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Version finale

31st Legislature, 2nd Session
(March 8, 1977 au December 22, 1977)

Tuesday, June 28, 1977 - Vol. 19 N° 137

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Audition des mémoires sur le projet de loi no 1 - Charte de la langue française au Québec


Journal des débats

 

Audition des mémoires sur

le projet de loi no 1 :

Charte de la langue française

au Québec

(Dix heures treize minutes)

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, madame et messieurs!

Je constate qu'il y a quorum et nous allons commencer immédiatement. Tout d'abord, c'est une nouvelle séance.

L'appel des membres de la commission: M. Alfred (Papineau), M. Bertrand (Vanier) — on m'indique les remplacements s'il y en a — M. Bisaillon (Sainte-Marie)...

M. Chevrette: M. Charbonneau, Mais M. Charbonneau n'y est pas.

Le Président (M. Cardinal): ...remplacé par M. Charbonneau (Verchères)...

M. Chevrette: (Verchères).

Le Président (M. Cardinal): ...M. Chevrette (Joliette-Montcalm), M. Ciaccia (Mont-Royal), M. de Bellefeuille (Deux-Montagnes), M. Dussault (Châteauguay), M. Godin (Mercier), M. Grenier (Mégantic-Compton)...

M. Le Moignan: Remplacé par William Shaw.

Le Président (M. Cardinal): ...remplacé par M. Shaw (Pointe-Claire), M. Guay (Taschereau), M. Lalonde (Marguerite-Bourgeoys), M. Laplante (Bourassa), M. Laurin (Bourget), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), M. Le Moignan (Gaspé), M. Pa-quette (Rosemont), M. Roy (Beauce-Sud), M. Saint-Germain (Jacques-Cartier) remplacé par M. Goldbloom (D'Arcy McGee), M. Samson (Rouyn-Noranda).

Quant à l'ordre du jour, les organismes convoqués sont les suivants. Je les prierais de répondre à l'appel de leur nom, s'il vous plaît. Positive Action Committee, merci, mémoire 218; Comité anglophone pour un Québec unifié, merci, mémoire 186; Mouvement Québec français, merci, mémoire 30; The Montreal Board of Trade, merci, mémoire 88; Provincial Association of Catholic Teachers, merci, mémoire 1; Conseil pour l'unité canadienne, merci, mémoire 72; Association des conseillers en francisation du Québec, mémoire 197.

Je fais cet appel afin que personne ne perde son tour. Il est bien sûr que nous allons commencer vers 10 h 20 ou à peu près.

Nous allons ajourner nos travaux sine die à 13 heures, pour les reprendre après les affaires courantes de l'Assemblée nationale, ce qui veut dire après 16 heures, pour les suspendre à 18 heures, recommencer à 20 heures, et terminer à 23 heures — ce qui a toujours été dépassé, cependant — Alors, s'il y a lieu de faire de nouvelles ententes au cours de la journée, ou de nouveaux arrangements, nous y procéderons, avec la collaboration de tous. Je rappelle aussi pour tous la motion qui lie la commission parlementaire, c'est que chaque groupe a 20 minutes pour présenter son mémoire ou ses mémoires, ou un résumé ou un exposé. A deux ou trois reprises, les membres de la commission ont accordé plus de temps, mais ce temps a été pris à même le temps accordé à chacun des partis, c'est-à-dire 30 minutes pour le parti ministériel, 20 minutes pour l'Opposition officielle, 10 minutes pour le parti reconnu de l'Union Nationale et 5 minutes pour chacun des représentants des deux autres partis. Alors, ce sont les mêmes règles qui s'appliqueront aujourd'hui.

J'appelle immédiatement the Positive Action Committee.

Oui, Mme le député de L'Acadie.

Comité d'action positive

Mme Lavoie-Roux: M. le Président, il semble que nous ayons deux mémoires du Comité d'action positive. Je ne sais pas si...

Le Président (M. Cardinal): Je vais justement demander des explications. Je vais vous demander tout d'abord d'identifier votre organisme, d'identifier les porte-parole et d'expliquer à la commission comment il se fait que nous avons deux mémoires devant nous. Alors, messieurs, la parole est à vous.

M. Yarofsky (Harvey): Nous allons nous identifier et nous allons vous fournir l'explication. Tout d'abord, j'ai à ma droite Me Douglas Robertson, avocat et membre d'un comité spécial sur la langue du travail du Comité d'action positive à sa droite, M. Christopher Hampson, vice-président à la compagnie CIL et membre du même comité spécial; à ma gauche, M. Louis Grenier, vice-président personnel du groupe SNC et membre du comité spécial sur la langue du travail ensuite, le professeur Storrs McCall, de l'Université McGill, coprésident du Comité d'action positive et, à sa gauche, Me Alex Paterson, avocat et coprésident du Comité d'action positive.

Le Président (M. Cardinal): Et vous-même, quel est votre nom?

M. Yarofsky: Je m'excuse, je m'appelle Harvey Yarofsky, avocat et membre du Comité d'action positive.

M. le Président, M. le ministre, membres de la commission, le Comité d'action positive, dont les origines et l'histoire sont décrites dans notre mémoire, a soumis à la commission un mémoire sur le projet de loi et ce mémoire est de couleur grise et porte notre nom, cela veut dire le Comité d'action positive.

Le Président (M. Cardinal): Pour les membres de la commission, c'est le mémoire 89.

M. Yarofsky: Merci, M. le Président.

Le Comité d'action positive a mis en place un comité spécial des personnes qui ont une expérience profonde du monde du travail pour étudier le projet de loi dans la perspective de son impact sur le monde du travail. Ce comité spécial, indépendamment du Comité d'action positive proprement dit, a préparé un mémoire spécial, à ce sujet et a soumis, indépendamment de notre comité, ce mémoire à la commission. Le mémoire en question est de couleur bleue et porte le nom du "Comité d'étude sur la langue du travail du Comité d'action positive".

Le Président (M. Cardinal): No 218.

M. Yarofsky: Maintenant, M. le Président, vu le travail très élaboré que nous avons fait et les recommandations assez précises que nous avons faites et que nous avons dans les deux mémoires, je demanderais — j'espère que c'est dans l'ordre, et vu que nous n'aurons que le temps de résumer les grandes lignes des deux mémoires dans le temps qui est à notre disposition — à la commission et au président de faire inscrire, si c'est possible, les deux mémoires dans le journal des Débats.

De cette façon, la commission et les membres de l'Assemblée nationale pourront en bénéficier.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. C'est tout à fait dans l'ordre et c'est la juridiction du président. Ce que vous direz aujourd'hui sera enregistré au journal des Débats et vos deux mémoires seront portés en annexe au journal des Débats; ils seront donc publiés par l'Assemblée nationale. (Voir annexe)

M. Yarofsky: C'est bien, M. le Président.

Une dernière demande avant que je commence. Nous avons essayé de voir à ce que nos présentations — et ce seront des présentations de trois personnes — ne dépassent pas les vingt minutes accordées. Toutefois, je demanderais un peu d'indulgence de la part du président et de la commission si on dépasse de quelques minutes les vingt minutes qui nous sont accordées.

Le Président (M. Cardinal): Toujours l'indulgence du président. Quant à la commission, je ne puis me prononcer pour elle. Elle est composée de représentants de cinq partis, et il me faut l'unanimité pour accorder une générosité particulière. Alors, nous verrons quand nous arriverons à la fin des vingt minutes.

M. Yarofsky: D'accord, merci, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Alors, nous commençons à 10 h 23.

M. Yarofsky: Les origines et l'histoire de notre groupe, comme je l'ai dit tout à l'heure, sont relatées dans notre mémoire. Il suffit de dire maintenant que le Comité d'action positive n'a pas été formé pour contester l'adoption d'une loi efficace et solide, destinée à promouvoir la langue française au Québec. Nous avons tenté, dès notre création, de chercher les moyens qui permettraient à la minorité anglophone et aux autres minorités de participer pleinement et d'une façon positive à la vie du Québec. C'est à cette fin et dans cet esprit que notre mémoire vous est soumis.

Certains vous disent: Méfiez-vous des Anglais. Ils vont prétendre être d'accord avec les objectifs du projet de loi, mais au fond, ils veulent le saboter. M. le Président et MM. les membres de la commission, je vous dis carrément que ceux qui prétendent ceci ont tort et que ce qu'ils vous disent est faux.

Vous n'avez qu'à lire attentivement et objectivement notre mémoire pour vous rendre compte que nos commentaires et nos recommandations sont sains, modérés et raisonnables et que nous ne cherchons pas à détruire le projet de loi, mais plutôt à faire enlever du projet des aspects qui sont indûment et inutilement négatifs et menaçants pour les minorités et pour la société québécoise en général. En fait, en analysant nos recommandations, vous allez constater qu'en grande partie elles rejoignent celles d'autres organismes comme la Commission des droits de la personne, le Conseil supérieur de l'éducation, le Barreau du Québec et d'autres dont l'objectivité et la valeur sont incontestables. Je n'ai pas l'intention, dans les quelques minutes qui sont à ma disposition, de vous répéter ou même de résumer les représentations qui se trouvent dans notre mémoire. Je tiens pour acquis que vous les avez lues ou que vous allez les lire. Je préfère vous épargner la répétition et l'ennui qui vous sont trop souvent réservés ici au salon rouge. Evidemment, je serai très heureux de discuter de toutes nos recommandations pendant la période réservée aux questions. Tout ce que je veux faire, c'est vous tracer brièvement quelques-uns des principes qui nous motivent et quelques-unes des grandes lignes de notre position.

Premièrement, nous sommes ici à titre de Québécois à part entière. Nous sommes attachés au Québec. Nous comptons y rester et nous comptons participer entièrement, positivement et pleinement à la croissance et au développement du Québec. Il est possible que certains nous voient tout simplement comme faisant partie de la majorité anglophone du Canada et de l'Amérique du Nord. Je vous assure qu'une telle perception est inexacte et que notre attachement au Québec est réel et profond.

Deuxièmement, nous sommes d'avis qu'il est important de sauvegarder la nature pluraliste et multiculturelle de la société québécoise.

La minorité anglophone et les autres minorités ont contribué d'une façon importante à l'enrichissement du Québec, tant comme individus que par nos institutions, et il faut maintenir au Québec un climat dans lequel les minorités peuvent continuer de se sentir chez elles et peuvent continuer à apporter une contribution dynamique à la vie québécoise dans l'intérêt de tous les Québécois.

Troisièmement, il faut préserver et protéger

les valeurs et les principes énoncés dans la Charte des droits et libertés de la personne. Le peuple québécois est fier de cette charte et elle mérite plus de respect que celui que lui accorde l'article 172 du projet de loi. Toute suppression de la charte doit inquiéter tout Québécois. Nous comprenons que le gouvernement s'est engagé à réviser cet aspect du projet et nous en sommes heureux.

Quatrièmement, nous nous sentons très menacés par les dispositions du projet qui traitent de la langue de l'enseignement. Nous reconnaissons que cette question est troublante, tant pour la majorité que pour les minorités. En principe, nous croyons que les parents, plutôt que l'Etat, devraient choisir la langue de l'enseignement donné à leurs enfants. Toutefois, si le législateur juge que la majorité francophone est menacée au point où des correctifs législatifs sont nécessaires, ces mesures devraient être proportionnées à la menace perçue.

Le livre blanc énonce que "l'anglais tout particulièrement aura toujours une place importante au Québec, non pas seulement, comme on le répète souvent, parce qu'il est le moyen de communication le plus répandu en Amérique du Nord, mais parce qu'il tient aussi à l'héritage culturel des Québécois." Le livre blanc énonce aussi que la population et la culture anglophone constituent une composante irréductible de notre société.

Ceci étant le cas, n'est-il pas normal qu'un anglophone, d'où qu'il vienne, puisse se joindre à son groupe culturel qu'il trouve ici et n'est-il pas normal que la population anglophone, pour préserver sa vitalité puisse admettre dans ses écoles tous les anglophones qui viennent au Québec?

La protection de la majorité francophone n'exige aucunement qu'on ne permette pas aux immigrants anglophones d'envoyer leurs enfants aux écoles anglaises. La question des immigrants allophones récents est troublante aussi.

Au moment de leur décision de s'établir ici, ils jouissaient d'un droit important de choisir la langue de l'enseignement donnée à leurs enfants. Est-ce que la menace perçue par la majorité est telle qu'il est vraiment nécessaire de les priver rétroactivement de ce droit? Nous pensons que non.

En conclusion, nous croyons que l'Assemblée nationale est à la veille de prendre une décision cruciale qui aura une influence énorme sur le climat social et sur l'avenir du Québec. Le législateur peut affirmer la primauté du français de deux façons: il peut imposer une loi qui inspirera la méfiance et provoquera une résistance; il peut, par contre, adopter une loi qui fera vigoureusement valoir les droits de la majorité, mais qui sera perçue comme raisonnable et équitable et qui méritera la confiance et le respect de tous les Québécois. La loi que vous adopterez pourra refléter un nouveau contrat social entre la majorité et les minorités.

Nous voulons que la nouvelle loi soit un pont plutôt qu'un fossé entre la majorité et les minorités. C'est à vous de faire le choix.

Maintenant, M. le Président, je passe la parole à Me Douglas Robertson.

M. Robertson (Douglas): M. le Président, je crois et j'espère qu'en tant que groupe de Québécois indépendants impliqués dans le monde des affaires, nous sommes conscients de la nature et de la complexité du problème linguistique au Québec.

Pour cette raison, nous reconnaissons et nous approuvons l'objectif selon lequel le français soit non seulement préservé, mais activement favorisé au Québec, pour qu'il puisse être assuré de la position qui lui revient historiquement et de droit et pour qu'il puisse devenir enfin la langue prééminente au Québec et la langue commune de tous les Québécois, tout en respectant les traditions et droits des minorités.

Mais en même temps, nous sommes particulièrement conscients du fait que les moyens adoptés pour favoriser l'usage du français au Québec auront des répercussions importantes sur la vie économique de la province.

Comme le démontre l'Analyse structurelle à moyen terme de l'économie du Québec, éditée en février dernier par l'Office de planification et de développement du Québec, l'économie de cette province passe à travers une phase sensible et délicate et notre croissance est engagée sur une trajectoire de déclin relativement à l'Ontario.

Nous ne prétendons pas que la loi linguistique en soi peut radicalement modifier cette situation, mais une loi contraignante peut compliquer les efforts de rétablissement et voilà le défi. Comment atteindre un but culturel sans gêner l'expansion économique qui seule peut assurer la survie et la réussite de la culture française dans le contexte Québec-Amérique du Nord?

Nous espérons avoir, dans notre mémoire, suggéré certains amendements au projet de loi dont l'adoption permettrait une meilleure harmonisation des deux objectifs, le culturel et l'économique.

Ce que nous cherchons, c'est le juste milieu auquel a fait allusion le ministre, hier après-midi, l'équilibre, le jamais trop de zèle mais la tolérance, qui permettrait au gouvernement de poursuivre de manière équitable et rationnelle l'objectif de la francisation tout en encourageant l'expansion de nos institutions de libre entreprise et tout en assurant le respect pour les minorités, leurs droits et leurs traditions.

Notre mémoire commente, dans ses 48 pages, beaucoup des dispositions du projet de loi et ceci en grand détail, mais nous n'avons pas le temps, aujourd'hui, de vous en faire un sommaire.

Toutefois, certains points de principe peuvent y être modifiés dont l'un, notre préoccupation pour les droits de l'homme, vient d'être évoqué par Me Yarofsky. Certains autres seront traités dans un instant par M. Grenier.

Pour ma part, j'aimerais toucher, en terminant, quatre points qui animent notre présentation. Premièrement, nous sommes préoccupés de la structure bureaucratique dont l'institution est prévue par le projet de loi et ceci, tant sur le plan administratif que juridique. Cette préoccupation est fondée sur quatre éléments: le danger pour les libertés personnelles et collectives, l'absence de

responsabilités devant l'Assemblée nationale et le peuple, l'absence de recours en appel qui devrait être accordé aux administrés et le coût de processus de francisation administré par l'Office de la langue française, tant pour le gouvernement que pour les entreprises.

A titre corollaire, nous voulons noter que ces quatre éléments découlent en grande partie du pouvoir de réglementation accordé par le projet de loi à l'Office de la langue française. Les élus du peuple doivent, à notre avis, créer la loi et non pas les agents de l'administration publique.

L'ingérence dans notre système parlementaire de la loi-cadre représente une tendance à laquelle on doit tous résister.

Nous recommandons fortement, en conséquence, que les différents organismes prévus par le projet de loi soient regroupés sous un seul service public; que le pouvoir de réglementation de l'Office de la langue française soit aboli en faveur du gouvernement; que le texte du projet de loi soit modifié pour que soient clairement décrites toutes les dispositions nécessaires à son application, réservant au gouvernement le pouvoir de suppléer à ses dispositions par règlement, seulement où cela se démontre complètement et absolument nécessaire et, finalement, que toute disposition de la loi qui permet l'imposition d'une sanction ou l'exercice d'une discrétion administrative soit assortie d'un droit d'appel clair et spécifique.

Deuxièmement, nous regrettons que la politique de la langue du travail soit liée, dans le projet de loi, directement au domaine des relations industrielles à travers les dispositions des articles 36 à 40 et même 114 et 115. Ce sont, à notre avis, deux domaines différents dans leurs éléments, leur portée et leurs objectifs.

Pour cette raison, nous recommandons fortement que l'article 36 du projet de loi soit modifié pour confier aux tribunaux le contrôle de son application et que, dans les autres dispositions, le projet de loi ne mélange pas les conventions collectives à la loi linguistique.

De cette façon, ces deux domaines recevront, à notre avis, chacun dans son cadre juridique, l'attention qu'il mérite, sans que l'un ne souffre de l'ingérence de l'autre et sans que les complexités de l'un ne gênent l'autre. Troisièmement, nous regrettons que dans plusieurs de ces dispositions le projet de loi, en limitant ou en interdisant l'usage de l'anglais dans les communications entre le gouvernement, l'administration publique et les services sociaux, d'une part, et le public, d'autre part, dans l'affichage et dans les raisons sociales, fasse preuve d'un certain dirigisme et d'un manque de réalisme, surtout dans le contexte nord-américain.

En conséquence, nous recommandons fortement, tout en respectant cet énoncé de politique contenu dans le livre blanc, —et je cite—: "le Québec que nous voulons construire sera essentiellement français", que le projet de loi permette de façon cohérente et pratique l'usage de l'anglais dans les domaines ci-dessus mentionnés, pourvu que l'usage primordial du français soit également obligatoire.

Quatrièmement, nous partageons les soucis d'autres groupes qui se sont prononcés contre les sanctions démesurées prévues par le projet de loi. L'essor et la prééminence de la langue française au Québec doivent s'assurer par des mesures d'incitation, d'exemples et d'attraction, et non par la menace. Sur ce chef, nous recommandons que les sanctions de pertes de permis et d'amendes soient supprimées dans le projet de loi. Je passe maintenant la parole à M. Grenier.

M. Grenier (Louis): J'aimerais maintenant commenter la situation des sièges sociaux. Notre mémoire met en évidence l'importance que nous attachons aux mesures visant à encourager les sièges sociaux et les entreprises offrant des services s'appuyant sur une technologie avancée à demeurer au Québec. Nous demandons qu'on favorise l'installation de nouvelles entreprises de ce genre. Nous parlons ici d'un secteur très vaste qui touche, entre autres, la recherche et le développement, les sociétés d'ingénieurs-conseils, les experts-conseils, les services très spécialisés et tous les secteurs dont la propriété intellectuelle est un élément important. Nous affirmons que les uns et les autres procurent à la province des avantages qui dépassent les effets économiques résultant directement de leur présence. L'influence qu'exercent des entreprises nationales d'une telle importance, le prestige qu'elles aportent à la province, les possibilités d'avancement qu'elles représentent pour les Québécois tout en restant dans la province, leur contribution et celle de leurs employés au développement culturel du Québec sont autant d'aspects très importants. Les secteurs qui utilisent une technologie très avancée requièrent un personnel expérimenté et très spécialisé.

Il est indiscutable qu'une partie et, espérons-le, un pourcentage élevé de ces professionnels pour être recruté parmi les Québécois. Il reste, cependant, qu'il sera toujours nécessaire de recourir à des spécialistes de l'extérieur de la province.

Enfin, les industries qui emploient une technologie avancée se caractérisent par la mobilité de leurs employés spécialisés qui, au cours de leurs déplacements, font connaître de nouvelles techniques et permettent ainsi de tenir les connaissances à jour. De la même manière, les spécialistes du Québec doivent acquérir de l'expérience à l'extérieur de la province pour parfaire leur formation. Par conséquent, tout ce qui nuit au recrutement et à la mutation des spécialistes nécessaires ou qui incite les professionnels à partir, va à l'encontre des intérêts du Québec. L'absence de personnes qualifiées peut entraîner la diminution ou même la disparition de tout un secteur de l'activité économique. Une telle situation n'ouvrirait certainement pas de nouvelles perspectives aux Québécois, mais gênerait, au contraire, l'établissement et la croissance dans la province d'industries et de services de pointe. Le besoin de personnel qualifié, parlant d'autres langues, pour les entreprises qui vendent leurs produits à l'extérieur du Québec est assez évident pour se passer de commentaires.

L'élément le plus précieux pour une entre-

prise est son effectif de personnel compétent. S'il existe des conditions, telles que des exigences irréalistes en matière de langue ou l'interdiction de s'inscrire dans les écoles anglaises, qui empêchent les employés de venir au Québec, les sièges sociaux seront contraints de s'installer ailleurs et il en résultera une perte d'emplois pour la province. Si, au contraire, les sièges sociaux et les entreprises de services technologiques demeurent au Québec, il est possible d'envisager, en ce qui concerne cette catégorie d'emplois, une plus grande pénétration du français et des francophones.

Nous sommes d'avis que la loi proposée devrait tenir compte de cette réalité et nous indiquons comment le faire dans nos suggestions. Avec l'article 113, nous accueillons très favorablement la reconnaissance du principe exprimé dans cet article, mais il nous semble que le texte est trop vague. Nous suggérons que cet article soit augmenté de dispositions donnant priorité à l'article 113 sur les articles généraux qui se trouvent ailleurs dans le projet de loi. Il nous semble essentiel, par exemple, que la portée des articles 4, 33, 36 et 37 soit subordonnée aux besoins reconnus de l'administration, au Québec, des sièges sociaux des entreprises nationales ou multinationales et aussi à ceux des divisions et autres subdivisions des entreprises dont les activités s'étendent à l'extérieur de la province.

Nous suggérons que les exigences linguistiques, dont il est fait état à l'article 30, ne devraient pas s'appliquer aux professionnels qui n'offrent pas leurs services au grand public et les dispositions de l'article 32 devraient être libéralisées. Pour tout le moins, cet article devrait être parachevé par des dispositions pour faciliter les transferts des personnels professionnels dans les situations où les intéressés ne traitent pas directement avec le public. Le statut de l'avenir du Québec en tant que centre commercial, industriel et financier ne devrait pas être mis en péril par une interprétation étroite de l'article 113.

Le caractère essentiel de l'utilisation de l'anglais, à plusieurs niveaux des entreprises dont le siège social se trouve au Québec, doit être reconnu. Les programmes de francisation devront prendre en considération, non seulement les cas mentionnés à l'article 113, mais aussi les contraintes provenant de la situation, de la structure, de la clientèle, des marchés, de la technologie, des processus de recherche et de mise au point et des impératifs financiers et concurrentiels des entreprises en question, ainsi que des rapports qui existent, le cas échéant, entre les différentes unités organisationnelles, y compris le siège social, les succursales, filiales et sociétés affiliées au Québec et à l'extérieur. De plus, tant dans le cas des sièges sociaux installés au Québec par des sociétés ou entreprises dont les activités s'étendent à l'extérieur de la province que dans les cas où les entreprises qui ont des relations économiques, techniques ou administratives particulières qui s'étendent à l'extérieur de la province, les programmes de francisation devraient tenir compte de l'effet qu'ils pourraient avoir sur le recrutement, la mobilité et l'avancement du personnel.

Finalement, dans de tels cas, les programmes de francisation devraient reconnaître spécifiquement le rôle et l'utilisation de l'anglais et d'autres langues, à tous les niveaux de la direction ou de l'exploitation où l'utilisation de ces langues est nécessaire.

Pour des raisons historiques, et des considérations d'ordre géographique, Montréal a perdu, en grande partie, son statut de capitale économique du Canada, qui est de plus en plus acquis à Toronto. Cette tendance n'est pas irréversible. Montréal est un endroit privilégié, une plaque tournante qui permet d'allier la technologie nord-américaine et la culture française. Avec la richesse de son réservoir de personnel et de cadres dont le bilinguisme va s'accentuant et par l'attrait de son environnement physique, Montréal pourrait devenir la cité globale de demain. Cela ne se produira que si le milieu dans lequel les entreprises évoluent est caractérisé par une diminution et non par une augmentation des ingérences bureaucratiques et des restrictions, demandes et tracasseries imposées par l'administration publique.

Tout au contraire, le Québec devra miser de façon positive sur tous les éléments de la société qui la composent, sur tous les talents disponibles. La présentation, aujourd'hui, de ces mémoires reflète notre détermination à contribuer à l'élaboration et à l'application de politiques dynamiques dans tous les aspects de la vie au Québec, y compris celui de la langue.

Merci, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Merci, M. Grenier. J'ai présumé du consentement unanime de la commission pendant trois minutes et demie.

M. le ministre d'Etat au développement culturel.

M. Laurin: Je veux d'abord remercier le Positive Action Committee pour le mémoire abondant, volumineux qu'il vient de nous présenter. Evidemment, ils n'ont pas eu le temps de le lire entièrement puisqu'il comporte un chapeau général qui est étoffé et ensuite, deux sous-chapitres, un sur l'enseignement et l'autre sur la langue de travail qui, eux aussi, sont très longs. J'ai quand même eu l'occasion, au moment où ces mémoires sont parus, d'en prendre connaissance, de les étudier très attentivement, et je pense bien me rappeler l'essentiel des considérations qu'ils contiennent ainsi que des recommandations qu'ils nous font. Je peux assurer le Positive Action Committee que, même s'il n'a pas eu le temps de lire tout son mémoire, même si nous n'avons pas le temps de lui poser des questions sur chacun de ses aspects, nous avons déjà pris connaissance de la totalité de sa représentation, de ses considérations, de ses suggestions et que nous en tiendrons compte au moment de la révision de la loi.

Evidemment, vous touchez un très grand nombre de points qui ont été repris par d'autres groupes qui ont précédé le vôtre à cette commis-

sion. Beaucoup des points que vous avez touchés ont déjà fait l'objet de commentaires ou de prises de position de notre part. Donc, je n'y reviendrai pas.

Je veux d'abord m'attacher à quelques considérations générales, comme vous le faites vous-même d'ailleurs dans votre mémoire principal. Peut-être ce mémoire doit-il quelque chose au moment où il a été rédigé. C'est-à-dire à peine après la parution du livre blanc. Bien de l'eau a coulé sous le pont depuis ce temps-là et j'ai l'impression que si vous aviez à le réécrire, aujourd'hui, peut-être que vous ne l'écririez pas avec la même encre à la suite de tous les commentaires, les échanges, les dialogues qui ont pu avoir lieu, aussi bien à cette commission que dans le public. Ceci pour dire qu'il vous paraîtrait peut-être difficile au moment où nous nous parlons, de dire que le gouvernement, par exemple, entend isoler la communauté francophone de ses voisins canadiens ou américains ou mondiaux. Il n'a jamais été l'intention du gouvernement d'isoler les francophones, mais, au contraire, de leur donner les moyens, les outils, la dignité aussi, la fierté dont ils ont besoin pour s'ouvrir au monde et participer aux échanges culturels. Ce n'est donc pas dans un esprit d'isolement, mais d'ouverture que nous pensons à assurer au peuple québécois la possession de ce bien nationale que représente sa langue officielle, sa langue commune.

Il n'a jamais été non plus dans l'esprit du gouvernement de supprimer la minorité anglophone, de l'inciter à immigrer, comme vous le dites, à un moment donné dans votre mémoire, ou de la réduire à l'état de minorité invisible ou silencieuse. Bien au contraire, dans le livre blanc, dès le deuxième principe, nous parlons de la minorité anglophone comme une minorité dynamique qui a contribué et qui doit encore contribuer d'une façon notable, pour ne pas dire fondamentale, à l'élaboration, au développement aussi bien culturel qu'économique du Québec. Nous ne croyons pas du tout pour notre part que la politique gouvernementale aura pour résultat de l'éliminer, de la supprimer ou même de la diminuer d'une façon notable. Je pense que plusieurs mémoires ici sont venus dire que la minorité anglophone, même avec l'adoption du projet de loi gouvernemental, n'a rien à craindre pour sa disparition, son élimination et qu'elle continuera à être une minorité très importante, très vivante, très dynamique, si l'on considère tous les réseaux qu'elle contrôle, tous les moyens qu'elle a à sa disposition pour assurer sa vitalité, à condition, bien sûr, qu'elle le veuille, qu'elle se définisse dans un nouveau contexte et qu'elle prenne appui sur tous les éléments qu'elle possède pour augmenter sa vitalité. J'ai donc l'impression que votre mémoire, au moment où il a été écrit, était marqué au coin d'un pessimisme que vous-mêmes devez maintenant trouver exagéré.

Evidemment, vous mettez l'accent sur le bilinguisme. Je pense qu'il y a là une équivoque à dissiper et que nous avons déjà tenté de dissiper, mais sur laquelle il importe peut-être de revenir. Ce que nous préconisons, c'est un unilinguisme institutionnel, c'est-à-dire lié aux services que l'Etat veut procurer, lié aux situations d'interface, où la majorité doit communiquer avec la minorité, mais ceci est parfaitement compatible avec un bilinguisme au niveau des individus, bilinguisme d'ailleurs que nous n'avons cessé d'encourager et que nous essaierons de rendre possible. Cette équivoque sur le bilinguisme existe un peu partout au Canada. Il n'est que de nous rappeler l'opposition qu'a affrontée la politique de M. Trudeau dans toutes les provinces du Canada pour s'en rendre compte. M. Trudeau s'en est plaint à plusieurs reprises lui aussi, parce que ce qu'il préconisait, c'est un bilinguisme institutionnel et non pas un bilinguisme au niveau des personnes. Nous retrouvons d'ailleurs un écho de ces représentations du premier ministre du Canada dans le récent livre blanc que le gouvernement du Canada vient de faire paraître. Par exemple, quand M. Roberts s'exprime ainsi: "It is not the intention of the Federal Government now, nor has it been its intention in the past, to propose a policy that would bi-lingualise the country by spreading French and English evenly across the country. Nobody, least of all the Federal Government, wants a mindless universal bilingualism in Canada. Much damage has been done to the fabric of this country by the misuse and misunderstanding of that word." Je pense que nous pourrions reprendre complètement à notre compte cette remarque de M. Roberts. A l'instar du gouvernement fédéral, ce à quoi nous pensons, c'est un unilinguisme institutionnel comme le gouvernement fédéral pense à un bilinguisme institutionnel qui est parfaitement compatible avec un bilinguisme au niveau des individus, bilinguisme qui, à ce moment-là, devient un atout, devient un instrument additionnel de progrès. Je pense qu'à plusieurs endroits, dans votre mémoire, il y a ce glissement ou cette confusion entre les deux notions.

Ce que le gouvernement veut, c'est véritablement donner à ce Québec la caractéristique principale qui exprime son identité, c'est-à-dire un unilinguisme qui exprime son identité française en tant que province, en tant que peuple, en tant que pays et pas autre chose. Ceci est parfaitement compatible avec ce que vous exprimiez au début de vos remarques, que vous voulez être des Québécois à part entière. Ceci n'empêche en rien tous les Québécois de se sentir Québécois à part entière dans le Québec. Ceci n'empêche en aucune façon le pluralisme culturel dont vous faites état aussi, dont vous avez fait état au début de vos remarques, et même il n'y a pas de plus fervent partisan que ce gouvernement actuel, il n'y a pas de plus fervent partisan du pluralisme culturel que le gouvernement actuel. Nous voulons même inciter les minorités à pousser au maximum leur potentiel caractéristique pour le plus grand bénéfice du Québec.

Vous parlez aussi, souvent, du contexte nord-américain, surtout le comité qui s'est occupé de la langue des affaires. On nous l'a assez dit depuis les débuts de la commission, qu'il ne fallait jamais oublier le contexte nord-américain. C'est une contrainte qui pèse sur toutes les provinces

du Canada et peut-être en particulier sur le pays français que constitue le Québec. Nous en sommes, mais nous ne voulons quand même pas que ce soit le contexte qui décide, qui préside aux décisions fondamentales qu'un peuple doit prendre pour assurer son identité, la développer dans toute les dimensions et atteindre à son plein développement. Le contexte ne peut jamais se substituer à la volonté d'un individu pour les décisions que seul il doit prendre pour assurer son épanouissement maximal.

Donc, même si nous avons tout le respect qu'il se doit pour le contexte nord-amérjcain, il reste que nous revendiquons la pleine autonomie de décision en ce qui concerne notre être, en ce qui concerne notre avenir. Je pense que nous sommes assez réalistes pour pouvoir aboutir à un compromis heureux entre cette volonté fondamentale qui est la nôtre, et les contraintes que peut faire peser sur nous le contexte nord-américain. De la même façon, il est peut-être très intéressant pour un touriste de considérer Montréal comme une ville cosmopolite, comme une ville bicultu-relle, mais pour nous, Montréal est d'abord la première ville du Québec, pays français. C'est d'abord dans cette perspective que nous voulons la voir, étant donné le rôle essentiel fondamental qu'elle joue dans notre développement futur, comme coeur aussi bien de notre vie culturelle que de notre vie économique et politique.

Comme beaucoup d'autres groupes, également, vous voudriez qu'on adopte plutôt la solution incitative, particulièrement dans le domaine des affaires plutôt que de recourir à des mesures que vous appelez punitives ou que vous qualifiez parfois de menaces. Je pense que la décision du gouvernement se justifie de bien des façons. La première, au point de vue juridique, au point de vue de l'équité, en mettant toutes les entreprises sur le même pied. Le fait d'adopter une politique incitative, au fond, privilégiait certaines compagnies alors qu'elle en pénalisait d'autres. Maintenant que la loi les met toutes sur le même pied, peut-être plusieurs d'entre elles trouveront-elles qu'il est plus équitable d'observer tous ensemble une loi plutôt que d'en voir certaines pouvoir tirer leur épingle du jeu plus facilement que d'autres, ce qui pourrait se traduire par des pertes sur le plan compétitif ou concurrentiel.

Cette loi n'est pas plus punitive que d'autres puisqu'elle met toutes les entreprises sur le même pied et qu'elle applique les sanctions prévues comme dans toute autre loi pour les contrevenants. Mais à l'appui de la décision du gouvernement, il y avait aussi une autre raison; c'est que, contrairement à ce que vous dites dans le mémoire, les progrès de la francisation au niveau des industries, n'ont pas été spectaculaires à ce point qu'on puisse se contenter de laisser aller les choses. D'ailleurs, ce n'est pas seulement le gouvernement qui le dit, mais là aussi, nous avons trouvé des justifications à notre position dans les déclarations de spécialistes qui connaissent bien la situation. Je m'en réfère, par exemple, à une conférence que donnait récemment M. Anthony Abbott, le ministre de la Consommation et des Corpora- tions à Ottawa, où il disait que sur les 104 plus grosses compagnies qui font des affaires au Québec, il n'y en avait que sept qui avaient un président francophone; sur les 1868 directeurs de ces compagnies, il n'y en avait que 98 francophones.

Dans 40 de ces compagnies, il n'y avait aucun francophone au niveau supérieur ou parmi les directeurs de la compagnie et, sur les 900 positions les plus élevées à l'intérieur de ces compagnies, il n'y en avait que 85 qui étaient occupées par des francophones, soit moins de 10% du total.

Donc, on ne peut pas dire que, malgré tout ce que nous avons pu entendre à ce sujet, les progrès ont été à ce point spectaculaires et, si nous avions le temps, nous pourrions apporter beaucoup d'autres études qui montrent qu'à tous les niveaux de l'entreprise, aussi bien au niveau le plus bas comme au niveau le plus élevé, il y a un effort énergique à tenter. Au niveau le plus bas, pour franciser les opérations qui ont conduit à une anglicisation subtile, mais quand même peut-être encore plus dangereuse, et, au sommet, où il y a une absence numérique de l'élément francophone qui constitue quand même 80% de la population du Québec.

Vous voulez évidemment défendre les droits des individus. Cela a aussi été notre volonté. Nous sommes aussi conscients que vous du respect qu'il faut attacher à ces droits, de la nécessité de les préserver et nous partageons avec vous cette conviction. Je suis sûr que, lorsque vous verrez la version finale du projet de loi, vous verrez que, là aussi, vous n'aviez aucune raison de douter de notre attachement aux mêmes principes et aux mêmes valeurs qui sont les vôtres.

Vous nous faites des suggestions spécifiques en ce qui concerne plusieurs aspects des projets de loi. Par exemple, vous voudriez, aux articles 25 et 27, que toute personne puisse demander, dans sa langue, les services dont elle a besoin. J'ai déjà eu l'occasion de le dire et je le répète aujourd'hui: Tout ce qui n'est pas interdit par la loi est permis. Tous les usages actuels qui ne viendront pas en contravention avec un des articles de la loi pourront continuer à prévaloir. Je pense qu'à ce moment-là, cela peut devenir un faux problème.

Vous voudriez aussi que nous révisions tout le chapitre de la loi qui concerne la commission de surveillance. Je profite de l'occasion pour vous dire que la commission de surveillance n'est pas une police linguistique telle que plusieurs articles de journaux ont tendu à la présenter. C'est simplement un organisme de surveillance, comme son nom l'indique. Elle aura à sa disposition les moyens usuels des commissions de surveillance, comme au ministère de l'Agriculture, comme au ministère des Coopératives, c'est-à-dire des inspecteurs qui iront étudier les situations qu'on voudra bien leur signaler. Et aussi, vous verrez que ces inspecteurs vont se comporter d'une façon très humaine, en se sens que, s'ils voient une contravention quelque part, si on leur signale une contravention, leurs attitudes seront souples, en ce sens qu'ils étudieront la demande. Si la demande est inutile, vexatoire, frivole, de mauvaise foi, elle ne sera pas acceptée. Si elle relève de la

Commission des droits et libertés de la personne, elle sera renvoyée à la Commission des droits et libertés de la personne ou à l'Ombudsman, si tel est le cas.

Mais si, effectivement, une contravention est constatée, la commission de surveillance demandera au contrevenant de s'amender, de réparer la situation et ce n'est qu'en face d'une mauvaise volonté évidente que la loi suivra son cours et que les infractions seront signalées au Procureur général qui, ensuite, prendra action, comme dans n'importe quelle autre situation du même genre.

Vous voudriez aussi que, pour les amendes, la loi accorde un traitement spécial à ceux qui auraient contrevenu à la loi. La recommandation que vous nous faites me semble aller à l'encontre de tout principe de droit. Je pense qu'il appartient au juge, dans chacun des cas qui lui sont soumis, de décider la part de bonne foi, d'ignorance ou de mauvaise volonté qui est liée à la commission de tel ou tel acte. Il n'appartient pas au législateur de s'immiscer dans ce domaine. Pour ma part, je préfère faire confiance à l'appareil judiciaire pour juger de la situation.

Vous nous faites également d'autres recommandations, à savoir, nommer, au Conseil consultatif de la langue française, des gens qui soient de la plus grande intégrité ou de la plus grande qualité possible. Il est bien évident que le gouvernement tente toujours de choisir les meilleurs titulaires pour ses postes extrêmement importants. Je ne voudrais pas, encore une fois, que vous nous fassiez de procès d'intention au point que vous soupçonniez le gouvernement de faire des nominations qui iraient dans le sens de préjugé que vous lui prêtez, car si tel était le cas, ce serait vraiment insultant pour ce présent gouvernement.

Je pense que pour cet organisme très important que constituera le Conseil de la langue française en particulier qui est chargé d'entendre les groupes ou les organismes qui auront des représentations à faire sur la façon dont la loi est appliquée, il est particulièrement important de trouver des hommes qui ont atteint une certaine notoriété dans la société, qui ont une expertise, qui sont reconnus pour leur respect des valeurs sur lesquelles est basée notre société, notre civilisation et soyez assurés que nous essaierons de trier sur le volet les personnes qui participeront à l'avis de cet important organisme.

Je ne voudrais pas m'étendre trop longtemps quand même sur votre mémoire, même si j'en aurais le goût, étant donné son intérêt, mais je voudrais vous dire, en terminant, que nous partageons votre conviction que, dans cette nouvelle définition des rôles respectifs de la majorité et de la minorité, nous voudrions faire en sorte, pour autant que nous sommes concernés, d'éliminer, dans toute la mesure du possible, toute trace de méfiance, de résistance de la part de tous les secteurs de la société et éliminer aussi, de notre part, toute trace d'hostilité ou d'esprit de revanche, comme on nous a souvent accusé de le faire.

Je ne crois pas qu'on puisse nous accuser de ces maux, pas plus qu'on puisse vous accuser, vous-mêmes, de résister, d'une façon délibérée, à tout changement. Je pense qu'il faut tabler sur ce qu'il y a de meilleur en nous-mêmes, aussi bien sur le plan individuel que sur le plan collectif, qu'il faut tenter, dans toute la mesure du possible, d'atteindre aux solutions les meilleures sur le plan objectif aussi bien que sur le plan social, sociologique et, par la suite, lorsque du fruit de ces efforts communs naîtra une loi qui définira la nouvelle situation, aussi bien les francophones que les anglophones, que les membres des autres minorités devront se mettre au travail pour mettre en oeuvre cet amour du Québec dont ils se réclament.

Je pense que si cette fidélité au Québec, si cet amour du Québec sont authentiques, véritables, elle nous inspirera à tous le zèle et les attitudes qu'il convient et que mérite ce développement du Québec qui nous tient tous à coeur.

Je veux vous répéter, en terminant, à quel point j'ai pris beaucoup de plaisir et d'intérêt à la lecture de votre mémoire. Je pense d'ailleurs que, comme je l'ai dit pour certains autres mémoires, on ne peut en épuiser la substance en aussi peu de temps, mais nous le tiendrons à portée de notre main pour nous y référer au besoin pour toutes les discussions ultérieures que nous aurons encore à avoir à l'occasion de ce projet de loi.

Le Président (M. Cardinal): Oui, M. Yarofsky.

M. Yarofsky: Si vous permettez juste quelques remarques, suite aux...

Le Président (M. Cardinal): Oui, monsieur.

M. Yarofsky: Premièrement, nous apprécions énormément les assurances du ministre. Je veux seulement commenter deux ou trois points soulevés dans ses remarques.

M. le ministre a parlé d'un certain pessimisme auprès des anglophones quand il traitait de la réaction au projet de loi. Je crois qu'il est important de noter que, comme le ministre lui-même l'a noté à maintes reprises durant le dialogue qui a lieu depuis un certain temps, la façon dont ceux qui sont sujets à la loi perçoivent la loi peut être aussi importante que le contenu de la loi elle-même.

Pour expliquer un peu ce pessimisme indu, je veux vous donner seulement deux exemples des dispositions dans la loi qui, pour beaucoup d'anglophones, comportent un message d'hostilité ou un message, je ne veux pas exagérer, mais pour certains, un message même de vengeance. Les deux exemples sont les suivants. Prenons les dispositions qui traitent, par exemple, de l'affichage au Québec: il semble que le message de la loi soit le suivant: On veut que les anglophones restent au Québec. On veut que les anglophones continuent à contribuer à la vie québécoise, mais quand on se promène au Québec et quand on regarde les affiches, on ne veut aucunement voir de l'anglais, parce que, si je comprends bien le texte du projet, l'anglais y est totalement interdit. Maintenant, nous comprenons que le gouvernement et l'Assemblée nationale voudraient que l'affichage au Québec reflète mieux la réalité de la société qué-

bécoise. Nous comprendrions des mesures qui auraient pour effet de garantir que, dans l'affichage, on voie le français au moins autant que d'autres langues. De là, M. le ministre, à interdire complètement l'anglais, cela pour nous veut dire: On veut que vous restiez invisibles, on ne veut pas voir, on ne veut pas se rappeler que vous êtes ici. Est-ce qu'il est vraiment nécessaire d'aller si loin pour accomplir ce que vous voulez accomplir? C'est une mesure qui, pour nous, contient le genre de message que je viens de mentionner.

Nous souhaitons que l'Assemblée repense peut-être ces mesures pour permettre aux anglophones et aux autres minorités de s'exprimer dans leur affichage, comme ailleurs, parce que nous faisons partie aussi de la réalité québécoise.

Deuxièmement, il y a la disposition qui veut —et c'est un exemple que je vous donne — que, dans les organismes municipaux ou scolaires, dans les districts et dans le contexte anglophones, on oblige les anglophones à communiquer entre eux en français. Nous comprenons mal une telle disposition, M. le ministre. Pour nous, nous ne voyons aucunement l'utilité d'une telle disposition. Pour nous, encore une fois, nous ne voyons pas la raison d'être d'une telle mesure. Nous nous disons: Pourquoi est-ce qu'on le voit dans le projet? Est-ce que c'est parce qu'on veut nous imposer certains handicaps? Est-ce que c'est parce que le législateur a une certaine vengeance à exercer? C'est simplement à titre d'exemple que je mentionne ces deux cas, ces deux mesures, pour essayer de vous expliquer pourquoi vous avez trouvé ou vous allez peut-être trouver un certain pessimisme dans la réaction de la communauté anglophone et dans d'autres communautés.

Vous avez aussi parlé, M. le ministre, de la question de francisation. Nous ne voulons pas vraiment entrer dans un débat, à savoir si le progrès a été spectaculaire ou non. Je crois que ce ne serait pas productif, mais je crois que tout le monde admet qu'il y a quand même eu un certain progrès. Personne ne va nier qu'il y a uh certain progrès. Maintenant, nous croyons que ce serait productif d'examiner les moyens les meilleurs pour accélérer le progrès au lieu d'argumenter si, oui ou non, ce serait productif, parce que je crois que, M. le ministre, vous avez vous-même dit, dans un article du Devoir, que vous n'avez pas les données précises de ce problème.

Il faut des études, il faut approfondir les études. Je crois que c'est mieux d'examiner raisonnablement les mesures vraiment appropriées et raisonnables pour faire accélérer le progrès.

Cela m'amène à la question de la correction. Il faut admettre, comme vous l'avez dit souvent, M. le ministre, qu'une loi, par sa nature même, doit être coercitive dans une certaine mesure. Mais il y a des degrés. Il y a des lois qui sont beaucoup plus coervitives que d'autres. Nous soutenons que dans le projet, tel qu'il existe actuellement, il y a trop de coercition. Dans un chapitre, on donne au gouvernement le pouvoir de priver les entreprises, non seulement de leur permis d'exploitation, mais aussi de leurs ressources, de l'électricité, etc., qui sont nécessaires à leur survie.

Dans un autre chapitre, on permet des poursuites pénales contre toute entreprise qu'on soupçonne d'avoir violé la loi. Il y a aussi tous les pouvoirs, que vous avez mentionnés, donnés aux inspecteurs. Nous vous demandons si, dans la situation actuelle, il est vraiment nécessaire d'apporter dans la loi un tel degré de coercition. De plus, nous vous demandons si la loi ne serait pas plus efficace si, jusqu'à un certain point, des mesures coercitives étaient enlevées de la loi pour que ceux qui dirigent les entreprises puissent avoir une certaine liberté de franciser de bonne foi, en s'assurant qu'ils le feront de bonne foi.

Le Président (M. Cardinal): M. Yarofsky, je vais vous demander de résumer, parce que j'ai permis quand même beaucoup de temps.

M. Yarofsky: D'accord, c'est tout ce que j'ai à dire. Si je peux juste ajouter un mot, il y a un sujet que nous n'avons pas traité et il semble, peut-être, qu'il y ait eu un oubli de part et d'autre. Il s'agit d'un groupe de citoyens particulièrement affecté par la loi et je parle des enfants handicapés. Je parle des enfants qui sont dans les écoles ou dans les institutions spécialisées. Il nous semble que le projet de loi ne tient pas compte de la situation très spéciale de ces enfants qui devraient avoir le droit d'aller dans les institutions les plus aptes à répondre à leurs besoins, quelle que soit la langue de l'enfant ou de l'institution. Nous demandons au gouvernement de se pencher sur cet aspect.

M. Laurin: Un bref commentaire sur ces trois points. Je vous remercie beaucoup de les avoir relevés, ce sont, en effet, trois points majeurs.

Je pense que nous commençons à mieux voir nos points de vue respectifs sur ces trois points majeurs. En ce qui concerne l'affichage, par exemple, nous avons un point de vue qui nous est propre. C'est que, par suite de la domination économique anglaise au Québec, il est arrivé, peut-être ne le savez-vous pas, mais je pense que vous le savez, que le visage du Québec a beaucoup plus porté la marque de cette domination économique que de ses caractéristiques culturelles propres. Ce qui fait que le Québec a été inondé, par exemple, d'affiches, même dans les villages ou les villes à très grande majorité francophone, d'affiches ou bilingues ou anglaises. Ce qui constituait une antinomie par rapport à l'identité réelle de la population.

Evidemment, en vertu du principe cartésien selon lequel, lorsqu'il y a une langue officielle, elle doit se traduire aussi bien au niveau extérieur qu'au niveau institutionnel, nous avons voulu, à des fins de concordance, à des fins également de redressement, effectuer les réformes qui nous semblaient découler, logiquement, du principe du français comme langue officielle.

Je reconnais quand même dans ce que vous avez dit un point de vue valable et soyez sûr que nous allons l'examiner avec attention.

La même chose pour les organismes municipaux et scolaires. Je pense que beaucoup de groupes ont vu dans la loi plus qu'il n'y avait.

Quand nous voulons que les organismes municipaux et scolaires communiquent en français, dans la langue officielle, c'est parce qu'elles sont des composantes de l'administration et qu'il est nécessaire que cette langue commune soit utilisée par tous les organismes qui participent à l'administration. Et ce n'est que pour ces activités, et non pas pour les autres qui touchent à la vie intime, à la vie intérieure des organismes que l'usage de la langue officielle est requis. Mais, là aussi il y a peut-être des ajustements à faire afin de tempérer ce principe et nous verrons jusqu'à quel point nous pouvons concourir à votre point de vue.

La même chose pour la coercition. Je pense que vous admettez mon point de vue et je suis prêt à admettre avec vous que le législateur pourrait peut-être réviser ses attitudes en ce qui concerne les degrés de sanction ou les types de sanction ou le nombre de sanctions auxquels il pourrait songer. J'ai déjà eu l'occasion de m'en entretenir devant d'autres groupes, mais à la suite de vos représentations, nous allons également réétudier cette question.

Quant aux enfants handicapés, il n'y a en fait que deux groupes qui nous en ont parlé. Je n'ai pas trouvé qu'il était opportun de commenter ces suggestions ici, mais soyez sûrs que je ne les oublie pas.

Le Président (M. Cardinal): Merci, M. le ministre. Parce que vraiment il va falloir, même si on peut le faire lentement, accélérer. Mme le député de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. J'espère quand même que vous aurez autant de souplesse pour l'Opposition officielle que vous en avez eu pour le parti ministériel.

Le Président (M. Cardinal): J'en ai particulièrement ce matin, madame.

Mme Lavoie-Roux: Bon! Merci. Je voudrais d'abord remercier les représentants du Comité d'action positive pour le mémoire extrêmement positif qu'ils viennent de présenter à la commission qui fait l'étude du projet de loi no 1. Je pense que votre approche est extrêmement raisonnable, pour utiliser vos termes. Elle est modérée. Peut-être, a-t-elle déjà reçu une oreille attentive de la part du ministre car je l'entends, pour la première fois, dire, que quant à la langue de l'administration dans les institutions anglaises, qu'il y aurait peut-être place pour révision ou certaines précisions; c'est la première fois que j'entends un tel propos.

De toute façon, j'espère que vous aurez convaincu le gouvernement de vos intentions et qu'on ne les interprétera pas comme on l'a fait à l'égard d'autres groupes anglophones comme un attachement au statu quo. Parce que, à bien des égards, les recommandations que vous faites sont très semblables à celles que d'autres groupes minoritaires sont venus faire à la commission.

Votre mémoire et les suggestions d'amendements qu'il contient, indiquent, d'une façon assez précise, les failles du projet de loi no 1 de même que celles du livre blanc et particulièrement de l'esprit qui sous-tend les deux. On tente de convaincre la majorité francophone, à partir d'une vision presque apocalyptique de la situation du français au Québec, que si, enfin, on arrive à une société totalement unilingue, ceci aura un effet d'entraînement sur les minorités qui, le cas échéant, s'intégreront plus volontiers à la majorité. C'est ce propos que nous avons entendu hier soir et auquel le ministre a soucrit. Je pense que c'est un leurre. Nous avons au Québec des minorités culturelles dynamiques et je ne pense pas que le fait de légiférer, à partir de mesures trancassières qui ne tiennent pas compte de réalités sociales dynamiques, va faciliter cette intégration des minorités à la majorité francophone. Ce qu'on oublie, ce ne sont pas là des minorités qui vont arriver demain. Ce sont des minorités qui sont au Québec, qui ont une histoire, histoire que le livre blanc reconnaît fort bien d'ailleurs, quoiqu'il la nie dans la réalité. Pour ma part, je pense que ce n'est pas à partir d'articles comme les articles 11, 13, 23 et 46 qui ne tiennent pas compte des réalités que nous allons arriver à faciliter cette intégration des minorités. Même si le livre blanc croit à ce miracle lorsqu'il dit que, lorsque la langue et la culture nationales ne sont pas menacées, l'existence de groupes culturels minoritaires vigoureux et actifs ne peuvent être qu'un acquis.

Je pense que c'est ignorer que les changements ne se produisent pas nécessairement à partir de lois restrictives, mais à partir bien plus d'une philosophie de main ouverte, de main tendue, et que toutes les mesures coercitives et le nombre de fonctionnaires qui vont être en place pour s'assurer que tout le monde obéit bien à la loi, même dans les détails, créeront beaucoup plus de résistance qu'ils ne vont apporter de collaboration.

Vous avez mentionné vos appréhensions particulièrement quant aux articles 23 et 46. Le ministre vient d'ouvrir la porte, je m'en réjouis, mais je pense que lorsqu'il dit que certaines précisions seront apportées et qu'il ne s'agit que de la langue de l'administration, ce qu'il oublie, c'est que l'administration, par exemple, d'une commission scolaire, ce ne sont pas uniquement les rapports de la commission scolaire avec le ministère de l'Education, ce à quoi je ne m'oppose pas à ce qu'ils se fassent en français, mais qu'ils impliquent aussi d'autres niveaux d'administration. Il y a une administration à l'intérieur des écoles et elle doit communiquer avec l'administration centrale qui est leur commission scolaire. Je ne vois pas beaucoup non plus que, par exemple, deux commissions scolaires à majorité anglophone, comme le Lakeshore et le PSBGM, soient demain matin — non il y a quand même un délai prévu — soient, d'ici 1983, obligées de communiquer strictement en français. De toute façon, nous attendrons les précisions du ministre là-dessus.

Il vous dit également qu'il y a une communauté anglophone, que vous n'avez pas raison d'être pessimistes. Mais je pense que ce qui est prévu à l'article 51 nie dans les faits l'existence de cette communauté anglophone et, pas plus tard

qu'hier soir, il s'efforçait de démontrer à un groupe que la migration des autres provinces vers la province de Québec justifiait les restrictions imposées à l'admissibilité à l'école anglaise, même des anglophones venant des autres provinces. D'ailleurs, ceci, pour moi, m'est toujours apparu en contradiction avec les données démographiques auxquelles on fait allusion, dans le livre blanc, dans lequel on dit, entre autres choses, que la fraction des Britanniques risque de devenir infime au Québec et même à Montréal. En dépit de cela, on semble vouloir continuer de faire la preuve que l'intégration des anglophones venant des autres provinces serait une menace pour les francophones, alors que tous les groupes qui sont venus ici, qu'ils soient francophones ou anglophones, ont vraiment fait la démonstration qu'il s'agissait beaucoup plus d'un problème de transfert linguistique du secteur francophone au secteur anglophone et de l'intégration d'immigrants non anglophones au secteur anglophone des différentes commissions scolaires qui ont créé ou qui pourraient créer ce problème de déséquilibre démographique entre les deux groupes linguistiques du Québec.

Il y a une seule question que je voudrais vous poser pour laisser la chance à mes collègues. En page 17, si je ne m'abuse, vous soulevez le problème de l'anxiété que crée ce projet de loi pour les bénéficiaires des services sociaux. Je pense que c'est une préoccupation qu'on doit avoir, mais qu'est-ce qui vous fait croire, dans la loi, que ces personnes ne pourraient pas être servies dans leur langue maternelle ou d'origine dans la mesure du possible?

M. Yarofsky: II n'y a rien de précis dans la loi qui soit à la source de cette inquiétude. C'est plutôt une omission, si vous voulez. Parmi la population dont on fait mention ici, il y en a beaucoup qui ont peur. Il y a un seul article, c'est l'article 25, je crois, qui se lit comme suit: Les services de santé et les services sociaux, les entreprises d'utilité publique et les ordres professionnels doivent offrir leurs services au public dans la langue officielle.

Ils doivent également utiliser la langue officielle pour s'adresser à l'administration."

Article 26: "Tout intéressé peut exiger des services de santé, des services sociaux et des entreprises", etc. Les gens ont peur en lisant les articles, étant donné qu'il n'y a aucune garantie qu'ils pourront continuer à avoir les services sociaux dans la langue anglaise; ils ont peur qu'une interprétation soit donnée à ces articles pour les empêcher de continuer à avoir ces services. Tout ce que nous suggérons dans notre mémoire, c'est qu'on ajoute une garantie pour faire face à cette inquiétude.

Mme Lavoie-Roux: C'est davantage au niveau des perceptions, comme vous le signaliez au début. Je pense qu'il y a plusieurs autres articles qui prêtent à ces appréhensions, le ministre a tenté de nous rassurer là-dessus. Je partage votre point de vue. Il est important aussi, pour obtenir la collabo- ration de tout le monde, qu'on essaie de réduire le plus possible ces appréhensions qui ne sont peut-être pas justifiées dans les faits. Il va y avoir un gros travail à faire, parce qu'il va falloir convaincre le gouvernement que le mot anglais n'est pas devenu un mot tabou. Si vous remarquez, dans la loi, on l'utilise le moins possible. Cela rejoint un peu le raisonnement que vous faisiez au point de vue de l'affichage il y a quelques instants.

Je vous remercie, encore une fois.

M. Yarofsky: Je voudrais juste ajouter qu'il ne faut pas oublier que, quand on parle des gens qui se fient aux services sociaux, on parle souvent des gens qui sont les plus faibles de notre société. Pour eux, je crois que c'est très important d'avoir une garantie pour que cette inquiétude puisse disparaître.

Mme Lavoie-Roux: Là-dessus, je voudrais ajouter que je partage votre point de vue vis-à-vis des personnes qui sont les plus faibles dans notre société. Cela me rappelle l'incident qui s'est produit à l'Assemblée nationale touchant les employés occasionnels, de qui on exigeait qu'ils parlent français à l'avenir. Ce qu'on oublie, c'est que ces gens-là, même si on dit qu'ils ont à leur disposition tel tribunal, l'Ombudsman, etc., sont des gens qui, de leur propre initiative, vont difficilement faire appel à tous ces moyens. Ces gens doivent être protégés car on sait fort bien que, souvent, ils ne se sentiront pas capables de prendre une telle initiative.

Je me souviens du ministre des Transports qui a dit: Amenez-moi un seul cas! Ces gens se plaindront difficilement, ils resteront chez eux, ils ne diront rien. C'est ça qu'il faut prévenir, je pense.

Le Président (M. Dussault): Merci, Mme le député de L'Acadie. M. le député de Gaspé.

M. Le Moignan: Merci, M. le Président. J'ai été aussi favorablement impressionné par le sérieux et la profondeur de l'étude de votre mémoire. Vous faites allusion, une certaine référence à des points qui ont été déjà débattus devant cette commission, qui ont été apportés par d'autres groupes. Comme Mme le député de L'Acadie vient de le mentionner, il n'y a aucun doute que le ministre semble tenir compte de vos suggestions, semble rassurer ceux qui diffèrent d'opinion avec lui.

On sent très bien ce matin qu'en vous écoutant, le ministre n'a peut-être pas l'intention de chanter, comme il l'a fait avec d'autres groupes: Enfin, la parenté est arrivée. Je comprends très bien les idées du ministre qui doit appliquer le projet de loi no 1. Le ministre a pris connaissance du projet de loi no 22. Il y a des petits points sur lesquels j'aimerais être éclairé. Vous vous dites favorable à l'objectif fondamental, mais, tout de même, au long de votre mémoire, vous apportez des suggestions, des corrections, des modifications. Si vous reconnaissez que le français est la langue normale et habituelle du Québec, vous semblez ne pas accepter que par extension, il devienne la langue exclusive de l'Etat et de la loi.

En somme, le projet de loi no 1 marche dans ce sens.

Et quand le ministre a parlé d'unilinguisme institutionnel et qu'il a fait allusion au bilinguisme de M. Trudeau — j'ai regardé votre mémoire un peu en vitesse — il me semble que vous proclamez plutôt le bilinguisme institutionnel. Est-ce que vous pourriez commenter ce point?

M. Yarofsky: Me Robertson va répondre à votre question.

M. Robertson: Je crois, M. le Président, qu'il est trop facile de dresser une distinction nette entre l'unilinguisme institutionnel et le bilinguisme personnel. Le gouvernement ne fonctionne pas que dans le contexte d'une collectivité d'individus et l'individu n'agit et ne vit que dans la collectivité.

Ce que nous préconisons n'est pas le contraire de l'unilinguisme institutionnel, mais comme le ministre lui-même l'a dit, hier, le juste milieu. Pour ce qui est de la loi de l'Assemblée nationale et les tribunaux, je crois que certains droits et traditions sont installés depuis plusieurs années au Québec. Je crois que ces droits et traditions qui protègent les droits de la minorité anglophone ne nuisent pas à la prééminence de la langue française, ni dans l'application des lois, ni dans la vie de la collectivité.

Mais je ne crois pas non plus que pour assurer la réussite et la survie de la langue française, on doive briser si abruptement cette tradition qui dure depuis des années. Je crois que l'accès aux tribunaux dans sa langue maternelle, qui est une tradition et un droit acquis au Québec est tellement précieux qu'on ne peut pas légèrement le mettre de côté.

C'est la même chose relativement aux débats parlementaires et à l'adoption des lois. La confusion historique sera peut-être solutionnée en permettant une interprétation d'une loi publique contenant deux versions, une française et une anglaise. Cette façon favoriserait mieux les libertés personnelles. Mais rendre le texte français d'une loi officiel et le seul texte officiel, est, je crois, non seulement un changement, mais une rupture avec une tradition équitable qu'on ne peut pas accepter. C'est dans ce sens que nous n'acceptons pas l'idée d'un unilinguisme institutionnel.

Que la langue française soit la première langue, la langue commune au Québec, nul ne peut contester. Mais dans des domaines très spécifiques comme l'accès aux tribunaux, les jugements rendus par des juges anglophones, les textes législatifs, je crois que nous avons une tradition précieuse à conserver.

M. Yarofsky: M. le député, votre question semble avoir provoqué une réaction. Notre coprésident, le professeur McCall, aimerait bien vous répondre aussi, si on le lui permet.

M. McCall (Storrs): M. le député, si je puis ajouter un mot sur le bilinguisme personnel, le bilinguisme que nous recommandons, ce n'est pas l'obligation de tout le monde de parler les deux langues. C'est plutôt le droit de chacun de parler sa propre langue. C'est une distinction assez nuancée, si je peux comprendre, mais c'est actuellement notre position sur le bilinguisme.

M. Le Moignan: C'est parce qu'aux pages 14 et 15, vous ne faites pas tellement état du statut des langues, mais vous mentionnez la langue courante. La langue courante, par exemple, de l'Etat, de l'enseignement, etc.

Dans votre vocabulaire, la langue courante, évidemment, s'agit-il du français ou s'agit-il des deux langues? Vous mentionnez la langue courante.

M. Yarofsky: La langue courante, c'est le français, M. le député, pour nous.

Je crois que la langue commune au Québec et la langue courante, c'est le français, sauf que, dans certains domaines, il faut, quant à nous, préserver le droit et l'opportunité aux anglophones et aux autres de parler leur propre langue, mais nous souscrivons entièrement à l'objectif qui veut que la langue française devienne la langue commune et prééminente du Québec.

M. Le Moignan: Même à Pointe-Claire?

M. Yarofsky: Pardon?

M. Le Moignan: Même à Pointe-Claire?

M. McCall: II ne faut pas que tout le monde soit forcé de parler les deux langues, ce n'est pas notre position.

M. Ciaccia: Ce n'est pas une scission dans le caucus, M. le député de Gaspé, non?

M. Le Moignan: Non, je défends les intérêts de Pointe-Claire.

Une Voix: ...au Forum, monsieur.

M. Le Moignan: Vous avez parlé du monstre administratif — vous ne l'avez peut-être pas dit dans ces termes-là — avec justement l'office qui va régir tout cela. Je comprends que vous ayez les mêmes inquiétudes en pensant aux fonctionnaires. Allez-vous suggérer quelque chose pour remplacer cet office, quelque chose de plus concret, de plus positif?

M. Robertson: La seule chose que nous ayons suggérée, M. le député, c'est que l'Office de la langue française et le Conseil consultatif de la langue française, ainsi que le Comité de surveillance et tous les autres organismes prévus par la loi soient regroupés dans un seul service, que celui-ci soit concentré et limité en personnel et en activités et assujetti à un contrôle à la fois structurel et économique par le gouvernement pour éviter la multiplication des services. Dieu sait, je crois que nous avons assez, suffisamment d'administrations publiques, aujourd'hui, pour que ce ne soit pas nécessaire de créer un autre organisme.

Avec les pouvoirs qui figurent à l'article 75, je crois, de la loi, l'Office de la langue française, muni d'un personnel adéquat, peut remplir toutes les fonctions qui sont accordées aux autres organismes et c'est simplement à cause de notre désir, si vous voulez, de rationalisation de l'aménagement administratif que nous suggérons qu'ils soient regroupés pour éviter que ces tâches et son étendue augmentent, croissent tous les ans.

M. Le Moignan: J'aurais une dernière question. Evidemment, nous sommes d'accord avec vous pour la langue des anglophones dans les écoles et les immigrants qui sont déjà ici installés au pays et, à un moment donné, vous seriez favorables à la liberté pour les parents de choisir leur école, mais, les futurs immigrants qui ne sont pas anglophones, vous les verriez très bien à l'école française? Vous êtes d'accord avec le principe de la loi à ce moment-là? Les immigrants qui ne sont pas anglophones, les futurs immigrants seraient normalement intégrés dans les écoles françaises pour la langue de l'enseignement.

M. Yarofsky: M. le député, notre position, c'est la suivante: nous ne sommes pas du tout confortables avec toute dérogation du principe du choix par les parents. Nous ne pouvons pas être à l'aise avec une politique qui déroge au libre choix.

Par contre, nous reconnaissons, si l'Assemblée nationale décide que la menace aux francophones, à la population francophone est telle qu'il faut enlever ce choix aux futurs immigrants non anglophones, que l'Assemblée nationale le fasse. Ne me demandez pas d'être heureux ou content, parce qu'en principe, je crois que tout le monde serait d'accord avec le principe du libre choix. Par contre, si l'Assemblée nationale décide de déroger à ce choix en dirigeant les futurs immigrants non anglophones aux écoles françaises, nous prétendons que c'est tout ce qui sera nécessaire, que des mesures autres que celles-là ne seraient pas nécessaires pour faire face au problème perçu par la majorité. Je crois que c'est là notre position.

M. Le Moignan: Mais si on assurait aux futurs immigrants cette possibilité de recevoir une bonne formation tout de même dans la langue seconde ou la langue anglaise, à ce moment-là, seriez-vous plus rassurés?

