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Version finale

39th Legislature, 1st Session
(January 13, 2009 au February 22, 2011)

Tuesday, May 18, 2010 - Vol. 41 N° 69

Consultation générale et auditions publiques sur le projet de loi n° 94, Loi établissant les balises encadrant les demandes d’accommodement dans l’Administration gouvernementale et dans certains établissements


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Table des matières

Journal des débats

(Dix heures huit minutes)

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Donc, bonjour à tous et à toutes. Je constate le quorum. Je déclare donc la séance de la Commission des institutions ouverte. Si vous avez des bidules qui font du bruit, s'il vous plaît, les éteindre pour la bonne marche de nos travaux.

Le mandat de notre commission est de procéder à des auditions publiques dans le cadre de la consultation générale sur le projet de loi n° 94, Loi établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement dans l'Administration gouvernementale, dans certains établissements.

M. le secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

Le Secrétaire: Non, il n'y a pas de remplacement aujourd'hui, M. le Président.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Donc, avant même de vous faire la lecture de l'ordre du jour, je vais vous souhaiter la bienvenue à tous et bon matin. Je sais que vous êtes reposés, on a eu une fin de semaine magnifique. En tout cas, la mienne, elle, l'a été.

Et je vous rappelle que, dans le cadre de cette commission, nous sommes à recevoir des gens, et ces gens-là, ce sont nos invités. Je sais que vous allez trouver ça un peu paternaliste, mais je veux vous le rappeler, parce que parfois le simple fait d'émettre nos opinions, nos convictions, rend mal à l'aise ces gens-là. Et je veux vous avouer sincèrement que ces gens-là viennent chez nous bénévolement, avec beaucoup de bonne volonté, et ils ont travaillé fort pour la présentation de leurs mémoires. C'est important de bien les accueillir. Donc, je sais que vous êtes tout le temps gentils, courtois, aimables avec tout le monde, et laissez transparaître et paraître votre côté lumineux. Ça va nous permettre de donner une bonne impression à ceux qui nous visitent. Ça va? Et je vais me faire un devoir de vous le rappeler, si jamais votre passion dépasse vos pensées et vos agirs.

Donc, sur ce, notre ordre du jour pour aujourd'hui, c'est le suivant. Nous allons débuter évidemment par les remarques préliminaires. Et nous allons entendre le Barreau du Québec, la ville de Saguenay, puis, vers 15 heures, on va poursuivre avec la Ligue des droits et libertés, la Centrale des syndicats du Québec et l'Association des retraitées et retraités de l'éducation et des autres services publics du Québec, et nous allons recevoir, de l'Université de... -- du Québec, M. le secrétaire, c'est l'université de...

Le Secrétaire: Laval.

**(10 h 10)**

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): ... -- Laval, à 19 h 30, M. Alain Massot -- nous nous en reparlerons -- et l'Association féminine de l'éducation et de l'action sociale.

Et vous ai-je demandé, M. le secrétaire, s'il y avait des remplacements?

Le Secrétaire: Oui. C'est fait.

Remarques préliminaires

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui. C'est fait. Donc, sans plus tarder, nous allons commencer les remarques préliminaires. Mme la ministre, vous avez 15 minutes pour vos remarques. À vous la parole, Mme la ministre.

Mme Kathleen Weil

Mme Weil: Merci, M. le Président. Alors, je voudrais d'abord saluer mes collègues de l'opposition et les députés ministériels présents aujourd'hui afin d'entendre les positions des différents groupes et citoyens au sujet du projet de loi n° 94, Loi établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement dans l'Administration gouvernementale et dans certains établissements.

Je voudrais également remercier les gens qui m'accompagnent, du ministère de la Justice, et aussi remercier chaleureusement tous les groupes et citoyens qui ont pris le temps de rédiger un mémoire et qui viennent nous présenter leurs opinions, commentaires et suggestions. Nous avons reçu plus d'une soixantaine de mémoires, M. le Président. Alors, je vous remercie pour cette belle participation citoyenne.

M. le Président, la société québécoise est une société ouverte et attachée aux droits et libertés de la personne. Depuis une cinquantaine d'années, des progrès significatifs ont été réalisés au Québec à cet égard notamment avec l'adoption, en 1975, de la Charte des droits et libertés de la personne. Ainsi, on peut affirmer que le Québec est une société riche de sa diversité, qui repose sur la primauté du droit et l'égalité entre les hommes et les femmes et qui adhère à la séparation des pouvoirs politique et religieux.

Certaines demandes d'accommodement ont suscité depuis quelques années des doutes sur les façons dont ces demandes étaient évaluées et accordées, remettant malheureusement en question parfois le principe même de l'accommodement. La mauvaise perception et compréhension de l'accommodement pourraient avoir comme conséquence une augmentation de la discrimination et de l'exclusion. Pour encadrer le traitement de ces demandes d'accommodement, il devient donc souhaitable d'incorporer dans notre corpus législatif des balises développées par les tribunaux.

Donc, le 24 mars dernier, j'ai déposé le projet de loi n° 94, Loi établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement dans l'Administration gouvernementale et dans certains établissements. Afin de bien démarrer nos travaux des prochains jours, j'aimerais faire un rappel des grandes lignes de ce que nous proposons dans ce projet de loi.

C'est un projet de loi qui vise d'abord à encadrer la façon de traiter les demandes d'accommodement dans les services publics, que ce soient les demandes provenant d'employés ou provenant des citoyens utilisant les services. On y établit qu'un accommodement ne peut être accordé que s'il est raisonnable. Il cesse d'être raisonnable lorsqu'il impose une contrainte excessive eu égard, entre autres, aux coûts qui s'y rattachent, à ses effets sur le bon fonctionnement de l'organisme ou sur les droits d'autrui. En d'autres mots, l'accommodement devient déraisonnable.

Par ailleurs, l'accommodement doit respecter la Charte des droits et libertés, notamment le droit à l'égalité hommes-femmes et le principe de la neutralité religieuse de l'État, qui est une condition sine qua non à l'exercice de la liberté de religion. On ne remet pas en question la liberté de religion des individus, que ce soient les employés ou les citoyens recevant des services. On réaffirme le principe de neutralité religieuse de l'État, c'est-à-dire qu'il ne favorise ni ne défavorise aucune religion, tout en faisant le choix d'une laïcité ouverte.

Cela signifie que les employés conservent leur droit constitutionnel d'exercer leur liberté de religion dans la mesure où ils exécutent leurs fonctions de manière neutre et impartiale. La neutralité religieuse s'applique à l'institution, non pas aux personnes qui la composent. Ainsi, les membres des minorités continueront d'avoir accès aux emplois de la fonction publique en toute égalité, quelle que soit leur religion. Le projet de loi énonce aussi que les services publics se font et se reçoivent à visage découvert et vient ainsi confirmer la pratique d'application générale.

Finalement, je souhaite rappeler que ce projet de loi s'étend à plusieurs organismes et établissements relevant de l'État, qu'il confie à la plus haute autorité administrative au sein d'un ministère, d'un organisme ou d'un établissement la charge d'en assurer le respect et que, sous réserve de la Charte des droits et libertés de la personne, les dispositions de cette loi auraient préséance sur toute disposition ou stipulation inconciliable d'une loi, d'un règlement, d'un décret, d'un arrêté, d'une directive, d'une convention ou d'un autre acte ou document.

Voilà, M. le Président, les grandes lignes de ce que nous proposons dans ce projet de loi. Je suis heureuse d'être ici au cours des prochains jours afin d'entendre les commentaires et suggestions de groupes et de citoyens de tous horizons. Je vous remercie de votre attention.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci, Mme la ministre. Donc, Mme la députée de Rosemont, porte-parole officielle en matière d'immigration, pour vos remarques préliminaires. Vous avez 12 minutes.

Mme Louise Beaudoin

Mme Beaudoin (Rosemont): Merci, M. le Président. Alors, je vais à mon tour saluer la ministre, nos collègues du côté ministériel ainsi que mes collègues de l'opposition officielle.

Alors, M. le Président, les centaines de pages de nos revues de presse des 12 derniers mois touchant directement ou indirectement au sujet traité par le projet de loi n° 94 témoignent éloquemment de l'immense importance que les Québécois et les Québécoises accordent, avec raison, au débat sur la laïcité de l'État, car la laïcité de l'État est reliée au fondement même d'une démocratie moderne. Comme plusieurs commentateurs l'ont fait observer, elle est devenue indissociable des trois notions d'égalité, de liberté, de droit.

Je tiens, moi aussi, à remercier à l'avance toutes les personnes, tous les organismes qui viendront s'exprimer devant la commission et je tiens à les assurer de notre volonté d'être à leur écoute de la manière la plus attentive. C'est là notre devoir. Comme c'est aussi, cependant, notre devoir de veiller à préserver tous les acquis et tous les résultats des luttes passées. Nous célébrons, cette année, le 70e anniversaire de la première grande affirmation par l'État québécois de l'égalité de l'homme et de la femme, quand il a reconnu enfin le droit de vote des femmes. De même, le débat sur la laïcité de l'État remonte à un demi-siècle au moins, au début de la Révolution tranquille.

C'est aussi dans ce parcours historique que s'inscrit la décision prise il y a une douzaine d'années par la ministre de l'Éducation de l'époque, l'actuelle chef de l'opposition officielle, de demander une modification de la Constitution pour y supprimer le traitement privilégié accordé depuis 1867 aux seules religions catholique et protestante. Il nous revient, je crois, d'ajouter aujourd'hui une nouvelle étape au parcours, dont je n'ai bien sûr évoqué que quelques moments marquants.

Or, du côté de l'opposition officielle, notre interprétation de ce projet de loi, nous aurons l'occasion d'en discuter longuement, c'est que la montagne, une autre fois, accouche d'une souris. C'est un projet qui est décevant parce qu'il ne change rien à l'état actuel des choses, qu'il consacre, grosso modo, le statu quo, qu'il ne clarifie pas grand-chose, alors qu'il aurait fallu un geste audacieux, un geste courageux et que, pour opérer un vrai changement, pour donner de réelles balises, de réelles indications, une vraie pierre d'assise, il aurait fallu amender, par exemple, la charte québécoise des droits et libertés pour y affirmer les valeurs fondamentales de la nation québécoise, comme le fait le projet de loi n° 391 que nous avons déposé l'automne dernier. Dans ce projet de loi ci, le projet de loi n° 94, c'est la charte québécoise des droits et libertés telle qu'on la connaît. Donc, ce projet de loi n° 94 ne reprend que l'état actuel des choses et du droit, et c'est le maintien du cas-par-cas. Or, ce que nous voulons, ce sont des réponses claires pour être en mesure de donner justement des réponses claires à des situations précises, ce qui est tout à fait absent de ce projet de loi.

Il nous faudrait formuler rigoureusement, plutôt, les grands principes, assortis de règles d'action claires et cohérentes. C'est le principe et la règle qu'il faut définir en premier lieu. Il ne faut pas qu'en définissant d'abord l'exception on la laisse peu à peu se substituer à la règle. Tel me paraît, entre autres, être un des écueils qui menacent, et vous en avez parlé, Mme la ministre, l'application du concept de laïcité, que vous dites ouverte, et qui propose une laïcité à la pièce, au cas-par-cas, une laïcité, de notre point de vue, édulcorée peu à peu, incohérente et qui finirait par se nier elle-même. Et vous avez touché un point extrêmement important, disant: Les institutions de l'État, l'État et ses institutions, sont laïques, mais ses représentants, ses agents ne le sont pas, ne sont... ne doivent pas afficher eux-mêmes cette neutralité qui est celle des institutions et qui est celle de l'État. Et vous savez que, là-dessus, nous avons une divergence fondamentale.

Quant à nous, nous préférons parler de laïcité tout court, de laïcité authentique, de laïcité vraie. Dans ce sens, le projet de loi n° 94 nous apparaît, je dirais, aussi inutile que la loi n° 63, qui s'est révélée totalement insuffisante à l'usage. La preuve, c'est que vous revenez aujourd'hui avec un nouveau projet de loi. Aussi inutile, aussi, que le défunt projet de loi n° 16. Je dis «le défunt» parce qu'il est toujours au feuilleton, mais il n'est pas rappelé. Alors, j'imagine -- vous saurez me le dire -- que le projet de loi n° 94 se substitue au projet de loi n° 16. Le troisième projet de loi, donc, c'est le projet de loi n° 94, qui est devant nous et qui connaîtra, à notre avis, le même sort.

M. le Président, c'est important, ce dont nous allons discuter dans les prochaines semaines. C'est la manière, qui est en cause, dont nous allons régler la question de la laïcité de l'État. Et donc, en tant que législateurs, c'est un honneur en effet et une lourde responsabilité que de définir les conditions dans lesquelles les citoyens doivent évoluer de façon harmonieuse afin de construire, au-delà de toutes nos différences, un Québec égalitaire et inclusif. Merci.

**(10 h 20)**

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci, Mme la députée. Mme la députée de Lotbinière, en remarques préliminaires.

Mme Sylvie Roy

Mme Roy: Merci, M. le Président. Je vais essayer de résumer ma pensée dans les trois minutes qui me sont imparties. Premièrement, saluer Mme la ministre, ceux et celles qui l'accompagnent ainsi que mes collègues du parti ministériel, de l'opposition officielle et tous ceux qui vont présenter des mémoires. Je les en remercie.

Pour moi, c'est très simple, il y a eu au Québec des grands débats, bien des grandes discussions à la... lors de la commission Bouchard-Taylor. On a vu que ça suscite beaucoup de passions. Puis c'est clair, la raison pour laquelle ces discussions-là suscitent des passions, parce que c'est une question d'identité, et toutes les questions d'identité sont viscérales. Ce sont les tripes des Québécois.

Et je pense que c'est bien timide, la réponse que le projet de loi n° 94 nous propose. J'espère pouvoir, dans cette commission, convaincre la ministre d'aller plus loin, parce qu'après avoir su... après avoir dit que tout accommodement doit respecter la Charte des droits et libertés je ne pense pas qu'un directeur de CLSC, ou un directeur d'école, ou une directrice est plus avancé, après ce... si ce projet de loi là était adopté tel qu'il est. Dire qu'on ne permettra pas ce qui est illégal, on n'a pas besoin d'un projet de loi pour ça. Il y a eu une crise concernant la jeune fille qui est allée à l'école avec le voile intégral. On a voulu apporter une réponse, puis on apporte la réponse la plus timide, la réponse législative qui vient cristalliser l'État de droit qui est actuellement.

Donc, je pense qu'il faudrait aller plus loin. Il faudrait faire une vraie discussion sur la laïcité de la fonction publique. Il faudrait avoir des directives claires qui encadrent. Autrement, on fait du cas-par-cas puis on... Je pense que, nous, comme politiciens, on a le devoir de le faire, sinon on délègue cette question-là à la Commission des droits de la personne, aux tribunaux, on sous-contracte notre pouvoir de légiférer en cette matière à des organismes autres parce qu'on est trop frileux pour discuter de ça. Puis je pense que les Québécois sont assez matures pour avoir une discussion ici, à l'Assemblée nationale, sans penser qu'on tombe dans le racisme, ou autre, ou l'intolérance.

Il est temps qu'on ait cette discussion-là. Ailleurs, on a déjà pensé à parler de la... des signes religieux ostentatoires sur... dans l'espace public. Ce serait un minimum ici, au Québec, qu'on fasse la discussion dans la fonction publique de façon plus ouverte, une discussion sur la laïcité dans la fonction publique et le port de signes religieux ostentatoires. Donc, peut-être qu'on va, dans cette commission, réussir à faire évoluer les choses, et c'est mon souhait le plus cher, M. le Président. Merci.

Auditions

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci, Mme la députée de Lotbinière. Donc, les remarques préliminaires ayant été faites, je vous souhaite la bienvenue, messieurs, mesdames... madame du Barreau. Je vous rappelle les règles, que vous connaissez fort bien parce que vous êtes des habitués de notre commission et des autres. Il y a 10 minutes pour la présentation de votre mémoire. Il y aura un 50 minutes d'échange -- ça va? -- un 50 minutes d'échange qui sera distribué de la façon suivante -- puis j'y reviendrai, mais à toutes fins pratiques, simplement pour avoir le tableau global, là: il y aura 20 minutes d'échange du côté ministériel... de l'opposition, 5 minutes pour la deuxième opposition, puis 20 minutes pour... du côté de l'opposition... 25 minutes, que dis-je, du côté ministériel. On va y arriver.

Donc, sur ce, j'ai en ma présence Me Chagnon, Me Chatelain et Me Brunelle, c'est bien ça? Je vais vous demander, pour le bénéfice de tous, de vous présenter, faire une petite présentation, avant même votre présentation fondamentale.

Barreau du Québec

M. Chagnon (Pierre): Merci. Merci, M. le Président, pour votre accueil. Alors, à ma gauche, c'est Me Christian Brunelle, professeur à la Faculté de droit à l'Université Laval, et, à ma droite, Me Chantal Chatelain, avocate chez Langlois Kronström Desjardins.

Mme la ministre, Mmes et MM. les ministres, le Barreau du Québec a pris connaissance avec intérêt du projet de loi n° 94, présenté à l'automne à l'Assemblée nationale. Et nos commentaires immédiats, nos observations sont autour, d'abord, de trois thèmes: le renforcement des moyens d'information sur le droit à l'égalité et les accommodements raisonnables, et des mesures de soutien aux administrateurs; le développement d'un discours public positif sur les droits de la personne et la diversité culturelle; le renforcement de la protection des droits fondamentaux et des institutions qui les protègent.

D'emblée, le Barreau du Québec appuie donc toute initiative qui vise à mettre en oeuvre le droit à l'égalité par la reconnaissance en termes explicites de l'obligation de prévoir des accommodements sans contrainte excessive dans l'administration gouvernementale et dans certains établissements. Rappelons que le Québec constitue un État démocratique gouverné par le droit. Les principes juridiques prééminents applicables ici sont inscrits dans la Charte des droits. Ils garantissent les droits et libertés de toutes les personnes se trouvant au Québec, qu'elles soient citoyennes ou étrangères, et de ce fait ils protègent même également les minorités.

Le respect des droits et libertés de la personne est une valeur fondamentale largement partagée par les Québécoises et les Québécois. Ces droits à valeur constitutionnelle forment un ensemble cohérent, indivisible, universellement reconnu, qui garantit le respect de la dignité humaine. Comme les tribunaux l'ont reconnu à maintes reprises, les accommodements raisonnables ne constituent pas une atteinte à la primauté du droit mais en sont plutôt l'incarnation. Ainsi, le Barreau est d'avis que de tels accommodements ne sauraient être perçus comme étant menaçants pour la société ou pour les personnes. Au contraire, ces accommodements constituent un outil de protection et d'intégration pour tous les citoyens, sans égard à leur langue, leur sexe, leur handicap, leur race, leur religion, leur origine nationale ou ethnique.

Du point de vue du Barreau, les accommodements raisonnables sont partie intégrante de la mise en oeuvre du droit à l'égalité prévu par la charte. Il ne s'agit pas ici de simples règles d'administration publique. En droit, les mesures d'accommodement raisonnable constituent donc des mesures positives et inclusives, puisqu'elles sont associées à la mise en oeuvre du droit à l'égalité. Dans cette perspective, le titre actuel du projet de loi pourrait laisser entendre que les accommodements constituent eux-mêmes une contrainte ou une limite à l'exercice des droits et libertés, alors que la réalité est tout autre. Cette réalité serait reflétée plus adéquatement si le projet de loi s'intitulait d'ailleurs Loi sur les accommodements sans contrainte excessive dans l'administration gouvernementale et dans certains établissements.

En ce qui concerne l'article 1, voici nos commentaires. Afin d'éviter une application trop limitative du droit à l'accommodement raisonnable et en rappelant que ce dernier emporte une obligation correspondante dictée par le droit à l'égalité, nous croyons que les mots «peut être», à la deuxième ligne du premier alinéa, doivent remplacés par le mot «est». Cela respecterait, au demeurant, le style de rédaction des lois en usage au Québec.

En ce qui concerne les articles 2 et les articles 3, nous avons réuni nos commentaires en commun. La lecture combinée des articles 2 et 3 du projet de loi révèle une volonté de lui donner une très vaste portée quant à son champ d'application. Dans la mesure où cette énumération extensive des institutions et établissements assujettis à la loi a pour effet de consacrer clairement le principe que l'obligation d'accommodement raisonnable s'impose à l'État dans toutes ses ramifications, le Barreau se réjouit de cette intervention. Toutefois, sur le plan de la cohérence législative, il est difficile d'expliquer pourquoi les municipalités, pourtant souvent assimilées à une branche du gouvernement, ne seraient pas visées par le projet de loi, alors que des organismes infiniment plus décentralisés, telles les garderies en milieu familial exploitées par des travailleurs et travailleuses autonomes, y sont paradoxalement assujettis.

Dans la même veine, la définition de ce que constitue un établissement au sens du projet de loi semble ici être notamment inspirée de la Loi sur l'administration publique et de la Loi sur l'accès à l'égalité en emploi dans les organismes publics. Toutefois, les principes et paramètres utilisés pour élaborer cette liste ne paraissent pas clairs. Y a-t-il cohérence législative de la définition de l'administration publique dans l'ensemble des lois du Québec?

**(10 h 30)**

Enfin, conformément à la théorie générale de l'administration publique, les règles d'imputabilité gagneraient à être plus précises et claires. À titre d'exemple, comment les dispositions de la loi pourront-elles concrètement s'appliquer, par exemple, dans les garderies en milieu familial? Qui en sera imputable?

Nos commentaires sur l'article 4. Nous constatons que cette disposition, vu l'utilisation du mot «notamment», n'introduit pas de hiérarchisation entre les droits et libertés fondamentaux garantis par la charte en pleine égalité. En effet, tous les droits ont la même valeur, et la dignité de chacun dépend du respect de tous les droits de la personne. En ce sens, il n'existe aucune hiérarchie des droits et libertés. Ces droits peuvent être présentés comme étant des maillons d'une chaîne, et, comme chacun des maillons est aussi important que les autres, c'est l'interdépendance de tous ces droits qui assure la solidité et l'équilibre de la chaîne. Tous les droits sont essentiels. Ils doivent être interprétés les uns en fonction des autres.

Par ailleurs, par souci de concordance avec le style de rédaction des lois en usage au Québec, d'une part, et avec la modification que nous proposons à l'article 1, d'autre part, nous suggérons de remplacer les mots «doit respecter» par le mot «respecte».

L'article 5. Tel que mentionné en introduction, un accommodement raisonnable constitue un moyen de mise en oeuvre du droit à l'égalité. Puisque la mise en oeuvre du droit à l'égalité constitue une action positive et inclusive au sens de la charte, nous suggérons de reprendre la formulation de ces dispositions de la façon suivante, et cette formulation est conforme au style de rédaction des lois pratiqué au Québec: «Un accommodement est accordé sauf s'il est déraisonnable, c'est-à-dire s'il impose au ministère, à l'organisme ou à l'établissement une contrainte excessive eu égard, notamment, aux coûts qui s'y rattachent et à ses effets sur le fonctionnement du ministère, de l'organisme ou de l'établissement, sur la sécurité ou sur les droits d'autrui.» En ce qui concerne l'article 6, nos commentaires sont les suivants. Au deuxième alinéa, nous suggérons de remplacer le mot «doit» par le mot «peut» afin de ne pas limiter indûment la mise en oeuvre du droit à l'accommodement raisonnable dans l'administration gouvernementale, de même à éviter ainsi de créer autant d'occasions de discrimination. Par ailleurs, le mot «communication» est vague, imprécis, difficilement compréhensible quant à sa portée et de nature à soulever de nombreux litiges inutiles. En outre, la jurisprudence en matière d'accommodement raisonnable n'a jamais retenu cette notion de communication parmi les facteurs pertinents pour juger du caractère excessif d'une demande d'accommodement. Dans ces conditions, nous croyons qu'il serait indiqué de modifier le deuxième alinéa comme suit: «Lorsqu'un accommodement implique un aménagement à cette pratique, il peut être refusé si des motifs sérieux liés à la sécurité, aux exigences de la prestation ou à l'identification le justifient.»

En ce qui concerne les articles 7 et 8, nous n'avons pas de commentaire, sinon que nous endossons ce qui est écrit. Il en est de même à l'article 9 et à l'article 10.

Voici ma conclusion, M. le Président. Pour conclure, le Barreau du Québec réitère l'importance d'une vision d'ensemble des droits et libertés prévus dans la Charte des droits et libertés de la personne, notamment en matière de droit à l'égalité et de protection contre la discrimination. La charte constitue un tout cohérent, et c'est ce tout cohérent qui doit orienter les politiques publiques. À cette fin, le Barreau invite le gouvernement à tenir, dans le cadre d'une commission parlementaire, une large consultation publique sur le statut et la portée de la Charte des droits et libertés de la personne. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci, Me Chagnon. Donc, j'ai, pour la répartition du temps, une petite modification de ce qui avait été dit au départ. La proposition, donc, elle me semble acceptée pour, donc, que ce soient plutôt des blocs divisés en blocs d'à peu près 10 minutes de chaque côté, et on terminera avec un bloc pour Mme la députée de Lotbinière. Est-ce qu'il y a consentement là-dessus, sur ce mode de fonctionnement là? Oui, ça vous va? Ça va? Je conclus qu'il y a consentement. Donc, Mme la ministre, pour débuter ce bloc, à vous la parole.

Mme Weil: Oui. Alors, bonjour à tous. Merci beaucoup pour votre participation. Je vais en profiter pour vous poser quelques questions techniques, parce que vous êtes... vous représentez évidemment tous les avocats du Québec.

Je voudrais revenir sur cette question de communication, donc, un mot qui a un sens ordinaire et, dans les dictionnaires, qui est bien compris. Mais vous dites, parce que la jurisprudence... bien que la doctrine reconnaît le sens du mot «communication», que, parce que la jurisprudence autour de l'accommodement raisonnable, si je comprends bien, n'évoque pas ce motif... Et vous parlez plutôt des motifs liés aux exigences de la prestation. J'aimerais vous entendre un peu plus sur cette question et si, dans la jurisprudence, vous avez trouvé donc des références aux exigences de la prestation.

M. Brunelle (Christian): Merci pour votre question, Mme la ministre. Dans les faits, la jurisprudence, à notre connaissance, n'a jamais référé à ce concept de communication ou de facilité des communications à titre d'élément de contrainte excessive. En fait, les critères sur lesquels elle se fonde, ils sont repris, dans une large mesure, à l'article 5 du projet de loi. Et, pour le Barreau, il nous apparaît que le terme «communication» est un terme dont la portée est largement imprécise, et, à notre avis, il serait préférable de référer à la prestation de services, parce que c'est ce dont il s'agit. On a sans doute à l'esprit l'exemple de cette étudiante qui... dans un cours de francisation où c'était, semble-t-il, la communication qui était le problème. Mais je pense qu'on pourrait de la même façon référer à la prestation de services. En d'autres termes, l'État doit être en mesure de livrer le service de manière efficiente, efficace, et on pense que ça, ça peut se trouver sur le terrain de la contrainte excessive de manière plus claire, plus précise et respecter l'objet de la charte, par ailleurs.

Mme Weil: Vous ne pensez pas que le fait qu'il s'agit d'une loi qui traite justement des services gouvernementaux, donc qui est déjà dans un cadre de prestation de services, finalement ça comprend un peu tous ces éléments?

M. Brunelle (Christian): En fait, on réfère à la notion d'exigences de la prestation. Il nous semble que c'est un peu moins subjectif que la simple mention de «communication». L'exemple que je pourrais vous donner... Enfin, nous, notre inquiétude, c'est que ça ouvre la porte à des atteintes au droit à l'égalité qui seraient non fondées dans les circonstances. Si une personne qui porte le niqab s'arrête à un bureau de Tourisme Québec pour demander des dépliants d'information, on ne souhaiterait pas qu'un fonctionnaire réponde qu'il ne peut pas rendre le service parce qu'il n'y a pas de communication qui s'établit avec la personne. Je pense que c'est un contexte où il est possible d'avoir une communication. Notre inquiétude, notre crainte, c'est que le terme «communication» soit interprété, soit lu comme signifiant que, dès qu'une personne dissimule son visage pour des fins religieuses, ça soit un obstacle à la communication. Et on pense que de référer aux exigences de la prestation de services est une mention plus objective, plus facile à déterminer pour les tribunaux et, à notre avis, plus malléable pour les personnes qui ont à appliquer la loi.

Mme Weil: Merci. J'aimerais vous entendre peut-être sur l'article 4 et votre opinion du libellé, qui parle de respecter la charte, notamment l'égalité hommes-femmes et le principe de neutralité religieuse de l'État.

M. Brunelle (Christian): Si je comprends bien, votre question, c'est de...

Mme Weil: Votre réflexion par rapport au fait d'avoir mis en valeur le respect de la charte, et en particulier donc l'égalité hommes-femmes... notamment égalité hommes-femmes et le principe de neutralité religieuse de l'État, qui est souvent exprimé comme une forme de laïcité ouverte.

M. Brunelle (Christian): Dans les faits, le Barreau défend le principe de l'égalité, le principe du respect des différences, la diversité, le respect de la charte. Et, dans ce cadre-là, nous sommes d'accord pour dire que l'article 4, tel qu'il est rédigé, est correct, va dans le sens du respect des valeurs de la charte en ce qu'il n'établit pas, et j'insiste, de hiérarchie entre les droits. La lecture que nous en faisons, c'est que cette disposition n'emporte pas la primauté d'un droit par rapport à un autre. Et, à cet égard, le Barreau estime que les droits sont indivisibles, interdépendants et que, dans ce contexte, il est impérieux de maintenir l'équilibre entre les droits.

Et la lecture que nous faisons de l'article 4, c'est simplement de rappeler... Je pense que le projet de loi a une importance très grande au sujet de la vocation éducative qu'il porte et je pense qu'il est important de rappeler les principes qui s'y trouvent, et le mot «notamment» en cela nous rassure. Mais nous ne percevons pas et nous ne souhaitons pas qu'il y ait interprétation dans le sens d'une hiérarchie des droits.

**(10 h 40)**

Mme Weil: Vous avez évoqué que le projet de loi ne mentionne pas les municipalités, et donc j'aimerais savoir à quels organismes et établissements vous pensez que la loi devrait s'appliquer, quel serait le champ d'application du projet de loi, puis peut-être vous entendre un peu plus sur l'application aux municipalités.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, Me Chagnon, vous vouliez ajouter de quoi, si je ne m'abuse.

M. Chagnon (Pierre): Pardon, M. le Président?

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Vous vouliez ajouter des commentaires?

M. Chagnon (Pierre): C'est ma consoeur qui voulait ajouter un élément à la réponse précédente. Me Chatelain.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Allez-y, Mme Chatelain.

Mme Chatelain (Chantal): Oui. Bon, Mme la ministre, bonjour. Concernant l'article 4, un des éléments fondamentaux de notre réponse -- et puis mon propos s'adresse en fait à l'ensemble du projet de loi, mais qui est reflété aussi par la formulation de l'article 4 -- c'est qu'on présente ou on semble présenter les accommodements raisonnables comme étant un concept qui est désincarné, ou isolé, ou indépendant de la question des droits et libertés. Donc, d'un côté, on a l'accommodement raisonnable qui doit respecter la charte, lorsqu'on lit l'article 4. La position du Barreau à cet effet -- puis, comme je vous dis, ça s'applique à l'ensemble du projet de loi, jusqu'à son titre -- est que les mesures d'accommodement raisonnable sont imbriquées, intégrées, incarnées dans la charte, et ça, c'est une des difficultés qu'on voit. Donc, je voulais souligner ça particulièrement.

Parce qu'on peut penser qu'un simple changement de mot est inoffensif ou insignifiant en soi, mais la plupart des changements de mots qu'on a proposés s'inscrivent dans cette préoccupation-là qu'on a à l'effet que le projet de loi donne l'impression que c'est un... comment je peux dire, un geste contraint que de donner un accommodement raisonnable, alors que l'accommodement raisonnable est une mesure de mettre en oeuvre un droit à la liberté et à l'égalité, les droits et libertés, là, des personnes. Donc, c'est ce que je voulais souligner. Pour le reste, là, j'adhère aux propos de Me Brunelle concernant la question de l'égalité des hommes et des femmes et de la non-hiérarchisation des droits dans la charte.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, Me Brunelle, oui.

M. Brunelle (Christian): Je reviens sur la question...

Mme Weil: ...l'application...

M. Brunelle (Christian): ...des établissements. En fait, nous comprenons de votre projet de loi... En fait, nous l'interprétons comme une volonté d'avoir une définition de l'État ou de l'administration gouvernementale qui soit la plus ambitieuse possible, si je peux m'exprimer comme ça, afin que le message soit clairement entendu de la part des citoyens et citoyennes du Québec que l'État est lié par le principe d'égalité et doit mettre en oeuvre des mesures d'accommodement. Et, si c'est la lecture... Si notre lecture est juste, on s'interroge sur la pertinence d'y exclure les municipalités, qui sont traditionnellement assimilées à une branche du gouvernement, alors que par ailleurs vous y intégrez des organismes comme les garderies en milieu familial, qui, eux, ont, si on veut, une teneur ou une apparence plus privée, entre guillemets, qu'une municipalité. Et donc, sur le plan de la cohérence législative, il nous semble difficile d'expliquer l'absence des municipalités dans la liste des organismes, des établissements que vous énumérez.

Mme Weil: Et est-ce qu'il y a des organismes que vous enlèveriez, ou vous dites qu'il faut l'étendre aux municipalités?

M. Brunelle (Christian): Bien, dans la mesure où notre lecture vise à étendre l'obligation d'accommodement, en d'autres termes, nous estimons important que l'État québécois se positionne face au respect de l'égalité et à l'importance du principe d'accommodement. Nous sommes plutôt favorables à une définition assez extensive.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça va? Merci, Mme la ministre. Mme la députée de Rosemont.

Mme Beaudoin (Rosemont): Merci, M. le Président. Alors, je vais poser une première question, pour laisser ensuite mes collègues aussi... leur laisser le temps de le faire. Alors, messieurs, madame, bonjour, et bienvenue à notre commission parlementaire.

Moi, ma question porterait sur justement l'article 4. Vous avez parlé tout à l'heure de vocation éducative. Moi, ma question, c'est: Est-ce que vous pensez qu'on peut... À partir de cet article-là qui fait référence au principe de neutralité religieuse de l'État, est-ce qu'on peut imaginer que ça pourrait interdire le port de signes religieux ostentatoires dans la fonction publique, ou non?

M. Chagnon (Pierre): En ce qui me concerne, si ça ne nuit pas à la prestation de services, il n'y a pas de problème. Mais, si, je ne sais pas, moi, un signe ostentatoire nuirait d'une certaine façon, que je ne peux pas imaginer aujourd'hui, à une prestation de services, bien, oui. À ce moment-là, on ne parle pas d'une... on ne parle pas d'une neutralité, ça serait quasiment comme un encouragement à porter des signes ostentatoires de façon à nuire. Je ne sais pas si je réponds bien à votre question, Mme Beaudoin?

Mme Beaudoin (Rosemont): Oui. Donc, vous dites dans le fond...

M. Chagnon (Pierre): Me Chatelain, vous...

Mme Beaudoin (Rosemont): ...ça permet, ça permet. Ce qui est l'interprétation de la ministre aussi, qui n'est pas nécessairement celle du Conseil du statut de la femme, mais on y reviendra quand on rencontrera le Conseil du statut de la femme. Mais c'est l'interprétation aussi du gouvernement et de la ministre, que finalement ça n'interdit... sauf, comme vous dites, dans un cas que vous avez évoqué, qui est plutôt l'article 6, effectivement. Donc, c'est... dans cet article 4, il n'y a rien qui puisse servir à interdire de quelque façon le port de signes religieux ostentatoires dans la fonction publique.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, Me Chatelain.

Mme Chatelain (Chantal): Simplement, au niveau des principes de laïcité et de neutralité de l'État, qui ne sont pas les mêmes principes... Et le principe qui est adopté dans notre société québécoise, c'est le principe de la neutralité de l'État, ce qui signifie qu'on n'interdit pas quelque signe religieux ou quelque croyance religieuse et qu'on ne l'encourage pas non plus. Mais ce qui est important, c'est qu'on ne l'interdit pas non plus.

Et il serait, selon le Barreau, hasardeux, dans une société démocratique comme la nôtre, d'avoir une règle qui préconiserait une interdiction totale, parce que cette règle-là, en elle-même, pourrait être source de violation des droits et libertés. Donc, à ce niveau-là, on avait proposé également, dans le mémoire du Barreau auprès de la commission Bouchard-Taylor, des réflexions au sujet de possibles prohibitions de manifestations visibles de croyance religieuse et on soulignait que cela pouvait équivaloir à une interdiction ou à un incitatif abusif au plan du respect de tous, des droits de la personne.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, Mme la députée de Rosemont.

Mme Beaudoin (Rosemont): Merci, M. le Président. Donc, vous êtes... vous n'êtes pas d'accord avec la commission Bouchard-Taylor, qui, elle, a recommandé... Vous faisiez allusion à votre propre mémoire devant la commission, mais la commission recommandait que dans certains cas... Hein? elle donnait des exemples, c'est-à-dire les juges -- ça vous touche directement, j'imagine, on passe tous... bien, pas moi, là, parce que je ne suis pas avocate, mais par le Barreau avant d'arriver à être nommé juge -- les juges, les gardiens de prison, les policiers et, curieusement, le président puis le vice-président de l'Assemblée nationale. Bon, alors, il y avait des exemples concrets, et Bouchard-Taylor nous disait: C'est parce que ces personnes-là exercent des postes d'autorité dans notre société et que peut-être que ça pourrait en effet poser des problèmes. Alors, ils ont recommandé ça. Il y a donc une brèche dans ce que vous dites. Si je comprends bien, je veux bien comprendre votre position: vous autres, vous n'étiez pas d'accord avec cette recommandation de la commission Bouchard-Taylor.

M. Chagnon (Pierre): En ce qui concerne les juges, Mme Beaudoin, nous avons développé un argumentaire en fonction de qu'est-ce qui se fait devant le juge, qui, lui, a l'autorité de décider, le personnel comme les huissiers, les audienciers qui l'accompagnent et d'autre personnel... d'autres personnes des tribunaux qui ne font pas affaire avec les citoyens, et, une troisième catégorie, ceux qui offrent une prestation de services avec les citoyens. Alors, je vais demander à Me Chatelain de développer ces trois catégories-là.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, Me Chatelain.

Mme Chatelain (Chantal): Bien, si on aborde la question spécifiquement, là, d'une interdiction totale à l'égard de la magistrature, encore là, les questions qu'il faudrait se poser, c'est: Compte tenu de l'indépendance de la magistrature et de la séparation des pouvoirs, que vous connaissez, ne serait-il pas préférable de faire appel plutôt au sens de la déontologie des juges, puisque ce qui se passe dans leurs salles de cour lorsqu'ils exercent leurs fonctions judiciaires... sont effectivement une continuité de l'exercice de la fonction judiciaire?

Il y a des règles de pratique qui existent, il y a des codes de déontologie qui existent, il y a des règles de procédure concernant, notamment, la récusation, qui peut être amenée, là, par le juge lui-même d'office, qui existent. Donc, s'il y a des situations qui... Compte tenu de l'identité des justiciables qui sont devant le tribunal ou compte tenu des questions qui sont en jeu dans une affaire en particulier, le Barreau pose plutôt la question: N'est-il pas préférable de laisser cela à l'exercice des fonctions judiciaires? Ça, c'est une branche de la réponse.

Ensuite, il faut également se poser la question, et ça, c'est peut-être plus administratif, là, mais de savoir de quelle façon... De toute façon, est-ce que l'Assemblée législative du Québec pourrait imposer des normes et des contraintes aux juges et à la magistrature de nomination fédérale? Donc, est-ce qu'on ne causerait pas là également une problématique additionnelle? Donc, indépendamment de la question des droits et libertés de la personne, est-ce qu'on n'a pas un problème au niveau des partages des compétences qui empiéterait le pouvoir d'agir de la législature québécoise à ce niveau-là? Je pose la question tout simplement, là, je soulève un problème, je n'ai sincèrement pas la solution ce matin à cette question-là.

Et une autre question qui se pose, donc, dans la continuité... Le bâtonnier disait qu'on avait une réponse en plusieurs branches. Donc, il y a la magistrature, les juges en tant que tels. Il y a le personnel judiciaire qui se trouve dans les palais de justice. Là, je pense notamment aux officiers de justice qui accompagnent le juge dans ses fonctions judiciaires; le huissier-audiencier ou le greffier sont la continuité de la fonction judiciaire. Donc, ma première réponse adresserait ou répondrait aux préoccupations relatives à ces personnes-là.

Maintenant, on aurait le personnel judiciaire mais qui n'est pas en contact et qui n'a pas d'interface avec les justiciables. Je pense aux secrétaires de juges ou à d'autre personnel administratif. Bien, à ce moment-là, est-ce qu'on aurait vraiment un besoin d'aller introduire une interdiction totale, qui, comme je le disais un peu plus tôt, pourrait venir violer les droits et libertés de ces mêmes personnes là?

Et la troisième catégorie, c'est le personnel judiciaire qui n'est pas dans la salle de cour et qui a une interface avec le justiciable. Je pense notamment au personnel qui se trouve dans les greffes des palais de justice ou à l'accueil. Au niveau de ces personnes-là, bien c'est la réponse qu'a fournie le bâtonnier Chagnon à l'effet... Il faudrait se poser la question: Est-ce que le port d'un signe religieux, dans le fond, l'exercice de la liberté de religion de cette personne-là vient causer une interférence avec la prestation de services? Et, encore une fois, il ne faut pas oublier que la valeur fondamentale, de base, c'est l'exercice des droits et libertés individuelles des personnes, et que, si l'application d'une norme générale a pour effet de violer cette liberté-là, il faut accorder un accommodement raisonnable. Pas «on peut accorder», mais «il faut accorder» un accommodement raisonnable, parce que c'est l'obligation qui incombe dans le respect des droits et libertés de cette personne.

**(10 h 50)**

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui, merci. Merci de votre présentation. Je veux savoir -- moi aussi, je vais vous amener tout d'abord sur les articles 4 et 5: À l'heure actuelle, en vertu de la jurisprudence sur les accommodements raisonnables, est-ce qu'un accommodement doit respecter la charte?

M. Chagnon (Pierre): Absolument.

Mme Hivon: Alors, en quoi l'article 4, selon vous, en disant que «tout accommodement doit respecter la charte», présente-t-il, au-delà de la valeur pédagogique qu'on peut invoquer, une nouveauté?

M. Brunelle (Christian): Bien, la valeur pédagogique, elle est importante quand même, il ne faut pas la négliger. En d'autres termes, dans tout ce débat sur les accommodements raisonnables, les citoyens ont reçu une information qui transitait beaucoup par les médias de masse. À ma connaissance, c'est la première fois que le législateur québécois s'exprime de façon aussi claire sur la portée du droit à l'accommodement, ses limites, la façon de... et, moi, je pense que ça peut avoir des vertus sur le plan pédagogique. Est-ce que, sur le plan juridique, ça ajoute quelque chose? Enfin, ça rend les choses peut-être plus claires.

Cela dit, la lecture que je fais de l'article 4 est assez proche de l'état actuel de la jurisprudence, je vous concéderai ça. Mais, cela étant dit, je crois que... Enfin, le Barreau croit à la vertu pédagogique de la loi, qui est un outil de régulation sociale, et, dans ce sens-là, nous appuyons la présence d'une disposition semblable dans le projet de loi.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Très rapidement.

Mme Hivon: Oui. En quoi est-ce que... La valeur pédagogique, on est tous pour ça. C'est de savoir si dans les faits, dans les cas précis qui vont être soumis, ça peut aider juridiquement à décider les choses. Donc, je comprends de votre lecture que ce que vous dites, c'est que l'article 4, essentiellement, juridiquement parlant, ça reprend l'état de la jurisprudence.

M. Brunelle (Christian): C'est la lecture que je fais.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci, Mme la députée de Joliette. Mme la ministre.

Mme Weil: Oui. J'aimerais poursuivre sur cette question d'officiers de la justice, parce qu'après le dépôt du projet de loi il y a eu une question en Chambre, et ensuite il y a eu des journalistes qui ont été intéressés à la question. Puis j'en profite parce que vous êtes là -- puis on n'a pas nécessairement beaucoup d'experts qui viendront -- peut-être pour parler des policiers, les gardiens de prison. Évidemment, dans cette question, il y a toujours, évidemment, d'une part, la question de neutralité des officiers de la justice et, d'autre part, l'intégration en emploi. Et donc, pour certaines personnes qui, de par leur religion, l'exercice de leur liberté de conscience... On pense au voile, par exemple, qu'ils doivent le porter. Est-ce que le fait d'imposer cette neutralité ferait en sorte... J'aimerais vous entendre sur cette question d'équilibre entre l'intégration en emploi et un obstacle à l'intégration, et d'autre part la neutralité, puis vos réflexions sur cet équilibre.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, Me Brunelle.

M. Brunelle (Christian): En fait, l'obligation de neutralité, c'est l'État qui l'a. Donc, l'État, c'est une institution en soi. Maintenant, les individus qui travaillent pour l'État n'ont pas à abdiquer leurs convictions religieuses dans l'exercice de leur travail. Maintenant, il peut se présenter des situations où le port d'un signe religieux particulier dans une situation donnée peut être problématique. Bon, prenons l'exemple d'une gardienne de prison qui porterait le niqab, et là, je n'affirme rien, je n'en sais rien, mais est-ce que c'est un élément qui pourrait être dangereux pour sa sécurité si, par exemple, un détenu s'emparait du niqab et tenterait de l'étrangler, par exemple, avec? C'est une... Bref, est-ce que concrètement c'est une chose possible? Il faut le vérifier selon les cas. Moi, ça me paraît a priori exagéré de le penser.

Mais je pense que, sur le port des signes obligatoires, tout est question de contexte. En fait, la charte, la norme d'égalité obéit à des principes d'interprétation contextuelle. Et le port d'un signe religieux peut être nullement problématique dans une situation donnée et l'être dans d'autres. Et donc, moi, je pense qu'il faut faire confiance aux tribunaux dans ces circonstances-là, à la lumière de la preuve qui est apportée, selon les faits qui sont en cause.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça va? D'autres interventions? Oui, M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sklavounos: Alors, merci, M. le Président. Bonjour, M. le bâtonnier, Me Chatelain, Me Brunelle. Merci pour votre présentation, votre présence ici et votre éclairage sur ce projet de loi. Juste un commentaire très rapide, parce que vous avez en quelque sorte répondu, Me Brunelle, à notre consoeur de l'opposition officielle.

N'importe quel projet de loi s'installe dans un contexte, contexte juridique qui est formé par la doctrine, la jurisprudence, d'autres textes législatifs, la charte. Il n'y a rien... Il n'y a rien de grave qu'un projet de loi réaffirme des principes qui sont connus, ou qui sont repris, ou qui existent dans la jurisprudence. Il n'y a pas un problème. Je pense que tous les projets de loi qui situent le projet de loi, leurs textes, dans un contexte ont le droit de le faire et peuvent le faire. Et c'est fait dans plusieurs projets de loi qu'on voit.

