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Version préliminaire

43rd Legislature, 1st Session
(November 29, 2022 au September 10, 2025)

Cette version du Journal des débats est une version préliminaire : elle peut donc contenir des erreurs. La version définitive du Journal, en texte continu avec table des matières, est publiée dans un délai moyen de 2 ans suivant la date de la séance.

Pour en savoir plus sur le Journal des débats et ses différentes versions

Thursday, March 20, 2025 - Vol. 47 N° 91

Special consultations and public hearings on Bill 89, An Act to give greater consideration to the needs of the population in the event of a strike or a lock-out


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Journal des débats

11 h 30 (version non révisée)

(Onze heures quarante minutes)

Le Président (M. Allaire) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission de l'économie et du travail ouverte.

Je vous souhaite à tous la bienvenue et prenez quelques secondes, s'il vous plaît, pour éteindre la sonnerie de vos appareils électroniques. Très important.

La commission est réunie afin de poursuivre les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 89, Loi visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock-out.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire : Oui, M. le Président. Mme Lakhoyan Olivier est remplacée par Mme Prass (D'Arcy-McGee) et M. Fontecilla (Laurier-Dorion) par M. Leduc (Hochelaga-Maisonneuve).

Le Président (M. Allaire) : Merci, Mme la secrétaire. Alors, pour vous donner une idée de l'ordre du jour de ce matin, on débute avec le premier groupe, l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, et on poursuit, et on termine la matinée avec la Centrale des syndicats du Québec.

Alors, je vous souhaite la bienvenue. Je vais vous laisser le soin de vous présenter vous-même, peut être avec votre titre complet et vous pouvez débuter votre exposé de 10 minutes. Va s'ensuivre une période d'échange avec l'ensemble des parlementaires. Alors, la parole est à vous.

Mme Poirier (Manon) :Excellent! Merci. Mesdames, Messieurs membres de la commission, merci de nous recevoir aujourd'hui. Mon nom est Manon Poirier, je suis la directrice générale de l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés du Québec et je suis accompagnée de ma collègue Noémie Ferland-Dorval, directrice des communications et des affaires publiques.

L'ordre, bien sûr, assure la protection du public par l'encadrement notamment de ses 12 000 professionnels en ressources humaines et en relations industrielles. Les CRHA, les CRIA ont vraiment au cœur des relations de travail au Québec, et ce, autant du côté patronal que syndical. Donc, avec une perspective unique et globale, l'ordre participe activement au maintien de l'équilibre entre la réussite des organisations et le mieux-être des travailleurs, et ce, toujours dans l'intérêt général de la société.

Tout en reconnaissant le besoin de faire évoluer le cadre législatif du travail au fil du temps, il est vraiment primordial pour nous de viser le maintien du rapport de force entre les parties patronales et syndicales et ainsi de favoriser, bien sûr, la paix industrielle. Toute législation qui a le potentiel d'altérer ce rapport de force se doit d'être analysée avec prudence.

La liberté d'association, on le sait, est un droit fondamental, dont 40 % des travailleurs et travailleuses québécois qui se prévalent en en faisant une particularité culturelle dans le paysage québécois. Par ailleurs, les conflits de travail ne sont pas une mauvaise chose, ils sont une manière d'exprimer un désaccord entre des parties et permettent à terme de trouver des solutions axées sur le compromis où chaque partie a l'occasion de se faire entendre.

Ces dernières années, certains conflits ont certainement frappé l'imaginaire collectif, tant par leur durée que par l'étendue de la population qui a été touchée. Pourtant, le portrait des arrêts de travail, le portrait global, mérite quand même d'être nuancé. Il y a plus d'arrêts travail, mais ils sont clairement moins longs. Pour l'avenir, bien sûr, nul ne peut prévoir ce qui va arriver, mais le contexte actuel des tensions commerciales nous permet de poser l'hypothèse de temps plus difficile à venir.

Donc, ainsi, sur la proposition du projet de loi de créer un nouveau pouvoir établissant les services minimalement requis...

Mme Poirier (Manon) :…d'un point de vue strictement de la population, il est vraiment difficile de s'opposer à l'intention du projet de loi cherchant à la protéger des conséquences des conflits de travail. Mais, d'un point de vue du maintien des rapports de force, le constat est plus nuancé. Bien sûr, le levier s'adresse autant aux grèves qu'aux lock-out, ce qui, en théorie, affecterait les deux parties de façon relativement similaire. Mais, en pratique, l'impact est plus marqué du côté des travailleurs et travailleuses, puisque la grève représente leur principal moyen de pression et que les grèves sont statistiquement plus fréquentes que les lock-out.

Dans notre analyse, nous avons tenu en compte qu'entre 2019 et 2022 8 % des négociations ont abouti à un arrêt de travail. Et, selon les explications du ministre, un décret… un décret ne serait envisagé que dans des cas exceptionnels parmi ceux-ci, puis seule une sélection restreinte des activités et services liés à ces conflits aurait à être maintenue par ce nouveau levier. Donc, considérant que le droit de grève demeure globalement maintenu, nous sommes ouverts à l'idée du mécanisme de maintien des services minimaux, mais seulement, seulement s'il est utilisé dans des cas réellement exceptionnels et uniquement sur les services jugés absolument indispensables.

À cet égard, de notre point de vue, il y a un écart entre les explications du ministre qui permettent de mieux cerner la portée de ce levier et le texte du projet de loi qui nous semble plus vague. Nous avons entendu plusieurs fois, pendant les travaux de la commission, que les notions proposées sont déjà utilisées dans la jurisprudence. Toutefois, l'ensemble des experts que nous avons consultés, qu'ils soient juristes, académiciens, praticiens sur le terrain, tant du côté patronal que syndical, nous ont tous relevé cette crainte que vous nous… nous vous soulevons aujourd'hui.

À titre d'exemple, dans le cas du système d'éducation ou des services à la petite enfance, doit-on comprendre que ce sont l'ensemble des enfants qui sont en situation de vulnérabilité ou seulement ceux à besoins particuliers, à risque d'échec, ou encore ceux qui sont dans une situation familiale difficile? Une autre interrogation que nous avons : Que veut-on dire par le concept de sécurité sociale? Pour nous, spontanément, la notion de sécurité sociale désigne un système public et universel de protection en cas de maladie, de vieillesse, de chômage. Et ainsi, comme les services publics sont exclus de ce nouveau levier et que le législateur ne parle pas pour ne rien dire, le concept de sécurité sociale semble avoir une portée plus large, pour laquelle il est nécessaire d'amener des précisions.

Il n'est pas clair non plus s'il est question d'effets anticipés ou réellement vécus sur la sécurité sociale, économique ou environnementale. Il serait bon, selon nous, de le préciser. À la lumière des échanges qu'il y a eu pendant vos travaux des derniers jours, le retrait du mot «notamment» avant la référence aux personnes en situation de vulnérabilité, pourrait rassurer certains acteurs, tout en permettant d'apprécier le concept de vulnérabilité en fonction du contexte propre aux conflits de travail. D'ailleurs, le fait de restreindre aux personnes vulnérables serait cohérent avec les exemples donnés par le ministre au soutien de son projet de loi. Bref, nous encourageons fortement le législateur à préciser par règlement les critères qui devront… guider l'interprétation du tribunal.

Sans être en mesure de vous proposer des définitions révisées ou des critères bien précis aujourd'hui, faute de temps, nous estimons que des notions telles que la durée de l'arrêt de travail, le nombre de personnes impactées, l'urgence d'agir et le caractère monopolistique de l'organisation en grève ou en lock-out seraient à considérer. En effet, en laissant les tribunaux interpréter ces notions de jurisprudence, le résultat pourrait différer de la volonté initiale du ministre, que ce soit de façon plus restrictive ou encore plus large. Et, dans l'attente de ces décisions, on craint un climat incertain, des négociations plus tendues, alors que la menace du décret planera au-dessus de la tête des parties impliquées.

Mme Ferland-Dorval (Noémie) : Passons maintenant au pouvoir discrétionnaire du ministre… d'abord que, pour l'ordre, il est clair que l'arbitrage est une bonne solution lorsqu'elle émane de la volonté des parties. On reconnaît que certaines questions sont irréconciliables et qu'un arrêt de travail doit ultimement trouver une fin, évidemment. Certains SRHA et CRIA oeuvrent d'ailleurs comme arbitre de différends et le font très bien.

Le seul potentiel avantage qu'on voit à la possibilité d'obliger l'arbitrage, c'est la crainte qu'il peut générer, en ce sens que de peur de se la faire imposer, ça pourrait être un effet dissuasif sur une partie qui pourrait être tentée, par exemple, de retarder ou d'allonger le processus de négo. Cependant, pour se rallier aux décisions, bien, les parties doivent se sentir impliquées. Puis on craint que l'imposition forcée de l'arbitrage ne fasse que repousser la problématique... et qu'entre-temps, bien, vient un peu nuire, là, au niveau de la paix industrielle.

Ensuite, comme il s'agit d'un pouvoir discrétionnaire, bien, la décision ne provient pas d'une autorité scientifique, d'un comité d'experts ou un pouvoir judiciaire, mais d'un individu. Nous sommes confiants que le ministre userait de prudence et de parcimonie…

Mme Ferland-Dorval (Noémie) : ...parcimonie, mais l'usage de ce pouvoir-là pourrait varier dans le temps au fil des différents gouvernements. Puis je tiens à rappeler que le cas actuellement au sud de notre frontière nous dit que, malheureusement, on n'est pas à l'abri d'un gouvernement ou d'une personne qui pourrait être plus radical, plus imprévisible.

Finalement, bien que ce ne soit pas systématique, il serait à notre sens étonnant qu'un arrêt de travail qui provoque des préjudices irréparables ne soit pas déjà une situation pour laquelle on a utilisé le premier levier du projet de loi pour maintenir des services minimaux. Donc, on se demande en quoi l'arbitrage obligatoire est réellement nécessaire pour protéger la population s'il y a des services minimaux qui sont déjà prévus.

Donc, au regard, quand on regarde la balance des inconvénients puis des avantages, on ne considère pas, là, qu'il est justifié d'aller dans la direction de ce deuxième levier-là. Plutôt, on estime qu'il est préférable de miser sur des efforts pour favoriser l'intervention des conciliateurs et des médiateurs. On constate qu'encore aujourd'hui, ce n'est pas tout le monde qui a le réflexe d'aller vers cette avenue là. Donc, la première des choses, ce serait s'assurer que tout le monde puisse bien en comprendre la valeur ajoutée.

Si le ministre décide tout de même d'aller de l'avant avec l'arbitrage obligatoire, malgré les doutes qu'on entretient par rapport à ce levier-là, bien, on recommande que le processus porte sur toutes les questions irréconciliables pour éviter que, par exemple, certains éléments ne restent en suspend et pas que sur une seule question, comme celle du salaire, par exemple, ce qui pourrait fragiliser ensuite l'implantation de la convention.

• (11 h 50) •

Dans un autre ordre d'idée et comme plusieurs l'ont évoqué, on a été quand même surpris de constater que l'industrie de la construction ne figurait pas dans le projet de loi. On estime qu'il y a des risques dans ce secteur-là comme dans les autres. Donc, on vous propose d'harmoniser le p.l. no 89 à la loi R-20, mais bien sûr en l'adaptant aux spécificités du cadre de relations de travail qui sont propres à ce secteur-là. Donc, ça conclut les principales recommandations qu'on a, mais je vous laisserai sur cette... sur ceci.

On constate, là, depuis le début des travaux qu'il y a certainement une polarisation des discours en commission sur ce projet de loi. De notre côté, on a la conviction, du moins, on souhaite très fortement d'avoir été en mesure de vous livrer un mémoire, une réflexion qui se vaut posée, équilibrée et constructive. Vous savez, le dialogue social n'est pas que l'affaire des groupes patronaux et des groupes syndicaux, qui représentent très bien d'ailleurs les intérêts de leurs membres respectifs. Il y a d'autres acteurs qui ont des éclairages complémentaires et qui peuvent contribuer à bâtir des ponts. Il pourrait être intéressant, en ce sens là, de revoir la composition, entre autres du CCTM, pour inclure d'autres types de groupes qui pourraient faciliter les consensus. On vous remercie de votre attention puis au plaisir de répondre à vos questions.

Le Président (M. Allaire) : Merci à vous, Mme Poirier. On enchaîne avec la période d'échange avec la partie gouvernementale. M. le ministre, vous avez 12 min 30 s.

M. Boulet : Oui, merci, M. le Président. Merci, Mme Poirier. Merci, Mme Ferland-Dorval. Vous savez l'estime que j'ai pour l'Ordre des conseillers en ressources humaines du Québec. Merci de votre engagement. Merci de votre participation. Puis, évidemment, ce projet de loi là est le fruit d'une réflexion qui découle d'une analyse des conflits de travail dans les dernières années. On se replace en 2015 avec la décision de la Cour suprême dans Saskatchewan, il y a eu une pandémie, un vieillissement démographique, une pénurie de main-d'œuvre.

Maintenant, il y a un contexte international à connotation commerciale. On sent de plus en plus, et ça a été réclamé par plusieurs groupes de la société civile, une certaine stabilité, une certaine prévisibilité, un certain contrôle des impacts sur la population des grèves et des lock-out. Les répercussions parfois ont été extrêmement préjudiciables, ont fait mal à des familles, à des parents, à des personnes à faibles revenus, à des enfants handicapés, à des familles endeuillées, puis je sais que ne vous souhaitez pas que je répète et que je fasse référence à tous ces conflits-là, mais ça s'impose que le gouvernement ait des leviers d'intervention. Je sais que ça polarise puis, en consultations particulières, on reçoit quand même 19 groupes. Il n'y a pas eu que les patrons. Les syndicats, les patrons, il y a quatre associations, puis les syndicats, il y a quatre centrales, donc il y a 11 groupes. On a reçu hier une sommité, qui est le Dr Égide Royer, qui était extrêmement clair et percutant dans son témoignage. On a reçu l'Union des municipalités, la Fédération québécoise des municipalités. On a reçu hier des professeurs qui, moi, m'ont enrichi de leurs réflexions, des professeurs de relations industrielles, des professeurs...

M. Boulet : …qui sont formés et sont d'excellents juristes. Et ça s'est fait de manière tout à fait raisonnée, puis je vous le mentionnais tout à l'heure. Puis moi, j'aime ça, ces débats-là, puis on ne fait pas un débat contre le monde, ni contre les syndicats, ni contre les patrons. Parce que, dans l'équation, il y a aussi des PME. Puis les PME ont été sondées par la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, puis 80 %, c'est des petits entrepreneurs, appuient le projet de loi n° 89.

Je sais que mon collègue d'Hochelaga-Maisonneuve a des commentaires qu'il pourra faire un peu plus tard, mais il n'y a pas que les travailleurs, travailleuses, il y a les personnes, il y a la population, puis c'est simplement ce qu'on veut faire. Il faut revenir à la base de ce projet de loi là. On veut simplement considérer davantage les besoins des personnes qui sont indûment affectées. Vous le savez, Manon, c'est quoi, une grève, c'est pour mettre une pression sur un employeur. Pourquoi? Pour qu'il accepte des conditions de travail. Un lock-out, c'est la même mécanique, pour mettre de la pression sur un syndicat.

Mais malheureusement, il y a eu des conflits. Puis je vous l'ai dit, parce que moi, je suis intervenu dans certains de ces conflits-là, et j'ai constaté mon impuissance à plusieurs reprises. Puis, tu sais, quand vous me dites : Les services, oui, mais il faudrait mieux définir les concepts, on peut tout mieux définir. Puis on va avoir une étude détaillée, mais on ne voulait pas limiter la capacité d'interprétation du tribunal. Les personnes indépendantes et impartiales, c'est des juges qui siègent au Tribunal administratif du travail. Ce n'est pas le politique qui va décider si ces critères-là s'appliquent, c'est le tribunal, puis c'est les parties, après ça, qui vont déterminer les tenants et aboutissants des services à maintenir pour éviter les préjudices à la population. Puis ce n'est pas… Vous l'avez bien noté, on n'élimine pas le droit de grève, le droit de grève se poursuit ou le droit de lock-out se poursuit. Donc, c'était important pour moi de préciser qu'il faut laisser toute la latitude nécessaire au tribunal d'interpréter, mais en tenant compte des faits et du contexte. Parce que, vous l'avez mentionné, Mme Poirier, c'est du cas par cas. Puis, s'il y a 7 %, 8 % des dossiers qui génèrent des arrêts de travail, il faut diminuer ça.

Puis vous me suggérez, d'ailleurs, puis j'en parlais à quelqu'un récemment, de mettre de l'énergie sur la conciliation-médiation. Je suis totalement d'accord. Il y a même une obligation de négocier de bonne foi et avec diligence dans le Code du travail, qui oblige les parties, sur envoi d'un avis de… de convocation d'un conciliateur, à y participer. On a élargi la palette de nos interventions pour s'intéresser à l'amélioration des climats de relations de travail, aider, supporter les personnes, puis je sais que beaucoup de vos membres le font, à négocier une première convention collective ou un renouvellement de convention collective. On a… quand je me compare, parce que je participe à des conférences avec d'autres ministres du Travail au Canada, on a un réseau d'alternatives de résolution de litiges qui est extrêmement sophistiqué. Et je suis même ouvert à l'améliorer, ce système-là, mais on a des conciliateurs médiateurs, des hommes et des femmes qui sont devenus remarquablement bons pour aider à régler les dossiers tendus. Mais il y en a, parmi le 7 %, 8 %, qui génèrent malheureusement des retombées humaines, sociales ou économiques négatives pour la population.

Puis moi je ne suis pas d'avis qu'il faille limiter «notamment», enlever le «notamment» ça, c'est enlever une capacité au tribunal de déterminer. Ce n'est pas que les personnes vulnérables… Puis encore là, c'est quoi, les personnes vulnérables? Est-ce que ça comprend aussi les enfants handicapés? Est-ce que ça comprend les personnes qui ne sont pas capables d'aller travailler, qui ne sont pas capables d'aller à l'hôpital pour recevoir un service médical? Il faut mettre l'accent sur la dépolitisation du processus et la capacité d'un tribunal d'évaluer les faits, les circonstances, la valeur probante aussi des personnes qui sont entendues.

Le pouvoir discrétionnaire, puis je vous ai entendu aussi, mais je pense que, dans l'ensemble, vous êtes confortables avec la notion de service minimalement requis…

M. Boulet : ...j'ai bien compris votre accord puis je le respecte énormément.

Maintenant, le pouvoir discrétionnaire accordé au ministre pour le deuxième mécanisme, moi, je ne suis pas d'accord avec ce pouvoir discrétionnaire là. Si vous m'aviez dit : Jean, 107, c'est un pouvoir discrétionnaire, vous l'avez lu probablement aussi souvent que moi. Ça, c'est un pouvoir discrétionnaire. Mais même avec ce pouvoir discrétionnaire, la population n'était pas en défaveur avec l'utilisation de 107 dans le conflit ferroviaire. Peut-être que vous l'étiez, Manon et Noémie, peut-être. La population n'était pas en désaccord avec l'utilisation de ce pouvoir discrétionnaire dans le conflit portuaire et dans d'autres conflits, parce que ça a été utilisé, à ma connaissance, quatre fois en 2024. Nous, ce n'est pas ce type de pouvoir ou de discrétion, c'est une discrétion qui est encadrée par un préjudice grave ou irréparable. Il y a un critère qui est moins sévère, qui est utilisé en injonction interlocutoire provisoire, vous le savez, Manon, c'est sérieux ou irréparable. On est allé à grave pour limiter l'entrave, pour s'assurer que l'atteinte soit la plus minimale possible, mais on n'a pas ce critère-là dans l'article 107. Donc, on a voulu s'assurer que cette discrétion-là soit conditionnelle à l'existence d'un préjudice grave ou irréparable. À qui? Pas aux travailleurs, pas aux employeurs, mais à la population. Et ça, ça a été évalué aussi en jurisprudence comme étant des torts réels, sérieux, actuels et aussi déterminés. Donc, ce n'est pas des concepts qui sont pris au plafond, c'est des concepts qui sont aussi éprouvés. Donc, je vous invite tout le temps ou j'invite tous les groupes à faire les comparatifs. Puis même les professeurs pendant les consultations m'ont confirmé que c'était un projet de loi qui...

• (12 heures) •

Le Président (M. Allaire) : Une minute.

M. Boulet : ...s'assurerait de la meilleure proximité possible avec les enseignements du... la décision de la Cour suprême du Canada.

La construction, je vais finir avec ça, c'est simplement, je pense, c'est Noémie qui... Mme Thomas-Dorval ou en tout cas...

Une voix : ...

M. Boulet : Thomas-Ferland, hein, c'est...

Une voix :  ...

M. Boulet : Ferland-Dorval. Excuse-moi... Excusez-moi. On se connaît bien. C'est la complexité des dossiers, le fait que les conventions ont une portée nationale, la négociation est simplement sectorielle, il n'y a pas de dispositions antibriseurs de grève, donc ce serait d'application extrêmement difficile. C'est un régime de négociation collective qui est dans une loi particulière, c'est un secteur à adhésion obligatoire, il y a un pluralisme syndical, donc on est plus dans la relation traditionnelle employeur-salarié qui est prévue au Code du travail.

Le Président (M. Allaire) : Merci. Merci. Ça met...

M. Boulet : Merci à vous deux. Merci beaucoup.

Le Président (M. Allaire) : Merci, M. le ministre. Ça met fin à ce bloc d'échange. On poursuit avec l'opposition officielle. Mme la députée de Bourassa-Sauvé, la parole est à vous pour 10... 6 min 37 s.

Mme Cadet : Merci, M. le Président. Bonjour. Bonjour, Mme Poirier. Mme Ferland-Dorval. Très heureuse de...

M. Boulet : ...

Mme Cadet : ...très heureuse de vous voir ici aujourd'hui. Merci beaucoup pour votre excellent mémoire. Je vais peut-être commencer donc sur le dernier point de donner l'occasion d'élaborer aussi sur les commentaires qu'a effectués le ministre à la suite de votre présentation sur la question du pouvoir discrétionnaire. À mon sens, il s'agit effectivement, donc, d'un pouvoir discrétionnaire, parce que, bon, le chapitre, en fait, qui introduit l'article 5 nous parle du pouvoir spécial du ministre, donc qu'il a effectivement cette discrétion-là. Vous mentionnez dans votre mémoire, à la page 13 : «le projet loi n'institue aucun contrôle ou aucun débat démocratique qui valide l'exceptionnalité. Il n'y a donc aucune garantie que le pouvoir discrétionnaire soit bien utilisé alors que la situation est jugée critique». Donc, j'aimerais vous entendre peut-être donc sur ces éléments-ci, parce qu'essentiellement vous dites c'est le législateur. Donc, si nous, nous décidons tout de même de choisir de rendre possible l'arbitrage obligatoire, il faudrait instaurer, donc, certaines balises, là. Et vous mentionnez, dans votre recommandation, la question de la conciliation-médiation. Donc, je vous laisse aller sur cet élément-ci.

Mme Ferland-Dorval (Noémie) : Effectivement, par rapport... tu sais, si on compare les deux leviers, le levier un, il y a davantage de mécanismes, hein? Bon, il y a lieu le décret. Ensuite, on... il y a le TAT qui détermine. Après ça, les parties peuvent s'entendre. Donc, il y a quand même plusieurs étapes où est-ce qu'on vient s'assurer qu'il y a plusieurs entités qui sont d'accord. Dans le cadre du levier deux, celui de l'arbitrage, il y a moins de ces mécanismes-là, donc ça repose vraiment davantage sur une personne...


 
 

12 h (version non révisée)

Mme Ferland-Dorval (Noémie) : …interprétation. Donc, c'est pour ça qu'on soulevait ces questions-là dans le temps. Donc, comme je l'ai mentionné, on ne pense pas qu'il y a… puis, en fait, personne autour de la table ne l'utiliserait de manière trop intense. C'est plus dans l'avenir. On veut s'assurer que cette mesure-là demeure pérenne dans l'avenir. Donc, on s'est posé des questions là.

Effectivement, elle est mieux balisée que le 107, là, on le comprend, mais les préoccupations demeuraient. Puis ça revient à la question que je posais, sur laquelle je n'ai pas de réponse à l'heure actuelle, si le levier un, celui du… des services minimaux, est utilisé, on n'est pas sûr de comprendre en quoi celui de l'arbitrage est nécessaire pour venir protéger la population. Donc, c'est ça, l'essence de notre question, pour laquelle on n'a pas de réponse actuellement. Peut-être qu'il y a un angle qui nous échappe, puis là, bien, avec la réponse, on pourra… on pourra réanalyser ça, mais, pour le moment, on ne comprend juste pas en quoi ce pouvoir-là, il est nécessaire. Et, lorsqu'il est appliqué, il faut rappeler qu'il met fin au… il met fin à l'arrêt de travail, donc le lock-out et la grève, ce qui est quand même… ce qui n'est quand même pas rien. Donc, la question, pour moi, elle demeure présente, puis je la repose, parce que j'aimerais bien avoir cette réponse-là.

