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Version finale

32nd Legislature, 5th Session
(October 16, 1984 au October 10, 1985)

Thursday, May 23, 1985 - Vol. 28 N° 15

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation générale sur l'étude de l'impact des tendances démographiques actuelles sur l'avenir du Québec comme société distincte


Journal des débats

 

(Onze heures quarante minutes)

Le Président (M. French): À l'ordre, s'il vous plaît! La commission permanente de la culture va entreprendre la dernière étape de ses auditions publiques de consultations particulières dans le cadre de l'étude de l'impact des tendances démographiques actuelles. Je reconnais M. Dauphin (Marquette), M. French (Westmount), M. Hains (Saint-Henri) et M. Payne (Vachon).

Je voudrais d'abord remercier le ministre d'avoir trouvé du temps dans son horaire extrêmement serré pour venir nous rencontrer. Je pense que le ministre sait que nous sommes en train de préparer un rapport relativement bref, mais important et, j'espère, intéressant sur l'avenir démographique puisque l'étude des crédits n'a pas permis un examen exhaustif de la situation, d'autant plus que le contexte des crédits ne se prête pas au genre de discussions un peu plus générales que nous entendons faire aujourd'hui. Nous sommes extrêmement heureux d'accueillir le ministre.

Je ne sais pas, M. le ministre, si vous avez... Nous n'avons pas l'intention de prendre beaucoup de votre temps. On doit absolument avoir fini à 13 heures et peut-être même avant, je ne le sais pas. Avez-vous quelques commentaires préliminaires a faire? Nous sommes prêts à entrer dans le vif de la discussion, mais c'est comme vous voulez.

Le ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration

M. Godin: Oui, très brièvement. En fait, depuis sa création, le ministère s'est intéressé formellement et profondément aux questions et politiques sur la population, parce que nous pensons que la population du Québec et son nombre constituent la base même de tout l'avenir du Québec et qu'il faut trouver des moyens pour s'assurer que les 6 000 000 que nous avons au moins se maintiennent ou, du moins, se développent au même rythme que le reste du pays pour que le Québec conserve son poids relatif dans ce pays, dans cette fédération, d'une part. D'autre part, nous avons aussi réfléchi sur l'impact que pourraient avoir sur l'économie du Québec les ajouts de population éventuels et, si l'immigration constituait une solution à ce problème... Je vous avoue que, chez nous, il y a presque des querelles d'école, à savoir si l'immigration peut être une source compensatoire pour la baisse de natalité du Québec et si, effectivement, l'immigration augmentait de façon considérable, elle aurait des effets économiques. Nous avons donc consacré beaucoup de temps à réfléchir sur cette question qui est centrale et fondamentale.

Je suis très heureux de participer aux travaux de votre commission et il me fait plaisir d'aménager mon horaire pour participer ce matin à deux commissions qui touchaient mon ministère, comme vous le savez, M. le député de Westmount.

Après ces brèves remarques qui nous font rappeler l'importance que le ministère attache à ceci, à preuve l'existence chez nous d'un service de recherche extrêmement compétent qui a toujours donné des éclairages utiles au gouvernement sur les migrations et les immigrants qui viennent chez nous et les sources d'immigration, il me fait plaisir de pouvoir répondre à vos questions en espérant que je pourrai éclairer de façon compétente vos débats. Merci, M. le Président.

Le Président (M. French): Merci, M. le ministre. Si mes collègues de la commission me le permettent, je voudrais commencer en vous rappelant que, dans la documentation que vous nous avez fournie à l'occasion de l'étude des crédits, l'essentiel du message que j'ai pu saisir de la discussion du niveau d'immigration pour cette année et des quelques commentaires qu'a faits le ministre sur nos auditions, le ministère croyait que l'opportunité de réexaminer de façon profonde la politique d'immigration n'était pas tellement élevée à ce moment-ci et pas tellement intéressante. Je ne veux pas dire que le ministère a diminué le travail de la commission, en aucune manière, mais il semblait que tout allait relativement bien dans le meilleur des mondes. Je ne sais pas si c'est à peu près la position du statu quo pour le ministre et je ne voudrais pas dire que le statu quo soit nécessairement un tort non plus.

M. Godin: Je pense qu'il faut se dire que, même si le Québec doublait, donc faisait passer de 15 000 à 30 000 par année son nombre d'immigrants, est-ce que cela réglerait les problèmes de population qui se

posent présentement au Québec? C'est la question qu'on se posait au ministère. Notre réponse était plutôt que ce n'était pas la solution, parce qu'il y a quand même un taux important de défections - je ne sais pas si le mot est bien choisi pour ce genre de situation - un taux important de départs du Québec parmi ceux qui viennent ici comme immigrants. Donc, on les perd avant même d'avoir récolté 0, 1 % de ce qu'ils pourraient apporter à l'économie du Québec ou de ce qu'ils pourraient apporter de renouveau à quelque aspect que ce soit de l'activité sociale au Québec.

Donc, pour éviter cette situation, nous en sommes venus à la conclusion que ce qu'il fallait pour régler le problème, c'est que le Québec puisse accepter 30 000 immigrants par année, mais il faut s'assurer qu'ils vont rester ici. Il faut donc une action à fourchettes, une action basée sur plusieurs aspects de l'intervention qui fasse que le Québec puisse leur fournir des emplois et s'assurer qu'il y a une stabilité dans leur passage ici, qu'ils ne sont pas que des touristes et qu'ils restent. Tant donc que le Québec n'a pas réussi à créer un climat économique et social qui fasse en sorte qu'ils restent ici pour au moins cinq ans, il ne nous apparaissait pas que l'immigration était une solution. Nous devons faire des pressions. Disons qu'on a un peu révisé notre position sur la question que vous posez en se disant que, effectivement, 30 000, cela retarderait en fait le point zéro de pertes et d'acquis. Donc, cela aurait un effet positif réel.

Par ailleurs, si, en même temps il n'y a pas une intervention pour changer les conditions économiques du Québec, nous ne pensons pas que la solution se trouve là. Au contraire, cela signifierait plutôt un coût social élevé pour le Québec et pour le ministère de l'Immigration, aussi bien du Québec que du Canada. La solution ne peut pas être appliquée isolément.

Le Président (M. French): M. le ministre, deux réactions à cela. La première est qu'on devrait discuter aujourd'hui - je ne vous invite pas à le faire tout de suite - à savoir si le ministère a un rôle plus grand à jouer dans le domaine des tentatives de recherche et, par la suite, de mesures exécutoires quant à une meilleure rétention de Québécois ou de nouveaux Québécois au Québec. Est-ce qu'on peut arrêter l'hémorragie éventuellement? Vous pouvez réagir ou non, mais, tôt ou tard, il va falloir qu'on en discute.

La deuxième réaction que j'ai, c'est contre le genre de dialectique qui est à peu près le suivant: pour compenser complètement la chute de la fécondité, il faudrait élever le niveau de l'immigration à un point X. Or, le point X est impensable. Donc, cela clôt la discussion. Or, il me semble qu'il y a quand même d'autres barèmes qu'on peut évoquer comme, au moins, arrêter la perte nette, le solde migratoire négatif, par exemple, pour compenser cela. Si nous ne pouvons pas prévoir nous attaquer directement à l'ampleur de l'immigration ou à l'ampleur d'ajouts de population pour compenser la chute de fécondité, on peut au moins commencer à penser à un solde migratoire nul, par exemple. Il y a d'autres barèmes possibles que la dialectique qui dit: "All or nothing", noir ou blanc, tout ou rien. Je pense qu'il faudrait s'interroger si c'est la façon d'aborder la question.

M. Godin: M. le Président, vous posez bien la question, mais je vous répondrai par des données plus générales. Si on regarde les entrées au Québec depuis deux ans, on constate que, comme le développement économique est passé de l'Ouest et de l'Ontario vers le Québec, il y a un retour important au Québec, de telle sorte que le solde est beaucoup meilleur maintenant qu'il ne l'était il y a quelques années.

Le Président (M. French): C'est la moitié maintenant. Excusez-moi, M. le ministre. Merci. M. Vigneau.

M. Godin: Je passerai la parole, pour des renseignements précis, à mon sous-ministre adjoint, M. Régis Vigneau.

M. Vigneau (Régis): Effectivement, au niveau de la migration totale nette, le solde total net, en 1984, et c'était une prévision basée sur les données que nous avions au moment où les tableaux ont été établis, on prévoyait un solde total net négatif de 5000.

Le Président (M. French): Ce qui est une amélioration substantielle.

M. Vigneau: Ce qui est une amélioration substantielle par rapport à 1983 où le solde net négatif était de moins 11 000. Par rapport à 1982, le solde net était de moins 14 000. La moyenne des années 1977 à 1981, le solde négatif était de moins 19 000 par année. Donc là, à moins 5000, il y a évidemment une amélioration évidente qui est en grande partie causée par l'amélioration des entrées au niveau de la migration interprovinciale. C'est-à-dire qu'il y a plus de gens des autres provinces qui sont venus chez nous et c'est beaucoup plus puisque c'est quelque 34 370 par rapport à 27 000 en 1983 et par rapport à 19 000 en 1982. De telle sorte qu'au niveau de la migration interprovinciale, le solde net d'entrées et de sorties est encore négatif l'année passée, 12 000, mais, si on le met à côté des soldes antérieurs pour la migration interprovinciale qui a été de 20 000, 28 000, 30 000, 35 000, 46 000, on voit qu'il y a

eu, au niveau de la migration interprovinciale, une amélioration considérable.