M. Yarofsky: Plus...

M. Grenier (Louis): Je pense qu'on serait plus rassurés, mais il y a une question pratique là-dedans. Si on veut recruter, par exemple, dans les cadres techniques, des gens, s'ils viennent de pays anglophones et que les enfants ont déjà une éducation anglophone, ou s'ils viennent de pays allophones, mais où la langue seconde est un anglais assez bien parlé, les parents perçoivent qu'il sera plus facile d'intégrer les enfants dans le nouveau pays à travers un système anglais, et c'est naturel. Maintenant, avec le visage de la province de Québec qui change et qui devient de plus en plus français, il sera normal que ces gens, s'ils déci- dent de rester d'une façon permanente au pays, tranquillement, passent de l'anglais au français, parce qu'ils voudront que leurs enfants participent à la vie de la communauté et qu'ils ne soient pas isolés. C'est un peu une question pragmatique ici et un peu individuelle.

M. Le Moignan: Je vous remercie. Je pense que M. le Président voulait indiquer...

Le Président (M. Cardinal): Vous avez largement dépassé le temps. M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: Merci, M. le Président. Je veux remercier le groupe du Comité d'étude sur la langue du travail d'abord, et aussi le Comité d'action positive lui-même de ce mémoire et de la façon dont il a réagi aux remarques des différents députés et en particulier du ministre. Vous avez demandé au ministre si, actuellement, une loi aussi coercitive est nécessaire. Je ne pense pas que le ministre vous ait donné une réponse spécifique à cette question. Quant à moi, je pense que, de plus en plus, à mesure qu'on voit se dérouler devant nous la réalité québécoise, à mesure qu'on voit jusqu'à quel point le livre blanc ne mérite pas son nom, qu'il se destinait strictement à être un tableau nécessaire pour supporter le choix politique du gouvernement, je pense que, de plus en plus, on s'aperçoit que la coercition n'est pas nécessaire. De plus en plus, on s'aperçoit que le gouvernement a manqué à ses responsabilités en ne faisant pas l'inventaire de la situation du français au Québec en 1977, la situation après la commission Gendron et après la loi 22. Des gens sont venus hier soir. Ils nous ont présenté une étude que quelques-uns ont rejetée cavalièrement, du revers de la main, mais qui, au moins, se voulait un effort que le gouvernement aurait dû faire lui-même pour évaluer les conséquences socio-économiques d'un tel projet de loi.

Vous soulevez des questions, je pense, que plusieurs autres ont soulevées. Veuillez croire que je ne vous reproche pas de le faire. C'est notre devoir ici d'écouter tous ceux qui ont l'intention de venir s'adresser à nous, et même si plusieurs soulèvent les mêmes questions, nous n'en sommes pas blasés, au contraire. Je pense que c'est de nature à éclairer davantage le gouvernement. Vous lui reprochez le dirigisme et la coercition qui sont les conséquences directes du choix du gouvernement de recourir à l'unilinguisrne dans une société pluraliste. Comment voulez-vous imposer l'unilinguisme dans une société pluraliste, sinon en la forçant et en tombant dans l'odieux que cette loi comporte, c'est-à-dire de forcer des gens à parler une autre langue. Ce qu'on doit faire, c'est créer une situation où cela devient profitable, où cela devient nécessaire de parler une langue, en l'occurrence la langue française. C'est ce que la Loi sur la langue officielle tentait de faire. Je ne pense pas qu'il n'y ait que deux choix, le bilinguisme institutionnel ou l'unilinguisme institutionnel. Je pense qu'il y en a un autre: la promotion du français, tout en reconnaissant des droits, comme la

Commission des droits de la personne, d'ailleurs, l'a dit au ministre dans son mémoire, en les reconnaissant, soit dans la Charte des droits et libertés de la personne, ce serait le désir de la commission, soit dans la loi linguistique, en définissant les droits des minorités. C'est faux de dire qu'il n'y a que deux choix: l'unilinguisme institutionnel ou le bilinguisme institutionnel. Il y en a un troisième. C'était le choix que la loi 22 avait fait.

Je vais m'en tenir à ces remarques, étant donné que je n'ai pas beaucoup de temps. Soyez sûrs, toutefois, que, surtout — parce que c'est peut-être ce qui m'intéresse davantage — votre mémoire, concernant la langue du travail, va nous servir, quant à nous, députés de l'Opposition — et je suis sûr aussi, au gouvernement, le ministre nous en a assurés — beaucoup à nous former un jugement sur des amendements à apporter. Le ministre a dit à plusieurs reprises que l'article 172 n'était là que pour provoquer la discussion. Je trouve que c'est une énormité épouvantable que de dire cela de la part d'un gouvernement responsable, mais, quand même, prenons une attitude optimiste. Si l'article 172 était là pour provoquer la discussion, imaginez-vous quelle est la valeur de tous les autres articles. On peut être optimiste, et ils peuvent être changés.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Merci, M. le Président. Je voudrais premièrement remercier nos invités, non seulement pour leur mémoire, mais aussi pour la façon avec laquelle ils ont répondu aux questions du parti ministériel et des partis de l'Opposition. Cependant, M. le Président, et spécialement à l'égard d'un mémoire comme celui du Positive Action Committee, j'ai souvent l'impression, et je ne voudrais pas l'avoir, je voudrais réagir aussi positivement qu'eux, mais j'ai l'impression que nous sommes engagés dans un dialogue de sourds. Les témoins viennent ici, ils relèvent des points, des articles de la loi. Ils sont préoccupés par certaines tendances qu'ils voient, par un certain esprit, par certains articles particuliers et on semble du côté ministériel, M. le Président, ignorer totalement ce qui est dit. On donne une telle interprétation aux articles que, parfois, je me demande si j'ai le même projet de loi devant moi que le ministre. De la façon dont il interprète ces articles, si j'ai le même projet de loi... parce qu'il y a de la coercition, il y a des articles impératifs et le ministre continue à dire: Ne vous inquiétez pas... Il ne dit pas que les articles vont être amendés, sauf qu'il a ouvert la porte un peu, après que tant de groupes, même le Barreau et la Ligue des droits de l'homme, aient mentionné l'article 172. Il n'avait pas le choix relativement à cet article.

Vous avez souligné beaucoup d'autres articles. Il vous a même dit que vous aviez écrit ce mémoire après le livre blanc et que si vous deviez le récrire aujourd'hui, vous l'écririez différemment. Puis-je vous demander si le mémoire que vous nous présentez aujourd'hui porte particulièrement sur le projet de loi et si c'est quelque chose sur lequel vous changeriez d'idée?

M. McCall: C'est particulièrement sur le projet de loi, M. le député.

M. Ciaccia: Pourrais-je vous demander, quand vous parlez des... non, mais vous riez, M. le député de Papineau.

M. Laplante: Non, mais n'oubliez pas que vous avez la presse francophone ici aussi.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, messieurs, à l'ordre! Un instant, M. le député de Mont-Royal. Je vous laisse continuer parce que rien dans ce que vous dites n'est un accroc aux usages de l'Assemblée nationale. Cependant, je ne voudrais pas qu'un débat s'ensuive. Veuillez poursuivre, s'il vous plaît.

M. Ciaccia: Ce n'est pas mon intention, M. le Président, de susciter un débat. Je voudrais vous demander si, à la lumière de la réponse du ministre sur les articles que vous avez relevés, vous êtes d'accord, comme principe de loi, que vous avez le droit de faire tout ce qui n'est pas explicitement prohibé. Ou doit-on regarder l'esprit de la loi et le comparer à la lettre de la loi? Autrement dit, si la lettre de la loi est tellement restrictive et, de mon point de vue, comme vous l'avez souligné dans plusieurs articles, intolérable, l'esprit de la loi, tel que le ministre voudrait le définir, peut-il être un esprit de tolérance et de liberté?

M. Yarofsky: Pour répondre à votre question, il y a un principe de loi publique qui veut que tout ce qui n'est pas interdit soit permis. Par contre, il y a d'autres principes dans le domaine de l'interprétation des lois. Il y a un principe qui veut qu'on interprète certains articles d'une loi par d'autres articles de la loi. Je crois qu'on peut obtenir des réponses différentes en appliquant ce principe plutôt que celui selon lequel tout ce qui n'est pas interdit est permis. Ce n'est pas le seul principe qui existe. Il y a d'autres principes qui veulent que, quand on traite un sujet, et on fait une règle là-dessus, on soit censé avoir traité exclusivement ce sujet: c'est le principe exclusio unius. Les avocats de la commission pourraient peut-être l'expliquer mieux que moi. Finalement, M. le député, comme je l'ai dit tout à l'heure, il y a la perception de la loi qui est tellement importante.

Je crois qu'il ne faut jamais oublier que l'esprit de la loi et la manière dont les gens vont comprendre l'attitude du législateur surtout ce que sous-tend la loi est tellement important qu'il ne faut pas s'arrêter tout simplement au principe voulant que tout ce qui n'est pas interdit est permis. C'est beaucoup plus nuancé que cela. Je pense que c'est la meilleure réponse que...

M. Ciaccia: Une dernière question, M. le Président. Quand vous parlez du bilinguisme, le ministre vous a cité quelques déclarations du secré-

taire d'Etat, M. Roberts. Apparemment, celui-ci disait que ce n'était pas son intention qu'il y ait du bilinguisme dans tout le pays, dans le sens que le ministre l'a mentionné, mais ne croyez-vous pas que la situation, ici au Québec, n'est pas la même que celle dans les autres provinces? Spécifiquement, je voudrais dire ceci: Nous avons déjà ici un système. Nous avons un genre de bilinguisme. Le projet de loi tenterait-il de détruire ce bilinguisme, qu'on l'appelle institutionnel ou personnel? C'est un système qui nous a bien servis, mais le projet de loi irait-il à l'encontre de ce genre de bilinguisme qui, jusqu'à maintenant, a servi notre société et dans lequel on pourrait prendre d'autres avantages dans l'avenir?

M. Bertrand: C'est parfait.

M. Yarofsky: Je ne veux pas trop entrer dans ce sujet. Tout ce que je veux dire est ceci: Evidemment, la situation de la minorité anglophone n'est pas la même que la situation des minorités francophones dans les autres provinces. Je tiens à vous dire que nous avons, dans notre mémoire et dans les faits, déploré — je veux que vous en soyez certain — il y a certaines injustices dans les autres provinces envers les minorités francophones et nous avons déploré ces injustices. Tout dernièrement, nous avons — le Comité d'action positive — envoyé un télégramme au premier ministre de l'Ontario en ce qui concerne, par exemple, l'accès aux tribunaux en Ontario pour des francophones, dans le cas Filion, mais nous avons peur...

Il ne faut pas, à partir des injustices qu'on perçoit dans d'autres provinces, en faire payer le prix aux anglophones du Québec. Ce n'est pas nous qui sommes responsables de certaines injustices dans les autres provinces et, encore une fois, sous l'angle de la perception, nous avons peur, jusqu'à un certain point, qu'on se serve de nous, ici au Québec, comme instruments de vengeance pour les injustices dans les autres provinces.

Nous sommes sûrs que l'Assemblée nationale ne voudra pas être motivée par un esprit de vengeance en légiférant et nous ne vous disons pas que c'est le cas. Je vous dis tout simplement qu'au niveau de la perception, il y a cette crainte...

Le Président (M. Cardinal): Brièvement, M. le député de D'Arcy McGee.

M. Goldbloom: Une seule question, M. le Président. J'aimerais que le Comité d'action positive réagisse à une des affirmations du ministre qui a dit que la loi doit être coercitive dans le secteur du travail, de la langue du travail parce que c'est plus juste quand la loi est rigoureuse à l'endroit de tout le monde et parce que des programmes incitatifs ont tendance à créer des inégalités et des injustices.

Il me semble que, s'il s'agissait d'une action qui, par sa nature, serait contre la collectivité, on pourrait justifier l'application rigoureuse d'une loi coercitive, mais, à cette époque où le Québec est en train de se franciser, il me semble qu'une telle action, c'est-à-dire qu'une entreprise traîne la patte pendant que d'autres se francisent, cela serait plutôt une action contre elle-même.

J'aimerais avoir votre réaction à cette déclaration du ministre.

M. Yarofsky: M. Grenier va répondre à cette question.

M. Grenier (Louis): II n'y a pas de doute qu'il faut tenir compte des circonstances particulières. Alors, une loi qui s'adresse de la même façon à tout le monde, même avec l'article 113, il y a tellement de circonstances particulières dans chacune des industries. Si on prend une industrie manufacturière au Québec par rapport à une industrie de service qui s'adresse à l'ensemble du Canada ou qui fonctionne au niveau international, les aspects de la loi qui donnent les mêmes principes pour tout le monde et avec les mêmes pénalités, la même surveillance, qui oblige à la même identification et la permission de l'Office de la langue avant de demander une autre langue pour le candidat qui viendra occuper un poste, en particulier, ce sont tous des aspects qui nous semblent tellement arrêtés d'une façon brusque que c'est difficile de tenir compte des réalités dans l'ensemble.

Deuxièmement, l'encouragement. Comme vous l'avez mentionné, M. Goldbloom, aujourd'hui, il n'est pas possible pour une industrie de rester strictement au niveau anglophone, ce qu'on percevait il y a 20 ans, il y a 30 ans. Une industrie qui fonctionne au niveau manufacturier, au niveau général dans la province même, ce n'est plus possible. On n'a pas besoin de forcer personne pour cela, ce n'est plus possible de le faire.

Le Président (M. Cardinal): Si les partis d'Opposition permettent que j'accorde la même générosité au parti ministériel que j'ai accordée à chacun, je permettrais une très brève, mais très brève intervention du député de Rosemont avant que nous ne terminions cette audition.

M. Paquette: Merci, M. le Président. J'aimerais remercier les membres du Positive Action Committee pour leur mémoire et aussi pour leur attachement au Québec. Je pense qu'ils se sont placés dans l'optique où le Québec était leur pays autant que celui des membres de la majorité francophone, mais nous sommes d'accord avec cette optique-là. Cependant, je vais simplement, puisque je n'ai pas le temps, me borner à vous poser une question. Dans votre mémoire, vous commencez par dire qu'un tel projet de loi n'est pas nécessaire parce que la situation s'est améliorée, mais vous dites: Puisque le gouvernement a décidé de légiférer, nous allons lui faire des amendements à son projet de loi. Vous nous en proposez 150. A 150 articles, il y a des amendements, qui nous ramènent, à mon avis, pas mal au niveau de la loi 22. Ici, je suis d'accord avec le député de Marguerite-Bourgeoys. Ce n'est ni l'unilinguisme institutionnel, ni le bilinguisme institutionnel, c'est le français langue prioritaire et l'anglais langue

seconde disponible à tous les gens de langue maternelle anglaise. Vous nous avez dit tout à l'heure — attendez que je le retrouve — qu'il s'agit du droit pour chacun de parler sa langue et non de l'obligation pour tous de parler les deux langues. Je pense que c'est incompatible. Tout le monde ne peut pas avoir le droit de parler sa langue si on ne fait pas l'obligation à certaines personnes d'être bilingues.

Alors, je pense que c'est la différence fondamentale entre votre mémoire et le projet de loi. Le projet de loi dit: Nous voulons que dorénavant, avec des périodes d'adaptation, comme dans tous les pays du monde, ce soit la minorité qui porte le fardeau du bilinguisme, les membres de la minorité puissent parler anglais et français de façon que tous les francophones puissent, par exemple, travailler en français. Est-ce que j'interprète bien l'essentiel de votre mémoire? J'ai l'impression que la différence fondamentale est là. Par exemple, quand vous dites, dans les services anglophones, réservés à la communauté anglophone jusqu'à maintenant, les hôpitaux, les maisons d'enseignement: II ne faut pas exiger l'usage du français, ou quand vous demandez à tous les citoyens anglophones de pouvoir communiquer ou à ces organismes de pouvoir communiquer dans leur langue, en anglais, avec l'administration publique, vous mettez en même temps l'exigence, pour un très grand nombre de postes, sur ces gens-là d'être bilingues... Alors, je pense que c'est faux de dire que vous voulez laisser le droit pour chacun de parler sa langue. Vous allez, par vos recommandations, augmenter considérablement le nombre de postes bilingues nécessaires du côté, en particulier, des francophones.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Rosemont, je vais laisser le soin à nos invités de répondre. Je les inviterai, cependant, à le faire brièvement. Vraiment l'audition commençait à 10 h 23, nous avions 90 minutes, il est 12 h 5, alors, il y en a d'autres qui doivent venir au cours de la journée. S'il vous plaît, Me Yarofsky ou Me Grenier.

M. Grenier: Si on parle de langue commune, de langue courante, il est sûr que l'obligation est beaucoup plus du côté anglais de devenir bilingue que du côté français; il n'y a pas de doute dans notre esprit.

Mais si on parle de la seule langue possible et qu'on veut franciser, au niveau institutionnel, les institutions qui sont anglaises au départ, on a les mêmes problèmes que ceux qu'on a soulevés tout au long des mémoires. C'est une nuance très fine, mais elle est là.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. Alors, MM. Robertson, Hampson, Grenier, McCall, Pater-son et Yarofsky, merci de cette longue patience en ce jour si chaud avec nous à Québec. Merci pour votre mémoire et merci aussi aux députés pour leur collaboration, dans le cas où, vraiment, on a présumé, comme je le disais au début, qu'il y avait consentement unanime pour que nous prenions le temps. Il faudrait cependant que je n'établisse pas un précédent qui pourrait se répéter à chaque mémoire.

Merci, et j'appelle immédiatement le prochain organisme.

M. Yarofsky: C'est nous qui vous remercions et surtout pour la souplesse et l'indulgence que vous nous avez apportées ce matin.

Comité anglophone pour un Québec unifié

Le Président (M. Cardinal): Le Comité anglophone pour un Québec unifié, mémoire no 186.

Mêmes règles du jeu, si vous voulez bien identifier votre organisme et ses représentants, s'il vous plaît.

Approchez votre micro, s'il vous plaît.

Mme Collier (Lynda): M. le Président, madame et messieurs, je vous présente mes collègues, M. Gary Caldwell, M. Henry Milner, M. Stefan Muzynski et moi-même, Lynda Collier. On représente un groupe d'anglophones qui ont voulu participer au débat sur la question linguistique. En tant qu'anglophones voués à l'unité du Québec, nous avons choisi de nous expliquer pour les raisons suivantes — c'est une déclaration de nos principes — afin que l'on sache qu'il y a des anglophones qui reconnaissent le droit du Québec à l'autodétermination et qui appuient une politique de francisation qui soit juste et efficace; pour faire valoir le fait que la francisation, bien qu'essentielle à l'unification du Québec, doit s'accompagner de garanties de sécurité d'emploi pour la minorité anglophone et son recyclage linguistique; pour affirmer que la francisation doit être rapidement suivie de changements majeurs sur le plan social et économique, sans quoi elle ne sera, tant pour les francophones que pour les anglophones, qu'une promesse creuse qui ne modifiera en rien les fondements structurels du pouvoir politique et économique.

Nous ferons une présentation verbale un peu abrégée de notre mémoire déposé devant la commission. Je vais commencer et, ensuite, je passerai la parole à mes collègues, Stefan Muzynski et Henry Milner.

Les media donnent l'impression, depuis quelques semaines, que les anglophones du Québec sont unifiés derrière leurs "leaders" du monde des affaires et de l'éducation dans leur opposition au bill no 1. Cela est nettement faux. Notre groupe, le Comité anglophone pour un Québec unifié, appuie une politique juste et efficace de francisation du Québec.

Pour exposer clairement, dès le départ, notre position, mentionnons que, selon nous, les francophones du Québec constituent une nation; si, pour certains, cela va de soi, il y a un grand nombre de Canadiens anglais qui n'endossent pas cette position. Une nation se distingue d'un État en ce que ce dernier n'est qu'une entité légale, tandis que la nation est une entité sociale.

C'est une communauté humaine formée sur les bases d'une langue et d'une culture communes, d'une expérience économique et historique et d'un territoire commun. Il existe incontestablement une nation québécoise et, en tant que telle, elle devrait avoir droit à l'autodétermination. Nous croyons que le renforcement de la langue et de la culture nationales est essentiel au renversement des barrières et, partant, à l'établissement de la solidarité nécessaire à la réalisation de transformations plus fondamentales.

Les événements de ces derniers mois ont montré qu'une bonne partie de l'élite économique anglophone du Québec est opposée à la politique de francisation. Pour comprendre cette réaction, il est nécessaire de connaître le rôle que ce petit groupe a joué dans la société québécoise. La conséquence la plus importante de la conquête de 1759 fut le remplacement de l'élite économique française par un petit groupe d'anglophones qui en vint à dominer l'économie de cette portion du continent nord-américain. Cette élite s'est transformée pour s'adapter aux nouvelles conditions au cours des deux derniers siècles, sa forme la plus récente étant l'entreprise américaine. Mais ce qui n'a pas changé, c'est le contrôle effectif de l'économie du Québec par l'élite anglophone.

Il ne fait aucun doute que l'élite anglophone du Québec a su se maintenir dans une position privilégiée grâce à son pouvoir économique, celui-ci se reflétant et se renforçant par la prédominance de la langue anglaise. Nous pensons, en outre, qu'un tel privilège est injuste pour la vaste majorité des Québécois, tant francophones qu'anglophones, et il doit être aboli.

En conséquence, nous nous élevons contre les déclarations d'autres groupes anglophones qui, après avoir souscrit à l'idée que le français devrait être la langue commune au Québec, s'opposent à toute tentative de modification véritable du statu quo. Nous croyons que le statu quo doit être modifié si nous voulons remédier à la situation aberrante du Québec, et c'est parce que nous croyons en une modification progressive de la société que nous appuyons cette politique. Nous percevons la francisation comme étant un pas dans cette voie. Toutefois, nous ne soutenons pas pour autant le maintien ou l'essor d'une élite francophone.

Contrairement à d'autres groupes anglophones, nous croyons que les appels émotifs lancés au nom desdits "droits acquis de la minorité" et de la sauvegarde de la minorité anglophone en tant qu'entité culturelle sont injustifiables lorsqu'ils sont motivés par un désir de maintenir les privilèges d'une élite. Les droits humains fondamentaux doivent toutefois être protégés.

Certains groupes ou individus ont avancé que le bill no 1 obligerait les anglophones à quitter le Québec; d'autres ont déclaré que la communauté anglophone sera étouffée, qu'elle dépérira. Etant donné la prédominance de l'anglais en Amérique du Nord, nous ne trouvons pas valable l'argument selon lequel le projet de loi menacerait la survie de la communauté anglophone. Le projet de loi sup- pose toutefois des changements. Les Québécois de langue anglaise devraient demeurer au Québec et participer à ses institutions et utiliser la langue de la majorité.

Un des problèmes dans le présent débat sur la langue vient de fausses conceptions à propos de la communauté anglophone. Un fait demeure: c'est que la majorité des anglophones ne sont pas membres de l'élite économique du Québec. Ils sont, pour la plupart, des travailleurs qui, comme leurs semblables de langue française, luttent pour gagner leur vie. Pendant nombre d'années, l'élite anglophone, par le biais de son contrôle des media, du système d'éducation et des institutions culturelles, a cherché à dominer la communauté anglophone. Mais cela aussi est en train de s'effriter. De plus en plus, les travailleurs francophones et anglophones s'unissent dans des syndicats, des associations de locataires et des comités de citoyens afin d'atteindre des buts politiques et économiques communs.

Peu importent les menaces d'exode de l'élite anglophone, il ne fait pas de doute que la majorité des travailleurs anglophones, dans la mesure où on les traitera à l'égal des autres Québécois, ont l'intention de continuer à vivre et à travailler ici. Le gouvernement doit réagir favorablement à cette attitude et chercher à leur faciliter la transition de l'anglais au français. Nous croyons que si le gouvernement répond par des programmes appropriés permettant aux travailleurs de s'adapter à ses politiques linguistiques, la majorité des travailleurs anglophones en viendra avec le temps à accepter le changement, et même à lui faire bon accueil. C'est dans le but de proposer des moyens concrets à cette fin que nous avons rédigé le présent mémoire.

Pour conclure, nous sommes convaincus que le Québec doit être francisé dans le cadre de sa décolonisation, mais il doit être clairement entendu que la francisation est un pas nécessaire, mais insuffisant dans cette voie.

Les compagnies multinationales, à ce que nous sachions, peuvent faire fonctionner leurs usines dans la langue du pays qui les accueille, sans que cela n'ait conduit nulle part à une reprise en main de l'économie. Noranda et l'Alcan peuvent bien gérer leurs nouveaux investissements au Chili en espagnol sous le régime de terreur militaire, mais personne ne voit en cela une reprise en main de l'économie par les Chiliens. Les travailleurs qui se battirent contre la presse n'étaient guère réconfortés par les origines francophones de Paul Desmarais. Cette question mérite d'être sérieusement démystifiée.

Nous aimerions voir le gouvernement se servir de la politique de francisation dans le but d'unir la population du Québec et comme d'une étape importante dans le processus de rapatriement et de restructuration de l'économie. Ce n'est que lorsque le Québec sera la propriété de tous les Québécois et géré par eux que nous pourrons vraiment contrôler notre propre destin. Cet objectif est dans l'intérêt des travailleurs francophones et anglophones et une politique de francisation du

genre proposé est un moyen d'unifier les différents éléments de la population.

Je passe la parole à M. Stefan Muzynski.

M. Muzynski (Stefan): Comme groupe, le Comité anglophone est fermement engagé en faveur d'une politique de francisation juste et efficace. Nous croyons qu'il est important de distinguer, d'une part, la réaction émotive d'un groupe minoritaire d'anglophones qui perdent certains de leurs privilèges et, d'autre part, le souci réel parmi beaucoup de travailleurs non francophones quant à la possibilité de perdre leur emploi pendant cette période. Il est essentiel qu'on donne à ces travailleurs les instruments linguistiques nécessaires pour qu'ils puissent travailler en français sans mettre leur sécurité financière en danger.

La solution juste est que le bill no 1 garantisse la sécurité d'emploi à tous les Québécois non francophones pendant la période de francisation. Cette mesure enlèvera à la réaction anglophone au bill no 1 l'élément émotif de l'insécurité d'emploi, tout en garantissant le droit humain élémentaire d'avoir le moyen de gagner sa vie.

Ce serait aussi la reconnaissance que les travailleurs ne sont pas les responsables de la situation linguistique et, par le fait même, ne devraient pas avoir à subir le poids des changements nécessaires.

Tout recyclage linguistique devrait se faire avec plein salaire et avantages, sans perdre d'ancienneté et pendant les heures normales de travail. Il ne faudrait pas s'attendre que les travailleurs, en plus de leurs heures de travail, aient assez de temps disponible pour acquérir les nouvelles qualités maintenant nécessaires à l'exercice de leurs fonctions. Les deux méthodes possibles pour intégrer l'apprentissage du français dans le travail sont:

Premièrement, une formation sur les lieux de travail qui permettrait de passer quelques heures par jour à suivre des cours et, deuxièmement, des sessions d'étude payées durant lesquelles on apprendrait le français.

Quelle que soit la méthode employée, il est important de s'assurer que les travailleurs qui parlent déjà le français n'aient pas à subir une surchage de travail durant cette période de transition.

Différents niveaux de formation linguistique seront nécessaires, étant donné que les travailleurs sont à différents stades d'apprentissage du français. Comme premier pas, les cours de langue doivent permettre à l'individu de connaître suffisamment le français pour accomplir son travail et doivent être élaborés en fonction des besoins de l'emploi. Une fois l'apprentissage fondamental terminé, d'autres cours plus avancés devraient permettre aux travailleurs une grande mobilité d'emploi et une plus grande intégration à la vie politique, économique et sociale du Québec. Les travailleurs anglophones, dans les services sociaux, dans les secteurs de la santé et de l'éducation dont les emplois ne sont pas francisés, doivent avoir accès aux mêmes programmes de formation linguistique afin d'assurer leur mobilité d'emploi et leur intégration à la société québécoise.

La qualité de l'enseignement de la langue est un élément crucial pour une francisation réussie. Beaucoup de non-francophones, malgré leurs efforts, n'ont pas augmenté leurs connaissances linguistiques, parce que ni le contenu, ni la qualité de leurs cours n'étaient en relation avec leurs besoins et leurs expériences. Il doit y avoir une évaluation constante des nouveaux programmes. Les travailleurs doivent déterminer si les cours suffisent à leurs besoins et à leurs buts.

Le recyclage linguistique est une solution qui devrait être satisfaisante pour la plupart des employés, mais pourrait se révéler difficile pour d'autres. Dans ces cas, un emploi équivalent qui ne requiert pas la connaissance du français devrait être fourni par l'employeur. Le choix d'une retraite prématurée, avec tous les avantages sociaux, pourrait être offert également. Ces personnes ne devraient perdre, pour aucune considération, leur sécurité d'emploi et leur salaire.

Il est inacceptable de demander à l'individu de payer le coût de la francisation tel qu'il est prévu actuellement dans le bill no 1, celui-ci ne prévoyant aucune clause de sécurité d'emploi. Cela équivaudrait à blâmer le travailleur individuel pour les divisions linguistiques qui existent.

Le groupe qui a gardé et profité de ces divisions et du développement économique inégal du Québec a été celui des propriétaires des compagnies. Le poids financier de la francisation devrait alors incomber à l'employeur, quel que soit le nombre de travailleurs à son emploi.

Cela pourrait être fait par l'entremise d'un réseau de centres de formation linguistique gérés par l'Etat et financés soit par une taxe d'entreprise, soit par la compagnie directement, soit par une combinaison des deux, coordonnée par l'Office de la langue française. Le gouvernement doit alors prendre la responsabilité financière d'un tel programme dans le secteur public.

Il serait possible d'inclure les points de la sécurité d'emploi et du recyclage linguistique dans le bill no 1, dans la section des relations du travail. L'article 40 du bill no 1 fait de toute la section une partie intégrante de toute convention collective et de n'importe quel syndicat. L'incorporation des clauses de la sécurité d'emploi dans la section des relations du travail en ferait donc une partie de toute convention collective. Les travailleurs syndiqués pourraient alors se servir des procédures de grief déjà établies si leur droit fondamental à la sécurité d'emploi est menacé.

Toutefois, il existe une difficulté réelle pour les travailleurs non syndiqués, puisqu'ils n'ont aucune procédure de grief. Ceci démontre clairement le besoin immédiat pour le gouvernement de promulguer des lois facilitant la syndicalisation de ces travailleurs afin que leur droit à la sécurité d'emploi soit protégé.

Les personnes présentement sans emploi retirant des prestations du bien-être social ou de l'assurance-chômage devraient avoir accès à des cours d'immersion linguistique gratuits sans per-

dre leurs avantages. Cette mesure les protégerait contre les difficultés auxquelles ils pourraient faire face en entrant sur le marché du travail.

Je vous présente Henry Milner pour la section de l'éducation.

M. Milner (Henry): Selon les critères établis par le projet de loi no 1, le système d'écoles anglaises ne sera plus artificiellement gonflé par de nouveaux arrivants qui s'assimilent au système scolaire de la minorité. De fait, quelque 85% des enfants des nouveaux arrivants ont fréquenté des écoles anglaises dans les années soixante-dix. Ceci est attribuable à deux facteurs majeurs: 1. Le manque de contrôle du Québec sur l'immigration dans le régime fédéral actuel contribue à la forte proportion d'anglophones. 2. La réalisation par les immigrants, en général, qu'au Québec, il n'est pas nécessaire de parler français, car la plupart des emplois les mieux rémunérés, ne nécessitent que la connaissance de l'anglais, et que le système anglais fournit les plus grandes possibilités d'avancement.

Ce dernier facteur est mis en lumière par le "Island Council Poverty Report" de Montréal, qui démontre que dans les 65 catégories d'évaluation les plus riches, sur plus de 400 dans l'île, seulement 27,4% de la population emploie le français comme langue de travail, alors que dans les 65 catégories les plus pauvres, 88,6% des personnes utilisent le français.

Etant donné l'importance de l'école, pour l'intégration des immigrants à la société, il arrive que les enfants d'immigrants qui fréquentent l'école anglaise, sont mal préparés à évoluer dans le nouveau pays à 80% francophone. Cette intégration des nouveaux immigrants à la communauté anglophone, en plus d'un taux inférieur de natalité chez les francophones, a contribué à l'érosion continue de la langue française dans le seul endroit en Amérique du Nord où les francophones pourraient, d'une manière réaliste, espérer vivre et travailler dans leur langue.

Nous sommes d'accord avec l'effort de l'actuel gouvernement pour régulariser l'entrée aux écoles de la minorité, bien que nous reconnaissions pleinement que les réformes de l'éducation ne peuvent en elles-mêmes amener la restructuration économique fondamentale qui est ultimement requise.

De fait, nous croyons que tout Québécois doit être encouragé à envoyer ses enfants à l'école française afin de mieux les préparer à participer à la société qu'ils ont adoptée. Pour que les enfants qui deviennent des adultes au Québec puissent jouer leur rôle politique et social, ils doivent comprendre et se sentir à l'aise, non seulement dans la langue, mais aussi dans la culture de la majorité.

De plus, tandis que les leaders, dans le secteur anglais de l'éducation, défendent le libre choix pour les parents et le maintien, sinon l'expansion du secteur anglais, ils envoient leurs enfants en grand nombre à des écoles privées, à des écoles françaises et à des programmes d'immersion en français.

En fait, plus de 20% des élèves au niveau élémentaire à la PSBGM suivent des programmes d'immersion en français dont aucun n'est donné dans le centre-ville ou dans les quartiers ouvriers. Ce sont en fait les personnes qui vivent dans les quartiers ouvriers qui auront besoin du français d'avantage que les parents de la classe mobile bourgeoise du West Island, dont les enfants apprendront le français dans les classes d'immersion et qui parleront quand même la langue de l'élite dominante.

Néanmoins, notre appui aux dispositions sur la langue d'enseignement dans le projet de loi no 1 est conditionné par deux impératifs.

Premièrement, nous sommes opposés à l'existence des écoles privées qui servent les élites subventionnées par des contribuables québécois. Deuxièmement, la confessionalité des écoles doit être abolie et le système scolaire actuel restructuré. Nous croyons que cela est primordial.

Le Québec possède actuellement un système scolaire archaïque et anormal qui se fonde sur le faux postulat voulant que les enfants tombent sous la juridiction cléricale.

Ce n'est que lors de la dernière décennie que le Québec a connu les services, souvent douteux, d'un ministère de l'Education, puisqu'avant le rapport Parent, les écoles étaient gérées par les diverses Eglises. Les écoles doivent être enlevées du contrôle nominal et réel des Eglises pour être placées sous un seul système. La religion, comme la langue, ne doit pas être une cause de division entre les communautés québécoises. Nous proposons un système de commissions scolaires régionales, offrant des écoles de langue anglaise, là où elles sont requises. De plus, les nouvelles structures éducatives doivent être créées en fonction de la communauté et fondées sur le principe de la gestion communautaire.

Nous sommes affligés, lorsque nous entendons le ministre de l'Education déclarer, comme ce fut le cas dernièrement, qu'il croit fermement dans la nécessité d'avoir plus de religion dans les écoles et que Montréal conservera son système archaïque. Comment le gouvernement peut-il parler d'encourager tous et chacun à fréquenter les écoles françaises alors que la majorité des écoles feront sentir aux non-catholiques qu'ils sont malvenus, différents et étrangers? Nous ne pouvons nous lasser d'insister sur l'importance que nous attachons à la nécessité d'un seul système scolaire décentralisé et non confessionnel.

Jusqu'à ce que le gouvernement agisse dans ce domaine, les anglophones de religion protestante, juive, islamique, agnostique, zoroastriane ou athéees ne pourront s'attendre à être bienvenus à l'intérieur de l'école française.

L'argent économisé en éliminant les nombreuses commissions scolaires et la bureaucratie ainsi que plusieurs écoles à moitié vides pourrait servir aux services scolaires, par exemple l'éducation spécialisée. Des programmes pourraient être planifiés pour servir à l'évaluation continue des progrès des non-francophones et pour s'assurer qu'ils apprennent les rudiments de la langue française.

Un seul système scolaire serait la première étape en vue d'abolir les différences lamentables de l'enseignement offert dans les régions riches et pauvres. Le système actuel maintient le statu quo et ne fait rien pour atténuer le cycle de la pauvreté. En unifiant le système scolaire, le gouvernement pourrait répartir les ressources plus équitablement entre les régions. Peut-être qu'alors, tous les Québécois pourraient s'y mettre et construire de bonnes écoles. Cette première étape franchie et dans un processus plus large, nous déboucherons ensemble sur des modifications sociales nécessaires, sur une transformation, qu'une réforme éducative de politique linguistique ne saurait résoudre à elle seule, mais plutôt par une politique de redistribution des richesses et du pouvoir.

On finit ici notre présentation.

Le Président (M. Blank): Merci. Vous avez dépassé seulement de deux minutes le temps qui vous était alloué.

M. le ministre d'Etat aux Affaires culturelles.

M. Laurin: Je veux d'abord remercier chaleureusement le Comité anglophone pour un Québec unifié pour le mémoire très intéressant qu'il vient de nous présenter.

De tous les mémoires que nous ont présentés les groupes anglophones qui se sont présentés à la commission, c'est sûrement le plus original et le plus prometteur pour l'avenir.

Je n'ai jamais pensé que le groupe anglophone du Québec était monolithique. Je sais qu'il s'exprime le plus souvent par la voix de ses élites, comme vous les avez appelés, par le biais de ses media d'information électroniques ou journalistiques et qu'il transmet un point de vue très particulier. Mais vous venez de nous dire, ce matin, que ce projet de vue particulier ne rejoint pas l'opinion, et surtout une opinion qui se fait, qui se forme constamment au sein des couches les plus nombreuses de la minorité anglophone du Québec.

J'ai dit que c'était le mémoire le plus prometteur et le plus original parce que c'est un début très important pour l'avenir qui nous donne beaucoup d'espoir pour la création de solidarité au niveau des idées, au niveau des grandes préoccupations de notre société et ceci nous laisse entrevoir qu'il sera possible, pour ne pas dire certain, de travailler la main dans la main pour l'édification d'une société humaine.

Vous soulignez avec raison que cette collaboration est déjà commencée dans la vie concrète, dans la vie quotidienne, par exemple lorsque vous soulignez que des anglophones se retrouvent au coude à coude avec des francophones pour les Iuttes importantes que nous avons connues pour l'amélioration des conditions de vie, qu'il s'agisse de groupes communautaires, qu'il s'agisse d'associations de locataires, qu'il s'agisse de luttes sur le plan scolaire, sur le plan municipal, qu'il s'agisse de luttes également pour la restructuration de notre économie, pour une nouvelle répartition des richesses, une redistribution des revenus.

Je pense que ce sont là des objectifs majeurs, essentiels pour les groupes de citoyens et je sais, je reconnais avec vous que ce coude à coude, cette solidarité se manifeste avec une fréquence et une abondance de plus en plus grandes dans notre société et que ceci se fait au-dessus, au-delà des particularismes linguistiques. C'est ce qui me paraît le plus prometteur dans cette nouvelle évolution de notre société québécoise.

Nous partageons avec vous la presque totalité des opinions que vous avez exprimées sur cette conception d'une société plus juste, plus humaine où les citoyens, quelle que soit la langue qu'ils parlent, ont droit aux mêmes avantages, aux mêmes atouts, aux mêmes accès aux ressources collectives pour atteindre leur plein épanouissement individuel aussi bien que collectif, mais d'abord individuel.

Plusieurs des thèses que vous soutenez dans votre mémoire, par exemple en ce qui concerne le rapatriement de l'économie, la restructuration de l'économie, la restructuration du système scolaire, nous les partageons et il m'est rarement arrivé de voir un plaidoyer aussi vigoureux et articulé et intelligent, par exemple, pour l'unification scolaire, des structures scolaires que celui que vous nous avez présenté ce matin.

Je voudrais également commenter brièvement quelques-unes des recommandations spécifiques que vous nous faites. Nous sommes tout à fait d'accord avec vous pour affirmer qu'il faut considérer comme Québécois tous ceux qui oeuvrent au Québec, qui participent à la vie collective.

J'accepte avec enthousiasme votre définition du Québécois comme celui d'un citoyen qui est intégré à la société québécoise ou qui entend s'y intégrer. Ceci, bien sûr, inclut la notion de langue, mais dépasse de loin la notion de langue, parce que, vous l'avez dit vous-même, il n'est pas suffisant, par exemple, pour un anglophone de connai-tre la langue de la majorité, la langue commune.

Il lui faut également connaître la culture de ce groupe que constitue la majorité du Québec, de la même façon qu'il est important, également, pour un francophone, non seulement de connaître la langue de la minorité la plus importante, mais également sa culture. Et il est important que ces individus, que ces citoyens, ces groupes participent en commun à l'élaboration d'une culture québécoise où les apports de chacun des groupes sont reconnus et valorisés. Donc, nous acceptons totalement votre définition d'un Québécois.

Vous nous mettez en garde contre certaines perceptions que pourraient avoir de notre projet de loi certains anglophones qui voudraient participer à la définition de nos objectifs et à la vision que nous nous faisons du Québec de demain. Nous vous en remercions. Nous vous en sommes reconnaissants également. Vous situez ces craintes, ces méfiances au niveau du domaine du travail en particulier, d'où l'importance que vous accordez à vos recommandations sur la sécurité d'emploi et sur le recyclage linguistique des anglophones. Nous sommes tout à fait d'accord sur l'esprit de ces deux recommandations. Il a tou-

jours été dans les intentions du gouvernement d'éviter toute discrimination à l'endroit des travailleurs anglophones pour des raisons linguistiques et particulièrement dans le processus de francisation des entreprises. Nous ferons en sorte que cette discrimination soit évitée et nous ferons en sorte également que le principe de la sécurité d'emploi avec lequel nous sommes parfaitement d'accord, puisse s'incarner dans les structures appropriées.

Il n'est peut-être pas facile de mettre ce principe de la sécurité d'emploi, ainsi que toutes les modalités que vous nous suggérez, dans un projet de loi qui s'appelle Charte de la langue française, niais je transmettrai vos recommandations au ministère de l'Education ainsi qu'au ministère du Travail pour faire en sorte que cette sécurité d'emploi aux anglophones en train de se franciser, aussi bien au sein de l'administration qu'au sein des entreprises, soit respectée intégralement et puisse trouver également des modalités d'application qui correspondent à ce souci de justice qui paraît dans votre mémoire.

Il est possible, cependant, que nous puissions faire droit, d'une certaine façon, d'une façon limitée, à ces demandes dans la Charte de la langue française par le biais des programmes de francisation, programmes de francisation auxquels seront soumis, comme vous le savez, les entreprises, certains organismes municipaux et scolaires ainsi que certains services de santé et certains services sociaux. Je pense qu'il nous reviendra, au gouvernement, à l'Office de la langue française, de faire en sorte , premièrement, que dans ces programmes de francisation, aucune discrimination à l'endroit des anglophones n'existe; deuxièmement; que le principe de la sécurité d'emploi soit respecté dans l'établissement et l'application des programmes de francisation et que, également, des ressources soient mobilisées aussi bien au niveau des entreprises que du gouvernement pour procurer aux travailleurs anglophones qui en ont besoin le temps, les modalités, les conditions de travail et les fonds aussi pour que ce travail de francisation puisse se poursuivre dans l'objectif que vous avez mentionné.

Donc, je peux dire que je reprends à mon compte la totalité de vos propos, la totalité de l'esprit qui préside à vos recommandations et que je ferai en sorte que les modalités d'application que vous suggérez soient transmises aux organismes appropriés, soit l'Office de la langue française, soit les ministères gouvernementaux pour qu'on puisse y donner suite avec le plus de rapidité possible.

Encore une fois, merci pour un mémoire qui nous fait entrevoir l'avenir, la collaboration éventuelle entre nos deux groupes, sous la lumière la plus positive et la plus prometteuse pour l'avenir.

M. Muzynski: Merci.

Le Président (M. Blank): M. le député de L'Acadie. Avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Muzynski: Peut-être quelques remarques concernant la question de la sécurité d'emploi et du recyclage linguistique. On est très content que vous soyez d'accord avec notre position. Il me semble que ce serait assez facile d'inclure dans le projet de loi une clause pour la sécurité d'emploi en relation avec le recyclage linguistique, comme il y a déjà des clauses dans la charte qui seront une partie intégrante des conventions collectives. Il me semble que ce serait assez facile de mettre ça aussi dans le projet de loi pour garantir les droits d'emploi à des non-francophones.

Le Président (M. Blank): Merci. Le député de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: Je veux remercier...

M. Milner: Sur la question de l'enseignement, on est heureux d'entendre la position du ministre, mais je veux souligner que sur la question de l'enseignement, soit créer un système scolaire unifié, il n'est pas question pour nous d'une autre législation, un autre principe dont il faut discuter. Pour nous, cela va de pair avec l'idée que le système d'éducation publique doit être utilisé pour produire un Québec où tout le monde, de n'importe quelle langue, puisse participer. Si on veut adopter un tel système d'éducation publique, la question de la langue est importante, mais il y a la question de la confessionnalité aussi. On ne peut séparer les deux.

Nous sommes d'accord qu'on parle maintenant de la Charte de la langue française. Mais qu'on commence à parler de l'éducation et d'un nouveau système d'éducation. Selon nous, ça va ensemble. De ne parler que d'une recommandation à un autre ministre qui va y penser, selon nous, ce n'est pas assez. On veut que ce soit dans le même esprit et qu'on voit les résultats bientôt.

M. Laurin: M. Milner, je voulais simplement dire que le problème de la restructuration scolaire est à l'étude, comme vous le savez, depuis une dizaine d'années au Québec. Il y a eu le projet de loi 62 qui n'a jamais vu le jour, le projet de loi 28 qui n'a pu s'incarner dans les faits, parce que le gouvernement l'a retiré. Il y a eu le projet de loi 71 qui refilait la patate chaude au Conseil scolaire de l'île de Montréal. Le conseil de l'île a terminé son étude, le gouvernement n'a pas encore reçu son rapport. Mais, dès que le gouvernement aura reçu le rapport du Conseil scolaire de l'île de Montréal, il est évident qu'il devra, à nouveau, se pencher sur ce problème et prendre une décision le plus rapidement possible. Tous les problèmes qui traînent, au lieu de se régler, se compliquent avec le temps et deviennent de plus en plus difficiles à régler.

Je pense que vous admettrez avec moi que le problème de la restructuration scolaire dépasse de loin les questions linguistiques et touche aussi les questions confessionnelles. Il touche des questions administratives, des questions politiques

comme celle de la décentralisation. Je ne pense donc pas qu'on puisse régler ce problème immédiatement en même temps qu'on règle le problème de la charte linguistique, même si, idéalement, je suis d'accord avec vous que cela aurait été préférable... Mais il y a eu des retards que nous essayons d'éviter, comme tant d'autres retards; tout ce dont je peux vous assurer, c'est que nous procéderons avec le plus de célérité possible et dans le sens de ce que vous nous proposez, pour autant que je suis concerné, en tout cas.

Nous essaierons d'aller le plus vite possible dans le contexte qui est le nôtre, avec les procédures, les cheminements qui ont déjà été prévus par des législateurs antérieurs.

Le Président (M. Blank): Merci. Mme le député de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je veux remercier les représentants du Comité anglophone pour un Québec unifié d'être venus présenter un point de vue qui, s'il n'est peut-être pas original, parce qu'il y avait plusieurs de ces points de vue qu'on avait déjà entendus, donne au moins peut-être un son de cloche différent. Je suis d'accord avec le ministre d'Etat au développement culturel sur ce point, quoique faudrait-il encore l'examiner de plus près pour voir s'il y a vraiment des positions totalement différentes des autres groupes anglophones qui sont venus nous voir, sauf que, dans votre cas, vous souscrivez déjà, je pense, au projet de l'indépendance ou de la possibilité d'autodétermination du Québec, ce qui, déjà, est certainement différent.

Je veux vous féliciter pour la partie concernant le recyclage linguistique des travailleurs. Cette préoccupation a déjà été mise de l'avant par la FTQ, qui était d'ailleurs le premier organisme, si ma mémoire est bonne, à le faire valoir. Il me semble très important et se situe justement dans la ligne de certaines représentations que l'Opposition officielle a faites a l'Assemblée nationale dans le cas des occasionnels que l'on voulait traiter peut-être un peu cavalièrement.

Ce qui est intéressant, c'est la demande que vous faites de l'évaluation constante des programmes. Je pense que plusieurs programmes de recyclage linguistique, si on l'appelle comme cela, s'avèrent inadéquats, parce que, justement, ils ne sont pas vraiment appropriés aux tâches que les gens doivent remplir. J'estime que, quand vous parlez de la francisation et que vous dites que les ouvriers sont prêts à marcher là-dessus, vous maintenez quand même, au plan individuel, le droit aux personnes anglophones ou d'autres langues, de s'exprimer dans leur langue d'origine, j'imagine. C'est vraiment une francisation dans le terme d'une meilleure adaptation au milieu de travail.

Une question sur laquelle j'aimerais que vous développiez votre pensée, c'est que, à plusieurs endroits, vous faites allusion — en page 2, par exemple — à la réalisation de transformations plus fondamentales dans la société; à la page 3, vous parlez d'une modification progressive de la so- ciété. D'ailleurs, votre appui à la loi 1 se situe dans cette perspective d'une modification ou d'une transformation majeure de la société.

Est-ce que vous pourriez élaborer un peu plus cette vision de la transformation de la société que vous envisagez?

M. Caldwell (Gary): Merci beaucoup, madame. Je vais essayer de répondre à cette question. Je pense que ce qui nous distingue, c'est un certain enthousiasme pour le projet québécois, c'est-à-dire un effort de maintenir une société qui a une certaine autonomie culturelle et économique qui lui permettrait de développer une certaine justice sociale, de garder certaines valeurs humaines, de maintenir une certaine indépendance envers un matérialisme un peu exagéré, une technologie un peu trop envahissante.

Dans le projet québécois, si on parle en termes très généreux, on voit une volonté d'un peuple, d'une société de conserver certaines valeurs, un certain sens de la communauté et un certain sens de l'histoire qui lui permettrait de progresser comme une société moderne et vers une justice sociale plus grande. C'est cela qui nous enthousiasme et qui nous amène, comme anglophones, à partager ces objectifs et à admettre le besoin d'un véhicule commun de justice, de développement social qui, par accident historique, est le français. Nous sommes prêts à nous intégrer, non pas à nous assimiler, mais à nous intégrer, c'est-à-dire à participer à cette société, à ce projet, parce que cela nous permettrait de participer à une plus grande justice sociale.

Nous croyons que maintenir l'autonomie suffisante pour faire cela demande aussi une certaine autonomie économique, c'est-à-dire que le Québec ne peut pas devenir trop dépendant économiquement d'une grande puissance et, dans ce cas-ci, c'est probablement les Etats-Unis. Le Québec aurait besoin de certaines restructurations sociales pour maintenir cette économie suffisamment indépendante pour, par exemple, corriger l'équilibre structurel dont on a parlé depuis longtemps dans l'économie québécoise, pour corriger le déclin économique qui se fait sentir depuis 1966-1967, un manque d'investissements dans le niveau manufacturier, peut-être une consommation trop haute et pas assez d'investissements dans la structure technologique. C'est cela qu'on veut dire par la restructuration économique. Je pense que le symbole le plus évident dans l'histoire récente du Québec, c'est la question de l'amiante, le besoin de faire transformer l'amiante ici pour créer les 50 000 emplois qui nous manquent plutôt que de se contenter de 5000 emplois. Je vous offre cela comme un symbole de ce qu'on veut dire, c'est-à-dire réduire la dépendance d'autres sociétés, avoir un certain équilibre dans la structure économique du Québec qui peut apporter une certaine économie, non pas un isolement, mais une certaine autonomie.

Mme Lavoie-Roux: Merci, monsieur.

Le Président (M. Cardinal): Si vous permettez,

M. le député de Pointe-Claire, avant de vous donner la parole, je souligne qu'à 13 heures, je devrai...

Mme Lavoie-Roux: ...

Le Président (M. Cardinal): Pardon?

M. Ciaccia:... Non, non; excusez!

Le Président (M. Cardinal): Mais est-ce que vous n'aviez pas terminé?

Mme Lavoie-Roux: Oui.

Le Président (M. Cardinal): Pourquoi avez-vous dit: "pardon"?

Mme Lavoie-Roux: C'est parce qu'on avait l'air de vous déranger.

Le Président (M. Cardinal): Pas du tout, non; il y a des choses pires, je m'excuse. Trente secondes. Nous devons ajourner les travaux à 13 heures. Il est donc impossible que tous les députés puissent poser leurs questions dans la période de 70 minutes prévue. Je demande aux représentants du Comité anglophone pour un Québec unifié s'ils sont disposés à revenir avec nous après les travaux de l'Assemblée nationale.

M. Milner: Notre problème, c'est qu'il n'y a que la moitié de notre délégation qui peut revenir. Je crois que cela va, mais on vous propose ceci: On peut rester peut-être dix ou quinze minutes après 13 heures, cela nous conviendrait mieux.

Le Président (M. Cardinal): C'est malheureusement très difficile. Vous comprendrez que, d'une part, nous fonctionnons jusqu'à 23 heures ou 23 h 30 ce soir et, d'autre part, il y a les travaux de l'Assemblée nationale et, en plus, le règlement. J'hésite, lorsqu'il est 13 heures, à demander un consentement parce que nous fonctionnons en vertu d'une motion et non pas d'un avis de l'Assemblée nationale et, en vertu de l'article 158, il me paraît difficile, pour une commission, de modifier une motion. En plus, si on prenait dix minutes, nous n'emploierions pas le temps des députés.

A cette heure-ci, je vais vous donner le décompte immédiatement. Il resterait 15 minutes au parti ministériel, 15 minutes au parti de l'Opposition officielle et 10 minutes au parti de l'Union Nationale, ce qui fait 40 minutes, plus une partie des réponses. Alors, je peux m'en remettre aux opinions de la commission, mais je rendrai une décision avant 13 heures. Oui, M. le député de Deux-Montagnes, ensuite, M. le député de Rosemont.

M. de Bellefeuille: Cela me paraîtrait très souhaitable que nous consacrions à ce mémoire la même période qu'à tous les autres mémoires, et que par conséquent, nous invitions instamment, au moins ceux des représentants du comité qui pourront revenir vers 16 h 30, à le faire si c'est possible.

Le Président (M. Cardinal): Le député de Rosemont.

M. Lalonde: Nous appuyons cette suggestion, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Alors, MM. les invités ou témoins, vous êtes invités, pas immédiatement, vous ne partez pas tout de suite, après la période des questions de l'Assemblée nationale. Sur ce, j'accorde la parole à M. le député de Pointe-Claire.

M. Shaw: First of all, I would like to ask a question to this group, an anglophone group. How many members are there in your association?

M. Wilner: We have about 110 individuals who have given us their names an members. Many of whom, I should add, have participated in actually writing this document. This document was put together by approximately 60 individuals. It is a very collectively drawn document. There are approximately 110 names that we have, that are people who have whole-heartedly endorsed our position and participated in it to some extent. There are a certain number of individuals who have made contact with us, who have said, for reasons due to their own particular position in certain institutions, they would rather not have their names attached to our position, but they are with us, and they want us to know that they are with us. How many such people there are, I cannot say.

M. Shaw: The second question is: Do you not consider that 1,5 million people are also an "entité sociale".

M. Wilner: What? Que veut dire "entité sociale'?

M. Shaw: You use it in your mémoire to refer to the French Canadian community in Québec. Do you not also recognize that there are 1,5 million anglophone or non-francophone Quebecers who also consider themselves as a social entity in this province?

M. Caldwell: M. le député, if you permit I will reply to your question. For us, one of the problems in the English-speaking population of the post-war period has been a high rate of demographic instability or turnover. We know that roughly half the English population of Québec were born in Québec, the other half consists of new arrivals. That is, we have a population in which there is a high rate of turnover, a lot of English-speaking Quebecers leaving Québec, and we know that the rate of out migration of English Quebecers leaving Québec is about three times that of French-speaking Quebecers. This has not been that noticeable until recently because these people have been replaced by new arrivals, English-speaking immigrants or by those whose language was not English and who...

M. Shaw: One second, where are you getting these figures? For example, the figure from the federal government concerning emigrants —"émigrés du Québec" — is almost equal, English or French. So, where are you getting those figures that you are throwing at me?

I do not mind listening to figures, but at least, base them on some kind of study. Another thing is that you suggest that 50% of the people living in the province of Québec who are non-francophones, are the mobile people who are not originally Quebecers. What difference does that make in the description of a social entity?

M. Caldwell: I do not think that it makes any difference with regards to their status as Quebecers. What I am suggesting is that you have a population in which there has been a high rate of turnover and in which it has been difficult to identify with the jurisdiction in which we function. One of the consequences of that is that you get a group of young students who, when they finish in educational systems in English-speaking Québec, are not in a position to choose to stay. They have not been equipped, culturally or linguistically, in a way that they may choose to stay, and that creates...

M. Shaw: I agree with you that there has been a weakness in the educational system, similarly as there has been a weakness in the French educational system vis-à-vis the language. But, I am asking you, are one and a half million people a social entity?

M. Caldwell: In the sense that their cultural and institutional leadership has not allowed them to identify themselves with Québec, they have been obliged to choose between the...

M. Shaw: One second now. You are telling me that a group of people are not allowed to identify with Québec?

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît! A l'ordre, s'il vous plaît!

M. Shaw: I am always calm. Je suis toujours calme.

Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse. M. le député de Mont-Royal sur une question de règlement.

M. Ciaccia: Je crois que le député de Pointe-Claire essaie de poser des questions qui, d'après lui, sont légitimes et, d'après le règlement, il a tout le droit — parmi les règlements de l'Assemblée nationale et de cette commission — de poser des questions aux témoins. Si les témoins n'ont pas les réponses...

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Mont-Royal... Non, vraiment, vous n'êtes pas dans l'ordre. Vous allez à l'encontre du règlement et je ne me cache pas pour le dire. Ce pourquoi j'ai rappelé les membres de la commission à l'ordre. En vertu de l'article 100 — je m'excuse — lorsque quelqu'un parle, les autres l'écoutent et actuellement, nous sommes dans un débat et sur ce, les travaux de la commission...

Vous revenez cet après-midi, M. le député de Pointe-Claire?

M. Shaw: J'aurais une autre question, s'il vous plaît.

Le Président (M. Cardinal): D'accord, oui.

M. Shaw: J'ai simplement une autre question. ...which I will be very pleased to let you answer. Simply, do you feel that it would be just for the English-speaking majority of Canada to assume a posture of forced assimilation for the French-speaking Canadians of this country using your rationale for the need of the minority to accommodate to the majority?

This is your rationale in this thing. Should we transfer this in the greater context?

M. Caldwell: I would argue that it has been generally accepted that it is false to establish a parallel between the French-speaking population of Canada, outside of Québec, and the English-speaking population of Canada inside Québec. The balance of influence and power is not comparable and that the English-speaking population of Québec has a base upon which to build and to maintain itself that is anglophone, North American, and I do not consider it reasonable to make the comparison between French-speaking Quebecers outside of Québec and English-speaking Quebecers in Québec given the cultural context and the economic context in which we live.

M. Shaw: D'accord.

Le Président (M. Cardinal): II est 13 heures. La commission ajourne ses travaux sine die. Ceux qui pourront demeurer avec nous sont invités cet après-midi.

(Fin de la séance à 13 heures)

Reprise de la séance à 16 h 27

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, madame et messieurs!

Je constate le quorum et ne perdons point de temps, du moins au début. Comme c'est une nouvelle séance, je revois la liste des membres de la commission, demandant qu'on m'indique bien les changements.

M. Alfred (Papineau), M. Bertrand (Vanier), M. Bisaillon (Sainte-Marie), est-ce qu'il est remplacé par M. Charbonneau (Verchères)?

Une Voix: Oui, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): II est remplacé par M. Charbonneau (Verchères); M. Chevrette (Joliette-Montcalm), M. Ciaccia (Mont-Royal), M. de Bellefeuille (Deux-Montagnes), M. Dussault (Châteauguay), M. Godin (Mercier), M. Grenier (Mégantic-Compton) remplacé par M. Shaw (Pointe-Claire); M. Guay (Taschereau), M. Lalonde (Marguerite-Bourgeoys), M. Laplante (Bourassa), M. Laurin (Bourget), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), M. Le Moignan (Gaspé), M. Paquette (Rosemont), M. Roy (Beauce-Sud), M. Saint-Germain) (Jacques-Cartier), M. Samson (Rouyn-Noranda).

Je ne fais pas l'appel de l'ordre du jour à la suite de ce que j'ai mentionné ce matin, afin de ne préjudicier les droits d'aucun organisme et afin d'éviter la procédurite. Nous avons devant nous le Comité anglophone pour un Québec unifié. Il reste 35 minutes de débats ainsi possiblement distribuées: Parti ministériel, 15 minutes; Opposition officielle, 15 minutes; Union Nationale, 5 minutes. Personne n'a demandé la parole à l'ajournement. Je ne sais. Je dois passer la parole au député de Mont-Royal, ou au député de Pointe-Claire. C'est parce que vous ne l'avez pas demandé à l'ajournement, c'est pour cela que je le souligne.

M. Shaw: Je n'ai pas fini.

Le Président (M. Cardinal): Non, vous n'êtes pas fini et vous n'avez pas terminé.

M. Ciaccia: Je vais laisser le député de Pointe-Claire terminer, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. M. le député de Pointe-Claire.

M. Shaw: M. le Président, si je peux, je voudrais poser la même question avec laquelle j'ai fini avant le lunch, peut-être cette fois-ci à madame. I would like to repeat the question that I asked this morning concerning the comparison you have enunciated in your brief that you feel the majority has the right to force integration of the minorities, as a principle. Now, I ask the question, using the majority, for example, of the Canadian majority, do you feel that it is justified that the Canadian majority impose the same kind of attitude to impose the integration of the minority in Canada?

M. Muzynski: A couple of things I would like to say, but to that, first of all, the francophone minorities in other provinces are in fact already integrated, if not assimilated, into the anglophone majorities of those provinces.

M. Shaw: Are you speaking as someone who is a French Canadian living in an another province, are you respecting how they feel as French Canadians living in these other provinces, or are you speaking as someone, a sort of a hearsay representative, because most of the French Canadians I have met from other provinces consider that they are just as French Canadian as anyone sitting at this table. I mean, let us not use an illustration which does not have basis in fact.

M. Muzynski: What I am trying to make the distinction between is integration and assimilation. Francophones in other provinces are by a marge already integrated, if not assimilated, into the majorities in those provinces. In Québec, the vast majority of anglophones are not at all integrated into la société québécoise, into the Québec society. That is largely because of the lack of linguistic ability. In most other provinces, you find that the francophones, in fact...

M. Shaw: Wait a second, I think you miss my question.

M. Muzinski: M. le Président, est-ce que je peux continuer...

Le Président (M. Cardinal): S'il vous plaît. M. le député de Pointe-Claire, à la fin de la séance de ce matin, j'ai dû vous rappeler à l'ordre, je pense, gentiment. Il ne s'agit pas d'un débat, le mandat de la commission est d'écouter des invités, des témoins. Je vous prierais de laisser le témoin terminer avant de le contre-interroger.

M. Shaw: Je voudrais seulement préciser ma question, M. le Président. Je n'ai pas parlé du tout des minorités canadiennes-françaises dans les autres provinces.

Le Président (M. Cardinal): D'accord, mais...

M. Shaw: J'ai dit seulement que nous avions besoin de faire une comparaison entre la majorité canadienne et la minorité canadienne; c'est dans ce contexte que je pose la question.

Le Président (M. Cardinal): Dans ce cas, vous laissez la parole à monsieur.

M. Shaw: Did you understand my precision?

M. Muzynski: J'ai bien compris la question. Il me semble que, lorsqu'on parle, je reviens sur le point, on n'est pas pour l'assimilation des anglophones québécois, on est pour l'intégration à la majorité, à la langue de la majorité au Québec qui est le français. Dans les autres provinces où les francophones se trouvent en minorité, c'est très vrai; je pense qu'ils sont déjà intégrés d'une façon

très poussée, peut-être même, dans beaucoup de cas, assimilés à la majorité anglaise.

Ici, au Québec, la minorité anglophone, dans la majorité des cas, n'est pas intégrée dans la société québécoise. C'est surtout à cause du fait linguistique. La plupart des anglophones au Québec sont unilingues. Ceci veut dire qu'ils sont incapables de vraiment s'intégrer à la société québécoise. On n'est pas en faveur de l'assimilation totale de la culture anglaise au Québec. Ce serait même impossible, une assimilation des anglophones, étant donné le contexte nord-américain dans lequel on vit.

M. Shaw: The question I asked you, and I am trying to precise it again for you: Is it perhaps that there are those of us in the province of Québec who also consider ourselves as Canadians? You may not be amongst them, but I certainly consider that there are a large number of that too. So, if we consider ourselves as a part of this Canadian context, therefore, we should feel confortable, living in our province as anglophones, without feeling an imposed integration.

Mme Collier: J'aimerais moi-même répondre à votre question. Je pense que c'est le fond du débat, c'est-à-dire qu'il y a beaucoup d'anglophones qui n'acceptent pas qu'il y ait deux nations au sein du Canada. Ce qui est fondamental pour nous, dans notre affaire, c'est qu'il y a une nation québécoise et une autre nation canadienne anglaise. Donc, il y a deux nations au Canada. D'ailleurs, monsieur, vous verrez qu'on n'a jamais dit qu'on était d'accord pour forcer n'importe qui à faire n'importe quoi dans notre document, si vous le lisez comme il le faut. On dit que c'est tout à fait normal que, quand on arrive au sein d'une communauté telle que celle-ci, on accepte de fonctionner dans la langue de la majorité, comme les Canadiens français en Alberta, en Ontario, en Colombie-Britannique, acceptent de fonctionner en anglais dans ces provinces. Nous, ce qu'on dit, c'est que Québec n'est pas une province comme les autres. C'est l'hypothèse fondamentale de notre mémoire.

Si vous n'acceptez pas cela, c'est évident qu'on ne peut pas être d'accord.

M. Shaw: Can I have one last question?

Le Président (M. Cardinal): Une dernière question, le temps est déjà écoulé. Mais quand même...

M. Shaw: In this context, with this concept that we could make a society in Québec that would be "vraiment unilingue française", pensez-vous qu'il y a des moyens pour qu'un unilingue français, dans la province de Québec, puisse aspirer à partager dans le secteur d'expertises en Amérique du Nord. Si oui, lequel?

Mme Collier: Je pense qu'en ce moment, unilingue français, qu'est-ce que cela veut dire? C'est évident qu'il y a une langue prédominante de l'en- treprise et de la technologie, c'est-à-dire qu'en Amérique du Nord, c'est l'anglais. Pourtant, en France, à ce que je sache, les techniciens fonctionnent très bien en français. J'aimerais aussi vous signaler que les gens qui quittent les universités francophones au Québec, en tant qu'ingénieurs, par exemple, sont très capables de lire l'anglais. Ils ne le parlent pas nécessairement très bien, mais ils le lisent. Ils sont tout à fait aptes — ils le font actuellement, l'Hydro-Québec en est le témoin — à fonctionner en tant que techniciens dans la langue française.

M. Shaw: Les techniciens?

Mme Collier: Comme techniciens, comme ingénieurs, comme gérants de l'entreprise, je ne sais pas, moi, comme avocats même. Il y a même des vice-présidents de compagnies aussi francophones et cela fonctionne très bien.

M. Shaw: J'ai dit, madame, unilingues français.

Le Président (M. Cardinal): S'il vous plaît, c'est déjà dépassé de près de trois minutes.

M. Shaw: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Merci, M. le Président. Vous dites, dans votre mémoire, que les anglophones, de la façon dont vous les décrivez, c'est l'élite économique anglophone du Québec qui est opposée, d'après vous, à la politique de francisation. Tous les mémoires qui ont été présentés à cette commission et dont j'ai pris connaissance ne semblent pas être contre le principe de francisation, mais plutôt dans les moyens pour atteindre cette francisation. Je voudrais vous demander si cela ne vous préoccupe pas que, dans le projet de loi no 1, cela donne au gouvernement des pouvoirs sur les citoyens, des pouvoirs qui sont presque absolus, parce que les citoyens, par exemple, n'auraient pas de recours aux tribunaux, car l'article 172 enlève leur recours à la Charte des droits de l'homme. Est-ce que cela ne vous préoccupe pas, ces deux aspects du projet de loi?