Mme Cadet : Oui, je ne sais pas si, Mme Poirier, vous aviez…

Mme Poirier (Manon) :Non, je pense que ma collègue a mis lumière, en fait, ce que le… l'interrogation. On comprend que ce n'est pas systématique, l'un et l'autre, mais la préoccupation du projet de loi, c'est la population, mais, du moment où on peut imaginer qu'on est dans un cas où on a assuré les services minimaux, en quoi, à ce moment-là, un pouvoir discrétionnaire est vraiment nécessaire? Parce que, bien sûr, le droit de grève est un droit fondamental. Il n'est pas absolu, mais il faut vraiment limiter les moments ou les situations dans lesquelles on le contraint.

Mme Cadet : J'émets une hypothèse ici, là, sans y avoir réfléchi préalablement, mais, à travers l'échange que nous avons, je… donc, des situations où, par exemple, puis étant donné les différents leviers que vous avez effectivement nommés quant au maintien des services minimaux, donc, on peut penser à une situation où le TAT ne… se… En fait, le TAT aurait pris la décision qu'il n'y a pas lieu d'imposer, donc, des services minimaux dans le cadre du conflit, d'un conflit x, et donc qu'à ce moment-là, donc, le second outil serait utilisé.

Mme Poirier (Manon) :Un droit de véto, à ce moment-là, du ministre en poste, si on se dit que TAT n'a pas fait ça, alors qu'on se dit : Bien, laissons-le au pouvoir des tribunaux, c'est eux qui doivent appliquer, donc ils devraient avoir… leurs décisions devraient être adéquates. Alors, à ce moment-là, ça crée un peu un droit de véto si le TAT n'a pas garanti les services minimums.

Mme Cadet : Je comprends. Puis je reviens sur un autre aspect de ma question, lorsque je parlais, donc, d'aucun contrôle ou aucun débat démocratique. Donc, hier, certains des experts qui sont venus nous enrichir de leur expertise nous ont parlé, donc, du fait que, bon, évidemment, donc, les… Il y avait, donc, intervention d'un tiers avec les lois spéciales précédemment et les deux leviers, qui étaient, bon, discutables sur le plan constitutionnel des lois spéciales, étaient d'abord cette intervention-là, mais ensuite la question d'imposition des conditions de travail à travers les conventions collectives. Donc, elle décidait dans la loi, donc, quel serait le contenu. Ici donc, on a intervention d'un tiers, mais ensuite, donc, notre recours à l'arbitrage par la suite, mais certains des groupes nous ont dit : Bien, on passe donc de l'appareil législatif à l'exécutif, mais le législatif, au moins, nous permettait ce débat démocratique. Est-ce que c'est ce à quoi vous faites référence ici?

Mme Poirier (Manon) :Exactement. Donc, à ce moment-là, bien, il y avait… il y avait des échanges, et tout ça, pour une loi spéciale. Maintenant, bien, c'est laissé à l'arbitrage, là, d'un individu. Effectivement.

Mme Cadet : Le temps file un peu plus vite que d'habitude. Je vais vous amener donc sur… Bien, encore une fois, donc, sur la… la question de la discrétion du ministre, parce que, bon, vous l'avez mentionné dans votre mémoire, il y a un régime, donc, parallèle qui est instauré. Sur le plan juridique, là, je comprends, bon… bien, en fait, moi, j'ai une interprétation de la distinction qui est faite ici d'avoir un régime parallèle, parce qu'effectivement, donc, il y a définition, donc, très, très stricte, donc, des services essentiels. Donc, il faudrait, donc, en avoir une autre pour celle du maintien des services minimaux, mais dans le cadre des services essentiels, donc, il n'y a pas de… l'étape du décret n'existe pas. Donc, le tribunal peut se saisir lui-même, donc, de cette question-là, ou les parties, l'une des parties peut l'interpeler.

J'aimerais vous entendre là-dessus. À savoir : Donc, est-ce que vous pensez que l'étape du décret est, je pourrais dire, nécessaire?

Le Président (M. Allaire) : 30 secondes.

Mme Cadet :  Alors, mon Dieu! Et aussi, évidemment, là, je suis bien consciente de la question du goulot d'étranglement du TAT, auquel vous faites référence un peu plus tard. Ma question est claire? En 30 secondes.

Mme Poirier (Manon) :Je ne sais pas si je l'ai bien attrapée, mais, en fait, on a évalué la possibilité, pourquoi pas les services essentiels? Parce que ça crée plus de prévisibilité ou de… pour les parties, mais je pense que le risque qu'on voyait, c'est que ça devienne une couverture trop large. Donc, si on identifie déjà des secteurs, on pourrait vouloir couvrir largement au cas où que peut-être une situation… Alors, l'approche cas par cas nous semble, là, à préserver avec le mécanisme...

Le Président (M. Allaire) : Merci, merci. Ça termine ce bloc d'échange. On poursuit avec…

Le Président (M. Allaire) : ...on poursuit avec la deuxième opposition. M. le député d'Hochelaga-Maisonneuve la parole est à vous pour 2 min 12 s.

M. Leduc : Merci, M. le Président. Bonjour à vous deux. Toujours un plaisir de vous voir en commission. Si je résume bien votre mémoire, là, vous dites les rajouts par rapport aux services essentiels ou le bien-être, ça, vous êtes à l'aise, mais vous êtes mal à l'aise, voire contre opposer l'arbitrage obligatoire, si j'ai bien compris. Parce que si je comprends bien la proposition du ministre, on pourrait imaginer un scénario, par exemple, où un ministre solidaire, peut-être, déciderait qu'il n'y aurait plus de lock-out au Québec puis qui pourrait intervenir systématiquement puis abolir tous les lock-out en décrétant des arbitrages. Ce serait un scénario possible avec le projet de loi tel quel.

Mme Ferland-Dorval (Noémie) : Probablement, effectivement, ça fait qu'on aurait une variation en fonction de la posture interventionniste d'un gouvernement à l'autre.

M. Leduc : ...l'autre extrême. Un ministère beaucoup plus à droite pourrait dire : Moi, il n'y en aura plus une, maudite grève au Québec et je vais systématiquement appliquer ce pouvoir-là qui va peut-être devenir loi bientôt. C'est une crainte qu'on a. C'est possible.

Mme Ferland-Dorval (Noémie) : C'est une crainte qu'on a, effectivement.

• (12 h 10) •

M. Leduc : Et quel sera l'impact du projet de loi sur la table de négo? Parce qu'hier on a posé la question à des professeurs de relations industrielles qui nous disaient qu'il y avait la crainte que ça mette l'épée de Damoclès puis que ça pousse des fois certains patrons, pas tous, bien sûr, mais à s'asseoir sur leurs mains puis à attendre l'intervention divine du ministre.

Mme Ferland-Dorval (Noémie) : À s'asseoir sur leurs mains puis attendre l'intervention divine, je ne le sais pas. C'est sûr que lorsque... tu sais, qu'on n'est pas dans le principe de la loi sur les services essentiels, que c'est un peu plus clair puis on ne sait pas trop. Puis je comprends qu'on veut laisser de la latitude à la jurisprudence de venir définir ce que ça voudra dire, mais, entre temps, pendant les... en attendant les jugements puis tout ça, bien, c'est certain que chacune des parties vont se poser des questions. Ça va devenir un petit peu plus clair à la force. Mais dans les prochaines années, il y aura certainement moins de prévisibilité. Je ne pense pas que les gens s'assoient nécessairement sur leurs lauriers, mais pourraient revoir leur stratégie de négociation peut-être, pourraient se poser des questions. Donc, oui, il y a quand même cette épée-là qui est là. Dans le temps, par contre, ça viendrait se préciser.

Le Président (M. Allaire) : 15 secondes.

M. Leduc : Les critères, là, vous dites qu'il faut les resserrer dans un règlement, mais ce n'est pas voulu justement que ce soit extrêmement large pour que ça couvre tout le monde?

Mme Poirier (Manon) :Il y a large et trop large, donc un peu les resserrer en donnant une latitude d'interprétation, mais là ils sont vraiment trop larges à notre sens.

Le Président (M. Allaire) : Merci, merci, ça met fin à ce bloc d'échange. On poursuit avec les députés de Jean-Talon, 1 min 41 s. La parole est à vous.

M. Paradis : Vous arrivez avec un mémoire nuancé, mais vous dites quand même que c'est un changement de philosophie, que ce projet de loi propose, et une interférence dans les conflits de travail. Vous posez la question suivante : La grande question est de savoir si ce projet de loi vient perturber de manière disproportionnée cet équilibre et, le cas échéant, si les avantages accordés à la population justifient le déséquilibre. Ma question : Est-ce que vous répondez positivement ou négativement à votre propre question?

Mme Poirier (Manon) :Bien, en fait, ça dépend. C'est du cas par cas. Donc, le principe de pouvoir intervenir plus que maintenant nous semble parfois nécessaire pour les atteintes à la population, mais il faut vraiment resserrer les critères. Donc, entre l'exceptionnalité qu'on entendait du discours et ce qu'on lit, il y a vraiment un écart. Et, pour nous, il faut absolument que ce soit corrigé et établi de façon plus serrée.

M. Paradis : Il y a deux grands mécanismes. Le premier, c'est celui de la définition d'un certain nombre de services minimaux et vous dites qu'il faut absolument que ce soit dans des cas réellement exceptionnels et uniquement sur des services jugés absolument indispensables. Et vous dites que le projet de loi est flou. Puis sur l'autre mécanisme, la suspension du droit de grève, vous vous y opposez. Est-ce qu'il y a lieu de croire que, dans la forme actuelle du projet de loi, en fait, vous répondez plutôt à la négative à votre question?

Le Président (M. Allaire) : 20 secondes.

Mme Poirier (Manon) :Il y a du travail à faire pour venir préciser davantage les définitions sur le premier levier, puis, pour nous, on écarterait le pouvoir discrétionnaire du ministre.

M. Paradis : Ça prend des changements importants pour que vous répondiez positivement.

Mme Poirier (Manon) :Oui, et j'espère qu'à l'étude détaillée, il y aura des changements qu'on pourra voir à ce projet de loi.

M. Paradis : Merci.

Le Président (M. Allaire) : Merci, M. le député de Jean-Talon. Ça met fin à l'ensemble des blocs d'échange. Mme Poirier, Mme Ferland-Dorval de l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, je vous remercie pour votre contribution à cette commission. Nous allons suspendre les travaux rapidement pour permettre à l'autre groupe de s'installer. Merci.

(Suspension de la séance à 12 h 12)

(Reprise à 12 h 16)

Le Président (M. Allaire) : Alors, nous allons reprendre les travaux. Nous sommes maintenant avec la Centrale des syndicats du Québec. M. Piché, M. Gingras. Mme Roberge, bienvenue.

Alors, je vais quand même vous laisser le soin de vous présenter, avec peut-être votre titre complet et je vous cède déjà la parole pour votre 10 minutes, là, pour votre exposé. Va s'ensuivre une période d'échange avec les parlementaires. La parole est à vous.

M. Gingras (Éric) : Parfait! Merci. Donc, Éric Gingras, président de la Centrale des syndicats du Québec, Je suis accompagné d'Ariane Roberge, avocate à la CSQ, et Jean-François Piché qui est conseiller.

Donc, écoutez, d'entrée de jeu, mes collègues, je vais faire un court préambule puis mes collègues, après ça, vont prendre le temps de bien expliquer les choses.

Deux éléments. Le hasard fait souvent bien les choses, la CSQ est présentement en conseil général du côté de Drummondville. Donc, un petit aller-retour à Québec. Avec 300 membres de la centrale réunis et deux choses ressortent du projet de loi, deux... deux sentiments : la colère, la déception. La colère parce que la CSQ, qui représente, là, très fortement le personnel du secteur public, voit un peu dans ce projet de loi une espèce de vengeance du gouvernement. La ronde de négociation où vraiment on a vu l'appui de la population, on a vu tout ce qui s'est passé, et vraiment les membres sentent qu'ils ont changé ce que le gouvernement avait prévu comme piste d'atterrissage.

Deuxième élément, je parle de déception. La CSQ croit beaucoup au dialogue social. Et là on croit que ce projet de loi là, non seulement avec ce projet de loi là, mais pour la suite des choses, est un peu un œil au beurre noir. On a entendu beaucoup d'organisations patronales venir casser du sucre sur le dos des syndicats. Mêmes organisations avec qui nous aurons des discussions et des relations au niveau de différentes instances, toujours en dialogue social. Ça, ça fait mal au Québec parce que le dialogue social, c'est quelque chose de particulier au Québec. Et là malheureusement, avec ce qui s'en vient, c'est probablement pour les prochaines années, cet oeil au beurre noir là, et on est bien déçu de ça. Je vais laisser mes collègues continuer avec la suite des choses.

M. Piché (Jean-François) : Bonjour! Écoutez, vous dire que ce projet de loi là, malheureusement, nous le trouvons inutile, nuisible. Et ma collègue Arianne vous le démontrera, on pense qu'il est inconstitutionnel...

M. Piché (Jean-François) : ...inutile. Vous avez entendu des chiffres, on va quand même les répéter parce qu'on trouve que c'est important. 95 % des conventions collectives se règlent sans conflit de travail. Et de ces 5 %-là qu'il reste, la très grande majorité se règle sans que la population, selon nous, en soit affectée d'une manière disproportionnée.

Il y a eu effectivement en 2023, 2024 beaucoup plus de grèves qu'à l'habitude. Il y a eu un pic qui a duré quatre mois. Là-dedans, il y a une grève du Front commun. Une grève du Front commun, ça fait beaucoup monter le nombre de conflits de travail parce que le Front commun, ça représentait 400 unités d'accréditation en grève, donc 400 conflits de travail sur les 626. Et le reste des conflits dans le secteur privé, bien, c'est une pénurie de main-d'œuvre couplée à une forte inflation. Oui, il y avait un rattrapage salarial, ça a causé davantage de grèves, c'est évident, et là, présentement, on constate, depuis un an, là, le nombre de conflits est revenu à la normale qui l'était dans les dernières années et qui, depuis les années 70, est toujours, toujours à la baisse, à la baisse, à la baisse. Donc, pour nous, là, il n'y a pas le feu aux relations de travail présentement au Québec. Voilà.

• (12 h 20) •

Nuisible pourquoi? Notre président l'a dit, vous avez entendu les associations patronales-syndicales opposées, campées dans leurs positions. Malheureusement, ça présage, selon nous, de conflits inutiles parce que ça n'a pas lieu d'être, autant dans les milieux de travail, devant les tribunaux, selon nous, ici, considérant le projet de loi dans un contexte mondial, mon Dieu, qui nous invite donc à resserrer les rangs, à se parler des vrais enjeux, et il y en a beaucoup, de nombreux enjeux dans le monde du travail présentement. Intelligence artificielle, les effets des bouleversements du numérique sur les relations de travail et le monde du travail et que dire aussi de la pénurie de personnel qui persiste dans nos secteurs en éducation, en santé, dans les réseaux des services éducatifs à l'enfance? Plein d'enjeux où on préférerait discuter, trouver des solutions que de se battre devant les tribunaux pour quelque chose qui va régler quelques grèves, puis une grève de six mois comme le cimetière, c'est extrêmement rare que ça arrive. Donc, pour ça, le projet de loi, on juge qu'il est inutile et il est nuisible.

La Fédération des chambres de commerce, dans son mémoire, citait : C'est dommage, en Europe, il y a beaucoup moins de grèves qu'au Québec. Ils ont raison. Ils ont raison parce qu'en Europe, pays scandinaves surtout, il y a beaucoup de mécanismes de dialogue social. Ils sont très présents et ils sont surtout très forts, et ils s'en servent. Quand il y a des enjeux de cette nature, les problèmes sont amenés là et ils les règlent. C'est la raison pour laquelle en Europe, à part la France, qu'il y a des conflits sociaux, il y a beaucoup moins de conflits de travail. Et quand le ministre décide de passer par le CCTM, ça fonctionne. On trouve des voies de passage, le travail des enfants, télétravail. Pourquoi pas cette fois-ci? Si le ministre a réellement des préoccupations sur certains conflits de travail, c'est au CCTM qu'il faut les amener, c'est au dialogue social qu'il faut les amener. Voilà. Et sur l'inconstitutionnalité du projet de loi, je passe la parole à ma collègue, Ariane.

Mme Roberge (Ariane) : Merci. En fait, je vais essayer d'aller très rapidement sur des concepts qui sont extrêmement complexes, mais qui vous ont probablement déjà été expliqués plusieurs fois depuis le début de la commission. Mais rappelons simplement que les tribunaux québécois et canadiens ont validé à de multiples reprises l'interprétation stricte des services essentiels à l'effet que la grève peut être limitée uniquement quand on est face à un péril à la santé, à la sécurité de la population. Le TAT utilise même maintenant le vocable de menace évidente et imminente à la santé. Donc, pour nous, les notions de bien-être et de sécurité économique, environnementale et sociale, qui sont des concepts qui n'ont jamais été utilisés auparavant, qui ne sont pas définis, on s'imagine mal comment le Tribunal administratif du travail pourrait rendre une décision qui, dans le fond, élargirait la notion de services essentiels pour tenir compte de ces nouveaux concepts, pourraient passer le test de la rente constitutionnelle. On se rappellera que la grève, étant protégé constitutionnellement, il faut, pour la limiter, une atteinte qui est raisonnable, selon l'article premier de la charte canadienne, selon le test de l'arrêt Oakes.

Donc, nous, on se demande, on se demande, M. le ministre, comment le TAT, avec le libellé que vous allez proposer, pourra rendre une décision légitime qui ne sera pas contestée. On se pose la question.

Pour ce qui est du droit de grève. Donc, le droit de grève ne peut pas être entravé de telle sorte que deviennent symboliques les atteintes économiques. C'est le but recherché de la grève. C'est la manière qu'on s'est donnée au Québec dans un régime Wagner de relations de travail, de paix industrielle, de s'assurer que les parties, il y a un équilibre dans le rapport de force. Or, le projet de loi vient complètement chambouler cet équilibre là, puis...

Mme Roberge (Ariane) : ...le ministre a dit à plusieurs reprises que le projet de loi n'allait être utilisé qu'exceptionnellement, mais, quand on lit les termes du projet de loi, ça peut s'appliquer à pas mal tous les secteurs, pas mal tous les conflits, et ça, c'est tant le premier chapitre sur le pouvoir... sur les services au bien-être que le pouvoir du ministre, le pouvoir discrétionnaire.

Finalement, pour ce qui est du pouvoir vraiment spécial du ministre d'ordonner l'arbitrage et la fin d'un conflit de travail, on a entendu souvent dans les médias qu'on faisait le parallèle avec l'article 107 du Code canadien du travail. Or, cet article-là, il a été très, très peu utilisé, et la majeure partie du temps, quand il est utilisé, c'est pour venir ordonner une enquête ou un arbitrage, sans nécessairement ordonner la fin des moyens de pression comme la grève ou le lock-out. Puis, dans les plus récents conflits où ça a été utilisé, justement, pour venir freiner la grève, bien, les syndicats ont contesté, puis ces contestations-là sont encore en cours. Donc, force est de constater que, nous aussi, probablement, quand ce pouvoir-là sera utilisé, on va se retrouver devant les tribunaux au lieu de négocier à la table.

Donc, pour nous, on ne comprend pas comment l'ensemble de ce projet de loi là va passer le test. Je vous épargne nos stratégies de contestation, mais sachez qu'on est à l'étude actuellement.

M. Gingras (Éric) : Et, en terminant, la CSQ, bien sûr, invite, avec ce qui vient d'être dit au ministre, à rejeter... à retirer, pardon, le projet de loi et faire appel à différents mécanismes qui existent déjà pour avoir ce dialogue-là. D'ailleurs, le dialogue se fait aussi sur les problèmes et pas une solution imposée. D'ailleurs, demander ça, pourquoi est-ce qu'on ne propose pas des choses? Parce qu'il faut parler du problème en premier, parce qu'on a des divergences d'opinions sur le problème. Et, dans ce cas-ci, en plus, avec mes collègues qui disent, bien, on évalue que le projet de loi est inconstitutionnel. Donc, on va proposer des aménagements à ce projet de loi là. Donc, c'est comme ça que la CSQ le voit. C'est comme ça que les membres qu'on représente voient, et, comme je l'ai mentionné, des membres présentement en instance où ce sujet-là a été abordé. Et, malheureusement, là, on voit ça comme étant réellement une colère qui se traduit justement dans les commentaires des gens qu'on représente.

Le Président (M. Allaire) : Merci, M. Gingras. On débute avec la partie gouvernementale. M. le ministre, vous avez 11 minutes.

M. Boulet : Oui, merci, M. le Président. Dans un premier temps, j'aimerais vous remercier de votre présence, de votre participation puis de la qualité de votre mémoire que j'approfondirai, que je vais m'assurer d'analyser avec attention, considération. Ceci dit, je comprends la colère, mais je nie le désir de vengeance quel qu'il soit. Je pense que le dossier de négociation qui a avorté, qui a généré une grève qui a duré longtemps, que j'ai le plus souvent utilisé, c'est celui concernant les familles endeuillées. Et donc ce n'est pas par souci de vengeance, c'est simplement après avoir constaté depuis 2015, depuis les événements extraordinaires qu'on a connus, le vieillissement de la population, la pénurie de main-d'œuvre, la pandémie, maintenant, la conjoncture internationelle... internationale, ça s'impose d'assurer... de rassurer la population qui parfois est prise en otage. M. Gingras parle des conflits de travail, et vous avez totalement raison, la plupart se règlent, la minorité ne se règle pas. Et, de cette minorité-là, il y a quelques exceptions qui requièrent d'avoir des leviers. Ce n'est pas tout à fait juste que de dire : On peut avec les mécanismes actuels. Il y a un groupe syndical qui nous disait «améliorer les dispositions en matière de conciliation», alors qu'un autre groupe syndical nous disait : «Ça fonctionne super bien au Québec avec ce que vous avez mis en place pour l'aide au climat, l'amélioration des relations de travail, l'accompagnement pour la négo, la conciliation médiation.»

Puis, je sais, M. Gingras, que vous connaissez ces services-là et que vous êtes capable de reconnaître l'expertise de ces personnes-là. Le dialogue social, M. Gingras, c'est le fun qu'on ait l'occasion d'en discuter dans un forum comme ici. Quand on dialogue, il faut aussi accepter les désaccords. Quand on demande des recommandations au CCTM, bon, Comité consultatif du travail et de la main-d'oeuvre, où sont les associations...

M. Boulet : ...patronales qu'on connaît puis les quatre centrales syndicales, il y a parfois des recommandations qui ne sont pas nécessairement consensuelles. Des fois, vous le savez, M. Gingras, il y a des consensus qui ne sont malheureusement pas tout à fait respectés par la suite, mais, systématiquement, il y a des arbitrages à faire. Puis, dans le cas présent, tout le monde sait, puis j'en ai parlé justement au CCTM en septembre, de mon intérêt pour revoir le Code du travail en ce qui concerne le maintien de certains services dans des secteurs où il n'y a rien. Il y a un régime de services essentiels. On ne touche pas, on respecte son intégralité en santé, en services sociaux, dans la fonction publique, dans les services publics.

Maintenant, on a besoin d'avoir un critère nouveau. Est-ce qu'on peut se permettre de faire du droit nouveau au Québec pour mieux protéger la population, notamment celle en situation de vulnérabilité? Il y en a eu des conflits. Vous connaissez Dr Royer, puis je ne vous répéterai pas ses enseignements, mais les enfants handicapés, il y en a 54 000 au Québec qui sont dans des environnements où une interruption des services éducatifs va provoquer une régression dans leur comportement, dans leurs apprentissages. Les familles endeuillées qui voyaient les dépouilles s'accumuler dans des frigidaires, les personnes à faibles revenus, puis il y en a d'autres, puis vous connaissez mes exemples, je vais les retenir. Mais Dr Royer était une personne extrêmement éloquente et soucieuse du développement comportemental des enfants qui sont atteints du trouble du spectre de l'autisme ou qui ont un handicap ou une déficience quelconque. On a besoin d'avoir un tribunal administratif qui est impartial et indépendant, qui va analyser, en fonction de critères qui ne sont pas trop restrictifs, si les faits et circonstances justifient qu'il y a maintien de service.

