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Version finale

39th Legislature, 2nd Session
(February 23, 2011 au August 1, 2012)

Wednesday, January 18, 2012 - Vol. 42 N° 58

Consultation générale et auditions publiques sur l'avant-projet de loi instituant le nouveau Code de procédure civile


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Table des matières

Journal des débats

(Neuf heures trente-huit minutes)

La Présidente (Mme Vallée): Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je demande à toutes les personnes présentes dans la salle de bien vouloir s'assurer d'éteindre la sonnerie de votre téléphone cellulaire.

Alors, le mandat de la Commission des institutions ce matin est de tenir des auditions publiques sur l'avant-projet de loi instituant le nouveau Code de procédure civile.

Alors, avant de débuter, Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire: Non, Mme la Présidente, il n'y a aucun remplacement.

La Présidente (Mme Vallée): Donc, merci. Alors, ce matin, nous allons entendre les représentations du Conseil des syndics de faillite, de l'Institut de médiation et d'arbitrage du Québec et de M. Claude Fabien. Cet après-midi, nous recevrons l'Association canadienne de protection médicale, Me Luc Huppé, la Confédération des organismes familiaux du Québec et finalement Me Jack R. Miller.

Auditions (suite)

Alors, sans plus tarder, nous allons débuter les auditions. Alors, Mme Virginie Comtois, Mme Chantal Gingras et Me Philippe Bélanger représentent le Conseil des syndics de faillite. Alors, mesdames monsieur, vous disposez d'une période de 15 minutes pour votre présentation. Par la suite, il y aura des blocs d'échange avec l'opposition et le gouvernement pour des blocs de 10 minutes chacun, deux blocs de 10 minutes chacun. Alors, la parole est à vous. Bon matin.

Conseil des syndics de faillite (CSF)

Mme Comtois (Virginie): Merci. Bonjour. D'abord, nous tenons à vous remercier de nous donner l'opportunité de nous exprimer aujourd'hui dans le cadre de la réforme du Code de procédure civile. Aujourd'hui, essentiellement, nous allons vous parler de la profession de syndic et de son rôle dans l'exécution des tâches reliées à l'exercice des recours hypothécaires par les créanciers garantis.

Je vais d'abord me présenter. Je suis Virginie Comtois, directrice principale chez Raymond Chabot Grant Thornton en insolvabilité et redressement et également présidente du Conseil des syndics de faillite. À ma droite, vous avez Mme Chantal Gingras, vice-présidente chez la firme de syndics Ginsberg, Gingras et vice-présidente du Conseil des syndics de faillite, et Me Philippe Bélanger, de la firme McCarthy Tétrault et Associés, qui est le procureur du Conseil des syndics.

**(9 h 40)**

Le Conseil des syndics de faillite, je pense que c'est important de préciser que c'est l'association québécoise des professionnels de redressement et d'insolvabilité. Nous représentons 214 syndics de faillite de la province du Québec ainsi que 74 membres étudiants. Les syndics de faillite sont des professionnels de haut niveau, majoritairement détenteurs d'un diplôme universitaire. L'exercice de la profession de syndic, tant au Québec qu'au Canada, est étroitement surveillé et supervisé par Industrie Canada, par le biais du Bureau du surintendant des faillites qui émet les licences de syndic et qui s'assure de la conformité des syndics dans l'exercice de leur profession.

La raison de notre présence aujourd'hui est l'exclusion que l'on considère injustifiée du syndic dans le cadre des ventes en justice. En effet, dans l'avant-projet de loi instituant un nouveau Code de procédure civile, il est prévu que les tâches reliées aux ventes sous contrôle de justice soient confiées de façon exclusive aux huissiers de justice. Le Conseil des syndics de faillite considère que ce monopole est injustifié et à l'encontre des intérêts des créanciers garantis.

Jusqu'ici, les créanciers garantis avaient la liberté de choisir le professionnel avec lequel ils feraient affaire et qui serait l'officier de justice chargé de procéder aux tâches relatives à l'exécution de leurs recours hypothécaires. Régulièrement, les syndics de faillite se voyaient confier ce mandat, et nous pensons donc que le statu quo à cet égard devrait être maintenu. Les intervenants du domaine de l'insolvabilité et du domaine financier également que nous avons consultés supportent notre position et tous sont étonnés du monopole qui serait accordé dans le cadre de la réforme du Code de procédure civile. Vous aurez l'occasion, au cours des prochains jours et des prochaines semaines également, d'entendre nos pairs de l'association canadienne à ce sujet-là, les avocats qui oeuvrent dans le domaine de l'insolvabilité et de la réalisation de sûretés, par le biais de l'Association du Barreau canadien, ainsi que l'Association des encanteurs du Québec, qui supportent tous notre position à cet égard. Tous sont d'avis que le statu quo devrait être maintenu.

Mme Gingras (Chantal): Nous croyons que c'est dans l'intérêt du public à ce que les syndics de faillite demeurent un joueur important dans le processus de vente sous contrôle de justice. Premièrement, on est qualifiés pour le faire, et puis je vais vous exposer aujourd'hui la raison ou les raisons pour lesquelles nous le sommes.

Premièrement, afin de devenir syndics, nous devons compléter un programme d'études qui dure deux à trois ans, qui est administré par l'Association canadienne des professionnels de l'insolvabilité et de la réorganisation et supervisé par le Bureau du surintendant des faillites, qui est une branche d'Industrie Canada. Le cours, ce que c'est essentiellement, c'est l'étude approfondie de l'application de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et des lois connexes, dont le Code civil du Québec et le Code de procédure civile du Québec.

Deuxièmement, au niveau de l'éducation, la plupart des syndics détiennent soit un diplôme universitaire ou ont déjà acquéri cinq ans d'expérience dans le domaine de l'insolvabilité avant d'être admis au cours de syndic. 85 % de nos syndics détiennent des désignations professionnelles autres telles que des CA, CGA, CMA, avocats et notaires. Les syndics doivent également adhérer à un programme de formation continue afin de maintenir notre désignation professionnelle de CIRP.

Troisièmement, les syndics sont des professionnels de haut niveau, assujettis à trois différents codes d'éthique dans plusieurs cas. Premièrement, on a un code d'éthique avec notre association fédérale. Deuxièmement, on a un code d'éthique qui est prévu à même la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. Et puis, pour les 85 % de nos membres qui sont membres d'autres ordres professionnels, il y a également des codes d'éthique qui font.. auxquels ils doivent adhérer à l'intérieur de leur autre désignation professionnelle.

Quatrièmement, nous sommes tous structurés, légiférés dans la méthode qu'on opère les recettes qu'on reçoit et les comptes en fidéicommis. Chaque année, nous devons remettre un rapport bancaire qui est vérifié par le Bureau du surintendant des faillites. Et puis, pour vous donner une idée d'envergure, en 2009, les syndics ont déposé dans leurs comptes en fidéicommis un montant de 5,4 milliards de dollars.

Cinquièmement, nous avons l'expérience requise afin d'exécuter des ventes sous contrôle de justice. Nous agissons à titre d'administrateurs de biens d'autrui dans des contextes légaux différents, dont les faillites, les liquidations ordonnées, les nominations de séquestre, dont des séquestres nommés en vertu du Code civil, la réalisation pour le compte des créanciers garantis et la nomination de séquestre en vertu de l'article 243 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité.

Nous agissons à titre d'officiers de la cour et représentons les débiteurs et créanciers, dans le cadre duquel on joue un rôle impartial. Alors, nous ne pouvons concevoir la raison pour laquelle le législateur a cru bon de nous exclure de la possibilité d'exécuter des ventes sous contrôle de justice.

Mme Comtois (Virginie): Il faut comprendre que le syndic exerce un rôle de premier rang, de premier plan dans la réalisation des sûretés dans un contexte de liquidation. Récemment, le législateur fédéral a reconnu ce rôle lors des derniers amendements de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. Il est maintenant prévu dans la Loi sur la faillite et l'insolvabilité que le séquestre qui est nommé doit détenir une licence de syndic.

Ce que nous nous expliquons mal aujourd'hui, c'est comment le syndic, il peut être exclu du processus des ventes en justice, alors que son rôle dans un contexte d'insolvabilité est sensiblement le même.

Pour comprendre notre position, il faut bien comprendre que, dans ses activités quotidiennes, le syndic de faillite ou le séquestre qui porte le titre de syndic a comme fonction de maximiser la valeur de réalisation des actifs dont il a la saisine. Il doit déterminer la meilleure méthode de réalisation pour avoir le meilleur prix possible, dans le fond, quand il vend ces actifs. Que ce soit par le biais d'une vente de gré à gré, par le biais de demandes de soumissions publiques ou privées ou encore en faisant affaire avec des encanteurs, les syndics doivent respecter un processus qui est transparent, qui est supervisé tant par les inspecteurs, dans les cas de faillite, les créanciers qui les mandatent, le Bureau du surintendant des faillites et le tribunal.

Une fois que la vente est conclue, ensuite le syndic va distribuer l'argent qu'il aura collecté suite à la vente des biens, et la distribution de l'argent se fait en conformité avec les différents contextes dans lesquels il va agir. Par exemple, dans un contexte hors faillite, bien le syndic va distribuer l'argent conformément aux dispositions du Code civil du Québec. Quand on parle d'un contexte d'insolvabilité, de faillite ou de séquestre en vertu de la Loi sur la faillite, bien, à ce moment-là, l'argent va être distribué aux créanciers mais conformément à l'état de collocation prévu à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité.

Donc, nous, ce qu'on vous présente aujourd'hui, c'est que le syndic a la formation, l'expertise, la compétence et l'expérience pour agir dans le cadre des ventes sous contrôle de justice.

M. Bélanger (Philippe H.): Pour situer ça dans le contexte peut-être du régime actuel, parce qu'avant ces modifications le système qui est en place pour la vente sous contrôle de justice remonte à 1994, lors de l'adoption du nouveau code, il faut comprendre que la vente sous contrôle de justice, c'est un des quatre recours hypothécaires qui est disponible au créancier pour l'exercice de ses droits sur les biens qui sont hypothéqués en sa faveur. Quand le créancier choisit ce recours-là, on parle de vente sous contrôle de justice parce que c'est le tribunal essentiellement qui va fixer les conditions de vente, donc un prix minimal de vente, à titre d'exemple, et qui va désigner une personne qui va agir comme officier de justice à certains égards pour procéder à cette vente-là.

La règle actuelle, comme le mentionnaient mes collègues, c'est celle du choix du créancier, sujet à l'approbation de la cour. C'est le créancier hypothécaire qui propose une entité ou une personne qui va procéder à cette vente-là, et, à l'heure actuelle, il n'y a aucune restriction quant à l'identité de la personne en question.

Une des raisons fondamentales pour lesquelles on vous suggère de maintenir le statu quo est de ne pas conférer un monopole exclusif aux huissiers pour cette fin-là. C'est que, candidement, je ne vois pas de problème, depuis 1994, avec un système en vertu duquel on laisse le libre choix aux créanciers hypothécaires. Autrement dit, la première partie intéressée en contexte de vente sous contrôle de justice, c'est le créancier hypothécaire, et c'est également le propriétaire du bien, et je ne pense pas qu'en conférant un monopole on vienne régler un problème particulier de la vente sous contrôle de justice tel qu'elle se fait en ce moment, en gardant à l'esprit que c'est un processus de vente qui est supervisé par le tribunal, et donc on a comme chien de garde, si vous permettez, le tribunal qui va s'assurer que la vente se fait à des conditions qui sont raisonnables. Ça, c'est un premier point.

**(9 h 50)**

Est-ce qu'il y a lieu de changer le statu quo? Je crois que non, il n'y a pas de problème particulier, en gardant à l'esprit que l'objectif ultime de cette législation-là, c'est de maximiser la valeur des biens. Et, si on prend cet objectif-là comme étant fondamental, on doit se poser la question: Est-ce qu'on améliore le système en conférant de façon exclusive ces pouvoirs-là à des huissiers de justice?

Là-dessus, je dois vous dire, en toute déférence pour la profession d'huissier -- vous avez entendu mes collègues -- les personnes qui sont les plus fréquemment appelées à procéder à des ventes dans des contextes d'insuffisance, dans des contextes de réalisation de liquidation, ce sont les syndics de faillite. C'est évidemment le pain et le beurre du syndic de faillite de disposer de biens en contexte de liquidation, en contexte d'insuffisance de biens.

Or, la vaste majorité des ventes sous contrôle de justice se font dans des contextes d'insuffisance. Le débiteur, le propriétaire du bien hypothéqué n'est plus en mesure de payer son créancier. Il est donc vraisemblablement insolvable, parce qu'il ne peut plus payer ses créances au fur et à mesure qu'elles deviennent dues. On est en contexte d'insolvabilité.

Comme vous le disait Mme Comtois, en vertu de la loi fédérale, l'équivalent d'une personne désignée pour fins de vente sous contrôle de justice qu'on appelle un séquestre doit absolument détenir une licence de syndic pour exercer ce rôle-là. Alors, je trouverais très étonnant qu'on se retrouve dans un système où, pour réaliser des biens en contexte d'insolvabilité en vertu de la loi de faillite, on doit détenir une licence de syndic, mais, si ça se fait en vertu des dispositions du Code civil du Québec, les syndics sont exclus de la capacité d'agir. Je dois vous dire également qu'à ma connaissance il n'y a aucune autre province canadienne qui a un système en vertu duquel ce recours équivalent qu'on appelle «power of sale» est effectué de façon exclusive par des huissiers.

Alors, de façon fondamentale, on vous soumet, sans demander pour les syndics un monopole, de laisser le libre choix au créancier. Et il n'y a pas de raison, je crois, au niveau des compétences des huissiers, en tout respect, qui pourrait justifier qu'on exclue les syndics. Je vous dirais même que, de façon générale, de par la nature des activités de l'huissier, il est moins apte, de façon générale, à avoir les compétences à procéder à des ventes liquidatives qu'un syndic de faillite. Vendre des biens en contexte de liquidation, un syndic fait ça à tous les jours.

J'ajouterais que ce n'est pas uniquement une question de vente, de processus de vente, mais il y a également, comme le soulignait Mme Comtois, des questions de collocation, parce que la personne qui procède à une vente sous contrôle de justice, une fois la vente effectuée, encore une fois, sous la supervision du tribunal, va devoir dresser ce qu'on appelle un ordre de collocation, l'ordre dans lequel les créanciers devraient être payés. Pour un immeuble, à titre d'exemple, on parlera des taxes foncières, scolaires. Il y aura des priorités du Code civil et il y aura ensuite le créancier hypothécaire. S'il reste de l'argent, c'est au propriétaire. Cet ordre de collocation là peut effectivement varier, dépendamment des contextes.

Comme on vous l'a dit, sans être trop technique, dans un contexte de faillite, ce n'est pas le Code civil qui s'applique, c'est la Loi sur la faillite qui s'applique. Alors, les syndics de faillite font ça quotidiennement, des ordres de collocation qui sont sujets à l'approbation de la cour, qui sont sujets à leurs états de recettes et débours qui doivent être éventuellement approuvés. Ce n'est pas la pratique courante d'un huissier de justice.

Et le troisième argument que je peux vous mentionner: S'il y a des inquiétudes au niveau des frais, il faut comprendre, un, que les frais d'un syndic de faillite sont toujours dans un contexte de faillite supervisée par le tribunal, ils doivent être approuvés par le tribunal. Il faut comprendre qu'en contexte de vente sous contrôle de justice ils vont faire partie de cet état de collocation, donc ils vont devoir également être sujets à l'approbation des autres créanciers, s'il y a lieu, parce qu'ils ont des droits de regard là-dessus. Et, troisièmement, quand il n'y a pas suffisamment de réalisation pour payer la personne désignée, c'est généralement le créancier qui s'engage à assumer ces honoraires et ces débours. Et donc, dans la mesure où les créanciers assument dans bien des contextes ces dépenses-là, ils devraient continuer à avoir le droit de choisir l'officier de justice qui sera désigné pour procéder à une vente sous contrôle de justice.

Donc, pour toutes ces raisons-là, encore une fois, sincèrement, on pourrait faire, je crois, un cas assez sérieux de dire que ça devrait être conféré exclusivement à des syndics de faillite, ces pouvoirs de vente. Ce n'est pas l'essence de nos représentations. L'essence de nos représentations, c'est de ne pas conférer un monopole et de maintenir le statu quo. Les créanciers seront donc dans une économie de marché où ils choisiront des huissiers dans certains contextes comme ça se fait en ce moment, ils choisiront des syndics de faillite dans d'autres contextes, ils choisiront des encanteurs dans certains contextes, mais c'est aux créanciers que devrait revenir le choix initial de la personne qui va procéder à la vente, à nouveau, le tout sous réserve de l'approbation du tribunal, parce que la personne désignée n'est pas désignée par le créancier, elle est désignée par la cour, mais le créancier devrait avoir le droit de proposer la personne désignée de son choix pour la fin de l'exécution du recours. C'est l'essentiel de nos représentations.

La Présidente (Mme Vallée): Je vous remercie. Alors, ceci met fin à la période de présentation. Maintenant, je vais céder la parole à M. le ministre pour une période d'échange de 10 minutes.

M. Fournier: Bien, merci beaucoup pour votre présentation. Et puis il y a des éléments intéressants que vous soulevez. Je vais poser la question sur le plan théorique. Et puis bien sûr, là, je ne mets pas de côté que vous pouvez... vous l'avez fait puis vous pouvez me le répéter, là, soyez bien libres de me répéter qu'on peut bien parler de théorie, mais la pratique démontre que tout va bien. Je l'ai entendu, je le comprends, je vois ça. Mais parlons du point de vue théorique.

D'ailleurs, vous le dites vous-mêmes, une des bases du positionnement que vous avez, c'est celui de permettre aux créanciers hypothécaires de faire le choix, aux créanciers garantis de faire le choix de celui qui va exécuter. Et la façon dont les huissiers présentent la chose et d'autres, théorique, est à l'effet que... Est-ce qu'on devrait avoir un représentant d'une des parties parmi toutes les parties qui procède à l'exécution, sans vouloir dire qu'elle est bonne ou pas bonne, là, j'entends bien les commentaires sur la formation professionnelle, mais ne serait-ce que sur le plan de la perception, de pouvoir compter sur une entité qui est là au service de tous les autres, de tout le monde, en fait, de la meilleure exécution possible?

Alors, l'exemple, l'exemple qui était la discussion hier, je suis sûr que vous avez suivi un peu ce qui était dit. Je ne veux pas rentrer sur ce cas particulier, mais, d'après la chose suivante, si, moi, je représente un créancier garanti qui arrive au premier rang et que je fais... c'est moi qui exécute, bon, la créance est de 100 000 $, je mets en vente, si je suis capable de m'assurer d'avoir le premier 100 000 $, au niveau des perceptions, est-ce que je me préoccupe aussi d'aller chercher le meilleur montant pour d'autres créanciers, pour le débiteur? C'est un peu ça, là, la présentation qui est faite, là. Comment s'installe dans la question ce qui est la perception qui peut être faite?

Hier, la question que je posais aux huissiers pour les challenger un peu était de me dire: La question de la proximité avec le créancier qui choisit -- il y a une proximité réelle, là -- s'il n'y a pas d'intérêts opposés, bien la première perception finit par tomber rapidement parce qu'il n'y a pas de conflit, parce qu'il n'y a pas d'intérêts opposés. Pourtant, on peut imaginer des cas d'intérêts opposés ou d'intérêts plus grands peut-être, là, qui ne sont pas tout à fait les mêmes. Dans l'exemple que j'ai donné, tout le monde aurait intérêt à la meilleure vente, mais celui qui y procède au nom du premier qui a droit au fruit de la vente baisse les bras par la suite parce que, tu sais, moi, de toute façon, mon mandat est rempli.

Alors, parlez-moi un peu de cette théorie, puis on pourra suivre par la suite, là, sur les formations, puis tout ça, puis de faillite, disons, à juridiction québécoise ce que vous faites. Ça m'intéresse aussi d'en entendre parler.

M. Bélanger (Philippe H.): Bien, écoutez, la question que vous soulevez est essentiellement une question, justement, d'impartialité de la personne qui va être désignée et d'une possibilité d'apparence de conflit. Mon premier élément de réponse là-dessus, c'est de dire que, bien, premièrement, les paramètres de la vente sont fixés par le tribunal. Autrement dit, l'officier qui est désigné, que ce soit un huissier ou un syndic de faillite, va, en pratique, devoir agir dans des paramètres fixés par le tribunal.

Alors, je vous donne un exemple pratique. Votre... La résidence -- ne souhaitant pas que ce soit la vôtre -- qui fait l'objet d'une vente sous contrôle de justice est évaluée à 200 000 $ en valeur marchande. Il est de pratique courante d'aller au tribunal et de demander au tribunal de fixer un prix plancher, qui va être malheureusement inférieur à la valeur marchande parce qu'on est en contexte de vente rapide. La règle d'opus, c'est 75 % de la valeur marchande. C'est une valeur liquidative. Donc, dans l'exemple, la propriété serait mise en vente pour un montant minimal de 150 000 $.

Le débiteur, le propriétaire de la maison a donc un droit de parole à ce stade-là, quand le créancier dit: Non seulement je veux désigner un huissier, ou un syndic, ou un encanteur, mais je désire que la vente se fasse pour un prix minimal de 150 000 $ et qu'elle se fasse par enchères, appel d'offres ou de gré à gré, et donc les préoccupations qui peuvent être celles du débiteur ou des autres créanciers, elles vont pouvoir être exprimées au moment de la fixation des conditions de vente. Et donc, dans un premier temps, la personne qui est appelée à vendre, on ne peut pas réalistement penser qu'il va y avoir de l'abus dans la disposition des biens par le créancier, parce que le tribunal fixe les paramètres, ce qui n'est pas le cas dans tous les contextes de recours. Comme vous le savez, le créancier peut choisir de vendre lui-même. Il peut dire: Moi, je n'ai pas besoin de la vente sous contrôle de justice, je vais faire une vente par le créancier, et, à ce moment-là, il est tenu, en vertu du Code civil, les articles 2784 et suivants, de le faire pour un prix commercialement raisonnable.

**(10 heures)**

Ici, le prix commercialement raisonnable, il est, à toutes fins pratiques, fixé par le tribunal avec un montant minimal, et donc, à cet égard-là, le rôle que peut jouer l'officier chargé de vendre est assez limité. Il ne pourrait pas faire ce que les gens craignent, une vente de feu qui est d'un montant simplement suffisant pour couvrir le premier créancier hypothécaire, et dire au pauvre propriétaire: C'est dommage, il ne reste plus d'équité dans votre immeuble, on l'a vendu à 100 000 $.

La deuxième chose que je vous dirais, c'est qu'à première vue il n'y a pas de gage d'impartialité ou d'absence de conflit plus grande en faveur du huissier de justice qu'en faveur du syndic de faillite. Le syndic de faillite fait ça dans tous les dossiers de faillite. Il agit à la fois pour des créanciers garantis qui détiennent des hypothèques contre les biens et il agit aussi pour la masse des créanciers s'il voit qu'il y a de l'intérêt et donc de l'équité pour la masse des créanciers. Alors, ça fait partie de son quotidien d'agir pour l'ensemble des créanciers. Et ici, d'ailleurs, les dispositions du projet de loi le prévoient, il doit aller chercher un prix commercialement raisonnable dans les circonstances et agir dans l'intérêt du propriétaire. Le texte de loi vient baliser l'exercice de ce recours-là en plus des balises qui sont fixées par le juge lorsqu'il entend la requête pour délaissement forcé.

J'ai de la misère à accepter candidement une prémisse en vertu de laquelle un huissier de justice va être plus impartial qu'un syndic de faillite. L'huissier de justice va être également rémunéré par le créancier hypothécaire qui le nomme et va avoir le même instinct de vouloir agir pour le bénéfice du créancier parce que, dans tous les cas, ces gens-là sont proposés par le créancier.

Et donc vous verrez des représentations particulières dans le mémoire du Barreau canadien là-dessus. Je supporte entièrement les conclusions du Barreau canadien. Je ne pense pas qu'il y ait de risque de conflit d'intérêts ou d'impartialité à cause des balises posées par le juge et à cause des balises posées par le code et je ne pense pas qu'on puisse parler, comme je vous dis, depuis 1994, d'expériences malheureuses où la vente s'est faite à des conditions inférieures au meilleur prix parce que la personne désignée, qui n'était pas un huissier, a agi de façon exagérément favorable au créancier, au détriment des autres.

M. Fournier: Puis je comprends bien le volet faillite, loi fédérale, et d'autres procédures judiciaires qui ne relèvent pas du droit de la Loi sur la faillite dans lesquels vous intervenez, mais, à partir du moment où vous présentez la question sous le contexte qu'il y a différents contextes qui se présentent, cela peut amener certains à dire: Puisqu'il y a différents contextes, peut-être qu'il est utile d'avoir différents groupes formés à un de ces contextes, hein, plusieurs contextes, plusieurs types de professionnel pour répondre à chacun de ces contextes.

Par contre, en même temps on peut aussi espérer, lorsqu'il s'agit de réaliser une créance, que ce soit une unité. Là, sortons du corporatisme, là, puis parlons en termes très théoriques, là. Moi, je parle avec mon voisin, là, puis, oui, on pourrait avoir une entité qui réalise des créances, c'est facile à comprendre, une formation égale à tout le monde, des règles applicables à tous ceux qui le font, donc une façon de faire assez uniforme. Ce dernier argument plaiderait pour qu'il n'y ait qu'un... ce que vous appelez un monopole, peu importe qui en obtient le bénéfice, du monopole.

Plus simple, tout le monde fait de la réalisation de créance. Par contre, tout le monde ne le fait pas dans le même contexte. Donc, on pourrait se dire: Ah, bien n'avoir qu'une seule unité alors que... oui, qui réalise des créances mais dans des contextes différents, qui répond à des règles différentes, peut-être pas. Il faut avoir donc une pluralité d'intervenants qui sont formés à le faire.

Jusque-là, les deux écoles se suivent. Mon problème -- bon, mon problème... -- la discussion que je veux avoir avec vous, c'est à partir du moment où on les oublie et l'un et l'autre et on fait intervenir tout le monde dans le champ des uns et des autres. Alors, pourquoi on fait ça? Quel est l'avantage que j'ai d'avoir... Si vous me disiez: Nous, là, on fait la faillite, c'est ça qu'on fait, nous autres, on est des spécialistes là-dedans, oui, on fait un peu comme les huissiers, on réalise des créances, mais, en matière de faillite, c'est nous qui avons... alors je dirais: Ah oui, ça se tient, tu sais, c'est un contexte différent, on a des spécialistes de la réalisation de créance en matière de faillite. Ça se tient. Mais là on est en train de se dire qu'en toute matière de réalisation de créance, vous, vous avez la possibilité d'intervenir partout.

Alors, est-ce que vous êtes en train de me dire que les huissiers ne sont pas nécessaires et que, dans le fond, vous en voulez juste... vous avez les meilleures aptitudes? Moi, je voudrais que ce soit simple. Alors, essayez de me dire pourquoi je dois avoir une multitude qui intervient dans tous les champs. Qu'est-ce que vous avez de particulier que les huissiers n'ont pas, qui fait que, vous, vous êtes en mesure de me présenter ce que vous me présentez aujourd'hui?

M. Bélanger (Philippe H.): En fait, je vous répondrais sans facétie par une question: Qu'est-ce que les huissiers ont que les syndics n'ont pas? L'huissier, traditionnellement, procède à des significations de procédure. Il n'a pas -- je ne pense pas que les gens contesteraient -- l'expérience et la formation des syndics de faillite dont on parle depuis tout à l'heure. Il n'y a rien dans la formation ou le quotidien d'un huissier qui puisse lui faire sérieusement prétendre qu'il est plus apte à liquider des biens dans un contexte d'insuffisance, dans un conteste de réalisation de garantie.

Je vous répondrais aussi que, le clivage que vous faites entre de la faillite puis de la réalisation de garantie, en pratique on ne le voit pas, c'est-à-dire que... Puis je vais vous donner un exemple très simple. Justement, un débiteur hypothécaire est incapable de payer son hypothèque résidentielle. Restons simple. La vente de cette résidence-là, qu'elle se fasse dans un contexte de vente sous contrôle de justice ou dans un contexte de faillite parce que le propriétaire n'est plus capable puis il fait faillite, en pratique ça va se faire de la même façon. Le syndic ou l'huissier, la personne qui a la saisine du bien va dire: O.K. Quelle est la meilleure façon de maximiser la valeur de ce bien-là? Je devrais-tu faire une enchère? Je devrais-tu faire une vente par appel d'offres? Je devrais-tu appeler un courtier immobilier?

Alors, les mécanismes qui doivent être mis en place, on ne peut pas sérieusement dire que, quand c'est en faillite, on fait ça d'une façon puis, quand c'est dans le Code civil, on fait ça d'une autre façon. L'objectif des deux lois puis des deux systèmes est identique: avoir la meilleure réalisation possible, maximiser la valeur des biens pour le bénéfice des créanciers et pour le bénéfice du débiteur, s'il en reste. Alors, on ne peut pas... Et je comprends votre commentaire de dire: Pourquoi est-ce qu'on mêle ces deux mondes-là? Ils sont toujours mêlés. La...

La Présidente (Mme Vallée): Me Bélanger, je suis désolée, je dois vous interrompre. Vous avez... On a débordé, on est rendus à 12 minutes d'échange, alors je dois céder la parole à ma collègue la députée de Joliette. Nous reviendrons dans un prochain bloc de huit minutes.

Mme Hivon: Merci beaucoup, Mme la Présidente. Mais, si vous alliez terminer, si c'est quelques secondes, vous pouvez les prendre, vous pouvez continuer.

M. Bélanger (Philippe H.): Écoutez, c'est donc de dire que, d'un point de vue pratique, l'exercice est identique, qu'on soit en faillite ou non. Et je voulais juste rajouter le fait qu'il arrive même que des ventes sous contrôle de justice se fassent dans un contexte de faillite. Un créancier hypothécaire peut pratiquement exercer ce recours-là par l'envoi d'un avis de 20 jours ou de 60 jours postérieurement à la faillite. Alors, à ce moment-là, pour répondre de façon définitive à la question de M. le ministre de la Justice, on ne peut pas séparer ces deux mondes-là, ils sont intrinsèquement reliés. Ils ont tous les deux le même objectif de maximiser la valeur des biens.

Mme Hivon: Bon, merci. Pour poursuivre, j'aimerais savoir: Pour les syndics de faillite, les ventes sous contrôle de justice en vertu du code, ça peut représenter quel pourcentage du travail?

Mme Comtois (Virginie): Suite aux modifications de la Loi sur la faillite en 2009, évidemment, beaucoup plus de recours sont pris par les créanciers garantis via la Loi sur la faillite, donc nécessairement les ventes sous contrôle de justice dans des contextes d'insolvabilité ont beaucoup diminué. Mais il demeure que c'est un pourcentage, je dirais, quand même assez faible mais qui existe définitivement, là, dans les bureaux, particulièrement au niveau de la faillite corporative, au niveau des dossiers commerciaux, où déjà le syndic, le professionnel d'insolvabilité est impliqué dans tout un processus de restructuration, et là le créancier garanti va faire appel à lui pour réaliser certaines sûretés.

M. Bélanger (Philippe H.): En fait, pour répondre...

Mme Hivon: Pour avoir un ordre de grandeur.

**(10 h 10)**

M. Bélanger (Philippe H.): Ça va dépendre de l'état de l'économie, je vous dirais. Pour avoir pratiqué depuis 22 ans, dans les années quatre-vingt-dix, à une époque malheureusement beaucoup plus difficile au niveau économique, il y a eu un très gros volume de ventes sous contrôle de justice tant au niveau commercial qu'au niveau, bon, résidentiel, personnel. À ce moment-là, il y a eu une certaine industrie de la vente sous contrôle de justice qui s'est partagée essentiellement entre les huissiers et des syndics de faillite et, à certains égards aussi, avec des encanteurs.

Le marché qui s'est développé de vente sous contrôle de justice a fait en sorte que la plupart des créanciers, même si les créanciers peuvent, en passant, se désigner eux-mêmes, hein... En théorie, une banque pourrait dire au juge: On va contrôler la vente. Pour diverses raisons, ils préfèrent ne pas le faire, entre autres des questions de responsabilité. Mais je vous dirais qu'au haut de la période économiquement difficile, dans les années quatre-vingt-dix, je ne peux pas le quantifier, il y avait un assez gros marché de vente sous contrôle de justice, et c'est effectivement devenu, pour être candide, une forme d'industrie pour les huissiers de justice. Et je crois qu'il y a par ailleurs un marché dans lequel les huissiers vont opérer où la présence d'un praticien en insolvabilité n'est pas nécessaire. Un certain volume, à titre d'exemple, comme je vous dis, au niveau résidentiel, je pense, il y a des huissiers... des syndics qui ne sont même pas intéressés à cette portion-là du marché parce qu'il y a des choses assez mécaniques. Sur une résidence, l'état de collocation, pour revenir à ça, ce n'est pas très, très compliqué. C'est généralement des taxes foncières, des taxes scolaires puis de l'hypothèque, alors il n'y a rien de magique là-dedans. Dans des contextes plus complexes, c'est principalement dans ces contextes-là que les créanciers vont dire: J'aimerais mieux faire affaire avec quelqu'un d'autre qu'un huissier.

Mais, dans les années récentes, pour répondre à votre question, je pense que ce n'est pas un immense volume pour qui que ce soit, parce que, Dieu soit loué, notre économie se porte bien. Donc, il n'y a pas un volume important de réalisation par le biais de la vente sous contrôle.

Mme Hivon: Puis, dans l'ensemble des tâches des syndics, ça représente donc un faible... -- c'est juste pour avoir un ordre de grandeur -- un très faible pourcentage, quand on parle des ventes en vertu du code, là?

Mme Gingras (Chantal): On peut estimer.

Mme Hivon: Si je peux avoir un ordre de grandeur, oui.

Mme Gingras (Chantal): Si vous voulez qu'on estime, encore là, puis, tu sais, Virginie, tu me corrigeras, mais, si vous voulez un chiffre, moi, je dirais à peu près 3 %.

Mme Hivon: Puis est-ce que ça varie entre syndics, c'est-à-dire est-ce qu'il y en a qui vont être plus appelés, donc ils en font beaucoup plus, puis il y en a qui n'en font jamais, comme vous mentionniez?

Mme Gingras (Chantal): Effectivement.

Mme Hivon: Mais, de manière générale, on pourrait dire quelques pourcentages.

Mme Gingras (Chantal): Effectivement. Puis, à l'intérieur de notre domaine puis vis-à-vis nos membres, il y a certains membres qui font exclusivement de l'insolvabilité commerciale, il y a d'autres membres qui sont des praticiens généraux, il y a d'autres membres qui font de l'exclusivité, exclusivement du consommateur, et puis qui ne feront jamais de vente sous contrôle de justice. Alors, de vous quantifier un chiffre aujourd'hui -- puis c'est pour ça qu'on hésitait -- ça dépend. Puis la réponse qu'on vous donne aujourd'hui pourrait ne pas être vraie l'année prochaine.

Mme Hivon: Je comprends très bien le contexte, les réserves, le contexte économique qui peut faire une grosse différence, mais je l'apprécie. Je sais que, pour vous, c'est périlleux. Ce n'est pas un piège du tout, c'est pour moi qui connais moins le domaine d'avoir une idée.

Par ailleurs, en ce moment, vous diriez à peu près... La portion qui est exécutée par des huissiers versus des syndics, est-ce qu'on est capables d'avoir une idée?

Mme Comtois (Virginie): On n'est pas en mesure de répondre à cette question-là...

Mme Hivon: Pas du tout? O.K.

Mme Comtois (Virginie): ...parce que, comme je vous dis... bien, comme Me Bélanger vous a expliqué, c'est qu'au niveau résidentiel c'est un marché qui est à part, et là vraiment il y a, je vais dire, un mixte entre les huissiers, les encanteurs et les syndics de faillite, alors qu'au niveau commercial vraiment beaucoup plus les syndics de faillite vont être impliqués.

Mme Hivon: Vous diriez qu'en matière commerciale la grande majorité va avoir recours aux syndics de faillite? Oui?

M. Bélanger (Philippe H.): Absolument.

Mme Hivon: O.K. Donc, c'est vraiment résidentiel qu'il y a un mélange important. Puis qu'est-ce qui peut justifier, pour le créancier, de choisir davantage un huissier versus un syndic? Est-ce que c'est un contexte différent? Est-ce que c'est une relation avec la personne? Dans la pratique que vous voyez, qu'est-ce qui fait en sorte que le créancier va se tourner plus vers une profession que vers une autre?

Mme Gingras (Chantal): Il y a le contexte dans lequel le dossier est présenté. Si on est déjà là à titre de syndic, soit dans le cadre d'une restructuration ou dans le cadre d'une faillite, bien, à ce moment-là, l'ordre de collocation qui va être prévu va être différent que celui qui est prévu au Code civil du Québec, donc à ce moment-là notre expertise devient essentielle, puis c'est pour ça qu'on est devant vous aujourd'hui, pour vous dire: Oubliez-nous pas. Même si c'est un infime pourcentage de notre pratique, il y a quand même des circonstances au Québec qui font de sorte que notre expertise est nécessaire.

M. Bélanger (Philippe H.): J'ajouterais que, dans un contexte commercial, justement, les bureaux de syndics, lorsqu'on est appelés à vendre en liquidation, vont très fréquemment faire des appels d'offres et vont avoir accès à un réseau d'acheteurs potentiels qui est probablement plus intéressant que les réseaux qui sont mis à la disposition des huissiers.

Je donne un exemple très simple: on tente de vendre de façon ordonnée une entreprise qui produit de l'équipement forestier, bon, une industrie difficile au Québec, etc. Si on décide de le faire par le biais d'une vente sous contrôle de justice et qu'on veut vendre non seulement l'immeuble, mais également des équipements de production en matière forestière, un bureau de syndics va avoir des banques de données qui lui permettent d'identifier qui sont les acheteurs potentiels d'équipement forestier au Québec. Alors, on peut bien mettre une annonce dans La Presse puis dire: Êtes-vous intéressés à de l'équipement forestier?, mais il existe des banques de données qui disent: Voici les acheteurs potentiels non seulement au Québec, au Canada et en Amérique du Nord pour procéder à une vente ordonnée de ce type de bien là, pour éviter une liquidation pure et dure à, justement, des encanteurs. Et donc le syndic, les bureaux de comptables, lorsqu'on leur demande de procéder à un appel d'offres pour des biens dans une industrie particulière, vont pouvoir dresser une liste: Voici sur la planète, en ce moment, des entités qui sont intéressées dans ce marché-là.

Je peux vous donner un exemple, je vous le donne en matière forestière. En matière de biotechnologies, une entreprise en difficulté qui fait vendre ses biens, il n'y a pas 12 000 entreprises qui s'intéressent aux produits particuliers de cette entreprise-là et à ses équipements, il y a peut-être une liste de 10 ou 12 acheteurs sur la planète pour des biens spécialisés pour la commercialisation d'un produit en biotechnologies. Les banques de données puis les réseaux des bureaux de comptables sont généralement très bien faits pour ça et donc ils vont cibler un marché plutôt que de mettre, comme je vous dis, une annonce dans La Presse ou Le Devoir le samedi en disant: Vente de liquidation.

Alors, c'est souvent dans des contextes comme ceux-là qu'on va préférer... non seulement pour des fins d'ordre de collocation, mais pour des fins de capacité de mettre en place un appel d'offres et un processus de vente efficaces pour des types de bien qui sont particularisés, ce qui n'est évidemment pas le cas, comme je le disais tout à l'heure, dans un contexte résidentiel, où l'expérience dans ce domaine-là, et les banques de données, et le réseau sont moins importants que dans un contexte d'industrie spécialisée.

Mme Hivon: Puis, un peu pour faire suite à ce que vous disiez précédemment, je comprends que vous êtes convaincus de votre pertinence dans le domaine, que vous êtes convaincus de votre compétence, bon, j'ai bien entendu vos arguments. Mais, à cet égard-là, si le choix devait se faire de dire: Pour un peu simplifier, harmoniser la pratique, rendre ça cohérent, on souhaite absolument que ce ne soit qu'un type de professionnel, que ce soit huissier, que ce soient les syndics, est-ce que vous pensez que ce serait une bonne idée que ce ne soient que les syndics qui puissent faire les ventes sous contrôle de justice en vertu du code? Je comprends que ce n'est pas ça que vous êtes venus dire aujourd'hui, mais, si on suit votre logique où vous dites que vous êtes plus habilités, vous avez plus l'expérience, puis tout ça, quels demeurent les avantages d'avoir une pratique mixte par rapport à avoir une pratique qui ne serait qu'accordée aux syndics?

Mme Comtois (Virginie): Bien, comme on vous expliquait, selon les contextes, il y a des contextes différents qui ne nécessitent peut-être pas l'expertise avancée, poussée des syndics, par exemple, comme Me Bélanger vous l'expliquait, dans le cadre des ventes d'immeuble résidentiel, où l'état de collocation et le processus de vente est quand même assez simple.

Quant à l'exclusivité qui pourrait être donnée aux syndics de faillite, puisque vous nous ouvrez la porte, bien, essentiellement, cette exclusivité-là est déjà prévue dans la Loi sur la faillite et l'insolvabilité en ce qui concerne les mandats de séquestre. Et vraiment, dans la pratique courante, là, le travail de séquestre est très, très proche du travail de l'agent de vente sous contrôle de justice, et donc le syndic serait tout à fait approprié pour le faire.

Maintenant, comme je vous dis, ce n'est pas ce qu'on demande aujourd'hui, parce qu'on reconnaît qu'il y a un marché qui gagne à permettre la libre concurrence, que ce soit via les encanteurs, les huissiers ou les syndics de faillite, où le créancier pourrait choisir son intervenant, son professionnel afin de maximiser et aussi réduire ses coûts.

Mme Hivon: Parce que...

La Présidente (Mme Vallée): Merci. Je dois vous interrompre. Alors, je vais céder la parole au ministre pour un bloc de huit minutes, et nous reviendrons par la suite pour un bloc de huit minutes également.

M. Fournier: On va continuer là-dessus, parce que tantôt je vous disais: Le cadre théorique, là, tu sais, c'est toujours plus facile de penser d'une certaine façon, des spécialistes de la vente, puis là on s'arrête puis on dit: Oui, mais il y a des ventes dans la faillite, il y a des ventes régies par d'autres règles. Puis je veux bien comprendre que la vente, c'est la vente, mais les ordres de collocation ne sont peut-être pas nécessairement les mêmes. Alors, faisons attention d'être trop simple aussi, là. Alors, on peut les voir comme étant deux domaines différents aussi, un répondant à une loi fédérale... Bon.

