatif sur le volume de la construction. Ce qu'il y
a d'embêtant dans une taxe comme celle-là - c'est simplement
embêtant - c'est que cela va avoir un impact sur le coût de la vie,
sur l'indice du coût de la vie, parce que ce 1%, il n'est pas comme notre
taxe de vente au détail en bout de course; il est au niveau du
manufacturier. Donc, le grossiste va prendre son pourcentage sur le 1% et le
détaillant va prendre son pourcentage sur le 1%. Cela va avoir sur le
taux d'inflation, d'ici à la fin de l'année, un impact qui n'est
pas très agréable. C'est le coût de la construction qui va
être affecté, pas suffisamment, je pense, pour que cela puisse
avoir un impact considérable sur le volume, mais l'impact sur le
coût va être indiscutable, et c'est vrai d'autres taxes de vente.
Ce que cela va coûter à l'ensemble des Québécois
sans ajustement au coût de la vie, seulement l'impact direct qu'on peut
voir de cette taxe, c'est 75 000 000 $, en 1984-1985, 225 000 000 $,
l'année suivante et 250 000 000 $, en 1986-1987. Ce sont des hausses de
taxe fédérale que les Québécois dans leur ensemble
vont avoir à assumer. C'est cela le coût de cette taxe. Mais je
vous répète qu'il y a des aspects indirects dont il faut tenir
compte. Par exemple, dans nos conventions collectives, nous payons pour
l'année prochaine l'inflation moins 1,5%. Si cela a un impact sur
l'inflation de 0,5%, on va payer plus en augmentation de salaire qu'on n'aurait
payé sans cette taxe. Si on prend 0,5% seulement à titre
d'hypothèse, c'est 65 000 000 $ de fonds publics qu'on va avoir à
payer en plus et en plus des montants que je viens de signaler.
M. Laplante: Cela a une portée assez grande.
M. Parizeau: Cela a une portée plus grande qu'on ne le
pense.
M. Laplante: À quoi attribuez-vous actuellement
l'augmentation des ventes qu'il y a au Québec comparativement à
celle des autres provinces. On dit que notre taux de performance est encore
supérieur dans les ventes au détail.
M. Parizeau: Les ventes au détail au Québec vont
très bien, remarquablement bien. Il n'y a pas de doute qu'on va tirer...
Je pensais, dans le discours sur le budget, avoir été vraiment
à la limite de ce que je pouvais mettre comme projection d'entrée
de taxe de vente, mais je me rends compte que ce sera probablement insuffisant,
on en fera encore davantage. Cela vient essentiellement de ceci. C'est une
question dont on discute à la préparation du discours sur le
budget; on en discute toujours beaucoup entre nous. C'est toujours difficile de
faire des projections. Le Québécois épargne
énormément, en tout état de cause, et tout le temps. Mais
à l'occasion de la récession qui nous a frappés avec la
sévérité qu'on connaît, il y a eu une telle frousse
dans le public de perdre son emploi que les gens ont remboursé leur
dette, ont cessé d'acheter des biens de consommation, ont réduit
considérablement leur demande de biens de consommation et le taux
d'épargne au Québec est monté à un niveau qu'on
n'avait jamais vu. Le taux d'épargne a dépassé 15% ou
quelque chose comme cela, au-dessus de la moyenne canadienne et deux fois et
demie le taux d'épargne aux États-Unis. Cela a été
absolument étonnant comme phénomène. Depuis ce temps,
depuis l'année 1982, mon problème à la préparation
de chaque budget est le suivant: il va tomber, le taux
d'épargne, mais de combien? Effectivement, il est tombé.
Aujourd'hui on est en train de se dire qu'il est tombé plus que je ne
l'avais prévu et, maintenant, le problème est qu'il peut tomber
encore beaucoup. Il est parti de tellement haut, il peut tomber. D'autre part,
l'arrêt des achats de biens durables de consommation en 1982 - la fin de
1981, 1982 et une partie de 1983 - fait que les besoins en biens durables de
consommation sont proportionnellement plus élevés. Quand vous
achetez aussi peu d'automobiles pendant un an et demi, cela entraîne un
vieillissement considérable du parc d'automobile. Quand les gens
changent, il changent tous en même temps. Ajoutez à cela les taxes
sur l'essence. La combinaison du vieillissement du parc et des taxes sur
l'essence, cela a amené un renouvellement de la flotte automobile
extraordinaire. Je suis certain que c'est lié justement à ce
renversement du taux d'épargne. C'est tout à fait clair. Ce sera
exactement la même chose pour le prochain budget, je m'attends bien qu'il
continue de baisser, mais de combien? Un peu? Beaucoup?