Le Président (M. French): Merci, M. Vigneau. Oui.

M. Godin: On peut dire que c'est l'économie qui est la clé et que, si on découvre du pétrole au Québec, on aura des soldes migratoires absolument positifs et que, s'il y en a moins en Alberta, ou s'il y a moins de développement ou de derricks qui sont implantés en Alberta, c'est eux qui perdent et c'est nous qui gagnons. Mais les gens suivent les emplois, c'est bien normal et, dans tous les pays du monde, cela se fait aussi. L'Europe est en proie au même phénomène que nous. Ce sont des phénomènes économiques très profonds, je dirais, et très importants. Est-ce que le Québec peut, dans un avenir prévisible, devenir l'Alberta de l'Est grâce à des projets de développement dans le Grand-Nord, peut-être, ou à d'autres projets semblables auxquels nous devons tous réfléchir au gouvernement? Est-ce que Pechiney, à Bécancour, va jouer un rôle? Est-ce que le développement économique va jouer un rôle? C'est sûr. Maintenant, comment le stimuler assez pour que le Québec remplace l'Alberta comme étant le "boom province" qui fait en sorte qu'on penserait moins à des modifications politiques et familiales ou à des politiques d'immigration dans l'avenir? On travaille tous là-dessus, vous le savez aussi bien que moi.

La solution est là, je pense, d'abord et avant tout. Quand on parle de la capacité d'accueil du Québec, ce n'est pas tellement socialement qu'on en parle. C'est économiquement. Nous savons très bien par expérience que, si on accueille 30 000 immigrants qui n'ont pas d'emploi ici pour une période relativement longue, on les perd. Ils vont flairer le vent et savoir que l'emploi pour eux est quelque part dans un Etat américain, je ne sais pas lequel, ou une province canadienne, je ne sais pas laquelle. Donc, il faut s'assurer que le développement économique est un aimant suffisamment important pour qu'ils restent ici. L'immigration seule n'est pas une solution. Il faut qu'elle s'accompagne d'interventions autres.

Le Président (M. French): J'aurai d'autres questions à poser. M. le député de Vachon.

M. Payne: Merci. Notre formation a eu une excellente rencontre de quatre jours de discussions des problèmes sociodémographiques il y a quelques mois. Votre présence, aujourd'hui, est bien reconnue et appréciée, je dois dire, parce que cela nous permet aussi de faire le point sur un certain nombre de réflexions ultérieures qu'on a eues et aussi sur quelques réflexions qui ont été stimulées par le livre bleu qui a été déposé par le gouvernement hier.

Ma question est la suivante: quelles sont plus précisément, si vous êtes en mesure de nous en faire part, les revendications du Québec en matière d'immigration et de politique des réfugiés? Dans le livre bleu, c'est assez vague. On parle de la prépondérance - je n'ai pas la copie devant moi - du Québec en matière d'immigration. On sait que l'entente Cullen-Couture est allée assez loin, mais laissons au fédéral les décisions ou la sélection en ce qui concerne la sécurité et la santé.

En plus de cela, il n'y a rien, qu'on sache publiquement, qui est avancé en matière de politique des réfugiés. Je sais que vous avez sûrement l'intention de rencontrer Mme MacDonald pour discuter de la situation en ce qui concerne l'aide sociale pour les sans-statut. J'imagine que vous allez en profiter pour faire des revendications plus précises pour faire un suivi aux quelques principes qui étaient énoncés dans le livre bleu déposé hier.

M. Godin: Ce que nous voulons, en fait, c'est que l'entente Cullen-Couture, qui existe depuis 1978, fasse partie de la constitution canadienne et qu'elle perde son statut de contrat ou de protocole d'entente résiliable en tout temps pour passer au statut de partie de la constitution, de sorte que le Québec puisse tabler pour de nombreuses années sur un contrôle effectif de ses sélections à l'étranger.

Pour ici, ce que nous voulons, c'est qu'il y ait la présence au Québec même des personnes, ce qu'on appelle l'établissement. Comme c'est le gouvernement fédéral qui décide présentement du lieu où les prestations sont versées, c'est lui qui décide de l'implantation des réfugiés au Québec. Supposons que le Québec recrute 20 000 "boat people" de je ne sais quel pays dans l'avenir, ce serait le gouvernement fédéral qui aurait le dernier mot à dire sur la destination de ces personnes en affectant ses prestations d'établissement, d'achat de meubles ou de logement à la ville de Montréal, à la ville de Trois-Rivières, de Sherbrooke ou de Québec. Ce que nous voulons revendiquer et ce que nous revendiquons depuis des années, c'est que le Québec puisse décider lui-même en cette matière parce qu'il y va de l'implantation au Québec de façon stable de personnes qui, comme réfugiées ou autres, viennent au Québec. Ceci pour une raison très simple au fond. C'est que, si nous avions le choix, en fait, on choisirait les parties les plus francisantes du Québec parce qu'on constate que la barrière principale à la mobilité, c'est la francisation. Pour nous, un immigrant dont

on est sûr qu'il va rester au Québec, c'est le fait qu'il ne parle que français. S'il ne parle que français, il va rester au Québec à 90 %; n'est-ce pas, M. le sous-ministre adjoint?

M. Vigneau: Je ne dirais pas nécessairement à 90 %, mais, effectivement, lorsqu'on fait une analyse du taux de rétention des immigrants qui arrivent au Québec, on s'aperçoit que, parmi ceux qui sont arrivés il y a plusieurs années, environ 50 % ont quitté le Québec; donc, il y a un taux de rétention qui est de 50 %. Par contre, d'après le dernier recensement, il semble que les immigrants qui sont arrivés au cours des cinq dernières années - avant le recensement - on en retrouvait 70 % au Québec. Lorsqu'on fait une analyse plus détaillée sur la langue parlée par ces personnes, on s'aperçoit que les francophones ont une tendance beaucoup plus forte à rester au Québec et que les anglophones ou les ailophones, mais dont la langue parlée à la maison est l'anglais, ont une tendance -cela se comprend à l'évidence - beaucoup plus forte à quitter le Québec.

M. Godin: Comme nous sommes en concurrence directe avec l'attrait économique de l'ensemble du continent, Toronto, Houston Texas ou Cleveland, nous nous assurerions, et nos chapitres du livre bleu nous éclairent aussi là-dessus, on en voit mieux la pertinence dans ce contexte... C'est que, plus le Québec est français, plus nous pouvons installer de nouveaux venus dans les régions francophones et plus nous sommes sûrs de les garder. Donc, les 30 000 dont on parlait tout à l'heure auraient un effet positif pour régler les problèmes de la population du Québec. C'est la raison pour laquelle nous voulons avoir un contrôle déterminant, si possible, quant à l'implantation de ces personnes-là ici. C'est aussi la raison pour laquelle nous voulons que la détermination de la langue au Québec soit entre les mains du Québec seul parce que nous seuls, en fait, pouvons mesurer les risques que nous courons comme province et comme gouvernement s'il y a une concurrence d'une autre langue sur notre territoire. On le voit dans l'immigration, on le voit dans le cas de ces personnes qui, ayant le libre choix, s'en vont évidemment là où il y a le plus de chances d'avoir un emploi. Ce qui ne nous empêche pas, en même temps, de réfléchir sur la nécessité d'avoir au Québec un développement économique qui attire les anglophones. Il y a des gens de Hong Kong qui sont anglophones et qui viennent au Québec parce qu'il y a des développements économiques dans des domaines secondaires très précis et très prometteurs, d'après eux. Mais tout cela se tient, M. le député de Vachon. (12 heures)

C'est la raison pour laquelle nous voulons constitutionnaliser l'entente Cullen-Couture, d'une part, et, d'autre part, y ajouter un contrôle plus grand sur la détermination des régions où les nouveaux citoyens du Québec pourront s'installer. On pourrait le faire avec plus de sûreté si nous étions responsables de l'attribution des prestations d'accueil aux personnes dans le choix des régions du Québec et non pas le gouvernement fédéral, même si on doit reconnaître qu'en fin de compte les gens qui restent à l'intérieur du Québec, tôt ou tard, vont à Montréal. C'est mon cas personnellement. Étant Trifluvien d'origine, j'ai immigré vers Montréal pour améliorer mon statut économique, ce qui s'est réalisé à moitié. Cela joue pour tout le monde. Cela joue aussi pour les Vietnamiens qui étaient à Trois-Rivières au début de leur arrivée au Québec et qui ont rejoint leur communauté majoritaire à Montréal, tôt ou tard.

D'autre part, les politiques de l'autre volet du ministère des Communautés culturelles visent à établir au Québec des communautés ethniques fortes et qui fournissent à leurs membres des services qu'aucune autre province ne peut leur offrir. J'ai vu des Portugais en fin de semaine, précisément. Si les Portugais trouvent ici un environnement culturel ou "lusophone" plus favorable qu'en Ontario, on a plus de chances de les garder. Donc, l'autre volet du ministère consiste précisément à faire en sorte qu'il y ait ici des conditions de vie, au plan culturel ou au plan de la langue d'origine de ces nouveaux citoyens du Québec, des conditions telles que ce soit suffisant pour les garder ici le plus longtemps possible. Tout cela, donc, fait partie d'une mosaïque, d'un éventail de politiques. J'espère que cela répond à votre question, M. le député de Vachon.