Par ailleurs, avec l'exemple que vous venez de mentionner, on peut aller un peu plus loin, c'est-à-dire que même dans des matières, bon, bien, qui relèvent du Code civil, par exemple, toutes les causes ne sont pas identiques. C'est un peu la piste sur laquelle vous êtes. Et à la question: Voulez-vous un monopole?, la réponse que vous faites, c'est non. Vous nous dites clairement: Nous, on ne le veut pas, le monopole, parce que ce que vous nous plaidez -- corrigez-moi, mais j'imagine que... c'est ce que j'ai compris, je vous donne de l'aide un peu -- ce que vous nous dites, c'est: Assurons-nous d'avoir différents praticiens aux compétences différentes qui vont pouvoir être choisis en fonction des capacités qu'ils ont, appropriées au cas qui est devant la cour, qui se présente, là, un peu comme -- et sans vouloir affecter personne -- on peut parfois dire qu'une infirmière peut faire quelque chose, une infirmière praticienne peut faire quelque chose et un médecin peut faire quelque chose.

Alors là, jusque-là, moi, je pourrais suivre. Je pense que c'est un peu la piste que vous me donnez. Il y a des matières où une compétence particulière ferait quelque chose. On n'est pas choisis dans tous les cas parce que, bon, on est peut-être un peu superqualifié par rapport à l'événement.

Je mets en exergue le fait qu'hier les huissiers nous proposaient de revoir leur formation. J'imagine que ça faisait aussi partie de toute la discussion dont on fait...

Mais donc ce que vous plaidez, c'est qu'il y ait différents professionnels pour répondre à différents cas, ce qui amène évidemment la question: Parlez-moi des coûts, parlez-moi des coûts qu'un professionnel syndic de faillite, vous l'avez dit, qui obtient... qui a une formation plus grande... Généralement, ça va appeler des coûts supérieurs. Alors, parlez-moi de la réalité selon votre angle, évidemment, là, sur ce que peut représenter l'impact des frais qu'occasionne soit un huissier ou un soit un syndic de faillite.

**(10 h 20)**

M. Bélanger (Philippe H.): Les coûts, M. le ministre, dans des contextes de vente sous contrôle de justice, passent avant la créance hypothécaire, sont des frais de vente, et le premier élément de réponse, c'est qu'ils sont également, eux, sujets à l'approbation du tribunal, ultimement, parce qu'il y aura un état de collocation qui sera fait. Et donc, si les coûts encourus par un syndic sont déraisonnables par rapport aux efforts fournis, par rapport au produit de réalisation, le tribunal, les autres créanciers, le propriétaire pourront lever la main et dire: M. le juge, Mme le juge, je considère que ces coûts-là sont déraisonnables dans le contexte. Si ça n'avait pas coûté 8 000 $ de frais de vente, moi, je recevrais 8 000 $, parce que je passe après les frais de vente et la créance hypothécaire. Et donc, dans un libre marché, le syndic ne peut pas se permettre d'être exorbitant par rapport à un autre intervenant.

M. Fournier: Permettez-moi de reposer ma question pour éviter d'aller dans cette direction de réponse, parce que votre réponse est à l'effet que... Moi, je demande quelles sont les différences de coûts. Vous me dites: Le tribunal peut nous vérifier si on exagère. Ce n'est pas la réponse à ma question. Je cherche à voir, puisqu'on est en train de se dire: Qu'est-ce qui justifie qu'un créancier va choisir d'aller vers un huissier qui cherche à avoir une formation meilleure à l'avenir ou un syndic de faillite qui prétend qu'il est déjà mieux formé que l'huissier? Alors, j'imagine que le créancier, il doit se dire: Entre un ou l'autre, je fais un choix. Alors, une des possibilités, je présume, une des possibilités, c'est que, bien, l'huissier, il est capable de faire ça, puis ça va coûter moins cher. Est-ce que, dans la réalité des faits, lorsque vous présentez l'ordre de collocation, si on avait fait une étude statistique sur ce qui représente les coûts des huissiers et les coûts du syndic, il y a une différence?

Je reprends mon exemple. Tout le monde sait que l'infirmière praticienne, pour l'État, va coûter plus cher que l'infirmière, mais tout le monde sait que le médecin va coûter plus cher que l'infirmière praticienne. Tout le monde sait ça. Alors, ce n'est pas pour rien que, lorsqu'il y a le partage des tâches, on essaie de placer les gens aux bons endroits, selon les fonctions qu'ils ont, selon les capacités qu'ils ont pour... Tout ça, c'est lié, là.

Alors, je vous repose cette question-là, la différence. Moi, je veux bien vous entendre, là, de dire: Faisons plus compliqué qu'avoir juste un groupe qui est expert là-dedans, donnons-nous plusieurs groupes qui sont experts parce qu'ils ont des formations différentes. Pour le citoyen, qu'il soit une entreprise ou qu'il soit un citoyen voisin sur ma rue, quel avantage nous avons d'avoir donc des huissiers, des syndics de faillite en termes de ce que ça représente pour lui, l'exercice de son droit?

Mme Gingras (Chantal): Notre marché n'est pas le même que celui que l'huissier va avoir. Tu as aussi, dans le contexte économique, l'offre et la demande. Le créancier qui va... ultimement les honoraires qu'on va charger vont diminuer sa réalisation. Alors, l'offre et la demande va régler ou, disons, autorégulariser votre question, M. le ministre.

L'ouvrage effectué par le syndic de faillite dans un contexte auquel on agirait à titre d'instrument à une vente sous contrôle de justice, ça ne sera pas une maison, ça ne sera pas votre maison de 200 000 $, ça va être l'équipement de ferme ou de l'équipement spécialisé. Alors là, si on doit aller dans cinq, six différents pays, cogner aux portes virtuellement pour voir, tu sais, l'ouvrage effectué va dicter le prix qu'on va charger. Ça, c'est une réponse très franche.

M. Fournier: Oui, mais... Je ne sais pas si j'ai encore une seconde.

Une voix: ...

M. Fournier: Mais je comprends. Je ne doute pas que les autres réponses étaient franches aussi, là, je fais juste dire... Vous me répondez: Nous, on intervient dans les dossiers plus complexes, donc on fait plus de choses, donc on est payés plus cher.

Une voix: ...

M. Fournier: ...à travail égal, parce que ce que vous me dites, c'est: Même pour la vente de la maison, on en fait. Bon, à travail égal, là, sur l'affaire simple, est-ce que le syndic de faillite se trouve à avoir un frais un peu plus... Ma présomption, c'est que oui, là. Ne soyez pas gênés. Ma présomption, c'est que oui, parce que vous me dites: Nous autres, c'est des bureaux de comptables, c'est des formations de bac, on a des maîtrises, on a... Alors, ma présomption, c'est celle-là. Je vous pose la question, peut-être que je me trompe.

Mme Comtois (Virginie): Par contre, là où je pourrais intervenir, c'est que les bureaux de syndics qui agissent dans le cadre des ventes qui sont traditionnellement faites par des huissiers, ce sont des bureaux de syndics qui ne sont pas nécessairement des grands cabinets comptables. Et donc je pourrais dire qu'il y a sûrement un écart de coût. Je ne suis pas capable de vous donner la réponse exacte, mais les frais ne peuvent pas être exorbitants, ne peuvent pas être très différents, en fait. Le créancier garanti qui choisit un bureau de syndics plutôt qu'un huissier pour vendre un immeuble résidentiel, il est très conscient du coût de faire vendre cet immeuble-là par un huissier et, quand il choisit de le faire par un syndic, il est conscient également que ça ne devrait pas coûter énormément plus cher, si ça coûte plus cher. Je ne peux pas vous donner la réponse, je ne l'ai pas, mais je suis convaincue que le marché fait que les prix pour du travail équivalent dans des contextes simples devraient être sensiblement les mêmes.

M. Fournier: Donc, même si le syndic de faillite... Et j'entends votre réponse, là. Je ne suis pas sûr que je suis sûr que c'est vraiment tout le temps ça, là, je mettrais une petite réserve que, malgré des formations plus grandes... donc un coût à l'égard du bureau qui exerce qui est supérieur, là, forcément. On le sait, là. Une formation plus grande, quand il vient... appelons ça du temps chargeable, vous me dites: On ne charge pas le temps chargeable qu'on mérite, on charge le temps chargeable de quelqu'un qui a une technique puis quelqu'un qui est un huissier. Alors, je suis sûr que non. Je suis sûr que vous avez une formation plus grande, et, dans des domaines identiques, vous allez avoir forcément une facture qui va être un peu plus élevée, peut-être pas exorbitante, je comprends très bien, un peu plus élevée, et que la conséquence de ça, c'est que le créancier est au courant de ça. Et, lorsqu'il s'agit d'un travail d'une certaine complexité, il aurait recours à un huissier parce que, bon, ça correspond à des tâches qu'il fait ordinairement puis à un coût qui est un peu moindre que celui qui a une spécialité plus grande qui va jusqu'à la faillite, sachant très bien que, lorsqu'il veut aller chercher quelqu'un de plus grand, il va payer plus cher.

Je veux dire, forcément, là, je dois avoir un petit peu raison quand je dis ça, parce que c'est ce que vous nous plaidez. Si vous nous plaidez que vous êtes au même prix que l'autre, ça veut dire que vous jugez vous-mêmes que votre travail est équivalent à l'autre, alors je peux très bien dire: Dans tous ces domaines-là, on va laisser l'huissier. Je ne sais pas si vous m'avez suivi, là.

M. Bélanger (Philippe H.): D'où notre représentation fondamentale de laisser le créancier choisir. C'est une économie de marché. Si effectivement les créanciers réalisent que, pour des ventes jugées simples, ça coûte trop cher, prendre un intervenant autre qu'un huissier, éventuellement ce marché-là va se développer en faveur des huissiers. Ce qu'on essaie de vous exprimer, puis vous avez des instincts quant au fait qu'une personne avec plus de formation devrait, en principe, coûter plus cher qu'un huissier, bon, les bureaux de comptables ont des gens... Il y a 100 000 personnes en moyenne par année qui font faillite au Canada, en gros, dépendamment des cycles économiques, mais c'est à peu près un seuil minimal. Alors, ces bureaux-là ne traitent pas de façon uniforme avec des hauts diplômés tous ces dossiers-là. Il y a une certaine, si vous me pardonnez l'expression, machine à saucisse pour les faillites personnelles au Canada.

Ceci dit, en bout de ligne, la règle devrait être une règle de proportionnalité entre les efforts déployés et puis les résultats obtenus. Puis, comme on vous le dit depuis tout à l'heure, vendre une entreprise, sous contrôle de justice, de biotechnologies avec un immeuble, des équipements spécialisés, ça ne prend pas le même type de professionnel que de réaliser un bungalow résidentiel d'une valeur de 250 000 $. Tout ce qu'on vous dit: Laissez les créanciers choisir, sous réserve de la cour. Et, si effectivement il y a quelqu'un qui coûte trop cher, bien, le marché... les gens feront leur publicité, diront: Écoutez, pourquoi vous prenez un syndic pour ça, là, ça coûte bien trop cher?

M. Fournier: Mais le débiteur peut avoir...

La Présidente (Mme Vallée): ...M. le ministre, on a dépassé le temps. Alors, Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. Alors, s'il reste du temps à mon bloc, ça va me faire plaisir de le donner au ministre. Tantôt, bien sûr, c'est parce qu'on a entendu les huissiers hier, et ils nous parlent beaucoup de l'idée de la neutralité ou d'une plus grande indépendance, le ministre y faisait référence tout à l'heure, du fait qu'ils se situent davantage entre le créancier et le débiteur que les syndics de faillite ne se situeraient. Tantôt, un peu pour contrer ça, vous avez dit que le tribunal fixait un montant minimal qui devait être obtenu pour des ventes sous contrôle de justice en vertu du code. Est-ce que c'est quelque chose qui est fait généralement, qu'on va avoir un seuil minimal qui va être déterminé à l'avance par le tribunal en tout temps?

**(10 h 30)**

M. Bélanger (Philippe H.): Bien, pas en tout temps, parce que la façon dont le Code civil est structuré, c'est très général, le tribunal fixe les modalités de la vente, et donc il n'y a rien qui dit: Il doit fixer un prix minimal.

La pratique est de fixer un prix minimal. C'est à la fois à l'avantage du débiteur et du créancier. Le créancier, lui, ne veut pas se faire poursuivre, Mme la députée, par le débiteur, en disant: Tu as vendu ma maison à vil prix, comme on le dit traditionnellement. Alors, le réconfort pour le créancier, c'est qu'un jour, si on le critique quant au prix pour lequel il a vendu, il dit: Écoutez, là, ce n'est pas moi, c'est la cour qui a dit qu'à plus de 150 000 $ on pouvait vendre, et vous avez eu le chance d'être entendu là-dessus.

Donc, ça crée un seuil minimal, et je vous dirais qu'effectivement, dans la vaste majorité des dossiers, ça se fait. Ça va se faire avec des évaluations à l'appui, et il y a même une certaine pratique des tribunaux de s'assurer que c'est un montant réaliste par rapport à une valeur liquidative. Comme je vous disais, la règle générale, c'est 75 % de la valeur marchande, mais on peut également demander à un évaluateur agréé de carrément donner une valeur de liquidation.

Le deuxième élément que je dois vous mentionner là-dessus, et en tout respect pour la proposition selon laquelle un huissier est plus neutre entre les deux, je ne vois pas en vertu de quel concept ou en vertu de quel principe l'huissier est plus neutre. Je voudrais peut-être juste répéter le fait qu'il y a des codes de déontologie qui régissent les syndics, qui sont contenus, entre autres, à la Loi sur la faillite. Ils ont des codes de déontologie de par les organismes auxquels ils appartiennent. Ils ne peuvent pas faire n'importe quoi, là, il y a... De justifier un monopole aux huissiers par la crainte de partialité des syndics... Puis je laisse de côté l'argument selon lequel il y a une supervision du tribunal, mais, au-delà de la supervision du tribunal, là, ils ont des codes de déontologie, ils ne peuvent pas tout simplement agir de façon exclusive pour le bénéfice du créancier, à défaut de quoi il va y avoir des plaintes à leur endroit. Demandez à n'importe quelle de ces dames-là. Si elles agissent de façon partiale en faveur d'un créancier, il y a des plaintes qui vont être faites au Bureau du surintendant. Et donc je ne vois pas quelque logique... en fait, quelque logique... je ne vois aucune assise au fait qu'un huissier soit, de par sa nature, un être plus impartial qu'un syndic de faillite.

Mme Gingras (Chantal): On a l'obligation d'être impartial dans le processus également, on a... Tu sais, dans le pratico-pratique, pour vous expliquer, traditionnellement, bon, le débiteur vient nous voir. Que ça soit une corporation ou un particulier, un consommateur, il a des difficultés financières. On aide à trouver des pistes de solution. On négocie avec les créanciers garantis, on assiste le créancier garanti dans la réalisation de ses biens. On s'assure que les droits des créanciers non garantis sont respectés, donc les droits du public. Et puis, si jamais on fait fi de ça, quelqu'un peut déposer une plainte au Bureau du surintendant des faillites, il y aura une enquête, et puis on risquerait de perdre notre licence de syndic et donc notre droit de pratique. Donc, on est tenu d'être impartial, on est un officier de la cour, et puis tout syndic prend ce rôle-là très sérieusement.

Mme Hivon: Puis vous ne voyez aucune vertu au fait que, par exemple, les syndics soient spécialisés dans les ventes en vertu, bon, de la Loi sur la faillite et qu'un autre type de professionnel puisse être spécialisé dans les ventes sous contrôle de justice en vertu du code? Parce qu'on comprend que le gros de votre travail, vous l'avez dit vous-mêmes, avec la réforme de la Loi sur la faillite, est vraiment dans ce domaine-là. Vous ne pensez pas que, d'un point de vue de cohérence ou de spécialisation des tâches de chacun, il pourrait y avoir une plus-value à dire: Bien, pour les syndics, c'est plus dans le domaine de la faillite, et les huissiers, bien, on les retrouve dans celui de la vente en vertu du code?

Mme Comtois (Virginie): Absolument pas. En fait, la marge est tellement mince, il n'y a pas de distinction réelle à faire entre les deux, mis à part au niveau de la distribution de l'argent par la suite, et puis ça, dans notre quotidien, les syndics, on doit faire avec la connaissance des différentes législations qui nous gouvernent, là, que ce soit... Quand on vend un bien au Québec, qu'on soit un syndic de faillite ou pas, il faut tenir compte quand même de la législation de la province dans laquelle on agit, donc... Puis il n'y a pas de distinction à faire entre les deux.

M. Bélanger (Philippe H.): Ce serait probablement difficile, d'un point de vue législatif, de faire le clivage que vous suggérez, autrement dit de dire... Je l'ai dit tantôt, là, on ne peut pas, malheureusement, mettre ça dans des boîtes séparées. Puis, au-delà des boîtes séparées, j'imagine mal un code de procédure civile qui dirait: En contexte de réalisation résidentielle, il y a un monopole aux huissiers, et, dans tout autre contexte, c'est un libre marché ou c'est une exclusivité aux syndics de faillite. À cause du fait que tout ça est interrelié et qu'encore une fois, là, pour moi, le marché devrait déterminer qui les créanciers suggèrent, je ne pense pas qu'on puisse, en pratique, faire ce schisme-là entre les deux.

Peut-être juste un dernier élément de réponse à votre question antérieure. Dans tous les contextes, là, si on se parle en pratique, comme le suggérait M. le juge... M. le ministre Fournier, d'un point de vue pratique, c'est sûr que c'est toujours le créancier qui désigne quelqu'un. Alors, la personne qui est désignée, que ce soit un huissier, ou un syndic, ou un encanteur, son client initial, c'est le créancier qui le désigne. Il y a cette réalité-là pour toute personne qui va être désignée.

Alors, qu'un huissier dise: Moi, je vais être désigné par la banque Unetelle, mais je vais être encore plus neutre que ne le serait un syndic dans les mêmes circonstances, ça ne me paraît pas très, très sérieux, et tous ces gens-là doivent vivre avec ces dualités de rôle là, parce que, dans une requête en faillite aussi, la banque va dire: Je désigne Raymond Chabot ou Ginsberg, Gingras comme syndic, mais, dès qu'ils deviennent syndics, ils ne peuvent plus être juste l'ami de la banque, pour le dire comme ça. Ils doivent agir pour les autres créanciers aussi, réviser des paiements, etc. Et donc tous ces gens-là ont une dualité de rôle. Et que ce soit un huissier ou un syndic, l'huissier, il va être l'ami de la banque qui le nomme, mais il va vivre avec les paramètres que fixe la cour également.

Donc, moi, le risque d'impartialité et de conflit, dans ce contexte-là, il y a un conflit. Puis, sans entrer là-dedans, les vérificateurs sont toujours désignés par la compagnie, hein? Le vérificateur, son ami qui le paie annuellement, c'est la compagnie, mais il a également le rôle de s'assurer que les états financiers reflètent fidèlement la situation de la compagnie. Donc, il y a un certain nombre d'intervenants dans le système qui sont l'ami de quelqu'un mais qui ont un rôle qui dépasse le mandat, ce qui n'est pas, évidemment, le cas de l'avocat. Nous, on agit juste pour notre client. Alors, je ne vois pas ce risque-là.

Une voix: C'est pour cette raison...

La Présidente (Mme Vallée): Alors, je suis désolée, le temps est imparti. J'ai même débordé de part et d'autre dans les échanges. Alors, on doit, compte tenu... Si on veut respecter notre horaire de la journée, je vais... Je vous remercie, Mme Gingras, Me Bélanger, Mme Comtois, pour votre participation à nos échanges.

J'invite maintenant l'Institut de médiation et d'arbitrage du Québec à s'avancer. Nous allons suspendre pour quelques instants.

(Suspension de la séance à 10 h 38)

 

(Reprise à 10 h 40)

La Présidente (Mme Vallée): ...reprendre. Je souhaite la bienvenue aux représentants de l'Institut de médiation et d'arbitrage du Québec. Me Bériault, Me Grenier et Me Sabourin, bienvenue parmi nous. Alors, vous disposez d'une période de 15 minutes pour votre présentation, et par la suite il y aura deux blocs d'échange distincts en compagnie de l'opposition et du gouvernement. Alors, la parole est à vous.

Institut de médiation et d'arbitrage du Québec (IMAQ)

M. Bériault (Thierry): Alors, Mme la Présidente, Mmes et MM. les députés, membres de la commission, M. le ministre, l'IMAQ vous remercie de l'avoir invité à présenter et partager ses opinions relativement à l'avant-projet de loi.

Je suis accompagné de Me Pierre Grenier, vice-président et membre du conseil d'administration de l'IMAQ, avocat associé auprès de l'étude légale pancanadienne Fraser Milner Casgrain. Il est un spécialiste du litige commercial et participe régulièrement à des médiations et des arbitrages en soutien à ses clients, qui sont, pour la plupart, des entreprises québécoises et canadiennes. Il est le président du comité de l'IMAQ qui a préparé le mémoire que nous vous présenterons aujourd'hui.

Je suis également accompagné de Me Diane Sabourin, qui est une arbitre accréditée par l'IMAQ avec plus de 28 années d'expérience en ce domaine. Elle est aussi médiatrice accréditée et enseigne l'arbitrage au sein du programme de maîtrise de prévention et de règlement des différends de l'Université de Sherbrooke. Elle est membre de la Conférence des arbitres du Québec.

Pour ma part, je suis président de l'IMAQ, coprésident de l'Institut de médiation dans l'espace francophone. Je pratique la médiation depuis 2005 et l'enseigne au programme de maîtrise de prévention et règlement de différends de l'Université de Sherbrooke. Je suis également membre du Barreau du Québec.

Je souhaite féliciter et reconnaître le travail des membres de l'IMAQ qui ont contribué à notre mémoire et qui ont réfléchi sur l'avant-projet de loi, dont les personnes qui constituent le comité formé par Me Grenier: notre ancien président, Me Pisapia, arbitre et médiateur accrédité, spécialiste du domaine de la construction; Me Louis Marquis, universitaire, précurseur de l'enseignement de la prévention et du règlement des différends, médiateur accrédité; M. Howie Clavier, architecte, médiateur, arbitre et formateur depuis plus de 30 ans; ainsi que Me Catherine Simonet, membre de l'IMAQ et avocate chez Fasken Martineau, qui a effectué la recherche des éléments nécessaires au soutien de nos propositions et qui a vu à rédiger dans un tout cohérent et harmonieux le fruit de nos pensées.

L'IMAQ est un organisme à but non lucratif dédié au développement et à l'utilisation extensive des méthodes de prévention et de règlement des différends, notamment afin de favoriser l'accès à une justice de qualité pour tous les citoyens, organisations et entreprises du Québec. Notre mission en est une de service et d'éducation.

Créé en 1977, l'IMAQ est le principal organisme québécois à regrouper des tiers impartiaux qualifiés qui agissent comme facilitateurs, médiateurs ou arbitres pour résoudre les différends en matière civile, commerciale et du travail. Les 236 membres de l'IMAQ proviennent d'horizons professionnels multiples et de domaines d'expertise diversifiés. Ils sont, pour la plupart, membres d'un ordre professionnel, dont environ 30 % auprès du Barreau du Québec et 10 % auprès de la Chambre des notaires. Nos membres partagent des valeurs communes d'intégrité et de compétence attestées par nos règles d'accréditation, d'éthique et de procédure, lesquelles visent, en définitive, à établir un ensemble de normes généralement reconnues dans la pratique des modes de PRD au Québec.

L'IMAQ est affilié à l'Institut d'arbitrage et de médiation du Canada, un organisme pancanadien qui regroupe des instituts de médiation et d'arbitrage dans chacune des provinces canadiennes et qui est un partenaire clé dans la mise en place et le maintien des plus hauts standards de qualification des professionnels en prévention et règlement des différends qui assistent les parties dans la résolution de leurs conflits.

L'IMAQ est reconnu dans l'espace francophone mondial comme un leader dans sa sphère d'activité et un précurseur dans le développement des modes de PRD comme un moyen de résoudre efficacement les conflits en société. Depuis ses débuts, notre organisation ainsi que nos arbitres et médiateurs ont formé des centaines de professionnels à la médiation et à l'arbitrage tant au Québec, au Canada que dans plusieurs pays européens et africains. À cet égard, l'IMAQ s'associe fréquemment avec l'Université de Sherbrooke et son programme de maîtrise en PRD pour des activités de promotion des PRD et de formation tant sur les plans local qu'international. L'IMAQ est également un des initiateurs et un membre fondateur de l'Institut de la médiation en espace francophone qui a pour objet de promouvoir le développement de la médiation dans la francophonie, notamment en structurant et intensifiant la représentativité des médiateurs francophones sur le plan national et sur le plan supranational, en stimulant la recherche liée aux standards, méthodes et outils de médiation ainsi qu'en renforçant la formation à la médiation, à l'arbitrage et ses référentiels.

Au fil des ans, l'IMAQ a collaboré avec le ministère de la Justice du Québec dans la poursuite de son objectif d'améliorer l'accessibilité à la justice et la qualité de celle-ci. En 2002, le ministère de la Justice s'est associé à la campagne Servez votre cause, exigez la clause que nous avions initiée et qui visait à promouvoir la médiation civile et commerciale ainsi que l'utilisation d'une clause de médiation dans les contrats civils et commerciaux. Plus récemment, nous nous sommes investis dans le projet des centres de justice de proximité, pour lesquels nous sommes un partenaire en plus de siéger sur son Comité national des partenaires provinciaux.

Nous collaborons aussi avec d'autres ministères québécois, dont le ministère des Affaires municipales, Régions et Occupation du territoire et le ministère des Transports, sur des projets reliés à la médiation. Par ailleurs, nous avons des échanges réguliers avec les organismes publics et tribunaux administratifs québécois afin de développer une expertise en médiation institutionnelle et appuyer les efforts, leurs efforts et l'effort de l'État québécois, en vue d'améliorer de façon continue les pratiques de médiation, de facilitation et de conciliation qui y sont mises en oeuvre.

L'IMAQ a également une longue tradition de collaboration et d'action conjointe avec plusieurs organismes et ordres professionnels intéressés par la justice participative. Entre autres, au cours des quatre dernières années, nous participons aux tables rondes sur la justice participative qui sont sous l'égide du Barreau de Montréal. Nous avons aussi créé un comité de regroupement qui permet à une dizaine d'organismes québécois qui oeuvrent dans la prévention et le règlement des différends d'échanger de manière régulière sur des sujets d'intérêt dans ce domaine et de coordonner leurs efforts de promotion et de développement professionnel.

Alors, nous sommes ici devant vous, Mme la Présidente, parce que l'IMAQ croit que les citoyens québécois doivent pouvoir avoir accès à une justice qui répond à leurs besoins et à leur réalité quotidienne. Nous sommes devant vous parce que l'avant-projet de loi, tel qu'il est constitué, nous semble correspondre à ce moment de l'évolution de notre société où le citoyen souhaite et exige d'être partie prenante des décisions et des solutions reliées à ses droits, à ses intérêts et à son patrimoine parce qu'il cherche non plus à s'opposer, à combattre pour soutirer un avantage, mais plutôt à collaborer pour en arriver à des façons de faire qui lui seraient aussi bénéfiques qu'aux autres personnes concernées par la problématique qu'ils tentent de résoudre ensemble.

Le XXIe siècle sera une ère où la confrontation fera place à une logique de résolution de problème. Les Québécois et les autres nations occidentales sont rendues à cette étape de leur évolution sociétale. Cela a une importance pour notre nation, notamment sur le plan économique. La capacité des citoyens et des entreprises de régler leurs conflits de manière collaborative et harmonieuse a un effet direct sur notre capacité d'améliorer l'efficacité, l'efficience de l'activité de production de biens et de services du Québec, sur notre capacité à améliorer notre bien-être collectif, qui est, avant toute chose, l'objectif premier d'un État.

Comme vous l'avez constaté de notre mémoire, nous sommes en accord à la fois avec l'esprit dans lequel s'inscrit l'avant-projet de loi et, sauf quelques remarques qui apparaissent dans notre mémoire, avec les dispositions proposées en matière de prévention et de règlement des différends. À notre avis, tous les éléments nécessaires pour satisfaire les besoins des citoyens et entreprises québécoises en matière de justice s'y trouvent. Nous saluons le travail colossal accompli par le ministère de la Justice pour conceptualiser en des mots clairs et précis la réalité de la justice telle qu'elle se doit d'être au XXIe siècle, une justice moderne, pluraliste et pragmatique qui est au service de ceux pour qui elle existe.

Encore une fois, le Québec fait preuve d'innovation. L'avant-projet de loi proposé reflète la plus pure tradition législative québécoise par laquelle nous nous démarquons comme société avant-gardiste, ouverte, à l'écoute du besoin de ses citoyens et proactive socialement. Beaucoup d'autres nations ont, au cours des 10 dernières années, mis en place des lois pour favoriser l'utilisation de la médiation et de l'arbitrage, lois qui sont fondées sur certains principes qui apparaissent à l'avant-projet de loi, mais nous sommes la première société à établir que la justice appartient comme il se doit aux citoyens, que la justice est un bien commun qui ne se limite pas à l'action du système judiciaire, qu'elle est plus large que la seule détermination du droit et qu'elle doit aussi permettre de prendre en compte l'ensemble des valeurs, intérêts et besoins de ses citoyens.

Nous sommes à un moment historique où nous vous invitons et nous invitons les membres de la commission, vos collègues députés ainsi que l'honorable ministre de la Justice à persévérer dans cette voie. Voilà ici une action concrète qui améliorera le sort des citoyens du Québec et qui aura des effets bénéfiques à long terme.

Cette appréciation que nous vous livrons est très concrète et réelle. À chaque jour, les membres de l'IMAQ sont présents avec les citoyens et les représentants des entreprises québécoises afin de les aider à résoudre leurs litiges, leurs différends, leurs conflits d'une manière positive et constructive. Nous constatons les enjeux qui les préoccupent en matière de prévention et de règlement des différends. Nous sommes quotidiennement sur le terrain avec les parties, avec les citoyens, et, si nous sommes en accord avec l'avant-projet de loi, avec l'orientation donnée aux dispositions en matière de résolution des différends de la justice civile privée, c'est parce qu'il s'agit exactement de ce que l'on fait professionnellement à tous les jours.

**(10 h 50)**

Nous croyons que les citoyens adhéreront au nouveau Code de procédure civile parce qu'il propose ce qu'ils veulent, ce qu'ils recherchent. Il appartiendra cependant à tous les acteurs de la justice, que nous soyons juges, avocats, médiateurs, arbitres, employés au service de l'État ou des entreprises privées, de rendre ce projet concret pour toute la population, dans leur meilleur intérêt, par une information accessible et largement diffusée, par de la formation et par l'établissement de règles d'accréditation et d'éthique pour les professionnels qui participeront à cette justice privée.

D'emblée, l'IMAQ peut jouer un rôle important en cette matière. Depuis près de 35 ans maintenant, nous avons établi des règles de reconnaissance, de contrôle, de perfectionnement et établi des pratiques exemplaires qui assurent les citoyens d'une intervention selon les règles de l'art et bénéfique pour tous. Nous avons des structures et un savoir-faire qui sont reconnus mondialement. Notre partenariat avec le programme de maîtrise en prévention et règlement des différends de l'Université de Sherbrooke est un modèle unique qui permet, depuis plus de 10 ans, d'allier les forces de la recherche fondamentale avec l'expérience de nos praticiens, qui procure des résultats concrets et bénéfiques pour le Québec et ses citoyens. L'IMAQ et ses membres sont prêts à vous appuyer et à collaborer activement avec le ministère de la Justice pour créer la mécanique qui sera nécessaire pour s'assurer de l'application ordonnée des principes énoncés dans l'avant-projet de loi. Les membres de l'IMAQ sont reconnus au Canada comme ailleurs de par le monde comme ayant des qualifications professionnelles de haut niveau et s'astreignant à un code d'éthique rigoureux. Nous pouvons donc collaborer avec le ministère de la Justice dans son travail de mise en place de la mécanique appropriée. Nous mettons à son service l'expertise que nous avons développée en cette matière.

Nous sommes en accord avec l'orientation de l'avant-projet de loi qui énonce le principe de la multidisciplinarité. Les médiateurs et arbitres de l'IMAQ sont issus de différents ordres professionnels et métiers, et cela correspond au besoin des parties de pouvoir se faire accompagner d'un professionnel qui a la connaissance et l'expérience qu'ils requièrent pour les aider véritablement à résoudre leurs différends. Par exemple, si l'objet du conflit est lié à un vice caché, les parties font souvent appel à un ingénieur ou à un architecte pour mener la médiation ou l'arbitrage, ou, si la valeur d'un immeuble est en jeu, on voudra s'adjoindre une personne qui est familière dans le domaine de l'évaluation, comme un évaluateur agréé. Cela est un avantage pour le citoyen et permet de réduire le coût et les délais liés au règlement de la situation.

J'ajoute que la plupart des juridictions canadiennes ont choisi le modèle multidisciplinaire. Vous trouverez en annexe de notre mémoire la liste des 17 ordres professionnels qui sont représentés au sein de l'IMAQ. Ce modèle est celui qui est présentement adopté par l'ensemble des législations et juridictions au Canada et ce modèle est à même d'atteindre l'objectif d'accessibilité à la justice que vous vous donnez.

En ce qui concerne notre présentation, nous arrêterons ici. Nous avons investi énormément d'énergie et d'efforts dans la rédaction de notre mémoire et nous vous y référons pour nos commentaires précis sur les dispositions de l'avant-projet de loi. Nous espérons que notre contribution vous aidera dans l'important travail que vous accomplissez en ce moment.

Nous sommes maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions. Je vous remercie à nouveau de nous avoir permis de nous adresser à vous aujourd'hui, et nous vous félicitons pour cette étape importante qui est proposée à la population québécoise. Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Vallée): Me Bériault, merci. Alors, M. le ministre.

M. Fournier: Merci beaucoup, Me Thériault et les gens qui vous accompagnent. Merci d'être avec nous. Vous étiez probablement... Je pense même, Me Thériault, que vous étiez... je pense que vous étiez là hier. Le dernier groupe qui est venu nous rencontrer, je reviendrai là-dessus tantôt, sur certains éléments qui sont dans votre mémoire, d'ailleurs, qui vont dans le même sens qu'eux mais disons avec une vision, une présentation de votre mémoire qui est un peu beaucoup différente de celle qu'ils ont faite. Mais à la fin on arrive au même endroit, mais c'est toujours le verre à moitié plein, à moitié vide, là.

M. Bériault (Thierry): J'ai vu l'évolution. C'est par le dialogue qu'on arrive à quelque chose, hein?

M. Fournier: Oui. Il y a une évolution de toutes parts, soit dit en passant...

M. Bériault (Thierry): Oui, exactement.

M. Fournier: ...ce qui est au coeur de ce dont nous parlons, c'est-à-dire: dès que les deux parties acceptent d'évoluer, ça nous amène à la bonne place. Mais je note néanmoins... puis peut-être on y reviendra tantôt, sur certains éléments qui ont été demandés hier, auxquels vous souscrivez, d'ailleurs. Et je pense qu'on doit faire des devoirs là-dessus pour s'assurer de le faire correctement. D'ailleurs, j'ai déjà annoncé qu'on allait s'y attarder de façon importante.

Mais je voudrais profiter de votre participation, vous remercier pour votre collaboration du passé et celle de l'avenir mais en profiter pour parler du changement de culture, justement, parce que le changement de culture, parfois ça arrive, je dirais, en aval, après de nombreuses années, décennies où on a amené une nouvelle façon de faire, et la conscientisation populaire, après toutes ces années, amène à dire: Ah! Je crois qu'il y a eu un changement de culture à un moment donné dans tout ça. Le coeur de ma question va être de dire: Comment peut-on accélérer la pousse du pissenlit? Comment on peut s'assurer que ce ne soit pas après de nombreuses années d'expérience où les gens ont fini par voir qu'il y avait un avantage mais comment on peut, en amont, entraîner plus de monde dans le sillon de cette façon de faire qui n'est pas si nouvelle que ça, dans le fond, si bien qu'on le formalise maintenant ici, maintenant, mais qui est déjà en expérience et qui est déjà formalisé ailleurs à certains égards, qui est un courant qui n'était peut-être pas très populaire il y a plusieurs, plusieurs décennies mais qui est tout à fait présent chez certains, alors il faut juste qu'on le multiplie?

Essentiellement, la raison pour laquelle c'est fort intéressant, des concepts de règlement des différends et de prévention, c'est le fait que, par rapport à une justice où on règle un conflit du passé, laissant subsister une certaine acrimonie, les chemins qui s'ouvrent à nous sont ceux du règlement d'un conflit du passé et déjà d'une certaine prévention des conflits à venir, parce qu'on ne règle pas que le conflit juridique. Lorsqu'on a une entente entre les parties, on règle une relation conflictuelle, ce qui est différent du conflit juridique. La relation conflictuelle pourra parfois engendrer d'autres conflits, parfois le même qui va se répéter.

Autrement dit, je crois que cette avenue... Et ce n'est pas pour rien, je vous avoue, vous le savez peut-être, je l'ai dit à quelques reprises parce que ça m'avait été présenté avec force, et probablement que la personne qui l'a fait et qui est une personne en autorité est à l'écoute. Je suis très surpris quand j'entends dire qu'on ne devrait pas parler de ces matières-là dans le livre I. Je veux bien comprendre qu'il y a une certaine logique à dire: Voici, il y a une chose et l'autre, mais il me semble bien que le meilleur... le seul endroit pour présenter la façon dont les choses se déroulent, c'est de se dire ensemble, avant d'assumer tout le conflit... même le réglant mais d'assumer les conséquences du conflit. Même si un jugement peut régler un point de droit, il ne règle pas nécessairement un conflit entre parties. Alors, de dire: Essayons d'éviter de s'y rendre et mettons-le dans l'ordre des choses au début, il me semble que ça va de soi. J'ai encore de la difficulté à recevoir la véhémence des propos dans le sens contraire.

Il y a un élément de contexte. Je ne veux pas parler trop longtemps, mais je pense que je suis déjà parti. Je veux juste vous dire ceci: Dans l'élément de contexte qui me semblait le plus délicat à ce changement de culture, puis c'est pour ça que je cherche maintenant comment on généralise tout ça, lorsque j'ai eu l'occasion... probablement que mes prédécesseurs ont fait pareil, là, je ne portais pas attention, je faisais d'autre chose, mais il me semble que, lorsqu'on parle du nouveau Code de procédure civile et surtout de matières qui s'éloignent de la procédure civile usuelle puis de la judiciarisation, il y a bon nombre de nos écoles... Et là je sais où vous êtes maintenant, et tout ça, mais c'est assez récent quand même. Si je pense à ma propre formation à moi, puis je ne pense pas d'être si vieux que ça, j'aime penser que je suis encore jeune, même si des fois on me rappelle qu'il y a eu des transformations depuis ma scolarité, on est formés un peu sous l'angle du contradictoire. Un peu, je vais être gentil; on était formés rien que là-dessus. Et je me souviens du discours que je faisais au Barreau lorsque je parlais de tout ça, je disais: Écoutez, il va y avoir des changements, mais il faut l'accepter, le changement, puis il faut que vous soyez, vous, les avocats, partenaires de ça. Et le bâtonnier Ouimet prenait la peine de dire que les avocats doivent aller au-delà du rôle de guerrier. Je trouvais que la formule... Ce n'est pas moi qui l'avais prise, c'est lui qui l'avait prise. C'est quand même le bâtonnier du Barreau du Québec, là, qui exprimait, me semble-t-il, un élément qui est un vecteur d'acceptation du changement.

Alors, ma question est celle-ci, là. On pourra entrer tantôt dans des technicalités, puis tout ça. Mais comment on multiplie le nombre de Québécois, citoyens, entreprises, peu importe, qui voient dans cette nouvelle mécanique, pour prendre un terme aride, mais surtout cette nouvelle philosophie, cette nouvelle approche plus conciliante qui cherche, les parties, non pas à s'éloigner les uns des autres le plus loin possible pour essayer d'avoir un jugement qui va le plus nous favoriser mais qui cherche beaucoup plus à se rapprocher pour vivre en harmonie non pas seulement à l'égard du passé, mais aussi de l'avenir... comment on fait pour dire que, ce changement de culture, nous devrions tous y être des partenaires, avant d'attendre que ça fasse 50 ans qu'on en fait puis qu'on a 44 livres de statistiques qui disent: On a bien fait de faire ça?

**(11 heures)**

M. Bériault (Thierry): Bien, écoutez, M. le ministre, évidemment il y a plusieurs volets à vos commentaires, là, et je vais tenter de tous les traiter, mais parlons du changement de culture, puisque vous aviez commencé par ça et vous terminez par là. Évidemment, au Québec, au Canada et ailleurs dans le monde, on est très intéressés par cet avant-projet de loi. L'IMAQ l'a diffusé de façon extensive pour consulter et avoir du dialogue avec des gens de l'extérieur, et ce qu'on s'évertue à dire à ces gens-là et ce qu'on s'évertue à dire aussi au monde juridique, c'est la chose suivante: Ne croyez pas que l'avant-projet de loi et les principes qui apparaissent dans les premiers articles, ce sont des principes qui ont été inventés par le ministère de la Justice. Le changement de culture est déjà opéré chez les citoyens québécois. Les citoyens québécois, ils veulent ça. Si vous avez cet avant-projet de loi sur la table présentement, c'est parce que les citoyens québécois sont rendus là. Et vous verrez. Je pense que demain vous allez avoir l'audition de la Pre Lalonde, qui va vous parler de mouvance sociale. Je n'ai pas vu son mémoire, mais je suis assez convaincu qu'elle va vous parler de ça, parce que c'est son champ d'intérêt et d'études. Et vous allez avoir l'Université de Sherbrooke qui va venir, je pense, vous expliquer comment s'est opéré ce changement de culture là dans la population. Et donc, en d'autres termes, la population, ce qu'elle veut, c'est s'approprier les moyens de décider de leur propre sort.

C'est une appropriation qui a commencé dans les années quatre-vingt, si on parle de façon contemporaine, l'individualisation des droits par les chartes. Les gens veulent être partie prenante des décisions qui les concernent. Donc, la population n'aura aucun moyen... Quand on dit qu'on n'a aucun doute que la population va adhérer, bien sûr, il y aura certains moyens à prendre à titre informatif, de sensibilisation, mais tout de suite ils vont embarquer.

L'humain, si on parle de ça, l'humain, le citoyen québécois ne veut pas le conflit. Personne ici, alentour de la table, ne veut le conflit. On le vit, des fois on n'a pas le choix de le faire, mais on ne le veut pas, le conflit. Alors, humainement, ce que, nous, on vit, c'est que, dès que la médiation ou qu'un mode de négociation assistée est proposé, les gens, à 99 %, embarquent dans le processus. Ils viennent d'abord parce qu'ils pensent que ça coûte moins cher, mais la réalité -- et ça, je réponds à peut-être des opposants au projet -- le leitmotiv de votre projet de loi, ce n'est pas les coûts et les délais. Bien sûr que l'État québécois va en bénéficier en termes de coûts et de délais, mais le leitmotiv, c'est le citoyen québécois et son besoin qui est exprimé et où lui a changé de culture. Alors, du moment où vous exprimez à ces gens-là les processus que vous voulez suivre, ils s'y retrouvent immédiatement, puisque c'est ce qu'ils sont. Dans le domaine du travail où je suis un spécialiste, on le vit dans les relations patronales-syndicales, hein, le monde du travail est un peu en crise aussi, et donc ce sont ces... la base, les gestionnaires, les employés, les syndiqués qui exigent une participation différente et une résolution différente de leurs conflits.

