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Version finale

35th Legislature, 2nd Session
(March 25, 1996 au October 21, 1998)

Tuesday, October 8, 1996 - Vol. 35 N° 16

Consultation générale sur le document intitulé «Les enjeux du développement de l'inforoute québécoise»


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Table des matières

Auditions


Autres intervenants
M. Jean Garon, président
M. André Gaulin, président suppléant
M. Michel Morin, président suppléant
M. Pierre-Étienne Laporte
Mme Marie Malavoy
M. David Payne
M. Geoffrey Kelley
M. Michel Bissonnet
Mme Claire Vaive
M. Yves Beaumier
*M. Gilles Garand, Conseil québécois du patrimoine vivant
*M. François Beaudin, idem
*M. Marcel Aubin, idem
*M. Marcel Cloutier, Groupe NoTIAL
*M. Guy Bertrand, idem
*M. Louis Lamothe, idem
*M. Christian Tremblay, idem
*M. Pierre Lampron, SODEC
*M. Paul-André Comeau, CAI
*Mme Francine Bertrand-Venne, SPACQ
*M. Mario Chenard, idem
*Mme Louise Pelletier, SARDC
*M. Yves Légaré, idem
*M. Daniel Jean, La Maison de la culture de Gatineau
*Mme Lucie Ménard, idem
*Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats


(Dix heures dix minutes)

Le Président (M. Garon): Je déclare la séance ouverte, et rappelons le mandat que la commission s'est donné, le mandat d'initiative suivant: procéder à une consultation générale et tenir des auditions publiques sur les enjeux du développement de l'inforoute québécoise.

L'ordre du jour de la journée d'aujourd'hui. À 10 heures, on va entendre le Conseil québécois du patrimoine vivant; à 10 h 45, le Groupe de travail sur la normalisation des technologies de l'information dans leurs aspects linguistiques; à 11 h 30, la Société de développement des entreprises culturelles, SODEC; suspension à 12 h 30; reprise à 14 heures avec la Commission d'accès à l'information; à 15 heures, Jean-Claude Guédon; à 16 heures, Société professionnelle des auteurs et compositeurs du Québec; à 17 heures, la Société des auteurs, recherchistes, documentalistes et compositeurs; à 18 heures, suspension; reprise à 20 heures avec La Maison de la culture de Gatineau; et, à 21 heures, M. Gaétan Patenaude. La Fédération d'art dramatique du Québec, qui devait passer à 21 h 30, nous a indiqué qu'elle ne se présenterait pas, que son mémoire serait plutôt déposé.

Alors, est-ce qu'il y a des changements, M. le secrétaire?

Le Secrétaire: Non, M. le Président.

Le Président (M. Garon): Alors, je pense qu'il y a lieu de commencer immédiatement en invitant le premier groupe, le Conseil québécois du patrimoine vivant, à la table – vous êtes déjà rendus – à vous présenter et à faire votre exposé. Comme vous avez 45 minutes, normalement, c'est 15 minutes pour votre exposé, 15 minutes pour les députés ministériels et 15 minutes pour l'opposition officielle. Ce que vous prendrez en plus leur sera soustrait dans la même proportion, moitié, moitié; ce que vous prendrez en moins, bien, ils pourront poser davantage de questions pour le temps que vous n'aurez pas pris. Alors, à vous la parole.


Auditions


Conseil québécois du patrimoine vivant

M. Garand (Gilles): Bonjour, MM. les députés, bonjour, M. le Président, Mmes les députées. Il me fait plaisir, au nom du Conseil québécois, de vous entretenir aujourd'hui sur le mémoire qu'on a déposé le 28 août: «Vers le mieux-être par les savoir-dire et les savoir-faire sur l'autoroute de l'information».

Permettez-moi, en guise d'avant-propos: «Un exemple, parmi d'autres, de porteurs de traditions», à la page 6.

«Il faut donc reconnaître ces acteurs fondamentaux, premiers, irremplaçables: les conteurs, les conteuses. Dans les contextes microsociaux, émerge de la tradition qu'ils portent l'imaginaire. Au sein de leurs groupes d'appartenance, ils sont, au sens strict, porte-parole.

«Innombrables sont les pauvres gens ennuyeux. Étouffés par le silence. La gorge serrée par les mots qu'ils n'arrivent pas à faire vivre. Quand d'aventure ils parviennent à parler, ne tombent de leur bouche que clichés et banalités, paroles prudentes, discours conformes. Quelle joie de parfois trouver quelqu'un qui dégage l'horizon de cette grisaille! Ceux qui ont étudié les traditions orales ont eu le privilège de connaître ces conteurs et conteuses, chanteurs et chanteuses, qui animaient et animent encore la fête verbale dans une veillée, une réunion de famille, une excursion de chasse. En des occasions où la parole prend soudainement le dessus sur la banalité, ils s'imposent. Extravertis sonores, magnifiques cabotins, verbomoteurs au verbe haut, les yeux vifs, le geste large, ils remplissent de leur parole l'espace. Ils ne "laissent pas parler les autres", ne tolèrent pas le silence et captivent l'auditoire. Ils amusent. Ils intéressent. Hommes et femmes de la fête verbale dont les folkloristes ont au moins conservé dans leurs archives la trace brûlante. Êtres exceptionnels que Luc Lacoursière n'hésitait pas à qualifier de "génies de la tradition orale". De la race des constructeurs, des artisans, des pétrisseurs de glaise, qui communiquent un savoir-faire et un savoir-vivre. Porteurs du feu de la parole qui éclaire et réchauffe. Détenteurs de la parole indomptée.» Extrait de Jean Du Berger.

Alors, c'est juste pour vous mettre dans le contexte. Au Québec, vous savez, on a une tradition orale très vivante, et c'est de ça qu'on s'inspire.

Le Président (M. Garon): Comme nous, au Parlement. Ha, ha, ha!

M. Garand (Gilles): Ça, M. Garon, on vous a entendu souvent, on s'en doute. Ha, ha, ha!

Alors, la mission du Conseil québécois. Le Conseil québécois du patrimoine vivant a pour mission de voir à la sauvegarde, à la promotion et à la transmission du patrimoine vivant de la collectivité – 1.2. Il vise à regrouper et à représenter les personnes et les organismes préoccupés par la préservation, la recherche et la mise en valeur du patrimoine vivant et à favoriser la réappropriation du patrimoine vivant par la communauté.

Les objectifs: regrouper les personnes et les organismes engagés dans la préservation, la recherche et la mise en valeur du patrimoine vivant; favoriser la représentativité des différentes régions, cultures, disciplines et secteurs d'intervention au sein du Conseil québécois du patrimoine vivant; promouvoir la richesse et la diversité des valeurs humaines, culturelles, artistiques, sociales et économiques du patrimoine vivant à l'échelle locale, nationale et internationale; encourager un processus de développement du patrimoine vivant du Québec en suscitant des activités de sauvegarde, de conservation, de documentation, de recherche, d'information, de concertation, de formation, de réappropriation, de diffusion, de mise en valeur et de transmission; représenter et défendre les intérêts des personnes et des organismes dans la sauvegarde, la préservation et la mise en valeur du patrimoine vivant.

Le membership. Le Conseil québécois vise à regrouper celles et ceux qui, sur l'ensemble du territoire du Québec, qu'ils soient Québécois francophones d'origine ou membres des minorités anglophone ou autochtone ou des communautés culturelles, portent les formes traditionnelles de la culture populaire, font des recherches dans ces domaines, en assurent la diffusion, que ce soit en qualité d'amateurs ou de professionnels. Il rassemble conteurs et conteuses, chanteurs et chanteuses, danseurs et danseuses, musiciens et musiciennes, artisans et artisanes, facteurs d'instruments de musique. Il regroupe des enseignants et des enseignantes, des érudits et des érudites locaux membres de sociétés d'histoire; il regroupe des membres de troupes de danse folklorique et de chorales, des animateurs et animatrices, des individus dont les loisirs sont nourris par la tradition, des professionnels de la musique, de la danse, de la chanson et des métiers d'art. Il regroupe aussi des organismes rassemblant l'un ou l'autre de ces types de membres individuels; ils sont répartis dans cinq secteurs.

La notion du patrimoine vivant, à 2.2. Très intéressant. C'est M. André Gladu qui a élaboré le concept des états généraux qui se sont tenus en 1992 à Québec. Alors, le patrimoine vivant constitue une véritable trousse de survie contenant l'aura, l'humeur, le rythme et le registre d'un peuple, bref, tout ce qu'il faut à une collectivité pour enrichir sa mémoire, développer son imaginaire, se positionner dans l'univers, découvrir les autres et vivre en harmonie avec son milieu.

Sauver la planète, c'est d'abord et avant tout de préserver les cultures nationales et leurs traditions qui constituent une terre de prédilection d'où émerge le patrimoine humain universel. Ce patrimoine vivant est d'abord populaire, c'est-à-dire accessible et intégré à la vie, en continuité à travers la chaîne orale, global, à la fois information, divertissement et éducation, communautaire, créé par et pour le groupe, issu d'un milieu rural, urbain, ethnique et national, délimité dans le temps et dans l'espace. Gérer l'écosystème du patrimoine vivant, c'est intégrer sa reconnaissance politique dans le projet de société des Québécois et des Québécoises, intégrer sa reconnaissance culturelle dans l'ensemble des activités de notre culture, intégrer sa reconnaissance sociale à l'intérieur des grands défis d'éducation et priorités sociales, intégrer sa reconnaissance financière dans une activité économique adaptée à nos besoins.

Et, comme le disait le grand Jean Du Berger: «Héritage commun qui trouve sens et valeur dans le temps présent, dans la vie, le patrimoine vivant est constitué de traditions, de traditions actives, dynamiques, inscrites dans la vie quotidienne d'une communauté qui s'y reconnaît. Dans toute communauté culturelle, ces traditions sont mises en oeuvre par des artistes et des artisans qui, individuellement ou en groupe, sont reconnus comme porteurs de valeurs qui constituent la culture traditionnelle de cette communauté.»

Et je vous amènerais maintenant à la page 12, quatrième paragraphe. Le patrimoine vivant forme le tissu de l'histoire d'un peuple. Il a sa place dans la culture contemporaine car il incite à la participation et non seulement à la consommation et peut contribuer grandement, comme il l'a fait dans le passé, non seulement au développement individuel des Québécois et des Québécoises, mais aussi au rapprochement des diverses composantes de ce polyèdre ethnique qu'est en train de devenir le Québec. Il favorise l'affirmation de l'identité québécoise et joue un rôle primordial dans l'intégration des jeunes à la culture québécoise dans son sens le plus large. Les savoirs et savoir-faire qui le composent revêtent des formes authentiques, médiatisées ou stylisées. Ils sont extrêmement fragiles et manquent aujourd'hui de l'appui naturel que la vie traditionnelle leur fournissait. Voilà pourquoi l'État du Québec doit se préoccuper activement de ce secteur et appuyer concrètement encore davantage les gens de ce milieu qui ont décidé de se regrouper. Le partenaire existe, c'est le Conseil québécois du patrimoine vivant. Il ne reste qu'à lui donner des moyens à la hauteur de la tâche à accomplir.

À la page 14, 4.3. Alors, c'est dans la reconnaissance internationale et dans le contexte international, selon l'UNESCO. L'UNESCO déclare: «Le patrimoine culturel n'est pas seulement le fait de monuments et d'objets d'art, il comprend toute une partie immatérielle – traditions orales, coutumes, langues, musiques, danses, arts du spectacle – qui constitue pour de nombreuses populations, notamment pour les minorités et les populations autochtones, la source essentielle d'une identité profondément ancrée dans l'histoire. La sauvegarde de ce patrimoine, d'autant plus menacé qu'il est intangible, est une urgente nécessité.»

Alors, donc, à la page 16, les esquisses de réponses aux interrogations que vous posiez dans votre documentation. Alors, à l'introduction, le Conseil québécois du patrimoine vivant a jugé bon de participer en élaborant un mémoire sur cette question, la question de l'inforoute. Cependant, nous avons fait une sélection dans le choix des chapitres et des questions, ne retenant que les sujets sur lesquels nous pouvions nous prononcer de façon adéquate. Le Conseil québécois du patrimoine vivant est déjà présent sur l'inforoute par le biais du site du ministère de la Culture et des Communications. D'ailleurs, cela nous a permis de faire connaître notre organisme et de recruter de nouveaux membres.

(10 h 20)

Alors, ce qui nous apparaît le plus important, la question de la langue. Présence d'un français de qualité sur l'inforoute. Le réseau Internet est présentement dominé par les sites de langue anglaise; ils sont produits et consultés en majorité par des gens des États-Unis. Mais il faut également que ces sites soient reconnus par la qualité de leur français et qu'ils puissent être consultés par des personnes usagères partout à travers la francophonie, donc développer toute une question de la francisation des sites. Le premier pas consiste à considérer le français comme un véhicule permettant d'échanger des idées. Dans ce contexte, on peut penser à une vitrine francophone ou québécoise sous laquelle on regrouperait tous les organismes offrant des services en français. Ainsi, nous pourrions contrer un certain éparpillement. Ensuite, il faudrait s'attarder à la langue elle-même et mettre en place un site qui contiendrait des enseignements utiles concernant la grammaire, le vocabulaire, l'orthographe, mais aussi les expressions et les mots propres à notre culture. Dans les questions du développement d'une masse critique d'information en langue française, l'État peut devenir lui-même un utilisateur modèle en continuant à développer son site et en rendant davantage de services disponibles sur l'inforoute. Tous les sujets d'intérêt public devraient pouvoir se retrouver sur l'inforoute et donner aux citoyens et citoyennes la possibilité de se prononcer sur ces sujets. Mais, plus spécifiquement, l'État pourrait avoir rapidement et sans coûts exorbitants une masse critique d'information de qualité en langue française en mettant à contribution l'ensemble de ses organismes culturels qui possèdent déjà des banques de données importantes. Il faudrait également mettre sur pied, si ce n'est déjà fait, un logiciel de recherche en français qui permettrait de faire une sélection dans un domaine de recherche donné et d'avoir les informations directement en français.

Dans la question de l'appui du contenu francophone de nouvelles technologies, au milieu du paragraphe: «En ce sens, l'État pourrait, avec la collaboration de l'Office de la langue française, poursuivre le processus de francisation des termes employés sur l'inforoute et, de plus, rendre accessible sa banque de terminologie.

«On peut penser également à élaborer un partenariat avec les autres pays francophones dans l'élaboration de sites communs et pour subventionner des projets de recherche dans le domaine des nouvelles technologies. Cela aurait l'avantage, d'une part, de réduire les coûts, et, d'autre part, de créer un marché intérieur très vaste qui permettrait de rentabiliser la commercialisation de logiciels ou bien l'implantation de nouveaux sites. L'exemple de la chaîne TV5, dans le domaine de la télédiffusion, illustre bien le genre de partenariat qui pourrait être créé.»

Dans le développement d'alliances stratégiques internationales – troisième ligne. «En ce sens, nous pensons qu'il faudrait faciliter les contacts, via l'inforoute, entre les différents organismes oeuvrant dans des domaines connexes, et ce, au sein de la francophonie. En lien avec de nombreuses recommandations concernant la promotion et la sauvegarde de la culture traditionnelle, nous pensons que l'action du Conseil québécois du patrimoine vivant se trouverait grandement enrichie par des échanges avec des organismes culturels oeuvrant dans le même champ. Cela présenterait également l'avantage de présenter le Québec sur la scène internationale par le biais de sa culture distincte de celle du reste du Canada et de faire découvrir au reste du monde que le Canada n'est pas un pays unilingue anglophone. De plus, il serait bon de réunir les francophones des différentes communautés d'Amérique du Nord et découvrir leurs cultures traditionnelles.

«Il serait extrêmement pertinent de mettre à contribution l'Agence de coopération culturelle et technique des pays francophones pour faire des alliances et occuper des champs nouveaux ainsi que de profiter de l'expertise des bureaux de traduction de l'ONU, qui possèdent un grand bagage d'informations.»

Dans la question de la culture et des droits d'auteur, une marginalisation des cultures nationales. Alors, je vous inviterais à prendre le paragraphe qui commence avec les guillemets et les parenthèses: «...devenir peu à peu citoyen du monde sans perdre ses racines tout en participant activement à la vie de sa nation et des communautés de base. La tension entre l'universel et le singulier: la mondialisation de la culture se réalise progressivement mais encore partiellement. Elle est en fait incontournable avec ses promesses et ses risques dont le moindre n'est pas l'oubli du caractère unique de chaque personne, sa vocation à choisir son destin et à réaliser toutes ses potentialités, dans la richesse entretenue de ses traditions et de sa propre culture, menacée, si l'on n'y prend garde, par les évolutions en cours.»

Le Conseil québécois du patrimoine vivant est bien placé pour rendre compte du dynamisme grandissant de la culture traditionnelle et populaire québécoise, pour affirmer qu'il serait surprenant que tout cela disparaisse du jour au lendemain si l'on poursuit le travail de développement qui s'y fait présentement. La culture québécoise a non seulement survécu mais a profité des moyens nouveaux que furent le cinéma, la radio, la télévision, le câble, et bientôt l'Internet.

Quatrième paragraphe. «De tout temps, on peut considérer qu'il y a eu trois attitudes au contact d'une autre culture que la sienne. La première consiste à rejeter tout ce qui est différent de sa propre culture. La deuxième, de s'y intéresser par rapport à sa culture, et, finalement, la troisième, qui est de rejeter sa culture au profit d'une autre.»

La remise en cause des valeurs et objectifs sociaux du Québec, quatrième paragraphe. «Dans un autre ordre d'idées, il faudrait aussi permettre aux gens d'entrer en contact avec les cultures populaires d'où vient la culture d'ici, soit celle des pays d'Europe et des États-Unis. Il ne faudrait pas oublier non plus qu'un peuple est responsable de sa culture face au monde. Il y a quelque chose à prendre des autres cultures, mais aussi quelque chose à apporter aux autres, dimension que l'on oublie trop souvent. Les valeurs et les objectifs sociaux du Québec ne pourraient que se confirmer par l'ouverture sur le monde et un dialogue avec les autres peuples. Il faut faire confiance aux usagers de l'inforoute et se souvenir que:

«"Marshall McLuhan a abondamment expliqué que le message fondamental des médias était une chose, leurs messages d'information, une autre".»

Dans l'épanouissement de la culture québécoise, il faut absolument saisir l'occasion pour redonner à la culture québécoise ses lettres de noblesse et lui donner une place de choix dans le développement de l'inforoute au Québec. Il est grand temps de donner un coup de barre et de transmettre au peuple québécois la mémoire de ses racines, qui sont d'origines aussi variées que les membres de la société qui le composent, pour que l'adage «Je me souviens» ne soit plus vide de sens.

Il est aussi urgent de mettre en place dès maintenant un site dans le domaine du patrimoine vivant afin de montrer tout le dynamisme des porteurs de traditions qui, eux aussi, peuvent être à la fine pointe de la technologie malgré le fait que certains pourraient les associer irrémédiablement au passé. Le Conseil s'y emploiera durant les années 1996-1997 par le biais d'un projet qui sera soumis au Fonds de l'autoroute de l'information.

«5.3.4 Nouveaux contenus de type éducatif et communautaire. Le Conseil Québécois du patrimoine vivant rappelle qu'il existe des travaux d'inventaire du patrimoine culturel depuis le début du siècle, et plus particulièrement depuis la Deuxième Guerre mondiale. Nous pensons que l'État devrait encourager tout particulièrement les initiatives visant à rendre ces inventaires disponibles, car le patrimoine concerne tous les aspects de notre culture, trop souvent méconnue. Le peuple québécois dans son ensemble est concerné par son patrimoine culturel, qui devrait être accessible à toutes les personnes, quels que soient l'éducation reçue, l'emploi occupé, le sexe ou le revenu annuel.

«L'État pourrait donc avoir une vitrine "éducative", un peu à l'image de Télé-Québec pour la télévision, ce qui serait différent de l'orientation de son site actuel.»

Dans «L'accessibilité», 5.4.1. «Si la technologie est bien utilisée, elle pourrait contribuer à réduire les écarts dans la société québécoise. Mais cela suppose une volonté de démocratisation de l'utilisation de l'inforoute ainsi qu'une mise en place d'une initiation obligatoire à l'informatique dans les écoles. Il faut s'assurer de plus que les régions puissent se brancher sans frais d'interurbain.

«Ensuite, si l'on ne veut pas que l'accès à Internet soit déterminé par les ressources financières de chaque personne, il faut mettre en place des points d'accès gratuits dans divers lieux publics à la grandeur du territoire québécois: par exemple, les institutions d'enseignement, les bibliothèques municipales, les organismes communautaires, les édifices gouvernementaux, les centres commerciaux, etc.

«Le soutien de l'État dans ce domaine est la seule garantie que tout le monde ait accès à l'inforoute dans toutes les régions du Québec.»

L'isolement des personnes ou une plus grande solidarité humaine. Il est important de distinguer l'utilisation des technologies de ses éventuelles conséquences. Deuxième paragraphe: «Il ne faut pas condamner un outil pour l'utilisation négative que certaines personnes pourraient en faire. La communication par le biais de l'ordinateur n'est pas plus artificielle que la communication manuscrite. Elle serait peut-être même plus humaine parce que plus rapide.»

L'intégration des néo-Québécois et la solidarité entre les communautés. Il serait bon que l'État favorise une participation des communautés culturelles à l'inforoute, qui pourraient ainsi se faire connaître. Le Conseil québécois est un bon exemple de solidarité et d'ouverture entre toutes les composantes de la société québécoise, puisqu'en son sein se regroupent des personnes et organismes provenant des différentes communautés francophones, anglophones et amérindiennes. Sa présence sur l'inforoute permettra éventuellement de refléter cela.

La confidentialité. Avec l'inforoute, il serait pertinent d'élaborer un code d'éthique international qui permettrait d'être confiant en utilisant ce moyen de communication et de gestion de services. Ce mandat pourrait être confié à l'ONU.

Le développement technologique et économique. Il faut faire du patrimoine vivant le moteur de l'attraction touristique au Québec. Il pourrait donc y avoir un site sur le tourisme au Québec qui permettrait de consulter non seulement les listes d'hôtels mais aussi de sites et d'événements relatifs au patrimoine vivant. Il serait important de mettre sur pied des attractions touristiques qui mettraient en valeur le patrimoine vivant des régions, cela basé sur une bonne stratégie de développement régional et une bonne connaissance des différentes régions. Un site comme celui-là pouvant être consulté par des gens du monde entier et produit au Québec permettrait certainement d'augmenter le tourisme au Québec et d'offrir à nos visiteurs un séjour de qualité. Confier cela aux associations touristiques régionales serait un bon moyen pour faire connaître l'ensemble des ressources et des réalités.

(10 h 30)

En éducation, des écoles branchées. Comme vous le disiez vous-même, M. Garon, alors que vous étiez ministre de l'Éducation, vous exprimiez votre volonté d'augmenter le nombre d'ordinateurs par élève et de faire en sorte que les jeunes soient initiés à l'informatique. Mme Marois, actuellement ministre de l'Éducation, a réaffirmé sa volonté de s'inscrire dans la même veine. Il faut donc non seulement mettre des ordinateurs disponibles partout, mais aussi rendre les locaux accessibles à la communauté après les heures d'ouverture de classe.

En éducation, dernier paragraphe. Par contre, il s'agit d'un outil et non d'une fin en soi. Certaines disciplines auront toujours besoin d'une forme d'apprentissage pratique.

En conclusion, le Conseil québécois du patrimoine vivant regarde d'un oeil très favorable le développement de l'inforoute québécoise et salue le leadership du gouvernement québécois dans ce dossier. Il désire souligner que le développement d'un site exclusivement consacré au patrimoine vivant permettrait de fournir aux Québécois et aux Québécoises une plus grande prise de conscience de la richesse de la culture traditionnelle et populaire du Québec, de rendre compte du dynamisme qui anime les différents intervenants oeuvrant dans ce domaine et de lui donner une visibilité beaucoup plus grande sur le plan international. Et, comme le dirait Gilles Vigneault: Tam ti deli delam, tali deli delam!

Alors, j'en profite pour présenter M. François Beaudin, notre directeur général, et M. Marcel Aubin, responsable du dossier informatique chez nous, au Conseil québécois du patrimoine vivant, membre des régions. On est divisé en régions, nous autres, région nationale, etc. Marcel est responsable de la région des Laurentides.

Le Président (M. Garon): M. le député de Taschereau.

M. Gaulin: Merci, M. le Président. M. Beaudin, M. Garand, M. Aubin. Je voudrais d'abord saluer les gens du Patrimoine vivant qui sont à la maison Aline-Lebel, dans mon comté, en ville-basse, et qui font un très beau travail, qui participent avec d'autres groupes à donner à la ville-basse de Québec une vie culturelle assez exceptionnelle, qui est de plus en plus remarquée, d'ailleurs, que ce soit par Méduse, l'École des arts visuels, l'école des métiers d'art, des artistes regroupés dans Maison longue, etc. Voilà.

Je vois que, de la part d'un groupe qui défend le patrimoine vivant, qui aurait pu bouder un progrès technologique qui nous envoie, qui nous précipite dans le monde, vous avez un grand esprit d'ouverture et, au contraire, vous voulez vous servir de ce que vous avez appelé un outil pour prendre de nouvelles voies, de nouvelles routes et faire profiter tout le monde de la richesse de la culture, du patrimoine québécois.

Je veux peut-être simplement poser une question par rapport à l'ensemble des recommandations que vous nous faites, qui sont très intéressantes. Vous parlez, en particulier, de la culture et des droits d'auteur. Est-ce que vous pourriez développer comment vous concevez justement – parce que nous sommes une commission ici qui essaie de regarder les technicalités de la mise en place de l'inforoute – comment vous voyez la protection de ces droits d'auteur? Vous avez parlé, par exemple, d'un code d'éthique qui serait confié à l'UNESCO. Comment vous envisageriez la protection des droits d'auteur dans l'inforoute?

M. Beaudin (François): Bien, je pense qu'il y a possibilité d'oeuvrer dans ce sens-là en prévoyant des accès en deux temps, si vous voulez. C'est un volet qui est peut-être un peu semblable à celui de la crainte qui a été signalée par certains de voir les salles de spectacles se vider. On y a fait allusion dans notre mémoire, en prévoyant que l'Internet pourrait donner la possibilité d'entrer gratuitement dans ce qu'on a appelé un hall d'entrée, quitte à ce qu'alléché par ce que l'on voit dans ce hall d'entrée on ait ensuite à payer certains coûts pour accéder au reste de la communication.

Je pense que, de cette façon-là, ça permettrait aux auteurs, justement, de ménager le revenu qu'ils sont en droit d'attendre et de leur permettre les formes actuelles de présentation de leurs productions.

M. Garand (Gilles): Je pense que, dans un premier temps, il s'agit, d'une part, d'être présent sur l'inforoute. Avant de regarder la question des droits d'auteur, il nous semble important qu'il y ait une présence sur l'inforoute. Je donnerai, à titre d'exemple... On travaille, nous, à organiser différents événements culturels, festivals, etc. Récemment, en juin dernier, j'étais en train de fouiller sur l'inforoute et, tout à coup, je découvre la Bottine souriante, dans un festival américain. Je découvre la Bottine souriante avec le disque «La Mistrine».

Alors, c'est certain qu'il y a là un accès. Quand vous parliez, tantôt, de l'accès, vous trouviez intéressant qu'on soit un peu visionnaires en quelque sorte de ce développement de la culture ancestrale versus les nouvelles technologies. Pour avoir fouillé moi-même différents événements au niveau culturel, pour avoir été... il y a actuellement 22 000 sites qui touchent les événements et festivals au niveau international.

J'ai été fouiller moi-même aussi dans le site de l'American Folklore Society, à Washington, où se retrouvent toutes les archives nationales américaines de toutes les différentes cultures américaines. On peut fouiller là-dedans et trouver du patrimoine québécois à l'intérieur de la bible américaine du folklore. Alors, il nous apparaît essentiel d'avoir une présence sur le site.

Quant au développement des droits d'auteur, je pense qu'il y a actuellement un organisme au Québec, qui s'appelle la société des droits d'auteur, et tous les organismes qui oeuvrent à mettre en valeur le droit d'auteur, qu'il y a lieu même de reconnaître sur d'autres plans aussi, je pense qu'il y a là un travail de recherche et d'approfondissement de la question du droit d'auteur, mais il me semble que le premier élément, c'est l'accessibilité et la présence sur le site.

M. Gaulin: Oui?

M. Aubin (Marcel): Je rajouterais peut-être juste un dernier point là-dessus, c'est concernant la piraterie des droits d'auteur. Il n'y a pas seulement Internet qui est un moyen aujourd'hui très facile de pirater les droits d'auteur; il y a des moyens de reproduction mécanisés qui sont à la disposition de tous et qui donnent la même accessibilité qu'Internet. Donc, quand on regarde cette question-là, c'est une question qui est beaucoup plus large au niveau du cadre que la question d'Internet elle-même. Ça déborde beaucoup, à peu près sur tout. Donc, les moyens, je pense, pour attaquer la protection des droits d'auteur devraient chapeauter tout ça, mais pas spécifiquement Internet.

Moi, j'achète un livre, je le passe dans un scanner, je le numérise puis, après ça, j'ai sur mon ordinateur tout le texte intégral du livre. Je ne suis pas passé du tout par Internet, mais je l'ai quand même. Donc, il y a ces points de vue là aussi.

M. Gaulin: Vous avez raison. D'ailleurs, c'est comme ça pour la chanson qui va sur les ondes, etc. Mais c'est peut-être ce qui ajoute à la difficulté de la protection des droits d'auteur, c'est qu'ils sont déjà très mal assurés dans des techniques plus traditionnelles.

M. Aubin (Marcel): Oui.

M. Gaulin: Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Merci, M. le Président. Je vous félicite pour cet excellent mémoire. Je suis bien d'accord avec vous, disons, sur l'hypothèse ou la prémisse fondamentale du mémoire, à l'effet que cette technologie-là, comme c'est le cas par exemple aux États-Unis – vous avez mentionné l'American Folklore Society – cette technologie-là peut être utilisée pour mettre en valeur le patrimoine vivant, il n'y a aucun doute là-dessus.

Mais j'aimerais revenir aux propos que vous avez tenus sur le rôle de l'État à cet effet. Je vois que l'État peut avoir un rôle d'information, très certainement, en créant des sites et en rendant des sites disponibles. Comme vous le disiez, l'État peut aussi s'assurer que cette information est accessible au plus grand nombre de personnes. Il y a aussi certaines autres fonctions que vous avez mentionnées, mais est-ce qu'il n'y a pas non plus une place dans ce champ-là pour l'entrepreneurship ou l'initiative privée? Est-ce que c'est parce que vous vous adressez à nous que vous avez mis une telle emphase sur le rôle de l'État ou si on pourrait imaginer des stratégies de mise en valeur du patrimoine vivant qui, tout en ayant recours à l'État pour certaines fins, auraient également recours à l'initiative privée, à l'entrepreneurship privé, pour certaines autres fins?

M. Garand (Gilles): Bon, je vais y aller, dans un premier temps, sur le pourquoi de l'État et je pense que, tantôt, Marcel pourra y aller sur la question de comment ça fonctionne au niveau du secteur privé actuellement dans le domaine, les fenêtres qui sont ouvertes, etc.

Alors, pour nous, le Conseil québécois du patrimoine vivant est né d'une volonté du milieu de mettre en valeur les savoirs et savoir-faire du Québec dans sept champs d'action que regroupe le patrimoine vivant. Et cela s'inspire aussi de la question internationale, par l'UNESCO, qui demande aux États membres de reconnaître dans le développement culturel des éléments de contribution de l'État.

(10 h 40)

En même temps que, nous, on est en train de... Actuellement, on regroupe une quarantaine d'organismes et une soixantaine d'individus donc de toutes les régions du Québec, alors, déjà, on a un site, nous, qui est dans la vitrine culturelle du ministère de la Culture. Déjà là, on est impliqués sur l'inforoute et, à travers notre site, on pourrait facilement, dépendamment des moyens qui sont mis à la disposition de... Parce que le gouvernement du Québec met à la disposition de l'inforoute quand même certaines sommes d'argent assez importantes quant au développement. Alors, nous, on pense qu'à l'intérieur de ça, d'une part, nos organismes et membres pourraient s'inscrire dans la vitrine Conseil québécois du patrimoine vivant. Et, pour aller plus loin que ça, on pense qu'il devrait y avoir un site qui s'appelle «Patrimoine vivant», comme je le disais tantôt, auquel l'ensemble de la planète pourrait avoir accès.

En ce sens, on a aussi élaboré, nous, un premier inventaire du patrimoine vivant québécois, un projet à long terme, via les MRC. En fait, en même temps, on regarde aussi la question de la décentralisation culturelle, économique et sociale du Québec. Donc, on s'inscrit dans cette dynamique de dire: Bon, bien, reprise en charge par le milieu immédiat, le milieu local, communautaire, etc.

À travers ça, on s'est dit que, dans le fond, tant qu'à mettre en valeur le patrimoine vivant... Je vais prendre un exemple, je vais prendre la Gaspésie. Si on veut développer, si on veut avoir une vision globale et complète de ce que ça peut représenter comme moyens de communication et moyens de mise en valeur, pendant des années Luc Lacoursière et d'autres ont fait du collectage. On a le CELAT, ici, à Québec, qui représente des centaines, des milliers d'heures de collectage d'archives. Et cette information-là, elle est tablettée et que quelques personnes peuvent y avoir accès.

Alors, comme l'a fait Washington, au Québec, on pourrait mettre tout ça en valeur sur l'inforoute. Alors, on dit: Il faut développer des sites pour cette connaissance qui existe de la culture québécoise, de toute sa recherche de l'identitaire. Alors, ça, c'est à un niveau.

En même temps, on est amenés à la mise en valeur... Bon. Je prends exemple, je parlais de la Gaspésie. En Gaspésie, il n'y a plus de pêche, il n'y a plus de bois. Quelle est la ressource naturelle pour faire vivre un pays comme la Gaspésie? C'est la culture. Dans cette culture, quelle est la place du patrimoine vivant, quelle est la place des savoir-faire? On pense à l'artisanat, on pense à la musique, on pense à la bouffe nature, à la bouffe régionale.

Alors, tout ça, c'est des éléments culturels du patrimoine vivant qui pourraient se retrouver sur des sites, exemple: Bienvenue au Québec. Alors, le touriste veut aller dans la région de la Gaspésie, puis, tam! Gaspésie et Bas-Saint-Laurent: tam di dili dilam! un petit air de violon, la bouffe... Il y a moyen de faire en sorte de voir cette culture-là être accessible, être mise en valeur. Dans ce sens-là, on pense que l'État a toute sa place pour la mise en valeur, parce que c'est vous, c'est l'État qui va développer ce réseau-là de contacts et de communication.

Mais, en même temps, il existe aussi tous les serveurs, l'infrastructure, les outils, et là-dessus je vais laisser aller Marcel.

M. Aubin (Marcel): Bon. Là-dessus, moi, je mentionne d'abord, en partant, que tout ce qui est patrimoine et tout ce qui est folklore a peut-être été souvent boudé par le privé parce que c'est peut-être quelque chose qui n'est pas suffisamment lucratif pour aller investir là-dedans. Moi, je pense que l'État a peut-être un rôle sur le plan législatif ou peut-être sur le plan incitatif, à titre de recommandation, à jouer chez tous les fournisseurs qui offrent des services dans la province de Québec.

Je pense juste à quand on ouvre le système d'Internet puis qu'on aboutit à la page d'accueil du fournisseur. Moi, j'ai eu la frustration de m'apercevoir qu'un fournisseur me fournissait une page d'accueil tout en anglais. Donc, en partant, moi, je me dis que les fournisseurs au Québec devraient nous offrir une page d'accueil tout d'abord en français, et le contenu des informations qui sont listées dans cette page d'accueil devrait avoir quand même une certaine partie ou un certain pourcentage qui parlerait de nos traditions ou qui serait des références à des sites du patrimoine. Alors, sur ce plan-là, moi, je trouve qu'il y a quand même peut-être à faire de ce côté-là.

Il y aurait aussi à développer peut-être des formes de mécanismes de subvention pour inciter les fournisseurs privés à développer beaucoup plus les sites ou à aider les organismes à développer beaucoup plus les sites qui seraient des collectages ou des banques de données de façon à faciliter la chose. Ça distribuerait quand même dans le privé beaucoup d'ouvrages puis ça ferait beaucoup de retombées quand même au niveau de l'État après ça. Alors, voilà, messieurs.

M. Beaudin (François): Je pourrais peut-être rajouter un autre élément, c'est qu'évidemment l'État a un rôle à jouer dans la diffusion des contenus qui lui sont propres. Il a un rôle à jouer, évidemment, aussi au niveau de rendre l'accessibilité de l'Internet plus considérable, mais il a aussi un rôle à jouer dans le développement de partenariats; le fonds de l'inforoute en est un exemple. Mais il y a évidemment des secteurs qui sont beaucoup moins rémunérateurs mais qui n'en sont pas moins importants pour le développement du patrimoine vivant. On faisait allusion à ces banques de données qui existent un peu partout sur le territoire québécois et même à l'extérieur qui nous concernent.

Il y a aussi une question, un rôle, pour l'État, de rééquilibrage. Je vais en donner un exemple: au moment où la ville de Québec est en train de négocier un accord culturel pour les cinq prochaines années avec le ministère de la Culture, un des responsables nous mentionnait que, pour une entente qui visait environ 45 000 000 $, il y avait 500 000 $ de prévus pour le patrimoine vivant.

On s'est beaucoup intéressé, depuis 50 ans au Québec, aux bâtisses. Et notre propos, c'est de se dire: il y a peut-être une autre chose qui compte encore plus que les bâtisses, c'est les personnes. Et, en patrimoine vivant, ce n'est pas comme dans le patrimoine bâti. Pour nous, en patrimoine vivant, conserver, c'est absolument transmettre. Ce sont des savoirs, des savoir-dire, des savoir-faire, et, s'ils ne sont pas transmis, ils disparaissent. Il y a donc constamment une urgence, parce que chaque génération recrée à nouveau ce qui forme son patrimoine vivant et a besoin de le transmettre à la suivante.

M. Laporte: Mais, M. le Président, si vous me permettez une dernière question. Je suis tout à fait de votre avis pour ce qui est de la mise en valeur de la langue française, là. Mais comment envisagez-vous que puisse se faire l'interface avec tous ces partenaires? L'envisagez-vous comme une interface qui puisse se faire en français ou, dans certains cas, qui puisse se faire en anglais? Qu'est-ce qu'on va prendre, qu'est-ce qu'on va faire comme choix linguistiques au point de vue de la diffusion de ces informations-là?

M. Garand (Gilles): Bien, pour nous, il nous apparaît essentiel qu'il y ait un développement de la question de la langue française sur l'inforoute. Il y a tous les pays francophones, qui sont un réseau assez puissant, la francophonie, qui est un réseau quand même important de développement. Et j'imagine qu'il y a aussi l'interface qui va se développer. Je veux dire, comme on le disait, la porte d'entrée peut être en français, mais il peut y avoir une page... on peut aussi pitonner et se le faire mettre en anglais. Je veux dire, il y a certainement des relations à voir exister. Mais il nous apparaît important qu'on développe des outils et un langage aussi qui soient propres à la francisation. En fait, notre culture est française, et c'est certain que, si on peut garder cet aspect des choses qui nous est propre, autant dans la langue, autant dans la parlure, autant dans le développement, il nous faut absolument bâtir des sites en français.

M. Laporte: Je vous remercie.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Sherbrooke.

Mme Malavoy: Bonjour, messieurs. D'abord, je vous remercie de votre présentation. Et si le patrimoine est aussi vivant que la façon dont vous en parlez, je pense qu'on n'a rien à craindre.

J'aimerais vous parler de la question du contact avec les autres cultures. Parce que je pense qu'une des richesses de cette inforoute, si tant est que ça fonctionne, une des richesses qu'on peut imaginer, c'est justement de nous permettre d'être en contact avec les autres cultures du monde, à la fois pour mieux les comprendre mais aussi pour se faire connaître. Et vous avez quelques passages qui touchent à cette question-là.

Alors, ce qui m'intéresserait, c'est de savoir quel genre de partenariats particulièrement imaginez-vous que nous puissions avoir avec la francophonie, qui sont nos partenaires les plus naturels, je pense. Vous dites: La francophonie est puissante, oui, mais elle n'est pas encore très très puissante sur l'inforoute. Qu'est-ce qu'on pourrait faire pour améliorer les choses?

Et j'ai vu que vous confiez un rôle à l'ACCT, l'Agence de coopération culturelle et technique. J'aimerais peut-être que vous me disiez un peu plus précisément comment vous voyez qu'on puisse encourager l'ACCT à produire des choses ou à financer des projets qui aillent dans le sens de ce que vous souhaitez.

M. Garand (Gilles): Alors, moi, je vais y aller, dans un premier temps, sur le sens de la vie, et François ira plus avec le développement international au niveau de l'ACCT.

Bon. De vécu, O.K.?, je me suis retrouvé, il y a deux ans, en Bretagne avec un groupe qui s'appelle Dastum, par exemple, un groupe de recherche breton, où un Québécois, M. Robert Boutillier, est le coordonnateur. Et j'ai été étonné de voir qu'avant même que l'Internet se développe, eux avaient déjà bâti un réseau de 20 ans de collectage par des groupes communautaires de la région de Bretagne, qui ont déposé toutes leurs archives à Dastum ou à Rennes, et toutes ces archives-là ont été entrées à l'université de Rennes, et par le Minitel, en France. Tu peux pitonner et faire sortir les partitions et les textes des chansons, par exemple.

(10 h 50)

Alors, quand tu vois que ça existe ailleurs, tu dis: Il serait temps que, chez nous, on s'en occupe. Mais, en même temps que ça arrive, arrive la question de l'inforoute. Donc, on s'intéresse, pour l'organisation, comme je le disais tantôt, de festivals et d'événements, à toute la question de la planète. En même temps, ce qui est intéressant, c'est la connaissance de l'autre.

Je ne sais si vous avez déjà, si vous vous êtes promenés un peu sur les sites. Dans les festivals, par exemple, vous êtes capables d'avoir le contenu d'une programmation, d'avoir des séquences de performance de musiciens et de musiciennes ou d'artisans, d'artisanes, de savoir-faire. Donc, il y a toute la connaissance de par chez soi de ce qui se passe ailleurs. Alors, je pense que, ça, c'est intéressant comme échange culturel, mais en même temps ça a l'interface que nous-mêmes on peut se faire voir et faire voir nos savoirs. Alors, je pense que toute cette connaissance-là...

Et, en même temps, il existe des réseaux. Alors, je pense que l'inforoute, ce qui est intéressant, c'est la connexion avec les réseaux existants. En France, par exemple, il existe un réseau des organismes en festivals et danses. Alors donc, on peut aller se brancher avec ces organismes-là; probablement la même chose en Afrique. Allons donc chercher les réseaux avec lesquels on peut correspondre en patrimoine vivant, en connaissances, en recherche, en diffusion. Alors donc, tous ces réseaux-là, s'ils se branchent ensemble, on va créer là une synergie très intéressante de développement, de connaissance des cultures, mais en même temps aussi de relations directes, parce qu'on peut aussi se parler par l'Internet. Donc, on évite les frais d'interurbain.

En même temps, on ne veut pas dire que c'est la finalité, mais, en même temps, il y a là un outil essentiel de développement et, en même temps, c'est un outil qui va aussi permettre au patrimoine vivant de faire en sorte de sortir peut-être de sa mémoire enracinée pour la mettre au su et au vu de tous et toutes.

M. Beaudin (François): Sur le plan international, l'ACCT pourrait jouer un rôle en créant des programmes. Par exemple, un domaine qui me vient à l'esprit et où il serait assez naturel de démarrer, c'est le domaine du conte. On connaît maintenant qu'il existe une typologie universelle, internationale du conte dans le monde entier. Les contes africains...

Mme Malavoy: Reconnue?

M. Beaudin (François): Pardon?

Mme Malavoy: Reconnue?

M. Beaudin (François): Reconnue internationalement. Et les contes africains, comme les contes québécois, font partie de cette immense famille de la typologie du conte. Il y aurait donc énormément de possibilités d'échanges, là, entre le conte français, le conte québécois et les contes des pays d'Afrique. Il y a aussi le fait que, spécifiquement dans ce domaine, ça permettrait de développer des réseaux et des moyens qui rendraient possible la continuation d'un événement très important qui a débuté à Montréal il y a peu d'années, c'est un festival international du conte. Sauf que, faute de moyens, cette année, il n'aura pas lieu.

Vous voyez comment tout ça est fragile et comment le développement de programmes par l'ACCT sur Internet pourrait ensuite développer des contacts et faciliter la tenue de festivals comme ça non seulement au Québec, mais dans les pays de la francophonie, et permettre aux gens d'échanger d'abord sur Internet et ensuite de faire connaître leur patrimoine de contes dans les divers pays de la francophonie. Et ce modèle pourrait se répéter dans bien d'autres secteurs.

M. Garand (Gilles): Autre élément. On fait, depuis quatre ans, nous, un calendrier des activités au Québec dans le patrimoine vivant et on a quand même une bonne banque de données de ce qui se fait. On a actuellement une banque de données d'environ 5 000 intervenants, intervenantes dans l'ensemble du territoire québécois. Alors, évidemment que tous ces éléments-là entrent sur le Net, on a maintenant un profil culturel assez fort de ce qui se passe au Québec. En même temps aussi, il y a le calendrier des événements, donc ça peut permettre un échange et permettre aussi aux gens d'ailleurs de dire: Bien, tiens, on va aller au Québec en août parce qu'il se passe de quoi. Donc, il y a une relation qui se bâtit là-dedans.

Mme Malavoy: Mais c'est une accessibilité grand public dont vous parlez, ce n'est pas uniquement pour des spécialistes qui pourraient être en réseau.

M. Beaudin (François): Non, non, bien sûr.

Mme Malavoy: Ce à quoi vous pensez, c'est quelque chose qui permet à des gens de s'informer, mais vraiment sans forcément être des chercheurs dans le domaine ou des producteurs.

M. Beaudin (François): Exactement.

Le Président (M. Garon): Je remercie les représentants du Conseil québécois du patrimoine vivant de leur témoignage. Comme les 45 minutes qui leur étaient dévolues sont écoulées, je vais inviter le prochain groupe, le Groupe de travail sur la normalisation des technologies de l'information dans leurs aspects linguistiques, à venir nous rejoindre à la table des témoins.

Des voix: On vous remercie de l'écoute. Merci beaucoup.

Le Président (M. Garon): Alors, vous avez 45 minutes, c'est-à-dire normalement 15 minutes pour faire votre exposé, 15 minutes pour chacun des partis, les députés de chacun des partis, pour vous poser des questions. Si vous prenez plus de temps, ils auront moins de temps; si vous en prenez moins, ils en auront plus. Alors, si vous voulez vous présenter et commencer votre exposé, et présenter les gens qui vous entourent également.


Groupe de travail sur la normalisation des technologies de l'information dans leurs aspects linguistiques (Groupe NoTIAL)

M. Cloutier (Marcel): Alors, M. le Président, madame et messieurs les parlementaires, c'est un plaisir pour le Groupe NoTIAL de vous présenter ce matin son mémoire en réponse à l'avis de consultation générale que vous avez lancé sur «Les enjeux du développement de l'inforoute québécoise».

Je crois qu'il convient d'abord de présenter le Groupe NoTIAL. La Commission permanente de coopération franco-québécoise décidait, lors de sa session de janvier 1995, la création de ce groupe de travail sur la normalisation et la francisation des réseaux de communication électronique, qui allait devenir NoTIAL, un acronyme pour: normalisation des technologies de l'information dans leurs aspects linguistiques.

Les travaux de ce Groupe s'inscrivaient dans le cadre d'un examen global par la Commission des moyens et procédures susceptibles de mener à l'offre sur les autoroutes de l'information de produits en français, rejoignant là l'une des préoccupations de votre commission à l'effet d'assurer la présence de produits francophones de haute qualité sur les inforoutes.

Le Groupe NoTIAL n'a pas la vocation d'effectuer directement des travaux de normalisation, mais...

Le Président (M. Garon): Présentez les gens qui vous...

M. Cloutier (Marcel): Oui, j'y arrive M. le Président.

Le Président (M. Garon): O.K.

M. Cloutier (Marcel): ...mais de s'appuyer sur l'expertise des groupes de normalisation existants et des experts indépendants afin d'identifier les stratégies en cours où la représentation francophone est insuffisante, les lieux d'intervention nécessaires ainsi que les complémentarités possibles avec les experts d'autres secteurs et d'autres pays. Il s'agit donc de réunir à travers ce groupe des compétences souvent dispersées et d'apporter ainsi un appui au processus de normalisation.

NoTIAL est formé de deux équipes, l'une française, l'autre québécoise, réunissant des professionnels du secteur de la normalisation, des industriels et des représentants institutionnels de la France et du Québec. Vous avez en annexe à notre mémoire la liste des membres québécois du Groupe NoTIAL. Il y en a quelques-uns avec moi ici ce matin, et je vous les présente: M. Louis Lamothe, du Secrétariat du Conseil du trésor; M. Christian Tremblay, à ma gauche, qui est du Centre de recherche informatique de Montréal, le CRIM, et M. Guy Bertrand, qui, lui, est du Centre francophone de recherche en informatisation des organisations, le CEFRIO. J'ai aussi avec moi Pierre Lamothe, du Conseil du trésor, et Raymond Gauthier, du ministère des Relations internationales, qui sont ici derrière.

D'abord, un constat: Un monde nouveau se met en place, un monde fondé sur l'exploitation de l'information et du savoir dans lequel les pays francophones pourront et devront, pour des motifs tant culturels que politiques ou économiques, se tailler une place. Contrairement à ce que l'on pense trop souvent, il ne suffira pas cependant, pour atteindre ce but, que la France et le Québec se dotent de lignes téléphoniques plus rapides, d'ordinateurs plus puissants ou d'imprimantes plus polyvalentes. Il faudra s'assurer que la machine ne parle pas seulement l'anglais mais qu'elle sache aussi le français, tout comme d'ailleurs l'espagnol, le vietnamien, le peul, le russe, et ainsi de suite.

En effet, les problèmes informatiques rencontrés par les nations désireuses de prendre le virage du virtuel sont de plus en plus de nature linguistique. Par exemple, la communauté francophone ne fait encore qu'un usage partiel et imparfait du courrier électronique en raison du fait que les systèmes de messagerie les plus utilisés actuellement sont souvent incapables de représenter d'autres caractères que ceux employés en anglais. Certes, cet état de fait se modifie assez rapidement, mais de nombreuses difficultés demeurent.

