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Version finale

35th Legislature, 2nd Session
(March 25, 1996 au October 21, 1998)

Thursday, May 2, 1996 - Vol. 35 N° 5

Étude du rapport annuel 1994-1995 de la Commission d'accès à l'information


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Table des matières

Journal des débats


(Dix heures dix-sept minutes)

Le Président (M. Garon): Je déclare la séance de la commission de la culture ouverte. Je rappelle que le mandat de la commission pour cette séance est d'étudier le rapport annuel 1994-1995 de la Commission d'accès à l'information, conformément à l'article 119.1 de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.

Au fait, c'est aussi bien d'étudier celui-là au plus vite, 1994-1995, parce qu'on est à la veille d'avoir 1995-1996.

Alors, est-ce qu'il y a des remplacements, M. le secrétaire?

Le Secrétaire: M. Mulcair (Chomedey) remplace Mme Frulla (Marguerite-Bourgeoys).

Le Président (M. Garon): Est-ce qu'il le sait?

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Garon): Alors, j'invite, s'il y a lieu, les membres de la commission à faire des remarques préliminaires. M. le député de Jacques-Cartier?

M. Kelley: Je n'ai pas de remarques préliminaires.

Le Président (M. Garon): Vous n'avez pas de remarques à faire. Est-ce qu'il y a quelqu'un du côté ministériel qui veut faire des remarques préliminaires? Pardon? Alors, il semble qu'il n'y en a pas non plus.

Alors, je vais demander immédiatement à M. Comeau de présenter ceux qui l'accompagnent et leur permettre de présenter l'allocution de présentation qu'ils veulent faire concernant le rapport annuel 1994-1995 de la Commission d'accès.


Exposé du président de la Commission d'accès à l'information


M. Paul-André Comeau

M. Comeau (Paul-André): Je vous remercie beaucoup, M. le Président. Je remercie également les membres de votre commission, qui nous donnent l'occasion, donc, de présenter, d'expliciter le rapport annuel de 1994-1995.

Alors, mes collaborateurs, ce matin: à ma droite, Me André Ouimet, qui est secrétaire et directeur du service juridique de la Commission, et M. Clarence White, qui est directeur de notre direction Analyse et évaluation.

Pour nous, l'occasion de rencontrer les membres de la commission de la culture pour discuter de notre rapport est un moment important dans l'année en ce qui concerne les activités de la Commission et aussi dans le cheminement de la Commission et de ses membres personnels. C'est l'occasion pour nous de prendre note des commentaires, des suggestions et aussi, bien sûr, des reproches, s'il en est, des membres de la commission. Cette démarche est importante parce qu'elle s'inscrit, bien sûr, dans le sens d'une décision historique qui a été posée par l'Assemblée nationale, en 1982, en adoptant à l'unanimité la loi sur l'accès aux documents administratifs et sur la protection des renseignements personnels. Inscrire dans la loi cette présentation du rapport annuel a été une initiative importante et, à mon point de vue, heureuse.

(10 h 20)

Mes propos seront évidemment axés sur les données et la présentation de ce rapport de 1994-1995, mais vous me permettrez d'élargir, évidemment, pour tenir compte de l'actualité. Alors, logiquement, mes propos seront structurés en fonction de l'architecture de la loi, c'est-à-dire l'accès aux documents administratifs et, ensuite, la protection des renseignements personnels.

Alors, l'an dernier, il y a quelques jours à peine, l'Assemblée nationale nous réservait une bonne nouvelle en nommant les deux nouveaux commissaires qui permettaient de compléter les effectifs de la Commission en accord avec la loi adoptée deux ans plus tôt, la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, ce qui nous a permis – je suis content de le signaler – de revenir à une vitesse de croisière normale en moins de six mois. Lorsque la loi sur le secteur privé est entrée en vigueur, évidemment, le fardeau de travail s'est accumulé et nous avons atteint, malheureusement, des retards en ce qui concerne l'entente des dossiers, aussi bien au sujet des mésententes dans le secteur privé que des demandes de révision dans le secteur public. Alors, ces retards se sont élevés et ont même atteint près de 10 mois, ce qui ne s'était pas vu depuis des années.

Actuellement, lorsqu'une demande de révision ou une demande d'examen de mésentente nous arrive, il s'écoule un maximum de deux mois et demi avant qu'une audience ne soit tenue. Et je vous signale que nous sommes en train d'abaisser, encore une fois, cette moyenne au point où certains procureurs d'entreprises, d'organismes, lorsqu'ils sont convoqués, nous demandent de retarder les audiences parce que le délai est trop court pour s'y préparer. Donc, les nominations auxquelles vous avez procédé l'an dernier ont été bénéfiques.

Toujours dans le domaine de l'accès aux documents administratifs, je dois également vous signaler le succès de la médiation menée par les avocats du service juridique, aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public. Je l'avais évoqué l'an passé, et les chiffres me permettent d'affirmer maintenant que 60 % de tous les dossiers qui nous sont soumis se règlent par l'intervention des médiateurs. C'est donc dire qu'il s'agit là d'une démarche qui correspond au souhait des entreprises, des citoyens et aussi des organismes. Il semble évident que personne ne veut judiciariser, les circonstances économiques ne s'y prêtent pas, et il y a une bonne volonté manifeste que je me plais à signaler.

Évidemment, il nous faut quand même convoquer des audiences, les commissaires ont été nommés notamment pour tenir des audiences, et, là aussi, on voit se confirmer la tendance qui s'est esquissée au cours des dernières années. Bon nombre de dossiers se règlent comme par enchantement uniquement au moment où l'on convoque une audience. Il y a donc une pression, et, comme les audiences sont convoquées de plus en plus tôt, les dossiers se règlent de plus en plus rapidement. Malgré tout, nous avons tenu, l'an dernier, 375 audiences en bonne et due forme, des audiences qui ont été terminées par des décisions écrites et motivées.

Nous avons également innové en tenant, à quatre reprises au cours des derniers mois, des séances de rôle spéciales, c'est-à-dire que nous faisons l'appel d'un certain nombre de dossiers qui ont été mis en suspens ou qui ont été plus ou moins oubliés, pour une foule de considérations, ce qui nous a permis, là aussi, de régler 87 dossiers à la faveur de ces quatre séances qui se sont toutes déroulées à Montréal.

Je signale, en terminant sur ce chapitre de l'accès aux documents administratifs, que la Commission a maintenu sa politique de tenir les audiences en région, là où le demandeur a fait sa requête d'information. Nous avons dû évidemment adapter nos ressources à cela, mais nous sommes présents sur le territoire, de Bonaventure à Chibougamau et de Natashquan à Pointe-Calumet. Il y a une volonté de maintenir cette présence et de répondre aux exigences et aux attentes des citoyens.

En ce qui concerne maintenant les renseignements personnels, nous en sommes déjà à l'an 3 du régime qui a été mis en place à la suite de la décision unanime de l'Assemblée nationale d'étendre au secteur privé la protection des renseignements personnels qui était déjà assurée dans le secteur public. Je n'ai pas besoin de répéter qu'il s'agit là d'une décision importante, qui s'inscrit dans un mouvement mondial. Ce mouvement mondial a été amplifié par l'adoption, en juillet dernier, à Bruxelles, au Conseil de l'Union européenne, d'une directive sur la protection des renseignements personnels, directive dont l'objectif était évidemment et avant tout d'harmoniser la protection déjà accordée dans chacun des 15 pays de l'Union européenne, mais qui comporte un volet extérieur important et un volet qui nous interpelle.

À compter de 1998, c'est-à-dire au moment de l'entrée en vigueur de la loi, les échanges de renseignements personnels entre des entreprises ou des organismes extraeuropéens, avec, bien sûr, des homologues européens, ne pourront avoir lieu légalement que si, dans cet autre pays, il existe une protection dite adéquate. Déjà, on se rend compte que la liste est courte, à l'extérieur de l'Europe, des endroits qui répondent à ces critères. D'après les experts, il y en a deux dont on est sûr qu'ils y répondent, il s'agit de la Nouvelle-Zélande et du Québec, ce qui correspond bien à ce que nous avons déjà signalé. C'est donc dire que les entreprises québécoises qui entretiennent des liens avec l'Europe, des liens d'affaires ou autres, pourront continuer d'échanger des renseignements personnels, bien sûr, en se conformant aux dispositions de la loi québécoise, qui sera donc la garantie nécessaire pour assurer cette protection adéquate.

Alors, dans les circonstances, la Commission a souscrit au projet de tenir, en 1997, au Québec, une conférence à l'intention des entreprises nord-américaines, conférence internationale, pour permettre aux entreprises de découvrir, d'abord, la signification de la directive et d'imaginer les solutions à inventer, à courte et moyenne période, pour se conformer à cette exigence.

Alors, là-dessus, à la suggestion d'un membre de l'Assemblée nationale, la Commission a élargi et consolidé le dispositif qui avait déjà été mis en place en vue d'assurer l'indépendance de la Commission et de ses membres et aussi de contribuer au succès de cette entreprise, une entreprise qui est motivée, avant tout, par l'avancé du Québec dans ce domaine sur le continuent nord-américain.

Le rapport de l'an dernier a attiré votre attention sur la question des échanges de renseignements personnels entre les ministères et les organismes sans le consentement des personnes concernées, donc des échanges de fichiers, des échanges plus ou moins automatiques. J'avais exprimé, dans l'introduction, une certaine crainte devant la banalisation de cette démarche, étant donné qu'on en arrivait peu à peu à lui attacher un caractère purement administratif, alors qu'il s'agit d'une démarche qui va à l'encontre des droits fondamentaux assurés par la loi sur la protection des renseignements personnels.

Or, ces derniers temps, la Commission a pris note d'une résolution qui a été adoptée par la commission du budget et de l'administration de l'Assemblée nationale. Cette résolution, si je l'ai bien comprise, recommande de modifier un certain nombre de dispositions de la loi en vue de contrer le travail au noir et de combattre l'évasion fiscale. Évidemment, cet objectif précis ne soulève aucun problème et je ne connais personne à la Commission qui ne puisse pas y souscrire d'emblée.

Cependant, je ne vous cacherai pas que la Commission entretient certaines inquiétudes devant les mesures qui nous semblent préconisées pour traduire ces objectifs en réalité. Si j'ai bien compris, il s'agirait d'accorder au ministère du Revenu l'autorisation d'avoir accès à tous les fichiers de renseignements personnels détenus dans l'ensemble de l'administration publique québécoise, municipalités y compris, dans le but, bien sûr, de faire des appariements ou, pour employer le langage plus courant, du «data matching».

(10 h 30)

Il s'agit là, évidemment, d'une démarche importante, lourde de conséquences et de significations. Si, encore une fois, nous avons bien compris, cette démarche s'inscrit à l'encontre de l'économie générale, mais surtout de l'esprit et de la lettre de la loi sur l'accès, qui établissait des compartiments entre ministères et organismes et qui ne permet pas l'échange de renseignements personnels sans des ententes entre les organismes; des ententes qui doivent recevoir un avis de la Commission d'accès à l'information avant d'être traduites en réalité.

Dans l'état actuel de ce que nous pensons savoir, je ne vous cache pas que le malaise est grand parce qu'il me ramène à deux ou trois ans en arrière, au moment où le Québec avait été mis en candidature pour recevoir le prix Big Brother. C'était curieusement à l'époque où le Québec se préparait à adopter une législation sur le secteur privé. On dénonçait le Québec qui pratiquait, disait-on à l'époque, trop allégrement l'appariement des fichiers. Alors, évidemment, on était loin du projet beaucoup plus systématique qui est, semble-t-il, examiné à certains endroits. Nous avons dû, à ce moment-là, faire du «backpedaling» systématique à travers le monde, grâce, d'ailleurs, à l'intervention des délégations du Québec à l'étranger, pour intervenir pour ne pas recevoir cet honneur douteux qui est le prix Big Brother. Alors, là, on s'oriente vers quelque chose d'analogue et vous comprendrez qu'après avoir fait ce «backpedaling» sérieux j'ai un certain malaise.

Au-delà de cela, je voudrais quand même attirer votre attention sur une autre dimension qui, elle, est rarement invoquée. C'est que l'appariement de fichiers ou le «data matching», c'est une entreprise qui coûte de l'argent. Ce n'est pas purement et simplement l'intervention du Saint-Esprit qui permet d'arriver à des résultats. Et nous n'avons jamais considéré, parce que nous sommes une société jeune et que l'informatique est relativement jeune aussi, les dimensions coûts et bénéfices de cela. Nous sommes toujours fascinés par les bénéfices, mais nous ne prêtons pas attention à ce qui se passe à cet égard. Alors, au moment où on veut contrôler les dépenses et freiner le déficit de l'État, je pense qu'il va falloir aussi qu'on entre cette donnée en considération.

Bâtir des modèles d'appariement, transformer les programmes pour que les fichiers soient compatibles, ça demande du temps et de l'argent. Je vous signale, par exemple, qu'en Nouvelle-Zélande, où on a établi une législation à cet égard, on est arrivé, après trois études très précises, à constater que, pour récupérer 22 000 000 $ théoriques, il en coûtait 12 000 000 $ et que, dans les 22 000 000 $ théoriques, on en avait récupéré 6 000 000 $ au bout d'un an et qu'on espérait en récupérer un autre 9 000 000 $ dans les années à venir. C'est donc dire qu'il n'y a pas de miracle là-dessus, et il y a une dimension coûts-bénéfices qui doit être prise en considération.

Je me sens un peu plus réconforté de faire ces remarques parce que, quand j'annonçais des idées du genre voilà quelques mois, on me disait: Oui, mais, ça, c'étaient les débuts de l'informatique, il n'y a pas de problème. Alors, je voudrais quand même signaler un certain nombre de problèmes qui viennent d'être mis à jour.

On a découvert, par exemple, qu'à la suite de l'entrée en vigueur du nouveau registre de l'état civil, curieusement, 300 personnes sont décédées la même journée, et là ces personnes-là commencent à découvrir qu'elles sont mortes, erreur d'ordinateur purement et simplement. Mais vous imaginez si on fait l'appariement avec d'autres fichiers.

On a découvert aussi, et on commence à découvrir parce qu'on ne sait pas exactement qui est tombé dans ce panneau, que beaucoup de personnes sont mariées mais pas nécessairement avec le bon conjoint.

Une voix: ...

M. Comeau (Paul-André): Ça commence à poser de très sérieux problèmes.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Comeau (Paul-André): Ça peut être avantageux dans certains cas, mais ça pose des problèmes dans d'autres.

On a découvert également que l'ordinateur, dans sa sagesse, avait décrété, par exemple, que, lorsque, pour des raisons que vous pouvez comprendre, un chef de famille décidait d'aller s'installer ailleurs, ses enfants étaient réputés l'avoir suivi et n'avaient plus droit aux bénéfices de la Régie de l'assurance-maladie du Québec. Là, on commence à découvrir ces choses-là. Et pourtant ce sont des ordinateurs récents, des programmes récents, etc.