M. Payne: Oui, mais je voudrais aller plus loin. Est-ce que le Québec a abandonné tout désir de décider ou plutôt de déterminer les quotas qu'il voudrait se donner pour insister davantage ou mettre davantage l'emphase sur le lieu ou le choix de résidence de la part des réfugiés? Parlons des réfugiés pour le moment; il s'agit de ceux qui seront éventuellement reconnus comme réfugiés. Bref, est-ce que le fédéral est intéressé à ouvrir cette discussion ou est-ce qu'il garde jalousement toute autonomie en matière de processus...

M. Godin: C'est ce que nous verrons, M. le député de Vachon, après avoir vu Mme MacDonald. Je ne peux actuellement présumer de ce qu'elle me dira quand je lui poserai mes questions et quand je lui étalerai ma liste de demandes.

M. Payne: Non, non, mais j'essaie de

déterminer ce qu'est la politique du Québec préalablement aux discussions.

M. Godin: Le Québec veut être le plus responsable possible de l'attribution des prestations d'accueil à ses nouveaux citoyens.

M. Payne: D'accord.

M. Godin: C'est la politique du Québec dans les documents qui ont été remis au Conseil des ministres depuis déjà plusieurs années, M. le sous-ministre adjoint, et qui ont servi de base aux discussions avec le prédécesseur de Mme MacDonald, M. Lloyd Axworthy, quand on l'a vu à deux reprises. La demande du Québec était précisément que nous déterminions nous-mêmes le lieu d'implantation et que nous soyons responsables des quelques dizaines de millions de dollars que cela représente chaque année.

M. Payne: Est-ce que le Québec voudrait par conséquent être maître d'oeuvre absolu en matière de choix des immigrants, bien sûr, mais aussi en matière de sélection et d'accueil pour les...

M. Godin: D'accueil et d'implantation. M. Payne:... réfugiés?

M. Godin: D'accueil et d'établissement. Tout à fait. C'est cela.

Le Président (M. French): M. Vigneau.

M. Vigneau: Juste pour compléter la réponse de M. le ministre. Pour bien clarifier, en termes d'accueil des réfugiés, le Québec est maître d'oeuvre dans le sens que, si on décidait d'en accueillir 20 000 par année, le fédéral ne dirait pas non. M. Payne parlait des quotas. Les quotas, c'est le Québec actuellement qui les fixe. Donc, nous décidons pour telle et telle raison d'en accepter 2000, 3000, 5000 par année. Advenant que le ministre décide que c'est 20 000 qu'il veut, l'entente Couture-Cullen permet que le Québec sélectionne ces 20 000.

M. Payne: Oui, mais un instant!

Le Président (M. French): M. le député de Vachon.

M. Payne: Oui. Je suis d'accord, mais nous n'avons pas - corrigez-moi si je me trompe - le droit de décision au niveau de l'accueil pour les réfugiés, par exemple. Quel rôle joue le fédéral à l'heure actuelle en matière d'accueil et de sélection et qu'est-ce que cela peut impliquer?

M. Godin: Effectivement, M. le Président, M. le député de Vachon a raison. Le Québec n'a pas le pouvoir de déterminer le statut de réfugié d'une personne au Québec, même si nous avons soumis au fédéral une détermination que nous appelions, nous, sur la base de la Convention de Genève, un cas de détresse et nous aurions appliqué les mêmes critères que ceux de la Convention de Genève pour définir ce qu'est un cas de détresse. Le fédéral a voulu garder ce pouvoir par-devers lui tout en nous disant qu'il était prêt à considérer, cas par cas, tous les cas que nous lui soumettrions. Il en a eu plusieurs à étudier et, dans certains cas, cela a fonctionné, mais pas toujours. Nous aimerions avoir le pouvoir de déterminer qu'est-ce qu'un cas de détresse, qu'est-ce qu'un réfugié et qui peut rester ici et voir son dossier traité sur place. Le fédéral n'a jamais accepté, à venir jusqu'à maintenant du moins, de concéder ce pouvoir au Québec.

M. Payne: C'est cela. Et la situation va devenir de plus en plus aiguë à la suite du jugement de la Cour suprême qui fait en sorte qu'un réfugié a le droit de revendiquer et d'en appeler des décisions ou a droit à une audition.

M. Godin: C'est dans ce contexte qu'on a rencontré Mme MacDonald pour lui dire qu'à l'époque où l'entente Couture-Cullen a été signée ces problèmes n'existaient pas et que nous aimerions bien modifier cette entente pour qu'elle tienne compte dorénavant de cette nouvelle réalité qui n'existait pas à l'époque où elle a été signée.

Le Président (M. French): Merci, M. le député. Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Merci, M. le Président. C'est presque une aubaine de vous avoir aussi longtemps avec nous.

Une voix: Un privilège.

Mme Harel: C'est un privilège. J'aime bien le mot "aubaine"; il dit bien ce qu'il veut dire. C'est intéressant, je pense, surtout aujourd'hui, puisqu'il y a un défi, le défi démographique, qui est peut-être le défi le moins connu de l'opinion publique québécoise. On sait très bien, à cause de la précarité de la collectivité en Amérique du Nord, qu'il y a un défi économique et un défi linguistique, mais le défi démographique n'est pas un défi qui est perçu comme un enjeu fondamental dans les années immédiates qu'on vit. Ce défi, il ne peut être relevé que par des mouvements migratoires ou par une augmentation du taux de fécondité.

M. Godin: Politique familiale.

Mme Harel: J'ai déjà dit que j'étais prête à m'y mettre moi-même, mais je ne pense pas que ce soit déterminant.

M. Godin: II faudrait commencer.

Mme Harel: II semble qu'il n'y ait pas de décision qui paraisse plus individuelle, mais qui, dans le fond, soit plus collective ou, sur le plan sociologique, plus déterminante que celle-là. Je trouve très intéressant ce dont vous parliez à propos du taux de rétention, puisque vous avez pu étudier ou raffiner les données concernant le taux de rétention et, donc, la ventilation de ceux qui restent avec nous. C'est un peu d'eux dont j'aimerais entendre parler. Vous avez dit tantôt que c'était essentiellement -c'est ce que j'ai cru comprendre - ou déterminant, leur appartenance linguistique, leur appartenance francophone. Est-ce qu'on peut savoir si, selon leur catégorie, ils restent plus ou moins? J'imagine qu'au titre de la réunification des familles ceux qui viennent à ce titre doivent être tentés de rester ou, une fois arrivés, est-ce qu'ils quittent avec toute la famille, dans un mouvement migratoire, vers d'autres provinces? Est-ce que, selon leur catégorie: réfugiés, réunification des familles, immigrants investisseurs ou immigrants économiques indépendants, on peut savoir, selon la détermination des catégories, si le taux de rétention diffère? J'imagine que l'immigrant investisseur - c'est peut-être une hypothèse qui n'est pas fondée - a plus de chances de demeurer. J'imagine qu'au chapitre de la réunification des familles ce doit être la même chose. Est-ce que vous avez des données là-dessus qui pourraient être intéressantes pour la commission? D'autre part...

M. Godin: M. le Président, je vais... Excusez-moi.

Mme Harel: Très bien.

M. Godin: Terminez, terminez.

Mme Harel: Toujours sur cette étude du taux de rétention, est-ce que, selon la communauté d'origine, on peut aussi savoir si c'est un facteur qui a un effet incitatif ou non? Évidemment, cela pourrait aussi donner lieu à un certain nombre de recommandations sur le type d'immigration à développer ou à privilégier. Je reviendrai sur certaines autres questions par la suite.

M. Godin: M. le Président, je vais céder la parole à mon expert en la matière, M. Régis Vigneau, sous-ministre adjoint.

Le Président (M. French): M. Vigneau.

M. Vigneau: Merci. Nous avons un certain nombre de données, de statistiques que je vais vous livrer séance tenante. Eventuellement, si M. Laporte ou l'un ou l'autre des démographes qui nous accompagnent avait des compléments d'information, il pourrait, bien entendu, compléter.

Les renseignements, les statistiques que nous avons proviennent essentiellement d'une analyse des résultats censitaires; donc, du recensement. Celles que j'ai devant moi actuellement se réfèrent essentiellement à la langue parlée. Donc, clairement, on ne peut pas répondre à votre question, à savoir si une catégorie de famille quitte plus, si les investisseurs... On peut avoir des hypothèses, on peut avoir des impressions, mais on n'a pas - que je sache, en tout cas - de renseignements précis quant à la catégorie des personnes qui déménagent et qui quittent le Québec pour une autre province.

Pour raffiner un peu les statistiques que je donnais tout à l'heure concernant la langue parlée par ces personnes, on se rend compte que 20 % des sorties faites par les Québécois vers les autres provinces sont des personnes nées à l'étranger. Sur les 20 000, 30 000 ou 40 000 Québécois, selon les années, qui quittent pour aller à l'étranger, 20 % sont nés à l'étranger. Si on prend ces 20 %...

Le Président (M. French): Ils sont nés à l'extérieur du Canada, à l'extérieur du pays.