J'ai une question concernant la hiérarchisation de droits. Vous avez fait des commentaires là-dessus, et évidemment c'est l'article 4 qui attire l'attention là-dessus, parce qu'il y a évidemment ce «notamment» qui pourrait être interprété, comme vous le dites, et je crois que vous avez raison de dire que ça n'établit pas une hiérarchisation des droits. Le terme «notamment» utilise quelques exemples. Mais nous avons plusieurs groupes ou plusieurs associations qui nous ont fait parvenir des mémoires. Nous avons aussi reçu... Et je crois que les autres membres de la commission ont peut-être reçu des communications à leurs bureaux de comté concernant ces consultations qui allaient avoir lieu qui nous demandent justement de réaffirmer... mais pas seulement réaffirmer, mais, en quelque sorte, hiérarchiser puis dire, dans un contexte où les attaques de la part des... évidemment, qu'ils sont perçus. Et je pense que ça reprend un petit peu votre... des commentaires qui ont été faits concernant les médias, évidemment, qui couvrent le dossier d'une certaine façon qui est peut-être spectaculaire, si on veut, qui mettent beaucoup l'emphase sur cette question d'égalité hommes-femmes. Et donc il y a des groupes qui nous... Il y a des groupes qui nous ont proposé, qui vont nous proposer... Je suis convaincu que nous allons avoir d'autres témoins qui vont venir nous dire: Écoutez. l'attaque perçue, ou l'attaque la plus importante que nous percevons, c'est à ce niveau-là. Pourquoi ne pas dire à quelque part que ce droit-là à l'égalité hommes-femmes aurait priorité ou préséance sur tous les autres droits?

Maintenant, nous, on se regarde, on est juristes, vous avez une formation, vous donnez des formations similaires à celle que j'ai reçue, et nous comprenons un petit peu le rôle des tribunaux, de regarder les faits. Veux veux pas, ce sont des situations où les faits sont importants. C'est difficile, établir des principes de base qui vont régler des cas-par-cas. C'est toujours très dangereux, d'ailleurs. Et je pense que c'est Aristote qui l'a dit dans... -- j'ai le titre en anglais -- dans la Nichomachean ethics, qui a dit que, dans des cas particuliers, une règle générale peut mener à de l'injustice s'il n'inclut pas une certaine flexibilité pour pouvoir traiter les cas qu'on ne peut peut-être même pas imaginer au moment où nous sommes à la rédaction législative. Mais ça...

Au niveau de la hiérarchisation, pouvez-vous nous donner, en quelque sorte, votre point de vue? Parce que nous allons avoir des groupes qui vont venir témoigner après vous, qui vont nous demander justement cette hiérarchisation. Pouvez-vous, de votre point de vue de juriste, d'expert en le domaine, nous aider à formuler une réponse pour ces groupes-là qui vont venir témoigner devant nous?

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Me Brunelle.

**(11 heures)**

M. Brunelle (Christian): Merci pour votre question. La tendance actuelle, assez marquée, devant les tribunaux québécois et canadiens est de s'inspirer, lorsque vient le moment d'interpréter les chartes des droits et libertés, du droit international. Or, la Déclaration de Vienne de 1993 établit de façon claire et non équivoque que les droits sont égaux entre eux, qu'il n'y a pas de priorité ou de hiérarchisation entre les droits, et je pense que cette assise-là, elle est fondamentale.

En d'autres termes, vous l'avez bien dit, la réalité parfois dépasse la fiction, et il y a des situations qui peuvent se présenter, qu'on est peut-être incapables collectivement, à ce moment, d'imaginer mais qui, à un certain moment donné, pourraient mettre en conflit deux droits ensemble. Et, dans la mesure où on a des outils qui permettent de les équilibrer à la lumière des faits, ça m'apparaît nettement préférable à la consécration d'un droit prioritaire par rapport aux autres. Donc, par rapport au volet droit international, je pense qu'on a une assise solide pour défendre l'interdépendance entre les droits.

Par ailleurs, il est assez évident qu'avec le statut de la Charte canadienne des droits et libertés elle a priorité sur les lois du Québec, dans l'état actuel de notre système juridique, et la Charte canadienne elle-même n'établit pas de hiérarchie entre les droits. Et donc, dans la mesure où les élus québécois décidaient d'aller dans ce sens-là, il m'apparaît que le projet de loi qui consacrerait cette priorité-là serait hautement à risque d'une contestation constitutionnelle. De telle sorte que je pense qu'il est plus sage, qu'il est préférable, dans les circonstances, de s'en tenir au principe de l'égalité et de l'interdépendance entre les droits et de laisser à l'appareil judiciaire le soin de faire les arbitrages, lorsque ceux-ci s'imposeront, au nom de valeurs plus fondamentales.

M. Sklavounos: Est-ce qu'il reste du temps, M. le Président?

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Absolument.

M. Sklavounos: Juste, très rapidement... Parce que je sais... Et ça a été évident dans les commentaires de ma consoeur, ma collègue de Lotbinière, lorsqu'elle a fait ses remarques préliminaires, demandant que le projet de loi littéralement règle des cas-par-cas ou donne suffisamment d'éclairage pour qu'une personne qui est administrateur, dans des circonstances bien particulières, puisse ouvrir le projet de loi, aller à un paragraphe, à un alinéa en particulier puis trouver une réponse. Est-ce que vous trouvez que ça serait... Je pense que votre réponse vient de le dire, vous trouvez que ce serait irréaliste et dangereux d'essayer d'inclure des réponses à des scénarios qu'on ne peut même pas imaginer en ce moment dans un projet de loi qui... Somme toute, c'est un projet de loi général, c'est une réaffirmation de certains principes. Je pense que c'est quand même bienvenu. Ça fournit une certaine réponse à une préoccupation. Mais, des réponses toutes faites, dans un projet de loi, pour régler des cas-par-cas, sur des faits que nous ne connaissons pas... Un commentaire là-dessus? Je pense que c'est important pour le débat.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Me Chagnon, oui.

M. Chagnon (Pierre): Moi, j'aime bien le projet de loi tel que rédigé parce que, comme on dit, c'est «see it out of the box». Alors, nous élaborons des principes, et les cas-par-cas exigeront toujours un certain jugement factuel et ponctuel de la part des administrateurs. Il n'y aura jamais, jamais, jamais de «one size fits all», parce que ça, c'est dangereux.

M. Sklavounos: Et, si vous me permettez, rapidement, parce que je crois que ça va avec le commentaire de Me Chatelain également, je pense qu'il faut, à quelque part, faire confiance et à nos administrateurs et à nos juges. Vous avez utilisé l'exemple tout à l'heure. À un moment donné, il y a un certain jugement qu'on peut présumer de ces personnes qui sont dans ces rôles administratifs ou dans ces rôles d'importance, qui pourront, dans les circonstances, agir sans trop, trop leur imposer des règles encombrantes qui ne leur permettraient pas, dans un cas particulier, d'utiliser leur jugement, qu'on présume... dont on doit présumer.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui. Me Chagnon ou Me Brunelle.

M. Chagnon (Pierre): D'ailleurs, dans la suite de votre citation d'Aristote, je pense que c'est Montesquieu qui disait ceci: Il ne faut manipuler les lois qu'avec beaucoup de précaution. Alors, si on commence à changer des virgules, à donner des exemples, à vouloir tout colmater, c'est là qu'on va se faire jouer un tour.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Me Brunelle.

M. Brunelle (Christian): Peut-être, pour répondre à ceux qui entretiennent la soif de la précision absolue, avec l'arrivée des chartes des droits et libertés depuis 30 ans, une conséquence de ça, c'est très certainement un droit qui est plus... parfois plus ambigu. Les enjeux sont plus complexes, ça commande des arbitrages importants, et il ne faut jamais perdre de vue le rôle qui est le vôtre, c'est-à-dire que la consécration des chartes des droits a provoqué, jusqu'à un certain point, un dialogue entre les élus et les tribunaux. En d'autres termes, les élus conçoivent des lois, les tribunaux sont chargés de les appliquer, de les interpréter, parfois même doivent intervenir pour en déclarer la nullité ou l'invalidité, mais le ballon revient toujours dans la cour des élus.

Et donc il est sage, me semble-t-il, de ne pas tenter de prévoir, comme une loi fiscale le fait, tous les cas possibles, de s'en tenir à des grands principes. Et éventuellement, si ces grands principes mènent à des résultats qui sont insatisfaisants sur le plan de la démocratie, il revient aux élus de reprendre le ballon et de concevoir... ou d'intervenir afin de colmater une brèche qui leur paraît inacceptable. Et donc le Barreau est assez favorable à un projet de loi qui consacre des grands principes et qui laisse à l'appareil judiciaire le soin d'en dégager la portée et d'en assurer l'équilibre, dans une société démocratique, pour qu'ensuite les élus prennent acte de la chose et puissent intervenir selon leur bonne conscience.

M. Sklavounos: Une autre...

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui.

M. Sklavounos: Une autre question, si vous me permettez. Merci, M. le Président. Nous avons entendu beaucoup de commentaires dans les médias concernant nos chartes, évidemment la charte québécoise, un document quasi constitutionnel, pas nécessairement constitutionnel, mais qui a été déclaré comme ayant préséance sur les autres lois, comme étant, puis je crois que c'est évident, une certaine réaffirmation d'affirmation des valeurs de société qui nous sont chères. En même temps, nous avons entendu des chroniqueurs, des commentateurs nous dire également: Faites attention. Les chartes... le but des chartes, c'est de protéger les minoritaires... ou les minorités dans des circonstances... Parce qu'évidemment, dans notre système démocratique, les majoritaires sont majoritaires. Ils font les lois. Ils n'ont pas besoin de protection, ils ont toutes les protections, ils se donnent des protections, ils se donnent les lois, ils se donnent les règlements.

Alors, dans des circonstances où il y a ce type de débat, comment vous... répondrez-vous, comme juristes, à ces personnes-là qui disent: Évidemment, les chartes doivent être une réaffirmation de nos valeurs, qui nous sommes. Et, nous, on parle évidemment d'une majorité, de la majorité, et, vis-à-vis les minorités, où on a évidemment des personnes qui viennent nous dire ou qui... des commentateurs qui ont dit: Justement, ces chartes ont le rôle de protéger les minorités. Voulez-vous nous faire un petit commentaire là-dessus? Je pense, ce serait pertinent pour le débat à venir.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Me Brunelle.

M. Brunelle (Christian): Bien, il vous revient en fait, comme élus, de faire l'arbitrage des conflits, des situations problématiques dans la société québécoise. À titre de représentants de la population, c'est votre travail de le faire. Et en cela le Barreau, et le bâtonnier l'a évoqué en conclusion, souhaite, depuis quelques années déjà, une large consultation publique, plus vaste, sur la Charte des droits et libertés. C'est une charte qui va... enfin, qui date de 1975, qui est dans la jeune trentaine, mais quand même. Et peut-être qu'en fait la commission Bouchard-Taylor invitait à réfléchir à un livre blanc, à un projet de livre blanc. La Commission des droits de la personne est intervenue il y a déjà quelques années pour suggérer de réouvrir la charte pour y consacrer des droits économiques et sociaux.

Bref, il y a tout un chantier de réflexion sur les droits et libertés de la personne qui est devant vous, mais c'est l'appareil politique qui doit le porter. Et, en d'autres termes, si vous estimez, dans votre sagesse, que le temps est venu de mener une réflexion de fond sur ces questions-là, c'est à vous de la mener. Et le Barreau va être vigilant et va vous accompagner dans cette démarche-là. Il est peut-être temps d'amorcer une réflexion nouvelle sur ces outils-là, puisque nos sociétés évoluent, changent, se diversifient. Et en ce sens-là la question de l'équilibre ou du point d'équilibre entre les droits collectifs et les droits individuels demeure toujours actuelle. Et j'aurais le goût de vous retourner le ballon en vous disant: C'est à vous de lancer cette initiative-là.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, Me Chagnon. Oui, en conclusion.

M. Chagnon (Pierre): Philosophiquement, il m'apparaît très important de respecter les minorités, parce que la loi de la majorité, c'est la loi du plus fort, et la loi du plus fort peut être la loi de la jungle. Il ne faut pas perdre ça de vue.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Alors, merci infiniment, M. le député de Laurier-Dorion. Mme la députée de... M. le député de Lac-Saint-Jean. Non...

M. Cloutier: Mme la députée de Joliette.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): ...Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. Alors, bon, si je suis bien, donc, la position du Barreau, vous nous dites: Pour ce qui est de l'article 4 et de l'article 5, qui viennent consacrer la jurisprudence, ça a une valeur pédagogique. Ce n'est pas une nouveauté juridique, c'est une valeur pédagogique de venir mettre dans une loi ce que la jurisprudence prévoit. Et vous nous dites aussi qu'il faut bien se rappeler de l'importance que chacun joue son rôle. Donc, le législateur a le rôle de faire des lois, le judiciaire a le rôle de les interpréter, donc la jurisprudence s'est développée. Et en fait, en première année de droit, on apprend qu'effectivement il y a la jurisprudence, il y a la loi puis il y a la doctrine. Et, de ce que je comprends de ce qu'on vient faire ici, c'est qu'on vient dire: On va mettre dans une loi, aux articles 4 et 5, ce que la jurisprudence est venue dire en matière d'accommodements raisonnables, mais il n'y a pas, comme tel, de nouveauté.

Et je vous amène sur la question, là, du «notamment», dans l'article 4, qui vient surligner peut-être, en quelque sorte, deux droits: le droit à l'égalité entre les femmes et les hommes et le principe de la neutralité religieuse. Première petite question, la neutralité religieuse, comme telle, n'est pas quelque chose qui apparaît dans la charte. C'est quelque chose qui s'infère par interprétation du droit à la liberté de religion. Selon vous, est-ce que c'est heureux que ça soit écrit comme ça, comme si c'était présent dans la charte? Donc ça, c'est le premier élément.

Puis le deuxième élément, c'est: Quelle est la valeur... Parce que vous avez insisté beaucoup tout à l'heure sur le fait qu'il n'y a pas de hiérarchisation de droits qui ressort du projet de loi, ce qu'on constate, nous aussi. Et donc quelle est la valeur d'avoir mis un «notamment», avec deux droits parmi tant d'autres, quand on dit qu'un accommodement doit respecter la charte? Est-ce que ça change quelque chose, juridiquement parlant?

**(11 h 10)**

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Me Brunelle.

M. Brunelle (Christian): Pour le premier volet de votre question, relatif à la neutralité religieuse de l'État, c'est un fait que c'est partie intégrante de la liberté de religion. C'est une formulation qu'on retrouve en jurisprudence, de telle sorte que sa mention dans le projet de loi ne tranche pas avec le paysage. En d'autres termes, je pense que c'est un élément de la liberté de religion.

Pourquoi avoir choisi deux droits plutôt que les autres? Je pense que le mot «notamment», en jurisprudence, est assez clair. Il indique qu'on réfère à des choses du même genre. En fait, on insiste peut-être davantage sur ces droits-là, mais sans négliger les autres droits non plus. C'est la lecture que l'on fait. De telle sorte qu'on y voit... Je... je me répète, mais on y voit des vertus pédagogiques, sans doute. Vous faites allusion au fait qu'il n'y a pas de nouveauté juridique. Bien, je vous dirai à tout le moins que l'exercice de codifier ce qui existe, éparpillé un peu partout, en jurisprudence a déjà sa valeur en soi, de telle sorte que notre lecture, c'est que l'exercice est utile et vaut la peine.

Mme Hivon: L'exercice vaut la peine d'une... d'un point de vue pédagogique, on vous suit. L'article 5 -- après, je vais céder la parole -- l'article 5 en fait vient reprendre un peu la jurisprudence, encore une fois, à savoir ce qu'est un accommodement raisonnable. Et on sait qu'une des... un des objectifs qui a été dit... énoncé par le gouvernement lors du dépôt du projet de loi, c'était de dire qu'on veut faciliter l'application un peu du... de... des grandes lignes en matière d'accommodements raisonnables pour les établissements, les organismes qui vont devoir être confrontés à des cas. Selon vous, en quoi les articles 4 et 5 vont aider les organismes à faire les choses plus clairement, à savoir plus où ils doivent tracer la ligne par rapport à l'état de la jurisprudence actuelle? Est-ce que vous pensez qu'une directive aurait pu être plus éclairante pour les organismes qu'un projet de loi?

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, allez-y, Me Chatelain.

Mme Chatelain (Chantal): Oui. En fait, c'est que je voulais réagir à la série précédente de questions à l'effet que les articles 4 et 5 reprenaient le droit actuel. Je comprends que c'était l'objectif du projet de loi que de reprendre l'état actuel du droit au niveau des accommodements raisonnables, mais je réitère, quitte à me répéter, mais avec beaucoup de vigueur, que la façon dont c'est illustré, que présentement, dans le projet de loi, c'est présenté d'une façon négative. «Un accommodement ne peut être accordé que s'il est raisonnable...» Ce n'est pas ça que la jurisprudence dit. La jurisprudence dit qu'un accommodement doit être accordé, sauf s'il est déraisonnable. Donc, quand on dit, là, que ça reflète l'état de la jurisprudence, je pense que c'est important de souligner à nouveau qu'un accommodement raisonnable, c'est une consécration des droits et libertés. Il faut célébrer les accommodements raisonnables et ne pas voir ça comme une épine dans le pied ou comme une dent qui doit se faire arracher.

Donc, à ce niveau-là, je comprends que l'intention était de refléter l'état de la jurisprudence, mais la lecture littérale ne reflète pas cet état de fait là. Et, pour la suite, je pense que Me Brunelle, là, pourrait enchaîner.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, Me Brunelle.

M. Brunelle (Christian): En fait, ma réponse postulait que vous alliez modifier le projet de loi dans le sens où on vous l'indique, évidemment, parce que, je rejoins ma collègue, la règle, c'est l'accommodement, l'exception, c'est la contrainte excessive. Et, la façon dont le projet de loi est libellé en ce moment, il semble inverser la tendance. C'est-à-dire que, lorsqu'on parle d'établir des balises, nous, on croit qu'il faut affirmer le principe de l'accommodement raisonnable, l'expliquer et définir les limites qui peuvent être posées dans ce contexte-là. Et dans ce sens-là je rejoins tout à fait la remarque de ma collègue.

Mme Chatelain (Chantal): Et pour... au niveau de l'utilité pédagogique, si le projet de loi est modifié en ce sens-là, l'utilité pédagogique, en tout cas... Mais peut-être que là on glisse un peu plus vers l'opportunité, là, ou l'opportunisme d'adopter le projet de loi, mais l'utilité pédagogique, lorsqu'on regarde le débat public au Québec, je pense qu'elle est claire, parce qu'on... on a l'État qui vient dire de façon claire et non équivoque qu'il faut justement célébrer les accommodements raisonnables parce que c'est une mise en oeuvre des droits et libertés de la personne.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Cloutier: Merci, M. le Président. À mon tour de vous souhaiter la bienvenue. Je vais procéder rapidement parce que malheureusement il ne nous reste que très peu de temps.

Est-ce... Je comprends essentiellement de vos propos... c'est que le projet de loi, comme tel, vise... a une très grande valeur pédagogique et vient, à quelques nuances près, là, établir ou rétablir... réaffirmer, pardon, la jurisprudence actuelle. Mais on pourrait débattre longtemps à savoir si le meilleur véhicule pour faire de la pédagogie auprès des Québécois, c'est par une modification législative, comme le gouvernement actuel a décidé de le faire.

Je vais passer tout de suite à ma question. Vous nous avez invités à revoir la charte québécoise des droits et libertés. L'année dernière, on l'a fait en commission parlementaire en surlignant à nouveau l'égalité entre les droits... entre les hommes et les femmes. À ce moment-là, on avait suggéré d'élargir à d'autres modifications. Mais notre formation politique, vous ne devez pas être sans savoir, propose un amendement à la charte, dans le contexte actuel des accommodements raisonnables, et souhaite y voir inclure une clause interprétative qui réitérerait les grandes valeurs québécoises que sont la primauté du français, l'égalité entre les hommes et les femmes et la laïcité des institutions publiques. Bref, vous nous invitez à cette grande réunion pour modifier la charte québécoise. Est-ce que vous ne pensez pas que, dans le contexte actuel, puisqu'il s'agit... puisque c'est la Charte des droits qui est en cause dans le débat sur les accommodements raisonnables, qu'on aurait dû prendre cette opportunité et procéder par modification à la charte québécoise?

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui. Me Brunelle.

M. Brunelle (Christian): Je comprends que l'objectif est surtout de cibler l'État québécois, dans l'état actuel des choses. La charte québécoise, pour sa part, s'applique à la fois aux activités de l'État et aux activité privées. De sorte que notre lecture est que ce projet de loi vise surtout, essentiellement, l'État. Et donc l'explication qu'on y voit, c'est qu'une loi particulière servait davantage l'objectif sous-jacent au projet de loi.

Maintenant, si l'objectif est de revoir de fond en comble la portée de la charte québécoise, autant dans les rapports privés que les rapports publics, bien possiblement que ce projet de loi là n'est pas le bon outil. Mais, compte tenu de l'objectif qui semble être celui du gouvernement, il nous a semblé que ce projet de loi là avait davantage sa place dans une loi distincte que dans la charte québécoise comme telle.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): ...

M. Cloutier: Merci, M. le Président. Si le projet de loi essentiellement a une valeur pédagogique, alors je comprends que ce qu'on... le message qu'on envoie, c'est qu'on continue à se tourner vers les tribunaux pour régler... pour la mise en oeuvre de la charte québécoise des droits et libertés, et ça aura... et ce sera les tribunaux qui, par interprétation judiciaire, décideront au cas-par-cas.

M. Brunelle (Christian): C'est la position du Barreau. En d'autres termes, les tribunaux sont parfaitement outillés pour statuer sur ces questions-là. Et, comme je le disais précédemment, la charte ne vous muselle pas. Dans les faits, le tribunal intervient, interprète les principes, et par la suite le dialogue s'installe avec les élus. Et donc il est toujours possible pour les élus, une fois que l'on constate une situation qui semble problématique, d'intervenir. Autrement dit, la charte est venue rétablir un certain équilibre entre le principe de la souveraineté parlementaire et les droits individuels. Et votre souveraineté demeure, dans ce contexte-là, évidemment.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): ...c'est malheureux, nous n'avons plus de temps...

M. Cloutier: Oui. Une dernière question, M. le Président. Juste une dernière question. Alors, ce que je comprends, c'est que le statu quo actuel, dans... dans la... à se tourner vers les juges, c'est une situation qui... avec laquelle le Barreau du Québec est confortable. Alors, le législateur québécois a légiféré la jurisprudence actuelle, et maintenant les tribunaux auront à interpréter cette nouvelle législation, mais essentiellement, puisque c'est la même que la jurisprudence, on continuera à se tourner vers les tribunaux, et c'est une position avec laquelle le Barreau du Québec est à l'aise. C'est ça?

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça va? Je crois bien que c'était un commentaire. Mme la députée de Lotbinière.

**(11 h 20)**

Mme Roy: Merci, monsieur le tribunal... M. le Président. Il ne faudrait pas que je vous appelle M. le juge. Mon ancien procès revient.

Bien, oui, j'ai pratiqué le droit, j'ai plaidé devant les tribunaux, et, pour faire un commentaire, c'était très important, dans les tribunaux, que le décorum soit... soit là, parce que c'était une institution qui devait être respectée et parce qu'il y avait là un débat qui devait se faire selon les règles de pratique.

Je ne sais pas... J'ai arrêté de pratiquer en 2003 pour être députée. Je ne sais pas si les règles de pratique sont toujours les mêmes, mais à l'époque on devait, les femmes, lorsqu'on n'avait pas la toge, avoir des pantalons ou une juge noire, grise ou marine. J'ai entendu, dans ma pratique, des juges dire à des avocates qui avaient des bijoux: On vous voit trop, maître, on ne vous entend pas, lui disant gentiment d'enlever ses bijoux. Et j'ai vu aussi des juges à la Cour d'appel dire à des avocats qui avaient une chemise blanche mais avec une petite ligne noire: On ne vous entend pas, maître. Puis, je me souviens, l'avocat parlait plus fort. Puis on... tout le monde lui a dit: C'est parce que ta chemise n'est pas complètement blanche. C'est dans les règles de pratique. C'est une règle de... c'est une règle.

Et puis, quand j'ai commencé ma pratique, il y avait le serment sur la Bible. On jurait sur la Bible. Par la suite, on a changé ça pour une affirmation solennelle, faisant des démarches vers la laïcité. Bien sûr, quand on est dans un tribunal, il y a le juge. Mais il y a aussi, en avant, la secrétaire ou -- dont j'oublie le nom -- les huissiers-audienciers, qui sont tous des officiers de justice, qui portent la toge, mais qui pourraient, selon vous, porter des signes religieux ostentatoires, alors que c'est aussi légiféré, aussi encadré, le décorum en cour? On pourrait, selon vous, avoir des juges avec des turbans ou... Pourquoi on... vous ne dites pas, là: Dans les tribunaux, pas de signe religieux ostentatoire par les officiers de justice?

Mme Chatelain (Chantal): En fait, c'est... c'est...

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Me Chatelain, oui.

Mme Chatelain (Chantal): Oui. C'est ça, en fait, c'est la continuité de la réponse précédente. Dans notre société, la neutralité de l'État impose qu'on n'interdit pas non plus, de façon indistincte, la totalité des signes religieux. Cela serait en soi un risque de dérive vers une violation des droits et libertés. Donc, ce qu'exige le principe de la neutralité de l'État, c'est qu'on n'encourage pas, mais on n'interdit pas non plus, d'où notre propos et la position du Barreau, effectivement, telle qu'elle a été présentée devant la commission Bouchard-Taylor et qu'on réitère ici, à l'effet que le Barreau n'est pas favorable à une mesure d'interdiction totale de signes religieux. Comme je l'ai expliqué un peu plus tôt, il y a des mécanismes qui sont là pour répondre à ces situations ponctuelles, si elles peuvent survenir.

Mme Roy: Ça veut dire que, si les règles de pratique sont toujours les mêmes, un juge pourrait avoir un turban puis un avocat ne pourrait pas avoir une ligne noire sur sa chemise pour plaider devant. Vous ne trouvez pas que c'est démesuré comme situation où ça pourrait mener?

Mme Chatelain (Chantal): Bien, en fait je ne sais pas si la prémisse à votre question est exacte, quant à savoir que, selon l'état actuel des choses, un juge pourrait avoir un turban et un avocat ne pourrait pas avoir une ligne noire. Donc, j'ai...

Mme Roy: À la Cour d'appel.

Mme Chatelain (Chantal): Pour ma part, j'ai de la difficulté à répondre à la question parce que la prémisse est... ce n'est pas une prémisse à laquelle je peux adhérer, là, d'emblée.

M. Brunelle (Christian): Il reste que le port du turban est une conviction religieuse, alors que le port d'une chemise avec des lignes noires, jusqu'à preuve du contraire, ne l'est pas. On n'est pas sur le même terrain, me semble-t-il.

Mme Roy: Bien, je pense que c'est exactement là le problème. Si on arrive à légiférer pour des choses aussi, mettons, futiles que la ligne noire ou que la façon dont les femmes sont habillées à la cour, les hommes sont habillés à la cour, qu'on ne soit pas capable d'aller... Moi, je pense qu'il y aurait un malaise à ce que des juges, des huissiers-audienciers aient... portent sur eux leurs signes religieux, comme ça, dans un tribunal où il doit y avoir autant le décorum que cela. C'est pour ça que je vous adresse la question.

Mme Chatelain (Chantal): Il ne faut pas... Je pense qu'une des considérations qu'il faut garder à l'esprit également, c'est que la magistrature est composée de différents individus, hein? Encore une fois, là, on parle d'une homogénéité, mais, lorsqu'on parle de droits et libertés de la personne, plus souvent qu'autrement -- là, je ne veux pas rentrer dans le débat des droits collectifs versus les droits individuels -- mais il n'y a pas d'exigence que la magistrature soit désincarnée des individus qui la composent. Un juge ou une juge arrive sur le banc avec son bagage, avec son historique, avec son individualité, et il n'y a pas d'exigence de mettre ça de côté, également.

Et puis un des risques également, c'est: Est-ce que ça peut causer une dérive et venir empiéter sur la volonté, qu'on voit présentement, de favoriser une magistrature qui soit plus diversifiée et à l'image de la population? On a des mesures concrètes, je crois, qui sont mises en place pour favoriser plus de diversité au sein de la magistrature. Donc, il faudrait, je crois, être prudents, de ne pas transmettre un message que les personnes qui peuvent se sentir visées par cela, qui seraient des minorités, que ce soit culturelles, ou religieuses, ou autres, puissent se sentir exclues de telles fonctions.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça va? C'est tout le temps dont nous disposons, Mme la députée de Lotbinière. Merci infiniment pour votre question.

Il ne me reste plus qu'à vous saluer, Me Chatelain, Me Chagnon et Me Brunelle. Merci... Oui? Me Chagnon, peut-être, en terminant.

M. Chagnon (Pierre): M. le Président, c'est ma dernière présence ici en qualité de bâtonnier. Je suis venu ici à quelques reprises. Alors, je vous réitère mes remerciements pour votre accueil chaleureux à chaque fois.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): C'est la moindre des choses, Me Chagnon. Merci, Me Brunelle, de vous être présenté. Bon retour chez vous.

Donc, je vais suspendre les travaux quelques instants, le temps que M. le maire prenne place, la ville Saguenay.

(Suspension de la séance à 11 h 26)

 

(Reprise à 11 h 29)

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Donc, nous allons... nous allons donc reprendre nos travaux. Nous avons l'insigne honneur d'accueillir à notre commission M. le maire Jean Tremblay. Vous avez eu un bon congrès, M. le maire? J'ai cru comprendre ça, là.

Ville de Saguenay

M. Tremblay (Jean): J'ai... Qu'est-ce que vous dites?

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Vous avez eu un bon congrès, hein?

M. Tremblay (Jean): Oui, on a eu un bon congrès.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Bien, ça nous fait plaisir de vous avoir avec nous ce matin. Vous savez que nous sommes privilégiés de vous recevoir chez nous, à notre commission.

M. Tremblay (Jean): Merci.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Je sais que... Soyez assuré que vous avez une très forte écoute ici. Et les cotes de popularité de cette commission sont grandissantes.

**(11 h 30)**

M. Tremblay (Jean): On espère y contribuer.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Et on fait juste commencer, M. le maire. Donc, bienvenue à cette commission. Vous avez 10 minutes pour faire votre présentation.

M. Tremblay (Jean): Alors, je peux commencer?

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui.

M. Tremblay (Jean): Alors, vous avez déjà en main le document que j'ai moi-même préparé sur les accommodements raisonnables, sur la loi. Je vous passe une introduction, la préface qui me présente, hein, comme un maire d'une ville de 144 000 personnes, le Saguenay. Et également j'ai un intérêt particulier à me présenter, c'est que j'ai, disons, eu des pressions de certains opposants au cours des dernières années. J'ai même eu un procès -- je n'ai pas encore obtenu de jugement, je l'attends d'une journée à l'autre -- un procès dans lequel on m'interdit de faire la prière avant le début des assemblées régulières. Et on me demande 150 000 $ de dommages pour avoir résisté, entre autres... entre autres, pour avoir... des dommages, entre autres, punitifs. Et on demande également d'enlever des objets religieux à l'hôtel de ville. Alors, évidemment, le dossier des accommodements raisonnables, la loi que vous présentez m'intéresse beaucoup, j'en ai pris connaissance avec attention.

Maintenant, j'ai compris également que ce n'était pas la loi la plus complète. Je pense que c'est un début, hein, à un moment donné, il faut s'introduire. C'est la première fois, à ma connaissance, qu'on a une loi comme ça sur les accommodements raisonnables. Alors, j'aimerais vous donner un petit peu mon impression, comment je vois l'ambiance de la loi, comment elle doit se développer. Ça n'a rien de juridique, ce que j'ai à vous dire aujourd'hui, c'est même plutôt religieux, parce que je vais vous parler de la tradition, je vais vous parler de la foi, je vais vous parler des accommodements raisonnables également.

Je commence tout de suite en vous soulignant que la devise du Québec, c'est Je me souviens. Une devise extraordinaire, quant à moi, sur laquelle il faut réfléchir. Je me souviens de quoi? Nos croyances sont les racines qui nourrissent notre culture, et ça, ce n'est pas seulement pour le Québec. Les croyances d'une nation, ça nourrit la culture de tous les peuples. Alors, notre héritage culturel et éthique s'appuie sur cette identité-là. Je vous cite Saint-Exupéry qui disait: «Moi, je respecte d'abord ce qui dure plus que les hommes.» Et je trouve que c'est très beau. C'est notre culture québécoise qui nous a permis de nous maintenir vivants. Mais la culture, ce n'est pas seulement les humoristes, là, ça va plus loin que ça, la culture.

Alors, on a... on sent, depuis un certain temps, que les valeurs qu'on avait autrefois commencent à se dissiper. Mais, si on est... En faisant un peu d'historique, on constate que plusieurs pays, plusieurs nations qui ont laissé aller leurs valeurs morales ont perdu petit à petit leur identité. Et, là-dessus, je tiens à vous souligner l'admiration que j'ai pour les premières nations, qui, malgré toutes les turbulences, malgré le fait qu'elles ont été entourées de gens avec une culture différente, ont su conserver leur identité, sinon il n'y en aurait plus. Je suis moi-même un Métis, alors je suis heureux de l'être et je suis fier de mes ancêtres métis qui, à travers toutes les difficultés de l'histoire, ont maintenu leurs traditions.

Je veux également vous souligner l'importance de la croix, la croix que je voyais hissée ici. En arrivant, je regardais le parlement, je voyais Jean de Brébeuf, Marie de l'Incarnation, Marguerite Bourgeoys, Monseigneur de Laval qui sont hissés fièrement devant le parlement, et Jean de Brébeuf qui hisse la croix. Pendant 350 ans, c'est la croix qui a été notre symbole, le symbole des Canadiens français. C'est la croix qui a été notre symbole. Depuis 1948 seulement, on a senti le besoin d'avoir un drapeau. On en n'a pas eu, de drapeau. C'est ça qui nous a unis, hein, on s'est unis autour de la croix.

Alors, on a pu conserver notre identité, et les lois civiles et religieuses ont su se marier ensemble pendant toutes ces années-là. Alors, les Canadiens français ont toujours fait preuve d'une grande tolérance. Les protestants et les Juifs ne se sont jamais sentis menacés chez nous. On les a toujours... on a toujours eu une grande tolérance. Moi, d'une façon particulière, j'habitais une ville qui s'appelle Arvida dans ma jeunesse. Il y avait une église protestante tout près de chez nous. Il y avait une école protestante tout près. On n'a jamais senti de friction. Au contraire, ces gens-là jouaient avec nous autres, et on n'a jamais essayé d'être méprisants pour ces gens-là.

Alors, une parole qui me... qui décrit bien ce que je pense, là, celle de Gisèle Halimi, qui dit ceci: «La foi n'est tolérable que si elle est tolérante.» Puis c'est la même chose pour l'athéisme, l'athéisme, qu'on voit de plus en plus présent partout, qui se qualifie souvent de laïque mais qui est de l'athéisme. Ces gens-là, des fois, manquent de tolérance, et l'athéisme, comme la foi, ce n'est tolérable que si c'est tolérant. On regarde des pays qui n'ont pas de tolérance, on en voit, là, certains pays du monde qui ont des... certaines religions particulières et qui n'ont pas de tolérance, et, pour moi, c'est des pays invivables. Il faut avoir de la tolérance.

Maintenant, j'aimerais vous parler de la foi au Québec. Nos ancêtres ont accordé une très grande importance aux questions essentielles qui concernaient leur destin, tous nos ancêtres ont accordé une très grande importance à ça. Albert Einstein disait: «En apparence, la vie n'a aucun sens, mais il est impossible qu'il n'y en ait pas un.» Si vous avez le texte, c'est la page 5, dans le milieu. «En apparence, la vie n'a aucun sens. Pourtant, il est impossible...» Puis, Albert Einstein, ce n'était pas un grand religieux. Mais, par contre, il avait des réflexions, il avait un génie qui a été remarqué par toute l'histoire. En fait, aujourd'hui, on a... Puis c'est enrichissant, il faut le voir comme quelque chose d'enrichissant, le fait d'avoir des croyances qui soient variées. On a une pléiade de croyances qui sont variées et, avec le mouvement de la population, on peut s'attendre à ce qu'il y ait de plus en plus d'opinions différentes autour de nous.

Mais, une chose qu'on ne pourra jamais faire, si vous pensez faire ça dans une loi ou autrement, on ne pourra jamais séparer le religieux du laïque d'une façon aussi radicale que ce qu'on entend actuellement. Vouloir le séparer d'une façon aussi radicale, c'est aussi dangereux que ceux qui, d'un autre côté, veulent vivre dans un milieu uniquement religieux, comme ce qu'on voit dans certains pays du monde. Ça ne se sépare pas d'une façon aussi radicale. Nos croyances font partie de notre personnalité, et, même si vous nous disiez qu'en ouvrant la porte de notre maison on doit les oublier jusqu'à notre retour, c'est rêver, c'est impossible, c'est impossible qu'une personne pense comme ça. Nos croyances, ça façonne notre façon de travailler. Jean-Paul II disait: «L'attitude de l'homme devant le mystère de Dieu détermine toute sa vie sociale et culturelle.» Toute sa vie est modifiée par ça.

Maintenant, les valeurs qu'on a aujourd'hui, toutes les valeurs, de ne pas tuer, de ne pas voler, d'être honnête, il faut se rappeler que c'est la religion qui nous a enseigné ces valeurs-là. C'est notre religion qui, pendant toute notre vie... et également nos parents, c'est notre religion qui nous a enseigné ça.

Mais le monde est fait comme ça. Veux veux pas, on a des croyances. Moi, je suis catholique, un autre est athée, un autre... Mais on ne se contente pas d'avoir des croyances, on veut que les autres pensent comme nous autres, puis ça, je pense que c'est bien. On est séparatiste, on n'accepte pas que quelqu'un ne le soit pas. On est fédéraliste, on n'accepte pas que quelqu'un ne le soit pas, on dit: «Non, il n'est pas correct», plutôt de dire: «Bien, c'est peut-être une occasion d'enrichir notre façon de voir les choses, d'avoir une pensée qui est différente». Mais il y a des façons de l'imposer, il y a des façons de l'imposer. D'après moi, le FLQ, quand il est arrivé, il n'avait pas la bonne façon de l'imposer, hein? Il y a eu des catholiques, pendant l'histoire de la religion catholique, qui n'ont pas eu des bonnes façons d'imposer leur religion. Alors, qu'on pense d'une façon différente, il faut reconnaître que c'est une richesse, il faut reconnaître qu'on ne pensera jamais pareil. N'essayons pas de penser qu'on va faire une loi, là, puis qu'on va obliger tout le monde à penser pareil, ça n'arrivera pas.

C'est également dangereux de penser qu'une personne a une idéologie qui est supérieure aux autres. Moi, je suis catholique, je suis supérieur aux autres. Un autre est athée, il est supérieur aux autres. Il n'y en a pas, de supérieur, on est tous égaux. Un athée a... son... sa croyance est aussi valable que la mienne. Mais, moi, je ne pense pas comme lui, mais j'aimerais ça dans le fond qu'il pense comme moi. Je vais vous le dire, j'aimerais ça, sauf qu'il y a une façon de lui parler. Ce n'est pas en imposant puis ce n'est pas en faisant des lois puis en l'obligeant à avoir une pensée différente que je vais y parvenir.

**(11 h 40)**

La liberté de religion -- que vous allez sans doute proclamer, comme elle est dans la charte -- c'est également la liberté de s'afficher dans l'espace public. Il ne faut pas penser qu'il y a deux espaces. C'est nouveau, ça, c'est un nouveau vocabulaire: il y a deux espaces maintenant: l'espace public, l'espace privé. Non. C'est la vie, ça. On ne peut pas empêcher une personne de s'exposer dans l'espace public, en autant qu'elle ne s'impose pas. En autant qu'elle respecte nos lois et règlements. Mais elle peut s'imposer. Hein? nos églises s'imposent royalement dans nos villages, et c'est très beau, hein?

Alors, il faut également protéger les croyances des minorités, mais, en protégeant les croyances des minorités, il ne faut pas obliger celles-là des majorités non plus. Puis ce n'est pas parce que tu protèges une personne qui est dans la minorité que tu ne respectes pas celle-là qui est dans la majorité.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Avec le consentement des parlementaires, est-ce que vous souhaiteriez que M. le maire puisse terminer?

M. Tremblay (Jean): On en a pour une heure. Moi, j'ai encore pour cinq minutes. Vous allez avoir trois quarts d'heure pour me questionner!

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Est-ce qu'il y a... Ha, ha, ha!

M. Tremblay (Jean): À moins que vous vouliez me questionner plus longtemps. Moi, je ne suis pas pressé, je ne travaille pas après-midi.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Il y a consentement. Allez-y... Il y a consentement, M. le maire, allez-y.

M. Tremblay (Jean): O.K. Merci. Alors, en interdisant aux catholiques de faire en public leurs prières, de manifester leurs croyances, comme ça se fait à Saguenay -- parce qu'on m'interdit de faire une prière, alors qu'elle est unanime autour de la table, faire une prière de 20 secondes -- pour moi, là, c'est de la censure, c'est de la censure qu'on fait. Puis je pense que des adeptes de l'art et de la culture ont compris depuis longtemps qu'une société, ça ne peut pas évoluer dans un contexte de censure. Il faut fixer un cadre. Je pense que la loi se doit de fixer des cadres, ça, c'est bien, mais des cadres qui soient le plus larges possible, qui soient le plus large... et qui ne favorisent pas un groupe plutôt qu'un autre.

Je voudrais vous parler, c'est mon dernier chapitre, de la laïcité. Le Québec, ça a toujours été une terre de liberté, depuis que le Québec est fondé, et c'est une caractéristique importante des citoyens du Québec et de nos ancêtres d'être une terre de liberté. Ce n'est jamais par l'oppression qu'on a essayé de transmettre nos valeurs. On n'a jamais fait ça, au Québec. Il y en a des pays du monde qui l'ont fait, ça a toujours mal tourné. Ce n'est pas par l'oppression qu'on doit faire ça.

Mais je voudrais vous dire que, la laïcité, on interprète la laïcité aujourd'hui comme le rejet de la religion, et ce n'est pas du tout le sens de la laïcité. La laïcité, c'est la non-intervention de l'Église dans les affaires de l'État, mais c'est aussi l'inverse, la non-intervention de l'État dans les affaires de l'Église. Puis, quant à moi, quand on voit ce qui se passe, là, dans l'enseignement religieux par l'État, d'après moi, l'État, ce n'est pas de son domaine, et l'État ne devrait pas enseigner la religion.

Alors, l'État, il doit s'assurer que l'on puisse librement croire et qu'on l'on puisse librement ne pas croire aussi. On n'est pas obligé de croire, au Québec. On n'est pas obligé de ne pas croire. On doit s'assurer que ces deux catégories de personnes soient respectées, autant l'une que l'autre. N'oubliez pas que la religion, là, et la foi, ce n'est pas une question d'opinion. Ce n'est pas une opinion, la foi. Moi, je ne suis pas catholique parce que c'est mon opinion. Je suis catholique parce que, dans ma personnalité, dans ma conscience, je pense ça. Puis celui qui est athée, c'est pareil. Ce n'est pas une question d'opinion. Je suis un... Mon opinion, c'est... Non. Il se sent athée, il est comme ça. Il faut que je le respecte, c'est sa croyance à lui. Alors, on voit aujourd'hui la laïcité, le rejet de la religion dans le domaine public, et ce n'est pas du tout mon point de vue.

Il y a eu dernièrement des cas isolés, d'après moi, des cas isolés qui ont fait bondir l'actualité mais qui n'étaient pas du tout menaçants, c'était des fois même farfelu. Puis je ne pense pas que, dans tout ce qu'on a vu, on a mis en doute l'égalité des hommes et des femmes. Il y a eu un cas, deux cas, mais voyons! Il y a... Au Québec, là, je pense que, l'égalité des hommes et des femmes, il n'y a personne qui souhaite revenir là-dessus, hein? C'est réglé, ce dossier-là. Puis je pense qu'à toutes les fois qu'on va sentir une nuance les gens vont même en rire. C'est réglé, ce dossier-là. Alors, ce n'est pas parce qu'on a vu des personnes, des fois, se comporter d'une certaine façon qu'il faut penser que la société est en elle-même réglée... est en elle-même... c'est-à-dire, en menace.

Alors, en terminant, je souhaite que l'État fasse preuve de sagesse et qu'elle trouve une formule applicable à tous. Et je vais vous citer une parole de Saint-Exupéry, qui dit: «Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m'enrichis.» Roosevelt disait: «C'est dans la foi que l'on trouve la force. C'est dans la foi qu'est le pouvoir.» Je pense qu'on aurait besoin de réfléchir là-dessus, parce que, dans le domaine des institutions, puis tout ça, on aurait à s'inspirer de ces paroles-là. Alors, comme vous me dites que j'ai un quart d'heure, pour les fois que je vous vois, j'aurais souhaité avoir plus de temps, mais j'imagine que parmi...

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): ...M. le maire, je vous ai dit que vous étiez le bienvenu ici et qu'on vous donnerait tout votre temps pour vous exprimer, ce dont nous avons disposé. Merci infiniment.

M. Tremblay (Jean): Vous êtes très gentil.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Mme la ministre, pour les 10 prochaines minutes.

Mme Weil: Merci, M. le maire. Très heureuse de vous accueillir. Vous savez, vous êtes le seul maire qui va se présenter. Donc, on va en profiter, parce qu'on a parlé des municipalités et l'application de cette loi aux municipalités. Ça a été proposé par le Barreau. Mais, avant d'en venir là, je voudrais vous ramener... je vois des liens avec des éléments du projet de loi, mais je vais y aller plus concrètement.

L'article 4, donc vous parlez dans votre texte, l'égalité hommes-femmes. Vous parlez aussi du... le Québec étant une terre de liberté, donc liberté de croyances, si je comprends bien, et donc que les uns et les autres ne devraient pas imposer leurs points de vue sur les autres, donc qui nous ramène à la charte. Donc, je voudrais vous entendre peut-être, si vous vous sentez à l'aise, sur l'article 4 qui reconnaît donc que l'accommodement doit respecter la Charte des droits et libertés, notamment le droit à l'égalité hommes-femmes et le principe de neutralité religieuse de l'État.

Et le principe de neutralité, moi, je le vois beaucoup dans ce que vous évoquez par rapport à ne pas imposer, d'accepter que certains ont une liberté de conscience. Donc, il y a espace et obligation d'accommodement. On a entendu le Barreau beaucoup là-dessus, que l'accommodement, c'est en fait une expression d'une société libre et démocratique qui accepte la liberté de conscience des uns et des autres. Donc, votre point de vue sur l'article 4, si vous pourriez vous exprimer.