Alors, moi, je me dis: De grâce, soyons prudents avant de s'engager dans une aventure qui est immense. L'appariement de tous les fichiers, en plus d'être une entorse majeure à la loi, est une démarche qui soulève des problèmes techniques et des problèmes humains, ensuite, considérables. Alors, je pense qu'il faut, là aussi, faire preuve de prudence, d'une prudence analogue à celle dont le gouvernement a fait preuve lorsqu'il a engagé l'expérience de Rimouski en matière de carte-santé à microprocesseur, une expérience qui s'est déroulée sur trois ans, qui a permis et au promoteur du projet et à d'autres groupes intéressés, dont la Commission, d'en faire une évaluation rigoureuse, systématique, ce qui nous permet maintenant de comprendre les avantages de cette technique majeure qui est la carte à microprocesseur, la «smart card», et qui devient l'instrument fondamental de circulation sur l'autoroute de l'information.

Alors, moi, je souhaite, évidemment, la même prudence dans ce domaine-là et la même prudence dans le domaine de l'autoroute de l'information. Là aussi, il y a une fascination absolument phénoménale, et méritée, à l'égard de l'autoroute, d'Internet, etc. Il faut bien se rendre compte que le problème de la protection des renseignements personnels sur l'autoroute de l'information est réel. Parce que, contrairement à ce qu'on a pensé, Internet est maintenant devenu un réseau commercial. Plus de 60 %, ou presque, 58 %, de tout ce qui circule sur Internet est maintenant commercial. Donc, on achète, on vend, on commande, et ainsi de suite. Et, bien sûr, des renseignements personnels y circulent en abondance, avec des problèmes, avec des défis.

J'ai été surpris de voir dans Le Monde , récemment, une petite annonce et un article qui l'accompagnait. Les agents de voyages français se sont branchés sur Internet et offrent leurs services, leurs biens, par Internet; par contre, ils demandent à ceux qui achètent des forfaits ou des voyages de transmettre leur numéro de carte de crédit par fax et non pas par Internet, à cause de la fraude et à cause de la subtilisation des numéros de carte de crédit sur Internet. Il y a donc là un aveu de l'entreprise même, qui a un certain nombre de problèmes, des problèmes auxquels il faut s'attaquer.

Problème également que je signale, auquel nous devrons, comme collectivité, nous intéresser, et problème qui est soulevé par les entreprises, toute la question du chiffrement ou de l'encryptage des données qui circulent sur l'autoroute de l'information. Alors, déjà, certains pays ont pris des attitudes très négatives à cet égard. La Belgique, par exemple, a adopté une législation qui interdit tout chiffrement. Les entreprises en veulent. Les États-Unis ont fait marche arrière sur le sujet et s'interrogent. Le Québec, lui aussi, devra s'interroger à cet égard.

Alors, je signale comme autre sujet qui nous préoccupe toujours le problème des identifiants, le problème des cartes-service, un certain nombre de données qui apparaissent périodiquement mais qui trouvent, disons, une actualisation à la suite de certains problèmes.

En terminant, je voudrais vous dire qu'à ce moment-ci l'an prochain nous achèverons notre rapport quinquennal qui sera présenté, conformément à la législation, en octobre, rapport quinquennal qui visera les deux lois. Et nous recommanderons sûrement à l'Assemblée nationale des modifications à ces législations pour tenir compte des problèmes rencontrés, des défis que nous avons dû épingler, mais aussi pour tenir compte de l'évolution des techniques en vue de permettre aux citoyens, c'est là l'objectif fondamental, d'être mieux préservés, d'être mieux servis, et aussi, c'est important, en vue de permettre au Québec de continuer à jouer son rôle de leader sur le continent nord-américain au double chapitre de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels.

Voilà, M. le Président, j'ai terminé les remarques que vous m'avez invité à faire.


Discussion générale

Le Président (M. Garon): C'est bien. Maintenant, je vais demander aux membres de la commission d'échanger, à tour de rôle, avec le président de la Commission. M. le député de Chomedey.


Risque de conflits d'intérêts

M. Mulcair: Oui, merci, M. le Président. Alors, je tiens d'abord à souhaiter la bienvenue à M. Comeau et à ses proches collaborateurs. On a eu l'occasion d'échanger, comme vous vous souviendrez, M. le Président, avec ces mêmes personnes dernièrement, lorsqu'on était en train de regarder la question de leurs crédits. Aujourd'hui, c'est une autre manière de se tenir redevables devant l'État, et c'est un mandat d'initiative de la commission des institutions, en vue d'échanger un petit peu plus sur le fonctionnement, le mandat, les questions qui sont directement reliées à comment un organisme s'acquitte de ses obligations aux termes de la loi.

(10 h 40)

Vous vous souviendrez aussi, M. le Président, que, lorsqu'on était à l'étude des crédits, on avait eu l'occasion de dire très publiquement qu'on avait de la difficulté à comprendre comment des gens qui, en même temps, décidaient comment la loi devait être appliquée et avaient cette fonction d'adjudication, agissaient donc en tant que tribunal, comment, en même temps, on pouvait travailler avec des avocats, qui représentent souvent le gouvernement devant cette même Commission, comment on pouvait s'adjoindre des collaborateurs comme Hydro-Québec, qui fait souvent l'objet de demandes devant la Commission, on avait de la difficulté à saisir ça. J'aimerais savoir de la part du président de la Commission, dans un premier temps, s'il a eu le temps de réfléchir à cette question-là depuis qu'on a été ensemble la dernière fois et, si oui, quel est le fruit de cette réflexion.

M. Comeau (Paul-André): Tout à fait. Alors, nous avons, bien sûr, tenu compte de vos recommandations, de vos remarques, et nous avons procédé, à la dernière réunion de la Commission, qui a eu lieu il y a une semaine, à l'examen de la première résolution qui avait été adoptée précisément en vue d'assurer cette indépendance tout en permettant la convocation de cette conférence. Et nous avons resserré à nouveau les critères qui avaient été mis en place, qui, soit dit en passant, en ce qui me concerne, étaient les mêmes qui avaient été adoptés lorsque j'ai accepté, à la demande du gouvernement l'an dernier, de présider le volet information du débat public sur l'énergie, c'est-à-dire: le président n'entend pas d'audiences qui impliquent l'une ou l'autre des parties qui sont visées par le débat et le président n'est pas directement impliqué.

Alors, nous avons adopté une résolution – si vous voulez, on peut vous en donner des exemplaires – qui consolidifie ce que nous avions déjà mis en place et qui répond au souhait unanime des membres de la Commission. Les membres de la Commission ne participent pas directement ni indirectement à l'organisation. Il y a un agent de liaison, qui est un membre du personnel, qui est nommé pour faire la liaison avec le comité, la compagnie, pour être plus exact, qui a été créée en vue de tenir cette conférence.

M. Mulcair: Mais, juste sur ce dernier point, M. le Président, je désire savoir s'il n'est pas exact que la Commission, au mois de février... une proche collaboratrice du président de la Commission d'accès à l'information a écrit un mémo aux professionnels, aux employés et aux commissaires leur demandant de donner des noms de personnes qui pouvaient collaborer à l'organisation de la rencontre.

M. Comeau (Paul-André): Il est exact que l'une de mes collaboratrices a rédigé une note à l'intention du personnel de la Commission demandant de fournir des noms de personnes et d'entreprises à qui la société pourrait faire parvenir le programme, des invitations et de la documentation sur la conférence même.

M. Mulcair: Maintenant, M. le Président, c'est intéressant que le président de la Commission d'accès choisisse le terme «au personnel de la Commission», parce que je pense que ça va au coeur même de la préoccupation qu'on exprimait lorsqu'on s'est rencontrés lors de la défense des crédits. Parce qu'à mon sens, M. le Président, la Commission, c'est les membres, c'est les commissaires. Si on regarde la loi, c'est ça.

M. Comeau (Paul-André): Oui, tout à fait.

M. Mulcair: Et que le président de la Commission, avec tout le respect qu'on lui doit, puisse venir ici et nous dire que les commissaires sont du personnel de la Commission, je m'inquiète.

M. Comeau (Paul-André): Ah oui! Excusez. Si vous avez compris ça, il y a une erreur de présentation. Les membres de la Commission, c'est, bien sûr, les cinq commissaires nommés par l'Assemblée nationale, tous les autres faisant partie du personnel, vous avez raison, qui relèvent d'ailleurs de la fonction publique, eux.

M. Mulcair: Mais la note envoyée par votre proche collaboratrice dans la troisième semaine de février concernait non seulement le personnel, mais était aussi envoyée aux commissaires.

M. Comeau (Paul-André): Tout à fait, elle était adressée à tout le monde qui, par ses travaux, connaît les personnes intéressées, les entreprises, etc.

M. Mulcair: Maintenant, pour en savoir un peu plus... D'abord, je dois vous dire que j'ai beaucoup apprécié votre manière très synthétique de nous dire les grandes tendances et votre vision, qui est vraiment très large, de la question, et évidemment très bien informée. Mais ce que je voudrais savoir peut-être un petit peu plus, au jour le jour, dans l'application de ces choses-là, c'est comment ça se passe, une réunion de la Commission en tant que telle. Qui participe à une réunion? Qui est là? Est-ce que c'est juste les commissaires? Est-ce qu'il y a quelqu'un qui prend des notes? Matériellement, comment c'est organisé?

M. Comeau (Paul-André): Alors, évidemment, l'ordre du jour de la Commission est préparé par le secrétariat, qui réunit les dossiers élaborés dans les deux directions, qui bâtit l'ordre du jour, et les dossiers sont transmis aux commissaires le vendredi qui précède la réunion. Participent à la réunion les deux directeurs, l'un en tant que secrétaire également, la secrétaire adjointe qui prend les notes, et mon adjointe. Voilà les membres du personnel. Les dossiers sont appelés, étudiés et votés, la plupart du temps, enfin 90 %, au consensus.

M. Mulcair: Est-ce que ça arrive que les commissaires demandent le huis clos? Et, dans ces cas-là, est-ce que vous vous réunissez à huis clos en exclusion d'autres personnes qui ne sont pas commissaires en tant que tels?

M. Comeau (Paul-André): C'est arrivé très rarement que ça ait été demandé. En l'espace de cinq ans, c'est arrivé peut-être deux ou trois fois.

M. Mulcair: Et est-ce que ça a été accordé quand ça a été demandé?

M. Comeau (Paul-André): Oui.

M. Mulcair: La question fondamentale à laquelle nous sommes en train de référer ici, qui réfère, bien entendu, à la discussion que nous avons eue à la défense des crédits, a déjà existé dans d'autres organismes, à d'autres endroits. Vous vous souviendrez sans doute qu'au cours des dernières années le gouvernement antérieur, le gouvernement libéral, face à des objections et à des problèmes de cette nature-là qui survenaient dans le domaine de la protection des droits de la personne, avait décidé qu'une bonne manière d'éviter le problème était d'envoyer le Tribunal des droits de la personne – devenu depuis lors le Tribunal des droits de la personne et de la jeunesse – d'un côté, ça, c'était l'aspect purement adjudicatif, le Tribunal en tant que tel, et de laisser une commission des droits de la personne, qui pouvait avoir cette fonction conseil, la fonction un peu plus large, certains aspects donc... qui permettait d'éviter des problèmes comme ceux qu'on a identifiés ensemble lors de la défense des crédits et d'éviter d'être obligé de commencer à dire: Bien, certains membres clés de la Commission ne vont plus entendre des causes, même si elles sont très importantes, parce qu'on risque de se mettre dans une situation de conflit d'intérêts.

Je peux aussi vous dire qu'à l'Office des professions du Québec, qui occupe un rôle similaire à cette partie du travail de la Commission, qui est de donner des conseils au gouvernement, de regarder comment les choses se font, il y a un certain aspect surveillance et contrôle, mais la fonction «adjudication» est laissée à trois juges de la Cour du Québec qui forment ce qu'on appelle le Tribunal des professions.

Est-ce que, dans votre réflexion, M. Comeau, vous avez déjà songé à l'opportunité de ce genre de partage de ces rôles-là afin d'éviter, pour tout le monde, le genre de situation embarrassante qu'on a identifiée lors de la défense des crédits?

M. Comeau (Paul-André): Bon. Alors, je vais répondre à votre question, mais, auparavant, je dois vous dire que la notion de problème d'apparence de conflit d'intérêts est une notion qui existe dans tous les tribunaux. Il n'y a pas de mois où on ne voit pas un juge dans une cour se récuser pour des raisons très valables et qui ne sont pas, je pense, contestées et qui sont tout à l'honneur de la magistrature. Alors, je pense que c'est un problème avec lequel il faut vivre, parce qu'une société ne peut pas être composée d'abbayes où les moines sont enfermés et interviennent uniquement. Moi, c'est mon point de vue.

Mais je reviendrai à votre question qui est beaucoup plus fondamentale, qui est une question très sérieuse, qui est une question qui est relevée régulièrement par beaucoup d'observateurs, celle des mandats multiples confiés à la Commission par le législateur. Et je vous ferai, si vous permettez, une réponse politique, et je demanderai ensuite à Me Ouimet, si vous le désirez, d'avoir des aspects plus juridiques, parce que cela n'est pas du tout de ma compétence. Je ne prétends pas, non plus, être compétent en matière politique, mais je me sens plus à l'aise. Bon.

Alors, le législateur québécois, lorsqu'il a adopté la loi en 1982, à la suite du rapport Paré, a décidé de coiffer d'une seule loi deux mandats tout à fait différents: l'accès à l'information et la protection des renseignements personnels. Et c'est important de comprendre ça parce que la suite en découle logiquement. Il faut vous rendre compte que cette décision découlait de la reconnaissance, par la commission Paré et, ensuite, par l'Assemblée nationale, de la nécessité de maintenir un équilibre entre ces deux droits: droit d'accès et protection des renseignements personnels. Cette décision découlait aussi des tensions et des problèmes constatés dans des pays où on avait adopté, au contraire, pour la dichotomie: protection-accès. C'est le cas de la France, notamment, où la CNIL et la CADA ont deux lois, deux commissions, etc., mais avec des problèmes de navette et d'échanges à n'en plus finir.

(10 h 50)

L'Assemblée nationale unanimement a pris cette décision, au même moment, d'ailleurs, où le gouvernement fédéral... contredisait Ottawa et s'orientait dans une voie unique qui était celle donc d'une loi, une commission, alors qu'à Ottawa c'est deux lois, deux commissions. Et on a mis en place ce que, maintenant, les observateurs appellent le modèle québécois, qui réunit en un seul lieu et une seule loi ces deux objectifs.

Il y a un principe élémentaire à la base de la décision qui sera prise par l'Assemblée nationale en 1992 de confier à la Commission le mandat de surveillance et d'administration de la protection des renseignements personnels dans le secteur privé. Logiquement, le législateur a considéré que les renseignements personnels ne changeaient pas de nature selon qu'ils se trouvaient dans le secteur privé ou dans le secteur public. Il y a eu là une décision logique: un dossier médical demeure un dossier médical tout aussi sensible pour la personne lorsqu'il est détenu dans le cabinet privé d'un médecin ou lorsqu'il s'en va à l'hôpital. Alors, ça a été le chemin.

