To use the Calendar, Javascript must be activated in your browser.
For more information

Home > Parliamentary Proceedings > Committee Proceedings > Journal des débats (Hansard) of the Committee on Institutions

Advanced search in the Parliamentary Proceedings section

Start date must precede end date.

Skip Navigation LinksJournal des débats (Hansard) of the Committee on Institutions

Version finale

39th Legislature, 2nd Session
(February 23, 2011 au August 1, 2012)

Monday, February 27, 2012 - Vol. 42 N° 69

Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 46, Loi concernant les enquêtes policières indépendantes


Aller directement au contenu du Journal des débats

Table des matières

Journal des débats

(Quatorze heures cinq minutes)

La Présidente (Mme Vallée): À l'ordre, s'il vous plaît! Alors, ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je demanderais à toutes les personnes présentes dans la salle de bien vouloir vous assurer d'éteindre la sonnerie de votre téléphone cellulaire.

Alors, la commission est réunie cet après-midi afin de procéder aux consultations particulières dans le cadre du projet de loi n° 46, la Loi concernant les enquêtes policières indépendantes.

Alors, M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements cet après-midi?

Le Secrétaire: Il n'y a aucun remplacement aujourd'hui, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Vallée): Merci. Alors, cet après-midi, nous allons débuter par les remarques préliminaires, puis, par la suite, nous allons recevoir les représentants du Protecteur du citoyen, de la Ligue des droits et libertés ainsi que de la Fédération des policiers et policières municipaux du Québec.

Remarques d'ouverture

Donc, pour débuter, sans plus tarder, j'invite M. le ministre de la Sécurité publique à bien vouloir faire vos remarques d'ouverture. Vous disposez de 7 min 30 s.

M. Robert Dutil

M. Dutil: Alors, merci, Mme la Présidente. Effectivement, nous sommes ici pour étudier le projet de loi sur les enquêtes policières indépendantes, mais nous commençons, comme il va de soi, pour ceux qui sont habitués par notre système, par les consultations. Nous avons un grand nombre de groupes qui seront consultés. Nous avons trois groupes qui le seront cet après-midi, mais tout au cours de ces... du temps que nous allons passer ensemble, si je me rappelle bien, il y a 28 groupes ou 26 groupes, selon ceux qui ont accepté de venir ou non, qui nous ont demandé de nous donner leurs commentaires à cet effet-là.

Pourquoi autant de groupes? Pourquoi autant de personnes? C'est un sujet extrêmement délicat. On se rappellera qu'à chaque année dans toutes les sociétés il y a des policiers, il y a un service de maintien de l'ordre absolument nécessaire pour que la société ne soit pas chaotique, mais la conséquence de ça, c'est qu'il y a parfois des événements extrêmement malheureux. On parle plus particulièrement ici des enquêtes policières indépendantes qui sont menées lorsqu'il y a une blessure grave ou il y a mort de personne qui a suivi une intervention policière. Donc, on parle de 20 à 30 cas par année au Québec. Quand on regarde d'autres sociétés, ça se compare. Et tout le monde souhaiterait que ce nombre de cas là, y compris les policiers impliqués là-dedans, que ce nombre de cas là n'existe pas, mais malheureusement, d'une année sur l'autre, on se rend compte que ça existe.

Donc, on recherche un moyen de s'assurer que les policiers puissent continuer à faire leur travail adéquatement et qu'ils continuent donc à faire respecter l'ordre dans notre société, tout en ayant une transparence la plus grande possible lorsqu'arrive ce genre d'événement extrêmement malheureux. C'est le but du projet de loi, trouver cet équilibre-là pour que la population soit bien certaine, bien rassurée quant à la parfaite transparence des enquêtes qui suivent ce genre d'événement là, tout en permettant aux personnes qui font le travail de policier de continuer à le faire de la façon dont ils doivent le faire pour la protection de la population et de la façon dont ils ont le droit de le faire quand il s'agit de la protection de leur intégrité personnelle, lorsqu'ils sont eux-mêmes parfois attaqués.

Donc, un bureau civil de surveillance qui serait les yeux du public... Le projet de loi est relativement court, relativement clair, mais, si vous avez 26 groupes qui viennent ici nous faire des représentations, c'est parce qu'il y a certains désaccords ou certains points à éclaircir ou certaines suggestions qui nous seront amenés.

Alors, j'en profite pour saluer le député de Chambly, qui, pour la première fois, je pense, depuis qu'il a été nommé critique de l'opposition, est avec moi dans une commission parlementaire, saluer également les membres de la commission, M. le député de Vimont, vous-même, Mme la Présidente, pour un travail fort important que nous avons à faire.

Je pense qu'il faudra passer ces heures-là avec un grand sens de l'écoute, de façon à trouver un juste équilibre pour que, dans notre société, les gens soient le plus en sécurité possible et qu'il y ait transparence au niveau du travail des policiers, surtout quand des événements extrêmement malheureux se produisent malheureusement à toutes les années. Merci.

**(14 h 10)**

La Présidente (Mme Vallée): Alors, merci, M. le ministre. Alors, maintenant, je céderai la parole au porte-parole de l'opposition officielle en matière de Sécurité publique, M. le député de Chambly.

M. Bertrand St-Arnaud

M. St-Arnaud: Merci, Mme la Présidente. Alors, Mme la Présidente, au nom de l'opposition officielle, au nom du Parti québécois, je suis très heureux de participer à cette très importante commission parlementaire, qui va se pencher sur la procédure d'enquête appliquée lors d'incidents impliquant des policiers. Je dis «très heureux», Mme la Présidente, parce que ça fait des années et des années que ma formation politique réclame un débat sur cette question, un débat sur cette procédure d'enquête qui soulève régulièrement, il faut bien le dire, beaucoup d'insatisfaction au sein de la population.

En février 2010, nous avons donc accueilli, avec beaucoup d'intérêt, le rapport spécial de la Protectrice du citoyen sur cette question, où celle-ci faisait notamment le constat que la procédure actuelle d'enquête créait une apparence de partialité, puisque les enquêtes sur des policiers étaient menées par des policiers. Et elles soulevaient aussi, ces enquêtes, disait-elle, des doutes quant à l'indépendance du processus d'enquête. La Protectrice du citoyen proposait même de créer un organisme indépendant, le bureau des enquêtes spéciales, qui serait chargé de réaliser les enquêtes sur des incidents impliquant des policiers et qui ne comprendrait aucun policier actif. Le ministre de la Sécurité publique de l'époque, Jacques Dupuis, avait alors dit, et je le cite: «Les enquêtes indépendantes menées par un corps policier sur un autre corps policier me préoccupent. [...]Nous voulons améliorer ce processus...»

Dans la foulée du rapport de la Protectrice du citoyen, nous étions donc confiants de voir le gouvernement nous présenter une réforme majeure sur cette question. Or, au contraire, force est de constater que la réforme proposée par le gouvernement libéral dans le projet de loi n° 46 est une réforme très, très, très modeste. En effet, à la question: Qui police la police?, le gouvernement libéral répond: La police. En fait, le processus actuel d'enquête ne change pas; ce seront toujours des policiers qui enquêteront sur des policiers. Peut-on dès lors parler, comme le dit le titre du projet de loi n° 46, d'enquêtes policières indépendantes? À cette question la plupart des experts répondent non.

Le seul changement important instauré par le projet de loi n° 46 est l'ajout d'un observateur civil qui aura pour mandat de surveiller l'enquête policière. Mais attention, Mme la Présidente: quand on regarde attentivement le texte du projet de loi n° 46, on constate qu'il surveillera souvent cette enquête de très loin. Par exemple, en vertu des articles 289.14 et 289.18 du projet de loi n° 46, il lui sera interdit d'entrer en contact avec l'enquêteur policier chargé de l'enquête. Il devra se contenter de parler à un agent de liaison nommé par le corps de police menant l'enquête. En fait, selon le projet de loi n° 46, l'observateur civil aura très peu de pouvoirs, tellement peu qu'on peut légitimement se demander comment il pourra juger de l'impartialité de l'enquête policière avec si peu de pouvoirs.

Tout cela pour vous dire, Mme la Présidente, et je pourrais donner d'autres exemples, mais on aura amplement le temps de le faire au cours des prochains jours, tout cela pour vous dire à quel point le projet de loi n° 46, dans son libellé actuel, est décevant. Comme le disait mon collègue de Verchères, lors du dépôt du projet de loi n° 46 en décembre dernier, c'est comme si le gouvernement, après avoir souhaité une vraie réforme, s'était arrêté en chemin. À première vue, nous sommes donc loin d'être convaincus que la réponse législative proposée par le gouvernement est la bonne. Nous sommes loin d'être convaincus que le projet de loi n° 46, dans sa version actuelle, saura restaurer la confiance des citoyens dans les enquêtes policières portant sur des policiers.

Voilà pourquoi, Mme la Présidente, avant d'aller plus loin dans l'étude de ce projet de loi, nous avons demandé, le leader parlementaire de l'opposition officielle a demandé, dès le dépôt du projet de loi n° 46 en décembre dernier, que des consultations assez larges se tiennent sur ce projet de loi. Et nous sommes donc heureux d'avoir été entendus par le gouvernement à cet effet.

Durant les travaux de la présente commission parlementaire, nous entendrons ainsi près de 30 organismes intéressés par la question. Nous sommes ici pour écouter les différents points de vue qui seront exprimés. Et je salue les propos du ministre qui, il y a quelques minutes, disait que lui aussi se présentait ici avec un grand sens de l'écoute, parce qu'effectivement nous sommes, de part et d'autre, tous ici pour écouter les différents points de vue qui seront exprimés et aussi, Mme la Présidente, pour entendre les propositions concrètes qui nous seront faites afin de pouvoir, lors de l'étude détaillée, lors de l'étude article par article, considérablement bonifier le projet de loi n° 46, un projet de loi qui, bien honnêtement, a bien besoin d'être bonifié. Je vous remercie, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Vallée): Alors, merci, M. le député de Chambly. Alors, nous allons maintenant débuter les auditions.

Auditions

Alors, c'est avec plaisir que nous recevons Mme la Protectrice du citoyen, Mme Saint-Germain. Bienvenue parmi nous. Vous êtes une habituée de cette commission, alors je vous invite à nous représenter votre équipe, les gens qui vous accompagnent cet après-midi. Et vous disposez comme à l'habitude d'une période de 15 minutes pour faire votre présentation, par la suite des échanges suivront avec l'opposition et les membres du gouvernement. Alors, la parole est à vous.

Protecteur du citoyen

Mme Saint-Germain (Raymonde): Je vous remercie. Je vous salue, Mme la Présidente, de même que M. le ministre et M. le représentant de l'opposition officielle et tous les autres membres de la commission. Je suis accompagnée à ma gauche des vice-protecteurs, M. Claude Dussault et Me Marc-André Dowd, et, à ma droite, de Me Hélène Vallières, qui est avocate et enquêteur au Protecteur du citoyen.

Lors du dépôt du projet de loi n° 46, en faisant référence à l'éventuelle mise en place d'un bureau civil de surveillance des enquêtes indépendantes, le ministre de la Sécurité publique déclarait: «Compte tenu de la nature particulière des événements qui mènent au déclenchement des enquêtes, et afin de maintenir la confiance de la population à leur égard, le Bureau agirait de manière indépendante comme les "yeux du public" et viendrait conférer une légitimité accrue au processus.»

Les objectifs visés par le projet de loi sont clairs: assurer la confiance du public et accroître la crédibilité des enquêtes visant les policiers.

Mme la Présidente, le Protecteur du citoyen souscrit pleinement à ces finalités. En 2010, notre examen de la politique ministérielle en vigueur nous a amenés à constater un manque de crédibilité. Il nous est apparu nécessaire de recommander des changements majeurs au processus en place pour qu'il soit dorénavant crédible, transparent et impartial, cela, et j'insiste sur ce point, autant dans l'intérêt de la population en général que dans celui des policiers directement impliqués dans ces incidents. Les policiers et les policières font un travail exigeant, accompli dans des conditions souvent difficiles.

Des incidents sont malheureusement à prévoir où l'usage de la force nécessaire lors d'une intervention policière entraînera des blessures ou un décès. Dans ces circonstances, les policiers et policières seraient les premiers à bénéficier d'un système d'enquête qui, dans le respect de leurs droits, suscite la confiance de la population, un système où l'indépendance et les conclusions de telles enquêtes ne sont pas systématiquement remises en question par de nombreux intervenants.

L'actualité récente nous indique que nous avons encore du chemin à parcourir pour atteindre cet objectif. C'est pourquoi l'intention annoncée de réformer le système d'enquête sur les incidents impliquant des policiers a suscité de l'espoir. Or, l'examen du projet de loi amène à constater un immense écart entre l'intention annoncée et les dispositions de ce projet, qui, au final, introduit très peu de changements.

Mme la Présidente, il ne suffit pas de qualifier une chose pour qu'elle se transforme: en qualifiant d'indépendantes les enquêtes qui seront conduites sans apporter de changement substantiel à la procédure en vigueur, le projet de loi perpétue un état de fait qui est à l'origine de tous les malaises. Ce seront des policiers qui continueront d'enquêter sur des policiers. Paul Kennedy, expert reconnu en ce domaine et ancien président de la Commission des plaintes du public contre la GRC, qualifie plutôt ces modèles de dépendants; les enquêtes qui en résultent n'offrent pas de garantie nécessaire d'impartialité et de transparence pour qu'on puisse les qualifier autrement. À tout le moins, il faudrait y associer la présence d'enquêteurs civils qualifiés, ce que je recommande.

Qui plus est, le projet de loi est muet quant aux rôles et obligations des policiers du service de police impliqué dans l'événement. Ces obligations seront probablement prévues dans une directive à venir, mais il y a lieu d'assurer un meilleur encadrement légal et réglementaire sur des aspects importants du déroulement de ces enquêtes, comme, entre autres, prévoir l'interdiction des policiers impliqués et témoins de communiquer entre eux.

D'autres administrations, comme l'Alberta et l'Ontario, ont encadré ces pratiques dans un règlement. Un jugement récent de la Cour d'appel de l'Ontario est d'ailleurs venu confirmer l'importance de prévoir ces dispositions réglementaires pour assurer des enquêtes impartiales.

**(14 h 20)**

Quelques éléments méritent d'être rappelés. Les policiers et policières exercent une charge publique particulière lorsqu'ils réalisent des enquêtes criminelles. Comme serviteurs de la loi, selon l'expression utilisée par la Cour suprême du Canada, ils demeurent soumis à l'autorité des lois et règlements qui encadrent l'exercice de leurs fonctions.

Loin de garantir la véritable indépendance des enquêtes policières, l'encadrement proposé par simples directives risque au contraire d'ouvrir la porte à des variations dans son application. C'est pourquoi je suggère fortement de préciser les principaux rôles et obligations de chacun des intervenants dans un règlement, assurant ainsi davantage d'uniformité et de stabilité dans son application concrète.

J'aimerais maintenant aborder le rôle de l'organisme de surveillance prévu au projet de loi. Dans sa déclaration à l'occasion du dépôt de ce projet, le ministre a présenté ce Bureau civil de surveillance des enquêtes dites indépendantes comme étant les yeux du public, je le réitère. L'expression frappe, et, pour que ce bureau puisse remplir adéquatement ce rôle fondamental, il doit bénéficier de moyens d'action conséquents. Qu'en est-il exactement?

Notre analyse du projet de loi nous amène à conclure que le rôle de l'observateur civil sera, dans les faits, très limité. Dans l'exercice de son mandat de surveillance, il devra restreindre ses contacts à un seul intervenant du service de police qui mène l'enquête, lequel, faut-il le spécifier, n'est pas lui-même partie à cette enquête. En l'absence de pouvoirs spécifiques comme ceux prévus à la Loi sur les commissions d'enquête, l'observateur civil se voit largement restreint dans ses possibilités d'obtenir des informations complémentaires de première main, provenant d'autres sources, une pratique pourtant nécessaire pour assurer une surveillance le moindrement rigoureuse d'une enquête.

À cet effet, je cite l'éventuel article 289.18 de la Loi sur la police advenant l'adoption sans modification du projet de loi n° 46: «Un observateur ne peut, dans le cadre de la surveillance d'une enquête indépendante, entrer en contact directement ou indirectement avec un membre du corps de police chargé de mener cette enquête, autre que le représentant de ce corps de police, ni avec un membre du corps de police impliqué dans l'événement qui fait l'objet de cette enquête indépendante.» Fin de la citation. Mme la Présidente, voilà un texte clair qui ne souffre d'aucune ambiguïté.

On arguera que l'observateur civil aura le pouvoir de visiter les lieux, certes, mais que pourra-t-il y constater? La moindre demande de précisions ou d'informations sur les lieux lui sera interdite, puisqu'il ne pourra ni directement ni indirectement parler aux policiers en charge de l'enquête. Toutes ses questions devront être dirigées vers le représentant de police désigné, ce dernier se trouvant alors à agir comme filtre des policiers enquêteurs. Bref, si la responsabilité d'être les yeux du public est d'une première importance, force est de constater que le projet de loi n° 46 impose des oeillères pour diriger le regard de l'observateur civil.

Il semble pour le moins irréaliste de croire qu'un observateur qui ne peut entrer en contact ni avec les enquêteurs ni avec les policiers visés par l'enquête soit en mesure de remplir adéquatement son rôle d'appréciation du déroulement de cette enquête et de se prononcer sur son impartialité.

Nos questionnements ne se limitent pas aux pouvoirs de l'observateur civil liés à la surveillance des enquêtes. Ils concernent aussi les pouvoirs généraux du bureau pour redresser les situations problématiques. Le seul pouvoir du directeur du bureau, s'il constate une situation où l'impartialité d'une enquête est entachée, est d'aviser le ministre de la Sécurité publique afin que l'enquête soit reprise par un autre corps de police. Je souligne au passage que le ministre dispose déjà, en vertu de la Loi sur la police, de ce pouvoir d'exiger la reprise de l'enquête par un autre service de police.

Le projet de loi n° 46 est muet sur toutes les situations qui peuvent survenir en cours d'enquête alors que l'impartialité de cette enquête n'est pas encore irrémédiablement compromise. Que se passe-t-il dans ces cas? Aucune sanction n'est prévue, ni aucun moyen de corriger des irrégularités constatées en cours d'enquête. Pourquoi attendre à la fin de l'enquête alors qu'il sera trop tard?

Dans bien des cas, malheureusement, la reprise efficace de l'enquête serait très difficile sinon impossible. La diligence avec laquelle les témoins sont rencontrés est souvent un gage de fiabilité des témoignages recueillis. Les délais engendrés par la reprise d'une enquête favorisent au contraire les discussions entre témoins, autant civils que policiers, avec les risques que cela comporte.

Un modèle permettrait d'éviter des écueils, celui qui associe des enquêteurs civils qualifiés aux enquêteurs policiers dans la réalisation même des enquêtes. À cet effet, il faut donner à ces civils qualifiés les pleins pouvoirs d'enquête, avec le statut d'agent de la paix. D'autre administrations canadiennes se sont engagées récemment dans cette voie: l'Alberta, la Colombie-Britannique et la Nouvelle-Écosse. Je vous réfère à notre mémoire pour plus de détails à ce sujet.

Pour concrétiser l'intention du gouvernement de créer un véritable organisme indépendant, il est nécessaire de donner à cet organisme une distance et une autonomie d'action qui lui permettront de réaliser pleinement son mandat. L'expertise policière requise pour la conduite d'enquêtes de nature criminelle, expertise dont nous reconnaissons la valeur et l'importance, n'est pas le seul fondement de la crédibilité de ces enquêtes. La nécessaire confiance du public ne peut être acquise qu'en réunissant les conditions pour gagner cette crédibilité: l'indépendance, la transparence et les garanties d'impartialité. Pourquoi dissocier l'expertise policière des autres conditions qui fondent également la crédibilité de ces enquêtes? C'est en jumelant cette expertise policière à celle de civils qualifiés sous la gouverne d'un organisme qui présente des garanties d'indépendance que pourront être atteints les objectifs visés d'assurer la confiance du public et ainsi la crédibilité des enquêtes impliquant des policiers.

Mme la Présidente, le Protecteur du citoyen est une institution indépendante de cette Assemblée et impartiale dans ce débat, et l'intérêt public est sa seule préoccupation. Je ne représente aucune association ni aucun groupe d'intérêts. Je considère encore et toujours que la solution retenue doit permettre la réalisation d'enquêtes crédibles, rigoureuses et transparentes suscitant la confiance de la population et assurant le traitement juste des policiers. À mon avis, dans sa forme actuelle, le projet de loi n° 46 ne règle rien. Au contraire, il consacre, dans un texte législatif, des pratiques qui sont au coeur du manque de confiance exprimé par les citoyens à l'égard des enquêtes actuelles impliquant des policiers. Le fait d'y adjoindre un observateur civil sans moyen d'action et limité dans son pouvoir de surveillance risque même d'aggraver la perception négative à cet égard. Ces constats sont sévères, mais j'ai le devoir de les faire.

Mme la Présidente, le gouvernement a reconnu le problème, qui est réel. L'actualité nous fournit régulièrement des exemples illustrant l'urgence d'agir. Le législateur a maintenant la responsabilité de s'assurer que la solution proposée soit efficace. À partir de l'éclairage constructif des différents participants, en considérant aussi ce que d'autres ont accompli, j'ai confiance que la commission saura trouver les voies et moyens de faire adopter un projet de loi bonifié dans des délais raisonnables. Cela serait dans le meilleur intérêt de tous. Je vous remercie.

La Présidente (Mme Vallée): Mme Saint-Germain, je vous remercie. Alors, je vais maintenant céder la parole à M. le ministre pour le premier bloc d'échange.

M. Dutil: Merci, Mme la Présidente. Merci de votre présentation. Je veux revenir sur certains points que vous avez soulevés, plus particulièrement le premier que vous avez soulevé. C'est que nous procéderions par directive au lieu de par règlement. Vous semblez trouver que c'est une anomalie importante. Je dois vous... Je vais vous donner les diverses raisons pour lesquelles on... parce qu'il y a des avantages et des inconvénients à procéder d'une façon ou de l'autre, comme vous le savez, qui nous ont amenés à procéder par directive.

Évidemment, par directive, la souplesse est plus grande, donc ça nous permet de le faire plus rapidement que par réglementation, bien que la réglementation n'ait pas le... n'impose pas les délais qu'une loi impose; une loi est beaucoup plus longue. Si je comprends bien, à votre point de vue, par règlement, ce serait satisfaisant. On n'aurait pas besoin de procéder par modification législative, donc il y aurait une certaine souplesse.