M. Laplante: Pouvez-vous voir dans vos prévisions combien,
en pourcentage, de produits québécois sont favorisés dans
cette augmentation des ventes? Pouvez-vous le voir par...?
M. Parizeau: L'augmentation des...? M. Laplante: ...des
ventes.
M. Parizeau: Non, je ne l'ai pas sur cette base. Comptez
cependant...
M. Laplante: II y a un nombre d'emplois au bout, c'est pour
cela...
M. Parizeau: ...que nous n'avons qu'une seule usine d'automobiles
et que les ventes d'automobiles représentent environ 30% de la
matière taxable, quelque chose comme cela, c'est cela. Les ventes
d'automobiles représentent environ 30% de l'assiette de la taxe de
vente. On n'en profite pas beaucoup sur le plan de l'industrie
québécoise; sauf pour une usine, celle de General Motors, tout le
reste est fait ailleurs.
En ce qui a trait à d'autres produits, un à un: textiles,
meubles etc., je n'ai jamais fait le partage, d'ailleurs je ne pense pas qu'on
puisse le faire statistiquement.
M. Laplante: J'ai une dernière question qui me
préoccupe. J'ai eu affaire cette semaine à des gens qui
travaillent dans l'industrie de la chaussure. Une importante fabrique de
chaussures de Montréal essaie actuellement de vendre son industrie
à condition que les employés révisent leur contrat de
travail, sinon on ferme l'industrie.
Vous a-t-on demandé votre appui pour essayer de faire diminuer
les quotas d'importation? On attribue directement à l'importation
l'arrêt de la production. Avez-vous eu de nouveaux échos à
ce sujet?
M. Parizeau: Non. Je n'ai pas eu d'écho récent sur
cette question. Il est tout à fait possible que le ministère de
l'Industrie, du Commerce et du Tourisme en ait reçu. Je ne vous cacherai
pas cependant qu'aucune de nos industries, je pense, ne peut, à long
terme, vivre avec l'assurance de quotas. Le quota doit être un
phénomène de transition. Dans toutes nos négociations avec
les pays étrangers, on peut très difficilement - en fait, on ne
peut pas - leur dire: Voici les secteurs qui vont être en permanence
protégés par les quotas. Ou alors, on le paie très cher en
ce sens qu'ils disent: Écoutez, si vous faites cela à
l'égard de nos produits, vous allez voir ce qui va arriver aux
vôtres.
Ce n'est pas vrai qu'il n'y a pas moyen de négocier des
arrangements de transition avec un bon nombre de pays. Par exemple, sur le
textile, les arrangements de quotas volontaires négociés avec
l'Asie du Sud-Est, cela a donné quand même des résultats
qui sont loin d'être négligeables, sauf qu'il ne faut pas leur
donner l'impression que c'est comme cela pour toute l'éternité.
Le problème de la chaussure, c'est que d'abord, ils ont eu un quota.
Quand le quota est venu à échéance, la transition
n'était pas suffisamment faite. Ils en ont demandé un
deuxième - et je pense qu'ils avaient raison d'en demander un
deuxième - et nous, on a appuyé un deuxième quota et je
pense qu'on avait raison de l'appuyer. Mais il faut absolument faire comprendre
à ce secteur que cela doit virer petit à petit, que sur le plan
de la productivité, sur le plan des conditions de travail, sur le plan
du marketing, il faut qu'ils virent tranquillement. La seule chose que les
gouvernements ne pourront jamais faire - pas plus le nôtre que n'importe
quel autre, dans l'hypothèse où on est un pays souverain, ou le
gouvernement fédéral, dans l'hypothèse où on reste
encore dans la Confédération canadienne - c'est de donner
l'assurance a un secteur industriel: Vous les avez; vous allez les garder pour
toute l'éternité et organisez-vous en fonction de cela. Ce n'est
pas possible.
Je n'ai rien d'autre à dire au-delà de cela. Quant
à des représentations récentes, non, je n'en ai pas
eu.