Et l'Assemblée nationale, elle, a entendu, lorsqu'elle a révisé la loi après le rapport quinquennal, des appels en sens contraire, pour faire ce que le député suggère, donc de scinder non seulement les mandats mais de scinder les activités analogues au modèle Commission des droits de la personne et Tribunal des droits de la personne. Or, l'Assemblée nationale, je pense, a eu raison de maintenir cette multiplicité de mandats, d'abord parce que la loi et la Commission fonctionnent à la satisfaction des citoyens. M. et Mme Tout-le-Monde, c'est eux, d'ailleurs, qui utilisent la loi. Nous n'avons pas de chiffres récents, ils datent de 1991 pour des raisons budgétaires, mais, en 1991, une enquête menée par la maison SOM pour le ministère des Communications a démontré que 300 000 citoyens du Québec demandaient, en vertu de la loi, des documents ou des renseignements personnels et que ces demandes étaient satisfaites sur-le-champ dans une proportion de 94 %. Donc, là-dessus, je pense que ça répond à un besoin.

Ce qu'il est important de comprendre, c'est que le modèle mis au point au Québec a été retenu par cinq des 10 provinces canadiennes, à l'encontre du précédent d'Ottawa. C'est rare, je pense, on doit le souligner, que les provinces prennent exemple sur le Québec et bâtissent exactement sur le modèle québécois une structure analogue. Et puis, maintenant, le modèle québécois fait des petits, si vous me pardonnez l'expression populaire, il est imité par d'autres pays. La Hongrie a adopté exactement le modèle québécois, et, eux, ils l'ont justifié à la fois pour des considérations philosophiques et pour des raisons économiques. Eux, ils se sont dit: On est incapables de se payer une commission, un tribunal dans l'accès, une commission, un tribunal dans la protection des renseignements personnels. Et, si vous relisez cette loi en traduction, parce que ma connaissance du hongrois est assez élémentaire, ils ont copié des articles de la loi québécoise tels quels.

Alors, c'est la question politique que je vous pose: Est-ce que le modèle québécois, qui est suivi par les provinces, qui est imité dans le monde, va être abandonné, parce que, maintenant, on considère que... Ça, c'est le problème qui se pose et qui, à mon point de vue, doit être.

Je vous dirai une dernière chose, on en arrive au point où – vous avez suivi ça dans les journaux – le commissaire fédéral de la protection des renseignements personnels vient d'intenter un procès en cour fédérale contre le Commissaire à la protection de la vie privée, parce qu'il y a incompatibilité et on ne s'entend pas sur ce qui, dans un document administratif, est renseignement personnel.

Or, il y a, je pense, une décision heureuse qui a été prise par l'Assemblée nationale en 1982, qui a été reconfirmée en 1992 par deux gouvernements différents. Le comité Garant, qui a été établi il y a deux ans pour préparer la mise en place de la législation et de l'éventuel tribunal administratif, nous a entendus, nous a posé exactement la question que M. le député vient de soulever, et nous y avons répondu le plus honnêtement possible. Et le comité Garant a recommandé que la Commission soit maintenue dans sa structure actuelle et dans ses mandats pour répondre aux attentes des citoyens et aussi, précisément, pour tenir compte de la réalité économique.

M. Mulcair: M. le Président, je pense que, sur ce dernier point, il ne faut pas oublier non plus que, si le Tribunal administratif du Québec, tel que proposé par l'actuel gouvernement, exclut la Commission d'accès à l'information, ce n'est pas strictement sur la base de ce que le président de la Commission d'accès vient de dire, c'est parce qu'il y avait des raisons fondamentales de ne pas inclure un organisme comme la CAI à l'intérieur d'une telle structure unifiée. Mais je pense que ça n'enlevait pas la question très valable de savoir s'il est opportun de scinder la Commission. Il ne faut pas perdre de vue non plus que ce n'était strictement pas le mandat de M. Garant de regarder l'opportunité de maintenir l'unicité de la Commission avec ses doubles fonctions, ses multiples fonctions, à l'heure actuelle, ou de décider de la scinder ou pas. Je pense qu'il ne faut pas aller jusque-là.

Par ailleurs, M. Comeau, vous venez de dire que ça arrive tout le temps que des juges doivent se récuser pour des raisons très valables. Soit. Si une cause concernant Le Devoir devait venir devant la CAI, je m'attendrais à ce que vous vous récusiez, c'est normal.

M. Comeau (Paul-André): Tout à fait.

M. Mulcair: Mais, puisque vous aimez utiliser les analogies, laissez-moi vous en faire une. Admettons que la Commission des valeurs mobilières du Québec décide qu'il est opportun de tenir une conférence sur les fonds mutuels. Et ils commencent à s'associer des partenaires, y compris les plus grandes maisons de courtage et les plus grandes institutions financières, et le président de la Commission des valeurs mobilières se met là-dedans, puis, tout d'un coup, il ne peut plus statuer sur aucun des événements qui concernent ces grandes maisons là. Ce n'est pas une question de conflit d'intérêts. Si le président de la Commission des valeurs mobilières avait déjà travaillé pour la maison A, B, C, c'est sûr qu'il ne devrait pas toucher au dossier concernant la maison A, B, C, si c'est là où il a obtenu son expertise. Ça, c'est un motif de récusation qui vient de ce qu'on a fait antérieurement; on a déjà été associé à une maison, on a déjà travaillé pour ou avec des gens de cette place-là.

Mais la question qui est devant nous aujourd'hui, la raison pour laquelle je vous soumets qu'il est encore opportun de regarder cette question de scinder, c'est parce que, vous, vous êtes placé dans une situation qui, je persiste à dire, peut être perçue comme étant un conflit d'intérêts, en vous associant avec des gens, aussi valables qu'ils soient, dans l'organisation de ce colloque et ça vous empêche de pouvoir entendre des causes. C'est vous-même qui nous dites ça. Ça vous empêche d'entendre des causes importantes. Quand je vois la présence d'Hydro-Québec dans l'approche organisation, quand je vois la présence d'avocats qui sont constamment devant la Commission, même si c'est devant les autres commissaires, c'est vous, le président de la Commission. Alors, je suis un peu étonné de la réponse très diluée que vous apportez à la question, et ce que je perçois très honnêtement comme étant un manque de compréhension de l'importance de ce dont on est en train de parler.

Vous nous dites: Je vais vous poser une question politique. Je vais vous donner une réponse politique. Je pense que c'est une partie du problème. C'est parce que l'État et son appareil doivent être tellement à part de la Commission pour que vous ayez une distance suffisante pour pouvoir porter un jugement et être sévère. Regardez la situation dans laquelle vous êtes par rapport à un tribunal, justement. Ça vous arrive, puis c'est normal, vous parlez régulièrement avec votre ministre responsable, n'est-ce pas, M. Comeau?

M. Comeau (Paul-André): Régulièrement... Je dois vous dire que, depuis quelques jours, oui, mais j'ai été des mois sans parler à mon ministre responsable.

M. Mulcair: Oui. Mais le fait est que, dans le cas d'un tribunal, c'est plutôt rare.

M. Comeau (Paul-André): Tout à fait.

M. Mulcair: Depuis les années que vous êtes là, est-ce que des politiciens vous ont déjà contacté pour vous parler des décisions rendues par l'un ou l'autre des commissaires?

M. Comeau (Paul-André): Jamais.

M. Mulcair: Jamais? Ça, ça ne s'est jamais produit.

M. Comeau (Paul-André): Jamais.

M. Mulcair: Dire qu'une telle...

M. Comeau (Paul-André): Jamais.

M. Mulcair: ...gros problème, il n'y a pas moyen...

M. Comeau (Paul-André): Ça, je dois rendre hommage aux députés de cette Assemblée nationale, jamais personne ne m'a parlé de ça.

M. Mulcair: O.K. Par contre, sur les sujets d'ordre plus général, ça vous arrive, donc, de préparer, de discuter avec les pouvoirs, les autorités politiques.

M. Comeau (Paul-André): Tout à fait.

M. Mulcair: Oui. Et vous comprenez donc que, si ces autorités politiques sont elles-mêmes responsables de l'administration de grands pans de ce gouvernement, que ce soient les organismes, leurs propres ministères, y compris une commission comme la vôtre, il devient troublant de vous entendre dire ici, devant la commission, que c'est un peu comme les juges qui doivent se récuser à l'occasion. Je vous soumets respectueusement que vous ne comprenez pas toute l'importance que nous mettons sur cette question-là et ça me préoccupe.

(11 heures)

M. Comeau (Paul-André): D'accord. Alors, je vais tenter de répondre à votre préoccupation. Quand les commissaires rendent des décisions, ils les rendent en tant que personnes responsables et rendent leurs décisions isolément et signent leurs décisions. Ce ne sont pas des décisions collectives, ce sont des décisions personnelles. Et c'est dans ce sens que, quand je siège, je siège au même titre que mes collègues commissaires, et j'entends une cause et je signe une décision. Et je n'ai aucune influence sur les décisions des autres. Et, en ce sens, en m'abstenant d'entendre des causes qui retiennent l'attention à d'autres sujets, je m'exclus de cela et je n'ai aucun malaise à cela.

M. Mulcair: Mais n'est-il pas exact, M. Comeau, que votre proche collaborateur, M. Ouimet, notamment parce qu'il est un peu le «repositoire» de beaucoup d'expérience et d'une connaissance de la jurisprudence et des tendances actuelles de ce qui se passe dans tous les dossiers, n'est-il pas exact qu'il est dans une position de voir presque l'ensemble des jugements au moment de leur formulation, parce qu'il les revoit avec les commissaires?

M. Comeau (Paul-André): Il est obligé de revoir toutes les décisions. C'est lui, d'abord, qui doit les contresigner pour les identifier, et, comme ce n'est pas un «rubber stamp», il les lit, j'en suis convaincu, et il a comme mission – c'est d'ailleurs la jurisprudence développée par les tribunaux supérieurs – d'assurer la cohérence de la jurisprudence et de signaler aux membres, à l'occasion: Là, on a un problème, est-ce que c'est un choix, une orientation voulue ou si c'est inconscient? Et c'est son rôle normal, vous le savez fort bien, dans les tribunaux administratifs, d'assurer cette cohérence jurisprudentielle.

M. Mulcair: Personne n'est en train de mettre ça en cause et je ne voudrais surtout pas que M. Comeau prenne ça comme étant une critique à son égard pour le travail qu'il fait comme secrétaire de la Commission en voyant les causes. D'ailleurs, la jurisprudence, jusqu'au niveau de la Cour suprême, dit que ces choses-là font partie du travail d'un tel organisme tant qu'il n'y a pas de coercition, tant qu'il n'y a pas de pression qui est mise sur les gens.

Cependant, ne convenez-vous pas que, dans sa position très délicate et très névralgique, il est d'autant plus important de s'assurer qu'il n'y ait pas de possibilité d'apparence de conflit d'intérêts? Et, sauf tout le respect qu'on doit à M. Ouimet pour l'excellent travail qu'il fait, est-ce que vous trouvez encore que c'est opportun qu'il reste dans l'organisation centrale du colloque...

M. Comeau (Paul-André): Voilà...

M. Mulcair: ...avec des gens qui plaident régulièrement les mêmes causes...

M. Comeau (Paul-André): Tout à fait.

M. Mulcair: ...qui sont devant le tribunal avec des organisations comme Hydro-Québec? Ça ne vous laisse aucun mauvais goût dans la bouche, cette histoire-là?

M. Comeau (Paul-André): Alors, vous avez soulevé cette question-là il y a quelques jours, évidemment. Nous l'avions soumise aux membres de la Commission, qui, unanimement, avaient accepté, sans aucun problème, la participation de M. Ouimet à la société en question. Devant votre intervention et le respect que je dois à l'Assemblée nationale, je n'ai même pas eu besoin de demander à M. Ouimet. M. Ouimet a démissionné, il n'est plus membre de cette société. Mais je dois vous dire que la Commission, collectivement, avait accepté le projet d'y participer sans aucun problème. Donc, nous ne voyons pas et nous n'avons pas vu de problème, mais nous avons respecté ce que vous avez énoncé.

M. Mulcair: Je vais passer maintenant, M. le Président. Je suis sûr que mes collègues d'en face ont des questions. Mais je dois vous avouer que je suis très satisfait d'apprendre ça. Pour nous, c'est rassurant de voir que cette partie du message est rendue.

Le Président (M. Garon): M. le député de Vachon.


Communication, diffusion et utilisation de renseignements personnels

M. Payne: Je voudrais remercier le président de la Commission d'accès à l'information pour son exposé. On avait discuté devant la Commission, il y a un an et demi, d'un grand nombre de sujets concernant son mandat et le délicat équilibre nécessaire entre à la fois la protection des données personnelles et le droit à l'accès à l'information. Et le modèle... Je me souviens du débat de 1982, c'était un débat extrêmement fascinant et quelquefois tendancieux parce qu'il s'agissait de débattre de la nécessité ou pas de justement jumeler les deux notions de l'accès, d'une part, et de la protection, d'autre part. Puis, finalement, le modèle québécois qu'on a adopté, je pense qu'il a fait ses preuves avec les années.

En ce qui concerne le mandat général de la Commission, je pense que c'est très important que la Commission vienne souvent devant la commission de la culture discuter le continuel et important rôle de réflexion qu'a la commission de la culture à l'égard du mandat de la Commission. On avait beaucoup discuté, l'an passé, de la problématique posée par le «data matching». On a vu, depuis ce moment-là, la première application de la loi de la liste électorale permanente, qui a fait ses preuves, non sans heurts, à l'égard du dressage de la liste permanente.

Je voudrais avoir l'opinion pratico-pragmatique de la Commission, du président, à propos de ces considérations après ce premier exercice. Parce qu'en commission parlementaire – c'était une autre commission parlementaire, l'an passé, justement, la commission parlementaire qui analysait, article par article, dans l'option de la Loi électorale – on a discuté de la carte d'électeur et de la nécessité, pour que l'exercice puisse être validé, de soumettre les données contenues sur la carte de l'électeur avec les données de la RAMQ. Il y avait même des dispositions dans la loi.

Moi, j'étais un des tenants qui plaidaient en faveur de cette nécessité-là. Ma propre pensée, depuis ce moment-là, a un peu évolué, et je m'explique. La Commission semble faire une distinction légitime, compréhensible jusqu'à un certain point, en faveur de l'autonomie des organismes, c'est-à-dire qu'un organisme ne devrait pas nécessairement échanger les informations avec un autre. Nous, comme législateurs, nous avons l'éternel dilemme d'adopter des lois qui concernent des citoyens, des électeurs qui ont fait affaire avec beaucoup d'organismes. Mais l'électeur en question, c'est une personne, il ne peut pas se diviser dans plusieurs personnalités et, jusqu'à un certain point, l'État non plus ne peut pas se donner plusieurs têtes et plusieurs personnalités. Il faut valider un certain nombre de données dans le «data matching» souvent. Je n'ai pas besoin de reprendre tous les exemples dont on avait discuté, après des heures et des heures de discussions ici, mais, moi, je pense que la réflexion de la Commission n'est pas concluante, à ce moment-ci, et je voudrais provoquer une discussion ce matin là-dessus. Jusqu'à quel point l'État peut-il effectivement assumer, s'approprier le droit, le privilège d'avoir un certain nombre de données puis de les échanger?

