To use the Calendar, Javascript must be activated in your browser.
For more information

Home > Parliamentary Proceedings > Committee Proceedings > Journal des débats (Hansard) of the Committee on Institutions

Advanced search in the Parliamentary Proceedings section

Start date must precede end date.

Skip Navigation LinksJournal des débats (Hansard) of the Committee on Institutions

Version finale

37th Legislature, 1st Session
(June 4, 2003 au March 10, 2006)

Wednesday, September 10, 2003 - Vol. 38 N° 9

Consultations particulières sur le projet de loi n° 4 - Loi modifiant la Loi sur la justice administrative


Aller directement au contenu du Journal des débats

Table des matières

Journal des débats

(Neuf heures trente-huit minutes)

Le Président (M. Simard): ...permettre de vous rappeler à l'ordre et de débuter nos travaux. La séance est donc ouverte, et s'il y en a dans la salle et même parmi nous qui auraient oublié d'éteindre leur cellulaire, c'est le bon moment de le faire. Je vous rappelle le mandat de la commission qui nous réunit aujourd'hui: alors, nous nous réunissons pour procéder à des consultations particulières sur le projet de loi n° 4 intitulé Loi modifiant la Loi sur la justice administrative.

M. le secrétaire, auriez-vous la gentillesse de nous annoncer les remplacements s'il y en a?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Marsan (Robert-Baldwin) est remplacé par M. Morin (Montmagny) et M. Whissell (Argenteuil) est remplacé par M. Bernier (Montmorency).

Le Président (M. Simard): Très bien, merci beaucoup. Alors, je pense que vous êtes familiers avec la façon de faire les choses. C'est... M. Vallières, vous pouvez vous joindre à nous, avec grand plaisir, là. Est-ce qu'on doit annoncer un remplacement pour le député de Frontenac?

n (9 h 40) n

C'est la première fois que j'ai le plaisir de présider la commission. Je veux simplement, en guise de remarque, vous dire que j'ai été très honoré de l'honneur que vous m'avez fait de me mettre à votre présidence et que je tenterai ? et je le dis pour les deux côtés de cette commission ? avec la vice-présidente, nous tenterons de nous assurer que les travaux se déroulent de la façon la plus efficace, la plus sérieuse et la plus conviviale possible. Alors, je pense que nous y parviendrons avec l'aide et l'appui de tout le monde.

Remarques préliminaires

M. le ministre, bienvenue parmi nous. Nous aurons l'occasion évidemment de travailler souvent en votre compagnie, puisque vos activités ressortent des responsabilités de la commission des institutions. Alors, nous sommes aujourd'hui ici pour étudier le projet de loi n° 4, et nous vous écoutons maintenant pour vos remarques préliminaires.

M. Marc Bellemare

M. Bellemare: Alors, merci, M. le Président. Vous me permettrez tout d'abord de vous féliciter à mon tour pour votre nomination à la tête de la commission des institutions, qui est une commission importante, qui étudie des projets de loi également de grande importance. Sans vouloir minimiser l'importance des autres commissions, je crois qu'en commission des institutions nous aurons à débattre d'enjeux et de questions extrêmement importantes pour notre société. Et je saluerai également le député de Chicoutimi, porte-parole de l'opposition en matière de justice, avec qui j'aurai à travailler à l'occasion de plusieurs débats également. Je le salue et je le remercie pour sa présence ici. Je saluerai également et je remercierai tous les membres, tous les parlementaires qui siègent sur la commission, ainsi que tous ceux et celles et ainsi que les organismes qui ont accepté de se présenter ici, en commission parlementaire, et de faire valoir leurs moyens et leurs arguments relativement au projet de loi n° 4.

Alors, puisque souventes fois la nature et les faits des affaires présentées devant le Tribunal administratif du Québec ne soulèvent pas de difficultés particulières nécessitant pour en disposer une double expertise, le projet de loi propose, au nom de l'objectif de célérité inscrit dans l'article 1 de la Loi sur la justice administrative, de remplacer les règles actuelles et d'inverser la discrétion accordée au président du Tribunal. Ce projet, le projet de loi n° 4, propose en effet d'établir que désormais tous les recours portés devant le Tribunal soient, à moins d'une disposition particulière, instruits et décidés par un membre seul et d'accorder au président du Tribunal la discrétion de désigner, lorsqu'il l'estime nécessaire, d'office ou sur demande du requérant, une formation multidisciplinaire de deux membres pour tenir compte de la difficulté soulevée et de la nécessité d'une double expertise en raison de la nature du recours et des faits allégués. Il est également proposé d'établir que le membre chargé d'instruire et de décider de certains recours en matière de sécurité ou de soutien du revenu et en matière d'éducation devra être avocat ou notaire.

Ces modifications favoriseraient la célérité de la justice administrative en permettant d'augmenter le nombre d'audiences et de réduire les délais, tout en maintenant le niveau actuel du nombre de membres et la qualité des décisions rendues. Le projet de loi maintient cependant que les recours portés en matière de protection des personnes dont l'état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui continuent d'être instruits et décidés par une formation de trois membres, et que les mesures visant un accusé qui fait l'objet d'un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux et qui a été déclaré inapte à subir son procès demeurent instruites et décidées selon les règles du Code criminel.

En outre, le pouvoir du président d'augmenter le nombre de membres chargés d'instruire et de décider d'un recours en raison de la complexité ou de l'importance d'une affaire, sans par ailleurs nécessiter la multidisciplinarité, serait maintenu. Le projet de loi propose cependant de remplacer le critère de l'utilité sur lequel il se fonde pour le faire par celui de la nécessité.

De plus, la règle, selon laquelle un membre seul est appelé à siéger lorsqu'il y a lieu de décider de mesures relatives à la gestion des recours ou des questions incidentes serait également maintenue. Il en serait de même de celle selon laquelle il est fait état dans le rapport annuel des décisions du président modifiant l'information prévue.

Par ailleurs, ainsi que je l'ai déjà annoncé, j'ai l'intention de proposer d'autres modifications à l'administration de la justice administrative au cours des semaines ou des mois qui viennent. De sorte que j'invite les divers intervenants devant cette commission à nous livrer leurs commentaires sur l'abolition du caractère obligatoire des révisions administratives effectuées par divers ministères ou organismes, en matière d'indemnités et de prestations, sur la conciliation par le Tribunal, la régionalisation des points de services, le statut des membres et leur déontologie et la représentation des parties devant le Tribunal. Merci.

Le Président (M. Simard): Merci. Je sais que c'est un projet de loi en six articles, mais les remarques préliminaires sont aussi rapides que le projet de loi. M. le député de Chicoutimi et porte-parole de l'opposition officielle, vos remarques maintenant.

M. Stéphane Bédard

M. Bédard: Merci, M. le Président. Alors, à mon tour de vous féliciter pour votre nomination, à mon tour aussi de saluer le ministre. Dès que nous avons échangé, je l'ai assuré, encore cet été, pendant l'étude des crédits, de mon entière collaboration et de poursuivre les mêmes fins qu'il poursuit et que nous poursuivons tous. D'ailleurs, plusieurs de ses collègues sont ici ? de mes collègues aussi ? aujourd'hui; j'imagine qu'ils manifestent le même intérêt, celui d'améliorer la qualité, l'accessibilité et la célérité de la justice. Et ça, ce sont des objectifs que nous poursuivons, et je peux assurer le ministre de ma collaboration la plus entière lorsque les circonstances le justifieront, et à l'inverse lorsque évidemment ? et c'est le rôle de l'opposition ? je jugerai que les gestes contredisent cette volonté qui est partagée, eh bien, je me ferai un devoir effectivement de faire porter cette voix.

Je tiens aussi, bon, encore une fois à saluer mes collègues, tous mes collègues qui sont ici. Nous sommes en nombre défavorable, mais j'espère que la pertinence de mes propos aura pour effet de balancer ce désavantage numérique, M. le Président. Ha, ha, ha!

Quant aux différents gens qui sont ici, qui sont venus présenter leur mémoire ou qui viennent tout simplement assister, je les remercie, parce que c'est un projet de loi, vous l'avez dit, M. le Président, relativement bref et qui est animé, je le pense, de bonnes intentions. Et c'est pour cela d'ailleurs que nous avions, lors de la première lecture, appuyé le principe du projet de loi, celui d'améliorer la célérité, de faire en sorte que les délais soient plus courts. Et nous souhaitions d'ailleurs à l'époque ? nous l'avions mentionné au ministre ? des consultations particulières, parce qu'il s'agit quand même d'un domaine qui demande une expertise très spécialisée, comme le Tribunal, d'ailleurs, je vous dirais, par sa nature, mais aussi par le fait que les gens qui s'y retrouvent et surtout, bon, les gens qui, soit comme avocats ou comme groupes de revendication y pratiquent ou conseillent les gens, développent des expertises, eux aussi, quant à la vision qu'ils doivent avoir sur le Tribunal et sa bonne gestion comme sa bonne administration. Donc, c'est important d'avoir des consultations particulières.

Nous avons des mémoires, vous l'avez vu, aussi relativement succincts, comme les commentaires du ministre. Et je tenterai de ne pas trop le dépasser ? ce serait plutôt mal vu, d'ailleurs! Mais, par contre, la première lecture nous laissait croire à un plat relativement restreint, mais, après consultation et après avoir lu l'ensemble des mémoires ? et je suis sûr que mes collègues ont eu l'occasion, eux aussi, de lire ceux qui sont déjà déposés, et il reste quelques mémoires aussi à déposer, je pense, un ou deux ? mais ont pu constater, au contraire, que ce projet de loi soulève des questionnements assez fondamentaux, de différents ordres ? le ministre y a fait état ? tout d'abord, en remplaçant le critère de l'utilité par celui de la nécessité. Plusieurs mémoires ont apporté des questionnements là-dessus, pour différentes raisons juridiques, entre autres quant à l'indépendance judiciaire, d'autres simplement quant à la bonne administration de la justice, et ils se sont opposés, en général, à l'intrusion d'un tel critère.

L'autre pan est celui de porter atteinte à la multidisciplinarité en restreignant au banc d'un seul membre, par la même occasion le TAQ, le Tribunal administratif, et, malgré que cette vision de départ pouvait sembler séduisante, à l'évidence, ceux et celles qui sont appelés tous les jours à plaider, à se faire représenter ou à représenter des gens constatent, eux, par contre, que cette façon de voir là irait à l'encontre même de la vocation du Tribunal. Et là je paraphrase un peu l'ensemble des mémoires, mais ? je suis convaincu que mes collègues les ont lus autant que moi ? ils soulèvent des questions de fond quant à la mission même du Tribunal administratif et aussi ? et ça, je pense que, comme députés, nous sommes encore plus conscients et je vous dirais même plus touchés ? celui, je vous dirais, de l'équité et de la justice de ceux qui sont les plus démunis, ceux qui se retrouvent devant le Tribunal administratif et qui sont souvent sans moyens.

n (9 h 50) n

Certains mémoires m'ont soulevé plusieurs questionnements, et j'aurai l'occasion de faire part aux différents experts et ceux qui ont présenté des mémoires de certains questionnements quant aux conséquences qu'aurait l'adoption d'un tel projet de loi, quant à soustraire la multidisciplinarité de la composition du Tribunal.

Et un autre point aussi qui est soulevé par le projet de loi est celui de l'exclusivité juridique, de la spécialité juridique. On sait que le projet de loi a pour effet de ne pas obliger que le décideur soit un membre du Barreau ou membre de la Chambre des notaires, et, à l'évidence, et surtout lorsque, évidemment, dans la plupart d'ailleurs des cas maintenant, le Tribunal va siéger seul. Cela a soulevé beaucoup de questionnements, et pas simplement... On aurait cru à penser que, bon, c'était normal que le Barreau et la Chambre des notaires soient contre, mais, à l'évidence, l'ensemble des mémoires, et je vous dirais presque la totalité, à part un ou deux qui ne se prononcent pas sur la question, sont plutôt d'avis contraire, qu'il faut effectivement maintenir du moins l'obligation qu'un des membres soit avocat ou notaire, et en même temps ils disent de la même voix, et pour assurer un processus équitable et que le citoyen se sente pleinement représenté, qu'on maintienne aussi le caractère multidisciplinaire.

Alors, je ne veux pas aller plus loin, mais dire aussi, oui, que les objectifs de la loi, M. le Président, et vous le savez autant sinon plus que moi, sont effectivement de faire en sorte que la justice soit plus rapide, assurer la célérité de la justice, assurer son accessibilité. Mais, la Loi sur la justice administrative, le premier critère, et je pense effectivement que c'est un critère sur lequel nous ne devons pas avoir ni de réticence ni d'ambiguïté, c'est celui de la qualité, et en aucun temps il faudrait modifier la loi pour faire en sorte qu'il y ait, qu'on sacrifie la qualité au profit d'un autre des objectifs de la loi. Et ce qui ne me semblait pas être le cas au départ, à la lecture des mémoires ? mais nous aurons le temps d'échanger avec le ministre et avec ceux qui ont rédigé les mémoires ? il m'est apparu effectivement que ce souci de la qualité n'était pas nécessairement, ne se retrouvait pas au coeur du projet de loi, et je vous soumets mon opinion en toute humilité, je vous dirais, je pense plutôt que c'est le critère primordial de toute réforme, tant des tribunaux administratifs que des tribunaux dits judiciaires.

Et l'autre pan, et vous comprendrez que ce sera les principaux questionnements que j'aurai, c'est par rapport à la spécialisation du Tribunal administratif. Et c'est ce qui fait son caractère particulier. D'ailleurs, M. le Président, c'est qu'il est spécialisé, c'est que, comparativement aux tribunaux de droit commun, la Cour du Québec, la Cour supérieure, où il y a un juge qui détermine ? les parties qui font une preuve ? de la justesse des arguments, un tribunal spécialisé, par son nom lui-même d'ailleurs, développe une expertise dans les domaines très spécialisés, et lui-même possède cette expertise. On va au-delà ? il me reste... Ah! il me reste quelques minutes ? on va au-delà de la simple connaissance judiciaire, M. le Président, c'est une expertise réelle du Tribunal, et, à l'évidence ? mais, encore là, je vais écouter les différents intervenants sur cette question ? il semble que le projet de loi a pour effet de contrevenir et de mettre en péril cette spécialisation du Tribunal.

Alors, vous le voyez, ce qui paraissait simple au départ finalement va peut-être être compliqué mais intéressant. Et j'assure le ministre, tous mes collègues, d'un débat qui va être de grande qualité, parce que c'est un sujet qui demande effectivement... qui demande d'aller au-delà de la partisanerie, plutôt de chercher à ce que les citoyens du Québec aient accès à une justice qui soit équitable et que eux se sentent... aient aussi l'impression d'avoir obtenu justice. Parce que, c'est assez unique, le Tribunal, vous le savez, règle les litiges entre l'État et le citoyen, d'où l'importance d'assurer cette apparence de justice et évidemment cette qualité de la justice. Alors, je ne veux pas aller plus loin, nous avons... malheureusement, certains se sont désistés. Nous avons certaines plages horaires, je souhaite qu'on puisse les combler, parce que c'est un sujet très précis qui demande beaucoup d'avis diversifiés. Et j'invite d'ailleurs tous mes collègues à ne pas se limiter simplement, je vous dirais, à la petitesse en termes de nombre d'articles, mais de plutôt lire attentivement et creuser les questions de fond que soulève ce projet de loi. Alors, je ne veux pas être plus long et j'ai hâte d'entendre les premiers intervenants dans ce dossier.

Le Président (M. Simard): Merci beaucoup, M. le député de Chicoutimi et porte-parole de l'opposition pour les questions de justice. Nous allons rappeler un peu l'organisation des travaux de la journée. Le député de Chicoutimi venait de le rappeler, un groupe s'est désisté en fin d'après-midi. La CSN devait être avec nous à 17 heures... pardon, à 16 heures, donc le groupe qui devait être à 17 heures est maintenant à 16 heures. Donc, nous terminerons nos travaux à 17 heures, normalement. Les groupes que nous entendrons seront d'abord le Barreau du Québec, maintenant, la Chambre des notaires. Il y aura une suspension. Nous entendrons, à 14 heures, Me Michel Cyr, à 15 heures, la Fondation des accidentés de la route et, pour terminer, comme je le disais, à 16 heures, le Mouvement action justice.

Alors, vous connaissez nos règles. Normalement, là, à moins que, de consentement, on décide de faire quelques modifications, les groupes qui viennent devant nous ont 20 minutes pour nous présenter leur mémoire, ou bien le lire ou l'expliquer, peu importe. Ensuite, nous avons les 40 minutes qui suivent pour interroger, à parts égales, les députés de la majorité comme ceux de l'opposition, le ministre, évidemment, dialoguer avec les représentants des groupes qui viennent présenter leur mémoire.

Auditions

Alors, j'invite un groupe que nous recevons régulièrement, et heureusement, parmi nous et que nous verrons toute l'année, n'en doutez pas, nos amis du Barreau du Québec. MM. les juristes, veuillez vous joindre à nous. Vous aurez la gentillesse de vous identifier, et vous connaissez nos procédures. En début de chaque intervention, il serait utile, pour fins d'enregistrement, que vous précisiez qui vous êtes.

Barreau du Québec

M. Gagnon (Pierre): M. le Président de la commission, M. le ministre, Mmes MM. les membres de la commission, mon nom est Pierre Gagnon. Je suis le bâtonnier du Québec, ou le président de l'Ordre des avocats et avocates. Je suis accompagné, à ma droite, de Me Marc Sauvé, responsable des dossiers du droit administratif au Service de recherche et de législation du Barreau du Québec, à ma gauche, Me Louis Masson. Il se vante d'être le doyen des membres du comité du droit administratif du Barreau du Québec, ce qui ne le rajeunit pas mais lui donne une bonne expertise et une bonne sagesse que nous aimons utiliser dans des circonstances semblables.

Alors, d'abord, en mon nom personnel et au nom du Barreau du Québec, je désire vous remercier de nous avoir invités à vous faire part de nos préoccupations et de nos suggestions, le cas échéant, concernant le projet de loi n° 4 intitulé Loi modifiant la Loi sur la justice administrative, qui a été présenté le 6 juin dernier. À ce sujet, j'ai déjà fait part de certaines préoccupations dans une lettre adressée au ministre de la Justice le 16 juin dernier dont copie, je pense, a été transmise également à tous les membres de cette commission. Nous ne déposerons pas d'autres documents ou d'autres mémoires que cette lettre-là.

n (10 heures) n

Cependant, je ferai ici un certain nombres de remarques, si vous le permettez. Alors, également au nom du Barreau du Québec, je voudrais féliciter le ministre de la Justice pour toute l'énergie qu'il déplore... qu'il déploie afin de... ? j'ai dit «déplore» ? qu'il déploie afin d'améliorer la qualité et l'efficacité et surtout l'accessibilité de la justice administrative au Québec. J'ai fait part, dans mes projets et dans la vision que j'ai voulu apporter au Barreau du Québec, d'une préoccupation certaine pour le droit administratif. Il m'apparaît que c'est un des droits les plus en développement, et ce n'est plus, comme certains ont pu penser, un petit domaine du droit ou un domaine mineur du droit; c'est devenu, et heureusement, un domaine majeur d'activité. Et nous sommes très, très heureux de savoir qu'on pourra discuter de toutes ces questions-là de droit administratif. Et on assure le ministre et tous les membres, naturellement, de cette commission de notre collaboration pour partager avec eux tous... échanger nos idées sur tous ces objectifs.

Alors, nous sommes ici ce matin naturellement pour vous faire part de nos préoccupations concernant le projet de loi n° 4. Nous comprenons que l'objectif poursuivi par le législateur est de réduire les délais de traitement des dossiers au Tribunal administratif du Québec, délais qui peuvent aller jusqu'à 30 mois si on inclut les processus de révision obligatoires.

Cependant, je dirais qu'il ne faudrait pas, en voulant améliorer la question des délais, selon une expression populaire, jeter le bébé avec l'eau du bain et perdre des acquis très importants qui avaient déjà été établis dans la Loi sur la justice administrative et qui, selon nous, doivent être maintenus à tout prix. Alors, le ministre a raison cependant de se préoccuper de cette question des délais, et nous allons l'aider, dans la mesure du possible, pour s'attaquer à cette question des délais.

Maintenant, au niveau de la source du problème, le projet de loi n° 4 permettra de passer de deux à un décideur par formation et donc de multiplier le nombre de formations ou le nombre de bancs. Maintenant, est-ce que cette solution va régler le problème des délais? On peut se poser la question: Si les dossiers, par exemple, ne sont pas prêts à procéder, ils ne seront probablement pas plus prêts si on multiplie le nombre de formations. Alors, nous croyons que ça peut régler une partie du problème, cependant qu'il faudra aussi apporter d'autres mesures, comme cette question de la non-disponibilité des experts.

Les informations que nous avons sont que souvent les dossiers sont reportés ou ne procèdent pas à cause d'une question de non-disponibilité des experts. Il semble que, des juristes, il y en ait beaucoup, il y en ait suffisamment, il y en a 20 000, mais, des experts, c'est plus problématique, et c'est souvent du côté des experts que les problèmes se posent. Alors, la question qu'on doit se poser est: Comment doit-on assurer la présence accrue d'experts reconnus? Devons-nous envisager un nouveau système d'accréditation des experts, par exemple, là? Alors, c'est une question que nous posons.

Au surplus, le nouvel article 17.1 soulève des difficultés qui font l'objet de vives préoccupations pour le Barreau du Québec. Alors, les articles, plus particulièrement 21, 22.1, 25, 27, 29, 31, 33, 35 ? non, ce n'est pas un bingo, là ? mais 37 ? c'est le dernier article que je voulais mentionner ? prévoient généralement des bancs de décideurs formés par au moins un avocat ou un notaire, seul ou avec un autre professionnel non juriste.

Alors, après quelques années d'expérience, le Barreau est d'avis que les formations ou les bancs qui sont formés d'un avocat ou d'un notaire apportent les garanties de compétence et de crédibilité que les citoyens et citoyennes attendent des personnes appelées à décider de leurs droits.

Or, le nouvel article 17.1 proposé prévoit que les recours portés devant le Tribunal sont instruits et décidés par un membre seul, à moins d'une disposition particulière. Par ailleurs, 17.1 propose que le président du Tribunal ait la discrétion d'établir une formation multidisciplinaire, mais aucune garantie n'est fournie par le législateur en ce qui concerne la présence d'un juriste sur les bancs de décideurs.

Alors, vous avez vu, dans la lettre du 16 juin que j'ai adressée au ministre de la Justice, que nous concluions à une demande de retrait pur et simple du projet de loi, parce qu'il est certain que, dans la mesure où la seule ou sinon la seule, à peu près la seule chose qui est faite par ce projet de loi là est de faire que, au lieu de deux décideurs, on a un décideur, et qu'on fait enlever en même temps, sauf en matière sociale, le fait que ce décideur-là soit un juriste, pour nous, c'est absolument incompréhensible et inconcevable.

Je suis très, très heureux ce matin de constater, après avoir pris connaissance de la plupart des mémoires qui ont été déposés ici, après avoir entendu, lors de l'adoption de principe du projet de loi, ce qu'en ont dit les membres de l'opposition... Naturellement, le Barreau du Québec, la Chambre des notaires et même plusieurs organismes dont on ne se serait pas attendu à les voir venir défendre le fait que ce soient des avocats ou des notaires qui soient décideurs, ça semble faire, M. le ministre, une assez belle unanimité, cette question. Et, compte tenu du fait que nous croyons pouvoir vous convaincre sur ce point, nous allons, plutôt que de demander le retrait du projet de loi, nous permettre de faire certaines remarques sur d'autres aspects, comme vous nous y avez invités tout à l'heure.

Alors, naturellement, si besoin était, je me permettrai de plaider un peu sur cette question-là de garantie quant aux décideurs. Alors, le Barreau est d'avis qu'en reconnaissant le principe selon lequel l'application de la règle de droit relève des personnes possédant la formation juridique on porte atteinte ou on porterait atteinte à l'équilibre nécessaire entre les pouvoirs de l'État et les droits des citoyens... En effet, souvent, l'État est représenté par des avocats ou des avocates expérimentés, spécialisés dans le domaine qui fait l'objet du recours. Ainsi, devant un décideur qui ne posséderait pas la formation juridique qui lui permette de bien apprécier et de distinguer, lorsque nécessaire, les moyens soulevés par le procureur qui possède cette formation, le citoyen pourrait se retrouver désavantagé et placé dans une situation de déséquilibre, voire d'inéquité, devant le Tribunal administratif du Québec.

Alors, cette question-là, je pourrais vous déposer beaucoup de littérature sur l'importance du respect de la règle de droit dans notre société, d'apprécier les règles de justice naturelle, d'éviter que nombre de dossiers puissent aller en révision judiciaire ou en évocation parce que tout simplement la personne qui présiderait la formation ou qui déciderait seule ne serait pas juriste, et ça poserait, pensons-nous, de nombreux problèmes et, à ce compte-là aussi, ça ouvrirait une brèche assez importante qui fait que, finalement, à quoi ça servirait d'avoir des juristes pour décider, un peu partout dans tout ce qu'il y a de juridique, si ce n'est pas important au Tribunal administratif du Québec... j'imagine que ce ne serait pas plus important ailleurs. Et, selon nous, c'est vraiment un principe excessivement important.

Par ailleurs, un autre point sur lequel on veut attirer l'attention de la commission, le nouvel article 17.1 impose au président du Tribunal le critère de nécessité en matière d'assignation des membres. Or, il est important de rappeler que l'assignation des juges est une matière qui touche directement l'indépendance judiciaire.

Alors, nous croyons qu'en imposant le critère de nécessité en conjonction avec l'obligation de faire état des décisions du président modifiant les formations, l'État touche à une matière qui relèverait de l'indépendance judiciaire. À partir du moment où la personne qui se voit donner un critère, au lieu du critère de l'utilité, comme celui de la nécessité, et qu'il doit en plus faire un rapport à l'État, ça nous apparaît frôler, disons, de façon significative ce qui peut relever de l'indépendance judiciaire. En effet, le président du Tribunal peut, selon le projet de loi, prévoir une formation de deux membres lorsqu'il l'estime nécessaire. Il peut également, en raison de la complexité ou de l'importance d'une affaire, prévoir une formation composée d'un nombre de membres supérieur.

n (10 h 10) n

J'avais d'autres arguments sur la formation juridique, mais je prends pour acquis que, sur ce point, vous nous croyez sur parole, en tout cas, vous croyez qu'on vous le dirait, de toute façon, et qu'on aurait beaucoup d'autres choses à vous redire sur ce même point. Naturellement, on attache de l'importance à la crédibilité du Tribunal et à la confiance du public, qui est un des éléments aussi qui militent en faveur des juristes décideurs.

Il y a la question des problèmes juridiques aussi que comporte un dossier, qui ne sont pas toujours apparents dès le départ, et les objections à la preuve ainsi que les questions de procédure peuvent survenir à tout moment, même s'il peut apparaître, dans la régularité des choses, que les dossiers se passent bien. Ce n'est probablement pas à ce moment-là qu'on a vraiment besoin d'un juriste décideur, c'est lorsqu'il faut trancher des questions de droit et des questions de charte, des questions de règle de justice naturelle. Il ne faut pas oublier que le Tribunal administratif du Québec est le dernier recours pour les justiciables en matière administrative, sauf appel sur permission, dans certains cas limités, et sauf évidemment des recours extraordinaires à la Cour supérieure.

On invoque souvent, au soutien du projet de loi, le cas de la Commission des lésions professionnelles ? la CLP ? ou le cas des divers tribunaux judiciaires pour justifier l'existence d'un seul décideur. C'est un argument qui est valable, là, mais rappelons-nous que, devant autant la CLP que devant les tribunaux judiciaires, les décideurs sont des juristes, et c'est pour ça qu'on peut se permettre de citer ces exemples-là comme étant des bons exemples où on peut se permettre d'avoir un seul décideur.

Il y a également la question de la rédaction d'un jugement, question de la rédaction qui doit se faire de façon juridique pour bien expliquer aux justiciables pourquoi ils ont eu gain de cause, pourquoi ils n'ont pas eu gain de cause, et pour laisser une trace aussi du cheminement juridique du décideur qui permettra éventuellement aux tribunaux qui exercent la surveillance et le contrôle de pouvoir savoir s'ils doivent intervenir ou non.

Je m'aperçois que j'avais beaucoup de notes sur la question du juriste décideur, je vous en fais grâce.

Maintenant, je voulais aborder la question effectivement du critère de nécessité. Je l'ai mentionné un peu tout à l'heure, là, ça nous apparaît... je pense que le critère de l'utilité devrait être conservé plutôt que le critère de nécessité, pour laisser quand même l'indépendance judiciaire à celui qui... ou à ceux ou à celles qui auront à prendre ces décisions-là, mais aussi pour...

On a fait état dans plusieurs mémoires de l'importance... On dit que le Tribunal administratif du Québec est souvent un tribunal d'experts, un tribunal spécialisé. Son caractère spécialisé est beaucoup appelé «spécialisé» parce que les gens qui y sont sont des experts, sont des spécialistes, et une bonne partie des spécialistes sont effectivement des experts.

Alors, à ce moment-là, on pense qu'on devrait laisser... même si on est d'accord avec le principe d'un décideur unique, on devrait laisser une plus grande souplesse pour permettre vraiment d'utiliser comme assesseur, par exemple, ou comme expert de la cour... tous les tribunaux le font, la Cour supérieure... la Cour du Québec sent souvent le besoin de mandater des experts, et ils sont souvent très heureux d'entendre les experts lorsque les parties en ont. Alors, nous croyons que le critère de nécessité ne devrait pas être substitué à celui de l'utilité.

Je ne sais pas où j'en suis dans mon temps, là...

Le Président (M. Simard): Il vous reste trois minutes, M. le bâtonnier.

M. Gagnon (Pierre): Il me reste trois minutes? Alors, je voudrais simplement, à ce moment-là, aborder deux ou trois questions, là, qu'on nous invite... parce qu'on nous a invités, là, à le faire.

Alors, rapidement ? mais on pourra en parler peut-être en questions et réponses tout à l'heure ? la question, là, de la révision de base. Québec est d'avis que la révision est une étape, là, qui est vraiment... qui prend beaucoup de temps et qui n'amène pas beaucoup de changement au niveau des décisions et qui pourrait être mise à profit de façon plus efficace, notamment en allant... en mettant ces efforts-là, d'argent, de ressources, beaucoup plus sur la conciliation, qui est un phénomène en émergence et que le Barreau du Québec, comme vous savez, favorise grandement. On aura, cet automne, des formations très précises pour nos membres au niveau de la conciliation au niveau des tribunaux administratifs.

On a parlé de régionalisation. J'aime ça, entendre ça, parce que ça m'ouvre la porte un peu pour parler à certains membres du Parlement pour leur dire qu'on n'a pas du tout apprécié le fait que la Commission des relations du travail du Québec décide de siéger dans 12 lieux plutôt que dans 30 lieux régionaux sous prétexte de sauver 150 000 $. Vous allez en entendre parler dans vos caucus régionaux, parce que nos bâtonniers et bâtonnières de sections sont sur un certain sentier là-dessus, parce que c'est très, très, très important, si on commence à vider les régions de leurs décideurs.

Alors, je sais qu'on n'est pas ici... le ministre du Travail n'est pas ici, mais je pense que vous le connaissez bien et que vous pourriez lui transmettre, parce que, après ça, après la Commission des relations du travail, ce sera quoi, le TAQ? Ce sera tous les autres tribunaux administratifs qui vont quitter les régions pour s'en aller dans les grands centres? D'autant plus que le gouvernement annonçait une sensibilité au niveau des régions, dans sa documentation, et nous aimons à penser que c'est une initiative isolée du président de la Commission à laquelle il pourrait être remédié assez rapidement.

J'ai eu connaissance, en tout dernier... Je ne veux pas être trop corporatiste, là, mais il y a toujours une petite place pour ça dans mon esprit, j'ai pris connaissance du mémoire de nos collègues de la Chambre des notaires, qui viennent après nous, qu'on aime beaucoup mais qui, un peu, selon ? j'imagine que c'est de bonne guerre, là ? mais prévoient dans leur mémoire, notamment à la page 3, de parler de représentation ou d'assistance des gens, notamment par des notaires. Alors, je voudrais... j'aimerais bien ? puis je pense que c'est une bonne occasion de le dire, à l'occasion où c'est un nouveau gouvernement qui entre en place ? j'aimerais bien qu'on ne profite pas de toutes et chacune des représentations qu'on fera ici pour tenter de modifier la représentation ou ce qui est respectivement dévolu comme champ d'exercice à chacune des professions. Sinon, bien, là, on va ouvrir un autre champ. Je sais que c'est politique...

Le Président (M. Simard): M. le bâtonnier, n'en ouvrez pas d'autre, votre temps est écoulé; votre message a été entendu. Alors, maintenant, nous allons passer aux questions de part et d'autre. J'invite donc le ministre à lancer le débat.

M. Bellemare: Alors, je me permettrai d'abord de remercier le Barreau du Québec pour sa présence ici. Le Barreau a toujours été et sera toujours un partenaire important, déterminant pour la conduite des affaires de justice au Québec et l'élaboration des lois, bien sûr.

Je remercie et je félicite M. le bâtonnier de sa présence et je le félicite pour son accession au bâtonnat, accession qui a été couronnée lors du dernier congrès du Barreau, auquel j'assistais, et j'ai eu l'occasion, avec beaucoup de satisfaction, d'entendre M. le bâtonnier élaborer sur les priorités d'action au cours de la prochaine année, et je l'ai entendu parler de justice administrative, de célérité, d'accessibilité, et j'ai cru comprendre que sur certains volets importants nous partagions les mêmes points de vue, notamment sur la nécessité de rendre cette justice administrative plus accessible, de tout faire en notre possible pour régler cette plaie sociale des délais de cour, parce que... les termes sont d'un juge de la Cour d'appel, le juge Paré, en 1989, qui élaborait sur ce qu'il qualifiait, ce qu'il appelait la plaie sociale des délais de cour, et je pense que c'est encore bien d'actualité. C'est un problème social, et nos amis les anglophones disent: «Justice delayed, justice denied». C'est le cas et c'est le cas pour plusieurs citoyens en matière de justice administrative.

n (10 h 20) n

Nous avons, en campagne électorale, élaboré une politique, un document sectoriel en matière de justice administrative, c'est une première. C'est la première fois qu'un parti politique présentait à la population un document de réflexion sur la justice administrative, et, à l'intérieur de ce document, on retrouvait notamment la possibilité de réduire les formations devant le Tribunal administratif du Québec de deux à un pour améliorer la célérité du Tribunal et l'accessibilité au citoyen.

Je féliciterai également vos... les deux personnes qui vous accompagnent, Me Masson, Me Sauvé, qui ont une expertise certaine en la matière et qui ont, j'en suis convaincu, collaboré de près à la rédaction du document auquel vous vous êtes référé tout à l'heure dans le cours de votre présentation.

Je soulignerai ici, à l'intérieur de l'objectif de célérité, la nécessité, je crois, de réduire les bancs. Et, là-dessus, j'aimerais que vous nous expliquiez, le Barreau du Québec, comment vous voyez l'idée qu'un seul décideur soit affecté à chaque cause. Parce qu'actuellement on sait qu'au Tribunal administratif du Québec il y a dans tous les cas nécessité de deux décideurs, la loi l'impose.

Je me souviens, à l'époque de la création de la Commission des affaires sociales, en septembre soixante-quinze, à l'époque, la loi prévoyait ? c'était le premier tribunal d'appel, c'est l'auteur finalement du TAQ actuel et de la Commission des lésions professionnelles actuelle ? la loi prévoyait une formation de trois bancs: deux avocats et un médecin. Et, moi, j'ai plaidé comme avocat, à partir de soixante-dix-neuf, devant des bancs de trois personnes.