Les
coûts d'intérêt
Le Président (M. Lachance): Avant de céder la
parole au député de Vaudreuil-Soulanges, j'aimerais poser une
question au ministre des Finances. Cela concerne le coût des
intérêts. Ce sera très bref. Dans votre
budget du mois de mai, M. le ministre, vous avez prévu un
pourcentage de coûts d'intérêt basé,
évidemment, sur ce que vous prévoyez être. D'abord, il y a
eu une hausse et cela a diminué légèrement par la suite.
J'aimerais savoir si, à ce moment-ci, vous pouvez nous indiquer de
combien de millions cette hausse peut être sur une base annuelle,
c'est-à-dire sur la base budgétaire du 1er avril au 31 mars
1985.
M. Parizeau: Bon! D'abord, reconnaissons que les données
mensuelles ou trimestrielles ne sont pas significatives de l'année,
parce que comme nous payons des tas d'obligations - les intérêts
aux six mois -ce n'est pas réparti par douzièmes. Pour
l'année entière, on est toujours à 138 000 000 $. Lorsque
la synthèse a été préparée, nous roulions
sur une base annuelle à 149 000 000 $ d'intérêts de plus
que ce qui avait été prévu à l'occasion des
crédits, seulement à cause de l'augmentation des taux
d'intérêt sur le marché, ce qui a été
corrigé depuis la légère hausse qu'on a connue à
peu près à 138 000 000 $.
On se comprend bien là. On roule actuellement à 138 000
000 $ sur une année entière. Selon ce qui arrive aux taux
d'intérêt, à la baisse ou à la hausse, on
révise notre projection de l'ajustement régulièrement.
Mais actuellement, si la situation qu'on voit se maintient jusqu'à la
fin de l'année, cela nous aura coûté en un an 138 000 000 $
de plus que ce qu'on avait prévu dans les crédits
généraux.
Le Président (M. Lachance): Merci. M. le
député de Vaudreuil-Soulanges.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): M. le Président, ce
serait ma dernière intervention, je pense bien, sous réserve,
évidemment, des réponses possibles du ministre. Dans la mesure
où dans le cadre de la commission, on a parlé des investissements
de façon très générale ou très large, cela
m'apparaît un peu le mandat de la commission, la politique d'emprunt, y
compris la latinité et la dignité et autres aspects qui ont une
influence directe sur l'évolution en gros des équilibres
financiers du gouvernement. Car ce qui donne lieu à notre commission,
c'est un peu la publication trimestrielle des états financiers, la
synthèse des opérations financières. Cela permet de nous
accrocher à quelque chose. On pourrait également s'accrocher
à tous les postes possibles et imaginables qu'on retrouve dans cette
synthèse. Théoriquement, il ne serait pas exclu que l'on puisse
demander à plusieurs ministres de parader ici et de nous expliquer
pourquoi ils ont dépensé, dans le premier trimestre, 18 500 000 $
de plus, qu'ils ne le croyaient, mais on n'en sortirait pas, c'est bien
évident. Sauf qu'il y a deux ou trois questions d'importance
inégale que j'aimerais soulever à ce moment-ci. Je m'alimente
directement dans les états qui sont étalés ici.
Le premier, à la page 14, dans le tableau des états des
opérations financières, les nouveaux emprunts, c'est de la
curiosité plus qu'autre chose. Autres emprunts en monnaie du Canada, le
dernier tout à fait, 1 400 000 $, à 8,5%. Mais, étant
donné qu'il a été émis à escompte, le taux
de rendement est de 16,29% pour le détenteur ou l'acheteur. Je me
demandais de quoi il s'agissait. J'étais extrêmement
étonné, dans un document où il y a des milliards de
dollars qui se promènent, de voir un emprunt ou un billet, apparemment,
avec diverses échéances, de 1988 à 1992, pour un peu plus
de 1 000 000 $. Je trouvais vraiment que cela aurait presque dû
disparaître en arrondissant les chiffres, mais il est encore là.
J'étais étonné de voir cela.
M. Parizeau: Nous avons émis un emprunt à 8,5%,
qu'on appelle un "deep discount". Le montant de 1 400 000 $ est la
capitalisation de l'intérêt pour cette période, sur le
"deep discount".
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): II doit y avoir une valeur
nominale sur cette émission ou sur ce billet qui a été
émis.
M. Parizeau: C'était un billet de 50 000 000 $ émis
à 8,5%. Alors, on a reçu 33 400 000 $. C'était un "deep
discount" sur un billet de 50 000 000 $. On amortit le "deep discount".
