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(Dix heures onze minutes)
Le Président (M. Trudel): À l'ordre, s'il vous
plaît!
Je déclare la séance de la commission ouverte en rappelant
son mandat, lequel consiste à des consultations particulières sur
le niveau d'immigration pour les années 1988 et 1989, en tenant compte
des besoins démographiques, économiques et socioculturels du
Québec, de même que de ses obligations à l'endroit de la
communauté internationale et des familles à l'étranger des
nouveaux résidents québécois.
Mme la secrétaire, est-ce qu'on a, ce jour-ci, encore des
remplaçants?
La Secrétaire: Oui. M. Gardner (Arthabaska) est
remplacé par M. Philibert (Trois-Rivières) et M. Khelfa
(Richelieu) est remplacé par Mme Bleau (Groulx).
Le Président (M. Trudel): Merci, madame.
Je pense qu'il est inutile de rappeler les ententes entre les partis,
mais je vais souligner à nos invités, comme je l'ai fait avec
tous les autres invités de la commission, que vous aurez, mesdames et
messieurs d'Alliance Québec, à qui je souhaite la bienvenue, 20
minutes plus ou moins pour résumer votre mémoire, qui est
volumineux et fort intéressant, et que nous aurons ensuite 40 minutes de
discussion avec vous, divisées également entre les partis.
Alors, étant donné que c'est le dernier avant-midi et que
nous avons une entente entre les partis de façon à terminer en
tout début d'après-midi, compte tenu des occupations de chacun,
M. le président, je vous cède immédiatement la parole en
vous demandant, pour les fins d'identification du Journal des débats,
de nous présenter les gens qui vous accompagnent.
Alliance Québec
M. Carter (Jim): Bonjour! C'est avec plaisir que nous sommes ici,
par une belle journée d'été.
Le Président (M. Trudel): C'est la troisième que
nous passons comme cela, à l'intérieur.
M. Carter: Oui, oui, mais c'est très confortable à
l'intérieur, en ce moment.
Le Président (M. Trudel): Do not rub it
in. Ha! Ha! Ha!
M. Carter: En ce moment, c'est très confortable.
Alors, je vais commencer les présentations, M. le
Président. Je vous présente Mme Sylvia Chesterman, à ma
droite, qui est la vice-présidente d'Alliance Québec, à ma
gauche, Me Julius Grey, professeur de droit à l'Université
McGill, et Dr. Vered Talai, notre directrice de la recherche, derrière
moi, M. Alan De Suza, membre de notre comité exécutif et M.
Geoffrey Kelley, adjoint de la directrice de la recherche. Quant à moi,
Jim Carter, je suis le secrétaire d'Alliance Québec.
Le Président (M. Trudel): Si vous voulez procéder
avec votre mémoire.
M. Carter: D'accord.
La majorité d'expression française du Québec doit
vivre dans un contexte nord-américain à majorité
massivement d'expression anglaise et composer avec la force et la puissance
internationale de l'anglais. Les francophones sont minoritaires en
Amérique du Nord et cet état de fait engendre des
inquiétudes réelles et légitimes relativement à la
capacité de protéger et de préserver le français au
Québec.
This sense of vulnerability has introduced special tensions into the
relationship with the English speaking minority within Québec, sharing
as it does a language with a majority outside Québec. The English
speaking community has, of course, historically rooted intramural in a
legitimate part of Québec society. Its character, we believe, is
distinctively "québécois".
Cependant, on croit généralement que les
communautés d'expression française et anglaise au Québec
sont en concurrence pour obtenir la loyauté et l'adhésion des
communautés culturelles. Il devient de plus en plus important de
réévaluer cette perception et les prémisses qui la
sous-tendent. Avec un accent mis de plus en plus sur l'immigration pour
compenser le faible taux de natalité, notre société est
destinée à être de plus en plus multiculturelle de
nature.
Nous pensons que nous devons éviter de représenter notre
société comme irrévocablement polarisée entre les
"deux solitudes". Alliance Québec a toujours soutenu qu'il existe deux
principales communautés linguistiques au Québec, soit la
majorité d'expression française et la minorité
d'expression anglaise. Toutefois, ce faisant, nous n'avons jamais
cherché à suggérer que ce genre de distinction
linguistique soit le seul fondement d'une adhésion à la
communauté et d'un développement au sein de notre
société. Nous n'avons pas non plus manqué de
reconnaître que la conservation et l'utilisation de langues autres que le
français et l'anglais sont d'une importance capitale pour de nombreux
groupes culturels. Cependant, l'une des caractéristiques qui distingue
la communauté d'expression anglaise, en tant que minorité de
langue officielle, est le fait que l'appartenance à notre
communauté linguistique est basée sur une affiliation
linguistique qui n'est pas reliée à une identité ethnique
ou à une tradition culturelle spécifique.
Tout comme la communauté d'expression française, notre
communauté est formée de gens d'origines religieuse, culturelle
et régionale différentes. Ce qui rassemble les membres de notre
communauté est leur adhésion commune, mais non pas
nécessairement exclusive, à l'une des deux langues officielles du
Canada ainsi qu'aux organismes et institutions publics qui les desservent dans
cette langue. Par conséquent, en mettant l'accent sur notre
diversité propre, nous reconnaissons que les membres de la
communauté. d'expression anglaise font aussi partie d'autres genres de
communautés fondées sur diverses affiliations, qu'il s'agisse du
quartier ou de la région, de l'identité ethnique, de la religion
ou d'autres caractéristiques.
Nous pouvons donc voir le Québec - et cela est très
important - groupé en deux principales communautés linguistiques
qui reflètent d'une façon unique la dualité linguistique
du Canada. Le Québec est la seule province du pays où l'on
retrouve une majorité d'expression française et une
minorité d'expression anglaise. La fragilité de la situation du
français, dans ce contexte unique en son genre, apporte à la
distinction entre le français et l'anglais au sein du Québec une
importance et une signification très particulières.
Nous ne devons permettre à la préoccupaton légitime
et compréhensible de cette distinction linguistique de nous amener
à percevoir les deux communautés comme des entités
discrètes et imperméables, car reconnaître la nature
variée de ces deux communautés, c'est aussi reconnaître ce
qui les lie. Par exemple, une personne peut appartenir à la
communauté d'expression anglaise et appartenir également à
la communauté portugaise, qui compte de nombreux membres au sein des
institutions françaises. Quelqu'un peut appartenir à la
communauté d'expression anglaise et, en même temps, participer
activement à la vie d'associations locales qui oeuvrent en
français. Et, évidemment, il y a une forte proportion de
personnes dont les origines sont autant françaises qu'anglaises. En
fait, les données sur la langue maternelle, du recensement de 1986
récemment publié, confirment que ce groupe de personnes constitue
une proportion importante et croissante de la population totale, dont l'anglais
est la langue maternelle. La nature pluraliste des deux principales
communautés linguistiques du Québec représente un spectre
de diversités culturelles, religieuses, régionales et locales qui
caractérisent la société québécoise dans son
ensemble.
C'est dans cette perspective qu'en nous penchant sur la question de
l'immigration, nous avons tenté, dans notre mémoire, de
créer un équilibre entre les préoccupations d'ordre
linguistique et les autres éléments sociaux et économiques
qui affectent notre société dans son ensemble.
L'histoire du Québec et du Canada a connu des vagues successives
d'immigration qui ont apporté la main-d'oeuvre, les compétences
et les ressources nécessaires au développement des
sociétés québécoise et canadienne. Les immigrants
en tant que travailleurs du chemin de fer, des mines, du bois ou de
l'industrie, en tant qu'entrepreneurs ou professionnels
spécialisés, ont toujours représenté une composante
essentielle à la création d'une économie moderne et
industrialisée au Québec et au Canada dans son ensemble.
Nous nous trouvons donc face au paradoxe suivant, à une
époque où le taux de natalité est à la baisse
particulièrement au Québec, nous avons connu au cours des
dernières années des taux d'immigration exceptionnellement bas,
pour une immigration particutièrement cruciale. Si ces tendances se
poursuivent, cela laisse présager des conséquences
économiques extrêmement sérieuses pour notre
société.
Nous nous trouvons face à une population décroissante et
de plus en plus vacillante qui serait incapable de maintenir une
économie croissante ou les systèmes de sécurité
sociale qui existent aujourd'hui. La diversité et le dynamisme de la
société québécoise se sont- évidemment
développés dans le contexte de son caractère à
prédominance d'expression française. Ce caractère a
formé et continuera à former la nature de l'intégration
des immigrants au Québec. Cependant, une société confiante
qui regarde vers l'avenir et qui est optimiste quant à sa
capacité de conserver son statut unique au sein de l'Amérique du
Nord serait plus à l'aise et plus efficace dans le
recrutement et l'accueil de nouveaux arrivants.
Notre avis est que l'intégration, et non l'assimilation, est le
principe moteur d'une société véritablement pluraliste.
L'intégration exige que chacun de nous fasse des ajustements. Les
immigrants qui arrivent au Québec doivent inévitablement
procéder, dans la plupart des cas, à d'importants changements de
coutumes et d'habitudes, en s'adaptant à un nouveau contexte
institutionnel du point de vue de la langue de travail, de l'éducation
et du gouvernement, mais, en même temps, ceux d'entre nous qui sont
déjà établis et installés au Québec doivent
apprécier les diverses traditions culturelles, linguistiques et
religieuses que les immigrants apportent avec eux et chercher à tirer
profit de cette diversité.
Le Québec a une longueur d'avance dans cette direction, à
notre avis, avec peut-être l'une des chartes des droits les plus
progressistes en Amérique du Nord. Cependant, les chartes et les textes
de loi, qui sont pourtant des mesures nécessaires pour assurer la
protection des droits des individus et des minorités, ne sont pas en
eux-mêmes suffisants pour assurer la protection des droits des individus
et des minorités, ne sont pas eux-mêmes suffisants pour
éliminer l'intolérance et l'incompréhension. Alors, nous
demandons donc au gouvernement du Québec d'accorder des fonds
spéciaux pour des programmes visant une meilleure connaissance et une
meilleure appréciation de la nature pluraliste de notre
société. En particulier, nous demandons un appui
généreux à l'élaboration et à l'implantation
complètes d'un programme d'éducation interculturelle dans nos
écoles.
M. Grey (Julius): Une politique d'immigration
québécoise qui porterait exclusivement sur la migration
internationale serait cependant incomplète et, par conséquent,
peu efficace. Tant et aussi longtemps que les pertes causées par la
migration interprovinciale continuent à miner les gains
réalisés grâce à l'immigration internationale, nous
trouverons de plus en plus difficile de réaliser les gains de population
nécessaires étant donné le faible taux de natalité
du Québec. Bien que la migration interprovinciale ait diminué
depuis 1981, certains indices préliminaires - c'est-à-dire
inter-recensement - laissent croire que les personnes d'expression anglaise
constituent toujours la majorité de ceux qui partent. Il faudra disposer
de beaucoup plus de données pour découvrir les raisons poussant
les personnes d'expression anglaise à quitter le Québec.
Dans son rapport de 1985, la commission de la culture reconnaissait
explicitement qu'il y avait trop peu d'informations disponibles sur les
facteurs et les motivations poussant les gens à quitter le
Québec. La commission a, par conséquent, recommandé que le
ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration, dans
le cadre d'un mandat élargi, entreprenne une étude d'envergure
sur les phénomènes de l'émigration et, par la suite,
élabore une politique en vue d'enrayer l'émigration. Bien que
deux ans se soient écoulés, il n'y a eu, à notre
connaissance, aucune tentative d'appliquer les recommandations de la
commission.
Nous demandons, par conséquent, que les recommandations
formulées par la commission de la culture, en 1985, soient
appliquées sans délai.
En outre, l'immigration disproportionnée des
Québécois d'expression anglaise des implications qui vont bien
au-delà des frontières de cette province. Dans une étude
des mouvements de population interprovinciaux du Canada, Réjean
Lachapelle, de Statistique Canada, a conclu que ces mouvements ont
contribué à accroître la consolidation régionale des
deux communautés de langue officielle dans l'ensemble du pays. Sans la
présence de communautés minoritaires de langue officielle
dynamiques et florissantes dans l'ensemble du Canada, la dualité
linguistique ne peut être une réalité vivante et
quotidienne pour la plupart des Canadiens. Sans ces communautés, la
dualité linguistique du Canada serait réduite à un
Québec d'expression française, à neuf provinces
d'expression anglaise, à une bureaucratie bilingue à Ottawa. Afin
de maintenir son poids démographique au sein de la
confédération, le Québec devra poursuivre son programme
afin d'encourager activement les immigrants à venir dans notre province.
Afin de réaliser efficacement cet objectif, la variété des
sources d'immigration doit être définie de façon aussi
large que possible. Le Québec doit activement recruter des immigrants
dans les pays non francophones, même s'il intensifie son programme de
recrutement dans le monde francophone.
Voilà qui est tout particulièrement important, à
cause du déclin de l'importance de l'Europe comme source traditionnelle
de l'immigration au Canada et à cause du fait que, depuis 1975, le
Québec n'a pas réussi à atteindre sa part d'immigration au
Canada correspondant à sa population par rapport à celle du pays.
Nous devons assurer que les immigrants reçoivent les outils leur
permettant de participer pleinement à tous les aspects de notre
société. Le plus important de ces aspects est la capacité
de parler français. Cependant, cela ne doit pas éliminer la
possibilité qu'il utilise aussi d'autres langues. L'objectif de
l'intégration devrait être que tous les Québécois
puissent communiquer et agir dans une langue
commune, le français. Il ne devrait pas en être un
d'uniformité culturelle et linguistique.
Dans notre mémoire, nous formulons dix recommandations
spécifiques sur l'intégration des immigrants à la
société du Québec. Parmi celles-ci, nous appuyons la
recommandation du Conseil de la langue française concernant le programme
d'enseignement des langues et des cultures d'origine, PELO, qui est un
programme valable répondant à la diversité qu'on retrouve
dans nos écoles et devrait être accessible à un plus grand
nombre d'élèves. (10 h 30)
Nous recommandons aussi que l'accès à l'école
anglaise soit élargi. Si, dans certains milieux, on s'inquiète du
fait que des enfants qui vont à l'école française
continuent à utiliser d'autres langues dans leurs conversations de tous
les jours, nous sommes bien conscients que l'admission de certains enfants
immigrants à l'école anglaise susciterait des inquiétudes
encore plus profondes et plus répandues.
Nous croyons cependant qu'il est possible de permettre aux enfants de
langue maternelle anglaise d'aller à l'école anglaise sans mettre
en péril l'équilibre favorable à la prédominance du
français.
Dans notre mémoire, nous présentons des données
à l'appui de notre opinion, à savoir que le nombre d'enfants
touchés par cette recommandation est restreint et représente une
proportion négligeable du nombre d'inscriptions à l'école
publique française.
Notre recommandation se révèle cependant plus pertinente
pour le secteur public anglais au Québec dont les inscriptions ont connu
une baisse sérieuse de plus de 50 % entre 1975 et 1986. Si notre
société est profondément engagée à maintenir
une communauté québécoise d'expression anglaise et son
réseau scolaire, nous ne pouvons pas simplement rester passifs et
assister à ce déclin inexorable. Nous devons nous attaquer
à cette réalité et agir en conséquence.
Le Président (M. Trudel): Cela va, c'est fait
automatiquement par le technicien.
Mme Chesterman (Sylvia): Ah bon! La communauté
d'expression anglaise fait partie intégrante de la société
québécoise. Ses institutions sont québécoises.
L'inscription d'enfants immigrants d'expression anglaise dans les écoles
anglaises ne devrait donc pas être perçue de façon
alarmiste mais plutôt comme un aspect raisonnable et légitime du
processus global d'intégration des nouveaux immigrants à notre
société diversifiée.
Nous désirons insister sur le fait fondamental que tous les
enfants du Québec, qu'ils soient inscrits à l'école
française ou à l'école anglaise, devraient, au moment
où ils terminent leurs études dans le système public,
être en mesure d'agir en français dans leur vie quotidienne. On a
fait des efforts importants en ce sens au sein du système scolaire
anglais.
Nous sommes donc justifiés de croire que les immigrants qui sont
admissibles à l'éducation en anglais en vertu de notre
proposition non seulement devraient mais vont apprendre le français.
Depuis la signature de l'entente Cullen-Couture, le Québec a
joué un rôle plus direct dans la sélection et l'accueil
d'immigrants et de réfugiés et s'est révélé
positif et flexible dans son approche auprès des gens qui
désirent venir dans notre province en provenance d'autres pays.
L'entente Cullen-Couture décrit les responsabilités et les
secteurs de juridiction du Québec dans fe domaine de l'immigration.
Le projet d'accord constitutionnel vise à enchâsser
l'accord Cullen-Couture et à donner au Québec des pouvoirs
presque exclusifs en matière d'accueil des immigrants. Étant
donné le rôle accru du Québec dans la formulation des
politiques d'immigration, le moment est venu d'apporter une forme
législative officielle aux principes guidant cette politique au moyen
d'une loi québécoise sur l'immigration.
Nous croyons que cette .loi sur l'immigration devrait être dans la
lignée de la tradition de générosité du
Québec et concrétiser un esprit d'accueil et d'encouragement
envers ceux qui désirent venir au Québec.
Dans notre mémoire de l'an dernier, nous recommandions comme
objectif en immigration internationale, un niveau de 30 000 personnes, ce qui
correspondait à l'objectif global du gouvernement fédéral
de 115 000 à 125 000 en 1987. Nous espérons que le gouvernement
fédéral maintiendra, en 1988 et en 1989, l'engagement qu'il avait
pris en 1986-1987 quant à un accroissement modéré et
contrôlé des niveaux d'immigration, Pour correspondre à cet
accroissement, les niveaux d'immigration au Québec devraient
également augmenter en conséquence au cours des années
à venir pour atteindre au moins 32 000 à 35 000 personnes.
En conclusion, throughout this brief, we have emphasized the
demographic, economic and social necessity of increasing immigration to
Québec. All regions of Québec should benefit from immigration. It
seems appropriate to end our presentation with a passage which appeared in a
recent Financial Post editorial of July 20th 1987 and I quote: "If we
are, however, to welcome greater numbers of immigrants in years to come, then
the government must begin now to prepare the way. It must educate the public to
the real value of the immigrants
who arrive on our shores that they do us a favor, not the other way
around. It must appeal to our highest selves, not appease the instinctive fear
of the stranger at our door." Thank you!
Le Président (M. Trudel): Merci, madame, merci, messieurs.
Cela termine la présentation du mémoire d'Alliance Québec.
Je vous remercie. Alors, je vais reconnaître Mme la ministre des
Communautés culturelles et de l'Immigration.
Mme Robic: Oui. Je souhaite la bienvenue aux personnes qui
représentent Alliance Québec. On vous remercie d'avoir
accepté notre invitation de participer à cette commission. Je
vous félicite de l'ouvrage que vous avez consacré à la
préparation de ce mémoire qui est un mémoire fort
important.
Vous avez raison de dire que les anglophones font partie de la
société distincte québécoise. D'ailleurs, vous avez
largement contribué au développement économique et social
de cette province.
Vous vous inquiétez, bien sûr, et avec raison, des soldes
migratoires négatifs que le Québec a connus depuis plusieurs
années. Cependant, nous voyons changer les choses, tourner le vent et
c'est très encourageant et positif. Nous avons réussi à
diminuer le nombre de personnes qui quittent le Québec. Au niveau
interprovincial, nous avons su également attirer des gens vers le
Québec. Nous avons, cette dernière année, attiré
des gens qui sont revenus d'autres provinces vers le Québec.
Donc, avec les résultats de l'année 1986, nous avons vu un
solde migratoire positif de plus de 10 00Q. J'ose espérer que nous
sommes sur la bonne voie. Cependant, vous avez raison, nous devons faire une
étude à ce niveau-là. Nous ne l'avons pas commencée
mais ce sera certainement à la suite de cette commission. D'ailleurs,
vous n'êtes pas les seuls à nous recommander de faire ce genre
d'étude. Nous nous pencherons sur cette problématique.
Vous réalisez également, dans le contexte
nord-américain, l'importance pour la société
québécoise francophone de protéger et de promouvoir son
caractère distinct. Et dans ce sens, le Québec a toujours
poursuivi dans sa politique d'immigration des objectifs d'intégration
à la majorité francophone.
Certaines de vos recommandations laissent croire que vous remettez en
question cette orientation. Est-ce que je pourrais avoir vos opinions
là-dessus?
M. Carter: Alors, vous parlez de certaines de nos
recommandations. Pouvez-vous préciser peut-être une recommandation
qui crée cette...
Mme Robic: Vous semblez dire qu'on ne devrait peut-être pas
nécessairement orienter toute notre action afin d'amener les immigrants
à s'intégrer à la majorité francophone. J'ai
peut-être mal saisi le sens de votre mémoire à ce
sujet.