M. Vigneau:... du Canada. Si on prend maintenant ces 20 % comme un tout et qu'on essaie de regarder la langue parlée, on s'aperçoit que, parmi ces personnes nées à l'étranger qui quittent le Québec, 52 % étaient de langue maternelle anglaise, 43 % de langue maternelle tierce et seulement 5 % de langue maternelle française. C'est ce qui faisait dire à M. le ministre tout à l'heure que les gens dont la langue maternelle est le français ont manifestement une tendance beaucoup plus limitée à quitter le Québec. À moins que M. Laporte ne dispose d'autres données, nous n'avons pas d'étude spécifique sur l'origine ethnique des personnes qui quittent le Québec.

Mme Harel: On a beaucoup parlé des personnes qui quittent, mais ne serait-il pas intéressant justement de raffiner nos données sur celles qui restent, de façon à savoir qui sont celles qui restent, de mieux les connaître et de savoir pourquoi elles restent? Est-ce que cela ne donnerait pas des indications, justement, sur le type de politique à privilégier?

Le Président (M. French): M. le ministre.

M. Godin: Oui, je pense que ce serait très utile, sauf que le recensement fédéral pose les questions qu'il veut et qu'on connaît. Il faudrait presque un recensement québécois afin de ventiler toutes ces raisons et nous aider à raffiner encore plus nos politiques. Vous aviez raison, au début de vos remarques, de dire que ce n'est pas encore une priorité au Québec, mais que cela devrait le devenir tût ou tard et qu'on devrait précisément étudier davantage les raisons pour lesquelles les nouveaux citoyens du Québec restent et voir ainsi un peu mieux ou raffiner encore mieux les raisons d'accepter ceux qui veulent venir ici et qui sont légion dans le monde. Cela devrait être fait, effectivement. Peut-être que M. Pierre-Étienne Laporte, chef de la recherche au ministère, aurait des commentaires à faire sur la possibilité d'une recherche plus approfondie sur les questions que pose Mme la députée de Maisonneuve, si vous le permettez, M. le Président.

Le Président (M. French): M. Laporte.

M. Laporte (Pierre-Étienne): Oui, c'est très intéressant ce que vous demandez là, mais, en réalité, le mécanisme de la rétention est un mécanisme qui est peu connu. Pour l'étudier, on pourrait, au moyen de sondages sur la population qui reste, obtenir des renseignements. Évidemment, dans le cas de la population qui reste, il nous faudrait des renseignements sur leurs raisons de rester ou sur leurs attachements. On a des données, par exemple, sur l'attachement des gens à une ville comme Montréal. On pourrait effectivement, non pas dans ce contexte, mais dans le contexte dont vous parlez, examiner par ce moyen le mécanisme de rétention. Il faut dire que ce mécanisme est peu connu, ici au Québec, mais il est peu connu aussi à l'échelle internationale. Il y a peu de données sur les motifs et les conditions qui font que les gens restent en France. En France, il y a un exemple extraordinaire: il y a peu d'études françaises sur les raisons pour lesquelles les immigrants du Maghreb ne veulent pas quitter la France. Le mécanisme est à connaître, autant au Québec qu'à l'échelle internationale; c'est un mécanisme très intéressant à connaître. (12 h 15)

Mme Harel: Est-ce que cela poserait des difficultés particulières, sans nécessairement tenter de cerner leurs motifs subjectifs de rester, par exemple, leur attachement ou pas, si on pouvait vérifier leur communauté d'origine ou si on pouvait vérifier la catégorie d'immigration à laquelle ils sont associés? Est-ce que vous pensez que cela pourrait nous donner des indications intéressantes?

M. Laporte: Cela pourrait nous éclairer sur le mécanisme de ce comportement, de rester ou de partir.

Mme Harel: J'ai une autre...

Le Président (M. French): Là-dessus, Mme la députée, si vous me le permettez.

Mme Harel: Oui.

Le Président (M. French): Je pourrais presque dire au ministre et au ministère que la commission sera très tentée, sinon... En tout cas, la commission sera très tentée de vous inviter à faire ce genre d'étude et pour ceux qui partent qui sont nés au Québec, au Canada, et pour ceux qui restent qui sont nés à l'extérieur. La commission, je pense, croit que nous en savons très peu sur les conditions essentielles de rétention des Québécois au Québec et des Néo-Québécois au Québec. Cela nous préoccupe. Ce n'est pas une critique qu'on veut formuler, mais c'est une invitation, sinon une recommandation qu'on devrait collectivement en savoir plus long là-dessus.

M. le ministre.

M. Godin: Un bref commentaire. Nous avons fait une étude au ministère sur les réfugiés indochinois après un an de séjour. Il y a eu une question précisément sur l'intention de quitter et 2 % seulement annonçaient leur intention de quitter, mais il y a...

Le Président (M. French): Un groupe très francophone, par exemple.

M. Godin: II n'y avait pas de ventilation sur les raisons pour lesquelles ils voulaient rester ou quitter. Par ailleurs, M. le sous-ministre a une donnée à ajouter qui touche les investisseurs, une étude très approfondie faite par...

Le Président (M. French): M. Vigneau.

M. Vigneau: Nous avons fait faire, l'an dernier, une étude par une société indépendante, l'étude Archambault, qui avait pour mandat de vérifier comment les investisseurs qui étaient venus au cours des dernières années s'étaient installés. Est-ce qu'ils avaient vraiment créé une entreprise, premièrement, et est-ce qu'ils étaient encore sur place? Dans le cas des investisseurs, il y a eu - je n'y pensais pas tout à l'heure, mais cela m'est revenu - l'étude Archambault qui démontre que le taux de rétention des investisseurs a été très élevé. Je n'ai pas l'étude devant moi; donc, je ne veux pas improviser un chiffre, mais je sais que le taux de rétention est absolument très élevé, très significatif. Ce qui est également

intéressant - c'est une des questions qu'on leur posait - si c'était à refaire...

Le Président (M. French): Est-ce qu'ils le referaient?

M. Vigneau:... d'immigrer, oui ou non, oui ou non au Québec, ailleurs au Canada, là encore, les pourcentages étaient dans tous les cas au-delà de 80 %. L'étude, d'ailleurs -je sais que, lors de la défense des crédits, nous vérifions évidemment sous le coude - je pourrais vous la faire parvenir, si ce n'est déjà fait.

M. Payne: Un homme d'affaires veut toujours rester à côté de son industrie et ne pas s'en éloigner trop.

Le Président (M. French): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: J'ai des questions, en partie vous y avez répondu, sur les prestations d'accueil que le Québec voudrait pouvoir administrer. J'imagine que cela comprendrait la possibilité d'offrir dans les COFI des cours de français aux requérants au statut de réfugié qui n'ont pas encore obtenu ce statut et qui sont en attente. En fait, c'est à tous ceux qui sont en attente de statut...

M. Godin: C'est-à-dire que...

Mme Harel:... et qui, à cause, j'imagine, de l'annulation des prestations, ont été écartés de l'enseignement dans les COFI. Je ne sais pas quel est le taux de requérants qui obtiennent leur statut de réfugié. Quel est le pourcentage de ceux qui font la demande qui l'obtiennent? J'imagine que, dans le processus qui dure un an et demi, je crois, en moyenne, ou un peu plus même, deux ans... Beaucoup plus encore? Puisqu'ils sont en attente et qu'ils ont aussi maintenant des prestations qui viennent du ministère...

M. Godin: Affaires sociales.

Mme Harel:... des Affaires sociales, plutôt du Québec...

M- Godin: Et même Éducation.

Mme Harel: Oui. N'y aurait-il pas intérêt à ce que des cours de français puissent leur être offerts pendant cette période d'attente?

M. Godin: C'est également un point en discussion avec nos partenaires fédéraux. Ces cours sont très coûteux. Ils nous coûtent actuellement 12 000 000 $ par année, à nous et au fédéral, pour ceux qui ne sont même pas des requérants, mais pour ceux qui sont des immigrants indépendants déjà acceptés. On a évalué que cela nous coûterait environ 700 000 000 $...

Le Président (M. French): Beaucoup.

M. Godin:... si on inscrivait aux COFI tous les requérants au statut de réfugié du Québec...

M. Vigneau: Tous les immigrants qui ne parlent pas français.

M. Godin:... et tous ceux qui ne parlent pas français. Les coûts seraient faramineux et cela obligerait à négocier avec le fédéral pour des sommes vraiment... On se demande si le budget fédéral pourrait se le payer.

Mme Harel: M. le ministre...

M. Godin: II reste qu'on vise cela. Il reste que l'objectif - d'ailleurs, il y a des études de faites au ministère; c'est un des chouchous de ma sous-ministre, Mme Barcelo - est le droit au français, c'est-à-dire que le Québec, dans la mesure où il y a une loi 101, devrait fournir à tous les citoyens et citoyennes du Québec le droit à des cours gratuits en français, le droit à l'initiation au français qui soient des cours gratuits. Encore là, les coûts sont importants, mais, dans la mesure où on n'a pas encore saisi l'importance de ce que vous disiez au début, cela n'a pas encore bougé beaucoup chez mes collègues du Conseil des ministres par rapport à cette question.