Je veux ajouter une nuance. Je ne propose pas qu'on devrait avoir l'anarchie, l'échange automatique et systématique de tout, à propos de chaque citoyen, mais je pense que c'est important quand même. Ça, c'est une question qui me préoccupe beaucoup.

Vous avez parlé du registre civil. Quand j'étais à l'Office des ressources humaines, j'y suis allé assez souvent parce qu'il y avait un certain nombre de dossiers qu'on avait avec le registre civil. On a beau regarder les failles de l'informatique à l'égard des erreurs qui peuvent être transposées dans le registre, l'informatisation du registre, mais, à la défense de l'informatique, elle ne peut que photocopier, photographier, chercher le verbe qu'on veut, représenter les données telles qu'elles existent. J'ai vu beaucoup d'exemples où le mot «Alain Richard», par exemple, ça aurait pu être écrit avec un «l» ou deux «l». L'ordinateur, lui, ne peut pas tricher, il doit reproduire l'erreur de la paroisse, de 1894, de grand-mère X qui s'est mariée telle ou telle année. C'est très évident lorsqu'on voit le registre physiquement, manuscrit, souvent c'est une erreur très évidente, et on ne peut pas le faire.

Moi, j'avais toujours cru qu'il fallait avoir une formule où on pourrait, c'est quasiment un tribunal de gros bon sens, où on pourrait regarder ces cas problématiques parce que l'informatique a la mauvaise tendance à reproduire fidèlement les erreurs. C'est un problème, mais ce n'est pas un prétexte pour dire que c'est l'ordinateur qui fait défaut. Il faut se donner des outils qui peuvent accommoder l'informatisation des données, d'une part, et aussi avoir une procédure pour valider les données qui sont déjà là. Je voudrais avoir les réflexions de la Commission là-dessus.

(11 h 10)

Avant que vous continuiez, je voudrais juste avoir... Parce qu'on est dans une discussion. J'ai quelques réflexions à propos des préoccupations de mon collègue de Chomedey. C'est dans un esprit positif que j'évoque la discussion. La question de conflit d'intérêts. De plus en plus, l'État lui-même, que ce soit le législateur, l'administrateur public ou le tribunal, les juges, vous-mêmes, on se trouve tous dans une théorique situation de conflit d'intérêts. Je vous donne, à titre d'exemple, les sociétés mixtes. Nous sommes en train de discuter, à ce moment-ci, un très important virage où, pour toutes sortes de raisons, on demande, on invite le secteur privé à partager une vocation commerciale avec l'État. Le législateur, il adopte des lois, l'administrateur les applique, puis on partage les fruits d'un certain nombre de programmes, par exemple le programme du gouvernement avec la société mixte. On est tous en conflit d'intérêts.

Je donne, à titre d'exemple, la Eastern Regional Conference of the Council of State Governments qui, l'été passé, a tenu ses assises au Québec, pour la toute première fois à l'extérieur des États-Unis. Nous, nous avons une association parlementaire qui fait partie de ça; le député de Chomedey en est membre.

M. Mulcair: Je ne suis pas membre, non.

M. Payne: Non, tu n'es pas membre? Bon. Ha, ha, ha! Votre collègue, lui, est membre. Les commanditaires de ça, c'était l'entreprise privée. Souvent, c'est Philip Morris ou Seven Up qui sont les commanditaires de ça. Ils commanditent les événements majeurs pour la Eastern Regional Conference. La même chose pour le 200e anniversaire du Parlement du Québec; il y avait des commanditaires privés. On a tous été en conflit d'intérêts. C'était le même lobbyiste qui était continuellement devant la porte du législateur. Et je vous soumets que, si on veut regarder toute la problématique des conflits d'intérêts, on devrait regarder dans le mirroir, dans un premier temps.

La question qui est soulevée, par exemple, par la Commission des valeurs mobilières du Québec, régulièrement... Et c'était le cas pour le cas Doray, Raymond Doray, en organisant un colloque international. Et il y a beaucoup d'exemples. Il y a beaucoup d'exemples où il y a des colloques organisés, commandités et où il y a une participation de la part des administrateurs de l'État au sein de ces organisations... de toutes sortes. Et il y en aura de plus en plus, parce que c'est la tendance, des opérations et des missions mixtes. Je pense qu'on devrait élargir un peu les discussions pour regarder un peu plus où on se retrouve, nous, les législateurs en conflit d'intérêts, autant que vous avec les tribunaux, autant que les administrateurs. Je voudrais y revenir pour échanger un peu, sans monopoliser, d'ailleurs.

M. Comeau (Paul-André): Je vous remercie. Vous avez soulevé deux problèmes. Le premier me gêne un petit peu, sur la carte électorale, parce que, l'an dernier, lorsque la... l'an dernier, non. Il y a déjà un an et demi, pardon, lorsque l'Assemblée nationale a été saisie du projet du Directeur général des élections, la Commission s'est prononcée. La Commission a émis un certain nombre de commentaires, de suggestions. Et nous avons pris note de l'adoption par l'Assemblée nationale de deux modifications législatives à cet égard: l'une à la loi sur les élections, l'autre à la loi qui régit l'assurance-maladie. Alors, je n'ai pas à me prononcer là-dessus, d'autant plus que le fichier électoral permanent informatisé, comme tel, n'est pas encore achevé, puisqu'il n'y a pas eu l'appariement avec le fichier de l'assurance-maladie du Québec.

La semaine dernière, nous avons étudié et donné un avis en commission sur le premier projet d'entente du genre, celui entre la RAMQ et le Directeur général des élections, et je dois vous avouer que j'ai été agréablement surpris de constater qu'il y aura un seul appariement – une seule fois, donc – entre le fichier de la RAMQ et le fichier du Directeur général des élections, conformément à ce que nous avions recommandé.

De même aussi, ce qui correspond à une de nos suggestions et à un des principes fondamentaux quand on pratique le «data matching», il n'y aura pas d'inscription automatique des noms qui va résulter de l'appariement ou des noms qui vont apparaître au moment où des personnes demandent une carte d'assurance-maladie et que ces noms-là sont transmis au bureau du Directeur général. Il n'y aura pas d'inscription automatique sur la liste; le Directeur général entrera en contact avec les personnes et leur demandera si elles veulent être inscrites. Ça répond à deux de nos préoccupations de l'époque.

La troisième préoccupation que nous avions formulée, que nous avons répétée, cette fois-ci à l'intention de la Régie de l'assurance-maladie du Québec, c'est, lorsque la Régie de l'assurance-maladie fait remplir des questionnaires pour le renouvellement de la carte ou pour l'émission d'une première carte, qu'elle informe la personne que les renseignements d'identité, mais seulement ceux-là, seront transmis au Directeur général des élections, donc qu'il y ait une transparence dans les échanges de renseignements.

Ça m'amène au deuxième point, qui est beaucoup plus complexe, que vous avez soulevé, qui est le point des échanges de renseignements personnels. Alors, ça, évidemment, je reconnais, M. le député, qu'il s'agit du problème majeur au chapitre de la protection des renseignements personnels. La Commission, je pense, bien avant que je sois là, s'y est intéressée, mais, déjà en 1992, dans le rapport quinquennal, nos principales recommandations portaient là-dessus. Nous avons suggéré une série de mesures en vue d'assouplir les modalités d'échange de renseignements personnels. Malheureusement, le rapport est demeuré quelque part dans les limbes. Nous allons, vous pouvez être sûr, y revenir dans le rapport qui vous sera déposé en octobre 1997.

Je suis convaincu, même si je ne veux pas vendre la peau de l'ours trop tôt, que bon nombre des recommandations vont porter là-dessus parce que c'est effectivement un problème crucial, le problème des échanges de renseignements personnels. L'interprétation ou l'activité de la Commission à cet égard découle de la loi 82. C'est le législateur qui a imposé la compartimentation, qui a considéré, aussi bien pour l'accès que pour la protection des renseignements personnels, qu'il s'agissait là d'entités autonomes étanches. Il y avait, derrière cela, des raisons administratives, mais il y avait surtout des raisons philosophiques et politiques qui étaient la crainte de voir se constituer le super fichier Big Brother de l'État. C'était la vision... Si vous relisez le rapport Paré, c'est très clair, ça découle de cela.

Alors, évidemment, dans le fonctionnement, on se rend compte qu'à certains moments l'État doit se parler, comme vous l'avez dit, d'un à l'autre, et il faut trouver des façons de respecter les droits des citoyens. Parce qu'il n'est pas sûr que le citoyen qui donne une information à l'État à la suite d'un accident d'automobile veuille que ce renseignement se retrouve au ministère de la Santé, se retrouve au ministère du Revenu, etc. Il y a un contrat de confiance entre l'État et le citoyen, et c'est là le problème: Comment ne pas miner cette crédibilité?

Si on regarde les sondages qui sont faits par le professeur Westin et la maison Lou Harris depuis des années aux États-Unis, et maintenant depuis quatre ans au Québec, on constate que, malheureusement, c'est au Québec que les citoyens ont le moins confiance en l'État en ce qui concerne la protection des renseignements personnels. Nous avons le plus faible taux, en Amérique du Nord, de confiance. Alors, il y a donc un problème qui n'est pas résolu, et je vous dis, M. le député, très honnêtement que c'est le problème qui nous préoccupe. Nous voulons trouver des façons de répondre à l'esprit de la loi, mais sans empêcher la machine de fonctionner. Il n'y a pas d'a priori contre l'informatisation, il n'y a pas d'a priori contre les progrès de la technologie, bien au contraire, mais les solutions ne sont pas évidentes, et, si, pour des raisons valables, on doit s'orienter vers un plus grand dialogue entre les fichiers, il faut accompagner ça de mesures de transparence.

(11 h 20)

Et là je reviens à ce que j'ai énoncé tout à l'heure. C'est évident, vous l'avez fort bien dit, que l'informatique ne fait que traduire, en photos ou autrement, ce qui existe autrement. Le problème n'est pas là. Le problème résulte lorsque l'informatique fait les appariements et multiplie les erreurs. Les 300 personnes qui sont mortes à l'état civil n'étaient pas mortes sur papier. Il y a une commande qui s'est faite qui les a fait mourir. Le problème peut être résolu. On peut... Mais, si ces données sont appariées, à ce moment-là, avec d'autres fichiers, vous comprenez le problème du citoyen qui va se retrouver mort à la RAMQ, qui va avoir un problème quand il va se faire arrêter par la police parce qu'il va avoir été déclaré mort aussi, et ainsi de suite. Il y a un enchaînement qui résulte de la fidélité de l'informatique précisément. Et c'est là qu'il faut faire preuve de beaucoup d'attention et de transparence.

Là-dessus, j'insiste sur les leçons que nous pouvons tirer de l'expérience néo-zélandaise. Les Néo-Zélandais, qui ont vécu des problèmes de finances publiques analogues aux nôtres, ont aussi eu recours au «data matching», mais avec des précautions très précises. Je vous en donne une qu'ils n'ont pas inventée mais qu'ils ont systématisée dans leur loi: Il est interdit de prendre une décision contre un citoyen, sans le prévenir, qui résulte d'un appariement. Peut-être, disons que nos 300 personnes décédées et la RAMQ refuse à la dame qui se présente – c'est un cas qui s'est vécu, qui était dans La Presse voilà quelques jours – refuse à la RAMQ... Le médecin refuse les soins à la dame parce qu'elle est décédée. Oui. Alors, moi... Il y a un principe que les Néo-Zélandais ont traduit en droit, c'est: Aucune décision n'est prise, qui résulte du «matching», sans que le citoyen soit informé et qu'il ait un délai pour y répondre.

Il faut humaniser la machine et être prudent. C'est là, je pense, qu'il y a moyen de réfléchir, et nous le faisons de façon sérieuse, en tenant compte des problèmes rencontrés ici, du produit de notre imagination, mais surtout des expériences ailleurs. Alors, je pense que c'est ça, le problème du «matching». Il est effectivement l'une des façons de répondre à des problèmes précis, mais il faut entourer ça du respect de l'individu.

M. Payne: On pourrait avoir tout un autre débat de fond parce que, avec l'adoption de l'omnicarte, qui va, d'une certaine façon, systématiser l'appareillage... l'appariement, ça va faire en sorte que le citoyen va se trouver... toutes les données à son sujet vont se trouver... Je m'explique d'une façon analogue, c'est comme avoir trois ou quatre comptes en banque, mais à la même banque. Avez-vous un avis là-dessus?

M. Comeau (Paul-André): Un avis, non. J'ai des opinions. Là, vous parlez d'un avis au sens juridique du terme?

M. Payne: Non. Oui. Avez-vous un comité de travail là-dessus? Parce que tout est là.

M. Comeau (Paul-André): Écoutez, je dois vous dire qu'en ce qui concerne le projet de carte multiservices tout ce que nous savons, c'est ce que nous avons lu dans un bon journal et ce dont nous avons entendu parler à gauche et à droite. Nous n'avons eu aucune communication à ce sujet. Je sais que le projet est dans l'air. Le projet pose des problèmes très sérieux. Il pose des problèmes, comme vous dites, de communication. Évidemment, si on utilise la carte à microprocesseur, la «smart card», là on peut imaginer des zones étanches qui rendent la confidentialité très sûre et qui empêchent également les communications non voulues et non autorisées. Il y a là-dessus, sur le moyen, c'est-à-dire la carte à microprocesseur... Nous avons développé une expertise en assurant le suivi de l'expérience de Rimouski en matière de carte-santé.

Alors, on connaît la carte, on connaît ses possibilités, ses défis, ses problèmes. Donc, on peut jouer un rôle. Mais quelle est maintenant l'intention de l'administration gouvernementale à l'égard de cette carte à multiservices? Je ne le sais pas. Est-ce qu'il s'agit de faire une carte d'identité? Est-ce qu'il s'agit de faire une carte de services? Je ne le sais pas. Mais, évidemment, on se prépare à cela et on essaie d'imaginer les problèmes qui vont se présenter. Pour le moment, je ne peux pas vous répondre plus que ça, je n'ai lu que ce qu'il y avait dans le texte de M. Venne, dans Le Devoir . Mais c'est un problème majeur, effectivement.

Le Président (M. Garon): M. le député de Prévost. Oh! Je vais faire l'alternance. Je vais essayer d'équilibrer à peu près le temps, parce que ce n'est pas vraiment un débat contradictoire de partie à partie, mais, quand même, il faut un équilibre. Alors, là, je vois que le député de Jacques-Cartier, le député de Prévost et la députée de Sherbrooke m'ont demandé la parole. M. le député de Jacques-Cartier. On va essayer d'équilibrer, de partager le temps également.