Ceci dit, par règlement, c'est un sujet qui est discuté, donc, au Conseil des ministres, et certains se disent: Est-ce qu'il y a lieu d'aller discuter de façon de procéder dans les enquêtes au Conseil des ministres? Est-ce qu'au contraire ça n'apporte pas un doute supplémentaire dans la population qu'il existe... malheureusement, qu'il y aurait une implication politique dans les enquêtes, même si c'est sur des policiers et policières?

Alors, c'est les arguments de part et d'autre. J'aimerais voir quel... est-ce que vous voyez les mêmes avantages et inconvénients de part et d'autre et si vous avez d'autres arguments concernant le fait de le mettre en règlement.

**(14 h 30)**

Mme Saint-Germain (Raymonde): C'est une question très, très importante, Mme la présidence... Mme la présidente, pardon, et je vois beaucoup plus d'avantages au règlement... En fait, je vois essentiellement des avantages au règlement sous l'angle du problème principal qu'il faut régler dans la perception présentement que ces enquêtes sont impartiales et manquent de transparence. Le règlement d'une part a une force d'application beaucoup plus grande qu'une directive administrative, notamment parce qu'il est lié à la loi; c'est le règlement d'application de la loi, d'une part.

D'autre part, vous avez parlé de la souplesse dans l'administration d'une directive dans le sens où, effectivement, la directive, elle est administrative, elle est modifiée sur autorisation d'un ministre, alors qu'un règlement, qui doit être, rappelons-le, publié et proposé par le gouvernement, mais comporte justement des éléments qui sont davantage obligatoires et auxquels on peut accoler des sanctions... Le règlement est public: je ne vois pas l'intérêt et le contenu dans un règlement qui ne serait pas d'intérêt public. Nous avons regardé la directive ministérielle en vigueur; il n'y a pas d'élément ou d'enjeux qui ne sont pas d'intérêt public.

Et je dirais... M. le ministre, vous avez parlé de souplesse, faisant référence au délai d'approbation d'un règlement. Un délai d'approbation de règlement, c'est 45 jours normalement de publication, et le conseil des ministres peut statuer dans ses séances suivantes. Il y a même une procédure d'urgence pour l'approbation des règlements, lorsqu'on peut justifier une situation d'urgence. Alors, je pense que le problème ne serait pas à ce niveau-là.

Je pense surtout que la souplesse, elle peut être interprétée en défaveur d'une directive administrative, parce qu'on dit, au fond: C'est le ministre, le ministère de la Sécurité publique, donc le ministère responsable de l'administration de la police qui, lui-même, peut faire les directives et les modifier à sa guise.

Alors, moi, je pense, au contraire, que le règlement aurait une plus-value et serait de nature à accroître la transparence, à accroître la compréhension des enjeux de la part de la population, et, de la part des policiers, évidemment, à rendre beaucoup plus cohérentes les pratiques... Il y aurait une force, à ce moment-là, légale, et il y aurait surtout la compréhension dans tous les services de police, dans tous les corps de police du même règlement et des mêmes modalités nécessaires d'application. Alors, je pense que c'est possible et souhaitable.

La Présidente (Mme Vallée): Merci. M. le ministre.

M. Dutil: Merci, Mme la Présidente. Deuxième point. Vous n'avez pas soulevé dans votre présentation évidemment ce qui... qui est très brève, et je comprends que vous ne pouvez pas soulever toutes les recommandations, mais c'est celle du fait qu'à votre avis cette loi-ci devrait relever du ministre de la Justice plutôt que du ministre de la Sécurité publique. Et, encore là, il y a des avantages et des inconvénients.

J'aimerais vous entendre davantage, là... Je trouve que ce débat-là a été relativement peu élaboré dans votre mémoire puis j'aimerais entendre davantage d'argumentations à cet effet-là.

Mme Saint-Germain (Raymonde): Alors, Mme la Présidente, la question du ministre me donne l'occasion de dire que je tiens à souligner que le ministre a déposé un projet de loi et que cette question, elle dure depuis plusieurs années, c'est une problématique non résolue. Et je tiens à souligner le courage du ministre de l'avoir fait et la diligence aussi dans le contexte d'avoir pu poser ce geste.

Dans mon rapport de février 2010, je n'avais pas cette recommandation, mais il m'est apparu, à la lecture du projet de loi, qu'il était important de prendre une distance par rapport à l'administration et à la direction des services policiers et que ce projet de loi considère davantage l'ensemble des enjeux de justice et de sécurité publique. C'est dans cette perspective que je formule cette recommandation.

Il y a des liens à faire entre autres avec le Directeur des poursuites criminelles et pénales. Et je pense que ça ajouterait des éléments, ça viendrait ajouter aux enjeux à considérer lorsqu'il s'agit d'enquêtes criminelles et de la surveillance d'enquêtes criminelles qui impliquent des policiers.

La Présidente (Mme Vallée): M. le ministre.

M. Dutil: Merci. Et, sujet suivant, concernant l'indépendance, vous avez, à la page 14 de votre mémoire, un tableau qui donne une espèce de continuum au niveau du degré d'indépendance des enquêtes dites indépendantes, là. Et vous considérez que l'Ontario et la Colombie-Britannique sont celles qui peuvent être considérées comme les plus indépendantes.

Maintenant, quand on regarde le système en Ontario, plus particulièrement qui est là depuis un plus grand nombre d'années à ma connaissance, il y a pas mal de critiques qui sont formulées. J'ai regardé un peu ce qui se passait en Ontario, j'ai lu pas mal là-dessus, et effectivement il y a diverses critiques. L'une d'elles est qu'il y a d'anciens policiers qui font partie de leurs bureaux indépendants et que donc il y a une certaine remise en question de ça. Alors que, dans le bureau civil, on voulait vraiment éviter complètement la présence policière.

Le bureau civil, il n'y a pas de policier, il n'y a pas d'ancien policier, il n'y a pas de personne qui a déjà travaillé pour des corps de police, pour s'assurer que le bureau lui-même est complètement indépendant, alors que ce n'est pas le cas en Ontario.

J'aimerais voir votre point de vue là-dessus, s'il a évolué, là, sur la formule ontarienne.

Mme Saint-Germain (Raymonde): Alors, Mme la Présidente, la question me donne l'occasion de rectifier une chose: le modèle que nous avons proposé dans le rapport de février 2010, et que nous proposons encore, est un modèle qui s'inspire des meilleures expériences et pratiques au Canada, l'Ontario étant effectivement l'unité indépendante qui est la plus ancienne, en fait, elle date de 1990.

C'est un modèle qui a des avantages et des inconvénients, mais je pense que la première erreur à éviter est de ne pas considérer l'intérêt d'avoir une équipe mixte composée d'ex-policiers et d'enquêteurs civils qualifiés. Et j'entends par enquêteurs civils qualifiés évidemment des enquêteurs qui ont généralement une formation en droit, une formation en droit criminel, et qui connaissent bien déjà les techniques d'enquête.

Alors, je pense qu'au niveau de la qualité des enquêtes, comme de la crédibilité et de l'acceptabilité aux yeux à la fois des policiers et de la population, parce que l'enjeu est aussi l'acceptabilité policière et l'acceptabilité aux yeux de la population, ces équipes mixtes seraient garantes d'une meilleure qualité d'enquête et d'une plus grande crédibilité du bureau qui serait mis en place.

L'Ontario, je le souligne, a aujourd'hui six anciens policiers et huit civils qualifiés comme enquêteurs, et, dans tous les bureaux mis en place ou planifiés au Canada, il y aura d'anciens policiers et des enquêteurs civils qualifiés, parce qu'on ne discrimine pas les anciens policiers. Ce qu'il faut éviter -- et c'est ce que le système actuel, au niveau de la perception, favorise -- c'est que des policiers soient placés en situation, même s'ils sont d'un service de police distinct, d'avoir à retravailler avec d'autres policiers des mêmes corps de police qui ont été sous enquête, et c'est cette situation-là qu'il faut véritablement corriger, en plus évidemment de resserrer le processus d'enquête.

Donc, ce que nous proposons est un bureau indépendant des services de police, qui comporte des enquêteurs... une équipe mixte d'enquêteurs, avec d'ex-policiers qui ne retourneront pas au niveau de la fonction policière, et des enquêteurs civils qui sont qualifiés.

M. Dutil: O.K. Donc, je comprends bien que, pour vous, le fait qu'il y ait d'anciens enquêteurs dans le bureau ne pose pas d'inconvénient ni pour la perception ni pour la qualité des enquêtes. Au contraire, vous estimez que ça peut améliorer la qualité des enquêtes. Est-ce que je comprends bien, là, votre...

Mme Saint-Germain (Raymonde): Mme la Présidente, oui, le ministre comprend très bien. Toujours, bien sûr, dans la mesure où le directeur de cet organisme de surveillance est un civil qualifié.

D'ailleurs, vous proposiez, dans le projet... la proposition dans le projet de loi n° 46, c'est un juge à la retraite qui dirigerait le bureau, c'est effectivement un excellent profil, surtout si, avant d'être juge, il avait un profil d'avocat criminaliste, c'est encore mieux.

M. Dutil: Merci. Mme la Présidente, mon collègue a des questions.

La Présidente (Mme Vallée): O.K. Si vous souhaitez, on peut procéder par alternance de blocs de 10 minutes. Alors, je céderais la parole à M. le député de Chambly.

**(14 h 40)**

M. St-Arnaud: Merci, Mme la Présidente. Alors, à mon tour de saluer la Protectrice du citoyen et les collaborateurs qui l'accompagnent. Je voudrais d'abord, madame, vous féliciter pour votre rapport de 2010. Vous aviez à ce moment-là fait cinq grands constats, huit recommandations, qui, je pense, conservent toute leur pertinence dans le cadre du débat que nous faisons présentement. Il a eu le mérite, ce rapport, de relancer un débat qui était dans le décor depuis plusieurs années, et, malheureusement, cependant, comme vous le dites dans votre mémoire, la solution que vous aviez alors... qui est proposée par le ministre dans le projet de loi n° 46 ne satisfait ni aux critères retenus ni aux solutions recommandées dans votre rapport de février 2010.

Je pense que je vais commencer en rentrant directement, j'allais dire, dans ce qui est souvent... dans le vif du sujet. Quand on parle à des gens qui ont fait carrière dans le milieu policier, le premier argument qu'ils nous disent, c'est: Pour faire des enquêtes criminelles sur des homicides, ça prend des enquêteurs, ça prend des gens d'expérience, ça prend des enquêteurs expérimentés. Parce que ce qu'on se fait dire souvent, c'est: Écoutez, enquêter sur des dossiers d'homicide, ce n'est pas de la petite bière, ça nécessite une formation, ça nécessite aussi de l'expérience. Et, effectivement, Mme la Présidente, quand je pratiquais le droit dans les années quatre-vingt-dix, je me rappelle que les enquêteurs, à Montréal, qui étaient aux homicides, c'étaient généralement des gens qui avaient 15, 20 ans d'expérience, pour ne pas dire plus, qui avaient eu leur formation comme policiers, qui ensuite étaient devenus ce qu'on appelait «enquêteurs relèves» dans des postes de police, qui s'occupaient de dossiers plus... de moindre gravité. Et éventuellement ceux qui aboutissaient aux homicides, c'étaient un peu les ligues majeures, et ils aboutissaient là après... les ligues majeures de la carrière policière, et ils aboutissaient là après 15, 20 ans de métier.

Alors, qu'est-ce que vous répondez à l'argument, qui est souvent l'argument principal utilisé par les policiers, de dire: Bien, écoutez, c'est seulement des policiers qui ont la formation et surtout l'expérience pour faire ce type d'enquêtes, d'où la nécessité que les enquêtes sur des policiers soient faites par des policiers? Alors, j'aimerais vous entendre là-dessus et j'aimerais que vous fassiez référence peut-être à des expériences étrangères là-dessus ou... là-dessus. Alors, j'aimerais, dans un premier temps, vous écouter là-dessus.

Mme Saint-Germain (Raymonde): Alors, Mme la Présidente, il faut bien distinguer ici deux choses.

Les enquêtes criminelles que mènent les policiers à l'endroit de citoyens lorsqu'il y a des crimes commis ne posent aucun problème de perception, et je souscris tout à fait à la qualité et à l'expertise des enquêteurs des services de police du Québec, et il est exact qu'évidemment, quand on est rendus aux enquêtes de crimes majeurs, c'est vraiment le sommet de la carrière d'un enquêteur.

Nous parlons cependant ici d'une situation qui est exceptionnelle. On le sait, les policiers, dans le cadre de leur travail, ont besoin de pouvoirs particuliers, ont besoin d'instruments particuliers. C'est pourquoi on leur autorise le port d'armes, on leur autorise l'utilisation d'armes et de la force nécessaire, parce qu'à cause de la... en raison de la nature de leur profession, il est nécessaire de porter une arme et il est malheureusement inévitable qu'en certaines circonstances il faudra utiliser ces armes. Voilà pourquoi, munis de tels pouvoirs et dans le contexte de leur exercice, il est important, tant pour leur crédibilité que pour celle des enquêtes qui seront menées, et pour avoir la confiance de la population, il est important que les enquêtes ne soient pas menées que par des policiers sur des policiers.

Et on a souvent dit... Il y a eu beaucoup, je dirais, de confusion dans cette question-là au niveau de différentes interprétations. On va dire: Les médecins, c'est des médecins qui enquêtent sur les médecins, ou des ingénieurs... Correction: lorsqu'il s'agit d'une enquête criminelle sur un professionnel, fût-il médecin, ingénieur ou autre, il y a une enquête qui n'est pas menée par un membre de ce corps professionnel. Au contraire, c'est une enquête criminelle normale menée par les forces policières, d'où l'intérêt et la justification d'allier l'expertise d'enquêtes policières à une expertise civile qualifiée.

Et c'est d'ailleurs ce qu'ont fait bien sûr l'Ontario, ce que fait l'Alberta et ce que s'apprêtent à faire la Colombie-Britannique de même que la Nouvelle-Écosse et le Manitoba également.

Donc, pourquoi, nous qui arriverons en dernier, au Québec, pourquoi ne pas tirer profit de ces expériences et de l'expertise mixte, civile qualifiée et ex-enquêteurs policiers, qui serait à ce moment-là garante de crédibilité et d'acceptabilité dans la population et chez les services policiers?

M. St-Arnaud: Oui. Et vous dites, Mme la Protectrice du citoyen, que c'est un modèle qui existe ailleurs. Est-ce que vous pouvez nous donner des exemples non seulement au Canada, parce que je pense que vous vous êtes beaucoup inspirée dans votre rapport de 2010 sur l'expérience ontarienne, mais aussi à l'étranger? Est-ce que vous avez des cas à porter à notre connaissance quant à des modèles étrangers?

Mme Saint-Germain (Raymonde): Oui, nous avons regardé, et c'est aussi dans le rapport de 2010, sur... en Irlande, c'est le PONI, qu'on appelle. Nous avons aussi regardé l'expérience du Royaume-Uni, qui est à cet égard-là très intéressante. Et c'est le même principe d'organisations d'enquête qui ne font que des enquêtes sur les incidents criminels impliquant des policiers, alors qu'ils... des enquêtes criminelles, pardon, sur des incidents impliquant des policiers, pour lesquelles les équipes sont formées de façon particulière, pour lesquelles il y a une législation particulière, et qui, lorsque l'enquête est terminée, ont le pouvoir, d'une part, de faire une recommandation quant à d'éventuelles poursuites, et surtout -- et cela est une dimension importante -- et surtout, lorsqu'il n'y a pas de poursuite qui est recommandée, les motifs justifiant la raison pour laquelle il n'y a pas matière à poursuite sont rendus publics. Et cela, je crois, est de grand intérêt. Au Québec, à mon avis, on devrait le faire aussi.

Et une des recommandations que j'avais formulées en 2010 et que je reformule dans le présent mémoire est que le Directeur des poursuites criminelles et pénales, lorsqu'il a des motifs -- et ce sera la majorité des cas, ne l'oublions pas -- la majorité de ces enquêtes vont continuer de conclure qu'il n'y a pas eu maladresse ou manquement professionnel. C'est d'autant plus important de donner, à ce moment-là, à la population le sommaire, l'explication des principaux éléments de l'enquête, et de faire comprendre pourquoi il n'y a pas motif à enquête. Je pense que ça fait partie de la solution. C'est au coeur même de la crédibilité, cette transparence, et tout le monde y gagnerait.

M. St-Arnaud: Juste une précision, Mme la Présidente. Vous m'avez dit, dans votre réponse: Ce que je vise, là, comme modèle, c'est un modèle où on combinerait à la fois l'expérience policière... Parce que je faisais état dans ma question, là, du fait que les gens qui généralement font des enquêtes pour les homicides ont beaucoup d'expérience. Donc, vous dites: Dans mon modèle à moi, on combinerait l'expérience policière avec des gens, des civils qualifiés. C'est bien ce que vous proposez?

Mme Saint-Germain (Raymonde): C'est tout à fait cela, Mme la Présidente, parce que, des civils qualifiés, il y en a beaucoup au Québec, et ça viendrait, ça permettrait rapidement de renforcer à la fois la crédibilité des enquêtes, et avec un processus et un encadrement améliorés, ça permettrait aussi de donner plus de crédibilité.

Prenons un procureur de la couronne aujourd'hui. Le procureur, il a déjà la capacité et la connaissance du droit criminel. Combien de fois le procureur de la couronne demande au policier enquêteur un complément d'enquête, une reprise? Décide que telle enquête, telle preuve n'est pas suffisamment de qualité ou n'est pas suffisamment probante, donc retire la preuve? Les procureurs de la couronne vont même jusqu'à, dans certains cas, demander une reprise d'enquête. Alors, il y a là un bassin de professionnels hautement qualifiés.

Et pourquoi des ex-policiers qui ne retourneront plus en exercice, qui ont cette expertise de l'enquête criminelle, ne seraient pas joints à ces policiers-là, sous direction civile, évidemment? Et, là, bien sûr, ce directeur civil doit être quelqu'un, je dirais, dont la probité, dont l'expertise, dont la crédibilité ne seront pas mis en doute, et qui aura le leadership suffisant pour diriger une équipe mixte d'enquêteurs civils et ex-policiers.

M. St-Arnaud: Parce que, quand vous parlez de gens à l'intérieur de votre bureau, là, où il y aurait des civils qualifiés et il y aurait des gens qui ont une formation, qui ont une expérience policière, dans le cas des gens qui auraient une expérience policière, ce serait essentiellement d'ex-policiers, là? Je comprends qu'il n'y aurait pas de policiers toujours actifs, là, on parle de policiers éventuellement à la retraite, ce qui pose peut-être un autre problème que soulevait le ministre tantôt, là. Mais ce que je comprends de votre proposition, c'est que les gens qui auraient l'expérience policière au sein de ce bureau pour enquêter seraient d'anciens policiers. C'est bien ça?

Mme Saint-Germain (Raymonde): Tout à fait, parce que l'expertise policière, elle est importante dans les enquêtes criminelles, et cette expertise mixte aurait une valeur ajoutée, celle de civils qualifiés -- généralement des criminalistes -- et celle d'ex-policiers qui ne seraient plus en exercice, et que toutes les provinces, dans tous les modèles que nous avons examinés, ailleurs au Canada comme en Europe, les ex-policiers sont considérés comme des civils qualifiés, et je partage tout à fait cet avis.

La Présidente (Mme Vallée): Merci. Alors, je vais céder la parole à M. le ministre... M. le député de Vimont.

M. Auclair: Merci beaucoup, Mme la Présidente. Moi, écoutez, je suis loin d'être un policier, encore moins un spécialiste dans le domaine. Cependant, j'ai lu quelques... je n'ai pas lu tous les documents déposés, j'en ai lu quelques-uns, dont le vôtre, avec intérêt, surtout la partie...

Bon, M. le ministre, et mon collègue également, a ramené la question d'intervention des policiers, des ex-policiers, et, moi, ça vient me chercher un petit peu, parce que je pense qu'avant tout on recherche... C'est une question de perception. On veut que les citoyens -- nous, dans le fond -- qui ne sont pas policiers, qui ne sont pas partie prenante, que, lorsqu'on entend qu'il y a eu, je ne dirai pas le terme bavure policière, mais qu'il y a eu un accident, qu'il y a eu un événement, qu'on ait l'impression que ce sont des personnes neutres qui vont pouvoir regarder, analyser et nous dire qu'est-ce qui s'est vraiment déroulé. C'est comme si on venait dire, dans le fond, qu'on ne fait pas confiance aux policiers, à un policier, dans le fond, de venir rendre lui-même un jugement sur un autre de ses collègues. Et ça, je comprends que ça se fait ailleurs, je ne suis pas en désaccord avec l'approche.

La seule chose, c'est que, quand on parle des anciens policiers qui, eux autres, tout d'un coup, deviennent des gens neutres, c'est là que j'aimerais voir avec vous, Mme la Protectrice... Parce que ça, pour moi, ça vient me chercher, parce que, dans la perception, parce que c'est un rôle... une réalité de perception, est-ce qu'un ancien policier a autant... a une meilleure... va avoir une meilleure perception des citoyens parce qu'il n'est plus policier? Maintenant, il devient propre, un saint, dans le fond, dans la perception. C'est quoi que vous entendez vers ça?

**(14 h 50)**

Mme Saint-Germain (Raymonde): Mme la Présidente, je pense que les policiers, dans l'exercice de leurs fonctions et avec leur formation, sont appelés à servir et à défendre la justice et que, de façon générale, leur probité, leur souci de justice est vraiment quelque chose qui ressort.

Dans la problématique présente, je le réitère, il faut que la solution choisie couvre à la fois, rejoigne à la fois l'importance d'une formule crédible d'une solution durable qui va réunir l'acceptabilité policière et la confiance de la population. Si l'organisme indépendant n'est pas formé de gens qui, aux yeux des policiers, sont capables de comprendre leur travail et de juger en matière professionnelle de l'expertise requise, des procédures, des façons de faire, des contexte criminels concernés, je pense qu'on aura là des difficultés.

D'un autre côté, pour la population, si la procédure en place continue d'être un corps distinct, enquête sur un autre corps distinct, à tort ou à raison, ce n'est pas ce qui importe. Ce que l'on constate, c'est qu'il n'y a pas de confiance, il n'y a pas de perception, un doute subsiste. C'est pourquoi je pense que la formule est de sortir des corps policiers cette procédure d'enquête indépendante, de créer le bureau, mais le bureau qui aura à la fois l'expertise mixte et qui remplira les conditions d'acceptabilité à tous les niveaux dans notre société.