C'était relativement lourd, parce que trois personnes, ça impliquait bien sûr trois personnes qui questionnent, trois personnes qui s'impliquent dans l'audience, des interrogatoires qui sont plus longs, des réflexions qui sont plus longues, des délibérés également qui sont plus longs, parce que tout ce monde-là doit se concerter dans le cadre d'une décision négociée et rédigée. C'était tellement long que, à partir du milieu des années quatre-vingt, le président de la Commission des affaires sociales avait décidé de réduire les bancs de trois à deux. Et, à ce moment-là, il y a beaucoup de gens qui disaient: Oui, mais, trois à deux, vous voyez, on vient de perdre quelque chose. Ils étaient trois, donc la décision était meilleure nécessairement; on passe à deux. Aujourd'hui, il y a nécessité de deux juges dans toutes les divisions, il n'y a plus personne qui nous demande trois personnes à décider.

On sait également que devant les tribunaux civils, même les tribunaux spécialisés en matière civile... Parce que la spécialisation n'est pas l'apanage exclusif des tribunaux administratifs; la Cour du Québec, section jeunesse, est une cour spécialisée, tout autant que le Tribunal administratif du Québec. Et pourtant un juge seul, de formation juridique, décide et entend l'affaire. Et je n'ai jamais entendu personne se plaindre de la qualité des décisions rendues par les juges de la Cour du Québec, chambre jeunesse, malgré qu'ils aient à entendre quotidiennement les experts, psychologues, sociologues, travailleurs sociaux, médecins et psychiatres.

Vous avez élaboré tantôt sur la nécessité qu'un juriste puisse entendre les causes dans l'hypothèse où un seul membre était désigné pour entendre les causes. Vous avez élaboré également sur, à votre avis, la nécessité de modifier le concept de nécessité pour adjoindre un expert, un juge avocat éventuel, donc de modifier le critère de nécessité pour le remplacer par le critère d'utilité, je crois bien. Je ne sais pas si je vous cite bien, mais je crois que c'était...

M. Gagnon (Pierre): C'est bien, c'est factuel, je crois.

M. Bellemare: Bon, voilà.

M. Gagnon (Pierre): En fait, c'est plutôt de ne pas le modifier.

M. Bellemare: Alors, est-ce que je dois comprendre... est-ce que je dois comprendre, M. le bâtonnier ? c'est ma question ? que, si nous décidions éventuellement que ce décideur unique était nécessairement un avocat ou un notaire et si nous modifiions le critère de la nécessité pour le remplacer par celui d'utilité, le Barreau du Québec serait favorable au projet de loi n° 4?

M. Gagnon (Pierre): Je dirais... Je vais commencer par le... vos premières... votre première question. Alors, l'idée d'un décideur unique ne nous pose pas nécessairement de problème, dans la mesure où on n'envoie pas le pendule à l'autre extrémité et en faisant en sorte que non seulement ce sera un décideur unique, mais on resserre le critère qui permet finalement d'arriver à lui adjoindre quelqu'un en le rendant encore plus difficile.

En parlant de nécessité, un critère de nécessité, c'est très difficile, on plaide ça dans des injonctions, et puis on n'en obtient pas tant que ça finalement, sur ce critère-là, de nécessité; c'est un critère qui est très difficile.

Alors, on pense... nous pensons que, si on peut effectivement avoir un décideur unique, mais dans la mesure où on pourra laisser une assez grande souplesse pour qu'on puisse lui adjoindre un expert éventuellement, en laissant le critère de l'utilité... Parce que vous avez mentionné tout à l'heure le Tribunal de la jeunesse. C'est un exemple qui cloche un petit peu, vous permettrez. Vous allez me dire que tous les exemples le font, mais, au Tribunal de la jeunesse, que je sache, dans tous les dossiers, il y a des experts qui témoignent et qui sont amenés par les parties devant le Tribunal de la jeunesse, alors qu'on pourrait facilement penser que dans... notamment, je pense aux affaires sociales, où on verrait, on pourrait voir souvent à ce moment-là la partie gouvernementale ? parce qu'il faut toujours penser que c'est le citoyen versus l'État ? alors que la partie gouvernementale ait son expert et que l'autre partie n'en ait pas, et que le Tribunal aurait vraiment, probablement souvent, le goût de questionner cet expert-là ou de poser des questions à son propre expert et serait à peu près incapable d'en avoir un, à moins d'avoir, sur la base de la nécessité, là, qui devient très, très, très difficile.

Alors, pour répondre à votre question finale qui est un petit peu... qui est assez directe ? le moins qu'on puisse dire ? je pense que, si on avait l'assurance d'un décideur juriste, avec le critère d'utilité qui demeurerait et avec une assez bonne souplesse ? là, je ne sais pas s'il y a d'autres dispositions qu'il faudrait y ajouter ? mais une assez bonne souplesse pour faire en sorte que, quand le décideur, en quelque part, là, pourrait vraiment trouver utile d'avoir un expert... parce que je le répète, ça demeure un tribunal spécialisé, et c'est pour ça que les tribunaux supérieurs disent qu'ils doivent se maintenir une réserve judiciaire, dû au fait que le Tribunal est spécialisé, et il doit à ce moment-là le demeurer. Alors, ma réponse est que je pense qu'on commencerait à se rapprocher de quelque chose qui a du bon sens.

Le Président (M. Simard): M. le ministre.

M. Bellemare: Vous avez tantôt élaboré sur un certain nombre de pistes de solution au problème de délais.

Le projet de loi n° 4 vise uniquement la formation des bancs au Tribunal administratif du Québec. Le problème qui fait en sorte que le délai moyen d'attente au Tribunal administratif du Québec actuellement se rapproche des 24 mois n'est pas dû uniquement à la formation des bancs, évidemment, mais à un certain nombre de facteurs.

Je sais que plusieurs avocats se spécialisent dans le secteur du droit social, et je sais que le Barreau a déjà eu à élaborer, et je sais que pendant... à l'occasion de votre discours d'assermentation, M. le bâtonnier, vous avez élaboré sur un certain nombre de pistes, notamment il y avait les instances de révision, dont j'ai parlé tantôt dans mes notes introductives.

Êtes-vous en mesure de nous parler ce matin, là, de ce que pourrait avoir pour effet l'abolition de l'instance de révision qui précède la saisine du Tribunal administratif du Québec?

M. Gagnon (Pierre): Les positions actuelles et antérieures du Barreau du Québec ? je réfère à un mémoire de mai 2001, je pense, Marc, et à l'autre avant qui était quelque part en 2000 ? et on connaît mieux, plusieurs connaissent mieux les dates que moi, mais il est une constante dans nos mémoires que le processus de la révision, de fait, pourrait et devrait, aurait avantage à être enlevé. Encore là, il faudrait, il faut toujours s'assurer, quand on enlève quelque chose, là, qu'on ne va pas vers la solution trop carrée qui ne permet pas de sauver certains avantages.

n (10 h 30) n

Il est sûr que la révision prend beaucoup de temps. On sait qu'il y a 80 % à peu près, 85 % des décisions qui sont maintenues, qui ne sont pas changées par l'étape de la révision, et on sait que celles qui sont changées généralement le seraient de toute façon par le Tribunal administratif lui-même. Et, nous, nous sommes portés à penser que les ressources qui vont actuellement à la révision et ce temps qui va actuellement à la révision pourraient fort avantageusement être consacrés à une amélioration de l'aspect de la conciliation, et pour pouvoir... Dans une vie antérieure, j'ai eu à négocier des tarifs de l'aide juridique, où on a effectivement négocié une tarification ? je vais vous dire pourquoi j'arrive à ça ? qui a fait en sorte que c'est devenu finalement aussi avantageux pour les procureurs agissant dans des dossiers de droit administratif de faire la conciliation que d'aller plaider devant le Tribunal, et on a constaté qu'une bonne partie des dossiers qui étaient en attente de conciliation, les délais se sont de beaucoup améliorés.

Il faudrait cependant faire quelque chose avec... il y a aussi... On dit toujours que le mieux est l'ennemi du bien ? vous aurez la chance de le lire dans mon prochain propos du bâtonnier, d'ailleurs, sur un autre sujet... C'est qu'à un moment donné il ne faudrait pas non plus que les 20 ou 25 % de dossiers qui actuellement se règlent peut-être assez facilement par une révision administrative nécessitent une audition devant le... vous comprenez ce que je veux dire? Parce que là on changerait quatre vingt-cinq-sous pour un dollar, parce que là on n'aurait plus... La révision pourrait être pour les 80 % de cas qui ne donnent rien, mais, pour les 20, 25 % de cas qui donnent quelque chose et où la révision se fait souvent par téléphone ou de façon facile, il ne faudrait pas... je pense que vous comprenez ce que je veux dire, là, l'idée étant que la révision, oui, devrait être mise de côté, en tout cas certainement en très grande partie, mais il faut laisser quelque chose pour des cas où c'est assez évident et ne pas enclencher un processus adversaire devant le Tribunal administratif pour des cas vraiment de pure forme où il y a eu simplement une erreur à quelque part dans le processus et que tout le monde est prêt à le constater, dans la mesure où on se parle un peu.

M. Sauvé (Marc): Pour ajouter peut-être un point. Les secteurs où les praticiens, dans nos comités, ont constamment rappelé un peu l'inutilité de ce processus de révision, c'est en matière de santé et sécurité au travail et en matière d'assurance automobile, généralement, là. Et les positions que le Barreau a prises, là, par écrit à ce sujet sont assez claires. Les procureurs attendent, là, finalement que tout ça soit passé pour aller au TAQ. C'est un peu comme une étape un peu inutile et longue. Et une réflexion aussi doit être faite sur le caractère obligatoire de la révision ou pas. Peut-être que la révision, dans certains cas, pourrait avoir une certaine utilité. Et de là à la rendre obligatoire dans tous les cas, c'est peut-être une réflexion qui doit être faite.

M. Moreau: M. le Président, avec la permission et le consentement évidemment de nos collègues, nous aurions besoin d'une suspension de quelques minutes.

Le Président (M. Simard): Volontiers. Disons cinq minutes, 10 minutes? 10 minutes? Très bien. On se retrouve ici dans 10 minutes.

(Suspension de la séance à 10 h 34)

 

(Reprise à 10 h 44)

Le Président (M. Simard): Nous reprenons nos travaux. Nous avions terminé l'interrogation, je pense que le temps était écoulé.

Une voix: Il restait cinq, six minutes.

Le Président (M. Simard): Ah! pardon, il restait encore cinq minutes. Donc, la partie ministérielle... M. le ministre ou d'autres députés ministériels qui le souhaiteraient peuvent encore intervenir, poser des questions, nous avons encore cinq minutes avec Me Gagnon et le Barreau du Québec. M. le député d'Acadie.

M. Bordeleau: M. le bâtonnier, d'abord, je veux vous remercier et vous féliciter des commentaires que vous avez apportés. Je pense qu'il y a des suggestions qui sont intéressantes, dans les commentaires que vous avez faits, et qui méritent réflexion. Maintenant, j'ai été... en fait, c'est un commentaire, puis j'aurai une question après. Le commentaire, c'est que j'ai été un peu surpris de la conclusion de votre mémoire, où vous dites: «Pour toutes ces raisons, le Barreau du Québec vous demande de retirer ce projet de loi au feuilleton.» Il me semble que les commentaires que vous avez faits étaient des commentaires plus qui suggéraient des modifications au projet de loi, alors que votre conclusion, c'est de retirer le projet de loi. En fait, vous pourrez réagir, là, mais je trouve un petit peu... il me semble qu'il y a un décalage entre le mémoire et la conclusion.

La question que je voulais vous poser, c'est... Vous avez fait référence tout à l'heure aux retards qui sont dus souvent aux experts. Bon, je pense que ça peut être effectivement le cas, mais je me demandais sur quoi... Est-ce que vous avez des données plus précises sur l'importance de ce facteur-là dans les retards, par exemple, au Tribunal administratif? Est-ce qu'il y a quelque chose de plus précis que vous avez comme information à ce niveau-là?

M. Gagnon (Pierre): Sur vos deux questions ou remarques... sur la première, bien, je vous référerais...je pense que ce qu'on dit ici est enregistré et est transcrit, là. Je pense que, au début de mon intervention, j'ai clairement établi qu'effectivement, compte tenu du déroulement des choses... Parce que, là, la première chose qu'on a vue dans ce projet-là, et ça en semblait la principale caractéristique, c'était de faire que non seulement il y avait un seul décideur, mais que ce serait ni un avocat ni un notaire, et donc un non-juriste... nous nous sommes dit et nous continuons à nous dire que, si c'est vraiment ça, oui, il faut... il ne faut pas aller de l'avant avec ce projet-là. Mais j'ai ajouté, j'ai ajouté et je réajoute que je crois que les choses ont évolué depuis ce temps-là; je crois percevoir que l'ensemble des intervenants nous donnent raison sur ce point et je me porte à espérer qu'on pourrait peut-être avoir des bonnes chances de faire changer d'idée le ministre sur ce point-là. Et, pour le cas où, bien, on donne quand même nos remarques sur le reste. Et aussi, il faut dire que, depuis le temps, la loi a été adoptée sur son principe, et aussi on a annoncé un élargissement des discussions sur d'autres sujets sur lesquels on a déjà commencé à discuter. Alors, c'est pour le premier... c'est sur le premier point.

Sur le deuxième, je ne veux pas prendre au dépourvu Marc, ici à ma droite, mais, si quelqu'un... si on a des données, c'est lui qui le sait. Alors, je vais lui demander de vous répondre là-dessus.

M. Sauvé (Marc): Écoutez, c'est extrêmement empirique. On n'a pas fait de sondage ou d'analyse dans la communauté juridique, mais, invariablement, quand on a des comités, au Barreau, sur la justice administrative, les praticiens nous disent: Maudit que c'est difficile de mettre la main sur un expert! Et, à court terme... Ils ont des échéanciers, là, absolument impossibles. Et ça, ça revient constamment. Alors, il semble y avoir un manque de disponibilité des experts, ce qui inévitablement va allonger les délais.

Il y a d'autres sources aussi. Certains nous ont parlé des mises au rôle, de quelle manière les mises au rôle sont faites. Est-ce que c'est fait un peu au hasard, on met n'importe quelle date sans trop parler aux parties, ce qui invite évidemment les procureurs à faire des demandes de remise? Alors, tout ça, ça se tient. Et peut-être qu'une des solutions, ou les solutions ne sont pas nécessairement de nature juridique ou législative, ça peut être des mesures administratives qui pourraient être apportées pour réduire ces délais-là.

Pour avoir une idée d'ensemble, il faudrait que ce projet de loi là puisse s'incorporer à l'ensemble d'une réforme, pour qu'on puisse comprendre exactement, là, les diagnostics, les difficultés et bien arrimer les solutions proposées avec la difficulté des délais.

M. Gagnon (Pierre): Alors, la réponse, c'est qu'on n'a pas de statistiques.

M. Bordeleau: Parfait. Alors, je vous remercie.

Le Président (M. Simard): Merci beaucoup. Cette partie de notre rencontre étant écoulée, je vais demander au représentant de l'opposition officielle de bien vouloir prendre la parole.

M. Bédard: Merci, M. le Président. Je remercie encore une fois les membres du Barreau, M. le bâtonnier, Me Sauvé, Me Masson, de leur expertise, du contenu de leur mémoire, mais évidemment des commentaires additionnels qu'ils nous ont fait part aujourd'hui, qui sont toujours très intéressants et instructifs pour la commission.

M. le bâtonnier, ma première question... plutôt, M. le Président, elle s'adresse évidemment au bâtonnier. Vous êtes au Barreau... ça fait plusieurs années que vous pratiquez, Me Gagnon?

M. Gagnon (Pierre): Je dirais oui.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Bédard: Sûrement plus longtemps que moi.

n (10 h 50) n

M. Gagnon (Pierre): Le Barreau 1974, qui est une...

M. Bédard: Parfait, selon toute apparence...

M. Gagnon (Pierre): On aime à dire que c'est une bonne cuvée, mais toutes les années disent ça, finalement.

M. Bédard: Millésimée, paraît-il. Ce qu'on me... J'imagine, aussi, depuis le début, même au départ de votre jeune pratique jusqu'à aujourd'hui... d'abord, même la création et par la suite l'efficacité des tribunaux administratifs ont été de tout temps, je vous dirais, un sujet de préoccupation de la communauté juridique, n'est-ce pas?

M. Gagnon (Pierre): Oui, c'est sûr. Puisque vous faites appel à ma longue expérience, moi, de par ma pratique, je suis allé beaucoup devant des tribunaux administratifs dans d'autres domaines, du secteur du travail notamment, dans le domaine de la construction, devant des commissaires, etc., alors j'ai été à même de voir beaucoup évoluer toute la question de ce qu'on appelle le droit administratif, c'est pour ça que je me permettais de dire, et je le dis et je le répète aux membres du Barreau à chaque fois que j'en ai l'occasion, il y a eu pendant un certain temps un certain... pas un mépris, ce n'est pas le bon mot, mais un petit peu... on prenait un petit peu de haut cette question-là des tribunaux administratifs comme étant des tribunaux un peu mineurs, si on veut, et, moi, personnellement, je n'ai jamais cru ça, et je pense que c'est devenu l'évidence actuellement, de sorte que, oui, j'ai suivi beaucoup toute l'évolution du droit administratif, en tout cas. Oui.

M. Bédard: J'imagine que vous ne me contredirez pas non plus en vous disant que, évidemment, depuis vos jeunes années de pratique jusqu'à aujourd'hui, il y a eu plusieurs améliorations qui ont été apportées à cette justice administrative, et, je vous dirais, peu importe le gouvernement qui a été là, ça a été toujours un souci des gouvernements mais aussi, je pense aussi, du ministère de la Justice d'assurer une meilleure efficacité, une meilleure qualité, une plus grande qualité, de maintenir ou d'améliorer cette qualité, cette accessibilité. Et donc, cette justice a subi plusieurs modifications, et je vous dirais même, j'irais jusqu'à dire plusieurs améliorations, jusqu'à un avenir quand même pas si lointain où, je vous dirais, il y a eu une réforme en profondeur, qui avait été commencée d'ailleurs par le gouvernement précédent sous forme de consultation ? évidemment, «précédent», si on se reporte à aujourd'hui, le gouvernement libéral de l'époque ? et qui avait été poursuivie et terminée par le gouvernement du Parti québécois jusqu'en 1998. Et là je vous fais grâce de toutes les modifications qui ont précédé. Mais, selon la perception qu'ont vos membres et le Barreau du Québec, est-ce que vous jugez que cette dernière réforme en profondeur a eu des effets bénéfiques tant sur l'aspect... sur tous les aspects du droit administratif?

M. Gagnon (Pierre): Vous voulez parler de la création du Tribunal administratif du Québec et de la Loi sur la justice administrative? Oui, le Barreau perçoit comme étant un élément très, très positif l'arrivée de la Loi sur la justice administrative. Nous pensons que le TAQ, le Tribunal administratif du Québec, est une excellente chose... «chose» n'est pas le mot, là, mais un excellent tribunal, et le concept est assez bon. Et, cependant, nous sommes d'accord qu'à partir du moment où on commence... Vous vous souvenez aussi, là, même si vous êtes beaucoup plus jeune que moi, vous vous souvenez sans doute que l'idée de la justice administrative et des tribunaux administratifs était aussi à quelque part d'aller chercher à la fois l'expertise mais aussi une certaine rapidité dans le traitement des dossiers, alors qu'on disait à l'époque: Si tu vas devant un tribunal de droit commun, tu en as pour deux, puis trois et quatre ans, et si tu vas devant un tribunal administratif, ça va aller rapidement. Malheureusement, là, on est obligé de constater, pour toutes sortes de raisons, financières ou autres, que c'est rendu un peu l'inverse. Moi, je peux vous dire que la Cour du Québec, par exemple, ici, à Québec, qui est mon patelin, on peut être facilement entendu sur une cause au mérite, contestée, on est sur le rôle dans quatre mois, et puis on peut penser que, à l'intérieur de six mois, même une cause contestée est entendue, jugée, et je pense ? je vois Me Gabias ici, là, qui a une expérience dans une autre région ? je pense que c'est généralement... Alors, à quelque part... Alors, on nous dit que le Tribunal, le TAQ est rendu à 30 mois, et les tribunaux de droit commun sont rendus à six mois. Alors, cherchez l'erreur, il y a quelque chose à quelque part qui ne fonctionne pas, là.

Alors, oui, le Tribunal administratif du Québec est une très bonne institution, elle mérite et elle doit certainement demeurer, mais elle a besoin d'être améliorée, et très certainement sur la question du délai, parce qu'à quelque part on a beau avoir le meilleur tribunal administratif du monde, si ça lui prend trois ans, quatre ans, dire à quelqu'un s'il est un accidenté ou s'il n'en est pas un, il est mieux de le savoir de façon un peu plus brutale, mais dans quelques mois finalement, pour savoir qu'est-ce qu'il va lui arriver dans sa vie, là.

M. Bédard: M. le bâtonnier, vous avez sûrement eu accès, là, au rapport sur la mise en oeuvre de la justice administrative. J'imagine que le Barreau a eu accès et a eu le temps, là, de...

M. Gagnon (Pierre): Voulez-vous être plus précis, parce que, des rapports, on en reçoit un certain nombre.

M. Bédard: Le rapport de mise en oeuvre, la Loi sur la justice administrative, de juin 2003, celui qui a été déposé, là...

M. Gagnon (Pierre): Oui, oui.

M. Bédard: ...tout récemment, qui faisait état de différentes recommandations, qui a étudié... parce que la loi, évidemment, est récente, et donc il devait rendre compte tant au ministre qu'à l'Assemblée nationale de la performance en même temps et des objectifs que s'était donnés le projet de loi à l'époque. Rappelons-les encore, soit la qualité, l'accessibilité et la célérité. Et on y fait mention, dans ce rapport, effectivement d'une diminution des délais, d'une amélioration des différents services et du fonctionnement, entre autres, du Tribunal. Et là je vous parle spécifiquement du Tribunal, parce qu'on aura l'occasion de parler un peu des étapes précédentes qui ont parfois pour effet d'alourdir, même d'allonger. Est-ce que vous partagez ce point de vue qui a été exprimé dans le rapport?

M. Gagnon (Pierre): Bien là vous parlez des rapports statistiques qui sont déposés?

M. Bédard: Du rapport, du dernier rapport.

M. Gagnon (Pierre): J'ai beaucoup de difficultés à ne pas être en accord avec les statistiques, à moins d'en avoir moi-même d'autres qui m'indiqueraient que des statistiques ne sont pas bonnes. Si vous dites qu'il y a eu, je pense, des améliorations et qu'une bonne partie du délai est due à ce qu'on appelle... je cherche le nom, là, peut-être que M. le président, qui connaît bien la langue française, pourrait m'aider... ce qu'on appelle un «backlog». En français, c'est un...

Le Président (M. Simard): Le retard.

Une voix: L'accumulation.

Le Président (M. Simard): L'accumulation. On a tous compris ce que vous vouliez dire.

M. Gagnon (Pierre): Alors, disons des dossiers accumulés. Alors, ce sont...

M. Bédard: L'inventaire, il parle de l'inventaire.

M. Gagnon (Pierre): Ce sont beaucoup des dossiers accumulés. Et je crois beaucoup que, dans ce qu'on appelle les dossiers accumulés, je crois beaucoup aux vertus de la conciliation pour ces dossiers-là, là, pour vraiment... À partir du moment où la conciliation aura pris son rythme de croisière, il m'apparaît que ça va aussi aider. Ce n'est pas une mesure... à notre avis, on l'a dit tout à l'heure, ce n'est pas une mesure seule qui va régler toutes ces questions-là, notamment de délais, mais un ensemble de dispositions.

M. Bédard: Voilà. Et, bien que la réforme date de 1998 et que je pense effectivement qu'elle fut très largement acceptée et a suscité beaucoup de satisfaction dans l'ensemble de la communauté... elle n'est pas sans exception, évidemment, mais je vous dirais généralement, et je pense que vous êtes du même avis... Si, par contre, et toute chose peut être améliorée, mais, étant donné que le ministre nous fait état, et vous l'avez entendu lors des nombreux... en congrès, dans ses interventions, mais d'une réforme plus globale, d'une révision plus globale de la justice administrative, ne penseriez-vous pas qu'il serait plus à propos d'intégrer une modification, qu'elle soit bonne ou mauvaise, du type que nous avons aujourd'hui, dans une réforme globale, étant donné le fait, comme vous disiez tantôt, que c'est un ensemble? La justice administrative ne peut pas être traitée à la pièce. Elle comporte différentes facettes qui doivent être toujours améliorées. Quant aux délais, vous avez même manifesté, quant au projet de loi, qu'il n'étaient pas de nature, selon votre perception... Mais là, évidemment, on n'a pas de statistiques à l'appui, mais je vous avouerais que le ministre n'en a pas non plus, alors on est tous les deux... on est tous les trois dans la même situation... mais ne seraient pas de nature nécessairement à créer, à faire en sorte effectivement que ça favorise ultimement et de façon importante la célérité.

Donc, est-ce que vous ne pensez pas que ce serait beaucoup plus transparent, je pense, beaucoup plus intéressant d'avoir justement cette vision globale, au lieu de procéder pièce par pièce sans avoir l'ensemble du puzzle que le ministre a actuellement en réflexion?

n (11 heures) n

M. Gagnon (Pierre): Bien, il est certain que lorsqu'on a vu arriver le petit... Le petit premier projet de loi n° 4, au mois de juin, là, il est arrivé vite, et effectivement un peu spécifique sur certaines mesures. Et, par ailleurs, j'ai compris, depuis le temps, que... J'ai compris qu'on aurait droit à la pièce de résistance assez... C'est bientôt, et j'aime à penser que tout ça va comme cheminer en quelque part ensemble et qu'il va falloir en cours de route... Et j'aime à penser que le gouvernement se préoccupe de ça, là, que la pièce qu'on est en train de regarder pour possiblement l'adopter devra, en quelque part, s'arrimer de façon harmonieuse avec la réforme globale. Mais, si vous demandez: Est-ce que c'est mieux d'avoir tout le portrait que d'avoir une seule photographie? je dirais oui. Mais, comme je le dis souvent, le mieux est l'ennemi du bien. Alors, puisqu'on a ce projet de loi là à discuter, alors nous le discutons.

M. Bédard: ...effectivement, là. Mais, vu que les intentions du ministre sont bien connues... Et c'est pour ça que je posais la question. D'y aller de façon plus large, moi aussi, je me disais effectivement que, comme d'ailleurs nous l'avons fait en 1998 et les gouvernements précédents l'ont fait, c'est d'y aller d'une façon beaucoup globale pour justement atteindre les objectifs qu'on s'est donnés, d'autant plus que la réforme, il faut le dire... Entre vous et moi, la réforme date de quelques années, 1998, ce n'est quand même pas les... ce n'est quand même pas, là... on ne remonte pas à l'Antiquité. Et on nous dit que, malgré l'inventaire, ce que vous appelez, là, le nombre de dossiers en retard, aussi, qui ont été transférés, actuellement, dans les différents rapports... Même le Vérificateur, d'ailleurs, en fait mention, les rapports du Tribunal administratif aussi, que, sensiblement et d'une façon très évidente, les délais, dans l'ensemble, ont effectivement été améliorés, et donc ne vaudra-t-il pas mieux justement juger l'arbre à ses fruits? Mais encore faut-il laisser un peu de temps à ces fruits de montrer toute leur belle saveur.

M. Gagnon (Pierre): J'aime bien la saveur des fruits, mais je ne vous suivrai pas jusqu'à ce point-là. Je ne pense pas que de passer de 30 mois à 22 mois... Si on me dit: Tu pèses 400 lbs, puis tu viens de perdre 5 lbs, je serais bien content, mais je ne serai pas content de l'ensemble. Alors, je ne pense pas qu'effectivement on puisse simplement espérer que, en laissant aller tout ça gentiment, ça va vraiment baisser de façon significative quant aux délais. Je pense qu'il faut aider le processus par des interventions, oui.

M. Bédard: Je vous ferai une autre allégorie. Ce n'est pas exactement ce que j'ai dit. Ce que je vous dirais, c'est comme... on donne un remède à un patient qui est malade, on n'a pas de pouvoir si le médicament a donné effet. Si on accumule les médicaments, bien là, évidemment... Et là, une allégorie en vaut une autre, je vous dirais, là, elle est toujours boiteuse, mais on doit s'assurer que, si le traitement effectivement a été efficace... Et les premiers, je vous dirais... les premières indications, plutôt, nous donnent plutôt l'effet contraire, tout en étant conscient, et ça, je suis d'accord avec vous, il faut toujours chercher à améliorer cette justice administrative et de voir, à travers cette réflexion, comment on peut y ajouter... la bonifier.

Et une des façons, vous me disiez, là, et vous m'avez ouvert la porte un peu... Quant aux délais, vous nous avez dit: Bon, les délais sont dus, ils peuvent être dus de... Ils sont de différents ordres. Oui, bon, on a ramené, en général, à 22 mois, mais, en tenant compte du fait qu'il y avait des anciens dossiers... dans tous les rapports, c'est indiqué d'ailleurs, les anciens dossiers qui traînaient, il y a plus de dossiers qui se ferment... qui ouvrent actuellement, au TAQ, donc, oui, le Tribunal est efficace en termes de gestion. Je ne vous dis pas qu'il peut pas l'être plus, au contraire, je pense que... mais qu'il donne des fruits en apparence... Il donne des résultats, plutôt... Mais il reste quand même des délais, effectivement.

Et là vous avez donné une des indications, sans statistiques, mais nous n'en avons pas. Et là, pour différentes raisons, on n'en a pas du ministre aussi, mais, dans certains rapports, il y a des indications, par contre. Entre autres, je vous dirais, celle que vous mentionniez, tout simplement la disponibilité des experts, mais aussi le fait qu'il faille faire appel à un expert, préparer un rapport d'expert. Et souvent c'est une preuve lourde, qui demande souvent évidemment une contre-expertise, et parfois même une autre expertise, et qui fait en sorte que les délais sont plus grands parce que c'est des questions éminemment complexes. Je vous dirais même que, dans les différents rapports qui ont été remis tant par le Tribunal administratif que le rapport sur la mise en oeuvre, on y retrouve aussi l'identification des délais, entre autres, par rapport au fait que le requérant lui-même demande des remises, par le fait souvent qu'il n'est pas représenté, qu'il n'a pas eu le temps de produire son expertise et que, lui-même, il est la source de ces délais.

On nous dit aussi, quant aux délais, que le Tribunal lui-même, et j'aurai des statistiques... D'ailleurs, il y a plusieurs mémoires... J'invite mes collègues à lire le mémoire de Me Houle, François Houle, qui est excellent à ce niveau-là et qui fait état, là, des différentes avancées du Tribunal, et moi-même... On voit que c'est quelqu'un qui est bien ferré en droit administratif, qui enseigne le droit administratif, d'ailleurs, mais que, entre autres, ces délais, souvent, sont dus pour des raisons administratives. Simplement, par exemple, entre le délai de révision et celui pour lequel le Tribunal va être saisi, il se passe des délais... Normalement, le délai est de 30 jours, mais, presque dans la majorité, je vous dirais, la grande majorité des cas, on excède de façon très importante ce délai de 30 jours, ce qui fait en sorte que... même, dans certains cas, j'ai vu, je pense, 72 jours, on l'a même doublé, parfois même un peu plus.

Est-ce qu'il y aurait là, je pense... Dans une réflexion où on vise à maintenir la qualité mais améliorer la célérité, la rapidité, est-ce qu'il n'y aurait pas lieu d'inclure ces différentes facettes des délais?

M. Gagnon (Pierre): Ma première remarque a été de dire que cette seule mesure, à notre avis, ne serait pas suffisante pour améliorer la question des délais. Nous avons nous-mêmes abordé justement une série d'autres... Il y a un paquet de petites choses qui font que des délais s'accumulent. Il y a une question de gestion, une question aussi de moyens financiers qu'on attribue, aussi, à un tribunal, il y a une foule de questions. Alors, je pense qu'on vous a donné quelques pistes. Notamment, Marc en a donné quelques-unes, là, sur la question des experts. J'ai mentionné tout à l'heure... Je vais revenir avec mon message. Si on commence, en plus, à faire voyager les procureurs avec leurs témoins et leurs experts dans quelques villes-centres du Québec seulement à partir de toutes les régions, ça n'aiderait pas, ça non plus, parce qu'un expert... Avoir un expert pour aller prendre une heure dans sa vie, quitter sa clinique et venir témoigner une heure, d'un côté, c'est une chose, mais l'amener avec nous à Québec ou à Montréal pendant deux jours, il y a une question de coûts, de temps, ça vient que ça n'a pas de sens. Alors, nous pensons que la justice doit se rendre... Et j'avais cru lire ça d'ailleurs dans le document de M. le ministre, que la justice se rendrait en région plus, et on aime à le penser.

Mais je n'ai pas... Tout en disant que le Tribunal administratif du Québec est une très bonne institution, moi, je suis assez anti vaches sacrées. Et, vous allez le voir dans d'autres dossiers aussi, quand on va se présenter ici, il n'y a pas beaucoup de choses en matière de lois ou de justice qui existent puis qui vont bien à ce point où on ne puisse pas l'améliorer, et je pense que la justice administrative a besoin de beaucoup d'amélioration.

M. Bédard: Donc, on serait d'accord pour dire effectivement que cette amélioration de la rapidité serait... Moi, je pense que cet objectif ? et c'est ce que j'ai compris de vos propos ? serait beaucoup mieux atteint si on incluait, bon, à travers certaines préoccupations... Parce que le seul moyen qui est indiqué là ne rencontre pas... Et ça, c'est l'avis ? ce n'est pas seulement le vôtre, je vous dirais ? c'est l'avis d'à peu près tous ceux qui ont eu à déposer... qu'on a vu le mémoire, mais que... ne serait pas de nature à améliorer d'une façon très, très importante, mais que, plutôt, ça passe par une série d'autres mesures que je vous ai indiquées tantôt et qui sont indiquées dans les différents rapports tant administratifs du TAQ, des experts qui ont eu à se prononcer sur cette question.

M. Gagnon (Pierre): Au lieu et place de cette mesure-là, cette mesure-là... Nous avons déclaré que nous étions d'accord avec cette mesure-là. Cependant, si... Et je pense... Je ne veux pas penser à la place du ministre, mais je pense que lui-même n'estime sûrement pas que c'est la seule. Ce n'est pas la pierre philosophale, là, il doit sans doute se douter aussi qu'il y a d'autres mesures parallèles à ça qui doivent être mises en place, et ce n'est pas le fait d'en accepter une qui écarte les autres, sans doute.

Le Président (M. Simard): Bien. Merci, M. le bâtonnier. Merci, M. Sauvé. Merci, Me Masson. Alors, encore une fois, je pense que nous avons eu un débat éclairant. Nous sommes appelés à vous revoir régulièrement. Et merci de votre contribution.

Nous suspendons quelques minutes et nous recevrons ensuite les représentants de la Chambre des notaires.

(Suspension de la séance à 11 h 10)

 

(Reprise à 11 h 12)

Le Président (M. Simard): Nous allons tout de suite reprendre nos travaux. Et nos prochains invités sont de la Chambre des notaires, qui est représentée ici par son président, Me Denis Marsolais, qui va nous présenter ses adjoints, celles et ceux qui l'accompagnent.