M. Tremblay (Jean): Bon. D'abord, l'égalité des hommes et des femmes, dans mon esprit, moi -- ça doit faire je ne sais pas combien d'années que je n'ai pas discuté de ça -- c'est réglé. Dans mon esprit, là, quelqu'un qui voudrait revenir là-dessus, c'est réglé, ça, l'histoire des hommes et des... Je suis content quand même. Ce n'est pas parce qu'une chose est réglée que des fois ça ne pourrait pas... il ne pourrait pas y avoir des nuances puis des gens qui le comprennent mal. Je suis très heureux qu'on en parle dans la loi, mais je ne verrais pas aucun groupe venir nous parler de ça, pour ce qui est de l'égalité.

La neutralité religieuse. La neutralité religieuse, pour moi, c'est fondamental, c'est fondamental. Comme je vous disais, la foi est tolérante en autant... est tolérable en autant qu'elle est tolérante. Mais il y a actuellement, là... Reconnaissons-le, la laïcité, ce n'est pas une croyance. La laïcité, ce n'est pas une croyance. Il y a des gens, au Québec, qui nous font croire que c'est une croyance. Ce sont... Il n'y a personne qui intervient comme athée aujourd'hui puis comme... Non, non, ce sont des gens qui se cachent derrière ce phénomène-là. Eux autres veulent avoir priorité et ils disent: La façon d'avoir priorité, c'est de se déguiser. On se déguise en laïc. Bien, moi, là, le plus laïc du Québec, c'est moi. Moi, je suis pour ça, la laïcité, à mort! Je suis pour ça. Si l'évêque venait ici, si c'était lui qui donnait les directives pour l'État, je serais le premier à être contre ça, ça n'a pas de rapport. Mais il faut faire attention, souvent l'État se mêle de choses religieuses également; elle non plus n'a pas d'affaire dans ça. C'est deux choses différentes et ça se marie très bien, ça se marie très bien. Puis, les sociétés les plus saines, les plus... ce sont... ont bien reconnu le mariage entre l'État et la religion. Prenons les États-Unis. Vous allez me dire: Ils sont un petit peu plus religieux que nous autres, mais il reste que, oui, ce sont les individus qui sont plus religieux.

**(11 h 50)**

Tu ne peux pas demander à une personne qui a des croyances religieuses de penser différemment, de penser, je veux dire, différemment de ses croyances. C'est normal. Moi, si on me demandait, dans ma ville, de faire quelque chose que je considère comme immoral puis que ma religion me défend de faire, c'est certain que je serais plus réticent. C'est humain, ça, c'est normal. D'un autre côté, celui qui est athée, il ne penserait pas comme moi. Mais c'est normal. Mais il reste que ce n'est pas l'Église qui intervient, c'est moi comme catholique. Puis c'est la même chose pour un athée. Puis, je ne suis pas supérieur à celui qui est athée, là, je tiens à vous le dire, là. Puis, de plus en plus je le répète, un catholique n'est pas supérieur à un athée. J'aime mieux un catholique, puis je voudrais tout que le monde... je voudrais que tout le monde le soit, catholique, mais il y a des façons de le faire. Puis des fois, là, les personnes qui sont athées nous font une fameuse de leçon dans bien des domaines. Donc...

Mais il reste que, quand on dit qu'on doit avoir une neutralité religieuse, laisser les gens penser comme ils le veulent... Vous savez, le destin, là, on s'en va tous vers là, là, dans quelques années, on va tous être au cimetière. Tu ne peux pas faire autrement qu'y penser. Quelqu'un qui ne pense pas à ça, ce n'est pas intelligent. Tu dis: Je vais être au cimetière, O.K., moi, je vais être une fleur. O.K., moi, je ne pense pas que je vais être une fleur. Moi, je pense d'autre chose. Bon, bien, ça, ça guide ma vie. Si je pensais que j'étais une fleur, je me paierais la traite plus que ça. Mais là je me dis: Je me paierai la traite après.

Mais notre façon de penser à notre destin fait en sorte que le comportement de notre vie est différent. Et puis là on a des règles à suivre puis on a des institutions qui nous guident. Mais ça, c'est important. Donc, il faut laisser les gens libres. Mais, s'ils ont des comportements qui débordent nos lois ou nos règlements, il faut les arrêter. Et, qu'ils soient catholiques ou athées... Écoutez, si, en arrivant ici ce matin, j'avais demandé qu'ensemble on dise un chapelet avant de commencer, vous auriez pu dire: Il est capoté un petit peu, là, on va le laisser se reposer, comprends-tu, parce que c'est un comportement religieux qui serait démesuré. Alors, il y a une façon de se comporter, de faire véhiculer nos valeurs.

Puis c'est sûr que j'essaie de dire aux gens que mes valeurs sont les meilleures puis que j'aimerais ça. Mais, tu ne veux pas, il faut que je le respecte pareil. Mais, quand il arrive une seule personne devant moi au conseil municipal, puis qu'il y a 200 personnes dans la salle, tout le monde veut faire sa prière, et qu'une seule personne ne veut pas, puis qu'on m'arrête de la faire, je trouve ça fort pas mal. Parce que, moi aussi, je veux être respecté. Je veux bien le respecter, là, lui qui est en avant de moi, mais, moi aussi, je pense que je mérite le respect. Puis j'insiste pour qu'on me respecte pour mes croyances. Parce que j'ai la profonde conviction que je ne le dérange pas tant que ça. Qu'il m'endure un peu.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Mme la ministre.

Mme Weil: Oui. J'ai une question sur l'article 6, où on parle de services qui sont donnés, reçus, par le gouvernement, donc, à des citoyens, que ces services se fassent à visage découvert. Est-ce que vous avez un point de vue sur l'article 6?

M. Tremblay (Jean): Absolument. Visage découvert, ce n'est même pas religieux. Ça n'a aucun sens, aucun sens. Visage découvert, ça fait longtemps que je l'aurais sorti, puis j'aurais fait la loi. Carrément interdit, le visage découvert, pour qui que ce soit. C'est... D'ailleurs, ce n'est même pas dans leur religion, ça. Je la connais un petit peu, la religion musulmane, là -- je ne suis pas un expert, là -- jamais vu ça, moi, visage découvert. Puis c'est vraiment, là, une attaque, là, aussi à l'égalité des hommes et des femmes. Je n'ai jamais vu un homme se couvrir le visage, sauf dans d'autres circonstances. Mais, dans... se couvrir le visage pour des motifs religieux puis circuler comme ça, c'est carrément inacceptable.

D'un autre côté, une femme qui porte un voile sur la tête, puis on sait que c'est probablement une manifestation de sa religion, c'est correct, ça. Elle dérange qui, là? Pourquoi? C'est ça qu'il faut... C'est ça, le jugement et la sagesse. On ne pourra jamais couper au couteau. Tu sais, celui qui a un petit crucifix ici, là... Mettons que je serais venu avec un, là, j'ai un petit crucifix ici. Je dérange-tu tant que ça, là? Tu sais, il faut s'endurer aussi, hein? Il faut avoir une tolérance. L'athéisme sans tolérance, c'est invivable. Alors, c'est une question de jugement.

Mais, si vous me parlez du visage voilé, moi, le visage voilé... Puis, je ne le sais pas pourquoi, mais, je vais vous dire, j'en ai vu une à Toronto cet été, là, elle avait le visage complètement voilé, là. Je regardais son chum, là, c'était plus fort que moi, là, je ne l'aimais pas, son chum. Non, je... Non. J'ai... Mais il n'y en a pas chez nous.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Allez-y, Mme la ministre.

Mme Weil: Le Barreau a proposé... se posait une question sur l'étendue et l'application de la loi. Il est proposé que la loi devrait peut-être s'étendre aussi aux municipalités. Et, parce que vous êtes le seul maire, je me demandais si vous aviez une opinion là-dessus.

M. Tremblay (Jean): Ça ne serait pas grave que ça s'étende aux municipalités. Il n'y a rien de trop... Mais, moi, je commencerais tranquillement. C'est délicat, ça, hein, cette loi-là. Là, là, quand on dit que le religieux puis le civil ne doivent pas se côtoyer, là, bien on est proches. Quand on parle des accommodements raisonnables, là, on est proches de se côtoyer. Alors, moi, je ne vois pas l'intérêt, là.

Tu sais, les villes, là, qu'ils arrêtent, là. Aïe! là, on est rendus que nos états financiers sont vérifiés cinq fois: le vérificateur de la... le comptable de la ville, le vérificateur. Après ça, il y a le vérificateur externe. Après ça, il y a le ministère des Affaires municipales. Puis là ils viennent de nommer un vérificateur pour l'ensemble des vérificateurs du Québec. Voyons donc! Tu sais, c'est fou, là. Il faut arrêter, là. Là, ils s'en viennent avec un code d'éthique. Tu sais, moi, je ne pense pas, là, qu'il faut mettre des lois tant que ça. Il faut plutôt inspirer des comportements qui soient... qui deviennent intolérables dans certains cas, tu inspires que ça ne se fait pas. Ça ne se fait pas, ces choses-là. Moi, à la ville, souvent ils m'arrivent avec... On avait, l'autre jour, un règlement sur les animaux. Puis là les animaux, là, on n'avait plus le droit d'en avoir à nulle part. Mais, tu sais, on ne ferait pas de règlement. On dit aux gens, on leur fait mention que ça ne se fait pas, un chien à tel endroit, puis ça dérange, plutôt que de faire des lois tout le temps. Moi, je ne ferais pas une loi sur les villes. Mais, s'il y en avait une, je n'en ferais pas une maladie.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Bon. Merci beaucoup, Mme la ministre. Mme la députée de Rosemont.

Mme Beaudoin (Rosemont): Oui. Merci, M. le Président. Alors, M. le maire, bonjour.

M. Tremblay (Jean): Bonjour.

Mme Beaudoin (Rosemont): On s'est rencontrés il y a quelques années, un dimanche, dans le vieux Lyon, en face de la magnifique cathédrale Saint-Jean.

M. Tremblay (Jean): Je me rappelle de ça.

Mme Beaudoin (Rosemont): Tout à fait.

M. Tremblay (Jean): Et on a jasé ensemble.

Mme Beaudoin (Rosemont): Longtemps. Et, moi, je...

M. Tremblay (Jean): J'étais content de vous voir.

Mme Beaudoin (Rosemont): Oui. J'enseignais à Lyon, et, à ce moment-là, on s'est croisés un peu par hasard, comme ça. Il y a beaucoup de Québécois qui viennent non seulement à Lyon, mais en France en général. Mais en tout cas c'est la première fois que je vous ai rencontré.

Et je veux souligner aussi, que vous... qu'on parle de nos églises, que l'on parle des synagogues, que l'on parle des temples, etc., il y a quand même... sur le patrimoine religieux, il y a un beau programme de rénovation et de réfection, et c'est le gouvernement de M. Parizeau qui, à l'époque... C'est Jean Campeau qui était ministre des Finances. Moi, j'étais ministre de la Culture. J'étais très, très fière -- et je sais que ça continue, que c'est dans la durée -- que ce programme-là... Parce qu'on tient justement à ce que notre patrimoine religieux...

J'avais déjà rencontré le cardinal Turcotte, d'ailleurs, qui m'avait proposé de prendre toutes les églises catholiques à notre charge, au gouvernement, puisque l'Église n'arrive plus à faire en sorte que ces basiliques, ces cathédrales magnifiques... que ce soit Marie-Reine-du-Monde, que ce soit ici, à Québec, etc., de les entretenir, en disant: Bien là, on devrait peut-être faire comme en France, État laïc, s'il en est un. Et c'est, en France, l'État qui a cette responsabilité-là. Mais je pense que, quand le gouvernement va décider que tous les monuments, finalement, religieux seront à sa charge, ça va lui coûter cher, hein? Alors, il va réfléchir longuement à cette proposition, en tout cas, que m'avait faite le cardinal Turcotte. Et je vois bien que personne n'y a donné vraiment suite. Mais je pense qu'il faut avoir le respect de ce patrimoine et de ce paysage religieux qui est le nôtre. Alors, on est tous d'accord là-dessus ici.

Mais je voudrais quand même faire quelques commentaires, si vous me le permettez, bien respectueusement, M. le maire, sur ce que vous avez dit. Moi, pour moi, la laïcité, pour moi... Pour d'autres, ça peut être autre chose, mais, pour moi, ce n'est pas un rejet de la religion. C'est au contraire, M. le maire, la condition de l'expression du pluralisme religieux dans nos sociétés et de cette cohabitation du pluralisme religieux dans notre société. Et je donne un exemple là-dessus.

Vous avez bien parlé de la prière, donc, qui se dit au conseil municipal à Saguenay. Et vous savez qu'ici, depuis 1976, dans cette enceinte de l'Assemblée nationale, et c'est le gouvernement de René Lévesque, nous avons, ensemble, tout le monde, décidé d'avoir un moment de recueillement -- il y avait une prière avant 1976 -- d'avoir un moment de recueillement. Pourquoi? Et le président -- vous le savez très bien, vous êtes sûrement venu dans nos tribunes à l'occasion -- dit, au tout début, qu'il y aura ce moment de recueillement. Eh bien, à l'époque, en 1976, quand M. Lévesque donc et son gouvernement ont décidé... Puis, il y avait plein de catholiques pratiquants dans le gouvernement de M. Lévesque, et puis l'Assemblée nationale était encore assez homogène, hein, dans le temps, en 1976, là.

**(12 heures)**

Aujourd'hui, c'est différent, mais, en 1976... Et, moi, je me souviens, j'ai fait campagne dans la circonscription de Jean-Talon, donc ici, et c'était un thème de la campagne. Et c'était important, parce qu'on se disait que justement il y aurait, et il y a maintenant, des gens de confession musulmane, des gens de confession juive, des gens de confession protestante, bien sûr des catholiques aussi, pratiquants ou non, et que donc la meilleure manière de se réunir, c'était ce moment de recueillement. Et, depuis, donc, je ne pense pas que personne aurait l'idée de dire: On va revenir à la prière avant le début de nos débats à l'Assemblée nationale. Et ça... Et, moi, c'est pour ça que je dois vous dire: Ce n'est pas un rejet de la religion, tel que, moi, en tout cas, je l'entends et tel que je la préconise que cette laïcité. Il peut y avoir une différence avec la neutralité de l'État, là, on en rediscutera dans l'article 4, mais en tout cas, pour moi, la laïcité, c'est ça. C'est la condition de l'expression du pluralisme religieux.

Moi, je vis à Montréal. Alors, bien sûr que les choses sont différentes à Montréal. Et ça m'amène à vous faire deux autres remarques là-dessus, et vous pourrez bien sûr me répondre. Pour moi, il y a trois espaces. Vous avez parlé de l'espace privé puis de l'espace public. Pour moi, il y a un troisième espace qui est l'espace civique, qui est celui justement des institutions publiques. Parce que l'espace privé, bon, bien, on le comprend bien. L'espace public, pour moi... Et c'est pour ça, quand on a posé la question, burqa, niqab, et puis, bon, espace public, bien, moi, j'ai dit: Non, dans l'espace qui est la rue, qui est le marché, le parc, enfin, etc., pour moi, il n'est pas question, justement, que ce soit nécessairement à visage découvert. Mais, dans l'espace civique, c'est-à-dire quand on vient recevoir ou donner un service de l'État dans les institutions publiques... Donc, il y a trois espaces, puis je pense qu'il faut les distinguer, puis que l'espace civique, il est important de bien le marquer.

Et j'ajoute une chose. Vous parlez beaucoup... Bon, vous avez dit: Les protestants, les Juifs, les catholiques, on s'est toujours bien entendus. Vous n'avez rien dit de l'islam et de la communauté musulmane. Moi, je vis à Montréal et je sais aujourd'hui qu'il y a une communauté musulmane essentiellement très modérée et qui vit sa religion comme peuvent la vivre tous les autres croyants. Mais, dans chaque communauté religieuse, il y en a des plus radicaux, des plus intégristes, disons. Et puis on l'a vu, je ne nommerai personne, là, mais il n'y a pas beaucoup de jours. Donc, dans chacune des religions s'expriment des franges un peu plus radicales ou intégristes, si vous voulez, et ça vaut pour toutes les communautés. Mais il y a une communauté musulmane, donc, qui est à peu près aussi importante que la communauté juive à Montréal, au moment où l'on se parle, c'est-à-dire, je pense, autour de 100 000 personnes. Parce qu'il y a eu beaucoup, justement, dans les dernières années, d'immigration. Et on sait que souvent cette communauté en particulier fait face à une discrimination systémique, disons, à l'emploi. C'est connu. Je veux dire, là, il y a vraiment plein de... d'études, CIRANO nous l'a démontré, etc.

Et donc vous n'en dites pas un mot. Je peux bien comprendre, vous l'avez dit, à Saguenay, peut-être que ce n'est pas le cas. Mais, moi, je crois que les régions, un jour, et un jour pas lointain... Tout le monde veut la régionalisation, justement, de l'immigration, pour de bonnes raisons de pénurie de main-d'oeuvre, de bonnes raisons de vieillissement de la population et aussi d'intégration en général à la société québécoise. Alors, voilà, je vous laisse là-dessus, si vous voulez répondre à quelques-unes de mes remarques, mais je tenais à vous dire ça.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): M. le maire.

M. Tremblay (Jean): Je vous remercie beaucoup. D'abord, je tiens à dire que votre définition de la laïcité, c'est excellent. Si vous me l'aviez donnée avant, je pense, je l'aurais écrite. C'est excellent. C'est... Je vous dis que certaines personnes perçoivent la laïcité comme ça. Mais, moi, je la perçois tout à fait comme vous. C'est comme ça que je la perçois puis c'est comme ça qu'elle devrait être perçue, également.

Quand vous parlez de la prière, qu'il y a beaucoup de... confessions différentes autour d'une même table, là, là-dessus, je veux... je vais vous dire que, chez nous, on est 19 conseillers. Ça fait 20 avec le maire. Sur les 19, là, il y en a 19 qui veulent faire la prière. Une fois, un soir, on avait une assemblée, puis il y avait une manifestation, puis c'était justement dans le temps des affaires de prière. J'ai dit à mon assemblée préalablement, à mon monde, j'ai dit: Écoute, à soir, là, on ne fera pas un show, là, on ne la fera pas. La prière, ce n'est pas un show, là. On va la sauter pour à soir. Un soir, ce n'est pas grave, là, puis on ne la fera pas pour ce soir. Non, non, non! Puis ils ont insisté, les 19, pour que je la fasse.

Alors, moi, je vous dis: Oui, c'est peut-être bien de faire un moment de silence, quand on est de cet avis-là. S'il n'y avait, sur 19, là, je vous assure, que deux ou trois conseillers qui étaient indisposés, j'arrêterais. Parce que ce n'est pas une obligation, dans ma religion, de faire la prière avant l'assemblée. Je ne veux pas indisposer personne. Alors, s'il y avait des conseillers... Parce que c'est la prière du conseil municipal. Le public peut assister, mais c'est une assemblée du conseil municipal. Alors, s'il y en avait deux, trois qui disaient: On est indisposés, j'arrêterais. Je pourrais faire ma religion autrement. Tu n'es pas obligé de faire ton assemblée. Ce que je n'accepte pas, c'est que les 19 sont d'accord, et qu'on insiste pour la faire, et qu'on vienne nous déranger, qu'on vienne... pour une personne dans l'assistance. C'est elle qui vient nous imposer qu'on ne peut pas la faire. C'est ça que je n'accepte pas.

Maintenant, un moment de silence, moi, personnellement, ça ne me dit rien. Parce que, moi, un moment de silence, je me dis: Je fais le silence quand j'arrive chez nous. Mais... en tout cas. Il reste que chacun fait son moment de silence quand il veut. Mais je veux bien vous faire comprendre qu'il n'y a pas d'imposition, puis c'est... dans la religion, c'est une chose qui ne s'impose pas. Tu la penses, tu ne le penses pas. Alors, là-dessus, je suis d'accord avec vous.

Puis, votre histoire de trois espaces, c'est la première fois que j'en entends parler, mais je trouve que ça a du bon sens. Vous avez raison. Je ne veux pas juste vous donner raison, là, mais vous avez raison. Alors, trois, je trouve que ça a du bon sens puis que ça mérite, là, de... je trouve que c'est une bonne réflexion, l'espace public, l'espace privé, l'espace civique, donc avec des comportements des fois, dans certains cas, qui pourraient avoir des directives différentes.

Bon, maintenant, la raison pour laquelle je n'ai pas parlé des musulmans, c'est que je parlais de l'histoire. Je disais que, chez nous, il y a... Les protestants étaient présents chez nous. Pas en grand nombre, mais, dans la ville où j'étais, à Arvida, il y en avait plus, parce que c'est la seule ville au Lac-Saint-Jean où il y avait plus d'Anglais, puis il y avait des protestants. Et il y avait... Des Juifs, il n'y en a jamais eu beaucoup. Il y en a eu un petit peu, mais pas beaucoup. Mais je veux... c'était... je relatais l'histoire.

Maintenant, il est certain que les musulmans, maintenant, on les voit. Ça s'étend partout à travers le monde. Et il faut comprendre que c'est une culture qui est plus différente, là. Les protestants, nous autres, c'était assez semblable. Avec les musulmans, il va y avoir un effort à faire.

D'ailleurs, le fait... plusieurs des événements qui se sont produits et qui donnent ouverture à cette loi-là qu'on a aujourd'hui, c'est des comportements qui ont été faits par des gens de religion musulmane. Puis ce que je déplore, c'est qu'on les juge tous dans le même... on les juge tous pareils. Puis Dieu sait qu'on connaît tous des musulmans, puis c'est... puis ils sont pareils comme nous autres. C'est la même chose que nous autres, puis ils déplorent autant que nous autres certains comportements, comme, moi, d'ailleurs, je déplore le comportement d'un catholique qui est déplacé. Des fois, je dis: Aïe! du calme, là. Tu as bien beau être catholique, là, on va se calmer, là, parce qu'on va passer tous pour des comme ça, là. Moi, je ne suis pas d'accord avec toi pantoute, là, même si tu es catholique.

Il y a une juste mesure, il y a une limite à avoir partout. Puis je pense qu'avec le monde musulman on va avoir un effort à faire qui va être un petit peu plus grand pour accepter que c'est une religion. Écoutez, il y a un milliard d'adeptes, là. Il doit y en avoir quelques-uns qui ont du bon sens, là, quand tu en as un milliard, ça fait que... Moi, les musulmans que j'ai connus, là, sont des gens extraordinaires. On en a chez nous. Ils sont très gentils, tout ça, sauf qu'il y en a quelques-uns qui ont fait la manchette pour des événements qui ne sont certainement pas dans le goût des musulmans, puis, moi, j'anticipe le temps où il y en ait plus chez nous, de... davantage, c'est-à-dire -- quand je dis «plus», pas plus, mais plus -- plus de musulmans chez nous, puis je suis certain... J'ai des amis, d'ailleurs... On a beaucoup d'ingénieurs, chez nous, qui vont travailler à l'étranger, à cause de l'aluminium, hein? On en a beaucoup, beaucoup, puis ils vont souvent travailler dans les pays musulmans. Puis ils reviennent toujours ici emballés. Ce sont des gens extrêmement gentils et extrêmement agréables. Puis ils croient en Dieu puis ils font leurs prières pareil comme nous autres. Mais, moi...

Il en est venu chez nous. Imaginez, il arrive trois musulmans de l'Indonésie. Ils ne parlent pas anglais, ne parlent pas français. Bon, ils ont un interprète, ils me disent: Nous autres, on veut faire notre prière. Mais ils ne savent pas ce qui se passe. Les accommodements raisonnables, ils ne connaissent rien dans ça. On veut faire notre prière. Oui? C'est quoi, qu'est-ce qu'ils veulent? Bien là, l'interprète me dit: Ils veulent avoir un appartement particulier. Ils sont ici pour 15 jours. ...quoi, là... On trouve une autre place à l'hôtel de ville. Ça fait-u, ça? Oui. Là, ils reviennent. Ça ne fait pas. Qu'est-ce qu'il y a? Ils veulent un tapis. Bon, un tapis, qu'est-ce qu'ils veulent comme tapis? Un tapis béni? Quel tapis qu'ils veulent? Non, non, un tapis, n'importe quel tapis. On trouve un tapis. Ça fait-u? Oui. Parfait. Trois fois par jour, on les voyait rentrer là-dedans. Ils font mal à qui? J'étais... Je les admirais. Je dis: Regarde, nous autres, les catholiques, on ne fait pas ça. Je les admirais. Moi, en autant que ça ne dérange rien, ça respecte nos lois, ça respecte nos règlements, moi, je trouve ça admirable de voir des gens qui prient comme ça.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci, monsieur le maire. Merci, Mme la députée de Rosemont. Madame... Du côté ministériel? Aucune question? Donc, du côté... oui, du côté de l'opposition, Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve.

**(12 h 10)**

Mme Poirier: Alors, bonjour, M. Tremblay. Ça fait plaisir de...

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ah! excusez... excusez-moi, Mme la députée...

Mme Poirier: Oui, allez-y.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): ...j'allais créer un impair. Compte tenu que vous n'êtes pas membre...

Mme Poirier: Vous ne créez pas d'impair.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Non, je ne voudrais pas. Est-ce qu'il y a consentement pour que Mme la députée de d'Hochelaga-Maisonneuve intervienne, puisqu'elle n'est pas membre de la commission?

Une voix: Consentement.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Consentement. Allez-y, Mme la députée.

Mme Poirier: Merci. M. Tremblay, on parlait d'égalité hommes-femmes. Vous semblez dire que, pour vous, c'est quelque chose d'acquis, le droit à l'égalité hommes-femmes. On sait qu'il y a encore beaucoup de disparités, et j'aimerais que vous m'expliquiez comment vous voyez, vous, que, dans les religions, en tant que tel, c'est acquis, l'égalité hommes-femmes. Parce qu'on le voit bien, là, dans plusieurs religions, on remet en question cette égalité hommes-femmes là. Et ce qu'on voit à l'intérieur du projet de loi ne vient pas nous confirmer que l'égalité, elle est acquise.

Bien au contraire, on est encore dans les combats, en tant que tel, de l'égalité, même ici, dans notre propre société. Je prends par exemple des demandes, entre autres, dans d'autres municipalités que... on a vu, à Brossard, de diviser les filles et les garçons dans les piscines. Ce n'est pas quelque chose sur lequel vous êtes peut-être présentement confronté, mais, si ça vous arrivait chez vous, à l'effet que pour un motif religieux on vous demande de moduler des règlements ou des pratiques, à la municipalité, pour faire en sorte... Et le fait de diviser les garçons et les filles, c'est un principe religieux. Alors, je vous demande: Qu'est-ce que vous... Quelle serait votre attitude devant ça?

M. Tremblay (Jean): Bien, qu'on me demande... On va prendre l'histoire des piscines. Je ne verrais pas pourquoi... Je trouverais ça un petit peu particulier, mais, si on me disait: Tout le monde est d'accord, puis on veut diviser les filles et les gars à la piscine, des enfants, supposons, si ce n'est pas basé sur des motifs religieux, je dirais: Écoutez, tout le monde s'entend, tout le monde est de bonne humeur de même, moi, je n'insisterais pas pour ça, mais, si c'est ça que vous voulez, faites-le. Maintenant, si ce sont pour des motifs religieux, c'est-u... ils ont-u droit à la piscine, là, les religieux? S'ils l'ont louée pendant une heure, ils font ce qu'ils veulent, ils l'ont louée. S'ils ne veulent pas se baigner pantoute, ils ne se baigneront pas. S'ils veulent faire leurs prières, ils feront leurs prières, ils l'ont louée pendant une heure. Maintenant, il ne faut pas que ça vienne à l'encontre de nos règlements municipaux, et des lois et des règlements nationaux non plus. Si ça ne vient pas à l'encontre...

Mais il faut avoir un peu de jugement dans ça, aussi, là. Si ça ne dérange personne, puis tout le monde est d'accord -- on en a vu des exemples, là -- moi, je n'en ferais un plat tant que ça, là, tu sais. Mais il y en a qui en profitent aussi pour se mettre en évidence. Les médias sont présents partout, puis des fois c'est une belle occasion pour nous autres de se mettre en évidence. On a vu ça, là. Je prends, par exemple, la vitre qui avait été givrée, à un moment donné, parce qu'il y avait des femmes qui faisaient de l'exercice. S'ils s'étaient entendus pour givrer la vitre, puis ça faisait l'affaire de tout le monde, moi, je n'en aurais pas fait un plat tant que ça. Parce qu'on va toujours avoir des situations comme celles-là.

Je pense qu'il faut toujours mettre à l'avant le principe de tolérance. La tolérance. Il ne faut pas, là, monter aux barricades à la première occasion. On tolère en autant que ça... en autant que c'est tolérable, et il y a des fois que ce n'est pas tolérable, ou en autant que ça devienne à l'encontre d'un principe fondamental. Comme se cacher le visage, là, ça ne marche pas, là. Ça, moi, là, tout de suite... je vous le dis, là, ça aurait été immédiat. Se cacher le visage, au Québec, ça ne marche pas. Si ça marche ailleurs, allez-y. Nous autres, ici, ça ne marche pas. C'est ça.

Nous autres, on a notre culture, aussi. Il faut la protéger parce qu'elle est en danger, notre culture, plus qu'on pense. Les Canadiens français, notre culture est en danger, puis on n'a pas l'air à penser qu'elle s'appuie sur des choses... Elle ne s'appuie pas seulement sur nos vagues d'humoristes, je reviens là-dessus. Même le hockey. C'est beau, le hockey, puis ça fait partie de notre culture, mais ce n'est pas la principale base de notre culture. Notre culture, elle se base sur des valeurs beaucoup plus fondamentales que ça. Puis, à l'heure actuelle, bien j'ai l'impression que c'est après s'effriter. Puis, moi, je suis un Canadien français puis je n'aime pas ça quand notre culture est après s'effriter. Puis, plus notre culture est forte... ça ne veut pas dire qu'on ne respecte pas nos voisins, ça ne veut pas dire que les gens... on respecte moins les gens du Nouveau-Brunswick ou de l'Ontario. J'ai deux soeurs qui demeurent en Ontario. Je suis très heureux d'y aller de temps en temps, puis c'est bien agréable, mais j'aime mieux le Québec. C'est ma place, puis je suis venu au monde ici, puis j'aime le français, puis j'aime la culture. Et je suis catholique.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Mme la députée.

Mme Poirier: Alors, vous nous parliez de la prière qui est faite chez vous, dans votre ville. S'il y avait une demande qu'un conseiller municipal élu, musulman, arrivait et vous demandait de faire une prière au début des réunions du conseil de ville, est-ce que vous accepteriez?

M. Tremblay (Jean): Avec plaisir. Ils ont des belles... D'ailleurs, ma prière, elle serait dite par un musulman puis elle serait... C'est une prière qui convient à tous ceux qui croient en Dieu. Elle n'est pas identifiée catholique, là. On demande à Dieu de nous éclairer. Je ne crois pas qu'un musulman s'opposerait à ça, demander à Dieu de nous éclairer...

Mme Poirier: Mais, si je comprends votre...

M. Tremblay (Jean): Il faut vouloir, là, pour s'opposer à ça.

Mme Poirier: Mais, si je comprends, il faudrait qu'il fasse votre prière, et pas sa prière.

M. Tremblay (Jean): Bien, si, lui, il voulait en faire... changer le texte, on regarderait. Si ça n'offense personne...

Mme Poirier: Parce qu'on voit que dans des...

M. Tremblay (Jean): Oui, cette prière-là, ce n'est pas coulé dans le ciment. Ils en ont certainement des plus belles que les nôtres, là. Je ne vois pas, moi. Je dirais... Plus belles que ça, c'est-à-dire, pas que l'ensemble des nôtres, mais que... Je dirais: Écoutez, si, vous, vous voulez changer le texte, proposez-nous un texte, puis on va le prendre ensemble.

Mme Poirier: Parce qu'on a vu...

M. Tremblay (Jean): Mais ça prendrait un drôle de musulman pour dire: Je ne veux pas que vous demandiez à Dieu de vous éclairer. Ce ne serait pas un gros musulman, ça, là, là.

Mme Poirier: Alors, M. le maire, on a vu dans... d'autres municipalités, en Ontario, où actuellement, avant de commencer le conseil de ville, on fait la prière dans plus de 10 façons, de 10 façons, 10 religions, langues, etc. Est-ce que vous seriez prêt à des ouvertures, à savoir que chacun fasse sa prière et qu'avant de commencer le conseil, là, on ait une série, comme ça, de prières, mais chacun pour sa religion ou sa...

M. Tremblay (Jean): Bien, d'abord, là, il faut que je vous explique: ce n'est pas une réunion de prière, c'est une réunion du conseil municipal.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Tremblay (Jean): À un moment donné... 10, là, c'est un peu exagéré, là. Non, là, j'arrêterais, là. Je dirais: Ça devient ridicule, on arrête ça là, là. On ne la fera plus.

Mme Poirier: Une autre question, concernant les signes religieux ostentatoires, le port de signes. Est-ce que, s'il y avait une demande à la ville de Saguenay à l'effet qu'un policier voudrait porter le turban, est-ce que vous accepteriez?

M. Tremblay (Jean): Ah! ça, je ne suis pas sûr. Je ne le sais pas, là. Ça dépend, là. Il faudrait qu'on lui voie de quoi, là.

Mme Poirier: Est-ce que le turban... le... S'il y avait une femme policière qui voudrait porter le niqab?

M. Tremblay (Jean): Bien là, il y a un costume, à la ville, puis le costume, c'est pour les policiers, ce n'est pas pour les religions. Là, moi, je dirais: C'est bien de valeur, là, tu fais ta religion ou tu es policière. Il y a un costume. C'est comme si, moi, j'étais prêtre puis j'y allais en soutane. Il y a un costume civil, puis c'est ça. Là, moi, là, je ne verrais pas tellement les policiers se promener en costume religieux. Ce n'est pas le temps. Quand tu es policier, tu exerces une fonction civile. Écoute, là, c'est exagéré, ça. Porte une... porte tes...

Maintenant, moi, j'ai une petite Sainte Vierge dans le cou, là, tu sais, là. Regarde, elle est ici, là. Bien, je ne l'enlèverai pas, là, ma petite Sainte Vierge. Elle ne paraît pas puis elle est dans le cou. Tu sais, il ne faut pas exagérer, là. Mais il reste que, moi, un policier qui serait déguisé en je ne sais pas quelle religion, là... Non, moi, je dirais: Là, lui, là, il y a quelque chose qui ne marche pas, là. J'aurais...

Mme Poirier: Est-ce que... Est-ce que, s'il y avait quelqu'un à l'hôtel de ville, par exemple une greffière ou quelqu'un qui est à la réception, là, de l'hôtel de ville... portait un voile, qu'est-ce que vous diriez?

M. Tremblay (Jean): Je n'aimerais pas tellement ça, mais je n'en ferais pas un plat, là. Je verrais ce que ça donne. Est-ce que ça crée des effets, tout ça? Parce que, d'abord, ce n'est pas une obligation dans leur religion. Écoutez, moi... Ça ne nuit pas. Je n'en ferais pas un plat, mais je n'aimerais pas qu'un employé de la ville ait un objet, un vêtement aussi manifeste, là, pour montrer sa religion. Il n'est pas obligé de faire ça. Il n'y a pas une religion qui t'oblige à montrer tes affaires de religion partout. Moi, là, j'ai mes livres de religion que je traîne avec moi parce que je fais mes prières de temps en temps, là, mais je ne fais pas exprès, là, pour les mettre devant tout le monde, là, puis montrer que... Ce n'est pas saint Jean, là. Alors, à un moment donné, il faut faire ces choses-là discrètement puis il ne faut pas déranger.

Puis ça peut déranger. Moi, je pense que, dans la fonction publique, ils n'ont pas à avoir d'objet religieux, dans la fonction publique. Maintenant, si un contracteur veut que ses employés le fassent, c'est ses affaires. Je n'interviendrais pas dans ça. Mais, pour ce qui est des fonctions publiques, il ne faut pas que ces gens-là... Ça ne finira plus. Ça va être un voile sur la tête, ça va être d'autre chose, ça ne finira jamais. Alors, non, moi, je pense que ce n'est pas la place. Et ça ne fait... Tu ne brimes pas sa religion. Ça ne fait pas partie non plus... Les religions ne demandent pas ça. C'est des gens qui aiment se manifester.

Moi, si je voulais, au point de vue religion, je pourrais me mettre un gros crucifix, si je voulais, mais ma religion ne me demande pas ça. On en voit des fois, tu en rencontres sur la rue, des gens qui ont un gros crucifix. Ils ont le droit, là. Ils ne me dérangent pas. Ça ne me dérange pas. Mais, si, moi, comme maire, j'arrivais avec un gros crucifix, là, je serais... Ça ne marche pas. Tu sais, il y a une juste mesure. Il y a une question de sagesse, il y a une question de juste mesure. Ça ne marche pas. Alors, je n'accepterais pas tellement qu'un employé municipal ait un objet aussi manifeste pour nous... En fait, ce qu'ils veulent nous passer comme message, c'est: Moi, je suis de cette religion-là. Je ne veux pas le savoir, moi, de quelle religion. Qu'il fasse sa religion. Puis, qu'il n'en ait pas du tout, ça ne me dérange pas non plus. Tu n'es pas obligé. Au Québec, on est libre. On est libre de croire, on est libre de ne pas croire. Mais on... ne dérange pas les autres. Tu peux essayer de les convertir par des moyens... Tu peux jaser avec le monde, mais il y a des moyens de le faire.

**(12 h 20)**

Mme Poirier: Est-ce qu'il y a une mosquée à Saguenay?

M. Tremblay (Jean): Ah, c'est très modeste. C'est une personne musulmane qui accueille des gens dans sa maison. C'est très modeste. Puis c'est très bien. On... très, très bien. On est très heureux de ça. Il y a beaucoup d'églises différentes, là, mais il y a une mosquée, effectivement.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Pas d'autre question? M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Cloutier: Merci, M. le Président. Alors, à mon tour, M. le maire, de vous souhaiter la bienvenue.

Vous savez que, notre formation politique, la position qu'on a eue depuis le début, là, des débats, c'est concernant le port de signes religieux ostentatoires. Puis on fait la même distinction que vous venez d'apporter, qui est celle entre M. et Mme Tout-le-monde qui se promène dans la rue, par rapport à quelqu'un qui représente soit une institution publique ou un employé de l'État.

Mais je veux revenir au projet de loi qui est sous étude. Est-ce que vous pensez que le projet de loi qui a été soumis actuellement offre le cadre que vous avez parlé dans votre introduction, tout à l'heure, lorsque vous avez parlé de la nécessité d'avoir un cadre qui établit des règles au Québec? D'abord, qu'est-ce que vous pensez que ça va changer, ce projet de loi là, au quotidien, là? Pour vous, comme maire, là, en quoi ça va vous guider dans vos fonctions? Évidemment, je ne vais pas... je... au-delà du voile, là, qu'on a déjà abordé, là, mais...

M. Tremblay (Jean): Bien, je trouve que ça ne va pas très loin. Mais c'est délicat. C'est toujours un sujet très délicat. Et je pense... À le voir, là, on constate que... J'ai déjà vu des lois plus lourdes que ça, plus compliquées que ça, hein? Je pense que, vous toutes, là, vous tous, vous l'avez... Mais c'est bien. Ce qui est dit est bien. Les tribunaux vont les interpréter comment? Bien, on voit toutes sortes de décisions, là. Je pense qu'à un moment donné il faut aller... Des fois, avec les tribunaux, il faut aller un petit peu loin, parce qu'il y a des interprétations qui nous surprennent, souvent.

Mais, d'après moi, ce que j'en pense, c'est qu'on fait cette loi-là, puis elle va être amendée souvent. Elle va être amendée souvent, puis on va en venir à une loi plus complète. Mais tout de suite arriver puis dire: Voici toutes les règles, on fait le tour de tout, c'est quasiment impossible. C'est quasiment impossible. Mais on va le voir avec le temps. On va sentir le besoin d'introduire de nouveaux éléments.

Mais le message que je voulais passer ce matin, c'est que, les nouveaux éléments qu'on va introduire, je ne voudrais pas que ce soit toujours dans le même sens. Puis je sens une tendance dans ce sens-là. C'est tout le temps le même groupe qui a raison, puis c'est toujours lui qui a raison, puis c'est toujours lui qui gagne du terrain. Puis il ne tolère rien. Ce sont des gens qui ne tolèrent...

Aïe! il faut le faire, là, me prendre une action! Faire descendre des avocats de Montréal, ça coûte un bras, là. 10 jours d'audition! Moi, là, quand j'ai dit: Ils me poursuivent, j'ai dit: Ça va durer un après-midi. Qu'est-ce que tu veux que je dise? Je vais lire ma prière. Je vais leur dire: je suis catholique, puis c'est fini. 10 jours d'audition! Les spécialistes, ça descendait de partout. Là, à un moment donné, ça coûte un bras, juste pour m'arrêter de faire la prière. C'est quoi, leur objectif, alors que tout le conseil est d'accord? C'est quoi, leur objectif? Alors, je pense qu'à un moment donné il va falloir intervenir avec des lois, mais des lois... pas seulement des lois qui restreignent, des lois qui permettent, aussi, des lois qui disent que ça, c'est permis dans certains cas. Alors ça, ça... ça... C'est une tendance qui me fait un petit peu peur, cette tendance à vouloir tout restreindre.

M. Cloutier: Merci, M. le maire.

M. Tremblay (Jean): Merci.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça va? Merci. Merci, au nom de mes collègues, M. le maire, pour votre présence en commission. Bon retour chez vous, dans votre pays du Saguenay.

M. Tremblay (Jean): Merci. Merci.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Donc, compte tenu l'heure, je vais suspendre les travaux jusqu'aux affaires courantes... jusqu'après les affaires courantes, vers 15 heures. Merci.

(Suspension de la séance à 12 h 23)

 

(Reprise à 15 h 30)

Le Président (M. Drainville): À l'ordre, s'il vous plaît! Nous allons reprendre nos travaux sans plus tarder. Je vous rappelle que nous sommes ici réunis afin de procéder à des auditions publiques dans le cadre de la consultation générale sur le projet de loi n° 94, Loi établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement dans l'Administration gouvernementale et dans certains établissements.

Nous entendrons cet après-midi la Ligue des droits et libertés, la Centrale des syndicats du Québec ainsi que l'Association des retraitées et retraités de l'éducation et des autres services publics du Québec.

Alors, je souhaite la bienvenue à nos invités. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour faire votre présentation, et par la suite nous procéderons à une période d'échange d'environ 40 minutes. Aux fins d'enregistrement, je vous demanderais de vous identifier et de présenter les personnes qui vous accompagnent. La parole est à vous.

Ligue des droits et libertés (LDL)

Mme Filion (Nicole): Merci. Je me présente, Nicole Filion. Je suis la coordonnatrice de la Ligue des droits et libertés, et je suis accompagnée de Dominique Peschard, le président de la Ligue des droits et libertés.

Alors, je commencerai avec une très courte présentation de la ligue pour rappeler que, depuis sa fondation, la ligue a été associée de près à l'histoire du Québec. Elle a influencé plusieurs politiques gouvernementales et a aussi contribué à la création d'institutions qui sont vouées à la protection des droits de la personne, notamment la charte québécoise, la Commission des droits de la personne, la création du régime de l'aide juridique et la mise en place du système de protection de la jeunesse.

Le projet de loi n° 94 a été mis de l'avant alors que le débat sur l'identité nationale et l'adoption d'une charte de la laïcité ne cesse de ressurgir dans l'espace public à la faveur de certains événements qui sont toujours fortement médiatisés. On pense ici à l'avis de la Commission des droits de la personne portant sur la politique d'accommodement appliquée par la SAAQ pour l'évaluation de conduite ou encore lors de l'expulsion d'un cours de francisation d'une jeune femme qui portait le niqab.

À chacune de ces occasions, certains réagissent en réclamant la primauté du droit à l'égalité des hommes et des femmes sur les autres droits proclamés dans la charte et l'adoption d'une charte de la laïcité. On estime que ces éléments seraient en mesure de résoudre d'office les conflits de droits et de valeurs qui surgissent dans la société liés à l'exercice de la liberté de religion. La ligue est plutôt d'avis qu'il n'existe aucune recette magique, que ce soit une charte ou une loi sur la laïcité, qui sera en mesure de répondre à ces attentes.

Quant à l'idée de subordonner la liberté de croyance à l'égalité des hommes et des femmes, la ligue soutient qu'on ne peut dissocier la liberté de croyance de la liberté de conscience, sans laquelle aucun être humain ne peut prétendre à l'autonomie et à la liberté. Le droit à l'égalité inclut le droit d'adhérer aux croyances de son choix et celui de ne pas y adhérer. Il inclut le droit d'exprimer ce choix librement, autant pour les femmes que pour les hommes. Vouloir restreindre la capacité des femmes d'exprimer leurs convictions, que l'on soit d'accord ou pas avec ces convictions, équivaut à juger les femmes inaptes pour décider pour elles-mêmes.

La ligue défend la liberté de conscience mais dénonce aussi les pratiques ou croyances religieuses qui oppriment les femmes et révèlent une conception non égalitaire des rapports entre les hommes et les femmes. Le niqab figure parmi ces pratiques et croyances. Il exprime une dépersonnalisation de la femme qui le porte et une forme d'emprisonnement. Ce n'est malheureusement pas la seule pratique religieuse relative à l'apparence des femmes qui est oppressante dans notre société ni la seule forme d'aliénation par des normes vestimentaires patriarcales.

Le projet de loi n° 94 nous a... a été présenté comme une réponse à un besoin de clarté, qui tracerait la ligne entre ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas en matière d'accommodement. Ainsi, les limites à ne pas franchir seraient le droit à l'égalité entre les hommes et les femmes, la neutralité religieuse de l'État, le fait de ne pas imposer de contraintes excessives pour les organismes et le fait de transiger avec l'État à visage découvert. Or, mis à part ce dernier élément, qui vient en fait singulariser le débat autour du port du niqab, les autres éléments soi-disant proposés par le projet de loi font partie intrinsèque des dispositions juridiques actuellement en vigueur qui encadrent adéquatement, par la mise en oeuvre... par les décisions des tribunaux, la mise en oeuvre du concept d'accommodement raisonnable.

La commission Taylor-Bouchard avait jonglé avec l'idée de baliser la liberté des tribunaux dans l'exercice de leur travail d'arbitrage en matière d'accommodements raisonnables. Comme la ligue l'avait mentionné à l'époque, on considère que cette idée est somme toute inutile, puisque ces nouvelles dispositions seraient elles-mêmes soumises à nouveau à l'examen de la charte.

L'obligation d'accommodement ne doit pas être perçue comme une menace, mais plutôt comme faisant partie intrinsèque du droit à l'égalité. Il s'agit d'une mesure individuelle, et non pas collective, de redressement visant à contrer l'effet discriminatoire imprévu d'une mesure et qui assure la progression de l'égalité réelle dans la société. La définition qu'en donne la Cour suprême comporte déjà en elle-même toutes les balises nécessaires à son application. Et ces balises proposent une analyse qui tient compte de l'objet et du contexte et permettent d'éviter le piège d'une règle qui serait formaliste ou automatique et qui peut être porteuse de discrimination.