M. Auclair: Oui. Donc, dans les faits, si on regarde un peu la présentation que vous en faites, donc, au niveau de la perception, je comprends très bien votre dernier argument que le fait que c'est... les policiers aussi doivent être compris par un autre policier si on veut vraiment qu'il y ait un échange dans le discours. Ça, je saisis ça.

Dans les faits, combien, selon vous, d'enquêtes seraient conclues de la même façon si nous avions une commission distincte? Si ce n'étaient pas des policiers qui enquêtaient sur des policiers, selon vous, est-ce qu'il y aurait une interprétation différente dans les conclusions qui sont présentées par des corps policiers qui enquêtent sur un corps policier?

Mme Saint-Germain (Raymonde): Alors, Mme la Présidente, je ne saurais répondre à cette question en termes de chiffres. On sait que présentement -- et on a constaté que c'est à peu près les mêmes chiffres dans les provinces où il y a un organisme indépendant, donc l'Ontario surtout et du côté de PONI en Irlande -- présentement, c'est 97 % des enquêtes qui se concluent en disant que le policier a bien agi, etc.

Je ne veux pas commenter sous cet angle-là. Je n'ai aucune raison de donner des statistiques. On verrait. Par contre, ce dont je suis convaincue, c'est qu'en renforçant l'encadrement, en plaçant les pratiques obligatoires dans un règlement et en ayant une surveillance beaucoup plus professionnelle et rigoureuse de ces enquêtes il y aurait un effet manifeste d'autodiscipline, il y aurait un effet de transparence, et on verrait, à ce moment-là, quels sont les résultats, et ça pourrait servir tout le monde. Présentement -- je me permets ce commentaire -- depuis que le problème perdure, on voit que des enquêtes ont été annoncées, on entend que l'enquête aura lieu, c'est un corps distinct, et après ça prend des mois et des mois sinon des années, et on n'a pas véritablement de nouvelles. Ce n'est pas rassurant pour la population, c'est rester dans le manque d'informations, rester dans le doute, et je pense qu'avec des délais plus exigeants, avec un bureau qui ne ferait que cela, lorsqu'il y a, bien sûr, des enquêtes de cette nature, avec un bureau qui ne ferait que cela, manifestement, je pense que ça améliorerait la situation.

On a d'ailleurs constaté -- Me Vallières, je ne sais si vous pouvez me rappeler à quel endroit -- que le nombre d'incidents a diminué -- je crois que c'est l'Alberta -- avec l'instigation d'un bureau de surveillance indépendant: on a vu qu'il y a moins d'incidents nécessitant une enquête de ce type qui sont survenus, ce qui est interprété comme étant... il y a eu plus d'exigences dans l'encadrement, plus de surveillance, et donc on a fait une certaine forme de prévention.

M. Auclair: Est-ce que vous pouvez me dire, par rapport à, justement, on parlait de l'extérieur du Québec... Dans vos recommandations, vous nous amenez à définir un peu, de façon plus large, on... vous ajoutez le «Taser gun», vous ajoutez également la définition de blessure grave. Est-ce qu'à l'extérieur du Québec c'est le cas? Est-ce qu'on peut parler de ces définitions-là, plus larges que ce qu'on a en ce moment?

Mme Saint-Germain (Raymonde): Effectivement, Mme la Présidente, dans notre examen comparatif, nous avons examiné l'ensemble des expériences et nous avons retenu ce qui nous paraissait, dans chacune, le plus intéressant, et le «Taser gun», donc le pistolet à impulsion électrique, dans les provinces canadiennes, est inclus dans la notion de blessure, et la notion de blessure grave, elle est effectivement, dans certaines organisations, plus large que ce qui est proposé.

M. Auclair: Pour moi, une dernière question rapide. Dans votre dernier... votre commentaire, avant cette question-là, vous disiez: Les délais, la question qu'on a l'impression que les enquêtes tombent en oubli ou... Est-ce que, dans le fond, il y a, dans le projet de loi que l'on retrouve devant nous, est-ce qu'il aurait ou il y a une obligation, justement, plus claire de rendre public? Est-ce que c'est une recommandation formelle, dans le fond, de procéder, de rendre publics, clairement, les états de situation des enquêtes? Ça serait quelque chose que, pour vous, vous mettriez d'emphase là-dedans? Parce qu'on garde un... qu'on maintient une certaine réalité actuelle. Un des problèmes que je dénote de vos commentaires, c'est justement, c'est qu'il y a une question de communication, c'est très facile de dire ça en politique, mais on blâme quelqu'un sur le... tout sur le problème de communication, mais, dans ce cas-ci, si on met la communication plus à l'avant, on fait état des états de situation puis ça pourrait régler une bonne partie de la perception négative qu'il peut y avoir dans les processus d'enquête.

Mme Saint-Germain (Raymonde): En fait, Mme la Présidente, la communication réfère ici à la transparence. On voit qu'une des problématiques, c'est le manque de transparence, le manque de connaissances, de la part de population, des résultats qui ont été apportés.

La recommandation sur la communication, elle a deux niveaux. Il est clair que, lorsque le directeur du bureau de surveillance considère qu'il y a matière éventuellement à des poursuites et qu'il réfère le dossier -- incidemment, dans le projet, ce n'est pas le directeur qui référait au Directeur des poursuites criminelles et pénales dans ces cas, mais le directeur du corps de police enquêteur -- donc, lorsque le directeur de l'organisme considère qu'il y a matière à poursuite, bien sûr, il faut préserver la preuve, et, dans ces circonstances, le dossier est transmis au Directeur des poursuites criminelles et pénales, et il n'y a pas lieu de dévoiler les motifs de la poursuite non plus que les éléments de preuve.

Mais, dans toutes les autres situations, toujours dans le respect de la protection des renseignements personnels, il y a certains renseignements qui pourraient ou devraient ne pas être accessibles. Mais il y aurait intérêt à rendre publics, au moins, un sommaire de l'enquête et les motifs pour lesquels le directeur d'un organisme de surveillance indépendant qui serait crédible considère qu'il n'y a pas lieu d'aller plus loin, et donc que le dossier doit être fermé. Ça, c'est important, et, encore une fois, je le redis, important pour le rôle... pour la crédibilité autant chez les policiers que dans la population.

J'en profite aussi pour dire que le directeur ou l'observateur civil, là, qui travaillera sous le directeur, n'a pas véritablement de pouvoirs réels, ça, c'est une autre problématique. Écoutez, c'est clair, pour moi, que personne de rigoureux et de professionnel ne pourra attester de l'impartialité d'une enquête avec si peu de pouvoirs et si peu d'occasions de constater par lui-même les choses. Ce sera toujours une constatation par ouï-dire ou une constatation indirecte. Alors, à la limite, la population ne sera pas satisfaite de ça d'aucune manière, et on aura encore l'impression qu'il y a un filtre, qu'il y a une opacité autour de ça. Donc, je pense que ça, c'est un des problèmes majeurs du projet de loi.

La Présidente (Mme Vallée): Je vous remercie, Mme Saint-Germain. Malheureusement, c'est tout le temps dont nous disposions pour ce bloc d'échange, désolée. M. le député de Chambly.

**(15 heures)**

M. St-Arnaud: Je vais poursuivre là-dessus, Mme la Présidente. En fait, ce que vous dites, là, Mme Saint-Germain, c'est... il ne faut pas que les policiers enquêtent sur les policiers. C'est un peu ce que vous dites. Dans le bureau, là, ça devrait une expérience... ça devrait être des gens qui ont de l'expérience policière, donc des ex-policiers, qui enquêtent avec des experts civils qualifiés: ça, c'est ce que vous proposez, c'est ce que vous proposiez déjà dans votre rapport en 2010, et c'est un peu le modèle ontarien.

Maintenant, le ministre, le gouvernement a choisi de plutôt continuer jusqu'à nouvel ordre le système actuel, dans le sens où ce sera toujours des policiers qui vont enquêter sur les policiers. Et il crée ce poste d'observateur finalement, ce bureau d'observation, ce poste d'observateur pour surveiller les enquêtes policières faites sur des policiers.

Et j'aimerais que vous poursuiviez sur ce que vous disiez tantôt, là, suite à la question de mon collègue de Vimont, par rapport aux pouvoirs qui sont donnés à l'observateur, je l'ai dit dans mes remarques préliminaires, ça m'apparaît particulièrement mince comme pouvoirs et comme façon d'observer, là. Parce qu'effectivement ce que vous venez de dire m'apparaît juste, là: je vois difficilement comment il va pouvoir observer, avec les minces pouvoirs qu'on lui donne dans le projet de loi n° 46.

Alors, ma question: Quels sont les pouvoirs que vous accorderiez, si le gouvernement maintient sa ligne de pensée à l'effet de plutôt y aller avec un bureau de surveillance composé d'observateurs, quels seraient les pouvoirs que vous conféreriez à ces observateurs qui ne sont pas dans le projet de loi actuellement sous étude?

Mme Saint-Germain (Raymonde): Alors, M. le... Mme la Présidente, pardon, en clair, l'observateur n'a pas de pouvoir. Il n'a même pas le pouvoir d'observer directement par lui-même ce qu'il veut. Il est assujetti à un représentant du corps de police, lequel ne lui donne pas l'accès direct aux sources qu'il souhaite. Et il n'a même... C'est même un contre-pouvoir, une interdiction de parler directement aux enquêteurs qui font l'enquête criminelle sur l'incident ni aux enquêteurs ou aux policiers qui sont soit policiers témoins ou policiers impliqués dans l'incident. Alors, c'est clair que ce n'est vraiment aucun pouvoir.

Pour moi, il est évident que, et à la lumière des expériences étrangères, il est évident que le directeur de ce bureau, d'une part, civil qualifié, ancien juge, profil criminaliste, ce serait l'idéal, a les pouvoirs d'un commissaire enquêteur: il a sous lui une équipe d'enquête mixte, qui, elle-même, peut enquêter à tous les niveaux, sous tous les angles. Il peut travailler avec ce qu'on appelle dans le fond les services spécialisés d'expertise médicolégale, tous les services qui sont déjà dans le fond ceux qui ne peuvent pas être d'aucune manière triturés ou falsifiés, alors, que ce soient les expertises technologiques, toutes les questions d'examen des scènes de crime, etc. Ça, c'est quand même une dimension importante.

Donc, en clair: pouvoirs d'un commissaire enquêteur, équipe mixte qui relève de lui sous sa seule autorité, et capacité publiquement de rendre compte et de faire les déclarations, pouvoir aussi lui-même de référer au Directeur des poursuites criminelles et pénales les situations où il croit qu'il devrait y avoir poursuite criminelle, pouvoir également de référer au Commissaire à la déontologie policière dans certaines circonstances où il croit plutôt que, sans avoir matière à enquête criminelle, il y a matière à enquête déontologique.

M. St-Arnaud: Peut-être quelques petites questions. D'abord, vous semblez dire que, si on travaille avec le projet de loi n° 46, là, que la personne responsable du bureau pourrait en cours d'enquête faire des déclarations publiques sur le déroulement de l'enquête. Est-ce que j'ai mal compris ça, est-ce que...

Mme Saint-Germain (Raymonde): Ce n'est pas... effectivement, Mme la Présidente, c'est très important: en cours d'enquête, il ne faut pas faire de déclaration. Une enquête n'est pas... on ne connaît pas ses résultats tant qu'elle n'est pas terminée. Parfois, on pense conclure, et un élément d'information, un élément de preuve additionnel survient qui peut changer les conclusions.

Alors, je reprends cette réponse si j'ai laissé cette perception: le directeur du bureau devrait avoir un pouvoir de communiquer publiquement les conclusions d'une enquête au moment où celles-ci sont connues et dans la mesure où ces conclusions ne l'amènent pas à référer soit au Directeur des poursuites criminelles et pénales pour une poursuite d'enquête additionnelle soit au directeur des... au Commissaire, pardon, à la déontologie policière, dans le cas d'une référence en déontologie policière. Dans tous les autres cas, sous réserve de la protection de certains renseignements personnels, il devrait être autorisé à communiquer lui-même les conclusions de ses enquêtes, les arguments à l'appui de ses conclusions et un sommaire du rapport d'enquête.

M. St-Arnaud: ...si je comprends bien, là, quand à votre recommandation 9 vous dites que le directeur de l'organisme indépendant devrait avoir le pouvoir de faire des commentaires publics sur les enquêtes, ces commentaires publics, ce serait au terme de l'enquête, c'est ce que...

Mme Saint-Germain (Raymonde): Tout à fait.

M. St-Arnaud: C'est ce que je comprends.

Mme Saint-Germain (Raymonde): Il pourrait annoncer qu'il entreprend une enquête, mais, au-delà de ça, c'est terminé, ça va aux conclusions, ce qui est la seule chose possible pour un commissaire enquêteur.

M. St-Arnaud: Sur un autre élément, mon collègue y a fait référence tantôt, vous voulez inclure les incidents liés aux pistolets à impulsion électrique, également les agressions sexuelles commises dans l'exercice de ses fonctions par des policiers. Qu'est-ce qui vous a... plus... Mon collègue vous a demandé: Est-ce que ça se fait ailleurs? Bien, moi, je vous... Qu'est-ce qui vous amène à faire cette recommandation d'élargir ainsi le champ d'action, finalement, de... le champ d'action des enquêtes?

Mme Saint-Germain (Raymonde): On sait, Mme la Présidente, que présentement, lorsqu'il y a accusation... allégation ou accusation d'agression sexuelle, l'enquête qui se tient, qui a lieu, évidemment, est faite aussi par un service de police. Et c'est la situation encore une fois particulière de policiers qui enquêtent sur des policiers qui m'amène à dire: Si est créé au Québec un organisme civil, indépendant, qualifié, pourquoi ne pas faire en sorte que toutes les accusations possibles qui visent le comportement éventuellement d'un policier en matière criminelle dans l'exercice de ses fonctions ne soient pas regroupées?

Et nous avons notamment vu cette expérience en Irlande. C'est en Irlande, hein? Oui. En Irlande et ailleurs aussi, là, c'est ça. On le voit en Ontario, on le voit en Nouvelle-Écosse, nous l'avons vu en Angleterre et en Irlande.

M. St-Arnaud: Et, pour le pistolet à impulsion électrique, est-ce que c'est des situations particulières que vous avez... qui ont été portées à votre attention ici, au Québec, qui vous ont amenés à élargir le champ d'action?

Mme Saint-Germain (Raymonde): Bien, encore une fois, c'est la même logique: on peut blesser une personne ou lui causer des problèmes importants à sa santé avec un pistolet à impulsion électrique. Alors, encore une fois, pourquoi ne pas regrouper tout cela et faire en sorte que toutes ces enquêtes soient confiées à une même organisation, comme ça a été fait d'ailleurs dans d'autres administrations?

M. St-Arnaud: Je reviens, Mme la Présidente, s'il me reste quelques minutes...

La Présidente (Mme Vallée): 1 min 30 s.

M. St-Arnaud: ...sur les pouvoirs des observateurs. Je parle des observateurs terrain, là. Dans le projet de loi, essentiellement, l'observateur est en contact avec un... je l'ai appelé un agent de liaison, là, mais avec un policier qui n'est pas le policier chargé de l'enquête criminelle. Il n'a pas le droit de parler aux policiers chargés de l'enquête, même à aucun corps... à aucun autre policier du même corps policier, donc il doit passer par l'agent de liaison. Il peut aller sur la scène de crime, mais il a finalement très peu de... c'est vrai qu'il peut demander des documents, mais, en même temps, il ne sait pas nécessairement quels sont les documents qui sont au dossier.

Concrètement, là, l'observateur qui est nommé pour observer dans un dossier précis, il ferait quoi dans votre... Est-ce que, par exemple, il serait... il assisterait aux interrogatoires, aux interrogatoires des témoins, aux interrogatoires des policiers impliqués? Est-ce que... quelle serait sa... Parce que je comprends, de ce que vous nous dites, là, qu'il n'a pas assez de pouvoir, mais concrètement, dans son travail, là, quotidien, vous le voyez faire quoi, l'observateur?

**(15 h 10)**

Mme Saint-Germain (Raymonde): Mme la Présidente, je le vois enquêter. Il n'y aurait pas d'observateur, il n'a pas besoin d'observer, il a besoin d'enquêter de manière rigoureuse, experte et impartiale, que ce soit la réalité perçue et dans les faits. C'est pourquoi la recommandation du Protecteur du citoyen est celle de créer un bureau d'enquête indépendant regroupant des enquêteurs civils qualifiés et des ex-policiers, qui sont, pour moi, devenus à ce moment-là des civils, dirigés par un juge à la retraite, idéalement un criminaliste.

Donc, c'est un bureau d'enquête indépendant. Il n'y aurait plus la police qui enquête sur la police: il y aurait ce bureau d'enquête indépendant qui, en raison des pouvoirs particuliers confiés, conférés aux services de police, en raison du fait que, pour exercer ces pouvoirs, ils ont à utiliser une force raisonnable et des armes, on aurait à ce moment-là un bureau d'enquête adapté dans le meilleur intérêt de tous pour rendre justice aux policiers, pour rendre justice à la vérité aussi et pour assurer la confiance de la population.

La Présidente (Mme Vallée): Alors, merci, Mme Saint-Germain. Malheureusement, nous n'avons plus de temps pour nos échanges, nous avons déjà disposé de tout le temps.

Alors, j'invite maintenant les représentants de la Ligue des droits et libertés à s'avancer, et nous allons suspendre quelques instants.

(Suspension de la séance à 15 h 11)

 

(Reprise à 15 h 12)

La Présidente (Mme Vallée): Alors, nous allons reprendre. Donc, nous accueillons maintenant Mme Nicole Filion et M. Philippe Robert de Massy, représentants de la Ligue des droits et libertés. Madame, monsieur, bienvenue devant la Commission des institutions. Vous disposez d'une période de 15 minutes pour votre présentation, et par la suite nous allons procéder à deux blocs d'échange par groupe parlementaire, des blocs de 10 minutes. Alors, la parole est à vous.

Ligue des droits et libertés (LDL)

Mme Filion (Nicole): Alors, je vais commencer. M. Robert de Massy va poursuivre sur l'analyse plus précise du projet de loi n° 46, mais, d'entrée de jeu, je tiens à souligner que les délais extrêmement courts qui ont été imposés aux organismes qui auraient voulu présenter leur point de vue mais ne le pourront pas ont pour effet de nous priver d'un véritable débat public sur un dossier qui soulève de graves enjeux dans notre société.

En décembre dernier, lorsque M. Dutil, le ministre de la Sécurité publique, a présenté le projet de loi n° 46, nous avons été, à la Ligue des droits et libertés, à la fois interloqués et choqués. Certainement à ce que... Contrairement à ce qu'en dit le ministre, on est bien loin d'une réforme en profondeur du mécanisme actuel, et, non, le bureau de surveillance ne disposera pas des moyens nécessaires pour assurer une surveillance adéquate des enquêtes, qui continueront de plus à être des enquêtes de la police sur la police.

Pour ma part... Bon, ma présentation va porter principalement sur les éléments qui n'ont absolument pas été considérés par le ministre et qui auraient dû l'être.

En premier lieu, des chiffres particulièrement troublants, qui renforcent la perception d'impunité des forces policières. Je réfère ici à des chiffres du ministère de la Sécurité publique qui révèlent qu'entre 1999 et 2011 355 enquêtes ont été ouvertes suite à une intervention policière qui s'est soldée par la mort d'une personne ou des blessures et que seulement trois de ces enquêtes ont mené finalement à des mises en accusation.

Il n'est surtout pas de notre propos de prétendre que, dans tous les cas, la conduite des policiers impliqués doit mener à des mises en accusation. Il n'en demeure pas moins que ces chiffres sont particulièrement troublants, d'autant plus que les résultats des enquêtes ne sont pas rendus publics par le Directeur des poursuites criminelles et pénales, qui, au terme de l'enquête, ne fait qu'annoncer s'il y aura ou non des poursuites contre le ou les policiers impliqués.

Rappelons aussi les résultats d'un sondage qui a été rendu public par La Presse en janvier dernier et qui révélait que 87 % des Québécois ne veulent plus du système actuel.

Il y a eu aussi des événements récents qui sont venus illustrer les graves lacunes du mécanisme actuel, et c'est l'enquête publique du coroner sur la mort de Fredy Villanueva qui a le plus clairement démontré les graves lacunes du mécanisme en mettant en lumière qu'il ne reposait sur aucune règle formelle de fonctionnement et qu'il était appliqué sans grande uniformité d'une enquête à l'autre, que les policiers impliqués n'ont pas été placés en isolement alors que ce fut le cas pour les témoins civils, qu'ils n'ont pas été interrogés par les enquêteurs de la Sûreté du Québec, que l'agent Lapointe, directement impliqué, a transmis son rapport un mois après les événements et qu'il fallait somme toute faire confiance aux policiers parce que ce sont des gens honnêtes, selon les dires mêmes du policier responsable de cette enquête.

Et, pour sa part, le Centre international pour la prévention de la criminalité, qui publiait au 1er décembre 2008 un rapport suite à l'émeute qui avait suivi la mort de Fredy Villanueva, dans lequel on aborde la longueur des enquêtes qui crée un doute dans l'opinion publique et qui est d'autant plus surprenante que les auteurs de l'homicide sont clairement identifiés... Le rapport identifie également les différences de traitements subis par les policiers sous enquête par rapport aux civils impliqués, ce qui est difficilement justifiable aux yeux de la population et devrait faire l'objet d'un questionnement non seulement par le ministère de la Sécurité publique, mais aussi par les organisations policières elles-mêmes.

Or, si nous avons pu en savoir plus sur la façon qu'étaient menées ces enquêtes, c'est qu'on a pu bénéficier d'une enquête publique du coroner et également que les parties en présence ont toutes pu bénéficier de la représentation d'avocats. Ce n'est malheureusement pas le cas en ce qui concerne l'enquête du coroner sur la mort d'Anas Bennis, et on peut se demander ce qu'il en sera de l'enquête concernant la mort de M. Limoges et de M. Hamel, tout autant que la mort de M. Hammadi... Mohammadi, pardon, et de M. Nadreau.

Le mécanisme actuel n'est tout simplement plus crédible. Il s'agit d'un processus intangible, qui laisse toute la place à l'arbitraire et à la complaisance, puisque totalement à l'abri des yeux du public. Et nous ne devons pas oublier l'affaire Matticks, dans laquelle les policiers chargés de faire enquête sur leurs collègues ont dû faire face à l'intimidation et se sont butés à une loi du silence semblable à celle des milieux criminalisés. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est le rapport Poitras, qui avait conclu par une question: Qui police la police?