M. Muzynski: Premièrement, comme vous l'avez dit, il y a eu beaucoup de groupes d'anglophones venant des élites économiques, c'est-à-dire des entreprises, qui étaient pour un programme de francisation. Si on regarde bien les mémoires qu'ils ont déposés devant la commission, on peut rappeler qu'ils disent au début qu'ils sont en faveur, en principe, de la francisation. Mais si on regarde, dans les faits, les propositions qui sont faites dans les mémoires, on voit qu'à chaque proposition, c'est une façon de retarder la francisation, de rendre la francisation moins complète, d'essayer de mettre le plus de trous possible dans une Charte de la langue française pour qu'il y ait plus de place pour la langue anglaise.

M. Ciaccia: Ma question, ce n'est pas tellement sur la question... Je sais votre opinion sur les autres mémoires. Ma perception des autres mémoires, ce n'est pas la vôtre. Mais voici ma question: Est-ce que cela ne vous préoccupe pas, le fait que le gouvernement a des pouvoirs qui sont presque absolus, que cela enlève les recours aux tribunaux, que cela enlève les recours à la Charte des droits et libertés de la personne? Cet aspect du projet de loi ne vous préoccupe pas, vous l'acceptez?

M. Muzynski: Si on parle de la mise en vigueur d'une loi, c'est sûr qu'il faut des moyens pour rendre une loi applicable. On sait très bien qu'il y a d'autres lois, comme la Loi sur le salaire minimum et la Loi sur la sécurité physique de l'emploi, qui ne sont pas très bien appliquées. Il faut des lois qui obligent les entreprises à appliquer ces lois. Je pense que c'est la même chose pour la Loi sur la langue française.

M. Ciaccia: Alors, vous mettez sur le même pied les droits qui sont affectés, le fait d'enlever le recours à la Charte des droits et libertés de la personne, le fait d'enlever le recours aux tribunaux sur des droits fondamentaux, vous mettez cela sur un pied d'égalité avec une mesure administrative comme l'administration du salaire minimum?

M. Muzynski: Disons qu'on n'a pas tellement abordé la question de la Charte des droits et libertés de la personne. Quand on a a regardé le mémoire, on a axé surtout notre argumentation sur les deux politiques, la politique sur la langue du travail et la politique sur la langue de l'éducation. Je pense qu'il y avait déjà des mémoires en ce sens, et même le ministre a dit que peut-être il enlèverait cette clause de la charte. Personnellement, je ne suis pas opposé à ce que cela soit enlevé du projet de loi.

M. Ciaccia: Pensez-vous que le concept de la séparation des pouvoirs n'est pas accepté ici. Il n'y a pas de séparation de pouvoirs entre l'aspect législatif, l'exécutif et l'aspect des tribunaux? Ne croyez-vous pas que cette approche par le gouvernement est un potentiel d'abus assez considérable dans le projet de loi qui est devant nous?

Mme Collier: Je pense qu'il faut insister, encore une fois, sur le fait que chaque loi doit être réglementée et doit être appliquée. On ne voit pas que ces lois soient tellement dangereuses. En fait, on aimerait voir d'autres lois encore mieux appliquées, comme M. Muzynski a dit. Par exemple le gouvernement vient d'indexer le salaire minimum. On préférerait voir cette loi encore mieux appliquée. On n'aimerait pas, par exemple, que le projet de loi no 1 passe et que rien ne change parce qu'on ne fait pas assez attention sur la façon dont cela sera appliqué. Alors, nous ne sommes pas du tout d'accord que cela va être comme un état policier où il y aura des policiers de la langue, je ne suis pas d'accord avec ce sentiment. On trouve que c'est normal que, dans une démocratie, une loi soit appliquée.

M. Ciaccia: Vous trouvez que c'est normal d'enlever les droits de la Charte des droits de l'homme, que c'est normal d'enlever les recours aux tribunaux, que c'est normal de donner tout le pouvoir au ministre, que c'est normal de donner tous les pouvoirs discrétionnaires aux fonctionnaires. Vous trouvez tout cela normal, quand il s'agit de droit individuels, de droits fondamentaux, non seulement pour la collectivité anglophone, mais même pour la collectivité francophone. Vous trouvez cela normal, vous?

Mme Collier: Je ne suis pas avocate, mais ce matin j'ai entendu mon avocat qui disait que chaque loi enlève des libertés. Alors, il me semble que c'est normal que lorsqu'on légifère on enlève certains droits. En les enlevant, on donne des droits à d'autres personnes. C'est-à-dire que pour chaque fois, maintenant, qu'un anglophone unilingue va dans un magasin et qu'il n'est pas capable de demander ce qu'il veut en français, il y a un francophone qui, lui, a le droit de parler français. Alors, qui perd son droit là-dedans? Je me le demande. Est-ce l'Anglais qui va perdre le droit de parler anglais? D'accord, d'une certaine façon. Par contre, le Français va avoir le droit de travailler dans sa propre langue. C'est-à-dire qu'en enlevant une petite partie ici, on la redonne sur l'autre côté. Il me semble que c'est normal que le processus législatif marche de cette façon.

M. Ciaccia: II y a très peu de lois — il n'y en a pas à ma connaissance. — Il n'y a que celle-ci qui enlève les droits reconnus dans la Charte des droits et libertés de la personne et c'est une des très rares lois qui enlève le recours aux tribunaux.

La situation dont vous parlez... Quand un francophone ne peut pas être servi dans sa langue, il a droit à des recours d'après la Charte des droits et libertés de la personne. Il est protégé et il peut avoir recours aux tribunaux. Il peut faire valoir ses droits, mais d'après ce projet de loi-ci, cela ne pourra plus se produire. Un individu n'a plus ces droits et c'est l'aspect un peu malheureux de ce projet de loi. Ce n'est pas la question de la francisation. Ce sont les moyens et les méthodes.

Comment voyez-vous le nombre considérable — quelle est votre opinion? — de francophones qui sont venus devant cette commission et qui se sont opposés à plusieurs aspects du projet de loi? Comment voyez-vous cela?

Mme Collier: Je ne suis pas ici pour vous expliquer...

M. Ciaccia: D'après vos explications, selon la façon dont vous voyez l'évolution de la société, pensez-vous que notre dynamisme social... Voyez-vous cela en termes d'un conflit de classes?

M. Muzynski: II y a certainement des conflits entre les gens qui sont des travailleurs, qui travaillent pour un salaire, et l'élite économique, comme on le dit très bien, je pense, dans notre mémoire. C'est une partie du problème des groupes, des leaders anglophones, qui ne représentent pas le monde ordinaire anglophone qui travaille, qui

s'occupe plus des problèmes de la sécurité d'emploi. Comme on a mentionné plus tôt dans la journée, on est un groupe anglophone original du fait qu'on exige une sécurité d'emploi. Les autres groupes n'ont pas mentionné le problème de la sécurité d'emploi et du recyclage linguistique. Si on regarde qui sont ces groupes, on voit que ce sont des vice-présidents de grosses compagnies, des directeurs de personnel et ainsi de suite. Il y a certainement un conflit entre ces deux classes.

M. Ciaccia: D'après votre mémoire ou d'après votre perception de la société, quel rôle voyez-vous pour les droits individuels? Quel rôle doivent-ils jouer dans notre société?

Mme Collier: Les droits individuels... M. Ciaccia: Les droits des minorités.

Mme Collier: C'est-à-dire qu'on aimerait voir une société épanouie dans laquelle chaque personne peut jouer un rôle complet et approfondi dans sa société. Dans ce cas-là tout le monde va jouir des droits individuels.

M. Ciaccia: Vous écrivez dans votre mémoire que vous êtes intéressés par la justice sociale. Les aspects du mémoire, quand vous parlez de recyclage qui ont été commentés, c'est un aspect positif de votre mémoire, où un individu, un travailleur qui parle seulement l'anglais ne devrait pas être pénalisé... mais quant à votre intérêt dans la justice sociale, est-ce que vous pensez que le nationalisme est le moteur pour arriver à cette justice sociale, le genre de loi qui est basée, qui a une orientation ethnocentrique? Croyez-vous que cela va arriver au but que vous cherchez, dans votre mémoire, une justice sociale?

Mme Collier: C'est-à-dire que comme on voit le projet de loi, on le voit dans l'ensemble des changements économiques et sociaux qui doivent venir au Québec, c'est-à-dire que nous voyons la francisation comme une étape nécessaire pour unir le peuple québécois. Jusqu'à maintenant, on pense que la langue a divisé le peuple québécois et on trouve que c'est vraiment dommage que deux communautés vivent d'une façon parallèle, qu'elles mettent leurs énergies, leurs talents à discuter entre elles plutôt que de travailler ensemble, mettre leurs énergies ensemble pour transformer la société.

M. Ciaccia: Tantôt, vous avez dit que les lois peuvent brimer certains droits pour les mettre en vigueur, mais je remarque à la page 3 de votre mémoire que vous dites que les droits humains fondamentaux doivent toutefois être protégés. Cette phrase semble aller à l'encontre de l'article 172. Est-ce qu'il n'y a pas une contradiction?

Mme Collier: On pense que c'est un droit fondamental que de pouvoir travailler et de pouvoir garder son emploi. Alors, quand on parle droit fondamental, on pense plutôt au droit de chaque personne même si...

M. Ciaccia: Anglophone et francophone.

Mme Collier: Anglophone et francophone. D'ailleurs à la page 3, ce sont surtout les anglophones unilingues dont on parle, c'est-à-dire quelqu'un qui a 45 ans, qui est unilingue anglophone. On ne veut pas voir cette personne-là perdre son emploi. On trouve que c'est un droit fondamental qu'il a de gagner de l'argent pour vivre.

M. Ciaccia: Mise à part la question des immigrants futurs ou des immigrants qui sont déjà ici, que pensez-vous de l'aspect du projet de loi qui va donner aux anglophones une liberté de choix dans l'enseignement qui est niée aux francophones? Que pensez-vous de cet aspect du projet de loi?

M. Muzynski: C'est très vrai d'une certaine façon que le projet de loi enlève le droit aux francophones d'aller à l'école anglaise comme la loi 22 a fait aussi, mais on trouve cela très normal. Cela donne même plus de droits aux anglophones dans ce sens que cela donne des droits aux francophones.

C'est très vrai. On ne trouve pas que c'est aberrant du tout. On trouve que c'est normal, on pense...

M. Ciaccia: Vous pensez que ça aussi, c'est normal, que les anglophones vont avoir plus de droits que les francophones, d'après ce projet de loi. D'après vous, c'est une autre mesure normale.

M. Muzynski: C'est la première fois que j'entends dire que les anglophones vont voir plus de droits...

M. Ciaccia: Bien sûr. Un anglophone, tel qu'il est défini dans l'article 52, va avoir la liberté de choix, il pourra aller aux écoles anglophones ou aux écoles francophones, tandis que le francophone pourra aller seulement à l'école francophone. Vous ne trouvez pas que quelqu'un va avoir plus de droit que l'autre?

Mme Collier: Si je peux répondre à cette question, ça laisse vraiment, encore une fois, le fond du débat. Les écoles anglaises existent au Québec parce qu'il y avait une communauté anglophone, 13% de langue maternelle anglaise. Ce qui est arrivé au Québec, c'est que les allophones, les gens qui n'avaient pas l'anglais comme langue maternelle, sont allés à ces écoles. Toutes les circonstances au Québec ont fait que si on parle anglais, on est privilégié, on peut avoir un meilleur travail, on peut faire tout ce qu'on veut dans la vie. Il y a, sur tous ces grands points du continent nord-américain, des liens économiques qui ont fait que le Québec s'est laissé aller dans une situation où on voyait l'école anglaise comme un droit, mais ce n'est pas normal pour un peuple de penser que ses écoles ne sont pas les meilleures écoles. Je veux dire que c'est tout à fait...

M. Ciaccia: Vous ne répondez à ma question.

Le Président (M. Cardinal): Très brièvement, le temps est déjà dépassé.

M. Ciaccia: Ah! Je n'ai pas cinq minutes encore, M. le Président?

Le Président (M. Cardinal): Non, je m'excuse. M. Ciaccia: Excusez-moi, ça passe bien vite.

Le Président (M. Cardinal): Les auditions ont commencé à 12 h 8 et vous avez commencé à 16 h 38.

M. Ciaccia: Seulement pour terminer, vous n'avez pas répondu à ma question, parce que le projet de loi consacre cette liberté de choix, même si vous pensez que c'est aberrant, quoique cela existe dans d'autres pays, il consacre cette liberté de choix pour un groupe de citoyens tandis qu'il ne le donne pas à l'autre. Ma question était donc: Est-ce que vous ne trouvez pas qu'un groupe de notre société est avantagé plutôt qu'un autre groupe?

Mme Collier: Est-ce que je peux quand même avoir le droit de répondre, M. le Président?

Le Président (M. Cardinal): Certainement oui. M. le député a terminé, mais vous avez encore le droit de continuer.

Mme Collier: J'aimerais demander à M. le député s'il trouverait normal qu'on inscrive dans la loi que les anglophones n'ont pas le droit d'aller aux écoles françaises?

M. Ciaccia: Non. Un instant! Savez-vous, il y a différentes manières de formuler des questions et des lois. Je trouverais aberrant de dire qu'un anglophone ne pourrait pas aller aux écoles françaises, naturellement, quand le but du projet de loi est de franciser, la langue de communication étant le français, de permettre à des gens de communiquer, de travailler et de vivre en français.

Mais ce n'est pas ma question. Je ne pense pas qu'on puisse répondre à une question par une autre question. C'est une tactique qu'on peut utiliser, je l'utilise parfois moi aussi, mais, dans ce cas-ci, je ne pense pas que vous puissiez répondre à ma question en en posant une autre. Vous n'avez pas répondu, seulement pour fins d'enregistrement M. le Président. On n'a pas répondu à ma question.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. Cela vous a quand même donné trois minutes de plus. Madame, avez-vous quelque chose à ajouter?

Mme Collier: Non, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Cette audition va se terminer avec l'intervention de M. le député de Deux-Montagnes.

M. de Bellefeuille: Merci, M. le Président. Mme Collier, je pense que le plaisir que les ministériels ont eu à entendre votre mémoire et vos observations, vos réponses aux questions, est évident.

Nous ne sommes nullement gênés de manifester ce plaisir. Ce plaisir n'est pas accompagné d'étonnement ni de surprise, parce que nous savons que nos idées, pour l'essentiel, sont partagées par un nombre croissant d'anglophones du Québec, surtout dans les couches populaires.

C'est peut-être un phénomène qui a échappé à l'attention d'autres formations politiques qui sont plus près des élites. Votre mémoire, vos déclarations, ont provoqué, comme vous avez pu le constater, un certain désarroi dans les rangs de l'Opposition à cette commission, mais je ne m'étendrai pas là-dessus.

Je voudrais revenir—le ministre l'a déjà fait—sur la nouveauté, en quelque sorte...

M. Ciaccia: Question de règlement, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Mont-Royal, sur une question de règlement.

M. Ciaccia: On a imputé certains motifs aux questions que nous avons soulevées. Il n'y a pas eu de bouleversement ni de désarroi dans nos questions. Nous cherchions des réponses à des questions assez précises.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît! Remarquez que j'aurais pu demander quel article vous invoquiez. C'est presque une question de privilège. C'est en vertu de l'article 96 que je vous ai permis votre question, parce que vous veniez de faire un discours.

M. le député de Deux-Montagnes.

M. de Bellefeuille: Je n'interviendrai pas sur cette prétendue question de règlement, M. le Président, je vais reprendre le fil de ce que j'étais en train de dire à nos invités.

Le ministre a déjà souligné que, d'une certaine façon, votre mémoire est nouveau en ce sens qu'il tranche sur un certain nombre d'autres mémoires que des groupes anglophones ont présentés à la commission et il est nouveau aussi, en ce sens qu'il est un de ceux qui ont apporté le plus d'éléments concrets — pour employer un mot qui faisait partie de nom du groupe qui vous a précédé, des éléments "positifs" — par exemple, quant à l'aide à la francisation, vous nous présentez des propositions qui résultent manifestement d'une étude fouillée de la question et vous envisagez, Dieu merci, l'aide à la francisation, non seulement au niveau des entreprises, parce que, à ce niveau-là, on en a entendu de toutes les couleurs, mais vous l'envisagez au niveau des travailleurs qui sont, eux, touchés, évidemment par les programmes de francisation et vous proposez des modalités d'aide qui fassent en sorte que cette

aide soit financée à la fois par l'Etat et par les entreprises. Je crois que vous en attribuez principalement le fardeau aux entreprises, mais que vous reconnaissez un rôle de l'Etat et que vous souhaitez en particulier que l'Etat s'occupe des travailleurs qui sont temporairement retirés du monde du travail parce qu'ils sont chômeurs ou assités sociaux. Ce sont là des propositions que nous allons étudier très attentivement et qui présentent un intérêt indubitable.

Tout à l'heure, on vous a interrogés sur des questions de droits individuels. De vos réponses, j'ai dégagé la notion d'un droit individuel qui semble parfois échapper à l'attention de certains de nos collègues.

C'est un droit individuel que je crois que vous avez entrepris de soutenir et le gouvernement aussi est bien résolu à le soutenir, c'est le droit individuel des Québécois, de chaque Québécois, puisque c'est un droit individuel, de participer à la vie commune du Québec et je crois que c'est là un fondement de votre mémoire, un fondement extrêmement important et qui aide à situer la Charte du français dans une juste perspective. La Charte du français est un instrument qui va nous permettre de lutter pour faire prévaloir les droits individuels et, en particulier, le droit individuel de participer à la vie commune, droit qui est en filigrane de la déclaration universelle des droits de l'homme.

Je voudrais signaler aussi un autre élément de nouveauté dans votre mémoire, à la page 12, là où vous observez, là où vous parlez des cours, des classes d'immersion. Mais vous êtes les premiers à nous signaler "que c'est en fait les personnes qui vivent dans les quartiers ouvriers qui auront besoin du français davantage que les parents de la classe mobile bourgeoise du West Island dont les enfants apprendront le français dans des classes d'immersion et qui parleront quand même la langue de l'élite dominante." Je crois que cette observation est tout à fait pertinente et que cela aide à situer ces fameuses classes d'immersion dans leur véritable contexte. Si l'élite anglophone se préoccupe vraiment de la condition des anglophones au Québec, elle devrait, comme vous, se préoccuper des dispositions que l'on prend pour que les classes populaires anglophones au Québec puissent elles aussi apprendre le français à l'école et au milieu de travail.

Je voudrais, en troisième lieu, Mme Collier, vous poser une question à laquelle il est peut-être difficile de répondre, une question qui est peut-être délicate, mais une question qui a trait a des attitudes et à des comportements et, lorsqu'il s'agit de questions de langue et de culture, on n'échappe guère aux questions d'attitude et de comportement. La question que je veux vous poser a trait au fait qu'une certaine proportion des Québécois soit de souche britannique, soit d'autres souches, mais ayant choisi l'anglais comme langue d'usage, une certaine proportion de ces gens — je parle de ceux qui sont établis au Québec depuis des générations; je dis bien depuis des générations, je ne parle pas de Néo-Québécois, je ne parle pas d'immigrants — se sont abstenus d'apprendre le français. J'ai parfois l'impression que les gens, justement, qui viennent nous parler de classes d'immersion sont ceux-là même qui, depuis des générations, s'étant abstenus d'apprendre le français, cherchent à passer le fardeau à leurs enfants. Il y a une question que je veux vous poser. Avez-vous une idée... Moi, je suis Québécois de souche francophone, ce que je connais des anglophones, cela vient de l'observation, cela ne vient pas du tréfonds de moi-même. Vous, je ne sais pas si vous êtes mieux placée pour savoir ce qui se passe au tréfonds des gens. La question que je veux vous poser, c'est: Pourquoi ce phénomène s'est-il présenté? Pourquoi ce nombre X de Québécois s'est-il, génération après génération, abstenu d'apprendre le français?

Mme Collier: II y a au moins — je pense comme cela — deux raisons. Une raison, c'est qu'au Québec, l'anglais a toujours été la langue la plus payante. On a les études de la Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme, qui ont démontré que les francophones étaient les deuxièmes sur quatorze catégories de groupes ethniques au point de vue des salaires.

On a de plus récentes études qui ont été publiées dans le Devoir par un sociologue à l'Université de Montréal qui démontre que la situation n'a pas encore beaucoup changé, que les unilin-gues anglophones gagnent encore plus que les bilingues francophones. Les gens n'ont pas eu l'encouragement économique dans ce sens-là pour apprendre le français.

Deuxièmement, le Québec, c'est la seule province où on trouve tout un système d'institutions parallèles pour le groupe ethnique anglophone, c'est-à-dire qu'il y a le système scolaire, le système des hôpitaux, les services sociaux qui font qu'un anglophone est tout à fait capable de se débrouiller de jour en jour en anglais. Je pense que ce sont surtout pour ces deux raisons que ce n'est pas tout le monde qui a appris le français. C'est très facile au Québec de se débrouiller sans le français.

Le Président (M. Cardinal): Le député de Deux-Montagnes.

M. de Bellefeuille: M. le Président, avec votre permission, j'ai une dernière question. Vous avez parlé de la restructuration scolaire, Mme Collier, dans votre mémoire. Il arrive, comme le ministre vous l'a indiqué, que ces questions sont actuellement à l'étude. Il arrive, par ailleurs, que le député qui vous parle a lui aussi ses idées là-dessus. La question que je veux vous poser est celle-ci: Dans le cadre d'un régime scolaire unifié, éventuel, dans le cas où cela se produirait, seriez-vous en faveur de l'enseignement, non seulement de la langue officielle, le français, non seulement de l'anglais considéré comme langue utile et quasi indispensable, du moins pour la majorité des Québécois, mais seriez-vous aussi en faveur de l'enseignement d'autres langues dans les localités ou les quartiers où il y a, par exemple, une concentration d'Italiens, de Grecs, de Portugais

ou de Polonais, concentration qui, selon certaines normes qui resteraient à fixer, serait suffisante, sur demande des parents, pour que l'on donne aux enfants, à l'école publique et aux frais de l'Etat, l'enseignement d'une tierce langue?

M. Muzynski: II faut dire que notre comité n'a pas tellement abordé cette question, mais je pense qu'en parlant pour le comité, on peut dire qu'on serait entièrement d'accord, en même temps qu'une réorganisation scolaire basée sur des décisions plus démocratiques, des décisions venant plus de la base, pour que, dans les quartiers où se trouve une proportion assez élevée de gens, d'autres groupes ethniques, italiens, grecs ou portugais, il y ait l'enseignement de leur propre langue et un enseignement de qualité. Je pense qu'on est bien d'accord avec cela.

Le Président (M. Cardinal): Merci, Mme Collier; merci, M. Muzynski; merci à votre organisme, qui s'est représenté devant nous cet après-midi. J'appelle immédiatement le prochain organisme, le Mouvement Québec français, mémoire 30. Alors, merci. Au revoir.

M. Muzynski: Merci.

Mme Collier: M. le Président, messieurs et madame le député, je vous remercie.

Le Président (M. Cardinal): Merci, madame. M. François-Albert Angers, je vous prierais, suivant l'usage, d'identifier ceux qui vous accompagnent, ainsi que votre organisme ou mouvement. Vous aurez 20 minutes pour exposer votre mémoire ou en faire un résumé. M. Angers, vous avez la parole.

Mouvement Québec français

M. Angers (François-Albert): M. le Président, même si je pense qu'un peu tout le monde connaît le Mouvement Québec français, il est peut-être bon de signaler que c'est une sorte de front commun qui s'est formé à un moment donné, devant l'urgence qu'il y avait à régler la question de la langue, front commun qui est certainement des plus représentatifs de la société québécoise, puisqu'il comprend l'Alliance des professeurs de Montréal, l'Association québécoise des professeurs de français, la Centrale de l'enseignement du Québec, la Confédération des syndicats nationaux, la Fédération des travailleurs du Québec, le Mouvement national des Québécois, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal et l'Union des producteurs agricoles.

L'ensemble de ces associations, en excluant certaines d'entre elles qui sont un peu reliées, forme un total de 775 000 membres, donc représente, on peut dire, beaucoup plus d'un million de Québécois.

Ici avec moi, aujourd'hui, se trouvent... Enfin, je vais les énumérer. Ils pourront peut-être se lever pour se distinguer. M. Manuel Coelho, représentant de l'Alliance des professeurs de Montréal; M. Jean-Paul Champagne, représentant la Société

Saint-Jean-Baptiste de Montréal; Mme Ruth Paradis, représentant le Mouvement national des Québécois; Mlle Christiane Fradette, représentant la Centrale d'enseignement du Québec; Mme Fran-cine Lalonde et M. Michel Rioux, représentant la CSN et M. Fernant Daoust qui devrait être ici d'un moment à l'autre, il était ici tout à l'heure. Ce dernier représente la Fédération des travailleurs du Québec.

D'une façon générale, je vous signale que ce mouvement, justement, étant donné son importance, a comme représentants des mouvements, toujours le président de l'association ou son collaborateur le plus immédiat, plus une autre personne qui est intimement liée à l'action du président. En somme, on a voulu montrer l'importance qu'on attachait à ce front commun, en y désignant non pas une personne déléguée, mais vraiment le président ou son collaborateur le plus immédiat et un autre de ses collaborateurs pour que cela soit vraiment représentatif du mouvement. Alors, voilà ce qu'est le Mouvement Québec français et les personnes qui sont ici avec nous.

Le Président (M. Cardinal): Nous commençons donc — je m'excuse de ce minutage, mais il le faut — à 17 h 13.

M. Angers: M. le Président, puisque nous n'avons pas le temps d'exposer notre mémoire au complet, je vais vous demander l'autorisation, à vous et à la commission, d'inscrire notre mémoire au journal des Débats et aussi, je crois que vous devez avoir les deux pièces, soit un addenda.

Le Président (M. Cardinal): M. Angers, le président vous accorde tout simplement ce droit. Votre mémoire et l'addenda ou les addenda seront reproduits en annexe au journal des Débats. (Voir annexe 3).

M. Angers: Je vous en remercie, M. le Président.

J'ajoute ceci qui est caractéristique de la situation du MQF à cause de sa nature même. Ce que nous présentons, ce n'est pas une analyse de l'ensemble de la question, ceci est fait par chacun de nos mouvements. Les points dont nous allons parler sont des points sur lesquels les associations membres ont fait l'unanimité. Par conséquent, il s'agit de ce qui est essentiel dans le débat sur la langue que nous considérons comme quelque chose d'intangible, parce que, précisément, c'est le minimum de ce qui est possible d'établir comme exigence dans un ensemble de mouvements aussi importants qui ont des intérêts très divers.

Partant de là, je vous signale rapidement les sujets que vous trouverez traités dans le mémoire qui est en cinq parties, en somme. Une partie sur l'enjeu du débat linguistique au Québec qui nous paraît la partie principale. Une deuxième partie sur la portée du projet de loi qui a son importance aussi; nous y reviendrons. Une troisième et une quatrième parties qui portent sur ce que nous appelons les faiblesses de la loi et qui concernent deux aspects particuliers qui sont la question de

l'article 133 de l'AANB et la question des droits scolaires des anglophones. Et finalement, une cinquième partie qui traite des problèmes de l'Office de la langue française.

La question de l'enjeu nous paraît une des parties essentielles de notre mémoire et aussi du problème auquel ont à faire face les députés, la commission parlementaire, le cabinet et le gouvernement en Assemblée nationale. Le point que nous essayons de faire valoir, c'est que nous sommes dans un Québec qui est français par ses origines d'abord. Il n'y a pas de raison, par conséquent, d'être à moitié français, à moitié anglais, trois quarts français, un quart anglais.

Un Québec qui est français par ses origines.

Un Québec qui est toujours resté français à travers les constitutions accordées par l'Angleterre elle-même; donc, une situation de droit fondamental qui a fait du Québec un Etat français après avoir été une colonie française, même si c'est à l'intérieur de la Confédération.

Le problème en jeu dans le débat linguistique depuis 1969 — c'est ce que nous essayons de faire valoir, de faire saisir à tous les Québécois, à tous les députés — c'est: Consentons-nous aujourd'hui à nous départir de ce qui est notre seule patrie? Consentons-nous à y installer un droit nouveau qui serait la reconnaissance d'une part d'égalité ou de cohabitation, de communauté avec ceux qui sont aujourd'hui les descendants du conquérant et leurs alliés?

Ce qui voudrait dire, à partir de ce moment, que nous n'avons plus de véritable patrie, que nous n'avons plus un pays à nous où nous pouvons nous exprimer dans ce que nous sommes sans avoir à tenir compte d'une autre culture, sans avoir à intégrer une autre culture. C'est un problème fondamental sur lequel nous insistons dans tout le mémoire en faisant les rappels historiques nécessaires.

Cette question nous paraît très grave et elle ne nous paraît pas avoir été bien perçue par aucun des gouvernements qui ont précédé celui-ci.

Il y a dans ce problème une confusion totale entre une situation de droit et une situation de fait, une situation de droit qui vient des luttes de nos ancêtres et qui a été reconnue par le conquérant, reconnue par l'Angleterre, ratifiée dans des constitutions, nous donnant le droit, à nous, de faire un Québec français, et une situation de fait qui nous a été imposée par les abus et les injustices des anglophones envers le français, en vertu de leur pouvoir de domination, soit politique, soit économique, selon les différentes périodes de notre histoire.

Le mémoire, justement, insiste beaucoup sur cet aspect et relate certains des épisodes majeurs de notre histoire à cet égard en vous signalant que la démonstration complète de ce fait a été déjà présentée soit devant la commission Gendron, soit devant la commission parlementaire pour la loi 22.

L'Acte de Québec est la base de ces droits — je le rappelle rapidement. Dès ce moment, Chartier de Lotbinière avait dit au gouvernement anglais: Inscrivez donc dans la loi la langue française comme langue du Québec, et la ré- ponse du Parlement de Londres n'a pas été aussi claire que cela parce qu'on a réagi à la britannique au lieu de réagir à la française, mais la réponse de Londres a été claire, en ce sens qu'on a dit: Outre le droit criminel, les habitants du Québec se retrouvent dans leurs lois, us et coutumes d'avant la conquête exactement comme si la proclamation de 1763 n'avait pas été faite et n'avait pas existé.

C'était donc, à ce moment, dire clairement: Le Québec est un Etat Français. Bien plus que cela. Les volontés de Londres sont très claires par les documents. Il y a eu des correspondances qui expriment très clairement ce qu'a voulu faire Londres et je cite seulement une phrase d'un des textes importants, fondamentaux dont vous trouverez le sens dans notre mémoire: "Ce que le cabinet veut d'une façon unanime...", a dit le pilote de la loi à un lord qui contestait cette position "...c'est d'établir un gouvernement civil pour des établissements de nombreux sujets français." Donc, l'intention de Londres a été vraiment de reconnaître le Québec comme une colonie française dans l'empire, ayant le droit de rester française et de s'administrer selon les us et coutumes de la majorité à travers les constitutions qui sont venues et aucune constitution, à l'extérieur, n'a jamais changé ce chef fondamental.

Toutes l'ont confirmé, au contraire, par leurs implications, et 1791 qui a séparé les deux Canadas pour donner un Canada anglais, qui était français avant 1791, aux Anglais et laisser aux gens du Québec leur Etat français, leur colonie française; et 1840 qui a maintenu le régime des deux systèmes à l'intérieur d'un même Parlement; et 1867 qui a mis l'article 133 précisément pour accorder un minimum de droits aux anglophones du Québec afin que, justement, la majorité n'enlève pas ces droits, étant considéré que l'on accorderait aussi les droits similaires aux francophones du reste du Canada.

Alors, tout cela, c'est une reconnaissance formelle du droit du Québec de rester français, et nous soulignons dans notre mémoire, très fortement que ce n'est pas parce que nous avons été soumis à la domination, ce n'est pas parce que nous avons été soumis à des régimes qui ont été des régimes où on a essayé d'impliquer dans des parties canadiennes une collaboration canadienne-française pour faire changer certaines choses, pour nous assimiler en douce, comme l'avait affirmé Pitt en 1791 en disant: "On va peut-être les assimiler en douce, mais, de toute façon, il faut leur donner ce qu'ils veulent". Eh bien! ils n'ont pas réussi à nous assimiler en douce.

Nous voulons l'Etat français, nous y avons droit et, précisément, c'est un droit reconnu. Il n'est pas question qu'on accepte des concessions sur ce point-là. Et c'est bien ainsi que nos ancêtres ont compris la situation et qu'ils ont mené leurs affaires tant que nous n'avons pas eu les confusions qui sont nées de la Confédération, parce que le grand débat à ce point de vue a été le débat de 1792 où on a proposé, pour l'Assemblée, un orateur qui ne savait pas l'anglais et où Papineau, le père de Louis-Joseph, s'est levé contre les anglophones qui protestaient et a dit: "II est

inadmissible que, dans cette province reconnue française par Londres, une personne quelconque ne puisse pas aspirer aux plus hauts postes du Québec parce qu'elle ne sait pas l'anglais." Par conséquent, l'orateur du premier Parlement du Québec a été un orateur qui ne savait pas l'anglais et qui était obligé de présider à des débats avec des anglophones. C'était l'affirmation de base qui montrait que nos ancêtres avaient bien compris ce qui leur avait été donné par Londres et avaient l'intention de le défendre. Or, les premières brèches — c'est cela qui est grave — qui ont été faites à cette situation de droit... il n'y en a eu aucune avant le bill 63, il n'y en a eu aucune avant le bill 22, qui ont essayé d'introduire un nouveau principe qui était le principe d'un Etat québécois bilingue en droit. Même si l'anglais s'était répandu en fait, cela ne changeait pas la situation de droit et, évidemment, si on est obligé de légiférer aujourd'hui, c'est parce que la portée du droit n'a pas été reconnue par les anglophones du Québec qui, en dépit des lois de leur propre souverain, ont constamment violé ces lois et n'ont pas respecté les droits de la population du Québec en lui imposant l'anglais, en lui imposant de travailler en anglais.

Voilà la base historique sur laquelle nous nous fondons pour vous dire: Vous avez à décider aujourd'hui si vous nous ôtez la patrie française du Québec pour en donner une partie à des anglophones, en tant que communauté ayant le droit de partager avec nous ou si notre seule patrie, vous allez nous la donner en faisant du Québec un Etat français où on respectera les droits des minorités, mais non pas le droit d'une communauté qui voudrait être égale à nous en se décrétant peuple fondateur, non seulement du Canada, mais du Québec, ce qui n'est pas la même chose.

Alors, rapidement, la portée de la loi, nous l'approuvons. Nous disons: Le projet de loi déposé établit vraiment le français comme seule langue officielle et nationale, même s'il comporte certaines faiblesses qui sont susceptibles d'ouvrir la porte à des interprétations contradictoires. Ces faiblesses, nous les discutons et nous proposons des changements. Ces faiblesses sont dangereuses pour l'intégrité du droit du français au Québec, parce qu'elles peuvent ouvrir la porte à des interprétations juridiques qui élargiraient le droit des anglophones, droit qu'ils n'ont pas, droit qui n'existe pas. Nous allons leur donner des droits scolaires qu'ils n'ont jamais eus. Nous allons leur donner sous forme de droit une situation de fait que nous avons acceptée, mais qui n'a jamais été une situation de droit.

Alors, pour les anglophones, cette loi est extrêmement généreuse dans sa portée, elle leur confère des droits nouveaux scolaires qu'ils n'ont jamais eus auparavant comme droits et, quant au reste, elle laisse aux anglophones toutes les possibilités normales d'utiliser l'anglais dans un pays normalement français. Le vice de toute l'argumentation des groupes anglophones, c'est qu'ils n'admettent pas un vrai Québec français et qu'ils veulent un Québec bilingue avec le libre choix, égalité des deux langues dans le débat linguisti- que. Elle ne paraît contraignante — et je voudrais qu'on ait le temps de l'examiner article par article, nous le faisons dans le mémoire, vous l'avez lu — que pour ceux qui ne respectent pas la population du Québec et qui refusent de lui accorder la reconnaissance de son droit légitime à un Québec français. Elle n'empêche personne de parler anglais entre eux, de discuter en anglais, même de faire des réunions de commissions scolaires, si ce sont des commissions scolaires anglaises, mais on n'a pas à leur reconnaître ce droit-là. Elles peuvent le faire si des Anglais se trouvent tous ensemble, s'il y a des Canadiens français, des Québécois francophones qui exigent le français, il est normal qu'on leur donne le français.

Elle est donc contraignante pour ceux qui ne veulent pas respecter les droits fondamentaux d'un Québec français et des citoyens français du Québec. Ceci, encore une fois, contre toute justice, contre tout respect envers le peuple du Québec et ses droits fondamentaux, à l'encontre de toutes les constitutions qui nous viennent de Londres même.

A partir de là, c'est là que nous contestons certaines faiblesses de la loi, en particulier à l'article 133 où nous trouvons que le gouvernement a évité le problème dans ses articles 7 à 13 en essayant d'avaliser l'article 133 pour le corriger dans ses détails plutôt que de poser le vrai problème qui devra être résolu un jour, donc c'est une perte de temps que de ne pas le poser, est-ce que l'article 133 peut être amendé pour faire un vrai Québec français et à quelle condition?

Nous croyons que vous devriez mettre dans la loi un article qui dit: L'article 133 n'est plus une opération au Québec et on voit ce qui en résultera quant à savoir si nous avons le droit ou non de l'amender.

L'article 52 de la loi pose aussi des problèmes parce que le principe du droit d'admissibilité à l'enseignement en anglais par la seule fréquentation scolaire des anglophones n'est pas un principe. C'est un mode administratif qui va justement aller à l'encontre de ce qui est la vraie base de droit que nous voulons accepter, nous reconnaissons, nous acceptons qu'à cause de l'association historique des anglophones qui vivent actuellement au Québec, nous acceptons de leur reconnaître des droits scolaires qu'ils n'ont jamais eus. Mais c'est pour les gens du Québec, ce n'est pas pour ceux qui viennent du monde entier, c'est pour les anglophones du Québec. C'est pour les seuls anglophones. Or, la fréquentation scolaire d'un des parents va amener des francophones, des Italiens, des Ukrainiens, toutes sortes de gens qui ne sont pas des vrais anglophones à avoir le droit perpétuel à l'école anglaise, c'est un principe qui va porter discrimination par rapport à d'autres groupes qui n'ont pas fréquenté l'école anglaise, alors qu'ils ne sont pas anglophones.

Nous insistons beaucoup sur ce point et nous vous proposons un amendement fondamental à l'article 52 que vous retrouverez à l'addenda, et sur lequel nous sommes tous unanimes, dans nos groupes, qui a pour objet de rétablir le principe de la langue, mais de vous le présenter, puisque tout

le monde a été tellement frappé par la difficulté des tests, sous une forme plus souple qui retient le principe de la fréquentation scolaire des parents comme critère déterminant dans le moment, mais qui pose le principe fondamental de la langue de l'enfant de telle façon que s'il y a des contestations devant les tribunaux, ce soit le principe de la langue qui soit la base de l'interprétation juridique.

Alors, nous vous proposons donc cet amendement et nous vous demandons de le faire, parce que nous croyons que c'est extrêmement important, c'est la partie la plus faible de la loi, parce qu'elle n'a pas la clarté et la fermeté des autres principes qui sont posés et elle ne réserve pas aux seuls anglophones mais elle étend à d'autres le droit d'aller aux écoles anglaises. Alors, si on l'étend de cette façon, où seront les limites éventuelles après interprétation par les tribunaux.

Voila donc les parties essentielles de notre mémoire. Je vais demander à Mme Monique Richer-Gasse de lire rapidement les conclusions qui vont terminer notre présentation.

Mme Richard-Gasse: Nous terminons en soulignant au gouvernement que, sauf peut-être sur des points en détail, à examiner de près d'ailleurs pour voir si quelque changement mettrait en jeu des principes de base et vicierait toute la loi, ainsi que cela se produisait dans la loi 22, la Charte de la langue française, telle que rédigée, n'est à peu près pas amendable, dans le sens d'un élargissement de la place de l'anglais. Sa rédaction soignée et précautionneuse montre bien que le gouvernement a déjà été suffisamment influencé par l'atmosphère ambiante qu'ont créé les deux lois antérieures, 63 et 22 et qu'il a, en conséquence, introduit dans la loi le maximum et un peu plus, de ce qu'il était possible d'accorder aux anglophones sans mettre en cause l'économie même d'une loi qui veut et qui doit rester la Charte de la langue française, seule langue officielle au Québec.

C'est en restant ferme dans son souci d'assurer le respect et la dignité du caractère intégralement français du Québec que le gouvernement se fera respecter par la minorité anglophone elle-même. Tenter de la démobiliser par des concessions ne fera que l'encourager à réclamer encore davantage. Le meilleur moyen d'en finir avec l'opposition anglophone, c'est de tenir bon jusqu'au bout, du moment que nous avons la certitude d'être parfaitement dans notre droit.

C'est pourquoi il est psychologiquement si important de nous donner la peine de bien comprendre notre histoire, de la bien connaître, afin d'éviter d'avoir des doutes sur nos propres droits, de nous sentir obligés de reconnaître aux anglophones des espèces de droits qu'ils considéreront ensuite comme sacrés pour nous impressionner davantage.

Tout en manifestant la plus grande confiance au gouvernement sur cette matière, confiance qu'il a déjà largement méritée en osant déposer le projet de loi actuel, le MQF sait tout de même que la partie n'est pas finie tant que la loi n'aura pas été votée et que, par suite, le gouvernement devra subir un assaut majeur avant que le rideau tombe sur le sort de cette loi.

Aussi, nous nous croyons obligés et nous estimons que c'est l'honnêteté qui nous y oblige, de dire que nous ne pourrions accepter, sans rentrer dans la lutte et redevenir des opposants acharnés comme nous l'avons été contre les lois 63 et 22, quelque amendement que ce soit qui aurait pour conséquence, même si l'on prétend que cela n'est pas l'objet, d'établir l'anglais au Québec dans une situation de droit fondamental sur quelque point que ce soit. D'ailleurs, nous prenons la présente charte pour ce qu'elle est en regard des droits accordés aux anglophones, une loi statutaire, donc modifiable à volonté par l'Assemblée nationale, selon les effets fastes ou néfastes qui pourraient en résulter.

En vertu du respect des droits fondamentaux de la personne ou des collectivités ethniques de portée non nationale, les avantages qu'accorde le projet de loi no 1 à la minorité anglaise excèdent en effet de beaucoup ce que réclament dans ces cas les chartes universelles des droits de l'homme et les conventions internationales. Nulle part dans ces textes fondamentaux, il n'est question du droit au libre choix de la langue d'enseignement. Tout au contraire, c'est d'abord la protection des droits des langues nationales pour les peuples justifiés de s'autodéterminer qui prime.

La Cour internationale des droits de l'homme a déjà clairement porté jugement dans des causes de ce genre, et son jugement a été catégorique. Il n'existe pas de droits linguistiques fondamentaux qui permettent le libre choix de la langue d'enseignement. Ce qui existe, c'est le droit fondamental de toute minorité ethnique de créer des écoles, au besoin avec l'aide de l'Etat, où elle pourra faire enseigner sa langue, non pas donner l'enseignement dans sa langue, et ceci, à deux conditions: a) Que les minorités ne se servent pas de ces écoles pour s'isoler de la communauté nationale; b) Que le fonctionnement de ces écoles ne constitue pas un danger pour la souveraineté nationale.

Il est évident que la minorité anglophone du Québec jouira de beaucoup plus que cela en vertu de la charte proposée. Nous sommes convaincus que c'est la trop grande ignorance de notre histoire en général, comme celle même de ces événements des dernières années, qui expliquent les réticences ou les tiraillements qu'éprouvent tant des nôtres à mettre un point final à cette lutte où nous avons dépensé tant de nos énergies, comme si le monde anglophone s'était donné le mot pour nous y occuper pendant qu'il s'installait dans le contrôle de l'économie.

Il est temps que nous renversions au moins la vapeur et que notre gouvernement nous redonne la liberté de passer nos journées à autre chose qu'à des activités pour nous tenir tout simplement en vie et pour survivre.

C'est pourquoi nous voulons que le présent gouvernement, étant donné toute sa valeur symbolique dans notre histoire, garde la fermeté nécessaire pour ne rien céder sur nos droits en la matière.

C'est pourquoi nous applaudissons à l'effort sérieux qu'il a entrepris pour cela. C'est pourquoi nous voulons aussi qu'il le règle de façon claire dans tous les aspects de la question.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Je vous remercie beaucoup.

M. Angers: J'ajoute juste un mot pour vous dire que, dans cette conclusion — vous le rappeler — il y a une partie historique qui était trop longue pour être lue et qui montre que ce n'est pas nous qui avons commencé le bal des lois linguistiques, mais qu'au contraire, nous avons été forcés de légiférer parce que ce sont les anglophones qui, à partir de 1969, ont exigé des lois pour se faire donner un libre choix qui n'avait jamais été dans nos lois. C'est à partir de la loi 63, résultant de l'effort et de la pression des anglophones sur Jean-Jacques Bertrand, que la lutte qui nous a amenés aux lois actuelles a commencé et nous a obligés à faire des lois claires et nettes pour que le droit du Québec soit franchement et clairement établi. Cette partie est importante, parce qu'on nous accuse souvent de faire de l'agitation sur le français, mais l'agitation, nous ne l'avons pas faite, ce n'est pas nous qui l'avons commencée, elle a commencé par la volonté des anglophones d'amener le Parlement du Québec à légiférer pour imposer le principe du libre choix qui n'avait jamais été dans nos lois.

Le Président (M. Vaillancourt, Jonquière): Je vous remercie beaucoup, M. Angers. Votre temps est maintenant expiré. Je cède la parole au ministre.

M. Laurin: Je veux d'abord remercier profondément le Mouvement du Québec français pour avoir pris la peine de préparer et de nous apporter un mémoire aussi complet, aussi étoffé et aussi lumineux dans tous les sujets qu'il aborde.

Nous sommes heureux qu'il reprenne à son compte une phrase que nous avons déjà utilisée il y a quelque temps selon laquelle le peuple québécois, et particulièrement sa majorité francophone, attend ce projet de loi depuis 200 ans. C'était bien, en effet, la volonté du gouvernement de donner enfin une expression légale, juridique, législative, claire, à une situation de fait que personne, à moins de n'être aveugle, ne peut s'empêcher de voir, qu'un peuple habite ici depuis quatre siècles qui parle le français depuis ses origines, qui a créé ses institutions, qui a une culture, ses traditions, son territoire, qui s'est enrichi, bien sûr, de l'apport de plusieurs autres groupes ethniques au fil des siècles qui ont participé à son développement, mais qui entend demeurer fidèle à sa ligne de force, à sa trajectoire existentielle et qui entend utiliser tous les riches apports de sa nature originelle pour apporter sa contribution au patrimoine universel.

Il est devenu nécessaire d'affirmer ces vérités évidentes dans une loi et je pense qu'en le faisant, nous comblons, en effet, les attentes du peuple québécois. Le mémoire que vous nous présentez est extrêmement important, en raison aussi du groupe que vous représentez. Quand je vous entendais dire, au début, que votre groupe représentait à la fois tous les secteurs de la population et, en particulier, les travailleurs qui oeuvrent dans tous les secteurs de la collectivité, qu'il s'agisse des travailleurs industriels ou agricoles, des intellectuels, des professeurs de français, je pense bien qu'on peut dire que nous avons ici une sorte de microcosme de notre société. Constater que le Front du Québec français, le Mouvement du Québec français, qui a lutté avec tellement de courage et de ténacité pour l'affirmation de notre identité collective, vienne maintenant dire son accord au gouvernement, avec ses 775 000 membres qui en représentent bien d'autres, constitue pour nous la meilleure preuve que nous avons pris la bonne décision, que nous avons orienté nos efforts dans la bonne direction et que nous mettons résolument le cap vers l'avenir.

Votre mémoire est important aussi en ce sens qu'après en avoir lu et entendu plusieurs, je pense que c'est le mémoire qui a le mieux cerné l'esprit, les principes et les règles que le gouvernement a voulu donner au projet de loi. J'aimerais bien pouvoir "substancier" mon argumentation avec plusieurs des passages de votre mémoire. Là aussi, je me félicite de cette correspondance, heureux que le projet de loi puisse au moins être compris pour ce qu'il est par les secteurs importants de l'opinion.

Je voudrais vous poser quelques questions qui nous permettront peut-être de mieux apprécier certaines des représentations qui nous ont été faites. Vous dites, à la page 14, qu'il importe de distinguer entre la situation de droit et la situation de fait. Vous poursuivez en disant que le rôle des lois est d'établir les situations de droit et que tout ce qu'une loi ne défend pas reste permis.

Je pense que c'est là une notion capitale, fondamentale, qui n'a pas toujours été perçue au cours des derniers mois, notion capitale qui a inspiré toute l'action législative du gouvernement et qui pourrait nous permettre de nous reconnaître dans le dédale des articles, comme fil directeur qui donne sa cohésion et sa cohérence au projet de loi.

J'aimerais quand même que vous nous disiez davantage comment vous concevez cette distinction que vous faites entre les situations de droit et les situations de fait, et comment vous concevez le plus clairement possible le rôle des lois pour nous permettre de légiférer sur les situations de fait et de droit.

M. Angers: Dans le cas présent, les situations de droit établissent des choses qu'il faut respecter. Toute la loi... D'ailleurs, la première partie les énonce. Elle pose le droit des Québécois, des citoyens du Québec de réclamer la langue commune, la langue française, dans leurs activités. Cela ne leur interdit pas d'utiliser l'anglais quand ils le veulent ou comme ils le veulent. Dès qu'un citoyen exige ou veut qu'on lui parle dans la langue commune, son opinion doit être respectée. C'est ce que le droit établit. Ce sont les normes

fondamentales qui doivent être respectées, qui doivent être pratiquées. Comme on ne dit pas: II est interdit de parler anglais, on dit simplement que le droit des Québécois est d'exiger le français, ceux qui ne l'exigeront pas n'ont pas à s'en plaindre. Leur droit doit être respecté, mais la liberté de parler anglais, allemand, italien, chinois ou toute autre langue n'est absolument pas atteinte, sauf que personne ne peut s'émanciper de la langue commune et de la langue nationale. C'est cela qui fait la différence.

La situation de fait qui s'établit au Québec, comme nous avons essayé de le montrer, est tout à fait contradictoire avec toutes nos constitutions. Elle résulte d'une histoire qu'on pourrait reprendre en détail et qui est surtout une histoire de domination et de refus de reconnaître le Québec français. La loi, à l'heure actuelle, dit: Maintenant, vous allez reconnaître le Québec français. Ce qui, au fond, n'empêche pas ces gens de continuer, entre eux, à faire le même genre d'activités en anglais, mais ils ne devront pas exiger l'anglais pour donner des emplois quand l'anglais n'est pas absolument nécessaire, comme ils ont fait depuis toujours, en s'arrogeant le droit d'imposer leur langue.

C'est le point important. Le commissaire McWhinney, à ce point de vue, à la Commission Gendron, a bien éclairé le problème. Une situation de fait ne crée pas de droits acquis, quand le droit fondamental a déjà édicté que cette situation de fait n'existe que par tolérance. La tolérance d'une situation ne supprime pas le droit fondamental des gens. Le droit fondamental existait. Là, vous l'écrivez en clair dans une loi. Avant cela, cela découlait d'un ensemble de constitutions. C'est un peu cela qui est important. Vous avez été très prudents dans la loi, nous disant, à un moment donné... Parce que vous avez pris soin de définir les droits sans interdire l'usage qui serait conforme aux droits, l'usage de la langue étrangère qui resterait conforme aux droits, c'est-à-dire qui respecterait la langue commune et la population fondamentale du Québec.

M. Laurin: Est-ce à dire que la déclaration de certains droits qui sont énoncés à l'origine du projet de loi, les articles 2 à 6, par exemple, est parfaitement compatible avec le respect des droits individuels de tous les citoyens de la collectivité québécoise?

M. Angers: C'est évident que tous ces énoncés sont parfaitement compatibles avec la liberté des droits de la personne, sauf qu'il y a une grande confusion qui est en train de s'établir chez nous. On finit par nier le droit de la collectivité d'imposer des règles communes pour l'action collective, pour prétendre que les droits des individus vont primer le droit de la langue nationale. On n'a jamais vu cela dans aucun pays du monde, des prétentions comme celles-là. La langue nationale, la langue officielle d'un pays ne viole pas les droits de la personne. Remarquez bien qu'on n'applique cela qu'à l'anglais.

Je vous jure que si un Italien se présente chez vous et qu'il ne sait un mot ni de français ni d'anglais, vous ne lui donnerez pas d'emploi, parce que vous n'êtes pas capable de le comprendre, tout simplement. Vous allez vous attendre à pouvoir vous comprendre. Alors, ce genre de réaction est bien typique du raisonnement qu'on fait au Québec parce qu'on a pris l'habitude de raisonner en fonction d'une situation coloniale, au fond. Des gens ont accepté que l'anglais soit imposé et, aujourd'hui, on en fait un droit que I on continue à nous imposer. Il est clair qu'il n'y a aucune violation des droits de la personne dans l'affirmation d'une langue nationale et dans la prétention que tout le monde doit connaître la langue nationale et que tout le monde a le droit d'exiger qu'on communique avec lui dans la langue nationale. Cela existe partout dans le monde.

M. Laurin: S'il ne vous paraît pas exister de discrimination au niveau des principes, vous paraît-il en exister au niveau des modalités d'application de ces principes qui donnent des effets juridiques aux modalités d'application de ces droits, particulièrement en ce qui concerne la langue de l'administration, administration étant comprise non seulement au sens des ministères, des services gouvernementaux, mais des municipalités et des commissions scolaires, et même de certains organismes parapublics?

M. Angers: Vous croyez y voir que le fait d'imposer le français serait discriminatoire?

M. Laurin: Oui. Je vous pose la question. Si, au niveau des principes, vous ne voyez pas d'opposition entre l'affirmation de ces principes et les droits individuels, en est-il de même au niveau des modalités d'application qui donnent un effet juridique à ces droits dans divers domaines, par exemple dans l'administration?

M. Angers: Dans la mesure où l'effet juridique a simplement comme conséquence d'amener des gens qui, jusqu'ici, n'ont pas respecté le principe, à agir en le respectant, je ne vois pas ce qu'il y a de discriminatoire. C'est une conséquence logique du principe. Je pense que nous avons dit quelque part que le fait qu'on ne permette pas en droit, comme l'avait fait la loi 22, qui donnait un droit nouveau aux Anglais, de pouvoir imposer la langue anglaise dans les délibérations des commissions scolaires. Cela n'empêche pas que, dans une commission scolaire où les gens parleront anglais, et que les gens voudront les laisser parler, qu'il n'y a pas de problème; que, dans une commission scolaire où les gens réunis ne sont que des Anglais, ils pourront se parler en anglais, il n'y a pas de problème. La seule chose que la loi dit, c'est qu'ils n'ont pas le droit de l'imposer. Evidemment cela dérange un certain nombre de gens à l'heure actuelle qui, jusqu'ici, dans certaines commissions scolaires du Québec, refusaient même de parler français aux anglophones qui étaient leurs administrés. Cela les gêne un peu.

Mais nous les obligeons à respecter la règle normale. Parlez anglais tant que vous voudrez, tant que vous êtes tous d'accord pour parler anglais. Seulement, les documents officiels de votre commission scolaire doivent être dans la langue du pays, doivent être tenus dans la langue du pays, quitte, si vous voulez, à vous faire une version anglaise, cela n'est pas défendu, et ainsi de suite. Alors, toutes ces réglementations n'ont pour objet que d'amener une population qui, jusqu'ici, s'est crue "légitimement" sous prétexte de la "conquête" et des "plaines d'Abraham", autorisée à dire: Si les Canadiens français veulent communiquer avec nous, ils nous parleront en anglais. Leur dire: Non, vous n'obligerez pas les Canadiens français à vous parler en anglais, vous allez leur parler français s'ils le veulent, je ne vois pas ce qu'il y a de discriminatoire et d'injurieux pour eux. Evidemment, cela les gêne dans les circonstances actuelles. Ils sont pris à constater qu'ils vont être obligés de faire des choses qu'ils n'ont pas faites jusqu'ici, mais ils étaient dans l'injustice. Nous corrigeons l'injustice. Et que peut-il y avoir de discriminatoire dans la correction de l'injustice? Cela n'a pas de rapport avec la liberté des personnes, avec la Charte des droits et libertés de la personne et ainsi de suite. Cela me paraît bien évident.

M. Laurin: Vous paraît-il excessif ou discriminatoire que l'Etat exige l'utilisation de la langue officielle, par exemple, pour ses communications avec les personnes morales qui composent la société ou que d'exiger que les ordres professionnels communiquent dans la langue officielle avec l'ensemble de leurs membres ou qu'il exige l'utilisation de la langue officielle pour l'affichage public ou pour les raisons sociales.

M. Angers: C'est déjà très large parce qu'après tout, dans un pays normal, tout le monde doit s'adresser à l'administration dans la langue nationale. S'il y a des gens dans l'administration qui consentent à parler des langues étrangères et qui veulent les pratiquer quand ils voient quelqu'un, rien ne les en empêche, mais au fond, la courtoisie élémentaire, cela s'applique même aux personnes physiques à qui vous n'imposez rien à l'heure actuelle...

On ne pense pas que les gens s'adresseraient au gouvernement français dans une langue étrangère à moins que cela ne soit un bureau où on sait qu'il y a des traducteurs qui reçoivent la correspondance des gens qui ne savent pas le français et qui la traduisent; mais normalement, la courtoisie élémentaire veut qu'on s'adresse, autant que possible, dans la langue du pays au gouvernement du pays. Alors, je trouve que la loi est très large à ce point de vue puisqu'elle n'impose qu'aux personnes morales qui, elles, ont clairement le moyen de se payer les employés qu'il faut, les traducteurs qu'il faut pour écrire en anglais... Vous respectez complètement les personnes physiques et vous dites: Elles sont habituées à nous écrire en anglais. Si elles nous écrivent en anglais, on verra ce qu'on fera, mais cela ne doit pas être un droit reconnu.

C'est implicite dans la loi, parce que vous mentionnez les personnes morales, ce qui crée une espèce de droit aux personnes physiques, implicite. C'est très large.

Alors, je ne vois pas du tout ce qu'il y a de discriminatoire dans cela, sauf que, encore une fois, dans la mesure où on perçoit le Québec comme un pays bilingue, où on prétend que la communauté anglophone a des droits qui peuvent être à peu près égaux à ceux des francophones et qu'on devrait respecter les deux communautés et développer deux cultures, évidemment, dans cette perspective, on se trouve à admettre que l'autre communauté a des droits historiques ou autres et il serait illégitime de lui enlever ses droits, mais justement, tout cela a été réglé depuis longtemps. C'est à Londres même qu'on a dit que le droit de conquête n'enlève aucun droit à un peuple et ne crée aucun droit acquis à ceux du pays conquérant qui s'installent dans le pays qui pratiquent leur langue ou leurs coutumes. C'est spécifié. Les juristes de la couronne l'ont dit dès 1766.

Par conséquent, tout cela, ce sont des habitudes prises et qui font qu'on continue à nous dire: On veut bien l'Etat français du Québec. On veut bien que le français, au fond, devienne égal à l'anglais parce que le français a été inégal à l'anglais depuis toujours, même au Québec et, à l'heure actuelle, les anglophones se montrent généreux comme ils ne l'ont jamais été auparavant en nous disant: On veut bien accepter, même la primauté du français, mais vous allez reconnaître tous nos droits de communauté anglophone et on va pouvoir continuer d'avoir le libre choix et on va pouvoir continuer à faire ce qu'on veut ou à peu près. Comptez sur notre bonne volonté pour l'avenir. Il n'y a rien dans cela qui relève des droits de la personne. C'est une argumentation d'ordre politique et la loi par rapport à ces argumentations est tout à fait juste puisqu'elle part d'un principe: Le Québec est français et tout doit s'y faire en français sur le plan officiel, juridique et autres. Et déjà comme je vous le dis, c'est très large puisqu'il y a des espaces de tolérance pour l'anglais qui sont très généreux.

M. Laurin: Selon vous, le gouvernement est-il justifié, dans ses articles 36 et 37 d'exiger qu'aucun employeur n'exige l'utilisation d'une langue autre que le français pour un emploi à moins qu'il n'en établisse la preuve?

M. Angers: Cela me paraît évident, fondamental et je pense que je pourrais peut-être demander à M. Daoust et à Mme Lalonde, qui représentent les travailleurs, de dire ce qu'ils en pensent et qui est bien en cohérence avec tout ce que le MQF a dit sur ce sujet-là.

M. Daoust: Oui, somme toute, il s'agit de rétablir un équilibre ou un rapport de force, plutôt, qui depuis toujours a joué contre les Canadiens français et le parlant français au Québec. On mentionne dans le mémoire et dans d'autres mémoires qui viennent des centrales syndicales tout le poids de la domination économique des anglophones.

Ces derniers ont imposé leur langue, c'est devenu la langue de la rentabilité, la langue du pouvoir, la langue des fonctions les plus exaltantes, les plus motivantes et les mieux rémunérées. Il s'agit de rétablir une espèce d'équilibre maintenant, de faire en sorte qu'on puisse rentabiliser les investissements incroyables que la société fait dans son système d'éducation en formant des jeunes dans les CEGEP et dans les universités et en leur permettant de se servir de cet outil tellement indispensable qu'est la langue pour gagner adéquatement leur vie, qu'on oblige des employeurs ou qu'on exige que des employeurs ne posent pas comme condition la connaissance d'une langue seconde, à moins que la preuve puisse être faite qu'il est essentiel de connaître une langue seconde, nous semble, à nous tous, la plus grande des normalités qu'on puisse examiner.

Encore une fois — j'emploie l'expression de M. François-Albert Angers — la courtoisie aurait exigé que les détenteurs du pouvoir économique au Québec s'en tiennent à une façon de procéder et à une acceptation de notre réalité depuis des années et des années. Or, ce n'est pas cela qu'on a constaté. On le sait, il y a des statistiques qui le prouvent. Là où les postes sont les plus intéressants, les mieux rémunérés, on voit une concentration d'anglophones unilingues et on voit des Canadiens français de service, des francophones de service qui, de temps à autre s'occupent de ces fonctions pour donner bonne figure ou bonne conscience à un tas d'entreprises au Québec. Cela, à mon sens, c'est générateur de perturbations sociales, de drames qui, s'ils ne sont pas réglés à ce moment-ci, auront des répercussions d'une gravité inouïe dans les années à venir. Encore une fois, cela nous semble tout à fait normal, en deçà de cela, ce serait une faiblesse tout à fait inacceptable de la part d'un gouvernement.

M. Laurin: Au point que vous n'accorderiez pas toute l'importance que certains groupes accordent aux risques que cela constitue de perte d'emploi, par exemple, ou de disparition ou d'exode d'entreprises et autres catastrophes qu'on a invoqués jusqu'ici?

M. Daoust: Absolument pas. Pour moi, c'est une forme de chantage auquel on est habitué depuis qu'il est question de droits linguistiques et de législation linguistique au Québec. Cela me semble aberrant de penser que des entreprises vont quitter le Québec parce qu'elles devront se conduire au Québec comme elles se conduisent partout dans tous les pays du monde, sauf au Québec. Quand elles sont au Japon, en Allemagne, en Italie, les grandes multinationales parlent la langue du pays, il n'y a pas de problème. Si elles ne le faisaient pas, il y aurait des révolutions sans aucun doute, les gens ne l'accepteraient pas. De penser qu'au Québec, ça va être un cas d'exception sur la boule terrestre, ça dépasse l'entendement.

Cela devient, à mon sens, une forme de chantage à laquelle il faut résister. En tout cas, nous, dans le mouvement syndical et au MFQ, on s'est penché là-dessus et on est convaincu, tout à fait convaincu, que ce sont des épouvantails à moineaux pour énerver et tâcher d'infléchir les politiques gouvernementales. Les gens ne quitteront pas le Québec, les gens viennent s'installer au Québec et c'est tout à fait normal, ce sont des lois universelles sur le plan de la rentabilisation des capitaux que, quant on peut rentabiliser les capitaux qu'on investit, on reste dans les pays qui nous accueillent. Le facteur linguistique n'est pas un facteur qui repousse les investissements au Québec.

Je pense, par ailleurs, que les gestionnaires canadiens-anglais de ces grandes multinationales dont les propriétaires ne sont pas des Canadiens anglais, sauf quelques cas, les gestionnaires offrent une certaine résistance parce qu'ils perdent des privilèges incroyables, indescriptibles. On a déjà parlé de la minorité anglophone au Québec comme étant la minorité la plus scolarisée, la plus riche et celle qui occupe les emplois les plus intéressants, sur tous les plans, de toutes les minorités et de tous les peuples au monde.

Il est peut-être temps qu'on s'ouvre les yeux collectivement et qu'on se dise que cela n'est pas et cela n'est plus acceptable. Pour nous, encore une fois, la règle qui fait que les compagnies viennent s'installer au Québec, c'est le profit qui est au bout des investissements et la langue n'est pas un facteur déterminant pour décider ou non d'un investissement au Québec.

Le Président (M. Cardinal): D'accord, je vais... est-ce que vous avez une intervention de plus? Oui, madame?

Mme Lalonde (Francine): On peut ajouter...

Le Président (M. Cardinal): Je ne voudrais pas vous couper la parole. Dans 90 secondes, je devrai suspendre. Tout de suite, je dis que vous êtes réinvités à venir avec nous ce soir, à vingt heures.

Est-ce que vous voulez tout de suite intervenir?

Mme Lalonde: Seulement pour ajouter un mot dans le même sens. Il y a des années d'humiliation et d'injustice à l'endroit des travailleurs à corriger, des humiliations qui sont vécues encore quotidiennement, des cas de congédiements pour des causes semblables qui nous sont régulièrement référées.

Quant au chantage, dans le mouvement syndical, on est habitué à divers niveaux, au chantage des fermetures et des départs.

M. Angers: Je termine sur un mot. Nous rappelons le principe qui résume un peu tout cela. Nous sommes tous en faveur de la liberté et des libertés dans notre mouvement, tous. Mais je rappelle le principe bien connu: A certains moments, c'est la liberté qui opprime et c'est la loi qui libère. Je pense que cela s'applique parfaitement à ce cas-là. .

Le Président (M. Cardinal): Sur ce, selon le règlement, le président, à 18 h, se lève, les travaux sont suspendus jusqu'à 20 h.

(Suspension de la séance à 17 h 59)

Reprise de la séance à 20 h 13

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, madame et messieurs!

M. le député de Gaspé.

M. Laurin: Je n'avais pas fini, mais je reviendrai.

Le Président (M. Cardinal): La séance se continue. Il y a quorum. Le ministre d'Etat au développement culturel avait la parole, mais il m'informe qu'il désire laisser la parole à quelqu'un d'autre. Mme le député de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Permettez-moi d'abord de remercier et de féliciter le MNQ, le Mouvement national... pardon, le Mouvement Québec français pour le mémoire qu'il a soumis à cette commission.

Je pense que l'argumentation de nature juridique mise de l'avant dans le mémoire et explicitée abondamment par le président est extrêmement intéressante. J'y reviendrai.

Cependant, afin que ne subsiste pas de doute, surtout dans l'esprit du président, il convient de rappeler qu'il nous apparaît tout à fait légitime d'affirmer l'existence d'une langue officielle, d'une langue nationale, ce que la loi 22 a fait, que cette langue devienne la langue commune et d'usage, et que les dispositions nécessaires soient prises pour que tous les résidants du Québec, autant que possible, compte tenu de certaines contingences géographiques et personnelles particulières — je pense que le secrétaire de la FTQ a fait allusion à quelques-unes de ces conditions lorsqu'il est venu présenter le mémoire de la FTQ — soient aidés et motivés à faire l'acquisition de cette langue, afin que cette langue commune de communication soit un véritable facteur de compréhension et de rapprochement.

Là-dessus, je voudrais qu'il ne subsiste pas de confusion. L'argumentation juridique que développe le Mouvement Québec français, à partir de la conquête, dans laquelle il affirme que, par suite de cette conquête, il n'y a pas eu de droits juridiques conférés à la minorité anglophone quant à la langue, est exacte.

Un peu plus loin dans le mémoire, vous distinguez entre une situation de droit et une situation de fait. Si on se réfère à la conquête uniquement pour rétablir une situation de droit, vous avez sans doute raison. Cependant, si on se réfère à la situation de fait, soit celle de 1977, 200 ans plus tard, on doit considérer qu'il s'agit, je pense, d'une situation politique, sociale, économique dont toute la complexité n'échappe à aucun d'entre nous. C'est une situation qui a évolué et dont on ne peut ignorer les dimensions humaines, voire morales.