(11 heures)

Autre exemple: l'utilisation des méthodes mises au point en informatique traditionnelle ne suffit plus à résoudre les importants problèmes de gestion de l'information avec lesquels nos sociétés sont actuellement aux prises. Pour pallier ces difficultés, le recours à des logiciels de plus en plus intelligents, des logiciels capables de fouiller une base de textes et d'en retirer le seul document pertinent, de résumer un article scientifique publié dans une langue étrangère, de lire à haute voix une étude numérisée, et ainsi de suite, le recours à de tels logiciels intelligents devient chaque jour plus urgent. Pour mettre au point de tels outils, chaque communauté linguistique devra impérativement chercher à améliorer la maîtrise qu'a la machine de sa langue, il ne lui suffira pas de s'appuyer sur les travaux d'ingénierie linguistique menés ailleurs.

Utilisés en téléphonie pour aider un abonné à retrouver un numéro de téléphone, en bureautique pour permettre la dictée automatique de textes, ou en usine pour faciliter la saisie de données, les systèmes de reconnaissance vocale sont ainsi adaptés aux besoins d'un groupe linguistique en particulier. Un outil conçu pour permettre à un avocat anglophone de dicter des textes automatiquement ne pourra donc être employé par son collègue francophone, tout comme un système d'horaire des trains capable de reconnaître à la commande à quelle heure part le dernier train pour Bordeaux ne reconnaîtra l'accent d'un Québécois que s'il est entraîné à le faire.

La francophonie devra donc veiller à ce que les systèmes impliqués soutiennent l'utilisation intégrale de la langue française, tout comme elle devra s'assurer que les normes et les standards encadrant l'usage du français en informatique lui permettent de tirer profit de l'évolution future des technologies. La France et le Québec auront tout intérêt, pour mener ces opérations à bien, à s'allier avec les autres communautés partageant des préoccupations analogues aux leurs.

En effet, seule la multilinguisation des technologies de l'information et des inforoutes pourra constituer un frein efficace aux pressions jouant actuellement en faveur de l'uniformisation culturelle et linguistique et permettra la circulation mondiale des contenus non anglophones. L'intégration de la machine aux tissus social, économique et culturel francophones ne sera possible, efficace et harmonieuse qu'à la condition que celle-ci sache le français. Le renforcement de la présence de la France, du Québec, des autres pays francophones et des pays non anglophones auprès des organismes de normalisation et de standardisation constituera une façon privilégiée d'assurer que ce soit le cas.

Maintenant, quelle stratégie internationale privilégier? L'intervention de la France, du Québec et de leurs partenaires auprès des instances de normalisation et de standardisation aura deux objectifs généraux. L'action franco-québécoise devra premièrement viser le renforcement du statut du français au sein des instances de normalisation et de standardisation. Il conviendra donc d'en faire une langue utilisée tant lors des séances de travail des organismes internationaux qu'à tous les stades de la rédaction des textes.

À cet égard, force est de rappeler, encore une fois, que le français est de moins en moins employé comme langue officielle au sein des instances, tandis que l'anglais tend à s'imposer comme seule langue de fonctionnement dans de larges pans de l'activité normative. Il est certain que la présence nombreuse et soutenue d'experts francophones dans les différentes instances aiderait à renforcer le statut du français. Il conviendrait d'encourager les rédacteurs francophones à utiliser le français comme langue de travail et à produire des versions françaises de projets de normes ou, tout au moins, des versions bilingues.

Les efforts de la France et du Québec viseront, deuxièmement, l'élaboration des normes qui permettront à l'ordinateur de véhiculer et de traiter le français de façon efficace. Seuls la présence soutenue d'experts francophones au sein des instances de normalisation et de standardisation de même qu'un travail constant de sensibilisation auprès des utilisateurs et des prescripteurs garantiront l'atteinte de cet objectif crucial pour la construction d'une véritable société de l'information et d'inforoute francophone achalandée. La promotion d'une approche favorisant le multilinguisme en informatique devrait permettre l'établissement d'un partenariat réel tant dans les autres pays francophones qu'avec les pays faisant un usage intensif d'une langue autre que l'anglais dans les technologies de l'information.

Maintenant, les recommandations que nous vous présentons, recommandations à l'intention des pouvoirs publics, et là je vous réfère à notre document, au point IV, à la page 9 de notre rapport. Les produits de langue française souffrent encore trop souvent de leur apparition tardive sur le marché et de leur coût plus élevé que leurs contreparties en anglais. Certaines entreprises québécoises sont en train de bâtir leur réputation en offrant des produits à portée multilingue supportant entièrement le français. Les pouvoirs publics devraient donc encourager et protéger les initiatives de ce type pour qu'elles se multiplient davantage.

Ils doivent également s'attaquer à la tâche ingrate mais nécessaire d'harmoniser les choix de logiciels au sein de l'administration. Il est, par exemple, désolant que les noms de citoyens d'un pays soient affligés d'une orthographe changeant au gré des fichiers des ministères simplement parce que tous ne traitent pas les signes diacritiques – les accents, notamment – de la même façon. Une telle situation peut parfois donner lieu à des conflits juridiques.

Les pouvoirs publics devraient également utiliser tous les moyens à leur disposition pour susciter l'apparition de logiciels multilingues ou bilingues et réduire la taille du fossé qui sépare les coûts de ces derniers et le coût des applications fonctionnant uniquement en anglais. Tout comme le recours à des subventions, l'inclusion de clauses linguistiques explicites dans les appels d'offres gouvernementaux comptera parmi les stratégies à envisager. Les pouvoirs publics devraient aussi prendre en charge certaines activités indispensables d'intérêt commun souvent délaissées par les entreprises privées en raison des coûts élevés ou d'une rentabilité trop à long terme, telles la veille technologique, la constitution de ressources linguistiques et la diffusion des normes et des standards. Ils ont également le devoir de prêcher d'exemple et de n'utiliser que des logiciels soutenant parfaitement l'usage du français, ce qui n'est pas toujours le cas, vous le savez.

Il appartient aux pouvoirs publics de poser les balises réglementaires ou législatives qui permettront de garantir les droits linguistiques fondamentaux des populations francophones. Ils devront ainsi veiller à la rédaction, par les ministères et organismes gouvernementaux, d'appels d'offres tenant compte des normes favorisant l'usage intégral du français dans les technologies de l'information.

Dans le cadre de leur coopération internationale, les pouvoirs publics devraient mettre en oeuvre des actions communes pour favoriser l'élaboration de normes respectant les caractéristiques de toutes les langues, en particulier du français, et le développement et la mise en marché de produits multilingues supportant entre autres l'usage du français. Il pourra s'agir d'intervenir auprès des fabricants plus soucieux de leurs intérêts commerciaux, au moment de prendre la décision de mettre au point ou de lancer un produit francophone, que des attentes des membres de l'une des communautés linguistiques les plus importantes au monde.

Cette concertation entre pays francophones devrait se doubler d'alliances linguistiques avec des organismes internationaux, tant en ce qui concerne l'action au sein des instances de normalisation que les initiatives de promotion, de sensibilisation et de veille sur les normes et les standards en cours de développement.

En conclusion, le groupe NoTIAL partage l'analyse contenue dans le mandat d'initiative défini dans le document de consultation de votre commission. La problématique linguistique sur les inforoutes s'impose non seulement à l'ensemble des pays francophones, mais également à tous ceux qui souhaitent que leur langue et leur culture soient représentées dans leur intégrité sur le réseau électronique. C'est en faisant la promotion de la diversité linguistique que les pays francophones doivent poursuivre leur action, assortie d'alliances avec les autres groupes linguistiques. Voilà, M. le Président, les éléments que nous voulions porter à votre attention.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Sherbrooke.

Mme Malavoy: Bonjour, messieurs, et merci de votre présentation qui a l'avantage d'être très pratique. Je pense qu'on a besoin d'avoir des recommandations qui nous aident à formuler, nous aussi, des recommandations, pas simplement d'un point de vue théorique, mais d'un point de vue très pratique qui puisse se traduire en gestes concrets. J'aimerais revenir sur quelques-unes de ces recommandations parce que, dans un petit texte concentré, on n'en a pas peut-être tous les détails. Entre autres choses, j'aimerais revenir sur la question des clauses linguistiques dont vous parlez. Vous dites: «On pourrait avoir...» Je crois que c'est à la page 10, en haut de la page 10, vous parlez de l'inclusion de clauses linguistiques dans les appels d'offres gouvernementaux. J'aimerais que vous me disiez précisément quelle forme ça prendrait.

Puis je vais vous en poser une autre tout de suite. Vous faites référence à l'importance de la veille technologique, toujours dans cette même page, et vous dites qu'il faudrait que l'État se préoccupe de cette question-là. J'aimerais que vous me fassiez le lien entre la veille technologique et le sujet dont on parle. Ça nous aiderait à faire quoi, la veille technologique, sur le plan linguistique par rapport à l'inforoute? Je vais commencer par ça.

(11 h 10)

M. Cloutier (Marcel): Oui. D'abord, les clauses linguistiques, ce que nous voudrions, c'est changer la situation qui existe actuellement. Vous le savez, le gouvernement a fait une loi sur la langue. Il y a une volonté explicite du gouvernement dans cette loi. Nous disons tous que les autoroutes de l'information doivent parler français et qu'il faut donc produire le plus possible de contenus en français. Mais nous savons, comme notre présence ici ce matin vous le rappelle, qu'il existe des normes qui deviennent des obstacles à la présence de la langue française sur l'autoroute de l'information. Et nous disons: Il faut changer ces choses, il faut que ces normes deviennent sinon favorables à la langue française ou à la présence de plusieurs langues, toutes les langues du monde, sur les autoroutes de l'information, au moins, évitons que ces normes ne soient des obstacles.

Une fois qu'on a dit tout ça, on regarde autour de soi et... Si vous regardez le clavier de l'ordinateur de votre secrétaire ou de votre ordinateur, vous allez peut-être découvrir que les touches sont en anglais: «enter», «shift», «delete», etc. Et ces ordinateurs ont été achetés par l'administration publique. Alors, ce que nous disons, nous, c'est qu'il faudrait que, dans les appels d'offres du gouvernement, il y ait des clauses linguistiques, c'est-à-dire des clauses à l'effet d'encourager, quand il existe un produit notamment en français sur le marché, sinon d'obliger l'administration publique, à qualité égale, bien sûr, à se procurer ce produit.

Mme Malavoy: À qualité égale, mais est-ce que vous iriez jusqu'à dire: Même s'il y a un coût peut-être un peu supérieur, comme ça arrive parfois quand on veut avoir un produit en français?

M. Cloutier (Marcel): Ça, évidemment, c'est une question d'opportunité pour l'administration publique. Ça dépend jusqu'à quel point on y tient. Bien sûr, si l'écart est très grand, j'imagine que les administrateurs publics, déchirés, d'une part, entre leur volonté d'assurer la présence du français dans les technologies et, d'autre part, leur budget, pourraient peut-être faire des compromis. Mais ce que nous disons, nous, c'est: Faisons un effort pour éviter que cette situation ne se produise trop souvent. Pour ce qui est de la veille, peut-être, je demanderais à mon collègue, Louis Lamothe, et aussi peut-être à...

M. Bertrand (Guy): Bien, je vais vous citer...

M. Cloutier (Marcel): ...Guy Bertrand, oui.

M. Bertrand (Guy): ...brièvement quelques exemples. Il y a des développements importants qui se font actuellement et qui vont influencer beaucoup la façon dont nous allons nous servir des inforoutes dans quelques années. Pour le moment, on ne se sert pas de ces choses-là, mais on sait qu'elles vont nous arriver bientôt. Si nous ne les connaissons pas au moment où elles sont en développement, nous ne pouvons pas – comment je dirais – les influencer de façon à ce qu'elles respectent nos objectifs à nous.

Déjà, on voit, par exemple, sur Internet, se développer beaucoup les techniques de recherche intelligente de l'information. On clique de moins en moins et on utilise de plus en plus ce qu'on appelle des moteurs de recherche. C'est certain que les techniques utilisées par ces moteurs de recherche vont avoir beaucoup d'influence sur comment vont être traitées des langues différentes. Par exemple, des moteurs de recherche connus actuellement, développés au Canada traitent très mal les autres langues que l'anglais, alors que des moteurs de recherche, par accident, développés aux États-Unis traitent très bien d'autres langues que l'anglais.

Si nous, nous connaissons d'avance ces situations-là, nous pouvons faire de meilleurs choix pour nous, comme société collective. Et évidemment dans l'optique de ce que nous vous disons dans notre mémoire, si nous échangeons beaucoup là-dessus avec les autres communautés linguistiques qui ont des problématiques similaires à la nôtre, nous pouvons avoir des mouvements de masse assez importants, qui influencent le devenir des choses.

Mme Malavoy: Est-ce que j'ai encore du temps ou...

Le Président (M. Garon): Avez-vous fini?

Mme Malavoy: Je peux revenir tout à l'heure.

Le Président (M. Garon): O.K. M. le député d'Outremont.

M. Laporte: M. le Président, vous permettez? Pour revenir un peu à la question que je posais tantôt à l'autre groupe, j'aimerais qu'on essaie de préciser – parce que, ça, c'est un thème qui revient continuellement à cette commission – un peu mieux le partage des tâches entre l'État et l'entreprise en matière, disons, non seulement de développement, mais d'implantation sociale de cette technologie. Vous dites «la veille technologique», mais il reste qu'il y a des entreprises qui en font beaucoup, de veille technologique. Vous parlez de «production de ressources terminologiques et linguistiques», oui, bien, disons, l'Office de la langue française est un bon exemple là-dessus. C'est vrai que, s'il y avait des banques de données étatiques auxquelles les entreprises pourraient se... Mais ça fait des années qu'on parle de ça, puis ce n'est pas une idée particulièrement originale. La normalisation et, en particulier, la coopération internationale à des fins de normalisation... Mais comment se fait le partage? Je pense, par exemple, aux rôles que peuvent jouer dans ce domaine-là des entreprises montréalaises comme Alis technologies ou Public Technologies. Donc, il y a un partage des rôles à faire. On a de moins en moins de ressources financières pour confier de plus en plus de responsabilités et de tâches à l'État. Sur cette question-là, le mémoire ne me paraît pas suffisamment explicite, et, nous, on a besoin de le savoir, parce que c'est une question qui est complexe et c'est un enjeu qui revient continuellement dans nos échanges. Donc, pourriez-vous essayer de préciser un peu mieux comment ce partage des tâches devrait se faire, à votre avis?

M. Cloutier (Marcel): D'abord, nous nous situons dans un univers de normes et de standards. Vous savez, notre Groupe est axé sur cette préoccupation des normes et des standards. Alors, ce ne sont pas les gouvernements qui font les normes, ce ne sont pas les gouvernements qui font les standards, vous le savez. Les normes sont préparées dans des instances internationales, notamment l'ISO, où des gouvernements, bien sûr, sont présents, mais ils sont présents en très grand nombre, et où les gouvernements peuvent donc influencer l'élaboration de normes. Mais il faut dire que l'entreprise est aussi présente à l'élaboration de ces normes.

Par ailleurs, les standards... Parce qu'on distingue les normes de jure, c'est-à-dire les normes promulguées par des instances internationales, et les standards, c'est-à-dire les normes de facto. Les standards, eux, sont le fait de la grande entreprise. Quand Microsoft ou IBM produit un instrument quelconque avec telle configuration, il crée finalement une obligation pour les utilisateurs, évidemment, de se plier aux spécifications qu'il a décidé de mettre dans l'outil qu'il met en vente sur le marché. Et, si cet outil a beaucoup de succès, à cause de la puissance de l'entreprise qui l'a produit, eh bien, cet outil va se répandre et les spécifications qu'il contient vont obliger les gens à s'impliquer; ça devient un standard.

Et, là-dessus, évidemment, les gouvernements – et c'est là qu'arrivent nos recommandations – ne sont donc pas ceux qui établissent ces standards-là, mais ils peuvent les influencer par leur pouvoir d'achat. Et si les gouvernements se tournent vers la grande entreprise et lui disent: Nous voulons utiliser tel type d'outil avec telle configuration et avec telles spécifications – notamment des outils qui respectent la langue française – et nous représentons un pouvoir d'achat x... Si, par exemple, tous les gouvernements francophones et même les gouvernements des autres pays – je pense aux langues romanes, je pense aux hispanophones, par exemple, ici, en Amérique du Nord, les Mexicains et tous les gens de l'Amérique du Sud – se tournent vers les entreprises, ils peuvent influencer les standards. Louis, peut-être, tu pourrais ajouter des...

(11 h 20)

M. Lamothe (Louis): Oui, il y aurait peut-être une autre considération. Tous les comités de normalisation internationaux sont, je dirais, constitués fortement de représentants d'entreprises. Les représentants d'entreprises qui sont sur les comités y vont pour des motifs économiques, pour la plupart. Ils défendent leur part de marché ou leurs propres intérêts. Chacun défend ses propres intérêts économiques. Le rôle de l'État sur les comités de normalisation, dans le cas qui nous concerne, l'intérêt de l'État serait principalement culturel. Il n'y a pas beaucoup d'entreprises qui se présentent sur les comités de normalisation pour défendre des intérêts culturels. Et si, dans certains comités... Et pour ce faire, je crois qu'il faut choisir de façon très sélective les tables auxquelles il faut être présent. On ne prétend pas qu'il faut être sur tous les comités de normalisation, mais sur les comités qui ont un impact sur le traitement de la langue et qui peuvent avoir des impacts culturels importants dans le développement des inforoutes. Je crois que les États qui ont des intérêts culturels doivent s'en préoccuper. Et ce n'est pas seulement le cas du Québec. On a de très forts alliés. Des pays de l'Europe du nord, par exemple, la Finlande, la Norvège, le Danemark, s'intéressent à ces choses-là tout autant que nous. Et je crois que ça pourrait aider la commission à départager le rôle de l'État et le rôle des entreprises sur ces questions de normalisation là.

M. Laporte: Mais, quand vous parlez des intérêts culturels, vous parlez d'autres choses que, disons, le rôle de devoir défendre des formes linguistiques ou des particularités linguistiques. Vous parlez de quoi?

M. Lamothe (Louis): C'est la possibilité de travailler dans notre langue, de pouvoir utiliser tous ces outils-là de façon productive dans notre travail de tous les jours. L'ordinateur est maintenant rendu sur la table de tout travailleur de bureau, ou à peu près, et dans une grande proportion des foyers. Ça devient un outil de travail. Et si on n'est pas capable, avec cet outil-là, de travailler de façon aussi efficace que c'est possible de le faire en anglais... Ça devient un outil non seulement de protection de la culture, mais de productivité également pour... Et si c'est plus productif de travailler en anglais ou dans une autre langue, à ce moment-là, les travailleurs vont choisir la langue dans laquelle c'est le plus productif de travailler.

Le Président (M. Garon): Voulez-vous revenir? Mme la députée de Sherbrooke.

Mme Malavoy: Vous parlez, vers la fin de votre texte, d'une concertation entre pays francophones qui devrait se doubler d'alliances linguistiques avec des organismes internationaux. J'aimerais que vous me disiez plus précisément lesquels. Enfin, vous en mentionnez un, l'Union latine. Mais je trouve que c'est fort important effectivement qu'il y ait des organismes internationaux qui prennent le relais de ces préoccupations-là. J'aimerais vous entendre les préciser.

M. Cloutier (Marcel): Oui. Nous avons, comme vous l'avez souligné, pensé à l'Union latine. Il y a d'autres fédérations, d'autres organisations, et nous pensons notamment à des organismes sud-américains parce que la proximité géographique joue dans ce cas-là. Donc, nous n'avons pas de noms précis, mais c'est le mandat de notre Groupe. Maintenant que nous nous sommes penchés sur toutes ces questions et que nous allons d'ailleurs présenter à la Commission permanente de coopération franco-québécoise notre rapport final en décembre, c'est le mandat de notre Groupe de rechercher les instances internationales qui permettraient de devenir des multiplicateurs et qui nous permettraient de rejoindre les intérêts de différents groupes linguistiques. On pense aux hispanophones, mais on pourrait penser aux Italiens aussi et aux Portugais, avec le Brésil et le Portugal. Et ce que nous voulons, c'est pouvoir établir une concertation entre les gouvernements de ces différents pays, de façon, comme je le disais tantôt, à pouvoir nous présenter devant la grande entreprise forts, si vous voulez, d'un pouvoir d'achat qui parle à la grande entreprise.

Mme Malavoy: J'aurais une question d'un autre ordre. Vous permettez, M. le Président?

Le Président (M. Garon): Oui.

Mme Malavoy: J'aurais envie de vous demander tout simplement si, après presque deux ans d'existence, je crois...

M. Cloutier (Marcel): Oui.

Mme Malavoy: ...de votre Groupe, vous êtes optimistes. Est-ce que vous pensez qu'on est vraiment capable d'avoir des alliances stratégiques multilingues pour que, sur les autoroutes de l'information, circulent vraiment d'autres langues que la langue anglaise, qui est pour le moment, on le sait, très dominante? Mais est-ce que vous êtes optimistes dans votre démarche? Est-ce que vous croyez qu'on va vraiment arriver à trouver des moyens assez concrets et se répercutant à suffisamment d'exemplaires pour qu'il y ait vraiment un rééquilibre?

M. Cloutier (Marcel): Tout d'abord, je dirais que... Commençons par ce qu'il y a de plus évident. Nos partenariats avec la France sont prometteurs. Je pense que le premier partenaire auquel on pense, quand on pense à la concertation internationale des francophones, évidemment, c'est la France. Et nous y travaillons depuis plusieurs années, depuis deux ans, trois ans. Il y a donc des partenariats qui sont nés entre des entreprises québécoises et des entreprises françaises, qui ont contribué et qui vont contribuer encore à meubler davantage l'autoroute de l'information de contenus francophones.

Pour ce qui est d'un élargissement de cette concertation, notamment à la Belgique, peut-être à la Suisse aussi et aux autres pays francophones, nous comptons beaucoup sur un événement qui aura lieu ici, au Québec, l'an prochain, en mai prochain, c'est la Rencontre des ministres francophones responsables des autoroutes de l'information. Il y a tout un travail préparatoire qui est en train de se faire pour préparer cette rencontre-là au niveau tant des enjeux politiques que des contenus scientifiques. Et probablement que, tous les ministres étant présents, il naîtra de cette rencontre-là un plan d'action de la francophonie pour promouvoir le français sur les autoroutes de l'information. Ça, ça me paraît... Sans être béatement optimiste, je crois que c'est une chose qui va se faire et qui va réussir.

Le troisième volet, le troisième cercle plus vaste des autres pays, soit de langues hispanophones, la langue espagnole ou d'autres langues, là, ça devient beaucoup plus difficile, mais je pense que c'est possible. Une fois qu'on pourra démontrer que tous les pays francophones ensemble ont une action commune, il sera beaucoup plus facile de se tourner vers d'autres partenaires et d'être crédible envers eux.

M. Bertrand (Guy): Est-ce que je peux ajouter quelque chose?

M. Cloutier (Marcel): Oui.

M. Bertrand (Guy): C'est certain que les inforoutes vont être multilingues. La presque totalité des personnes dans le monde ne parle qu'une seule langue, et ce n'est pas l'anglais. Donc, les inforoutes vont s'adapter à la réalité démographique du monde, à savoir le caractère unilingue de la plupart des gens dans le monde.

Cette réalité-là, c'est une opportunité. Est-ce que ce sont les entrepreneurs du Québec qui vont être les premiers à en profiter? Est-ce que ce sont les entrepreneurs de l'Europe qui vont être les premiers à en profiter? Est-ce que ce sont les entrepreneurs américains qui vont être les premiers à en profiter? Je pense que c'est ça, le véritable enjeu.

Je pense qu'une des choses qui doit nous préoccuper maintenant, c'est que les entrepreneurs du Québec et les entrepreneurs de la francophonie aillent chercher la plus grande partie de ce très grand marché qui va exister de toute façon, quoi qu'on fasse.

M. Laporte: Mais, M. le Président...

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont.

M. Laporte: C'est précisément ça que je voudrais qu'on précise. C'est-à-dire que c'est très clair, je suis parfaitement d'accord avec vous, que la pénétration sociale de cette technologie va faire que des intérêts culturels vont être pris en charge par le marché. Vous ne viendrez pas me faire accroire que l'autoroute de l'information va circuler en anglais en Chine, au niveau, disons, des masses chinoises. Les masses sont unilingues dans quelque pays que ce soit.

Donc, compte tenu de ce cadre-là, de cet environnement du marché, de ce marché-là qui opère des pressions allant dans le sens de la diversité culturelle – c'est très large – de la diversité linguistique, du respect des langues et des cultures, la spécificité du rôle de l'État, ça devient quoi là-dedans?

Je comprends qu'on puisse l'utiliser, l'État, utiliser le pouvoir d'achat de l'État justement pour appuyer le mécanisme du marché. Mais je trouve que, dans la stratégie que vous proposez, l'État occupe une grande place par rapport à la place que pourrait occuper l'entreprise comme agent, je ne parle pas de production, de développement, mais agent de diffusion et d'adaptation de ces technologies aux goûts culturels et linguistiques des populations.

M. Cloutier (Marcel): Avant de passer la parole, je vous dirais que, pour nous, c'est une évidence. Nous nous sommes adressés à des parlementaires. Nous nous adressons ici au gouvernement. Nous avons fait des recommandations au pouvoir public. Mais, pour nous, c'est une évidence, ce n'est pas l'État qui fait l'autoroute de l'information. Ce n'est pas l'État, de toute façon, qui établit les infrastructures. Ce n'est pas l'État qui va produire des contenus en français dans les différents secteurs d'activité, qu'il s'agisse du tourisme, des loisirs, de la culture, de la science, etc. Ce n'est pas l'État qui va produire ces contenus-là, c'est les entreprises, c'est les organismes, les universités, dans le cas de la recherche, etc. Mais ce n'est donc pas l'État. L'État ne doit être là que pour garantir que tout ça peut se faire et enlever les barrières. Mais, pour le reste, c'est évidemment l'entreprise et le public en général.

(11 h 30)

M. Tremblay (Christian): Comme le soulignait mon collègue, M. Bertrand, ce qu'on constate, c'est qu'il y a une continuité entre les activités de normalisation, de «standardification» et puis les protocoles de communication qui servent à véhiculer l'information sur l'autoroute de l'information. Moi, ce que je trouve alarmant, c'est qu'en tant que technicien – puis là je pense aussi à d'autres secteurs d'activité – on s'habitue à ne pas avoir nos accents dans notre langue, on s'habitue à travailler avec des applications et des logiciels qui ne sont pas dans notre langue, et on finit par s'habituer à voir du contenu dans une autre langue. Ce qui est dramatique, c'est justement qu'il faut penser aux enfants de demain qui vont avoir à travailler avec ces outils-là et qui n'auront peut-être pas toutes les habiletés pour pouvoir, justement, y travailler si ça se fait dans une autre langue que la leur. J'ai juste à penser à mon garçon de sept ans que j'ai voulu initier à Internet, et il m'a dit: Papa, c'est tout en anglais. Je veux dire, je pense que ça résume bien la situation. Et là, si le ministère se prépare à donner des ordinateurs, il faut qu'il y ait du contenu. Et tout ça, c'est une chaîne, une continuité.

Quand on parle de l'entreprise privée, c'est vrai, l'entreprise privée a son rôle à jouer, et puis il faut les inciter, justement, à développer des applications, inciter des gens à développer du contenu en français pour que demain nos jeunes puissent vraiment être efficaces sur le marché du travail de demain. Ça ne sera pas dans les industries du secteur secondaire qu'on va trouver les emplois, ça va être dans les technologies de l'information.

Le Président (M. Garon): Je remercie les représentants du Groupe de travail sur la normalisation des technologies de l'information dans leurs aspects linguistiques de leur contribution aux travaux de cette commission, et j'invite maintenant les représentants de la Société de développement des entreprises culturelles, SODEC, à s'approcher de la table des témoins.

Comme vous disposez d'une heure, vous avez 20 minutes pour votre exposé et la même chose pour chacun des partis. Ce que vous prendrez en plus leur sera soustrait; ce que vous prendrez en moins, ils pourront l'utiliser pour discuter davantage avec vous. Alors, M. Lampron, si je comprends bien, si vous voulez vous présenter et faire votre exposé.


Société de développement des entreprises culturelles (SODEC)

M. Lampron (Pierre): Alors, mon nom, donc, est Pierre Lampron. Je suis président de la Société de développement des entreprises culturelles. Comme vous le savez, puisque ça a été la volonté unanime des parlementaires, la Société de développement des entreprises culturelles est un guichet unique d'intervention pour le gouvernement du Québec dans son intervention de soutien à l'ensemble des entreprises culturelles. C'est ainsi donc que nous avons, dans la clientèle desservie par la Société de développement des entreprises culturelles, bien, l'ensemble des entreprises productrices de contenu du disque, de l'édition, de l'édition spécialisée, de l'audiovisuel, du cinéma, des métiers d'art et, bien évidemment, puisqu'il s'agit pour nous, si vous voulez, d'une autre forme d'expression et de produit culturel, le multimédia qui s'intègre de façon toute naturelle au mandat de la Société de développement des entreprises culturelles.

Parce que ça a également été votre volonté, je vous rappelle que la Société dispose, dans ses moyens d'intervention, de l'ensemble des moyens d'intervention normalement, je dirais, conçus par un gouvernement pour soutenir le développement des entreprises. C'est ainsi que la Société dispose à la fois d'une capacité d'intervention de type bancaire par des prêts, des garanties de prêts, des interventions de cette nature, et que nous avons d'ailleurs utilisées dans le domaine du multimédia pour une valeur de l'ordre de 5 000 000 $ au cours de la dernière année. Et nous avons également des modes d'intervention qui sont des modes d'intervention de type avance remboursable, subvention, etc. Et puis nous allons bientôt investir dans une société de capital de risque avec le Fonds FTQ, entre autres, et les différentes associations de créateurs pour pouvoir intervenir également en termes de capital de risque. C'est donc la SODEC rapidement présentée.

Notre contribution à votre commission parlementaire et à la discussion qui, je l'espère, va nous permettre, si vous voulez, d'échanger sur nos préoccupations, elle est essentiellement pour vous indiquer qu'il faut absolument prendre en compte un aspect qui n'est malheureusement pas suffisamment traité dans l'ensemble des discussions pour le développement des autoroutes de l'information et qui a trait à la nature des contenus qui sont véhiculés par les autoroutes de l'information.

Je voudrais intervenir de façon beaucoup plus spécifique pour vous indiquer que notre évaluation du futur dans le domaine des autoroutes de l'information tient compte que les ordinateurs qui sont à la base, si vous voulez, de ce développement et les autoroutes qui sont mises en place seront utilisés pour deux fins particulières. Ils seront utilisés pour des fins de nature utilitaire, c'est-à-dire qu'on devra retrouver sur ces autoroutes, comme le groupe prédécesseur l'a invoqué tantôt, nous devrons retrouver sur ces autoroutes une panoplie de services. Les citoyens voudront effectivement utiliser leur ordinateur ou le moyen, si vous voulez, leur terminal, pour employer l'expression mieux consacrée, donc, le terminal à des fins utilitaires parce qu'ils voudront obtenir un service, parce qu'ils voudront effectuer des opérations de nature bancaire, parce qu'ils voudront interroger le système pour savoir ce qu'un ministère ou un gouvernement a à offrir, parce qu'ils voudront réserver une pièce de théâtre, parce qu'ils voudront avoir une information plus utilitaire concernant le voyage qu'ils planifieront, etc.

Je crois que cet aspect des contenus va vous être développé, je dirais, par la très, très grande majorité des groupes qui se sont inscrits à la commission parlementaire, en négligeant peut-être l'autre aspect de ces contenus. C'est que ce terminal, au-delà des services, va avoir le développement que l'on annonce dans la mesure où le terminal va être utilisé à des fins de divertissement, des fins ludoéducatives, à des fins, si vous voulez, ludiques dans la mesure où la famille va retrouver dans ce terminal les moyens de, je dirais, combler son besoin global en divertissement. En gros, notre hypothèse de départ, c'est que l'ordinateur va se développer comme mass média, en quelque sorte, dans la mesure où il va emprunter exactement le chemin qu'ont emprunté préalablement la radio ou la télévision ou la presse écrite ou l'édition, dans la mesure où il va pouvoir offrir aux gens qui vont l'utiliser, donc, un ensemble de contenus diversifiés qui vont permettre à la famille, au père et à la mère, à l'étudiant qui étudie peut-être à l'université, mais également aux enfants, à l'ensemble, donc, des membres de la famille d'utiliser ce moyen pour se divertir.

Notre plaidoyer dans ce mémoire, c'est un plaidoyer pour simplement rappeler que, si l'objectif est d'occuper en français l'autoroute de l'information, il faudra tenir compte que cette autoroute de l'information devrait être occupée également par les produits qui sont issus de notre patrimoine culturel, qui ont été développés par nos créateurs dans les domaines du disque, dans les domaines du livre, dans les domaines du spectacle, dans les domaines de l'audiovisuel, du cinéma, utiliser ce patrimoine culturel, l'améliorer, le recréer, en quelque sorte, pour prendre place sur l'autoroute. Parce que notre hypothèse, c'est qu'il y aura sur ces fameuses autoroutes, donc, un ensemble de services, un ensemble de produits, mais la masse critique d'utilisation va porter au moins tout autant sinon davantage sur ces produits que sur ce que j'appelle les services. C'est notre plaidoyer. Notre plaidoyer, donc, pour vous indiquer qu'un gouvernement qui établit des priorités et dont l'objectif est que le Québec puisse exprimer par les autoroutes de l'information sa spécificité culturelle puisse effectivement y mettre les efforts nécessaires, donc, en termes de développement, et de soutien, et de priorités, à ce type de contenu.

(11 h 40)

Dans les développements qui s'annoncent, les entreprises culturelles qui seront appelées à fournir ce type de contenu vont se buter, dans ce domaine comme dans tous les autres domaines de la production de produits culturels – et là je parle d'entreprises – vont se retrouver, donc, dans une situation qui va peut-être même être accrue en termes de désavantage dans le fait que les produits s'adressent à un marché intérieur extrêmement limité qui reste à développer et qui, même une fois développé, va être un marché qui va être beaucoup accaparé par la production étrangère, qui va être hautement compétitif du fait même de la nature des autoroutes de l'information, bref, qui va placer les entreprises culturelles dans cette équation toujours difficile à faire entre l'importance des investissements à réaliser pour faire un produit de qualité et le rendre compétitif par rapport à tous les autres produits qui vont circuler sur l'autoroute, donc dans un marché restreint, doublé d'une autre difficulté: que ce marché est encore plus restreint au niveau du marché intérieur, mais surtout du marché international du fait que ces produits sont issus d'un patrimoine culturel qui ne s'est pas exporté et qui n'est pas connu dans l'ensemble du monde, si vous voulez, comme étant un produit d'appel et qui, par le fait d'être produit en français, donc, limite les capacités d'exploitation.

Ces conditions-là qui sont celles que nous connaissons en 1996 et qui affectent la production dans tous les domaines de production naturelle sont des conditions qui vont se répercuter dans les deux, trois, quatre, cinq prochaines années. Et c'est la raison pour laquelle un gouvernement comme celui du Québec ne peut pas faire l'impasse, à mon avis, sur le maintien et le développement de moyens d'intervention, d'accompagnement, ces moyens qui ont été utilisés dans les entreprises traditionnelles. D'ailleurs, les pistes, si vous voulez, d'intervention sont trouvées, et on en dénombre trois. Je voudrais simplement rappeler à la commission qu'il faut réaccorder ces priorités pour la production de titres multimédias.

Ces trois moyens d'intervention, je les ai évoqués tantôt. Le premier, c'est le moyen d'intervention de type bancaire, de type financier, qui vise essentiellement le développement d'une production industrielle de ces contenus, qui s'adresse aux entreprises et qui offre aux entreprises capital de risque, moyens financiers d'intervention complémentaires pour combler la différence entre, encore une fois, un coût de production et le retour potentiel du marché, donc une intervention strictement de type bancaire, ce que nous réalisons, et pour laquelle il faudrait accorder des moyens supplémentaires puisque le risque y est encore plus important. Une formule qui a été un succès, je dirais, que toutes les provinces du Canada ont imitée et que le gouvernement canadien a imitée lui-même, qui est la formule du crédit d'impôt remboursable, qui a été expérimentée dans le domaine du cinéma et de la télévision, donc qui a permis une croissance assez importante, en particulier dans le domaine du l'audiovisuel, le crédit d'impôt qui, donc, peut être appliqué au domaine du multimédia. Et enfin, un programme d'intervention, de compensation, que j'appelle, qui est de l'aide remboursable et qui fonctionne comme il y en a dans les domaines du livre, du disque et donc dans ces autres secteurs. Ce moyen, actuellement, il est limité à 1 000 000 $, il a été puisé à même les fonds accordés pour le développement du Fonds de l'autoroute. Je voudrais signaler à votre attention qu'il reste qu'il s'agit d'une capacité de démarrage, de soutien, mais, si les objectifs qui sont évoqués sont d'occuper l'autoroute de l'information par ce type de produits, évidemment, la pression, si vous voulez, je dirais, d'accompagnement qui est faite sur les fonds publics va rester extrêmement importante.

C'était, si vous voulez, le plaidoyer de base, ce pourquoi la SODEC souhaitait être entendue ici et ce pourquoi, d'ailleurs, nous remercions la commission d'avoir accepté, si vous voulez, notre demande d'être entendus. Nous sommes intervenus dans notre mémoire sur d'autres aspects, qui sont en particulier les droits d'auteur, très rapidement, pour vous dire qu'il est assez peu habituel, pour une société de développement d'entreprises, de plaider pour qu'il y ait une juste rétribution des droits d'auteur, puisque les auteurs sont les employés de nos entreprises, et la tendance lourde est plutôt de dire de limiter les coûts de production et donc de limiter cet aspect. Notre avis, à la SODEC, c'est qu'il faut, pour développer ce secteur, avoir une attitude offensive qui permette une juste rétribution des auteurs pour les attirer effectivement dans ce secteur, pour faire d'eux les vrais agents de développement de cette autoroute de l'information.

Quant à la langue, nous sommes intervenus pour dire qu'effectivement, dans ce créneau que je viens de vous évoquer, produire en français constitue, en termes de marché, on s'entend, là, en termes d'impact, en termes de rentabilité de produits, constitue un handicap. Il y a un choix de vivre en français, le choix de vivre en français en Amérique du Nord. Dans le monde entier, compétitionner avec les produits faits en anglais impose effectivement d'avoir une politique de compensation pour ce handicap, et c'est, je dirais, la ligne de forces des programmes qui doivent être mis en place et qui doivent être conçus.

Enfin, nous sommes intervenus sur la partie, si vous voulez, de ce que vous avez évoqué concernant l'international, pour vous dire qu'effectivement il n'y a pas de salut, si vous voulez, autre que dans la tentative de percer les marchés internationaux avec les produits que nous faisons. Nous l'avons réussi dans tous les domaines des entreprises culturelles, pour un pourcentage qui est toujours faible mais qui est important dans l'ordre de l'économie de système, dans tous les domaines des entreprises culturelles. Vous avez tous en tête des gens qui ont réussi dans le livre, dans le disque, dans l'audiovisuel. Vous avez probablement vu déjà quelques émissions de Marguerite Volant ; vous allez probablement en voir une autre après-demain soir. On a toute une série d'exemples pour dire que le financement de ce type de produit trouve son complément dans l'exploitation à l'international. Et, ça, ça se fait en essayant de peser sur les règles des différents gouvernements, en développant des ententes de codiffusion, de codistribution, en mettant ensemble les entrepreneurs, si vous voulez, pour qu'ils puissent y déceler et, je dirais, franchir toutes les étapes de leur développement. Mais c'est également en se rappelant que percer le marché international, c'est le faire avec les moyens financiers adéquats, mais, rappelons-nous-le, avec des contenus qui exercent un certain attrait pour quelque personne que ce soit dans le marché international. Dans notre mémoire, on donne certaines comparaisons. C'est certain que, par exemple, un entrepreneur a une possibilité de percer sur le marché international lorsqu'il prend le dictionnaire visuel et qu'il le met sur un contenu multimédia. Je ne crois pas qu'on va percer le marché international de la francophonie sur le seul développement de services. Il faut y penser en termes, justement, de contenus qui sont spécifiques, qui ont un produit d'appel et qui intéressent n'importe quel acheteur et n'importe quelle personne qui, de l'international, veut consulter la nature de notre production.

Voilà. Je m'excuse d'avoir été peut-être un peu long. Évidemment, je suis à votre disposition pour...

Le Président (M. Garon): Au contraire, vous avez résumé en 13 minutes et demie et vous aviez 20 minutes. C'est parfait.

M. Lampron (Pierre): Je me permets de vous présenter Me Jean Corriveau, qui est le directeur du bureau de la SODEC à Québec.

Le Président (M. Garon): Je vous remercie. Alors, M. le député d'Outremont.

M. Laporte: M. Lampron, c'est plus une question d'information que je vous fais là. C'est au sujet du mandat d'admission de votre organisme. Vous savez bien comme moi qu'au Québec, que ce soit dans le domaine dans lequel vous travaillez ou dans d'autres domaines, ce n'est pas le capital de risque qui manque. On en a, du capital de risque, plus que partout ailleurs au Canada et, par tête de pipe, on en a même plus qu'aux États-Unis. Donc, ce qui manque au Québec, c'est la capacité pour des entrepreneurs de construire des projets capables d'être financés et d'acheminer des projets auprès des agents de financement.

Moi, ce que je veux savoir, c'est: Dans le cas de la SODEC, est-ce que, vous autres, vous avez comme mission d'aider, de fournir l'aide technique à ces entrepreneurs du domaine de la culture, ceux dont vous dites qu'ils doivent exprimer la spécificité culturelle du Québec? Est-ce que ça fait partie de vos tâches à vous autres de pouvoir soutenir ou aider la structuration, l'offre de projets? Vous comprenez ce que je veux dire?

M. Lampron (Pierre): Tout à fait. Tout à fait, et non seulement ça fait partie de notre mission, mais vous imaginez bien que, comme administrateurs d'une société qui prête annuellement autour de 30 000 000 $ justement dans ce secteur qui est plutôt délaissé par les sociétés de capital de risque, ça fait partie de préoccupations quotidiennes de trouver la raison du fait qu'il y ait tant de capital de risque au Québec et qu'il y en ait si peu qui s'investisse dans ce secteur très pointu, très spécifique, je dirais, des entreprises culturelles en général, mais surtout des entreprises culturelles décidant de façon très pointue d'oeuvrer dans ce secteur.

(11 h 50)

Pour nous, si vous voulez, on a une réponse qui va se concrétiser, je l'espère, dans les prochaines semaines, c'était effectivement de réunir les capitaux de capital de risque en une société qui ne serait pas dotée de capitaux majeurs. Si vous voulez, on part d'une société disposant d'une capacité d'investissement de l'ordre de 15 000 000 $ et qui serait spécialisée pour recevoir la nature des demandes que vous venez de décrire.

Je vis, je dirais, trop quotidiennement cette situation d'énormes sociétés de capital de risque, si vous voulez, qui reçoivent des demandes de sociétés, en particulier dans le domaine des entreprises culturelles, qui les accueillent ou qui ne les accueillent pas. La grande difficulté, en tout cas, je vous le dis, elle repose sur les deux: le demandeur qui, souvent parce qu'il s'agit de petites et de moyennes entreprises, si vous voulez, qui sont dans ce domaine, et qui parvient mal à canaliser la nature exacte de son besoin financier, à créer la distinction entre le capital de risque nécessaire, le prêt pour son fonds de roulement nécessaire ou encore la capacité, si vous voulez, d'aller chercher des capitaux pour le développement, mais également la capacité pour la grande banque, le grand gestionnaire de capitaux de risque qui est habitué, si vous voulez, à intervenir à coups de 25 000 000 $, 50 000 000 $ sur les investissements, d'accueillir ces demandes.

Notre objectif, dans le fond, en créant une société spécialisée, en fait, en regroupant de l'argent qui est déjà disponible dans le secteur, c'est de faire cette rencontre entre une capacité d'accueil et une capacité, si vous voulez, de demande. Et c'est un peu la réponse à la question que vous posez. Je dois vous dire que, quotidiennement, on a... Et c'est notre rôle d'intermédiaire, avec les banques en particulier, et au niveau du prêt. C'est pour ça, d'ailleurs, qu'on intervient, comme je vous le disais, de l'ordre de 30 000 000 $. Quotidiennement, on a ce problème de faire arrimer la mesure du risque pour la nature de ces entreprises.

M. Laporte: Merci.

Le Président (M. Garon): M. le député de Vachon.

M. Payne: J'arrive dans le même sens, M. le Président, M. Lampron, M. Corriveau. La SODEC, depuis ses récents débuts, a toujours montré un grand enthousiasme pour les défis posés par l'autoroute de l'information. Moi-même aussi, je pense que j'ai partagé à d'autres occasions avec M. Lampron ma préoccupation entre le mandat de la SODEC et ses possibilités d'intervention, d'aide et de conseil à la fois auprès des entreprises pour faciliter et favoriser les produits d'exportation et aussi une plus grande sensibilisation, comme l'indiquait le député d'Outremont tout à l'heure, des institutions financières à l'égard non seulement de leurs responsabilités mais de leurs opportunités.

À titre d'exemple, si vous voyez les produits culturels pas exportables mais exportés actuellement – je parle du passé jusqu'à maintenant, jusqu'à aujourd'hui – à Londres, en Angleterre, nos produits culturels québécois, c'est étonnant. Étonnant. Robert Lepage est très, très bien connu en Angleterre, le Cirque du Soleil, la même chose. Même si on regarde les produits d'ailleurs, comme David Copperfield, il y a toujours une composante multimédia, ou il a une opportunité pour une composante linguistique qui peut être le français, qui peut être l'italien... De moins en moins souvent, la langue est un «impediment», comme on dit en anglais, un empêchement pour la transmission d'un produit culturel, son «exportativité».

Quand vous parlez des ententes à favoriser, un bon exemple, j'invoque l'exemple de l'Angleterre. Le British Council, à ce moment-ci, a fait une entente avec le gouvernement du Québec via la Délégation du Québec à Londres, avec des résultats extraordinaires, pour faire en sorte qu'au-delà de 60 % des crédits accordés par le British Council au gouvernement du Canada, nous, Québécois, on accapare 60 % de ce budget-là pour favoriser les produits exportables des industries culturelles.

Avez-vous un plan d'action pour favoriser, justement, ce genre d'entente? Parce que je n'ai pas l'impression... Peut-être que je devrais faire attention, parce que je ne veux pas trop critiquer. Les crédits d'impôt, c'est un pas en avant important mais peut-être pas suffisant. Est-ce que vous avez une stratégie d'intervention, à la fois aller plus en détail pour sensibiliser les institutions financières, d'une part, et, d'autre part, sur le terrain, de favoriser les ententes comme avec les institutions culturelles à l'extérieur du Québec et, troisièmement, bien sûr, faire plus de promotion auprès de nos entreprises québécoises sur les possibilités de commercialiser davantage nos produits à l'étranger?

M. Lampron (Pierre): C'est effectivement trois points majeurs qu'on a essayé d'évoquer à l'intérieur du mémoire. Concernant les institutions financières, la loi ne nous y obligeait pas. Je vous signale qu'on a créé, sur le modèle des autres commissions, une commission du financement à l'intérieur de la SODEC pour effectivement prendre à la fois le pouls mais en même temps influencer les institutions financières dans leur attitude par rapport, je dirais, aux entreprises culturelles. Sur cette commission de financement sont représentés deux, trois représentants de banques et des représentants d'institutions financières plus globales.

Notre hypothèse aussi, même avec l'application, si vous voulez, du crédit d'impôt, vous savez qu'avec les financements intérimaires, les crédits d'impôt, ça nous met en contact très, très fréquent avec l'ensemble de l'appareil bancaire au Québec. Et puis enfin, comme je l'évoquais au député d'Outremont, il y a cette société de capital de risque, donc, qui devrait créer l'ensemble. À ce niveau-là, je prévois que dans les prochaines années on aura réussi à créer davantage de synergie entre les différents intervenants financiers.

Concernant l'étranger, vous savez, c'est très, très vrai qu'on assiste – et j'espère pouvoir développer, si vous voulez, des statistiques vues du strict point de vue de la SODEC – effectivement à, je dirais, un effort considérable pour l'exportation de nos produits culturels dans l'ensemble des secteurs vers l'étranger. Et il faut dire que c'est en raison de leur succès à l'étranger que des grandes entreprises, le Cirque du Soleil, que vous avez évoqué, mais CINAR, Malo films, Allegro, Coscient ont réussi à développer des entreprises avec leur rentabilité. C'est à l'étranger que Céline Dion rapporte, si vous voulez, à la fois en termes de réputation et à la fois en termes de retombées économiques tout ce que nous imaginons.

Je voudrais simplement vous dire que, par ailleurs, le développement des marchés à l'étranger passe aussi par le développement, dans ce domaine particulier, de carrières, par des investissements très, très lourds pour chacune des entreprises, développement de produits, mais, comme on a une matière riche qui s'appelle la création, c'est le développement de création. Et l'effort à l'étranger, que l'on comptabilise, par exemple, à la SODEC, permet aux entreprises d'être sur tous les marchés internationaux. On dépense à chaque année un peu plus de 2 000 000 $ pour soutenir les interventions de nos différentes entreprises sur les marchés. Je dois vous dire qu'il faudrait également comptabiliser tout l'argent qui doit être mis et par les entreprises et en forme de soutien pour le développement de la carrière d'artistes, de la carrière de créateurs, de scénaristes, etc. À la différence de tous les autres secteurs... Je dis ça souvent, vous savez, le génie d'un entrepreneur dans le domaine de la chaussure, probablement, c'est de découvrir sa niche de marché et, une fois qu'il l'a découverte, de l'exploiter. Le défi pour un entrepreneur, par exemple dans le domaine du disque ou dans le domaine du multimédia, c'est de développer pendant des années des individus, des créateurs, des prototypes qui, une fois qu'ils sont lancés, ne servent pas au prototype de l'autre. C'est à recommencer chaque fois, et ça crée des investissements très lourds. Et c'est sur cet aspect-là, M. le député, que je vous disais qu'on a, dans un petit marché comme le nôtre, des investissements extrêmement lourds à faire et à continuer pour pouvoir jouer sur les marchés étrangers.