Les institutions dénoncent le mécanisme actuel. On a entendu la Protectrice du citoyen, la Commission des droits de la personne l'a fait... Mentionnons également que deux villes au Québec ont demandé un autre mécanisme d'enquête, il s'agit de la ville de Montréal et la ville de Québec.

Alors, le mécanisme que nous voulons... Plus de 30 organisations québécoises de la société civile nous appuient dans ces demandes. Nous voulons un processus d'enquête qui soit civil... à caractère civil, transparent, impartial et indépendant; et que ce processus s'applique dans tous les cas où des interventions policières ont pour conséquence de causer la mort ou d'infliger des blessures à une personne; qu'il établisse un texte législatif spécifique à ce processus d'enquête qui va énoncer des règles uniformes de fonctionnement; que ce processus d'enquête soit placé sous la responsabilité du ministre de la Justice, car nous considérons que le ministre de la Sécurité publique, de par sa mission, qui porte notamment sur l'administration des corps policiers, n'a pas l'indépendance requise pour en assurer la responsabilité.

Nous demandons que ce processus soit à tous égards indépendant des corps policiers, que le texte prévoie la mise en isolement immédiate de tout policier ou policière témoin ou de tout policier ou policière impliqué, ainsi que leur interrogatoire dans l'heure qui suit les incidents, à moins de circonstances clairement exceptionnelles et justifiables.

Le texte législatif doit prévoir l'obligation pour tout policier témoin de collaborer pleinement à l'enquête et qu'une infraction déontologique soit prévue en cas de non-collaboration. On doit aussi imposer la divulgation des résultats des enquêtes et des motifs détaillés de la décision de ne pas entreprendre de poursuite criminelle.

Le ministre de la Justice devra déposer annuellement un rapport à l'Assemblée nationale pour rendre compte de la gestion des enquêtes. Le rapport devra mesurer le degré d'atteinte des objectifs recherchés et proposer des solutions. Enfin, il faut les ressources nécessaires à la réalisation, à la mise en oeuvre d'un tel processus d'enquête.

Je vais laisser M. Robert de Massy faire l'analyse du projet de loi n° 46.

**(15 h 20)**

La Présidente (Mme Vallée): Alors, M. de Massy.

M. de Massy (Philippe Robert): Alors, c'est évidemment regrettable qu'on n'arrive pas avec un mémoire que vous auriez en main pour avoir l'ensemble de la réflexion que nous vous proposerons dans le mémoire que nous déposerons, mais... et là encore il serait important de s'assurer, je crois, que les groupes qui n'auront pas pu comparaître devant vous et qui voudraient déposer un mémoire aient le temps de le faire.

Les principales... Je voudrais très, très sommairement, de façon très lapidaire, vous présenter ce que nous retenons du projet de loi et vous montrer à quel point c'est loin des demandes que nous venons de vous formuler. La principale critique, elle commencerait dans le titre même de la loi. La loi nous promet, nous fait miroiter des enquêtes policières indépendantes. On se serait vraiment attendus à quelque chose de nouveau comme enquêtes. Et évidemment, comme on va le voir, ça n'est pas du tout le cas.

Le projet de loi n° 46 n'aurait pas dû être un amendement à la loi sur la police. Il aurait dû être une nouvelle loi, une nouvelle loi charnue qui définisse à la fois un organisme d'enquête indépendant -- un organisme d'enquête indépendant, pas des enquêtes confiées à d'autres corps policiers comme c'est le cas actuellement -- et devrait être soumis à l'autorité du ministère de la Justice, comme Mme la Protectrice du citoyen vient de vous le signaler, de façon à s'assurer que ça ne soit pas le ministère de la police qui s'occupe de faire enquête lorsque... Le ministère de la Justice est responsable de l'application de la charte. Il n'est pas responsable de la police. Il aurait une indépendance visiblement, et c'est aussi les procureurs de la couronne qui sont sous son autorité qui, éventuellement, ont à analyser et décider s'il y a des poursuites qui doivent être déposées.

La définition des circonstances qui commandent une enquête indépendante -- elles sont dans le premier article du... l'article 289.1 du projet de loi -- est beaucoup trop restrictive et, à notre avis, va poser des tonnes de problèmes. C'est une question cruciale, cette définition. Mme Saint-Germain l'a évoqué aussi tout à l'heure, c'est une question cruciale, la question des blessures graves. Qu'est-ce que c'est qu'une blessure grave? Si on retourne au rapport Marin du Protecteur du citoyen de l'Ontario... Il y a eu deux rapports Marin. Il y en a un de 2011, où le Protecteur du citoyen revient sur les recommandations qu'il avait faites pour voir lesquelles ont été appliquées et remarque simplement qu'il n'y a que très peu de choses qui ont été faites à partir de ces remarques. Une des questions fondamentales, c'est cette question de la définition des blessures.

Une enquête... Alors, on nous... on demande ensuite au ministre de confier à un autre corps de police de mener une enquête indépendante afin d'en assurer l'impartialité, mais ça fait des années qu'on dit que c'est ça, le problème. Alors, c'est très difficile pour nous de comprendre qu'on veuille innover en faisant la même chose, et la même chose qui était déjà critiquée, l'objet d'énormément de ressentiment et d'inquiétude de la part du public, et qui ne marche pas. C'est clair.

Maintenant, toutes les directives et toutes les... on en parlait tout à l'heure par rapport à règlement ou directive, toutes les modalités des enquêtes devraient être déterminées dans cette nouvelle loi indépendante et ne pas dépendre du ministre.

Le Bureau civil de surveillance, bien là, on est... c'est ça, l'innovation, c'est qu'il y a un bureau civil qui surveille les enquêtes. Mais, comme on l'a dit déjà, il n'y a absolument aucun pouvoir qui est accordé à cet organisme de faire enquête. Il ne fait pas enquête; il peut peut-être faire certaines observations. Je n'ai pas besoin de m'étendre là-dessus, puisque Mme Saint-Germain a été vraiment très claire tout à l'heure, quand elle a décrit à quel point ce bureau n'a aucun pouvoir: il ne fait qu'attendre, il ne peut être en contact avec personne, il peut peut-être visiter les lieux, mais il est extrêmement limité dans ses possibilités. Et, s'il y a des irrégularités qui sont constatées en cours d'enquête ou après que le rapport a été déposé, la seule chose qui peut se passer, c'est que l'observateur désigné par le directeur du bureau en avise le directeur, qui en avise le ministre. Et, si l'enquête est entachée, si le ministre en vient à la conclusion que l'enquête est entachée, il doit confier l'enquête à un autre corps de police. Imaginez: après deux ans, trois ans, un autre corps de police va faire enquête. Je ne sais pas du tout ce que ça donnera.

Alors, finalement, on est en présence d'un projet de loi qui ne nous apporte aucun remède à l'ensemble des critiques qui avaient été faites. Il n'y a aucune obligation de rendre publics les résultats de l'enquête ou les raisons pour lesquelles il n'y aurait pas de poursuite. C'est une des demandes qui a été faite de façon lancinante dans les dernières années et...

Finalement, on pourrait quand même signaler un côté positif à ce projet de loi, M. le ministre, c'est qu'il y a un problème qui s'est posé, s'est posé particulièrement dans l'enquête Villanueva, c'est la question du financement des avocats pour les... et dans l'affaire Bennis aussi, le financement des avocats pour les familles ou les témoins -- dans l'affaire Villanueva, c'étaient les jeunes témoins, là, qui n'avaient pas du tout les moyens de... -- et ici on apporte un amendement à la Loi sur la recherche des causes... de décès, là, la loi du coroner, pour permettre une indemnisation des frais juridiques des familles. Mais il n'y a aucun critère. Il n'y a aucun critère. Quand on regarde ce que ça a représenté pour l'enquête Villanueva, la durée de l'enquête, etc., nous croyons qu'il faut absolument qu'il y ait des critères qui permettent une indemnisation suffisante pour que ce ne soit pas simplement un maquillage, là.

Alors, voilà les différents aspects de ce projet de loi qui nous paraissent montrer à quel point il est inapproprié, ce projet de loi, et nous en demandons simplement le retrait. Il faut refaire le travail. Il y a déjà... On a déjà tous les éléments qu'il faut. La ligue sera certainement là pour contribuer à réfléchir là-dessus. C'est dans l'intérêt de la société et de la police qu'on assure une crédibilité à la police, à son action, que la population ait confiance, mais tous les secteurs de la population aient confiance dans la police.

La Présidente (Mme Vallée): ...alors, M. le ministre, la parole est à vous pour un premier bloc d'échange de 10 minutes.

**(15 h 30)**

M. Dutil: Oui. Merci, Mme la Présidente. Merci de votre présentation. Vous avez soulevé, en tout premier lieu, le court délai pour le mémoire, là. Je dois vous dire qu'une des raisons pour laquelle j'ai présenté le projet de loi au mois de décembre, sachant qu'on aurait des auditions publiques demandées, et de toute façon on était d'accord avec l'opposition là-dessus, des consultations publiques au mois de février, c'était pour vous donner le délai de préparer les mémoires. Je comprends bien que votre convocation ici a été dans un très court délai.

C'est difficile de... Je dois vous dire que la particularité des travaux parlementaires, c'est qu'on est plusieurs à vouloir siéger ici en même temps, alors on se bat pour avoir notre place. Et puis d'autres veulent aussi avoir leur place pour soit des consultations soit le travail en commission parlementaire. Je dirais que le temps le plus rare ici, à l'Assemblée nationale, c'est le temps en commission parlementaire. C'est ce qui est le plus demandé, avec raison d'ailleurs, parce que c'est ici qu'on fait l'étude article par article.

Alors, je suis désolé que votre perception, ce soit qu'il n'y ait pas eu de délai, parce que l'objectif était, en le déposant au mois de décembre, de vous donner le temps de vous préparer, sachant qu'éventuellement, sans savoir exactement à quel moment, il y aurait une consultation. C'est le premier point que je voulais faire.

Le deuxième point, un des critères qui est souvent énoncé sur la question des enquêtes policières, c'est le nombre de mises en accusation, trois dans le cas du Québec. Et j'ai vérifié ces chiffres-là pour d'autres organisations, des organisations différentes, et plus particulièrement l'Ontario. Et l'Ontario, qui a un système très différent du nôtre, où il y a un bureau complètement séparé mais avec d'anciens policiers... Entre autres choses, on a discuté de cette question-là avec la Protectrice du citoyen; comme vous l'avez vu tout à l'heure, elle, elle n'y voit pas de problème. Je dois vous dire que le nombre de mises en accusation n'est pas supérieur.

Et la raison pour laquelle je vous le mentionne, c'est qu'à mon avis le critère de mise en accusation n'est pas le bon critère. Je vais vous donner un exemple, puis j'aimerais avoir vos réactions là-dessus. Si on avait eu 40 mises en accusation sur les 300 derniers cas depuis les 12 dernières années, ce qu'on nous aurait reproché, c'est de mal former les policiers, parce qu'il est anormal que des policiers formés pour ne pas abuser de leur pouvoir, puis d'utiliser seulement la force nécessaire, se retrouvent mis en accusation à un rythme pareil. On dirait: Mais qu'est-ce qui se passe dans la formation de nos policiers pour qu'ils abusent de leur pouvoir de façon... Alors, voyez-vous, c'est quand même un argument difficile à utiliser, que le nombre de mises en accusation. Normalement, ça devrait être zéro s'il n'y a pas d'erreurs qui sont commises puis si la formation des policiers est faite de la façon de la plus adéquate possible.

Alors, j'aimerais vous voir réagir là-dessus. Je comprends qu'il peut arriver qu'il y ait des abus de pouvoir, il peut arriver qu'il y ait eu des fautes, mais que... la formation des policiers, c'est d'éviter de commettre ce genre de faute là, tout en faisant leur travail de maintien de l'ordre.

Mme Filion (Nicole): Alors, peut-être rappeler qu'en soulignant ces chiffres, qu'on a qualifiés de troublants, on a mentionné que c'était troublant en particulier avec le mécanisme actuel qu'on a. Ce qu'on... Ce n'est pas un argument en soi, les mises en accusation, vous avez raison. Mais c'est un critère... c'est une donnée très troublante, lorsqu'on se trouve avec un mécanisme d'enquête qui est critiqué par ailleurs pour son manque d'indépendance, qui est critiqué pour son manque de partialité et qui souffre d'un problème de non transparence. Alors, ce n'était pas un argument en soi, mais c'est un argument parlant avec la mise en contexte actuelle.

Bon, je vais laisser aussi M. de Massy traiter un peu de la question des problèmes aussi qui existent du côté de l'Ontario, avec le mécanisme qu'on connaît, de l'unité d'enquêtes spéciales.

M. de Massy (Philippe Robert): Bien, c'est parce qu'en Ontario... Bien, vous le connaissez bien, le rapport de M. Marin, en Ontario. Il faut quand même accorder beaucoup d'importance à son deuxième rapport, de l'année dernière, où les problèmes semblent être encore les mêmes que ceux qu'il avait signalés auparavant.

Et les problèmes, ils sont de l'ordre suivant. C'est que, comme il n'y a pas de procédure qui est bien établie sur la façon, par exemple, qu'on va... la manière dont on va s'y prendre pour interroger les témoins, faire en sorte que les policiers ne puissent pas se parler entre eux après l'incident de façon à assurer qu'on prenne le témoignage de chacun, qu'ils ne puissent pas s'échanger leurs notes, etc., mais, quand on regarde comment les choses sont faites et les exemples que M. Marin donne dans son deuxième rapport, on comprend qu'il y a encore de la méfiance.

Vous avez tout à fait raison de dire: Ce n'est pas le nombre de mises en accusation, de condamnations de policiers qui va être notre critère. Est-ce qu'il faudrait que ça soit 100 % de condamnations? Ce n'est pas du tout ça qu'on prétend. Ce qu'il y a, c'est que, si on a un processus qui est indépendant, véritablement indépendant et, lorsqu'on regarde ce processus-là, s'il obéit à des règles qui assurent que les faits, la vérité de ce qui est arrivé va pouvoir venir au grand jour et être présentée publiquement, bien, à ce moment-là, il n'y en aura pas, de méfiance. Puis, s'il y a juste trois condamnations sur... combien de plaintes, 500 plaintes, on va dire: Mais c'est merveilleux qu'il n'y en ait pas plus que ça, de condamnations, parce qu'on aura un processus qui est crédible et dans lequel les gens ont confiance. Mais actuellement vous savez aussi bien que nous que ce n'est pas du tout le cas: il n'y a aucune confiance actuellement, et on dirait qu'avec le temps qui passe la méfiance s'accroît.

Nous avons mentionné les deux derniers cas. Je ne sais pas si certains d'entre vous avez vu ce vidéo de la manifestation étudiante à Montréal, il y a quelques semaines, où un policier a pris une jeune femme et l'a lancée littéralement, comme ça. C'était absolument stupéfiant de voir une situation comme celle-là, des étudiants qui étaient tranquilles, en ligne, comme ça, sur une ligne de piquetage, et un policier qui fonce et qui enfonce son bâton dans le ventre d'un des étudiants, et qui ensuite prend une jeune fille pour la jeter par terre, c'était hallucinant. Alors, les gens veulent savoir: Mais qu'est-ce qui est arrivé?

Si on fait une enquête sur cette affaire-là, il ne faut pas que ce soit un autre corps policier qui fasse enquête, il faut que ça soit un organisme indépendant. On prend toutes les preuves qu'il y a, on interroge les policiers, tous les témoins, les témoins policiers, les autres témoins, et on peut, au grand jour, dire: Il y avait une justification à ça, il s'est passé quelque chose qui fait que le policier était justifié... Mais il faut que le processus par lequel on enquête soit crédible. C'est ça que nous réclamons.

M. Dutil: Le processus... mais vous parlez également de rendre publics les résultats d'enquêtes, les résultats... En fait, là, je pense qu'il faut clarifier un point: le Directeur des poursuites criminelles et pénales ne rend public que lorsqu'il fait des poursuites, ne rend pas public lorsqu'il ne fait pas de poursuite, et c'est ce que vous déplorez, si je comprends bien, là.

Vous comprenez bien que cette chose-là, tout à l'heure, vous l'avez mentionnée, le ministère de la Sécurité publique... le ministre de la Sécurité publique est aux opérations, le ministère de la Justice, lui, est éventuellement aux accusation, et c'est le DPCP, totalement indépendant du pouvoir politique, qui en décide. Vous souhaiteriez que, si je comprends bien, ils doivent rendre publiques les raisons pour lesquelles il n'y aura pas de poursuite, c'est ce que je comprends de votre intervention.

M. de Massy (Philippe Robert): Oui, vous...

M. Dutil: Donc, pas le ministère de la Sécurité publique, mais le DPCP.

M. de Massy (Philippe Robert): Oui, c'est exactement ça, oui. C'est exactement ça, et nous croyons que les corps policiers eux-mêmes ont intérêt à ce que ça soit su et à ce que la situation soit claire. Si, par exemple, dans le cas que je viens de mentionner, il n'y en a pas, de poursuite, on dit: Il n'y aura pas de poursuite parce que voici comment ça s'est passé: une fois l'enquête faite, de façon absolument indépendante, ceci s'est passé. Ça pouvait peut-être avoir l'air de ça dans le vidéo que vous avez vu, mais ce qui s'est passé réellement, c'est ceci, et on ne peut pas poursuivre, il n'y a pas de délit qui a été commis.

Mme Filion (Nicole): Il y aurait un autre élément aussi, important à considérer, parce que, dans le cas où il y a la mort d'une personne... survient la mort d'une personne, vous savez que la famille n'est jamais informée des événements qui ont entouré la mort de leur proche. C'est particulièrement troublant de savoir que ton fils ou ta fille est décédé suite à une intervention policière, mais de ne jamais savoir les événements qui ont entouré cette mort...

On ne peut pas s'attendre à ce qu'à chaque fois qu'il y aura une intervention policière qui se solderait par la mort d'une personne à ce qu'on demande qu'il y ait une enquête publique du coroner. Il faut trouver un mécanisme qui va permettre de combler les lacunes du mécanisme actuel et qui sera de nature à nous donner les informations qu'on pourrait avoir avec une enquête du coroner.

Ce qu'on voudrait aussi, c'est un mécanisme qui permet tout un processus ou, en tout cas, tout un processus d'enquête, mais aussi un mécanisme qui permettrait de pouvoir revenir sur le mécanisme nouveau qui serait installé pour pouvoir envisager des modifications, éventuellement, s'il ne remplit pas les objectifs poursuivis. Il faudrait qu'on prévoie aussi un mécanisme d'examen du mécanisme d'enquête.

La Présidente (Mme Vallée): Merci. Alors, je vais maintenant céder la parole à M. le député de Chambly.

M. St-Arnaud: Oui, merci, Mme la Présidente. Bonjour Mme Filion, bonjour, M. de Massy. Je comprends que vous rejetez complètement le projet de loi n° 46. Vous dites: Ça prendrait un organisme qui soit composé d'enquêtes civiles, finalement, d'enquêteurs civils. Est-ce que, dans votre proposition d'un processus d'enquête civile, il pourrait se retrouver, dans ce modèle-là, des anciens policiers? Parce que je comprends qu'en Ontario il y a cet organisme qu'on connaît, qui est un organisme indépendant, qu'on dit indépendant, et il y a des anciens policiers en nombre assez important à l'intérieur de cet organisme. Alors, est-ce que vous considérez que ça pourrait être acceptable qu'il y ait des anciens policiers dans cet organisme?

**(15 h 40)**

Mme Filion (Nicole): Bon. On critique souvent la position apportée par la ligue, qui demande un mécanisme entièrement civil. Je tiens à rappeler que, dans le cas d'enquêtes qui sont menées suite à une intervention policière, on connaît déjà les personnes qui ont commis le geste qui a mené à la mort d'une personne. Alors, il y a déjà une partie de l'enquête qui est, en principe, avancée.

Il faut aussi que l'on sache que, bon, les policiers qui font ces enquêtes-là ont eu une formation. Alors, la formation, des civils peuvent aussi l'obtenir. Et je rappellerai aussi que, dans le cadre d'enquêtes qui sont menées sur le plan international, lorsqu'on a à examiner des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre, ce ne sont pas des policiers qui mènent ces enquêtes-là, ce sont habituellement des procureurs. Alors, il est possible que des civils réalisent ce type d'enquête.

Pour le mécanisme d'enquête qui existe en Ontario, c'est justement le problème qui a été signalé par l'ombudsman de l'Ontario. Je laisserais Philippe donner plus d'informations à ce sujet-là.

M. de Massy (Philippe Robert): Bien, M. Marin parle, dans ses deux rapports, surtout dans le premier, de la culture bleue. Il parle du fait que le problème actuel de l'organisme ontarien, du bureau des enquêtes spéciales ontarien, c'est qu'il est dominé par d'anciens policiers et la culture policière, et qu'il y a une espèce de solidarité naturelle qui risque de se maintenir entre les gens qui ont à faire enquête, une enquête rigoureuse où on exige des choses des gens et où on se donne la peine d'assurer la séparation des gens après l'incident pour qu'on puisse les interroger séparément et savoir ce qui est arrivé et... n'avoir pas cette rigueur-là quand on est de la même fraternité finalement, qu'on est du même groupe.

Et nous croyons qu'il est tout à fait possible d'avoir un organisme qui est véritablement civil, qui n'a pas de culture policière et qui fait enquête. On avait un avocat canadien qui faisait enquête en Syrie sur... au Liban sur l'assassinat de Hariri dans les dernières années. Des civils peuvent être d'excellents enquêteurs, et on peut les former pour ça. Il n'y a pas de problème.

Le défi, je crois, et je me repose encore sur M. Marin pour dire ça, c'est que... le défi de cet organisme-là, ce sera de conquérir la confiance policière avec le temps par son honnêteté, sa rigueur et son respect de la fonction policière et du rôle que les policiers ont à jouer, et que les policiers se sentent respectés et sentent qu'on a de la considération pour eux. Ce sera ça, le défi. M. Marin nous décrit, d'une façon tellement, je trouve, moi, émouvante, la difficulté qu'on a eue à apprivoiser le monde policier par rapport à cette réalité-là.

Je crois que c'est la responsabilité des élus, qui représentent la volonté populaire, de dire: Bien, dans notre société, c'est une société démocratique, on veut que la police fonctionne d'une façon démocratique et que, quand il y a quelque chose qui se passe qu'on doive enquêter, on va le faire aussi de façon démocratique, impartiale, neutre, on va aller au fond des choses.