M. Peschard (Dominique): Pour compléter la présentation, je voudrais parler spécifiquement du projet de loi et de certains de ses articles qui sont particulièrement problématiques. Bon, premièrement, l'article 4 affirme le principe de la neutralité religieuse de l'État, ce avec quoi nous sommes parfaitement d'accord. Mais dans les faits le projet de loi vise explicitement une religion, même si ce n'est pas dit, les femmes musulmanes qui portent le niqab. Donc, à notre avis, ça va à l'encontre de la neutralité.

Il y a aussi la vision négative ou même restrictive de l'accommodement, qui est comme... qui est véhiculée par le projet de loi. À l'article 1, on dit «les conditions dans lesquelles un accommodement peut être accordé»; à l'article 5, on parle de «ne peut être accordé que s'il est raisonnable»; à l'article 6, qu'«il doit être refusé si», alors que normalement on parle d'un accommodement comme devant être accordé «sauf s'il entraîne des contraintes excessives». En somme, l'accommodement est présenté plutôt comme un privilège qu'on doit justifier que comme une obligation juridique.

Ce qui pose également problème, c'est les articles 2 et 3, dont la portée est extrêmement vaste, quant aux personnes qui sont couvertes par la loi. Même, ce n'est pas tout à fait évident, compte tenu comment c'est formulé, jusqu'où ça va. Alors, ça couvre une grande partie de la vie en société et ça va à l'encontre de l'idée de juger les situations au mérite. Dans une société démocratique, c'est la liberté qui est la règle générale, et les limites imposées à cette liberté doivent être raisonnables et pouvoir se justifier, alors qu'ici on fait face à une interdiction au préalable qui est générale.

Finalement, dans l'article 6, la loi ne précise pas que les motifs qui peuvent être invoqués pour refuser un accommodement doivent être sérieux, et le concept de communication, dans le cadre de ce projet de loi là, est beaucoup trop vague.

En conclusion, comme on l'a déjà dit, on n'a pas besoin de loi pour baliser les accommodements. Les dispositifs législatifs, c'est-à-dire les chartes et les indications données par les tribunaux, sont adéquats. Par ailleurs, le projet de loi stigmatise un petit nombre de croyantes, qui voient leur droit à l'égalité nié. C'est facile de juger le niqab, on peut discuter du niqab, mais il ne faut pas oublier que, sous chaque niqab, il y a un être humain et que ça bafoue le principe de la Déclaration universelle des droits de l'homme, le principe de base qui déclare que tous les êtres humains sont égaux en dignité et en droit.

En fait, ça envoie un message aux personnes qui portent le niqab qu'elles sont persona non grata. Et le pas n'était pas tellement loin pour des projets de loi qui, comme on a vu en Europe, banniraient carrément le niqab de l'espace public. En pratique, ça a un effet néfaste sur les femmes qui portent le niqab. C'est un obstacle, en fin de compte, à l'intégration à l'égalité. Ces femmes vont se retrouver ostracisées et vont se replier encore plus sur leur communauté. Les femmes qui portent des violations de... qui subissent des violations de droits oseront encore moins faire appel aux autorités. On sait déjà que c'est très difficile pour des femmes même qui appartiennent aux courants dominants de la société, parfois, de se référer aux autorités pour faire valoir leurs droits. Alors, des femmes portant le niqab, avec l'ostracisme qui est implicite dans ce projet de loi là, comment peuvent-elles avoir confiance qu'elles seront bien reçues, écoutées, et que l'État va les protéger?

Encore une fois, le débat se fait sur le dos d'une seule communauté, la communauté musulmane. Et on ne peut pas nier qu'il se développe présentement un courant islamophobe dans les sociétés occidentales. Et, par ricochet, en visant les femmes portant le niqab, c'est toute la communauté musulmane qui est stigmatisée. On rappelle que le port de symboles liés à une croyance fait partie de la liberté d'expression. La liberté d'expression inclut l'expression de valeurs qui peuvent heurter ou choquer. Et les limites à la liberté d'expression sont déjà couvertes par la loi, et ce n'est pas à l'État de déterminer quelles valeurs peuvent s'exprimer. Les conflits de valeurs doivent être résolus à travers un débat d'idées et non pas en privant de droits les porteurs de certaines valeurs.

Comme l'a démontré Mme Filion, ce ne sont pas les quelques dizaines de femmes portant un niqab qui représentent un obstacle principal à l'égalité des femmes au Québec ou... même, ça a été plus élaboré dans notre mémoire, cet aspect-là. Les femmes portant un niqab sont une cible politique facile, mais ça détourne, à notre avis, des enjeux plus importants concernant l'égalité des hommes et des femmes et la laïcité, etc. Merci.

**(15 h 40)**

Le Président (M. Drainville): Très bien. Merci, M. Peschard et Mme Filion. Nous en sommes maintenant à la période d'échange, et je cède la parole à Mme la ministre pour 10 minutes.

Mme Weil: Oui. Bonjour. Alors, merci. Bienvenue à vous... et de partager avec nous votre point de vue. Ce matin, on a entendu le Barreau, le Barreau du Québec, qui a applaudi le projet de loi parce qu'il vient incorporer, dans un sens, dans le corpus législatif un exercice d'accommodement raisonnable. Comme vous, des commentaires sur la formulation, mais pas sur le fond, donc l'idée... à cause justement de la couverture médiatique de l'exercice de l'accommodement, avaient un peu mis en doute cet exercice. Donc, eux, ils se sont prononcés en faveur d'un projet de loi qui vient incorporer cet exercice pour le rendre légitime. Ils se sont prononcés sur la question de neutralité religieuse de l'État, liberté de conscience et de trouver les accommodements entre tous et chacun par rapport à ça.

J'aimerais vous entendre... Donc, j'ai bien compris, sur... Bien, l'article 4, peut-être avoir votre opinion sur cette question de «notamment». On a eu des discussions sur le «notamment le droit à l'égalité entre les hommes et les femmes». Donc, tout accommodement doit respecter la charte, notamment le droit à l'égalité et le principe de la neutralité religieuse de l'État, qui découlent de la charte. Et je voudrais vous entendre sur cet article-là, s'il vous plaît. Votre opinion...

Mme Filion (Nicole): Bien, écoutez, la... Justement, en raison du droit à l'égalité qui existe dans la charte, c'est le motif qui fait que nous disons que le projet de loi est un peu inutile, étant donné que ce droit est déjà consacré par la charte.

Il y a eu des décisions des tribunaux, dont un, entre autres, au niveau de l'Hôpital juif de Montréal, qui remettait en question une pratique administrative qui avait pour impact de priver du droit à l'exercice de l'emploi pour les femmes préposées. Alors, la cour a fait un équilibre entre le droit de... à la liberté de religion des hommes qui revendiquaient d'être servis par des préposés hommes et a demandé à l'hôpital de refaire son exercice. Alors, évidemment, on n'est pas... on ne s'oppose pas du tout... Et la charte le consacre, que l'égalité... le droit à... le droit à la liberté de religion doit se conjuguer avec le droit à l'égalité des hommes et des femmes.

Mme Weil: Le commentaire, c'était... parmi tous les juristes qu'on a consultés, c'est que... Et d'ailleurs, eux, ce qu'ils ont prononcé ce matin -- puis il y avait un professeur de la Faculté de droit de l'Université de Montréal -- c'est que, oui, il y a des règles un peu éparpillées, à gauche, à droite, puis, à toutes les semaines, il y a des décisions qui sont prises par la Commission des droits de la personne, etc., mais que l'effort un peu pédagogique de rassembler ça dans une loi qui dit: Voici la volonté gouvernementale d'aller dans ce sens-là pour reconnaître l'accommodement raisonnable, donner une légitimité, quant à eux -- c'était évidemment notre point de vue en tant que gouvernement -- ça donne une orientation et que c'est valable en soi -- eux étaient de cette impression-là -- que sinon il y a un risque de dérapage continu, parce qu'il n'y a pas la volonté du législateur qui est exprimée de façon... clairement, qui ramène justement ces règles de la jurisprudence et qui rappelle que c'est un exercice d'équilibre entre les droits de tous et chacun.

Mme Filion (Nicole): Mais le projet de loi est quand même restrictif sur la définition qu'on donne de ce qu'est l'accommodement raisonnable. On n'en fait pas une obligation, on dit que l'accommodement peut être accordé. Et, si la présentation du Barreau, que je n'ai pas entendue, était conforme au mémoire qui vous a été soumis, mon souvenir est que ce qu'ils ont noté d'intéressant, c'est qu'on rappelait qu'à la grandeur de l'administration du gouvernement il fallait reconnaître l'obligation d'accommodement, et non pas un projet de... Ils s'inscrivent avec des réserves, quand même, sur la formulation de certains articles.

Alors, oui, on est d'accord que le gouvernement reconnaisse l'obligation d'accommodement, mais ce qui aurait peut-être été encore plus porteur, c'est de rappeler, dans une campagne d'éducation qui s'adresserait au public québécois, l'importance de reconnaître l'ensemble des droits qui sont consacrés par la charte, mais de reconnaître aussi ce que sont les accommodements. Les accommodements, ce ne sont pas des menaces, on l'a dit tantôt dans notre présentation. C'est une mesure de redressement qui permet à une personne d'être... d'avoir une mesure qui va lui permettre son intégration dans la société.

Mme Weil: Est-ce que je pourrais vous entendre sur toute la question de hiérarchisation des droits? On en a parlé ce matin aussi, mais ce serait intéressant de vous entendre là-dessus. Vous en parlez dans votre mémoire, mais peut-être...

M. Peschard (Dominique): Bien, c'est un principe bien établi en... auprès des droits humains qu'il n'y a pas de hiérarchisation des droits, c'est-à-dire que les droits qui sont reconnus et nécessaires à la réalisation de la dignité humaine doivent être pris comme un tout, et donc qu'il faut nécessairement avoir un... qu'il faut, dans chaque circonstance, avoir un exercice qui concilie les différents droits les uns par rapport aux autres.

Et c'est exactement ce qui s'est passé dans le cas de l'Hôpital juif qui a été mentionné tantôt, c'est que l'hôpital a été critiqué par la Commission des droits parce qu'en voulant accommoder ou reconnaître les droits des usagers il avait mis de côté les droits des femmes employées de l'hôpital. Donc, il a été invité à refaire ses devoirs pour tenir compte... Donc ça, c'est un exemple, comment les droits forment un tout et comment on ne peut pas les prendre séparément, mettre l'un au-dessus de l'autre, mais il faut les articuler ensemble.

Mme Weil: Merci. À la page 7 de votre mémoire, vous dites que vous avez... vous exprimez une crainte que le projet de loi n° 94 ait une très large portée et risque d'avoir pour impact que la nécessité d'examiner chaque situation au mérite ne soit mise de côté. Donc, vous reconnaissez qu'inévitablement l'accommodement raisonnable, il y a toujours et il y aura toujours l'examen du cas-par-cas. Pourriez-vous développer votre crainte par rapport à ce que vous voyez dans le projet de loi sur cet aspect?

M. Peschard (Dominique): Bien, c'est que le projet de loi, au départ, décrète qu'à la fois pour tous les employés définis par les unités, là, des articles 2 et 3 et allant jusqu'au milieu de garde familiale et les usagers, ça doit se faire à visage découvert. Bon, même si ce n'est nulle part mentionné, tout le monde comprend qu'on parle du niqab. Donc, au lieu de reconnaître... d'établir des balises basées sur des exigences propres à un service particulier ou une situation particulière qui justifieraient qu'on demande... ou qu'une personne ne puisse pas... qu'une femme ne puisse pas porter le niqab, ici, ça donne un message que la règle générale, c'est que c'est l'interdiction. Donc, les administrations vont être... simplement au départ, devoir refuser de fournir un service à une personne qui porte le niqab. Et c'est la personne qui porte le niqab qui devra se battre pour faire reconnaître son droit, si la portée de l'interdiction ne se justifie pas de manière raisonnable et par la nécessité du service. Donc, c'est ça que l'on craint à travers ce projet de loi là.

Mme Weil: Là, vous parlez de l'article 6, mais généralement, pour le projet de loi et la confirmation de l'exercice d'accommodement raisonnable et de la neutralité religieuse de l'État, en quoi vous voyez que le projet de loi n° 94 pourrait brimer ou porter atteinte à l'exercice de détermination de l'accommodement dans le cas-par-cas? C'est ce que vous dites à la page 7, là, vous parlez plus généralement, pas nécessairement juste de l'article 6, là.

Mme Filion (Nicole): Mais, quand même, il y a une formulation, à l'article 6, qui commence par «est d'application générale la pratique voulant qu'un membre». Et l'annonce qui a été faite par le premier ministre au moment de la présentation du projet de loi, son message, c'était: Maintenant, au Québec, c'est à visage découvert que ça se passe. Alors, le message lance l'idée que l'application générale est celle-ci. Alors, comment voulez-vous qu'une personne qui se présente devant un... devant n'importe quel service de l'État puisse se sentir...

**(15 h 50)**

Mme Weil: ...je comprends bien, donc ce commentaire-là, c'est vraiment précisément par rapport à l'article 6, c'est bien ça? Ce n'est pas... Ce n'est pas, peut-être, l'article 4, ou 5, ou les autres aspects. Disons, le...

Mme Filion (Nicole): Davantage l'article 6, mais la présentation négative aussi. On ne dit pas que l'accommodement doit être donné lorsqu'il ne comporte... il n'est pas une contrainte excessive. Alors, il y a... On trace la voie par la négative, et ensuite on explique que c'est d'une application générale. Alors, on balise avec une règle qui est d'une... qui risque d'avoir une application automatique, ce que la Cour suprême souhaitait qui soit évité en matière d'accommodement raisonnable. On nous a plutôt donné des balises nous invitant à avoir une pratique au cas-à-cas qui va tenir compte de l'objet et du contexte dans lequel la situation se produit.

Mme Weil: Est-ce que je...

Le Président (M. Drainville): Mme la ministre, je m'excuse.

Mme Weil: Merci.

Le Président (M. Drainville): On va devoir revenir pour votre deuxième bloc. Je cède maintenant la parole à la députée de Rosemont, porte-parole de l'opposition officielle en matière d'immigration.

Mme Beaudoin (Rosemont): Merci, M. le Président. À mon tour de vous souhaiter la bienvenue à l'Assemblée nationale cet après-midi. Moi, j'aimerais revenir sur une question. À la page 4 de votre mémoire, vous dites: «Or, là où le bât blesse pour de trop nombreuses femmes, c'est qu'elles ne peuvent exercer en toute égalité leurs droits économiques, sociaux et culturels[...]. [Et] ce qui importe pour les femmes, c'est l'exercice en toute égalité de leur droit à un revenu décent, leur droit à la santé, à la sûreté [et] à la liberté... Plutôt que de revendiquer la hiérarchisation du droit à l'égalité des femmes, il faut revendiquer des modifications de fond à la charte qui auront une incidence réelle sur les conditions économiques et sociales...»

Donc, il y en a une, hiérarchisation, dans la charte actuellement, si je comprends bien, parce que... Dans la charte actuelle, il y a donc des droits qui sont... qui ont force contraignante et d'autres droits qui ne l'ont pas. Donc, il y a un genre de hiérarchisation existante. Et ce que vous demandez, si je comprends bien, c'est qu'on amende la Charte des droits et libertés pour inclure, donc, avec force contraignante des droits qui sont déjà là mais qui n'ont pas cette même force que d'autres droits.

Mme Filion (Nicole): Exactement, ça serait le pas que le Québec n'a pas encore franchi mais que la communauté internationale a franchi depuis au moins... en fait au moment où on avait adopté le pacte international sur les droits économiques et sociaux, et ça a été reconfirmé lors de la conférence de Vienne, en 1993, où on a affirmé qu'il n'y a pas de hiérarchie entre les droits civils et politiques et les droits économiques, sociaux et culturels.

Je rappellerais d'ailleurs, et je pense que le Barreau a dû vous le rappeler à la commission ce matin, la Commission des droits de la personne avait émis des recommandations en faveur d'une reconnaissance formelle des droits économiques et sociaux. Lorsqu'elle avait fait son bilan des 25 ans de la charte, il y avait des recommandations formelles.

Et je crois qu'à chaque fois où il y a un débat qui porte sur des mesures sociales au Québec les groupes sociaux, l'ensemble des groupes sociaux au Québec reviennent avec cette revendication-là. Ça ne changerait pas du jour au lendemain la vie au quotidien des gens, mais les personnes auraient des recours pour exiger de l'État qu'il rencontre ses obligations à l'égard de la réalisation de chacun de ces droits-là.

D'ailleurs, c'est intéressant aussi de penser que, dans le cadre du débat qui porte sur la tarification, il y a un projet de loi qui a été présenté par un parti de l'opposition qui souhaite qu'il y ait un débat sur l'introduction du droit à la santé dans la charte. Ça me permet d'indiquer que non seulement les droits économiques et sociaux ne sont pas reconnus dans la charte québécoise à la même valeur que les droits civils et politiques, mais... D'ailleurs, M. Drainville avait participé à une conférence de presse récemment là-dessus, de là les sourires, peut-être, enfin. Mais tout ça pour dire que, oui, les droits économiques et sociaux doivent avoir la même valeur, mais on doit aussi ajouter à la liste des droits, parce que ce ne sont pas tous les droits économiques et sociaux qui sont nommés dans la charte, dont le droit à la santé.

Mme Beaudoin (Rosemont): Oui, très bien. Alors, je pense que c'est un point important de votre mémoire. Et, pour revenir à un cas très concret, et qu'on a vécu, puis qui effectivement a pu amener le gouvernement à déposer ce projet de loi là -- qui aurait pu prendre la forme d'une directive ou, enfin, une autre forme, mais en tout cas c'est ce que le gouvernement a choisi -- de cette femme qui était d'origine, je pense, égyptienne, et qui était dans ce cégep, et puis qui, pour apprendre le français, refusait donc d'enlever son niqab, et après avoir eu, si j'ai bien compris, beaucoup de... Il y a eu un dialogue quand même important entre la professeure ou le professeur qui enseignait le français, la direction du cégep. Comment vous pensez, compte tenu... Vous dites: Bon, bien, dans le fond, on n'a pas besoin de ce projet de loi ci pour dire «à visage découvert». Comment vous pensez que ça se réglerait s'il n'y avait pas justement ce projet de loi qui dit: Dorénavant, on donne et on reçoit des services à visage découvert, dans un cas comme celui-là, qui avait pris quand même, si je comprends bien, assez de temps de discussion et de dialogue entre la personne impliquée, et la direction de l'école, et les enseignants?

M. Peschard (Dominique): Bon. La pratique de l'accommodement raisonnable, c'est justement que l'accommodement doit être accordé s'il n'implique pas un fardeau excessif ou s'il ne nuit pas démesurément au fonctionnement de l'institution ou, bon, de l'entreprise en question. Or, manifestement, dans ce cas-là, je veux dire, le port du niqab et le comportement de la personne étaient, d'après ce que j'en ai lu, un obstacle majeur au fonctionnement de la classe. Donc, il y avait lieu d'agir comme on a agi. Par contre, il semble qu'il y avait un autre cas d'une personne qui a été expulsée -- c'était rapporté dans les journaux -- où il ne semblait pas y avoir de problème de fonctionnement dans la classe.

Donc, c'est ça effectivement, la difficulté avec une règle d'application aussi générale qu'il y a dans ce projet de loi là, c'est que ça ne tient pas compte des circonstances particulières. Mais on est tout à fait d'accord que, pour des raisons de sécurité et d'identité ou d'autres qui sont... qui peuvent surgir, qui posent un obstacle ou une contrainte majeure, il peut y avoir une entrave à la liberté de religion qui est de porter le niqab.

Mme Beaudoin (Rosemont): Parce que, pour vous, c'est la liberté de religion, ça, le niqab, c'est religieux dans tous les cas?

Mme Filion (Nicole): Bien, si vous avez bien lu notre mémoire, vous avez pu constater que, qu'on soit pour... En fait, la ligue s'oppose à l'obligation de le porter ou à l'interdiction de le porter. On est plutôt en faveur de la liberté de conscience, qui comprend aussi les libertés de religion. On reconnaît par contre que le niqab, c'est un élément d'une croyance ou d'une pratique qui est un signe d'oppression des femmes, quand même, là.

Mme Beaudoin (Rosemont): Très bien. Et ça m'amène à vous poser justement une autre question sur un autre cas. Vous parliez de la liberté de conscience. Vous avez vu ce cas de M. Robitaille, un M. Robitaille de Longueuil, qui se présente devant, je ne me souviens pas si c'est la RAMQ ou la SAAQ... enfin, bon, et qui a devant lui une fonctionnaire donc qui est voilée, et qui dit: Moi, ma liberté de conscience est atteinte par ça. Et je ne... Et il a été effectivement débouté donc par la Commission des droits de la personne. Alors, la liberté de conscience, pour vous, ça ne va pas jusque-là, si je comprends bien? On ne peut pas, si notre conscience à nous nous interdit de...

M. Sklavounos: ...

Le Président (M. Drainville): M. le député de Laurier-Dorion, s'il vous plaît. Merci. Mme la députée de Rosemont, vous avez la parole.

Mme Beaudoin (Rosemont): Oui. Alors donc, la liberté de conscience, ça va jusqu'où, et c'est quoi, la limite, en effet, que l'on peut tracer quand on l'invoque?

M. Peschard (Dominique): En quoi est-ce que la liberté de conscience de la personne qui se présentait au comptoir pour recevoir un service était brimée par le fait que la femme portait un foulard? C'est ça, ma question. Ça ne...

Mme Beaudoin (Rosemont): Si vous me permettez, justement la réponse, c'est -- vous l'avez un peu donnée vous-même en disant tantôt: C'est un signe d'asservissement des femmes, un signe d'oppression des femmes. Moi, comme femme, en tout cas, disons que c'est comme ça que je le perçois et que ma conscience me dicte que... pourrait me dicter, en tout cas, que ce n'est pas une chose que j'ai envie de vivre. Mais ce n'est pas assez, ça.

**(16 heures)**

Mme Filion (Nicole): La liberté d'expression, ça comprend aussi le fait d'être confrontés à des idées qui ne nous plaisent pas. En fin de semaine, on a été gâtés, sur la scène médiatique, par des déclarations qui étaient de l'ordre du Moyen Âge, concernant l'avortement. Ça ne nous empêchera... Ça ne fera pas en sorte qu'on va priver de liberté d'expression les personnes qui portent de tels discours. Elles vont porter atteinte à mes croyances, à mes convictions, mais la liberté d'expression va jusqu'à la permission de choquer les autres.

Mme Beaudoin (Rosemont): Je vous répondrai là-dessus: Ça dépend dans quel espace. On peut s'attendre quand même que, dans l'espace civique, ce soit un peu différent. Ça l'est dans d'autres pays, là, il ne faut pas quand même, tu sais, imaginer que le monde se réduit, donc, au Québec et au Canada. Et donc il y a l'espace privé, je suis 100 % d'accord avec vous. Puis, que le cardinal Ouellet a dit ça, ça nous a tous unanimement -- on vient de voter d'ailleurs une motion en Chambre -- unanimement, profondément choqués. Il y a l'espace public, qui est donc l'espace de la rue, l'espace du marché, l'espace du parc dans lequel on se promène, etc., puis il y a l'espace civique. Et on peut, en tout cas, au moins imaginer faire une différence entre ces trois espaces-là et puis que les comportements peuvent être justement différents selon l'espace où l'on se trouve.

Moi, en tout cas, disons que c'est une question, là... Moi, je vous donne un peu, bon, comment je vois les choses et je pense que ces distinctions-là peuvent quand même exister. Et je pense que la liberté de conscience, ça doit aller dans tous les sens et pas dans un seul sens.

Le Président (M. Drainville): Alors, le bloc de la députée de Rosemont est terminé. Si vous souhaitez répondre, ce sera prélevé sur son prochain bloc. Est-ce que vous souhaitez répondre?

Mme Filion (Nicole): Oui. C'est que c'est comme si on... J'écoutais vos propos et je me disais: Est-ce qu'à ce moment-là on veut sortir tout ce qui touche à la liberté de religion de l'espace public et reléguer dans l'espace privé ce qui serait la liberté de religion, ce qui touche aux religions?

Le Président (M. Drainville): Merci, Mme Filion. On va reprendre ça tout à l'heure, Mme la députée de Rosemont. Je vais maintenant céder la parole à la ministre de la Justice.

Mme Weil: Oui. Alors, j'aimerais vous entendre sur cette question de neutralité religieuse de l'État qui découle de la Charte des droits et libertés et la possibilité pour des employés de l'État de porter des signes religieux. Donc, justement, cette notion, votre lecture ou votre compréhension, votre expertise en la matière, ce serait intéressant de vous entendre là-dessus. C'est-à-dire que, nous, on reconnaît... Dans ce projet de loi, ce qu'on propose, c'est de reconnaître ce principe de neutralité religieuse de l'État qui permet aux employés de l'État de porter certains signes religieux. L'article 6, on en a discuté, on l'amène sur un terrain plus pragmatique, on aura l'occasion d'en reparler. Mais peut-être vous entendre là-dessus.

M. Peschard (Dominique): Bien, évidemment, là, on défend... On est tout à fait d'accord avec la neutralité religieuse de l'État, c'est le principe d'une société laïque. Qu'est-ce que ça entend par là? C'est que les institutions de l'État... l'État lui-même et ses institutions ne doivent pas privilégier une religion ou une autre, ou même une croyance ou la non-croyance, et respecter autant les croyances que les non-croyances. Ça n'implique pas que les individus qui sont employés doivent camoufler leurs convictions. Et ce n'est pas parce que certaines pratiques religieuses ou croyances ont des signes qui manifestent l'adhésion de la personne à une croyance ou une autre que ça empêche cette personne-là de fournir un service en toute neutralité dans le cadre de ses fonctions. Donc, pour nous, la neutralité religieuse de l'État n'implique pas la prohibition de signes religieux, de tous signes religieux de la part des employés.

Et ça peut seulement... Ça peut s'envisager être nécessaire pour certaines fonctions particulières de l'État où il ne doit pas seulement y avoir neutralité, mais apparence de neutralité. On peut penser aux juges, au président de l'Assemblée nationale, par exemple, O.K., donc certaines fonctions, qui sont discutables, parce que toutes ces questions-là sont discutables. Mais des agents qui représentent l'État, d'une certaine manière, ou l'autorité peuvent être, eux... ça se justifierait d'exiger qu'ils ne portent pas de signe religieux. Mais d'exiger que les employés en général ne puissent pas en porter, ce serait, à notre avis, abusif.

Le Président (M. Drainville): M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sklavounos: Merci, M. le Président. Alors, M. Peschard, Mme Filion, merci beaucoup pour votre présentation, vos commentaires, votre mémoire. J'aimerais poser quelques questions spécifiques, parce que j'écoute depuis tout à l'heure et, sur l'article n° 1, qui emploie ce langage qui est permissif au lieu d'obligatoire, lorsqu'on... Si on lit le petit bout de phrase qui vient juste avant, là, que... Évidemment, c'est pour établir... Le but est de... L'«objet d'établir des conditions pour lesquelles un accommodement peut être accordé», pensez-vous, pratico-pratique, que le langage soit obligatoire ou permissif? Lorsqu'on prend l'article dans son entièreté, pratico-pratique, est-ce qu'il y aurait différence dans... Est-ce qu'il pourrait y avoir une interprétation qui ne permettrait pas de faire ce que vous suggérez, à cause de ce libellé-là, que vous voyez?

Moi, j'ai l'impression que, lorsqu'on lit l'article dans son entièreté... On parle de «peut être», mais on dit... on commence en disant que c'est... la «loi a pour objet d'établir les conditions dans lesquelles un accommodement peut être». Vous, vous auriez suggéré, si je comprends bien, de dire «doit être» ou... Et je pense qu'un commentaire similaire nous est venu du Barreau. Dans les faits, par exemple, est-ce que vous pensez que ça changerait de quoi? Moi, si j'étais pris à peut-être interpréter cet article-là, est-ce que je n'arriverais pas à la même décision à la fin d'une... Que ce soit le langage permissif qui est là ou le langage obligatoire que vous préconisez, pratico-pratique, voyez-vous un exemple où l'interprétation serait différente?

Je comprends qu'il y a cette question d'assurer la philosophie, là, que l'accommodement n'est pas exceptionnel, fait partie des chartes, n'est pas... n'est pas pour être vu comme une exception. C'est pour être vu comme une façon d'assurer un droit pour une personne qui serait autrement lésée. Mais, juste sur le point du langage -- parce que je sais qu'on a les légistes qui ont travaillé sur le projet de loi en arrière de nous, qui regardent, qui écoutent attentivement également -- pensez-vous que, pratico-pratique, ça changerait de quoi?

M. Peschard (Dominique): Mais il faut voir comment un tribunal interpréterait ça. Mais «peut être accordé», ça n'implique pas l'obligation de l'accorder, ce qui est différent de la... Il faudrait dire «un accommodement est accordé», «les conditions dans lesquelles un accommodement est accordé» ou «doit être accordé». Parce que «peut être», ça laisse le... ça laisse le choix de l'accorder ou pas.

M. Sklavounos: Non, non, je comprends, je comprends ce bout-là. Mais imaginons un cas où ce n'est pas accordé, la personne se plaint et dit: Ça n'a pas été accordé, là, donc mes droits sont brimés. Le tribunal est pris à faire la même analyse, finalement.

M. Peschard (Dominique): Bien, c'est d'ailleurs...

M. Sklavounos: Ce n'est pas une analyse différente, là. Le tribunal va faire... va voir finalement, dans ce cas-ci, si la personne est lésée par le fait qu'il n'y a pas eu accommodement raisonnable et, s'il y a eu accommodement raisonnable, est-ce que ça impose une contrainte excessive. J'ai l'impression que l'analyse va être la même, peu importe le libellé précis, si on utilise ici un langage permissif ou un langage obligatoire. Est-ce que vous êtes d'accord avec moi ou...

M. Peschard (Dominique): Bien, ce que... Là, je suis... Ce qui va arriver effectivement, c'est que des cas vont se retrouver de toute façon devant les tribunaux. Donc ça, c'est... Une des critiques, c'est que l'idée qu'à travers un projet de loi comme ça on va éviter d'avoir des litiges, c'est une illusion.

M. Sklavounos: Oui, oui, mais vous êtes aussi d'accord avec moi qu'essayer de prévoir... C'est un projet de loi, hein? Puis c'est un projet de loi général. C'est une réaffirmation de certains principes. Je sais que nos collègues de l'autre côté ont fait certains commentaires, certaines remarques disant que ça allait... qu'ils voulaient avoir un projet de loi qui réglerait tous les cas. J'aimerais leur demander à le rédiger, et, par la suite, nous pourrons le regarder. J'ai l'impression qu'ils vont avoir beaucoup de difficultés. Un document de ce genre-là... C'est comme la charte, d'ailleurs, hein? La charte ne comporte pas des exemples concrets, des exemples pratiques. On laisse ça au soin... Il y a des gens qui occupent des postes de juge, qui sont des experts, qui sont appelés à regarder ça.

Évidemment, moi, j'ai pratiqué le droit pendant sept ans, je n'ai pas eu une cause qui avait la même trame de faits. Alors, tous les faits peuvent changer, le contexte est différent. Faire un projet de loi qui pourrait répondre à toutes les questions, je pense que là ça serait illusoire de penser qu'on pourrait le faire. Vous êtes d'accord avec moi qu'on ne peut pas prévoir toutes les situations et les contextes dans un projet de loi, et ça serait hasardeux peut-être de la faire, parce qu'en le faisant, dans un cas particulier, ça pourrait mener à un résultat qui serait, sur l'effet, un petit peu différent, et on serait pris à prendre... à être... Le train serait sur les rails, parce qu'on a déjà donné des indications.

Vous êtes d'accord avec moi qu'une certaine latitude, une certaine flexibilité... Il faut aussi faire confiance à nos administrateurs qui vont être pris à l'appliquer et aux tribunaux qui sont appelés à prendre des décisions, quand même.

M. Peschard (Dominique): Oui, on est d'accord sur ce fait-là. Il n'y a pas de contestation. Mais, tant qu'à ça, la formulation qui encadre les accommodements raisonnables devrait être celle qui est usuelle et non pas celle qui est dans ce projet de loi là. C'est tout ce qu'on dit.

**(16 h 10)**

M. Sklavounos: Oui. O.K., je comprends bien.

Le Président (M. Drainville): Il reste à peu près... un tout petit peu plus qu'une minute, M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sklavounos: O.K. Excellent. Très rapidement. Peut-être vous pourriez revenir dans le prochain bloc, si on n'arrive pas à avoir la réponse. Au niveau des questions de la sécurité et de l'identification, j'aimerais vous entendre là-dessus. Vous vous êtes exprimés un petit peu sur le niqab généralement. Vous vous êtes expliqués... exprimés un petit peu sur le droit de le porter ou de ne pas le porter. Dans une situation où l'identification est nécessaire, on pourrait penser à l'identification... je ne veux pas rentrer dans du domaine fédéral, mais on peut imaginer plusieurs situations où il y aurait besoin d'identification pour confirmer que c'est bel et bien la personne qui se présente pour prendre un avion, pour voter, dans des circonstances de ce genre-là, est-ce que c'est injustifié d'exiger qu'une personne se dévoile le visage pour pouvoir s'identifier lorsqu'une question de sécurité, par exemple, ou d'identification pourrait être... pourrait l'obliger? Là, vous n'avez pas de problème à ce niveau-là.

M. Peschard (Dominique): Non. Il faut que le motif soit... se justifie. Si le motif est sérieux, se justifie, la personne n'a pas le choix que d'enlever son niqab pour s'identifier.

M. Sklavounos: Mais, je veux dire, identification... Vous êtes d'accord avec moi qu'identifier une personne qui porte le niqab, c'est pas mal difficile, là.

M. Peschard (Dominique): Oui, oui, d'accord.

M. Sklavounos: Vous trouvez...

M. Peschard (Dominique): Donc, si on a besoin... S'il y a besoin de l'identifier, oui, c'est ça.

M. Sklavounos: Oui, oui, c'est sûr, c'est sûr. S'il n'y a pas besoin d'identification, bien... Mais, lorsque vous dites que c'est général, c'est général puis c'est une interdiction générale, il me semble que déjà mettre «sécurité» puis «identification», c'est des balises qui sont pas mal claires, il me semble, je veux dire, dans deux circonstances: il faudrait que les faits le justifient, comme vous dites, il faudrait qu'il y ait besoin réel d'identification, pas qu'on sorte ça puis... Oui?

Le Président (M. Drainville): C'est terminé, M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sklavounos: Oui, oui, parfait. On pourrait continuer ça au prochain bloc. Merci.

Le Président (M. Drainville): Et je vais céder la parole à la députée d'Hochelaga-Maisonneuve

Mme Poirier: Merci, M. le Président. Dans votre petit... Dans le feuillet que vous nous avez transmis, il y a une phrase qui m'interpelle particulièrement, avec le débat qu'on vient d'avoir sur l'avortement il y a quelques minutes, et vous dites: «Vouloir restreindre la capacité des femmes d'exprimer leurs convictions, que l'on soit d'accord ou pas avec ces convictions, équivaut à juger les femmes inaptes à décider pour elles-mêmes.»

Lorsqu'on parle d'égalité hommes-femmes, lorsqu'on parle de croyances religieuses... Ce matin, on avait une discussion avec les gens du Barreau à l'effet de dire: Est-ce qu'un juge pourrait porter des signes religieux ostentatoires? Demain matin, il y a une femme juge qui se présente en cour avec une burqa. Alors là, ça revient remettre complètement ce que l'on se dit ici. Alors, j'aimerais vous entendre là-dessus. Parce que ce n'est pas quelque chose qui peut être... qui ne pourra pas arriver dans la vie.

M. Peschard (Dominique): Disons que ce n'est pas la veille qu'on verra une juge avec une burqa, mais, admettons, parce que je trouve que la question... effectivement ce ne serait pas... Le problème de se cacher le visage dans une situation de justice, ce n'est pas un problème juste pour... du niveau du juge, ce serait un problème au niveau aussi des témoins, qui doivent être identifiés. Quand un témoin livre son témoignage, son expression fait partie du jugement qu'on peut porter à la crédibilité de son témoignage. Donc, pour nous, ce ne serait pas du tout... Ce serait une contrainte excessive au fonctionnement de la justice que des gens... que la justice ne soit pas livrée à visage découvert, et pas juste au niveau du juge. Donc, pour nous, ce serait...

Mme Poirier: Donc, si je vous comprends bien, dans une cour de justice en tant que telle, ça doit se faire à visage découvert...

M. Peschard (Dominique): Oui.

Mme Poirier: ...l'ensemble des personnes qui sont sur place doivent être à visage découvert.

M. Peschard (Dominique): Bien, qu'ils soient impliqués dans le procès.

Mme Poirier: Pardon?

M. Peschard (Dominique): Qu'ils soient impliqués dans le procès, les témoins.

Mme Poirier: Est-ce que, lorsqu'on parle de voile... On parle de voile intégral actuellement, est-ce que... Une juge qui porterait le niqab, par exemple, est-ce que vous auriez le même raisonnement, la même interprétation? Parce que ça pourrait, pour certaines personnes qui sont là à témoin, en tant que tel, ou comme accusées, dire que ce juge-là ne sera pas impartial dans sa décision parce que ses convictions religieuses affichées, en tant que tel, viennent influer dans le fond sur sa personne et pourraient influencer justement la décision à rendre éventuellement. Est-ce que, pour vous, ce serait un motif que quelqu'un pourrait invoquer éventuellement, à l'effet de dire: Le juge qui est devant moi affiche ses convictions religieuses de façon ostentatoire, et, ce que ça vient faire, moi, je remets en doute la capacité de ce juge-là?

Mme Filion (Nicole): Bien, je pense qu'il faut aussi... Bien, je pense que tantôt on a expliqué que, dans le cadre de certaines fonctions, il faut aussi avoir apparence d'impartialité et de neutralité, on l'a dit tantôt. Mais, si on veut poursuivre sur la lancée de la laïcité, la laïcisation de notre société, il faudrait aussi retirer de certains palais de justice les crucifix qui président dans les salles d'audience, il faudrait aussi mettre un terme aux prières qui viennent débuter les conseils municipaux. Il faut poursuivre dans la voie de la laïcisation de notre société pour assurer la neutralité de l'État à l'égard de tous les citoyens. C'est dans cette perspective-là que nous avons, entre autres, rédigé ce court document d'éducation populaire. On souhaiterait d'ailleurs que le gouvernement soit peut-être plus efficace ou plus actif sur la scène publique pour rappeler ce que sont les droits, rappeler ce qu'est la neutralité de l'État, ce que ça comprend, ce que ça permet de préserver aussi dans la société, plutôt que d'une... d'une action législative qui en fait nous semble inutile et qui porte une restriction à l'obligation d'accommodement.

Le Président (M. Drainville): M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Cloutier: Merci, M. le Président. Alors, Alexandre Cloutier, député de Lac-Saint-Jean. Est-ce que vous pensez que tout le débat que le Québec vit sur les accommodements raisonnables aurait été une belle occasion pour ouvrir le débat à nouveau sur les modifications qu'on devrait apporter à la charte québécoise ou... Vous le faites par le biais des droits économiques et sociaux, vous revenez dans votre mémoire en disant que Bouchard-Taylor faisait référence à la charte québécoise des droits et libertés, mais est-ce que vous pensez qu'on devrait procéder par un amendement à la charte québécoise?

Mme Filion (Nicole): Bien, ce qu'on a dit dans notre mémoire, et on l'a répété à plusieurs occasions, on l'a dit tantôt aussi, oui, c'est le... En fait, si on veut assurer l'égalité réelle des hommes et des femmes dans la société, il faut qu'il y ait des mesures qui vont garantir leurs... l'ensemble des droits économiques et sociaux. Elles n'ont pas le même accès à la réalisation de ces droits-là qu'on le retrouve dans la société actuellement pour les hommes.

M. Cloutier: À mon sens, la question des droits économiques et sociaux est une question en soi, c'est-à-dire, c'est la mise en oeuvre de l'égalité réelle dans les faits. Mais, au-delà de cette dimension des droits économiques et sociaux, pour la problématique qu'est les accommodements raisonnables, est-ce que vous ne pensez pas que, pour apporter une solution à l'expression juridique qu'est les accommodements raisonnables ça aurait pris également un amendement à la charte québécoise?

Mme Filion (Nicole): Non. On a fait valoir dans notre mémoire, et on va le maintenir ici: la Cour suprême a donné des balises qui permettent d'appliquer au cas-par-cas l'obligation d'accommodement, de tenir compte de l'objet et du contexte dans lequel ça doit être accordé. Il y a toute une logique d'application qui doit être mise en oeuvre. On doit vérifier si la mesure est en lien avec l'objectif qui est poursuivi. Est-ce qu'on porte une atteinte minimale aux droits? Il y a toute une méthode d'application que la Cour suprême nous a donnée qui, à notre sens, ne mérite pas... ne nécessite pas qu'il y ait un amendement à la charte.

M. Cloutier: Alors, ce que je comprends, c'est que vous êtes satisfaits avec la situation actuelle, qui est une approche au cas-par-cas avec une interprétation judiciaire du droit à l'égalité, essentiellement, et que vous ne souhaitez pas que le législateur apporte des balises. C'est probablement pour ça que vous dites aussi que le projet de loi n° 94 est inutile, en ce sens qu'il reprend et... ou qu'il codifie la jurisprudence actuelle. C'est bien ça?

Mme Filion (Nicole): Il ne codifie pas la jurisprudence actuelle, il est plus restrictif que ce que la jurisprudence a permis à date.

M. Cloutier: Mais, mis à part la...

Mme Filion (Nicole): Mais c'est important de le mentionner parce que...

M. Cloutier: Oui, je comprends. Mais, sur le fond des choses... Oui, je comprends ce que vous dites. Très bien. Mais ce que vous dites, c'est qu'essentiellement, si le projet de loi inutile... Parce que, sur le fond, ça reprend essentiellement. Mise à part la restriction de formulation de texte que vous nous avez... que vous suggérez de bonifier, essentiellement c'est la même chose.

Mme Filion (Nicole): Mais la Cour suprême avait dit aussi, avec beaucoup de justesse, que d'établir des règles qui risquent de s'appliquer avec automatisme et formalisme, ça risquait d'être porteur de discrimination. Alors, je pense qu'on peut par moments trouver que la Cour suprême ne rend pas les décisions qu'on souhaiterait qu'elle rende, mais par moments elle est judicieuse, et à ce moment-là elle l'a été beaucoup.

**(16 h 20)**

M. Cloutier: Alors, qu'est-ce que ça règle, le projet de loi n° 94, à votre avis?

Mme Filion (Nicole): Ça ne règle rien et ça empêche de faire les débats sur les questions de fond qui traversent notre société. Ça empêche de... pour le moment. En tout cas, on débat d'un droit à l'égalité qui est d'ailleurs consacré dans la charte, qui est défendu par la société québécoise, alors qu'on devrait peut-être regarder ce que sera l'impact de la tarification dans le système de la santé. On ne considère pas le droit à un revenu suffisant pour les prestataires de l'aide sociale. On ne donne pas accès à des logements sociaux pour les femmes qui vivent dans la pauvreté. Alors, si on veut vraiment entreprendre des modifications importantes, dans notre société, qui vont être porteurs d'égalité, il faut entreprendre ces mesures.

Le Président (M. Drainville): Il vous reste 20 secondes, M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Cloutier: Alors, je vais commenter, à ce moment-là. Nous sommes... Nous partageons entièrement votre avis à l'effet qu'il est pour le moins déplorable qu'on n'ait pas encore donné suite au rapport de la Commission des droits de la personne. Et malheureusement ça crée un vide juridique, on peut dire ça, alors qu'il y a des correctifs importants qui devraient être apportés. À notre avis, le débat qu'on a actuellement sur les accommodements raisonnables aurait été une belle occasion pour ouvrir l'ensemble du débat aux dispositions de la charte québécoise...

Le Président (M. Drainville): M. le député de Lac-Saint-Jean, c'est malheureusement terminé. J'aimerais remercier Mme Filion et M. Peschard. Merci beaucoup de vous être présentés devant nous.

Et je vais maintenant suspendre quelques instants afin de permettre à la Centrale des syndicats du Québec de prendre place. Merci.

(Suspension de la séance à 16 h 22)

 

(Reprise à 16 h 23)

Le Président (M. Drainville): À l'ordre, s'il vous plaît! Je souhaite la bienvenue à nos invités, M. Parent, Réjean Parent, président de la Centrale des syndicats du Québec, et Mme Nicole de Sève, conseillère à la CSQ. Bienvenue. Merci d'être là cet après-midi.

Alors, je vous rappelle, vous disposez de 10 minutes pour votre présentation. Par la suite, il y aura une période d'échange de 40 minutes. Et, aux fins d'enregistrement, je vous demanderais de vous identifier et de présenter les personnes qui vous accompagnent. La parole est à vous, M. Parent.

Centrale des syndicats du Québec (CSQ)

M. Parent (Réjean): Merci, M. le Président. Réjean Parent, président de la CSQ. Je suis accompagné par Nicole de Sève, conseillère syndicale à la centrale, entre autres sur toute la question des politiques publiques.

Je ne prendrai pas le mémoire comme tel. Je sais que vous êtes des élèves studieuses et studieux et que vous l'avez lu. Donc, je vais essayer plutôt d'en faire le contour, puis placer le positionnement à la centrale, qui est très différent d'une approche juridique, là, soit dit en passant. Vous allez voir que ce n'est pas un avocat du Barreau qui vous parle.

Juste vous rappeler mon expérience ancienne. J'étais, avant d'être président de la CSQ, président du Syndicat de l'enseignement de Champlain. Quand vous parlez de causes, pour avoir déposé un grief à la fin des années quatre-vingt sur la notion d'accommodement raisonnable pour les enseignantes et enseignants de pratique... religion juive, on s'est rendus jusqu'en Cour suprême, ça a pris une dizaine d'années pour avoir des accommodements conséquents. Ça fait que vous aurez compris que le cas-par-cas puis d'attendre 10 ans pour voir des solutions, ce n'est pas nécessairement la voie qu'on privilégie et... Mais en même temps vous dire que, comme organisation syndicale, ce n'est pas une fin de non-recevoir à des accommodements raisonnables. Et on a salué d'ailleurs le rapport Bergman Fleury, en termes d'accommodements, dans le monde de l'éducation, dans le monde scolaire. Parce qu'en même temps, là, on est comme au bout de la chaîne, et on parlait de la fameuse étudiante avec son niqab au cégep, mais c'est souvent des gens qu'on représente qui ont à faire face ou à s'adapter à ces situations. Bon.

D'entrée de jeu, vous dire que celles et ceux qui pensaient que la commission Bouchard-Taylor ou les réponses gouvernementales avaient fermé le dossier, là, bien, juste à titre d'exemple, dans les derniers mois, des éléments qui sont remontés à la surface... Parce que c'est ça aussi, là, la dynamique d'être en mesure... pas juste de régler dans des textes de loi, mais de régler socialement la situation ou tout au moins d'avoir un consensus social. Je regarde, à titre d'exemple, toute la fameuse question du régime pédagogique, qui n'a pas été sans susciter certaines récriminations. Je regarde les garderies confessionnelles. Je regarde l'interdiction du niqab. Donc, un élément qui refait surface.