• (12 h 30) •

Puis, M. Gingras, on ne touche pas au droit de grève. Dans les services essentiels en santé et en services sociaux, même s'il y a maintien d'un bon niveau de service, il n'y a pas... il peut y avoir une grève quand même, et ça ne s'exprime pas par, uniquement par un arrêt de travail de tout le monde. Et là on parle d'un secteur où il n'y a rien et on parle de services minimalement requis. Des professeurs nous ont mentionné que les critères utilisés, puis la confection du projet de loi est tout à fait compatible et respectueuse des enseignements de la Cour suprême du Canada. Je sais qu'il va avoir... puis Me Roberge, vous le mentionnez, vous allez avoir une stratégie de contestation. Moi, je souhaite que le dialogue nous permette de respecter le Tribunal administratif du travail qui va appliquer des critères. Je vais respecter votre décision de prendre des procédures judiciaires, mais je suis quand même confiant que ce sera tellement exceptionnel, utilisé de manière tellement parcimonieuse que les tribunaux de droit commun auront à prendre une décision, bien sûr, en respectant ce que la Cour suprême nous a mentionné.     Puis, quant au nombre de conflits, je sais que la moyenne de jour n'est pas nécessairement la même. Ça dépend de la nature des conflits, mais il y a quand même, dans les cinq dernières années, une augmentation assez considérable du nombre de conflits : 34 en 2020, 170 en 2021, 161 en 2022, 230 en 2023, 285 en 2024. Puis est-ce qu'il y en a 93, 95 % qui se règlent? Moi, je souhaite qu'ils se règlent tous. Je suis un partisan des alternatives de résolution de litiges, de la conciliation et de la médiation. Donc, je ne suis pas confortable quand vous dites : C'est inutile et nuisible. Si c'était inutile et nuisible, comment on aurait pu, avec les leviers actuels du Code du travail, empêcher des enfants à besoins particuliers de régresser, empêcher des familles endeuillées d'invoquer constamment la dignité humaine, empêcher des personnes d'aller travailler ou d'avoir accès à des services médicaux? Enseignez-moi, puis faites-nous des recommandations avec le code actuel. Alors qu'on nous dit que le système de conciliation-médiation va...


 
 

12 h 30 (version non révisée)

M. Boulet : ...super bien. L'intelligence artificielle, on est dans une consultation sur l'impact de l'intelligence artificielle. Mais, systématiquement, on ne demande pas au CCTM de proposer le contenu des lois. Puis je ne pouvais pas partager le contenu de ce projet de loi là qui comporte 11 articles sans me faire accuser de ne pas respecter le privilège des parlementaires. J'ai parlé dans la foulée de l'utilisation de 107 par mon collègue du fédéral qui demandait un arbitrage exécutoire dans le conflit ferroviaire. Il y a eu des sondages, on sait comment la population a réagi. J'ai eu une discussion avec vous en septembre, puis j'en ai eu d'autres, même dans un balado, même si c'était des discussions sommaires que j'ai eues avec vous, M. Gingras. Je ne prétendrai jamais que ça a été une consultation formelle. Puis j'ai discuté au CCTM avec les associations d'employeurs, après ça, j'ai eu d'autres discussions, mais qu'avec les centrales syndicales.

Donc, on ne peut pas demander au CCTM de se transformer ou de se substituer au législateur. Puis, je le répète, M. Gingras, vous avez fait un travail phénoménal depuis votre arrivée à la tête de la CSQ. Vous avez été un acteur social formidable dans le travail sur l'encadrement du travail des enfants. Vous avez été dominant dans les parties qui ont participé aux travaux du CCTM. Mais, je le répète, est-ce qu'on peut être en désaccord puis discuter puis dialoguer, sans que vous venez ici puis me dire : C'est inutile, c'est nuisible, puis je n'ai aucune recommandation. En fait, la seule recommandation, retirer, parce qu'il y a menace d'atteinte au droit de grève. Ce n'est malheureusement pas le cas du pl 89. Puis l'arbitrage qui est le deuxième mécanisme, ce n'est pas le cas non plus. C'est une discrétion qui est tout à fait contrôlée. On parle de préjudice grave ou irréparable.

Vous le savez, dans des dossiers d'injonction interlocutoire provisoire, Me Roberge, vous avez vu comment ce concept-là a été utilisé. C'est loin du libellé extrêmement général de l'article 107 du Code canadien du travail. Donc...

Le Président (M. Allaire) : Une minute.

M. Boulet : Quant à son inconstitutionnalité, là non plus, bon, vous affirmez que c'est un projet de loi qui est inconstitutionnel, moi, je vais me garder une prudence, je ne me substituerai pas aux tribunaux qui auront à rendre une décision après avoir entendu une preuve de faits et de circonstances. Mais, je le répète, tous les critères qui ont été utilisés visent à ce qu'il y ait le moins d'entraves au droit de grève, qui est un droit constitutionnellement reconnu, qui est dans la Charte canadienne et la Charte québécoise, et que ça constitue l'atteinte la plus minimale possible.

Alors, merci beaucoup de votre participation et de votre contribution. Puis, je le répète, on va analyser votre mémoire de façon minutieuse.

Le Président (M. Allaire) : Merci, M. le ministre. Ça met fin à ce bloc d'échange. On poursuit avec la députée de Bourassa-Sauvé. Vous avez 6 min 56 secondes.

Une voix : ...

Le Président (M. Allaire) : Pardon? Ah! oui, c'est vrai. Mme la députée de D'Arcy-McGee, vous me l'aviez dit. Je m'excuse. La parole est à vous.

Mme Prass : Merci, M. le Président. Merci pour votre présentation, le travail de votre mémoire. Et, justement, il y a les éléments de votre mémoire que je voudrais évoquer. Je suis moi-même la maman d'un petit garçon qui est lourdement atteint de l'autisme. Et, par exemple, dans votre mémoire, vous parlez de la notion de service essentiel qui est directement liée à deux préoccupations majeures, la santé et la sécurité de la population. Vous évoquez aussi le Code du travail, et je cite, «qui définit les services dont l'interruption mettrait en danger, dans l'ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne». Également, vous citez une décision de la Cour suprême du Canada en 1987, que «ces décisions sont toujours définies, un service essentiel comme un service dont l'interruption pourrait mettre en péril la vie, la sécurité ou la santé de la personne dans une partie ou dans la totalité de la population».

Également, vous citez le fait que le ministre a évoqué justement cette possibilité, les effets des effets des conflits de travail sur les enfants avec des besoins particuliers, mais vous dites que c'est à démontrer. On sait que, durant la pandémie, par exemple, les écoles pour les enfants... les écoles spécialisées pour les enfants avec des besoins particuliers ont été les derniers à fermer et les premiers à ouvrir. Et comme, hier, on a eu le docteur Royer qui est venu, qui était... qui faisait partie...

Mme Prass : …justement, des personnes qui ont fait partie de cette détermination-là. Donc, il y a eu… ça a été démontré, au gouvernement, que, justement, ces jeunes-là qui reçoivent non seulement des services éducatifs, mais des services de santé, dans les écoles, comme de l'orthophonie, de l'ergothérapie, etc., nécessitent ce suivi continu là, parce que, souvent, c'est des acquis qui sont perdus quand justement ce n'est pas renforcé.

Donc, je voudrais comprendre, parce que, pour moi, dans la définition que vous avez soumise et que j'ai lue, alors : «une interruption pourrait mettre en péril la vie, la sécurité ou la santé de la personne dans une partie ou dans la totalité de la population». Vous ne… dans votre opinion, vous ne voyez pas les enfants avec des besoins particuliers, et leur accès continu dans leurs écoles, de faire partie de cette définition-là. Pouvez-vous m'expliquer votre interprétation?

• (12 h 40) •

M. Gingras (Éric) : Bien sûr. Merci de me poser la question. Puis, en même temps, comme je n'avais plus de temps pour répondre à M. le ministre, ça va me permettre aussi de faire un ricochet dans votre réponse. Écoutez, vous savez, on a parlé de caractère exceptionnel. On dit que ça, c'est pour justement, le caractère exceptionnel, des problèmes qui arrivent à quelques reprises. Mais nous, ce qu'on… ce qu'on n'aime pas, c'est que ce projet de loi là, justement, il vient faire quelque chose qui ne se produit à peu près jamais. Alors, pour répondre à votre question, vous savez, la CSQ représente la majorité du personnel en éducation dans nos écoles au Québec, et je vais faire un topo avec vous, 2000 en… 2000, pour les négos du secteur public, zéro jour de grève, en 2005, deux jours de grève, en 2010, zéro jour de grève, 2015, trois jours de grève, 2020, ça dépend du personnel, entre une et trois, et, en 2025, 11.

Vous savez que les enfants ont subi plus de perte d'école à cause des élections, des… du verglas, des problèmes d'inondation, de toutes sortes, d'autres raisons que les problèmes de grèves. Alors, c'est une situation exceptionnelle, survenue il y a maintenant à peu près 18 ou 24 mois. Et là, on essaie d'appliquer quelque chose. Écoutez, les jeunes ont besoin de cette aide-là dans nos classes. Ils l'ont. Et, quand arrivent des situations là… puis vous demanderez en plus aux collègues qui font cette grève-là, justement pour le bien des enfants, comment ils vivent avec les bris de service, ce qui se passe au Québec présentement.

Alors, je comprends votre question, mais ce n'est pas une question reliée au problème de grève, c'est une question reliée au réseau de l'éducation en général. Alors, à cette question, je vous dis : Écoutez, lorsqu'il se produit ces grèves-là, nous procédons donc à certains jours de grève, qui, oui, dérangent, mais qui n'a jamais posé de problème, parce que c'était bien souvent beaucoup plus court que ce qui s'est passé. Il y avait une conjoncture, il y avait une situation. Et là on fait un projet de loi, alors qu'il y a eu une situation dans le secteur public. Et c'est… ça, c'est un élément qui est mentionné. Quand je vous dis que les membres sont en colère, c'est, entre autres, à cause de ça. Quand je dis que les gens sentent que c'est une vengeance du gouvernement, c'est entre autres à cause de ça, parce qu'il n'y a pas péril en la demeure.

Et les enfants, écoutez, là, il y a du personnel, là, dans… premier jour de grève, on a parlé de deux heures de grève. Là, on va venir légiférer pour ce genre d'action là, on va venir changer l'équilibre, on va venir changer le processus pour quelque chose où, dans cinq ans d'ici, ce sera différent, ce sera un autre élément. Alors, à votre question, peu importe ce que dit, en tout respect, Dr Royer, ça reste que…

Et d'ailleurs, soit dit en passant, Dr Royer a aussi mentionné que le réseau scolaire avait quand même des bris de service, au-delà, hein, au-delà des jours de grève. Alors, quand on fait un état des choses, et les revendications en plus que le personnel… Et je rajoute ça, en plus que le personnel, qui les font mettre de l'avant, justement pour le bien de ces élèves-là, qui sont soit lourdement handicapés, soit avec des problèmes de retards d'apprentissage. Donc, je pense que ça vient démontrer qu'il n'y a pas matière, il n'y a pas matière à déposer ce projet de loi.

Et pour le reste, et pour les réels problèmes qu'il pourrait y avoir, et c'est là-dessus qu'on n'en a, pas sur le fait que… peut-être que le ministre nous en a parlé un peu comme ça, qu'il était en réflexion, mais sur le fait qu'on n'a pas été capable d'analyser le problème. Moi, je viens de vous parler des chiffres. Est-ce qu'il y a un problème dans les grèves du secteur public au Québec avec les chiffres que je vous ai donnés? La réponse, c'est non. C'est cette discussion-là, préalable, que nous n'avons jamais eue et qu'on aurait dû avoir pour le bien du dialogue social, d'ailleurs.

Le Président (M. Allaire) : 40 secondes.

Mme Prass : Je suis tout à fait d'accord avec vous pour la question des bris de service, que, clairement, il y a eu un délaissement de la part du gouvernement dans les dernières années pour offrir les services...

Mme Prass : ...les services, avoir le financement et les conditions pour avoir ces spécialistes-là qui vont dans les écoles. Alors, ça, je suis tout à fait d'accord avec vous. Mais également vous mentionnez quand... est-ce qu'une grève vient affecter de manière disproportionnée la sécurité économique ou sociale d'une partie de la population? Je vous dirais aussi que les parents de ces enfants-là, surtout quand ils sont lourdement handicapés, doivent souvent s'absenter ou quitter leur travail pour s'occuper de leurs enfants à temps plein. Et, durant la grève l'année dernière, il y a la coalition des parents d'enfants handicapés, il y a plusieurs organismes qui sont sortis pour dire que ça a eu vraiment un impact négatif.

Le Président (M. Allaire) : Merci. Malheureusement, ça met fin à ce bloc d'échange avec l'opposition officielle. On poursuit avec le deuxième groupe de l'opposition. M. le député d'Hochelaga-Maisonneuve, vous avez 2 min 19 s

M. Leduc : Merci, M. le Président. Bonjour à vous trois. D'abord, je ne peux pas m'empêcher de souligner le côté quand même assez particulier de se faire donner une leçon de dialogue alors que le ministre mange son 12 minutes de micro de... c'est supposé être un dialogue avec un groupe qu'on a invité. Il y a eu beaucoup plus d'échanges entre le ministre puis d'autres groupes qui étaient d'accord avec son projet de loi hier. Visiblement, vous, vous n'êtes pas d'accord, ça fait que c'est à sens unique de son côté, c'est bien dommage.

J'aimerais revenir. Moi, dans ma circonscription, j'ai l'école Irénée-Lussier qui est une école pour les enfants à besoins particuliers. Puis, pendant la grève, je suis allé faire un tour sur la ligne de piquetage, puis il y avait des employés qui étaient là. Puis j'assume que ceux qui étaient sur la ligne de piquetage, qui avaient voté pour la grève, mais il y avait à la fois un amour pour leur travail puis pour les enfants à besoins particuliers qu'ils servent puis, à la fois, un amour pour leurs conditions de travail puis la vocation de leur école. Puis ça ne les empêchait pas... Comment... Est-ce que c'est compatible, ces deux choses-là?

M. Gingras (Éric) : Il faut avoir réellement eu une assemblée générale avec du personnel en éducation pour comprendre comment c'est déchirant. D'un côté, faire valoir des revendications à aller jusqu'au point de faire la grève... Tantôt, je donnais des chiffres, et ce n'est pas pour rien que c'est rare, ce n'est pas pour rien que c'est rarissime de grands mouvements de grève dans le secteur public parce que ces gens là ont à cœur, justement. Et quand ils se rendent jusque là, c'est parce que c'est réel, parce que les besoins sont tellement grands, parce qu'il faut se rendre jusque là. Et la preuve de ça, c'est que les parents, à très forte majorité, pendant, notamment le dernier mouvement de grève, étaient derrière les enseignantes, les enseignants, le personnel de soutien, les professionnels. Pourquoi? Puis c'est vrai aussi avec les autres catégories d'emplois. Il y avait un appui derrière les travailleuses, les travailleurs du secteur public. Puis c'est aussi vrai avec nos collègues des autres secteurs, collégial, etc. Parce que les gens, ils savent qu'ils sont là pour les bonnes raisons. Alors, quand ils se rendent jusqu'à la grève, de savoir que ça, ça devient limité, parce que c'est ça, dans le fond, c'est que, oui, effectivement, il était encore là, mais on vient le limiter, on vient baliser, on vient changer les règles du jeu. Ils disent : C'est quelque chose, si je me rends jusque là, c'est que j'ai un message important à apporter. Et quand vous me dites que vous avez croisé des gens sur ligne de piquetage qui avaient à cœur le reste... Et bien souvent on a vu des parents qui allaient là avec leurs enfants pour justement continuer ce lien si important avec le personnel de l'éducation.

Le Président (M. Allaire) : Merci, M. Gingras. On enchaîne avec le député Jean-Talon. Vous avez 1 min 46 s

M. Paradis : Je déplore moi aussi qu'alors qu'on parle de dialogue social, vous n'ailliez été nullement consulté avant la présentation de ce projet de loi. Et qu'aujourd'hui, alors que les Québécois avaient l'occasion d'entendre un dialogue avec le ministre, le ministre a fait un monologue de 12 minutes. Il vous reste 1 min 20 s, je vous cède mon temps pour que vous puissiez conclure et vous adresser aux Québécoises ou aux Québécois.

Mme Robitaille (Anne) : Merci. En fait, le ministre ne nous n'a effectivement pas posé de questions, mais ça m'a bien fait sourire à la fin quand on vient préciser que les critères de ce qui est un préjudice sérieux et irréparable, ça évite le discrétionnaire parce que c'est un critère qui est connu par les tribunaux, qui est utilisé notamment en matière d'injonction, et tout. Mais c'est vrai que ça évite le discrétionnaire quand c'est un tribunal qui est appelé à analyser ce qui est un préjudice sérieux, irréparable. Nécessairement, les tribunaux le reconnaissent, il y a toujours une notion de subjectivité dans ce qui est un préjudice grave. Donc, comment un homme seul dans son bureau peut nous garantir qu'il n'y en aura pas de discrétionnaire? Puis on ne sait pas ce sera qui le prochain dans ce bureau-là non plus. Et le code va rester écrit comme il sera modifié. Donc, on va vivre avec ces changements-là au Code du travail pour le reste des jours, on ne sait pas, jusqu'à ce qu'un autre gouvernement décide de le modifier. C'est quand même un peu une épée de Damoclès qu'on aura au-dessus de la tête.

M. Gingras (Éric) : Écoutez, en terminant, on pense que, comme la population le fait pour ces travailleurs du secteur public, notamment, avec leur appui, vous savez être d'accord avec le fait de ne pas vouloir de grève, c'est une chose, mais après ça de savoir les raisons pourquoi on la fait, c'en est une autre. Et là, le problème, c'est qu'on vient mélanger les deux et surtout enlever ce pouvoir-là. Et ça, je pense que la population le comprend très bien pour continuer à sentir cet appui-là.

Le Président (M. Allaire) : Merci...

Le Président (M. Allaire) : ...merci. Merci, M. Gingras, M. Piché et Mme Roberge, merci pour votre contribution à cette commission. Alors, nous allons suspendre les travaux jusqu'à 2 heures. Merci, tout le monde. Bon dîner.

(Suspension de la séance à 12 h 48)


 
 

14 h (version non révisée)

(Reprise à 14 h 04)

Le Président (M. Allaire) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! La Commission de l'économie et du travail reprend ses travaux. Je demande à tous et à toutes de prendre quelques secondes pour éteindre la sonnerie de vos appareils électroniques, s'il vous plaît.

Nous poursuivons les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 89, Loi visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock-out.

Alors, je vous donne un aperçu de l'ordre jour de notre après-midi notre dernière après-midi dans nos trois jours de consultation. Nous allons débuter avec M. Finn Makela. Nous allons poursuivre ensuite avec la Fédération autonome de l'enseignement, et terminer notre après-midi avec l'Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux.

Alors, bienvenue, maître. C'est un plaisir de vous avoir avec nous. Alors, je vais vous laisser le soin de vous présenter, peut-être avec votre titre plus complet, et vous pouvez tout de suite poursuivre avec votre 10 minutes de présentation. La parole est à vous.

M. Makela (Finn) : Merci, M. le Président. M. le ministre, membres de la commission, je suis très heureux que vous m'ayez invité de vous entretenir aujourd'hui. Je suis Finn Makela, je suis avocat, je suis professeur titulaire à la Faculté de droit à l'Université de Sherbrooke, où j'enseigne notamment le droit général du travail et l'arbitrage en droit du travail.

C'est toujours hasardeux pour un professeur de présumer que ses étudiants et étudiantes aient lu tous les textes avant l'exposé, mais vu le sérieux avec lequel je sais les parlementaires travaillent, je ne vais pas vous donner toute tout simplement un résumé de ce qui se trouve dans mon mémoire, mais faire un petit exposé de quelques principes qui sont sous-jacents au nombre de quatre.

Premièrement, l'importance de la grève et l'effet de l'arrêt Saskatchewan Federation of Labour, dont je comprends que vous n'avez pas parlé beaucoup dans les derniers jours, il faut se rappeler, je crois, l'importance du changement qui a eu lieu, pas juste dans les règles de droit, mais dans la conception de la liberté d'association. Et je vous invite à lire la citation du juge Dickson qui se trouve à la page quatre dans le mémoire, de mon mémoire, sur l'importance du travail pour la dignité de la personne. Les... Il y a un principe en droits fondamentaux depuis la Déclaration universelle de 1948, il n'y a pas de hiérarchisation entre les droits fondamentaux, et donc en reconnaissant la grève comme étant partie... une partie intégrale de la liberté d'association, on n'a pas juste fait un changement technique dans la loi, mais un changement de paradigme. Donc, on oublie souvent cela parce beaucoup de la conversation qui a eu autour de la table, ici, à la commission, c'était sur les techniques qu'on peut utiliser pour restreindre le droit de grève et qu'est-ce qui est permis ou non, en fonction des différents tests qui sont élaborés par la jurisprudence. Et c'est bien que vous réfléchissiez sur ces questions.

Cela étant dit, il ne faut pas perdre de vue que ça, c'est déjà en tenant pour acquis ce que je pense que tous et toutes les intervenants devant vous ont dit, c'est que, d'emblée, on parle de l'atteinte à un droit fondamental. Et cela, c'est une responsabilité lourde pour un législateur, un membre de la législature. C'est parfois nécessaire, mais il faut prendre cette responsabilité au sérieux, et ça m'arrive aussi de tomber dans la technicité.

Et donc je me suis fait une expérience de la pensée en lisant le projet de loi, et je me suis dit : Si c'était une autre liberté fondamentale, si c'était la liberté d'expression, la liberté de presse et qu'il y avait un pouvoir ministériel de temporairement fermer un journal en raison des propos qui pourraient causer un préjudice pour la population, ou encore il y avait un tribunal administratif qui avait le pouvoir de censurer certains contenus, tout en permettant la continuation du journal, comment est-ce qu'on réagirait? Et ça donne froid au dos. Peut-être, dans le...

M. Makela (Finn) : …l'époque des fake news. Dans le contexte de la pandémie, ça pourrait être justifié, mais le premier réflexe devrait être : on fait quelque chose de sérieux, là, et je pense que c'est important que les membres de la commission gardent ça dans leur tête lorsqu'on regarde les détails de comment est-ce qu'on peut porter atteinte le moins possible au droit en tenant pour acquis que c'est nécessaire de le faire.

Deuxièmement, les effets du projet de loi changeront le rapport de force dans tous les milieux, qui sont potentiellement affectés, et pas seulement aux milieux qui… auxquels ils sont effectivement appliqués. La majorité des négociations collectives, on vous a déjà parlé de cela en commission, se solde dans une entente, mais cela est en partie en raison du risque d'un conflit de travail. La Cour suprême l'a dit dans l'affaire Saskatchewan Federation of Labor, en citant le professeur Paul Wheeler, c'est la menace de la grève qui est aussi importante, sinon plus importante que le cas où le droit de grève est effectivement exercé.

• (14 h 10) •

Et, vous le savez probablement, les acteurs du milieu des relations industrielles sont en général très sophistiqués. Ils sont conseillés par des avocats, avocates, par des conseillers, conseillères en relations industrielles et chaque modification du code, ne serait-ce qu'une virgule, va être interprétée, va être instrumentalisée et va changer leur comportement. Et donc ces deux… les deux aspects majeurs du projet de loi, c'est-à-dire l'article quatre et l'article cinq, ont pour effet de réduire le risque potentiel qu'une grève soit efficace. Et, même si cette réduction du risque est petite, selon le secteur et l'historique de négociation, etc., elle aura un impact sur le comportement. Et, dans la très grande majorité des cas, cela ferait pencher l'équilibre de force en faveur de l'employeur.

Troisièmement, l'adjudication est un mode de régulation imparfait. L'idéal de la société libérale ou la société de droit en un est où on a une résolution pacifique de tout conflit par un décideur indépendant et neutre, mais, dans une économie de marché, il est impossible de faire disparaître les conflits parce que l'antagonisme entre employeurs et salariés est structurel. Et notre système de relations industrielles a toujours reconnu cela en laissant une large place aux conflits, qu'elle permet, soit par sa menace, soit par la réalisation, des solutions adaptées à des problèmes auxquels le droit ne peut pas répondre. Mais, lorsque le seul outil dont on dispose est un marteau, tous les problèmes ressemblent à des clous, et il est donc tentant pour les législateurs d'adopter de plus en plus de règles dans l'espoir de lisser les conflits et de faire disparaître les problèmes que ces conflits causent.

