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Version finale

32nd Legislature, 4th Session
(March 23, 1983 au June 20, 1984)

Wednesday, May 25, 1983 - Vol. 27 N° 65

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Examen de la décision de la SEBJ et du rôle du premier ministre et de son bureau lors du règlement hors cour de la poursuite intentée à la suite du saccage de LG 2


Journal des débats

 

(Dix heures sept minutes)

Le Président (M. Jolivet): À l'ordre! La commission élue permanente de l'énergie et des ressources est à nouveau réunie aux fins d'examiner les circonstances entourant la décision du conseil d'administration de la Société d'énergie de la Baie James de régler hors cour la poursuite civile intentée à la suite du saccage du chantier de LG 2 survenu en 1974 et, plus spécifiquement, le rôle du premier ministre et de son bureau à cet égard.

Les membres de cette commission sont: MM. Vaillancourt (Jonquière), Ciaccia (Mont-Royal), Duhaime (Saint-Maurice), Bourbeau (Laporte), Laplante (Bourassa), Paradis (Brome-Missisquoi), Lavigne (Beauharnois), LeBlanc (Montmagny-L'Islet), Lalonde

(Marguerite-Bourgeoys), Perron (Duplessis), Tremblay (Chambly).

Les intervenants sont: MM. Bisaillon (Sainte-Marie), Baril (Rouyn-Noranda-

Témiscamingue), Desbiens (Dubuc), Dussault (Châteauguay), Mme Harel (Maisonneuve), MM. Gratton (Gatineau), Pagé (Portneuf), Doyon (Louis-Hébert), Saintonge (Laprairie); le rapporteur étant toujours M. LeBlanc de Montmagny-L'Islet.

Les personnes qui sont invitées devant nous aujourd'hui sont Me Jean-Roch Boivin, pour terminer les questions qu'on a à lui poser, et l'honorable juge Michel Jasmin. Je dois aussi vous rappeler que l'horaire de la journée est de maintenant jusqu'à 12 h 30 à la suite d'une entente intervenue sur une motion présentée par le leader à l'Assemblée nationale. Nous devrions normalement reprendre après la période des questions; comme l'Assemblée nationale se réunit à 15 heures, cela veut dire vers 16 heures ou 16 h 30. Je rappelle aussi que nous devons siéger demain à compter de 10 heures, selon les heures habituelles. C'est le travail que nous avons à faire pour cette semaine, puisque vendredi il n'y aura pas de commission parlementaire.

Au moment où nous nous sommes quittés...

M. Ouhaime: Je voudrais vous dire un mot là-dessus, M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): Sur vendredi, M. le ministre?

Ordre des travaux

M. Duhaime: M. le Président, j'avais indiqué mardi, c'est-à-dire hier à l'ouverture de la commission, que normalement nous ne siégerions pas le vendredi 27 mai. C'était, bien sûr, dans une hypothèse de travail selon laquelle en gros, des marges de manoeuvre y étant ajoutées, nous aurions terminé depuis hier après-midi ou hier soir 18 heures le témoignage de Me Jean-Roch Boivin. Cela fera une semaine demain que Me Boivin est devant la commission, si on compte cela en semaine de calendrier. Cela fait quatre jours. Ses remarques préliminaires ont pris 21 minutes du temps de la commission. J'ai moi-même pris 35 minutes du temps de la commission. L'Opposition a pris sept heures et quarante minutes, en incluant, bien sûr, les interruptions sur les questions de règlement. Mais les questions de règlement sont-elles imputables au parti ministériel lorsqu'elles sont bien fondées et imputables au parti de l'Opposition lorsqu'elles ne sont pas fondées? Pour faire une histoire courte, M. le Président, nous sommes très en retard dans les travaux de cette commission, peut-être de trois semaines. Dans le but de tenter de terminer vendredi, je proposerai tout à l'heure au leader du gouvernement de convoquer la commission pour vendredi matin et, si c'est nécessaire, pour vendredi après-midi et il n'est pas exclu pour vendredi soir. Je pense qu'il faut que cela finisse un jour. Nous sommes dans la huitième semaine. Il m'apparaît raisonnable que le piétinement cesse. À moins d'être sourds, muets, aveugles et d'avoir complètement perdu le contact avec la réalité, je pense qu'il y a seulement quelques membres de cette commission qui, j'oserais dire, veulent continuer de s'amuser en continuant.

M. le Président, je le dis sous réserve, parce que je n'ai pas eu l'occasion de parler au leader du gouvernement, mais je le ferai. Suivant les motions qui pourraient être données jeudi, à l'Assemblée nationale, on verra. Si c'est nécessaire qu'il y ait d'autres consultations entre le leader de l'Opposition et le leader du gouvernement, je pense que cela pourrait être fait.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: On est habitué aux sautes

d'humeur du ministre, mais en fin de soirée; c'est rare le matin en se levant. Vraiment, M. le Président, je ne comprends pas l'excitation intellectuelle du ministre aujourd'hui. Nous procédons très régulièrement. D'ailleurs, les heures et les minutes consacrées par un côté ou l'autre de la table démontrent bien l'intérêt respectif de chacun des partis à faire éclater la vérité.

M. Duhaime: On va s'en parler, puisque vous abordez cela.

M. Lalonde: Cela ne m'impressionne pas, si le ministre, au bout de 21 minutes, n'avait plus d'essence et ne savait plus quelle question poser sur un événement qui a couvert une période de quatre ou cinq mois, peut-être plus que cela si on retourne au rapport Cliche, le saccage de la Baie-James qui a coûté des millions de dollars aux Québécois.

En ce qui concerne la proposition du ministre de siéger vendredi matin, ce n'est pas nouveau. Je pense qu'on a siégé au moins quatre ou cinq fois le vendredi matin. Trois fois ou quatre fois?

M. Duhaime: Non, deux fois.

M. Lalonde: Ah, plus que cela, je regrette. Même un vendredi après-midi, avec notre consentement. Je suggère au ministre de faire les vérifications nécessaires avec le leader du gouvernement avant de nous menacer. C'est le ton de menace du ministre ce matin qui me fait rire un peu, de faire siéger la commission vendredi après-midi et vendredi soir. Alors, nous avions compris que le ministre ne voulait pas faire siéger la commission vendredi matin parce que plusieurs parlementaires et membres du gouvernement, y compris le chef du gouvernement, je pense...

M. Duhaime: Y compris le ministre qui vous parle.

M. Lalonde: ...y compris le ministre de l'Énergie et des Ressources et plusieurs députés des deux côtés de la table sont convoqués à l'inauguration du Palais des congrès à Montréal.

M. Duhaime: De toute façon, je ne vois pas ce que vous allez faire là.

M. Lalonde: Nous n'avions pas du tout protesté à ce changement dans le programme mensuel ou hebdomadaire de nos travaux à cause de cet événement que nous respectons. Si le ministre veut faire siéger la commission vendredi matin, libre à lui; en ce qui concerne vendredi après-midi et vendredi soir, je lui rappelle que cela prendrait le consentement de l'Opposition. Nous pourrons faire les consultations nécessaires à cet égard.

Nous croyons qu'il reste deux témoins après Me Boivin: Me Jasmin et le premier ministre. Ce dernier ne sera pas un témoin, c'est-à-dire qu'il va témoigner sans être un témoin; enfin, je ne sais pas comment il va s'arranger pour répondre à des questions sans témoigner ou à siéger à cette commission parlementaire comme membre pour examiner son propre rôle et le rôle de son propre cabinet dans l'événement. C'est à voir. Enfin, j'espère qu'on verra cela bientôt.

Il reste peut-être M. Maurice Pouliot, à la suite d'une motion que nous avons l'intention de faire éventuellement; M. Yvan Latouche qui, semble-t-il, a beaucoup de choses à dire et peut-être d'autres, pour reprendre ou enchaîner avec ce que le ministre disait il y a quelques semaines déjà, au début des travaux de notre commission, qu'il se peut qu'on doive rappeler des témoins qui ont déjà été invités. Cela n'a pas été réglé encore car le ministre ne m'a pas consulté à ce sujet.

M. le Président, nous continuons de procéder dans le but de trouver toute la vérité et ce n'est pas facile. À certains moments, c'est même pénible. Nous ne nous laisserons pas impressionner par les sautes d'humeur du ministre.

Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.

M. Duhaime: Je n'ai pas voulu donner l'impression à quiconque que mon caractère avait changé ce matin; au contraire, je me sens d'excellente humeur. Ce qui me gêne dans le fond, c'est de bretter pendant autant de temps. Pour l'information précise des membres de la commission, je vous dirai que la quatrième journée de nos travaux était le vendredi 15 avril, la huitième journée était le vendredi 22 avril, la onzième le vendredi 29 avril et la dix-septième journée le vendredi 13 mai 1983.

M. Lalonde: II y a eu deux séances ce vendredi-là.

M. Duhaime: II y a eu effectivement deux séances. Cela a été la seule fois ou nous avons siégé un vendredi après-midi pour rattraper, je crois, un mardi précédent ou une journée où, d'un commun accord, nous avions décidé de ne pas faire siéger la commission.

Ce que je dis tout simplement - M. le Président, ce n'est pas une saute d'humeur, je voudrais rassurer mes collègues là-dessus -c'est que j'ai l'impression cependant, quand je leur dis qu'ils ont tout le loisir de poser des questions, que je les encourage moi-même à prolonger puisque, au 24 mai

inclusivement, il y a eu 20 jours d'auditions, soit 92 heures et 15 minutes. Je n'ai pas la compilation exacte encore, mais je pense que le parti ministériel a pris moins de 20% du temps des travaux de la commission.

M. Lalonde: Ils ne sont pas intéressés.

M. Duhaime: Non pas que nous ne soyons pas intéressés, M. le Président, comme me le suggère le député de Marguerite-Bourgeoys, mais lorsque la même question est posée une fois, deux fois, trois fois et que la même réponse revient, je ne vois pas l'utilité de la poser quinze fois. Chacun a sa façon de travailler, chacun a sa propre logique. Je n'ai fait aucune menace. M. le député de Marguerite-Bourgeoys vous connaissant comme je vous connais, cela vous en prend passablement et pour vous menacer et pour vous déstabiliser. Tout ce que je dis, c'est que mon objectif est de terminer les travaux de cette commission vendredi. Je suis à peu près certain qu'au cours des heures qui vont venir, sinon au cours de la journée, j'aurai l'occasion de vérifier si l'Opposition a également l'intention de terminer vendredi.

Pour ce qui est des motions qui viendront, vous les ferez quand vous le jugerez utile. Mais je vous dis tout de suite que, vendredi matin, j'ai l'intention de faire siéger la commission et que je le proposerai au leader du gouvernement. Je ne vois pas pourquoi l'Opposition pleurerait beaucoup, du moins les membres qui sont ici, puisqu'ils seraient absents de la cérémonie d'ouverture du Palais des congrès. Durant toutes les années où j'ai eu la responsabilité de ce dossier, cela ne vous a intéressés que dans la mesure où vous avez pu dénigrer le projet. Alors, je ne vois pas pourquoi vous auriez des larmes de crocodile ce matin.

M. Gratton: À part cela, ça va bien? Ça va bien à part cela?

M. Duhaime: Vendredi après-midi, si nous n'avons pas terminé nos travaux, je proposerai que nous ayons une séance de travail, si cette séance devait présumément être la dernière. S'il y a encore deux ou trois jours d'ouvrage, l'évidence est criante: à ce moment-là, on pourra décaler.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: M. le Président, je voudrais demander une précision. À ce moment-là, il est possible qu'on en soit rendu à l'invitation - appelez cela comme vous voulez - à la comparution, à l'apparition, enfin, du premier ministre. Est-ce que, vendredi matin, on peut s'assurer de la présence du premier ministre, puisqu'il est censé - c'est ce que j'avais compris - présider l'inauguration du Palais des congrès?

M. Duhaime: Avec la collaboration que l'Opposition manifeste, il me fait plaisir de vous informer que M. Lévesque ne sera pas ici vendredi.

M. Lalonde: M. Pouliot?

M. Duhaime: On va rester là-dessus. Faites votre motion.

M. Lalonde: Yvan Latouche, on peut peut-être l'appeler. Est-ce que vous avez son numéro?

M. Duhaime: Yvan Latouche, vous pouvez lui parler quand bon vous semble. Il est à votre service, même que vous payez ses dépenses.

Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît! Ne commençons pas ce débat. Cependant, je sais très bien que le président de la commission est à votre service. J'avais eu l'occasion de vous demander une permission pour une certaine journée. Comme on avait prévu qu'on ne siégerait pas vendredi, j'avais projeté d'aller aux confins de mon comté en avion parce qu'il n'y a pas de chemin pour s'y rendre de mon côté vers Clova et Parent. Mais je ferai en sorte, si vous me dites au cours de la journée qui vient que je ne peux m'absenter, d'annuler mon voyage. Je le reporterai à un autre jour.

M. Lalonde: M. le Président, vous voyez que les sautes d'humeur du ministre, ce sont quasiment des crimes de lèse-présidence.

Le Président (M. Jolivet): Ah! Ah! Ahl

Sauf, que cela me permet de faire un peu de publicité pour mon comté.

M. le député de Brome-Missisquoi, vous avez la parole.

M. Paradis: M. le Président, il est 10 h 20. Je suis certain que le ministre va compiler tout ce temps-là sur celui de l'Opposition dans cette commission.

M. Duhaime: Ce n'est pas moi qui fais cela, M. le Président, je m'excuse. M. le Président, cela me paraîtrait important d'apporter des précisions.

Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.

M. Duhaime: Je vous dirai que le minutage dont j'ai fait état tantôt, pour l'information du député de Brome-Missisquoi, m'est fourni par le Secrétariat des commissions parlementaires et que ce n'est

compilé ni par mes services, ni par les services du bureau du leader du gouvernement.

M. Lalonde: Donc, on va vous croire.

M. Duhaime: Ces chiffres-là vous sont accessibles également.

M. Lalonde: Merci de l'avoir précisé.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Brome-Missisquoi, vous avez maintenant la parole pour commencer les questions que vous avez à poser et terminer, si possible.

Témoignage M. Jean-Roch Boivin (suite)

M. Paradis: Oui, M. le Président, en suivant votre sage conseil. Essentiellement, j'ai une question à adresser au chef de cabinet du premier ministre, ce matin. De janvier 1979 à février 1979, soit pendant deux mois, vous avez eu avec les procureurs, celui du syndicat québécois et celui du syndicat américain, ainsi que ceux de la Société d'énergie de la Baie James, une dizaine de rencontres qui ont duré une dizaine d'heures. Vous ne nous avez fourni à peu près aucun détail concernant ces rencontres et aucun concernant les rencontres des 16 janvier, 2 février et 9 février. La nuit portant conseil et vous ayant fait part de mes inquiétudes, hier soir, quant à ce trou de mémoire, est-ce que vous pouvez, ce matin, ajouter des éléments qui vous seraient revenus à la mémoire au cours de la nuit concernant ces dix heures de réunion au bureau du premier ministre concernant la cause?

M. Boivin: Vos inquiétudes ne m'ayant pas empêché de dormir, j'ai dormi profondément. Donc, je n'ai pas eu le temps de songer à d'autres détails. D'ailleurs, cela fait cinq ou six semaines que vous siégez; donc, cela fait cinq ou six semaines que j'ai l'occasion d'essayer de me rafraîchir la mémoire le plus possible. Quant à ces rencontres, je maintiens ce que j'ai dit. Je trouve que ma mémoire n'est pas si mal parce que, par exemple, ce matin, j'ai regardé rapidement un cahier intitulé Correspondance et lettres de Geoffrion et Prud'homme et j'ai vu que cela négociait pendant tout le mois de janvier et qu'on s'échangeait des documents de transactions puisqu'il y avait des montants qui changeaient. J'appelle cela des "transactions". Contrairement à ce que vous m'avez dit, qu'il n'y avait pas de mandat avant le 6 février, je ne sais pas s'ils avaient un mandat, mais je vois que cela négociait.

Deuxièmement, j'ai vu rapidement, ce matin, que, dès le mois de décembre 1975 -M. le député de Laprairie n'a pas eu la bonté de me citer ce paragraphe - "les avocats Geoffrion et Prud'homme s'inquiétaient de la solvabilité des défendeurs québécois". Je présume que cela a été vérifié par la Société d'énergie de la Baie James. Pour répondre à votre question, M. le député, je n'ai pas d'autres détails.

M. Paradis: Cela va. J'aurai quelques commentaires, M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): Vous en avez parfaitement le droit, sachant qu'il n'y aura pas de question après.

M. Paradis: Très bien, M. le Président.

M. Duhaime: Ce sont vos commentaires, là?

M. Paradis: Oui. Hier, M. le Président, le chef de cabinet du premier ministre, celui qui est en autorité au bureau du premier ministre, nous a dit que, quant à la nomination, le 26 octobre 1977, de Me Yves Gauthier - qui est un de ses amis, qui est un organisateur politique, qui a été organisateur en chef des campagnes électorales pour le Parti québécois - comme tuteur d'un des syndicats poursuivis par la Société d'énergie de la Baie, il ne se souvenait pas s'il avait été consulté. Il a également ajouté que la recommandation faite par Me Gauthier au syndicat américain à l'hiver 1977-1978 d'embaucher à titre de procureur son exassocié d'affaires et ami personnel, Me Rosaire Beaulé, ne l'avait pas frappé dans ce dossier. Quant au dîner qu'il avait eu le 26 juin 1978 avec Me Beaulé, il avait été très peu question de cette fameuse poursuite.

Le 3 octobre 1978, lorsque Me Yves Gauthier, qui a été tuteur pendant un an, s'est vu offrir une position de conseiller spécial au bureau du premier ministre, Me Boivin se souvient d'avoir été consulté quant à cette nomination, mais il n'a accordé aucune importance au fait que Me Gauthier, pendant l'année qui a précédé sa nomination comme conseiller spécial au bureau du premier ministre, avait occupé la présidence de la tutelle d'un syndicat poursuivi par la Société d'énergie de la Baie James. Tous ces éléments ne font pas partie de son mémoire parce que cela n'est pas important et on nous demande de croire cela.

M. le Président, j'ai été frappé de façon positive de la mémoire que Me Boivin, chef de cabinet du premier ministre, a conservée des éléments qui sont survenus en novembre et en décembre 1978. Il a dit que sa mémoire avait été aidée par une reconstitution des faits. Il se souvient d'un coup de téléphone de M. Louis Laberge en novembre 1978. Il se souvient, parce que Me

Beaulé lui a aidé à s'en souvenir, d'une rencontre à Québec à ses bureaux, le 1er décembre, où Me Beaulé lui a remis une défense. Il se souvient d'une rencontre du 4 décembre avec Me Jasmin qui a duré au maximum 40 minutes. Il se souvient d'une rencontre du Il décembre avec Me Beaulé qui a duré une cinquantaine de minutes. Il se souvient d'avoir consulté des opinions de Geoffrion et Prud'homme de 1975 - là, on était à la fin de 1978 - et il se souvient d'en avoir discuté avec Me Jean-Paul Cardinal.

Pour novembre et décembre 1978, une excellente mémoire et je suis conscient que le témoin a dû faire plusieurs efforts pour être capable de reconstituer tous les faits qui l'ont amené à recommander au premier ministre du Québec de demander à la Société d'énergie de la Baie James d'abandonner les poursuites et de régler hors cour. Il y avait au total quatre réunions qui ont duré un maximum de deux heures. On a bien reconstitué ces événements.

Ce qui m'inquiète, M. le Président - et c'était là le sens de ma première question de ce matin - c'est la mémoire, pour 1979, du même chef de cabinet. Ce qui est curieux, c'est que 1979 est plus proche que 1978. Je ne dirai pas qu'il y a un an de différence pour imiter le ministre; je vais dire qu'il y a quelques mois de différence: fin 1978, début 1979.

On a dix réunions qui ont duré au maximum de 707 minutes, onze heures et trois quarts. Disons une dizaine de réunions pour une dizaine d'heures et on ne sait pas ce qui s'est passé, sauf qu'il y avait des gens nerveux qui se promenaient dans le bureau du premier ministre à qui on servait des cafés. C'est pratiquement tout ce qu'on a retiré de cette dizaine d'heures. Cela crée un trou béant dans la preuve qu'on est en train d'essayer de faire comme parlementaires. On parle de faire toute la lumière et on a une dizaine d'heures de réunions où c'est nébuleux et ombragé. Cette dizaine d'heures nous démontre clairement que les avocats de toutes les parties impliquées se sont promenés dans le bureau du premier ministre et ont rencontré le témoin qui est devant nous.

Je comprends que c'est loin, 1979; je comprends que le témoin peut avoir des difficultés à s'en souvenir, mais l'observation que je fais n'est pas une observation strictement personnelle quant à votre mémoire, Me Boivin, pour les mois de janvier et février 1979. C'est une observation que m'a faite un citoyen de Mistassini, en fin de semaine, M. Eugène Gagné, âgé de 90 ans; il est né le 6 janvier 1894. Ce dernier m'a dit qu'à son âge il possédait une meilleure mémoire que vous. Il suivait les débats et c'était son appréciation personnelle. (10 h 30)

M. le Président, il y a davantage. À l'occasion des témoignages de tous les administrateurs de la Société d'énergie de la Baie James, ceux-ci nous ont assurés que ce n'était pas eux qui avaient négocié. Quant au bureau Geoffrion et Prud'homme, je vous ai référé et je vous le rappelle au ruban R 747 page 1 et 2 du témoignage de Me Cardinal qui déclare, - là-dessus, on a une interprétation différente - : "J'ai entendu, depuis de longues semaines, de longs jours, cet argument que nous avons: Ils ont eu 300 000 $ et qu'on aurait dû avoir plus ou on aurait dû avoir moins." Il est clairement question d'argent: 300 000 $ plus ou moins. "La question est simple - il dit que ce n'est pas compliqué; n'essayons pas de compliquer cela, gardons cela simple - en autant que je suis concerné - c'est Me Cardinal qui parle - en autant que le bureau d'avocats est concerné - c'est Geoffrion et Prud'homme, le bureau d'avocats - cette négociation n'était pas une négociation financière. Toute cette négociation, quand on a écouté, quand on en a parlé, cela s'adressait toujours à des questions de principe, à savoir qui admettrait sa responsabilité qui ne l'admettrait pas." Donc, si ce ne sont pas les administrateurs, si ce ne sont pas les avocats de Geoffrion et Prud'homme, qui a négocié? Et c'est là que je reviens dans le trou de dix heures, dans le blanc de mémoire ou dans peut-être la bonne mémoire, mais de chef de cabinet d'un témoin.

Ce qui m'inquiète, M. le Président, c'est qu'on refuse, du côté ministériel, du côté du Parti québécois, d'entendre M. Maurice Pouliot, un représentant syndical qui a signé et qui avait un lien direct...

Le Président (M. Jolivet): M. le député, j'ai fait mention que nous devions avoir une motion pour discuter de cette question.

M. Paradis: Oui, M. le Président. Je ne fais que souligner qu'on refuse de l'entendre. Je n'ai pas fait de motion. J'ai le droit de souligner que le ministre refuse de le convoquer sans motion, disons cela, comme il l'a fait avec les autres témoins qu'il a voulu entendre. Et M. Pouliot nous apprenait - et cela pourrait peut-être apporter de l'éclairage sur les dix heures où on n'a plus de mémoire - dans le Soleil du 18 mai 1983 sous le titre Le rôle du bureau de Lévesque est évident - un article du journaliste Jean-Jacques Samson dont je cite un extrait -"Selon les propos de M. Pouliot, le Conseil provincial des métiers de la construction ne cherche d'aucune façon à dissimuler qu'il y a bel et bien eu des négociations au bureau du premier ministre, en février 1979, impliquant leur procureur, Me Michel Jasmin. "Ce n'est pas marqué dans ses comptes d'honoraires professionnels, mais je pense que c'est tout de même assez connu. C'est

évident qu'il y a eu un va-et-vient dans le bureau du premier ministre et sûrement qu'on ne rencontre pas le premier ministre (ou l'un de ses plus proches collaborateurs) pour lui parler d'une partie de pêche ou une partie de golf ou de choses semblables. C'est évident qu'on discutait du règlement hors cour et, par la suite, le premier ministre a mentionné (à l'Assemblée nationale) qu'il était favorable à un règlement hors cour."

Si vous voulez qu'on vous croie comme parlementaires, à savoir que la nomination de Me Yves Gauthier comme tuteur était complètement indépendante de ce qui s'en venait; si vous voulez qu'on vous croie sur le fait que Me Beaulé, votre ami personnel et ex-associé d'affaires, a été recommandé au syndicat américain comme avocat par Me Gauthier et que cela n'a aucune relation avec le règlement hors cour; si vous voulez qu'on vous croie qu'il n'y avait eu aucune relation entre le fait que Me Gauthier était tuteur et qu'il s'est retrouvé conseiller spécial au bureau du premier ministre à l'automne 1978; si vous voulez qu'on vous croie sur l'ensemble des dix heures pendant lesquelles vous n'avez pas eu de mémoire -ou vous avez une excellente mémoire de chef de cabinet - il va falloir que vous nous donniez des éléments additionnels. Il va falloir, comme chef de cabinet du premier ministre, que vous fassiez autant d'efforts pour aller rencontrer les gens qui vous ont aidé à préparer votre témoignage qui a porté sur les mois de novembre et décembre 1978, alors que vous avez pu reconstituer avec ces gens-là l'essentiel de ce qui s'est passé d'une façon chronologique, d'une façon crédible.

Si ces efforts-là ne sont pas faits pour les mois de janvier et février 1979, comment voulez-vous qu'on vous croie? Ce sont les deux mois qui ont suivi et la qualité de la mémoire ou la qualité de votre témoignage est complètement différente sur ces deux portions-là. Vous nous demandez un effort impossible. Je suis prêt, même si c'était vendredi, à ce que vous reveniez, que vous alliez rencontrer Me Beaulé si cela peut vous aider, que vous rencontriez Me Jasmin et que vous fassiez cet effort-là de vraiment éclairer la commission sur ces dix heures de va-et-vient de tous les procureurs dans le bureau du premier ministre. Peut-être, à ce moment-là, pourrez-vous vous convaincre, vous, qu'il y a eu négociation sur le montant strictement dans le bureau du premier ministre et peut-être pourrez-vous nous convaincre aussi qu'il y a eu des négociations sur le montant dans le bureau du premier ministre. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.

M. Duhaime: M. le Président...

Le Président (M. Jolivet): Oui.

M. Boivin: Je voudrais non pas répliquer, car je pense que ce serait déplacé...

Le Président (M. Jolivet): Me Boivin. Me Boivin. M. le député! Me Boivin.

M. Boivin: Je voudrais juste dire quelques mots qui sont...

Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît! M. le député.

M. Boivin: ...de fait, qui sont factuels; d'autres qui sont un commentaire quant à l'article du Soleil dont vous avez exhibé la photocopie. Le titre, Le rôle du bureau de Lévesque est évident, quant à moi, cela m'apparaît évident depuis la déclaration de M. Lévesque du 20 février 1979 en Chambre, c'est-à-dire que le premier ministre a joué un rôle là-dedans. Cela m'apparaît évident, il l'a dit lui-même.

Deuxièmement, quant à l'article même, c'est-à-dire les déclarations de M. Pouliot, il est peut-être un excellent syndicaliste - je ne m'en souviens pas, je l'ai rencontré une fois - mais quand il dit rencontres, discussions, négociations ou ingérence, c'est du pareil au même, je ne l'engagerais pas au bureau pour écrire des lettres, parce qu'il ne semble pas avoir une connaissance du français très poussée.

Maintenant, M. le député, vous me dites: - cela s'applique à vous et cela s'applique à tous vos collègues - Si vous voulez qu'on vous croie... Je suis ici et je ne vous demande pas de me croire. Je m'adresse à l'opinion publique. Je ne m'adresse pas à vous, parce que je me rends compte que nous sommes dans un cadre partisan et les partisans en politique me font penser au poisson théologien qui soutenait que l'univers était liquide et aucun de ses semblables ne l'avait contredit. Je ne m'adresse pas ici aux hommes politiques, je m'adresse à l'opinion publique. Merci.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: Je pense, M. le Président, que je pourrais enchaîner avec ce que Me Boivin a dit en affirmant que nous, de notre côté, M. le Président ou Me Boivin, nous nous adressons aussi à l'opinion publique, parce que nous sommes fort conscients que nous travaillons dans un contexte partisan. C'est celui qu'on nous a imposé. Nous avions demandé une enquête indépendante non partisane. Je pense que tous les spectateurs, tous les participants et vous-même comme témoin avez pu vous rendre compte jusqu'à quel point il est pénible de tenter de faire

fonctionner un processus de question-réponse, un processus de recherche de la vérité dans un contexte de la sorte: interruptions, interférence politique des deux côtés, mais comme c'est nous qui posons les questions... Donc, M. le Président, c'est une introduction aux quelques questions que j'ai à poser.