Il est vrai qu'une minorité ne peut se réclamer de droits juridiques, à moins que ceux-ci ne lui aient été conférés de façon explicite, pour réclamer des institutions, mais lorsqu'un peuple, lorsqu'un pays, lorsqu'une nation décide de lui accorder des institutions, de lui reconnaître, dans le cas

présent, des droits historiques, je pense qu'il s'agit là, et on ne devra pas l'oublier, d'une mesure conforme à l'idéal démocratique qui indique la maturité politique d'une société, son respect des droits de l'homme et de l'humain. Je pense qu'il faut se placer non pas en fonction de la légalité, parce que même, à ce moment, si vous approuvez la charte ou le projet de loi no 1, il y a déjà un accroc sérieux quand cette charte prévoit l'existence d'institutions anglophones, pour cette minorité anglophone, auxquelles le livre blanc se réfère comme étant partie de l'héritage culturel québécoise. Alors, je pense que ce n'est pas strictement en fonction de la légalité, mais je dirai peut-être en fonction de la moralité d'un peuple, de son ouverture et de son idéal démocratique que le problème doit être examiné. Je m'en tiendrai à deux points plus particuliers de votre mémoire, un touchant la langue d'enseignement et l'autre touchant la toponymie.

Je dois dire en passant que vous êtes les premiers, à ma connaissance, à moins que j'aie eu des absences, qui abordez ce problème, et j'ai été fort étonnée que personne ne l'ait fait avant aujourd'hui.

En ce qui a trait à la langue d'enseignement et au critère que vous retenez comme étant davantage l'aboutissement normal d'une reconnaissance de la minorité anglophone, me semble un critère beaucoup plus judicieux que le critère de la fréquentation scolaire des parents durant leurs études élémentaires. J'ai eu l'occasion de le dire ici, à plusieurs reprises, ce critère crée des ambiguïtés et il n'empêchera même pas les tracasseries qu'on avait reprochées aux fameux tests avec lesquels, soit dit en passant, je n'étais pas d'accord. Mais quand on songe à toute la paperasse, à tous les affidavits que l'on réclame, que l'on pourra remettre en question et, compte tenu que ce critère, comme je l'ai dit à plusieurs reprises, est davantage un critère d'accommodement, parce que cela a semblé une solution facile pour éviter les tests, je pense qu'il n'aura même pas cet avantage d'établir une situation aussi claire qu'on l'aurait souhaité.

La question que je me pose, que j'aimerais vous poser, est la suivante. Pourquoi réduisez-vous cet accès à l'école anglophone, une fois que vous avez reconnu le critère de la langue maternelle et qu'au plan pratique, vous l'élargissiez à la langue de l'enfant, pourquoi limitez-vous uniquement aux anglophones qui sont présentement au Québec, compte tenu toutefois de d'autres mesures transitoires que la loi prévoit, soit à l'égard des frères et soeurs, quoique j'oublie si vous parlez des frères et soeurs. Dans votre addenda, je pense que vous permettez maintenant que les enfants francophones qui sont déjà dans le circuit scolaire anglais puissent y rester. Alors, peut-être que vous avez accepté la même dérogation pour les frères et soeurs, mais, enfin, c'est un détail à ce moment-ci.

Alors, pourquoi le réduisez-vous aux enfants des parents qui vivent présentement au Québec alors que...

Je ne sais pas si... M. Daoust est vice-président du Mouvement Québec français, mais il se souviendra que dans des études qu'il a vues de près alors qu'il était associé au monde scolaire et ailleurs, tous les chiffres qui ont été apportés ici, même par les commissions scolaires protestantes, et non seulement par les commissions scolaires catholiques, ont toujours montré que ce n'est pas la présence d'enfants qu'on dit d'origine anglophone véritable qui sont une menace à l'équilibre démographique, d'autant plus que je pense qu'il peut y avoir un danger de discrimination par la suite et vous voulez l'éviter.

Quand se retrouveront, même dans un Québec indépendant, des citoyens qui seront peut-être à ce moment, tous des citoyens québécois, vous aurez quand même deux poids, deux mesures à l'égard de citoyens qui ont la même culture d'origine et qui, pour les uns, auront accès au développement de cette culture et au maintien de cette culture alors que, pour d'autres, ceci leur sera défendu. Même, à l'heure actuelle, si on se réfère uniquement au critère de la langue maternelle, il y a une certaine spoliation des droits des enfants à naître de parents qui sont présentement au Québec parce que l'article 52 parle uniquement d'enfants déjà nés, qui, peut-être, ont des frères et soeurs, mais il se peut qu'il y ait au Québec présentement des parents d'origine britannique ou de culture anglophone de part et d'autre, du côté du père comme du côté de la mère, et qui auront des enfants dans un avenir plus ou moins rapproché.

Ces enfants n'auront pas le même accès, si tel est le désir des parents toujours, à l'école anglaise que ceux qui sont déjà nés et je pense qu'on retrouve là, à mon point de vue, deux situations où il est possible qu'il s'exerce de la discrimination.

Je ne sais pas si vous voulez commenter là-dessus.

M. Angers: D'abord le problème fondamental que vous posez... Il faut partir des bases. Les deux poids deux mesures que vous invoquez, si on veut les supprimer complètement, cela ne peut tendre qu'à une chose: l'élimination complète de tout enseignement en anglais au Québec. Parce que c'est un privilège que nous acceptons — le MQF l'accepte — au moment où on établit une législation définitive sur le Québec français, que nous consentons à consacrer dans des droits spécifiques, pour une communauté spéciale, pour un groupe spécial dont la caractéristique qui peut justifier la reconnaissance du privilège est que ce sont des gens qui ont vécu avec nous dans une perspective historique depuis de nombreuses années. Cela ne leur crée aucun droit. C'est un accommodement que l'on accepte de reconnaître. Cela ne peut pas s'appliquer à tous les Anglais du monde ni à tous les Anglais du Canada, surtout à tous les anglophones. Les anglophones du Canada, cela veut dire des Ukrainiens, des Allemands, des Canadiens français anglicisés, cela veut dire toutes sortes de gens qui ne sont pas des Anglais au sens historique du terme, ce qui peut nous justifier, nous au Québec, de concéder cet accroc.

Vous avez raison. C'est un accroc à la thèse fondamentale et c'est pourquoi certains de nos mouvements nous le disent: Vous acceptez un accroc et vous ne devriez pas l'accepter. Alors, on accepte l'accroc, mais on le reconnaît comme tel. Il ne s'agit pas de l'ouvrir encore davantage parce que la confusion vient de toute la discussion qui est faite à partir de certains droits, les droits de la personne, toute une discussion qu'on fait venir. On viole la démocratie parce qu'on interdit l'enseignement en anglais, toutes sortes d'arguments qui ont été jetés dans le débat et qui le compliquent terriblement.

Le fait important, c'est simplement dans la mesure où on s'appuie sur un argument fondamental qui peut tenir par rapport à la thèse fondamentale que le Québec est français, intégralement français et a le droit d'être français. A partir de ce moment-là, le reste, ce sont des choses qui ne sont pas en vertu des droits de l'homme, qui ne sont pas en vertu des chartes internationales, qui sont en vertu de notre perception à nous de notre situation et de notre intention, de notre acceptation de définir certains privilèges où on dit: Voici, ces privilèges, vous les avez eus, vous les avez pris, on vous les reconnaît comme des droits. Mais on les reconnaît comme des droits seulement à ceux qui ont un fondement historique, non pas à les réclamer, mais à ce qu'on les leur reconnaisse.

Les seuls qui peuvent avoir cet élément de fondement historique, ce sont les véritables anglophones du Québec, qui ont vécu avec nous justement cette notion de vie en société commune pendant un temps, que nous acceptons de reconnaître, pour leur laisser la possibilité de rester ce qu'ils sont dans un cadre de minorité et non de communauté ethnique qui se prétendrait capable de s'agrandir, d'avoir des immigrants pour elle. Tout est là, tout est dans la définition de base et toute la confusion des discussions vient de ce qu'on a mêlé la question avec des notions de citoyenneté qui n'ont rien à faire dans ça.

C'est un pur geste de générosité, on peut dire de générosité, après la façon dont nous avons été traités. Je ne parle pas du reste du Canada même, mais dans le Québec même, quand on pense à toutes les luttes, nous l'invoquons à la fin de notre mémoire, quand on pense à tous les efforts, à tout le temps qu'on a dépensé en ce Québec, à partir du moment où, même au Bell Téléphone, à Montréal, il n'y avait pas moyen de se faire répondre en français. Quand on remonte assez en arrière, à toutes ces luttes, à tout ce qu'on a investi pour faire reconnaître notre droit au français dans le Québec, c'est déjà bien généreux, au moment où cela arrive, de dire: Ecoutez, on va vous laisser avoir vos écoles. C'est pour ça que, dans cette perspective, ce n'est pas deux poids deux mesures, c'est rien de pareil, c'est vraiment un accroc à notre thèse fondamentale, c'est un accroc qui doit être limité à un groupe de personnes bien déterminé, mais qui ne peut pas s'étendre pour des considérations...

Qu'est-ce que vous voulez, on invoque le Canada, les immigrants, tout ça, ça va être des immi- grants, mais quand un Français part du Québec, s'en va dans une province où il n'y a pas de système d'écoles françaises, est-ce qu'on se préoccupe de ça?

Mme Lavoie-Roux: Pour ma part, je m'en préoccupe. Je m'excuse de vous interrompre, on vient de me dire qu'il ne me reste que quelques minutes. Je vous ai quand même entendu dire, M. Angers, que cette tolérance ou ce privilège pour les écoles était accordé à une communauté linguistique. Je pense que là où on diffère d'opinion, c'est dans notre conception de ce qu'est une communauté. Pour moi, une communauté, c'est quelque chose de vivant, c'est quelque chose de mouvant, c'est quelque chose qui subit des gains et des pertes. Il m'apparaît que ce que vous voulez conférer comme privilège, pour utiliser votre terme, vous le conférez non pas à une communauté, mais à des individus. La preuve est que, dans l'étape ultérieure, il y aura justement des différences entre des individus d'une même culture et de même origine.

Je ne veux pas m'attarder là-dessus plus longuement et je dois vous dire...

M. Angers: Je dis simplement que c'est une minorité ethnique. Autrement, si vous parlez de communauté, ils auraient le droit à l'autodétermination. Vous posez un problème de nation à l'intérieur du Québec.

Mme Lavoie-Roux: Vous avez parlé de communauté, M. Angers.

M. Angers: Nous n'acceptons pas ça, nous. Ce n'est pas une nation à l'intérieur du Québec, c'est une minorité ethnique. On peut lui reconnaître les droits d'une minorité, on les a exposés, on lui donne beaucoup plus que ça.

Mme Lavoie-Roux: Vous trouvez que les gens brouillent les cartes. Je ne conteste pas votre argumentation juridique si on se situe en relation avec la conquête, mais, si on se situe en relation avec une situation de fait qui existe aujourd'hui, je m'excuse, si ces arguments viennent brouiller votre argumentation. C'est une réalité vivante, c'est une réalité sociale, avec des dimensions humaines extrêmement complexes dont on ne peut pas faire fi.

Dans le fond, poursuivre votre argumentation jusqu'au bout, vous ne devriez pas appuyer la charte de la loi 1, même dans ce qu'elle tolère vis-à-vis des anglophones parce que même le gouvernement a dû aussi s'embrouiller dans des arguments de cette nature puisqu'il n'a pas suivi notre raisonnement.

Ma deuxième question porte sur la toponymie...

M. Angers: Une situation de fait ne crée jamais de droits. Les Chinois, dans le quartier chinois, parlent tous chinois depuis bien longtemps et je ne pense pas qu'ils puissent jamais réclamer

un statut pour la langue chinoise. Notre raisonnement vis-à-vis des Anglais est vraiment un argument de colonisés habitués à se soumettre aux Anglais. On leur reconnaît une espèce d'auréole ou de perspective très différente de la réalité mondiale des problèmes des minorités. Le fait d'avoir parlé chinois pendant 50 ou 100 ans à New-York n'a jamais donné le droit aux Chinois de New-York de demander des droits linguistiques. Voyez-vous?

Mme Lavoie-Roux: J'arrête ma question ici pour donner la chance à un collègue de pouvoir ajouter quelque chose.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. M. le député de... Enfin, il reste — ayant été généreux encore une fois à l'égard du parti de l'Opposition officielle — trois minutes à M. le député de Gaspé.

M. Le Moignan: Merci, M. le Président. M. Angers, comme tous les autres membres, j'ai écouté avec beaucoup d'attention le résumé que vous avez fait cet après-midi. Vous n'êtes pas sans vous douter que j'ai lu avec beaucoup d'attention vos articles dans l'Action nationale à laquelle je suis abonné depuis de très nombreuses années.

Vous nous avez fait un beau résumé de l'histoire du Québec et de nos luttes. Mais il y a quelque chose qui me frappe en passant, peut-être parce que je n'étais pas député avant le 15 novembre et c'est facile pour moi de m'en sortir les mains blanches. Vous mentionnez que, malheureusement, à cause de tous ces politiciens louvoyants, enfin, le 15 novembre, une espèce de génération spontanée de Québécois a jailli, a fait surface. Ce n'est pas dans ces termes que vous le dites, mais cela m'a frappé en passant.

Je me dis que le Québec est un pays en devenir. C'est un pays qui va continuer d'évoluer. L'histoire du Québec ne commence ni ne s'arrête le 15 novembre.

Je comprends que vous avez insisté sur le fait que, sous cette domination anglaise, le rôle économique, ici au Québec, comme vous venez de dire, a peut-être fait de nous des colonisés, que nous avons subi un peu leur empire, leur dominion et qu'on est porté à tout leur donner. Evidemment, on ne parle pas de droits acquis, nous avons expliqué toutes ces choses-là, et on tente aussi d'expliquer un peu toutes nos failles économiques en rejetant souvent le blâme sur le dos des Anglais.

Je comprends que les Anglais ont aidé à développer notre Québec. Peut-être que vous allez me répondre qu'ils ont servi leurs intérêts égoïstes, c'est dans l'ordre du possible. Toute histoire du passé, vu qu'on parle des autres provinces, vu qu'on parle des minorités, ce sont des phénomènes d'histoire et je sais que vous n'êtes pas d'accord. Si on doit traiter la minorité anglaise comme les minorités françaises ont été traitées dans les autres provinces, je pourrais vous dire que vous avez peut-être raison: on leur rend simplement la politesse qu'ils ont faite aux nôtres. Mais je ne juge pas cet aspect.

Votre mémoire, évidemment, est très positif. Je comprends vos positions vis-à-vis des anglophones. Je me demande tout de même... Nous allons continuer de vivre avec de véritables anglophones, avec des allophones qui ont été intégrés ou assimilés par les anglophones au cours des années. C'est une situation de fait historique, de l'histoire ancienne dans un sens. On pense à l'avenir; on pense aux futurs immigrants; on pense à bâtir une collectivité québécoise.

Evidemment, dans notre programme de l'Union Nationale, nous sommes d'accord sur les grands objectifs du projet de loi no 1. Il y a peut-être des petits points où il y a des nuances, mais il reste que nous sommes tout de même d'accord sur les grandes lignes. Je vous poserai simplement une petite question parce que je laisserai à mon confrère, tout à l'heure, le soin d'en poser d'autres. De quelle façon voyez-vous cette forme d'association que nous aurons, que nous devrons avoir avec les anglophones ou ceux qui ont été assimilés au groupe au cours des prochaines années, une fois le projet de loi adopté?

M. Angers: Je pense que vous l'avez dans ce que nous acceptons nous-mêmes. Nous disons: Voilà, nous reconnaissons que ces gens pourront continuer d'avoir l'enseignement — je ne dirai pas leurs écoles, parce que cela pose un problème de structure dans lequel on ne veut pas entrer — en anglais. Donc, on leur donne l'essentiel pour continuer à exister comme une minorité qui a la possibilité de ne pas s'assimiler si elle ne le veut pas, parce qu'elle pourra toujours avoir de l'enseignement en anglais qu'elle pourra transmettre la connaissance de l'anglais comme un élément fondamental d'un enseignement. On lui reconnaît cela.

Quant au reste, ce qu'on veut, c'est que le Québec devienne un pays normal où...

M. Le Moignan: Mais si ces gens n'ont pas leurs écoles — excusez-moi — ils devront...

M. Angers: Ils auront l'enseignement en anglais. La question des écoles, le mot "école" et le mot "classe", c'est un problème de structuration scolaire. On n'y entre pas pour le moment. Il faudra peut-être en discuter, mais enfin on peut percevoir que, dans un endroit où il y a beaucoup d'anglophones, l'enseignement en anglais va fatalement finir par être au moins des classes anglaises et peut-être même une école où on enseigne l'anglais. C'est un problème qui sera déterminé par la géographie des lieux, etc., ou par d'autres dispositions.

L'essentiel, c'est qu'ils vont conserver, on leur reconnaît — je parle du MQF qui est d'accord avec la loi, même si nous ne sommes pas d'accord sur le critère de base unique — de continuer à donner... c'est le principal. Si nos francophones avaient eu cela dans le reste du Canada, il n'y aurait pas l'assimilation qu'on a connue. On leur donne l'essentiel: l'école, l'enseignement en anglais pour leurs enfants. Alors, avec cela, ils ont la possibilité de continuer à rester des anglophones,

mais, par exemple, à condition qu'ils reconnaissent que c'est un avantage énorme qu'ils ont là. Qu'ils n'en profitent pas pour assimiler à leur groupe des immigrants qui doivent être intégrés dans le nôtre et qu'ils ne s'en servent pas comme d'un moyen pour nous rendre minoritaires à un certain moment parce que notre natalité est à la baisse. On ne tolère pas cela. Nous sommes chez nous au Québec et nous voulons former un pays normalement français, où une minorité déjà privilégiée devra cependant reconnaître qu'elle vit dans un pays français, qu'elle peut conserver sa langue pour ses fins particulières de groupe ethnique, mais qu'elle doit être prête à communiquer en français avec tout le reste de la population, à faire ses affaires en français avec tout le reste de la population, à vivre la vie normale d'un pays français, avec un privilège que d'autres minorités n'ont pas, parce que, évidemment, on ne trouve pas que les Italiens, les Allemands, les Ukrainiens ont connu la même situation historique qui nous justifierait d'étendre de pareils privilèges à toutes les minorités. Ils sont déjà privilégiés.

M. Le Moignan: Je crois que c'est très facile d'être d'accord avec vous sur les points que vous venez d'énoncer. Il n'y a aucun doute là-dessus dans mon esprit. Avec le temps, d'ailleurs, certains groupes d'ailleurs, ont tenté de nous prouver qu'ils avaient déjà commencé à apprendre le français parce qu'ils en sentent le besoin pour les années à venir mais j'aurais une dernière petite question.

Dès le début de votre mémoire, quand vous parlez des droits et des véritables intérêts du peuple québécois, je vois un peuple québécois qui s'est formé depuis 200 ou 300 ans. Nous avons des coins, je ne veux pas vous en nommer, je sais que 80% des anglophones sont peut-être dans la région de Montréal, mais si je prends mon coin, que je connais particulièrement, la Gaspésie, nous avons des anglophones deuis 200 ans, qui sont arrivés pauvres, se sont intégrés, qui ont développé et qui ont bâti le pays. Est-ce que vous les considérez comme des Québécois, même si un certain nombre n'a pas encore réussi à atteindre le niveau de la parlure française?

M. Angers: Dans tous les pays, c'est encore un autre argument qu'on emploie et qui est un peu extraordinaire; dans tous les pays du monde, il y a des gens qui paient des taxes, qui habitent dans ces pays, et qui ne sont ni des Français, ni des Anglais, ni des Canadiens. Pour devenir citoyen canadien, il faut passer par certaines épreuves et il faut savoir la langue officielle. On ne devient pas citoyen canadien sans savoir la langue officielle. Le certificat de citoyenneté est décerné à ceux qui savent au moins une des langues officielles. Il y a des conditions pour être citoyen. Il peut même arriver qu'on soit citoyen et qu'on ne soit pas du pays. Prenez les Anglais. Depuis quand sont-ils Canadiens? Avant 1940 et surtout avant 1920, ils refusaient de se dire Canadiens. Ils étaient Britishers, Britanniques. Alors, un Québécois, cela peut être n'importe qui, à condition qu'il accepte d'être dans la communauté québécoise un élément qui vit avec la communauté québécoise, qui est fondamentalement française par toute son histoire et, par conséquent, il peut avoir une appartenance allemande, anglaise ou autre, mais il accepte le Québec et il veut vivre avec le Québec, pas se mettre à part du Québec, pas se mettre à part de la communauté nationale, pas tâcher d'entraîner la communauté nationale dans la diminution, dans l'assimilation. Celui qui veut faire cela n'est pas un vrai Québécois, c'est un Canadien qui essaiedes'emparerdu Québec. Ce n'est pas la même chose.

M. Le Moignan: Alors, M. Angers, je vous remercie infiniment.

Le Président (M. Cardinal): Nous recommençons la tournée. M. le Ministre d'Etat au développement culturel.

M. Laurin: J'aimerais vous poser une question sur l'affichage.

Les dispositions du projet de loi ont souvent été attaquées ici par certains groupes à la commission comme portant atteinte au droit d'expression, portant atteinte au droit sacré de la liberté commerciale, portant atteinte au droit historique de la communauté anglophone. Avez-vous l'impression, de votre côté, que tel est bien le cas et que les justifications que l'on pourra apporter à l'appui de cette politique d'unilinguisme dans l'affichage sont mal fondées?

M. Angers: Ecoutez! Cette question est peut-être une des questions les plus délicates et les plus discutées, parce que c'est peut-être un des seuls articles — il y en a peut-être d'autres, mais il y en a pas beaucoup — qui interdit l'usage de l'anglais en proclamant que ce doit être français. C'est d'ailleurs peut-être cet article que tous ceux qui prétendent que la loi est contraignante, arbitraire, intolérante, attaquent, c'est le seul qu'ils mentionnent la plupart du temps.

D'abord, je constate que cet article, après la proclamation du principe, il y a un long paragraphe qui tient compte de toutes sortes de considérations spéciales, donne — par suite, dans les règlements, il faudra voir comment ce sera formulé — au ministre un pouvoir assez large de tenir compte des situations particulières où ça ne semblerait pas opportun d'aller jusqu'à imposer l'affichage unilingue français. Mais, il reste que c'est un point très sensible de tout le problème de la langue, puisque ça concerne le visage français du Québec. Je crois que cette prescription est nécessaire, parce que je doute fort... ou alors, il faudrait que tous les anglophones viennent signer un traité devant la commission, ici, pour nous dire qu'ils vont respecter une loi qui ne dit pas qu'ils sont obligés de le faire et qu'ils vont afficher partout en français. Il n'y a pas de raison pour que, dans le Québec, comme dant tous les pays du monde, l'affichage, généralement, ne soit pas fait dans la lan-

gue du pays. Or, comme on peut douter que ça ne se ferait pas si ce n'était pas imposé, je crois qu'il est légitime de l'imposer dans la situation où nous sommes. Le reste, c'est précisément que, dans la loi, on ait mis ce qu'il faut pour que le ministre puisse éventuellement assouplir le principe et autoriser certaines formes d'affichage, soit unilin-gue, ou soit dans deux langues ou autrement, en tenant compte de certaines circonstances particulières. Mais c'est un point très sensible, parce qu'il touche à quelque chose de fondamental dans l'établissement du visage français du Québec. Il faut que le visage français du Québec soit restauré et au plus vite. Il est clair que l'affichage est particulièrement ce point qui fait dire à beaucoup de gens que Montréal, par exemple, c'est la plus grande ville française... C'est la seconde ville française de langue anglaise au monde. Pourquoi? Parce que Montréal a l'air d'une ville anglaise, à cause de l'affichage, à cause de la présentation des choses. Alors, c'est une mesure nécessaire pour rectifier une situation anormale et dont on peut s'attendre que si la loi n'est pas rigoureuse, elle ne se corrigera pas, parce que, précisément, c'est une des parties de la loi qu'on respectera sûrement le moins dans son esprit, si on laisse le libre choix aux gens de ne pas se considérer liés par la loi.

M. Laurin: Même dans la partie anglaise de Montréal?

M. Angers: Même dans la partie anglaise de Montréal.

M. Laurin: Ou même dans les comtés presque exclusivement anglophones comme celui de Pon-tiac?

M. Angers: Bien sûr! Parce que si on affiche en anglais, cela pourrait être à l'aéroport international, pour recevoir des étrangers, comme on peut le voir dans les autres villes du monde où on affiche dans des langues étrangères à l'aéroport, parce que beaucoup d'étrangers y passent, mais le fait que le comté est anglophone, ça ne change pas le caractère. Ce n'est pas par comtés que le Québec existe, c'est par Québec, et il faut qu'il soit français partout.

Si les anglophones savent le français, étant une minorité et se conformant à la loi, il n'y a pas de problème à ce que l'affichage soit en français, ils seront rejoints.

On prévoit déjà d'ailleurs que dans le domaine de la santé et de la sécurité, de toute façon, on va leur donner les deux langues. C'est déjà prévu. Alors, je crois que cet article, comme nous l'avons dit quelque part dans notre mémoire, comme d'autres articles, laisse au ministre une marge d'application intelligente, suffisante, d'un principe qui est fondamental. Tout le monde est d'accord, je pense, que dans un pays français, l'affichage doit être en français. Il faut prendre les moyens pour que cela devienne vrai et je suis convaincu que c'est un des points qui ne se réglera pas si la loi n'est pas sévère.

M. Rioux (Michel): Je voudrais renchérir sur les propos de M. Angers. Je vous ferai part du fait que cette question a fait l'objet, au sein du MQF de débats et de discussions quand même assez longs, sauf que nous sommes arrivés à la conclusion qui était la suivante. L'objectif fondamental de ce projet de loi no 1 n'est-il pas de faire en sorte que le français, que les Québécois francophones finissent par être respectés et à se sentir chez eux dans un pays qui s'appelle le Québec.

Or, étant donné le fait que le projet de loi, à sa face même, manifeste extrêmement de souplesse dans l'application de chacun de ses articles, ce qui n'est pas nécessairement de la mollesse comme le faisait remarquer quelqu'un la semaine dernière ici devant la commission parlementaire, le problème étant le fait que l'anglais, que cela soit sa faute ou non, comme langue, étant l'incarnation comme ailleurs dans d'autres pays, que cela soit le portuguais ou que cela soit l'espagnol ou que cela soit le français dans d'autres pays comme la Belgique, par exemple, la figure du dominant... Le dominant au Québec, c'est l'anglais.

Or le problème... l'article 46 couvre fort bien les chatouillements que certains pourraient avoir sur ce plan de l'affichage. L'article donne la largesse d'esprit nécessaire au gouvernement, dans son application, au fait suivant, à savoir que ce n'est pas la communauté chinoise sur la rue la Gauchetière à Montréal qui est un danger pour l'avenir de la francophonie au Québec, ce qui fait que, je pense en tout cas personnellement, et je pense refléter le point de vue du Mouvement Québec français là-dessus, il ne serait pas interdit, malgré la promulgation de la loi 1, que le restaurant au numéro 67 de la rue la Gauchetière, le Sun Kuo Min continue de s'appeler le Sun Kuo Min parce que ce n'est pas la langue chinoise qui met en danger l'avenir de la francophonie au Québec. De la même façon que ce n'est pas le Yiddish qui met en danger l'avenir de la francophonie dans Westmount. C'est la langue anglaise. Avec toute la souplesse nécessaire, souplesse déjà contenue dans le projet de loi, je réfère encore à l'article 46, avec cela, je pense que toutes les minorités québécoises devraient se sentir quand même assurées d'avoir une protection suffisante et être convaincues que cette loi, en ce qui a trait à l'affichage, comme le soulignait le ministre Laurin dans sa question, ne fera pas en sorte qu'un pauvre diable qui a une petite épicerie au coin de la rue qui ne dessert qu'un minimum restreint de personnes, sera appelé à fournir tous ses papiers ou toutes ses annonces dans la langue française.

La question n'est absolument pas là. Il s'agit tout simplement de voir dans quel esprit une loi est faite et de voir si, pour tuer un moineau, on doit sortir un B-52 ou bien si on doit laisser voler le moineau tranquillement pour autant que les droits ancestraux et bicentenaires d'une majorité sont respectés et que la souplesse nécessaire dans l'application de ces droits fondamentaux est appliquée.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Mégantic-Compton, il vous reste trois minutes.

M. Grenier: Bien rapidement, d'abord, M. Angers, inutile de vous dire qu'on vous connaît de réputation et que vous êtes un véhicule important, je pense, de la pensée française non seulement au Québec mais en Amérique du Nord et je vous connais, si vous ne...

Le Président (M. Cardinal): Voulez-vous rapprocher votre micro, s'il vous plaît?

M. Grenier: Je m'excuse, je pensais l'utiliser. Je voudrais vous dire que si le contraire ne se produit pas, on connait votre façon honnête, je pense, de travailler pour la francophonie québécoise. J'ai eu l'avantage de vous rencontrer lors des grands débats qui se tenaient avec M. Jacques-Yvan Morin à l'Université de Montréal. J'aimerais savoir de vous, bien honnêtement, si vous ressentez depuis une dizaine d'années, peut-être en dehors de votre mémoire, personnellement, qu'il y a une amélioration de la minorité anglophone, face à la majorité francophone, une tentative d'incorporation ou de bon vouloir, d'amélioration?

M. Angers: Une certaine amélioration, c'est incontestable.

M. Grenier: Est-ce que vous le sentez, est-ce que vous vivez cela? Je ne vous cache pas que je ne suis pas un citoyen de Montréal, je vis dans un secteur des Cantons de l'Est où ces problèmes, on n'a pas à les affronter quotidiennement, mais, dans Montréal, c'est tout à fait autre chose, j'imagine. Mais vous sentez, dans des faits, qu'il y a des améliorations importantes.

M. Angers: II y a des améliorations. C'est encore, remarquez bien, la pointe d'un iceberg. Cela émerge, les améliorations, mais, dans les circonstances où nous vivons depuis quelques années, remarquez bien, d'ailleurs, que j'ai bien dit dans le mémoire que ce n'est pas nous qui avons ouvert le jeu des législations linguistiques. Nous vivions...

M. Grenier: D'accord. C'était lors d'une élection complémentaire dans l'ouest de Montréal, avec le bill 85.

M. Angers: C'est cela. Nous vivions une situation qui était celle de 1774, et nous essayions par incitation, on nous a parlé souvent d'incitation, mais l'incitation, on la pratique depuis au-delà de 200 ans, et on essayait graduellement, par des luttes de mouvements, d'amener les anglophones à reconnaître qu'ils sont en pays français. On a été d'une gentillesse extrême pendant ces 200 ans. Alors, le point, c'est qu'il fallait aller plus loin, parce que cela n'allait pas assez vite quand même...

M. Grenier: M. Angers je m'excuse, j'entends des choses que j'ai entendues cet après-midi à d'autres réponses. J'aimerais vous poser d'autres questions qui porteraient sur d'autres régions en dehors de Montréal.

M. Angers: Bien.

M. Grenier: Le danger n'est pas le même, bien sûr, dans des régions rurales, et je fais allusion à d'autres régions du Québec où il y a des minorités anglophones et c'est bien clair que ce projet de loi vise principalement la ville de Montréal, le West Island, j'imagine, en tout cas toute la ville de Montréal, si vous voulez. Vous me dites qu'il y a certaines améliorations, peut-être pas suffisamment sensibles, et vous semblez d'accord qu'il devrait y avoir une loi. On vit des tracasseries quand même et je vous ai entendu dire, cet après-midi, que les personnes morales n'ont pas à se faire de la bile avec cela parce qu'elles ont ce qu'il faut pour se payer des traducteurs. Je vois de petites municipalités où les anglophones ne posent pas de problème dans notre région des Cantons de l'Est, je vois des gens qui se parlent en anglais, qui n'ont pas envie de faire de chicane, mais qui seront obligés de se payer, avec la loi, des traducteurs pour communiquer avec Québec.

M. Angers: En 1983.

M. Grenier: C'est un problème qu'un traducteur à $10 000 de salaire par année et je me demande à ce moment-là si...

M. Angers: Ils ont jusqu'en 1983. Ils pourront élire tout simplement un secrétaire français ou engager un secrétaire bilingue sans avoir à engager des traducteurs, parce que plus elles vont être petites, plus leurs obligations vont être faibles.

M. Grenier: Ma dernière question, avant que le président ne me dise que c'est ma dernière. Voyez-vous un danger dans les secteurs en dehors de Montréal, non pas à Montréal, mais en dehors de Montréal, avec l'application de la loi, à l'article 52, qui dit que les parents qui n'auront pas fait leur cours à l'école primaire dans la province de Québec n'auront pas droit à ce que leurs enfants puissent fréquenter l'école anglaise lors de la deuxième génération. Est-ce que c'est pour vous un danger, puisque je vois que vous représentez quand même des organismes qui ne sont pas uniquement de Montréal, mais qui sont quand même de tout le Québec. Vous êtes certainement sensibilisé à ce problème qu'il n'existe à peu près plus d'écoles primaires dans des minorités anglophones de plusieurs villages de la province.

M. Angers: Ecoutez, on présente trop toute cette question en termes de danger. C'est sûr qu'il faut légiférer, parce que la situation de droit établie, n'étant pas suffisamment éclaircie, n'est pas respectée. Enfin, l'idée de la loi, ce n'est pas tellement la question du danger de la minorité française. Cette loi est une loi qui établit les fondements, qui établit dans un texte clair, écrit, ce qui est le droit fondamental du Québec depuis toujours.

M. Grenier: M. Angers, en pratique, il se produit d'autres problèmes.

M. Angers: Qu'il y ait danger ou non, on aurait dû la voter depuis longtemps. Pardon?

M. Grenier: II se produit des problèmes, en pratique. L'application pratique de cette loi fera que dans la très grande majorité des endroits où il y a des minorités anglophones dans la province de Québec, en dehors de Montréal, qui ne sont pas pourvues d'écoles primaires, cette loi va faire que dans une génération et demie, on éteindra les minorités anglophones. Bien sûr, cela peut laisser froid plusieurs personnes, mais il faut quand même se préoccuper de ce problème vis-à-vis de la loi.

Ne pensez-vous pas qu'un amendement sérieux pourrait être apporté, qui dirait: écoles primaires et secondaires ou bien l'un ou l'autre.

M. Angers: Je ne vois pas la nécessité. Il faudrait examiner ça de près. Le problème, c'est toujours la question d'établir un droit fondamental. Toute dérivation... s'ils ont fréquenté l'école primaire française, c'est celles-là qu'ils vont avoir fréquentées, ce sont des anglophones qui vont fréquenter des écoles françaises?

M. Grenier: Oui, pour la deuxième génération. Rendus à la deuxième génération, ils auront fréquenté l'école primaire française, parce que, n'en ayant pas dans leurs municipalités, ils ne pourront pas envoyer leurs enfants a l'école anglaise à la deuxième génération.

M. Angers: Ecoutez, la loi va leur permettre d'en demander. Ou alors, c'est parce qu'ils seront très peu nombreux. S'ils sont très peu nombreux, on ne peut quand même pas maintenir des droits artificiels comme ça indéfiniment. Cela va être comme dans toutes les provinces, j'imagine que les règlements vont dire que ces droits ne peuvent être exercés. S'il n'y a qu'un enfant, il ne pourra pas exercer son droit d'avoir de l'enseignement en anglais ou les parents devront l'envoyer dans une école privée plus loin, à Montréal, comme dans tous les pays. Je ne pense pas qu'il faille établir des dérogations à la loi qui posent des principes dangereux de reconnaissance de l'anglais, simplement pour faire face à des situations comme celles-là qui peuvent se régler autrement.

M. Grenier: Je comprends que ça peut être une situation d'exception...

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Mégantic-Compton, si vous voulez terminer.

M. Grenier: Terminer, oui. Je comprends que ça peut sembler des cas d'exception, mais j'aurais aimé que parmi vos mouvements, on pose... j'aimerais ça si vous aviez l'occasion d'ici l'adoption de la loi de nous laisser savoir votre opinion bien précise, parce que c'est un cas que vous voyez peut-être en particulier, mais qui se multiplie dans la province de Québec.

M. Angers: On peut y repenser, mais notre opinion bien précise, c'est que là où il n'y a pas vraiment de groupes ethniques importants, capables de se payer des écoles ou d'avoir des écoles publiques en nombre suffisant pour qu'on juge à propos de leur donner de l'enseignement en anglais, les parents devront eux-mêmes régler leurs problèmes en envoyant leurs enfants ailleurs, là où il y a des écoles.

Autrement, cela n'a pas de sens. La loi va devenir un ensemble de petites exceptions. Elle va se trouver mitée par toutes ces dérogations à un principe général selon lequel l'enseignement en anglais peut être accordé à des gens d'une minorité, répondant à certaines caractéristiques. On a déterminé les meilleures caractéristiques possibles. Nous admettons que la fréquentation scolaire n'est pas suffisante. Si on ajoute la langue, ce sera mieux. Je pense que vous entrez dans des considérations qu'on retrouve dans tous les pays où il y a des minorités. C'est aux parents eux-mêmes à voir l'intérêt qu'ils portent au maintien de leur propre appartenance ethnique, comme nous on l'a fait ailleurs. Cela les regarde. S'ils jugent à propos que ça ne vaut pas la peine et qu'ils s'assimilent au milieu parce qu'ils ne se trouvent pas assez nombreux, pourquoi ferions-nous des efforts monstres pour les obliger à rester anglais, alors qu'au fond, ils vont manifester qu'ils n'y tiennent pas tellement et qu'ils sont prêts à s'intégrer à la communauté francophone.

M. Grenier: Merci beaucoup.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Papineau, en songeant qu'il faudrait conclure pour 21 heures.

M. Alfred: Je remercie, M. le Président, le Mouvement Québec français de son mémoire. Je remercie surtout le Mouvement Québec français qui a réussi à réunir, dans un seul bloc, la classe laborieuse et syndicale du Québec, celle, bien sûr, qui veille à la libération de notre droit québécois.

L'argumentation que vous nous founissez ici est irréfutable, donc je n'ai pas à vous poser de questions là-dessus, je suis convaincu. Je relève surtout une phrase qui me plaît énormément, à la troisième page: "Cette loi revêt un caractère d'urgence nationale, vu la nécessité de corriger sans délai les effets néfastes des véritables lois de trahison nationale qu'ont été les lois dites 63 et 22".

Monsieur, je ne peux qu'être d'accord avec vous. Soyez assuré, Mouvement Québec français, que désormais le Québec va être un Etat français où les Québécois vont être fiers d'y vivre. Soyez assuré aussi que les arguments que vous nous donnez ici ne tombent pas dans les oreilles de sourds. Soyez assuré aussi que flexibilité ne sera jamais synonyme de mollesse. Soyez assuré que le gouvernement que la masse laborieuse et syndicale du Québec a élu le 15 novembre saura prendre ses responsabilités et compte sur vous pour l'aider à mener à bien ce projet de loi que vous avez endossé. Merci.

Le Président (M. Cardinal): M. Angers, ou quelqu'un d'autre.

M. Angers: Le mot de la fin?

Le Président (M. Cardinal): Non pas une réplique, non pas le dernier mot ni une réplique, mais le mot de la fin.

M. Angers: Je reviendrais simplement sur le point qui me paraît essentiel, c'est que tout le monde, toute la deputation, tout le cabinet soient bien conscients que l'enjeu, c'est de nous donner, à nous, notre patrie, en y instituant un régime qui corresponde à l'identité de la communauté nationale et non pas d'entreprendre toutes sortes de formes de partage sous prétexte que des situations de fait nous ont mis dans l'état d'une présence importante des anglophones en tant qu'ils ont été les colonisateurs au sens de conquête et d'occupation. Ce phénomène doit se terminer et toute faiblesse, toute concession qu'on va faire dans la reconnaissance de certains droits à des anglophones — c'est pour cela que la loi 22 était si mauvaise — aboutit simplement à nous enlever notre patrie, à faire en sorte que nous soyons obligés de vivre à deux ou à trois dans un pays qui doit être le nôtre dans le respect des minorités et des minorités qui partent du point de vue de la reconnaissance que nous sommes dans un pays français et qu'ils doivent respecter le caractère français du pays.

Le Président (M. Cardinal): Merci, M. Angers. Nous avons commencé à 17 h 13. C'est vraiment beaucoup de discipline pour tous. Nous terminons à temps. A M. Angers, à M. Coelho, à M. Champagne, à Mme Paradis, à Mlle Fredette, à Mme La-londe, à M. Rioux et à M. Daoust, au nom du Mouvement Québec français que vous avez représenté, merci de votre mémoire, merci de vos réponses aux questions des membres de la commission, merci de votre patience. C'est maintenant terminé pour vous. J'appelle immédiatement le prochain organisme. Merci, messieurs.

M. Angers: Merci, M. le Président et merci, Messieurs de la commission.

Le Président (M. Cardinal): The Montreal Board of Trade, mémoire 88.

Messieurs du Montreal Board of Trade, bonsoir. Vous connaissez les règles du jeu. Je vous prie auparavant de tous vous identifier et ensuite, vous aurez vingt minutes pour exposer votre mémoire. M. Tracy? Non?

M. Groome (Réginald): Non, je suis M. Groome, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. Je vous laisse la parole.

Montreal Board of Trade

M. Groome: M. le Président, M. le ministre, distingués membres de cette commission, il me fait plaisir de vous transmettre les salutations des membres du Montreal Board of Trade.

Je suis Réginald Groome, président de cet organisme. J'ai, à mes côtés, pour représenter le Board, à ma droite, M. Claude Molleur, président du comité d'étude qui a préparé notre mémoire; à sa droite, M. Dennis Jotcham, premier vice-président du Board et à ma gauche, M. Paul Na-deau, également membre de notre comité d'étude.

Ces trois messieurs m'assisteront dans la lecture de cette présentation. J'aimerais aussi vous présenter M. Arthur Earle et Emmet Kierans, tous deux membres de notre conseil; notre directeur général, M. Lome Tracy et notre directeur général adjoint, M. Alex Harper, qui nous accompagnent à titre d'observateurs.

Mes collègues et moi-même voulons vous épargner la lecture de notre mémoire et de son résumé, dont vous avez tous reçu un exemplaire.

Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, M. Groome. Puis-je vous demander si vous décidez cependant que votre mémoire soit porté en annexe au journal des Débats en entier?

M. Groome: S'il vous plaît, M. le Président. Le Président (M. Cardinal): C'est accordé.

M. Groome: Merci bien. C'est exactement cela que j'allais demander.

Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse de vous précéder, mais je tente que la commission soit aussi efficace qu'il est possible dans notre système.

M. Groome: Merci, on va sauver du temps.

Le Montreal Board of Trade, M. le Président, compte parmi ses membres 2900 entreprises, grandes et petites, oeuvrant dans tous les secteurs économiques et industriels de la région montréalaise, ce qui en fait le deuxième plus grand organisme du genre au Canada.

Le Board a pour unique raison d'être de servir au mieux les intérêts économiques de la collectivité au sein de laquelle oeuvrent ses membres.

Le Board partage avec le gouvernement du Québec le souci d'assurer la prospérité du Québec. Il partage aussi avec le gouvernement la volonté de promouvoir l'utilisation du français au Québec et d'encourager les diplômés francophones à faire carrière dans les affaires.

Le Board est d'avis que l'incitation est le meilleur outil pour promouvoir l'utilisation et l'amélioration de la qualité du français au Québec.

Des incidences serviraient également au mieux l'objectif d'accroître le nombre de cadres francophones dans les entreprises.

Le Board accorde son appui à toute initiative de l'entreprise privée et du gouvernement, qui contribuerait à l'avancement des francophones en favorisant un climat propice à l'essor économique et à la création d'emplois.

Toutefois, nous voyons dans le projet de loi no 1 diverses mesures qui pourraient causer un tort grave aux entreprises nationales et internationales et à d'autres entreprises oeuvrant par exemple

dans le domaine de la recherche et du génie. Ces entreprises ne recrutent pas seulement leur personnel au Québec, mais aussi dans le reste du pays et à l'étranger.

Nous sommes convaincus que le gouvernement, pas plus que les Québécois, ne voudrait tourner le dos au progrès, alors que le Québec a un plus grand besoin d'industries et d'entreprises.

Il convient également de noter que l'accession aux postes supérieurs des entreprises est un processus qui demande un certain temps et qui doit tenir compte de la progression des carrières individuelles. Plus les francophones seront nombreux à faire carrière dans les affaires au Québec, plus ils seront nombreux à accéder aux postes de direction, conséquence logique et normale du processus de promotion.

Un nombre considérable de francophones sont actuellement engagés dans ce processus et nous en constatons actuellement les effets.

Maintenant, avec votre permission, je passe la parole à M. Paul Nadeau.

M. Nadeau (Paul): Le Montreal Board of Trade ressent une très vive inquiétude face aux dispositions suivantes contenues dans le projet de loi no 1.

Le premier commentaire porte sur l'article 52. Le Board reste d'avis, dans l'intérêt de tous, qu'il vaut mieux laisser le libre choix de la langue d'enseignement aux parents des élèves en cause. Cela a été notre position dès le commencement, mais si, toutefois, le gouvernement juge à propos de diriger les enfants d'immigrants vers le système scolaire français, en dépit de tous les risques que cela suppose, ces mesures devraient se limiter aux futurs immigrants non anglophones et non francophones, qu'il conviendrait de prévenir de ces exigences avant qu'ils ne fassent leur demande d'immigration.

Quantité de sièges sociaux d'entreprises nationales et internationales, de même que d'organismes internationaux comme l'Organisation de l'aviation civile internationale, sont installés au Québec, notamment dans la région montréalaise. Ce phénomène s'explique entre autres par le fait que l'enseignement y est disponible à tous les niveaux, en français et en anglais, deux des langues les plus parlées dans le monde.

Cette présence des sièges sociaux a également été rendue possible par l'utilisation généralisée dans la région montréalaise de deux langues internationales.

Maintenant, sur l'article 32. Tout comme l'article 52, l'article 32 peut également priver le Québec de compétences. Qu'il suffise de rappeler cet extrait de notre mémoire: Bon nombre d'employés d'entreprises provinciales, nationales et internationales établies au Québec proviennent d'autres provinces ou d'autres régions du monde et sont tenus d'être membres d'ordre professionnel provinciaux afin de pouvoir exercer leur profession au Québec. Quantité d'entre eux ne traitent pas avec le public québécois. Et l'essentiel de leur travail, au sein de ces entreprises, est strictement soit in- terne ou exclusivement avec une clientèle de l'extérieur du Québec. Plutôt que d'assujettir ces employés à la réglementation relative à la langue officielle, le gouvernement — nous le proposons — devrait leur offrir, en collaboration avec les ordres professionnels, les incitations, les moyens voulus, pour leur permettre d'apprendre le français à titre d'attrait supplémentaire de leur travail au Québec.

L'obligation imposée aux membres d'ordres professionnels de se présenter à des examens pour le renouvellement de leur permis, est de nature à influer sur la venue au Québec de spécialistes en provenance d'autres régions du Canada et du monde qui pourraient assurer un apport à l'économie du Québec.

Maintenant, l'article 55. Les commentaires que nous avons sur ce sujet c'est que le Board s'inquiète du fait que cet article et d'autres dispositions du projet de loi, ne prévoient aucun droit d'en appeler devant les tribunaux des décisions de la commission d'appel relatives à l'enseignement et des décisions de l'Office de la langue française relatives aux permis. Je crois qu'il a été mentionné dernièrement que cela serait probablement changé. Mais toutefois, comme il existe présentement, nous devons porter cet article-là à votre attention, M. le Président, M. le ministre.

Le Board a maintes fois exprimé son inquiétude face à des dispositions prévoyant des décisions sans appel de la part des agences chargées d'un pouvoir de réglementation. De telles dispositions ont pour effet de donner à une même institution ou à un même organisme, à la fois le rôle de promoteur, d'enquêteur et de juge. C'est là une situation qu'il convient d'éviter.

Je vais maintenant demander à M. Jotcham de continuer.

M. Jotcham (Dennis): Le Board recommande fortement à l'Assemblée nationale d'amender l'article 106 de façon à ne pas donner à l'article le pouvoir de condamner l'entreprise à mort. Refuserait-on une transfusion de sang à un individu parce que l'article juge ses connaissances du français insuffisantes? Le même raisonnement doit s'appliquer dans les cas des entreprises.

Les permis de la fourniture de gaz et d'électricité, les services d'ascenseurs, etc., sont essentiels à la viabilité de l'entreprise.

L'émission et le maintien de tout genre de permis ou de licence ne peuvent être assujettis à des considérations autres que celles pour lesquelles le permis ou la licence a été institué. Exemples: Les règlements de zonage, la santé, la sécurité. De même, la fourniture de tout bien ou service aux consommateurs par un organisme public ou régi par l'Etat, exemple, comme l'autre fois, l'électricité, le gaz, le transport etc., ne devrait être assujettie à aucune considération d'ordre politique.

Compte tenu de ce qui précède, le Board recommande que la ligne de conduite dont le libellé apparaît ci-dessous soit incorporée à la charte et fasse l'objet de l'article 106.

Les entreprises de 50 salariés ou plus devront posséder un certificat de francisation pour avoir le droit de recevoir de l'administration des primes, subventions, concessions ou avantages et de fournir au gouvernement des biens et services.

Article 114: Les dispositions de l'article 114, relatives au comité de francisation, sont également une source d'inquiétude pour le Board. Puisque le projet de loi no 1 confie la responsabilité de la francisation à l'entreprise, c'est à l'administration de l'entreprise, qui est chargée du respect des lois et règlements, qu'il devrait appartenir d'assurer l'élaboration et la mise en oeuvre des programmes de francisation. Par conséquent, aucun autre comité ou organisme ne devrait avoir la responsabilité de voir à ce que l'entreprise se conforme à l'article 106.

On pourrait cependant charger la direction d'affecter une seule personne à la mise en oeuvre du programme, et cette dernière pourrait alors constituer un comité de l'importance voulue, composé d'employés et d'autres collaborateurs afin de la seconder.

Claude.

M. Molleur: M. le Président, M. le ministre. M. le ministre, vous avez indiqué qu'il y aurait des amendements à l'article 172, mais je vais quand même vous donner nos remarques concernant l'article tel qu'il apparaît dans le moment.

Le Board recommande d'accorder la priorité à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne sur toute loi adoptée par l'Assemblée nationale. Le respect des droits et libertés de la personne constitue le fondement même de la démocratie au Québec. Une loi destinée à promouvoir la langue française ne devrait pas diluer les éléments de base de la société libre que l'on trouve actuellement chez nous. Il importe de fortifier et non d'affaiblir les sociétés libres. Le Montreal Board of Trade reconnaît, néanmoins, qu'il est, en général, difficile de concilier les droits collectifs et les droits individuels dans une loi, tout en sauvegardant les principes de base de notre régime démocratique. Celui-ci exige que les droits et libertés individuels ne soient réduits qu'en cas d'extrême urgence. Aussi est-ce dans cette perspective que le Board of Trade désire signaler au gouvernement les éléments du projet de loi qui lui semblent déroger à ce principe.

L'actuel gouvernement se souviendra qu'il a lui-même fait cette recommandation à son prédécesseur quand la Charte des droits et libertés de la personne a été adoptée en 1975.

Nous avons voulu porter à votre attention quelques aspects du projet de loi qui ne manqueront pas de causer de graves problèmes dans les affaires courantes des grandes entreprises qui offrent aux Québécois les plus grandes possibilités d'accéder à des postes d'envergure internationale.

Le Montreal Board of Trade croit que les Québécois francophones sont capables d'exceller dans tous les domaines, y compris celui des affaires, et que l'on devrait envisager l'avenir, en somme, avec beaucoup plus de confiance qu'on semble le faire.

Le Montreal Board of Trade vient de mener une enquête plus approfondie auprès de ses membres afin de jeter un peu plus de lumière sur la situation des Québécois de langue maternelle dans l'entreprise privée. Plus de 500 compagnies ont participé à ce sondage et leurs réponses reflètent concrètement la situation actuelle quant au nombre de cadres québécois de langue maternelle française dans la région de Montréal.

Il nous fait plaisir de mettre à la disposition des membres de la commission les résultats de ce sondage, qui sont compilés dans un rapport, lequel contient également une liste partielle des répondants. Nous avons ici des exemplaires, M. le Président, nous déposons donc ce document entre les mains de M. Pouliot, le secrétaire des commissions, et nous vous demandons de l'annexer à notre mémoire.

Vous noterez, sans doute avec intérêt que les réponses reçues portent sur 19 211 postes de cadres dans la région de Montréal et que 59% de ces postes sont occupés par des personnes dont la langue maternelle est le français.

Vous noterez également que le nombre de cadres francophones a considérablement augmenté depuis 1967 dans les sièges sociaux, les bureaux régionaux et les usines.

Nous croyons que cette tendance va se poursuivre sans aucune mesure coercitive.

Le Montreal Board of Trade prie donc le gouvernement de faire davantage pour encourager les jeunes francophones à s'orienter vers les affaires et pour assurer un bon enseignement de l'anglais dans les écoles françaises. Ainsi, les fonctionnaires qui choisiront de faire carrière dans les affaires auront tout le bagage linguistique nécessaire pour accéder aux postes supérieurs des entreprises nationales et internationales.

Le contraire risquerait de limiter les francophones à des postes de direction régionale au Québec. Les anglophones qui s'orientent vers les affaires au Québec doivent aussi posséder le bagage linguistique nécessaire pour participer pleinement à l'activité québécoise. C'est pourquoi le Board prie également le gouvernement d'assurer un bon enseignement du français dans les écoles anglaises.

Le Montreal Board of Trade s'inquiète aussi de l'attitude qui se manifeste à l'égard du monde des affaires dans le système d'enseignement québécois et dans les autres milieux d'enseignement en Amérique du Nord. A long terme, cette attitude ne peut que contrecarrer tous les efforts entrepris dans les autres secteurs pour promouvoir l'avancement des francophones dans le milieu des affaires.

M. Groome, notre président, va maintenant conclure.

M. Groome: Enfin, M. le Président, le Montreal Board of Trade veut porter à l'attention des membres de la commission le caractère international de Montréal, siège de nos activités.

Grâce à sa situation géographique privilégiée, qui facilite les communications avec le reste de l'Amérique du Nord et les autres pays du monde,

la région montréalaise jouit d'une position des plus enviables. Elle est en mesure d'offrir une qualité de vie que peut-être nulle autre ville d'Amérique du Nord ne pourrait égaler.

Aussi, le Montreal Board of Trade recommande-t-il instamment au gouvernement d'assurer, dans toute législation qu'il présentera à l'Assemblée nationale, y compris le projet de loi no 1, à la fois la sauvegarde et la mise en valeur de cette marque distinctive de la région montréalaise.

Le Montreal Board of Trade reconnaît que d'autres villes canadiennes livrent une concurrence intense à Montréal sur le plan économique et commercial en vue d'attirer chez elles des sièges sociaux de grandes entreprises.

Montréal n'en demeure pas moins le siège de bon nombre d'entreprise d'envergure nationale et internationale. Nous demandons respectueusement au gouvernement qu'il évite d'introduire dans des lois des mesures qui viendraient mettre en péril le caractère unique en son genre de cette ville nord-américaine où il fait si bon vivre.

C'est la réputation que Montréal a réussi à se bâtir. M. le Président, M. le ministre, distingués membres de cette commission, nous vous remercions de votre attention et nous demeurons à votre disposition pour répondre à vos questions.

Merci.

Le Président (M. Dussault): Messieurs du Montreal Board of Trade, je vous remercie beaucoup. La parole est maintenant au ministre d'Etat au développement culturel.

M. Laurin: Je voudrais d'abord remercier le Board of Trade pour le mémoire qu'il nous a soumis que j'ai lu et relu avec attention. Je le remercie aussi pour son exposé qui diffère assez du mémoire qu'il nous a présenté et que j'ai aussi écouté avec attention. Le Board of Trade est sûrement un organisme important; il représente 2900 entreprises. Il a joué un rôle important dans l'histoire économique de Montréal et du Québec. Il ne fait aucun doute donc que ses prises de position ont un grand poids auprès de l'opinion. C'est la raison pour laquelle, évidemment, nous accordons une grande attention à ses représentations et à ses recommandations.

Dans son mémoire écrit, aussi bien que dans son exposé oral, le Montreal Board of Trade manifeste plusieurs fois son inquiétude ou ses réserves sur un grand nombre d'articles. J'ai déjà commenté un bon nombre de ces articles lors de la présentation d'un mémoire antérieur et je ne voudrais pas y revenir. Je préfère renvoyer le Board of Trade au journal des Débats pour connaître l'opinion du gouvernement sur ces diverses recommandations.

Je retiens cependant que le Board of Trade met en garde le gouvernement contre le danger qu'il y aurait de limiter le recrutement venant de l'extérieur du personnel spécialisé dont il a besoin. Je reconnais aussi que le Board of Trade manifeste l'intention de faire pression auprès de ses membres pour que le nombre de francopho- nes pouvant accéder aux postes supérieurs augmente de façon régulière, bien qu'il admette que c'est là un processus graduel et qui ne peut que s'étaler dans le temps.

Il profite de l'occasion aussi pour nous présenter les résultats d'une autre enquête ou d'un autre questionnaire dont il vient tout juste de compiler les résultats. Evidemment, j'aurais préféré de beaucoup que ce rapport sur le questionnaire nous parvienne, ne serait-ce qu'hier, ou avant-hier, ou la semaine dernière, parce que là, nous sommes dans l'impossibilité absolue de le commenter. Evidemment, vous le distribuez à la presse qui, à cause du poids de votre organisme, y accordera toute l'audience désirable, comme la presse l'a fait pour le premier mémoire que vous avez présenté le 27 mai. J'aurais beaucoup aimé avoir l'occasion de réagir face à ce questionnaire dès ce soir, mais malheureusement, comme vous venez juste de me le remettre, ce n'est pas possible pour moi de le commenter.

Mais je profite quand même de l'occasion pour commenter le premier rapport sur le questionnaire que vous avez effectué le 27 mai. Evidemment, le rapport que vous nous présentez ce soir a déjà quand même deux avantages: d'abord, il est présenté en français et en anglais, ce qui n'était pas le cas du premier mémoire, et deuxièmement, il porte sur un plus grand nombre d'entreprises. Vous mentionnez 500 dans l'exposé oral que je viens d'entendre. C'est sûrement une amélioration, puisque votre premier questionnaire ne portait que sur 100 entreprises sur 2900. C'est un échantillon qui nous apparaissait bien petit, étant donné que ces 100 entreprises recouvraient à la fois les sièges sociaux, certaines entreprises de Montréal et des entreprises situées au Québec. L'échantillon nous paraissait donc très limité et peu susceptible de se prêter à des conclusions scientifiques. Par ailleurs, vous aviez distribué à la presse les résultats bruts de ce questionnaire sans aucun texte et vous ne mentionniez aucunement la méthode que vous aviez suivie. On ne savait pas comment vous aviez effectué le choix de ces 100 entreprises, pas plus que je ne sais comment vous avez effectué le choix de ces 500 entreprises. Est-ce qu'il s'agit, par exemple, d'un échantillon stratifié? Est-ce qu'il s'agit d'un échantillon au hasard?

Nous ne connaissions pas au mois de mai, ni aujourd'hui les critères de votre choix. Nous ne savions pas aussi comment l'enquête était effectuée, est-ce que c'est simplement par l'envoi d'un questionnaire, est-ce que cela a été suivi d'appels téléphoniques, est-ce qu'il y a eu une critique des réponses reçues?

Je pense que ces vices méthodologiques, déjà au départ, rendaient aléatoire le résultat scientifique du premier rapport que vous nous avez donné le 27 mai. Même ces questions de méthodologie mises à part, votre mémoire, votre premier questionnaire n'apportait pas des résultats qui modifiaient d'une façon sensible les résultats des enquêtes précédentes. On voyait, par exemple, que même dans les sièges sociaux ou dans ce que vous appelez "top management jobs", où il n'y

avait que 10% de francophones dont la langue maternelle était le français à la période antérieure à 1970, il y en avait 25%. Mais en chiffre absolu, le chiffre n'avait grimpé que de 32 à 98 sur un nombre total de 393.

Bien sûr, c'est une augmentation de 206%, mais il est difficile d'apprécier l'augmentation de ces pourcentages quand on a affaire à des chiffres aussi minimes que ceux-là, quand on passe de 1 à 2, évidemment l'augmentation est de 100%, 1 à 3, l'expansion est de 300%. Il faut donc tenir compte, doser, tempérer ces augmentations de pourcentage par des rapports sur les chiffres absolus. Je remarque encore quand même qu'à ce niveau du "top management", dans l'espace des quelques années couvertes par votre enquête, les changements n'ont pas été majeurs.

De plus, dans votre mémoire du mois de mai, vous ne disiez pas si la langue utilisée était le français ou l'anglais. Vous ne mentionniez pas si ceux qui disent dont la langue maternelle est le français fonctionnaient en anglais au travail. On sait très bien qu'au niveau des sièges sociaux, il faut une très forte concentration de personnel francophone pour que la langue de communication soit le français. Ceci peut parfois se produire en province, mais rarement à Montréal.

On voit aussi que même au niveau du "middle management", vos chiffres, pour l'enquête du mois de mai, manifestent bien sûr une augmentation de 18% à 33%, de 249 à 505, mais sur un grand total de 1537 postes. On peut dire que pour une ville où le pourcentage des francophones est de 80%, c'est un pourcentage qui est loin de respecter et très loin, les proportions de la population.

Même au niveau des "first line supervisors", malgré une augmentation de 23% à 40%, quand on tient compte encore une fois du pourcentage de la population réelle, on constate que même à ce niveau de "management" qu'on pourrait qualifier d'inférieur, même si l'augmentation paraît, à première vue, assez considérable, elle est loin de correspondre ou même de s'approcher d'une façon sensible des proportions de la population.

Je crois donc que malgré ces rapports que vous nous avez faits, le progrès n'est sûrement pas, même s'il est marqué, qualifié de spectaculaire d'une part et, deuxièmement, il ne peut sûrement pas laisser croire au gouvernement que le travail est terminé comme M. Finestone l'avait dit à l'époque: "French Canadians have arrived. There is no further need for any legislation". Cela me semblait une extrapolation, une généralisation, un cri de victoire qu'aucun francophone, sain d'esprit, n'aurait pu lancer à la suite de la publication des résultats de votre première enquête.

Evidemment, je n'ai pas pu, encore une fois, commenter les résultats de celle que vous nous apportez ce soir, je continue de déplorer qu'elle nous soit parvenue aussi tard, mais j'espère qu'étant donné un échantillon plus large, nous aurons une idée plus exacte de la situation.

Mais je serais étonné qu'elle nous conduise à des conclusions différentes de celles que nous avons déjà données à savoir que, particulièrement au niveau très supérieur, et même au niveau moyen, particulièrement dans la région de Montréal, il y a sûrement un rattrapage à effectuer, un redressement, qui, bien sûr, devra s'étaler dans le temps, devra être soumis à certaines conditions, à certaines contraintes que nous reconnaissons, que nous avons déjà reconnues, mais qui m'empêchent pas l'Etat, le gouvernement, de considérer comme de son devoir de s'attaquer d'une façon sérieuse à ce problème.

J'en viens maintenant à certaines recommandations que vous nous faites. Par exemple, vous voudriez que l'article 18 soit libellé de façon à permettre à l'administration de contracter dans n'importe quelle langue avec une personne morale dont le lieu d'affaires est au Québec.

Ceci nous apparaît assez difficile à comprendre, s'il est vrai que toutes les entreprises seront soumises à un processus de francisation et que, d'ici 6 ou 7 ans, ce processus sera bien engagé. Si le gouvernement antérieur, aussi bien que celui-ci, prend la peine de soumettre des entreprises à des programmes de francisation, il nous semble qu'il ne sera pas nécessaire pour l'administration dont la langue officielle est le français de contracter dans une autre langue que dans la langue officielle.

Vous nous demandez aussi de permettre que les conventions collectives soient libellées en anglais pour les entreprises dont le personnel est en majorité anglophone. Ceci nous semble aller à l'en- contre du principe de l'article 4 qui énonce qu'au Québec, tout travailleur a le droit de travailler en français. Et même s'il n'est pas majoritaire dans une entreprise, il reste que ce droit existe, ce droit qui n'a pas toujours été suffisamment reconnu et qu'au nom de ce droit, il nous semble parfaitement justifié de libeller dans un article que les conventions collectives doivent être déposées en français pour acquérir les effets juridiques qu'elles comportent.

Vous voudriez aussi qu'à l'article 55 il y ait un autre appel, par-dessus l'appel qui est déjà permis. Si nous acceptons votre suggestion, je me demande où nous devrions nous arrêter? Y aurait-il ensuite un autre appel à une instance supérieure? Je pense qu'il importe quand même, tout en reconnaissant le droit à l'appel, en une matière aussi délicate, de reconnaître qu'à un moment donné, une instance supérieure doit se prononcer d'une façon définitive sur le projet.

Vous voudriez aussi que les programmes de francisation prévus à l'article 113 soient définis dans la loi. Ceci nous paraît difficile, étant donné l'hétérogénéité des sièges sociaux. C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas voulu, pour le moment, à tout le moins, en parler dans la loi. Nous attendions les résultats de la mission qui nous a remis son rapport, rapport qui sera rendu public très bientôt.

Mais, sur ce sujet comme sur d'autres, je voudrais laisser plutôt à mon collègue, le ministre d'Etat au développement économique, le soin de vous donner l'opinion du gouvernement.

Le Président (M. Cardinal): M. le ministre d'Etat au développement économique.

M. Landry: M. le Président, de par mes fonctions spécifiques, je suis particulièrement heureux de remercier au nom du gouvernement ce puissant agent économique qu'est le Montreal Board of Trade, pour sa coopération et l'intérêt qu'il porte à des questions culturelles qui, visiblement, ont un intérêt pour les affaires et l'économie, mais excèdent de beaucoup les intérêts purement économiques et financiers.

Je voudrais vous dire aussi au nom du gouvernement, dans l'optique économique, que ce gouvernement a la conviction profonde que c'est une richesse prodigieuse que d'avoir sur son territoire et d'avoir pour toujours une grande partie de ses citoyens qui sont également de langue et de culture anglophones.

Imaginez ce que cela peut représenter pour un espace économique occidental de pouvoir contacter directement et facilement dans leur langue autant de consommateurs et autant de marchés. Je pense que si les Québécois réussissent à exploiter à fond cette virtualité commerciale et économique qu'ils ont de participer aux deux plus grandes langues véhiculaires en Occident, cela pourrait se transformer en un actif extraordinaire.

Ceci dit, il me semble que, pour la vie intérieure de la collectivité, il est bon que les individus, autant que les entreprises évoluant au Québec, pour s'épanouir pleinement et arriver à leur niveau maximal d'efficacité, doivent, dans toute la mesure du possible et le plus rapidement possible, sans contraintes pour les individus, avec de légères contraintes pour les entreprises, pouvoir communiquer dans la langue française qui est la langue du Québec. Je pense que vous admettez cela et je vous en félicite d'ailleurs.

Quant aux aspects plus spécifiques de votre mémoire, je voudrais, sous forme de remarques, provoquer chez vous quelques commentaires. Sur la question des sièges sociaux, par exemple, vous parlez des avantages spécifiques de Montréal en disant que c'est une ville qui est en mesure d'offrir une qualité de vie que nulle autre ville en Amérique du Nord ne pourrait égaler, que c'est une ville au caractère unique en son genre, où il fait si bon vivre, etc. J'aimerais, comme responsable du développement économique, que vous commentiez le fait que, depuis 1955, alors que Maurice Le Noblet Duplessis était le premier ministre du Québec et qu'il n'y avait ni loi 22, ni loi 63, ni Charte de la langue française, depuis cette époque, un exode des sièges sociaux s'est amorcé de Montréal vers Toronto et d'autres villes de même qu'un exode des entreprises. N'y aurait-il pas là des facteurs économiques beaucoup plus profonds qui n'ont rien à voir avec les législations linguistiques et pour lesquels, peut-être, vous pourriez nous faire quelques petites suggestions dont nous pourrions tirer les moyens de contrer ce phénomène déjà commencé? Vous êtes bien au courant qu'il y a un exode des sièges sociaux depuis fort longtemps.