De plus, le litige est long et coûteux et entre-temps, les acteurs vivent dans l'incertitude et les rapports sont aussi chaotiques et imprévisibles qu'ils l'étaient avant l'adoption du nouveau régime qui visait justement à imposer l'ordre et la prévisibilité. S'agissant du projet de loi, que ce soit en matière de services assurant le bien-être de la population ou l'exercice du nouveau pouvoir ministériel, ce serait une victoire pyrrhique pour un syndicat d'avoir gain de cause devant les tribunaux. Trois, cinq, 10 ans après un conflit de travail.

Quatrièmement, et ça découle du troisième, l'arbitrage de différends n'est pas une panacée. Et je discute de ça à la page 11 de mon mémoire, où je décris les effets de refroidissement et l'effet narcotique, dont, je comprends certains de mes collègues vous ont entretenus. Et un exemple assez marquant est celui de Poste Canada. En 2011, il y avait une loi spéciale, la prochaine remonte en 2018, il y avait une loi spéciale, en 2024, le ministre fédéral a réutilisé le pouvoir qui lui est attribué par 107 du Code du travail. Et ça, c'est parce que l'arbitrage ne permet pas de résoudre des problèmes structuraux qui sont souvent ceux qui mènent à des griefs qui sont importants ou… de longue durée.

Et donc, lorsqu'il s'agit d'une question de la baisse du courrier par lettre, l'augmentation des colis, la concurrence des livreurs comme Amazon, il y a des solutions qui sont complètement différentes, qui débordent du cadre normal, entre guillemets, de la négociation collective, comme par exemple le syndicat qui propose l'ouverture d'une banque postale ou encore d'attribuer des vérifications de bien-être au récipiendaire du courrier. Et jamais un arbitre ne va trouver ni imposer ce type de solution là. L'arbitre va regarder le salaire, les avantages sociaux, faire des comparables, peut-être des horaires, des affaires autour de l'organisation du travail, mais la cause sous-jacente aux conflits de travail…

M. Makela (Finn) : ...va continuer à pourrir et resurgir. Et donc on trouve l'arbitrage, c'est une solution temporaire à un problème structurel. Pour toutes ces raisons, donc, l'importance de la liberté d'association, l'instrumentalisation des règles par les parties, l'imperfection de l'adjudication, notamment l'arbitrage de différends, le projet de loi n'est pas, à mon sens, souhaitable. Il introduit à la fois une politisation, une judiciarisation accrue des rapports collectifs du travail. Aussi imparfaite qu'elle soit, la meilleure mesure serait de laisser les parties trouver leurs propres solutions, lesquelles seront plus justes, plus efficaces et plus durables que l'intervention du pouvoir exécutif ou des tribunaux.

Cela me mène à une recommandation autre que je trouve que ce n'est probablement pas une bonne idée. Devant cette incertitude, devant le fait qu'il s'agit d'une toute nouvelle loi avec un nouveau régime qui est inconnu en droit canadien, je recommanderais à la commission de prévoir, dans la loi éventuellement adoptée, une entrée en vigueur qui serait subséquente à un renvoi à la Cour d'appel. C'est exactement ce qui est arrivé avec le Public Service Relation Act de l'Alberta qui a donné lieu à la décision-phare de la Cour suprême en 1987, qu'on appelle le renvoi albertain. La prolifération d'incertitudes et de litiges pourrait ainsi être évitée et canalisée vers un débat qui pourrait assurer le législateur que la loi est constitutionnelle, un geste que je pense pourrait être à la fois courageux et démontrer une certaine humilité. Merci.

Le Président (M. Allaire) : Merci. Merci beaucoup. On va débuter la période d'échange. M. le ministre, vous avez 16 min 30 s. La parole est à vous.

M. Boulet : Oui. Merci, M. Makela. Merci d'être là. Merci pour votre contribution, votre réflexion de haut niveau intellectuel. Je reconnais votre parcours. J'ai vu votre curriculum vitae, et on a parlé de l'estime que tous les formés en droit ont pour la Faculté de droit de l'Université de Sherbrooke, avec un corps professoral renouvelé. Donc, écoutez, vous avez quand même une recommandation. Je vous dirais que je suis d'accord à peu près avec tout ce que vous avez mentionné, sauf évidemment votre recommandation d'attendre un renvoi à la Cour d'appel. Puis je vais vous dire pourquoi, parce que, selon moi, la contestation qui permettrait de mettre de la chair autour de l'os, de bien justifier la valeur légale et constitutionnelle, plutôt, de ce projet de loi là, ce serait à l'éprouver dans un cas pratique. Parce que vous m'avez entendu souvent le mentionner, c'est pour répondre à des circonstances qui sont purement exceptionnelles. C'est deux mécanismes qui vont devoir être utilisés avec parcimonie. Et, pour justifier, ça prend parfois une durée de conflit, ça prend un contexte, ça prend des répercussions. Et ça, ça va être à le vivre, ce projet de loi là, plutôt que de demander un renvoi qui, à mon avis, serait purement académique et qui serait, à mon sens, plus risqué pour ceux qui initieraient la procédure judiciaire jusqu'à, évidemment, à la décision de la Cour d'appel du Québec, puis ça, c'est mon humble avis.

Là-dessus, j'aimerais ça vous entendre, vous êtes superarticulé là-dessus : Est-ce que vous pensez qu'une contestation judiciaire... Parce que vous parlez de probabilité d'inconstitutionnalité, on a parcouru Saskatchewan. Le droit de grève fait partie intégrante. La liberté d'association, donc, a maintenant une valeur constitutionnelle, ce que le lock-out n'a pas, du moins, pas à ce stade-ci, pour les raisons qu'on connaît. On est dans une dynamique de rapports collectifs de travail. Il y a un syndicat qui a un monopole de représentation d'une collectivité de travailleurs, puis je le comprends, en même temps... Bien, deux choses, après ça, je vais vous parler d'un autre élément. Mais rapidement, qu'est-ce que vous me diriez, est-ce que les possibilités de succès d'une contestation judiciaire sont plus élevées après l'adoption d'une loi ou après son application dans un cas? C'est intéressant, hein?

M. Makela (Finn) : Le grand juriste américain Oliver Wendell Holmes a dit que «la science du droit, c'est de prédire les décisions des tribunaux». Avec cette définition, je dois avouer que je ne suis pas un scientifique, c'est-à-dire que je ne pourrai pas le prédire. Je comprends...

M. Makela (Finn) : ...l'argument, puis il est tout à fait vrai que des bases factuelles précises peuvent alimenter la réflexion d'un tribunal. Mais vous avez vous-même dit à plusieurs reprises qu'il s'agit d'une question de cas par cas et que chaque cas est différent. Et donc, là, si on veut aller au principe, l'avantage du renvoi, c'est que ça va directement à la Cour d'appel et ensuite éventuellement à la Cour suprême du Canada, ce qui réduit les délais. Si on conteste initialement, on peut contester devant le Tribunal administratif du travail qui a une compétence pour déclarer inopérante une loi en raison de son inconstitutionnalité. Ensuite, il y a la révision interne au TAT. Ensuite, il y a la possibilité de révision judiciaire de la décision initiale et de la décision en révision. Ensuite, il y a tous les dédales procéduraux qui peuvent mener à des jugements interlocutoires pendant le procès. Ensuite, il y a l'appel à la Cour d'appel du Québec et éventuellement la Cour suprême. Le processus de renvoi permet de ne pas regarder un cas précis, mais dire : le régime avec les arguments que vous, vous avez présentés en commission parlementaire, est-ce qu'il passe le test?

• (14 h 20) •

M. Boulet : Mais c'est intéressant. Puis, je pense, c'est une discussion qui est opportune. En même temps, il faut aussi envisager, après l'application, dans un cas particulier, qu'il n'y ait pas de contestation. C'est aussi une hypothèse qui est pensable, Pr Makela. Si on prend l'exemple de Dr Royer, auquel il référait hier, des personnes qui sont des enfants handicapés ou qui ont le trouble du spectre de l'autisme, qui sont à risque, en fait, qui sont dans le chemin de la régression par un conflit de travail qui peut durer quelques semaines, ça, à mon avis, c'est un cas qui, soumis aux tribunaux, aurait moins de chance. Et c'est un cas qui, si un des mécanismes prévus à la loi, si elle est adaptée, aurait moins de chances d'être contesté par, par exemple, les syndicats. Ça fait que moi, c'est ma compréhension. Vous me suivez bien, je pense.

M. Makela (Finn) : Je suis bien. Connaissant les procureurs du mouvement syndical, je me permets d'avoir une interprétation différente de la possibilité d'un recours.

M. Boulet : Je comprends. Procureurs du mouvement syndical, moi, je suis entre les deux, mais il y en a d'autres procureurs du mouvement syndical aussi ici.

M. Makela (Finn) : Mais le cas spécifique du pouvoir du Tribunal administratif du travail de déterminer la nécessité d'un service minimum, je sais que vous êtes avare de recommandations, je pourrais en avoir. J'ai mûrement réfléchi à cette question parce que, vous savez, le dernier livre que j'ai écrit, c'était sur l'impact de la légalisation du cannabis sur le droit... sur les milieux de travail et je suis un croyant fervent dans la réduction des méfaits. Je pense qu'il s'agit d'une loi qui est problématique, et, je comprends, mes collègues ont eu une certaine réticence à cautionner en disant : Voici comment ça pourrait être meilleur. Et il y a toute la question de la légitimité d'un expert de venir dire qu'il n'est absolument pas un représentant de la population.

M. Boulet : Oui. Tant d'un côté que de l'autre, je suis assez d'accord avec vous, c'est ce qui rend ce que vous mentionniez difficile de prédire. Puis je le disais ce midi à des collègues que quand j'ai fait mon stage à la Cour d'appel à Montréal après mon Barreau, le juge Claude Vallerand à l'époque, qui est décédé maintenant, il m'avait dit : Tu vas apprendre ce qu'est le droit quand tu vas perdre une cause gagnée d'avance et quand tu vas en gagner une perdue d'avance. Et c'est quand même assez révélateur. On n'est pas là-dedans ici. Je pense qu'on est dans un contexte où il y aurait des arguments potentiellement valables de chaque côté, des arguments de justification d'une part et des arguments d'inconstitutionnalité d'autre part.

Je vous ramène à votre premier élément. Vous dites, puis on l'a constaté, en 2015, il y a eu un changement de paradigme avec la décision en Saskatchewan, ne serait-ce que d'intégrer le droit de grève à la liberté d'association qui est reconnue tant dans la Charte canadienne que la Charte québécoise. Ça a provoqué un changement technique légal. Mais quand on rajoute des événements comme le vieillissement de la population, la pénurie de main-d'œuvre qui en découle, la pandémie, là, actuellement, les combats tarifaires que nous devons mener, moi, ce que j'ai constaté...

M. Boulet : ...puis beaucoup de monde autour de moi l'ont constaté, c'est qu'il y a quand même eu une augmentation du nombre de conflits de travail. Vous connaissez les chiffres, il y en a eu 288 en 2024. Mais ce n'est pas tant le nombre parce que la vaste majorité des négociations aboutissent à une entente par les parties puis c'est ce que nous souhaitons. Mais dans les cas exceptionnels, il y a quand même des répercussions parfois qui font en sorte que la population est préjudicié de manière indue par un conflit. Parce que, vous le savez, le droit de grève, c'est un moyen de pression, comme le lock-out, une partie contre l'autre, mais il y a eu des impacts.

Puis vous le savez, je répète parce que je dois le faire, là, mais des enfants à besoins particuliers, des personnes à faible revenu, des familles endeuillées, des personnes, des parents, des familles, des personnes qui ont été privées de droits fondamentaux, puis c'est de l'exercice de droit leur permettant d'avoir une saine alimentation. Ça a provoqué, dans des cas, de l'anxiété, dans d'autres cas, de l'isolement, dans d'autres cas, de l'insécurité alimentaire, dans d'autres cas, des impacts qui se pérennisent avec le temps, particulièrement pour les enfants. C'est des réalités prises globalement qui nous préoccupent puis c'est là que la quête d'équilibre est importante. Puis je le dis tout le temps, le droit de grève n'est pas affecté, il y a un impact puis je ne suis pas capable de nier qu'il y a quand même un impact, mais la simple menace de l'exercice de la grève a aussi un impact, mais aussi ça permet une certaine audace législative. Je pense que, je le répète, on est, à cet égard là, des précurseurs. Il y a beaucoup de législations à l'extérieur qui nous observent. Moi, tous les ministres du Travail, pas qu'au Canada et ailleurs, cherchent des moyens, pas de copier 107 du Code canadien du travail, parce que j'espère que vous êtes un de ceux qui êtes d'accord que c'est un projet de loi qui donne de la civilité légale à l'article 107...

M. Makela (Finn) : Moins que vous avez avancé, je pense. Le parallèle est plus...

M. Boulet : O.K., un peu, un peu pareil, dites-moi.

M. Makela (Finn) : Écoutez, vous savez, j'ai attentivement écouté vos interventions sur le parallèle ou non entre 107 et le nouveau pouvoir ministériel. Et ce qu'il faut comprendre, à mon sens, c'est la différence... c'est vrai qu'il y a une limite sur la discrétion, on peut parler de quelle est la nature de la limite, mais vous avez dit...

M. Boulet : Je suis content de l'entendre...

M. Makela (Finn) : ...à plusieurs reprises, c'est que le fardeau était sur le ministre de démontrer, et ce n'est pas le cas. C'est à dire, le fardeau serait à quelqu'un qui veut contester la décision du ministre d'utiliser ce pouvoir-là, de démontrer qu'il n'y avait pas... Et lorsqu'on est en révision ou en contrôle judiciaire d'une décision qui est l'exercice d'une discrétion ministérielle, la norme de contrôle applicable, et est-ce que la décision rendue par le ministre est déraisonnable? Il est vrai que la cour doit tenir compte des... doit voir que le ministre a tenu compte des valeurs de la charte, mais la norme de contrôle est quand même celle de la décision déraisonnable. Et donc, qu'on ajoute ça à... je vous ai entendu parler du critère du préjudice irréparable qui serait une barre qui est très haute, à regarder l'histoire des injonctions accordées contre des grévistes, y compris en 2012 où ça se distribuait à peu près à quiconque en demandait, le niveau de préjudice irréparable n'est pas si élevé que ça. Et donc, lorsqu'on le jumelle a la très large latitude que les tribunaux donnent à l'exercice d'une discrétion ministérielle, je crois qu'il serait beaucoup plus sage de mettre des garde-fous plus importants que ceux qui sont actuellement dans la loi.

M. Boulet : Ça, c'est un discours que... puis je suis aussi d'accord avec vous. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles je dis que les critères sont quand même assez serrés. Puis il y a des professeurs de l'Université de Montréal qui nous disaient que la facture de notre projet de loi, le libellé et les critères utilisés avaient un niveau de proximité élevé avec les enseignements de la Cour suprême, puis que ce n'est pas si évident. Tu sais, puis je comprends que vous dites, c'est une discrétion qui est limitée, mais pas tant que ça, mais ça, on pourra en discuter longtemps.

Je veux... J'ai deux autres points à discuter avec vous. C'est superintéressant. Vous dites : C'est comme si on avait un projet de loi qui limitait, par exemple, un autre droit fondamental, comme la...

M. Boulet : ...la liberté d'expression. Mais il y en a des projets de loi puis il y en a des normes sociales qui limitent la liberté d'expression. On ne peut pas mépriser, on ne peut pas avoir des discours de haine ou du racisme ou... Bon, vous connaissez l'environnement législatif québécois, on a un peu cette même approche là. Ça peut être un droit constitutionnel, en fait, c'en est un, ça a été confirmé par la Cour suprême puis beaucoup par les tribunaux supérieurs un peu partout au Canada. Mais si, correctement justifié, il peut y avoir quand même... Et il faut que ce soit une entrave la moins substantielle possible ou plutôt une atteinte la plus minimale possible. Mais je voulais juste faire ce parallèle-là, et je voudrais vous entendre sur mon dernier point. Quand vous dites «l'arbitrage de différend», ce n'est pas une pure déférence à un arbitre, il y a quand même un écosystème de conciliation-médiation au Québec qui est sophistiqué, et je vous... Est-ce que vous m'avez entendu - ça va m'éviter de tout répéter - climat, amélioration, conciliation-médiation, de raffermir ça?

• (14 h 30) •

D'ailleurs, un groupe spécialisé est venu nous dire que c'était... on était vraiment performants - c'était le terme utilisé - et fonctionnels. Mais vous m'avez dit : On ne peut pas, devant un arbitre régler des problèmes structurants, et je suis d'accord avec vous aussi là-dessus. Mais, en amont, les conciliateurs-médiateurs peuvent s'intéresser à des problèmes structuraux, c'était plutôt des problèmes structuraux que vous disiez, pas que l'organisation du travail, mais ça peut être ça. Ça peut être l'intégration, l'impact des nouvelles technologies, l'impact de l'intelligence artificielle dans certains niveaux, quel est... comment on peut travailler de façon à respecter l'impact écologique aussi. Là, tu sais, ça, ça fait partie des problèmes structuraux qui peuvent être abordés, la multitude de griefs, le climat, sans que l'arbitre ait ça comme liste des éléments à considérer dans son processus de décision arbitrale. Ça peut quand même, en amont, être discuté. Vous êtes d'accord avec moi?

M. Makela (Finn) : Non seulement je suis d'accord avec vous sur l'importance de la conciliation, je crois qu'il y a des éléments, des modèles qui proviennent du Code canadien du travail qui auraient été plus adaptés pour résoudre le type de situation que vous nommez. Donc, je pense, par exemple, on a le conciliateur, dans le Code canadien, comme ici, mais on a aussi le commissaire conciliateur et ensuite la commission de conciliation qui, chaque fois, a des pouvoirs plus importants et plus contraignants, allant jusqu'au niveau des pouvoirs d'une commission d'enquête. Et ceux-là permettent au ministre de, justement, de donner plus de force aux pouvoirs de conciliation avant d'en arriver à la contrainte.

M. Boulet : Ça, professeur, ça m'intéresse énormément. Puis, tu sais, il y a l'article 13 de la Loi sur le ministère du Travail qui permet de nommer un médiateur spécial. On se comprend bien.

Le Président (M. Allaire) : Merci beaucoup. Ça termine ce bloc d'échange. On poursuit avec la partie de l'opposition de l'opposition officielle. Mme la députée de Bourassa-Sauvé, la parole est à vous.

Mme Cadet : Merci, M. le Président. Bonjour, Pr Makela. Merci d'être avec nous. Je vais commencer. Vous m'avez... Je pense que vous l'avez mentionné, vous avez suivi les interventions des derniers jours, donc, vous avez entendu, donc, mes questions sur les travaux du Comité de la liberté syndicale de l'Organisation internationale du travail. Donc, j'aimerais vous entendre sur le concept de services minimaux, là, les services minimalement requis en droit international de façon générale.

M. Makela (Finn) : Mon expertise et en droit interne québécois canadien. Je suis, disons, de loin, les travaux de l'OIT. De ce que je comprends, la notion de... Dans la mesure où la commission... le Comité de liberté syndicale a avalisé l'imposition d'un service minimum, c'était dans le cas de crise aiguë ou nationale où là il y aurait eu comme une interruption importante dans les conditions normales de vie. Ce que je ne crois pas est vraiment la situation qui est prévue dans les nouvelles dispositions qui sont prévues à l'article 4. C'est à peu près la seule chose que je pourrais vous dire là-dessus.

Mme Cadet : Merci beaucoup. Ensuite, toujours, donc, je vais demeurer sur l'article 4, donc, qui prévoit ce processus, ce mécanisme permettant aux parties de négocier ou à défaut de se voir imposer des services minimalement requis. Il y a... Bien, vous voyez, donc, dans la procédure, parce que vous avez parlé un peu, donc, de pouvoir...


 
 

14 h 30 (version non révisée)

Mme Cadet : ...de pouvoirs discrétionnaires, donc, dans la procédure, donc, il y a donc ce pouvoir discrétionnaire qui est octroyé au gouvernement, donc, d'émettre un décret avant que les parties puissent même donc se présenter devant le Tribunal administratif du travail et voir si elles seraient assujetties l'une et l'autre, donc, à des services minimaux à offrir à la population. D'un côté, donc, il y a intervention d'un tiers, donc en l'occurrence le gouvernement, donc certainement, donc, il y a interférence dans la libre négociation des parties, mais de l'autre côté c'est sûr qu'avec ce guichet modérateur, là, entre guillemets, bien, ça permet aussi donc d'éviter une surutilisation de cet outil-là par les parties, et nommément l'employeur, devant les tribunaux, qui pourraient dire : Bien, moi, je me sens interpellé, j'ai envie d'y aller, ce qui créerait donc un goulot d'étranglement au TAQ, là — les intervenants précédents, le CRHA, ont mentionné donc cet aspect-là dans leur présentation et leur mémoire — mais surtout il pourrait y avoir un suremploi, là, de la mesure s'il n'y avait pas cette utilisation du décret.

Donc, dans la perspective où on parle d'atteinte minimale, là, puis j'ai bien entendu vos propos sur la non-atteinte d'abord et avant tout, mais ensuite, donc, si le législateur fait le choix, là, d'émettre cette atteinte-là, comment cette atteinte peut être la plus minimale possible pour qu'elle soit constitutionnelle? Comment vous percevez l'emploi ou non de ce décret?

M. Makela (Finn) : Bien, je comprends que la... c'est presque rendu nécessaire par l'ajout d'un régime parallèle de service quasi essentiel, parce que sinon, si... on aurait des parties employeur, patronales qui se présentent dans un premier temps en se disant : C'est essentiel, dans un deuxième temps : Ah! on a perdu, comme d'ailleurs dans le cimetière il y a une décision importante, et ensuite dire : O.K. Bien, je vais essayer une deuxième fois en disant que je vais passer la barre plus basse du nouveau régime. Ça m'embête un petit peu quand même lorsqu'il s'agit du secteur parapublic, où l'emploi... où l'État est, à quelque part, directement ou indirectement l'employeur, où là il y a une question de pouvoir instrumentalisé pour des fins de négociation plutôt que la protection de la population. Mais, s'il y avait une amélioration, je pense que ça serait de restreindre les cas auxquels ça pourrait s'appliquer. Le ministre a souvent parlé des personnes en situation de vulnérabilité...

Mme Cadet : Vulnérabilité, oui.

M. Makela (Finn) : ...mais c'est une vieille passe-passe d'avocat, c'est... La disposition dit cela, et ensuite ça dit «notamment les personnes en vulnérabilité». Mais «notamment», ça veut dire : tout le reste est ouvert aussi. C'est-à-dire, si l'objectif réel, c'est de chercher à réduire les effets sur les personnes vulnérables, et donc de porter... d'aller avec le scalpel plutôt qu'avec la scie à chaîne, bien, ça s'appliquerait uniquement aux populations en situation de vulnérabilité, et pas notamment aux...

Il y a un deuxième problème avec la rédaction de la disposition, et c'est cette notion d'une «atteinte disproportionnée». La proportion, ça veut dire nécessairement comparer quelque chose. Pour moi, je le dis dans le mémoire, soit la grève compromet les droits d'autrui, soit elle ne les compromet pas. Mais on ne devrait jamais demander à un tribunal administratif de peser l'importance des enjeux d'une négociation quelconque avec les effets de la grève. Donc, ça aussi, c'est quelque chose qui est vraiment à parfaire. Il y a des notions qui sont plus contraignantes, par exemple «compromettre sérieusement ou de façon irréparable la sécurité économique ou sociale». Encore là, les notions de «sécurité économique et sociale» sont complètement inconnues en droit québécois. Donc, c'est impossible de le rendre parfaitement lisible et prévisible dans ses effets.

Mme Cadet : Parfait. Ça fait que, si je vous entends bien, donc, pour résumer, au niveau du mécanisme, donc, vous considérez donc que l'émission d'un décret constituerait donc une atteinte moindre que le fait de ne pas avoir cette intervention d'un tiers là, mais, au niveau du texte et du contenu, vous chercheriez donc à avoir, donc, des balises plus restrictives, là, quant à la définition des services minimalement requis qui est indiquée à l'article 4 du projet de loi?

M. Makela (Finn) : Et une balise plus claire sur qu'est-ce qui permet l'intervention.

Mme Cadet : D'accord. O.K. Ensuite, vous l'avez dit tantôt, vous avez donc parlé du fait que l'arbitre, habituellement, ne doit pas se substituer aux parties, alors que s'il fallait qu'un conflit, donc, se rende donc jusqu'à l'arbitrage de façon obligatoire d'un arbitre, donc essentiellement donc trancher la poire en deux, donc, il n'y aurait pas nécessairement d'avancée sociale qui serait faite. On a entendu des précédents intervenants nous dire qu'habituellement, à ce stade-ci, lorsqu'un conflit perdure...