(12 heures)

Concernant nos ententes, bien, nous, on a une priorité, mais une priorité absolue, c'est de développer les relations d'affaires avec les équivalents de la SODEC sur les marchés étrangers, avec le CNC français, avec l'IFSIC français. On doit rencontrer les gens du British Council, je crois que c'est dans 15 jours ou dans trois semaines. L'objectif, c'est de développer des courants d'affaires. Il appartient au gouvernement de négocier des ententes officielles, si vous voulez, de gouvernement à gouvernement. Notre intérêt à nous, et on aborde toutes les négociations avec une seule priorité, c'est dans quelle mesure ce que nous pourrions mettre en commun permet de percer le marché de l'autre. Et ça veut dire l'ouverture du marché national à toutes les influences étrangères pour venir contrebalancer l'influence américaine.

M. Payne: Oui. Ah bien...

M. Lampron (Pierre): Voilà. Et sur la langue, que vous évoquiez tantôt, s'il est vrai que nous réussissons à percer un marché comme celui de l'Angleterre d'une façon assez, d'ailleurs, exceptionnelle et, je dirais, quasiment incompréhensible compte tenu de la nature des marchés, il est également vrai que, sur une base d'affaires globale, à cause de l'omniprésence américaine, les niches de marché pour des produits culturels, qu'ils soient faits en français, en espagnol ou dans des langues autres que l'anglais, sont des niches qui sont beaucoup plus restreintes que pour le produit qui est fait en anglais. C'est une condition de marché, là, indépendamment, si vous voulez, de choix politiques pour ça. Une série comme Marguerite Volant , par exemple, va avoir une perspective de marché de probablement 3 000 000 $ ou 4 000 000 $. Une série comme ENG , qui a été faite par Alliance, à Toronto, va avoir une possibilité de marché du triple. C'est comme ça qu'il faut calculer.

M. Payne: Vous, vous êtes très familier avec la situation en France, mais peu de personnes sont conscientes... Je reste là-dessus parce que c'est un bon exemple, l'Angleterre. Le volume d'affaires entre le Québec et l'Angleterre dépasse le volume d'affaires avec la France, et les derniers résultats pour les derniers trois mois – je viens de voir le rapport sur les produits culturels en Angleterre – est absolument phénoménal. Nous avons un agent culturel là qui s'appelle Colin Hicks et qui fait un travail extraordinaire. J'ai rencontré moi-même les deux directeurs du British Council, et ils sont plus Québécois que la plupart de nos Québécois, hein.

Une voix: Ha, ha, ha!

M. Payne: Vraiment, ils sont emballés par le produit – «le», je parle d'une façon générique – culturel québécois. Et je pense que ce genre d'entente peut être bonifié, parce que, comme je vous dis, on accapare 60 % de leurs crédits pour l'ensemble du Canada. Et, comme vous dites, que ce soit Céline Dion, que ce soit... moi, je dis Robert Lepage ou d'autres, la présence à Sheffield, à Coventry, à Édimbourg, autant pour nos expositions que pour les spectacles et nos films, c'est remarquable et c'est en croissance exponentielle.

Donc, je pense que notre préoccupation à cette commission sur les enjeux de l'autoroute de l'information devrait se pencher peut-être, dans notre présentation finale, davantage sur les opportunités à développer que sur le contenu. Cette obsession sur le contenu, à mon avis, est secondaire à l'essentiel encouragement que nous donnons à l'exportation des produits. Les exportations, ça passe à la fois par les ententes des agents culturels qui sont déjà présents à l'extérieur ou par votre propre entremise. Vous, vous pouvez avoir des agents commerciaux qui se promènent à partir de chez vous pour sensibiliser davantage les institutions que les entrepreneurs à l'égard des opportunités à l'étranger.

Le Président (M. Garon): Est-ce qu'il y a d'autres membres de la commission? M. le député de Jacques-Cartier.

M. Kelley: Merci, M. le Président. Juste sur votre recommandation, un petit peu dans le sens de mon collègue de Vachon. À la page 11 de votre mémoire, on écrit: «Que le gouvernement privilégie, dans le soutien financier qu'il accorde en faveur du développement de l'inforoute, la production de contenus développés à partir des produits qui font appel à la création – c'est bon, ça – qui sont en mesure d'intéresser un large public.» C'est quoi, ces produits qui n'existent pas et qui risquent d'intéresser un large public? J'aimerais cerner davantage de quoi on parle et comment l'État peut mesurer un projet qui intéresse un large public. C'est toujours difficile, on ne sait jamais. On regarde le cinéma, par exemple, sur chaque film, je pense, quatre sont perdants, ou quelque chose comme ça, mais on touche le gros lot avec le cinquième, et comme ça le studio peut continuer. Peut-être que j'exagère, mais quand même...

Les livres. Qui sait qu'un livre, un jour, le monsieur qui écrit les livres dans les indices... a fait une fortune, mais en lisant ça, ce n'est pas toujours évident que ça va être le roman qui va toucher des millions et des millions de lecteurs à travers le monde. Alors, comment est-ce que l'État peut être en mesure d'établir tout ça?

M. Lampron (Pierre): D'abord, je ne crois pas que l'État, effectivement, soit en mesure d'établir les succès. S'il pouvait le faire, je pense qu'il n'y aurait pas de problème au déficit...

M. Kelley: Ou abandonner la vie de député pour le faire.

M. Lampron (Pierre): ...du gouvernement. Juste deux, trois coups de flair avec quelques films, vous avez raison, avec les rapports... Mais la SODEC, par ailleurs, qui est une institution d'intervention, comme je disais, d'intervention financière, une institution d'accompagnement, a à intégrer dans ses analyses ce que je dirais les analyses de perspectives de marché. Et nous le faisons beaucoup dans des concepts d'avances remboursables, dans des concepts, si vous voulez, d'intervention. Et, il faut le dire, dans le domaine du multimédia en particulier, les soutiens financiers restent des soutiens complémentaires, et il faut que les entreprises analysent elles-mêmes une perspective de résultat de marché.

Dans le domaine de l'édition, par exemple, lorsque les gens de la courte échelle viennent à la SODEC sur la base de prêts ou sur la base d'interventions dans le domaine de l'édition, notre analyse, rapidement, porte sur les perspectives d'exportation des produits de la courte échelle. Et il nous arrive de nous tromper, ce qui est notre marge d'erreur de 3 ou 4 % dans la partie, si vous voulez, de l'intervention financière. Il nous arrive de nous tromper, mais, de façon globale, c'est un accompagnement au risque et c'est une perspective de cette nature, et c'est analysable. Je ne dis pas qu'on réussit à tout coup, mais c'est analysable et ça nous permet, je dirais, d'agir dans ce domaine.

Ce sur quoi on voulait surtout insister, c'est que, effectivement, il faut accorder plutôt une plus grande attention à des produits dont on sait qu'ils ont un potentiel de marché par rapport à des produits qui sont conçus, développés pour un usage exclusif interne. Si vous intervenez dans... je ne veux pas faire de promotion de produits en particulier, mais le groupe Coscient fait la série Omni Science . On connaît, si vous voulez, le taux de pénétration d' Omni Science dans la plupart des pays européens, et un peu sur des canaux spécialisés américains. Si l'entreprise décide de développer le concept d' Omni Science en multimédia, il est analysable. En tout cas, on peut faire une perspective de développement de marché, et ainsi de suite.

Par rapport à cela, si vous voulez, il y a des objets de création dont on sait dès leur concept qu'il n'y a pas de perspective de marché en raison du sujet choisi, en raison de, bon... Si je veux faire, à la limite, on n'aura pas un grand succès d'exportation sur, je ne sais pas, moi, la mise sur l'autoroute d'un service gouvernemental donné. On aurait une perspective lorsqu'on utilise l'objet de création, c'est ce que je voulais évoquer dans cette recommandation.

M. Kelley: Mais, prendre un exemple d' Omni Science ... C'est quoi, les obstacles aujourd'hui pour un entrepreneur pour développer un produit multimédia basé sur un concept d'une émission sur les sciences? C'est quoi, les obstacles? C'est quoi, le rôle de l'État, aussi? On peut aider cet entrepreneur ou une université, je ne sais pas trop quoi, qui a mis en avant un genre de produit comme ça?

M. Lampron (Pierre): C'est intéressant. Si on reste sur l'exemple d' Omni Science , la décision de l'entreprise... D'abord, notre intérêt à nous, c'est qu'il se développe un type Omni Science , si je prends juste cet exemple-là, là. Parce qu'on croit que, effectivement, ça assure de façon globale, bon, la présence, etc. La décision de l'entreprise, qui est une décision d'affaires, est de calculer le coût qu'ils devront mettre en développement et en production de la série Omni Science par rapport à la capacité du marché de l'absorber et le temps nécessaire pour ce retour d'investissement.

Notre hypothèse, c'est qu'une entreprise comme Coscient, par exemple, avec Omni Science , au moment d'aujourd'hui, sans un soutien de l'État, du fait, encore une fois, qu'il y a un développement qui est lié à un produit qui est fait, encore une fois, en français sur un créneau spécialisé, la décision normale d'une entreprise, même si elle est très, très riche, ce serait de ne pas développer son concept Omni Science avant quelques années parce que le marché n'est pas suffisamment porteur pour le produit. Elle viendrait à décider effectivement de développer son expertise, d'intervenir dans la mesure où il y aurait, par exemple, un crédit d'impôt, ou dans la mesure où il y aurait un investissement minimal d'accompagnement pour, justement, ce que j'appelle la compensation de marché. C'est là notre rôle. C'est d'indiquer qu'il est de notre intérêt que maintenant se développent toute l'expertise, tous les contenus pour prendre place sur les différents créneaux pour que les créateurs puissent y être associés, pour que les entreprises développent leurs créneaux et leurs niches, et d'accompagner cette insuffisance du marché intérieur.

(12 h 10)

Si Coscient était en France, compte tenu du marché intérieur qui est là, il pourrait, par exemple, prendre une autre décision sans un soutien financier de l'État parce qu'il ferait son analyse en indiquant que, par exemple, son marché intérieur pourrait venir couvrir, je ne sais pas, moi, 75 % de son coût de production. Et puis il pourrait dire: Bon, O.K., ma mesure de risque est de l'ordre de 25 % sur les marchés extérieurs, de telle manière que j'ai une décision d'affaires qui est correcte.

J'ai donné l'exemple plus facile, Omni Science , parce qu'il est probablement le plus facilement finançable, mais prenez les producteurs actuels de Marguerite Volant . Essayez d'imaginer que les producteurs actuels de Marguerite Volant développent un multimédia accessible, par exemple, sur l'autoroute qui soit, si vous voulez, un support de Marguerite Volant à l'histoire du Québec, les relations du Québec avec la France, avec l'Angleterre, etc. Un créateur pourrait imaginer facilement une transformation du produit. Bien, ce produit très culturellement marqué qui a un potentiel, effectivement, d'interrogation et d'exportation sur le marché, coûte, à sa production, trop d'argent pour la perspective du marché qui est là. Et c'est ça que j'évoquais: c'est avec ce type de produits, dans leur multitude, qu'on a une chance d'exister en français sur les autoroutes, beaucoup plus qu'avec la seule quantité de services que l'on met et qui ne sont consultés que par nous-mêmes.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Sherbrooke.

Mme Malavoy: Bonjour, M. Lampron.

M. Lampron (Pierre): Madame.

Mme Malavoy: Je trouve ça tout à fait intéressant, ce que vous venez de répondre à cette question. En même temps, toujours à la même page 11, vous dites que «le succès de l'inforoute passe par le renforcement des secteurs traditionnels», mais en même temps vous nous projetez vers des produits ayant une dimension universelle capable de rejoindre un large public, puis vous sentez le besoin aussi de dire ça...

M. Lampron (Pierre): Oui.

Mme Malavoy: ...qu'il faut renforcer les secteurs traditionnels. J'aimerais avoir aussi ce volet-là, si vous voulez, un petit peu plus précisé.

M. Lampron (Pierre): D'abord, je vous remercie de cette question, parce que, effectivement, je dirais que la problématique n'est pas toujours assimilée de la même manière. L'arrivée de ce nouveau produit nous amène effectivement à nous interroger sur la nature des efforts que nous devons faire pour effectivement avoir les moyens financiers d'exister dans ce domaine. Ce sur quoi je voulais porter aussi votre attention, c'est qu'il ne servirait à rien de déshabiller Jacques pour habiller Jean. Ces produits dont je parle vont pouvoir se développer dans la mesure où effectivement les entreprises traditionnelles vont continuer et vont pouvoir continuer de faire leur métier de base.

Le multimédia, contrairement à ce que certains gourous ont pu annoncer, n'annonce pas la fin de l'édition, il annonce un nouveau développement de l'édition. Il n'annonce pas la fin de l'audiovisuel. Vous savez, les gens ne cesseront pas de regarder la télévision, au contraire. Et c'est comme ça dans tout le phénomène, si vous voulez. L'histoire nous illustre que, malgré tous ceux qui avaient annoncé la fin de l'édition... Souvenez-vous, lorsque l'audiovisuel est arrivé, ils se sont royalement trompés, parce qu'on assiste à des croissances qui sont parallèles. Or, dans notre domaine en particulier, encore une fois, les créateurs, les romanciers qui font des livres, les essayistes qui font des essais, les scénaristes qui font les émissions de télévision doivent pouvoir avoir encore les moyens financiers d'oeuvrer à l'intérieur de ce marché.

Et je voulais vous interpeller sur cet aspect-là pour éviter qu'il y ait un transfert de crédits d'un endroit à un autre endroit, parce qu'affaiblir, encore une fois, le secteur des entreprises traditionnelles pour occuper ce créneau en particulier nous conduirait à un cul-de-sac, je dirais, que je n'ose pas imaginer, parce que, encore une fois, c'est les secteurs d'entreprises traditionnelles qui vont alimenter le secteur qui est actuellement en développement. Et c'est une crainte très, très importante que me font toujours valoir, à mon conseil d'administration, les entreprises des secteurs du disque, du livre, des métiers d'art, si vous voulez, et qui indiquent toujours: Mais on fait face, nous, chacun dans notre domaine traditionnel, à une concurrence qui n'a jamais été aussi importante. Vous savez, jamais il ne s'est vendu autant de disques au Québec qu'il s'en vend actuellement, et on prévoit qu'il va s'en vendre encore plus dans les deux ou trois prochaines années. Maintenir notre concurrence dans ce créneau où on n'occupe plus 30 %, si vous voulez, du marché, ça devient un devoir au moins aussi important que celui de nous développer sur les autoroutes de l'information.

Mme Malavoy: Donc, il y a une interdépendance...

M. Lampron (Pierre): Tout à fait.

Mme Malavoy: ...entre ces différents secteurs et il faut en tenir compte.

M. Lampron (Pierre): En tout cas, je peux vous dire que c'est notre conviction profonde. Et vous savez, parce que vous l'avez voulu ainsi, la loi nous oblige – et ça en est devenu, si vous voulez, une marque de commerce, mais, en même temps, je dirais, une raison du succès de la SODEC en bien des aspects – à consulter continuellement le milieu pour le développement de nos nouvelles orientations. Je dois vous dire que cette conviction que je vous transmets est celle également du milieu professionnel, très fortement inspirée, si vous voulez, par la crainte qu'ils ont des années à venir.

Le Président (M. Garon): Je remercie les représentants de la Société de développement des entreprises culturelles de leur contribution aux travaux de cette commission, et je vais suspendre les travaux de la commission jusqu'à 14 heures cet après-midi.

(Suspension de la séance à 12 h 16)

(Reprise à 14 h 7)

Le Président (M. Garon): La commission reprend ses travaux. Selon l'ordre du jour que nous avons adopté, c'est maintenant la Commission d'accès à l'information. Alors, M. Comeau, si vous voulez vous approcher de la table avec les gens qui vous accompagnent. Je vais vous demander de vous identifier, d'identifier ceux qui vous accompagnent. Comme nous avons une heure avec la Commission d'accès à l'information, vous avez autour de 20 minutes pour exposer ce que vous voulez dire, les députés ministériels auront également le même temps et les députés de l'opposition le même temps. Ce que vous prendrez en plus leur sera soustrait, ce que vous prendrez en moins, ils pourront le prendre pour vous poser des questions. Ça ne veut pas dire de faire comme le professeur qui prend tout le temps et, après ça, il n'y a plus de place pour les questions. Ha, ha, ha! M. Comeau.


Commission d'accès à l'information (CAI)

M. Comeau (Paul-André): Je vous remercie, M. le Président. Mmes, MM. les membres de la commission, je tiens tout d'abord à vous exprimer mes félicitations et ma gratitude pour avoir pris l'initiative d'engager le débat dans un domaine qui était jusqu'ici réservé aux experts, aux promoteurs et à ceux qui voulaient devenir experts. Là, vous invitez les groupes, les citoyens intéressés à réfléchir, à faire part de leurs options et à faire part de leurs inquiétudes également.

Je vous remercie de nous avoir invités également, «nous» étant la Commission d'accès à l'information. Je suis accompagné par Me André Ouimet, à ma droite, qui est secrétaire de la Commission, et par M. Clarence White, directeur de notre Direction analyse et évaluation.

Alors, je voudrais centrer mes remarques autour de deux points: d'abord, une constatation en forme de question et, ensuite, une réponse simpliste mais non simplette à ces interrogations fondamentales.

(14 h 10)

Les questions fondamentales – et elles sont ressorties dans les mémoires que vous avez déjà entendus ici – sont relativement simples et elles se regroupent – du moins, c'est notre interprétation, notre évaluation également – autour d'une espèce d'appréhension quant à la valeur, à la sécurité de l'autouroute de l'information, de l'inforoute, en ce qui concerne la protection des renseignements personnels et, bien sûr, de la vie privée. Cette interrogation, cette inquiétude, même, s'est posée dans un premier temps chez les promoteurs, chez les spécialistes; elle rejoint maintenant M. et Mme Tout-le-Monde. Il faut bien se rendre compte que le climat d'incertitude ou de méconnaissance n'est pas encore complètement levé. Il faut prendre deux exemples très concrets. Ce sont, en premier lieu, les hésitations des banques qui, de semaine en semaine et de mois en mois, remettent toujours le début du lancement des opérations sur Internet. Là, on nous annonce qu'en janvier, fin février, ce sera le cas. Mais voilà 16 mois que ça dure. Pour toutes sortes de raisons, il y a une inquiétude réelle pour ceux qui défendent le secret bancaire.

Vous regardez également les tergiversations de Wall Street en ce qui concerne la négociation des titres sur Internet. Là aussi, les responsables de la première place boursière du monde s'interrogent et ne sont pas convaincus qu'Internet et, demain, l'inforoute sont capables de répondre aux exigences fondamentales. Ces questions et ces hésitations ne tombent pas dans le vide. Depuis à peu près un an, on voit se développer un peu partout dans le monde, mais ici, au Québec, dans la région de Montréal notamment, des entreprises qui se spécialisent dans la découverte de la PET – p-e-t, sans jeu de mots malveillant – il s'agit de «privacy enhancement technology». Donc, ces démarches de mise au point d'instruments technologiques qui permettent d'améliorer la sécurité et la vie privée dans les transactions électroniques et dans l'espace cybernétique.

Les journaux sont pleins régulièrement de ces trouvailles. Il y a donc un cheminement. Je pense qu'on peut en dégager une première affirmation, c'est que la dimension technique en voie d'être explorée permet ou permettra en tout cas de répondre aux exigences et aux inquiétudes de sécurité de façon à pouvoir établir un niveau acceptable, le plus grand possible, dans ce domaine. Il y a des pas importants qui ont été franchis, mais il en reste d'autres à accomplir.

Le deuxième volet de cette inquiétude ou de cette appréhension est beaucoup moins évident. En tout cas, il n'apparaît pas ou presque pas dans les médias, mais il surgit assez facilement lorsque les promoteurs eux-mêmes, que ce soit dans le secteur privé ou dans le secteur public, lorsque les promoteurs s'interrogent sur leurs démarches à accomplir, sur des projets à engager, toujours dans le domaine de l'inforoute. Et la question qu'ils formulent eux-mêmes est relativement simple: Que faire des renseignements personnels une fois qu'ils ont été recueillis de diverses façons? Et ça, cette question nous est posée directement.

Au cours des derniers mois, nous avons été interpellés à plusieurs reprises déjà par des promoteurs privés et publics qui se trouvent confrontés à un choix important. Et, là-dessus, je n'ai pas, comment dire, certitude, mais j'ai des indices qui me permettent de comprendre pourquoi on en arrive à cette question.

D'abord, beaucoup d'entre eux réalisent rapidement la valeur des renseignements personnels et la valeur au sens presque monétaire du terme. Ils en arrivent à constater que des numéros de cartes de crédit, des détails indirects sur les renseignements personnels valent, peut-être pas leur mine d'or, mais valent des espèces trébuchantes. C'est-à-dire que, par exemple, l'accumulation de renseignements sur les habitudes de consommation, les habitudes de transactions, sur les lieux de transactions, telles que reflétées par la fréquentation d'Internet, composent les éléments d'un profil qui a sa valeur et qui, évidemment, peut susciter de la convoitise chez les concurrents.

De même, et c'est à leur honneur, beaucoup de patrons, de promoteurs, de responsables d'organismes devinent et comprennent qu'ils ont une obligation élémentaire envers ceux qui leur confient, en échange de biens, de services ou de tout autre avantage... ils ont une obligation envers eux de respecter ce qui leur est propre, c'est-à-dire des renseignements qui les distinguent et leur donnent une certaine particularité, une certaine valeur également par rapport à d'autres.

Au-delà des problèmes techniques qui reçoivent une attention considérable et qui permettent à beaucoup de spécialistes de faire des exercices majeurs, ces problèmes sont importants et lourds, mais il y a une démarche incertaine, maladroite, mais une démarche quand même honnête qui se fait et qui cherche à trouver des réponses à ces interrogations. Interrogations, je le répète: pourquoi recueillir des renseignements personnels et qu'en faire une fois recueillis?

La mise en place de l'autoroute de l'information ou des tronçons de l'autoroute d'Internet maintenant représente un pas en avant dans le cheminement de la communication. Ce n'est que cela, il faut quand même être réaliste. C'est une transformation, ce n'est pas une modification de nature, une modification radicale. L'inforoute propose un pas important, un pas décisif et laisse entendre qu'on pourra évoluer demain dans ce qu'on appelle déjà la société de l'information.

Or, des problèmes sont connus, sont déjà répertoriés, qui nous interrogent directement. Les problèmes sont relativement simples; ils n'ont rien de nouveau. Il s'agit de l'authentification, de l'identification, de la propriété intellectuelle, enfin, d'une série de questions qui ont déjà fait l'objet d'études, de réponses également en droit, mais qui demeurent, comme telles. La mise en place de l'inforoute ne crée pas de nouveaux problèmes, elle les traduit en réalité exponentielle, change le décor et appelle évidemment des réponses nouvelles, mais ne crée pas de nouveaux problèmes. Il s'agit de répondre aux questions en tenant compte des conditions nouvelles.

On assiste déjà, au niveau de la réflexion, à des recherches importantes. On voit se développer tout un secteur, comme on appelle le cybernotariat, notamment, qui propose des esquisses de réponses. On voit également apparaître, par exemple, aux États-Unis, la première chambre de conciliation privée, chambre d'arbitrage, pour ceux qui subissent des problèmes sur l'autoroute de l'information. Les recherches sont importantes en matière de droit d'auteur. Mais il s'agit donc d'une réflexion qui dépasse le cadre actuel mais qui n'est pas différente. L'homme ne changera pas demain parce que l'inforoute est là.

Lorsque l'imprimerie a été inventée, déjà l'écriture et la lecture existaient. Les conditions d'accès, la rapidité d'accès et la démocratisation ont été changées, mais les arts préalables demeuraient les mêmes. Et c'est la même chose en ce qui concerne la communication.

Or, le problème de la protection des renseignements personnels, de la défense de la zone de la vie privée, à mon point de vue, doit être envisagé de la même façon en ce qui a trait aux questions nouvelles qui doivent se poser et qui inévitablement se posent. Les questions élémentaires reviennent et ne changent pas de nature. J'en énumère deux simplement: A-t-on besoin vraiment de recueillir des renseignements personnels pour les fins de l'opération, ou de la transaction, ou du service? Première question très élémentaire. Déjà, des réponses sont données. Les porte-monnaie ou les cartes monétiques n'ont aucune donnée d'identification, répondent à des besoins. Est-ce que c'est suffisant? Je ne le sais pas. Il faut y réfléchir.

De même, les gens s'interrogent sur la finalité des renseignements personnels recueillis. Pourquoi recueille-t-on ces renseignements personnels? Le problème se pose. Il s'est posé depuis de nombreuses années déjà dans le secteur public et il se pose dans le secteur privé. Doit-on conserver ces renseignements personnels? Des exigences légales, y en a-t-il, n'y en a-t-il pas? On voit déjà se profiler la notion importante, dans nos deux lois, de la finalité, la finalité des renseignements personnels. Pourquoi est-il nécessaire de recueillir des renseignements personnels?

Lorsqu'on a déjà esquissé ces questions, viennent ensuite les questions de modalités, parce qu'il s'agit purement et simplement de modalités. Comment procéder à la cueillette de ces renseignements personnels? Comment assurer leur transfert sur l'autoroute, leur conservation?

Et là on a des pistes de solution aussi. Tout le problème de la cryptographie, de l'encryptage, pour employer un anglicisme, est une donnée qui doit être approfondie rapidement. Là aussi le Québec doit mesurer l'ampleur des travaux et la vitesse des travaux qui se font aussi bien à Ottawa que dans les pays de l'OCDE où, heureusement, on est en train de faire marche arrière et de s'interroger sur la pertinence d'abolir certaines législations, comme la législation française ou la législation belge qui interdisent l'encryptage par crainte du terrorisme, par crainte de toutes sortes de maux qui parcourent le monde pour la perte des hommes, comme on le disait à l'époque.

(14 h 20)

Il y a une réflexion à faire et l'encryptage doit retenir l'attention de votre commission, si nous ne voulons pas que des décisions soient prises ailleurs qui nous empêchent de prendre un moyen fondamental, un moyen, je le répète, d'assurer des transactions sécuritaires sur l'autoroute de l'information.

Réponse également à des questions aussi élémentaires que celles de la technique de la conservation. Comment faire en sorte que ces renseignements personnels conservés par des organismes puissent être à l'abri? Aujourd'hui, il n'y a personne qui peut se vanter de n'avoir pas été victime au moins d'une pénétration sinon d'une tentative de pénétration de son propre ordinateur? Les grandes certitudes des années quatre-vingt à cet égard sont révolues.

On doit s'interroger sur les modalités, mais on doit revenir aux questions de finalité, qui sont fondamentales. Là-dessus, je vous donnerai un exemple concret. Je vois un certain nombre de municipalités du Québec placer sur Internet leur rôle d'évaluation au complet. Là, il y a un problème majeur qui se pose, et j'ai l'impression qu'on ne s'est pas interrogé à cet égard. Est-ce que la finalité du rôle d'évaluation n'est pas inconsciemment détournée? Est-ce que la permission d'accéder au rôle d'évaluation, pour chaque citoyen, de façon à découvrir quels comparables ont été utilisés pour fixer la valeur de sa maison, est-ce que tout cela n'est pas réservé à la consultation pièce à la pièce?

Alors, maintenant, les rôles d'évaluation sont disponibles à travers la planète. Et là on en apprend beaucoup. On peut découvrir en un rien de temps qui sont les copropriétaires, quels sont leurs statuts, etc. Moi, je vous avoue que, si j'étais un agent d'assurances au Québec, je m'empresserais de consulter cela et j'aurais une forme de sollicitation de police d'assurance de copropriétaire remarquable. C'est gratuit et c'est disponible. Mais c'est aussi, à mon point de vue, un détournement des finalités du rôle d'évaluation et des conditions d'accès à ce rôle. Là, je pense, la réflexion a été escamotée pour des raisons valables, mais elle a été escamotée. Et elle va, cette réflexion, s'imposer dans une foule de démarches.

Or, au Québec comme dans un certain nombre de pays occidentaux, en Nouvelle-Zélande, à Hong-kong et bientôt en Australie, nous disposons heureusement d'un cadre légal complet et intégré pour amorcer la réflexion et nous fournir des pistes également qui nous permettent de prévoir un peu le cheminement de nos inventions sur l'autoroute.

Alors, je ne vous apprendrai rien sur les bases légales dont nous disposons, vous les avez votées à deux reprises. Je voudrais insister sur les balises culturelles qu'une société se donne ou qu'elle transporte avec elle de façon plus ou moins consciente. Ces balises sont plus difficiles à cerner, mais elles sont aussi évidentes, puisqu'il faut les jauger et les évaluer lorsqu'on décide de franchir des étapes nouvelles. L'exemple concret et le plus important est celui de la question de l'identité et des identifiants. Bien sûr, on peut, sur le plan juridique, répondre avec passablement de certitude à ce que doit être une carte d'identité, quelles doivent être ses modalités, son rôle, etc. Mais la réponse sociologique est tout à fait imprécise; elle est beaucoup plus difficile à cerner. Nous avons, dans notre bagage historique et culturel, un certain nombre d'acquis, d'obstacles, peut-être, ou d'avantages.

Et la Commission s'est rendu compte de cela au cours des années, de la difficulté de répondre à la question posée directement: faut-il ou non une carte d'identité, faut-il des identifiants? J'ai déjà annoncé à votre commission, il y a un bon moment, que nous engagions une démarche à cet égard.

Nous avons élaboré un document d'information qui devrait commencer à circuler d'ici l'Halloween. À la suite de cette circulation, nous tenterons – et ce n'est pas pour faire peur à personne – de déterminer les modalités de la consultation qu'il nous faudra engager, selon les réponses qui nous seront fournies. Nous avons bâti un document qui présente les options disponibles aux citoyens et qui leur permettra d'aller au-delà de l'instinct des réponses impressionnistes ou des clichés. Alors, cette démarche s'est inscrite sous l'angle de la prudence et de la sagesse, parce que nous sommes conscients de l'ampleur des défis soulevés, bien sûr, par la mise en place éventuellement d'une carte d'identité ou d'un système d'identification, mais de façon plus large par l'autoroute de l'information. Il s'agit là d'un problème sérieux, mais d'un défi stimulant où la Commission entend bien jouer son rôle avec ses moyens et ses ressources.

De façon concrète, je répète mon invitation aux promoteurs de projets, aussi bien dans le secteur privé que public, à ne pas écarter les questions fondamentales dès qu'ils ont l'idée d'un projet. Certains sont tentés de dire: On verra bien plus tard. Là-dessus, je récidive et je recite l'exemple du consortium UBI, dont l'expérience vient tout juste de commencer après, bien sûr, des problèmes techniques, et il y en a toujours. UBI a accepté de relever le défi que nous lui avons lancé dès le début, dès l'annonce du projet, et ils ont cheminé, ils ont étudié le problème de la cueillette et de la protection des renseignements personnels sur ce qui sera le premier tronçon privé d'autoroute au Québec.

Nous croyons, à la Commission, en nous basant sur l'expérience de la carte-santé à microprocesseur dans la région de Rimouski, qu'il nous est impossible de faire l'économie de l'évaluation technologique, ce que les anglophones appellent le «technology assessment». Il nous faut, je pense, dans la mesure du possible, avant de lancer des projets d'implantation générale, tenter des démarches-pilotes et les suivre pour d'abord mesurer l'intérêt de la technologie et aussi dans l'espoir de prévoir les problèmes.

L'expérience de Rimouski à cet égard a été extrêmement utile pour tout le monde parce qu'elle a permis de valider un instrument, d'en mesurer les possibilités, mais aussi d'en évaluer les limites. De sorte qu'il y a intérêt, je pense, avant d'engager des sommes considérables, avant de s'aventurer, de faire des projets-pilotes. Et, à cet égard, la Commission, toujours dans le cadre de ses moyens, sera heureuse d'accompagner certaines expériences et de le faire sous forme de monitoring.

Personnellement, j'ai confiance, après deux ans et quelques mois maintenant d'entrée en vigueur de la loi sur le secteur privé, j'ai confiance dans les ressources et les capacités de la société québécoise en ce qui concerne le fait de relever le défi de l'inforoute et de la société de l'information. Quand on pense à ce qu'ont fait nos ancêtres, ils ont tissé un cadastre en forme de rangs en tenant compte de la topographie de l'époque. Alors, moi, je pense qu'en tenant compte des conditions de l'époque nous sommes capables de tisser notre rang dans l'espace cybernétique, dans le cyberespace. Je vous remercie.

Le Président (M. Morin, Nicolet-Yamaska): Merci, M. Comeau. Je donne la parole au député d'Outremont.

M. Laporte: Je vous remercie, M. Comeau, c'est un exposé très intéressant. Mais vous venez de parler de certains projets-pilotes qui ont été menés au Québec. Est-ce que vous pourriez nous donner un peu de détails là-dessus et voir quel a été le rôle de la Commission? Vous avez parlé d'UBI tantôt, vous pourriez préciser là-dessus?

M. Comeau (Paul-André): Très bien. Alors, lorsque l'expérience d'UBI a été annoncée, nous avons immédiatement pris contact avec les responsables du projet, qui ont accepté de s'asseoir avec nous à une table et qui nous ont d'abord exposé le sens de leur projet, et, dans une seconde étape, nous avons avec eux aligné les questions auxquelles ils devaient répondre, parce qu'il était évident qu'ils allaient faire consommation de renseignements personnels. Ne serait-ce que pour acheter des ailes de poulet, que pour commander des services, etc., il y avait un échange de renseignements personnels. Et ils ont accepté le défi de répondre aux interrogations. Ils ont confié au Centre de recherche en droit public, de l'Université de Montréal, le mandat d'élaborer un code d'éthique non seulement sur les renseignements personnels, mais sur l'ensemble des problèmes, et ils ont également fait valider ce code par la Commission.

Alors, nous avons été en constant dialogue, malgré les problèmes techniques qu'ils ont rencontrés, et maintenant qu'ils ont modifié leur approche technique, ils nous ont resoumis la nouvelle mouture de leur code de façon à voir à ce que l'expérience puisse se dérouler dans les meilleures conditions possible pour éviter au départ un certain nombre de problèmes. Donc, il y a eu tout un cheminement parallèle à leur démarche technique, un cheminement juridique de notre part avec, bien sûr, l'appui considérable du Centre de recherche en droit public.

Alors, ça a été une façon concrète. Maintenant, on va suivre l'expérience d'UBI. On sait quelles sont les balises qui ont été mises en place, on pourra évaluer en fonction de cela et peut-être avoir un jugement qui sera beaucoup plus sûr.

(14 h 30)

Et là on se base sur l'expérience que nous avons acquise lors de l'essai de la RAMQ dans la région de Rimouski, l'expérience de carte-santé. Nous nous sommes déjà engagés, depuis quelques mois, dans une démarche analogue avec des chercheurs québécois en télémédecine, qui sont associés d'ailleurs à des équipes françaises, et nous cheminons avec eux. Nous en sommes aux premiers balbutiements, mais nous espérons là aussi pouvoir disposer d'un cadre et suivre l'expérience en cours de route pour avoir, d'abord, nous-mêmes une connaissance de ces technologies, mais pour pouvoir ensuite nous prononcer de façon beaucoup plus assurée; pas certaine mais assurée. Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question. C'est le sens de nos démarches.

M. Laporte: Encore une dernière question. La semaine dernière, on a eu une présentation, ici, du Protecteur du citoyen qui nous a décrit l'expérience qui est faite au Nouveau-Brunswick. Est-ce qu'au Nouveau-Brunswick on a fait, disons, des expériences d'accompagnement comparables à celles que vous avez faites au Québec ou si, vraiment, l'expérience québécoise est tout à fait originale?

M. Comeau (Paul-André): Ah! Vous voulez une réponse franche?

M. Laporte: Oui.

M. Comeau (Paul-André): Bon. Il faut vous dire que le Nouveau-Brunswick a systématiquement écarté toute démarche de préoccupation des renseignements personnels à cet égard, même s'ils se sont dotés d'une législation. J'ai eu d'ailleurs l'honneur douteux de partager une tribune avec celui qui était ministre d'État à l'inforoute, qui était un Acadien et qui, avant moi, a complètement balayé cette considération comme étant de l'utopie. Alors, j'ai dû relever le défi ensuite. Le Nouveau-Brunswick s'est engagé dans une voie tout à fait différente, et c'est une considération qui est étrangère à leurs préoccupations.

Il y a un problème majeur à cela, c'est qu'ils auront demain de sérieuses difficultés lorsque la législation fédérale qui est annoncée sera adoptée et lorsque, également, la directive de l'Union européenne sur la protection des renseignements personnels, dans son volet international, va entrer en vigueur. Ils ont adopté une attitude de déréglementation totale et ils ont complètement écarté cette notion de protection des renseignements personnels. C'est un argument de vente, d'ailleurs.

M. Laporte: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Morin, Nicolet-Yamaska): M. le député de Vachon.

M. Payne: M. le Président, M. Comeau, M. White, M. Ouimet, il me fait plaisir, encore une fois, de vous accueillir au parlement, parce que je pense que, effectivement, vous étiez depuis quelques années des pionniers... vous êtes devenus des pionniers en matière de conseils à l'égard de quelques aspects de l'autoroute de l'information. Nous avons discuté à différentes instances de la carte d'identité électronique, la carte multiservices, des mises en garde nécessaires, des principes qui sous-tendent à la fois la production des données et le droit à l'accès à l'information, et je pense que c'est assez intéressant pour nous à ce moment-ci, puis pas seulement à la commission de la culture où on vous a reçus régulièrement et statutairement, mais, maintenant, c'est un peu plus pointu, notre intérêt aujourd'hui.

Moi, je voudrais attirer votre attention sur la question de la carte multiservices parce que, à mon avis, comme parlementaire, je considère que nous sommes presque au bord d'une décision, c'est-à-dire, nous, comme parlementaires, il faut regarder clairement les pour et les contre de la carte multiservices. Vous dites, et c'est bon, et c'est intéressant... Je pense que vous allez embarquer dans un débat public, solliciter un débat public que, nous, nous n'avons pas réussi, franchement, à faire au parlement encore. Peut-être que la Commission est mieux placée que nous pour solliciter ce débat-là. Je ne sais pas si votre mandat vous permet d'avoir des consultations, mais je pense que c'est absolument essentiel de vraiment entendre les citoyens parce qu'il y a beaucoup de manque de services.

En ce qui concerne la carte multiservices, elle a comme but, évidemment, dans un premier temps, d'identifier le porteur et, deuxièmement, de valider l'accessibilité à un certain nombre de services. Je pense que, dans les discussions antérieures que nous avons eues, vous avez indiqué, si je me souviens bien, qu'il faut bien s'assurer de protéger, de mettre en zones différents types d'informations. À titre d'exemple, s'il y avait un permis de conduire, s'il y avait, disons, une liste des contraventions de la part des détenteurs, ce ne serait pas nécessairement accessible à la Régie de l'assurance-maladie du Québec. C'est ça?

D'une façon concrète, est-ce que vous pensez que le législateur est prêt, presque prêt ou pas du tout prêt à avancer sur ce terrain-là? Pensez-vous qu'après la période des consultations nous serons en mesure de vraiment relier ces informations et unir, consolider ces informations-là de différentes cartes sur une seule même? Ma philosophie, vous le savez, c'est que c'est beaucoup plus intéressant si la Commission et les législateurs se mettent main dans la main pour offrir un leadership, plutôt que de se trouver avec le problème avec lequel le Nouveau-Brunswick se trouve actuellement. Est-ce que vous êtes d'accord? Pensez-vous plutôt que c'est le moment, ou presque, maintenant, c'est le moment pour procéder et regarder la carte multiservices? Et j'ai une deuxième question après celle-là.

Le Président (M. Morin, Nicolet-Yamaska): Vous pouvez répondre, oui.

M. Comeau (Paul-André): Je vais répondre à votre question en vous faisant part de mon étonnement, ces derniers temps, devant la multiplication des projets de cartes. Certains projets sont publics. M. le ministre Rochon en a annoncé un il y a une dizaine de jours, le projet de carte multiservices. Et, pour respecter le critère de confidentialité, je peux vous dire que je suis au moins au courant d'un autre projet de carte à microprocesseur pensé dans l'administration québécoise. Il y a au moins trois projets de cartes, pour le moment, qui sont lancés, et une carte à microprocesseur, c'est quand même un enjeu considérable. Financièrement, une carte à microprocesseur, sur le marché actuellement, vaut entre 8 $ et 10 $. Ajoutez à cela les bornes, ça représente une somme considérable. Donc, si on multiplie déjà par trois les investissements, il y a un problème. Alors, je pense qu'à votre question fondamentale: «Est-ce qu'il est temps, est-ce que le législateur est prêt?», il faudrait effectivement qu'il y ait une décision, sinon on va s'orienter vers des investissements multiples et pas nécessairement judicieux. Ça ne répond pas tout à fait à votre question; je voudrais y revenir maintenant de façon plus sérieuse ou plus fondamentale.

Vous avez bien dit que nous sommes engagés dans une première forme de consultation. J'ai tenté tout à l'heure... j'ai peut-être été maladroit, mais j'ai tenté de vous faire part de mes hésitations quant à la deuxième étape. Nous avons un document d'information qui va circuler. Quelle sera la deuxième étape? Est-ce que nous aurons les moyens d'y répondre? Je n'en suis pas sûr. Si, évidemment, nous sommes débordés, il faudra à ce moment-là faire appel à d'autres, parce que c'est évident que la commission, avec 48 personnes en tout et partout, ne veut pas s'engager dans une consultation tous azimuts. Même si c'est une consultation qui n'aura ni la valeur ni le poids des consultations parlementaires, c'est une consultation importante. Alors, à ce moment-là, il nous faudra songer à demander de l'aide. Et, évidemment, j'attends le résultat de cette première ronde de circulation du document. Et, à ce moment-là, on pourra, je pense, faire le débat public, et vous aurez, en tout cas, des éléments nouveaux pour le faire, parce que l'Assemblée nationale, tout comme la Commission, tout comme ceux qui se penchent sur cette question, nous vivons sur des impressions personnelles, sur des certitudes, mais nous n'avons rien de concret ni de récent.

J'ai tenté de fouiller dans les sondages faits par CROP, par SORECOM, et tout cela, et je n'ai pas trouvé une seule question sur le sujet depuis 18 ans. Alors, ceux qui ont des certitudes les ont peut-être par des sondages auxquels je n'ai pas accès, mais, pour le moment, il n'y a rien de récent. Alors, où en sont les citoyens, que veulent-ils, sont-ils prêts à franchir le pas? Je ne sais pas. Et je pense qu'on sera en terrain moins inconnu lorsque nous aurons franchi au moins la première étape de notre démarche. Alors, je n'ai pas de certitude, M. le député, à vous donner, mais je pense que nous faisons honnêtement le pas pour sortir de ce qui est une espèce de tradition: on pense bien que, peut-être bien que non, peut-être bien que oui.

(14 h 40)

M. Payne: Effectivement, ma deuxième question, vous l'avez analysée déjà un peu, parce que ça prenait plutôt la forme d'une préoccupation. J'ai l'impression que les ministères, on est presque à l'âge de pierre lorsqu'on regarde toute la question d'uniformité, de concertation. Souvenez-vous, il n'y a pas longtemps, le problème qu'on avait avec les deux photos nécessaires. Ça, c'est seulement... pas deux ministères, c'étaient deux directions qui avaient des exigences semblables, mais le citoyen, à l'autre bout, était obligé de se faire photographier deux fois, payer deux fois pour soumettre effectivement, à toutes fins pratiques, les mêmes renseignements. Et c'était quasiment une crise politique pour faire en sorte que les deux directions, les deux ministères puissent se concerter. Pour toutes sortes de raisons, ils ne pouvaient pas le faire, et ça prenait à peu près six mois pour avoir une entente, et tout, et tout.

N'empêche qu'il me semble que le législateur a l'obligation de forcer un peu la main de l'exécutif. Nous allons rencontrer d'autres difficultés. La même chose existe pour l'échange de données, et vous avez vous-même soulevé sur la place publique, ici, en commission parlementaire, à un autre moment donné, la préoccupation quant à l'échange des informations détenues par le ministère du Revenu, consolidées par le ministère du Revenu et soutirées ou tirées d'autres sources, d'autres ministères ou directions du gouvernement.

Je pense que, d'abord, l'idée d'une consultation publique coparrainée, je ne sais pas quoi, ou aidée par une commission parlementaire de la culture est une possibilité. Moi, je l'appuierais beaucoup, mais je pense que, nous, comme gouvernement, c'est-à-dire que, nous, parlementaires et membres du gouvernement, aurons tout intérêt à vraiment regarder de plus près la façon dont on peut consolider ça, parce que, pour moi, le problème à ce moment-ci, c'est plutôt que la population est prête, nos cartes sont en train de se multiplier, les renseignements sont de plus en plus disparates, donc hors contrôle. Le gouvernement n'a pas saisi encore l'initiative de ramener tout cela, et je pense que les consultations qui s'en viennent, que ce soit par vous ou par nous, devraient être à un moment pour vraiment engager le gouvernement dans cette voie-là.

M. Comeau (Paul-André): Vous avez bien fait de soulever l'épisode de l'incident entre la RAMQ et la Société de l'assurance automobile du Québec. Nous avons été mêlés à la toute fin à cet épisode, et en l'espace de quelques heures, M. White et Me Ouimet s'en souviendront, nous avons négocié une solution qui a été acceptable à tout le monde. Mais le drame, ou enfin, la raison de ce drame, c'est que les projets avaient cheminé de façon parallèle au sens strict du terme, c'est-à-dire qu'il n'y avait pas eu de communication, et nous étions saisis des projets à la toute fin. Alors, s'il y avait eu, à ce moment-là, un échange de projets, une discussion, il est évident qu'on ne se serait pas réveillés avec ce minidrame, avec toutes les conséquences que vous avez soulevées.

Sur les échanges de renseignements personnels entre le Revenu et d'autres ministères, nous avons exposé notre point de vue. L'Assemblée nationale a aménagé une solution qui a tenu compte de nos préoccupations, nous en sommes reconnaissants. Moi, je pense qu'il faut effectivement multiplier les démarches de concertation au sein de l'appareil, parce que, là aussi, rien n'est évident. Personnellement, moi, je suis heureux de voir que ma carte Interac me donne accès aux guichets d'une foule de banques, mais j'ai tenté la démarche auprès...

M. Payne: À travers le monde.

M. Comeau (Paul-André): À travers le monde, effectivement. Mais j'ai tenté la démarche auprès de banquiers, voir s'ils étaient d'accord qu'il y ait une seule carte, même à microprocesseur, sous étiquette Interac, et là c'est la fin du monde. Une seule carte, pour eux, c'est l'image de commerce, ainsi de suite. Or, il y a toutes ces raisons qui jouent dans le secteur privé. Dans le secteur public, c'est différent, mais je pense qu'il faut aller un peu plus loin que les démarches intelligentes, généreuses mais très isolées qui sont poursuivies un peu partout.

Et, moi, je vous dis que je suis inquiet – je reviens là-dessus – de voir qu'actuellement il y a au moins trois projets de cartes à microprocesseur dans l'administration québécoise. Pas parce que j'ai peur de la carte à microprocesseur. Au contraire, ça me semble, pour le moment, l'un des meilleurs outils, hein, avec ses défauts, mais l'un des meilleurs outils disponibles. Mais est-ce qu'on va s'engager dans des frais du genre? C'est des millions et des millions et des millions de dollars. Simplement une carte à 8 $ par 6 000 000, ça fait 50 000 000 $, et il n'y a pas d'installation technique, c'est seulement la carte. C'est de l'argent!

Le Président (M. Garon): J'écoute M. Comeau, et je me rappelle, il y a quelques années, quand on était devant la commission parlementaire sur les institutions financières ou sur les compagnies d'assurances, tout le monde jurait qu'il n'y avait aucun problème à établir un fichier central. J'avais voté contre parce que, moi, j'ai toujours été méfiant de ces questions-là et j'ai toujours trouvé qu'au Québec on n'était pas assez méfiants.

Pourtant, dans le New York Times il y a quelques semaines, on disait que la principale préoccupation des gens dans le siècle qui s'en vient, ça va être la vie privée, même avant l'environnement. Ça va être plus préoccupant, la vie privée, d'avoir une vie privée. On disait que le fichier central, c'était bon pour tout le monde. L'Inspecteur général des institutions financières, c'était beau, les experts consultés, les universitaires, c'était beau. Moi, je disais: Oui, mais, quand il va exister, le fichier, on s'en servira peut-être pour pénaliser. Le but, c'était de faire payer plus cher de prime à ceux qui avaient des accidents. Moi, je disais: Oui, mais il va y avoir une tentative de dire: Vous avez souvent des accidents, mais vous n'êtes pas coupable, vous n'êtes responsable de rien. Ah! Non, non, non. Tout le monde jurait sur ses grands chevaux qu'il n'y avait pas de problème. Résultat: grâce au fichier central du Québec, on est devenu le seul endroit en Amérique du Nord où on est pénalisé quand on ne fait pas d'accident.

Moi, je le sais, je l'ai vécu, comme on dit. J'ai eu deux fois le pare-brise cassé par une roche d'un camion. C'est toujours bien pas de ma faute, je n'ai pas couru après la roche. On m'a dit: On ne vous assure plus. Mais oui, mais je ne suis pas responsable. Ah! Vous n'êtes pas responsable? Ça fait deux fois. Et dans la prime, ce qui est compris dans le bris de vitre d'une automobile est compris également le vol de la voiture et le vandalisme. En tout cas, il y a trois affaires qui vont dans la même prime. Je ne sais pas si c'est encore le cas. J'ai appelé plusieurs fois l'Inspecteur général des institutions financières, M. Bouchard, pour lui dire: Vous aviez juré devant la commission... bien, pas juré, mais vous aviez affirmé solennellement qu'il n'y aurait pas de problème. Qu'est-ce que vous allez faire aujourd'hui? Au bout de la ligne, il disait: Ne parlez pas si fort. Je parle fort parce que je suis fâché, vous aviez dit qu'il n'y avait pas de problème, puis il y en a, des problèmes. Vous avez été trop naïf. J'avais dit à l'Inspecteur général des institutions financières que, tous les Québécois, on était le seul État en Amérique du Nord qui était pénalisé quand il n'y avait pas de faute dans les accidents.

Alors, grâce à un fichier central qui ramassait toutes les données, vous ne pouviez plus aller dans une autre compagnie d'assurances, vous étiez fiché pour toutes les compagnies d'assurances du Québec. Moi, je pense, au contraire, moi, si j'ai quelque chose à vous dire, moi, je pense que vous n'êtes pas assez vigoureux encore pour protéger la vie privée des gens. Ce n'est pas parce qu'on existe que tout le monde a le droit d'avoir accès à notre vie privée.