Sur la question des sièges sociaux toujours, vous émettez des réserves, prétendant que la loi, et, partant, le caractère français de Montréal, pourrait éloigner des sièges sociaux de venir s'y installer ou en éloigner qui y sont déjà. Je voudrais vous soumettre le cas suivant et avoir votre réaction. Vous avez mentionné l'OACI qui est un des seuls organismes internationaux véritables que nous ayons à Montréal. Je voudrais que vous commentiez un cas particulier qui est celui de la ville de Genève, la ville la plus multinationale, la plus cosmopolite, la plus remplie d'organisations internationales que l'on puisse imaginer. Cela a commencé avec la Société des Nations, toute la kyrielle des organisations de la Société des Nations, plus celle des Nations Unies, plus le Gatt. Toutes les délégations étrangères sont là. Il y a quasiment plus d'étrangers dans Genève que de Genevois. Or, c'est une ville française, avec un système d'écoles publiques de langue française, une signalisation routière de langue française — je vais commenter là-dessus — des services de police, des services d'hôpitaux français et c'est cette ville qui, dans l'histoire du monde, a réussi à concentrer le plus d'organisations internationales et multinationales.

J'ai parlé de celles du secteur public, je pourrais vous parler de celles du secteur privé, car, mises à part les multinationales suisses — il y en a quelques-unes — un très grand nombre de sociétés d'assurance, de fiducie, de grandes institutions financières ont choisi cette ville à caractère français pour établir le siège de leurs opérations internationales.

Si une telle chose peut se produire sur le territoire de la confédération helvétique, quelle crainte pouvez-vous avoir que le fait que Montréal devienne une ville française puisse être un facteur qui repousse les sièges sociaux ou l'activité économique internationale, particulièrement en regard de l'article 113 qui fait une exception pour les activités à l'intérieur des sièges sociaux et également de cette provision qui veut que, ce qui n'est pas le cas à Genève, par exception, des enfants temporairement venus à Montréal puissent aller au secteur public anglophone gratuitement? J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus.

Une autre chose qui n'a rien d'économique, mais cela m'a amusé. Pour la sécurité routière, pour la signalisation routière, vous parlez de sécurité. Cela me fait penser aux arguments de la CALPA, de l'association des pilotes, qui mêlent la sécurité à un débat qui n'a rien à voir avec la sécurité, parce que vous faites allusion au tourisme. Il y a des pays beaucoup plus touristiques que le Québec, je le déplore d'ailleurs, mais il y en a: l'Espagne, la France, l'Italie. Avez-vous déjà entendu dire que les mouvements touristiques vers ces magnifiques pays ont été freinés par le fait qu'il n'y avait pas d'annonces en langue anglaise sur les routes et que l'on utilise la langue locale et des pictogrammes?

Enfin! Je vous fais ces petites remarques stimulantes pour essayer d'obtenir vos commentaires et je vous redis formellement que les ministres économiques qui ont eu à travailler avec le ministre d'Etat au développement culturel ont évidemment scruté tous les articles de cette loi et toutes les provisions qui pourraient être néfastes à l'acti-

vite économique. Cependant je vous rappelle que, même pour les ministres économiques, même pour les hommes d'affaires, l'homme n'est pas uniquement économique et que les questions culturelles et les questions de fierté nationale sont parfois extrêmement importantes et déterminantes dans les arbitrages à faire. Merci, M. le Président.

M. Nadeau: M. le ministre, je suis allé très souvent à Genève que je connais très bien; vous avez mentionné cette ville. Mais n'est-il pas vrai aussi qu'à Genève, le grand nombre de sa population est élevé dans plusieurs langues? Le français et l'allemand sont très courants à Genève, dans les hôtels, ainsi que l'anglais; dans le reste de la Suisse on y parle deux ou trois langues. Cette situation ne peut pas être comparée du tout avec celle de Montréal, si nous élevons une population dans une seule langue et si nous ne lui donnons pas au moins les moyens de pouvoir apprendre une deuxième langue, soit le français, soit l'anglais, et de l'apprendre très bien. L'instruction en Europe, et à Genève, est excellente dans toutes les langues. Dans toutes les langues. Et les enseignes qu'on voit, même dans le coin de Genève, sont aussi de langue française comme elles sont de langue anglaise, pas de langue anglaise excepté à l'aéroport, mais de langue allemande sur certaines de leurs routes où les enseignes sont nationales.

Mais j'aurais seulement un point à ajouter sur tout le projet législatif, parce qu'on veut dire aussi, comme Canadiens français, que tout le projet législatif ne doit non seulement servir les véritables aspirations linguistiques des Québécois, dont je suis, mais aussi contribuer indirectement à leur prospérité et à leur bien-être. C'est probablement une très mauvaise chose que d'aller trop vite. Nous espérons que dans la disposition de la loi, les changements vont être faits pour pouvoir donner le temps à l'établissement d'une francisation beaucoup plus lentement qu'on ne l'a vu dans les rapports qui ont été soumis.

M. Groome: M. le Président, si vous permettez, je pense que nous avons des réponses à toutes vos questions et je vais demander à mon collègue, M. Molleur, de parler, s'il vous plaît.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. M. Molleur.

M. Molleur: M. le Président, je voudrais d'abord m'adresser à M. le ministre Laurin. Pour ce qui est du questionnaire, M. le ministre, le fameux questionnaire du mois de mai, le Board of Trade, pour différentes questions, comme par exemple est-ce que les entreprises donnent tel jour comme congé, a un échantillonnage de 100 entreprises qui est pris à même ses membres. Ces entreprises, on les croit représentatives de la population, de tous nos membres. Lors de notre première lecture du livre blanc, et dans un premier effort de vouloir connaître un peu la situation parmi nos propres membres, nous avons décidé de distribuer un premier questionnaire à cet échantillonnnage dont je viens de vous faire part. Evidemment, étant donné le temps, nous n'avons eu que 33 réponses sur l'échantillonnage de 100. Nous en avons fait part lors de notre première conférence de presse. Maintenant, évidemment, nous n'avons pas prétendu qu'il s'agissait d'un échantillonnage exhaustif, mais nous l'avons fait nous-mêmes pour avoir un premier indice.

Maintenant, ce questionnaire a fait assez de bruit et, dans un effort pour obtenir un échantillon que nous considérons plus valable, nous avons décidé d'envoyer le questionnaire à tous nos membres, soit les 2900 membres du Board of Trade, les 2900 entreprises. Ceci explique le choix des critères. Le questionnaire est divisé en trois sections, comme vous pouvez le voir devant vous. D'abord, il est à la fois en français et en anglais, et la première section concerne les sièges sociaux, la seconde section couvre les bureaux régionaux au Québec, à savoir la direction de la division Québec d'une entreprise et, troisièmement, toutes les usines de la même entreprise situées au Québec.

Nous avons tenté d'obtenir le plus de réponses possible, et c'est ce qui explique, M. le ministre, que nous avons retardé la décision du questionnaire, de façon à avoir une population la plus représentative possible.

La liste d'un grand nombre de répondants est annexée au document qui vous a été remis et elle couvre une très grande variété d'entreprises et de domaines.

Vous aviez mentionné, M. le ministre, que M. Finestone avait dit que le travail était terminé pour ce qui est de l'accession des francophones aux postes de commande. Je crois que ce que M. Finestone — j'étais à ses côtés lorsqu'il a fait cette affirmation — voulait dire, c'est que les portes sont ouvertes et que les francophones qui se dirigent vers le milieu des affaires n'ont pas de portes à enfoncer. Le Board ne voulait pas signifier par là que tous les francophones qui devraient être dans l'entreprise y sont actuellement, pas du tout, mais ce que le Board voulait signifier, c'est qu'en somme les portes sont ouvertes. Il y a un plus grand nombre et un nombre sans cesse croissant de francophones qui font carrière dans les entreprises, et le questionnaire que nous avons des 538 entreprises qui ont répondu indique bien le phénomène qui se produit depuis environ dix ans. On constate, par exemple, qu'il faut un certain temps à un individu pour atteindre le poste de président d'une société ou de vice-président ou de premier vice-président, et, si on regarde, par exemple, au niveau des bureaux régionaux du Québec, il y a trois différents paliers, soit la haute direction, la moyenne direction et le premier niveau de direction.

La haute direction indique un pourcentage de tous les postes et 73% sont maintenant occupés par des francophones, enfin, des gens dont la langue maternelle est le français.

A la moyenne direction, soit les gérants de bureaux, ainsi de suite, 77% des postes sont occupés par des gens dont la langue maternelle est le français.

Et enfin, au premier niveau de direction, 84%.

Evidemment, lorsqu'on regarde la première section, celle des sièges sociaux, les pourcentages sont moins importants, mais, encore une fois, on voit que lorsqu'on part du premier niveau de direction au stade des sièges sociaux, il y a, dans le moment, 54% des postes détenus par des francophones, 41% à la moyenne direction, et 32% à la haute direction.

En somme, les réponses au questionnaire montrent une progression et, évidemment, une progression à l'intérieur d'une entreprise prend un certain temps. Nous croyons que si nous comparons avec 1967—je ne vais pas vous répéter les pourcentages, les différences d'il y a dix ans — vous verrez qu'il y a une progression et qu'à mesure qu'on monte de palier, en palier la relève, pour la haute direction, est maintenant essentiellement, en grande partie, francophone.

M. Laurin, vous aviez aussi mentionné qu'à l'article 18 nous recommandions que les personnes morales puissent s'adresser dans la langue de leur choix, à savoir pour le Québec, à toutes fins pratiques, le français ou l'anglais. Pardon?

M. Laurin: Pour les contrats.

M. Molleur: Pour les contrats. Vous n'avez pas mentionné le fait de s'adresser au gouvernement.

M. Laurin: Non, pour les contrats.

M. Molleur: Pour les contrats. Pour les conventions collectives, lors d'une négociation d'une convention avec un groupe d'employés essentiellement anglophone, on ne recommande que le texte français ne fasse pas partie de la convention. On recommande, compte tenu de la situation à ce moment, qu'il soit possible, vu que les parties sont essentiellement anglophones, qu'on ait les deux textes, français et anglais.

Pour ce qui est de la commission d'appel — l'article 55 — le point, M. le ministre, qui nous chatouille ou qui nous inquiète est le suivant: II est une théorie reconnue dans notre droit qui nous vient de différentes origines selon laquelle le pouvoir dans notre pays, au Canada, ainsi que dans toutes les provinces, contient trois grandes sections: Le législatif, l'exécutif et le judiciaire. Nous voyons dans le projet de loi no 1 ainsi que dans d'autres projets que différents gouvernements présentent... Nous voyons des mesures qui, parfois, ne maintiennent pas la séparation des pouvoirs. Nous reconnaissons, étant donné la complexité de la vie moderne, qu'il n'est pas toujours possible de le faire, mais dans la mesure du possible, nous recommandons instamment au gouvernement de ne pas créer un appareil qui réunit à la fois les trois pouvoirs dans différents organismes sous un seul ministère, soit l'Exécutif du gouvernement.

Nos remarques, quant aux sièges sociaux, M. le ministre... Pardon?

Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse. Avant que vous ne commenciez... vous savez que cette audition est dans un cadre précis. Il faudrait accélérer ou enfin réduire l'exposé, sans quoi, ce seront les membres de la commission qui devront en supporter les conséquences.

M. Molleur: Je vous remercie, M. le Président. M. Saint-Germain: M. le Président...

Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le député de Jacques-Cartier.

M. Saint-Germain: II faudrait peut-être dire, M. le Président, que nous recevons un organisme extrêmement important. Je crois que notre ministre invité ce soir a très bien exposé le problème... des principes qui sous-tendent ce projet de loi. Alors, je me demande bien pourquoi nous ne laisserions pas unanimement... qu'on ne donnerait pas la permission au Montreal Board of Trade de donner son opinion, surtout pour répondre aux questions du ministre.

Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, M. le député de Jacques-Cartier. Si on veut laisser aux porte-parole du Montreal Board of Trade plus de temps, il faudra que les représentants des partis renoncent à leur temps, parce que nous avons une motion devant nous qui nous lie et cette motion ne peut être modifiée ce soir.

M. Ciaccia: M. le Président, question de règlement.

Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Ce n'est pas seulement une question de temps. Notre règlement donnait aux invités une période de 20 minutes pour faire leur exposé.

Le Président (M. Cardinal): 20 minutes, oui.

M. Ciaccia: Ils en ont pris 19. Alors, ils se sont conformés au règlement. Il n'y a rien dans le règlement qui empêche les invités de répondre aux questions soulevées par les deux ministres. Je crois que ce serait brimer les droits de nos témoins, de nos invités...

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre! A l'ordre, s'il vous plaît! A l'ordre!

M. Ciaccia: ...si on ne leur donne pas la chance de répondre.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre! A l'ordre, s'il vous plaît. A l'ordre, M. le député de Mont-Royal! Je ne le permettrai pas. Vous attaquez la présidence et je ne le permettrai pas.

M. Ciaccia: Non, non...

Le Président (M. Cardinal): Je ne le permettrai pas.

M. Ciaccia: Je n'ai pas attaqué la présidence.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, M. le député de Mont-Royal. C'est la commission qui a adopté une motion. Je ne peux modifier cette motion et je ne veux pas du tout brimer les droits de nos invités. Je ne l'ai fait en aucun moment. Je ne voudrais qu'en aucun moment, même dans le journal des Débats, ni devant le public, on laisse entendre que par une intervention de la présidence, les droits des invités ont été brimés.

Monsieur, vous pouvez continuer. Ce que j'ai fait, ce n'est pas pour brimer vos droits ni pour vous interrompre. Tantôt les membres à cette table me reprocheront d'avoir laissé trop de temps à un des cinq partis, parce qu'ils comprendront, en totalité ou en partie, la période des réponses dans la période des questions. Je voulais que ceci fût clair et je vous laisse la parole.

M. Mackasey: M. le Président...

M. Ciaccia: M. le Président, je voudrais une directive.

Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le député de Jacques-Cartier.

M. Saint-Germain: Ce temps limité est le résultat d'une motion qui a été acceptée par cette commission. Une autre motion peut être présentée ce soir pour permettre à nos invités...

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre! Si vous permettez, je ne me suis pas prononcé là-dessus. Si on demandait une directive sur cette question, je vous le dis tout de suite, pour éviter un débat, je la prendrais en délibéré, parce que j'ai vraiment étudié cette question cet après-midi, et il n'est pas sûr que, pendant une même session, dans une même commission, siégeant dans un même mandat, l'on puisse, même dans une séance subséquente, contrairement à ce qui se fait dans les sociétés, compagnies, etc., modifier une motion adoptée à cette commission. Je ne prends pas la décision. Je vous dis que je la prendrais en délibéré et qu'à ce moment-là cela ne changerait pas la règle pour ce soir.

M. Saint-Germain: Je ne vous dis pas que, nécessairement, je veux en faire une motion. Ce serait la plus belle façon de ne pas écouter nos invités.

Le Président (M. Cardinal): Exactement. Merci, M. le député de Jacques-Cartier.

M. Saint-Germain: Je veux simplement vous souligner que ce que nous avons dit ne s'attaquait pas à la présidence, mais sous-tendait simplement que, par un avis unanime, nous puissions accepter de laisser...

Le Président (M. Cardinal): Si vous demandez une directive, je vous reprends. Celle qui a été rendue à trois reprises, c'est que le temps additionnel sera pris à même le temps de la députation et c'est ce que j'avais indiqué quand je me suis permis d'interrompre monsieur.

M. Ciaccia: M. le Président, est-ce que je pourrais demander une directive, s'il vous plaît?

Le Président (M. Cardinal): Oui, certainement, M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Avant de demander la directive, je ne voulais pas faire allusion à la possibilité que la présidence brimât les droits des témoins, pas du tout. Mais est-ce possible de demander à la présidence de donner une directive au ministre d'Etat au développement culturel et aux autres ministériels, pour que, s'ils ne veulent pas que les témoins prennent tant de temps à répondre, peut-être le ministre ne soulève pas autant de questions en même temps et laisse l'occasion aux témoins de répondre.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. Je répondrai tantôt. M. le député de Rosemont.

M. Paquette: Nous n'avons en aucun moment exprimé l'opinion que les réponses de nos invités étaient trop longues. C'est le président qui a tout simplement mentionné qu'avec les réponses des invités on allait dépasser le temps du parti ministériel. Si vous êtes d'accord pour qu'on le dépasse de cette façon, nous sommes tout à fait d'accord pour entendre les réponses des invités aux questions des deux ministres. Cela va de soi.

Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le député de Notre-Dame-de-Grâce.

M. Mackasey: C'est pour une information seulement. A ma connaissance, vous avez raison. Je crois que votre rôle est d'interpréter le mandat que nous, les membres, mettons à votre disposition et de l'appliquer. C'est votre rôle. Alors, il n'y a rien du tout pour restreindre les députés qui sont membres de cette commission, qui ont devant eux un mémoire très objectif et qui cherchent à arriver au même but principal qu'on désire tous pour le Québec. Je vous demande s'il serait conforme au règlement, par une motion unanime de tous les membres, de prolonger le temps mis à la disposition du Board of Trade...

Le Président (M. Cardinal): Dans le fond, si vous voulez...

M. Mackasey: ...parce que ce mémoire est objectif, basé sur les faits et non sur l'émotion. Le Board of Trade existe depuis 18 ou 20 ans et représente les hommes d'affaires et les entreprises anglophones et francophones. Il peut peut-être changer les esprits qui sont encore ouverts. Je vous demande donc si on peut accueillir une motion d'un membre permanent de cette commission, aux fins de suspendre, si vous voulez, les li-

mitations sur les périodes de temps qui gouvernent normalement les mémoires qui nous sont soumis.

Le Président (M. Cardinal): Avant de répondre, je donne la parole au député de Vanier, et je vous dis que je serai suffisamment informé ensuite pour répondre immédiatement à votre question. M. le député de Vanier.

M. Bertrand: M. le Président, je veux d'abord noter que, du côté ministériel, il n'est certainement pas question d'accorder des coefficients d'importance aux différents groupes qui viennent devant la commission et que tous doivent être traités avec équité, c'est-à-dire sur un pied d'égalité.

Deuxièmement, nous avons bien compris, quant à nous le sens de votre remarque comme voulant signifier que nous en sommes déjà à 40 minutes, du côté ministériel depuis que le groupe a terminé la lecture de son mémoire; vous vouliez donc signifier simplement que les ministériels avaient écoulé leur période de questions et que si les réponses se prolongeaient trop au-delà de la période de trente minutes, c'est toute la motion même de l'heure trente qui s'en trouvait affectée et à partir de là, le temps même laissé aux Oppositions dans le cadre de cette heure trente.

M. le Président, je trouve qu'on a soulevé là une tempête inutile, on fait perdre du temps aux membres de la commission, je propose de continuer.

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Vanier, à l'ordre s'il vous plaît. M. le député de Vanier...

M. Paquette: Etes-vous d'accord avec ça...

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît! A l'ordre, s'il vous plaît! On m'a demandé une directive, je vais la rendre.

M. le député de Vanier, tout d'abord, vous feriez un excellent président. Ce que j'ai voulu dire et je vais le répéter...

Mme Lavoie-Roux: ... promotion...

Le Président (M. Cardinal): ... c'est très simple, c'est que les députés ministériels ont épuisé leur temps, si on tient compte des questions et des réponses. Les seuls députés qui peuvent être pénalisés par le temps employé pour les réponses sont les députés de l'Opposition. La directive que je rends est très précise et c'est une directive définitive, quant à ce soir. Si on veut accorder plus de temps au porte-parole du Board of Trade, aucune motion ne sera acceptable, il faudra le prendre à même le temps de la députation et il reste vingt minutes au parti de l'Opposition officielle et dix minutes au parti reconnu de l'Union Nationale; il n'y a pas d'autres représentants d'autres partis.

M. Ciaccia: Seulement une question, M. le Président, comment pouvons-nous...

Le Président (M. Cardinal): Pas sur la directive, elle est rendue.

M. Ciaccia: Une autre question, pas sur cette directive, comment pouvons-nous prendre sur notre temps des questions soulevées par le ministre?

Le Président (M. Cardinal): Un instant, je ne vous enlève pas de votre temps. Je vous dis que le temps des ministériels est terminé. Je ne l'enlève pas sur votre temps, je viens de vous dire que vous aviez encore trente minutes, ce qui est le maximum du temps accordé par la motion qui nous lie tous. Je voudrais bien que — je sais que j'ai une voix qui est mauvaise ce soir — sans passion, l'on m'écoute; mon seul désir est que ces débats se déroulent sans émotivité avec le moins d'interventions que possible, en dehors de la question, et quand j'interviens, c'est pour qu'on reste dans le cadre de l'audition.

M. Mackasey: ... motion en ordre ou non, simplement ce que j'ai demandé. Est-ce qu'une autre motion est acceptable ou non?

Le Président (M. Cardinal): Non, elle serait irrecevable... c'est-à-dire que, soyons clairs, encore plus précis. Je ne dis pas qu'elle serait irrecevable, je veux dire qu'il y a des précédents, nous savons... Ecoutez, est-ce qu'il faut que je recommence un cours de procédure parlementaire? Vous savez que nous vivons dans un système britannique et que les précédents à l'Assemblée nationale et en commission parlementaire, en vertu de l'article 163 nous lient. Deuxièmement, que la motion du député de Taschereau, modifiée par le parti de l'Opposition officielle, je pense que c'est le député de Marguerite-Bourgeoys et sous-amendée par le député de Beauce-Sud, a été adoptée, non pas à l'unanimité, mais majoritairement.

J'ai indiqué tantôt que si une motion dans le même sens était présentée, je la prendrais en délibéré et que ça ne réglera rien de cette question pour ce soir et que les gens du Board of Trade ne feraient que nous entendre discuter de procédure.

M. Lalonde: M. le Président...

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: Est-il possible de demander aux gens du Board of Trade de continuer de répondre s'il vous plaît?

Le Président (M. Cardinal): Entièrement d'accord, je vous en remercie. Monsieur, voue avez la parole.

M. Molleur: Merci, M. le Président. Avec votre permission, je vais tenter de répondre le plus brièvement possible aux autres questions qui ont été posées par M. le ministre Laurin et M. le ministre Landry.

M. le ministre Laurin a soulevé nos remarques quant aux sièges sociaux et nous a indiqué l'existence de l'article 113. Nous reconnaissons que l'article 113 ouvre la porte à un traitement particulier étant donné la situation spéciale des sièges sociaux de compagnies nationales et internationales situées au Québec. Toutefois, nous avons voulu, dans notre mémoire et nos différentes représentations, souligner l'importance de considérer la situation très particulière des sièges sociaux et également étant donné que l'article 113 est assez vague et M. le ministre Laurin l'a souligné lui-même en disant qu'on n'a pas voulu préciser trop à ce moment-ci, nous voulons, dans la mesure du possible, recommander au gouvernement... on tente de préciser les dispositions ou l'encadrement du traitement des sièges sociaux.

M. le ministre Landry, évidemment, le Board of Trade, vous le comprendrez, doit se préoccuper, étant donné son mandat, principalement des questions économiques et commerciales. Evidemment, ceci n'empêche pas le Board of Trade, qui est une association d'entreprises, mais qui oeuvre par l'entremise de délégués de ces entreprises, qui sont des individus, de se préoccuper aussi d'autres questions sociales, culturelles et ainsi de suite. Vous constaterez dans notre mémoire qu'on a peut-être élargi la gamme de commentaires que les différentes commissions parlementaires ont l'habitude de recevoir de notre organisme. C'est dans cet esprit, étant donné l'importance que nous voyons dans le projet de loi no 1, que nous avons voulu tenter d'élargir nos remarques, sans toutefois nous prétendre des experts dans tous les domaines. Notre domaine principal est celui du commerce, de l'industrie et des entreprises et c'est dans cette optique que nous voulons concentrer nos commentaires.

Vous avez souligné, M. Landry, la présence utile d'un groupe anglophone important au Québec, à l'intérieur de la collectivité québécoise. Evidemment, je voudrais ici souligner, comme M. Mackasey l'a fait, que le Board of Trade est d'abord un organisme qui réunit des entreprises; contrairement à d'autres organismes comme les chambres de commerce, qui réunissent à la fois entreprises et individus, le Board of Trade est essentiellement un organisme d'entreprises. Il est difficile de le qualifier d'essentiellement anglophone ou d'essentiellement francophone. Il s'agit plutôt ici d'un mélange des deux, les communications du Board se font dans les deux langues et les délégués des entreprises sont des deux groupes linguistiques.

Maintenant, vous avez mentionné qu'il y a, depuis peut-être 20 ans, un certain exode de sièges sociaux ou d'entreprises en général du Québec vers l'Ontario et d'autres régions. Nous reconnaissons le fait que la région de Toronto, par exemple, a attiré, par le fait même de sa situation, de son expansion économique, énormément d'entreprises de différentes parties du continent nord-américain.

Mais, évidemment, notre préoccupation est de tenter, par tous les moyens possibles, de préserver ce que Montréal possède encore et d'essayer de l'enrichir. Nous reconnaissons qu'il y a un exode, qu'il y a eu des entreprises qui y ont participé, pour différentes raisons — et nous sommes d'accord avec vous que ce n'est pas uniquement pour des raisons d'ordre culturel et linguistique — mais ceci n'empêche pas notre préoccupation de vouloir maintenir ce qui nous reste et de tenter de l'enrichir.

Vous avez fait une référence à la ville de Genève. Evidemment, nous ne prétendons pas être des experts dans toutes les situations où il y a plusieurs langues en contact dans le monde. Nous croyons quand même que nous avons certains commentaires à apporter quant à ce qui existe dans la région de Montréal et au Québec. C'est dans cette optique que nous avons fait nos recommandations. Il est possible que nos recommandations ne soient pas applicables dans d'autres régions du monde, mais nous croyons qu'elles sont dans le plus grand intérêt de la région que nous connaissons.

Quant à la remarque incidente des enseignes, je crois, si vous lisez notre mémoire, que nous avons indiqué qu'en somme, on devrait tenter, autant que possible, ce qui est déjà commencé, d'avoir des enseignes internationales. A ce moment-là, on n'a pas, pour employer un canadianisme, à "s'obstiner" sur le français ou l'anglais dans ce domaine-là.

Merci, M. le Président.

Le Président (M. Dussault): Je vous remercie. M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: Merci, M. le Président. Je tenterai d'être bref, étant donné que le temps qu'il nous reste, globalement, est assez court. Je voudrais remercier le Montreal Board of Trade de s'intéresser à la question linguistique. Ce n'est pas la première fois, mais il reste que c'est quand même assez récent que le Montreal Board of Trade, entre autres, comme d'autres organismes du milieu des affaires, accède à un niveau de conscience civique ou sociale, surtout au niveau culturel français.

Je sais que vous avez pleinement conscience de la réalité du milieu qui doit être français au Québec et je pense aussi que votre collaboration, comme association, de même que du pendant francophone de la Chambre de commerce de Montréal, entre autres, sont des facteurs indispensables à la réussite de ce que la société québécoise veut faire.

Je voudrais simplement passer quelques minutes sur la question des sièges sociaux. Je suis d'accord avec vous que l'article 113 ne règle pas le problème. Le problème des sièges sociaux et des sièges divisionnaires est beaucoup plus complexe que ne le laisse prévoir la disposition de la loi et je suis, quant à moi, assez optimiste à l'égard de la conscience que le ministre a de cette question. Je sais qu'une mission a été dépêchée, par la Régie de la langue française, je crois, en Europe et que le rapport a été remis au ministre. Je suis confiant que le gouvernement va lui apporter toute l'attention que cette question mérite.

On est tenté, lorsqu'on parle de sièges sociaux, éventuellement, parce que cela semble un problème difficile à régler, de l'écarter et de dire que ce n'est pas si important. C'est inexact, c'est très important. C'est important au niveau des postes directement affectés, au niveau du caractère que cela donne, non seulement à Montréal, mais à la province de Québec et aussi au niveau des postes indirectement affectés. L'étude de SECOR, à ce propos, même si on peut en contester— cela a été fait déjà — la grande rigueur — d'ailleurs, elle ne prétend pas l'être; elle ne prétend pas avoir pu y apporter toute la rigueur scientifique nécessaire — quand même, c'est une indication sérieuse et j'invite le gouvernement, et je profite de cette occasion, à prendre toutes les dispositions possibles pour, tout en francisant dans une bonne mesure — je pense qu'il y a de la place pour la francisation, même au niveau des sièges sociaux — agir avec beaucoup de prudence et beaucoup de clairvoyance à ce propos-là.

Vous avez mentionné la coercition dans la première page de votre mémoire. Je l'ai sous forme de lettre datée du 26 mai 1977 où vous préférez la promotion incitative et vous exprimez des doutes sérieux quant aux chances de réussite d'une législation coercitive. C'est une affirmation. J'aimerais que vous en fassiez la démonstration, rapidement s'il vous plaît.

M. Molleur: Notre remarque se situe sur ce qui s'est réalisé jusqu'à maintenant et ce qui s'est réalisé jusqu'à maintenant s'est fait avant la loi 22 et sous l'égide de la loi 22. Nous croyons qu'il y a eu un travail énorme d'effectué entre la régie, pour l'implantation de programmes de francisation, et les entreprises, travail qui doit être continué et, devant cette situation-là, nous nous posons vraiment des questions quant au bien-fondé d'ajouter tout un appareil additionnel et d'ajouter un ensemble de dispositions additionnelles qui se voient coercitives plutôt qu'incitatives.

Si l'implantation de programmes de francisation, en vertu de ce qui s'est déjà fait, était démontrée comme étant une faillite complète, à ce moment-là, on pourrait se poser la question, mais nous croyons qu'il est certainement pour le moins prématuré d'annoncer la faillite des programmes qui commencent à se réaliser selon les dispositions de la loi 22.

Evidemment, à partir de maintenant, ce sera selon les dispositions de la loi no 1.

M. Lalonde: Pensez-vous qu'il y a une certaine résistance — enfin, je ne veux pas vous mettre les mots dans la bouche — une allergie à la coercition dans le milieu des affaires? Pourquoi la coercition ne marcherait-elle pas?

M. Molleur: Nos objections se situent sur le plan des exigences.

Par exemple dans les sièges sociaux, nous voyons certaines exigences pour le fonctionnement des sièges sociaux. Dans le projet de loi no 1, nous voyons des dispositions qui peuvent créer des problèmes d'application sérieux vis-à-vis des exigences que nous connaissons tous les jours dans les sièges sociaux. Il s'agit plutôt ici de considérations très pratiques, et c'est dans ce sens que nous disons qu'il y a tout un effort qui a été fait et qu'il y a bien des choses qui se produisent. Pourquoi changer de cap à ce moment-ci?

M. Lalonde: Si l'incitation devait mieux réussir, est-ce que le Montreal Board of Trade a actuellement des programmes ou a l'intention d'établir des programmes comme association regroupant près de 3000 industries, je crois, de façon à encourager ou persuader ses membres de se franciser et aussi de se francophoniser? Je fais référence de façon directe au sondage dont vous nous avez donné les résultats ce soir. Est-ce que, comme association, le Board of Trade fait quelque chose de positif, d'effectif?

M. Molleur: Le Board of Trade n'a pas à son emploi des experts pour la francisation des entreprises. Le Board of Trade est évidemment en contact avec beaucoup de bureaux qui se spécialisent dans l'implantation de ce genre de programmes ou de bureaux de traduction, etc., il est créé justement pour donner des services aux entreprises qui sont membres. Si le besoin se fait sentir, au sein même du Board of Trade, pour un tel service de consultation pour les programmes de francisation, je suis certain que la direction du Board of Trade va le considérer très sérieusement. Nous sommes là justement pour apporter à nos membres les services dont ils ont besoin de temps en temps, et si le besoin de ce genre se fait sentir, nous tenterons de le donner.

M. Lalonde: Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Dussault): M. le député de Gaspé.

M. Le Moignan: Merci, M. le Président. En parlant de sièges sociaux, vous avez évidemment une expérience personnelle. Ici, au Québec, nous avons des multinationales et déjà des membres ont témoigné. En Europe, vous avez peut-être visité des sièges sociaux en Italie, en Allemagne, en France ou ailleurs. Est-ce exact? Dans ces pays où il y a des multinationales, que ce soit en Italie, dans le domaine de l'automobile, en Allemagne, au Japon ou d'autres pays, quand elles font affaires avec la communauté mondiale, quelle langue emploient-elles?

M. Nadeau: C'est généralement la langue anglaise, peu importe, je crois, aujourd'hui, le pays où ces multinationales sont situées. Si elles sont situées en France, si elles font affaires avec des Allemands ou des Italiens, et si la langue n'est naturellement pas connue de l'Américain ou du Canadien qui est là, c'est généralement la langue anglaise qui facilite les affaires. Elle est très reconnue, premièrement, à cause de la venue de plusieurs firmes nord-américaines qui sont établies là, ou même des Canadiens qui vont dans les sièges internationaux pour quelques années pour y

acquérir une expérience de trois à cinq ans. Ils ne sont là que temporairement, mais les enfants de nos compatriotes n'ont pas besoin d'aller à l'école allemande, s'ils sont à Munich, ou d'aller à l'école française. Ils peuvent naturellement aller à une école américaine...

M. Landry: En payant.

M. Nadeau: ...ou à des écoles privées, non pas des écoles d'Etat.

M. Mackasey: ...peut-être que le ministre... ...pas la même chose.

M. Le Moignan: Mais tout de même, dans les pays...

M. Nadeau: Mais la langue anglaise est très reconnue en Europe.

M. Le Moignan: Mais dans les pays d'Europe, tout de même, il doit y avoir des relations en langue française qui s'établissent entre la France, la Belgique, l'Italie peut-être et d'autres pays. Il n'y a rien d'incompatible à ce que cela se fasse en français aussi...

M. Nadeau: Non, pas du tout...

M. Le Moignan: ...avec plusieurs pays.

M. Nadeau: ...certainement en français. Il faut dire aussi que très souvent dans le monde des affaires, des Européens, qui sont européens, qui sont dans le monde des affaires, vont parler plusieurs langues et, entre autres, même l'anglais. Ils vont certainement parler au moins deux à trois langues et, en plus, très souvent, l'anglais.

M. Le Moignan: Maintenant, dans un autre domaine... Etant donné que vous représentez 2900 entreprises, on nous dit souvent que les entreprises quittent la province à la centaine depuis des mois et des mois. En somme, vous êtes peut-être en état de nous donner une réponse...

Mme Lavoie-Roux: Depuis sept mois. M. Ciaccia: Depuis sept mois.

M. Le Moignan: ...depuis sept mois... On va commencer à sept mois. On ira peut-être plus loin, mais est-ce vrai que depuis sept mois... vous avez peut-être des statistiques pour nous faire la lumière là-dessus. Est-ce vrai ou non? Est-ce qu'on sème la panique ou est-ce fondé? J'aimerais avoir votre opinion.

M. Nadeau: Je n'ai pas de statistiques personnellement, mais peut-être que mon ami, M. Groome, en a. Très souvent, quand on dit qu'un siège social doit déménager, il ne déménage effectivement pas complètement. Ce n'est peut-être qu'une section du siège social qui déménage, mais le danger, c'est qu'une autre section déménage dans un autre six mois et, éventuellement, dans un an ou deux, tout le siège social sera déménagé.

M. Le Moignan: Comme vous représentez presque 3000 entreprises, depuis sept mois toujours, est-ce que vous avez eu connaissance que beaucoup vous aient quittés, à un niveau ou à un autre?

M. Nadeau: Pour ma part, je suis dans le domaine pharmaceutique et je dois vous dire qu'il n'y a aucune compagnie de produits pharmaceutiques qui ait indiqué qu'elle allait quitter. Aucune n'a quitté présentement. Mais on ne sait pas, naturellement...

M. Le Moignan: Mais vous n'avez pas de statistiques non plus sur le fait que beaucoup d'anglophones ou de francophones spécialisés quittent aussi la province pour aller vivre ailleurs, quoi, à cause...

M. Nadeau: Personnellement, dans notre compagnie, nous en avons eu.

M. Le Moignan: Est-ce à un rythme assez inquiétant, non?

M. Nadeau: Non, c'est peut-être... Nous sommes peut-être un peu nerveux, et même des Canadiens français, entre autres, ont voulu partir. C'est bien de valeur...

M. Le Moignan: Est-ce qu'ils ont plus d'avancement ailleurs ou est-ce simplement en raison de l'inquiétude que leur cause le projet de loi?

M. Nadeau: Je crois bien que c'est l'avancement.

M. Le Moignan: Je vous remercie. Peut-être que mon compagnon, tout à l'heure, quand son tour viendra... Le temps n'est pas épuisé, non?

Le Président (M. Cardinal): Merci, M. le député de Gaspé. Non, il reste trois minutes au parti de l'Union Nationale.

M. le député de Mont-Royal, il reste treize minutes au parti de l'Opposition officielle.

M. Ciaccia: Merci, M. le Président.

Au début de sa réponse à votre mémoire, le ministre d'Etat au développement culturel a semblé mettre en doute le sondage que vous avez fait et le fait que vous ayez remis les résultats aux journalistes. Je voudrais seulement attirer l'attention du ministre, M. le Président, sur un article qui a paru dans le journal d'aujourd'hui, dans lequel on dit qu'il tient toujours à la clause Québec, c'est-à-dire à l'article 52 et, apparemment, le ministre donne comme raison qu'il pourrait y avoir — et on le cite — une menace d'envahissement des écoles anglophones québécoises. Pour

soutenir sa thèse — si le ministre a été mal cité, M. le Président, je l'inviterais à corriger les propos que je vais...

Le Président (M. Cardinal): M n'y a pas de question de privilège en commission parlementaire, et...

M. Ciaccia: Alors, je vais seulement citer l'article pour exposer aux témoins certains faits et voir s'ils ont des commentaires.

Pour soutenir sa thèse sur l'article 52, il a donné des statistiques disant qu'un certain nombre d'enfants immigrants âgés entre 0 et 14 ans ont été admis au Québec entre 1969 et 1976. Sur 133 000, il y en avait 90 000 qui venaient des autres provinces canadiennes, mais le ministre n'a pas donné le nombre de ceux qui quittaient la province. Or, d'après d'autres mémoires, notamment celui de l'Université McGill, apparemment, il y a plus de personnes de langue anglaise qui quittent la province que celles qui y viennent".

Autrement dit, il y a une perte nette d'anglophones des autres provinces au Québec. La seule chose que je dirais, c'est qu'avant de mettre en question le sondage que vous avez fait, je crois qu'il devrait corriger ses statistiques incomplètes qu'il a données pour soutenir sa vision de l'article 52.

Je voudrais vous poser une question. Il y a plusieurs organismes qui viennent ici et qui accusent les organismes comme le Montreal Board of Trade ou les chefs d'entreprises, les hommes d'affaires de ne pas vouloir de francisation, qu'ils combattent la francisation. Pouvez-vous me dire si vous êtes contre la francisation ou êtes-vous contre l'ingérance d'un gouvernement dans vos administrations internes? Pourrais-je avoir un commentaire sur cette question?

M. Jotcham: Je suis un anglophone et je pense que de temps en temps nous parlons la même langue, parce que le ministre désire que plus de francophones occupent les positions "in hierarchy", et M. Landry désire que les sièges sociaux restent ici au Québec. Nous ne sommes pas en Espagne et nous avons pourtant, avec la loi 22, les programmes de francisation et pour cette raison, nous partageons ce point de vue aussi.

Vous avez l'article 113 qui n'est pas clair. Vous avez l'article 102 qui est très coercitif. Avec cette loi, la situation des sièges sociaux est comme une personne qui place sa tête sous la guillotine. Le couteau est suspendu au-dessus de son cou. S'il continue dans cette position, il est possible que sa tête soit perdue. S'il quitte cette position, le risque est disparu. Pour les compagnies nationales et internationales, il est facile de conduire des affaires également efficacement en dehors de la province.

J'espère que l'Assemblée connaît bien l'importance des sièges sociaux. Ce n'est pas seulement une question d'emploi, mais aussi la puissance de leur achat. Ces achats sont très importants pour les autres industries dans la province. Par exemple, les imprimeries, la publicité, l'équi- pement pour les bureaux et beaucoup d'autres choses. Aussi leur présence ici attire-t-elle beaucoup de visiteurs, d'assemblées, des conférences, qui apportent plus de revenus pour cette province.

Vous avez une situation maintenant en Alberta, une province avec beaucoup de riches, où la ville d'Edmonton a beaucoup d'industries secondaires, mais pas beaucoup de sièges sociaux. En même temps, vous avez la ville de Calgary qui a beaucoup de sièges sociaux, mais n'a pas assez d'industries secondaires.

Chaque cité travaille fort pour assurer un meilleur équilibre. Pourquoi? Parce que les deux villes connaissent bien l'importance de chaque section de l'industrie. Si cette loi est trop coercitive, il y aura un grand risque de perdre ces sièges sociaux. Il peut être également important de ne pas attirer les autres. Si cela se passe, nous pensons que ce sera tragique pour l'économie et pour la population de cette province.

M. Ciaccia: Je crois que le même point a été soulevé par M. Jean De Grandpré, président de Bell Canada, quand il nous a dit que ce n'était pas seulement la perte de sièges sociaux qui l'inquiétait, mais c'était aussi la difficulté d'attirer d'autres investissements à cause du projet de loi. Vous vouliez ajouter quelque chose?

M. Groome: Pour clarifier, pour répondre à votre question, nous ne sommes pas contre la francisation, mais seulement contre la manière proposée pour la mettre en vigueur.

M. Ciaccia: M. le Président, je vais céder la parole à mon collègue.

Le Président (M. (Blank): Le député de Jacques-Cartier. Il reste sept minutes aux libéraux.

M. Saint-Germain: Alors, M. le Président... Vous voulez parler, je vais laisser...

M. Mackasey: Non. Sept minutes, c'est assez pour les deux. Allez.

M. Saint-Germain: M. le Président, je crois qu'il y a un consensus qui s'est établi dans cette province et le consensus veut que tout le monde accepte la primauté de la langue française. Si on discute, je crois bien, en fait, ce qu'on discute, comme vous l'avez dit tout à l'heure, c'est la façon de l'appliquer et d'établir cette priorité. Je pense qu'on admet tous aussi qu'au niveau de l'industrie, du commerce, de la finance, les raisons historiques, si on avait le temps de le faire, qui pourraient très bien expliquer la situation existant dans le moment. Je ne dis pas qu'on devrait le faire comme M. François-Albert Angers l'a fait, parce que l'on arriverait à peu près à n'importe quelle conclusion, mais il y aurait moyen de le faire.

Ceci dit, je trouve un peu comme vous que c'est regrettable. Il ne faut pas être universitaire ou grand philosophe pour savoir que le français, ces dernières années, a progressé au niveau de

l'industrie, du commerce et de la finance. Je viens d'un comté industriel et, pour moi, cela me paraît tout à fait évident. Et voilà que, lorsque cette compréhension s'établit, que cette évolution prend naissance, prend forme, c'est le moment où arrive une loi qui, telle que rédigée est à mon avis coercitive à la limite. C'est peut-être une loi qu'on aurait dû faire dans le passé. Il aurait peut-être été préférable de légiférer sur les langues il y a 25 ans, 30 ans ou 35 ans. On n'aurait pas eu à résoudre les problèmes qu'on a aujourd'hui. Mais, ceci dit, je crois qu'il ne faut pas désespérer non plus, parce qu'il me semble que le ministre de l'Industrie et du Commerce est sensibilisé à la situation, et je crois que le ministre des Affaires culturelles évolue aussi. C'est avec des mémoires comme les vôtres qu'on peut réellement établir la situation de fait qui existe dans le Québec. Il y a tout de même un principe que vous avez mentionné tout à l'heure en parlant de l'immigration. Vous n'êtes pas sans savoir que, dans tous les pays, la loi ne permet jamais, même chez ceux qui sont les plus civilisés, du moins selon notre échelle occidentale, notre échelle de valeurs, qu'il y ait des lois sur l'immigration qui créent des réactions sociales ou perturbent l'équilibre social d'un milieu donné. Ici, c'est un pays et une province où on reçoit tout de même des immigrants en nombre assez considérable malgré les baisses des dernières années. Que les craintes du groupe de langue française soient fondées ou pas, il faut tout de même admettre qu'elles existent; par ce fait, on sent une certaine obligation, au niveau du gouvernement, comme on le constate, et au niveau des partis politiques au gouvernement, il semble aussi y avoir un certain consensus sur la politique de l'immigration. Vous laissez le libre choix de l'école, vous semblez revenir en arrière, vers le statu quo, et je me demandais en vertu de quelle philosophie, si vous admettez qu'un gouvernement ne doit pas laisser un déséquilibre social s'établir à cause de l'immigration.

A Québec, en particulier, qu'est-ce que vous considérez qu'on doive faire pour maintenir cet équilibre social relativement à nos politiques d'immigration?

M. Nadeau: C'est encore très difficile de répondre. Comme mon grand ami Claude Molleur l'a dit tout à l'heure, nous représentons le Board of Trade qui regroupe des industries, des commerces dans le Montréal métropolitain. Nos préoccupations sont économiques, en général, et je suis certain aussi de nos préoccupations quant à la survivance de la langue française et de la francisation. Nous le voulons certainement. La question de l'éducation des enfants des immigrants qui viennent ici au pays est une question qu'on se pose au Board; nous sommes encore d'avis que le vrai choix devrait rester aux parents quand il s'agit de l'éducation. Mais, si on peut créer un centre économique à Montréal qui les attirerait, avec une francisation de l'industrie à tous les niveaux, cela aiderait beaucoup plus les immigrants à rester au Québec et à apprendre le français.

Si on s'aperçoit que le Québec ne devient pas une province francophone, le but ne sera pas atteint parce que l'immigrant qui devra signer devra venir ici; peut-être qu'il ne voudra pas venir.

La question de l'éducation revient toujours. Si le gouvernement juge préférable que l'immigrant, qu'il soit non-francophone ou non-anglophone, doit aller dans des écoles françaises, le gouvernement doit le faire, mais en le prévenant de ce qui va arriver quand il viendra ici; son instruction va être payée par le public, par nous et ce doit être en français. Je ne vois rien de mal à ça, mais il faudrait le faire, naturellement, pour les nouveaux groupes qui entreraient et non pas pour ceux qui sont ici au Canada, au Québec. Ceux-ci sont arrivés avec l'idée que les deux langues étaient officielles.

Le Président (M. Blank): Le député de Notre-Dame-de-Grâce. Il reste une minute.

M. Mackasey: Je suis chanceux, je pense que je vais m'affilier demain avec le Crédit social; on me donnerait peut-être dix minutes pour poser des questions. Qu'est-ce qu'on peut dire dans dix minutes? Tout simplement féliciter les membres du Montreal Board of Trade pour leur mémoire et les chiffres qu'ils ont présentés ce soir. Je sais que ces gens sont impartiaux parce qu'il y a dix ans, j'avais le privilège de faire amender la charte à la Chambre des communes qui leur permettait, je pense, de siéger au Beaver Hall Hill au lieu de la rue Saint-Paul. Je sais par expérience que, sans le Montreal Board of Trade, beaucoup d'industries qui existent aujourd'hui n'existeraient pas, surtout au dernier siècle.

Je vais dire que vous êtes un peu prudents ce soir dans vos réponses aux questions relativement aux sièges sociaux qui quittent le Québec.

Quand vous avez parlé des sections... Je n'ai aucun respect pour vos membres qui prétendent qu'ils ne s'en vont pas, mais qui prennent section par section et vont les établir en Ontario. Je n'ai aucune raison de partir d'une province quand tout le monde essaie de créer une meilleure atmosphère pour tout le monde. Beaucoup de portes étaient fermées aux Canadiens d'expression française auparavant, étaient fermées aussi aux catholiques, aux Irlandais, aux Juifs dans le domaine des finances. Heureusement, cette discrimination est partie et on ne veut pas essayer de régler les débuts qui existent par un bill qui est discriminatoire. Le bill 1 est discriminatoire, tel qu'il est décrit. Merci beaucoup.

Le Président (M. Blank): Le député de Pointe-Claire, il reste trois minutes.

M. Shaw: Je voudrais vous poser une question. Il y a autre chose que des sièges sociaux qui sont affectés par la position du projet de loi no 1. Premièrement, dans le secteur d'expertises, les ingénieurs, les compagnies d'ingénieurs, les compagnies pharmaceutiques dans lesquelles vous avez des représentants aujourd'hui, dans le

domaine de l'aérospatial... Je viens d'avoir une lettre qui était envoyée à tous les employés de sociétés d'aérospatiales à Montréal. Prévoyez-vous que ce domaine est aussi menacé que les sièges sociaux à Montréal et la position du projet de loi no 1?

M. Groome: Je pense que la plupart de ces compagnies pensent qu'elles sont menacées même si peut-être elles ne sont pas menacées. C'est ce qu'elles pensent.

M. Shaw: La situation est vraie, les anglophones de la ville de Montréal craignent que leur position comme collectivité soit menacée. Ce n'est pas seulement la question des compagnies dans lesquelles ils travaillent, mais vraiment tous les droits des anglophones de la province de Québec sont menacés.

M. Molleur: Je voudrais rappeler au député de Pointe-Claire que le Board of Trade parle au nom d'entreprises et ne parle pas au nom d'un groupe culturel en particulier. Quant à l'opinion de l'inquiétude des individus au sein des entreprises, il n'y a pas de doute qu'elle est là. Tous les jours, on reçoit des téléphones, au Board of Trade, nous demandant: Qu'est-ce qui se passe? Qu'est-ce qu'on doit faire? Qu'est-ce que vous suggérez?

Nous voulons que nos entreprises membres demeurent chez nous, comme nous disons: II fait bon de vivre ici et nous voulons y rester. Mais ce que nous voulons aussi, c'est que nos entreprises puissent posséder les moyens nécessaires pour faire leurs affaires.

Je voudrais juste ajouter un petit mot. Je suis Canadien français, j'oeuvre dans une entreprise qui a un rayonnement international et si elle n'était pas à Montréal, je n'aurais pas le poste que je possède dans le moment et je n'aurais pas eu la chance d'avoir l'expérience que j'aie eue depuis les neuf ans que je suis au sein de la société pour laquelle je travaille. J'ai plusieurs de mes confrères qui sont sensiblement de mon âge, qui ont des postes semblables. Comme francophone Québécois, je voudrais recommander fortement aux membres de la commission, au gouvernement et à l'Assemblée nationale de ne pas nous laisser tomber.

On a ici des chances fantastiques, comme Canadiens français, comme Québécois francophones, de faire une carrière à rayonnement mondial que nous sommes très capables de réaliser et, tout ce que je demande, c'est qu'on me conserve les chances à moi et à d'autres.

M. Shaw: Merci.

Le Président (M. Blank): Au nom de la commission, je veux remercier M. Groome, M. Molleur, M. Nadeau, M. Earle, M. Kierans et M. Tracey pour leur mémoire et pour la patience avec laquelle ils ont attendu leur tour.

M. Groome: Cela a été un plaisir de venir ici. J'ai seulement une question avant de partir. N'est-il pas possible de fermer le chauffage?

Le Président (M. Cardinal): II faudrait demander...

M. Groome: L'été est arrivé.

Le Président (M. Cardinal):... à Dieu le père...

Mme Lavoie-Roux: ... à Josué.

Le Président (M. Cardinal): ... et non pas au président de la commission.

M. Lalonde: Ce n'est pas la même personne? Le Président (M. Cardinal): Non, pas encore. Une Voix: On va continuer.

Le Président (M. Cardinal): Si vous me permettez, je vous remercie, comme l'a fait M. Harry Blank, député de Saint-Louis, qui m'a remplacé et j'appelle immédiatement le groupe suivant, Provincial Association of Catholic Teachers, mémoire 1. Est-ce que ce groupe est ici?

S'il vous plaît, à l'ordre! Avant que vous ne commenciez, je veux quand même indiquer que, normalement, nous ajournons à 23 heures. Ce n'est seulement qu'à cette heure que je demanderai l'opinion de la commission parlementaire. Je vous prierais, cependant, pour être devant nous officiellement, d'identifier votre organisme et ses porte-parole, s'il vous plaît.

M. Kirby (Steve): We are representatives of the Provincial Association of Catholic Teachers, representing over 5000 English Catholic teachers in the province of Quebec. To my left, Mr Phil Shore, who is a teacher and the chairman of our language committee; to my right, Mr Bob Dobie, secretary general of PACT and I am Steve Kirby, president of the Provincial Association of Catholic teachers.

Mme Lavoie-Roux: M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Oui, Mme le député de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: C'est une question. Une fois de plus, nous avons devant nous un groupe d'éducateurs. Je voudrais simplement vous demander si vous avez reçu une réponse positive concernant l'invitation que vous avez adressée au ministre de l'Education.

Le Président (M. Cardinal): Oui, madame: Dès lundi, j'ai tenté de communiquer avec le ministre de l'Education, vice-premier ministre et député de Sauvé et, aujourd'hui, j'ai eu la réponse suivante: Dès lundi prochain, M. le ministre de l'Education sera parmi nous.

Une Voix: Ah!

Le Président (M. Cardinal): Oui, M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: M. le Président, nous sommes tout à fait honorés par la condescendance du ministre. Réellement, vous nous faites un plaisir épouvantable. Les mots me manquent réellement et j'espère que j'aurai repris mes sens pour le féliciter d'avoir bien voulu se joindre à nous, descendre jusqu'à notre niveau.

Mais, après avoir discuté avec Mme le député de L'Acadie de l'intention que j'avais de vous adresser quelques mots, on a discuté avec les représentants du — excusez-moi, vous savez, dans ce monde pluraliste on fait parfois erreur — PACT, je sais que cela s'appelle ainsi... De toute évidence les représentants n'auront pas le temps de présenter tout leur mémoire ce soir. Mais, quand même, nous avons tenté de faire preuve de la plus grande courtoisie possible pour les aviser qu'aussitôt après leur présentation, nous aurions quelques questions à leur poser.

Le Président (M. Cardinal): Justement, par courtoisie pour nos invités, pourrais-je vous demander immédiatement si vous pourriez être avec nous demain matin à 10 heures.

M. Kirby: Oui.

Le Président (M. Cardinal): Alors, si vous permettez, M. le député de Marguerite-Bourgeoys et les autres membres de la commission, je vais immédiatement non pas donner un ordre du jour, mais agir comme à l'habitude et donner une indication de la journée de demain. Nous aurions donc, à la première heure, c'est-à-dire 10 heures, the Provincial Association of Catholic Teachers, mémoire 1; suivi par le Conseil pour l'unité canadienne, mémoire 72; l'Association des conseils en francisation du Québec, mémoire 197 — vous permettez que je me retourne du côté de l'Opposition officielle — les jeunes libéraux du Québec, mémoire 114.

M. Bertrand: Ils n'ont pas confiance en leurs représentants?

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît. Université McGill — M. le député de Bourassa — Université McGill, mémoire 172. Centre des dirigeants d'entreprises, mémoire 246...

Mme Lavoie-Roux: ...ça aussi.

Le Président (M. Cardinal): Participation Québec, mémoire 73. Je rappelle, tout de suite et sans prendre de temps, que, demain, nous allons fonctionner...

Une Voix: Quel numéro?

Le Président (M. Cardinal): Participation Québec, 73. ...nous allons fonctionner de 10 heures à midi, puisque, en vertu d'une entente entre les partis et d'une directive, nous ajournons à midi. Nous reprendrons après les affaires courantes de l'Assemblée nationale, jusqu'à 18 heures, et je pense que ce n'est pas un secret de polichinelle... c'en est un plutôt, c'est un secret de polichinelle que nous reprendrons nos travaux à 20 heures, jusque vers 23 heures. Oui, M. le député de Vanier.

M. Bertrand: La semaine dernière, M. le Président, le député de Marguerite-Bourgeoys avait eu la courtoisie de prévenir les membres de la commission de sa volonté de présenter un certain nombre de motions le mercredi soir. Est-ce qu'on doit penser que, n'ayant pas eu ce geste de courtoisie à 20 heures ce soir, c'est donc signe que l'Opposition va accepter de collaborer à l'avancement des travaux et à l'audition des groupes?

M. Lalonde: M. le Président...

Le Président (M. Cardinal): M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: ...naturellement, la courtoisie étant, je pense, une qualité qu'on doit avoir de façon habituelle, si j'avais eu l'intention de présenter des motions demain soir, j'en aurais sûrement donné avis. Maintenant, étant donné que je n'aurai pas le plaisir d'être des vôtres demain, je laisserai à mes collègues le soin de présenter toutes les motions qu'elle ou qu'ils voudront bien faire.

Une Voix: ...on va penser à vous...

M. Lalonde: Toutefois, en toute candeur, disons que nous considérons, d'après l'avis que nous avons reçu du leader du gouvernement, que, demain soir, c'est jeudi soir, étant donné que nous avons, en quelque sorte, après négociation, choisi de siéger le mercredi soir au lieu du jeudi soir. C'est le contenu, grosso modo, de nos conversations. C'est un peu pour cette raison que je voulais poser certaines questions ici, avant l'ajournement, M. le Président.

Nous avons déjà commencé à discuter d'une motion que j'ai faite pour inviter le président de la Régie de la langue française à nos délibérations. Naturellement, le temps s'écoule, et il y a des rumeurs aussi qu'on entend voulant que le gouvernement — je ne veux prêter d'intention d'aucune nature au gouvernement — mais, on entend quand même dire entre les branches que le gouvernement aurait éventuellement l'intention de mettre fin à nos délibérations, avant d'avoir entendu les 264 mémoires.

Ce serait peut-être une première question. Je sais que M. le ministre n'est pas obligé de me répondre. Cela me donnerait un peu un cadre dans lequel je pourrais fonctionner en ce qui concerne ma motion.

Si naturellement, nous nous attendons de continuer nos délibérations, jusqu'à la fin de juillet, je pourrai bien prendre un autre jour pour continuer la motion. Si on doit s'attendre à une clôture d'ici quelques jours, je voudrais bien qu'on vide la motion pour savoir... tout à coup, si le gouvernement voyait la lumière et décidait d'approu-

ver la motion, à ce moment, il faudrait quand même, donner avis au président de la régie.

C'est la première question. Et à greffer à cette première question, le gouvernement ou le parti ministériel a-t-il l'intention d'approuver cette motion? A ce moment, on n'a plus besoin de la débattre.

Le Président (M. Cardinal): A l'ordre, s'il vous plaît! Il y a deux questions devant nous. Je les prends dans l'ordre dans lequel elles ont été posées par le député de Marguerite-Bourgeoys et je demande au ministre s'il veut répondre à la première question.

M. Laurin: Je pense qu'il ne m'appartient pas de répondre. C'est à la commission de répondre.

Le Président (M. Cardinal): D'accord. Et à la deuxième question, la motion du député de Marguerite-Bourgeoys se lit comme suit: "Que cette commission entende le président de la Régie de la langue française le 20 juillet 1977, à 20 heures, afin que la présente commission soit pleinement informée de la portée du projet de loi no 1, Charte de la langue française au Québec..."— c'est l'amendement qui a rendu la motion recevable —"...touchant en particulier la langue de travail et des affaires."

Cette motion a été déclarée recevable et le débat a été suspendu lors de l'une de nos séances précédentes.

M. Lalonde: Pourrais-je apporter une précision? Je ne suggère pas qu'on passe au vote maintenant. Je ne voudrais pas que vous demandiez, à savoir si c'est adopté ou non. Il y a sûrement des députés qui auraient le désir d'exercer leur droit de parole.

Si le gouvernement avait l'intention de voter en faveur, à ce moment, cela pourrait raccourcir les débats.

Le Président (M. Cardinal): Je n'ai rien demandé. Je veux simplement, suite à votre suggestion, si je la comprends parfaitement, demander si cette motion est adoptée, sans demander le consentement unanime.

M. Bertrand: Nous sommes prêts à coopérer, M. le Président, et je pense que la meilleure façon de connaître le résultat est de prendre le vote.

Mme Lavoie-Roux: Non.

Le Président (M. Cardinal): Je m'excuse, M. le député de Vanier. En vertu de l'article 160, il y a le droit de parole au proposeur, à tous les députés, en vertu de l'article 160.

M. Lalonde: Je crois que je ne vois pas que le gouvernement se soit ouvert les yeux.

Alors, je pense que nous nous devons, dans un avenir très rapproché — je vous en donne avis, je ne sais pas exactement à quelle date précise, probablement pas demain — de remettre cette motion sur la table pour que nous puissions continuer la délibération sur cette motion de façon à déterminer si le président sera invité ou non. Quant à la réponse du ministre, M. le Président, je vous demanderais une directive. C'est, je crois, l'article 118a...

Le Président (M. Cardinal): Alinéa 6, je pense.

M. Lalonde: Ce n'est pas l'article 32.

Le Président (M. Cardinal): Non.

M. Lalonde: Ni 54. Alors, est-ce que c'est le gouvernement, M. le Président, ou le ministre ou la commission qui, éventuellement, détermine si elle est bien informée, ou suffisamment informée?

Le Président (M. Cardinal): Article 118a, alinéa 6. Lorsqu'elle croit être suffisamment renseignée — c'est donc la commission — la commission peut décider de cesser les auditions. Je rappelle que j'ai déjà rendu une directive à ce sujet, en mentionnant que ce peut être de consentement unanime, que cela peut être, à la suite de l'application de l'article 156, une réunion des leaders des partis convoqués par le président où l'on s'entend, alinéa 1, ou, si on ne s'entend pas, alinéa 2, l'on va à l'Assemblée nationale où, tout simplement, cet article permettrait à un député ou à un ministre membre de la commission, de faire une motion dont je ne connais pas le texte présentement, qui devra être déclarée recevable ou non, et qui sera débattue en vertu de l'article 160.

M. Lalonde: Alors, M. le Président, je pense que lundi, quelque part dans la journée, lorsque nous serons honorés par la présence du vice-premier ministre, nous pourrons continuer de débattre cette motion.

Le Président (M. Cardinal): Est-ce que, M. le député de Marguerite-Bourgeoys, je comprends qu'à des fins de procédure, à nouveau, vous proposez que le débat sur cette motion soit suspendu?

M. Lalonde: Oui, M. le Président.

Le Président (M. Cardinal): Est-ce que j'ai le consentement unanime? Consentement obtenu.

Les travaux de cette commission sont ajournés à demain 10 heures.

(Fin de la séance à 23 h 3)

ANNEXE I

Mémoire du Comité d'action positive

Projet de loi numéro 1 intitulé

"La Charte de la langue française

au Québec"

Commission parlementaire de l'Education des Affaires culturelles et des Communications

Introduction

Le Comité d'action positive a été formé le 23 décembre 1976 pour étudier les développements survenus dans notre province depuis le 15 novembre et déterminer le rôle constructif que pourrait y jouer la minorité. Le Comité a tenté de persuader les Québécois anglophones qu'il est dans leur intérêt de rester au Québec au lieu d'émigrer. Il s'est proposé et se propose toujours de rechercher les moyens permettant à la minorité de participer d'une façon positive à la vie du Québec et ce dans l'intérêt de tous les Québécois.

En février, le Comité a organisé des réunions avec le secteur scolaire puis avec les universités et les Cégeps et enfin avec un groupe de trente hommes d'affaires. Après la publication du Livre blanc, ces trois groupes participèrent à la rédaction d'une réponse qui fut signée par cent quinze éducateurs, hommes d'affaires, professionnels et personnalités marquantes de la collectivité.

Depuis la publication de cette réponse, 30 000 personnes réparties dans toute la province et représentant toutes les cultures et toutes les positions sociales ont exprimé par écrit leur accord envers l'attitude adoptée par le Comité d'action positive. C'est au nom des cent-quinze premières personnes, des milliers de personnes qu'elles représentent et des milliers d'autres Québécois qui nous ont donné leur appui que nous soumettons le présent mémoire.

Ce mémoire est rédigé par des Québécois et au nom des Québécois. Nous aimons le Québec. Nous sommes attachés au Québec. Nous comptons y rester et participer entièrement à la croissance et au développement du Québec à titre de citoyens libres et à part entière.

Nous regrettons profondément et rejetons absolument toute implication du Projet de loi No 1 voulant que le peuple québécois se compose de la seule majorité ethnique. Nous avons vécu, travaillé et contribué au bien-être général de cette société, tant à titre d'individus que grâce aux institutions édifiées et entretenues par nous. C'est ce que nous faisons à présent et c'est ce que nous continuerons à faire.

Nous souscrivons au préambule du projet de loi dans la mesure où il affirme que le français est la langue prédominante du Québec et nous souscrivons à l'article 112 dans la mesure où il vise à accroître l'emploi du français à tous les niveaux de l'entreprise. Ces objectifs reflètent les aspirations naturelles et légitimes de la majorité.

Nous rejetons par contre toute déclaration ou disposition du Projet de loi qui identifierait le peuple québécois aux seules personnes qui appartiennent à la majorité et qui créerait en droit deux classes fondamentales de citoyens basées sur des raisons ethniques et linguistiques, une classe étant définie comme celle des Québécois et l'autre ne correspondant pas à cette définition. Un tel concept représente une violation fondamentale des valeurs d'une société libre et démocratique et ne peut servir de fondement à une loi qui doit commander l'obéissance et le respect de tous les Québécois.

L'objectif du présent mémoire n'est point d'opposer une résistance à la promulgation d'une loi solidement structurée destinée à développer l'usage du français à tous les niveaux et dans tous les aspects de la vie au Québec. Le Comité d'action positive reflète notre détermination à contribuer à l'élaboration et à l'application de politiques dynamiques dans tous les aspects de la vie au Québec, y compris celui de la langue.

Nous avons déjà affirmé ce qui suit dans le document intitulé "Une politique linguistique positive". "En tant que Québécois, nous aspirons ardemment à voir se développer chez nous une société prospère et douée de vitalité, une société aussi où chaque citoyen peut continuer à se sentir chez lui au même titre que n'importe quel autre citoyen. Nous trouvons normal que le français soit la langue principale. Nous reconnaissons que le français est la langue de la majorité et qu'il constitue la langue commune de la société québécoise. Nous convenons que les Québécois d'expression française devraient être en mesure d'assumer intégralement en français tous les aspects de leur vie. Les Québécois d'expression anglaise ont l'obligation très nette de parler français s'ils désirent participer à la vie du Québec avec la majorité d'expression française"

Notre engagement envers cette déclaration demeure ferme. Nous voulons l'application d'une loi qui soit non seulement efficace, mais encore positive et équitable. Nous voulons l'application d'une loi qui inspire le respect et l'esprit de collaboration des Québécois non francophones plutôt que le ressentiment et la résistance de leur part.

Le préambule du Projet de loi fait état d'une intention de traiter les minorités dans un climat de justice et d'ouverture. Cette déclaration restera lettre morte a moins que les dispositions fondamentales de la loi ne reflètent effectivement une telle équité. Nous nous permettons de rappeler au Ministre d'Etat au développement culturel une remarque faite à maintes reprises par lui-même, à savoir que la manière dont une loi est perçue par les individus qu'elle régit est aussi importante que les dispositions mêmes de cette loi.

Le présent Projet de loi offre certains aspects qui sont d'une sévérité et d'une nature restrictive et négative inutiles et qui, tant par la forme que par le fond, menacent de manière injustifiée les minorités anglophones et autres du Québec. On y trouve certaines dispositions qui, de manière délibérée, ou non, expriment un message d'hostilité appelé à compromettre le type d'atmosphère sociale qui doit régner pour que la loi soit efficace et que l'ensemble de la population puisse en bénéficier.

Nous croyons sincèrement que l'élimination des dispositions en question renforcera au lieu d'affaiblir la Charte.

Nous sommes persuadés que grâce à des modifications appropriées, le Projet de loi No 1 pourra donner naissance à une charte qui, non seulement établira le français comme langue normale et courante de tous les aspects de la vie au Québec, mais encore qui aboutira à ce résultat d'une manière que tous les Québécois pourront approuver, respecter et obéir.

Nous souhaitons l'applicationd'une telle loi et c'est à cette fin et dans cet esprit que nous soumettons le présent mémoire.

Nos commentaires particuliers du Projet de loi figurent aux pages qui suivent. Nous avons concentré notre attention sur les dispositions qui nous touchent particulièrement et dont nous sollicitons la modification. Ces commentaires suivent l'ordre dans lequel les sujets sont développés dans le Projet de loi.

PRÉAMBULE

Nous avons déjà expliqué pourquoi le concept du peuple québécois qui semble se dégager du préambule et des autres chapitres du Projet de loi est inexact et inacceptable.