M. Carter: Pour ce qui est de notre orientation
générale, je peux peut-être reprendre.
À notre avis, notre communauté d'expression anglaise
représente aussi une communauté diversifiée;
c'est-à-dire qu'il y a toujours une partie de notre communauté
qui est le résultat des immigrations intérieures et nous pensons
que même avec le progrès qui a été effectué
au cours des dix dernières années en orientant la majorité
des immigrants vers les institutions françaises, comme le système
d'éducation, par exemple, il reste toujours une partie légitime
de la communauté d'expression anglaise qui vient d'en dehors du
Québec, soit du reste du Canada ou du monde aussi.
Alors, nous croyons que c'est très légitime, en tant que
communauté qui a cette diversité, que ceux qui sont très
clairement liés ou affiliés et considérés dans
l'opinion de notre société comme partie intégrante de la
communauté d'expression anglaise, que ces immigrants puissent être
affiliés aux institutions, par exemple, au système
d'éducation anglais.
Parlons de la langue maternelle, par exemple. Les immigrants de Hong
Kong, par exemple, qui ont besoin d'une période d'adaptation dans le
territoire du Québec, ont l'occasion de passer cette période
d'adaptation dans une langue qui leur est familière
On doit ajouter à cette orientation, Mme la ministre, que de plus
en plus nos communautés sont très orientées vers la
majorité. C'est-à-dire que ceux qui sont affiliés à
notre communauté sur la base de la langue semblent s'orienter de plus en
plus vers une adaptation dans le milieu français. C'est toujours
indiqué par l'intérêt extrême qui existe dans notre
communauté d'avoir l'habilité de communiquer en français.
Alors, je pense qu'on accepte très clairement que la majorité des
immigrants doit être orientée vers la communauté
d'expression française. On n'a aucun problème avec cette
orientation mais il reste toujours des exceptions à cette règle
générale à cause des liens historiques qui existent et
à cause d'une affiliation historique de certains groupes avec la langue
anglaise. Alors, on doit accepter, comme société
généreuse et chaleureuse, d'accueillir les immigrants par des
politiques d'adaptation qui existent aussi dans le système
d'éducation - je prends un exemple - de les orienter vers l'usage de la
langue française. On va faire notre part comme communauté
d'expression anglaise pour intégrer notre communauté
dans la vie de la majorité du Québec.
Mme Robic: D'ailleurs, nous avons vu les efforts qui ont
été faits par la communauté anglophone à ce
niveau-là. Je pense que je peux dire que toutes les classes d'immersion,
les classes du soir pour adultes, ont toujours été bien remplies
et il y a eu un effort de fait et il est visible, cet effort. On ne peut que
vous en féliciter d'ailleurs et quand vous recommandez des meilleurs
cours de langue française dans les écoles anglaises, vous avez
fort raison de le faire. Ces jeunes qui grandissent auront certainement...
C'est certainement pour eux un acquis important... (10 h 45)
M. Carter: Oui.
Mme Robic: ...que de pouvoir faire partie de la
société francophone majoritaire du Québec.
Votre mémoire appuie une hausse de l'immigration et l'adoption
d'une loi québécoise sur l'immigration. J'aimerais que vous
puissez préciser en quoi cette dernière se distinguerait de la
présente loi fédérale.
M. Carter: Oui, je vais passer la parole à Me Grey pour
répondre.
Mme Robic: D'accord.
M. Grey: Je pense nécessairement qu'il y aurait beaucoup
de choses qui seraient les mêmes. Par exemple, le Québec
n'entrerait pas - heureusement pour le Québec - dans le mécanisme
d'expulsion ou d'exclusion ou toutes ces choses-là qui sont très
désagréables. Je pense que ce qui existe maintenant, c'est une
loi habilitante, la création d'un ministère et il n'y a pas de
règles juridiques adoptées par l'Assemblée nationale qui
disent comment les gens doivent agir, ce qui nous mène à une
discrétion quasi absolue. Je pense que cela était possible quand
l'immigration était un sujet peu important pour le gouvernement du
Québec, quand Ottawa faisait 99 % du travail et que le Québec
aidait les immigrants dans leur intégration. Mais si le Québec
sélectionne les immigrants et travaille avec les réfugiés,
si le Québec prend les décisions importantes qui affectent la vie
entière des individus, à ce moment-là, il faut une loi qui
peut, par la suite, comme toutes les lois, être l'objet d'un litige
où les droits que les gens peuvent avoir seront protégés
adéquatement.
Je pense que cette loi donnerait, premièrement, les exigences
québécoises pour l'immigration au Québec qui seraient,
j'imagine, similaires mais pas nécessairement les mêmes que celles
que nous avons aujourd'hui au niveau fédéral. D'ailleurs, le
Québec l'a déjà fait par des règlements. On
incorporerait cela dans une loi. Il y aurait également des règles
pour le statut de réfugié. J'ose espérer que la
définition de "réfugié" serait plus large, plus
généreuse que le minimum international qui a été
adopté à Ottawa. Il y aurait d'autres parties semblables.
Je pense que le principal, c'est qu'on ne peut pas avoir un
ministère qui fait une fonction très importante à long
terme sans avoir une loi qui dit aux gens, tant canadiens qu'étrangers,
quels sont leurs droits, ce qu'ils peuvent faire et où ils peuvent
s'adresser si le gouvernement ou les fonctionnaires ne remplissent pas leur
devoir.
Mme Robic: Je vous remercie.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre. M. le
député de Saint-Jacques.
M. Boulerice: M. le vice-président, M. le
secrétaire, mesdames, messieurs. J'ai lu bien attentivement les
recommandations. Vous savez comme moi que - j'emploie cette expression
imagée - j'ai sauté dans la piscine très rapidement mardi
matin. Je l'ai appris presque en même temps que vous. Donc, je n'ai
peut-être pas lu... Je n'ai surtout peut-être pas fait - ce que
j'aime toujours faire -une deuxième lecture de votre document.
Cependant, j'ai regardé les résolutions. La première
impression que j'ai est que c'est effectivement un mémoire très
bien fait et très bien présenté. Je pense que vous devez
en être félicités.
J'ai remarqué parmi vos recommandations des choses qui font
l'unanimité ici. Je suis heureux de vous entendre les
répéter quand vous parlez d'accorder des fonds spéciaux
pour les programmes visant une meilleure connaissance et une meilleure
appréciation de la nature pluraliste de notre société.
Vous parlez d'un programme d'éducation interculturelle dans nos
écoles. On sait que la Commission des écoles catholiques nous a
dit qu'elle incluait cela d'ailleurs dans son devis pédagogique; donc,
cela va bien. Cela fait également référence au rapport
Chancy, dont Mme la ministre nous a dit qu'il était en voie
d'application. Sauf que moi, j'aimerais bien, par contre, avoir un
échéancier pour être certain que l'objectif sera atteint
précisément en telle année. Elle va peut-être me
donner des garanties tantôt sur ce point.
Vous rendez justice, et cela j'en suis heureux, à une mesure
adoptée par le gouvernement précédent. Je n'étais
pas étranger à ce programme - puisque j'en discutais avec le
ministre responsable - qui est PELO, le programme d'enseignement des langues
d'origine. Vous l'évaluez comme un acquis extrêmement positif au
Québec et vous souhaitez son maintien. J'accueille très bien
d'ailleurs que vous ajoutiez: "II faudrait
cependant veiller à sauvegarder l'autonomie des écoles
locales dans l'administration de ces cours." J'ai toujours été en
faveur d'une très grande décentralisation de l'école.
C'est peut-être une partie de mon vécu que je vous livre.
Vous dites que les femmes immigrantes devraient recevoir des allocations
et devraient avoir plus facilement accès aux garderies si elles sont en
mesure de tirer profit d'une formation à l'emploi et de cours de langue
seconde. Déjà vos collègues du Congrès juif
canadien de la Société québécoise de
solidarité internationale... Mme Augenfeld a abordé cette
question aussi. Je lui avais par contre posé une question mais je pense
qu'à ce moment-là, on a eu un problème de
compréhension. Je lui posais très spécifiquement cette
question: Est-ce que vous Êtes d'accord avec la nouvelle politique
gouvernementale pour ce qui est des garderies, soit de financer plutôt
les parents que la garderie, ce qui semble poser certains problèmes
financiers à plusieurs femmes? Je ne sais pas si vous auriez un
commentaire à ce sujet-là.
M. Carter: Je pense que c'est peut-être hors de notre
présentation de faire un commentaire sur la politique comme telle, M.
Boulerice. Ce qui nous intéresse, c'est, comme je l'ai dit auparavant,
une générosité et un accueil chaleureux des immigrants et
des politiques qui aident l'intégration des immigrants dans la
société. On a identifié les différentes politiques
qui demandent l'attention du gouvernement afin de faire des
améliorations, afin de faire des ajustements qui touchent directement
à la priorité que la société
québécoise donne à l'intégration des immigrants.
Alors, c'est dans ce contexte qu'on a fait nos recommandations.
On parle aussi du résultat du sondage et de l'étude qui
étaient publiés la semaine passée et qui indiquent que les
femmes immigrantes forment un groupe qui a besoin de politiques
d'intégration plus précises. Je pense que c'est dans le sens de
l'étude qui a été publiée la semaine passée
qui cible ce groupe comme un groupe qui demande un traitement prioritaire
à l'égard de l'intégration. Je pense que notre
recommandation à cet égard est suffisante en termes de... On veut
promouvoir la "priorisation" d'une population cible pour ce qui est des
garderies.
M. Boulerice: Disons que j'aurais aimé vous voir vous
prononcer parce que je pense que la femme immigrante est malheureusement
financièrement souvent beaucoup plus défavorisée que la
femme québécoise de vieille souche anglophone ou francophone.
Elles m'ont dit avoir été dans une certaine mesure
défavorisées financièrement par ce changement de
financement pour ce qui est des garderies.
Ceci dit, vous insistez aussi sur le mouvement d'émigration
Québec versus les autres provinces. Pardon?
Le Président (M. Trudel): Ma question.
M. Boulerice: Vous savez, l'hypothèse du nombre de
questions demeure toujours limitée et il y en a toujours un qui prend la
question de l'autre et automatiquement, on a un jeu du pendu,
c'est-à-dire: Bang! une question de perdue pour le président. de
la commission.
Le Président (M. Trudel): Deux de perdues, dix de
retrouvées.
M. Boulerice: Dix de retrouvées. Le
phénomène d'émigration a touché les jeunes, dans
une large proportion. Lors de l'étude des crédits du
ministère de l'Éducation, le ministre, M. Ryan, nous a
informés qu'il s'était rendu à votre requête d'une
subvention d'environ 30 000 $ pour l'étude sur les aspirations des
jeunes Québécois d'expression anglophone. Cette étude va,
sans doute, nous permettre de mesurer les raisons qui ont occasionné des
départs. Je sais que c'est quand même récent. La question
que je veux vous poser est: Avez-vous une prévision du moment où
nous pourrons prendre connaissance de cette étude-là? Je pense
qu'elle est importante dans le débat que nous avons actuellement sur
l'immigration. Elle pourrait surtout nous permettre d'adopter des
mécanismes qui vont nous faciliter la tâche en inversant, puisque
vous souhaitez que l'on réussisse à faire le contraire
maintenant, non pas à laisser partir, mais à ramener des gens des
autres provinces.
M. Grey: Voulez-vous dire: quels sont les motifs de
départ?
M. Boulerice: Oui.
M. Grey: II y a des choses inévitables dans un pays
où il n'y a pas de frontières: les mariages, les
carrières... Les gens voyagent beaucoup de nos jours aux
États-Unis, au Canada, en Europe. Mais, une chose qui a
été spécifique aux anglophones, jusqu'à assez
récemment, et c'était une sorte d'inquiétude et, cette
inquiétude, ce découragement venaient d'une perception d'une
politique systématique. Je pense que cette politique n'existe plus,
depuis assez longtemps. Alors, on pourra peut-être renverser la tendance.
Mais il y a une chose: les gens doivent être à l'abri des craintes
que demain on changera les règlements. Aujourd'hui on peut aller
à l'école anglaise, demain on ne pourra pas. Aujourd'hui les
exigences sont assez raisonnables, demain elles seront très strictes,
elles seront
appliquées d'une façon draconienne. Il faut créer
à long terme - ce n'est pas une chose qui se forme en deux jours ou
trois jours - un climat de confiance. La conséquence, à ce
moment-là, sera qu'il va toujours y avoir un mouvement comme il y a un
mouvement des francophones, comme il y a un mouvement de n'importe qui, mais ce
mouvement sera équilibré et, si la situation économique
est bonne, le mouvement sera plutôt vers le Québec, que pour
quitter le Québec. Alors, c'est ce climat de confiance. C'est ma
prévision. Peut-être que j'ai tort, peut-être qu'il y a
d'autres motifs de départ.
M. Boulerice: Quand vous parlez de favoriser la migration au
Québec en provenance des autres provinces du Canada, avez-vous des
suggestions bien précises à nous indiquer à ce sujet?
M. Carter: Je pense que c'est dans le sens de3 objectifs de notre
société de continuer à se développer, d'avoir une
expérience de croissance économique, d'avoir une vitalité
comme société au niveau social et économique. Alors, c'est
toujours possible que le Québec devienne une place très
attrayante, un endroit où les personnes veulent s'installer au Canada,
qu'il soit anglais ou français ou immigrants. Les
caractéristiques du Québec sont uniques et positives dans le sens
que c'est attrayant pour les personnes de s'installer ici. Alors, je veux vous
faire part de quelques discussions qu'on a eues entre nous. Mme Chesterman, qui
vient du Manitoba, me dit qu'il y a une volonté très positive des
personnes d'expression anglaise, hors du Québec, de
déménager au Québec pour avoir l'expérience de
demeurer dans un milieu français. Certains mythes existent sur la
tension entre les deux communautés linguistiques. Alors, on ne veut pas
que cet aspect cache une autre réalité. (11 heures)
Certaines personnes d'expression anglaise provenant du Manitoba ou de la
Colombie britannique ou des États-Unis ou d'ailleurs veulent vivre ici,
veulent s'intégrer, pour que leurs enfants puissent apprendre le
français. Alors, je pense que l'arrivée de ces personnes
reflète une confiance dans la société
québécoise. Je pense que les tendances que Mme la ministre a
indiquées renversent les tendances de l'immigration. C'est un
ralentissement de l'immigration, si je comprends bien. Pourquoi y-a-t-il un
renversement ou un ralentissement de cette' tendance? Est-ce parce qu'il y a un
climat de confiance au Québec en termes de croissance
économique?
Nous lisons toujours dans les journaux du Canada, dans le milieu des
affaires, que Québec est une société fiable, qui est en
train de régler les grandes questions linguistiques et culturelles, qui
a une croissance économique assez importante au sein du Canada. Alors,
les personnes qui lisent Ies journaux et les professionnels à Edmonton
ou en Colombie britannique vont peut-être considérer que le
Québec est un endroit où ils veulent venir vivre, où ils
veulent amener leur famille, où ils veulent s'intégrer. C'est sur
cet aspect que je veux répondre à la question de M. Boulerice.
C'est toujours les facteurs généraux dans le sens positif d'un
climat de confiance qui agissent comme un attrait- sur les gens, pour venir au
Québec. La langue française et la culture française
peuvent aussi être, pour quelques personnes d'expression anglaise une
motivation pour venir au Québec.
M. Grey: Vous avez également demandé des mesures
précises, je veux bien vous répondre. Ce que cela prend, c'est,
en trois points, une nouvelle définition d'intégration d'un
immigrant, qu'il soit Canadien ou étranger. Premièrement, il y a
la langue de communication. Il faut que tout le monde puisse communiquer en
français. Par exemple, cela prendrait des cours de français. Cela
prendrait toutes les facilités nécessaires pour que quelqu'un
puisse faire une transition raisonnable de l'anglais ou d'une autre langue au
français, comme langue quotidienne de communication.
Deuxièmement, au niveau de l'école, il faut, je pense, que
ceux qui sont de culture anglaise puissent s'intégrer dans le
réseau anglais, que ceux qui sont de culture française ou
différente puissent s'intégrer au système français
tout en ayant une opportunité d'apprendre l'anglais. La troisième
chose - c'est la plus difficile -c'est la définition
d'intégration culturelle qui n'est pas nécessairement une
intégration, mais qui est plutôt un choix individuel. Alors,
à condition qu'il ait rempli les conditions des langues de communication
et langues .d'école, je pense que chaque individu devrait pouvoir faire
son propre choix et sentir qu'il peut faire son propre choix quant à sa
culture. Il peut choisir un peu des deux cultures canadiennes, peut-être
une troisième ou une quatrième.
Je vais vous donner un exemple très pratique qui
m'intéresse. J'ai été immigrant, il y a 30 ans - j'avais 9
ans - et qu'est-ce que je suis maintenant? Je ne me pose pas de question. Je
m'exprime dans les deux langues. J'ai un petit accent en français, je
n'en ai pas en anglais, mais enfin, je parle les deux langues. Je fais partie
entièrement, je pense, de la société
québécoise. Il faut faciliter l'intégration culturelle de
ce genre, que ce soit culturellement le choix de chaque individu. Pour
l'école, on l'a expliqué. Quant à la langue de
communication, il faut avoir des facilités pour que tout le monde puisse
s'exprimer en français, rapidement et
bien.
M. Boulerice: Je suis content de vous entendre dire cela et
d'entendre dire que des citoyens d'autres provinces ont le goût de venir
s'établir au Québec. Encore là, quelque chose me
réjouit. Je vais vous confier un secret que vous ne
répéterez à personne parce que je ne voudrais pas raviver
cette vieille rivalité Montréal-Toronto. Récemment, un ami
torontois me disait qu'il trouvait Montréal plus "swing" et qu'il avait
le goût de venir s'installer ici. Espérons qu'ils viendront
nombreux.
Vous faites deux recommandations qui sont le point h et le point i. Vous
êtes bien conscients que cela exige des modifications à la loi 101
et que les Québécois francophones ont vu la loi 101
amputée d'une très grande partie, notamment dans le domaine de la
justice, etc. et que des signaux assez clairs ont été
donnés à l'automne, qu'on retrouvait d'ailleurs sous forme de
panneaux-balcon qui étaient: "Ne touchez pas à la loi 101".
M. Grey: II n'y a rien nulle part dans nos lois qui ne peut
être modifié ou changé. Je pense qu'il n'y a pas de chose
qui sont tellement fondamentales - même la constitution, même la
charte - qu'elles ne peuvent jamais être modifiées. Je pense que
les recommandations que nous proposons pour la loi 101 gardent l'esprit de la
loi dans le sens de la promotion et la préservation - bien que le danger
soit passé - de ja langue française tout en permettant un plus
grand épanouissement à ceux qui sont d'une autre langue,
notamment l'anglais. Je pense que la loi 101 mentionne ce but-là aussi,
même à l'intérieur de cette loi.
On ne propose pas une abolition, une abrogation ou quoi que ce soit, ce
sont des modifications qui créeront un état de choses qui sera
plus propice à la réalisation des buts de la loi 101,
c'est-à-dire qui va diminuer encore plus la tension qui existait il y a
quelques années et qui existe très peu maintenant, qui va donner
confiance aux anglophones et préserver - cela est très important
dans notre mémoire - le poids critique de l'école anglaise, parce
qu'en bas d'un certain chiffre, cela ne pourra pas être un système
moderne très efficace qui, en même temps, préservera la
prédominance du français que nous acceptons tous avec
enthousiasme. Donc, je pense que ce sont des modifications dans le cadre des
buts mêmes de la loi. Ce n'est pas un changement radical.
M. Boulerice: On est malheureusement limité parce qu'il ne
reste que 20 minutes. Donc, je serai très bref. Dans le cas de h, de
toute façon, il y a déjà une prévision dans la loi
qui dit: "Lorsqu'il reste un an d'études." Vous, vous dites trois.
D'accord. Il y a la clause Canada qui existe d'ailleurs, donc, qui se rattache
à a. Dans le cas de i, vous dites: "Les effets d'accorder aux enfants
immigrants qui ont étudié ou dont les parents ont
étudié en anglais, l'accès aux écoles anglaises."
Vous nous suggérez plus loin de recruter l'immigration certes, oui, dans
les pays francophones mais de ne pas se limiter aux pays francophones. Je pense
qu'on est d'accord. II faut regarder un peu partout.
Si je regarde i et l'autre que vous faites, de regarder l'ensemble des
autres pays, et que je m'aperçois qu'il y a un désir et, selon
les critères, ils répondent, venant du Kenya... Tout le monde
sait qu'au Kenya la langue d'enseignement est l'anglais, ne pensez-vous pas
qu'à ce moment-là avec le i je contrebalance l'objectif que je
veux de l'immigration? On s'entend tous, on dit pluriculturalité mais
à l'intérieur d'un Québec francophone. À ce
moment-là, je ne les "franconise" pas, je les envoie à
l'école de langue anglaise...