M. Comeau (Paul-André): J'espère que je ne vous ai pas donné cette impression-là, parce que, à la suite, par exemple, de ce qui s'est passé en commission parlementaire aux mois de mai et juin, on nous a accusés du contraire quand on défendait mordicus les principes auxquels, d'ailleurs, l'Assemblée nationale s'est rendue, pour la cueillette de renseignements par le ministère du Revenu. On nous faisait le reproche contraire: d'être un peu tatillonneux et un petit peu dépassés, mais on a maintenu les principes.

Une voix: ...

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Garon): Parce que, nous autres, on a toujours la solution universelle, au Québec: le guichet unique, la solution universelle. On est restés catholiques dans tout le reste. On pratique moins, mais on est catholiques dans tout. Il faudrait être un petit peu protestants, tu sais.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Garon): Alors, M. le député... je ne veux pas abuser comme président. M. le député de Jacques-Cartier.

M. Kelley: Je veux juste revenir sur cette même question, parce qu'à la page 12 de votre mémoire on parle, sur une carte multiservices, d'être capable d'avoir des zones étanches, si j'ai bien compris. Je peux avoir accès aux données du permis de chasse donné au député de Vachon sans nécessairement avoir accès à son permis de conduire, etc. Parce que ma crainte, avec une carte multiservices, demeure toujours que ça va donner un portrait de la consommation d'un individu très intéressant si on met sur ça les allocations familiales, si on met... On peut avoir beaucoup de données du gouvernement du Québec pour la famille Kelley, par exemple, qu'on peut déduire en regardant tous mes échanges avec le gouvernement, et, tôt ou tard, ça va devenir très intéressant de vendre ça à quelqu'un, dans une crise économique, dans une crise dans les finances publiques, un genre de portrait de la famille québécoise qui peut être intéressant pour quelqu'un qui veut vendre des jouets ou veut vendre des ordinateurs destinés aux jeunes étudiants, ou quelque chose... Et, pour des fins louables et dans le contexte de rareté des finances publiques, on va dire: On va laisser faire.

Alors, est-ce qu'on a la technologie existante pour mettre sur une carte ces données sans jumeler les banques de données, ou est-ce qu'au bout de la ligne la vie privée est mieux protégée avec trois, ou six, ou 12 cartes à microprocesseur qui viennent de 12 banques de données différentes, au lieu de tout mettre sur une carte?

(14 h 50)

M. Comeau (Paul-André): Alors, M. le député, vous avez soulevé l'un des problèmes majeurs. Je répète que la carte à microprocesseur, la «Smart Card», est probablement actuellement l'un des meilleurs instruments. Même si on vient de découvrir qu'il y avait possibilité de manipuler la carte, il n'y a rien de confirmé là-dessus, mais enfin, il y a des doutes qui subsistent.

Cependant, le problème de la carte à microprocesseur, comme tout autre instrument, c'est aussi un problème de perception. Si, sur une carte multiservices, par exemple, nous avons des données purement administratives, c'est-à-dire monsieur a son permis de conduire, c'est son numéro, monsieur a droit aux services offerts par la RAMQ, c'est son numéro... s'il n'y a que des données administratives, l'intérêt est relativement mineur, mais, si on franchit l'étape suivante, si on ajoute des données relatives aux points de démérite, relatives aux examens médicaux, et ainsi de suite, là on change de partie, et toute la confiance des citoyens envers la carte peut être remise en question. Parce que la perception est fondamentale, et on aura beau savoir de façon presque certaine que les zones sont complètement étanches, qu'on ne peut y accéder qu'avec le consentement de la personne et son NIP, etc., la perception est là.

D'ailleurs, je vous signale que les experts, maintenant, aussi bien européens qu'au sein du G 7, viennent de s'entendre sur une recommandation fondamentale: de faire en sorte que la carte-santé soit complètement indépendante des autres cartes. Donc, on peut avoir des renseignements administratifs sur une autre carte, mais que la carte-santé, s'il doit y avoir des données relatives à la santé de l'individu, soit une carte à part. Donc, ça répond partiellement à votre question en ce sens que les experts actuellement au sein du G 7 recommandent qu'il y ait, là où il y a une carte d'identité, une carte-santé à côté.

M. Kelley: Y compris les médicaments?

M. Comeau (Paul-André): Oui.

M. Kelley: Parfait. Une deuxième question, parce que, moi, je dois avouer, je ne suis pas un expert dans les ordinateurs, loin de ça, mais vous avez attiré notre attention sur l'encryptage. Moi, dans mon bureau de comté, par exemple, on a maintenant le E-Mail. Je ne l'utilise pas souvent, mais j'ai vu qu'il commence à y avoir des commettants qui m'envoient des messages par E-Mail. Alors, c'est génial, et je trouve ça une autre forme pour me mettre en contact avec mes commettants, alors c'est toujours souhaitable. Mais c'est quoi, les dangers? C'est quoi, l'accès qu'on peut avoir au E-Mail envoyé à un député? Parce que vous avez également parlé de prudence pour l'usage d'Internet et E-Mail pour les organismes publics, dans votre mémoire.

M. Comeau (Paul-André): Le courrier électronique, le E-Mail, est une des dimensions les plus intéressantes actuellement d'Internet mais aussi l'une des grandes faiblesses pour les réseaux internes. D'ailleurs, ce n'est pas pour rien qu'on a multiplié depuis un an les inventions de «Fire Walls», de toutes sortes de technologies, d'instruments logiciels pour contrer la pénétration des ordinateurs internes grâce au courrier électronique. Je ne suis pas plus spécialiste que vous, mais je sais que des individus réussissent à rejoindre directement leur interlocuteur pour ensuite avoir accès à l'ordinateur central d'une entreprise – ça, c'est le premier problème – de sorte qu'il y a toute une industrie qui s'est développée pour essayer de protéger cela.

L'autre problème, c'est le développement au sein des entreprises de ce qu'on appelle l'Intranet, c'est-à-dire qu'on relie, à l'intérieur d'une entreprise ou avec ses filiales, par un réseau interne l'ensemble des ordinateurs, des PC, pour leur permettre de communiquer, donc d'avoir un E-Mail interne. Et on a franchi l'autre étape, on a uni l'Internet et l'Intranet, c'est-à-dire qu'on permet aux gens dans l'entreprise d'avoir accès directement à Internet et de se servir d'Internet pour leur E-Mail. Là, on a multiplié de façon exponentielle les dangers de pénétration, parce que votre correspondant qui aura votre adresse électronique, une fois qu'il aura réussi à vous rejoindre, est intégré automatiquement dans le réseau interne, dans l'Intranet, et là ça devient un jeu pour les spécialistes d'aller au coeur de vos informations. C'est-à-dire qu'il n'y a rien de pire que la conjonction entre l'Intranet et l'Internet pour fragiliser un ordinateur et les données de l'entreprise, d'un ministère ou quelque chose du genre.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Sherbrooke.

Mme Malavoy: Bonjour, M. Comeau. Je trouve très, très intéressante votre réflexion, mais je reste quand même avec des préoccupations, je dirais, de citoyenne moyenne. Il y a des questions qu'on pose dans votre mémoire qui sont un peu les questions que tout le monde se pose, je pense. Et je comprends que vous ayez un ton assez rassurant, quand vous dites: Les problèmes ne sont pas nouveaux, ce ne sont que les conditions des problèmes qui sont nouvelles. Je vous comprends, mais, à un moment donné, quand les conditions changent, quand même, de façon très importante, le citoyen ou la citoyenne moyenne a tendance à croire que ça change aussi un petit peu le fond du problème. Entre autres, l'abolition de l'espace et l'abolition du temps, c'est quand même deux points de repère auxquels on était habitués dans bien des domaines de notre vie, et de penser que ces deux barrières-là peuvent disparaître sur l'inforoute, ça nous laisse un peu inquiets.

Une de mes préoccupations, c'est ce qui se passe au plan international. Je comprends qu'au Québec notre réflexion et notre législation soient peut-être relativement avancées. Je sais d'ailleurs que vous servez, je crois, de source de réflexion à d'autres États, mais on a évoqué tout à l'heure très simplement les différences entre notre approche et celle du Nouveau-Brunswick. Vous avez mentionné également les efforts que l'Union européenne fait pour commencer à réglementer cette question très complexe. Pour qu'on se sente rassuré, il faut avoir l'impression qu'il y a quelque chose qui chemine au plan international, puisqu'il n'y a plus de frontières. Et j'aimerais vous entendre là-dessus. Comment voyez-vous la situation dans son ensemble? Et est-ce qu'il y a quelque chose que nous puissions faire, qui contribue à régler le problème au plan international?

M. Comeau (Paul-André): Vous avez raison de dire que l'abolition du temps et de l'espace nous plonge dans l'incertitude, mais il faut être aussi conscient qu'il est possible d'imaginer des réponses, qui ne seront pas absolues mais qui seront quand même intéressantes, à ces défis. Par exemple, lorsque les réseaux téléphoniques ont été réunis et rendus interopérables et qu'il a suffi de composer le préfixe 011 pour avoir accès au monde, on a trouvé aussi les mécanismes qui permettent de comptabiliser et de facturer. On a réglé ça à une rapidité incroyable, de sorte qu'il n'y a aucune compagnie téléphonique qui a fait faillite depuis ce temps-là. On a ajouté les éléments. Je pense qu'il y a moyen.

Mais c'est évident que, lorsqu'on joue sur des questions de droit, c'est beaucoup plus compliqué. Actuellement, les démarches sur la scène internationale, c'est en fonction de la cryptographie, de permettre aux individus, avec un jeu de clés privées et clés publiques, enfin, de moyens de protection, de pouvoir communiquer, de faire des transactions anonymes et confidentielles. Là il y a tout un effort qui est fait. Pour le moment, vous savez comme moi que le principal obstacle à la cryptographie, c'est le gouvernement américain qui, pour des raisons de lutte contre le terrorisme, contre la drogue et d'autres raisons, refuse obstinément la vente des logiciels de cryptographie développés aux États-Unis et a même intenté des procès contre certains inventeurs de ces logiciels, à commencer par le professeur Zimmerman qui a inventé le plus simple et le meilleur des logiciels actuellement, le Pretty Good Privacy. Il a été traduit devant les tribunaux à trois reprises parce qu'il était allé décharger son logiciel sur Internet où on pouvait le prendre gratuitement. Et il a été poursuivi pour cela parce que c'était assimilé à un secret militaire. Alors, il y a tout un problème majeur à l'égard d'un moyen qui est fondamental pour assurer un minimum. Donc, on sort du droit traditionnel et on se trouve dans des questions de géopolitique.

Vous avez raison de soulever la différence entre le Nouveau-Brunswick et le Québec. C'est un cas inquiétant. Il est évident qu'au moment où l'économie connaît les ratés que l'on déplore tous chacun essaie de tirer sa couverture, son épingle du jeu, et on oublie des principes. La loi québécoise dans le domaine nous donne un élément de réponse, en ce sens que les entreprises et les organismes québécois sont responsables des renseignements personnels qu'ils détiennent, que les renseignements soient à l'intérieur du Québec ou à l'extérieur. On a donc fait notre part à cet égard. Il reste maintenant, de l'autre côté, sur le plan international, des renseignements qui seraient recueillis au Québec par des entreprises non québécoises de diverses façons. Alors, là, il y a un vide juridique.

(15 heures)

C'est évident que la réponse n'est pas automatique. Les uns réclament une législation internationale totale, d'autres n'en veulent pas en raison des principes de liberté, d'égalité, etc. Il y a tout un débat. Là-dessus, il faut non pas non plus être, comment dire, naïf. Le droit de la mer, on en fait depuis 400 ans à peu près et on en est encore à des zones grises et à des inconnues majeures. Alors, que le droit de la cybernétique, le droit spatial soit mal défini, c'est évident, mais il faut y cheminer. On n'a pas pour le moment, vous avez raison, toutes les réponses, mais l'intérêt, c'est qu'on travaille à les fournir, et là ça devient stimulant.

Le Président (M. Garon): À la minute qu'il existera une carte-santé, la carte-santé d'un patient ou carte-médicaments, qu'est-ce qui pourra empêcher un employeur, avant d'engager quelqu'un, de lui demander la carte et de la passer dans la machine pour voir qu'est-ce que cette personne a? Et, à ce moment-là, on va arriver à une drôle de sélection du personnel. Moi, j'ai vu des gens qui avaient la sclérose en plaques, mais d'une façon latente, qui pourra peut-être bien se déclarer dans 20 ans, peut-être jamais, puis qui ont perdu leur emploi constamment quand c'était connu. Alors, quand il y aura une carte-santé, là, on va arriver à une forme d'eugénisme, fatalement, parce que les compagnies vont dire: Bien, j'aimerais avoir votre carte. Puis, si vous ne la présentez pas: Au prochain, «Au suivant», comme disait Jacques Brel.

M. Comeau (Paul-André): Bon. Vous avez soulevé un problème majeur, et il est lié au concept fondamental qui sous-tend la loi du secteur public, et qui est très visible dans la loi sur le secteur privé, qui est celui de la finalité. Une carte a une fin, une fin précise, et l'Assemblée nationale a adopté un amendement à la Loi sur la Régie de l'assurance-maladie, précisément, qui interdit d'exiger la carte. Il est évident qu'il y a moyen, légalement, mais aussi techniquement, d'empêcher cette production, parce que, pour avoir accès à la zone sécuritaire sur une carte à microprocesseur, il faut le NIP, ou l'équivalent, du patient, mais il faut aussi l'équivalent de la part du médecin. Donc, il y a un double consentement. Il y a un problème réel là, mais qu'il est possible de résoudre.

Et, ce problème-là, il est lié à celui de l'identité, curieusement. On a assisté ces derniers mois à une demande curieuse de la part d'un certain nombre d'organismes populaires à Montréal, les ACEF, etc., en vue de faire lever par l'Assemblée nationale cette interdiction d'exiger ou le permis de conduire ou le NAM, parce que beaucoup de citoyens n'ont que ces deux instruments pour s'identifier. Alors, on a un effet boomerang d'une démarche, qui était logique, qui a été poursuivie par l'Assemblée nationale. Les gens n'ont pas de passeport, n'ont pas de permis de conduire, ainsi de suite, ils ont leur carte d'assurance-maladie. Et les entreprises ont pris comme politique, beaucoup d'entre elles en tout cas, de ne plus exiger, de ne plus demander et de ne plus accepter, aussi, la carte d'assurance-maladie. Alors, beaucoup de gens se trouvent complètement démunis. Il y a un problème là qui est lié à notre débat sur l'identité, sur la façon de s'identifier.

Mais vous avez raison, le danger, il est là et il est conscient, comme il existe dans de nombreux pays où on demande aux citoyens d'apporter leur dossier de santé. Il faut empêcher ça, et notre loi le permet facilement parce qu'elle est bien structurée. Mais il y aura toujours des tentatives, hein. Ça, il faut être logique, l'homme est ce qu'il est et n'a pas tellement changé depuis qu'il a appris à marcher.

Le Président (M. Garon): Ça peut interdire de l'exiger, mais, si je la demande et qu'on ne me la produit pas, bien, je mets le dossier à la poubelle.

M. Comeau (Paul-André): Pardon?

Le Président (M. Garon): Vous dites: On peut empêcher, interdire à quelqu'un d'exiger la carte à puce, mettons qu'on l'ait, pour la santé.

M. Comeau (Paul-André): Oui, oui.

Le Président (M. Garon): Mais, si, moi, je suis un employeur, je dis: Je vous le demande. Je ne l'exige pas, je vous le demande. Mais, si vous ne voulez pas, votre dossier va à la poubelle. Je n'exige pas.

M. Comeau (Paul-André): Oui. Ça fait partie, ça, des problèmes à résoudre. Et il est évident qu'un employeur ne pourra pas faire ça longtemps, il sera un jour ou l'autre traduit devant les tribunaux si la législation est claire là-dessus. Et si vous lisez, dans le secteur privé, l'article 9: «Nul ne peut refuser d'acquiescer à une demande de biens ou de services», etc. C'est très clair. Alors, lorsqu'il y aura eu des interventions de tribunaux, la tentation sera moins grande, mais elle sera là, je l'admets.

Le Président (M. Garon): Mais la personne ne pourra jamais invoquer ça, parce qu'elle ne le saura pas.

M. Comeau (Paul-André): De plus en plus, M. le Président.

Le Président (M. Garon): Si je vous demande votre dossier médical et que vous dites non, je continue l'entrevue, je mets le dossier de côté, mais, après ça, je ne l'étudie pas pour l'engagement.

M. Comeau (Paul-André): Oui. Mais, ça, M. le Président, les citoyens deviennent de plus en plus conscients de leurs droits et conscients également de ce que représente leur carte-santé, hein. Ça, il y a un changement dans la société.

Le Président (M. Garon): M. le député de Vachon.

M. Payne: Oui. Mais notre président, le député de Lévis, a raison d'une certaine façon. Il y a quelque chose de comparable, par exemple, lorsque vous arrivez à un hôtel, on vous demande une carte pour vous identifier. Comme dit l'Américain: «They want an imprint». En réalité, ce n'est pas ça, ce qu'ils veulent.

M. Comeau (Paul-André): C'est une garantie.

M. Payne: Ce qu'ils veulent, ils veulent avoir une garantie qu'à côté de votre engagement que vous signez comme quoi vous allez acquitter tout, ils mettent ça ensemble, si jamais vous quittez votre chambre... et vous êtes pris. Donc, la liberté de donner ou de ne pas donner que la loi me confère est limitée par le privilège d'une institution de fournir ou de ne pas fournir des services. Donc, il a raison, notre président, lorsqu'il dit que c'est un peu banal, ce droit-là, dans la réalité au jour le jour.

Il y a un autre corollaire à tout cela. Ce n'est pas juste ça, mais les firmes de crédit comme Équifax, par exemple, on les oblige à rendre publiques les données qu'ils peuvent avoir sur quelqu'un. Par contre, c'est qu'on ne les oblige pas – corrigez-moi si je me trompe – à informer le citoyen au moment où ils constituent ce petit fichier sur un consommateur. Donc, là, ils ont droit de commercer dans votre nom, c'est-à-dire de trafiquer votre nom, si vous voulez, mais c'est seulement sur votre demande.

Moi, il y a quelques années, je communiquais avec une de ces agences de crédit, et j'ai été étonné. Il y a des erreurs factuelles, et très, très souvent... Et j'ai poursuivi, à titre de parlementaire, avec un des vice-présidents, et puis il était obligé de... Ça, c'est avant que la loi ait été changée. Il m'avait dit: Oui, malheureusement, il y a beaucoup d'erreurs. Ce qu'il n'a pas dit, c'est qu'il en profitait malgré tout, malgré les erreurs qui étaient là-dedans. Moi, je pense, en tout cas, qu'il y a le mandat de la commission qui devrait être révisé pour donner beaucoup plus de pouvoir de recommandation aux législateurs pour qu'on puisse encadrer davantage les droits d'accessibilité.

M. Comeau (Paul-André): Ça a été prévu en partie par l'article 19 de la loi sur le secteur privé. Évidemment, le problème, c'est qu'on ne se rend pas compte des moments ou des circonstances dans lesquels on permet la constitution de ces dossiers par des maisons comme Équifax. Quand vous négociez un emprunt ou que vous négociez une carte de crédit, il y a toujours les fameux petits caractères, et si vous portez attention à ces petits caractères là, vous autorisez la banque, l'entreprise, à transmettre ces renseignements à des personnes comme Équifax. Il y a donc, au départ, un geste inconscient, ou plus ou moins inconscient, de l'individu qui permet... Parce que Équifax ne lance pas, ne constitue pas de dossier elle-même. C'est l'information qui lui est fournie par des fournisseurs, par des entreprises, etc. Et ces renseignements-là, vous l'avez dit, sont très souvent inexacts. Je ne sais pas au Canada, mais aux États-Unis, une étude, il y a trois ou quatre ans, a démontré que 30 % de ces renseignements étaient inexacts, ce qui est énorme pour un individu.

Alors, la constitution des dossiers de crédit est un problème, et il est évident que la circulation de ces renseignements permet maintenant aux gens d'être beaucoup plus conscients de cela qu'avant. Quand vous allez à la banque et que la jeune fille interroge à distance Équifax, vous vous rendez compte immédiatement de ce qui se passe. Tandis qu'autrefois vous alliez voir votre banquier, le banquier vous faisait revenir deux, trois jours après, et là il vous parlait d'autorité et d'abondance, et vous ne saviez pas ce qui se passait. Mais là, quand vous voyez la jeune fille interroger l'ordinateur, il ne faut pas être très, très futé pour s'en rendre compte. Il y a un changement aussi chez le consommateur, qui est lié à la technologie.

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Si je peux me permettre, je pense que le problème que vous posez confirme un peu ce que disait M. Comeau, en ce sens que ce n'est pas un problème nouveau. Par exemple, la semaine dernière, j'ai reçu à mon bureau de comté une personne de minorité visible qui m'a dit qu'elle était allée dans une entreprise publique, au gouvernement, pour répondre à une offre d'emploi, et on lui a fait passer une entrevue. Elle a déposé son c.v., et ainsi de suite, puis elle est repartie, puis, avant de prendre l'autobus, elle s'est rappelé qu'elle avait oublié son imperméable à l'endroit. Elle est revenue pour constater que son c.v. avait été jeté dans le panier.

(15 h 10)

Donc, c'est exactement la même chose. C'est exactement le même problème, c'est-à-dire que, au fond, la solution résidera dans l'adoption par les entreprises privées ou publiques de codes d'éthique sur lesquels elles pourraient éventuellement être évaluées ou être surveillées. Mais c'est la même chose, c'est-à-dire que, que vous disiez: «Vous ne voulez pas me donner votre carte de santé, donc, à ce moment-là, moi, c'est de valeur, mais je ne vous retiens pas comme candidat légitime», ou la demoiselle qui dit: «Mais, celle-là, c'est une Noire, donc, ça ne nous intéresse pas ici; de toute façon, le curriculum vitae, je ne le regarde pas, je jette ça au panier», c'est exactement le même problème.

Peut-être que vous avez raison de dire que le problème est «exponentialisé» en ce sens que, là, vraiment, il n'y a plus seulement une personne qui est sujette à faire l'objet d'une pareille discrimination, mais c'est peut-être des milliers ou des millions de personnes. Mais comment on gère ce problème-là? Il y a le mode de gestion légal, mais il y a certainement d'autres modes de gestion, parce qu'on gère déjà ces problèmes-là dans notre société. Des fois, on les gère assez peu efficacement, comme dans ce cas-ci, là, mais je trouve que l'un des modes de gestion, ça sera d'exiger des acteurs institutionnels qu'ils se donnent des codes d'éthique sur lesquels on puisse éventuellement les évaluer ou les juger, quoi.

M. Comeau (Paul-André): Là vous ajoutez une autre dimension qui est celle de la discrimination, évidemment, qui s'ajoute au simple refus.

M. Laporte: Tantôt, c'était vraiment un cas discriminatoire.

M. Comeau (Paul-André): C'est un cas de discrimination encore plus caractérisé parce qu'il y a une connotation presque raciste là-dedans, mais les problèmes... Il est évident qu'on ne peut pas du jour au lendemain corriger tout cela. La société québécoise a été exemplaire en Amérique du Nord en s'engageant dans cette voie dans le secteur privé. Nous sommes encore les seuls à le faire. Alors, il s'agit d'aller à contre-courant contre des dizaines et des dizaines d'années d'habitudes, de pratiques dans le domaine des renseignements personnels. Pour le moment, je pense, la société québécoise répond bien. Il y a des problèmes, mais, globalement, les entreprises, les organismes se sont mis à l'heure des deux législations. Il y a des problèmes, c'est évident. D'ailleurs, c'est pour ça que nous sommes ici, sinon on serait sans doute congédiés rapidement. Mais, moi, je trouve que nous faisons des progrès appréciables, et il y a un changement de mentalité. Je vous donne un exemple précis.

Avant l'adoption de la loi 68, seulement dans les entreprises où il y avait des syndicats bien implantés, les employés avaient le droit d'avoir accès à leur dossier. Alors, maintenant, dans toute petite entreprise, les employés ont accès à leur dossier d'employé. C'est une révolution considérable. Et à peine quelques mois après l'entrée en vigueur de la loi, les problèmes se sont tassés à cet égard. Moi, j'ai trouvé ça absolument phénoménal, quand on pense que les syndicats se sont battus pendant des années pour obtenir ce droit-là. La loi a été adoptée, est entrée en vigueur en 1994, et c'est passé dans les moeurs. Moi, je suis assez surpris et fier en même temps de cela. Je ne dis pas que tout est parfait, que certains ne contournent pas la loi – il faut être réaliste – mais, globalement, la société québécoise a fait des progrès par rapport au contexte nord-américain. Parce que, là, c'est important aussi. Nous subissons les modes, le poids de la tradition et de la façon de faire, et on tire quand même notre épingle du jeu, modestement mais avec un succès relatif.

Le Président (M. Garon): M. le député de Taschereau.

M. Gaulin: Oui, M. le Président. La technologie ne fera pas les choses, comme on le disait, de manière plus parfaite, elle est de l'ordre des moyens. Ce midi, je suis allé manger au restaurant. On était quand même là une centaine, et j'ai payé avec un gros bill du Dominion, comme aurait dit Séraphin, et la jeune fille m'a dit: Tout le monde m'a payée avec des cartes. Donc, tout le monde avait utilisé la monnaie de plastique. Et voilà, toute la discussion qu'on fait entre le privé puis le public, c'est ça aussi. Les gens veulent avoir la technologie sans avoir les inconvénients. Parce que la monnaie de plastique, elle permet d'identifier plus rapidement celui qui l'utilise que celui qui paie avec un 100 $. Mon nom n'était pas sur le 100 $. Il y a des numéros à ce billet-là, on peut toujours vérifier des choses, mais...

C'est la question que je me pose, parce que, quand on parle, par exemple, de la carte à puce pour le système de santé, elle a des inconvénients, certes, mais elle peut avoir des grands avantages démocratiques, comme celui, par exemple, d'envoyer à tous les citoyens, éventuellement, le coût des soins de santé qu'ils ont utilisés pendant l'année, vérifier, en tant que citoyens-payeurs de taxes, si on a facturé à son État des choses qu'ils paient parce qu'ils sont des citoyens de cet État-là. Alors, moi, je ne le sais pas. J'ai déjà soulevé ce problème-là à quelques reprises à des commissions de ce type-là. Quand je vais à l'hôpital, à l'urgence, et que je laisse ma carte et qu'on me la remet trois quarts d'heure après, je ne sais pas ce qu'on a fait avec.

Alors, la question, elle est là: C'est quoi, l'ordre du privé et du public? Et on oppose très souvent les droits individuels, les droits personnels, les droits de vivre caché – à la rigueur, on pourrait toujours aller dans la forêt – et puis les droits de vivre en public et les inconvénients de vivre en public, aussi. On a même vu récemment des gens qui ont poursuivi un photographe qui avait mis leur photo dans le journal, alors qu'il avait fait d'abord et avant tout une photo esthétique marquant peut-être la solitude contemporaine devant une porte d'une rue de Montréal.

M. Comeau (Paul-André): Il y a beaucoup de sous-questions dans la vôtre. Vous avez soulevé un point important: quand la jeune fille au restaurant préfère la carte de plastique, c'est qu'elle a obtenu une vérification qui l'a dégagée de toute responsabilité, tandis que votre 100 $, si c'est un billet de 100 $, elle prend le risque de l'accepter et de n'avoir aucune garantie, tandis que, si vous avez donné votre carte de crédit, l'assurance paie et c'est fini. Les avantages sont à partager.

En ce qui concerne la carte-santé et la production d'un état de dépenses, je pense que c'est déjà possible actuellement. Je ne pense pas qu'il faille de carte-santé. L'état actuel des registres de la RAMQ permet de faire ça. La carte-santé va plus loin que ça. Elle permet de protéger les renseignements qui figuraient autrefois sur le registre papier et qui sont tout aussi vulnérables. Quand votre dossier traîne sur un comptoir à l'hôpital, dans l'ambulance ou sur le comptoir à la clinique privée, etc., il est beaucoup plus vulnérable que votre petite carte avec une petite puce qui doit être lue par des appareils spécialisés avec votre consentement. Donc, il y a du pour et il y a du contre.

Quant aux droits individuels et aux droits collectifs, en ce qui concerne les renseignements personnels, ce sont les droits individuels qui l'emportent en vertu de la Charte, de façon très claire. Et, à ce moment-là, des instruments comme la carte permettent de mieux protéger, je ne dis pas d'assurer la protection absolue, mais de mieux protéger ces droits.

M. Gaulin: Merci.

Le Président (M. Garon): Ce n'est pas parce que quelque chose existe qu'on doit s'en servir.

M. Comeau (Paul-André): Non.

Le Président (M. Garon): Au XIXe siècle, tout le monde portait le revolver.

Une voix: Oui?

Le Président (M. Garon): Aujourd'hui, ça prend un enregistrement bien spécial pour avoir le droit d'en avoir un.

M. Comeau (Paul-André): Tout à fait.

Le Président (M. Garon): Alors, pourtant, le revolver existe. Aux États-Unis, bien, eux autres, ils ont plus de problèmes avec ça qu'ici, mais pourquoi on ficherait tout le monde?

M. Comeau (Paul-André): ...

Le Président (M. Garon): Moi, je dois vous dire, quand j'étais ministre de l'Agriculture, vous n'avez pas idée du nombre de fois que j'ai dû dire non pour ne pas donner la liste des producteurs agricoles, en particulier aux députés. Les députés me haïssaient parce que je disais non parce qu'ils disaient: Je vais m'en servir pour fins électorales. Mais la liste n'a pas été conçue pour des fins électorales, c'est une liste où les gens sont obligés d'être membres pour faire affaire avec les ministères, mais on n'a pas le droit de donner cette liste-là à tout le monde. Et j'ai eu des appels, des appels. Ça remontait toujours jusqu'à mon bureau parce que je disais non tout le temps. J'ai toujours dit non. Pendant neuf ans, j'ai dit non, mais les demandes étaient incroyables. Au début, je ne comprenais pas pourquoi. Au début: Pourquoi ils veulent tous avoir cette liste-là? Après ça, j'ai vu qu'il y avait des avantages, pour les gens qui avaient cette liste-là, à en avoir une copie.

M. Bissonnet: M. le Président...

Le Président (M. Garon): Oui, M. le député de...

M. Bissonnet: ...juste une petite information, en tout cas, juste pour intervenir auprès de vous, M. le Président. Lors du dernier référendum, on a changé. On a une liste permanente électorale, et dans cette liste permanente électorale, il y a le nom de fille de chaque dame et la date de naissance. Autrefois, on avait le nom de famille, on avait l'âge. Évidemment, les électeurs, sur la copie qu'ils reçoivent pour voir s'ils sont sur la liste électorale, ne découvrent pas l'âge...

M. Comeau (Paul-André): Exact.

M. Bissonnet: ...mais ceux qui sont candidats, eux, le président des élections leur remet la cassette, si vous voulez, avec toute la liste électorale, avec toutes ces informations-là. Comme, moi, dans mon comté, je peux vous dire que Mme X qui demeure à telle adresse, son nom de fille, c'est ça, et je peux lui dire sa date de naissance. Et, avec sa date de naissance, je peux aller plus loin, je pourrais aller au palais de justice vérifier, avec son nom de fille, avec sa date de naissance, voir si elle a un dossier, et je vais le trouver. Mais, sans ça, je ne pourrai jamais trouver ces informations-là.

(15 h 20)

Alors, est-ce que vous êtes assuré, au niveau du bureau du président des élections, parce que, nous aussi, on est consultés, il y a des gens qui nous demandent ces listes-là aussi. Il y a des gens qui nous demandent d'avoir une copie de la liste électorale parce que maintenant ils ont la date de naissance. Moi, je ne sais pas, si je suis dans l'horoscope, ça peut être intéressant d'écrire aux électeurs de mon comté puis de dire: Ma chère Balance – on est dans le mois d'octobre – voici, je suis très versé en horoscope, j'aimerais que vous achetiez mes volumes, ou quoi que ce soit. C'est un exemple, plus ou moins, mais, ce que je veux dire: Je trouve que tous ceux qui ont été candidats, de chaque parti politique, puis tous ceux qui sont ici ont tous ça, ils ont des outils qui touchent à la confidentialité des gens, assez loin.

M. Comeau (Paul-André): D'accord. Il y a, si je me souviens bien, dans la loi qui régit les élections, des clauses très précises sur la confidentialité de ces renseignements, d'une part. Et, d'autre part, dans la loi sur le secteur privé, lorsque des renseignements sont remis, les personnes sont obligées d'en respecter la confidentialité, même si, au départ, il s'agit de renseignements publics. Lorsqu'ils sont remis à une personne privée, cette personne-là est obligée d'en assurer... Nous, lorsque le Directeur général des élections a soumis ses propositions d'amendements à l'Assemblée nationale, on avait émis des avis et, par exemple, on s'est opposés, on a maintenu notre opposition à ce que la liste en question soit remise à tous les candidats de tous les partis... Combien de fois par année?

Une voix: Une fois par année.

M. Comeau (Paul-André): Une fois par année. Parce qu'on s'est dit à ce moment-là: On va multiplier d'une façon absolument phénoménale le nombre de candidats – et non pas de députés, le nombre de candidats – aux élections, d'année en année, qui auront le droit à cette liste. Alors, vous imaginez la multiplication de ces listes dans la nature et les conséquences de divulgation de ces renseignements confidentiels! On s'est opposés d'une façon très claire à cela. C'est un problème.

Le Président (M. Garon): Est-ce qu'il y a d'autres députés qui veulent poser des question? Non? Bien, là, je vais vous dire, vous auriez pu poser des questions plus longtemps parce que le prochain intervenant, il a un problème d'automobile, puis... Alors, vu que vous aviez des questions à poser, je ne disais pas un mot et je vous laissais aller.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Garon): Et comme, le but, c'est de laisser les gens s'exprimer, on a limité le temps, mais, à ce moment-là, on aurait dû faire une interruption puis attendre. Alors, les prochains intervenants, je pense, ils ne sont pas arrivés, c'est la Société professionnelle des auteurs et compositeurs du Québec. Est-ce qu'ils sont arrivés?

M. Bissonnet: C'est des choses très pratiques. Lorsqu'un citoyen appelle, par exemple, dans une compagnie de restauration, il commande, pour reprendre l'exemple, au Coq BBQ, alors, quelqu'un appelle pour se faire livrer une commande, et j'ai remarqué ça, automatiquement, la personne, elle demande le numéro de téléphone et puis elle inscrit le numéro de téléphone sur l'ordinateur, elle a toute l'adresse puis toutes les informations. C'est toléré, ça? Il n'y a pas de problème avec ça?

M. Comeau (Paul-André): Tant et aussi longtemps que ces renseignements demeurent dans l'entreprise, pour les fins de l'entreprise, il n'y a pas de problème. Évidemment, tant qu'on...

M. Bissonnet: Mais eux autres doivent acheter ces informations-là quelque part.

M. Comeau (Paul-André): Ah! Bien, alors, là, on change, la loi intervient, et la vente des renseignements est prévue... pas la vente, l'échange, la transmission de ces renseignements, c'est prévu par la loi, il y a des modalités à respecter.

M. Bissonnet: Est-ce qu'il y a de la taxe, la TVQ puis la TPS, là-dessus?

M. Comeau (Paul-André): Ha, ha, ha! Je ne sais pas.

Le Président (M. Garon): Alors, je remercie les porte-parole de la Commission d'accès à l'information, particulièrement M. Comeau, de leur contribution aux travaux de la commission. Et on vous avait d'ailleurs cédulés, je ne sais pas si vous avez remarqué, au tout début de la commission parce qu'on savait que vous aviez beaucoup de choses à dire, mais, par ailleurs, un concours de circonstances, et on a pu vous interroger pendant presque une heure et demie parce que le prochain intervenant qui devait venir à 15 heures a eu, pas un accident mais un problème d'automobile.

Alors, comme le prochain intervenant n'est pas arrivé et que celui qui vient après n'est pas encore arrivé parce qu'il devait passer à 16 heures, alors, on va suspendre les travaux de la commission, si vous voulez, jusqu'à 15 h 45, 15 h 50, en commençant aussitôt que le prochain sera arrivé.

(Suspension de la séance à 15 h 25)

(Reprise à 16 h 5)

Le Président (M. Garon): Nous allons reprendre nos travaux et nous allons rencontrer M. Guédon par après, pour voir comment ça va pouvoir s'arranger. Ça pourrait être sans doute en soirée.

Alors, maintenant j'appelle la Société professionnelle des auteurs et compositeurs du Québec à venir faire leur exposé, en vous disant que vous avez 20 minutes... Bien, une heure au total: 20 minutes, normalement, pour votre exposé, 20 minutes pour les députés ministériels, 20 minutes pour l'opposition officielle. Si vous en prenez plus, bien ils vont en avoir moins; si vous en prenez moins, ils en auront plus, s'ils le veulent.

Allez-y. Mme Bertrand-Venne, si vous voulez vous présenter et présenter les gens qui vous accompagnent.


Société professionnelle des auteurs et compositeurs du Québec (SPACQ)

Mme Bertrand-Venne (Francine): Alors, bonjour. Ça me fait plaisir de me présenter devant vous. Je suis directrice générale de la Société professionnelle des auteurs et compositeurs du Québec. Je suis accompagnée de deux membres du conseil d'administration de la SPACQ: M. Marc Chabot et M. Mario Chenard.

Je suis heureuse de me présenter devant vous avec des gens qui peut-être n'ont pas une personnalité très connue, mais M. Chabot a écrit les plus grands succès de Richard Séguin et Marie-Denise Pelletier, Claire Pelletier, Luce Dufault. Et ça me fait plaisir d'être accompagnée de lui aujourd'hui pour illustrer la problématique du droit d'auteur.

Et M. Chenard est auteur-compositeur-interprète et exécute ses propres oeuvres, et a endisqué ses oeuvres dans le passé.

J'essaierai de vous... Comment?

Le Président (M. Garon): Il est même originaire de Lévis, je pense.

Mme Bertrand-Venne (Francine): Oui, voilà. Alors, la SPACQ a pris naissance en 1981, créée par un groupuscule d'auteurs-compositeurs qui étaient Luc Plamondon, Diane Juster et Lise Aubut, parce que la loi du droit d'auteur au Canada avait certains empêchements pour eux d'exercer leur profession. Ayant constaté ce fait, ils se sont donc rassemblés, ont créé cette Société et se sont dotés d'une société de droit de reproduction, une première en Amérique du Nord au point de vue législatif, au point de vue légal, je devrais dire, puisque c'est une véritable société d'auteurs où les auteurs-compositeurs cèdent leurs droits d'auteur à la société de gestion qui, elle, étant investie du pouvoir de l'auteur, peut négocier librement la valeur des oeuvres qui sont utilisées pour le droit de reproduction.

Qu'est-ce que le droit d'auteur vient faire en inforoute? La SPACQ a été partie prenante de tous les colloques de l'autoroute qui se sont tenus récemment, je dirais, dans les trois dernières années. Il s'agissait de savoir si la pratique de l'inforoute affaiblissait les droits, ou révolutionnait les droits, ou faisait en sorte que les gens n'avaient plus d'assise juridique.

Nous pouvons affirmer maintenant, après plusieurs études, après plusieurs colloques et plusieurs consultations, notamment le Comité consultatif de l'autoroute de l'information du Canada et le sous-comité juridique qui ont vraiment affirmé que la pratique de l'autoroute de l'information n'avait pas révolutionné les droits, c'est une façon différente de se servir du droit d'auteur. Mais d'aucune façon on a changé les droits. Il s'agit toujours de l'exécution publique et de la reproduction des oeuvres. Seulement, ça se fait plus rapidement et de façon plus constante.

Donc, c'était ce que nous surveillions. Avec la réalité du droit, il s'agissait de savoir quel contrôle et quel respect allions-nous avoir sur cette inforoute. Donc, c'était l'autre étape. Nous avons donc surveillé le contrôle quant au paiement. Et nous sommes allés à plusieurs colloques. Je suis même allée à des colloques où il y avait, par exemple, des industries de logiciel. J'ai essayé de déborder du droit d'auteur pour savoir... Je m'étais dit: si les hommes d'affaires livrent leurs produits sur l'inforoute, c'est... le jour où ils feront ça, c'est parce qu'ils seront capables d'être payés. Il n'y a pas un bon homme d'affaires qui ferait ça, livrer ses oeuvres de façon gratuite, ou enfin ses produits de façon gratuite.

Évidemment, je ne vous surprendrai pas en disant que l'imbroglio de l'inforoute et que ce concept de gratuité vient d'une mésentente des mots anglais qui disent: «free access». «Free access», ça ne veut pas dire... C'est l'accès libre, mais ce n'est pas l'accès gratuit. Et voilà la grande différence. Et c'est pour nous, en droit d'auteur, la grande différence.

L'accès aux oeuvres. Les auteurs-compositeurs sont ici pour dire qu'ils veulent être appréciés, connus et livrer leurs oeuvres sur l'autoroute de l'information en autant que le contrôle du paiement et de la violation de leurs droits puisse être exercé convenablement sur l'autoroute de l'information. C'est ainsi que nous avons surveillé, donc, cette façon de faire.

(16 h 10)

On s'est aperçu, je vous dirais, jusque vers il y a un an peut-être, que les hommes d'affaires n'avaient pas encore commencé à commercer sur l'autoroute de l'information précisément parce que le contrôle n'était pas tout à fait efficace. Depuis ce temps, on commence à voir qu'il y a des façons d'administrer et de contrôler ces choses.

En 1994, je me suis présentée au Congrès international du droit d'auteur, à Washington, et le thème du congrès était justement l'inforoute. Les sociétés internationales de droit d'auteur se sont commises à encoder les oeuvres. Et la raison pour laquelle je vous dis ça, c'est qu'on essayait évidemment de se moderniser et d'administrer le droit d'auteur pour être efficace le plus possible, pour que l'usager, évidemment, se serve de nos oeuvres, tout en essayant d'avoir le contrôle.

Et je suis heureuse de vous annoncer que j'arrive – il y a deux semaines – du congrès qui s'est tenu à Paris cette année, et, effectivement, dans la période de deux ans, les oeuvres ont donc été encodées au niveau international. Tous les répertoires, donc, des sociétés de droit d'auteur ont pu procéder à l'encodage des oeuvres.

Ensuite, il s'agissait de savoir si, quant aux violations de droit d'auteur, on pouvait recourir et avoir des dommages et intérêts. Donc, je crois que vous devez savoir que le médecin qui traitait M. Mitterrand a écrit un livre et qu'il y a eu un arrêt de publication en France, parce que, en France, le droit d'auteur perdure après la mort de quelqu'un, c'est-à-dire son droit moral persiste après la mort. Les éditeurs de ce livre ont donc arrêté, sur toutes les tablettes françaises, la vente du livre.

Mais voilà qu'un serveur à Besançon, un M. Gaumont, a livré l'oeuvre sur Internet et cette oeuvre s'est retrouvée aux États-Unis, en Angleterre, en Grande-Bretagne, au Canada. Il s'agissait de savoir qui était responsable. Est-ce que c'était la personne qui avait livré l'oeuvre sur Internet? Est-ce que c'était le consommateur qui l'avait téléchargée à l'autre bout? Ou est-ce que c'était le serveur?

Le serveur et tous les serveurs, au début, prétendaient, comme les câblodistributeurs, par exemple, qu'ils n'étaient que des «carriers» et qu'ils n'exerçaient pas de volonté sur ce qu'ils offraient. Et, fort heureusement, grâce aux Américains, d'ailleurs... Ça va vous étonner peut-être, mais, aux États-Unis, on a donc pu responsabiliser le serveur.

Et donc, M. Gaumont, de Besançon, n'a pu être rejoint. Inutile de vous dire qu'il a arrêté. Il tenait un Café Internet et il a donc arrêté la commercialisation de son Café Internet quand il a vu qu'il commençait à avoir des problèmes. Et puis on n'a pas pu recourir à lui pour recevoir... enfin, être dédommagé. Mais, finalement, l'important à savoir là-dedans, c'est qu'on commence tranquillement à être capable de responsabiliser le serveur. Donc, ce sont des situations juridiques qui étaient, pour les auteurs-compositeurs, essentielles à déterminer avant de commencer à penser: Est-ce qu'on veut faire affaire là-dessus?

J'aimerais que vous compreniez que le droit d'auteur, ce n'est pas un exercice intellectuel intéressant, c'est le salaire des gens que je représente. Et je ne suis pas ici pour être théorique. J'aimerais que vous compreniez que quand je parle de ces situations-là, c'est le fondement même du paiement de leur travail. Et donc, c'était important d'aller vérifier toutes ces choses juridiques avant de commencer à penser être capable de dire aux membres de la SPACQ: Bien, voilà, l'inforoute n'est pas menaçante pour vous.

Donc, ces questions sont un peu élucidées. Depuis trois ans, je dois dire qu'on a fait de grands progrès, et on peut déjà affirmer que la pratique peut donc être un peu plus contrôlée, et on commence tranquillement à avoir de la jurisprudence qui peut nous aider à exercer nos droits.

Je ne pourrai pas passer sous silence, évidemment, la révision du droit d'auteur, qui vient de subir une deuxième lecture à la Chambre des communes, à Ottawa, cette année, qui est un problème majeur pour les auteurs-compositeurs du Canada, particulièrement ceux du Québec, parce qu'il y a 13 pages d'exceptions dans cette loi.

Nous avons surveillé ce projet de loi en regard de l'inforoute, en regard de se dire: Si tous les commerçants, tous les producteurs de multimédia, si c'est un nouveau défi pour les hommes d'affaires, c'est aussi un nouveau défi pour les créateurs d'oeuvres artistiques. Et comment ces gens-là pourront-ils profiter économiquement de l'utilisation de leurs oeuvres dans l'inforoute? Malheureusement, les exceptions qui sont introduites dans ce projet de loi déresponsabilisent les archives, les bibliothèques, les musées et tous les établissements scolaires du Canada. Donc, toute oeuvre livrée par le biais de ces serveurs échappera et ne constituera pas une violation du droit d'auteur.

Et comment voulez-vous, une fois l'oeuvre livrée sur l'inforoute, que les auteurs-compositeurs puissent négocier commercialement l'utilisation de leurs oeuvres? Voilà la raison pour laquelle les sociétés d'auteurs, au Canada, s'opposent farouchement à ce projet de loi, parce que c'est un affaiblissement majeur de leurs assises juridiques.

De plus, les radiodiffuseurs et télédiffuseurs du Canada, particulièrement du Québec – et je pense ici à TVA, et à TQS, et à Télé-Québec, et à toutes les institutions du Québec – donc, je veux que vous soyez bien conscients que ces gens-là se négocient une exception d'enregistrement dite éphémère, c'est-à-dire prétextant que dans la nouvelle technologie ils doivent faire des enregistrements l'après-midi pour passer le soir, ils veulent éroder le droit de reproduction des auteurs. Ce n'est qu'une brèche dans un mur. On sait qu'ils veulent l'entièreté du droit de reproduction, ils veulent voir disparaître ce droit, parce que, juridiquement, l'inforoute n'est presque exclusivement que du droit de reproduction.

Voilà l'opposition que nous avons. Elle est peut-être pire que celle entre le PQ et le Parti libéral, c'est une opposition farouche d'utilisateurs, d'usagers, hommes d'affaires qui, eux, ont droit de faire des affaires, mais qui enlèvent aux auteurs-compositeurs et aux artistes la possibilité de gagner leur vie. Ce n'est pas à vous que je dirai que les subventions et la possibilité de gagner la vie des créateurs devient de plus en plus difficile, que l'État n'a plus d'argent pour financer personne. On est conscient que c'était une nouvelle façon pour les créateurs d'avoir une juste rémunération pour leur travail.

Donc, voilà la bataille. Dans le projet de loi C-32, ça, c'est très important, puisque je suis devant le comité de la culture, ici, du Québec, de comprendre que dans ce projet de loi on veut introduire une rémunération pour l'artiste interprète et pour le producteur de disques. Il est très important que vous compreniez que la bataille de la SPACQ, le combat des auteurs-compositeurs, des créateurs, c'est de vous faire comprendre que ce sont deux professions distinctes, et M. Chabot est ici pour en témoigner. Mario cumule à lui seul les deux professions, mais Mario a aussi son chapeau d'auteur aujourd'hui, et j'ai plusieurs artistes auteurs-compositeurs-interprètes à mon conseil d'administration qui comprennent ça. Le grand combat du droit d'auteur, c'est d'arriver à ce que le répertoire chanté par un chanteur puisse avoir une valeur équivalente ou tout au moins se rapprocher le plus possible des cachets de l'artiste interprète.

Pourquoi je vous parle de ça à la commission du droit d'auteur cette année? La décision sur le concert gratuit, par exemple. Donc, les fêtes et festivals du Québec, la Fête nationale du Québec, tout ce beau monde, Mme Daveluy, du groupe Rideau, qui sont des présentateurs de spectacles, sont tous venus pendant trois jours ouvrables contester l'augmentation du droit d'auteur des créateurs canadiens. Si les fonds publics ne servent qu'à payer les estrades et privent les auteurs d'une rémunération qui mériterait une augmentation décente, je ne peux pas comprendre que ces gens-là soient venus contester l'augmentation du droit d'auteur.

Et voilà donc l'opposition que nous avons: prétextant que le droit d'auteur coûte trop cher, que ça tue les entreprises et qu'elles sont toujours devant des déficits. Mais ce n'est pas ça, l'enjeu, c'est que ces gens-là veulent faire des affaires sur le dos des créateurs, voilà le véritable enjeu.

Donc, vous posez des questions dans votre document qui sont très intéressantes, mais je voulais vous situer juridiquement et dire quel était le combat des créateurs, pour commencer à répondre aux questions qui sont fort intéressantes dans le document que vous nous avez soumis.

(16 h 20)

Je voudrais dissiper une incompréhension entre le droit d'auteur et le copyright. Quand on a dit dans le document que les Américains, que les États-Unis ont des concepts de propriété intellectuelle et de droit d'auteur qui n'existent pas, j'aimerais vous faire la remarque que, s'il y a un peuple sur cette terre qui a compris le bien-fondé des redevances des oeuvres musicales, c'est bien les Américains. Mais ils ont compris ça – et c'est là la grande différence entre le droit d'auteur, plus de fidélité de droit civil, et le copyright, qui est beaucoup plus de philosophie britannique et anglophone, en général, Australie et les pays de common law – c'est qu'il ne faut surtout pas que ce soit l'auteur qui négocie la valeur de l'oeuvre musicale. Donc, il faut que ce soit un homme d'affaires. Qu'on pense à l'éditeur musical, qui est généralement, à 95 %, un producteur de disques qui vient se chercher une quote-part du droit d'auteur pour commercialiser l'enregistrement sonore et se faire une rétribution. Donc, les Américains ont compris ça depuis longtemps.