Mme Cadet : …c'est rarement sur les questions salariales, c'est sur des questions qui sont... qui sont autres. Sachant que, bon, c'est un… pour l'ensemble… pour les deux parties, là, dans un litige, c'est un peu la pire des solutions, donc le… le pire des… la pire des négociations, la pire des ententes est bien meilleure qu'une entente qui est imposée. Quel est l'effet refroidissant de la mesure d'arbitrage afin d'amener les parties à elles-mêmes s'entendre? Parce que vous avez parlé d'effet refroidissant, mais vous n'avez pas élaboré là-dessus. Je pense que c'est ce que vous… Je veux vous entendre.

M. Makela (Finn) : L'effet refroidissant, c'est lorsque les parties savent que l'arbitrage s'en vient, ils peuvent se camper dans leur position, disant… se disant : Bien, chaque pouce que je donne, ça met ma position initiale devant l'arbitre moins forte. Je pense que l'arbitre va couper la poire en deux, donc je vais rester campé sur ma position. Si l'autre partie fait ça aussi, ça mène nécessairement au résultat que les parties ne voulaient pas, c'est-à-dire l'arbitrage.

• (14 h 40) •

S'agissant du pouvoir ministériel où c'est… où la menace d'arbitrage est moins intéressante, c'est que le… ce n'est pas clair, dans le projet de loi, qu'une fois que le ministre décide qu'il y a lieu d'intervenir, que les parties… que l'épée de Damoclès va perdurer un certain temps. Si on regarde par exemple, 93.4 du Code du travail, qui est l'arbitrage de première convention collective, ce qui arrive, c'est que le ministre défère un arbitre qui doit, dans un premier temps, essayer d'amener les parties à s'entendre et ensuite, lorsqu'il constate qu'elles ne vont pas s'entendre, décide qu'il va arbitrer. Et c'est à ce moment-là, et pas au moment du renvoi ministériel, que le droit de grève est perdu.

Et, lorsqu'on a un médiateur arbitre comme cela, il a des pouvoirs de persuasion plus importants que le conciliateur, parce qu'il peut laisser croire aux parties, il peut dire : Écoutez, là, vous êtes mieux de vous entendre parce que j'entends ce que l'autre dit, puis je vais avoir à rendre une sentence. Et ce qu'il dit, ça fait bien du sens. Bien, lorsque la personne qui va rendre la décision est aussi la personne qui vous… essayer d'amener, bien, on est plus à même de s'entendre. Cela serait moins attentatoire que c'est le ministre qui tire sur la plogue de la guillotine, puis c'est… plus de droit de grève.

Mme Cadet : …dit, donc, moins attentatoire avec un processus de médiation, arbitrage, mais surtout l'effet d'épée de Damoclès, c'est parce que… c'est ce qui est recherché, certainement, ici, avec l'article cinq, c'est de dire : Entendez-vous, là, parce que ça se peut que… qu'il y ait un renvoie à l'arbitrage. Vous dites, donc, d'avoir ce mécanisme-là, donc, pourrait permettre de… aux parties de vouloir s'entendre au plus vite, plutôt que l'arbitre puisse rendre une décision, c'est vraiment avec la médiation arbitrage que ça… selon vous.

Le Président (M. Allaire) : Une minute.

M. Makela (Finn) : C'est cela, oui.

Mme Cadet : Ensuite, vous avez aussi dit, tantôt : En fait, il faudrait des garde-fous beaucoup plus importants que ceux qui sont dans le projet de loi. On parlait ici de l'article cinq, toujours, auquel vous faisiez référence. Est-ce que c'était la médiation arbitrage ou est-ce qu'il y en a d'autres?

M. Makela (Finn) : Bien, cela en est un, c'est-à-dire de retirer le pouvoir du ministre de mettre fin au bureau de grève, puis le mettre dans les mains de l'arbitre qui doit s'assurer, dans un premier temps, qu'une entente n'est pas nécessaire. Éventuellement, ce serait plus intéressant aussi qu'il y ait un contrôle exempté ou en amont sur la décision ministérielle, parce qu'une fois que la décision est rendue, comme je vous ai expliqué, en raison des normes de contrôle, c'est extrêmement difficilement attaquable et ça fait en sorte qu'on peut gagner sur le fond dans cinq ans, mais entre-temps le droit de grève a été perdu.

Mme Cadet : La norme de contrôle serait différente quant à la décision de l'arbitre, du médiateur arbitre.

Le Président (M. Allaire) : 30 secondes.

M. Makela (Finn) : C'est-à-dire que c'est différent que lorsqu'on attaque la constitutionnalité de la loi, ce n'est pas juste la…

Mme Cadet : …merci beaucoup.

Le Président (M. Allaire) : Merci. Merci. On… merci, on enchaîne avec le député d'Hochelaga-Maisonneuve, 3 min 28 s.

M. Leduc : Merci, M. le Président. Bonjour

M. Makela (Finn) : Bonjour.

M. Leduc : Content de vous voir ici. J'aimerais qu'on revienne sur votre suggestion de différer l'application du projet de loi. J'ai peut-être mal compris, au début, dans votre présentation. C'était à partir de quand, vous, vous proposez, de l'application du projet de loi… postdécision de la Cour suprême sur 107. Est-ce que j'ai bien compris?

M. Makela (Finn) : Post… postdécision d'une décision de la Cour d'appel, parce que c'est la seule chose que le législateur peut. Le renvoi à la Cour d'appel est prévu dans la loi sur le renvoi à la cour d'appel, etc. Si les parties décident d'en appeler plus tard à la Cour suprême du Canada, ça échappe au pouvoir législatif ici, là. Donc, l'idée, c'était que la date d'entrée en vigueur soit rédigée, de sorte que c'est suite au jugement de la Cour d'appel, après un renvoi.

M. Leduc : Le renvoi de la loi.

M. Makela (Finn) : Le renvoi du projet de loi.

M. Leduc : Donc, on voterait le projet de loi, on l'enverrait à la Cour d'appel pour révision…

M. Makela (Finn) : Pour avis.

M. Leduc : Pour avis, bien sûr, Puis après ça, on dirait, à même le projet de loi, on l'applique si la Cour d'appel dit : En effet, c'est conforme…

M. Leduc : ...aux chartes québécoises des droits et libertés, par exemple, et au droit d'association qui en découle avec le droit de grève également.

M. Makela (Finn) : Ce qui est tout à fait conforme à ce que le professeur Haag a dit à plusieurs reprises, avalisées par les tribunaux, c'est qu'il devrait y avoir un dialogue entre la législature et les tribunaux.

M. Leduc : Est-ce que c'est un exercice qui a déjà été utilisé dans la législature québécoise? Je ne suis pas familier avec cette procédure-là.

M. Makela (Finn) : Récemment, oui. Lorsqu'il venait la question de savoir la constitutionnalité de la compétence monétaire de la Cour du Québec, et là c'était un cas où le litige allait être problématique parce que, entre autres, les juges de la Cour supérieure allaient être parties au litige, le gouvernement a sagement décidé : Ces litiges-là risquent d'être très, très problématiques, au lieu d'avoir des litiges, on va carrément demander à la Cour d'appel quelle est la constitutionnalité de la disposition.

M. Leduc : O.K. On parle de quelle année, à peu près?

M. Makela (Finn) : Ça, c'est les années 2019, 2020, c'est tout récent.

M. Leduc : Ah oui, mon doux, O.K. J'ai manqué ce bout-là. J'ai manqué une bonne game, comme on dit. Donc, renvoi à la cour d'appel, O.K., intéressant. Ça va peut-être donner des idées à... M. le ministre cherchait des amendements, là, pour bonifier son projet de loi comme il le souhaite tout le temps. Je vais regarder ça peut être avec vous sur comment on pourrait rédiger un bel amendement quand on sera rendu à l'étude détaillée.

Sur l'économie générale du projet de loi, je vois que vous avez, à plusieurs moments, dit : Je vous recommande de retirer ce projet de loi là ou de voter contre cet article-là, mais est-ce que je comprends qu'il y a certains articles du projet de loi avec lesquels vous êtes à l'aise?

M. Makela (Finn) : Bien, c'est-à-dire que c'est les articles 4 et 5 qui sont pour moi les plus problématiques et l'introduction du nouveau régime de grève contrôlée pour les services essentiels qui ne le sont pas et le nouveau pouvoir ministériel. Je n'ai pas une opinion sur les autres dispositions...

M. Leduc : Sur les autres aspects. O.K., je comprends.

M. Makela (Finn) : ...favorable ou défavorable.

M. Leduc : Ça fait que si le ministre dit : Le juriste Makela est d'accord avec le reste du projet de loi, il aura peut-être un peu étiré la sauce par rapport à votre... C'est précisé, merci.

M. Makela (Finn) : La bonne foi se présume.

M. Leduc : Combien de temps, M. le Président?

Le Président (M. Allaire) : 30 secondes.

M. Leduc : 30 secondes. Bien, écoutez, peut-être avez-vous un élément que vous voulez rajouter sur votre mémoire qu'on n'a pas abordé rapidement?

M. Makela (Finn) : Non, c'est bon. Merci.

M. Leduc : Merci beaucoup.

Le Président (M. Allaire) : Merci, M. le député d'Hochelaga-Maisonneuve. M. le député de Jean-Talon, 2 min 38 s.

M. Paradis : J'ai lu avec attention votre mémoire et je vous ai écouté. Le ministre a l'air de penser beaucoup de bien de vos observations, et pourtant vous êtes très sévère sur son projet de loi, parce que les deux mécanismes importants, vous dites qu'ils sont mal avisés et probablement inconstitutionnels...

M. Makela (Finn) : Potentiellement.

M. Paradis : Potentiellement inconstitutionnels. Sur la suppression du droit de grève, vous dites : Bien, là, ça, c'est à la discrétion d'un ministre. La discrétion d'un ministre ne se contrôle que si elle est déraisonnable. Et donc de laisser un ministre décider dans son opinion individuelle et personnelle de suspendre le droit de grève, c'est dangereux. Puis là vous nous dites : C'est comme si on décidait de faire ça dans un projet de loi pour la liberté de religion ou la liberté d'expression. Donc, vous nous alertez là-dessus, très important de le retenir.

Le deuxième élément, c'est celui de la grève contrôlée, c'est-à-dire le système des services nécessaires pour le bien-être de la population. Là aussi, vous êtes très critique et vous nous rappelez qu'il s'agit d'une grève contrôlée que le ministre veut établir. Et le caillou, parce que... ou le clou sur lequel il veut taper, c'est celui de l'arrêt Saskatchewan. Parce que la Cour suprême a dit : Maintenant, le droit de grève fait partie de la liberté d'association. Mais vous nous rappelez, dans votre mémoire, que les gouvernements visés, dont celui de la Saskatchewan, ont répondu différemment que le gouvernement du Québec, ont adopté un régime qui va beaucoup moins loin que celui du gouvernement. Voulez-vous nous parler de ça un petit peu? C'était la page 8 de votre mémoire.

M. Makela (Finn) : Oui, c'est ce que j'appelle des régimes hybrides. Et, en fait, ça existe en droit fédéral. C'est la solution qui a été retenue par la législature de Saskatchewan et c'est peut-être ce qui est maintenant constitutionnellement obligatoire en matière de services essentiels, si on en croit la décision toute récente de la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick. C'est à dire lorsque le niveau de service essentiel, ou, dans ce cas-ci, quasi essentiel, fait en sorte que le niveau de... l'efficacité de la grève est réduite à peau de chagrin pour que... en fait, ça ne devient plus effectif, le syndicat a alors le loisir... il est possible pour le syndicat de forcer l'arbitrage. Et ça, ça redonne du contrôle aux travailleurs et travailleuses et le contrôle, la participation à la l'élaboration de ses propres conditions de travail, c'est la raison sous-jacente à pourquoi on a reconnu que l'exercice du droit de grève est une composante essentielle de la liberté d'association. Donc, ces remarques portent aussi en fait sur le régime actuel des services essentiels au Québec.

Le Président (M. Allaire) : Merci. Merci beaucoup, M. le député de Jean-Talon. Alors, ça met fin à l'ensemble des blocs d'échange. Me Makela, merci beaucoup d'avoir fait bénéficier votre expertise à l'ensemble des membres de cette commission...

Le Président (M. Allaire) : ...je pense que tout le monde a apprécié.

Alors, nous allons suspendre les travaux quelques instants. Merci. 

(Suspension de la séance à 14 h 48)

(Reprise à 14 h 53)

Le Président (M. Allaire) : On reprend les travaux. Nous accueillons maintenant un nouveau groupe, la Fédération autonome de l'enseignement. Salut à vous quatre. Je vais vous laisser...

Le Président (M. Allaire) : ...le soin de vous présenter avec votre titre complet, si vous me le permettez. Et je vous cède déjà la parole pour, ensuite, votre 10 minutes pour votre exposé, va s'ensuivre une période d'échange. Alors, la parole est à vous.

Mme Hubert (Mélanie) : Merci, M. le Président. M. le ministre, Mmes et MM. les parlementaires, merci de nous recevoir. Je suis Mélanie Hubert, présidente de la Fédération autonome de l'enseignement. La FAE regroupe neuf syndicats qui représentent près de 60 000 enseignantes et enseignants du préscolaire, du primaire, du secondaire, de l'éducation des adultes et de la formation professionnelle. Nous sommes présents dans sept régions du Québec dans lesquelles se trouvent les plus grands pôles urbains. Et je suis accompagnée aujourd'hui de M. Daniel Gauthier, vice-président à la négociation nationale, et de mesdames Marika Tremblay et Marie-Andrée Bénard, qui sont conseillères aux relations du travail.

Déjà, la loi, par son nom, peut sembler bienveillante ou équilibrée, comme on nous l'a dit, mais, pour nous, il n'en est rien, au contraire, le projet de loi est, pour nous, inacceptable, inutile, voire illégal. D'abord, le projet de loi porterait atteinte au droit d'association puisqu'il restreindrait le droit de grève des travailleuses et travailleurs. Si les mécanismes prévus au projet de loi venaient s'appliquer au personnel enseignant, ce qui est l'intention avouée, bien, le personnel ne pourrait plus exercer la même influence sur la négociation de ses conditions de travail. Et, de plus, le gouvernement se soulagerait de la seule véritable pression qu'il subit en période de négociation, c'est-à-dire la pression populaire et politique.

Ensuite, la FAE craint que le projet de loi ait un impact négatif sur les conditions d'apprentissage des élèves, parce qu'on le sait, elles sont intimement liées aux conditions de travail du personnel enseignant. En 2023, les enseignantes et enseignants de la FAE ont bravé le froid et renoncé à leur salaire pour faire entendre au gouvernement l'urgence d'agir en éducation. Cette grève n'a pas été qu'une lutte syndicale, elle a été une lutte sociale. Les profs de la FAE se sont battus pour le bien commun. Pour nous, le bien-être de la population, ça passe par une amélioration des conditions d'apprentissage des élèves toute l'année durant, pendant tout leur parcours scolaire.

Au cours des dernières décennies, s'il y a eu des bris de service dans les écoles publiques, c'est en raison du sous-financement et des réformes mal ficelées. On va se le dire, l'employeur ne veut pas créer d'obligation. Notre contrat de travail est l'un des seuls remparts pour garantir un minimum de services aux élèves. Par exemple, les ratios maîtres-élèves sont protégés par la convention, comme les protocoles d'accueil pour les services qui sont offerts aux élèves issus de l'immigration. On invite aussi les parlementaires à réfléchir au contexte qui a mené ultimement à cette grève générale illimitée. Rappelons que la dernière négo a duré 427 jours, mais ce n'est que lors des dernières journées que le gouvernement a négocié un peu plus intensément, alors que les profs étaient déjà en grève.

Pendant près d'un an de pourparlers, les représentants patronaux peinaient à obtenir des mandats. Ils n'étaient disponibles qu'une journée par semaine. Après presque un an et une médiation, ils ont finalement déposé cinq priorités, dont l'une d'entre elles n'avait jamais été discutée à notre table de négociation. Il est là, le vrai problème. Bref, ce projet de loi attaque les droits des profs, majoritairement des femmes, à exercer un des seuls moyens dont elles disposent pour tenter d'améliorer leur sort, celui de leurs élèves et celui de l'école publique.

Je cède la parole à M. Gauthier qui va vous expliquer un peu plus le contenu du mémoire, et on attire votre attention qu'on ne se prononcera pas sur l'aspect du projet de loi qui vise à donner un pouvoir spécial au ministre de nommer un arbitre de différend.

M. Gauthier (Daniel) : Merci, Mme Hubert. Le ministre présente le projet de loi comme une approche équilibrée, c'est en réalité le contraire. Tout d'abord, il convient de rappeler que le droit de grève en enseignement est déjà limité. En effet, les grèves ne sont possibles que sur certaines conditions de travail définies comme nationales dans les lois qui s'appliquent, par exemple le salaire, la tâche, les dispositions relatives aux élèves handicapés et en difficulté d'adaptation et d'apprentissage. Pour de nombreuses autres conditions de travail, la grève n'est tout simplement pas permise, laissant les enseignantes et enseignants avec très peu d'influence sur cette dernière. C'est ce que prévoit le régime de négociation des conventions collectives dans le régime du secteur public et parapublic que la présidente du Conseil du trésor entend modifier et que nous décrivons en détail dans notre mémoire. La FAE se serait attendue à connaître leur teneur de ces modifications pour évaluer globalement leurs impacts sur le droit de ses membres. Malheureusement, compte tenu que la séquence des travaux législatifs déterminés par le gouvernement, notre mémoire ne tient compte que du régime existant.

Vous nous direz que d'autres moyens de pression que la grève peuvent être exercés. En effet, à chaque négociation, les enseignantes et enseignants déterminent un plan d'action qui se déploie en fonction du déroulement des pourparlers. Il faut toutefois savoir que, dans le secteur de l'éducation, les moyens de pression sont limités. Le Tribunal administratif du travail peut ordonner à un syndicat de cesser tout moyen de pression...

M. Gauthier (Daniel) : …qui porte préjudice ou est vraisemblablement susceptible de porter préjudice à un service auquel le public a droit. Par exemple, dans le passé, le tribunal a conclu que des moyens de pression tels que la prolongation de la récréation, la perturbation de la remise du premier bulletin et les congés de devoirs portent atteinte ou sont vraisemblablement susceptibles de porter atteinte au service auquel le public a droit. Ainsi, la grève constitue le seul moyen de pression ultime qui peuvent… que peuvent exercer les enseignantes et enseignants sur certaines conditions de travail afin de maintenir un rapport de force dans leurs négociations.

Voici ce qui cloche avec ce mécanisme que le gouvernement voudrait faire appliquer au secteur de l'éducation. Premièrement, comme plusieurs intervenants l'ont fait, il faut rappeler que la liberté d'association est protégée par les chartes. Le droit de grève est une de ses composantes indissociables. Ce projet de loi vise à restreindre l'exercice du droit de grève dans des circonstances autres que celles liées aux services essentiels déjà prévues au Code du travail. Que l'on soit clair, s'il était adopté tel quel, ce projet de loi porterait atteinte à la liberté d'association de façon tout à fait injustifiée.

• (15 heures) •

Deuxièmement, la définition des services assurant le bien-être de la population, telle que prévue à l'article 4 du projet de loi, est trop large, vague et floue. Cette définition permettrait au gouvernement de prendre des décrets au gré des pressions politiques qu'il subit de la part d'employeurs importants ou encore de l'opinion publique. De plus, quels sont les critères qui permettront au tribunal d'établir qu'il y a une disproportion ou pas? Il y a là un terreau fertile à des débats houleux devant les tribunaux et à un étirement du temps dans le temps des conflits de travail.

Bien que le gouvernement affirme que ce pouvoir serait utilisé avec parcimonie, un tel pouvoir, ainsi inclus dans la loi, s'avérerait permanent, à moins d'être invalidé par un tribunal, et nous ne pouvons pas présumer de son utilisation future.

Troisièmement, le mécanisme proposé est, à peu de choses près, celui qui s'applique aux services essentiels, mais avec une définition beaucoup plus large. L'intention du gouvernement est de faire de l'éducation un service essentiel. La FAE le dénonce fortement. Ce projet de loi nous apparaît contraire aux enseignements de la Cour suprême du Canada en matière de la liberté d'association. À cet effet, la Cour suprême du Canada nous enseigne que le simple inconvénient subi par les membres du public ne constitue pas un motif du ressort des services essentiels justifiant l'abrogation du droit de grève. Le Comité de la liberté syndicale de l'Organisation internationale du travail a également repéré que le secteur de l'éducation ne saurait être considéré comme un service essentiel. Un service éducatif ne peut être comparé à une intervention médicale à donner à un patient dans un état critique dont la vie est en jeu. On ne trouve pas là la même justification à une violation d'une liberté fondamentale.

En adoptant cette position, la FAE ne nie pas que les conséquences à court terme que peuvent avoir une grève sur certains élèves dans les derniers jours. On a beaucoup entendu parler d'élèves lourdement handicapés, que nous, enseignants et enseignantes, accompagnons au quotidien dans des conditions plus que difficiles. En effet, ce que constatent au quotidien les enseignantes et enseignants, c'est que ce sont les coupures en éducation et le démantèlement des services publics qui mettent en péril les services offerts à ces populations.

Dans ce contexte, pour nous, prendre soin des élèves, c'est aussi revendiquer pour eux des meilleures conditions d'apprentissage. Si on affirme que le projet de loi est utile… inutile, c'est notamment parce que le Code du travail offre déjà des outils. Par exemple, l'article 109.1 permet de déroger au principe général qui veut qu'un employeur ne peut pas, pendant une grève, utiliser les services d'un salarié. Plus précisément, il prévoit que les parties pourraient convenir de certaines… certains services qui sont maintenus. Or, jamais un centre de services où la partie patronale ne nous a soumis une telle demande, nous l'aurions considérée.

En conclusion, pour ma part, si on affaiblit la capacité des enseignantes à exercer des moyens de pression qu'est la grève ces élèves ne pourront plus bénéficier des impacts positifs à moyen et à long terme qu'elle génère. C'est un des grands angles morts de ce projet de loi, M. le ministre. La négociation a des impacts positifs. La négation des impacts positifs des grèves à plus long terme pour le service aux élèves.

Mme Hubert (Mélanie) : Et ce projet de loi là n'améliorera pas le contexte de désertion professionnelle et de pénurie de personnel qualifié dans lequel nous sommes, et, au pire, il va contribuer à la dégradation des conditions d'exercice. En plus, le gouvernement s'assurerait de museler une grande majorité des femmes à son emploi.

Le premier ministre Maurice Duplessis aurait dit à Laure Gaudreault, une institutrice rurale syndicaliste : Je ne négocie pas avec des vieilles filles. Cette attitude de mépris, M. le Président, les enseignantes la subissent depuis qu'elles ont commencé à enseigner dans les écoles de rang. Ça ne les a pas empêchées, depuis près de 100 ans, de se battre pour améliorer leur sort et celui de leurs élèves. La FAE s'opposera donc à ce que le gouvernement affaiblisse le rapport de force. On demande le retrait de l'article 4 du projet de loi...


 
 

15 h (version non révisée)

Mme Hubert (Mélanie) : …et les modifications qui s'y rattachent. Et, avant de prendre des décisions, on invite le gouvernement à tenir une large consultation portant sur tous les éléments de la négociation, incluant le régime de négociation dans le secteur public. C'est l'avenir des services publics au Québec qui est en jeu. Merci.

Le Président (M. Allaire) : Merci. Merci, Mme Hubert. On va débuter la période d'échange avec la partie gouvernementale. M. le ministre, vous avez 16 minutes, 30 secondes.

M. Boulet : Oui, merci, Mme Hubert, M. Gauthier, Mme Tremblay, Mme Bénard, pour votre présence, pour votre engagement, pour votre contribution. Je veux d'emblée, Mme Hubert, on se connaît quand même un peu, depuis un certain temps, vous savez qu'il n'y a aucune volonté de mépriser quelque personne que ce soit, quelque groupe que ce soit dans la population au Québec, de ma part et de la part des personnes qui travaillent avec moi, qui ont contribué à l'élaboration du projet de loi. Ce n'est pas contre les femmes, ce n'est pas contre les hommes, ce n'est pas non plus contre les syndicats, ni les travailleurs, travailleuses, ni les employeurs. Parce qu'il y a quand même aussi dans votre cas un employeur. Donc, c'est beaucoup plus parce qu'on est à la quête d'un meilleur équilibre.