M. Grey: L'école de tangue...
M. Boulerice: Quant aux niveaux primaire et secondaire. Par
contre, aux niveaux collégial et universitaire, ce n'est pas la
même chose.
M. Grey: Cette école anglaise doit absolument, selon la
loi, donner une connaissance approfondie du français. Je suis en faveur
d'une application féroce de cette partie-là de la loi où
une personne qui a étudié en anglais, a étudié en
anglais, certes, mais parle français presque comme si elle avait
étudié en français. Ce n'est pas là la question. Je
pense que les gens qui appartiennent déjà à la culture
anglaise pourraient, si notre proposition était adoptée,
continuer à adhérer à cette culture. Je pense qu'il n'y a
pas de frontière. Ils pourraient adhérer aux deux mais ils
pourraient aller à l'école anglaise et se considérer comme
faisant partie de la minorité anglaise au Québec.
Je pense que les statistiques ne démontrent pas le moindre danger
de cette immigration-là. Premièrement, la minorité
anglaise est en baisse depuis très longtemps. Vous avez vu de combien
les écoles anglaises ont diminué. Je pense que nous n'avons pas
encore vu le total de cette émigration puisque ceux qui sont partis
étaient surtout les jeunes. Ceux qui avaient déjà leur
maison, leur profession, etc. sont restés. Je pense donc que la
réalité est encore pire que ce qu'on voit dans les statistiques
qui ne tiennent compte que du nombre de têtes.
Dans ce contexte, je pense qu'il est impossible de parler d'un danger
ou, si vous voulez, d'un sabotage de cette loi. Au contraire, le but de cette
loi sera atteint.
Finalement, je pense que la différence statistique de cela, et
entre cela et la clause Canada serait minime: quelques milliers chaque
années; rien qui affecterait l'avenir du Québec.
M. Boulerice: Cela n'en demeure pas moins une demande de
modification, puisque le point existe déjà, dans la clause
Canada. Au paragraphe g, vous demandez la clause universelle.
M. Grey: Non, pas universelle.
M. Boulerice: Bien oui: Les nouveaux arrivants au Québec,
dont la langue maternelle est l'anglais...
M. Grey: Dont la langue maternelle, oui, mais pas universelle en
ce sens que ce n'est pas pour tous les nouveaux immigrants. On ne demande pas
la liberté de choix. Il faudrait que la langue maternelle soit l'anglais
pour pouvoir bénéficier de ce point.
M. Carter: M. le Président, je voudrais aussi ajouter une
remarque.
M. Boulerice: ...s'il le veut. M. Carter: Oui.
Le Président (M. Trudel): Aucun problème.
M. Carter: Je respecte votre processus. Il y a une certaine
implication dans vos remarques, à mon avis, que, peut-être, la
communauté d'expression anglaise présente une approche
très ouverte qui favorise, dans notre présentation et quelquefois
nos déclarations, l'orientation des immigrants vers la majorité
française du Québec. Vos questions me donnent l'impression que
vous utilisez peut-être cette occasion, en parlant d'immigration, pour
mettre en évidence certaines positions qu'on a concernant notre
système d'éducation, une croissance de notre système
d'éducation ou de notre communauté en favorisant
l'intégration des immigrants à notre communauté.
J'anticipe l'orientation de vos questions et je veux faire une remarque.
C'est que, tout simplement, la communauté d'expression anglaise est dans
une situation très difficile, en ce moment. Au point de vue
démographique, on a subi une perte de plus de 100 000 membres de notre
communauté sur une période assez courte, soit dix ans. Notre
système d'éducation, maintenant, a vécu une
décroissance de 50 %. Le ministre de l'Éducation nous dit, au
moyen de rapports, de projections, de prévisions que, puisque le
système d'éducation francophone va se stabiliser dans les
prochaines années, le système d'éducation anglais va
continuer à diminuer en termes d'enfants impliqués dans le
système. (11 h 15)
Alors, c'est une situation très dramatique et qui touche notre
communauté. Même sur l'île de Montréal, c'est une
situation qui touche la communauté. Alors, au problème de
dénatalité chez les femmes d'expression anglaise - lesquelles ont
un plus bas taux de natalité que les femmes dont la langue maternelle
est le français - on doit ajouter la situation très grave qu'une
grande partie de ceux qui ont quitté le Québec ces
dernières années, donc notre communauté, étaient
des femmes âgées de 20 à 44 ans. C'est-à-dire que si
on marie le taux de natalité, la décroissance et le
vieillissement de la population d'expression anglaise, c'est deux fois la
communauté d'expression française. Alors, quand on parle, dans ce
mémoire, d'un assouplissement des politiques qui va accorder une
période d'adaptation à un immigrant de Hong Kong ou à
quelqu'un de l'extérieur du Canada, je pense qu'on ne peut pas dire que
c'est une position qui est une tentative pour élargir la
communauté d'expression anglaise ou élargir le système
d'éducation. On est très clair sur ce point.
Je pense que Me Grey a dit très clairement que les anciennes
batailles, en termes de libre choix d'éducation, sont une question
presque réglée, à notre avis, dans notre
communauté. Alors, ce n'est pas une chose qu'on veut soulever par notre
présentation ici, aujourd'hui.
En terminant, M. Boulerice, je veux dire que nos recommandations
d'assouplissement des politiques en matière d'éducation et des
autres politiques sont toujours faites dans le concept que la
société québécoise est une société
généreuse, chaleureuse, ouverte et qui, au lieu de
déterminer la francisation des immigrants hors du pays, hors du
territoire, est assez confiante d'accueillir les immigrants de toutes les
langues ici. Nous avons des institutions qui peuvent, qui sont capables de
permettre une adaptation à la vie québécoise.
C'est dans ce sens-là qu'on fait nos recommandations en termes
d'éducation ou des autres politiques qu'on a indiquées.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
Président..
J'aurais eu plusieurs questions à vous poser, plutôt
techniques de toute façon, mais le temps manque et je voudrais
être juste à l'endroit des deux groupes qui vont vous suivre.
Alors, ou je vous les communiquerai par écrit et on aura un
échange de correspondance, ou je vous téléphonerai. De
toute façon, j'entrerai en communication avec vous sur ces
questions.
Il me reste, au nom de la commission, M. le président ou M. le
porte-parole, à vous remercier de votre présence ici. Je
pense
que vous avez eu, avec les membres de la commission, un dialogue
très ouvert, très franc, très direct.
J'apprécie la qualité de votre mémoire. Je ne suis
pas tout à fait d'accord avec toutes ses orientations, bien que, de
façon générale, ce que vous dites me satisfasse. Je vous
remercie de votre présence ici et je cède la parole à Mme
la ministre pour une remarque finale.
Mme Robic: Oui, M. le Président, je vous remercie. Mme
Chesterman, Mme Talai, Me Grey, M. Carter, on vous remercie de votre
présence. On remercie Alliance Québec pour la préparation
de ce mémoire important et pour le rôle qu'elle joue dans la
société québécoise, un rôle impartant,
d'ailleurs, et vous pouvez toujours compter sur notre coopération et
notre appui.
Le Président (M. Trudel): Merci! M. le
député de Saint-Jacques.
M. Boulerice: Je suis vraiment très heureux de votre
participation.
J'ai remarqué que, quand on se fait, peut-être
volontairement, un petit peu polémique, on suscite une passion. Celle
que j'ai vue chez vous était loin d'être très
désagréable, tout au contraire. J'aimerais conclure en vous
disant que j'aimerais bien être confiant, mais je ne peux jamais oublier
qu'en Amérique du Nord, à part les baleines bleues dans le fleuve
Saint-Laurent, l'espèce la plus en voie de disparition est la
communauté francophone. Depuis des années, toutes les
statistiques nous le disent. J'aimerais bien être confiant. Il y a
peut-être des choses que vous allez apporter qui vont m'aider à
l'être, je vous remercie.
M. Grey: Merci!
Le Président (M. Trudel): Merci, mesdames, messieurs.
Alors, sans suspendre les travaux de la commission, j'inviterais
maintenant les représentants de la Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal à prendre place à la table
en face de nous, s'il-vous-plaît.
Pendant que ces gens s'installent, j'aurais presque envie de commencer
à poser mes questions parce que ou alors on me les chipe, ce qui est un
peu normal quand on parle en troisième ou alors il ne reste plus de
temps.
Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal
Mme la présidente, bienvenue une nouvelle fois devant une
commission parlementaire. La dernière fois que, personnellement, j'ai eu
le plaisir de vous voir c'est à l'occasion de la commission
parlementaire des institutions portant sur les accords du lac Meech. Je me
souviens de votre intéressante et importante intervention à ce
moment-là. Je vous souhaite la bienvenue et, sans plus tarder, je vous
invite à nous résumer votre mémoire qui est, à mon
avis, d'une remarquable qualité à tout point de vue, notamment
sur le plan de la langue. Je pense qu'il est tout à fait normal, quand
on représente la Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal, de savoir écrire son français de façon
excellente, ce qui est le cas de votre organisme.
Peut-être pourriez-vous nous présenter les personnes qui
vous accompagnent et intervenir immédiatement. Par la suite nous
procéderons à la période des questions.
Mme Boudreau (Nicole): Malgré qu'à notre grand
regret, M. le Président, je dois dire qu'il subsiste quelques
coquilles.
Alors, M. le Président, Mme la ministre, Mmes et MM. les
députés, membres de cette commission, permettez-moi d'abord, . au
nom de l'organisme que je représente, de vous exprimer nos remerciements
les plus sincères d'avoir bien voulu nous inviter à
émettre nos idées sur un sujet qui revêt à nos yeux
un caractère d'une importance capitale pour l'avenir du
Québec.
Permettez-moi également de vous présenter notre premier
vice-président, M. Pierre Légaré, qui se fera un plaisir,
comme moi-même, d'ailleurs, de répondre à toutes les
questions que pourraient susciter nos réflexions.
Sans doute Mme la ministre et les membres de cette commission ont-ils
pris connaissance de notre mémoire. C'est pourquoi étant
donné te temps limité qui nous est imparti, je me contenterai
d'en extraire les passages qui nous semblent les plus judicieux, bien que
l'opération nous semble difficile, en souhaitant que les parties
charcutées soient tout de même considérées et en
espérant que les coupures consenties n'entravent pas la bonne
compréhension de notre point de vue.
Les pages un, deux et trois de notre mémoire s'attardent
principalement à une présentation sommaire de la
Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Je suis
désolée d'avoir à en escamoter la lecture car,
j'éprouve toujours beaucoup de plaisir et de fierté à
énoncer les réalisations de notre organisme. Qu'il me suffise de
citer la dernière phrase de cette présentation: Plusieurs membres
des communautés culturelles figurent parmi les militants les plus actifs
de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal."
Pour déterminer le niveau d'immigration adéquat au
Québec, il faut tenir compte de la complexité toute
particulière de la problématique de l'immigration dans notre
société. D'une part, le Québec affronte une
crise démographique telle qu'il devra recourir à
l'immigration pour maintenir sa vitalité économique et culturelle
tout comme pour garder son poids politique relatif. De plus, les
Québécois doivent assumer des obligations de solidarité
envers ceux et celles qui se voient chassés de leurs pays par diverses
formes de répression.
D'autre part, par ailleurs, à cause de notre contexte historique,
géographique et surtout politique très singulier, l'immigration
présente pour la continuité de notre aventure historique, dis-je,
des défis inquiétants qu'elle ne comporte pas dans d'autres
sociétés dotées, elles, de moyens de survie normaux.
Mais ceci dit, le Québec a besoin d'immigrants. Vous aurez
remarqué, Mme la ministre, à la lecture de notre mémoire,
que les pages 4, 5 et 6 s'attachent particulièrement aux
conséquences et incidences liées à notre faible taux de
natalité duquel découle, à notre avis, une bonne partie
des problèmes démographiques qui pourraient devenir tout à
fait désastreux pour le Québec. En effet, une diminution possible
de notre population et une décroissance certaine de notre part de la
population canadienne auront des conséquences d'ordre économique,
c'est-à-dire une perte d'importance du marché
québécois dans l'ensemble nord-américain et d'ordre
politique, c'est-à-dire une diminution du poids du Québec dans le
processus électoral pancanadien.
Devant les perspectives démographiques qui s'offrent
présentement aux Québécois, d'importantes remises en
question s'imposent. Il est urgent en particulier que le Québec se dote
d'une politique de la famille. Toutefois, les expériences
étrangères dans ce domaine démontrent qu'on ne peut
attendre d'une telle politique qu'une inflexion limitée du cours des
choses. Pour renouveler et rajeunir sa population, le Québec a donc
besoin d'immigrants.
On sait d'ailleurs, qu'outre le nombre, les immigrants peuvent apporter
beaucoup à notre société. Nous tenons à le dire:
l'ouverture aux autres est une importante condition de progrès et
d'épanouissement pour le peuple québécois.
Parlons maintenant des Québécois et de la
solidarité internationale. L'ancien ministre Jacques Couture, qui a
laissé - je pense que vous en conviendrez - une forte empreinte sur la
politique d'immigration du Québec, était un homme familier avec
les problèmes sociaux du Québec. Ce prêtre-ouvrier avait
été en effet, pendant plusieurs années, un animateur
social dans le quartier de Saint-Henri. Il avait pourtant coutume de
répéter que "bien que notre société connaisse des
problèmes, ils sont sans commune mesure avec ceux que vivent les
réfugiés."
À la Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal, nous endossons cette vision des choses. Nous croyons que les
Québécois, lorsqu'on leur explique les raisons qui poussent des
millions d'êtres humains à fuir leur pays, sont parfaitement
capables de se montrer généreux à l'endroit des quelques
milliers qui viennent frapper chaque année à notre porte.
Notre société, vous le savez, est un organisme
patriotique. Nous aimons notre pays, notre peuple et notre culture et nous
croyons que des sentiments semblables existent chez toutes les
nationalités, la nature humaine étant la même partout. Nous
pouvons donc facilement imaginer le déchirement de toute personne qui se
voit forcée de quitter sa terre natale sans espoir de retour. Les
conditions politiques ou autres qui prévalent dans de très
nombreux pays imposent cette douloureuse épreuve à d'innombrables
individus sur la terre.
Notre société a mis récemment sur pied un programme
d'enseignement du français et de compagnonnage qui a rejoint jusqu'ici
plus de 200 réfugiés kurdes et latino-américains. Elle a
aussi ouvert les colonnes de son bulletin aux porte-parole de la table de
concertation pour les réfugiés afin de diffuser son appel
à la population contre de récentes mesures abusivement
restrictives du gouvernement canadien à Pencontre des requérants
du statut de réfugié.
On pourra donc compter sur la société chaque fois qu'il
s'agira de lutter contre les préjugés et les réflexes de
fermeture face aux victimes de la répression qui demandent asile chez
nous.
Pendant longtemps, le Québec français a eu tendance
à se replier sur lui-même et à regarder les nouveaux venus
avec suspicion.
Les Québécois ne devraient pas hésiter à
reconnaître leurs erreurs passées à cet égard.
Cependant, ce serait mal évaluer les causes réelles de ces
erreurs que les attribuer à une inhospitalité congénitale
de nos compatriotes. Certes, notre peuple a, comme tous les autres, sa frange
de xénophobes. La concurrence entre Québécois de souche et
immigrants sur le marché du travail a pu aussi créer des
frictions. Mais pour la grande majorité de nos compatriotes, l'aspect le
plus préoccupant du phénomène immigrant réside dans
l'anglicisation massive des nouveaux venus. Cette anglicisation n'est pas
seulement une menace pour la survie à long terme du français dans
le seul coin d'Amérique où, admettons-le, il lui reste encore des
chances de s'épanouir. Elle constitue aussi un obstacle à la
communication, aux échanges et donc à la bonne
compréhension entre Québécois de souche et immigrants.
De tout temps, l'immigration au Canada a été un instrument
puissant d'anglicisation du pays: cela apparaît non seulement au niveau
des résultats, mais aussi dans les intentions déclarées
qui ont présidé à l'Union
entre le Bas-Canada et le Haut-Canada, c'est-à-dire entre le
Québec et l'Ontario d'aujourd'hui. (11 h 30)
Le texte de Lord Durham, qui est cité dans notre mémoire,
et qui présageait la naissance du Canada moderne exprimait
carrément le voeu de faire du Bas-Canada une province anglaise. Ce
texte, donc, aurait suffi, à lui seul, à justifier la
méfiance historique des Québécois vis-à-vis de
l'immigration. Mais il faut ajouter à cela que l'immigration fut pendant
un peu plus d'un siècle au Québec la chasse gardée du
gouvernement fédéral. Jamais, dans ses politiques d'accueil et
d'intégration des nouveaux venus allophones au Québec, ce
gouvernement n'a conçu de mesures correctives pour contrer la tendance
de ceux-ci à choisir l'anglais.
Quant au gouvernement du Québec, si on fait exception des mesures
linguistiques adoptées à la fin des années soixante-dix et
d'ailleurs largement mises en échec depuis par les tribunaux, sa
tendance de fond a été de laisser libre cours à la
concurrence du français et de l'anglais. Or, cette concurrence sur notre
continent, évidemment, joue en faveur de l'anglais et c'est très
compréhensible.
Le résultat de ce laisser-faire nous a été
rappelé dans La Presse du 20 mars 1986 qui nous apprenait que parmi les
123 000 Néo-Québécois qui abandonnaient leur langue
maternelle, selon les dernières données, 114 000 ont choisi
l'anglais. Le cas du Québec en Amérique est unique. Aux
États-Unis, par exemple, la langue parlée à la maison par
plus de 95 % de la population est l'anglais. Au Brésil et en Argentine,
c'est le portugais et l'espagnol respectivement avec des pourcentages au moins
aussi élevés.
Or, il est bien connu que les personnes d'origine anglaise ne sont plus
qu'une minorité aux États-Unis. Il en est de même pour
celles d'origine portugaise au Brésil ou encore espagnole en Argentine.
Mais, dans chacun de ces trois pays, les immigrants venus de tous les coins du
monde ont adopté rapidement la langue du groupe européen
fondateur. Ce groupe a eu la sagesse et surtout le pouvoir d'établir,
dès le début, les règles du jeu. L'immigration, au lieu de
jouer contre lui, a joué pour lui en augmentant sans cesse le nombre de
ceux qui partageaient sa langue.
Au Québec, le processus est absolument inversé.
Malgré une population en grande majorité d'origine
française, et cela depuis des siècles, on assiste à
l'adoption de l'anglais par la majorité de ses immigrants. Et, je vous
le répète, ce phénomène est tout à fait
compréhensible.
La restauration du français comme véritable langue
officielle du Québec restant à faire, cette normalisation de
notre situation linguistique demeure la première condition d'une
politique d'immigration qui jouerait pleinement en notre faveur. Tant que cela
ne sera pas acquis solidement et une fois pour toutes, il faut s'attendre, dans
notre société, à des tensions entre
Québécois de souche et Néo-Québécois. Les
résultats d'un sondage publié dans Le Devoir du 10 mar3 1987 ont
révélé que 90 % des Québécois francophones
souhaitent que tous les immigrants qui s'installent au Québec apprennent
obligatoirement le français. Seulement 9 % se déclarent en
désaccord avec cette proposition et 1 % n'expriment pas d'opinion.
Est-ce assez dire quant à l'importance de la francisation des immigrants
pour l'avenir des relations interethniques au Québec?
Comment donc concilier nos besoins démographiques, les exigences
de la solidarité internationale et la sauvegarde du caractère
francophone du Québec? Pour trouver réponse à cette
question, il est bon de se rappeler une expérience très
réussie à cet égard. Nous voulons parler de l'accueil, par
le Québec, à la fin de la dernière décennie, des
réfugiés Indochinois. Les réfugiés Indochinois
appartenaient à une culture très différente de celle des
Québécois. Contrairement à une croyance largement
répandue, très peu d'entre eux, 7 % en fait, pariaient le
français à leur arrivée parmi nous. Mais,
l'intégration de ces personnes dans notre société a
été un grand succès.
Contrairement aux immigrants d'autres vagues, les indochinois sont
restés au Québec. Ils ont massivement appris le français.
Beaucoup d'entre eux ont des liens d'amitié avec des
Québécois de souche, liens souvent contractés à
l'époque de leur parrainage. Les succès scolaires des enfants
indochinois sont notoires. Enfin, parmi les fonctionnaires
québécois dont la langue maternelle est autre que le
français, les personnes de langue maternelle vietnamienne, par exemple,
arrivent au deuxième rang après celles de langue anglaise.
Cette communauté en dépasse donc bien d'autres, plus
nombreuses et plus anciennes, dans la fonction publique. Or, dans n'importe
quel pays, une bonne représentation des membres d'une communauté
culturelle dans la fonction publique n'est-elle pas le signe d'une
intégration réussie?