Alors, bienvenue parmi nous. La Chambre des notaires est aussi un organisme qui collabore régulièrement à la rédaction des lois, à la présentation, à la réflexion sur les lois. C'est un partenaire de cette commission très courant, alors nous sommes appelés à continuer à travailler ensemble au cours de cette législature. Alors, bienvenue parmi nous, et veuillez, s'il vous plaît, nous présenter ceux et celles qui vous accompagnent.

Chambre des notaires du Québec (CNQ)

M. Marsolais (Denis): Merci, M. le Président. D'abord, bonjour, M. le ministre. Bonjour, Mmes, MM. les membres de la commission des institutions. Je suis accompagné aujourd'hui de Me Claude Laurent, Claude Laurent qui est directeur du développement de la profession à la Chambre des notaires du Québec; et de Me Guylaine Morissette, qui est juriste à la recherche à la Chambre des notaires du Québec.

Alors, c'est toujours avec plaisir que la Chambre des notaires du Québec s'adresse à vous. Mes lunettes ne tiennent pas... Nous sommes donc heureux de répondre à votre invitation et de vous transmettre nos commentaires sur le projet de loi n° 4 intitulé Loi modifiant la Loi sur la justice administrative.

À cette fin, le projet de loi n° 4 apparaît comme le début d'une réforme de la justice administrative plus vaste. C'est du moins ce que nous constatons à la lecture du document sectoriel du ministre de la Justice intitulé Une justice administrative accessible et équitable. Le mémoire de la Chambre des notaires n'aborde que ce qui fait l'objet du texte législatif précis, en l'occurrence ce qui concerne le projet de loi étudié par cette commission.

La réduction des délais pour disposer des contestations des citoyens apparaît comme le talon d'Achille à la base des changements que souhaite initier le projet de loi. Devant une situation toujours perfectible, la Chambre des notaires, tout comme le ministre, ne peut que souhaiter des améliorations. Cependant, elle croit que ces améliorations doivent s'opérer dans le respect des fondements sur lesquels repose le système de justice. C'est la raison pour laquelle la Chambre des notaires du Québec demande au ministre de revoir en partie son projet de loi.

Composé de huit articles, ce court projet de loi propose une réforme importante du Tribunal administratif du Québec. D'une part, il renverse le principe de base actuel où prévaut la composition multidisciplinaire des bancs des décideurs. Si le projet de loi est adopté, dorénavant les litiges seront instruits et décidés par un seul membre. La formation multiple ne sera possible que lorsqu'une disposition particulière le prévoit ou lorsque le président du Tribunal l'estimera nécessaire. La Chambre des notaires est en désaccord avec cette vision des choses. D'autre part, le changement proposé à la composition des bancs fait en sorte que, dans trois sections du Tribunal sur quatre, la présence d'un décideur juriste, avocat ou notaire, n'est pas assurée en toutes circonstances. C'est le cas de la section des affaires immobilières, de la section du territoire et de l'environnement ainsi que de la section des affaires économiques. Cette situation, vous vous en doutez, n'est pas sans causer des inquiétudes et soulève, selon nous, de nombreux commentaires.

Abordons d'abord la question de la multidisciplinarité. La Chambre des notaires est d'avis que la multidisciplinarité est une spécificité de la justice administrative. Cette spécificité ne peut être mise de côté sans porter atteinte à la nature même de ce Tribunal. Nous croyons fermement que les motifs qui ont justifié la mise sur pied de bancs de formations multiples sont tout aussi valables aujourd'hui qu'ils l'étaient en 1996, lors de l'adoption de la Loi sur la justice administrative. Rappelons-nous le rapport Ouellette publié en 1987. Celui-ci recommandait que les tribunaux administratifs soient composés de membres de diverses formations, soit de médecins, de travailleurs sociaux, d'évaluateurs agréés, etc., selon la vocation de chacun des tribunaux. Il recommandait également que les litiges soient entendus par un quorum d'au moins deux membres, dont un juriste, et que chaque décideur dispose d'une voix délibérante identique, peu importe la nature de sa spécialisation.

Le rapport Garant, qui a suivi, en 1994, proposait à son tour la mise sur pied d'un tribunal administratif général d'appel formé de divisions spécialisées par secteurs. Il suggérait que la composition ainsi que les règles de fonctionnement et de procédure de ce tribunal soient différentes de celles des cours de justice. Le rapport proposait que cette différence reflète les caractéristiques générales de la justice administrative, soit la spécialisation et la multidisciplinarité.

Le projet de loi n° 130, inspiré largement de ces rapports, a donné naissance à la Loi sur la justice administrative telle qu'on la connaît aujourd'hui. La composition multidisciplinaire des bancs des membres du TAQ constitue certainement, à notre avis, un atout de la justice administrative. Elle contribue en effet à accorder un poids important aux décisions qui y sont rendues. La preuve, c'est que les tribunaux supérieurs hésitent souvent à casser un jugement rendu par une instance formée de professionnels en la matière. Limiter la composition des bancs à un seul juriste ou à un seul spécialiste risque de rendre les décisions plus facilement attaquables.

Le ministère de la Justice semble avancer que la réduction des délais passe par la multiplication du nombre de membres qui entendent les causes, d'où l'équation qui consiste à diviser les bancs. La Chambre est en désaccord avec cette approche. Je me permets de citer ici un extrait que l'on peut lire à la page 6 du document sectoriel, et je cite: «Rien ne permet de croire, à la lumière de l'expérience vécue depuis toujours par les tribunaux de juridiction civile, où des décisions de même nature sont rendues, que la qualité de la justice pourrait en souffrir. En effet, un juge de la Cour du Québec ou de la Cour supérieure peut disposer seul d'une cause complexe d'assurance salaire ou de responsabilité médicale sans que sa capacité ou sa compétence ne soient remises en question. On peut se demander ce qui pourrait bien empêcher un juge administratif, spécialisé de surcroît, d'en faire autant.» Fin de la citation.

À cette question, nous répondons que les premiers sont des tribunaux judiciaires de droit commun, tandis que les autres sont des tribunaux administratifs spécialisés, ce qui, vous en conviendrez, rend toute comparaison, à notre avis, inadéquate. La spécialisation du TAQ est rendue possible par l'addition d'un professionnel non juriste à un juriste. Dit autrement, le juge administratif, juriste de formation, est certainement un spécialiste du droit, mais il n'est pas à lui seul un spécialiste tel que compris au sens large du contexte administratif.

En outre, la présentation de la preuve distingue ces deux types de tribunaux. Les juges des tribunaux judiciaires entendent devant eux les experts des parties et peuvent les interroger. Devant le TAQ, vous en conviendrez, la preuve d'experts est souvent... ou est le plus souvent constituée de rapports écrits apparaissant au dossier. Ainsi peut-on raisonnablement croire qu'un rapport médical, pour ne donner qu'un exemple, risque d'être mieux compris par le membre médecin que par le membre juriste. La présence d'un médecin sur le banc aura alors permis de rendre une décision, à notre avis, mieux éclairée.

En contrepartie, la présence du juriste ou d'un juriste sur ce même banc assure la validité juridique de la preuve et de la décision qui s'ensuit. De plus, à la lecture des documents et des différents rapports portant sur les organismes visés, on comprend que la multiplication du nombre de juges ne résoudra pas les problèmes qui retardent le traitement des dossiers. De nombreuses solutions administratives sont énoncées tant par le rapport du Vérificateur général de 2001, le rapport annuel 2001-2002 du TAQ, que le rapport sur la mise en oeuvre de la Loi sur la justice administrative déposé en juin dernier. Cependant, divers irritants continueront, à notre avis, d'échapper, du moins partiellement, au contrôle du Tribunal. Citons, à titre d'exemple ? et on l'a mentionné à l'audience avec le Barreau tantôt ? la difficulté des experts, le fait que les ministères et organismes peuvent accuser certains retards dans la transmission des dossiers au Tribunal, etc.

n (11 h 20) n

Le TAQ considère que le fait que plusieurs décisions soient rendues par deux membres constitue un gage de qualité en raison des échanges et de la double vérification que cela impose. Le rapport sur la mise en oeuvre de la Loi sur la justice administrative soutient que le TAQ doit se faire le porteur de cette caractéristique qui est la multidisciplinarité et que celle-ci est appelée à croître. Le projet de loi proposé se positionne dans une directive ou dans une direction complètement opposée à ces analyses factuelles. C'est pourquoi la Chambre des notaires du Québec ne voit pas comment il peut soutenir cette disposition.

Une dernière remarque avant de passer au second thème, le projet de loi limite la formation multiple aux cas de nécessité. De ce fait, il oblige le président du TAQ à en faire mention dans son rapport annuel. Nous estimons que cela constitue une forme subtile de contrainte sur le président du TAQ dans les décisions qu'il doit prendre, si, oui ou non, il doit adjoindre une autre personne sur le banc.

Abordons maintenant la composition des bancs des décideurs et la présence essentielle des juristes. S'il y a un principe que la Chambre des notaires croyait immuable, c'est bien celui que les bancs des juges des tribunaux doivent comprendre un juriste. Or, il semble que cela ne soit pas un acquis. Donc, bien que cela nous étonne, nous devons plaider un tel postulat. Le projet de loi présentement à l'étude propose l'abrogation des articles 27, 29, 31, 33, 35 et 37, lesquels garantissent la présence d'un juriste sur les bancs. Ledit projet de loi ajoute le nouvel article 17.1 qui prévoit un forum décisionnel d'un seul membre. Donc, sauf exception, rien n'assure le justiciable que la décision possédera la formation... ou le décideur, pardon, possédera la formation juridique adéquate pour lui permettre d'exercer ses fonctions juridictionnelles. Un système de justice doit recevoir la confiance du public qu'il dessert. La Chambre des notaires s'oppose à ce que des principes fondamentaux de justice soient bousculés pour favoriser une plus grande efficacité administrative, et c'est ce que vise le projet de loi en privant les parties d'un décideur juriste. L'intérêt de la justice et des justiciables commande que les membres des tribunaux administratifs qui sont appelés à trancher, il faut se le rappeler, des questions de droit possèdent obligatoirement une formation juridique, donc qu'ils soient membres de l'une ou l'autre des corporations professionnelles de juristes au Québec, notaires ou avocats.

Le décideur du TAQ doit connaître un corpus de législations complexes, variées et, dans certains cas, disparates. Il doit s'y connaître également en matière de règles de procédure et de preuve ainsi qu'en matière de chartes. De plus, il doit avoir, dans les champs relevant de sa compétence, la connaissance d'office du droit en vigueur au Québec. Or, comment peut-on prétendre que le Tribunal possède dans les faits cette connaissance d'office si le décideur n'est pas un juriste? Nous sommes profondément convaincus que les professionnels du droit, avocats ou notaires, sont à cet égard les seuls à pouvoir prendre en charge ces responsabilités, avec respect concernant les autres ordres professionnels.

La Chambre ne peut non plus passer sous silence l'effet de déséquilibre que pourrait provoquer l'absence d'un juriste sur le banc des décideurs. En effet, l'État est bien souvent représenté par des avocats versés en la matière. Or, le citoyen, d'autant plus qu'il agit seul, pourrait être désavantagé s'il se trouvait devant un décideur qui ne possède pas de formation juridique. Cette connaissance juridique est nécessaire pour permettre au décideur de bien évaluer, lorsque requis, les moyens soulevés par un procureur qui, lui, possède cette formation.

Nous fondons un autre argument sur le célèbre jugement Procureur général du Québec contre Barreau de Montréal et Association des juges administratifs du TAQ. Selon la Cour d'appel, le TAQ constitue un tribunal administratif particulier se situant à l'extrémité supérieure du spectre de l'ordre administratif, avoisinant les cours de justice. Nous ne voulons pas reprendre ici tous les motifs qui concourent à cette conclusion; retenons cependant que ce statut unique rattaché au TAQ a amené la Cour d'appel à exiger en conséquence un niveau de garantie d'indépendance et d'impartialité élevé des membres. Nous ne croyons pas nous tromper en affirmant que, sur la base de cet arrêt, ce statut particulier du TAQ entraîne certaines obligations, dont l'obligation que parmi les décideurs se trouvent des professionnels du droit pour conserver le niveau de qualité juridique auquel le justiciable est en droit de s'attendre.

Finalement, la Chambre des notaires désire attirer votre attention sur un dernier point, la croissance de la non-représentation devant les tribunaux. La Loi sur la justice administrative impose au Tribunal le devoir d'aider le citoyen qui se présente devant lui si besoin est. Il doit donc être en mesure de le faire en ayant les connaissances juridiques appropriées. Le rapport sur la mise en oeuvre de la Loi sur la justice administrative fait état du nombre de personnes qui se présentent devant le TAQ sans être représentées. Ce nombre est relativement important et est appelé à s'accroître. Cette situation, selon nous, est préoccupante. C'est pourquoi ledit rapport suggère que le TAQ, avec l'appui du Conseil de la justice administrative, s'allie à d'autres organismes juridictionnels de l'ordre administratif pour étudier la question.

Cette situation, qui entraîne nombre de complications et de délais, mérite une solution commode, celle d'ouvrir la représentation et l'assistance à l'expert choisi par le justiciable. Les matières visées à l'article 102, pour lesquelles les parties peuvent être représentées par une personne de leur choix, donnent lieu, à notre avis, à peu de demandes. À notre avis, il serait préférable d'ouvrir la représentation à l'expert au choix du justiciable. Dans le fond, contrairement au projet de loi, qui prétend que pour être juge administratif il n'est pas nécessaire d'être juriste, la Chambre des notaires croit, elle, que c'est plutôt au plan de l'assistance et de la représentation du justiciable qu'il faut ouvrir la porte à des experts non juristes.

Les organismes administratifs n'incarnent pas le pouvoir judiciaire de l'État, même si certains, comme le TAQ, s'en rapprochent. La Chambre des notaires a toujours revendiqué pour les notaires ainsi que pour les spécialistes en matières visées le droit de représenter ou d'assister leurs clients devant les instances administratives. À titre d'exemple, devant la section du territoire, de l'environnement, le requérant pourrait préférer se faire représenter par un biologiste, un notaire, un ingénieur. Pour nous, les parties gagneraient à se faire représenter par l'expert de leur choix.

Alors, voici, M. le ministre, essentiellement le résumé des propos du mémoire qui vous a été déposé par la Chambre des notaires. Nous sommes disponibles à répondre à vos questions.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. Marsolais. Me Marsolais, donc, merci pour cette présentation. Je céderai maintenant la parole au ministre de la Justice.

M. Bellemare: Alors, je tiens d'abord à féliciter les membres de la Chambre des notaires qui se présentent ici aujourd'hui, M. le président, bien sûr, mais également les deux personnes qui vous accompagnent, pour la conception et la rédaction d'un mémoire très étoffé, très fouillé. Et, je dois vous en féliciter, on voit que vous avez vérifié plusieurs données, plusieurs façons de faire, parce que les notaires, actuellement, n'agissent pas à titre de représentants de justiciables devant le Tribunal administratif et ils siègent... Certains notaires siègent au sein du TAQ depuis quelques années, 1998 seulement, et on voit que, malgré le fait que quelques notaires seulement siègent actuellement au sein du TAQ, vous avez fait un bon travail de réflexion et un bon travail d'analyse également de la situation qui se présente actuellement devant le TAQ.

J'aurai certaines remarques à faire relativement au contenu du document sectoriel que vous avez cité tantôt et auquel j'ai participé, vous devez vous en douter, de façon assez étroite en campagne électorale. Et il est question dans ce document sectoriel, justement, de la composition des bancs appelés à rendre justice au Québec. Vous avez tantôt fait référence à la Cour du Québec notamment en disant que c'était de l'ordre judiciaire et que la comparaison ne pouvait pas être faite. Je soulignerai ici simplement que, même si certains tribunaux de l'ordre judiciaire agissent en fonction de règles tout à fait différentes en termes de procédure et de preuve notamment, ils rendent quand même des décisions très spécialisées, et de plus en plus les tribunaux d'ordre judiciaire se penchent sur des preuves très spécialisées dans le cadre de litiges tout aussi spécialisés, entendent des experts et rendent des décisions qui vont à la pointe de l'expertise dans les secteurs qui sont concernés.

n (11 h 30) n

Il est vrai que les juges de la Cour supérieure, tous les jours, rendent des jugements dans des causes où ils sont appelés à siéger seuls. Ils entendent des dizaines d'experts, en chimie, en mathématiques, dans le secteur statistique, dans tous les secteurs de l'expertise, le droit également, et ils rendent des jugements, donc, seuls. Ils ont une formation juridique, et leur rôle est d'arbitrer justement la preuve, la preuve d'experts également, d'entendre les experts, et jamais n'a-t-on entendu au Québec quelqu'un demander que, dans les cas où les juges de la Cour supérieure entendent des causes de matières tout aussi spécialisées que le TAQ, qu'un expert assiste le juge sur le banc même.

À la Cour du Québec, c'est la même chose. En chambre jeunesse, en chambre criminelle, il y a des experts, juges, qui entendent à l'année longue des causes très spécialisées. En matière jeunesse, là, on parle d'adoption, de problèmes de délinquance, et les juges entendent des causes seuls. C'est vrai que c'est l'ordre judiciaire, mais, à mon avis, on peut quand même faire un certain nombre de parallèles.

Pourquoi, au Québec, actuellement, se trouve-t-on satisfait du fait que des juges seuls entendent des causes très spécialisées en matière jeunesse à la Cour du Québec? Personne n'a demandé, en date d'aujourd'hui, que d'autres personnes, que d'autres experts assistent les juges ou accompagnent les juges dans le cadre de la décision, comme c'est le cas au TAQ actuellement.

J'irai plus loin en vous parlant des tribunaux administratifs eux-mêmes. Vous me disiez tantôt qu'en droit administratif, c'est différent. Je regarde simplement la Commission des relations de travail, qui est une création du gouvernement précédent, sur laquelle siègent des gens, de formation juridique pour la plupart, seuls, sans l'assistance d'experts ou d'autres expertises. Ils entendent les causes seuls, ils dirigent les débats seuls, ils rendent des décisions seuls dans des matières spécialisées aussi.

J'ai plaidé personnellement quelques centaines de causes devant le Commissaire du travail, qui était l'auteur de la Commission des relations de travail actuellement, en matière d'absentéisme, des causes médicales très poussées, des chimistes étaient appelés à témoigner, mais le commissaire entendait la cause seul, et la Commission des relations de travail, telle que constituée par le gouvernement précédent, ne prévoit pas que d'autres personnes que le commissaire doivent diriger les débats et rendre les décisions.

Je vous parlerai de la Régie du logement, où c'est exactement la même chose, où un juge seul, un juge administratif seul, dispose de questions complexes reliées souvent au génie, à l'architecture, à la médecine également, dans le cas de déménagement, de déguerpissement. Alors, les tribunaux administratifs comme les tribunaux civils, de plus en plus, rendent des décisions spécialisées. Or, les juges administratifs sont seuls à la Régie du logement.

Je vous parle aussi ici de la Commission des lésions professionnelles, qui est également une création du gouvernement précédent, en 1998, où un commissaire seul rend la décision. C'est vrai qu'il est assisté par deux personnes qui ne sont pas décisionnelles, si vous voulez, mais le commissaire rend seul la décision, assisté d'un expert lorsque le président de la CLP le juge opportun. Alors, je n'ai jamais entendu personne dire qu'à la CLP, en matière d'accidents de travail, un tribunal qui entend 10 000 causes par année, que la présence du médecin devrait être obligatoire dans tous les cas, comme c'est le cas au TAQ.

Alors, j'ai l'impression qu'avec le projet de loi n° 4 on tend à harmoniser le fonctionnement du TAQ avec les autres tribunaux québécois administratifs comme de l'ordre judiciaire. Est-ce que... En demandant qu'au Tribunal administratif du Québec on continue d'exiger au moins deux membres décideurs dont un qui n'est pas de formation juridique, est-ce que vous ne jetez pas en même temps un regard très critique sur l'ensemble des autres tribunaux, administratifs comme de l'ordre judiciaire, qui prévoient de tout temps qu'un seul décideur, généralement de formation juridique, dirige les débats et rend la décision?

La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. le ministre. Me Marsolais.

M. Marsolais (Denis): D'abord, M. le ministre, je tiens à préciser que je salue la volonté du gouvernement d'améliorer le système de justice en général, mais particulièrement en ce qui concerne les tribunaux administratifs. Alors, on ne peut pas être en désaccord avec ça, au contraire.

Ceci étant dit, lorsque vous faites le parallèle avec le Tribunal de la jeunesse, soit, le juge est seul ? il n'y a pas un banc de trois juges au Tribunal de la jeunesse ? mais je pense qu'il faut amener certaines distinctions. D'abord, au Tribunal de la jeunesse, le juge, d'abord, est un juriste, c'est un avocat. Donc, il y a deux volets à nos revendications dans le mémoire. Il y a d'abord le principe qu'il faut toujours qu'il y ait un juriste pour statuer sur une décision judiciaire. C'est une chose. Et l'autre volet, c'est la multidisciplinarité. Donc, au Tribunal de la jeunesse, c'est d'abord et avant tout un juriste qui a à trancher les décisions.

Le problème que j'y vois en faisant ce parallèle-là, c'est qu'au Tribunal de la jeunesse notamment, où le gouvernement est la partie demanderesse, a dans tous les cas... fait dans tous les cas référence à des experts, souvent, à des psychologues, tout ce qui concerne les expertises en matière sociologique, ce qui fait en sorte que le citoyen, le parent, par exemple, ou un des deux parents... Parce qu'on se retrouve souvent, au Tribunal de la jeunesse, avec, bon, évidemment le juge, le procureur du gouvernement, le procureur du Tribunal de la jeunesse, qui représente les intérêts de l'enfant et dont son client est la personne qui travaille au centre jeunesse, on retrouve le procureur des enfants, le procureur de la mère, le procureur du père. C'est souvent comme ça, le scénario, au Tribunal de la jeunesse. Ce qui fait en sorte que le parent qui veut contester la demande du représentant du gouvernement a l'obligation, s'il veut contrecarrer la preuve, de, lui aussi, faire appel à ses propres experts et, lui aussi, déposer des expertises et, lui aussi, demander qu'un expert vienne témoigner pour contredire l'expertise présentée par le gouvernement. Ce qui fait en sorte que, dans ce cadre-là, dans le cadre d'une loi très spécifique et d'un encadrement très spécifique qui concerne la jeunesse, je suis d'accord avec vous qu'un juge seul peut être en mesure et n'a pas besoin d'autres expertises, parce qu'il est souvent appuyé lui-même, le juge, d'experts.

Ce que je crains, c'est qu'on crée un déséquilibre. Si, par exemple, on maintient la proposition du projet de loi n° 4 à l'effet qu'une personne, juriste ou non, peut siéger à titre de juge seul, il y aura des expertises des procureurs du gouvernement aussi. Le justiciable, lui, parce qu'il ne pourra pas être protégé ? par exemple, si c'est dans le domaine médical, il ne pourra pas être protégé par les connaissances du juge qui est médecin ? devra, lui aussi, présenter une preuve par expert. Et là, ce déséquilibre-là, c'est ça qu'on essaie d'éviter. Je pense que la volonté du gouvernement est non seulement de réduire les délais, mais aussi de faire en sorte de rendre la justice le plus accessible possible au citoyen.

Je me résume. Le fait de la présence d'une seule personne sur le banc, non juriste, par exemple, pourrait faire en sorte d'obliger le citoyen, le justiciable, qui malheureusement est souvent non représenté... l'obligation de faire affaire à des experts. Et on connaît la pénurie d'experts et les problèmes que ça engendre. Alors, c'est pour ça que votre parallèle avec le Tribunal de la jeunesse, je le conçois, mais je ne voudrais pas... On n'est pas dans les mêmes circonstances. Voilà.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, Me Marsolais. M. le ministre.

M. Bellemare: Votre position est à l'effet qu'il faut maintenir, finalement, les bancs obligatoirement de deux personnes. Donc, ce que vous souhaitez, c'est non seulement le maintien de la situation actuelle, mais que, dans les cas mineurs, quand même, mais où il n'y a pas actuellement de membre de formation juridique sur un banc, qu'il y en ait, notamment en matières immobilières. C'est ce que vous souhaitez?

M. Marsolais (Denis): Tout à fait.

M. Bellemare: Est-ce que vous souhaitez, également sur la base des mêmes arguments ? j'essaie de suivre la logique de l'argument ? est-ce que vous souhaitez que, devant tous les autres tribunaux administratifs québécois ? parce que le TAQ n'est pas le plus important, le plus important est la Commission des lésions professionnelles, qui reçoit chaque année 20 000 contestations de travailleurs ou d'employeurs et qui rend 10 000 décisions, 10 000 jugements... Est-ce que vous souhaitez que, devant tous les autres tribunaux administratifs spécialisés, en médecine ou dans d'autres secteurs, qu'il y ait dans tous les cas le même type de formation, c'est-à-dire un membre de formation juridique avec un expert sur le banc pour décider?

Et ce que j'entends par une «formation double», c'est qu'actuellement à la CLP, et ce depuis 1985, un seul décideur avec un assesseur, généralement médecin, lorsque le président l'estime nécessaire ou utile, peu importe... Actuellement, c'est la situation. À la CLP, à l'heure actuelle, c'est un commissaire seul qui rend la décision; il y a un médecin qui l'assiste dans 10 % à 15 % des cas. On n'a jamais entendu, dans aucune commission parlementaire ? j'étais présent à toutes les commissions ? quelqu'un dire qu'il faudrait qu'il y ait un médecin ou un expert assesseur dans toutes les causes à la CLP. Mais, est-ce que votre souhait, ce serait que, dans tous les autres tribunaux administratifs qui fonctionnent autrement que le TAQ, il y ait nécessairement un expert décideur sur tous les bancs?

M. Marsolais (Denis): Écoutez, je vous avoue que je n'ai pas poussé l'analyse de ma réflexion sur l'ensemble des autres tribunaux administratifs, je me suis concentré sur une réflexion sur le TAQ, qui faisait l'objet de la commission.

n (11 h 40) n

Je vous rappelle aussi qu'il y a une double remarque concernant le projet de loi sur le... que ce soit une personne qui siège sur le banc, toujours la remarque que, à ce que je sache, le projet de loi ne spécifiait pas que la personne devait être juriste; donc, c'était toute personne, et là j'ai un problème. Et l'autre aspect, bien, là, on vient briser la tradition récente de la multidisciplinarité sur le banc au TAQ. Et je pense que le fait... au-delà des délais, parce que je reconnais bien que votre volonté dans tout ça, c'est de faire en sorte de réduire les délais; s'il y a un juge par cause, bien, on va doubler l'audition. Ça, je conçois ça. Mais, a contrario, il n'y a pas un citoyen, à ce que je sache, qui s'est plaint déjà parce qu'il se présentait devant deux ou trois décideurs. Au contraire, si j'essaie de me mettre dans la peau d'un justiciable qui se présente au TAQ, puis j'ai un dossier qui concerne un rapport médical, je peux vous dire, moi, que j'ai l'impression que le gouvernement me dessert bien en ayant devant moi un décideur expert médecin puis un décideur expert en droit. Et ça, ça a une valeur qui n'est pas quantifiable. Mais, pour le justiciable, je suis profondément convaincu que le justiciable, lorsqu'il se présente devant le TAQ actuellement, a le sentiment que sa cause est bien entendue et que les décisions sont mieux éclairées. Sans parler des autres tribunaux, je vous dis: au TAQ.

Le Président (M. Simard): Très bien. M. le député de Marguerite-D'Youville, s'il vous plaît.

M. Moreau: Il me reste combien de temps, M. le Président?

Le Président (M. Simard): À peu près trois minutes. Cinq minutes.

M. Moreau: Cinq minutes. Merci, M. le Président. Me Marsolais, d'abord, je joins ma voix à celle du ministre pour vous féliciter pour la recherche qui, de façon évidente, se retrouve derrière le mémoire que la Chambre des notaires présente. Je salue également Me Laurent et Me Morissette qui sont avec vous.

Ma question est assez spécifique et relative à votre avant-dernière intervention, où vous parliez d'un déséquilibre, et touche également la question du mémoire, où vous craignez pour la perte de la multidisciplinarité dans l'éventualité où le projet de loi tel qu'il est rédigé présentement... dans l'éventualité où il était adopté. Est-ce que vous ne croyez pas que la question du déséquilibre auquel vous faites référence et la question de la perte de multidisciplinarité ne sont pas déjà compensées dans le projet de loi lorsque, à l'article 17.1, on confère au président du Tribunal la possibilité, sur requête ou même d'office, de prévoir une formation de deux membres pour entendre ou décider d'une affaire?

Et j'élabore davantage. J'ai pratiqué, moi, pendant 22 ans dans le domaine du droit administratif et devant plusieurs instances administratives et je comprends que dans certaines situations on puisse avoir des cas qui sont fort complexes et qui demandent des expertises particulières. Mais je pense que vous conviendrez également avec moi qu'il existe ce que j'appelle des rôles qui sont plus routiniers, devant les instances administratives, et qui pourraient, de façon pratique, être décidés par un décideur unique qui, d'une part, jouit d'une formation tout à fait particulière du fait qu'il appartienne à un tribunal qui entend des causes spécialisées et sans qu'il ait nécessairement besoin dans tous les cas d'être assisté d'un expert, étant donné qu'il peut compter sur sa propre expertise. Et, à cet égard-là, les décisions des tribunaux d'appel, lorsqu'ils veulent restreindre l'appel à une décision rendue par un tribunal administratif, appliquent les mêmes critères que le Tribunal administratif, que la décision du Tribunal administratif ait été rendue par un membre ou par plusieurs, sur la base du caractère spécialisé du Tribunal et non pas de l'individu qui y siège, étant entendu que celui qui y siège a déjà une spécialité.

M. Marsolais (Denis): J'ai bien compris votre question. Peut-être juste une précision. Dans le cas de l'article 17.1, où l'on précise, je pense ? je dis ça de mémoire ? que le président du TAQ peut adjoindre un second décideur sur le banc dans une cause spécifique et que cette décision-là n'appartient qu'au président du TAQ, on s'entend, est-ce qu'on ne peut pas craindre, pour le juge qui siège sur le banc, que lorsqu'on lui... parce que ça peut arriver que le président du TAQ impose un nouveau décideur, de s'adjoindre d'office au juge, que pour le juge qui jouit en quelque part d'une certaine indépendance judiciaire et que le président du TAQ, lui, qui a une responsabilité plutôt administrative parce qu'il est le président ? il doit administrer, il doit rendre des comptes, il doit établir un rapport annuel à tous les ans, il doit établir la rentabilité du TAQ et... est-ce que ça peut mettre le président et le juge qui siégeait sur cette décision-là... Je pose la question, là, je n'ai pas de réponse, je pose la question.

M. Moreau: Sur la question spécifique que je vous posais, est-ce que vous ne croyez pas que la question du déséquilibre peut être compensée par la mesure prévue à l'article 17 et qui permet de recourir à un expert, et que la multidisciplinarité...

Une voix: Je vous dirais qu'elle pourrait être compensée si, dans tous les cas, le président du TAQ décide d'adjoindre un autre juge à un juge actuel.

Le Président (M. Simard): Je suis obligé de vous interrompre sur cette réponse qui résumait quand même votre pensée, le temps étant écoulé. D'ailleurs, s'il y a d'autres questions, et de consentement de l'autre partie, vous pourrez revenir. Et j'invite le député de Chicoutimi maintenant à poser des questions.

M. Bédard: Merci, M. le Président. Alors, à mon tour de joindre ma voix effectivement à... de saluer d'abord évidemment ? je partais pour dire M. le bâtonnier ? le président de la Chambre des notaires, qui l'accompagne.

M. Marsolais (Denis): Je suis capable d'en prendre.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Marsolais (Denis): ...on va parler de 200 livres.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Bédard: Oui. Alors, effectivement, quant au contenu, encore là, il s'agit d'un mémoire très fouillé qui fait en même temps l'historique de l'ensemble des différentes réformes qui ont animé la justice administrative, mais aussi tient compte des derniers développements. Et, je pense, vous êtes un des rares, sinon le seul, à faire mention, là, des différents rapports de mise en oeuvre, entre autres le dernier, le rapport de mise en oeuvre de la justice administrative qui date de juin 2003, on n'est quand même pas... C'est de l'information très récente qui fait état des différents rapports, même du Vérificateur, d'où, je pense, toute la profondeur de votre mémoire et de l'opinion que vous avez aujourd'hui. Et je comprends en même temps... Ce que je perçois ? et vous me direz si je me trompe ? c'est que, comme nous tous ici, incluant le ministre, vous souhaitez évidemment... vous ne considérez pas la justice administrative plutôt comme un travail achevé. La réforme a été bonne, il y a des choses qui sont toujours à améliorer.

Par contre, ce qu'on voit ici n'est pas, je vous dirais, de... soit nous sommes totalement opposés, et là vous l'avez dit, un seul... ça prend un membre juriste, soit elle attaque le caractère multidisciplinaire, et là nous émettons de sérieuses réserves, et vous n'êtes pas les seuls, je vous dirais. Mais qu'on n'est pas... on n'est pas contre l'idée effectivement d'améliorer les choses et que cette réflexion-là est intéressante mais devrait se poursuivre d'une façon plus large sur... Et là vous faites état ? j'ai l'ai lu dans votre mémoire et d'ailleurs je m'en suis servi, je vous le dirais ? des références quant à l'amélioration des délais. Il y a d'autres façons aussi qu'on peut inclure pour effectivement viser cette célérité. Donc, regardons plutôt le tableau dans son ensemble et travaillons plutôt sur un projet de réforme, un projet... je ne vous dirais pas... pas de réforme, parce que le terme «réforme» devient un peu galvaudé, là, mais un projet d'amélioration de cette justice administrative. Est-ce que je me trompe?

n (11 h 50) n

M. Marsolais (Denis): Mais, écoutez, on ne peut pas être contre la volonté du gouvernement d'améliorer le système actuel, on l'a précisé tantôt, et on salue cette initiative-là. À savoir si c'est plus pertinent d'attendre, dans le cadre d'une réforme globale ou d'une amélioration globale, qu'on dépose un seul projet de loi... Écoutez, c'est toujours souhaitable d'avoir une vision globale des choses avant de trouver des correctifs. Le seul problème, je vous dirais, et le seul risque, c'est que, en essayant de corriger cas par cas certaines situations ? là, on a un problème de délais, je pense qu'il y a un problème important de délais au TAQ ? le seul risque ou le seul problème que ça peut amener, c'est que, à la fin ou en bout de piste, bien, des dispositions qu'on a adoptées au début, que là on trouve que ce n'est plus cohérent ou que ça devrait être dit d'une autre façon. C'est la seule chose. Mais, est-ce que le jeu en vaut la chandelle? Est-ce que, pour réduire le problème éminent des délais actuellement, c'est plus pertinent de trouver une solution tout de suite? Parce que, là, c'est les citoyens qui attendent. C'est là qu'est le problème. C'est les citoyens qui attendent.

M. Bédard: Ce que je lis de votre mémoire, c'est que... Et là je vous cite, en page 6: «Elle demande au ministre de la Justice de revoir son projet de loi: il ne faudrait pas que le remède soit pire que le mal qu'il veut soigner.» Vous manifestez clairement des inquiétudes quant au fait que, effectivement, on arrive à un objectif qui est sinon contraire, du moins qui soit totalement annihilé.

M. Marsolais (Denis): Écoutez, c'est une question de délais aussi. Si le ministre a l'intention d'accélérer le processus de la réforme globale et de faire en sorte que, en étant... de faire en sorte que le projet global puisse être adopté, par exemple, d'ici un an, peut-être que ça vaut la peine d'attendre puis de voir l'ensemble. Si c'est un processus qui risque d'être long, bien, c'est parce que, si ça prend deux ans, trois ans, il y en a que ça fait 30 mois qu'ils attendent, là, et là il faut vraiment trouver une solution rapide. Sauf que, dans les solutions rapides, il y a toujours le risque, en bout de piste, comme je disais tantôt, que la solution qu'on trouvait correcte au début, bien, dans le cadre de toutes les autres modifications, bien là qu'elle ait besoin d'être réajustée. Mais, bon, c'est peut-être un risque à prendre.