Maintenant, le changement de culture, si on y va là, le changement de culture, il doit s'opérer chez les acteurs du système judiciaire, les membres de ma profession, les avocats, les juges, les gens qui contrôlent un peu la gestion, hein, qui gèrent les conflits. Nous, on les résout. Eux... Quand je pratiquais le droit, j'étais un gestionnaire de conflit, soit par la médiation, la négociation -- on en faisait -- soit devant les tribunaux, mais notre spécialisation, c'est plus l'adjudication, l'affrontement. C'est ce qu'on est culturellement. Donc, cette évolution-là, effectivement, elle n'est pas facile à faire.

Cela étant, le Barreau du Québec, hein, on a reçu une brochure en janvier, mais, depuis décembre, le futur de la profession d'avocat, c'est la résolution de conflits. Le Barreau ne s'oppose pas à la résolution de conflits. Il s'oppose peut-être à des moyens techniques, mais on s'en va tous vers là. Et puis, s'ils prennent ce positionnement-là, ce n'est pas parce qu'uniquement que c'est théoriquement que c'est une bonne chose. Ils se positionnent comme ça parce que leurs clients, leur clientèle -- mon ancienne clientèle -- veut ça. Eux, ils veulent régler des problèmes, ils ne veulent pas gagner un point de droit. Donc, le changement de culture, il doit être fait comme ça.

Maintenant, je pense que le Pr Roberge sera ici demain. On a fait, en novembre dernier, une table ronde sur la justice participative où le focus de la table ronde, c'était comment intégrer les compétences en prévention et règlement des différends au sein, un, de la magistrature et des avocats. Étaient présents à cette table ronde tous les juges en chef du Québec, les représentants des barreaux, l'IMAQ, les autres associations qui s'intéressent aux PRD au Québec, et nous avons passé une journée à cogiter, à travailler sur cet élément-là, comment le faire.

L'année dernière, la table ronde a développé une stratégie, comment intégrer les compétences en PRD auprès des étudiants en droit, parce qu'on réalise bien que, si on veut changer la culture, il faut que les étudiants en droit, dès leurs premiers balbutiements, soient exposés à ça. J'ai suivi mes cours de droit à Ottawa en 1988. Je n'ai jamais entendu, en trois ans, parler de médiation. D'accord? Aujourd'hui, il y a deux stratégies qui ont... deux approches qui ont été mises en place suite aux tables rondes et suite aussi aux discussions entre les universités elles-mêmes. Donc, vous avez l'approche où on inclut dans le curriculum de chacun des cours universitaires des éléments de PRD, donc adapter, exemple, le cours du droit du travail en mettant des éléments de PRD, ou d'autres universités ont décidé de faire des séminaires, hein, juste sur les PRD, donc des cours exclusivement spécialisés là-dessus.

Alors, le changement de culture va s'opérer comme ça, mais il va s'opérer avant tout par l'impulsion législative que vous donnez. Les changements organisationnels, que vous soyez dans un État ou dans une organisation, sont tout le temps propulsés par une vision claire, un objectif à atteindre, et c'est ce que vous avez dans les huit premiers articles du Code de procédure civile. C'est comme ça qu'on opère un changement de culture. Si vous êtes flou, si vous ne donnez pas un message clair, comment voulez-vous que les gens changent de culture, puisqu'on va toujours se questionner sur la définition des choses?

Donc là, je fais aussi écho à ce que vous disiez: Ça serait une erreur monumentale d'enlever du Code de procédure civile les huit premiers articles qui portent sur les PRD, d'accord, ou les déplacer, effectivement. Alors, continuez dans cette voie-là, envoyez le message, donnez des outils aux citoyens Québécois pour dire aux gens qui les conseillent: Écoutez, c'est ce que la loi dit, c'est ça, l'inspiration de la loi, c'est là qu'on doit s'orienter. Donnez des outils aussi aux avocats et aux autres professionnels, quand ils se retrouvent devant les tribunaux, de dire: Bien, écoutez, c'est beau, tout ce qu'on est en train de faire ici, mais il y a quand même un esprit à tout ça, puis on le retrouve dans les premiers articles du Code de procédure civile.

La Présidente (Mme Vallée): Merci, Me Bériault. Je vais céder maintenant la parole à Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Bonjour. Merci beaucoup de votre présence. Je dois vous dire, je vous ai entendu, en toute fin de présentation, dire que vous aviez apporté beaucoup de soin à faire votre mémoire. Je peux vous dire que ça se voit, parce que je l'ai lu avec beaucoup d'intérêt et je trouve qu'il est particulièrement bien écrit. Alors, je voulais vous le dire. Ça se lit très facilement, c'est très clair, et c'est un plaisir, quand il est tard et qu'il faut lire plusieurs mémoires, de tomber sur un mémoire aussi bien écrit. Alors, merci beaucoup.

Un peu pour poursuivre dans la même veine, si on souhaite donner cette impulsion, oui, il y a où on en parle, comment on en parle dans le code. Il y a aussi, évidemment, la référence à l'article 1, vous en parlez, où maintenant, bon, les parties doivent considérer avant de judiciariser.

Certains... beaucoup expriment la crainte que ça ne demeure qu'un voeu pieux, s'il n'y a pas d'encadrement plus clair de cette obligation-là de considérer les modes de règlement des différends en amont, et je dois dire que je fais partie de ces personnes qui se disent: Comment on va s'assurer que ça aille plus loin qu'une simple considération? Je comprends que vous partagez à certains égards cette crainte. Vous proposez quelque chose; d'autres proposent d'autres idées.

J'aimerais vous entendre là-dessus concrètement, ce que vous proposez pour qu'on s'assure que les parties aillent plus loin que la considération, je dirais, un peu métaphysique de la chose. Et est-ce que vous pensez qu'au-delà de ce que vous proposez dans votre mémoire il pourrait aussi y avoir des mesures incitatives qui feraient le lien entre la justice privée et la justice publique, par exemple, et qui pourraient favoriser encore davantage l'impulsion vers les modes de règlement de différends?

**(11 h 10)**

M. Bériault (Thierry): Bien, écoutez, évidemment on est un peu victimes de notre métier, c'est-à-dire qu'on se considère un peu dans une phase de dialogue avec l'État Québécois et les autres partenaires. Donc, je ne suis pas sûr de pouvoir vous donner une méthode, une unique méthode comment le faire. On a suggéré une méthode qui est basée sur l'expérience australienne, qui est une excellente méthode, c'est-à-dire qu'on force les parties, dans une certaine mesure, à faire des déclarations à l'intérieur même de la requête introductive, qui permet de s'assurer qu'ils ont rempli les obligations qui apparaissent dans le Code de procédure civile en termes d'obligation de l'avoir tenté.

Je pense que le problème auquel nous faisons face est un problème d'équilibrage, parce qu'à peu près toutes les autres juridictions ont choisi la médiation obligatoire. Ça, ce que ça fait, c'est qu'effectivement il y a beaucoup de médiation, il peut y avoir beaucoup d'arbitrage si on le rend obligatoire aussi, mais ça ne rencontre pas les éléments fondamentaux de ce qu'est une médiation. Un des principes fondamentaux d'une médiation ou de toute tentative de PRD, c'est le volontariat. Si les parties ne sont pas volontaires à participer, on va se retrouver dans des problèmes, on n'explorera pas le potentiel et on va dupliquer ce qui se passe devant les tribunaux.

Donc, l'équilibrage dont je parle, c'est qu'il faut encadrer. On est d'accord avec ça puis on pense qu'il doit y avoir des améliorations, mais, d'un autre côté, il faut éviter de trop encadrer pour que ça devienne un processus qui apparaît aux parties complètement obligatoire, que, dans le fond, leurs choix sont restreints, et que, là, on va les mettre dans un positionnement où on va avoir des processus qui ne remplissent pas les objectifs qu'on s'est donnés. En d'autres termes... Entre autres, je vous nomme le modèle australien, mais je ne pense pas qu'on devrait avoir, dans le Code de procédure civile, des dispositions extrêmement mécaniques, précises sur le sujet. Je pense que le ministère de la Justice, qui est délégué en vertu du Code de procédure civile pour y mettre un certain nombre d'éléments pour permettre l'implantation du système... je pense que lui devrait travailler fort en collaboration avec tous les acteurs pour pouvoir s'arranger pour qu'effectivement les gens y aient recours.

Vous avez aussi... Là, moi, évidemment, on n'est pas dans la sphère politique, mais vous avez les centres de justice de proximité, vous avez toute la machine du ministère de la Justice qui peut bien servir à publiciser, à informer. Il peut y avoir des actions conjointes aussi qui sont faites par l'IMAQ, par les barreaux pour sensibiliser les différents professionnels. Nous, on le fait depuis de nombreuses années avec le peu de moyens que nous avons, mais, si l'État québécois est en arrière de ça, on est capables de mettre des moyens qui ne sont pas nécessairement coûteux pour y arriver. Est-ce que...

Mme Hivon: Oui. Oui, vous répondez, mais je comprends que vous estimez quand même que l'obligation qui est faite à l'article 1 bénéficierait de quelque chose d'un petit peu plus formel dans l'encadrement pour s'assurer qu'elle soit respectée. Bon, pour ce qui est de l'ampleur, de la teneur, vous laissez la discrétion.

M. Bériault (Thierry): C'est parce que, quand on réfléchit sur des solutions, si on n'a pas tous les éléments et tous les acteurs alentour de la table, on peut arriver à une bonne solution, mais elle est mieux si on y arrive par le consensus et la collaboration. Et donc c'est dans ce sens-là que je dis: Il y a du travail à faire.

Mme Hivon: Mais, nous, aujourd'hui, on veut entendre, c'est ça, ce que, vous, vous pensez. Puis on va en avoir beaucoup d'autres à qui on va pouvoir poser la question.

Donc, ça, je le comprends bien. L'idée, en fait, vous arrivez aujourd'hui puis vous dites: Peut-être que la population est même en avance sur l'impulsion que le législateur veut donner. C'est quelque chose qui est heureux, je pense, d'entendre ça, mais, dans la pratique, on a certains indicateurs un peu contraires.

J'aimerais ça que vous me disiez ce que vous en pensez. Par exemple, aux Petites Créances, champ très spécifique, très, très difficile de convaincre les parties d'aller en médiation malgré qu'il y ait un programme de médiation qui soit en place, il y ait eu un projet pilote pour le favoriser davantage, inciter les parties, des lettres qui étaient envoyées, tout ça. Très, très peu de taux de succès et de réponse. Alors, comment vous conciliez ça dans un cas très concret avec ce que vous nous dites, que les gens sont de plus en plus favorables, en amont même de la procédure?

M. Bériault (Thierry): Bien, premièrement, je pense que la question qu'il faut se poser, c'est: Est-ce que ce qui se fait aux Petites Créances est de la médiation? Ça, c'est la première question. D'accord? Et je pense que ce qui se fait...

Je l'ai pratiqué à quelques reprises de façon, je peux vous dire, pro bono, parce que les honoraires qui sont versés à un avocat ou un notaire aux Petites Créances ne permettent pas de faire une médiation extensive, mais, moi, je considère ça comme un travail pro bono, pour le bien de la société, donc je mets tout le temps du temps à chaque année et donc j'en ai fait quelques-unes. Je n'ai plus le temps maintenant, mais j'en ai fait plusieurs dans les premières années de ma pratique.

Je ne pense pas que ce qui se fait aux Petites Créances correspond aux critères que vous avez indiqués dans le Code de procédure civile. Vous avez à peu près une heure pour faire une médiation, les citoyens, O.K., sont là, ils ont un problème technique, mais la réalité, c'est que le problème n'est pas là. Il y a plusieurs sources, par exemple, quand on parle de troubles de voisinage. Donc, tu vas régler le problème de la clôture, elle est-u cinq pouces en dedans ou cinq pouces en dehors, mais tu ne règles pas le vrai problème. Le problème, c'est peut-être entre la conjointe du voisin puis l'autre conjointe, puis je caricature à peine. C'est comme ça que partent les conflits. Et ce que vous réglez en médiation, et quand on parle de paix sociale et d'efficacité pour l'État québécois, c'est que, si vous avez des vrais processus de PRD comme c'est marqué dans votre code, dans votre avant-projet de loi, vous aller explorer le potentiel que donne la médiation. Or, aux Petites Créances, la raison, entre autres, pourquoi je pense que ça ne fonctionne pas bien, c'est que, les résultats, on nous parle de statistiques, on nous parle de coûts, mais ce n'est pas là qu'ils sont, les résultats. Ce n'est pas ça, le succès d'un processus de PRD. Il faudrait quantifier la qualitativité de l'opération, et donc, moi, c'est ma réponse que j'ai à vous donner.

Si vous permettez aux professionnels de faire de la médiation comme vous l'avez mis dans l'avant-projet de loi, entre autres il n'y a pas de prémédiation, ce n'est pas possible en Petites Créances. La prémédiation est capitale. Il faut rencontrer les parties individuellement, comprendre le problème, leur expliquer les bases pour que, quand vous arrivez la journée de la médiation, vous ne commencez pas à avoir une mésentente sur ce qu'est la médiation ou quelle est la procédure. Vous répondez aux questions, aux préoccupations, vous désamorcez les pièges qui s'en viennent. C'est des choses qui ne peuvent pas être faites aux Petites Créances dans le modèle actuel. Alors, c'est la réponse que j'ai à vous donner là-dessus.

Mme Hivon: Donc, ça arrive trop tard puis en fait ce n'est pas compatible, selon vous, à cause du processus qui est entamé aux Petites Créances, le temps qui est accordé pour le...

M. Bériault (Thierry): Il y a cet autre facteur-là. Si vous prenez les litiges à la toute fin, une fois que ça a été stigmatisé par des procédures judiciaires, vous ne pourrez pas explorer le potentiel. Et c'est d'ailleurs une des problématiques des conférences de règlement à l'amiable: elles arrivent en toute fin de processus. Alors, peu importe le potentiel qu'on veut donner à ces systèmes-là, on va aller dans une logique de négociation, nécessairement, où vous arrivez à quelques mois du procès.

Mme Hivon: Il y a toujours la question d'équilibre, de vouloir donner l'impulsion, mais, le caractère volontaire de la chose sur lequel vous insistez beaucoup, par ailleurs, on note comme vous l'avez fait que, dans beaucoup, beaucoup de juridictions, la médiation est obligatoire. Vous-mêmes, vous en parlez quand vous parlez de l'Ontario et vous dites que le taux de satisfaction des parties indique une très forte proportion d'accueil favorable.

Donc, on peut se poser la question. On a la théorie où, oui, on peut concevoir que l'idée d'être une démarche volontaire est très importante, mais, dans les faits, si ça semble quand même apporter un taux de satisfaction important, un taux de résolution de conflits important, est-ce qu'on ne devrait pas se poser la question, dans certaines circonstances, si c'est une avenue qui doit être envisagée?

M. Bériault (Thierry): Bien, écoutez, moi, ce que je peux vous dire, c'est que peut-être qu'ils sont satisfaits, mais peut-être que la question, c'est: Est-ce qu'on peut les rendre plus satisfaits? En d'autres termes, oui, on parle de théorie, ça a été théorisé, il y a des études qui existent là-dessus, mais la pratique -- là, je vous parle à titre de praticien puis des membres qu'on représente -- la pratique, c'est que -- nous, on le constate sur le terrain -- c'est extrêmement difficile. Les chercheurs y arrivent, mais chaque médiation est un peu un cosmos en soi, O.K.? Donc, quand, nous, nous faisons nos opérations de médiation, par exemple, parce que c'est ce que je fais à plein temps, vous constatez... lorsque des parties ont, par exemple, des pressions organisationnelles pour participer à la médiation, on constate que le résultat au bout de la ligne est moins... on règle moins les sources qui sont à la base du conflit. Et, quand vous réglez moins les sources qui sont à la base du conflit, il risque d'y avoir récurrence entre les mêmes personnes ou des personnes de l'extérieur, donc de rendre le processus moins efficient.

Donc, la théorie, mais la pratique qu'on vit, c'est que, quand vous obligez des gens à aller à la médiation, on se retrouve plus dans des processus de négociation que des processus de collaboration, on ne peut pas explorer le plein potentiel. Je ne dis pas et je ne pense pas qu'on ait dit dans notre mémoire... Je ne pense pas que c'est ce que vous suggérez non plus. On ne dit pas que la médiation obligatoire n'est pas bonne, mais on dit: C'est une étape mitoyenne comparativement à ce que vous proposez.

Mme Hivon: Selon vous, ce n'est pas optimal, ce ne serait pas optimal d'y aller pour... parce qu'il y a quelque chose de mieux, qui est la médiation volontaire, mais dans la mesure où, bien sûr, les gens y ont recours. Et, vous, votre prémisse, c'est que les gens souhaitent y avoir recours, et donc le législateur doit faire place à cette volonté-là et donner une impulsion à ça par ce qu'il va mettre dans son code puis comment il va approcher la chose. C'est un peu ça?

M. Bériault (Thierry): Il y a ça, puis il y a le fait que, si vous rendez la médiation obligatoire, ça va peut-être créer plus de médiation. Tu sais, dans le fond, vous pourriez vous dire: Vous êtes l'IMAQ, vous avez des médiateurs et des arbitres. Pourquoi vous ne faites pas de la médiation obligatoire, ça va vous amener un volume de travail? Mais, nous, on n'y croit pas, on ne pense pas que c'est la bonne idée, et nos membres n'y croient pas. D'accord?

Et l'autre chose, c'est que, si vous rendez ça obligatoire, est-ce le bon moyen? Parce que, dans beaucoup de cas, quand le médiateur est interpellé par les parties, nous, on a une obligation de les conseiller en termes processuels, et il arrive fréquemment qu'on leur dit: La médiation, ce n'est pas le bon moyen. Vous devriez aller en développement organisationnel, vous devriez prendre un expert-comptable qui va venir regarder vos livres. Alors, en la rendant obligatoire, vous risquez d'avoir des processus où les gens vont être forcés d'y participer, alors que ce n'est pas le moyen le plus optimal, des fois peut-être pas du tout le même moyen.

Je ne sais pas si Me Grenier, sur les clients et...

**(11 h 20)**

M. Grenier (Pierre D.): J'aurais peut-être un point additionnel à ajouter. En termes de médiation, d'ailleurs, tel qu'on le voit en Ontario, les procédures sont déjà engagées, et le système fait en sorte que les parties doivent... Donc, on a déjà stigmatisé les positions des parties, on les envoie en médiation. L'approche qui est proposée par votre projet de loi est, à mon sens, une approche beaucoup plus logique, en tout cas dans ma pratique. Je pratique depuis maintenant 22 ans et j'ai vu une évolution importante dans l'approche du client pour résoudre les problèmes non pas à l'étape postprocédure, mais préprocédure. Et je pense que c'est ça, l'avantage de ce que vous proposez, c'est de dire aux praticiens: Explorez ce que vous devez explorer pour tenter de résoudre les conflits avant de lancer des procédures judiciaires, d'où l'importance des articles introductifs de l'avant-projet de loi parce qu'ils s'inscrivent dans la logique des choses, la logique des choses et de la pratique que je vis quotidiennement avec les clients que je représente, que notre cabinet représente, et les efforts que l'on fait en raison de plein de facteurs d'augmentation des coûts, des coûts d'accès à la justice, pour cristalliser des positions qui... Somme toute, en bout de piste, on vit constamment des règlements de litige. Pourquoi pas les aborder dès le départ?

La Présidente (Mme Vallée): Je suis désolée, Me Grenier, on a largement dépassé le temps qui nous était imparti. Alors, je vais céder la parole au ministre pour un bloc de sept minutes.

M. Fournier: On est toujours dans le même horizon parce que, dans le fond... puis le même débat qui est lancé: Où est le point d'équilibre?

Je vais refaire un aparté, parce que tantôt vous disiez: L'accès à la justice, ce n'est pas que les coûts et les délais, mais l'accès à la justice traditionnel, ça, c'est le problème. Est-ce que, quand on parle d'accès à la justice, on ne veut pas dire aussi, par ailleurs, que c'est l'accès à la justice participative ou l'accès à une justice d'un autre niveau? Et, lorsqu'on parle de règlement d'un conflit et de relations conflictuelles, on ne parle pas du même niveau, et ce qui est envisagé dans ce que vous appelez, en le raccourcissant, là, par l'appellation de PRD, c'est d'accéder à une justice d'un autre niveau, me semble-t-il.

Et le petit litige que je peux avoir avec vous est à peu près le suivant -- je partage tout à fait le point de vue, d'ailleurs c'est écrit dans l'avant-projet de loi: Si on veut convenir d'un rapprochement entre adversaires, on ne peut pas le forcer, ça ne peut pas être obligatoire. Si ça l'était, ça va nous distancer même de l'accès à la justice traditionnelle parce que, l'ayant essayé obligatoirement, on risque d'avoir juste ajouté une étape à l'accession ensuite à la justice traditionnelle. On va s'être éloigné de tout en même temps, je crois, je crois. Peut-être qu'on aurait de bonnes statistiques du nombre de personnes qui ont participé à une médiation, mais on n'aurait peut-être pas le bon taux de règlement.

L'autre élément, c'est comment on amène les gens à accéder à ce... un, de savoir, d'accepter, de vouloir accéder à un deuxième niveau de justice où on ne cherche pas simplement à régler le conflit mais à rapprocher des adversaires. Parce que, dans ce que vous me dites, c'est un petit peu drôle, hein? Vous me dites: Le Code de procédure est un petit peu en retard parce que, dans le fond, tout le monde le veut, mais, une fois qu'on le met de l'avant, il va falloir s'assurer qu'on en fasse pas mal de propagande, parce que le monde le veut, mais ils ne sont peut-être pas au courant qu'on peut le faire. Puis sont-ils vraiment prêts à aller là? D'où la question: Faisons ça obligatoire, mais là on se tire dans le pied.

Jusqu'où... Moi, je pense qu'on a un bon dosage, mais... Même si vous ne trouvez pas que la tribune, c'est aujourd'hui, pour en parler, il faut qu'on trouve. S'il y a d'autres moyens, on les mettra, mais je pense que le tour a pas mal été fait pour voir: Est-ce qu'on n'a pas là une formule qui nous permet d'amener les gens à embarquer là-dedans? Par contre, j'ajoute qu'à l'extérieur du code, à l'extérieur du libellé il y a peut-être d'autres mesures qui doivent être prises pour faire savoir aux gens qu'il y a un autre niveau de justice, parce que, dans votre milieu, vous le savez, vous me parlez d'entreprises qui participent, du milieu de travail qui l'a compris. D'ailleurs, ce n'est pas loin des Fondaction de la CSN ou Fonds de solidarité, où les travailleurs ont accepté, à un moment donné, d'embarquer dans la gouverne, je veux dire, ça fait partie de l'«empowerment» dont on a parlé à l'époque. Tout ça est un long historique, mais, sur ma rue, là, si je vais cogner aux portes des gens qui restent pas loin de chez nous, je ne suis pas sûr qu'on est tous rendus là. C'est mon point de vue, là. Alors, comment on leur permet d'aller là?

Je vous souligne puis je termine là-dessus pour qu'on puisse juste engager la discussion: En opposition à ce que vous me dites sur le niveau de préparation de la société à ça -- puis c'est de la musique pour mes oreilles, mais je ne suis pas sûr que c'est si vrai quand je vous parle de ma rue, c'est peut-être moi qui ne vis pas sur la bonne rue -- on est dans une période de médiatisation des conflits et uniquement des conflits. Puis je ne suis pas un expert, mais il y a eu une époque... Je ne suis pas si vieux que ça, mais il me semble d'avoir lu à une certaine époque où parfois, dans les reportages, on rapportait des nouvelles. Maintenant, on rapporte des controverses. Même que la médiatisation, qui est le mode de communication dans lequel on vit, n'est bâtie que sur la controverse et sur le conflit. Puis là dites-moi que je me trompe. Puis je ne dis pas que j'ai fait une thèse de doctorat là-dessus, là, mais il me semble qu'on est dans une période de controverse pas juste en termes politiques, là, et ce qui nous entoure, c'est le conflit. Est-ce que c'est à cause de ça que les gens sont prêts à aller vers la justice participative ou est-ce que ça, c'est déconnecté du besoin ou de l'aspiration des gens à une justice d'un autre niveau? Je vous mets ça sur la table, là, je...

M. Bériault (Thierry): Tu sais, je pense qu'il y a une question de... Là, tu sais, si on parle de ça, bon, il y a la vision claire qui est le Code de procédure civile, il y a ce qu'on peut appeler quel va être le plan stratégique pour l'atteindre chez les acteurs, et ça passe par... Il y a des choses que j'ai parlé: le regroupement, la formation des étudiants en droit qui vont être... Le Barreau du Québec a pris des orientations, les autres ordres professionnels ont pris des orientations. À ma connaissance, on a modifié ou on va modifier le Code de déontologie des avocats pour inclure des dispositions qui vont permettre la pratique des PRD mais aussi l'obligation de l'avocat d'informer leurs clients dans ces situations-là, de la possibilité d'aller à, comme Me Grenier le fait avec ses clients.

À la Table ronde sur la justice participative, une autre chose qu'on a dite, c'est qu'il faut éduquer les gens, pas juste les étudiants en droit. Il faut éduquer les jeunes Québécois, il faut aller dans les écoles. Je peux vous donner un exemple. Moi, au Lower Canada College, récemment, on a changé le cours de droit qui est donné aux étudiants de quatrième et cinquième secondaire pour en faire un cours en justice participative. Des juges ont été invités, j'ai été invité comme médiateur, il y a des gens en droit collaboratif qui ont été invités, et donc on initie ces jeunes-là à cette nouvelle logique-là. On leur explique qu'on passe d'une logique de confrontation à une logique de résolution de problème. Ne nous parlez pas de vos conflits. C'est quoi, le problème? Quels sont vos besoins? O.K. Le passé, on va en parler, on va faire un... hein, on va guérir du passé, mais ce n'est pas ça qui est important. C'est un processus de règlement de problème.

Donc, il y a cette activité-là. Je pense que, le regroupement, le fait qu'on se regroupe et qu'on pourrait peut-être être un peu plus serrés une fois que les dispositions vont être mises en place, on pourrait avoir une stratégie commune.

Ce que je vous ai dit, M. le ministre, et peut-être que je me suis mal exprimé: Les gens sont rendus là, ils ont fait le changement de culture, mais entre avoir fait le changement de culture et le savoir formellement il y a quand même une différence. C'est-à-dire que, moi, j'ai dit: Les gens vont être réceptifs, ils vont embarquer tout de suite là-dedans parce qu'ils sont rendus là, mais c'est sûr que les gens qui les entourent, les professionnels qui les entourent, s'ils ne sont pas rendus dans cette culture-là, ce n'est pas l'image qu'ils projettent, ce n'est pas le message qu'ils lancent. Donc là, ça va être tout un exercice, une fois qu'on aura parlé de stratégie, de dire: Bien, maintenant, concrètement, quelles sont les actions que le ministère de la Justice va mettre là-dedans? J'ai des raisons de croire que l'État québécois devra investir certaines sommes d'argent pour pouvoir en faire la promotion, mais, une fois que ça, c'est fait, il faut aussi faire confiance aux professionnels qui le font. C'est notre rôle, d'éduquer. Ça fait partie de notre mandat. Quand on rencontre les gens, on ne leur parle pas: Voici, on va analyser vos problèmes. On les éduque, on leur explique pourquoi c'est bon. On leur donne même le choix de ne pas venir avec nous.

La Présidente (Mme Vallée): Merci, Me Bériault. Maintenant, je vais céder la parole à Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui, merci, Mme la Présidente. C'est très intéressant. J'ai vraiment beaucoup de questions, mais en même temps j'aimerais ça poursuivre l'échange un peu plus philosophique peut-être rapidement. Moi aussi, ça m'a surprise, je vous l'ai dit, ça m'a surprise que vous disiez en quelque sorte que les citoyens sont un peu en avance peut-être du législateur parce que ce n'est pas l'écho qu'on a de certaines études, par exemple de l'Observatoire du droit à la justice, où justement on nous dit beaucoup que les citoyens, là -- et je distingue des entreprises -- ont souvent ce besoin-là d'être devant un juge pour comme avoir cet assentiment-là que leur cause est bien réelle et qu'il y a une tierce partie qui vient décider quelque chose. Et on nous dit dans cette idée-là, donc, que la gestion d'instance, que la conciliation faite par le juge peut avoir, dans certains cas, une plus-value parce que, même si c'est le rôle nouveau du juge, la nouvelle facette du rôle du juge, ça donne une confiance accrue aux citoyens.

Donc, c'est pour ça que je trouve ça intéressant, ce que vous dites, mais en même temps c'est un peu confrontant par rapport à certaines études ou ce qu'on entend un peu de certains qui se sont penchés plus concrètement... C'est sûr que, quand on pense à des choses comme les Petites Créances, c'est une logique qui est différente, mais c'est quelque chose qu'on entend beaucoup. Ça fait que, ça, si jamais vous avez quelque chose à dire, bien ça va m'intéresser de vous entendre là-dessus, mais j'aimerais ça vous amener sur peut-être deux autres points.

Vous parlez qu'en fait vous trouvez ça très intéressant, dans votre mémoire vous dites, donc qu'il y ait la présence de ces articles-là en tout début du code, et, moi, je me dis... Là, vous dites: Il y a toutes sortes d'autres actions qui doivent être entreprises parce que ce n'est pas juste la culture des justiciables, mais c'est ceux qui les accompagnent, les avocats, tout ça. J'en suis, mais je pense qu'il y a un certain nombre d'efforts, depuis plusieurs années, qui ont été faits à cet égard-là.

Là, on a l'outil de l'avant-projet de loi. Il faut, je pense, en saisir le maximum de potentiel pour donner l'élan supplémentaire qu'on veut donner aux modes de règlement des différends et que ça survienne le plus tôt possible et donc en amont. Est-ce qu'il y a des éléments... Comme par exemple, vous dites que vous trouvez ça intéressant qu'on inclue ça dans la procédure civile, mais en fait on est plus dans le domaine de la justice civile. Moi, je me dis: Est-ce qu'une manière de marquer le coup, ce serait, par exemple, de ne plus parler, c'est technique, mais de Code de procédure civile mais d'un code de justice civile pour vraiment donner l'impulsion plus large qu'on est moins juste dans le technique et de la procédure devant les tribunaux mais que vraiment l'approche doit être globale et intégrée avec les modes de prévention de différends?

Donc, il y a ces deux éléments-là et... Bien, en fait, je vais vous laisser répondre, pour ne pas qu'on se perde, puis je reviendrai sur mon autre point.

**(11 h 30)**

M. Bériault (Thierry): Bien, en fait, la question des études de l'observatoire, écoutez, il faudrait regarder les paramètres de recherche, là. Je veux dire, on est dans un monde où on oppose le citoyen au système de justice, du moins on le confronte à ce qui se fait dans le système de justice et on calcule un certain nombre de paramètres. Les CRA elles-mêmes, le justiciable québécois, à mon avis, ne connaît pas le potentiel complet de la médiation. Il le veut, mais est-ce qu'il le connaît? O.K.? C'est pour ça que je parle d'éducation et d'information, qui ne m'apparaît pas être une longue... On ne parle pas d'une éducation pour changer la culture du citoyen, on parle d'une éducation pour lui dire: Regarde, ce que tu penses, les moyens sont là.

La médiation, si on parle de médiation, je pense, a connu un ralentissement d'implantation quand, à la Cour supérieure, on a décidé d'abandonner le projet pilote sur la médiation civile et commerciale et qu'on a confié ça aux juges. C'est une bonne chose, ils sont capables de gérer les choses, mais le message qui était lancé aux citoyens, c'est de dire: De toute façon, pourquoi avoir un médiateur dans des phases précoces, privées et que tu vas payer, puisque tu vas avoir des juges gratuits, au bout de la ligne, qui vont se pencher sur la question? Et ça, je pense que ça a ralenti un peu l'évolution et peut-être la connaissance du public sur la question.

Dans le domaine où parlait Me Grenier, ce sont des spécialistes, ce sont des gens qui sont en affaires et qui calculent. Pour eux, ce que, nous, on appelle le «business case» des PRD, il est fait dans leurs têtes. Ils le savent et ils posent des questions à leurs avocats, à leurs financiers, un peu partout.

Donc, je dirais que je ne pense pas qu'on ait exposé aux citoyens québécois, O.K., le potentiel de la médiation. Nous, quand on leur en parle... O.K. Eux, ils viennent souvent juste pour régler un litige, mais, quand on leur en parle, on leur explique c'est quoi, le potentiel, et là ils adhèrent beaucoup plus aux principes qu'on leur énonce des vrais PRD que du reste.

L'autre chose, c'est qu'il faut être très, très prudent de ne pas trop encadrer les choses dans le Code de procédure civile. Les modes de PRD se doivent d'être flexibles, ils sont en évolution. Or, plus vous allez mettre de précision sur le comportement, sur la conduite -- là, je ne parle pas du minimum nécessaire -- je pense qu'on risque de se nuire dans ce sens-là et que je vous invite, moi, à garder ça le plus large possible.

Et aussi, bon, code de justice civile, écoutez, nous, on va vous laisser regarder ça, là. Je pense qu'on n'a aucune objection, on en a déjà parlé. À l'IMAQ, on a fait les travaux, on s'est posé la question, et, que ça s'appelle un code de procédure civile ou un code de justice civile, à mon avis, l'important, c'est le résultat.

Par contre, vous envoyez un message peut-être un peu plus clair si vous parlez d'un code de justice civile et qui ne nous apparaît pas... On n'a pas le temps puis on n'a pas focussé là-dessus, mais il est clair pour nous que ce n'est pas un empêchement, d'avoir des dispositions comme vous avez là dans un code de procédure civile, au contraire.

La Présidente (Mme Vallée): Je suis désolée, on a épuisé l'ensemble du temps qui nous était imparti de part et d'autre pour les échanges. Je sens qu'il aurait pu y en avoir encore pour longtemps. Alors, je vous remercie de votre participation et de vos réflexions.

Et j'invite maintenant Me Claude Fabien à s'avancer. Nous allons suspendre pour quelques instants.

(Suspension de la séance à 11 h 35)

(Reprise à 11 h 38)

La Présidente (Mme Vallée): Alors, nous allons reprendre. Je souhaite la bienvenue à Me Claude Fabien. Alors, Me Fabien, vous disposez d'une période de 15 minutes pour nous faire part de vos observations. La parole est à vous.

M. Claude Fabien

M. Fabien (Claude): ...je n'avais pas prévu de me présenter, mais je pense que ce serait plus prudent, alors Barreau 1966, praticien plaideur en début de carrière, carrière universitaire comme professeur de droit à l'Université de Sherbrooke et à l'Université de Montréal. J'ai été doyen de la Faculté de droit de l'Université de Montréal, professeur à la retraite depuis trois ans, et je pratique maintenant comme arbitre de griefs.

**(11 h 40)**

Alors, je remercie la commission de son invitation et puis, d'entrée de jeu, je tiens à rendre hommage aux auteurs de l'avant-projet de loi sur le Code de procédure civile. C'est un monument intellectuel considérable qui commande le respect.

Mon intervention, je l'espère, est inspirée par l'esprit de cette réforme. Elle ne porte que sur un seul point: je propose d'améliorer l'accès à la justice en favorisant l'usage accru du témoignage écrit en remplacement et en support du témoignage oral dans le procès civil. Le point de rattachement de mon intervention se trouve à l'article 287 de l'avant-projet, intitulé Le témoignage par déclaration. Et vous pouvez peut-être vous demander qu'est-ce qui m'a pris de m'accrocher sur cet article et seulement sur celui-là; c'est le hasard de l'intersection avec une recherche et un article que je préparais à tout autre fin sur la problématique du ouï-dire. Et puis l'intersection s'est présentée, et j'ai voulu vous faire bénéficier de ma réflexion.

Alors, avant de répondre à vos questions, je vais vous présenter cette proposition en trois volets, d'abord le pourquoi, ensuite le comment, puis ensuite le malgré quoi, c'est-à-dire répondre à des objections. Et le temps ne me permettra pas de répondre aux objections. Si vous voulez, si votre curiosité est piquée, bien, vous pourrez me poser les questions le temps venu.

Alors, le pourquoi repose sur les objectifs fondamentaux du projet de réforme du Code de procédure civile en commençant par l'accès à la justice, par la réduction des coûts et des délais. L'objectif primordial de la réforme, comme je le comprends, est de favoriser l'accès à la justice par la réduction des coûts et des délais. L'un des facteurs majeurs des coûts de la justice réside dans la durée du procès lui-même. L'augmentation de la durée du procès est une tendance lourde que l'on observe depuis plusieurs décennies, et rien n'indique qu'elle est prête à s'inverser. Les procès qui prenaient autrefois une demi-journée, un jour prennent maintenant plusieurs jours. Les procès de cinq et 10 jours ne sont plus chose rare. Le phénomène se traduit par une augmentation des coûts pour les parties qui fait en sorte que le seuil de rentabilité du procès ne cesse d'augmenter, et l'augmentation généralisée de la durée des procès a aussi pour effet de faire allonger la file de ceux qui attendent le jour de leur propre procès et de ralentir d'autant leur propre accès à la justice.

On peut penser à toutes sortes de solutions périphériques pour alléger le problème. À mon avis, la réforme ne sera pas complète tant qu'elle ne s'attaquera pas au coeur du problème: le procès lui-même. Il faut examiner de quoi il est constitué, le procès. Que se passe-t-il pendant cinq ou 10 jours que dure le procès? Essentiellement, ce qu'on voit, c'est le défilé de témoins qui seront soumis à de longs interrogatoires et contre-interrogatoires dont le juge, patiemment, note le résultat dans son cahier d'audience.

Pourrait-il en être autrement? Je pense qu'il ne faut pas hésiter à remettre en question la méthode par laquelle les parties font la preuve testimoniale des faits. Est-il vraiment indispensable de réunir tous les acteurs et témoins en un même temps et en un même lieu pendant des jours pour faire la preuve? La lenteur inhérente au processus d'interrogatoire et de contre-interrogatoire lors de l'instruction ne contribue-t-elle pas indûment à la durée des procès?

En contraste, imaginez un système d'enquête où les parties ont préalablement déposé une déclaration écrite de tous leurs témoins pour valoir témoignage. L'enquête peut se limiter à ne faire entendre en personne qu'une partie des témoins, elle peut être constituée uniquement de contre-interrogatoires. À la limite, si tous les témoignages écrits sont convergents, les parties pourraient faire l'économie de l'enquête et passer directement aux plaidoiries. Dans tous les cas, il y aura eu une économie de temps au bénéfice de tous.

Deuxième valeur, les communications réciproques de la preuve, le législateur a beaucoup fait pour forcer les parties à divulguer les morceaux importants de la preuve et mettre fin au jeu de cachette et de piège que fut le procès à une certaine époque. Tous les documents, les éléments matériels et le rapport d'expertise doivent désormais être communiqués à la partie adverse.

Cette entreprise de divulgation est incomplète. Il manque le bloc de la preuve testimoniale, qui est souvent le plus important et le plus déterminant sur l'issue du procès. Qui sont les témoins et que viendront-ils dire demeurera un mystère jusqu'au jour du procès, sous réserve de l'accès à l'interrogatoire préalable que l'on veut d'ailleurs restreindre au maximum.

Pour pleinement réaliser les louables intentions qui ont inspiré les règles de divulgation de la preuve, je crois qu'il faudrait les pousser jusqu'au bout de leur logique et exiger également la divulgation totale de la preuve. Les parties devraient désormais échanger les déclarations écrites de leurs témoins. Une telle mesure aurait une incidence heureuse non seulement sur le procès, mais aussi sur le processus de médiation qui est la troisième valeur que le projet essaie de promouvoir, le recours prioritaire aux modes privés et volontaires de règlement des différends.

Le projet de réforme du code est fortement axé sur le recours prioritaire aux modes privés et volontaires de règlement des différends, on veut capitaliser sur les bons résultats produits par la médiation judiciaire. Le projet veut faire en sorte que les parties passent par la médiation et n'aillent au procès qu'en ultime recours. C'est excellent, c'est bien ainsi, mais, afin que cette intention généreuse se réalise, il faut développer davantage l'instrumentation mise à la disposition des parties.

Dans l'état actuel des choses, les parties qui négocient ou qui vont en médiation disposent d'un éclairage partiel. Ils ne connaissent de la preuve adverse que les pièces que la partie était contrainte de divulguer, ils ne connaissent pas la substance des témoignages. La décision de régler repose largement sur un exercice de prédiction de jugement. Comment faire une telle prédiction si l'essentiel de la preuve demeure caché?

Ainsi, dans un tel cadre de médiation, il devient difficile de prendre des décisions de règlement sur une base rationnelle, les calculs et les spéculations se substituent à la réalité. Pire encore, le principal facteur de persuasion que l'on fait parfois valoir auprès des parties est fondé sur le caractère dysfonctionnel du système, on fait peur au monde en disant que mieux vaut un mauvais règlement qu'un procès de cinq jours dont les coûts vont dépasser l'intérêt en jeu. Il y a là un effet de cercle vicieux: l'indisponibilité des témoignages écrits engendre des procès interminables, et le spectre des procès interminables provoque des règlements fondés sur de mauvais motifs. Les règlements arrachés de cette manière laissent un goût amer et desservent l'image de la justice.

Quatrième principe sous-jacent au code: le principe de proportionnalité entre les moyens déployés et les intérêts en jeu. Le principe de proportionnalité a déjà fait son entrée au Code de procédure civile. Il est fortement réaffirmé dans le projet de réforme. S'agissant de l'usage de témoignages écrits, on peut imaginer une solution qui subordonnerait cette obligation au principe de proportionnalité et qui laisserait au tribunal le soin de l'imposer lorsque la méthode de l'interrogatoire des témoins à l'instruction serait trop onéreuse, compte tenu des enjeux. On peut aussi envisager une solution partielle qui consisterait à l'imposer à une certaine catégorie de litige, comme ceux où l'intérêt en jeu est inférieur à 30 000 $.

Une telle approche pourrait être acceptable sur une base temporaire ou à des fins d'expérimentation, par exemple. Elle ne serait pas suffisante, me semble-t-il, sur le plan des principes parce que l'enjeu n'est pas limité aux parties au litige, il touche toutes les parties qui sont en attente de procès et qui sont victimes de l'encombrement du temps de cour par des méthodes d'enquête qui étirent indûment les procès qui ont la chance d'être entendus. Cet enjeu collectif appelle, me semble-t-il, une solution universelle et justifie le recours aux témoignages écrits, en principe, dans tous les procès.

Maintenant, comment s'y prendre? Comment arriver à un tel résultat? Alors, j'examine successivement l'état actuel du droit, la proposition du projet de réforme et les éléments de ma proposition. L'état actuel du droit, c'est l'article 491.1, que je vous relis: «Le tribunal peut accepter à titre de témoignage une déclaration écrite, pourvu que cette déclaration ait été communiquée et produite au dossier conformément aux [règlements] sur la communication et la production des pièces prévues au présent titre.» Alinéa deux: «Une partie peut exiger que la partie qui a communiqué la déclaration assigne le témoin à l'audience, mais le tribunal peut la condamner à des dépens dont il fixe le montant, lorsqu'il estime que la production du témoignage écrit eût été suffisante.»