Le succès de l'intégration des réfugiés
indochinois est attribuable, pour une bonne part, à l'accueil chaleureux
qu'ils ont reçu parmi nous et à l'implication, dans cet accueil,
de tous les secteurs de notre société. Quel contraste entre
l'esprit d'ouverture manifesté alors et les réactions
prononcées de fermeture révélées au printemps
dernier par un sondage du Devoir. On pourra trouver plusieurs facteurs
explicatifs de cette évolution déplorable,
nous l'admettons, mais nous voulons attirer l'attention des membres de
la commission sur le fait suivant: Est-ce un hasard, si l'accueil chaleureux
des Indochinois à la fin des années soixante-dix a suivi, presque
immédiatement, la proclamation en août 1967 de la Charte de la
langue française? Est-ce un hasard si le repliement des
Québécois sur eux-mêmes, dont nous avons eu des signes ces
derniers temps, coïncide avec un sentiment croissant d'inquiétude
quant à l'avenir du français au Québec?
J'invite les membres de cette commission, s'ils ne l'ont
déjà fait, à prendre connaissance du programme bien
modeste, je l'avoue, que la Société Saint-Jean-Baptiste mettait
sur pied au printemps dernier luttant à la fois contre le
défaitisme et le repliement sur soi, lorsque le problème des
requérants du statut de réfugié a pris l'ampleur que l'on
sait. Les pages 19, 20 et 21 de notre mémoire y sont
consacrées.
Après avoir exposé notre façon de voir le
problème de l'immigration au Québec, nous voulons faire ici
quelques recommandations aux autorités québécoises de
l'immigration. Nos recommandations correspondent aux trois
préoccupations qui transparaissent du chapître
précédent, c'est-à-dire: préserver le
caractère français du Québec; développer chez les
Québécois le sens de la solidarité internationale et
intercommunautaire et contrer le déclin démographique du
Québec en consolidant les gains apportés par l'immigration.
Ces objectifs sont étroitement interreliés. Ainsi, il
serait illusoire de penser préserver notre caractère
français si, faute d'avoir la population suffisante, le Québec
devenait quantité politiquement et économiquement
négligeable dans le contexte canadien et nord-américain. Mais on
se tromperait lourdement en croyant que les Québécois accepteront
de régler leur problème démographique au prix de la
marginalisation de leur langue. Le résultat du sondage du Devoir
cité plus haut (90 % des réponses favorables à
l'apprentissage obligatoire du français par tous les immigrants) est
à cet égard un avertissement très clair au
gouvernement.
Si le sens de la solidarité internationale doit être
développé chez les Québécois,
l'insécurité culturelle où ils sont présentement
laissés par leur gouvernement ne crée certainement pas un climat
favorable à ce développement. Enfin, des tensions interethniques
ne manqueront pas de se développer au Québec si l'accroissement
de l'immigration n'est pas accompagné de mesures adéquates
d'intégration des nouveaux venus à notre société.
À son tour, ce climat finirait par décourager l'immigration. Tout
est donc très Hé. C'est pourquoi nous ne suggérons pas
d'objectif chiffré précis à l'immigration. Dans
l'intérêt des Québécois et des immigrants, nous
disons oui à une immigration accrue si elle est planifiée, et
cela inclut la planification linguistique.
Alors qu'il présentait au Sénat des États-Unis un
amendement constitutionnel pour faire de l'anglais la langue officielle de ce
pays - croyez-le ou non - le sénateur Hayakawa de Californie
déclarait: "Cet amendement est requis si nous voulons clarifier les
signaux trompeurs que nous donnons depuis quelques années à
certains groupes d'immigrants... Il mettra fin à la fausse promesse
faite aux nouveaux immigrants, à savoir que l'anglais ne leur sera pas
nécessaire" aux États-Unis.
Au Québec, c'est le français qui est censé
être la langue officielle. Mais que dirait le sénateur s'il voyait
les signaux que le gouvernement lui-même envoie à nos propres
immigrants? Pour paraphraser le sénateur Hayakawa, nous demandons donc
à nos dirigeants de clarifier les signaux trompeurs qu'ils donnent aux
immigrants et de mettre fin à la fausse promesse que le français
ne leur sera pas nécessaire au Québec.
Avec tous les trous pratiqués dans la trame de la loi 101 par les
arrêts des tribunaux et le peu de vigueur que le gouvernement met
à appliquer ce qu'il en reste, il est devenu presque dérisoire de
parler du français comme de la langue officielle du Québec. Les
immigrants le sentent. Plus d'un professeur de COFI vous dira que lorsqu'il
rencontre certains de ses anciens étudiants, ceux-ci s'adressent
à lui en anglais, car la vie au Québec leur a fait oublier les
éléments du français appris au COFI.
Présentement, rien n'oblige un employeur à communiquer en
français avec son employé non syndiqué à moins que
celui-ci ne l'exige, ce qui est beaucoup attendre, vous en conviendrez, d'un
travailleur non syndiqué et, encore plus, s'il est allophone ou
anglophone. À quand une loi pour faire du français la langue du
travail au Québec? Par ailleurs, nous attendons de pied ferme les
amendements que préparerait présentement le gouvernement dans le
but de rétablir l'affichage bilingue du Québec. Nous croyons
qu'un visage bilingue pour Montréal figurerait au premier plan dans la
panoplie des messages trompeurs que pourraient recevoir les immigrants. Quant
à la nature et aux aspirations du Québec d'aujourd'hui, nous
prendrons tous les moyens à notre disposition, pour alerter le public
sur les dangers que comporterait un pareil retour en arrière.
Les pages 27, 28 et 29 de notre mémoire s'attardent
principalement à l'évolution de la situation et aux principales
difficultés liées à favoriser une immigration
francophone.
Nous aimerions maintenant aborder le point concernant le
développement de la
solidarité internationale et intercommunautaire. Je vous
demanderais, M. le Président, s'il reste quelques minutes à mon
exposé et, si vous me permettez d'en livrer la fin.
Le Président (M. Trude): Absolument. Allez-y.
Mme Boudreau: Je vous remercie.
Nous avons dit précédemment que, lorsque les
Québécois sont mis au courant des épreuves qui ont
chassé de leur pays les requérants du statut de
réfugié, leur coeur s'ouvre. À ce sujet, les
autorités devraient mieux informer la population, informer les
Québécois de la culture et des difficultés d'adaptation
des nouveaux venus par des publications, des émissions
télévisées et tout le reste. Quant à
l'émission "Arrimage" de Radio-Québec, nous déplorons,
avec beaucoup d'autres, qu'elle ait quitté l'écran. Il est
invraisemblable qu'une télévision éducative puisse ainsi
laisser les spectateurs sans information systématique sur deux aspects
de l'évolution de leur société, lourds de portée
pour l'avenir, soit le pluralisme culturel croissant de la population
québécoise et le problème des relations
interculturelles.
Les programmes de parrainage et de compagnonnage créés par
le ministère de l'Immigration à la fin des années
soixante-dix ont connu, avons-nous dit plus haut, un succès
éclatant. Le programme de parrainage existe toujours. Pourtant, notre
propre initiative de compagnonnage nous a convaincus, nous de la
Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, qu'il
était insuffisant, et que de nombreux Québécois restent
disponibles pour aider les réfugiés à s'intégrer
harmonieusement au Québec. Mais encore faut-il qu'ils sachent que la
possibilité leur en est offerte.
Nous savons que l'installation en régions des
réfugiés n'a pas été dans l'ensemble un très
grand succès, que beaucoup de "démétropolisés" ont
regagné Montréal pour y trouver du travail et y rejoindre leur
communauté. Faut-il pour autant renoncer complètement à
toute idée de déconcentrer l'immigration? Nous disons non, car
nous avons pu constater à quel point les
"démétropolisés" qui sont restés dans les petites
villes s'y sont bien intégrés après y avoir reçu un
accueil très chaleureux. Le Québec est aujourd'hui à
moitié montréalais, mais les références à la
campagne et aux petites villes d'origine restent si fortes dans notre culture
qu'il est souhaitable qu'une fraction au moins des membres des
communautés culturelles soit mise en contact, sur une base volontaire
évidemment, avec ces réalités. Il nous semble qu'un
modeste programme de "démétropolisation" d'une fraction de
l'immigration, des réfugiés surtout, mériterait
d'être tenté en privilégiant les régions
créatrices d'emplois et en tenant compte des possibilités de
parrainage.
Pour terminer, celui qui a pris racine ici avec ses enfants reste ici.
Nous sommes convaincus que l'intégration se fait d'abord au niveau de la
famille et que c'est une illusion de croire que les célibataires vont
mieux s'adapter. Le célibataire est mobile: il lui est
indifférent de travailler à Montréal, à Toronto ou
à Calgary. Il en est autrement pour un couple dont les enfants sont
déjà intégrés à l'école
québécoise. C'est souvent par leurs enfants, d'ailleurs, que les
adultes prennent contact avec la langue et la culture du Québec. (11 h
45)
Donc, si nous voulons une immigration qui demeurera au Québec, ne
pourrait-on pas envisager d'augmenter le nombre de points accordés dans
la grille de sélection aux personnes qui ont de jeunes enfants? Dans le
même esprit, nous suggérons que dans le traitement des dossiers de
la famille élargie on accorde la priorité aux conjoints et aux
enfants mineurs par rapport aux parents aidés, ce qui abrégerait
les délais d'attente pour les premiers.
Les immigrants ne connaissant pas le français ont, selon les
derniers recensements, une propension plus grande à quitter le
Québec pour aller vivre ailleurs au Canada, que ceux déclarant
connaître cette langue. L'immigration peut apporter beaucoup au
Québec mais la sélection et l'accueil des immigrants comportent
des investissements coûteux. Personne ne souhaite voir se dilapider un
capital humain acquis à tant de frais. Or, c'est un fait que les
départs du Québec, dont on fait état depuis si longtemps,
ont été, pour une très large part, le fait d'immigrants
mal intégrés et, en particulier, ignorant le français. Le
seul fait d'augmenter le nombre des immigrants accueillis chaque année
ne réglera donc pas notre problème démographique. Dans les
milieux qui s'intéressent à l'immigration, il est notoire qu'une
très grande partie des réfugiés sri-lankais, bangladeshis,
iraniens que nous avons reçus depuis deux ou trois ans nous ont
déjà quittés pour des cieux plus anglophones. La plupart
d'entre eux, pour toutes sortes de raisons, n'ont jamais pu accéder au
COFI.
Théoriquement, l'une des deux solutions possibles à ce
problème consiste à bilinguiser le Québec pour accommoder
les immigrants. Cette solution a été retenue à des
degrés divers jusqu'ici par certaines autorités publiques.
Contraire à la dignité du peuple québécois elle
est, par conséquent, coûteuse et inefficace. Elle provoquera
d'autant plus de résistance chez les Québécois de souche
que le nombre des immigrants augmentera.
L'autre solution consiste à donner des signaux clairs aux
nouveaux venus quant au
caractère français et non pas bilingue du Québec
d'une part, et à les aider, d'autre part, à apprendre notre
langue.
Nous voulons, en terminant, remercier la ministre d'avoir pris
l'initiative de nous inviter à soumettre nos vues dans cette
consultation sur le niveau d'immigration qui prend cette année un
caractère public salutaire» Nous tenons à l'assurer
d'avance de notre appui à toute politique qui chercherait à
répondre aux préoccupations exprimées dans le
présent mémoire. Nous sommes convaincus que la situation
matérielle relativement privilégiée qui est celle des
Québécois par rapport à tant d'autres peuples nous impose
des obligations de solidarité.
Nous estimons que le Québec a besoin d'immigrants. Nous demandons
seulement à nos dirigeants de faire en sorte que l'immigration joue en
notre faveur. Je vous remercie, M. le Président.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la
présidente.
Je cède maintenant la parole à Mme la ministre des
Communautés culturelles et de l'Immigration. Je vous donnerai le temps
qui reste aux deux formations.
Mme la ministre.
Mme Robic: Merci, M. le Président. Tout d'abord, je
voudrais remercier la Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal, Mme Boudreau et M. Légaré, d'avoir
accepté notre invitation et d'être à cette commission
aujourd'hui pour nous faire valoir vos points de vue. Je vous félicite,
votre mémoire est de qualité et fort intéressant.
Dès le début, je voudrais vous dire que nous, du
gouvernement, partageons votre amour de notre pays, de notre peuple, de notre
culture et de notre langue. Nous sommes heureux de voir que, comme tous les
intervenants qui vous ont précédés, vous êtes
d'accord avec une augmentation de l'immigration. Vous voyez celle-ci comme un
besoin mais qui devrait également s'inscrire dans une politique de
population. Plusieurs intervenants nous ont dit la même chose.
Vous avez raison. Quand les Québécois sont bien
informés, ils sont généreux et ils sont certainement
ouverts à l'immigration. D'ailleurs, un sondage SORECOM nous le dit de
façon éloquente: 60 % de la population dit que nous devrions
augmenter le nombre d'immigrants ou conserver le nombre d'immigrants que nous
recevons chaque année - même en surestimant le nombre réel
que l'on reçoit, donc c'est très positif - et 76 % des
répondants nous disent que nous avons besoin d'immigration au
Québec. On voit que les Québécois sont mieux
renseignés et réalisent les besoins démographiques du
Québec, ainsi que notre responsabilité en tant que pays
privilégié pour les plus démunis de ce monde.
De par vos remarques, je peux déduire que vous n'êtes pas
tout à fait d'accord avec les remarques du père Harvey, hier, qui
a quelque peu surpris certaines personnes autour de cette table. Vous parlez de
l'immigration, qui est de plus en plus anglophone. Vous avez raison, les pays
d'immigration changent. Nous recevons présentement plus de personnes qui
ont l'anglais comme langue d'usage, entre autres les revendicateurs du statut
de réfugié. C'est dommage que, pendant plusieurs années,
ces personnes n'aient pas eu droit a des cours de français. Maintenant,
nous leur permettons de suivre des cours de français. C'est assez
intéressant de voir qu'ils veulent apprendre le français,
malgré, pour plusieurs d'entre eux, qu'ils connaissent l'anglais. On n'a
pas eu à faire une grande publicité; ils étaient à
nos portes, en grand nombre, pour s'inscrire à nos cours de
français.
Alors, un immigrant, comme vous l'avez si bien dit, qui s'arrache
à son pays pour choisir une nouvelle patrie, veut s'intégrer
à la majorité, veut en faire partie, veut être un citoyen
à part entière. Alors, il faut lui donner les moyens, dès
son arrivée, de devenir ce citoyen à part entière. Au
Québec, le premier critère d'intégration, c'est la
francisation. Nous le reconnaissons comme gouvernement. D'ailleurs, je n'ai pas
eu trop de problèmes à obtenir des budgets additionnels
auprès du Conseil des ministres afin de pouvoir donner des cours de
français aux revendicateurs du statut de réfugié.
Vous avez parlé, également, de l'importance de la famille
pour retenir nos immigrants. Les membres d'une famille ont plutôt
tendance à s'installer, à rester; vous avez raison. Mais, il y a
un membre bien important de cette famille qui a été laissé
un peu de côté, c'est la femme à domicile, la mère
de famille. Elle a moins de possibilités de suivre des cours dans nos
COFÏ, dans les écoles de nos commissions scolaires, parce qu'elle a
de jeunes enfants à la maison, des enfants d'âge
préscolaire ou des enfants à l'école, qui rentrent
dîner. Donc, il faut faciliter... Elle doit être à la maison
pour le repas du soir. Elle a moins de facilités que d'autres personnes.
On a eu tendance à l'oublier.
Je suis absolument d'accord avec vous: Comment pouvons-nous
intégrer les immigrants quand une personne aussi importante de la
famille n'est pas francisée? Même si le jeune va à
l'école française, sa mère ne peut pas communiquer avec
les parents de ses petits amis ou elle ne peut pas aller à
l'école pour parler avec ses professeurs. Même si le père
travaille en français, qu'il a des amis francophones, il ne peut pas, le
samedi soir, sortir avec eux parce que son épouse ne parle pas
français.
Nous avons cru important, pour faire cette intégration, que
chaque membre de la
famille ait la chance d'apprendre le français, ait le droit
d'apprendre le français. Nous avons créé un programme,
cette année, qui s'appelle PAFI; moi, je l'appelle mes cours de
français, mon programme de quartier. C'est pour aller rejoindre la femme
chez elle, le plus proche possible de chez elle. On lui fournit
également une garderie pour les enfants d'âge préscolaire,
une garderie qui se fait en français pour que ce jeune puisse se
familiariser avec la langue et se préparer à l'école.
Je sais qu'il y a encore énormément d'ouvrage à
faire. Il faudra toujours être vigilant dans le contexte
nord-américain pour conserver notre langue. Ce sera toujours une lutte,
c'est vrai, il faut avertir nos enfants de cela. Malgré tous les efforts
que l'on fait, malgré que vous en doutiez, ce ne sera jamais fini. Il
faudra toujours mettre en place des moyens de conserver nos acquis, de les
agrandir, de les protéger. C'est vrai, je suis d'accord. Mais, j'ai des
chiffres ici qui peuvent dire bien des choses, mais qui nous disent que, au
recensement de 1981, les personnes qui disaient avoir une seule langue
maternelle, la langue française, représentaient 81.5 % de la
population; en 1986, c'était 81.4 %. Les personnes qui nous disaient
avoir deux langues maternelles, le français et une autre, d'après
le recensement de 1981, représentaient 82.4 % et en 1986, c'était
82.8 %.
C'est tout petit mais on peut espérer que c'est un bon signe et
certainement, je suis absolument d'accord avec vous, quand on dit que tous les
immigrants devraient avoir le droit, dès leur arrivée, à
des cours de français. Je pense que c'est essentiel et j'espère
que je ne froisse pas, dans mes communiqués, dans mes relations avec
elles, les communautés culturelles, avec de fausses promesses. Je suis
très présente. Il faudrait peut-être que vous nous suiviez,
parce que bien au contraire, même quand je me sers de la langue anglaise
pour passer un message, le message c'est: II faut que vous appreniez le
français et je le dis même dans les plus anciennes
communautés où il n'y a peut-être pas eu l'effort
nécessaire.
Mon message est clair et précis, je leur dis que mes programmes
de francisation, c'est pour eux que je les fais, qu'il faut qu'ils se
francisent. Ils ont vécu peut-être plusieurs années en
anglais, mais il faut qu'ils se francisent parce que eux aussi veulent
être des citoyens à part entière et, au Québec, cela
passe par la francisation. Mes messages sont clairs. Je pense qu'il ne faudrait
jamais oublier que c'est le gouvernement que je représente qui a fait du
français la langue officielle du Québec. Et nous allons continuer
à défendre nos acquis et à renforcer le français au
Québec et à s'assurer que notre société
québécoise francophone demeure forte.
Cela fait des siècles qu'on se bat et on va continuer, j'ai
confiance et j'ai confiance en nos enfants pour continuer la lutte. Merci!
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre,
M. le député de Saint-Jacques.
M. Boulerice: Mme la présidente, M. le premier
vice-président, la Société Saint-Jean-Baptiste est
présente, de nouveau et comme toujours, dans tous les grands dossiers
d'intérêts nationaux, pour nous québécois, pour nous
francophones. Votre présence donc, ne m'étonne pas. Cela aurait
été plutôt le contraire qui m'aurait très
profondément déçu, de ne pas vous voir. Mais je pense que
c'est une hypothèse qui n'était même pas envisageable, en
tout cas, dans mon esprit.
Vous êtes là, parce que rien de ce qui est grand et durable
n'a été accompli ici sans votre participation et c'est dommage
que le temps limité ne vous ait pas donné l'occasion de justement
faire l'historique de ces grandes réalisations au Québec qui ont
été faites parce que la Société Saint-Jean-Baptiste
de Montréal était là et les plus graves menaces qu'on a
dû contrer ici l'on été grâce à votre
participation. Vous vous réclamez un nombre de membres très
grand. J'ai toujours beaucoup de fierté à dire que je suis membre
de votre société. J'y ai d'ailleurs occupé des fonctions,
mais très modestes, il va sans dire, et je serai, sans aucun doute,
toujours membre de cette société, puisqu'elle fait à la
fois mon orgueil et ma fierté. (12 heures)
Vous avez présenté, comme d'habitude, je pense qu'il est
bon de le souligner, un mémoire très bien fait. J'étais
content que M. le président fasse état de la qualité de la
langue. C'est un sujet qui me préoccupe également. Vous avez
insisté, et c'est consensuel, au sein de cette commission, sur la
nécessité de lier un accroissement de l'immigration à
l'adoption de mesures adéquates d'intégration et de francisation.
Vous avez présenté des initiatives qui sont très
intéressantes et qui viennent de votre vécu, c'est-à-dire
les cours de français et, surtout, cette méthode de compagnonnage
où vous avez déjà une expertise qui est reconnue.