Il ne faut pas penser que ces gens-là n'ont pas de concept de droit; ils ont un concept de droit, mais de copyright, pas de droit d'auteur. Ils ne veulent pas que ce soit l'auteur qui négocie la valeur de l'oeuvre; ils veulent, eux, garder le contrôle. Et voilà la différence: ils protègent l'oeuvre et non pas le créateur. En droit civil dans les sociétés européennes, on permet à l'auteur, par ces sociétés d'auteurs, de contrôler son oeuvre, de négocier la valeur, et c'est lui, en quelque sorte, qui, au moins, a le haut du pavé dans sa négociation, comme tout bon homme d'affaires et comme toute personne qui invente un produit puis qui est sous l'égide des marques de commerce. Donc, voilà l'univers dans lequel on se situe. Donc, premier imbroglio, les Américains connaissent très bien la «game».

Une autre affaire, c'est qu'ils ont compris l'enjeu du contenu. Ça fait des années que l'hégémonie américaine est présente dans le monde. Mais comment sont-ils venus à ça? C'est parce qu'ils se sont préoccupés d'oeuvres, de contenus, ils ont créé une culture. Évidemment, là, ils la commercialisent dans le monde, mais je crois qu'on aurait intérêt à penser que c'est là l'enjeu. Ce n'est plus une question de structure entre la téléphonie et les câblodistributeurs et de savoir qui de ces compagnies et de ces sociétés...

J'étais présente à la présentation de M. Chagnon au CRTC, sur son projet magnifique qu'il a en Angleterre, et tout ça, les câblodistributeurs, la téléphonie. L'enjeu, ce jour-là où je suis allée, c'était la liste des numéros de téléphone que Bell téléphone ne veut pas donner aux câblos, et puis, bon, voilà. On voit ça, c'est un univers économique. Ils vont se débrouiller puis ils vont trouver les moyens, puis vous saurez me dire que tous ces gens-là vivront une concurrence saine et se retrouveront, en quelque sorte.

Mais, pour les créateurs, la seule assise qu'ils ont, c'est leurs droits. S'ils n'ont pas de droits, ils sont expropriés puis ils ne sont pas dans le coup de la négociation. Donc, ce sont les choses que je voulais vous dire. Le cheval de Troie dont on parle ici, dans les questions, est-ce que ce sont les Américains qui constituent le cheval de Troie? Bien, moi, je vous dirais: Est-ce que ce seront les bibliothèques, musées, archives du Canada et établissements scolaires qui seront le cheval de Troie pour les créateurs? Est-ce que, par le biais de ces institutions, on pourra livrer et perdre le contrôle sur les oeuvres dans l'inforoute?

Et une chose bien étrange – je voudrais finir sur une chose positive – dans les questions que vous avez posées, ce sont des préoccupations industrielles. L'inforoute va sûrement changer et modifier les intervenants de l'industrie de l'enregistrement sonore. Un éditeur musical restera-t-il le même? Le producteur de disques sera-t-il le même dans un univers de dématérialisation des oeuvres? Quand un auteur-compositeur, de chez lui, pourra livrer l'oeuvre directement sur l'inforoute, y a-t-il lieu de continuer à financer à grands cris ces individus? Pourrait-on peut-être commencer à penser financer les gens qui créent le contenu et commencer à penser que ces gens-là méritent peut-être une attention beaucoup plus grande?

Je vais vous donner un exemple. À la CISAC, j'étais en train de dîner avec un auteur-compositeur belge qui me disait qu'il avait écrit une oeuvre sur monsieur... la révolution espagnole?

Une voix: Franco?

Mme Bertrand-Venne (Francine): Franco. Merci. Et son producteur de disques a lunché avec lui... Et ça, cet exemple-là, je peux vous dire que mes auteurs vivent ça quotidiennement dans l'univers du Québec, mais, pour l'illustrer, je me sers de lui, c'est plus neutre. Le producteur de disques a dit: Tu ne mettras pas ça sur ton disque, parce que, ça, ça ne poignera pas puis c'est de la politique; ça ne poignera pas puis on ne vendra rien. Alors, il lui a tenu tête, il a dit: Si tu ne mets pas cette oeuvre-là sur mon disque, tu ne fais plus affaire avec moi. Moi, je sors, je continue ma vie et je n'ai pas besoin d'endisquer, de faire ce disque-là, je me trouverai quelqu'un d'autre et ça attendra.

Cette oeuvre-là a été écoutée de façon clandestine en Espagne, paraîtrait-il, et a constitué l'oeuvre, dans tout le répertoire de cet auteur-là, qui lui a rapporté le plus de droits d'auteur et qui a été le plus grand vendeur de ce producteur de disques. Je veux vous soumettre ça, parce qu'il arrive trop souvent que des préoccupations industrielles, des préoccupations d'hommes d'affaires n'ont rien à voir avec la culture, n'ont rien à voir avec le cheminement des oeuvres, n'ont rien à voir avec un choix et l'appréciation que, nous, les humains, nous avons et que nous aimons dans la vie quotidienne.

Et je peux vous dire que dans les structures gouvernementales actuelles du Québec il n'y a pas beaucoup de place pour les créateurs. La SPACQ est ici devant nous, elle est très reconnaissante d'un appui indéfectible des ministres de la Culture qui se sont succédé dans les cinq dernières années, autant du Parti libéral que du PQ, nous en sommes profondément reconnaissants.

Nous faisons face à une coupure au CALQ, au Conseil des arts et des lettres du Québec. Nous avons à grands cris réclamé de l'aide du gouvernement fédéral qui nous a coupés l'année dernière. Et la structure est ainsi faite que tous les programmes d'aide à l'enregistrement sonore au Québec sont dans les mains des producteurs de disques. Il faut être capable d'avoir un auteur-compositeur qui est son propre producteur, qui est évacué de toute possibilité, ainsi que notre association qui aujourd'hui peut vous présenter un point de vue, je pense, différent de ce qu'on vous présente habituellement et qui, à mon sens, mérite d'être dit.

C'est sûr que vous êtes des législateurs, vous êtes ici pour décider des choses, mais je crois que c'est capital de comprendre que plus le législateur s'éloigne du créateur, plus il s'éloigne de sa culture, plus il s'éloigne de ce qui est fondamental et plus il fait d'erreurs. Parce que je sais que le respect de la culture commence par le respect des créateurs. Et je veux aussi vous dire que l'autoroute de l'information, pour nous, pour les francophones que je représente, c'est une ouverture vers le monde, parce que partout dans le monde où il y aura des francophones, il y aura une appréciation des oeuvres.

Et pourquoi je dis ça? Parce que, dans le moment, sur les stations de radio, il n'y a qu'un groupuscule d'individus qui décident ce qu'on entend sur les stations de radio, parce que ce sont des hommes d'affaires qui décident quel son ils veulent avoir, quelle sorte de musique ils veulent avoir. Et, moi, je suis ici pour vous dire: Je représente des créateurs, ils ont une prolifération de créations dans tous les genres et tous les milieux et ils ne réussissent pas à se faire entendre.

Donc, pour nous, l'inforoute, c'est une ouverture, c'est même très positif. Une fois que les assises juridiques seront solides, c'est une façon positive de se dire qu'on voit ce défi comme un défi intéressant, nouveau, en autant que mes gens puissent être rémunérés de façon adéquate. C'est plutôt un défi emballant et c'est même un défi extraordinaire, parce qu'il va au-delà des structures que nous vivons dans le moment, et c'est même une façon de défoncer toutes ces structures. On espère que vous aurez des questions à notre égard. Je vous remercie de nous avoir entendus. Hein?

M. Chenard (Mario): Et de libérer les oeuvres.

Mme Bertrand-Venne (Francine): Et de libérer les oeuvres. Ah, oui, oui. Ah oui, c'est ça. Et que tout le financement qui est fait aux producteurs de multimédia... Parce que, ça, j'ai vu les sommes d'argent passer. Je suis allée au colloque international du multimédia où M. Lampron, de la SODEC, a annoncé le financement. Et on s'aperçoit qu'il n'y a aucune contrepartie d'obligation de respecter les droits ni d'incitatifs gouvernementaux pour se servir des oeuvres des gens de chez nous. Ce qui voudrait dire que dans toutes ces structures...

Récemment, j'ai rencontré des gens du ministère pour parler de la problématique du spectacle de la chanson française: c'est effrayant, il y a une crise, une crise. Quand on présente des créateurs, il n'y a pas de crise. Le problème, c'est les structures, c'est le financement, c'est des choses comme ça. Mais, pour nous, c'est important de vous dire que les producteurs... Les artistes-interprètes sont Québécois, les producteurs sont Québécois, c'est le fun, ça fait des productions québécoises. On a l'impression qu'on soutient notre culture. On a financé ces hommes d'affaires là, et tout ça, mais, en fin de compte, les seuls qui sont privés, c'est souvent les créateurs, parce que leurs oeuvres ne sont pas nécessairement choisies pour être mises sur ces produits-là. Et voilà la problématique.

On se donne bonne conscience que les artistes-interprètes sont Québécois. On se sert d'eux autres, il n'y a pas de problèmes. Il y a eu dans le dernier budget du gouvernement – et on est très heureux – une possibilité d'exemption. Les hommes d'affaires peuvent dire s'ils sont abonnés, là, au théâtre, à la musique, ils peuvent déduire ça dans leurs dépenses, mais il n'y avait rien pour la musique populaire. C'était pour la musique dite sérieuse, évidemment, le théâtre, et tout ça.

(16 h 30)

Et, cet été, je suis allée voir la pièce de théâtre Maria Callas , et c'était Mme Filiatrault, la metteure en scène... On était fiers d'eux. Les comédiens sont québécois, et tout ça, mais l'oeuvre n'est pas québécoise, l'oeuvre est américaine. C'est ça qu'on essaie de vous dire. Soyons vigilants parce que beaucoup d'individus travaillent... Ce n'est pas que je ne veux pas que les producteurs puis les artistes-interprètes québécois ne gagnent pas de l'argent, je suis très fière d'eux, mais il faut aussi que les créateurs vivent de leurs oeuvres. Mais il faut aussi les utiliser, parce que le droit d'auteur n'opère qu'avec l'utilisation des oeuvres. Et croyez-moi que, dans les pays européens, dans les pays où les gens se tiennent debout, ils se servent des oeuvres des gens de chez eux. Et c'est comme ça que les Américains ont opéré la brèche dans la culture mondiale, parce qu'ils se sont préoccupés de créer du contenu. Et ça fait longtemps qu'ils ont compris ça. Merci.

Le Président (M. Garon): M. le député de Taschereau.

M. Gaulin: Merci, M. le Président. Mme Bertrand, M. Chabot, M. Chenard, je suis très heureux de vous voir, étant un de ceux qui ont fait de leur enseignement universitaire un enseignement sur la poésie orale sonorisée. Je suis très heureux, donc, de voir, entre autres, M. Chenard, M. Chabot; M. Chenard, je pense, vient de faire un disque, un CD, M. Chabot, qui est l'auteur de beaucoup de textes. Et justement je pensais, en écoutant Mme Bertrand, à Jack Kerouac. C'est peut-être tous les artistes qui vont se chercher aussi sur l'inforoute: «Tu cherchais qui, tu cherchais quoi, de Lowell, Mass. jusqu'à L.A.?» Alors, je trouve ça intéressant.

Vous avez soulevé des problèmes qui sont d'ordre politique. Ce qui se passe à Ottawa sur les droits d'auteur, ce qui peut se passer ici, Dieu sait que ce n'est pas nécessairement facile. Mais ce qu'on a souligné, par ailleurs, avec d'autres intervenants, c'est que l'inforoute est une technologie. Elle ne vient parfois qu'accentuer des problèmes qui sont déjà là. Et elle les accentue d'autant plus qu'ils n'étaient pas réglés dans d'autres technologies, si vous voulez, le livre, le CD, etc. On sait d'ailleurs que les auteurs, chez nous, ne sont pas payés au même titre qu'ils le sont ou qu'elles le sont en France, par exemple, pour donner un exemple. Et, là-dessus, on connaît les colères célèbres de Luc Plamondon, qui étaient des colères qui se justifiaient hautement.

Moi, ce que je voudrais savoir de vous, puisque nous sommes là à une commission sur l'inforoute, la présence... Je suis heureux de voir que vous voyez ça quand même de manière optimiste, de manière diffusive, c'est-à-dire que la chanson québécoise va atteindre de nouvelles oreilles, des oreilles dans la francophonie et, plus largement d'ailleurs, des oreilles pour toutes celles et ceux qui s'intéressent à ce phénomène de la chanson en particulier. Mais les contrôles ne sont pas faciles. Vous les imaginez, vous les concevez comment, sur l'autoroute de l'information? Parce que vous savez toute la piraterie qu'il peut y avoir sur le fait qu'on ne vous paie pas ce qui se passe sur les ondes, ce qui se passe... même les livres qu'on peut produire qui ne sont pas payés, qui ne sont pas comptabilisés, qui ne sont pas payés à temps, etc. Vous concevez ça comment, sur l'autoroute...

Mme Bertrand-Venne (Francine): Bien, je vais vous dire franchement...

M. Gaulin: ...sur l'inforoute?

Mme Bertrand-Venne (Francine): ...à prime abord, je pense qu'on a été très effrayé, et on l'est encore. Ce n'est pas facile, mais je crois qu'à chaque jour suffit sa peine. Comme c'est un nouvel univers, je crois qu'on va réussir. Vous savez, les stations de radio, depuis 1924, n'ont jamais payé le droit de reproduction des auteurs-compositeurs, des oeuvres qui sont livrées sur leurs stations de radio. Donc, on peut être patient dans la vie puis on peut finalement arriver à tranquillement exercer nos droits. Mais l'important...

J'ai évoqué tout à l'heure l'encodage des oeuvres. Donc, je voulais juste vous faire voir que nous aussi, de notre côté, il y a de l'évolution rapide quant au contrôle. Alors, si, dans deux ans, on a été capable d'encoder les oeuvres, cela voudrait dire que, sur l'utilisation de l'oeuvre, une fois qu'on la télécharge dans notre ordinateur, il y aura un signal et on pourra dès lors savoir que l'oeuvre est utilisée. Et ça retourne à la société de gestion qui, elle, fait le paiement partout dans le monde. Alors, je crois que, pour nous dans le moment, ce n'est pas très concret parce que ce n'est pas encore vécu dans le quotidien. Mais on a quand même mis en place les éléments pour être capable de le faire bientôt. Donc, je vous répondrais: C'est un peu comme toute nouvelle chose, ça. Nous, on a un peu le vertige.

Mais, vous savez, toute nouvelle technologie... Quand j'étais petite fille, en 1950, je pense... Ma grand-mère est morte en 1949 et je suis née en 1949. Et ma mère disait que ma grand-mère disait: Tu sais que ça va être la fin du monde, bientôt on va avoir des images dans notre salon, ça va être des vues dans notre salon. Alors, c'est la télé. Et ça me rappelle toujours que, même à cette époque, on pensait que c'était la fin du monde, que c'était tellement extraordinaire. Et finalement, vous savez, on a aménagé. J'ai très confiance en l'être humain, moi. L'être humain va savoir bien maîtriser ces nouvelles choses.

Dans le moment, c'est un «free-for-all», parce que ça a été conçu comme ça. C'était les gouvernements... Enfin, l'inforoute avait été justement conçue pour être très peu structurée, parce que c'était le gouvernement américain, et tout ça, et c'était pour l'armée. Enfin, on m'a expliqué que c'était vraiment dans cette perspective-là. Mais, comme je vous disais tout à l'heure, si les hommes d'affaires, si les gens commencent à penser, à transiger et à commercialiser des choses, je pense que l'être humain saura très bien comment l'aménager. Mais, pour l'instant, ce sont des structures qu'on est en train d'établir. Moi, je demeure très positive qu'on réussira très bien comme humains à contrôler... Je reste très sereine face à l'inforoute. Ça ne me fait pas peur du tout, du tout.

M. Gaulin: Ce n'est pas pour vous embêter, vous savez, que je pose cette question-là, c'est pour essayer d'être éclairé, nous, comme commission, puisque c'est un mandat d'initiative, et ce mandat-là nous demande d'essayer de voir un peu plus clair sur ce que ça représente, l'inforoute, entre autres pour la langue française, pour la culture québécoise, pour le domaine de la chanson, etc.

Mme Bertrand-Venne (Francine): Mais je réitère ce que je vous disais tout à l'heure. Le financement pour le multimédia ne peut pas se faire sans un certain incitatif à se servir des oeuvres des créateurs de chez nous, quelque part.

M. Gaulin: Parce que le contrôle de tout ça va demander une sorte de police dont vous n'avez peut-être pas les moyens, autant vous que d'autres. Par exemple, combien il y aurait actuellement de sites sur la chanson? Moi, je dois aller donner une conférence bientôt à un certain nombre d'universitaires et, justement, j'ai regardé ce qu'il y avait sur la chanson québécoise. Parce que je me suis dit: Tant qu'à parler de la chanson québécoise, autant, pour ces universitaires-là qui vont avoir accès à l'inforoute, regarder quelles sont les chansons qui sont sur l'inforoute actuellement auxquelles je peux me référer et auxquelles ils pourront se référer. Alors, combien il y a de sites? Comment vous les contrôlez? C'est très technique, au fond, comme question. Au-delà de la confiance que vous avez dans les techniques modernes...

Mme Bertrand-Venne (Francine): Voilà, ce que j'en sais...

M. Gaulin: ...comme association, vous autres, est-ce que vous avez des moyens à nous suggérer pour ce type de contrôle des droits d'auteur?

Mme Bertrand-Venne (Francine): C'est drôle, parce qu'à venir jusqu'à date dans le commerce c'est les producteurs de disques qui ont livré des textes. On s'est retrouvé l'année dernière avec la maison Audiogramme qui avait livré l'ensemble, tout le disque de Beau Dommage qui venait juste de sortir. Et on a dû intervenir auprès de la compagnie parce qu'elle avait livré les oeuvres, mais elle n'avait pas livré leur disque. Alors, eux, ils n'étaient pas privés... Ils faisaient ça pour une promotion de la vente du disque. Mais on pouvait voir tous les textes des chansons et on pouvait écouter pendant deux à trois minutes les oeuvres. Donc, on est intervenu auprès de la compagnie. Ça, c'est la société de gestion qui a pu réussir à faire ça.

M. Gaulin: SODRAC.

Mme Bertrand-Venne (Francine): C'est SODRAC qui gère le droit de reproduction. Mais, nous, comme société d'auteurs, nous n'avons pas encore livré les oeuvres ou les répertoires sur l'Internet, voulant être très prudents et étant très conscients que la commercialisation des oeuvres n'est pas encore assez sécure. Il n'y a pas de société de gestion qui a encore livré le répertoire sur l'autoroute. Il n'y a que souvent des individus, des fois des auteurs-compositeurs moins connus qui livrent leurs oeuvres et qui veulent peut-être tout de suite aller sur l'Internet, et des producteurs. Alors, chez nous, les auteurs, on n'a pas encore commencé à transiger sur l'Internet parce qu'on n'est pas assez sûrs encore; mais ça s'en vient, au moins se faire connaître... La SODRAC a une page sur Internet pour savoir qu'on gère un répertoire, quels sont les droits qu'on gère, mais je ne saurais vous dire le nombre de sites. Je ne saurais vous répondre là-dessus.

M. Gaulin: Est-ce que vous pouvez me dire s'il y aura éventuellement – et j'imagine que la réponse, c'est oui – des gens qui pourraient utiliser vos textes de manière...

Mme Bertrand-Venne (Francine): Ah, mon Dieu, oui.

M. Gaulin: ...qu'ils ne respectent pas, au fond, vos droits, en les utilisant avec souvent une certaine bonne volonté? Vous avez fait appel au quiproquo de la traduction anglaise tout à l'heure, «free access».

(16 h 40)

Mme Bertrand-Venne (Francine): Bien, d'ailleurs, dans le cas d'Audiogramme que je vous soumettais, effectivement on pouvait très bien télécharger les textes des oeuvres. Et voilà, on avait déjà violé le droit d'auteur. Quelqu'un qui, chez lui, pouvait télécharger le texte des chansons était déjà en violation du droit d'auteur. Mais, comme vous savez, dans toutes les autres technologies actuelles, il y a des violations quotidiennes. Et c'est très difficile encore... La seule façon pour les auteurs, c'est leur société d'auteurs qui leur donne une marge de manoeuvre et un poids. Parce que, individuellement, c'est très difficile.

M. Gaulin: C'est sûr.

Mme Bertrand-Venne (Francine): Mais je peux vous dire que c'est très difficile, effectivement.

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont.

M. Gaulin: Merci.

M. Laporte: Merci. Mme Bertrand-Venne, c'est surtout pour essayer de vous mieux comprendre. Je peux vous donner, disons, une expérience que j'ai vécue l'été passé par accident. Je me suis retrouvé une nuit de temps avec des chansonniers, des romanciers, des poètes, des gens qui font du théâtre et qui font vraiment des oeuvres qui, comme vous le dites, ne sont pas diffusées. Ce dont ils se plaignaient finalement, c'est qu'il y a cette sélection dont vous parlez et cette espèce de... C'est des créateurs tout-terrains finalement. C'étaient beaucoup des gens qui vivaient dans l'Est de Montréal. Ce que vous dites, c'est que finalement l'Internet, pour ces gens-là, ça aurait un effet libérateur extraordinaire, quoi.

Mme Bertrand-Venne (Francine): Absolument.

M. Laporte: Donc, eux, pour une fois, ils pourraient franchir la frontière de la censure commerciale, institutionnelle ou du goût, qui est celui qui est géré par les grandes organisations commerciales dont vous parlez, quoi.

Mme Bertrand-Venne (Francine): Absolument. Et, comme vous savez, ce n'est pas à vous que je vais l'apprendre, je pense, mais, en matière culturelle, si tu n'es pas en contact avec ta culture, tu ne sais pas que tu l'aimes ou tu ne sais pas que tu ne l'aimes pas, tu ne la connais pas.

M. Laporte: Bien oui. Sûr.

Mme Bertrand-Venne (Francine): Alors, voilà.

M. Laporte: C'est ça.

Mme Bertrand-Venne (Francine): Mais c'est à force de l'entendre et d'être en contact avec la culture quotidiennement qu'on aime. Alors, il faut entendre, il faut être en contact. Alors, voilà, oui, vous avez raison, parce que, un des problèmes majeurs pour les créateurs du Québec, c'est de subir cette espèce de sous-groupe qui décide ce qu'on entend, ce qui est diffusé, ce qui est joué, enfin...

M. Laporte: Mais ce que j'ai pu comprendre, disons, sans avoir vraiment une expérience concrète de ça, c'est que ça rejoint beaucoup de monde, ça. Il y a beaucoup de ces gens-là qui sont des crétateurs ignorés, inconnus, refoulés, dans un sens.

Mme Bertrand-Venne (Francine): Pour vous répondre, à la soirée SOCAN, l'année dernière... Ils remettent des prix, à chaque année, à une oeuvre qui a eu 25 000 exécutions publiques à la radio. Donc, ce sont les grands classiques de la chanson. Et cette société, la SOCAN, gère le droit d'exécution publique. Tous les auteurs-compositeurs qui ont passé ce soir-là pour recevoir leurs prix, il va sans dire, sont des gens qui ont fait des succès dans le passé. C'étaient des chansons qu'on connaissait. C'étaient des Jean Lapointe, Édith Butler, les gens de Beau Dommage, à l'origine. Et tous ont dit, surtout Jean Lapointe, Édith Butler... Ce sont des gens qui sont ostracisés, parce qu'ils ont une image qui est trop ancienne, ou qui sont catalogués comme dépassés, ils ne sont pas dans la relève. Les structures de financement sont beaucoup faites pour la relève.

Alors, on voit monter quelqu'un, un artiste. Je vous dirais: Qu'est-ce qu'il est advenu de Belgazou, ou de Martine Saint-Clair, ou de la petite Chevrier, qu'on a entendues? Alors, voilà, les structures sont faites. Même le concours du Festival international de la chanson de Granby, les auteurs-compositeurs me disent: Le gagnant de ce concours-là, il a le plus grand budget de production de sa vie au Québec, tu sais, pour faire le disque de sa vie. Alors, voilà, effectivement il y a vraiment une problématique. Et on se dit que l'inforoute va certainement un peu débloquer les choses. Et ce sera une remise en question pour ces hommes d'affaires là aussi qui doivent... Vous savez, dans la prolifération, aussi, des postes spécialisés de radio, il va y avoir une demande de contenus, et on espère que justement il y aura donc, pour ces gens-là aussi, des débouchés.

M. Laporte: Mais pour revenir à la question du député de Chauveau...

M. Gaulin: Taschereau.

M. Laporte: ...de Taschereau, je veux comprendre comment, disons, cette technologie qui pourrait agir comme un levier pour arriver, disons, à émanciper finalement les oeuvres de ces auteurs, à les faire pénétrer dans le goût de l'heure, parce que tout est une question de goût finalement – comme vous dites, si on veut l'aimer, il faut l'avoir entendu – comment ça va se dérouler pour qu'il y ait une valeur financière, une valeur monétaire qui leur revienne?

Mme Bertrand-Venne (Francine): Bien, c'est pour ça que je vous disais: Il s'agit juste de savoir que leur droit d'auteur est respecté. Une fois que, sur l'inforoute, on pourra contrôler l'oeuvre, ces gens-là seront rémunérés. Ils vont adhérer à leur société de gestion et puis la société de gestion va les rémunérer pour l'utilisation de l'oeuvre sur l'inforoute, comme la vente d'un disque, comme la chanson qui est jouée à la radio ou à la télévision. Les sociétés d'auteurs ont des ententes avec chacun des usagers. Et, pour moi, l'inforoute, c'est tout simplement ça. Le paiement va venir de cet encodage dont je vous parlais. Et, en adhérant à une société d'auteurs, l'encodage de leurs oeuvres se fera automatiquement et le paiement s'ensuivra.

M. Laporte: Je voulais dire une fois que leur goût sera créé...

Mme Bertrand-Venne (Francine): Bien, c'est-à-dire qu'il n'y aura pas de structure pour empêcher la livraison de l'oeuvre, l'utilisation de l'oeuvre, en autant que, moi, j'ai mes assises juridiques, enfin...

M. Laporte: Ah, O.K., d'accord.

Mme Bertrand-Venne (Francine): ...qu'on puisse exercer le droit. Et que ce soit par l'entremise de l'inforoute ou par l'entremise d'une station de radio, de télévision ou autre, ou de la vente d'un disque, les gens seront payés, rémunérés pour leur travail. Et c'est comme ça que ça va fonctionner. Donc, c'est pour ça que je vous ai beaucoup parlé d'univers juridique. Pour moi, c'était important d'aller vérifier sur l'inforoute s'il s'agissait des mêmes droits, si on opère, et si ça touchait les droits patrimoniaux traditionnels des auteurs. Et, oui, c'est de l'exécution publique et c'est de la reproduction. À ce moment-là, tout s'opérera, et la rémunération pourra ainsi se faire.

M. Laporte: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Sherbrooke.

Mme Malavoy: Bonjour, madame et messieurs. Le projet dont vous parlez dans votre document, le projet de l'université York, est-ce qu'il correspond aux critères que vous trouvez importants, entre autres, vous l'avez mis en italique, quelque chose qui soit «technologiquement neutre»? J'ai trouvé le concept parlant. Est-ce que, donc, ce projet, il correspond à vos critères et est-ce qu'il est, selon vous, généralisable? Est-ce qu'on peut penser que cette façon d'administrer des redevances de créateurs soit généralisable et soit utilisable de façon large par l'ensemble des pays?

Mme Bertrand-Venne (Francine): Vous m'avez parlé de l'université York, vous dites?

Mme Malavoy: Oui. Je ne me trompe pas?

Une voix: Je ne pense pas qu'elle ait parlé de ça.

Mme Malavoy: Pardon?

Mme Bertrand-Venne (Francine): Je ne pense pas que ce soit moi, ça. Mais «technologiquement neutre», par exemple, c'est ce que les créateurs demandent dans la loi du droit d'auteur, parce que...

Mme Malavoy: Je m'excuse, madame, parce que je veux clarifier ce que j'ai en main. Moi, j'ai quelque chose qui est rédigé par vous et qui est en date du 30 août. Donc, c'est...

Mme Bertrand-Venne (Francine): Ah, oui. Excusez-moi.

Mme Malavoy: ...peut-être préalable... Pardon?

Mme Bertrand-Venne (Francine): Excusez-moi, je n'ai pas...

Mme Malavoy: Mais c'est peut-être... Oui? Bon. C'est juste parce que ça a attiré mon attention. À la page 4, vous faites référence à un projet...

Mme Bertrand-Venne (Francine): Ah oui! Ah, excusez-moi.

Mme Malavoy: ...qui vient de l'université York, et puis vous avez l'air d'en faire...

Mme Bertrand-Venne (Francine): Oui.

Mme Malavoy: ...quelque chose qui soit fort intéressant...

Mme Bertrand-Venne (Francine): Oui, oui, oui.

Mme Malavoy: ...comme modèle. Et, ça, je me demande si c'est utilisable de façon large et...

Mme Bertrand-Venne (Francine): Ah, oui. Ça, c'est un projet-pilote qui a été fait dans une banlieue de Toronto où il y avait des installations de câblodistribution à très haute performance. Vous savez, le câble coaxial avait été installé pour permettre justement l'utilisation de l'Internet de façon beaucoup plus rapide. C'est un quartier de Toronto. Les gens de la SOCAN participaient à ce projet pour voir la rapidité de l'utilisation des oeuvres – et c'était au niveau vraiment très technique, là, ce n'était pas... – tout en se disant: Comment on va se servir de notre oeuvre? Alors, eux, ils ont fait vraiment une recherche plus poussée, ils ont investi, ils ont été partenaires, si vous voulez, avec les industries dans l'installation de ce projet-pilote. Mais je ne suis pas capable de vous dire ce qu'il est advenu de ça, parce que j'attends des réponses de la SOCAN. Ils sont censés nous informer où ils en sont rendus. Mais c'est quand même un projet où la technologie était la plus performante possible, et on essayait d'étudier comment les oeuvres allaient être utilisées. Et l'encodage des oeuvres vient donc... On sait que maintenant, depuis qu'on a l'encodage, ça va être plus facile. Mais, à cette époque-là, il n'y avait pas d'encodage. Donc, c'était vraiment un projet-pilote pour voir et tester un peu l'utilisation des oeuvres musicales. Donc, oui, c'est un projet... On pourrait quand même y faire référence. Si vous voulez, je pourrais vous envoyer les résultats de ce document, si ça vous intéresse.

(16 h 50)

Mme Malavoy: Bien, ça pourrait être intéressant de savoir si ça marche.

Mme Bertrand-Venne (Francine): Mais, «technologiquement neutre», nous, en droit d'auteur, ce qu'on veut dire, c'est qu'on ne veut pas que le droit d'auteur soit défini de telle sorte que ça restreigne l'utilisation. Le projet de loi C-32 qui est présentement à la Chambre des communes est ciblé sur l'enregistrement sonore. Mais, par exemple, vous n'êtes pas sans savoir que maintenant l'enregistrement sonore est utilisé comme un vidéoclip et devient une oeuvre audiovisuelle. Donc, on ne voulait pas que soit défini ou restreint le droit d'auteur. Et c'est pour ça que, quand on parle de droit d'auteur et que nos préoccupations sont technologiquement neutres, c'est que le droit soit plus neutre et le moins de définitions possible dans l'utilisation, c'est-à-dire que le support soit défini le moins possible, parce que c'est le droit qui compte. Comme je vous disais tout à l'heure, pour arriver à la conclusion que, l'inforoute, le monde continue juridiquement pour mes gens, ce n'est qu'une façon nouvelle d'exploiter les oeuvres, pour arriver à cette conclusion-là, ça prend une loi technologiquement neutre. Sinon, on va être exclu de ce nouveau médium, de cette nouvelle façon d'exploiter les oeuvres, et les droits s'appliqueraient seulement à l'exploitation plus ancienne que sont les disques, la radio, la télévision.

Mme Malavoy: Ça ne tiendrait pas compte des nouveaux développements...

Mme Bertrand-Venne (Francine): Voilà.

Mme Malavoy: ...et ce serait inéquitable.

Mme Bertrand-Venne (Francine): On serait ostracisés complètement, nous, on serait complètement ostracisés de ce nouveau défi de l'inforoute.

Mme Malavoy: Une autre question qui me préoccupe, vous l'avez abordée au tout début, c'est la différence entre l'approche droit d'auteur et l'approche copyright, je pense que vous l'avez fort bien exprimée. Il reste que c'est un problème majeur, parce que c'est un problème, c'est comme le point de départ, c'est comme la base...

Mme Bertrand-Venne (Francine): Tout à fait.

Mme Malavoy: ...selon qu'on a plus une approche copyright ou plus droit d'auteur, c'est comme si la porte d'entrée, ensuite, n'était pas la même. Et je me demandais quel espoir vous avez qu'on arrive à concilier les choses, au minimum pour que ce soit viable. Parce que ce sont des approches qui sont malgré tout conflictuelles à certains égards.

Mme Bertrand-Venne (Francine): Oui, mais je veux vous dire qu'au Canada jusqu'à maintenant on a réussi cet équilibre qui est vraiment extraordinaire. Dans le droit de reproduction, au Canada, la même loi, la Loi sur le droit d'auteur est administrée de façon distincte. Au Québec, les auteurs-compositeurs se sont constitué une société de droit de reproduction, ont cédé leurs droits, et ces gens-là administrent donc leurs droits à la manière européenne, plus fidèle au droit civil. Il faut dire que le droit d'auteur est un droit de l'homme, n'est-ce pas, et vient de la Charte des droits de l'homme et sous l'égide de l'UNESCO. D'ailleurs, notre congrès s'est tenu à l'UNESCO à Paris. Tandis que nos confrères canadiens-anglais, auteurs-compositeurs canadiens-anglais, préfèrent peut-être – je trouve ça malhabile, moi, personnellement, mais en tout cas – trouvent ça plus habile, eux, de céder leurs droits à l'éditeur musical, qui négocie pour eux leurs droits de reproduction. Donc, ils n'ont pas de société collective, ils ont une agence de collection qui s'appelle CMRRA, Canadian Musical Reproduction Rights Agency, qui est finalement une agence, un regroupement d'éditeurs musicaux, mais qui n'est pas une société d'auteurs, qui ne détient pas le pouvoir de négocier l'entièreté du droit de reproduction, tandis que la SODRAC peut être investie de ce droit, peut aller à tous les usagers négocier le droit de reproduction des auteurs.

Donc, en droit de reproduction, je vous dirais que présentement on s'en va dire à Ottawa que la loi actuelle nous satisfait mieux que ce qu'ils nous offrent dans le moment. Et nous, les auteurs, c'est un cri du coeur, on y va demain pour la SODRAC – vous allez peut-être nous voir aux nouvelles, on l'espère – et puis on s'en va contester. La loi actuelle nous arrange mieux que ce qu'on nous propose, d'un point de vue d'auteurs.

Mme Malavoy: Je peux poser encore une petite question rapidement? C'est parce que je vous comprends bien, et tant mieux si actuellement vous arrivez à cet équilibre. Une des inquiétudes qu'on a, c'est qu'on s'en vienne avec des règles du jeu plus universelles. On a parlé tout à l'heure avec le président de la Commission d'accès à l'information de ces questions-là, entre autres de règles à un niveau international dans le domaine, par exemple, de la confidentialité. Et la question que je me pose, c'est: Est-ce que vous pensez pouvoir protéger l'approche qui est plus typiquement québécoise, en termes de droits d'auteur, qui jusqu'ici a trouvé un modus vivendi qui vous convient? Est-ce que c'est viable à long terme dans un univers qui est de plus en plus éclaté et que l'inforoute révèle comme étant sans frontières?

Mme Bertrand-Venne (Francine): Mais le droit d'auteur, vous savez, ça fait longtemps que c'est international. Les sociétés d'auteurs existent dans le monde. Nous avons été soutenus par la SACEM, qui est la société française, et c'est comme ça que le Québec a pu se doter d'une société de droits de reproduction de modèle européen.

Je vous répondrais que les Américains et les gens de «common law» font une grande offensive dans la réforme des conventions internationales de Berne et de Rome. Ils sont à l'OMPI, à l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. Ils font une offensive pour ramener les droits voisins et les droits d'auteur sous une même égide. Et c'est en quelque sorte ce qu'on s'en va dire à Ottawa, c'est que la loi canadienne nous offre ça, en quelque sorte, va reconnaître dorénavant un droit d'auteur à des artistes-interprètes et à des producteurs plutôt que leur reconnaître un droit voisin conforme à la législation européenne, et ça dénature le droit d'auteur et ça mêle les cartes.

Mais je vous répondrais que notre assurance vient des sociétés d'auteurs européennes, des sociétés d'auteurs dans le monde. Il y en a au Japon, en Australie, en Afrique du Sud. À ce congrès, nous étions 95 pays représentés dans le monde, où il y a des sociétés d'auteurs. Et sachez bien qu'on compte sur cette confrérie internationale pour maintenir le cap sur le respect du droit d'auteur. Est-ce que je suis confiante? Je suis confiante en autant que ma législation n'amoindrisse pas les droits des créateurs. C'est pourquoi nous allons faire une très grosse bataille à Ottawa dans les jours qui viennent.

Mme Malavoy: Merci.

Le Président (M. Garon): M. le député de Jacques-Cartier.

M. Kelley: Merci, M. le Président. Dans votre présentation, vous avez parlé de l'opportunité de l'inforoute, de donner un plus grand accès à une plus grande gamme de chansons, par exemple. Alors, si on prend ça comme exemple, plus loin, vous avez dit vous opposer à l'exemption proposée dans la législation fédérale pour les bibliothèques. J'essaie d'arrimer ces deux concepts, parce que si... Je prends mes enfants, qui sont maintenant des maniaques de la musique populaire à la radio. Alors, si, moi, comme bon père de famille, j'essaie de les amener écouter d'autres formes de musique, pour moi, ça serait idéal d'avoir un accès gratuit – dans les deux sens du mot; en anglais: «free access» – aux bibliothèques locales. Et peut-être, ils vont trouver des chansons et on va dire que toutes ces chansons sont disponibles sur le disque d'un groupe québécois et qu'on peut aller l'acheter après. Mais il y aura une période où j'aurais un accès gratuit. Donc, dans votre position, comment est-ce que tout ça va être compensé?

Mme Bertrand-Venne (Francine): Là, je suis très contente que vous me posiez la question, parce que, dans notre façon de voir, les sociétés d'auteurs sont très bien capables de négocier un tarif zéro pour les bibliothèques, les musées, les archives. Les auteurs sauraient reconnaître les usagers les uns des autres. Les aveugles – excusez-moi les perceptions...

Une voix: Les non-voyants.

(17 heures)

Mme Bertrand-Venne (Francine): Non, ce n'est même pas comme ça dans la loi, mais, en tout cas. Donc, ces gens-là qui demandent une exception de la loi du droit d'auteur... Les auteurs-compositeurs demandent à la magnétothèque, par exemple... Pour chaque reproduction d'oeuvre, c'est 1 $ par copie, 0,10 $ par copie d'exemplaire de la cassette qui est faite. Est-ce que vous trouvez ça exorbitant? Je ne pense pas. Quelque part, on préserve le droit, on préserve à l'auteur la possibilité d'être généreux, mais c'est lui qui le gère. On dit à l'État et au législateur: Vous n'avez pas d'affaire à venir nous dire la valeur de ce qu'on vaut, on est capables, en adultes, comme tout commerçant, comme toute personne, de négocier. Et je peux vous dire que les auteurs sauraient reconnaître les usagers.

Dans le cas que vous me démontrez, pour moi, il n'y a pas de problème, vous auriez accès à l'oeuvre dans une bibliothèque. Mais la gravité de ce qui est proposé, c'est que ça exproprie et ça empêche les auteurs d'exercer leurs droits et, par le biais de cette institution, ils perdent le contrôle de l'utilisation commerciale de l'oeuvre. Voilà le danger. C'est là le danger qui est majeur. Parce que ce n'est pas le paiement... En bout de ligne, ces institutions-là, ce qu'elles veulent, c'est ne pas payer, on comprend ça. Mais on est ici pour dire que ce serait un paiement dérisoire ou même pas de paiement du tout, parce qu'on saurait reconnaître les usagers. Mais il ne faut pas opérer une brèche dans le droit. Et c'est ça, la gravité de ce qui est proposé dans le projet de loi et ce qu'on va essayer de démontrer au législateur canadien: c'est là qu'il fait une erreur.

Puis je peux vous dire qu'il y avait un professeur d'université... Hier soir, j'étais à l'ALAI, qui est une association internationale de défense des droits d'auteur, à Montréal, où le professeur, cette dame extraordinaire qui parle un français impeccable, qui est professeure à l'Université de New York, disait que... Je lui parlais à bâtons rompus après la rencontre, et je lui disais: Vous savez, dans la législation canadienne, on est à la veille de... Parce qu'elle venait de nous faire la démonstration qu'on avait pu rendre les serveurs responsables sur Internet. Alors, je lui disais comment... Vous savez, on dit des Américains, d'abord, qu'ils n'ont pas de respect de la propriété intellectuelle – ça, ça l'a fait sourire – et puis... Qu'est-ce que je voulais dire, donc?

Une voix: La loi canadienne.

Mme Bertrand-Venne (Francine): Ah oui! c'est ça, la loi canadienne allait exproprier pour les universités, bibliothèques, musées, et tout ça. Elle a dit: Je ne trouve pas que c'est une bonne idée. Parce que, vous voyez, j'ai dit: Vous savez, M. Gore avait dit qu'il voulait que toutes les écoles soient branchées sur la Bibliothèque nationale, puis là... Oui, mais elle a dit: Ça ne veut pas dire qu'on ne voulait pas de paiement ou qu'on ne voulait pas de contrôle. «Free access», dans sa tête à elle, c'est l'accès libre. Et voilà l'univers... C'est ça que j'essaie de vous démontrer, c'est très important. Et ce qu'on ne veut pas perdre, c'est notre droit, et il ne faut pas que les institutions nationales de ce pays nous exproprient nos droits, en quelque part. Elles devraient être garantes.

Vous savez, le cri du coeur de Robert Gurick, qui est auteur dramatique, quand il s'est assis autour d'une table pour qu'on commence à discuter de ce projet de loi, il a dit: Moi, je finance deux fois les institutions nationales. Je suis le seul travailleur au Canada qui maintenant financera, par mes impôts et par le fait que je vais être privé de ma rémunération, les institutions nationales. Je les financerai deux fois. Par contre, si vous lisez le projet de loi, là, dans les établissements scolaires, si tu es dans un local, établissement scolaire, ce qui veut dire que... Pourquoi paie-t-on les professeurs? Pourquoi est-ce qu'on paie les tables, les chaises, les craies, le papier, enfin... C'est ça qu'on essaie de dire, là. En quelque part, pourquoi les travailleurs du Canada sont tous payés et le concierge dans l'école est payé, mais pas le créateur? Et le droit d'auteur, ce n'est pas protégé. Les créateurs contemporains, on sait que ça a une fin, ça, un jour, le droit d'auteur. C'est pour soutenir la création pendant qu'ils vivent, ces gens-là, pour qu'ils vivent de leur travail. C'est aussi simple que ça. Les gens me disent, à Ottawa: Ne soyez pas si théorique. Ce n'est pas une théorie, c'est le salaire des gens que je représente. Ce n'est pas plus compliqué que ça, mais c'est la base. Si on n'a pas cette façon de faire, on va être privés.

Donc, pour votre exemple et pour votre enfant, je suis heureuse de vous dire que vous ne paierez pas plus cher l'oeuvre que vous allez consulter à la bibliothèque.

Le Président (M. Garon): Alors, je vous remercie...

Mme Bertrand-Venne (Francine): Les auteurs sont à négocier.

Le Président (M. Garon): ...Mme Francine Bertrand-Venne, présidente de la Société professionnelle des auteurs et compositeurs du Québec, et M. Chabot et M. Chenard qui l'accompagnent, puisque le temps imparti est passé.

Et j'invite maintenant la Société des auteurs, recherchistes, documentalistes et compositeurs, SARDC, à s'approcher de la table des témoins. Alors, nous avons une heure ensemble. Vous avez normalement autour de 20 minutes pour présenter votre mémoire ou votre exposé, et chacun des partis, les députés de chacun des partis ont le même temps, ce qui veut dire que, si vous en prenez plus, ils en auront moins, si vous en prenez moins, ils pourront utiliser le temps que vous n'avez pas pris pour vous questionner. Alors, Mme la présidente, Mme Pelletier, si vous voulez vous présenter et présenter ceux qui vous accompagnent et nous faire votre exposé.


Société des auteurs, recherchistes, documentalistes et compositeurs (SARDC)

Mme Pelletier (Louise): M. Yves Légaré, directeur général de la SARDC. J'en suis la présidente, je suis donc une élue. Je me demandais si vous vouliez qu'on vous fasse à nouveau lecture de notre mémoire ou si vous en aviez pris connaissance.

Le Président (M. Garon): Pardon? C'est comme vous voulez. Normalement, les députés en ont pris connaissance parce qu'ils l'ont à leur bureau, mais vous faites ce que vous voulez.

M. Légaré (Yves): Peut-être qu'on peut simplement souligner les grands points qu'on a voulu évoquer. On n'a pas, bien sûr, traité de l'ensemble des aspects qui figuraient dans le document de consultation. Nous nous sommes concentrés, bien sûr, sur les problèmes que la convergence de tous les réseaux de communication, des contenus allait susciter. Nous avons d'abord, bien sûr, dit que ces contenus-là étaient divers et s'adressaient à des clientèles diverses et que, dans l'intervention ou dans les actions à entreprendre, il faudra justement cibler les contenus qui sont principalement culturels. De ces contenus-là, nous avons écarté tout ce qui s'assimile à des services tels le téléachat, etc., pour davantage distinguer, dans un premier temps, les services de programmation qui seront maintenant disponibles avec la convergence des réseaux de différentes façons, et nous avons rappelé que la SARDC avait affirmé préalablement devant le CRTC et continuait à affirmer qu'il était essentiel que les acquis que nous avons soient préservés et que l'encadrement réglementaire qui a fait en sorte que notre présence au niveau du contenu audiovisuel soit si forte soit maintenu. Nous avons également souligné que la convergence des réseaux entraînerait une concurrence plus grande, amplifierait ce phénomène et exigerait également des ressources plus grandes pour être capables, justement, de rivaliser.

Du côté des services que nous avons nommés, de consultation, de recherche et d'information, nous avons souligné qu'il nous apparaissait difficile de prévoir un cadre réglementaire semblable ou similaire à celui qui existait dans les services de programmation. Nous avons mentionné qu'il était essentiel cependant de favoriser la diffusion des connaissances sur l'autoroute et que ces connaissances-là pourraient également constituer une nouvelle fenêtre d'exploitation des oeuvres.

Peut-être que l'essentiel de notre argumentaire ou, en tout cas, de notre mémoire portait sur les problèmes de droit d'auteur que l'inforoute va soulever. Bien sûr, on sait que la législation en matière de droit d'auteur est de compétence fédérale, et nous avons fait les représentations quant à la révision de la Loi sur le droit d'auteur, mais nous considérons que le gouvernement du Québec peut favoriser le respect du droit d'auteur. Il l'a déjà fait par le passé, il peut continuer à le faire dans l'avenir. Il y aura, par l'inforoute, une augmentation de l'accessibilité aux oeuvres, ce qui, en soi, est intéressant pour les auteurs. Plus nos oeuvres sont accessibles, plus leur diffusion est répandue, plus notre public est vaste, mais la technologie augmente également les possibilités de piratage. Or, la viabilité du secteur culturel repose sur le respect du droit d'auteur. Si nous n'arrivons pas à faire en sorte de maintenir ce respect-là, c'est la pérennité du contenu qui est également menacée, car quel créateur, quel producteur continuera à écrire, à produire, etc., si tout le monde peut utiliser l'oeuvre et personne ne paie?

Il faudra donc faire en sorte d'assurer, justement, ce respect, et nous suggérions que le gouvernement agisse, premièrement, comme un utilisateur modèle dans toutes les utilisations qu'il pourra faire des oeuvres, qu'il favorise également les regroupements de créateurs, de titulaires de droits, qu'il aide également à mettre en place les mécanismes qui auront été trouvés par les différentes sociétés d'auteurs à travers le monde pour favoriser le respect du droit d'auteur – et je pense à l'encodage des oeuvres – et lorsqu'il développera, justement, ou lorsqu'il aidera à développer le secteur du multimédia ou les autres de l'inforoute, qu'il lie l'aide aux producteurs privés au respect du droit d'auteur.

Un autre élément que nous avons souligné et qui nous semble important, c'est bien sûr que le contenu repose sur le créateur. Pour attirer un bassin de créateurs talentueux, il faudra que ces créateurs aient des conditions de travail adéquates. De par notre expérience dans l'audiovisuel, en télévision et en cinéma, il faut effectivement rapidement que les producteurs qui développeront ce secteur-là conviennent d'accords avec les sociétés d'auteurs pour permettre que l'association de l'auteur à la vie économique de son oeuvre soit maintenue et que sa rémunération soit adéquate. On ne développe pas un secteur avec une main-d'oeuvre non qualifiée. Pour avoir une main-d'oeuvre qualifiée, pour avoir une main-d'oeuvre qui est attirée par ce secteur-là, il faut des conditions intéressantes.

(17 h 10)

Nous avons également abordé la question de la formation. Il est sûr que nos auteurs de l'audiovisuel sont sans doute appelés à remplir un rôle important dans le développement des multimédias. Il reste que, pour eux et pour plusieurs d'entre eux, c'est une technologie, somme toute, nouvelle. Jusqu'à présent, ils ont toujours assumé seuls leur propre formation. Il serait peut-être temps, puisque le secteur est quand même plus complexe, qu'il y ait des possibilités que cette formation-là soit aidée par le gouvernement.

Et enfin, nous avons parlé d'un volet d'accessibilité, et là c'est peut-être non pas le volet créateur mais le volet utilisateur également. Il est essentiel, donc, que cet accès aux oeuvres soit facilité. Nous avons connu dans notre secteur l'octroi de monopoles, et nous ne croyons pas que pareille façon de fonctionner soit souhaitable dans le secteur de l'inforoute.