Puis ce n'est pas pour affecter le rapport de force. Je suis totalement d'accord avec M. Gauthier que la négociation est la voie à emprunter, la négociation surtout raisonnée, une négociation basée sur des intérêts, non des émotions, non des personnes. C'est ça qui donne les meilleurs résultats. Puis je ne suis pas un de ceux qui prétendt que la présence d'un syndicat n'a pas un effet positif sur les conditions de travail. D'ailleurs, je disais, en balado avec le président de la CSQ il y a quelques semaines, que, là où il y a un syndicat, l'écart en termes d'équité salariale est moins grand qu'en contexte non syndiqué. Puis ça, je le reconnais, la valeur ajoutée de la présence syndicale dans un environnement de travail pour le bénéfice de toutes les personnes, les personnes aussi qui sont en situation de handicap, qui vivent avec des troubles particuliers.

Et je sais, Mme Hubert, je vous l'ai dit avant qu'on commence, on n'a que des intérêts communs. Puis c'est véritablement à connotation humaine. Je vais évacuer rapidement l'article 5, parce que vous ne vous prononcez pas sur le mécanisme d'arbitrage, parce qu'il ne s'applique pas à vous. Donc, ça étant évacué, donc notre discussion, c'est : Est-ce qu'on se doit de maintenir certains services dans des secteurs où il n'y a pas application d'un régime de service essentiel? Et c'est le cas dans l'éducation, c'est pour ça que le secteur de l'éducation est concerné ici aussi.

Vous le savez, en santé, en services sociaux, dans certains services publics puis dans la fonction publique, il y en a, des services publics qui n'abrogent pas le droit de grève, qui n'empêchent pas l'exercice du droit de grève, mais il y a des secteurs, comme en éducation puis dans plein d'autres secteurs d'activité, où il n'y a aucun maintien de services pendant l'exercice d'un droit de grève ou l'exercice d'un droit de lock-out. Donc, c'est beaucoup plus dans ce contexte-là, et ce n'est pas pour s'attaquer aux droits des professeurs, comme vous le mentionnez, à l'égard desquels j'ai le plus grand respect. Je suis ce que je suis devenu, comme tous ceux et celles qui sont dans la salle, grâce à des professeurs, pour lesquels on a une estime considérable. Moi, j'ai… bien, c'est ça, sans aller plus loin là-dessus. Donc, on n'a pas une volonté d'affecter les intérêts de personnes pour… à l'égard desquelles on a énormément d'estime.

Le… M. Gauthier, je vais avoir certains commentaires. Là, quand vous dites : Il y a déjà un article dans le Code du travail qui permet, bon, de saisir le TAT pour imposer de cesser des moyens de pression s'il n'y a pas de services qui causent des préjudices. Je suis d'accord avec vous, mais vous savez que c'est pendant la durée de la convention, généralement, ce n'est pas dans le contexte d'un arrêt de travail légal. Ce n'est pas un article qui s'applique. Donc, on a besoin de trouver une façon moderne de s'intéresser à des cas, par ailleurs, exceptionnels, qu'il y ait un certain niveau de service qui soit maintenu. Puis vous ne m'aimerez pas, mais on ne peut pas ne pas respecter la réputation du Dr Royer quand il nous parle de…

M. Boulet : …d'enfants handicapés susceptibles de régresser au niveau des apprentissages, des comportements, parce qu'il y a une interruption des services éducatifs pendant un certain temps. Il y en a à peu près 54 000, élèves handicapés. C'est notamment une situation qui permettrait l'application de l'article 4, qui est un maintien de services pour assurer… pour lutter contre la régression comportementale et au niveau des apprentissages de ces personnes-là. Il y a une nécessité humaine et sociale d'intervenir. Puis c'est dans des secteurs autres où le régime des services essentiels s'applique.

L'atteinte justifiée, ça, M. Gauthier, oui, vous le soulevez. Puis, bon, tous ceux qui sont venus devant nous disent : Évidemment, c'est un projet de loi qui veut considérer davantage les besoins des populations, notamment, bien, on parle beaucoup des enfants handicapés parce que vous êtes la Fédération autonome de l'enseignement, mais il y a aussi des personnes qui ne peuvent pas exercer des droits par ailleurs parfois fondamentaux, à cause de l'impact d'une grève, à cause de l'impact d'un lock-out. Puis, depuis la décision de la Cour suprême, il y a eu des événements quand même assez brutaux. Au Québec puis dans le monde, il y a eu la pandémie, puis il y a eu… Évidemment, ça, ce n'est pas en termes de brutalité, mais la pénurie de main-d'œuvre, puis les négociations avec d'autres pays pour l'imposition de tarifs douaniers.

• (15 h 10) •

Ça impose qu'on ait une attention particulière, dans ce contexte-là, à la stabilité des personnes qui sont marginalisées, vulnérabilisées ou impactées de façon trop préjudiciable par un conflit de travail. L'atteinte injustifiée… je lisais, tout à l'heure, parce que ça faisait un petit bout de temps que j'avais lu la Cour suprême, mais, tu sais, le juge Dickson, il disait bien : Par contre… après avoir dit quelle était la norme applicable, là, menace évidente, là, il y avait une consœur qui a cité ce passage-là, menace évidente et imminente pour la vie, la sécurité et la santé, où une partie de la population ou une partie de la population…

Puis le juge Dickson, il disait : Par contre, par contre, la constitution exige que la restriction apportée au droit de grève, restriction, on ne parle pas d'abrogation, ne soit pas plus importante que ce qui est nécessaire pour protéger la population. De plus, la détermination des services à maintenir doit revenir à un tribunal indépendant. Alors, quand je dis que des groupes puis des experts sont venus nous dire que la confection, ou les concepts ou les critères utilisés dans notre projet de loi sont le plus possible en harmonie avec les enseignements de la Cour suprême du Canada… Puis moi, quand vous dites, M. Gauthier, c'est une atteinte injustifiée, peut-être. Puis je ne suis pas capable de prédire ce qu'un tribunal pourrait décider après l'application du mécanisme prévu à l'article 4, mais tout réside dans la justification. Puis là-dessus, on est véritablement sur la longueur d'onde.

Puis moi, je suis prêt à discuter des critères, là. Tu sais… tu sais qu'on parle de sérieux au lieu de grave ou de disproportionné. C'est par rapport à quoi? Moi, je n'ai aucun problème. Puis je sais que mes collègues en avant vont vouloir discuter, mais notre but, dans la rédaction du projet de loi, c'est de donner une capacité d'intervention et une capacité d'interprétation au Tribunal administratif du travail, qui est composé de personnes impartiales et indépendantes, pour que le tribunal puisse s'adapter aux faits particuliers et aux circonstances particulières.

Une grève, sa durée a un impact sur le préjudice populationnel, son contexte, les dommages, comment les documenter, comment les justifier. C'est pour ça que je répète souvent que c'est véritablement du cas par cas. L'article 109.1, je comprends, là, mais ça, c'est essentiellement les dispositions antibriseurs de grève. Je ne voyais pas… M. Gauthier, juste peut-être me répondre à ça. Quand vous référez à 109.1 du Code du travail, les dispositions antibriseurs de grève, pouvez-vous me remettre dans le contexte de votre propos?

Mme Tremblay (Marika) : 109.1, comme vous le savez, prévoit une dérogation au principe de l'absence de services pendant une grève…

Mme Tremblay (Marika) : ...bon, évidemment, mais donc, il y a des dérogations. Puis ce qu'on soumet, c'est qu'il est possible de s'entendre pour continuer à donner des services dans un contexte de grève. Mais - c'est ce que M. Gauthier soumettait - jamais un centre de services scolaire, jamais, la partie patronale nous a approchés pour avoir cette discussion-là, cette discussion-là qui aurait pu avoir lieu au sujet de services à offrir pour des élèves lourdement handicapés, dont on a beaucoup parlé au cours des prochains jours. Donc, l'idée c'est de dire qu'il y a des outils, mais ils n'ont pas été utilisés.

M. Boulet : ...les centres de services scolaires n'ont pas coopéré. Mais c'est intéressant parce que, dans le projet de loi, s'il y a un décret gouvernemental, le Tribunal administratif du travail, qui est impartial et indépendant, aura à déterminer ici les critères du... de la loi, le cas échéant, sont rencontrés, et donc s'il y a des services minimalement requis à maintenir. Et là ce n'est pas lui qui le fait, c'est les parties qui vont devoir les déterminer, ces services-là. Donc, ils vont devoir négocier, et là il va y avoir un devoir des deux parties.

Puis, bon, quand il y a un décret, je vous rappellerai qu'une seule des parties peut demander au Tribunal administratif du travail de décider si les critères prévus dans la loi sont rencontrés. Mais s'il dit oui... S'il dit non, on respecte la décision, s'il dit oui, les parties doivent s'entendre, doivent négocier. Puis s'ils ne s'entendent pas, c'est le tribunal qui détermine. Puis, s'ils s'entendent, le tribunal pourrait juger de la suffisance, mais, normalement, si les parties s'entendent, il va adhérer. Ça fait que c'est une façon d'éviter la problématique à laquelle référait M. Gauthier et que vous m'expliquez bien, là, vous me remettez bien dans le contexte.

Mme Tremblay (Marika) : Mais peut-être pour préciser, au cours des dernières... au cours des derniers jours, on a entendu plusieurs experts endroit du travail qui ont rappelé le principe d'autonomie des parties, qui est un principe qui est constitutif du modèle des relations de travail au Québec. Ce que le projet de loi propose via l'adoption du décret, c'est, en fait, retirer cette autonomie de négocier et d'où négocier entre les parties, parce que la référence à 109.1, c'est l'idée que ce serait aux parties de faire cette détermination-là.

M. Boulet : Il n'y a rien, rien qui contredit - je suis désolé de le dire - l'autonomie des parties. La convention collective de travail, quand elle est conclue, c'est la loi des parties, c'est les parties qui doivent la conclure. On fait même raffermir ce principe-là en leur demandant de déterminer les tenants et aboutissants des services minimalement requis pour empêcher un impact trop préjudiciable pour la population. Donc, on raffermit. Ça fait que c'est sûr qu'un projet de loi de cette nature-là, il fait l'objet de plusieurs énoncés, mais il faut revenir à sa base. Il est simple, le projet de loi. Il n'empêche pas le droit de grève, il veut juste trouver un équilibre entre l'exercice du droit de grève ou lock-out, parce que les gens ne parlent pas de lock-out, mais il y a aussi des lock-out qui ont eu des impacts préjudiciables sur la population. Donc, un équilibre entre ça et les besoins, souvent, fondamentaux de la population qui est préjudicié. Puis vous, je sais que vous pourriez me dire : On peut-tu améliorer le régime de négo? Ça, le régime de négociation dans le secteur public et parapublic ne relève pas de moi. Moi, je dis : Il y a des conflits de travail qui relèvent du Code du travail, on parle de services à maintenir, ça, c'est dans notre juridiction.

Encore une fois, puis vous le savez, puis Mme Hubert, je pense que vous les connaissez, nos services de conciliation-médiation, plus on permettra l'autonomie des parties avec un accompagnement d'experts en relations de travail, moins on évitera le 5, 6 ou 7 % d'arrêt de travail au Québec. Est-ce que, Mme Hubert, vous avez un autre commentaire à faire sur la conciliation-médiation? Vous avez travaillé avec de nos... des gens de notre ministère.

Mme Hubert (Mélanie) : Je ne remets pas en question le professionnalisme ou les compétences des gens du ministère, je remets en question l'attitude des patrons à table. On a passé un été en médiation et, nous, on n'était pas là à attendre que ça passe pour avoir le droit de grève, on arrivait avec des mandats précis. On sort de médiation, et force est de constater, négo après négo, je pense que ce n'est pas le propre de celle-ci, et on sort de médiation avec un médiateur qui n'est même pas capable de nous faire des recommandations...

Mme Hubert (Mélanie) : …parce que les parties sont encore trop éloignées, on n'a pas de mandat, on n'a pas réussi à se rejoindre. M. Gauthier pourrait peut-être en parler plus, parce qu'il l'a vécu personnellement. Le problème, il est là en ce moment, c'est des négociations, un dialogue de sourds qui arrive dès le dépôt patronal avec un dépôt qui n'a rien à voir avec les demandes des employés. Et on reste sur un dialogue de sourds pendant un an, où on se démène à expliquer nos choses. Il n'y a pas de mandat de l'autre côté. C'est ça, le vrai problème de la négociation, en tout cas, en éducation.

M. Gauthier (Daniel) : Exactement, puis où la partie patronale nous exprime, pendant une année entière, qu'ils n'ont pas de mandat et qu'ils sont là pour nous écouter. Ils posent des questions, ils sont attentifs. Donc, pendant un an, des fonds publics, énormément de temps précieux devraient être consacrés à une négociation réelle, alors qu'on est en attente.

• (15 h 20) •

Il ne faut pas oublier qu'il y a également un processus où, lorsque les mécanismes arrivent, c'est de nouvelles personnes qui arrivent aux tables de négociation, comprenant moins ou peu les enjeux en éducation, qui se trouvent devant nous et qui, eux, ont la possibilité d'avoir des mandats, mais n'ont plus une connaissance fine du réseau. On est donc devant un problème de fonctionnement quand on parle de négociation.

Votre projet de loi s'attaque à la fin comme si, à la fin, parce qu'ils exercent le droit de grève, parce que la partie patronale n'a pas réussi à avoir des mandats puis à négocier, on va les empêcher de manifester puis de nous déranger. C'est très grave, M. le ministre. Ce qu'il faut donner, c'est un regard réel puis attentif au processus de négociation, puis s'en parler ensemble, d'où notre ouverture à vous dire : C'est un large processus d'échanges, de consultations qu'il faut avoir ensemble pour repérer puis identifier les vraies problématiques. Parce qu'à notre avis, les problématiques que vous nommez ne sont pas celles qui sont vécues. Et j'étais personnellement sur cette table, M. le ministre.

M. Boulet :

Le Président (M. Allaire) : Merci. Merci. Ça met fin à ce bloc d'échange avec la partie gouvernementale. On enchaîne avec l'opposition officielle. Mme la députée de D'Arcy-McGee, la parole est à vous, 10 min 24 s.

Mme Prass : Merci, M. le Président. Premièrement, merci du travail dans le mémoire et de présentation aujourd'hui, et je suis tout à fait d'accord avec vous que ce qui a le plus d'impact négatif sur les enfants… des besoins particuliers, c'est les bris de service continus. On est à au moins 2 400, qu'on a repérés, dans la dernière année… comme vous avez mentionné, question de sous-financement de la part du gouvernement. Puis évidemment, ça, c'est des bris de service qui sont beaucoup plus à long terme que les grèves, par exemple, donc qui peuvent avoir des impacts vraiment négatifs sur ces enfants-là.

Par contre, je vous pose la question, parce qu'évidemment les professeurs, vous êtes tous dévoués envers vos élèves, et d'autant plus ceux… bien, pas d'autant plus, mais également ceux qui travaillent avec les élèves, justement, qui ont des besoins particuliers. Et, comme vous le savez, ce n'est pas juste des services éducatifs qui sont offerts à l'école, à ces jeunes-là, mais il y a également des services en santé, de l'ergothérapie, entre autres… oui, réadaptation, de tous ces éléments-là, donc, mais je vous pose la question. Puis on l'a vu justement durant la pandémie, quand la directive était que les écoles spécialisées pour les élèves avec des besoins particuliers soient les derniers à fermer et les premiers à ouvrir… Parce qu'on sait l'impact, les pertes d'acquis que ça peut avoir sur ces jeunes-là, d'autant plus… bien, surtout quand le temps s'allonge, disons, donc.

Et vous avez parlé de la qualité de l'éducation. Et justement, la raison de vouloir faire la grève pour augmenter la qualité du service que vous allez rendre à ces jeunes-là, mais, dans le cas particulier de ces jeunes-là, si… Le temps, par exemple, que ça prendrait à un prof, après une grève d'un certain temps, de faire le réapprentissage de ces jeunes-là, ferait en sorte que ce serait du temps perdu pour développer d'autres acquis.

Alors, moi, ma question à vous, et vous le mentionnez dans le mémoire, quand on parle de services essentiels, puis vous proposez peut-être l'élargissement de cette catégorie-là. Vous mentionnez que, dans certains contextes, lorsque la vie, la santé et la sécurité d'autrui sont mises en péril, il a été jugé légitime de restreindre le droit de grève. Ma question à vous, parlons particulièrement des élèves avec des besoins particuliers, ne pensez-vous pas qu'autant que ce soit un bris de service de la part… de raisons de manque de ressources de la part du ministère de l'Éducation, mais en temps de grève que ces jeunes-là il y a un impact accru et sur leur réalité et sur leurs acquis? Quand… par exemple, la grève qu'il y a eu en 2023. Alors, ma question envers vous, c'est : Pensez-vous que, pour les élèves avec des besoins particuliers, qu'il devrait y avoir une continuation des services au-delà d'une grève?

Mme Hubert (Mélanie) : Dans un monde idéal, tous les élèves du Québec n'ont aucun bris de service pour aucune raison en tout temps, on va se comprendre. Et particulièrement pour les élèves les plus vulnérables, nous, en ce moment, ce qu'on vous dit, là, c'est le travail de l'employeur aussi…

Mme Hubert (Mélanie) : ...de faire en sorte que les conflits de travail ne finissent pas comme ils finissent en ce moment. Et on va s'entendre, la grève de 2023, elle est exceptionnelle dans l'histoire du Québec, là. On s'entend, d'habitude, on est à une, deux, six journées, aucun jour perdu en 2020, il y a ça aussi. Donc, avant de s'attaquer à un droit qui est protégé par les chartes pour le personnel enseignant, nous, ce qu'on dit, c'est: Travaillons en amont pour faire en sorte qu'on n'arrive pas là et qu'on ne se rend pas à ces bris de service là. Et l'autre chose qu'il faut penser, c'est, chaque fois que des profs gagnent des services pour les élèves, mais sur le long terme, ces élèves-là dans les écoles les plus... les populations les plus vulnérables, on pense à nos élèves lourdement handicapés, bien, ce qu'on gagne, on réussit à le protéger sur le très long terme. Et c'est ça aussi qu'il faut mettre dans la balance de notre point de vue, bien qu'on comprenne que ce sont des situations difficiles pour les élèves. Et il n'y a pas un prof de ces écoles-là qui était content d'être dans la situation où il était, parce que les gens sont... font les choses avec énormément de cœur dans ces écoles-là, spécialisées là qui sont sur nos territoires.

Donc, moi, j'inviterais le ministre, les gens à s'intéresser... Venez voir  dans les écoles le sous-financement chronique, le manque de ressources quand il n'y a pas de préposé aux élèves. C'est pour ça qu'on se bat. Donc, opposer le droit de grève puis le droit de ces élèves là, pour nous, c'est prématuré. Travaillons sur le régime de négociation, travaillons en amont puis trouvons les solutions pour ne pas que ça se rende où ça s'est rendu.

M. Gauthier (Daniel) : Je compléterais, si vous le permettez. Pour nous, c'est quand même étonnant que c'est à ce moment-ci que le gouvernement juge l'intérêt de modifier une loi en utilisant... Puis on le partage qu'il faut se préoccuper du bien-être de ces populations scolaires là, parce qu'il faut... on semble oublier que c'est nous, les enseignants, qui protégeons ces enfants-là quotidiennement dans les établissements. On ne semble pas réaliser que c'est nous qui sommes au front puis que, lorsqu'il y a des demandes, des discussions à la table de négociation, c'est nous qui demandons des classes spécialisées pour ces populations-là, et c'est la partie patronale qui pense qu'en incluant davantage l'ensemble de ces enfants-là, on arriverait à une solution. Il faut donc se battre et aller jusqu'en grève pour protéger les acquis de ces enfants-là. Donc c'est ça, la réalité.

Il est donc étonnant d'entendre l'argumentaire utilisé en ce moment. S'attaquer au rapport...  Prendre cet argument-là, à notre avis, il est clair que c'est parce qu'on veut venir... L'objectif, c'est de s'attaquer au rapport de force qui a pu déranger. Il faut savoir que ça a l'effet... ça aurait l'effet contraire. Retirer le rapport de force que les enseignantes ont actuellement, ça aurait l'effet de rendre en découverture la protection, particulièrement, de ces populations scolaires là. Dois-je vous rappeler que, dans les derniers jours, le ministre de l'Éducation lui-même annonçait une deuxième série de coupures de plusieurs dizaines de millions de dollars qui ont directement des effets sur... Où est le ministre du Travail quand le ministre de l'Éducation annonce des coupures de millions de dollars? Où est la préoccupation du bien-être de la population, monsieur le ministre?

Mme Prass : Merci. Bien, tout à fait d'accord que ce n'est pas... bien, c'est une bataille qui se fait au quotidien. Et quand le gouvernement annonce des coupures justement dans ces services et dans ces postes-là, c'est que, lui aussi fait... Bien, justement, l'effet qu'on vous demande, ce que la grève aurait pu avoir sur les élèves, bien, toutes ces coupures-là sont davantage désavantageuses pour ces jeunes-là, qui va les affecter au quotidien.

Ce que j'ai apprécié... bien, ce que j'ai trouvé intéressant dans votre mémoire, c'est que vous proposez des modifications, et je serais curieuse que vous puissiez élaborer un petit peu ce que vous avez proposé, justement, comme vous avez dit, le rapport de force entre employeurs et le personnel enseignant, mais vous avez une proposition intéressante si vous voulez élaborer.

Mme Hubert (Mélanie) : Pouvez-vous préciser à quel endroit, juste pour qu'on s'y retrouve?

Mme Prass : Oui, bien, c'est dans votre modification proposée pour le projet de loi 89, à la page 7. Donc, vous commencez: «Concrètement, le gouvernement pourrait dorénavant, à sa guise et dès les premiers balbutiements d'une négociation, prendre un décret donnant au tribunal le pouvoir de déterminer si, en éducation, des services assurant le bien-être de la population doivent être maintenus en cas de grève ou de lock-out. Une fois ce décret pris, les associations de personnes salariées en éducation et leurs employés respectifs pourraient s'adresser au tribunal afin que celui-ci ordonne le maintien de tels services.»

Mme Hubert (Mélanie) : Ce ne sont pas nos propositions à nous, c'est les propositions qui sont... les modifications qui sont proposées par le projet de loi, là. Donc, on décrivait un peu le mécanisme qui était prévu. Donc, ce ne sont pas nos recommandations à nous. Notre recommandation à nous, elle est claire, c'est: Travaillons sur une large consultation de ce qui se passe dans le régime de négociation puis dans la période de négociation, et on prendra des décisions...

Mme Hubert (Mélanie) : ...de parler de tout ça. Donc, à partir de la page 7, ce sont vraiment les modifications proposées par le projet de loi, puis je ne sais pas si vous voulez qu'on vous explique quelque chose de plus précis par rapport à l'analyse qu'on en a fait, bien...

Mme Prass : Si vous voulez le prendre, le temps, sinon, je passerai la parole à ma collègue. Mais si vous voulez vous exprimer sur un élément en particulier.

• (15 h 30) •

Mme Hubert (Mélanie) : Mais pour vous dire, moi, si je peux me permettre, puis ce n'est peut être pas super explicite dans le mémoire, mais de manière générale, ce qu'on veut que les parlementaires comprennent aujourd'hui, c'est qu'en éducation, contrairement aux... dans toutes les entreprises privées, quand les profs font la grève, il n'y a aucun impact économique sur l'employeur. Au contraire, l'employeur engrange tous les jours des milliers, voire des dizaines et des centaines de milliers de dollars. Donc, le poids de la grève chez le personnel enseignant, il n'est pas économique contrairement à toute l'entreprise privée. C'est une pression qui est politique et évidemment populaire parce que la population, et on l'a vu en 2023, elle s'est intéressée à ce qu'on demandait et à comprendre en quoi ce qu'on demande... en quoi ce qui était demandé allait améliorer le quotidien de leurs enfants. C'était ça en 2023. Et quand on... quand... si on dit on va en plus restreindre le droit de grève, bien, ça donne le droit au gouvernement de s'enlever lui-même la pression politique et il pourra dire : Les services essentiels sont maintenus et, en plus, ce n'est pas moi qui l'ai décidé, c'est un tiers, c'est le temps. Donc, je peux m'asseoir, continuer d'engranger des salaires et dire à la population : Ne vous inquiétez pas, les services essentiels sont maintenus. Expliquez-moi comment ça va améliorer la négociation et va améliorer la conclusion d'une entente satisfaisante dans le milieu scolaire. Pour nous, c'est une évidence que ça ne fonctionne pas.

Mme Cadet : 25 secondes.