Parce que, encore une fois, et je réponds précisément à votre question, oui, c'est souhaitable, une réforme globale, il y a moins de risques de se tromper tout au cours du processus, sauf que, encore une fois, c'est le justiciable, là, on travaille pour le citoyen, puis le citoyen, lui, il attend déjà depuis 30 mois. Alors, il faut trouver une solution.

Et, juste pour compléter sur la multidisciplinarité...

M. Bédard: ...

M. Marsolais (Denis): O.K.

M. Bédard: Je vais revenir. Je vais même en faire un pan complet, parce que vous abordez de front cette question. D'abord, je tiens à vous rassurer. Le ministre disait: Est-ce que le fait justement de mettre deux experts a pour effet de diminuer par le fait même la compétence des membres du tribunal juridique? Une phrase de ce genre-là. Mais je tenais à vous rassurer, parce que je viens d'avoir, entre autres, le mémoire de la réforme des juges administratifs du Québec, leur mémoire concernant le projet de loi, et je vais simplement vous citer quelques passages, en même temps vous rassurer, mais en même temps aussi en faire prendre connaissance à mes différents collègues. Et ils sont du même avis que vous, exactement.

«Le projet de loi n° 4 a pour effet immédiat de cesser de reconnaître la place occupée par les membres spécialistes autres que juristes, médecins, travailleurs sociaux, évaluateurs agréés et autres au sein de l'actuel Tribunal administratif du Québec. Dans sa facture actuelle, ce projet de loi comporte, pour le TAQ et ses membres, des conséquences qu'il convient de souligner d'entrée de jeu. Le degré de déférence que l'ordre judiciaire accorde à un tribunal spécialisé...» Et là je ne vous cite pas le reste, mais on va y revenir parce que c'est quand même important, là, on parle de la révision judiciaire, toute la jurisprudence concernant la reconnaissance de la spécialisation et qui fait en sorte que le critère est très élevé, l'erreur manifestement déraisonnable est très élevée, parce que les cours supérieures reconnaissent cette spécialisation. Bon, on y fait référence à différents motifs, et ils terminent en disant, et je vous le cite parce que ça rejoint exactement ce que vous dites, mais en mots presque surprenants, là, et on retrouve ça à la page 10: «En voulant donner à ces tribunaux administratifs les mêmes caractéristiques que celles des tribunaux de droit commun ? comme fait mention le ministre depuis tantôt ? la justice administrative se trouve dénaturée. Au lieu d'un tribunal administratif d'appel, on aura un semblant de tribunal judiciaire.»

Alors, je pense que ça rejoint un peu et beaucoup, je vous dirais même, les préoccupations que vous avez quant au maintien de la multidisciplinarité de ce Tribunal, qui en fait d'ailleurs par sa nature ? et c'est ce qui le distingue des tribunaux de droit commun ? sa spécialisation.

M. Marsolais (Denis): Non seulement qu'il est distinct, à notre avis, mais c'est un atout que le TAQ s'est donné il y a quelques années. C'est vraiment un atout, d'abord pour la clairvoyance et le fait que les décisions soient rendues par une panoplie d'expertises, si je peux m'exprimer ainsi, et un atout aussi non seulement pour le TAQ, mais, comme je disais tantôt, un atout aussi pour le justiciable, le citoyen. Je suis convaincu, M. le ministre, que le citoyen qui se présente devant le TAQ, encore une fois, il est rassuré de voir qu'il y a un dossier où il y a une demande d'une expertise médicale, puis un des décideurs qui est assis devant lui est un médecin, puis l'autre est un juriste, je suis convaincu de ça.

Maintenant, il reste toujours le problème des délais, là. Parce que c'est beau, être contre quelque chose, contre une réforme, contre une proposition, mais l'objectif de cette réforme-là, si je l'ai bien saisi, votre objectif, c'est de réduire... de trouver des solutions pour réduire les délais. Il n'y a pas beaucoup, beaucoup d'alternatives qui vont permettre de réduire les délais sinon d'augmenter les bancs pour qu'il y ait le plus grand nombre de causes qui soient entendues. Est-ce qu'il y a des améliorations à faire au niveau... du côté gestion des dossiers administratifs? Puis je n'ai pas l'expertise pour vous donner ces réponses-là. Mais il y a peut-être d'autres façons qui sont moins préjudiciables, je vous dirais, ou qui n'enlèvent pas une prérogative qui est accordée au justiciable depuis les dernières années, qui pourraient faire en sorte d'améliorer les délais. Je ne le sais pas.

M. Bédard: Et je vous dirais que cette préoccupation que vous avez par rapport... Vous vous mettiez à la place du justiciable qui souvent, effectivement, est non représenté. On a un certain mémoire ? là je vais tenter de le retrouver ? je pense que c'était ATTAQ, là, un mouvement de représentation, là, des travailleurs accidentés, et ils avaient la même demande. Eux aussi disent que, même pour la personne qui est souvent, bon, la plus démunie, c'est souvent, en tout cas en se représentant tout seul, et ça arrive devant... le gouvernement, lui, a toujours ses experts... Et là tu n'as qu'un juriste devant toi. Eh bien, évidemment, ça t'amène à une situation d'infériorité qui est presque... je vous dirais même... où la côte est impossible à remonter. Et ces gens-là disent: Non, au contraire, nous, comme citoyens, on préfère... on préfère avoir...

M. Marsolais (Denis): Et je vous dirais que c'est un réel problème, la non-représentation, non seulement au niveau des tribunaux administratifs, mais on voit de plus en plus des gens se représenter seuls en Cour du Québec et en Cour supérieure. Et c'est tout un imbroglio pour le juge qui est en avant, qui doit un peu jouer, là, pas le représentant de la personne, là, mais son rôle est modifié un peu. Et, ça aussi, c'est un autre problème, au-delà des délais et de la non-représentation. La piste que j'ai lancée pour réfléchir, c'est, bon, est-ce que... est-ce qu'on devrait faire en sorte de permettre au justiciable de pouvoir se... non pas représenter, parce que, lorsqu'on parle de représentation, on fait référence à un procureur, et évidemment, là, c'est toute une autre discussion ? et, en passant, on a d'excellentes relations avec le Barreau, là, inquiétez-vous pas...

M. Bédard: Historiques, d'ailleurs.

M. Marsolais (Denis): Est-ce que ce serait sage de permettre au justiciable devant le TAQ, de lui donner la possibilité de se faire assister ? c'est toute une autre chose, on fait la distinction dans le mémoire ? de se faire assister par un expert ? pas n'importe qui, là, on pourrait le déterminer ? mais par un expert, dans des domaines précis? Je vous donne un exemple. S'il y a un problème d'environnement, bien, le justiciable pourrait se faire représenter par un expert en environnement qui va venir l'assister pour se représenter devant le Tribunal. Alors, c'est ce qui nous faisait dire, dans notre mémoire, que la solution de minimiser le nombre de personnes, en haut, au niveau des décideurs... nous, on veut maintenir des experts là, là, pour qu'il y ait toujours un juriste, mais en permettant une assistance de toute personne au choix. Ça existe déjà, on a une disposition dans la loi actuelle, là, mais, dans des cas bien spécifiques, l'amiante, le dossier de l'amiante, etc., c'est bien... c'est des cas peu... qui arrivent peu souvent au TAQ. Donc, de permettre assistance à une personne, soit au justiciable, je pense que c'est d'ouvrir encore davantage... c'est une démonstration de la volonté du gouvernement d'accroître l'accessibilité de la justice aux citoyens, qui est un langage à la mode ces temps-ci.

n(12 heures)n

M. Bédard: Votre mémoire, aussi, et c'est pour ça qu'il... Évidemment, tous les mémoires méritent d'être lus, mais lui, je vous dirais, avec beaucoup d'attention parce qu'il fait état, je vous dirais, de différents délais qui sont générés. Vous prenez source, d'ailleurs, dans les rapports qui ont été déposés. J'en ai fait état tantôt, mais c'est un peu pour l'ensemble des membres de la commission, mais ? vous me direz si j'ai tort ? ils peuvent être de différents ordres. Et là je me réfère à votre mémoire, page 13 et suivantes, ce peut être simplement... bon, par exemple, le requérant aussi décide lui-même, par la voix de... une contre-expertise ou demande du temps supplémentaire, et ça, ça été confirmé par les différents rapports. Ça peut être aussi par des délais administratifs trop longs quant à la transmission des dossiers, c'est des délais... D'ailleurs, c'est une problématique qui a été identifiée tant par le Vérificateur que par le rapport qui a été produit et à laquelle, moi, je pense, il faut s'attaquer très, très, très rapidement.

Donc, vous faites état d'un vaste... de beaucoup d'éléments sur lesquels... en termes de résultats, qui seraient beaucoup plus, apparemment, seraient beaucoup plus... qui auraient beaucoup plus d'effets sur les délais quant au... Entre autres, vous faites mention d'augmenter la conciliation. Je sais que le TAQ en fait déjà, et ça a eu des effets évidents, mais c'est des voies sur lesquelles il faut continuer à aller de l'avant, là.

M. Marsolais (Denis): Je pense qu'il n'y a pas de recette miracle, dans tout ça, là, et je pense que ce n'est pas une disposition qui va régulariser la situation. Moi, je pense que c'est une foule de modifications de décisions administratives qui peut faire en sorte d'augmenter... pas d'augmenter, plutôt, mais de réduire les délais, qui est le problème majeur à résoudre aujourd'hui. Bon.

La solution du ministre, de réduire le nombre de personnes sur le banc, objectivement, ça peut être une solution, parce qu'il va y avoir plus de personnes, plus de juges à entendre les causes. Mais, à notre avis, bien humblement, la réflexion doit s'étendre sur d'autres aspects, tous les aspects administratifs. C'est une foule de modifications qui peut faire en sorte qu'on va atteindre l'objectif ultime qui est de réduire les délais. Il n'y a pas, encore une fois, je pense, de recette miracle.

M. Bédard: Non, non, effectivement, et c'est l'avis... On vient d'avoir le mémoire, aussi, des juges administratifs. C'est leur avis aussi, ils disent: Oui, les délais... Là, on échange, il reste quelques minutes... Mais il y a aussi des dossiers, de par leur nature complexe, qui justifient ces délais, en termes de qualité de justice, aussi, là. Il ne faut pas penser que chaque dossier peut se régler en dedans de trois mois et que trois mois doit devenir une règle générale dans des dossiers qui vont toucher des domaines d'expertise très, très particuliers. Il faut faire attention plutôt aux indicatifs. Il faut toujours avoir les bons indicateurs pour savoir à quel niveau il faut agir.

M. Marsolais (Denis): Il y a tout le phénomène des mesures alternatives de résolution des conflits...

M. Bédard: Oui, effectivement.

M. Marsolais (Denis): ...médiation, arbitrage, peut-être pas l'arbitrage, mais la conciliation, où, je suis convaincu, dans les délais latents, qui attendent depuis 30 mois, il y a peut-être, je ne sais pas, moi, 15, 20, 25 dossiers là-dedans.

M. Bédard: Excusez-moi.

M. Marsolais (Denis): Je peux continuer, oui?

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Simard): Je rappelle à tous les collaborateurs de cette commission et des membres qui s'y trouvent et au public de bien vouloir fermer leurs cellulaires. On fait ce rappel... Vous savez, je n'accuse personne, parce que je suis sûr que je me ferai prendre un jour aussi, on se fait tous prendre... Mais poursuivez, parce qu'il ne nous reste qu'une minute.

M. Marsolais (Denis): J'étais où déjà?

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Marsolais (Denis): Je parlais de la conciliation. Moi, je pense que c'est une façon de... En tout cas, c'est sûr que ces dispositions-là méritent d'y réfléchir et de voir si c'est applicable au TAQ, mais toutes ces mesures-là vont faire en sorte de diminuer les délais, de désengorger le rôle au TAQ, et il y a une foule de dossiers, je suis convaincu, qui peuvent se régler devant les parties, avec un médiateur, médiateur qui pourrait avoir une expertise dans un domaine précis, parce qu'il y a toutes sortes de médiateurs, médiateur ingénieur, arpenteur, notaire, avocat, etc., et ça, c'est une façon qui peut... D'ailleurs, le ministre en fait état dans son document sectoriel, sur la médiation et la conciliation.

M. Bédard: Il me reste combien... C'est terminé?

Une voix: C'est terminé.

Le Président (M. Simard): Ah! trois minutes. Alors, vous avez tout le temps.

M. Bédard: Ah! Il me reste encore trois minutes. C'est seulement sur un petit point. Là, il y avait un mémoire, je pense, encore, c'est l'ATTAQ, un regroupement de citoyens, l'Association des travailleurs et travailleuses accidentés du Québec, et ça se retrouve aussi dans le mémoire de la Commission des services juridiques, et je vous disais: Je vais en faire mention tantôt.

Eux vont jusqu'à prétendre que d'amputer le deuxième membre, autrement dit d'attaquer de front la multidisciplinarité de ce Tribunal, pourrait même avoir des effets sur les recours en révision où les tribunaux d'ordre supérieur ? et là, quand on va en révision, on est devant la Cour supérieure ? pourraient à ce moment-là considérer d'un degré moindre le degré de spécialisation, et, autrement dit, d'ouvrir d'une façon plus large le recours à la révision. Et ça, on le sait, c'est des coûts astronomiques, souvent, qui s'en vont jusqu'en Cour d'appel, parce que, même quand ça commence en révision, on le sait, ça se termine rarement en Cour supérieure, parce que, si le citoyen ou l'État a raison, en termes de révision ? anciennement d'évocation ? ça se termine très régulièrement en appel, pour avoir le fin mot, et là les coûts commencent à augmenter encore plus et, je vous dirais, là, d'une façon disproportionnelle.

Et, moi, au départ, je me disais: Non, il me semble... Bon. Il y a la clause qui ferme, il y a la clause, bon, qui est prévue, qui fait en sorte que c'est une décision sans appel, décision finale et sans appel. Mais la Commission des services juridiques et maintenant même, même ? et là, c'est pour ça que j'aimerais vous entendre, mais là je n'aurai pas beaucoup de temps, vous n'aurez pas beaucoup de temps ? même la Conférence des juges administratifs semblent avoir manifesté des craintes à ce niveau-là. Je ne sais pas si vous avez une opinion.

M. Marsolais (Denis): Je ne saurais l'affirmer comme ils l'affirment, c'est carrément une... c'est hypothétique, là.

M. Bédard: Oui... non, non, non, on est...

M. Marsolais (Denis): On présume que. Bon. Est-ce qu'on peut présumer que la décision risque d'être plus facilement appelable, entre guillemets, si la décision est rendue par une seule personne et en l'occurrence n'est pas un juriste? Peut-être.

M. Bédard: Ce n'est pas un juriste, mais aussi le fait que...

M. Marsolais (Denis): Qu'il n'y a pas d'expertise.

M. Bédard: ...la nature ? c'est ça ? de ce Tribunal...

M. Marsolais (Denis): Qu'il n'y a pas d'expertise.

M. Bédard: ...et toute la déférence des tribunaux judiciaires est basée justement sur cette spécialisation, parce que, souvenez-vous, en révision, avant, c'était presque un appel de novo, il y a 20 ans, là, et jusqu'aux arrêts du milieu des années... fin des années quatre-vingt, où là la Cour suprême est venue baliser d'une façon très claire et fermer la porte à toute évocation sinon en cas d'erreur manifestement déraisonnable, avec l'analyse pragmatique et fonctionnelle, là, toute cette jurisprudence.

M. Marsolais (Denis): Ce sera peut-être une autre raison qui milite en faveur du maintien de la multidisciplinarité, mais on ne l'a pas vraiment creusé. L'axe, vraiment, sur lequel on a tablé, nous, pour le maintien de la multidisciplinarité, c'est par rapport aux citoyens, c'est par rapport à la qualité des services qui sont donnés actuellement et par rapport à la qualité des jugements qui sont émis par le TAQ. Parce qu'il y a différentes expertises qui statuent sur une problématique... et qui fait en sorte que tous les volets de l'expertise ont eu l'occasion d'être en mesure de dire ce qu'ils pensaient d'une situation donnée, précise, dans un domaine bien précis. Je vous remercie.

M. Bédard: Simplement vous remercier encore une fois, et un petit commentaire, parce qu'on parlait des délais. C'est une phrase; je la prends encore dans le rapport des juges administratifs: «Il arrive parfois qu'une justice ? et vous retrouvez ça à la dernière page ? trop rapide puisse constituer un déni de justice ? comme le fait mention le ministre, mais eux d'ajouter ? autant qu'une justice trop lente.»

Alors, effectivement, oui, quand il y ça, mais une justice expéditive, pas rapide mais expéditive peut avoir le même résultat. Merci.

Le Président (M. Simard): Je dois mettre fin à ces échanges maintenant en vous remerciant, en remerciant le président de la Chambre des notaires et les collaborateurs qui sont avec lui aujourd'hui. Je pense que nous aurons à nous revoir bientôt, et vous suivrez attentivement évidemment les développements de ce projet de loi. Merci, M. le Président.

M. Marsolais (Denis): Je remercie les membres de la commission de l'écoute de nos propos et je tiens peut-être, en terminant, à préciser que la Chambre des notaires a toujours eu comme tradition, je vous dirais, dans tous ses mémoires, de faire des commentaires, mais de façon constructive. Alors, nous sommes encore plus que jamais à la disposition et du ministre et des membres de la commission pour travailler à améliorer le système de justice au Québec, notamment le TAQ. Je vous remercie.

Le Président (M. Simard): Nous ajournons nos travaux à 14 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 8)

 

(Reprise à 14 h 3)

Le Président (M. Simard): S'il vous plaît! Alors, nous reprenons nos travaux, et le prochain groupe invité... Avant, je rappelle, parce que nous avons vécu encore quelques incidents ce matin, je nous rappelle à tous de fermer nos cellulaires. Ça va? Et puis j'invite la Fondation des accidentés de la route à se joindre à nous, à venir s'asseoir ici, à la table devant.

Une voix: C'est Me Michel Cyr.

Le Président (M. Simard): Ah! pardon, excusez-moi, excusez-moi, une petite erreur, là, ce n'est pas vous tout de suite, c'est Me Michel Cyr qui va venir comparaître devant la commission. Excusez-moi, j'ai sauté la ligne. Est-ce que vous avez un mémoire? Est-ce que ça a été diffusé?

M. Cyr (Michel): Non, malheureusement, je n'ai pas...

Le Président (M. Simard): Assoyez-vous, s'il vous plaît.

M. Cyr (Michel): ...pour la première fois devant une commission parlementaire, je n'ai pas eu l'occasion de rédiger un mémoire au préalable, ce que j'ai fait dans le passé à toutes les occasions, mais pas cette fois-ci.

Le Président (M. Simard): Très bien. Alors, vous connaissez nos règles, vous avez une vingtaine de minutes pour présenter ce que vous voulez nous présenter, et la partie ministérielle et l'opposition vous interrogeront par la suite.

M. Michel Cyr

M. Cyr (Michel): Très bien. Alors, voici. Bonjour, M. le ministre, madame, messieurs. Il me fait plaisir de me présenter aujourd'hui devant vous pour faire certaines représentations concernant le projet de loi présenté par le ministre de la Justice, qui se présente comme un préalable, une pièce importante d'une réforme souhaitée et plus large de la justice administrative, visant l'ensemble des tribunaux administratifs.

Alors, voici, mon propos, je le divise en trois. Je compte entretenir les membres sur trois questions. D'abord, la question, rapidement, de gestion et... de saine gestion et d'économie, qui en fait reprend un peu le discours inaugural et de réingénierie de l'État. Et, dans ce sens, on ne peut être contre le fait de siéger à un membre plutôt qu'à deux. Dans la division des affaires sociales, on voit qu'il y a certaines exceptions, et j'y reviendrai. Et, dans la mesure où on peut penser, dans un premier temps, à une question de saine gestion et d'économie, ça ne va pas surtout à l'encontre du principe de la règle de droit et de l'État de droit, et j'y reviendrai, c'est le deuxième volet de mon intervention. Et le troisième étant un commentaire et une demande de modifier en fait ce projet de loi pour y inclure le fait que les membres qui siègent seuls devraient, au paragraphe 25 du projet de loi, y inclure le paragraphe 5° de l'annexe I, pour que les membres qui siègent seuls soient avocats et notaires exclusivement.

Mon propos, et je le mentionne ? à plusieurs reprises, j'ai eu à venir présenter des mémoires devant cette Assemblée ? n'est pas du tout corporatiste, loin de là. C'est ma première démarche en ce sens, aujourd'hui, après 25 ans de représentation des victimes devant tous les tribunaux administratifs depuis leur existence, en 1977. Alors, un bref rappel: par exemple, du fait que, devant l'institution, en 1977, de la Commission des affaires sociales, ensuite de la CALP en 1985, de la CLP en 1998, on est en mesure, clairement, de faire une comparaison, d'établir, au niveau du droit comparé, quelle est la situation au Québec des droits des citoyens qui sont entendus devant les deux principaux tribunaux et, à cet effet, nous constatons que, depuis la naissance de la Commission des affaires sociales et, en 1998, avec la Loi sur la justice administrative, la création du Tribunal administratif du Québec, on a continué à siéger à deux membres, alors que, depuis la création de la CALP, initialement, en 1985, et de la CLP depuis, en 1998, on ne siège à deux membres que de façon plutôt exceptionnelle de plus en plus, dans la mesure où l'ensemble des dossiers, la majorité des dossiers sont des dossiers finalement qui sont répétitifs, c'est-à-dire que les membres, et j'en suis, pour avoir siégé comme commissaire à la première Commission d'appel en matière de lésions professionnelles à l'époque du premier ministre Pierre Marc Johnson, dont j'ai démissionné pour des raisons pour lesquelles je... on ne m'a pas demandé de me prononcer ici aujourd'hui... mais enfin, l'indépendance du Tribunal est au coeur des questions qui nous touchent encore aujourd'hui, qui ne sont toujours pas réglées, même après la décision de la Cour d'appel.

Et, en ce sens, je vous dirai que, à titre de commissaire à l'époque et aussi pour représenter les victimes devant tous les tribunaux administratifs depuis plus de 25 ans, on constate que de façon... sur un plan mathématique, sur un plan statistique, le nombre de victimes qui sont entendues devant la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles, et par la suite devant la CLP, est infiniment plus important, parce que le volume d'accidentés du travail, de gens souffrant de maladies professionnelles est d'autant plus important, par rapport aux victimes d'accidents de la route, de demandeurs de prestations de la Régie des rentes et de victimes d'actes criminels... et les adjudicateurs, les juges administratifs décident généralement seuls les questions qui sont répétitives. Quelles sont ces questions? Quelles sont les questions auxquelles ils ont à répondre? Des questions de nature médicolégale qu'ils doivent trancher.

n(14 h 10)n

Alors, on se rend compte que bien souvent, peu importe la législation, qu'il s'agisse d'accidents de la route ou d'accidents de travail, on a des statistiques assez pointues sur le type de lésion dont les gens sont victimes: plus au niveau cervical, par exemple les traumatismes crâniens, en matière d'accidents de la route; plus en dorsolombaire, par exemple, au niveau accidents de travail; plus lésions attribuables au travail répétitif, en matière de maladies professionnelles et de lésions professionnelles. Mais, pourtant, la masse de ces lésions est tranchée généralement, étant donné l'expertise du Tribunal, même par les juristes seuls, étant donné que l'on connaît maintenant l'ensemble des symptômes, des signes cliniques, et que l'on a devant soi généralement aussi des experts qui auront déposé leur opinion ou qui viendront la défendre. Et, en ce sens-là, la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles, et par la suite la CLP, s'est très bien acquittée de ce volet-là, s'adjoignant au besoin un membre médical dans les questions plus complexes, puisque, dans les autres cas, l'ensemble du dossier, la preuve médicale permettait à l'adjudicateur de décider seul de ces questions. Alors, dans cette mesure, on a donc au Québec une expérience pratique, concrète, parallèle de deux tribunaux qui fonctionnent différemment. Et que ce soit au niveau purement économique, au niveau de la gestion et de... au niveau de la justice surtout ? et j'y reviendrai dans un instant ? pour l'accidenté, pour la victime et pour le respect de la règle de droit, on se rend compte que les gens peuvent parfaitement être entendus par un membre seul.

Et ce membre doit-il être avocat seulement? C'est une question à laquelle nous devons répondre oui, ou notaire, donc un juriste, et la raison en est bien simple. C'est que ces 25 ou 26 années d'expérience m'ont permis de constater que les membres médicaux n'ont pas la même conception, par culture médicale-scientifique, que les juristes. Or, devant un tribunal, tout administratif soit-il, et par respect des tribunaux quasi judiciaires ? et on le verra aussi dans l'ordre judiciaire ? la règle de droit, dans un État de droit, est celle de la prépondérance de preuve et celle de... excusez-moi, je reviens à mon texte, de l'explication la plus probable. Et combien de fois la Cour suprême nous a dit: Écoutez, ces lois-là doivent être appliquées de façon large et libérale, elles existent pour les citoyens pour lesquels elles ont été adoptées, et, en ce sens, on ne doit pas soumettre... Et j'en veux à témoin des décisions de la Cour d'appel qui ne sont toujours pas respectées, à notre avis, sur le terrain, qu'on a dans Viger, dans Chiasson, où on tente d'imposer ? et j'ai bien aimé l'expression, il faut que je vous la cite ? la... du droit romain ancien, lorsque l'on mentionne, dans Chiasson, au paragraphe 25 de la Cour d'appel, on soumet en fait les citoyens ? paragraphe 24, pardon ? à la probatio diabolica, c'est-à-dire, on les soumet à une preuve, un fardeau de preuve tel que la culture scientifique-médicale qui se confond à cette règle fait en sorte que les victimes font les frais des assureurs publics et privés, qu'il s'agisse de la SAAQ, le pire des organismes publics au Québec, ou de la CSST, ou des assureurs en général, où on se dit: La preuve médicale-scientifique va être... La certitude scientifique va être requise des victimes; et on assiste à des débats comme dans des forums scientifiques et on tente d'imposer aux victimes ce fardeau de preuve là. Et je le répète, parce que c'est amusant de le dire: la probatio diabolica.

Et ce n'est pas nouveau pourtant. Comment est-ce qu'on peut, dans le cas d'une loi que l'on doit interpréter de façon large et libérale, en faveur de ces victimes-là et depuis toujours, invoquer... ou rechercher une certitude scientifique? Or, en dépit des décisions de la Cour d'appel à plusieurs reprises, et même de la Cour suprême, on se rend compte, comme l'ont mentionné à plusieurs reprises les membres du Tribunal administratif, certains membres du Tribunal administratif, sur un plan strictement juridique, que le Tribunal pourtant n'est pas un hôpital, n'est surtout pas une faculté de médecine et n'est pas non plus un forum ou un congrès scientifique. On a devant nous les droits d'une victime à trancher, et ces droits-là doivent se trancher selon la preuve qui est présentée. Or, de plus en plus, et indépendamment des messages de la Cour d'appel, de plus en plus on assiste à une recherche de certitude scientifique que l'on impose aux victimes. Et cette certitude scientifique, par rapport au droit que l'on veut reconnaître aux victimes, est inacceptable, et c'est dans cette culture-là qu'il est aussi inacceptable, pour le respect de la règle de droit et de la société de droit, qui s'érode dans ce cas-là, de dire: Oui, qui mieux qu'un juriste et qu'un notaire, qu'un avocat peut la faire respecter, puisque nous n'y sommes jamais arrivés avec un membre de la communauté médicale, de façon générale, et même de bonne foi ? on présume de la bonne foi, évidemment ? parce que c'est cette recherche de certitude scientifique qui est toujours au coeur des débats, et on doit l'invoquer à chaque fois. Et je vous dis ça après plus de 1 065 causes, et c'est notre quotidien. Alors, il faut que ça se dise clairement. Et j'aimerais entendre tout autre argument nous disant que ce n'est pas la réalité que nous vivons tous les jours, mais c'est pourtant, malheureusement, cette réalité-là. Et je suis convaincu que, des deux côtés de la table, les parties souhaitent que les victimes, pour qui les lois existent, soient... leurs droits soient tranchés équitablement mais selon la règle de droit. Alors, ce n'est pas ce que l'on vit actuellement bien souvent et trop souvent, et c'est ce qui doit être modifié. Alors, dans les circonstances, puisqu'on a mentionné depuis toujours, la Cour suprême, qu'entre deux opinions médicales contradictoires le témoignage crédible de fait, d'un témoin de fait doit être retenu, c'est le sens qui, à mon avis, doit être donné et reconnu comme droit aux victimes. Je vous remercie.

Le Président (M. Simard): Merci, Me Cyr. Je vais d'abord laisser au ministre le soin de vous questionner et ensuite aux autres membres de la commission.

M. Bellemare: Alors, vous me permettrez tout d'abord, Me Cyr, de vous féliciter pour l'excellence de votre présentation. Malgré le fait que vous n'ayez pas confectionné de mémoire écrit, on voit que vous n'êtes pas très embêté à nous relater un certain nombre de situations et de points de vue, ce qui témoigne de vos racines profondes dans ce secteur et de votre expérience, et je vous en félicite, d'autant plus que les procureurs qui font carrière dans ce secteur ne sont pas très nombreux. C'est tout à votre honneur.

M. Cyr (Michel): Je vous remercie.

M. Bellemare: Il y a certains points qui m'ont particulièrement intéressé dans votre présentation, et notamment la question de la Commission des lésions professionnelles, autrefois la CALP. Vous étiez membre de la CALP à l'époque...

M. Cyr (Michel): Tout à fait.

M. Bellemare: ...donc vous avez vécu comme adjudicateur dans un régime où vous étiez le décideur unique...

M. Cyr (Michel): Exact.

M. Bellemare: ...et l'assesseur médecin, donc l'expert, était à vos côtés mais à titre non décisionnel.

M. Cyr (Michel): Tout à fait.

M. Bellemare: Ce régime a existé au Québec de 1985 à 1998 et, en 1998, il a été modifié par le gouvernement auquel mon collègue le député de Chicoutimi appartenait, et la même formule a été maintenue à la CALP...

M. Cyr (Michel): Exact.

M. Bellemare: ...un décideur unique avec un assesseur médecin lorsque c'est nécessaire. Êtes-vous en mesure de nous préciser aujourd'hui dans quelle proportion, si c'est possible... Lorsque vous parliez tantôt de cas ? je ne sais pas quel terme vous utilisiez ? mais de cas qui sont moins importants, là, qui sont plus routiniers...

M. Cyr (Michel): Répétitifs.

M. Bellemare: ...répétitifs, versus les cas qui justifient la présence de quelqu'un aux côtés de l'adjudicateur, est-ce que vous êtes en mesure de nous dire, à votre avis... Vous plaidez devant le TAQ?

M. Cyr (Michel): Énormément.

M. Bellemare: Bon. Vous représentez des victimes de la route?

M. Cyr (Michel): Tout à fait.

M. Bellemare: Et d'autres catégories de victimes?

M. Cyr (Michel): Évidemment, des victimes d'actes criminels, des demandeurs de prestations de la Régie des rentes, évidemment, tous les dossiers d'accidents du travail et des maladies professionnelles.

M. Bellemare: O.K.

M. Cyr (Michel): Et également en matière d'assurance, puisqu'on aurait pu aussi ajouter la Cour supérieure...

M. Bellemare: O.K. Non, mais on parle du TAQ.

M. Cyr (Michel): ...comme tribunal de droit commun qui siège seul, où le juge siège seul également.

M. Bellemare: On parle du TAQ. J'aimerais que vous nous disiez: À votre avis ? peut-être que ça a déjà été répertorié, peut-être que non, vous nous renseignerez là-dessus ? quel serait le pourcentage, à l'heure actuelle, de causes qui sont entendues par le TAQ et qui, à votre avis, sont des cas plus... sans sous-estimer leur importance, évidemment, mais qui sont de moindre complexité, si on peut dire ça ainsi, et qui, à votre avis, pourraient être, de façon correcte, de façon conforme à la loi, à l'éthique, à la preuve, à la spécialisation du Tribunal, entendues par un juge seul? À votre avis.

M. Cyr (Michel): Je vous dirais: plus de 90 %, parce que les dossiers que nous avons devant le TAQ, qui sont similaires à ceux que nous avons devant la CLP, au fond, et qui font l'objet d'une audience à la CLP, font l'objet, comme je l'ai mentionné tout à l'heure, de lésions qui sont les mêmes. Alors, je vais répondre à votre question en deux volets. Je dirais plus de 90 %, parce qu'on a, en matière de... surtout dans le plus gros du volume, en matière des affaires sociales, devant le TAQ, en matière d'accidents d'automobile donc, des dossiers, fameux dossiers d'entorses versus hernies, avec les signes cliniques, évidemment, et paracliniques que ça implique, et ça constitue la majorité des dossiers, suivis, malheureusement, des traumatismes crâniens. Mais le Tribunal a développé une expertise à cet effet, et la preuve généralement est au dossier: neuropsychologie, psychiatrie, neurologie. Et on est en mesure d'évaluer au TAQ, comme on le fait à la CLP. Et je vous dirais que le volume est de plus de 90 %.

n(14 h 20)n

Par ailleurs, l'autre volet de la réponse serait: Dans les rapports annuels tant de la CSST que de la SAAQ, généralement, et on pourrait même ajouter: en comparant et en croisant ceux du TAQ et de la CLP, on pourrait comprendre que la majorité des sièges de lésions ont été identifiés. Donc, ce sont ceux qui sont contestés et ceux qui se retrouvent... On a des statistiques précises sur les sièges de lésions dans les rapports annuels des différents organismes, et, par la suite, lorsqu'ils se retrouvent en audience, ce sont les mêmes, et on comprend que c'est parfaitement répétitif. On le mentionnait tout à l'heure, tout ce qui est musculosquelettique, en ajoutant les lésions à caractère discal, d'une part, pour ce qui est des maladies professionnelles, ainsi que tout le volet des maladies attribuables aux mouvements répétitifs ou accidents, alors que, du côté accidents d'automobile, on a bien sûr toute la même gamme de problèmes, plus les traumatismes crâniens. Mais les deux tribunaux et les membres, notaires ou avocats, ont développé cette expertise-là de siéger seuls dans ces cas-là, à la CLP. Et donc, pour le TAQ, ce serait plus de 90 %, encore une fois, pour répondre à votre question.

M. Bellemare: Merci.

Le Président (M. Simard): M. le député de Trois-Rivières.

M. Gabias: Me Cyr, je réfère au mémoire présenté par la Chambre des notaires, en fait à deux des trois recommandations qu'ils ont présentées, en débutant par la seconde qui dit: «Que soit maintenu le principe que les bancs des décideurs comprennent obligatoirement un juriste.» Alors, je comprends que, dans la mesure où, bon, vous, vous proposez ou vous êtes d'accord avec le fait qu'il n'y ait qu'un seul et que ce soit un juriste, ce principe-là serait rencontré.

M. Cyr (Michel): Respecté, tout à fait.

M. Gabias: Je reviens maintenant au premier, qui dit: «Que soit maintenu le principe de la formation multidisciplinaire des bancs des décideurs.» Est-ce que, dans la mesure où, tel que c'est présenté, le président du Tribunal peut, lorsqu'il le trouve nécessaire, s'adjoindre un spécialiste... est-ce que, là aussi, dans sa forme telle que présentée, le principe de multidisciplinarité, là, serait rencontré?