Mme Harel: II faut voir, il n'y a pas seulement un enjeu linguistique, il peut y avoir un enjeu démographique. Si on peut cerner à ce point les données pour vérifier que le taux de rétention est lié au fait d'avoir le français comme langue d'usage, cela devient un enjeu démographique important. On en est encore aux hypothèses, mais, si c'était vérifiable et si c'était le cas, cela devient un enjeu très important.

J'entendais les demandes des femmes immigrantes au sommet économique des femmes, Décisions 85, qui étaient de mettre à la disposition des femmes immigrantes, qui sont ici parfois depuis une génération ou moins, mais qui n'ont souvent comme langue d'usage ni le français ni l'anglais, donc, de mettre à leur disposition des cours, et je pense que c'est possible actuellement.

M. Godin: Cela se fait déjà en partie.

Mme Harel: Cela se fait déjà en partie. La catégorie de réfugiés représente quand même un pourcentage important du quota d'immigration. On me dit pas tout à fait le tiers, mais presque, pas loin. C'est d'autant

plus important qu'ils puissent avoir accès à des cours sans attendre l'obtention du statut.

M. Godin: Je pense qu'effectivement vous levez là un lapin très important pour l'avenir. Je dois vous dire que le ministère a quand même, au fil des ans, inventé des mesures de francisation des travailleuses souvent dans le textile ou dans d'autres secteurs où les emplois sont plutôt réservés aux femmes. Il a mis au point des techniques d'enseignement du français qui sont tout à fait inédites et qui attirent une clientèle très forte. Il y a des files d'attente à la porte de nos inscriptions à ces cours dits sur mesure que nous donnons dans l'usine, dans les cafétérias, dans les cuisines, partout où on peut les donner, en fait, à la demande et pour répondre aux besoins et à la réalité vécue de ces candidates aux cours de français. Le succès de ces cours est vraiment remarquable, mais, encore là, le succès est tel que cela nécessiterait des fonds nouveaux. Comme vous le savez, nous sommes dans une situation économique difficile, le budget est très serré par les temps qui courent. Il faudrait peut-être sonner la cloche d'alarme plus souvent et sensibiliser davantage nos collègues - je pense que cette commission servira à le faire - et rappeler à nos collègues que l'enjeu de l'avenir du Québec repose précisément sur ce ministère pour une grande partie.

Face au phénomène nouveau... Il y a quelques années, nous choisissions nos réfugiés. Maintenant, les réfugiés choisissent le Québec. Ils arrivent ici sans nous consulter et on les a comme des enfants souvent non désirés, mais ils sont là. Donc, tirons-en le meilleur parti possible. Nous tenterons, avec Mme MacDonald, de régler ce problème pour le meilleur développement du Québec, le meilleur profit social et économique du Québec. Mais, tôt ou tard, il faudra qu'on se retourne vers le Québec même, les collègues du Conseil des ministres, et qu'on leur pose le problème de la démographie québécoise et des moyens d'intervenir par toutes sortes de fronts, le front de la francisation en est un très important, et ainsi réussir à les garder avec nous et qu'ils résolvent le problème de la natalité qui diminue au Québec. Au fond, si on prenait de front l'ensemble de la situation, il est possible qu'on réussirait à faire jouer un rôle plus important à l'immigration sur le front de la baisse de la natalité du Québec. Nous le ferons dans les semaines qui viennent avec Mme MacDonald pour ce qui la concerne et, dans l'avenir, le plus tôt possible avec le gouvernement lui-même.

Mme Harel: Je ne sais pas si les études ont été faites. Fort possiblement ont-elles été ailleurs qu'au ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration. Mais j'aimerais simplement vérifier s'il y a des données sur le taux de natalité des populations immigrantes qui restent au Québec, si ce taux de natalité est sensiblement le même ou tend à devenir le même. Ces données révèlent que ce taux est plus imposant.

Le Président (M. French): Il est plus élevé.

Mme Harel: II est beaucoup plus élevé?

Le Président (M. French): Beaucoup, je n'irais pas aussi loin que cela, mais deux enfants par famille...

Mme Harel: Ils maintiennent les générations.

Le Président (M. French): Ce qu'on constate, c'est que...

Mme Harel: II y a un maintien de génération.

M. Godin: Ce qu'on constate, c'est que...

Une voix: On pourrait faire un sondage ici, entre nous, pour savoir quels sont ceux qui ont un, deux ou trois enfants. Gérald, combien vous avez d'enfants, vous?

M. Godin: Deux.

Le Président (M. French): M. le ministre.

M. Godin: Ce qu'on constate - et malheureusement, devrais-je dire - c'est que ces communautés se "québécisent" rapidement et adoptent les moeurs québécoises qui consistent à avoir moins d'enfants et à assurer plus de liberté aux femmes, aux épouses.

Mais, au début, ces communautés sont comme le Québec était il y a quelques années, c'est-à-dire que la famille joue un rôle très important, les liens de famille et l'autorité des parents sur les enfants sont extrêmement élevés au début. Le rôle des devoirs et des leçons est important aussi, mais, comme cela se passe au Québec et que les jeunes écoliers de ces familles voient ce qui se passe chez leurs copains avec qui ils vont souper le soir, leurs voisins, ils se rendent compte que la liberté goûte bon et rapidement il y a une rupture, le "generation gap", comme on dirait en anglais. Ce qui fait que la "québécisation" s'empare de ces communautés aussi et la liberté prend une place plus grande, au détriment en fait des traditions qui nous étaient si chères il y a quelques années, Mme la députée de

Maisonneuve.

Mme Harel: Je vois que les démographes derrière vous haussent la tête abondamment.

M. Godin: C'est vrai.

Mme Harel: C'est donc un phénomène qui est très perceptible, qui est celui d'une génération à peine.

Mme Barcelo (Juliette): C'est-à-dire que, dans les données de recensement, on voit que les personnes qui sont arrivées depuis à peu près quinze ans commencent à avoir une fécondité semblable à celle des Québécoises.

M. Godin: Pensez-vous que je vous dirais cela sans être appuyé par des expertes?

Le Président (M. French): M. le député de Marquette.

M. Dauphin: Oui, M. le Président. Évidemment, à mon tour, je suis très heureux de la disponibilité de M. le ministre ainsi que de ses adjoints et des fonctionnaires. La dimension immigrants investisseurs est très intéressante parce que, sans jouer au gars d'extrême droite, si cette immigration investit et peut créer de l'emploi par la même occasion, c'est tout à l'avantage des Québécois en général. Le sous-ministre adjoint a répondu en partie à ma question tantôt quant au taux de rétention des immigrants investisseurs qui restent finalement au Québec. Est-ce qu'un organisme qui existait et qui existe encore en partie, comme FIRA, ne suggère pas aux immigrants investisseurs justement de suivre leurs investissements et de s'établir autant que possible au lieu de l'investissement, comme au Québec, en partie? Croyez-vous qu'un organisme comme cela qui voulait ou qui veut faire en sorte, autant que possible, que les actions ou les mises de fonds dans les entreprises soient des intérêts canadiens, du fait que ces gens émigrent et investissent... Dans le passé, cela n'a-t-il pas nui d'une certaine façon à l'investissement au Québec de la part des gens de Hong Kong, par exemple, qui, obligatoirement, en investissant, devaient avoir un certain pourcentage des actions des entreprises qui devaient être détenues par des intérêts canadiens, ou si cela a été étudié?

Le Président (M. French): M. le ministre. (12 h 30)

M. Godin: M. le Président, à ma connaissance qui est non officielle et je m'en excuse tout de suite, FIRA visait à protéger l'entreprise canadienne d'une mainmise étrangère sur ce qui nous semblait à nous les bijoux de la couronne industrielle canadienne, mais ce qui ne semblait pas à nous, c'est-à-dire au gouvernement qui a adopté cette politique. A notre connaissance, les immigrants investisseurs qui viennent ici identifient des créneaux qui ne sont pas occupés et les occupent, parce que, ce qui me frappe de leur part, c'est qu'ils sont extrêmement, comme on dit en anglais, "sophistiqués", prudents, patients et ils analysent à fond une situation industrielle avant de se lancer dans quelque projet que ce soit.

D'ailleurs, dans le cas de Hong Kong, ce qui est frappant aussi, c'est que très souvent ils commencent par ouvrir, à Montréal ou dans la région de Montréal, un bureau qui administre le marché qu'ils possédaient déjà à l'époque où ils étaient à Hong Kong, le marché nord-américain, qui sert donc de bureau d'import-export pour leurs propres produits, fabriqués à Hong Kong toujours. S'ils voient que le marché promet assez pour justifier une implantation industrielle ici, ils le font dans un deuxième temps. Donc, la création d'emplois peut prendre du temps, mais j'aime mieux un investisseur qui est prudent et qui réussit qu'un investisseur qui se lance toutes voiles dehors dans un investissement et qui a peut-être moins de chances de réussir. Là, ce sont des gens extrêmement sérieux.