Le Président (M. Allaire) : Mme la députée, allez-y!

Mme Cadet : Oui, prévention. Donc, vous avez parlé de l'importance de travailler en amont, pouvez-vous me donner... donner quelques exemples qui pourraient inspirer le législateur sur... pour mieux encadrer le régime des négociations collectives?

Mme Hubert (Mélanie) : Mais nous, on se questionne sur la composition des gens aux tables, la fréquence des rencontres. C'est ce genre d'éléments là dont on aimerait parler parce qu'en ce moment on est devant plusieurs intervenants qui changent au fil du temps, qui...

Le Président (M. Allaire) : Merci.

Mme Hubert (Mélanie) : ...parfois il faut reprendre les discussions. Merci, il n'y a pas de problème.

Le Président (M. Allaire) : Merci. Je suis désolé, je crois que je vais arrêter. On poursuit avec le deuxième groupe de l'opposition. M. le député d'Hochelaga-Maisonneuve, 3 min 28 s.

M. Leduc : Merci, M. le Président. Bonjour à vous quatre. Je veux d'abord vous souligner à quel point j'ai été impressionné par votre grève que j'ai qualifiée de «héroïque» dans ce salon rouge qui est le nôtre et que j'ai été bien heureux d'appuyer, dans ma modeste mesure, de dépit de chacun, mise en œuvre avec tous les profs de mon quartier.

Plus tôt vos collègues de la CSQ en ont fait un argument intéressant, puis vous l'avez un peu abordé il y a quelques instants, ils disaient : Oui, mais il y a des bris de services des fois pour les fameux élèves à besoins particuliers dont le ministre s'intéresse tellement. Il n'y a pas de lois contre les bris de services à ma connaissance quand ça se passe dans les différents réseaux? Est-ce que vous pouvez nous en parler un peu des bris de services qui sont en ce moment en cours ou dans les dernières années, ce que vous avez vécu pour les élèves à besoins particuliers qui intéressent tellement le ministre?

M. Gauthier (Daniel) : Bien, pour donner seulement quelques exemples, là, on sait que, par exemple, lorsqu'il y a des événements majeurs, là, météorologiques, par exemple, pensons à la crise du verglas, pensons à des fermetures prolongées parce que certains établissements vont ouvrir... un feu, par exemple, il existe malheureusement, là, de façon régulière, certains événements particuliers qui mènent des bris de services, et cela... et dans ces occasions-là, effectivement, il n'y a rien qui prévoit de palier, et là on n'entend pas, effectivement, le ministre du Travail se lever pour défendre la sécurité puis les besoins, là, de la population. Ce qui nous fait penser que ce projet de loi là vise... représente une attaque au rapport de force des enseignantes qui... celles qui ont passé plusieurs dizaines de journées dans la rue. Je ne crois pas que vous ayez le moindre doute qu'elles le faisaient pour d'excellentes raisons, puis, oui, pour leurs conditions de travail, mais fort heureusement aussi pour leurs élèves, et ça, il y a un appui majeur de la population pendant la grève.

M. Leduc : Tout à fait.

M. Gauthier (Daniel) : Si le ministre nous présentait des statistiques en montrant à quel point la population était en colère contre les enseignantes et il ne jugeait qu'on... peut-être qu'on aurait un angle différent. Mais ce qu'on a entendu, au contraire de certaines associations de parents ont communiqué avec nous et ont eu des commentaires du type. Malgré qu'on soit fiers des résultats, on dit on se serait attendu encore plus dans vos gains pour tout le courage que vous avez eu. Et donc ce n'est pas un dénigrement de ce qu'on a obtenu, mais bel et bien un...


 
 

15 h 30 (version non révisée)

M. Gauthier (Daniel) : …un appui concret, du courage qu'ont eu les enseignantes et le projet de loi est une attaque à ce courage.

Mme Hubert (Mélanie) : Dans le contexte de pénurie actuelle, dans les écoles spécialisées, notamment, on peine à trouver des profs en adaptation scolaire, donc qui ont les compétences précises, la formation universitaire pour interagir. Et on pense aussi souvent dans les écoles hôpital, comme on les appelle, les profs sont en duo, parfois en trio, avec des techniciens en éducation spécialisée, des préposés aux élèves handicapés. Et ça, c'est fréquent qu'on doit pallier à tous les jours avec un groupe où il manque la préposée, où il manque le technicien en éducation spécialisée. Ça, c'est la réalité quotidienne. Et j'invite, je vous le dis, j'invite les gens à trouver des entrées dans les centres de services, allez voir au quotidien ce que les gens font avec les moyens du bord. Et c'est à ça qu'il faut aussi s'attaquer, préserver les services, et on le fait par nos grèves.

Le Président (M. Allaire) : Merci…

M. Leduc : Des gens… C'est terminé? Merci beaucoup.

Mme Hubert (Mélanie) : Merci, M. Leduc.

Le Président (M. Allaire) : Malheureusement, c'est terminé. On enchaîne avec le député de Jean-Talon. Vous avez deux minutes, 38 secondes.

M. Paradis : J'essaie de vous résumer. Le ministre, selon vous, présente une modification radicale du droit du travail au Québec. Les dernières fois que c'est arrivé, il y a eu des commissions parlementaires avant, des consultations, un Livre blanc. Et là, rien de tout ça. Vous dites : On ne s'attaque pas aux vrais problèmes. Le vrai problème, c'est le processus de négociation. Et la présidente du Conseil du trésor, le 4 décembre, a annoncé son intention de le modifier. Ça, on n'a pas ça, mais, oups! le projet de loi n° 89 qui vient restreindre le droit de grève, lui, il est sur la table.

Vous nous dites qu'en réalité c'est une réaction au mouvement de grève qu'on a connu l'automne dernier ou l'automne d'avant, et qu'on veut enlever un moyen de pression, notamment aux professeurs. Et que c'est un moyen de pression important, parce que ce qu'on veut, c'est qu'autant vous, vous nous le dites, vous êtes là pour le bien-être des élèves, que le ministre, que le gouvernement, on veut éviter que les élèves soient privés de l'école.

Bon, si c'est ça qui s'était passé, s'il y avait eu un projet de loi n° 89, là, lors de ce fameux mouvement de grève, là, si on avait déclaré, comme plusieurs l'ont suggéré, que les cours, que la présence des élèves à l'école, c'est un service assurant le bien-être de la population puis qu'on… on vous avait enlevé ce moyen-là, qu'est-ce que vous pensez qu'il se serait passé? Est-ce qu'on aurait pu régler? Est-ce qu'on aurait pu travailler à l'amélioration des conditions des professeurs?

Mme Hubert (Mélanie) : Pour nous, il ne fait aucun doute que les gains de la dernière négociation sont liés au fait que les profs étaient dans la rue, étaient déterminés à faire valoir leur point de vue. Et je donne l'exemple de la composition de classe dont on a beaucoup parlé. Si aujourd'hui les employeurs, les centres de services, regardent les cohortes d'élèves en difficulté et essaient de distribuer des services là où ça ne va pas bien, c'est parce que les profs ont été dans la rue 22 jours. N'eût été de ça, jusqu'à la dernière minute, on s'est opposé à ça, on ne voulait pas que ça figure dans les conventions collectives, jusqu'à la toute fin, et on a été obligés de reculer. On voulait inclure plus d'élèves, les élèves à risque, les élèves qui recevaient des services en francisation. On a été obligés d'élever les seuils qu'on… nous, on souhaitait plus bas. Et ça, n'eût été de la grève, aujourd'hui, personne ne parlerait de composition de la classe. C'est malheureux qu'on ait été obligés de faire ça pendant 22 jours pour y arriver.

Le Président (M. Allaire) : 20 secondes.

M. Paradis : Donc, c'est vraiment ça. Ce projet de loi, c'est une réaction au mouvement de grève, selon vous?

Mme Hubert (Mélanie) : Ça fait partie certainement des intentions. Si ce n'est pas juste l'éducation, il y a eu d'autres conflits dans la société, on le comprend, mais l'éducation, probablement, fait partie des réflexions.

Le Président (M. Allaire) : Alors, merci, ça met fin à l'ensemble des blocs d'échange. Mme Bénard, M. Gauthier, Mme Hébert, Mme Tremblay, merci pour votre contribution à cette commission.

Nous allons suspendre les travaux quelques instants. Merci.

(Suspension de la séance à 15 h 37)

(Reprise à 15 h 43)

Le Président (M. Allaire) : Alors, nous allons reprendre les travaux. Nous sommes avec le dernier groupe de la journée et de la semaine. Donc, bienvenue!

Donc, je souhaite la bienvenue à l'Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux. Alors, bienvenue à vous quatre. Je vais vous laisser le soin de vous présenter à tour de rôle avec votre titre complet, s'il vous plaît, et vous pourrez débuter votre exposé. La parole est à vous.

M. Comeau (Robert) : Merci bien, M. le Président. Bien, M. le Président, M. le...

M. Comeau (Robert) : ...Mmes, MM. les députés, nous vous remercions de nous recevoir aujourd'hui pour discuter du projet de loi n° 89. L'Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux est un syndicat qui regroupe plus de 65 000 professionnels et techniciens du réseau public. Nos membres jouent un rôle essentiel dans les soins et services à la population québécoise, que ce soit en hôpitaux, en CLSC, en CHSLD, en centres jeunesse ou en centres de réadaptation. Ils et elles ont à cœur le bon fonctionnement du réseau et assurent chaque jour l'accessibilité aux services publics de santé et de services sociaux. Je suis Robert Comeau, président de l'APTS, et je suis accompagné d'Émilie Charbonneau, à ma gauche, qui est vice-présidente; de Nadia Lévesque, à ma droite, qui est coordonnatrice au secteur de la négociation nationale; et de Samuel Cossette, responsable à la recherche.

Nous sommes ici pour exprimer nos profondes préoccupations à l'égard de ce projet de loi qui porte une atteinte injustifiée à la liberté d'association et au droit de grève, pourtant reconnu constitutionnellement. On va aller droit au but. Nous recommandons à la commission de rejeter entièrement le projet de loi. Les mesures proposées auront des conséquences négatives importantes pour les droits des travailleuses et des travailleurs, pour le droit de la population à recevoir des services publics accessibles et de qualité, ainsi que sur la paix industrielle. D'entrée de jeu, nous voulons réaffirmer que l'APTS partage l'objectif de garantir des services de qualité à la population. Nos 65 000 membres y contribuent chaque jour, souvent, dans des conditions de travail qui se dégradent avec des charges de travail de plus en plus lourdes.     Cependant, ce projet de loi ne constitue pas une solution viable. En limitant le droit de grève et en accordant au ministre des pouvoirs discrétionnaires excessifs, il affaiblit le rapport de force des travailleuses et travailleurs et compromet le processus de négociation collective. Et, pourtant, ce processus fonctionne. Au Québec, plus de 95 % des négociations se règlent sans grève ni lock-out. La très grande majorité des conflits se résolvent par le dialogue, la concertation grâce aux mécanismes prévus par le Code du travail. Et même lorsque des conflits éclatent, rares sont ceux qui se prolongent. Ce projet de loi brime les droits de tous et de toutes pour régler un problème qui relève, selon nous, de l'exception. Rappelons que la Cour suprême a clairement établi, notamment dans l'arrêt Saskatchewan, que le droit de grève est protégé par la Charte canadienne des droits et libertés. Il s'agit d'un outil fondamental pour rétablir l'équilibre entre employeurs et salariés, sans lui, la négociation collective perd tout son sens.

Or, ce projet de loi vise précisément à restreindre ce droit de façon arbitraire. Il introduit des critères flous, comme la sécurité sociale, économique et environnementale, qui ouvrent la porte à des limitations excessives du droit de grève sans justification réelle. Il est important de souligner que, dans sa jurisprudence, la Cour suprême a toujours limité les restrictions au droit de grève aux situations où l'interruption du travail met en péril la santé et la sécurité du public. Ce projet de loi élargit dangereusement cette définition rendant pratiquement impossible l'exercice du droit de grève dans plusieurs secteurs.

Et parlons justement de ce fameux pouvoir. Le projet de loi n° 89 permettrait au ministre de décréter, potentiellement à l'avance et sans la présence d'un conflit de travail, que certaines entreprises ou organismes sont des services assurant le bien-être de la population. Ce faisant, il fausserait d'emblée le rapport de force entre les parties à l'avantage évident de l'employeur et au détriment des travailleuses et travailleurs qui seront restreints dans leurs moyens de pression. En d'autres termes, ce projet de loi ne vise pas uniquement à encadrer les conflits en cours. Il permettrait au gouvernement de poser les bases d'une limitation du droit de grève bien avant qu'un conflit ne se déclenche, créant ainsi un effet dissuasif. De plus, en élargissant le pouvoir du ministre, ce projet affaiblit le Tribunal administratif du travail, qui est pourtant l'instance indépendante chargée d'évaluer les impacts d'une grève sur la population.

Alors, pourquoi contourner un tribunal spécialisé pour donner au ministre le pouvoir unilatéral de suspendre les conflits de travail? Une telle ingérence politique dans le droit du travail n'est ni justifiable ni souhaitable. En réalité, ce projet de loi ne fait que déséquilibrer davantage les relations de travail. La paix industrielle ne se maintient pas par la coercition, mais par le dialogue et le respect mutuel. Si le gouvernement souhaite réellement éviter les conflits de travail, il doit plutôt agir sur leurs causes profondes. On veut nous aussi éviter d'avoir à exercer la grève à chaque ronde de négociations. Personne ne fait la grève de gaieté de cœur, nos membres ne se privent pas de revenus pour le plaisir. Si vous avez déjà été sur le trottoir, pancarte à la main, en plein mois de décembre, bien, vous savez de quoi on parle. Bien, il y a une solution qui existe, selon nous, ce serait d'offrir aux travailleuses et aux travailleurs des moyens de pression alternatifs, moins perturbateurs que la grève, mais permettant aussi d'établir un rapport de force efficace et équilibré.   Actuellement, le Code du travail impose une approche du tout ou rien en matière de...

M. Comeau (Robert) : …moyen de pression. L'article 108 interdit explicitement tout ralentissement d'activité destinée à limiter la production et en les assimilant à une grève, imposant alors toutes les règles régissant celle-ci, à moins qu'il ne s'agisse d'une grève officiellement déclenchée. Cette restriction force bien souvent les travailleuses et travailleurs à se tourner vers la grève comme unique recours, alors qu'une approche plus nuancée permettrait d'éviter d'escalader les conflits.

Une avenue prometteuse serait d'autoriser des moyens de pression administratifs qui n'affecteraient pas directement les services à la population. Dans le réseau de la santé et des services sociaux, une part importante, trop importante même du travail des professionnelles et des techniciennes est de nature administrative. Un arrêt concerté des tâches administratives en période de négociations, sans réduire les heures de prestation de services, permettrait d'exercer une pression sur la structure administrative de l'employeur, tout en augmentant les services directs à la population.

• (15 h 50) •

Ce type de mesure aurait un double avantage. Premièrement, il permettrait de préserver les services essentiels à la population, tout en donnant aux travailleuses et travailleurs un levier pour négocier de manière équitable. Et en… deuxièmement, il… il réduirait le recours à la grève, tout en offrant aux parties en présence des mécanismes plus souples pour exprimer leurs revendications. Contrairement aux dispositions du projet de loi n° 89, cette approche ne menace ni la paix sociale ni les droits fondamentaux. C'est cette solution que nous mettons de l'avant et que nous recommandons à la commission.

En conclusion, ce projet de loi représente une atteinte directe aux droits de la population du Québec. Il ne répond pas aux véritables enjeux du réseau public, tout en fragilisant un équilibre qui assure la paix sociale depuis des décennies. Nous appelons le gouvernement à revoir son approche, de retirer le projet de loi n° 89 et de privilégier des solutions qui respectent à la fois les droits fondamentaux et les besoins de la population. Nous vous remercions, M. le Président. Nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions.

Le Président (M. Allaire) : Merci à vous. On débute la période d'échange. M. le ministre, la parole est à vous, 16 min 30 s.

M. Boulet : Oui, merci, M. le Président. D'abord, vous remercier, M. Comeau, Mme Lévesque, Mme Charbonneau, M. Cossette, un, pour votre présence, deux, pour votre engagement, votre implication. Puis, franchement, votre mémoire est bien écrit, bien préparé. Félicitations pour le temps et l'énergie que vous lui avez consacrés.

Comme on partage à peu près le même objectif, moi, je suis un des partisans de la possibilité de changement de paradigme, comme ce qui a été fait en 2015 par la Cour suprême du Canada. Et, je vous lis, M. Comeau, parce que je trouve ça quand même intéressant que vous le mentionniez, en introduction, vous dites : «L'APTS ne s'oppose pas à l'objectif d'assurer le bien-être de la population. Ses 65 000 membres y contribuent d'ailleurs quotidiennement. Il s'agit de l'une des valeurs fondamentales de l'organisation.» D'ailleurs, je l'ai dit aussi à d'autres, là, mais on a beaucoup d'estime pour les syndiqués, hommes et femmes et autres qui sont à l'APTS.

Et ce qui est proposé, donc, dans le projet de loi va dans cette direction-là. Mais vous dites : Ce n'est pas le chemin le plus adéquat pour y parvenir. Et c'est là que je reviens, moi, à mon changement de façon de faire. Je vais revenir sur ce que vous proposiez, là, mais il y a ce mot-là qui m'interpelait, puis un autre que vous avez utilisé dans votre conclusion, où vous dites : «C'est dans le respect de tous ces droits que réside la véritable protection du bien-être de la population.»

Donc, on a le même objectif et on est tous les deux des personnes qui respectent puis je pense que c'est le lot de l'ensemble des Québécois, Québécoises. Donc, si on a le même objectif et qu'on se respecte, on doit trouver des façons innovantes d'empêcher que des conflits de travail préjudicient de façon importante la population. Moi, c'est mon raisonnement que je veux que vous compreniez.

Et la meilleure façon de le faire, c'est en cherchant le meilleur équilibre. Puis je suis contraint de le redire, le meilleur équilibre, c'est des droits, il y a les droits des salariés, il y a les droits des syndicats, il y a les droits des employeurs puis il y a les droits de la population. Et des droits, ça s'exerce. Dans le cas d'un syndicat, c'est le droit de grève…

M. Boulet : ...oui, la Cour suprême dit : Ça fait partie intégrante de la liberté d'association, a donc conféré une valeur constitutionnelle au droit de grève, ce que je respecte.

Il y a aussi les droits des salariés d'avoir des conditions de travail justes et raisonnables, le droit de se regrouper collectivement et d'appartenir à un syndicat. On ne touche pas à ça du tout. Il y a le droit des employeurs, dont les associations patronales sont venues, et nous ont même demandé d'élargir la portée d'application du projet de loi n° 89. Vous les avez probablement déjà entendus, comme je vous connais. Mais, enfin, il y a les droits aussi de la population, d'une population qui ne décide rien, confrontée à un conflit de travail. Puis, quand vous référez à la protection du bien-être de la population, les travailleurs, travailleuses en font partie. Il y a des travailleurs et travailleuses qui ont été préjudicié par des grèves dans certains secteurs, dans le transport scolaire, dans le transport collectif, dans la transformation alimentaire, dans l'éducation, dans les cimetières et dans plein d'autres secteurs où il n'y a pas d'obligation au Québec de maintenir quelque service que ce soit. Puis, tu sais, quand on me dit : On peut le faire, ce n'est pas utile, le projet de loi. Bien, si on peut le faire, pourquoi il y a des conflits puis pourquoi on n'a pas de moyens pour atténuer les impacts? Parce qu'on n'a pas mis de côté l'exercice du droit de grève. On dit simplement : Maintenons un certain niveau de services pour pas que ça affecte, ce conflit-là, une population qui est... puis, excusez le terme, mais qui est littéralement prise en otage parfois.

Puis, M. Comeau, vous avez peut-être entendu le témoignage du Dr Royer, en politique, on répète beaucoup, là, mais qui dit à quel point une grève qui se prolonge au-delà de deux ou trois semaines a un impact de régression sur des enfants qui ont des besoins particuliers, en situation de handicap ou qui ont le trouble du spectre de l'autisme. Il faut être attentif, comme société, à ces réalités humaines là où des personnes qui ne peuvent pas aller subir un service médical ou un traitement qui est par ailleurs essentiel. Il y en a plein, d'exemples, puis je ne reviendrai pas avec les familles endeuillées, mais ça aussi, constamment, M. Comeau... j'allais dire Robert, je m'excuse, mais qui faisaient appel à la dignité humaine. Puis j'ai rencontré les partis puis il n'y en avait plus, d'outils. Parce qu'on me dit : Mettez de l'énergie sur le régime de négociations, mais, par ailleurs, il y a des groupes syndicaux qui me disent : L'origine de négociations, il est parfait. On en a, dans le Code du travail, des outils qui s'imposent. Mais ici, on ne s'intéresse pas aux régimes de négos, on s'intéresse à l'impact des conflits de travail. On s'intéresse à une considération nouvelle des besoins de la population suite à une grève ou un lock-out.

Puis je sais que vous comprenez tout ce que je vous mentionne, mais comme vous demandez le retrait du projet de loi, comme je dis à d'autres groupes, moi, je me sers aussi du temps pour partager. Puis je ne veux pas vous convaincre, vous le savez, mais je veux que vous compreniez le sens aussi. Puis vous êtes un groupe qui, même en demandant le retrait, vous partagez l'objectif et vous adhérez au respect, et donc vous êtes conscients de l'importance de trouver un équilibre, qui est parfois précaire. Mais c'est arrivé que des employeurs ont peut-être dit : Un rapport de force déséquilibré, il y a des syndicats qui m'ont dit : Il est déséquilibré, mais il y a quand même une quête d'équilibre. Et les droits dont je faisais l'inventaire tout à l'heure, il y a peu de personnes qui sont venues me dire : C'est alors que vous le faites. C'est la population, c'est la population qui nous intéresse dans ce projet de loi là, ce n'est pas contre les syndicats. Puis je regrette que ce soit interprété par les centrales syndicales comme une attaque aux centrales syndicales, ce n'est pas le cas. Puis j'aurais beau le dire puis le répéter, mais mon narratif législatif n'est pas compatible avec une négation du droit d'exercer un droit constitutionnellement reconnu. Puis je ne vous demande pas d'adhérer au contenu du projet de loi, mais je voulais quand même le partager avec vous. Puis vous le dites aussi dans votre...

M. Boulet : ...présentation, M. Comeau. Le processus de négo, il fonctionne. D'ailleurs, la meilleure démonstration de... pour le justifier : 95 % des dossiers se règlent. Et donc ça fonctionne. Il y a quand même eu 288 conflits en 2022, une augmentation croissante, une tendance lourde des conflits de travail. Puis je n'ai jamais fait la comparaison avec le reste du Canada parce que le taux de syndicalisation au Québec est à 39 %, entre 39 % et 40 %, alors qu'il est à peu près de 28 % en Ontario, puis, je pense, en bas de 10 % aux États-Unis. Mais c'est sûr qu'il y a donc un nombre de conflits plus important, mais la quantité ou le nombre ne nous préoccupe pas, c'est les besoins de la population qui nous intéresse.

Et un autre élément que vous avez soulevé, M. Comeau, puis je suis totalement d'accord, c'est un problème qui relève de l'exception. Pourquoi on veut que ce soit dans des circonstances exceptionnelles? Parce qu'on a lu la Cour suprême du Canada. On connaît l'état de la jurisprudence. Il y a beaucoup de personnes qui ont travaillé avec moi. Ce n'est pas le ministre du Travail qui a écrit ça puis qui l'a présenté à l'Assemblée nationale, il y a beaucoup de juristes et non-juristes qui ont travaillé à l'élaboration de ce projet de loi là, en utilisant le raisonnement des tribunaux, en respectant les concepts puis les critères du mieux qu'on peut. C'est la raison pour laquelle on veut que ça s'applique dans des circonstances exceptionnelles et que ça tienne compte du contexte parce qu'on respecte la valeur constitutionnelle du droit de grève. C'est ça qu'on veut faire. Il ne faut pas complexifier un projet de loi qui ne l'est pas véritablement.

• (16 heures) •

Maintenant, qu'on me dise comme certains l'ont fait, est ce qu'on peut penser avant pour l'autre mécanisme qui ne s'applique pas vraiment à vous autres, M. Comeau, là, pour l'arbitrage, là, dans votre cas, ça ne s'applique pas? Mais, tu sais, qu'on parle en amont qu'est ce qui peut se faire en conciliation-médiation? Moi, j'écoute et je suis ouvert à des idées, mais il faut trouver une façon de justifier les cas où ça va s'appliquer. Puis il n'y a pas un décret puis il n'y a pas une décision qui va être prise par un tribunal si les critères ne sont pas respectés si on n'a pas une justification suffisante conformément à nos chartes, parce qu'il y a des risques constitutionnels à toutes les lois au Québec. Et celle-là non plus elle n'est pas à l'abri des risques. Ça fait que je veux...