M. St-Arnaud: Alors, ce que je comprends, c'est que vous dites: Ça prend un organisme civil pour enquêter. En ce sens-là, vous rejoignez la Protectrice du citoyen. Par contre, elle, dans son modèle, elle met des anciens policiers. Vous, vous dites: On peut avoir un organisme complètement civil, contrairement à ce qu'il y a en Ontario.

Est-ce que je comprends qu'un autre des problèmes que vous soulevez, c'est qu'il n'y a pas de procédure clairement établie? Et c'est ce que je comprends, qu'en Ontario il y a aussi un flou à cet égard-là, et, vous, vous dites: Ici, si on constitue un organisme civil, il faudrait que la procédure, qu'est-ce qui se passe dans les minutes, dans les heures qui suivent l'événement, ça soit codifié et suivi de près par l'organisme civil. C'est ça?

M. de Massy (Philippe Robert): Vous avez tout à fait raison. M. Marin dit: D'abord, le délai avec lequel le corps policier, le directeur de la police où s'est produit l'événement avise le bureau des enquêtes, ce délai-là est une question absolument cruciale parce qu'il faut intervenir tout de suite pour être capables de s'assurer de la préservation de la preuve, de l'indépendance des témoins, là, de garder les témoins séparés les uns des autres. D'ailleurs, le corps policier lui-même a de grandes responsabilités par rapport à ça. Et tout ça... On ne peut pas entrer dans les détails ici aujourd'hui dans les délais qu'on a, mais, dans notre mémoire, nous aurons quand même une petite ébauche d'un certain nombre de critères, là, qu'il faut absolument retrouver dans la loi.

M. St-Arnaud: Par rapport au modèle ontarien, vous dites: La composition devrait être différente si on crée un organisme de ce type-là ici. Vous dites: La procédure devrait être clairement établie. Est-ce qu'il y a d'autre chose qui vous semble poser problème dans le modèle ontarien et dont on devrait tenir compte si jamais on va de l'avant avec un organisme civil?

M. de Massy (Philippe Robert): Mais, dans la lecture que j'ai faite du deuxième rapport de M. Marin, c'est l'hostilité qui continuer à exister, même entre le ministre responsable de la police et le bureau... et du Protecteur du citoyen et ce bureau d'enquête.

M. St-Arnaud: En Ontario, ça relève du ministre de la Sécurité publique, c'est ça?

M. de Massy (Philippe Robert): Oui, oui.

M. St-Arnaud: Et d'où votre...

M. de Massy (Philippe Robert): Bien, je pense que c'est ça, hein? C'est Sécurité publique, je crois.

M. St-Arnaud: D'où votre préoccupation qu'ici, si on crée un organisme de ce type, il relève du ministre de la Justice.

M. de Massy (Philippe Robert): C'est ça, c'est ça.

M. St-Arnaud: C'est bon.

M. de Massy (Philippe Robert): C'est ça.

M. St-Arnaud: Peut-être un dernier... Il me reste quelques secondes. Vous dites que le mandat à 289.1 est trop restrictif. Qu'est-ce que vous ajouteriez?

M. de Massy (Philippe Robert): Ah, je...

M. St-Arnaud: ...entendu, tantôt, la Protectrice du citoyen, là, nous dire: Il faudrait élargir ça quelque peu, là, qu'est-ce que vous ajouteriez, vous?

M. de Massy (Philippe Robert): Vous savez, de la façon dont il est rédigé, certaines personnes l'ont lu comme voulant dire que c'est seulement dans le cas où il y a une arme à feu qui a été utilisée par un policier, c'est... Le Taser, là, il entre où, là-dedans, hein? Et décède dans n'importe quelle circonstance, on dirait... Mais le policier en devoir, là, je... on n'a pas de position là-dessus, là, mais policier en devoir aussi, c'est un problème qui s'est posé en Ontario: Est-ce que, s'il y a un policier qui décède, est-ce que c'est... on ne fait pas enquête sur le fait que ça soit un policier qui est décédé? Je veux dire, c'est... peut-être qu'il faut l'envisager.

Mais, au fond, ce que nous voulons vous dire -- nous espérons pouvoir être compris là-dessus -- c'est qu'il faut reprendre ça. On a tellement d'informations actuellement sur la façon dont on pourrait le faire que malheureusement ce projet de loi, il ne répond pas du tout à tout ce qui s'est écrit, tout ce qui s'est dit depuis plusieurs années, je dirais au moins deux décennies, sur cette question-là. C'est un problème qui se pose dans toutes les sociétés occidentales.

M. St-Arnaud: Ça va. Je vais laisser la parole à la partie ministérielle. Je reviendrai sur un autre sujet, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Vallée): O.K. Alors, M. le ministre.

M. Dutil: Oui. Vous avez raison sur le fait que vous venez d'évoquer, c'est une question qui se soulève partout dans les sociétés occidentales, mais tout le monde n'est pas d'accord sur la façon de le faire, là, je dois vous dire ça, là. Moi qui vis... qui tourne dans ce problème-là depuis plusieurs mois, qui regarde les diverses positions, je dois vous dire que des différences comme celles que vous évoquez, qui ne sont pas mineures, on... Vous estimez qu'il ne doit pas y avoir d'anciens policiers dans le Bureau civil. La Protectrice du citoyen nous dit: Non, au contraire, ça devrait être une expertise intéressante que de les avoir.

Donc, quand on essaie de concilier les différentes positions, c'est extrêmement difficile, ce n'est pas simple. Alors, quel que soit le projet de loi, qu'on en refasse un nouveau ou qu'on garde celui-là et qu'on le modifie pour l'améliorer, à la fin, là, on n'aura pas l'unanimité, hein, parce qu'il y a des choix à faire, puis il y a des difficultés particulières. Est-ce qu'on a besoin de l'expertise d'anciens policiers? Si oui, on les met. Est-ce que le fait d'avoir d'anciens policiers fait que la culture de la police est trop présente? Il y a un risque, et, donc, il faut voir de quelle façon, à la fin de notre exercice, on va faire la chose.

Vous avez mentionné... bon, les frais pour les familles, vous estimez que c'est le seul point positif de la loi. Je vous en remercie, quand même, il y en a au moins un, que j'ai insisté pour introduire d'ailleurs parce que j'estime qu'effectivement les familles doivent avoir la possibilité de suivre, plus particulièrement, l'enquête du coroner.

Mais vous avez mentionné que vous ne l'estimiez pas suffisamment balisé. Il faut finir par trouver un juste milieu, là. Ça ne peut pas être l'infini en termes de coûts, ça ne peut pas être zéro comme c'est le cas actuellement, on le comprend. Que voulez-vous dire par: Ça doit être balisé? Quelles seraient les balises que vous proposeriez?

Mme Filion (Nicole): Je pense que ce qu'il faut rechercher dans ce cas-là, c'est l'équilibre des parties. On ne peut pas baliser en termes de chiffres. Je pense qu'il faut effectivement... comme le juge Sansfaçon l'avait évoqué, pour mettre... pour suspendre l'enquête dans le cas de la mort de Fredy Villanueva, il avait précisé que le déséquilibre des parties ne permettait pas de poursuivre l'enquête du coroner.

Alors, s'il y a un critère qui devrait guider le ministre dans le choix de critères de détermination, il faut s'assurer de l'équilibre entre les parties représentées. Pour avoir assisté aux audiences du coroner sur l'enquête de la mort de Fredy Villanueva, j'ai pu constater que les policiers impliqués avaient leur avocat, la ville de Montréal avait ses avocats, le Service de police avait ses avocats, la Fraternité... Enfin, il y avait une panoplie d'avocats qui représentaient la partie policière, si on peut dire, et il fallait assurer quand même un équilibre entre les parties. Alors, je pense que ça devrait être le principal critère qui devrait guider le ministère dans le choix d'un règlement...

**(15 h 50)**

M. de Massy (Philippe Robert): Je ne sais pas si, Mme la Présidente, si je peux juste ajouter un petit quelque chose: le dossier Bennis, Anas Bennis, la famille Bennis, l'enquête du coroner publique, elle a eu lieu; elle a duré une journée et demie. Elle a duré une journée et demie. Pourquoi? Parce que la famille Bennis n'a pas pu y participer. Elle avait déjà épuisé toutes ses ressources dans la contestation de la requête de la Fraternité des policiers en Cour supérieure en évocation pour empêcher la tenue de cette enquête publique. Et puis la coroner -- c'était Catherine Rudel-Tessier, je pense -- a refusé de faire ce que le juge Sansfaçon avait fait, à notre consternation, là, c'est... Je veux dire, le déséquilibre, il était absolument évident. La famille Bennis aurait dû être représentée devant le coroner. Je suis absolument convaincu, connaissant assez bien ce dossier-là, qu'il se serait passé quelque chose, on aurait su beaucoup plus de choses qu'on en a su. Mais malheureusement ça n'a pas été le cas.

Ce qui est important, c'est qu'on on ait des critères qui... enfin, des critères qualitatifs à ce support financier qui fassent que ce soit une réelle assistance financière aux familles, là, pour qu'elles puissent activement participer à cette enquête et au débat, et faire valoir son point de vue et savoir ce qui s'est passé. C'était désolant dans le cas de la famille Bennis, je vous assure.

La Présidente (Mme Vallée): Je vais céder la parole à M. le député de Vimont.

M. Auclair: Merci. Merci beaucoup de vos commentaires. Écoutez, j'ai une question, je ne crois pas que vous l'avez abordée directement: la nomination du bureau des directeurs. Je sais, je sais que votre prémisse de base, c'est dire qu'on devrait tout mettre ça de côté puis recommencer à zéro. Mais disons qu'on travaille avec ce qu'on a là, le bureau des directeurs, est-ce que vous avez... vous voyez ça d'un bon oeil, que ce soit nommé par le gouvernement, ou vous aimez l'idée de dire que ce soit nommé par... un peu comme Protectrice du citoyen, Vérificateur général, aux deux tiers des membres de l'Assemblée nationale? Comment vous voyez ça de votre côté?

Mme Filion (Nicole): Vous avez bien raison de rappeler que, nous, on rejette complètement le projet de loi n° 46, parce qu'on ne s'est même pas intéressés à voir comment devrait se faire la nomination de la personne qui sera à la direction. Alors, je ne peux pas répondre à cette question-là.

M. Auclair: Disons qu'on parle pour parler, là, donc. Parce que, non, bien, votre point de vue est important. J'élimine cette prémisse-là. Moi, je vais l'éliminer, la prémisse. On travaille... Le projet de loi, il est déposé. Je comprends très bien que vous auriez pu tout simplement vous présenter ici et dire: Bon, bien, écoutez, on rejette, on s'en va, puis merci beaucoup. Il n'y a plus de discussion. Vous avez une bonne expérience, vous avez quand même une belle... vous êtes bien reconnus dans le milieu. Donc, de votre façon, pour amener justement... Ce qu'on recherche, c'est la perception. Comment vous voyez ça, la nomination?

Mme Filion (Nicole): ...peux vous faire des représentations pour aller au maximum de ce que pourraient être les pouvoirs de ce bureau de surveillance là. Plus il aura de pouvoirs, plus il devrait y avoir un mode de nomination qui va lui accorder de l'importance. Alors, s'il est nommé par l'Assemblée nationale et qu'il a le pouvoir de faire des rapports à l'Assemblée nationale pour critiquer le mécanisme qui a été mis en place, bien, on pourrait recommander une chose comme ça. Mais notre mandat n'est pas ici de bonifier le projet de loi n° 46, parce qu'on le trouve vicié au départ dans son fond. Parce qu'il maintient les enquêtes de... On ne reviendra pas sur notre...

M. Auclair: On continue notre petite discussion sur le coin de la table, là. Il n'y a personne d'autre, là, ce n'est pas un... Donc, je comprends que votre prémisse de base...

Si je continue avec l'élément que vous disiez au niveau de l'article 289.1 sur le processus des enquêtes indépendantes: «Doit être tenue lorsqu'une personne -- et on parlait de justement -- autre qu'un policier». Est-ce que de votre côté «autre qu'un policier», on devrait retirer, si j'ai compris, on devrait enlever ça? Dans le fond, ça devrait être tout élément, un policier sur un policier... ça peut être un accident de parcours. À ce moment-là, vous êtes ouverts à ce que... Ce serait une de vos recommandations, si on travaillait 289.1 comme ça?

Mme Filion (Nicole): On n'est pas fermés à ça. Mais ce qui nous trouve... ce qu'on trouvait le plus important, c'est que la façon de libeller cet article-là ouvre la voie à des enquêtes indépendantes. Mais, de notre point de vue, lorsqu'une personne décède ou elle est blessée dans le cadre d'une intervention policière, on allait plus loin que... c'est-à-dire qu'on ne voulait pas qu'on qualifie la blessure de grave, on se contentait de décrire... de préciser qu'il fallait simplement que la personne soit blessée.

M. Auclair: Oui. Mais... O.K. Juste pour continuer: blessée en cours d'une intervention policière. Donc, «en cours», ça pourrait arriver, quelqu'un qui est dans une manifestation, il n'y a aucun policier aux alentours, la personne, pour n'importe quelle raison, chute, se foule une cheville, se blesse... Il n'y a pas de policier, là. Donc, à ce moment-là, pour vous, ça fait partie quand même d'un processus qu'il faudrait faire une enquête, parce qu'il y avait des... Juste pour voir, là, le... jusqu'où vous êtes prêts à aller là-dedans.

Mme Filion (Nicole): Bien, c'est une intervention quand même directe d'un policier qui est habituellement visée là-dedans, là.

M. de Massy (Philippe Robert): Mais il faut qu'il y ait une intervention policière ou une détention dans un cadre... et il faut qu'il y ait un lien avec la police.

Mme Filion (Nicole): Excusez-moi. Ce qui est examiné dans le cas d'une enquête criminelle, lorsqu'un policier est impliqué, c'est qu'on examine de quelle façon a-t-il ou ont-ils exercé le pouvoir que leur donne l'article 25 du Code criminel. Alors, c'est dans ce contexte-là qu'il faut examiner la conduite des policiers et les conséquences que ça aura eues sur une des personnes, une ou des personnes.

M. Auclair: Non. Écoutez, je ne veux pas diminuer, là, votre intervention, là, ce n'est pas ça que je voulais faire. C'est juste pour clarifier votre point, parce que ça devient intéressant. On élimine «blessé gravement» dans votre intervention, donc une personne blessée, toute blessure. Dans le fond, on vise le comportement d'un policier, un peu l'exemple que vous donniez sur ce qui circule en ce moment, là, sur divers... sur l'Internet, ça, et autres médiums sociaux.

M. de Massy (Philippe Robert): Est-ce que vous me permettez juste d'évoquer le deuxième rapport de M. Marin encore, où il se plaint du fait que chaque corps de police... Parce qu'ici, dans l'article 289.1, c'est le directeur du corps de police...

La Présidente (Mme Vallée): M. de Massy.

M. de Massy (Philippe Robert): ...qui va réinterpréter la situation pour décider s'il doit aviser le ministre ou non, parce que c'est ça qui va déclencher l'enquête, là, et l'intervention, là, d'un enquêteur extérieur à ce corps policier. Et, si le directeur...

La Présidente (Mme Vallée): Je suis désolée, nous n'avons plus de temps, monsieur.

M. de Massy (Philippe Robert): Ah! C'est fini?

La Présidente (Mme Vallée): Oui.

M. de Massy (Philippe Robert): Bon. Merci.

La Présidente (Mme Vallée): C'est pour ça que je suis intervenue, M. de Massy.

M. de Massy (Philippe Robert): Alors, ce sera dans notre mémoire.

La Présidente (Mme Vallée): Alors, M. le député de Chambly.

M. St-Arnaud: Oui. Effectivement, je comprends de votre position que vous, vous rejetez le projet de loi et vous dites: Ça prend un organisme civil. Mais vous comprendrez que -- et je suis un peu dans la même lignée que mon collègue de Vimont -- moi, je peux bien, comme député d'opposition, présenter un amendement au tout début du projet de loi puis disant qu'on va créer un organisme civil. Mais, si le ministre maintient la position qu'il a présentement par rapport à ce dossier, on ne sera pas plus avancés, et là on va arriver au contenu même du projet de loi n° 46 tel qu'il nous est proposé, où le ministre prévoit la création d'un observateur des enquêtes faites par des policiers sur des policiers. Alors, le ministre, au lieu de créer un organisme civil, dit: Bien, on va créer un observateur qui va regarder comment ça se fait, ces... comment se font ces enquêtes-là.

Alors, ma question. Je comprends que vous rejetez le projet de loi n° 46, mais, dans... Prenons comme hypothèse qu'on travaille avec le projet de loi n° 46. Quels seraient les pouvoirs... Parce que dans votre déclaration vous faites état du fait que, grosso modo, là, le bureau d'observation a très, très peu de pouvoir, que les observateurs ont très peu de pouvoir. Alors, ma question: Dans cette hypothèse, dans l'hypothèse où on travaillerait sur la proposition gouvernementale, quels seraient les pouvoirs que vous donneriez, qui manquent et que vous donneriez aux observateurs tels que prévus au projet de loi?

Mme Filion (Nicole): On ne comprend pas la logique de ce projet de loi là dans... et c'est vraiment difficile pour nous, parce que, si des enquêtes sont menées d'un côté par les corps policiers et qu'il y a un bureau de surveillance qui devrait mener une enquête parallèle, je vois difficilement comment on pourrait fonctionner en donnant plus de pouvoirs même au bureau de surveillance. Les enquêtes sont faites soit par des policiers ou soit sont faites par un bureau complètement indépendant. On ne peut pas avoir les deux.

M. St-Arnaud: Et, présentement, le projet de loi, ce que le ministre fait, il... les enquêtes continuent d'être faites par les policiers...

**(16 heures)**

Mme Filion (Nicole): Mais je comprends.

M. de Massy (Philippe Robert): C'est ça. C'est ça qu'il faut changer.

M. St-Arnaud: Et le ministre, dans sa solution -- je l'ai qualifiée de très, très, très modeste en début d'après-midi -- en arrive avec une solution très modeste, qui est de dire: Bien, on va créer un observateur, puis cet observateur-là, bien, il va avoir... il va entre autres avoir la possibilité d'être en contact avec un agent de liaison du corps de police qui enquête, pas avec l'enquêteur, avec l'agent de liaison. Puis comme ça, bien, on va pouvoir savoir si c'est partial ou impartial, l'enquête criminelle. Bon. Je conviens avec vous que dans... si on travaille sur cette hypothèse-là, il n'a pas grand pouvoir, l'observateur en question. Il parle à une seule personne, puis c'est un genre d'agent de liaison du corps de police qui fait l'enquête.

Alors, ma question c'est... Je ne sais pas si vous avez réfléchi là-dessus, sinon je vous invite à y réfléchir d'ici à ce que vous transmettiez un mémoire. C'est que dans l'hypothèse... Si on travaille sur cette hypothèse-là, quel serait... Est-ce que par exemple l'observateur en question devrait assister aux interrogatoires policiers, devrait avoir accès à toutes les pièces, devrait participer aux discussions stratégiques ou aux réunions portant sur cette enquête?

Je ne sais pas si vous avez réfléchi à ça, mais, moi, je suis obligé de regarder aussi cette hypothèse-là, parce que, comme je vous dis, je peux bien faire un amendement pour changer complètement l'optique du ministre, mais, après le premier amendement, si on travaille avec le bureau, moi, j'aimerais bien savoir comment on peut améliorer, dans l'optique du ministre, comment on peut améliorer le projet de loi n° 46, notamment quant aux pouvoirs confiés aux observateurs.

Mme Filion (Nicole): Je pense que de la façon que vous venez de décrire ce que pourraient être ces autres pouvoirs là, ça serait approprié dans le cadre du projet de loi n° 46.

Mais je voudrais attirer l'attention aussi sur le fait qu'étant donné que le bureau de surveillance, l'observateur qui devra faire son observation aura à conclure s'il y a ou non une irrégularité qui a entaché l'impartialité de l'enquête, étant donné qu'il n'y a aucun pouvoir de vérifier véritablement s'il y a eu cette irrégularité-là, nous, on comprend que l'observateur ou le mécanisme qu'on a mis en place va tout simplement servir à cautionner des enquêtes qui, par ailleurs, auront... on n'aura pas pu, par ailleurs, vérifier si elles sont réellement impartiales.

Alors, si on tient tant que ça à demander le retrait du projet de loi n° 46, c'est qu'on trouve que c'est pire que le statu quo actuellement. On estime que ça va cautionner, comme je le disais, des enquêtes qui vont continuer à demeurer partiales. Alors, il est dangereux, le projet de loi n° 46. On va se trouver à avoir un mécanisme qui ne remet pas en question les enquêtes mais qui va leur donner en plus une caution morale. Alors, c'est très dangereux, de notre point de vue.

M. de Massy (Philippe Robert): C'est qu'il faut qu'à l'article 289.1, dès qu'il en est informé, le ministre charge le bureau des enquêtes, un bureau des enquêtes indépendant à s'assurer de commencer à faire ce qu'il faut faire pour interroger le plus rapidement possible les témoins, les isoler les uns des autres, etc. Enfin, le bureau de surveillance, il faudrait qu'il puisse faire ça, il faudrait qu'il puisse intervenir dès le début pour s'assurer que les conditions dans lesquelles on aurait une enquête véritablement indépendante existent. Autrement, je ne vois pas, comme Nicole...

On s'est cassés la tête avec ça, là. On ne peut pas, avec ce projet de loi tel qu'il est formulé, là, si on veut faire faire les enquêtes par les policiers, mettez n'importe quel bureau de surveillance que vous voulez, ils ne peuvent pas contrôler les différents paramètres qui font qu'une enquête sera indépendante.

M. St-Arnaud: ...peu importent les pouvoirs qu'on accorderait à ces observateurs-là, peu importent les pouvoirs, même si on augmente le nombre de pouvoirs qu'ils ont, vous dites: Ils ne pourront pas juger véritablement de l'impartialité des enquêtes. C'est ce que vous dites?

M. de Massy (Philippe Robert): Bien, ils ont... Ce n'est pas eux qui font les enquêtes, ce n'est pas eux qui interrogent les témoins, ce n'est pas eux qui... Comment est-ce que vous voulez qu'ils fassent quelque chose?