M. Kelley: Merci, M. le Président. Dans le rapport annuel, M. Comeau, vous avez parlé de banalisation et que la protection de la vie privée et les renseignements personnels, ça semble être moins prioritaire. Il y a un manque de confiance dans le système, et tout ça. Mais je me demande à quel point la Commission est un petit peu complice de tout ça. Parce que je regarde vos avis formels à l'Assemblée nationale et les décisions qui sont prises par la Commission. Et on a de la crainte quant à la superfiche, mais on est en train de construire tous les tuyaux entre les fiches et, ça, c'est correct. Ou, si l'Assemblée nationale va de l'avant avec ce projet, toutefois il faut baliser ça d'une manière ou d'une autre. Je ne sais pas.

Moi, je reviens sur le débat de la liste électorale permanente. On va aller de l'avant parce que ça va nous aider à sauver de l'argent pour les élections. C'est une bonne raison de le faire. Je n'ai rien contre ça. Mais la tentation, à moyen terme, pour toute autre fin louable pour l'État, d'avoir accès à cette liste va être énorme. J'ai trouvé que la Commission n'était peut-être pas assez sévère dans les avis qu'elle a donnés au gouvernement. Moi, je pense à la perception des pensions alimentaires. Tout le monde autour de la table est pour une meilleure perception. On connaît tous les problèmes de pauvreté qui découlent du non-paiement de ces pensions alimentaires. Alors, on va construire un autre tuyau pour permettre ça.

La responsabilité fiscale et le travail au noir. Tout le monde dit: On est contre ça. Tous les citoyens doivent faire leur part, payer leurs impôts et tout ça. Mais on va essayer un autre moyen. On veut éviter la fraude dans l'aide sociale? Alors, on va se renseigner davantage pour s'assurer qu'il y a juste une personne dans un ménage et que ce n'est pas deux adultes qui vivent ensemble et cachent à l'État. Alors, on peut trouver toute une série de listes. Moi, je trouve, dans les avis formels qui sont donnés à l'Assemblée nationale...

Moi, je regarde aussi la décision prise pour... Il y a plusieurs de mes commettants qui m'ont écrit au sujet de la demande d'Hydro-Québec d'avoir accès au numéro d'assurance sociale de tous leurs clients. Et la règle de base, c'est: On n'est pas supposé... Pour les fins de notre relation avec le gouvernement fédéral, on a donné notre numéro d'assurance sociale. Mais on dit: Parce que Hydro-Québec, c'est compliqué, il faut donner le service. Mais je pense... Le même raisonnement, si j'étais avocat à Bell Canada ou à une des compagnies de câble... Il y a beaucoup d'autres personnes qui donnent des services semblables à la résidence. Elles vont regarder la décision pour Hydro-Québec pour voir si elles peuvent greffer sur ça.

Alors, jusqu'à quel point est-ce que vous êtes, comme je l'ai dit, un peu complice dans la construction de cette superfiche? Parce que, chaque fois qu'on demande de faire la dérogation selon la loi, la Commission met une couple de bémols. Elle dit: Il faut être prudent, il faut être ça. Mais, au bout de la ligne, on donne le consentement. Je pense qu'on est en train, effectivement avec... J'ai aussi, pas plus que l'article de Michel Venne dans Le Devoir , mais une carte... Il y aura beaucoup de données très sensibles qui vont être sur la même carte, soit sur notre impôt, l'état de nos finances personnelles, notre santé. On va mettre beaucoup de renseignements sur une carte. J'aimerais m'assurer qu'au lieu de juste mettre quelques bémols ou d'aviser la prudence la Commission va vraiment faire une réflexion de fond. Parce que je pense que, petit pas par petit pas, on va arriver à la superfiche et que tout le monde convient, je pense, qu'il n'est peut-être pas souhaitable que l'État sache tout sur les citoyens.

(11 h 30)

M. Comeau (Paul-André): Je dois dire que je partage votre conclusion, M. le député, de façon totale, en tant que citoyen et en tant que président de cette Commission. Vous avez soulevé un certain nombre de problèmes et je vais tenter d'y répondre. Je pense, effectivement, et je maintiens qu'il y a un danger de banalisation. Et, le danger de banalisation, il peut vous paraître venir de la Commission – j'y reviendrai – mais il y a aussi une tendance. Je ne vous cache pas que je me sens très mal à l'aise devant la résolution, qui a été adoptée à l'unanimité, de la commission du budget et de l'administration, qui recommande la mise en réseau de tous les fichiers. Ce sont les députés qui se prononcent, mandataires du peuple, et qui indiquent une orientation. Il ne s'agit plus seulement d'un projet gouvernemental, c'est une démarche, ça devient difficile.

Mais reprenons chacun des cas. Vous avez soulevé la carte d'électeur; je pense avoir répondu. Nous avons soulevé des problèmes, nous avons mis des bémols majeurs, plus que des bémols. En ce qui concerne nos avis formels, nos avis formels, ce qui en résulte, c'est le résultat de négociations. Et, là-dessus, je dois également rendre hommage: les deux gouvernements, le gouvernement du Parti libéral comme le gouvernement du Parti québécois, aujourd'hui comme avant ma nomination, ont toujours informé la Commission de leurs intentions. Ça, ça a été remarquablement bien fait.

Lorsqu'on part du sommet de la colline, on n'est pas sûr d'arriver en bas. Les avis ont été très souvent le résultat de compromis en fonction de la loi. Nous avons tenté d'éviter le pire à certains moments et à certains moments nous avons réussi. Ce que vous avez dans le cahier qui a été déposé à la commission de l'examen des crédits reprend les avis qui ont été déposés. Mais je peux vous dire qu'il y en a un paquet d'autres que nous avons refusés, qui sont morts et qui ont fait disparaître du décor un certain nombre de projets qui nous paraissaient ou inopportuns ou dangereux. Alors, je pense qu'on joue relativement bien notre rôle de chien de garde.

Je voudrais revenir au problème, puisqu'il illustre bien cela, d'Hydro-Québec, où nous avons été amenés à prendre une décision qui a pris la forme d'un avis transmis à la direction d'Hydro-Québec. Alors, vous me permettrez de prendre quelques minutes. Habituellement, je suis bon dans les synthèses. C'est un peu plus long...

Le Président (M. Beaumier): Bien sûr.

M. Comeau (Paul-André): ...pour y arriver. Alors, j'attire votre attention qu'il s'agit d'abord d'un dossier qui a été engagé, qui nous a occupés pendant plus ou moins quatre ans. La conclusion à laquelle nous sommes arrivés, je la rappelle immédiatement, c'est qu'il est indispensable pour Hydro-Québec de donner à chacun de ses clients un numéro particulier, un identifiant, un numéro qui soit propre à Hydro-Québec, donc qui ne soit pas le NAS ou autre chose, qui soit le numéro du client. Et ce numéro, cet identifiant – pour employer le jargon – doit servir dans toutes les transactions entre le client et Hydro-Québec, sauf au moment où se présentent les problèmes de recouvrement et de comptes impayés. On y reviendra. Mais c'est l'objectif, donc: chaque client a un numéro.

D'ailleurs, si vous regardez sur vos comptes d'Hydro-Québec, vous avez tous un numéro de client. Certains n'en ont pas encore, mais la tendance est d'y arriver. Alors, la CAI a été aussi amenée – et je vous montrerai comment tout à l'heure – à admettre que, actuellement, la seule façon d'établir un numéro de client propre à Hydro-Québec, et qui soit fiable, c'est de recourir à l'un ou l'autre des identifiants disponibles, disons, sur le marché, pour employer une expression vulgaire. Et le seul qui puisse être utilisé, c'est le NAS, parce que l'Assemblée nationale, à juste titre d'ailleurs, a interdit que l'on puisse exiger le numéro d'assurance-maladie qui figure sur notre «castonguette», et le numéro du permis de conduire. Bon.

Alors, comment en est-on arrivé à cela? D'abord, avant même que je n'arrive à la Commission, il y avait une série de plaintes qui ont été reçues, traitées, accumulées, etc., sur, précisément, la cueillette du NAS en question, le numéro d'assurance sociale. En fin juillet 1993, la Commission a pris une ordonnance enjoignant Hydro-Québec de cesser de recueillir le NAS. Et là, peu de temps après, Hydro-Québec a tenté une démarche devant les tribunaux pour faire casser cette décision.

On s'est engagé alors dans la préparation de cet affrontement devant les tribunaux: interrogatoire préliminaire, etc. Et là on a fait une évaluation sur le coût et sur la longueur des procédures. Parce qu'il ne fallait pas oublier qu'on se prononçait sur un identifiant fédéral sur lequel le Québec, en tant que tel, n'a aucune juridiction. Alors, là, personnellement, je me suis dit: Est-ce qu'on va engager du temps et de l'argent pour un combat qui va nous mener où? Et c'est là où, après un certain nombre de démarches, j'en suis arrivé à proposer à la direction d'Hydro-Québec d'étudier à fond le problème en échange d'un abandon des poursuites, un moratoire d'un an.

Hydro-Québec a accepté d'engager une étude conjointe qui nous permettrait d'y voir clair. Nous avons mandaté deux analystes, chez nous, qui, pendant près de 10 mois, ont travaillé, sont allés chez Hydro-Québec, ont vérifié un certain nombre de choses, ont vu comment Hydro-Québec fonctionnait et quels étaient les problèmes, et tout cela selon une méthode de recherche qui avait été établie d'un commun accord avec la participation d'un consultant extérieur, le P.D.G. de SORECOM, autrefois.

Or, l'objet de l'étude, c'était d'établir quels étaient les renseignements personnels qui pouvaient être exigés par Hydro-Québec auprès de ses clients. Et cette démarche-là, il est important de le comprendre, s'inscrit dans la loi. Dans la loi, il y a une seule façon de répondre à cette question, c'est d'établir la nécessité de ces renseignements-là: est-ce que les renseignements sont nécessaires? La loi ne dit pas: Vous avez le droit de prendre telle carte, telle autre carte, etc. Elle dit: Le renseignement doit être nécessaire. Donc, c'est ce qu'on appelle, dans le jargon, le critère de la nécessité.

Alors, nous sommes arrivés assez rapidement à une évidence: certains renseignements, le nom, le prénom, l'adresse actuelle, l'adresse antérieure, étaient nécessaires. Mais il est vite apparu également à nos analystes que ces renseignements personnels ne permettaient pas de discriminer, de distinguer les individus, pour des raisons très précises: d'abord, les demandes de branchement ou de changement d'adresse se font par téléphone, au Québec, dans plus de 95 % des cas; il y a au Québec 700 000 déménagements par année, ce qui implique des changements de titulaires de compteurs, etc.; et aussi, le service est livré à crédit. Alors, il fallait trouver une façon, donc, de répondre à cela.

Nous avons dit, dans un premier temps, qu'il faut qu'Hydro-Québec détermine donc cet identifiant unique. La Commission en est arrivée à la démonstration de la nécessité qui avait été faite par Hydro-Québec et, devant l'impossibilité légale de recourir à d'autres identifiants, en est arrivée à dire: Nous nous rendons à votre démonstration; pour établir ce numéro de client, il faut recourir au NAS. Mais nous avons, là, précisé des conditions très précises. D'abord, c'est important, le NAS ne peut être exigé qu'au moment soit d'un premier abonnement, quelqu'un qui s'établit, son premier appartement, etc., ou vient s'installer au Québec, ou d'un changement de domicile. Jamais les employés d'Hydro-Québec n'ont le droit, en vertu de l'entente et de notre avis, de demander le NAS en d'autres circonstances.

Hydro-Québec se sert du NAS, lorsqu'il le recueille, pour établir le numéro du client qui est nécessairement différent du NAS. Alors, le NAS, dès qu'il a été recueilli, doit être encrypté et chiffré, et il est confié à une direction d'Hydro-Québec d'où il ne sort, sous sa forme chiffrée, qu'au moment où il y a des recouvrements de comptes impayés, après avoir épuisé les procédures d'avertissement de trois mois, etc. Ce qui veut dire que, pour 90 % des clients qui paient leur compte sans problème, le NAS est utilisé une première fois et ne sert plus jamais. C'est ce qui a été établi.

La Commission a alors demandé à Hydro-Québec de détruire tous les autres renseignements personnels détenus. Les renseignements personnels détenus, c'est, bien sûr, un certain nombre de données, mais c'est aussi, par exemple, des témoignages, des interviews qui sont recueillis auprès du voisin, auprès du mononcle, auprès du curé, quand quelqu'un est déménagé sans laisser d'adresse, etc. Ces témoignages-là étaient conservés et constituaient des données injurieuses pour la vie privée des citoyens. Hydro-Québec a accepté.

(11 h 40)

Nous avons demandé également à Hydro-Québec de nous produire un échéancier pour la mise en oeuvre de cela et des modalités. Et nous avons dit à Hydro-Québec: Vous devez maintenant, puisque, nous, nous donnons un avis, obtenir l'autorisation du gouvernement de procéder ainsi. Et la Gazette officielle a publié, le 20 mars, il y a quelques jours donc, le projet de règlement en ce sens, qui reprend exactement ce que nous avons convenu au terme de cette étude d'un an. En un mot, le NAS ne peut être colligé qu'au moment du branchement ou d'un déménagement, doit être encrypté et ne peut servir qu'au moment où il y a des comptes impayés, où on a épuisé les délais.

Au-delà du critère de la nécessité, que nous avons reconnu, après la démonstration et la recherche faite par nos enquêteurs, nous avons reconnu que cette façon-là était plus respectueuse que la façon de procéder traditionnelle par Hydro-Québec, ces fameuses interviews auprès des tiers, etc., et ces fameuses collections de renseignements qui n'avaient rien à voir avec l'habitude de payer.

La solution, évidemment, tient compte aussi – c'est important – des modalités de la culture du milieu. Les gens téléphonent. Il est difficile, au téléphone, de demander de faire lire un baptistaire et de vérifier l'état d'un baptistaire. Les gens ne veulent pas ça. Il est aussi impossible, alors que ça se fait partout ailleurs, en Europe et dans certains États américains, de demander des cautions. Les gens ne veulent pas verser de caution. Et Hydro-Québec doit fournir l'électricité à crédit.

Alors, la seule façon qui n'est pas, je le reconnais, valable à 100 %, parce qu'on sait qu'il y a des numéros faux, des numéros de fraude, et tout cela, c'est de faire une vérification par algorithme au moment où la demande est faite en fonction du NAS, et immédiatement d'encrypter le NAS.

Alors, je pense que nous avons fait honnêtement notre travail, nous avons abouti à une solution qui est une solution précise. Parce que la loi est très claire, la loi dit bien que la nécessité doit être établie. Et personne, si ça peut rassurer M. le député, personne ne peut se servir de la décision à Hydro-Québec pour recueillir le NAS. La preuve, c'est qu'au cours des derniers mois nous avons interdit à des entreprises, des commerces, à des vidéoclubs et à d'autres de recueillir le NAS, parce qu'au terme de l'enquête ils avaient été incapables de nous en démontrer la nécessité.

Je pense que la décision prise à l'égard d'Hydro-Québec démontre l'un des problèmes de notre société, qui est celui des cartes d'identité et des identifiants. Ça, c'est un tout autre problème. Mais le problème se repose, et il va se reposer de façon très précise avec la carte multiservices à laquelle vous avez fait allusion tout à l'heure.