Maintenant, je ne pense pas que FIRA, à ma connaissance, n'ait jamais eu d'effet pervers, comme dirait mon collègue Landry, sur l'immigrant investisseur. De toute façon, c'est un domaine - je tiens à le souligner pour ma collègue de Maisonneuve - où le gouvernement a agi et a même augmenté les budgets. Le budget a passé de 400 000 $ à 1 200 000 $ en deux ans, et le résultat ne s'est pas fait attendre. Le nombre d'immigrants investisseurs, je l'ai révélé dans un document que vous avez sûrement eu en main, a connu une progression vraiment remarquable, surtout grâce à l'apport de Hong Kong, et nous voulons maintenir ce rythme de croissance l'an prochain, passer à 1000 investisseurs si c'est possible. Nous espérons que les montants investis suivront le même rythme de croisière et de développement que le nombre de personnes. Mais, dans la mesure où on a vu que l'immigrant investisseur reste au Québec, d'une part, et, deuxièmement, plus ou moins à long terme crée des emplois et, troisièmement, de bouche à oreille, informe ses collègues qu'ici il y a tel avantage et contribue à recruter à son tour, nous avons l'intention de maintenir le rythme de croissance de ces services au même niveau que dans le passé.

M. Vigneau: Si vous permettez, juste

une chose qui est peut-être technique, mais qui a son importance. C'est que, pour répondre précisément à votre question, FIRA ne s'applique pas aux immigrants investisseurs, c'est-à-dire que cela s'applique aux investissements, mais pas aux personnes physiques. Donc, l'immigrant qui vient investir ici échappe à FIRA. Dans ce sens-là, cela n'a eu aucune espèce d'importance, il n'est pas sous le contrôle de FIRA.

M. Dauphin: Avez-vous les moyennes d'âge des immigrants investisseurs?

M. Godin: Dans le rapport Archambault, on les a sûrement, M. le sous-ministre.

M. Dauphin: Oui, j'ai vu des communiqués de presse disant que des jeunes de 30, 32 ans... Mais est-ce que vous avez...

M. Vigneau: Oui, c'est un peu la moyenne d'âge. J'attire votre attention sur le rapport Archambault. Le rapport Archambault a été fait, évidemment, avec le stock que nous avions, c'est-à-dire les immigrants investisseurs qui étaient entrés de 1975 à 1981-1982. Or, il y a eu un changement considérable dans la sorte d'immigrants investisseurs depuis 1981-1982. Avant, de 1975 à 1981-1982, la majorité des investisseurs étaient dans le domaine primaire, c'est-à-dire essentiellement des agriculteurs. Dorénavant, chez les immigrants investisseurs, il n'y a presque plus d'agriculteurs, il y en a très peu; la très grande majorité sont dans le secondaire et surtout dans le tertiaire, donc des commerçants, des industriels.

Les caractéristiques d'âge qu'on retrouve dans le rapport Archambault pour la situation présente, je les utiliserais avec beaucoup de prudence. Mais la moyenne d'âge, c'est dans les environs de 40 ans pour les investisseurs.

Le Président (M. French): II y avait le député de Saint-Jean et le député de Saint-Henri qui m'ont indiqué leur intention ou leur désir de prendre la parole, mais c'est comme vous voulez, M. le député de Saint-Henri.

M. Hains: M. le ministre, tout le monde vous a lancé des fleurs au tout début; alors, moi aussi, je vous lance une pensée d'appréciation.

M. Godin: J'aurais pensé qu'au contraire vous aviez autre chose.

M. Hains: Non, non, moi je vous donne une pensée d'appréciation pour votre présence. J'avais plusieurs petites questions, moi aussi, à poser, mais je vais me contenter d'une seule qui m'intrigue un peu.

Comment expliquer l'arrêt de l'immigration que nous avons en provenance surtout de l'Italie, de la Grèce, de l'Espagne et du Portugal? Je pense que c'est un peu généralisé quand même au Canada. Par quels moyens explique-t-on cela actuellement?

M. Godin: Cela s'explique par le rétablissement économique de ces pays. Je pense que c'est la raison centrale. Mon sous-ministre a peut-être d'autres explications plus développées à vous donner, mais, en gros, c'est ce que les manuels sur l'immigration donnent comme raison. Dans la mesure où un pays se rétablit économiquement, les gens cessent de le quitter et les pays lointains cessent de leur apparaître comme étant le lieu où ils peuvent refaire leur vie, faire fortune rapidement et où les 5 $ poussent dans les arbres. Dans la mesure où vous avez un emploi chez vous, vous ne le quittez pas. Mais, peut-être que M. Vigneau a d'autres éléments.

M. Vigneau: Ce que j'aurais à ajouter ne ferait que diluer. L'essentiel de la réponse, c'est cela.

M. Proulx: J'allais poser la même question.

Une voix: II y a une drôle d'alchimie entre monsieur... C'est une alchimie mystérieuse.

M. Godin: On peut peut-être ventiler entre Roma et Jérôme.

M. Hains: C'est une question artistique, qu'est-ce que tu veux?

M. Godin: On peut peut-être ajouter, M. le Président, si vous permettez - cela me vient des analyses de mon sous-ministre adjoint - que la politique agricole européenne a également eu un effet direct sur la diminution importante d'immigrants de Suisse, de Belgique et de France et d'investissements dans le domaine agricole au Québec par les immigrants. Peut-être que M. Vigneau peut donner le fond de la...

Le Président (M. French): M. Vigneau.

M. Vigneau: Ce qui a joué directement dans la diminution du nombre d'investisseurs dans le domaine de l'agriculture, ce sont des modifications qui ont été acceptées voilà trois ou quatre ans par le Marché commun, ce qui fait que, dorénavant, à peu près tous les pays du Marché commun, pas à peu près, tous les pays du Marché commun sont obligés d'avoir une même politique quant aux prêts aux jeunes agriculteurs.

Les prêts sont beaucoup moins

avantageux qu'ils ne l'étaient avant. Les prêts étant moins avantageux, les jeunes ont plus de difficulté à acheter. Comme les gens ont plus de difficulté à vendre, ils viennent moins. Autrement dit, ils ne venaient que lorsqu'ils pouvaient vendre leurs terres à très bon prix. On sait qu'une terre en Suisse, même petite, cela vaut très cher. Pour la vendre très cher, il faut que l'acheteur obtienne des prêts avec des taux d'intérêt protégés.

Alors, on a subi ce contrecoup et de façon évidente et on peut vous dire, selon les années, que cela a été appliqué telle année en tel pays. On voit qu'il y a une corrélation très étroite entre l'application de cette politique et la diminution chez nous du nombre d'agriculteurs venant de ces pays.

M. Proulx: On peut dire aussi que c'est saturé au Québec. Vous parlez des Européens, mais il y a moins de terres au Québec à vendre qu'il n'y en avait il y a dix ans. Dans la région d'Iberville, à Saint-Jean et à Laprairie, il y a eu beaucoup de Belges, de Français et de Suisses qui sont venus, parce qu'il y avait des terres à vendre. Mais les terres ne sont plus à vendre; ce qui était à vendre a été vendu. Il y a moins de disponibilité de terres. Tout ce qui devait être vendu a été vendu.

La seule question que je voulais poser, M. le ministre, est que vous avez parlé beaucoup d'un mouvement migratoire vers l'Ouest, à cause de la situation économique. Mais, dans l'Ouest, c'est beaucoup moins drôle que ce n'était il y a une dizaine d'années. En Colombie britannique, il y a un taux de chômage qui est le double du nôtre, tout près de 15 %, je pense. En Alberta, il y a des problèmes économiques et sociaux de première importance. Ce mouvement migratoire a dû beaucoup diminuer depuis deux ou trois ans.

Il y a combien de Québécois en Colombie britannique maintenant? C'est à peu près impossible pour un jeune d'aller en Colombie britannique pour se trouver un emploi. Cela a dû diminuer dans les différentes provinces. Si le chômage est assez bas en Ontario, je ne sais pas quel est le taux de chômage... Nous, c'est 12 %, mais la Colombie britannique est la deuxième après Terre-Neuve. Je vois difficilement des Québécois qui vont aller dans l'Ouest à l'heure actuelle.

Le Président (M. French): C'est un peu, si vous me permettez, M. le député, ce que le ministre et M. Vigneau ont dit lorsqu'on a posé la question du solde migratoire du Québec.

M. Godin: II y a eu 34 000 arrivées des provinces anglaises vers le Québec en 1984, des arrivées, donc, des gens qui ont quitté la

Colombie britannique, l'Ouest et l'Ontario pour venir au Québec, parce qu'il leur semblait qu'il y avait au Québec des emplois pour eux et un avenir économique plus rose que dans la province où ils étaient il y a quelques années. Donc, ces phénomènes migratoires se rétablissent un peu en faveur du Québec. La perte nette du Québec, en 1984, c'est 5448 par rapport à 37 000 en 1977. On rejoint donc, en 1984, la moyenne de 1962 à 1976. Mais il y a quand même eu des sommets importants: 44 000 en 1970. Donc, on peut dire que l'économie du Québec recommence ou commence à réattirer des gens qui avaient quitté le Québec peut-être et qui reviennent.

Le Président (M. French): M. le ministre, je voudrais reprendre là où j'ai laissé avec vous il y a maintenant presque une heure. C'est la dynamique entre l'économie et l'immigration. Personne ne pourrait nier que, quand la situation économique est la plus rose dans un endroit, l'attitude la plus susceptible de se produire, c'est, pour les gens, de vouloir y rester. Mais, dans un contexte à moyen et à long terme, qui est quand même le contexte dans lequel la commission est appelée à penser, n'est-ce pas aussi le cas qu'avec la diminution possible de notre population et la stagnation de notre population il y a un effet économique à ce phénomène-là en soi et que la dynamique, ce n'est pas uniquement que la croissance attire la population, mais c'est aussi que la présence de la population crée la croissance? C'est justement là où est le "trade-off" entre les deux équilibres qui doit concerner la commission, le gouvernement et l'Assemblée nationale.