Je veux simplement enchaîner sur ce que le témoin a dit. Quand on fait des leçons de français aux syndicalistes, on pourrait peut-être leur suggérer la consultation de certains dictionnaires. J'en ai un qui s'appelle le Larousse analogique. Au mot "négocier", je retrouve certaines choses. C'est divisé en deux: négocier entre États ou entre particuliers. "Entre particuliers: Traiter, conduire une affaire". Je vais les dire tous pour qu'on ne m'accuse pas d'avoir donné seulement ce qui fait mon affaire. Donc: "Traiter, conduire une affaire. Agent d'affaires. Cabinet d'affaires. Intermédiaire. Médiateur, médiation. Intervenir, intervention. S'entremettre, entremise". C'est le premier sous-paragraphe. Le deuxième et dernier: "S'aboucher. Prendre langue. Discuter, discussion." Peut-être que le député de Châteauguay pourrait m'écouter attentivement.

M. Dussault: C'est ce que je fais.

M. Lalonde: "Débattre, débat". Cela, c'est toujours dans le dictionnaire analogique de Larousse au mot "négocier".

M. Dussault: Analogique? Vous le dites bien!

M. Lalonde: "Jeter les bases de. Proposer, proposition. Arranger, arrangement. Régler, règlement", M. le député de Châteauguay.

M. Laplante: C'est un des dictionnaires de M. Doyon?

Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît!

M. Lalonde: "Convenir, convention. S'accorder, accord. Rapprocher les parties". Comme on se retrouve! "Transiger, transaction. Accomodement. Concordant". Je pense que M. Pouliot n'a pas péché...

M. Duhaime: C'est vous, cela.

M. Lalonde: ...de façon aussi grave que vos propos le suggéraient contre la langue française si le journaliste a bien rapporté ses propos.

M. Duhaime: Est-ce qu'on peut dire qu'il a péché par analogie?

M. Dussault: M. le Président, question de règlement.

Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît! Non, non, je m'excuse, je ne voudrais pas que vous interveniez dans ce que le député...

M. Dussault: Article 96, M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): Je ne peux pas le permettre, M. le député.

M. Dussault: Pourquoi donc ne pouvez-vous pas me le permettre, M. le Président?

Le Président (M. Jolivet): Non, il faut attendre que le député ait terminé.

M. Dussault: Puis-je vous demander une directive, M. le Président, en vertu de l'article du règlement que vous voudrez?

Le Président (M. Jolivet): Vous pouvez toujours me demander une directive.

M. Dussault: Oui? M. le Président, si le député de Marguerite-Bourgeoys me met en cause en signalant qu'il s'agit d'un dictionnaire analogique qui fait référence à des propos que j'ai tenus, quand allez-vous pouvoir me donner la parole pour réagir là-dessus?

Le Président (M. Jolivet): À la fin.

M. Dussault: Parce que le député de Marguerite-Bourgeoys s'est trahi...

Le Président (M. Jolivet): A la fin, M. le député.

M. Dussault: ...en disant que c'est un dictionnaire analogique.

Le Président (M. Jolivet): M. le député, vous m'avez demandé une directive et je vous dis: À la fin.

M. Dussault: À la fin? Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: Et c'est président de commissions! M. le Président, j'aurais seulement une correction que vous avez vous-même apportée, Me Boivin, mais je pense qu'on ne vous a pas laissé... C'était? Excusez-moi, parce qu'il y a eu une promotion, je m'excuse.

M. Dussault: Vous errez beaucoup, M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît! Si vous posiez directement votre question, M. le député de Marguerite-Bourgeoys, cela m'aiderait beaucoup.

M. Lalonde: Je voulais donner satisfaction à l'adjoint parlementaire.

Le Président (M. Jolivet): Oui. Bon, allez donc.

M. Lalonde: Donc, cette correction, Me Boivin, vous l'avez faite à la page... Non, vous ne l'avez pas faite à la page... La phrase que vous vouliez corriger se trouve au ruban 1398. Lorsque vous rapportiez votre conversation du 1er février, vous avez dit -et c'est au bas de la page - "Là-dessus, je ne me souviens pas si c'est moi ou le premier ministre qui avait demandé à ces syndicats d'admettre leur responsabilité." Vous avez fait une mise au point, mais, quand on la relit, on ne retrouve pas... Vous avez référé à ce que j'avais compris. Pourriez-vous nous dire ce que vous avez dit à ce moment-là, autrement dit apporter vous-même la correction et non pas le faire par personne interposée?

M. Boivin: Quant à la faire, on va essayer de la faire comme il le faut.

M. Lalonde: Oui, oui.

M. Boivin: Alors, vous citez le ruban 1398, page 1.

M. Lalonde: Pages 1 et 2.

M. Boivin: Oui, c'est cela, pages 1 et 2, au bas de la page 1 et en haut de la page 2. Au bas de la page 1, je cite: "Là-dessus, je ne me souviens pas si c'est moi ou le premier ministre qui avait demandé à ces syndicats d'admettre leur responsabilité. Il va être clairement établi qu'il n'y a pas de responsabilité partagée." J'ai dit: La phrase n'a pas de sens. De plus, elle est fausse. Ni moi ni le premier ministre n'avons demandé à quelque syndicat que ce soit d'admettre sa responsabilité. Mais lors d'une discussion avec M. Boyd où il a dit qu'il était important, pour l'honneur ou pour le nom ou le bon renom de la SEBJ, d'obtenir un jugement afin de bien démontrer que la responsabilité de la SEBJ n'est aucunement engagée dans le saccage, je lui ai dit à ce moment-là, je crois, ou le premier ministre lui a dit, mais je serais porté à penser que c'est moi: S'ils admettent leur responsabilité, cela revient au même. Voilà le sens de la correction.

M. Lalonde: Bon, je vous remercie. J'aurais une question concernant, le plus modestement possible, la question que j'avais posée le 12 février au ministre de la Justice.

Cela a été soulevé, je pense, par mon collègue, le député de Brome-Missisquoi, hier. J'avais posé une question au ministre de la Justice, après qu'un poste de radio au moins eut publié certains éléments de ce règlement...

M. Perron: Cela doit être André Arthur.

M. Lalonde: ...publication, d'ailleurs, qui avait, d'après les témoignages qu'on a eus ici, influencé un peu le conseil d'administration à ne pas publier dans les procès-verbaux les discussions qu'il y avait sur cette question pour les réunions des 23 et 30 janvier. Donc, cela a dû être publié par ce journal-là ou par ce poste de radio au cours du mois de janvier. (10 h 45)

Le ministre de la Justice - si vous le lisez, car je ne veux pas le lire puisque vous l'avez devant vous - de toute évidence, ignorait tout de l'intervention que vous faisiez à ce moment ou que vous aviez faite depuis le 3 janvier ou même auparavant, c'est-à-dire en décembre; il ignorait tout de ce que le gouvernement avait fait là-dedans. Je pense que le député de Brome-Missisquoi vous a demandé si vous aviez communiqué avec le ministre de la Justice, mais vous avez enchaîné sur autre chose dans votre réponse d'hier en disant que vous aviez préparé des notes au cas où une autre question serait posée.

Je veux reprendre cette partie de la question: Est-ce que vous avez fait une démarche pour communiquer avec le ministre de la Justice pour l'informer que le premier ministre et vous-même, son chef de cabinet, étiez impliqués dans cette démarche?

M. Boivin: J'ai dit hier que je ne m'en souvenais pas, mais je me demande si, après la question et la réponse... Comme vous le dites, visiblement à ce moment c'est le 12 février, M. le ministre de la Justice n'était pas au courant du rôle du premier ministre dans cette affaire. Possiblement, mais là j'invente, possiblement qu'après, ayant entendu... Parce que je suis la période de questions à l'Assemblée nationale, cela m'apparaîtrait normal que j'aie dit: M. Bédard ou Marc-André, voici, c'est nous qui nous nous occupons de cela, mais aussi brièvement que cela.

M. Lalonde: Le ministre de la Justice, à la fin de sa réponse, offre d'entrer en communication avec le ministre de l'Énergie et des Ressources d'alors, M. Joron, pour nous donner des renseignements supplémentaires à une date ultérieure. Est-ce que M. Joron vous en a parlé à ce moment-là?

M. Boivin: Je ne crois pas, M. le Président. Je ne le crois pas. Je pense que M. Joron ne m'a pas parlé une fois de cela. C'est pour cela que je ne semble pas trop hésiter là-dessus.

M. Lalonde: Seulement quelques points que je voudrais couvrir avec vous. La question de l'incapacité de payer me chicote dans le sens suivant. Vous l'invoquez, peut-être chronologiquement, mais enfin en premier lieu, je ne sais pas si c'est par ordre d'importance, comme étant un élément qui vous a amené à prendre la décision que vous avez prise, soit de recommander au premier ministre que la poursuite soit abandonnée et qu'il y ait un règlement.

On vous a demandé ici sur quels documents vous fondiez votre connaissance de cette incapacité de payer des syndicats. Vous avez dit que vous n'aviez consulté aucun document, mais que vous aviez demandé à la SEBJ de vérifier cette chose. Là où il y a un hiatus - je voudrais que vous l'expliquiez - c'est que cette incapacité de payer est un facteur de décision pour vous de recommander... Lorsque vous demandez à la SEBJ de vérifier, cette décision est déjà en marche. Vous avez déjà dit à la SEBJ: Le premier ministre désire ou souhaite que ce soit abandonné ou réglé hors cour. C'est difficile de faire vérifier par un autre après coup ce qui est un élément de votre propre décision avant. Voulez-vous m'expliquer cette...?

M. Boivin: C'est curieux, cela m'apparaissait d'une telle évidence, puis cela m'apparaît encore d'une telle évidence qu'ils n'étaient pas capables de payer quelque montant sérieux de règlement que ce soit, ni même de payer les intérêts, ma foil Vous avez raison, à l'époque je n'ai fait que ce que j'ai dit. La suite des événements a prouve que j'avais raison puisque la SEBJ a obtenu des rapports comptables vérifiés qui l'ont convaincue qu'ils n'avaient aucune capacité de payer. Mais c'est par la suite; alors, je vous donne raison, je ne l'ai pas fait dans le temps. Cela m'apparaissait d'une évidence...

M. Lalonde: Bon, très bien. D'ailleurs, vous dites dans votre mémoire que c'était évident.

M. Boivin: Voilà.

M. Lalonde: Si vous étiez si convaincu de l'incapacité de payer des syndicats, pourquoi demander à la SEBJ de s'en convaincre elle-même et de faire la vérification?

M. Boivin: Cela me paraît, quand même, d'une prudence élémentaire. La preuve: il me semble que vous me le reprochiez. Il me semble que c'est évident. Les avocats le disaient dans leur correspondance. Il faut, quand même, faire les gestes, comme on dit en bon français.

M. Lalonde: Est-ce que la prudence élémentaire n'aurait pas été aussi pour vous de vérifier avant de faire votre recommandation au premier ministre?

M. Boivin: M. le député, vous semblez faire nécessairement une relation directe entre l'incapacité de payer et un règlement hors cour. Même si vous avez une capacité de payer, cela peut être de payer 1 500 000 $ au lieu de 17 000 000 $. Donc, il y a encore une nécessité de régler hors cour. C'est relatif.

M. Lalonde: Écoutez, M. le Président, je m'excuse, je ne veux pas vous mettre de mots dans la bouche, ni de lettres dans votre mémoire - pas la mémoire, mais le mémoire - mais c'est vous-même, M. Boivin, qui, dans votre mémoire, invoquez... Laissez-moi retrouver la page.

M. Boivin: C'est à la page 2.

M. Lalonde: À la page 2. Alors, je vous cite: Avant de me former une opinion - au paragraphe 4 - j'ai écouté les représentations de M. Laberge - M. Louis Laberge, président de la FTQ - Me Beaulé et Me Jasmin, j'ai pris des informations au sujet de la poursuite auprès du bureau d'avocats Geoffrion et Prud'homme... Vous avez expliqué comment vous l'avez fait. "J'en suis venu à la conclusion qu'il devrait y avoir règlement hors cour pour les raisons suivantes: l'incapacité évidente des syndicats..." C'est vous-même qui faites la relation entre l'incapacité évidente et le règlement hors cour, ce n'est pas moi.

M. Boivin: On le fait exprès... On ne le fait pas exprès, je veux dire, mais on veut faire vite et on oublie de citer chaque fois ma phrase au complet. "L'incapacité évidente des syndicats québécois défendeurs de payer une somme d'argent qui puisse avoir quelque rapport que ce soit avec le montant réel des dommages". Alors, ce que je dis - c'est ce que j'essayais de dire tantôt - c'est que, suivant l'information superficielle et assez fragmentaire que j'avais à ce moment-là quant au montant de la valeur de la réclamation, je vous ai dit que j'avais téléphoné à François Aquin. Il m'avait dit: Ne me chicane pas, c'est de l'ordre de 17 000 000 $ ou 18 000 000 $. Aquin me dit: Si on va en jugement, on va obtenir 17 000 000 $ ou 18 000 000 $. Je dis: II est évident que les syndicats québécois sont dans l'incapacité de payer une somme

d'argent qui puisse avoir quelque rapport que ce soit avec 17 000 000 $ ou 18 000 000 $. C'est ce que la phrase dit. Donc, je dis: Réglez hors cour. Maintenant, la capacité de payer demeure une question actuelle puisqu'on peut avoir une capacité de payer 200 000 $ en réglant hors cour ou une capacité de payer 1 000 000 $ ou 1 500 000 $ en réglant hors cour. Alors, cela se vérifie, ces choses-là. Et je présume qu'ayant fait toutes ces vérifications la SEBJ a obtenu le maximum. Je le présume.

M. Lalonde: Est-ce que, lors de votre rencontre du 3 janvier avec M. Laliberté pour lui exprimer ou lui transmettre le souhait du premier ministre à savoir que cette cause soit abandonnée et qu'il y ait règlement hors cour, vous avez invoqué en particulier cet argument de l'incapacité de payer?

M. Boivin: Oui, M. le Président.

M. Lalonde: Oui. Est-ce que M. Laliberté a dit quelque chose sur cette question en particulier?

M. Boivin: Je me souviens d'avoir dit: Je présume que vous allez vérifier cela et il a dit oui.

M. Lalonde: Est-ce qu'il vous a dit oui à savoir qu'il était d'accord sur l'incapacité de payer?

M. Boivin: Non, qu'il allait vérifier.

M. Lalonde: Ah, c'est la vérification. J'essaie de concilier cela avec ce que je trouve dans votre mémoire, à la page 7, qui est, en fait, le cinquième élément de votre décision: "Enfin, mais de façon subsidiaire, le climat sur le chantier était bon..." À la fin, vous dites, à la dernière phrase: "De plus -et vous expliquez toujours votre cheminement de pensée, votre réflexion avant de prendre votre décision - ...

M. Boivin: Ah bien!

M. Lalonde: "...à la connaissance même de la SEBJ, le syndicat québécois n'était pas en mesure d'y satisfaire", c'est-à-dire de satisfaire à un jugement. Est-ce que vous aviez vérifié à ce moment-là la connaissance de la SEBJ de l'incapacité?

M. Boivin: Là, vous avez raison, il y a peut-être une imprécision, parce que l'ensemble de mon texte semble dire que je vise cette période-là, c'est-à-dire le 3 janvier, alors que, en disant "à la connaissance même de la SEBJ", je vise peut-être une période subséquente, soit janvier ou février.

M. Lalonde: Bon. Est-ce que vous voulez corriger votre texte et comment? Vous enlevez simplement "la connaissance".

M. Boivin: Je dirais: De plus, il s'est avéré plus tard, à la connaissance même de la SEBJ, que les syndicats québécois n'étaient pas en mesure d'y satisfaire.

M. Lalonde: Merci. Je vais terminer avec cette question-là, M. le Président. Il s'agit des trois éléments - moi, je dis, trois, mais vous me corrigerez s'il y en a deux ou cinq - majeurs du règlement hors cour. Je pense que c'est le député de Gatineau qui, par une question, vous demandait quels étaient les éléments des défendeurs. Là, vous me corrigerez si je fais erreur. Je n'emploie peut-être pas vos mots. La reconnaissance de la responsabilité, que vous qualifiez de très importante dans vos réponses, et autre contribution des syndicats, l'argent. Cela en fait deux de la part des défendeurs. En fait, je vais poser plus directement la question. Est-ce que l'abandon de la poursuite est l'élément majeur, la contribution majeure de la demanderesse, de la SEBJ, dans ce règlement?

M. Boivin: J'imagine, M. le Président. M. Lalonde: Bien...

M. Boivin: Non, non, mais ce que je veux dire par là - je ne veux pas essayer de jouer sur les mots et vous non plus, j'en suis certain - c'est que...

M. Lalonde: Non, non.

M. Boivin: ...les syndicats défendeurs dont on parle, le syndicat américain et les syndicats représentés par Me Jasmin, demandaient, plaidaient ou intervenaient auprès de nous pour demander un règlement hors cour. Ils l'ont obtenu. Donc, j'imagine que c'était l'objet de leur désir. Cela semblait très important.

M. Lalonde: Oui, oui. Cela a été établi, d'ailleurs, par Me Beaulé que l'objectif ultime recherché était l'abandon de la poursuite.

M. Boivin: Oui, oui.

M. Lalonde: Je pense même que je vous avais posé des questions là-dessus, jeudi dernier. Un règlement hors cour, une transaction, pour employer le terme juridique, c'est un échange de compromis. La demanderesse, elle, qu'a-t-elle fait, la SEBJ? Elle a mis fin à la poursuite.

M. Boivin: Voilà.

M. Lalonde: D'ailleurs, on retrouve cela dans le document. Les défendeurs, eux, certains ont reconnu leur responsabilité en des termes différents, du moins parfois, et quelques-uns aussi ont payé en argent.

M. Boivin: Voilà.

M. Lalonde: Donc, est-il exact de dire que les trois éléments majeurs de cette transaction, de ce règlement sont - l'élément sine qua non et l'objectif ultime des défendeurs - premièrement, l'abandon de la poursuite par la SEBJ, deuxièmement, la reconnaissance de leur responsabilité par certains syndicats et, troisièmement, le paiement d'une certaine somme?

M. Boivin: Cela me paraît être le cas, M. le député. Je sais que, pour le premier ministre, c'est un peu plus large que cela. Je l'ai dit, je pense, dans mon mémoire. Mais, pour la SEBJ, cela me semble être les éléments importants que vous venez de mentionner.

M. Lalonde: Je ne parle pas des motivations. Naturellement, il peut y avoir un discours beaucoup plus large de philosophie sociale pour savoir si on l'a favorisé ou si on l'a défavorisé.

M. Boivin: Oui.

M. Lalonde: Je ne veux pas entrer là-dedans.

M. Boivin: Ah bon!

M. Lalonde: J'entre simplement dans les faits. Quand on lit cette transaction - je ne sais pas si vous l'avez devant vous - on y retrouve, à part les attendus...

M. Boivin: De mémoire, je dirais que vous résumez très bien, me semble-t-il, les trois éléments - pourrait-on s'exprimer ainsi? - de la transaction. Une partie demanderesse dit: J'abandonne la poursuite ou je règle hors cour et vous, défenderesses ou certaines d'entre elles, vous reconnaissez votre responsabilité et d'autres d'entre elles, vous payez une somme d'argent. Grosso modo, cela me semble... (Il heures)

M. Lalonde: M. le Président, si je tiens compte de la réunion du 3 janvier avec M. Laliberté, de la rencontre du 1er février entre le premier ministre et vous-même, d'une part, et les deux P.-D.G., M. Boyd, et M. Laliberté et M. Saulnier, président du conseil, de votre repas avec les avocats de Geoffrion et Prud'homme le 2 février dans le premier élément, l'abandon de la poursuite, vous êtes impliqué jusque-là. Vous avez vous-même...

M. Duhaime: Je voudrais soulever une question de règlement.

M. Lalonde: ...pris l'initiative de cet élément.

Le Président (M. Jolivet): M. le ministre sur une question de règlement.

M. Duhaime: M. le Président, je voudrais soulever une question de règlement - je pense que cela va bien ce matin, le député de Marguerite-Bourgeoys était sur une excellente voie jusqu'à il y a quelques minutes - pour la raison suivante. Vous allez comprendre rapidement. Il s'agit beaucoup plus d'une argumentation que développe actuellement le député de Marguerite-Bourgeoys. Au fur et à mesure qu'il développe son argumentation, il demande au témoin, Me Boivin, s'il est d'accord avec ses vues.

Je ne crois pas que cette façon de procéder puisse faire normalement partie de ce que j'appellerais une période de questions et de réponses. Vous avez votre propre opinion, cela me semble assez évident. Je ne crois pas que la commission soit davantage éclairée si, en présence d'un témoin, avec ou sans son aide, vous vouliez vérifier votre propre argumentation. Il y a d'autres occasions que vous aurez très certainement pour le faire. Je ne pense pas que cela soit dans le but d'amener un éclairage ou des faits nouveaux ou encore des informations additionnelles devant la commission. Vous faites une argumentation, vous avez la vôtre; j'ai noté cela, un, deux ou trois. Je ne vois pas l'utilité que vous veniez vérifier votre propre argumentation.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: C'est un autre bel effort. Cela donne le temps à tout le monde de prendre un peu de recul, de prendre son "respir".

M. Duhaime: Je vais le prendre, moi aussi.

M. Lalonde: M. le Président, ce que je demande au témoin, c'est si, dans le premier élément du règlement à savoir l'abandon de la poursuite par la SEBJ, il s'est impliqué personnellement et si le bureau du premier ministre s'est impliqué, s'il a fait des démarches. Je lui rappelle - pour être bien sûr qu'on l'aide comme il faut - la réunion du 3 janvier, celle du 1er février, celle du 2 février; je pourrais peut-être aller à d'autres réunions, mais là je parle strictement de ses interventions à l'égard de la SEBJ. Je ne parle pas des avocats des défendeurs pour tout de suite. SEBJ et procureurs. Est-ce que vous vous êtes impliqué dans ce premier

élément de l'abandon de la poursuite: que la SEBJ cesse sa poursuite?

Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.

M. Duhaime: M. le Président, j'ai soulevé une question de règlement. Je peux la reformuler. Je vois venir cela comme une charge de foin. Si vous avez votre dictionnaire des analogies il pourrait peut-être vous aider par analogie à comprendre aussi. Dans mon esprit, ce que vous nous dites de votre siège, c'est: Le règlement consiste, premièrement dans l'abandon de la poursuite; deuxièmement: l'autre élément, l'admission de responsabilité; troisième élément: la capacité de payer. Dans l'esprit de tout le monde - je ne vois pas le virage que l'on tente ce matin dans les derniers milles - le règlement, c'est ce que Me Aquin a appelé - cela m'a frappé comme expression - la transaction multilatérale qui a été signée avec les parties. Point. C'est cela qui fait l'objet du règlement hors cour qui a été déposé en mars 1979.

M. Lalonde: C'est de l'argumentation, M. le Président.

M. Paradis: C'est de l'argumentation. Avez-vous une question?

M. Lalonde: Ce n'est pas une question de règlement.

M. Paradis: Ce n'est pas une question de règlement. C'est quoi, la question de règlement?

M. Duhaime: Alors, ce que le député de Marguerite-Bourgeoys fait actuellement, c'est dire que le règlement, dans son esprit, va bien au-delà du règlement hors cour signé par les parties...

M. Paradis: Ce n'est pas une question de règlement.

M. Duhaime: ...qui a été déposé.

M. Lalonde: M. le Président, une question de règlement.

M. Paradis: Une question de règlement. C'est de l'obstruction, cela.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Marguerite-Bourgeoys...

M. Duhaime: Je ne vois pas comment vous pourriez permettre une argumentation.

Le Président (M. Jolivet): ...vous avez la parole sur une question de règlement.

M. Laplante: C'est le règlement.

M. Lalonde: Le ministre fait de l'argumentation. Il aura le loisir de le faire lorsqu'il aura le droit de parole. Il peut l'avoir à tous les tours, même en enlever au député de Châteauguay comme hier soir.

Le Président (M. Jolivet): M. le député.

M. Lalonde: II pourra faire toute l'argumentation qu'il voudra. C'est mon droit actuellement - je vous demande de le protéger - de poser des questions pertinentes au témoin sur des faits sur - et c'est dans notre mandat - le rôle du premier ministre et de son bureau. Nous avons le chef de cabinet du premier ministre ici et qu'y a-t-il de plus pertinent que le règlement hors cour? Nous sommes dans la période la plus pertinente; nous ne sommes pas au-delà du 13 mars 1979.

Le Président (M. Jolivet): M. le député, puis-je vous aider en vous disant de poser vos questions?

M. Lalonde: Alors, j'ai posé une question, M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): Oui. Me Boivin, vous pouvez y répondre.

M. Boivin: M. le Président, ce n'est pas un secret. Je l'ai dit depuis que je suis ici, depuis jeudi matin, que j'ai fait une recommandation. En plus, je l'ai écrit; je pense que les paroles sont aussi importantes que les écrits, quant à moi, mais en tout cas. Je l'ai dit et je l'ai écrit, que j'ai recommandé un règlement hors cour, et le premier ministre a dit, le 20 février 1979 en Chambre - vous étiez présent, M. le député de Marguerite-Bourgeoys - qu'il a fait connaître son sentiment très clairement aux administrateurs de la SEBJ qu'il était favorable à un règlement hors cour. Alors, ma réponse est évidente.

M. Lalonde: C'est oui? M. Boivin: Bien oui.

M. Lalonde: Maintenant, le deuxième élément, à savoir que certains défendeurs reconnaissent leur responsabilité. Le 1er février, lors de la réunion, vous ou le premier ministre, d'après votre témoignage tel que corrigé ce matin, vous avez vous-même suggéré à la SEBJ qu'une reconnaissance de responsabilité produirait les mêmes résultats qu'un jugement. Je mets cela dans mes mots, mais je pense que vous les avez acceptés tels quels la dernière fois, à savoir que la SEBJ ne reconnaisse aucune responsabilité elle-même dans le saccage.

Deuxièmement, d'après le témoignage de Me Aquin, vous avez appelé Me Aquin le 8 février pour vous informer s'il était exact que la SEBJ exigeait la reconnaissance de la responsabilité. Vous avez vous-même fait rapport d'appels téléphoniques que vous avez eus avec Me Jasmin, avec M. Laliberté sur cette question, à savoir: Est-ce que la reconnaissance de responsabilité est exigée? Vous vous êtes donc impliqué, disons, jusque-là, pour le deuxième élément.

M. Boivin: Je ne me suis pas impliqué jusque-là, je ne me suis pas impliqué du tout quant à la reconnaissance de responsabilité. Je viens de me rendre compte ce matin, par hasard, en lisant des projets de transaction, que la question de reconnaissance de responsabilité des syndicats québécois était réglée ou admise dès le mois de janvier. D'après ce que je peux comprendre de la correspondance ou des projets de transaction, il restait en cause la responsabilité du syndicat américain au sujet de laquelle je ne me suis aucunement impliqué. La raison m'apparaît évidente parce que cela a été dit par Me Beaulé. Si la SEBJ exigeait une reconnaissance de responsabilité du syndicat américain, il n'y avait pas de règlement hors cour. Or je présume que la SEBJ a jugé que cela ne valait pas la peine ou que ce n'était pas légitime pour elle d'exiger la reconnaissance de responsabilité du syndicat américain et, partant, de mettre en danger le règlement hors cour. Mais je ne me suis aucunement mêlé de cette question.

M. Lalonde: Si vous ne vous êtes pas mêlé de la reconnaissance de responsabilité, pourquoi avez-vous appelé Me Aquin le 8 février 1979 pour lui demander - ce que Me Aquin a rapporté ici à la commission - s'il était exact que la SEBJ demandait la reconnaissance de responsabilité du syndicat américain?

M. Boivin: Probablement pour la raison que j'ai invoquée antérieurement, à savoir que Me Beaulé a dû me demander si c'était vraiment une exigence de la SEBJ ou une exigence de Geoffrion et Prud'homme.