Peut-être, dernier élément, M. Comeau, puis je ne veux pas... Les moyens les moins perturbateurs que la grève, ça, je trouve ça novateur comme réflexion... novatrice comme réflexion. Est-ce qu'on peut penser à d'autres choses? Mais c'est sûr que là, vous pensez, vous faisiez des comparaisons avec des ralentissements d'activité, c'est prohibé, mais ça, c'est pendant une durée de convention collective parce que c'est apparenté à une grève. Une grève, c'est défini comme une cessation concertée d'une prestation de travail. Puis un ralentissement qui découle d'une cessation concertée, c'est une grève qui n'est pas dans les délais légaux, ça fait que c'est une grève illégale. Mais qu'on fasse des réflexions sur l'avenir des relations de travail, est-ce qu'il y a des moyens moins perturbateurs? Il faut vraiment...  Ça, moi, je sais qu'il y a toujours des experts puis des professeurs qui font ce type de réflexion là. Puis moi, je suis toujours ouvert à écouter. Évidemment, ce n'est pas l'objet de notre projet de loi, mais il faut penser à des façons nouvelles d'exercer de la pression. Parce que c'est ça, une grève, c'est de mettre de la pression. Il y a-tu d'autres façons que de faire la grève. Il y a-tu d'autres manières que de décréter un lock-out? C'est intéressant.

Je ne sais pas, M. Comeau, il y a-tu dessus des commentaires additionnels que vous aimeriez partager avec moi sur des réflexions qui auraient été faites à l'APTS sur des moyens alternatifs à la grève?

Mme Lévesque (Nadia) : Oui. Alors, on a tenté de réfléchir effectivement à des moyens alternatifs. Et quand on parle de perturbation administrative, on peut penser par exemple aux statistiques qui doivent être compilées quotidiennement par du personnel dans différents systèmes, là, qu'on soit dans les...


 
 

16 h (version non révisée)

Mme Lévesque (Nadia) : ...ce que chez nous, on appelle la famille du psychosocial, donc les travailleurs sociaux, éducateurs, tous les gens qui travaillent plus du côté des services sociaux. On peut penser au classement et à l'archivage de dossiers qui sont fermés. Donc, le dossier de l'utilisateur ou du patient est terminé, le dossier n'est pas... n'est pas archivé immédiatement. On peut penser aussi à retarder la facturation en imagerie médicale, donc l'idée étant qu'un impact, ce n'est pas nécessairement un préjudice. Il faut avoir de l'impact, la grève a de l'impact. Le projet de loi tente de nous dire que chaque impact est nécessairement préjudiciable. On ne partage pas cette lecture-là et on cherche à avoir également de l'impact, comme le ministre l'a fait remarquer, qu'il y a un... des éléments qui sont peu préjudiciables pour la population. Donc, c'est dans ce sens-là qu'on a voulu aller. Donc, on ne partage pas votre avis qu'on n'est pas dans un bon forum pour en discuter parce que c'est véritablement une alternative qui permettrait, plutôt que d'aller vers un processus judiciarisé avec le TAT et les limitations du droit qui est compris dans le projet de loi actuellement, mais par des moyens qui sont dans vos objectifs.

M. Boulet : Mais c'est intéressant parce que c'est comme si, Mme Lévesque, on prenait le problème à l'inverse, sous un autre angle, tu sais, puis des perturbations administratives, dépendamment des milieux de travail, ça peut avoir des impacts dévastateurs dépendamment des milieux. L'archivage de dossiers aussi, dépendamment de la nature des activités de l'organisation. Des retards dans la facturation, ça peut aussi avoir un impact intéressant. Nous, on le regarde de manière positive, c'est-à-dire, on laisse, dans son intégralité, la possibilité pour le syndicat de décréter une grève, évidemment, après être allé en assemblée générale et avoir un mandat, et maintenons des services, maintenons des services minimalement requis pour assurer la sécurité de la population. C'est ça qu'on fait essentiellement. Comprenez-vous ma...

Une voix : ...

M. Boulet : Tu sais, c'est une autre façon d'aborder puis c'est pour ça que je trouve ça intéressant, c'est la première discussion qu'on a sur ce sujet-là dans les 19 groupes, et moi, je pense que c'est une façon — puis je respecte votre opinion là-dessus, là, je sais que vous respectez pas la nôtre, là — mais c'est une façon positive de respecter un droit constitutionnel, parce que ce que vous dites, ce n'est pas une grève, puis si ce n'est pas une grève, ça pourrait être fait même durant la durée d'une convention collective, même durant le processus de négociation, même quand la négo — puis, Robert, vous hochez de la tête, M. Comeau — même quand ça avance la négo, on permettrait de faire des perturbations... À fond... Dans le fond, M. Comeau, vous me dites : On ferait des moyens pour que ça avance plus vite. C'est ça, hein? O.K. Moi, je dis : Essayons de l'aborder de façon différente, ça va nous permettre de respecter un moyen de pression qui va avoir beaucoup plus d'impact, mais de respecter les Québécois, les Québécoises qui sont pris à partie par un conflit de travail. C'est simplement l'écart. Aie! Merci beaucoup à tout votre groupe.  

Le Président (M. Allaire) : Merci, merci, M. le ministre. On enchaîne avec l'opposition officielle, Mme la députée, de 3dam, 10 min 24 s, la parole est à vous.

Mme Prass : Merci, M. le Président. Comme vous venez de mentionner, les perturbations administratives qui auraient été mises de l'avant, si vous auriez été invités à des consultations préalables au dépôt du projet de loi, est-ce que c'est ces éléments- là que vous auriez proposés ou qu'est ce que vous auriez proposé dans le cadre de ces consultations, si elles auraient eu lieu?

M. Gauthier (Daniel) : C'est sûr que, dans la recherche de l'équilibre que le ministre cherche, moi, ce que je constate, c'est que toutes les associations patronales sont pour le projet de loi, les associations, syndicales sont contre. Ça fait que je pense qu'on n'est pas tout à fait à la recherche de l'équilibre, il y a quelque chose qu'on ne comprend pas dans le... dans le projet du ministre. On aurait beaucoup aimé être au préalable consultés, donner notre avis, amener des moyens alternatifs. C'est notre façon de fonctionner, de trouver une solution, pas juste s'opposer. Puis, tu sais, le ministre parlait aussi de la clientèle vulnérable, protéger la population, mais je dois dire que le gouvernement actuellement coupe 1,5 milliard de dollars en santé et services sociaux qui, à mon avis, est beaucoup, mais beaucoup plus dommageable qu'une grève de quelques demi0journées qu'on a faites parce c'est quand même assez balisé en santé, services sociaux. Alors, je comprends l'objectif et tout ça, mais ça fait un petit peu drôle à mes oreilles d'entendre ça d'un objectif de protéger la population qui semble être l'objectif ultime, puis tu as d'autres...

M. Comeau (Robert) : ...sans trop poser de questions, on coupe 1,5 milliard et on congédie des psychologues, des travailleurs sociaux, des... L'imagerie médicale, les listes d'attente allongent actuellement, puis il y a des services qui ne se donnent pas, ça, c'est dommageable à la population. Ce qui nous inquiète, c'est le pouvoir du ministre également. Le ministre peut avoir une vision actuelle du pouvoir qu'il peut exercer et, dans les législatures qui vont suivre, comment sera-t-il appliqué par à la personne qui occupera ces fonctions-là, ça nous inquiète vraiment grandement.

Mme Prass : Puis vous avez tout à fait raison, parce que les coupures dont vous parlez, que ce soit dans le milieu de l'éducation ou de la santé, c'est des coupures qui sont ressenties au quotidien, tandis qu'une grève est pour une période prescrite d'un certain point. Par contre, je vais vous amener l'enjeu, moi, je suis la maman d'un petit garçon qui est lourdement atteint du spectre de l'autisme. Et je sais les effets, que ce soit la pandémie ou la grève peut avoir sur les enfants avec des besoins particuliers. Et, durant la COVID, justement, les écoles spécialisées, ça a été déterminé par le gouvernement et un groupe d'experts que les écoles pour les enfants spécialisés devaient être le dernier à fermer et les premiers à ouvrir. Parce qu'on comprend qu'il y a une perte d'acquis qui se fait pour ces jeunes-là, qui peut être très difficile à réapprendre par la suite. Et aussi, dépendamment de de la lourdeur de l'enjeu pour cet enfant-là, il y a des parents qui doivent s'absenter, quitter le travail pour s'occuper justement de leur enfant à temps plein durant ces périodes-là.

• (16 h 10) •

Donc, verrez-vous dans le même sens qu'il y a des services essentiels qui doivent être garantis, que, pour ces jeunes-là, par exemple, des services doivent être maintenus même dans le cas d'une grève, parce que, justement, il y a une certaine atteinte à la santé de ces jeunes-là?

Mme Charbonneau (Émilie) : Mais, vous savez, l'atteinte à la santé des gens, M. Comeau l'a bien mentionné, c'est quotidien, on n'a pas besoin d'être en grève pour être en bris de service. Puis peut-être un fait amusant, quand, nous, on fait nos services essentiels, souvent dans les équipes, là, les services essentiels sont plus élevés que le monde qu'on a sur le terrain. Donc, tu sais, la notion de services essentiels peut être... ne touche pas exactement les enjeux qui sont vécus, par exemple, au niveau de l'éducation. Je pense que le problème n'est pas tant dans le droit à la grève, mais plus dans le financement de nos services. Puis ça, bien, on a bien beau parler de ça ici, mais ceux qui sont les gardiens de ça actuellement, bien, c'est des travailleuses, des travailleurs qui ont exercé une grève sociale, on va se le dire, pour maintenir ces services-là.

Donc, tu sais, prendre soin des gens, c'est le pain quotidien de notre monde. Maintenant, on leur enlèverait un levier essentiel pour faire valoir ces droits-là, bien, justement, je pense que justement, actuellement, on partage le même intérêt, celui de préserver les services. Puis, moi, je ne pense pas que d'utiliser une restriction à un droit constitutionnel va atteindre des objectifs, les objectifs d'avoir des services de qualité publics.

Mme Prass : Donc, je suis tout à fait d'accord avec vous que les coupures que les gouvernements sont en train de faire ont un effet quotidien, justement, sur toute la population qui est desservie soit par l'éducation, soit par la santé. Ma question serait : Est-ce que selon vous, par exemple, si c'était d'intégrer les enfants avec des besoins particuliers dans la liste des services essentiels, plutôt que d'aller de l'avant avec des propositions qui sont dans le projet de loi, est-ce que, pour vous, ça ferait du sens également Parce que je comprends... Puis la FAE qui était là avant vous, dit justement, à chaque fois qu'ils font une grève, c'est justement pour accentuer... augmenter la qualité de service pour les jeunes qu'ils desservent, et je comprends tout à fait ça.

Mais, encore une fois, dans le cadre des jeunes avec des besoins particuliers, le temps que ça prend pour leur réapprendre, après qu'il y ait un bris de service, que ça soit de l'école, du centre scolaire ou dans le cadre d'une grève prolongée, le temps que ça prend pour réapprendre à ces jeunes-là les atouts qu'ils auront pu perdre, donc, dans ce contexte-là, est-ce que vous verrez, par exemple, qu'ils soient intégrés à la liste des services essentiels plutôt?

Mme Charbonneau (Émilie) : En fait, moi, j'ai envie de dire : Prenons le problème autrement - on aime ça - prenons le problème d'un autre côté, puis disons-nous : Si on avait voulu parler de ces enjeux-là, au lieu d'aller dans un projet de loi qui fait du tout ou rien, qui donne des pouvoirs abusifs, qui qui enlève certains droits aux travailleuses puis aux travailleurs, bien, pourquoi qu'on ne les a pas inclus dans la consultation en amont pour avoir un projet de loi qui atteint ces objectifs-là? Moi, j'irais davantage là-dessus, de répondre sur quelque chose de spécifique, à savoir : Est-ce que les enfants qui ont des difficultés, on est sensible à ça? Évidemment, mais, moi, je pense que la sensibilité, elle aurait dû être faite quand on a rédigé ce projet de loi là pour s'assurer d'avoir, de notre bord, les syndicats, pour avoir une discussion sur les vraies choses, justement. Donc, moi, je vous...

Mme Charbonneau (Émilie) : ...allons pas de l'avant avec ce projet de loi là, prenons le temps de s'asseoir puis de discuter de ces enjeux fondamentaux là que vous nous amenez aujourd'hui.

Mme Prass : Puis, j'imagine également, dans la façon dont le projet de loi est écrit, il y a beaucoup de termes qui sont... qui sont général, disons, qui peuvent être interprétés de façons différentes. J'imagine que c'est quelque chose qui vous concerne également parce que... bien, encore, c'est ça, c'est l'interprétation de chacun qui peut être très large, qui peut être plus restreint. Donc, on ne sait pas, justement, qu'est-ce qui sera couvert, pas couvert, parce que ça va être soit fait par règlement durant des portes fermées ou ça va être au TAT de devoir interpréter selon la personne qui fait... Donc, j'imagine, c'est des éléments aussi qui vous rendent mal à l'aise dans ce qui est présenté et proposé.

Mme Charbonneau (Émilie) : Bien, tout à fait. En fait, avant... une loi spéciale, on n'aime pas les lois spéciales, mais au moins ça avait le mérite de passer à l'Assemblée nationale. Maintenant, on se donne, par une structure, des super pouvoirs pour dire : Bien, au gré de qui sera là... parce qu'on peut avoir un ministre qui a des bonnes intentions, mais, habituellement, quand on fait une loi, c'est pour avoir une pérennité, mais on ne sait pas qui qui va être là après. Donc, moi, encore là, je me dis : On ne protège pas nos travailleurs, nos travailleuses, ni la sécurité de la population quand on fait une loi qui peut être, par la suite, appliquée de manière arbitraire selon la personne qui occupe le siège.

Donc, clairement, je pense qu'on a des discussions à avoir là-dessus, puis je pense que ces discussions-là auraient dû être avant le dépôt de ce projet de loi là pour s'assurer d'un bon dialogue puis qu'on atteigne les objectifs qu'on mentionne, qui sont communs, c'est-à-dire la question du bien-être de la population. Puis on introduit aussi des nouveaux critères qui ne sont pas couverts actuellement. Puis, bien, quand ces nouveaux critères là ne sont pas couverts, bien, qu'est ce que ça amène? Ça amène un flou juridique où on va tenter peut-être de faire une nouvelle jurisprudence, puis, par la suite, bien, c'est facile de bypasser ce qui est déjà mis en place, puis on crée un nouveau droit qui, bien, à mon sens à moi, peut déséquilibrer largement l'équilibre qu'on tente de vouloir acquérir ou maintenir.

Mme Prass : Mais on s'entend que, quand il y a des éléments qui sont apportés par règlement, bien, on ne sait pas... on est là aujourd'hui puis on va faire notre étude détaillée du projet de loi sur ce qui nous est présenté noir sur blanc dans le projet de loi, mais quand on parle de règlement, il y a toujours, comme vous dites, ce flou-là que... tu sais, on peut être... on peut dire une chose, puis ensuite, derrière les portes fermées, on ne sait pas comment ça va être rédigé ou quelles sont les idées qui vont être mises sur papier. Donc, j'imagine, c'est un élément également qui vous inquiète.

Mme Charbonneau (Émilie) : Clairement. Gérer par règlement, c'est une façon, selon nous, de contourner de qu'est-ce qu'on s'est doté, c'est-à-dire une Assemblée nationale. C'est une façon un peu antidémocratique de mettre en place certaines choses, c'est d'abuser d'un certain pouvoir.

Mme Prass : Je passerais la parole à ma collègue.

Le Président (M. Allaire) : ...secondes, allez-y.

Mme Cadet : ...secondes. Merci beaucoup. Vous avez été plusieurs au cours des derniers jours à nous dire que, souvent, donc, lorsqu'un conflit se dégénère, c'est parce qu'il y a des problèmes en amont, donc pendant la durée de la convention collective ou même, donc, pendant les étapes où, bon, on n'arrive pas, donc, à en arriver à une entente. Donc, j'aimerais vous entendre sur quels mécanismes pourraient être mis en place par le législateur pour parvenir à l'objectif du projet de loi, donc, qui est de réduire, donc, ces conflits de travail là, et donc pas simplement, donc, de se concentrer sur l'aboutissement de ceux-ci, mais également sur l'ensemble du régime de négociation.

M. Comeau (Robert) : Bien, ce qu'on propose actuellement, je vous dirais, peut être une amorce de discussion là-dessus. Actuellement, on peut porter un macaron, un t-shirt, puis, l'étape suivante, c'est la grève. Nous, on recherche quelque chose entre les deux, quelque chose qui partage le même objectif, c'est-à-dire de protéger la population. En ne remplissant pas les statistiques, par exemple, c'est administratif, c'est un tableau de bord, la population n'en souffrira pas, on continue à donner des services, on en donne même plus parce qu'on a plus de temps à consacrer, et ce, pour nous, c'est une ouverture à la discussion qu'on aurait dû avoir avant le dépôt du projet de loi.

Mme Cadet : Moyens de pression, essentiellement, avant d'en arriver à la grève. Merci. C'est bon.

Le Président (M. Allaire) : Merci à vous. Oui, oui, Parfait. Merci. On enchaîne avec le député d'Hochelaga-Maisonneuve. La parole est à vous, 3 min 28 s.

M. Leduc : Merci, M. le Président. Bonjour à vous quatre. C'est un plaisir de vous voir en commission. J'aimerais commencer par citer quelques éléments de votre conclusion que je trouve vraiment parfaite. Vous dites : «On aurait tort de l'oublier, cette population que l'on prétend protéger est aussi constituée des mêmes travailleurs et travailleuses à qui l'on veut retirer des droits. Il y a là une ironie certaine, assurer le bien être des uns ne peut se faire en affaiblissant celui des autres, spécialement quand il s'agit de leur gagne-pain. C'est dans le respect de tous ces droits que réside la véritable protection du bien-être de la population». Voilà, c'est synthétisé. Beaucoup de choses qui se sont dites depuis trois jours dans ces courts paragraphes là. Vos membres, là, c'est la population aussi. Ça fait que si on veut protéger la population, on devrait vouloir protéger...

M. Comeau (Robert) : …c'est les mêmes… c'est les mêmes personnes.

M. Leduc : Ces gens-là votent, ces gens-là paient des taxes, sont des citoyens à part entière.

M. Comeau (Robert) : Bénéficient des services également.

M. Leduc : Oui, ils vont à l'hôpital aussi. Ils font… ils doivent se faire soigner aussi, le moins possible, on le souhaite. Ça fait qu'on… Vous avez peut-être un peu l'impression qu'on les met dans une autre catégorie, les membres de l'APTS, en quelque sorte?

Mme Charbonneau (Émilie) : Bien, en fait, c'est qu'on amène souvent dans le projet de loi… puis on est… on a écouté les commissions parlementaires, hein, donc une espèce de dichotomie entre la population puis les travailleuses puis les travailleurs, quand, dans les faits, bien, c'est toute la même chose, hein? Tu sais, quand on veut le bien-être de la population, bien, idéalement, on voudrait le bien-être des travailleuses puis des travailleurs. Puis, bien, le droit du travail, les droits qu'on veut défendre à travers le fait qu'on dit : Bien, on n'en veut pas, de ce projet de loi là, bien, c'est les droits de la population, en fait. Donc, moi, je vous dirais, à ce stade-ci, le droit d'association concerne la population en entier. Puis, quand on dit : Bien, rejetons le projet de loi dans sa forme actuelle, puis prenons le temps de s'asseoir, bien, on le fait aussi au nom des membres de l'APTS, mais aussi au nom de la population québécoise.

• (16 h 20) •

M. Leduc : Il y a des organisations syndicales qui sont passées avant vous puis qui ont annoncé qu'ils allaient contester juridiquement ce projet de loi là le jour un de son adoption. Avez-vous une réflexion similaire à l'APTS?

M. Comeau (Robert) : Clairement, si on juge que ça brime les droits de nos membres, on va aller dans ce sens-là aussi, on va étudier cette option-là.

M. Leduc : Bon, ça fait que vous… ils ne seront pas tout seuls. Il va y avoir une pas pire brochette d'organisations qui vont se retrouver au tribunal avec M. le ministre, qui avait l'air d'avoir envie d'y aller lui-même, défendre son projet de loi. On verra en temps et lieu. Merci beaucoup.

M. Comeau (Robert) : Merci.

M. Leduc : Merci.

Le Président (M. Allaire) : Merci à vous. On enchaîne avec le député de Jean-Talon, 2 min 38 s.

M. Paradis : Aujourd'hui, on a entendu des experts indépendants venir nous dire que de restreindre un droit fondamental, c'est très grave, que, si la population disait, demain matin, la liberté de religion ou la liberté d'association… Il y avait un projet de loi qui disait : le ministre se donne le droit de le suspendre, les gens seraient alertés et vous, vous nous alertez à la même chose, parce que… de la même chose, parce que vous dites : Là, on est en train de parler d'un droit constitutionnel très important.

Je vous cite : «Le pouvoir ici envisagé de mettre fin unilatéralement à une grève est profondément antidémocratique et confirme… confine à l'autoritarisme.» C'est ce que vous dites dans votre mémoire. Donc, vous dites : C'est un changement radical qui est proposé au droit du travail. Et vous dites qu'un projet de loi aussi lourd de conséquences devrait avoir été préparé après des consultations rigoureuses avec des actrices et des acteurs du monde du travail. Est-ce que vous avez été consultés par le ministre? Avez-vous eu un dialogue avec le ministre?

M. Comeau (Robert) : On s'est rencontré, il y a quelques semaines, pour la première fois sur un autre sujet. On a offert notre collaboration à ce niveau-là, parce qu'on savait qu'il y avait une réflexion. Donc, ça a été une surprise totale de voir ça débarquer en projet de loi comme ça. Quand on parle de… vous l'avez bien dit, quand on parle de changer la nature profonde d'un droit constitutionnel, bien, ça mérite de préparer le terrain puis de rencontrer les acteurs, les associations patronales, associations syndicales pour s'assurer d'avoir un certain équilibre, mais là on ne l'a pas, cet équilibre-là.

M. Paradis : Et vous… Le ministre dit souvent : Bien, il faut innover, il faut faire du droit nouveau. Plusieurs, à peu près tous les experts indépendants, sont venus nous dire qu'actuellement il joue avec le feu, mais vous, en plus, vous êtes prêts à en faire du droit nouveau. Vous proposez d'autres solutions. Pourquoi pensez-vous, le ministre ne vous écoute pas là-dessus, puis il va tout de suite dans des solutions radicales?

M. Comeau (Robert) : Je ne suis pas capable de l'expliquer. Je ne le sais pas. Je ne sais pas si… tu es capable.

Mme Charbonneau (Émilie) : Bien, ça revient à la consultation, je pense, la notion de consultation. Si on avait eu un forum pour pouvoir en discuter, donc je pense qu'il y aurait peut-être eu la chance qu'on amène ces éléments-là. Parce que la question de la gradation des moyens de pression, M. Comeau l'a bien mentionné, elle n'existe pas, notamment en ce qui concerne les services essentiels. On les connaît bien, on les applique grève après grève, donc on comprend la nécessité d'avoir une gradation des moyens de pression. Puis la notion de propositions alternatives qu'on met de l'avant, c'est justement pour jeter au jeu quelque chose qu'on pense qui pourrait être super intéressant puis qui atteindrait certains objectifs qu'on pense communs.

M. Paradis : Bon, bien, alors voyons voir si le ministre sera ouvert à considérer les solutions, les alternatives que vous proposez. Merci.

Le Président (M. Allaire) : Merci, M. le député de Jean-Talon, n'oubliez pas de rester assis avant qu'on ajourne les travaux officiellement. Mme Lévesque, M. Comeau, Mme Charbonneau et M. Cossette, merci pour votre contribution à cette commission. C'est apprécié.

Alors, je vous remercie naturellement encore une fois pour votre belle collaboration. Avant de conclure les auditions, je procède au dépôt des mémoires des personnes et des organismes qui n'ont pas été entendus lors des auditions publiques.

Alors, la commission, ayant accompli son mandat, ajourne ses travaux au vendredi 21 mars 2025 à 10 heures, où elle… entreprendra, pardon, un nouveau mandat. Merci, tout le monde. Bonne soirée.

(Fin de la séance à 16 h 23)


 
 

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