Mon commentaire: On y voit une invitation très claire du législateur à l'utilisation de témoignages écrits dans le procès, mais le tout est laissé à l'initiative des parties. Ce système fondé sur le volontariat n'a pas donné les fruits attendus et n'a rien changé de significatif à la pratique. Dans l'article que j'ai déposé à l'appui de mon mémoire, je tente d'expliquer les motifs de cet échec, qui sont d'ordre technique, culturel et peut-être aussi déontologique ou basés sur les perceptions déontologiques, et je n'y reviens pas, sauf si vous me posez des questions à ce sujet.

L'article proposé dans l'avant-projet est l'article 287. Il n'opère aucune réforme significative de l'actuel article 294.1. Sa rédaction va comme suit: «Une partie peut, à titre de témoignage, produire la déclaration de son témoin, y compris un constat d'huissier, pourvu que cette déclaration ait été préalablement notifiée aux autres parties. La déclaration est réputée faite sous serment -- ce qui est bien.

«Une autre partie peut, avant la date fixée pour l'instruction, exiger la présence à l'enquête du témoin concerné.»

Bon, c'est la même recette, et on peut prévoir que la même recette va donner le même gâteau. Les facteurs qui ont freiné l'utilisation fréquente ou soutenue de l'article 294.1 dans le code actuel continueront d'avoir le même effet inhibant sous le nouveau code.

**(11 h 50)**

Il y a même une régression par rapport au code actuel. Le projet fait disparaître le dernier alinéa de 294.1 qui donne au juge le pouvoir de sanctionner la partie qui exige la présence du témoin, et je cite, «lorsqu'il estime que la production du témoignage écrit eût été suffisante» -- fermez les guillemets. Le projet s'en remet véritablement au pouvoir général du tribunal de sanctionner les abus de procédure édicté aux articles 51 à 56. Tel que défini à l'article 51, l'abus de procédure est un comportement fautif de la part d'une partie, alors ce critère fondé sur la faute s'écarte du critère objectif utilisé présentement à l'article 294.1. Le critère en vigueur aujourd'hui est fondé sur le simple constat que la présence du témoin s'est avérée inutile. Alors, minimalement, me semble-t-il, l'article 287 de l'avant-projet devrait réintégrer dans l'article, dans sa disposition le pouvoir du juge de sanctionner le fait objectif que le témoignage eût été suffisant.

Quelle est ma proposition? Compte tenu des objectifs proclamés plus haut par le projet de réforme du code, les deux solutions précédentes m'apparaissent insuffisantes. Le législateur devrait saisir cette occasion historique de donner un sérieux coup de barre en faveur de la modernisation des méthodes d'exploitation de la preuve testimoniale dans le procès.

Alors, la solution proposée dans cette intervention peut s'exprimer en trois propositions simples que vous avez sous les yeux, au milieu du plan: les parties sont tenues de communiquer et de déposer la déclaration écrite de chacun de leurs témoins préalablement à l'instruction pour faire preuve; deux, à la conférence préparatoire, la partie qui exige la présence d'un témoin pour l'interroger à l'instruction doit convaincre le tribunal de l'utilité et de l'opportunité de ce complément de preuve pour en obtenir l'autorisation; et, trois, le tribunal condamne la partie qui a exigé la présence du témoin à des dépens dont il fixe le montant lorsqu'il s'avère que son témoignage eût été suffisant.

Bien que ce soit clair, me semble-t-il, j'ajoute quelques remarques pour contrer l'obstacle technique dont j'aurais pu vous parler tantôt, l'obstacle technique étant que les avocats n'utilisent pas 294.1 de peur de fournir des armes qui se retournent contre eux-mêmes, de fournir à l'adversaire des armes contre eux-mêmes. Il ne faut plus s'en remettre au volontariat. Aucun avocat, comme c'est le cas actuel, ne voudra pratiquer la vertu si son adversaire n'en fait pas autant. Donc, le premier élément de la proposition: il faut obliger toutes les parties à fournir une déclaration écrite pour tous leurs témoins et donner valeur de preuve à ces témoignages écrits.

Au terme de la conférence préparatoire -- c'est le deux, là -- le tribunal aura à décider quels témoins devront être présents. Il pourra même déterminer le champ des interrogatoires, l'instruction pourrait se limiter même uniquement à des contre-interrogatoires. Si tous les témoignages concordent, il se pourrait que ne soit requise la présence d'aucun témoin. Le tribunal devra décider du menu de l'enquête à la lumière de deux critères: un, l'utilité prévisible du complément de preuve aux fins des conclusions recherchées par les parties et, deux, l'opportunité d'y avoir recours. Le terme...

La Présidente (Mme Vallée): Pr Fabien, je suis désolée, je dois vous interrompre, à moins qu'on vous permette de poursuivre votre présentation, parce qu'on a dépassé le temps qui nous était imparti.

M. Fabien (Claude): Il me reste un paragraphe, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Vallée): D'accord, parfait. Alors, poursuivez.

M. Fabien (Claude): Alors, le terme «opportunité» recouvre l'application du principe de proportionnalité. Il pourrait ainsi être appelé à écarter un complément de preuve utile s'il constitue une dépense de temps ou d'argent disproportionnée par rapport à l'enjeu du procès.

Et mon dernier paragraphe enfin: Il ne serait pas sage -- et c'est le trois, là, que je commente, là, le tribunal condamne la partie -- il ne serait pas sage de priver le tribunal de tout pouvoir de sanction envers la partie qui obtient inutilement la présence d'un témoin. Il ne faut pas que l'autorisation du tribunal l'exonère de toute responsabilité. Lorsqu'il décide, le tribunal ne peut que spéculer sur l'avenir et sur les promesses de la partie qui demande la présence du témoin. Il faut que la partie qui obtient gain de cause, même si elle n'est pas fautive, assume néanmoins le risque de l'absence de résultat utile découlant de la présence du témoin. Ainsi, les plaideurs seront davantage incités à pratiquer les vertus de prudence et d'économie dans l'intérêt collectif.

Et je m'arrête, Mme la Présidente. Merci de votre indulgence.

La Présidente (Mme Vallée): Je vous remercie, Pr Fabien. Alors, M. le ministre, la parole est à vous.

M. Fournier: Me Fabien, merci beaucoup d'être avec nous. Évidemment, c'est chirurgical comme analyse de l'avant-projet de loi, mais c'est intéressant, évidemment, parce que ça nous permet de pousser un petit peu plus loin. J'entends les commentaires que vous faites, là, puis évidemment on peut dire qu'il y avait une espérance, quoi, en 2002, là, il y avait une espérance que ça aille plus loin, que ce soit plus utile, comme on pourrait aussi dire qu'il y aurait une espérance que ce nouveau moyen de le rendre obligatoire rende tous les bienfaits, mais ce que je vais essayer de voir avec vous, c'est: N'y a-t-il pas, pardonnez-moi de le faire, mais quelques inconvénients aussi à adopter ce système?

Alors, on pourra discuter un peu de ça, mais, juste avant, je voudrais m'arrêter sur 338, où je ne disconviens pas qu'il y a une différence avec 294.1 à l'égard des dépens, libellé différemment, mais l'idée est la même. À 294.1, là, tel qu'on l'a actuellement, là, on dit que les dépens peuvent tenir compte du fait que la production du témoignage écrit eût été suffisante. C'est ce que vous nous disiez et constatiez qu'il y avait une régression, puisque nous n'avions pas repris cette idée, et, bon, ma réponse, c'est: On l'a repris. Il est écrit un peu différemment, je ne sais pas si on peut y voir un effet. L'idée était la même. À 338, on dit que le tribunal peut ordonner à une partie le paiement des frais de justice engagés par une autre «si elle a inutilement fait comparaître un témoin».

Alors, je conviens que de l'écrire sous le sens «avoir fait inutilement comparaître un témoin» est différent de «la production du témoignage eût été suffisante». Je ne sais pas s'il y a une différence de degré entre les deux, je pense que l'idée est la même, mais, bon, je voulais quand même vous le noter. Je ne sais pas si 338, selon vous, n'entrait pas dans votre réflexion parce que le libellé n'était pas le même, et donc je voulais savoir est-ce que vous trouviez dans ce nouveau libellé, «si elle a inutilement fait comparaître un témoin», une si grande différence avec «la production du témoignage écrit eût été suffisante».

M. Fabien (Claude): Je vais vous dire en toute simplicité, M. le ministre, que mon imprimante s'est arrêtée à l'article 300 et que je n'ai pas pris connaissance de l'article 338. Mais, réagissant à chaud, il me semble qu'il y a une unité organique autour de 287 et il pourrait y avoir une portée pédagogique à ce que la règle soit énoncée à l'article 287.

**(12 heures)**

M. Fournier: Merci du commentaire, mais je vais en tirer trois conclusions... ou enfin deux conclusions puis un commentaire, moi-même. Le premier, c'est que le constat de régression n'est peut-être pas applicable. Le deuxième, c'est que ce serait bon d'avoir un autre genre d'imprimante. Et mon commentaire -- je le dis en badinant -- et l'autre commentaire, c'est de vous dire: Oui, on peut bien aussi le placer à un endroit en termes de vertu pédagogique. Par contre, là il est regroupé dans tout ce qui s'appelle les dépens. Il y a aussi une vertu de regrouper pour la compréhension de l'ensemble des règles qui visent l'identification de ces dépens. Bon, en tout cas, peu importe, c'est un autre débat. Je laisse en suspens, là, un élément que je garde pour nous tous, de nous rappeler s'il y a une différence. Il y a une différence dans les libellés, et il faudra voir si cela a des conséquences lorsqu'on parle de «la production du témoignage eût été suffisante» et d'avoir «inutilement fait comparaître un témoin».

Bon, cela étant dit, revenons sur le coeur de l'affaire. J'imagine, puis je peux me tromper, mais j'imagine que, lorsqu'on a dit: Oui, encourageons le témoignage écrit de la preuve, on ne l'a pas rendu obligatoire. Est-ce qu'il est possible qu'à partir du moment où on le rend obligatoire, donc on s'ajoute une étape de preuve écrite, si on veut, et on y met tout... Évidemment, si c'est la déclaration obligatoire de la preuve, bien, on met toute la preuve dans cette déclaration-là, et il peut arriver que certains des éléments de cette preuve donnent lieu à un contre-interrogatoire, puis c'est un peu normal. Est-ce qu'on ne peut pas imaginer qu'en prévoyant que toute la déclaration doit couvrir tout le sujet, de toute façon, on va faire entendre le témoin sur au moins une partie de cette déclaration-là, et on aura peut-être ajouté une déclaration obligatoire, mais néanmoins il va y avoir un témoin qui va venir quand même? Et, à la fin, pour revenir dans l'esprit du témoignage écrit, c'est de dire: Pourquoi faire venir une multitude de témoins à... C'est qui trop embrasse, qui mal étreint ou je ne sais pas trop, là. Si on en met trop, on finit peut-être par distancer du but qui était... C'est-à-dire, il y a des parties de témoignage qu'on se dit: Si on le fait par écrit, non contestable, le contenu qui y est doit facilement être reconnu, et je n'aurai pas à refaire la preuve puisque c'est une admission qui en est faite par les parties. À partir du moment où je le rends obligatoire, est-ce que je ne vais pas multiplier le désir, d'abord, de l'autre partie de contre-interroger et peut-être même du désir peut-être même du juge lui-même de vouloir interpréter à partir de la présentation orale qui lui est faite la crédibilité des parties?

M. Fabien (Claude): Supposez une journée d'interrogatoire en chef et une journée de contre-interrogatoire. Si l'interrogatoire en chef a déjà été déposé sous forme de témoignage écrit, vous venez de sauver une journée, 50 % du temps. Faites-le à grande échelle, vous venez d'augmenter significativement votre capacité de production de la chaîne de montage de jugements. Et chaque gain de temps, que ce soit 20 %, que ce soit 30 % ou que ce soit 50 %, je pense, est significatif pour ceux qui attendent puis il est significatif également pour ceux qui paient, qui paient leurs avocats pour passer, bon, la semaine en cour.

Je pense qu'il y aurait également un gain de précision sur le plan de la qualité de la preuve, et c'est une des objections à laquelle je pensais justement répondre. Vous avez sûrement observé des interrogatoires et des contre-interrogatoires, tous les avocats ici l'ont fait. Il y a beaucoup de tâtonnements ou d'à-peu-près et d'hésitations et d'improvisations, hein? Ça dépend du degré de préparation des avocats puis ça dépend également du degré de compétence du témoin. C'est long, et cette économie... ce temps pourrait être contracté si toutes ces hésitations et ce tâtonnement se faisaient en dehors de l'écran, dans la salle de travail, pour donner un résultat qui est concis et qui est définitif, qui est le témoignage écrit. Mais ça n'empêche pas la partie adverse de convaincre le tribunal, de dire: Écoutez, moi, ça me prend un contre-interrogatoire parce que j'ai une déclaration antérieure incompatible et je veux affaiblir sa crédibilité. Très bien. Alors, le juge autorise, permet la convocation du témoin et puis autorise le contre-interrogatoire.

M. Fournier: ...la possession d'une preuve au contraire, de déclarations antérieures ou quoi que ce soit. Il peut être d'intérêt et parfois sans même... que l'avocat qui voudrait demander d'interroger ce témoin qui a offert une déclaration écrite puisse juste vouloir vérifier la façon dont il va livrer le témoignage qui a été livré par écrit, de le faire, j'allais dire, par lui-même. Je pense que j'en dis un peu trop quand je dis ça, je ne veux pas paraître biaisé, mais, lorsque l'avocat fait remplir la déclaration écrite -- je pense que je viens de dire «fait remplir», hein, je pense que je l'ai dit -- lorsque l'avocat fait remplir la déclaration écrite, il a un certain niveau d'accompagnement de son témoin. On n'est pas là, le juge n'est pas là. Il l'accompagne pas mal pour faire cette preuve. Le témoin se présente... J'ai fait cinq ans de pratique seulement, alors je n'ai pas un bagage très grand, mais je me souviens qu'il m'est arrivé de voir que l'histoire dans mon bureau et l'histoire du témoin debout étaient différentes, des fois. Et c'est arrivé à d'autres. Donc, ce n'est pas juste à moi que ça m'est arrivé, là, j'ai compris que c'est arrivé à d'autres aussi.

Alors, j'essaie juste de voir pour l'avocat qui voudrait se dire: Bon, je comprends que j'ai un témoignage écrit, je ne le mets pas en doute, mais j'aimerais quand même pouvoir l'interroger juste pour qu'il me le livre, pour voir jusqu'à quel point cela tient. Je n'ai pas d'autre raison, je veux avoir l'oralité devant vous, M. le juge. Je veux que vous puissiez tester son histoire parce qu'il y en a une autre, histoire. Est-ce que je ne crois pas, finalement, qu'on va vouloir multiplier l'interrogatoire?

Je comprends. Je comprends que vous me dites: La preuve qu'on voulait faire aura été faite, on sauve une journée, là, mais je ne sauve pas nécessairement le nombre de témoins, parce qu'il va toujours y avoir un certain doute que la déclaration écrite... Enfin, je dis ça, là, je présuppose, vous pouvez dire que ce que je pense est faux, là, mais on peut toujours penser que la déclaration écrite est la preuve offerte par le témoin accompagné de son avocat et que, lorsqu'il va l'offrir oralement, ce sera la preuve du témoin devant le juge. Il me semble que, tu sais, il peut y avoir une différence entre les deux, je ne sais pas si je me trompe.

M. Fabien (Claude): Oui. Écoutez, quant à la forme que ça peut prendre, c'est ouvert et ça peut être variable. Ça peut être sous la forme d'un melon. Si le client et demandeur est un homme d'affaires, il peut dire: Pouvez-vous m'écrire un melon qui fait le récit des faits? Si le client ou si le témoin est moins habile, eh bien, ça peut être questions et réponses, de dire: Écoutez, on va s'asseoir. Je suis l'avocat. Je vous pose des questions, et puis vous répondez, et puis on enregistre vos réponses et puis éventuellement on va les transcrire. Et, de cette façon-là, ça couvre un certain terrain.

Pensez à ces interrogatoires où on passe une demi-journée simplement à camper le décor dans un cas de congédiement, par exemple, d'un cadre: Bon, parlez-moi de votre entreprise. Qu'est-ce que vous fabriquez? Quelles sont vos normes, vos procédures d'embauche, vos comités de sélection, etc.? C'est des faits qui ne sont pas contestés, on perd des heures et des heures à entendre ces détails-là. S'ils avaient été fournis par écrit, la partie adverse n'aurait même pas eu une seule question à poser en contre-interrogatoire.

Et j'ajoute un deuxième... une autre dimension presque occulte, c'est les notes du décideur, les notes du juge, les notes de l'arbitre. Il y a une perte d'information entre ce que le témoin déclare et puis les notes que va prendre le juge. S'il n'interrompt pas le témoin, la perte est encore plus grande; s'il interrompt le témoin, bien ça fait durer le processus encore davantage. Et, si le juge pouvait avoir à sa disposition les versions écrites des témoignages, surtout ceux qui ont un caractère technique ou qui donnent des chiffres, qui donnent des noms, qui donnent des détails, des dates, des heures, au lieu d'avoir à les noter péniblement et avec un facteur de perte qui peut parfois être considérable, eh bien, cette information-là devient immédiatement disponible dans le dossier. Alors, moi, je pense qu'il peut y avoir un gain de précision plutôt qu'une perte, par un procédé comme celui-là.

La Présidente (Mme Vallée): Je vous remercie. Je vais céder la parole à M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Cloutier: Je vous remercie, Mme la Présidente. Merci, M. Fabien, pour cette présentation qui nous permet d'évaluer une autre proposition pour... Je pense que l'objectif que vous visez est celui de l'accélération du processus puis une économie de temps, puis, en ce sens, c'est extrêmement valable comme discussion.

Ceci dit, je me demandais si c'était une proposition que vous aviez déjà testée auprès des avocats, je dirais, praticiens et si c'est une idée que vous reprenez, que vous avez déjà émise par le passé, qui a déjà fait l'objet d'un débat.

**(12 h 10)**

M. Fabien (Claude): Non, c'est le pur fruit de mon imagination. Mais je vais ajouter une expérience dont je voulais vous parler, et puis vous m'ouvrez la porte. Ça considère... Ça concerne la juridiction arbitrale.

Les arbitres de griefs se sont retrouvés du jour au lendemain avec de nouvelles dispositions relatives à la protection contre le harcèlement psychologique, et c'est devenu une mode, c'est devenu le rayon de la mort, les accusations et les plaintes se multiplient, avec raison dans certains cas. Et voilà une législation certainement progressiste, et les arbitres ont fait leur boulot. Mais, vous comprenez, il est de l'essence du harcèlement qu'il y ait une répétition, et, en milieu de travail, la répétition se fait devant une multitude de témoins. Alors, imaginez le défi à surmonter d'avoir jour après jour, hein... Parce que j'en ai fait un, moi, ça a duré 12 jours, et puis c'est peu par rapport à ce que certains collègues ont eu, je veux dire, 20 jours d'audience. Et la jurisprudence arbitrale a développé une nouvelle méthode de travail pour le harcèlement qui consiste à inviter, sinon à ordonner au plaignant de rédiger par écrit tous les incidents qu'il qualifie de harcèlement ou qui contribuent au soutien de sa plainte de harcèlement. Ça donne des documents... J'en ai vu, moi, dans certains dossiers, ça donne 20 pages ou plus. C'est long, c'est complexe, c'est répétitif. Et ce document-là est remis à la partie adverse, qui, à son tour, va faire le récit de sa vision des choses et vision des faits.

Cette méthode-là a donné satisfaction à tous les intervenants, autant les arbitres que les parties; deuxièmement, a été très efficace pour entraîner des règlements, chacun pouvant mesurer, à ce moment-là, comme je l'évoquais tantôt, la force véritable de sa preuve. Et, troisièmement, je vous assure que ça facilite drôlement la tâche au niveau de l'enquête puisque ça permet un déroulement plus efficace et plus ordonné de l'enquête et ça augmente la compréhension que le décideur peut avoir des faits. Quant à moi, c'est une expérience parfaitement réussie et puis qui pourrait être transposable dans le domaine du contentieux civil.

M. Cloutier: Alors, vous pensez que cet exemple précis et quand même assez limité pourrait être étendu à l'ensemble des procédures civiles.

M. Fabien (Claude): Oui, parce que ça touche précisément des cas de grande complexité. Si l'expérience avait été faite sur des choses insignifiantes, on pourrait dire... il faudrait hésiter avant de les transposer à plus grande échelle, mais le champ d'expérimentation, ça a été à peu près un des champs d'intervention les plus complexes dans lesquels la juridiction arbitrale est appelée à se prononcer.

M. Cloutier: Mais en même temps vous reconnaissez aussi que le tribunal, dans certaines situations, devrait rencontrer, devrait entendre le témoin et permettre le contre-interrogatoire puis vous dites que le juge devrait, pour ça, en être convaincu. Pouvez-vous nous expliquer de quelle façon on pourrait convaincre un tribunal d'entendre un témoin?

M. Fabien (Claude): Bien, la...

M. Cloutier: Parce qu'il y a quand même une discrétion. Puis, suite à cette discrétion du tribunal, ce que vous dites, c'est qu'on pourrait ensuite condamner une partie qui aurait fait entendre un témoin alors qu'il n'aurait pas dû l'être, mais le tribunal aurait quand même préalablement exercé un jugement où il aurait permis cette...

M. Fabien (Claude): Oui, mais un jugement qui est prospectif, qui est spéculatif, qui est sur la base des représentations qu'en toute bonne foi les parties font de part et d'autre. Non, moi, je dis: Ultimement, le risque du témoin inutile devrait être assumé objectivement et ne pas être basé sur la mauvaise foi ou sur ce que le code appelle ailleurs... le projet appelle les abus de procédure. Ça n'a servi à rien? Bien, écoutez, vous êtes collés avec les frais du témoin.

J'ai perdu le fil de votre question. Votre question, c'était...

M. Cloutier: La discrétion qui...

M. Fabien (Claude): Quelle serait la base de la discrétion?

M. Cloutier: Bien, les critères.

M. Fabien (Claude): Écoutez, là-dessus, je veux dire, il faut donner des leviers au tribunal pour pouvoir contrôler et contenir, notamment pour essayer de prévenir les abus, mais les critères pourraient être raffinés, et on pourrait imaginer un système où le bénéfice du doute est accordé à la partie qui demande. Le juge pourrait avoir un rôle d'encadrer, de poser des questions mais de dire: Écoutez, je vous fais confiance, allez-y. Mais là où son intervention pourrait être utile, c'est quand il constate que tout converge puis que l'avocat veut néanmoins que le témoin soit entendu. Bien là, c'est une bonne raison de demander pourquoi, les témoins sont d'accord sur les faits.

Et l'autre dimension, c'est de contrer... Je veux dire, comme praticiens, les praticiens sont témoins -- et, moi, je l'ai été autant comme autant -- de contre-interrogatoires inutiles. L'avocat qui se lève, il ne sait pas pourquoi, il n'a pas... Il le fait pour donner un spectacle à son client ou il le fait sur la base des attentes qu'il prête à son client, va poser 15 questions où manifestement il tourne en rond, il ne sait pas où il s'en va, il a fait perdre le temps du tribunal et puis il a exploité aux frais... Tout ça se passe aux frais de son client. Si un avocat n'est pas capable d'expliquer au décideur pourquoi il souhaite contre-interroger, eh bien, il y a peut-être matière à intervention et il y a matière à rendre plus efficace un processus qui présentement me semble être trop indulgent.

M. Cloutier: Mais est-ce qu'il n'y pas un écart entre la possibilité de produire un témoignage écrit puis l'obligation d'en faire un? Est-ce qu'il n'y aurait pas une transition qui serait possible entre votre proposition puis celle de l'article 287, où du même souffle on souhaiterait davantage de témoignages écrits, mais en même temps on laisserait la chance aux parties de pouvoir, de façon peut-être pas exceptionnelle, entendre des témoins?

M. Fabien (Claude): Bien, la raison pour laquelle ça ne marche pas actuellement, c'est que, si je prends le risque de fournir une déclaration, un témoignage écrit et que mon adversaire exige la présence du témoin néanmoins, je viens de lui fournir l'arme de ma destruction et, moi, je n'ai rien acquis en retour parce que je ne sais pas ce que ses témoins vont venir dire. Et comment je lui ai fourni l'arme de ma destruction? C'est que, un, il va pouvoir préparer son contre-interrogatoire de façon plus musclée; deux, il va pouvoir mettre mon témoin en contradiction avec la version écrite qu'il a déjà donnée. Et je pense que, pour que ça fonctionne, il faut que ce soit une base de réciprocité et donnant, donnant, un peu comme on échange les pièces aujourd'hui et les documents ou les rapports d'expertise: Je te donne mon rapport d'expertise mais à condition que, toi, tu me fournisses le tien, et puis on les examine de part et d'autre.

M. Cloutier: La volonté de vouloir rendre plus efficace le processus judiciaire n'est pas unique au Québec. Est-ce que votre proposition trouve écho ou existe déjà dans d'autres juridictions?

M. Fabien (Claude): Bien oui. On a de la difficulté à imaginer que ça puisse être autrement parce qu'on est baignés, on baigne dans la culture juridique d'origine anglaise qui est la nôtre. Notre procédure civile est directement inspirée de la procédure... Autant notre droit civil vient du droit français, autant notre procédure civile vient du droit anglais, fortement imprégnée de droit pénal, de droit criminel. Alors, c'est une importation dans notre droit. Le droit continental tel que pratiqué dans les autres pays d'Europe est d'une toute autre eau et dans lequel, que ce soit en Hollande ou en France, les témoignages écrits sont monnaie courante, et ça ne pose pas le genre de problème auquel on pense ici.

M. Cloutier: Puis je comprends que, dans certaines autres juridictions, on peut le prévoir, mais c'est déjà aussi prévu dans notre Code de procédure. Est-ce qu'ailleurs on l'oblige comme vous le souhaiteriez avec la proposition que vous faites?

**(12 h 20)**

M. Fabien (Claude): Écoutez, je ne suis pas familier avec la procédure civile en France ou aux Pays-Bas au point de vous dire quel en est le détail, mais c'est certainement une avenue d'exploration qui, je veux dire, d'après moi, devrait être couverte.

La Présidente (Mme Vallée): Merci. Alors, je vais céder maintenant la parole à M. le ministre pour un bloc d'échange qui a été un petit peu amputé, de sept minutes.

M. Fournier: Juste rapidement, pour revenir, je comprends qu'une des façons, c'est l'obligation. J'y reviendrai peut-être tantôt. L'autre façon, c'est de constater que, lorsqu'harpies la conférence préparatoire à l'instruction, basé sur des déclarations qui sont faites par les parties notamment à 170, là, des propositions, là, où les parties déclarent la liste des témoins qu'ils entendent convoquer, comment ils vont présenter les témoignages, par déclaration... alors là on arrive à la conférence préparatoire, et le rôle du juge, à ce moment-là, c'est de voir quelles sont les mesures propres à simplifier et abréger l'instruction. Bon.

Alors, il y a... Bon, vous allez me dire: Ça reste que ce n'est pas dans tous les cas que ça se présente. Mais, dans les cas où cela se présente, est-ce qu'il y a... plutôt que de... Je revenais tantôt sur l'obligation. J'ai une réticence évidemment, là, une petite réticence à l'obligation. Je ne sais pas si... Je vais vous expliquer pourquoi tantôt. Est-ce qu'on ne peut pas profiter de la déclaration d'inscription, la conférence préparatoire pour amener notamment le juge à dire: Écoutez, avez-vous bien besoin d'un témoin pour faire ça, là, cette affaire-là? Faites-moi une déclaration écrite là-dessus, puis ça va aller. Est-ce qu'il n'y a pas un autre moyen que de dire: On l'oblige, mais de l'appliquer aux cas où on peut créer un incitatif additionnel à la preuve écrite lorsqu'on participe à la conférence préparatoire?

M. Fabien (Claude): Je pense qu'à ce moment-là c'est le statu quo. C'est le volontariat tel qu'il se pratique sous 294.1, et ce système-là n'a rien changé, me semble-t-il, au problème de la durée des procès.

M. Fournier: Quel est...

M. Fabien (Claude): Je veux ajouter. Votre collègue me demandait tantôt s'il y avait eu une expérience, une autre expérience, un champ d'expérimentation probant, et puis, oui, j'en ai un deuxième que je viens de retrouver dans mes notes, c'est l'affidavit détaillé, l'affidavit détaillé de l'article 93.1 qui est obligatoire dans les affaires d'injonction -- l'article 754 -- certaines procédures en matière familiale -- 813.1 -- et puis des recours extraordinaires -- l'article 835.3. Ce n'est pas des domaines légers ou négligeables. Ça mobilise de grands cabinets avec des enjeux colossaux, et ça se fait rapidement, et ça marche.

Alors, si l'affidavit détaillé marche, je veux dire, pour les grandes affaires d'injonction, pourquoi ça ne marcherait pas pour la petite cause ordinaire de vice caché de construction qui va brûler cinq jours du tribunal?

M. Fournier: Alors, je vais télégraphier une question que je vais poser au Barreau lorsqu'ils vont venir. Ils sont à l'écoute, j'en suis persuadé, donc ils vont préparer leur réponse. Je vais leur demander ce qu'ils pensent de cette obligation.

En attendant, je vous pose la question. Mettez-vous dans les souliers de quelqu'un qui voit des problèmes à la proposition que vous faites. Vous me dites: Quand c'est volontaire, il y en a juste un qui le fait puis il donne l'arme à l'autre. Alors, quelle sera la réaction des praticiens, ceux qui sont à la cour à tous les jours et à qui on dirait: Voici, j'écris dans le code que maintenant il y a une obligation de faire votre preuve par écrit? Quelles seront les objections qu'ils feront à cette addition dans le code? Question que je vous pose à vous, que je vais reposer au Barreau, là, je la pose déjà par le biais de la caméra.

M. Fabien (Claude): Je ne connais pas le point de vue officiel du Barreau, mais on peut deviner que ce que j'appelle la pratique ou l'avocat moyen va être contre et réticent, réticent parce qu'il ne connaît pas autre chose, parce que beaucoup d'entre eux sont devenus excellents dans l'art de l'interrogatoire et du contre-interrogatoire, et effectivement ça peut déclencher des réticences bien légitimes que de dire: Cet art que j'ai poussé près de la perfection et qui me permet d'être tellement performant dans ce que je fais, bien, son champ d'exercice va être un peu plus restreint, les procès seront moins longs, et j'aurai une plage ou une patinoire moins grande pour pouvoir m'exprimer.

Mais la question à se poser, c'est de savoir: Est-ce que le procès, c'est celui des avocats? Et à qui ça appartient, ce temps-là et ces intérêts, hein? Il y a les parties. D'après moi, le procès, c'est d'abord l'affaire des parties, des parties qui paient. Et puis, en fonction du temps que prend le procès à se dérouler, c'est aussi l'affaire des autres justiciables qui sont en attente de leur tour pour avoir un procès et qui ne veulent pas être renvoyés à deux ans et à trois ans.

Mais, à ce moment-là, il faut relativiser la réaction bien, bien normale et bien légitime. Je veux dire, j'imagine que les typographes ont eu des réactions lorsqu'on a inventé l'informatique qui éventuellement les a remplacés. C'est une comparaison boiteuse et extrême, je veux dire, je pense que les avocats vont durer jusqu'à la fin du monde, c'est une profession nécessaire et indispensable, mais que les modalités par lesquelles va s'exercer leur ministère indispensable sont appelées à varier dans le temps.

M. Fournier: Juste pour qu'on se comprenne, il est évident que tout changement suscite une réaction, et évidemment on pourrait dire: Ce n'est pas notre pratique, c'est ce que vous dites, ils ne voudront pas nécessairement. Mais ma question était plutôt sur: Imaginons la raison qu'ils pourraient invoquer, qui n'est pas nécessairement de dire: C'est comme ça que je mène mon métier. On fait une réforme, c'est sûr que les gens pourront voir leurs modalités changer. Mais vous avez pris la peine de répondre en disant «celui qui a développé une expertise particulière dans l'interrogatoire ou le contre-interrogatoire». N'est-il pas possible que sa réaction face à une obligation de procéder par preuve écrite soit de dire que cette expertise qu'il a développée l'amène à penser que, même pour la déclaration écrite d'une preuve qui ne semble pas être si contestable que ça, lorsqu'elle sera faite oralement devant le juge... je prends l'exemple que je disais tantôt, plutôt qu'une preuve écrite accompagné de son avocat une preuve orale devant un juge, déjà un peu différent, et qu'il risque de nous dire: Pour les fins de la justice, il est bon que le juge entende cette preuve, et l'habileté que j'ai dans mes questions amène souvent le juge à entendre une version un peu différente de celle qu'il aurait lue, et que ce sera ça, leur réaction, lorsque je leur poserai la question? Et, s'ils me disaient cela, est-ce que vous trouvez que je devrais donner beaucoup de poids à cet argument-là?

La Présidente (Mme Vallée): Je suis désolée, on a encore une fois dépassé le temps qui nous était imparti de une minute. Et je vais devoir également avoir le consentement des membres de la commission pour poursuivre au-delà de 12 h 30 nos échanges, puisqu'il reste un autre bloc d'échange pour l'opposition. Alors, sur ce...

M. Fournier: ...dernière question. Donc, consentement pour aller plus loin, là.

La Présidente (Mme Vallée): Consentement pour aller plus loin. Parfait. Et je dois malheureusement couper l'échange et céder...

Une voix: ...

La Présidente (Mme Vallée): D'accord. Alors, Me Fabien, nous allons vous permettre une brève réponse à la question du ministre.

M. Fabien (Claude): Il y a une réponse économique puis une réponse de fond. La réponse économique, là, imaginez que, dans le village, il y a un problème de transport, et puis collectivement les gens décident d'acheter un véhicule, et puis on achète une Rolls-Royce, est-ce que c'est le choix... et puis qu'on l'utilise à tour de rôle, et puis il y a une queue, une file d'attente considérable pour l'utiliser, et puis qu'un jour quelqu'un arrive avec une idée en disant: Écoutez, on pourrait acheter des Yaris Toyota, on pourrait en acheter 10 pour le prix de... et puis les files d'attente seraient moins longues. Évidemment, il peut y avoir un compromis, mais l'essentiel est sauf, et il y aura des moyens de transport, à ce moment-là, plus accessibles.

Sur la question de fond, je pense, moi, que, si on l'examine, la proposition, de près, les avocats ou la pratique pourraient finir par comprendre qu'il y aurait un gain à ce système-là et non pas une perte sur le plan de la qualité et de l'efficacité. Le gain, il est dans la qualité de l'information dont le juge va... dont il va disposer. Et puis mon allusion aux notes que prend le juge n'était pas anecdotique, et il n'y a aucune étude scientifique là-dessus, puis c'est probablement une documentation qui est inaccessible, mais mon expérience d'arbitre me porte à croire qu'il y a effectivement une perte d'information. Alors, je pense que les dépositions écrites vont augmenter la précision et la qualité de l'information et que, deux, ça va faciliter le processus de médiation.

J'ai participé à des processus de médiation et j'ai trouvé qu'à certains égards c'était absurde, absurde d'être dans le noir à ce point-là et d'avoir comme principal moteur ou motivation du règlement les aspects dysfonctionnels du système. On ne sait pas, d'une part, qu'est-ce que les témoins de la partie adverse vont venir dire et, deuxièmement, on sait cependant que ça va coûter cinq jours, sinon davantage, d'audience. D'après moi, ça introduit une distorsion considérable dans le processus de médiation dont les résultats souffrent. Alors, la médiation, dans l'état actuel des choses, n'est pas la panacée universelle si elle souffre de ces facteurs de distorsion qui me semblent indus.

**(12 h 30)**

La Présidente (Mme Vallée): Merci. Alors, Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. Alors, merci beaucoup de votre présentation. Je l'apprécie beaucoup parce que je pense qu'on est à la recherche d'éléments aussi qui peuvent diminuer le formalisme et la lourdeur. C'est sûr que c'est au coeur de la réflexion qui doit nous habiter, alors, moi, j'apprécie bien toute contribution originale pour retourner toutes les pierres, même si c'est très, très précis comme approche.

Mais évidemment on voit tout de suite... C'est parce qu'on a déjà eu hier une journée avec plusieurs intervenants. Juste, par exemple, sur la question de l'expert unique, qui est une question importante mais... même si le ministre, dans son avant-projet de loi, n'a pas décidé d'en faire une obligation malgré ce que certains revendiquent, que ce soit vraiment la règle que celle de l'expert commun, il y a beaucoup de réticences juste devant le fait que, par exemple, dans certaines circonstances, pour des raisons de proportionnalité, le tribunal ordonne l'expert commun, et on nous a plaidé beaucoup la question de la défense pleine et entière. Et là vous arrivez avec une proposition très novatrice, et, moi, je veux savoir comment on répond à l'avance à ceux qui vont venir nous dire: Compte tenu de la pratique, compte tenu de ce qu'on prévoit comme principe de défense pleine et entière, comment pourrons-nous y arriver si on n'a pas cette possibilité-là, dans certaines circonstances, de contre-interroger?

M. Fabien (Claude): C'est facile de préconiser la Rolls-Royce pour tous, mais ce n'est pas réaliste et c'est même paresseux, d'une certaine manière, je veux dire, rééditer continuellement les mêmes méthodes et puis se limiter à celles qu'on connaît. Je ne suis pas naïf, je sais que mon intervention a une dimension utopique, mais l'utopie fait avancer les idées, et c'est un peu le rôle des professeurs de droit que de mettre en marché des idées, de lancer des idées, là, sur le marché des idées, et puis à ce moment-là qu'elles vivent, et puis qu'on les discute. Et puis elles peuvent porter fruit ou des fruits inattendus, sinon dans l'immédiat, je veux dire, à plus long terme.

Je pense que c'est une idée qui mérite réflexion, qui mérite d'être raffinée et même testée. Et non seulement elle est, d'après moi, plus réaliste et adaptée à nos moyens véritables, mais en plus, en y regardant de plus près, je pense, il y a une dimension positive. On ne devrait pas simplement se résigner à adopter une formule comme celle-là mais d'essayer de voir ou de vérifier si en réalité il n'y aurait pas un gain insoupçonné sur la qualité de la connaissance des faits que le juge acquiert grâce à nos méthodes de preuve.

Mme Hivon: Oui. Bien, en fait, c'est sûr que c'est intéressant. Puis, vous voyez, votre contribution va déjà faire des petits parce qu'on risque de revenir et poser la question à des praticiens, donc ça va la faire mijoter. Puis je pense aussi qu'à certains égards ça peut être une illustration concrète de comment on peut appliquer le principe de proportionnalité dans certaines affaires, de dire que peut-être que dans certaines causes c'est moins applicable mais que, dans certaines autres, les témoignages écrits pourraient être une avenue à suivre. En tout cas, c'est à voir.

Juste... Très concrètement, évidemment, il y a toute la question de -- le ministre disait tantôt -- l'assistance par l'avocat pour compléter le témoignage écrit, la déclaration écrite, bon, tout ça, pour s'assurer un peu de... ici c'est sûr que c'est une tradition qu'on connaît peu, là, mais, je veux dire, de la véracité, de la conformité à la réalité du témoignage.

Est-ce que vous voyez un certain formalisme à la déclaration? Est-ce que c'est une déclaration sous serment? Est-ce que vous avez regardé ces éléments-là dans votre réflexion?

M. Fabien (Claude): Écoutez, le fait que la déclaration soit assermentée, d'après moi, lui donnerait un certain cachet, un certain sérieux. Le fait que le témoin soit prévenu qu'il est exposé à être appelé à venir en personne et puis à être soumis au contre-interrogatoire peut inciter à un certain sérieux.

Il y a d'autres techniques. Je sais qu'en France, dans certains domaines ou à une certaine époque, la déclaration du témoin devait être rédigée à la plume, et à la longue main, et à la première personne. Ça, là-dessus, ça pose le problème de ceux qui n'ont pas d'habilité d'écriture, et je pense que des témoins et même des parties vont avoir besoin d'aide, la formule de questions et réponses qui sont prises en note, et puis lisez-le et...

Et une considération additionnelle: à tous les jours, les avocats, même dans des causes d'une importance considérable, donnent des opinions sur la base desquelles les règlements se font ou des décisions par des grandes compagnies de poursuivre, de ne pas poursuivre, de régler. Qu'est-ce qu'ils ont dans leurs dossiers? Ils ont des versions écrites de témoins. Qui ont été recueillies par qui? Par les enquêteurs -- ça n'a pas besoin d'être des avocats -- des parajuridiques dont c'est le métier. Ils sont allés rencontrer des témoins, ils sont peut-être allés rencontrer la partie adverse avant qu'il n'y ait litige. Ils ont soit recueilli leurs témoignages de vive voix et puis ils l'ont noté. Dans certains cas, ils ont fait signer en bas; dans d'autres, non. Et cette documentation-là qui est présente aujourd'hui dans les cabinets d'avocats, dans les dossiers sur lesquels des opinions très sérieuses vont être prises et des décisions capitales, c'est du témoignage écrit.

Alors, si c'est bon pour le praticien qui donne une opinion, si c'est bon pour l'entreprise qui règle ou qui décide dans des affaires d'une importance capitale, pourquoi est-ce que le décideur... pourquoi ça deviendrait tout à coup mauvais, et pas fiable, et aberrant pour le décideur que constitue le juge de travailler avec un instrument comparable à celui qu'utilisent les avocats praticiens à tous les jours dans leur travail de conseil juridique, qui, soit dit en passant, est beaucoup plus considérable, hein? Les litiges, c'est juste l'épiphénomène, là, par rapport à tous les litiges qui se règlent sur la base de la documentation écrite et puis des versions écrites que les avocats ont dans les dossiers. Ça ne doit pas être si mauvais.

La Présidente (Mme Vallée): Je vous remercie. Je dois malheureusement mettre un terme à nos échanges.

Alors, compte tenu de l'heure, la commission ajourne ses travaux jusqu'à 14 heures. Et je vous remercie beaucoup, Pr Fabien, de votre présence et de votre participation aux travaux de la commission. Merci.

(Suspension de la séance à 12 h 40)

 

(Reprise à 14 h 5)

La Présidente (Mme Vallée): À l'ordre, s'il vous plaît! Je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je demande à toutes les personnes qui sont présentes dans la salle de bien vouloir s'assurer que la sonnerie de votre téléphone cellulaire est éteinte.

Et nous allons poursuivre sans plus tarder les auditions publiques sur l'avant-projet de loi instituant le Code de procédure civile. Alors, Dr Gray, je vous souhaite la bienvenue et je vous inviterais à nous présenter les personnes qui vous accompagnent et ensuite à faire votre exposé. Vous disposez d'une période de 15 minutes, et par la suite il y aura deux blocs de 10 minutes par parti pour des échanges. Et on va essayer de s'en tenir au temps, cet après-midi, et de ne pas trop déborder, quoiqu'on est quand même assez indulgents, là, mais on va essayer, par respect de nos groupes, de suivre le temps. Alors, Dr Gray, nous vous écoutons.