M. Lalonde: Est-ce que Me Beaulé, lorsqu'il vous a demandé si c'était une exigence de la SEBJ ou de Geoffrion et Prud'homme, vous a dit s'il avait appris cette exigence de Geoffrion et Prud'homme?

M. Boivin: Oui. Oui.

M. Lalonde: Est-ce que, à ce moment, vous étiez conscient que les avocats, Me Beaulé d'un côté pour le syndicat américain et Geoffrion et Prud'homme pour la SEBJ, étaient en contact, en conversation sur cette question?

M. Boivin: Bien oui.

M. Lalonde: Alors, pourquoi intervenir de la part du bureau du premier ministre à ce moment?

M. Boivin: Je n'interviens pas, je m'informe.

M. Lalonde: Est-ce que l'information que Me Beaulé vous donnait, à savoir que Geoffrion et Prud'homme ou la SEBJ exigeait...

M. Boivin: Si je me souviens, M. Beaulé m'a dit: On exige la reconnaissance de responsabilité du syndicat américain. Jean-Roch, es-tu bien sûr que ce n'est pas une exigence inventée par Geoffrion et Prud'homme ou une exigence de la SEBJ? Je lui ai dit: Beaulé, il me semble que tu es soupçonneux, mais pour te faire plaisir, je vais vérifier. J'appelle Aquin et il me donne la réponse. Voilà.

M. Lalonde: Vous ne considérez pas votre fonction d'intermédiaire dans cette question comme une implication sur la question?

M. Boivin: C'est tout à fait clair.

M. Lalonde: Pourquoi, à ce moment-là, lorsque Me Jasmin vous appelle et vous pose la question que vous avez rapportée ici, à savoir qu'il était inhabituel - je pense que ce sont les mots qu'on retrouve - qu'on exige la reconnaissance de responsabilité des défendeurs, avez-vous appelé M. Laliberté et non pas Me Aquin ou Geoffrion et Prud'homme?

M. Boivin: Bien, c'est une exigence du client. J'appelle M. Laliberté. Cela me paraît une route assez directe.

M. Lalonde: Dans le cas de Me Beaulé aussi, c'était une exigence du client? Vous appelez Me Aquin.

M. Boivin: Écoutez là, ne vous imaginez pas que je me pose de profondes questions là-dessus.

M. Lalonde: Non, non.

M. Boivin: D'ailleurs, je me rends compte - c'est simplement les écrits qui me le disent, je n'ai aucun souvenir de cela -que ce n'est pas à la même époque parce qu'il semble que la reconnaissance de responsabilité des syndicats québécois a été une question réglée et admise beaucoup plus tôt que dans le cas du syndicat américain.

M. Lalonde: Cela fait deux fois que

vous faites référence au fait que cela a été admis plus tôt. Est-ce que cela a été admis avant le 3 janvier 1979?

M. Boivin: Non, non, non.

M. Lalonde: Donc, cela a été admis pendant la période où vous aviez commencé à vous impliquer dans le dossier?

M. Boivin: Oui, oui, bien sûr.

M. Lalonde: M. le Président, le troisième élément, l'argent qui semblait être la dernière préoccupation de tout le monde. Là-dessus, on a un trou, un immense gouffre de mémoire. Personne ne se souvient d'avoir parlé d'argent. Enfin, on se souvient surtout de ne pas en avoir parlé. J'aurais une question qui ferait suite à une compréhension que j'avais de certaines réponses que vous avez données hier, compréhension, qui selon ce que je vois, est partagée par au moins celui qui fait les titres au journal La Presse, parce qu'on ne peut pas accuser le journaliste de faire les titres. Dans la Presse d'aujourd'hui, on dit: "Boivin tient - je m'excuse, ce n'est pas monsieur, je vous appelle monsieur ou Me - la SEBJ responsable de ne pas avoir obtenu davantage." Je ne vous demanderai pas si cela est vrai.

Je voudrais vous poser une question sur la capacité de la SEBJ d'obtenir beaucoup, d'obtenir le maximum lorsque, premièrement, vous, chef de cabinet du premier ministre et le premier ministre lui-même dites à la SEBJ: II faut régler. Réglez (juron) ou nous allons le faire à votre place, d'une part. D'autre part, vous laissez savoir - parce que cela a été établi ici que M. Laliberté le savait - que les avocats des défendeurs sont dans votre bureau presque quotidiennement, passent une dizaine d'heures ensemble, globalement pendant cette période et, en plus, vous laissez savoir à l'avocat des défendeurs québécois, Me Jasmin, que vous avez dit aux demandeurs: II faut régler. Dans quelle mesure cela laissait-il à la SEBJ un "bargaining power", si vous voulez, pour obtenir beaucoup des défendeurs quand ils savaient que le premier ministre, l'actionnaire principal, le seul actionnaire, avait dit: Vous allez régler, on ne veut pas que cela procède, autrement dit; il faut que cela se règle?

M. Duhaime: C'est une question d'opinion, M. le Président, je pense. (Il h 15)

M. Boivin: J'ai simplement feuilleté, ce matin, en prenant un café, parce que je me suis levé assez tard, des journaux des Débats. M. Aquin a longuement parlé d'argent. M. Laliberté a longuement parlé d'argent. J'ai aussi feuilleté cela. Donc, je me rends compte qu'il y a des gens qui ont parlé d'argent dans cette cause.

Deuxièmement, il y a un jeu de mots dans votre question. Je m'excuse de vous le dire. Votre question est un sophisme, M. le député. Quand une autorité politique dit à une société d'État: Nous souhaiterions fortement que vous régliez, ceci ne veut aucunement dire, il n'y a aucune commune mesure et personne ne l'a entendu dans ce sens: Veuillez régler hors cour pour des "pinottes". Cela veut dire: Veuillez régler hors cour. La responsabilité du montant du règlement n'est absolument pas impliquée dans la phrase: Veuillez régler hors cour. Le premier ministre a même eu la prudence, comme il l'a souvent, d'ajouter: Veuillez régler hors cour aux conditions dont vous conviendrez avec les parties. Où voyez-vous qu'on enlève un "bargaining power"? Si les syndicats défendeurs ne veulent pas payer aux conditions que trouve raisonnables la SEBJ, le procès qui a duré cinq ou six semaines n'a qu'à continuer et bonjour, la visite!

M. Lalonde: M. le Président, on m'a dit que ma question est un sophisme. Je vais demander au témoin si, lorsqu'un premier ministre, s'adresse aux plus hauts dirigeants d'une société d'État et dit: Vous réglez, "crisse", ou je vais régler à votre place, c'est une petite invitation, un petit souhait ou si c'est un sophisme que de dire que c'est un ordre et une menace, en plus.

M. Boivin: Si vous me posez la question, je vais y répondre.

M. Lalonde: Oui.

M. Boivin: C'est une forte incitation à régler, mais, quand on parle à des gens responsables - les interlocuteurs étaient et sont encore des gens responsables - il va de soi que - cela n'a pas besoin d'être dit, mais cela a été dit - c'est une forte incitation à régler aux conditions que vous jugerez raisonnables.

M. Lalonde: Mais lorsqu'on dit aux procureurs des défendeurs: Nous avons dit aux demandeurs dont nous sommes l'actionnaire qu'il faut que cela se règle, n'est-ce pas là - ou est-ce un sophisme de le dire - une forte incitation pour les défendeurs à payer le moins possible?

M. Boivin: Je ne trouve pas que c'est un sophisme; je trouve que c'est une fausse conclusion.

M. Lalonde: Ce n'est pas un sophisme, on a au moins eu cela. Mais c'est une fausse conclusion. Alors, lorsque vous dites à Me Jasmin, le 3 janvier: J'ai dit à M. Laliberté:

Vous allez régler...

Le Président (M. Jolivet): Un instant, M. le député.

M. Lalonde: ...vous ne trouvez pas que c'est une incitation à Me Jasmin de dire à ses clients: Le premier ministre est de notre bord, on n'a qu'à faire le mort et à payer le moins possible.

M. Boivin: Non, je ne trouve pas cela du tout, M. le Président.

M. Lalonde: Très bien.

M. Boivin: C'est pour cela que j'ai parlé des poissons théologiens tantôt.

M. Lalonde: En parlant de poisson... M. Boivin: Théologien.

M. Lalonde: Très bien, théologien. Lorsqu'un premier ministre dit...

Le Président (M. Jolivet): M. le député, un instant, parce que j'ai un petit problème. Je voudrais seulement savoir si vous entrez dans la partie des commentaires ou si vous avez une autre question à poser.

M. Lalonde: J'ai une autre question.

Le Président (M. Jolivet): Allez-y et vous ferez vos commentaires après, si vous voulez.

M. Lalonde: Oui, mais je suis encore dans les questions, M. le Président. On en trouve des belles.

Le Président (M. Jolivet): C'est parce qu'actuellement cela a beaucoup plus l'air de parties de commentaires avec des bouts de questions qui donnent les réponses qu'on connaît. Je veux simplement vous demander si vous avez des commentaires, je vous le permettrai après. Posez vos questions, s'il vous plaît.

M. Lalonde: M. le Président, le premier ministre...

M. Lavigne: Faites-le.

Le Président (M. Jolivet): À l'ordre, s'il vous plaît:

M. Lalonde: Le premier ministre, le 20 février 1979, après la réponse que l'on sait à la question à savoir si son bureau était impliqué, si la négociation avait été faite en sa présence, en partie ou en tout, nous avait dit: Ni de près, ni de loin. Le soir, lors d'un mini-débat, il a dit ceci et je vous réfère à la page 5797...

Avant, à la page 5741 - c'est la période des questions du 20 février - dans sa dernière réponse, à la colonne de droite, le premier ministre dit: "M. le Président, inutile d'ajouter que ce que j'ai dit tout à l'heure, c'était après avoir été passablement mis au courant des avis juridiques assez nombreux qui ont été accumulés", etc. À la page 5793, à la colonne de droite vers la fin, il dit: "Mais ce syndicat américain, d'après les avis juridiques qui m'ont été expliqués longuement avant que je donne mon humble sentiment, cette responsabilité des syndicats américains est plus qu'aléatoire", etc.

Me Boivin, avez-vous expliqué vous-même des avis juridiques au premier ministre?

M. Boivin: J'ai fait état au premier ministre de mon avis, oui.

M. Lalonde: Vous m'avez répondu que vous avez fait état de votre avis; je vous demande si vous avez expliqué longuement, comme le premier ministre l'a dit, des avis juridiques, non pas le vôtre.

M. Boivin: J'ai expliqué celui du 16 décembre 1975 de Mes Geoffrion et Prud'homme.

M. Lalonde: Est-ce le seul que vous avez expliqué au premier ministre?

M. Boivin: Et le mien. M. Lalonde: Et le vôtre? M. Boivin: Voilà! M. Lalonde: Mais...

M. Boivin: C'est le seul. Je trouve que les autres sont...

M. Lalonde: Parce qu'il me semblait que dans votre mémoire vous aviez eu la prudence - enfin, c'est un commentaire, M. le Président - de dire que vous n'étiez pas là pour donner...

M. Boivin: Je l'ai dit, oui.

M. Lalonde: ...des avis juridiques.

M. Boivin: Formels.

M. Lalonde: Formels. Bon. Est-ce que, compte tenu, comme vous l'avez reconnu, que le règlement contient au moins, mais surtout trois éléments fondamentaux, l'abandon de la poursuite par la SEBJ, la reconnaissance de la responsabilité par certains défendeurs et le troisième, le paiement d'argent, vous pouvez jurer que

vous n'avez jamais, ni de près, ni de loin, ni en partie, été impliqué dans ce règlement?

M. Boivin: Si vous excluez, parce que je ne sais pas le sens que vous lui donnez, ma recommandation favorable au règlement hors cour...

M. Lalonde: Je n'exclus rien.

M. Boivin: Bien. Cela fait trois jours que je suis ici. J'ai dit que j'ai fait une recommandation favorable hors cour et que j'étais moi-même très favorable à un règlement hors cour. Quant au reste, c'est vous qui m'avez fait la remarque, M. le député. Je suis toujours sous serment, m'avez-vous dit, est-il nécessaire de dire que je jure que je n'ai jamais été impliqué -j'aimerais avoir mon texte - dans les modalités, termes ou conditions du règlement?

M. Lalonde: C'est tout, M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.

M. Duhaime: M. le Président, on vient d'assister à une tentative de consolider l'échafaudage dans l'argumentation. Je voudrais reprendre la dernière question du député de Marguerite-Bourgeoys et dire que je diffère diamétralement d'opinion quant à l'interprétation et au sens à donner aux mots du dictionnaire. Quand le député de Marguerite-Bourgeoys veut dire que le règlement hors cour, cela implique trois choses: l'abandon de la poursuite, la question de la responsabilité et la capacité de payer, je dis qu'il...

M. Lalonde: Pas la capacité de payer.

M. Duhaime: ..."confusionne". Le montant...

M. Lalonde: Le montant, oui.

M. Duhaime: C'est une confusion, à mon sens. Je voudrais, aux fins de la bonne compréhension de nos travaux, tenter de lui donner mon point de vue à partir des commentaires fort brillants qui viennent d'être faits. À mon sens, il y a une distinction très nette à faire entre la décision politique qui est prise de la part du premier ministre et faire valoir ce souhait aux autorités de la SEBJ pour que cette poursuite se règle hors cour. C'est la première étape. La question qu'il faut se poser est la suivante: Est-ce qu'il appartenait au premier ministre de manifester son souhait ou son voeu, d'autant plus qu'on le lui avait demandé? Ma réponse, M. le Président, c'est oui. Le premier ministre l'a toujours dit à partir du mois de février 1979. On a fait grand état de l'interprétation des mots "implication", "intervention", etc. La question que je me pose: Est-ce qu'il s'agit là d'un précédent?

Si je me reporte au témoignage de M. Gauvreau, membre du conseil d'administration de la SEBJ à l'époque où ces événements se déroulent, qui a été une trentaine d'années membre de la Commission hydroélectrique, membre du conseil d'Hydro, membre de la SEBJ, il a dit qu'il en avait vu passer sous tous les gouvernements et qu'il y avait eu des interventions beaucoup plus lourdes de conséquences dans le passé.

Je me reporte aussi de mémoire au témoignage de M. Boyd, dans le même sens; à celui de M. Giroux, même si, dans un premier temps, ce dernier nous a dit que, quant à lui, pendant qu'il était président du conseil, le premier ministre du Québec n'était jamais intervenu dans les affaires d'Hydro, ce qui s'est révélé faux dans les cinq minutes qui ont suivi, puisque M. Roland Giroux présidait la séance du conseil d'administration le 15 novembre 1976, c'est-à-dire le jour des élections, à laquelle assistaient également MM. Boyd, Gauvreau, Dozois et Monty. M. Roland Giroux, président au fauteuil, suivant le procès-verbal qui a été déposé devant cette commission.

Je voudrais, M. le Président, non pas résumer tout l'arrière-plan qui a amené cette décision prise au conseil d'administration d'Hydro le 15 novembre 1976, pour le rappeler à nos amis à gauche, mais c'était le jour des élections, le jour même des élections. "AC-1269-76 conflit syndical à HydroQuébec. Résolu. "Considérant que les recommandations contenues au rapport du ministre des Richesses naturelles, M. Jean Cournoyer, en vue du règlement du conflit de travail qui sévit à Hydro-Québec comportent pour cette dernière des difficultés et des inconvénients au point de vue administratif et des désavantages au point de vue financier; "Considérant que, afin d'éviter des conséquences désastreuses pour tous les abonnés - il faut se rappeler qu'il y avait une grève - Hydro-Québec s'est rendue à la limite des concessions qu'elle pouvait faire et à accepté toutes les recommandations du ministre sauf quatre articles dont l'application ne lui permettrait pas d'assurer la continuation d'une saine gestion et le maintien de la qualité de son service aux citoyens du Québec; "Considérant que cette position de la commission a été appuyée spontanément par 37 cadres relevant directement de la commission et 2800 cadres de direction et de maîtrise, spécialistes et professionnels d'Hydro-Québec; "Considérant que le premier ministre a

convoqué les membres de la commission à une réunion qui s'est tenue le 8 novembre 1976."

M. Lavigne: Quel premier ministre, M. le ministre?

M. Duhaime: Le 8 novembre 1976, cela m'apparaît assez évident que ce n'était pas M. René Lévesque.

M. Lavigne: Ah! bon.

M. Duhaime: "Considérant qu'à cette réunion du 8 novembre le premier ministre a alors exigé verbalement des quatre commissaires présents - celui qui était absent, c'était M. Giroux - a) d'appliquer les quatre recommandations contenues audit rapport du ministre Cournoyer et qui demeuraient alors en litige; b) d'accepter de signer une lettre d'entente selon laquelle la formule de promotion par ancienneté pourra être soumise à l'arbitrage quand les parties le jugeront à propos, les termes de cette entente étant ceux soumis par le premier ministre; c) de verser à chacun des syndiqués un montant forfaitaire maximal de 800 $ après la signature des conventions collectives."

M. Perron: On parle d'argent.

M. Duhaime: "Considérant que M. Robert Bourassa, chef du gouvernement, en formulant les exigences susdites, s'est engagé formellement à les confirmer par écrit à la commission dans les jours suivant la réunion; "Considérant que le gouvernement a la responsabilité ultime des politiques qu'il juge les meilleures pour le bien-être des citoyens de la province; "Considérant que les syndicats ont fait part à Hydro-Québec qu'ils sont maintenant consentants à signer une entente de retour au travail, selon le texte intégral qui leur avait été transmis par Hydro-Québec le 9 novembre 1976." Comme on dit, le lendemain de la veille. (Il h 30) "Considérant que les syndicats ont accepté de parapher le texte des conventions collectives à être signé par les parties, tel que soumis par Hydro-Québec et qui est conforme aux recommandations contenues audit rapport du ministre Cournoyer;

En conséquence, que Hydro-Québec accepte d'appliquer les quatre recommandations contenues audit rapport du ministre Cournoyer et qui faisaient l'objet du litige; "Que Hydro-Québec accepte de signer une lettre d'entente selon laquelle la formule de promotion par ancienneté pourra être soumise à l'arbitrage quand les parties le jugeront à propos, les termes de cette entente étant ceux soumis par le premier ministre - étant ceux soumis par le premier ministre, oui, je lis bien - et qui sont contenus aux documents versés au dossier du présent procès-verbal; "Que Hydro-Québec accepte de verser à chacun des syndiqués une somme forfaitaire maximale de 800$ à titre de rétroactivité pour tenir compte de certains avantages prévus aux conventions collectives et pour autres considérations, le tout selon les modalités déterminées dans une lettre d'entente à intervenir à ce sujet entre les parties, copie de ladite lettre étant versée au dossier du présent procès-verbal; "Que Hydro-Québec accepte de signer une entente de retour au travail selon les termes de la lettre soumise par Hydro-Québec aux syndicats le 9 novembre 1976, copie de ladite lettre étant versée au dossier du présent procès-verbal."

M. le Président, si j'ai pris la peine de lire tout l'extrait du procès-verbal de la réunion du conseil d'administration d'Hydro-Québec tenue le 15 novembre 1976, c'était pour établir très clairement que le premier ministre, M. Bourassa, suivant ce qu'il était de son devoir, à bon ou à mauvais escient, a pris les responsabilités qui lui incombaient de par sa tâche de premier ministre du Québec. Hydro-Québec reconnaît cela aussi en disant: "Considérant que le gouvernement a la responsabilité ultime des politiques qu'il juge les meilleures pour le bien-être des citoyens de la province." Il faut croire que ce n'était pas sa meilleure, parce que le soir même, son gouvernement était défait. Ce que je veux dire, M. le Président, c'est que le fait que M. Lévesque ait été appelé à donner son sentiment - il ne s'est pas imposé; on lui a demandé son sentiment, il l'a donné et c'était parfaitement son rôle - ne fait pas partie de l'un des trois éléments du règlement. C'est une étape; c'est la première étape.

La deuxième étape, qui m'apparaît découler de la première, c'est le règlement de cette cause. Comme le dirait un de mes anciens collègues, deux points, a) et b). Le point a): la question de la responsabilité. Elle est multiple, la question de la responsabilité. Il faut se souvenir que le syndicat américain imputait une part de responsabilité à la Société d'énergie de la Baie James. Il y avait la responsabilité civile du syndicat américain; il y avait la responsabilité civile de chacun des syndicats québécois; il y avait aussi la question de la responsabilité civile de chacun des individus qui étaient poursuivis comme défendeurs. Toute cette question de la responsabilité relève, bien sûr, du jugement du conseil d'administration de la SEBJ qui, par la voie de ses procureurs, doit en faire l'évaluation. Le point b), c'est la même chose: le montant du règlement qui peut être plus haut ou plus bas selon

l'évaluation qu'on peut faire de la capacité de payer ou non des défendeurs.

Je vais simplement faire référence à la déclaration du premier ministre du 20 février 1979 lors du mini-débat, à la page 5793, au deuxième paragraphe du haut. Je vais essayer de retenir l'essentiel: "Partant de là - c'est le premier ministre qui parle - sachant aussi que les syndicats québécois qui sont intimés sont incapables, de toute façon, de payer des sommes le moindrement substantielles, j'ai donné mon sentiment. C'était que, puisqu'un règlement a été demandé par quelques-uns des syndicats ou par leurs procureurs au début de 1979, quant à moi, il me semblait meilleur, dans l'intérêt du Québec et d'une certaine paix sociale nécessaire - il ne s'agit pas de favoritisme politique, il s'agit de chantiers lointains où il est important que la paix règne - si un règlement était possible, de le soutenir, de l'appuyer, mais que c'est aux parties, à commencer par la Société d'énergie de la Baie James qui est demanderesse là-dedans, de décider ce qu'elles veulent faire."

Maintenant, pour terminer, j'apprendrai peut-être aux députés et à d'autres que, dans ce règlement qui n'est pas intervenu encore et qui, je l'espère, interviendra d'une façon satisfaisante, la Société d'énergie de la Baie James a exigé, ce qui est parfaitement normal, que certains des syndicats québécois au moins, qui peuvent être juridiquement et techniquement impliqués, admettent leur responsabilité.

Je pense qu'il est très clair, de la déclaration du premier ministre le 20 février 1979, lors du mini-débat, que, tant sur le plan de la responsabilité des uns et des autres dans ce dossier que sur le montant du règlement dans l'évaluation de la capacité de payer des défendeurs, c'était du ressort de la Société d'énergie de la Baie James. Alors, pour faire l'histoire plus courte, quand le député de Marguerite-Bourgeoys veut donner une "extensibilité", - qui n'existe pas au dictionnaire - à un mot tel que "règlement", je lui rappelle ce que je disais tantôt: a) une première étape, qui est une volonté politique de favoriser un règlement hors cour; b) la seconde étape: comment maintenant cela va-t-il se régler dans les faits? Le premier ministre l'a dit de façon très claire - il l'a toujours dit, d'ailleurs - Sur les deux éléments, la question de la responsabilité et la question du montant de l'indemnité comme tel appartiennent à la Société d'énergie de la Baie James, n'en déplaise au député de Marguerite-Bourgeoys.

On ne tentera pas, M. le Président, après diverses opérations de "repositionnement" dans ce dossier par manque d'éléments, de se "repositionner" sur la fin des travaux et de donner une définition beaucoup plus globale et beaucoup plus englobante que ce qu'a dit le premier ministre lui-même en répondant aux questions en Chambre, en février 1979. Il s'agit de lire le texte. Il est limpide. Lorsque M. Lévesque parle du règlement, il se réfère, explicitement, peut-être pas à un document comme tel, mais à la deuxième étape dont je viens de faire la description. Je vous remercie, M. le Président, de m'avoir écouté avec beaucoup de patience.

Le Président (M. Jolivet): Merci, M. le ministre. Cependant, avant de donner la parole au député de Marguerite-Bourgeoys, je n'ai pas voulu vous déranger, M. le ministre, dans votre intervention, mais je voudrais savoir s'il y a des gens qui ont encore des questions à poser à Me Boivin. Si on n'a pas de questions... Oui, M. le député de Châteauguay? Alors, j'y reviendrai par la suite. Je voulais libérer Me Boivin, mais, compte tenu des circonstances, je vais donner la parole au député de Marguerite-Bourgeoys et je libérerai M. Boivin plus tard. M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: M. le Président, je m'excuse auprès de Me Boivin, mais il semble que le député de Châteauguay ait des questions à lui poser. Je serai bref, mais je voudrais...

M. Dussault: Question de règlement, M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): Oui, M. le député de Châteauguay.

M. Dussault: Est-ce que je dois comprendre qu'il y a une sorte de consentement en commission pour que, si je ne parle pas, personne ne parle et, si je parle, le député de Marguerite-Bourgeoys va parler? Est-ce cela qui se passe?

Le Président (M. Jolivet): Non, non. M. Lalonde: Non, non.

Le Président (M. Jolivet): M. le député, ce n'est pas cela...

M. Dussault: D'accord. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): Ce n'est pas cela du tout, M. le député. C'est simplement le principe de l'alternance qui fonctionne et le député de Marguerite-Bourgeoys a la parole.

M. Lalonde: M. le Président, je veux simplement réagir à l'espèce de discours de panique du ministre qui est allé chercher, en 1976, une bouée avec laquelle il veut tenter de se tenir la tête au-dessus de l'eau. L'intervention du premier ministre d'alors, M.

Robert Bourassa, qui a exigé d'Hydro-Québec le règlement d'une grève générale qui affectait tous les Québécois, grève que même plusieurs membres, j'en suis convaincu, de son gouvernement sont maintenant d'avis qu'on ne peut tolérer, de toute façon, dans les services essentiels, cette intervention-là -et je ne veux pas prendre la défense a posteriori de cette décision - semble-t-il, a été faite ouvertement. Jamais le premier ministre d'alors, M. Bourassa, n'a dit à l'Assemblée nationale: Ni de près ni de loin, en tout ou en partie, mon bureau n'a été impliqué dans cette décision. C'est cela la question. Vous pourrez aller chercher dans les archives et même dans l'Almanach du peuple, qui est la lecture de chevet du ministre, on l'a appris hier, toutes les interventions, retourner à M. Duplessis, à M. Tachereau, cela ne changera pas la question qui nous est posée à la commission parlementaire: Est-ce que le premier ministre du Québec, M. René Lévesque, le 20 février 1979, a trompé l'Assemblée nationale quand il a dit en réponse à une question: Ce n'est pas du tout, ni de près, ni de loin, dans le bureau du premier ministre que le règlement ou une partie du règlement a eu lieu?

M. le Président, en ce qui concerne le règlement et la définition du règlement, je laisse à la population le soin de juger. Je pense qu'il a été établi ici même par le témoin que les trois éléments importants sont l'abandon de la poursuite par la SEBJ, la reconnaissance de responsabilité par certains défendeurs et le paiement d'une somme d'argent. Ce n'est pas moi qui l'ai établi, ce n'est pas moi qui l'invente. Ce n'est pas du "repositionnement"; c'est comme cela depuis le début. C'est tellement vrai que - je lis la suite de la réponse, j'étais rendu à ni de près, ni de loin, etc. - le premier ministre dit ceci: Mais il y a eu une consultation au bureau du premier ministre avec des gens du conseil d'administration d'Hydro-Québec et de la Société d'énergie de la Baie James.

Plus loin, il dit: On a demandé mon sentiment, la Société d'énergie de la Baie James a voulu avoir le sentiment de celui qui vous parle là-dessus. Quand on écoute cela, que se dit-on? On se dit: La Société d'énergie de la Baie James a reçu des offres - il l'a dit, le premier ministre - en janvier. N'étant pas tout à fait sûre de ce qu'elle allait faire, elle est allée demander au premier ministre: Qu'est-ce que vous en pensez? C'est ce que cela dit. Cela ne dit pas que l'initiative de toute l'opération a commencé par un téléphone de M. Louis Laberge à M. Jean-Roch Boivin, chef de cabinet du premier ministre, qu'elle a été suivie par des consultations de celui-ci auprès de tous les avocats, Me Jasmin, le 4 décembre, Me Beaulé le 1er et le Il décembre 1978, Me Cardinal, où il est allé s'informer de la valeur de l'opinion de 1975. Cela ne dit pas que Me Boivin, chef de cabinet du premier ministre, a pris le téléphone, a appelé le président-directeur général de la Société d'énergie de la Baie James, le no 1, et lui a dit: Voulez-vous venir me voir à mon bureau le 3 janvier? Cela ne dit pas qu'il a dit: Le premier ministre désire que vous régliez, pour employer les mots de M. Laliberté, que la poursuite soit abandonnée, c'est-à-dire souhaite l'abandon de la poursuite et qu'il y ait règlement hors cour.