M. St-Arnaud: ...ma question, c'était justement, M. de Massy, par exemple une hypothèse pourrait être que l'observateur en question assiste à tous les interrogatoires de témoins ou de policiers impliqués. Ça pourrait être une possibilité. J'essaie de regarder de ce côté-là, si... Parce que je suis d'accord avec vous, là -- enfin, je ne veux pas me prononcer sur le fond des choses -- je suis d'accord avec vous sur le fait qu'effectivement, là, à partir de... si on... à partir du moment où l'enquête se fait par des policiers, bien là il peut y avoir un problème à cet égard-là. Mais, si on décide que ça se fait par les policiers, quels sont les pouvoirs qu'on pourrait accorder éventuellement à l'observateur?

M. de Massy (Philippe Robert): O.K. La seule chose que le bureau peut faire, c'est de dire que c'est vicié. Donc, le ministre, après ça, il va le confier à un autre corps de police. Je veux dire, on n'en sort pas: on a un processus qui ne permet pas du tout de faire ce qu'on cherche à faire.

M. St-Arnaud: Sur un autre sujet, vous avez fait référence à l'information aux familles des victimes. Vous dites, et, en ce sens-là, vous rejoignez un peu, là, Jean-Claude Leclerc dans Le Devoir, en décembre dernier, qui disait: «L'aide financière aux familles des victimes prévue au projet [de loi] 46 mérite l'appui de l'Assemblée nationale. Plus d'information aux familles de la part des autorités ne serait pas non plus un luxe.»

Concrètement, est-ce que vous avez réfléchi à comment on pourrait s'assurer dans le projet de loi que les familles des victimes reçoivent davantage d'informations, notamment sur l'ensemble du dossier, notamment sur l'enquête?

Mme Filion (Nicole): Bien, en fait, le fait que les familles n'aient pas d'information, c'est dû au fait qu'il n'y ait pas de transparence actuellement avec le mécanisme d'enquête. Dans le cas du projet de loi n° 46, ça, c'est possible, au moins, d'introduire l'obligation faite au Directeur des poursuites criminelles et pénales d'informer la population, et la famille le sera également, sur les événements qui sont survenus, sur les motifs qui ont fait qu'en regard de ces événements-là on a décidé de ne pas poursuivre les policiers impliqués. En fait, le problème d'information à la famille est dû au fait que les enquêtes ne sont pas du tout transparentes actuellement.

M. de Massy (Philippe Robert): Et c'est ça qui a fait que la famille Bennis, pour reprendre encore une fois ce cas-là, et pour les avoir côtoyés et avoir observé les événements depuis cinq ou six ans dans ce cas-là, c'était absolument dramatique de voir à quel point ils étaient tenus... Et, dès le début, ils s'étaient adressés au ministre de la Sécurité publique pour avoir une copie du rapport de police. Ils ne l'ont eue que lorsque la Fraternité des policiers l'a produite en appui de leur requête en Cour supérieure en évocation. Comment la Fraternité des policiers l'avait-elle obtenue, alors que la famille n'y avait pas accès, n'avait pas pu l'obtenir? Il y a un problème, là, il y a vraiment un problème. Ils étaient indignés, ces gens-là.

M. St-Arnaud: Très clair. Je vous remercie, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Vallée): Je vous remercie. Alors, nous allons maintenant demander à la Fédération des policiers et policières municipaux de bien vouloir s'avancer.

Alors, Mme Filion, M. de Massy, je vous remercie pour votre présentation devant la Commission des institutions.

Nous allons suspendre quelques instants.

(Suspension de la séance à 16 h 8)

 

(Reprise à 16 h 12)

La Présidente (Mme Vallée): Nous allons reprendre. Alors, nous avons maintenant... nous recevons maintenant la Fédération des policiers et policières municipaux du Québec, présidée par M. Denis Côté. Alors, M. Côté, bienvenue devant la Commission des institutions. Je vous prierais de bien vouloir nous présenter les gens qui vous accompagnent, et vous disposerez par la suite d'une période de 15 minutes pour votre présentation.

Fédération des policiers et policières
municipaux du Québec (FPMQ)

M. Côté (Denis): Merci, Mme la Présidente. À ma droite, Me Pierre Dupras, criminaliste à la firme Trudel Nadeau; à ma gauche, Paulin Aubé, vice-président exécutif à la fédération et, à mon extrême gauche, Me Guy Bélanger, notre avocat-conseil à la firme Trudel Nadeau également.

Tout d'abord, je tiens à remercier la commission de nous donner l'occasion d'exprimer notre point de vue sur le projet de loi n° 46, Loi concernant les enquêtes policières indépendantes. La fédération est un regroupement d'associations syndicales composé de plus de 7 900 policiers et policières municipaux, incluant les 4 460 policiers représentés par la Fraternité des policiers et policières de Montréal, celle-ci faisant partie de la fédération à titre d'associée. Nous sommes particulièrement intéressés par le projet de loi n° 46 et nous espérons que nos commentaires apporteront une contribution utile aux travaux de la Commission des institutions.

La police d'aujourd'hui est confrontée à des phénomènes qui l'amène à intervenir dans des situations de plus en plus complexes, difficiles et risquées, avec une clientèle qui n'est pas toujours facile d'approche en situation de crise. Qu'il s'agisse de polytoxicomanie, d'itinérance ou de désinstitutionnalisation, on en demande beaucoup aux policiers. Même s'il ne s'agit pas de criminels, certaines personnes ne constituent pas moins un danger réel pour la sécurité du public et des policiers lorsqu'elles sont en état de crise. La quasi-totalité des interventions policières en situation de crise ou avec risque élevé est désamorcée en réussissant à préserver la vie des personnes en cause.

Malheureusement, quelques interventions peuvent se terminer de façon plus dramatique. Les policiers et policières font preuve de professionnalisme pour trouver... pour solutionner la majorité de ces situations extrêmement difficiles, et d'ailleurs je salue ici leur sens du devoir et la grande qualité de leur travail. Ce sont des événements particulièrement traumatisants, autant pour la famille que pour la population et pour le policier qui a fait l'usage de la force. Soyons clairs: le policier n'utilise son arme qu'en dernier recours, pour assurer la sécurité du public ou la leur.

À ce sujet, M. Stéphane Nadreau, le frère de Jean-François Nadreau, décédé le 16 février 2012 dans de telles circonstances, s'est exprimé ainsi, dans un article du Journal de Montréal du 21 février dernier: «Je suis triste pour le policier qui a tiré[...]. [...]Les policiers sont des êtres humains et personne n'entre dans la police pour enlever la vie. Quand ça arrive, les policiers se retrouvent aussi en état de choc. Ça laisse des marques vraiment profondes. L'agent est peut-être marqué pour la vie et lui aussi a une famille.» Il a ajouté: «Ce n'est pas nécessairement la faute des policiers. On le voit depuis un an, c'est un cas qui prend beaucoup d'ampleur au Québec. Ce n'est pas juste une vie qui est détruite, c'est plein de vies. Pourquoi ce sont les policiers qui interviennent dans ce genre de situation?»

En effet, pourquoi ce sont les policiers qui doivent intervenir dans des cas semblables? On ne demande pas aux urgentologues, là, d'être des policiers, mais on demande aussi aux policiers d'être des psychiatres. Les policiers doivent quotidiennement faire face à des problèmes dont personne d'autre ne veut. Non, il s'agit ici d'un autre problème, là, plus vaste que celui-ci qui nous préoccupe aujourd'hui.

Cependant, ces cas toujours dramatiques soulèvent des questions dans la population quant au rôle des policiers et l'utilisation de leurs armes dans les circonstances... Auraient-ils pu ou dû agir autrement? Ils soulèvent également un questionnement quant à l'objectivité des enquêtes qui en découlent, parce que, si menées par d'autres policiers, elles seraient opaques et ne donneraient pratiquement jamais lieu à des accusations, et que les raisons qui justifient de ne pas porter d'accusation ne sont jamais expliquées. La confiance du public en est ébranlée.

En fait, nous pensons que le problème en est un d'apparences et de perception quant à l'impartialité de l'enquête. Faut-il remédier par la création d'un organisme civil autonome qui agit indépendamment des corps policiers, comme certains le prônent? Nous ne le croyons pas. Nous avons même la conviction que la justice y perdrait au change. Plusieurs intervenants ont mis en doute la crédibilité du modèle québécois d'enquête indépendante du fait que des accusations criminelles ont été portées dans trois dossiers seulement depuis 1999 sur un total de 316 dossiers complétés, comme si la qualité des enquêtes était tributaire du nombre d'accusations portées.

Et le modèle ontarien. On nous sert le modèle ontarien comme une panacée, mais est-ce vraiment l'exemple à suivre pour concilier la crédibilité d'une enquête et son efficacité, sans compter que le modèle ontarien fait lui-même l'objet d'un lot de critiques?

L'objet de l'enquête indépendante. On semble oublier que l'objet de l'enquête indépendante est de déterminer si une infraction criminelle a pu être commise par les policiers impliqués dans une intervention. Il ne s'agit pas de déterminer si les policiers ont commis une faute déontologique mais d'appliquer la justice criminelle. C'est dans ce contexte qu'il faut situer l'enquête et son résultat.

L'enquête sur un policier qui utilise son arme dans le cadre de son travail pour protéger la vie d'autrui ou la sienne doit pouvoir, comme tous, être l'objet d'un processus d'enquête neutre et objectif. On ne peut lui reprocher une faute de nature criminelle sans établir par une preuve hors de tout doute qu'il y a eu abus. L'objet de l'enquête, je le répète, n'est pas de déterminer si le policier a commis une faute professionnelle mais une infraction criminelle. La nuance est importante. Ce n'est pas l'enquêteur au dossier, qu'il soit policier ou civil, qui décide si des accusations sont portées ou non. Cette décision relève du Directeur des poursuites criminelles et pénales.

La crédibilité des enquêtes indépendantes. Il va de soi que l'enquête doit paraître crédible. En ce sens, nous sommes tout à fait d'accord à ce que des mesures soient instaurées pour que la crédibilité du processus d'enquête soit valorisé, sauf que le modèle retenu doit paraître crédible autant au public qu'aux policiers. Nous sommes dans le domaine des perceptions et des apparences, car en réalité les enquêtes indépendantes au Québec sont menées de façon très professionnelle, malgré le questionnement qu'elles soulèvent... et qui, quant à nous, découle plus particulièrement du manque d'information entourant le déroulement de l'enquête et la décision du Directeur des poursuites criminelles et pénales de porter ou non des accusations.

Les opinions peuvent diverger et on pourrait en discuter longuement, mais le problème ne concerne pas celui de l'impartialité de l'enquête, un problème auquel seraient également confrontés des enquêteurs civils si l'approche d'une structure civile avait été retenue. En quoi est-il incongru pour les enquêteurs de rencontrer d'abord les témoins civils et les policiers témoins pour disposer ainsi de tous les éléments utiles à l'interrogatoire subséquent du policier impliqué en pleine connaissance de cause? Ce sont des choix d'enquête normaux pour qui s'y connaît un tant soit peu et qui n'ont rien de complaisant, quoi qu'on peut en dire. Les enquêteurs civils seraient tout autant portés à rencontrer d'abord les témoins civils pour avoir un aperçu complet du dossier avant d'interroger les policiers qui, de toute façon, ont déjà produit leur rapport d'événement. Que l'enquête soit menée par un organisme civil ou par un corps de police indépendant, les policiers impliqués ont les mêmes droits de recourir aux services d'un avocat.

Comment penser qu'un enquêteur risquerait sa carrière en entravant le cours de la justice simplement pour protéger un autre policier qu'il ne connaît même pas? L'article 119 de la Loi sur la police lui pend au-dessus de la tête comme une épée de Damoclès, avec toutes les conséquences iniques que cette disposition démesurée comporte, faut-il le rappeler, notamment la destitution du policier?

Il n'est pas rare que des policiers enquêtent d'autres policiers qui sont soupçonnés d'avoir commis un acte criminel en dehors du travail et que des accusations s'ensuivent. Pourquoi fait-on confiance aux policiers pour enquêter des collègues en pareil cas et met-on en doute leur impartialité lorsqu'il s'agit d'enquêter une intervention qui a mal tourné? En fait, le problème n'en est pas un de qualité et d'objectivité des enquêtes indépendantes mais, je le répète, d'apparences et de transparence. Malgré que le travail soit bien fait, on met en doute l'impartialité des enquêteurs. On dénonce le secret qui entoure le déroulement et le résultat de l'enquête et on véhicule divers clichés redondants qui minent la confiance du public.

**(16 h 20)**

Nous sommes bien conscients qu'il faut regagner la confiance du public, ce qui peut se faire sans se lancer dans l'aventure d'une structure civile d'enquête dont l'efficacité et les avantages sont loin d'être démontrés. Il n'y en aura jamais, de système parfait. Il y aura toujours quelqu'un pour se plaindre et dénoncer la façon de faire.

Le policier a l'expertise des enquêtes et du travail policier; il demeure la meilleure ressource pour enquêter le travail d'un autre policier, au même titre qu'il faut un médecin pour expertiser l'acte médical d'un autre médecin et un ingénieur pour évaluer le travail d'un autre ingénieur. Il en est ainsi pour toutes les professions.

Le Bureau civil de surveillance des enquêtes indépendantes. L'enquête policière demeure la meilleure alternative, pourvu qu'on puisse être convaincus de son impartialité. Pour ce faire, le projet de loi crée le Bureau civil de surveillance des enquêtes indépendantes et prévoit qu'un observateur civil surveillera l'intégrité du processus d'enquête. Cet observateur aura accès à la scène et à tout renseignement et document relatifs à l'affaire. S'il constate une irrégularité au cours de l'enquête, il en informe le directeur du Bureau civil, qui, à son tour, en informe le ministre.

Que veut-on de plus pour assurer l'impartialité des enquêtes? Le projet de loi règle la question de l'impartialité du processus, à notre avis. Les autres éléments de la problématique peuvent se régler sans remettre en cause la structure même des enquêtes indépendantes, qu'il s'agisse du délai pour rédiger un rapport ou pour rencontrer un enquêteur ou de toute autre considération. Qui pourrait soulever un questionnement quant à la crédibilité du processus? La réglementation pourra d'ailleurs y pourvoir.

Certains se demandent s'il n'y aurait pas lieu que le surveillant civil soit présent à chaque étape de l'enquête policière, comme par exemple durant l'interrogatoire des témoins. Nous disons: Attention. À défaut de participer à l'interrogatoire, l'observateur peut obtenir, dans l'immédiat, une copie des déclarations reçues et des interrogatoires vidéo, ainsi qu'il est prévu à l'article 289.17 du projet de loi.

L'approche retenue par le projet de loi n° 46 devrait faire taire toute critique quant à l'impartialité des enquêtes indépendantes, d'autant plus que l'article 289.22 prévoit que le directeur du Bureau civil doit rendre publique son appréciation quant au caractère impartial ou non de l'enquête, ce qui constitue la meilleure garantie d'impartialité.

Il est essentiel, cependant, que le directeur du Bureau civil et les observateurs soient des avocats d'expérience ou des juges à la retraite, comme le suggère le projet de loi. Il faudrait cependant qu'ils aient acquis leur expérience en droit criminel, qu'ils soient ainsi familiers avec les enquêtes policières. C'est la crédibilité même du Bureau civil qui en dépend, tant pour la population que pour les policiers qui devront composer avec les observateurs qui les surveilleront.

D'autre part, le Directeur des poursuites criminelles et pénales devrait être tenu de produire un rapport public expliquant les raisons pour lesquelles il a décidé de ne pas porter d'accusations criminelles, le cas échéant. À cette fin, le Directeur des poursuites criminelles et pénales devrait rendre public le résultat de l'enquête, pour l'essentiel, lorsqu'il décide de ne pas porter d'accusations. En termes de crédibilité et de transparence, l'exercice serait de nature à consolider la confiance du public par rapport à l'ensemble du processus.

En conclusion, nous sommes préoccupés par la réglementation qui suivra. Nous espérons que les organisations représentatives des policiers seront consultées, le contenu de la réglementation étant tout aussi important que le projet de loi n° 46. Nous sommes conscients que d'autres mesures peuvent être prises pour accroître la crédibilité des enquêtes indépendantes, mais elle doivent se concilier avec le droit des policiers d'être traités de façon juste et équitable. Les policiers comprennent bien leur devoir de collaborer, mais ils ont aussi des droits. On vous remercie de votre attention.

La Présidente (Mme Vallée): Merci, M. Côté. Alors, M. le ministre, pour une première période d'échange de 10 minutes.

M. Dutil: Merci, Mme la Présidente. Avant d'aller dans les sujets qui concernent directement le projet de loi, vous avez parlé tout à l'heure que les policiers sont souvent confrontés à des situations difficiles. J'aimerais savoir, selon votre expérience, de vous ou des autres personnes qui sont près des policiers, est-ce que c'est pire? Est-ce que ça évolue d'une façon négative? Est-ce que c'est de plus en plus difficile, à cause des circonstances que vous avez mentionnées, polytoxicomanie, etc., là, ou si ça a toujours été aussi difficile que ça l'est maintenant?

M. Côté (Denis): Non, la réaction de nos membres, par l'expérience qu'ils vivent actuellement, pour eux, il y a toujours... il y a une croissance, il y a une évolution. Je ne sais pas s'il y a un manque de ressources qui est affecté aux différents centres de toxicomanie ou dans des cas de désinstitutionnalisation, mais... avec tous les cas d'itinérance également qui existent dans certains centres urbains... Il reste que, pour nos membres, ils ont l'impression que c'est des problématiques qui vont en augmentant.

M. Dutil: O.K. Donc, elles sont plus difficiles que dans le passé. Un policier d'expérience nous dirait, à votre point de vue, que, quand il a commencé, il y avait moins de ce genre de situations là qu'il y a aujourd'hui.

M. Côté (Denis): Tout à fait, M. le ministre, oui.

M. Dutil: Vous mentionnez, vous êtes tout à fait d'accord que le Directeur des poursuites criminelles et pénales rende publiques les raisons pour lesquelles il ne poursuit pas, j'ai bien compris ça. Vous croyez que ça ne pose pas de problème au niveau de vos membres, ça? Parce que, finalement, les gens qui pourraient s'objecter le plus à ça, c'est souvent ceux qui ne seront pas mis en accusation. Alors, vous nous dites là, si je comprends bien, que non, ça ne pose pas de problème à leur niveau?

M. Côté (Denis): Bien, ça, je pense que ça pourrait rejoindre deux objectifs: de un, la question de la confiance du public. On sait que, pour nous, il y a une question grave en termes de perception. Les gens croient... ils manquent d'information. Les gens apprennent que les dossiers sont fermés, ne sont pas complétés sans connaître les raisons pour lesquelles il n'y a pas eu de mise en accusation. Donc, à ce niveau-là, ça rencontrerait l'objectif de mettre... d'augmenter la confiance du public envers le processus.

Ensuite de ça, pour nos membres, bien, de confirmer effectivement que l'intervention dans laquelle ils ont participé et dans laquelle ils ont travaillé... n'ont pas de responsabilité criminelle, je ne vois pas d'objection de la part de nos membres à cet effet-là; au contraire, ça vient confirmer que l'opération a été faite dans les règles de l'art.

M. Dutil: Vous allez me permettre une remarque, Mme la Présidente, à ce sujet-là, spécifique, là: en général, le Directeur des poursuites criminelles et pénales ne rend pas publiques les accusations qu'il ne fera pas, hein, ce n'est pas public. Mais il faut se rappeler que ceux qu'il pourrait accuser et qu'il décide de ne pas accuser faute de preuve ne savent souvent même pas qu'ils ont été enquêtés, pourraient ne pas savoir qu'ils ont été enquêtés, et le public ne sait pas évidemment qu'ils ont été enquêtés.

Ce qui n'est pas le cas de la situation où il est arrivé une blessure grave ou une mortalité par balle, là c'est public, que c'est arrivé, c'est public, donc il y a une enquête -- ce qui en général n'est pas public -- et c'est public que ce sera acheminé, le cas échéant. Et avec un degré d'incertitude... Parce que j'imagine qu'il y a des situations claires qui ne sont pas acheminées au DPCP, mais que ça pourrait l'être et qu'évidemment... éventuellement, ça fait l'objet d'une décision. Alors, moi, je tiens à... je tenais à avoir cette opinion-là. Je suis content que vous l'exprimiez aussi clairement.

Dans la perception du public, comme vous le mentionniez, il y a des escouades mixtes. On a quatre modèles, je vous dirais: on a le modèle, là, si on se réfère au document de la Protectrice du citoyen, à la page 14 de son mémoire -- je vous le signale pour les membres de la commission, pour les gens qui seraient intéressés, le mémoire est public évidemment -- où on parle de degré d'indépendance des enquêtes. Et on a placé la politique actuelle du Québec à la gauche en termes d'indépendance; en s'en allant vers la droite, on estime que c'est de plus en plus indépendant, le projet de loi n° 46 en deuxième lieu. Et on a placé par la suite l'Alberta, la Nouvelle-Écosse, le Manitoba, la GRC comme étant encore plus indépendants, et finalement l'Ontario, la Colombie-Britannique comme étant celles qui ont la plus grande garantie d'indépendance.

La Protectrice du citoyen a soulevé la possibilité -- ce avec quoi n'était pas d'accord la Ligue des droits et libertés, je vous le mentionne, mais en tout cas revenons à la Protectrice du citoyen -- elle estime qu'on retrouve d'anciens policiers sur un groupe qu'elle appelle mixte, c'est-à-dire des civils et des policiers, serait une formule plus équilibrée, qui permettrait d'avoir à la fois l'indépendance, d'une part, et l'expertise, d'autre part. J'aimerais avoir votre opinion plus en détail sur cette possibilité-là.

M. Côté (Denis): Oui. Bien, il y a plusieurs modèles, comme vous avez mentionné. Bon. L'Ontario a décidé de se doter d'une structure avec des employés civils. Par contre, à l'intérieur de ces employés civils, il y a des anciens policiers; ça a fait l'objet de critiques, compte tenu que ces gens-là pourraient avoir des liens avec leur ancienne organisation. Ça fait que dans le fond on ne s'en sort jamais, en termes de pure indépendance, ça pose toujours un problème. Dans le cas de l'Alberta, de ce que c'est que je connais du dossier, il y a des policiers qui sont en prêt de services au sein de la SIU, donc ils ont toujours leur lien d'emploi avec leur organisation policière.

Moi, je pense que le modèle qui est préconisé dans le cadre du projet de loi n° 46 vient confirmer que l'expertise, l'expertise policière, c'est les organisations policières qui la possèdent. Donc, le policier est mieux placé pour enquêter sur la nature criminelle de l'intervention policière. Et ensuite de ça l'indépendance par un bureau civil de surveillance, bien, pourrait venir confirmer que tout le processus est fait avec toute l'impartialité nécessaire.