Alors, la décision d'Hydro-Québec est une décision dans un cas précis, et personne ne peut l'invoquer à moins de nous faire la démonstration, dans leur cas précis, qu'il y a nécessité. Je ne sais pas si j'ai été assez clair, mais j'admets que c'est compliqué.

M. Kelley: Merci beaucoup. Et peut-être que l'année prochaine on pourra revenir pour voir comment ça fonctionne. Parce que l'entente et le travail sont faits, mais peut-être qu'on verra, dans l'application, s'il y a des lacunes. Mais merci beaucoup pour cette réponse complète.

M. Comeau (Paul-André): Je vous remercie, M. le député.

Le Président (M. Garon): M. le député de Prévost.

M. Paillé: Oui. J'aimerais juste, avant de parler justement sur ces contradictions de vertu et de maternité, dans le fond, revenir sur les propos que le député de Chomedey avait tantôt, qui se disait étonné. Je pense qu'il n'y a plus personne qui s'étonne de son étonnement, même dans son propre caucus.

Dans des milieux financiers, par exemple, les «Chinese walls», comme on les appelle, ça existe. Et chez les courtiers, chez les banquiers, chez les caisses pops, chez des institutions comme ça, il y a toujours une espèce de contradiction entre les études et les investisseurs, et ce que vous vivez chez vous, ce n'est pas propre, particulièrement, à la Commission d'accès à l'information, puis ça serait, à mon avis, totalement idiot que d'essayer de se draper dans un voile et de dire: Bon, bien, on va séparer tout le monde, et on va tous vous mettre dans des édifices différents, blindés, pour que vous ne puissiez pas vous parler. Je pense que, ça, c'est une mauvaise reprise de ce qu'on a déjà vu.

Concernant, justement, le problème des identifiants – puis je veux arriver à atterrir sur l'Internet – je pense que, dans le public, et le débat d'aujourd'hui le montre, on a une espèce de fausse pureté. Je le dis comme je le pense. Dans le privé, je pense qu'on... Bon. Votre loi, maintenant, s'applique, puis vous devez sans doute le voir à tous les jours, la course au rendement et à l'efficacité fait en sorte que tout le monde donne son NAS à tout le monde pour obtenir une carte de crédit, pour remplir un bon, pour acheter un bas de Noël ou pour avoir droit à un tirage d'un coco de Pâques. Et, si on continue, on va avoir une indigestion d'identifiants particuliers ou uniques.

Par exemple, les gens savent leur NAS par coeur, puis, en termes d'efficacité, les gens ont l'impression de vouloir utiliser toujours le même numéro. Il s'agit d'ailleurs d'aller dans des édifices publics ou dans des édifices privés où vous avez cette espèce de poignée de porte avec cinq chiffres. C'est toujours les mêmes chiffres, hein! C'est toujours 2, 4, 3. Essayez-le partout, ça marche tout le temps. Ça marche tout le temps. Moi, au ministère de l'Industrie et du Commerce, je l'ai essayé; je ne le savais même pas, puis ça a marché, j'ouvrais les portes partout. Je suis sûr que ça marche encore.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Paillé: Puis là je regarde votre réaction, probablement que chez vous c'est ça: 2, 4, 3.

M. Comeau (Paul-André): C'est inversé, mais c'est ça.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Paillé: On est donc dans des contradictions là-dessus qui, à mon avis, sont totalement... C'est des fausses puretés. La superfiche, je m'excuse, mais elle existe, puis elle va toujours exister. Moi, il y a des gens, dans mon comté, qui sont arrivés et qui m'ont dit: Bien, on a averti Hydro-Québec qu'on déménageait, donc tout le monde est averti. Ou j'ai juste à avertir Bell Canada que je déménage; ils le savent, ils vont changer mon numéro de téléphone. Donc, le ministère du Revenu, le ministère de la Santé, le fédéral, tout le monde, la ville, tout le monde le sait. La subtilité d'essayer de... n'est pas toujours de ce monde, puis quelqu'un qui a l'impression d'avertir un organisme public a l'impression que l'information se transmet partout.

Donc, là on a une espèce de dichotomie de pureté d'image par rapport à l'efficacité privée, en ce qui me concerne, puis qui fait en sorte que parfois... Par exemple, moi, j'ai vécu un cas où quelqu'un est arrivé, puis la caisse pop de Saint-Jérôme demande aux parents d'un enfant qui a trois ans son NAS, parce que le ministère du Revenu veut son NAS. Il dit: Aïe! le kid a trois ans, puis je lui dépose ses allocations familiales. Ça fait deux ans qu'il a son compte de banque, puis ils veulent avoir un NAS. Voyons donc! c'est totalement idiot.

Mais ils vont leur donner pareil, parce qu'à chaque année ils vont les poursuivre. Le harcèlement, ça existe dans plusieurs cas, puis ils vont finir par l'avoir, puis ils s'en foutent pas mal. Je regarde ça par rapport au développement d'Internet et de ce que vous appeliez des échanges d'informations. Bon, 1998, ces choses-là. Moi, j'ai l'impression qu'en 1998 il va être bien trop tard et que toutes les informations qui se passent dans les réseaux d'Internet – il faut l'appeler comme ça maintenant – font en sorte que, moi, mon impression, une loi, qu'elle soit québécoise, qu'elle soit hongroise, qu'elle soit une autre, le village global fait en sorte que...

Il y a le député de Jacques-Cartier tantôt qui disait: On met un tuyau, on met un tuyau, on met un tuyau. Là, on a un gros pipeline, puis l'information circule. Alors, moi, je me dis: C'est quoi, la réflexion d'un organisme comme le vôtre face à cette espèce de contradiction fondamentale entre la vertu, d'une part, et la maternité, d'autre part? On va sortir d'ici, on va acheter quelque chose et on va donner notre NAS comme ça, sans s'en rendre compte.

J'ai terminé, M. le Président, pour ne pas vous déranger dans votre lecture.

Le Président (M. Garon): Non, mais je regardais s'il y avait une réponse...

M. Comeau (Paul-André): Oui, oui, il y a une réponse, M. le Président, si vous me permettez.

Le Président (M. Garon): ...du président de la Commission.

M. Comeau (Paul-André): Très bien. Si vous permettez, M. le député, je vais enchaîner peut-être sur un ton un peu plus grivois avec l'exemple maternité et pureté.

M. Paillé: ...au Journal de Montréal , je n'étais pas au Devoir .

M. Comeau (Paul-André): Ha, ha, ha! avec un exemple emprunté au très sérieux Wall Street qui est...

M. Paillé: Mon Dieu! vous êtes vulgaire.

(11 h 50)

M. Comeau (Paul-André): Ha, ha, ha! Non, l'exemple est vulgaire. L'exemple qui est le suivant. C'est la surprise et l'étonnement d'une foule de citoyens américains de recevoir ces derniers mois beaucoup de publicité sur les poupées gonflables et autres accessoires du même genre, évidemment sous enveloppe brune, etc., mais tout ce que vous pouvez imaginer comme lingerie érotique et autres. À partir d'une banalité. Maintenant, on a découvert comment. Avec la technique des «cookies» sur Internet, on a réussi, pas à piéger, mais à utiliser le site de Playboy sur Internet pour avoir l'adresse électronique de tous ceux qui allaient surfer sur le réseau Playboy et leur faire parvenir la documentation en question. Évidemment, ça peut être amusant, mais, dans certains cas, ça pose des problèmes.

M. Paillé: Je donnerais un boni à cet employé-là qui a trouvé cette formule de vente.

M. Comeau (Paul-André): Oui, mais ça existe. Mais vous imaginez les problèmes? Ça, c'est banal, sauf que, toujours dans le très sérieux Wall Street Journal , l'an dernier, il y avait ce problème d'un autre «wise kid» qui a inventé un logiciel qui permet de saisir tout ce qui circule sur un circuit quelconque – parce qu'on ne peut pas être partout – mais tout ce qui ressemble aux trois séquences des numéros de cartes de crédit. Il a commencé cela et les numéros de cartes de crédit étaient en vente, à New York, pour 300 $ à 800 $, selon la carte. Alors, là aussi, il y a des problèmes très sérieux qui se posent, parce qu'une carte se vide, à ce moment-là... On fait une carte avec un numéro valable, mais, en quelques heures, ça circule.

Là, on se rend compte que les renseignements personnels plus ou moins banals circulent et deviennent, comme vous le dites, à l'utilisation de tout le monde. Évidemment, ça deviendrait plus sérieux si, grâce à Internet, par une chose que je ne souhaite jamais arriver, quelqu'un réussissait à pénétrer le réseau de la RAMQ et à aller voir, par exemple, dans les réclamations d'honoraires des médecins, tous ceux qui ont pratiqué des interruptions de grossesses l'an passé. Là, ça devient un peu plus sérieux, aussi bien pour les personnes qui se sont présentées chez le médecin ou pour le médecin qui les a suivies, quand on sait ce qui se passe, par exemple, en Colombie-Britannique, où on a assassiné deux médecins à la suite de cela.

Il y a là, quand on commence à regarder les problèmes qui en découlent, un sentiment de malaise. Je partage votre analyse du départ, mais, lorsqu'on va plus loin, il y a un sentiment de malaise. Est-ce que l'individu, parce que la technique est là, doit se déculotter tout le temps et toujours et partout? C'est là le problème. Et c'est, à mon point de vue, plus grave que la pureté et la maternité, parce qu'on a le choix, à ce moment-là, tandis que les renseignements circulent sans qu'on le sache, sans qu'on soit concerné.

Et c'est là, je pense, que la réflexion doit être faite, que la technologie est époustouflante et éblouissante, mais que l'individu ne doit pas abandonner tout ce qu'il est. Et 1998 et les autres connaîtront des problèmes, mais là c'est quand même peut-être le lot de la condition humaine. Si je me souviens bien, on a commencé à faire du droit de la mer en 1600 et on est encore devant un droit de la mer totalement imparfait, qui est la circulation des bateaux. Alors, la circulation des «bytes» dans les circuits ou par satellites, ce n'est pas tout à fait évident.

Alors, je pense qu'il faut faire preuve de vigilance parce que, à un moment ou l'autre, tous, on se retrouve coincés. La plupart du temps, on ne s'en rend pas compte, on n'est pas coincés, mais il suffit qu'on arrive et qu'on se retrouve dans une situation difficile, et là on est en fusil, pour ne pas dire autre chose, contre le gouvernement qui ne nous a pas protégés, contre ci, contre ça. C'est là, lorsqu'on prend des exemples qui ne sont pas anecdotiques, qui sont des exemples concrets, qu'on réfléchit au-delà de ce qui semble inévitable. Mais il est évident qu'il y aura des problèmes, que la fraude va demeurer et qu'il y aura une tentation d'oublier tout cela, mais le législateur québécois, à deux reprises et de façon unanime, a dit qu'il fallait prendre les moyens pour au moins civiliser cela. Alors, c'est le sens de la mission que l'Assemblée nationale nous a confiée. Je ne sais pas si je réponds à votre question.

M. Paillé: Oui. Avant de céder la parole, je voulais juste souligner la constance de votre propos, puisque le terme que les individus sont «déculottés» était bien comparable avec le début de votre propos...

Une voix: Ha, ha, ha!

M. Paillé: ...qui parlait de poupées gonflables.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Garon): Alors, sur ces propos sibyllins, je vais passer la parole à Mme la députée de Sherbrooke.


Autoroute de l'information

Mme Malavoy: Je vous remercie. Bonjour, M. Comeau.

M. Comeau (Paul-André): Bonjour, madame.

Mme Malavoy: Je salue aussi les personnes qui vous accompagnent. J'ai manqué une partie de l'échange qui vient de précéder, mais j'ai compris que vous aviez évoqué Internet. Ma préoccupation, moi, c'est dans la foulée de travaux qui ont été faits par cette commission-ci, depuis déjà un bon moment, qui est le dossier de l'autoroute de l'information. Ma préoccupation, c'est de savoir où vous en êtes par rapport à cette question-là.

Je sais que, dans le rapport que vous nous avez soumis, le rapport annuel qu'on a entre les mains, vous faites part d'un certain nombre de démarches qui ont été faites, d'un certain nombre de travaux. Vous indiquez aussi que vous surveillerez ça avec beaucoup d'intérêt. Et, moi, je m'intéresse particulièrement à la différence qu'on peut faire entre les mesures de protection de renseignements dans un circuit qui est relativement fermé, comme celui d'UBI, par exemple, qui devrait finir par être implanté, par rapport justement à Internet, dont vous parliez tout à l'heure, et où là il n'y a plus de frontières, il n'y a plus de balises. Il y a évidemment une circulation extrêmement rapide et à travers l'ensemble de la planète.

Alors, c'est une chose que de prévoir des modalités pour un circuit fermé assez bien repérable, avec un certain nombre de familles très identifiables et d'informations qui sont également très identifiables, c'est une chose que de repérer tout cela, et c'en est une autre que de savoir comment faire dans un circuit qui, lui, est à la grandeur de la planète. Voilà.

M. Comeau (Paul-André): Vous permettez, M. le Président, que je réponde?

Une voix: Oui.

M. Comeau (Paul-André): Je vous remercie.

Mme Malavoy: M. le Président vous le permet, hein?

Le Président (M. Garon): Oui.

M. Comeau (Paul-André): Je vous remercie. Mme la députée, nous avons continué à réfléchir là-dessus dans la foulée, comme vous l'avez signalé, de ce que nous avions amorcé à l'égard du projet UBI. À l'égard du projet UBI, nous avons convaincu donc les responsables de mettre en place un code d'éthique qui serait obligatoire. L'objectif de cela, c'était de nous permettre, en faisant le suivi ou le monitoring, de découvrir les problèmes, les défis. Il y avait là vraiment l'expérience-pilote pour nous également. Et c'est dans ce sens que nous nous sommes engagés dans cette voie.

Nous avons poursuivi notre réflexion. Nous avons publié, il y a déjà bientôt un an, une première fiche élémentaire sur l'autoroute de l'information et la protection des renseignements personnels à la lumière de la législation québécoise. Nous avons poursuivi nos travaux et il est évident que la circulation des renseignements personnels a changé complètement de nature avec la popularité d'Internet et les généralisations éventuelles de projets d'autoroute de l'information.

Ce qui me rassure actuellement, c'est de voir la pression exercée par les entreprises elles-mêmes pour assurer la protection de leurs données et des renseignements personnels qu'elles reçoivent ou qu'elles échangent sur Internet. La pression vient de là beaucoup plus que du simple citoyen ou des gouvernements. C'est elles qui, par exemple, incitent les gouvernements à lever toutes les interdictions sur l'encryptage des données. Elles veulent, quand elles envoient des chiffres à leurs filiales, que ce soient leurs filiales qui les lisent et celles-là seulement, et ainsi de suite.

Évidemment, il y a des problèmes à ça. Par exemple, INTERPOL a découvert qu'Internet servait depuis quelques années à la transmission, au cartel de drogues en Amérique latine, des commandes un peu partout dans le monde, commandes encryptées. Donc, il y a un débat: Peut-on permettre l'encryptage ou pas? Il y a du pour et il y a du contre. Doit-on s'orienter vers une solution analogue à celle des mandats pour les écoutes électroniques? Tout ça est dans l'air.