Votre mémoire dénonce le laxisme du gouvernement en
matière linguistique, le peu de vigueur manifesté dans
l'application de la Charte de la langue française alors que le
gouvernement devrait donner des signaux clairs aux nouveaux venus quant au
caractère français du Québec. Déjà, d'autres
intervenants précédents ont insisté effectivement sur
cette nécessité d'envoyer des messages très clairs
à ceux qui désirent venir ici, à ceux que nous voulons
également
voir venir ici, qu'ils s'en viennent dans un Québec très
soucieux d'un caractère pluriethnique, parce que nous rejetons le
modèle de nos voisins du Sud, qu'on appelle "melting pot" - l'expression
est consacrée, vous me permettrez de l'engager - où,
malheureusement, les cultures d'origine ont été oubliées.
Combien d'amis américains ai-je, qui sont d'origine italienne, grecque
ou même polonaise qui, malheureusement, n'ont aucune connaissance de la
culture de la patrie d'origine de leur père, grand-père,
arrière-grand-père et qui ne possèdent malheureusement
aucune notion de la langue? Je trouve cela triste quand, par contre, mes amis,
ici, québécois, qui sont de souche italienne, eux,
possèdent cette langue encore, connaissent cette culture et enrichissent
la mienne, puisqu'ils me lancent sur des pistes dans le domaine de la
littérature, de la chanson et de la musique, des pistes fort
intéressantes qui, je le sens, m'enrichissent.
Maintenant, au-delà de cet énoncé, j'aurais
quelques questions à vous poser. Vous recommandez de favoriser la venue
d'immigrants francophones; vous dites cela, je pense, à la page 28 de
votre mémoire. Par quel moyen va-t-on pouvoir favoriser cette
immigration-là autrement que par le pointage, c'est-à-dire la
cotation de points accordés à la connaissance de la langue
française?
Mme Boudreau: M. le Président, d'abord j'aimerais
Remercier Mme la ministre et M. le député de leurs remarques.
Elles semblent dénoter que tous, ici, nous convergeons vers les
mêmes horizons, et j'en suis très heureuse, et, évidemment,
nous accordons à l'immigration au Québec la place qu'il faut lui
octroyer dorénavant, c'est-à-dire une place très
importante.
Avant de répondre à votre question, M. le
député, si vous le permettez, je ferai quelques commentaires sur
les remarques de Mme la ministre, entre autres, en ce qui a trait aux femmes.
À la lecture de notre mémoire, vous avez sans doute
constaté que nous avions consacré tout un paragraphe à ce
programme que votre gouvernement a décidé de mettre de l'avant
pour les femmes, le louangeant comme il se doit. Il est très important -
ne dit-on pas que la langue, c'est la langue maternelle - que les femmes
puissent assimiler et avoir accès à la langue du Québec,
c'est-à-dire la langue française dans les meilleurs délais
qui suivent leur arrivée en sol québécois.
J'aimerais dire également que le peuple québécois
est d'abord et avant tout un peuple de culture et que cette culture a un tel
caractère d'importance qu'elle revêt l'importance d'une richesse
naturelle en Amérique du Nord. J'aimerais dire que c'est la
première chose que nous avons à partager avec les gens qui
décident de venir vivre leur avenir avec nous. C'est pourquoi, il nous
apparaît très important de partager ce qui exprime le mieux cette
culture, c'est-à-dire notre langue.
J'aimerais également être atteinte, si vous voulez, du
même optimisme que Mme la ministre relativement à cette
francisation accrue du Québec. Sans doute, les membres de cette
commission ont-ils pris connaissance des différents articles
publiés dans La Presse et Le Devoir, cette semaine, relativement,
justement, au phénomène de l'immigration. Le premier article
disait que l'italo-québécois était trilingue, farouchement
attaché à sa cuisine - on le comprend, d'ailleurs - et soignait
jalousement ses relations familiales -ce que l'on comprend aussi. Par ailleurs,
il y a une phrase, dans cet article, qui m'a beaucoup frappé et qui a
aussi beaucoup frappé les gens. Vous savez, quand on est un organisme
populaire, cela a ses avantages. Tout le monde nous téléphone
pour nous dire ce qu'ils pensent de ceci, de cela. Le gouvernement a fait cela:
nous sommes d'accord, nous ne sommes pas d'accord. Le gouvernement a fait cela:
êtes-vous en accord, êtes-vous en désaccord? Beaucoup de
gens ont téléphoné chez nous, car ils étaient un
peu offusqués d'une phrase qui s'est glissée dans cet article et
qui disait que l'itatophone préférait la langue française
qui était celle des humbles gens d'ici. C'est peut-être la langue
des humbles gens d'ici, la langue française, mais ce doit être la
langue de tout le monde, la langue des affaires, la langue de
l'éducation. Je pense que ce n'était certainement pas dit de
façon péjorative et préjudiciable, mais il faudrait
peut-être s'interroger sur ce qu'est la langue des humbles gens?
En ce qui a trait au deuxième article, il parlait des Grecs du
Québec qui conservent leur langue, parlent aussi anglais, et font des
affaires. Il disait que 90 % de ces gens-là regardaient la
télévision en langue anglaise, alors que 50 % lisaient un
quotidien en langue anglaise, The Gazette, et que 15 % seulement choisissaient
les trois quotidiens montréalais de langue française. Si
j'étais M. Péladeau ou M. Landry, je commencerais à m'
inquiéter un peu, parce que, demain, ce sont les immigrants qui seront
les lecteurs de nos journaux.
Finalement, le dernier article qui s'intitulait "Les tensions
linguistiques mettent à l'épreuve la solidarité des Juifs
montréalais." Je ne sais pas si le conseil juif vous en a parlé,
mais on disait que 80 % de ces gens-là s'intégraient à la
communauté anglophone. Cela aussi, pour nous, c'est inquiétant.
Cela a peut-être mis un certain frein à notre optimisme, mais ceci
dit, on se dit qu'il est toujours temps de renverser la vapeur et de donner un
bon coup de barre qui fasse que, finalement, les immigrants adhèrent
à la langue française.
Pour répondre à la question de M. le député:
comment allons-nous favoriser l'immigration francophone? Si M. le
député a bien lu cet extrait de notre "mémoire, nous
disions évidemment qu'il fallait la favoriser, mais nous y voyions
également des difficultés. Vous l'avez dit ou est-ce Mme la
ministre? Évidemment, l'immigration européene afflue de moins en
moins. C'est donc dire que notre clientèle d'immigrants se diversifie de
plus en plus. Nous disions évidemment qu'il fallait privilégier
d'abord et avant tout ce type d'immigration, mais nous parlions aussi de ces 30
% de critères d'éligibilité qui parlaient des
possibilités pour les immigrants de s'intégrer à la
population. Pour nous, ces 30 % étaient aussi très
importants.
Évidemment, le facteur linguistique... Si on parle
déjà français en arrivant au Québec, c'est de
beaucoup évidemment supérieur à quelqu'un qui ne
possède ni même la langue française, ni même la
langue anglaise. Mme la ministre se rappellera que, dans les articles de presse
qui ont commenté son geste de s'associer au gouvernement canadien pour
amnistier les réfugiés qui nous arrivaient d'un peu partout et
où elle acceptait donc d'abaisser les critères
d'exigibilité relativement à la langue française de quinze
à douze points pour pouvoir s'associer à ce programme, les
journalistes disaient: La majorité' d'entre eux baragouinait l'anglais
mais ne parlait pas le français. Alors c'est évident que, pour
nous en tout cas, il ne faut pas abaisser les critères
d'exigibilité, quoique dans une perspective humanitaire nous puissions
comprendre que ce geste ait été posé. Par ailleurs, 15 %,
que cela reste 15 % et que, dans les 30 %, on considère les
possibilités pour ces nouveaux arrivants, ces nouveaux venus, de
s'intégrer à la communauté francophone.
Je vous donne un exemple: è la Société
Saint-Jean-Baptiste, nous avons tenté d'intégrer deux groupes
diamétralement opposés, si je puis dire, les Kurdes et les
Latino-Américains. Les Kurdes se sont beaucoup moins bien
intégrés, il faut le dire. Ils ont des difficultés,
d'abord, des difficultés de caste entre eux et, ensuite, des
difficultés à assimiler la langue française et je pense
que, peut-être, auraient-ils les mêmes difficultés s'ils
décidaient de s'assimiler à la langue anglaise. Par ailleurs, les
Latino-Américains ne parlent pas nécessairement le
français quand ils arrivent ici, mais ils s'intègrent très
bien, à cause de la consonance linguistique, etc. Alors, pour nous,
c'est tout aussi important, sachant très bien que ce
critère-là, de vouloir accueillir d'abord les immigrants
francophones, risque de nous rester sur les bras éventuellement.
M. Boulerice: Vous avez fait des remarques à Mme la
ministre, quand aux mesures qui ont été adoptées pour les
femmes, auxquelles je souscris d'ailleurs, j'en suis très heureux, et
vous avez également fait allusion - j'aimerais que ce soit redit au
mémoire qu'a déposé hier M. Harvey. Bien entendu, je
nourris des réserves sérieuses face à ce mémoire.
Par contre, il y avait là-dedans, et je pense qu'il ne faut pas
l'oublier malgré tout, des réserves très sérieuses
quant au danger d'une immigration qui mettrait en cause les acquis en
matière de condition féminine au Québec.
Pour donner un exemple, on m'informait que, paraît-il, de
façon clandestine, selon les traditions qui sont établies,
traditions culturelles, on aurait procédé à
Montréal, au Québec, à une pratique que je trouve odieuse:
l'ablation du clitoris. Je pense que, quand vous parlez des mesures qui ont
été faites pour les femmes, il est bon de mentionner ce danger
potentiel qui pourrait peut-être exister pour ce qui est des acquis de la
condition féminine.
Maintenant, j'ai une question que j'aimerais adresser à M.
Légaré qui a une très grande connaissance du milieu
scolaire. Dans quelle mesure, le système scolaire actuel,
c'est-à-dire avec sa division religieuse, continue-t-il de nuire
à la francisation des nouveaux arrivants?
M. Légaré (Pierre): C'est tout à fait
évident qu'une plus grande proportion, même de
Québécois de souche, comme on les appelle dans notre
mémoire, fréquente les écoles de la Commission des
écoles protestantes du Grand Montréal. On n'a rien contre cela,
c'est bien leur droit. Évidemment, plusieurs nouveaux arrivants aussi
fréquentent les écoles françaises de cette commission
scolaire. Mais ce n'est pas vraiment une intégration à la
majorité francophone du Québec qu'on voit dans ces écoles,
parce que souvent les communications se font en anglais. J'ai moi-même eu
l'occasion de visiter des écoles, au moins deux écoles
françaises de la Commission des écoles protestantes, et j'ai
constaté que les communications se font très souvent, pour ne pas
dire presque exclusivement, en anglais et même les communications
verbales entre les membres du personnel. Les enfants souvent, aussi, même
s'ils ne sont pas de langue maternelle anglaise, parlent anglais dans les cours
d'écoles.
Alors, il est bien évident qu'une division linguistique des
commissions scolaires permettrait sûrement d'atteindre davantage les
objectifs que plusieurs, dont nous sommes, souhaitent voir atteindre.
J'aimerais ajouter là-dessus que tout n'est pas dit. J'entendais
les revendications de l'organisme qui nous a précédés -
c'est bien leur droit et si j'étais à leur place, peut-être
que je ferais la même chose -
mais si on élargit la possibilité, même pour des
gens qui ne sont pas de langue anglaise, de fréquenter des écoles
anglaises, ce que j'ai entendu et ce que je vois dans une de leurs
recommandations, ce serait un recul, parce qu'en 1977, année de
l'adoption de la Charte de la langue française, les étudiants qui
fréquentaient les écoles anglaises sur l'île de
Montréal représentaient au-delà de 42 % de la population
scolaire globale, quoique la population de l'île de Montréal de
langue anglaise représentait moins de 15 %. Ce qui veut dire que
n'eût été l'adoption de la Charte de la langue
française, aujourd'hui, même si une majorité des
Montréalais ou des résidents sont francophones, une
majorité, sinon une forte majorité, des enfants
fréquenterait les écoles anglaises. Aujourd'hui, ces 42 % ont
diminué, bien sûr, mais, quand même, ils représentent
au moins le double, comme proportion, de la population globale de langue
anglaise sur l'île de Montréal. Alors, l'équilibre est
encore loin d'être atteint. C'est pour cela que notre organisme, et je
pense que nous ne sommes pas les seuls - nous ne devrions pas être les
seuls - souhaiterait que le gouvernement actuel n'adopte pas des lois ou des
règlements qui feraient en sorte que l'équilibre ne serait pas
atteint au plus tôt ou ne serait jamais atteint.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député de Saint-Jacques. Mme la ministre des Communautés
culturelles, il vous reste deux minutes.
Mme Robic: D'accord. Je veux dire deux petites choses, M. le
Président. Je voudrais revenir sur le fameux programme de
régularisation du statut des revendicateurs qui a eu lieu et où
on avait cette fameuse grille. Je voudrais vous faire remarquer qu'on aurait
peut-être eu de meilleurs résultats si ces gens-là, qui
étaient chez nous depuis plusieurs années d'ailleurs, avaient eu
droit à des cours de français. C'est là l'importance
d'avoir des cours de français dès leur arrivée. On
n'aurait pas fait face à ces pourcentages de gens qui étaient
allés vers la société anglophone.
Autre chose, au sujet des reportages. Je voudrais vous mettre en garde
contre ces reportages, puisque l'on pourrait trouver autant de gens qui
pourraient probablement dire le contraire de ce qui est dit souvent dans ces
reportages. On remarque que les communautés plus nouvelles, qui sont
arrivées au Québec se sont intégrées beaucoup plus
largement à la majorité francophone. Je dois prendre la part des
pauvres Grecs qui écopent toujours des articles qui disent qu'ils se
sont intégrés à la société anglophone. Je me
dis que si on avait eu une meilleure vision, il y a 20 ans, et si on leur avait
permis de fréquenter nos écoles francophones, peut-être
qu'on en aurait plus qui se seraient intégrés plus rapidement.
Mais, encore une fois, on espère qu'eux aussi s'intégreront et je
pense que, lorsqu'on les rencontre, on s'en rend compte. On a un
député qui parle très bien le français et le grec.
Il y en a plusieurs autres et la plus jeune génération parle
français également.
Alors, oui, je demeure optimiste, malgré que j'avoue qu'il faudra
toujours rester vigilants, avoir des programmes et encourager tous ces nouvaux
arrivants et leur donner le droit de suivre des cours de français; leur
donner le goût, également, par notre accueil.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre. Mme la
présidente, avez-vous un commentaire final?
Mme Boudreau: Je veux simplement remercier M. le
Président, Mme ta ministre, mesdames et messieurs les membres de cette
commission d'avoir bien voulu discuter avec nous, ce qui nous paraît
fondamental. Il n'est jamais trop tard, Mme la ministre, pour corriger nos
erreurs. Si nous en avons fait dans le passé, croyez bien que nous n'en
ferons plus dans l'avenir, tellement nous savons que l'immigration est
importante pour le devenir linguistique, culturel, social et économique
du Québec. Je vous remercie.
Le Président (M. Trudel): Merci, madame. Alors nous allons
suspendre les travaux pour quelques minutes.
(Suspension de la séance à 12 h 20)
(Reprise à 12 h 29)
Le Président (M. Trudel): À l'ordre, s'il vous
plaît!
Avant d'accueillir le troisième groupe de ce matin et le dernier
organisme qui ait accepté l'invitation de la commission et avant de
l'oublier - ce sont des choses qu'on oublie généralement - j'ai
deux remarques techniques à faire, ce qu'on appelle "de la cuisine". Il
y aura une suspension des travaux pour environ dix minutes immédiatement
après notre discussion avec les représentants de la CSN.
Mémoires déposés
La deuxième remarque technique, c'est que je veux faire
immédiatement le dépôt de trois documents qui ont
été adressés à la commission de la part
d'organismes qui ne voulaient pas nécessairement se faire entendre.
Alors, le premier de ces documents que je dépose est le mémoire
du Centre des services sociaux du Montréal métropolitain, qui est
coté 5-M. Soit dit en passant, c'est
une cote technique. Cela ne veut pas dire que sur une échelle de
un è dix ou de dix à vingt...
Je dépose également une lettre de M. Pierre Lucier,
président du Conseil supérieur de l'éducation, à
Mme Louise Robic, ministre des Communautés culturelles et de
l'Immigration, en date du 9 juillet 1987, sous la cote 1-D.
Enfin, je dépose une lettre de M. Jean Doré, maire de
Montréal, qui m'écrivait le -on n'a pas mis la date - mais j'ai
vu la lettre et c'était daté du 29 juillet, je pense. De toute
façon, on en fait le dépôt sous la cote 2-D. Donc, les
mémoires déposés à la commission seront accessibles
aux membres évidemment, si cela n'a pas déjà
été fait.
Nous accueillons maintenant notre dernier groupe, les derniers
représentants d'organismes qui ont accepté l'invitation de la
commission, comme je le disais tantôt. J'accueille Mme Céline
Lamontagne qui est vice-présidente et Mme Suzanne Leduc, adjointe
à l'exécutif. J'avais ici M. Marcel Pépin, conseiller
syndical, mais on m'a fait remarquer tantôt que c'était M. Marcel
G. Pépin, le fils de Marcel Pépin, l'ancien président de
la centrale.
Mesdames, bienvenue à la commission. Vous connaissez - la CSN
étant une vieille habituée de ce genre d'exercices - les
règles du jeu. Vous nous avez soumis un mémoire relativement
court et dans des délais... Il porte la cote 2-M. je pense.
Une voix: 9-M.
Le Président (M. Trudel): 9-M. Donc, il est dans les tout
premiers qui nous sont parvenus. Je vous en félicite. Mme la
vice-présidente, sans plus tarder, je vous cède la parole.
Audition de la CSN
Mme Lamontagne (Céline): M. le Président, Mme la
ministre, membres de cette commission, la Confédération des
syndicats nationaux est heureuse de contribuer au débat entourant les
niveaux d'immigration pour les années 1988 et 1989. Nous sommes
parfaitement d'accord, comme vous pouvez le comprendre, avec le principe d'une
consultation systématique et publique du ministère des
Communautés culturelles et de l'Immigration sur cette question.
Comme vous l'avez déjà signifié, M. le
Président, on va procéder à la lecture du mémoire
et on aura peut-être des ajouts, des détails parce que celui-ci
est très court. Avoir su qu'on était dans les premiers à
déposer un mémoire, on aurait peut-être pris plus de temps
pour développer certains aspects. On est heureux d'apprendre qu'on est
les premiers mais c'est par ailleurs assez court comme présentation. Si
on n'a pas tout développé dans le mémoire, on a eu aussi
l'occasion, au cours des derniers mois, de prendre certaines positions, entre
autres, par rapport à la question des réfugiés qui est la
question d'actualité.
Premièrement, il est important de dire que parmi les 230 000
membres répartis sur l'ensemble du territoire québécois et
dans l'ensemble des secteurs d'activité, la CSN en compte un bon nombre
qui sont nés à l'extérieur du pays ou qui sont de souche
récente. Une enquête que nous avons menée à
Montréal nous démontre que près du quart de nos membres
dans cette région font partie de cette catégorie. Certains de nos
syndicats locaux sont composés très majoritairement d'immigrants
récents et, dans certains cas, de réfugiés.
Nous sommes donc familiarisés avec les problèmes
économiques et sociaux que vivent ces travailleuses et travailleurs et
nous sommes particulièrement conscients des problèmes qu'elles et
qu'ils vivent dans l'exercice de droits tels, entre autres, celui de
s'organiser en syndicat. On connaît des groupes de travailleurs et de
travailleuses qui sont moins spécialisés qui vivent des
conditions de travail très très précaires, très
très difficiles. On a aussi des exemples récents de
difficultés et d'affrontements importants avec les employeurs, entre
autres des difficultés à s'organiser en syndicat dans certains
emplois précaires, non spécialisés, très mal
payés et comportant des conditions pénibles. On vit cela depuis
quelques années mais cela se vît encore assez
régulièrement dans nos rangs.
Nous vous transmettrons les principaux commentaires et recommandations
que la CSN désire formuler sur certaines questions soulevées dans
les documents du ministère.
Comme nous l'avons exprimé dans les dernières
années, la CSN croit que les politiques canadienne et
québécoise d'immigration doivent être des politiques
d'ouverture et ce, malgré les difficultés que cela peut
comporter. Je pense que c'est la tendance qui se dégage des travaux de
cette commission, soit une ouverture.