Revenus provenant de la SAQ
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Une autre question
spécifique. Cela me frappe toujours de voir que le ministre des Finances
bénéficie de rentrées de fonds, dans la mesure où
on bénéficie, comme gouvernement, du vice de nos concitoyens,
notamment les loteries et courses, pour un montant de 250 000 000 $; la
Société des alcools, 355 000 000 $.
C'est sur ce dernier chiffre que j'aimerais m'attarder quelques instants
sur le montant de 355 000 000 $ de la Société des alcools du
Québec qui vient encore d'ailleurs d'annoncer une légère
augmentation sur certains de ses produits, du raisin. Ce qui me frappe, c'est
que la monnaie canadienne - le ministre va comprendre - ayant quand même
connu une hausse considérable par rapport à certaines devises
européennes - je pense à la lire et au franc français -
depuis deux ans, sachant qu'une grosse portion des fournisseurs de la
Société des alcools se trouve en pays où on transige en
francs français et en lires italiennes, sachant que, depuis deux ans ou
à peu près, de mémoire,
l'appréciation du dollar canadien par rapport au franc
français est de l'ordre de 24% ou 25%, il me semble, je trouve
invraisemblable que la Société des alcools nous annonce encore
une fois des hausses de prix sur des produits dont la matière
première, qui constitue quand même une partie de ses coûts,
merci - peut-être pas aussi considérable que les gens penseraient
parce qu'il y a beaucoup d'impôts à payer là-dessus...
À mon sens, elle continue à nous prendre pour des caves.
Mais, évidemment, elle se rend particulièrement populaire
auprès du ministre des Finances. Il y avait une portion de cette
augmentation qui tenait à l'indexation récente des taxes d'accise
fédérales sur l'alcool. Je veux bien. Mais quand on parle des
0,20 $ ou des 0,25 $ par bouteille sur des produits... On parle d'inflation. Je
viens d'expliquer que la monnaie canadienne a connu une appréciation de
25% par rapport au franc français, cela annule largement l'inflation. Je
voulais savoir du ministre jusqu'à quel point il continue à
souhaiter que les profits de la Société des alcools alimentent
son trésor. Si oui, quel en est le coût politique pour le ministre
de l'Industrie, du Commerce et du Tourisme?
M. Parizeau: M. le Président, d'abord, je n'aime pas
beaucoup l'expression qu'utilise le député de Vaudreuil-Soulanges
en parlant des vices des Québécois. Je n'ai jamais
considéré les activités de loterie ou celles de la
Société des alcools comme étant des vices. Cela fait
partie des simples plaisirs de l'existence et je ne vois vraiment pas en vertu
de quoi on porterait un jugement pareil sur nos compatriotes.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Ha!
Ha! Ha! Ceci dit...
M. Parizeau: Oui, cela dit, la question soulevée par le
député de Vaudreuil-Soulanges en est une qui est assez
sérieuse. Je veux bien croire que je demande de temps à autre
à la Société des alcools d'augmenter son dividende. Bon!
Cela me paraît dans l'ordre. Je veux bien que le gouvernement
fédéral ait changé ses formules de taxe d'accises et que
cela implique des augmentations de coût. Or, il reste que le
phénomène dont fait état le député de
Vaudreuil-Soulanges, quant à la dépréciation de certaines
monnaies européennes qui ont une très très grande
importance quant au rendement de la SAQ, me paraît une question tout
à fait bien posée.
Je n'ai pas la réponse à la question qu'il pose pour la
raison suivante: je me la suis posée aussi et j'ai demandé qu'on
aille regarder cela d'un peu plus près. Je veux bien que, lorsque des
augmentations apparaissent comme cela a été le cas cet
été, tout le monde de la Société des alcools fasse
des déclarations auprès d'à peu près tous les
journalistes disponibles pour dire: Cela doit être encore le dividende du
ministre des Finances. Mais, enfinl D'abord, la Société des
alcools ici, sur une base per capita, cela rapporte moins qu'en Ontario.
J'exclus la bière en Ontario. Je comprends que l'Ontario Liquor Board
distribue la bière aussi, mais, si on enlève les profits de la
bière, il reste que c'est plus rentable en Ontario que ce ne l'est ici.
J'ai de la difficulté à comprendre et à saisir pourquoi
-récemment en particulier - depuis les dépréciations
additionnelles dans les taux de change, cela ne se reflète pas davantage
dans les prix.