Donc, je vais vous dire, je les connais un peu, pour avoir parcouru le Canada, je connais un peu les modèles, mais chaque modèle a son lot de critiques, et je pense qu'on ne s'en sort pas. Si vous avez d'anciens policiers, on va... finalement, les récriminations à l'effet que la personne n'a pas nécessairement abandonné de lien avec son ancienne organisation, et, si c'est des policiers actifs, bien, encore une fois, bien là il y a encore un lien avec l'organisation, donc il n'y a pas toute l'indépendance nécessaire.

Je préfère le modèle qu'il y a au Québec, alors qu'on sait très bien que le policier est imputable en vertu de la Loi sur la police, en vertu de son code déontologique puis en vertu de son code disciplinaire. Et ce n'est pas banal, quand on vous parle de l'article 119, pour ceux qui me connaissent, c'est un irritant majeur dans mes valeurs, mais il demeure tout le moins que c'est une sécurité pour le public.

**(16 h 30)**

M. Dutil: Merci, Mme la Présidente. Le député de Vimont...

La Présidente (Mme Vallée): M. le député de Vimont.

M. Auclair: Merci beaucoup, Mme la Présidente. Messieurs, bonjour. Suite à vos interventions, moi, j'aimerais voir, dans le processus, lorsqu'il y a justement, là, on va dire, le cas actuel, une personne est blessée, tuée par une intervention... dans le cadre d'une intervention policière... On semblait laisser un doute, dans les intervenants précédents, comme quoi le directeur du corps de police responsable doit aviser le plus rapidement possible le ministre. La procédure, en ce moment, elle est... Pouvez-vous nous dire un peu comment ça fonctionne? Est-ce qu'il y a un délai? Est-ce que c'est automatique? Parce que... Est-ce que c'est les nouvelles qui forcent les policiers à agir? C'est quoi, l'étape?

M. Côté (Denis): Bien, dans la politique actuelle, c'est que le directeur de police doit informer le ministre dans l'heure qui suit. Mais, dans le cadre du projet de loi n° 46 et dans les directives -- je parle au conditionnel parce que c'est des directives qui devront être rédigées par la suite -- il reste que plusieurs... il y a plusieurs modalités de prévues, et je pense que ça vient... ça devrait faire en sorte de rassurer la population. Actuellement, c'est une politique. Maintenant, on va l'inclure dans une loi, donc ça a force de loi, c'est quelque chose de plus solide.

Et j'ai entendu les groupes qui ont précédé sur toute la question que les observateurs ont peu de pouvoirs, et j'aimerais ça revenir, si vous me permettez, même si ce n'était pas directement dans votre question. Moi, au contraire, moi, je trouve qu'on accorde beaucoup, beaucoup de pouvoirs à l'observateur. J'ai juste à vous référer à l'article 289.4: «Le Bureau [civil de surveillance des enquêtes indépendantes] a pour mandat de surveiller le déroulement d'une enquête indépendante afin de vérifier si cette enquête est menée de façon impartiale.» Il ne faut surtout pas oublier le deuxième élément de cet article-là: «Il vérifie également l'application des directives établies par le ministre conformément à l'article 289.2 et [...] fait rapport au ministre.»

Donc, il y a aussi... il y a la responsabilité de s'assurer que les directives ministérielles sont suivies à la lettre, et sont appliquées, et que ça reflète, et que ça vient confirmer le statut impartial de l'enquête. Il faut aussi...

M. Auclair: Si vous me permettez...

M. Côté (Denis): Oui.

M. Auclair: Je comprends très bien que là vous allez plus loin dans la loi et... dans le projet de loi, pardon, mais, avant tout, vous me dites: En ce moment, la directive ministérielle, c'est une heure. Après qu'il y a connaissance de l'événement, il y a une obligation dans l'heure qui suit d'aviser le ministre, et le ministre, à ce moment-là, agit.

Là, vous me dites: Là, c'est mieux parce que c'est dans la loi, c'est clair. Il n'y a pas de délai, il n'y a pas de jeu, ou c'est dans la perception de la population. C'est un peu comme ça que vous me le dites, la population, maintenant, étant donné que c'est dans la loi, la population va être beaucoup plus... se sentir beaucoup plus protégée ou va avoir un respect. C'est un peu comme ça que vous me le dites. Je comprends ça?

M. Côté (Denis): Oui, parce qu'avant... Oui. Avant, c'était une politique; maintenant, on va l'enchâsser dans une loi, la loi n° 46. Donc, ça va faire partie de la Loi sur la police, donc ça a un caractère...

M. Auclair: ...une politique. Quand c'est le ministre qui la dicte, la politique, quant à moi, est aussi sévère puis aussi rigide, là. Le ministre dit: Écoute, vous devez me dénoncer ça dans l'heure. Là, je comprends bien qu'on le met dans une loi, mais entre vous et moi, en pratique, ça se fait dans l'heure. C'est ce que... dans le fond, ou c'est, comme diraient certains de nos collègues, est-ce que c'est factuel que ça se fait dans l'heure ou est-ce que c'est tout simplement selon les circonstances?

M. Côté (Denis): Moi, je pense qu'il est de nature à rassurer le public. C'est que maintenant, dorénavant, ça va être sans délai, et ensuite de ça il y a des conséquences et dispositions pénales si un directeur de police ne suit pas les dispositions de la loi. Donc, pour moi...

M. Auclair: ...le directeur de police qui ne le fait pas -- rapidement, rapidement -- qui ne le fait pas, qui ne respecte pas cette directive-là, vous êtes en train de me dire qu'il n'a pas une sanction. Il n'a pas un...

M. Côté (Denis): Actuellement, il n'a jamais été porté à ma connaissance qu'un directeur de police n'avise pas le ministre dans les meilleurs délais, là, d'une intervention qui aurait pu occasionner la mort d'un individu ou de blessure grave. Écoutez, les organisations policières au Québec, là, on est en 2011, c'est des organisations sérieuses, imputables...

M. Auclair: ...

M. Côté (Denis): Non, je sais très bien, mais je vous dis, je veux dire, malgré que ça ne soit pas enchâssé dans la loi, c'est clair que les organisations policières le font déjà, les directeurs de police le font déjà. Cependant, dans l'éventualité où un directeur de police ne le ferait pas sans délai, maintenant il y a des dispositions pénales. C'est de nature... Je crois que c'est de nature à rassurer la population.

La Présidente (Mme Vallée): Je vous remercie. Une chose de factuelle, on est en 2012.

M. St-Arnaud: Vous avez raison, Mme la Présidente. Nous sommes en 2012, déjà.

La Présidente (Mme Vallée): Ça arrive de temps à autre. M. le député de Chambly.

M. St-Arnaud: Mme la Présidente, je salue M. Côté et les gens qui l'accompagnent. Je pense qu'un des problèmes, Mme la Présidente, qui fait que la population manifeste souvent un manque de confiance dans les enquêtes qui sont faites par les policiers sur des policiers vient souvent du fait que la population a l'impression, lors de ce genre d'incident, qu'il y a comme deux poids, deux mesures.

Et je m'explique. Par exemple, dans... Si je prends l'exemple d'un meurtre qui aurait lieu dans une résidence dans le cadre d'une soirée que quelqu'un tient avec des amis, avec sa famille, et un individu cause la mort de sa conjointe... Les policiers arrivent sur les lieux quelques minutes plus tard; rapidement, on va isoler chacun des témoins, rapidement, on va isoler la personne qui aurait causé la mort, de façon à ce qu'il n'y ait pas contamination des différents témoignages. Rapidement, la personne qui aurait causé la mort de l'autre serait interrogée par les policiers dans les heures qui suivent.

Or, la population a l'impression que, quand ce sont des policiers qui sont impliqués, telle n'est pas la procédure suivie. C'est-à-dire que, bien souvent, il n'y aura pas d'interdiction de communiquer entre les policiers impliqués dans l'événement, on n'isolera pas chacun des témoins potentiels de l'événement, bien souvent on n'interrogera les policiers que plusieurs jours, pour ne pas dire plusieurs semaines, après. Et ça avait amené la Protectrice du citoyen à dire... à faire des recommandations en 2010 en disant: Il faudrait par exemple interdire aux policiers impliqués de communiquer entre eux après l'incident dans lequel ils ont été impliqués; il faudrait que les enquêteurs aient l'obligation d'interroger les policiers impliqués dans les 24 heures suivant l'incident.

Et je lisais le mémoire de la Fédération des policiers et policières municipaux de Québec, et vous semblez, M. Côté, un peu juste y dire: Bien, vous savez, là, ce n'est pas simple pour les policiers. Il faut qu'ils retrouvent leurs esprits, il faut qu'ils décompressent, il faut qu'ils prennent un certain recul. C'est pour ça qu'on ne doit pas nécessairement les interroger tout de suite. Je vous avoue que j'ai de la difficulté à comprendre cet argument-là. Et j'aimerais vous entendre là-dessus.

Est-ce qu'il n'y aurait pas lieu... Et est-ce que ça n'assurerait pas, là... Au-delà de tout le reste du projet de loi, est-ce que ça ne rassurerait pas en partie la population, s'il n'y avait pas un certain nombre de balises quant aux enquêtes policières portant sur des policiers impliqués dans des incidents qui causent la mort de citoyens, que de faire un certain nombre de règles comme celles-là? À savoir que, par exemple, les policiers aient l'obligation de ne pas communiquer entre eux, qu'ils soient dans l'obligation de rencontrer les enquêteurs rapidement?

C'est ma première question, qui... Me semble-t-il, s'il y avait de telles balises, là, on aurait déjà une partie du problème, me semble-t-il, qui serait réglée, parce qu'il y a eu des cas célèbres, je ne veux pas y faire référence ici, mais où on... quand le citoyen regarde ça, par le biais des médias, il se dit: Bien, coudon, là, il y a eu... il y a vraiment deux poids, deux mesures.

M. Côté (Denis): Oui, et d'ailleurs c'est la position que le ministère... Le ministère nous a informés que, dans les directives ministérielles qui seraient établies au lendemain du projet de loi n° 46, il y aurait effectivement, à l'intérieur de cette directive-là, une obligation pour les policiers impliqués dans une intervention de ne pas rentrer en contact. Donc, il y a des éléments dans les directives à venir qui devraient rassurer la population.

Et, tantôt, j'ai fait un aparté avec la question des droits et des pouvoirs des observateurs. C'est pour ça que j'insistais pour dire qu'à 289.4, au deuxième paragraphe: «Il vérifie également l'application des directives établies par le ministre...» Donc, l'observateur va avoir le pouvoir, il va avoir même le mandat de s'assurer que les directives ont été suivies à la lettre et que les policiers n'ont pas été en contact entre eux durant ou après... pas durant mais, pardon, après l'événement. Donc, c'est des mesures qui sont susceptibles, et je l'espère bien, d'augmenter la confiance du public envers le processus d'enquête indépendante.

Il y aura toujours un élément... On doit concilier la défense des droits des membres; ils ont le droit à leurs droits fondamentaux, comme l'ensemble des autres citoyens du Québec. On a aussi l'obligation de rendre compte et de collaborer à l'enquête, ce qu'on fait.

D'ailleurs... Mais je veux aussi, et je pense que c'est important de le dire, on doit aussi s'assurer, là, de l'intégrité physique et psychologique, là, des policiers et policières impliqués dans un événement. Donc, ça ne doit pas se faire... leur intégrité physique et psychologique ne doivent pas se faire non plus au détriment du déroulement de l'enquête. On doit concilier l'ensemble des éléments, et je pense qu'à l'intérieur du projet de loi, et avec des directives bien claires, ça devrait être de nature à rassurer le public.

**(16 h 40)**

M. St-Arnaud: Merci. Quant aux pouvoirs des observateurs... ou de l'observateur qui est assigné à un dossier, vous nous soulignez que... par le biais de l'article 289.4, là, vous dites: Finalement, comme il va vérifier l'application des directives, il a peut-être l'air de ne pas avoir tant de pouvoirs que ça, mais il y a déjà pas mal de pouvoirs par le biais du deuxième paragraphe de 289.4.

Il y a des observateurs qui nous disent: Si le ministre va dans le sens de son projet de loi, il faudrait qu'il... Et vous en avez entendus, là, deux... et la Protectrice du citoyen et la Ligue des droits et libertés, un peu plus tôt cet après-midi, qui nous disent: Il y a très peu de pouvoirs, il faudrait qu'il y ait beaucoup plus de pouvoirs.

Je lisais dans La Presse... -- dans La Presse -- dans Le Devoir du 5 décembre 2011, Jean-Claude Leclerc disait: «Pourquoi les surveillants civils ne seraient-ils pas présents à chaque étape de cette enquête policière que l'on prétend indépendante?» Alors, ma question, c'est: Est-ce que vous seriez d'accord avec cette hypothèse, à savoir que les observateurs soient présents à toutes les enquêtes... à toutes les étapes de l'enquête policière, ou à tout le moins à un certain nombre d'étapes, je pense entre autres aux interrogatoires des témoins? Est-ce qu'il n'y aurait pas lieu... Est-ce que ça... Là encore, est-ce que ça ne rassurerait pas davantage la population, si elle savait que les observateurs, qui sont membres du bureau de surveillance, sont présents à chacune des étapes, et donc suivent le processus étape par étape?

M. Côté (Denis): Si vous me permettez, je vais laisser Me Dupras répondre à votre question... au député de Chambly.

M. Dupras (Pierre): Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Vallée): Me Dupras, la parole est à vous.

M. Dupras (Pierre): Bonjour, M. le député de Chambly.

M. St-Arnaud: C'est un plaisir de vous revoir après tant d'années, après tant d'années.

M. Dupras (Pierre): C'est un plaisir de vous revoir aussi et de vous rappeler quelques bons souvenirs, peut-être. Alors, à la question que vous avez posée, et je fais un lien avec les interventions qui ont été faites par les deux groupes qui nous ont précédé, où on décriait l'absence de pouvoirs des observateurs, moi, vraiment, je ne suis pas d'accord. Je pense que les observateurs ont des pouvoirs importants, quand on regarde 289.17, et vous l'avez naturellement envisagé, mais l'observateur pourra demander tout renseignement et tout document qu'il juge utile. Alors, la seule balise, ça va être l'utilité qu'il estime qu'un document pourrait avoir. Alors, c'est éminemment généreux, c'est large, et en réalité il n'y a à peu près pas de limite. Première remarque.

Deuxième remarque, je pense que la crédibilité de cette... comment je dirais, je veux dire, la proposition qui nous est faite, et je suis toujours en lien avec les pouvoirs dont vous parliez, M. le député de Chambly, va aussi dépendre de la qualité des intervenants qui vont être nommés, qui vont être choisis selon les mécanismes qui vont être applicables dans nos circonstances.

Mais, si on a, comment dirais-je, des gens d'expérience, des avocats, des criminologues, des psychologues -- je ne sais pas, moi -- des juges à la retraite qui ont... disposent de pouvoirs comme ceux-là... J'ai essayé de me... pendant que les groupes qui nous précédaient s'exprimaient, j'ai essayé de me représenter comment pourrait, dans les circonstances actuelles, agir un observateur, quelqu'un de responsable, quelqu'un d'expérimenté, quelqu'un de sérieux à qui on confie des responsabilités comme celles-là. Alors, voici qu'une enquête indépendante est déclenchée, on lui confie le mandat. Moi, je suis observateur, là, mais je dis à mon interlocuteur -- l'agent de liaison dont vous parliez un peu plus tôt, M. le député de Chambly -- je dis à l'officier de liaison... je dis: Écoutez, moi, là, 9 heures à tous les matins, je veux que tu m'apportes le compte rendu de l'enquêteur principal au dossier, je veux savoir comment progresse cette enquête-là, et j'aurai d'autres questions à te poser au fur et à mesure.

Vous savez, on ne va pas nommer des gens en culottes courtes, présume-t-on, en tout cas, je pense qu'on est en droit de penser que les gens qu'on va choisir seront des gens qui vont s'acquitter avec intégrité, sérieux et efficacité de leur mandat. Ce sont des gens qui vont être sur la sellette et puis qui devront se justifier peu de temps après la conclusion de l'enquête indépendante. Ils vont devoir faire face au public, là. Alors, ils vont prendre ça au sérieux, et, moi, je pense que les pouvoirs qui sont inclus à l'article 289.17, par exemple, ils sont larges et ils sont suffisants.

Et j'ajouterai ceci, M. le député de Chambly, si vous permettez un commentaire final, j'attire votre attention à ce qui, moi, m'a rassuré. Vous direz, je n'ai peut-être pas l'indépendance, là, de bien d'autres, mais je vous dirai qu'à 289.30 on voit qu'il y a un rapport annuel, et qu'il doit être produit, et puis... ce n'est peut-être pas la bonne disposition. Il y a une disposition où on fait état du... le rapport fait notamment état -- je suis au deuxième alinéa -- «de la vérification effectuée par le bureau concernant l'application des directives...» Et, un peu plus loin, je ne le retrouve pas, mais on prévoit qu'on pourra faire des... Ah! Excusez-moi, j'étais dans la disposition finale, à l'article 8, page 11. Je m'excuse, si je vous ai... «Le Bureau civil de surveillance des enquêtes indépendantes doit, au plus tard trois ans suivant le début [des] activités, faire rapport au ministre sur l'application de la procédure de surveillance de telles enquêtes et peut, le cas échéant, [...] faire des recommandations visant à améliorer [la] procédure.»

Alors, au bout de trois ans d'expérience de notre nouvelle institution, entre guillemets, on aura cette occasion en or de mesurer si, oui ou non, elle fonctionne, par des gens qui se seront consacrés à temps plein, des gens d'expérience, pendant trois ans, à voir si pareil mécanisme peut fonctionner. Alors, on aura l'occasion... et des gens de l'intérieur nous diront: Écoutez, nous, là, on a fait face systématiquement à des, je ne sais pas, moi, à des comportements inacceptables, et ça ne peut pas continuer. Ou encore, on se dira: On a eu du succès. Il y a peut-être des ajustements à faire.

Mais je pense que ça, c'est une garantie importante quand on la combine aux pouvoirs qui sont accordés, quant à... comment dirais-je... les espoirs que permettent d'entretenir ce mécanisme proposé.

La Présidente (Mme Vallée): Merci, Me Dupras. Alors, M. le ministre.

M. Dutil: Oui, Mme la Présidente. Je ne suis pas sûr que la question vous intéresse, mais je vous la pose quand même, parce qu'elle est venue tout à l'heure: Que pensez-vous que... Est-ce que ce bureau-là devrait relever du ministre de la Justice plutôt que du ministre de la Sécurité publique? Quelle est votre opinion là-dessus?

M. Côté (Denis): Me Dupras.

M. Dupras (Pierre): Alors, voyez-vous, je reviens un petit peu au commentaire que je vous faisais précédemment. Peut-être que l'expérience nous dira au bout de trois ans qu'il y a un intérêt, qu'on a de la difficulté à identifier présentement, à ce que, oui, ce soit le ministère de la Justice ou le ministre de la Justice qui, comment dirais-je, qui chapeaute l'organisation ultimement, mais dans l'état actuel de l'affaire, si vous me permettez, en langage vernaculaire, je ne vois pas de raison de se précipiter à un pareil changement... vers un pareil changement.

La Présidente (Mme Vallée): M. le ministre.

M. Dutil: Alors, je comprends que ça ne vous dérangerait pas beaucoup non plus. Et, effectivement, ce n'est peut-être pas le point crucial de notre projet de loi actuellement.

Quand... Là, on parle d'observateur civil qui viendrait observer la collaboration entre les deux, là, vous avez mentionné tout à l'heure qu'on ne nommerait pas, le cas échéant, des gens en culottes courtes, pour bien montrer que ce seraient des gens d'expérience. Je pense que là-dessus, effectivement, c'est très important. J'ai toujours cru qu'il y a les institutions puis il y a aussi les gens qui sont dans les institutions, et qu'il faut avoir de bonnes institutions, mais il faut aussi avoir les bonnes personnes dans les institutions pour les faire fonctionner. Si on n'a pas les deux, on n'a pas une organisation qui fonctionne très bien.

Ceci dit, vous la voyez comment, la collaboration entre des observateurs civils et les policiers qui enquêtent? Parce que, dans les deux autres présentations qu'on a eues, on ne semblait pas voir beaucoup de... Je sais que vous avez effleuré le sujet tout à l'heure, mais j'aimerais bien l'approfondir. Est-ce qu'à votre avis ça va bien aller, ça va fonctionner correctement, ou il va y avoir des frictions puis ça sera inextricable?

**(16 h 50)**

M. Dupras (Pierre): Je vais vous dire, M. le ministre, Mme la Présidente, et je reviens un petit peu à ce que je disais un peu plus tôt... M. le député de Chambly nous parlait de... dans sa question, avait fait une proposition que j'ai omis d'aborder, là, dans ma réponse. Il nous avait demandé ce que nous pensions généralement aussi du fait que des observateurs pourraient, par exemple, assister aux interrogatoires et ainsi de suite.

En lien avec la question que vous nous soulevez, je ne pense pas personnellement que les observateurs, dans l'état actuel de notre projet de loi, je ne pense pas que les observateurs pourraient aller aussi loin que d'assister à des interrogatoires, participer à des... je ne sais pas, moi, des segments d'enquête, à des opérations policières, parce qu'ils deviendraient témoins, et rapidement le budget qui est envisagé deviendrait insuffisant, c'est-à-dire que ces gens-là -- le mémoire en fait une brève mention -- se... deviendraient témoins dans toutes ces affaires-là, sur des voir-dire pour... où on envisage l'admissibilité de déclaration ou dans d'autres matières.

Moi, je pense que l'agent de... les corps de police, un peu à la façon du ministre, vont choisir comme intervenants, comme agents de liaison, comme représentants... ils vont choisir des gens d'expérience. Ils vont choisir des gens d'expérience qui savent qu'entre leurs mains se retrouvent, comment dirais-je, concentrés beaucoup de... pas des pouvoirs, mais des circonstances où ils ont une chance de faire fonctionner un système qui... où tout le monde y trouve son compte.