M. Lavigne: C'était un souhait.

M. Lalonde: Quand j'ai entendu cela le 20 février 1979, avec tous mes collègues qui étaient là, et qu'on a été informés de cela...

Une voix: C'est normal.

M. Lalonde: ...est-ce que j'ai su à ce moment qu'il y avait eu une quinzaine de visites des avocats à gauche et à droite de Me Jasmin, de Me Beaulé, de Me Cardinal? Est-ce que j'ai appris que le 2 février il y avait eu un repas où le chef de cabinet du premier ministre...

M. Vaillancourt (Jonquière): Vous n'avez pas posé la question.

M. Lalonde: ...a dit: Ne vous accrochez pas dans les fleurs du tapis, le premier ministre veut que cela soit réglé?

Une voix: Cela n'est pas fort.

M. Lalonde: II l'a dit à vos clients lors de la consultation: Vous réglez, "crisse", ou bien donc on va le faire à votre place? M. le Président, qu'est-ce que c'est tromper l'Assemblée nationale si ce n'est pas cela?

M. Tremblay: Mettez votre siège en jeu. On a hâte.

M. Laplante: Qu'est-ce que vous attendez?

M. Lalonde: Ce n'est pas inventé. C'est cela, la vraie question. Est-ce que le premier ministre a été transparent? Est-ce qu'il nous a tout dit?

M. Tremblay: Arrêtez de faire des menaces et passez aux actes.

M. Lalonde: D'ailleurs, c'est tellement vrai que je n'étais pas satisfait de la réponse du premier ministre que, le règlement me le permettant, j'ai fait un mini-débat. C'est très rare qu'on fait un mini-débat surtout au premier ministre. Enfin, je ne me souviens pas qu'il y en ait eu plusieurs depuis six ans.

(Il h 45)

M. Laplante: À toutes les semaines.

M. Duhaime: Vous n'en faites pas, vous êtes trop paresseux!

M. Lalonde: J'ai fait un mini-débat. Pour l'expliquer aux gens, si on n'est pas satisfait d'une réponse qu'on a obtenue lorsqu'on a posé une question à la période des questions, au moment où on l'a posée, on peut envoyer un avis au président de l'Assemblée nationale et lui dire - c'est un privilège de celui ou de celle qui a posé la question - Je ne suis pas satisfait de la réponse. Je veux donc, à l'ajournement ce soir, à 22 heures, avoir un mini-débat. À ce moment, le questionneur a cinq minutes pour expliquer son problème, la question qu'il a posée, le pourquoi de son insatisfaction et celui ou celle qui répond a aussi cinq minutes pour donner son explication. Alors, j'ai fait un mini-débat. Avez-vous remarqué que je ne suis pas revenu sur l'implication du premier ministre dans la négociation? Pour moi, c'était réglé. Il m'a dit: Non, ni de près ni de loin...

M. Tremblay: Vous aviez compris.

M. Lalonde: ...on n'a été impliqué. L'initiative du bureau du premier ministre au règlement n'est pas là-dedans. La réunion du 3 janvier n'est pas là-dedans. Alors, je fais mon mini-débat sur quoi? Je fais mon minidébat sur l'à-propos d'un règlement de 32 000 000 $ et à savoir si on n'aurait pas dû plutôt consulter les opinions juridiques. Je demande même à un moment donné de produire en Chambre tous les documents, opinions juridiques et autres qui répondraient à nos questions. C'est cela parce que, pour moi, c'était complètement réglé. Un non catégorique. Pas été impliqué. Oui, on a eu une réunion, une consultation. Ils sont venus me voir et m'ont demandé une fois: Qu'en pensez-vous? Mon sentiment était que cela devait se régler. Ah oui! Ah certainl S'il vous plaît!

Écoutez, vous avez toutes une "job".

Une voix: C'est votre ouvrage.

M. Lalonde: Je sais que votre conclusion à vous autres - ce serait, d'ailleurs très difficile, de vous demander de faire le contraire; quand je dis "vous autres", c'est pour les députés péquistes - est que votre premier ministre ne peut avoir trompé l'Assemblée nationale. D'ailleurs, vous l'avez dit à l'ouverture de cette commission, M. le ministre.

M. Laplante: II ne nous a jamais menti.

M. Lalonde: Vous avez déjà rendu jugement avant que le procès ait lieu.

M. Tremblay: Vous autres, c'est quoi votre conclusion?

M. Lalonde: Mais...

M. Tremblay: Quelle est votre conclusion, à vous?

M. Lalonde: Mais vous avez un gros problème parce que la population qui nous écoute se dit: II y a eu quelque chose que le premier ministre n'a pas dit.

M. Tremblay: Vous, les libéraux, quelle est votre position?

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Châteauguay.

M. Dussault: Merci, M. le Président. Mon intervention fera suite au début de l'intervention précédente du député de Marguerite-Bourgeoys. Lors de cette intervention, il a laissé croire qu'il y avait une sorte d'équation entre le champ que j'ai couvert lorsque j'ai fait des distinctions sémantiques et celui qu'il vient de couvrir.

M. Gratton: M. le Président, le témoin, est-ce qu'il peut s'en aller?

M. Dussault: M. le Président, quand j'ai fait mon intervention, j'ai pris bien soin d'utiliser un dictionnaire qui donnait le sens propre des mots et non pas un dictionnaire qui donnait le sens étymologique des mots. J'ai voulu être le plus honnête possible. Ce n'est pas ce qu'on a pu constater de l'autre côté tout à l'heure. Quand on règle des questions légales, quand on règle des choses importantes qui ont une portée légale, on utilise un dictionnaire qui donne le sens propre des mots. D'ailleurs, j'ai pris bien soin de poser la question aux avocats qui étaient là, Me Jetté, Me Cardinal et Me Aquin. Je leur ai posé la question individuellement, l'un après l'autre. Je leur ai dit: Dans votre travail d'avocat, est-ce que vous faites une distinction nette entre une négociation et un règlement? Tous les trois, l'un après l'autre, m'ont dit que c'était une disctinction importante. On n'invente rien.

M. le Président, le député de Marguerite-Bourgeoys voudrait bien pouvoir faire la preuve que c'est la même chose; cela lui permettrait de dire que cela appuie sa thèse à lui. Mais les mots du dictionnaire veulent bien dire ce qu'ils veulent dire et on ne leur fera pas dire n'importe quoi. J'ai apporté un élément nouveau ce matin. C'est un dictionnaire des synonymes. Je ne ferai pas d'analogie, moi, M. le Président. Je vais prendre les mots au sens propre. Regardons ce que l'on dit au mot "négociation". "Négociation: discussion, échange de vues,

pourparler, tractation". C'est clair, M. le Président...

M. Lalonde: Allez, allez, s'il vous plaît! S'il vous plaît!

M. Dussault: C'est clair, M. le Président, que...

Le Président (M. Jolivet): M. le député, juste un instant. Juste un instant. S'il vous plaît! S'il vous plaît! De la même façon qu'on a demandé que chacun puisse intervenir en vertu de l'article 100, je vous demanderais la même tolérance. M. le député de Châteauguay.

M. Dussault: M. le Président, c'est clair ici que ces mots-là évoquent une première étape dans un échange. C'est ce que j'avais dit lors de mon intervention l'autre jour. J'avais dit que, dans un échange, on peut arriver à un résultat. On commence par se parler. Dans ce cas-ci, tout démontre qu'il y a eu de l'information, que des gens ont tenu à informer le bureau du premier ministre. Cela est clair, tout le monde... Personne ne peut nier cela. On fait donc référence au mot "négociation", à une première étape d'échange.

Quand on regarde le mot "règlement", on dit au mot "règlement", toujours dans les synonymes: arrêté, décret, ordonnance, consigne, règle, réglementation, statut, accord, arrangement, conclusion. Le mot le plus significatif est sans doute le mot "accord". Cela fait référence, quand on regarde le mot "règlement", à la dernière étape d'un échange, c'est-à-dire quand on arrête quelque chose. Dans la question qui a été posée au premier ministre à l'Assemblée nationale par le député de Marguerite-Bourgeoys - vous savez, le député de Marguerite-Bourgeoys a posé sa question de façon très, très explicite - et les mots qu'il a employés, l'ordre des mots qu'il a employé est très important - on dit: Est-il exact que c'est dans le bureau du premier ministre...? Vous savez quand on emploie cette expression: est-il exact que c'est, les mots qui suivent sont encore plus importants parce qu'on met l'accent sur ces mots-là. Je n'apprendrai pas cela au député de Marguerite-Bourgeoys, lui qui est avocat devrait savoir cela. Il dit: Est-il exact que c'est dans le bureau du premier ministre...? L'accent sur cette question-là était nettement mis sur le fait que quelque chose s'était passé dans le bureau du premier ministre.

Que répond le premier ministre? Le premier ministre, qui savait très bien ce qui s'était passé pour avoir été bien renseigné par Me Boivin, savait que là où le premier ministre a été mis en cause c'était sur des questions de consultation. L'essentiel, le plus important, c'était la question du règlement et cela ne s'est pas passé dans le bureau. C'est pour cela que le premier ministre répond: "Ce n'est pas du tout, ni de près, ni de loin, dans le bureau du premier ministre que le règlement ou partie du règlement a eu lieu." On voit, M. le Président, que l'accent est mis ici carrément sur le même objet que visait le député de Marguerite-Bourgeoys, à savoir si cela s'était passé dans le bureau du premier ministre ou si cela ne s'était pas passé dans le bureau du premier ministre.

Le député de Marguerite-Bourgeoys pose une question qui vise la négociation d'un règlement et le premier ministre répond sur le règlement. Comment peut-on honnêtement, devant une telle réalité, qui est claire, dire que le premier ministre a menti? Il n'y a que des gens malhonnêtes pour continuer à essayer de faire croire que le premier ministre a menti. Jamais ils n'arriveront à faire la preuve. Je demande que le souffleur de "ballounes" en règle du Parti libéral mette son siège en jeu. Le whip, le député de Portneuf, celui qui souffle les "ballounes" habituellement, je demande qu'il mette son siège en jeu et qu'il vienne faire la démonstration que le premier ministre a menti. On va avoir beaucoup de plaisir. Je pense qu'il n'y a que celui-là qui pourrait véritablement venir nous dire à l'Assemblée -parce qu'il a l'habitude de cela, il en a soufflé des "ballounes": la "balloune" de l'électronique, la "balloune" du porno, ce qui m'avait fait dire que c'était le député de "Porno".

M. Gratton: Est-ce que c'est toujours pertinent, M. le Président?

M. Dussault: C'est lui que j'aimerais voir mettre son siège en jeu parce que jamais, sur cette base-là, ils n'arriveront à démontrer que le premier ministre a menti. Le premier ministre a du vocabulaire et, quand il dit règlement, il ne dit pas négociation de règlement.

Le Président (M. Jolivet): Votre intervention est terminée?

M. Lalonde: C'est tout?

M. Dussault: J'attendais que le président intervienne.

M. Lalonde: Ah bon!

Le Président (M. Jolivet): Mon problème était là.

M. Lalonde: Oui, oui.

Le Président (M. Jolivet): Vous auriez dû commencer par votre question et finir par

votre intervention.

M. Lalonde: Est-ce que votre question est si...

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Châteauguay.

M. Lalonde: ...le chef de cabinet va vous engager pour écrire ses...

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Châteauguay.

M. Dussault: Je vais le régler, votre problème...

Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît:

M. Dussault: ...M. le Président. Je vais poser une dernière question à notre invité. Lui qui a été un avocat, mais qui n'agit plus comme avocat - il nous l'a dit lors de ses exposés - je voudrais savoir, lui quand il était avocat, s'il faisait une distinction entre le règlement et la négociation ou s'il mêlait cela comme les libéraux le font.

M. Lalonde: M. le Président...

Le Président (M. Jolivet): M. le député, j'ai un malheur. Je vais être obligé encore une fois de vous dire que votre question est irrecevable. Je ne peux pas permettre à Me Boivin de vous donner une opinion. Il a dit qu'il ne donnait aucune opinion juridique formelle au premier ministre; je ne pense pas qu'il en donnera à cette commission parlementaire.

M. Dussault: Alors, je reprends la question autrement, M. le Président. Est-ce que je peux?

M. Lalonde: Oui, oui.

Le Président (M. Jolivet): Excusez?

M. Dussault: Je peux la reprendre autrement, M. le Président?

Le Président (M. Jolivet): Allez, oui, vous avez le droit.

M. Dussault: Me Boivin, si, dans le travail que vous avez à faire comme chef de cabinet du premier ministre, vous avez à vous occuper de négociation ou si vous avez à vous occuper de règlement, est-ce que, dans votre travail, vous vous sentirez obligé de tenir compte de la distinction entre un règlement et une négociation de règlement?

Le Président (M. Jolivet): Je sais bien que c'est irrecevable. Le problème que j'ai est le suivant...

M. Dussault: II peut répondre, s'il le veut, M. le Président, il n'y a personne qui l'en empêche.

Le Président (M. Jolivet): Non, justement, mon problème, c'est que je n'ai même pas le droit de lui permettre de répondre. Ce que vous demandez, M. le député, est totalement hypothétique et je ne permettrai pas à Me Boivin de répondre.

M. Dussault: Question de directive, M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): Question de directive.

M. Dussault: Est-ce que cela veut dire que, si les travaux se poursuivaient pendant trois semaines ou si on reprenait les travaux dans une autre commission sous l'égide d'une autre vocation, comme celle de l'Assemblée nationale, cette règle que vous venez d'édicter s'appliquerait, à savoir que la question que je pose demeurerait une question d'opinion?

M. Lalonde: C'est hypothétique.

Le Président (M. Jolivet): Oui, je pense que, d'une façon ou d'une autre...

M. Dussault: Donc, il est clair, M. le Président, que jamais on n'arrivera à faire la preuve que le premier ministre a menti à l'Assemblée nationale.

Le Président (M. Jolivet): C'est donc une question d'opinion. C'est simplement pour permettre... S'il vous plaît! J'ai devant moi une seule personne qui a demandé de parler, c'est le député de Gatineau qui voulait faire une courte intervention, m'a-t-il dit. Je voudrais, à moins que je n'aie autre chose, libérer Me Boivin, puisque nous aurons l'occasion, après l'intervention du député de Gatineau, de passer à une autre personne. Donc, je libère Me Boivin.

M. Boivin: Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): Merci, Me Boivin. M. le député de Gatineau pour votre dernière intervention.

M. Gratton: Oui, M. le Président. D'abord, j'aimerais rappeler au député de Châteauguay que, avec les deux dernières questions qu'il a tenté de poser, celle d'aujourd'hui et celle d'hier, il a maintenant deux "strikes" contre lui, deux prises.

Le Président (M. Jolivet): M. le député

de Gatineau, c'est votre intervention qui m'importe le plus, cependant.

M. Gratton: Oui, moi aussi, M. le Président, mais je peux difficilement laisser passer l'occasion de rappeler au député de Châteauguay qu'il pourrait mourir au prochain "strike".

M. Dussault: M. le Président, le député de Gatineau est déjà passé dans la "mitt" dix fois depuis le début des travaux et personne ne s'en est préoccupé.

M. Gratton: M. le Président, le but de mon intervention, qui sera très brève, est de tenter d'enchaîner avec ce que disaient le député de Marguerite-Bourgeoys ce matin et le ministre, mais non pas en donnant mon point de vue à moi ou le point de vue d'un autre libéral, parce qu'on sait tout de suite que la réaction de l'autre côté sera de dire: Vous autres, vous avez des oeillères, vous voyez les choses seulement d'une façon. Donc, il est inutile de prendre cela au sérieux, c'est de la partisanerie.

Je vais plutôt lire, M. le Président, une lettre ouverte qui est signée par deux péquistes, deux indépendantistes, qui a paru dans le journal La Presse de ce matin. M. Robert Barberis, qui enseigne la littérature au collège de Sorel-Tracy, et M. Yves Miron qui, lui, est professeur de sciences économiques au collège d'Ahuntsic. Ils ont signé cette lettre qu'on retrouve dans l'édition du journal La Presse de ce matin. Il est utile de rappeler que ce sont deux indépendantistes de la première heure, deux péquistes de la première heure et qui le sont toujours. Je pense qu'il est peut-être utile de voir ce qu'ils pensent, ce qu'est leur perception de ce qu'ils ont vu ici à la commission. J'en fais lecture, M. le Président, et je lirai intégralement non pas tout l'article, parce qu'il est un peu long, mais toute la première partie, incluant les passages qui sont peut-être moins élogieux à l'endroit du Parti libéral, parce que je ne voudrais pas donner ouverture à quelque accusation et permettre de faire des interprétations. Je lis le texte tel quel. "Aux débuts du Parti québécois, quand nous avons combattu le comité politique, nous pensions que les anciens libéraux qui dominaient ce comité auraient un jour ou l'autre une influence négative sur M. Lévesque. En voyant parader les anciens ténors du comité politique devant la commission parlementaire sur le saccage de la Baie-James, nous avons songé aux débats orageux entre les participationistes et les avocats pragmatiques du comité politique formés aux méthodes des vieux partis. "Selon nous, il est clair que René Lévesque n'a pas menti quand il a affirmé à l'Assemblée nationale, le 20 février 1979, que "ce n'est pas ni de près ni de loin dans le bureau du premier ministre que le règlement ou partie de règlement a eu lieu". Mais le va-et-vient entre les avocats des différentes parties impliquées peut-il être qualifié de simple consultation?" Il y a eu consultation, a affirmé le premier ministre en Chambre. Le moins que l'on puisse dire, c'est que cette affirmation est nettement en dessous de la réalité (en anglais, un "understatement"). (12 heures) "II aurait été préférable de dire les choses simplement. Tout le monde sait maintenant ce qui s'est passé. Sur le fond, tout observateur de bonne foi reconnaîtra que la décision de régler hors cour était la bonne décision à prendre. Par conséquent, les libéraux qui harcèlent les témoins qui passent devant la commission ne font que se discréditer eux-mêmes. "Mais pourquoi le premier ministre n'a-t-il pas dit les choses simplement, sans ambiguïté? Car l'ambiguïté, ce pourrait être le contraire de la transparence. Car l'astuce, dont l'exemple le plus célèbre est la question référendaire, ce pourrait être le signe d'une faiblesse politique. On pourrait multiplier les exemples. L'attitude de M. Lévesque dans l'affaire de la liste du ministère de l'Immigration a été ambiguë. L'affaire du saccage de la Baie-James ne pourrait-elle pas suggérer au premier ministre que la transparence est préférable à l'ambiguïté en politique? Ce grave défaut du chef politique est peut-être encouragé par ses conseillers politiques. Au moment où il veut relancer l'option souverainiste, M. Lévesque devrait songer à renouveler son entourage. Car, nous l'avons toujours dit, l'astuce ne suffira pas à faire accéder le peuple québécois à son indépendance. Nous le disions en 1968, vous vous souvenez, M. Lévesque? Nous vous le redisons aujourd'hui amicalement, comme toujours. "Car, d'astuces en ambiguïtés, des Fêtes nationales à la SHQ, de la liste de l'Immigration à l'affaire de la Baie-James, des échecs du référendum et des négociations avec Trudeau sur la constitution et la péréquation, des affirmations que les prochaines élections porteront sur l'indépendance après avoir traité en ennemis pendant un an les 40% des membres du PQ faisant partie du Front commun, que résulte-t-il de tout cela? Une baisse de crédibilité."

M. le Président, je vous fais grâce du reste de la citation, mais, voilà, quand deux péquistes indépendantistes de la première heure et qui le demeurent toujours nous parlent au minimum d'une baisse de crédibilité, nous parlent au minimum des astuces et des ambiguïtés entretenues par le premier ministre, notamment dans le cas qui nous occupe, c'est-à-dire celui du saccage de la Baie-James, le moins que l'on puisse dire,

c'est que cela semble être beaucoup moins clair pour M. Yves Miron et M. Robert Barberis que cela ne l'est pour les machines à voter qui nous font face ce matin et qui sont prêtes à endosser le premier ministre, quoi qu'il dise et quoi qu'il fasse, ces machines à voter que M. Louis Falardeau, du journal La Presse, a traitées de "floppée de back-benchers". Ce n'est pas le fait qu'ils soient des "back-benchers" qu'on doit leur reprocher, on en est tous des "back-benchers" avant d'être autre chose, mais c'est probablement cette façon que les députés ministériels ont de se fermer les deux yeux, de se boucher les deux oreilles et, malheureusement, pas assez souvent de se boucher la bouche également et de faire n'importe quoi, n'importe quand, à condition que ce soit le chef qui l'ait commandé.

M. Laplante: II est temps qu'on le change. Jusqu'aux enfants qui dorment.

Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît!

M. Gratton: Je reviens sur un des paragraphes de la lettre ouverte lorsque M. Barberis et M. Miron écrivent: "Sur le fond, tout observateur de bonne foi reconnaîtra que la décision de régler hors cour était la bonne décision à prendre. Par conséquent, les libéraux qui harcèlent les témoins qui passent devant la commission ne font que se discréditer eux-mêmes." Agréons pour un instant que c'était la bonne décision à prendre de régler hors cour. Je ne partage pas ce point de vue, mais je vous l'accorde pour les fins de la discussion. Mais, M. le Président, régler hors cour à n'importe quel prix, régler hors cour à n'importe quelle condition? Le député de Marguerite-Bourgeoys et d'autres de mes collègues l'ont démontré, on avait deux parties dans ce litige. Il y avait la Société d'énergie de la Baie James dans un cas... J'ai droit à 20 minutes, M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): Allez-y, allez-y!

M. Gratton: Cela ne prendra pas 20 minutes, à condition qu'on me laisse aller.

M. Perron: Allez-y!

M. Gratton: Je répète donc qu'il y avait deux parties. D'une part, la Société d'énergie de la Baie James qui, à ce que je sache, n'avait pas de responsabilité dans le saccage. En tout cas, ce n'est sûrement pas un employé de la société qui avait été à l'origine du saccage. D'autre part, il y avait les syndicats défendeurs. Le gouvernement a décidé qu'il était d'intérêt public de régler l'affaire hors cour malgré que la Société d'énergie de la Baie James se considérait justifiée de réclamer 32 000 000 $ en dommages en cour, devant les tribunaux. Pour qu'il y ait règlement hors cour, forcément, il faut qu'il y ait du "give and take" du donnant donnant, de chaque côté.

À la Société d'énergie de la Baie James, on demandait de renoncer à une partie des dommages subis, à de l'argent représentant une partie des dommages subis. On lui demandait, bien sûr, de renoncer à poursuivre, à maintenir la poursuite devant les tribunaux pour obtenir ce montant. De l'autre côté, aux syndicats, on demandait, d'une part, de reconnaître leur responsabilité dans le saccage; deuxièmement, de dédommager la Société d'énergie de la Baie James pour un montant qu'ils étaient capables de payer.

Qu'est-ce qu'on voit comme résultat final dans le règlement? On voit que, cinq ans après qu'on a offert à la société d'énergie un règlement hors cour de 400 000 $ en 1975, quelques mois après qu'on a offert 500 000 $ de règlement à la Société d'énergie de la Baie James, sans même qu'on ait encore dépensé des fonds pour les honoraires d'avocats, puisque c'est au tout début de janvier 1979, on est parti de 400 000 $ ou de 500 000 $ et on s'est ramassé avec un règlement final de 200 000 $ après avoir dépensé à la société, en frais d'avocats seulement et en frais juridiques, la belle somme de 900 000 $. Donc, ce n'est quand même pas sur le montant du règlement que la société a trouvé son compte. A-t-elle trouvé son compte dans la reconnaissance de la responsabilité par les syndicats défendeurs? Elle exigeait que chacun des syndicats impliqués dans la poursuite reconnaisse sa responsabilité. Or, tous les syndicats ne l'ont pas reconnue dans le règlement final. Donc, la Société d'énergie de la Baie James s'est retrouvée avec quoi? Elle s'est retrouvée avec le minimum qu'elle pouvait obtenir. On n'est même pas sûr, on n'est même pas en mesure d'affirmer qu'elle a obtenu le maximum de ce que les syndicats québécois pouvaient payer, parce qu'il n'y a personne qui s'est préoccupé de cela, il n'y a personne, semble-t-il, selon les témoignages qu'on a entendus, qui s'est préoccupé de s'assurer que la Société d'énergie de la Baie James, qui dépense les deniers publics...

M. Tremblay: M. le Président, le député n'a pas assisté à la commission, j'en suis certain.

M. Gratton: Personne ne s'est occupé de faire en sorte qu'on protège cette affaire.

M. Laplante: Est-ce qu'ils ont droit à deux discours de conclusion?

M. Gratton: On a droit à 20 minutes, M. le député.

Le Président (M. Jolivet): Je m'excuse, M. le député.

M. Laplante: Est-ce qu'on a droit à deux discours?

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Bourassa, vous allez me permettre une chose. L'interruption que vous faites me permet simplement d'intervenir, pour mes besoins personnels et ceux des membres de la commission, pour une décision qu'on aura probablement à rendre cet après-midi. J'ai fait un petit signe au député de Gatineau, lui demandant de raccourcir, simplement parce que nous terminons à 12 h 30. J'ai une permission à donner à Me Lussier, qui représente Me Jasmin, de nous faire une courte demande de façon qu'on puisse avoir le temps de la prendre en délibéré cet après-midi. C'était simplement pour cela.

Pour répondre à la question du député de Bourassa, oui, effectivement, dans la commission, on avait fait mention de la possibilité d'un deuxième tour et je continue à donner la parole au député de Gatineau.

M. Gratton: Je termine, M. le Président, en disant que, en face de péquistes sincères, je n'ai jamais rien eu contre quelqu'un qui se dit ouvertement indépendantiste, qui a le courage de le dire. Malheureusement, je n'en ai pas trouvé beaucoup devant moi au dernier référendum. Là, on en parle de l'indépendance, mais c'est stratégique. On n'en a pas parlé depuis 1976. Bravo! Si vous êtes indépendantiste...

M. Tremblay: Y est t'y menteur! Vous êtes menteur! T'es un menteur!

M. Gratton: ...vous avez maintenant le courage de le dire! On va pouvoir débattre de vrais sujets, M. le Président.

M. Tremblay: T'es un traître, un vendu, un pourri!

Le Président (M. Jolivet): S'il vous plaît! S'il vous plaît! S'il vous plaît!

M. Gratton: M. le Président, est-ce que vous avez entendu cela?

Le Président (M. Jolivet): Oui, je l'ai entendu.

M. Gratton: Je demande au député de Chambly de...

Le Président (M. Jolivet): M. le député, je dois vous dire...

M. Gratton: ...retirer ses paroles.

Le Président (M. Jolivet): ...qu'en vertu de l'ancien règlement vos mots sont antiparlementaires...

M. Tremblay: Je les retire...

Le Président (M. Jolivet): ...et je demanderais que vous les retiriez.

M. Tremblay: Je les retire, pour être conforme au règlement, M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): Merci. M. le député de Gatineau.

M. Gratton: Alors que je suis en train de leur dire que je suis prêt à respecter les gens qui ont le courage d'affirmer ce qu'ils sont, on me traite de bandit, de traître et de vendu, parce que j'ai le malheur...

M. Tremblay: J'ai ajouté "pourri".

M. Gratton: ...de ne pas partager votre point de vue. Et quand je vois ce genre d'intolérance, M. le Président, je me félicite de ne pas partager...

Le Président (M. Jolivet): M. le député. M. le député.

M. Gratton: ...le point de vue de gens comme cela.

Le Président (M. Jolivet): Tout ce que je peux dire, c'est qu'il a retiré ses paroles.

M. Gratton: Donc, en terminant, M. le Président, si des indépendantistes, des péquistes sincères, voient dans les travaux de la commission ce qu'écrivent ce matin M. Barberis et M. Miron, à savoir que l'affirmation du premier ministre, en Chambre, le 20 février 1979, le moins que l'on puisse dire, est nettement en deçà de la réalité et concluent que toutes ces astuces, toutes ces ambiguïtés entretenues par le premier ministre, ont pour résultat une baisse de crédibilité, je dis que, manifestement, on doit se rendre compte que le premier ministre, le 20 février 1979, n'a pas bien informé l'Assemblée nationale, qu'il a effectivement trompé les membres de l'Assemblée nationale en ne donnant pas une réponse claire, nette, précise, transparente, comme en parlent MM. Barberis et Miron. En l'occurrence, M. le Président, quand, de l'autre côté, on fait des gorges chaudes quand on est nettement cantonné dans sa majorité, sachant fort bien qu'en fin de compte, on va dire que c'est noir, même si la population tout entière juge que c'est blanc, et qu'on nous dit: Mettez votre siège en jeu, on vous jugera, pourquoi n'avez-vous

pas le courage de faire appel à l'article 81 du règlement et de porter une accusation contre le journaliste de la Presse? Pourquoi, vous, n'avez-vous pas eu le courage de le faire?