A l'heure actuelle, le texte du document nie un fait historique, à savoir que l'anglais a été la langue d'un nombre considérable de Québécois depuis quelque deux cents ans et que des cultures autres que celles de la majorité ont occupé et continuent d'occuper une place importante dans la société québécoise. La promotion d'un emploi plus général du français n'impose pas de faire régresser une société libérale, dynamique et multiculturelle au rang d'une société monolithique qui définit le peuple québécois en termes de la seule majorité.

Les premier et deuxième paragraphes du préambule devront faire l'objet d'une nouvelle rédaction pour refléter de manière plus exacte et plus appropriée la réalité du Québec.

TITRE PREMIER

Statut de la langue française

CHAPITRE II

Droits linguistiques fondamentaux

Afin d'éliminer tout malentendu possible sur l'identité d'un Québécois, nous suggérons le remplacement des mots "tout Québécois" figurant aux articles 2 et 6 par les mots "toute personne". Dans sa forme actuelle, l'article 4 est irréaliste et excessif. Il stipule en effet: "Les travailleurs ont le droit fondamental d'exercer leurs activités en français quelles que soient la nature, la forme et la taille de l'entreprise".

Il y a de nombreuses circonstances où la nature, la forme et la taille d'une entreprise commerciale imposent à ceux qui y travaillent d'exercer leurs activités dans une langue autre que le français. Une maison d'édition qui publie des livres dans une langue autre que le français, une entreprise qui traite avec des personnes habitant une autre province ou un autre pays, un restaurant chinois, une épicerie ou boucherie qui dessert une clientèle presque totalement non francophone, n'en sont que quelques exemples. Dans les cas de ce genre, la nature, la forme ou la taille de l'entreprise doit nécessiter l'emploi d'une langue autre que le français.

Nous suggérons donc que l'article 4 soit modifié pour se lire comme suit: "4. Les travailleurs ont le droit fondamental d'exercer leurs activités en français à moins que la nature, la forme ou la taille de l'entreprise n'impose l'emploi d'une autre langue".

CHAPITRE III

La langue de la législation et de la justice

Sous sa forme actuelle, l'article 7 pourrait laisser entendre que l'emploi de toute langue autre que le français n'est permis pour la législation et devant les tribunaux du Québec. Comme cet article ne poursuit pas une telle intention, nous suggérons qu'il soit modifié pour se lire comme suit: "7. Le français est la langue prédominante de la législation et de la justice au Québec".

L'Assemblée nationale et les tribunaux sont des lieux où Québécois francophones et Québécois anglophones ont travaillé de concert, dans une atmosphère particulièrement sereine et harmonieuse.

Comme nous le disions dans le document "Une politique linguistique positive au Québec" à propos des tribunaux: "A quelques rares exceptions près, bien que le français prédomine en pratique, l'anglais est utilisé lorsque l'équité et la décence y invitent".

Il reste que le Projet de loi, sous sa forme actuelle, impose des conditions rigides qui sont superflues et qui finiront inévitablement par soulever des conflits constitutionnels et de longs délais dans l'issue des procès en cours ou futurs. Une conséquence encore plus importante est que ces dispositions contribueront très certainement à altérer au lieu d'améliorer la qualité de la justice au Québec.

Nous appuyons entièrement le droit de tout Québécois francophone d'exiger que les citations, mises en demeure et assignations lui soient adressées en français (article 12) ainsi que son droit d'obtenir une version française de tout jugement qui le concerne (article 13).

Par contre, il est à la fois inutile et contraire au bon sens de stipuler, comme le fait la dernière phrase de l'article 13 que: "Seule la version française du jugement est officielle".

Le jugement officiel devrait être le jugement original rendu par le juge dans la langue où celui-ci s'exprime le mieux. Nous suggérons donc la suppression de la dernière phrase de l'article 13.

Le ministre d'Etat au développement culturel a reconnu qu'il importe, dans l'intérêt de la justice, de maintenir le droit des individus de s'adresser en anglais aux tribunaux ainsi qu'à d'autres organismes exerçant des fonctions judiciaires ou quasi-judiciaires. Ce droit devrait être clairement stipulé par une modification appropriée.

L'article 11, par ailleurs, en obligeant les personnes morales à s'adresser aux tribunaux et organismes similaires dans la langue officielle "à moins que toutes les parties à l'instance ne consentent à plaider en langue anglaise" ignore le fait que des milliers de particuliers exploitent de petites entreprises du type société commerciale. Les mêmes raisons qui militent en faveur de la protection du droit des particuliers à plaider en anglais sont tout aussi valables dans ce cas. L'article en question ignore également le fait que les personnes morales ne sont pas toutes des entreprises commerciales. Bon nombre d'entre elles sont des établissements à caractère social, culturel et éducatif dont les membres sont anglophones et les ressources modestes. L'équité commande qu'elles se voient accorder le droit de s'adresser aux tribunaux dans la langue que leurs membres comprennent le mieux.

L'article 11 stipule bien que les personnes morales peuvent plaider en anglais si toutes les parties à l'instance y consentent. A notre humble avis, le droit d'un plaignant de s'adresser aux tribunaux dans la langue qu'il connaît le mieux ne devrait pas dépendre du consentement d'un adversaire et la procédure imposée par cet article serait impraticable. On ne peut demander, par exemple, au chef d'une petite entreprise constituée en société qui veut poursuivre le propriétaire de son immeuble de solliciter la permission de celui-ci pour lui intenter un procès en anglais.

Les rédacteurs de l'article 11 avaient probablement à l'esprit de vastes entreprises commerciales disposant de ressources considérables, alors que dans sa version actuelle, cet article risque de porter atteinte au droit d'accès à la justice d'un grand nombre de personnes.

Nous demandons instamment l'élimination de cet article.

Lors des discussions consacrées à ce chapitre du Projet de loi, nous avons souvent entendu dire que l'anglais a été la langue de la législation et de la justice dans les autres provinces du Canada et que les droits de la minorité francophone de ces provinces ont été largement lésés. Nous ne pouvons que déplorer les situations de ce genre qui se produisent dans les autres provinces et ajouter notre voix à celle d'autres qui militent contre cet état de chose. Des changements ont déjà commencé à se produire. Il reste néanmoins que la législation de notre province ne doit pas être inspirée des agissements qui ont été pratiqués ailleurs et qui ont été critiqués et à juste raison. La législation du Québec ne doit pas non plus être motivée par un esprit de vengeance; elle doit être inspirée par des exemples fondés sur la raison et non l'injustice.

Nous croyons que les modifications suggérées par les présentes permettront de rédiger une loi moins susceptible d'être contestée pour des motifs constitutionnels et qui soit équitable, logique et d'application pratique sans réduire nullement la portée de son affirmation sur la priorité de la langue française.

CHAPITRE IV La langue de l'administration

Aux termes de l'article 64 et de l'Annexe, l'Administration comprend non seulement le Gouvernement, ses ministères et les organismes gouvernementaux, mais aussi les organismes municipaux et scolaires. Ainsi, sous réserve de rares exceptions, les dispositions de ce chapitre obligeraient des organismes municipaux et scolaires, dont les administrés sont en majorité de langue anglaise de se désigner par leur seule dénomination française de se servir du français pour communiquer avec d'autres gouvernements et les personnes morales; de rédiger en français leurs contrats ainsi que les contrats de sous-traitance; de se servir du français pour communiquer entre eux, ainsi que dans leurs communications internes; de rédiger en français les ordres du jour et les procès-verbaux de toute assemblée délibérante, de se servir du français dans l'affichage, sauf pour des raisons tenant à la santé ou la sécurité publique et de se servir uniquement du français pour la signalisation routière.

L'article 23 stipule que les organismes municipaux et scolaires dont les administrés sont en majorité de langue anglaise doivent se conformer à la plupart de ces dispositions avant l'expiration de l'année 1983 et, entre temps, prendre les mesures voulues pour atteindre cet objectif, à défaut de quoi l'Office de la langue française peut intervenir conformément à l'article 99.

Nous comprenons et appuyons la volonté de conférer à l'Administration un caractère à prédominance française et certaines des dispositions ci-dessus sont raisonnables dans ce contexte.

Par contre il est contraire au bon sens et à l'esprit de justice d'imposer l'emploi exclusif du français aux Anglophones traitant entre eux dans le contexte de collectivités qui sont en majorité de langue anglaise. Le Projet de loi dépasse le cadre de ce qui est nécessaire, pratique et opportun en interdisant aux Québécois d'expression anglaise de communiquer dans leur propre langue entre eux, soit verbalement, soit par écrit.

Nous demandons donc instamment que les exceptions prévues aux articles 14 à 24 soient étendues pour permettre l'emploi tant du français que de l'anglais dans les organismes municipaux et scolaires.

Nous nous permettons de rappeler au ministre d'Etat au développement culturel les déclarations publiques selon lesquelles les particuliers auraient le droit de communiquer en anglais avec l'Administration et de recevoir une réponse dans cette langue. C'est ce qu'affirmait le Livre blanc sur la politique linguistique: "Quant à l'administration, la documentation qui en émanera, au lieu d'être bilingue, sera uniquement française. Ce qui, cependant, n'empêchera pas les particuliers de s'adresser à l'Etat et d'en recevoir une réponse dans une autre langue".

Nous supposons que l'omission d'une disposition à cet effet dans le Projet de loi No 1 est due à un oubli et nous suggérons que la disposition en question soit incluse dans le texte de la loi.

CHAPITRE V La langue de certains organismes parapublics

Ce chapitre traite des services de santé, des services sociaux, des entreprises d'utilité publique et des ordres professionnels.

Nous sommes inquiets des effets que ces dispositions risquent d'avoir sur les services de santé et les services sociaux qui s'adressent dans une large mesure aux membres de la société qui sont le plus déshérités, qui ont le plus de mal à s'adapter et qui ont le plus besoin de protection.

Dans certaines régions de notre province, les services de santé et les services sociaux ont été organisés de façon traditionnelle— avec la participation active du gouvernement — selon des critères culturels et linguistiques afin que ces services soient offerts par des établissements et des personnes à même de comprendre et d'aider au mieux ceux à qui ils s'adressent. Certains établissements ont donc établi des critères culturels et linguistiques particuliers.

Nous sommes entièrement d'accord avec le principe selon lequel toute personne a le droit d'exiger que communiquent en français avec lui les services de santé et les services sociaux (article 2) et que ces services lui soient offerts dans la langue officielle (article 25). Cependant, c'est avec anxiété que les bénéficiaires non francophones de ces services accueillent ladite Loi, car ils craignent qu'on refuse de les soigner dans la seule langue qu'ils connaissent. Toute personne âgée finissant ses jours dans un foyer de l'âge d'or, toute personne traitée d'urgence pour crise cardiaque, tout indigent au chômage qui ne se fie qu'au soutien moral et économique du travailleur social, tous ces gens dépendent de façon dramatique des établissements et des personnes en qui ils ont confiance et qui les secourent dans leur détresse. La crainte de ne plus pouvoir comprendre ceux et celles qui leur viennent en aide est loin d'être vaine pour tous ces gens.

Afin d'apaiser les craintes mentionnées ci-dessus, nous proposons d'ajouter un paragraphe à l'article 25, se lisant comme suit;

"Toute personne peut néanmoins demander à ce que les services dont il est question ci-dessus lui soient offerts dans la langue officielle ou en anglais".

L'article 27 qui traite des ordres professionnels stipule que: "7. Les ordres professionnels doivent communiquer en français avec leurs membres ainsi qu'avec le public".

Le texte actuel interdit à un ordre professionnel de communiquer en anglais avec un anglophone unilingue qui désire déposer une plainte contre un de ses membres. Une personne âgée, un handicapé ou un plaignant blessé se verra donc refuser le recours à la procédure établie pour donner suite à ce genre de plainte, l'injustice qui pourrait en résulter est manifeste.

Eu égard à ce qui précède, nous suggérons d'ajouter le paragraphe suivant à l'article 27: "Au cas où une personne s'adresserait en anglais à un ordre professionnel, celui-ci devra joindre à sa réponse une traduction en anglais et pourra utiliser l'anglais pour toute communication verbale avec cette personne".

CHAPITRE VI La langue du travail

Un Comité d'étude sur la langue du travail, mis en place par le Comité d'action positive, et composé de personnes ayant une très grande expérience ainsi qu'une profonde connaissance du monde des affaires, soumet à la Commission parlementaire un mémoire spécial sur la loi de la langue dans le contexte de l'entreprise. Ce mémoire contient des commentaires détaillés sur les diverses dispositions du projet de loi, dont le chapitre VI. Nous appuyons sans réserve ces commentaires.

CHAPITRE VII La langue du commerce et des affaires

Nous appuyons les commentaires du Comité d'étude sur la langue du travail, dans le cadre du chapitre VII.

Nous nous permettons cependant d'attirer l'attention sur un point particulier de ce chapitre. Nous voulons parler de l'article 46 qui précise, à certaines exceptions près, que: "l'affichage commercial doit se faire uniquement en français".

Nous comprenons très bien le désir du gouvernement de veiller à ce que l'environnement, au Québec, reflète plus justement le caractère français de cette province et de sa majorité. Nous sommes d'accord sur la nécessité d'une loi en ce domaine, telle que l'article 35 de la Loi sur les langues officielles, actuellement appliqué, et qui prévoit, à certaines exceptions près, que les enseignes et les affiches publiques doivent être rédigées en français ou, si elles sont bilingues, en français et dans une autre langue. Nous souscrivons totalement à la proposition du Comité d'étude sur la langue du travail qui va plus loin que l'article 35 en suggérant, à certaines exceptions près, que dans tout affichage commercial le texte français doit avoir une importance au moins égale à celle du texte rédigé dans une autre langue. Une telle mesure, qui traduit l'expression légitime et normale de la véritable nature du Québec, ne peut qu'être approuvée.

Nous ne pouvons toutefois souscrire au texte actuel de l'article 46 qui interdit, purement et simplement, l'affichage commercial dans toute autre langue que le français au Québec. Cette mesure fait totalement abstraction de la réalité de certaines parties de la campagne québécoise et même de Montréal, où au moins un tiers de la population n'est pas de langue maternelle française. L'adoption de cet article ne ferait que remplacer une situation apparemment anormale par une autre qui le serait également, dans un autre sens. Si l'affichage commercial ne comporte pas actuellement suffisamment de français, compte tenu des réalités de la province, l'obligation de n'utiliser que le français et l'interdiction de toute expression publique dans une autre langue, ne refléterait pas davantage cette réalité.

Le Québec n'a rien d'une société monolithique, uniculturelle et unilingue et ne doit pas être appelé à le devenir. La minorité anglophone et les autres minorités ont été et continueront d'être les éléments vitaux de cette société et l'expression publique de leur identité ne doit, en aucun cas, être interdite. Montréal est l'un des grands centres internationaux et cosmopolites du monde. Est-il raisonnable de penser que ses communautés chinoises, italiennes, grèques, portugaises, juives et autres élimineront leur publicité commerciale pour se fondre dans un ensemble francophone unidimensionnel? L'Assemblée nationale interdira-t-elle à la population anglophone de Montréal, qui représente une partie importante de la population urbaine, d'utiliser la langue anglaise dans la publicité commerciale?

Des mesures de cet ordre poussent la promotion de la langue française à des extrêmes qui ne sont, ni nécessaires, ni rationnels, ni équitables.

Nous demandons instamment que le texte actuel de l'article 46 soit remplacé par une formule autorisant l'affichage publicitaire en français, ou en français et en une autre langue, pourvu que le texte français ait une importance égale à celui de l'autre langue.

CHAPITRE VIII La langue de l'enseignement

Les dispositions les plus radicales et les plus inquiétantes du projet de loi no 1 se retrouvent dans les articles 51 à 59, traitant de la langue d'enseignement.

Les arguments mis de l'avant pour justifier ces mesures s'appuient principalement sur le danger, perçu par la majorité, d'une baisse relative de ses effectifs par rapport à ceux de la minorité; l'intégration d'un nombre important d'immigrants à la communauté anglophone étant reconnue comme la cause principale de ce déséquilibre éventuel.

Plusieurs analyses, que l'Université McGill vient de terminer, indiquent que les prévisions faites il y a quelques années sur l'augmentation absolue et relative de la population anglophone du Québec se sont révélées inexactes. Les mêmes études montrent:

(1)que les projections démographiques pour le Québec, par catégorie de langue, ont conduit à dresser un tableau inutilement pessimiste du développement du secteur francophone, puisqu'en réalité l'érosion prévue ne semble pas s'être manifestée;

(2) que les études, selon lesquelles les immigrants seraient une des principales sources de croissance du secteur anglophone, ont surestimé l'effet net de l'immigration sur la population du Québec;

(3)que les inscriptions dans les écoles publiques anglaises du Québec, même sans le projet de loi no 1, baissent de façon marquée;

(4) que si le projet de loi no 1 était appliqué sous sa forme actuelle, les effectifs prévisionnels des écoles publiques anglaises baisseraient de façon radicale pour atteindre un peu plus de 40% de leur ampleur actuelle, au cours des dix prochaines années.

Il est malheureux que les appréhensions du gouvernement au sujet des tendances démographiques soient si pessimistes qu'elles requièrent l'application de mesures imposant aux parents immigrants la décision de l'État, plutôt que la leur, sur le choix de la langue dans laquelle leurs enfants seront éduqués.

En principe, nous pensons que les parents, plutôt que l'État, doivent choisir l'école que fréquenteront leurs enfants. Si, malgré tout, le gouvernement décide de diriger les enfants des futurs immigrants sur le système scolaire français, cette mesure ne devrait s'appliquer qu'aux non-anglophones qui devront en être avisés avant de venir au Canada.

Les dispositions du projet de loi no 1 déniant aux parents anglophones des autres provinces du Canada et d'autres pays le droit d'éduquer leurs enfants dans leur propre langue sont totalement inutiles à la réalisation des objectifs que le gouvernement s'est fixé. Même si l'Assemblée nationale devait continuer d'exiger que les enfants des immigrants non-anglophones soient dirigés sur les écoles françaises, rien ne justifie d'autres mesures en ce sens. Elles ne feraient d'une part que mettre des obstacles au recrutement du personnel hautement qualifié qui fait actuellement cruellement défaut à la province et, d'autre part, elles menaceraient la base même de la population anglophone, dont les effectifs diminuent déjà.

S'il est facile d'imposer des restrictions lorsqu'elles sont manifestement nécessaires, il est en revanche beaucoup plus dangereux de légiférer lorsque la nécessité ne s'appuie que sur des données hypothétiques et contestées. Lorsque de telles restrictions entravent les déplacements d'une population qui, de tout temps, a été mobile, elles peuvent avoir des effets dommageables à long terme. La population anglophone du Québec a toujours été mobile et bien que son importance relative soit restée constante, les individus ont changé. Si des obstacles à la libre migration des personnes sont dressés par le Québec, la communauté anglophone y décroîtra inévitablement.

La nécessité de telles mesures est encore plus difficile à saisir lorsque l'on constate la détermination manifestée au cours des dernières années par les parents anglophones à faire apprendre le français à leurs enfants, et à les équiper pour participer à la vie du Québec d'une façon radicalement différente de ce que nous avions connu jusqu'alors, dans notre histoire. Les autres mémoires qui seront soumis à la Commission parlementaire feront d'ailleurs certainement allusion à l'augmentation sensible de la participation aux cours d'immersion en français dans les écoles anglaises, et à l'importance des pressions exercées par les parents anglophones pour que des cours de français soient offerts à leurs enfants.

Le français est enseigné à tous les niveaux, dans toutes les écoles anglaises, et innombrables sont les parents qui réclament que soient consacrés plus de temps et plus de professeurs à cette tâche qui est essentiellement limitée par l'insuffisance des ressources accordées par le ministère de l'Éducation du Québec pour l'enseignement de la langue seconde. Il est déplorable que, malgré l'appui officiel des gouvernements successifs au bilinguisme des anglophones du Québec et de l'exigence faite à tous les diplômés des écoles secondaires de posséder couramment le français, ces gouvernements n'aient virtuellement rien fait pour l'enseignement du français dans les écoles anglaises. Par conséquent, plutôt que d'imposer des restrictions à ceux qui désirent s'inscrire dans les écoles anglaises, nous demandons instamment au gouvernement de prendre des mesures décisives, et notamment d'accorder un appui financier soutenu pour accroître l'enseignement du français dans les écoles anglaises. Il s'en suivrait inévitablement une collaboration très active de la part de la communauté anglophone à une progression encore plus forte de la langue anglaise, créant une atmosphère de coopération et de compréhension plutôt qu'un climat de confrontation et de contestation.

Si le gouvernement choisit de diriger les enfants des futurs immigrants sur le système scolaire français, nous insistons pour que le chapitre IV soit modifié de façon à permettre à tous les parents anglophones arrivant au Québec d'envoyer leurs enfants dans les écoles anglaises.

Nous comprenons parfaitement la méfiance du gouvernement envers l'adoption de politiques nécessitant la vérification de la langue maternelle comme préalable à toute inscription. Nous pensons que l'expérience malheureuse des tests linguistiques requis par la présente loi prêche en faveur d'une prudence légitime en ce domaine. Cependant, il nous semble beaucoup plus facile de mettre en place un système de vérification, dans le cadre d'une loi faisant appel au respect et à la coopération de ceux qui y ont soumis, plutôt que dans celui d'une loi perçue comme un instrument de menace et d'injustice qui, en aucun cas, ne se méritera le respect de ceux qu'elle vise. Nous sommes convaincus que si la loi appliquée tient compte des modifications suggérées, des mécanismes objectifs mis en place avec la collaboration de toutes les personnes concernées permettront de déterminer avec justesse et équité, au moyen d'entrevues appropriées avec les familles, si les enfants sont admissibles à l'école anglaise.

Les immigrants récents au Québec sont très sérieusement préoccupés par le projet de loi no 1 dans la mesure où, sous sa forme actuelle, il retire aux parents un droit important dont ils jouissaient lorsqu'ils ont décidé d'émigrer. Nous demandons à la Commission d'examiner la possibilité d'étendre les exceptions actuelles afin que ces familles, venues au Québec en sachant qu'elles pourraient décider librement de la langue dans laquelle leurs enfants seraient éduqués, soient autorisées à conserver ce droit.

Il nous semble qu'une telle mesure, incitant les personnes concernées à participer à la vie du Québec, avec la majorité, aurait un effet beaucoup plus positif qu'une loi qui les forcerait à s'intégrer au système scolaire français.

CHAPITRE IX Dispositions diverses

L'article 61 stipule que les avis de l'administration dont une loi prescrit la publication en français et en anglais peuvent néanmoins être publiés uniquement en français et, de même, que les avis de l'administration dont une loi prescrit la publication dans le journal de langue française et dans un journal de langue anglaise peuvent être publiés uniquement dans un journal de langue française.

Les avis dont il est question ont pour objectif d'informer l'ensemble des résidents de certains faits qui peuvent affecter leur vie, leur santé, leur sécurité ou leurs biens. Tous les résidents du Québec ne sont pas actuellement capables de lire le français et tous ne consultent pas les journaux français. L'adoption de l'article 61 aurait donc pour effet de restreindre l'accès à l'information que la loi reconnaît elle-même comme essentiel. A notre avis, cette mesure n'est ni équitable, ni logique, ni réaliste, à l'heure actuelle. Nous insistons pour qu'elle soit abolie.

TITRE II

L'office de la langue française et la francisation

Nous appuyons les commentaires du Comité d'étude sur la langue du travail concernant cette partie du projet de loi.

Un accroissement indéniable de l'utilisation du français a été enregistré au cours des dernières années. Cette progression peut être sensiblement accélérée par des mesures beaucoup moins rigoureuses que celles dont traite le chapitre III, dans le cadre de la francisation des services et des entreprises.

Nous insistons pour que soit soigneusement examiné le texte de l'article 106 qui, au moyen des certificats de francisation, confère à un vaste appareil administratif l'autorité nécessaire pour suspendre les activités de toute entreprise en lui refusant les permis et les services essentiels tels que l'électricité, l'eau et les transports publics dont elle a besoin pour survivre. Des pouvoirs aussi énormes placés dans les mains d'une bureaucratie laissent les entreprises à la merci d'un caprice administratif et pourraient

donner lieu à des abus notoires. De plus, des pouvoirs de cet ordre peuvent paraître inutiles étant donné que le projet de loi prévoit, dans le Titre V, que les personnes contrevenant à la loi, ou à tout règlement qu'elle comporte, sont passibles de poursuites judiciaires et d'amendes. Nous demandons avec insistance que l'article 106 soit modifié en conséquence.

Nous avons déjà fait nos commentaires sur les termes de l'article 112(b) et la signification du mot "Québécois".

Nous suggérons que l'article 112(b) soit amendé et se lise ainsi: "b) l'augmentation du nombre des personnes parlant français, à tous les niveaux de l'entreprise, y compris au sein du conseil d'administration et au niveau des cadres supérieurs, de manière à assurer la généralisation de l'utilisation du français:"

Nous demandons également que soient retirés du projet de loi les comités de francisation prévus par l'article 114. Ces comités n'ont aucune place dans notre société. Leur création serait une source de tension et de conflits. Ils encourageraient la résistance à la loi plutôt que son respect.

TITRE III La commission de surveillance et les enquêtes

Nous admettons très bien qu'il soit nécessaire de mettre en place les mécanismes permettant d'administrer et de faire appliquer une loi. Il nous semble cependant que l'appareil de surveillance prévu par le projet de loi aille au-delà de ce que l'on peut considérer comme nécessaire et approprié.

Les articles 121 et suivants prévoient la mise en place de trois catégories de fonctionnaires: a) les commissaires-enquêteurs; b) les inspecteurs et c) les autres fonctionnaires et employés.

L'article 139 confère aux commissaires-enquêteurs et aux inspecteurs délégués par eux: "les pouvoirs et l'immunité accordés aux commissaires nommés en vertu de la loi des commissions d'enquête (Statut refondu, 1964, Chapitre II)."

Par conséquent, non seulement les commissaires-enquêteurs mais les inspecteurs délégués par eux, auraient pouvoir d'exiger la présence de témoins et le témoignage ainsi que la production de livres, de documents et d'autres pièces, tout ceci sous menace d'outrage au tribunal et de peine pouvant inclure l'emprisonnement. Les commissaires et les inspecteurs auraient également les mêmes protections et privilèges que ceux qui sont conférés aux juges de la cour supérieure pour tout acte ou omission dans l'exécution de leur tâche.

Est-il réellement dans l'intérêt des Québécois de créer un groupe d'inspecteurs, dotés de tels pouvoirs, pour surveiller le monde des affaires?

La progression de la langue française requiert-elle réellement que l'homme d'affaire ordinaire, dirigeant son entreprise, soit soumis à une telle autorité, et à tout l'arbitraire et aux abus qu'elle peut facilement engendrer?

Nous rappelons à la Commission parlementaire les audiences tenues devant une autre commission de l'Assemblée nationale, en juillet dernier, sur le projet de loi 41, et les avertissements soulevés par le Barreau du Québec et d'autres personnes, dont des membres du gouvernement actuel, alors dans l'opposition, vis-à-vis des dangers que peut présenter l'accord de pouvoirs trop étendus à des fonctionnaires.

Il nous semble que les articles 121 et suivants, sous leur forme actuelle, représentent un empiétement inutile sur les libertés civiles des Québécois et devraient être modifiés en conséquence.

TITRE IV

Le conseil consultatif de la langue française

La valeur et l'efficacité d'un conseil consultatif sont essentiellement fonction de la qualité de ses sembres et de l'importance que lui accorde le Ministre responsable.

Si le conseil est établi, nous demandons instamment au gouvernement de nommer des personnes de la plus haute qualité, dont la compétence, l'équité et l'intégrité sont reconnues par l'ensemble de la population.

Nous sommes persuadés que l'étude des questions concernant la situation de la langue française, entreprise dans un climat de sérénité et d'objectivité, confirmera notre opinion, selon laquelle

l'utilisation du français peut être sensiblement étendue et généralisée par des méthodes qui n'apparaissent pas inutilement coercitives, hostiles et menaçantes à la minorité anglophone et aux autres minorités du Québec.

TITRE V Infractions et peines

Les mesures d'application des dispositions du projet de loi no 1 vont beaucoup plus loin que celles de la Loi sur les langues officielles, actuellement en vigueur. Le titre II du projet de loi accorde des pouvoirs beaucoup plus étendus aux responsables administratifs et le Titre V prévoit des poursuites pénales devant les tribunaux, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Nous avons déjà analysé les dispositions contenues dans le Titre II et nous avons indiqué les raisons pour lesquelles nous estimons qu'elles sont trop sévères, en particulier si l'on considère le Titre V.

A ce chapitre, nous proposons deux amendements. Le premier consisterait à ajouter un paragraphe à l'article 163, se lisant comme suit: "Dans le cadre de toute poursuite, le défendeur sera acquitté s'il établit, la charge de la preuve lui revenant, qu'il a agi de bonne foi et sans l'intention de violer la loi ou ses règlements". "L'ignorance de la loi ne pourra être avancée".

Le deuxième amendement consisterait à ajouter un paragraphe à l'article 164, se lisant comme suit: "Avant d'entreprendre les poursuites en vertu de cette loi, le procureur général, ou toute personne généralement ou spécialement autorisée par lui, avisera la personne contre laquelle les poursuites sont envisagées de la nature desdites poursuites, et lui accordera un délai de 30 jours pour remédier à la situation présumant constituer contravention. S'il apparaît, à la suite de cet avis, que la loi est respectée, les poursuites ne seront pas recevables."

Le premier amendement s'appuie sur le fait qu'il n'est pas d'intérêt public de punir des personnes qui, même si elles ne respectent pas totalement la loi d'un point de vue technique, ont agi de bonne foi et sans intention d'y contrevenir.

Le deuxième amendement se fonde sur l'idée que la loi doit être curative plutôt que punitive et qu'il est préférable d'accorder la priorité à des mesures permettant d'en assurer le respect, qu'à des poursuites judiciaires auxquelles il ne doit être recouru qu'en dernier ressort.

TITRE VI

Dispositions transitoires et finales

Dans le livre blanc "La politique québécoise de la langue française", suivant immédiatement un paragraphe qui insiste sur le rôle de la minorité anglaise et le respect qu'il convient de lui accorder, on trouve le texte suivant: "Pour traduire ce principe dans la réalité, la Charte contiendra une déclaration des droits fondamentaux de tout Québécois en matière linguistique. Elle complétera donc, en matière de langue, les droits reconnus aux individus par la Charte des droits et libertés de la personne."

Nous sommes consternés par le texte de l'article 172 du projet de loi no 1 qui, d'un simple coup de plume, retirerait le domaine de la langue de la Charte des droits et des libertés de la personne. Il est malheureux qu'une charte aussi fondamentale puisse être reniée aussi facilement, et l'on peut alors s'interroger sur le respect dont elle jouira par la suite.

Nous pensons sincèrement que la langue française peut se développer au Québec, sans viol des droits fondamentaux de la personne.

Nous rappelons à la Commission l'article 27 du Pacte international relatif aux droits civils, et politiques adoptés à l'unanimité par l'assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre 1966, précisant que: "Dans les états où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue."

Nous demandons instamment que l'article 172 soit aboli.

CONCLUSION

L'existence même du gouvernement actuel constitue une nouvelle force pour la progression du français et donne un élan supplémentaire à toute loi visant ce but.

Le gouvernement doit reconnaître que des changements importants se sont produits au Québec et que les mesures qui auraient pu être autrement nécessaires ne sont plus requises ou appropriées.

La communauté anglophone a prouvé, de façon indéniable, qu'elle était déterminée a collaborer à la progression des objectifs fondamentaux de la politique sur la langue et a contribué, de façon positive, à cette politique et au bien-être de tous les Québécois.

Cette collaboration à laquelle nous faisons allusion ne peut se manifester face à des mesures inutilement restrictives et coercitives.

Le Premier Ministre de la province a dit récemment que le Québec avait eu plus que sa part de conflits sociaux et qu'un nouveau contrat social s'imposait. Ne substituons donc pas aux conflits sociaux du passé, un conflit culturel et linguistique. Il apparaît plutôt qu'il nous faille également un nouveau contrat social dans le domaine culturel et linguistique.

Les changements positifs que nous proposons garantiraient l'adoption d'une loi qui se gagnerait le soutien de la vaste majorité des Québécois non-francophones.

L'Assemblée nationale est à la veille de prendre une décision vitale.

Elle peut adopter une loi qui inspirera l'inquiétude, le ressentiment et la résistance.

Elle peut, au contraire, adopter une loi qui fera vigoureusement valoir les droits de la langue française et, perçue comme appropriée et équitable, se méritera le respect, le soutien et la collaboration de tous les Québécois.

Il nous semble clair que ce choix pourrait non seulement faire progresser plus efficacement la langue française, mais également être un gage de bien-être pour toute la population.

Ce choix est le vôtre.

ANNEXE 2

Mémoire

à la commission parlementaire de l'éducation, des affaires culturelles et des communications

soumis par

le Comité d'étude sur la langue du travail du Comité d'action positive

sur

le projet de loi numéro 1 Charte de la langue française au Québec

Brief

to the Parliamentary Committee on Education, Cultural affairs and Communications

Positive Action Committee

on

BUM

Charter of the French language in Quebec

Version française French version

Le 2 juin 1977 June 2,1977

Le jeudi 2 juin 1977

Commission parlementaire sur l'éducation, les affaires culturelles et les communications, Assemblée nationale du Québec, Hôtel du Gouvernement, Québec, Province de Québec

Monsieur le Président, membres de la Commission parlementaire,

Le comité d'étude sur la langue de travail du Comité d'action positive se réjouit de pouvoir présenter ses opinions sur le projet de loi no 1 établissant la Charte de la langue française au Québec, dont la Commission parlementaire de l'Assemblée nationale est actuellement saisie.

Le comité d'étude sur la langue de travail est un sous-comité du Comité d'action positive, une association indépendante d'enseignants, d'hommes d'affaires, de membres des professions et d'autres Québécois qui se sont regroupés dans le but d'étudier et de commenter le Livre blanc intitulé "La politique québécoise de la langue française" présenté à l'Assemblée nationale et au peuple du Québec par le ministre d'Etat au développement culturel.

Le comité d'étude sur la langue de travail est un groupe indépendant et sans caractère officiel de citoyens du Québec qui, en raison de leurs intérêts ou de leurs activités, sont particulièrement préoccupés des répercussions éventuelles de la législation linguistique sur les entreprises. Dans le présent mémoire, ils parlent en leur nom personnel et pas nécessairement au nom des institutions, des entreprises ou des autres organismes dont ils font partie.

Notre mémoire n'entend nullement contrarier, entraver ou critiquer les efforts déployés par le gouvernement pour que la langue française accède au Québec à la position qui lui revient historiquement et de droit. Nous voulons simplement soumettre des suggestions qui, à notre avis, sont de nature à permettre que ce but puisse être atteint au profit de tous les Québécois en perturbant le moins possible le milieu délicat où évolue notre secteur des affaires et notre économie.

Cela dit, et en guise de réserve générale pour introduire les observations contenues dans notre mémoire, nous croyons devoir préciser que nous révoquons en doute la nécessité même d'une loi générale sur la langue.

Quiconque a vécu au Québec ces dernières années peut attester que la francisation du milieu québécois a réalisé des progrès spectaculaires non seulement dans le domaine de l'enseignement et de la culture, mais également dans le monde des affaires, comme le montre le relevé fait récemment par le Board of Trade de Montréal. Il est fort possible que ce processus soit maintenant si bien entamé que, sauf pour des dispositions interdisant toute discrimination linguistique et garantissant aux francophones le droit de recevoir la documentation en français, et surtout la documentation destinée aux consommateurs, on peut dire qu'une loi générale n'est pas nécessaire. Certes, le retour à une charte plus limitée, dépouillée des lourds mécanismes de la francisation, serait bien accueilli par le monde des affaires.

Nous reconnaissons toutefois que le gouvernement s'est engagé, vis-à-vis de l'institution de la charte de la langue française et comme le processus législatif est déjà bien avancé, nous avons entrepris d'analyser le projet de loi, compte tenu de la réserve susmentionnée.

INTRODUCTION

Dans notre mémoire sur le Livre blanc soumis au premier ministre, au ministre de l'Education et au ministre d'Etat au développement culturel, et dont on peut se procurer des exemplaires sur demande, nous déclarons: "En qualité de résidents du Québec, et pour certains d'entre nous depuis de nombreuses générations, nous nous intéressons à l'évolution de la société québécoise qui nous touche directement. Nous admirons la vitalité culturelle du Québec, nous aimons le mode de vie d'ici, nous avons la conviction qu'il s'y trouve une société fascinante et enrichissante au sein de laquelle il fait bon vivre et voir grandir les siens. Nous reconnaissons que la langue joue un rôle capital dans le développement de toute société, et nous admettons volontiers la légitimité de l'objectif selon lequel le français devrait être la langue commune des Québécois. Aussi, nous adhérons à la philosophie du Livre blanc qui, selon nous, vise non seulement la préservation, mais aussi et surtout la promotion du français dans la province. Nous y voyons également le souci de favoriser une plus large utilisation de cette langue dans tous les aspects de la vie au Québec. Tout en étant d'accord sur le principe, nous croyons en outre que les modalités envisagées par le Gouvernement du Québec pour atteindre le but visé auront, plus que le but lui-même, d'importantes répercussions sur l'avenir de la société qu'on se propose de promouvoir. Nous sofrtmes persuadés que les moyens choisis pour encourager l'usage du français comme langue de travail peuvent avoir des effets très nets sur la vitalité économique de la province. Bien plus, nous croyons indéniable que la réalisation des objectifs culturels passe par une économie forte et dynamique".

Dans notre premier mémoire sur le Livre blanc, nous avons également insisté sur la nécessité d'atteindre ces objectifs qui visent à une plus large utilisation de la langue française d'une manière qui permette en même temps à l'économie du Québec de s'épanouir. En effet, la réalisation de ces objectifs dépend largement du dynamisme de l'économie québécoise qui doit fournir les ressources nécessaires au développement social et culturel de la province, en plus de stimuler l'expansion de la communauté francophone en la rendant attrayante pour les personnes de culture différente. C'est toujours notre conviction que ces objectifs économiques ne sont pas incompatibles avec la réalisation des buts culturels et linguistiques, dans la mesure où ceux-ci font l'objet d'une application réaliste et non discriminatoire.

Le développement culturel est tellement lié à la situation économique qu'il serait dérisoire de vouloir nier l'interdépendance de ces deux facteurs. Il suffit d'ailleurs de se pencher quelque peu sur l'histoire pour constater que presque aucune culture ne s'est développée dans le monde, de façon saine et harmonieuse, sans s'appuyer sur une économie forte et dynamique. Les raisons sont facile à comprendre puisque dans une économie stagnante ou qui marque le pas, il est difficile, sinon impossible, pour la population d'assumer les coûts de l'éducation, des activités théâtrales, littéraires, musicales et des arts en général, et qu'en outre, les domaines de la science et de la technologie accusent du retard à cause de la rareté des fonds pouvant être affectés à la recherche et de l'absence de possibilités d'expérimenter de nouveaux procédés techniques et de mettre en marché de nouveaux produits. De son côté, le gouvernement n'est guère mieux armé pour financer de tels projets puisque son assiette fiscale est considérablement amoindrie. En revanche, il convient de noter que l'extraordinaire épanouissement de l'activité artistique, culturelle et scientifique, dont tous les Québécois ont été témoins au cours des quinze dernières années, s'est produit parallèlement à une période où l'économie avait connu un rythme de croissance sans précédent.

Nous avons fait remarquer dans notre premier mémoire, comme nous le faisons ici, que les milieux d'affaires ont toujours mal réagi à la coercition, aux mesures autoritaires mais, par contre, ont bien accueilli la persuasion et les mesures incitatrices. Nous croyons aussi que le monde des affaires est un puissant levier dont le gouvernement peut se servir pour faire aboutir les objectifs qu'il poursuit, sous réserve toutefois de lui prescrire des directives claires et précises et de ne pas l'handicaper par l'incertitude ou des changements arbitraires. Notre mémoire contient à cet égard des suggestions utiles sur ces aspects du projet de loi.

Dans notre précédent mémoire, nous avons signalé le fait que, à notre avis, la francisation des milieux d'affaires avait accompli des progrès substantiels durant la dernière décennie et même depuis le rapport de la Commission Gendron. Dès 1971, M. Robert N. Morrison, professeur à la Faculté des sciences de l'administration de l'Université McGill, faisait remarquer dans une étude approfondie, effectuée

pour la Commission Gendron, que l'utilisation du français était alors beaucoup plus répandue dans les milieux d'affaires que ne le soupçonnaient les gens. L'étude faisait en outre ressortir que les francophones ayant opté pour des carrières commerciales, faisaient preuve, par comparaison avec leurs collègues de langue anglaise, de dispositions égales et, que, dans de nombreux cas, ils réussissent mieux. Une étude à cet égard révèle que les ingénieurs francophones au service des entreprises, comparativement à l'ensemble des francophones diplômés d'universités canadiennes, sont plus nombreux que leurs homologues dans la population générale. Le rapport conclut que les ingénieurs et les diplômés en commerce d'origine canadienne française ayant opté pour le secteur industriel, sont dans l'ensemble, par comparaison avec leurs collègues de langue anglaise, plus mobiles, plus bilingues, mieux rémunérés et qu'ils progressent plus rapidement. Cette tendance semble d'ailleurs confirmée par les résultats du sondage que le Board of Trade de Montréal a fait effectuer entre le 11 et le 24 mai 1977 et qui indique, dans certains cas, une augmentation de 200% de la participation francophone aux postes les plus élevés de la hiérarchie. Il va de soi que nous souhaitons voir cette tendance s'accentuer et nos suggestions visent essentiellement à faciliter une situation qui ne cesse de s'améliorer.

Notre mémoire mettra en évidence l'importance que nous attachons aux mesures visant à encourager les sièges sociaux et les entreprises offrant des services s'appuyant sur une technologie avancée à demeurer au Québec et à favoriser l'installation de nouvelles entreprises de ce genre. Nous affirmons que les uns et les autres procurent à la province des avantages qui dépassent les effets économiques résultant directement de leur présence. L'influence qu'exercent des entreprises nationales d'une telle importance qui font partie intégrante du contexte québécois, le prestige qu'elles apportent à la province, les possibilités qu'elles représentent pour les Québécois d'avancer en restant dans la province, leur contribution et celle de leurs employés au développement culturel du Québec sont autant d'aspects très importants. Peut-être, s'agit-il là de points soulignés moins souvent que les dépenses exprimées en dollars, mais leur valeur n'en demeure pas moins réelle.

Comme l'ont fait remarquer les porte-parole du monde des affaires, l'élément d'actif le plus précieux pour une entreprise est son effectif de personnel compétent. Pour subsister et faire face à la concurrence, il lui faut réussir à attirer ses employés les plus doués à son siège social. S'il existe des conditions, telles que des exigences irréalistes en matière de langue, ou l'interdiction de s'inscrire dans les écoles anglaises, qui empêchent ces employés de venir au Québec, les sièges sociaux seront contraints de s'installer ailleurs et il en résultera une perte d'emplois pour la province. Si, au contraire, les sièges sociaux et les entreprises de services technologiques demeurent au Québec, il est possible d'envisager, en ce qui concerne cette catégorie d'emplois, une plus grande pénétration du français et des francophones. Nous sommes d'avis que la loi proposée devrait tenir compte de cette réalité et nous indiquons comment le faire. Selon nous, toute la question des sièges sociaux et l'utilisation en leur sein d'autres langues que le français exigent une étude permettant d'en évaluer la portée économique.

Dans les pages qui suivent, nous indiquons les principaux aspects du projet de loi qu'il convient de modifier pour mieux répondre aux aspirations de tous les Québécois. Nous proposons aussi des modifications particulières à apporter au texte. La section 2 énonce les principes généraux et les raisons des changements proposés; la section 3 contient les détails des modifications suggérées et la section 4 résume nos conclusions.

Principaux motifs de préoccupation

Commenter judicieusement et de manière constructive un texte de loi aussi élaboré et aussi complexe que le projet de loi no 1 n'est pas une mince tâche et nous n'entendons pas, en tant que groupe de particuliers concernés, poser en experts sur tous les aspects de la réglementation proposée. Outre les considérations inhérentes à l'un ou l'autre article de la Charte, nos commentaires doivent également tenir compte de la portée de cette loi sur la vie économique au Québec et de l'interrelation des divers secteurs d'activité. Dans cette optique, nous avons jugé préférable pour des raisons de clarté et de cohérence, d'encadrer nos commentaires dans de grandes lignes de pensée et de proposer ensuite des amendements qui respectent ces principes. Nous espérons que notre mémoire saura exposer clairement notre point de vue à la Commission et que nos recommandations sauront retenir son attention.

Tout au long de notre exposé nous avons tenu compte des deux grands principes suivants: a) Nous souscrivons d'emblée à l'objectif fondamental d'encourager et d'intensifier l'usage du français dans le monde du travail et avons de ce fait tenté dans nos remarques de trouver le meilleur moyen d'y parvenir en nous basant sur notre expérience collective. b) Nous sommes absolument persuadés que le plein épanouissement de la langue et de la culture est tributaire de la croissance économique et de la prospérité. C'est pourquoi le projet de loi devrait permettre la réalisation des objectifs visés sans nuire inconsidérément au développement économique du Québec.

En ce qui a trait au premier point, nous estimons que, pour être efficace, la loi doit être pragmatique et dépourvue de toute ambiguïté, autrement, elle amène à la confusion, à l'inefficience et aux abus. La loi doit définir une orientation, avoir un caractère incitatif et créer un milieu propice à son implanta-

tion. Elle doit en outre tenir compte des conditions économiques telles qu'elles sont et non pas telles qu'on voudrait qu'elles soient. C'est dans cette perspective pragmatique, réaliste et positive que s'inscrivent nos commentaires et nos suggestions.

Pour ce qui est du second point, nous croyons que pour réaliser ses objectifs sociaux et culturels, le Québec doit avant tout renforcer son économie. La force économique est nécessaire non seulement pour créer les richesses et produire les ressources indispensables à l'expansion culturelle et linguistique, mais aussi pour fournir un milieu dans lequel on peut se consacrer a des activités culturelles sans être constamment préoccupé par la lutte pour la survie. Selon nous, la relation entre les développements économique et culturel est vitale. Au Québec, le rayonnement de la culture est indissociable d'une économie saine et vigoureuse.

Les commentaires qui suivent reprennent en détail notre point de vue sur ces deux aspects. 1) Les droits de l'homme et les affaires

Nous ne pouvons entamer nos remarques autrement qu'en faisant état du lien existant entre ce projet de loi et les droits et libertés de la personne. Une entreprise est généralement le résultat d'un groupe d'individu qui unissent leurs efforts afin d'atteindre un but commun. Dans la mesure où les droits et libertés des personnes sont brimés arbitrairement ou autrement par le projet de loi no 1, nous croyons que cela nuit au climat contre quelqu'un est une atteinte aux droits et aux libertés de la collectivité.

C'est pourquoi nous sommes en désaccord avec la distinction faite dans le préambule de la loi entre "le peuple québécois" ou les "Québécois" et un autre groupe appelé "minorités". Toutes les personnes domiciliées au Québec devraient être considérées comme des Québécois tant dans le préambule que dans le projet de loi lui-même; s'il y a lieu de faire une distinction à l'égard d'un groupe particulier de Québécois, cette distinction ne devra pas porter atteinte, volontairement ou non, à leur qualité de Québécois.

Dans le même esprit, nous estimons qu'il conviendrait dans le préambule de reconnaître l'importance des cultures des minorités. Comme l'a exprimé le premier ministre à plusieurs reprises, on évalue le degré de civilisation d'une culture à la façon dont elle traite ses minorités. L'apport culturel des minorités devrait à notre avis être reconnu comme le veut la Convention internationale sur les droits civils et politiques adoptée à l'unanimité par l'Assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre 1966.

Nous croyons enfin que certaines parties du texte proposé, particulièrement celles qui portent sur la langue de la législature et des tribunaux, contredisent l'article 133 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Et qui plus est, les dispositions de ces parties risquent de priver la minorité anglophone de l'égalité d'accès à la loi et d'une égale possibilité de la comprendre et de la possibilité de participer pleinement, par l'entremise de ses députés, à l'élaboration des lois.

La liberté, un gouvernement représentatif et l'égalité devant la loi sont, dans nos démocraties, consacrées autant par la tradition que par la loi. Abroger ces traditions pour assurer la domination linguistique de la majorité reviendrait à créer un dangereux précédent.

Nous sommes persuadés que les objectifs du projet de loi peuvent être atteints sans qu'il faille recourir à des mesures aussi rigoureuses, ainsi que nous l'avons fait observer dans les commentaires qui suivent la présente section. 2) L'importance des sièges sociaux

Un grand nombre des commentaires sur le projet de loi ont porté sur le problème des sièges sociaux. Ce problème est certes réel, mais il est envisagé sous un angle trop limité. En réalité, il concerne un secteur beaucoup plus vaste de l'activité économique. Il touche entre autres la recherche et le développement, les sociétés d'ingénieurs-conseils, les experts-conseils, des services très spécialisés et tous les secteurs dont la propriété intellectuelle est un élément important. Ces domaines de technologie de pointe et de valeur ajoutée élevée, constituent précisément le genre d'activités dont l'économie du Québec a besoin et, par conséquent, on doit favoriser leur développement. Le problème des sièges sociaux touche aussi tous les bureaux dont les activités s'étendent en dehors de la province, que ce soit pour commercialiser des produits, diriger d'autres opérations ou partager des techniques à l'extérieur du Québec. Il faut donc rechercher les conditions favorables au maintien et à l'expansion de ce genre d'activités dans la province, et non pas faire le contraire, pour que le Québec puisse atteindre son plein potentiel économique.

Les secteurs qui utilisent une technologie avancée requièrent un personnel très spécialisé et expérimenté. Il est indiscutable qu'une partie et, espérons-le, un pourcentage élevé de ces professionnels peuvent être recrutés parmi les Québécois, mais il reste cependant qu'il sera toujours nécessaire de recourir à des spécialistes de l'extérieur de la province. En fait, les industries qui emploient une technologie avancée se caractérisent par la mobilité de leurs employés spécialisés qui, au cours de leurs déplacements, font connaître les nouvelles techniques et permettent ainsi de tenir les connaissances techniques à jour. De la même manière, les employés spécialisés du Québec doivent acquérir de l'expérience à l'extérieur de la province pour parfaire leur formation. Par conséquent, tout ce qui nuit au recrutement

et à la mutation des spécialistes nécessaires ou qui incite les professionnels à partir va à l'encontre des intérêts du Québec. L'absence des personnes qualifiées requises peut entraîner la disparition de tout un secteur de l'activité économique. Une telle situation n'ouvrirait certainement pas de nouvelles perspectives aux Québécois, mais gênerait au contraire l'établissement et la croissance dans la province d'industries et de services de pointe.

Le besoin de personnel qualifié et parlant d'autres langues, dans les entreprises qui vendent leurs produits à l'extérieur du Québec, est assez évident pour se passer de commentaires.

Mais pour ce qui est des sièges sociaux eux-mêmes, en quoi consiste leur importance? Le Québec ne serait-il pas aussi prospère si les sièges sociaux des entreprises nationales ou internationales déménageaient et devaient laisser au Québec un bureau régional dont le personnel serait probablement composé de Québécois francophones? La réponse est évidemment non et ce, pour plusieurs raisons. a) Les emplois qui ont été créés ici, à la fois directement et indirectement, en raison de la présence des sièges sociaux et qui s'élèvent entre 150 000 et 300 000 ont un effet direct sur l'économie. b)Si les entreprises mettent sur pied des bureaux régionaux au Québec et établissent leur siège social ailleurs, des décisions d'une grande importance pour le Québec seront prises par des dirigeants qui vivent dans un autre contexte. Même avec la meilleure volonté du monde, ces dirigeants ne pourront pas porter le même jugement ni avoir la même compréhension et la même sympathie à l'égard des opérations effectuées au Québec que ne le feraient des gestionnaires basés au Québec. Une telle division ne pourrait donc qu'être préjudiciable au Québec. c)En cas de déménagement des sièges sociaux, les francophones qui travaillent dans les entreprises au Québec devraient sans doute émigrer pour avancer dans leur carrière ou bien accepter de limiter leurs possibilités. Le Québec pourrait alors perdre un grand nombre des personnes les plus dynamiques et les plus douées de son élite.

Du point de vue historique, Montréal a toujours été un centre de décision des affaires. Par son milieu et son emplacement, cette ville possède toutes les richesses nécessaires pour continuer à jouer un tel rôle. Les centres de décision des affaires de cette importance jouissent d'un grand prestige qui amène beaucoup d'autres avantages matériels et non matériels.

Mais les sièges sociaux et les bureaux qui offrent des services très spécialisés connaissent une très grande mobilité à tous les points de vue et rien ne peut empêcher ce fait. L'une de leurs principales préoccupations réside dans les problèmes de prendre toutes les mesures qui sont en son pouvoir pour attirer et retenir ces bureaux au Québec. A cette fin, nous désirons faire plusieurs suggestions sur le sujet en ce qui concerne le projet de loi. 3) Langue des relations de travail

La législation envisagée compliquera inutilement, selon nous, les relations industrielles et pourrait bien alimenter de nouvelles sources d'affrontement au moment même où l'on s'efforce d'assainir le climat social au Québec. Ainsi, la loi prévoit que tout salarié qui estime avoir été congédié ou rétrogradé parce qu'il ne connaît pas suffisamment une langue autre que le français peut soumettre son cas à un commissaire-enquêteur nommé en vertu du Code du travail. Il n'existe aucun droit d'appel. Une telle disposition ouvre la voie à toutes sortes de tracasseries qui risquent d'accaparer les commissaires-enquêteurs et de les empêcher d'accomplir d'autres tâches. De même, l'Office de la langue française décidera par règlement ou décision arbitraire si un employeur est en droit d'exiger pour l'accès à un poste la connaissance d'une langue autre que le français. Un tel pouvoir ne devrait pas être accordé à des fonctionnaires, car il leur permet de prendre des décisions qui affectent la vie même de l'entreprise. Là encore, il n'existe aucune possibilité d'appel. Dans les deux cas, puisque les mesures prévues seront intégrées dans les conventions collectives, il s'agit de soumettre les litiges aux mécanismes d'arbitrage et de règlement des griefs. Ainsi, des personnes habilitées à se prononcer sur des conflits de travail, mais n'ayant aucune compétence en matière de législation concernant la langue devront dorénavant juger des griefs en application de la loi no 1, et leurs décisions, en vertu de l'article 81 du Code du travail, auront force exécutoire au même titre que l'ordonnance d'un tribunal. Des décisions contradictoires sont donc à craindre et risquent de rendre tous les citoyens, et non pas seulement les employeurs, perplexes quant à la signification réelle de la loi. Des arbitres privés ne devraient pas être appelés à interpréter et à appliquer une loi publique, car cela est du ressort des tribunaux.

En outre, le projet de loi prévoit la constitution, dans toute entreprise de cent salariés ou plus, d'un comité de francisation dont au moins le tiers des membres seront nommés par les associations de salariés ou les syndicats. Ce comité de francisation devra procéder à l'analyse de la situation linguistique de l'entreprise et à l'établissement du programme de francisation. De telles dispositions ne manqueront pas de paralyser toute action dans le cas d'entreprises dont le comité, du fait de la présence de plusieurs syndicats, aura une taille telle qu'il lui sera impossible de fonctionner. Il en sera vraisemblablement de même dans les entreprises où la représentation syndicale au comité n'a aucune commune mesure avec le nombre réel d'employés. En créant un niveau supplémentaire de négociation, les mesu-

res envisagées incorporeront les programmes de francisation dans le processus de négociation, ce qui ne servira certainement pas les objectifs de la charte. Nous croyons qu'il existe de meilleurs moyens de s'assurer que les salariés soient consultés sur des décisions qui les concernent, et de les y faire participer. 4) Pouvoirs arbitraires: Un climat d'incertitude

De nombreux aspects de la législation envisagée feront l'objet de règlements et ne figurent donc pas dans la loi elle-même. Cette façon de procéder par règlements est dangereuse pour deux raisons:

(a)des dispositions importantes de la loi sont prises au niveau administratif et échappent donc au contrôle des représentants élus du peuple qui siègent à l'Assemblée nationale;

(b) comme les règlements peuvent être modifiés, la population est placée dans l'incertitude quant à l'objet et à la portée de la loi.

Pour ce qui est du premier point, considéré sous l'angle de la langue des affaires et de ses effets sur l'économie de la province, il semble qu'un grand nombre de questions de la plus haute importance donneront lieu à des règlements. Ainsi, ce sont des règlements qui détermineront le genre d'emplois pour lesquels on pourra exiger la connaissance d'une autre langue que le français (article 37); ce sont des règlements qui régiront l'utilisation des langues autres que le français dans les catalogues et brochures ainsi que sur les étiquettes (article 4); ce sont des règlements qui s'appliqueront au contenu non français des raisons sociales (Article 50); ce sont des règlements qui fixeront les conditions d'obtention des certificats de francisation (articles 106, 109, 110), les normes de constitution des comités de francisation (article 114) et de suspension ou d'annulation de certificats de francisation (article 119) et ainsi de suite. Les entreprises ont prouvé qu'elles sont capables de s'organiser en fonction d'un contexte et de s'y adapter dès l'instant où elles savent à quoi s'en tenir. Par contre, il leur est impossible de fonctionner dans un climat d'incertitude qui les rend tributaires de fonctionnaires chargés d'émettre, de préciser et d'interpréter des règlements dont dépend leur survie, car elles se trouvent ainsi placées dans une situation qui les laisse désemparées. C'est pourquoi nous exhortons le gouvernement à préciser plus clairement dans le texte de loi l'objet et la portée de la législation de façon que l'Assemblée nationale puisse se prononcer et que toute modification soit aussi approuvée par les représentants du peuple. Dès lors, les entreprises et particuliers connaîtront exactement l'étendue de la loi.

A côté de l'incertitude signalée plus haut, le projet de loi présente un aspect inquiétant et dangereux qui réside dans la possibilité de modification des règlements, alors que l'application de la loi repose essentiellement sur eux. Ainsi, les règlements qui s'appliquent à l'obtention des certificats de francisation peuvent être modifiés arbitrairement; or, une entreprise ne pouvant exister sans un tel certificat, le maintien, plus exactement la survie, de toute firme se trouvera donc à la merci de ceux qui rédigeront et appliqueront les règlements. Comme on ne peut interjeter appel devant les tribunaux ou l'Assemblée nationale, les risques d'abus sont évidents. Sur un point aussi crucial pour l'économie du Québec, nous demandons instamment au gouvernement de définir clairement dans la loi les dispositions régissant l'obtention du certificat de francisation.

La même incertitude et la même possibilité d'avoir à supporter des décisions arbitraires existent dans la loi à propos des sièges sociaux.

Même si nos observations ont été axées sur les dispositions s'appliquant à la langue de travail, ce que nous contestons, nous tenons à le souligner, c'est le principe d'une loi-cadre complétée par des règlements d'application. Presque tous les partis politiques s'élèvent contre une telle façon de procéder lorsqu'ils sont dans l'opposition, mais ils semblent oublier leur engagement une fois arrivés au pouvoir.

Cette forme de législation complétée par des règlements et déniant tout droit d'appel tend, nous tenons à le souligner, à favoriser la mise en place d'un appareil bureaucratique lourd et coûteux. En l'occurrence, l'Office de la langue française agira à la fois comme juge et partie, décidera des règlements et les édictera, puis les interprétera. Nous présentons un certain nombre de recommandations visant à améliorer cet aspect du projet de loi. Quoiqu'il en soit, une modification importante s'impose pour permettre d'interjeter appel devant les tribunaux. 5) La langue et l'activité économique

Nous donnons notre appui au gouvernement pour les efforts qu'il déploie en vue de promouvoir l'utilisation de la langue française dans tous les aspects de la vie au Québec. Nous ne sommes pas d'accord toutefois pour que cet objectif soit atteint en interdisant l'utilisation des autres langues. Par conséquent, les dispositions du projet de loi visant à exclure l'utilisation de la langue anglaise devant les tribunaux, sauf en circonstances particulières, ou à interdire celle de toute langue autre que le français dans l'affichage commercial, les déclarations ou les avis, et même dans la signalisation routière, nous semblent discriminatoires, inutiles et incompatibles avec le droit fondamental de l'homme à la liberté d'expression et contraires aux intérêts de tous les citoyens québécois. Par contre, il nous semble juste que la loi insiste pour que tous les services sociaux et commerciaux soient fournis en français, langue

de la majorité, mais elle ne devrait pas en même temps interdire l'utilisation des autres langues dans les cas jugés appropriés; de fait, nous recommandons que ces points soient établis clairement dans le projet de loi. Le premier ministre et les autres membres du gouvernement ont exprimé à plusieurs reprises qu'on juge une société à la façon dont elle respecte les droits de tous ses citoyens, y compris ceux de ses minorités. Nous faisons donc appel au gouvernement pour reconsidérer les aspects du projet de loi qui violent les principes de l'égalité et avons précisé dans la partie détaillée de notre mémoire présentée ci-après les endroits où les changements doivent être apportés au texte de loi.

En ce qui concerne les dispositions de la loi sur les communications avec les ordres professionnels, par exemple, où l'efficacité des échanges d'information revêt une importance particulière, nous considérons comme essentiel que l'anglais soit utilisé aussi bien que le français lorsqu'une grande partie de leurs membres sont d'expression anglaise. Le même principe s'applique dans le cas d'un grand nombre de panneaux-réclames et d'enseignes, surtout ceux qui sont installés aux fins d'information. L'interdiction de l'anglais dans de tels cas alors qu'environ un million de québécois sont d'expression anglaise se révèle inutilement restrictive. 6) Approche à caractère coercitif

Nous sommes profondément inquiets de ce que la loi proposée fasse mention principalement de sanctions de nature très rigoureuse, même dans le cas de la non-obtention du certificat de francisation dont la délivrance est laissée à la discrétion du ministre, sans aucun droit de recours devant les tribunaux. Ainsi, une entreprise qui ne réussira pas à obtenir un certificat de francisation ne pourra se procurer le permis nécessaire pour poursuivre son exploitation. On ne saurait justifier que la suppression draconienne d'un droit fondamental soit entièrement laissée à la discrétion d'un fonctionnaire du gouvernement ou même d'un ministre, sans droit de recours, ni de par les principes élémentaires de justice ni en raison de la nature de l'infraction imputée. Il n'est pas davantage juste ni justifiable que les employés d'une entreprise se retrouvent dans la rue sans emploi en raison d'une faute imputée à sa direction. Placer des fonctionnaires dans une position où ils doivent prendre de telles décisions, assujettir les entreprises aux décisions des bureaucrates du gouvernement et soumettre les employés à de telles sanctions est, à notre avis, inutile, discriminatoire, injuste et injustifiable.

Comme il a été énoncé précédemment, le gouvernement devrait tenter de s'assurer le concours et l'appui du monde des affaires pour atteindre ses objectifs. Il ne peut prendre toutes les décisions lui-même sans se doter d'une vaste armée de fonctionnaires, d'organismes d'enquête et d'analystes et appliquer des mesures coercitives. Le monde des affaires répond de manière plus positive aux mesures incitatives qu'à la menace de sanctions arbitraires. Nous ne décelons aucune mesure incitative dans le projet de loi, l'accent étant plutôt mis sur les sanctions d'ailleurs inutilement rigoureuses.

Sous ce dernier rapport, nous sommes d'avis qu'une sanction aussi sévère que celle qui enlève à l'entreprise le permis de poursuivre son exploitation (c'est-à-dire la fermeture d'une compagnie en raison de la non-obtention de son certificat de francisation) n'est d'aucune utilité. L'application de cette sanction pénalisera davantage les innocents que les coupables. En effet, l'employé en chômage par suite de la fermeture de l'entreprise ne sera vraisemblablement pas enclin à remercier l'Office de la langue française pour ses efforts empressés de francisation. Un grand nombre de sociétés se sont appliquées à exécuter volontairement des programmes de francisation d'une certaine ampleur; il serait bon d'après nous que ces efforts soient encouragés et reconnus de quelque façon (à la manière de la Grande-Bretagne à l'égard des entreprises qui ont réalisé un excellent volume de ventes à l'exportation).

Nous nous devons en outre de faire ressortir un autre aspect: le coût d'un appareil bureaucratique mis sur pied pour contrôler le programme de francisation actuellement proposé. A une époque où le gouvernement devrait s'appliquer à consacrer ses ressources humaines et monétaires à l'épanouissement de l'économie du Québec, il nous semble ironique qu'une si grande partie de ces rares ressources soient utilisées de façon à inhiber à coup sûr notre croissance.

Les modifications que nous proposons sont exposées dans les remarques détaillées présentées ci-après. 3. Commentaires détaillés sur le texte du projet de loi no 1, charte de la langue française au Québec

Cette partie de notre mémoire porte sur les commentaires précis que nous désirons formuler sur certaines des dispositions du projet de loi no 1, y compris son préambule. Pour des raisons de simplicité et de commodité, nous avons adopté pour cette présentation un plan parallèle à celui du projet de loi.

Etant donné que ce mémoire s'attaque au vaste sujet de la langue dans le milieu des affaires, nous n'avons pas cherché à commenter individuellement chacun des articles du projet de loi. D'autres groupes, organismes et associations le feront sans doute sous l'angle de leurs préoccupations particulières. Toutefois, de nombreuses dispositions du projet de loi affectent le monde des affaires soit directement soit par voie de conséquence. Nous avons donc examiné plusieurs articles qui, bien qu'étant à première vue hors du sujet traité dans ce mémoire, nous ont semblé mériter notre attention de par leur contenu intrinsèque ou l'effet qu'ils pourraient avoir sur la vie commerciale et industrielle au Québec.

Dans certains cas, nous avons soulevé des questions de principe sans essayer, à cause de la complexité, de suggérer un texte précis. Dans d'autres, nous avons expliqué quel genre de modifications nous croyons devoir être apportées à certains des articles et enfin, nous avons parfois proposé pour ces modifications un texte précis.

PROJET DE LOI NO 1

Charte de la langue française au Québec

Préambule

Bien que nous acquiescions la philosophie sous-jacente au préambule dans la mesure où il cherche à représenter l'objectif du projet de loi, c'est-à-dire la promotion et le rayonnement de la langue française au Québec, nous avons trois remarques qui, nous l'espérons, seront bien reçues et donneront lieu à une modification du texte.

Tout d'abord, il est malencontreux qu'une distinction soit faite dans le texte entre une classe de personnes appelée "le peuple québécois" et une autre classe appelée "les minorités". Certaines minorités vivent sur le territoire québécois et plus particulièrement une minorité anglophone assez importante dont la langue maternelle a toujours été l'anglais. Dans le préambule, comme dans le reste du texte du projet de loi, toutes les personnes qui choississent le Québec comme lieu de résidence devraient être considérées comme des Québécois et si une distinction doit être faite entre différents groupes au sein de l'appellation de "Québécois", celle-ci ne devra être entachée d'aucune réserve, intentionnelle ou non, quant au statut de "Québécois" conféré à ces groupes.

Deuxièmement, bien que nous comprenions que l'Assemblée nationale soit résolue à faire du français la langue normale et habituelle du Québec, nous ne pouvons accepter que par extension il devienne la langue exclusive de l'Etat et de la loi, étant donné qu'une telle exclusivité ne peut, de par sa nature, exister qu'au détriment d'un groupe culturel et linguistique minoritaire établi de longue date au Québec.

Troisièmement, s'il convient dans le préambule de remarquer que les observations qui y sont faites et les intentions qui y sont exprimées "s'inscrivent dans le mouvement universel de revalorisation des cultures nationales" il serait bon également de noter l'existence d'un mouvement de revalorisation des cultures minoritaires inscrit à l'Article 27 de la Convention internationale sur les Droits civils et politiques de 1966 adoptée à l'unanimité par l'Assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre, 1966 et dont le texte suit: "Article 27

Dans les Etats où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne devront pas se voir refuser le droit qu'elles ont en commun avec les autres membres de la collectivité de jouir de leur culture, de professer et de pratiquer leur religion ou de se servir de leur langue."

Par conséquent, nous suggérons que le texte suivant soit adopté comme préambule au projet de loi no 1 :

L'Assemblée nationale constate que la langue française est, depuis toujours, la langue de la majorité francophone du peuple québécois et que c'est elle qui permet à cette majorité d'exprimer son identité.