Donc, c'est un résumé, somme toute fort sommaire, et si vous avez des questions à poser...

Le Président (M. Gaulin): Merci, M. Légaré. Merci, Mme Pelletier. M. le député de Jacques-Cartier?

M. Kelley: Oui. J'ai vu dans le mémoire, à la page 10, qu'on parle du contrôle des contenus. Et vous dites: «...nous croyons essentiel que les serveurs puissent éventuellement être tenus responsables des sites présents sur leurs réseaux.» Si on regarde dans l'histoire de la télévision, il y avait souvent la critique que les chaînes américaines avaient un produit qui était peut-être trop banal. On ne voulait pas insulter les grandes compagnies qui ont acheté les annonces à la télévision, et tout ça, alors, le contenu était tiède à cause du fait que c'est le serveur, d'une certaine façon, qui a contrôlé le contenu. Est-ce qu'on risque de mettre en péril le principe que vous avez déclaré dans le paragraphe précédent, une liberté d'expression? Si c'est le serveur, c'est-à-dire les grandes compagnies, qui vous demandent de contrôler le contenu, est-ce que ça risque de peut-être toucher à la liberté d'expression souhaitée par votre association?

M. Légaré (Yves): Nous ne l'avons pas vu sous cet angle-là, c'est-à-dire, nous ne pensons pas que les serveurs devraient faire de la programmation en tant que telle, contrairement, par exemple, aux radiodiffuseurs auxquels vous faites allusion...

M. Kelley: Oui.

M. Légaré (Yves): ...qui programment une série d'émissions. Mais nous pensons qu'en matière, entre autres, de pornographie infantile, ou même en matière de droit d'auteur, il faut que quelqu'un, quelque part, soit responsable en tant que tel. Et ce contrôle-là, il est très ciblé. Il est ciblé pour le respect du droit d'auteur et pour des choses qui sont relatives au Code criminel. Mais, bien sûr, dans notre esprit, il n'était pas dans notre intention de faire en sorte que ce serveur décide quels seront les sites intéressants, quels seront les sites qui seront accessibles, mais simplement de nettoyer un peu, comme ça a déjà été entrepris, par exemple, dans certains pays, certains sites qui font des infractions ou qui commettent des infractions.

M. Kelley: Non, non, je sais qu'il n'y a aucun modèle idéal...

M. Légaré (Yves): Oui, oui.

M. Kelley: ...mais ma crainte est toujours: si on donne la responsabilité, on va donner également un certain droit de veto aux serveurs de choisir entre les sites, parce que, si, moi, je suis, comme serveur, tenu responsable du contenu, je vais dire: Votre site, je n'aime pas ça parce que vous avez trop critiqué le premier ministre ou parce que je trouve que le contenu ne me plaît pas. Alors, si je suis tenu responsable, j'aurais également ce pouvoir. Et peut-être, au départ, qu'on va faire ça pour les fins louables de contrôle de la pornographie ou des propos haineux, et tout ça, comme point de départ, je comprends très bien, mais, dès que, moi, comme serveur, j'ai ce pouvoir parce que je suis responsable, alors, je ne peux pas être imputable sans avoir la possibilité de...

Une voix: De choisir.

M. Kelley: ...soit fermer les sites, et tout ça. Dans un pays où on est toujours entre le parti vert et orange, et, moi, j'ai des tendances orange, je vais toujours dire que, ça, c'est un type qui prend trop souvent pour les verts, et je n'aime pas ça trop, trop, alors, oublie ça, je vais fermer le site.

Alors, comment est-ce qu'on peut encadrer ce contrôle pour éviter cette tendance, qui existe toujours, vers la censure?

Mme Pelletier (Louise): On n'a pas de réponse, et ce qu'on suggère ici, c'est une réflexion partielle qui nous semblait... On était très inquiétés par une nouvelle législation qui viserait spécifiquement les gens qui font du contenu pour l'inforoute, puis la menace de la censure comme on l'a vue naître aux États-Unis nous inquiétait. Notre réponse est partielle, et c'est un essai. Une des choses qu'on se dit, c'est qu'en faisant bien attention de ne pas accorder de monopole et de créer des réseaux de distribution comme on l'a fait pour les câbleurs, si la concurrence est assez grande, s'ils sont assez nombreux, éventuellement, tout le monde va trouver sa place, puis les serveurs serviront le parti orange et l'autre, le parti vert.

M. Légaré (Yves): Effectivement, et il y a des situations quand même similaires, c'est-à-dire, dans les librairies, à l'heure actuelle, je ne pense pas qu'on puisse retrouver de la pornographie infantile, donc c'est carrément exclu. Mais les libraires ne lisent pas tous les livres, en tant que tels, et l'information circule, la liberté d'expression est permise. Donc, c'est sûr que ce n'était qu'une amorce de solution, mais c'est pour empêcher aussi que... Si on pense au droit d'auteur, certains vont dire, par exemple, si on prend encore un exemple actuel: Il y a un photocopieur ici et, donc, je ne suis pas responsable de ce qui est photocopié. Or, qui l'est, responsable? Celui qui utilise le photocopieur? Il peut être difficile à trouver, ça peut être un passant, etc. Il faut, d'une certaine façon, cette contrainte-là pour avoir un minimum de surveillance, et ce n'est donc pas une solution...

M. Kelley: Ah non...

M. Légaré (Yves): ...une panacée, en tant que telle.

M. Kelley: ...et, comme je l'ai dit, il n'y a pas de... Moi, je pense toujours, même dans nos librairies, aux controverses, souvent, autour des décisions de Douanes Canada sur l'accès des matériaux qui touchent surtout l'homosexualité, et tout ça. On essaie de rendre quelqu'un responsable, mais les risques de controverse sont toujours là. Alors, quand j'ai vu ça, que les serveurs peuvent être maintenant tenus responsables... Je sais que c'est juste lancé comme ça, mais il y a beaucoup d'implications dans tout ça, parce que ça va donner aux serveurs un certain choix, et je ne sais pas si on est certains que c'est la meilleure voie à prendre, c'est tout.

M. Légaré (Yves): Mais il faut le lier aussi à ce que nous disons plus loin, que dans l'ensemble on ne veut pas d'une réglementation qui déciderait des contenus en tant que tels, et qu'en général la circulation des idées doit s'appuyer sur la norme sociale de tolérance. Donc, ce ne sont pas des parties divisibles, parce que nous nous sommes toujours, effectivement, prononcés, même lorsqu'on parle de violence dans les médias, contre toute réglementation qui empêcherait, justement, la circulation des oeuvres.

M. Kelley: Merci.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Sherbrooke.

Mme Malavoy: Merci. Je vous laisse le temps d'arriver, M. le Président.

Le Président (M. Garon): Je me demandais si je devais dire «Sherbrooke» ou «Sherbrooke».

Mme Malavoy: Moi, je dis «Sherbrooke».

Une voix: Elle est chère.

Mme Malavoy: Moi, je dis «Sherbrooke», mais l'un et l'autre se dit, ou se disent.

Je vous remercie de votre présentation. J'aimerais poser peut-être d'abord une question sur la question de la place que vous souhaitez qu'on privilégie, la place donnée au contenu national. Vous avez fait une présentation, je pense, au CRTC à cet effet en 1995 – c'est ce que vous mentionnez dans votre mémoire – en novembre 1995, et vous dites que vous avez demandé que les contenus audiovisuels et multimédias soient réglementés en s'inspirant des objectifs de la Loi sur la radiodiffusion. J'aimerais que vous m'expliquiez un peu comment vous pouvez appliquer ce modèle au modèle de l'inforoute. Parce que je peux comprendre qu'une station de radio soit tenue de, par exemple, respecter des quotas de diffusion de musique francophone parce que c'est elle qui contrôle. Ce qui est pour nous difficile à imaginer en termes de contrôle, c'est comment faire, alors que l'utilisateur pourra lui-même avoir accès à toutes sortes de choses sans forcément qu'il y ait un distributeur qui ait un point de contrôle aussi précis que c'est le cas, par exemple, actuellement de différentes stations de radio. Alors, comment faisiez-vous le parallèle entre cette loi qui vous inspire et la situation de l'inforoute?

(17 h 20)

M. Légaré (Yves): Bien, cette loi ne devait s'appliquer qu'aux services de programmation, essentiellement, et donc, toutes les nouvelles demandes de licence qui seront faites devant le CRTC, qu'on pense à la télévision via le satellite, imaginons la télévision via le téléphone, la téléphonie ou le câble, les services de programmation devront être astreints aux lois sur la radiodiffusion, et on parle donc vraiment de quelque chose de très précis qui est encore soumis à l'octroi de licence au niveau du Conseil de la radiodiffusion canadienne. On ne voulait pas viser les services de consultation ou de recherche mais essentiellement les services de programmation.

Mme Malavoy: Mais, oui, c'est ça, nous, on a l'impression qu'on s'en va vers un monde où il y aura une accessibilité très libre à toutes sortes de choses. Peut-être que j'aurais besoin que vous m'expliquiez un petit peu plus, mais... Vous dites que vous visez quelque chose de plus spécifique?

M. Légaré (Yves): Notre intervention devant le CRTC ne visait que les services de programmation en tant que tels, les diffusions, les radiodiffuseurs, ou que ces services-là soient faits via satellite ou autrement, par téléphonie, etc., donc les services qui sont encore astreints à une demande de licence, les programmeurs... programmeurs ou programmateurs? Les programmeurs.

Mme Pelletier (Louise): Programmateurs.

Mme Malavoy: Oui. O.K. Une autre question que j'aimerais vous poser, c'est sur le rôle de l'État. Vous l'évoquez un peu. Vous dites: L'État devrait être un modèle d'abord. Bon, ça, je pense que c'est légitime de souhaiter ça, que l'État lui-même respecte les droits d'auteur, d'abord. Vous semblez dire qu'on a été lents à certains moments à le faire et vous dites aussi que l'État pourrait être régulateur. Et ça, c'est une des grandes questions qu'on va se poser au terme de cette commission: Jusqu'où devons-nous aller dans la régulation, jusqu'où devons-nous intervenir? Vous nous en donnez quelques exemples, mais j'aimerais que vous me disiez un peu si vous souhaitez une intervention qui soit assez musclée, assez forte, si vous mettez derrière ces mots-là crédit d'impôt, subvention, etc., si vous mettez beaucoup de choses ou si vous le dites comme ça, en passant. Parce que, pour nous, ça va être une question importante.

M. Légaré (Yves): Ce n'est pas en passant. D'ailleurs, c'est quelque chose qui doit s'appuyer sur une tradition historique qui remonte avant même les années quatre-vingt, où il y avait un énoncé de politique sur la juste part des créateurs. Par la suite, il y a eu également la Loi sur le statut de l'artiste, c'est-à-dire que l'État a fait le constat de l'importance des créateurs dans notre industrie culturelle, puisqu'il faut l'appeler ainsi – en tout cas, dans notre secteur culturel – et a décidé d'asseoir la position de ces créateurs-là de façon plus confortable, en tant que telle.

Lorsque l'État contribue d'une façon ou d'une autre à développer un secteur, cette prémisse de l'importance du créateur devrait toujours prévaloir, et nous nous interrogeons à savoir si, par exemple, un producteur de multimédia devrait être financé, peu importe le moyen, s'il ne s'engage pas à respecter le droit d'auteur, s'il ne s'engage pas à octroyer aux créateurs des conditions adéquates. Et donc, en ce sens-là, non, ce n'est pas en passant. Nous pensons que c'est ainsi qu'on a pu, au fil des ans, en arriver à un secteur qui est assez dynamique également, en s'assurant que les créateurs trouvaient leur compte, et donc on assurait la pérennité de la création de cette façon-là.

Mme Malavoy: Je peux prendre une autre question encore?

Le Président (M. Garon): Allez-y.

Mme Malavoy: Vous ne voulez pas que le transport de données soit confié à des distributeurs exclusifs, à la page 9, en bas de la page 9. Je comprends votre préoccupation, vous ne voulez pas qu'on reproduise le modèle des câblodistributeurs. Est-ce que ça veut dire, en clair, que vous souhaitez que ce soit une libre concurrence...

Mme Pelletier (Louise): Oui.

Mme Malavoy: ...à la grandeur du territoire...

Mme Pelletier (Louise): La multiplication des serveurs.

Mme Malavoy: ...et que les gens fassent des choix en fonction de la qualité des produits puis du coût des produits, donc aucune division territoriale parce que vous trouvez que ça nuit ou qu'on ne réinjecte pas suffisamment au plan de la création les profits qui sont générés par ça?

Mme Pelletier (Louise): Ce qu'on a vu arriver avec les câbleurs, c'est qu'on a octroyé un privilège d'État à ces gens-là qui ont pu tirer des recettes énormes à partir d'une programmation américaine pour laquelle ils ne payaient rien du tout jusqu'en 1989. Maintenant, il y a un petit forfait qui compense les créations américaines et les nôtres par le biais... sur 49 000 000 $ qui sont distribués en forfaits chaque année, il doit y en avoir 1 000 000 $ pour des créations qui sont faites ici. Alors, la recette en télévision est allée à des gens qui n'ont jamais investi en programmation, et puis on a vu dépérir, enfin, subir d'énormes torts aux sociétés d'État qui, elles, faisaient de la création, comme Radio-Québec, Radio-Canada. Confier une machine à imprimer des dollars ne nous semble pas un modèle à répéter, je pense qu'on en a déjà fait l'expérience. Je pense qu'il est très difficile de vivre l'écartèlement entre la source de revenus puis être obligé, par ailleurs, de prendre à même les caisses publiques pour créer de la programmation.

Alors, on croit que le modèle du monopole est terminé, qu'on a vu que c'était au détriment de notre création. On croit que dans le cas qui nous occupe, d'autant qu'on parle d'une production beaucoup moins coûteuse que celle dont on parlait quand on parlait de la télévision... Quand on sait qu'une heure de télévision c'est 1 000 000 $, quand on pense à Marguerite Volant , on parle d'une production beaucoup moins coûteuse. Alors, on se dit: Il faut multiplier les joueurs, il faut compter sur la créativité du milieu. Et on sait qu'il y a des gens qui s'attendent – et on avait entendu les revendications des câblodistributeurs en ce sens-là – à se voir accorder aussi, pour ce qui est de l'Internet, des privilèges d'État, et puis, nous, on trouve que c'est tout à fait à proscrire. Le modèle a prouvé que ça ne servait pas à la création, que ça ne nous servait pas, ni comme public ni comme créateurs.

Mme Malavoy: O.K., votre position est claire.

Mme Pelletier (Louise): Oui, je pense. Ha, ha, ha!

Mme Malavoy: Merci.

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Moi, je n'ai pas de question, je trouve que les propos de mon collègue et des collègues d'en face m'ont complètement éclairé sur les questions que je me posais sur le mémoire. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Garon): M. le député de Taschereau.

M. Gaulin: Oui, page 7. Bonjour. Vous avez écouté un petit peu, j'imagine, puisque vous étiez là tout à l'heure, ce qu'on a dit avec l'association d'auteurs qui vous précédait, c'est à peu près nos mêmes types de questions. Vous parlez, par exemple, de contrôle de l'inforoute, vous dites que: «Déjà Télé-Québec – à la page 7 – [...] envisagerait de mettre certaines oeuvres sur Internet sans que nous sachions comment elle entend s'acquitter des droits.» J'aimerais ça avoir des commentaires là-dessus.

Mme Pelletier (Louise): C'est des commentaires qui nous sont venus de producteurs privés qui fournissaient des émissions, une émission en particulier pour Télé-Québec, le producteur s'étant fait demander les droits pour Internet pour créer un site qui ne compensait pas auprès du producteur qui, lui-même, évidemment, n'avait rien pour compenser l'auteur. Alors, ce qui est demandé à l'auteur en bout de ligne, c'est de donner ces droits-là. Le type de contrat que la SARDC gère, c'est des licences. Le droit d'auteur reste acquis à l'auteur et puis il accorde un droit d'utilisation aux producteurs. On n'a jamais fait ce qui s'appelle en américain ou en canadien-anglais des «buy out», c'est-à-dire que le producteur n'a que les droits que l'auteur lui a accordés par licence. Il n'est pas question pour nous, s'il y a une utilisation qui est envisagée par la télévision d'État, que l'auteur donne son travail gratuitement. Par ailleurs, comme on est au tout début d'une industrie, la réflexion n'est pas très avancée, à savoir: Quelle sorte, quelle ampleur a le public? Combien ça devrait être rémunéré? De quelle manière les droits peuvent être touchés? Est-ce que c'est par l'utilisateur du site? Ça, on n'en sait encore rien, la réflexion est à faire, mais il nous semblerait très dommage puis aller à l'encontre des intérêts de tous nos membres puis de la création que la position soit... Mais, puisqu'il n'y a rien actuellement, prenons pour acquis qu'il n'y aura jamais rien pour les auteurs.

(17 h 30)

M. Légaré (Yves): Et on veut contrer le réflexe: tout nouvel utilisateur a tendance à dire que le droit d'auteur est difficile et complexe, et donc il faudrait pouvoir avoir un accès gratuit aux oeuvres pour que l'industrie progresse. Or, l'inforoute n'est pas différente des autres révolutions technologiques qu'on a connues dans le passé. Si on regarde l'avènement de la radio, l'avènement de la télévision, pour l'utilisation des oeuvres, ça a été aussi une révolution. C'est-à-dire, auparavant, je pouvais avoir un chanteur-compositeur qui chantait en public une oeuvre. Dès que la radio a été inventée, il y a eu multiplication des utilisations. Les auteurs-compositeurs, à l'époque, ont trouvé une façon de percevoir pour pouvoir continuer à créer.

L'inforoute, c'est le même phénomène. C'est-à-dire, bien sûr, la technologie va encore permettre de multiples utilisations, mais la technologie va permettre aussi qu'on retrace davantage les utilisations. À l'heure actuelle, les producteurs ne sont pas toujours à même de nous dire quelles utilisations ils entendent faire, ils trouvent ça complexe, eux non plus ne savent pas où ils vont. Nous, on commence à essayer de voir où on va s'en aller et où eux vont s'en aller. Il y a donc une période où il va falloir rapidement trouver des solutions, et ces solutions-là vont finir par être trouvées. Mais tout ça pour dire que le pire réflexe qui pourrait arriver, c'est de dire: Pour que l'industrie du multimédia progresse, pour que l'industrie de l'inforoute progresse, faisons en sorte que, le droit d'auteur, on oublie ça un peu. C'est-à-dire, si on oublie le droit d'auteur, dans quelques années on n'aura plus les assises pour faire en sorte que le contenu se développe. Parce que c'est toujours sur ce contenu-là qu'il va falloir s'appuyer et non pas sur une quincaillerie, et non pas sur des producteurs qui, dans une vision courte de leurs intérêts, vont complètement oublier, justement, le renouvellement de ces contenus.

M. Gaulin: Puisqu'on a pris la parabole de l'autoroute on peut se demander si c'est un autoroute à péage: Qui paie? Quand? Comment? Est-ce que c'est celui qui va être l'utilisateur ou si c'est celui qui crée un site? C'est le serveur? Alors, c'est un ensemble de réponses qu'on n'a pas alors que les choses sont déjà lancées. Ça va être un petit peu complexe et compliqué, peut-être pas plus que la télévision, vous diriez, puisque la télévision, il suffit d'acheter un poste; l'utilisateur, il n'a pas à payer, sinon pour des chaînes très précises, et, ça, ça s'est fait au fur et à mesure que l'industrie a évolué. Mais j'aimerais savoir, parce que c'est toujours la question que se posait tantôt le député d'Outremont, que, moi, je me pose toujours: par exemple, à la page 8, vous dites qu'«au plan international, les sociétés d'auteurs envisagent des avenues comme l'encodage afin de suivre la circulation des oeuvres». Ça fonctionne comment, ça?

M. Légaré (Yves): Bon, c'est-à-dire que présentement, d'ailleurs, au niveau des oeuvres musicales, il semble que c'est assez avancé et que, dans les mois qui viennent, ça va être mis en branle. Pour les oeuvres audiovisuelles, on parle de dans un an. Chaque oeuvre va être codée, c'est-à-dire un numéro. Je ne sais pas si vous êtes familier avec l'ISBN, qui est le numéro qui identifie un livre...

M. Gaulin: Oui, oui.

M. Légaré (Yves): Et donc, l'ISBN identifie un livre, et on peut...

M. Gaulin: Les oeuvres de Mozart, etc.

M. Légaré (Yves): Et donc, il va y avoir ce code qui va être numérisé et qui va donc pouvoir être amalgamé à l'oeuvre. Ça ne veut pas dire qu'on va entendre le code lorsqu'on va écouter, bien sûr, la musique, mais une société de gestion, elle, va pouvoir identifier, par exemple, que telle oeuvre joue en Australie et tout de suite transmettre l'information qui sera dans le code à la société qui est responsable de la perception des droits en tant que tels.

M. Gaulin: D'accord.

M. Légaré (Yves): Donc, c'est un peu l'équivalent de l'ISBN, mais pour l'ensemble des oeuvres et non pas seulement les oeuvres littéraires, et un code numérisé. C'est pour ça que je vous disais tout à l'heure que la technologie qui multiplie les possibilités d'utilisation multiplie aussi les possibilités de retracer les ayants droit et de payer ces ayants droit là.

M. Gaulin: D'accord. Ça va pour l'identification des ayants droit, les sociétés gestionnaires de ces droits, mais qui va payer? D'où vient l'argent des droits? C'est ça que j'essaie de comprendre.

Mme Pelletier (Louise): Actuellement, nous, on n'est pas une société de gestion, on est un syndicat. Actuellement, c'est bien sûr que celui qui nous commande une oeuvre paie sous forme de cachet d'écriture l'écriture de l'oeuvre. Alors, si on parlait de créer un site pour Internet, déjà des auteurs peuvent être payés à cette phase-là. Après, au moment où l'oeuvre est utilisée, le site est fréquenté... Bon. Déjà, quand on parle... Si le site est généré par Télé-Québec, ou Radio-Canada qui en a aussi certains pour des émissions pour enfants, on est capable de repérer le diffuseur, entre guillemets, même si c'est un certain type de diffusion. Alors, les recettes qu'on connaît déjà pour administrer les oeuvres de nos auteurs, on peut les poursuivre. C'est sûr que, nous aussi, on est préoccupés par l'utilisation internationale des oeuvres, et on fait aussi affaire avec une société de perception française qui a des ententes pour les oeuvres canadiennes.

M. Légaré (Yves): Mais, en bout de piste, le payeur peut être très varié. Prenons les oeuvres actuelles; lorsqu'on exécute une oeuvre musicale, c'est généralement le radiodiffuseur qui va payer. Bon. Il paie grâce à la publicité aussi, sans doute, qu'il vend, etc., alors que, lorsque c'est une photocopie d'une oeuvre, c'est celui qui photocopie, et non pas nécessairement la bibliothèque, qui va payer.

M. Gaulin: Ou l'école si c'est le ministère de l'Éducation.

M. Légaré (Yves): Ou l'école, effectivement. Et là où le gouvernement peut aussi aider, c'est que parfois il y a des lacunes. C'est-à-dire, avoir un droit, c'est une chose, être capable de le faire respecter, c'est une autre. Si on prend l'exemple de la Loi sur le droit d'auteur actuelle, il n'est pas légal de prendre une cassette d'une oeuvre musicale et de la reproduire chez soi, sauf que c'est impossible...

M. Gaulin: À contrôler.

M. Légaré (Yves): ...pour une société de contrôler ça. Et donc, il y a des mécanismes pour faire respecter ces droits-là que sont les redevances sur la copie privée négociées avec les fabricants de cassettes, etc. Et c'est probablement le genre de problèmes qui vont se poser aux sociétés d'auteurs dans l'avenir, c'est-à-dire que parfois certaines oeuvres vont être utilisées, ces oeuvres vont mériter paiement, mais la perception de ce paiement-là va prendre un nouveau mécanisme, une nouvelle procédure, et là le législateur pourra aider, ou parfois, par une réglementation, on pourra aider. Et c'est dans ce sens-là qu'on considère que les différents paliers de gouvernement ont leur rôle à jouer.

M. Gaulin: Parce qu'il y a plusieurs avenues encore à explorer, et vous comprendrez qu'on est un petit peu une commission d'exploration, hein. C'est pour ça que ce n'est pas des colles que j'essaie de vous poser...

Mme Pelletier (Louise): Oui, oui.

M. Gaulin: ...mais vraiment des questions. Parce que je prends le cas de l'autoroute en Suisse, puis on transpose ça au niveau paradigmatique à l'inforoute, là, mais, pour circuler en Suisse, on peut circuler sur les autoroutes, comme sur les «autobahns» en Allemagne, sans payer, sauf qu'en Suisse la première fois que vous passez, vous payez une vignette, c'est ça, pour l'année, je pense. Alors, les utilisateurs, ils paient quoi pour l'inforoute? Est-ce qu'ils paient actuellement? Est-ce qu'il vont payer chaque fois qu'ils vont avoir accès à un site? C'est le genre de questions qui nous seront posées et qui ont des retombées, forcément, sur des droits d'auteur, entre autres choses.

Mme Pelletier (Louise): Il y a, dans certains cas, de la publicité sur Internet. Alors, on peut imaginer qu'il va y avoir aussi des mécanismes qui ressemblent à ceux de la télévision. Mais, nous-mêmes, dans le domaine qui est le nôtre, il y a des questions qui ne sont pas encore résolues. On n'a pas la copie privée en audiovisuel. Des émissions comme... je pense à Blanche , ont été... Il y avait deux diffusions de prévues. La première diffusion a eu un score audimat très bon, l'émission a été copiée et, lors de la deuxième diffusion, le score de Blanche était très bas, très bas parce que tout le monde l'avait regardée à nouveau chez soi. Éventuellement, Radio-Canada ou le diffuseur n'achètera pas deux passes d'auteur, il va y perdre. Les gens vont le voir six, 10 fois parce qu'ils auront la cassette chez eux. Il faudrait qu'il y ait la copie privée en audiovisuel. Il y a eu une multiplication des copies.

Les mécanismes ont déjà été pensés, ils existent en musique. Il va falloir que ça s'étende à nous. Pour le moment, la loi du droit d'auteur ne nous le permet pas, mais je pense que ça va venir.

M. Légaré (Yves): À l'heure actuelle, parfois on paie lorsqu'on – l'expression française m'échappe – «download» un texte en tant que tel. Peut-être que, donc, il y aura des paiements différents selon qu'on survole une oeuvre, qu'on la reproduit, etc. C'est le genre de choses qui, à l'heure actuelle, font l'objet d'une réflexion à un niveau international.

La SPACQ, tout à l'heure, vous parlait du congrès de la CISAC auquel elle a assisté, auquel la SARDC a assisté. Tous les pays s'interrogent sur ces questions, et sans doute que les modes de paiement vont différer parfois d'un pays à l'autre. Vous parliez de l'autoroute en Suisse, c'est différent de l'autoroute en Allemagne. Les sociétés nationales vont négocier au mieux avec leur gouvernement, mais l'ensemble des sociétés vont trouver une façon d'être rémunérées. Certaines activités vont être plus rémunératrices que d'autres, d'autres peuvent être sans doute gratuites. Ça va varier. Mais il reste que, justement, il faut étudier l'ensemble des utilisations avant d'avoir une réponse précise. Et il y a parfois des solutions qui se trouvent après un certain temps. La copie privée audiovisuelle, ce n'est pas une solution qui est née dès que le magnétoscope a été inventé. Ce n'est qu'après, justement, avoir testé l'usage, avoir vu l'ampleur de son utilisation que certaines sociétés sont arrivées avec cette solution-là. Mais il est difficile, sur des prévisions, des projections, d'établir quelque chose de solide à l'heure actuelle.

M. Gaulin: Mais comment vous voyez, puisque c'est un autre problème que soulevait tout à l'heure le député de Laporte...

Une voix: D'Outremont.

M. Gaulin: ...le député d'Outremont, pardon, par rapport aux... il y a les droits d'auteur, mais il y a aussi toute la diffusion des auteurs qui sont les nôtres. On sait que l'inforoute, c'est quelque chose d'assez exceptionnel. On rejoint et la francophonie et le monde, aussi. Alors, est-ce qu'il n'y a pas quelque chose à payer, d'une certaine manière, en perte de certains droits? Je sais que vos droits ne sont pas importants, souvent, autant qu'ils devraient l'être, mais, pour avoir une diffusion internationale, est-ce qu'il n'y a pas, à un moment donné, un certain laisser-faire qui va amener des gens qui vous ont vus sans payer de droits parce que vous circulez de manière... Vous avez été mis en circulation de manière incorrecte, mais il y a des gens qui vous ont rejoints, qui vous connaissent et qui vont peut-être faire appel à vous.

Je ne sais pas si vous comprenez le type de question que je vous pose.

Mme Pelletier (Louise): Notre premier lieu de diffusion, quand on parle d'oeuvre audiovisuelle, c'est encore les diffuseurs conventionnels. Ça ne sera pas, je veux dire... À moins que tout le monde se trouve en fibre optique, et ça, ça va prendre un certain temps. Pour le moment, il n'y a personne qui va regarder une série de télévision...

(17 h 40)

M. Gaulin: À l'inforoute.

Mme Pelletier (Louise): ...sur son moniteur. Ce qui peut faire l'objet d'utilisation pour le moment, c'est des extraits, images, extraits, et peut-être des scénarios. L'idée que, puisque c'est promotionnel, on ne serait pas payés, je pense que... On s'est déjà fait dire ça par des diffuseurs qui nous ont expliqué que leurs sites étaient une manière d'autopromotion, alors, ils ne voyaient pas pourquoi ils paieraient les gens. Et, nous, on a répondu: Quand, effectivement, c'est de la promotion, on n'a pas de problème avec ça; quand vous demandez de la création, là on a un vrai problème. Je pense que, jusqu'ici, le fait que nos oeuvres aient été diffusées en Europe – et je parle des oeuvres télévisuelles – a bien servi les auteurs québécois qui ont acquis une envergure internationale, a bien servi les diffuseurs qui ont trouvé du contenu qui a rapporté de l'auditoire, et je pense qu'ils ont payé. Les diffuseurs ont des commanditaires, puis il n'y a pas de raison de créer un sous-marché où les auteurs ne seraient pas payés.

M. Légaré (Yves): Mais l'important, c'est de s'assurer justement que l'auteur est d'accord. C'est-à-dire, un auteur peut fort bien, effectivement, concevoir que telle oeuvre sera utilisée à des fins promotionnelles gratuitement parce que ça lui convient. Il peut aussi considérer que cette utilisation promotionnelle là est dangereuse, c'est-à-dire que jamais un auteur, par exemple, n'irait mettre sur Internet la dernière oeuvre qu'il vient d'écrire et qui n'a jamais été publiée nulle part, alors que, peut-être, il aurait intérêt à publier sur Internet une oeuvre qui date d'il y a plusieurs années.

M. Gaulin: Léonard de Vinci, par exemple.

M. Légaré (Yves): Mais la façon sûre de fonctionner, c'est de s'assurer que le détenteur du droit est d'accord.

M. Gaulin: Oui. Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Garon): Alors, je remercie les porte-parole de la Société des auteurs, recherchistes, documentalistes et compositeurs de leur contribution aux travaux de la commission, et nous allons suspendre la commission jusqu'à 20 heures.

M. Légaré (Yves): Merci de nous avoir reçus.

(Suspension de la séance à 17 h 42)

(Reprise à 20 h 9)

Le Président (M. Morin, Nicolet-Yamaska): Votre attention, s'il vous plaît! Nous allons rouvrir la séance pour ce soir. J'inviterais les représentants de La Maison de la culture de Gatineau à se présenter en avant. Est-ce qu'ils sont ici? M. Daniel Jean...

M. Jean (Daniel): Oui.

Le Président (M. Morin, Nicolet-Yamaska): ...et Mme Lucie Ménard.

Mme Vaive: Elle va être présente dans quelques minutes.

Le Président (M. Morin, Nicolet-Yamaska): Pardon?

Mme Vaive: Mme Ménard va être ici dans quelques minutes.

M. Jean (Daniel): Ça ne sera pas très long.

(20 h 10)

Le Président (M. Morin, Nicolet-Yamaska): On va attendre Mme Ménard.

M. Jean (Daniel): Oui, ça ne sera pas très long.

Le Président (M. Morin, Nicolet-Yamaska): Ça va. Juste quelques directives en attendant. Vous avez une heure: 20 minutes de présentation, le côté de l'opposition a 20 minutes et le côté ministériel 20 minutes.

M. Garon, lui, dit: Si vous ne prenez pas votre 20 minutes, l'opposition aura le temps requis, ou le côté ministériel aussi. Mais, moi, je ne le dis pas. Nous attendons Mme Lucie Ménard.

Bonsoir, Mme Ménard. Bienvenue à la commission. Comme je l'expliquais tantôt, vous avez une heure: 20 minutes de présentation, 20 minutes au côté de l'opposition, 20 minutes au côté ministériel. Donc, à vous la parole et bienvenue.


La Maison de la culture de Gatineau

Mme Ménard (Lucie): Merci beaucoup. Alors, Mmes, MM. les députés, je vais d'abord vous présenter La Maison de la culture et son positionnement actuel dans le domaine de l'inforoute; et, ensuite, mon confrère, Daniel Jean, qui est directeur des communications à La Maison, va par la suite vous faire un court exposé de nos recommandations concernant la stratégie gouvernementale.

Alors, située au coeur de Gatineau, la plus importante municipalité de l'Outaouais et cinquième ville la plus populeuse au Québec, La Maison de la culture représente un lieu unique pour la diffusion de spectacles professionnels en arts d'interprétation. À cette fin, elle dispose d'une salle de spectacle d'envergure, la seule salle de spectacle professionnelle en Outaouais, d'une capacité de 652 sièges.

Depuis son ouverture, en février 1992, La Maison permet au public régional de consommer en territoire québécois une gamme de spectacles inégalée de par la qualité de sa programmation et des infrastructures qu'elle met à la disposition des artistes. Si la clientèle de La Maison était à l'origine, en 1992, essentiellement gatinoise, elle s'est depuis grandement diversifiée. Aujourd'hui, elle regroupe, dans une proportion dépassant 60 %, les publics de Hull, Aylmer, Masson-Angers, Buckingham ainsi que les résidents de municipalités ontariennes telles Ottawa, Vanier et Orléans.

La Maison de la culture compte aussi un centre d'exposition, Art-image, où sont présentées les oeuvres d'artistes professionnels dans les différents domaines de l'art visuel contemporain: peinture, sculpture, dessin, gravure. Elle est aussi le site d'expositions spéciales telle, l'automne dernier, celle de l'artiste Suzanne Giroux, avec «L'énigme du sourire de Mona Lisa», qui donnait une explication fascinante de l'oeuvre célèbre du grand artiste de la Renaissance que fut Léonard de Vinci.

Organisme à but non lucratif, la Corporation de La Maison de la culture de Gatineau assure la gestion de la salle de spectacle et du centre d'exposition. La permanence est composée de huit employés auxquels se greffent une vingtaine d'employés occasionnels. Les services techniques sont, pour leur part, assurés par des firmes privées spécialisées. Ses activités entraînent des retombées indéniables pour les entreprises locales, puisque nombre d'entre elles fournissent biens et services pour La Maison.

Amorçant sa cinquième saison, La Maison de la culture représente un lieu incontournable pour la diffusion de spectacles en Outaouais. Soucieuse de répondre aux attentes de ses clients, l'équipe de La Maison accomplit un travail de première qualité qui favorise la présentation d'événements appréciés par le public, le tout dans un climat de convivialité qui fait le bonheur de ses artisans. En tout temps, La Maison vise à favoriser le développement culturel du milieu en offrant aux clients un produit et un service professionnels de première qualité.

Cette salle se veut aussi une entité active privilégiant la tenue et l'émergence de manifestations culturelles destinées à la découverte et l'éclosion de nouveaux talents. Ainsi, La Maison produira cet automne la cinquième édition des «Rendez-vous de la nouvelle chanson». Cette activité culturelle d'envergure, organisée en collaboration avec la radio de Radio-Canada, offre cinq journées de célébration de la chanson francophone où se côtoient les vedettes d'aujourd'hui et la relève de demain à travers ateliers, conférences et spectacles. Il s'agit d'un cas exemplaire de développement interrégional, puisqu'il s'adresse à la fois aux artistes de l'Outaouais et de l'Abitibi-Témiscamingue.

Cette année, La Maison de la culture de Gatineau est mise en nomination pour une quatrième année consécutive comme salle de spectacle de l'année au Québec par l'Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo, et pour la première fois comme diffuseur de l'année. Qui plus est, elle a reçu, en 1994, le Grand Prix d'excellence à titre d'entreprise institutionnelle de l'année, catégorie 50 employés et moins, de la Chambre de commerce et d'industrie de l'Outaouais. Cette reconnaissance, tant par le milieu que par l'industrie du spectacle, témoigne du rayonnement et de l'appréciation dont jouit La Maison de la culture de Gatineau à l'intérieur comme à l'extérieur de la région de l'Outaouais.

En tant que diffuseur pluridisciplinaire, La Maison de la culture exerce le commerce de l'art, mais elle est aussi animée par d'importantes préoccupations sociales, éducatives et culturelles. Pour La Maison, l'inforoute apparaît comme un outil puissant afin de favoriser le commerce, tout comme il compte un énorme potentiel pour soutenir le développement éducatif, social et culturel du Québec.

Mais voilà un enjeu extrêmement vaste qui dépasse l'horizon de l'action de notre organisation. Qu'il suffise de mentionner cependant tout le potentiel de démocratisation que l'inforoute recèle et qui amène à appuyer de manière non équivoque son accès au plus grand nombre. Hélas, force est de constater que jusqu'à présent elle s'est avérée un outil à la portée plutôt limitée. Au printemps, on estimait qu'il y avait environ 300 000 internautes québécois, soit moins de 5 % de l'ensemble de la population. Aussi, selon un sondage du Réseau interordinateurs scientifique québécois, 35 % des usagers disposent d'un revenu de plus de 60 000 $ et 56 % ont effectué des études universitaires. Dans la population en général, ce taux est de 15 %.

Il y a donc un énorme travail d'accessibilité à réaliser et, à ce niveau, le rôle du gouvernement ne peut être sous-estimé. Mon collègue y reviendra d'ailleurs plus tard. L'intérêt de La Maison de la culture pour le dossier de l'inforoute est on ne peut plus évident. Ansi, La Maison a été la première salle de spectacle au Québec à être nommément présente sur Internet avec la construction de son site Web au printemps 1995. On retrouve le site de La Maison de la culture de Gatineau dans la toile du Québec, section des arts et de la culture ainsi que dans de nombreux autres titres, tel celui de RIDEAU, le Réseau indépendant des diffuseurs d'événements artistiques unis, avec lequel un lien hypertexte est en place.

Les internautes ont accès à toutes les activités de La Maison et tant pour la salle de spectacle Odyssée que pour le centre d'exposition Art-image: programmation des séries théâtre et musique, spectacles de chanson et d'humour regroupés sous la rubrique variétés, expositions en cours, à venir et possibilité de location des espaces de La Maison.

Il est également possible d'écrire au service de billetterie de La Maison et, par le fait même, de faire connaître son intérêt pour l'achat de billets pour l'un ou l'autre des spectacles annoncés. De la même façon, les personnes intéressées par un abonnement à la série théâtre ou à la série musique peuvent le faire savoir.

Et combien agréable ce matin où, en lisant dans notre courrier ces commentaires concernant notre programme d'activités qui proviennent du Yukon, de la Colombie-Britannique, de la Suisse, ces derniers étant fort intéressés par le développement de notre créneau de spectacles internationaux touchant la France, la Belgique, la Suisse et le Japon... Si La Maison de la culture ne peut imputer son taux d'occupation moyen de plus de 85 % à sa présence sur l'inforoute, il n'en demeure pas moins qu'un certain nombre d'individus se sont déjà prévalus de cette opportunité afin de se procurer des billets. En outre, l'adresse Internet demeure un formidable outil de positionnement pour La Maison auprès des différents publics.

Le dynamisme de La Maison dans ce dossier est également illustré par sa présence au sein d'un groupe d'appui de la Direction régionale du ministère de la Culture et des Communications dans le cadre d'une journée d'échanges sur l'inforoute tenue au printemps et destinée aux intervenants du secteur culturel outaouais. De même, la Société des musées québécois a accepté la candidature du centre d'exposition de La Maison au sein du Réseau Info-Muse qui regroupe à ce jour une trentaine d'institutions. Le Réseau vise à permettre le partage d'informations sur le patrimoine québécois entre les diverses institutions muséales ainsi que la collectivité. Pour ce faire, Info-Muse a entre autres conçu un système de fiches documentaires qui permettra une consultation efficace des collections muséales. L'accès du centre d'exposition de La Maison de la culture au Réseau lui permettra notamment de diffuser de l'information sur la collection d'oeuvres d'art de La Maison. Plus d'une centaine d'oeuvres provenant d'artistes professionnels en art contemporain de l'Outaouais et de l'extérieur font partie de cette collection, dont celles de Chan Ky-Yut, Sato, Bitner, Rutka, Warren, etc.

(20 h 20)

La transmission de l'information au Réseau Info-Muse s'effectuera cet automne. Les données de La Maison seront ensuite accessibles par le biais du Réseau canadien d'information sur le patrimoine, organisme relevant du ministère du Patrimoine canadien et auquel est relié Info-Muse.

Avant de laisser la parole à M. Jean, j'aimerais citer Jacques Languirand qui, devant le développement rapide de l'électronique, résumait en une courte expression le sentiment du public en général. Il dit: «J'ai mal à mon bon sens.» C'est peu dire.

M. Jean (Daniel): M. le Président, Mmes, MM. les députés, bonsoir. Dans sa stratégie de mise en oeuvre de l'inforoute, le gouvernement s'est doté d'objectifs généraux et de principes qui vont inspirer son action et il a aussi identifié les cibles qui établiront la direction à prendre. Ainsi, pour le gouvernement, l'inforoute représente une des assises de la société de l'information. Elle permettra l'implantation de services interactifs à distance utiles dans la vie quotidienne des entreprises et des citoyens et l'accès à des fonctions évoluées de communication.

L'inforoute est un phénomène mondial qui a et aura des répercussions pour les gens et les entreprises d'ici à une échelle encore insoupçonnée. Aussi, parmi les six objectifs généraux du gouvernement, deux retiendront particulièrement notre attention ce soir: le développement économique et régional du Québec et, bien sûr, la promotion de la langue et l'expression de la culture française.

En matière de développement économique et régional, selon l'approche gouvernementale, l'accès à l'autoroute de l'information devrait être assuré à tous de façon équitable, et ce, peu importe leur situation géographique, sociale ou économique. Le déploiement doit permettre la réduction des écarts existants au sein de la société québécoise plutôt que de contribuer à l'émergence d'une société à plusieurs vitesses. On ne peut qu'endosser cet énoncé de principe car l'autoroute de l'information représente une opportunité de développement sans précédent.

Mais, pour que ce développement puisse se produire, encore faut-il que l'accès au plus grand nombre soit favorisé. À cet égard, le rôle du gouvernement comme facilitateur est indéniable. Au plan éducatif, l'entrée de l'inforoute dans les écoles sera un premier pas. On envisageait notamment de brancher les écoles, si je ne m'abuse, sur l'inforoute au cours de l'année 1996-1997. Je ne sais si ça se fera. Mme la ministre annonçait, rappelait également la semaine dernière que sa collègue de l'Éducation avait annoncé des investissements de près de 300 000 000 $ pour l'acquisition de matériel informatique pour le réseau scolaire québécois. Alors, c'est un pas dans la bonne direction et on ne peut que l'applaudir.

Au plan social, le gouvernement ne peut certainement garantir l'accès à tous. Il doit toutefois mettre en place les conditions pour que cet accès soit équitable pour tous. Sa stratégie de mise en oeuvre y fait d'ailleurs allusion. Il faut le plus rapidement possible faire entrer la notion d'inforoute dans les maisons du Québec. Encore aujourd'hui, un grand nombre de gens et d'individus ont entendu parler d'Internet, mais beaucoup moins savent vraiment de quoi il en retourne, et encore moins en sont des utilisateurs.

Aussi, afin d'amener les Québécoises et les Québécois à bien cerner le potentiel que recèle l'inforoute, le gouvernement doit y assumer un rôle de promoteur. À cet égard, pour nous, Télé-Québec est un instrument à la disposition des autorités qui pourrait bien servir les intérêts du plus grand nombre. Une émission dynamique au contenu éducatif dans un format de divertissement aurait une capacité de promotion indéniable. C'est un exemple. Actuellement, la SRC diffuse une émission le samedi en fin de journée: Branché . Dieu seul sait combien de temps cette émission sera encore à l'antenne, compte tenu des coupures qui frappent la SRC actuellement. On pense que le gouvernement, par le biais de Télé-Québec, a un instrument qu'il pourrait utiliser. On pourrait également songer, par exemple, à brancher des écoles sur du contenu pédagogique par le biais de la retransmission en circuit fermé. Ce ne sont que des exemples, mais ils sont là.

L'attrait d'une action semblable se fera sentir tant auprès du grand public que du milieu des affaires, le deuxième objet de nos préoccupations. Comme le mentionne si justement le gouvernement dans sa stratégie de mise en oeuvre, l'autoroute de l'information sera un facteur de compétitivité et de développement économique. Aussi, pour en bénéficier, les entreprises devront avoir accès aux informations et services stratégiques. Plus loin, on poursuit en précisant que l'État doit donc s'assurer que le contexte du déploiement de l'inforoute soit propice à son exploitation par les entreprises du Québec, qu'elles aient accès aux meilleurs services possible et qu'elles puissent accroître leur visibilité sur les réseaux à l'étranger.

Hormis la question de la sécurité et de la confidentialité des données, qui est certainement un objet légitime de préoccupation pour tout entrepreneur, l'accessibilité à l'inforoute doit être équitable pour tous et toutes, et ce, peu importe la région où ils se situent. Comme pour l'ensemble des citoyens, la même préoccupation revient encore ici quant à l'accès à des services de qualité. Néanmoins, il faut s'interroger quant à l'intérêt porté jusqu'à présent par les entreprises dans l'inforoute, car leur absence nombreuse, pour nous, demeure inquiétante. On fait encore peu d'affaires sur Internet. Comment expliquer ce manque d'intérêt? Par la non-disponibilité des ressources, par une approche marketing qui n'intègre pas encore cet outil de communication ou simplement par une attitude d'indifférence?

Le Québec entrepreneurial, selon nous, doit prendre le virage de l'inforoute. C'est une question de positionnement, de développement et, pour certains, peut-être même une question de survie. Pourtant, en 1996, peu d'entre elles se sont même approchées d'une bretelle d'embarquement. Le gouvernement ne peut et ne doit pas se substituer à l'entreprise. Par contre, il peut favoriser le rayonnement de l'inforoute auprès de la communauté des affaires en agissant comme promoteur. Il y a sans nul doute une vaste opération de communication à mettre en place de concert avec les chambres de commerce et autres pivots du développement économique afin de sensibiliser les intervenants au potentiel d'Internet.

D'ailleurs, le gouvernement évoquait récemment la possibilité de mettre en place une nouvelle politique de développement régional. Il est à espérer que celle-ci intégrera la notion de l'inforoute. Pour mieux illustrer notre propos, nous reprendrons l'exemple de La Maison de la culture. La mise en vente des billets et des abonnements par le biais d'Internet constitue une nouvelle avenue de mise en marché pour La Maison. Certes, elle ne constitue pas la source première de revenus, loin de là, mais elle a déjà permis à de nombreux individus de faire connaître leurs intentions d'achat, et ce, 24 heures sur 24. Il va sans dire qu'on suit de très près le travail de recherche et développement qui se fait actuellement dans les institutions bancaires, de même que chez Visa et MasterCard, en espérant qu'au début de la prochaine année on pourra avoir accès à des services de transaction confidentiels et sécuritaires. Bref, Internet permet à La Maison de se démarquer, de démontrer son dynamisme et son souci de répondre le plus adéquatement possible aux besoins de sa clientèle.

Tout comme pour la population en général, Télé-Québec pourrait jouer un rôle indéniable auprès des entreprises afin de mieux les sensibiliser à l'importance de l'inforoute, à ce que celle-ci signifie et comporte comme possibilités. D'ailleurs, nous soulignons la pertinence de créer dans une vitrine Québec un service de recherche et d'accès aux sites des entreprises québécoises, ainsi que le mentionne la stratégie de mise en oeuvre du gouvernement. Il va sans dire que l'intérêt d'un tel service grandira à mesure que la masse critique des entreprises présentes augmentera.

Côté promotion de la langue et expression de la culture française. Dans son document de consultation, la commission indique avec justesse que, dans une société de l'information sans frontières, c'est la qualité et la quantité des contenus qui permettront aux cultures d'exister et de se développer. Le contenu, pour le Québec comme pour les autres sociétés, sera l'enjeu décisif. Ici comme ailleurs, le gouvernement ne peut et ne doit pas se substituer aux créateurs de contenus. Le milieu culturel a une responsabilité à assumer en ce domaine; le gouvernement doit agir comme promoteur et comme partenaire.

Ainsi, la tenue de journées d'échanges, telle que celle qui s'est tenue en avril dernier en Outaouais, est un exemple de ce partenariat. Cette journée visait notamment à familiariser les intervenants avec l'inforoute, leur faire découvrir différentes façons de produire et d'afficher de l'information, et amorcer un certain maillage entre eux. C'est une amorce. Il reste encore beaucoup de travail à faire à ce niveau. D'autres actions de cette nature devront être prises, selon nous, afin de pousser cette démarche encore plus loin. Le gouvernement peut ainsi assumer un rôle d'accompagnateur auprès des intervenants du milieu culturel afin de mettre en place les conditions les plus favorables à leur entrée sur l'inforoute. On peut penser au programme de mise de fonds par le biais du Fonds de l'autoroute de l'information, à certains incitatifs fiscaux, comme c'est déjà le cas pour le multimédia et les CD-ROM.

Par ailleurs, dans le document de consultation, on mentionne qu'il faudra penser à créer une vitrine artistique et culturelle du Québec sur l'inforoute afin d'assurer la promotion des activités et des oeuvres d'ici, notamment pour les arts visuels et de la scène. Deux commentaires, si vous me permettez, à ce sujet. Cette vitrine culturelle, selon nous, devra être intégrée à une vitrine plus large du Québec. Tout comme on intègre les affaires, l'éducation et autres domaines d'activité, le culturel ne doit pas être relégué dans un espace autre. Il doit être au coeur de cette vitrine Québec à laquelle le gouvernement se réfère lorsqu'il traite de l'entreprise, car la culture, c'est la création artistique, bien sûr, mais c'est aussi la création d'opportunités de faire des affaires.