On voit... Évidemment, on a de la difficulté, comme société, à faire face au défi de la pluralité religieuse dans l'espace public. Et, tout au moins, l'hypothèse qu'on en fait, c'est qu'on se refuse le débat, on se refuse de traiter de la question, on y va à la pièce. Là, vous allez trouver que c'est pas mal différent de nos prédécesseurs: on ne croit pas beaucoup au cas-par-cas. Ça fait que c'est... Ça fait que vous allez voir que c'est plutôt à l'inverse, on pense qu'il y a nécessité, je veux dire, de cesser d'essayer de se faire un chemin entre la peinture et le mur et de réagir. Il y a un événement, on pose, oups! un projet, une directive. On regarde dans le contexte gouvernemental actuel, à un moment donné, on avait le projet de loi n° 16, à l'automne, qui est parti, on ne sait pas, évaporé. On regarde, à un moment donné, oups! on amène un préambule à la charte: consacrer... garantir que l'égalité des droits s'applique tant et aussi bien aux femmes qu'aux hommes avec... On se demande encore qu'est-ce que ça a apporté de plus, là, mais ça, regardez... Tu sais, probablement qu'il y a des savants avocats qui répondront à la question. Mais on pensait qu'une société doit dépasser... -- c'est sûr que, si on veut faire vivre les avocats, on est bien partis pour ça -- mais on essaie en même temps de vivre dans l'espace public.

Je regarde, aujourd'hui, on est avec le projet de loi n° 94. Je regarde dans le contexte même du laisser-faire, il y a un avis de la Commission des droits par rapport à la prière au conseil municipal. Bah! ça, on n'en parle pas, de ça. Mais un voile dans un collège, ça, ça peut être un crime contre l'humanité. Mais je regarde ce fameux crucifix à l'Assemblée nationale, ça, on y tient, on est accrochés après ça, là, je ne sais pas, comme au milieu de l'océan.

Donc, je pense que ces éléments-là viennent faire ressortir à quel point on traite à la pièce. Et même 94 constitue encore une réponse à la pièce, rien de neuf. C'est sur le plan juridique qu'on consacre l'état de fait, les jugements précédents. Pas de débat social, on s'évite, là, on tasse ça, le débat social, le plus possible, pour s'éviter d'en parler, des fois qu'on se chicanerait autour de ça. Et, «à visage découvert», bon, une nouvelle religion qui vient de poindre, en attendant de trouver d'autre chose. Ça fait que vous aurez compris qu'en toute logique, comme centrale syndicale, on invite plutôt le gouvernement à tasser son projet de loi, et à amener le véritable débat public, et à ouvrir, sur la recommandation qu'il y avait de Bouchard-Taylor, un livre blanc sur la laïcité.

Je vais essayer d'expliquer, là, je vais essayer de faire savant dans les articles -- mais, regardez, s'il y a des questions bien précises, la conseillère qui est à mes côtés y répondra -- mais la lecture qu'on en fait, là, 1, 4, 5, strictement en termes de définition... J'entendais... On parlait de codifier l'état de la jurisprudence actuelle, tu sais, la définition d'accommodement raisonnable, mesures, je veux dire, de redressement et «ne crée pas de contrainte excessive». Jusque-là, je veux dire, ça tient la route, ça n'apporte rien de neuf par rapport à l'état du droit.

**(16 h 30)**

D'abord, on appuie notamment sur, bon, la question de la neutralité religieuse. N'étant pas avocat, j'essaie de lire, là, la neutralité religieuse, je n'ai pas vu, dans la charte, à quel point, je veux dire, elle est consacrée ou étampée. En plus, notre fameuse charte québécoise est accotée sur la Charte canadienne, qui, elle, consacre la suprématie de Dieu. Bien, fort probablement que, là aussi, il y a encore des avocats qui, un jour, nous donneront une réponse savante pour nous dire que c'est la neutralité religieuse même avec la suprématie de Dieu. Ça fait qu'il y a là... Il y avait certaines contradictions.

Maintenant, sur l'article 6, la nouveauté du jour fait dire... Puis ça, je rejoins la ministre de la Justice, il y a un élément où on est tout à fait d'accord: l'importance, je veux dire, d'une société qui est ouverte. On disait, bon, la tolérance, là, mais, moi, je ne pense pas qu'on est une société de tolérance, je pense qu'on est une société qui est prête à vivre la différence, mais tout en se donnant des règles communes puis en se reconnaissant. Mais, déjà, sur l'article 6, bon, bien, maintenant c'est clair, c'est à visage découvert, mais, le restant, vous porterez les signes ostentatoires que vous voudrez bien. Je veux dire, là, c'est... on a la clarté limpide.

En même temps, on a la présidente du Conseil du statut de la femme qui dit: Oups! enfin, je salue une loi, l'article 4, qui vient nous dire que, là, la neutralité religieuse peut constituer un frein au port de signes ostentatoires. Ça fait qu'un autre... un autre élément pour faire vivre nos avocats, pour pouvoir s'obstiner devant les cours, puis éventuellement savoir qui a raison ou pas: Est-ce un frein, pas un frein?

Mais dans le fond ce n'est pas dans... Je ne pense pas que c'est dans les textes juridiques qu'on peut consacrer le vivre-ensemble ou le bien-vivre-ensemble autour de valeurs puis de règles communes. C'est à travers un débat, à travers... Et, dans ce sens-là, comme centrale syndicale, je reviens à la conclusion que je vous donnais dès le début... Parce que l'intérêt, je veux dire, de retarder, de tasser ce projet de loi là pour plutôt ouvrir l'espace à un livre blanc sur la laïcité et converger socialement, consensuellement vers des règles communes... Parce que c'est bien beau, la société des juges, mais je pensais qu'on était dans une société démocratique où, à un moment donné, les gens qu'on élit, ils ont un espace de gouverne puis se doivent d'adopter des lois sérieuses, mais des lois qui en même temps vont tracer un pourtour, puis qu'on n'aura pas, au cas-par-cas puis selon l'événement du jour, dire: Oups! ça nous prend une loi pour interdire telle chose ou telle autre affaire. Ça fait que beaucoup plus placé dans un contexte de débat social, puis de construction d'une identité québécoise, puis d'une convergence, si je peux m'exprimer ainsi, sociale plutôt que, hop...

Aïe! pour tasser le débat, le port du voile interdit, à visage découvert et... un autre élément antinomique pour pouvoir en débattre devant les cours. Et on continuera à la pièce. Et je pense que, jusqu'à un certain point, le «à la pièce», la dernière décennie, il n'a pas nécessairement été garant, là, d'aventures heureuses. Puis ça ne cultive sûrement pas en tout cas l'ouverture aux autres ou -- négativement peut-être -- la tolérance aux autres. Ça a tendance à stigmatiser les personnes immigrantes puis à créer des zones de tension dans... au sein de la population.

Merci beaucoup. J'espère que je n'ai pas pris plus que 10 minutes, M. le Président.

Le Président (M. Drainville): M. Parent, non, vous êtes... Vous avez le sens du chrono, comme je l'ai déjà connu dans une autre vie. Je vais maintenant céder la parole à Mme la ministre de la Justice.

Mme Weil: Oui, merci. Je voudrais peut-être revenir sur cette question d'accommodement. Vous savez qu'à l'origine c'est un principe ou un exercice qui découle du droit du travail, un domaine que vous connaissez bien, pour accommoder les personnes handicapées... handicapées et l'intégration au travail. Est-ce que vous êtes pour l'exercice de l'accommodement qui respecte la Charte des droits et libertés?

Le Président (M. Drainville): M. Parent.

M. Parent (Réjean): Bien, je pense que d'entrée de jeu, quand je vous indiquais mes antécédents, quand on est allés jusqu'en Cour suprême pour faire respecter, je veux dire, la pratique de certains de nos membres... Ils étaient quatre sur 1 200, soit dit en passant. Ça fait que, vous voyez, il n'y a pas de petit membre puis il n'y a pas de petit nombre, c'est... Et, dans ce sens-là, oui, nous sommes pour des accommodements puis qui favorisent autant d'où est-ce que... que les personnes handicapées puissent avoir un accès égal à l'emploi, que les femmes aient un accès égal. Je veux dire, il n'y a aucun problème de ce côté-là. On n'a pas de problème de valeur.

Mme Weil: ...

Le Président (M. Drainville): Mme la ministre de la Justice.

Mme Weil: Oui, excusez-moi. Évidemment, vous comprenez qu'il y a toujours ce recours aux tribunaux, dans le cas de l'accommodement, par exemple, des personnes handicapées. C'est souvent les tribunaux qui ont fait développer ce champ du droit. Donc, le cas-par-cas fait partie un peu... Êtes-vous d'accord avec ça, c'est-à-dire qu'évidemment il faut amener ces cas devant les tribunaux, c'est la nature même des chartes de droits et libertés? J'essaie de vous amener un peu sur la pratique de l'accommodement, le cas-par-cas, pour vous amener sur d'autres droits qui sont inscrits, le droit à l'égalité, dans la charte. Évidemment, la liberté de religion, c'en est un. Alors, juste de voir si vous êtes d'accord généralement avec ce principe d'accommodement et d'avoir recours aux tribunaux pour trancher.

M. Parent (Réjean): Bien, moi, je ne voudrais pas qu'on mêle les genres, quand vous m'amenez sur le terrain des personnes handicapées, en lien avec le travail. Quand on s'adresse aux tribunaux, c'est parce qu'on pense qu'il y a eu contravention à leurs droits, qu'ils n'ont pas été embauchés parce qu'ils étaient, du fait, handicapés, et c'est la seule raison qui faisait en sorte que l'employeur ne les embauchait pas. Au même titre que, quand un employeur n'embauche pas une dame ou la met à pied parce qu'elle est enceinte, encore là, on va s'adresser aux tribunaux parce qu'on pense qu'il y a contravention à un droit qui est clairement exprimé. Ça fait qu'on n'est pas dans l'ordre de l'accommodement, on est dans l'ordre de la contravention à un droit, puis on s'adresse à un tribunal pour faire respecter le droit.

Mme Weil: Juste parce qu'en vertu de la jurisprudence et tout ce champ de droit qui a été développé... C'est ce qu'on a entendu beaucoup ce matin aussi du Barreau, c'est tout le champ de l'accommodement raisonnable, s'il y a des contraintes excessives ou non, et donc le droit à l'égalité. Et tout le domaine de cette jurisprudence, finalement, à l'origine, c'était justement dans le droit du travail. C'est pour ça que je fais le parallèle. Parce que là vous dites que vous n'êtes pas... vous êtes mal à l'aise avec le cas-par-cas, mais j'essaie de comprendre si vous êtes mal à l'aise avec le cas-par-cas lorsqu'on touche la liberté de conscience en particulier.

Le Président (M. Drainville): M. Parent.

M. Parent (Réjean): Bien, quand on me réfère dans... D'abord, un, pour rendre bien clairs les sujets, là, à ce que je sache, dans l'espace public, là, il n'y a pas beaucoup de montées... ou d'interrogations sur la question, je veux dire, du droit pour les personnes handicapées au travail, pour le droit pour les femmes enceintes de pouvoir avoir accès à leur travail au retour de leur congé de maternité. Ce n'est pas... Je ne pense pas que ça, ça soulève des éléments, je veux dire, en termes de débat public, qui nécessitent un approfondissement ou.. Et, dans ce sens-là, quand vous me parlez d'accommodement, là, là, à ce stade-ci, fort probablement que les tribunaux sont venus cerner, puis, à un moment donné, on a établi des lois, on a établi des règles claires qui font en sorte que c'est soit codifié dans des conventions collectives, dans des contrats de travail ou dans des lois ou règlements.

Et on essaie de s'éloigner de l'application du cas-par-cas, à se demander: Est-ce que cette femme enceinte, vraiment, elle, dans son cas, elle a droit de reprendre ses fonctions après? Est-ce que cette personne handicapée, compte tenu de son handicap, aurait droit de travailler ou de ne pas travailler? Je pense qu'on a des règles qui sont loin dans le traitement cas par cas. Quand ça finit cas par cas, c'est parce que... souvent, dans le monde du travail comme vous le décrivez, c'est parce que l'employeur ne respecte pas la loi.

Le Président (M. Drainville): Mme la ministre de la Justice.

Mme Weil: Oui. Vous parliez d'un livre blanc... ou on parle d'un livre blanc sur la laïcité, beaucoup ce qui a été invoqué dans le rapport Bouchard-Taylor, qui aurait éventuellement abouti, possiblement, à des mesures législatives et... Parce qu'évidemment, nous, on est dans un domaine très particulier des services gouvernementaux, où le gouvernement voulait se donner, veut se donner des orientations autant pour les employés qui donnent les services que pour les personnes qui reçoivent les services. Donc, on n'est pas dans le grand domaine public, on est vraiment dans le domaine des services gouvernementaux.

Ne pensez-vous pas qu'un livre blanc pourrait nous amener exactement où on est, avec des notions bien établies, des chartes de droits et libertés qui reconnaissent certains principes, et qui ont été reconnus aussi dans le rapport Bouchard-Taylor, sur la neutralité religieuse de l'État, etc., que finalement, d'une manière ou d'une autre, on arrive là où on est aujourd'hui, avec un projet de loi qui va venir baliser, orienter, clarifier les actions des uns et des autres?

Le Président (M. Drainville): M. Parent.

M. Parent (Réjean): Je vais laisser le soin à Nicole de compléter, là, mais d'entrée de jeu peut-être un petit préambule, vous dire: Nous ne sommes pas contre des lois, contre des réglementations. Ce n'est pas l'intention de légiférer qui nous atteint à ce stade-ci, c'est plutôt ce sur quoi on légifère. Ça fait que je veux qu'on distingue très bien, là: en termes de baliser, de codifier, de sortir du cas-par-cas, vous avez... on est preneurs. On pense que votre loi, dans le cadre actuel, ne satisfait pas à ces conditions-là puis laisse le dossier ouvert au cas-par-cas pour la prochaine décennie. Mais je laisse le soin à Nicole de vous parler de charte de la laïcité.

**(16 h 40)**

Mme de Sève (Nicole): Peut-être pas tant de la charte, mais c'est parce que vous avez glissé doucement sur la question de la neutralité. Moi, j'ai été très impressionnée par le texte de Me Jean-Claude Hébert dans La Revue du Barreau -- je ne suis pas juriste, je suis juste sociologue -- mais qui disait que nulle part -- et ça, je ne le savais pas -- dans notre aménagement constitutionnel le caractère laïque, séculier ou neutre de l'État ne se trouve affirmé. Ce sont les juges qui l'ont décidé. Et là où on essaie de ramener... tout en comprenant très bien qu'il est de la responsabilité gouvernementale de donner des balises pour savoir comment va se comporter le personnel et comment on va agir, aussi, avec les personnes qui viennent demander des services. Mais la question, c'est que nous n'avons pas fait le débat comme société sur c'est quoi, une société laïque. Tout le monde dit: Le Québec est laïque. Moi, je veux qu'on me le prouve. Ça n'existe pas, ça n'a pas été dit. La neutralité de l'État, où est-ce que ça a été inscrit? S'il le faut, que ce soit inscrit dans une loi qui... Où est-ce que ça a été inscrit, cette notion-là? Alors, on se réfère à des notions qui n'ont pas été discutées.

Notre charte, là, elle n'a pas été réévaluée depuis 35 ans. Ce n'est pas rien, là. Tu sais, il y a un questionnement. Et, quand on voit le pluralisme... Et, quand elle a été faite, cette charte-là, il y avait quand même, on pourrait dire, une certaine homogénéité dans la société québécoise. Là, aujourd'hui, on a un pluralisme religieux qui vont... et qui ne sont pas seulement des musulmanes -- on passera, là -- mais baptistes, évangélistes. Nous, dans nos milieux, ce n'est pas nécessairement tout le temps les membres de la communauté musulmane qui vont nous demander, dans l'école, des accommodements, mais on rencontre beaucoup les Jéhovah. On a beaucoup d'autres groupes évangéliques, en tout cas, et qui vont interpeller pour des mesures.

Mais il n'en reste pas moins que le débat sur c'est quoi, une société laïque, n'a pas été fait. Donc, quand on parle d'une charte de la laïcité, c'est: Comment est-ce qu'on pourrait repenser? Et on n'en fait pas non plus, je dirais...

Une voix: Une religion.

Mme de Sève (Nicole): ...une religion -- oui, merci -- ça pourrait prendre une autre allure. Nous, c'est ce qui nous a éclairés. On a regardé ce qui se faisait ailleurs. On a trouvé que ça pouvait être une très belle piste. On a regardé la Charte de la laïcité dans les services publics, en France, regardé d'autres expériences. On s'est dit: Voilà une voie qui pourrait être intéressante mais qui ne fait pas l'économie...

Et c'est pour ça qu'on vous dit: Ça ne fait pas l'économie d'un débat social. Est-ce que c'est vrai que tout le monde partage votre point de vue, comme gouvernement, de dire: Nous, c'est ça, la neutralité? On ne le sait pas, le débat n'a pas été fait dans la société québécoise. Et il me semble qu'avant de dire: Je vais baliser ci, je vais baliser ça, bien il faudrait peut-être avoir ce courage de dire: Est-ce que c'est vrai qu'on en veut... on veut un État vraiment laïque ou seulement déconfessionnalisé? On a déconfessionnalisé des structures. On n'a pas un État laïque. Est-ce que la neutralité de l'État existe? Bien, je reviens aux exemples. Quand on est encore avec un crucifix comme symbole, quand on a encore un ensemble de références religieuses, catholiques, qui s'inscrit même dans les institutions publiques, on peut se questionner. C'est une chose, le patrimoine religieux, culturel, mais c'est une autre chose de conserver des pratiques religieuses à l'intérieur des institutions publiques. Est-ce que c'est ça qu'on veut? Un débat sur une charte de la laïcité nous permettrait de faire ça.

Le Président (M. Drainville): Et cela met fin au bloc gouvernemental. Je cède maintenant la parole à la députée de Rosemont.

Mme Beaudoin (Rosemont): Merci. Merci, M. le Président. Alors, oui, c'était passionné et intéressant comme réponse à la ministre, parce qu'en effet on peut se poser cette question-là.

Il y a deux ans, le rapport Bouchard-Taylor a dit beaucoup de choses. Le gouvernement nous a dit, à un moment donné: Oui, mais il y a 80 % des recommandations de Bouchard-Taylor qu'on a mises en oeuvre. En tout cas, disons que le 20 %... D'abord, je ne suis pas sûre du 80 %, mais, le 20 %, disons que c'était le... il y avait un gros morceau qui manque et qui manquait, qui est justement cette question d'un livre blanc sur la laïcité. Parce que, moi qui n'étais pas nécessairement d'accord avec tant de choses dans le rapport Bouchard-Taylor, il y avait quand même là, en tout cas, une recommandation qui était intéressante. On en serait peut-être aujourd'hui en train de discuter d'autres choses.

Et on a voulu faire l'économie, là... Je comprends bien que la ministre vous a dit: Eh bien, dans le fond, on en serait arrivés probablement à un projet de loi comme celui qu'on a devant nous. Moi, je ne crois pas ça non plus, parce que, vous le dites très bien dans votre mémoire, il y a toutes sortes d'essais et erreurs, là, dans le moment, au gouvernement. Il y a eu donc cet amendement. Nous, on en demandait beaucoup plus, comme vous le savez, à la Charte des droits. Il y a eu le projet de loi n° 16.

Mais, alors là, j'ai questionné la ministre de l'Immigration pas plus tard qu'il y a deux semaines, parce qu'il y avait l'étude des crédits, en lui demandant: Mais, votre projet de loi n° 16, est-ce que c'est le projet de loi n° 94 qui s'y substitue? Mais vous savez qu'il est toujours au feuilleton, ce projet de loi là. Toutes les semaines, je regarde: Est-ce que le projet de loi n° 16 est au feuilleton? Bien, oui, il est au feuilleton. Alors, j'ai demandé à la ministre de l'Immigration: Et puis, est-ce que vous allez le rappeler, là, là, pendant la session? Mais, pour l'instant, on ne voit rien venir. Bon, tout le monde me dit: Dans le fond, il est mort et enterré. Mais la ministre ne me l'a pas dit, ça, quand j'ai posé la question, ça n'a pas été clair du tout, qu'est-ce qui va arriver au projet de loi n° 16. Donc... En tout cas, il n'y a pas une grosse urgence, ça ne presse pas beaucoup, parce que là on en est aux auditions sur le projet de loi n° 94, qui est la troisième tentative, en effet, et que ça se fait pièce par pièce. Peut-être qu'il aurait mieux valu, été plus sage de commencer, un livre blanc, c'est fait pour ça, c'est fait pour lancer le débat, lancer la discussion, et qu'ensuite justement on puisse en arriver, autant que possible, sur des questions de société fondamentales comme celles-là.

Alors, moi, je me pose une question donc sur... quand vous dites, bon: «La CSQ demande au gouvernement de retirer ce projet de loi [...] de déposer le plus rapidement possible un livre blanc [...] qui nous permettrait enfin d'élaborer une charte de la laïcité»... Vous dites: «Cette loi -- cette charte -- définirait clairement les valeurs communes de la société québécoise: la neutralité des institutions publiques, des lois et de l'État à l'égard des religions.» Est-ce que vous pensez aussi que non seulement les institutions publiques doivent être neutres, doivent... mais que les représentants, les agents de l'État, dans les secteurs public et parapublic -- donc ça touche votre secteur, qui est celui de l'éducation -- doivent aussi refléter cette neutralité et cette laïcité?

Et je vous demanderais enfin: Est-ce que vous avez tenté d'élaborer... Il y a eu des tentatives, j'ai vu, par le Mouvement laïque québécois, par quelques collectifs, là, comme le CCIEL, qui va venir d'ailleurs nous rencontrer bientôt, d'élaborer une charte. Est-ce que, vous autres, à la CSQ, vous avez tenté cet exercice-là?

Le Président (M. Drainville): M. Parent.

M. Parent (Réjean): La dernière question, ça va être simple: Non. Non, c'est... On ne s'est pas substitués à l'État. Puis on n'a pas la prétention que la société CSQ, c'est la société québécoise. Donc, dans ce cadre-là, il y a une prudence à y avoir. Puis ça va avec votre première question, sur la neutralité des agents de l'État, on pense qu'il doit y avoir, là aussi, un débat dans l'espace public, un débat correct, je dirais. Pour oeuvrer dans le monde syndical, on a des discussions assez serrées puis assez solides sur... à savoir: oui, non, et on ne l'a pas... on ne l'a pas tranché définitivement. Puis, moi, je pense que...

Et je suis capable de comprendre en même temps la situation de la ministre, ce n'est pas facile, dans une société occidentale aujourd'hui, de gouverner, d'établir des règles, d'établir des balises. Puis ça prend tout un courage politique pour le faire, là, et c'est... puis de remettre dans l'espace du débat public cette possibilité de déterminer est-ce que les agents des services publics, là, toutes catégories confondues, là, la fonction publique, comme les agents de l'éducation ou les agents de la santé, doivent refléter ou pas cette neutralité, ou jusqu'où, comment est-ce qu'ils doivent être équipés pour refléter cette neutralité. Aujourd'hui, on sait que c'est à visage découvert. J'ai dit à la blague à ma conseillère ce matin: Tu peux avoir n'importe quoi sur le corps, en autant que tu aies le visage découvert. Est-ce que c'est vraiment ça que la ministre voulait dire? Je ne suis pas sûr. Et, moi, je pense qu'il y a un débat, il y a un débat à faire sur justement... quand on parle de charte de la laïcité.

C'est sûr qu'on a regardé un peu ce qui s'est fait, ce qui s'est construit ailleurs, ce qui s'écrit, les obligations des agents, les obligations des usagers dans le cadre civique, mais on n'a pas arrêté, là... Comme centrale, on n'a pas une proposition dans notre poche demain matin: Bon, maintenant, il y a le livre blanc, voilà le... On s'inscrit dans l'espace public pour faire le débat, parce que l'important, c'est de construire un consensus social puis déterminer nos règles de vivre ensemble.

Le Président (M. Drainville): Mme la députée de Rosemont.

Mme Beaudoin (Rosemont): Dans le fond, votre première recommandation, elle est assez... elle est claire, nette et directe. Quand vous dites: On demande au gouvernement de retirer ce projet de loi, c'est vraiment parce que vous pensez que ce projet de loi est inutile, qu'il n'est pas pertinent, que... bon, parce que retirer ce projet de loi puis de déposer plutôt, même, bon, le temps que ça va prendre, un livre blanc sur la laïcité pour que le débat se fasse... Dans le fond, ce que... vous pensez que c'est la charrue avant les boeufs, là, mettre la charrue avant les boeufs. De telle sorte qu'on doit commencer par le commencement, c'est-à-dire ce débat de société sur la laïcité, et ce livre blanc qui aurait dû être écrit, parce que ça fait deux ans que la proposition a été faite, et qui n'existe toujours pas.

**(16 h 50)**

M. Parent (Réjean): Parce que d'entrée de jeu on a indiqué qu'on ne pense pas que cette loi-là apporte quelque chose de... mis à part la question, de façon claire, dire: «à visage découvert», puis, encore là: «peut». Ça aurait pu être une directive. On ne pense pas que ça commandait, que ça impliquait l'adoption nécessaire d'une loi pour arriver à cette fin. Mais en même temps, même en adoptant cette loi-là aujourd'hui où carrément le drame, c'est qu'on évite, on esquive une fois de plus le débat public... Puis ça va nous rattraper. Dans deux, quatre, cinq, six mois, il va y avoir d'autre chose qui va poindre. Ça va ressurgir, puis là on va se rechercher une nouvelle loi pour faire taire la contestation, ou essayer de régler le problème qui surgit, ou carrément... Je veux dire, cette loi-là, si elle ne passe pas à côté du débat, bien elle vient peut-être restreindre, dans le cadre actuel, une série de droits, là, puis qui n'ont pas fait, là, non plus l'objet, je veux dire, de débat. C'est quoi? Ça fait qu'est-ce qu'il y a vraiment une presse d'adopter cette loi? Est-ce qu'il y a un consensus autour d'un pareil projet? Et là je ne veux pas reprendre tous les arguments sur la question d'un État laïque, la laïcité des institutions, des obligations des agents.

Dans ce sens-là, il m'apparaît, là... pas en termes de... Puis, je le dis, là, ce n'est pas parce qu'on est contre le fait qu'un jour on puisse se donner des balises sûres. C'est plus: dans le moment, il me semble qu'on n'a pas travaillé à construire le consensus social avant de procéder, et là ça nous apparaît un peu dilatoire: Bon. Voilà une loi, si ça peut faire fermer le monde, ça peut faire taire la population -- quand même, on est dans une enceinte où il faut avoir... -- ça fait que, si ça peut faire taire la population puis nous procurer la paix sociale pendant une semaine ou deux, on pensera à d'autres choses après. Ça fait que c'est dans ce sens-là. C'est la charrue avant les boeufs, peut-être, oui, oui, mais en même temps tout en étant conscient que c'est un défi auquel on convie le gouvernement, là, de définir, de se définir notre identité québécoise.

Le Président (M. Drainville): Il reste 50 secondes. On peut l'ajouter au prochain bloc, si vous le souhaitez. C'est bon? Très bien. Alors, on retourne à Mme la ministre de la Justice.

Mme Weil: Je pense qu'il est important pour moi, en tant que ministre de la Justice, de vous dire que ce n'est pas l'intention de taire les gens. Au contraire, c'est de valoriser la Charte des droits et libertés et que les gens comprennent l'importance de cet exercice. Donc, je vais essayer par ma question... Je pense que vous avez bien répondu, je vois votre vision. Mais, quand vous dites qu'il n'y a pas de définition de neutralité, qu'il n'y a pas de compréhension, c'est des principes bien établis par la jurisprudence et par la Cour suprême que ça découle de la liberté de conscience, qui est reconnue dans les deux chartes de droits et libertés. Et ce n'est pas juste au Canada, là, c'est dans beaucoup de juridictions. Et la liberté de religion, c'est une de ces libertés qui sont considérées très fondamentales dans le monde occidental. Donc, c'est sûr qu'il y a... C'est des principes de droit. Je suis peut-être un peu juridique pour vous, là, mais c'est des principes de droit bien reconnus.

Alors, l'idée de ce projet de loi, c'est de... On parle souvent du mieux-vivre-ensemble, mais il faut le ramener, c'est l'État et les services gouvernementaux. On ne règle pas... Dans ce projet de loi, on ne prétend pas toucher toute la question de l'espace public comme d'autres juridictions veulent peut-être vouloir le faire. C'est vraiment qu'il y a eu une série de demandes devant la Commission des droits de la personne sur ces questions qui ont causé beaucoup de débats depuis plusieurs années. Donc, c'est un objectif d'amener de la clarté dans un exercice qui, par ailleurs, est quotidien dans la vie d'une société démocratique. On s'accommode les uns les autres quotidiennement, de toutes sortes de façons, mais là on est dans un domaine particulier.

Alors, j'aimerais peut-être voir si vraiment vous réitérez que vous ne croyez qu'il n'y a aucune validité à l'exercice d'accommodement qui, comme je vous dis... dans ce cas-ci, on est dans un cadre très juridique, mais qui reflète par ailleurs un exercice humain qui existe depuis toujours mais qui, au fil du temps, avec les chartes de droits et libertés, a apporté plusieurs... des règles pour permettre aux gens de s'intégrer dans la société d'accueil. Parce que, que ça soient des personnes handicapées ou que ça soit la liberté de religion, l'idée, c'est -- et beaucoup dans des sociétés pluralistes mais où il y a des majorités -- de permettre aux minorités de s'intégrer. Voyez-vous une valeur à cet exercice?

M. Parent (Réjean): L'exercice qui favorise l'intégration des minorités, l'exercice qui favorise l'établissement de règles communes pour vivre ensemble, on n'a aucun problème avec ça. Ce que vous me dites, Mme la ministre, votre projet de loi, c'est ce qu'il recherche. Moi, je vous fais le pari que, même adoptée, cette loi-là, dans six mois, vous aurez le problème tout entier qui ressurgira sur un autre dossier. Le fait de refuser le débat dans l'espace public, le fait de refuser un livre blanc sur une charte de la laïcité, bien, immanquablement ça va nous condamner à recommencer le débat de semestre en semestre. Et, tu sais, c'est dans ce sens-là, je veux dire, ça nous apparaît, là... Puis je ne veux pas mettre en cause votre bonne foi ou votre volonté de trouver des solutions. Mais je pense qu'on n'a pas la bonne solution, pour le Québec, du vivre-ensemble, puis on va se condamner une nouvelle fois, je veux dire, à se redonner... à rester dans le cas-par-cas, puis ça, là, je pense, d'entrée de jeu, on l'a dit, là.

Moi, je comprends, quand la terre est à défricher, quand il n'y a rien de construit, peut-être que c'est le cas-par-cas, puis on construit le droit, je veux dire, sur des cas. Mais, quand il est construit, le droit... Puis là je comprends, vous dites: Avec une loi, maintenant qu'on a réglé le cas, on va mettre une loi qui vient codifier ou qui vient, bon, réglementer le tout. Bien, je pense que l'intention est peut-être même bonne, mais ça n'atteindra pas vos... ça va rester un plan de bonnes intentions puis ça ne se matérialisera pas dans la société civile, puis ça, je ne dirais pas que je parierais ma semaine de paie, là, mais -- comme ça serait illégal, puis on va avoir la société des loteries qui va nous en parler -- je vous dirais qu'il y a fort à parier que vous ne livrerez pas dans six mois, vous allez faire face au problème de façon entière à nouveau.

Le Président (M. Drainville): Mme la ministre de la Justice... ou est-ce que ce sera la députée de Hull?

Mme Gaudreault: Oui. Alors, merci beaucoup. Bienvenue à vous, Mme de Sève, M. Parent. Moi, je ne suis pas juriste, M. Parent, alors je suis comme vous, j'ai un regard...

M. Parent (Réjean): On est à égalité.

Mme Gaudreault: Oui, c'est ça, on a un regard peut-être différent sur la situation, sur ce projet de loi. Par contre, j'ai été très intéressée par la prestation des représentants du Barreau du Québec ce matin, et ils nous mettaient... Ils faisaient une mise en garde par rapport à peut-être trop légiférer en la matière, et ils croyaient beaucoup en la vertu pédagogique de ce projet de loi. Parce qu'on sait que les accommodements raisonnables nous sont souvent présentés par la voie des médias avec des cas très, très spécifiques, dont tout le monde a une opinion le lendemain pour vraiment discuter de la situation: si ça nous arrivait, qu'est-ce que je ferais, et tout ça.

Mais, moi, je sais que vous représentez 180 000 membres, dont près de 100 000 qui oeuvrent dans le milieu de l'éducation. Ma question est toute simple: Pour vous, pour vos membres, le port d'un signe religieux interfère-t-il dans l'offre d'un service? C'est aussi clair que ça. En quoi est-ce que cela empêche quelqu'un d'offrir un service aux Québécois?

Le Président (M. Drainville): M. Parent.

M. Parent (Réjean): À la question: Est-ce que le port d'un signe religieux interfère dans l'offre de service?, en tout cas il doit y avoir certains signes religieux qui interfèrent, la preuve, c'est que vous êtes en train d'en faire une loi. Mais, je dirais, globalement, là, fort probablement, quelqu'un qui a une croix, là, sous la chemise, ça ne doit pas interférer beaucoup, là. Mais, s'il avait une croix, là, qui va du cou jusqu'à la ceinture, là peut-être que ça pourrait distraire dans la classe. Tu sais, c'est quand on pose des questions comme celle-là, c'est... Moi, je pense que tout est là, dans la notion de raisonnabilité, puis, je pense, c'est autour de ça qu'on se tient.

Mais je veux revenir sur votre préambule, parce que j'aime bien ça, là, quand vous me citez le Barreau. D'abord, quand les amis du Barreau disent: «Il ne faut pas trop légiférer», tu sais, à un moment donné, moins il y a de lois, plus c'est flou, plus il faut aller faire trancher devant les tribunaux. Ça fait qu'à un moment donné...

Pour ce qui est de la pédagogie, là, ça tombe dans notre domaine, ça fait que je suis prêt à en parler avec le Barreau, là. Sur le plan pédagogique, on pense qu'un bon débat social sur une charte de la laïcité, ça serait passablement pédagogique pour, à un moment donné, construire ensemble, je veux dire, les valeurs puis les règles communes, puis après ça on pourrait les légiférer. Et Nicole va vouloir vous dire de quoi, c'est sûr.

**(17 heures)**

Mme de Sève (Nicole): Il ne faut quand même pas... Il ne faut quand même pas oublier que le Barreau vous a aussi invités à tenir une large consultation publique, hein, sur le statut et la portée de la Charte des droits et libertés de la personne en regardant les recommandations. Donc, peut-être qu'ils ont une partie, mais la deuxième partie, c'était la nécessité justement de réviser cette charte-là parce que ça pose des problèmes, parce qu'il y a... justement, comme la ligue a expliqué, pour certains droits, mais aussi de regarder d'autres enjeux. Donc, il faut regarder l'ensemble de la présentation du Barreau de ce matin.

Le Président (M. Drainville): Est-ce que M. le député d'Arthabaska souhaite...

M. Bachand (Arthabaska): ...rapidement parce qu'il reste peu de temps, puis...

Le Président (M. Drainville): Oui. Il reste deux minutes. Non, vous avez du temps.

M. Bachand (Arthabaska): M. Parent, c'est toujours un plaisir de vous voir, comme ex-enseignant et aussi comme collègue de classe, n'est-ce pas? On n'a pas abouti à la même place, mais force est de constater que ça n'a pas donné de mauvais résultats.

M. Parent (Réjean): Il y en a un qui a mal viré, là.

M. Bachand (Arthabaska): Ça n'a quand même pas donné des résultats... Je veux vous saluer et saluer votre collègue, aussi, qui vous accompagne.

Je veux savoir... Je comprends votre idée de débat public et puis... Ça, je comprends ça, mais en quoi le fait de légiférer actuellement empêche ce débat public là? Puis je vous poserais la question: Est-ce que ce débat public là, qui vous semble nécessaire, a été fait auprès de vos membres?

M. Parent (Réjean): Oui, puis, je dirais, c'est un débat qui est en construction. Puis, comme organisation syndicale, là, on s'engage dans une démarche qui va nous mener au congrès de 2012 sur justement, sans donner des précisions... Je pense que, ce que Nicole mentionnait tantôt, la société québécoise a évolué, puis c'est le temps de faire le point collectivement. On va s'imposer ça comme société, là, microsociété démocratique, de faire ce débat-là.

Maintenant, pourquoi... à votre question pourquoi, des... bien je l'ai mentionné tantôt. Est-ce que légiférer maintenant règle quelque chose? Habituellement, le législateur, quand il légifère, c'est parce qu'il veut régler de quoi. Nous autres, on n'est pas sûrs que ça règle quoi que ce soit.

M. Bachand (Arthabaska): Bien, en quoi ça empêche... ça empêcherait le débat, le fait de légiférer actuellement? C'est ça la...

M. Parent (Réjean): Bien, l'appréhension qu'on a, c'est que du monde dise: Bon, bien, les livres sont fermés. On a adopté une loi, là, c'est clair maintenant, on passe à d'autre chose.

M. Bachand (Arthabaska): ...pas l'intention, je ne pense pas.

M. Parent (Réjean): Bien, en tout cas...

M. Bachand (Arthabaska): Si ce ne n'était pas l'intention.

M. Parent (Réjean): Bien, ça appartient à la ministre de me le dire, c'est quoi, son intention, mais, moi...

M. Bachand (Arthabaska): Non, mais l'intention est bien écrite dans la loi...

Le Président (M. Drainville): Un à la fois, M. le député d'Arthabaska.

M. Bachand (Arthabaska): Oui, M. le Président. Non, mais, si on donnait le bénéfice au coureur puis on dit: Bon, bien, le fait de légiférer pour la prestation des services aux niveaux gouvernementaux et des services publics... Et puis là ça nous permet, sur cette base-là, de régler une certaine partie des problèmes qu'on vivait actuellement et puis d'ouvrir le débat public à l'intérieur des instances comme les vôtres puis d'autres instances. Ça ne peut pas être écrit dans le projet de loi, mais, si l'intention était vers ça? Qu'est-ce qui empêche le fait de présenter un projet de loi comme celui-là qui intervient dans la prestation de services des services publics et gouvernementaux, et, d'une part, de faire le débat public aussi et de l'amorcer comme vous l'avez si bien fait? Puis c'est correct de le faire. Qu'est-ce qui empêche ça? Ce n'est pas incompatible.

Le Président (M. Drainville): Et on devra s'arrêter sur cette question, puisque c'est la fin du bloc gouvernemental. Mme la députée de Joliette, pour l'opposition officielle.

Mme Hivon: Merci, M. le Président. En fait, peut-être un petit préambule. C'est que je pense que le problème ou le malaise que l'on vit avec le projet de loi, c'est que le projet de loi a un contenu, mais il y a eu des idées de véhiculées quand le contenu a été déposé. Et le projet de loi, à première vue, serait supposé être pour régler la question des accommodements raisonnables dans les services publics. Mais, quand il a été présenté, on nous a parlé autant d'accommodement raisonnable que de laïcité, en disant qu'on faisait le choix de la laïcité ouverte. Mais le projet de loi, comme tel, il n'a rien sur la laïcité puis il n'a pas été précédé d'un débat sur la laïcité. Donc ça, c'est comme le problème de fond, puis je dirais qu'il y a deux sous-problèmes.

Le premier, c'est quand on... Si on regarde la question de la laïcité, en fait, la seule référence, c'est à l'article 4, où on parle du principe de neutralité, qui est très différent de «laïcité», je pense qu'on en convient tous, et on nous dit que c'est dans la charte. Or, le principe de neutralité n'est pas dans la charte. Il s'infère par interprétation jurisprudentielle de la liberté de religion. Donc, déjà là, il y a un petit problème.

Puis le deuxième sous-problème, c'est que, la question des accommodements raisonnables, puis la ministre l'a dit au moment du dépôt, elle l'a redit tout à l'heure, le but, puis je pense que ça, en soi, c'est louable, ce serait de clarifier, d'orienter, de permettre aux gestionnaires des établissements, des ministères, des organismes d'avoir des lignes directrices pour savoir comment agir quand il y a une situation qui se présente qui est problématique.

Mais ce n'est pas ça, malheureusement, qu'on vient faire avec le projet de loi. Aux articles 4 et 5, puis ça a ressorti ce matin abondamment, ça a ressorti par le Barreau, on parle d'une valeur pédagogique. Bien, c'est bien, une valeur pédagogique, mais, si on légiférait juste par valeur pédagogique, je pense qu'on aurait beaucoup, beaucoup, beaucoup de lois à faire, puis il y a sans doute d'autres moyens pour faire de la pédagogie, en tout cas je le souhaite. Donc, le problème, c'est qu'en fait ce que ça vient faire, c'est codifier la jurisprudence, alors que les problèmes que l'on vit quotidiennement, ils sont déjà dans le décor avec ce que la jurisprudence vient faire.

Alors, moi, ce que je veux savoir, c'est: Vous, là, qu'est-ce qui vous aiderait? Puis là, la laïcité, là, ça, c'est tout un débat, effectivement, puis, nous, on en est. Vous savez ce qu'on demande. On en veut un, débat sur la laïcité, comme tel, pour aller au fond des choses et le différencier de la simple question des accommodements, là. Parce que la laïcité, c'est beaucoup plus large que la question des accommodements. Mais, vous, qu'est-ce qui vous aiderait? Qu'est-ce qui aiderait les établissements pour gérer ces demandes-là au cas-par-cas?

Le Président (M. Drainville): M. Parent.

M. Parent (Réjean): Bien, on ne veut pas les gérer au cas-par-cas, ça fait que... donc avoir quand même des repères ou des phares qui, sans parler, là... Je comprends, là, et je peux être d'accord avec un de vos collègues d'en face qui disait: Il y a quand même des trames qui peuvent être différentes, puis il ne faut pas perdre notre capacité de jugement, là, si de quoi est différent, le prendre en compte. Mais déjà le ministère, là, tu sais, après s'être donné un comité, une table, le rapport Bergman Fleury, tu sais, en éducation... le ministère de l'Éducation est en... Bien, c'est parce que la référence... j'ai présumé qu'on parlait beaucoup de notre fonction éducative, là, moins en santé, mais que... Dans le fond, ils sont en train, au niveau du ministère, de travailler à établir, je veux dire, un référentiel qui va permettre, bon, bien, de dire: À la lumière, je veux dire, de tel événement, je veux dire, voilà la règle générale applicable. C'est vrai que ça ne fera pas abstraction de poser ton jugement s'il y a de quoi qui dépasse, mais, tu sais, c'est un peu le principe, là, comme en médecine, là, huit fois sur 10, quand tu as mal à la tête, c'est bénin. Ça fait que, si... On va appliquer une règle générale, mais avec... ce n'est pas un mal de tête comme d'habitude, bon, bien, la même chose, je veux dire, woup! c'est une situation qui dépasse la norme habituelle, mais, tu sais, je pense que, de ce côté-là, sans même légiférer, c'est en train de se travailler.

Mme Hivon: Est-ce que... Ce que vous me dites en fait... Parce que, quand on lit l'article 7, ça dit: «Il appartient à la plus haute autorité administrative d'un ministère, d'un organisme ou d'un établissement d'y assurer le respect des prescriptions de la présente loi.» Ce que vous êtes en train de me dire, c'est que, pour vous, ça ne change rien, vous n'aurez rien à appliquer, parce que c'est l'état de la jurisprudence actuelle en matière d'accommodement raisonnable, et vous êtes en train, de toute façon, d'établir vos propres règles, vous êtes en train de définir où vous tracez la ligne, vous êtes en train de donner un peu des directions à vos établissements.

M. Parent (Réjean): Bien... je dirais, encore là, l'État, le ministère de l'Éducation, pas la Centrale des syndicats du Québec, donc le gouvernement actuel est en train de le faire. Le ministère de l'Éducation est en train d'y oeuvrer puis d'y travailler, indépendamment de cette loi-là. C'est pour ça que j'en reviens toujours à dire: Qu'est-ce que la loi apporte? Qu'est-ce que la loi apporte? Qu'est-ce qu'elle règle? Qu'est-ce qu'elle amène? Et évidemment fort probablement qu'il faut faire abstrace suppositions, peut-être de supposer que c'est une esquive. Bon, maintenant, amendons-nous, pensons que ce n'est pas une esquive. Mais qu'est-ce qu'elle apporte? Je n'ai pas la réponse encore.

Le Président (M. Drainville): M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Cloutier: Merci, M. le Président. Alors, je vais essayer de voir si ça... il pourrait y avoir un élément de réponse dans la laïcité ouverte. Un des problèmes, je pense, dans la... par ce projet de loi là, c'est qu'on l'a présenté en grande pompe, et on prétend venir clarifier une situation. Et vous avez cité le premier ministre, là, dans le mémoire que vous nous avez soumis, puis ça vaut la peine de le relire. Le premier ministre disait: «Cette loi aura une portée large.» Ah bon! Alors là, on s'attend à ce que ça règle plusieurs types de situations. «Son champ d'application embrasse l'ensemble des services publics.» Ça, c'est vrai, en fait, on l'a vu ce matin, mis à part la modification qui a été suggérée pour que ça s'applique aussi aux municipalités. «Cette loi aura préséance sur toute autre loi» -- donc, une valeur quasi constitutionnelle -- sauf la charte québécoise. C'est vrai aussi. Il y a une disposition à cet effet-là. «Avec cette loi, nous traçons aussi la ligne en reconnaissant qu'un usager de services publics ou un employé de l'État peut porter des symboles religieux.» Ah! bien là, par contre, là, ça devient plus problématique.

Alors là, on dit qu'on trace la ligne pour venir... pour le port de symboles... de signes religieux, puis, comme vous nous l'avez dit... Vous avez pris la peine de dire: Je ne suis pas juriste. Par contre, vous nous avez clairement fait la démonstration que vous comprenez très bien. Dans la charte québécoise, nulle part on y retrouve la neutralité de l'État. Et là, de façon indirecte, on essaie de faire dire que, la charte québécoise, on y reconnaît le principe de la neutralité de l'État par l'utilisation du «notamment». Alors, à mon sens, si on veut dire que dans la charte québécoise ou comme société québécoise on reconnaît cette valeur qu'est la laïcité de l'État ou la neutralité de l'État, peu importe, bien il faut le dire, mais il faut le modifier aussi, il faut modifier la charte québécoise.

Alors, peut-être... J'imagine qu'avec tous les commentaires que vous avez faits jusqu'à maintenant votre réponse va être oui, mais est-ce que la... Lorsque le premier ministre dit que ça règle la question du port de signes religieux dans l'État, est-ce que vous avez cette même compréhension que le premier ministre du Québec?

**(17 h 10)**

Le Président (M. Drainville): M. Parent.

M. Parent (Réjean): Excusez. Parce que j'avais... Comme je suis un gars, deux affaires en même temps, c'est compliqué, c'est compliqué.