M. Cyr (Michel): Écoutez, je n'ai pas pris connaissance du mémoire de la Chambre des notaires, mais je peux vous dire ceci, c'est que, dans la mesure où le président conserve le droit d'adjoindre un membre spécialisé, c'est évident qu'on n'a aucune objection. Toutefois, si la Chambre des notaires avait soutenu que les membres doivent... et les bancs doivent être constitués encore de médecins et d'avocats, c'est plutôt étonnant, pour un organisme qui a moins cette expertise devant les tribunaux, de soutenir que les membres médicaux du Tribunal doivent être maintenus, puisqu'on ne retrouve pas... on a retrouvé quelques exceptions, quelques notaires qui ont siégé au TAQ et à la CLP, mais ça a été l'exception, et, à ma connaissance, aucun n'est venu représenter ou des employeurs ou des victimes devant les tribunaux. Donc, ça m'étonne, cette remarque, puisque, évidemment, ils ont le droit de le soutenir, sauf qu'on peut se demander sur quelle expertise est basée cette prétention.

M. Gabias: O.K. Merci.

Le Président (M. Simard): Très bien. Oui, M. le député de Montmorency.

M. Bernier: Alors, merci. Bonjour, M. Cyr. Ça me fait plaisir de vous rencontrer. De par votre expérience au niveau des différents tribunaux administratifs, est-ce que vous constatez que la substance, le contenu du jugement rendu ou de la décision d'un tribunal où il n'y a qu'un seul décideur, par rapport à celui où il y en a deux, est-ce que vous considérez qu'il y a beaucoup moins de substance, qu'on va moins loin, que les explications sont moins précises?

M. Cyr (Michel): Je pourrais vous répondre de la façon suivante. Je pourrais vous dire que peu importe l'issue de la décision, que nous ayons obtenu gain de cause ou non, nous ne sommes pas plus déçus de la lecture des décisions où un adjudicateur qui est un avocat ou un notaire a rendu sa décision seul que lorsqu'elle est étayée de tout le débat, qui prend des proportions scientifiques... aux faits qui ne devraient pas, par rapport à la règle de prépondérance de la preuve, avoir sa place. Alors, dans ce sens-là, on n'a pas... la qualité n'est pas inférieure. Bien sûr, on pourrait y lire certains éléments médicaux supplémentaires, mais la qualité n'est pas inférieure, et je ne peux pas vous dire que je serais plus en désaccord ou déçu lorsque je n'ai pas gain de cause, parce que c'est un quorum, qui était avocat ou notaire, qui a rendu la décision. Sinon, je viendrais justement soutenir devant cette Assemblée qu'on désire, au contraire, qu'un membre médical éclaire à chaque fois le membre du tribunal spécialisé. Ne l'oublions pas, il demeure spécialisé, ce tribunal-là, même s'il n'y a pas un médecin qui siège à ses côtés, sauf, bien sûr, lorsque, comme le prévoit le projet de loi, si le président l'adjoint à cause de la difficulté du cas.

M. Bernier: Très bien. Merci.

M. Descoteaux: M. le Président.

Le Président (M. Simard): Oui, M. le député de Groulx.

M. Descoteaux: Merci, M. le Président. Me Cyr, je me joins indubitablement aux félicitations que vous adressait le ministre de la Justice pour la qualité de vos représentations. On voit en effet que vous êtes familier avec la matière. Je m'interroge toutefois sur un aspect de votre présentation, à savoir sur l'espèce de coutume qui s'est peut-être développée au niveau de ces tribunaux quant à la qualité de la preuve qui est requise, et vous disiez que... Et là je me questionne sur le fait qu'on ait un tribunal à un seul membre, juriste nécessairement selon vous, ou que ce soit un tribunal bicéphale avec un professionnel. Et attardons-nous au domaine de la santé. J'ai l'impression que, selon vos propos, qu'on ait l'un ou l'autre, on va se retrouver dans une situation où l'administration de la preuve est différente et où on fait supporter au contribuable, ou à la victime, ou au réclamant un fardeau de preuve qui va au-delà de ce que les tribunaux de droit commun reconnaissent, à savoir la balance des probabilités. Est-ce que je me trompe?

M. Cyr (Michel): Oui... Je dois vous dire que mon propos est différent effectivement. Mon propos est à l'effet que le citoyen et le membre juriste, qu'il soit notaire ou qu'il soit avocat de formation, et c'est une question de culture juridique, c'est une question justement de règle de droit... devant un avocat seul, devant un notaire seul, on n'exigera pas de certitude scientifique, ce n'est pas dans la culture. Il existe donc ? je pourrais en parler plus longtemps ? une histoire à l'intérieur, pour avoir siégé comme membre de ces tribunaux ou d'un tribunal qui est la CALP, une pression médicale tout à fait légitime, là, pour le membre qui entend décider, parce qu'il est le décideur seul, de dire: Ce n'est pas la preuve que l'on recherche, alors que le décideur seul, qui a cette culture juridique là, va de toute façon vouloir imposer la règle de la prépondérance de preuve, simplement de l'explication la plus probable, alors qu'il va toujours, et même de bonne foi, je le dis, se faire imposer cette recherche de certitude scientifique par son collègue. C'est ce que j'ai vécu à l'interne et c'est ce que je vois tous les jours lorsqu'un justiciable donc doit prouver, doit mettre en évidence que sa lésion s'est produite à cause que le mécanisme... il l'explique, explique tel diagnostic et qu'il ne s'est pas manifesté dans les 24 heures, immédiatement, que sa lésion nécessite la reconnaissance de séquelles, etc., et jamais le juriste va avoir, pas par laxisme, pas du tout, ce n'est pas une question de laxisme..., c'est que, comme les tribunaux supérieurs l'ont mentionné, on va imposer, on va demander au citoyen pour qui ces lois-là existent: Respectez simplement la règle de la prépondérance de preuve et de l'explication la plus probable. Mais jamais on va lui demander ? donc, c'est différent dans les deux cas... On ne lui demandera pas la certitude scientifique, même s'il y a une certaine contamination, il y a une certaine contamination au niveau des tribunaux quant au degré de preuve requis.

Le Président (M. Simard): M. le député de Marguerite-D'Youville m'a demandé... Est-ce que vous aviez terminé?

M. Descoteaux: Peut-être une petite question qui découle de ça.

Le Président (M. Simard): Très rapidement.

M. Descoteaux: Justement, j'appréciais les enseignements que vous rapportiez de la Cour suprême lorsque vous disiez qu'à la lumière de deux témoins experts ou de deux expertises contradictoires le gros bon sens, à toutes fins pratiques, doit prévaloir. Mais que fait-on pour sauver les droits du justiciable lorsque celui-ci se défend seul devant un expert amené par l'État ou amené par quelque autre organisme? Il va y avoir à ce moment-là nécessairement un déséquilibre, non?

M. Cyr (Michel): Non, pas plus, parce que le déséquilibre, justement, va être moins important du fait que ce que... Ce que je dénonce aujourd'hui, c'est que le déséquilibre, cet expert, bien malgré lui peut-être, en présumant de la bonne foi, le crée, le crée de par le fait qu'il va exiger de la victime qui est devant lui le fardeau de preuve qu'il exige habituellement, le défavorisant par le fait même quant à l'application de la loi.

M. Descoteaux: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Simard): M. le député de Marguerite-D'Youville.

n(14 h 30)n

M. Moreau: Merci, M. le Président. Me Cyr, mes félicitations, vous avez des exposés qui sont brefs mais qui sont très précis. Il nous reste peu de temps. Ce matin, on a évoqué un mémoire, qui sera entendu demain, par les juges administratifs qui s'inquiètent, et notamment d'un point, à savoir: si l'on revient à un décideur seul, que l'on pourrait modifier les critères d'intervention des tribunaux d'appel qui, à l'heure actuelle, si j'ai bien compris, là, qui, à l'heure actuelle, ont une réserve plus grande pour intervenir en matière d'appel lorsque la décision provient d'un tribunal spécialisé. Demain, nous entendrons donc les représentations des juges; aujourd'hui, je veux entendre la représentation d'un avocat spécialisé dans le domaine. Êtes-vous d'avis que le fait d'avoir un décideur unique aurait une quelconque influence sur les critères d'intervention des tribunaux d'appel à l'égard des tribunaux spécialisés?

M. Cyr (Michel): C'est possible, et pourquoi pas? Je m'explique. Cette question-là, je ne m'y attendais pas, mais c'est possible, et pourquoi pas? Et c'est sain, et ça va se produire de toute façon. C'est-à-dire, si vous avez constaté, récemment, il y a une évolution jurisprudentielle. On l'a vu dans l'arrêt Pushpanathan, je pense, de la Cour suprême, récent qui dit: On va maintenant admettre l'erreur de droit.... Alors, on diminue le fardeau de preuve pour dire: Maintenant, en matière de révision judiciaire, on n'exigera pas exclusivement l'erreur manifestement déraisonnable, qui avait été établie depuis les arrêts Control Data et autres, là, il y a presque deux décennies.

Alors donc, la règle de droit, la règle du contrôle judiciaire évolue, elle, de toute façon et elle va continuer à évoluer. Et elle va évoluer... La jurisprudence aussi, à cet effet-là, va évoluer, peu importe. Et, bien sûr, ça peut exiger une lecture qui soit plus attentive, sauf que ce que ces... Et je les comprends d'être dans une situation plus ou moins confortable, puisque l'ensemble des membres, des adjudicateurs sont à la fois de la double formation, sauf qu'il faut bien dire que le juge de la Cour supérieure qui va examiner la question, puisqu'il s'agit de ça dans un premier temps, lui-même ? c'est un de ces aspects que j'avais oubliés de souligner tout à l'heure, j'y suis revenu rapidement puis j'y reviens ? quand il doit appliquer une règle, il le fait seul et le fait selon la règle de prépondérance de la preuve. Alors, comment saurait-il, dans le cadre d'un tribunal qui va demeurer un tribunal spécialisé, exiger un fardeau de preuve plus large pour les victimes, pour qui ces droits-là, ils doivent exister et non pas pour l'administration et le contrôle de coûts?

M. Moreau: Il nous reste du temps?

Le Président (M. Simard): Oui, oui.

M. Moreau: Alors, vous avez évoqué la question du contrôle judiciaire, l'évocation, les recours extraordinaires. En matière d'appel, les tribunaux nous disent: Bon, on doit se restreindre d'intervenir parce qu'on fait affaire à une instance spécialisée. Je comprends bien votre propos en me disant: L'instance ne serait pas moins spécialisée du fait de siéger à un décideur unique. C'est exact?

M. Cyr (Michel): Tout à fait.

M. Moreau: Merci.

M. Cyr (Michel): Et la réserve... Si vous me permettez, la réserve des tribunaux devrait se maintenir, parce que la règle que s'imposent ces tribunaux-là et les membres de ces tribunaux-là est celle que l'on désire voir imposée aux tribunaux, c'est-à-dire celle de la prépondérance de preuve.

M. Moreau: Merci.

Le Président (M. Simard): Terminé de ce côté-ci? M. le député de Chicoutimi.

M. Bédard: Merci, M. le Président. Alors, je remercie maître... Excusez-moi, Me Saint-Cyr, c'est ça? Me Cyr, excusez. Vous n'êtes pas encore saint?

M. Cyr (Michel): Non. Je ne suis pas encore canonisé, mais ça s'en vient, sauf si vous demandez... Bon, enfin.

M. Bédard: Alors, on ne vous déclarera pas saint. Bienheureux peut-être, mais pas saint encore. Alors, Me Cyr, je vous remercie de votre présentation. Simplement, là, pour m'indiquer un peu, parce que, évidemment, je ne vous connais pas personnellement puis j'ai compris que le ministre connaissait mieux votre pratique, puis c'est normal aussi, vous pratiquez, j'imagine, ici, à Québec ou à Montréal?

M. Cyr (Michel): Non, à Montréal, mais notre pratique, la mienne et celle de M. le ministre, évidemment, nous entraînent partout au Québec, ça va de soi. Mais plus à Montréal.

M. Bédard: O.K. Et vous êtes dans ce domaine plus particulièrement...

M. Cyr (Michel): Non, exclusivement.

M. Bédard: Exclusivement, voilà. O.K. Bien, vous comprendrez... Est-ce que vous avez eu le temps de lire l'ensemble des mémoires qui ont été déposés devant la commission?

M. Cyr (Michel): Non, malheureusement, mais ça me ferait plaisir de le faire.

M. Bédard: O.K. Parce que c'est important, avoir les différents avis. Je vous avouerais qu'au départ l'opinion que vous manifestez, c'était même une opinion qui me paraissait, en ce qui me concerne, même raisonnable, et que je partageais même, au début, certains des éléments que vous mentionnez, mais, malheureusement, il faut le dire, à la lecture des différents mémoires et après avoir contacté plusieurs des intervenants qui sont venus, notaires, CSN, en passant par des mouvements sociaux, de groupes sociaux, et là, maintenant, le mémoire des juges administratifs, j'ai de profondes réserves quant à certains éléments que vous faites état, et c'est pour ça que ce serait peut-être, si vous avez le temps... Dû à votre... Vous êtes en pratique privée, donc vous ne pouvez pas charger dans ce temps-là, mais... C'est ce qui est malheureux. Du moins, ne me transmettez pas la facture. Ha, ha, ha!

M. Cyr (Michel): C'est présumer...

Une voix: ...

M. Cyr (Michel): Non. Je comprends bien, mais c'est présumer qu'il n'y a aucun travail qui peut se faire par amour de ce que l'on fait. Mais enfin...

M. Bédard: Non, non, au contraire, au contraire.

M. Cyr (Michel): Non, non, je vous dis ça pour dérider.

M. Bédard: Non, non, non, on vous le dit. Ah non, écoutez, là, j'étais avocat, là, ça m'arrivait de jouer avec mes enfants sans facturer, là. J'imagine que c'est votre cas aussi, faire de la lecture sans...

M. Cyr (Michel): Je note l'absence du député de Rivière-du-Loup, dont on me dit qu'il fait partie de cette...

M. Bédard: On ne peut pas... On ne peut pas faire la mention d'une absence.

M. Cyr (Michel): D'accord. Ce n'était pas quelque chose de négatif. Au contraire, c'était pour souligner que j'avais eu même le plaisir de défendre son beau-père qui avait été victime de la CSST. Mais enfin, quoi qu'il en soit...

M. Bédard: C'est du domaine privé puis du domaine confidentiel. Ha, ha, ha!

M. Cyr (Michel): Non, mais, je veux dire, les dossiers que l'on défend, il nous fait plaisir de le mentionner.

M. Bédard: Je vous dirais simplement: Revenons à nos brebis.

M. Cyr (Michel): Je me demandais si vous aviez une question à me poser.

M. Bédard: Oui. Voilà, c'est ça. Alors, non, je vous invite simplement, effectivement, à lire l'ensemble des mémoires. Mais aussi, est-ce que vous avez pu prendre connaissance, parce qu'il y a eu beaucoup d'écrits... Vous savez que la réforme administrative des tribunaux... des tribunaux administratifs, plutôt, la réforme date de 1998, ce n'est quand même pas, là... ça ne fait quand même pas très longtemps. Il y a eu, bon, rapport du Vérificateur, il y a eu aussi différents rapports du Tribunal administratif, qui émet son rapport annuel, et vous avez aussi le rapport d'étape, là, du comité sur justement le suivi de la justice administrative. Simplement, là, ce n'est pas pour vous indisposer, mais avez-vous eu le temps d'en prendre connaissance?

M. Cyr (Michel): Je lis généralement tout ça, et plus les rapports annuels de la CLP, et plus... Mais peut-être devrais-je vous dire que mon intérêt n'est pas uniquement juridique, puisque mes premières études étaient en sciences politiques. Alors, la critique des actions de l'administration me passionne.

M. Bédard: Moi aussi. Et je vous dirais que ma lecture n'est surtout pas juridique. Donc, vous savez que le rapport qui a été déposé et qui fait plus de 140 pages était plutôt favorable... Le rapport sur la mise en oeuvre de la justice administrative, celui qui date de juin 2003 et qui faisait état de l'amélioration des délais sur une base statistique, mais aussi d'ordre général, qui faisait état, en général, là, des difficultés qui n'étaient pas dues au Tribunal quant aux délais, de l'importance de maintenir la multidisciplinarité du Tribunal et même de l'augmenter ? j'imagine que vous avez pu lire ça ? où, en plus de dire que c'était... que ça s'attachait à la spécificité du Tribunal, que, au contraire, on devrait même viser à augmenter justement cette multidisciplinarité, parce qu'il n'y a pas seulement des médecins... Vous faisiez état des médecins tantôt, mais, évaluateurs agréés, travailleurs sociaux.

M. Cyr (Michel): Or, avec respect, manifestement, ils se trompent. Et je le dis non pas d'une façon arrogante et prétentieuse...

M. Bédard: Non, non, non, non, puis c'est votre opinion, vous avez le droit.

M. Cyr (Michel): ...c'est qu'on en arrive à un moment donné dans la vie où lorsqu'on a à témoigner d'une expertise qui est vraie et qu'on n'a pas d'intérêt ? on pourrait me dire: oui, mais vous êtes avocat; je connais la chanson, l'administration nous la sert ? mais pas d'intérêt autre qu'à témoigner de ce que l'on voit, qu'il est faux de prétendre que ceux pour qui ces lois-là existent sont bien servis lorsqu'ils sont entendus généralement par les membres médicaux. Et je ne parle pas des comptables agréés, de la division économique, agricole ou autre, là, expropriation, mais je vous parle uniquement dans ce que je connais, et, à ce niveau, les citoyens accidentés de la route, du travail, victimes d'actes criminels et autres... Et je pourrais aller beaucoup plus loin que ça, pour dire qu'il y a une culture malsaine face à l'image qu'ont bien des membres des citoyens, mais je pourrais me faire dire que c'est gratuit. Sauf que l'expérience nous démontre que la façon de se comporter avec le citoyen dans la recherche de cette certitude scientifique lors des interrogatoires et des contre-interrogatoires témoigne du peu de respect, souvent, et de préjugés.

Bien sûr, on n'en fait pas le procès aujourd'hui de façon systématique et structurée, avec des statistiques, mais on peut croire ou non que cette expérience-là que je vous livre... Bien sûr, je ne suis pas objectif, je défends des gens pour qui le législateur, tout de même, a fait adopter des lois. Ça ne signifie pas que les gens doivent abuser, mais je crois, pour aller plus loin, que l'administration se retranche souvent et souhaite... Ceux qui le souhaitent, que soit maintenue... Ceux qui souhaitent que soit maintenue cette approche, c'est qu'elle est plus coercitive face aux gens. On la pense plus rigoureuse, mais, dans les faits, elle n'est pas plus rigoureuse, c'est qu'elle banalise plutôt la règle de droit. Et c'est l'élément à la base qui, à mon avis, doit être retenu, et la règle de droit doit triompher face à ce que l'on fait subir aux citoyens actuellement. Alors, je m'inscris tout à fait en faux sur... face à...

M. Bédard: Ah non, puis ça...

n(14 h 40)n

M. Cyr (Michel): Non, non, mais je vous dis ça: face à ceux qui soutiennent que la multidisciplinarité doit être maintenue. Et je vous dirais même, au risque de me tromper... Parce que je ne vois pas comment, étant donné l'expérience parallèle que l'on vit, qui est favorable, dans le fond, qui n'est pas plus défavorable aux gens, aux victimes en matière d'accidents de travail et de maladies professionnelles, comment on pourrait monter en modèle cette façon de faire, cette pratique qu'est la loi, au niveau du Tribunal administratif du Québec.

M. Bédard: O.K. Non, non, puis, votre opinion, vous y avez droit, puis c'est tout à fait normal, et je le respecte. D'ailleurs, on est là pour ça, hein, on fait notre opinion à travers différentes exprimées, et votre expérience personnelle est sûrement d'un intérêt, là, certain pour la commission, pour moi aussi. Mais vous comprendrez aussi que je dois tenir compte de l'ensemble de ces documents et surtout de toutes les recherches qui ont été effectuées, et c'est, je pense, c'est dans la justice des choses.

Il y a des éléments qui soulèvent mon questionnement. Tout d'abord, bon, vous êtes avocat, vous connaissez, bon, les notions d'indépendance judiciaire...

M. Cyr (Michel): C'est ça qui me passionne et qui a entraîné mon départ de la CALP.

M. Bédard: O.K. Bien, là, je ne le savais pas.

M. Cyr (Michel): J'aime bien écrire mes décisions tout seul.

M. Bédard: Alors... Bien, ça, c'est tout à votre mérite, et j'espère que c'est le cas pour les gens actuels.

M. Cyr (Michel): Je détestais les envoyer en cachette et en secret.

M. Bédard: Je ne sais pas qui vous demandait ça, là, mais j'espère que ce n'était pas le cas...

M. Cyr (Michel): C'était effectivement...

Le Président (M. Simard): Pour faciliter les choses...

M. Cyr (Michel): C'est effectivement le cas pour...

Le Président (M. Simard): C'est un dialogue qui mérite d'être informel, mais je vous prierais d'attendre la fin de la question du député avant de répliquer, s'il vous plaît.

M. Cyr (Michel): D'accord.

M. Bédard: Alors, dans le projet de loi du ministre, on y fait mention de la nécessité pour le Tribunal de déterminer combien... de qui sera formé le «board», est-ce que ce sera un ou deux? et on y inclut le critère de la nécessité. Et, en plus, on fait mention dans le projet de loi, à l'article ? là, je ne l'ai pas devant moi, l'article 5; de toute façon il est tout court ? 4 ou 5, dernier alinéa, que le président doit faire rapport sur ses activités, dont, entre autres, la formation des «boards», des «boards», autrement dit, là. Est-ce que vous pensez que c'est de nature à contrevenir à la règle, qui est sacro-sainte, de l'indépendance judiciaire?

M. Cyr (Michel): Non, parce que, si, comme je le crois, il a été avancé que l'on s'arrête à présenter éventuellement un projet de loi plus vaste sur la réforme de la justice administrative afin de nous donner...

M. Bédard: ...seulement, là, parce que, là, le reste, on ne le sait pas.

M. Cyr (Michel): Si vous permettez, je vais vous répondre. C'est le débat qui me passionne, je vous l'ai dit tout à l'heure, et je souhaite que nous ayons au Québec, ce qui n'est pas le cas, des tribunaux indépendants. Mais, pour répondre de façon plus pointue à votre question, quitte à revenir à mon propos, non, je ne crois pas nécessairement que ça vienne entacher la question de l'indépendance du Tribunal, puisque ça devrait être déterminé sur la base de non pas... ? comment dire? ? du mérite de l'adjudicateur juridique, qu'il soit notaire, avocat, et peu importe qui sera cet adjudicateur, mais uniquement sur la difficulté. La nécessité devrait être basée sur la difficulté du cas, ce qui ne signifie pas qu'il ne pourrait jamais y avoir de problème, mais je vous donne un exemple.

On a eu, par exemple, certains cas de paralysie faciale, certains cas d'infarctus, certains... qui ne sont pas le quotidien de ces tribunaux, et dans le mesure où certaines lésions ne sont pas le quotidien, par nécessité le président pourrait effectivement nommer un membre, devant la difficulté de la question à trancher. Mais je ne crois pas que ce membre-là qui ne serait pas, à notre avis, un décideur mais qui pourrait aussi venir conseiller ? parce que c'est toujours dans le même esprit, mais venir conseiller et non pas décider comme l'autre membre ? vienne entacher la question de l'indépendance du Tribunal.

Mais, pour ce qui est de façon plus large, oui, nous souhaitons, et depuis la décision aussi de la Cour d'appel Barreau contre le TAQ, à ce que le relais politique se fasse et que nous puissions jouir de tribunaux véritablement indépendants, ce qui n'est pas encore le cas, à mon avis.

M. Bédard: Je prends compte de votre avis. Il y a des avis partagés là-dessus, mais c'est important d'avoir, comme praticien, votre vision des choses.

Quant à l'appel, tantôt, vous avez dit quelque chose qui m'a un peu surpris... Pas surpris, là, je pense, au contraire, mais qui m'a, moi, plutôt... m'a fait craindre un peu. La nature, évidemment, d'un tribunal administratif, c'est d'être spécialisé, et ça, je n'ai pas à vous... on n'a pas à se convaincre, tous les deux, de cela, ce qui implique effectivement souvent d'avoir des ressources spécialisées. Ça a été souvent le cas, et ce qui a amené d'ailleurs les tribunaux, qui, à cause de leur pouvoir résiduaire, ont ce pouvoir, justement, de modifier les décisions, mais de développer des règles pour limiter les recours aux tribunaux supérieurs lorsque le législateur décide d'en faire des recours administratifs finals et sans appel, comme c'est le cas du TAQ. Et vous l'avez très bien exprimé tantôt, à partir du Control Data jusqu'à, bon... on en aurait plusieurs, et qui sont venus établir des critères très élevés. Pourquoi? Parce que, un, c'étaient des tribunaux spécialisés, et donc ils avaient développé justement cette expertise particulière, souvent entourés de différentes expertises; deux, aussi parce que c'était la volonté du législateur, mais que cette volonté ne pouvait quand même pas enlever le pouvoir de révision à la Cour supérieure.

Par contre ? et mon collègue le mentionnait tantôt ? plusieurs mémoires maintenant, et pas les moindres, je vous dirais, la Commission des services juridiques, le mémoire des juges administratifs et combien d'autres, nous disent qu'ils ont des craintes effectivement de voir ce critère diminuer, donc que l'évocation, comme vous disiez tantôt, où on pourrait réviser des erreurs de droit tout simplement, pourrait maintenant faire l'objet de révision, donc d'enclencher un processus, vous le savez autant que moi, qui est souvent très coûteux et qui peut mener, bon, jusqu'à la Cour d'appel et même parfois un peu plus loin, et qui amène des coûts énormes pour le justiciable. Ce n'est pas de nature à vous faire peur?

M. Cyr (Michel): Pas du tout.

M. Bédard: Pour le justiciable, là, je ne parle pas pour vous. Ça, je sais, pour vous, il n'y a pas de... Mais pour le justiciable.

M. Cyr (Michel): Non, mais vous présumez que... Je comprends votre amusement, mais vous présumez que je suis nécessairement intéressé à prendre les recours de votre... Non, non, mais, je veux dire, vous en riez, alors je comprends. Mais c'est exceptionnel que j'aie dû me présenter, durant ces 25 ans, devant les tribunaux, le tribunal de droit commun et en révision judiciaire, ou en mandamus, ou autrement. Donc, ça ne m'inquiète pas. Et, en même temps, ce n'est pas une règle de m'y adresser, sauf lorsque c'est nécessaire.

Mais j'ai répondu tout à l'heure à cette question-là, les tribunaux, de toute façon, évoluent, le droit évolue, la jurisprudence évolue. Et je vous donnais un exemple de la règle de l'erreur de droit de simplicité, qui, depuis l'arrêt Pushpanathan, semble prendre de la place; ça pourrait être, demain, une autre règle, et le débat se poursuit. Et, devant une inquiétude peut être légitime au niveau des coûts... vous savez, il y a des périodes que l'on peut observer dans le temps... Par exemple, durant les années quatre-vingt, on a vu, durant la dernière partie des années quatre-vingt, l'instauration de la première CALP, on se questionnait sur les interventions à la Cour supérieure. Par la suite, dans le milieu juridique, pour les victimes toujours, les justiciables, on l'a presque souhaité, parce qu'il se développait une espèce de chape de plomb et de culture malsaine où on avait l'impression ? et c'est au coeur de la question d'indépendance des tribunaux ? qu'on allait gérer... plutôt que de gérer les décisions de l'administration que l'on doit contrôler comme tribunal, que l'on se préoccupait de la gestion et des coûts de la gestion des organismes dont on devait contrôler les décisions. Alors là l'effet de la Cour supérieure était bienvenu; on a vu ça un peu dans les années quatre-vingt-dix, heureusement. Donc, il n'y a pas, dans ce vase communicant là, d'absolu. C'est la réponse la plus précise que je pourrais vous donner.

Le Président (M. Simard): Très bien. Vous avez terminé?

M. Bédard: Oui, on a fait le tour. Mais je vous remercie, Me Cyr.

Le Président (M. Simard): Écoutez, Me Cyr, merci beaucoup de votre présentation. Nous allons maintenant suspendre quelques minutes, le temps de laisser à la Fondation des accidentés de la route le temps de venir s'installer. Merci.

(Suspension de la séance à 14 h 49)

 

(Reprise à 14 h 55)

Le Président (M. Simard): ...demander au groupe de la Fondation des accidentés de la route de se joindre à nous, s'il vous plaît. Nous allons commencer. Il manque une personne, on va attendre deux minutes. Alors, nous allons suspendre.

(Suspension de la séance à 14 h 56)

 

(Reprise à 14 h 57)

Le Président (M. Simard): Bienvenue à la commission. Auriez-vous la gentillesse de vous présenter? Vous connaissez nos règles de fonctionnement, et nous allons vous écouter.

Fondation des accidentés de la route (FAR)

M. Sicotte (Éric): Alors, mon nom est Éric Sicotte, de la Fondation des accidentés de la route. Je suis présent aujourd'hui avec Me Janick Perreault, qui est avocate-conseil au sein de la Fondation, qui est enseignante à l'Université du Québec à Montréal. Elle enseigne le régime d'indemnisation étatique, et également auteure sur le sujet. Alors, je vous fais grâce de l'introduction, là, de la FAR, qui se trouve aux pages 4 et 5 du mémoire, juste pour qu'on ait plus de substance, qu'on ait le temps de discuter plus en profondeur de ce que l'on propose.

Premièrement, j'aimerais vous dire qu'il était très important pour la FAR d'être présente aujourd'hui, et je vous remercie de nous accorder tout ce temps pour, entre autres, recentrer le débat où il doit être recentré, c'est-à-dire autour des victimes. Alors, j'ai entendu ce matin des gens qui se disaient profondément convaincus ? puis c'étaient les termes qu'ils ont utilisés ? de savoir où les victimes se situaient dans le débat. Alors, j'en étais le premier surpris, puisque la Fondation représente plus de 1 000 victimes, et puis ce n'était nullement... ce ne sont nullement leurs propos. Alors, je suis ici peut-être ? on espère ? pour recentrer le débat autour des victimes, là où il se situe.

Alors, premièrement, le projet de loi n° 4. Comme vous le savez, le projet de loi n° 4, la Loi sur la justice administrative est modifiée en vue d'établir que les recours portés devant le TAQ soient instruits et décidés par un membre seul, à moins d'une disposition particulière. Cependant, le projet de loi accorde au président du TAQ le pouvoir de désigner une formation de deux membres lorsqu'il l'estime nécessaire, pour tenir compte de la difficulté soulevée et de la nécessité d'une double expertise en raison de la nature du recours et des faits allégués. Alors, la FAR salue cette possibilité offerte au président. C'est clair que nous aussi tenons à la spécificité du Tribunal administratif. Alors, quand c'est requis, on salue le fait que le président peut, soit d'office ou sur requête, faire appel à des spécialistes lorsque... dans les quelques cas nécessaires, là, lorsque c'est requis.

Aussi, le projet de loi édicte, seulement dans certains cas bien particuliers, que le recours soit instruit et décidé par un membre qui est avocat ou notaire. La FAR souhaite que soit retirée l'exception, car elle est d'avis que la disposition doit être générale et s'appliquer à tous les recours pour assurer une réelle justice aux victimes d'accidents d'automobile. Alors, cette requête se justifie par une problématique bien particulière. Lorsque le décideur est un non-juriste, c'est une problématique tant au niveau du fardeau de preuve, qui est trop élevé, qu'à travers un langage irréconciliable. Alors, par conséquent, la FAR requiert que soit adoptée une disposition assurant que tous les recours soient instruits par un membre seul, avocat ou notaire.

n(15 heures)n

Dans les litiges impliquant des victimes dont l'intégrité physique et l'intégrité psychique sont affectées, les expertises médicales et références scientifiques jouent un rôle majeur. Alors, cependant, tout comme en matière de responsabilité civile, les règles de preuve n'exigent pas la démonstration d'une certitude mais d'une preuve selon la prépondérance des probabilités. Alors, lorsque le TAQ doit décider selon la balance des probabilités, il n'est alors pas requis que la preuve conduise à une certitude absolue ou mathématique.

Ainsi, quand tous les éléments de preuve soutenant une opinion amènent à conclure à un lien de causalité supérieur à 50 %, ce lien est alors établi, puisqu'il est probable. Mais, néanmoins, les victimes éprouvent toujours d'énormes difficultés à l'égard du fardeau de preuve qui leur est imposé. Bien que la tâche d'apprécier la causalité revienne au TAQ, les dilemmes auxquels doivent faire face les victimes reposent sur la nature de la causalité. Alors, s'agit-il d'une causalité juridique ou scientifique?

Dans le contexte spécifique de l'indemnisation des victimes d'accidents d'automobile, citons deux arrêts récents importants à la Cour d'appel, dont un, Me Cyr, tout juste avant nous, a déjà discuté... alors, les arrêts Viger et Chiasson. Les conclusions de la Cour d'appel dans ces arrêts ne laissent aucun doute sur la nature du lien de causalité dans les affaires qui portent sur l'indemnisation du préjudice corporel des victimes d'accidents d'automobile.

C'est une affirmation claire exprimée par la Cour d'appel de ne pas retenir le lien de causalité sous l'aspect scientifique. Mais, pourtant, dans les litiges relatifs à l'indemnisation du préjudice corporel des victimes d'accidents d'automobile, l'examen des décisions du Tribunal administratif révèle des difficultés lorsque la causalité scientifique ne peut être établie. Alors, cette problématique s'explique en grande partie du fait que les décideurs ne sont pas des juristes.

Vous n'avez pas les extraits, mais je vais vous en lire deux. On en a quelques copies également, s'il y a des gens qui sont intéressés. L'arrêt Viger ? et notons aussi que ce sont deux arrêts assez récents ? donc, on a un arrêt Viger, de 2000, et l'arrêt Chiasson qui date de 2002, qui reprend, en fait, qui est sous la Commission des lésions professionnelles mais qui reprend l'arrêt Viger, qui était justement devant le Tribunal administratif.

Alors, je cite le paragraphe 13 de l'arrêt Viger: «Je crois, comme la première juge, que l'erreur du Tribunal administratif du Québec est d'exiger en l'espèce une preuve ayant la rigueur d'une preuve scientifique plutôt qu'une preuve prépondérante, traditionnellement acceptée en matière de responsabilité civile. Bref, le TAQ confond la causalité scientifique et la causalité juridique. Il s'agit d'une erreur révisable».

Dans la même ligne, au paragraphe 25 de l'arrêt Chiasson, on peut lire: «La règle fondamentale a été récemment rappelée par notre Cour dans l'arrêt Viger qui a décidé, dans un cas présentant une analogie évidente avec celui sous étude, que le fait d'exiger une preuve ayant la rigueur scientifique plutôt que la simple preuve prépondérante, traditionnellement acceptée et reconnue, constituait une erreur manifestement déraisonnable donnant ouverture à révision judiciaire.»

Là, on s'entend que, lorsque deux jugements d'une cour supportent favorablement ? deux jugements récents ? je crois qu'on est bien supporté de ce côté-là, enfin. Alors, c'est la problématique que Me Perreault va prendre les débats d'ici, va vous expliquer un petit peu plus en détail la problématique du fardeau de preuve.

Mme Perreault (Janick): Alors, en fait, si, pour aller un peu dans le même sens que Me Cyr lorsqu'il parlait du fardeau qui est imposé lorsque les décideurs sont des non-juristes... et c'est ce qu'on fait état dans le mémoire, et, à partir de la page 8, on réfère à certains articles de doctrine et à des arrêts de la Cour d'appel et de la Cour suprême où les tribunaux et les auteurs ont constaté et reconnu qu'en fait les membres non-juristes, et dans notre cas à la section des affaires sociales, devant le Tribunal administratif, quand on représente les victimes d'accidents d'automobile, les non-juristes sont des médecins.