M. Laplante: On va en venir à cela.

M. Gratton: Oui, on va en venir à cela, me dit le député de Bourassa.

M. Laplante: On s'en vient à cela, là.

M. Gratton: Mais, avant d'implorer ou d'invoquer le courage des gens d'ici qui sont minoritaires et de leur demander de faire face au genre de justice dont le député de Chambly vient de faire preuve...

M. le Président, je sais que vous êtes impatient, mais cela me dérange quand vous me faites des signes.

Le Président (M. Jolivet): Oui, c'est que, M. le député, j'ai une décision importante à rendre cet après-midi et je voudrais avoir la chance de la rendre.

M. Gratton: J'ai une bonne conclusion à faire à mon intervention et j'aimerais pouvoir la faire.

Le Président (M. Jolivet): Allez-yl Je m'excuse de vous déranger, M. le député.

M. Gratton: Je dis donc, M. le Président, que, quand ces gens-là font appel au courage des députés de l'Opposition, nettement cantonnés dans leur majorité, et qu'on se rend compte que ce sont des gens comme le député de Chambly qui vient de me traiter de traître, de vendu et de tout ce qu'on voudra, parce que j'ai eu le malheur de le traiter d'indépendantiste, M. le Président...

Le Président (M. Jolivet): M. le député. Là, je vous dérange, c'est vrai, mais c'est pour rendre justice au député de Chambly, je lui ai demandé de retirer ses paroles et il les a retirées. En conséquence, je vous demande d'en tenir compte, s'il vous plaît!

M. Tremblay: M. le Président, question de règlement.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Chambly, question de règlement.

M. Tremblay: M. le Président, lorsque je me suis impatienté tout à l'heure, c'était parce que le député...

Le Président (M. Jolivet): Ce n'est pas une question de règlement, M. le député.

M. Tremblay: Bon!

Le Président (M. Jolivet): Non, il a parlé de moi comme de quelqu'un qui s'impatientait. Effectivement, je me suis impatienté...

M. Tremblay: Non, moi.

Le Président (M. Jolivet): ...parce que je sais que moi, j'ai une décision à rendre cet après-midi et je voudrais être capable de la rendre en connaissant le pour et le contre de l'intervention de Me Lussier. Si vous me dérangez encore plus, cela va me prendre encore plus de temps.

M. Tremblay: Je veux seulement dire, M. le Président, ils veulent mettre leur siège en jeu, qu'ils le fassent et qu'ils ne l'écrivent pas dans les journaux.

Le Président (M. Jolivet): M. le député, ce n'est pas une question de règlement. M. le député de Gatineau.

M. Gratton: M. le Président, en terminant, je pense que la phrase du député de Chambly est plus éloquente que n'importe quelle phrase que je pourrais moi-même évoquer. On nous demande de remettre le sort des membres de la commission dans les mains de personnages semblablesl

M. Tremblay: Ne nous menacez pas dans les journaux.

M. Gratton: Savez-vous, M. le Président, que, pour ma part, je suis prêt à le faire?

M. Dussault: II se cherche une porte de sortie.

M. Gratton: On prendra les décisions qui s'imposent en temps voulu.

M. Tremblay: Arrêtez de le dire, faites-le!

M. Gratton: Mais les "courageux" de l'autre côté, M. le Président, je les invite à faire un petit examen de conscience, à relire le règlement et à faire preuve du courage qu'ils réclament des députés de l'Opposition. A ce moment-là, on pourra s'entendre et discuter d'égal à égal, comme on l'a déjà dit. (12 h 15)

Le Président (M. Jolivet): Merci, M. le député. Je m'excuse, si j'ai été impatient envers vous.

M. Laplante: On est prêt. Mettez votre siège en jeu et on est prêt.

Le Président (M. Jolivet): J'ai permis à Me Lussier, comme je l'ai fait pour les

autres... S'il vous plaît, M. le député de Bourassa...

M. Dussault: II est à la recherche d'une porte de sortie.

Le Président (M. Jolivet): Je vais être obligé, si cela continue, d'utiliser l'article 45 pour des gens qui m'interrompent continuellement. J'ai permis à Me Lussier de s'installer avec l'honorable juge Michel Jasmin, parce qu'il m'a mentionné qu'il avait l'intention de faire une demande. Je tiens à redire devant cette commission que toute personne qui n'est pas membre de cette commission ne peut faire aucune demande ou requête au président. Mais, pour les besoins de la cause, je suis prêt à l'entendre et j'aurai à rendre une décision cet après-midi, à la reprise des travaux. Me Lussier m'a dit qu'il avait besoin d'une vingtaine de minutes et j'ai eu la permission du député de Marguerite-Bourgeoys de dépasser de quelques minutes 12 h 30, et j'ai eu celle du ministre aussi, mais je ne le lui ai pas demandé, parce que j'avais presque acquis cette chose-là. Je le demande au ministre. Le ministre me l'accorde aussi?

M. Lalonde: Vous pourriez le demander aux deux.

M. Duhaime: On verra, M. le Président.

M. Lalonde: On verra.

M. Duhaime: Mais, en partant, cela me fait plaisir d'y consentir, si c'est vous qui me le demandez.

Le Président (M. Jolivet): C'est moi qui vous le demande.

M. Duhaime: Oui.

Le Président (M. Jolivet): Donc, je permets à Me Lussier de faire la première intervention pour ensuite suspendre jusqu'après le dîner.

Représentations au nom de M. Michel Jasmin

M. Jean-Pierre Lussier

M. Lussier (Jean-Pierre): Alors, comme vous l'avez dit, M. le Président, je ne suis pas ici pour faire une requête. J'ai un peu suivi les travaux de votre commission et je sais que ce n'est pas recevable comme tel. Je suis quand même ici pour vous faire...

Le Président (M. Jolivet): Pour les besoins du journal des Débats, vous êtes Me Lussier, Jean-Pierre.

M. Lussier: Oui, mon nom est Jean-Pierre Lussier. Je suis avocat et je suis ici pour représenter le juge Michel Jasmin. Je vais, d'ailleurs, donner un bref historique des événements qui m'ont amené à être ici.

Je vais commencer tout de suite en vous brossant rapidement un tableau de certains problèmes d'ordre juridique qui se posent relativement au témoignage de M. Jasmin. Vous savez, quand la commission a été convoquée et que le juge Jasmin a su qu'il serait convoqué comme témoin, la première démarche qu'il a faite a été faite auprès du Barreau du Québec. Il est entré en communication avec le bâtonnier d'alors, Me Tellier, et il lui a fait part du fait qu'il serait appelé à témoigner et que, étant donné qu'il était maintenant magistrat, il lui était difficile d'entrer en communication avec les clients qu'il représentait à l'époque.

Or, comme votre mandat, évidemment, porte spécifiquement sur le règlement d'un dossier dans lequel Me Jasmin, tel qu'il était alors, a été impliqué, il a demandé au barreau de faire ces démarches. Le barreau -vous le savez parce que vous avez reçu devant vous Me Jean-Marie Larivière - a délégué un avocat, Me Jean-Marie Larivière, qui est venu vous faire les représentations du Barreau du Québec sur la portée et l'étendue que le Barreau du Québec voyait à la notion de confidentialité. Au lieu de secret professionnel, maintenant on parle plutôt de droit à la confidentialité. À la suite de ces représentations, la présidence a rendu une décision - sur laquelle j'aurai d'ailleurs, à vous faire certaines remarques, c'est sur cela que porte mon intervention. À la suite de cette décision, le barreau a offert à M. le juge Jasmin de lui fournir les services d'un avocat. C'est comme cela que Me Jasmin est entré en contact avec moi.

Par la suite, cependant, pour finir de brosser le tableau des événements, vous le savez, vous avez tous été saisis de certaines procédures qui ont été entreprises par un ancien client du juge Jasmin, qui est l'Union des opérateurs de machinerie lourde, local 791, procédure en injonction qui avait pour but d'empêcher la commission de convoquer Me Michel Jasmin à témoigner tant que la Cour supérieure ne se serait pas prononcée sur une requête en jugement déclaratoire pour faire statuer sur la portée et l'étendue du secret professionnel ou du droit à la confidentialité dans une enquête comme celle-ci. Incidemment, cette requête en jugement déclaratoire a été plaidée le jeudi 19 mai dernier devant le juge Yvan Macerola, de la Cour supérieure de Montréal. L'audition a duré toute la journée et le juge a pris la cause en délibéré et, à ma connaissance, jusqu'à maintenant, le jugement n'est pas encore rendu.

Cela me permet l'entrée de jeu de vous soumettre rapidement deux types de

représentations. D'abord, la première me vient à la suite de la lecture attentive que j'ai faite de la décision que la présidence a rendue le 3 mai dernier. Je ne sais pas, je ne l'ai pas dans le journal des Débats, mais je l'ai dans un document qui s'appelle "Projet de décision" et qui, en fait, est la décision. Ce que je veux citer se retrouve à la page 4 de ce document. On y lit ceci: "Le droit au respect du secret professionnel est reconnu par la Charte des droits et libertés de la personne. C'est un droit fondamental reconnu à toute personne depuis l'adoption de cette charte en 1975. Ce droit s'impose à nos travaux et les droits et privilèges de l'Assemblée et de ses membres doivent compter et composer avec l'existence des droits fondamentaux des citoyens. Il ne saurait en être autrement sans indication précise et explicite dans la Loi sur l'Assemblée nationale. Or, cette loi ne contient aucune disposition permettant à l'Assemblée nationale de se soustraire à la Charte des droits et libertés de la personne."

D'abord, je suis un peu mal à l'aise. Je sais que vous me comprenez. Tous tant que vous êtes, surtout ceux dont le métier a été longtemps celui d'avocat, vous savez ce qu'est la position d'un témoin qui doit invoquer le secret professionnel. Les gens, en général - c'est une chose que j'ai constatée moi-même - ont l'impression qu'il s'agit d'un privilège, finalement, qui est rattaché à la personne du professionnel alors qu'au moins, depuis 1975, s'il y a quelque chose de certain, c'est le contraire. Ce n'est pas du tout un privilège qui est rattaché à la personne du professionnel, mais c'est un droit fondamental et un droit qui est reconnu à la personne qui consulte le professionnel. Évidemment, comme on ne peut pas demander, non plus, à la personne qui consulte un professionnel de dire devant n'importe quelle instance ce qu'elle a dit au professionnel parce que cette personne a un droit fondamental à la confidentialité, le corollaire de ce droit, c'est l'obligation pour le professionnel de s'en tenir à la confidentialité des renseignements qu'il a reçus.

Donc, lorsque c'est le professionnel, comme dans ce cas-ci, qui est appelé, il n'invoque pas un droit pour lui. Il invoque un devoir qui lui est imposé par la loi. Il est obligé de le faire; à défaut de quoi, il violerait à la fois la Loi sur le barreau et la charte.

Le problème que nous cause l'article 9 de la charte des droits et libertés, c'est qu'il n'a pas encore été interprété par les tribunaux. Depuis 1975, à ma connaissance, aucun tribunal, sûrement pas un tribunal supérieur - à ma connaissance, je dis bien -n'a eu à se prononcer sur la portée et l'étendue de ce droit alors qu'auparavant - je ne veux pas m'étendre longuement là-dessus, vous avez eu des représentations amplement étayées de la part du Barreau du Québec - il s'agissait plutôt d'un privilège qui était assez circonscrit à des communications entre client et avocat. La jurisprudence ayant fait certaines réserves, ayant rajouté d'autres choses, la rédaction particulière de l'article 9 nous laisse penser - c'est, d'ailleurs, en ce sens que Me Larivière avait fait des représentations - que la portée et l'étendue que vous, comme législateurs, avez voulu donner à ce droit était beaucoup plus large que ce qui existait auparavant.

Donc, dans sa décision la présidence disait: La charte des droits s'applique. Et j'ai compris - vous me corrigerez si je fais erreur - que ce que la présidence a dit, c'est non seulement que l'article 9 de la charte s'applique aux travaux de votre commission, mais aussi tous les droits fondamentaux qui appartiennent aux citoyens en vertu de cette charte des droits de la personne.

Aujourd'hui, je veux attirer votre attention très particulièrement sur l'article 23 de la charte. Je reviens sur ce que je vous ai dit par rapport aux recours qui avaient été exercés par l'Union des opérateurs de machinerie lourde, local 791, qui est titulaire du droit. L'article 23 se lit comme suit: "Toute personne a droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu'il s'agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé, etc.". Je vous soumets pour votre considération qu'à mon avis les recours qu'exerce actuellement l'Union des opérateurs de machinerie lourde, local 791, sont des recours qu'elle peut exercer en vertu de l'article 23 de la charte: faire déterminer judiciairement l'étendue de ses droits à la confidentialité et même faire déterminer judiciairement l'étendue de l'obligation de son procureur d'alors.

Je comprends que l'Assemblée a déclaré qu'elle n'est pas liée par une décision des tribunaux. Ce n'est pas en ce sens que je vous fais des représentations. Je vous dis -et je suis persuadé que c'est dans ce sens-là qu'allait votre décision - que, si effectivement la Charte des droits et libertés de la personne s'applique à vos travaux, vous devriez, à mon sens, permettre qu'une personne - n'importe laquelle - puisse exercer de façon utile des droits judiciaires. Dans ce sens, je soumets cela à votre considération.

Je ne m'étendrai pas longuement là-dessus parce qu'il ne s'agit pas, comme tel, de droit qui appartienne en propre au juge Jasmin que je représente. Je le répète encore une fois que celui-ci est ici à titre de professionnel et qu'il a l'obligation, le devoir de respecter ce droit à la confidentialité de ses anciens mandants. Si

vous demandez aujourd'hui au juge Jasmin de rendre témoignage dans l'affaire qui vous préoccupe et pour laquelle vous avez mandat d'enquêter, je veux quand même que vous réalisiez que la détermination judiciaire qui a été demandée par l'Union des opérateurs de machinerie lourde, local 791, devient parfaitement inutile.

Je vais me permettre de lire les conclusions de cette requête. Je les lis en vrac sauf celle: Accueillir la requête, etc. La requête à la Cour supérieure demande ceci: "Déclarer que l'avocat, Michel Jasmin, ne peut être contraint de témoigner devant la commission permanente de l'énergie et des ressources vu son obligation au secret professionnel." Vous comprendrez que cette première conclusion va directement sur le sujet de la contraignabilité. Encore une fois, je vous répète que je ne fais pas ces représentations dans le but de mettre en doute la décision qu'a rendue la présidence, mais pour simplement montrer à la présidence que la détermination judiciaire, qui est actuellement en Cour supérieure, des droits de l'Union des opérateurs de machinerie lourde va certainement entrer en conflit avec le fait qu'on pourrait demander à Michel Jasmin de rendre témoignage aujourd'hui.

On continue ces conclusions qui sont: "Déclarer l'indivisibilité des renseignements confidentiels, l'impossibilité de respecter le droit à la confidentialité de la requérante en forçant un témoignage morcelé, partiel et/ou incomplet." Je vous rappelle, d'ailleurs, là-dessus que c'était aussi dans ce sens que Me Larivière avait fait des représentations, soit que, à un moment donné - je me rappelle à peu près ses mots - le sillon est très difficile à tracer entre ce qui peut être couvert et ce qui n'est pas couvert, d'autant plus - je me permets d'insister là-dessus -que, jamais encore jusqu'à maintenant, un tribunal ne s'est prononcé sur l'article 9. Vous comprendrez que si vous mettez un témoin dans la position de décider, lui, assisté ou non d'un procureur, ce que sont l'étendue et la portée du secret professionnel, vous le placez dans la position de devoir être à la fois juge et partie. Je ne veux pas faire de jeux de mots là-dedans. Il n'est pas ici comme juge aujourd'hui; il est ici comme témoin. Demain, à la cour, s'il est appelé à siéger, il peut avoir à trancher un problème en tant que tribunal. Aujourd'hui, il est ici en tant que témoin et, jamais encore, un organisme judiciaire n'a déterminé l'étendue et la portée de l'obligation à la confidentialité. Vous le forceriez, lui, aujourd'hui, à trancher un problème qui est déjà devant la Cour supérieure qui a été plaidé la semaine dernière. Je pense que c'est une situation absolument non seulement délicate, mais intenable pour le témoin comme tel.

Le deuxième problème - je le mentionnerai très rapidement - est la question de l'immunité face à des procédures. À mon avis, la règle du sub judice peut recevoir ici une application. Je vous ai expliqué que la requête pour jugement déclaratoire est actuellement en délibéré devant la Cour supérieure. (12 h 30)

Je sais que vous avez déclaré que l'indépendance de l'Assemblée, la souveraineté du Parlement ne peut souffrir d'intrusion du pouvoir judiciaire. Mais, par contre, je sais aussi - je l'ai même retracé dans vos règlements - que l'Assemblée nationale a toujours été respectueuse, ne serait-ce que par simple courtoisie, des attributions du pouvoir judiciaire. Je prends, par exemple, votre article 99, au paragraphe 4. On dit qu'il est interdit à un député qui a la parole de parler d'une affaire qui est devant les tribunaux, devant un organisme quasi judiciaire etc., tant que, finalement, l'affaire n'est pas tranchée. Je sais que, même si vous n'êtes pas liés par des décisions de tribunaux, vous vous êtes toujours montrés soucieux de respecter les attributions judiciaires. Par ailleurs, je sais aussi que si vous enfreignez - si je peux me permettre l'expression - la règle du sub judice alors que vous êtes dans vos travaux, vous avez une immunité à titre de parlementaires, vous avez des privilèges à titre de parlementaires. Le témoin ici, le juge Michel Jasmin, est seulement témoin; ce n'est pas un parlementaire, évidemment. Il ne jouit pas des privilèges et des immunités qui sont accordés habituellement aux parlementaires. Pardon?

Le Président (M. Jolivet): La Loi sur l'Assemblée nationale.

M. Lussier: J'y arrive. Je sais que la Loi sur l'Assemblée nationale prévoit, à l'article 54, qu'aucune poursuite judiciaire ne peut être intentée en raison d'un acte officiel, etc. Je me pose des questions parce que, dans le cas présent, je pense que ce à quoi le témoin pourrait s'exposer - je ne sais pas si on peut le qualifier comme tel, il ne s'agit pas d'une poursuite judiciaire au sens habituel - cela pourrait être plutôt de la nature d'une requête en outrage au tribunal étant donné qu'il aurait rendu un témoignage alors que la cour est déjà saisie, du fait de son obligation à ou à ne pas rendre témoignage.

Quoi qu'il en soit, quelle que soit la position juridique qui devrait nous gouverner dans cette affaire, même si le juge Jasmin, à cause de l'article 54, avait finalement une immunité contre toute poursuite judiciaire, je veux simplement que vous notiez la position d'un témoin qui est juge maintenant et qui pourrait être appelé à rendre témoignage sur

des questions qui font actuellement l'objet d'un examen judiciaire. Je pense que vous poser la question, c'est y répondre. Vous allez admettre avec moi que le témoin est placé devant une situation qui est absolument intenable. Il ne sait pas l'étendue et la portée que les tribunaux donnent à la notion de secret professionnel. Il sait qu'il y a un recours qui est exercé devant la Cour supérieure par un ancien client pour faire déterminer, entre autres, qu'il n'a pas à témoigner. Il est pris dans cette situation où, si vous l'assermentez et l'interrogez, il devra nécessairement se comporter d'une manière telle qu'il ne sera sûrement pas en mesure, en tout cas, vous en conviendrez avec moi, de rendre un témoignage en toute liberté et sans aucune contrainte.

Je sais que vous suspendez habituellement la séance à 12 h 30. J'ai d'autres remarques sur d'autres sujets.

Le Président (M. Jolivet): Allez-y, allez-y.

M. Lussier: D'accord. Avant de passer à la question de la libération - parce que je veux y arriver de façon subsidiaire, quand même - je voudrais, encore une fois, attirer votre attention sur les représentations qui vous furent faites par Me Jean-Marie Larivière, au nom du Barreau du Québec, sur la situation dans laquelle pourrait se trouver le témoin, Me Michel Jasmin. J'attire, de plus, votre attention sur le fait que, lorsque ces représentations ont été faites, il n'y avait aucun recours pendant devant la Cour supérieure. Je vous soumets que le fait qu'il y ait ces recours devrait vous inciter à prendre encore plus en considération les énoncés que je vais vous soumettre.

J'attire votre attention sur le ruban 851, page 1, du 28 avril 1983, ainsi que sur le ruban 843. Le ruban 843, j'y arrivais tout à l'heure quand je vous parlais du sillon ou de quelque chose de semblable, que l'avocat, Me Larivière, vous disait qu'il était extrêmement pénible et difficile de tracer. Je vous soumets que c'est encore plus difficile quand il y a une procédure pendante devant la Cour supérieure.

Je lis ceci au milieu de la page, au ruban 843. Il parlait à ce moment de la possibilité que Me Jasmin soit appelé à témoigner sur des rencontres auxquelles il aurait assisté avec des représentants du bureau du premier ministre. Je cite: "II est évident que, si l'avocat va à une rencontre -vous connaissez déjà les dates de rencontres, elles sont là - dès qu'il ouvre la bouche pour parler à cette rencontre, il est en train de faire état d'une partie de son mandat ou d'une partie des choses qu'il sait parce que son client les lui a révélées. Il est évident que Me Jasmin dans ceci n'a jamais agi à titre personnel. Il a toujours agi au sens de la charte en raison de sa profession d'avocat et comme mandataire, et non pas personnellement comme une des parties au litige. C'est pour cela que je vois bien mal comment on pourrait se mettre à tracer un sillon autour des choses qui peuvent être dites et des choses qui ne peuvent pas être dites."

Au ruban 851, page 1, du 28 avril 1983, toujours l'opinion du Barreau du Québec: "Je pense qu'un témoin doit ou bien témoigner en toute liberté ou, alors, il est injuste et pour lui et pour ses clients et pour cette commission de le forcer à témoigner en ne disant que des bouts ou en relatant des sections de faits, en ayant l'obligation de s'interrompre à mi-phrase parce que le secret professionnel entre en jeu. De la même façon que le secret professionnel est basé ou prend son assise dans la saine administration de la justice, pour une saine administration de la justice, il faut qu'un témoin soit dans les conditions matérielles requises pour rendre un témoignage en toute sérénité et en toute liberté."

Je pense que la démonstration que je vous ai faite tout à l'heure devrait suffire à vous convaincre que les conditions dans lesquelles se trouve le témoin ne sont, évidemment, pas des conditions de sérénité et de liberté qu'on serait en droit d'attendre non seulement - et je le répète - à cause de son obligation au respect de la confidentialité, mais encore et surtout à cause du fait que des procédures judiciaires sont actuellement en délibéré, procédures judiciaires dans lesquelles il est mis en cause. Et, de surcroît, à cause de la fonction qu'il occupe aujourd'hui.

Le dernier problème que je voulais soulever est un problème subsidiaire. À mon sens, vous devrez le trancher si vous n'agréez pas au fait que M. le juge Jasmin est dans une situation où il lui est extrêmement difficile, sinon impossible, de témoigner. C'est le problème de la libération de ses anciens clients. J'ai lu attentivement la décision de la présidence du 3 mai. Encore une fois, on me corrigera si je fais erreur. Il me semble que la présidence tient pour acquis le fait que M. le juge Jasmin ait été lilbéré par l'un des quatre mandants qu'il représentait à l'époque. Je n'en fais pas grief à la présidence, parce que c'est aussi ce que l'avocat qui représentait le barreau avait tenu pour acquis à l'époque, s'étant laissé - je dirais - tromper, peut-être, par une similitude de noms. Et je vais m'expliquer.

Quant à moi, je ne vous dis pas que M. le juge Jasmin n'est pas libéré par cet ancien mandant. Je vous dis bien honnêtement, bien candidement, que je l'ignore. Et je pense qu'il est important que la question soit tranchée. Je vais vous soumettre les points, les observations qui me

font penser que ce problème devrait être tranché avant qu'on puisse l'interroger. Remarquez que je tiens cela pour acquis, étant donné que la décision de la présidence disait que c'est le fait qu'il soit libéré par l'un de ses mandants qui pourrait donner ouverture au fait qu'il soit appelé à témoigner. Vous savez que Me Larivière a envoyé une lettre à tous les clients que Me Jasmin représentait à l'époque. Il a envoyé une lettre à un organisme qui s'appelle le Conseil provincial des métiers de la construction (International). Le client en question, le client que représentait le juge Jasmin à l'époque, était le Conseil provincial des métiers de la construction (FTQ). Ce Conseil provincial des métiers de la construction (FTQ), qu'on appelait, d'ailleurs, communément FTQ-Construction, regroupait 42 unions distinctes dont, entre autres, l'Union des opérateurs de machinerie lourde, la Fraternité des charpentiers-menuisiers. Je mentionne ces unions parce qu'elles sont dans les procédures qui vous intéressent. Ce conseil provincial, donc, était formé de 42 unions. Vers 1980, à la suite d'une certaine bisbille à l'intérieur de ces unions, je dirais, il y a eu deux organismes disctincts qui ont été formés à la suite de l'adoption par l'Assemblée nationale de la loi 109 qui modifiait la Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction.

Vous savez que la Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction - je m'excuse si c'est technique, mais je crois que je suis obligé d'entrer dans ces détails - crée des associations représentatives, tant des associations d'employeurs, comme l'Association des entrepreneurs en construction du Québec, que des associations de salariés, comme, par exemple, en 1978, le Conseil provincial des métiers de la construction (FTQ). Ces associations d'unions ont des droits spécifiques prévus dans la Loi sur les relations du travail. Je crois que vous devriez vous interroger s'ils n'ont que ces droits ou s'ils n'ont... Par exemple, je veux que vous gardiez à l'esprit, quand je fais ces représentations, qui est le titulaire du droit à la confidentialité.

Ces associations représentatives, à mon sens, ont des droits spécifiques prévus par la loi. Je pense au droit à la négociation. Je pense au droit de recourir à la conciliation ou à des droits de cette nature. Quant aux droits civils, le problème, à mon avis, se pose à savoir qui les détient. Est-ce cette association ou sont-ce les unions qui la composent? Parce que toutes ces unions possèdent ces droits civils. Elles ne se regroupent au sein de l'association représentative qu'aux fins spécifiques prévues par la Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction.

Finalement, en 1980, l'Assemblée nationale adopte la loi 109. On constate que, maintenant, dans les unions représentatives, dans les associations de salariés, on ne retrouve plus, finalement, le Conseil provincial des métiers de la construction (FTQ). On retrouve maintenant le Conseil provincial des métiers de la construction (International) et la Fédération des travailleurs du Québec, qu'on appelle FTQ-Construction.

Alors, le client, si vous voulez, que représentait le juge Jasmin à l'époque, était le Conseil provincial des métiers de la construction, qu'on appelait FTQ-

Construction. Maintenant, on a deux organismes distincts: le conseil provincial (International) et la FTQ-Construction. Les unions qui étaient membres du Conseil provincial des métiers de la construction (FTQ) - j'ai même de la difficulté à ne pas me mêler moi-même quand je compare les différentes associations - se sont séparées, je dirais, à part à peu près égale entre le conseil provincial (International) et la FTQ-Construction. Il y a des différences importantes en ce qui a trait aux membres. Je fais peut-être erreur mais, grosso modo, l'ancien conseil provincial que représentait Me Jasmin, regroupait environ 70 000 membres et, maintenant je dirais qu'environ 40 000 ou 50 000 sont dans la FTQ-Construction et à peu près 25 000 dans le conseil (International).