L'Assemblée nationale reconnaît la volonté des Québécois d'assurer la qualité et le rayonnement de la langue française; elle est donc résolue à faire du français la langue commune à tous les Québécois et la langue courante de l'Etat et de la loi, du travail, de l'enseignement et des communications.

L'Assemblée nationale entend poursuivre cet objectif dans un climat de justice et d'ouverture à l'égard des groupes linguistiques et culturels non-francophones du Québec qui, en tant que Québécois, ont le droit inaliénable de participer au développement du Québec avec l'assurance de jouir de leur propre culture et d'utiliser le,ur propre langue.

Ces principes s'inscrivent dans le mouvement universel de la revalorisation des cultures nationales et de préservation des droits des minorités ethniques, religieuses et linguistiques, qui confèrent à chaque personne l'obligation morale d'apporter une contribution particulière à la communauté nationale."

Sous cette forme amendée, le préambule reflète de façon plus généreuse l'esprit et les aspirations des Québécois sans distinction de religion, de langue ou d'origine ethnique.

TITRE PREMIER

STATUT DE LA LANGUE FRANÇAISE

CHAPITRE I LA LANGUE OFFICIELLE DU QUÉBEC Article premier. Comme son nom l'indique, la loi sur la langue officielle ("loi 22") avait comme objet d'établir une langue officielle au Québec. Le projet de loi no 1 cherche plutôt, et c'est à nos yeux une intention plus louable, à constituer une charte de la langue française. Il est donc possible de supprimer l'une des objections de principe qui ont été soulevées par la loi 22 qui, en instaurant une langue officielle reléguait implicitement la langue et la culture de la population anglophone du Québec à une place de deuxième ordre et érigeait ainsi un obstacle émotionnel malencontreux. A notre avis, ceci aurait pu être évité avec la poursuite de l'objectif réel de la loi qui était d'assurer à la langue française la primauté, émanant de l'histoire, qui lui revient de droit. Pour atteindre ce but, il n'était pas nécessaire d'instaurer une langue officielle et dans le projet de loi no 1 le besoin s'en fait encore moins sentir étant donné qu'il ne s'agit pas là d'un des principes exprimés en préambule. Faire du français la langue commune à tous les Québécois est un objectif qui reçoit l'assentiment de tous, mais c'est un résultat qui doit être la conséquence naturelle du statut opérationnel conféré à la langue par le projet de loi et non pas recherché par la réduction implicite de l'anglais au statut de langue d'une faction.

Nous suggérons donc que l'Article premier corresponde au texte amendé du préambule qui figure plus haut, et prenne la forme suivante: "Article 1. Le français est la langue courante de l'État, de la loi, du travail, de l'enseignement et des communications et c'est la langue commune à toutes les personnes résidant au Québec." et que l'expression "langue officielle" soit remplacée par "le français" dans la totalité du texte du projet de loi.

CHAPITRE II

DROITS LINGUISTIQUES FONDAMENTAUX Article 2. L'absence de définition du mot "Québécois" crée la possibilité de malentendus et introduit une limitation inutile. Les droits civils énoncés au Chapitre II doivent être accordés à toutes les personnes. Par conséquent, dans l'Article 2, le mot "Québécois" devrait être remplacé par le mot "personne". Article 4. Le projet de loi devrait reconnaître qu'en nombre de cas, par exemple radiodiffusion en anglais et en langues étrangères, relations publiques et publicité, journalisme et édition, pour ne nommer que les plus évidents, le caractère même de l'entreprise exige de ses employés qu'ils exercent leurs activités en anglais ou dans une autre langue. Il faudrait donc modifier l'article 4 de manière à ce qu'il soit ainsi conçu: "4. Les travailleurs ont le droit fondamental d'exercer leurs activités en français à moins que le caractère, la forme ou la taille de l'entreprise n'exigent qu'il en soit autrement."

Article 6. Le mot "personne" devrait remplacer le mot "Québécois" pour les raisons invoquées au sujet de l'Article 2.

CHAPITRE III

LA LANGUE DE LA LÉGISLATION ET DE LA JUSTICE Articles 7 à 11. Il existe un doute suffisant quant à la constitutionnalité de ces articles à la lumière de l'article 133 de l'acte de l'Amérique du Nord britannique pour que leur présence puisse être contestée sur ce seul point. Mais, et c'est plus important encore, l'existance fondamentale au Québec d'une minorité non francophone plus importante en nombre que la population de plusieurs des provinces canadiennes s'oppose impérativement à l'adoption de mesures qui représentent une rupture abrupte avec les pratiques antérieures. Le contexte de la société québécoise milite en faveur d'assurer aux législateurs anglophones une participation pleine et entière au processus législatif et assurer aussi une compréhension totale par les administrés anglophones de la teneur et de la portée des lois qui les régissent.

L'Article 7 devrait donc être rédigé comme suit: "Article 7. Sous réserve des autres dispositions de ce chapitre, le français est au Québec la langue courante de la législation, de la justice et des organismes exerçant des fonctions judiciaires ou quasi-judiciaires".

et les Articles 8, 9 et 10 devraient, comme loi du Québec, réitérer les principes de l'Article 133 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.

L'article 11 devrait reconnaître le fait que les personnes morales sont toujours représentées par des particuliers qui parlent en leur nom. Nous ne pouvons voir aucune justification à un abandon des précédents qui pourrait créer une inégalité de fait au détriment des petites et moyennes entreprises et aux exploitations familiales anglophones, en imposant le consentement de toutes les parties à l'instance comme préalable au droit de leurs représentants de plaider en anglais. Dans un même temps, nous reconnaissons qu'il est désirable dans le contexte de ce projet de loi de consacrer le droit fondamental de plaider en français mais ce droit fondamental n'a pas à limiter le droit fondamental de plaider en anglais qui existe en contrepartie.

Ainsi l'Article 11 devrait être rédigé de la façon suivante: "Article 11. Toutes les personnes ont le droit fondamental de s'adresser en français aux tribunaux et aux organismes exerçant des fonctions judiciaires ou quasi-judiciaires et de plaider devant eux verbalement ou par écrit dans cette langue. Toutefois, cet article ne pourra pas être invoqué pour limiter le droit d'une personne de s'adresser à ces tribunaux et organismes en anglais et de leur présenter dans cette langue des plaidoiries verbales ou par écrit".

Article 13. Le maintien de la dernière phrase de cet article ne servirait pas au mieux les intérêts de l'administration de la justice. Les tribunaux et les organismes judiciaires ou quasi-judiciaires sont les dépositaires ultimes de la protection des droits individuels et collectifs et rien ne doit être fait qui pourrait d'une façon ou d'une autre entraver leur mission. Un jugement rendu en anglais devrait être interprété dans cette langue, sinon les droits des parties affectées pourraient être, par traduction, déterminés d'une façon différente de celle entrevue par l'autorité rendant le jugement. La dernière phrase devrait être purement et simplement supprimée.

CHAPITRE IV

LA LANGUE DE L'ADMINISTRATION

Articles 14 à 16. Dans sa forme actuelle, le texte de ces articles reflète la philosophie exprimée en page 35 du Livre blanc: "II ne sera donc plus question d'un Québec bilingue".

Comme nous l'avons indiqué dans notre premier mémoire relatif au Livre blanc nous considérons que le caractère absolu de cette exclusion est injustifiable. Toutefois nous acquiesçons le concept exprimé en page 34 du Livre blanc: "Le Québec que nous voulons construire sera essentiellement français". mais cet objectif peut être atteint sans avoir recours à l'exclusion statutaire de l'emploi de l'anglais dans les communications entre l'administration et les Québécois de langue anglaise.

Pour cette raison, des exceptions à la règle générale devraient être incorporées au texte de la loi.

Ainsi, l'Article 14 devrait permettre aux organismes municipaux et scolaires qui administrent une population largement anglophone d'apposer une version anglaise à leur dénomination française reconnue.

De la même façon, les anglophones devraient pouvoir recevoir en anglais et en français les textes et documents qui leur sont adressés par l'administration, surtout si par textes et documents on entend également les formules de déclarations de revenu, les formules de sécurité sociale et autres documents essentiels du même genre.

Pour les mêmes raisons, le bilinguisme devrait être obligatoire en matière de santé ou de sécurité publique.

Les Articles 14, 15 et 16 devraient être modifiés en conséquence et conformément aux déclarations publiques faites par le ministre d'état au développement culturel promettant à toutes les personnes le droit de demander à l'administration de communiquer avec elles en anglais, le chapitre IV devrait comporter une disposition reconnaissant le droit fondamental de communiquer dans les deux sens avec l'administration en français et en anglais.

Article 17. Conformément aux principes énoncés ci-dessus, l'Article 17 devrait être modifié pour rendre obligatoire, et non facultatif, l'envoi d'une traduction anglaise à toute personne qui s'est adressée à l'administration dans cette langue.

Article 22. Etant donné que l'affichage est un moyen de communication, l'existence au Québec d'une importante minorité anglophone, la situation géographique du Québec dans le contexte nord-américain et l'importance de l'industrie touristique devraient justifier une utilisation rationnelle, quoique sélective, de l'anglais dans l'affichage.

Article 24. Cet article impose une restriction injustifiable. L'industrie touristique du Québec dépend pour une large part d'une clientèle anglophone. Ces touristes doivent pouvoir comprendre la signalisation

routière, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité. Tant qu'une signalisation routière symbolique et pictographique n'aura pas été adoptée et éprouvée dans toute l'Amérique du Nord comme c'est le cas en Europe, toute la signalisation routière devrait être en anglais et en français.

CHAPITRE V

LA LANGUE DE CERTAINS ORGANISMES PARAPUBLICS

Article 25. Si l'intention de cet article est de bannir l'utilisation de l'anglais par les organismes en question (et nous espérons que ce n'est pas le cas) cela supprimerait le droit des anglophones de recevoir en anglais les services essentiels des organismes parapublics même dans le cas où cette pratique est courante. Pour éliminer toute imprécision nous proposons pour l'Article 25 le libellé suivant: "Article 25. Chaque personne a le droit d'être servie en français par les services de santé, les services sociaux, les entreprises d'utilité publique et les ordres professionnels. Ces organismes parapublics doivent s'adresser en français à l'administration."

Article 27. Cet article impose une restriction injustifiée étant donné que la plupart des ordres professionnels comptent parmi leurs membres un nombre important d'anglophones. Les ordres professionnels devraient pouvoir continuer à traiter comme par le passé avec leurs membres dans les deux langues, et en ce qui concerne leurs relations avec le public, les dispositions de l'Article 25 rendent l'article 27 superflu. Cet article devrait être supprimé.

Article 29. Considérant nos commentaires sur l'Article 27, cet article devrait permettre aux ordres professionnels d'adjoindre une version anglaise à leur dénomination française quand ils comptent parmi leurs membres un nombre important d'anglophones.

Articles 30 à 32. Si le Québec et en particulier Montréal veulent conserver à l'échelle nationale et internationale la place qu'ils occupent dans le monde des affaires et si les petites et moyennes entreprises du Québec, dont l'état encourage le développement, ne veulent pas être cantonnées aux limites géographiques du Québec, la mobilité du personnel de direction et des professionnels doit être un fait acquis. De par sa complexité, notre société exige les services d'un nombre sans cesse croissant de professionnels de toutes catégories, des ingénieurs aux médecins en passant par les infirmières. Nous croyons que le Québec doit essayer par tous les moyens possible d'encourager la formation professionnelle au Québec mais aussi d'attirer des professionnels de l'extérieur de la province. Pour ces raisons et particulièrement si l'on considère la situation des sièges sociaux et autres activités commerciales qui dépassent les frontières, ou encore dans le cas des universités et des centres de recherche, les exigences linguistiques dont il est fait état à l'Article 30 ne devraient pas s'appliquer aux professionnels qui n'offrent pas leurs services au grand public et de toute façon les dispositions de l'Article 32 devraient être libéralisées en supprimant la dernière phrase du deuxième paragraphe en en laissant à la discrétion des ordres professionnels le renouvellement des permis temporaires sans qu'il soit nécessaire de le justifier par la notion abstraite et indéfinissable de l'intérêt public. Les ordres professionnels ont été investis de la responsabilité de déterminer les critères d'admissibilité et de réglementer l'activité de leurs membres dans le cadre des professions. Il est raisonnable de supposer qu'en tant qu'organismes compétents, ils agiront dans l'intérêt du public sans qu'il soit nécessaire de stipuler cette obligation dans un domaine particulier.

Pour tout le moins, l'Article 32 devrait être parachevé par l'adjonction de dispositions similaires à celles contenues à l'Article 23 de la "loi 22" de façon à faciliter les transferts de personnel professionnel dans les situations où les intéressés ne traitent pas directement avec le public.

CHAPITRE VI

LA LANGUE DU TRAVAIL

Article 35. Pour les mêmes raisons, les changements recommandés pour l'Article 13 devraient être incorporés dans cet article.

Article 36. Bien que nous comprenions le but de l'Article 36, celui-ci présente trois difficultés qui doivent être résolues:

Premièrement, l'interdiction dont il est fait état à l'Article 36 ne devrait pas s'appliquer dans le cas d'un employé qui a obtenu son emploi, dans les circonstances décrites à l'Article 37, grâce à sa connaissance d'une lange autre que le français et qui, par la suite, serait incapable de confirmer ses connaissances ou refuserait d'utiliser cette autre langue.

Deuxièmement, aucun fardeau de preuve ne devrait être stipulé par la loi. La question de savoir si la connaissance d'une autre langue est nécessaire à l'exécution d'une tâche est une question de fait qui doit être jugée dans le contexte des conditions particulières en cause. Une loi comme celle-ci devrait marquer sa confiance dans la bonne foi des administrés.

Troisièmement, nous ne croyons pets que les dispositions du Code du travail qui traitent des activités syndicales aient quoi que ce soit en commun avec les situations envisagées dans cet article et les personnes rendant les décisions relatives au Code du travail n'auraient pas dans cet autre domaine la compétence voulue.

Nous croyons que les problèmes posés par le texte actuel de l'Article 36 pourraient être résolus par l'adoption du libellé suivant: "Article 36. Un employé ne pourra pas être congédié ou rétrogradé pour la seule raison qu'il ne parle que le français ou qu'il ne connaît pas suffisamment une langue autre que le français, à moins que la nature de ses fonctions n'exige une connaissance de cette autre langue. Un employé qui a été congédié ou rétrogradé en contravention avec les dispositions du paragraphe précédent pourra faire valoir ses droits en saisissant de sa cause la Cour supérieure du district dans lequel se trouve sa résidence, soit personnellement, soit par l'entremise de l'Office de la langue française si, sur demande et après enquête et audition des parties en cause, cet organisme considère qu'il y a eu contravention aux dispositions de cet article. Dans le cas où cela est justifié le tribunal aura le pouvoir d'ordonner la réintégration du demandeur dans son emploi et de fixer les dommages-intérêts.

Les recours prévus à cet article ne peuvent être portés qu'après l'autorisation préalable d'un juge de la Cour supérieure conformément aux Articles 834 à 837 du Code de procédure civile."

Article 37. Nous n'acceptons pas que l'Office de la langue française soit investi, par son pouvoir de réglementation, du droit de déterminer la nécessité de la connaissance d'une langue autre que le français pour l'exécution d'une tâche donnée. D'abord pour une question de principe: la loi devrait être contenue dans le texte principal et non, comme c'était le cas dans la "loi 22", dans les règlements d'application. Deuxièmement pour une raison pratique: il est impossible à toutes fins utiles d'incorporer dans un texte législatif toutes les nuances et les subtilités qui pourraient jouer un rôle-clé dans l'évaluation, par exemple, du degré et de l'étendue de la connaissance d'une langue autre que le français qui est nécessairement pour un emploi donné. Cette question est une question de fait et ne peut pas être considérée autrement.

Par conséquent, l'expression "conformément aux règlements adoptés à cet effet par l'Office de la langue française" devrait être éliminée du texte de l'Article 37.

Article 38. Pour éviter toute possibilité d'effet rétroactif, nous suggérons que l'Article 38 ne s'applique expressément qu'aux actes juridiques, décisions et autres documents établis ou rendus après l'entrée en vigueur de la loi.

Article 39. Considérant que certaines associations de salariés du Québec comptent parmi leurs membres un nombre important d'anglophones nous pensons que, pour éliminer tout malentendu, cet article autorise expressément les associations à communiquer en anglais avec les employés anglophones. Par conséquent, la formule suivante devrait être ajoutée à la fin de l'Article 39: "..., mais cet article ne pourra pas être invoqué pour empêcher une association d'utiliser, outre le français, l'anglais dans les communications adressées à ses membres."

Article 40. Non seulement cet article est superflu, en plus il présente des risques à la fois pour les employeurs et pour les employés. Cet article a pour effet d'assujettir l'administration des articles précédents aux mécanismes d'arbitrage prévus par les conventions collectives. De ce fait, des médiateurs, ignorant les complexités nouvelles introduites par la législation linguistique, seront amenés à se prononcer dans le cadre d'actes sous seing privé sur des différends, qui devraient rester la prérogative du droit public et, en vertu de l'Article 81 du Code du travail, les décisions pourront avoir le même effet qu'une injonction. L'administration du droit public devrait rester l'exclusivité des tribunaux et, en tout état de cause, le mécanisme suggéré plus haut pour assurer le respect des principes énoncés à l'Article 36 diminue la nécessité d'établir une jonction précise entre les conventions collectives et la législation linguistique.

Par conséquent, cet article devrait être supprimé.

CHAPITRE VII

LA LANGUE DU COMMERCE ET DES AFFAIRES

Nous percevons dans ce chapitre une extension de l'application de la philosophie exprimée en page 34 du Livre blanc: "Le Québec que nous voulons construire sera essentiellement français. Le fait que la majorité de sa population est française y sera enfin nettement visible: dans le travail, dans les communications, dans le paysage".

Cependant, la poursuite de cet objectif, que nous partageons, ne doit pas employer une méthode qui ne tiendrait pas compte de l'existence au Québec d'une importante minorité non francophone ou de la nécessité pour les entreprises du Québec de traiter avec cette minorité et de mener leurs activités dans le contexte plus large de l'Amérique du Nord.

Article 41. Cet article illustre bien nos préoccupations.

Dans ses deux premiers paragraphes, il exprime un principe général à la fois louable et équitable.

Mais le troisième paragraphe soulève la question de savoir si l'usage d'autres langues ne sera autorisé que par voie d'exception à l'usage obligatoire du français. Nous espérons que ce n'est pas le cas.

Par exemple, bien que l'obligation de bilinguisme dans l'étiquetage et pour les modes d'emploi soit onéreuse, c'est un facteur de commercialisation largement accepté. L'obligation de fournir séparément un étiquetage et un libellé des modes d'emploi en français exclusivement de façon à pouvoir commercialiser au Québec des produits vendus dans tous les pays éliminerait les économies d'échelle permises par le bilinguisme. On peut s'attendre comme résultat à une disparition de ces produits sur le marché québécois ou à une augmentation de leur prix.

La sélection des biens et services qui peuvent être offerts dans les deux langues sera un processus extrêmement difficile à mettre en place et ses résultats ne seront jamais définitifs. C'est donc un des domaines dans lesquels, comme nous l'avons recommandé dans notre mémoire sur le Livre blanc, le bilinguisme devrait être conservé. Par conséquent, le dernier paragraphe de l'Article 41 devrait être remplacé par la formule suivante: "L'utilisation de l'anglais ou d'autres langues est permise à condition que le français domine ou à tout le moins figure de façon aussi évidente que toute autre langue".

Article 42. Voilà un autre article pour lequel le pouvoir de réglementation de l'Office n'est pas nécessaire. Les règlements d'application de la "loi 22" et les précédents qu'ils ont créés devraient permettre de spécifier les exceptions dans le texte de la loi en particulier en ce qui a trait à l'Article 4 du règlement relatif à l'affichage public et aux annonces publicitaires écrites (A.C. 278-76, 28 janvier 1976).

Article 43. Nous pensons que cet article a été suffisamment critiqué dans la presse comme un exemple d'excès législatif pour que nous n'ayons rien à ajouter de nouveau. Nous recommandons que cet article soit supprimé.

Article 46. Nous percevons le but recherché par cet article mais nous pensons qu'il est contraire à l'intérêt du public de restreindre en Amérique du Nord l'affichage à un contenu exclusivement français. Pourquoi empêcher l'homme d'affaires du Québec d'utiliser l'anglais dans l'affichage (même si par ailleurs il utilise le français) et le couper ainsi de sa clientèle anglophone du Québec, du reste du Canada et des Etats-Unis? Montréal, en particulier, se trouve à un carrefour d'échanges en Amérique du Nord et constitue un "centre d'achat" pour la population mobile et avide de biens de consommation des régions avoisinantes de l'Ontario et des Etats de New-York, du New-Hampshire, du Vermont et du Maine. L'emploi de nombreux Québécois dépend en grande partie de ce commerce et rien ne devrait être fait pour le gêner. L'exception prévue dans le texte actuel de l'Article 46 et portant sur les messages destinés aux étrangers ne résoud pas le problème étant donné que l'affichage n'est pas destiné spécifiquement aux étrangers et ne peut pas l'être.

L'Article 46 devrait être remplacé par le texte suivant: "Article 46. Sous réserve des exceptions prévues dans cet article les textes utilisés dans l'affichage ou exposés à la vue du public doivent, au Québec être rédigés en français ou à la fois en français et dans une autre langue. Cet article ne s'applique pas:

(a)aux messages de caractère international;

(b)aux messages destinés à des personnes ne parlant pas le français, à des particuliers en tant que tels ou à des groupes restreints;

(c)aux messages destinés à des organes d'information diffusant dans une langue autre que le français;

(d) aux marques de commerce et appellations commerciales correspondant à la définition donnée dans la loi sur les marques de commerce (SRC 1970 Ch. T-10);

(e)aux patronymes, toponymes, expressions formées par la combinaison artificielle de lettres, de syllabes ou de chiffres et expressions tirées d'autres langues, ni

(f) à l'affichage exempté de l'effet de cet article par règlement du gouvernement.

Toutes les fois qu'une langue autre que le français est utilisée dans l'affichage visé par cet article, le texte français doit dominer ou à tout le moins figurer d'une façon aussi évidente que cette autre langue".

Article 49. Cet article contredit l'Article 50. L'Article 50 indique quels mots peuvent être utilisés mais n'assortit pas cette permission d'une dérogation à l'Article 49. De plus, nous ne pouvons trouver aucune justification à empêcher une entreprise d'avoir une version officielle de sa raison sociale en anglais ou dans toute autre langue. L'Article 49 devrait être remplacé par le libellé suivant: "Article 49. Sous réserve des dispositions de l'Article 50, la personnalité juridique ne peut être conférée à moins que la raison sociale soit en langue française; la raison sociale pourra, néanmoins, être accompagnée d'une version anglaise."

Article 50. Les exceptions prévues par l'Article 50 devraient toutes figurer dans le texte et aucune ne devrait être laissée à l'appréciation de l'Office de la langue française. Ainsi, les dispositions du premier paragraphe de l'Article 50 devraient être élargies pour comprendre, par exemple, les marques de commerce et les appellations commerciales et l'expression "ou aux règlements de l'Office de la langue française" devrait être supprimée.

Le deuxième paragraphe de l'Article 50, s'il est conservé sous sa forme actuelle, créera une situation impossible. Une entreprise ne pourrait pas utiliser la version anglaise de sa raison sociale dans l'affichage même si par ailleurs, l'utilisation de l'anglais y est autorisée, ni même par exemple dans une lettre postée à Montréal et destinée à New-York étant donné que la simple rédaction de la lettre implique l'utilisation de la raison sociale dans une autre langue.

Exiger des entreprises qu'elles possèdent un stock distinct de papeterie et de formules bilingues ou anglaises pour l'extérieur du Québec et n'utilisent au Québec que leur raison sociale française et un autre exemple d'excès législatif qui ne manquera pas d'entraîner du gaspillage, des tracas administratifs et une foule de contraventions accidentelles à la loi. Le deuxième paragraphe de l'Article 50 devrait être remplacé par le texte suivant: "La raison sociale française d'une entreprise doit être utilisée au Québec; elle peut être accompagnée d'une version dans une autre langue sous réserve que le français domine ou à tout le moins figure d'une façon aussi évidente que toute autre langue."

CHAPITRE VIII

LA LANGUE D'ENSEIGNEMENT

La langue d'enseignement est intimement liée au sujet de ce mémoire. Les caractéristiques de l'enseignement constituent un élément fondamental de la structure sociale au sein de laquelle les entreprises du Québec évoluent, qu'on le considère sous l'angle de la formation des jeunes qui, à la fin de leurs études, deviendront des participants à part entière de la vie économique du Québec ou qu'on le considère dans l'optique plus étroite de l'influence que le système d'enseignement du Québec aura sur l'immigration et sur la mobilité du personnel des entreprises à tous les échelons et par là même sur la viabilité des entreprises du Québec.

Toute position prise quant à la langue d'enseignement ne peut ignorer ni la situation du Québec dans le contexte canadien et nord-américain, ni le rôle de langue commerciale essentielle que l'anglais joue dans ce contexte, ni encore la réalité fondamentale du contexte économique mondial qui impose dans une certaine mesure (et non pas de façon absolue ou universelle) l'utilisation et la connaissance de l'anglais qui est pour certains Québécois, sinon tous, une nécessité économique, suivant leur lieu de résidence et la nature de leur travail.

Plus fondamentalement, tout en reconnaissant la nécessité de protéger et de promouvoir la langue française, quelle que puisse être la décision collective de la majorité francophone au Québec quant à l'exercice de ses propres droits linguistiques, cette décision ne devrait pas gêner la liberté essentielle des parents de décider dans quelle langue l'enseignement sera donné à leurs enfants.

Le principe est consacré au paragraphe 3 de l'Article 26 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme qui stipule que: "3. Les parents ont un droit antérieur de choisir le genre d'enseignement qui sera donné à leurs enfants."

On peut déplorer le fait que ce droit n'ait pas été reconnu ailleurs au Canada. C'est un droit qui devrait être respecté universellement dans ce pays et comme il a été reconnu au Québec ainsi qu'en font foi les antécédents historiques, du moins jusqu'à la promulgation de la "loi 22", il devrait être rétabli et le caractère universel de la langue de la majorité du Québec devrait provenir d'un phénomène d'attraction plutôt que d'une imposition.

Ainsi, la liberté de choix que recommendait le rapport de la Commission Gendron devrait être la règle adoptée dans cette loi.

Si cela ne peut être accompli, à tout le moins les portes de l'enseignement en langue anglaise devraient être ouvertes à tous les enfants qui reçoivent déjà l'enseignement en anglais lors de la promulgation de la loi, à tous les enfants installés au Québec avant la promulgation de la loi, et à tous les

enfants qui arriveront par la suite en provenance du reste du Canada ou d'un pays étranger de langue anglaise. En fait, il faut reconnaître que la plupart des immigrants sont venus au Québec sans connaître l'existence ou la nature de la législation en matière de langue. Les immigrants futurs venant de pays non anglophones devront par conséquent en être informés au moment où ils demanderont leur visa d'entrée canadien.

Le milieu de l'enseignement et l'accès à l'école anglaise sont des éléments clés de la capacité des entreprises, des universités et des centres de recherche du Québec à recruter dans le reste du Canada et aux Etats-Unis le personnel qualifié dont ils ont besoin.

Ceci prend une importance particulière dans le cas des sièges sociaux des entreprises nationales ou multinationales établis au Québec, mais c'est également important en ce qui concerne le développement local des entreprises et des installations de recherche technologique. En Amérique du Nord, leur croissance et leur développement ne peut se poursuivre que s'il n'existe aucune entrave à la mobilisation des compétences et des qualifications quelle que soit leur origine.

Si l'on veut atteindre l'objectif de francisation auquel la loi vise, l'enseignement du français dans les écoles anglaises doit être encouragé au maximum et si les Québécois de langue française veulent bénéficier comme leurs collègues anglophones de la même mobilité et avoir accès à la même formation et à la même expérience dans d'autres centres commerciaux de l'Amérique du Nord et du reste du monde, l'enseignement de la langue anglaise doit être généralisé dans le système scolaire francophone. En tant que Québécois, nous croyons que les enfants de parents francophones devraient même si on leur refuse le libre choix de l'enseignement (ce que nous ne pouvons que regretter) avoir un accès au moins partiel à l'enseignement anglais étant donné que les deux groupes linguistiques en retireraient des avantages importants.

La loi devrait ainsi sur la justification de principe fondamental demander d'une manière constructive que l'enseignement de la langue française soit universalisé dans le système d'enseignement anglophone au lieu de le faire d'une façon négative par l'article 57, et la loi devrait faire état du droit fondamental, de ceux qui reçoivent l'enseignement dans le système francophone, à l'enseignement de l'anglais et à un accès limité aux écoles anglaises.

Enfin, les dispositions relatives à l'enseignement privé devraient être rationalisées. Article 51. Le premier paragraphe de l'article 51 devrait être complété par une confirmation du droit à l'enseignement de l'anglais par l'adjonction de la phrase suivante: "Tous les enfants qui, conformément à cet article reçoivent l'enseignement en français, ont le droit fondamental sur demande de leur père et de leur mère de recevoir un enseignement de l'anglais suffisant pour leur permettre d'obtenir une connaissance fonctionnelle de cette langue; lorsqu'un enfant est à la garde d'un seul de ses parents ou d'une autre personne, la demande susmentionnée au présent article doit être faite par ce parent ou par cette personne, selon le cas".

Le texte actuel des articles 51 et 52 pourrait constituer un vice de forme étant donné qu'il ne précise pas dans quels établissements sera donné l'enseignement dans les situations permises par l'article 52. De plus, le texte actuel n'offre aucune protection à l'enseignement en anglais donné par les écoles privées. De façon à contourner cette difficulté sans avoir à demander aux contribuables du Québec de subventionner l'enseignement privé en langue anglaise pour ceux qui devraient normalement recevoir l'enseignement en français, nous suggérons l'inclusion d'un nouvel article 51A dans les termes suivants: "Article 51A. Nonobstant les dispositions de l'article 51, l'enseignement pourra être donné en anglais dans les écoles maternelles, primaires et secondaires:

(i) qui donnent un enseignement général en anglais à des enfants pour qui il est permis en raison de l'article 52;

(ii) qui sont régis par la loi de l'enseignement privé et qui donnent un enseignement général en anglais, mais, dans le cas de ces établissements on ne devra pas dans le calcul des subventions envisagées aux articles 14 et 17 de la loi de l'enseignement privé et affectées également par les dispositions de l'article 21 de la même loi, tenir compte des élèves qui les fréquentent si ceux-ci ne sont pas, par ailleurs, admis à recevoir l'enseignement en anglais aux termes de l'article 52". Article 52. Pour les raisons que nous avons avancées plus haut dans nos commentaires préliminaires sur ce chapitre, nous croyons que le texte de l'article 52 devrait être remplacé par celui qui suit: "Article 52. Par dérogation à l'article 51, les enfants suivants peuvent recevoir l'enseignement en anglais, à la demande de leur père et de leur mère". a) tous les enfants qui, à la date d'entrée en vigueur de la présente loi sont domiciliés au Qué-

bec et dont le père ou la mère a reçu en majeure partie l'enseignement élémentaire en anglais, au Québec ou ailleurs; b)tous les enfants arrivant au Québec après l'entrée en vigueur de la présente loi et provenant d'un autre province ou d'un autre territoire du Canada ou de leur pays d'origine où l'anglais est la langue de la majorité des nationaux; c)tous les enfants qui, à la date d'entrée en vigueur de la loi, reçoivent l'enseignement en anglais, au Québec; d)tous les enfants qui sont eux-mêmes, ou dont les parents sont venus au Québec en provenance d'une autre province ou territoire du Canada ou d'un autre pays, avant l'entrée en vigueur de cette loi.

Le droit d'un enfant à l'enseignement anglais en raison de cet article s'étendra à ses frères et soeurs, y compris ceux à naître, qu'ils soient ou non domiciliés au Québec à l'entrée en vigueur de la présente loi.

Les enfants qui ne sont pas visés aux alinéas (a), (b), (c) ou (d) de cet article, pourront à la demande de leur père et de leur mère recevoir une partie de leur enseignement en anglais dans un établissement mentionné à l'article 51A aux époques, pour les périodes et aux conditions établies par règlement du gouvernement.

Lorsqu'un enfant est confié à la garde d'un seul de ses parents ou d'une autre personne, les demandes prévues au présent article doivent être faites par ce parent ou cette personne, selon le cas.

Article 54. Considérant les dispositions de l'article 55, il se pourrait que l'article 54 soit redondant et, en tout état de cause, aucune limite temporelle ne devrait être imposée pour vérifier l'admissibilité accordée par l'article 52.

Article 55. La décision de la commission d'appel dont il est question dans cet article devrait ouvrir droit à un appel en Cour d'appel étant donné qu'il peut s'agir d'interprétation juridique de points complexes et que les droits des enfants et leur avenir sont en jeu.

Article 57. Pour les raisons énoncées dans les remarques préliminaires de ce chapitre, le texte de l'article 57 devrait commencer par la phrase suivante: "Chaque enfant recevant au Québec l'enseignement en anglais a le droit fondamental de recevoir un enseignement en français de qualité, complet et suffisant pour lui permettre de participer à part entière à la vie culturelle et linguistique du Québec; et le gouvernement devra, par voie de règlement, faire en sorte que les programmes d'enseignement du ministère de l'Education et le personnel et les installations des organismes scolaires donnant un enseignement général en anglais soient adéquats pour atteindre cet objectif."

Article 58. Si les dispositions de la loi sont modifiées dans la ligne suggérée ci-dessus, cet article est inutile. S'il est conservé, son texte devra être modifié sinon l'article 52 ne pourra pas s'appliquer aux personnes auxquelles il est destiné.

Dans ce cas, les dispositions de l'article 58 devraient prendre la forme suivante: "Article 58. Aux conditions fixées par règlement du gouvernement le ministre de l'Education pourra, sur demande, faire que les dispositions de l'article 52 s'appliquent à tout enfant séjournant au Québec pour un temps limité ne dépassant pas cinq (5) ans à partir de la fin de l'année de son entrée au Québec."

CHAPITRE IX

DISPOSITIONS DIVERSES

Article 61. Cet article est en conflit avec l'intention implicite des dispositions du chapitre IV et en tout état de cause si elle est mise en pratique, la publication unilingue des avis de l'administration créera une privation de fait à l'égard de ceux qui n'auront pas encore acquis une connaissance suffisante du français pour leur permettre de comprendre ces avis.

Le but des avis publics est d'informer le public qui, au Québec comprend une importante minorité anglophone ainsi qu'une population anglophone de passage. Aucune dérogation ne devrait être permise aux dispositions qui cherchent à protéger les droits des administrés. Si un préjudice quelconque était porté par cet article à la vie, à la sécurité ou à la propriété de quiconque, ce serait là un résultat malheureux et beaucoup trop onéreux.

Cet article devrait être éliminé. Article 65. Nous croyons que les dispositions de la "loi 22" prévoyant un préavis de publication des

projets de règlement de quatre-vingt dix (90) jours devrait être conservé de façon à laisser du temps pour les discussions publiques et les débats de l'Assemblée nationale.

TITRE II

L'OFFICE DE LA LANGUE FRANÇAISE ET LA FRANCISATION

Nous sommes considérablement alarmés par la création, avec des pouvoirs et une autorité très élargis, de l'Office de la langue française successeur de l'émanation de la "loi 22", la Régie de la langue française.

Jamais auparavant dans l'histoire du Québec a-t-on vu pareil pouvoir immense et débridé confié à la fonction publique avec une absence presque totale de la possibilité d'interjeter appel.

Outre les pouvoirs précis accordés à l'Office en raison de l'article 75 du projet de loi, l'Office a été investi, entre autres, des pouvoirs suivants: a) Pouvoir en raison des articles 23 et 99 d'intervenir en matière de langue dans l'administration interne des organismes scolaires et municipaux sans avoir à s'en référer aux ministères directement responsables de l'administration de ces organismes. En fait, l'autorité statutaire des ministres de la Couronne responsables devant l'Assemblée nationale est, en matière de langue (avec toutes les répercussions directes ou indirectes que cela pourrait avoir sur la nature et la qualité des services offerts par ces organismes scolaires et municipaux et sur le recrutement et la gestion de leur personnel), subordonnée à une entité administrative qui n'a à répondre à personne. b)Pouvoir de réglementation en raison de l'article 37, confiant ainsi à une administration plutôt qu'à l'Assemblée nationale la tâche d'établir une norme dont la violation entraîne une sanction pénale (sur ce dernier point voir plus loin nos commentaires sur les articles 163 et 164). c)Le pouvoir, en raison des articles 41 à 43, 46 et 50, de réglementer l'utilisation d'autres langues sans référence, là non plus, à l'Assemblée nationale. d) Le pouvoir en raison de l'article 76 (b) d'établir des services et comités sans contrôle ni limite. e) Le pouvoir en raison des articles 81 à 86 de déterminer, sans responsabilité devant l'Assemblée nationale, la forme et la structure de la langue française qui donne ainsi à une unité administrative l'autorité de déterminer le mode d'expression culturelle de la population francophone du Québec. f) Pouvoir, par l'entremise de la Commission de toponymie de transformer la nomenclature géographique du Québec sans avoir, ici non plus, à en référer à l'Assemblée nationale. g) Pouvoir en raison de l'article 95 de forcer la francisation de l'administration et des entreprises. h) Pouvoir précis conféré par les articles 96 à 105 de veiller à la francisation de l'administration y compris l'autorisation de l'imposition de sanctions civiles et pénales. i) Pouvoir de contrôler par l'article 106 la délivrance des certificats de francisation et d'exercer la vaste autorité définie aux articles 108, 111 et 116 à 119. j) Pouvoir, selon l'article 132 de demander à la Commission de surveillance d'enquêter sur les entreprises.

Les divers pouvoirs énumérés à l'article 75 sont déjà plus que substantiels. Quand on y ajoute ceux dont la liste figure ci-dessus et qui sont assortis du mécanisme de discipline de la Commission de surveillance on assiste à la création d'un dangereux précédent.

Une machine de ce genre aussi louable que soit sa mission de protéger et de promouvoir la langue française au Québec s'accompagne du danger réel que les pouvoirs dont elle est investie puissent être utilisés à des fins moins louables ou que sur la base de ce précédent des structures parallèles soient mises en place dans d'autres domaines au point de miner dangereusement les processus démocratique et parlementaire et les libertés civiles elles-mêmes.

Les pouvoirs et l'autorité de l'Office doivent également être pondérés dans le contexte de l'environnement commercial du Québec et du Canada. En vertu de la "loi 22", les entreprises devaient posséder un certificat de francisation pour "avoir le droit de recevoir de l'administration publique (...) primes, subventions, concessions ou avantages (...) ou pour conclure avec le gouvernement les contrats (...)", mais selon les dispositions du projet de loi no 1, ce certificat devient une condition préalable à leur exploitation. Dans un milieu commercial où les entreprises sont déjà en butte à une réglementation exagérée, l'adjonction d'un nouveau pouvoir de réglementation qui en refusant à l'entreprise son permis d'exploitation peut en fait l'obliger à fermer ses portes, décourage au-delà de toute justification raisonnable le développement d'initiatives commerciales.

Outre ce qui précède, l'institution de l'Office avec des pouvoirs vastes et tentaculaires nécessitant un personnel bien plus nombreux que celui qui est actuellement affecté à la Régie de la langue française soulève une question fondamentale d'ordre économique. Quels coûts supplémentaires seront entraînés par l'expansion des pouvoirs de cette administration, l'institution prévue d'une Commission de toponymie, de Commissions de terminologie, de la Commission de surveillance et du Conseil consultatif de la langue française? A une époque où le gouvernement reconnaît expressément le besoin de restreindre les dépenses publiques, nous sommes confrontés à un programme visant à établir une entité bureaucratique de plus, vaste et peut-être "surpeuplée", capable et même destinée à dépenser des

millions de dollars, prélevés sur les contribuables qui pourraient être utilisés à meilleur escient pour le progrès économique de la province et pour favoriser l'emploi de sa population.

Enfin, quels que soient les pouvoirs et l'autorité qui seront en fin de compte, conférés à l'Office de la langue française et aux autres commissions, conseils et comités mentionnés plus haut, nous considérons qu'il est essentiel que ces pouvoirs soient délimités de façon stricte et rigide et que les décisions de l'un ou l'autre de ces organismes ouvrent droit, dans la mesure où elles affectent les droits des particuliers, des collectivités et des entreprises, à un recours en appel net et précis devant les tribunaux.

Article 80. Cet article devrait décourager dans la rédaction de rapports toute faiblesse propre à porter préjudice aux particuliers et aux entreprises, la vérité et la bonne foi devant être les pierres de touche de toute évaluation. Cet article devrait être rédigé de la façon suivante: "Article 80. Aucune action civile ne peut être intentée en raison ou en conséquence de la publication partielle ou intégrale des rapports faits par l'Office en vertu de la présente loi ou la publication de résumés de ces rapports mais rien dans le présent article ne pourra servir à limiter le recours en droit de toute personne ayant subi un préjudice du fait que le rapport ou résumé en cause contient une déclaration touchant un fait important qui, au moment et dans les circonstances où elle est faite, est fausse ou trompeuse, ou qui omet d'indiquer tout fait important dont l'omission rend la déclaration fausse ou trompeuse."

SECTION III

LA RECHERCHE LINGUISTIQUE LES COMMISSIONS DE TERMINOLOGIE

Article 82. L'approbation du gouvernement devrait être une condition préalable à l'institution de commissions de terminologie étant donné que non seulement leur composition mais aussi la rémunération de leurs membres, leur nombre et en général leurs dépenses de fonctionnement devrait être soumise à des contrôles précis.

Article 86, L'évolution de la langue ne devrait pas être laissée à la seule discrétion de la fonction publique quelle que soit sa compétence. Si le développement naturel de la langue de la majorité francophone de la population du Québec doit être dirigé, cela ne peut se faire qu'avec l'assentiment des représentants élus du peuple. Par conséquent, la liste visée à l'article 85 ne devra avoir un caractère officiel qu'après son approbation par l'Assemblée nationale.

SECTION IV

LA COMMISSION DE TOPONYMIE Article 91. Voir le commentaire relatif à l'article 86.

Article 93. Les noms approuvés par la Commission ne devraient prendre un caractère officiel qu'après leur approbation par l'Assemblée nationale.

CHAPITRE III

FRANCISATION DES SERVICES ET ENTREPRISES SECTION PREMIERE OBJECTIF GÉNÉRAL

Article 95. Le texte de cet article est rédigé de façon si générale qu'il peut être interprété en contradiction avec la permission d'utiliser d'autres langues, qui est accordée ailleurs dans le projet de loi et qui est recommandée par ce mémoire. Par conséquent, le premier paragraphe de l'article 95 devrait être remplacé par la formule suivante: "Article 95. L'Office a pour responsabilité de veiller à ce que le français devienne le plus tôt possible la langue courante des communications et du travail dans l'administration et les entreprises opérant au Québec."

SECTION II SERVICES ET ORGANISMES DE L'ADMINISTRATION

A condition que les autres recommandations contenues dans ce mémoire soient acceptées, nous n'avons aucun commentaire précis à formuler sur les articles 96 à 105.

SECTION III PROGRAMMES ET CERTIFICATS DE FRANCISATION

Article 106. Fixer à 50 employés le seuil d'application de cet article aux entreprises pourrait bien être la preuve d'un manque de réalisme. Comme nous l'avons soutenu dans notre premier mémoire sur le Livre blanc, nous croyons que pour les petites entreprises le coût de la francisation, mesuré tant en valeur absolue que sous l'angle de ses effets négatifs sur les opérations, aura des conséquences économiques préjudiciables à leur avenir. Il est ironique que l'on veuille imposer à ces entreprises un fardeau administratif et financier supplémentaire alors que le gouvernement s'est donné comme objectif d'encourager leur développement. Par conséquent, nous suggérons que ce seuil soit porté à 500 employés. Cela aurait comme effet secondaire de réduire le champ d'activité de l'Office de la langue française et de diminuer les dépenses se rapportant à ses activités. Pour les raisons avancées dans nos remarques initiales sur ce titre II, il est essentiel que le mot "permis" soit supprimé dans le paragraphe (a) de cet article.

Le paragraphe (b) de cet article évoque la possibilité que les entreprises qui ne sont pas en possession d'un certificat de francisation ne pourront acheter (et non pas seulement vendre) des biens et services aux organismes cités dans ce paragraphe. Ainsi, outre les autres sanctions prévues par la loi, auxquelles elles s'exposent, les entreprises en contravention ne pourraient pas acheter leur électricité auprès de l'Hydro-Québec. Nous pensons que ce paragraphe devrait être modifié pour éliminer cette interprétation possible.

Article 107. Nous croyons que l'échéancier implicitement établi à l'article 107 manque de réalisme et nous suggérons que la date employée soit celle qui figure à l'article 95.

Article 109. Considérant notre recommandation que soit porté à 500 employés le seuil d'exigibilité du certificat de francisation, le dernier paragraphe de cet article devrait être remplacé par le texte suivant, sous réserve des remarques qui le suivent: "Le gouvernement peut, de la même façon, adopter des critères permettant de reconnaître les entreprises comme appartenant à la catégorie des entreprises de cinq cents employés ou plus et, à cette fin, définir les expressions "entreprise" et "salarié".

En remarque générale à cet article, nous devons souligner qu'une fois de plus les règles qui dicteront la conduite des entreprises ne sont pas contenues dans la loi mais seront imposées par réglementation. Une politique aussi délicate, sensible et pénétrante que la francisation ne devrait être précisée par voie de règlement que dans la limite de la nécessité absolue et seulement s'il n'existe aucun autre moyen. Nous reconnaisons évidemment que les normes ne peuvent pas être toutes incorporées dans le texte de loi mais on devrait à tout le moins y retrouver un cadre délimitant la latitude de réglementation du gouvernement. Les définitions normalisées contenues dans le règlement concernant la francisation des entreprises, adopté en raison de la "loi 22", sont suffisamment élaborées pour être incorporées dans le texte du projet de loi no 1.

Article 111. Cet article devrait être entièrement supprimé. Soit que le seuil existe, soit qu'il n'existe pas. Le texte de cet article dans sa forme actuelle donne à l'Office le pouvoir d'imposer à discrétion la francisation universelle et obligatoire.

Article 112. Ici encore l'absence de définition du mot "Québécois" crée un problème d'importance pour l'interprétation de cet article.

Le paragraphe (b) de l'article 112 envisage d'augmenter le nombre des Québécois à tous les niveaux de l'entreprise "de manière à assurer la généralisation de l'utilisation du français". Comme nous présumons que la discrimination ethnique n'est pas dans l'intention du projet de loi et comme nous supposons que l'objectif du paragraphe en question est d'amplifier l'utilisation du français, nous devons supposer que le mot "Québécois" utilisé dans ce paragraphe veut désigner des personnes résidant au Québec dont la langue maternelle est le français et celles parmi les autres qui ont une connaissance satisfaisante de la langue française conformément au paragraphe (a) de cet article. Si cela se trouve être le cas, alors le paragraphe (c) devrait être modifié de la façon suivante pour en tenir compte:

"(c) L'augmentation à tous les niveaux de l'entreprise, y compris au sein du conseil d'administration et au niveau des cadres supérieurs, du nombre des personnes résidant au Québec qui possèdent une connaissance satisfaisante du français, de manière à amplifier l'utilisation du français."

Article 113. Nous accueillons très favorablement la reconnaissance du principe exprimé dans cet article mais il nous semble que le texte lui même est trop vague. Nous suggérons que cet article soit augmenté de dispositions similaires à celles de l'article 26 du règlement concernant la francisation des entreprises promulgué en raison de la "loi 22" et d'autres donnant priorité à cet article sur les articles contradictoires qui s'y trouvent ailleurs dans le projet de loi. Il semble essentiel par exemple que la portée des articles 4, 33, 36 et 37 soit subordonnée aux besoins reconnus de l'administration au Québec des sièges sociaux des entreprises nationales ou multinationales et aussi à ceux des divisions et autres subdivisions des entreprises dont les activités s'étendent à l'extérieur de la province.

Le statut de l'avenir du Québec, en tant que centre commercial, industriel et financier, ne doit pas être mis en péril par une interprétation étroite de l'article 113. Le caractère essentiel de l'utilisation de l'anglais à plusieurs niveaux des entreprises dont le siège social se trouve au Québec doit être reconnu. Il en va de même pour les entreprises qui, où que se trouve leur siège social, ont des activités, y compris les rapports qu'elles ont avec leur siège ou leur centre administratif à l'extérieur du Québec, qui exigent l'utilisation de l'anglais.

Ainsi, les programmes de francisation devront prendre en considération non seulement les cas mentionnés à l'article 113 mais aussi les contraintes provenant de la situation, de la structure, de la clientèle, des marchés, de la technologie, des processus de recherche et de mise au point et des impératifs financiers et concurrentiels des entreprises en question ainsi que des rapports qui existent, le cas échéant, entre les différentes unités organisationnelles y compris le siège social, les succursales, filiales et sociétés affiliées au Québec et à l'extérieur. De plus, tant dans le cas des sièges sociaux installés au Québec par des sociétés ou entreprises dont les activités s'étendent à l'extérieur de la province que dans le cas des entreprises qui ont des relations économiques techniques ou administratives particulières qui s'étendent à l'extérieur de la province, les programmes de francisation devraient tenir compte de l'effet qu'ils pourraient avoir sur le recrutement, la mobilité et l'avancement du personnel. Finalement, dans de tels cas les programmes de francisation devraient reconnaître spécifiquement le rôle et l'utilisation de l'anglais et d'autres langues à tous les niveaux de la direction ou de l'exploitation où l'utilisation de ces langues est nécessaire.

Pour des raisons historiques et des considérations d'ordre géographique, Montréal a perdu en grande partie son statut de capitale économique du Canada qui est de plus en plus acquis à Toronto. Cette tendance n'est pas irréversible. En fait, avec la richesse de son réservoir de personnel et de cadres dont le bilinguisme va s'accentuant et par l'attrait de son environnement physique, Montréal pourrait devenir un centre du commerce mondial (voir "Global Cities of Tomorrow" par David A. Heenan; Harvard Business Review numéro de mai-juin 1977 page 79, pour des exemples d'autres villes qui sont arrivées à ce stade). Mais cela ne se produira que si le milieu dans lequel les entreprises évoluent est caractérisé par une diminution, et non par une augmentation, des ingérences bureaucratiques malencontreuses, et des restrictions, demandes et tracasseries imposées par l'administration publique.

Articles 114 à 116. Les dispositions de ces trois articles sont à la fois injustifiées et exagérées du moins en ce qui concerne les comités de francisation. Le gouvernement aurait sûrement meilleur compte de s'en remettre à la bonne foi des entreprises et à la capacité de vérification de l'Office de la langue française pour s'assurer de la préparation et de la mise en oeuvre des programmes de francisation d'autant plus qu'il a à sa disposition tout un arsenal de sanctions. L'introduction dans la législation linguistique d'un autre niveau de discussion, de décision et d'administration dont la mise en place et l'efficacité semble être vouées à l'échec du simple fait du nombre des participants en particulier dans les situations rnultisyndicales, ne présente aucune utilité et pourrait au contraire avoir un effet retardateur et créer des obstacles sur la voie de la réalisation de l'objectif recherché par le projet de loi. Au Québec, les relations de travail sont suffisamment complexes et difficiles sans que l'on vienne y ajouter un autre élément de conflit potentiel. Nous suggérons que l'article 114 soit supprimé, que les références aux comités de francisation soient éliminées des autres articles où il en est question et que l'Office soit chargé de conseiller et d'aider les entreprises à définir des programmes de francisation comme le prévoit l'article 75 (e).

Articles 117 à 119. Nous sommes particulièrement alarmés par l'absence d'un mécanisme d'appel pour tempérer les décisions prises par l'Office en raison de la section III. Considérant le fait que les décisions prises par l'Office sur la base de cette section pourraient avoir aux plans social et économique des implications et répercussions profondes, non seulement pour les entreprises mais aussi pour leurs employés et l'économie du Québec en général, il est essentiel qu'un mécanisme d'appel soit instauré.

Par conséquent, nous recommandons l'insertion en section II d'un article prévoyant pour toutes les décisions de l'Office, y compris son refus de délivrer un certificat de francisation selon l'article 117, une procédure d'appel en Cour provinciale similaire au recours en appel prévu au Chapitre IX de la loi des assurances du Québec (1974 c.70).

TITRE III

La commission de surveillance et les enquêtes

Articles 120 à 144. Tout en comprenant qu'il faut accompagner certaines lois d'un mécanisme d'enquête et d'application, nous ne voyons pas pourquoi, dans le cas du projet de loi, ce mécanisme serait créé par l'institution d'une commission autonome dont la naissance et le fonctionnement entraîneront nécessairement un élargissement de l'appareil gouvernemental et des dépenses publiques additionnelles qui pourraient éventuellement devenir incontrôlables.

Le chapitre III du titre IV du projet de loi no 22 prévoyait un mécanisme d'enquête et d'application beaucoup plus simple et beaucoup plus facile à contrôler et nous recommandons fortement que le même mécanisme ou un mécanisme similaire soit prévu dans le projet de loi no 1. Cependant, nous croyons aussi que les dispositions du projet de loi no 22 et du projet de loi no 1 relatives aux requêtes présentées en vue de la tenue d'une enquête sont offensantes et déplaisantes et qu'elles peuvent servir à encourager l'espionnage et la dénonciation. Nous croyons que le premier paragraphe de l'article 132 est suffisant pour faire démarrer des enquêtes et même cette disposition devrait être plus restreinte.

Le deuxième paragraphe de l'article 132 est pour nous un anathème. Pourquoi une entreprise qui cherche à se conformer à la loi devrait-elle faire l'objet d'une enquête comme si elle contrevenait à la loi? L'Office ne va-t-il pas participer à l'évaluation de l'état de francisation de l'entreprise et à l'élaboration du programme, s'il y a lieu, conformément aux articles 115 et 116? Voilà qui est certainement suffisant, sans que l'entreprise doive subiren plus le processus d'une enquête et d'un examen essentiellement conçu pour identifier des malfaiteurs. Ce paragraphe devrait être biffé.

Encore une fois, pour les raisons avancées dans nos commentaires sur les articles 163 et 164, nous suggérons que la mention des sanctions pénales soit biffée de l'article 142.

Enfin, nous devons en toute conscience signaler que les pouvoirs conférés aux commissaires-enquêteurs dans ces sections sont énormes et à notre avis dangereux. Ce dont nous avons le moins besoin dans notre pays, c'est d'un autre appareil policier sans restriction, doté du pouvoir draconien d'émettre des subpoena, d'opérer des saisies, de procéder à des arrestations et d'emprisonner. Nous suggérons donc vivement aux membres de la commission de revoir les dispositions de la Loi des commissions d'enquête et de se demander s'il s'agit ici d'un pouvoir statutaire à invoquer dans le domaine de la francisation.

Nous croyons que les pouvoirs d'enquête prévus dans les dispositions du titre III ne devraient être exercés que dans des cas exceptionnels et qu'ils devraient être rigoureusement limités.

En conséquence, nous suggérons: a) que les commissaires-enquêteurs ne soient nommés par l'Office que pour des cas déterminés, quand une enquête doit réellement avoir lieu; b)qu'une enquête ne soit entreprise que si l'Office est convaincu, sur la foi de motifs raisonnables et probables, qu'une infraction grave a été commise et que le projet de loi définisse exactement ce qui constitue une infraction grave; c)que les requérants d'un certificat de francisation ne fassent pas l'objet d'une enquête; d)que les articles 134 et 135 s'appliquent à la mise en marche de toute enquête; e) qu'une partie susceptible de faire l'objet d'une enquête soit informée d'avance, privément, des accusations portées contre elle et qu'elle ait la possibilité de comparaître et de présenter des instances à l'Office; f)que si, par la suite, l'enquête doit quand même avoir lieu, elle ne commence pas sans qu'un apport ait été présenté au ministre ni sans son autorisation et sans l'autorisation d'un juge de la Cour supérieure, obtenue après demande appuyée sur preuve suffisante d'une justification prima facie; g)que seuls les pouvoirs de la loi des commissions d'enquête qui sont strictement nécessaires à la conduite de l'enquête soient conférés aux commissaires-enquêteurs; h) que seules les entreprises dont le certificat de francisation aura effectivement été révoqué soient citées dans le rapport présenté au ministre en vertu de l'article 143.

TITRE IV

Le conseil consultatif de la langue française

Articles 145 à 162. Là encore, nous ne voyons pas de raison d'instituer un organe administratif encombrant, complexe et coûteux qui ferait ce que le personnel de l'Office de la langue française serait en mesure de faire lui-même suivant les fonctions et les pouvoirs qui lui sont conférés par l'article 75 a), b), c) et f) du projet de loi. Nous admettons qu'aux termes de l'article 156, les membres du conseil autres que le président ne sont pas rémunérés, mais il apparaît nettement inévitable que le personnel et le fonctionnement du Conseil entraîneront de fortes dépenses et, comme il constituera un organisme semi-autonome, nous craignons qu'il ait inévitablement tendance à accroître et à élargir ses activités.

En conséquence, les fonctions du Conseil consultatif devraient être confiées à l'Office de la langue française et aux comités de terminologie. Il suffirait, pour ce faire, de modifier les dispositions du titre II, chapitre II, division I du projet de loi pour ajouter des membres à l'Office, compte tenu des critères énoncés à l'article 151 en ce qui concerne la composition du conseil. Nous suggérons, toutefois, que la représentation des entreprises au sein de l'Office soit élargie pour aider à l'élaboration des programmes de francisation.

TITRE V

Infractions et peines

Articles 163 et 164. Nous croyons extrêmement déplorable que le gouvernement ait jugé nécessaire d'inclure des sanctions pénales générales dans le projet de loi.

Nous reconnaissons que la loi doit comporter des mesures de mise en vigueur suffisantes pour que ses objectifs soient atteints, mais le projet de loi, s'il est modifié suivant les suggestions du présent mémoire, comporterait les dispositions nécessaires à cette fin, sans qu'il y ait lieu d'ajouter à la loi des sanctions pénales dans un domaine culturel sensible où il conviendrait davantage de compter sur la persuasion morale assortie du pouvoir conféré aux tribunaux de faire droit aux plaintes des particuliers. Le gouvernement devrait présumer que les personnes visées par la loi en observeront les dispositions en tant que citoyens respectueux de la loi.

Nous suggérons que les sanctions pénales ne s'appliquent que si l'on tente d'entraver illégalement le cours d'une enquête.

TITRE VI

Dispositions transitoires et finales Nous croyons qu'il y a lieu d'ajouter sous ce titre un article stipulant: a)que nul n'est tenu de produire ou de transmettre, aux termes des dispositions du projet de loi no 1, un document ou un renseignement qui fait l'objet du privilège professionnel ou auquel est conférée la qualité de la confidentialité en vertu d'une loi en vigueur; b) que les dispositions de la loi sur la preuve au Canada qui protègent le citoyen contre l'autoincrimination sont applicables à toute personne tenue de témoigner, de produire des documents ou de fournir des renseignements en vertu d'une disposition du projet de loi no 1 ; c)que, sous peine de sanction civile et pénale et sous réserve du paragraphe a), aucun renseignement ni document privé obtenu ou reçus par une personne applicant une disposition de la loi, y compris les membres et le personnel de l'Office et du ministère chargés de l'application de la loi, ne puissent être rendus publics de quelque manière que ce soit, sauf au cours d'une poursuite intentée en vertu de la loi devant un tribunal compétent.

Articles 167 et 168, Pour éviter de semer la confusion et de perturber les affaires, vu que certaines règles sont déjà énoncées dans le projet de loi no 22, et pour tenir compte de nos recommandations relatives à l'article 46, nous suggérons que les articles 167 et 168 soient modifiés de manière à ce que toute personne ait jusqu'à la fin de 1983 pour se conformer à l'article 46. L'article 171 devrait être ensuite modifié pour être conforme à cette disposition.

Article 170. Nous suggérons que l'article 4 de la loi de la protection du consommateur accorde une protection aux consommateurs anglophones aussi bien qu'aux francophones. Nous ne voyons pas pourquoi il devrait être abrogé.

Article 172. Cet article qui, d'un seul trait de plume, abrogerait éventuellement toutes les mesures de protection contenues dans la charte des droits et des libertés de la personne dans le domaine délicat et sensible des droits linguistiques, est indigne du gouvernement, de l'Assemblée nationale et de la population du Québec dont les représentants élus ont adopté la charte. Il devrait être biffé sans discussion ni commentaires.

L'article 4 de la Convention internationale sur les droits civils et politiques (1966) affirme le principe qui doit régler la conduite de tous les Etats, à savoir que c'est seulement s'il y a une situation d'urgence publique menaçant la vie de la nation et dont l'existence est officiellement proclamée que les Etats pourront prendre des mesures dérogeant aux droits civils et politiques et même alors, seulement dans la stricte mesure où l'exige la situation.

Aucune situation d'urgence n'existe en l'occurrence pour justifier un précédent aussi dangereux.

CONCLUSION

Nous avons cherché, dans le présent mémoire, à affirmer notre approbation de l'objectif du projet de loi no 1, à faire ressortir nos réserves sur certains de ses articles et dispositions et à présenter nos suggestions sur la façon de répondre à ces objections par des modifications appropriées à apporter à ces articles et à ces dispositions. Nous avons aussi tenté de définir les fondements de nos réserves et de poser les principes d'équité, de justice et de bon sens, qui, nous l'espérons, apparaîtront comme la raison d'être de nos commentaires.

Nous avons essayé de montrer notre respect pour le désir sincère du gouvernement de protéger et de promouvoir la langue de la majorité francophone du Québec.

Nous avons ainsi cherché à maintenir un juste équilibre entre les droits de la majorité et les droits de la personne et de la minorité tout en cherchant, bien sûr, à faire pencher les cas douteux du côté des libertés individuelles conformément aux traditions démocratiques dont nous, Canadiens, avons hérité des régimes politiques et des cultures de nos deux peuples fondateurs. Nous l'avons fait en croyant que ce n'est que par le respect des principes de la liberté des personnes et des minorités que les libertés essentielles de toute la population peuvent être garanties. L'histoire et l'expérience nous enseignent que l'affirmation et la survie de la liberté sont moins assurés si les droits et les libertés des personnes et des minorités sont assujettis aux intérêts collectifs.

Enfin, reconnaissant la situation délicate de l'économie du Québec signalée tout récemment encore dans le rapport de l'Office de planification et de développement du Québec, nous avons cherché à montrer combien il importe que le gouvernement s'abstienne de toute mesure qui gênerait l'expansion économique en restreignant, compliquant ou décourageant l'activité commerciale, les entreprises ou l'initiative au Québec, particulièrement dans le secteur délicat des activités des sièges sociaux.

Ainsi que nous l'avons déclaré dans notre mémoire initial sur le livre blanc, nous croyons que les Québécois sont à un tournant. Nous espérons que les suggestions présentées dans le présent mémoire contribueront à la réalisation de l'objectif essentiel de la loi tout en protégeant et en favorisant dans la province une société et une économie dynamiques et tournées vers l'avenir.

Nous soumettons donc respectueusement le présent mémoire à votre considération.

LE COMITÉ D'ÉTUDE SUR LA

LANGUE DU TRAVAIL DU COMITÉ

D'ACTION POSITIVE

ANNEXE 3

Mémoire du Mouvement Québec Français

à la commission parlementaire

sur la Charte de la langue française

projet de loi no 1

Assemblée nationale du Québec

session 1977

Le Mouvement Québec Français réunit

L'Alliance des Professeurs de Montréal (APM)

L'Association Québécoise des Professeurs de Français (AQPF)

La Centrale de l'enseignement du Québec (CEQ)

La Confédération des Syndicats Nationaux (CSN)

La Fédération des Travailleurs du Québec (FTQ)

Le Mouvement National des Québécois (MNQ)

(Fédération des Sociétés Nationales et des Sociétés

Saint-Jean-Baptiste du Québec) La Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal (SSJB-M) L'Union des Producteurs Agricoles (UPA) dûment représentés en un Conseil par leur président ou directeur général respectif et par un autre membre désigné par le Bureau de chaque association

Le Mouvement Québec Français s'est formé, en 1970, en succession du FQF (Front du Québec Français), qui avait mené la lutte contre le "bill 63", en vue d'obtenir la révision de cette loi et la proclamation du français seule langue officielle au Québec.

La lutte s'est continuée après le vote du "bill 22", qui, pour toutes fins pratiques, a établi au Québec un régime de bilinguisme officiel, avec priorité du français seulement.

LE MÉMOIRE

CHAPITRE I - L'ENJEU D'UNE LÉGISLATION LINGUISTIQUE AU QUÉBEC CHAPrTRE II - LA VALEUR CONCRÈTE DU PROJET DE LOI NO 1

CHAPITRE III - LES FAIBLESSES DE LA LOI Section 1 - La question de l'article 133 Section 2 - La question des droits scolaires des anglophones

CHAPITRE IV - L'OFFICE DE LA LANGUE FRANÇAISE CONCLUSIONS

CHAPITRE I L'ENJEU D'UNE LÉGISLATION LINGUISTIQUE AU QUÉBEC

Le Mouvement Québec Français se sent heureux, aujourd'hui, de pouvoir exprimer à un gouvernement du Québec sa fierté et sa satisfaction de se sentir enfin, en matière linguistique, gouverné selon les droits et les véritables intérêts du peuple québécois. La loi que le gouvernement a déposée, en première lecture, comme projet de loi no 1, sous le titre de "Charte de la langue française au Québec",

se fait attendre depuis plus de 200 ans. Cette loi, au surplus, revêt un caractère d'urgence nationale, vu la nécessité de corriger sans délai les effets néfastes des véritables lois de trahison nationale qu'ont été les lois dites "63" et "22".

Il faut bien voir, en effet, l'enjeu de toute législation sur la langue au Québec. Dès 1773-1774, alors que se négociait et se votait à Londres la révocation de la Proclamation royale de 1763, Chartier de Lotbinière réclamait qu'on précise dans la nouvelle loi en gestation, le caractère officiel de la langue française au Québec. La situation était devenue confuse entre 1763 et 1774 du fait de l'établissement d'une sorte de bilinguisme à la suite du refus du gouverneur d'appliquer la Proclamation dans son intégralité; il avait obtenu de Londres le pouvoir de rendre justice en français aux nouveaux sujets français de Sa Majesté. Autant rendre les choses claires tout de suite, disait Chartier de Lotbinière sans scandaliser personne à Londres, puisqu'il sera dorénavant entendu, après l'Acte de Québec, que toute personne étrangère venant au Québec devra apprendre à y vivre en français.

Ce serait raisonner très faussement, selon une logique française mal appliquée à une situation de droit britannique, que de tirer argument en faveur du bilinguisme officiel au Québec, de ce que le Parlement de Londres ne crut pas utile de se rendre à l'argumentation de Chartier de Lotbinière. Il demandait à des Britanniques de réagir à la française; ceux-ci lui accordèrent ce qu'il voulait à la façon britannique de l'esprit de la Common Law. L'Acte de Québec déclara la Proclamation royale nulle et de nul effet— parce que d'abord considérée comme non existante du fait qu'elle émanait du Roi et non du Parlement. Et il rétablit les sujets français dans tous leurs droits, us et coutumes traditionnels, sauf en matière de droit criminel, sans plus de clarification, ne limitant ainsi en rien la portée du geste. Dès lors le Québec est redevenu constitutionnellement pays français. Rien dans les Constitutions successives de 1791, 1840 et 1867 n'est venu altérer ce fait, au contraire le confirmer; y compris les motifs et intentions, comme la formulation, mêmes, qui constituèrent l'article 133 dans l'AANB. Nous n'affirmons pas seulement ces choses: elles ont été démontrées dans des documents antérieurs soumis à la Commission Gendron et aux Commissions parlementaires relatives aux lois linguistiques précédentes.