Alors, les médecins ont tendance à parler en termes de certitude et à demander un fardeau beaucoup plus élevé. Et, en fait, la médecine et le droit sont deux activités intellectuelles totalement différentes, qui utilisent des méthodes différentes et qui veulent arriver à des fins différentes. Alors, c'est un réel problème lorsque les victimes sont devant le Tribunal administratif et que le banc est composé également de non-juristes.

Et, malgré des arrêts récents de la Cour d'appel qu'on vous a cités à notre mémoire, à la page 12 ? vous avez la note en bas de page 31... C'est un article qui a paru l'an dernier, qui portait justement sur les décisions du Tribunal administratif, à la suite de l'arrêt Viger de la Cour d'appel, pour voir si le Tribunal administratif donc diminuait son fardeau de preuve imposé aux victimes, suite à cet arrêt-là. Alors, la recension des décisions a démontré que, non, il n'y a pas d'amélioration, le fardeau est tout aussi élevé.

Alors, ce qu'on demande en fait, c'est, donc, oui, qu'il y ait un banc d'un seul décideur pour que ce soit plus rapide, mais que ce décideur-là soit de formation juridique. Alors, il connaît les lois, il connaît les règles de droit et il est donc en mesure, comme devant tous les autres tribunaux où le décideur est un juriste, de se prononcer et de trancher. Alors, en fait, que les médecins sont de bons prestataires de soins, là, dans les hôpitaux, mais, devant un tribunal, c'est du droit qu'on plaide; alors, ça devrait être des juristes.

Et, enfin, on parle beaucoup des questions médicales devant le Tribunal administratif et on dit: Ah! c'est probablement utile qu'il y ait un médecin. Mais il ne faut pas oublier que non seulement il y a une répétitivité des dossiers qui sont là, mais il y a également beaucoup de dossiers où il n'y a aucune question médicale qui est plaidée devant le Tribunal, entre autres, les questions sur le fait accidentel. Alors, en quoi un membre médecin est utile à entendre le dossier lorsqu'on parle des statuts d'emploi des victimes, lorsqu'on parle de leur revenu? Alors, il y a des questions sur les indemnités de remplacement du revenu. Et ça, ce sont des litiges pour lesquels on est souvent présents devant le Tribunal administratif. Ça fait près de 10 ans que je représente les victimes d'accidents d'automobile, je suis devant le TAQ régulièrement, et les questions médicales, là, ne sont pas toujours présentes. Et, même lorsqu'elles sont présentes, si on nous a donné le droit exclusif de représenter ces victimes-là comme avocat, c'est qu'on juge qu'on a la compétence pour les représenter et qu'on est en mesure de lire les expertises, de les commenter, de les argumenter devant un tribunal. Et, le juge, également, s'il est juriste, il est en mesure de rendre une décision, là, avec sa formation.

Et, si on regarde tous les autres tribunaux où le décideur est un juriste et non pas un médecin et qu'il n'est pas assisté d'un médecin... en fait, je ne peux pas croire qu'on pourra arriver à la conclusion que tous ces tribunaux sont des tribunaux incompétents au Québec, et seul le TAQ serait le tribunal compétent. Voilà.

Le Président (M. Simard): Voilà. C'était l'essentiel de votre présentation. M. le ministre, vous avez sans doute questions ou commentaires à faire.

M. Bellemare: Vous me permettrez d'abord de vous remercier pour votre présence précieuse, pour votre éclairage tout aussi précieux et pour les efforts que vous avez dû consacrer à rédiger un mémoire, un mémoire qui soulève des questions importantes. Parce que nous sommes ici pour entendre la population et pour voir dans quelle mesure le projet de loi n° 4 atteint la cible, un projet de loi qui vise bien sûr à régler en partie du moins ? parce qu'il n'y a aucune solution magique à aucun problème ? des problèmes de délais, mais, également, c'est un projet de loi qui soulève bien sûr toute la question de la composition des bancs devant le TAQ.

Alors, vous avez soulevé quelque chose de... un point intéressant. Il est exact que devant le TAQ il y a des débats judiciaires qui ne sont pas d'ordre médical, nécessairement, dans tous les cas. Vous avez soulevé la question des faits accidentels, toutes les questions de fait uniquement, finalement, d'appréciation des faits, faits accidentels. Je pense aussi aux questions de bases de salaire puis aux questions de hors délais notamment, bien que les hors délais, dans certains cas, puissent être de nature médicale, quand c'est la condition psychologique, par exemple, de l'accidenté qui l'a empêché de contester dans les délais légaux.

Mais il demeure que je crois que ce point met en évidence la nécessité de donner une discrétion au président du Tribunal quant à l'affectation d'un second décideur expert. Parce que de le permettre dans tous les cas, comme c'est le cas actuellement et comme c'est le cas finalement depuis 1975, parce qu'avant c'était la Commission des affaires sociales, il y avait également au moins deux décideurs, ce n'est pas nécessairement la meilleure solution, parce que dans certains cas il y a deux juges qui entendent des causes qu'un seul juge pourrait fort bien entendre seul, tout en conservant les mêmes attributs et la même qualité de décision.

Je reviendrai, ceci dit, aux deux jugements de la Cour d'appel dont vous avez parlé, l'affaire Viger et l'affaire Chiasson. Êtes-vous en mesure de nous donner, sans aller dans les moindres détails, en gros, les faits? On parle de Viger, de Chiasson, mais, de façon particulière, Viger et Chiasson, j'imagine, étaient des citoyens qui s'adressaient à un tribunal administratif?

Une voix: ...

M. Bellemare: Voilà. Êtes-vous en mesure de nous dire quel était... de quoi se plaignait le citoyen et en quoi la Cour d'appel lui a donné raison?

Mme Perreault (Janick): Alors, en fait, c'étaient deux cas de fibromyalgie. Donc, Viger était un accidenté d'auto, et, dans Chiasson, c'était un accidenté du travail. Alors, les deux tentaient de faire reconnaître ? par le Tribunal administratif, et l'autre par la Commission des lésions professionnelles ? que le problème dont la victime souffrait, soit la fibromyalgie, relevait du traumatisme que la victime avait eu, soit un traumatisme qui était l'accident d'auto, ou, l'autre, l'accident de travail.

Et, enfin, le Tribunal administratif et la Commission des lésions professionnelles refusaient de reconnaître une relation entre la fibromyalgie et les accidents parce qu'il était non reconnu médicalement qu'un traumatisme pouvait engendrer ou... d'un traumatisme pouvait découler un état fibromyalgique; alors donc, fardeau de preuve scientifique. Dans le domaine médical, ce n'est pas encore reconnu si un traumatisme ? enfin, il y a des controverses dans le domaine médical ? peut entraîner la fibromyalgie. Alors, les tribunaux appliquaient finalement un fardeau de preuve scientifique. Ils disaient: Tant que ce ne sera pas reconnu scientifiquement, on ne veut pas conclure qu'un traumatisme peut entraîner une fibromyalgie, et par conséquent la victime, là, avait... on ne leur avait pas donné raison.

n(15 h 10)n

Alors, ils sont allés en révision judiciaire, et ça a dû se rendre jusqu'en Cour d'appel pour qu'ils obtiennent gain de cause et qu'ils obtiennent enfin les indemnités auxquelles ils avaient droit, et où, là, la Cour d'appel a dit: Ce n'est pas parce que scientifiquement... ce n'est pas donc parce que les médecins ne sont pas encore convaincus qu'un traumatisme peut entraîner un état fibromyalgique qu'on ne veut pas conclure, selon la règle de la prépondérance des probabilités, qu'effectivement peut-être qu'il est probable qu'un accident ou un traumatisme puisse entraîner la fibromyalgie.

Ensuite de ça... et pour terminer là-dessus, quand je parlais de l'article de Me Lesage, qui a paru l'an dernier, malgré l'arrêt Viger qui a été rendu en 2000, depuis ce temps-là... et là je n'ai pas le texte devant moi, mais, il me semble, c'est une trentaine de décisions qui avaient été rendues par le Tribunal administratif sur des cas spécifiques de fibromyalgie. Donc, là, la Cour d'appel était venue préciser au Tribunal ce qu'il devait faire, un tribunal où siège encore un décideur de formation scientifique. Dans la grande majorité des décisions, on a encore refusé les droits aux victimes, malgré cet arrêt de la Cour d'appel.

M. Bellemare: Je reviens à votre point initial. Tantôt, vous disiez qu'il y avait un débat entre la prépondérance et la certitude scientifique, la certitude légale, la certitude, peu importe. Il semble que la notion ne soit pas la même selon que ce soit un avocat qui parle ou un médecin.

Mme Perreault (Janick): C'est ce qu'on vous citait, même, et je crois que c'était un passage d'un arrêt de la Cour suprême, très éloquent ? c'est à la page 9 de notre mémoire ? où la Cour suprême rappelait que les experts médicaux déterminent habituellement l'existence de causalité en des termes de certitude, alors qu'une norme inférieure est exigée par le droit, et mentionnait qu'un grand nombre de médecins ne comprennent pas l'expression quand ils parlent de «probabilité»; pour eux, on parle de certitude. Alors, si on leur demande: Est-ce qu'il est probable que le traumatisme ait entraîné tel problème? est-ce qu'il est probable que ce soit relié? alors, pour les médecins, donc pour les décideurs de formation médicale, pour eux, si ce n'est pas presque certain, ce n'est pas probable.

Alors, la règle de la probabilité n'est pas... la notion de la probabilité n'est clairement pas la même, là, chez les médecins et chez les juristes, et d'où le grand problème des victimes qui se présentent devant le Tribunal. Alors, leur fardeau est excessivement élevé: non seulement ils doivent convaincre deux personnes et non pas une ? il y en a deux ? mais, en plus, c'est qu'une de ces personnes-là leur exige un fardeau qui dans beaucoup de cas est impossible, là, à atteindre, à relever.

M. Bellemare: Est-ce que vous avez des pistes de solution qui nous permettraient de garantir davantage le respect de la règle de la prépondérance de preuve devant le Tribunal administratif du Québec?

Mme Perreault (Janick): Que le décideur soit juriste, obligatoirement, de formation. Alors donc, à ce moment-là, on s'assure que la personne qui va décider est un expert du droit, est un spécialiste des règles de preuve et qui va pouvoir donc exiger, là, à la victime un fardeau approprié. Et qu'il y ait une disposition pour permettre au président, que ce soit à la demande de la victime ou peut-être d'office que dans certains cas bien particuliers il puisse y avoir une aide, ça pourrait être possible. Quoique, là, ce qu'on vous soumet dans le mémoire, je vous dirais, l'expert médical n'aurait pas, selon nous, à avoir un pouvoir décisionnel mais simplement un pouvoir d'assistance. Et, en fait, on en parle également dans notre mémoire, à la page 11, où il a été dit à maintes reprises que, en fait, un expert pour un tribunal, il ne doit pas venir usurper la fonction du juge, il n'est là que pour éclairer le décideur, alors donc, de donner seulement un rôle, là, d'assistance, donc un rôle d'assesseur finalement et non pas un rôle décisionnel pour l'expert médical.

Le Président (M. Simard): M. le député de l'Acadie.

M. Bordeleau: Merci, M. le Président. Bon. Vous avez eu probablement connaissance ? je ne sais pas si vous étiez ici ? des autres témoignages qui ont été faits ce matin. On fait souvent référence a priori ? à première vue, ça semble être logique, là ? que les gens vont avoir l'impression d'être mieux représentés s'il y a quelqu'un qui n'est pas de formation juridique, au fond, qui va prendre la décision, par exemple un médecin, bon, ou d'autres types de formation, à la limite, un psychologue, M. le Président.

Alors, bon, vous avez vu aussi tout à l'heure Me Cyr, là, qui partage un peu le même point de vue que vous avez. Alors, ce qui est intéressant, c'est que des gens de la pratique qui assistent des... arrivent avec un sentiment qui est tout à fait différent, c'est-à-dire qu'ils défendent un point de vue où la personne va probablement être mieux représentée si c'est une personne qui a une formation juridique qui prend la décision. Alors, bon, je pense que vous avez l'air convaincus de cette option-là, et Me Cyr aussi. Alors, c'est juste un commentaire que je voulais faire, parce que ça me semble être un point fondamental, là, dans la discussion.

Maintenant, l'autre question sur laquelle je voudrais revenir, c'est qu'on a parlé de... Vous savez, le jugement, au fond, il a deux éléments: il faut qu'il soit juste, équitable, il faut qu'il soit rapide. Je pense que c'est les deux choses, là, qui préoccupent les citoyens. Et, quand on parle de la rapidité, on a fait référence ce matin au fait que les retards étaient peut-être dus, bon, en partie ? on n'a pas dit, évidemment, en totalité, mais en partie ? à des difficultés de coordonner avec les experts pour... on est obligé de remettre, etc. Et on n'avait pas... on n'a pas remis l'accent sur... beaucoup sur le fait que, si on... la décision est prise par une seule personne plutôt que deux personnes, qu'on peut en faire probablement deux fois plus et qu'on peut accélérer le processus, là, de façon à ce que les gens auront un jugement plus rapide.

Quelle est votre position par rapport à ça? Est-ce que vous pensez que le fait d'avoir une décision rendue par une seule personne va effectivement, au bénéfice des citoyens, améliorer la rapidité?

Mme Perreault (Janick): En fait, on a un seul agenda à concilier et non pas l'agenda de deux décideurs, et, même après, bon, la rédaction de la décision, il n'y a pas deux personnes qui doivent se rencontrer et en discuter, il y a une seule et unique personne qui est assise dans son bureau et qui décide, selon les notes qu'il a prises lors de l'audition et les documents qui ont été déposés en preuve. Alors, c'est sûr que ça va être plus rapide. C'est évident qu'on règle cette problématique-là.

Et, l'autre aspect, comme je vous disais, peut-être pour compléter votre commentaire sur ma prétention et celle de Me Cyr et selon les prétentions aussi de la Chambre des notaires ce matin, enfin, je réitère ce que Me Cyr a dit: Nous, c'est à tous les jours qu'on les voit, les victimes. Me Cyr disait qu'il était à 1 065, moi je suis à plus de 500. Je suis un peu plus jeune que Me Cyr, donc... Et, de toutes ces victimes donc qu'on voit, jamais une de ces victimes ne dit: On est contents qu'on en ait deux à convaincre et on est contents qu'on nous impose un fardeau excessivement élevé. Alors, on ne voit pas, vraiment pas l'utilité... Parmi toutes ces années finalement, si on cumule les années, là, de tout le monde ensemble, ça fait un lot d'expérience. Alors, ce n'est pas justifié de continuer dans ce sens-là.

M. Bordeleau: Merci.

Le Président (M. Simard): Merci, monsieur...

M. Morin (Montmagny-L'Islet): M. le Président?

Le Président (M. Simard): Oui. Auparavant, le député de Trois-Rivières a demandé à intervenir.

M. Gabias: Me Sicotte, Me Perreault, félicitations pour la qualité de ce que vous nous avez soumis. Je comprends très bien la position que vous exprimez, qui est celle davantage de procureurs que d'accidentés, mais j'aimerais savoir, peut-être, pour le nombre important d'accidentés que vous avez représentés, eux-mêmes, quelle est leur opinion? J'imagine que, après des auditions, vous avez des opinions des accidentés sur le fait de plaider leur cause devant deux...

Mme Perreault (Janick): Oui, mais, de façon générale, je pourrais vous dire: ce qui revient, c'est les interrogatoires faits par le membre non juriste. Alors, de façon générale, les victimes n'apprécient pas de se faire poser une série de questions médicales par ce membre-là. Or, ça, c'est clairement une plainte qu'on reçoit souvent des victimes, l'autre plainte étant le fardeau qui est exigé, bien entendu.

Le Président (M. Simard): C'est tout, M. le député de Trois-Rivières?

M. Gabias: Oui. Ça va.

Le Président (M. Simard): Alors, je vais entendre M. le député de Montmagny.

M. Morin (Montmagny-L'Islet): Oui. Dans votre conclusion, vous parlez d'assurer, lors d'une contestation d'un citoyen prêt à procéder, qu'une décision finale soit rendue dans les six mois qui suivent le dépôt d'une telle demande. Est-ce que l'approche que vous avez, devant le Tribunal administratif, d'un seul décideur, ça aide à réduire ces délais?

Mme Perreault (Janick): Comme je disais tout à l'heure, compte tenu qu'on a un seul agenda à concilier, et, également, dans la... durant le délibéré. Alors, bien entendu, plus il y a des décideurs, plus ces gens-là vont devoir discuter, se parler, et sans compter les cas où il y a des dissidences; ça arrive qu'on a des dissidences.

Et tantôt je disais que ce n'est pas toujours des questions médicales qui sont devant le Tribunal administratif. Très souvent, on y va pour toute autre question, et ça arrive que, dans des autres questions où il n'y a aucune question médicale, où le membre non juriste ne nous donne pas raison sur des questions de fait, des règles de droit, où le membre médical dit: Non, on refuse... on rejette le recours de la victime, alors là, c'est encore des délais pour la victime, parce que, s'il y a une dissidence, c'est donc mis dans les mains du président pour que le président ou vice-président tranche. Alors, c'est évident qu'on augmente les délais.

M. Morin (Montmagny-L'Islet): Merci.

Le Président (M. Simard): Oui, M. le député de Groulx.

M. Descoteaux: Merci, M. le Président. Je trouve très rafraîchissante votre approche, tout comme était celle de Me Cyr, puisqu'on a l'approche de praticiens. Donc, on voit... c'est très différent de l'approche, un peu, de théoriciens ou de gens de l'extérieur.

n(15 h 20)n

Vous avez entendu, au niveau de Me Cyr, de son témoignage, il a parlé de preuves diaboliques. Et, moi, j'apprécie le fait qu'on est parti d'un domaine où on recherchait uniquement au plan administratif, question des coûts, question des délais, et, à peine après une journée d'auditions, on constate que le débat est plus large que ça et rejoint le fardeau de preuve en faveur des ou contre les victimes.

Permettez-moi, pour continuer dans la ligne d'idée de la preuve diabolique, d'être l'avocat du diable ou me faire l'avocat du diable et de vous demander ultimement: Est-ce que c'est vraiment nécessaire d'avoir un praticien qui n'est pas juriste sur un tel tribunal?

Parce que vous dites: Oui, il pourrait être conseil occasionnellement, lorsque requis. Mais, lorsqu'on vous écoute, au niveau de la preuve, on s'aperçoit qu'ils sont peut-être plus une nuisance pour les droits, pour faire ressortir les droits des victimes. Est-ce que vous avez des cas ? je présume que vous n'en avez pas beaucoup ? où effectivement on pourrait dire: Ça en prendrait un de ces experts additionnels ou non juristes?

Mme Perreault (Janick): Je vous dirais que, dans ma pratique, je n'ai jamais vu de cas où c'était nécessaire. Tout comme lorsqu'on plaide en Cour supérieure sur des cas d'invalidité, on ne demande pas au juge de la Cour supérieure s'il ne peut pas aller voir un médecin pour se faire aider à rendre sa décision, et je n'ai jamais l'impression, là, qu'ils sont des incompétents pour autant. Alors, non, je ne vois pas de justification même à ce qu'il y ait des gens pour les aider. Sauf que, dans la mesure où ces membres-là sont là, eh bien, oui, là, oui, ils peuvent avoir donc un rôle d'assistant. Mais, si vous me demandez mon opinion personnelle, un membre de formation juridique, c'est tout à fait suffisant. Et, et...

M. Descoteaux: Donc, c'est un peu par pudeur que vous nous dites qu'on pourrait avoir recours à ces gens-là, mais, au fond...

Mme Perreault (Janick): Oui.

M. Descoteaux: ...pour le respect de l'administration de la justice et des droits des victimes, vraiment, ils ne sont pas nécessaires. C'est ce que je comprends de votre argumentation.

Mme Perreault (Janick): Tout à fait. Et c'est dans ce sens-là tantôt que je disais: Les médecins sont bons pour soigner dans les hôpitaux, et tant mieux qu'on les a, mais, pour ce qui est de représenter les victimes, en tout cas, on a donné ce droit-là aux avocats parce qu'on a jugé que c'étaient les professionnels les plus compétents pour les représenter. Alors, je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas la même chose pour décider.

M. Descoteaux: Merci bien.

Le Président (M. Simard): Oui? M. le député de Montmorency.

M. Bernier: Alors, bonjour. Ça fait plaisir de vous recevoir cet... que vous soyez ici cet après-midi. Je vais vous poser la même question que j'ai posée à Me Cyr tout à l'heure, au niveau de la qualité de la rédaction des décisions, hein. Est-ce que vous croyez que la profondeur... les détails vont avoir à souffrir, par rapport à un seul décideur qu'avec deux décideurs? Est-ce que vous croyez que ça va être moins étoffé, que vos clients vont avoir moins d'informations, vont se sentir moins éclairés, par rapport à la décision qu'on leur rend?

Mme Perreault (Janick): En fait, je crois que la... utiliser le droit comparé est utile ici pour répondre à cette question. Et, quand on lit les décisions de la Commission des lésions professionnelles, où très rarement il y a des médecins qui sont là sur le banc, et qu'on lit les décisions du Tribunal administratif, on ne voit pas de différence dans la qualité de la décision. Ni l'une ni l'autre n'est meilleure que l'autre. Alors, non, on ne voit pas de différence. Donc, je ne vois pas pourquoi ce serait changé parce qu'on va enlever le membre médical, là, sur le banc.

M. Bernier: Donc...

Mme Perreault (Janick): Et c'est un très bel exemple, de comparer ces deux tribunaux-là qui se ressemblent énormément pour ce qui est des victimes. D'une part, c'est un accident de travail, l'autre part... l'autre côté, c'est un accident d'auto. Alors, c'est souvent des preuves qui sont très similaires qu'on présente devant chacun de ces tribunaux-là.

M. Bernier: C'est bien, merci.

Le Président (M. Simard): Oui, il reste deux minutes, M. le député de Marguerite-D'Youville.

M. Moreau: Merci. Très rapidement, j'ai cru comprendre que vous enseignez également, Me Perreault, n'est-ce pas?

Mme Perreault (Janick): Oui. Les régimes étatiques d'indemnisation, oui.

M. Moreau: Bien. Vous avez entendu la présentation de Me Cyr. J'aimerais avoir votre opinion sur... Parce que vous poussez le bouchon un peu plus loin que lui, là. Vous dites: Les membres médecins, parce que c'est ce dont... c'est de ceux-là dont vous avez parlé, ils ne sont pas utiles sur ce type de tribunal là.

Si on suit votre raisonnement, est-ce que... quelle est votre opinion sur, un, le caractère spécialisé du Tribunal? Est-ce qu'il y aurait une influence? Et est-ce que vous pensez qu'il pourrait y avoir une modification dans l'appréciation des tribunaux d'appel ou de la Cour supérieure en matière d'évocation quant aux critères applicables ou par les cours d'appel en matière d'appel?

Mme Perreault (Janick): En fait, la spécialisation du Tribunal n'est pas tant de ses décideurs mais de ce qu'on leur a donné à décider. En ce sens que c'est l'unité, donc les lois, qu'ils ont à appliquer, ce sont toujours les mêmes lois qu'ils vont appliquer, toujours les mêmes règlements, et c'est cet aspect-là qui fait de ce Tribunal un tribunal spécialisé et non pas le décideur.

Alors donc, que le décideur soit un juriste seul ou que le décideur soit un juriste assisté d'un non-juriste, ça n'enlève pas du tout le caractère de spécialisation du Tribunal, ça va demeurer encore et toujours les mêmes litiges qui sont entendus par le même tribunal qui développe une spécialisation et une expertise.

M. Moreau: Et je comprends que ce serait votre opinion de dire que ça ne modifierait pas les règles applicables à ces tribunaux-là en matière d'évocation ou en matière d'appel quant aux critères de restriction des tribunaux supérieurs.

Mme Perreault (Janick): Écoutez, c'est les mêmes critères d'intervention pour les décision de la Commission des lésions professionnelles, et il n'y a pas de membre médical décideur. Et, quand vous allez en révision judiciaire d'une décision de la CLP, c'est exactement les mêmes critères qu'une révision judiciaire pour une décision du Tribunal administratif.

M. Moreau: Je vous remercie.

Le Président (M. Simard): Merci. Je vais demander au député de Chicoutimi maintenant de poursuivre.

M. Bédard: Merci, M. le Président. Merci. Effectivement, l'angle que vous prenez est intéressant parce qu'il fait appel à des notions juridiques, je pense, qu'il vaut la peine d'apprivoiser et de comprendre. Donc, c'est un discours rapide, entre autres, sur la différence et les difficultés d'une preuve médicale en présence d'un tribunal administratif lorsque, évidemment, doit prédominer la prépondérance de preuve. Je pense que vous faites bien ressortir à travers votre mémoire toute cette difficulté qu'ont certains administrés, et là vous représentez, je pense, strictement les administrés de la route, des accidents de la route?

Mme Perreault (Janick): Je représente également...

M. Bédard: ...du travail aussi?

Mme Perreault (Janick): ...des victimes d'actes criminels. Donc, je plaide devant le Tribunal administratif continuellement et devant la CLP.

M. Bédard: O.K. C'est surtout médical, mais c'est surtout à partir de preuves médicales. Souvent...

Mme Perreault (Janick): À partir de?

M. Bédard: De preuves médicales.

Mme Perreault (Janick): Non, c'est ce que je disais tout à l'heure, en fait. C'est qu'il y a aussi des dossiers, il y a énormément de dossiers qui ont une preuve médicale, mais il y a aussi beaucoup de dossiers où il n'y a aucune question médicale. On va devant le même tribunal quand même, devant le même banc, mais il n'y a pas de question médicale.

M. Bédard: C'est ça. O.K. Non, mais je veux dire que le Tribunal ne demande pas d'autre compétence, comme on le disait tantôt, par exemple, d'ordre psychologique... un psychologue, plutôt, évaluateur agréé ou d'autres domaines, parce que le domaine médical, effectivement, c'est un domaine qui est...

Mme Perreault (Janick): Enfin, je ne plaide que devant la section des affaires sociales. Alors, je ne me prononce que par rapport à cette section-là.

M. Bédard: O.K. Bon. C'est ça. O.K. Non, non, c'était seulement ça que je voulais établir avec vous. O.K. Mais c'est intéressant, ça n'enlève pas toute la problématique que vous soulevez et qui est effectivement... Donc, vous n'êtes pas les seuls à vivre, dans votre domaine, je vous dirais... En relations de travail, il y a bien des tribunaux supérieurs, même la Cour suprême s'était prononcée sur certains articles, et ça n'a pas empêché les tribunaux administratifs de l'interpréter parfois différemment, et souvent, je veux dire, à la surprise et parfois même à la déception de ceux qui plaidaient devant eux, sauf que c'était la règle effectivement du Tribunal administratif, et ils ont le droit de se tromper et même de suivre leur propre jurisprudence. Et votre problème est aussi un problème qui peut se retrouver dans d'autres domaines, je vous dirais même en relations de travail. Souvenez-vous, toute la jurisprudence relativement à l'article 45, où il y a eu plusieurs décisions de tribunaux supérieurs, mais il a une vision un peu différente, le Tribunal ? le Tribunal du travail à l'époque ? et c'est cette vision qui a finalement prévalu. Tout ça pour dire que ça soulève effectivement un problème réel, parce qu'elle touche à l'équité du processus finalement de l'administré devant le Tribunal administratif et, lui, sa recherche d'obtenir justice par rapport aux décisions de l'État.

Où il y a des points divergents, je dirais, et ça, c'est un domaine qui est relatif à la preuve... Et là, je vous pose la question...

Mme Perreault (Janick): À la?

M. Bédard: Qui est relatif à la preuve.

Mme Perreault (Janick): O.K. O.K.

M. Bédard: ...et là je vous pose la question le plus légèrement possible, mais qu'est-ce qui vous amène à croire qu'un juriste sans expertise médicale, je veux dire, sans... connaissant... autre que, bon, la connaissance qu'il acquiert au fur et à mesure des causes, là, mais va arriver à une conclusion différente que s'il est assisté d'un médecin? Et là, c'est là où je veux bien... je veux être sûr.

Mme Perreault (Janick): Bon. Enfin, vous dites «assisté», j'aime déjà mieux ce terme-là, «assisté», que de donner un pouvoir décisionnel aux membres...

n(15 h 30)n

M. Bédard: Oui. Qui forme le... Je comprends que c'est votre voeu le plus cher.

Mme Perreault (Janick): Mais, en fait, le juriste va être là et va entendre la preuve, et il a une formation en droit, il a eu une formation pour être capable d'entendre la preuve, d'apprécier la preuve et de pouvoir rendre une décision là-dessus.

C'est pour ça tantôt je faisais l'analogie. On nous a donné le droit exclusif de représenter ces victimes-là, ce qui... quelque part, le législateur a jugé que c'étaient ceux qui avaient une formation juridique qui étaient le plus en mesure de représenter ces gens-là. Or, quand on les représente, les questions médicales, on y touche continuellement. Alors, je pourrais vous entretenir probablement jusqu'au restant de l'après-midi sur beaucoup de notions médicales, et vous me demanderiez sûrement où j'ai appris tout ça: à représenter les victimes d'accidents d'automobile, et à lire les expertises, et à fouiller, et à rechercher.

Alors, je pourrais prendre mon exemple, je vous dirais. Demain matin, on me demanderait de juger un dossier, et, même si vous m'apportez des dossiers volumineux, des dossiers médicaux, c'est ce qu'on voit à tous les jours, avec des expertises, puis des expertises contradictoires, je serais en mesure de voir lequel qui semble le plus crédible, lequel... selon les autres éléments dans le dossier. Puis, en fait, c'est ce qu'on fait quand on donne des opinions aux victimes quand elles viennent nous voir, on dit: Non, pas beaucoup de chances, ou, oui, il semble y avoir plus de chances. Et c'est ce qu'on fait. On évalue des expertises médicales.

M. Bédard: Je suis d'accord, mais... Vous les évaluez, mais vous ne pouvez pas les produire, évidemment, ce n'est pas vous qui...

Mme Perreault (Janick): Non.

M. Bédard: Vous pouvez en juger... Si vous me le dites, je vais aller vous voir, là, j'ai mal au dos. Alors, vous ne pouvez pas émettre de diagnostic, c'est dans ce...

Mme Perreault (Janick): Non, ce n'est pas ce que j'ai dit.

M. Bédard: C'est dans ce sens-là. Donc, je comprends que chaque avocat, dans son domaine d'expertise, en arrive effectivement à développer des connaissances même très profondes du droit, mais aussi et surtout du domaine dans lequel il est amené à pratiquer, et ça inclut, cette expertise-là, même au niveau de l'analyse des rapports d'experts. Mais, à la base, évidemment, ça prend soit un rapport d'expert, ou un diagnostic, ou un acte médical.

Et là où il y a un peu, je vous dirais, divergence, c'est celui où les gens disent plutôt... et, je vous dirais, le Barreau nous l'a dit, surtout la Chambre des notaires nous l'a dit, certains mémoires, même, l'ATTAQ nous l'a dit aussi, l'Association des travailleurs accidentés, d'autres... Il y en a certains, là, qui disaient que... Prenons le cas de quelqu'un seul ? et ça, ça arrive assez régulièrement, là ? qui n'est pas représenté. Et l'État, lui, bon, rend une décision qui lui est défavorable, et, à grand renfort de frais, paie, en plus, et c'est normal, prépare sa preuve, embauche un, deux experts, disons un, mais quand même, l'amène devant le Tribunal. On sait les coûts que représente souvent, justement, le fait même de demander une expertise médicale. Et cette personne-là, elle, se retrouve un peu sans moyens. Beaucoup de groupes nous ont dit ? on le retrouve dans deux, trois mémoires, et la Chambre des notaires avait la même prétention ? que cette personne-là, elle se retrouve rassurée de voir que la personne qui prend une décision est avec une qui, elle, a une expertise, pas une connaissance, une expertise très particulière, elle émet des diagnostics, a la même connaissance que celui finalement qui émet le rapport. Et ce qui fait en sorte que les droits de la personne ? et c'est eux qu'il faut, le plus souvent, le plus protéger ? ...que cette personne-là qui se retrouve devant seule va avoir accès à une justice de meilleure qualité. Qu'est-ce que vous pensez de ce raisonnement?

Mme Perreault (Janick): Au contraire. Vous avez l'expert médical qui est assis et qui... Quand vous parlez justement du débalancement entre ce qui sera produit par l'administration versus l'administré, il doit y avoir des expertises, peut-être même un expert qui viendra témoigner, et le médecin entend tout ça et, après ça, il entend la victime, avec son mécanisme de pensée, avec sa formation. Et je ne leur en veux pas du tout, en fait, c'est très bien qu'ils exigent des certitudes lorsqu'ils soignent les gens et qu'ils décident d'intervenir ou pas pour opérer, ou quoi que ce soit, lorsqu'ils prennent leurs décisions, c'est très bien qu'ils s'imposent un fardeau ou une rigueur, comme ça. Sauf qu'on est en droit ici, là, et c'est selon la prépondérance des probabilités. Alors, ce membre médical là, c'est évident qu'il ne va pas donner raison à la victime, parce qu'il a devant lui une panoplie d'opinions médicales qui lui disent: Mais non. Alors, non, il ne va pas donner raison à la victime.

M. Bédard: Je vais poursuivre votre raisonnement. Mais, le juriste qui, lui, a une seule expertise, le juriste qui est non assisté, par exemple, d'un médecin, se retrouve devant une preuve unique qui est celle de l'État, évidemment, parce que l'autre, bon... et qui dit effectivement qu'il n'y a pas de lien, il se retrouve sans autre moyen que celui de donner raison à l'État.

Mme Perreault (Janick): Pas nécessairement, parce que justement le juriste est en mesure de regarder, également, les faits, et de faire la balance, et de voir s'il y a d'autres éléments qui lui permettent de donner raison à la victime. Et ce n'est pas parce que vous allez mettre un membre médical que vous allez donner plus de chances à la victime. Et si vos prétentions sont vraies, je vous dirais, il est troublant, à l'heure actuelle, au Québec, de savoir que, devant la Cour supérieure, il y a des juges seuls qui décident de dossiers en responsabilité médicale, en incapacité, puis que ce sont des prestations auprès d'assureurs qui sont demandées, etc. Il est troublant donc de laisser ces gens-là faire ça seuls, si on dit que ça prend un membre médical pour décider de façon adéquate des droits des justiciables.

M. Bédard: C'est qu'ils ne sont pas tout seuls. Et ce qui est plus difficile, souvent, les recours devant la Cour supérieure ? c'est la majorité des cas ? ce n'est pas l'État contre un individu ou un individu contre un État, c'est deux individus qui...

Une voix: ...

M. Bédard: ...laissez-moi terminer, parce qu'on peut avoir raison en totalité ou en partie, et je suis conscient de la réalité dont vous faites état, et ça, je peux vous dire, pour avoir vu des causes de responsabilité médicale, et même devant la Cour supérieure, c'est très difficile d'établir des preuves médicales et des responsabilités ? et ça, vous avez entièrement raison ? en matière de droit médical.

Et ce n'est pas parce que... Souvent, c'est dû justement, je vous dirais... Si tu mets deux experts, le fait de reconnaître soit une erreur d'un autre médecin est très difficile à établir devant les tribunaux québécois, en général. La même chose lorsque deux spécialistes sont l'un contre l'autre, on cherche tous les points de convergence, et souvent on va aller du côté de la certitude, d'autant plus que c'est sur vous que repose... sur la personne que repose la charge de preuve, de démontrer le lien. Alors... Et ça, j'en suis totalement conscient.