Le problème que je me suis posé, quand j'ai été consulté par M. le juge Jasmin, est: Est-ce que vraiment il y a eu une libération valable dans ce cas? Je vous avoue bien honnêtement que je suis incapable d'arriver à cette réponse. Je peux donner une opinion d'avocat, mais il faut que ce problème soit tranché. Vous comprendrez que la position dans laquelle se trouve un avocat qui ne peut savoir avec certitude s'il est ou non libéré de son obligation à la confidentialité lui pose un problème majeur. Il ne peut être délié de son obligation à la confidentialité, nous dit la charte, que par son client expressément ou implicitement. J'ai personnellement écrit la même lettre que M. Jean-Marie Larivière, pour le Barreau du Québec, avait écrite à tous les autres organismes impliqués pour m'assurer que ce n'était pas un faux problème. J'ai écrit à la FTQ-Construction la même lettre. À mon sens, les unions que l'on retrouvait dans le conseil provincial de l'époque se retrouvent maintenant aussi dans la FTQ-Construction. J'ai reçu une communication du président, M. Lavallée, qui m'a dit spécifiquement qu'à la suite d'une réunion de l'exécutif on avait décidé de ne pas délier le juge Jasmin de son obligation à la confidentialité et qu'on me ferait parvenir dès la prochaine réunion, qui devait se tenir jeudi ou vendredi dernier, une résolution en bonne et due forme à cet effet, parce que c'est ce que je lui

demandais. C'est ce qui était, d'ailleurs, la teneur des lettres que Me Jean-Marie Larivière avait envoyées. (12 h 45)

Je n'ai pas encore avec moi la résolution. Tout ce que j'ai, c'est une communication du président ou du secrétaire général de cet organisme, M. Lavallée, au nom de cet organisme, pour me dire qu'il ne déliait pas le juge Jasmin de son obligation à la confidentialité. Je vous soumets le problème parce que je vous ferai remarquer qu'il est important pour nous, il est important pour savoir comment nous conduire dans les travaux. Je crois que c'est important pour vous aussi. Je vous avoue que j'ai - je vous le dis, encore une fois, bien candidement - de la difficulté aussi à voir comment on va s'y prendre pour résoudre cette difficulté, parce que je ne sais pas si la commission veut ou peut trancher ce type de problème qui est lié, finalement, à la libération ou la non-libération d'une obligation au secret professionnel. Je ne sais pas si la commission estime être le forum approprié ou si ce n'est pas quelque chose qui devrait être déterminé devant un tribunal. Je sais que cela pose des problèmes sérieux, mais, aujourd'hui, j'en suis là et je ne peux faire autre chose que vous soumettre le problème, comme je vous le dis, en toute candeur, mais en toute honnêteté aussi.

J'avoue que, dès que je me suis aperçu de cet état de choses, je me suis empressé aussi - parce que je ne voulais prendre personne par surprise - d'en aviser les gens concernés; je me suis empressé d'en aviser la cour aussi, parce que, lorsque la Cour supérieure s'est enquise de savoir s'il y avait des problèmes quant à nous, je lui ai soumis ce problème, sachant bien que la cour n'était pas là pour trancher tout de suite ce problème qui n'est visé par aucune requête. C'est, finalement, une illustration d'un problème qui est susceptible de se poser à n'importe quel moment devant vous.

J'ai pris pas mal de votre temps, un peu plus que prévu. Vous savez, ce que sont des quinze ou des vingt minutes d'avocat. Alors, je crois que...

Le Président (M. Jolivet): Je veux simplement vous dire qu'on a pris bonne note de ce que vous nous avez représenté. Je dois vous dire au départ qu'il y a une chose qui est certaine, c'est qu'il n'est pas question qu'aucun membre de cette commission remette en cause une décision prise par la présidence. J'ai, cependant, compris que des éléments nouveaux nous permettaient de vérifier à nouveau nos travaux et on va prendre cela en délibéré. Je vais demander à une personne de l'Opposition et à une personne du parti ministériel, lors du retour après la période des questions, de faire leurs commentaires. Je verrai à ce moment, à la suite de leurs représentations et peut-être des questions qui pourront vous être posées pour compléter l'ensemble du dossier, probalement, à suspendre de nouveau nos travaux pour une décision finale sur cette question.

Entre-temps, je suspends nos travaux jusqu'après la période de questions.

(Suspension de la séance à 12 h 48)

(Reprise de la séance à 16 h 30)

Le Président (M. Jolivet): À l'ordre! La commission élue permanente de l'énergie et des ressources est à nouveau réunie aux fins d'examiner les circonstances entourant la décision du conseil d'administration de la Société d'énergie de la Baie James de régler hors cour la poursuite civile intentée à la suite du saccage du chantier de LG 2 survenu en 1974 et, plus spécifiquement, le rôle du premier ministre et de son bureau à cet égard.

Les membres de cette commission sont: MM. Vaillancourt (Jonquière), Ciaccia (Mont-Royal), Duhaime (Saint-Maurice), Bourbeau (Laporte), Laplante (Bourassa), Paradis (Brome-Missisquoi), Lavigne (Beauharnois), LeBlanc (Montmagny-L'Islet), Lalonde

(Marguerite-Bourgeoys), Perron (Duplessis), Tremblay (Chambly).

Les intervenants sont: MM. Bisaillon (Sainte-Marie), Baril (Rouyn-Noranda-

Témiscamingue), Desbiens (Dubuc), Dussault (Châteauguay), Mme Harel (Maisonneuve), MM. Gratton (Gatineau), Page (Portneuf), Doyon (Louis-Hébert), Saintonge (Laprairie), le rapporteur étant toujours M. LeBlanc, de Montmagny-L'Islet.

Au moment où nous nous sommes quittés à l'heure du lunch, nous avions devant nous Me Jean-Pierre Lussier, qui faisait une représentation au nom de l'honorable juge Michel Jasmin. J'avais dit à ce moment-là qu'à la suite de son intervention je permettrais une intervention du côté ministériel et du côté de l'Opposition pour éclairer la présidence de cette Assemblée en vue de la décision qui devrait être rendue. Compte tenu des éléments qui nous ont été apportés à la fermeture entre 12 h 20 et 12 h 45 et des arguments qui seront apportés de part et d'autre - s'il y a des éléments d'information additionnels qu'on veut avoir de la part de Me Jean-Pierre Lussier, on pourra lui poser des questions - j'indique dès maintenant qu'à la suite de ces deux interventions et des questions qui pourront être posées, je vais ajourner les travaux jusqu'à demain matin, 10 heures. Nous aurons donc des décisions à rendre demain matin à 10 heures, de façon qu'on puisse avoir une décision finale sur la

question pour demain. Cela donne à M. le ministre, qui aura à discuter avec le leader, les éléments essentiels de la journée de demain, ce qui aura à être déterminé par le leader du gouvernement à l'Assemblée nationale.

Qui commence? Est-ce M. le ministre? Allez, M. le ministre.

M. Yves Duhaime

M. Duhaime: M. le Président, je ne sais pas si mes remarques vont être une contribution utile au délibéré que vous allez entreprendre. J'ai comme l'impression qu'on a un joyeux problème. Je voudrais, d'abord, faire un commentaire sur ce qu'évoquait, il y a au-delà de deux semaines, celui qui s'est dénommé l'amicus curiae, Me Larivière, qui représentait le Barreau du Québec sur un aspect important du problème qui consistait à traiter, en l'occurrence - Me Jasmin, à l'époque où il agissait comme procureur, avait quatre clients, trois ayant refusé carrément de le relever de l'obligation à la confidentialité ou encore de son secret professionnel et le quatrième étant le Conseil provincial des métiers de la construction (International) - devant la commission de l'indivisibilité du secret professionnel.

M. le Président, je vous dirai que, sans aller sur le fond, ce problème se résout de lui-même si vous en venez à la conclusion découlant des représentations qui ont été faites ce matin par Me Lussier. Je vous avoue que Me Lussier vous l'a formulé sous forme de question. Je vais faire de même, c'est peut-être la meilleure façon de poser le problème. Le Conseil provincial des métiers de la construction (International), tel qu'on le connaît aujourd'hui en 1983, regroupe 20 000 à 25 000 membres, c'est-à-dire un groupe d'unions qui se retrouvaient en 1979 parmi les 42 et qui s'appelaient à l'époque le Conseil provincial des métiers de la construction. Le problème de l'indivisibilité se règle de lui-même si on pose et si on répond à la question suivante: Est-ce que le Conseil provincial des métiers de la construction, tel qu'on le connaît en 1983, peut délier de son obligation au secret professionnel l'honorable juge Michel Jasmin qui, en 1979, agissait comme procureur du Conseil provincial des métiers de la construction (FTQ)? Si la réponse à cela, c'est que le Conseil provincial des métiers de la construction d'aujourd'hui n'a pas la capacité juridique de délier Me Jasmin, on revient à la situation suivante: trois clients ayant refusé et le quatrième ne pouvant juridiquement le faire, parce qu'il n'en a pas la capacité, la question de l'indivisibilité ne se pose plus. Cela voudrait dire que Me Jasmin n'aurait été délié ni par l'un ni par l'autre de ses clients. C'est le premier point.

Deuxième point: est-ce que le fait qu'une instance, qui est en délibéré entre les mains d'un juge de la Cour supérieure à Montréal sur une requête pour jugement déclaratoire - je ne reprendrai pas les conclusions de la requête; Me Lussier l'a fait ce matin - est-ce que cette affaire, qu'on a l'habitude de qualifier d'affaire sub judice, a plein effet face aux dispositions de l'article 99.4 de notre règlement? L'article 99.4 dit ceci: "II est interdit à un député qui a la parole - les paragraphes 1, 2 et 3 ne s'appliquent pas ici, c'est le paragraphe 4 -de parler d'une affaire qui est devant les tribunaux ou devant un organisme quasi judiciaire ou d'une affaire qui est sous enquête, lorsque, dans ce dernier cas, les paroles prononcées peuvent être préjudiciables à une personne."

Sans faire l'exégèse du règlement, M. le Président, on va régler une chose tout de suite. Le dernier membre du sous-paragraphe 4 dit: "lorsque, dans ce dernier cas, les paroles prononcées peuvent être préjudiciables à une personne." Cela s'applique donc à une affaire qui est sous enquête. Cela ne s'applique donc pas à une affaire qui est devant les tribunaux ou devant un organisme. La question qu'il faut se poser est la suivante: Quelle est l'affaire qui est devant le tribunal actuellement?

Si on lit le mandat de la commission et les travaux que cette commission poursuit à l'intérieur de son mandat, il est bien évident que c'est de façon très accessoire en quelque sorte que l'instance qui est devant la cour peut être reliée aux travaux de la commission. Deux des principales conclusions de la requête qui a été plaidée, je pense que c'est la principale, à la page 12, M. le Président... Si vous référez à cette requête, la requérante est l'Union des opérateurs de machinerie lourde, le local 791 qui, lui, maintient auprès de son ancien procureur, Me Jasmin, son obligation à la confidentialité. La requérante, le local 791, demande à la cour de déclarer: a) Que l'interprétation de la disposition législative précitée relève de la compétence judiciaire; b) Que la commission parlementaire, par ses membres et par son président, ne peut statuer sur l'étendue du secret professionnel à l'occasion de chacune des questions à être posée au témoin, Michel Jasmin; enfin, déclarer que la commission permanente, par ses membres et par son président, est liée: a) Par une déclaration générale de l'avocat à l'effet que les informations qu'il détient sur le sujet examiné sont couvertes par le secret professionnel; b) Subsidiairement, par une déclaration spécifique dite à l'occasion de chaque question posée. Je ne veux pas préjuger du jugement qui pourrait être éventuellement rendu par l'honorable juge Macerola, je crois, qui le tient en délibéré. Cependant, je peux me référer au jugement

du Il mai 1983... Pardon?

M. Lussier: Vous avez lu les conclusions de la requête. Il y a plusieurs autres conclusions juste avant celles que vous avez lues.

M. Duhaime: Absolument, oui, d'accord. J'ai lu la partie qui me paraissait la plus pertinente, si vous le voulez. Peut-être que je serai dans l'obligation d'y revenir. Je voudrais me référer au jugement prononcé par l'honorable juge Pierre Pinard le Il mai 1983 sur une requête pour une procédure interlocutoire. Une chose m'a frappé, c'est à la page 6 du jugement, je comprends qu'on est sur l'interlocutoire: "Par conséquent, rien dans la requête ne permet raisonnablement de conclure que le droit à la confidentialité de la requérante serait sérieusement mis en péril. La requête est prématurée, c'est le moins qu'on puisse dire à ce stade: Vu l'absence d'intérêt réel de la requérante à intenter ce recours en injonction, la requête doit être rejetée. "Il ne sera donc pas nécessaire que je décide si je peux délivrer une injonction provisoire à l'encontre d'une commission élue du Parlement, mais je dois dire qu'aucune autorité ne m'a été citée par la requérante qui me permettrait de penser le moindrement que le Parlement serait maintenant assujetti aux pouvoirs de réforme et de surveillance de la Cour supérieure. Cette proposition constitutionnelle irait certes à l'encontre des principes séculaires et rien dans la Loi sur l'Assemblée nationale ne m'indique une volonté du Parlement d'être assujetti à d'autres règles de procédure que les siennes." Ce n'est pas toute la lecture du jugement, M. le Président, vous le comprendrez, mais c'est ce qui m'apparaît être le coeur du jugement.

Donc, qu'est-ce qui est maintenant devant le tribunal, si je lis en fonction de l'article 99.4 du règlement? C'est une requête pour un jugement déclaratoire pour ce qui est du secret professionnel et de son applicabilité, tenant compte des dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne, tenant compte de la Loi sur l'Assemblée nationale, tenant compte de la Loi du Barreau.

Mais, M. le Président, je réponds - je ne sais pas si cela va vous être d'un grand secours - que l'instance qui est devant le tribunal ne constitue pas un affaire qui est principalement et substantiellement le mandat de cette commission. Par voie de conséquence - je le dis en toute déférence pour l'honorable juge ou les honorables juges qui auront à se pencher sur ce délicat problème, puisque je crois comprendre qu'une pareille instance peut être portée devant la Cour d'appel et même au-delà - je dis qu'on ne peut préjuger des travaux de notre commission parlementaire, ni des questions qui pourraient être posées par un de ses membres et qu'il serait très certainement prématuré de dire maintenant, sur une simple déclaration générale, qu'un témoin convoqué par une commission puisse affirmer, en invoquant le secret professionnel, s'il peut être invoqué, qu'une déclaration générale a pour effet, à toutes fins utiles, de lui permettre de ne pas être entendu par la commission parlementaire de l'énergie et des ressources ou encore par toute autre commission.

En d'autres mots, M. le Président, le fait qu'une requête soit pendante devant la Cour supérieure à Montréal et dans l'attente d'un jugement n'a pas pour effet de placer sub judice les affaires de cette commission parlementaire, par voie de conséquence, je comprends la très grande prudence de Me Lussier, qui plaide ou argumente à la fois devant une commission élue et qui est également au fait qu'il y a une instance en attente de jugement devant la Cour supérieure. Je suis parfaitement solidaire avec vous. Je ne me suis jamais trouvé moi-même dans une pareille situation, un peu coincé entre deux feux, si vous me passez l'expression, ou encore entre deux droits, comme le député de Jonquière me le souligne.

Alors, ma conclusion, M. le Président, lorsque vous aurez réfléchi et rejoint votre délibéré, je pense que nous devrions entendre l'honorable juge Jasmin, à mon point de vue, en tout cas, suivant l'évaluation qu'il en fera lui-même, répondre aux questions qui pourraient lui être posées. Une fois, je crois, qu'il aura décidé, j'ai des réserves à dire qu'il appartient à la commission de décider si le Conseil provincial des métiers de la construction, tel qu'on le connaît aujourd'hui depuis l'adoption de la loi 109, a la capacité juridique d'agir en lieu et place du Conseil provincial des métiers de la construction (FTQ) qu'on connaissait en 1979. Je ne crois pas qu'il appartienne à la commission, ni à son président de prendre cette décision. Il appartient plutôt à celui ou à celle qui veut invoquer le secret professionnel de le déclarer et d'agir en conséquence. (16 h 45)

Je vous soumets, M. le Président, que, pour la suite des choses, au fur et à mesure du déroulement des questions, même si je suis d'accord pour dire que cela pourra paraître abracadabrant sous certains aspects, c'est le risque que nous aurons à courir. Je vois le député de Gatineau qui semble partager mon opinion là-dessus. Tout le monde doit admettre que nous avons un problème. Je pense que Me Lussier a souligné avec raison ce matin qu'il n'y avait pas de précédent judiciaire ou d'affaire décidée par une cour de justice sous cet aspect particulier et sous cet angle

particulier. À mon sens, ce n'est pas une raison de ne pas agir. Je comprends que, en pareille matière, la plus grande prudence est requise. M. le Président, selon ce que vous déciderez demain sur la démarche que fait aujourd'hui devant la commission Me Lussier, et, ensuite, selon la position que prendra l'honorable juge Jasmin sur l'ensemble du dossier, en particulier quant au fait de savoir si, oui ou non, il se croit juridiquement délié de son secret professionnel, je dis tout de suite que j'aime mieux m'abstenir de poser des questions que de risquer de brimer le secret professionnel que la Charte des droits et des libertés de la personne reconnaît à un individu, à une corporation, à un syndicat ou à quiconque. Alors, c'est ce que je voulais vous dire, M. le Président, dans mes remarques.

Le Président (M. Jolivet): Merci. M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Fernand Lalonde

M. Lalonde: M. le Président, dans l'ensemble, je m'accorde avec les propos du ministre en ce qui concerne la demande - ce n'est pas une requête - ou les représentations faites par Me Lussier. J'ai compris que le sens de vos représentations allait vers une conclusion. Je m'excuse, il n'y a pas de document qui nous le dit, mais j'ai compris que vous souhaiteriez que Me Jasmin ne soit pas contraint à témoigner maintenant. Vous invoquez, entre autres, l'instance judiciaire qui est actuellement pendante. Malheureusement, et je dis, malheureusement, à plusieurs points de vue et, en particulier, du point de vue du témoin lui-même, parce qu'il s'agit d'une contrainte additionnelle qui s'ajoute aux autres, malheureusement, dis-je, reconnaître cette demande ou y donner suite serait admettre que l'Assemblée nationale est assujettie au pouvoir de surveillance de la Cour supérieure ou, enfin, assujettie à une décision d'un tribunal, ce qui semble aller à l'encontre de la décision du président, celle du 3 mai, je crois, où le président de la commission a affirmé le principe de la compétence exclusive de l'Assemblée nationale sur ses travaux et procédures, ainsi que l'obligation pour les individus qui sont invités à témoigner devant elle - je ne prétends pas la citer, mais simplement m'y référer - de répondre aux questions qui leur sont adressées. Parce qu'il faut bien comprendre que, si on accepte le pouvoir de contraindre un témoin, si on accepte ce pouvoir, si on accepte qu'il existe, il s'ensuit nécessairement l'obligation du témoin de répondre aux questions qui sont déclarées régulières.

Donc, ce serait aussi un peu donner effet à l'injonction qui a été refusée, parce que le sens de l'injonction, c'était un peu aussi que Me Jasmin ne soit pas contraint de comparaître. Alors, à cette question, j'irais dans le même sens que le ministre, à savoir que l'Assemblée nationale, que la commission de l'énergie devrait avoir le loisir, le pouvoir de contraindre et de poser des questions à Me Jasmin lorsqu'il comparaîtra devant nous, malgré l'existence de cette instance judiciaire et ce, en toute déférence à l'égard des tribunaux.

Sur la question de savoir si la libération du secret professionnel qui a été accordée par le conseil provincial est valide, parce que cette entité juridique ne serait pas la même que celle qui était le client de Me Jasmin pour la période qui nous intéresse, je pense que la présidence devra se pencher là-dessus et je vous dirai pourquoi tout à l'heure, non pas parce qu'il appartient à l'Assemblée nationale de statuer, non pas parce qu'il appartient à la commission parlementaire de statuer, c'est-à-dire de déclarer si la libération est valide ou non, mais parce qu'il appartiendra au président de la commission parlementaire de dire, si une question est valide, si une réponse doit être donnée à une telle question compte tenu du secret professionnel.

Je m'éloigne ici un peu des propos du ministre. Permettez-moi de demander, M. le Président, simplement pour illustrer qu'il ne s'agit pas d'un problème unique, si le local 791 qui est devant les tribunaux n'est pas une nouvelle entité juridique, lui aussi? C'est peut-être à Me Lussier que je devrais m'adresser. Je n'ai pas eu le loisir, depuis la suspension de ce midi, ayant eu d'autres occupations, d'étudier en profondeur cette question. J'ai eu juste le temps de colliger les documents qui me permettraient de le faire. Je n'irai donc pas plus avant là-dedans, mais il y a eu une révocation en décembre 1980.

Le 15 décembre 1980, l'International Union a révoqué la charte du local 791. Il y a une lettre de M. Turner à cet effet. L'International Union a accordé une nouvelle accréditation au local 905, pour remplacer le local 791, dont la charte avait été révoquée. À l'occasion de la révocation de la charte en décembre 1980, M. Yves Paré, qu'on retrouve à ce moment-là - a ressuscité l'Union des opérateurs de machinerie lourde du Québec, local 791, qui détient une charte québécoise depuis janvier 1973. Il semble qu'il y ait eu un changement de statut. À ce moment-là, est-ce qu'on pourrait préciser? Je ne sais pas si cela a été soulevé par les procureurs lors de l'audition de votre requête devant l'honorable juge Macerola, mais il semble que là aussi on a un problème d'identité.

En ce qui concerne l'article 99.4 de notre règlement, je m'accorde assez largement avec les propos du ministre lorsqu'on dit qu'il est interdit à un député

qui a la parole "de parler d'une affaire qui est devant les tribunaux ou devant un organisme quasi judiciaire ou d'une affaire qui est sous enquête, lorsque, dans ce dernier cas, les paroles prononcées peuvent être préjudiciables à une personne". Il faut bien distinguer, M. le Président, que ce qui est devant les tribunaux, c'est une requête dont vous avez sûrement pris connaissance des conclusions, étant une des parties, non pas défenderesses, mais mises en cause dans cette requête, comme, d'ailleurs, le Procureur général l'a été.

Les conclusions de cette requête sont -aussi bien les lire - que l'avocat Michel Jasmin ne peut être contraint de témoigner devant la commission parlementaire de l'énergie et des ressources, vu son obligation au secret professionnel; de déclarer l'indivisibilité des renseignements confidentiels, l'impossibilité de respecter le droit à la confidentialité de la requérante en forçant un témoignage morcelé, partiel, etc.; de déclarer que la commission permanente, par ses membres et par son président, est liée par une déclaration générale de l'avocat, à savoir que les informations qu'il détient sur le sujet examiné sont couvertes par le secret professionnel, etc.

Donc, ce qui est devant le tribunal, c'est la portée et l'étendue de l'obligation de M. le juge Jasmin créée par le secret professionnel dans la cause du saccage de la Baie-James, alors que le mandat de la commission est d'examiner les circonstances entourant la prise de décision, ainsi que le rôle du premier ministre et de son bureau. Ce sont donc deux affaires qui ne sont pas étrangères l'une à l'autre, de toute évidence, parce que l'une est soulevée à l'occasion de l'autre, mais il ne s'agit pas de la même affaire. Donc je ne pense pas que l'article 99.4 nous empêcherait de poser des questions à Me Jasmin.

En ce qui concerne les contraintes, chaque témoin a ses propres contraintes sur le plan personnel, sur le plan de la mémoire, mais on invoque là des contraintes de type plutôt institutionnel. Je pense que Me Lussier a parlé de trois contraintes: le secret professionnel, l'instance judiciaire et aussi la fonction qu'occupe M. le juge Jasmin actuellement. J'avoue que j'ai plus de difficulté à accorder une importance absolue à la troisième. Est-ce que j'ai fait erreur lorsque vous avez parlé d'une triple contrainte?

M. Lussier: Je n'avais pas parlé de cela à titre de contrainte, mais j'y reviendrai, si vous me le permettez, quand je répondrai tout à l'heure.

M. Lalonde: Ah bon! Alors, je n'en dis pas davantage là-dessus. D'ailleurs, Me Jasmin me fait signe que non, il sait très bien qu'un juge peut être appelé à témoigner dans un accident d'automobile ou dans toutes sortes de circonstances.

Là où je ne m'accorde pas avec le ministre et, non plus, avec Me Lussier, c'est sur l'étendue de l'obligation au secret professionnel. Votre décision, d'ailleurs, comportait un deuxième volet, à savoir que vous reconnaissez au témoin invité le droit de soulever une objection relative à la protection du secret professionnel de son client dans chaque cas - et cela c'est très important - où la question posée serait susceptible de compromettre le secret. Il s'agit d'un principe qui a été fermement énoncé par l'honorable juge Dickson dans l'arrêt Solosky versus la reine, qu'on a eu l'occasion non pas d'étudier en profondeur, mais de discuter un peu lorsque Me Larivière est venu devant nous il y a quelques semaines.

Enfin, un autre volet de la décision du président le 3 mai, c'est au président de la commission qu'il appartient de statuer sur les différentes objections qui pourront être soulevées par le témoin invité. Donc, la décision de la présidence de la commission jusqu'à maintenant est en ce sens que la compétence exclusive de l'Assemblée lui interdit de suspendre ses travaux à chaque occasion où une instance judiciaire pouvant avoir un effet direct sur ses travaux est instituée; de plus, qu'un congé général de témoigner, un peu comme on le suggère dans les conclusions de la requête, n'est pas, non plus, acceptable. (17 heures)

II y a deux obligations. Le ministre parlait du conflit entre deux droits, je dirais que c'est un conflit entre deux obligations: l'obligation du témoin de répondre, qui est prévue par la Loi sur l'Assemblée nationale, et son obligation de respecter la confidentialité, qui est prévue par la Charte des droits et libertés de la personne. Ce conflit entre les deux obligations doit être réglé pour chaque question qui peut être posée. La conception que le ministre a énoncée de son obligation ici de participer aux travaux de la commission lui fait dire que, • de peur, par crainte de violer, ne serait-ce que d'un iota, le secret professionnel, il préférait - je ne pense pas qu'il ait annoncé son attitude à la commission, il pourra me corriger, si je fais erreur - même ne pas poser de question plutôt que de risquer de mettre en danger, en péril, cette obligation du témoin.

Nous sommes un peu comme le témoin, nous aussi, nous avons deux obligations. D'abord l'obligation, comme députés, membres et intervenants de cette commission, de remplir le mandat qui nous a été confié par l'Assemblée nationale, c'est-à-dire d'examiner toutes les circonstances entourant la prise de décision, ainsi que le

rôle du premier ministre et du bureau du premier ministre dans l'affaire du règlement hors cour du saccage de la Baie-James. Nous avons aussi l'obligation - je pense que tout le monde la reconnaît; enfin, je peux parler pour moi - de respecter l'obligation du témoin de respecter son secret professionnel. Ce n'est pas une situation commode, mais c'est, malheureusement, une situation dans laquelle peut se trouver à peu près tout professionnel de ce bas monde, professionnel dans le sens très large, toute personne qui est susceptible de recevoir la confidence de quelqu'un dans l'exercice de sa profession.

Donc, en conclusion, pour appuyer le dernier point que je viens de soulever, à savoir s'il appartient au président de statuer sur chaque question, j'invoque aussi, encore une fois, l'arrêt Solosky, qui date de 1980, il est très récent, où l'honorable juge Dickson s'exprimait ainsi: "Le privilège ne peut être invoqué que pour chaque document pris individuellement." Il s'agissait ici de documents et non pas de questions. Les critères sont importants, M. le Président. Ce privilège doit répondre aux critères suivants: une communication entre l'avocat et son client, qui, deuxièmement, comporte une consultation et un avis juridique et, troisièmement, que les parties considèrent de nature confidentielle. Pour que le privilège soit reconnu, il faut que ces trois critères ou conditions se rencontrent en même temps.

Je vois d'avance, M. le Président, et je m'en excuse d'avance, les problèmes auxquels nous serons confrontés lorsque des questions seront posées sur lesquelles vous devrez, si le témoin invoque son obligation à la confidentialité, statuer. À ce moment-là, cela peut donner ouverture à un échange d'arguments. Nous essaierons de le faire dans le plus grand respect du témoin et de la présidence de la commission.

C'est reconnu aussi, M. le Président, et je me réfère - peut-être que Me Lussier pourrait nous en dire plus long - à l'arrêt Trempe versus Dow Chemical of Canada Ltd de 1980, en Cour d'appel, à la page 580, qu'il s'agit, en ce qui concerne l'application de l'article 9 de la charte, d'une disposition qui nécessite une interprétation restrictive. Je pense que c'est dans cet arrêt, où un témoin invoque le secret professionnel et lorsque le juge lui demande de répondre, le témoin invoque encore son secret professionnel. C'est un peu comme les trois questions, les trois "strikes" du député de Gatineau. Au bout de la troisième fois, le juge peut déclarer le témoin coupable d'outrage au tribunal.