Alors, je pense que ce choix-là... On parlait des acteurs tantôt, ça va être important. On va choisir des gens d'expérience, c'est l'impression que j'ai. Et je ne vois pas que de part et d'autre un agent de liaison, un policier d'expérience et un observateur d'expérience aussi ne puissent s'entendre. C'est possible. Tout est possible. Mais n'oublions pas qu'il y a une sanction pénale qui... à 310 ou à 311 de la Loi de police qui a été ajoutée pour, comment dirais-je, pour faire en sorte de s'assurer, d'une certaine façon, de la collaboration de cet agent de liaison. Bon. Mais je ne pense pas que ce soit ça qui va régler, là, le sort du comportement de tous les agents de liaison et qu'on peut, je pense bien, dans le cours normal des choses, s'attendre à ce que ce mécanisme-là prenne naturellement son envol avec un peu de bonne volonté de la part de tout le monde.

M. Dutil: Une dernière question quant à moi. Il y a toujours la question de l'information de la famille, et tout à l'heure le groupe de... commission des droits et libertés... pas la commission...

Une voix: La ligue.

M. Dutil: ...la ligue, la Ligue des droits et libertés mentionnait qu'ils estimaient que les familles étaient suffisamment informées de ce qui se passait. J'aimerais vous entendre là-dessus. Est-ce qu'il y a lieu d'avoir une meilleure façon de le faire? Est-ce que vous estimez que la remarque qu'ils faisaient est bien fondée? Et, si oui, comment on procéderait, à votre point de vue?

M. Côté (Denis): D'entrée de jeu, je pense que l'ensemble des intervenants ont mentionné le manque d'information qui transpire des enquêtes indépendantes. Le fait de communiquer davantage d'information aux familles par l'identification d'un agent de liaison qui serait en contact avec la famille, qui pourrait se... qui... le processus de l'enquête, bien, je pense que c'est sûrement des dispositions qui vont être de nature à augmenter la confiance, encore une fois, je le répète, dans le processus d'enquête indépendante et d'éliminer la méfiance, compte tenu du peu d'information qui est diffusée.

M. Dutil: O.K. Donc, la disposition également où on parle d'une certaine aide aux familles pour les frais qu'elles peuvent encourir pour suivre l'enquête du coroner plus particulièrement, etc., est-ce que vous estimez que c'est une disposition qui est...

M. Côté (Denis): Ce n'est pas un élément qu'on a traité dans notre mémoire, mais, écoutez, en termes d'équité puis de donner l'accès à la justice à tout le monde, je n'ai pas d'objection, en autant qu'on fasse une bonne utilisation des fonds publics.

M. Dutil: D'accord. Ça va pour moi, Mme la Présidente. M. le député...

La Présidente (Mme Vallée): M. le député de Vimont.

M. Auclair: Quand j'arrive à vos conclusions, vous dites... dans l'ensemble de l'oeuvre, dans l'essentiel du projet, vous êtes d'accord que le projet de loi s'en va dans la bonne direction. Vous avez quelques préoccupations toutefois par rapport aux règlements qui pourront suivre.

Donc, quand vous dites, dans le projet de loi, vous êtes en accord, vous êtes en accord, et vous l'avez bien mentionné à mon collègue... à l'article 289.17, vous êtes en accord avec le fait justement que les documents, les informations, le rapport même des policiers sera rendu... soit... sera transmis à l'observateur. Ça, c'est un élément que vous n'avez aucun problème.

Parce que, moi, si je compare... Parce que, pendant que vous interveniez, je regardais un petit peu... je faisais référence au projet de loi de l'Ontario, et le rapport de l'ombudsman, qui est très récent, qui faisait état justement des problèmes qu'ils vivent sur le terrain d'avoir justement l'accès à ces documents-là...

Donc, vous, de votre côté, cet élément-là de 289.17 qu'il y a l'accès au rapport du policier, ça va. Vous vivez très bien avec ça, il n'y a aucun problème pour vous que l'observateur puisse mettre la main sur tous les documents, puisse avoir les preuves, l'information générale.

M. Côté (Denis): ...Me Dupras.

M. Dupras (Pierre): Naturellement que les gens qui vont agir comme observateurs devront porter... prêter serment de discrétion comme les policiers, comme plusieurs autres fonctionnaires sûrement, et il n'y a pas de raison de penser que ces gens-là ne respecteraient pas, au contraire, là, leur serment en discrétion. Et je pense que la loi prévoit que tout renseignement... Vous savez, tout renseignement, c'est tout renseignement, alors je pense... Non, moi, ça ne me pose pas de problème. Ces gens-là peuvent être dépositaires -- ce sont des gens sérieux -- de tous les renseignements dont disposera la police, pourront faire un suivi au jour le jour et puis noter les anomalies. Moi, personnellement, je pense que ça ne pose pas de problème.

M. Auclair: Dans les...

La Présidente (Mme Vallée): En 30 secondes.

M. Auclair: En 30 secondes? O.K., bien, je vais... Parce que, dans le processus, au niveau des commentaires, en Ontario, les policiers ont le droit d'avoir, bon, le support d'un avocat. Et, à cet égard, beaucoup d'informations, beaucoup de documents n'étaient pas transmis parce que justement leur avocat conseillait de ne pas transmettre. Donc, moi, je veux juste voir avec vous, sur cet égard, est-ce qu'il va y avoir... il y aurait la même intention, du côté... au Québec, dire: Bon, O.K., finalement, les avocats... Moi, je te représente, comme policier, je te conseille de ne pas transmettre les documents. Donc, vous, qui êtes les représentants, dites: Non, non, non, on vit très bien avec ça, parce que c'est justement dans la question de rendre ça le plus intègre et le plus transparent possible.

M. Dupras (Pierre): Écoutez, non, vous avez changé un peu la question, là, en tout respect, là. Ce n'était pas tout à fait ça que... Oui, je suis à l'aise qu'on transmette des documents, oui. Est-ce que je suis à l'aise qu'on transmette des documents qui sont couverts par le secret professionnel? La réponse, c'est non. Parce que le problème, en toute déférence, auquel vous faites référence, c'est ce problème qu'on a observé dans la décision de Schaeffer, à la Cour d'appel de l'Ontario, c'est probablement ce à quoi vous faites référence. Alors, le problème qui se posait là, c'était qu'on -- je vous vois sourire -- le problème auquel on a fait face là, c'était qu'on se plaignait que des documents privilégiés n'auraient pas été communiqués...

La Présidente (Mme Vallée): Je suis désolée, je suis vraiment désolée, on a dépassé de plus d'une minute... Avec le consentement?

M. Dupras (Pierre): C'est pourtant... oui.

M. St-Arnaud: Oui, oui, Il y a consentement pour terminer en 30 secondes.

La Présidente (Mme Vallée): D'accord.

M. Dupras (Pierre): Parce que c'est un sujet fascinant, ce passage-là en particulier. Alors, essentiellement, ce qui est arrivé... Merci, M. le député de Chambly. Alors, c'est qui est arrivé là-dedans, c'est que le... je pense, c'est Ian Scott, qui était le président de l'unité d'enquête spécialisée en Ontario, se plaignait du fait qu'il ne pouvait pas avoir certains documents qui faisaient partie du... enfin, qui étaient couverts par la confidentialité, là, qui est propre à ce genre de communications là, il s'en plaignait. Et ça, c'est son affaire à lui, parce qu'à mon avis il n'a pas raison de s'en plaindre, mais ça, c'est mon avis.

Ce que je vous dirai maintenant, c'est que les renseignements qui sont couverts à 289.17 ne visent pas, ne visent pas les communications entre l'avocat et quelques policiers qui l'auraient consulté, ne peuvent viser ça, parce que ce sont les... ce qui est visé, à 289.17, c'est tout renseignement ou document qu'il juge utile, naturellement, dans le cadre de la surveillance de l'enquête. Ces documents-là auxquels vous faites référence sont privilégiés et je ne vois pas que notre projet de loi puisse, en tout respect, là, affaiblir, amoindrir ou affecter à la baisse l'importance de ce privilège-là ou la qualité de ce privilège-là.

La Présidente (Mme Vallée): Merci. Alors, M. le député de Chambly.

M. St-Arnaud: Oui, merci, Mme la Présidente. Alors, tout d'abord, je constate que Me Dupras plaide toujours aussi bien que quand il était procureur de la couronne, j'ose à peine dire: Il y a presque un quart de siècle... Me Dupras, ça ne nous rajeunit pas.

Mais... Et je n'essaierai pas de vous convaincre de quoi que ce soit, mais il me semble que, quand je lis 289.17, il me semble que c'est un peu passif, c'est-à-dire que c'est l'observateur qui doit connaître les renseignements et les documents puis qui peut les demander puis les obtenir, c'est lui... Mais, s'il ne connaît pas l'existence de certains renseignements ou de certains documents, il y a... Je voyais, dans les... Il ne pourra évidemment pas le demander, s'il ne sait même pas que les documents existent. Est-ce qu'il n'y aurait pas lieu d'inverser le tout, dans le projet de loi, pour obliger l'agent de liaison... Puis là il y a un autre problème, parce que l'agent de liaison, il n'est pas vraiment partie prenante de l'enquête, donc il ne sait pas nécessairement tout. Mais est-ce qu'il n'y aurait pas nécessité d'obliger l'agent de liaison de fournir un certain nombre de documents, je ne sais pas, qu'on pourrait identifier, qu'on pourrait... Parce que, présentement, quand je lis 289.17, «tout renseignement et document que [l'observateur] juge utile»... mais il ne sait pas nécessairement ce qu'il y a du côté de l'enquête. Alors, est-ce qu'on ne devrait pas inverser ça pour que ça soit... il y ait une obligation de faite de fournir tel, tel, tel document à l'observateur?

**(17 heures)**

M. Dupras (Pierre): D'où l'intérêt, M. le député de Chambly, Mme la Présidente, d'où l'intérêt, à mon avis, de choisir comme observateurs des gens qui ont l'expérience: pas des gens qui ont regardé deux épisodes de Toute la vérité, là, mais des gens qui ont l'expérience de ce domaine-là, des avocats de la couronne, des avocats de la défense, tiens, qui sont habitués de réclamer à peu près tout sauf la chemise de l'enquêteur au dossier, dans les demandes de communication de preuve.

Alors, si on choisissait comme observateurs des personnes qui ont, vous savez, qui ont cette expertise, qui ont cette connaissance, qui sont... qui peuvent faire preuve de sagacité dans ces circonstances-là, qui peuvent aller voir, alors, moi, je vous soumets respectueusement que les... on peut s'attendre à ce que les demandes de ces observateurs-là soient complètes.

De toute façon, les observateurs, je pense bien, vont rapidement, même s'ils n'ont pas d'entrée de jeu une expertise dans ce domaine-là, rapidement ils vont développer une expertise de l'enquête policière. Je pense au Commissaire à la déontologie: vous savez, au début, on a bien vu que... au début de l'institution, là, au début des années quatre-vingt-onze, quatre-vingt-douze, dans ce coin-là, ça a pris un certain temps avant que le Commissaire à la déontologie connaisse véritablement le fonctionnement des enquêtes policières, alors qu'aujourd'hui il les connaît dans les moindres détails, les avocats et puis le commissaire lui-même.

Alors, j'ai l'impression que les observateurs vont rapidement, s'ils ne l'ont pas déjà, acquérir cette expérience qui va faire en sorte qu'ils sauront quoi demander. Par exemple, facilement: Donnez-moi un inventaire des pièces au dossier, M. l'agent de liaison. Je veux ça demain matin, alors débrouillez-vous pour que ça soit à mon bureau demain matin, un inventaire de toutes les pièces au dossier, de tous les rapports au dossier, de tous les témoins qui ont été rencontrés. Et, avec des questions générales comme celle-là, j'ai l'impression que... Un peu comme on les formule en communication de preuves, en demande de communication de preuves.

M. St-Arnaud: Mme la Présidente, je pense que ça ferait un très bon candidat comme... au poste d'observateur.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Dupras (Pierre): Je ne pense pas avoir l'impartialité requise.

M. St-Arnaud: Mais, plus sérieusement, je voudrais revenir... profitant de la... profiter de la présence de Me Dupras, là, qui a une expertise toute particulière là-dedans. Tantôt, à ma question, M. Côté nous a dit que seraient probablement prévues dans les directives certaines balises quant à ce qui doit se passer dans les minutes, les heures qui suivent un événement, et notamment pour les policiers impliqués de rédiger sans délai et sans aucune concertation le rapport d'événements et éventuellement de rencontrer les enquêteurs dans des délais très rapides.

J'aimerais vous entendre comme expert sur les implications juridiques et même constitutionnelles de telles directives. Je sais que c'est un sujet que vous maîtrisez très, très bien, et j'aimerais que vous nous disiez où est-ce qu'il y a des problèmes selon vous par rapport à certaines balises, là, qui sont souhaitées par bien des organismes, et il y en a qui vont être entendus dans les prochains jours là-dessus, là.

M. Dupras (Pierre): Excellent. Je vais vous faire quelques commentaires généraux. Les policiers ont d'abord l'obligation de rendre compte à leur employeur, et ça, c'est une obligation de Common Law et de droit du travail. Alors, quand on a un salaire, on doit faire un rapport pour justifier nos activités, sous peine de sanctions, auprès de notre employeur. Alors, ces rapports-là sont généralement remis assez rapidement. Maintenant, les... Ça, c'est la première chose.

Quant à ces commentaires sur le fait qu'on pourrait isoler les policiers les uns des autres, je vais vous dire qu'il y a, il existe déjà dans différentes directives administratives, dans les modes de fonctionnement... Par exemple, au SPVM -- je regardais ce midi avec un représentant du SPVM -- ça existe, ça, un mode de fonctionnement qui sert à mettre en oeuvre finalement ce qu'on appelle les anciennes politiques ministérielles ou les enquêtes indépendantes sous l'ancienne forme, et puis on prévoit que le deuxième policier qui arrive sur les lieux isole... le superviseur et ainsi de suite isole le policier qui est en cause et probablement les témoins. Là, je ne l'ai pas apprise par coeur. Mais ça existe déjà, et, sincèrement... Naturellement, il y aura à préciser les modalités. Il ne peut pas être question de séquestration, il ne peut pas être question d'être «excommunicado», il ne peut pas être question de... Il y a une limite, là.

Les policiers ont des droits, naturellement, mais avec le principe, je pense, qu'on ne peut, puisqu'il est question de transparence ici puis puisqu'il est question de rassurer le public, on ne peut qu'être d'accord. De toute façon, ça existe déjà, et, que ce soit précisé, à mon avis, tout le monde s'en portera mieux.

M. St-Arnaud: Sur l'obligation de rédiger le rapport d'événements dans des...

M. Dupras (Pierre): Parfait.

M. St-Arnaud: très courts délais...

M. Dupras (Pierre): Oui.

M. St-Arnaud: ...qu'est-ce que vous pensez de ça? Et l'obligation d'en faire un, rapport d'événements, et...

M. Dupras (Pierre): Bien... Et je ne connais pas de dossier où le policier impliqué n'a pas produit le rapport d'événements, puis c'est peut-être arrivé. Moi, je n'en connais pas, et j'ai fait plusieurs de ces dossiers-là. Alors, sur l'obligation de le faire, c'est une obligation -- comment dirais-je? -- qui coule de source du fait qu'on est employé. D'ailleurs, la jurisprudence dominante fait en sorte que ce rapport-là n'est pas admissible contre le policier, parce qu'il est fait sous la contrainte. Bon.

Maintenant, quant aux circonstances dans lesquelles le rapport doit être fait, il faut donner, au lieu... au policier impliqué, il faut lui donner le temps, comment dirais-je, de se remettre de l'événement. C'est-à-dire que d'exiger immédiatement la rédaction d'un rapport comme en Ontario, comme on le voit, vous avez sans doute, à l'occasion de votre préparation, l'occasion de voir les directives en Ontario, et puis on exige ça avant la fin du quart de travail. Bon.

Alors, moi, je vous... ce que je vous dis, c'est qu'il me semble que ça, là, ce n'est pas tenir compte de la situation particulière dans laquelle se trouve le policier qui vient de vivre un événement traumatisant. Il y a quelqu'un qui a été blessé gravement ou qui en est décédé, de son intervention et, dans les commentaires que vous faisait M. Côté un peu plus tôt, bien, il vous disait qu'il y a des familles derrière ça, il y a des individus, et puis ce n'est pas désincarné. Le policier...

M. St-Arnaud: ...vous faites une différence entre un policier qui justement, là, qui subit un certain traumatisme, et un autre individu que je donnais mon exemple tantôt, là, lui aussi, il est peut-être traumatisé d'avoir causé la mort de son épouse et puis... Mais on l'amène rapidement, puis on veut rapidement entendre sa version des faits.

M. Dupras (Pierre): Oui. Mais il ne répondra pas. Le policier est obligé de donner une déclaration, le policier est obligé de faire un rapport.

M. St-Arnaud: Vous faites, c'est ça, vous faites la différence. Parce que le policier, lui, c'est le rapport d'événement, c'est ce que vous dites?

M. Dupras (Pierre): C'est ça. Le policier est obligé de faire son rapport d'événement. Il n'a pas le choix, il doit le faire, tôt ou tard il va le faire. Et puis, et puis la loi, quand il deviendra... et j'avance peut-être un peu dans le temps, mais la loi prévoit, à 263 de la Loi de police, quand il va devenir suspect, on garantit son droit au silence.

Alors, et là j'arrive un peu aux interrogatoires dont vous parliez, là, un peu plus tôt. Donc, le policier a besoin de s'arrêter, il vient de vivre un événement traumatisant. Imaginez, c'est le rapport de police le plus important qu'il rédigera probablement de sa carrière, de sa vie. Il va, à ce sujet-là, ce rapport de police là, il va être contre-interrogé. On a fait une brève référence à l'affaire Villanueva un peu plus tôt et je ne veux pas parler de l'affaire, il y a des commentaires désobligeants qui ont été faits, je vous les récuse, mais je vous dirai ceci: Le policier qui a témoigné dans cette affaire-là a été 11 jours contre-interrogé sur le contenu de son rapport. Alors, vous voyez?

C'est important, là. On n'arrive pas après un événement comme celui-là, il est quatre heures du matin, la Sûreté du Québec descend: Fais ton rapport. Alors, on attend les réponses. Alors, quelles sont les chances dans une pareille situation que des erreurs soient commises, que le policier soit incapable physiquement de se concentrer et de, comment dirais-je, de présenter la version la plus exacte, la plus complète des événements? Alors, ça, il faut prendre ça en compte.

Je pense qu'il est -- je vois qu'on me fait des signes -- je pense qu'il est nécessaire que le policier puisse, non seulement sur le plan de sa santé physique, mais de son intellect, reprendre ses esprits, et qu'on lui donne le temps nécessaire pour pouvoir non seulement se remettre et rédiger, mais consulter aussi un avocat.

La Présidente (Mme Vallée): Je suis désolée, on...

M. St-Arnaud: ...le consentement du ministre. Le temps nécessaire, c'est quoi pour vous, Me Dupras? Parce que certains nous proposent, là, même pas une journée, là.

M. Dupras (Pierre): Ça me semble déraisonnable. Ça me semble parfaitement déraisonnable. Il faut penser en termes de quelques jours sûrement, le temps qu'il se remette, le temps qu'il consulte un avocat. Vous savez, n'importe qui qui se retrouverait dans des circonstances où une personne est décédée suite à son action et qui sait maintenant qu'il y a une enquête policière à ce sujet-là a le droit de consulter un avocat; il va vouloir consulter un avocat et c'est nécessaire qu'il le fasse.

M. St-Arnaud: Je termine là-dessus, Mme la Présidente, là. Mais est-ce que ce n'est pas justement... si, par exemple, parce qu'on risque d'avoir à se poser ces questions-là, on met sept jours ou cinq jours, est-ce que ça ne vient pas... est-ce que la population qui regarde ça dit: Bien, c'est ça. Les policiers, eux autres, ils vont avoir le temps de retourner chez eux, de relaxer, puis de parler à bien du monde, puis cinq jours ou trois jours ou sept jours plus tard, ils rédigeront leur rapport d'événement. Est-ce que le... Parce que la préoccupation de mettre ça dans les 24 heures, c'est justement s'assurer ou, comme vous dites, dans le quart de travail, c'est de s'assurer que ça se fait, là, puis qu'il n'y a pas d'interférence. Est-ce qu'il n'y a pas un problème à mettre un certain nombre de jours, parce que, là, on revient avec le problème de la confiance de la population?

M. Dupras (Pierre): Si vous les mettez en opposition, donc la situation d'un individu qui ne serait pas policier qui, lui, on l'interrogerait tout de suite, oui, mais il ne donnerait pas de déclaration. Le policer doit.

M. St-Arnaud: ...oubliez ça. Oubliez ça, puis parlons du rapport d'événement. C'est-à-dire que le rapport d'événement, est-ce que la population qui... la population qui regarde ça...

M. Dupras (Pierre): Oui.

M. St-Arnaud: ...je comprends qu'un individu n'a pas à faire de rapport d'événement, mais la population, elle regarde ça, elle dit: Le policier, il va... il a trois jours, il a cinq jours, il a sept jours pour faire son rapport d'événement. Est-ce que la population qui regarde ça dit: Bien, c'est ça, il va... Est-ce que ça ne pose pas un problème de confiance que semble avoir en partie réglé l'Ontario, d'après ce que vous me dites, en mettant le quart de travail comme échéance?

**(17 h 10)**

M. Dupras (Pierre): Je pense que le... oui, ça va. Je pense que, sincèrement, M. le député de Chambly, je pense que le public, bien informé des circonstances générales dans lesquelles se produisent ces choses-là... Il n'y a pas de circonstances générales, mais des circonstances, comment dirais-je, d'intensité, les caractéristiques d'intensité, de pression, d'enjeux qui sont propres à ce genre de circonstances. Le public bien informé, à mon avis, ne verrait pas d'un oeil réprobateur le fait qu'on accorde du temps aux policiers pour rédiger.

Naturellement, là, je ne suis pas en train de vous dire que c'est cinq, c'est sept, c'est neuf, c'est trois. Ça, ça sera dans les discussions que vous aurez tous et, je l'espère, avec les représentants des policiers. Mais un délai de 24 heures, à mon avis, c'est parfaitement déraisonnable. Les risques d'erreurs, les risques d'incongruités, les risques de problèmes sont beaucoup plus grands que les avantages qu'on pourrait, à mon avis, en retirer.

La Présidente (Mme Vallée): Merci. Alors, Me Dupras, M. Côté, M. Aubé, Me Bélanger, merci de votre participation aux travaux de la Commission des institutions.

Alors, compte tenu que nous avons épuisé notre ordre du jour, la commission suspend ses travaux... ajourne ses travaux, pardon, jusqu'à demain matin.

(Fin de la séance à 17 h 11)

Document(s) related to the sitting