Mais ce que je vous dis ? excusez-moi ? mais la différence, c'est que là on a affaire... on est dans un tribunal administratif qui juge en dernier recours, où il n'y a pas d'appel normalement, il n'en faut pas non plus, parce que sinon, là, on va être en dernier recours, puis ça va coûter cher, vous le savez autant que moi; et cette personne-là est contre l'État et elle se trouve finalement à payer l'expertise, parce qu'elle paie des impôts, ou du moins, en tout cas, sa famille, et l'État est contre lui. Et elle, elle n'a pas les moyens de faire valoir ses droits dans toute la mesure. Et là vous comprenez ce que ça peut créer comme injustice auprès d'un individu qui est seul à ce moment-là.

Mme Perreault (Janick): Mais, à ce moment-là, il faudrait que vous changiez la Commission des lésions professionnelles, et de façon urgente, parce que vous êtes en train de dire que, depuis que la Commission des lésions professionnelles existe, en fait, les justiciables qui se sont présentés là étaient défavorisés parce que c'est un membre juriste qui rend les décisions. Il n'y a pas de membre médical qui a un pouvoir décisionnel. Et, en fait, dans la grande majorité des cas, il n'est pas là.

M. Bédard: Je ne vous dis pas qu'il est défavorisé. Je vous dis qu'un membre seul peut se retrouver dans cette alternative-là. Et, vous savez, ce n'est pas ma prétention, maître, mais c'est ce que je retrouve dans les différents mémoires. Moi, au départ, j'avais une vision très, je vous dirais même, intéressée par rapport à ce projet de loi là. Mais mon devoir ici, c'est de voir... lorsque des gens qui n'ont pas d'intérêt, comme vous, là, qui n'ont aucun intérêt particulier ? les notaires n'ont aucun intérêt à dire ce qu'ils ont dit aujourd'hui, comme l'ATTAQ, l'Association des travailleurs, n'ont pas plus intérêt que vous à venir dire ce qu'ils ont dit... Alors, mon objectif aujourd'hui, c'est de voir, sans dire que quelqu'un a raison ou quelqu'un a tort... mais ils font ressortir des problématiques qui, moi, me soulèvent des questionnements, je vous dirais, dans l'environnement où il reste quand même que c'est l'État qui décide contre son administré. Il faut s'assurer que cette personne-là obtienne justice et qu'elle ait, je vous dirais, l'impression, pas seulement l'impression, mais la certitude d'avoir obtenu justice. Et ce qu'on nous dit... et pas seulement ça, la Conférence des juges administratifs nous dit la même chose. C'est pour ça que je vous dis... Je ne vous dis pas que vous avez tort, là, mais il y en a d'autres qui prétendent le contraire, que c'est plutôt justement de nature...

Mme Perreault (Janick): Ce que je pense qu'il faut faire aussi, c'est remettre tout ça dans le contexte. Alors, avec respect pour la Conférence des juges administratifs, ils sont quand même formés de gens qui ne sont pas de formation juridique. Alors, de bonne foi, c'est évident qu'ils se sentent tout à fait incompétents, et je ne veux pas dire qu'ils sont incompétents, pas du tout, ce que je mentionnais aujourd'hui, c'était le fardeau de preuve qui est beaucoup trop élevé lorsqu'il y a un membre de formation médicale.

Mais ce qu'il faut aussi voir, et avec respect également pour la Chambre des notaires, il faut regarder ce qui se passe dans la vie de tous les jours et dans la vie de tous les jours de ces victimes-là, qu'est-ce qui se passe quand ils sont devant le Tribunal. Et c'est ça, dans le fond, qui est important. Ces lois-là sont faites, et la Loi sur la justice administrative, elle est là pour les justiciables, en fait, pour, quand ils s'adressent au Tribunal et qu'ils reçoivent une décision rapidement, que ce soit une décision qui soit juste et équitable. Alors, c'est dans ce sens-là. Et, quand on est sur le terrain et qu'on voit ce qui se passe, non, ça n'a pas de sens. Et c'est pour ça qu'on peut le dire, et en fait c'est appuyé de rien, on dit: Oui, c'est notre expérience personnelle, et c'est tout. Mais c'est pour ça que, entre autres, dans le mémoire, on vous a cité les arrêts de la Cour d'appel, de la Cour suprême ? ce n'est quand même pas rien, je pense ? où justement ça vient confirmer que ce qu'on vit, c'est là et ça existe. Alors donc, il faut changer ça.

n(15 h 40)n

M. Bédard: Il faut toujours effectivement viser à améliorer ce système de justice et, entre autres, le Tribunal administratif. Et, en tout cas, je comprends... Parce que j'ai de la misère à faire votre raisonnement, mais je vais continuer à entendre les différents mémoires, mais celui ? et là je vous le dis le plus honnêtement possible... Mais qu'un avocat en arrive à une décision ? ou un notaire, pardon ? en arrive à une décision autre qu'un médecin et qu'il applique la règle, tel que vous le dites, dans toute sa rigueur ou dans la perception que vous en avez, je vous avouerais bien honnêtement que je n'en suis pas encore convaincu, mais je vais voir à l'usure, parce que, en même temps, on peut sacrifier quelque chose d'important. Et là tout le monde nous dit: Oui, effectivement, la spécialisation ? et vous en faisiez état ? la spécialisation découle du nombre, souvent, d'auditions ou de causes que tu as dans un domaine. Mais, ce n'est pas seulement ça, là, je vous le dis aussi en toute déférence, c'est aussi l'expertise propre du Tribunal à l'intérieur, et c'est à partir de ces critères-là souvent que la Cour suprême a établi les critères élevés que vous connaissez en matière d'évocation.

Et là notre inquiétude ? vous, vous le disiez, et là j'appelle votre opinion, là, puis, moi-même, je n'en suis pas convaincu, je vous dirais... Mais, tant la Conférence des juges administratifs, la Commission des services juridiques, qu'on n'aura malheureusement pas l'occasion d'entendre et qui, vous le savez, a demandé à être entendue, et, malheureusement, le ministre a changé d'idée, et on vient de nous refuser d'entendre la Commission des services juridiques qui, vous le savez... l'aide juridique qui, justement, comme vous, va aider les gens les plus démunis. Malheureusement, donc, eux ont des craintes à l'effet que ces critères-là pourraient être de nature à faire en sorte que les critères d'évocation se trouvent affaiblis ou diminués. Donc, ce qui veut dire que les gens n'auraient plus accès... pas seulement les gens, mais l'État, évidemment, n'aurait souvent plus accès à l'évocation et à la révision, et vous savez à quel point c'est coûteux. Quel est votre...

Mme Perreault (Janick): Alors, je réitère ce que j'ai dit tout à l'heure, je crois que c'est à M. Moreau, que les critères d'intervention en révision judiciaire ne sont pas différents pour la CLP et pour le TAQ. Et, à la CLP, c'est un membre juriste qui rend la décision. Alors donc, ces inquiétudes que les critères seraient modifiés, en fait, on a déjà ? si le passé est garant du futur ? on a déjà un aspect qui nous permet de voir si effectivement les critères seraient différents. Ils ne le sont pas pour un tribunal où les décisions sont rendues par un juriste seul.

M. Bédard: J'espère que c'est le cas aussi, puis c'est un peu ma lecture, mais c'est pour ça que... On n'a pas la science infuse, donc il faut un peu...

Mme Perreault (Janick): Moi non plus. Je me base sur les décisions.

M. Bédard: Non, non, effectivement, et, moi aussi, dans le sens où il faut que je lise et que je regarde les différends, et, moi, ça me donnait cette impression-là aussi. D'ailleurs, la clause est claire, mais on aura l'occasion de poser certaines questions.

Dernier élément. Vous disiez que vous représentez des victimes. Ces gens-là vous disent, en général: Nous, avoir deux membres, on n'est pas d'accord avec ça. On préfère un membre juriste. Et ça, je vous crois puis je suis convaincu. Par contre, je vous dirais qu'on a plusieurs mémoires qui représentent des gens, entre autres, je vous citais tantôt l'ATTAQ, il y avait Genèse aussi, qui sont des groupes de défense des droits, et là on va voir demain, je vous en dirai peut-être un peu plus, il y a d'autres mémoires qu'on n'a pas reçus, mais eux plutôt vont défendre... Parce qu'ils disent que la justice, à ce moment-là, a une coloration différente, elle n'est pas strictement que juridique. Elle va avoir... elle va s'élever et le rôle même d'équité va être plus fort. Et ce qui n'est peut-être pas vrai en matière médicale, mais là je n'ai pas toute votre expertise, mais, en matière sociale, c'est différent, en matière d'évaluation, ça peut être différent. Et ce qu'on nous dit, et souvent c'est des groupes sociaux, on nous dit: Au contraire, nous, on souhaite que ce ne soit pas seulement que... Il faut certainement un juriste. Ça, tout le monde s'entend, ça prend un juriste au moins. Ça, c'est clair. Par contre, on souhaite de maintenir cette multidisciplinarité du Tribunal. Qu'est-ce que vous en pensez?

Mme Perreault (Janick): Enfin, je reviens à ce que je disais tout à l'heure, ce n'est pas la justice qui s'élève, mais c'est le fardeau de preuve, lorsqu'il y a un membre médical. Alors, c'est une problématique importante et majeure pour les victimes. Et, également, je réitère, tantôt, ce que je disais, il y a énormément de dossiers où il n'y a aucune question médicale qui est là. Donc, pourquoi... Et je vous dirais, c'est même des coûts et du temps, etc., complètement inutiles, qu'il y ait deux membres pour entendre ça. Alors, je ne vois pas où la justice peut s'élever, d'exiger qu'il y ait deux membres et dont un membre d'une autre formation.

M. Bédard: Parfait, je vous remercie. Merci beaucoup.

Le Président (M. Simard): Merci beaucoup. Merci de votre mémoire et de la façon dont vous l'avez défendu. Nous allons suspendre quelques minutes de façon à permettre au groupe suivant, le Mouvement action justice, de venir prendre place.

(Suspension de la séance à 15 h 45)

 

(Reprise à 15 h 53)

Le Président (M. Simard): Alors, je vais... Puisque tout le monde semble revenu, je vais inviter les représentants du Mouvement action justice, en fait, il s'agit de M. Yves Manseau, à se joindre à nous.

Mouvement action justice (MAJ)

M. Manseau (Yves): M. le Président, M. le ministre, mesdames, messieurs de la commission. Je suis seul parce qu'il y a un petit problème d'horaire. À Montréal, nous avons une commission de la sécurité publique ce soir, donc certains de nos effectifs ont dû rester à Montréal. J'aurais aimé être appuyé par un juriste, mais ce n'était pas possible.

Je dois dire que je suis honoré d'être ici cet après-midi. Je ne suis pas à ma première commission parlementaire, mais je suis très impressionné par la qualité du débat et la dignité des communications entre les gens. C'est vraiment très intéressant.

Ne cherchez pas notre mémoire, il a trois pages de moins que le projet de loi. Et, vu que nous sommes un organisme pas tellement connu au ministère de la Justice, je vais vous faire une petite présentation de l'organisme, parce que je pense que c'est important de savoir d'où viennent les opinions. Et je dois vous dire ? vous allez peut-être être soulagés ? nous étions prévus à 5 heures, après d'éminents personnages qui venaient vous parler, alors on n'a pas présenté quelque chose de lourd, et je ne suis pas juriste. Donc, peut-être qu'on va pouvoir se reposer un peu la tête tout en traitant ça sérieusement.

Le Président (M. Simard): Vous savez, ici, à la commission, nous sommes polyvalents et, heureusement, il y a beaucoup de juristes parmi nous. Mais ce n'est pas un banc uniquement de juristes.

M. Manseau (Yves): Parfait.

M. Bédard: Certains diront: Heureusement.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Manseau (Yves): En tout cas, j'y ai trouvé un bel équilibre aujourd'hui.

Le Président (M. Simard): Heureusement, n'est-ce pas?

M. Manseau (Yves): Alors, le Mouvement action justice est un organisme communautaire de défense des droits fondamentaux de la personne face aux institutions chargées de l'application de la loi. Ces institutions, bien sûr, sont la police, la couronne, la magistrature et les services correctionnels. Le MAJ n'intervient pas dans le système correctionnel, vu qu'un autre organisme spécialisé le fait au Québec, l'Office des droits des détenu-e-s, puis le MAJ couvre l'ensemble du Québec.

Les effectifs policiers représentent plus de 80 % des effectifs oeuvrant dans les institutions chargées de l'application de la loi. En conséquence, le MAJ est plus connu pour ses interventions en milieu policier. Un de ces services rendus à la population par le MAJ est un service d'accompagnement dans les processus de plainte contre les professionnels du système de justice. Et, malheureusement, force est de constater que les plus démunis de la société sont les plus souvent victimes d'abus de la part des personnes travaillant dans le système de justice. Ces personnes sont notamment les jeunes, plus particulièrement les jeunes marginaux, les personnes itinérantes, les personnes souffrant de désordres mentaux, les personnes ayant des difficultés avec la toxicomanie, les personnes s'adonnant à la prostitution et autres. Le MAJ reçoit des milliers d'appels ? et je n'exagère pas ? par année de ces gens et joue même un rôle d'organisme de référence, d'aide et ressource traitant des droits sociaux, en santé, en travail et logement. Ça s'explique par le fait que nous sommes souvent dans les médias, et, à cause de notre nom, on a tendance... on est un peu un dernier recours. Et même beaucoup d'organismes gouvernementaux, d'autres institutions nous réfèrent, mais souvent on doit... Vous savez, les gens... Il y a énormément de paliers dans la justice, alors on doit rediriger les plaintes souvent... pas les plaintes, mais les appels à l'aide.

D'ailleurs, nous avons travaillé en concertation avec divers groupes sociaux, syndicaux et de juristes au sujet de ce projet de loi. Nous avons participé à une journée de réflexion organisée par l'Association des juristes en droit social du Québec. Suite à ces démarches, le MAJ appuie particulièrement les positions du Front commun des assistés sociaux du Québec et de l'Association des juristes en droit social du Québec, deux associations qui sont à l'ordre du jour de la séance de demain. Ceci explique aussi qu'on ne s'est pas bâdrés de faire un mémoire. Beaucoup de choses que j'ai entendu débattre aujourd'hui, j'ai l'impression que vous allez avoir peut-être d'autres sons de cloche demain. Bon.

Donc, j'emploierai notre droit de parole ici aujourd'hui pour vous apporter la couleur particulière du MAJ sur le projet de loi, et j'aborde le sujet en quatre points, bien sûr. Le côté «fait à la pièce» de ce projet. Et puis les deux objectifs, l'un peut-être obscur et l'autre clair, du projet, soit la réduction des coûts ? que je considère qui est obscure, mais, quand on lit les documents du gouvernement entourant ce projet, bien, on voit bien qu'il y a une question de coûts aussi ? et bien sûr celle, très légitime aussi ? les deux sont légitimes, soit dit en passant ? la réduction des délais, bien sûr. Je vais vous faire part, dans un troisième temps, de l'expérience que nous avons eue dans une démarche semblable à ce... pour ce qui est du MAJ plus spécifiquement, soit le passage d'un banc de trois assesseurs à un seul, au cours de la réforme en déontologie policière. Et je pense qu'il y a peut-être des choses... comme on dit, les comparaisons ne sont jamais parfaites, mais il y aura peut-être des leçons à tirer de cette réforme-là qui a déjà été faite, qui ressemble en plusieurs points à la réforme présentée aujourd'hui. Et, finalement, on aura notre recommandation.

Alors, pour ce qui est du côté à la pièce de ce projet. Au MAJ, on a été surpris de voir arriver ce projet de loi minimaliste, après avoir pris connaissance de ce qui est devenu depuis peu une position gouvernementale, soit le document de travail du Parti libéral lorsqu'il était en campagne, de mars 2003, donc une justice administrative accessible, équitable, et si on ajoute à cela l'excellent rapport sur la mise en oeuvre de la justice administrative paru quelques mois plus tard, en juin 2003. Alors, après avoir pris connaissance de ces documents-là, on s'attendait vraiment à une réforme assez solide. Il me semble que nous étions en droit de nous attendre justement à une intervention plus globale de la part du gouvernement. Au lieu de cela, nous avons un projet de loi qui ressemble à quelque chose comme mettre la charrue devant les boeufs. Mais, soit dit en passant, le débat qui est déjà enclenché est extrêmement intéressant, j'en ai été témoin aujourd'hui, alors on peut être très reconnaissant que c'est sur la table déjà, mais il faudra voir.

n(16 heures)n

Au MAJ, nous croyons que toute intervention des tribunaux est signe d'un dérapage dans les relations humaines et nous privilégions toujours les interventions qui évitent les recours aux tribunaux. Alors, si on veut économiser des coûts, des délais, allons moins en appel, c'est ce que ça veut tout simplement dire. C'est pourquoi nous croyons qu'avant de toucher au mécanisme d'appel il faudrait s'assurer d'améliorer les conditions dans lesquelles les décisions administratives de première ligne sont prises. On peut penser à une optimisation ou une approche plus optimale des ressources matérielles et humaines, à faciliter la médiation de première ligne, à fournir une meilleure information à la population, à réviser les législations particulières ou la façon de les administrer. Alors, vous voyez, il y a encore plus qu'on pourrait faire. De là une approche globale possiblement. Aussi, il faut penser qu'une réforme faite à la pièce peut prendre beaucoup de temps ou, en tout cas, se joue sur un certain temps, et les différentes étapes sont débattues à la suite les unes des autres, laissant l'impression que le système est continuellement en besoin de réparation, et cela a souvent pour effet pervers de miner la confiance du public dans ces institutions et de démoraliser les personnes qui travaillent dans ces institutions. Alors, c'est pour attirer l'attention sur un processus de dépôt législatif, et tout, et tout, même... Le processus lui-même a des incidences sur la réalité sociale.

Finalement, nous croyons qu'une réforme des tribunaux administratifs implique une coordination entre les différents ministères concernés et nous sommes ? et particulièrement dans ce cas-ci ? et nous sommes préoccupés, car la démarche du ministère de la Justice dans ce dossier semble unilatérale. Peut-être que le ministre pourra nous rassurer de ce côté-là, mais je crois que c'est une préoccupation. On parle... On le voit, hein, dans les débats, c'est complexe, ça touche à beaucoup de classes sociales différentes, à des processus judiciaires différents, et il faut... Et eux sont souvent les personnes... Les recours, ça a rapport à des ministères pour... Donc, ça demande une sérieuse coordination pour préparer un projet de loi global qui serait optimal. O.K.?

Alors, j'avais dit que je traiterais de l'objectif de réduction des coûts et des délais. Soit dit en passant, ça va être très superficiel, alors... Mais je serai disponible pour les questions après, comme tout le monde. Mais ça s'est voulu, comme je vous disais tantôt, superficiel pour tout simplement... tout simplement pour être certain qu'on ne serait pas... on n'irait pas dans toutes les directions, parce que nous n'amenons pas tant de points finalement.

Alors, pour faire simple finalement, on parle, dans le projet plus global, de ? quand je parle du projet plus global, je parle du texte du gouvernement, bien sûr, sorti en mars 2003 ? de faire sauter la révision tout court, O.K., c'est clair, et de sauver 21 millions. C'est dans le texte. Pour ce qui est de la réduction du nombre... Alors là, il y a une question de coûts qui est amenée. Et, pour ce qui est de la réduction du nombre de personnes sur les bancs de la section des affaires sociales du TAQ et de la CNT, on ne nous parle pas de réduction de coûts, puisque l'on parle, avec le même nombre de membres, de disposer de beaucoup plus de causes et de réduire, par la même occasion, des délais d'attente. Cependant, il ne faut pas oublier, pour ce qui est des coûts, qu'il y aura augmentation des coûts de gestion du tribunal d'appel, car, pour jouer adéquatement son rôle de médiateur, parce qu'on parle aussi de privilégier la médiation, il devra embaucher du personnel spécialisé en médiation et davantage de personnel de soutien. Donc, l'économie ne sera certainement pas de 21 millions. Il faudra voir aussi, là, toutes les autres choses, là, inférentes que je ne parle pas ici.

Et que se passe-t-il si tout ne va pas comme prévu? C'est une autre chose à propos des projets faits à la pièce. Comme, par exemple, ne risquons-nous pas de voir les décisions du tribunal d'appel être le plus souvent contestées par voie de révision judiciaire, entraînant non seulement des coûts supplémentaires, mais aussi des délais supplémentaires? Et, là-dessus, peut-être, à la période des questions, tantôt, on pourra s'étendre sur les questions de preuve et... ce qui a été très débattu aujourd'hui. J'aurais peut-être des choses à contribuer.

Maintenant, je vais vous parler un peu, très succinctement, de notre expérience en réforme en déontologie policière. Bien sûr, c'est différent, c'est du droit administratif. C'est parti d'une... Alors, ici encore, on va être simple. Je vous rappelle, la réforme de déontologie policière s'est faite, ces derniers 11 ans, souvent à la pièce, elle aussi, mais à coup de morceaux plus gros. Ça, c'est clair, il y a eu des grandes étapes assez fortes, mais elle s'est faite en plusieurs temps. Sa dernière étape était la loi qui est devenue la loi n° 65, la Loi de la police, une réforme qui touchait à l'aspect de la déontologie policière.

Alors, les grosses étapes de la réforme de la déontologie policière ? c'est juste pour les dire, pour mettre dans le contexte ? on est parti de l'ancienne Commission de police, O.K., qui était juste une commission qui faisait des recommandations aux chefs de police, là, pour des réprimandes ou des sanctions. Bon. Alors, on a décidé de donner un pouvoir de sanction plutôt que de simple enquête et recommandation à l'ancienne Commission de police, ce qui a amené un processus quasi judiciaire. À une autre étape ? parce que, à ce moment-là, on avait instauré les bancs de trois ? à une autre étape, on est passé d'un banc de trois, composé d'un avocat président additionnel, d'un représentant des milieux policiers et d'un représentant du public, à un banc d'un seul qui doit être nécessairement un avocat. Alors, vous voyez directement la chose. Et, finalement, la médiation, dans le cas de cette loi-là... la médiation est devenue un processus obligatoire. Une grosse différence ? je le dis tout de suite, là ? avec ce qu'on propose ici, c'est que ce processus-ci avait un droit d'appel en Cour du Québec. Mais j'y reviendrai.

Là, je vais vous donner juste d'une façon assez globale les effets pervers que maintenant, nous, nous pouvons constater, étant un intervenant régulier dans ce processus-là, les effets pervers de cette réforme-là. Alors, les coûts ont augmenté, ceux de l'administration du tribunal, mais aussi les coûts reliés aux frais d'avocats qui sont assumés par l'État dans ces processus-là. Alors, c'est des choses qu'il faut regarder. Il y a des frais directs, si on peut appeler ça ainsi, du Tribunal, l'administration du Tribunal, mais il faut regarder qui paie les avocats qui viennent devant ces instances-là, et ça, souvent, c'est aux frais de l'État.

Alors, les délais moyens, maintenant... et est pire que jamais, est de deux ans, et nous avons beaucoup, beaucoup de causes qui vont jusqu'à cinq ans. Et ça, c'est peut-être là que je pourrai vous contribuer pourquoi, et je peux vous dire que ça a beaucoup rapport au débat que je viens d'entendre, des deux derniers organismes. Et, il faut renverser un peu leur approche, vous allez voir que peut-être eux ne voient pas... ils voient juste qu'est-ce qu'ils disent maintenant, ils veulent l'améliorer. Nous, on vit un peu ce qu'on propose, et je pourrai vous suggérer quelques pistes, là, à propos de cette réalité-là.

D'ailleurs, quand je vous dis... Et, dans cette loi-là ? ça, c'est la Loi de la police qui gère ce processus-là ? il y a pourtant... la loi prévoit des délais obligatoires, O.K., pour chaque étape, mais, contestation obligatoire oblige, ceux-ci ne sont presque jamais respectés, et même pour des raisons administratives, exactement comme certains vous avertissent ici, là. Les délais pour monter les dossiers en sont certainement un grand... les délais pour obtenir des experts, parce que, je vais y revenir, c'est beaucoup une question d'experts, parce qu'on parle d'un tribunal d'experts justement, d'un tribunal spécialisé. Alors...

Puis, en plus, les clauses privatives de... il n'y a plus d'appel. Ils sont attaquables, aussi. Vous savez, les clauses privatives, dans les législations, sont toujours attaquables, alors... Et ils seront couramment faits dans le processus de déontologie policière.

En plus de ça, les tribunaux de révision ne reconnaissent plus le caractère spécialisé du Comité de déontologie policière, c'est-à-dire du tribunal administratif gérant la déontologie policière, parce qu'il n'est plus, justement, composé d'un banc. Alors là les tribunaux d'appel demandent, exigent que ce soit... Ce qui s'applique, c'est le débat déclaratoire en preuve d'expert, et c'est ça qui change énormément la donne ? ça, je peux vous le dire ? et qui fait augmenter les coûts et les délais, et je pourrai m'étendre là-dessus plus tard si vous voulez.

En bout de ligne, ce que ça fait aussi... Parce que ça allait mal, on fait une réforme, ça va plus mal. Alors, la population perd confiance dans le système, les personnes embourbées dans le système sont frustrées, puis on sent le besoin de réformer encore, on se sent dans un cercle vicieux. Alors, c'est ça que... Bien sûr, je reconnais que je vous apporte beaucoup de données dans le cadre de cette présentation pour appuyer mon analyse de la situation en déontologie policière, je désire seulement sonner l'alarme. O.K.? C'est juste sonner l'alarme pour l'instant. D'autres instances vont venir demain peut-être élaborer sur certains de ces sujets-là davantage pour ce que ça veut dire pour ce projet de loi ici. Voilà.

Ce qui m'amène déjà à notre recommandation. Au MAJ, finalement, c'est qu'on suggère tout simplement que le projet de loi n° 4 soit retiré du feuilleton et que le ministre nous revienne avec un projet de loi représentant une réforme plus globale et mieux appuyée par les acteurs sociaux concernés. Voilà.

Le Président (M. Simard): Merci, M. Manseau. La parole est d'abord au ministre.

M. Bellemare: Alors, M. Manseau, merci pour votre présence, bien sûr, et merci pour votre intérêt pour la justice administrative. C'est toujours agréable de constater que des organismes de l'importance de celui que vous représentez sont soucieux d'assurer aux Québécois la meilleure qualité de justice possible. Je comprends que plusieurs de vos observations vont au fonctionnement du Comité de déontologie. En ce qui concerne la justice administrative, j'aurais une première question: Est-ce que votre organisme conseille des victimes de la route, des victimes du travail, des gens qui sont appelés à se présenter devant le Tribunal administratif du Québec?

M. Manseau (Yves): Comme je l'ai dit dans le mémoire, notre rapport avec ces gens-là, on les réfère aux organismes compétents. Souvent, on va traiter avec eux. Alors, notre solidarité, ici, est une question de justement ça, de solidarité vers les personnes les plus démunies. Comme je vous l'ai dit tantôt aussi, nous avons participé au débat par de nombreux acteurs sociaux à ce sujet, et notre contribution était la même que je veux bien faire ici aujourd'hui pour la commission. C'est, de notre expérience, une réforme semblable qui s'est déjà faite, d'une part. Puis, d'autre part, il faut dire aussi que notre expérience en déontologie policière, c'est du droit administratif aussi.

n(16 h 10)n

Et là je vais vous donner un exemple tout de suite où est-ce qu'il y a un rapport même au débat ici aujourd'hui, basé sur notre propre expérience à cet autre tribunal administratif là qui est le Comité de déontologie policière, c'est justement quand ils ont passé d'un banc de trois personnes à un décideur qui était strictement un avocat, ça a changé la donne au niveau de la preuve. Ça, c'est vrai, ça change... C'est là que ça joue beaucoup, je suis d'accord avec les intervenants avant, mais peut-être pas comme eux le pensent. Nous, ce qu'on a vécu, c'est ce que je disais tantôt, c'est que le tribunal... le président du tribunal n'est plus un expert, il n'a pas à ses côtés des experts et lui n'est pas un expert. Et, en droit, je crois que chaque cause est à son mérite à ce moment-là. Alors, ça ressemble plus maintenant au système judiciaire, on est beaucoup plus, là, quasi judiciaire et judiciaire. Et ce que ça a amené, nous autres, dans notre champ d'action, c'est, que ce soit d'un côté ou de l'autre, il y a eu une escalade de l'importance d'amener une preuve experte, tandis qu'avant...

Et je peux vous donner un petit exemple. Par exemple, si je pense à un tribunal d'appel qui aurait juste une cause, c'est-à-dire, là, ce qui arrivait, c'est que le tribunal décidait, ils étaient attaqués en appel, et on disait, bien, c'était pour connaissance judiciaire. Le Comité de déontologie policière, qui est à maintenant une seule personne, entend des causes comme ça à tous les jours, il est expert. Ils nous ont dit: Non, un expert, c'est quelqu'un... Comme quelqu'un a dit déjà, ce n'est pas une question de connaissance, c'est une question de compétence, c'est une question d'expertise, c'est une question de diplôme. D'ailleurs, le processus... il y a un processus pour faire reconnaître un témoin comme expert dans le débat déclaratoire.

Quand on a un banc avec des experts d'office, là on peut parler d'une justice administrative plus douce, moins judiciarisée où, là, le citoyen aura plus de place, voyez-vous? Mais, une fois que vous enlevez ça et vous créez un tribunal administratif quasi judiciaire et judiciaire, c'est que le... C'est vrai que c'est toujours la prépondérance de preuve, mais dans le cadre d'un débat déclaratoire, et ce débat-là va être une question des expertises amenées, O.K., de leur qualité, mais aussi de la qualité du débat autour de ces expertises, tandis que, quand vous avez un tribunal administratif expert, on rentre moins dans le débat, on rentre dans une évaluation d'une preuve.

Et là je vais vous donner un exemple encore plus précis. Si vous embarquez dans le débat contradictoire, la personne qui vous... vous ne pourrez plus vous contenter de preuve documentaire, la personne qui l'a faite devra venir témoigner pour l'appuyer. Si vous êtes... Parce que ce sont les révisions judiciaires qui vont vous amener à faire ça, parce que le perdant, lui, il va voir les espaces où il peut aller, il va obliger le Tribunal, à travers de nombreux appels, par des moyens extraordinaires comme le certiori, par exemple, et va faire monter, vous savez, l'exigence de la qualité de la preuve, ce qui est exactement ce que les gens qui sont venus avant moi disent, que c'est ce qu'ils se plaignent déjà. Mais ils n'ont rien vu. S'ils enlèvent la qualité de travail... de... ? je m'excuse, je suis très fatigué, je ne vous le cacherai pas ? de tribunal administratif spécialisé... Parce que ce n'est pas juste une appellation, c'est une question, en effet, de gestion de la preuve, et ça a été soulevé en bribes tantôt, bien sûr; c'est ça.

Si le gouvernement, moi... Je donne un exemple, je me suis cassé un bras au travail. Bon, je suis devant une instance d'appel, et le gouvernement a pris ce que je lui ai fourni, mes rapports médicaux, a engagé un expert pour contredire ma preuve. J'arrive là, je ne l'ai pas. Alors, d'abord, je devrai avoir une preuve. Mais, ce n'est pas tout, aussi je devrai en débattre. Le niveau est beaucoup plus élevé, parce que là ce n'est plus juste une question de prépondérance de preuve, mais de la valeur par rapport à l'une de l'autre de la preuve.

Alors, vu que j'ai beaucoup entendu sur la preuve... Remarquez, moi, ce n'était pas mon but de venir ici faire l'aspect juridique, je ne suis pas un juriste, mais je vous parle, moi aussi, d'une très vaste expérience d'observation des processus. Et, comme l'avocate qui m'a précédé, je fais le raisonnement à l'inverse. Je ne suis pas avocat, mais, à force d'entendre des causes, je commence à connaître le droit. Puis, elle, elle disait: Bien, je suis avocate, mais, à force d'entendre des médecins, je peux parler beaucoup de la médecine. Mais, moi, je n'irai pas la voir pour avoir un diagnostic. Puis, moi, appelez-moi pas pour vous défendre en justice, vous allez être très mal servi.

Mais, pour les intérêts pour lesquels je représente, les plus démunis surtout, et c'est pour ça que j'ai ça à coeur... J'ai ça à coeur, bien je dis et je répète que ce projet de loi aurait grand intérêt à être enlevé du feuilleton et réamené d'une façon plus globale, plus cohérente, appuyé par les acteurs sociaux solidement, parce que c'est quelque chose de très sérieux. Et je pense que mes partenaires... Et je n'ai pas peur de le dire, parce qu'on ne travaille pas seul quand on travaille pour les plus démunis, on travaille en concertation avec les autres joueurs sociaux. C'est ce que nous avons fait pour venir ici. Ça veut dire que ce n'est pas juste venir ici passer une journée avec vous, on s'est donné la peine de se donner des jours de travail avant, des concertations entre spécialistes, et tout, pour faire nos positions. Moi, c'est certain que j'ai le rôle... Aujourd'hui, étant supposé être ici à 5 heures, je ne m'étais pas donné un rôle extrêmement... pour entrer dans le débat d'une façon très profonde. J'espère que, demain, l'aspect, là, encore plus des détails... Mais, voilà, c'est... C'était une longue réponse, je dois reconnaître, M. le ministre.

Le Président (M. Simard): Indiscutablement. Ça laisse moins de place à des questions. Mais, évidemment, ici, les députés peuvent toujours nous demander de vous interrompre et poser leurs questions, vous le comprenez bien. M. le député de Trois-Rivières.

M. Gabias: Alors, M. Manseau, bonjour. Je vais tenter de vous poser une question qui amène peut-être une réponse plus brève et essayer de... tenter de concilier votre opinion avec celles qui ont été émises jusqu'à maintenant.

Alors, je retiens, là, de l'intervention du Barreau du Québec, de la Chambre des notaires, autant de Me Cyr que des représentants de la Fondation des accidentés de la route, qu'il y a deux préoccupations, la première... en tout cas, qui ont été soulevées de façon différente mais qui reviennent à ces deux préoccupations. La première, c'est qu'il y ait un membre de formation juridique qui décide; et une deuxième, de ne pas non plus laisser complètement ou du moins de ne pas laisser la possibilité à une autre expertise... qu'elle soit médicale, ou psychologique, ou autre, de ne pas l'enlever. O.K.?

Et je reconnais également cette préoccupation-là dans le mémoire présenté par la Commission des services juridiques, hein? On répète, à la page 4: «La Commission des services juridiques considère aussi qu'il est important de favoriser la formation juridique dans le cadre de la prise de décision.» Et on retrouve également, à la page 5, là, lorsqu'on parle du Tribunal: «Il faut, à notre avis, s'assurer de lui conserver sa spécificité et l'accès à une information spécialisée détenue actuellement par les différents professionnels membres du Tribunal.» Bon.

Est-ce que, selon vous, là, si on regarde ce qui est présenté dans le projet de loi, à l'article 1... Est-ce que... Bon, évidemment, on dit, au premier paragraphe: «Les recours portés devant le Tribunal sont instruits et décidés par un membre seul.» Bon. Si on ajoutait, si ce membre-là était de formation juridique, et ce qu'on retrouve au deuxième paragraphe, qui laisse la possibilité de recourir à un membre en cas de besoin, si c'est nécessaire, qui a une formation pertinente et non seulement utile, mais nécessaire à une meilleure décision, est-ce que ça ne rencontre pas votre but, là, puis mis à part, là, le souhait que vous avez manifesté de regarder la loi de façon plus globale? Mais, tel que le disait le bâtonnier tout à l'heure, là, le mieux est l'ennemi du mal des fois, alors il faut commencer en quelque part. Alors, mis à part ça, là, est-ce que ça ne rencontrerait pas vos préoccupations, ce que je viens de vous mentionner?