Les intentions de Londres en 1774 de faire du Québec un pays-colonie français ne peuvent d'ailleurs pas être contestées à partir de la non spécification de la langue dans l'Acte de Québec, car elles sont clairement consignées ailleurs dans un document formel. On les trouve dans une lettre de Lord Darthmouth, pilote du projet de loi à la Chambre des Lords, à Lord Hillsborough, qui faisait des réserves sur l'extension des droits français et catholiques à tout le territoire prévu, comprenant l'Ontario et la vallée de Mississipi. Lord Darthmouth lui répondait qu'ayant soumis ses objections au Cabinet, celui-ci s'était proclamé unanime à maintenir la loi telle que prévue, parce que telle était bien la volonté du gouvernement "d'établir un gouvernement civil pour des établissements de nombreux sujets français" dans tout le territoire décrit par l'Acte. Il dévoile même l'intention profonde du gouvernement à vouloir cette colonie exclusivement française: "S'il n'est pas désirable, écrit Lord Darthmouth, que des sujets anglais s'établissent dans cette région, rien ne peut mieux les dissuader d'une telle tentative que cette partie essentielle du bill".

Michel Brunet a donc raison de soutenir qu'il s'est établi, entre le gouvernement de Londres et la nation canadienne-française, un pacte au moins tacite de garantie d'un pays-colonie français en échange de sa loyauté à la Couronne britannique face à la Sécession qui s'annonçait du côté de ce qui est aujourd'hui les Etats-Unis. Le fait que nous avons tenu notre partie du pacte en refusant de pactiser avec les Colonies du Sud, renforce encore notre droit à notre Etat intégralement français une fois que nous eûmes retrouvé notre liberté de nation dans le Commonwealth, que ce soit à l'extérieur, comme avant 1867 ou à l'intérieur du Canada fédéré.

On nous dira que Londres a changé d'idée ensuite. Ayant à reloger les Loyalistes, le gouvernement reprit le dessein de peupler le Québec ou Canada de sujets britanniques. Oui! mais sans altérer le projet du Québec français. En vertu de cette nouvelle orientation politique après l'indépendance américaine, Londres enleva au Québec l'immense territoire à l'ouest du Québec actuel pour en céder une partie aux Américains et en concéder une autre aux Loyalistes sous régime de droit et de langue anglais. Mais il refusa de se rendre aux réclamations des Anglais du Québec. Sans se sentir gêné par les "droits acquis" qu'ils invoquaient déjà, il effectua en 1791 le premier acte de "séparatisme" en créant le Haut et le Bas-Canada pour laisser au Québec rétréci son statut de pays français.

Nos ancêtres du temps, pourtant tellement plus proches que nous de la Conquête, et donc plus susceptibles à première vue d'en mesurer la portée, ne se trompaient pas sur le sens de ces Constitutions. Lors de la création de la première assemblée démocratique en 1792, ils posèrent le geste fondamental d'affirmation qui doit rester la base de toutes nos attitudes. Ils proclamèrent hautement dès le début, contre les manoeuvres des Anglais, que Londres avait donné à ce pays un statut de gouvernement selon les droits, us et coutumes de la majorité. Et comme premier geste d'exercice de leurs nouvelles libertés, ils élirent un "Orateur" qui ne savait pas l'anglais, en déclarant énergiquement, contre les protestations des députés anglophones, qu'en ce pays, il était inadmissible qu'un citoyen fût empêché d'accéder aux plus hautes fonctions parce qu'il ne connaissait pas l'anglais.

Rien n'a changé depuis. La suite n'a été qu'une longue et pénible histoire de manoeuvres, de chantage, de combinaisons et de combines de la part des Anglais de Montréal, puis des Anglo-Canadiens, pour nous imposer l'anglais en fait, en vue de le faire de nouveau triompher en droit éventuellement. Déjà avant l'Acte de Québec, ils posaient le problème en des termes de mauvaise foi dominatrice qu'ils ne font guère que reprendre aujourd'hui: droits acquis, contribution au développement du

pays, situation privilégiée en fonction de laquelle ils avaient le culot de dire au Roi que les prétentions des Québécois étaient fort exagérées "car d'après les derniers calculs ils atteignent le chiffre de 75 000 tandis que le nombre des sujets Anglais s'élevait au-delà de 3 000".

Entre temps, il y a eu l'épisode 1837, qui nous a fait perdre une partie de notre audace à revendiquer nos droits les plus légitimes. Nous entrâmes alors dans l'ère de la résignation résistante. Depuis lors et jusqu'au 15 novembre dernier, le peuple québécois s'est toujours cru obligé de confier son sort à des politiciens louvoyants face à la domination anglaise ou anglo-canadienne. Nous voudrions que, désormais, cette histoire de misère psychologique du peuple québécois ne soit plus invoquée par personne des siens, contre lui, pour prétendre que son assujettissement a fini par conférer, avec le temps, à la minorité oppressive et assimilatrice, des "droits acquis" de le déposséder de son héritage culturel, en lui imposant un Québec totalement ou partiellement bilingue.

Un vrai gouvernement du Québec ne peut pas ratifier, comme constituant des droits communautaires valides des effets résultant d'une histoire de conquête militaire, d'occupation prolongée, de domination par le contrôle du pouvoir politique et économique, de subversion des élites pour en faire des collaborateurs, dans des institutions apparemment démocratisées, et de tentatives de noyage par des politiques d'immigration massives et dirigées vers l'anglicisation. Et surtout pas quand ces effets sont réalisés par une minorité qui a systématiquement ignoré, pour cela, le respect des lois constitutionnelles que son propre souverain lui avait assignées. Quand la séparation entre le Haut et le Bas-Canada se fit en 1791, le gouvernement londonien savait ce qu'il faisait. Il a bien précisé aux Communes qu'une ligne parfaite ne pouvant pas être tirée entre pays anglais et pays français au Canada, il y aurait des minorités dans les deux colonies qui devraient accepter d'être gouvernées selon les lois de la majorité. Les problèmes que nous avons aujourd'hui viennent justement de ce que la minorité au Québec a néanmoins toujours continué de se comporter comme une majorité dans les faits, sans pourtant réussir, avant les lois 63 et 22, à imposer au Québec des lois spoliatrices tel au Manitoba et dans les Territoires du Nord-Ouest, comme d'ailleurs au Nouveau-Brunswick et en Ontario, etc.

Le peuple du Québec n'a pas à sanctionner, en vertu de quelque thèse que ce soit, ces méfaits perpétrés contre lui. Et il a bien montré qu'il ne le tolérerait pas en répudiant d'une façon vigoureuse les deux gouvernements auteurs des deux lois nouvelles, la loi 63 et la loi 22, qui révolutionnaient la position juridique du français au Québec, la première en concédant le principe de l'égalité de droit entre l'anglais et le français par le libre choix à l'école; la seconde, en partageant les droits linguistiques entre anglophones et francophones avec une certaine priorité seulement du français. Ces deux lois ont été, nous l'espérons, le dernier effort de la minorité anglophone pour empêcher l'expression des aspirations populaires les plus profondes du Québec: rester français et être chez soi en français au Québec.

En ce sens et dans les perspectives des événements des dernières années tout particulièrement, une charte de la langue française, établissant vraiment celle-ci seule langue officielle et nationale du Québec, s'imposait effectivement comme loi no 1 du premier gouvernement démocratique authentiquement québécois depuis la Conquête. Elle constitue le geste fondamental de reprise de possession de nous-mêmes d'abord, avant la reprise de possession du pays. La capacité du gouvernement d'en mener le vote à bonne fin, avec fermeté et conviction, sans aucun atermoiement ni atténuation, fera la preuve que ce gouvernement est vraiment ce qu'il prétend être: capable de ne pas se laisser à son tour asservir et démobiliser par les pressions qui ont fait trop habituellement chanter nos autres partis.

L'enjeu de la lutte qui est en cours est clair et fondamental: établissons-nous oui ou non que le Québec est français? allons-nous céder au contraire sur le droit incontestable que nous y avons et consentir à partager avec les Anglo-Canadiens, comme groupe distinct, des droits linguistiques leur donnant ainsi le statut de partenaires plus ou moins égaux dans la définition et le partage de la patrie québécoise? Telle est la décision majeure que le gouvernement se trouve actuellement à établir, qu'il le veuille ou non, en raison même de la confusion où nous ont jeté les comportements anglo-canadiens depuis 200 ans et les attitudes louvoyantes et ambiguës des récents gouvernements. Il faut maintenant trancher la question sans délai, tout délai ne pouvant actuellement avoir comme conséquence que de gâcher un peu plus les choses chaque jour.

CHAPITRE II

LA VALEUR CONCRÈTE DU PROJET DE LOI NO 1

Qu'en est-il, sur tout cela, du cas concret de la Charte actuellement proposée comme projet de loi no 1? Disons que nous regrettons qu'elle ne se présente que comme une loi statutaire, et non comme la loi déclarée constitutionnelle que nous demandions. Mais passons et attachons-nous à sa valeur intrinsèque en tant que "charte", donc en tant que se voulant proclamatrice de droits fondamentaux.

Comme le laisse entendre le premier paragraphe de ce mémoire, le Mouvement Québec Français estime que le projet de loi déposé établit vraiment le français comme seule langue officielle et nationale du Québec, même si certaines faiblesses de détail sont susceptibles d'ouvrir la porte à des interprétations contradictoires. Contrairement à la loi 22, on a réussi à rédiger une loi qui établit les droits du français sans se croire obligé de limiter la portée de ces droits par des définitions de droits pour l'anglais, sauf dans quelques cas très précis de définitions de droits minoritaires que l'on veut

accorder, ou de dispositions évidemment à caractère spécial et à portée très restreinte, le tout sans en rien limiter pour autant les droits du français.

Nous imaginons que si le Ministre a bien réussi cette passe dangereuse, quand on pense aux pièges dans lesquels étaient tombés les rédacteurs de la loi 22, c'est qu'il a su avoir une conscience aiguë du problème et qu'il n'y a plus aucun danger que de pareils faux pas, aux conséquences si fondamentales, ne puissent survenir dans les amendements qu'il s'est dit prêt à apporter à la loi face à des arguments sérieux et convaincants. A TOUT ÉVÉNEMENT, NOUS RÉITÉRONS LA MISE EN GARDE.

Ce qu'il nous paraît important de souligner quant au détail des dispositions de la loi, étant donné les critiques inconsidérées dont le gouvernement est l'objet, c'est combien cette loi n'est en rien restrictive de ce qu'on peut appeler les droits individuels (et collectifs pour autant que ces droits individuels permettent l'organisation d'une vie collective légitime, c'est-à-dire ne portant pas atteinte aux droits fondamentaux de la majorité) de la minorité anglaise, comme d'ailleurs de toutes les autres minorités ethniques du Québec.

On attaque cette loi comme si elle interdisait l'usage de l'anglais au Québec ou l'enseignement de l'anglais dans les écoles du Québec. De telles attaques ne font que donner la mesure des préjugés ou de la mauvaise foi des critiques. Bien sûr, la loi interdit l'existence d'un Québec officiellement bilingue. Si c'est ce que l'on veut blâmer, il faudrait honnêtement porter le débat sur ce terrain de fond; non pas biaiser par des attaques sur des détails qui ne sauraient être discutables que dans cette perspective à laquelle on n'ose pas se référer parce qu'on craint trop de se voir déconsidéré dans l'opinion de la majorité des Québécois. Ainsi, pour des fins qui sont en définitive inavouables, on s'ingénie à gagner son point en jetant de la confusion dans les esprits plutôt qu'en abordant les vrais problèmes.

En somme, il y a à distinguer, en cette matière, entre situation de droit et situation de fait. Le rôle des lois est d'établir les situations de droit, et tout ce qu'une loi ne défend pas reste permis. Nous sommes satisfaits quant à nous que la loi établisse clairement les droits du français au Québec en tant que langue de la patrie des Québécois, sans le moins du monde toucher à la latitude de qui que ce soit (mais sans lui conférer des droits qu'il n'est pas fondé à réclamer) d'utiliser l'anglais, — ou d'ailleurs l'italien, l'allemand, l'espagnol, etc.— quand il ne lèse pas les ressortissants du Québec, (de quelque origine ou appartenance qu'ils soient d'ailleurs), dans leur droit d'exiger qu'on utilise envers eux la langue du pays.

Ce souci de faire respecter le droit fondamental sans entraver plus qu'il n'est nécessaire pour cela les libertés individuelles d'agir à sa guise est évident dans à peu près tous les articles de la loi. La plupart des critiques formulées en ce sens sont donc mal fondées et ne font que contribuer à la perpétuation d'un état de chose où la minorité brime les droits de la majorité. "Tout Québécois a le droit d'exiger que communique avec lui en français l'Administration, etc." dit l'articie 2. Ce qui ne veut pas dire que les organismes en question ne doivent utiliser que le français.

On ne peut refuser à quiconque le droit de s'exprimer en français en assemblée délibérante, dit l'article 3. Cela n'interdit à personne d'intervenir en n'importe quelle autre langue. Mais personne ne peut imposer une autre langue. "Les travailleurs ont le droit fondamental d'exercer leurs activités en français, quelles que soient la nature, la forme et la taille de l'entreprise", dit l'article 4. Bien sûr, le respect de ce droit soulève des problèmes pratiques plus complexes et appellera des mesures de francisation des entreprises, mais cela n'interdit pas l'usage, même courant, de l'anglais entre des personnes au travail qui aiment mieux communiquer entre elles dans cette langue... ou dans une autre. "Les consommateurs de biens ou de services ont le droit d'être informés et servis en français", dit l'article 5. Quel mal cela fait-il, outre à ceux qui veulent imposer une autre langue aux francophones? Et pourquoi ceux-là devraient-ils avoir le droit au Québec d'imposer ce mal aux francophones? Quant au reste, cela n'empêche aucun commerçant de traiter en anglais ou dans une autre langue avec un consommateur qui le veut ou y consent. "Tout Québécois a droit à l'enseignement en français", édicte l'article 6. Jusque-là encore, cela ne fait que ne pas donner un droit de réclamer l'enseignement en anglais, sans interdire que le gouvernement en établisse un, ou dans toute autre langue.

Tels sont les principes que pose le chapitre I du projet. Et ce sont ceux-là que nous aurions préféré voir traiter dans une loi séparée, de caractère constitutionnel, établissant ainsi nettement, parce que séparément de toute allusion à l'anglais dans la même loi, que le français jouit en exclusivité et plénitude des droits fondamentaux qui font une langue officielle et nationale. On aurait pu voir plus clairement alors quels sont ceux qui se seraient opposés à cette loi, alors qu'actuellement on met en cause l'ensemble de la loi sous prétexte qu'on n'en aime pas certains détails.

Le reste de la loi n'est guère plus malin et ne fait que tirer les conséquences du principe général de la langue officielle et des droits fondamentaux qui en ont été déduits. S'il paraît plus contraignant en certains points, c'est que la situation prévalant au Québec incite le Législateur, à bon droit, à ne pas laisser à la charge du citoyen l'obligation de faire définir par les tribunaux, à chaque infraction, la signification concrète de ces droits. L'entêtement évident de la majorité anglophone depuis plus de 200 ans,

sa résistance farouche même à une loi 22 qui étendait pourtant le champ du droit mais restreignait quelque peu les champs d'application, rendait nécessaire de définir plus spécifiquement la signification des droits au concret, sous forme de prescriptions statutaires interdisant que les entêtés continuent de jouer avec la loi et les principes constitutionnels au dépens des Québécois. Il est assez étrange de voir encore trop de francophones du Québec, en particulier chez ceux qui occupent une place éminente comme membres élus des partis politiques ou comme leaders dans le monde des affaires, se formaliser qu'on écrive dans une loi ce qui devrait et aurait dû toujours être ainsi, vu qu'il y a eu si évidente mauvaise foi et mauvaise volonté à ne pas le faire tant qu'on n'y a pas été forcé par des lois. Après tout, la loi ne frappera que ceux qui tiendront à se comporter anormalement en tentant d'imposer l'anglais à une majorité française. "Les textes et documents de l'Administration... doivent être rédigés dans la langue officielle" (art. 15), prescription qui n'interdit pas qu'il y ait aussi des versions dans diverses autres langues. La preuve qu'on ne les interdit pas, c'est qu'à l'article 16, et vu la manie de bilinguisme qui s'est développée partout, on ne permettra la présentation bilingue des documents que dans les cas de santé et de sécurité publique, ce qui manifeste clairement l'intention du gouvernement de faire une place aux besoins minoritaires. Et indique aussi que l'interdiction ne porte que sur la présentation bilingue des textes; non pas sur l'existence d'une version française seulement.

A l'article 17, pour que soit restaurée la perception du Québec français, si déficiente partout dans le monde, la loi ajoute au principe posé à l'article 2, que l'Administration communique dans la langue officielle avec les autres gouvernements et les personnes morales, quitte à joindre une traduction si l'interlocuteur n'est pas de langue française. Ce qui laisse finalement, et implique, toute latitude de communiquer avec les personnes physiques dans n'importe quelle langue. Quant au reste, il en résultera sans doute certains embêtements au départ dans les domaines de l'Administration qui se sont constitués en petits châteaux-forts anglophones, au point même de ne pas parler français aux administrés de langue française. Mais ces situations ne doivent-elles pas être redressées? et quand il s'agit d'administrations locales, on leur donne jusqu'en 1983 pour s'adapter (art. 23)!

Il faut connaître la langue officielle pour "être nommé, muté ou promu à une fonction dans l'Administration." (art. 19). Qu'y a-t-il là d'anormal? Et encore la loi prend la peine d'ajouter qu'il suffit que cette connaissance soit "appropriée à la fonction postulée".

Les organismes municipaux et scolaires, nous l'avons vu, ont jusqu'en 1983 pour s'adapter, mais s'adapter à quoi? Uniquement, en définitive, à la préparation de leurs documents officiels en français. Rien dans la loi n'empêche ces organismes à majorité anglaise de poursuivre leurs délibérations en anglais entre eux. Tout ce qui leur est imposé à ces égards, c'est de donner du français à celui qui en demande.

L'obligation faite aux membres des ordres professionnels de connaître le français (art. 30) pour être admis, ne fait que rendre possible à tous les professionnels, sans aucune distinction, de servir aussi bien la population française, sans interdire de traiter en n'importe quelle langue avec divers clients. Et si tous les membres des ordres connaissent le français, pourquoi les ordres eux-mêmes ne devraient-ils pas communiquer avec leurs membres qu'en français? (art. 27)

Les dispositions relatives à la langue de travail (chapitre VI) peuvent paraître plus contraignantes pour le patronat et pour les dirigeants syndicaux dont la langue n'est pas la langue officielle, mais en définitive uniquement quant à leurs relations avec leurs employés ou leurs membres francophones, puisque rien n'interdit les relations en d'autres langues avec les gens d'autres langues. Mais est-ce vraiment la loi qui contraint dans les prescriptions de ces articles 33 à 40? N'est-ce pas là un de ces cas très clairs où il a été dit que c'est "la loi qui libère, et la liberté qui opprime"? Rien n'est contrainte dans tout cela que l'obligation, normale avant toute loi mais non respectée dans Québec, d'avoir dans la langue officielle les textes destinés à jouer un rôle de portée juridique. Tout le reste ne dépasse pas le droit du citoyen québécois, normalement de langue française, d'être servi dans sa langue, en laissant toute liberté d'employer n'importe quelle autre langue pour le service des autres, y compris même le francophone qui s'en contenterait.

Les mêmes observations s'appliquent au chapitre VII sur la langue du commerce et des affaires: droit du consommateur d'obtenir certaines informations en français (art. 41), obligation des commerçants de respecter la liberté de choix du consommateur de langue française dans l'achat de certains jeux (art. 43), droit de pouvoir exiger un texte français de certains documents commerciaux (art. 44 et 45), etc.

Tout cela en dit surtout long sur la façon impudente dont était traitée la majorité de langue française au Québec. Ce n'est pas la loi qui est scandalisante; c'est qu'il faille légiférer pour donner justice à une population sur l'usage de sa langue dans son propre pays. Le premier ministre disait, dans une déclaration récente, que l'obligation de légiférer ainsi est humiliante. C'est exact à condition que ce

soit dit sans complexes de notre part. Que ce soit dit de la même façon qu'on dirait humiliant pour l'humanité d'avoir à se donner un droit criminel. L'attitude des Anglo-Canadiens envers le peuple, autant canadien-français ou acadien que québécois, avec les modalités propres aux différentes situations, a été, en effet, tout particulièrement depuis 1867, alors qu'il ne devait plus y avoir "ni vainqueurs ni vaincus", de nature génocidaire. Drapés dans les propos de Lord Durham, qui estimait nous rendre service en proposant de nous assimiler en douce, ils ne se sont pas gênés, et continuent de ne pas se gêner, pour nous mépriser par leurs prétentions mêmes. Le Législateur qui décide de mettre fin au temps du mépris sent sans doute l'humiliation de mesurer ainsi jusqu'où a été poussé le mépris, mais il doit se sentir fier de n'avoir pas hésité, de guerre lasse, à y mettre fin.

C'est dans cette perspective qu'il faut aborder les titres II à IV de la loi que d'aucuns critiquent vivement en les qualifiant d'autocratiques, de tatillons, etc. Nous sommes, pour notre part, d'accord que l'application de la loi, le respect qu'en auront ceux qui doivent changer à ce sujet des habitudes depuis si longtemps invétérées qu'on est en passe d'en faire des droits, que tout cela ne doit pas, dans les circonstances actuelles du Québec, être laissé aux seules revendications des intéressés, c'est-à-dire les citoyens francophones, ni à leur seule initiative de contestation devant les tribunaux. Nous ne voyons rien dans le texte de loi qui soit de nature à soulever des critiques aussi acerbes que celles qui se sont exprimées. Nous estimons que la rédaction de la loi laisse au gouvernement toute la latitude voulue pour une application intelligente, de sorte que seuls peuvent craindre ses dispositions, ceux qui ont l'intention d'en violer l'esprit encore plus que la lettre. Même l'exigence de la certification de francisation est autant une mesure de protection de l'entreprise contre les revendications excessives des individus, qu'une obligation dérogatoire.

CHAPITRE III

Les faiblesses de la loi

Section 1 - La question de l'article 133

C'est dans la même perspective que précédemment qu'il faut aussi envisager les faiblesses de la loi qui se manifestent tout particulièrement au sujet de l'article 133 de l'AANB. Autant le gouvernement a eu le souci de rédiger une loi claire et précise sur les différences à faire entre les droits du français et les libertés normales des langues minoritaires, sur les exigences pratiques qui incomberont aux particuliers, aux administrations, aux organismes professionnels et aux entreprises pour réaliser les objectifs que postulent le principe de la langue officielle et les droits fondamentaux qui en dérivent, autant il importe d'éviter les ambiguïtés et les confusions lorsqu'il s'agit des droits, fussent-ils de nature statutaire, que l'on concède à la minorité anglaise en vertu de la situation historique qui en est la cause sinon la justification. Et les confusions ou ambiguïtés qu'il faut surveiller de près, ce sont d'abord celles qui concernent la définition des droits (puisque nous en sommes à une charte), avant les difficultés administratives au sujet desquelles il y a à peu près toujours moyen de trouver des solutions convenables avec un peu d'imagination.

Pour ce qui est de l'article 133, il est assez évident que le gouvernement a voulu éviter de le prendre de front. Est-ce parce qu'il estime devoir conserver aux anglophones les droits garantis par cet article? Est-ce parce qu'il a voulu ménager le choc psychologique qu'est susceptible de provoquer la démarche d'amendement? Au départ, donc, l'attitude prise ne montre pas la même fermeté que le reste de la loi, et crée des ambiguités sur les véritables intentions du gouvernement relativement à cette partie des droits du français au Québec.

En fait, le gouvernement croit-il avoir amendé l'article 133 par les articles 7 à 13 de la Charte? A notre avis, il n'a fait que les confirmer en les clarifiant, un peu selon ce que comportait le premier projet de loi que le MQF a proposé au gouvernement Bourassa en janvier 1971. Mais à ce moment-là, le MQF n'était pas fondé à croire que le Québec pouvait amender seul l'article 133.

Au projet de loi actuel, rien d'abord n'est dit sur l'usage de l'anglais à l'Assemblée nationale: donc sur ce point l'article 133 demeure. Quant au texte des lois, il est précisé que des versions anglaises seront publiées, mais que seul le texte français aura valeur officielle. Comme l'article 133 se contente de dire qu'il y aura une version française et une version anglaise des lois, il est vraisemblable que le Québec peut proclamer la version française seule authentique sans y contrevenir.

Sur les tribunaux, comme on légifère uniquement quant aux personnes morales, la conclusion semble s'imposer que les personnes physiques restent régies par l'article 133, même si l'article 7 précise que "le français est la langue de la législation et de la justice", en général. Et les personnes morales ont toujours le droit reconnu de plaider en anglais si les deux parties sont d'accord (art. 11). Les jugements peuvent être donnés en anglais (art. 13), à condition d'être accompagnés d'une version française qui sera la seule authentique. Pour le reste, il y a seulement le droit donné à tout intéressé d'exiger les citations, sommations, mises en demeure et assignations en français.

Nous nous imaginons bien que le gouvernement n'a pas choisi cette voie surtout dans l'espoir d'éviter que la question soit portée devant les tribunaux. Si tel était le cas, il est plus que probable qu'il aura des désillusions car si les Canadiens anglais ne sont pas prêts à accepter l'amendement de l'article 133, ils plaideront tout autant sur le texte actuellement proposé, qu'ils considéreront comme étant des amendements. Or le débat risquera alors de s'engager sur une fausse voie et de constituer une perte de

temps, parce que ne portant pas sur la vraie question. On discutera plutôt de la concordance ou de la non concordance de la loi 1 avec l'article 133, que du droit du Québec d'amender, avec l'incidence du caractère prioritaire de l'AANB sur une loi du Québec en cas de non concordance. Le droit d'amender leur propre Constitution prévu pour les provinces suffira-t-il alors à assurer la priorité de la loi du Québec si l'intention d'amender n'est pas claire? Si la loi 1 est considérée comme une loi statutaire ordinaire? Si ainsi la Cour suprême ne se prononce pas sur la question fondamentale du droit d'amender, tout sera à recommencer.

Nous recommandons donc au gouvernement d'inclure à la fin de la Charte de la langue française, un article spécifiant que cette loi déclare inopérantes au Québec les prescriptions de l'article 133, de sorte qu'il soit bien établi que les articles 7 à 13 de la Charte en tiennent lieu.

Section 2 — La question des droits scolaires des anglophones

Le MQF avait demandé, notamment dans le mémoire présenté au Ministre d'Etat au développement culturel le 5 février dernier: a) comme règle générale, la limitation du droit à l'enseignement en anglais aux "véritables anglophones"; b) à cette fin, la définition du "véritable anglophone" habilité par le principe ou critère de la langue maternelle de l'enfant résidant au Québec au moment du vote de la loi (avec sa descendance); c)comme mesure de tolérance en vue de faciliter le passage des régimes antérieurs au nouveau régime, la reconnaissance du droit des enfants non anglophones et des non francophones ayant déjà inscrit leurs enfants à l'école anglaise à continuer de jouir du droit à l'enseignement en anglais; d) la réintégration à l'école française des enfants francophones actuellement inscrits à l'école anglaise; e)d'où la conséquence que tout nouvel arrivant au Québec, quelle que soit sa langue et d'où qu'il vienne, tombera sous le régime général de l'enseignement en français.

Le mémoire recommandait, pour l'établissement de cet état de chose, la formulation juridique suivante: "Dans les écoles publiques, l'enseignement se donne en français.

Toutefois, le ministre de l'Education peut autoriser l'enseignement en langue anglaise, aux conditions prévues par la loi, dans les classes qu'il désigne, lorsque demande lui en est faite par des groupes suffisamment nombreux de citoyens-parents domiciliés au Québec au moment de l'adoption de la présente loi et dont les enfants ont l'anglais pour langue maternelle. Les enfants dont la langue maternelle n'est ni l'anglais ni le français font leurs études en français. Toutefois, ceux qui ont commencé leurs études en anglais, au moment de l'entrée en vigueur de la présente loi, peuvent les poursuivre dans cette langue, aux mêmes conditions qu'au paragraphe précédent.

En lieu et place de ce régime, nous trouvons l'article 52, qui substitue au principe de langue maternelle, la modalité de contrôle administratif de la fréquentation scolaire des parents actuellement domiciliés au Québec, combinée à la règle de tolérance du maintien à l'enseignement en anglais de tous ceux qui y sont déjà, quelle qu'ait été la fréquentation scolaire de leurs parents et quelle que soit leur langue maternelle, le français y compris. Ce changement, par rapport aux positions du MQF, s'il est clair quant aux procédés administratifs d'application de la loi, est au contraire plus obscur ou complexe quant à la définition des droits, qui est plus proprement l'objet d'une "charte".

En vertu de la modalité de la fréquentation scolaire anglaise de l'un des parents, à qui donne-ton des droits à tendance perpétuelle à l'enseignement en anglais au Québec?

Bien sûr d'abord: —aux véritables familles anglaises, irlandaises, écossaises, et autres de langue anglaise, venues de partout dans le monde et qui sont actuellement domiciliées au Québec; —de même qu'à toutes les familles d'immigrants venus d'ailleurs que de l'Empire ou du Commonwealth britannique, et qui se sont anglicisés par l'école depuis leur arrivée au Québec;

Mais cela inclut aussi:

Les enfants de tous les francophones que leurs parents ont envoyé à l'école anglaise au cours du dernier quart de siècle ou plus et qui sont restés des francophones; —en particulier les enfants de tous les francophones revenus du reste du Canada et qui ont la plupart du temps dû suivre l'école anglaise dans la province d'où ils viennent;

—les enfants de tous les Néo-Québécois qui, quoique encore non intégrés ou même déjà francophones, ont pu fréquenter l'école anglaise; —en vertu de la clause qui laisse à l'école anglaise ceux qui y sont déjà, les enfants de tous les enfants déjà à l'école anglaise et dont les parents francophones ou Néo-Québécois n'ont pas fréquenté des écoles anglaises. Ce cas signifie tout particulièrement que sont abandonnés à l'anglicisation tous les enfants qui, de 1969 à 1977, ont systématiquement déserté la communauté francophone à la faveur des lois 63 et 22.

Si le gouvernement modifiait la loi pour permettre aux nouveaux arrivants venant du reste du Canada de tomber dans la catégorie des inscriptibles à l'enseignement en anglais, ce droit s'étendrait: -à tous les Canadiens qui, presque tous, n'ont fréquenté que des écoles anglaises; -y compris à tous les francophones hors du Québec qui ont ou n'ont pu fréquenter que des écoles anglaises; -à tous les Néo-Canadiens venus au Canada, hors du Québec, après 1977, alors que la même possibilité serait exclue pour ceux qui s'installeront au Québec.

Du point de vue de la définition des droits, tout cela est fort complexe. Et quand les tribunaux seront saisis des questions découlant de la loi, par des personnes se plaignant de discrimination, de violation de leurs "droits", les principes qu'ils essaieront de dégager de l'économie de la loi, avec la variété des cas couverts, risqueront d'aller vers l'élargissement plutôt que vers la notion de "dérogation" que l'article 52 met opportunément de l'avant.

Le gouvernement actuel veut, avec nous, un Québec français. Pourquoi voulons-nous ou acceptons-nous d'accorder le privilège spécial d'une garantie légale d'un droit à l'enseignement en anglais, sans pour autant admettre une situation de droit fondamental qui nous obligerait à accorder l'égalité des droits, qui n'est même pas dans nos constitutions actuelles?

Cela ne se dégage sûrement pas avec clarté de l'analyse des cas d'exception prévus par la loi proposée. Il n'y a que deux règles qui peuvent expliquer clairement et sans incohérences nos volontés ou intentions, sans compromettre notre contestation du principe du libre choix, que tend à réintroduire toute dérogation à ces règles: 1o une règle basée sur une donnée historique, qui se relie à la Conquête, à l'association spéciale qui en est résultée entre nous et les Anglais établis au Québec. En vertu de quoi, au moment où nous sommes décidés à affirmer nos droits, nous voulons bien oublier les injustices qui nous furent imposées et reconnaître un droit spécial à l'enseignement en anglais pour le groupe minoritaire proprement anglophone qui a résulté de cette situation et qui vit actuellement avec nous; 2o une règle pratique basée sur la ratification d'une situation établie, ratification qui, sans conférer de droits, tend à simplifier l'application d'un nouveau régime.

Le MQF, après avoir considéré longuement cette question, en était venu finalement à proposer que l'on combine les deux règles, mais sans des exceptions à l'une ou à l'autre qui tendent à rouvrir sans cesse des portes sur le libre choix.

La discussion serrée que le gouvernement a poursuivie pour la rédaction de la Charte a sans doute contribué à éliminer un certain nombre des fausses approches: droits acquis des anglophones, date de l'arrivée des immigrants équivalant à reconnaître des droits acquis à tous ceux qui sont entrés avant la nouvelle loi, citoyenneté canadienne qui ramenait finalement le libre choix au moment où l'immigrant devenait citoyen canadien, etc. Ce sont des relents de cette dernière perception qui persistent quant au critère de l'entrée au Québec par le Canada. Quoi qu'il en soit, cette question ne met pas en jeu la nécessité de différencier "immigrants" et "migrants à l'intérieur du Canada", ou situation d'avant ou d'après l'indépendance. Dans le cadre de la Confédération actuelle, le Québec est habilité à définir les conditions linguistiques de l'accession à l'école; et il ne serait pas plus contestable de ne pas donner d'école anglaise aux nouveaux arrivants venant du reste du Canada, que longtemps dans presque toutes les provinces et encore dans plusieurs de ne pas rendre possible l'accès à des écoles françaises de Canadiens venant du Québec.

Quant au critère de la fréquentation scolaire des parents pris en lui-même, le MQF aurait mauvaise grâce d'en contester complètement la valeur puisqu'il l'a lui-même envisagé en cours de discussion. Mais il ne l'a alors conçu que comme intervenant dans le cadre d'un processus où la langue constituait le principe fondamental de détermination au plan de la considération historique. Son utilisation visait à parer à l'objection que la détermination du "véritable anglophone" allait obliger à remonter dans l'histoire des familles, etc. Nous avons alors mis de l'avant qu'en combinant le critère de la langue avec la modalité de la fréquentation scolaire des parents, s'établissait une présomption suffisante du caractère "anglais" de la famille et de l'enfant. Mais, sans le critère de la langue, que signifie-t-il finalement? Pourquoi des parents en général, de n'importe quelle langue ou origine ethnique au Québec, se verraient-ils refuser le droit à l'enseignement en anglais tout simplement parce qu'ils n'ont pas pris plus tôt l'initiative d'y inscrire leurs enfants?

Les difficultés à ce sujet viennent de ce que les techniciens ont tellement torturé le concept de "langue maternelle" qu'ils ont fini par lui enlever sons sens obvié pour en faire quelque chose de

compliqué à mesurer. La loi 22 a d'ailleurs contribué à semer la confusion par le concept de "connaissance suffisante de la langue d'enseignement", qui visait à permettre au gouvernement d'alors d'assurer aux anglophones que le principe du libre choix avait été maintenu et que seules des considérations pédagogiques limitaient l'accès à l'école anglaise. Mais pour une telle détermination, il fallait des tests. Et l'application des tests a fait prendre ceux-ci en horreur à tout le monde. Quand on fut revenu à la langue maternelle, les techniciens s'y sont mis pour compliquer en définissant celle-ci comme "la première langue apprise et encore comprise" ou la "seconde langue apprise et encore parlée".

Le concept de "langue maternelle" n'est évidemment pas un concept qui relève de tests ou de jeux de machines électroniques. Il veut exprimer une réalité profonde qui est celle de la langue qui nous fait ce que nous sommes. Elle est dite "maternelle" parce que, pour le jeune enfant surtout, elle correspond à la langue que sa mère lui a apprise. Mais pour les cas plus complexes de gens qui ont pu être initiés dès le bas âge à une langue autre, et qui ont tout oublié ou presque de cette langue initiale, il y a la langue qu'ils parlent comme étant leur langue, celle qui leur sert de mode d'expression premier, spontané et courant, celle qui les fait français, ou anglais, ou allemand, etc. C'est le seul critère ou principe qui permettra jamais de définir ce qu'est un "véritable anglophone". En définitive, pour sortir de tous les faux dilemmes dans lesquels nous ont engagé des discussions byzantines, il y aurait peut-être lieu d'abandonner, en discutant cette question, la phraséologie ou le vocable "langue maternelle" pour y substituer celui de "langue de l'enfant", qui dit très clairement ce qu'il veut dire.

Avant d'écarter le concept de la langue comme base de détermination de droit à l'enseignement en anglais, le gouvernement a-t-il suffisamment pris conscience de la portée limitée, au plan concret, des déterminations en jeu?

Dans le cadre du projet proposé, où tous ceux qui sont déjà inscrits au cours anglais y restent, quels que soient leur langue propre ou le type de fréquentation scolaire de leurs parents, la question de la détermination des droits à l'enseignement en anglais ne concerne finalement que les enfants qui entrent à l'école pour la première fois cette année ou dans les années à venir. La constatation de la langue de l'enfant devrait être alors des plus simple: parler à l'enfant que l'on veut inscrire à l'école anglaise au moment de son inscription, après quoi le critère de fréquentation scolaire des parents confirmera que sa connaissance de l'anglais perçue spontanément est bien celle d'un véritable petit anglophone. CAR BIEN SUR, PERSONNE NE VEUT PLUS VOIR REVENIR LA MÉTHODE DE VÉRIFICATION PAR DES TESTS.

Par rapport au texte actuel de la loi (art. 52), la formule finale que nous pourrions proposer d'un amendement convenable à ce sujet n'a toutefois pas, vu le temps à notre disposition pour le dépôt de ce mémoire à la Commission, pu être définitivement mise au point dans le cadre des exigences d'unanimité qui sont de règle au MQF. La question est actuellement à l'étude pour décision au niveau des instances de chacun des mouvements. Nos suggestions ou recommandations vous seront communiquées soit par un addenda au présent mémoire, soit au moment de notre comparution devant la Commission.

CHAPITRE IV

L'office de la langue française

Ce serait, par contre, le voeu unanime de tous les mouvements du MQF que le gouvernement revienne sur sa décision de faire de l'Office de la langue française un organisme dépendant directement du Ministre et du ministère. Pour toutes les tâches qui incombent à l'Office, que ce soit celles qui concernent la qualité du français ou celles qui regardent la francisation des entreprises, etc., nous croyons que vaut beaucoup mieux un organisme que l'on peut dire non partisan et qui dépendrait plutôt de l'Assemblée nationale.

Tous les linguistes se retrouveront d'accord, pensons-nous, pour dire que ce n'est pas l'Etat ou le gouvernement qui fait la langue d'un pays. Même s'ils doivent dire que ce ne sont pas les linguistes non plus, il reste que vis-à-vis du peuple, les décisions de l'Office en la matière auront plus de poids si elles viennent de spécialistes que de membres du personnel d'un ministère. Et il est bon que les spécialistes ayant joué leur rôle, ce soit également un pouvoir indépendant d'eux qui puisse— le ministère alors— prendre certaines contreparties, non pas d'autorité mais au nom du peuple qu'il essaie de représenter et dans le cadre d'un débat dont l'Assemblée nationale pourra être saisie plutôt que le ministre décide seul.

Quand à des problèmes comme la refrancisation des entreprises, il nous paraît préférable également qu'une autorité indépendante dégage l'application des politiques du risque de partisannerie, ou même simplement de la possibilité d'accusations de ce genre fondées ou non; et aussi du danger d'arbitraire possible de décisions ministérielles qui pourraient être imposées à un président, simple fonctionnaire supérieur ou sous-ministre.

Nous ne pouvons qu'approuver vivement la création d'une Commission de Toponymie et les pouvoirs qu'on lui confère. Les arguments qu'on a développés à l'encontre constituent une sorte d'injure à l'adresse de personnes compétentes à qui le gouvernement, nous en sommes sûrs, verra à confier les tâches à accomplir. Le rôle délicat d'une telle commission constitue également une bonne raison pour que l'Office dont elle dépendra ne dépende pas lui-même du Ministre. Il faudrait éviter que l'on puisse parler de "vengeance politique" ou "ethnique", comme on a déjà commencé à le dire dans les

milieux hostiles aux véritables intérêts de la nation française du Québec. Il reste qu'il est parfaitement légitime qu'un peuple veuille effacer de la carte de ses noms de lieux, des désignations qui sont "histo-risques" pour le Conquérant et qui ont été données dans une situation de domination qui n'a pas tenu compte des droits et des sentiments du peuple qui a le pays pour patrie. Il n'y a sans doute pas que des mauvais souvenirs qui soient associés aux noms de lieux du Québec marqués par la présence anglaise. Et nous sommes d'accord pour que certains de ces noms soient conservés comme témoins de cette Dhase de notre histoire dont nous n'avons pas à avoir honte. L'obligation de se soumettre à la force brutale n'a jamais déshonoré personne. Et d'autant moins à partir du vote de la Charte, qui témoignera de notre fidélité, de notre résistance à l'assimilation, et finalement de notre victoire. Mais il est normal que le peuple du Québec, en pleine possession de ses moyens, décide lui-même des noms des lieux à portée historique, et élimine ceux qui n'ont de valeur de souvenir que pour exprimer les coups de force du Conquérant.

CONCLUSIONS

En vertu du mécanisme qui le caractérise, le MQF ne se trouve concerné, dans les questions relatives à la langue française, que sur les points au sujet desquels l'ensemble des mouvements concernés ont déjà fait leur unanimité et reçu, sur les sujets en cours, l'appui de leurs instances respectives. C'est pourquoi le présent mémoire ne prétend pas avoir dit tout ce qu'il y avait à dire sur le présent projet de loi, mais seulement, ce qu'il y avait à dire sur les questions au sujet desquelles une opinion unanime s'était formée entre les mouvements au cours des années 1971 à aujourd'hui.

Dans cette perspective, nous terminons en soulignant au gouvernement que, sauf peut être sur des points de détail, à examiner de près d'ailleurs pour voir si quelque changement mettrait en jeu des principes de base et vicierait toute la loi, ainsi que cela se produisait dans la loi 22, la Charte de la langue française telle que rédigée n'est à peu près pas amendable, dans le sens d'un élargissement de la place de l'anglais. Sa rédaction soignée et précautionneuse montre bien que le gouvernement a déjà été suffisamment influencé par l'atmosphère ambiante qu'ont créée les deux lois antérieures 63 et 22; et qu'il a en conséquence introduit dans la loi le maximum, et un peu plus, ce qu'il était possible d'accorder aux anglophones sans mettre en cause l'économie même d'une loi qui veut et qui doit rester la Charte de la langue française seule langue officielle au Québec.

C'est en restant ferme dans son souci d'assurer le respect et la dignité du caractère intégralement français du Québec que le gouvernement se fera respecter par la minorité anglophone elle-même. Tenter de la démobiliser par des concessions ne fera que l'encourager à réclamer encore davantage. Le meilleur moyen d'en finir avec l'opposition anglophone, c'est de tenir bon jusqu'au bout, du moment que nous avons la certitude d'être parfaitement dans notre droit. C'est pour quoi il est psychologiquement si important de nous donner la peine de bien comprendre notre histoire, de la bien connaître, afin d'éviter d'avoir des doutes sur nos propres droits, de nous sentir obligés de reconnaître aux anglophones des espèces de droits qu'eux considéreront ensuite comme sacrés pour nous impressionner davantage.

Tout en manifestant la plus grande confiance au gouvernement sur cette matière, confiance qu'il s'est déjà largement méritée en osant déposer le projet de loi actuel, le MQF sait tout de même que la partie n'est pas finie tant que la loi n'aura pas été votée. Et que par suite le gouvernement va subir un assaut majeur avant que le rideau tombe sur le sort de cette loi. Aussi nous nous croyons obligés, et nous estimons que c'est l'honnêteté qui nous y oblige, de dire que nous ne pourrions pas accepter, sans rentrer dans la lutte et redevenir des opposants acharnés comme nous l'avons été contre les lois 63 et 22, quelque amendement que ce soit qui aurait comme conséquence, même si on prétend que ce n'en est pas l'objet, d'établir l'anglais au Québec dans une situation de droit fondamental sur quelque point que ce soit. D'ailleurs, nous prenons la présente Charte pour ce qu'elle est, en regard des droits accordés aux anglophones: une loi statutaire, donc modifiable à volonté par l'Assemblée nationale selon les effets fastes ou néfastes qui en pourraient résulter.

En vertu du respect des droits fondamentaux de la personne ou des collectivités ethniques de portée non nationales, les avantages qu'accorde le projet de loi no 1 à la minorité anglaise excèdent en effet de beaucoup ce que réclament, dans ces cas, les chartes universelles des droits de l'homme et les Conventions internationales. Nulle part, dans ces textes fondamentaux, il n'est question du droit au libre choix de la langue d'enseignement; tout au contraire, c'est d'abord la protection des droits des langues nationales pour les peuples justifiés de s'autodéterminer qui prime. La Cour Internationale des droits de l'homme a déjà clairement porté jugement dans des causes de ce genre. Et son jugement a été catégorique: il n'existe pas de droits linguistiques fondamentaux qui permettent le libre choix de la langue d'enseignement. Ce qui existe, c'est le droit fondamental de toute minorité ethnique de créer des écoles, au besoin avec l'aide de l'Etat, où elle pourra faire enseigner sa langue, non pas donner l'enseignement dans sa langue. Et ceci à deux conditions: a)que les minorités ne se servent pas de ces écoles pour s'isoler de la communauté nationale; b) que le fonctionnement de ces écoles ne constitue pas un danger pour la souveraineté nationale.

II est évident que la minorité anglophone du Québec jouira de beaucoup plus que cela en vertu de la Charte proposée. Et il n'est pas sans intérêt de rappeler, contrairement à ce que laissent aisément croire les luttes des dernières années, que ce ne sont pas les francophones du Québec, si injustement qu'ils aient été traités en matière linguistique dans leur propre "province", qui ont engagé la lutte pour que la question de la langue soit réglée au Québec par voie législative au delà des bases constitutionnelles établies respectivement en 1774 et 1867. Mais bien les anglophones; et dans les circonstances les plus injustifiables.

Depuis la Confédération, ce n'est qu'après un demi-siècle de patience que les Québécois se décidèrent à entreprendre une action un peu plus concrète pour réclamer la réalisation, dans Québec même, des promesses qui leur avaient été faites en 1867. C'est alors que se fonda, en 1912, la Ligue des Droits du français. Depuis ce temps, et jusqu'à tout récemment, cet organisme, de même que les Sociétés Saint-Jean-Baptiste, les Chambres de Commerce et les organisations syndicales, s'en sont tenus à la politique d'incitation auprès des entreprises (et aussi du gouvernement fédéral, qui n'est pas en cause dans le présent débat), pour obtenir le respect du français sur les timbres, sur la monnaie, dans l'étiquetage et l'affichage, dans la non discrimination au niveau de l'emploi, dans l'enseignement du français aux écoles anglaises, et dans l'attribution des hauts postes de l'administration et des conseils, etc. Il y eut des progrès, mais ils ont été si lents et si peu satisfaisants dans un pays à 80% français qu'il faut aujourd'hui légiférer.

Mais le premier affrontement est venu des Irlando-catholiques, lorsqu'en 1961, devant le problème de l'orientation accentuée des Néo-Québécois vers l'école anglaise, le gouvernement de Québec autorisa la CECM à créer des cours bilingues pour les enfants de cette partie de la population catholique de Montréal. Les professeurs anglais de la CECM déclarèrent tout net qu'ils feraient la grève de l'enseignement en anglais dans de tels cours s'ils étaient établis et la CECM capitula. Le secteur anglais de la CECM s'arrogeait le droit de garder le contrôle des Néo-Québécois. C'est ce problème qui se transporta à Saint-Léonard, où l'affrontement devint chaud, mais en provenance encore des Anglo-catholiques soutenant les Italiens contre le projet de cours bilingues de cette commission scolaire. La Saint-Jean-Baptiste de Montréal avait approuvé, à cette époque, dans l'espoir de pacifier les esprits, ce projet de cours bilingues pour les Halo-Québécois, qui prétendaient vouloir l'école anglaise uniquement parce que l'anglais n'était pas suffisamment bien enseigné dans les écoles françaises. C'est à la suite de ce refus des Italiens d'accepter les cours bilingues que se forma La Ligue d'Intégration scolaire, qui réclama que tous les Italo-Québécois soient inscrits aux écoles françaises, et qui assura l'élection de Commissaires décidés à appliquer cette règle.

La colonie anglophone de Montréal prit alors fait et cause pour les revendications des Italo-Québécois en faveur de l'école anglaise et réclama du gouvernement de Québec la garantie légale du libre choix de l'école entre école française et école anglaise, afin d'enlever à la Commission scolaire de Saint-Léonard le pouvoir qui relevait d'elle de décider de cette question. C'est en vertu de cette situation résultant de notre largeur de vues qu'avait fonctionné au Québec, en dépit des dispositions constitutionnelles, un régime permettant le développement d'un secteur anglais d'enseignement. En l'absence de lois établies par le gouvernement du Québec sur le sujet, chaque commission scolaire avait la faculté de décider de la langue d'enseignement, qui aurait pu aussi bien d'ailleurs être l'italien ou l'allemand. Les protestants s'étaient largement prévalu de cette faculté par le biais de la garantie constitutionnelle sur la confessionnalité, qui leur permet de constituer des commissions scolaires dont la quasi totalité des administrés étaient de langue anglaise; et au point qu'il fallut une bataille rangée, dans laquelle le gouvernement du Québec ne jugea jamais à propos d'intervenir, pour obtenir des classes françaises pour les protestants français devenus plus nombreux après la guerre. Du côté catholique, où la majorité était nettement française, on avait été plus généreux encore; et laissé un secteur anglais non officiel se constituer à l'intérieur de la CECM en majorité française pour administrer ses écoles anglaises où on attirait les immigrants catholiques pour étoffer ces effectifs et gagner plus d'écoles, d'où le problème qu'avait voulu régler le gouvernement de Québec en 1961, en autorisant la création de classes bilingues dans le secteur français.

Les Anglo-Canadiens firent tant et si bien sur l'affaire de Saint-Léonard pour forcer la main du gouvernement qu'à l'occasion d'une élection complémentaire dans un comté anglais de Montréal, ils arrachèrent au nouveau premier ministre Jean-Jacques Bertrand la promesse d'une législation qui dépouillerait les commissions scolaires de leurs pouvoirs et les obligerait à respecter le libre choix, c'est-à-dire à donner des classes anglaises aux parents qui le demanderaient. Ce fut le bill 63, après un premier échec pour faire adopter le "bill 85".

C'est alors que se produisit la levée de bouclier des Québécois francophones, qui avaient accepté depuis 200 ans de laisser évoluer la question selon le régime de droit constitutionnel établi depuis 1774, sans réclamer de lois particulières au Québec. La loi 63 constituait une trahison, car il y était posé en principe pour la première fois dans notre droit que le Québec est officiellement bilingue, vue la reconnaissance de l'égalité des deux langues au Québec, nous dépouillant du coup de la possession libre et tranquille de notre unique patrie sur le plan juridique.

Le régime du règlement de ces questions par voie législative étant enclenché par les revendications injustifiées des Anglo-Canadiens, il fallait maintenant aller jusqu'au bout. Et il n'y avait pas d'autre bout acceptable et efficace que de mettre en clair dans les lois du Québec ce qui avait toujours été le fondement de notre position constitutionnelle: le français seule langue officielle au Québec. La loi 22

avait aggravé la question en ajoutant des droits nouveaux à ceux de la loi 63 pour les Anglo-Canadiens, tout en tentant de limiter le flux des enfants vers l'école anglaise en vertu de considérations pédagogiques. La Charte actuelle doit être telle qu'elle règle définitivement la question avant que se forme vraiment un droit pour un Québec bilingue en vertu de lois votées par notre Assemblée nationale en majorité française.

Nous sommes convaincus que c'est la trop grande ignorance de notre histoire en général, comme celle même de ces événements des dernières années qui explique les réticences ou les tiraillements qu'éprouvent tant des nôtres à mettre un point final à cette lutte où nous avons dépensé tant de nos énergies, comme si le monde anglophone s'était donné le mot de nous y occuper pendant qu'il s'installait dans le contrôle de l'économie. Il est temps que nous renversions au moins la vapeur et que notre gouvernement nous redonne la liberté de passer nos journées à autre chose qu'à des activités pour nous tenir tout simplement en vie et pour survivre. C'est pourquoi nous voulons que le présent gouvernement, étant donné toute sa valeur symbolique dans notre histoire, garde la fermeté nécessaire pour ne rien céder sur nos droits en la matière. C'est pourquoi nous applaudissons à l'effort sérieux qu'il a entrepris pour cela. Pourquoi nous voulons aussi qu'il le règle de façon claire dans tous les aspects de la question.

La question de l'article 52

Notre mémoire de base a déjà bien mis en valeur le manque de netteté qu'engendre, dans l'établissement des principes de droit et dans l'interprétation de la loi, l'abandon du principe de la langue maternelle, et l'utilisation du seul critère administratif de fréquentation scolaire anglaise des parents actuellement domiciliés au Québec.

D'autre part les événements des trois dernières années ont rendu nos Mouvements très sensibles dans le sens de très hostiles, à tout système de vérification de la langue maternelle au moyen de tests.

En conséquence, nous proposons donc que le critère de "la langue de l'enfant" soit rétabli dans la législation pour poser le principe de la définition des droits à l'enseignement en anglais; MAIS SELON UN MODE PLUS SOUPLE D'APPLICATION qui retiendrait la fréquentation scolaire de l'un des parents comme critère déterminant de l'inscription à partir d'une simple déclaration des deux parents sur la langue de l'enfant. Il appartiendrait au Ministre seul de contester au besoin la véracité de la déclaration des parents et de prendre les décisions nécessaires quant au retour éventuel de certains enfants au secteur français.

La prescription que tous les enfants actuellement inscrits à l'enseignement en anglais peuvent continuer leurs études dans cette langue faciliterait au départ l'application de la loi, dont les dispositions générales ne concerneraient que les nouvelles inscriptions. La possibilité de l'intervention du Ministère pour contester les déclarations parentales fausses suffira sans doute à inciter la très grande majorité des parents à respecter la lettre et l'esprit de la loi. A la limite extrême de tolérance des normes pour les fausses déclarations, la situation équivaudrait à appliquer la loi telle qu'elle se trouve actuellement formulée: seul compterait le critère de fréquentation scolaire. En fait, l'obligation de signer la déclaration sur la langue tendrait presque certainement à réduire le nombre des non-anglophones à qui le texte actuel de la charte va permettre de profiter de leur fréquentation de l'école anglaise pour intégrer finalement leurs enfants au groupe anglophone. De toute façon, l'affirmation du principe de la langue sera utile pour l'interprétation de la loi dans toute contestation devant les tribunaux.

En conséquence, nous recommandons le remplacement de l'article 52 actuel par un texte du genre suivant: 52. Par dérogation, à l'article 51, peuvent recevoir l'enseignement en anglais, à la demande de leur père et mère, les enfants dont la langue est l'anglais quand leurs parents étaient domiciliés au Québec au moment de l'entrée en vigueur de la présente loi.

Une déclaration simple des parents sur la langue de l'enfant, assortie de la preuve qu'au moins l'un d'entre eux a fait son cours primaire en anglais assurera l'inscription a l'enseignement en anglais. Le Ministère pourra cependant, au besoin, saisir les tribunaux de toute déclaration qu'il a lieu de croire fausse, et demander la réintégration de l'enfant à l'école française. (Prévoir ici une procédure rapide dans les formes appropriées).

Toutefois, pour faciliter l'application de la présente loi, les enfants déjà valablement inscrits à l'enseignement en anglais au moment de l'entrée en vigueur de la présente loi, pourront continuer ainsi leurs études jusqu'à la fin du secondaire, nonobstant leur langue et la fréquentation scolaire si tel doit être le cas. Les enfants non anglophones n'acquerront pas de ce fait, le droit à l'enseignement en anglais pour leurs descendants.

A tout événement, le moins que l'on puisse attendre du gouvernement, s'il se refuse absolument à réintroduire dans la loi le principe de la langue, c'est qu'il applique le critère de la fréquentation scolaire des parents d'une façon plus intégrale, notamment en limitant strictement à ceux qui y sont déjà, à l'exclusion de leurs descendants, la possibilité d'être à l'enseignement en anglais sans aucun parent ayant fréquenté l'école anglaise.

ANNEXE4

Mémoire du Montreal Board of Trade le 26 mai 1977

Commission parlementaire sur l'Éducation, les Affaires culturelles et les Communications Assemblée nationale du Québec Hôtel du Gouvernement Québec, P.Q.

Messieurs,

Le Montreal Board of Trade désire, par la présente, faire part de ses opinions à la Commission parlementaire sur l'Éducation, les Affaires culturelles et les Communications relativement au projet de loi no 1 intitulé "Charte de la langue française au Québec" et présenté en première lecture à l'Assemblée nationale le 27 avril 1977.

Depuis sa fondation en 1822, le Montreal Board of Trade a participé, par l'intermédiaire de ses membres, à tous les aspects de la croissance de la région montréalaise.

A ce jour, le Board compte parmi ses membres 2900 entreprises, grandes et petites, oeuvrant dans tous les secteurs économiques et industriels de la région montréalaise, ce qui en fait le deuxième plus grand organisme du genre au Canada.

Tant en période de crise que de prospérité, le Board n'a cessé de poursuivre le but qui lui a été fixé de "promouvoir le mieux-être économique de Montréal, du Québec et du Canada".

Le Board a pour unique raison d'être de servir au mieux les intérêts économiques de la collectivité au sein de laquelle oeuvrent ses membres.

Comme il l'a maintes fois indiqué, le Board donne sa pleine adhésion à l'utilisation du français comme langue première au Québec ainsi qu'à la promotion incitative et non discriminatoire de cette langue et de la culture qu'elle reflète, tant au Québec qu'ailleurs au Canada. C'est dans cette perspective que nous soumettons ce mémoire traitant du projet de loi no 1. "Charte de la langue française au Québec".

Le Board ne partage pas l'avis selon lequel la langue et la culture françaises au Québec seraient sur leur déclin ou en danger. Il entretient, de plus, des doutes sérieux quant aux chances de réussite d'une législation coercitive visant à l'avancement d'un groupe linguistique défini dans le milieu des affaires et du commerce.

Le Montreal Board of Trade tient à soumettre les observations et opinions générales suivantes quant aux principaux éléments qui le préoccupent. Ces derniers sont étudiés en détail dans le mémoire ci-joint.

Droits et libertés de la personne (Préambule et divers articles du projet de loi)

Les droits et libertés de la personne déjà consacrés par la loi et nos traditions ne sauraient être amoindris par une législation subséquente. Le projet de loi no 1 y porte atteinte:

(i) en refusant d'accorder le droit d'en appeler devant les tribunaux de toute décision ou de tout jugement "final" de l'Office de la langue française quant à l'émission des certificats de francisation, de tout autre document de travail exigé par la loi, ainsi que des décisions de la commission d'appel instituée en vertu de l'article 55;

(ii) en refusant à l'individu le droit de postuler librement et d'obtenir un emploi et des promotions, ainsi que le droit réciproque de l'employeur de choisir un candidat ou de congédier un employé en fonction des aptitudes dont il fait preuve face aux exigences du poste offert ou détenu, sans égard à l'origine ethnique, culturelle ou linguistique;

(iii) en refusant aux groupes et organismes publics, parapublics et privés de communiquer entre eux et sur le plan interne dans la langue de leur choix.

Il devrait être tenu compte de toutes les considérations qui précèdent en apportant les amendements qui s'imposent au projet de loi et notamment, comme minimum, en supprimant l'article 172 qui donne priorité à la nouvelle Charte de la langue française sur la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.

Le respect des droits et libertés de la personne constitue le fondement même de la démocratie au Québec. Une loi destinée à promouvoir la langue française ne devrait pas diluer les éléments de base de la société libre que l'on trouve actuellement au Québec. Il importe de fortifier, et non d'affaiblir les sociétés libres. Le Montreal Board of Trade reconnaît néanmoins qu'il est, en général, difficile de concilier les droits collectifs et les droits individuels dans une loi, tout en sauvegardant les principes de base

de notre régime démocratique. Celui-ci exige que les droits et libertés individuels ne soient réduits qu'en cas d'extrême urgence. Aussi est-ce dans cette perspective que le Board of Trade désire signaler au Gouvernement les éléments du projet de loi qui lui semblent déroger à ce principe. De plus, en légiférant dans un domaine comme celui de la langue, il importe d'éviter par tous les moyens d'ouvrir la voie à l'intervention de l'État en fonction de particularités individuelles d'ordre ethnique, culturel ou linguistique; l'histoire ayant démontré qu'il peut en résulter des abus, sinon la destruction éventuelle de la démocratie.

La langue de l'enseignement (Articles 51 à 59)

Le Montreal Board of Trade demeure d'avis que, dans l'intérêt de tous, il vaut mieux laisser le libre choix de la langue d'enseignement aux parents des élèves en cause.

Si, toutefois, le Gouvernement juge à propos de diriger les enfants d'immigrants vers le système scolaire français en dépit de tous les risques que cela suppose, ces mesures devraient se limiter aux futurs immigrants non anglophones et non francophones qu'il conviendrait de prévenir de ces exigences avant qu'ils fassent leur demande d'immigration.

Dans son contexte actuel, le projet de loi no 1 crée, entre autres,

(i) une distinction non fondée entre les francophones et certains anglophones.

Alors que certains anglophones pourront opter pour l'un des deux systèmes scolaires, les francophones n'auront d'autre choix que d'envoyer leurs enfants à l'école française; (ii) deux classes de citoyens canadiens anglophones; ceux qui ont un lien établi avec le Québec et ceux oui n'en ont pas;

(iii) une entrave à l'établissement permanent au Québec de citoyens anglophones en provenance d'autres régions du Canada et du monde.

Si ce n'est que sous ce seul rapport cette situation nuira aux sièges sociaux au Québec des entreprises nationales et internationales où la mobilité du personnel est très importante.

Quantité de sièges sociaux d'entreprises nationales et internationales, de même que d'organismes internationaux comme l'OACI, sont installés au Québec, notamment dans la région montréalaise. Ce phénomène s'explique par le fait que l'enseignement y est disponible à tous les niveaux en français et en anglais (deux des langues les plus parlées dans le monde). Cette présence des sièges sociaux a également été rendue possible par l'utilisation généralisée, dans la région montréalaise, de deux langues "internationales" et son enrichissement consécutif par l'apport de plusieurs autres cultures.

En ajoutant à cela une situation géographique privilégiée qui facilite les communications avec le reste de l'Amérique du Nord et les autres pays du monde, la région montréalaise jouit d'une position des plus enviables. Elle est en mesure d'offrir une qualité de vie que peut-être nulle autre ville d'Amérique du Nord pourrait égaler. Aussi le Montreal Board of Trade recommande-t-il instamment au Gouvernement d'assurer, dans toute législation qu'il présentera à l'Assemblée nationale, y compris le projet de loi no 1, à la fois la sauvegarde et la mise en valeur de cette marque distinctive de la région montréalaise. Le Board reconnaît que d'autres villes canadiennes livrent une concurrence intense à Montréal sur le plan économique et commercial en vue d'attirer chez elles les sièges sociaux des grandes entreprises. Montréal n'en demeure pas moins le lieu de résidence de bon nombre d'entreprises d'envergure nationale et internationale. La métropole et le reste de la province tirent avantage de la présence de ces sièges sociaux, comme en témoignent les statistiques publiées récemment par 13 grandes entreprises dont les sièges sociaux emploient à eux seuls environ 13 300 personnes et engagent des dépenses brutes directes de l'ordre de $430 millions en salaires, loyers, services, etc. Bien que l'apport direct des sièges sociaux à l'économie montréalaise soit considérable, il ne représente qu'une fraction des avantages qui en découlent pour l'ensemble de la collectivité, compte tenu des dépenses de leurs employés au Québec et de leur effet multiplicateur, ainsi que du soutien accordé par les sièges sociaux et leur personnel aux oeuvres de bienfaisance, aux universités, au clergé, aux organismes culturels et sportifs, et ainsi de suite.

Francisation des services et entreprises

(i) Permis et licences

L'émission et le maintien de tout genre de permis ou de licence ne peuvent être assujettis à des considérations autres que celles pour lesquelles le permis ou la licence ont été institués. (Ex.: les règlements de zonage, la santé, la sécurité, etc.)

De même, la fourniture de tout bien ou service aux consommateurs par un organisme public ou régi par l'Etat (ex.: l'électricité, le gaz, le transport, etc.) ne devrait être assujettie à aucune considération d'ordre politique.

Compte tenu de ce qui précède, le Board recommande que la ligne de conduite dont le libellé apparaît ci-dessous soit incorporée à la Charte et fasse l'objet de l'article 106: ...seules les entreprises de cinquante salariés ou plus devront posséder un certificat de francisation pour avoir le droit de recevoir de l'Administration des primes, subventions, concessions ou avantages, et de fournir au Gouvernement des biens et services...

(ii) Le comité de francisation

Puisque le projet de loi no 1 confie la responsabilité de la francisation à l'entreprise, c'est à la direction de l'entreprise, qui est en vertu de notre droit des compagnies, chargée du respect des lois et règlements la régissant, qu'il devrait appartenir d'assurer l'élaboration et la mise en oeuvre du programme de francisation en vertu du projet de loi no 1. Par conséquent, aucun autre comité ou organisme ne devrait avoir la responsabilité de voir à ce que l'entreprise se conforme à l'article 106.

On pourrait cependant charger la direction d'affecter une seule personne à la mise en oeuvre du programme, et cette dernière pourrait alors constituer un comité de la taille voulue, composé d'employés et d'autres collaborateurs afin de la seconder.

(iii) Les sièges sociaux

Compte tenu de la situation particulière des sièges sociaux d'entreprises nationales et internationales établis au Québec, le Board recommande instamment que les programmes de francisation qu'on leur demande de mettre en oeuvre soient clairement définis dans la loi, plutôt que dans une réglementation subséquente.

Cette mesure permettrait de stabiliser une situation qui, autrement, pourrait avoir de graves répercussions sur l'économie, et elle réduirait en outre la portée possible des interventions administratives au-delà des intentions du législateur.

Dans le cadre de l'obtention du certificat de francisation, il importe de toujours garder à l'esprit que les sièges sociaux d'entreprises nationales et internationales font face aux impératifs suivants:

(a)Evoluer dans un contexte qui permet le libre mouvement du personnel entre le siège social et les filiales et divisions, où qu'elles soient situées.

(b) Pouvoir rédiger les documents internes dans la langue de leur choix, selon les besoins de l'entreprise.

(c) Faire en sorte que les filiales, divisions et bureaux régionaux puissent communiquer avec le siège social, où qu'il soit situé, dans la langue de leur choix mutuel.

La langue de certains organismes parapublics (Articles 25 à 32)

Les membres des ordres professionnels.

Nous supposons que l'expression "doivent communiquer en français" dans l'article 27 n'exclut pas l'usage de l'anglais, et pour plus de clarté, il conviendrait de l'affirmer.

Si seul le français doit être utilisé, la disponibilité des membres d'ordres professionnels en provenance d'autres provinces canadiennes en vue de leur recrutement par des entreprises du Québec, serait sérieusement compromise.

De plus, les membres de longue date des ordres professionnels du Québec dont la langue première est l'anglais en subiraient un tort injuste.

Bon nombre d'employés d'entreprises provinciales, nationales et internationales établies au Québec proviennent d'autres provinces ou d'autres régions du monde et sont tenus d'être membres d'ordres professionnels provinciaux afin de pouvoir exercer leur profession au Québec. Quantité d'entre eux ne traitent pas avec le public québécois et l'essentiel de leur travail au sein de ces entreprises est strictement soit interne ou exclusivement avec une clientèle de l'extérieur. Plutôt que d'assujettir ses employés à la réglementation relative à la langue officielle, le Gouvernement devrait leur offrir, en collaboration avec les ordres professionnels, les incitations et les moyens voulus pour leur permettre d'apprendre le français, à titre d'attrait supplémentaire de leur travail au Québec.

L'obligation imposée aux membres d'ordres professionnels de se présenter à des examens pour le renouvellement de leur permis est de nature à influer sur la venue au Québec de spécialistes en provenance d'autres régions du Canada et du monde qui pourraient assurer un apport à l'économie du Québec.

Le Montreal Board of Trade souhaite avoir l'occasion de se présenter devant la Commission en vue de soutenir et de préciser les points de vue exposés dans la présente et de participer à la formulation d'une Charte de la langue française qui serve les intérêts de toute la population québécoise. Le Board of Trade apprécierait vivement que la Commission lui accorde, si la chose est possible, une audience individuelle.

Le tout soumis respectueusement.

Le président, B.J. Finestone

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