Association canadienne de protection médicale (ACPM)

M. Gray (John E.): Merci beaucoup. Bonjour. Je suis le Dr John Gray, directeur général de l'Association canadienne de protection médicale. J'aimerais remercier la commission de m'avoir invité à parler de certains points clés de notre mémoire. Je vous présente Me Daniel Boivin, de Gowling Lafleur Henderson, un chef de contentieux de l'association, et Me Robert-Jean Chénier aussi, de McCarthy Tétrault de Montréal. Me Chénier et son équipe fournissent à l'ACPM la grande majorité des services juridiques au Québec.

Mes Boivin et Chénier feront la présentation. J'aimerais toutefois vous présenter l'ACPM et discuter de son expérience avec le système de justice civile au Québec et l'avant-projet de loi.

L'ACPM est une organisation à caractère mutuel qui défend les médecins ayant des problèmes médicolégaux. L'aide qu'offre l'association comprend les conseils, l'assistance juridique ainsi que le paiement des dommages et intérêts lorsqu'un médecin a commis une faute professionnelle. L'ACPM offre aussi un programme très élaboré de gestion des risques pour améliorer la sécurité des soins. En 2011, nous avons présenté plus de 100 séances éducatives à nos membres du Québec. Nous comptons 83 000 médecins, dont plus de 17 000 au Québec.

En moyenne, 150 actions en justice sont intentées chaque année contre des médecins du Québec. De 10 % à 15 % de ces actions suivent tout le processus d'un litige au civil pour être jugées devant les tribunaux. La grande majorité des causes sont réglées par l'ACPM ou rejetées. Toutefois, les causes qui se rendent à l'étape du procès sont souvent très complexes, et les tribunaux doivent en grande partie compter sur le témoignage d'experts.

Me Boivin et Me Chénier parleront de nos recommandations, résumées dans les documents que nous vous avons fournis. Me Boivin.

M. Boivin (Daniel): Merci, Dr Gray. Mme la Présidente, M. le ministre, messieurs mesdames, membres de la commission, bonjour. Comme nous l'affirmons dans nos représentations écrites, l'ACPM est en accord avec plusieurs aspects de la réforme proposée. Le but de nos représentations est de porter à votre attention certains aspects de la réforme qui pourraient avoir des conséquences négatives sur certains types de litige complexes et vous suggérer des solutions pratiques.

Un des aspects de la réforme avec lequel l'ACPM est d'accord est l'adoption de la proportionnalité comme principe directeur de la réforme. Le principe de proportionnalité doit toutefois être bien défini, il est important de s'assurer de ne pas mesurer l'accès à la justice en général ou le principe de proportionnalité en particulier uniquement en fonction du temps et des coûts. Bien entendu, tous les justiciables profiteraient d'une réduction des coûts, les participants à la justice québécoise sont aussi généralement d'accord que le temps requis pour aller de l'introduction de l'instance à la résolution finale pourrait grandement être amélioré, mais l'accès à la justice, ça va beaucoup plus loin que ces deux facteurs.

Pour tous les professionnels comme les médecins ou les avocats, la protection de la réputation est une préoccupation suffisante pour justifier une défense vigoureuse à une action en justice. Une telle action peut avoir des conséquences sérieuses et permanentes sur leur vie professionnelle, peu importe le montant qui a été réclamé. Dans les cas où les parties à une action en responsabilité médicale complexe ne sont pas capables de résoudre leurs différends sans l'aide d'un juge, les parties mesurent l'accès à la justice non seulement en fonction du coût et du temps, mais aussi par leur capacité de présenter leurs points de vue d'une façon juste devant un tribunal impartial. À la conclusion de l'affaire, la partie perdante à qui on n'aurait pas donné la chance de présenter toute sa preuve en réponse à la partie adverse n'aura pas le sentiment d'avoir eu accès à la justice, même si le processus judiciaire s'est conclu de façon rapide et sans grands frais.

**(14 h 10)**

Comme nous le mentionnons dans nos représentations écrites, il est important de définir le concept de proportionnalité de façon assez large pour y inclure ces autres notions qui pourraient être aussi importantes que les coûts et les délais. Nous aimerions mettre une emphase particulière aujourd'hui sur la question de la preuve d'expert. L'ACPM est d'accord que des changements sont nécessaires pour améliorer la façon dont la preuve d'expert est présentée. À certains égards, toutefois, la réforme proposée pourrait avoir des conséquences négatives, involontaires probablement, sur les parties dans certains types d'affaire. Il est utile de noter que des collègues qui représentent exclusivement les patients dans les litiges qui nous occupent nous communiquent des préoccupations semblables à l'égard des aspects de la réforme proposée.

La preuve d'expert peut prendre différentes formes. Dans certains cas, l'expertise est nécessaire sur des questions plus secondaires, par exemple la quantification des dommages. Dans certains cas, l'expertise est donnée dans des domaines de connaissance où il y aurait bien peu de divergences d'opinions entre les membres de la même profession.

La situation est différente dans les dossiers en responsabilité médicale et, plus généralement, dans les dossiers de responsabilité professionnelle. Dans ces dossiers, les experts sont appelés à se prononcer sur la faute, les normes de conduite, la causalité. En fait, le droit affirme que, dans la grande majorité des dossiers, le tribunal ne peut pas conclure à la responsabilité du médecin sans une preuve d'expert à l'appui.

Il n'est pas rare en médecine d'avoir des écoles de pensée différentes dans le même domaine de connaissance. Deux médecins pourraient avoir des solutions différentes à un problème médical donné, chaque point de vue étant tout à fait légitime et appuyé par la science. Le droit de la responsabilité professionnelle reconnaît spécifiquement la possibilité de l'existence d'écoles de pensée différentes.

Les juges disent souvent être troublés que deux experts qui ont une éducation et une expérience semblables expriment des opinions différentes sur un même sujet. Une telle divergence d'opinions, toutefois, est tout à fait normale. Vous reconnaîtrez que, dans la profession juridique, par exemple, les divergences d'opinions légitimes sont fréquentes. Les grands experts du droit que sont les juges de la Cour d'appel, par exemple, expriment fréquemment des opinions contradictoires. Ces divergences d'opinions sont utiles et font avancer le droit. En science, c'est la même chose, le débat d'idées divergentes fait avancer la connaissance. Dans les dossiers où la preuve d'expert est donnée sur les questions au litige fondamentales ou lorsqu'elle est donnée dans des domaines où des divergences d'opinions légitimes pourraient exister, il est essentiel de permettre un débat devant un tribunal pour que les considérations nécessaires soient données à tous les points de vue et que la décision soit bien informée.

J'aborde maintenant la question de l'interrogatoire et du contre-interrogatoire. La réforme propose que le rapport de l'expert tienne lieu d'interrogatoire principal. L'ACPM est d'accord avec l'exigence que le rapport soit complet et qu'il divulgue les fondements de l'opinion de l'expert.

Dans les causes plus complexes, toutefois, l'audience pourrait être compliquée et les frais augmentés par l'interdiction du témoignage principal de l'expert. Une des utilités de l'interrogatoire principal est d'éduquer le tribunal sur les concepts techniques qui sous-tendent l'opinion de l'expert. Sans cette éducation, il est difficile pour le tribunal d'assimiler la preuve de l'expert. Un court témoignage de l'expert appuyé par la preuve démonstrative pertinente peut être beaucoup plus efficace pour éduquer le juge qu'une longue description écrite dans un rapport. Les longs rapports seraient, bien entendu, aussi plus dispendieux pour les parties.

L'ACPM croit aussi qu'il devrait être possible de contre-interroger l'expert sur toutes les questions pertinentes au litige. Le contre-interrogatoire sur les prémisses factuelles et scientifiques permet au tribunal de mieux comprendre la pensée de l'expert. Il aide le tribunal à soupeser la preuve et à choisir entre les différents points de vue.

L'ACPM croit que les règles actuelles qui balisent l'interrogatoire et le contre-interrogatoire servent bien la justice. Le pouvoir du tribunal de contrôler le processus qui existe déjà, avec le principe de proportionnalité qui s'ajoute avec la réforme, donne au tribunal les outils nécessaires pour limiter un interrogatoire ou un contre-interrogatoire qui dépasserait les limites. Il n'est donc pas essentiel d'éliminer les règles traditionnelles à cet égard.

Pour parler maintenant de l'expert unique, nous sommes préoccupés par la discrétion du tribunal d'imposer l'expert unique même lorsque les parties s'entendent que les experts séparés sont nécessaires. Nous sommes d'accord que, dans certains cas, l'expert unique pourrait être tout à fait approprié. Par contre, dans bien des affaires plus complexes, l'expert unique n'avantagerait ni le tribunal ni les parties. Il est certain qu'un procès avec un expert unique serait plus court et que la décision du tribunal serait plus facile sans avoir un débat, mais la partie perdante au litige qui n'a pas pu faire entendre son expert pourrait ne pas être satisfaite de son accès à la justice. Nos préoccupations ont été exposées pleinement dans nos représentations écrites, notamment le danger que l'expert unique usurpe le rôle du juge.

Avant de discuter des solutions que nous proposons, j'aimerais prendre une minute pour discuter comment le concept d'expert unique a été utilisé avec succès au Royaume-Uni. La raison pour le succès: on a reconnu que l'expert unique n'est pas souhaitable dans toutes les circonstances. Après l'adoption de la règle imposant l'expert unique dans le litige civil, les tribunaux du Royaume-Uni ont rapidement émis des directives de pratique qui désignaient des domaines de litige pour lesquels il n'était pas approprié d'exercer cette discrétion. C'est de cette façon, par exemple, qu'on a exclu les causes de responsabilité professionnelle de l'application de la règle.

La prolifération d'exceptions à la règle imposant l'expert unique a, en bout de compte, mené à une application imprévisible de la règle à travers les tribunaux. C'est pour pallier à ce problème qu'on a finalement développé une liste de critères qui donne une série de circonstances que les parties et les tribunaux doivent considérer en déterminant s'il est approprié d'imposer l'expert unique. À notre avis, il s'agit là d'une façon tout à fait logique d'approcher la question de l'expert unique. Les critères guident les parties, guident les tribunaux, et l'exercice de la discrétion est plus prévisible. La possibilité d'utiliser l'expert unique est conservée, mais elle est limitée aux circonstances appropriées. Me Chénier.

M. Chénier (Robert-Jean): Mesdames messieurs, distingués membres de la commission. Comme Me Boivin vient de le mentionner, l'ACPM est d'accord avec plusieurs aspects de la réforme concernant la preuve d'expertise qui vont réduire les coûts et les délais. Elle a souligné dans son mémoire les éléments de la réforme qu'elle appuie, comme le fait que les parties ne puissent se prévaloir de plus d'une expertise par discipline ou matière, et Me Boivin a soulevé les préoccupations de l'ACPM concernant l'expert unique ou l'expert commun.

L'ACPM considère que deux solutions pourraient être envisagées pour s'assurer que l'accès à la justice ne soit pas compromis dans les cas de responsabilité médicale. La première solution serait de stipuler une exception pour exclure en matière de responsabilité professionnelle l'application de la discrétion judiciaire permettant d'ordonner un expert commun. Il est probable qu'il serait aussi approprié de stipuler une telle exception dans d'autres domaines du droit, par exemple dans les litiges complexes auxquels font face les municipalités ou le gouvernement et qui requièrent un débat d'expertise sur des matières techniques fort complexes.

La deuxième solution qui est préconisée par l'ACPM serait d'énoncer une liste de critères spécifiques dont le tribunal devrait tenir compte avant d'ordonner une expertise commune. À cet effet, nous vous avons remis un projet de modification à l'article 155 qui énonce ces critères. Si ces critères étaient adoptés, on pourrait tenir compte de diverses situations, et nous voulons vous donner cinq exemples.

Premier exemple: en matière de responsabilité médicale, les avocats qui représentent les patients obtiennent souvent l'opinion d'un expert afin de décider si leur client a été lésé par la faute du médecin. Lorsque l'expert consulté par l'avocat du patient conclut que le médecin a manqué aux normes de l'art et que sa faute a causé des dommages au patient, il est évident que le patient voudra que le tribunal reçoive l'opinion de l'expert qui lui est favorable, mais, si le tribunal ordonne une expertise commune et que l'expert commun conclut qu'il n'y a pas de faute de la part du médecin, alors l'action sera rejetée sans que le tribunal reçoive la preuve d'expertise obtenue par le patient. Alors, si on adoptait le quatrième critère que nous avons mentionné, le tribunal arriverait probablement à la conclusion de ne pas ordonner un expert commun dans un cas semblable où le patient a déjà consulté et obtenu l'opinion d'un expert.

Le deuxième exemple concerne les causes où les deux parties, sachant qu'à toutes fins pratiques l'opinion de l'expert commun sera déterminante de l'issu du litige, auront retenu chacun de leur côté un expert pour les conseiller sur la rédaction des procédures, la préparation des interrogatoires et pour relever dans les dossiers médicaux les points déterminants qui devraient être soulignés à l'expert commun. Dans un tel cas, le septième critère permettrait au tribunal de ne pas ordonner un expert commun, puisque de toute façon les parties devront retenir un expert chacun.

Le troisième exemple concerne les matières où il existe des écoles de pensée. En médecine, il survient que le traitement proposé à un patient puisse varier selon l'expérience, l'entraînement ou l'environnement pratique du médecin consulté. Dans un tel cas, le deuxième et le troisième critères feraient en sorte que la cour n'ordonnerait pas un expert commun.

Le quatrième exemple concerne les histoires médicales très longues et très complexes où l'identification des facteurs déterminants requiert l'analyse de dossiers médicaux par plusieurs experts et, dans quelques cas, les faits les plus pertinents ne seront pas établis avant le procès. Dans ces causes, l'application des critères 1, 5, 6 et 8 amènerait le tribunal à ne pas ordonner un expert commun.

Notre dernier exemple, qui est différent, concerne le calcul de la somme capitale requise pour pourvoir 10 000 $ par année à un patient, indexé selon l'inflation, pour la vie durant. Dans un tel cas, il n'est pas nécessaire d'obtenir l'opinion de deux actuaires. En appliquant le critère n° 3, le tribunal pourrait conclure que la preuve d'expertise relève d'un domaine de connaissance bien établi qui ne sera pas contesté et il pourrait, à ce moment, ordonner un expert commun.

L'ACPM considère que cette deuxième solution permettrait de mieux encadrer l'exercice de la discrétion judiciaire quant à l'ordonnance d'un expert commun, les critères qui guideraient les parties quant aux circonstances où elles devraient convenir d'un expert commun, tout en évitant d'en faire usage quand cela aurait des conséquences néfastes pour le processus judiciaire, les parties ou le tribunal.

Nous vous remercions de votre attention et nous serons heureux de répondre à vos questions.

**(14 h 20)**

La Présidente (Mme Vallée): Merci beaucoup. C'était exactement à l'intérieur du temps qui vous était accordé. Alors, M. le ministre, la parole est à vous.

M. Fournier: Merci, Mme la Présidente. Bienvenue parmi nous aujourd'hui. Félicitations d'être arrivés «right on time».

Je ne reviendrai pas sur les sujets avec lesquels vous êtes d'accord, sur le fait, par exemple, que la règle générale soit à l'effet que chaque partie puisse avoir l'expert dans la ou les matières nécessaires. Donc, je crois que là-dessus on s'est compris et je prends acte.

Arrive ensuite le pouvoir d'exception qui est disponible au juge de venir dire: Oui, même si les parties ont le droit, moi, je crois qu'il faut avoir une expertise commune, laquelle décision est appelable. Bon. Alors, pour commencer, on a déjà ce cadre. Ça, c'est le cadre prévu par l'avant-projet de loi, ce qui nous permet de dire... bien je sais que vous l'avez dit, mais ce qui nous permet de dire que la règle n'est pas l'expertise commune. C'est une exception qui elle-même doit être utilisée avec discernement, sinon à peine.

Vous nous offrez comme possibilité d'encadrer l'exercice de cette discrétion par certains critères. Jusque-là, il y avait un intérêt qui se soulevait en moi, et puis en vous écoutant, avec la liste des critères, j'avais vraiment l'impression que vous étiez en train de me dire: Finalement, on n'en veut pas, d'expertise commune. Je ne sais pas si... Bien, c'est l'impression qui s'est dégagée de la liste, parce qu'évidemment, bon, je pourrais recommencer, la responsabilité professionnelle, vous n'êtes pas les premiers qui nous parlez de ça, mais la question de réputation ne vise pas que les professionnels. À mon avis, ça ne peut pas être la raison d'être, là, d'une exclusion. Mais, en voyant la liste puis en vous écoutant faire les exemples, je trouvais qu'on n'aidait pas vraiment le juge à exercer cette discrétion. On lui disait tout simplement: Tu sais, on t'a reconnu ce pouvoir-là, mais surtout exerce-le pas. Ça avait l'air un peu de ça, c'est comme ça que je l'ai vu.

Alors, peut-être que ma compréhension serait meilleure et mon acceptabilité pourrait être développée dans la mesure où on arrivait à des critères qui n'avaient pas l'air à avoir pris pour acquis que l'expertise commune n'était pas le chemin à prendre. On a vraiment cette impression-là.

Par contre, c'est peut-être un exercice qui peut être fait, d'aller voir si on doit donner quelques outils dans l'exercice du choix qui est fait. Alors, je vous demande si c'est possible, donc, de voir d'autres types de critère qui seraient moins... qui auraient en tout cas tout au moins... ou bien dites-moi que non, il reste encore une marge de manoeuvre importante, puis étayez-la-moi. J'ai plutôt l'impression que vous m'avez prouvé le contraire.

Vous avez fait un petit point sur le contre-interrogatoire, on en a parlé hier, là, je ne me souviens plus avec qui on en parlait, là, on en a parlé hier, et je dois vous dire qu'on va réfléchir à nouveau, surtout dans la mesure d'une... surtout, surtout, là, dans la question de l'expertise commune. Mais ça vaut aussi dans le cas des autres, mais on ne peut pas non plus, là, menotter les parties. Ce qu'on vise, en termes d'accès à la justice, c'est l'accès à l'exercice du droit, une reconnaissance que des gens ont des droits mais qu'ils renoncent de plus en plus à les exercer, dû notamment aux délais et aux coûts. Donc, ce qu'on cherche à faire lorsqu'on parle d'accès à la justice, traditionnelle dans ce volet-là, c'est celle de l'accès à l'exercice du droit. Jamais on ne voudra que ce soit dans l'exercice d'une activité qui amène à dénaturer le droit ou à ne pas appliquer le bon droit. L'exercice du droit sous-entend que ce qu'on cherche, c'est de meilleures méthodes pour que le bon droit s'applique. Alors, je le dis juste pour que vous ne croyiez pas que tout ce qui anime, c'est de permettre aux gens d'aller devant les tribunaux, puis qu'on se fout de la réponse qui va... de la conclusion de la démarche devant les tribunaux.

Alors, ceci étant dit, puisqu'on chemine et on a à cheminer sur comment on peut aider le juge dans son discernement, est-ce que vous trouvez que j'abuse quand je dis que les huit conditions -- je pense qu'il y en a peut-être plus que huit dans ce que vous avez écrit -- deviennent peut-être une limite beaucoup trop grande et que, dans le fond, ça s'écrirait tellement plus simplement en disant que l'expertise commune est très condamnable?

M. Chénier (Robert-Jean): M. le juge... M. le juge, j'allais dire.

M. Fournier: Pas encore, et je ne l'envisage pas non plus.

Des voix: Ha, ha, ha!

Une voix: Même si c'est à deux reprises...

M. Fournier: Même si ça fait deux fois. Je ne sais pas ce que vous avez contre moi aujourd'hui.

M. Chénier (Robert-Jean): Alors, M. le ministre, comme on a déjà dit, il existe des situations où des gens de bonne foi, compétents et intègres arrivent à des opinions opposées, et donc en tout respect pour vous, quand je lis l'article 155, je n'y vois pas le mot, en tout respect, d'«exception» ou «exceptionnellement», et donc, en toute confiance envers les tribunaux qui vont exercer leur discrétion judiciaire, il nous semble, à la lecture de l'article 155.2°, qu'on laisse énormément de latitude et que ça va créer une disparité dans l'application de l'exception. Mais ce n'est pas écrit «exception».

Le juge a donc ce pouvoir d'ordonner un expert commun si le respect du principe de la proportionnalité l'impose. L'expérience en Angleterre avec une telle règle a fait en sorte qu'on s'est rendu compte qu'on avait une disparité d'application telle qu'à un moment donné on s'est rencontré puis on a décidé qu'il fallait baliser et encadrer cette discrétion pour donner des guides, et la proposition de l'ACPM est calquée sur ce qui s'est fait en Angleterre après sept ou huit ans d'expérience avec la règle de l'expert unique.

Je vais vous donner un peu notre... Dans les critères, je ne les trouve pas aussi exclusifs que vous, encore une fois en tout respect, parce que, si l'expertise relève d'un domaine de connaissance bien établi qui ne donnerait probablement pas lieu à contestation -- je cite le critère 3 -- le critère 1, si elle permet probablement d'aider à résoudre le litige de façon plus efficace et plus rapidement qu'avec des experts retenus par chaque partie, voilà donc les deux critères qui vont répondre au sempiternel exemple du toit qui coule. Alors, le juge, avec ces critères-là, est capable d'aller ordonner une expertise commune. On considère -- c'est la position de l'ACPM -- qu'une expertise commune qui trancherait le débat fondamental de savoir s'il y a eu manquement aux règles de l'art et s'il y a une faute, une incompétence ou une négligence, celle-là va trop loin, et ils seraient utiles pour ne pas que, sur le biais de la proportionnalité, on ait une absence de critères. Et, à mon avis, les juges, si on adoptait des critères comme outils, ça permettrait à la fois et aux parties et au juge de mieux se diriger vers quand ou non on devrait convenir d'un expert commun.

Comment est-ce que j'ai appris l'expérience d'Angleterre? Bien, à un moment donné, nous aussi, on réfléchit sur ce que devrait être le droit, on s'assoit avec l'ACPM. Il y a environ cinq ans, ayant entendu parler de l'expert commun, j'ai appelé une avocate qui, en Angleterre, elle, est responsable d'une organisation qui défend même beaucoup plus que les 80 000 médecins de l'ACPM, ils défendent les médecins en Angleterre, dans tous les pays du Commonwealth, et là je voulais savoir, j'ai dit: Comment ça fonctionne, l'expert unique, chez vous, en responsabilité médicale? Peut-être qu'on devrait embarquer dans le bateau. Ma conversation a duré cinq minutes. Elle m'a dit, après cinq minutes: En Angleterre, ce n'est jamais utilisé en matière de responsabilité médicale, les juges, les avocats trouvent que ça ne convient pas.

Par contre, elle dit, il y a quelque chose qui fonctionne formidablement bien. Alors, moi, je pensais que ma conversation avec elle qui devait durer deux heures était terminée, mais elle m'a ouvert une autre porte. Elle dit: Ce sont les protocoles préjudiciaires. Ça, cependant, on a énormément de succès pour réduire les coûts puis accélérer le processus avec des protocoles préjudiciaires. Et là elle m'expliquait un peu ce qu'ils faisaient en Angleterre, et là je me suis rendu compte qu'on avait un projet pilote avec l'ACPM chez nous qui était exactement ce qui se faisait en Angleterre, on l'a fait sans savoir que ça se faisait là-bas, et qu'on avait des méthodes alternatives pour essayer de régler 90 % des litiges avant même qu'on commence une poursuite.

Alors, maintenant aussi, encore une fois en tout respect, quand vous dites que la décision de gestion d'instance est appelable, il me semble qu'il est regrettable de constater que les critères d'appel ont été très resserrés en domaine de gestion d'instance, et, quant à nous, il aurait suffi de s'en remettre aux mêmes critères pour les jugements interlocutoires et de se fier à la Cour d'appel pour qu'elle décide quand intervenir et quand ne pas intervenir. Et la décision de nommer un expert commun aurait, à ce moment-là, suffisamment d'importance, à notre avis, pour qu'elle réponde aux mêmes critères que les jugements interlocutoires.

Contre-interrogatoire, M. le juge... M. le ministre -- excusez-moi ma déformation -- absolument essentiel. Je crois que c'est un des piliers de notre système judiciaire, d'exiger et de permettre à une partie de contre-interroger un témoin. Et je vous ferais remarquer que cette fois-là on n'est plus dans le domaine de l'exception. Les règles sur l'interrogatoire et le contre-interrogatoire, l'expert s'appliquerait mur à mur dans toutes les causes, et ça, quant à nous, ça enlèverait un outil absolument essentiel pour la recherche de la vérité.

**(14 h 30)**

La Présidente (Mme Vallée): Alors, je vais maintenant céder la parole à Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. À mon tour de vous souhaiter la bienvenue, vous dire que je suis très heureuse de vous entendre sur cette fameuse question qui va retenir beaucoup notre attention, je le sens, de l'expert unique.

Première question, vous avez parlé d'entrée... bien, en fait, vous avez donné l'exemple, là, des divergences d'opinions qui peuvent arriver même chez certains juges, chez des juristes, et tout ça. Ma compréhension toutefois du rôle de l'expert, quand il fait son rapport, il doit -- puis je veux vous entendre là-dessus -- faire état des différentes écoles de pensée, des différentes approches, pourquoi lui se situe dans telle approche plutôt que telle autre. Donc, pourquoi il y aurait cette crainte que tout un pan, je dirais, de la science ou des approches soit systématiquement, par exemple, évacué et qui pourrait être plus favorable à une partie ou l'autre? Donc, ça, j'aimerais vous entendre là-dessus dans un premier temps.

M. Chénier (Robert-Jean): Évidemment, je suis d'accord avec vous qu'une seule personne pourrait dire: Il y a différentes écoles de pensée, mais il demeure tout de même qu'on va demander, étant profanes: Oui, mais que pensez-vous qui aurait dû être fait dans ces différentes possibilités?, et le juge va être lié par la réponse de l'expert, qui nécessairement va avoir une opinion. Alors, vous pouvez vous-mêmes consulter différents médecins et constater que certains vont vous offrir certains types de traitement, d'autres non. Il y a place, dans une pratique tout à fait compétente, à des opinions minoritaires qui sont quand même tout à fait valables et respectent les normes de l'art. Mais les divergences entre experts, souvent, reposent sur beaucoup d'autres aspects, soit les faits qui sont retenus dans l'histoire, soit les documents qu'on leur a fournis, soit les «textbooks» qu'ils ont pu consulter ou la littérature. Donc, il y a plusieurs raisons pour lesquelles deux experts également compétents peuvent arriver à des réponses différentes.

Mais je veux revenir au point fondamental, parce qu'hier j'ai écouté aussi certaines autres allocutions. Dans notre système actuel, on arrive à régler hors cour 90 % des poursuites sans se rendre devant le tribunal. De ce 90 % là, il y en a 45 % dans lesquelles le patient est indemnisé sans que ça se rende à procès parce que, sur l'analyse du dossier, on estime qu'il y a eu un manquement et que le patient a le droit d'être compensé. Il y a un autre 45 % où le patient et son avocat arrivent à la conclusion, après l'examen du dossier, qu'ils doivent abandonner la poursuite.

Et est-ce que l'expert unique pourrait remplacer ce processus-là dans 90 % des cas? C'était la question, je pense, qui a été soulevée ici, devant cette commission hier, et c'est là où il faut faire une distinction entre un système où les parties arrivent elles-mêmes à une solution et une solution qui est imposée par un individu unique qui décide: Ça va être ceci ou cela.

Quand les gens vont voir un avocat en responsabilité médicale, celui-ci consulte un expert. Si l'expert est défavorable au patient, il peut aller consulter un deuxième expert, il peut aller consulter un troisième expert, et là il se rend compte... il chemine avec son patient pour voir que, dans le fond, malgré qu'il y a eu une complication extrêmement malheureuse... Parce que les dossiers en responsabilité médicale ne sont pas clairs au départ. Ce qui est clair, c'est qu'il y a eu une complication, il y a eu un résultat néfaste, mais on ne sait pas s'il y a eu manquement aux normes de l'art. Donc, c'est seulement l'expert qui peut nous le dire. Mais, quand le patient découvre un peu s'il y a un recours ou non par son propre avocat et son propre expert, il est plus satisfait par la suite, quand il abandonne la poursuite, que si on demandait juste un expert commun qui décide: Il n'y a pas de recours, monsieur ou madame, tant pis.

La même chose avec le médecin. Le médecin qui sent que son intégrité professionnelle, sa compétence est remise en cause, si j'obtiens l'opinion d'un autre expert qui dit qu'il y a eu manquement, bien il voit qu'on essaie de l'aider mais qu'on n'est pas capables de le défendre parce que l'expert arrive à la conclusion qu'il y a eu un manquement. S'il n'arrive pas à accepter cette décision-là, je peux aller voir un autre expert puis qui va dire encore la même chose, puis là, à la fin, on convainc le médecin qu'il va falloir régler hors cour, on n'a pas le choix.

Alors, ces 90 % là où chacun a son expert, n'est-ce pas, on est satisfaits des deux côtés de la solution parce qu'on y a cheminé avec nos propres moyens, en étant maîtres de notre preuve. Si, de façon systématique, le moindrement, admettons, qu'une cause n'était pas importante financièrement on avait un expert unique, on n'aurait plus cette satisfaction. Il y aurait toujours un perdant ou un gagnant.

Mme Hivon: Mais, avant qu'on arrive... Parce que je comprends votre raisonnement, c'est le même qui a été fait hier par les dentistes, que la majorité, évidemment, est réglée avant qu'on arrive dans un litige formel. Donc, ce processus-là, en fait, va perdurer. Même si on gardait le fait que, lorsqu'on arrive dans le procès, il peut y avoir cette possibilité-là reliée au principe de la proportionnalité d'y avoir un expert commun, le processus en quelque sorte en amont auquel vous faites référence risque de demeurer le même.

M. Chénier (Robert-Jean): Effectivement. C'est ce qui est survenu d'ailleurs en Angleterre, et on s'est rendu compte que, quand on avait un expert unique, on avait chacun quand même nos experts, les parties gardaient leurs experts pour rédiger les procédures, les aider pour les interrogatoires, poser des questions à l'expert commun -- c'est ce qu'on a appelé en Angleterre des «shadow experts» -- de sorte que les parties, chacune de leur côté, paient leurs experts puis en plus de ça paient la moitié de l'expert commun, qui, lui, finalement, rend la décision quasiment à la place du juge. Alors, c'est un système qui, dans les matières où on doit déterminer s'il y a une faute médicale, n'économise pas mais au contraire augmente les coûts.

Mme Hivon: Puis, pour rester dans l'exemple du Royaume-Uni, je vois quand même une différence significative entre ce qui était la loi à l'origine et ce qui, là, est proposé, parce que corrigez-moi si je me trompe, mais il n'y avait aucune balise pour venir dire sur quelle base l'expert commun devait être ordonné par la cour. Parce qu'ici on fait référence au principe de proportionnalité, puis je veux juste voir parce que, quand je lis la disposition 35.7 à la page 16 de votre mémoire, je ne vois pas de telles balises. Elles semblent être soit quand les parties le souhaitent d'un commun accord ou que le tribunal le juge opportun.

Mais est-ce qu'il y avait un encadrement quelconque? Je comprends que par la suite on y est venu, là.

M. Boivin (Daniel): Au départ, non.

Mme Hivon: Non, c'est ça.

M. Boivin (Daniel): Au départ, c'était la règle qui s'appliquait, comme vous l'avez déjà dit à quelques reprises, mur à mur. Les balises sont venues par des règles de pratique, par des exceptions puis finalement par les critères. Ce que, nous, on vise faire, c'est passer l'étape d'un peu tâtonnement pour trouver la bonne façon en allant directement aux critères tout de suite.

Le critère de proportionnalité, bien qu'il donne une balise -- c'est certainement plus que ce qui était disponible aux tribunaux anglais -- c'est quand même un principe qui est très vaste et qui n'est pas défini avec beaucoup de précision dans le projet. Donc, ça pourrait vouloir dire beaucoup de choses, l'application de la proportionnalité au choix du tribunal d'imposer ou de ne pas imposer un expert unique, puis c'est cette incertitude-là qu'on vise à éliminer.

Mme Hivon: Je comprends en quelque sorte que vous ne faites pas... bien, enfin, je ne veux pas mettre ces mots-là dans votre bouche mais que vous estimez que c'est problématique de laisser ça entre les mains du tribunal, mais il y a énormément de discrétion dans des domaines très, très importants qui est exercée par les juges au quotidien, et puis il y a une pratique constante qui se développe. Évidemment, au début, on est en droit nouveau. Donc, pourquoi avoir une si grande crainte par rapport à cette disposition-là pour ce qui est de l'exercice par les juges de leurs pouvoirs?

**(14 h 40)**

M. Chénier (Robert-Jean): L'origine de notre crainte, c'est l'importance d'un litige qui implique la remise en question de l'intégrité et de la compétence professionnelle d'un médecin. Ces litiges-là sont bien au-delà de l'importance de la valeur financière de la cause, et on craint qu'on voie un peu les réclamations comme étant simplement des réclamations dans le cours normal des affaires, une chambre de compensation: Est-ce qu'on donne de l'argent ou est-ce qu'on ne donne pas de l'argent? Mais ça va bien au-delà pour le médecin qui est poursuivi. Il y a des médecins qui renoncent à la pratique de la médecine après avoir été poursuivis, ils se sentent extrêmement stressés et concernés par cela, et l'accès à la justice doit inclure la qualité de la justice à laquelle nous avons toujours pu compter jusqu'ici.

Les médecins participent dans un système de santé public. La santé et la justice, c'est les deux piliers de nos valeurs fondamentales en démocratie, et, quand on regarde le nombre de litiges en responsabilité médicale, c'est absolument minime. Il ne faut pas oublier que la santé, c'est le secteur économique le plus important au Québec, c'est 12 %. C'est 45 % des dépenses du gouvernement. On a 150 poursuites contre des médecins par année pour 500 000 chirurgies, 3,2 millions de visites à l'urgence, 5,6 millions de consultations à l'hôpital, 19 millions de jours de présence à l'hôpital.

Alors, le système judiciaire, avec le précédent, parce que les jugements changent la façon dont les soins sont donnés aux 8 millions de Québécois, la qualité de cette justice-là est atteinte, à notre avis, à des frais vraiment raisonnables par rapport à toute l'importance du domaine. Et, tout en faisant certainement confiance à la qualité des tribunaux, le sentiment de justice qui est ressenti par celui qui... Ultimement, quand on arrive dans la situation de 10 % seulement où les opinions sont tout à fait contradictoires entre les experts du patient et du médecin, pour que le patient et le médecin aient la satisfaction qu'ils ont eu justice, il faut qu'on puisse faire entendre leurs experts devant le tribunal. Et c'est ça, notre inquiétude, que, dans des causes, sous la règle de la proportionnalité, on perde cette qualité de justice dans un tout petit nombre de causes. On a environ 20 procès par année.

La Présidente (Mme Vallée): Merci, Me Chénier. Alors, M. le ministre.

M. Fournier: Tantôt, vous avez dit que l'expérience anglaise avait amené que... trop large. D'ailleurs, ma collègue a fait état d'un libellé différent au point de départ. Trop large, ça a amené des façons de faire, et une des façons, ça a été de dire: Tout ce qui s'appelle le droit professionnel, si j'ai bien compris, responsabilité professionnelle était mis de côté.

Alors, je veux juste poser une question à cet égard-là: Ayant fait ce ménage, ayant décidé de certaines exceptions, encadré, donné quelques règles, est-ce qu'à la fin du jour, depuis le moment où ces nouveaux critères ont été développés -- et je ne sais pas à quelle date, en quelle année -- est-ce que, depuis ce moment, il y a eu un certain recours à l'expertise unique ou tout cela a fait en sorte que c'est devenu un sujet qui n'est qu'un sujet théorique mais qui n'est pas mis en pratique?

M. Boivin (Daniel): Pour résumer la situation de façon très, très rapide, dans le litige complexe, dans les tribunaux anglais, l'expert unique n'est pas utilisé dans les questions principales. On va l'utiliser pour les questions secondaires, comme par exemple l'évaluation des dommages. Dans les litiges moins complexes, l'expert unique est utilisé et avec beaucoup de succès. Donc, c'est ce partage des causes où c'est approprié et des situations même à l'intérieur des causes complexes où ce serait approprié d'avoir un expert unique, avec les situations où l'expert unique ne causera pas de problème, qui a été fait.

M. Fournier: ...détails sur les cas où, dans une cause complexe, il peut y avoir lieu à l'expertise unique? Parce que, c'est sûr, une question plus simple à... Donnez-moi un exemple de ce que ça veut dire ou un cas concret qui pourrait se présenter.

M. Boivin (Daniel): L'exemple que Me Chénier mentionnait tout à l'heure, dans l'évaluation actuaire d'un... le calcul d'un montant forfaitaire pour être capable de fournir un certain niveau de revenus, donc ces calculs actuaires là, ça peut venir d'une science où il n'y a pas vraiment de variabilité entre expert A et expert B, c'est une science qui est bien établie. Dans ce type de preuve d'expert, ce serait approprié d'avoir un expert unique, et en fait, dans nos litiges, on utilise souvent des experts communs pour ces questions-là.

Ce serait une situation très différente d'utiliser ça pour l'évaluation de la responsabilité, que ce soit la responsabilité d'un médecin ou la responsabilité d'une autorité gouvernementale pour un pont qui tombe ou quelque chose comme ça, là. C'est... Il y a des questions qui ne se prêtent pas à l'expert unique.

M. Fournier: J'ai utilisé, hier et aujourd'hui, l'expression, entre guillemets, «exceptionnel» et pour laquelle je voulais indiquer que la règle générale était celle de l'expertise des parties, qu'il y existait une discrétion mais que le point de départ était... Je comprends votre réticence à ce que j'utilise le mot «exceptionnel», puisqu'il ne se retrouve pas dans le libellé comme tel. Je l'utilisais hier parce qu'on me présentait la chose comme étant la règle, étant la... Alors, je crois qu'hier je le faisais à cause de ça, mais vous avez raison de m'indiquer que le mot «exceptionnel» ne s'y retrouve pas, bien que cela ne remet pas en question le fait que la règle générale soit l'expertise des parties.

Cela étant dit, continuons cette réflexion. S'il fallait réaffirmer la règle de l'expert des parties, permettre une discrétion à un juge quoiqu'encadrée... On pourra toujours discuter de savoir si c'est trop encadré, ce que vous nous offrez, mais peu importe. Si on allait dans une piste où on réfléchit là-dedans, est-ce qu'une des autres façons, un autre des ingrédients à inclure, si on voulait peut-être moins encadrer avec tous les cas de figure qui sont mentionnés mais qu'on avait recours à l'expression «exceptionnel» de la part du pouvoir du juge... est-ce que vous y trouveriez un certain intérêt?

M. Chénier (Robert-Jean): Il y a toujours une évolution dans la culture judiciaire à laquelle on veut participer et puis...

M. Fournier: ...participer à l'évolution législative.

M. Chénier (Robert-Jean): Effectivement. Et Me Boivin vient de le dire: Même avant l'évolution législative, on prend les devants. On a pris les devants avec le protocole préjudiciaire. On s'est fait une règle, nous, à l'interne, déjà de dire un seul expert et non pas plusieurs à l'avenir. On a déjà adopté ça comme méthode de pratique. On s'entend à ce qu'en défense on prenne toujours des experts communs pour évaluer les dommages, pas besoin de faire répéter la même chose, et on va probablement évoluer pour regarder des experts communs et à la fois en demande et en défense, par exemple, dans des domaines où on pourrait convenir -- en actuariat -- qu'en donnant des instructions à l'expert on va arriver à avoir un rapport qualité-prix intéressant, parce qu'il ne faut pas non plus...

Vous savez, quand on a un expert, on balise aussi nos coûts. Alors, on dit: On veut une expertise, puis on contrôle les coûts de notre expert en disant: Voici les hypothèses, j'aimerais ça maintenant avoir un rapport. Si l'expert commun, parce qu'on est deux à lui donner des instructions, on lui fait faire 10 fois plus d'ouvrage, ça ne sera pas moins cher d'en avoir un que d'en avoir chacun un.

Alors, on veut trouver... Nous, on est dans le pratico-pratique. Il y a les principes, mais il y a aussi l'application pratique. On veut trouver des solutions où on va être capables d'évoluer. Je pense que penser à un expert commun, en tout respect, M. le ministre, sur la question fondamentale de la faute qui va être déterminante de la responsabilité... je ne pense pas qu'on se rende là. Par contre, sur bien des aspects où la science n'est pas remise en question, d'évaluation, d'appréciation de besoins, au niveau des dommages, etc., je pense qu'on va évoluer vers ça.

M. Fournier: Je veux juste profiter parce que vous avez parlé des protocoles préjudiciaires. Il y a une question qui nous est soumise par d'autres groupes là-dessus, puis je voulais connaître votre impression.

On est tous à dire qu'on souhaite que ça se règle avant que ça aille devant un juge, on trouve que c'est une bonne idée. Évidemment, des fois ça prend un peu de temps, et il nous est soumis la question de la prescription durant ces débats-là, et évidemment, en termes de responsabilité professionnelle, hein, ça reste un enjeu important, là.

Qu'en est-il? Parce qu'on va nous en parler plus tard, je crois, de la question de convenir d'une suspension de la prescription durant la période. Je sais qu'on est en dehors de l'expertise, mais, puisque c'est un élément important, là, quel est votre avis là-dessus?

**(14 h 50)**

M. Chénier (Robert-Jean): Écoutez, on convient... On a fait un genre de projet pilote, si vous voulez, qui est arrivé à maturité. On a fait une centaine de dossiers en protocole préjudiciaire, on a eu un résultat de règlement de 90 %. Il y en a 10 % par la suite qu'on doit amener à la cour, et, dans ce temps-là, par entente dans le protocole préjudiciaire, on convient de suspendre la prescription, et ça se fait très facilement.

L'avantage du protocole préjudiciaire, c'est que le patient qui arrive pour voir son avocat ne sait pas encore... Il sait qu'il y a un dommage, la patiente peut être paralysée, mais il ne sait pas s'il y a un bon recours. Ça fait que, là, au lieu de commencer à investir, à monter tout le dossier, par exemple, sur les dommages...

Prenez quelqu'un qui est paralysé à la suite d'une anesthésie épidurale. Malheureusement... C'est très rare, mais ça peut arriver. Est-ce que c'est une complication de réaction allergique aux médicaments ou s'il y a eu un manque de soins puis un manque de suivi de la pression? Alors, avant d'investir sur les dommages, etc., on commence à déterminer entre nous, chacun de notre côté, est-ce qu'il y a une faute ou s'il n'y a pas de faute. Alors, le protocole préjudiciaire permet de faire notre étude respective du dossier tout en préservant tous nos droits au niveau des procédures parce qu'on prépare les procédures comme si elles allaient être déposées à la cour puis on interroge comme si on était à la cour. Puis, à la suite, si on ne s'entend pas, on prend tout ça puis on dépose ça devant le tribunal. Et 90 % du temps, sans émettre un seul timbre judiciaire, on arrive à une solution du litige.

Alors, on est très heureux de ce système-là qui permet aux avocats de la demande de mieux financer la recherche de leurs recours parce qu'ils mettent leur argent où il faut au départ, puis ça enlève du stress au médecin, qui, lui, ne se voit pas poursuivi en public si ce n'est pas nécessaire. Parce que, si ça se finit par un désistement, pourquoi même il y aurait une poursuite en justice?