À notre avis, le gouvernement doit initier des actions qui permettront de mettre en lumière les entreprises québécoises présentes sur Internet et sur l'autoroute de l'information, de façon générale. Le service de recherche et d'accès des sites des entreprises est un exemple. Le rôle de promoteur qui devrait échoir au gouvernement ne saurait donc être assez souligné. À cet égard, on peut aussi se référer au projet qui a cours au ministère de la Culture et des Communications à l'effet que chaque direction régionale se dote d'une vitrine qui présenterait les activités et les intervenants culturels de chacune des régions du Québec; et voilà un projet qui, pour nous, va dans le sens de la promotion des intervenants québécois.

(20 h 30)

Bref, l'avènement de l'inforoute ne doit pas être perçu négativement, mais plutôt comme une opportunité. De façon plus spécifique, nous croyons qu'il permettra de rejoindre les gens de manière différente, certes, afin de les informer des activités de La Maison de la culture, par exemple.

Loin de les éloigner de la salle de spectacle, nous estimons plutôt qu'elle pourrait les rapprocher, l'accès à l'information et aux réservations, dans notre cas, étant instantané. En outre, n'oublions pas que les arts de la scène constituent un art vivant, un art qui met en contact direct l'artiste et le spectateur. Rien, selon nous, ne pourra jamais remplacer cette magie, ce moment unique.

Bref, l'inforoute constitue un outil incontournable pour le développement des communautés québécoises. Et permettez-nous donc de vous rappeler certaines des recommandations que nous avons énoncées à l'intérieur de ce mémoire.

Afin d'amener les Québécoises et les Québécois à bien cerner le potentiel que recèle l'inforoute, le gouvernement doit assumer un rôle de promoteur; et, à cet égard, Télé-Québec est un instrument à sa disposition qu'il devrait utiliser et qui pourrait fort bien servir les intérêts du plus grand nombre.

À l'égard du milieu des affaires, le gouvernement ne peut et ne doit pas se substituer à l'entreprise. Par contre, il peut favoriser le rayonnement de l'information auprès de la communauté des affaires en agissant comme promoteur. On a parlé tantôt d'une vaste opération de communication; nous y revenons. Le gouvernement, encore ici, ne peut et ne doit pas se substituer aux créateurs de contenus, lorsqu'on pense au milieu culturel. Celui-ci a ses responsabilités à assumer en la matière. Le gouvernement doit agir comme promoteur et comme partenaire.

Enfin, une vitrine culturelle devra être intégrée, selon nous, à une vitrine plus large du Québec pour y intégrer la culture, comme on y intègre les affaires, l'éducation et les autres secteurs d'activité. Il doit être au coeur de cette vitrine Québec à laquelle le gouvernement se réfère lorsqu'il traite de l'entreprise.

Pour nous, donc, la question n'est pas de savoir pourquoi est-ce qu'on devrait embarquer sur l'inforoute, mais plutôt quand et comment on pourra y avoir accès, et, espérons-le, le plus tôt possible. Merci.

Le Président (M. Garon): Est-ce qu'il y a quelqu'un qui...

Mme Malavoy: Moi, je peux commencer.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Sherbrooke.

Mme Malavoy: Bonjour, Mme Ménard, M. Jean. Merci de votre présentation, d'avoir pris la peine de réfléchir à ces questions et de nous faire part de vos idées sur ce sujet qui est fort important pour nous. J'ai quelques questions qui reprennent des points qui sont dans votre texte, que vous avez abordés, mais ça m'intéresserait, puisque vous êtes là, d'en profiter pour en savoir un peu plus.

Tout d'abord, une petite chose que vous mentionnez. Je l'ai relue puis je vous ai bien écoutés. Je me suis dit: Oui, c'est ça qu'ils disent. À la page 9, au premier paragraphe, vous dites: Au plan éducatif, l'entrée de l'inforoute se fera dans les écoles. Donc là, on pense que tous les enfants et tous les jeunes y auront accès.

Vous dites par contre: «Au plan social, le gouvernement ne peut garantir l'accès à tous.» Mais vous dites dans la phrase suivante qu'il faut qu'il mette des conditions pour que ce soit équitable pour tous. Alors, j'aimerais que vous me précisiez un peu pourquoi cet accès ne peut être garanti, mais pourquoi, en même temps, ou comment on peut être équitable, par ailleurs.

M. Jean (Daniel): Je pense qu'à cet égard c'est certainement la notion d'équité qu'il faudrait retenir dans le cadre de ce mémoire, dans la mesure où le terme «équité», pour nous à ce moment-ci, est extrêmement important. Il va sans dire qu'il y a encore beaucoup de travail de quincaillerie à faire, il y a l'accessibilité des services dans les différentes régions du Québec qui sont à développer et, à ce niveau, c'est plus au niveau de l'équité, dans la mesure où les gens auront accès à des services de façon juste et de façon comparée, si on y va d'une région à une autre. Alors, c'est plus au niveau de l'équité de l'accessibilité, dans la mesure où on ne peut pas garantir que tout le monde soit branché et axé en tout temps à l'inforoute; c'est impensable, c'est inimaginable. Sauf qu'il y a une question d'équité au niveau des différents services qu'on pourra retrouver dans les différentes régions du Québec. C'est plus à ce niveau-là.

Mme Malavoy: Mais quand vous dites l'accès à tous, alors, ça veut dire que dans chaque maison, par exemple, les gens soient branchés? Ça, non. On reconnaît bien...

M. Jean (Daniel): Non, ça, je ne pense pas. Non, non, absolument pas. Non.

Mme Malavoy: Mais il y a une notion, quand même, d'accessibilité dans votre équité.

M. Jean (Daniel): Oui, par exemple, si on pense aux bibliothèques publiques, tout le secteur des bibliothèques qui peut être exploité. Je pense que certains outils, certains établissements de cette nature pourraient être certainement utilisés à la grandeur du Québec pour favoriser cette notion, cette idée d'un accès équitable pour tous. C'est dans cet esprit-là.

Mme Malavoy: D'accord. Ça fait bien la différence entre ce que les gens peuvent avoir à domicile et ce à quoi ils peuvent avoir accès...

M. Jean (Daniel): Voilà.

Mme Malavoy: ...dans des services mis à la disposition du public.

M. Jean (Daniel): Et là où le gouvernement peut intervenir pour favoriser l'accès, selon nous.

Mme Malavoy: Vous avez parlé à quelques reprises de Télé-Québec. Je pense que c'est un filon intéressant. Mais pourriez-vous illustrer un peu plus ce que Télé-Québec pourrait faire, quel genre de rôle on pourrait lui confier. Bon, il y a une émission de base qui existe et qui peut avoir un intérêt. Mais, au-delà de ça, Télé-Québec, qui vient récemment de rafraîchir sa vocation – je cherchais les mots, là; je ne dirais pas refaire, mais rafraîchir sa vocation – vous dites, si je comprends bien: Profitons-en pour peut-être lui donner un rôle dans le cadre de l'éducation à l'inforoute, puisque c'est une question importante pour la société québécoise. Vous lui feriez faire quoi, à Télé-Québec?

M. Jean (Daniel): Bien, écoutez, le rôle, ce qu'on évoque à l'intérieur du mémoire, on parle d'une émission grand public, dans un premier temps. Je pense que c'est davantage un effort de sensibilisation. D'ailleurs, la ministre, si je ne m'abuse, aimerait amener une prise de conscience des Québécois sur le potentiel extraordinaire que recèlent les inforoutes. Et je pense qu'à cet égard Télé-Québec est un outil de sensibilisation extraordinaire à la portée du gouvernement, qui pourrait être utilisé. On a parlé d'une émission. Je suis certain qu'il y a des producteurs ou il y a des gens à l'intérieur du Secrétariat qui pourraient développer des idées, enfin, à ce sujet. Le type d'émission se voudrait une émission certainement de caractère de sensibilisation, dans un format de divertissement, de façon à intéresser les gens. Mais, quant aux modalités, bon, ça reste à développer, mais c'est vraiment dans un esprit de sensibilisation des gens auprès du grand public.

On a aussi évoqué la possibilité, par exemple, que Télé-Québec puisse être utilisée dans un mandat plus éducatif auprès des écoles. À cet égard, bien, on évoque la possibilité, peut-être, d'une émission en circuit fermé ou quelque chose qui serait produit, qui pourrait être diffusé en circuit fermé à l'intérieur des écoles. On a là un outil de télécommunication qui est à la disposition du gouvernement et qui, d'après nous, devrait être utilisé et exploité dans cet objectif.

Mme Ménard (Lucie): Je voudrais juste aussi ajouter qu'on a la préoccupation aussi d'aller dans les régions, et toutes les régions. Alors, ça, c'est extrêmement important. Donc, toutes les régions se sentent sollicitées et se sentent aussi parties prenantes de ce développement, à ce moment-là. Donc, le fait qu'on ait la préoccupation des régions, nous, on trouve que, déjà là, c'est un outil extrêmement important.

Mme Malavoy: Parce que c'est un réseau de pénétration...

Mme Ménard (Lucie): Voilà!

Mme Malavoy: ...des régions.

Mme Ménard (Lucie): Qui est, en tout cas, beaucoup plus grand. C'est la vision qu'ils ont, en tout cas.

Mme Malavoy: Je peux encore faire une autre question?

Le Président (M. Garon): Oui.

Mme Malavoy: Ça concerne le rôle de l'État. Vous lui donnez des rôles que je trouve intéressants: promoteur, partenaire, accompagnateur. Une des questions qu'on se pose, nous, c'est: Est-ce que l'État doit aussi être régulateur? Est-ce qu'il doit aussi soit imposer des règles du jeu – certaines personnes nous demandent ça – ou tout au moins les favoriser, les inciter à avoir des moyens? Bon, ça peut être, par exemple, des mesures fiscales qui vont permettre que tel type d'outil, tel type de produit, en français par exemple, soit produit, soit un outil de qualité. On peut imaginer différentes façons dont l'État peut s'y prendre pour favoriser certains produits plutôt que d'autres.

Est-ce que vous voyez un rôle, donc, de régulateur? Parce que les mots que vous utilisez, c'est plus une incitation, c'est plus un partenariat. Quand je dis «régulateur», il y a quelque chose qui peut être plus coercitif, mais il faut que, nous, on se pose cette question-là aussi. Je me demandais si vous y aviez réfléchi.

Mme Ménard (Lucie): Je ne sais pas, là.

M. Jean (Daniel): Je vous avouerai que, bon, il y a toute une dimension légale et juridique par rapport à la régulation ou au rôle de régulateur que le gouvernement pourrait avoir, qui est une dimension qui excède notre capacité, d'une part.

Il est sûr, lorsqu'on parle de l'inforoute, on parle à l'échelle planétaire. Alors, ça devient extrêmement complexe, à prime abord, selon ce qu'on peut voir, d'essayer de réglementer, enfin, le jeu sur l'inforoute, le jeu entre guillemets, là. Là où le gouvernement, pour nous, peut certainement jouer un rôle important, c'est pour favoriser l'accès et l'entrée des intervenants québécois sur l'inforoute. C'est pour ça qu'on parlait d'incitatifs fiscaux. Le Fonds de l'autoroute de l'information vise également ce même objectif. Alors, le rôle du gouvernement est plus à ce niveau-là.

Quant à un rôle de régulateur, je vous avouerai qu'à ce moment-ci ça m'apparaît assez complexe, pour le moins, et difficile, oui.

(20 h 40)

Mme Malavoy: Merci.

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Oui, merci, M. le Président. Bonsoir, madame, monsieur.

M. Jean (Daniel): Bonsoir.

M. Laporte: J'aimerais que vous élaboriez un peu sur le rôle de partenaire, parce que, pour ce qui est du rôle de promoteur, je comprends bien ce que vous voulez dire, le facilitateur aussi. Sur le rôle de partenaire, vous mentionnez à la page 12: «Ainsi, la tenue de journées d'échanges, telles que celle qui s'est tenue en avril dernier, est un exemple de ce partenariat.» Pourriez-vous nous décrire ça un peu plus en détail?

M. Jean (Daniel): D'accord. Alors, la journée à laquelle nous faisions allusion s'est tenue en Outaouais. La Direction régionale du ministère de la Culture et des Communications a sollicité la participation de La Maison à un groupe d'appui pour l'organisation de cette journée qui réunissait différents intervenants du milieu culturel de l'Outaouais, des artistes, des peintres, des gens des arts d'interprétation, des arts visuels, de façon à les sensibiliser au secteur de l'inforoute. Alors, il y a eu une série de conférences qui ont été organisées cette journée-là, de présentations, en fait, par des gens du ministère.

On a eu également Jean-Pierre Cloutier – peut-être que certains d'entre vous sont familiers avec lui – qui a écrit «Les chroniques de Sibérie», qui est un des sites Web les plus fréquentés dans le monde francophone. Il y avait des artistes qui ont également leur propre site. Alors, c'était pour démontrer aux gens c'est quoi exactement. Qu'est-ce que ça mange en hiver, pour ainsi dire, Internet et l'inforoute, et les amener à une meilleure sensibilisation et leur montrer le potentiel que ça pouvait avoir pour eux. Et donc, c'est un peu à ce niveau que le gouvernement, par exemple, dans le secteur culturel, le rôle de partenaire, il peut certainement se jouer dans ce sens-là.

M. Laporte: D'accord.

M. Jean (Daniel): Ça va?

M. Laporte: Donc, ça revient un peu... Ce que vous voulez dire plutôt, c'est l'accompagnement, la facilitation.

M. Jean (Daniel): Absolument, oui.

M. Laporte: Est-ce que vous voyez d'autres formes que pourrait prendre ce partenariat? Cet après-midi – on en a un exemple – on a eu l'exemple de la Commission d'accès à l'information, disons, qui s'est associée à Vidéotron pour le développement d'une... pas d'une réglementation... mais disons d'un code d'éthique ou d'une déontologie de l'utilisation d'UBI dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Ça, c'est un exemple de partenariat. Encore là, au fond, ce à quoi vous référez, c'est des échanges entre des organismes gouvernementaux et des organismes communautaires ou régionaux comme le vôtre, quoi, c'est le ministère de la Culture pour des fins d'information, de sensibilisation des groupes du milieu des artistes, c'est ça que vous entendez par partenariat, quoi?

Mme Ménard (Lucie): Oui, et, en tout cas, moi, je pense aussi... Je sais que le ministère de la Culture et des Communications aura aussi un nouveau mandat dans le développement du loisir culturel. Alors, pour sensibiliser la masse, pour que tout le monde se sente concerné, je pense que ça pourrait être un créneau intéressant. Je sais qu'à un moment donné on va chercher, on va se positionner, le ministère va se positionner par rapport au développement du loisir culturel, tout au moins, peut-être pas dans les deux prochaines années, parce qu'il y a déjà des choses qui sont amorcées, mais il se pose la question. Et, à mon avis, c'en est un, ça, un créneau où on touche de nouveaux organismes.

M. Laporte: Une dernière question, M. le Président. Est-ce qu'il existe un réseautage des maisons de la culture sur Internet?

Mme Ménard (Lucie): Non, non. Et ici, je veux aussi bien faire comprendre que La Maison de la culture de Gatineau porte le nom maison de la culture mais n'a rien à voir avec les maisons de la culture de Montréal. C'est vraiment quelque chose qui est complètement différent. Et très peu de salles encore au Québec donc font partie aussi de la toile du Québec.

M. Laporte: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Garon): Mme la députée de Chapleau voudrait prendre la parole, mais, comme elle n'est pas membre de la commission, ça prend le consentement de tous les membres.

Mme Vaive: Merci. Merci, M. le Président. Ayant été présente à la planification, la construction, la réalisation, et j'étais même à l'ouverture, lors de l'ouverture de La Maison de la culture, parce que j'étais conseillère municipale à la ville de Gatineau, j'en suis fière et j'aimerais entendre, soit de Mme Ménard ou de M. Jean, les projets de services qui sont en planification et qui restent un voeu politique. Vous le savez, dans les municipalités, c'est toujours des règlements d'emprunt. C'est un voeu politique, mais le dossier a été accepté par la ministre de la Culture.

J'aimerais entendre Mme Ménard expliquer les projets qui sont à venir, et je pense que ce sont des projets qui sont vraiment intéressants et qui rejoignent un peu le mémoire de Mme Ménard et de M. Jean.

Mme Ménard (Lucie): Bien, c'est sûr qu'au niveau du développement, souhaitons très proche, et grâce – tout humblement, je vais le dire – au succès de la salle de spectacle de La Maison de la culture et du centre d'exposition, le gouvernement nous a offert cette subvention de plus de 5 000 000 $ pour l'agrandissement de La Maison de la culture, ce qui comprend évidemment un centre qu'on appelle le Centre intégré des services culturels, où on retrouvera des archives, les Archives du Québec, les archives municipales, une école de danse, une école de musique, le Salon du livre et aussi l'agrandissement de la salle de spectacle de La Maison de la culture, puisqu'on sait pertinemment bien qu'avec 652 places une salle est difficilement rentable.

Et grâce aussi à son succès et aux projets de développement, qu'on appelle, nous autres, entre nous, des «projets planétaires», puisqu'on a, comme je vous le disais tantôt, des spectacles qui viennent de partout dans le monde présentement, donc, on est sur cet élan-là de développement et donc, évidemment, quand on parle du mémoire qu'on a déposé concernant l'inforoute, pour nous, c'est un outil de développement extrêmement important, puisque nous sommes rendus là. Donc, voilà, on se souhaite un bel avenir.

Le Président (M. Garon): M. le député de Nicolet-Yamaska.

M. Beaumier: De Champlain.

Le Président (M. Garon): De Champlain, pardon, oui, j'oubliais.

Une voix: Anciennement.

Le Président (M. Garon): Bien oui.

M. Beaumier: Un père peut avoir deux fils, M. le Président. C'est normal, hein?

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Beaumier: Ha, ha, ha! Oui. Alors, Mme Ménard, M. Jean, je partage l'opinion qui a été dite tantôt à l'effet que le contenu était l'enjeu décisif, l'enjeu important en ce qui concerne tout le secteur de l'inforoute, au-delà de la quincaillerie, etc.

Deux choses. Premièrement, c'est une curiosité, là. Je le ferai moi-même. Quand on arrive sur votre site Web, j'aimerais que vous me disiez: Est-ce que c'est seulement des informations sur les activités, sur ce qui va se dérouler, etc., ou bien si on a accès à une exposition, par exemple? Parce que vous avez aussi des expositions que vous faites. Alors, en termes de contenu, là, quelqu'un qui va aller à http//www.gatineau.maison, qu'est-ce qu'il va voir en termes de contenu qu'il n'aurait pas ailleurs, de toute façon? Oui.

M. Jean (Daniel): Bien, c'est sûr que la personne qui va rentrer sur notre site va découvrir la programmation de La Maison; ça, il va de soi.

M. Beaumier: Ça, oui, ça va.

M. Jean (Daniel): Les différents services qui sont offerts, que ce soit en matière de location d'espaces. Il va également y retrouver... Et ça, cette information, par exemple, n'est pas nécessairement disponible facilement ou régulièrement, alors, il y a certainement des opérations de mise en marché qui sont faites, mais ce type d'information, par exemple, est là de façon continue. Donc, pour les entreprises, ou les gens d'affaires intéressés, ou les organismes, c'est excessivement facile d'obtenir l'information.

À l'égard des expositions, on se fait un devoir de rentrer à l'intérieur du site les informations pertinentes. Il n'y a pas de visite multimédia ou en trois dimensions, si je peux me permettre, là, une visite en réalité virtuelle qui se fait de l'exposition, mais il y a néanmoins le contenu de l'exposition qui est affiché sur le site comme tel. Alors donc, les gens ont accès, d'une part, à la programmation de la salle de spectacle dans ses différents secteurs d'activité, au centre d'exposition, au service de location d'espaces et, ensuite de ça, ils peuvent nous retransmettre directement leurs demandes quant aux différents spectacles auxquels ils aimeraient assister ou les informations qu'ils aimeraient obtenir sur le centre d'exposition.

M. Beaumier: Donc, ce qui est très important aussi, c'est qu'ils peuvent trouver là les informations concernant l'exposition en cours.

M. Jean (Daniel): Absolument.

M. Beaumier: J'imagine. Qui est là. Donc, ils peuvent aller voir et ils vont savoir ce qu'ils vont voir.

M. Jean (Daniel): Oui.

M. Beaumier: Une deuxième petite chose. Vous avez parlé assez brièvement peut-être – c'est vrai que le temps, aussi, n'est pas très long – sur la régionalisation. Toujours dans le sens du contenu, je sais que vous avez dit qu'il fallait, en toute équité, que toutes les régions puissent avoir accès, ou que les gens puissent avoir accès d'une façon convenable, adéquate, à tout ce nouveau domaine de l'inforoute.

(20 h 50)

Mais, sur le contenu – je reviens encore sur le contenu; c'est l'accès, là, la question que je viens de soulever – sur la question du contenu, est-ce que vous voyez, là aussi, pour une région comme la vôtre, qui est une région spécifique, comme toutes les autres, que là aussi, en termes de contenu, se développent des choses qui font que les gens pourraient syntoniser cette région-là puis trouver des choses intéressantes qu'on ne trouve pas ailleurs?

Autrement dit, ce n'est pas seulement de rendre accès à l'inforoute en région, mais ce serait de rendre la région comme accès à l'inforoute pour que les gens aient accès à la région et non pas que la région ait purement accès à l'inforoute. Je ne sais pas si je m'exprime bien, là, mais toujours en termes de contenu.

Est-ce qu'une maison comme la vôtre, là, une maison de la culture, serait portée, disons, à promouvoir – peut-être pas le faire elle-même – une espèce de connaissance de la région qui pourrait être, à ce moment-là, intégrée au niveau d'un site? Là on pourrait voir tout ce qui se fait et puis tout ce qui existe, le plus possible, dans la région de l'Outaouais.

Mme Ménard (Lucie): Je pense, à ce niveau-là, que la municipalité elle-même aussi...

M. Beaumier: Oui.

Mme Ménard (Lucie): ...entre de l'information. Les municipalités le font. Nous, évidemment, c'est plus le positionnement de La Maison et son développement. On crée des événements. Par exemple, les «Rendez-vous de la nouvelle chanson», dont on parlait tantôt...

M. Beaumier: Oui.

Mme Ménard (Lucie): ...qui rejoint tout au moins deux régions: l'Abitibi-Témiscamingue et l'Outaouais. Déjà là, c'est un événement qui fait beaucoup parler.

M. Beaumier: Oui.

Mme Ménard (Lucie): On est associé à «Coup de coeur francophone», qui touche tout le pays canadien, tout le Canada. Donc, finalement, on rejoint beaucoup de gens par le biais de l'information qu'on donne, mais surtout par le biais des événements spéciaux qu'on crée. Parce que c'est sûr que la programmation régulière ne fera pas en sorte nécessairement que ça touche toute la région, mais des événements qu'on y crée, oui.

M. Beaumier: D'accord. Merci bien.

Le Président (M. Garon): Je vous remercie. Je remercie les porte-parole de La Maison de la culture de Gatineau de leur contribution aux travaux de la commission et j'invite maintenant M. Gaétan Patenaude à s'approcher de la table des témoins.

M. Patenaude, vous avez 30 minutes, c'est-à-dire, normalement, vous prenez 10 minutes pour faire votre exposé et chaque parti va avoir 10 minutes pour vous interroger.

M. Patenaude (Gaétan): D'accord.

Le Président (M. Garon): Si vous en prenez plus, bien, ils vont en avoir moins; si vous en prenez moins, ils vont avoir plus de temps pour vous interroger. Normalement, ils ont lu votre document.


M. Gaétan Patenaude

M. Patenaude (Gaétan): Merci, M. le Président. Mmes, MM. les députés, j'ai pris soin de me minuter avant. Donc, j'ai moins de temps que prévu, vous aurez plus de temps pour me poser des questions.

Permettez-moi d'abord de vous remercier de m'avoir invité à présenter mon mémoire dans le cadre de la consultation générale sur les enjeux du développement de l'inforoute québécoise. J'aimerais également vous féliciter pour cette heureuse initiative et souligner la pertinence des questions soulevées dans le document de réflexion.

C'est un débat fondamental que propose la commission de la culture en demandant: Comment faire en sorte que l'autoroute québécoise comble ses promesses à l'effet qu'elle devienne un puissant levier de développement culturel, social et économique? De plus, elle confirme que la culture est véritablement hissée au rang de mission fondamentale de l'État. Je suis donc heureux d'être associé à cette initiative.

Le mémoire que je vous présente ce soir propose une stratégie et des pistes d'intervention susceptibles de bien positionner le Québec et de consolider son espace culturel sur l'inforoute. Il expose la problématique générale du développement de l'inforoute québécoise, trace un aperçu de la situation mondiale, précise la signification de l'inforoute pour le Québec et identifie les éléments pour composer l'espace culturel public. Le mémoire aborde aussi l'impact du développement de l'inforoute sur les personnes et le développement de la main-d'oeuvre.

Au Québec, nous disposons des atouts essentiels pour tirer avantage de ces nouveaux outils dans la mesure où nous préservons notre marge de manoeuvre face aux fournisseurs d'ordinateurs et de logiciels et que nous misons sur le talent de nos créateurs et de nos artistes. L'envergure des transformations provoquées par la naissance de l'inforoute et la taille des intervenants ne laissent aucun doute: l'État québécois doit contribuer activement au développement de l'inforoute québécoise en favorisant la planification de son aménagement et l'implantation dynamique au sein de l'appareil gouvernemental, en assurant son accessibilité, en soutenant des initiatives structurantes et en agissant comme animateur auprès de ses clientèles.

Le développement de l'inforoute québécoise se fera suivant les lois économiques actuelles. Je propose donc que l'État s'inspire des modèles développés dans les secteurs des télécommunications, de la santé, des services sociaux, de l'éducation et de la culture et qu'il réunisse les conditions nécessaires à l'aménagement d'un espace culturel public sur l'autoroute de l'information. Cet espace serait le prolongement des fonctions publiques que nous retrouvons dans la société présentement. Il donnerait un accès universel à l'information disponible publiquement. Dans cette perspective, l'aménagement de l'espace public comprendrait trois volets: l'espace gouvernemental, l'espace du secteur privé et l'espace de l'économie sociale. Les éléments d'un espace public décrits dans le mémoire tiennent compte des principales tendances observées dans le secteur culturel et des défis particuliers que doit relever la société québécoise.

Le français comme langue d'usage sur l'inforoute constitue un enjeu vital. C'est pourquoi l'État doit soutenir le développement de sites et de productions francophones et adopter des mesures pour assurer un accès rapide à la version française des logiciels et systèmes d'exploitation.

Pour assurer une présence continue du plus grand nombre d'intervenants culturels francophones, il est indispensable que l'État établisse un partenariat stable avec le secteur culturel. À cet égard, il y a lieu de prendre acte de la situation paradoxale que vit l'Institut interuniversitaire de recherches sur les populations qui a refusé une subvention de 400 000 $ du Fonds de l'autoroute de l'information parce qu'il manque de ressources pour assurer la gestion du projet. Ce problème est lié au fait que l'organisme ne dispose plus d'un budget suffisant pour couvrir ses frais de fonctionnement. Cette situation est fréquente dans le secteur culturel.

Pour un organisme qui refuse une subvention de projet parce qu'il juge qu'il n'est pas en mesure de soutenir sa réalisation dans des conditions acceptables, combien sont-ils à pousser leurs ressources au maximum? Il apparaît que les modes de fonctionnement des secteurs de la recherche scientifique et de la création culturelle sont similaires. Si l'État veut véritablement aménager un espace culturel public sur l'inforoute, il doit donc établir un partenariat stable avec les organismes de ces secteurs.

La stratégie préconisée pour actualiser le réseau culturel consiste à soutenir le développement de veilles culturelles et l'animation de groupes de discussion. De plus, l'opportunité de créer un Intranet culturel pour faciliter la transmission d'informations entre les partenaires culturels, publics et privés devrait être étudiée. Quel potentiel l'autoroute de l'information offre-t-elle pour assurer le développement des arts? Deux questions principales se posent. La première: Existe-t-il un marché véritable pour les oeuvres et productions québécoises sur l'Internet, c'est-à-dire: est-ce que les personnes susceptibles d'être intéressées par les arts vont s'abonner et est-ce qu'elles visiteront les sites offerts?

Deuxièmement, est-ce que les moyens techniques permettant l'accès aux ressources offertes seront disponibles à des prix raisonnables? La mondialisation de l'économie et son impact sur le développement culturel, les nouvelles possibilités de partage de l'information qu'offrent les nouvelles technologies et la modification du mode de gestion du dossier culturel au Québec constituent à mon sens des facteurs suffisants pour justifier l'implantation d'un observatoire des politiques culturelles en s'appuyant sur les nouvelles technologies de l'information, une recommandation que formulait en juin 1991 le groupe-conseil sur la politique culturelle, présidé par M. Roland Arpin, qu'aujourd'hui je mets à jour en m'inspirant des nouvelles technologies.

(21 heures)

Concernant l'option de dédier un serveur à la communauté artistique, il y aurait lieu de soutenir son développement dans la mesure où celui-ci facilite l'accès aux ressources disponibles sur l'inforoute à des coûts les plus bas possible, qu'il préserve la personnalité et l'autonomie des sites présents et qu'il favorise les relais avec les autres sites et serveurs pertinents. En définitive, l'État doit se demander si cette option est la meilleure voie pour actualiser le réseau culturel et pour assurer le rayonnement de ce secteur sur l'inforoute.

L'inforoute peut contribuer à revaloriser le rôle des institutions parlementaires ainsi que la fonction de député en favorisant les échanges avec la population et les groupes d'intérêt au moyen des outils électroniques. De plus, la simplification du transfert des données signifie pour le secteur culturel et les agences gouvernementales la possibilité de partager une même lecture de la situation. Pour ce faire, il y aura lieu d'élaborer un protocole d'accès aux données culturelles pertinentes qui sont compilées par les organismes gouvernementaux et d'assurer la communication de ces données et documents par l'entremise d'une plateforme universelle.

L'accroissement du nombre de travailleurs indépendants résulte à la fois du dynamisme individuel et des restructurations qu'impose la nouvelle économie. Des aspects positifs et négatifs accompagnent ce statut. Des mesures sont donc à envisager pour contrer l'isolement et soutenir le développement des entrepreneurs indépendants, à savoir des programmes de soutien et une offre de formation actualisée.

Les caractéristiques de l'inforoute commandent une nouvelle forme d'intervention de l'État, puisque sa légitimité est fondée sur les frontières territoriales et que celles-ci sont éliminées sur le réseau des réseaux. L'organisation de l'information pour la rendre intelligible est le défi que nous posent les nouvelles technologies. Pour y parvenir, il faut disposer des instruments adéquats et surtout modifier les attitudes et les comportements. Si nous prenons les dispositions pour actualiser le réseau culturel et établir des relais avec les intervenants gouvernementaux, privés et ceux du secteur de l'économie sociale, nous préserverons les fondements de la démocratie. Le véritable sens de l'inforoute québécoise se trouve dans la recherche d'une plus grande justice sociale et d'un partage équitable de la richesse, deux objectifs qu'une plus grande démocratie culturelle peut contribuer à atteindre.

L'État doit donc jouer un rôle de premier plan pour que l'aménagement de l'inforoute québécoise permette à la société québécoise de se développer sur les plans économique, social et culturel et préserver sa cohésion et son ouverture sur le monde.

En terminant, M. le Président, plus que jamais la conscience de la société québécoise doit être en état de veille culturelle. Merci.

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont.

M. Laporte: Bien, moi, j'ai trouvé, M. Patenaude, votre mémoire fort intéressant. Évidemment, le texte en dit beaucoup plus long que ce que vous nous en avez dit dans le résumé là. Les références sont particulièrement intéressantes, le relevé de la littérature est vraiment exhaustif.

Moi, ce que j'aimerais vous entendre peut-être décrire un peu mieux, c'est le rôle que vous attribuez à cette technologie pour ce qui est de ce que vous avez appelé l'«économie sociale» ou ce qu'on pourrait appeler les «organismes communautaires».

M. Patenaude (Gaétan): Oui, oui.

M. Laporte: Parce qu'il me semble qu'il y aurait un outil de développement, de coopération, de dynamisation du réseau qui serait particulièrement... Enfin, ça m'intéresse en particulier, moi, ça, parce qu'on en a beaucoup dans Côte-des-Neiges.

M. Patenaude (Gaétan): Oui, tout à fait, tout à fait.

M. Laporte: Comme vous le savez.

M. Patenaude (Gaétan): Oui.

M. Laporte: Et je voudrais voir comment vous concevez ça, vous.

M. Patenaude (Gaétan): Moi, fondamentalement, je crois que l'inforoute est un instrument qui doit être perçu comme un réseautage. Je pense que l'objectif du réseautage... Au-delà de la quincaillerie – je pense qu'on parlait de site ou de serveur – pour moi, c'est secondaire. Je veux dire, il y a sûrement des spécialistes qui sont capables de nous dire, en termes d'évaluation, si ce sont les meilleurs choix, mais je pense que l'objectif est d'outiller les organismes pour qu'ils soient en mesure de bien jouer leur rôle et d'améliorer, au fond, ce qu'ils veulent faire.

Je vous donne un exemple. Je suis en train de démarrer une entreprise, et le monde de l'informatique, c'est un monde que je connais depuis une vingtaine d'années, j'y ai travaillé il y a 20 ans et j'ai toujours suivi. Et je suis personnellement fasciné des nouvelles possibilités, les possibilités de transmission de l'information. Mais, en même temps, je suis fasciné de voir jusqu'à quel point il y a des obstacles.

Il y a quelques mois, j'ai fait une étude. J'ai eu à compiler des données sur l'emploi pour l'analyse des mesures d'employabilité et j'ai fait venir des chiffres du ministère fédéral du développement de la main-d'oeuvre. Il a fallu que je les retape. Et là je me dis, ça n'a aucun sens. Les données sont compilées dans les ordinateurs publics; on nous les transmet; je suis payé par des fonds publics et il faut que je dépense des sommes pour faire du travail de mitaine, au fond. Je pense que l'élément dans mon mémoire qui parle de transmission d'information, de plateforme universelle, ce sont des développements technologiques qui doivent être consentis en priorité. De la même façon au niveau du courrier électronique. J'ai lu récemment que l'usage, la fonction la plus utilisée actuellement de l'inforoute est le courrier électronique. Et c'est paradoxal, c'est une des moins développées.

On est en train de le faire. On le sent, les nouvelles technologies vont nous pousser, mais il est quand même paradoxal que l'outil dont on se sert le plus soit celui sur lequel on est le moins développé, parce qu'on a développé le son, l'image, parce que c'est plus attrayant, mais est-ce qu'il ne faudrait pas, comme Québécois, comme société québécoise, mettre l'accent sur les choses qui vont nous aider le plus en termes d'économies? Je pense à la transmission de l'information entre l'État et les communautés. Tout le secteur de l'économie sociale est le secteur important qui travaille, qui fait économiser sur le plan des services à la population de façon considérable; il faut les soutenir.

Quand je parle de stabilité des organismes, c'est de ce côté-là qu'il faut regarder. Que ce soit culturel ou communautaire, je pense que, quand on parle de stabilité, il ne faudrait pas que le développement de l'inforoute soit un prétexte pour qu'on se lance vers des projets et qu'on oublie que la base n'est pas, là, stable et qu'il va arriver la même chose qui est arrivée à l'Institut de recherches sur les populations.

Ça, pour moi – je l'ai vécu comme directeur d'organisme culturel – c'est un problème de fond, la question de l'instabilité des organismes, parce que l'insuffisance au fonctionnement, elle est chronique.

M. Laporte: M. le Président, je peux continuer un peu?

Le Président (M. Garon): Oui.

M. Laporte: Mais vous verriez ça sous forme de... Le rapport, disons, la contribution ou le rôle de l'État là-dedans, ça ne serait pas seulement... On vient d'en entendre parler; ça serait sous la forme de subvention, d'aide financière, de formation? Comment est-ce que ça se...

M. Patenaude (Gaétan): Moi, je vais utiliser un concept qui n'est plus à la mode: on parle de social-démocratie. Elle n'est plus à la mode, mais j'y crois encore. Je crois qu'il faut établir un partenariat État-secteur privé-secteur de l'économie sociale ou communautaire. Par des incitatifs fiscaux, on pourrait encourager les entreprises, le fournisseur d'équipement et le producteur de logiciels.

Techniquement, je ne sais pas comment ça pourrait fonctionner, mais l'État pourrait y contribuer, trouver un mécanisme soit par la fiscalité ou l'encouragement pour qu'on permette la mise à niveau des équipements des organismes du secteur de l'économie sociale et l'acquisition des équipements nécessaires, parce que la société... Si ces organismes-là deviennent plus performants, il va y avoir un retour. Si on prend pour acquis qu'il y a pénétration de plus en plus grande des nouvelles technologies, les fournisseurs d'équipement et le vendeur de logiciels, ils vont faire de l'argent. S'il y a de plus en plus de gens qui l'utilisent, ils vont, dans un deuxième temps, récolter ce qu'ils vont être prêts à consentir aujourd'hui.

Mais ce n'est pas dans cinq ans ou 10 ans qu'il faudra qu'on consente les investissements ou les contributions. Par exemple, ça pourrait être au niveau de la fiscalité, en termes de reconnaître les organismes d'économie sociale ou culturels pour les fins de charité. Le gouvernement du Québec le fait actuellement pour certains organismes culturels. Il y a des problèmes avec le gouvernement fédéral parce que ça s'est enlisé avec les dernières années. C'est plus difficile de faire reconnaître le statut d'organisme de charité, mais on sait qu'avec ce statut-là les organismes, les producteurs de logiciels comme Netscape permettent d'avoir accès gratuitement au logiciel de navigation. Vous voyez!

(21 h 10)

Donc, je pense que l'entreprise privée, voyant le marché qui pourrait se développer, l'incitatif gouvernemental, par sa capacité d'investir, on le sait, le marché potentiel de l'État – je pense que ça ne se fera pas tout seul, l'entreprise sait très bien qu'avec les bouleversements sociaux que signifie la pénétration de l'inforoute, elle va avoir besoin de l'État. Donc, il ne faut pas que l'État abdique ses responsabilités ni sa capacité de négocier. Donc, il utilise sa capacité d'achat en termes de contrats pour pouvoir négocier ce que je pourrais appeler un nouveau «pacte social» pour la pénétration de l'inforoute, donc ce que j'appelle l'aménagement d'un «espace public». Un espace public, c'est un espace responsable, un espace qui respecte les lois économiques actuelles: il y a un marché privé, il y a un marché commercial, il y a un marché public, il y a un marché d'économie sociale. Il s'agit simplement de travailler l'aménagement de l'espace public inforoute selon les mêmes termes que le fonctionnement normal de notre société, finalement.

M. Laporte: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Garon): Alors, je remercie M. Patenaude de sa contribution aux travaux de cette commission. Pardon? Alors, M. le député de Taschereau. C'est parce que je ne vous avais pas vu.

M. Gaulin: M. Patenaude, bonsoir.

M. Patenaude (Gaétan): Bonsoir.

M. Gaulin: D'abord, je veux vous féliciter pour la langue élégante que vous fréquentez et qui dessert une pensée sociale, justement, qui est encore peut-être plus à la mode qu'on ne pense.

M. Patenaude (Gaétan): Bien, je suis heureux de l'entendre. Ha, ha, ha!

M. Gaulin: Si je peux vous encourager. On a entendu tout à l'heure – vous étiez là – les gens de La Maison de la culture de Gatineau. On pense souvent à l'inforoute en termes de mondialisation, et c'est bien. C'est une ouverture qui n'exige pas nécessairement d'avoir le poids du nombre et qui nous permet, à partir d'un point isolé, de travailler très largement, de circuler dans une langue donnée, dans des langues données, vers d'autres cultures, en particulier dans le monde de la francophonie, etc.

Mais est-ce qu'on ne peut pas penser aussi – c'est une question que j'aurais aimé poser aux gens de Gatineau, mais le temps était épuisé – en termes d'interdéveloppement à l'intérieur même du Québec, du Québec des régions, par exemple, de Gatineau au Lac-Saint-Jean, du Lac-Saint-Jean à Champlain ou Nicolet, par exemple, pour aller chercher mes deux collègues à côté?

M. Patenaude (Gaétan): Ha, ha, ha!

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Gaulin: Qu'est-ce que vous en pensez?

M. Patenaude (Gaétan): Bien, moi, je suis heureux que vous me posiez la question. Deux choses. Il y a quelques mois, j'ai supervisé une équipe de recherche pour le secteur du théâtre, de la danse et de la musique pour un projet d'inforoute, et c'est moi qui ai écrit la préface. Et je disais: Il faut agir localement si on veut s'inscrire dans les tendances mondiales.

Je lisais récemment sur l'Internet des spécialistes qui parlent du développement des réseaux: les réseaux se développent localement d'abord et avant tout. Je veux dire, on est parti, là, sur la mondialisation, mais c'est la capacité de se relayer entre nous. Et quand je parle des fonctions – dans mon mémoire, il y a plusieurs... – j'ai été soucieux à la fois de développer un concept d'espace culturel public, mais en même temps de vous proposer des actions très concrètes, pratiques, parce que c'est une affaire pratique, l'inforoute. C'est une affaire de gros sous, peut-être, mais c'est aussi une affaire de démocratie.

Et quand on parle de relations, j'ai participé à plusieurs commissions parlementaires, aux travaux, et je pense qu'il y a une valorisation de votre rôle, de la fonction de député, de la fonction des commissions parlementaires, de la capacité d'être là où on se situe, chez soi, et de suivre les travaux, parce que ça va être sur Internet, et d'aller se brancher et d'aller lire les documents, comme je l'ai fait pour avoir le document de la commission. Je n'ai pas eu besoin d'appeler la secrétaire pour avoir le document, de payer un longue distance et tout. Il y a des aspects très, très pratiques, qui nous sauvent des sous, mais, en même temps, il y a des écueils, parce qu'en faisant mon mémoire j'ai testé certaines idées, j'envoyais des documents, et, des fois, ça prenait cinq jours avant que la personne aille ouvrir son courrier électronique; il fallait que j'envoie un fax. Bon, on est encore à tâtonner pour certains égards.

Mais je pense que, parce qu'on tâtonne, on est dans une phase de pionniers. C'est à ce moment-là – et c'est pourquoi je vous félicitais d'avoir initié cette consultation – c'est que c'est le temps de réfléchir et de poser les bons gestes, d'orienter. J'ai participé à des travaux dans le milieu culturel avant de quitter le regroupement, et l'improvisation qu'il y avait, des gens qui se disaient: Qu'est-ce que je fais sur l'Internet? Je navigue, je ne trouve pas ce que je cherche. C'est qu'on ne sait pas. Moi, je pense qu'il faut savoir ce qu'on veut faire là-dessus et partir localement. À mon avis, c'est le premier pas qu'il faut poser. On ne peut pas faire une grande marche si on ne commence pas par un premier petit pas.

M. Gaulin: Quand vous évoquez les initiatives structurales, vous pensez à quoi?

M. Patenaude (Gaétan): Bon. Moi, je pense qu'il y a des éléments d'accès à l'information. Et, encore là, toujours sur le plan des trois différents secteurs. Moi, je pense qu'il y a des organismes qui sont mieux placés que d'autres pour intervenir de façon structurante: les organismes publics. Prenons un exemple très concret: l'aide de l'État.

On le sait, l'aide de l'État québécois, on la juge insuffisante. On juge toujours que le Québec n'en fait pas assez. Mais, par contre, quand le gouvernement fédéral coupe... La capacité de voir clair dans l'aide de l'État, au niveau de la culture, je pense que ça serait l'aspect.

L'accès à l'information présenté dans un cadre intelligible, interactif, même, d'une part, pour une plus grande compréhension du secteur culturel, de ce qui en est de l'aide de l'État, pour que, lorsque des représentations vous sont faites pour l'augmentation des budgets, par exemple, on sache de quoi il en est, qu'on ait une lecture. C'est pour ça qu'il y a une notion d'observatoire des politiques culturelles qui est ramenée. C'est que je crois que la complexité du monde dans lequel nous vivons, l'accélération des transformations vous interpellent et demandent qu'on ait une infrastructure qui permette d'y voir clair.

Le gouvernement a créé un observatoire de l'administration publique qui est associé à l'ENAP. Ça pourrait être un élément structurant, d'avoir un instrument qui permette de voir clair dans l'ensemble des éléments d'une politique culturelle. C'est local, mais, en même temps, c'est national et international, parce qu'il y a des politiques qui se font ailleurs. La capacité de comparer, je pense que c'est extrêmement important.

Au niveau de l'accès à l'information, je pense que l'inforoute pourrait, au niveau... On a l'Info-art, l'Info-art Bell. Le principe de l'accès à l'information sur les activités culturelles pourrait s'inscrire sur l'inforoute de façon interactive. On pourrait avoir un site qui permette d'interroger une banque de données, et, l'élément structurant, c'est que les producteurs diffusant auraient la capacité de venir alimenter la banque. Actuellement, ça se fait par téléphone: on appelle, on envoie un fax. L'élément structurant, je veux dire, toute l'activité culturelle, elle est mise à jour au fur et à mesure, parce que les producteurs et les diffuseurs viendraient alimenter par eux-mêmes, via l'Internet, un Internet culturel, la banque centrale qui serait celle de l'Info-art Bell, puisque c'est celui qui a la responsabilité de donner accès. Et ça serait régionalisé, puisqu'on pourrait l'imaginer: l'ensemble du territoire serait couvert. C'est un autre élément.

L'élément de l'information. Je pense que l'élément d'animation pourrait être un élément structurant. L'État pourrait... Vous pourriez voir, comme commission de la culture, de quelle façon le nouvel instrument pourrait vous être utile pour animer une interrelation. Vous pourriez commencer, à titre de projet-pilote, avec des plus petits groupes pour voir quelle serait la façon d'intégrer les nouvelles technologies, les vidéo-conférences ou le son, pour voir s'il y a une nouvelle dynamique qui pourrait s'établir entre la commission de la culture et les clientèles culturelles, par exemple.

M. Gaulin: Je vous remercie, M. Patenaude.

M. Patenaude (Gaétan): Merci.

Le Président (M. Garon): Je remercie M. Patenaude de sa contribution aux travaux de la commission, et maintenant j'invite M. Jean-Claude Guédon à s'approcher de la table pour donner son opinion sur les enjeux du développement de l'inforoute québécoise.


M. Jean-Claude Guédon

M. Guédon (Jean-Claude) : M. le Président, Mmes les députées, MM. les députés, d'abord, permettez-moi de vous offrir mes excuses pour les perturbations dans votre calendrier que j'ai entraînées cet après-midi avec mes histoires de courroie dans le moteur de ma voiture, et j'apprécie énormément que vous ayez trouvé le moyen de m'accueillir quand même ce soir, en fin de soirée. Je sais que vos journées sont longues et j'apprécie d'autant plus votre indulgence et patience.

Je vais aller très, très vite. Je vous ai envoyé un très gros document, je crois, pour un document de consultation, du moins d'après les normes habituelles, si j'ai bien compris, et je voudrais expliquer que la taille de ce document est, en fait, un peu le reflet d'une inquiétude.

En lisant le document de consultation de la commission, j'ai eu le sentiment, tout au long de la lecture, que quelque part il y avait du porte-à-faux, que quelque part l'opinion était déportée, que quelque part la réalité n'était pas perçue de façon correcte, que quelque part il y avait là danger d'appréhender un phénomène extrêmement complexe d'une manière telle que les politiques pourraient en être affectées de manière négative.

(21 h 20)

Je commencerai, par exemple, et tout simplement avec le vocabulaire. Le mot «inforoute» est un très joli mot. Le problème, c'est qu'il déroute. Il déroute, pourquoi? Parce que, d'abord, ce n'est pas une inforoute en général dont il s'agit. L'histoire récente des réseaux a montré quelque chose de très clair, de très spectaculaire, c'est que, dans les combats et les conflits entre différentes solutions pour faire communiquer entre eux des individus à travers des ordinateurs, la norme TCP/IP a gagné jusqu'ici et c'est l'Internet que nous avons. Ce n'est pas une inforoute en général, c'est l'Internet. Et tout ce qui n'est pas Internet actuellement est ou bien en combat contre l'Internet ou bien est en voie d'être marginalisé.

Et ça, il faut le garder très, très précisément en tête, parce que quand on dit, par exemple, d'UBI que c'est de l'inforoute, je réponds: Si c'est de l'inforoute, c'est une toute petite constellation perdue dans un coin, qui n'a rien à voir avec l'inforoute mondiale, qui devrait s'appeler tout bêtement Internet pour le moment. Il est possible que l'Internet un jour disparaisse. Il est possible que l'ATM, par exemple, prenne le dessus et fasse de l'Internet une province d'un empire encore plus vaste; et là nous aurons de l'ATM, nous n'aurons pas de l'inforoute à nouveau. Mais on n'a pas simplement une inforoute.

Il y a aussi un autre problème dans le mot «inforoute», c'est que par sa structure, par son architecture, par sa façon de fonctionner, par son histoire même l'Internet nous a fait – c'est pour ça que j'ai donné ce titre à mon mémoire – je dirais, sortir de la société de l'information pour entrer dans une société de la communication. Et je définirais les deux termes de la façon suivante: «information» veut dire diffusion de messages d'un petit groupe ayant du pouvoir vers une grande population, tandis que «communication» serait quelque chose qui fonctionnerait dans un registre de l'échange, du partage, de la mise en commun.

Il se trouve que depuis au moins 2 000 ans, depuis au moins l'existence de l'Église catholique, on a vécu dans un système de diffusion, de messages venant du pape jusqu'à la chrétienté, et ensuite on a relayé ce phénomène-là avec l'imprimé, avec la radio, avec la télévision, avec le cinéma. Il se trouve que nos communications entre personnes...

Et pensez à une réunion le lundi matin entre les gens qui se retrouvent après une fin de semaine chez eux. Lorsque les gens parlent entre eux le lundi matin, de quoi parlent-ils, ils parlent des choses qui leur ont été préparées par le système d'information. Je dirais qu'un monde de l'information est un monde qui vous offre du «fast food for thought», c'est-à-dire de la pensée prédigérée mais qui vous empêche de penser.