Il y aurait dans mon esprit, M. le Président, aucun doute que, si vous concluez qu'une question est permise, qu'elle n'est pas protégée par l'obligation à la confidentialité et que le témoin refusait de répondre, il s'agirait d'une violation des droits de l'Assemblée nationale. Cela va aussi loin que cela dans la pratique. L'exercice de ce droit à la confidentialité, lorsqu'il est invoqué, il faut que ce soit statué pour chaque question par le président du tribunal. Est-ce que par analogie ce serait vous, M. le Président? Je pense que oui. Est-ce que le président pourrait recourir à la commission pour en décider? Ce pouvoir existe dans le règlement lorsque le président le juge à propos. Si ce n'est pas le président, si ce n'est pas la commission parlementaire qui décide, qui va décider? À ce moment-là, ce serait strictement au témoin de dire: La réponse à la question qui m'est posée est couverte par mon obligation à la confidentialité. Ce n'est pas un droit strict.

Comme le disait le juge - je parlais, tout à l'heure, de l'arrêt Trempe versus Dow Chemical à la page 580 et je vous lis ceci -"Si l'appel était accueilli, il deviendrait trop facile à tout membre d'un ordre professionnel - il y a déjà 38 corporations professionnelles dans la province de Québec -d'affirmer, d'abord, un état de choses sans autre preuve que son serment, pour ensuite se réfugier à l'abri de son secret professionnel et refuser de répondre au contre-interrogatoire." On parlait d'un contre-interrogatoire et les mêmes règles s'appliquent pour l'interrogatoire j'en suis sûr. "Il pourrait y avoir entrave à la justice et ce serait le professionnel qui, en somme, exercerait en l'occasion la justice. C'est inadmissible en droit et en équité. À défaut d'une preuve satisfaisante du bien-fondé des objections - je fais un aparté, l'invocation du secret professionnel est une objection à la question totalement - le juge de la Cour supérieure qui a exercé judiciairement son pouvoir discrétionnaire n'a commis aucune erreur en ordonnant au témoin de répondre à toutes et chacune des questions qui lui furent posées et, vu son refus, en le condamnant pour outrage au tribunal." L'appel avait été rejeté à ce moment-là.

M. le Président, il s'agit d'une conclusion à laquelle vous devez arriver dans votre décision à savoir que le droit au secret professionnel existe, mais doit être invoqué pour chaque question. Nous, quoique les circonstances sont extrêmement pénibles, nous n'avons pas l'intention de ne pas poser de questions, parce qu'à ce moment ce serait reconnaître que le droit au secret professionnel donne un congé général de tout interrogatoire. Ce serait reconnaître ni plus ni moins qu'on peut invoquer le secret professionnel pour ne pas être contraint, ce qui est contraire à votre décision.

En conséquence, je pense que Me Jasmin, lorsque la décision sera prise qu'il doit comparaître, devra répondre aux questions qui ne sont pas couvertes par le secret professionnel et que c'est au président de la commission, ou de l'Assemblée, - enfin,

si ce n'est pas à lui, je ne sais pas, car on ne peut, quand même, pas demander à un tribunal de statuer chaque fois - de décider si le témoin doit répondre à une question.

Le Président (M. Jolivet): Juste un instant, avant de donner le droit de parole au député de Jonquière. Je dois vous dire que c'est une question au niveau de l'ensemble tellement importante qu'on aura à examiner dans les heures qui viennent pour rendre une décision demain matin qu'avec ce qui a été dit je pense que je pourrais permettre au député de Jonquière, sans vouloir faire un débat, d'émettre une opinion.

M. Lalonde: Oui, oui, il n'y a aucun problème.

Le Président (M. Jolivet): Oui.

M. Lalonde: D'ailleurs, si on a, de l'autre côté, un éclairage.

M. Vaillancourt (Jonquière): Non, non, sur un point.

Le Président (M. Jolivet): D'accord. M. le député de Jonquière.

M. Claude Vaillancourt

M. Vaillancourt (Jonquière): M. le Président, je n'ai pas l'intention d'aborder l'ensemble des sujets que le ministre a abordés et ceux du député de Marguerite-Bourgeoys, avec lesquels, d'ailleurs, je suis généralement d'accord sauf peut-être le dernier point que je ne partage pas du tout, quoique, à la fin, le député de Marguerite-Bourgeoys lui-même se posait des questions en se disant: Je ne sais pas si c'est au président ou à quiconque de faire cela.

M. Lalonde: Ce n'est pas dans le règlement.

M. Vaillancourt (Jonquière): Alors, M. le Président, - et je vais parler seulement de ce point précis - je voudrais vous reporter à la décision que vous avez rendue le 3 mai dernier. À la page 7, au haut de la page vous dites ceci: "D'autre part, il n'appartient pas à la commission ou à ses membres de porter un jugement sur l'invocation, par une personne, d'un droit fondamental." Il faut faire la distinction fondamentale entre la recevabilité d'une question que vous-même devez juger: Est-ce qu'une question est recevable, irrecevable? Est-ce que la question est conforme ou non à l'article 168 de notre règlement? C'est votre râle, M. le Président, et personne, je pense - je ne pense pas que c'était l'intention du député de Marguerite-Bourgeoys - ne veut vous l'enlever. Mais, en ce qui concerne l'obligation à la confidentialité, aucune autre personne, M. le Président - et je vous le soumets respectueusement - que l'invité n'est en mesure de savoir si, à la question qui est posée, la réponse peut entraîner une violation de cette obligation à la confidentialité. La question est toujours adressée à un témoin et non pas à vous, M. le Président, et je maintiens, d'ailleurs, conformément à votre décision, qu'à chaque question recevable qui sera posée il appartiendra au témoin d'invoquer ou non son obligation à la confidentialité.

Et si, par hasard, le témoin, peu importe le nombre de fois qu'il le fera, invoque cette obligation à la confidentialité, je maintiens et je soumets, conformément à votre décision, qu'aucun des membres ici présents à cette commission n'a le droit et n'aurait le droit, par des questions de privilège, de règlement, de directive ou autrement, de commenter, d'en appeler de quelque façon que ce soit de cette décision qui appartient au témoin invité de cette commission et ce, M. le Président, c'est votre jugement du 3 mai 1983 qui l'indique de façon très très expresse. Vous faire jouer le rôle de décider vous-même, alors que vous ne connaissez pas les conversations ou les mandats qui ont été confiés à notre témoin invité, je pense que ce serait vous demander de remplir un rôle absolument impossible. Ce serait une mission impossible parce que seul le témoin est en mesure d'évaluer si, à une question donnée, une réponse peut entraîner une violation de son obligation à la confidentialité.

M. le Président, je m'entends généralement avec le ministre et avec le député de Marguerite-Bourgeoys sur l'ensemble des points qu'ils ont touchés. Je voulais toucher seulement au dernier, parce que, autant le droit du client à la confidentialité est un droit personnel qui n'est pas cessible, autant cette obligation qui est celle du témoin est une obligation également personnelle. Et, c'est à lui, M. le Président, que revient la responsabilité de décider si, en répondant à une question, il viole ou non cette obligation personnelle qui est la sienne.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: Je pense qu'il y a confusion ici. On se souvient que Me Larivière, lorsqu'il a plaidé devant nous le droit fondamental au secret professionnel prévu à l'article 9 de la charte - droit nouveau - avait fait une observation à savoir que c'est un droit qui, lorsqu'il est exercé -je pourrais retrouver cela dans la transcription - doit l'être en toute liberté. Et je pense que c'est important qu'on suive cela, parce qu'il s'agissait, autrement dit, de

ne pas se poser, ni de poser des questions sur les motifs qui pourraient amener un client ou un autre - en l'occurrence un syndicat ou un autre - à ne pas libérer. C'est un droit fondamental, autrement dit, qu'on n'est pas appelé à justifier, c'est-à-dire dont on n'est pas obligé de justifier l'exercice. On ne peut pas mettre en doute la bonne foi d'un ancien client d'un avocat ou d'un client d'un avocat qui dit: Je ne vous libère pas de votre secret professionnel. Le droit fondamental dont on parle n'appartient pas à l'avocat. Je pense que Me Lussier a été très clair là-dessus. Ce droit appartient au client. L'avocat a, lui, l'équivalent, c'est-à-dire la contrepartie, l'obligation. (17 h 15)

De plus, le président dit, ici - peut-être, M. le Président, pourriez-vous nous dire ce que vous vouliez dire - "D'autre part, il n'appartient pas à la commission ou à ses membres de porter un jugement sur l'invocation par une personne d'un droit fondamental." L'invocation, par une personne, du droit fondamental, cela ne peut être que par les syndicats, anciens clients de Me Jasmin, qui invoquent un droit fondamental, à savoir de conserver la confidentialité de leurs communications.

Maintenant, sur l'autre point, dans votre décision, vous dites, à la page 6: "La commission doit, sur cette question, s'en remettre à l'invité ou au témoin. En effet, il appartient à ce bureau de faire valoir le secret professionnel..."

Une voix: À ce dernier.

M. Lalonde: À ce dernier. J'ai le mot "bureau" sur ma copie. "Il appartient à ce dernier de faire valoir le secret professionnel dès qu'une question porte sur un aspect touchant l'un des trois mandats où il n'a pas reçu dispense de son obligation au respect du secret professionnel." C'est vrai. C'est exact. C'est comme cela que cela se passe. Mais, M. le Président, vous n'êtes pas allé jusqu'au bout, je pense, de l'exercice, à savoir ce qui - je ne veux pas répéter ici - est soulevé par la jurisprudence que j'ai mentionnée. Cet exercice d'invoquer son obligation n'est pas un droit absolu. Ce n'est pas un exercice définitif. Il est assujetti à l'appréciation du juge dans le cas d'un tribunal, du président de la commission d'enquête dans le cas d'une commission d'enquête et, par analogie - je regrette de vous le dire, M. le Président -du président de la commission dans le cas d'une commission parlementaire. Qui d'autre? Mais ce n'est pas un droit absolu ou une obligation absolue dans le sens où c'est assujetti à mon secret professionnel. Il faut que cela soit démontré, il faut que le président ou le juge du tribunal... Et c'est le sens de l'arrêt Trempe versus Dow Chemical que j'ai mentionné tout à l'heure. C'est pour cela, M. le Président, que je vous invite à compléter votre décision dans celle que vous allez rendre bientôt, me dit-on, pour nous permettre à nous d'exercer nos droits, d'accomplir notre devoir, c'est-à-dire de poser des questions et que nous puissions avoir des réponses lorsqu'il sera statué que les réponses ne sont pas couvertes par l'obligation à la confidentialité.

Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.

M. Duhaime: Sur un point, M. le Président, qui a été soulevé tantôt et que j'ai moi-même soulevé en parlant de l'entité juridique que constituait aujourd'hui le Conseil provincial des métiers de la construction (International), tel qu'on le connaît depuis l'adoption de la loi 109, le député de Marguerite-Bourgeoys a fait référence, par analogie, au local 791 qui n'est plus la même instance aujourd'hui qu'en 1978-1979. Je pense qu'il est important de se poser la question sur ce dont il s'agit. Est-ce que nous sommes en face de la même entité juridique? Je pense que c'est le problème. Dans le cas du local 791, si je me réfère à la requête qui est pendante devant la Cour supérieure, devant l'honorable Macerola, le premier allégué de la requête se lit comme suit, en parlant de l'Union des opérateurs de machinerie lourde, local 791: "Premièrement, elle est le successeur dans les droits et obligations de l'Union des opérateurs de machinerie lourde du Québec, ainsi que de l'Union internationale des opérateurs-ingénieurs, local 791". Comme les règles de procédure l'imposent, la requête est accompagnée d'un affidavit qui soutient l'allégué. J'ai comme l'impression que l'honorable juge Macerola va se poser la question: Est-ce que le local 791, l'Union des opérateurs de machinerie lourde, qui est requérante devant la Cour supérieure en 1983, a un intérêt à faire valoir cette requête? Et la première démarche ou la première preuve à faire, c'est de faire la démonstration que la personnalité juridique du local 791 a été continuée des années 1974, 1975, 1976 jusqu'à 1983.

Je pense que c'est Me Lussier, ce matin, qui a donné un peu plus d'explications en disant que le Conseil provincial des métiers de la construction a déjà regroupé 65 000 ou 70 000 travailleurs, enfin plus ou moins, qui étaient dans 42 locaux ou unions, alors qu'aujourd'hui ces mêmes unions sont chapeautées, non plus par une association, mais par deux associations qui, soit dit en passant, sont loin de faire bon compagnonnage. Je pense que le problème se pose de cette façon et c'est dans ce sens, M. le Président, que j'ai compris la demande qui vous était adressée de la part de Me

Lussier au nom de Me Jasmin. Là où je diffère d'opinion avec Me Lussier, qui vous soumet le problème en vous demandant de trancher, c'est que je vous suggère plutôt que le problème doit être tranché par celui qui porte cette obligation à la confidentialité. C'est à lui de prendre ses responsabilités et non pas de référer le problème à la commission.

Je serais tenté de risquer une réponse à la question que m'a posée le député de Marguerite-Bourgeoys à savoir: Qu'est-ce que je voulais dire exactement par ce que j'avais avancé tantôt? Sous réserve du jugement que vous rendrez, M. le Président, si j'adresse une question à Me Jasmin - dans l'hypothèse où elle serait recevable - et qu'il me réponde: J'invoque mon secret professionnel, je dis que je n'irai pas au-delà, quant à moi parce que je partage plutôt le point de vue de mon collègue de Jonquière. Je tiendrais pour acquis que, de bonne foi, voulant, bien sûr, permettre à la commission de poursuivre ses travaux, l'honorable juge Jasmin n'invoquera pas en vain le secret professionnel, de la même façon qu'on le voit certains soirs pluvieux à la télévision américaine. Devant certaines commissions sénatoriales, on peut entendre "fifth amendment" à peu près 215 fois. C'est dans ce sens. Et je ne demanderai ni à la commission, ni à la présidence de trancher lorsque, dans mon esprit, il y aura un doute, dans le sens qu'une question permise pourrait entraîner une réponse qui, elle, pourrait commettre un tort irréparable parce qu'elle viendrait brimer des droits d'une corporation, en l'occurrence l'association syndicale, et viendrait également enfreindre l'article 9 de la charte des droits. Autrement dit, je ne voudrais pas profiter ou encore abuser de l'immunité parlementaire qui m'appartient et l'utiliser en étant bien à l'abri tout en enfreignant allègrement la charte des droits et libertés. C'est dans ce sens, M. le Président, que j'ai fait ma remarque.

M. Lalonde: Si vous me permettez une parole, M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): Oui. M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: Je m'excuse auprès du député de Mont-Royal qui aurait voulu ajouter quelque chose. Il ne s'agit pas d'enfreindre allègrement la charte des droits et de se couvrir de l'immunité parlementaire. L'avocat, comme le député ici, est appelé à poser des questions. L'avocat qui pose des questions à un témoin devant le tribunal et qui a un témoin qui invoque son secret professionnel à tort, comme dans le cas ici de la cause Trempe versus Dow Chemical, c'est son devoir de faire déterminer par le tribunal que le témoin l'invoque à tort. Ce n'est pas mettre en doute la bonne foi du témoin. Si sa conception de son obligation est tellement étendue que, par réaction de prudence, pour être bien sûr de donner une couverture, une protection la plus large possible à ce droit de son ancien client, il croit devoir invoquer le secret professionnel sur une question à laquelle, d'autre part, je pense, il doit répondre parce que ce n'est pas couvert par le secret professionnel, c'est mon devoir et, je regrette, ce n'est pas lui imputer des motifs indignes ou de mauvaise foi et ce n'est pas abuser de mon immunité parlementaire que de demander au président de statuer.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Mont-Royal. Après cela, je passerai, puisque c'est le dernier intervenant, à Me Lussier.

M. John Ciaccia

M. Ciaccia: Je voudrais seulement m'arrêter sur ce point qui a été soulevé par le député de Jonquière, selon lequel - c'était son opinion - le secret professionnel pouvait être soulevé et la décision finale appartenait vraiment au témoin. Je pense, si je comprends bien, que le ministre semble être d'accord sur ce point de vue.

M. Vaillancourt (Jonquière): J'ai dit: Selon la décision que le président a rendue le 3 mai 1983.

M. Ciaccia: Selon la décision. Premièrement, M. le Président, si on doit contester ou soulever ce point, cela ne se fera pas d'une façon irresponsable. Je pense que le principe doit être établi et le principe est que cela doit être le président ou la commission qui pourrait être appelé à trancher cette question. Autrement dit, la décision finale, si une question peut recevoir une réponse ou non, n'appartient pas au témoin, mais, si cette décision est contestée, cela appartiendrait au président.

A l'appui de ce point de vue, je voudrais porter à votre attention la cause devant les tribunaux qui a été soulevée par mon collègue de Marguerite-Bourgeoys, la cause de Solosky où l'honorable juge Dickson s'exprimait ainsi à la page 837: "Le privilège ne peut être invoqué que pour chaque document pris individuellement et chacun doit répondre aux critères du privilège: 1) une communication entre avocat et son client; 2) qui comporte une consultation et un avis juridique; 3) que les parties considèrent de nature confidentielle." Il faut que ces trois critères ou conditions se rencontrent en même temps. Les tribunaux ont établi les critères. Du fait qu'ils ont établi ces critères, on ne peut pas dire: On va laisser arbitrairement le témoin

déterminer si les critères sont respectés ou non. Autrement, cela ne sert à rien d'établir des critères parce que le témoin dira: Non, c'est dans mon secret professionnel et il n'y aura personne qui pourra contester si on a respecté les critères ou non.

D'ailleurs, si on regarde d'autres décisions, par exemple dans la reine vs Prentice, la Cour suprême de l'Alberta avait à décider si un témoin invoquant le secret professionnel pouvait être tenu de répondre à la question s'il avait autorisé son avocat à communiquer avec l'avocat de la partie adverse en prévision ou à l'occasion d'un débat devant les tribunaux. Nous avons un cas où le témoin a invoqué le secret professionnel. La partie adverse a contesté cette opinion du témoin et c'est le tribunal qui a dû trancher la question. Autrement dit, il est reconnu que c'est le juge devant les tribunaux, le président d'une commission parlementaire devant la commission parlementaire qui a l'ultime responsabilité et le devoir et la décision d'appliquer ou de décider si les critères ont été respectés. (17 h 30)

Je crois qu'il est important d'établir ce principe. On ne peut pas laisser au témoin seul la décision parce qu'à ce moment-là il serait impossible de déterminer si les critères de la confidentialité ont été respectés. Il n'y aurait pas de moyen objectif de pouvoir déterminer ce point. Comme on l'a souligné, peut-être par prudence, un témoin peut dire: Non, je ne peux pas répondre parce que c'est dans les critères de mon secret professionnel. Cela se peut que ce soit une question tellement importante que, pour des raisons assez valables, quelqu'un soulève cette question et conteste le fait que cela soit dans le secret professionnel. Car ce ne sont pas tous les faits et toutes les actions qui sont couverts par le secret professionnel, seulement certains.

Alors, je crois, M. le Président, que vous devriez prendre en considération ces décisions qui ont été rendues devant les tribunaux, quant à la contestation, parce que c'est déjà arrivé que quelqu'un a invoqué le secret professionnel et le tribunal a dit: Non, la question ne tombe pas dans les critères du secret professionnel. De la même façon, par analogie, vous avez l'ultime responsabilité, si, pour une raison ou pour une autre, cela était contesté, de trancher la question.

Une voix: M. le Président...

Le Président (M. Jolivet): Oui, seulement un instant. J'avais promis à Me Lussier de lui donner la parole. Oui, je le sais, mais, si je vous accorde le droit de parole, le député de Beauharnois m'a demandé la même chose. J'aimerais entendre ce que Me Lussier a à dire. On pourra y revenir à la fin. D'accord, je vais vous le permettre à la fin; je vais commencer par entendre Me Lussier.

M. Jean-Pierre Lussier

M. Lussier: Je suis un peu embêté parce qu'il y a beaucoup de points qui ont été soulevés. Je ne veux pas dire par là que je suis embêté pour y répondre parce que je crois avoir quelque chose à dire sur chacun d'entre eux, mais je suis un peu embêté sur l'ordre dans lequel je devrais procéder. Finalement, je crois que ce qui serait le plus sage, c'est de procéder un peu en vrac, mais en commençant dans l'ordre des interventions qui ont eu lieu, parce que j'ai noté au fur et à mesure certains points sur lesquels je crois de mon devoir d'intervenir.

D'abord, je voudrais faire une petite mise au point relativement à certains chiffres, parce qu'on a lancé des chiffres concernant le nombre des membres dans le conseil provincial d'alors et le conseil provincial de maintenant. Le problème qui est toujours vécu dans l'industrie de la construction est le suivant: lors d'une période de maraudage, les membres sont susceptibles de donner leur allégeance à plusieurs associations représentatives. En l'espèce, en 1980, il y avait cinq associations représentatives, ce qui fait que les 70 000 membres du conseil provincial d'alors ne sont pas nécessairement les mêmes 70 000 membres qui se répartissent 50 000 dans la FTQ-Construction d'aujourd'hui et 20 000 dans le conseil provincial d'aujourd'hui. Ce sont peut-être des gens qui venaient d'une autre association représentative, de telle sorte que c'est difficile de faire des liens, sinon les liens qui sont faits par les unions elles-mêmes. C'est-à-dire que les unions membres du conseil provincial, elles, ont vu leur existence se prolonger; elles ont dû adhérer à l'une ou à l'autre des associations représentatives.

La première question qui me vient à l'esprit - c'est M. le ministre qui la soulevait - c'est sur le fait que M. le juge Jasmin soit délié par le conseil provincial d'alors. Je vous soumets la chose suivante: II est extrêmement difficile, je dirais plus qu'inconfortable, c'est même demander à un témoin quelque chose qu'on ne devrait jamais lui demander, de décider lui-même s'il est libéré ou non de son obligation à la confidentialité. La personne à qui il faut demander cela, c'est au titulaire du droit à la confidentialité. Demander à un procureur s'il a la conviction que son client d'alors ou ce que son client est devenu le libère ou non, vous comprendrez avec moi que cela n'a presque pas de sens.

J'attire votre attention au dernier paragraphe de l'article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne - et je vais

y revenir souvent - parce que, lorsque votre commission a dit qu'elle était liée par la charte - et je respecte la décision que la présidence a rendue le 3 mai - j'ai compris qu'elle était liée par les trois paragraphes de l'article 9: par le premier paragraphe qui dit que chacun a droit au respect du secret professionnel, par le deuxième qui dit que toute personne tenue par la loi au secret professionnel ne peut même en justice divulguer les renseignements confidentiels qui lui ont été révélés, à moins qu'elle n'y soit autorisée par celui qui lui a fait ces confidences ou par une disposition expresse de la loi, par le troisième qui dit que c'est le tribunal qui doit, d'office, assurer le respect du secret professionnel.

Cela m'amène sur le dernier sujet qui a été abordé par plusieurs députés et par vous, M. le ministre: les attributions de la commission parlementaire en regard de l'invocation, par le témoin, de son obligation à la confidentialité. D'abord, je veux vous souligner que vous avez tous parlé, à un degré ou à un autre, d'une situation délicate, je dirais d'une situation inconfortable. J'ai parlé ce matin - je le maintiens toujours -d'une situation absolument intenable pour un témoin qui est placé devant la situation où il est devant une émanation de l'Assemblée nationale. Et, à mon avis - je le dis comme avocat - ce n'est pas un tribunal au sens de la charte ni dans un autre sens. Vous l'avez maintes fois souligné, le pouvoir législatif est complètement distinct du pouvoir judiciaire. Bien sûr, dans certains types d'actions, il peut y avoir des analogies de faites avec le pouvoir judiciaire.

Ici, nous sommes face à l'application d'une loi qui est, finalement, votre loi. C'est la Loi sur l'Assemblée nationale. Votre loi définit plusieurs choses à l'article 9, à l'article 23 et à l'article 56. À l'article 9, elle dit que c'est le tribunal qui doit s'assurer du respect du secret professionnel. À l'article 23, elle souligne que toute personne, y compris un témoin devant une commission parlementaire, a le droit de faire décider par un tribunal indépendant et impartial de ses droits et obligations. Quand vous avez ici devant vous une personne qui est appelée comme témoin, je pense que cette personne a le droit le plus strict de faire décider par - comme on le dit à l'article 23 - un tribunal de ses obligations. Bien sûr, ce n'est pas lui qui est titulaire du droit à la confidentialité, mais l'article 9, au deuxième paragraphe, nous dit qu'il est, si on veut, le titulaire de l'obligation à la confidentialité. C'est sur lui que repose le fardeau d'invoquer cette obligation que la loi lui impose. Mais, lorsqu'il voudra faire déterminer l'étendue de son obligation - c'est la même charte qui lui donne ce droit - il a le droit de le faire déterminer par un tribunal impartial et indépendant.

Évidemment, le forum que vous constituez ici, je ne crois pas que ce soit un forum qui entre dans la définition de l'article 23. J'y reviendrai tout de suite. Par définition - certains l'ont même dit ce matin, j'étais présent - il s'agit ici d'un forum partisan, dans le bon sens du mot; c'est un forum partisan et c'est normal à l'Assemblée nationale.

D'ailleurs, c'est la raison, à mon avis, pour laquelle, encore une fois, votre loi, la Charte des droits et libertés de la personne, à l'article 56, nous dit que, pour les articles 9, 23 et d'autres articles, le mot "tribunal", en plus de l'acception normale de ce qu'on entend par ce qu'est un tribunal, c'est-à-dire ce qu'on appelle les tribunaux de droit commun, inclut certains organismes spécifiques. Il inclut un coroner, un commissaire enquêteur sur les incendies, une commission d'enquête - évidemment, au sens de Loi sur les commissions d'enquête - une personne ou un organisme exerçant des fonctions quasi judiciaires.

Quand on dit que l'organisme devant lequel quelqu'un doit invoquer son obligation à la confidentialité, doit trancher, évidemment, il faut garder en arrière de la tête que, habituellement, à mon avis - vous me corrigerez si vous avez des exemples que je ne connais pas - ce n'est jamais arrivé que l'invocation du secret professionnel soit faite devant un autre organisme qu'un tribunal au sens de la charte.

Quand M. le député de Mont-Royal parlait de la cause de l'Alberta, quand on parlait de différentes autres causes, évidemment que, à ce moment-là, le témoin est placé devant une tout autre situation. La personne devant laquelle il se trouve, l'organisme devant lequel il se trouve est un tribunal. Le témoin peut demander, s'il n'est pas sûr, des directives au tribunal. Il peut demander différents types de procédure, des règles de procédure particulières. On le voit régulièrement. Lorsqu'une telle question se soulève, combien de fois on peut demander, par exemple, le huis clos, on peut demander des règles de procédure particulières, on peut demander de raturer des choses du dossier. Comment voulez-vous qu'on fasse cela ici?

Ma première réaction - je vous le dis encore une fois bien innocemment - si vous nous demandez, à un moment donné, pourquoi, à telle question qui peut sembler anodine, on est obligé d'invoquer notre obliqation à la confidentialité, pensez-vous qu'on est dans une situation où on est capable d'expliquer cela sans faire référence à la nature, puis au contenu du mandat que nous avions? Pensez-vous qu'on est dans une situation où on est capables de l'expliquer? Dans la mesure où on commence à donner une explication, il n'y a plus de secret professionnel.

Si c'est la situation, vous nous placez

dans une situation intenable. Comme on le dit en anglais: "You can't have your cake and heat it". Vous ne pouvez pas nous dire: Vous, vous allez décider de tous les problèmes relatifs au secret, quand c'est votre secret, quand vous êtes délié parce que nous ne sommes pas un tribunal, nous ne sommes pas le bon forum pour décider cela et, quand il sera question de l'obligation à la confidentialité, nous dire, en même temps: Dites-nous pourquoi dans ce cas-ci vous invoquez l'obligation à la confidentialité? Comment pensez-vous qu'on peut être placé? Je pense que ce serait une situation injuste non seulement pour le témoin, mais même pour la commission parlementaire.

Si effectivement il est de vos priorités de respecter les droits qui sont prévus à la Charte des droits et libertés de la personne, je crois qu'il doit y avoir des précautions de prises. Il va falloir que vous nous donniez des directives. Il va falloir que vous nous disiez quelle est pour vous l'étendue et la nature du secret professionnel.

Ce matin, je vous ai fait état que ce problème était devant les tribunaux. Si ce problème n'est pas tranché, quelqu'un devra le trancher. Si vous demandez au témoin de le trancher, imaginez quel fardeau vous lui mettez sur les épaules. Je pense que c'est un fardeau que personne n'a intérêt à mettre sur les épaules d'un témoin devant une commission comme la vôtre.