À cet égard, je n'ai pas grand-chose à ajouter
à la question du député de Vaudreuil-Soulanges, sauf de
répéter le fait que les interrogations qu'il a, je les ai aussi.
J'ai cependant un moyen qu'il n'a pas, c'est-à-dire d'aller savoir
exactement ce qui se passe. La commande est passée. Vraiment, j'ai de la
difficulté à saisir, surtout à l'égard du taux du
franc français. Écoutez, c'est quand même... Le virage dans
la valeur du franc français depuis deux ans est spectaculaire. C'est
absolument étonnant. Cela devrait quand même se traduire en
dépit des appétits du ministre des Finances, en dépit du
fédéral ou du provincial; cela devrait se traduire davantage.
Alors, on est en train d'examiner cela.
M. Laplante: N'y a-t-il pas une inflation dans le coût des
bouteilles là-bas?
M. Parizeau: C'est tout à fait possible. Je ne porte pas
de jugement de valeur. Peut-être que certains producteurs français
ont profité de la diminution du taux de change et de la très
forte demande de vins français pour augmenter leurs prix. Pour le
moment, je ne cherche pas à porter un jugement. Je pense qu'il faut
regarder cela d'un peu plus près, parce que la question du
député de Vaudreuil-Soulanges en est une de sens commun. Cela
devrait se refléter d'une façon quelconque. Alors, il faut aller
voir.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Le ministre regrette sans doute
de ne pas avoir emprunté massivement en francs français depuis
quelques années.
M. Parizeau: Cela dépend du moment des
échéances.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Oui.
M. Parizeau: Après les mouvements que nous avons vus du
franc français depuis une dizaine d'années, la date
d'échéance d'un emprunt prend finalement une importance
considérable. Il faut toujours faire très
attention dans ces histoires, surtout quand on emprunte pour longtemps.
Si j'avais un emprunt français qui venait à
échéance dans huit ans, je pourrais bien regarder la situation
d'aujourd'hui, mais cela ne changerait pas grand-chose. C'est le taux qui sera
en vigueur dans huit ans qui est important.
Le Président (M. Lachance): M. le député de
Chambly, une courte question.
M. Tremblay: Oui, en terminant l'étude du premier
trimestre, compte tenu que le deuxième est presque terminé, il
est normal qu'on tente de voir un peu le deuxième trimestre. Dans ce
sens, je vous demanderais, comme première question, quelle a
été l'augmentation du PIB au cours du deuxième
trimestre.
M. Parizeau: C'est impossible à dire. Nous n'avons pas ces
résultats sur une base trimestrielle. Les statistiques dont on dispose
arrivent trop tard, c'est-à-dire qu'elles arrivent dans un ordre trop
dispersé pour qu'on soit équipé, au Québec, pour
avoir un taux de progression du PIB trimestriellement. On l'a trimestriellement
pour le PNB, pour l'ensemble du Canada. Nous devons, simplement à cause
de notre appareil statistique... Il ne faut pas chercher, à cet
égard, à se doter d'appareils qui dépassent les moyens
dont on dispose dans notre situation actuelle. Je ne parle pas de la situation
budgétaire, je parle de la situation politique. Il y a des tas de
renseignements qu'on ramasserait si on était un pays souverain et qu'on
ne ramasse pas quand on ne l'est pas parce qu'il faut bien comprendre ce que
cela veut dire comme machine à monter. Donc, on ne l'a pas par
trimestre. Cependant on a des signaux assez précis. Il y a des
corrélations très précises entre des séries
chiffrées dont on sait que, si elles montent à un certain rythme,
cela devrait probablement produire. Dans ce sens-là je n'ai pas de
raison de croire qu'au deuxième trimestre j'aie lieu de corriger
l'expansion de la croissance réelle au Québec autour de 4,5% pour
l'année en cours.
M. Tremblay: Selon vos prévisions.
M. Parizeau: Je n'ai pas de raison de les changer à
l'heure actuelle compte tenu des séries sur lesquelles on s'appuie
habituellement pour porter un jugement là-dessus.
M. Tremblay: D'accord.
Le Président (M. Lachance): M. le ministre, messieurs de
la commission, je vous remercie. La commission du budget et de l'administration
ayant accompli son mandat, ajourne ses travaux sine die.
M. Parizeau: Merci, M. le Président.
(Fin de la séance à 16 h 12)