Maintenant que notre projet est arrivé un peu à maturité, notre projet pilote fonctionne bien, on est heureux de voir qu'on en fait état dans l'avant-projet, parce qu'il y a d'autres acteurs avec lesquels on agit qui sont réticents à rentrer dans le protocole préjudiciaire parce qu'on n'en parle pas dans le Code de procédure civile. Puis aussi il nous faudrait un certain... une petite aide, parce que, quand on passe six mois ou un an en protocole préjudiciaire, on voudrait que, par la suite, si on dépose toutes nos procédures puis on est tout de suite prêts à procéder, on ne soit pas pénalisés quant aux délais d'audition pour avoir un procès parce que pendant un an on a essayé de s'entendre.

Une voix: Dans les...

La Présidente (Mme Vallée): Je vous remercie. Malheureusement, on a épuisé tout notre temps, désolée. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui, merci. Juste pour terminer sur l'expérience du Royaume-Uni, avant d'émettre vos réserves, vous dites que la règle permettant aux tribunaux d'imposer un expert unique a eu un effet positif à bien des égards. Alors, je me demandais si vous pouviez élaborer sur les effets positifs qui ont été notés au Royaume-Uni, puisqu'ils ont une expérience quand même qui nous précède.

M. Boivin (Daniel): Ça va de pair avec les autres réformes qui ont eu lieu en Angleterre et qui font partie de la réforme ici. C'est la culture de l'entente entre les parties, le besoin de s'asseoir au début et de déterminer qu'est-ce qu'on va faire puis le besoin de déterminer: Est-ce qu'on va avoir un expert unique ou est-ce que c'est une cause où on ne devrait pas en avoir un? Le besoin de se pencher sur les critères a contribué à la culture de coopération qui existe maintenant beaucoup plus en Angleterre, puis c'est un début, en fait, la réforme ici avec le protocole d'instance et puis la gestion de l'instance judiciaire.

Un autre effet positif, c'est que ça a éliminé certains problèmes qui sont notés aussi pour la preuve d'expert, les procès où il y a des longues listes d'experts qui vont venir témoigner, deux, trois experts de chaque côté qui vont venir témoigner exactement de la même chose. Ça a éliminé ça aussi. Donc, il y a eu des aspects positifs là-dessus.

Il y a eu certains problèmes, je dois dire, ça n'a pas juste été du positif. Il y a certains problèmes qui sont notés dans nos représentations écrites, là, par exemple les difficultés de s'entendre sur quel expert engager. Ça, c'est un problème qui existe toujours. On est capables de mieux en mieux pallier à ça là-bas. Il y a certains observateurs en Angleterre qui ont noté que, pour les raisons qu'on soulevait tout à l'heure, l'expert unique n'a pas nécessairement diminué les délais puis diminué les coûts. Des fois, c'est bien plus facile de s'entendre qu'on va avoir chacun notre expert que d'avoir des batailles constantes devant le tribunal à savoir ça va être qui, l'expert qui va être désigné, puis quelles instructions on va donner à cet expert-là.

Donc, il y a des petits problèmes, mais généralement l'amélioration de la culture de dispute pour aller plus vers une culture d'entente préprocès a aidé énormément.

Mme Hivon: Je vais céder la parole à mon collègue.

La Présidente (Mme Vallée): M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Cloutier: Vous invoquez la règle audi alteram partem contre la proposition du choix de l'expert unique. Vous citez la Cour suprême puis vous dites en effet que la cour a jugé que ça pourrait être contraire au droit naturel d'empêcher une partie d'avoir droit à son expert, mais ce que je comprends des propos de la cour, c'était dans un contexte où il n'y avait aucun expert. C'est bien ça?

M. Boivin (Daniel): La cause qui...

M. Cloutier: La cause qui s'appelle Porto Segura Companhia, à la page 12 de votre mémoire. Parce que j'ai l'impression que, dans le fond, vous allez vous inspirer d'une cause dans laquelle probablement, les parties, on leur avait nié le droit à l'expert et non pas dans un contexte où on imposait un expert unique, puis, à partir de ça, vous invoquez le fait que ça pourrait être contraire à la règle audi alteram partem.

M. Boivin (Daniel): C'est pour illustrer l'importance, dans la présentation de la cause d'une partie, d'avoir recours à l'expert. Qu'on nie aux deux parties l'expert, ou qu'on décide: Il n'y a pas d'expert du tout, ou qu'on décide: Il y a seulement un expert, puis les parties, vous n'en présentez pas, le point qu'on tente de présenter, c'est que la possibilité de présenter sa cause par le biais d'un expert, la possibilité dans les causes médicales, l'expertise, elle est sur la question fondamentale, la faute, la causalité. L'impossibilité de présenter sa propre preuve sur ces questions fondamentales là, c'est ça qui va à l'encontre de la règle d'audi alteram partem.

M. Cloutier: Alors, si je vous comprends bien, si le législateur québécois devait aller de l'avant avec la disposition telle que rédigée, il n'y a pas de doute dans votre esprit qu'il y aura une contestation constitutionnelle de la nouvelle disposition.

M. Chénier (Robert-Jean): Ça va dépendre du cas. Si c'est un cas d'un toit qui coule, puis on a un expert qui va évaluer la situation, ce n'est pas un fait aussi crucial que la responsabilité professionnelle de celui qui est poursuivi. Alors, ça dépendra des circonstances.

M. Cloutier: Je comprends ce que vous me dites, mais je faisais référence aux propos de votre collègue qui, juste avant, disait que le recours à un expert dans le domaine médical était directement lié au coeur même. Dois-je comprendre que, dans un contexte médical, il pourrait y avoir... la question constitutionnelle sera tôt ou tard soulevée?

M. Chénier (Robert-Jean): La question se soulève effectivement.

M. Cloutier: Très bien, je vous remercie.

Je veux juste comprendre davantage le paragraphe 5 à la page 14, les difficultés relatives à la preuve recueillie par l'expert unique. Vous dites: L'expert, par ses pouvoirs accrus, n'aura pas nécessairement les compétences nécessaires pour recueillir la preuve, puis, selon vous, il y a des risques de contravention à la loi, j'imagine. Pouvez-vous nous éclairer sur ce sujet?

M. Chénier (Robert-Jean): Oui. Voyez-vous, à l'article 231: «L'expert, s'il est commun aux parties ou désigné par le tribunal, est investi de l'autorité du tribunal pour recueillir la preuve dont il a besoin pour accomplir sa mission. Il peut [même], avec l'autorisation du tribunal, recueillir des témoignages et, au besoin, citer des témoins à comparaître. Il reçoit [...] leur serment et entend leur déposition. Il assure la conservation de leur témoignage et en certifie l'origine et l'intégrité.»

Les experts, moi, que j'ai rencontrés en pratique n'ont pas réellement de formation juridique suffisante pour comprendre plusieurs notions importantes au niveau... et conduire un interrogatoire de façon conforme aux règles de preuve habituelles, et c'est une lacune, à mon avis, fondamentale de penser qu'ils pourraient recueillir de la preuve.

La Présidente (Mme Vallée): M. le député.

M. Cloutier: Quelles seraient les conséquences d'une violation, par exemple du non-respect du recueil d'une preuve? C'est la non-recevabilité, j'imagine, de la preuve recueillie contraire aux autres dispositions du Code de procédure.

M. Chénier (Robert-Jean): Oui, effectivement. Mais, vous savez, l'opinion d'un expert, c'est un peu une pyramide, l'opinion n'est aussi bonne que les faits sur lesquels elle est fondée. Si on part d'un expert qui, dans sa recherche de la preuve, ne procède pas de façon conforme aux règles de justice naturelle, aux règles de preuve, etc., bien on va avoir une opinion qui est fondée sur une recherche des faits qui n'a pas été faite de façon conforme, et il va être difficile pour le tribunal, en recevant le rapport de l'expert commun, de s'apercevoir où il y a eu des lacunes.

M. Cloutier: Mais pour... Je comprends que le juge lui-même... Par contre, l'avocat qui va représenter l'autre partie, j'imagine que lui sera à même d'évaluer si, oui ou non, la preuve aura été recueillie dans les règles de l'art.

**(15 heures)**

M. Chénier (Robert-Jean): Si on suit le libellé de l'article 231, l'expert fait ce travail seul, on ne sait pas comment il procède pour recueillir de la preuve. Est-ce que ce sera de la preuve de ouï-dire? Est-ce que ce sera de la preuve indirecte? Est-ce qu'il va utiliser des présomptions qui ne sont pas suffisamment graves, concordantes pour qu'on puisse les appliquer? Et on peut voir dans son rapport: J'ai rencontré tel témoin. On ne sait pas de quelle façon il va y avoir conservation, ça peut être ses propres notes à lui.

Alors, on voit, en tout respect, un grand laxisme par rapport à la façon dont la preuve va être recueillie par un non-juriste, qui va produire un rapport qui, à toutes fins pratiques, va décider de la question. S'il s'agit d'un toit qui coule et que je veux que l'expert aille sur les lieux faire une inspection, et produise un rapport, et peut-être recueille certains plans au tout, j'ai peut-être moins de préoccupations quant à la qualité de la preuve. Si on va jusqu'à demander à un expert commun de se prononcer sur la responsabilité professionnelle et interroger tous ceux qui ont participé au traitement, ce serait tout autre chose.

La Présidente (Mme Vallée): Merci. Nous avons maintenant épuisé le temps à notre disposition. Donc, Dr Gray, Me Boivin, Me Chénier, je vous remercie de vos observations.

J'invite maintenant Me Luc Huppé à s'avancer. Nous allons suspendre quelques instants.

(Suspension de la séance à 15 h 2)

 

(Reprise à 15 h 4)

La Présidente (Mme Vallée): Alors, on va reprendre.

Des voix: ...

La Présidente (Mme Vallée): On est en ondes. Alors, nous allons reprendre. Alors, Me Luc Huppé, vous disposez d'une période de 15 minutes pour faire vos observations. Bienvenue à la commission, merci d'être présent. La parole est à vous.

M. Luc Huppé

M. Huppé (Luc): Merci. Alors, bonjour à tous et à toutes. D'abord, j'aimerais vous dire que je suis honoré de pouvoir m'adresser aux représentants élus de la population. Je considère comme un privilège la possibilité de pouvoir participer aussi directement à la vie démocratique du Québec et je tenais à le dire.

Le mémoire que j'ai déposé auprès de la commission porte sur trois sujets plus particuliers, le premier étant la mission des tribunaux et plus particulièrement la mission de conciliation, le second étant la récusation des juges et le troisième étant l'immunité judiciaire.

Alors, en ce qui concerne la mission des tribunaux, elle est définie par l'article 9 du projet de loi et elle comprend trois volets, un premier volet qui concerne la fonction traditionnelle, la fonction adjudicative, un deuxième qui concerne la mission de conciliation et un troisième qui concerne la mission de gestion de l'instance. À la lecture de cette disposition, on pourrait croire -- et peut-être que telle est l'intention du législateur -- que la mission de conciliation est mise sur un pied d'égalité avec la fonction adjudicative du tribunal. Si telle est l'intention du législateur, à mon avis, cela pose problème parce que ça change, ça dénature la fonction des tribunaux et le rôle traditionnel des tribunaux. La fonction première d'un tribunal n'est pas de concilier les parties. Les parties ne doivent pas s'adresser à un tribunal pour y trouver un conciliateur mais pour y trouver quelqu'un qui va déterminer leurs droits et leurs obligations par un jugement. Donc, ce n'est pas l'objet premier des tribunaux que de faire de la conciliation.

Ce rôle qui leur serait attribué entraîne aussi une transformation de la fonction du juge. Le juge devient quelqu'un qui n'est plus là pour appliquer la loi mais quelqu'un qui est là pour essayer de trouver une solution consensuelle, une solution aux problèmes des parties.

L'un des aspects de cette mission de conciliation, c'est qu'elle conduit à une érosion de la primauté du droit. En effet, quand on lit les dispositions qui concernent la conférence de règlement à l'amiable, par exemple, on voit, à l'article 158, qu'elle a pour objet d'aider les parties à communiquer en vue de mieux comprendre et évaluer leurs intérêts, leurs positions et leurs prétentions ainsi qu'à négocier de façon à trouver une solution mutuellement satisfaisante au litige. L'application des règles de droit ne constitue donc pas une préoccupation de la conférence de règlement à l'amiable, c'est en fonction de considérations bien souvent autres que juridiques que les parties en arrivent à un règlement et parfois aussi souvent par l'exercice d'un rapport de force. Et je vous pose la question à vous, les membres de l'Assemblée nationale: À quoi sert-il d'adopter des lois si, une fois rendues devant le tribunal, les parties peuvent les écarter dans un effort de conciliation avec l'aide d'un juge? À quoi vous sert-il d'adopter des lois?

Il n'est pas nécessaire que cette fonction de conciliation et de conférence de règlement à l'amiable qui a connu beaucoup de succès au cours des dernières années, enfin, qui a rallié certains membres de la magistrature... il n'est pas nécessaire que cette fonction, si le législateur la considère souhaitable, soit exercée par un juge. Elle peut être exercée par toute autre personne qui a les compétences suffisantes. Je suis donc d'avis que la fonction de conciliation, dans la mesure où le législateur tient à maintenir cette fonction, doit rester subordonnée à la fonction adjudicative. Elle ne doit être qu'un accessoire dont le tribunal dispose pour régler le litige et non l'une de ses missions fondamentales.

Il faut donc tirer certaines conséquences, à mon avis, de ce caractère subordonné. D'abord, le législateur doit dissocier les deux missions du tribunal: la fonction adjudicative et la fonction de conciliation. Comment doit-il le faire? Il doit établir clairement que le juge qui participe à la conciliation ou à la conférence de règlement à l'amiable ne peut exercer aucun pouvoir à l'égard du dossier dans la fonction adjudicative du tribunal. Le principe est déjà partiellement consacré à l'article 161 du projet de loi, mais cet article laisse quand même une place à la faculté que le juge exerce certains pouvoirs, ce qui, à mon avis, n'est pas souhaitable.

L'autre élément de dissociation de la fonction adjudicative et de la fonction de conciliation est que les deux fonctions ne peuvent pas être exercées en même temps. Entre autres, à partir du moment où l'audition d'un procès commence, il ne devrait plus être possible pour le tribunal d'exercer sa fonction de conciliation parce qu'alors le tribunal donnerait l'impression qu'il cherche un moyen d'éviter à rendre jugement, ce qui n'est, à mon avis, pas souhaitable pour l'image des tribunaux et la confiance qu'ils doivent inspirer aux justiciables.

De la même façon, le champ d'application de la mission de conciliation doit être délimité, car certains litiges ne se prêtent pas à une telle conciliation. J'en ai donné des exemples à la page 13 de mon mémoire et je pourrais mentionner à titre d'exemple une contestation constitutionnelle de la validité d'une loi. Je ne vois absolument pas comment et à quel titre le tribunal pourrait essayer de concilier les parties dans un tel cas. Il en serait aussi de même dans tous les litiges qui concernent la révision judiciaire des décisions des tribunaux administratifs.

**(15 h 10)**

Troisième élément de subordination de la mission de conciliation: le tribunal ne devrait pas pouvoir imposer une conférence de règlement à l'amiable à des parties qui n'en veulent pas. Actuellement, la façon dont l'article 9 du projet de loi est rédigé, cette disposition laisse place à l'autorité du tribunal d'imposer une conciliation à des parties qui n'en voudraient pas, à des parties qui n'y consentiraient pas et dans une situation où la loi n'obligerait pas le tribunal à en tenir. Ce sont les parties qui dirigent leurs dossiers. Ce sont les parties qui décident ce qu'elles attendent du tribunal quant à la meilleure façon de régler leurs litiges. Le tribunal doit respecter le choix des parties si elles ne souhaitent pas aller en conciliation. Il ne faut pas perdre de vue qu'il est parfois préférable qu'un litige se termine par un jugement plutôt que par une entente négociée. Un principe fondamental, à mon avis, est que la possibilité de faire déterminer ses droits par un tribunal n'est pas un privilège, c'est un attribut indispensable de la personnalité juridique, c'est une composante de la démocratie, c'est la prémisse de base de notre système de droit. Une insistance indue du législateur ou des tribunaux pour que les parties favorisent, préfèrent la conciliation plutôt qu'un jugement, à mon avis, fait obstacle à ce principe.

En ce qui concerne la deuxième question abordée dans mon mémoire -- c'est la question de la récusation des juges -- l'ensemble des dispositions traitant de cette question devraient être regroupées, puisqu'actuellement l'article 17 se situe dans la première partie du projet, et les articles sur la récusation se situent dans une autre partie.

L'article 17 semble aussi laisser entendre que l'obligation de récusation du tribunal ne s'appliquerait que dans sa fonction adjudicative. À mon avis, il devrait être clairement établi que le juge doit se récuser à toutes les fois, dans l'exercice de toutes ses missions lorsqu'il existe un motif de récusation. Ce serait le cas, par exemple, lorsqu'il préside une conférence de règlement à l'amiable.

Les motifs de récusation devraient être aussi précisés. La façon dont l'article 198 est rédigé actuellement laisse place à une ambiguïté assez grave. Est-ce que les motifs qui y sont énumérés entraînent automatiquement la récusation du juge ou si à chaque fois le tribunal doit apprécier s'il s'agit d'un motif sérieux? Le législateur ne devrait pas laisser place à une telle ambiguïté, il devrait clairement établir s'il existe des conditions objectives de récusation et d'autres situations qui sont laissées à l'appréciation du tribunal.

En ce qui concerne la procédure de récusation, le projet de loi reprend et perpétue l'amendement qui a été apporté en 2002 et qui attribue dorénavant au juge qui fait l'objet de la demande de récusation l'autorité d'en décider lui-même. En 2002, l'Assemblée nationale avait choisi de modifier une procédure qui avait été appliquée au Québec depuis 300 ans sans qu'elle ne cause aucun problème. La solution qui avait alors été choisie et qui a été retenue dans l'avant-projet de loi, à mon avis, place le juge dans une situation de conflit d'intérêts. Avec toute la bonne volonté du monde, un juge ne possède pas la distance suffisante pour déterminer lui-même s'il est impartial et s'il présente des apparences d'impartialité. Il faut revenir à la procédure antérieure qui déférait à un autre juge, soit le juge en chef ou un juge désigné par le juge en chef, l'autorité de décider de cette question. Le droit d'appel qui est conféré par l'avant-projet de loi ne constitue pas un contrepoids suffisant étant donné le fardeau qu'il impose aux parties, d'abord un fardeau financier d'aller devant la Cour d'appel mais aussi un fardeau juridique parce qu'il faut convaincre la Cour d'appel d'accorder la permission et éventuellement de casser le jugement.

Le troisième et dernier sujet que j'aborde dans mon mémoire est la question de l'immunité judiciaire. Pour la première fois, à ma connaissance, le législateur va consacrer dans un article du Code de procédure civile une immunité générale pour l'ensemble des juges, quel que soit le tribunal dont ils font partie. C'est une heureuse... une très heureuse initiative. Cependant, le législateur devrait, à mon avis, définir ce qu'il entend par immunité judiciaire et non pas laisser les tribunaux définir eux-mêmes leur propre immunité. De la même façon, le législateur devrait utiliser cette occasion qu'il a de réformer la procédure civile pour définir les limites de l'immunité judiciaire. La jurisprudence qui a été rendue au Canada depuis l'affaire Morier c. Rivard, en 1985, démontre qu'il existe encore beaucoup d'ambiguïté quant aux limites de l'immunité judiciaire, ce qui entraîne des poursuites assez disgracieuses contre les juges.

Alors, voilà, tel était le sens du mémoire que je vous soumets.

La Présidente (Mme Vallée): Merci beaucoup. Alors, maintenant, je vais céder la parole à M. le ministre pour une période d'échange de 10 minutes.

M. Fournier: Oui. Merci beaucoup, Me Huppé. C'est un plaisir de vous avoir avec nous. Vous nous amenez sur des questions qui nous font travailler sur la rédaction et les libellés qui sont là. Essayons d'oublier les libellés pour un petit bout de temps, là, peut-être qu'ils ont à être réécrits, mais... puis je vais essayer de vous dire ce que j'ai compris.

Alors, il y a toujours un juge qui tranche. Il existe encore. On est sain et sauf, le système traditionnel existe toujours, on a un juge qui tranche. On essaie de trouver le moyen qu'on puisse se donner des outils pour ceux qui n'ont pas trouvé un autre moyen de s'entendre lorsqu'ils sont en ligne pour faire prendre une décision par un juge, pour éviter que ce soit trop long ou trop cher.

Je vous le dis tout de suite, une des données de base pour aller au coeur de votre positionnement est de se dire: Je ne veux pas non plus multiplier le nombre de juges dans le dossier. Je ne veux pas absolument avoir quelqu'un qui est partial, ça va de soi, mais je ne veux pas nécessairement le multiplier. Bon, on a dit ça.

La conférence de règlement à l'amiable, le nouveau code devrait normalement être assez précis sur le fait que celui qui mène cette conférence n'est pas celui qui va trancher. Alors, là-dessus, on se dit: Oui, il y a donc... on accepte, si on veut, le fait qu'il y ait deux juges. Là, on vient de se dire: Oui, pourquoi? Parce qu'on trouve qu'il s'agit là d'un modèle qui peut être assez performant pour que finalement il y ait apparence d'en avoir deux, mais il ne va y en avoir qu'un, c'est le premier qui est arrivé. Alors, peut-être qu'on se donne une chance pour qu'il y ait un règlement à l'amiable qui n'est pas... Peut-être que j'aurai l'occasion d'y revenir peut-être un peu plus tard, parce que tantôt vous avez voulu faire la différence entre le droit, la qualité intrinsèque, là, que nous sommes tous, comme justiciables, de pouvoir trancher le droit, et vous l'avez mis un peu en opposition avec le règlement du litige ou du conflit. Puis on y reviendra peut-être plus tard. Je ne sais pas jusqu'à quel point on doit en mettre un en avant de l'autre et je ne sais pas s'il y a cette échelle-là qui doit être faite, mais en tout cas c'est beaucoup plus philosophique. Restons sur la base. L'objectif du projet est donc de se dire: Oui, la conférence, oui, c'est un autre juge. On veut favoriser ça.

Entre les deux, est-ce qu'il y a quelque chose d'autre? Entre les deux, il y a la conciliation qui serait d'intensité moins grande que la conférence de règlement à l'amiable, et, dans ce cas-là, il n'est pas prévu que ce soit un autre juge, l'idée étant que cette conciliation serait d'une intensité moins grande que la conférence de règlement à l'amiable, serait une recherche qui ne colore pas la position du juge, toujours apte à reprendre son rôle entier traditionnel de décideur qui tranche le droit.

Est-ce que c'est cette façon de voir que vos avez lue dans le projet de loi? Est-ce que c'est ce que vous y avez vu? Et, si oui, est-ce que je comprends que vous insistez toujours que, dans ce rôle de conciliation qui serait d'intensité moindre que celle du règlement à l'amiable, il serait toujours absolument nécessaire que ce soit un autre juge?

M. Huppé (Luc): D'abord, M. le ministre, à moins que je me trompe, la conciliation, l'étape de conciliation dont vous parlez n'est pas très encadrée dans l'avant-projet de loi, l'avant-projet de loi encadre beaucoup la conférence de règlement à l'amiable, en fait on reprend des dispositions qui existent déjà, et la conséquence de ça, c'est de laisser, à toutes fins pratiques, au juge qui va exercer cette mission de conciliation le soin de définir lui-même la portée qu'il va lui donner. Et, dans cet exercice, il y a des périls. Il y a un péril, un grand péril qui est que le juge, par la connaissance qu'il acquiert de certains faits, par des propos qu'il tient par rapport aux positions juridiques des parties, perde l'apparence d'impartialité. La qualité première, la qualité fondamentale, la qualité essentielle d'un juge, c'est d'être, de demeurer et de donner l'apparence qu'il est impartial.

Je ne conteste pas qu'il puisse y avoir une étape préliminaire à la conférence de règlement à l'amiable ou à la fonction adjudicative qui serait une étape de conciliation, mais, si telle est l'intention du législateur, elle devrait être précisée, cette étape, ce qu'elle comprend, ce que le juge fait au cours de cette étape, dans quel cadre elle se déroule -- dans son bureau, dans une salle d'audience -- de façon à ce qu'on évite justement de prêter le flanc à des situations où le juge ne pourrait plus agir dans le dossier et, à ce moment-là, on pourrait se retrouver avec trois juges, un qui fait une conciliation, un qui fait une conférence de règlement à l'amiable et un qui entend le procès, ce qui, à mon avis, ne favorise pas l'économie de la justice.

**(15 h 20)**

M. Fournier: Probablement une des mêmes raisons qui a fait en sorte qu'il y a eu une distinction entre la conférence de règlement à l'amiable... où, là, il y a un investissement particulier du juge dans le dossier, avec une intensité aussi grande que le juge qui tranche mais avec une approche bien différente, et là il y a une règle à l'effet que ce n'est pas la même personne.

M. Huppé (Luc): Sauf que l'article 161... Le principe, vous l'exprimez bien, M. le ministre, mais l'article 161, si la conférence de règlement à l'amiable ne débouche pas sur un règlement, attribue quand même au juge la possibilité de transformer la conférence de règlement à l'amiable en conférence de gestion, et, dans le cadre d'une conférence de gestion, le tribunal a des pouvoirs très larges. Il peut entendre des moyens d'irrecevabilité, il peut même entendre le dossier au mérite, ce qui, à mon avis, serait incompatible avec le fait que le juge a participé à la conférence de règlement à l'amiable.

M. Fournier: J'y reviendrai, parce qu'on va revoir nos libellés sur le sujet, mais est-ce que... Sortons du cadre du juge et de sa... et qui est-il, celui qui est à une étape ou à l'autre. Revenons juste dans le processus auquel le citoyen aimerait avoir la possibilité de voir régler son problème, parce qu'après tout, là, le praticien, lui, c'est intéressant de connaître comment le droit évolue, mais le citoyen, chez lui, il a un problème, il veut régler son problème. Savoir si on va faire évoluer la jurisprudence, là, ça le préoccupe un peu moins. Lui, il a un problème, il veut le régler.

Qu'il ait comme outil à sa disposition autant la capacité d'avoir un juge qui tranche et qui décide le droit qui s'applique à lui, ou la facette de conciliation, ou la facette de règlement à l'amiable, est-ce que vous trouvez que nous en ajoutons trop ou que ce sont des étapes qui peuvent être utiles pour le règlement du problème pour le citoyen? Commençons par ça, là. Avant de savoir quel juge a le pouvoir de faire quoi, là, est-ce que c'est utile ou pas? Est-ce qu'on ajoute des étapes ou pas?

M. Huppé (Luc): Je pense que toutes ces étapes sont utiles et je pense cependant que c'est le justiciable qui a un problème, pour reprendre vos mots, qui devrait choisir, dans le fond, la meilleure façon, ce qu'il attend du tribunal pour régler son problème. Et, dans la façon que vous avez de poser la question, il y a peut-être une ambiguïté aussi. Vous dites: Le justiciable ou le citoyen a un problème, il s'adresse aux tribunaux, mais on s'adresse aux tribunaux pour faire déterminer ses droits, on ne s'adresse pas aux tribunaux pour régler nos problèmes. Il y a d'autres façons de régler les problèmes. Il y a des conciliateurs, il y a des médiateurs, il y a d'autres méthodes alternatives. Quand on s'adresse à un tribunal, le tribunal incarne le droit, le tribunal incarne la loi. C'est d'ailleurs ce que l'article 9 dit: «Les tribunaux ont pour mission de trancher les litiges dont ils sont saisis en conformité avec les règles de droit qui leur sont applicables...» C'est ça, la mission fondamentale d'un tribunal, et c'est dans cette optique qu'un citoyen devrait s'adresser à un tribunal, pas pour trouver un conciliateur, pas pour trouver un médiateur, pour trouver un juge qui va déterminer ses droits et ses obligations.

M. Fournier: Est-ce qu'il peut... C'est intéressant de discuter de la chose, là, mais, si je posais la question sur... Je prends toujours le même exemple des gens sur ma rue, là, qui auraient eu à prendre un recours devant les tribunaux, puis je leur demande: Tu es allé là pour faire trancher le droit ou pour régler ton problème? Franchement, je ne veux pas faire de la sémantique, mais j'ai l'impression qu'ils diraient: Moi, j'avais un problème. C'est vrai que ça interpellait le droit, c'est pour ça que je suis allé là. Si c'était un problème médical, je serais allé à l'hôpital, mais c'est un problème qui interpellait le droit mais qui était un problème pour moi.

Bon, ceci étant, quand vous me dites ça, est-ce que vous me dites que, lorsqu'on cherche à régler un litige pour lequel on peut considérer plus que la simple règle de droit, on devrait le faire à l'écart du mode traditionnel d'adjudication du droit et donc d'aller vers des systèmes qui ne sont pas, je dirais, «built in» dans la procédure judiciaire de mécanisme de conciliation ou même d'arbitrage?

M. Huppé (Luc): Je pense, à mon avis, au risque de déplaire à certains membres de la magistrature, que le problème ne tient pas au fait qu'il y ait une conférence de règlement à l'amiable ou une conciliation dans le contexte du tribunal. Le problème, c'est que ce soit un juge qui la préside. Qu'il y ait des conciliateurs rattachés au tribunal, qu'il y ait des médiateurs rattachés au tribunal, je ne vois pas de problème avec ça, au contraire. Je pense que c'est d'offrir une panoplie de solutions aux problèmes du justiciable. C'est le fait que le juge utilise... qu'on instrumentalise, si vous voulez, le prestige du juge pour un mode de règlement de litige où le droit entre si peu. C'est ça, à mon avis, de mon point de vue, qui pose problème, parce que, dans une conférence de règlement à l'amiable, comme le dit l'article 158, les parties ne cherchent pas à déterminer leurs droits, les parties cherchent à trouver une solution mutuellement convenable.

Or, la situation mutuellement convenable, elle peut dépendre de plusieurs choses. Elle peut dépendre de la lassitude des parties, elle peut dépendre de leur manque de moyens financiers, elle peut dépendre du déséquilibre qui existe entre une partie et une autre. Elle peut dépendre de plein de choses qui sont étrangères aux droits, et le problème que je vois, c'est de mêler le juge à ces considérations qui ne sont pas juridiques.

Et, pour répondre à votre question, oui, je pense que c'est une bonne idée d'intégrer ces mécanismes à l'intérieur de l'institution judiciaire. Cependant, je pense qu'il faudrait reconsidérer la participation des juges ou l'étendue de la participation des juges dans ces mécanismes.

La Présidente (Mme Vallée): Merci, Me Huppé. Alors, je vais céder la parole à Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Merci, Mme la Présidente. Merci beaucoup, Me Huppé. Bien, ça m'amène... J'avais une question générale, je pense que vous venez d'y répondre, mais je sentais chez vous une grande réticence, pour ne pas dire que vous étiez réfractaire vraiment aux missions de conciliation exercées par le juge. C'est, de ce que je comprends, bien le cas.

Est-ce que c'est la même chose pour la conférence de règlement à l'amiable, vous n'estimez pas non plus que c'est du rôle du juge, ça pourrait être fait dans le même contexte mais par un peu des professionnels de la conciliation ou du règlement à l'amiable?

M. Huppé (Luc): Effectivement, c'est mon point de vue.

Mme Hivon: O.K. Donc, quand vous dites que la mission de conciliation contribue à l'érosion de la primauté du droit, je comprends en quelque sorte que vous situez... Parce qu'on a la justice puis on a le droit, hein? La justice, c'est quelque chose qui est plus global. Le droit fait partie... c'est une manière d'obtenir justice, de voir la justice se déployer, mais je pense qu'en société ce qu'on recherche d'abord et avant tout, c'est la justice, et le droit est un élément pour y arriver.

Si je vous disais que la conciliation par le tribunal peut être un élément favorable à la justice, est-ce que ça ferait revoir votre position ou vous gardez la même de dire qu'il y a une érosion de la primauté du droit et que c'est donc néfaste?

M. Huppé (Luc): Bien, je vous répondrais là-dessus qu'il faut, je pense, considérer attentivement -- je ne sais pas s'il y a des études qui ont été faites là-dessus -- les facteurs qui amènent les gens à s'entendre dans un processus de conciliation ou dans un processus de... une conférence de règlement à l'amiable. Ces facteurs-là, comme je le disais, ont souvent peu de chose à voir avec les droits qui sont accordés aux personnes.

Par exemple, une personne se casse une jambe sur le terrain de son voisin. Elle poursuit son voisin, elle a subi des dommages pour 50 000 $. Il serait extrêmement étonnant qu'un processus de conciliation ou une conférence de règlement à l'amiable lui donne le plein montant. Elle va être obligée de faire une concession par rapport à ses droits, elle va être obligée de faire une concession. Peut-être qu'on peut appeler ça de la justice, mais c'est quelque chose qui est étranger, dans une certaine mesure, aux règles de droit.

Et la question très importante que vous posez est de savoir: Est-ce que les tribunaux doivent poursuivre la justice, doivent chercher à atteindre la justice ou s'ils doivent chercher à appliquer le droit? C'est une question fort importante, une question philosophique fondamentale qu'il faut se poser, et on peut se poser aussi la même chose pour ce qui est du rôle de l'Assemblée nationale.

Et je reviens à ce que je disais tout à l'heure. Si la loi accorde, par exemple, une indemnisation de 50 000 $ et que le processus de conciliation arrive à une entente de 50 000 $, eh bien, la loi qui a été adoptée par l'Assemblée nationale est sans effet ou sans effet complet, et c'est ce que je voulais dire tout à l'heure en disant: À quoi sert-il à l'Assemblée nationale d'adopter des lois si, une fois que les parties sont rendues devant les tribunaux, elles peuvent les écarter dans la recherche d'une situation mutuellement convenable?

**(15 h 30)**

Mme Hivon: Si je vous soumettais que les lois sont souvent là pour, je dirais, en bout de course, certains cas exceptionnels, comme par exemple les litiges qui vont jusqu'au bout du processus, où il y a adjudication par le tribunal, sont des cas qu'on peut dire que c'est la portion congrue des problèmes de justice que peuvent rencontrer les gens, et que donc, de ce fait-là, on est en droit de vouloir mettre de l'avant tous les moyens possibles, même si ça fait en sorte que les belles lois ici qu'on met de l'avant ne trouvent pas application dans tous les cas; s'il y a un résultat positif qui est, par exemple, que le citoyen trouve une résolution à son problème rapidement, à sa satisfaction par un mécanisme x, y, z, bien, qu'on a atteint un objectif qui est important en société?

M. Huppé (Luc): Je suis entièrement d'accord avec vous, mais, à ce moment-là, c'est ce que j'appelle l'érosion de la primauté du droit. On n'applique plus le droit, mais on trouve un certain modus vivendi dans la société où les gens s'accommodent entre eux, indépendamment, dans le fond, de ce que la loi dit. Alors, oui, ça peut être un objectif social louable, mais ce n'est pas... C'est ce que j'appelle l'érosion de la primauté du droit. La primauté du droit, c'est quand la loi qui est adoptée par les représentants du peuple reçoit application devant les tribunaux, vous avez bien compris ça.

Mme Hivon: Mais vous êtes conscient que, la loi, comme me dit mon collègue, dans la mesure où la loi permet ces modes autres de règlement de conflits, en fait ça fait partie intégrante de la loi et de ce que le législateur met de l'avant. On n'est pas en marge, justement, quand on leur donne l'essor qu'on veut leur donner, par exemple, dans l'avant-projet de loi ou tout ça. Il y a quand même une connexion claire entre ce qui est dit dans la loi et ce qui peut se pratiquer sur le terrain.

M. Huppé (Luc): Bien, une loi qui dirait qu'on n'est pas obligé d'appliquer la loi est une loi qui se contredit elle-même. Je ne peux pas répondre autre chose.

La Présidente (Mme Vallée): M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Cloutier: Merci, Mme la Présidente. Mais le concept de primauté du droit, c'est le respect du droit, mais, si, dans la loi, il y a une clause qui permet, par exemple, à un juge de procéder par conciliation, l'origine de ce pouvoir de conciliation origine aussi de la loi. Et, dans cet esprit, le juge qui, de façon parallèle aux autres dispositions qui pourraient apparaître ailleurs dans le Code de procédure, décide d'utiliser d'autres droits qui lui sont octroyés par d'autres dispositions du Code de procédure respecte aussi, à mon avis, les dispositions de la loi par le choix du législateur qui a été fait de lui offrir cette discrétion, et, dans mon esprit, ça respecte aussi le concept de primauté du droit. Enfin, on n'est pas sur une disposition particulière, j'en conviens, mais je comprends que vous nous avez invités à cette réflexion.

M. Huppé (Luc): Oui, le juge agit dans le cadre du droit, mais le résultat net, de la façon dont le litige ou le problème est solutionné, le résultat net, c'est qu'il n'est pas solutionné selon ce que le législateur aurait suggéré dans sa loi mais selon une entente mutuellement convenable.

M. Cloutier: Tout à fait.

Mme Hivon: En fait, vous mettez le doigt sur quelque chose qui, moi, depuis un certain temps, me frappe. J'en parlais ce matin, c'est le fait qu'on me dit souvent que, pour les citoyens, je dirais, le justiciable qui n'est pas une corporation mais un citoyen, le fait d'avoir un moment avec le juge de conciliation, de conférence de règlement à l'amiable ou tout ça peut avoir une portée beaucoup plus grande du fait précisément de l'autorité et de ce qu'impose le juge de par son rôle de juge et que donc ça peut favoriser plus de règlements, plus d'aboutissement à la résolution de différends. Et puis là, vous, aujourd'hui... Et c'est ce qui fait en sorte que, par exemple, on dit: Oui, il y a des médiateurs professionnels, il y a des conciliateurs professionnels, puis tout ça, mais, dans certains cas, il semble que le fait que ce soit le juge qui préside tout ça, ça a un impact positif. Puis vous, aujourd'hui, en fait, vous êtes carrément, je dirais... vous vous inscrivez en faux un peu contre cette approche-là en disant: Ça, justement, ça détourne la fonction du juge, et cette autorité-là, elle n'est comme pas utilisée dans le canal qu'elle devrait être utilisée, mais est-ce que, nous, on ne devrait pas s'ouvrir à se dire: Si le but, c'est la résolution des différends, et que ça, ça a un impact tellement positif sur le justiciable qu'on y arrive plus, on devrait donc considérer ce rôle-là et estimer qu'il est tout à fait... aussi légitime que celui d'adjudicateur?

M. Huppé (Luc): Pour répondre à votre question, en fait, je vais vous retourner la question en disant: Pourquoi le justiciable accorde-t-il plus d'autorité et d'ascendant au juge qui préside une conférence de règlement à l'amiable plutôt qu'à un médiateur professionnel? Pourquoi lui accorde-t-il plus de crédibilité, plus d'autorité? Parce qu'un juge est là pour appliquer la loi. À cause de la rigueur de la fonction qu'il exerce. À cause de la méthode judiciaire qui consiste à écouter des témoins, faire un raisonnement juridique à partir de règles de droit.

Or, c'est précisément ce qui ne se passe pas dans une conférence de règlement à l'amiable. Le juge qui participe à cette conférence-là n'a pas entendu de témoin, il n'a pas entendu de preuve. Il a peut-être une connaissance sommaire du dossier, mais, à chaque fois qu'il ouvre la bouche, les gens peuvent penser qu'il annonce ce que pourrait être le jugement, et c'est ça qui crée... ça précisément qui crée l'ambiguïté fondamentale de la participation d'un juge à une conférence de règlement à l'amiable. Et je le dis avec beaucoup de respect pour les nombreux membres de la magistrature qui y participent.

Mme Hivon: En fait, moi, je suis votre logique sur le fait... parce qu'on peut se questionner à savoir: Est-ce que c'est la meilleure utilisation, je dirais, en termes de temps, coût, énergie des juges, de les faire présider de tels mécanismes, je dirais, de règlement des différends, des conflits, de conciliation, puis tout ça? Ça, je pense que c'est une question en soi quand on regarde l'efficacité, le fonctionnement de la magistrature, des tribunaux.

Mais, quand vous dites que le cadre d'une conférence de règlement à l'amiable fait en sorte que ce sont souvent des considérations autres que juridiques qui déterminent la manière dont le litige prend fin -- la lassitude des parties, le manque de ressources, etc. -- et donc ça, vous estimez que ce n'est pas compatible nécessairement avec le rôle du juge, je voudrais juste savoir si, de manière générale... Parce que vous savez que ça peut être la même chose quand on s'engage dans un processus judiciaire puis que finalement on règle à minuit moins deux, la veille du procès. Le droit n'a peut-être pas été dit, mais les tribunaux puis les juges, surtout dans un contexte de conférence préparatoire, puis tout ça, vont avoir été mis à contribution tout autant. Donc, je me dis: Est-ce que, pour vous, finalement, la conférence de règlement à l'amiable, c'est quelque chose de plus négatif que de positif?

M. Huppé (Luc): C'est quelque chose de très positif, c'est quelque chose de très positif. L'interrogation que j'ai, c'est quant à la participation du juge pour le présider.

La Présidente (Mme Vallée): Malheureusement, on doit mettre fin à ce bloc-là. Alors, M. le ministre, pour une période de neuf minutes.

**(15 h 40)**

M. Fournier: On va néanmoins rester sur le sujet. Le justiciable cherche à régler un litige, un différend. Il peut y arriver en tentant de définir la règle de droit, en demandant à quelqu'un de dire comment le droit doit s'appliquer à son cas. Il peut régler son problème dans un échange, peu importe quel moyen, avant d'aller devant les tribunaux, ou dans une conférence de règlement à l'amiable, ou en conciliation. J'y reviendrai parce qu'on peut les voir sous des degrés différents.

L'autre façon, c'est simplement d'abandonner le recours et de renoncer à l'exercice de son droit. Il y a aussi ce choix-là. Dans l'échange que vous avez eu tantôt, c'est un peu comme vous avez le droit d'acheter un journal, mais vous n'êtes pas obligé de l'acheter, puis c'est déjà exercer... j'exerce mon droit à l'acheter en disant que j'y renonce, jusqu'à un certain point. Et le problème qu'on a, ce n'est pas pour rien qu'on fait ce projet de loi là et qu'on regarde des différents moyens, c'est qu'aujourd'hui on assiste de plus en plus à l'abandon du recours, à la renonciation à l'exercice de son droit, qui n'est finalement pas la meilleure façon de régler le problème, mais on est rendus là.

Alors, sur toute la différence qu'il faut faire entre qu'est-ce qui semble le plus pur ou ce à quoi on doit donner une force prépondérante, est-ce que c'est de pouvoir dire qu'on a appliqué la règle de droit ou on a appliqué la meilleure solution pour les parties? Entre les deux... Je suis ministre de la Justice, donc je vais me retenir sur la déclaration que j'aurais voulu faire, mais je pense que vous savez où je m'en vais.