Non, je ne pense pas que ça règle... Écoutez, c'est... depuis tantôt que je m'emploie à vous dire que ça ne réglera pas tout. En même temps, vous ouvrez la porte. Bon, est-ce que c'est par une charte ou un livre blanc? Est-ce que c'est la modification de la charte actuelle? Oui, je peux répondre qu'on pourrait y aller par modification de la charte. Mais, nous autres, on tient à un nécessaire débat public. Je pense que la société québécoise est rendue à cette heure-là.

Et là, tu sais, pour répondre au député et ancien collègue de classe: Est-ce que ça s'oppose? Est-ce que les intentions peuvent s'opposer? Peut-être qu'elles ne s'opposent pas, mais je ne suis pas sûr qu'on envoie le bon message. Je veux dire, c'est pour ça... c'est dans ce cadre-là, quand on dit... Écoutez, là, je veux dire, essayons de régler l'ensemble... essayons de nous donner une vision claire comme société québécoise. Maintenant, on dit, livre blanc, si... Tu sais, bien ce n'est peut-être pas par le livre blanc, c'est sur une charte de la laïcité, mais un livre blanc sur la charte actuelle, on revisite la charte. Ce n'est pas qu'on est accrochés, là.

Et en même temps on est ouverts, là, je veux dire, au débat, quand des questions sont posées sur le port de signes ostentatoires. Je vous dis, là, de façon générale, je dirais, la majorité chez nous n'est pas fermée au fait de porter des signes religieux, mais, encore là, il y a comme... il y a tout un espace de débat, tout un espace de discussion, et c'est pour ça qu'il y a... On est... on ne serait pas prêts, on ne serait pas mûrs, comme centrale, pour vous trancher ça aujourd'hui. On se dit: Bien, on demande à entendre, on demande à partager avec la société québécoise puis essayer de se construire une tête commune.

Le Président (M. Drainville): Il reste 30 secondes, M. le député. Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve?

Mme Poirier: Une courte, courte question.

Le Président (M. Drainville): Allez-y.

Mme Poirier: Alors, sur les signes, justement, religieux ostentatoires, que pensez-vous du port de signes religieux comme le foulard avec l'effigie de l'école pour les jeunes filles à l'école?

Mme Beaudoin (Rosemont): Dans ma circonscription.

Mme Poirier: Dans la circonscription de Mme la députée de Rosemont.

Le Président (M. Drainville): En 15 secondes.

M. Parent (Réjean): Regardez, là, c'est... on n'a pas fait ce type de débat comme organisation, mais je pense que poser la question, c'est en soi aussi, là... c'est jusqu'où ça va, l'uniforme, hein? Et on était plutôt du monde qui n'était pas trop porté vers l'uniforme, ça fait qu'on pourrait le mettre dans le cadre général que c'est peut-être un élément dans un uniforme qui serait de trop, là. Mais, regardez, c'est tout un terrain, là... c'est... On en aurait pour le reste de l'après-midi, mais vous aviez cinq secondes.

Le Président (M. Drainville): Merci, M. Parent et Mme de Sève. Merci beaucoup de vous être présentés devant nous aujourd'hui.

Et je vais maintenant suspendre quelques instants afin de permettre au prochain groupe de prendre place.

(Suspension de la séance à 17 h 13)

 

(Reprise à 17 h 19)

Le Président (M. Drainville): À l'ordre, s'il vous plaît! Je souhaite la bienvenue à nos invités. 10 minutes de présentation, et par la suite un échange qui sera un petit peu plus court que prévu, puisque nous devons terminer à 18 heures. Donc, je présente, sans plus tarder, de l'Association des... des retraitées, dis-je bien, oui, et retraités de l'éducation et des autres services publics du Québec, Mme Mariette Gélinas, la présidente, M. André Pelletier, deuxième vice-président, Mme Christiane Brinck, conseillère.

**(17 h 20)**

Alors, je cède la parole à Mme Gélinas.

Association des retraitées et
retraités de l'éducation et des
autres services publics (AREQ)

Mme Gélinas (Mariette): Alors, merci de nous recevoir. L'AREQ, l'Association des retraités de l'éducation et des autres services publics, comme vous l'avez dit, représente plus de 53 000 membres, dont 42 000 proviennent de l'éducation. La moyenne d'âge est 67 ans, et plus des deux tiers sont des femmes. Donc, 68 % de notre membership, c'est des femmes.

L'AREQ a été fondée en 1961 par Laure Gaudreault, qui était enseignante. Son principal objectif était de rehausser le revenu du personnel enseignant retraité, qui vivait alors dans une extrême pauvreté. L'association a évolué, et sa mission s'est beaucoup élargie depuis. On oeuvre essentiellement au Québec. La structure nationale, régionale et sectorielle permet d'être présente dans toutes les régions et municipalités.

L'AREQ regroupe, sur une base volontaire, des personnes retraitées de la Centrale des syndicats du Québec et de ses syndicats affiliés. Au sein de l'AREQ, on compte 10 régions, qui regroupent 93 secteurs dotés de nombreux comités, tels la condition des femmes, la condition des hommes, l'environnement, l'action sociopolitique, les communications, les assurances, la retraite. C'est une force organisationnelle dynamique qui rayonne dans l'ensemble du Québec.

Alors, tout comme on avait tenu à être entendus lors de la commission de consultation sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles, on désire ajouter notre point de vue de retraités et vous faire part de nos réflexions dans le cadre de l'étude de ce projet de loi.

L'AREQ se sent interpellée parce que l'expérience de travail de ses membres l'a placée au coeur des problèmes, des besoins et des aspirations des citoyennes et citoyens du Québec. On dit souvent: À la retraite, pas de congé pour la citoyenneté. Selon une récente enquête auprès de nos membres, plus de la moitié des personnes pratiquent un engagement social bénévole. En extrapolant les résultats obtenus, c'est donc près de 30 000 de nos membres qui donnent du temps et des énergies dans leurs collectivités, que ce soit par leur implication dans des organismes d'entraide à vocation spirituelle ou religieuse ou pour d'autres types d'organismes relativement près des champs d'intérêt des secteurs d'emploi occupés durant leur vie active, soit santé, éducation, sport, culture.

D'autres personnes encore s'investissent plutôt dans des organismes essentiellement à caractère politique. Ces quelques indicateurs témoignent de la grande contribution collective et de leur engagement: soutien à la famille, aide à un proche en perte d'autonomie, engagement social bénévole, participation citoyenne. Nous voulons contribuer au présent débat et faire connaître notre position, qui, selon nous, reflète les expériences vécues des personnes aînées.

Le projet de loi n° 94, Loi établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement dans l'Administration gouvernementale et dans certains établissements, on se pose la question: Vraiment? Le projet de loi ne porte que sur le visage à découvert, donc parle, mais sans les nommer, du niqab et de la burqa. Nous sommes tout à fait d'accord pour exiger que les services de l'État se donnent et se reçoivent à visage découvert.

Par contre, à la lecture du projet de loi, il n'est pas évident de déterminer si celui-ci vise à interdire ou à autoriser le niqab et la burqa. Il y est annoncé que les services sont donnés et sont reçus à visage découvert. Toutefois, toute demande d'accommodement raisonnable doit être accordée, à moins que des motifs liés à la sécurité, à la communication ou à l'identification le justifient. Donc, on maintient le statu quo. Les demandes seront encore traitées au cas-par-cas.

Ce projet de loi ne nous met pas à l'abri des décisions judiciaires ou administratives, qui semblent ne considérer que les droits des individus et oublier les droits collectifs, en particulier les droits des femmes, qui constatent l'aval donné à des pratiques sexistes qui sont tolérées au nom des croyances religieuses. On l'avait cité tantôt, mais on le répète, que le premier ministre Charest, lors du point de presse qui annonçait ce projet de loi, va jusqu'à affirmer: «Avec [ce projet de] loi, nous traçons aussi la ligne en reconnaissant qu'un usager des services publics ou un employé de l'État peut porter des symboles religieux.» Selon nous, c'est tout à fait faux. Rien dans ce projet de loi ne permet une telle affirmation.

Ce projet de loi ne fait pas non plus mention de mariage forcé. Est-ce que ça le permet? Il dit aussi: «Et [...] nous ne voyons pas d'obstacle à ce qu'une personne puisse pratiquer évidemment une religion, qu'elle puisse porter une croix ou un signe religieux. Ce n'est pas en soi un obstacle à ce qu'elle fasse son travail de manière professionnelle et impartiale.» Un statut particulier vient donc d'être accordé aux croyances religieuses dans la fonction publique, où par ailleurs il est formellement interdit d'afficher ses préférences politiques. Et on parle de laïcité de l'État québécois. Un médecin, par exemple, qui porterait un macaron qui afficherait: L'avortement est un crime, c'est religieux ou c'est politique?

Toujours lors du lancement, Mme James, ministre de l'Immigration et des Communautés culturelles ajoute: «Le projet de loi que nous présentons ce matin [...] fait plus qu'établir des balises afin d'encadrer les demandes d'accommodement raisonnable...» Ce serait bien mince comme balises, car ce projet de loi ne fait qu'inscrire dans une loi la jurisprudence actuelle.

Encore ici, ce qui est privilégié par le gouvernement, c'est le règlement au cas-par-cas. Alors, ce projet de loi ne répond en rien aux demandes répétées des citoyennes et citoyens du Québec qui souhaitent la séparation de l'État et des religions. C'est ce même gouvernement qui a modifié la loi de façon à permettre à certaines écoles juives d'accorder une plus grande place à l'enseignement de la religion. Voilà ce qui justifie nos inquiétudes sur la perception de la séparation de la religion et de l'État.

Si ce projet de loi, qui en dit si peu, se prête à autant d'interprétations et ne règle en rien la problématique, autant le retirer et poser les vrais gestes pour établir les consensus.

Quelles sont les valeurs fondamentales du Québec? Après des références difficiles à trouver, on a vu que le Conseil du statut de la femme cite le premier ministre, Jean Charest, qui aurait réitéré ces valeurs lors de la création Bouchard-Taylor, soit la séparation de l'État et de la religion, la primauté du fait français et l'égalité entre les femmes et les hommes. La ministre James a affirmé les mêmes valeurs lors de la présentation.

Nous adhérons à ces trois valeurs énoncées, mais nous demandons au gouvernement du Québec de les enchâsser dans une loi, d'en faire l'une des assises de notre vie en société, dans le respect de la démocratie.

Le discours est tellement galvaudé. L'État québécois est-il neutre face aux questions religieuses? Est-il laïque? Notre compréhension en est que l'État doit être laïque et, pour ce faire, doit demeurer neutre face aux croyances et aux pratiques religieuses des citoyennes et citoyens dans les services qu'il fournit au public, donc qu'il offre les mêmes services de la même façon, quelles que soient les croyances. Ce n'est pas parce qu'une pratique est obligatoire ou encouragée par une religion qu'elle doit nécessairement être acceptée par l'État. Il faut s'assurer que les pratiques ne briment pas les droits des autres citoyennes et des citoyens. Alors, on faisait référence à ce moment-là à la Déclaration des Intellectuels pour la laïcité.

Pour qui, pourquoi, la laïcité? Alors, les commissaires Bouchard et Taylor l'ont répété à maintes reprises, la Commission des droits de la personne et de la jeunesse le rappelle à la moindre occasion, la majorité des demandes d'accommodement raisonnable ne proviennent pas des nouveaux Québécois. Ce sont ces derniers qui accrochent l'intérêt du public, qui choquent le plus. Que la commission statue qu'une personne non voyante ait le droit d'entrer avec son chien-guide dans un restaurant qui interdit les animaux, personne ne va s'en émouvoir. Les accommodements qui heurtent les Québécoises et les Québécois sont ceux qui font référence à des croyances ou pratiques religieuses ou qu'on dit religieuses. Lorsque le gouvernement traite ces demandes selon une logique qu'il qualifie de laïcité ouverte ou de neutralité, il ne fait qu'ajouter à la confusion.

Je vois que le temps file, alors je vais continuer à Nous y étions. On était de celles et de ceux qui ont mené des luttes chaudes et affiché des résistances pour faire changer les choses afin de bâtir le Québec d'aujourd'hui et de demain. Tout en reconnaissant le travail colossal de l'Église et des communautés religieuses, qui ont contribué à l'édification de nos services publics, en particulier en santé et en éducation, nous avons été partie prenante aux actions qui ont mené à la laïcisation de notre société civile. La Révolution tranquille, on y était.

Nous, retraités, sommes porteurs de la mémoire des luttes, des gains, des acquis et des valeurs de durée et de continuité. On connaît tout le chemin parcouru ainsi que les nombreux obstacles franchis pour construire le Québec d'aujourd'hui. C'est pour ça qu'on ne peut pas rester muets. On reconnaît l'apport des différentes cultures dans la définition de notre identité collective. Ne sommes-nous pas toutes et tous descendants d'arrivants de plus ou moins longue date? Comment ne pas sentir monter l'inquiétude, malgré les propos de la ministre St-Pierre, qui se veut rassurante et affirme: «Ce projet de loi est très clair: un accommodement ne peut aller à l'encontre de l'égalité entre les femmes et les hommes.»

Alors, on se rappelle de bons souvenirs. Les femmes devaient avoir la tête couverte ou voilée pour entrer à l'église, les curés semonçaient les femmes qui espaçaient les grossesses, la mère ne pouvait pas faire opérer un enfant malade sans la signature du père. Alors, on se souvient de ça.

Et on revendique l'interdiction du port du niqab et de la burqa, mais pas nécessairement pour des raisons religieuses. Comme M. Bernard, ancien haut fonctionnaire de l'État, on considère que, s'ils doivent être défendus au Québec, ce n'est pas parce que le Québec serait un État laïque, mais parce que cette pratique contreviendrait à une de nos lois ou de nos valeurs fondamentales. Est-ce le cas? M. Bernard dit: «...je crois que oui parce que cette pratique est contraire à la recherche de l'égalité entre les hommes et les femmes, qui est devenue, chez nous, un des accomplissements majeurs et des fondements de notre vie en société et qui est reconnue par nos chartes.»

La femme québécoise n'a pas toujours été l'égale de son pendant masculin. Par exemple, elle n'a acquis le droit de vote qu'en 1940, la parité salariale en 1996. Les Québécoises sont fières des progrès accomplis, et personne ne voudrait revenir en arrière.

**(17 h 30)**

Le Président (M. Drainville): Et en conclusion, parce que c'est terminé.

Mme Gélinas (Mariette): Je vais y aller, en conclusion, avec la nécessité d'une charte de la laïcité...

Le Président (M. Drainville): ...sera tout. Vous pourrez... et vous pourrez expliciter là-dessus dans les réponses que vous donnerez un peu plus tard. Je vais céder la parole à Mme la ministre de la Justice maintenant.

Mme Weil: Oui, bonjour. Merci. Merci de votre présence. Vous dites, à la page 8, «les accommodements qui heurtent les Québécoises et les Québécois». Pouvez-vous nous donner des exemples de ce que vous voyez comme des accommodements qui heurtent les Québécois?

C'est à la page 8, c'est votre deuxième paragraphe: En faisant référence à des croyances ou pratiques religieuses...

Mme Gélinas (Mariette): ...référence à des croyances ou des pratiques religieuses.

Mme Weil: Mais est-ce que c'est... Vous avez des cas précis en tête?

Mme Brinck (Christiane): Bien, peut-être comme le cas du Y qui avait été obligé de givrer les fenêtres pour une église juive qui était de l'autre côté de la rue, là, entre autres.

Mme Weil: ...vous suggérez régler ces questions d'accommodement? Est-ce que vous...

Mme Brinck (Christiane): Bien, on va répéter ce que les autres vous ont dit tout à l'heure: On voudrait un débat public, que les gens puissent s'exprimer puis qu'on puisse confronter nos idées là-dessus puis se faire une idée commune, entre Québécoises et Québécois, comment on pourrait vivre la laïcité chez nous.

Mme Weil: Mais, est-ce que l'application de la charte par les tribunaux, c'est quelque chose que vous voyez comme problématique?

Mme Brinck (Christiane): Oui, c'est toujours au cas par cas, la chicane à chaque fois.

Mme Weil: Ce matin, le Barreau nous a dit que...

Une voix: ...

Mme Weil: Les juristes qui sont venus ce matin nous ont confirmé qu'ils... en fait c'est toujours du cas-par-cas, c'est l'application de la charte même, et qu'il ne faut pas éviter le cas-par-cas, puis qu'il ne faut pas penser qu'on pourrait régler le cas-par-cas, que c'est l'essence même de l'objectif ou de la réalité d'une société démocratique qui vit avec une charte où on reconnaît des droits.

Vous, comment vous proposez... au-delà d'un débat, là, qui pourrait nous... En tout cas, au-delà d'un débat, est-ce que vous verriez une mesure législative? En quoi une charte de la laïcité pourrait répondre à cette question d'accommodement?

Mme Brinck (Christiane): C'est les mêmes juristes qui étaient contre l'assurance automobile «no-fault», pour les mêmes principes, j'imagine. Ça fait que je pense que les intérêts ne sont pas les mêmes, là. Puis, comment on pourrait y arriver après avoir eu un... après avoir eu une charte ou un livre blanc puis avoir eu des discussions publiques? Probablement qu'il y aurait des législations, mais qui pourraient régler tous les problèmes, pas un à la fois puis laisser l'interprétation aux juristes encore... Il me semble.

M. Pelletier (André): Moi, je voudrais ajouter que... Et ça ne vient pas de moi mais d'Henri Laberge. Lorsqu'il définit une société laïque, il nous dit ceci: «[C'est] celle à laquelle nous aspirons, c'est celle où la liberté religieuse est la même pour [toutes et] tous, mais surtout c'est celle où le droit à l'égalité s'applique à toutes les personnes sans égard à leur foi. C'est enfin une société où il n'est jamais requis de révéler ses croyances pour profiter d'un avantage et où il n'est jamais requis de s'enquérir de la religion de quiconque pour lui accorder cet avantage.»

Alors, ce qui signifie, pour l'AREQ et pour moi personnellement, qu'à partir du moment où nous avons une charte de la laïcité, nous n'aurons plus à traiter, comme on le fait depuis un bon moment, les cas-par-cas qui se présenteront là, si j'en... si j'analyse bien le projet de loi n° 94.

Mme Weil: Qu'est-ce que vous verriez dans cette charte de la laïcité pour régler cette question du cas-par-cas?

M. Pelletier (André): On dit qu'on... C'est une charte laïque sur... dans l'espace public. Il n'y a rien qui permet à quelqu'un de demander une disposition particulière en vertu de... peu importe le sujet qu'il va apporter. Il n'aura... ça sera... Ça ne sera même pas possible de le faire, puisque l'État est laïque. Ça ne veut pas dire que, dans l'espace public, toute personne qui pratique, peu importe la religion, pourra s'afficher selon sa religion. Et là, là, je ne vise aucune espèce de religion. Dans mon esprit, la religion catholique, la religion protestante, la religion juive et les... la religion musulmane, tout ça, ça passe en même temps.

Mme Gélinas (Mariette): Mais je pense aussi qu'avant de bâtir la charte sur la laïcité il faut vraiment faire un débat. Je pense que c'est important, ça, de faire un débat dans la population pour que chacun... chacune et chacun se prononce et qu'on voie dans quel sens les citoyennes et les citoyens veulent aller. Merci.

Le Président (M. Drainville): Mme la ministre de la Justice, 2 min 30 s encore. M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sklavounos: Juste pour faire un petit peu du pouce sur la question de la ministre. D'abord, merci pour votre présence, merci pour vos commentaires, votre mémoire. Question de la charte, question d'une charte, que ce soit une charte de laïcité ou d'autres, une charte, de par sa nature, je crois, quant à moi, va énoncer des principes, des principes qui sont généraux. Des situations d'accommodement qui sont... Et nous avons entendu des juristes qui sont venus nous dire, et ce n'est pas juste à eux autres de se prononcer, mais un accommodement qui est raisonnable, le but de ça, c'est de permettre à une personne qui ne bénéficie pas des mêmes droits, à cause d'une différence, de pouvoir bénéficier, bénéficier du droit qui est évident et qui est accessible à tout le monde, parce qu'ils n'ont pas cette différence-là qui les empêcheraient de jouir. C'est une extension de nos droits.

Et, veux veux pas, pour un accommodement raisonnable, il faut regarder le cas particulier, les faits de la cause. Êtes-vous d'accord avec moi qu'on ne pourrait jamais enlever les faits d'un dossier en particulier pour faire une telle analyse? C'est impossible de créer une règle générale, à moins de dire qu'on abolit tout, et avec ça va la liberté de religion, qui est protégée par notre société, et toutes les autres libertés. On abolit tout, c'est la seule façon qu'on pourrait avoir une règle générale qui pourrait éviter une situation où on doit examiner le cas-par-cas, c'est d'abolir tout. Il n'y aurait aucun symbole religieux, nulle part, qui serait acceptable. Autrement, on serait pris... on est pris à regarder le cas-par-cas. Êtes-vous d'accord avec ça ou vous n'êtes pas d'accord avec ça?

Mme Gélinas (Mariette): Bien, c'est-à-dire que le cas-par-cas... Quand il y a une règle générale, on dit toujours qu'il y a des exceptions. Mais il y a toujours une règle qui est plus générale, alors on peut régler plusieurs cas en même temps.

Et je pense que c'est important aussi, on a fait le sondage chez nos membres concernant la charte de la laïcité pour voir si les gens le voyaient. Et on sait que souvent nos gens ne se prononcent pas, les retraités sont souvent des gens qui pensent puis qui disent: On est plus ou moins d'accord, tandis que là le résultat, là, c'est assez probant. On leur a demandé: «Dans le cadre du débat social qui entoure les accommodements raisonnables et le port des signes religieux, seriez-vous très favorable, plutôt favorable, plutôt défavorable ou très défavorable à l'adoption d'une charte de la laïcité, soit une charte qui empêcherait notamment le port d'un signe religieux évident?» Le résultat est assez probant: on a 82 % et même 86 % chez les 64 ans et moins qui se disent favorables, parmi lesquels 59 % sont très favorables et 23 %, plutôt favorables. Donc, je pense que c'est majoritaire, pour cette fois-là, qu'on voulait vraiment une charte de la laïcité.

Le Président (M. Drainville): Et ça va se terminer là-dessus pour le bloc du gouvernement. Mme la députée de Rosemont, pour l'opposition officielle.

**(17 h 40)**

Mme Beaudoin (Rosemont): Oui, merci, M. le Président. Je veux vous dire d'entrée de jeu que vous citez, à la page... -- je vais vous dire ça -- page 10, une phrase que j'aime beaucoup, de quelqu'un que j'aime beaucoup aussi, qui est donc Jean Daniel, qui est le patron du Nouvel Observateur depuis très longtemps. Jean Daniel est un homme de gauche, il est Juif. Parce que maintenant il faut chacun se définir, Canadienne française catholique, Juif, etc. Moi, je souhaite tellement que l'on dépasse ces différences et que notre humanité partagée, on puisse l'affirmer, plutôt que l'appartenance, justement, chacun selon ses différences à sa communauté.

Il dit, Jean Daniel, donc: «La laïcité défend l'individu contre son groupe d'origine, la femme contre le père oppresseur et garantit que l'on peut changer de religion ou [...] se déclarer athée. Avec la tolérance, on installe des communautés. Avec la laïcité, on construit une nation.» C'est une belle, très belle citation. Et c'est un journal de gauche, mais de gauche très modérée, de gauche... Le Nouvel Observateur n'est pas un journal... C'est un journal qu'on peut lire avec intérêt toutes les semaines.

Alors, vous parlez donc de cette nécessité d'une charte de la laïcité et vous dites: «Pour notre part, nous croyons qu'en plus de l'affirmer constamment il serait temps que le gouvernement l'affirme clairement dans une charte[...]. Loin de diviser -- ce qui est mon sentiment aussi -- une véritable laïcité jouerait plutôt un rôle intégrateur en assurant l'équilibre entre le respect des croyances des uns et des autres et [puis] la vie collective.»

Et le résultat, donc, du sondage dont vous parlez est aussi intéressant. La CSQ... Alors, les retraités sont plus déterminés à ce sujet-là que la CSQ, que vous avez entendue juste avant vous, puisque... Mais ce que je retiens essentiellement de ce que la CSQ nous a dit -- plusieurs de vos membres étaient dans le secteur de l'éducation, vous nous l'avez dit aussi -- donc c'est l'idée d'un vrai débat public sur la laïcité.

Dans le fond, c'est tout le vivre-ensemble. En effet, je pense qu'on peut s'entendre que tout ça, tout ce dont on discute aujourd'hui, c'est comment, dans un Québec pluriel, dans un Québec pluraliste... Et nous tous qui vivons -- enfin plusieurs d'entre nous -- à Montréal, en particulier... C'est moins vrai peut-être dans certaines autres régions... dont on a entendu le maire ce matin, une région qu'il nous a dit plus homogène. Mais il est vrai que, dans une région comme Montréal, dans la grande région de Montréal, donc, on est dans un Québec qui est pluriel, dans un Québec qui veut affirmer quand même un certain nombre de valeurs communes, bon, qui ont été évoquées par chacun d'entre nous, du parti ministériel comme ici, de l'opposition officielle. Mais il s'agit de savoir comment on va décliner, dans le fond, ces valeurs et comment ces valeurs vont... quelles conséquences finalement sur nos vies individuelles et notre vie collective, comment ces valeurs-là vont avoir des impacts, en quelque sorte.

Ça veut dire quoi, la prédominance du français, qu'on réaffirme, tout le monde? Mais on n'est pas d'accord sur les mesures à prendre entre nous. Bon. Mais on affirme quand même que la prédominance du français, c'est important pour nous tous. La même chose pour l'égalité hommes-femmes. Parce que, moi, ça me frappe que, quand les juges... les juges... Mon père était juge, hein, je veux vous le dire, là, pendant 25 ans, donc juge à la Cour supérieure, et donc... Bon, mais pas moi, là, tu sais, je ne suis pas avocate ni rien du tout. Mais, bon, mon père était juge, puis je voyais ça un peu comment ça fonctionnait, la justice, et puis, bon, à la Cour supérieure, entre autres. Et donc, quand ils prennent des décisions, il y en a une, hiérarchie des droits, parce que, quand deux droits entrent, si je peux dire, en collision, bon, justement la liberté religieuse par rapport à l'égalité hommes-femmes, donc ça rentre en collision, bien là le juge, il prend une décision qui, par conséquent, cette fois-là en tout cas, dans ce cas-là précis, décide de la hiérarchie d'un droit sur l'autre.

Alors, moi, je suis très, très... je ne suis pas juriste, hein, puis tout ça, puis j'écoute ça, là... Je ne sais pas qui a dit: «Je suis sociologue», tantôt. Je pense, c'est madame qui était de la CSQ. Moi, je suis historienne, mais, je ne sais pas, le gros bon sens, puis quand on est citoyen, puis tout ça, on constate que, dans la vie, la vraie vie, par les décisions de justice, il y en a une, certaine hiérarchisation de cas-par-cas qui s'installe ou qui s'instaure.

Alors, je crois comme vous qu'en effet ce serait préférable d'avoir d'abord et avant tout ce grand débat sur une charte de la laïcité, ce grand débat sur... un livre blanc sur la laïcité, quelque chose qui nous permettrait, comme société, de construire tout ça. Alors, tout ça pour vous dire, et je conclus, que je suis d'accord avec vous. Alors, c'est, je pense, en tout cas, un mémoire qui dit un certain nombre de choses fort pertinentes, fort intéressantes. Mais, vous, est-ce que vous dites, comme la CEQ, qu'il faut retirer le projet de loi et puis débattre avant de revenir avec une législation?

Mme Gélinas (Mariette): C'est-à-dire que, si on retire le projet de loi, il devrait être remplacé par autre chose. Alors, que le débat se fasse tout de suite, qu'on n'attende pas et qu'on continue, parce qu'à notre avis ce n'est pas réglé... Ce n'est pas ce projet de loi là qui va régler... Ça va peut-être régler un cas-par-cas, mais on va continuer à appliquer la même position qu'on avait avant. Alors, pour nous, ce n'est pas suffisant.

Mme Brinck (Christiane): Si je peux me permettre, c'est comme... On n'arrive pas à comprendre le projet de loi. C'est quoi, le but, dans le fond? On dit qu'on donne les services à visage découvert. Il me semble que ça devrait aller de soi. Il faut savoir à qui on donne les services, il me semble, en partant, là. Mais on peut demander des accommodements raisonnables. Ils doivent être acceptés, à moins qu'il y ait des contraintes de tel côté ou de tel côté, à moins que ce soit pour des raisons... Ça peut être justifié pour des raisons de sécurité ou de communication. Qu'est-ce que ça veut dire, «sécurité»? Qu'est-ce que ça veut dire, «communication»? Si quelqu'un arrivait pour rentrer ici avec un niqab... une burqa, il ne passerait pas à la sécurité, là. Bon, bien, pourquoi il devrait passer quand... elle, parce que normalement ça devrait être une femme, mais on n'est pas sûr, tu sais. Bon, bien, pourquoi, pour rentrer à l'école, ça pourrait marcher puis pas à l'Assemblée nationale? Tu sais, ça n'a pas d'allure.

Mme Beaudoin (Rosemont): ...est-ce que quelqu'un peut rentrer? Est-ce que c'est encore à mon tour, M. le Président?

Le Président (M. Drainville): Oui. Il vous reste seulement 20 secondes.

Mme Beaudoin (Rosemont): Bon. Alors, voilà, une question intéressante, parce que vous prenez pour acquis qu'une femme en burqa, ici, ne pourrait pas entrer à l'Assemblée nationale et passer à travers la sécurité. Bien, je ne le sais pas, moi.

Une voix: Un kirpan a passé.

Mme Beaudoin (Rosemont): Un kirpan a passé. Alors, est-ce qu'un kirpan peut passer à l'aéroport pour aller aux États-Unis?

Le Président (M. Drainville): Voilà une question... voilà une question à laquelle... à laquelle... Bon. Voilà. La ministre décidera si elle souhaite y répondre ou pas. Mais, chose certaine, c'est à vous de prendre la parole, Mme la ministre de la Justice.

Mme Weil: Je pense qu'il y avait des questions de ce côté-ci.

Le Président (M. Drainville): Mme la députée de Gatineau, donc.

Mme Vallée: Alors, bonsoir.

Le Président (M. Drainville): Très bien. C'est à vous la parole.

Mme Vallée: Messieurs dames, bonsoir. Merci de votre présentation. Je suis un petit peu... Je m'interroge un peu sur la demande que vous avez formulée. Vous demandez que le projet de loi soit retiré pour qu'il y ait un vrai débat sur la laïcité au Québec. Je dois vous dire, bien honnêtement, moi, j'ai l'impression que depuis 2007 le Québec... depuis 2006, je pense que le Québec a ce grand débat. Je pense, suite aux événements, aux événements qui ont mené à la création de la commission Bouchard-Taylor, suite aux nombreux débats... Parce que la commission Bouchard-Taylor a quand même fait le tour du Québec, s'est... a rejoint les citoyens du Québec, les citoyens qui se sont sentis interpellés par ce dossier-là ont eu la chance de s'exprimer.

Et nous voilà maintenant en 2010 avec un projet de loi qui vise à établir certaines balises, mais à établir certaines balises à l'intérieur d'un cadre respectueux pour les individus. Et je vous écoute puis je sens une espèce de contradiction parfois dans le message, un petit peu au même titre que je sens la contradiction en lisant les différents mémoires des gens qui demandent catégoriquement le retrait du projet de loi au bénéfice d'une charte de la laïcité sous prétexte qu'il n'y a pas eu de débat, parce que je sens... Moi, j'ai l'impression, bien honnêtement, qu'on en a parlé beaucoup.

Et d'ailleurs on continue à le faire cette semaine, puisque l'exercice que nous faisons aujourd'hui avec vous, c'en est un, débat, c'en est un, échange entre parlementaires et entre membres de groupes qui... Vous, vous avez, de votre côté... Pour vous permettre de venir ici et de prendre une position très claire, vous avez aussi consulté vos membres. Vous avez échangé avec eux. Alors, je crois qu'à un certain moment donné vient le temps de mettre en place certaines mesures qui nous permettront d'avancer, qui pourront éventuellement, peut-être, être ajustées, être amendées, mais qui seront déjà un premier pas vers une certaine définition.

Et, lorsque je prends le projet de loi et l'article 4, j'essaie de voir, dans votre argument, qu'est-ce qui devrait être... qu'est-ce qui n'a pas d'allure dans le principe qui est énoncé à l'article 4 et qui se lit comme suit: «Tout accommodement doit respecter la Charte des droits et libertés de la personne, notamment le droit à l'égalité entre les femmes et les hommes et le principe de la neutralité religieuse de l'État selon lequel l'État ne favorise ni ne défavorise une religion ou une croyance particulière.»

Moi, là, je me mets à la place des gens qui nous écoutent aujourd'hui, qui tentent de comprendre un petit peu ce qui se passe et qui tentent de voir, bon, entre votre laïcité, votre charte de la laïcité et les principes qui sont établis aux différents articles du projet de loi, il se situe où, là, la grosse... Elle est où, la grosse, grosse différence, la grosse distinction? Qu'est-ce qui va changer? Qu'est-ce qui va faire que ça ici, le projet de loi doit être mis de côté complètement et puis qu'on arrive avec une charte de la laïcité que, bon, j'arrive mal à voir définie dans ce que vous nous présentez?

Puis j'essaie, là... Parce que ce que vous demandez, c'est gros, vous dites: Tassez le projet de loi complètement. Reparlons, rebrassons, refaisons des débats et présentons quelque chose. On ne sait pas trop ce qu'on va présenter, là, on n'est pas... on n'a pas de base encore très claire, outre le fait que l'État se doit d'être laïque. Alors, j'aimerais que vous m'éclairiez un petit peu là-dessus.

**(17 h 50)**

M. Pelletier (André): Dans la logique du projet de loi, il n'y a pas vraiment de contradiction, sauf qu'à notre avis il y a des situations où on va se retrouver au cas-par-cas, et ça, c'est... L'article 6, entre autres, le dit. Alors, si on continue de traiter des accommodements raisonnables à la pièce, ça va nous amener où? Quelqu'un ne sera pas content de l'entente qui pourrait survenir, il va contester. Alors, s'il conteste... S'il y a des contestations possibles, on va se retrouver avec un certain nombre de contestations, qui va nous entraîner dans un cafouillage qui va se poursuivre. C'est la raison pour laquelle on dit que le projet de loi ne règle rien vraiment.

Et je pense, comme vous d'ailleurs, que les Québécois et les Québécoises ont fait une partie de l'exercice il y a quatre ans, et ensuite, bien sûr, avec le rapport Bouchard-Taylor. Nous croyons nécessaire de reprendre le débat, de reprendre l'exercice auprès de la société civile et d'en arriver à un arrangement le plus large possible.

Une voix: Ce qu'on veut, là, c'est... Oui?

Mme Vallée: Juste... Parce que, M. Pelletier, vous avez dit quelque chose, vous avez dit: Bien, on va toujours être dans le cas-par-cas. Mais la vie, c'est ça, du cas-par-cas. C'est un petit peu ce que mon collègue de Laurier-Dorion disait tout à l'heure, c'est qu'il arrive une série... Les lois sont là, nous servent de guide, nous donnent une espèce de plan, de règles du jeu de la société, mais il y aura toujours dans la société des situations qui feront que les règles du jeu devront être analysées en fonction de la direction prise par un des joueurs. C'est ça, la vie. On ne peut pas avoir une société, à mon avis, sans saveur, sans odeur, incolore, indolore, et prétendre qu'il n'y aura jamais, mais jamais de recours aux tribunaux pour venir déterminer des règles qui s'appliqueront à un individu en particulier. Je crois que c'est... ce serait très beau, mais je pense que c'est utopique.

M. Pelletier (André): Je ne peux qu'être d'accord avec ce que vous venez de nous dire, sauf que, dans des cas bien particuliers où il y a à la fois la démocratie, l'exercice de la liberté et ce que vous nous avez décrit, il y a toute une marge, là. Ce n'est pas tout à fait la même chose.

Mme Brinck (Christiane): Moi, j'aimerais vous répondre sur le... voyons, le numéro 4, là. Je pense que, s'il y avait une vraie neutralité puis une vraie laïcité de l'État, la question, elle ne se poserait pas. Tu sais, quand vous dites... quand c'est dit dans le projet de loi que «l'État ne favorise ni ne défavorise une religion ou une croyance particulière», si l'État était vraiment laïque... Quand elle veut rendre un service à une ou un individu, il faut que la personne s'identifie, qu'on puisse l'identifier. Qu'elle ait une cagoule sur la tête, une burqa, un linge à vaisselle, une poche de jute, on ne devrait pas... que ce soit un signe religieux ou pas, ce n'est pas la question. On veut donner... Une personne veut avoir un service de l'État, bien il faut qu'on puisse être sûr à qui on donne le service. Il me semble, tu sais, que...

Mme Vallée: Mais c'est ce qui est prévu dans la loi.

Mme Brinck (Christiane): Bien, c'est pour ça qu'ils n'ont pas besoin d'une loi pour ça, là. Il me semble que c'est le gros bon sens.

Le Président (M. Drainville): Mme Brinck, c'est terminé. Et je vais maintenant céder la parole à la députée d'Hochelaga-Maisonneuve.

Mme Poirier: Alors, merci, M. le Président. Alors, bienvenue ici. Alors, juste pour un peu convenir avec ma collègue qu'ici on est dans un débat limité sur un projet de loi donné versus un débat ouvert sur un projet de société qui est un projet de laïcité, de neutralité de l'État, et d'ailleurs qui était recommandé comme un livre blanc de la commission Bouchard-Taylor. Ce débat-là n'a jamais été fait encore. On y va à la pièce. On a fait une petite modification, que personne ne sait encore à quoi elle va servir, à la Charte des droits et libertés. On a présenté un projet de loi n° 16, qui semble être mort actuellement, où on essayait d'arriver avec des balises. Et là, aujourd'hui, on nous amène un projet de loi qui se nomme... un projet de loi, on se rappellera, sur des balises encadrant, et les seules balises que l'on voit, c'est concernant le voile intégral. Ça ne fait pas l'économie d'un débat général sur la laïcité, qui est un débat beaucoup plus large qu'un débat de voile.

Que l'on parle de causes qui se sont rendues devant la Cour suprême concernant la remise en question du Code civil par la souccah sur un balcon, que l'on parle du kirpan, que l'on parle de d'autres causes, c'est des causes qui ont dû se rendre en Cour suprême parce qu'on n'a jamais fait ce débat-là ici, à savoir: Est-ce qu'on est d'accord avec le kirpan, ici? Non, ce sont des juges qui ont décidé. Est-ce qu'on est d'accord à ce que le Code civil soit bafoué parce que des gens, pour un motif religieux, veulent contredire un contrat qui a été fait entre personnes? Ce débat-là n'a pas été fait.

Alors, ce que j'aimerais vous poser comme question, c'est: Comment, selon vous, une charte pourrait protéger mieux les valeurs québécoises, telle que l'égalité hommes-femmes?

Mme Gélinas (Mariette): ...bien, d'abord, si on fait le débat en société, ça ne sera pas laissé aux juges, ça va être laissé aux citoyennes et citoyens et aux élus à prendre les décisions. Je pense que c'est important aussi, cet aspect-là. Parce que, comme vous l'avez mentionné, on y va à la pièce, et c'est les juges qui décident de nos modalités, de nos conditions de vie, alors que ce n'est vraiment pas la jurisprudence qui devrait être là, ça devrait être au niveau des personnes élues qui dirigent la société québécoise. Alors ça, je pense que c'est important.

Et, d'après moi, ça protégerait mieux, donc ce serait plus global, ce serait un ensemble, et tout le monde s'entendrait sur les valeurs à mettre dans cette charte-là. Je pense que c'est important.

Mme Poirier: Est-ce que vous avez pris connaissance du projet de loi que le Parti québécois a déposé, que notre chef, Mme Marois, a déposé, sur les valeurs fondamentales qui viendraient modifier la charte québécoise? Est-ce que vous avez pris connaissance de ce projet de loi qui vient reconnaître trois valeurs fondamentales: la primauté du français, l'égalité hommes-femmes et la neutralité, la neutralité de l'État? Est-ce que vous avez pris connaissance de ça? Et, selon vous, est-ce que ce projet de loi là viendrait, dans un premier temps, permettre d'avoir des principes qui permettraient aux juges éventuellement de reconnaître ces principes-là, et non pas aux juges d'introduire les principes par une jurisprudence? Qu'est-ce que vous en pensez?

Mme Brinck (Christiane): Bien, c'est pour ça que dans notre mémoire on disait qu'il faudrait que ce soit affirmé à quelque part officiellement. La ministre de la Justice nous disait: Oui, mais la jurisprudence nous le prouve. Il me semble que ce n'est pas suffisant, tu sais. Puis, c'est encore s'en remettre aux juges puis éventuellement à la Cour suprême du Canada, là. Il me semble qu'on est mûrs assez comme société pour décider c'est quoi, nos valeurs fondamentales puis pouvoir... les avoir comme assises de notre société, des principes de base qui guideraient la charte, qui guideraient les interprétations par la suite, ce serait important. On les partage, ces valeurs-là aussi, il n'y a pas de problème.

M. Pelletier (André): M. le Président, est-ce que...

Le Président (M. Drainville): Il reste trois minutes, à peu près, un petit peu plus que trois minutes. Donc, allez-y, monsieur.

M. Pelletier (André): Je voudrais vous citer un personnage que vous avez probablement tous connu, un ex-ministre de la Justice du nom de Paul Bégin, qui nous disait, dans un article qui a paru dans Le Devoir en 2008, ceci: «Aujourd'hui, dans une société démocratique et laïque, il va de soi que l'État n'intervient à aucun moment dans les affaires des religions et il ne favorise ou ne défavorise aucune d'entre elles. L'espace public dans lequel l'État et ses institutions agissent est neutre. L'État lui-même est neutre: il n'est pas antireligion ni proreligion.»

C'est dans le sens de ce que nous favorisons, c'est-à-dire une démarche large qui pourrait nous amener, je l'espère, à une fin concernant ces... concernant les accommodements raisonnables et le problème dans lequel se trouve souvent impliqué l'État.

Le Président (M. Drainville): Très bien. On m'indique qu'il n'y a plus de question. Donc, je vais...

Des voix: ...

Le Président (M. Drainville): Ah! pardonnez-moi, il y a une autre question qui vient de surgir tout à coup. Le député de Lac-Saint-Jean, vous avez deux minutes.

**(18 heures)**

M. Cloutier: Merci, M. le Président. En fait, c'était plus le temps qui nous inquiétait. En ce qui a trait à... D'abord, la définition comme telle qu'on veut donner à la neutralité de l'État, là, ça fait quelques fois que la ministre de la Justice dit: Oui, mais la neutralité de l'État, c'est un principe jurisprudentiel; la neutralité qui s'applique ici, c'est la même qui est définie pour l'ensemble du Canada par interprétation judiciaire. Mais nous sommes des législateurs et, par définition, si nous souhaitons donner une autre définition à la laïcité de l'État, à la neutralité de l'État, nous sommes amplement justifiés de le faire. Alors, oui, il existe de la jurisprudence, mais, oui aussi, nous avons la capacité de donner la définition qu'on souhaite à cette laïcité. Puis d'ailleurs, lorsqu'on regarde un peu la façon dont on a défini la laïcité à travers le monde, on réalise bien que chaque nation a donné la saveur qu'il souhaitait à cette définition de la laïcité.

En fait, ça m'amène à parler aussi du cas-par-cas. Les gens... Les députés ministériels nous disent: Oui, mais le cas-par-cas est inévitable. Mais il me semble que c'est exactement ce qu'on essaie d'éviter, le cas-par-cas. C'est la problématique qu'on vit à l'heure actuelle, et probablement que vous faites la même lecture que nous, que les amendements qui sont suggérés ne modifient pas la situation actuelle. Et c'est de cette situation actuelle que la population québécoise se plaint. Je vois que vous faites signe de la tête, je peux vous laisser la parole, oui.

Mme Brinck (Christiane): Ça entretient la confusion aussi. Quand il n'y a pas des règles générales claires, bien tout le monde y va... Ils essaient, tu sais, c'est juste des essais puis des erreurs. On s'essaie, si ça passe, ça passe. Si ça ne passe pas, ça ne passe pas. Si ça ne passe pas, on va devant les tribunaux, tu sais? Ça n'a pas de bon sens, au cas-par-cas comme ça, là.

M. Cloutier: Une des règles claires que...

Le Président (M. Drainville): M. le député de Lac-Saint-Jean, je suis désolé, c'est...

M. Cloutier: C'est terminé?

Le Président (M. Drainville): ...terminé.

M. Cloutier: Merci.

Le Président (M. Drainville): Je vais devoir donc remercier Mmes Gélinas et Brinck et M. Pelletier. Merci beaucoup de vous être présentés devant nous.

Je tiens à aviser les membres de cette commission, juste avant qu'on termine nos travaux, là, je viens de recevoir... Tel que le prévoit l'article 64.3 du règlement, je viens de recevoir une demande afin que soit convoquée, dans les meilleurs délais, une séance de travail de la Commission des institutions, afin que les membres de ladite commission puissent se saisir de la pétition déposée par le député de Verchères, et portant le n° 1230-20100422, et concernant la fonction de lieutenant-gouverneur.

Comme vous le savez, pour que nous puissions siéger en dehors des heures prévues au règlement, j'ai besoin du consentement des membres de cette commission afin donc que nous puissions dépasser l'heure prévue de 18 heures, afin donc de décider... afin de décider...

Une voix: ...

Le Président (M. Drainville): Voilà, oui, maintenant. Et la raison pour laquelle il faut le faire maintenant, c'est que, conformément à l'article 64.3 du règlement, la Commission des institutions a jusqu'au 18 mai 2010, c'est-à-dire aujourd'hui, pour se saisir de cette pétition en séance de travail à la demande d'un de ses membres.

Alors, la pétition en question concerne le lieutenant-gouverneur, et je tiens juste à informer les membres de cette commission que l'intervention réclamée est la suivante: «Nous, soussignés, demandons à l'Assemblée nationale de prendre les dispositions requises pour que soit aboli le poste de lieutenant-gouverneur.»

Alors, avant d'aller plus loin, pour que nous puissions donc nous constituer en séance de travail afin de décider si nous allons ou pas nous saisir de cette pétition, j'ai besoin du consentement des membres de cette commission.

Une voix: Pas de consentement.

Le Président (M. Drainville): Il n'y a pas de consentement. Alors, cela met fin à la discussion. Je remercie les membres de cette commission.

Et, compte tenu de l'heure, je vais suspendre nos travaux jusqu'à 19 h 30. Merci.

(Suspension de la séance à 18 h 4)

 

(Reprise à 19 h 32)

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Donc, bonsoir à tous et à tous. J'espère que la période de... de souper, dis-je, a été réparatrice pour vous. De «souter»! Donc, nous allons reprendre nos travaux.

Je vous rappelle que nous sommes réunis afin de procéder à des auditions publiques dans le cadre de la consultation générale sur le projet de loi n° 94, Loi établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement dans l'Administration gouvernementale et dans certains établissements.