Mais les entreprises font une pression très nette. Les entreprises veulent assurer leurs propres renseignements, mais elles veulent aussi assurer la qualité des services qu'elles offrent et qu'elles vendent. Et là il y a tout un débat et les entreprises donnent l'initiative. Par exemple, Visa et Master Card ont décidé qu'à compter de 1998, si l'expérience qui se déroule actuellement en Australie est concluante, nos cartes de crédit à bande magnétique vont être remplacées par la carte à microprocesseur, précisément pour sécuriser nos transactions sur l'autoroute de l'information. Alors, eux ont fort bien compris qu'il était impossible de continuer à fonctionner comme ça actuellement. Les numéros circulent, sont captés, vendus, etc., et le taux de fraudes grimpe.

D'ailleurs, les banques françaises ont remplacé, depuis maintenant quatre ou cinq ans, je pense, la carte de banque traditionnelle par la carte à microprocesseur, et le taux de fraudes est passé de 4 % à 1,5 %, ce qui est énorme quand on pense à l'ampleur des transactions. L'entreprise privée, actuellement, va plus vite que les gouvernements.

(12 heures)

Je vous signale, par exemple, que la semaine prochaine se tient à Paris la conférence annuelle du World Wide Web et l'un des ateliers porte précisément sur cette possibilité d'utiliser la législation européenne de 1998 pour réglementer la circulation des renseignements personnels, et c'est l'entreprise qui a demandé de tenir cet atelier. Alors, il y a une réflexion et, curieusement, elle vient de l'entreprise.

Mme Malavoy: Est-ce que j'ai droit à une question additionnelle?

Le Président (M. Garon): Oui, allez-y, Mme la députée de Sherbrooke.

Mme Malavoy: J'ai bien compris qu'un des débats de fond, c'est celui de savoir: Est-ce qu'on permet justement le «cryptage»? C'est bien comme ça que vous l'appelez?

M. Comeau (Paul-André): Le chiffrement, l'encryptage.

Mme Malavoy: Est-ce qu'on le permet ou pas? Autrement dit, est-ce que les informations peuvent circuler en utilisant des codes plus ou moins secrets ou bien est-ce qu'il doit y avoir de la transparence? Est-ce qu'il y a des tendances qui se dessinent? Et vous-même qui êtes quand même très au fait de ce qui se passe, et chez nous et ailleurs dans le monde, est-ce que vous auriez des indications à donner, à ce moment-ci, des grandes tendances? Autrement dit, est-ce qu'on s'en va plutôt d'un côté ou plutôt de l'autre? Plutôt du côté de la transparence ou plutôt du côté de l'encryptage? Parce que ça a des conséquences, comme vous le dites. C'est sûr que, si le crime organisé a accès, par exemple, à des moyens comme ceux-là en toute impunité, ça pose des problèmes de société. Par ailleurs, on est, nous aussi, dans une société de libre circulation d'informations, d'idées, et ça pose d'autres problèmes que de l'interdire. Moi, j'aimerais savoir quelle est votre opinion là-dessus.

M. Comeau (Paul-André): Je vous signalerai que j'interprète la décision prise par le gouvernement américain à l'égard du professeur Zimmerman comme étant un signal d'un changement d'attitude. Après avoir été totalement opposés à l'encryptage, les Américains semblent maintenant revenir sur leur décision. Le professeur Zimmerman, qui est l'auteur du meilleur logiciel et le plus facile d'accès en encryptage, le Pretty Good Privacy, était poursuivi selon la loi américaine d'exportation de matériel militaire. On avait donc assimilé l'encryptage à du matériel militaire, pour empêcher précisément la vente de ce logiciel à travers le monde. Là, le gouvernement américain vient de lever les procédures contre lui. C'est à la suite de débats internes qui se sont déroulés aux États-Unis, notamment au moment de la commission présidée par le vice-président Gore sur l'autoroute de l'information et le fameux projet du «Clipper chip» qui aurait permis au gouvernement de pouvoir avoir la clé de décryptage de chacun des chiffres romains utilisés.

Alors, là, il y a un changement d'attitude. Je pense que, sous la pression de l'entreprise, le gouvernement américain laisse entrevoir qu'on ne pourra pas ne pas aller vers une forme de chiffrement. Par contre, je vous le rappelle, la Belgique vient d'adopter une loi, d'ailleurs, dans un petit dispositif perdu dans un bill omnibus qui a été découvert après. La France a déjà une législation à cet égard. Pour le moment, les autres pays se tâtent. Ici, au Canada et au Québec, il n'y a pas de législation, mais le problème va se poser de façon rapide.

Vous me permettrez d'ajouter une chose. Le problème aussi de la circulation des données se pose à l'intérieur du réseau gouvernemental québécois, de l'administration. On parlait des tuyaux et autres choses. La mise en place du RICIB, qui est le réseau intégré des communications sécurisées, lui aussi, soulève des problèmes. La Commission est intervenue à plusieurs reprises pour faire modifier des choses, pour faire intégrer des dispositifs de sécurité en ce qui concerne les renseignements personnels. Le RICIB ne fonctionne pas encore, mais nous maintenons le dialogue avec les responsables de ce projet de façon à éviter les dérapages. Il est évident qu'on ne peut pas s'opposer à ce que le dossier détenu par Revenu Québec à Montréal s'en vienne à Québec, mais il faut prendre les moyens de le faire de façon intelligente et sécure. Et le RICIB est un de ces projets majeurs qui datent de nombreuses années aussi. Là aussi, il y a un dialogue, il y a des échanges, des discussions et des modifications, heureusement.

Mme Malavoy: Merci.

Le Président (M. Garon): M. le député de Chomedey. Ah! de Jacques-Cartier.


Informatisation des renseignements médicaux

M. Kelley: Merci, M. le Président. Un autre changement important dans la région de Montréal, c'est toute la notion du virage ambulatoire dans le secteur de la santé. Moi, je dois avouer que, quand j'ai lu les documents qui ont été préparés par la Régie régionale de la santé et des services sociaux sur le traitement des dossiers et des renseignements médicaux, j'étais peu rassuré parce que semble-t-il que ça va être le CLSC qui va peut-être maîtriser le dossier, ou le médecin traitant. C'était loin d'être clair dans le document, qui est le document fourni au grand public pour expliquer le changement et la philosophie du virage ambulatoire.

Alors, j'aimerais savoir si la Commission, soit formellement ou informellement, a commencé à travailler avec les régies régionales au Québec. Parce qu'il faut souligner que les renseignements médicaux sont très, très sensibles. Il y a toujours les préjugés qui existent dans notre société sur beaucoup de... soit le VIH, soit un traitement pour quelque chose de mental, la santé mentale. Tous ces domaines sont toujours névralgiques. Et, moi, quand j'ai vu la planification qui est proposée dans les documents fournis par les régies régionales, j'ai trouvé ça très inquiétant, parce que semble-t-il que ce genre de renseignements va se promener un petit peu partout dans le secteur de la santé. Alors, est-ce qu'il y a des travaux qui se font? Est-ce qu'il y a des avis formels ou informels? Est-ce qu'il y a des choses qu'on peut déposer devant cette commission?

M. Comeau (Paul-André): Vous avez raison, le virage ambulatoire, c'est un problème important. Pour le moment, il y a une chose qui nous permet de travailler avec une certaine sécurité, c'est que la loi sur la santé et les services sociaux interdit aux régies régionales de détenir des renseignements nominatifs. Alors, les projets entretenus par les CLSC vers les régies, etc., sont soumis à cette hypothèque-là. Il faudra donc une modification de la loi à l'Assemblée nationale pour que ces régies puissent donner suite aux nombreux projets – vous avez raison – qui circulent actuellement sur l'établissement de réseaux de renseignements personnels.

Alors, là-dessus, effectivement, nous suivons à temps plein. Il y a une collaboratrice de M. White qui ne fait que cela, qui essaie de s'y retrouver. Elle a dénombré – je ne parle pas seulement de Montréal mais dans l'ensemble du Québec – pas moins d'une trentaine de projets précis dans ce domaine-là. Alors, on essaie, d'abord, de s'y comprendre. Les projets qui transmettent des données administratives ne nous posent pas beaucoup de problèmes, mais les projets, au contraire, qui visent des renseignements personnels et des dossiers médicaux, là, on les suit de près.

Nous avons aussi, vous vous en rappelez, je pense, adopté, en 1992 ou 1993, une directive sur les dossiers médicaux, sur l'informatisation des dossiers médicaux. Il est évident que cette directive-là va être transposée au niveau des réseaux avec les adaptations. On essaie de suivre le mouvement. Mais je vous dis simplement: La découverte des projets, comme vous l'avez fait et comme nous le faisons, nous essouffle un peu, parce que c'est une prolifération de projets, dont certains se ressemblent tellement qu'on se demande si ça vaut la peine de faire autant de projets, et d'autres sont très ambitieux et il faut les comprendre avant de pouvoir... Mais je peux vous assurer qu'effectivement depuis – combien de temps?

Une voix: Ça fait un an et demi.

M. Comeau (Paul-André): ...presque un an et demi, il y a quelqu'un qui ne fait que cela. Mais il y a ce verrou actuel de l'article de la loi sur la santé et les services sociaux.

M. Kelley: Merci beaucoup.

Le Président (M. Garon): Est-ce qu'il y a d'autres députés qui veulent prendre la parole?

M. Mulcair: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Garon): M. le député de Chomedey.


Risque de conflits d'intérêts (suite)

M. Mulcair: Oui. Par les réponses qu'on vient de recevoir à plusieurs interrogations de part et d'autre de cette commission, M. le Président, on a été à même, tous, de constater à quel point le président de la Commission et sans doute les autres membres de la Commission et les gens qui les aident dans leur travail quotidien sont au fait des grands phénomènes d'accès à l'information et de protection de la vie privée, qui sont en constant changement dans notre société. Je pense que ça démontre que, sous tout l'angle de conseil, d'étude, d'analyse de l'ensemble de la situation, on est très bien servi par la Commission et par ses membres, et je tiens à réitérer tout simplement ce point ici, aujourd'hui. Cependant, M. le Président, la question de savoir ce qui constitue un conflit d'intérêts et ce qui peut miner tout le bon travail que l'on fait d'un côté demeure, à notre sens, fondamental et très important.

(12 h 10)

Je me permets de rappeler à mon collègue le député de Prévost, que, d'abord, je trouve le choix de termes assez bizarre, quand on met le mot «maternité» en corrélation avec quelque chose qu'on trouve... On veut banaliser et dire que c'est vraiment simplet. Il disait: vertu et maternité. Mais c'est la preuve peut-être concluante qu'il y en a qui n'apprendront jamais. Parce que je rappelle amicalement que c'était sur une question connexe, à savoir une garderie et son propre conflit d'intérêts là-dedans, qu'il a perdu sa fonction comme ministre. Mais, comme je dis, il y en a qui n'apprendront jamais.

Pour ce qui est de cette Commission et de ses travaux, je pense que c'est très important que l'aspect adjudication, l'aspect tribunal soit vraiment au-delà de tout soupçon de la part des citoyens. Il est évident qu'en créant la Commission d'accès à l'information l'État a voulu s'assurer de son indépendance en prévoyant que ça allait être un de ces rares organismes dont les membres n'étaient pas nommés par arrêté en conseil mais plutôt devaient être confirmés par vote à l'Assemblée nationale. C'est vraiment une bonne indication objective externe de toute l'importance que l'État accorde à ça, parce que, effectivement, l'État est constamment en jeu, l'État et ses différentes composantes.

Le rapport annuel nous rappelle qu'il y a environ 3 700 organismes qui sont visés. Je pense que cette notion doit être comprise et pas, pour emprunter un autre terme que le rapport utilise dans un autre contexte, banalisée. Je pense que c'est vraiment primordial qu'on se comprenne là-dessus. Et je veux assurer les membres de la Commission de notre collaboration mais aussi de notre extrême vigilance à cet égard. Parce que, effectivement, étant nommés par l'Assemblée nationale pour cette importante fonction, le genre de travail qu'on fait ensemble aujourd'hui nous permet, avec vous, de vérifier... if you will, Mr. Chairman, we are watching the watchdog. Et je pense qu'effectivement c'est un travail important qu'on fait ensemble aujourd'hui.

J'avais une question particulière pour le président de la Commission, M. le Président. J'aurais voulu savoir, suite à la décision récente du juge Jean-Jacques Croteau de la Cour supérieure, qui avait pour effet de soustraire 126 organismes municipaux ou paramunicipaux à la loi, si les membres ont formulé des recommandations ou s'apprêtent à le faire. Un autre député, tout à l'heure, je pense, de l'autre côté, avait soulevé la question des sociétés d'économie mixte, et peut-être qu'on est en train de réduire de beaucoup la vision du public sur les dépenses, etc. Alors, on voulait savoir si la Commission avait commencé à se faire une idée là-dessus.

M. Comeau (Paul-André): Alors, je vais, avec la permission du Président, revenir sur votre première remarque, M. le député. La Commission, effectivement, a un mandat d'adjudication, mais elle a aussi un mandat de décisions administratives, et elle doit intervenir. Par exemple, de même façon, l'an dernier, la Commission, par ses collaborateurs, a travaillé avec l'Association des courtiers d'assurances du Québec, et nous avons mis au point, de part et d'autre, à la satisfaction de la Commission, de nouveaux formulaires de consentement lorsqu'on négocie des polices d'assurance, ce qui ne lie pas du tout les membres de la Commission qui pourront, un jour, entendre des plaintes. Il y a une démarcation très nette entre la fonction conseil que vous avez signalée et la fonction adjudication. Mais ces deux fonctions existent et elles doivent être remplies.

Est-ce qu'il y a un conflit d'intérêts parce que la Commission a travaillé avec les compagnies d'assurances pour rendre ces formulaires-là conformes au Code civil? Moi, je pense que non. On joue un rôle qui permet de répondre aux attentes des citoyens, et c'est le volet administratif, qui est un volet particulier qui fait l'originalité du modèle québécois.

Par contre, là, vous avez soulevé ensuite une question beaucoup plus «touchy», en bon français, qui est celle d'une décision de la Cour du Québec. Je vais répondre de façon très diplomatique, parce que j'ai moi-même une décision, j'ai rendu une décision à cet égard, qui est en appel devant les tribunaux et qui porte sur une matière analogue, pour ne pas dire totalement semblable. Alors, je me contenterai de vous répondre que, oui, c'est un problème que nous avons perçu, c'est un problème qui nous préoccupe et qui, sans vouloir lier mes membres, mes partenaires au sein de la Commission, va vraisemblablement se retrouver sous forme de recommandation dans notre rapport quinquennal.

M. Mulcair: Je veux juste m'assurer, M. le Président, d'avoir bien compris l'exemple dans le domaine des assurances. On attend le rapport quinquennal, et je pense que c'est important qu'on suive ça de près, parce qu'il ne faudrait pas que d'énormes secteurs soient retirés éventuellement. Ce n'était pas l'intention du législateur, puis il faudrait...