M. Manseau (Yves): C'est plus complexe que ça. Ma grande préoccupation, c'est le travail à la pièce, ça c'est certain, mais... Et je peux vous dire que la question que ce soit un juriste décideur, ça, c'est certain, à cause, là, on n'en finira plus avec les révisions judiciaires. Ça, il semble avoir presque unanimité.

Pour ce qui est que le juriste responsable du Tribunal puisse faire appel à des... se faire aider par des spécialistes, moi, je ne suis pas un juriste, là, mais j'ai entendu des choses, j'ai assisté à une concertation là-dessus, il faudra entendre les autres juristes qui vont venir ici, c'est clair que pourquoi l'avoir quand on n'a pas besoin? Mais il faut l'avoir quand il faut. Ça, ce n'est pas à moi de décider, je ne suis pas assez expert là-dessus. Mais c'est certain qu'il faudra faire attention à ce qu'il sera vraiment équitable. O.K.? Je vois la clause où c'est seulement le juriste qui décide, j'ai entendu des propositions qu'on le rende d'office, qu'on le remette d'office. Ça, ce serait préférable. Mais, en bout de ligne, ce qui est préférable, c'est de garder la nature spécialisée d'un tribunal administratif spécialisé, là, c'est de garder des spécialistes sur le banc. Si vous enlevez ça, vous tombez dans la règle du débat déclaratoire sur la preuve et vous allez avoir beaucoup, beaucoup de problèmes de coûts et de délais. Pour moi, c'est tout simple.

n(16 h 20)n

Mais, après ça, il y a des nuances pour comment, maintenant, maintenir le statut de tribunal spécialisé. Et ça, on en a entendu aujourd'hui, des positions, vous allez probablement en entendre demain, et c'est là tout le but de cet exercice-là ici. Moi, je n'ai pas la réponse finalement, là. Je ne pense pas que c'est moi qui est porteur de la réponse la plus importante là-dessus, puis je pense que vous pourrez la redemander à ceux... les juristes qui pratiquent le droit, et qui seront ici demain, et qui sont des gens très engagés dans le domaine social, mais aussi collectif, dans le sens... en concertation avec beaucoup de joueurs sociaux. Ça, c'est important.

M. Gabias: O.K. Si vous permettez, je comprends bien, moi, que vous vous placez dans la situation du justiciable. Et, tout à l'heure, j'ai entendu un intervenant ? je pense que c'est Me Perreault ? qui mentionnait que 90 % des causes entendues ne nécessitaient pas un spécialiste, et dans...

M. Manseau (Yves): Bien, voilà.

M. Gabias: Si c'est vrai, est-ce qu'il n'y a pas un avantage justement à ce que, au départ, la règle soit qu'il y ait un juriste et que le président du Tribunal, lorsqu'il le juge à propos ou même à la requête du justiciable, assigne le spécialiste utile ou nécessaire à l'audition de la cause, et qu'on ne verrait pas à ce moment-là une meilleure justice pour le justiciable? Parce que tantôt Me Perreault disait: Souvent, il y en a deux à convaincre, et le justiciable a l'impression que son fardeau est beaucoup plus important qu'il ne doit être.

M. Manseau (Yves): Bien, d'abord, sur la première partie de votre question, sur le 80% ? vous avez dit 80 %, Me Perreault avait dit que, 80 %, ça ne nécessitait pas... Bon, premièrement, c'est dans son expertise à elle, vous savez, si on parle de tribunaux. Moi, je n'ai pas la mémoire de Me Cyr, là, mais je l'ai lu, le projet du gouvernement, hein, la position du gouvernement là-dessus, et vous donnez beaucoup de statistiques. Ce n'est pas si simple que ça, là, il y a des places, c'est 60, de mémoire, il y en a, c'est... Vous savez, il faut regarder ça plus sérieusement qu'arriver puis dire 80 %. Bon. Ça, c'est ma réaction à la première partie de votre question.

Par contre... Et puis aussi, je trouvais que Me Perreault parlait d'une position peut-être... Et ça, je lui reconnais son droit, hein? Et c'est ça, votre tâche qui est utile, je pense, parce que, moi, ce que j'ai compris de l'intervention de Me Perreault ? et je profite de votre question pour le dire ? elle représentait des accidentés du travail. Vous savez, moi, mes clients, les prostitués, toxicomanes ne conduisent pas beaucoup de... hein? Je veux dire, moi, j'ai une préoccupation beaucoup plus grande pour les personnes démunies, alors j'admets le côté biaisé de notre approche. O.K.?

Mais ça démontre aussi le côté... la complexité de votre travail, parce que vous devez satisfaire beaucoup de joueurs sociaux ici, là, et de différentes parties, de différents groupes de la population. Et je ne vous envie pas, c'est un travail très difficile, mais... Et, moi, je suis ici pour vous donner ma couleur, comme je l'ai dit au début, et je laisse aux autres le droit de donner la leur. Mais ce n'est pas le portrait complet, comme le mien n'est pas complet. Et c'est votre travail de faire le portrait complet, et vous allez en avoir d'autres demain. Mais, chose certaine, moi, où je tiens, c'est que ces gens-là, je les écoute et je suis sympathique à leur cause. Si des victimes représentent des victimes mais ne savent pas ce que nous avons vécu en déontologie policière, de trop judiciariser... Je sais que ce n'est pas dans le dictionnaire, ce mot-là, mais je pense qu'on pense qu'on le comprend, c'est-à-dire d'élever la barre. Ils se plaignent déjà de ça, mais ils ne savent pas que ce qu'ils demandent pour eux-mêmes va encore élever la barre de la question de... pour eux. Ça va être encore la règle de la prépondérance de preuve, mais le Tribunal va avoir à décider de qui a fait la meilleure preuve, et dans le cadre d'un débat déclaratoire, et là ça devient un rapport de force. Et ça, ça amène des coûts, ça amène... Parce que les experts, ça coûte très cher. Voulez-vous que je vous donne un exemple concret?

Le Président (M. Simard): Très rapidement, parce que d'autres députés voudraient vous poser des questions. Si vous permettez, on va aller directement à ces questions-là.

M. Manseau (Yves): Oui, tout à fait, tout à fait.

Le Président (M. Simard): M. le député de Montmorency, s'il vous plaît.

M. Bernier: Rebonjour, M. Manseau. Ça va peut-être être en complément par rapport à ce que vous étiez en train de dire, là. Justement, vous dites... Sans égard à vos connaissances en ce qui regarde le sujet d'aujourd'hui, il reste que vous avez mentionné que vous travaillez avec les plus démunis, hein? Vous travaillez avec les plus démunis et...

M. Manseau (Yves): Pas nécessairement exclusivement.

M. Bernier: Pas nécessairement exclusivement, mais vous avez une bonne relation avec les plus démunis.

M. Manseau (Yves): Tout à fait.

M. Bernier: Bon. À partir de ce moment-là, ces gens-là doivent faire face à tout un processus judiciaire avant d'en arriver à se présenter devant un tribunal administratif. O.K.? Et il y a des décisions qui sont rendues par la machine administrative, par des bureaux de révision, etc. Donc, quand on se présente là-bas, il y a eu beaucoup de délais de passés, beaucoup de temps de passé pour obtenir une décision. Donc, ces gens-là, dans plusieurs circonstances, ont été brimés, selon eux, de droits, ou d'argent, ou de ce que vous voulez, de biens essentiels en ce qui les concerne. Et là on voit la problématique en ce qui regarde les délais, qui sont importants au niveau des tribunaux administratifs, et on a vu également que ces gens-là doivent faire face présentement à des décideurs, deux décideurs, selon les circonstances, et répondre à leurs questions.

Vous ne croyez pas que, pour ces personnes-là qui sont démunies face à ça, le fait d'avoir devant eux deux décideurs, un sur le plan juridique puis un sur le plan spécialiste... Puis, en passant, sur le plan juridique, dans plusieurs cas aujourd'hui, les juristes sont spécialisés aussi, hein? Il ne faut pas... Ils ont des juristes spécialisés dans différents domaines et qui possèdent déjà une forte compétence. Il ne faut pas banaliser non plus ces gens-là.

Vous ne croyez pas que vos clients, à ce moment-là, sont obligés d'avoir des coûts additionnels pour être capables de convaincre un deuxième décideur spécialiste autre qu'un juriste, puis à ce moment-là on vient d'accroître, on vient d'accroître leur fardeau, on vient d'accroître la pression, on vient d'accroître leurs coûts face à ces... Au lieu de les aider, on vient davantage les obliger à des coûts additionnels pour être capables d'être respectés dans leurs droits?

M. Manseau (Yves): Il y a deux parties encore à votre question, les délais et, finalement, le besoin de décider deux personnes plutôt qu'une. Pour ce qui est des délais, encore là, ce n'est pas la même chose pour chaque groupe social. En aide sociale, en chômage, en quelques-uns d'autres, il y a le statu quo jusqu'à ce qu'il y ait une décision, souvent, où on ne parle pas d'immenses montants. La personne veut régulariser son statut, avoir le maximum de ce qui est dû. Alors, c'est une partie de ma réponse. Alors, ces gens-là, les délais, eux, ça les achale un peu moins. O.K.? Mais je comprends que ça peut être différent pour quelqu'un d'autre. De là le besoin de bien harmoniser, de bien travailler avec tous les ministères, de connaître la réalité de tous les gens qui vivent à travers ces tribunaux administratifs là, O.K., d'une part.

Maintenant, pour convaincre... Encore là, ce n'est pas la même chose pour tout le monde. Pour beaucoup de gens, surtout les gens démunis, c'est tout le contraire, de voir quelqu'un d'autre qu'un juriste, c'est très rassurant. Un médecin a une aura auprès de la population, des gens ordinaires, un peu meilleure ? et ne m'en voulez pas, personne ? que les juristes, et il y a des statistiques. Moi, je ne suis pas le genre à vous sortir des statistiques, là, de mémoire, tout ça, mais je sais que ça existe et que c'est très fort, la différence, croyez-moi. Alors, vous pouvez le regarder. Mais, voyez-vous...

Puis, il y a une autre chose aussi, en droit, là, ce que c'est, là... C'est que c'est quelque chose de très loin du citoyen, le droit. C'est très loin, là, c'est quelque chose au-dessus de sa tête. Et de voir des gens qui ne sont pas que des juristes qui complètent, qui... Parce que, je m'excuse, je vais vous prendre... Rappelez-vous le banc de déontologie policière, ce n'était pas juste une question d'expertise, c'était une question de représentativité, et je pense qu'il y a des gens qui vont vous le dire. Vous savez que, justement, la réponse à votre... simple, c'est que beaucoup, beaucoup de gens, c'est l'inverse, de voir un psychologue, de voir un docteur, ça les rassure.

M. Bernier: ...les rassurer, vous ne pensez pas qu'on vient d'accroître leurs coûts?

M. Manseau (Yves): Le coût?

M. Bernier: Le coût.

M. Manseau (Yves): Bien, là...

M. Bernier: Ils doivent se payer des gens maintenant pour les défendre.

M. Manseau (Yves): Ça, j'ai... Le coût des personnes, oui. Bien, ça, j'y ai répondu d'une autre façon, en parlant des coûts tantôt. Si vous changez le système trop, il va être obligé d'aller en recours extraordinaire. Dans le recours extraordinaire, il y a une petite clause spéciale là-dedans, vous pouvez subir les dépens. Alors, là, les gens démunis n'iront plus. Alors, ce n'est plus juste une question de coûts, c'est une question d'équité, hein, si j'ai bien compris l'objectif principal. Quand on parle loi, l'objectif principal, c'est toujours l'équité. Ce n'est pas les délais, ce n'est pas... Ah! O.K. Je m'excuse.

Le Président (M. Simard): Le temps est un peu écoulé, mais je vais demander quand même au député de l'Acadie de poser rapidement ses questions, mais surtout vous demander d'y répondre rapidement.

M. Manseau (Yves): D'accord. Je suis incorrigible, je... Désolé.

Le Président (M. Simard): Je souffre du même défaut, donc je suis très indulgent.

M. Bordeleau: La crainte que vous manifestez concernant le fait que ce soit un décideur qui tranche la question et qu'il puisse y avoir ou non des gens qui l'assistent sur demande ou d'office, là, dans des secteurs de spécialisation plus grands, je voudrais vous entendre sur... Quand on regarde ce qui se passe à la Commission des lésions professionnelles, où la décision est prise par une personne, et quelquefois il y a des assesseurs, on me dit que les assesseurs sont présents à peu près dans 20 % des cas. Donc, ça veut dire que, dans 80 % des cas, la décision est prise par une personne. Et ça existe depuis de nombreuses années à la Commission des lésions professionnelles, et il n'y a pas, à ma connaissance, là, de problèmes majeurs qui ont été mentionnés.

Comment vous conjuguez un peu les deux, votre position par rapport à ce qui est proposé dans le projet de loi et ce qui existe présentement à la CLP?

M. Manseau (Yves): D'abord, je ne suis pas contre que ce soit juste un décideur. Ce que j'ai mentionné, c'est qu'on garde le caractère spécialisé. Et ça, ça veut dire qu'il faut qu'il y ait dans le système du Tribunal des gens spécialisés et non pas appelés comme experts d'un bord ou de l'autre dans un débat de forme, mais faisant partie du Tribunal. O.K.?

Alors, ce projet de loi-là maintient ça, hein? Il y a une clause... Bon. Je ne suis pas juriste, là, puis je ne le ferai pas de mémoire avec vous. Mais ce que j'ai dit là-dessus, c'est qu'il doit être... C'est la fameuse question, là, de l'utilité versus la nécessité. Dans ce cas-là, je suis d'accord avec certains des intervenants ce matin: mettons le fardeau moins lourd pour ça, c'est-à-dire assurons-nous que les assesseurs sont là le plus souvent possible plutôt que non, pour garder notre spécificité, et puis aussi pour l'équité, pour l'équité. Et, oui, qu'il y en ait; qu'on en ait pas, ça, c'est correct. Moi, personnellement, je ne suis pas contre ça.

n(16 h 30)n

Mais, comme je veux dire, moi, je ne suis pas trop bien placé pour débattre de ça, parce que ma plus grande préoccupation, sur laquelle je me suis vraiment penché, et il ne faut pas oublier que je ne suis pas un spécialiste de tous ces tribunaux-là, là, et même, je ne connais pas tout ça tellement, sauf par nos échanges avec nos partenaires et avec nos gens que nous aidons à tous les jours, qui vivent ça, mais ça reste que... Je m'excuse, je sens que je prends trop de temps encore; je vais essayer de conclure.

Le Président (M. Simard): Alors, je vais demander maintenant au député de Chicoutimi de prendre le relais.

M. Bédard: Merci, M. le Président. Je vous remercie, M. Manseau. C'est la première fois qu'on a l'occasion de se rencontrer, et je peux vous dire que vous m'avez presque convaincu de vous engager comme avocat, effectivement, parce que vous exprimez les concepts juridiques d'une façon très claire et... Mais vous avez mieux exprimé que moi ce que je voulais exprimer tantôt par rapport à l'expertise; je pense que vous l'avez bien fait ressortir. Et ça vient un peu en même temps confirmer un peu certaines de mes appréhensions.

Dans votre témoignage, vous faites état, là, de ce que vous avez vécu. Parfois, on pense améliorer notre sort, mais... C'est ce que je mentionnais tantôt: le risque de modifier un régime de preuve par le biais d'une modification administrative sur le fonctionnement d'un tribunal, personnellement, je vais vous dire que c'est la première fois de ma vie de juriste, et je vous dirais, incluant la lecture des différentes lois et règlements, qu'on tente de faire ça.

On peut modifier clairement un régime de preuve, mais le fait d'espérer, par une modification administrative, un traitement différent dans le cadre d'un régime de preuve... Et c'est pour ça que j'ai émis des sérieux doutes, mais, tout en... Je veux dire, je ne conteste pas ce que la... ce qu'a dit maître... dont j'oublie le nom, là, ça fait exprès, là, de la Fondation ? Me Perreault ? qui était très convaincante, mais j'ai les mêmes appréhensions que vous, d'autant plus que, vous, vous l'avez vécu dans votre domaine, où...

Et c'est inévitable, hein? D'ailleurs, on le voit même ici, dans nos débats. Mettez trois avocats dans une chambre, je peux vous dire, il n'y a personne... au bout d'une semaine, il va seulement y avoir les trois avocats qui vont finir par se comprendre, hein? Alors que, justement, le... et là je dis ça en tout respect pour la profession dont je fais partie, mais... alors que, justement, la justice administrative spécialisée vise un autre objectif, c'est celui d'accessibilité. Donc, entre autres, même celui pour la personne de se représenter seule et de n'être pas, je vous dirais, là, prise sous des difficultés de preuve très élevées, avec des procédures très complexes. C'est d'ailleurs ce qu'a sanctionné la Cour suprême. Et ce que vous me dites, c'est que, vous, dans ce que vous avez vécu, ça a été exactement le cas; donc, ça a eu pour effet d'alourdir le processus ainsi que le régime de preuve. C'est ce que je comprends?

M. Manseau (Yves): Oui. Et, si vous permettez, je vous donne un autre exemple, comment faire une législation, c'est dangereux, parce qu'il peut y avoir des effets pervers vraiment extraordinaires. Prenons l'exemple que, là, ça va pencher du côté des plus démunis. On s'aperçoit que là ce n'est plus égal, mais c'est rendu quasi judiciaire, et puis là un groupe peut décider de dire, bon, là, on va contester, là. Parce qu'il y a des règles de justice naturelle qui ne sont plus respectées. Et puis là il va falloir que ce soit l'État qui paie ces avocats-là. C'est ça que j'essaie de dire.

Il faut vraiment faire un travail global, consulter entre ministères et faire un travail sérieux. Et je ne dis pas que ce travail-là n'est pas sérieux. Parce que le document du gouvernement est très intéressant, il est très intéressant. L'autre document qui a suivi, de la part des fonctionnaires, sur la justice administrative, il est complet, on a beaucoup des outils. C'est comme je vous dis: On est surpris.

Mais, si vous me permettez de faire du millage un peu sur votre remarque, n'oubliez pas que j'ai parlé aussi de, si on veut vraiment sauver de l'argent, couper des délais: améliorons le service de première ligne. Et ça...

M. Bédard: ...de vous entendre, d'ailleurs...

M. Manseau (Yves): Et ça...

M. Bédard: ...parce que vous n'êtes pas... Je voudrais seulement vous dire que vous n'êtes pas le seul à le dire, non plus.

M. Manseau (Yves): Non, j'imagine, parce que...

M. Bédard: On le retrouve dans le rapport sur la mise en oeuvre des tribunaux administratifs, où c'est très, très clair: une des causes des délais et peut-être même de la frustration de certains administrés, c'est par rapport justement à la prise de décision, où là il y a une problématique qui relève directement du gouvernement, qui doit s'assurer justement que les gens... Et vous le disiez... Là, je vous laisse terminer là-dessus. Mais vous dire que ce que vous dites est partagé par d'autres.

M. Manseau (Yves): Oui. Bien, c'est là qu'un projet de loi est important, mais le leadership de la part d'un gouvernement est important aussi pour envoyer les messages à ses fonctionnaires. Et le mot n'est pas dans le dictionnaire, «optimisation», en tout cas, c'est un meilleur rendement, ça se fait au niveau... bien, en tout cas, ça se fait d'abord, et on le voit en ce moment... Moi, c'est drôle, je dis que c'est obscur, mais la question de coût, je suis le premier à le reconnaître, elle est extrêmement importante.

Alors, c'est vraiment... il faut utiliser mieux nos ressources de première ligne. Je donne un exemple. Je suis d'accord, moi, personnellement ? je regardais ça, là, je suis d'accord ? avec faire sauter la révision. O.K.? Mais c'est un montant qu'il faudra redistribuer plus vers le bas que vers le haut, à mon avis, pour justement éviter d'aller dans les tribunaux. Et je reste consistant avec notre valeur la plus fondamentale: allons le moins souvent devant les tribunaux, un tribunal d'appel en milieu administratif, c'est le plus haut niveau de judiciarisation, évitons-le.

Donc, faisons ce qu'il faut en première ligne. Et c'est là que la coordination avec les ministères est importante, parce que, là, dans les ministères, si on parle des préoccupations du ministère de la Justice qui, lui, a à administrer les tribunaux d'appel avec les préoccupations et les questions, les limites budgétaires de chacun des ministères, j'imagine ? je ne suis pas tellement expérimenté là-dedans, mais c'est la simple logique, j'imagine ? si on se parle et puis on étudie ça à fond, on va faire, selon mon expression, et je ne la dis pas sans respect, «mettre la charrue devant les boeufs», je le crois vraiment, parce que je ne sens pas que dans... parce que je vois beaucoup de bonnes données dans ce document-là, mais je n'en vois pas assez qui reflètent d'autres pistes puis qui visent les mêmes buts, exemple, de réviser certaines législations pertinentes soit au travail ou soit à la santé et aux services sociaux, et aussi être certains qu'on se parle beaucoup et que c'est très convergent et cohérent, les démarches faites pour améliorer le système de justice.

M. Bédard: Et viser le moins possible la judiciarisation...

M. Manseau (Yves): Toujours, toujours.

M. Bédard: ...dans le cas des décisions administratives. Tout ce qu'on peut régler avant, qu'on le règle avant, autrement dit.

M. Manseau (Yves): Oui, oui. C'est pour ça que la médiation au niveau du tribunal d'appel est toujours une option, mais il faudra...

Regarde, moi, je n'étais pas pour faire enlever l'aspect obligatoire, aussi, d'une médiation, c'est à éviter. C'est une contradiction en termes... D'ailleurs «obliger une médiation», c'est déjà assez contradictoire, mais ce serait les argents puis les ressources humaines, parce que vous avez déjà aussi dans les ministères des ressources humaines. Ça, je l'ai vu en déontologie policière, un gaspil de ressources humaines, des gens qui étaient spécialisés, qui étaient... parce qu'ils avaient des... vous savez, là, ces gens-là qu'on a enlevés de sur les bancs, on les a perdus, des choses comme ça.

Alors, c'est vraiment une approche plus globale. Mon expérience personnelle, c'est... même, c'est votre propre gouvernement, c'est certain qu'il l'a fait par blocs plus gros que ça, mais c'était une approche quand même parcellaire. Mais, la déontologie policière, vous savez, il y avait un effet pervers déjà, et c'est pour ça, c'était une question de rapport de force. C'est parce que, dans le cas de policiers, à cause des conventions collectives des policiers, comme vous savez, les policiers, c'est des employés de l'État, que ce soit du municipal ou provincial, et, dans presque toutes les conventions collectives, vous avez une clause, leur défense de l'utilisation est payée par leur employeur.

Alors, ce que ça veut dire, c'est qu'il s'est développé un contentieux extraordinaire dans les milieux policiers, et c'est pour ça qu'on s'est mis à faire des réformes: il fallait économiser, il fallait couper, surtout à l'époque du déficit zéro. Je le comprends, mais il y a encore des effets pervers, on va devoir le réformer.

Alors, c'est ça. Et pourquoi pas, moi, venir ici vous parler simplement, sans faire trop le professionnel, pour juste allumer la lampe, que, ça, c'est un petit peu vite, c'est trop à la pièce et ça aurait besoin d'être mieux travaillé. Mais le travail est très bien commencé aujourd'hui, parce que j'ai été témoin, ici, aujourd'hui, bien sûr, et ça, on va le reconnaître.

M. Bédard: Oui, oui. Et souhaitons que les débats restent de même niveau. Et je suis d'accord avec vous effectivement, vous n'êtes pas le seul à le dire, sur... que ça prend effectivement, si on... tout dépendant des buts qu'on vise, je vous dirais.

Là, je parle à bâtons rompus un peu, là. Si on vise à régler un problème dans un domaine en particulier, c'est une autre chose. Et vous avez bien fait de l'apporter. Il peut y avoir un problème dans le domaine particulièrement de l'assurance automobile, des victimes de l'assurance automobile, qui n'est pas le même dans d'autres sphères, et on aura d'ailleurs des avocats demain, en droit social, et là on tente de régler ce qui apparaît comme une problématique de l'étendre à peu près à tout ce qui se fait et d'en faire une règle générale. Et vous savez tout comme moi que de légiférer à partir des cas problématiques n'est pas une façon de faire.

Normalement, on regarde un régime, on dit: Rencontre-t-il objectivement et généralement les objectifs qu'on s'était donnés au départ? À partir de là, est-ce qu'on peut l'améliorer? Or, dans ce cas-ci, maintenant et après avoir entendu beaucoup des représentants, j'ai... Et vous l'avez encore mieux fait ressortir, parce que les personnes qui sont venues témoigner n'ont pas tort, elles ont même raison...

M. Manseau (Yves): Non, ils n'ont pas tort. Ça, je suis d'accord.

n(16 h 40)n

M. Bédard: ...et je leur disais tantôt... j'ai lu leur mémoire, entre autres, sur le régime de preuve, c'est vrai que ça doit être frustrant pour eux de se faire appliquer le test de la certitude. Je suis convaincu que c'est arrivé souvent qu'il y a eu un lourd, trop lourd fardeau pour les gens qu'ils représentaient.

Sauf que là on modifie une loi d'ordre général.

M. Manseau (Yves): Oui.

M. Bédard: Et, dans votre cas, ce que vous me dites pour les autres ? et c'est ce que disent d'ailleurs les autres mémoires: Au contraire, les objectifs ne sont pas rencontrés, tant en termes de rapidité. Même le Barreau nous dit: Ce ne sera pas plus rapide. Puis, pourtant, il a montré des ouvertures quant au contenu. Mais, en termes de rapidité, écoutez, là, on ne peut pas faire plus vite. Il peut y avoir des améliorations, mais ce n'est pas ce projet de loi là, à ce moment-ci, qui va faire en sorte que la justice administrative va être rendue plus tôt, de façon plus rapide.

Alors, moi, ce qui m'inquiète à ce moment-ci... et c'est ce que soulève l'ensemble des mémoires, et vous le dites bien, vous représentez des gens démunis, souvent avec rien... et, moi, j'ai toujours beaucoup de respect, parce que je le fais comme député, comme mes collègues, un individu seul contre l'État, j'ai toujours eu beaucoup de respect pour ça, même quand il avait tort, parce que c'est un combat... Et, moi, j'ai toujours pris, comme député, ces dossiers-là ? et il m'est arrivé où je me suis rivé le nez aussi ? mais je trouve que ça prend un courage particulier pour un individu d'affronter l'État avec tous les moyens qu'il a, et, lui, avec souvent, complètement... des fois avec de l'argent, mais, même avec de l'argent, c'est difficile. Alors, imaginez-vous, vous représentez les gens les plus, je vous dirais même, les plus démunis, donc, et vous soulevez tout cet aspect-là de l'équité qui pourrait être mise en danger par l'adoption de ces simples mesures. Est-ce que je traduis bien votre...

M. Manseau (Yves): Oui, oui. D'ailleurs, j'aimerais ça vous donner un autre exemple au niveau de l'équité pour les plus démunis, mais même les gens de la classe moyenne, et je vais vous dire pourquoi.

On a parlé ici de preuves expertes difficiles à avoir dans le temps, la disponibilité, mais ce n'est pas juste ça, c'est le coût. Et le coût est extraordinaire. J'aimerais ça vous donner un exemple, qui vient du milieu... d'un tribunal judiciaire, mais il va expliquer bien que c'est tordu, ces questions d'experts là; ça se joue tout le temps là, même au criminel.

Je donne un exemple du criminel. On est dans le «trouvé coupable hors de tout doute», mais l'exemple est bon, au point de vue de l'utilisation d'un expert, comment ça peut être tordu, la question des experts, et c'est dans le débat déclaratoire.

Je ne sais pas si vous connaissez ça autant ici, à Québec ou partout, d'où vous venez, le cas Lizotte, un itinérant qui est tué par un policier à Montréal. Il y a un procès criminel contre le policier, et les avocats policiers amènent un témoin, un témoin expert des États-Unis pour venir dire qu'un coup de poing dans le visage est une bonne technique policière. O.K., et le poursuivant public, le procureur de la couronne, n'amène aucune expertise en face de ça. Non, mais ça explique bien le niveau, là. Ce n'est plus juste... C'est qu'il n'en amène même pas aucune.

Là, le juge est obligé de dire aux jurés: Bien, écoutez, vous êtes obligés d'acquitter la personne, parce que, une fois qu'on a reconnu un expert devant un tribunal, c'est entre les experts qu'ils doivent convaincre le... Mais, s'il y en a juste sur un bord, le juge est obligé... C'est fou, c'est une avocate, avec tout le respect que j'ai, qui enseigne à l'université, mais c'est fou de dire qu'il doit encore juger tout ça; il n'a pas beaucoup de zone de manoeuvre, parce qu'il n'est pas un expert, le juge. Donc, il doit prendre l'expertise qu'on lui a amenée, et, si l'autre partie n'en amène pas, automatiquement, vous venez de perdre votre cause.

M. Bédard: À moins qu'il ait une connaissance judiciaire. Et voudrait bien malin, d'ailleurs, l'avocat qui va se présenter devant un expert sans son propre expert. Et de vouloir faire sa preuve avec l'autre expert, je peux vous dire qu'il y a des avocats qui ont gaspillé leur pratique seulement à faire ça. Ça prend tout un matador.

Donc... et ça me fait penser à la question tantôt qu'a soulevée le député de Montmorency, quand il disait: Le fait qu'il y ait un médecin sur le «board» amène le justiciable, lui ou... l'administré, plutôt, à engager un expert. Non, au contraire, c'est le fait que l'État, lui, a son expert, et il l'a de toute façon. Que le tribunal ait son expert ou pas, lui, il l'a, et c'est ça qui l'amène à amener son expert et ce qui fait en sorte que, pour...

Mais c'est vrai, M. le député, et c'est ce qui fait que ça engendre des coûts énormes pour le justiciable à ce moment-là, parce qu'il doit... il n'a pas le choix, il ne peut pas se référer au tribunal. Le tribunal peut avoir une connaissance, comme on le disait tantôt, il n'est pas un expert. Et quand un expert te dit: La seule voie, c'est ça... C'est sûr que, bon, avec la balance de probabilité, tu peux commencer à interpréter et jouer avec ça, mais je peux vous dire encore une fois: Si tu ne prends pas la précaution d'avoir toi-même ton expert, je peux vous dire que tu t'en vas même devant un précipice. Tu peux t'en sortir, on sait que ça arrive des fois, les gens tombent du quatrième étage puis ils sortent avec aucune égratignure, mais je vous dirais que, dans la majorité des cas ? en tout cas, moi, ça ne m'incite pas à le faire personnellement ? et, dans la majorité des cas, le justiciable va se retrouver perdant à travers ça. Et c'est ça que je veux faire ressortir là-dedans.

Parce que les tribunaux administratifs ont pour effet de rendre moins lourd le processus, et c'est l'objectif. C'est moins coûteux, moins lourd. Parce que les tribunaux, ça coûte cher; un avocat à 400 $ de l'heure, que voulez-vous, on ne peut pas s'en sortir.

Une voix: ...

M. Bédard: Non, là, je vous parle, à Montréal, je vous parle, à Montréal. Et, pour connaître les tarifs de plusieurs procureurs, c'est très coûteux, et ça ne date pas... D'ailleurs, ce n'est pas un problème de cette année. J'en parlais avec le ministre lorsqu'on a étudié, on parlait du principe. Je me souviens, lorsque j'étais stagiaire au bureau, il arrivait, le soir ? évidemment, en dehors des heures de bureau ? de lire des vieilles revues du Barreau, de voir... bon, je m'intéressais à des questions juridiques. Et une, entre autres ? puis elle datait des années quarante ? c'était justement l'accessibilité à la justice, que la justice coûtait trop cher, que ça n'avait pas bon de sens, que le simple citoyen et même que la classe moyenne n'avaient pas accès à cette justice. Alors...

Et là, souvent, dans le processus quasi judiciaire maintenant, parfois il y a tendance à reproduire ce mode, et là, moi, je pense, personnellement, il faut se garder de cela et qu'il faut s'assurer justement de l'accessibilité par, je vous dirais, un système qui est beaucoup plus léger en termes d'administration et de régime de preuve.

M. Manseau (Yves): Oui. Puis, la tendance dans la justice, si vous permettez, est vers le rendre moins lourd. Je viens de participer moi-même à une recherche à l'Université de l'Alberta sur la communication entre les tribunaux civils et les citoyens. Ils se sont aperçus enfin ? c'est pour ça que je l'ai mis dans mon chose ? comment on communique mieux à l'ensemble de la population c'est quoi un tribunal, comment on s'en sert, où aller, où le trouver, vous savez, la communication entre un tribunal civil et... sur l'Internet. Alors, on se penche là-dessus. On s'en va vers... Pourquoi on fait ça? Pas pour qu'on l'utilise plus, mais pour qu'on l'utilise mieux. Alors, ça, c'est une façon de... Parce qu'on peut informer les gens... Là-dedans, il peut y avoir... de ne pas avoir recours, juste... le mot, c'est «litigation». J'ai une formation anglaise en droit, je ne suis pas avocat, mais, disons que...

M. Bédard: Presque.

M. Manseau (Yves): ...«litigation», j'imagine. Et, par contre, la conciliation, la médiation, toutes ces choses-là qui sont disponibles, les rendre disponibles puis bien informer les gens à ça, puis aussi former les gens. Ce n'est pas juste de former des spécialistes qui travaillent en médiation, mais faire de la sensibilisation, de l'éducation populaire, de l'éducation, qui fait que ça rentre dans les moeurs des gens de ne pas aller toujours aux moyens extrêmes pour se battre.

Ça inclut même, si on va loin, à apprendre à avoir plus de respect pour nos institutions, plus de respect... Il ne faut pas oublier que c'est notre argent. Alors là vous allez dire que je suis très idéaliste, mais ça va autant pour les plus démunis que pour les riches, parce que c'est la seule voie d'avenir quand on parle d'amélioration d'un système de gestion.

M. Bédard: Ça termine. Est-ce que j'ai d'autres...

Le Président (M. Simard): Oui. Il reste deux minutes, si vous voulez. Vous n'êtes pas obligé.

M. Bédard: Deux minutes. Ah non! Bien... Non, je vous remercie encore une fois, parce que a été très intéressant. Je n'avais aucune attente, d'autant plus qu'on n'a pas de document, mais...

M. Manseau (Yves): On avait gardé ça secret, hein?

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Bédard: Oui. J'ai appris, oui.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Bédard: J'ai appris beaucoup. Il y a des éléments que vous avez fait ressortir très clairement. Et, demain, comme vous nous le mentionnez, on va écouter attentivement ce qu'ont à représenter les autres organismes. Et je vous dirais, je déplore encore une fois que, malheureusement, malgré... Tantôt, le député de Trois-Rivières citait la Commission des services juridiques, qui représente les plus démunis, les gens qui ont droit à l'aide juridique; contrairement à ce qui a nous avait été représenté au mois de juillet, on refuse à la Commission des services juridiques d'être présente et de témoigner devant nous, et ça, j'en suis, je vous dirais, bien malheureux. Alors, je vous remercie infiniment de votre témoignage.

M. Manseau (Yves): Merci à vous, merci à vous tous.

Le Président (M. Simard): Merci, M. Manseau, merci à tous les membres de la commission pour cette journée intéressante.

Nous ajournons nos travaux à demain, 9 h 30.

(Fin de la séance à 16 h 49)

 

 


Document(s) related to the sitting