Le monde de la communication, inversement, lui, part de la dynamique humaine, part de la base, part des individus. Et au détour de la dynamique de cette communication, on doit rencontrer des besoins d'information, et là on va les mobiliser en fonction de cette dynamique-là. Je dis qu'avec l'Internet – pas l'inforoute – nous sommes en train peut-être de renverser une vieille hiérarchie autoritaire, centralisatrice, peu démocratique, en faveur d'une nouvelle hiérarchie qui mettrait la communication par-dessus l'information.

Alors, ce sont ces genres de choses, moi, qui m'inquiétaient en lisant votre mémoire. Parce que j'avais l'impression que tout ça était traité un peu comme une série de synonymes qui, en fait, n'en sont pas, et en les traitant comme synonymes, on se condamne à penser de travers, on se condamne à maintenir le brouillard, on se condamne à prendre de mauvaises décisions, on se condamne, point final.

Bien. Alors, après cet espèce d'entrée en matière un peu dramatique, et vous me le pardonnerez, je vais essayer de faire très, très rapidement le tour de quelques problèmes. Je suis sûr que vous-mêmes en avez repéré d'autres dans mon document. Mais je voudrais tout de suite le situer, c'est le problème de l'Internet dans une problématique extrêmement vaste.

Nous sommes actuellement dans une période historique, à mon avis, qui est tout à fait l'équivalent de ce qui s'est passé à l'époque de l'imprimé, en ce sens que nous avons maintenant à effectuer un transfert de médiums massif d'un monde de l'imprimé et d'un monde de l'information à un monde de la numérisation et de la communication. Nous avons un transfert culturel à assurer. Et ce transfert culturel est d'autant plus important que, si nous ne l'assurons pas, nous allons nous marginaliser. Donc, le rôle actuel de nos pays, ce n'est pas seulement d'assurer notre culture dans son côté vivant actuel, en train de se développer, et de le faire passer dans ce nouveau contexte, mais c'est aussi récupérer tout ce qui existait auparavant et le passer dans le nouveau contexte.

Lorsqu'on est passé du manuscrit à l'imprimé, tout ça s'est fait un peu à la va comme je te pousse, en fonction de problèmes extraordinairement désordonnés, mais en fonction d'intérêts tout à fait particuliers. Il est peut-être utile de se rappeler la Renaissance pour ne pas répéter le même processus et le faire, cette fois-ci, d'une manière un petit peu plus, disons, coordonnée, un petit peu plus rationnelle. Pour la langue, l'Internet n'est pas une menace. Ce n'est pas la télévision, ce n'est pas la radio, ce n'est pas le cinéma. Je pense que toutes les inquiétudes que nous avons pour la langue française, par exemple, au Québec auraient dû être manifestées dès la radio. Dans le cas de l'Internet, personne n'empêche qui que ce soit de parler dans la langue qu'il veut, et c'est très facile de le faire.

Donc, ce qu'il faut faire dans l'Internet, c'est plutôt permettre au plus grand nombre de gens de s'exprimer, d'exister, d'être présents dans l'Internet et, donc, permettre aux francophones en particulier d'assurer une présence très forte. Et, là-dessus, le Québec a un rôle très, très important à jouer dans la francophonie, parce que le Québec actuellement, pour des raisons dans lesquelles je peux entrer si vous voulez, se trouve en position de leadership actuellement.

Ça ne va peut-être pas durer, parce qu'il y a un poids démographique qui va jouer à terme. La France va se retrouver un jour avec dix fois plus de population, à faire plus, bien entendu. Mais, pour le moment, c'est le Québec qui tient ce rôle-là. Et donc, on a un rôle d'autant plus important à jouer que ce rôle de leadership se situe à un moment historique où tout ce qui va être déterminé actuellement va, à terme, influencer grandement l'évolution de l'Internet et de la francophonie. Donc, je dirais que nous avons un rôle historiquement fort à jouer là-dessus, et il ne faut pas le regarder trop petit, il ne faut pas l'éviter. Il faut bien le mesurer et, surtout, il faut agir.

Parlons de la francophonie. C'est un sujet qui me tient énormément à coeur, personnellement. Je travaille beaucoup avec les gens de l'AUPELF et le Réseau électronique francophone pour l'enseignement et la recherche. Je vais peut-être aller pendant quelques secondes à l'envers de la dominante qui est la mienne, d'ailleurs, par ailleurs, et qui est aussi la vôtre, je le sais, c'est-à-dire, actuellement, on dit beaucoup: C'est les contenus qui importent, ce ne sont pas tellement les tuyaux et les infrastructures.

Cela dit, je voudrais quand même vous poser une question. Récemment, au cours du printemps, en fait, il y a eu des négociations qui ont eu lieu pour augmenter la bande passante entre l'Europe et l'Amérique du Nord. Ces négociations ont eu lieu surtout, dans le cas de la France, entre France Telecom et Sprint. Et, après bien des négociations, la bande passante est passée de 6 mégabits, 6 mégaoctets à 16.

La chose qui est intéressante, c'est qu'au moment de INET 96, alors que nous tentions de faire une retransmission directe par ATM entre Montréal et Paris, il y avait des réparations sur la ligne Cantat de Téléglobe qui, de toute façon, passe par Hambourg, si bien que nous avons été obligés de passer par New York pour faire notre retransmission sur Paris.

N'est-il pas étonnant que les deux plus grandes villes francophones du monde n'aient pas les moyens actuellement d'avoir une liaison directe forte qui permettrait de faire le prototypage d'une liaison réelle, vivante et intense entre deux villes importantes de la francophonie, devenant ainsi le modèle d'un maillage général de toute la francophonie à l'échelle de la planète? N'y a-t-il pas là un enjeu à la fois culturel et politique important, et comment se fait-il que le Québec ne soit pas partie prenante dans les négociations entre France Telecom et la liaison nord-américaine? Comment se fait-il qu'on soit finalement complètement déportés par rapport à ces enjeux de tuyaux? J'aimerais simplement le rappeler, et je vais abandonner les tuyaux pour toujours, après ceci, dans ma présentation.

Dans la francophonie, il y a des alliances à construire, de nouvelles alliances à construire, de toutes sortes, entre nous, les pays de l'Europe et surtout les pays d'Afrique. Et nous avons là des belles choses à faire. Je peux donner des détails là-dessus, il y en a dans mon document. Par exemple, aider à créer des revues de recherche pour les universités africaines. Il y a des belles choses à faire là-dessus.

Il y a énormément d'exemples à donner pour l'ensemble de la francophonie, peut-être parce que, précisément, encore une fois, nous avons ce rôle de leadership et que nous pouvons aider à penser une francophonie qui n'est pas simplement un sillage du vieux colonialisme français. Je veux dire par là, on peut penser à une francophonie qui n'est pas structurée en étoile à partir de Paris, mais qui peut aussi bien passer par Dakar et Montréal que par Hanoi et Bamako, par exemple. Je pense qu'il faut penser à ces choses-là, il faut les influencer. Et le Québec, là encore, a un rôle important.

Exister dans l'Internet, ça veut dire quoi? Être présent dans l'Internet, ça veut dire quoi? Ça veut dire, en fait, mettre à la disposition du plus grand nombre de gens le plus grand nombre de documents possible et créer les plus grands moyens et le plus grand nombre possible de communications entre eux.

Donc, il y a une aide à offrir, mais qui n'est pas une aide du genre «il faut financer», ou des choses comme ça. Il faut surtout mettre à la disposition des gens des outils qui marchent bien, créer des partagiciels qui soient facilement disponibles, pas chers. Faire faire des exercices de programmation à nos étudiants en informatique, par exemple, qui feraient des partagiciels de communication effectifs, qui feraient des forums de discussion sur des sujets multiples, de telle façon que tous les francophones aient envie de venir se parler entre eux.

Et si les discussions entre francophones deviennent suffisamment intenses et passionnantes, je vous assure que certains semi-francophones, comme des italophones, des hispanophones et même des anglophones, vont commencer à faire des efforts dans notre direction. Il faut créer des attracteurs dans l'Internet. Exister dans l'Internet, c'est comme créer des étoiles; il faut créer des centres d'attraction. C'est ça, être présent dans l'Internet.

(21 h 30)

Pour le faire, il faut s'appuyer sur les institutions qui sont susceptibles de publier. Et il y a une chose, moi, qui m'a vraiment frappé dans ce document de la commission, c'est qu'on a l'air de s'ingénier constamment à oublier le rôle possible des universités dans la culture. C'est quand même un peu fort! Je veux dire, peut-être pas pour la culture vivante et la question des chansons populaires ou du film, là, je veux bien croire que l'université n'a peut-être pas un très grand rôle à faire, mais, pour tout ce transfert massif de notre patrimoine culturel dans le monde de la numérisation, s'il y a bien une institution qui peut aider énormément à le faire, c'est bien l'ensemble universitaire. Nous sommes, après tout, les gardes-chiourme de la culture. Je m'excuse, mais nous sommes un peu les vieux conservateurs de la culture, en tant qu'universitaires. Alors, permettez-moi, 10 secondes, de prêcher pour ma paroisse.

Il y a, en plus, dans les universités des talents d'extrêmement haut niveau, des gens de niveau doctoral en train de faire des thèses, qui, parce qu'ils sont en train de faire des travaux de niveau doctoral, sont prêts à le faire pour à peu près 15 000 $ ou 20 000 $ par an, puis ils vont être très heureux si vous leur donnez des bourses de recherche ou d'assistanat de ce genre-là. Vous pourriez faire d'une pierre deux coups: aider nos étudiants à mieux travailler dans les universités et en faire des appuis extrêmement précieux pour ce fameux transfert de notre culture vers le contexte de la numérisation.

Bon, il faut, bien sûr, pour exister dans l'Internet – mais d'autres en ont parlé beaucoup mieux que moi et le font avec beaucoup plus, je dirais, de connaissance de cause – repenser toute cette question du droit d'auteur, qui est cruciale, qui est importante et qui ne peut être éludée. Il est clair que l'arrivée de la numérisation et de la globalisation des réseaux entraîne, en fait, si vous voulez, la destruction de l'assise technologique qui permettait aux documents de bien circuler dans l'imprimé. L'imprimé, il se trouve que ça se vend comme un objet. Le texte numérisé, ça n'est plus un objet, c'est dématérialisé et c'est difficile à maintenir comme un objet vendable. Et c'est là tout notre problème. Ce n'est pas un problème de droit, c'est un problème de contrôle. Et on doit, là-dedans, essayer de trouver des moyens de le faire et on doit essayer de bien séparer aussi les types de documents, ne pas essayer de faire une couverture générale pour tous les documents.

Protéger un document de recherche dans une université n'est pas du tout le même type de problème que protéger un roman qui vient de sortir dans une maison d'édition, ou un manuel dans une autre maison d'édition. Ce sont des types de documents qui devront être probablement traités de manière différentielle dorénavant, alors que le vieux droit d'auteur permettait de les traiter en masse.

La question de l'accès à l'Internet. Il me semble qu'il y a à peu près un principe très simple à mettre en évidence ici, c'est que, dans la mesure où l'Internet est un instrument de communication, la règle qui me semble la plus sage, c'est de reprendre toutes les règles qui nourrissent nos instruments de communication: l'accès au téléphone, par exemple, l'accès à la poste. Ce sont des choses, donc, qui ont forcément une présence publique. Il y a des téléphones publics. Il y a des moyens d'accéder au téléphone même quand on n'a pas les moyens d'avoir une ligne chez soi. Il y a des quantités de façons de pouvoir téléphoner. Eh bien, de la même façon, dans la mesure où l'Internet est un instrument de communication, il va falloir penser à des solutions équivalentes.

Mais, dans la mesure où l'Internet joue aussi un rôle d'accès à l'information, eh bien, là aussi, on a un modèle quand même qui n'est pas si caduc que cela. Je dirais, par exemple, le livre imprimé et la bibliothèque publique. Le modèle double de la librairie et de la bibliothèque permet de résoudre, en gros, les problèmes d'accès aux livres, soit sous le mode de la possession, soit sous le mode de l'emprunt. Il me semble qu'il y a des formules de ce genre-là qui pourraient être également mobilisées pour les fonctions d'information de l'Internet.

Mais, au détour, je vous ferai remarquer que, grâce à mes catégories d'information et de communication, les problèmes semblent commencer à tomber en place. Les réponses semblent commencer à tomber en place. La situation s'éclaircit. Ce n'est pas le brouillard que l'on entend si souvent à droite et à gauche parce que les gens pataugent dans une espèce de confusion de vocabulaire et de concepts.

Accès à l'Internet, c'est évidemment aussi la distinction sociale de l'accès à un objet technique nouveau. Et là on l'a dit bien des fois, je suis sûr, mais en dehors de la possession de l'Internet chez soi par le truchement d'un ordinateur, d'un modem et tout ça, qui était réservé, du moins pour un certain temps, à une fraction minoritaire de la population, c'est un peu comme lorsque les voitures sont arrivées dans notre population, au début du siècle; il y a d'autres moyens d'offrir un accès à Internet.

Les cybercafés en offrent un moyen un peu ludique, mais sous forme... Disons, on débite. On débite l'accès par petits bouts en louant la machine quelques minutes. Mais, les écoles, le soir, quand les bambins rentrent chez eux, ont des ordinateurs dont on se demande pourquoi il faut justement les fermer. Ça ne coûterait pas tellement cher de laisser les écoles ouvertes et les ordinateurs ouverts, et de faire des comptes aux quartiers, et permettre aux gens de se faire des comptes là-dedans. Même chose pour les bibliothèques.

Et on a parlé des musées, des maisons de la culture. On a là tout un dispositif... un ensemble, je veux dire, de dispositifs culturels et d'institutions qui pourraient offrir, en dehors de leur fonctionnement normal, entre guillemets, un accès à ces outils encore relativement rares que sont les ordinateurs. J'allais même dire, en riant: Après tout, le gouvernement, le soir, a énormément de bureaux où il y a énormément d'ordinateurs qui sont fermés aussi. Je ne sais pas si les membres des différents ministères aimeraient beaucoup voir les gens du quartier utiliser les ordinateurs pour accéder à l'Internet. Il y aurait probablement quelques petits problèmes d'accès et de sécurité, mais, enfin, je vous ouvre au moins la porte à rêver, pour vous permettre de rêver un peu à des solutions qui ne sont peut-être pas si difficiles que ça à inventer, si on se laisse un peu aller avec générosité.

Il y a un modèle intéressant, comment dirais-je, dans les villes. Vous savez, c'est le jardin que l'on offre aux citoyens. On leur donne de la terre pendant un été pour qu'ils puissent y faire pousser des légumes, et tout ça. Eh bien, pourquoi ne pas traiter le cyberespace comme un de ces jardins collectifs? Pourquoi ne pas offrir aux gens les moyens de cultiver leur cyberespace? Pourquoi ne pas leur offrir la possibilité justement d'exister dans l'Internet par ce genre de truchement? Si on peut bien le faire avec de la vraie terre, on doit pouvoir le faire, a fortiori, avec un petit peu de bits et quelques 0 et quelques 1. Bien.

On s'inquiète des nouvelles psychologies, des accoutumances, etc. Je vais aller très vite. Mais enfin, le bovarysme était une maladie des jeunes filles au XIXe siècle, quand elles lisaient trop les romans. Je ne m'inquiéterais pas trop, trop des problèmes d'accoutumance dans l'Internet sachant, d'après une statistique récente, qu'il y a une personne sur quatre au Canada qui meurt des conséquences de l'alcool. Je m'inquiéterais plutôt de l'alcool, à votre place. Et il me semble que, du point de vue de l'accoutumance, le phénomène de «couch potato» de la télévision et autres phénomènes sont beaucoup plus délétères que l'Internet. J'aime mieux voir mon bambin de 15 ans et demi se promener dans l'Internet et parfois rencontrer une jeune femme habillée très peu – mais enfin, à 15 ans et demi, on a des curiosités anatomiques qui ne sont peut-être pas complètement particulières; je veux dire, il faut quand même mûrir dans la vie – j'aime mieux le voir faire ça et j'aime mieux qu'il apprenne même, à la limite, ce que sont certaines choses de l'amour, même des choses parfois pas très, très jojo, plutôt que de le voir apprendre comment s'entraîner, comment se tuer, comme on le voit dans les films régulièrement à la télévision.

Moi, je m'étonne toujours qu'on laisse passer des niveaux incroyables de violence à la télévision et qu'on refuse de voir les gens faire l'amour. Ça m'a toujours sidéré, cette chose-là. Mais peut-être que je ne suis pas assez puritain, vous m'en excuserez.

On parle d'une nouvelle démocratie, avec Internet, et, effectivement, il y a des choses magnifiques que vous pourriez faire, vous, députés. Vous êtes des délégués de nous tous, paraît-il, dans la théorie démocratique qui nous agite tous. Imaginez que vous puissiez arriver à l'Assemblée nationale avec une sorte d'ambiance de discussion avec les gens que vous représentez qui vous auraient donné, pour ceux que ça intéresse, leurs avis par des forums où vous auriez suscité des débats localement. Vous seriez en train de recréer une vraie vie politique au sens le plus noble et le plus vrai du terme. Vous n'auriez plus une politique aliénée par rapport à son gouvernement, vous auriez des gens qui commenceraient à se passionner pour leurs affaires. Ça, c'est une société saine sur le plan démocratique. C'est par le débat et la communication que la démocratie fonctionne, ce n'est pas par l'information. Eh bien, dans la mesure où vous pourrez intégrer dans votre comportement, dans votre pratique de politicien, une pratique de communication intensifiée par l'Internet, je dirais qu'effectivement il y a là des belles choses à faire.

Le travail, et vous m'interromprez si je parle trop longtemps, parce que je peux être excessivement bavard quand je m'y mets, mais pour le travail, il y a une chose extrêmement importante qui se passe actuellement. On parle beaucoup de la globalisation des marchés. Et quand on pense à ça, on pense généralement à la question de la globalisation des marchés où l'on vend des choses. Mais on globalise aussi le marché où l'on achète du travail, ce qui veut dire que maintenant les entreprises les plus diverses vont chercher leur main-d'oeuvre là où ça coûte le moins cher. Or, pourquoi est-ce qu'on reste avec la main-d'oeuvre du Québec, par exemple? C'est parce qu'elle a des avantages relatifs par rapport à d'autres mains-d'oeuvre.

Mais quel est l'avantage relatif de notre main-d'oeuvre par rapport à d'autres mains-d'oeuvre? C'est seulement, finalement, un avantage d'intelligence, de formation, d'école. Je dirais qu'un gouvernement qui est en train de sabrer dans ses universités dans un contexte de mondialisation des marchés du travail est en train littéralement de creuser le tunnel le plus direct vers la tiers-mondialisation du pays. Je pense que, si on perd ce seul moyen qui nous permet de maintenir une certaine spécificité dans le travail par rapport à des marchés qui vont signifier de plus en plus de main-d'oeuvre, on va se retrouver littéralement porteurs d'eau et coupeurs de bois. Je pense que ce n'est pas une chose très, très agréable à envisager pour l'avenir. D'ailleurs, là-dessus, je vous renvoie aux page 43 et recommandation 15 de mon document où je me suis exprimé assez vigoureusement là-dessus.

(21 h 40)

Toujours parlant d'enseignement, l'Internet permet d'envisager des choses tout à fait neuves, des choses extrêmement passionnantes. Comment se fait-il qu'on n'a jamais envisagé de créer des systèmes où les étudiants vraiment très brillants du secondaire ne puissent pas avoir tout de suite accès aux universités?

Avec l'Internet, on pourrait identifier les meilleurs étudiants de toutes les écoles et les mettre en contact avec des équipes de profs d'université qui se porteraient volontaires pour qu'on puisse les pousser le plus loin le plus vite possible, et on créerait ainsi des champs d'épanouissement pour toute une catégorie de gens qui actuellement doivent suivre tranquillement le train-train des écoles secondaires. Entre vous et moi, ils se cassent les pieds parce qu'ils sont trop brillants pour ce qu'on leur enseigne dans le secondaire. Eh bien, ce genre de population, dans les écoles, qui est actuellement, à mon avis, largement délaissé et pas assez soutenu, là il y a quelque chose à faire. Comment le faire? En rompant par l'Internet ces stratifications entre le primaire, le secondaire, les universités et les collèges, et permettant une circulation informelle à travers les niveaux d'enseignement.

On peut trouver aussi de nouvelles formes d'enseignement par l'Internet. Ce qu'on appelait, au XIXe siècle, l'enseignement mutuel; ce qu'on appelait aussi le compagnonnage. On pourrait avoir des formes de compagnonnage virtuel qui seraient tout à fait intéressantes pour recréer un sens du métier, un sens de l'apprentissage et un sens de la proximité dans la tâche bien apprise auprès d'un vrai maître.

Je vais terminer par les questions de confidentialité, qui me sont souvent mentionnées comme étant des problèmes. Le problème de confidentialité, ça devient un peu un exemple final, si vous voulez, de la façon généralement inverse ou inversée qui domine les études sur l'Internet. On pose le problème de la confidentialité dans l'Internet comme s'il n'y en avait pas assez. En fait, le vrai problème actuellement dans l'Internet, c'est qu'il y a un système de confidentialité qui est tellement fort que les gouvernements n'en veulent pas. C'est PGP, enfin, Pretty Good Privacy.

Pourquoi est-ce qu'actuellement vous avez des choses comme Clipper, vous avez des tentatives d'avoir des systèmes de fiducie, de clés publiques et des choses comme ça? C'est parce que, en fait, nous avons maintenant à notre disposition – on peut l'acheter à Montréal, on peut l'acheter à Québec, je l'ai chez moi – un logiciel qui, si je me mets à crypter avec ça, eh bien, la National Security Agency, aux États-Unis, va mettre 20 à 25 ans à décrypter la chose. De 20 à 25 ans, ça me suffit, moi, personnellement, comme confidentialité. Dans 25 ans, je ne sais pas trop où je serai.

Il me semble que le problème, en fait, de la confidentialité dans l'Internet, c'est que les gouvernements – et, je crois, avec une certaine raison – se disent: Que va-t-il se passer si nos citoyens ont des instruments aussi puissants de confidentialité par rapport à nous? Est-ce que la théorie de l'État, de Hobbes, telle qu'elle a été écrite dans le «Léviathan», aurait pu être écrite par Hobbes s'il avait eu PGP en main? C'est une question que je pose souvent à mes étudiants, et la réponse que je donne est extrêmement dubitative. Je vous remercie.

Le Président (M. Garon): J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt. J'aimerais faire un commentaire, personnellement. Quand vous parlez du financement universitaire, il faut savoir que le Québec est l'État qui fait le plus gros effort en Amérique du Nord, beaucoup plus fort que les États-Unis, beaucoup plus fort que l'Ontario, et c'est un document officiel du gouvernement, actuellement, et sur des bases comparables. Vous parlez... Il faut faire attention. Selon les faits, les données factuelles comparatives, le Québec fait un effort beaucoup plus grand que l'Ontario, beaucoup plus grand que les États-Unis.

M. Guédon (Jean-Claude): N'empêche qu'actuellement il y a un problème de financement de nos universités. On est dans une situation...

Le Président (M. Garon): Oui, mais peut-être qu'il y a un autre problème, peut-être qu'on en met trop dans l'administration par rapport à ce qu'on met dans l'enseignement. Quand le Vérificateur général dit...

M. Guédon (Jean-Claude): Je pense que c'est un autre débat.

Le Président (M. Garon): ...qu'un professeur doit enseigner quatre cours par année... En France, c'est bien plus que ça; en Europe. Ici, c'est 2,3 cours, en moyenne, d'après le Vérificateur général. Ce n'est peut-être pas une grosse charge par année, 2,3 cours.

M. Guédon (Jean-Claude): Je ne vais pas entrer dans ce débat-là, mais je pense qu'il y a des problèmes.

Le Président (M. Garon): Oui. M. le député de Taschereau.

M. Gaulin: Non, c'est M. le député de...

Le Président (M. Garon): De Champlain.

M. Gaulin: Nicolet-Yamaska.

Le Président (M. Garon): Pardon?

M. Gaulin: Nicolet-Yamaska.

M. Morin (Nicolet-Yamaska): Ça va aller.

M. Gaulin: J'ai marqué Champlain, c'était Nicolet-Yamaska. Excusez, j'étais président.

Le Président (M. Garon): O.K. Je m'excuse, M. le député de Champlain.

M. Morin (Nicolet-Yamaska): Merci, M. le Président. Bonsoir, M. Guédon.

M. Guédon (Jean-Claude): Bonsoir, monsieur.

M. Morin (Nicolet-Yamaska): J'ai trouvé fort pertinente et agréable votre présentation.

M. Guédon (Jean-Claude): Merci.

M. Morin (Nicolet-Yamaska): Et votre document aussi. En même temps, on a travaillé sur le document que vous avez reçu et ça m'a un peu renversé, votre présentation, parce qu'il me semble qu'en vous écoutant on devient un peu inculte vis-à-vis de ce qu'on s'était fixé comme objectif. Nous autres, on en était venus à la conclusion que l'américanisation, entre autres, le géant américain était pour nous l'ennemi à abattre ou presque, et au niveau de la langue aussi. Et vous, dans votre présentation écrite et orale, vous démolissez un peu ces arguments-là. J'aimerais ça vous entendre là-dessus.

M. Guédon (Jean-Claude): Oui. D'abord, encore une fois, lorsque vous publiez... Il y a plusieurs choses dans l'Internet. Dans l'Internet, il y a des phénomènes, on l'a rappelé tout de suite, de communication qui sont extrêmement développés, comme le courrier, les «news», les moos, enfin, toutes sortes de choses dans lesquelles je ne vais pas entrer, qui sont toute une partie où les gens communiquent entre eux comme ils le veulent, dans les forums qu'ils veulent bien créer, dans la langue qu'ils veulent bien utiliser.

Donc, de ce point de vue là, il n'y a aucun danger pour quelque langue que ce soit dans l'Internet. Il y a même, au contraire, des possibilités nouvelles. Imaginez que vous soyez actuellement, non pas ici, à Québec, mais que vous soyez quelque part, bien, comme je l'étais il y a 10 jours, à Santiago, au Chili; je gardais un contact extrêmement vivant avec ma communauté francophone simplement en continuant mon courrier électronique. C'est aussi bête que ça. Et ça, ça veut dire qu'on n'est jamais isolé.

L'Internet est une façon de créer ce que j'appelle des diasporas synthétiques, et les langues sont des grandes diasporas souvent, c'est-à-dire les gens sont dispersés sur les grandes surfaces de la planète. Parfois, ils sont très, très dispersés et ça leur permet quand même de maintenir entre eux un lien vivant, donc une langue vivante. Je pense que le français est un problème mineur là-dessus, mais, si vous étiez romanche, par exemple, en Suisse, ou si vous parliez une petite langue quelconque, vous apprécieriez d'autant plus l'Internet.

L'Internet, en fait, est un grand égalisateur face aux langues. Il fonctionne complètement à l'envers de la télévision, de ce point-là... Parce que, la télévision, il faut des moyens extrêmement lourds pour faire un émetteur mondial. Et il n'y en a pas beaucoup. Il y a quelques émetteurs mondiaux anglophones. Il y en a un francophone qui marche, comme vous le savez, cahin-caha; et puis il y a peut-être un ou deux trucs espagnols, puis c'est fini, grosso modo, alors que, dans l'Internet, vous avez des choses dans toutes les langues du monde maintenant. Ça, c'est le premier point.

Côté publication et information, dans l'Internet, vous ne publiez pas dans l'Internet sous le mode d'une diffusion comme à la radio et à la télévision, encore une fois. Ça ressemble beaucoup plus à la publication d'un livre ou à la publication d'une affiche. Tout le monde peut mettre son affiche. S'il y a beaucoup d'affiches en anglais, ça n'empêche pas de mettre beaucoup d'affiches en français à côté. Ce n'est pas un jeu à somme nulle. Ce n'est pas parce qu'il y a beaucoup d'affiches en anglais qu'on ne peut pas mettre des affiches en français à côté.

Ce qui est important, c'est de s'organiser pour que les gens viennent voir vos affiches. C'est là que la notion d'attracteur devient importante. Et comment est-ce qu'on crée des attracteurs? En se pointant les uns sur les autres, en créant des systèmes où, quand vous entrez dans un site, non seulement vous montrez ce que, vous, vous avez à montrer, mais vous montrez aussi tout ce que les gens qui ont des choses connexes aux vôtres ont à montrer, surtout dans votre langue.

Alors, c'est un autre élément qui fait que chaque langue peut se créer ses attracteurs. Et si on pouvait créer, justement, avec des gros tuyaux, une francophonie bien maillée dans le monde, on pourrait, parce que là il y aurait des temps de réponse très rapides qui renforceraient l'effet attracteur des sites, se renvoyant les uns aux autres... Parce que, si vous renvoyez un site à Dakar et que ça vous prend 20 minutes pour avoir la première page, vous allez déconnecter et changer de site. Ça, c'est évident. Mais, si vous l'avez comme ça, là, vous allez rester, puis vous allez rester dans le cercle francophone.

Alors, de ce point de vue là, il y a toute une stratégie de publication, et des pointeurs entre nous, et des façons de renforcer notre poids par des synergies entre nous qui font qu'on a tout l'espace, toute la place pour s'exprimer, mais il faut le faire bien et intelligemment. Et ce n'est pas le faire contre quelqu'un, il faut le faire comme on parle. On ne parle pas contre une langue, on parle sa langue. Puis quand je parle français, je ne suis pas en train de parler contre l'anglais, je parle français. Si, la minute d'après, je parle anglais, je ne parle pas contre le français, je parle l'anglais parce que j'en ai besoin dans un autre processus de communication, ou l'espagnol, ou je ne sais trop quoi. Alors, je pense qu'il faut aborder l'Internet comme ça.

Puis le troisième élément qui est, bon, anecdotique et mineur, mais qui est quand même instructif, c'est que quelques-uns des meilleurs sites de ressources francophones ont été montés aux États-Unis, par des Américains, parce qu'ils sont francophiles. L'ironie est quand même assez grande quand on lit un texte, au Québec, en disant qu'il y a une espèce d'ennemi gigantesque aux États-Unis.

Voyez l'Université Dartmouth, qui vous crée un site absolument superbe non seulement de documents locaux en français, mais qui vous renvoie à plein de sites francophones. Et, si vous entrez là, vous vous baladez dans toute la francophonie comme si ça avait été construit à Montréal ou à Paris. Ça nous fait un petit peu honte quelque part, parce que c'est probablement un ou deux individus qui ont fait ça parce qu'ils avaient le sens de l'initiative et qu'ils étaient francophiles. Même aux États-Unis, on rencontre de très bons amis; il faut s'appuyer sur eux puis leur envoyer la balle, le cas échéant.

M. Morin (Nicolet-Yamaska): Merci.

M. Guédon (Jean-Claude): Je vous en prie.

Le Président (M. Garon): M. le député d'Outremont.

M. Laporte: M. Guédon, franchement, j'espère que vous allez publier ça en livre quelque part, parce que...

M. Guédon (Jean-Claude): J'espère le faire l'année prochaine, oui.

(21 h 50)

M. Laporte: Parce que, vraiment, c'est un document extraordinairement riche et intéressant. Pour revenir à la question, M. le Président, la question dont on vient de parler, si j'ai bien compris ce que vous dites dans cette partie du texte, dans le chapitre sur la langue, finalement, il n'y a pas d'obstacle technique à ce qu'on diffuse nos langues, avec toutes les caractéristiques diacritiques qui leur sont propres, quoi.

M. Guédon (Jean-Claude): Aucun problème.

M. Laporte: Finalement, à ce moment-là, il s'agit tout simplement de s'y mettre, quoi.

M. Guédon (Jean-Claude): Absolument.

M. Laporte: Et ne pas se laisser asservir par les habitudes, disons, de rapidité ou de paresse...

M. Guédon (Jean-Claude): Tout à fait.

M. Laporte: ...qui font qu'on écrit sans accent, et ainsi de suite. Il n'y a pas contrainte technique. Donc...

M. Guédon (Jean-Claude): Tout à fait. Tout à fait. Et, si vous permettez – je m'excuse de vous couper la parole – le problème pour nous, dans l'Internet, est quand même très mineur. Nous, on n'est pas des Chinois. Les Chinois ont un vrai problème.

M. Laporte: Oui, eux autres, ils ont un vrai problème.

M. Guédon (Jean-Claude): Alors, quand on entend des francophones râler contre le manque de diacritiques alors que le problème est très facilement soluble, il est déjà résolu... Moi, je n'ai pas de problème. Je reçois des messages d'un peu partout et j'ai mes diacritiques constamment. Et je me dis: on ferait peut-être mieux d'appuyer les Chinois dans leurs problèmes. Et c'est pour ça que ma première recommandation dit: si nous faisons des logiciels au Québec, nous devrions tout de suite soutenir cette norme internationale, qui s'appelle Unicode, qui permettrait de traiter toutes les langues du monde avec équité. Et c'est ce que fait d'ailleurs la compagnie Alis, à Montréal, qui est très connue dans le monde Internet comme une compagnie qui, justement, se spécialise dans la propagation de toute la langue, l'utilisation de toutes les langues possibles de la terre.

M. Laporte: Donc, vous avez, sur cette technologie, une vision, disons, qu'on peut qualifier de sans réserve. Vous n'avez aucune espèce de... Il y a tout de même... Vous mentionnez dans le texte, la partie du texte qui traite sur, disons, les dépendances, les habitudes, il y a tout de même des auteurs américains...

M. Guédon (Jean-Claude): Oui. Sherry Turkle.

M. Laporte: Je pense à Sherry Turkle, par exemple, qui a fait des choses là-dessus, qui a dit que, quoi, il y a peut-être des risques de développement pathologique. Vous, ça vous... Non, ça ne vous...

M. Guédon (Jean-Claude): Non, non, attention, attention. Là, je ne veux pas être pris pour un utopien, ou un utopiste.

M. Laporte: Oui.

M. Guédon (Jean-Claude): Je vais dire une chose, c'est que je pense – alors, ça, j'en suis convaincu – que cette technologie va avoir un impact tellement profond que, effectivement, il va y avoir des transformations socioéconomiques, politiques et culturelles également extrêmement profondes et que ça va créer des conflits, ça va créer des problèmes, comme toute période, disons, vraiment littéralement révolutionnaire au sens culturel du terme. Ça, là-dessus, je pense qu'il faut vraiment...

Je suis content qu'une commission comme ça commence à se pencher sur ces problèmes-là, mais il va falloir qu'on mette nos têtes ensemble pour étudier ça de façon approfondie. Et je veux dire pas seulement au Québec, dans le monde entier. Pour moi, c'est aussi important que surveiller la couche d'ozone et le réchauffement de l'atmosphère. C'est un problème aussi global et aussi complexe. Alors, ça, c'est le premier point.

Pour les questions d'accoutumance et ces genres de choses là, ce sont des problèmes réels, mais, en même temps, j'ai essayé de dire: avant de poser des problèmes comme ça, mettons-les dans leur perspective. Je répète ma statistique de tout à l'heure. Si Statistique Canada a raison de dire qu'une personne sur quatre est en train de mourir des conséquences de l'alcool dans ce pays...

M. Laporte: Ah, oui, d'accord.

M. Guédon (Jean-Claude): ...moi, je dis, je veux bien m'occuper de l'Internet, mais mettons un peu les priorités là où elles appartiennent. Il faudrait peut-être commencer par regarder l'alcool, puis ensuite regarder l'Internet. Je ne suis pas contre regarder l'Internet, mais je voudrais poser le problème à son vrai niveau.

Et ce que dit Sherry Turkle, par ailleurs, est très intéressant, parce qu'elle dit: Quand les gens s'amusent à jouer des rôles – changer de sexe, se présenter comme une autre personne, et tout ça – oui, ça peut être lu comme un comportement pathologique de style protoschizophrénique, protoschizophrène, je veux dire, mais ça peut être aussi une façon tout à fait légitime de s'expérimenter dans différentes personnalités, comme on le fait, après tout, dans sa période de croissance, dans l'enfance, et peut-être de corriger par là même d'autres types de problèmes qu'on a eus parce qu'on n'a pas eu un développement tout à fait harmonieux dans sa jeunesse.

Donc, à chaque cas, je pourrais dire: cette technologie, c'est comme un couteau. Elle peut trancher un steak, elle peut couper un ventre. C'est comme toute technologie, elle peut aller dans le bon comme dans le mal; c'est à nous, c'est à nous d'en faire les usages appropriés, et c'est à nous de garder toujours dans notre analyse la finesse d'analyse qui permet de voir et le bon et le mauvais et essayer de minimiser le mauvais. Si on prend juste une réaction de dire: Oh! c'est épouvantable. Bon, alors, dans ce cas-là, on se condamne à se paralyser et à rejeter, et donc on se condamne probablement à perdre.

M. Laporte: Peut-être une dernière question sur les droits d'auteur. Ici, on eu des témoignages. Vous étiez là cet après-midi.

M. Guédon (Jean-Claude): Oui, j'étais là cet après-midi, oui.

M. Laporte: C'étaient des témoignages, disons, alarmistes là-dessus ou des témoignages inquiets, alors que votre texte est, tout au contraire, disons, très... Je ne veux pas dire que vous êtes utopiste, mais je veux dire que le texte est très nuancé là-dessus. Donc, encore là, vous avez quoi comme...

M. Guédon (Jean-Claude): Écoutez...

M. Laporte: ...préoccupations?

M. Guédon (Jean-Claude): ...toute mon analyse a porté à essayer de vous dire à tous: C'est un problème tellement complexe, de grâce, essayez de demeurer sereins. Premier point: essayez de demeurer sereins. Et puis, ensuite, regardons les choses.

Dans le cas du droit d'auteur, n'importe quel historien qui connaît un peu cette chose-là va vous dire: Bien, le droit d'auteur, ce n'est quand même pas quelque chose qui est né le sixième jour de la création. Le droit d'auteur, c'est arrivé à peu près au XVIe siècle, en Angleterre, avec un premier privilège qui a été offert à quelqu'un qui avait écrit un livre et qui voulait en tirer un bénéfice. Donc, c'est un phénomène culturel qui est vieux, mais pas si vieux que ça.

Alors, premier élément, quand on dit «ah, s'il n'y a plus de droit d'auteur, il n'y a plus de créativité», ma réaction, c'est de dire: C'est faux. Les cathédrales gothiques n'avaient pas besoin de droit d'auteur pour exister. Les grottes de Lascaux ont eu de très belles gravures, également, sans aucun droit d'auteur.

Mais ce que ça veut dire, c'est qu'on a vécu, depuis quatre siècles, avec une habitude. On a eu une technologie extrêmement forte qui garantissait par la technologie même l'intégrité de l'objet culturel; le livre, par exemple, le texte.

M. Laporte: Oui.

M. Guédon (Jean-Claude): Alors, du même coup, on pouvait le vendre facilement, et tout un commerce s'est développé autour de cet objet livre, qui est en même temps un objet culturel.

Ce qui est en train de se passer actuellement, c'est que la base technologique est en train de disparaître et on est peut-être objectivement dans une situation où le document se met à fonctionner un peu à la manière d'un manuscrit au Moyen Âge. C'est-à-dire, ça se copie, ça dérive, ça passe de l'un à l'autre, et ainsi de suite.

Le problème qui va se poser, c'est de dire: Bien, la construction socioculturelle de l'auteur, qui est née avec le XVIe siècle, est en train de subir un assaut frontal extrêmement fort. Bon. Qu'est-ce qu'on fait avec ça? On le nie? On crie? On appelle l'armée? On demande du droit? Moi, je veux bien, mais c'est peut-être taper dans l'eau, c'est peut-être des coups d'épée dans l'eau, tout ça.

Il vaudrait peut-être mieux réfléchir et se dire: Quelles sont les conditions de maintien du plus qu'on peut côté auteur et, dans la mesure où on est obligé de jeter du lest, comment est-ce qu'on reconfigure l'activité d'un auteur diminué, disons, de façon à ce qu'il puisse avoir une vie culturelle et économique riche? Là, on pose des problèmes intéressants. Là, on pose des projets à la fois sociaux et politiques intéressants; autrement, on est dans le réactif pur et probablement en train de regarder à côté de la vraie question.

M. Laporte: M. le Président, merci. Mais ce sera peut-être la mort du sujet pour le vrai, là, par exemple!

M. Guédon (Jean-Claude): Bien, c'est un des enjeux. C'est un des enjeux. Mais je n'ai pas de réponse là-dessus, je pose des questions.

Le Président (M. Garon): M. le député de Taschereau.

M. Gaulin: Oui, M. le Président. M. Guédon, bonjour.

M. Guédon (Jean-Claude): Bonjour.

M. Gaulin: Je suis relativement, un peu mal à l'aise devant votre texte, je vais vous le dire. Je suis universitaire moi-même et il me semble que vous déifiez un peu, puisque vous avez parlé de cette pyramide qui allait jusqu'au pape et qui en redescendait, vous déifiez un peu l'université, comme si elle n'avait pas de contrainte à subir comme n'importe quelle partie des gens dans la société, comme si elle était un tel lieu de haut savoir qu'elle détruit en partie l'information. Je ne sais pas comment je dois vous comprendre: sortir de la société de l'information.

Vous dites qu'il faut faire appel davantage à l'université, je suis bien d'accord, mais c'est une description tellement idyllique qu'on est presque porté à vouloir inventer une contrepartie, disant que, finalement, dans les universités, il y a peut-être des gens de haut savoir, je l'admets avec vous, mais il y a aussi des gens qui risquent la schizophrénie, qui sont très loin des gens qui boivent, justement. Ç'a l'air d'être une préoccupation pour vous, qu'il y ait 25 % de la population qui le fassent, mais je doute fort que ce soit l'inquiétude quotidienne de l'ensemble de vos collègues ou de mes collègues.

Alors, je ne sais pas. Vous avez voulu dire quoi en disant... D'une part, je vous poserais peut-être deux petites questions: Vous voulez dire quoi exactement en disant: Sortir de la société de l'information? Peut-être du stéréotype tel qu'il nous est communiqué par l'information? C'est peut-être ça que vous voulez dire?

Par ailleurs, comment vous distinguez... J'aimerais ça que vous nous fassiez vraiment une distinction entre ce qu'on a appelé l'inforoute et ce que vous appelez l'Internet.

M. Guédon (Jean-Claude): Je vais ajouter une troisième dimension, qui est l'université, parce que je voudrais revenir là-dessus aussi.

M. Gaulin: D'accord.

M. Guédon (Jean-Claude): Sortir de la société d'information, c'est ce que j'ai essayé de donner en entrée de jeu de ma présentation en rappelant deux définitions que je vous ai proposées, à savoir que je définissais «information» comme un processus de transfert de messages d'un petit groupe vers une population selon une dénivellation qui implique beaucoup de pouvoir. Et j'ai donné comme exemple: de l'Église catholique à la télévision moderne, système «broadcast». Et la communication – ce que nous faisons peut-être actuellement, vous et moi – on échange, on confronte des idées, on se répond l'un après l'autre, mais nous sommes dans une situation essentiellement paritaire. D'accord? Parce que je considère qu'en démocratie tous les citoyens sont paritaires, députés ou non. Ha, ha, ha! Mais je pense qu'il n'y a pas de querelle là-dessus.

(22 heures)

Donc, ce que je voulais dire, c'est qu'on parle beaucoup d'inforoute, on parle beaucoup de société de l'information, probablement parce qu'on a été complètement obnubilé et, en fait, j'allais dire informé, au sens philosophique du terme. C'est-à-dire qu'on a eu notre pensée formée par l'information au point que, depuis le livre jusqu'à la télévision, on a pensé que c'était la norme et on fonctionnait complètement comme ça. Et on a un peu oublié ce qui se passe dans ce qu'on pourrait appeler l'espace d'échange et de partage entre individus qui peut redevenir un lieu de construction du social, du politique, du commercial, et ainsi de suite.

L'Internet s'est trouvé être à l'endroit où cette réaffirmation de la communication par rapport à l'information s'est vite révélée. D'ailleurs, l'évolution même des protocoles de TCP/IP dans l'Internet s'est imposée face aux grandes normes internationales précisément par ce type d'échange constant qui faisait que les ingénieurs informaticiens arrivaient toujours avec une solution qui marchait plus vite que les grands comités internationaux de ISO ou de ITU.

Et le résultat, c'est qu'on a eu un système totalement décentralisé, ouvert, non contrôlé, où les gens ont d'abord... se sont même d'ailleurs inventé la communication, puisque à l'origine on avait même oublié d'inventer le courrier. Les gens ont tout de suite inventé un moyen de se faire du courrier entre eux par-dessus les outils qui avaient été proposés d'emblée dans l'Internet.

Alors, quand je fais une distinction entre inforoute et Internet, c'est précisément pour souligner ça. C'est que, actuellement, ce à quoi nous assistons, c'est à une victoire de l'Internet. Lorsque nous entendons parler d'inforoute partout ailleurs dans la société, regardez bien qui utilise ce mot d'inforoute. Ça va être la compagnie Bell, parce que pendant très longtemps elle n'en voulait pas, de l'Internet. Ça va être France Télécom, parce que pendant très longtemps ils voulaient du Minitel. C'était Deutsche Telecom, parce qu'ils voulaient du BTX, et ainsi de suite. C'étaient les grandes compagnies de téléphone qui, quand elles ont vu l'Internet tout à coup surgir, ont essayé littéralement, je dirais, de brouiller les eaux en maintenant une espèce de vocabulaire plus large, en disant: Nous aussi, on est là-dedans, et c'est l'inforoute.

Et en même temps, et alors là de façon plus, je dirais, inconsciente, parce que je pense que la plupart des compagnies de téléphone n'avaient pas du tout cette distinction communication-information dans la tête... À l'époque d'Alex, pour vous raconter une anecdote, je travaillais avec Bell, comme équipe de mon université, et j'essayais de dire aux gens de Bell: Mais arrêtez de penser à Alex comme à un système d'accès à l'information; si vous voulez que ça marche, ce truc-là, pensez à Alex comme à un système de communication. Regardez ce qui s'est passé avec le Minitel en France. Les gens communiquaient entre eux, c'est comme ça que le Minitel a démarré. Ils ne se disaient pas parfois des choses très intelligentes, mais au moins ils parlaient entre eux.

Donc, toute ma diatribe, si vous voulez, contre l'inforoute est une manière pour moi de souligner une sorte de prisme, je dirais, qui détourne le regard de la vraie cible, qui vous donne des cadres d'analyse qui, à mon avis, vont vous emmener vers des fausses pistes, vont vous conduire vers des mauvaises politiques ou vous conduire à être les objets manipulés par les grandes compagnies qui veulent vous emmener dans leur giron. Alors, je dis: Attention! Attention! Posez bien les problèmes. Coupez bien, comment dirais-je, les concepts dans les bonnes cases et allez analyser correctement les choses, et là vous allez avoir les moyens de poser des politiques saines, des politiques riches, des politiques pour nous tous, où les compagnies trouveront leur place, bien entendu, mais où les citoyens trouveront leur place également dans un partage et une répartition des pouvoirs qui correspondent à ce qu'est une démocratie.

Maintenant, pour l'université, dans le texte, je ne voudrais pas qu'on confonde ce texte avec l'université. Je me suis simplement permis, au détour de deux ou trois questions dans le texte, je me suis permis de rappeler, parce que je trouvais que c'était terriblement absent dans le document de consultation... Il y avait aussi une phrase très, très drôle dans le document de consultation, qui disait: On serait heureux de voir quelques sociologues et philosophes nous parler de l'Internet. J'ai dit: Bien, merci beaucoup, vous êtes bien gentils. Franchement, quel privilège! Enfin, un intellectuel a le droit de s'exprimer une fois de temps en temps, mais pas trop. Je trouvais ça un peu fort.

Je crois que l'intellectuel a son rôle dans la société. Ce n'est pas un rôle exalté, mais c'est un rôle important. Pas plus ni moins important que l'ouvrier, que le paysan, que l'ingénieur et le médecin, mais pas moins important non plus. Et je voulais simplement rappeler ça. Par ailleurs, je rappelle mon argument: Dans un argument de mondialisation des marchés du travail, au Québec, vous le savez, on ne va pas beaucoup faire des choses dans les industries de luxe sur les bases de traditions culturelles qui ont permis, par exemple, à l'Italie et à la France de faire d'excellents vins, d'excellentes soieries et des choses comme ça.

Il va falloir le faire dans l'intelligence, au Québec, et, pour le faire dans l'intelligence, il n'y a pas beaucoup de recettes, il faut vraiment former nos gens le mieux possible. Et je pense que, même si on donne beaucoup d'argent aux universités actuellement, et plus qu'ailleurs, à mon avis, si le Québec veut s'en sortir, il va falloir qu'il consacre un effort encore plus grand à l'éducation en comprenant, bien entendu, la possibilité de réformer les universités à l'interne aussi pour qu'elles soient plus efficaces. Ça, je ne suis pas contre ça non plus, mais je suis le premier à dire que parfois on n'est peut-être pas les gens les plus efficaces du monde.

Mais, cela dit, on a tous des efforts à faire et il ne faut surtout pas scier la branche de l'enseignement dans ce pays, parce qu'à ce moment-là, vraiment, là, on fonce vers la tiers-mondialisation accélérée. Et je peux vous assurer... Je reviens du Chili, comme je vous le disais tout à l'heure, la semaine dernière. Je pars au Brésil vendredi. Quand je vois pédaler ces gens-là actuellement, je vous dis: Pédalons! parce qu'ils courent vite, ces gens-là, actuellement, et ils foncent. Et je ne parle pas des tigres de l'Asie du Sud-Est, qui pédalent encore plus fort.

M. Gaulin: Je voudrais juste vous remercier de votre réponse, M. Guédon, et vous dire que peut-être l'intelligence dont vous parlez, elle est très large, au fond, elle concerne toutes les formations...

M. Guédon (Jean-Claude): Ce n'est pas de l'élitisme.

M. Gaulin: ...y compris la technique, les métiers, etc.

M. Guédon (Jean-Claude): Absolument, absolument.

M. Gaulin: Et, par ailleurs, je voulais vous dire que, bien sûr, c'est possible que dans notre document d'orientation on n'ait pas fait assez de place aux universitaires, mais soyez sûr que de, toute manière, on pourra essayer de le réparer. D'ailleurs, on a été heureux de vous accueillir, et il y a dans la députation aussi – ce n'est pas des antinomies – plusieurs intellectuels.

M. Guédon (Jean-Claude): Absolument.

M. Gaulin: Je vous remercie.

M. Guédon (Jean-Claude): C'est moi qui vous remercie.

Le Président (M. Garon): Alors, je remercie M. Guédon de sa contribution aux travaux de la commission, et nous ajournons les travaux jusqu'à demain matin, 10 heures.

(Fin de la séance à 22 h 7)


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