Ce dont on parle en ce moment, dans la vie de tous les jours ça existe, il y a de telles conférences, et puis il est prévu, là, que ce n'est pas celui... Je comprends que vous avez fait la différence quand même, là. Même s'il ne tranche pas au fond, il continue d'avoir un certain rôle, puis la conciliation... peut-être qu'il faudrait le réécrire, là, mais dont on veut qu'il y ait une certaine approche qui ne soit pas aussi intensive ou pénétrante que ne l'est la conférence de règlement à l'amiable, ce sont des moyens qui existent, qui fonctionnent. Ma collègue de Joliette disait tantôt que peut-être une des raisons pourquoi ça fonctionne, c'est que les gens savent que la personne qui le fait... d'abord on lui reconnaît une capacité, et peut-être qu'il y a une petite idée que ces personnes-là ont déjà eu à trancher ça, c'est des personnes qui risquent... donc à qui on se dit: Je suis dans le processus vers cette personne-là, il tente de nous rapprocher.

Conclusion: un, ça marche, les résultats sont bons. Et, à moins que vous me disiez que vous avez relevé, en termes pratiques, une contestation, ou une perception, ou une sensibilisation de plus en plus grande des gens qui disent: Ô horreur! Telle procédure me fait craindre sur mon droit, et je vois des gens biaisés qui y assistent... Est-ce que je dois vous suivre dans la théorie? Ça me tente toujours d'écouter la théorie, puis j'ai tendance à toujours vouloir me rapprocher de ce qui semble le plus logique, mais des fois, en termes empiriques, là, y a-tu un problème? Il reste que, si on s'entend à l'amiable, là, une fois qu'il y a eu cette conférence-là, bien c'est peut-être parce qu'on a trouvé que c'était une bonne idée, non?

M. Huppé (Luc): Bien, vous savez, M. le ministre, le problème se présente de différentes façons. Je vais vous donner un exemple qui arrive, je pense, trop fréquemment, des gens qui sont poursuivis en justice et qui pensent qu'ils sont dans leur bon droit, leur avocat pense la même chose, mais qui, pour régler le litige et avoir la paix, consentent à payer des sommes d'argent. Bon, est-ce que c'est une solution socialement souhaitable? On a mis fin à un litige dans un certain sens, oui, mais, d'un autre côté, que quelqu'un se sente obligé d'acheter la paix alors qu'il pense être dans son droit et il pense qu'il n'a rien fait de mal, moi, personnellement, je trouve ça regrettable, oui.

M. Fournier: Excusez, j'ai sauté un petit bout. Où est-il obligé de renoncer à son droit?

M. Huppé (Luc): Quand une partie se retrouve en conférence de règlement à l'amiable, c'est pour faire des concessions, parce que, sinon, ils ne vont pas en conférence de règlement à l'amiable, sinon les parties ne vont pas en conférence de règlement à l'amiable. Il faut qu'il y ait une volonté de régler. Et, quand la partie adverse demande de l'argent, si la position est de dire: Nous ne mettons aucune somme d'argent, c'est bien entendu que la conférence de règlement à l'amiable va échouer. Donc, même si mon client, par hypothèse, est d'avis qu'il ne doit rien, eh bien, pour en arriver à un règlement du dossier, pour acheter la paix, il va consentir à payer des sommes d'argent à la partie adverse...

M. Fournier: Mais...

M. Huppé (Luc): ...et ça, je trouve ça regrettable.

M. Fournier: J'aurai le transcript, là, ce soir pour mieux comprendre, là, je vais... La partie n'est pas obligée, elle peut décider de faire trancher le litige en vertu de la fonction d'adjudication. Et, si elle choisit une concession, vous dites, pour acheter la paix, bien, elle a exercé une faculté comme ça parce qu'elle y a trouvé un avantage avec son avocat. Sinon, elle fait trancher.

Alors, pourquoi c'est injuste? Je manque un petit bout. Vous avez l'air à me dire que c'est obligatoire de renoncer à son droit.

M. Huppé (Luc): Ce n'est pas ça que je dis.

M. Fournier: O.K., je m'excuse, j'ai dû manquer un bout.

M. Huppé (Luc): Ce n'est pas ça que je dis. C'est que, dans une conférence de règlement à l'amiable -- en fait, je vais répéter ce que j'ai dit antérieurement -- les parties accordent, à mon avis, moins d'importance aux considérations juridiques, ils vont chercher à trouver une solution pratique, et, même si le droit, la règle de droit dit: Mon client ne doit rien à la partie adverse, mon client pourrait être tenté, pour que la conférence de règlement à l'amiable aboutisse, de consentir à payer des sommes d'argent. Il le fait volontairement. C'est ça, votre préoccupation. Il le fait volontairement, mais, en bout de ligne, le droit n'a pas été appliqué. C'est tout ce que je dis.

M. Fournier: Mais de la même façon qu'il pourrait décider... Par exemple, il était en réclamation. Il pourrait décider de ne pas prendre procédure, et de diminuer sa réclamation, et de s'entendre avec l'autre partie. Est-ce que ce serait une aberration?

M. Huppé (Luc): Pas du tout, mais, à ce moment-là, il n'y a pas de juge qui participe au processus, les parties...

M. Fournier: Mais là c'est deux niveaux, là. Qu'il y participe ou qu'il n'y participe pas, la personne qui avait la créance et qui la diminue... qu'il la diminue avant, qu'il la diminue pendant ou qu'il aille jusqu'à jugement, c'est un choix volontaire qu'il fait, peu importe à quel moment et qui d'autre est intervenu. Et le meilleur choix, la capacité qu'il a de choisir jusqu'à temps que quelqu'un choisisse pour lui, là, relève de sa volonté, et je ne crois pas qu'on... J'ai l'impression que vous qualifiez de supérieur pour la justice d'une société la décision en droit, alors que peut-être qu'on doit inclure dans le concept de la justice des volontés qui se rencontrent.

M. Huppé (Luc): Alors, effectivement, M. le juge... M. le ministre, excusez-moi.

Une voix: Troisième fois, trois fois.

M. Fournier: Ça va finir par être... J'espère de finir la journée.

M. Huppé (Luc): Déformation professionnelle, excusez-moi. Effectivement...

Des voix: ...

M. Huppé (Luc): J'accorde plus d'importance effectivement au fait que la loi soit respectée plutôt qu'en règlement négocié entre les parties, effectivement.

M. Fournier: J'ai-tu le temps d'en profiter?

La Présidente (Mme Vallée): Bien, vous avez une minute.

M. Fournier: Pourquoi? Qu'est-ce qui vous motive à ce que vous croyiez supérieur de suivre la règle de droit plutôt que de permettre aux parties de s'entendre? Qu'est-ce qu'il y a de supérieur là-dedans, par exemple, à trancher par un juge plutôt que d'avoir des parties qui conviennent entre eux d'une solution, qui, à mon avis -- je dis ça comme ça, là -- règle leur problème puis en plus crée une relation entre eux qui me semble beaucoup plus harmonieuse pour l'avenir? Mais bon, allons-y.

M. Huppé (Luc): Bien, en fait, je ne suis pas certain que c'est le résultat nécessairement d'une entente à l'amiable que les relations soient plus harmonieuses, mais, moi, je pense que la règle de droit établit un équilibre entre les parties, un équilibre entre les rapports de force des parties, et qu'à partir du moment où on choisit de mettre la règle de droit de côté pour privilégier une autre solution on crée un déséquilibre entre les citoyens.

La Présidente (Mme Vallée): Merci, Me Huppé. M. le député de Lac-Saint-Jean, maintenant.

M. Cloutier: Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Vallée): Pour un bloc de neuf minutes également.

M. Cloutier: Oui, je vous remercie. Sauf qu'il me semble que l'équilibre dont vous parlez s'inscrit à partir de la règle de droit, puis le rapport de force origine aussi de la règle de droit en application. Ça fait que, donc, si un particulier accepte x montant, il le fera connaissant le rapport de force et ses probabilités d'appréciation de la règle de droit. Donc, l'origine même du règlement en conciliation demeure quand même, à mon sens en tout cas, la règle de droit.

Je me demandais d'où origine votre réflexion. Est-ce que vous vous êtes inspiré d'autres législations... d'autres législatures, pardon, qui ont...

M. Huppé (Luc): Non, ce sont mes réflexions personnelles, et les études que j'ai faites, et la réflexion que je mène sur le système judiciaire depuis une vingtaine d'années.

M. Cloutier: Très bien. Et est-ce qu'à votre connaissance d'autres juridictions apportent cette distinction entre les fonctions...

M. Huppé (Luc): Je n'ai pas fait cette recherche, M. le député, je ne pourrais pas vous dire.

M. Cloutier: Très bien. Par contre, vous jugez souhaitable que cette réflexion se fasse ici, du côté québécois. J'essaie... Quel problème tentez-vous de régler? Ce que vous souhaitez, dans le fond, c'est de maintenir la...

M. Huppé (Luc): ...que la loi soit respectée, tout simplement. Que la loi soit respectée, qu'on vive dans un régime où la loi prime, et non pas la volonté d'éviter des litiges, et non pas la volonté de ne pas faire perdurer les litiges. Que la loi prime.

M. Cloutier: Par contre, vous ne remettez pas en question la mission de conciliation, sauf que ce que vous dites, c'est que cette mission-là ne devrait pas être exercée par la magistrature. C'est bien ça?

M. Huppé (Luc): Effectivement, je pense que c'est souhaitable que la mission de conciliation et les conférences de règlement à l'amiable, qui sont des mécanismes tout à fait louables, je le précise, soient exercés par d'autres que des juges, oui.

M. Cloutier: Ça va pour moi, je vous remercie.

La Présidente (Mme Vallée): Mme la députée de Joliette.

**(15 h 50)**

Mme Hivon: On est dans un niveau très philosophique, mais ça a aussi des répercussions très pratiques. Je comprends le point très précis que vous faites sur la question vraiment du rôle du juge de dire le droit et jusqu'où c'est compatible avec un rôle où le droit n'est pas le seul prisme d'analyse, mais il y a d'autres considérations. Je vous suis bien. Mais où je vous suis moins, c'est toute la question de dire: Ce qui est fondamental, c'est la règle de droit, la primauté du droit.

Comment vous conciliez ça avec le fait qu'on voie de tels problèmes d'accès à la justice? Et, si on suivait votre logique jusqu'au bout, en fait, même les modes comme la médiation ou la conciliation faits par d'autres que des juges peuvent évidemment prendre d'autres considérations que celle de la règle de droit purement et formellement. Donc, si on suit ça, je me dis: C'est quoi, le résultat pour l'accès à la justice, si en fait on remet en cause même l'idée que des parties puissent s'entendre et faire des concessions de part et d'autre plutôt que de dire: On va attendre que le droit vienne nous dire exactement où se trouve la bonne solution, la bonne réponse?

M. Huppé (Luc): Je ne remets pas en cause la possibilité pour les parties de choisir des modes de solution autres que les tribunaux, autres que le droit. Il revient à chacun d'entre nous de décider la place que le droit va occuper dans sa vie. Il revient à chacun d'entre nous de décider s'il va régler ses problèmes par des moyens juridiques, par des moyens religieux, par des moyens commerciaux ou par d'autres moyens.

L'essence de mon observation, c'est de dire: À partir du moment où on implique un juge dans le processus, à mon avis, on dénature la fonction du juge. C'est l'essence de mes représentations. Je ne remets pas du tout en cause la possibilité pour chaque citoyen de ne pas faire respecter ses droits, de s'entendre avec son voisin et même d'utiliser des tiers pour parvenir à ce résultat. Ce que je dis, c'est: Laissons les juges faire ce pour quoi ils sont nommés, c'est-à-dire appliquer le droit.

Mme Hivon: O.K. Sur un autre sujet, peut-être rapidement, à la page 24 vous dites qu'il y aurait un avantage évident pour les membres de la magistrature et les justiciables à ce que le législateur fixe les limites de l'immunité au moyen d'un critère objectif. Est-ce que vous avez des exemples de tels critères?

M. Huppé (Luc): En fait, cette question, Mme la députée, est une question difficile et délicate. En 1985, la Cour suprême du Canada a rendu une décision de principe dans l'affaire Morier c. Rivard, où elle a déterminé que les juges avaient une immunité de poursuite absolue, sauf dans certains cas. Et la façon dont elle a formulé la limite, c'est-à-dire un juge qui, de mauvaise foi, ferait quelque chose qu'il sait ne pas avoir le pouvoir de faire, à mon avis, c'est un critère difficile d'application et c'est un critère qui fait en sorte que les poursuites contre les juges n'ont pas arrêté depuis cet arrêt-là. Et, quand il y a des poursuites contre les juges, pour essayer d'entrer dans l'exception, on allègue toujours la mauvaise foi du juge.

Donc, depuis l'arrêt Morier c. Rivard, la jurisprudence montre beaucoup de cas où on a des attaques complètement disgracieuses, on impute des intentions à des juges de façon tout à fait gratuite, et la réflexion que je veux soumettre à l'Assemblée nationale, c'est: N'y aurait-il pas moyen de formuler un critère de limite ou d'immunité de poursuite qui éviterait ce genre d'attaque disgracieuse contre la magistrature?

Alors, oui, on pourrait fixer les limites, je pense, en deux étapes, la première en énonçant un principe général, par exemple, que la responsabilité civile du juge n'est pas engagée par l'exercice de ses fonctions, c'est un principe général, et ensuite en établissant certaines exceptions à ce principe mais des exceptions très délimitées. Par exemple, un exemple qui est fourni par la jurisprudence, le refus de se conformer à un ordre d'un tribunal d'appel pourrait engager la responsabilité du juge. Si le juge faisait des actes par corruption, est-ce qu'il n'y aurait pas lieu qu'on permette qu'il soit poursuivi? Un juge qui falsifierait un dossier de cour, qui détruirait un dossier de cour, est-ce qu'il n'y aurait pas lieu qu'on envisage qu'il puisse être poursuivi personnellement pour les dommages que ça cause? Alors, oui, à l'analyse de la jurisprudence actuelle sur l'immunité judiciaire, je pense qu'il y a une réforme à faire.

Mme Hivon: Puis peut-être ma dernière question: Concernant la question de la récusation, vous présumez... de la lecture que vous faites, vous estimez qu'on n'a pas les mêmes motifs pour ce qui est de son rôle de conciliateur que de celui d'adjudicateur?

M. Huppé (Luc): Bien, c'est que, voyez-vous, l'article 17 de l'avant-projet de loi... l'article 17 nous dit: «Le juge qui statue sur une affaire ou sur une demande en cours d'instance doit être impartial...» Or, s'il exerce la mission de conciliation... enfin, à la lecture de la disposition je me posais la question: Est-ce que le législateur inclut la mission de conciliation et de conférence de règlement à l'amiable quand il dit «statue sur une affaire ou sur une demande»? Ça ne me semblait pas évident d'arriver à cette conclusion-là, donc c'est pour ça qu'à mon avis l'article 17 devrait être reformulé pour être étendu à l'ensemble des missions exercées par le juge.

Mme Hivon: Donc, en fait, vous suggérez simplement que l'article 17 inclue... soit peut-être réécrit pour que ce soit clair que c'est dans l'ensemble de ses missions.

M. Huppé (Luc): Exact.

Mme Hivon: O.K. Merci beaucoup.

La Présidente (Mme Vallée): Merci. Alors, ceci met fin à nos échanges. Me Huppé, je vous remercie de votre participation aux travaux de la commission.

Nous allons suspendre pour quelques instants, et je vais inviter la Confédération des organismes familiaux du Québec à prendre place.

(Suspension de la séance à 15 h 56)

 

(Reprise à 16 h 2)

La Présidente (Mme Vallée): Alors, nous allons reprendre. Je souhaite la bienvenue à M. Henri Lafrance, qui est président de la Confédération des organismes familiaux du Québec. Je comprends qu'en cours de présentation votre collègue se joindra vraisemblablement à vous. Alors, bienvenue, M. Lafrance. Vous disposez d'une période 15 minutes pour faire votre présentation, par la suite s'ensuivront des périodes d'échange avec les membres de la commission.

Confédération des organismes
familiaux du Québec inc. (COFAQ)

M. Lafrance (Henri): Merci. Bonjour, M. Fournier, ministre de la Justice. Bonjour à tous les membres de la commission. Je suis président de la Confédération des organismes familiaux. Je suis père de cinq enfants et grand-père de deux petits-fils. J'ai été membre pendant plusieurs années du comité de suivi du modèle québécois des pensions alimentaires avec justement... Je salue en passant M. Pierre Tanguay, qui présidait d'ailleurs à cette époque le comité. Je suis accompagné de... je serai accompagné de Mme Isabelle Leduc sous peu, qui est directrice générale de la confédération et mère monoparentale de deux jeunes enfants.

La COFAQ, la confédération, regroupe des fédérations, des associations dont le point commun est d'offrir des services aux familles ou de défendre les familles québécoises dans toute leur diversité. La réalité vécue par les familles québécoises évolue rapidement et nécessite de la part des parents, des grands-parents et de tous les autres membres d'une même famille une grande capacité d'adaptation et d'ouverture d'esprit. De la même façon, nos institutions sont appelées à s'adapter à de nouvelles réalités sociales. L'avant-projet de loi instituant le nouveau Code de procédure civile vient ou viendra éventuellement contribuer à la modernisation de la procédure civile, ce qui aura une incidence sur la vie des familles québécoises.

Les familles seront touchées par les nouvelles procédures pourvu que certains objectifs de cet avant-projet de loi soient atteints. En favorisant une plus grande accessibilité à la justice, en diminuant les délais et en ayant un plus grand recours à différentes formes de conciliation, nous pensons que les familles gagneront dans cette réforme. Cependant, il est nécessaire de rappeler que ce processus s'insère dans un grand plan d'accès à la justice qui n'est pas entièrement dévoilé. On attend la viande, comme on dit, autour de l'avant-projet de loi.

La confédération des organismes familiaux a pris position pour la création d'un service administratif de révision des pensions alimentaires, SARPA. L'avant-projet de loi parle plutôt d'un service d'aide à la révision des pensions alimentaires. On voudrait, au cours de la discussion qui va suivre, comprendre la différence des deux concepts.

En passant, je vais rappeler ce que disait M. Jean Charest dans son discours d'ouverture du 4 juin 2003: «Le sentiment de justice est étroitement [relié] au concept de démocratie. [...]La justice doit être accessible. Si elle ne l'est pas, elle perd son nom.» Donc, ce n'est pas la justice.

Voici un rappel historique de la recommandation de mettre sur pied un service de révision des pensions alimentaires.

En septembre 2002, le comité de suivi du modèle québécois de pensions alimentaires pour enfants remettait son rapport complémentaire au ministre de la Justice, M. Paul Bégin. Il recommandait de nombreuses améliorations au régime de fixation, dont l'établissement d'un service administratif de révision des pensions alimentaires. Comme prévu à la Loi du divorce, la recommandation unanime du comité faisait en sorte que, dans les cas évidents, les citoyens n'avaient pas à retourner en cour simplement pour ajuster à la baisse ou à la hausse une pension alimentaire.

Le 28 octobre 2002, le ministre de la Justice, M. Bégin, devait présenter un projet de loi reprenant la plupart des recommandations du comité de suivi, y compris la mise sur pied d'un service administratif de révision des pensions alimentaires. Au lieu de cela, il donnait sa démission du caucus du Parti québécois et de son poste de ministre sous prétexte que le PQ n'était pas assez souverainiste.

Dans les jours qui ont précédé cette démission, certains avocats avaient manifesté leur opposition à la mise sur pied du service administratif. Le successeur de M. Bégin, M. Normand Jutras, refusait de présenter le projet de loi qui devait être déposé par M. Bégin. Il déclarait vouloir revoir tout cela.

Le rapport du comité de suivi a été tabletté jusqu'à l'automne 2003, où il a été présenté au nouveau ministre de la Justice, M. Marc Bellemare. Celui-ci a fait adopter à l'automne 2003 un projet de loi reprenant plusieurs des recommandations du comité de suivi mais en éliminant la mise sur pied du service administratif recommandé par le comité.

M. Jean Charest, dans son discours d'ouverture du 10 mars 2006, disait: «J'annonce que nous allons modifier le Code de procédure civile, en matière d'obligation alimentaire, pour favoriser la révision du montant d'une pension alimentaire lorsque la situation le justifie.» M. Yvon Marcoux, ministre de la Justice, déclarait au journal La Presse quelques jours plus tard: «Je ne peux pas parler dès maintenant des modalités à ce sujet.» Un projet de loi sera déposé, disait M. Marcoux, «le plus tôt possible» -- en 2006, nous sommes en 2012. «"Comme c'est dans le discours inaugural, ça veut dire que c'est une priorité" -- toujours en 2006 -- a affirmé le ministre.»

Six ans plus tard, on est toujours à l'étape de l'avant-projet de loi. En 2008, Me Miville Tremblay, candidat à la vice-présidence du Barreau du Québec, avait à son programme la mise sur pied de ce service.

**(16 h 10)**

La question touche tellement les familles que la Protectrice du citoyen en a parlé dans son rapport 2006-2007 et qu'elle est revenue sur le problème dans son rapport annuel 2009-2010. Voici quelques commentaires de la Protectrice des citoyens que nous partageons tout à fait: «En décembre 1995, Revenu Québec a reçu la mandat quasi exclusif de percevoir les pensions alimentaires fixées par les tribunaux. À cet égard, son seul pouvoir est celui inhérent à l'exécution des ordonnances en cette matière.

«Depuis la mise en place de la perception automatique des pensions alimentaires, le Protecteur du citoyen reçoit année après année des plaintes concernant l'obligation de recourir systématiquement au tribunal pour faire modifier ou annuler une pension alimentaire.

«De nouvelles réalités [...] font en sorte que les problèmes liés à la judiciarisation des procédures en matière familiale ont pris une ampleur inégalée [en] quelques années: des parents changent d'emploi, deviennent travailleurs autonomes, retournent aux études ou optent pour une garde partagée; au fil du temps, les enfants acquièrent une indépendance financière qui a une incidence sur les obligations des parents. Les motifs justifiant une révision ou une annulation de la pension alimentaire sont donc nombreux. Pour la seule année 2008-2009, la Direction principale des pensions alimentaires de Revenu Québec a reçu 31 439 modifications d'ordonnance de la Cour supérieure.

«Or, la révision d'une pension engendre des coûts élevés, tant pour le débiteur que pour le créancier. De plus, les délais sont souvent longs. Dans l'intervalle, Revenu Québec ne peut suspendre, réduire ou annuler la pension alimentaire puisque la loi lui permet uniquement d'exécuter les jugements. Cette rigidité du système va à l'encontre des objectifs de la Loi facilitant le paiement des pensions alimentaires.»

Les familles attendent depuis 2002 qu'on donne suite à la recommandation unanime du comité de suivi. L'avant-projet de loi est présenté dans un contexte préélectoral, on ne s'en cachera pas. Il serait surprenant qu'il ait des suites concrètes pour les familles avant les élections.

D'ailleurs, un autre avant-projet de loi présenté ici à la même commission il y a plus de deux ans par la ministre de la Justice n'a toujours pas eu de suite. Nous parlons de l'avant-projet de loi modifiant le Code civil et autres dispositions législatives en matière d'adoption et d'autorité parentale. La COFAQ et deux de ses organismes membres ont présenté à la commission, à l'époque, chacun un mémoire à ce sujet, et toujours rien de concret de la part du ministère.

Puis ça, les questions que je soulève présentement, j'écoutais tantôt votre invité, on parlait beaucoup de situations philosophiques, de points de vue philosophiques, mais ça, là, c'est pratico-pratique pour les familles qui sont impliquées puis pour les enfants. Ce n'est pas quelque chose qui pend dans les airs, là, c'est que c'est important pour les familles. Merci.

La Présidente (Mme Vallée): Alors, merci beaucoup, M. Lafrance. Je comprends que Mme Isabelle Leduc s'est jointe à nous pendant votre présentation. Mme Leduc, je vous invite à venir en avant et accompagner M. Lafrance.

Une voix: ...à la demande générale.

La Présidente (Mme Vallée): Bienvenue, Mme Leduc. Alors, maintenant, la parole est à vous, M. le ministre.

M. Fournier: Merci beaucoup. Alors, merci, M. Lafrance. Bienvenue, Mme Leduc. Alors, on va parler du SARPA, finalement. C'est de ça dont il est sujet.

Un petit mot sur l'adoption: Ce n'est pas parce qu'il n'y a pas un projet de loi déposé rapidement après un avant-projet de loi qu'il n'y a pas de travail. Suite à l'avant-projet de loi, il y a eu et il y a encore des discussions sur deux éléments fort importants, et franchement c'est parce qu'on n'est pas en mesure de déposer un projet de loi. J'aimerais ça, je peux juste vous le dire, que j'aimerais ça, mais il y a deux éléments excessivement importants, d'abord une question autochtone, d'une part, et il y a une question d'externalité, dans le fond, de droit international qui vient jouer dans les... enfin, les observations qui avaient été reçues suite à l'avant-projet de loi.

Alors, je profite de l'occasion. Puisque, dans le fond, on est dans le pratico-pratique, j'aime autant vous dire ce qui se passe dans ma cuisine. Ce n'est pas parce qu'on n'y travaille pas, je peux vous le dire, puis ce n'est pas parce qu'on ne prend pas les bouchées doubles. Je le dis à vous, mais en même temps je sais que, ma collègue de Joliette, ça l'intéresse aussi beaucoup, alors je me permets de le lui dire. On essaie de le faire avancer, mais c'est un petit peu plus complexe que la discussion qu'il y avait eu à l'époque de l'avant-projet de loi, notamment... Aussi vrai que je peux vous le dire, il y a un an la difficulté était plus la question autochtone, et, durant les derniers mois, il y a eu des jugements qui ont été rendus qui font que maintenant la grande, grande préoccupation est plutôt l'international, et ça nous cause certaines difficultés.

Mais maintenant que je vous ai dit cela, ce n'était pas votre sujet. Je veux juste que vous sachiez qu'on a bien à coeur de régler cette... et on sait combien c'est important puis combien il y a des gens qui veulent cet outil-là, puis on l'espère. Bon.

Parlons du SARPA. Vous parlez du SARPA dans l'angle de l'avant-projet de loi qui est le Code de procédure civile, alors ça me permet de vous dire que nous avançons très bien sur le SARPA, que ce n'est pas l'avant-projet de loi sur le Code de procédure civile qui va concrétiser le service. J'y reviendrai par la suite, parce que vous êtes allés dans la sémantique entre le service de révision administratif... Et pourquoi aide et administratif, on en parlera tantôt. Mais non seulement nous avançons, mais j'ai déjà eu l'occasion de le dire, il y a des gens concernés qui sont avec nous dans la salle, on a déjà dit qu'on voulait que le projet de loi, pas avant-projet de loi, un projet de loi -- alors là, je me commets pas mal plus que tout ce que vous avez cité depuis 2002, là -- un projet de loi soit déposé à l'hiver. Et, l'hiver précédant le printemps, alors peut-être qu'on aura l'occasion de l'adopter.

M. Lafrance (Henri): On parle bien de l'hiver 2012 et non pas...

M. Fournier: On parle bien de cet hiver, cet hiver tempéteux. C'est de cet hiver qu'on parle. Je vois que vous avez déjà vu neiger, vous, hein? C'est bon de poser la question.

Ceci étant, et je l'ai dit hier, je crois, ce qu'on cherche à faire, c'est, oui, qu'il y ait la révision administrative, je dis bien, à l'égard de la pension alimentaire pour enfants dans les cas où la personne concernée n'est pas... ce n'est pas de son seul fait à elle, de son fait, de son acte, il y a des conditions externes, là, qui viennent jouer et qui permettent de faire le chemin de la révision administrative. Ça, c'est un élément. Mais, à l'égard des matières matrimoniales, il y a d'autres ordonnances -- pension de conjoint, des questions de garde, des questions de visite -- où il est possible aussi d'offrir un service, parce que c'est ce que nous voulons faire, un service d'accompagnement qui permettrait de simplifier les procédures, qui permettrait de le faire à moindre coût. Alors, puisqu'il y a un service administratif et un service d'accompagnement, bien, appelons donc ça un service d'aide.

Alors, conclusion, ne nous enfargeons pas sur la sémantique et retenons ceci: Je crois, sans douter de la volonté qu'ont eue tous ceux qui m'ont précédé et tous ceux qui ont accompagné ceux qui m'ont précédé au sein du ministère, qu'il fallait trouver les bonnes formules pour que cela se fasse correctement. Et je reste optimiste. Autant je l'étais hier, je le suis encore aujourd'hui sur cette question. Je suis optimiste qu'on a peut-être réglé tous les éléments et qu'on sera en mesure de déposer un projet de loi. Et je sais que, pour l'opposition comme pour nous, parce qu'on connaît l'historique de cette proposition-là, ce serait bien qu'on puisse l'adopter avant qu'il y ait des élections, mais ni ma collègue de Joliette ni moi ne contrôlons ces événements, quoique la journée d'aujourd'hui a peut-être un certain impact sur un délai important qu'il pourrait y avoir. Alors, on a probablement le temps de le faire.

Franchement, c'est tout ce que j'allais dire sur les remarques que vous nous avez faites aujourd'hui, mais je ne sais pas si vous avez des questions que vous pouvez me poser, parce que, sur le SARPA, je vous laisserai l'occasion de revenir nous voir une fois que nous aurons déposé le projet de loi. Alors, encore une fois, le projet de loi viendra, et on fera sûrement... je le disais hier, je ne sais plus quel groupe était là, on fera une consultation particulière, je souhaite, pas générale, pour qu'on accouche, qu'on en finisse, comme on dit, mais... alors vous aurez probablement l'occasion de venir nous entretenir des commentaires que vous avez sur les formules qu'on aura retenues et sur les libellés.

M. Lafrance (Henri): Si je comprends bien, le service d'aide, il y a un certain service d'aide qui va être institué par un éventuel projet de loi qui est à venir, là, mais le service administratif de révision des pensions alimentaires que le comité avait prévu, avait souhaité et recommandé dès 2002, ça, ça va être plus tard.

M. Fournier: Non, pas du tout, pas du tout, ça ne sera pas plus tard. Les deux étapes, on parle d'un service d'aide donc qui contient et la question de la révision administrative et la question de l'accompagnement dans d'autres matières familiales. Elles font partie d'un même ensemble dans un même document qui sera un projet de loi qu'on veut déposer prochainement.

M. Lafrance (Henri): J'ai lu dans certains documents que...

M. Fournier: ...on change de place, j'ai l'impression que c'est moi qui réponds à vos questions. Continuez, continuez.

M. Lafrance (Henri): Oui. J'ai lu dans...

M. Fournier: Et ma collègue a un plaisir fou!

**(16 h 20)**

M. Lafrance (Henri): J'ai lu dans certains documents du ministère -- vous me corrigerez si je me trompe -- que le service, l'éventuel service administratif, ça va être lorsque tout le monde va être d'accord, même lorsque c'est très évident. Par exemple, il y a des employés, il y a des travailleurs qui sont en grève, qui sont en lock-out ou qui sont mis à pied. Ces derniers temps, ça fait l'actualité. Ceux d'entre eux qui ont une pension alimentaire, ceux qui voient leurs revenus passer de 75 000 $ peut-être à 15 000 $, 20 000 $ puis qui ont une pension alimentaire prévue en fonction d'un revenu de 75 000 $, là, ça crée de sérieuses difficultés, et, ceux-là, qu'est-ce qu'on leur dit? On leur dit: Attendez encore, peut-être plus tard on va régler le problème.

M. Fournier: Bien, pas trop tard, là, je suis en train de vous dire... Puis je ne veux pas répondre à des questions que vous allez vouloir me poser ou des constats que vous allez vouloir faire lorsque vous viendrez en commission parlementaire sur le projet de loi. Alors, patientons encore un peu et donnez-nous le bénéfice du doute sur le contenu du projet. Si en ce moment il chemine bien, c'est parce qu'on pense qu'il règle les problèmes, alors rendons-nous jusque-là, là.

M. Lafrance (Henri): Bien, ça fait 10 ans qu'on patiente. On va patienter encore un peu.

M. Fournier: Vous pouvez nous donner encore un petit peu de temps? Excellent, merci beaucoup.

La Présidente (Mme Vallée): Est-ce que, M. le ministre, vous avez d'autres observations?

M. Fournier: Je n'ai pas d'autre réponse.

La Présidente (Mme Vallée): Vous n'avez pas d'autre réponse. D'accord. Alors, maintenant, je vais céder la parole à Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Bonjour, M. Lafrance, Mme Leduc. Bienvenue. Merci beaucoup pour vos questions, M. Lafrance, ça m'éclaire aussi. Je partage votre impatience. Moi, mon objectif, c'est que... Ça fait plusieurs années, là, ça fait trois ans que je suis porte-parole en justice, et, à chaque étude des crédits -- ça, c'est au mois d'avril, mai -- je reviens avec mes questions, puis celle du SARPA en est toujours une. Donc, mon objectif, c'est que cette année je ne puisse pas poser de question au ministre parce que le projet de loi va avoir été déposé avant. Donc, je l'attends aussi très impatiemment, donc j'espère que ça va se concrétiser, tout comme celui sur l'adoption. On s'était vus à ce moment-là, d'ailleurs, il y a deux ans. Donc, ça aussi, c'est supposé s'en venir à chaque étude de crédits, donc j'imagine qu'on va y arriver bientôt. Donc, merci d'avoir remis la question à l'ordre du jour.

Là, vous avez surtout abordé la question du service administratif de révision, mais, dans votre mémoire, vous abordez vraiment d'autres éléments. Donc, si ça vous va, je vous poserais peut-être des questions sur d'autres éléments du mémoire que vous abordez.

Vous parlez, bon, des modes de résolution des différends, là, autres que l'adjudication. Vous voyez ça d'un oeil favorable, la conciliation, la médiation. J'étais curieuse de vous entendre, parce que vous avez assisté, je pense, un petit peu aux réflexions du témoin qui vous précédait...

M. Lafrance (Henri): ...réflexions philosophiques, juridiques et...

Mme Hivon: Oui, c'est ça, qui a beaucoup de réserves, et je voulais savoir, de votre point de vue en matière familiale, compte tenu de l'expérience un peu qui se vit aussi en matière de médiation, si vous avez le sentiment que ça peut nuire, par exemple, aux personnes vulnérables, ou qu'il y a des concessions à outrance qui sont parfois cédées, ou que si, de manière globale, c'est quelque chose qui est plutôt positif pour les parties, du fait de l'expérience que vous avez plus dans le domaine familial.

M. Lafrance (Henri): Bien, fondamentalement, lorsque quelqu'un fait des concessions... Par exemple, j'écoutais l'invité qui m'a précédé tantôt, bon, oui, quelqu'un peut... devrait peut-être avoir une indemnisation de 50 000 $ puis il décide de régler pour 40 000 $, sauf que lui, le justiciable, lui, ce qui compte pour lui, c'est la... c'est-à-dire que, si, pour obtenir son 50 000 $, il doit dépenser 15 000 $ de frais d'avocat et autres, il est encore gagnant de régler à 40 000 $. Ça, c'est pratico-pratique. C'est qu'il faut voir les choses dans la vraie vie, là. Lorsqu'on commence à philosopher et à philosopher sur des principes, oui, dans un monde idéal, si la justice était vraiment accessible à tout le monde, oui, quelqu'un ne devrait pas être obligé de faire de concession pour acheter la paix, sauf que, si, en bout de ligne, obtenir un vrai jugement qui t'accorde à la cent près ce qui te revient, ça te coûte... il ne te reste plus rien... Parce que j'ai vécu... c'est-à-dire qu'il y a un voisin qui a poursuivi pour vice caché, puis finalement ça lui a coûté énormément, mais, en bout de ligne... c'est-à-dire, il a eu son indemnisation, il a eu le montant qu'il réclamait ou un peu moins de la part d'un vrai juge, mais, en bout de ligne, il ne lui est pas resté grand-chose parce que tous les frais engendrés par ça, expertise de ceci, expertise de cela, ça a tout mangé.

Donc, les seuls gagnants, bien, c'est sûr que, pour les avocats, c'est leur gagne-pain puis... mais il faut penser aussi au citoyen ordinaire. Le citoyen ordinaire qui est tout juste à la limite d'être accepté par l'aide juridique, qui est un petit peu en haut des barèmes d'acceptation de l'aide juridique, il n'a vraiment pas le moyen de payer des milliers, voire des dizaines de milliers de frais d'avocat ou d'expertise pour...

D'ailleurs, dans les cas de divorce, on voit de nombreuses faillites de gens qui... de pères ou de mères qui, pour obtenir un jugement, se ruinent littéralement. Ils sont obligés... Le nombre de faillites chez les personnes séparées, elles sont très élevées à cause de tout le processus, de la lourdeur du processus de la justice ou du droit, appelez-le comme vous voulez, là, moi, je ne suis pas avocat, mais sauf que, nous, on représente des organismes membres puis on vit sur le terrain avec des familles qui tirent le diable par la queue, comme on dit en bon québécois, puis qu'eux ce n'est pas une question philosophique, ils ne philosophent pas sur ces questions-là. Ils le vivent puis des fois ils se ruinent.

Donc, oui, tous les processus qui aident à obtenir justice de façon abordable, parce que, comme la citation que je donnais tantôt de M. Charest, lorsque la justice n'est pas accessible au commun des mortels -- on ne peut pas parler de justice dans la brume, dans la théorie, il faut parler en pratico-pratique -- ce n'est pas de la justice.

Mme Hivon: Je suis bien d'accord, c'est sûr. On s'entend tous que, sans accès à la justice, on ne peut pas parler de justice, puis, en matière familiale, je pense qu'il y a énormément de défis. Puis vous en mentionnez plusieurs, lorsqu'arrive une rupture, c'est certain, puis celle des pensions puis des révisions en est clairement une.

M. Lafrance (Henri): ...il y a quelques jours, il y avait un reportage à La facture où on disait qu'il y avait 14 400 000 $ ou peut-être c'est davantage même, les sûretés alimentaires au ministère du Revenu. Les gens, pour obtenir justice, justement, pour se faire rembourser le montant de la sûreté -- d'ailleurs, vous avez passé à l'émission, M. Fournier -- mais ça coûte énormément cher. Ça coûte plus cher que le montant, on peut le dire. Idéalement, dans la justice au niveau philosophique comme vous parliez tantôt, on devrait passer par un vrai juge puis que... et tout, et tout, sauf que, si ça coûte plus cher que le montant qu'on veut, qu'on a droit, c'est quoi, la justice, en bout de ligne? Ça devient une farce, là.

Mme Hivon: Vous parlez, dans votre mémoire, de la hausse des seuils aux Petites Créances. Vous parlez de faire attention aux sauts trop brutaux. Là, c'est sûr qu'il y a une hausse significative, à terme, qui va aller à 15 000 $. Est-ce que vous voyez ça d'un bon oeil de manière générale?

M. Lafrance (Henri): Bien, c'est un petit pas, là, ce n'est pas la solution miracle, parce que, si, à 15 000 $, les... ce n'est pas parce que tu gagnes un peu plus que... Même les nouveaux barèmes, les gens qui sont un peu plus haut que ça...

Mme Hivon: ...excusez-moi. Je ne vous parle pas des seuils d'admissibilité à l'aide juridique.

M. Lafrance (Henri): Non?

Mme Hivon: Je vous parle des Petites Créances pour pouvoir avoir... qu'on pourrait aller jusqu'à 15 000 $, oui.

M. Lafrance (Henri): O.K. Ah oui! Oui, les montants, oui, ça va faciliter. Excusez, j'avais mal compris. Effectivement...

Mme Hivon: On va venir aux seuils d'aide juridique.

**(16 h 30)**

M. Lafrance (Henri): Bien, effectivement, c'est bien qu'on puisse régler des litiges comme ça. Puis il y a beaucoup de gens aussi, au niveau de la technologie, des cellulaires, et tout ça, ils n'ont pas le moyen de... Des fois, les gens se ramassent avec une grosse facture parce que la compagnie a décidé de facturer, puis ils auraient le droit de réclamer leur dû parce qu'ils ont été surtarifés, et tout ça, puis il faut qu'ils puissent passer par les Petites Créances pour obtenir justice, parce que les familles ordinaires n'ont pas le moyen de payer des dizaines de milliers de dollars de frais d'avocat, ce n'est pas vrai, ça.

Mme Hivon: Et est-ce qu'on vous rapporte le fait... Parce que, pour certains, il y a un défi si on augmente substantiellement le seuil pour les Petites Créances. C'est sûr que c'est des Petites Créances mais qui sont un peu moins petites, là, quand on parle de 15 000 $ versus 7 000 $, et qu'il y a un défi peut-être pour accompagner les personnes qui donc ne sont pas représentées par avocat, parce que, devant les Petites Créances, on n'est pas représenté par avocat. Donc, il y a un défi pour l'accompagnement, pour la préparation.

Est-ce que c'est quelque chose qui vous est soumis par vos membres, les gens, qu'il y a un peu cette difficulté-là peut-être d'aller se représenter seul? Plus la créance est importante, plus l'enjeu est important.

M. Lafrance (Henri): Oui, ça peut devenir... Oui. Lorsqu'on parle de 7 000 $ à 15 000 $, ça peut devenir un peu compliqué, pour des gens qui ne sont pas habitués au processus judiciaire, de bien se représenter, mais sauf que c'est sûr que, pour réclamer 15 000 $, parce que ça dépasse ou... Dans le passé, ce qui arrivait, c'est que les gens qui, disons, avaient une réclamation de 15 000 $, ils réduisaient leurs réclamations, disons, au seuil maximum permis par l'aide... par les Petites Créances. C'est une chose qui arrivait de façon très courante. Ils dépassaient le montant, mais... Ils auraient eu droit, par exemple, à 15 000 $; ils réclamaient 7 000 $. Ça arrivait très, très souvent, ça. Donc, ça, c'était concret. Ils achetaient... Pour obtenir justice, ils préféraient avoir juste 7 000 $ que d'avoir des frais qui dépasseraient le 7 000 $, qui dépasseraient la différence entre le seuil et les frais juridiques, pour obtenir justice. Donc, c'est un calcul mathématique, là, tout simplement.

Mme Hivon: Puis, dans votre mémoire, vous parlez des seuils. Tantôt, je vous ai ramené aux Petites Créances, mais vous étiez parti pour les seuils d'admissibilité à l'aide juridique. Vous en glissez aussi un mot dans votre mémoire. C'est sûr qu'en matière familiale beaucoup de gens sont confrontés à ça aussi, la difficulté d'avoir accès à un avocat, parce qu'ils ne sont pas admissibles à l'aide juridique. Donc, je veux juste vous laisser aller sur ce que vous vouliez dire sur les seuils, à l'heure actuelle, d'admissibilité à l'aide juridique, en matière familiale particulièrement, à la lumière de ce que vos organismes et vos membres vivent.

M. Lafrance (Henri): Bien, c'est difficile pour les familles. Les gens sont... Puis, quand on est en situation de séparation ou de divorce, les gens sont émotivement ébranlés, parce qu'une rupture il y en a heureusement qui se vivent de façon relativement sereine, mais il y en a beaucoup où c'est très difficile, puis, lorsque des avocats veulent... sans... Par exemple, il y a des avocats qui enveniment les choses. Par exemple, lorsqu'il y a une personne qui est... il y a des avocats qui sont super, qui vont calmer le jeu, mais il y en a d'autres qui sont moins psychologues ou qui voient ça d'un autre oeil, qui vont mettre de l'huile sur le feu, procédure sur procédure.