Nous sommes intervenus en ce sens récemment auprès du
ministère de l'Emploi et de l'Immigration du Canada. Parmi les
hypothèses envisagées par le ministère et
présentées dans leurs documents de consultation, nous avons
préconisé l'adoption du troisième scénario, soit
celui prévoyant l'augmentation graduelle des niveaux d'immigration pour
atteindre 175 000 immigrants annuellement en 1990.
Nous avons déjà connu au Canada une immigration d'un
volume dépassant largement cet objectif. Le retour à cette
politique aurait un impact démographique positif et, croyons-nous, un
impact économique positif.
Nous appuyons la recommandation du ministère visant, au
Québec, un niveau
d'immigration atteignant le quart de l'immigration internationale venant
s'établir au Québec. Nous reconnaissons en cela l'importance de
la politique d'immigration par rapport à notre évolution
démographique. Nous croyons même que ce seuil du quart peut
être dépassé si nous en avons la possibilité.
J'ajouterais ici que même si on trouve cela important en ce qui concerne
l'évolution démographique, on ne croit pas que l'immigration -
d'autres l'ont dit, mais on n'a pas développé cela ici - soit la
seule politique, la seule mesure qui doive être prise par rapport
à la question de la population, à la question
démographique, mais on croit que c'est une possibilité.
L'immigration est claire, mesurable; on peut y mettre des critères. Je
pense qu'on peut la prévoir aussi. Dans ce sens-là, on trouve que
c'est une mesure importante.
Nous estimons cependant qu'il est primordial qu'à notre politique
d'immigration soit associée une politique de sensibilisation de la
population québécoise aux différentes ethnies qui viennent
s'établir au Québec. Nous savons que l'immigration n'est plus et
ne sera plus blanche et européenne et que cela crée parfois des
réactions défavorables. Une meilleure connaissance d'autres
cultures permettrait certainement d'adoucir ces réactions. Nous savons
que certaines initiatives en ce sens sont en cours; nous espérons que
cela demeurera une priorité. Nous trouvons cela important et majeur - je
pense que d'autres l'ont dit et l'on signifié -qu'il y ait une campagne
de sensibilisation, d'information de la population québécoise
à la question de l'immigration. On croit que c'est d'abord la
responsabilité gouvernementale, même si, actuellement, Il y a
beaucoup de groupes qui font ce travail avec les moyens qu'ils ont. On pense
aussi que cela peut être la responsabilité de ces groupes. Par
exemple, nous, en tant que centrale syndicale, on a un travail
d'éducation à faire chez nos membres québécois de
souche, comme on dit, pour mieux faire comprendre la situation des
travailleuses et travailleurs immigrants, mais on pense que c'est d'abord une
responsabilité gouvernementale, surtout après tous les
débats et tout ce qui se dit, parfois de façon très
démagogique, sur la question des réfugiés et des
immigrants.
L'adoption de cette politique d'immigration nécessite, comme il
est souligné dans les documents de consultation, des efforts
supplémentaires en matière d'accueil et de langue. Il est
primordial que les ministères fédéral et provincial
développent leurs services à cet effet. L'orientation de ces
services doit aussi être sérieusement revue, surtout en ce qui
concerne la langue. Actuellement, l'apprentissage de la langue est très
lié à la participation au marché du travail, ce qui a pour
effet d'exclure beaucoup d'immigrants, essentiellement des femmes. Des
études ont démontré que même après plusieurs
années au Québec, 42 % des immigrées ne parlaient pas le
français.
De plus, l'apprentissage de la langue ne doit pas viser la langue orale
seulement mais aussi l'alphabétisation. Les femmes immigrées
représentent à elles seules le tiers des analphabètes.
L'apprentissage de la langue française doit être
constamment une priorité.
Vous avez parlé, Mme la ministre, tout à l'heure, du
nouveau programme en ce qui concerne les femmes qui n'étaient pas sur le
marché du travail. Je pense qu'on trouve cela très
intéressant. Par ailleurs, on trouve important et on va insister - je
pense qu'on n'est pas les seuls à avoir insisté - pour qu'il y
ait une forme d'obligation ou d'incitation très forte pour tous les
nouveaux arrivants à aller suivre des cours de français et de
langue. Pour cela, évidemment, il faut des programmes nouveaux comme on
vient d'en mettre sur pied. Il faut aussi beaucoup de souplesse,
d'accessibilité et de diversité, je dirais, dans les programmes
d'apprentissage de cours de langue. Dans ce sens-là, on va mettre de
l'avant - ce sera discuté lors de notre prochain conseil
confédéral - la possibilité de revendiquer - et.
même que cela pourrait entrer dans les conventions collectives - des
cours de langue en milieu de travail où il y a une forte proportion de
Néo-Québécois. Donc, il faut vraiment varier et faire
preuve de beaucoup d'imagination pour que l'apprentissage de la langue
française soit possible pour tous les nouveaux arrivants qui ne
connaissent pas la langue et qu'ils puissent avoir les moyens et les
capacités d'apprendre la langue.
En ce qui a trait aux services d'accueil, on sait qu'il y a quelques
années, à la suite de compressions budgétaires, les
services d'accueil ont été réduits plus à une
distribution de brochures ou d'informations écrites et qu' on a beaucoup
diminué le service d'accueil avec explications. Nous insistons aussi
pour qu'il y ait de meilleures explications, de meilleures possibilités
pour les immigrants de se renseigner, entre autres, sur les lois sociales et
les lois du travail. Il faut vraiment qu'ils connaissent, entre autres, les
services auxquels ils pourraient avoir accès et auxquels ils ont
droit.
Sur les catégories d'immigrants, les documents de consultation
reviennent à quelques reprises sur la proposition de renforcer le
caractère économique du mouvement d'immigration. Une des
recommandations du ministère propose ainsi: "d'établir un nouvel
équilibre (...) en favorisant la venue en plus grand nombre des
immigrants de la catégorie des indépendants."
Nous ne sommes pas d'accord avec
cette proposition pour deux raisons. En premier lieu, nous croyons
à la nécessité de conserver l'équilibre actuel
entre les différentes catégories d'immigrants. Évidemment,
le nombre de personnes provenant de la catégorie de la famille
dépend du nombre de personnes reçues au cours des années
antérieures dans les autres catégories. Cela inclut les
indépendants et indépendantes, bien sûr, mais aussi les
réfugiés et nous croyons que celles-ci et ceux-ci doivent
conserver toute leur place dans le mouvement total d'immigration. Ceci signifie
qu'avec l'augmentation des niveaux, la proportion des immigrants doit, à
notre avis, demeurer semblable au augmenter.
En second lieu, la catégorie des indépendants influe sur
nos politiques de main-d'oeuvre et nous estimons qu'il faut éviter de
faire de l'immigration la porte privilégiée pour régler
les problèmes de disponibilité de certaines qualifications. Il
faut s'assurer que nos mécanismes d'apprentissage et nos politiques de
formation professionnelle occupent toute leur place et soient nos instruments
privilégiés.
Nous craignons qu'en axant prioritairement la politique d'immigration
sur la catégorie des indépendants, on sape les efforts en ce
sens-là.
Alors, premièrement, on trouve qu'il y a peut-être une
faiblesse au niveau de toute la politique de formation professionnelle. On ne
pense pas qu'on ne doit pas utiliser l'immigration comme un palliatif au
manque, peut-être, de certaines ressources même si -c'est clair -
l'arrivée de compétences est une richesse pour le Québec.
Cela est évident et on ne remet pas cela en cause.
L'autre aspect qui est important pour nous, c'est que l'augmentation du
nombre d'immigrants de statut indépendant ne devrait pas avoir pour
effet de réduire la proportion du nombre de réfugiés
d'autant plus que finalement - et cela c'est une étude qui a
été faite l'hiver dernier - on constatait que le profil moyen
pour 1985, entre autres, du réfugié était à peu
près identique au profil de l'immigrant moyen pour ce qui est du
degré de scolarité, de l'âge, des compétences,
etc.
Donc, il ne faudrait pas, à notre avis, handicaper, si l'on
décidait d'augmenter le nombre d'immigrants indépendants, la
catégorie des réfugiés ou de tout ce qui est de niveau
humanitaire.
L'autre remarque concerne les indépendants dans la
sous-catégorie, les entrepreneurs, les immigrants entrepreneurs. On sait
qu'actuellement il y a une étude qui se fait au niveau
fédéral pour essayer de voir effectivement quel est l'impact de
cette catégorie-là sur le développement économique
du pays. On n'a pas ces données-là. Il y a peu d'études -
on en avait déjà demandé -qui ont été
faites, sauf peut-être l'étude récente qui est sortie dans
un journal dont on a entendu parler cette semaine.
La catégorie de la famille. La définition utilisée
pour déterminer la catégorie de la famille devrait être
modifiée pour inclure les enfants quel que soit leur âge. La
définition actuelle ne reconnaît pas les enfants de plus de 21 ans
et est trop stricte à notre avis.
Un comité parlementaire à Ottawa a recommandé
d'inclure aussi dans cette définition les frères et les soeurs.
Nous avons une certaine difficulté à estimer l'impact d'une telle
proposition et c'est pourquoi nous ne la reprenons pas ici.
Quant aux critères de sélection utilisés, nous
croyons que le critère de santé devrait être levé
pour cette catégorie, sauf si un problème pour la santé
publique se présentait. Il nous semble que, malgré les
coûts occasionnés, on ne doive pas empêcher la
réunification des familles sur une telle base. (12 h 45)
Les réfugiés. On retrouve dans les documents de
consultation une prévision de 1000 personnes pour les requérants
et requérantes du statut de réfugié. Cette
prévision est évidemment dépassée. Nous vous
soumettons ici que nous nous sommes prononcés contre la politique
intérimaire du 20 février 1987 et contre le projet de loi C-55,
mesures destinées non pas à freiner les abus comme on se
plaît à le dire mais plutôt à éliminer du
Canada le maximum de réfugiés qui se présentent au pays de
cette façon.
Nous croyons que le Canada et le Québec doivent demeurer des
terres d'accueil où celles et ceux qui prétendent être
menacés de persécution peuvent trouver protection san3 risque
d'être refoulés dans leur pays d'origine. Ces personnes doivent
pouvoir être représentées, entendues et doivent avoir
accès à une procédure d'appel. Les mesures
proposées par le gouvernement fédéral ne respectent pas
ces conditions et devraient donc être retirées.
Le Canada a actuellement des programmes qui permettent à des
réfugiés handicapés ou présentant des
problèmes de santé d'entrer au Canada. Ces programmes ont eu
jusqu'ici une portée limitée. Nous encourageons Québec
à prendre des encouragements de ce côté en
déterminant un quota annuel minimum de réfugiés
handicapés qui seront acceptés au Québec.
Le nombre de réfugiés de par le monde est énorme;
le Canada et le Québec doivent considérer comme prioritaire
l'appui à ces personnes. Ce volet de notre politique d'immigration doit
demeurer un volet majeur.
En conclusion, nombre d'organismes non gouvernementaux oeuvrent dans le
domaine de l'accueil, de l'aide, de l'intégration des immigrants et
réfugiés. Ces organismes
contribuent à répondre à des besoins importants et
le ministère doit les appuyer dans ce travail. Nous croyons donc que des
programmes de subventions statutaires devraient exister pour soutenir les
organismes qui se préoccupent de ces réalités. Et je
reviendrais à la remarque que j'ai faite tout à l'heure sur le
fait qu'il y a eu des coupures et que cela a handicapé beaucoup
d'organismes qui travaillaient auprès des immigrants et des
réfugiés.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la
vice-présidente. Pour la période d'échange de vues, je
reconnais maintenant Mme la ministre des Communautés culturelles et de
l'Immigration.
Mme Robic: Merci, M. le Président. Je souhaite la
bienvenue à la Confédération des syndicats nationaux
à cette commission et je salue plus particulièrement Mme
Lamontagne et Mme Leduc. Je tiens à féliciter d'ailleurs le
syndicat pour la qualité de son mémoire. Vous avez fait un effort
important de réflexion au niveau du problème démographique
du Québec et on pense que ça été fort
intéressant de vous lire.
Je ne voudrais pas me dérober à mes responsabilités
quand il s'agit d'informer et d'éduquer la population aux bienfaits de
l'immigration mais vous comprendrez que je compte énormément sur
des groupes organisés tel que le vôtre pour m'aider dans ce genre
d'éducation. Il est important que d'autres que la ministre fasse valoir
l'apport positif de l'immigration sur la population et la
nécessité et les besoins de cette immigration qui s'inscrit - je
pense que tous les intervenants l'ont dit ici - dans une politique plus large
de population.
Il est sûr qu'il est important d'avoir en place des programmes
d'intégration, et je le redis ici: il n'y a pas d'intégration
possible sans francisation; donc, il faut encore élargir ces programmes
de francisation. Nous l'avons fait pour inclure des groupes qui avaient
été négligés ou tout simplement mis de
côté. Mais vous avez raison, il faut être... Et nous avons
d'ailleurs une série de programmes très souples pour faciliter,
justement au plus grand nombre de personnes possible, le fait de suivre des
cours de français. Nous sommes toujours è la recherche de
nouvelles formules pour encourager ces gens-là.
Vous avez également fait mention des besoins de nos groupes, de
nos ONG qui font l'accueil dans nos programmes d'accueil et d'adaptation et
vous avez parlé de diminution du budget. Je dois vous dire que c'est
vrai pour bien des groupes. Dans certains de mes programmes, nous avons
dû réduire certaines de nos subventions. J'ai dû subir
également certaines coupures budgétaires. Cependant, je vous
avoue que, a ce niveau-là, quand il s'agit de subventions aux organismes
non gouvernementaux, il y a eu une augmentation de nos budgets et non pas une
diminution, parce que je réalise justement que c'est l'une de nos
priorités, cet accueil et cette adaptation. On croyait qu'il ne fallait
pas toucher à cela et bien au contraire, trouver des fonds
additionnels.
La même chose quand il s'agit de cours de langue. Nous sommes
allés chercher des budgets additionnels au Conseil des ministres que
nous avons obtenus et nous allons y retourner d'ailleurs très
prochainement. Donc, nos priorités sont très bien
identifiées au niveau de l'accueil, de l'adaptation, de la francisation
et, également, au niveau des groupes les plus défavorisés,
les minorités visibles, par exemple, et les femmes, bien entendu.
Votre centrale, comme vous l'avez mentionné, compte une
proportion importante de travailleurs nés à l'étranger.
Nous serions intéressés à vous entendre sur les
problèmes rencontrés par ceux-ci dans l'exercice de leurs droits.
Vous y avez touché, mais j'aimerais que vous détailliez un peu et
que vous suggériez peut-être quelques mesures à mettre en
place pour remédier à ces problèmes.
Mme Lamontagne: Le premier problème qu'on mentionnait,
c'est d'abord le problème de base qui, dans plusieurs groupes est la
question de la difficulté de s'organiser en syndicat parce que souvent,
ce ne sont pas des citoyens en attente de statut. Donc, on exploite un certain
niveau où on utilise un peu certaines pratiques de chantage, surtout
dans les groupes non spécialisés, ce qui fait qu'il y a de plus
grandes difficultés à se syndiquer.
Deuxièmement - et c'est évident que cela peut contribuer
en même temps à certains préjugés qui circulent -
c'est qu'on utilise certains groupes d'immigrants pour des emplois qui sont
très difficiles, des emplois qui sont très précaires, etc.
Cela est un problème qu'on vit.
Aussi, plus largement, et cela est à notre niveau, il faut
développer nous-mêmes des services pour que..* À cause des
cultures différentes, à cause de notre non-connaissance des lois
ou du Code du travail, etc., il y a peut-être des difficultés
d'adaptation, dans certains milieux, des travailleuses et des travailleurs
immigrants.
Pour nous, alors, une des mesures, on l'a dit tout a l'heure, c'est la
question de l'apprentissage de la langue. Même si on dit qu'on va mettre
des cours actuellement pour les nouveaux, il reste encore qu'il y a des
immigrants qui sont là depuis quelques années. Même s'ils
ont une connaissance de la langue française qui n'est pas parfaite ou
qui leur permet même de lire des fois, on souhaiterait un appui au niveau
des cours de langue dans les milieux de travail, entre
autres. Cela est une mesure très très concrète
qu'on souhaiterait voir appliquée ou encore, on aimerait avoir un appui
auprès des employeurs pour qu'ils appliquent cette mesure.
Mme Leduc (Suzanne): J'aimerais ajouter... Vous demandez s'il y a
des exemples précis qu'on pourrait vous donner sur les problèmes
de syndicalisation. Sans donner de nom de compagnie ou d'entreprise, il y a un
exemple encore récent qui a fait d'ailleurs la manchette des journaux.
Un employeur, de façon systématique - le Code du travail est
ainsi fait - peut exercer des représailles jusqu'à ce qu'il soit
condamné et puis que la preuve soit faite que c'était
véritalement des représailles au moment où il y avait
syndicalisation. Eh bien, il peut laisser aller les choses et alors, la
personne est victime de ces représailles.
Alors, souvent, dans certains secteurs, on a constaté qu'il y a
une concentration d'immigrants. Les employés, dans une entreprise en
particulier... Pour cet exemple-là, c'était la confection de
lampes. Alors, l'employeur n'engageait que des immigrants récemment
arrivés, dans plusieurs cas, des réfugiés.
Premièrement, ces gens-là parlent des langues tout à fait
différentes. Il y a de la difficulté de communication entre eux.
Deuxièmement, ils ont une méconnaissance complète de
toutes les lois du travail au Québec et ce n'est pas dans les pratiques
du ministère de donner cette information sur les lois sociales et les
lois du travail. Quand arrive le moment...
Dans cette entreprise en particulier, les principaux leaders
étaient latino-américains, comme par hasard, et ce sont eux qui
ont lancé le syndicat. Les représailles qui ont été
exercées ce sont les diminutions des heures de travail. On en arriverait
au point que les gens n'étaient pas congédiés, sauf qu'il
y avait une diminution des heures de travail de façon telle que les
employés travaillent une journée par semaine au lieu de cinq;
cela fait en sorte qu'une personne qui est arrivée ici récemment
a de la difficulté à vivre, etc. Ce sont des exemples de
problèmes bien précis relatifs à la syndicalisation.
Aussi, il y a le . phénomène que, souvent, ces gens
proviennent de pays, où évidemment les lois du travail, la
syndicalisation est "moins facile" peut-être, entre guillemets, qu'ici;
et ils ne sont pas conscients de ce que la loi leur permet ici. Ce sont des
exemples précis. C'est donc un secteur, un groupe de population pour
lequel c'est plus difficile, compte tenu du peu d'information qu'il y a. Des
exemples, si vous en voulez, on peut vous en écrire, vous en donner. On
en a beaucoup. Si vous parlez d'exemples précis, ce sont des exemples
précis que l'on a. Évidemment, ils sont concentrés dans
des secteurs, compte tenu du Code du travail tel qu'il existe, où les
employés sont plus difficilement syndicables.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre.
M. le député de Saint-Jacques.
M. Boulerice: M. le Président, Mme Lamontagne, Mme Leduc,
je suis très heureux de vous voir ici. Vous direz à M.
Pépin que l'on regrette son absence, en lui rappelant ce vieux dicton
qui dit: "Bon sang ne peut mentir". J'apprécie énormément
que vous ayez introduit dans votre mémoire toute cette facette de la
condition féminine. J'en parle depuis le début de la question
à un point tel que peut-être certains représentants des
médias vont se demander si M. Johnson m'a affecté aux
Communautés culturelles ou à la Condition féminine. Je
vous avoue que j'aurais été très heureux d'avoir le
deuxième dossier. C'est une préoccupation très grande que
j'ai qui me vient sans doute de ma prédécesseure lorsqu'elle
assumait les fonctions de présidente de notre formation politique pour
Montréal.
Dans votre mémoire, vous préconisez des efforts
supplémentaires en matière d'accueil et de langue, les COFI... je
vous entendais tantôt parier de cours de langue sur les lieux de travail.
Je pense que c'est quelque chose de très important. Cette insistance
avec laquelle vous vous penchez sur le sort de la femme immigrante, je vous le
répète, me réjouit énormément. On a tous
à la mémoire, et je pense que c'est encore malheureusement une
facette de la réalité, la femme immigrante dans ce qu'on appelle
communément ces "sweat shops" où il y a eu très
malheureusement durant longtemps - je pense que c'est malheureusement encore
une partie de la réalité - certaines exploitations. Je suis
très heureux de voir que vous insistez là-dessus.
Quant à l'immigration comme telle, j'ai noté dans votre
mémoire que vous y étiez favorable. Je pense que c'est un
consensus à l'intérieur de la commission, de la part des
intervenants, autant les représentants du parti ministériel que
ceux de l'Opposition pour l'augmentation de ses niveaux. Vous parlez
d'atteindre le quart de l'immigration canadienne parce que notre poids
démographique au Québec diminue au sein du Canada. On cite 26 %
de la population, c'est même inférieur à cela maintenant.