Nous entendrons ce soir M. Alain Massot, qui a déjà pris place. Est-ce bien ça, M. Massot?

M. Alain Massot

M. Massot (Alain): Oui, c'est...

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui. Bienvenue chez nous, à la commission.

M. Massot (Alain): Merci.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Et l'Association féminine de l'éducation et de l'action sociale.

Et vous aurez 10 minutes pour faire votre présentation, vous avez sûrement été informé de cela, et il y aura une période d'échange de la part de chacun des côtés, donc de l'opposition officielle et du côté gouvernemental, pour mieux approfondir l'essence même de vos propos.

Et, sur ce, vous avez fait un bon voyage pour vous rendre à l'Assemblée nationale?

M. Massot (Alain): Il n'y a pas de problème, je connais le chemin.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Bon, bien, c'est excellent. Donc, pour ces 10 minutes là, elles vous appartiennent, et à vous la parole, M. Massot.

M. Massot (Alain): M. le Président, Mme la ministre, Mmes, MM. les députés, chers collègues, mesdames messieurs, je remercie la commission de bien vouloir m'entendre sur ce projet de loi n° 94, en espérant ne pas ajouter à la confusion.

Permettez-moi de dire deux mots sur mon cheminement. Je suis arrivé au Canada en 1968 avec le livre de l'ex-premier ministre Pierre Elliott Trudeau dans ma valise. J'ai plongé dans le bilinguisme à l'Université de Moncton pendant les événements dont témoigne le film de Pierre Perrault, L'Acadie, l'Acadie?!?. Cette année-là, en recevant un doctorat honorifique de l'Université de Moncton, le premier ministre disait que la communauté de Moncton représentait l'idéal du bilinguisme canadien.

J'ai poursuivi mes études en sociologie à l'Université d'Ottawa, lors de la mise en oeuvre des politiques du multiculturalisme, suite à la commission royale Laurendeau-Dunton. Puis il y aura le bill 63, suivi de la loi 101. Comme un fait exprès, j'ai rédigé une thèse sur les dimensions de l'assimilation des étudiants franco-ontariens et québécois à Ottawa.

J'ai finalement complété un doctorat à l'Université de Montréal, sous la direction de Guy Rocher, dans le cadre du grand projet ASOPE, qui visait un bilan après les 10 premières années des cégeps, en comparant notamment les cheminements scolaires des francophones, des anglophones et des allophones au Québec.

Aujourd'hui, nous sommes traversés par la question des accommodements, mais dans mon cheminement vous aurez remarqué qu'il y a une continuité, dans mes préoccupations, sur l'identité. Je suis professeur associé à l'Université Laval et y ai enseigné depuis... pendant plus de 30 ans. Les étudiants qui me connaissent lisent dans mon front Condorcet.

Je veux remercier un certain nombre de collègues qui ont lu, en tout ou en partie, les éléments de ce mémoire, et je souligne notamment la présence de Mme Suzanne Chartrand, ici présente. Permettez-moi à cette occasion de rendre hommage dans cette Assemblée à M. Michel Chartrand, qui fut également un interlocuteur exigeant et vigilant, particulièrement sur la question du revenu de citoyenneté et tant d'autres matières, et dont j'ai eu l'honneur et l'immense privilège de partager son amitié ces dernières années.

Je dois faire une mise en garde sur la portée de mon mémoire, qui ne peut être que très schématique, dans ses dimensions historiques notamment. Par exemple, je fais référence au mouvement de laïcisation en France, qui a duré tout le XIXe et le XXe siècle et dont la dynamique est spécifique. Le processus de laïcisation au Québec a sa propre dynamique. Il y a d'ailleurs quelques repères, dans ce processus, dans la récente Déclaration des Intellectuels, à laquelle j'ai souscrit. La laïcisation aux États-Unis a également sa propre dynamique. Pensons, par exemple, à l'éternelle rivalité entre les créationnistes et les évolutionnistes. Je ne peux pas tenir compte de ces spécificités, qui mériteraient une analyse comparative minutieuse.

Je soulève également un questionnement philosophique qui ne peut pas être traité en profondeur dans ce délai qui m'est imparti. Je pense notamment à la question de la citoyenneté, qui traverse l'histoire de la philosophie, mais aussi à la difficile question de la science morale et de ses fondements. Si j'ai signé la Déclaration des Intellectuels pour la laïcité, pourquoi alors un mémoire de plus, surtout après la commission Bouchard-Taylor?

La première idée que j'aimerais avancer est celle de la citoyenneté. Lorsqu'on lit les définitions en exergue de mon mémoire, on remarque immédiatement que, contrairement à la laïcité, qui se définit négativement, celle de citoyenneté se définit positivement. La laïcité s'oppose au religieux, alors que la citoyenneté établit les relations constitutives des citoyens avec l'État et ses institutions. Autrement dit, la laïcité est exclusive, ni religieux ni ecclésiastique, alors que la citoyenneté est inclusive. Ainsi, on parle des devoirs civiques, de l'esprit civique, de l'instruction civique, de la morale civique, du Protecteur du citoyen, du serment civique, du revenu de citoyenneté et, voire, de la charte de la citoyenneté. C'est dans cet espace civique que s'exercent les droits et les devoirs des citoyens.

**(19 h 40)**

La deuxième idée concerne le recouvrement, à des degrés divers, des espaces privé, public et civique. Il n'est pas vrai que l'espace privé est clos. Il n'est pas vrai également que l'espace public est libre. Prenons deux exemples parmi une multitude de faits. La nudité est l'objet d'une régulation dans l'espace public et même dans l'espace privé. La langue d'enseignement ou de travail est régulée par l'État dans l'école privée et dans certaines entreprises privées. On a pu lire récemment un jugement selon lequel la forêt privée est d'intérêt public. Le droit de propriété n'équivaut pas au droit de faire n'importe quoi. Il est vrai d'affirmer aussi que l'on ne peut pas rendre l'espace public neutre. L'espace public est traversé par des temples, religieux ou païens, qui sont le miroir des consciences ou des croyances, et on ne peut pas les éradiquer par décret. Certains s'évident, d'autres s'emplissent, toujours en mouvance, c'est l'histoire. On ne peut pas rendre neutres ces représentations collectives dans l'espace public.

La troisième idée que j'aimerais reprendre, et celle-là vient directement de Condorcet, le fondateur des systèmes scolaires modernes, à mon sens, c'est la distinction, qui a quasiment disparu dans le monde de l'éducation, celle qui établit une différence entre l'instruction et l'éducation. Pourtant, cette distinction s'avère très utile pour ordonner les priorités dans la définition du curriculum obligatoire. Alors que le temps scolaire est limité, beaucoup de personnes mandatées se présentent au portillon pour inscrire telle ou telle matière. Nous en vivons un exemple flagrant actuellement, qui est sur le bureau de la ministre de l'Éducation. Encore une fois, schématiquement, l'instruction relève de la raison, détient un caractère universel, tandis que l'éducation relève plutôt des valeurs, et en conséquence elle est particulariste. En rendant l'instruction obligatoire parce qu'émancipatrice et nécessaire au fondement de la démocratie, le critère prioritaire de l'instruction repose sur la raison, d'où son caractère universel.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): M. Massot, désolé de vous interrompre quelques instants. C'est qu'il y a 10 minutes d'imparties dans le temps. Est-ce que vous pensez de... Là, il vous reste très peu de temps. Est-ce que vous en avez pour longtemps encore?

M. Massot (Alain): Je vais sauter sur... me... sauter rapidement sur les conclusions.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Parce que... O.K. Sincèrement, est-ce qu'il y a consentement... Parce que l'enveloppe de temps est déjà terminée, là, mais...

Une voix: Ce n'est pas 15 minutes?

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): C'est 10 minutes. 10 minutes pour la présentation. Est-ce qu'il y a consentement? C'est... J'aimerais savoir: On prend ça sur le temps de qui?

Une voix: Partager.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Partager, ça vous va? Allez-y, M. Massot. Désolé de vous avoir interrompu.

M. Massot (Alain): Donc, je disais que l'instruction obligatoire est émancipatrice et nécessaire au fondement de la démocratie.

La quatrième idée est celle de science morale. Pour Condorcet, c'était la discipline qui couronnait l'ensemble des connaissances rationnelles. Évitons un malentendu répandu. Il existe une morale qui repose sur des vérités transcendantales, des vérités révélées. Il y a aussi une morale immanente, qui repose sur la raison. On peut penser aux chartes, aux conventions, à la Déclaration des droits de l'homme. Cette morale immanente a un caractère universel et elle témoigne d'un progrès de l'esprit humain. Il n'est pas vrai que sur le plan éthique tout est égal, tout se vaut, tout est justifiable, tout est relatif. Le beau, le bien, le juste et le vrai sont discernables sur le plan des valeurs et peuvent faire l'objet d'une hiérarchisation en termes de progrès et d'universalité.

La cinquième proposition que j'aimerais avancer est celle de l'école publique vis-à-vis de l'école privée. L'idée même de l'instruction obligatoire, laïque, universelle n'enfreint en rien la légitimité de l'école privée. Il est possible de l'exprimer inversement. L'instruction publique, laïque, obligatoire et universelle n'interdit pas l'école privée. C'est le principe même de l'accessibilité à l'instruction pour tous, qui était et demeure encore révolutionnaire, principe toujours inachevé dans sa réalisation et souvent encore complètement ignoré dans bien des pays par contrainte ou par obscurantisme. La principale contrainte de l'école privée est celle de se conformer au curriculum obligatoire défini par l'État. En somme, le débat sur la légitimité de l'école privée est pour ma part un non-lieu.

Le dernier point, très brièvement. J'aime bien la formule célèbre: Libre à chacun de gagner le ciel à sa manière... s'il y croit. Or, voici un dernier principe, controversé à maints égards. Face à des manipulations et, voire, à du harcèlement de la part de certains groupes, certains intérêts financiers, religieux, ésotériques ou autres, je pense qu'il faut établir une relation asymétrique entre le droit d'entrer en religion et le droit d'en sortir. Ajoutons le fait que se convertir en toute liberté est plus authentique que de s'engager dans les ordres sous l'innocence ou la contrainte.

Ma conclusion. Le port du voile ainsi que tout comportement ostentatoire à l'école publique accentuent le processus de déconstruction identitaire du sujet-citoyen en déficit de représentation, au sein d'un État-nation qui se disqualifie lui-même trop souvent, et sapent le projet grandiose de l'instruction publique du dernier philosophe des lumières, lequel est au fondement de la démocratie.

L'essentiel de mon mémoire veut souligner le fait qu'instruction, citoyenneté et démocratie s'impliquent réciproquement. La neutralité de l'espace civique, l'armée, les communications, l'école, l'hôpital, l'État, la santé, la sécurité, permet un espace public et constitue une condition de la liberté de conscience, d'où la liberté d'une affirmation claire de la neutralité de l'espace civique qui ouvre sur l'extension universelle des droits humains entendus comme un progrès irréversible de l'humanitude. Je vous remercie.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci infiniment, M. Massot. Donc, Mme la ministre, pour la période d'échange.

**(19 h 50)**

Mme Weil: Merci beaucoup, M. Massot. Alors, on va vous amener sur un terrain qui est peut-être le nôtre, qui est sur... concernant les accommodements raisonnables, des balises encadrant des demandes d'accommodement dans l'administration gouvernementale, donc pas nécessairement l'école publique ou privée. Mais j'aimerais avoir votre opinion.

Je vais peut-être commencer par votre conclusion. Oui. À la toute fin, votre conclusion, vous parlez de la neutralité de l'espace civique. Alors, si on prend ça comme tout le champ de l'administration gouvernementale... Bon, vous dites: «... -- l'armée, les communications publiques, l'école, l'hôpital, l'État, la sécurité -- permet un espace public pluraliste et constitue une condition de la liberté de conscience. D'où la nécessité d'une affirmation claire de la neutralité de l'espace civique qui ouvre sur l'extension universelle des droits humains entendus comme un progrès irréversible de l'humanitude.»

Est-ce qu'on pourrait voir ici un parallèle, donc, avec l'essence de notre projet de loi -- il y a quelques éléments du projet de loi... -- mais qui déclare justement la neutralité, donc une neutralité religieuse de l'État, séparation de l'État et des Églises, pour permettre l'exercice de la liberté de conscience? Donc, est-ce que vous voyez un parallèle entre cette affirmation que vous faites et ce qui est inclus dans notre projet de loi n° 94, qui déclare aussi cette neutralité? Certains parlent de laïcité ouverte et qui découle de la charte, qui découle du droit de la liberté de religion, la liberté de conscience, pour permettre ce pluralisme dont vous parlez.

M. Massot (Alain): Bien, je pense que le... en faisant la distinction entre l'espace civique et l'espace public, il est plus facile de s'entendre sur la neutralité de l'espace civique, ce qui concerne les relations du citoyen avec l'État et ses institutions. L'idée de neutralité de l'espace public est illusoire. Nous vivons dans un espace public pluraliste. On ne peut pas le rendre neutre, ou alors il faudrait démolir nos temples et nos centres d'achats, nos temples de la consommation, mais tous les autres temples. L'espace public ne peut pas être neutre.

Par contre, l'espace civique, qui concerne les relations du citoyen avec l'État et ses institutions, cet espace civique devrait être neutre, à mon sens. C'est sur cet espace civique que l'on peut affirmer une neutralité claire, non ambiguë, alors que la discussion sur la neutralité de l'espace public, elle est fausse, elle est... c'est-à-dire, elle ne peut pas aboutir, parce qu'on se voit toujours en porte-à-faux.

Mme Weil: Donc ça, c'est... évidemment, c'est exactement ce concept-là qui est dans notre article 4 du projet de loi, parce qu'on parle vraiment de la relation de l'État et... entre l'État et le citoyen, qui confirme ce principe de neutralité religieuse de l'État, qui fait en sorte qu'on ne favorise ni ne défavorise une religion, une croyance particulière. Donc... Moi, j'ai vu essentiellement un parallèle entre ce que, vous, vous appelez l'espace civique, donc ce que, nous, on appellerait, bon, tout ce champ de l'État, des services gouvernementaux...

Et, découlant de ce principe, comment vous voyez l'accommodement, l'exercice de l'accommodement, c'est-à-dire l'exercice qui permet au citoyen ou à l'employé de souhaiter un accommodement, pour diverses raisons, mais surtout le droit à l'égalité, et en partie, bon, en vertu de son droit à la liberté de conscience, l'exercice de l'accommodement et le fait que ce principe est enchâssé dans un projet de loi qui traite des services gouvernementaux? Est-ce que vous voyez ça comme un exercice utile, incontournable peut-être même?

M. Massot (Alain): Le principe de la neutralité religieuse de l'État est incontournable, mais je préfère faire référence à la notion de citoyenneté plutôt que de la laïcité. Je me demande... Pourquoi? Parce que la laïcité a été un mouvement politique, évidemment, a été... est... a été et est un mouvement politique en France, au Québec, aux États-Unis, qui s'est opposé au religieux, à l'ecclésiastique. Et en ce sens la laïcité, ce qui pose problème, à mon sens, c'est que c'est un mouvement exclusif. C'est un mouvement politique légitime, sans aucun doute, puisque de toute façon il existe, il a existé et il existe, mais il est exclusif. Tandis que, si on se réfère à la citoyenneté, aux droits, et aux devoirs des citoyens, et de ses responsabilités comme citoyen vis-à-vis des institutions de l'État et vis-à-vis de la démocratie, ce principe est inclusif. Personne n'est... ne peut se refuser de participer au bien commun, au sens commun, à l'intérêt général, et en ce sens tout ce qui concerne les institutions, l'État requiert une neutralité. Alors, je ne sais pas, peut-être que...

Mme Weil: En fait... Bien, en fait, moi, je vois beaucoup de parallèles entre ce que vous dites... Et d'ailleurs l'expression qui a été choisie, justement à cause des experts en la matière, c'était justement l'expression «neutralité». Moi, je semble trouver beaucoup de parallèles entre... Vous, vous parlez d'un espace civique, mais je vois les parallèles entre ce que vous dites et les expressions qui ont été utilisées en vertu de neutralité. On dit... C'est sûr que, «laïcité», on l'a entendu un peu aujourd'hui. Il n'y a pas de consensus sur ce que ça pourrait vouloir dire. Une charte de la laïcité, pour certains, ça veut dire aucune liberté ou expression, il me semble, de conscience. On voit qu'il n'y a pas de compréhension commune. La neutralité, par ailleurs, est un concept qui a été reconnu comme découlant de nos chartes et de notre Charte de droits et libertés.

Mais ce qui m'amène à vous poser des questions sur cet exercice d'accommodement, c'est-à-dire où le citoyen demande dans certains contextes un accommodement, et peut-être vous demander... Je ne sais pas si, le projet de loi, l'article 6... si vous avez un commentaire sur l'article 6, l'article 6 qui parle de recevoir ou donner des services à visage découvert, donc... mais qu'on la... on amène sur des principes de communication, sécurité, identification, si vous avez... donc, lorsqu'un citoyen vient chercher des services gouvernementaux et lorsque les services sont rendus dans cet espace, que vous appelez peut-être l'espace civique. Votre commentaire sur cet article-là.

M. Massot (Alain): Je comprends bien la question. Peut-être que je peux essayer d'y répondre par des exemples, pour essayer de tester l'opérationalisation de cet espace civique. À mon sens, dans une conférence, qui est un espace public, on doit se présenter à visage découvert. On ne peut pas poser une question voilé, dans les deux sens du mot, dans le sens figuré et propre. On ne peut pas poser une question voilé. On ne peut pas parler à autrui voilé, dans notre société démocratique, en tant que citoyen, dans un espace commun que l'on partage. Comment pourrais-je me présenter devant la commission en cagoule? Enfin, ça n'a pas de sens. On parle à visage découvert. Il faut reconnaître l'autre, et, si l'autre se voile, il rompt une réciprocité.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui. Merci, M. Massot. Je crois comprendre, là, que notre temps est dévolu maintenant à vous, Mme la députée Rosemont. À vous, la parole.

**(20 heures)**

Mme Beaudoin (Rosemont): M. Massot, bonsoir. Plaisir de vous accueillir ici, à l'Assemblée nationale. Alors, moi, je voudrais faire un premier commentaire. Ce matin même, j'ai fait cette distinction entre l'espace civique, l'espace public puis l'espace privé. Et le maire de Saguenay a même trouvé que c'était excellent comme distinction. Alors, vous voyez, vous faites des émules. Parce que je pense que c'est extrêmement intéressant, en effet, parce que dans ces trois espaces il peut y avoir des façons différentes de se comporter. Je vois quand même... je note, en passant, que vous allez plus loin que le projet de loi, puisque vous nous dites qu'à visage découvert, même dans une conférence, même dans un espace qui n'est pas nécessairement civique mais qui peut être tout simplement public...

Mais, moi, ce qui m'a le plus intéressée, je dois vous dire, c'est... Et je vais vous lire, parce que dans votre synthèse, tout à l'heure, dans votre résumé, vous n'avez pas eu le temps de tout dire ça. Mais c'est à la page 10, quand vous parlez de l'école privée et l'école publique. Vous dites: «En préserver l'autonomie fondée en raison constitue l'enjeu principal des sociétés démocratiques», en parlant de l'instruction publique, justement, toujours en fonction, d'ailleurs, si je comprends bien, de Condorcet, ce grand visionnaire, ce grand révolutionnaire aussi. Et là vous dites: «Les parlementaires français ne se sont pas trompés sur cet enjeu lors du vote de la loi concernant le port de tout signe ostentatoire à l'école. Malgré les hauts cris indignés, poussés de toute part -- le président [...] Bush...» Il s'était prononcé là-dessus, le président Bush?

M. Massot (Alain): À ma connaissance, oui.

Mme Beaudoin (Rosemont): Oui? Ah oui? «...les cheikhs, le pape, le président iranien, les télé-évangélistes, aussi bien que les intellectuels de gauche et de droite -- l'Assemblée nationale française a tenu à préserver la nécessaire autonomie de l'école publique.» Et là vous dites, un petit peu plus loin: «Rendre les élèves inégaux entre eux sous prétexte de respecter leurs croyances culturelles et religieuses et, par là, rendre encore plus laborieuse et précaire l'intégration sociale apparaît pour le moins paradoxal. Ainsi que le rappelle Henri Peña-Ruiz, membre de la commission Stasi, "l'école laïque est un des derniers lieux à mettre de l'avant ce qui unit tous les êtres humains plutôt que ce qui les divise".» Je pense que c'est une citation extrêmement pertinente et importante.

Mais donc, à partir de là et à partir de ce que vous dites concernant essentiellement l'école, qu'est-ce que vous pensez du projet de loi qui est devant nous? Est-ce qu'il... Qu'est-ce qu'il dit là-dessus, ce projet de loi devant nous, là-dessus, ou qu'est-ce qu'il ne dit pas? Et qu'est-ce que vous pensez globalement, donc, de ce projet de loi? Parce que, bon, la ministre a parlé un peu avec vous, de façon générale et globale, mais, le projet de loi lui-même, compte tenu de tout ce que vous écrivez, des distinctions que vous faites entre l'espace civique, l'espace public, l'espace privé, puis ce que je viens de vous lire de votre mémoire, c'est quoi, votre conclusion?

M. Massot (Alain): Le principe de l'école publique laïque, gratuite, universelle, obligatoire, c'est le fondement de la démocratie. Il n'y a pas de démocratie sans instruction publique laïque, gratuite, obligatoire. C'est ce principe-là qui est révolutionnaire. Et en effet la citation... je m'inspire de Peña-Ruiz à ce sujet-là, c'est l'école laïque qui permet un vivre-ensemble. Dans ce vivre-ensemble... Si on fractionne ce vivre-ensemble, on a des problèmes.

Je passais récemment quelques... une expérience au Sénégal et je voyais des écoles coraniques, sous des toits de taule assez misérables, des centaines d'enfants assis par terre, sur le sol, à apprendre le Coran et à réciter le Coran toute la matinée. Et ils n'apprennent que ça. Et à l'inverse les parents un petit peu aisés, qui ont les moyens d'envoyer leurs enfants à l'école, les envoient à l'école catholique. Et le quatrième règlement, que j'ai pu voir, de l'école -- c'est un règlement sur deux pages -- le quatrième règlement: Aucun signe distinctif, aucun voile, etc. Et tout... et ça ne fait aucun problème. Mais ce sont des parents... Le Sénégal, comme vous savez, est à 91... 90 % musulman, sinon... Ils envoient leurs enfants à l'école catholique parce qu'ils apprennent des connaissances qui... qui est dans le projet condorcetien de l'instruction publique, et que, pour...

Donc, c'est le principe de l'universalité de l'instruction publique qui est révolutionnaire, l'instruction publique accessible à tous qui est révolutionnaire. Et, comme je fais référence au Sénégal en l'occurrence, et ça s'applique à d'autres pays, c'est cette accessibilité-là qui est universelle et qui fonde la citoyenneté et la démocratie. Alors, qu'il y ait des écoles privées à côté, ce n'est pas un problème. Ce n'est pas un problème, en autant que l'école privée se conforme aux exigences du curriculum obligatoire défini par l'État. C'est la responsabilité de l'État de définir ce curriculum obligatoire.

Je pourrais prendre un autre exemple, personnel. Je... j'étais... je suis issu d'une école privée, mais quand même on m'a enseigné Montaigne, Voltaire, Montesquieu, Rousseau, Diderot parce que ça faisait partie des examens. Et ce n'est peut-être pas tout à fait par hasard que j'ai découvert, 20 ans ou 40 ans plus tard, Condorcet. Je connaissais...

Mais le problème de l'école privée en fait n'est pas un problème. Le principe fondamental est celui de l'accessibilité à l'école publique, universelle, gratuite. Alors, je ne sais pas si j'ai tout à fait... Dans ce sens-là, pour être peut-être un peu plus précis sur... dans ce sens-là, l'école privée... l'école publique, excusez-moi, l'école publique est un espace civique. L'école publique est un espace civique. Et je rejoins ce que je disais précédemment en réponse à Mme la ministre sur... J'aurais exactement le même argument.

Mme Beaudoin (Rosemont): M. le Président, oui, merci beaucoup. Moi, je trouve ça très intéressant, toutes ces distinctions, ce que je viens de vous lire sur ce que vous avez écrit, page 10, et tout. Mais, par rapport au projet de loi, justement, qu'est-ce que vous pensez que ça apporte, ce projet de loi qui est devant nous et que nous étudions aujourd'hui en commission parlementaire? Alors, ce que vous écrivez, les distinctions que vous faites et ce qu'il y a dans le projet de loi, est-ce que ça vous amène à appuyer ce projet de loi ou non? Dans le fond, la question est aussi claire que je peux la... puisse la formuler.

**(20 h 10)**

M. Massot (Alain): Tout à fait. Tout à fait. Je pense qu'il faut... on ne peut pas... Il y a un tel flou actuellement. Il me semble, enfin. C'est le flou, moi, que je perçois, ici comme ailleurs, hein? En France notamment, hein, et ailleurs. Je pense qu'il y a un tel flou actuellement qu'on ne sait plus comment se comporter, qu'on ne sait plus que faire, qu'on n'ose plus définir les choses. Ce qui m'apparaît central, c'est la constitution de sujets-citoyens qui passent par l'instruction publique et qui passent par toutes les relations que le citoyen entretient avec l'État et les institutions.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): ...

M. Massot (Alain): Si on laisse aller ce... un flou, une espèce d'indéfini dans les relations du sujet-citoyen avec les institutions de l'État, on ne s'en va nulle part, on régresse. Nous ne sommes pas dans des théocraties. Nous... J'adhère au principe de... à l'idée du progrès de l'humanité ou de l'humanitude. Alors là, il y a un a priori. Moi, je ne veux pas... enfin, je ne pense pas que ce soit souhaitable de revenir à des théocraties. Nous ne sommes pas dans ces régimes-là. Si nous faisons un postulat sur le progrès de l'humanité et qui passe par la démocratie, nous sommes obligés de sortir l'enfant de l'enfance et d'en faire des citoyens. C'est l'instruction publique qui assume ce rôle-là.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Nous y reviendrons, M. Massot, parce que je dois donner la parole du côté ministériel. Mme la ministre ou Mme... Est-ce qu'il y a d'autres interventions? Mme la ministre. Mme la députée de Hull? Allez-y. Gatineau, que dis-je, encore une fois!

Mme Vallée: M. Massot, merci. Fort intéressant de vous écouter. Puis je pense que, d'un côté comme de l'autre de la table, ici, on pourrait vous écouter longuement parce que ce que vous apportez, c'est une lumière tout à fait différente, en fait c'est un ton différent de ce qu'on a entendu depuis ce matin puis qui est fort éclairant.

Vous avez mentionné quelque chose tout à l'heure. Vous avez fait la distinction entre l'espace public, qui ne peut être neutre, puis l'espace civique, qui doit être neutre. Dans le projet de loi, il y a... on se réfère à une certaine définition de ce que je pourrais probablement qualifier d'espace civique, mais j'aimerais vous entendre sur jusqu'où va l'espace civique dans notre société, ici, au Québec, dans la société québécoise. Qu'est-ce qui peut être englobé dans ce que vous qualifiez comme étant l'espace civique du citoyen québécois?

M. Massot (Alain): Je réfère en premier lieu à la définition... c'est-à-dire son rôle... le rôle du citoyen dans la vie politique, mais aussi l'esprit civique, par exemple la morale civique, le Protecteur du citoyen, le serment civique. Ici, c'est un serment à la reine, je pense, oui. Le revenu de citoyenneté, c'est une autre problématique, ce que... Mais aussi les devoirs. Il y a des droits, mais les devoirs civiques... Comment une personne peut-elle assumer ses devoirs civiques si, pour le dire directement, si elle se voile? Comment, à partir d'une exclusion, peut-on assumer ses devoirs civiques? C'est grave. Parce que le sujet-citoyen, le citoyen doit participer au bien commun, à la communauté, à l'intérêt général.

Son intérêt privé, soit! Mais, quand elle est en rapport dans une communauté, dans une société, elle doit assumer ses devoirs... des devoirs civiques en vue de l'intérêt général, et c'est l'État qui doit définir ce cadre. C'est la responsabilité de l'État de définir ce cadre permettant l'expression... permettant d'assumer à chacun ses devoirs civiques. Ce n'est pas la souveraineté de l'individu. Oui, elle existe, la souveraineté de l'individu, dans la sphère privée. Mais ce qui nous préoccupe ici, c'est l'intérêt général, c'est l'intérêt de la société, et l'État doit en assumer la régulation. Comment peut-on participer à une société démocratique moderne en s'excluant de son statut de citoyen ou en... par un masque ou par autre chose?

Mme Vallée: Vous avez mentionné un peu plus tôt, à la question de notre collègue... vous semblez indiquer que le projet de loi est un pas vers la bonne direction. Est-ce que je vous comprends correctement?

M. Massot (Alain): Oui.

Mme Vallée: Donc, c'est une balise qui était justifiée ou qui était nécessaire, compte tenu du flou qui existait ou qui existe actuellement dans la société québécoise. C'est bien ça?

M. Massot (Alain): Oui. Il me semble, oui.

Mme Vallée: Je vous comprends bien?

M. Massot (Alain): Oui. Oui.

Mme Vallée: D'accord.

M. Massot (Alain): Oui. Je pense qu'il y a une nécessité d'affirmer la neutralité de l'espace civique. Peut-être, je suis dialecticien, c'est-à-dire que plus on éclaire sur la neutralité de l'espace civique, moins on a à se préoccuper de l'espace public. On ne pourra pas... on ne peut pas neutraliser l'espace public. Il est là. Il est là. Ça, ce n'est pas... Mais tout ce qui concerne l'espace civique, par contre, il me semble, à ce moment-là, qu'il faut être beaucoup plus clair et beaucoup plus affirmatif, volontariste, on peut dire aussi, parce que c'est notre fondement de notre vivre-ensemble, de notre vie collective, démocratique, et on ne peut... On peut être beaucoup plus ferme sur tout ce qui concerne la citoyenneté et les devoirs... les droits, mais les devoirs des citoyens vis-à-vis du vivre-ensemble et de l'organisation démocratique de nos sociétés.

Nous ne voulons pas régresser vers des théocraties. Nous prétendons que... C'est un postulat qu'on peut contester. Peut-être, certains préféreraient avoir... retourner dans des régimes monarchiques, théocratiques. En tout cas, notre postulat, c'est que les régimes démocratiques sont un pas en avant vers l'humanitude, et on peut en juger, et il faut en juger. Nous prétendons que c'est mieux, que c'est un pas en avant. On peut contester ce postulat, on peut contester le postulat du progrès de l'humanité. Et, vous savez, comme je suis condorcetien, la notion de progrès était chère à Condorcet, la notion de progrès de l'esprit humain, et on peut faire un jugement sur ce progrès de l'esprit humain et du système démocratique par rapport à d'autres systèmes, mais on peut le contester. Alors, c'est légitime aussi de le contester. Ce n'est pas mon postulat.

**(20 h 20)**

Mme Vallée: J'aimerais vous entendre sur la notion d'accommodement raisonnable. Parce qu'il est prévu, au chapitre II de la loi, une série de conditions qui sont afférentes aux accommodements, c'est-à-dire quel type d'accommodement pourrait être accordé dans certains contextes. Dans... Par exemple, à l'article 4, on prévoit que les accommodements doivent «respecter la Charte des droits et libertés de la personne, notamment le droit à l'égalité entre les femmes et les hommes et le principe de la neutralité religieuse de l'État selon lequel l'État ne favorise ni ne défavorise une religion ou une croyance particulière». J'aimerais vous entendre sur le concept des accommodements, ce qu'est un accommodement raisonnable, à votre avis, suivant ce que vous nous avez présenté précédemment.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): En deux minutes, M. Massot, s'il vous plaît.

M. Massot (Alain): En deux minutes?

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui. Je sais que je vous demande...

M. Massot (Alain): ...

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Je sais que c'est tout un défi pour vous, là, compte tenu de l'essence même de vos propos, là, mais...

M. Massot (Alain): Ce sont les deux dernières minutes?

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Non. Nous avons...

M. Massot (Alain): Ah bon! on...

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): ...aussi un bloc avec l'opposition pour vous exprimer, là.

M. Massot (Alain): Ah bon! Alors, nous avons du temps. En deux minutes. Bien, je pense qu'il n'y a pas à considérer d'accommodement raisonnable dans la sphère civique. Dans la sphère publique... Je pense que la notion d'accommodement est très, très différente si on la place au niveau de la sphère civique et de la sphère publique. Dans la sphère civique, je pense que c'était... ce serait assez facile à trancher, c'est-à-dire qu'on se présente selon les codes de notre société occidentale. Dans la sphère civique, ça m'apparaît assez facile à réguler. Une fois que cette régulation est assumée dans la sphère civique, dans la sphère publique, comme je le disais précédemment, elle ne peut pas être neutre. La sphère publique ne peut pas être neutre. Alors...

Bon. En dernier... j'y fais allusion à un moment donné, en dernier argument, dans notre société, il est poli de... de... -- comment? -- de convenance, de parler à visage découvert, de voir le visage à qui l'on parle, et vice versa. Donc, la personne qui se cache le visage, pour x raisons, rompt un lien de réciprocité, dans notre société occidentale moderne, société démocratique moderne, occidentale. Il y a un bris de réciprocité. Eh bien, que ces personnes l'assument, mais il y a un bris de réciprocité. On ne parle pas dans le dos d'une personne et on ne parle pas à visage couvert...

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça va?

M. Massot (Alain): ...dans l'espace public. Ça va.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça va. Merci, M. Massot. Mme la députée de Rosemont.

Mme Beaudoin (Rosemont): Oui. Merci, M. le Président. Alors, bien sûr, je suis d'accord avec vous que l'espace public, et je l'ai répété à plusieurs reprises aujourd'hui, c'est pas mal plus compliqué. Et puis, de toute façon, je pense que chacun peut vivre sa vie dans l'espace public, en tout cas le mieux possible, mais que l'espace civique, en effet, c'est autre chose. Et vous avez dit, dans le fond: Pas d'accommodement dans l'espace civique. Et vous écrivez même en page 12, et je voudrais vous entendre un peu plus là-dessus... vous dites: «Le port du voile ainsi que tout comportement ostentatoire à l'école publique accentuent le processus de déconstruction identitaire du sujet-citoyen en déficit de représentation au sein d'un État-nation qui se disqualifie lui-même trop souvent et sapent le projet grandiose de l'instruction publique du dernier philosophe des lumières -- Condorcet toujours -- lequel est au fondement de la démocratie moderne.»

Dans le fond, ce que vous dites pour l'école publique, est-ce que vous l'étendez à l'ensemble de l'espace civique? C'est-à-dire, ce n'est pas seulement l'école, mais bien sûr la fonction publique, la fonction parapublique, enfin, donc, tout le secteur de cet espace civique. Ou est-ce que vous ramenez ça uniquement donc à l'école publique, ou est-ce que vous pensez qu'on doit étendre ce principe à l'ensemble de l'espace civique? Parce que vous avez dit tout à l'heure: Pas d'accommodement dans l'espace civique. Donc, j'imagine que c'est au-delà de l'école.

M. Massot (Alain): Tout à fait.

Mme Beaudoin (Rosemont): Et, quand vous dites «comportement ostentatoire», qu'est-ce que... à quoi vous faites référence? À quoi vous pensez?

M. Massot (Alain): Au projet de loi que la France a adopté. Là... Ça inclut tout signe manifeste d'une croyance particulière, et je pense que, dans l'espace civique... et ça va en effet, comme vous... ça va, dans mon esprit, bien entendu, bien au-delà de l'école publique, là. Tout signe ostentatoire n'a pas lieu dans l'espace civique. Donc, c'est beaucoup plus large que l'école publique.

Mme Beaudoin (Rosemont): Très bien. Et, quand vous parlez justement de la France et puis de cette loi française de 2004, elle s'appliquait aux élèves et aux enseignants... depuis longtemps aux enseignants. Est-ce que vous pensez que c'est possible et applicable au Québec? Parce que, moi, personnellement, là où j'en suis dans ma réflexion, c'est qu'en ce qui concerne les enseignants ça fait partie, pour moi, de cet espace civique et de cette fonction publique et parapublique, et que le port de signes ostentatoires n'est pas approprié quand on a...

D'ailleurs, dans le rapport Bouchard-Taylor, je trouve ça très curieux, quand les deux coprésidents de la commission ont dit: Bon, bien, pour certaines catégories de représentants de l'État qui exercent, ont-ils dit, une autorité au nom de l'État, parlant donc des juges, des policiers, du président et des vice-présidents de l'Assemblée nationale, des gardiens de prison, etc. Ils ont donc restreint l'application de ce principe à ceux qui, de leur point de vue, exerçaient une certaine autorité. Moi, je trouve ça très curieux, dans un sens, que ça n'a pas été étendu automatiquement aux enseignants. Parce que peut-être qu'ils n'ont plus d'autorité dans nos écoles. Je ne sais pas. Ça fait longtemps que j'y suis passée. C'est ce qu'on dit beaucoup, que les enseignants n'ont malheureusement plus l'autorité qu'ils avaient il y a 30 ans. Mais, quand même, a priori, c'est quand même un modèle, c'est quand même... il me semble. On passe beaucoup d'heures par jour dans une école primaire et secondaire. On devrait, en tout cas. On y travaille. On devrait acquérir des connaissances transversales, verticales, un peu de toutes les formes. Mais... Et là je trouvais curieux donc justement que la commission Bouchard-Taylor s'arrête en deçà des enseignants, puisque, pour moi, s'il y a une autorité donc évidente qui s'exerce tous les jours auprès des enfants du Québec, c'est celle des enseignants.

Mais, comme je vous disais, ma réflexion personnelle, là, pour l'instant c'est de dire: Je n'aime pas beaucoup, dans une école qui, je l'ai dit -- d'ailleurs, je l'ai écrit dans Le Devoir -- une école qui est dans ma circonscription, que j'ai visitée... Et j'arrive là et je vois des petites filles qui ont 12 ans, 13 ans... C'est une école pour filles seulement, une école publique. C'est ce qui avait attiré mon attention. C'est très rare, hein, maintenant. Aujourd'hui, il y en a peut-être deux, à la commission scolaire de Montréal, des écoles seulement pour les filles. Bon, peut-être qu'il en faut. Je n'ai pas... je n'avais pas d'idée préconçue, très franchement, quand je suis allée la visiter. Mais j'ai eu un choc, quand même, quand je suis arrivée, en voyant des petites filles qui ont 12 ans, 13 ans, qui sont voilées. Et est-ce que, bon, c'est de leur propre consentement? On peut au moins se poser la question, hein, on peut au moins se poser la question, quand on a cet âge-là.

Mais je ne suis pas certaine qu'on peut aller jusqu'à, justement, dire, comme en France, comme la France l'a fait, comme la commission Stasi l'a fait... Et c'est très intéressant que de lire tous les débats autour de la commission Stasi, en France, et la décision que l'Assemblée nationale française a prise, et que, malgré ce qu'on en dit, finalement ça s'est très bien passé, et puis qu'il n'y a pas eu de révolution, puis il n'y a pas eu de désobéissance civile, et puis il n'y a personne qui... Bon. Il y a peut-être eu quelques cas plus complexes, qui finalement se sont réglés relativement facilement.

Mais, pour le Québec, compte tenu... On vit en Amérique, bon, on est quand même dans un contexte différent de celui de la France, mais, vous, est-ce que vous pensez qu'au Québec, ici, compte tenu de tout ce que vous avez dit, une loi comme la loi Stasi, on devrait en appliquer une?

**(20 h 30)**

M. Massot (Alain): Je ne répondrai pas d'une façon générale, mais sur le cas particulier qui s'est posé au Québec récemment, dans les classes, dans une classe, pour l'enseignement de la langue. Je ne sais pas comment on peut enseigner une langue à travers un voile. Que ce soit le professeur, d'ailleurs, ou l'élève, je ne sais pas comment on peut enseigner une langue à travers un voile. Ça m'apparaît une absurdité. C'est comme... c'est comme extraire une dent sous un voile, pour un chirurgien-dentiste. On ne peut pas enseigner voilée, ce n'est pas possible.

Mme Beaudoin (Rosemont): Mais voilée comment, justement? Parce que, bon, c'est sûr... C'est... Le foulard, c'est une chose. Les petites filles dont je parlais, ce n'est pas le niqab ou la burqa. Ce n'est pas comme... Parce que je pense que, sur le cas donc que vous venez d'évoquer, bon, il y a une espèce d'unanimité à l'Assemblée nationale là-dessus. Mais la loi Stasi, ce n'est pas ça. C'est de dire que... Ce que vous dites, là: Tout comportement ostentatoire, donc tout signe ostentatoire à l'école, j'imagine, pour les enseignants... Mais la loi Stasi s'appliquait aux élèves.

Je vous posais la question: Est-ce que vous pensez qu'au Québec... Moi, je disais que j'avais plein d'interrogations là-dessus, mais est-ce que vous pensez qu'au Québec c'est possible, faisable et qu'on devrait aller jusque-là?

M. Massot (Alain): Je pense qu'il faut... Mon avis, il faut le faire, oui, il faut le faire. Et il faut être clairs et précis sur... mais... sur cette neutralité, cette neutralité en ce qui concerne l'espace civique. Et l'éducation, c'est évidemment l'espace civique.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): ...une minute, oui.

Mme Beaudoin (Rosemont): Il reste une petite minute? Compte tenu de tout ce que vous avez dit, j'aimerais revenir au projet de loi et voir quel est le rapport, justement. Parce que vous nous dites: Bon. Tout l'espace civique doit être exempt de quelque comportement ostentatoire ou, enfin, etc. Donc, tout l'espace civique. Sans accommodement, d'ailleurs. Bon. Alors, par rapport au projet de loi qui est ici, qui est plein d'accommodements, puisque ça s'intitule «conditions afférentes aux accommodements», il me semble qu'il y a comme une espèce de contradiction entre ce que vous nous avez dit. Parce que, bien sûr, la neutralité de l'État, on peut... on va en discuter longuement, qu'est-ce que ça signifie dans ce cadre-là, bon, quels sont les impacts de ça, les avis peuvent diverger. Mais, étant donné tout l'ensemble de votre mémoire, je n'en vois pas exactement le rapport, parce qu'il n'y a rien de ce que vous dites qui se retrouve dans ce projet de loi là.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Rapidement, M. Massot, et en conclusion.

M. Massot (Alain): Oui. J'en suis bien conscient, c'est une réflexion historique et philosophique qui soulève des questions complexes et que je ne peux pas raccommoder facilement à un projet de loi précis. Ça, j'en suis bien conscient, hein! Mais... D'ailleurs, je ne sais même pas pourquoi j'ai écrit ce mémoire. Il s'avère qu'il a été écrit et qu'il est un peu au-delà de mes intentions. Mais c'est une réaction à une espèce de confusion. Parce que c'est quotidien, hein, le tonneau craque, hein, de tous les bords. On ne se sait pas comment... on reçoit des douches de tous les bords. Et puis c'était une réaction pour poser des balises, puisque je pense que c'est quand même dans l'esprit de la loi de trouver des balises. Donc, je me suis référé sur une réflexion historique et philosophique, mais évidemment, là, tel qu'exposée ici, très, très schématique, et qui se présente en effet très, très loin de... qui apparaît très, très loin d'un projet de loi concret sur... ça, j'en suis bien conscient. Mais il faudrait un autre... un séminaire pour...

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): M. Massot, je vous remercie sincèrement, infiniment pour votre contribution à cette commission et la richesse de vos propos. Bon retour chez vous. Merci infiniment.

Je suspends les travaux quelques instants.

(Suspension de la séance à 20 h 37)

 

(Reprise à 20 h 39)

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Donc, nous allons reprendre nos travaux. Donc, nous avons le privilège, mesdames, de vous recevoir. C'est toujours un privilège d'aller vous visiter à Drummondville, bien sûr, quand vous y êtes, là, l'ensemble. Et c'est assez impressionnant de vous voir là. Je veux vous avouer que rentrer dans une salle comme seul homme et qu'on est présent avec 450 femmes, c'est assez impressionnant, pas parce que vous êtes des femmes, mais pour votre implication sociale particulièrement.

Alors, je vous souhaite la bienvenue à votre commission. Merci de vous être présentées. Et vous avez 10 minutes pour la présentation de votre mémoire, et il va y avoir une période d'échange de part et d'autre, là, pour mieux comprendre vos propos. Donc, à vous la parole, Mme la présidente.

Association féminine d'éducation
et d'action sociale (AFEAS)

Mme Thibeault (Denise): Merci. M. le vice-président, Mme la ministre de la Justice, Mmes et MM. les parlementaires, merci de nous recevoir aujourd'hui pour vous présenter nos commentaires et recommandations sur le projet de loi n° 94.

D'entrée de jeu, l'AFEAS félicite le gouvernement du Québec qui, avec le projet de loi n° 94, répond à l'impératif de baliser les accommodements tout en s'assurant de préserver l'égalité entre les femmes et les hommes et la neutralité de l'État. Pour l'AFEAS, il est important d'encadrer les organisations gouvernementales lorsqu'il s'agit de décider d'accorder ou non un accommodement. Sans cela, le personnel et les utilisateurs des services institutionnels se retrouveront rapidement dans une tour de Babel.

**(20 h 40)**

Depuis sa fondation, en 1966, l'AFEAS a pour mission de promouvoir l'égalité entre les femmes et les hommes dans toutes les sphères de la société. À ce titre, l'AFEAS défend les droits des femmes et l'égalité pleine et entière, soit l'égalité de droit comme l'égalité de fait, dans tous les grands débats, au Québec, qui peuvent avoir un impact sur les droits des femmes et sur les multiples aspects de leur vie.

Dans le mémoire de l'AFEAS que nous vous avons transmis, nous vous présentons brièvement notre association et une description du contexte dans lequel se présente le projet de loi n° 94. Cependant, compte tenu du peu de temps qui nous est alloué ce soir, je ne reviendrai pas sur ces éléments. Je vous présente donc, du point de vue de l'AFEAS, les atouts et les limites du projet de loi n° 94.

Le projet de loi vise à établir les conditions dans lesquelles un accommodement peut être accordé en faveur d'un membre du personnel ou d'une personne utilisant les services de l'administration gouvernementale ou des établissements publics. En cela, le projet de loi n° 94 répond à la demande de l'AFEAS comme à celle du Conseil du statut de la femme pour que le gouvernement mette en place un cadre global servant à baliser la réponse aux demandes d'accommodement dans les institutions publiques québécoises.

Pour l'AFEAS, ce projet de loi pose un jalon supplémentaire pour ancrer les fondements de l'État québécois: la laïcité, ou neutralité de l'État, et l'égalité entre les femmes et les hommes. À cet effet, il permet aux institutions québécoises de répondre aux demandes d'accommodement sans renier ces deux éléments fondamentaux au Québec.

Aux articles 1 à 3, le projet de loi définit son objet, à qui il s'applique, et établit les institutions de l'administration publique et les établissements visés. Ainsi, il cadre son action uniquement au contexte des services publics mais ne couvre pas la sphère ou l'espace public.