Juste le fait que quelqu'un se fasse dire cruauté mentale, motif du divorce invoqué, cruauté mentale, il y en a qui prennent mal ça puis... Tu m'accuses de cruauté mentale, ma... Tu vas voir que tu vas en entendre et tu vas voir la riposte. Donc, juste le fait que... Il y a trois motifs pour le divorce, dont la cruauté mentale. Au Québec, d'après ce que j'ai lu, c'est l'endroit au Canada où il y a le plus de cruauté mentale... ou du moins le motif est plus souvent invoqué. Donc, juste ça, c'est une façon où on envenime les conflits, parce que c'est juste un prétexte. Il y a même un avocat qui a dit en pleine télévision: Ce n'est pas grave si ce n'est pas vrai, c'est juste un motif. Il y en a qui voient ça comme ça. C'est juste un motif, un prétexte pour obtenir le divorce, sauf que, normalement, un avocat, selon son code de déontologie, ne doit pas invoquer des faux motifs, etc., il doit rester dans la vérité. Même si ce n'est pas vrai, bien il y en a qui s'en foutent, c'est un motif, qui sont avertis par leur avocat et tout que c'est juste un motif, la cruauté mentale. Mais il y en a qui prennent ça au sérieux.

Donc, juste ce fait-là, ça peut envenimer les conflits, donc, surtout lorsque les personnes sont ébranlées par la rupture. Des fois, les personnes sont dépendantes affectives, etc., ils vivent mal ça, puis, à ce moment-là, le processus judiciaire est lourd, pesant, puis ça entraîne... Puis, si les procédures se multiplient, bon, ça coûte plus cher. On voit des cas où les procédures se multiplient de façon effarante, puis des divorces qui coûtent jusqu'à 100 000 $, ça arrive. Heureusement, ce n'est pas tous les jours, mais ça arrive trop souvent où c'est faramineux.

Mme Hivon: Merci.

La Présidente (Mme Vallée): Alors, M. le ministre, est-ce que vous avez d'autres commentaires?

M. Fournier: Non, merci beaucoup.

La Présidente (Mme Vallée): Alors...

M. Fournier: J'ai compris qu'on avait parlé de plusieurs sujets du plan d'accès à la justice, et c'est fort intéressant.

La Présidente (Mme Vallée): D'accord. Alors, je vous remercie beaucoup, M. Lafrance, Mme Leduc. Merci d'avoir participé aux travaux de la commission.

Je vais maintenant demander à Me Miller de bien vouloir s'avancer. Nous allons suspendre pour quelques instants. Merci.

(Suspension de la séance à 16 h 37)

(Reprise à 16 h 40)

La Présidente (Mme Vallée): Donc, nous allons reprendre. J'aimerais maintenant inviter Me Jack Miller à faire sa présentation et également à présenter la personne qui vous accompagne, Me Miller.

M. Jack R. Miller

M. Miller (Jack R.): Merci, Mme la Présidente. C'est Bernard Brault, qui est un administrateur agréé, qui a écrit les textes, textes fort importants sur la saine gestion. Et, comme vous avez déjà noté sans doute, ces mots se trouvent tant dans le code actuel que dans le projet de code, et donc, au cas où les membres auraient des questions plus spécifiques sur la saine gestion, j'ai demandé à M. Brault s'il pourrait m'accompagner, ce qu'il a accepté de faire. Mais c'est moi qui vais faire la présentation, si vous voulez, et par la suite... C'est toujours un privilège pour moi, un anglophone de Trois-Rivières, un oiseau rare, de se présenter devant l'Assemblée nationale du Québec, et c'est un grand honneur et privilège pour moi.

80 % de nos citoyens n'ont pas accès à la justice. Ça, c'est inacceptable, totalement inacceptable. Ce n'est pas parce que l'Assemblée nationale n'a pas fait ses devoirs. Lors de la réforme du Code de procédure civile de 2002, le gouvernement et l'opposition se sont mis d'accord sur la nécessité d'un changement de culture. Ils ont fait ça en cours des travaux, je qualifie ça à minuit, sans consulter ou avoir l'aval du Barreau du Québec ni de la magistrature, mais les citoyens représentés par vous, les députés, voulaient un changement de culture, voulaient passer de la confrontation à la coopération.

Or, vous avez mis dans la loi des dispositions nécessaires, il y avait des principes directeurs qui annonçaient les principes à appliquer, sauf que cette réforme, dans les faits, était... est, parce que c'est une loi actuelle, un grand échec quotidien. Et j'étais présent en cour à différents moments où les citoyens n'étaient pas contents, je dirais, jusqu'à... ça pourrait éclater. Alors, dans les cas que je vois, les forces de l'ordre ont réussi à maintenir de l'ordre.

En 1982, donc il y a 30 ans, j'étais le chef de contentieux de Martineau, Walker, aujourd'hui Fasken Martineau, dans les dossiers commerciaux, et aussi j'étais membre et je suis encore membre du Barreau du Haut-Canada, et j'ai assisté à une conférence donnée par un plaideur de grande renommée à Toronto, Donald Brown, conjointement avec une professeure de management à York University, et le titre de leur présentation, c'était The Management of Legal Disputes -- la gestion des différends juridiques, j'imagine, la traduction de ça -- qui innovait le concept que c'est possible d'appliquer les principes de la gestion aux litiges. C'était assez innovateur et, malheureusement, pour plusieurs, c'est encore innovateur aujourd'hui, c'est-à-dire on faisait une distinction entre le différend qui sépare les parties et le litige quand le différend est porté devant un tribunal, une cour de justice, et les gestionnaires des parties de part et d'autre gardaient pour eux la gestion du différend et confiaient au tribunal, aux avocats seulement l'administration des litiges. Bon.

En 1989, la Cour supérieure, district de Montréal, à l'époque c'était l'honorable juge en chef Alan Gold, il m'a demandé d'aider la cour, de monter un projet pilote qu'on a qualifié de conciliation parce qu'on voulait rejoindre le public par quelque chose de connu. On ne peut pas appeler ça la formule x, y, z, on dit: Bon, conciliation, au moins, les gens ont entendu parler de la conciliation. Et nous avons appliqué une nouvelle approche qui puise sur au moins une soixantaine de disciplines, parce qu'à l'époque j'ai fourni un groupe pluridisciplinaire. Oui, il y avait quelques avocats mais surtout des administrateurs de compagnie, des présidents de compagnie, les gens des Hautes Études commerciales et plusieurs autres professions, et des autochtones, et on demandait: Bon, comment devons-nous traiter de leurs différends? Et est-ce qu'il y a d'autres méthodes que la confrontation?

Or, on a évalué des approches systématiques, et je vais vous donner un tout petit exemple. Quand on se présente en cour, il y a un code de procédure civile, on ne peut pas dire: On n'aime pas l'article 253, on aurait préféré un autre article, mais, avec la théorie des jeux, on s'est rendu compte qu'on pourrait... les parties, avec l'aide d'un tiers, pourraient concevoir le jeu susceptible de fonctionner dans leur cas à même des éléments de la justice. Ça fonctionnait à merveille. Ça donnait ouverture à des remèdes qu'on peut qualifier de «specific performance», bon, exécution spécifique, plutôt que dommages et intérêts.

Alors, ce projet pilote, que j'ai fait par la suite avec l'honorable Gontran Rouleau et quelques autres juges de la Cour supérieure, ainsi que trois, quatre confrères, à l'époque les juges ne voulaient pas admettre d'autres professionnels que des avocats. Par exemple, ils ne voulaient pas admettre les gens de HEC, donc Bernard Brault, lui, ne serait pas admis pour contribuer à la résolution des conflits. Alors, j'ai résolu huit sur 10 dossiers commerciaux qui venaient de façon normale, ce n'est pas qu'on allait choisir des dossiers, mais huit dossiers que c'est résolu, oui, ces dossiers, en concertation avec le juge Rouleau. Le juge Rouleau, sa fonction est de dire: Bon, ces approches sont légitimes, et vous serez... ce que vous dites dans cette approche, dans cette démarche ne sera pas transmis, au cas où il y aurait un procès. Mais, avec ça, on a procédé à confectionner un jeu avec les parties et leurs avocats pour ce dossier en particulier.

**(16 h 50)**

Par la suite, le Barreau a pris le contrôle de ce processus. Or, ça a duré pendant une dizaine d'années. Je m'ai dit, avant d'arriver ici, que j'allais être uniquement positif, mais il faut que je vous raconte quelques autres éléments de ça de sorte que vous compreniez le défi devant vous.

Alors, à un moment donné, le gouvernement du Québec est devenu inquiet que ce mode, cette approche dite de médiation, on va le perdre, ce mode. Donc, avec la réforme, l'Assemblée nationale, vous, vous avez pris le contrôle de cette approche du Barreau et vous l'avez confiée aux juges. Et, évidemment, l'approche qu'on a présentement du débat, on ne peut pas simplement la laisser tomber, parce que c'est trop ancré et c'est encore valable pour certains cas, mais il fallait introduire une autre approche basée sur d'autres connaissances, les connaissances qu'on a à notre disposition. On subventionne des universités, donc on doit en profiter quelque part, de leurs connaissances, je dirai. Et en même temps on profitait des connaissances des peuples autochtones, par exemple. En résumé, ce qu'on fait, on incitait les gens à collaborer, coopérer, coopérer au sens économique du mot. Chacun cherchait son gain, cherchait son gain mais pensait en même temps au gain de l'autre, parce que ça, c'est le vrai défi, de trouver la solution qui fait l'affaire de tout le monde.

Or, il y avait un certain nombre de dossiers plaidés, et le Barreau s'opposait farouchement à toute cette réforme-là, ce qui a rendu... a contribué que ce ne soit pas... produise ses effets. Tout le monde est de bonne foi, entre parenthèses. Les juges ne connaissaient pas cette approche.

Donc, ma suggestion à vous parce que je veux que la réforme fonctionne... Comme j'ai déjà mentionné au ministre lors du congrès du Barreau, je le félicitais sur ses initiatives parce que ça va dans la bonne direction, mais je n'aimerais pas... mais je veux que ça réussisse. Or, il faut se rendre compte qu'il s'agit d'un changement de culture, une culture très enracinée, une culture contradictoire. On aime argumenter, mais cette approche apporte des résultats fort limités. Il faut collaborer. Donc, je vous suggère que, dans votre nouvelle loi, vous soyez extrêmement clairs que vous voulez effectuer un changement de culture. Vous pouvez décrire ce changement comme vous voulez, de promouvoir la collaboration plutôt que la confrontation, etc., mais vous ne devrez pas donner un choix aux magistrats ni aux avocats de ne pas faire ça. Il faut que la volonté du peuple exprimée par vous soit extrêmement claire, où c'est impossible de contourner ça. Il faut qu'ils fassent... faire face à ça.

Deuxième grande recommandation que je souhaite, c'est que vous préveniez des mesures exécutives, ça veut dire des budgets pour la formation, des budgets pour l'éducation tant de la magistrature que des avocats, que du grand public parce que... cette formation qui devrait prendre la forme d'une éducation par projets, «project education», c'est-à-dire on apprend en faisant comme dans la médecine, disons, ce que j'ai fait, entre parenthèses, dans ces 10 dossiers, et qu'on prévoie un apprentissage, quelque chose jusqu'à aller mettre dans la loi un livre consacré à l'éducation pour souligner l'importance. Plusieurs avocats... Je n'exclus jamais les avocats de mes séances, jamais, au grand jamais je ne vais les exclure, mais ce que je fais, je change leur rôle. Ils deviennent, oui, conseillers, conseillères, mais ils contribuent à la recherche de solution et ils sont des incroyables alliés si on change le jeu.

La Présidente (Mme Vallée): Je suis désolée, Me Miller, vous avez déjà épuisé le temps qui vous est alloué pour faire votre présentation.

M. Miller (Jack R.): Ah! O.K. D'accord.

La Présidente (Mme Vallée): Alors, je vais maintenant céder la parole à M. le ministre pour une période d'échange. Alors, vous aurez sans doute la chance de passer la balance de vos messages.

M. Fournier: Merci beaucoup, Me Miller. Merci d'être avec nous. Oui, effectivement, l'échange qu'on va avoir va être sur le même thème que vous avez abordé depuis que vous êtes là, sur la question du changement de culture. Alors, on va essayer de profiter de votre expérience et de vos lumières pour voir qu'est-ce qu'on peut faire. On en a déjà parlé d'ailleurs aujourd'hui, je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de suivre les débats aujourd'hui.

D'abord, dans l'avant-projet de loi, juste pour parler un peu... faire l'état des lieux, vous avez fait un rappel historique rapide, mais en même temps on voyait que vous identifiiez là où il y avait eu quelques difficultés. D'abord, il y a un choix... je ne sais pas si je pourrais appeler ça un choix éditorial qui a été fait d'inclure le livre I tel qu'il est présentement, c'est-à-dire de... Et j'ai déjà eu l'occasion de le dire, ce n'était pas accepté par tous. Certains pourraient prétendre que la procédure civile, c'est la procédure devant les tribunaux traditionnels, point à la ligne, que la justice, c'est celle que l'on connaissait, et qu'il est un peu difficile de voir qu'elle peut s'ouvrir sur d'autres aspects. Puis là je résume, je simplifie. Puis, si ça ne leur fait pas honneur, là, je m'en excuse, mais je le dis simplement. Ils ont beaucoup d'arguments qui pourraient soutenir à leurs prétentions, mais il y avait un choix éditorial de communication là-dedans, de bien préciser que, dans l'ordre des choses, il y a place à ce que les gens... -- vous avez dit «coopérer» -- à ce que les gens s'entendent.

On a eu un débat un peu plus tôt sur... enfin, peut-être que je m'y méprenais, mais sur la qualification qu'il faut donner quand on règle un litige. Alors, nous, on veut régler un problème. Ce n'est pas chacun des concitoyens qui veut créer de la jurisprudence. Enfin, d'habitude, lorsqu'ils ont un problème d'ordre juridique, ils veulent le régler. S'il faut avoir une nouvelle jurisprudence, ils en sont bien contents, mais ça va faire plus plaisir à leurs avocats qu'à eux-mêmes, je crois. Eux, ils veulent régler un problème.

Et, au-delà de ça, tout le courant vis-à-vis des modes alternatifs, tout le courant qui existe est un courant qui fait voir une justice un peu plus large que simplement celle qui règle un problème d'ordre juridique. C'est aussi celle qui règle un conflit entre des parties qui n'est pas nécessairement juste un conflit d'ordre juridique. Parfois, le conflit d'ordre juridique est un élément qui exprime à ce moment-là, à un moment précis, un conflit qui peut être plus large, qui peut avoir d'autres aspects sociologiques, on peut les qualifier à plein d'égards, et donc ce qu'on fait dans l'avant-projet de loi quand on parle d'accès à la justice, je l'ai dit un peu plus tôt, c'est aussi une mesure pour faciliter l'accès à la justice traditionnelle, qui s'exprime souvent par la problématique des coûts et des délais, que l'on connaît, mais aussi d'accès. Le livre I tente de le dire, même s'il y a d'autres parties qui le décrivent mieux, tente de dire que c'est aussi l'accès à une justice des parties, qu'elle soit participative, qu'elle soit de coopération, qu'elle soit une justice pour laquelle... ou les gens nous proposaient une justice appropriée ou que s'approprient les parties. Et je crois pouvoir dire que, dans la question de développer une nouvelle culture, il y a un élément via le fait qu'il y a le livre I.

**(17 heures)**

On a eu des représentations sur le fait qu'au cours des dernières années des formations universitaires se sont développées, notamment lorsqu'on forme des avocats même on commence à le dire, et on parle de formation dans les écoles même sur parfois l'initiation au droit. Qu'est-ce que c'est? Est-ce que ça doit être simplement conflictuel? Je relatais... Et, je crois bien, vous parliez du dernier congrès du Barreau. Je crois que c'est à ce moment-là ou en tout cas pas loin autour de ça que le bâtonnier Ouimet disait qu'il fallait laisser tomber la formule du guerrier, de l'avocat guerrier, qu'il fallait développer une autre approche. Après ça, on nous a relaté toutes les transformations, on disait même qu'au Barreau on veut que le Barreau envisage un avocat de l'avenir qui ne sera pas l'avocat guerrier. Tout ça pour dire qu'il y a, certains diraient, un alignement des astres pour faire en sorte qu'on ouvre vers un changement de culture.

Cela étant dit, je ne suis pas sûr que mon voisin est au courant que ça se passe, je ne suis pas sûr, et puis c'est un des éléments importants, hein? Si on veut parler de justice participative, lui, quand il a un problème, il faut qu'il sache qu'il y a une ouverture, il y a une fenêtre pour lui, et ce n'est pas rendu là, là. Nous, on en parle, le milieu juridique peut le savoir, mais vous l'avez dit, dans la magistrature j'imagine que pas tous veulent aujourd'hui épouser cette cause-là. Même s'ils peuvent en parler, peut-être pas tous veulent le faire. Il y a une formation à être donnée, je pense qu'ils en sont conscients.

Au-delà de dire, bon: Il faut former la magistrature puis il faut que les avocats soient formés convenablement à ce potentiel de justice participative, quels sont les moyens concrets que vous croyez que nous devrions mettre de l'avant pour que les gens trouvent leur intérêt dans cette formule-là? Parce qu'il est bien connu que, lorsqu'il y a un problème important entre deux parties, parfois ils vont tenter à les exagérer pour essayer d'arriver à un milieu, soit-il celui du juge ou de l'arbitre, là, soit dit en passant, ou de la compagnie d'assurance, de l'exagérer pour essayer d'augmenter sa proportion d'un jugement ou d'un autre type de décision où ils pourraient tirer leur profit. Je veux dire, ça fait partie de... c'est presque humain comme comportement, on voit ce genre de chose. Alors, comment on fait pour associer les citoyens à concevoir que la vraie justice de leurs problèmes, ce n'est peut-être pas d'exacerber la différence avec l'adversaire mais de se rapprocher de l'adversaire?

M. Miller (Jack R.): Je pense que le grand moyen de faire ça, c'est par l'éducation, mais pas l'éducation dans une salle de classe où on fait une exposition de la théorie de ci, la théorie de ça mais les cas concrets, les cas réels que le public voit évoluer devant eux et peuvent constater qu'est-ce qui se passe et avec le résultat. Parce que, oui, comme je disais tantôt, je pars de la supposition que tous les intervenants sont de bonne foi. Il y a quelques exceptions, ceux qui posent des gestes déloyaux, et ça, c'est un autre problème. Il faut donner les pouvoirs au juge qu'il puisse ordonner, ordonner la coopération.

M. Fournier: Ordonner la coopération?

M. Miller (Jack R.): Oui.

M. Fournier: Je veux juste vous arrêter ici, là, parce qu'ordonner la coopération...

M. Miller (Jack R.): Oui, mais en termes concrets...

M. Fournier: ...ça me semble un concept difficile à appliquer. Mais allez-y.

M. Miller (Jack R.): Pas aussi difficile que ça, M. le ministre, parce que j'ai vu l'honorable Jim Farley à l'oeuvre à Toronto, et, lui, il était tout seul dans la magistrature, et tout ça, mais il ordonnait aux gens de coopérer. Les avocats étaient bien confus par ça parce qu'ils étaient en combat. Comment se fait-il que tout à coup les gens s'attendent qu'ils coopèrent? Bien, en effet, on change le jeu. Il faut se rendre aux actes concrets, l'ordonnance. On ne peut pas simplement dire: Coopérez, se... dire: Repoussez les vagues, quelque chose du genre. Non, il faut préciser avec les actes les activités précises et aussi intervenir pour assurer que la coopération se produise.

Par exemple, je qualifie ça comme dialogue pour faire la distinction entre le débat, bon, parce que les gens ont entendu parler du dialogue. O.K. «Débat», ça veut dire qu'on se bat. On pose nos armes, débattre, et on parle, mais parler n'est pas suffisant, il faut agir avec intelligence, et avec efficacité, et avec sagesse. Donc, «dialogue», c'est une étape plus loin.

Or, plutôt que l'interminable contre-interrogatoire, et tout ça, tous les actes reliés à ça, on peut s'organiser que les gens ont la possibilité de raconter leur vécu mais avec certaines contraintes, ils doivent parler de leur vécu à eux et non pas du vécu de l'autre, etc. Or, on a un certain nombre de vécus, disons, avec le nombre de parties. Il ne faut pas s'attendre que tous ces vécus soient similaires, ils peuvent avoir d'importantes contradictions. Alors, plutôt, dans notre système, que de dire: Bon, qui ment dans ça, est-ce que c'est telle personne qui raconte des mensonges ou telle autre?, on met tout ça ensemble, et ça fait partie de la vie réelle, et on voit quelles sont les questions posées.

Or, ce qui doit se produire comme geste concret, c'est des causes réelles. Quand des avocats arrivent à la Cour supérieure pour demander leur cinquième prolongation de délai, alors le juge doit dire: Bon, fini avec ça, je vais ordonner le déroulement du processus, et c'est assez détaillé. Maintenant, le juge Farley, il faisait tout le temps, et les gens étaient bien énervés par ça. Certains ont porté en appel, mais il n'a jamais été inversé en appel.

Donc, c'est possible parce que je sais que c'est possible, je le fais, mais c'est un changement de comportement. Ce qu'on parle, c'est un autre jeu. Ce n'est plus adversairiel. C'est quelques rencontres, son vécu, un des grands attracteurs étranges... «Attracteur étrange», c'est le phénomène dans la physique qui détermine la cohérence. Le respect est fondamental.

La Présidente (Mme Vallée): Je vous remercie, Me Miller. Je dois maintenant passer la parole à Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. Alors, bonjour à vous deux. Bienvenue. Très heureuse de vous entendre. Vous nous amenez en dehors du cadre de réflexion, je dirais, plus traditionnel.

Vous avez dit tout à l'heure: Il ne faut pas laisser la marge de manoeuvre aux juges et aux avocats, et concrètement je veux savoir, à la lecture de l'avant-projet de loi, où devrait-on, par quels incitatifs, mesures, énoncés de philosophie restreindre ce que vous appelez... Il me semble que vous avez dit «marge de manoeuvre», mais c'est peut-être d'autre chose, là, ou la latitude qui reste, qu'ils demeurent un peu dans leurs manières de faire traditionnelles. À quoi vous pensez quand vous faites cette affirmation-là?

**(17 h 10)**

M. Miller (Jack R.): Je pense aux juges qui voulaient ordonner ce que je qualifie comme la coopération, mais ce n'est pas ordonner: Coopérez, mais plutôt c'était très, très spécifique: Fais ça, ça, ça à l'intérieur de certains délais, etc. Ils disaient: Je n'avais pas le pouvoir de faire ça. Moi, j'étais en désaccord avec eux. J'ai dit: Oui, tentez-le, on va en Cour d'appel, mais ils ne voulaient pas faire ça. Ça prend des juges braves d'agir tout seuls. Même s'ils ont le pouvoir de le faire, ce n'est pas tout le monde qui agit comme M. Farley en Ontario, de son propre gré, proprio motu.

Donc, le commun des mortels des juges doit l'avoir en toutes lettres. Il a le pouvoir d'ordonner la... moi, je dis «la coopération», mais la nouvelle voie par des gestes. Il a ce pouvoir-là. Il peut le lire et agir. Autrement, les juges vont dire: Bon, O.K., j'aimerais bien ça, mais je n'ai pas le pouvoir de faire ça.

Aussi, vu qu'ils ont le pouvoir, ils vont s'informer davantage de quoi il s'agit. Malheureusement, il faut faire bien attention à l'éducation, parce qu'il y a beaucoup d'éducations offertes, bon, je vais choisir mes mots avec prudence ici, mais disons simplistes, qui ne sont pas... Un cours de 40 heures, là, pour former un médiateur, ce n'est pas sérieux, ça. Ça prend 1 200 heures de former un massothérapeute. Comment se fait-il que ça prend 40 heures de former un médiateur? C'est parce qu'il n'y a pas de changement de culture, le débat se produit dans une autre salle.

Et donc par la suite, je dirai, j'aimerais bien retrouver un livre consacré à l'éducation en soi, pour prévoir une éducation... Par exemple, il y a une soixantaine de disciplines. Pendant que, moi, j'étais à la faculté de droit à étudier le droit, il y a des gens qui sont à la faculté de management pour étudier la gestion pendant trois, quatre ans, sept parfois. Or, elles sont des disciplines comme le droit. Or, dans le code, on a droit, gestion.

Mme Hivon: Dites-moi, vous avez fait référence aussi à la volonté du peuple, donc qu'il fallait, nous, être le reflet, comme législateurs, de la volonté du peuple. Alors, je veux savoir, selon vous, où elle se situe, la volonté du peuple, dans le contexte de ce qu'on étudie, parce que certains... En tout cas, je vous laisse aller.

M. Miller (Jack R.): C'est ma conviction que le peuple, les gens veulent la paix. Ils veulent la paix. Ils ne veulent pas voir les gars se chicaner, et tout ça. Ils sont fatigués...

Une voix: ...

M. Miller (Jack R.): Au point mort, et donc ça explique. Mais les tribunaux, ils sont mal informés parce qu'il semble que c'est un combat. Et, pour certains, c'est un combat, et, si on est dans un combat, il faut combattre, hein?

Mais, quand j'ai changé les règles, le jeu, à ma grande surprise, à l'époque, le comportement des mêmes individus changeait. Change le jeu, change le comportement. Or, si je demeure dans un jeu adversaire, combat, les gens, il faut qu'ils fassent le combat, autrement ils seront complètement détruits, Mais change le jeu au dialogue, coopération. Wo! Tout à coup, le comportement change. C'est incroyable, j'étais tellement surpris à voir ça.

Donc, une des stratégies pour résoudre les impasses, c'est changer le comportement. Changez le jeu, et le comportement change.

Mme Hivon: Mais vous l'avez dit tout à l'heure, vous avez été chef du contentieux d'un grand cabinet, donc vous connaissez bien la pratique au quotidien, les réflexes un peu qui sont là depuis très longtemps des praticiens. Donc, quand on veut changer la culture, il faut bien sûr... en tout cas, un des objectifs, c'est d'avoir la plus grande adhésion possible pour que ce changement-là puisse s'opérer. Donc, comment on fait pour concrètement faire adhérer ces gens qui ont des réflexes x à passer dans une approche autre? Je veux bien qu'on change le jeu et que peut-être que ça va changer le comportement, mais comment on fait concrètement pour que cette adhésion-là se produise de la manière la plus étendue possible?

M. Miller (Jack R.): Oui. Ce changement, c'est la première étape de ce que je qualifie comme le dialogue. C'est ça qu'il faut adresser au tout début avec les parties et leurs avocats.

Or, les parties sont beaucoup plus disposées à ce changement de culture que leurs clients. Les mandats viennent des clients, des parties directement. J'inclus les avocats, mais c'est rare que les avocats me réfèrent des mandats. J'ai fait peur à de nombreux juges et peut-être même avocats pour dire: Hé! Tous ces dossiers-là peuvent être résolus. Et, quand on procède par coopération, je vais appeler ça, les coûts diminuent de façon incroyable parce que, par exemple, ça peut prendre... Il faut établir les faits. Si on cherche la perfection, bon, ça va être long, mais on peut établir les faits dans un dossier complexe en une couple de jours, disons, plutôt qu'une couple de mois ou une couple d'années, parce que la grande question, c'est la solution, et ça, la solution n'est pas évidente, donc il faut mettre les énergies le plus possible sur la recherche de solution.

La Présidente (Mme Vallée): M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Cloutier: Merci. Oui, merci, Mme la Présidente. J'apprécie beaucoup le témoignage que vous faites aujourd'hui à cette commission parlementaire. Vous dites: Changez les règles du jeu pour changer le résultat aussi, mais, nous, comme législateurs, c'est notre responsabilité, justement, de changer les règles du jeu.

Puis, de façon concrète, là, j'imagine que vous ne demandez pas, par exemple, que le législateur donne le pouvoir aux juges de diriger ou d'octroyer... d'obliger la coopération entre deux parties. J'imagine que vous avez des... Avez-vous un libellé en tête? Avez-vous des amendements, une nouvelle section du code qui devrait être ajoutée, une nouvelle division?

M. Miller (Jack R.): Il y a plusieurs éléments au projet et à la loi actuelle qui sont très, très bons comme éléments, et ce n'est pas... non, il y a de bons éléments, mais il faut que ce soit résumé dans un processus et il faut que ce soit clair que, s'il y a un autre processus que le législateur veut favoriser, comme le législateur a déjà dit, il soit aussi dans le projet également. Mais, en la théorie de coopération, une coopération au sens économique, notre économie fonctionne autour de la coopération et la non-coopération. Quoi faire face à la non-coopération? Parce que quelqu'un qui ne coopère pas peut induire en perte tout le monde. Or, il faut donner un pouvoir aux juges d'arrêter ça avec une ordonnance, qu'ils peuvent ordonner la coopération dans des gestes concrets, autrement le système est miné, en effet. Beaucoup de gens peuvent miner le système et mettre tout le monde, en bonne foi, en état de perte.

La Présidente (Mme Vallée): Merci, Me Miller. M. le ministre, maintenant. Vous avez un bloc de huit minutes à votre disposition.

**(17 h 20)**

M. Fournier: Bien, juste un aspect de la question que je voudrais voir commenté: Est-il possible d'imaginer que, lorsque les parties sont conscientes qu'il y a de nouvelles règles du jeu, que, dans le passé, l'expérience... -- et là je présume, alors fondé sur rien, j'ai une intuition -- que ceux qui ont accepté de coopérer, ceux qui ont accepté de jouer dans les nouvelles règles du jeu, dans l'expérience que vous avez, étaient dans une situation où les deux parties étaient dans une situation économique assez comparable et qu'à partir du moment où il y a un déséquilibre entre les parties celle qui bénéficie du haut du pavé, disons, pourrait vouloir éviter de jouer le jeu de la coopération pour soit étirer le processus, soit utiliser toutes les procédures inimaginables, soit essayer de jouer le livre à son avantage? Je donne un exemple exagéré, là, mais il y a des mesures contre les procédures abusives qui ont été prises peut-être parce qu'il y avait... ce n'est pas «peut-être», c'est parce qu'il y avait un problème où on multipliait les procédures. Celui qui avait des moyens économiques importants pouvait rendre illusoire la réalisation du droit. Dans le contexte où ça continue d'exister et qu'il y a des déséquilibres entre les parties -- ce n'est pas parce qu'il y a des lois qui changent que les parties deviennent équilibrées, dans un autre équilibre -- est-ce que, lorsqu'il y a déséquilibre entre les parties, vous constatez qu'il y a une plus grande difficulté à les faire coopérer, à jouer le nouveau jeu? Est-ce que c'est une des difficultés qui existent?

M. Miller (Jack R.): Oui, il faut être très conscient de cet élément-là, mais les économies de la coopération sont tellement fortes que ça pourrait amener celui qui a le plus de ressources à financer le tout, et ça m'est arrivé à plusieurs reprises, même. Bon, je fais une distinction ici entre financer et les ajustements en fin de cause. Or, on peut prévoir un certain coût et un coût beaucoup plus réduit, entre parenthèses, parce qu'on est en mesure de contrôler le processus, donc on peut contrôler les coûts. Ça n'arrive pas qu'une partie peut imposer toutes sortes de procédures sur l'autre parce que ça fait l'objet d'une entente, confirmée par un juge, au besoin.

Or, dans certains cas, je sais qu'il y a de la jurisprudence au Canada où les tribunaux, dans certaines circonstances, ont le pouvoir d'ordonner aux parties plus fortes d'avancer les coûts ou même payer les coûts de la partie plus faible. J'ai plaidé ça devant quelques juges, et ça existe, mais la jurisprudence est trop, je dirai, floue. Il faut que ce soit précis que le juge a ce pouvoir. Je pense que les mots sont dans le code à l'heure actuelle, les mesures provisoires, et tout ça. Et, dans le domaine du droit de la famille, c'est déjà beaucoup de précédents, je pense.

Mais ça, c'est important, encore une fois, que, dans les cas, je dirai, déloyaux, c'est-à-dire où une partie tente d'en effet orienter le processus vers lui à cause de sa puissance, le juge doit avoir le pouvoir d'intervenir et corriger ça. Au Code civil, n'est-ce pas, le juge a le pouvoir d'ajuster les contrats pour que les contrats soient conformes à la bonne foi, ceci comme règle générale au Code civil du Québec, n'est-ce pas? Donc, ici, on veut... ça, c'est la question de la bonne foi. Le juge peut exercer, encore une fois, ce pouvoir pour s'assurer que les coûts sont payés. Maintenant, en même temps, il faut que le juge intervienne pour réduire les coûts et éliminer les aléatoires dans ça.

M. Fournier: Je veux juste vous arrêter parce que vous faites référence à la bonne foi, je ne veux pas prendre l'hypothèse, là, de procédures toujours abusives. Dans le déséquilibre des parties, ça ne met pas en doute la bonne foi, on fait vivre deux systèmes ensemble. On a parlé tantôt d'adjudication ou des mesures, des moyens alternatifs; nous reconnaissons aux deux moyens la légalité. Ce n'est pas d'être de mauvaise foi de dire: Moi, je souhaite que ce soit l'adjudication, la règle de droit. Ce n'est pas de la mauvaise foi. Et je soumets l'intuition qu'il y a certaines parties qui vont dire: Bien, si on s'inscrit dans le processus judiciaire, je veux dire, on n'a pas besoin de faire la preuve bien, bien longtemps, là. On est ici parce qu'on trouve que c'est long puis c'est cher, ça fait que je pense qu'on l'admet tous, là. Alors, il y a peut-être quelqu'un qui dit: Bien, moi, que ce soit long et cher, c'est peut-être à mon avantage, et il n'y a pas personne qui peut me taxer d'être de mauvaise foi, le législateur a dit qu'on pouvait très bien avoir un code de procédure civile avec des dispositions qui nous amènent à un juge, à un moment donné, à décréter le droit. Alors, on ne pourra pas s'inspirer du modèle de la mauvaise foi. À partir du moment où on fait vivre deux systèmes ensemble, je fais juste soumettre l'hypothèse qu'il y a une des parties qui a peut-être moins l'intérêt de jouer le nouveau livre avec les nouvelles règles du jeu quand l'autre livre continue d'être tout à fait existant et qu'il considère qu'il le sert bien.

Alors donc, mon questionnement était: Dans votre expérience, n'avez-vous pas senti que, lorsque les parties sont sur un pied d'équilibre, elles ont plus de facilité à accepter de jouer le nouveau livre que ceux qui sont dans une situation de déséquilibre?

M. Miller (Jack R.): Il faut rendre les parties le plus possible sur le même pied d'égalité, et ceci est faisable quand on sait de quoi on parle, disons, quand les parties savent. Et c'est mon expérience que, par exemple, les multinationales, et tout ça, face à des individus ou d'autres regroupements, ont intérêt à une résolution juste et équitable et ils sont prêts à payer pour ça, à financer. Ça veut dire, en fin de compte, il y aura un ajustement.

Moi, je parle ici du cas que... J'ai quelques cas en tête que j'ai vus où vraiment une des parties est de mauvaise foi, pas d'apparence de droit, qui veut simplement puiser sur les moyens de l'autre, disons, qu'ils savent qu'ils sont limités. Alors, il faut intervenir. Il faut absolument que le juge puisse, à sa discrétion... mais au moins il a le pouvoir de le faire s'il juge approprié de le faire. Dans le moment, c'est trop flou. Les mots sont là, et on peut argumenter si on trouve un juge brave. Ça existe qu'ils sont prêts à avancer le droit, mais ils sont plutôt rares, ils sont plutôt rares.

La Présidente (Mme Vallée): Merci, Me Miller. Je vais maintenant céder la parole au groupe formant l'opposition pour un bloc de neuf minutes. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Merci, Mme la Présidente. Alors là, vous parlez du cas de figure où on est devant le juge, donc que, le juge, ce soit plus clairement établi qu'il a vraiment des pouvoirs d'intervenir, de favoriser la coopération, puis tout ça. Vous avez vu que l'avant-projet commence vraiment par, à l'article 1, la question des modes privés de prévention et de règlement des différends et il se termine en disant que «les parties doivent considérer le recours aux modes privés de prévention et de règlement [...] avant de s'adresser aux tribunaux». Et donc, dans cette optique de vouloir vraiment changer -- c'est un changement de culture qu'on souhaite opérer en faisant une telle entrée en matière -- comment s'assurer que cette obligation, en quelque sorte, qui est faite aux parties de considérer le recours va vraiment se refléter dans la pratique? Est-ce que, dans la même veine, vous dites qu'il faut être plus, je dirais, affirmatif par rapport au rôle que le juge peut prendre? Est-ce qu'il faudrait encadrer davantage cette idée que les parties doivent considérer le recours avant de s'adresser aux tribunaux? Est-ce qu'il devrait y avoir des incitatifs, des sanctions, un encadrement pour s'assurer que c'est considéré à juste titre?

M. Miller (Jack R.): C'est très important de favoriser dès la naissance de ce qu'on peut qualifier de différend, qui n'est pas encore litige. On est au stade de la mise en demeure, et tout ça.

Or, je pense que, vous, l'Assemblée nationale, dans la loi que vous avez adoptée, vous vous attendiez à ce que dès ce moment-là les parties commencent à collaborer et qu'elles tentent de faire des ententes de coopération systématiques. Le grand échec à ça, c'est un manque d'éducation. Il n'y a aucune formation, aucune formation présentement, et je dis ça à certains risques parce que je sais que le Barreau, l'École du Barreau, et tout ça, faisaient des grands efforts d'avoir... Bon, c'est de la poudre aux yeux, ça, O.K.?

M. Fournier: ...êtes-vous sûr que vous avez dit ça?

**(17 h 30)**

M. Miller (Jack R.): Je l'ai dit parce qu'il n'y a aucune formation donnée aux membres du Barreau qui sont les joueurs clés. Le juge n'est pas là à ce moment-là. Avant la mise en demeure, il n'est pas là.

Ce que je faisais quand j'étais chef du contentieux à Martineau, Walker, je faisais mes devoirs et j'invitais la partie adverse à s'asseoir avec moi et leur avocat, et on regardait la question: Comment peut-on procéder?, pas comment peut-on résoudre la question mais c'est quoi, la meilleure façon de procéder, parce que ça, c'est important. Les gens, rendus à ce stade-là, sont en désaccord sur le fond, et beaucoup, beaucoup d'émotions rentrent dans ça, alors il faut vider un peu l'émotion de ça, mais là, assurément, il faut que les avocats soient en mesure de regarder avec leurs clients et l'autre partie et leur conseiller, bon, par quelle méthode on va procéder, pas la solution, parce que c'est trop tôt. Même si les gens sont assis autour de la table, on veut régler ça, ils font quoi? Et donc ce n'est pas aussi facile que ça. Souvent, des gens sont de bonne foi, veulent régler, mais comment on procède? Parce qu'il y a des vraies questions, et donc il faut aborder ces questions avec beaucoup, beaucoup de respect non seulement pour l'autre partie, mais pour la question. On doit supposer que, s'il y avait une réponse facile à ça, les parties auraient eu l'intelligence de trouver cette réponse-là.

Mme Hivon: Donc, quand vous parlez d'éducation... C'est parce qu'il y a des gens qui parlent d'éducation de différentes manières, éduquer les citoyens à se responsabiliser pour gérer leurs conflits, bon, tout ça. Vous, si je vous suis correctement, vous parlez vraiment de l'éducation, de la formation qui est donnée, par exemple, aux avocats dans les facultés pour qu'ils soient dans un autre schème de pensée, de référence et qu'ils soient plus habilités à oeuvrer en amont du processus judiciaire plus formel.

M. Miller (Jack R.): Oui.

Mme Hivon: C'est ça, parfait. Merci.

M. Miller (Jack R.): C'est un défi, entre parenthèses.

Mme Hivon: Oui. Je laisse la parole à mon collègue.

La Présidente (Mme Vallée): M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Cloutier: Oui. M. Miller, vous avez dit: Le système économique est basé sur la coopération, le système de justice devrait l'être. J'imagine que vous ne pensez pas la même chose du système politique. Je vous amène ailleurs, mais c'était plus à la blague, évidemment, que je disais ça. Mais...

M. Miller (Jack R.): ...c'est important, parce qu'il faut qu'on procède à la réforme de nos institutions démocratiques. Il faut que le public qui vous voit à l'oeuvre dans vos travaux voie l'exemple de gens qui se respectent mais qui sont aux prises avec une question difficile, et donc on doit mettre toutes les énergies pour trouver la réponse à ces questions difficiles.

Dans mon expérience, c'est rare que la solution existe auparavant dans un dossier complexe. C'est le produit de l'interaction des parties où on trouve la solution qui fait l'affaire de tout le monde.

M. Cloutier: L'origine de notre système de justice, c'est un système qui est contradictoire, hein, où chacune des parties va venir exposer sa vision, puis il y a une confrontation, un choc des idées, puis, de ce choc de la présentation de la preuve, bien, le juge exerce son jugement. Vous, vous dites... vous proposez un virage...

M. Miller (Jack R.): ...à ça.

M. Cloutier: Pardon?

M. Miller (Jack R.): Il y a une alternative à ça.

M. Cloutier: Exactement. Vous, vous dites: Il y a une alternative à ça.

M. Miller (Jack R.): ...à travers cette série d'articles publiés par Edilex sur son blogue, de tenter de communiquer ce changement de culture. C'est ce que je voulais dire. Voici ce que ça peut être concrètement.

M. Cloutier: Dites-moi, est-ce que ce changement de culture existe ailleurs? Est-ce que c'est, à votre avis, un virage qui a été effectué avec, je dirais, plus d'avant-gardisme dans d'autres juridictions?

M. Miller (Jack R.): Je vais vous répondre de cette façon-là. Je cite le psychologue Steven Pinker qui vient de publier, l'an dernier, un livre que l'éditorialiste de La Presse a jugé le meilleur livre de 2011 -- en anglais, ce n'était pas traduit en français, malheureusement -- Why Violence Has Declined. Hors les tribunaux, des choses se produisent pour limiter la violence et promouvoir la paix. Or, la question: Est-ce que les tribunaux seront encore pertinents? Est-ce que les avocats, la profession d'avocat sera encore pertinente? Parce qu'il y a beaucoup, beaucoup de choses qui se produisent à l'extérieur parce qu'il faut... les gens ont besoin de réponses, et M. Pinker décrit dans son livre des facteurs qui ont fait en sorte de réduire la violence dans la société et de faire la promotion, parce que nous avons tous, humains, une... en anglais on dit «impulse», une tendance -- peut-être c'est un mot trop fort -- vers la violence et on a aussi une tendance vers la paix, les deux en même temps. Alors, comment contrôler la violence et comment promouvoir l'autre côté de l'être humain, la paix?

La Présidente (Mme Vallée): Je vous remercie beaucoup. Sur ces mots, nous mettons fin à nos échanges et à la journée d'aujourd'hui.

M. Fournier: ...autour d'un code de procédure civile, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Vallée): Exactement. Alors, M. Brault, Me Miller, merci beaucoup de votre participation aux travaux de la Commission des institutions.

Compte tenu de l'heure, j'ajourne les travaux jusqu'à demain, 9 h 30. Merci. Bonne fin de soirée.

(Fin de la séance à 17 h 37)

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