Je pense que nous ne sommes plus que 24,8 % ou quelque chose comme cela. Quand
vous parlez des niveaux d'immigration, est-ce que vous avez des suggestions en
termes de nombre et surtout en termes de catégories? Certains nous ont
dit: Un petit peu moins de réfugiés, un peu plus d'immigrants. Il
y a eu une forme de quota, une forme d'introduction
numérique qui a été souvent
présentée. Chez vous, cette notion est absente.
Mme Lamontagne: La première...
M. Boulerice: Je ne vous reproche pas qu'elle soit absente. Je
veux savoir si vous avez réfléchi à cette question de
façon plus approfondie. (13 heures)
Mme Lamontagne: Sur la question du partage des catégories
ou des groupes, on l'a dit un peu dans notre mémoire, on croit que cela
devrait être à peu près le partage qui existe actuellement,
en termes de pourcentage. Dans ce sens-là on a un peu parlé aussi
du groupe d'immigrés indépendants. On ne veut pas que cela
pénalise le groupe "réfugiés". On n'a pas fait une
étude très très longue sur les différentes
catégories mais on pense que cela devrait à peu près
être la proportion actuelle.
Quand on dit que 25 % de l'immigration canadienne devrait être au
Québec - je pense que c'est d'ailleurs la position qui est
avancée par le ministère -on s'est déjà
prononcé en accord, au fédéral, avec la proposition. Il y
avait trois scénarios possibles: Diminuer l'immigration, maintenir
à peu près le rythme actuel et une augmentation. Nous nous sommes
prononcés pour une augmentation plus grande, ce qui signifiait, pour le
Canada, d'atteindre 175 000 immigrants en 1990. Donc, si on dit à peu
près 25 % pour le Québec, c'est un peu cela la proportion; mais
on n'a pas fait une analyse très longue des chiffres.
M. Boulerice: Pour ce qui est de la catégorie des
immigrants indépendants, vous avez dit: Oui, une certaine diminution.
J'aimerais que vous explicitiez davantage.
Mme Lamontagne: On n'a pas dit oui à une diminution. On
dit, par rapport à une suggestion qui est faite dans les documents de
consultation qu'il y ait une augmentation... par rapport à la position
qui a été exprimée, je pense, par le Conseil du patronat
hier ou avant-hier, on dit qu'on ne voit pas la nécessité
d'augmenter cette catégorie-là. On peut la plafonner à la
proportion actuelle. Premièrement, comme je l'ai dit à quelques
reprises, on ne veut pas que cela pénalise trop de groupes.
Deuxièmement, on pense qu'on n'a pas encore d'étude
sérieuse sur tout le groupe "entrepreneur", qui est une
sous-catégorie des travailleurs indépendants. On souhaite voir
une étude plus développée des répercussions de ces
groupes sur le développement économique. Troisièmement, on
ne veut pas, non plus, que cela remplace toute une politique de main-d'oeuvre,
même si on est d'accord pour dire qu'il y a une richesse collective
à avoir des compétences qui viennent d'autres pays.
Ce sont, en gros, les raisons pour lesquelles on souhaite un genre de
plafonnement de la catégorie des travailleurs indépendants. On
ajouterait aussi, que d'après les dernières analyses qui ont
été faites, pour 1985, il semble que le profil de l'immigrant qui
a le statut de réfugié est semblable à celui de
l'immigrant indépendant. Donc, on ne voit pas pourquoi on augmenterait
ce groupe-là, peut-être aux dépens de l'autre groupe.
M. Boulerice: M. le Président, je pense que ma
collègue, la députée de Maisonneuve, voudrait intervenir
également.
Le Président (M. Trudel): Allez-y! Mme la
députée de Maisonneuve.
Mme Harel: Merci, M. le Président. Mme Lamontagne, Mme
Leduc, c'est, finalement, un mémoire très très
pondéré que présente la CSN devant la commission. À
sa lecture on peut conclure que c'est un peu dans la suite des politiques
déjà en vigueur que vous souhaitez que se poursuive, tout en
augmentant le nombre quantitativement... C'est un peu comme une sorte de
continuité des politiques jusqu'à maintenant en usage, je pense
en tout cas, à moins qu'il n'y ait des changements majeurs que je
n'aurais pas saisis à la lecture du mémoire.
La question que je me pose concerne finalement beaucoup cette question
qui, je le sais, vous préoccupe depuis longtemps, celle des femmes
immigrantes. Vous faites mention qu'il y aurait des études - j'aimerais
bien d'ailleurs savoir quelles sont ces sources -qui démontreraient que
42 % des femmes immigrées n'auraient pas une connaissance d'usage du
français. Je trouve cela fort éloquent. Je pense que c'est tout
à fait exact, parce qu'elles ont été souvent exclues et du
marché du travail et de l'apprentissage du français à
temps plein dans les COFI.
Vous nous dites également que les femmes immigrantes sont, pour
un tiers d'entre elles... Non, c'est-à-dire qu'un tiers des
analphabètes au Québec serait constitué de femmes
immigrantes. C'est quand même considérable. J'aimerais aussi
peut-être voir la source, non pas pour, d'aucune façon,
réfuter vos propos, au contraire, mais pour peut-être justement
les amplifier et les reprendre, à l'occasion, à d'autres
commissions parlementaires. Je crois qu'on a intérêt à
être très franc en matière d'immigration. Si le tiers des
analphabètes est constitué de femmes immigrantes, dans la mesure
où on augmente considérablement notre niveau d'immigration, il
faut avoir un plan d'action pour faire face à des réalités
comme celle-là.
Alors, j'aimerais un peu avoir vos commentaires sur mon impression
générale, d'abord.
Mme Lamontagne: Disons, en ce qui concerne l'ensemble du
mémoire, quand vous dites qu'il est pondéré... Quant aux
niveaux d'immigration, aux interventions qu'on a faites depuis quelques
années soit auprès du gouvernement à Ottawa ou quand nous
avons eu à être consultés au Québec, c'était
toujours dans le sens d'une augmentation du nombre de nouveaux arrivants, mais
une augmentation qui soit intégrable, si l'on veut, à la
population québécoise.
Quand je parlais, tout à l'heure, des trois scénarios, ou
même de maintenir le flot actuel ou de l'augmenter, on a toujours pris
partie pour une augmentation du niveau des immigrants. Aussi, c'est sûr
que, dans ce mémoire, on n'a pas fait mention des différentes
positions qu'on a prises sur la question plus particulière des
réfugiés et de la situation par rapport aux changements de lois
et de la situation bien concrète qui a été faite aux
réfugiés. Je pense que c'est une consultation sur les niveaux de
l'immigration.
Sur les questions qui nous apparaissent majeures, quand on dit qu'on
augmente, c'est, effectivement, toute la question d'avoir des services
adéquats à tous les niveaux afin qu'il y ait vraiment... Quand je
parle de services, ce sont- les services d'accueil, la question de la langue,
ainsi que celle de sensibiliser la population du Québec à ces
nouveaux arrivants afin que ce soit harmonieux comme entrée et qu'on
évite des problèmes et un peu la démagogie qu'on a connue
publiquement. C'est ce qui nous apparaît majeur. Cela peut paraître
pondéré, mais c'est majeur comme mesure dans le sens où
cela veut dire d'abord des appuis financiers et des sorties d'argent de la part
du gouvernement afin d'amener ces services. Cela veut dire aussi des appuis
financiers et politiques à des groupes qui font déjà ce
travail. C'est ce qui nous apparaît la priorité des prochaines
semaines et des prochains mois, si l'on veut être logique avec une
augmentation du flot d'immigrants.
Sur la question de la référence, je vais demander à
Mme Leduc de nous la donner, c'est une source gouvernementale.
Mme Leduc: Juste pour ajouter, ce n'est peut-être pas assez
clair dans le mémoire. Le président nous a
félicités d'avoir envoyé notre mémoire parmi les
premiers, mais, comme on vous le dit, on aurait précisé davantage
si on n'avait pas voulu se restreindre pour rentrer dans les délais que
vous nous avez imposés.
Donc...
Le Président (M. Trudel): Si vous voulez me permettre une
remarque.
Mme Leduc: Oui.
Le Président (M. Trudel): Tous ceux et celles - je l'ai
dit au début, mardi matin, lors de mes remarques préliminaires -
qui ont demandé des prolongations ou qui ont pensé à le
faire, les ont obtenues avec grand plaisir. Votre mémoire nous est quand
même parvenu le 26 juin, ce qui était déjà une
prolongation par rapport...
Mme Leduc: Oui, oui. Mme Lamontagne: Oui.
Le Président (M. Trudel): ...au 29 ou 30 mai.
Mme Leduc: C'est pour vous...
Le Président (M. Trudel): Ceci dit, vous avez quand
même un bon mémoire.
Mme Leduc: II est trop court, à notre avis, et il
résume trop. Il y a beaucoup d'autres choses sur lesquelles on
réfléchit maintenant depuis quelques années et qu'on
aurait voulu inclure dans cela. Peut-être que ne ressort pas suffisamment
l'importance qu'on accorde à toute la question de la langue. Cela, je
pense...
Le Président (M. Trudel): Soyez très à
l'aise de faire parvenir un mémoire additionnel, si vous en sentez le
besoin, au secrétariat de la commission. Il sera distribué aux
membres de la commission et il fera partie des documents qui appartiendront
à la commission; il sera remis également à Mme la
ministre. Si vous avez le temps...
Mme Leduc: Oui. Bien, on va commencer par répondre
verbalement.
Le Président (M. Trudel): Évidemment, vous pouvez
nous répondre tout de suite, c'est clair.
Mme Leduc: Oui. Disons que dans tous les documents qu'on a fait
parvenir jusqu'à présent, soit au fédéral ou au
provincial, c'est la chose sur laquelle on insiste le plus. On est d'accord
avec une augmentation des niveaux d'immigration et même pour aller
au-delà des 25 %, mais à la condition qu'il y ait
véritablement intégration à la communauté
francophone, qu'il y ait des cours de langue, que ce soit accessible. Ce
pourquoi on ne peut aller plus loin actuellement, c'est qu'on est à
préparer une plate-forme d'immigration qu'on doit déposer
à une instance de la CSN au mois de septembre et qui va contenir des
éléments encore plus forts de demandes, entre autres en ce qui
concerne la langue et - Mme Lamontagne en a parlé - entre autres une
demande possiblement... On a un projet
pour faire la demande de cours de français sur les lieux de
travail. C'est ce qu'il y a de majeur dans le document.
On a aussi seulement effleuré la condition des femmes
immigrantes. C'est plus qu'effleurer, je pense qu'il y a deux phrases ou deux
lignes. On ne voulait pas parier davantage là-dessus. Mais pour ce qui
est des chiffres en question, c'est la recherche a été faite au
ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration, Les
autres Québécoises. C'est dans cela, de mémoire, qu'on a
tiré ces chiffres. Par contre, c'est une étude qui est
basée sur les données du recensement de 1981. Je ne sais s'il y
aura beaucoup de modifications à apporter à la suite du
recensement de l'année dernière, mais pour l'instant, ces
données sont dans cette étude.
Mme Harel: Vous nous faites part, dans votre mémoire, que
le quart des membres de la Confédération des syndicats nationaux
dans la région de Montréal est d'origine immigrante. J'imagine
qu'il y en a quand même un certain nombre qui sont devenus des
Québécois de souche. Je pense, entre autres, au syndicat de la
construction qui comportait un nombre impressionnant de Québécois
d'origine italienne. Mais vous nous faites part également que des
syndicats sont très majoritairement composés d'immigrants
récents. Je me posais la question: La langue de communication à
la CSN, est-ce exclusivement le français ou si d'autres langues sont en
usage? Par exemple, dans vos instances, j'imagine que c'est le français,
mais dans les documents, dans l'ensemble de la documentation, dans l'ensemble
des... Évidemment, par exemple, pour le recrutement, pour
l'adhésion, la carte de membre, etc., est-ce que cela se fait
exclusivement en français? Ce n'est pas un piège, là,
n'est-ce pas?
Une voix: Non, non.
Mme Harel: Ha! Ha! Est-ce que cela pose une difficulté? Y
a-t-il des pressions qui sont faites ou peut-être pas des pressions, mais
des demandes qui vous parviennent pour que, par exemple, cela se fasse aussi
dans d'autres langues, y compris l'anglais? Les immigrants récents qui
sont membres de vos syndicats locaux font-ils un usage courant du
français?
Mme Lamontagne: Pas... Ils ne font pas tous un usage courant du
français. Dans les services, on a encore beaucoup à faire
à ce niveau, au niveau de la langue. On a encore aussi des débats
un. peu théoriques à faire sur cette question. Actuellement, par
exemple, dans la construction où il y a effectivement un certain nombre
de travailleurs, entre autres d'origine italienne, des documents sont
publiés en langue italienne, entre autres en ce qui concerne la
santé et la sécurité au travail, sur les chantiers. Il y a
des documents dans la langue d'origine. Il y a aussi... Dans les campagnes
d'organisation, il y a eu des documents publiés soit en portugais, en
grec ou dans les différentes langues qui étaient
nécessaires. Il y a certains documents d'ordre général qui
existent à la CSN, entre autres des documents en espagnol qui existent
déjà. Il y a aussi une demande forte et particulièrement
dans le secteur des affaires sociales. Entre autres dans les hôpitaux de
la région anglophone de Montréal qui comportent un certain nombre
de travailleurs et travailleuses allophones, il y a une demande assez forte
pour que des documents existent en langue anglaise. Des documents de langue
anglaise existent surtout à la fédération, la convention
existe évidemment en langue anglaise.
Il y a encore beaucoup à faire et aussi des débats sur la
question de la traduction et de la langue parce que, dans certains
congrès, la traduction simultanée est disponible en langue
anglaise pour ceux qui souhaitent l'avoir. Cela vise, je le
répète, beaucoup de travailleurs et certains travailleurs de
l'hôtellerie, possiblement. Mais c'est surtout chez les travailleurs et
travailleuses des hôpitaux anglophones de la région de
Montréal que la demande est très forte dans ce sens-là. Il
y a des efforts de faits pour présenter les documents dans les langues
d'origine, sauf qu'il est sûr qu'on souhaite... (13 h 15)
Certains s'interrogeaient à savoir si, dans nos cours de
formation, il n'y avait pas des cours de langue en plus des cours de formation
syndicale habituels. Cela se précise et cela va se débattre
encore à l'automne, dans les instances larges, toute cette politique de
langues à l'intérieur même de nos rangs et pour nos propres
besoins.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la
députée de Maisonneuve. Est-ce qu'un membre de la formation
ministérielle a des remarques à faire? Cela va?
Alors, mesdames, il me reste à vous remercier de vous être
présentées devant nous ce matin pour exprimer votre position sur
les niveaux d'immigration pour les années 1988 et 1989. Je vous
souhaite, quant à moi, un bon retour à Montréal et
j'espère vous revoir à l'occasion, peut-être, sait-on
jamais, lors d'une autre commission sur cette question. Merci beaucoup.
Mme Lamontagne: On vous remercie aussi. Je voudrais juste
préciser, pour répondre à la dernière question et
pour ne pas laisser d'ambiguïté, que la langue de tous nos
documents, c'est la langue française
à la CSN, ne vous inquiétez pas. Notre nom n'existe plus
en anglais comme il a existé il y a quelques années.
Alors, je vous remercie. Cela a été très
enrichissant et intéressant pour nous et on souhaite un bon avenir pour
l'immigration au Québec. Merci.
Le Président (M. Trudel): Merci. Avant de suspendre pour
quelques minutes à la demande de Mme la ministre, j'ai un autre point
technique. J'ai bien déposé trois documents tantôt et j'ai
oublié de faire le dépôt très officiel de tous les
mémoires qui ont été présentés et qui sont
cotés de 1 à 15, pour parler en langage juridique. Alors, le
dépôt est maintenant fait. Nous allons suspendre pour quelques
minutes.
Mme Robic: M. le Président, vous nous permettez de
remercier...
Le Président (M. Trudel): Sûrement, je m'excuse. Je
pensais que cela avait été fait.
Mme Robic: ...Mme Lamontagne et Mme Leduc de leur
présence. Nous avons apprécié vos remarques. Vous touchez
le groupe de personnes qui a le plus besoin d'aide, certainement, et on
apprécie le travail que vous faites dans ce domaine. Et si on peut
collaborer avec vous et faire en sorte que ces gens soient mieux
éduqués et connaissent leurs droits, il faudra peut-être me
permettre de diffuser en plusieurs langues certains documents pour qu'ils
puissent comprendre ces droits.
Le Président (M. Trudel): M. le député de
Saint-Jacques.
M. Boulerice: M. le Président, vous me permettrez
très affectueusement, chères voisines, de vous remercier de votre
présence. Le message a été très clair. Cette
commission a le goût de poursuivre l'échange de points de vue avec
votre organisme. J'insiste à nouveau sur la possibilité que vous
a offerte M. le président de la commission, à savoir que si vous
avez des choses à nous soumettre, vous pouvez nous les adresser à
la commission ici. Elles seront remises à tous les membres et
forcément également à Mme la ministre. Encore une fois,
merci.
Mme Lamontagne: J'en prends bonne note. Je ne sais pas si dans
les jours qui suivent, ce sera possible de remettre un autre mémoire,
mais il y a sûrement d'autres documents. Ce ne sont pas
nécessairement des mémoires mais nos positions, notre plateforme
sur toute la question de l'immigration. On pourra aussi vous les faire
parvenir.
M. Boulerice: Mieux encore, je pourrai traverser la rue
Delorimier et aller les chercher.
Mme Harel: Si vous tes faites parvenir au secrétariat de
la commission, Mme Tanguay verra à les faire distribuer aux membres de
la commission parlementaire.
Mme Lamontagne: D'accord.
Mme Harel: Cela peut être intéressant. Vos documents
du mois de septembre pourraient certainement être
intéressants.
Le Président (M. Trudel): Si les membres de la commission
me le permettent, je vais "resuspendre" les travaux de la commission qui
avaient été suspendus il y a quelques minutes et nous reprendrons
dans cinq ou huit minutes.
(Suspension de la séance à 13 h 19)
(Reprise à 13 h 33)
Le Président (M. Trudel): M. le député de
Saint-Jacques, on m'a fait la remarque que certains journalistes avaient faim;
alors, on va essayer de terminer rapidement.
Conclusions
Trois membres de la commission m'ont fait part de leur intention de
procéder à des remarques finales. Je reconnaîtrai dans
l'ordre M. le député de Viger, M. le député de
Saint-Jacques au nom de l'Opposition et, enfin, Mme la ministre des
Communautés culturelles et de l'Immigration.
M. le député de Viger.
M. Cosmo Maciocia
M. Maciocia: Merci, M. le Président. Je veux m'associer
aux conclusions des travaux de la présente commission et remercier
vivement les divers représentants qui sont venus nous exposer leurs
préoccupations, leurs aspirations tout autant que leurs perceptions
quant au rôle accru que représentera l'immigration dans le
Québec de demain.
Chacun à leur manière, les divers intervenants entendus
nous ont tous fait part des préoccupations et des aspirations du
Québec en regard de l'immigration. Nul ne se surprendra si je vous avoue
avoir été davantage sensible aux commentaires et suggestions
apportés par les représentants des diverses communautés
culturelles qui ont, de la sorte, cherché à nous sensibiliser aux
préoccupations vécues par les immigrants eux-mêmes et ceux
chargés de leur intérêt.
Divers organismes ont souhaité attirer notre attention quant au
sort fait aux réfugiés et aux responsabilités du
Québec en la matière. Je me réjouis pour ma part que
l'immigration humanitaire soit un des objectifs permanents de notre
politique et que par nos actions nous témoignions de notre
compréhension et de notre compassion à l'égard de ces
personnes. Certes, on pourra toujours souhaiter faire davantage et il est du
devoir des organismes oeuvrant à la défense des
réfugiés de nous rappeler nos obligations en la matière.
Que cela ne nous empêche pas toutefois de constater avec satisfaction les
actions déjà entreprises et que la situation faite aux
réfugiés est une préoccupation que partagent tout autant
les communautés culturelles, les organismes bénévoles que
le monde syndical ou patronal.
Il y a lieu de se féliciter de cette conscience collective que
nous avons développée à l'égard des
réfugiés. Plusieurs représentants ont souhaité que
l'on se penche sur la définition de la catégorie de la famille et
qu'elle soit élargie notamment aux enfants adultes et aux parents
actifs.
M. le Président, il faut comprendre la préoccupation ainsi
véhiculée par ces divers organismes et qui reflète la
volonté de tout nouvel immigrant de voir réunis autour de lui sa
famille et ses proches.
Déjà, 40 % du mouvement migratoire à destination du
Québec est constitué du mouvement de la famille. Par ailleurs,
des statistiques récentes ont démontré qu'au total,
près de 70 % du total du mouvement migratoire possédera
déjà avant leur arrivée un membre plus ou moins
éloigné de leur famille déjà établi ici.