Il est heureux, selon l'AFEAS, que ce projet de loi s'adresse autant aux membres du personnel qu'aux usagères et usagers des services de l'administration publique et des établissements. Il ne fait pas de distinction entre les prestataires et les utilisateurs des services, qui devront tous être traités de façon équitable. De plus, il couvre l'ensemble des institutions et établissements publics, ce dont se réjouit l'AFEAS.

Le projet de loi n° 94 définit aussi le concept d'accommodement. Ce concept, jusqu'ici juridique, permet de réduire ou d'annuler l'impact d'une discrimination indirecte qui peut être créée pour une norme institutionnelle en portant atteinte à un droit pour une personne particulière et dans une situation spécifique. Maintenant intégré dans la loi, le concept d'accommodement devient une norme qui doit servir à encadrer les réponses des institutions aux demandes d'accommodement. Par ailleurs, l'article 5, commenté plus loin, vient baliser cette norme en ce qu'elle doit avoir de raisonnable.

À l'article 4, le projet de loi prescrit le cadre que doit respecter tout accommodement. La Charte des droits et libertés de la personne et, plus précisément, le droit à l'égalité entre les femmes et les hommes et le principe de la neutralité de l'État constituent les balises à toute réponse aux demandes d'accommodement. L'égalité entre les femmes et les hommes, récemment incluse dans le préambule de la charte et à l'article 50.1, est réaffirmée dans le projet de loi n° 94. Ainsi, aucun accommodement ne pourra être accordé sans passer le test de l'égalité entre les femmes et les hommes. Quant à la neutralité de l'État, elle est pour la première fois reconnue spécifiquement dans une loi après avoir été reconnue de fait depuis plusieurs décennies.

Le projet de loi n° 94 reconnaît donc la spécificité du Québec, qualifiée de vivre-ensemble, avec ses valeurs fondamentales. Il s'éloigne en cela du multiculturalisme canadien, ayant servi jusqu'ici de balise à la jurisprudence relative aux accommodements, particulièrement en matière de liberté de religion.

À l'article 5, le projet de loi précise qu'un accommodement ne peut être accordé que s'il est raisonnable, c'est-à-dire qu'il ne doit pas imposer une contrainte excessive, notamment en termes de coûts ou d'impact, sur le fonctionnement de l'institution visée ou sur les droits d'autrui. Cet article reprend le cadre appliqué aux demandes d'accommodement depuis l'adoption de la charte.

Pourtant, l'AFEAS se questionne à savoir comment sera déterminé le caractère raisonnable de chaque accommodement, chacun étant applicable à une personne donnée en lien avec une situation donnée. Comment chaque institution ou établissement pourra-t-il faire cette évaluation, à partir de quels principes et surtout de quels paramètres pratiques, lorsqu'il sera temps d'évaluer l'impact sur les coûts et les services, mais plus encore sur l'égalité entre les femmes et les hommes, tout comme sur la neutralité de l'État?

À la lumière de ces dernières décisions, celles de la Commission des droits, de la RAMQ et de la SAAQ, on est en droit de se demander si le droit du personnel est considéré différemment s'il est en présence ou non de la personne qui fait cette demande ou si cette présence est plus ou moins longue. À notre avis, une telle façon d'analyser les demandes d'accommodement porterait préjudice aux membres du personnel concernés. Au fil des années, les modifications ainsi apportées à la prestation de services pourraient faire reculer l'égalité entre les femmes et les hommes, car ces modifications pourraient devenir des règles.

Selon l'AFEAS, il est donc essentiel que le projet de loi n° 94 soit accompagné d'une réglementation qui déterminera les paramètres et les outils à utiliser lors d'une demande d'accommodement, ceux-ci devant être les mêmes pour toutes les institutions concernées. De plus, les responsables de l'application du projet de loi n° 94 doivent prévoir des programmes de formation pour les autorités administratives et les membres du personnel de ces institutions. De même, ils doivent s'assurer que l'ensemble des personnes utilisant ces services reçoivent à leur tour de l'information claire et concise, accessible à toutes et à tous.

À l'article 6, le projet de loi détermine qu'un membre du personnel et une personne à qui des services sont fournis par une des institutions concernées doivent avoir le visage découvert. Il précise que tout accommodement à cette pratique doit être refusé pour des motifs de sécurité, communication et identification.

L'AFEAS appuie cette prise de position du projet de loi, puisque le Québec tout comme le Canada sont des États où les échanges courants se font toujours le visage découvert, à plus forte raison dans le cadre de services fournis par l'État.

À l'article 7, le projet de loi prévoit que la plus haute autorité administrative d'une institution visée doit assurer le respect de la présente loi. Comment les autorités administratives de chacune des institutions concernées s'y prendront-elles? Ces mesures seront-elles applicables d'une institution, établissement à l'autre? Le personnel et les utilisateurs se retrouveront-ils dans une tour de Babel lorsqu'il sera question d'accommodement?

Pour l'AFEAS, il est essentiel que les moyens et les outils utilisés par chaque institution et établissement fassent montre de cohérence. Il faut éviter que chaque responsable de l'autorité administrative, à partir de ses valeurs et de sa propre analyse ou expérience, ne définisse les cas d'accommodement à sa manière. Le projet de loi n° 94 doit donc prévoir un mécanisme de concertation pour l'élaboration et la mise en place des mesures et outils visant à évaluer les demandes d'accommodement.

À l'article 8, le projet de loi prévoit que la ministre de la Justice du Québec est responsable de l'application de cette loi. Cependant, le projet de loi n'indique d'aucune façon comment il sera mis en application et dans quel délai. Alors, de l'avis de l'AFEAS, il faut modifier le projet de loi n° 94 afin de prévoir la mise en place de règlements, directives, procédures et mécanismes d'évaluation de même qu'un échéancier pour les institutions visées.

À l'article n° 9, le projet de loi stipule que ses dispositions ont préséance sur toutes les lois, sauf sur la Charte des droits et libertés de la personne. L'AFEAS appuie cette préséance du projet de loi n° 94, car elle permettra de faire avancer le droit à l'égalité entre les femmes et les hommes, tout comme le principe de neutralité de l'État.

À l'article 10, le projet de loi détermine qu'il sera en vigueur et aux dates fixées par le gouvernement. Pour l'AFEAS, il faut que le projet de loi entre en vigueur dès sa sanction afin d'éviter qu'il ne soit jamais mis en application.

Le projet de loi n° 94 a ses limites. Les balises établies dans ce projet de loi sont, de l'avis de l'AFEAS, un ancrage de plus pour préserver le droit à l'égalité pour les femmes, et ce, même face à d'autres droits ou libertés, comme la liberté de religion. Cependant, dans le cadre du projet de loi n° 94, l'AFEAS souligne les limites du projet de loi n° 94. Selon elle, il est important d'instaurer une cohérence dans les mécanismes et outils visant à évaluer les demandes d'accommodement, afin que les membres du personnel des institutions, établissements visés par le projet de loi tout comme les utilisateurs et utilisatrices de leurs services ne soient pas en face de façons de faire différentes d'une institution à l'autre, d'un établissement à l'autre. Ces mécanismes et outils doivent nécessairement prévoir un test pour s'assurer que l'égalité entre les femmes et les hommes tout comme la neutralité de l'État ne soient pas mises en jeu. À notre avis, la ministre de la Justice, responsable de ce projet de loi, doit s'assurer de la cohérence des règles et des outils dans la mise en application du projet de loi n° 94.

Par ailleurs, pour l'AFEAS, le gouvernement, tout en mettant en place le projet de loi n° 94, doit aller plus loin rapidement, et ce, pour éviter les levées de boucliers qui embrasent le Québec sur la question des accommodements, tant de la part des Québécoises et des Québécois que des personnes nouvellement immigrées.

À ce titre, l'AFEAS recommande que, d'un côté, le gouvernement s'assure que toute personne et ses proches, le cas échéant, qui désirent s'installer au Québec pour y vivre connaissent bien sa spécificité, ses valeurs, notamment la laïcité de l'État, sa langue d'usage française et l'égalité entre les femmes et les hommes, et s'engagent à les respecter, de même que ses lois et ses règlements; d'un autre côté, le gouvernement ne fasse pas l'économie, à ce moment-ci de l'histoire du Québec, d'entreprendre une consultation pour définir la laïcité québécoise et de déposer un projet de loi portant sur une charte de la laïcité établissant la neutralité de droit de l'État québécois. Merci de votre attention.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci beaucoup, Mme Thibeault, pour vos propos. Donc, Mme la ministre, pour la période d'échange.

**(20 h 50)**

Mme Weil: Donc, alors, je vous remercie beaucoup pour votre participation. Essentiellement, ce que... Parce qu'il y a des groupes qui viennent nous dire que ce projet de loi est inutile, d'autres qui disent: Ça ne va pas assez loin, d'autres qui disent: C'est très bien, c'est pédagogique. Alors, on essaie de voir un peu où tout le monde se range. Et je vois que, sur les grands objectifs, la neutralité, sur la question de la neutralité de l'État, sur le besoin de balises sur les accommodements, le principe d'accommodement, tous ces grands principes, vous êtes d'accord avec ça. Vous trouvez intéressant qu'on ait... dans l'espace des services gouvernementaux, que ça s'applique autant à ceux qui fournissent les services qu'à ceux qui les reçoivent. Vous êtes d'accord aussi avec l'article 6, le visage découvert. Donc, pour tout ça, vous semblez être en accord qu'il faudrait aller plus loin éventuellement, des modifications de la Charte des droits, et tout ça.

J'aimerais vous entendre, parce que vous êtes le premier groupe à en parler, sur l'application de la loi. Vous parlez de l'importance de l'application... l'implantation de cette loi. Je veux vous entendre là-dessus. Comment vous le voyez? Vous parlez de réglementation, éventuellement, de formation. Vous parlez de formation, une formation qui serait peut-être uniforme un peu partout. Mais j'aimerais vous entendre là-dessus.

Mme Thibeault (Denise): Bien, si on nous... On est tout à fait en accord avec ce projet de loi. Nous trouvons cependant que les balises ne sont pas définies et les règles ne sont pas établies. Alors, on trouve que c'est dangereux que l'application soit difficilement applicable... ou facilement contournable. Si les balises ne sont pas suffisamment claires, raisonnables pour la personne qui juge, ça ne marche pas, là. Parce que «raisonnable»... Je peux trouver quelque chose de totalement irraisonnable et que ma voisine va le trouver parfaitement raisonnable. Alors, on trouve que c'est des choses qui doivent être très, très définies.

Le conseil d'administration de l'AFEAS, en mars dernier, avait élaboré une position face à ces signes et ces accommodements. Nous devons faire entériner nos décisions ou nos positions au congrès du mois d'août. Je peux cependant avancer déjà ce qui va être présenté à nos congressistes au mois d'août.

Ici, au Québec, il y a plusieurs règles qui sont établies et qu'on doit suivre, des réglementations, des lois, des choses qui sont parfois pour la sécurité, parfois pour l'identification, pour toutes sortes de raisons. Une arme blanche, c'est une arme blanche même si on le dit dans une autre langue. C'est interdit, c'est interdit. Alors, on voudrait que, dans le système de la... du travail, il y a des vêtements qui sont obligatoires. Comme Québécois, on n'a pas le choix, il faut les porter. On trouve qu'il ne devrait y avoir aucun accommodement face à toute réglementation, dans n'importe quel domaine, du sport, du travail, n'importe quel domaine. Une réglementation qui existe doit être respectée, et aucun accommodement ne doit s'en dissoudre.

Mme Weil: Est-ce que je pourrais vous entendre sur... Bien, vous parlez de neutralité religieuse de l'État, ou certains parlent de laïcité ouverte, mais c'est des concepts pas vraiment interchangeables, mais les gens l'utilisent de façon interchangeable, mais essentiellement pour reconnaître la liberté de conscience et l'expression de la liberté de conscience des uns face à l'État. Mais l'important, c'est, selon la jurisprudence et la charte, que l'État soit neutre vis-à-vis l'expression de la religion.

Sur la question du port des signes religieux, vous avez beaucoup, beaucoup de recommandations, et de constats, et d'affirmations dans votre texte. Mais est-ce que, vous, par rapport aux signes religieux des fonctionnaires de l'État, vous avez une opinion?

Mme Thibeault (Denise): C'est... On est tout à fait d'accord à ce qu'il n'y en ait aucun.

Mme Weil: Donc, que ça vient... Donc, vous êtes pour une laïcité...

Mme Thibeault (Denise): Totale.

Mme Weil: Totale, pas la neutralité.

Mme Thibeault (Denise): Parce que c'est dit... Je note dans le texte... Il est noté dans le texte que c'est général. Parce que, justement, où ça arrête, l'accommodement? On se demande... Des fois, il est question... Une personne qui va donner un service devrait ne pas porter de signe, mais, si elle travaille dans le bureau un petit peu en arrière, ça commence à être moins grave. Bon, bien, là, c'est comment loin du comptoir que ça commence à ne plus être bon? Si je suis myope, je n'aurai pas les mêmes mesures, probablement. Alors, c'est... On serait d'avis qu'il n'y a pas de risque à prendre, si on établit une loi, une procédure, on la fait sans équivoque, ferme et facile à... Il n'y a pas de... On ne peut pas l'interpréter différemment d'une personne à l'autre. Une loi qui est interprétable très facilement, c'est non.

Mme Weil: Qu'est-ce que vous faites avec la Charte des droits et libertés?

Mme Thibeault (Denise): Sur le trottoir, comme ils voudront, madame. Il y a des signes qu'on a de la misère à... D'ailleurs, il y a des choses, des fois, qu'on a de la misère à établir avec la liberté, parce que notre souci, nous, comme association, c'est la liberté... c'est l'égalité femmes-hommes. Alors, il y a des signes que... Il y a des choses, des comportements ou des signes qu'on a de la difficulté à...

Mme Weil: Est-ce que vous faites une distinction entre les différents signes religieux, par exemple quelqu'un qui porterait une croix?

Mme Thibeault (Denise): Non. Le visage découvert, c'est primordial, là. C'est sûr que là on n'ira pas jusqu'à empêcher tout signe religieux, parce que, c'est ça, on punit la société au complet, là.

Mme Weil: Vous accepteriez que quelqu'un porte une croix, par exemple?

Mme Thibeault (Denise): Quelques... Oui, une croix. À la rigueur, le visage découvert. On dit: Rien en avant des oreilles. C'est-u clair?

Mme Weil: Certains signes...

Mme Thibeault (Denise): Tu sais, il me semble, si c'est écrit comme ça, ça va se comprendre.

Mme Weil: Mais où est-ce que vous tranchez, là, par rapport aux signes religieux?

Mme Thibeault (Denise): Les signes... c'est les signes... Ce qui est discret, ça ne dérange pas, là, parce que je pense qu'il y a beaucoup, beaucoup de croix que c'est plus un bijou qu'un signe religieux, et, bon, bien, il y a des... Des signes qui ne sont pas plus apparents que ça, on ne fera pas de remarque.

Mme Weil: Ce n'est pas la laïcité pure, là, que vous préconisez.

Mme Thibeault (Denise): Bien, ce qui est... Si c'est mis par coquetterie et puis que c'est un bijou, on n'en parle plus, là. C'est la laïcité pure à l'état, parce qu'il ne peut pas avoir de... Que quelqu'un vienne même, à la rigueur, travailler avec un foulard, je ne pense pas que ça dérange autant que de refuser de se faire servir par une femme pour un homme, ou des accommodements de ce genre.

Mme Weil: Très bien. Merci.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): D'autres interventions du côté ministériel? Oui, Mme la députée de Hull.

Mme Gaudreault: J'ai une petite intervention. Alors, bienvenue à vous. Comme le mentionnait M. le président tout à l'heure, c'est toujours un plaisir de vous accueillir. J'aimerais faire référence à la présentation des représentants de la Ligue des droits et libertés. Pour eux, une règle appliquée avec automatisme et formalisme peut conduire à la discrimination. Et puis, pour vous, c'est très clair, pour vous, il faut établir des règles qui sont pour l'ensemble homogènes. Alors, vous, est-ce que vous ne croyez pas qu'il y aurait une possibilité de dérapage avec des règles aussi rigides pour l'ensemble des institutions publiques au Québec?

Mme Thibeault (Denise): Non, parce que c'est des règles qu'on respecte déjà. Tu sais, il y a beaucoup de règles dans notre société qui sont établies et qu'on respecte sans se sentir discriminés. Les articles de sécurité dans le sport, les vêtements qui sont pour la sécurité, ce n'est pas une discrimination d'être obligé de les porter. Des vêtements pour la protection au travail, ce n'est pas une discrimination non plus. On a plusieurs règles qu'on respecte parce que ce sont des règles qu'il faut respecter en société. On vit en société, les droits des uns s'arrêtent où les droits des autres commencent. Il y a des règles qu'on suit déjà, et ça ne dérange pas ma notion de liberté.

Mme Gaudreault: Pour vous, une jeune fille qui joue au soccer en portant le hidjab, est-ce que ça porte atteinte à la liberté des autres joueuses?

**(21 heures)**

Mme Thibeault (Denise): Si les experts dans le sport trouvent que ça peut être dangereux pour elle de le porter, je suis d'accord avec les experts. Parce que, tu sais, des protège-cous, ce n'est peut-être pas agréable au hockey, mais ils sont obligés de les porter quand même. Ce n'est pas... Dans les équipements de sport, ce n'est pas un choix, c'est des règles qui sont établies par des experts.

Mme Gaudreault: Alors ça, ça m'amène à votre proposition d'offrir une formation aux employés de l'État, et tout ça. Est-ce que vous avez réfléchi un peu à cette forme de formation ou comment on pourrait encadrer l'offre de services à la fonction publique et dans les établissements de santé, éducation, et tout ça?

Mme Thibeault (Denise): Il faut... Notre première demande est d'établir des règles qui sont bien définies, très concises, faciles à comprendre et faciles à appliquer. Puis, après ça, c'est... tous ceux qui auront à les appliquer devront les connaître bien. Ce n'est pas un cours de... qui va prendre très... bien, bien des heures, là, d'apprendre quelles sont les règles qui sont précises. Il faut s'assurer que toutes les institutions gouvernementales et de l'espace public... pas public, là, citoyen, là, qu'il soit...

Mme Gaudreault: Civique.

Mme Thibeault (Denise): ...civique, que ce soit égal, que ce soit la même chose partout. Parce que, tu sais, on dit: Si ce n'est pas... c'est un exercice qui n'est pas fait, bien c'est comme dangereux que, d'un endroit à l'autre, on n'ait pas les mêmes notions de ce qui est permis, pas permis.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci, Mme la députée de Hull. Mme la députée de... Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve.

Mme Poirier: Merci, M. le Président. Bonjour, Mme Thibeault. Bonjour, Mme Légaré. J'ai un petit peu de misère à vous suivre dans votre mémoire, à l'effet de dire, dans un premier temps, que le projet de loi vient ancrer -- puis je vous lis au texte -- vient «ancrer les fondements reconnus de l'État québécois, soit la laïcité et l'égalité [hommes-femmes]». J'aimerais savoir où vous voyez cela dans le projet de loi, que ça vient reconnaître le principe de la laïcité, parce que le mot n'apparaît pas nulle part dans le projet de loi. Alors, je voudrais juste comprendre où vous voyez ça, pour nous expliquer votre point de vue là-dessus.

Mme Thibeault (Denise): Bien, si... On dit dans notre mémoire que l'État, Québec, depuis la Révolution tranquille, agit comme une société laïque, on a dissocié la religion de l'État. On dit d'ailleurs que c'est juste dans les faits, que ce n'est pas dans les lois. On demande plus loin que ce soit une continuité à... que le gouvernement fasse enfin une... de le mettre dans les lois, que ça cesse d'être juste dans les faits. Alors, en faisant cette différence, de dire que, dans les signes religieux, le visage caché, qui en est un ou... n'est plus accepté dans la fonction publique, autant de l'utilisateur que du serveur, c'est un... on pourrait dire que ça va avec la laïcité de fait qui est exercée au Québec depuis quelques années. Oui, vous êtes... On est d'accord avec ça, que ce n'est pas encore dans les lois. D'ailleurs, la fin du mémoire, c'est ce qu'on demanderait.

Mme Poirier: Ce matin, le Barreau nous a confirmé que toute la notion d'accommodement raisonnable qui est dans le projet de loi est là à des fins pédagogiques, que ça ne change rien, que ça ne vient... -- excusez, mais j'ai de la réverbération -- que ça ne vient rien changer, que ça ne vient rien modifier en tant que tel au niveau des lois, que ça vient juste codifier ce qui existe déjà, qui est la jurisprudence. Alors, en quoi, selon vous...

Parce que ce que vous ameniez tout à l'heure au niveau... à l'effet qu'il n'y a pas d'accommodement dans l'espace civique, donc dans l'État, vous venez nous dire, dans un point de vue, que ça vient... les accommodements devront avoir de la réglementation, donc avoir des règles générales, versus ce que le bâtonnier vient de nous dire ce matin, qui est tout à fait le contraire, qui nous dit: «Il faut continuer à faire du cas-par-cas», et que, les accommodements raisonnables, de la façon dont ça fonctionne, il faut que ce soient les tribunaux qui décident comment ça va fonctionner. Alors, j'aimerais juste vous entendre là-dessus.

Mme Thibeault (Denise): C'est que je pense que c'est... On a comme exemple présentement qu'il y a eu plusieurs cas qui ne sont pas allés devant les tribunaux, que c'est les personnes, les employeurs ou les dirigeants d'une institution qui ont eux-mêmes accordé des accommodements sans aller au juge.

Mme Poirier: ...devant la Commission des droits de la personne.

Mme Thibeault (Denise): Ils n'ont pas soumis... Ils ont décidé eux-mêmes, et il y a certains accommodements qu'on pourrait juger d'un petit peu discriminatoires face à l'égalité hommes-femmes, si une femme est refusée de remplir son travail, on trouve que c'est une discrimination, ou il y a eu quelques accommodements qui ont été traités sur place sans avoir été très, très... équivoques.

Mme Poirier: Le projet de loi ne change rien, là.

Mme Thibeault (Denise): C'est pour ça qu'on demande des règlements.

Mme Poirier: Est-ce que vous pensez qu'il y a un règlement possible qui peut être fait, au-delà de la jurisprudence qui existe actuellement?

Mme Thibeault (Denise): Les lois, ça ne doit pas... ce n'est pas fait pour être changé quand ça ne fonctionne pas? Tu sais, c'est...

Mme Poirier: Je pose la question.

Mme Thibeault (Denise): S'ils ne sont pas adaptés, c'était peut-être ce qu'on était rendu à faire, parce qu'on est... on connaît... On est un beau pays et une belle province, et les gens ont le goût de venir parce que la vie y est belle. Bien, si on veut préserver cette harmonie-là, c'est en prenant des précautions pour ne pas que ce soit brimé par toutes choses, parce qu'on ne fera pas mieux qu'ailleurs. S'il y a des accommodements qui sont choquants pour les uns, ça va venir qu'à faire des gens moins heureux, le pays va être moins harmonieux.

Mme Poirier: À la fin de votre mémoire, vous nous dites: La discussion n'est pas terminée. Il faut poursuivre cette discussion-là vers éventuellement une discussion sur la laïcité. Ne croyez-vous pas qu'il aurait été plus utile d'avoir la discussion sur la laïcité, et se faire l'économie de ce qu'on fait présentement, mais d'avoir une véritable discussion sur qu'est-ce que c'est, la neutralité de l'État? Parce qu'on ne l'a pas définie encore, là, c'est les juges qui nous l'ont définie. Ici, il n'y a personne qui a jamais défini c'était quoi, la neutralité de l'État, ça... C'est un concept qui n'est pas dans nos lois en tant que tel. Donc, si on avait eu une discussion sur la laïcité en tant que telle, on aurait pu avoir ce type de discussion là.

Est-ce que vous ne pensez pas qu'on a mis... Ce matin, on a utilisé «la charrue avant les boeufs», et dans le fond la charrue qu'on nous a présentée... -- et ça a... terme péjoratif, ce que je viens de dire, là. Ce qu'on nous a présenté, dans le fond, c'est quelque chose qui est vide en tant que tel, dans le sens où ça n'ajoute rien. Et le Barreau nous l'a confirmé ce matin, ce projet de loi là n'ajoute rien en tant que tel, il a simplement un effet pédagogique. Est-ce que vous ne croyez pas qu'on aurait pu faire l'économie de ce projet de loi là et arriver tout de suite à un livre blanc, à une discussion du vivre-ensemble, au niveau de la laïcité?

Mme Thibeault (Denise): C'est quelque chose qu'on espère d'ailleurs, que... Ça fait partie de nos demandes. Mais je pense que là on agit peut-être... qu'il faut agir devant une urgence, avant que les choses... Il y a déjà des accommodements qu'on juge qui n'auraient pas dû être accordés qui l'ont été. Alors, c'est peut-être devant l'urgence de la situation qu'il faut mettre la charrue avant, comme vous dites si bien, puis ce n'est pas... On finit notre mémoire en disant: Bon, là, on établit des balises, on établit des règles claires, et après on continue tout de suite avec la laïcité, qui nous semble aussi une chose qui sera nécessaire pour, par la suite, pouvoir... ce soit un guide pour quand il nous arrivera des situations comme celles-ci.

Mme Poirier: Quels accommodements, selon vous, auraient pu être modulés autrement à partir de ce projet de loi là?

Mme Thibeault (Denise): Les refus d'être servi par une personne d'un sexe plutôt qu'un autre, on trouve ça comme difficile en... dans une association qui défend les droits des femmes, c'est une discrimination. Juste ça, nous, c'est suffisant pour dire que c'est urgent de faire une réglementation autour de ça.

Mme Poirier: Vous croyez que le projet de loi, tel qu'il est présenté actuellement, va faire en sorte de changer cette façon d'interpréter nos chartes? Parce que l'égalité hommes-femmes n'est pas une valeur interprétative, là, dans nos chartes actuellement.

Mme Thibeault (Denise): Je parle... Non, c'était de... De toute façon, là, le projet de loi, il a été présenté, c'est une belle ouverture, qu'on félicite, l'ouverture, mais on trouve... on demande justement qu'il soit plus... plus étoffé, mieux encadré, avec plus de règles. Mieux défini.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça va? Oui. Mme la députée de Joliette, il ne reste que très peu de temps, une minute peut-être.

Mme Hivon: O.K. Bien, écoutez, merci beaucoup de votre présence. Et je pense que la défense de certains principes, comme celui de l'égalité hommes-femmes, qui, je pense, aussi est très, très important... Et vous faites bien la distinction entre les enjeux relatifs à la laïcité et les enjeux relatifs aux accommodements raisonnables. Parce qu'il y a une certaine confusion, je vous dirais, dans le débat et dans ce qui est véhiculé, là, à travers tout ça, et je pense que vous faites bien la distinction. Pour la laïcité, vous dites: Ça ne règle rien. Il faut un débat plus large, un livre blanc, un débat sur la laïcité. On en est, nous aussi. Et, sur les accommodements raisonnables, si je vous suis correctement, vous dites: Bien, en fait, c'est un premier pas, mais il faut aller déterminer tout ce que ça veut dire par des règlements, par de la formation.

Et effectivement, ma collègue vient de le dire, c'est que le problème que, nous, on a et que plusieurs intervenants, et la majorité, pour ne pas dire l'unanimité, ont soulevé aujourd'hui, c'est qu'en fait le projet de loi, en matière d'accommodements raisonnables, là, tout ce qu'il fait, c'est reprendre l'état de la jurisprudence et le mettre dans une loi. Et le fait est qu'à la lumière de cette jurisprudence-là qui existe on vit quand même tous les problèmes qu'on vit depuis des semaines, des mois, des années. Alors, nous, on se dit: C'est bien beau, là, d'avoir une valeur pédagogique puis de le mettre dans une loi, mais ça n'aide en rien à régler les situations problématiques que l'on vit.

Et je voulais savoir: Nous, on a déposé un projet de loi, n° 391, qui vise à venir mettre dans la charte... changer la charte québécoise pour mettre dans le préambule des valeurs interprétatives, dont l'égalité hommes-femmes et dont la séparation entre l'Église, la religion et l'État, est-ce que vous pensez que c'est une solution qui pourrait être envisagée pour essayer de venir vraiment indiquer clairement que, comme société, l'égalité hommes-femmes est une valeur?

**(21 h 10)**

Mme Thibeault (Denise): Absolument. Notre demande a même été... Notre souhait était même que ce soit le droit qui était en dessus de tous les autres, que chacun des droits... Puis c'est ce qu'on demande d'ailleurs, que chacun des accommodements doit passer le test de l'égalité hommes-femmes. C'est primordial pour nous.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci, Mme Thibeault. Merci, Mme la députée de Joliette. M. le député de Marquette.

M. Ouimet: Merci, M. le Président. Alors, Mme Légaré, Mme Thibeault, bienvenue. Merci d'être avec nous ce soir. Merci pour le mémoire que vous présentez. Dans votre échange avec la députée d'Hochelaga-Maisonneuve, vous avez dit que vous saluez le projet de loi, mais vous dites également qu'il faudrait un peu plus de règles, il faudrait que le projet de loi soit plus étoffé. Et j'ai envie de vous poser la question: Qu'est-ce qu'il manque, d'après vous, dans ce projet de loi?

Et je vous pose la question en vous rappelant le commentaire que vous faites à l'article 5 du projet de loi, lorsque vous dites: L'AFEAS se demande «comment sera déterminé le caractère raisonnable de chaque accommodement, chacun étant applicable à une personne donnée en lien avec une situation donnée». Alors, jusqu'où le législateur doit aller dans sa définition, dans ses balises, dans ses règles, que vous dites qui sont absentes, dans l'étoffe, qui ne serait pas là dans la loi?

Mme Thibeault (Denise): J'en ai fait mention un petit peu précédemment, à dire, bon, que nous avons déjà ici, au Québec, plusieurs règles, dans le sport, dans le travail, dans tout, et qu'on trouve que... déjà, de prendre ces règles-là et de les appliquer dans la charte, qu'une règle qui est déjà établie et acceptée par le peuple ne doit pas être mise de côté pour accommoder qui que ce soit, parce que c'est déjà là. Et, après ça, c'est sûr qu'il y a des domaines... l'égalité hommes-femmes. Si on prend l'égalité hommes-femmes, les règles sont déjà établies, les lois qui sont déjà là, ça commence déjà à nous faire un encadrement pour savoir qu'est-ce qui peut être accepté et pas accepté.

Et c'est sûr que ce n'est pas dans cinq minutes qu'on va faire le tour de la question. Il faudra que des spécialistes se mettent là pour les établir comme il faut. Mais on pense que c'est primordial: avant que la loi même soit mise en vigueur, il faut savoir comment elle s'applique et qui l'applique.

M. Ouimet: Et sur la question: Qu'est-ce qui manque? Quelles sont les règles?

Mme Thibeault (Denise): C'est que là, c'est flou. Si on laisse ça tel quel, ça va un petit peu à la discrétion de celui qui va avoir à appliquer, celui qui va avoir à appliquer l'accommodement raisonnable, qui a à l'accepter ou le refuser, c'est un peu à sa discrétion. Bon. Que ce soit... Dans la mesure du «raisonnable», qu'est-ce qui est raisonnable? Raisonnable, c'est ce qu'on disait tout à l'heure, raisonnable pour un n'est pas nécessairement raisonnable pour l'autre. Alors, ça doit être des règles qui sont établies, universelles, et que c'est les mêmes pour chaque association, et que la limite soit déjà définie à l'avance.

M. Ouimet: Et ça, vous pensez que c'est facile pour le législateur de pouvoir bien définir, là, le pourtour de l'ensemble de ces règles-là?

Mme Thibeault (Denise): Oui, oui.

M. Ouimet: O.K.

Mme Thibeault (Denise): Vous prendrez des femmes.

M. Ouimet: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui. Mme la députée de Hull.

Mme Gaudreault: ...M. le Président, je voudrais faire référence à la partie 2 de votre mémoire, mesdames, par rapport à vos commentaires sur l'article 1, le deuxième alinéa, au sujet du concept d'accommodement. Vous y mentionnez que le «concept, jusqu'ici juridique, permet de réduire ou d'annuler l'impact d'une discrimination indirecte qui peut être créé par une norme institutionnelle en portant atteinte à un droit pour une personne particulière et dans une situation spécifique». Vous mentionnez par la suite: «Maintenant intégré dans une loi, le concept d'accommodement devient une norme qui doit servir à encadrer les réponses des institutions aux demandes d'accommodement. Par ailleurs, l'article 5 vient [banaliser] --  pardon -- baliser cette norme en ce qu'elle doit avoir de raisonnable.»

Vous semblez mentionner que vous êtes satisfaites avec l'article 1 et que... Vous mentionnez aussi que ça va créer... ça va être créé par une norme institutionnelle, et ça pourra répondre au concept...

Mme Thibeault (Denise): Si je l'explique mieux... C'est parce qu'il fallait que je rentre dans mes 10 minutes. Je vais me permettre de vous expliquer que...

Mme Gaudreault: Allez-y.

Mme Thibeault (Denise): ...qu'est-ce que ça voulait dire. Justement, parce qu'on dit... Bon, si on va à quelqu'un qui va passer son permis de conduire, c'est un homme, il ne veut pas le passer avec une femme, mais celui qui est la personne qui dirige les clients vers le... celui qui va donner le service... Le client dit: Je ne veux pas une femme, puis il fait voir de rien, puis il dit... il ne fait pas de... Il ne dit pas: Bien, ça va être... où ça va être rendu, tu sais, si tu es le numéro 40, avec la... celle qui... la madame qui donne le service, c'est là que tu vas aller. Mais, si, par contre, on dit: C'est pour interdire des choses, pour que ça se fasse comme... Même si elle ne le sait pas, la femme, qu'il vient de changer, le client, de responsable, elle a quand même été mise de côté. Elle a été lésée dans ses droits d'exercer son travail et sa fonction. C'est dans cette image-là qu'on trouve qu'il faut que ce soit ferme, parce que dire... Bon, c'est ce qu'on parlait ici, quand on dit que la personne est plus ou moins loin, qu'elle en ait connaissance ou non, c'est une discrimination de toute façon. Ça n'a pas à être fait, pas plus en arrière qu'en avant.

Mme Gaudreault: Alors, vous semblez satisfaites de l'article 1 et de la façon que c'est présenté dans le projet de loi.

Mme Thibeault (Denise): Tout... C'est parce que, le projet de loi en général, chacun des articles, on l'approuve, en demandant toujours d'aller un peu plus loin, de définir mieux et de mettre des balises. Notre demande est toujours d'aller un peu plus loin, de venir garantir l'application de ces choses, ces lois.

Mme Gaudreault: Est-ce qu'il reste du temps?

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, bien sûr.

Mme Gaudreault: J'aimerais ça vous entendre au sujet du concept des accommodements qui sont raisonnables. On parle surtout des accommodements déraisonnables depuis tout à l'heure, mais, vous, votre concept de l'accommodement raisonnable s'associe... Bien, c'est parce qu'il y en a à tous les jours, j'imagine, dans plusieurs ministères, des accommodements raisonnables qui ne font pas la une des quotidiens le lendemain et qui sont gagnant-gagnant pour tout le monde. D'après vous, est-ce que ça, c'est reconnu? Est-ce que ça doit se poursuivre, ou ça doit être encadré, ou... Pour vous, le concept d'accommodement raisonnable, est-ce que ce n'est que négatif ou il y a des segments de ce concept-là qui sont très, très positifs?

Mme Thibeault (Denise): Des accommodements qui seraient positifs?

Mme Gaudreault: Oui.

Mme Thibeault (Denise): Je pense que, c'est ça, il y a toujours... Le projet de loi dit que ça doit être... les services doivent se donner à visage découvert, on ne doit pas faire de discrimination, comme je parle, de choisir une employée plutôt qu'un ou vice-versa. Bon, bien, ça, on est d'accord avec ça. Si la personne, elle s'en retourne chez elle, on est d'accord aussi. Ça doit être un... Ça doit être ça, la règle de l'accommodement raisonnable qu'on parle, si la personne n'exige pas un traitement de faveur qui est discriminatoire pour une personne.

Mme Gaudreault: Je voudrais faire référence... Vous savez, c'est né dans le cadre du travail, les accommodements pour les personnes handicapées, le droit des femmes, justement, enceintes qui partaient en congé de maternité, pour leur assurer, là, le retour dans leurs fonctions. Et il y a aussi les gais, l'homophobie, tout ça. Ça, c'est des accommodements aussi qui font partie des accommodements raisonnables. Est-ce que vous vous êtes penchées sur ces autres accommodements ou c'est particulièrement des accommodements à... religieux?

Mme Thibeault (Denise): Oui. C'est... Je pense que la question est plus là, mais la même chose... Vous devez vouloir dire que, si un gai ne veut pas être soigné par un médecin femme, c'est... bon, je ne verrais pas plus, là. C'est un accommodement qui n'est pas plus acceptable. C'est encore de la discrimination envers une personne. Ce n'est pas strictement religieux comme accommodement.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça va? Ça va, Mme la députée de Hull? Merci beaucoup. Mme la députée de Rosemont.

**(21 h 20)**

Mme Beaudoin (Rosemont): Bonsoir. Moi, je voudrais revenir sur une chose que vous avez dite tout à l'heure. Vous avez dit, il me semble, en tout cas: Les accommodements doivent passer -- quelque chose comme ça, là -- par le filtre de l'égalité hommes-femmes, donc. Est-ce que, dans votre esprit, à ce moment-là, il y a comme préséance, en quelque sorte, de l'égalité hommes-femmes par rapport, par exemple, à la liberté religieuse, à la liberté de religion?

Mme Thibeault (Denise): Totalement.

Mme Beaudoin (Rosemont): Bon, c'est clair. C'était ma petite question. Merci, c'est clair.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Cloutier: Merci. Bonsoir, mesdames. Vous faites référence dans votre mémoire au multiculturalisme canadien et vous laissez entendre que le projet de loi actuel, le projet de loi n° 94, vient protéger la spécificité québécoise -- mon Dieu! ça demande un certain effort, bien le prononcer -- demande... donc vient protéger cette particularité québécoise et par... je crois, en réaffirmant probablement l'égalité entre les hommes et les femmes et en rappelant la jurisprudence sur la neutralité de l'État. Est-ce que c'est bien ça, c'est comme ça que vous le comprenez?

Mme Thibeault (Denise): Oui.

M. Cloutier: Est-ce que vous jugez que... L'article 4 de la loi dit que tout accommodement raisonnable doit respecter la charte québécoise, essentiellement, et là on utilise le «notamment», puis, à partir du «notamment», on fait référence à l'égalité entre les hommes et les femmes. Mais vous ne croyez pas que ça, c'était déjà le cas avant le projet de loi actuel?

Mme Thibeault (Denise): L'égalité entre les hommes et les femmes n'a pas toujours eu autant de poids dans la charte. Il a été... ça a été augmenté, rajouté dernièrement. Et notre souhait, c'est que ce... L'égalité hommes-femmes, nous, on va être satisfaites quand l'égalité hommes-femmes sera au-dessus de tous, tous les droits.

M. Cloutier: Je comprends très bien. Alors, comme vous dites qu'on a réitéré le droit à l'égalité entre les hommes et les femmes récemment dans la charte québécoise, droits qui étaient déjà prévus au droit à l'égalité, mais on l'a réitéré par une clause interprétative puis dans le préambule de la charte québécoise, est-ce qu'à ce moment-là vous diriez que, donc, ça a une valeur pédagogique, ça vient réaffirmer que les accommodements raisonnables doivent respecter la charte québécoise, dont le droit à l'égalité entre les hommes et les femmes?

Mme Thibeault (Denise):«Dont», mais je pense que je dirais aussi «surtout».

M. Cloutier: Surtout. Donc, vous... Est-ce que vous...

Une voix: ...

M. Cloutier: Oui, c'est ça, c'est exactement ça. Est-ce que vous suggérez qu'on devrait inclure «surtout» dans la loi, au lieu de...

Mme Thibeault (Denise): Oui.

M. Cloutier: Oui, hein? Et même «surtout et de manière prioritaire», c'est ça?

Mme Thibeault (Denise): Bien, nous, on pensait que ce serait accepté que ce soit celui-là qui chapeaute tous les autres droits.

M. Cloutier: Mais vous êtes consciente qu'actuellement, tel que rédigé, ce n'est pas comme ça que le... c'est-à-dire, que le gouvernement du Québec nous le propose au moment où on se parle. Vous comprenez... Vous partagez cette interprétation-là?

Mme Thibeault (Denise): Je ne sais pas à quelle mesure, je n'assiste pas à toutes vos rencontres. Mais je sais que, bon, on a encore... Il faut qu'on soit encore là.

M. Cloutier: L'égalité entre les hommes et les femmes demeure dans la loi, c'est ce que vous dites?

Mme Thibeault (Denise): Absolument, et qu'on continue de surveiller pour que ce soit bien appliqué.

M. Cloutier: Très bien. Sauf que le Barreau du Québec, comme ma collègue l'a dit précédemment, nous a dit que ça avait une valeur pédagogique. Pourquoi ils prétendent ça? C'est parce que le droit à l'égalité entre les hommes et les femmes est déjà prévu à la loi, de même que la neutralité de l'État, qui, lui, est prévu par interprétation judiciaire. Alors là, on a un article qui réaffirme ça. Est-ce que vous... Est-ce que vous prétendez que ça n'a qu'une valeur pédagogique, là?

Mme Thibeault (Denise): Je ne peux pas vous donner les mesures, là, on fait juste souhaiter que ce soit bien compris par tous, ce que ça veut dire, égalité hommes-femmes.

M. Cloutier: Alors, je comprends que, pour vous, votre préoccupation, c'est vraiment que, quand on interprète... quand... La mise en oeuvre, plutôt, d'un accommodement raisonnable doit se faire en ayant toujours à l'esprit l'égalité entre les hommes et les femmes.

Mme Thibeault (Denise): Absolument.

M. Cloutier: Je comprends très bien votre position. Ma collègue d'Hochelaga-Maisonneuve va poursuivre. Merci.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve.

Mme Poirier: Dans votre... Dans ce que vient de nous dire mon collègue, j'aimerais ça prendre des exemples pour qu'on puisse bien comprendre ce dont on se parle. Vous avez parlé de la situation qui s'est vécue à la SAAQ, d'un homme qui, par conviction religieuse, refuse de passer son permis de conduire avec une femme dans un endroit clos. Selon ce que j'en comprends, cette situation-là doit passer par l'égalité hommes-femmes, et dans le fond s'accommoder de la personne qui est devant lui pour faire passer son permis. Est-ce que c'est ça que je comprends de votre interprétation de ce que devrait être un accommodement?

Mme Thibeault (Denise): Oui. Ou vous retournez au bout de la file, vous retournez au bout de la file pour que la femme ne se sente pas brimée dans l'exercice de ses fonctions.

Mme Poirier: Mais, dans le fond, ce que vous dites, c'est que cette personne-là ne peut exiger que ce soit un homme qui lui fasse passer son permis de conduire.

Mme Thibeault (Denise): Absolument. Si c'est la femme qui se présente devant lui, que c'est à elle à le faire, c'est elle qui le fait.

Mme Poirier: La Commission des droits de la personne a dit que la SAAQ avait bien agi. Qu'est-ce que vous en pensez? La SAAQ a accepté de modifier, en tant que tel, et de trouver un homme qui était présent dans la place pour accommoder monsieur.

Mme Thibeault (Denise): C'est exactement le contenu, de faire des balises, des réglementations, des choses qui soient claires, bien définies, pour que chacune des associations concernées sache à quoi s'en tenir et qu'est-ce qu'elles peuvent accepter ou pas.

Mme Poirier: Mais est-ce que... Selon vous, est-ce qu'on doit accepter qu'une personne qui, par conviction religieuse, demande d'être servie par un homme ou une femme... Est-ce qu'on doit accepter cela?

Mme Thibeault (Denise): Non. Puis c'est quelque chose, d'ailleurs, qui... Ça réglerait les problèmes... Bien, quand ce sera interdit, et très défini, et répandu à travers le Québec, bien ça ne se demandera plus. Ça fait qu'ils n'auront pas besoin de perdre de temps à faire de ces accommodements-là qui ne sont pas raisonnables.

Mme Poirier: Ça, ça m'apparaît très clair. Mais ce à quoi je veux vous emmener, c'est que, lorsque vous dites que vous trouvez que ce projet de loi là est un bon projet de loi, ce que vous venez de me dire ne règle en rien dans le projet de loi. Bien au contraire, le projet de loi perpétue la situation actuelle et laisse à la Commission des droits de la personne de décider à l'effet qu'un droit religieux a préséance sur l'égalité hommes-femmes.

Mme Thibeault (Denise): On est... Tout au long du mémoire, on demande d'aller plus loin, de définir mieux et de... Puis, si, pour définir mieux, aller plus loin, ça demande d'avoir d'autres instances qui travaillent à mettre ça sur pied, bien tout le monde va s'ajuster à ce qui sera... ce qui aura été décidé.

Mme Poirier: Donc, pour vous, le concept d'accommodement raisonnable tel qu'il est présentement doit être revisité complètement pour faire en sorte que l'égalité hommes-femmes soit toujours appliquée avant de prendre une décision?

Mme Thibeault (Denise): Tout accommodement doit passer le test de l'égalité hommes-femmes.

Mme Poirier: Une autre dimension, dans votre résolution du mois de mars, vous signifiez l'application de ce que voulez, en tant que tel, de... jusqu'où vous voudriez que s'applique une charte de la laïcité. Dans le projet de loi, on ne parle pas des villes et des municipalités. Dans votre recommandation de mars 2010, vous parlez des villes et des municipalités, en tant que tel. Comment... Pour vous, là, quelle est la justification d'appliquer cela jusqu'aux villes, municipalités?

Mme Thibeault (Denise): Parce que c'est aussi des services qui sont dans un contexte particulier, qui doivent servir d'une façon équitable et juste tous les citoyens dans une ville.

Mme Poirier: En dernier lieu, je vous pose une question tout à fait générale: Croyez-vous que des décisions... Croyez-vous que les jeunes filles à l'école peuvent porter le voile? Et, quand je parle du voile, je parle du hidjab en tant que tel. Est-ce que vous croyez que des jeunes filles à l'école primaire, secondaire peuvent porter le voile? Le foulard.

Mme Thibeault (Denise): Le foulard.

Mme Poirier: Le foulard, le hidjab, là, qui cache le cou, les manches jusque-là et derrière, ce que vous disiez, à partir des oreilles, là, mais ça, ça cache jusqu'aux sourcils, là. Alors, le foulard en tant que tel, là, mais le vrai nom, c'est un hidjab.

Mme Thibeault (Denise): On n'est pas allées jusqu'à vouloir interdire le foulard.

Mme Poirier: D'accord. Merci.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça va? Merci infiniment. Merci, mesdames, de vous être présentées en commission, merci pour votre contribution. Et bon retour chez vous.

Et, sur ce, je lève la séance de la commission. Je vous donne rendez-vous demain au salon rouge, mercredi, donc, 19 mai, après les affaires courantes. Merci, bonne fin de soirée.

(Fin de la séance à 21 h 29)

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