Je me demande si vous avez réfléchi à ce problème et s'il n'y a pas un argument économique pour un plus grand apport de l'immigration à la population du Québec, même s'il y avait inévitablement certaines difficultés conjoncturelles, soit une certaine perte des immigrants, soit des coûts à augmenter pour le budget du Québec quant à l'accueil et à la formation de ces gens-là, soit certaines difficultés sur les marchés du travail, bien que le problème du marché du travail ait été grandement surestimé par l'homme de la rue, d'après moi. Je vous invite à commenter cette problématique.

M. Godin: Évidemment, mon point de vue personnel - et je vais demander par la suite à MM. Laporte et Vigneau d'intervenir là-dessus; ils ont peut-être d'autres connaissances personnelles ou théoriques -mon point de vue personnel est que, si les Indiens avaient eu, il y a 300 ans, un ministère de l'Immigration, il n'y aurait peut-être pas de Québec, donc pas de Pechiney, pas de Baie James, pas d'Hydro-

Québec, pas de Caisse de dépôt, rien. Donc, cela a eu...

Le Président (M. French): Les autochtones en ajouteraient d'autres...

M. Godin: Donc, cela a amené un développement économique considérable, le fait qu'on accepte, enfin, veux veux pas...

Le Président (M. French): Oui.

M. Godin:... au bout du pays, dans certains cas, au Québec, des milliers de Français et d'Anglais qui sont venus ici. L'Amérique s'est développée également au rythme de ces influx migratoires d'Europe. Mon point de vue serait donc, pour une période X, de tenter le coup, que tout le monde soit admis pour quelques années et de voir quel effet cela aurait; qu'on fasse le test et on verra après. Mais c'est peut-être une aberration sociale, économique ou autre. Je demanderais donc à de vrais experts en la matière de donner eux aussi, en toute liberté, malgré ce que je viens de dire, leur point de vue sur ces questions puisqu'ils ont peut-être observé ce phénomène-là dans d'autres régions.

Je sais en tout cas que les États-Unis ont fait récemment une étude sur...

Le Président (M. French): Où ont-ils fait l'étude?

M. Godin: Aux États-Unis, sur la thèse du voleur de jobs, que les Mexicains ou les Portoricains qui viennent aux États-Unis volent les jobs des Américains. On a démontré dans un article de Scientific American qu'il n'en était rien, parce que les emplois occupés étaient ceux que les Américains ne prenaient pas de toute façon, mais que les Portoricains, ayant un emploi même modeste par rapport à d'autres, dépensaient et faisaient rouler l'économie. Donc, cela engendrait une production économique certaine. Maintenant, je vais peut-être demander à des gens qui connaissent cela...

Le Président (M. French): Oui, je voudrais vous demander s'il y a de telles études québécoises ou canadiennes. Je pense qu'il y en a, elles ne sont peut-être pas aussi complètes que celles qui auraient droit de présence dans Scientific American, mais je voudrais le demander, dans tout ce contexte-là, à M. Vigneau ou à M. Laporte.

M. Vigneau: Pour ce qui est des études, si vous me le permettez, je demanderais à M. Laporte. Je reviendrai tout de même après avec une autre considération.

Le Président (M. French): D'accord. M.

Laporte, c'est vous qui avez la patate chaude.

(12 h 45)

M. Laporte: D'abord, je vais être bref et commencer par dire que, sur la question du rapport ou des rapports entre la croissance démographique et la croissance économique, il faut être très nuancé. Je vous transmets cette information. J'ai assisté dernièrement à une conférence de Norman Ryder, qui est démographe au Center for Population Study de l'Université de Princeton et qui est maintenant professeur invité à l'Université de Toronto, et, à ma grande surprise, j'ai entendu Norman Ryder dire que, dans les années 1972-1973, il y a eu une commission présidentielle aux États-Unis qui en est arrivée à la conclusion qu'il n'y a pas de rapport de causalité ni suffisant ni nécessaire entre les deux variables que sont la croissance démographique et la croissance économique. Donc, j'ai été assez étonné, étant donné les propos que j'ai entendus, en particulier ici à cette commission.

Je ne pense pas qu'on puisse être catégorique là-dessus, mais Ryder disait que la croissance économique n'est pas causée par l'expansion démographique. En fait, il tire la conclusion suivante: pour arriver à contrer les effets néfastes pour le Canada du déclin démographique dont on parle, sa solution me paraissait assez originale, il la qualifiait d'"institutional adaptation", c'est-à-dire que, plutôt que de forcer la croissance économique par la croissance démographique, il préférait des mesures visant à adapter la scructure sociale - je ne veux pas insister là-dessus - au problème causé par le vieillissement, par exemple.

Donc, sur cette question, la croissance démographique et la croissance économique, d'une part, j'ai compris lors de cette conférence que c'était très complexe et, d'autre part, j'ai compris aussi qu'il ne fallait pas présumer qu'il y avait une relation de cause à effet entre ces deux variables.

Le Président (M. French): Que ce soit positif ou négatif.

M. Laporte: Que ce soit positif ou négatif.

Le Président (M. French): C'est-à-dire que, d'après ce que Ryder a dit, d'après votre compte rendu, il n'a pas dit que l'ajout de la population allait nécessairement être négatif pour la croissance économique. Cela ne voulait pas dire, par exemple, un plus grand fardeau social collectif entrepris par les gouvernements au détriment de ce qu'était déjà la population autochtone.

M. Laporte: Non, non. Dans le sens que mentionnait le ministre tantôt, je suis

d'accord avec l'article du Scientific American, bien sûr. Ce que j'ai trouvé étonnant, c'est qu'une commission américaine présidentielle se soit penchée sur cette question au milieu des années soixante-dix et en soit arrivée à la conclusion que la relation de causalité qu'on présume n'est pas là, en fait. Je ne veux pas être catégorique là-dessus non plus. Je pense que c'est très compliqué, comme le disait Ryder. Je pourrais vous faire parvenir le texte de Ryder, c'est dedans.

Le Président (M. French): Le président ne l'a pas lu encore, cependant. Là-dessus, il me semble qu'il est quand même important de souligner... Oui? Oh! excusez-moi. M. Vigneau. Merci beaucoup, M. le ministre.

M. Vigneau: Vous le disiez vous-même tout à l'heure, M. le Président. En matière d'immigration, ce qui est difficile, c'est de trouver le point d'équilibre. Bien sûr, parler en termes d'aucune immigration ou en termes de 70 000 immigrants, c'est facile, on peut trouver des arguments rapides. Pour moi, ce n'était pas une surprise d'entendre M. le ministre dire tout à l'heure que, personnellement, il aurait parfois tendance à dire: Laissons donc entrer tout le monde qui veut entrer. Je dois vous dire que, chaque fois que ce sujet est abordé, cela me fait frémir parce que, si on voulait laisser entrer tout le monde qui veut entrer, il y a des millions de personnes qui veulent entrer. C'est sur cet aspect que j'aimerais attirer l'attention de la commission.

On a chaque année à déterminer les niveaux d'immigration et cela m'apparaît une donnée importante. Depuis qu'il y a des statistiques en matière d'immigration et que nous les connaissons, on s'aperçoit que la part du Québec dans l'ensemble de l'immigration canadienne ne varie pas beaucoup. C'est dans une fourchette qui va de 15 % à 19 %. Bon an mal an, on se situe toujours à l'intérieur de cette fourchette.

D'autre part, lorsqu'on a à déterminer comment on va sélectionner les immigrants... On dit: On veut 20 000 immigrants. Comment cela se passe-t-il? Est-ce qu'on les compte et qu'au vingt mille unième on dit non? Non, ce n'est pas comme cela que cela fonctionne. On fait une enquête, par exemple, pour les immigrants indépendants. Je pense que notre ministère est un des seuls - sauf erreur, c'est le seul - à faire une enquête aussi large au Québec sur le marché de la main-d'oeuvre. On fait une enquête auprès d'au-delà de 3000 employeurs pour déterminer dans quels secteurs il y a des besoins. C'est uniquement dans les secteurs où on estime qu'il y a des besoins qu'on décide d'accorder des points à l'emploi.

C'est donc notre grand critère actuellement du point de vue de l'immigration économique. Si on fait disparaître ce genre de critère, qu'est-ce qu'on aura comme critère pour accepter un immigrant? Cela ne sera certainement pas son lieu d'origine. On ne peut quand même pas être arbitraire à ce point. Il faut déterminer comment on va le prendre. Est-ce que ce sont les premiers qui vont se présenter à nos bureaux à l'étranger?