C'est dire que les politiques d'immigration offrent une
perméabilité plus grande qu'on ne pourrait le croire à
première vue et que bon nombre d'immigrants indépendants, par
exemple, viennent rejoindre un de leur proche, déjà établi
ici. Il faut, à mon avis, se réjouir de cette
perméabilité et convenir que les politiques migratoires offrent
une souplesse qu'une lecture trop rapide de la réglementation pourrait
ne pas laisser percevoir.
Ma collègue la ministre des Communautés culturelles et de
l'Immigration ne m'en voudra pas si je m'associe au commentaire unanime des
participants pour déplorer la lenteur des processus d'admission.
On peut comprendre l'impatience de ces candidats à l'immigration
qui, sur le point de réaliser leur projet, ou de venir rejoindre des
membres de leur famille, doivent patienter de longs mois avant de voir leur
rêve se réaliser. J'entends que l'immigration implique un
traitement cas par cas et individuel des demandes et que parfois
l'étendue du territoire à desservir ou que les difficultés
des communications postales notamment, peuvent retarder l'étude d'une
demande d'immigration sans que les services responsables ne puissent modifier
grand-chose.
Le renforcement de notre réseau à l'étranger, tout
autant que le nouvel accord constitutionnel, devrait nous permettre de revoir
!es diverses procédures applicables et nous assurer que les
délais soient réduits au minimum. Bon nombre de participants
invitaient les ministères et le gouvernement à se soucier de la
francisation des immigrants.
Au-delà de cet effort qu'il nous faut consacrer à la mise
sur pied de structures d'accueil et de francisation adéquate, certains
ont invoqué les difficultés provoquées dans le
passé par le réseau scolaire confessionnel qui ne falicitait pas
l'apprentissage du français. Je veux m'associer à ce rappel
historique et rappeler aux membres de la présente commission qu'un
immigrant fraîchement arrivé dans son nouveau pays n'a
guère le choix des moyens dont il dispose et qu'il cherche au contraire
à s'intégrer le plus rapidement possible à son nouveau
contexte familial, professionnel ou culturel.
Il ne faut pas y voir une volonté de sa part de se
démarquer de la volonté majoritaire, mais bien la recherche d'un
premier équilibre dans son nouvel environnement. Bien des choses ont
changé depuis et je félicite personnellement l'ouverture que
manifestent désormais les diverses structures scolaires ou autres. En
cela, l'audition des recommandations déposées par la CECM a tout
lieu de nous réjouir.
Quant aux immigrants de demain, je suis convaincu qu'ils s'adapteront
aux structures d'accueil qui leur sont offertes et qu'ils s'associeront
à nos propres objectifs.
Voilà les conclusions que je retiens des travaux de la
présente commission et les commentaires dont je voulais vous faire part
au terme de ces travaux. La qualité et la richesse des exposés
témoignent de l'intérêt que porte le Québec à
l'immigration. Merci.
Le Président (M. Trudel): Merci. M. le
député de Viger. Je reconnais maintenant M. le
député de Saint-Jacques.
M. André Boulerice
M. Boulerice: M. le Président, Mme la ministre, chers
collègues, les audiences publiques ont effectivement permis de constater
l'existence d'un large consensus parmi les intervenants autour des principaux
éléments suivants. De très nombreux exemples le prouvent,
l'immigration est bénéfique à la société
québécoise sur le plan démographique, économique et
culturel. Je n'ai qu'à vous saluer M. le député de Viger.
11 est souhaitable de hausser les niveaux actuels et que le Québec
accueille au moins, effectivement, 25 % du total des immigrants au Canada.
L'intégration à la majorité francophone est cruciale donc
des efforts et des ressources additionnels doivent y être
consacrés. Il nous faudra également mettre
un accent particulier sur l'information, la sensibilisation,
l'éducation de la population à la réalité des
immigrants et des réfugiés. Ce sont d'ailleurs les objets qui ont
motivé l'Opposition officielle à réclamer cette commission
en se disant qu'il était pour nous très important d'entendre des
intervenants afin de mieux cerner les problèmes, de devenir, sans aucun
doute, dans ce domaine, de meilleurs législateurs et de ne pas oublier
également que meilleurs législateurs nous serons dans la mesure
où nous serons aussi, face à notre population, pour ce
dossier-là, de très bons éducateurs.
Le Québec doit assumer ses responsabilités
internationales, ses obligations sur le plan humanitaire, donc demeurer ouvert
vis-à-vis des réfugiés, nonobstant ce qui peut se passer
dans d'autres capitales. Il faut envisager d'élargir la catégorie
de personnes pouvant être admises dans la catégorie de la
réunification familiale. La forte concentration de nouveaux arrivants
à Montréal suscite des interrogations et des inquiétudes
qui ont été manifestées.
L'Opposition est favorable, M. le Président, à une
augmentation de l'immigration. Celle-ci a déjà connu d'ailleurs
une forte croissance: 15 000 en 1985 et près de 20 000 en 1986, plus de
30 000 en 1987 si l'on tient compte des revendicateurs du statut de
réfugié. On ne peut cependant songer à court terme
à doubler ou tripler les niveaux actuels sans disposer des services
d'accueil et des ressources nécessaires à l'intégration.
Nous disons oui à l'immigration, mais à une immigration
réussie. Et pour réussir une immigration, il faut bien identifier
les enjeux et s'assurer d'en réunir les conditions optimales.
L'immigrant doit se sentir accueilli et les Québécois doivent
être chaleureusement accueillants.
Pour nous, l'enjeu et le défi sont clairs: bâtir un
Québec pluriethnique francophone. L'intégration à la
majorité francophone passe par la francisation sur place. Il va donc
nous falloir y consacrer des ressources accrues en termes de cours de
français, compte tenu de l'augmentation prévisible des niveaux
par une sélection privilégiant davantage les requérants
parmi les immigrants indépendants qui constituent 40 % du total des
nouveaux arrivants francophones ou "franconisables", par exemple en attribuant
davantage de points à la connaissance du français, en postant
davantage de conseillers d'immigration dans des pays francophones.
L'intégration passe aussi par la démétropolisation
de l'immigration: II faut, dans les plus brefs délais, instaurer des
mesures incitatives favorisant l'installation en région. Donner des
points? peut-être.
Il faut aussi viser une certaine concentration de membres de
communautés culturelles nécessaires à la mise en place
d'infrastructures d'accueil, à la vitalité d'une vie
communautaire dans les endroits où ils s'établiront. Sinon on
risque de se diriger vers la confrontation de deux Québec. Il n'est pas
sain pour le Québec que l'interculturalisme ne se vive qu'à
Montréal.
L'école constitue un lieu d'intervention privilégié
pour favoriser l'intégration. L'existence de structures scolaires
linguistiques plutôt que confessionnelles faciliterait la chose; c'est de
toute évidence. Il est impérieux de bien mettre en place les
jalons d'une politique d'éducation interculturelle. (13 h 45)
Mais il ne suffit pas d'accueillir plus d'immigrants, M. le
Président, encore faut-il les garder chez nous. On évalue
à au moins 15 % le nombre de ceux qui quittent dans les jours suivant
leur arrivée. D'où la nécessité d'enrayer
l'émigration de l'immigration. La francisation constitue sûrement
un facteur important. Je pense qu'il faut poursuivre les études à
cet égard.
L'immigration ne saurait constituer toutefois une panacée pour
combler le déficit démographique. Elle doit faire partie
intégrante d'une politique de la population. Une politique d'immigration
ne saurait se constituer sans la très étroite collaboration du
ministère de l'Éducation.
M. le Président, je remercierai le chef de l'Opposition
officielle à l'Assemblée nationale, M. Johnson, et
président du Parti québécois de m'avoir attribué ce
dossier que j'ai très souvent jalousé à mon
collègue, le député de Mercier, et à ma
collègue, la députée de Maisonneuve lorsqu'elle a
également exercé ces fonctions. J'ai dû, je le
répète, plonger dans la piscine très rapidement, ce qui
fait que certaines données statistiques ne m'étaient
peut-être pas aussi familières qu'elles l'étaient à
Mme la ministre; mais je puis d'ores et déjà l'assurer de ma plus
entière collaboration dans ce dossier.
Quant à ceux et celles qui sont venus ici représenter les
organismes, je ne ferai pas le discours quant au nombre. Ce qui était
important est ce qu'ils sont venus nous dire et que nous les ayons bien
écoutés, parce qu'ils avaient tous un message très
important à nous livrer. Je les remercierai de l'avoir fait. J'en
ressors personnellement très enrichi, j'en ressors avec, et vous me
permettrez l'expression, l'un des "briefings" intensifs les plus importants que
je n'ai jamais eus de ma vie. Pour être dans ce sens de la
pluriethnicité, de l'interculturalisme, je leur dirai très
simplement, pour leur participation "muchas gratias, gradie... "Marci"
même, mais attention, "marci" n'est pas un mauvais français, c'est
merci, en langue persane. Je vous remercie, M. le Président.
Le Président (M. Trudel): M. le député
de Saint-Jacques est toujours impressionnant dans ses finales. Merci.
Mme la ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration.
Mme Louise Robic
Mme Robic: Merci, M. le Président. J'envie les talents du
député de Saint-Jacques.
M. le Président, les mémoires entendus au cours des trois
dernières journées témoignent de l'importance et de
l'intérêt que l'immigration suscite au Québec. Nous avons
reçu des témoignages provenant d'un éventail impartant
d'intervenants de la société québécoise et la
richesse des recommandations alimentera très certainement l'orientation
et la gestion de la politique d'immigration.
Je voudrais remercier tous les groupes qui ont comparu devant nous et
les féliciter pour la qualité et la pertinence de leur
mémoire. Sans vouloir reprendre ici chacun des mémoires,
permettez-moi d'énoncer de façon rapide les faits saillants que
je retiens aujourd'hui de cette consultation que l'on peut déjà
qualifier d'importante contribution à la réflexion sur
l'immigration.
Je ne crois pas me tromper en indiquant, comme premier consensus,
l'appui vigoureux à une orientation d'ouverture progressive et
permanente de l'immigration québécoise au cours des prochaines
années. Pour tous, une politique plus expansionniste est
considérée inévitable et nécessaire en raison de la
situation démographique du Québec. Il s'agit d'un accord ferme
à l'incidence démographique de l'immigration pour le
Québec.
La plupart des mémoires n'ont pas chiffré le niveau
d'immigration pour 1988 et 1989. Cependant, plusieurs appuient l'objectif
d'atteindre rapidement 25 % du volume de l'immigration canadienne. Certains
recommandent même d'être beaucoup plus audacieux, de façon
à augmenter l'importance démographique du Québec dans le
Canada.
Pour permettre la mise en place de cette politique expansionniste, les
mémoires ont tous mentionné la nécessité de se
préoccuper de l'intégration des nouveaux arrivants. Voilà
un deuxième consensus. Il s'agit de faire en sorte que l'immigrant
participe pleinement à la société québécoise
et s'y établisse avec succès. La francisation des immigrants est,
dans ce contexte, un besoin prioritaire auquel il faut continuer de
répondre comme les mémoires nous le suggèrent.
Plusieurs intervenants demandent des ressources additionnelles afin de
soutenir les mesures particulières en milieu scolaire et la poursuite
des efforts auprès des immigrants adultes pour l'accessibilité
aux cours de langues.
Dans son rôle de favoriser l'intégration des immigrants
à la société d'accueil, le gouvernement et mon
ministère ont besoin de l'appui et de la participation des organismes
non gouvernementaux. Ils ont répondu à l'appel d'ailleurs, et
leur mémoire témoigne de cette volonté de jouer un
rôle actif. Je les félicite et je les remercie. Cependant, ils
demandent, pour ce faire, des ressources additionnelles dans le contexte d'une
hausse importante de l'immigration.
Cette politique expansionniste de l'immigration pour se réaliser
exige aussi un effort de sensibilisation de la population
québécoise. Je retiens cet élément comme le
troisième consensus de cette consultation. Tous reconnaissent qu'il
s'agit d'une priorité pour les prochaines années.
Ce programme de sensibilisation devra prendre plusieurs facettes, car la
tâche n'est pas facile. Plusieurs recommandent, à l'instar du
rapport Chancy que le gouvernement est en voie d'appliquer, de poursuivre les
efforts d'éducation interculturelle. Cela sera fait et, M. le
député de Saint-Jacques, j'ai ici certains petits chiffres pour
vous. Le rapport Chancy contient 63 recommandations dont 12 ont trait aux
responsabilités des commissions scolaires et on nous dit qu'elles sont
en voie de les mettre en application. Des 51 qui restent, 19 sont
déjà réalisées, 8 sont amorcées et 24 sont
en phase exploratoire ou à être réalisées dans les
prochains mois. Alors, c'est très positif à ce niveau.
Parmi les autres moyens qui nous ont été
suggérés, il faut retenir la poursuite des efforts pour mieux
informer la population québécoise sur l'immigration par la
diffusion d'études sur le phénomène, comme nous venons de
le faire avec le sondage SORECOM, l'étude des caractérisques
socio-économiques des immigrants et également par la tenue de
cette commission.
J'aimerais relever l'intérêt des organismes
vis-à-vis des efforts de recherche dans le domaine des mouvements
migratoires. La préoccupation de mieux connaître ces
phénomènes est essentielle à la formulation des politiques
et des programmes. Je souscris donc à la poursuite des efforts, et je
prends particulièrement note de la demande pour l'analyse des mouvements
migratoires interprovinciaux et des études sur les incidences de
l'immigration.
Tels sont, M. le Président, il me semble, les consensus qui se
sont dégagés au cours de la présente commission ainsi que
les préoccupations principales évoquées par les
participants. Tous les mémoires d'ailleurs sont très positifs
vis-à-vis de l'immigration. Cependant, vous comprendrez que je ne peux
passer sous silence certains propos tenus . devant nous hier et amplement
rapportés dans les journaux de ce matin. Je ne voudrais pas entretenir
une polémique qui ne profiterait à personne, mais en tant que
ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration, il me
faut établir les faits: redonner à la vérité tous
ses droits.
M. le Président, il est faux de prétendre que les
immigrants sont des voleurs de jobs. Bien au contraire, les études dont
nous disposons et celles citées par les organismes venus
témoigner devant cette commission font la preuve que les immigrants sont
des créateurs d'emplois. D'ailleurs, je comprends mal la logique qui
amène à déclarer que les immigrants sont à la fois
des chômeurs et des voleurs de jobs.
Non, M. le Président, les immigrants sont des travailleurs qui
apportent une très importante contribution à l'économie du
Québec. Je pense que l'exemple le plus probant que nous avons c'est de
regarder, vers nos voisins ontariens, pour réaliser que l'Ontario
reçoit 48 % de l'immigration canadienne et que son taux de chômage
est d'à peine 4 %.
Au cours des prochaines semaines, moi-même et mes collaborateurs
étudierons de près chacune de ces recommandations et en tirerons
les conclusions qui s'imposent afin d'assurer la réalisation de notre
mandat de répondre aux attentes exprimées tant par l'opinion
publique que par les immigrants eux-mêmes.
Autant la richesse des points de vue exposés que la
qualité même des commentaires portés à mon attention
sont pour moi un encouragement à poursuivre notre action et à
intensifier nos efforts pour faire du Québec une terre ouverte à
l'immigration et aux richesses que représentent les diverses
communautés culturelles qui viennent se joindre à nous.
Je me félicite que les opinions exprimées au cours de la
présente commission viennent confirmer les résultats du
récent sondage SORECOM et du fait que quelles que soient leurs
préoccupations plus immédiates, la très grande
majorité des Québécoises et des Québécois
sont ouverts à l'immigration. Ils y voient un des enjeux principaux qui
s'offrent à nous en tant que société distincte et
soucieuse de préserver notre identité, notre langue et notre
culture.
Bien sûr, pour assurer ces responsabilités accrues et pour
relever avec succès les multiples préoccupations que
soulève tout mouvement migratoire nous faudra-t-il canaliser des
énergies nouvelles et nous assurer que chacun d'entre nous, intervenant
public ou privé, demeurera conscient des responsabilités qui nous
incombent en la matière.
Ainsi, très prochainement, je saisirai mes collègues du
Conseil des ministres des recommandations quant au niveau d'immigration
à retenir pour les deux prochaines années, soit 1988 et 1989. Je
serai alors en mesure de les informer que les travaux de la présente
commission confirment l'orientation prise l'année dernière et qui
vise à ce que le Québec reçoive sa part de l'immigration
canadienne.
Forte de ce consensus qui s'est dégagé au cours de la
présente commission et assurée de l'appui de mes collègues
du Conseil des ministres quant à l'orientation retenue pour les niveaux
d'immigration, il m'appartiendra alors de dégager les ressources
requises pour assumer pleinement notre mandat.
Cette ouverture grandissante à l'immigration, tout autant que les
responsabilités en matière de sélection qui viennent de
nous être confirmées, dans le cadre de récents accords
constitutionnels, nous invitent à accroître notre présence
à l'étranger et à intensifier notre action en la
matière. Les 23 conseillers à l'immigration, qui oeuvrent
à l'étranger, accomplissent un travail considérable. Mais,
il nous faudra renforcer notre réseau si nous, voulons atteindre les
objectifs que nous nous sommes fixés. Cela ne saurait nous faire oublier
toutefois les responsabilités fondamentales qui sont les nôtres
quant à l'accueil et à l'intégration de ces nouveaux
arrivants.
Tous les participants à la présente commission furent
unanimes pour constater l'importance de l'apprentissage du français,
pour une intégration harmonieuse, au sein de notre
société, des immigrants qui viennent se joindre à nous. Je
sais pouvoir compter sur l'appui de mes collègues pour dégager
les ressources additionnelles requises à cette fin. C'est pourquoi, il
nous faut être optimistes quant aux efforts accrus qui seront
consacrés à l'apprentissage du français au cours des
prochaines années.
Des travaux de la présente commission, je retiens
également diverses préoccupations qui devront faire l'objet de
réflexions et d'actions concertées et dont notre
société dans son ensemble devra se préoccuper au cours des
prochaines années. Problématique relative à la population,
système scolaire davantage ouvert aux échanges interculturels,
démétropolisation, sensibilisation de la population en
général, autant d'aspects sur lesquels il nous faut poursuivre
notre réflexion et auxquels j'inviterai mes collègues du Conseil
des ministres à s'associer.
Je profite de cette occasion, M. le Président, pour remercier
encore une fois bien sincèrement tous les membres de cette commission
qui, par leur disponibilité et leur diligence tout au cours de ces trois
jours de séance ont largement contribué au déroulement de
ces travaux.
Je voudrais remercier encore une fois, tout autant, les
réprésentants des divers organismes socio-économiques qui
nous ont soumis des mémoires. Par leur participation active à
notre commission et leurs interventions, ils ont su enrichir notre
réflexion.
Cette commission parlementaire nous a servi de tribune
privilégiée afin d'informer et de sensibiliser la population aux
nombreux aspects de l'immigration.
Je me réjouis que l'immigration fasse l'objet d'un si large
consensus au Québec. Il me semble évident qu'une majorité
se dégage quant à l'ouverture que le Québec manifeste
envers l'immigration et quant aux efforts qu'il nous faudra consentir pour
faire de cette ouverture un enrichissement dont nous
bénéficierons tous.
Certains des intervenants ont rappelé les recommandations du
rapport French, lesquelles nous font valoir l'importance d'élaborer dans
les meilleurs délais une politique de la population. Je me
réjouis que cette recommandation ait été reprise devant la
présente commission. L'immigration est un des volets principaux dont une
société doit tenir compte en regard de l'avenir de sa population,
mais l'immigration ne saurait à elle seule englober toutes les
préoccupations de nature démographique. Aussi, me semble-t-il
utile de retenir cette suggestion et j'estime, pour ma part, qu'il y aurait
intérêt à ce que le gouvernement se dote des instruments
requis pour l'élaboration d'une politique concertée en
matière de population, laquelle tiendrait compte de divers aspects
inhérents à cette question.
M. le Président, je compte sur l'appui du nouveau critique de
l'Opposition afin d'atteindre les objectifs qui ont toujours été
partagés par nos deux formations politiques. Merci!
Le Président (M. Trudel): Merci, madame la ministre.
Tout en remerciant, au nom de tous les membres de la commission et
très certainement en votre nom, madame la ministre, le personnel de la
commission qui, encore une fois - cela semble presque inutile, puisque c'est
chaque fois la même chose... J'ai rarement, dans les différentes
carrières que j'ai vécues, travaillé avec un personnel
aussi agréable, aussi détendu et aussi besogneux, comme je le
disais mardi dernier, au nom de tous les membres de la commission.
Ayant dûment rempli son mandat, la commission ajourne ses travaux
sine die.
(Fin de la séance à 14 h 3)