Comme je l'ai dit, c'est le tribunal qui a juridiction pour trancher cela en toute déférence. Je comprends, cependant, que vous n'êtes pas liés par les décisions des tribunaux et je l'accepte. C'est pour cela que je vous faisais les représentations que je vous ai faites ce matin. Si on entre sur ce terrain, vous devrez convenir avec moi qu'on entre là sur un terrain qui va nous amener une foule d'embûches. J'ai peine à imaginer comment on pourrait s'en sortir. J'ai longuement conversé avec M. le juge Jasmin lorsque nous avons eu à préparer ce qui devait être fait aujourd'hui et possiblement plus tard, assez au moins pour m'apercevoir personnellement que, souvent à une question purement anodine, la réponse que le témoin doit donner doit entrer à un moment ou un autre dans des éléments qui font partie, à mon avis tout au moins, de son obligation à la confidentialité.

Vous placez le témoin dans un tel cas dans une situation où il doit répondre de façon tronquée à une question, dans une situation, donc, qui ne lui fait pas justice et ce, à un double point de vue. Non seulement il devra donner une réponse tronquée, mais, en plus, il devra même tenter d'expliquer je ne sais trop comment en quoi son obligation est concernée. Je dis que je ne sais trop comment parce que, évidemment, vous avez des règles ici; on a la télévision, on a tout cela. Je ne peux pas comprendre comment on peut le faire sans avoir une certaine garantie qu'à la fois les droits des autres et les obligations de l'un peuvent être respectés.

Je continue, car je me rends compte que je me suis laissé aller à une digression. C'est que, évidemment, cela a été le sujet des dernières discussions. Quand M. le député de Marguerite-Bourgeoys parlait de la décision de Trempe et Dow Chemical, je suis parfaitement d'accord avec M. le député sur le fait que, devant un tribunal, lorsqu'un témoin invoque son obligation à la confidentialité, le tribunal peut lui dire: Comment? Expliquez-nous comment. Et, si le témoin ne peut expliquer comment au tribunal, celui-ci peut lui ordonner de répondre. Je suis parfaitement d'accord avec lui, mais le problème, c'est qu'il faut qu'on soit devant un tribunal pour cela. Il y a des règles qui sont prévues en ces matières. (17 h 45)

Évidemment, M. le juge me souligne la question du huis clos. C'est, d'ailleurs, prévu spécifiquement à l'article 23, la question du huis clos. Je sais que la commission parlementaire n'est pas habituée, c'est-à-dire que je ne pense pas que les enquêtes du type de celle que vous menez actuellement sont quelque chose de fréquent. À ma connaissance, je n'en ai pas vu beaucoup. Je pense que les règles que vous avez ne sont pas nécessairement adaptées à tout ce qui peut se produire, comme il en existe devant une cour de justice. Personnellement, je vous assure que je ne vois pas comment, de façon ordonnée et sensée, on pourra se sortir d'un tel guêpier. C'est dans ce sens que je faisais mes remarques ce matin.

Je voudrais revenir un peu sur ce que j'ai entendu tout à l'heure. Vous avez exprimé - et je suis d'accord avec vous -que, en théorie, accepter qu'un témoin n'ait pas à rendre témoignage, c'est accepter, finalement, qu'on soit lié à une décision de la Cour supérieure. Ce n'est pas dans ce sens-là que je vous ai fait mes représentations ce matin. Je ne crois pas que vous soyez liés par une décision de la Cour supérieure. Mais le problème qui se pose, ce n'est pas dans le sens qu'on soit lié ou non à une Cour supérieure; c'est dans le sens que, dans le cas présent - lorsque votre commission enquête sur un règlement hors cour du saccage de la Baie-James, dans lequel Me Jasmin est impliqué comme procureur - le but, évidemment, le noyau, le centre de votre mandat, c'est d'enquêter sur quelque chose qui a fait, évidemment, l'objet du recours aux services de Me Jasmin en tant que professionnel. Et vous admettrez avec moi que le centre du débat, en rapport avec le témoin qui est ici, il me semble, personnellement que cela tombe sous le sens que cela concerne des choses qui sont l'objet de son obligation à la confidentialité, dans la

mesure où cela touche les relations qu'il a eues avec ses mandants, d'une part, et avec diverses personnes dans la poursuite de son mandat comme avocat.

Quand je vous ai fait les représentations ce matin, ce n'était pas pour vous dire que je croyais que vous étiez liés par la Cour supérieure, mais dans le sens où c'est prudent, dans ce cas-ci, d'attendre une détermination judiciaire qui - je le répète, encore une fois - à mon sens, n'a pas été faite.

M. le député de Marguerite-Bourgeoys parlait de l'arrêt Solosky; je le connais bien aussi. Je veux simplement faire remarquer que cet arrêt concerne toujours le privilège. D'ailleurs, la citation faite par le député de Marguerite-Bourgeoys était une question de privilège du secret professionnel en Common Law. Chez nous, on a l'article 9 et ce n'est plus un privilège; c'est un droit. C'est un droit dont l'étendue et la portée doivent être interprétées judiciairement, à mon avis. L'article 9 n'a pas encore été interprété judiciairement.

Si la commission veut se lancer dans l'interprétation de l'étendue et de la portée du secret professionnel, évidemment, cela regarde la commission parlementaire, mais ne demandez surtout pas au témoin à la fois d'être témoin, d'être le juge de l'étendue et de la portée de son obligation au secret et de justifier publiquement, alors qu'aucune règle précise n'est établie, en quoi son obligation à la confidentialité peut être violée. Vous le placez dans une position non seulement inconfortable, mais impossible. Finalement, la seule solution qui reste, ce n'est pas un conflit, comme on a dit, entre deux droits, ce n'est pas un conflit entre deux obligations; c'est pratiquement un conflit entre deux violations de la loi. En effet, est-ce qu'il va risquer de violer la loi du barreau ou la charte ou est-ce qu'il va risquer de violer la Loi sur l'Assemblée nationale en portant atteinte aux droits du Parlement? Je crois que c'est une situation dans laquelle il est placé qui ne fait justice à personne.

Le Président (M. Jolivet): Vous avez terminé, Me Lussier? Non?

M. Lussier: Je voudrais, quand même, revenir sur deux points: le conseil provincial, d'une part, et le local 791, d'autre part. On a fait état qu'on pourrait poser au témoin la question de savoir - je crois que j'en ai traité - s'il était délié par le conseil provincial ou non. Là-dessus, je crois que ce n'est pas une position que le témoin peut prendre. Il faudrait que quelqu'un le décide. Je crois que, si vous voulez entrer dans le domaine, il vous appartient de rendre cette décision.

Quant au local 791, M. le député de

Marguerite-Bourgeoys a parfaitement raison. L'Union internationale des opérateurs de machinerie lourde et le local 791 du temps de la poursuite, cela n'était pas du tout la même union. C'étaient deux unions qui étaient affiliées au Conseil provincial des métiers de la construction (FTQ), mais deux unions complètement distinctes. En 1980, l'International Union of Operating Engineers s'est fait enlever son accréditation internationale. Cependant, l'union a continué d'exister, de même que l'Union des opérateurs de machinerie lourde. Ces deux unions ont adhéré à la FTQ-Construction et, à ce moment-là, se sont fusionnées. L'Union des opérateurs de machinerie lourde du Québec est devenue l'Union des opérateurs de machinerie lourde du Québec, local 791. C'est une espèce de fusion, de telle sorte que, évidemment, comme vous l'avez souligné dans la procédure, on peut dire que celle-ci est le résultat ou la fusion des deux autres.

Maintenant, le problème du conseil provincial, c'est qu'il ne s'agit pas ici d'une fusion, mais d'une scission. S'il y a scission, évidemment, on n'est pas placé devant la même position que pour une fusion. Ce n'est pas un successeur, pas dans le même sens tout au moins.

M. le juge Jasmin veut que j'ajoute encore la chose suivante. Évidemment, je comprends vos préoccupations et je comprends que vous avez un mandat à exercer. Je respecte cela. Mais je vous assure - c'est ce dont il veut que je vous fasse part - que nous avons fait l'un et l'autre un exercice d'une vingtaine d'heures. Je vous assure - je l'ai fait avec mon client - que les problèmes qui se posent pour des questions en apparence anodines peuvent être très sérieux. Il est impossible - je vous le dis et je vous le répète - à certaines questions où en apparence cela peut sembler anodin, pour nous de justifier en quoi, à notre avis, l'invocation à l'obligation à la confidentialité doit être faite sans mettre en péril la confidentialité même. Nous ne sommes pas capables de le faire. Évidemment, nous serions capables de le faire s'il y avait des règles prévues en ce sens. S'il y avait le huis clos, s'il y avait des règles spéciales comme on en retrouve devant un tribunal, nous devrions le faire. Nous sommes prêts à le faire, mais on ne peut pas nous demander cela dans la situation présente de la commission. Si vous nous demandez de faire une telle chose, je vous assure tout de suite que le seul conseil que je pourrai donner à M. le juge Jasmin, c'est de décider, finalement, quelle loi il va violer et je ne veux pas que vous me placiez dans une telle position parce que, si c'est le cas, on sera dans une situation tout à fait injuste et inéquitable.

Dernière remarque. On a parlé d'une obligation de contrainte par rapport au statut

de juge de M. Jasmin. Je n'ai jamais pensé vous souligner que le statut de juge entraînait une non-contrainte. Comme il s'agit d'un juge qui est ici comme témoin et qui peut être appelé ici comme témoin, mais d'un juge qui est mis en cause dans des procédures judiciaires pour faire déterminer non seulement les droits d'un de ses anciens clients, mais ses obligations, à lui, comme témoin et qui, en plus, est un juge qui normalement a charge de faire appliquer la loi, je vous ai souligné que sa fonction rendait encore plus difficile, encore plus lourd le fardeau qu'on semble vouloir lui imposer de prendre des décisions ici comme témoin sur la nature, l'étendue et la portée de son obligation à la confidentialité.

Je m'excuse d'avoir pris tout ce temps.

Le Président (M. Jolivet): Non, non. Je pense que c'était quand même important de connaître le fond de cette décision que la présidence de la commission aura à rendre demain matin, à 10 heures. J'avais promis de donner la parole au député de Jonquière. Je ne sais pas s'il veut intervenir.

M. Vaillancourt (Jonquière): Je vais céder mon droit de parole parce que ce que je voulais dire - à moins que Me Lussier ne prenne la parole - c'est exactement ce qu'il a dit. C'est qu'à partir du moment où on demande au témoin d'expliquer pourquoi, dans le cas d'une question précise, il invoque son obligation à la confidentialité, il se met dans la position où il violera cette obligation à la confidentialité. Les débats étant télévisés, il y a des personnes dans la salle, il y a plusieurs témoins. Je comprends qu'il est bon parfois de s'inspirer du droit commun, mais il est toujours dangereux de le faire. Il ne faut pas oublier qu'un juge peut faire venir les deux avocats et leurs parties dans son bureau. Le juge peut ordonner le huis clos. Dans le cas présent, je pense qu'on doit avouer très honnêtement que nous n'avons pas ce genre de règles. On ne l'a pas prévu. On ne prévoyait pas tous les problèmes qu'on aurait lors de cette commission parlementaire. À partir du moment où on n'accepte pas que la seule invocation est suffisante, à partir du moment où on oblige le témoin à dire aux membres de la commission, devant les caméras de télévision, ce qui le justifie d'invoquer dans ce cas précis d'une question son obligation à la confidentialité, on le place dans la situation où il est à même de renier cette obligation à la confidentialité. Cela est extrêmement, extrêmement dangereux.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Beauharnois.

M. Lavigne: Très rapidement, M. le Président. Je pense que Me Lussier vient de faire le tour de la question. Cela a répondu à plusieurs questions que je me posais parce que, n'étant pas juriste, c'est un problème qui m'apparaît assez complexe. Avec tout l'éclairage qu'a apporté Me Lussier, je pense qu'il est beaucoup plus facile et pour moi et pour tous ceux qui suivent cette commission de comprendre les difficultés auxquelles nous sommes confrontés actuellement. Je voudrais quand même poser une question. M. le Président, est-ce que je peux poser une question pour être éclairé davantage?

Le Président (M. Jolivet): Certainement, c'est pour cela que je vous ai donné la parole.

M. Lavigne: II s'agirait de savoir, Me Lussier, si l'entité juridique de votre cliente telle qu'elle était au moment où elle a requis les services de Me Jasmin est encore reconnue sur le plan juridique. Vous nous avez parlé de la scission entre-temps. Vu qu'elle est scindée en deux groupes, est-ce que juridiquement elle est encore reconnaissable?

Le Président (M. Jolivet): Me Lussier.

M. Lussier: C'est remarquable combien tous ceux qui ne sont pas juristes ont le don de poser de bonnes questions. Le problème de droit, à mon sens, est extrêmement complexe dans une affaire semblable parce que le Conseil provincial des métiers de la construction (FTQ) n'existe pas comme tel, c'est certain, surtout qu'il était composé de différentes unions qui toutes n'existent plus comme telles. Quand le député de Marguerite-Bourgeoys disait tout à l'heure: Le local 791 du temps n'est pas celui qui porte le même numéro aujourd'hui, il a parfaitement raison parce que le local 791 d'aujourd'hui c'est une fusion de deux unions du temps.

Nous, les avocats, avons la chance de pouvoir émettre des opinions et non pas des jugements. Je vous dis que, quant à moi, le problème qui se pose aussi, c'est de savoir qui étaient vraiment, les détenteurs de ce droit à la confidentialité. Était-ce le conseil qui n'existe plus comme tel? Étaient-ce les 42 unions? Qui en est le successeur? Est-ce le conseil provincial tel qu'il est maintenant et la FTQ-Construction? Sont-ce les unions du temps, qu'elles soient dans la FTQ-Construction ou qu'elles soient dans le Conseil provincial des métiers de la construction (International) qu'on retrouve maintenant? Je vous avoue que c'est une question à laquelle je ne peux répondre comme cela de façon certaine. Je ne suis pas en mesure - ce sont les difficultés dont je vous faisais état ce matin - de dire à Michel Jasmin: À mon avis, Michel Jasmin, vous êtes libéré de votre obligation à la

confidentialité en ce qui concerne le Conseil provincial des métiers de la construction (FTQ). Je ne suis pas en mesure de lui dire cela et je vous dis que, si vous nous mettez ce fardeau sur les épaules, vous nous demandez d'être un tribunal à cet égard. Je ne sais pas ce qu'on pourrait faire dans une telle situation.

Le Président (M. Jolivet): Justement, compte tenu du temps qui est devant nous et qu'on devrait normalement ajourner à demain matin, 10 heures, j'ai deux petites questions, m'a-t-on dit, de la part du député de Mont-Royal et de la part du ministre. On pourrait terminer avec ces deux questions, parce que j'aime autant vider la question ce soir que la vider un autre jour. (18 heures)

M. Ciaccia: Ce n'était pas une question, M. le Président; c'était un commentaire à la suite des propos de Me Lussier. Si on accepte le raisonnement de Me Lussier, cela voudrait dire effectivement que la décision du 3 mai est inopérante.

Le Président (M. Jolivet): C'est un peu ce que j'avais dit à l'heure du dîner.

M. Ciaccia: Mais pour répondre à une certaine objection disant qu'un témoin peut invoquer devant les tribunaux le secret professionnel, qu'il y a des règles devant les tribunaux qui peuvent protéger le témoin et que ces règles n'existent pas devant cette commission parlementaire, je ne suis pas tout à fait d'accord, parce que je prétends que la décision finale vous appartient. Si vous voyez qu'essayer de faire expliquer certaines choses au témoin impliquerait qu'il lui faudrait dévoiler certains aspects confidentiels, vous pouvez arrêter immédiatement notre question, vous pouvez déclarer que la réponse ferait partie du secret professionnel. En plus, vous pouvez suspendre, M. le Président, en tout temps les débats de cette commission pour vous assurer vous-même d'un certain point, vous assurer que, vraiment, la question est dans les termes du secret professionnel ou non. Je crois que, même si on n'a pas toutes les mêmes règles, comme la question du huis clos, vous avez toutes les règles à votre disposition, premièrement, pour prendre la décision, deuxièmement, pour protéger le témoin, troisièmement, pour suspendre les travaux de la commission si, à votre point de vue, vous jugez que le secret serait peut-être enfreint. Si le témoin croit que la question tombe vraiment dans les termes du secret professionnel, c'est à vous de le décider. Pour les autres raisons, je crois qu'on doit s'en tenir à votre décision du 3 mai.

Le Président (M. Jolivet): M. le ministre.

M. Duhaime: M. le Président, j'écoutais attentivement Me Lussier. Mais je pense qu'on va se comprendre rapidement. Il y a sûrement lieu de faire une distinction très nette en matière d'obligation à la confidentialité entre le titulaire du droit et le titulaire de l'obligation. Je pense que tout le monde se comprend là-dessus.

Si on va à l'article 9, chacun a droit au respect du secret professionnel. "Chacun", dans mon esprit, suivant ce qui est maintenant établi par tout le monde, c'est l'ancienne cliente de Me Jasmin. "Toute personne tenue par la loi", cela explicite un peu l'obligation. Au dernier paragraphe, c'est là que nous avons un problème: "Le tribunal doit, d'office, assurer le respect du secret professionnel". Dans la définition, à l'article 56, du mot "tribunal", on ne retrouve pas et c'est normal aussi, une commission élue ou une commission parlementaire.

Cela étant dit, il y a une autre chose qu'il faut aussi admettre - je vais peut-être offenser tous ceux qui admirent beaucoup Montesquieu - c'est que les trois piliers de la démocratie, le législatif, le judiciaire et l'exécutif, au fil des années, si on me passe l'expression, en ont pris un coup pour la raison très simple que, même la nouvelle Loi sur l'Assemblée nationale qui, sauf erreur, a été votée à l'unanimité tout récemment, est assujettie à la Charte des droits et libertés de la personne. C'est dans ce sens que je veux non pas faire une mise au point, mais peut-être expliciter davantage ce que j'ai dit tantôt et qui a suscité à bon droit une question du député de Marguerite-Bourgeoys sur ce que j'appellerais mon devoir de prudence. Je ne le fais pas proprio motu, mais je le fais en me référant à la Charte des droits et libertés de la personne qui dit à l'article 50, sous la rubrique générale -chapitre V, - Dispositions spéciales et interprétatives: "La charte doit être interprétée de manière à ne pas supprimer ou restreindre la jouissance ou l'exercice d'un droit ou d'une liberté de la personne qui n'y est pas inscrit." Je pense que cela parle par soi-même.

L'article 51. "La charte ne doit pas être interprétée de manière à augmenter, restreindre ou modifier la portée d'une disposition de la loi - dans la charte lorsqu'on réfère à "la loi" on réfère à l'ensemble des lois - sauf dans la mesure prévue par l'article 52."

L'article 52, c'est la possibilité de déroger, mais il faut que ce soit expressément introduit dans une loi. Je m'appuierai sur l'article 53, M. le Président, qui se lit comme suit: "Si un doute surgit dans l'interprétation d'une disposition de la loi, il est tranché dans le sens indiqué par la charte." Que je réfère à la Loi sur l'Assemblée nationale, à la Loi sur le Barreau ou encore à toute autre loi, dont

l'une des dispositions dans son interprétation suivant la Loi d'interprétation viendrait à entrer en conflit avec une disposition de la charte ou, si on peut appeler cela un état de doute, si le doute surgit dans l'interprétation, la charte nous oblige à trancher dans le sens qu'elle indique. C'est ce qui me faisait dire tout à l'heure que, plutôt que de risquer...

Ce n'est pas la question qui peut créer un tort ou un préjudice irréparable, mais c'est la réponse. Je pense que mon collègue de Jonquière l'a bien explicité. Si je me mets dans les chaussures de l'honorable juge Jasmin et qu'on me pose une question bien précise, je pourrais répondre oui, non ou, M. le Président, je dois invoquer le secret professionnel. Si je suis la logique du député de Mont-Royal, on va se retrouver dans la situation que décrivait tantôt Me Lussier où le président va se tourner vers l'honorable juge Jasmin et va lui dire: En quoi le secret professionnel de votre ancienne cliente pourrait-il être touché par la question que je viens de soulever? Ce n'est pas la question, c'est la réponse parce que je devrai présumer que la réponse devrait traduire la vérité puisque tout le monde est sous serment devant cette commission. C'est la réponse, M. le Président.

À partir du moment où on insisterait pour demander au témoin, à Me Jasmin ou à toute autre personne qui a une obligation à la confidentialité d'expliciter sa position eu égard au secret professionnel, en l'occurrence, automatiquement, il vient de disparaître. C'est dans ce sens que, personnellement, je serai très scrupuleux, M. le Président, à ce sujet et, suivant ce que l'article 53 de la charte des droits et libertés nous impose, s'il y a un doute dans mon esprit, j'irai plutôt dans le sens de protéger le secret professionnel. Et c'est dans ce sens que j'ai fait mon intervention tantôt.

M. Lalonde: Si vous le permettez, M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: Je suis parfaitement d'accord avec cette attitude, M. le Président. Je pense, d'ailleurs, qu'elle est dictée par les textes. Mais le doute, il faut quand même pouvoir le cerner, l'identifier. C'est vrai, Me Lussier disait qu'il n'y avait pas eu beaucoup de décisions judiciaires sur la portée jusqu'à maintenant, sauf si on peut considérer l'arrêt Trempe comme une décision sur l'interprétation, l'application. J'ai ici devant moi l'arrêt Trempe du juge Bernier: "L'article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne - c'est de cela qu'on parle - doit être interprété restrictivement parce que dérogeant à la règle de la contraignabilité d'un témoin." Déjà, on a une décision qui peut réduire le doute en ce qui concerne la portée de l'article 9. Au fond, c'est cette portée-là. Si, M. le Président, je pose une question à Me Jasmin: Quelle a été la conversation que vous avez eue avec votre client, un de ceux qui ne l'ont pas libéré? fatalement c'est assujetti au secret professionnel. Mais, tout le problème vient du fait de la portée de ce secret professionnel lorsque Me Jasmin -après tout ce qu'on a entendu depuis presque deux mois ici - était présent dans le bureau du premier ministre à Montréal et a communiqué ce que d'autres témoins nous ont rapporté qu'il a communiqué. Est-ce que c'est couvert par le secret professionnel lorsqu'on va voir des tiers? On peut quand même s'appuyer en partie sur l'arrêt Trempe pour déterminer quelle est cette portée et quelles questions sont acceptables.

Le Président (M. Jolivet): Me Lussier.

M. Lussier: D'accord. Deux courtes remarques. Je me rappelle, pour avoir suivi les travaux de votre commission, que le député de Marguerite-Bourgeoys a posé, à un moment donné, une question, je crois, à M. Laliberté, à la fin de son témoignage, à savoir si M. Laliberté dégageait, je crois, ou déliait ses avocats de la SEBJ de leur obligation à la confidentialité de telle sorte qu'ils puissent témoigner en toute liberté. J'ai été frappé par la question parce que cela dénotait, je pense, une préoccupation de placer les témoins à une commission parlementaire dans une position où ils peuvent témoigner en toute liberté. Je comprends que, dans les cas où l'obligation à la confidentialité est invoquée, cette obligation, cette capacité de témoigner en toute liberté est affectée de façon directe. Maintenant, sur la dernière intervention que vient de faire le député de Marguerite-Bourgeoys, si c'est dans ce débat que nous sommes pour entrer, éventuellement, je vous souligne qu'effectivement le problème va se poser. Je vous souligne aussi que cela vous a été clairement exposé par le Barreau du Québec par la voix de Me Larivière. La compréhension que le Barreau du Québec a de la portée de l'obligation à la confidentialité est celle qu'on retrouve exprimée par Me Larivière, le 28 avril 1983, et c'est celle que je crois qu'en toute prudence je dois faire mienne par rapport au témoignage éventuel de M. le juge Jasmin.

Là-dessus, je veux revenir à l'affaire Solosky, M. le député de Marguerite-Bourgeoys, parce que le problème que nous avons vécu en matière de secret professionnel tel qu'interprété par la "Common Law", n'est pas de problème du secret professionnel tel que nous le connaissons maintenant dans la charte des

droits. Ce n'est pas la même obligation. Le droit n'est pas le même. C'est dans ce sens que j'ai compris l'opinion du Barreau du Québec. C'est dans ce sens que j'ai aussi compris l'acception qu'on doit donner à la notion de secret professionnel. J'ai eu l'occasion, d'ailleurs, de plaider une affaire jusqu'en Cour suprême qui mettait en cause ce droit au secret professionnel, à l'occasion d'un dossier d'aide juridique. Dans ce dossier, il s'agissait d'une affaire de droit criminel sauf que, pour cette affaire, le juge Lamer, je crois, a exprimé l'opinion que c'était maintenant un droit fondamental, même en "Common Law".

Ici, nous ne sommes pas en "Common Law", nous ne sommes pas en matière de "privileged communication". Il ne s'agit plus ici de communications entre un client et son avocat. Il s'agit ici, dans l'opinion du Barreau du Québec et dans la mienne, évidemment de communications client avocat mais aussi de toutes les démarches de l'avocat dans l'exécution de son mandat, démarches qui seraient susceptibles de mettre en cause la confidentialité des renseignements obtenus. Concernant cette portée - si c'est le cas demain, selon la décision que la présidence devra rendre - je vous référerai - même je peux le faire tout de suite, je l'ai ici - de façon très précise aux remarques du Barreau du Québec à cet égard. Quand on parle de rencontres dans le bureau du premier ministre, je vous souligne que le Barreau du Québec a parlé de rencontres avec des confrères ou avec une tierce personne même face à des tiers, aux passages suivants; je vais les donner suivant l'ordre chronologique: 27 avril, ruban 843, page 1, 27 avril encore, ruban 845, page 1: il s'agissait là de rencontres avec un confrère ou une tierce personne, 28 avril maintenant, ruban 851 sur l'impossibilité de témoigner sur ce qu'on appellerait des petits bouts - c'est l'expression qui avait été employée - 28 avril, ruban 857, encore une fois face à des tiers, ruban 858 où il est clairement exprimé que les tiers peuvent témoigner, mais pas l'avocat. (18 h 15)

Quand M. le député de Marguerite-Bourgeoys disait: Certains tiers sont venus témoigner, en faisant référence, j'imagine, à M. Boivin ou à M. Gauthier, à mon sens, c'était très clair. L'opinion du barreau était la suivante, en réponse à une question du député de Marguerite-Bourgeoys, et je cite la page 1 du ruban 858 du 28 avril: Ce que j'essaie d'analyser avec vous, pour bien montrer jusqu'à quel point l'extension de l'interprétation que le barreau fait peut créer des situations dont on doit quand même mesurer les tenants et les aboutissants, M. Boivin pourrait venir ici n'étant pas dans l'exercice de ses fonctions d'avocat et nous dire tout ce que Me Jasmin lui a dit pendant des heures, mais Me Jasmin ne pourrait pas venir nous le dire? La réponse de Me Larivière: C'est exact. M. Lalonde: C'est ce que vous voulez dire? La réponse de Me Larivière: C'est exact. J'ajouterais qu'en matière de secret professionnel c'est toujours comme cela. "On continue plus bas: "Un avocat n'est pas là pour faire de la preuve, il est là comme auxiliaire de la justice, pour représenter un client", il n'est pas là pour faire de la preuve à partir de connaissances qu'il a pu acquérir dans l'exercice de ses fonctions; c'est pour cela que le secret professionnel est là.

Cette opinion du Barreau du Québec c'est l'opinion je crois, que nous devons, quant à nous, faire valoir. C'est l'opinion la plus prudente, surtout en tenant compte que le litige est aussi devant d'autres tribunaux, si vous décidez que vous êtes un tribunal au sens de la charte.

Le Président (M. Jolivet): Je vous remercie. Je dois aussi vous dire, comme je l'ai laissé entendre au moment où vous avez dit: Je pourrais le faire demain, qu'effectivement il n'y aura pas d'autre représentation faite demain. Une décision sera rendue. Une fois la décision rendue, quelle qu'elle soit, on procédera à l'interrogation du témoin qui sera Me Jasmin ou une autre personne. Donc, je dois dire que ceci clôt l'ensemble des représentations que tous et chacun avaient à faire ce soir.

La commission ajourne ses travaux à demain matin, dix heures, en vous disant que je rendrai ma décision.

(Fin de la séance à 18 h 17)

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