M. Comeau (Paul-André): Sûrement pas.

M. Mulcair: ...surtout avertir le législateur tout de suite, parce que, même s'il y a une décision des tribunaux, il n'y a rien qui nous empêche de changer la loi et de viser spécifiquement ça. Puis, avec des nouvelles entités administratives et autres qui risquent d'être créées, une société d'économie mixte étant un bon exemple récent, bien, il va peut-être falloir que, de notre côté, on fasse un peu notre travail de continuellement adapter la loi pour que l'intention originale puisse toujours être respectée.

Mais j'aimerais revenir sur votre exemple dans le domaine des assurances, parce que ça ouvre sur beaucoup d'autres sujets. Si je vous ai bien compris, M. Comeau, vous venez de nous expliquer qu'afin de répondre à des demandes ou des préoccupations des commissaires de la Commission d'accès à l'information on travaillait sur ces questions-là.

M. Comeau (Paul-André): Non.

M. Mulcair: Ah! c'est le personnel.

M. Comeau (Paul-André): Non, c'est le personnel, et le résultat de leur travail, qui était donc les nouveaux formulaires de consentement, a été soumis à la Commission non pas pour les accepter, mais pour en prendre acte, purement et simplement. Donc, la Commission a pris connaissance de ces documents, ne s'est pas prononcée...

M. Mulcair: Je veux juste qu'on s'entende sur les termes «la Commission».

M. Comeau (Paul-André): La Commission, pour moi, c'est les cinq membres de la Commission, les commissaires élus.

M. Mulcair: D'accord. On se comprend. On est sur la même longueur d'onde là-dessus.

M. Comeau (Paul-André): Et le personnel, lui, a fait le travail, a négocié...

M. Mulcair: Avec les sociétés de courtage...

M. Comeau (Paul-André): Tout à fait.

M. Mulcair: ...en assurance.

M. Comeau (Paul-André): L'Association des courtiers.

M. Mulcair: Et ça a été lors d'une séance régulière, j'imagine, de la Commission qui siégeait...

M. Comeau (Paul-André): Ils ont déposé le document...

M. Mulcair: C'est ça.

M. Comeau (Paul-André): ...le fruit de leur travail...

M. Mulcair: O.K.

M. Comeau (Paul-André): ...et on l'a regardé sans prononcer, sans prendre de décision à cet égard.

M. Mulcair: O.K. Mais l'impression qui peut être donnée, à ce moment-là, aux courtiers d'assurances qui, de bonne foi, sont venus vous voir et dire: Écoutez, on demande ça... normalement, on les fait signer. Il y a des gens qui sont devant vous. Est-ce qu'il y a moyen de faire quelque chose avec ça? Vous utilisez l'expertise et l'expérience de votre personnel, vous faites un travail en collaboration avec les compagnies d'assurances, c'est déposé devant la Commission, et le reste de votre remarque était à l'effet de dire, si j'ai bien compris, que, si un commissaire, par la suite, devait entendre une cause sur ce même formulaire, selon vous, ça ne cause aucun problème, ça.

M. Comeau (Paul-André): Il n'est pas lié du tout. Et, d'ailleurs, c'est la règle du jeu que nous avons établie avec les partenaires, nous travaillons avec eux, mais il n'y a pas de sceau d'approbation par la Commission. C'est un travail conseil qui est fait et la Commission se prononce. Et c'est la même chose, d'ailleurs, pour les entreprises... les organismes publics. Lorsque nous établissons avec eux... Par exemple, dans la question du RICIB, nous avons suggéré des choses. S'il y a des problèmes ensuite, la loi continue de s'appliquer. C'est le volet administratif qui entre en ligne de compte, le volet conseil, qui est celui de la Commission également. Mais ça ne lie pas du tout. C'est pourquoi les commissaires ne se prononcent pas. Ils prennent connaissance d'un document, ils ne se prononcent pas là-dessus, ni pour ni contre. Ils conservent leur indépendance.

M. Mulcair: Si on reste dans le domaine des assurances pour l'aspect protection de la vie privée, il y a beaucoup de travail qui a dû être fait par les grandes, les grosses sociétés de courtage, encore une fois, pour changer leurs habitudes internes, leurs manières de conserver et de faire circuler l'information. Est-ce que dans ce domaine-là aussi la Commission a fourni de la collaboration, de ce genre de collaboration auprès des sociétés et des courtiers d'assurances?

M. Comeau (Paul-André): Oui. Actuellement, la Commission discute depuis près d'un an...

Une voix: C'est réglé.

M. Comeau (Paul-André): Ah bon! On m'apprend que c'est réglé avec le BAC, le Bureau d'assurance du Canada.

M. Mulcair: O.K.

M. Comeau (Paul-André): Il y a eu, là aussi, mise au point de formulaires qui sont conformes au Code civil, aux dispositions du nouveau Code civil, et qui nous semblent, d'après ce qu'on nous dit, conformes également aux dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé. Et il y a maintenant des travaux entrepris avec l'ACCAP, l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes.

M. Mulcair: Donc, ce genre d'avis là... Admettons qu'une société importante de courtage en assurance, en consultation avec le personnel de la Commission, élabore un plan, un programme, le dépose auprès de la Commission. Il y a une plainte par après, pour vous, idem, même chose que ce que vous nous avez mentionné tout à l'heure, ça ne cause aucun problème parce qu'ils ne sont pas liés par le fait que le travail a été fait...

M. Comeau (Paul-André): Tout à fait.

M. Mulcair: ...par le personnel dans sa fonction conseil, et, lorsque viendra le temps d'utiliser ces pouvoirs en matière d'adjudication, qu'il n'y aura aucune espèce de conflit...

(12 h 20)

M. Comeau (Paul-André): Tout à fait.

M. Mulcair: Pour vous, il n'y a pas de problème avec ça.

M. Comeau (Paul-André): D'ailleurs, les travaux de discussion et de consultation se font uniquement avec les regroupements, les associations professionnelles, et non pas avec les entreprises. Alors, c'est l'ACCAP qui regroupe un certain nombre d'entreprises, mais ce n'est pas la Sun Life ou une autre compagnie, le Mouvement Desjardins, c'est uniquement avec des regroupements d'entreprises, des associations professionnelles ou industrielles, si vous voulez. Et c'est dans ce sens. Et ce sont les règles du jeu très claires, hein. Quand elles viennent... Parce que nous n'avons pas fait de sollicitation, ce sont les entreprises qui viennent demander l'expertise de la Commission: Comment peut-on se rapprocher des exigences du Code civil? C'est très clair, ça n'engage pas la Commission.

M. Mulcair: D'accord.

Le Président (M. Garon): Alors, Mme la députée de Rimouski.

Mme Charest: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Garon): Et, ensuite, le député de Prévost.


Informatisation des renseignements médicaux (suite)

Mme Charest: M. Comeau, je vais vous ramener dans le domaine de la santé. Vous êtes au courant, je suis persuadée, du dossier de la carte-santé, projet-pilote qui a été expérimenté dans le comté de Rimouski, particulièrement dans une municipalité rurale qui s'appelle Saint-Fabien. Cette carte-santé a été quand même expérimentée sur des clientèles cibles. Il y en avait trois: celle des poupons de 18 mois et moins, celle des femmes enceintes et celle des personnes âgées de 65 ans et plus. Donc, trois clientèles avec des problématiques de santé qui exigent très souvent des suivis continus dans le temps par rapport à l'état de leur santé. Ça, c'était un projet-pilote. Et il y a souvent eu des questions d'éthique et de manipulation d'informations par plusieurs professionnels de la santé, et ça a soulevé des interrogations. Je pense que vous avez travaillé avec eux, en collaboration. Vous avez solutionné certains problèmes.

Il me semble que, ça, ça peut aller quand c'est un projet-pilote, mais, sur une base, je dirais, nationale, quand on parle de généraliser l'utilisation d'une telle carte à puce qui va, comment je dirais, emmagasiner l'ensemble des données sur l'état de santé de la population, là on arrive dans du macro, et ce n'est pas du tout la même dynamique, je dirais, pour toute la question de la confidentialité; surtout qu'il va y avoir comme une banque centrale de données, si je ne me trompe, où toutes ces données-là vont être emmagasinées en un lieu ou, en tout cas, en un endroit où les différents intervenants vont pouvoir venir piger dépendamment des besoins qu'ils auront. J'aimerais que vous me rassuriez sur le fait que la généralisation de l'utilisation de la carte ne permettra pas un accès indu à des personnes non autorisées à des renseignements médicaux.

M. Comeau (Paul-André): Je vous remercie. Alors, je vais, Mme la députée, vous répondre, dans un premier temps, sur le plan purement technique. La carte à microprocesseur a l'avantage par rapport au dossier papier d'être beaucoup plus sécuritaire. Pour accéder à la carte, à la portion de renseignements sur le microprocesseur ou sur le chip, il faut le consentement de la personne qui donne sa carte, et le professionnel doit, lui aussi, composer l'équivalent d'un NIP pour avoir accès à la zone qui est la sienne. Par exemple, un ambulancier n'a droit qu'à la zone d'urgence et l'administration de l'hôpital n'a droit qu'aux renseignements. Seul le médecin peut tout lire. Le pharmacien a droit à la zone pharmacologique, et ainsi de suite. Et l'expérience de Rimouski nous a permis de vérifier si c'était vrai, ça, et, au terme de trois ans, il est évident que, dans ce domaine-là, dans les limites de l'expérience, c'est l'instrument le plus sécuritaire. Je ne sais pas si vous avez déjà vu circuler les dossiers papiers dans les hôpitaux, la carte...

Mme Charest: Je connais la carte pour avoir participé aux balbutiements, au lancement du projet.

M. Comeau (Paul-André): Ah!

Mme Charest: Je suis d'accord avec vous. Au point de vue micro, ça va. Je pense que toutes les garanties de sécurité pour un projet de ce type-là ont été expérimentées et ont fait leur preuve. Mais, moi, ce qui m'inquiète, c'est quand on arrive sur l'ensemble d'une grande échelle. Vous savez, on dit que les patients donnent leur autorisation. Mais, vous comme moi, M. Comeau, vous pouvez constater qu'on donne des autorisations sans savoir quoi on donne comme autorisation. Vous savez, on signe l'accès à des firmes de tout ordre pour qu'elles puissent aller fouiller ou questionner soit sur les assurances qu'on possède soit sur le dossier de crédit qu'on a. Et c'est la même chose dans le domaine de la santé. On peut signer parfois des formulaires, et je ne suis pas sûre qu'on sait exactement, enfin, que tout le monde sait exactement ce à quoi il s'est engagé en donnant son autorisation.

M. Comeau (Paul-André): L'une des caractéristiques de l'expérience de Rimouski, c'est qu'il n'y avait pas de banque centrale de données. Les renseignements étaient contenus sur la seule carte de l'individu, avec des problèmes. Quand l'individu perdait sa carte, tout était à recommencer. Il fallait donc reconstituer. Là, on s'est rendu compte de cela.

Maintenant, il faut bien se rendre compte que les futurs projets ne s'orientent pas vers la carte-santé telle qu'on l'a connue à Rimouski, d'abord, parce que c'est lourd et parce que ça ne permet pas, surtout, de répondre aux principales interrogations. Les principales interrogations, c'est d'avoir accès aux radiographies, aux analyses qui, dans l'état actuel de la technologie, ne peuvent pas circuler sur une carte à microprocesseur.

Les expériences qui se dessinent, ici et en Europe, pour le moment, c'est des expériences d'une carte qui serait une carte index, qui dirait: M. Untel a subi un cardiogramme à tel endroit, M. Untel a subi une analyse. Et l'objectif des expériences de ce second type, ce serait de voir s'il est possible, de façon sécure et confidentielle, d'aller chercher, à un moment donné, à gauche et à droite, l'information dont le praticien ou l'hôpital a besoin, ce qui éviterait la constitution d'une banque de données centrale. Les dossiers, les études, les analyses demeureraient là où elles ont été pratiquées, où elles sont détenues, et seraient activées, dans un cas précis, au moment où le citoyen, le patient se présenterait, purement et simplement.

Alors, c'est l'orientation actuelle. Parce que, vous avez raison, si on s'oriente vers une carte-santé avec une banque centrale tous azimuts, là il y a des problèmes majeurs qui se posent. Mais, pour le moment, ce n'est pas la tendance.

Mme Charest: Alors, ça me rassure parce que, pour justifier de faire appel à un élément du dossier, il faut avoir son NIP, il faut être carrément identifié.

M. Comeau (Paul-André): Et le médecin doit avoir l'équivalent d'une carte d'habilitation.

Mme Charest: C'est ça. Merci, M. Comeau.

Le Président (M. Garon): M. le député de Prévost. Après ça, ça va être les remarques finales.

M. Paillé: Oui, je voulais juste souligner que je peux me passer des remarques amicales du député de Chomedey et que je peux comprendre, cependant, qu'il ne saisisse pas toute la subtilité d'expressions françaises que l'on puisse utiliser, puis que, quand on a des principes, bien, nous, de ce côté-là, on les observe et que la relation qu'il a faite entre deux événements est carrément malhonnête. C'est tout ce que je voulais lui dire.

Le Président (M. Garon): Pour le mot de la fin, M. le député de Chomedey.

M. Mulcair: Oui, merci beaucoup, M. le Président. Après cet impressionnant et vibrant plaidoyer de mon collègue de Prévost, je pense que je ne suis certainement pas le seul dans la province de Québec qui fait la relation entre les deux événements. Quant à savoir si c'est malhonnête, certainement pas. C'est peut-être erroné, mais c'est certainement mon interprétation. Et, comme je le disais, je ne suis certainement pas le seul à l'avoir.

Je tenais tout simplement, en terminant, M. le Président, à remercier beaucoup M. Comeau pour sa collaboration. J'ai compris très tôt dans notre rencontre aujourd'hui qu'il avait saisi toute l'importance que, nous, on donnait à la notion de conflit d'intérêts, puis il nous a annoncé certains changements là-dessus. Je souhaite, justement, que sa réflexion continue là-dessus.

Je suis très intéressé par les informations qu'il nous a données à la fin, son exemple du domaine des assurances, comme quoi un formulaire pouvait faire l'objet d'un travail interne à la Commission, déposé auprès de la Commission, mais éventuellement contesté devant un commissaire qui avait siégé à cette réunion-là et que, pour lui, ça ne causait pas de problème. Je vous avoue que j'ai envie d'étudier cette question plus avant avec des gens que je vais nous adjoindre là-dessus, parce que je trouve que c'est très intéressant. Je ne partage pas nécessairement son point de vue dès le départ, mais j'ai le goût de prendre le temps pour l'analyser de notre côté, et on aura certes l'occasion de revenir là-dessus et d'en discuter davantage. Merci beaucoup.

Le Président (M. Garon): Alors, sur ces dernières paroles, je voudrais remercier les membres de la Commission d'accès à l'information, le président et les gens qui l'accompagnent, d'être venus rencontrer la commission.

Comme le mandat d'étudier le rapport annuel 1994-1995 de la Commission d'accès à l'information est accompli, la commission de la culture ajourne ses travaux sine die.

(Fin de la séance à 12 h 30)


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