Il y a une complexité et on peut jouer d'une année à l'autre, on le voit. On peut diminuer et augmenter, mais notre marge de manoeuvre, contrairement à ce qu'on peut croire, n'est pas si énorme que cela, même si, théoriquement, c'est vrai, le ministre pourrait décider que, l'an prochain, il va accueillir 50 000 immigrants. Si telle devait être la décision, j'aimerais beaucoup savoir comment on va s'y prendre pour sélectionner d'une façon équitable ces 50 000 immigrants. Au niveau de l'immigration humanitaire, ce n'est pas compliqué. On sait qu'il y a 12 000 000 de réfugiés dûment recensés par les Nations Unies. C'est évident que la très grande majorité de ces réfugiés aimeraient bien se trouver un pays pour aller vivre et, notamment, au Canada, au Québec, mais peut-on avoir une immigration à un niveau aussi élevé qui soit très majoritairement composée de réfugiés?

Autre point important, et M. le ministre y répondait un peu tout à l'heure. Comment se fait-il qu'il y ait moins d'Italiens - la question a été posée par M. le député - de Portugais ou d'Espagnols? C'est qu'ils ne veulent plus venir. On s'aperçoit que là où nous avons énormément de demandes, ce sont des pays sous-développés, des gens qui vivent des situations politiques difficiles, des situations économiques très pénibles, mais on se rend compte également que, très souvent, ces gens n'ont pas de formation. Ils arrivent... Je ne généralise pas, mais...

Le Président (M. French): Ils ne sont pas équipés pour concurrencer sur le marché du travail.

M. Vigneau:... ils ne sont pas nécessairement équipés. Ceux qui étaient le plus équipés... On s'aperçoit qu'il y a beaucoup, beaucoup moins de demandes dans nos bureaux à Londres, à Bruxelles, à Paris. Certains d'entre vous ont peut-être vu, dans la Gazette d'il y a un mois et demi, une grande page de cinq compagnies anglaises qui... Le titre annonce: "They Come Back". Donc, cinq compagnies anglaises qui ont une grande page dans la Gazette et qui disaient à leurs ingénieurs anglais, que nous étions allés sélectionner il y a quelques années: Revenez donc chez nous. Les conditions de travail et de vie sont meilleures chez nous maintenant.

Par rapport à l'immigration spécialisée,

celle qui risque d'avoir le plus d'impact sur la création d'emplois, nous sommes en concurrence effrénée avec d'autres pays. Tous les pays veulent les mêmes ingénieurs, tous les pays veulent les mêmes spécialistes en informatique. Lorsqu'on fait des campagnes... Actuellement, il y a une campagne de publicité et de recrutement qui se fait en Angleterre, en France et en Belgique. On m'informait qu'il y a cinq pays qui font actuellement une campagne de recrutement au même moment où nous la faisons. Nous sommes en concurrence par rapport à ces créateurs d'emplois. Par ailleurs, bien sûr, les possibilités sont très grandes, mais du côté d'une main-d'oeuvre qui, elle, n'est absolument pas qualifiée.

Le Président (M. French): Je comprends très bien ce que le sous-ministre adjoint nous dit et je suis content qu'il le dise. Cependant, je voudrais lui rappeler que le critère économique joue uniquement pour la catégorie, si j'ai bien compris, d'immigrants indépendants. Cependant, les autres immigrants trouvent, dénichent des emplois, créent des emplois ou, en tout cas, ne sont pas majoritairement des fardeaux sociaux pour la société. Est-ce que c'est raisonnable?

M. Vigneau: C'est une question ou une affirmation?

Le Président (M. French): En tout cas, c'est une opinion. Si, de façon flagrante, elle fait violence à la réalité, j'aimerais le savoir. Mme la députée.

Mme Harel: Est-ce que le taux d'aide sociale est plus élevé, par exemple, chez les catégories autres que celles d'investisseurs immigrants...

Le Président (M. French): Non, immigrants indépendants.

Mme Harel:... d'immigrants indépendants? Est-ce que les catégories, par exemple, au titre de la réunification des familles...

Le Président (M. French): Pour les réfugiés, probablement que oui. Je prétends que c'est strictement traditionnel. La plupart des réfugiés - c'est un préjugé, je suis prêt à regarder les statistiques - c'étaient des aubaines épouvantables pour le Canada, fantastiques. Après bien des difficultés, ils ont contribué beaucoup, en tout cas, d'après moi. II se peut que je me trompe, je suis prêt à regarder les chiffres et à analyser les faits, s'il y en a.

Là où j'aimerais revenir, c'est sur l'importance de la tradition en Amérique du Nord de la première génération qui vient avec peu et qui, de peine et de misère, s'établit, parce que c'est quand même mieux ici que dans leur pays d'origine; et les deuxième et troisième générations font partie du même "stream" et contribuent de façon extraordinaire.

La commission se pose la question suivante, et on n'a pas de réponse absolue. Compte tenu, d'une part, du fait que nous avons de bonnes raisons de penser que la francisation fonctionne mieux qu'il y a dix ans, quinze ans et, d'autre part, quand on connaît l'avenir démograhique des politiques de statu quo, n'y aurait-il pas une place additionnelle dans la cohorte d'immigrants qui arrive chaque année au Québec et n'y aurait-il pas possibilité de l'augmenter, non pas de façon dramatique, mais néanmoins significative sur quelques années pour que l'avenir démographique soit un peu moins sombre qu'il ne l'est aujourd'hui? Je ne veux pas parler pour tous mes collègues, mais c'est à peu près la question que la commission se pose.

Je ne sais pas si vous avez une réaction. En tout cas, ce n'est pas parce que nous sommes des idéalistes que nous ne sommes aucunement conscients de la conjoncture économique ou du fait que le genre d'immigrants qui est attiré vers nous n'est pas le même qu'il y a 10, 15 ou 20 ans. Même, dans le contexte, on ne peut pas dire que les Juifs, entre 1875 et la Première Guerre mondiale, étaient, de façon évidente, magnifiquement équipés pour venir ici. Remarquez, je suis d'accord, qu'il y avait une espèce d'ouverture de frontières et de croissance naturelle de pays vides qui les a aidés à s'enraciner. On ne peut pas dire nécessairement que les Italiens, entre les deux guerres mondiales, étaient équipés pour concurrencer. Mais, éventuellement, ils ont fait leur place.

Ce que je commence à voir - sur cela je vous fais un discours politique en réaction à d'autres observations très professionnelles que j'ai appréciées - c'est que je trouve qu'il y a un manque de charité, un manque d'ouverture non seulement au Québec, mais au Canada et peut-être aux États-Unis également. Peut-être que les leaders de l'opinion publique que nous sommes ont l'obligation de mettre cela en doute et d'examiner cela de façon un peu approfondie. Il faut ajouter à cela les enjeux pour la société québécoise qui sont un peu plus importants, d'après moi, que pour la Floride qui n'est pas en peine de sa population et ne le sera jamais. Je ne veux pas que le sous-ministre adjoint réagisse à cela parce que ce ne serait pas juste.

En tout cas, c'est le genre de questions que la commission se pose. M. le ministre, vous étiez absent et je vous donne le mot de la fin, parce que je pense qu'on devrait libérer la Chambre et le ministre...

M. Godin: Je pense que je me pose la même question que vous, M. le député de Westmount. Par ailleurs, je sais ce que mon sous-ministre a dit pendant que je n'étais pas là, du moins je le pense. Il faut quand même tenir compte d'un facteur clé, c'est comment s'assurer qu'ils vont rester ici assez longtemps pour nous faire bénéficier, précisément, de leur présence. Mais si on fait appel à ce que vous avez dit tout à l'heure, si je prends le réfugié vietnamien venu ici comme "boat people" avec presque rien en poche pour la majeure partie d'entre eux et, quand on va chaque année à la fête du Têt au complexe Desjardins, on voit, d'après les commerces qu'ils ont créés, les ateliers de meubles ou de laquage de toutes sortes qu'ils ont mis au point, on se rend compte qu'ils ont créé une économie vietnamienne au Québec. Donc, ils ont ajouté à l'économie du Québec.

Je serais porté à croire que, même le réfugié le plus démuni, au fond, est un acquis pour le Québec parce que d'abord il ne nous a rien coûté, sa formation ne nous coûte rien. C'est peut-être égoïste de dire cela. Je partage votre opinion sur cette question. Par ailleurs, je me poserais également la question que mon sous-ministre se pose: Est-ce qu'on va pouvoir les garder assez longtemps dans un emploi rentable pour qu'ils soient assez heureux - au fond, c'est la question - pour rester ici? Si oui, je dis: Passons à 30 000, parce que, au moins, on va retarder le point zéro de déséquilibre entre les entrées et les sorties ou les décès et les naissances. On devrait y aller, je pense, avec un nombre plus élevé, à l'instant, par ailleurs, où on se sera assuré qu'il y aura des emplois pour eux ici dans un domaine économique suffisamment intéressant pour qu'ils restent, ceux qui viennent et ceux qui sont déjà ici, parce qu'on a perdu beaucoup de ceux qui étaient déjà ici pour toutes sortes de facteurs. Tant que cette condition n'est pas présente, n'est pas là, on serait, à mon avis, peu sérieux si on ouvrait trop grandes les portes de la générosité dont vous parlez et que je partage entièrement.

Le Président (M. French): J'ai envie de continuer, mais on ne le peut pas. Je vous remercie, M. le ministre, M. le sous-ministre adjoint, M. le directeur général de la recherche, tous les conseillers qui sont ici ainsi que le personnel de la commission.

La commission termine ainsi ses consultations publiques dans le contexte de son mandat d'initiative. Merci beaucoup.

(Fin de la séance à 13 h 1)

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