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Version finale

41st Legislature, 1st Session
(May 20, 2014 au August 23, 2018)

Thursday, November 24, 2016 - Vol. 44 N° 155

Special consultations and public hearings on Bill 113, An Act to amend the Civil Code and other legislative provisions as regards adoption and the disclosure of information


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Table des matières

Auditions (suite)

Barreau du Québec

Directeurs et directrices de la protection de la jeunesse

Femmes autochtones du Québec inc. (FAQ)

Innu Takuaikan Uashat mak Mani-Utenam (ITUM) et Uauitshitun

Conseil de la nation atikamekw (CNA)

Intervenants

M. Guy Ouellette, président

Mme Stéphanie Vallée

Mme Véronique Hivon

M. Simon Jolin-Barrette

Mme Lise Lavallée

*          M. Dominique Trahan, Barreau du Québec

*          Mme Sylvie Champagne, idem

*          Mme Catherine Brousseau, idem

*          Mme Caroline Brown, directeurs et directrices de la protection de la jeunesse

*          M. Eric Salois, idem

*          Mme Annick Bergeron, idem

*          Mme Nicole Anne Vautour, idem

*          Mme Alexandra Laberge, idem

*          Mme Viviane Michel, FAQ

*          Mme Cynthia Smith, idem

*          Mme Virginie Michel, ITUM et Uauitshitun

*          Mme Nadine Vollant, idem

*          M. Sébastien Grammond, idem

*          M. Constant Awashish, CNA

*          Mme Alice Cleary, idem

*          Mme Anne Fournier, idem

*          M. David Boivin, idem

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Onze heures trente et une minutes)

Le Président (M. Ouellette) : À l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.

La commission est réunie afin de poursuivre les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 113, Loi modifiant le Code civil et d'autres dispositions législatives en matière d'adoption et de communication de renseignements.

M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements?

Le Secrétaire : Oui, M. le Président. Mme Roy (Montarville) est remplacée par Mme Lavallée (Repentigny).

Le Président (M. Ouellette) : Nous entendrons, cet avant-midi, le Barreau du Québec et les directeurs et directrices de la protection de la jeunesse.

Auditions (suite)

Représentant le Barreau, nous avons le président du Comité en droit de la jeunesse, Me Dominique Trahan. Vous allez nous présenter les gens qui vous accompagnent, Me Trahan. Vous avez 10 minutes pour faire votre présentation aux membres de la commission, et après il y aura un échange avec Mme la ministre et les porte-parole des deux oppositions. Je vous cède le plancher.

Barreau du Québec

M. Trahan (Dominique) : Alors, M. le Président, Mme la ministre, Mmes et MM. les membres de la commission, bonjour. Je suis Dominique Trahan, président du Comité en droit de la jeunesse du Barreau du Québec et avocat à l'aide juridique de Montréal. Je suis accompagné, à ma droite, de Me Catherine Brousseau, directrice des bureaux d'aide juridique de Drummondville et Victoriaville et membre du Comité en droit de la jeunesse; à ma gauche, Me Ana Victoria Aguerre, secrétaire du comité au Barreau; et, à mon extrême droite, Me Sylvie Champagne, secrétaire du Barreau du Québec.

Alors, le Barreau du Québec a pris connaissance du projet de loi n° 113, modifiant le Code civil et d'autres dispositions législatives en matière d'adoption et de communication de renseignements, et vous soumet ses commentaires généraux et recommandations.

D'entrée de jeu, le Barreau tient à souligner que l'enfant est un sujet de droit au coeur même du processus d'adoption. C'est dans ce contexte que le Barreau invite le législateur à prévoir dans le projet de loi une disposition confirmant l'importance pour les enfants visés dans un processus d'adoption d'être systématiquement représentés par un procureur comme ils le sont en vertu de l'article 80 de la Loi de la protection de la jeunesse. Si l'intérêt de l'enfant est le principe cardinal en droit de la jeunesse, il va de soi que ces mêmes intérêts doivent être adéquatement représentés dans toute instance qui le concerne, soit dans les cas où il est appelé à donner son consentement et, a fortiori, dans les cas où il lui est impossible de le faire, notamment à cause de son âge. Alors que le projet de loi confirme la possibilité de procéder à l'adoption ouverte de même que la possibilité de conclure des ententes visant le maintien des relations interpersonnelles avec les parents d'origine, il apparaît important que l'enfant, peu importe son âge, puisse être systématiquement représenté afin de permettre au juge de prendre une décision éclairée eu égard au meilleur intérêt de l'enfant.

Par ailleurs, nous constatons que l'adoption ouverte prévue dans le projet de loi poursuit un objectif purement identitaire ne laissant pas subsister de droits et d'obligations entre l'adopté et sa famille d'origine. Le Barreau prend acte de ce choix mais estime que certains aspects pratiques du projet de loi à cet égard doivent être repensés. En effet, le projet de loi prévoit que le tribunal ne peut prononcer une ordonnance de placement en vue d'une adoption assortie d'une reconnaissance d'un lien préexistant de filiation que si cette reconnaissance est dans l'intérêt de l'enfant, afin de protéger une identification significative à son parent d'origine.

Ainsi, le projet de loi introduit la notion d'«identification significative» pour déterminer la forme d'adoption en instance. Le Barreau suggère d'ajouter au projet de loi des critères ou des éléments permettant de définir cette expression. En effet, dans les cas d'adoption d'enfants en bas âge qui n'auront vraisemblablement pas eu le temps de connaître le parent d'origine, une interprétation restrictive de l'identification significative à son parent d'origine pourrait avoir pour effet de rompre le lien entre l'enfant et sa famille d'origine, notion beaucoup plus large, qui englobe notamment la fratrie et les grands-parents.

De plus, le projet de loi prévoit que, lorsqu'un médecin conclut qu'un préjudice risque d'être causé à la santé de l'adopté, du parent d'origine ou de l'un de leurs proches liés génétiquement, si l'un de ceux-ci est privé des renseignements qu'il requiert, il peut obtenir des autorités médicales concernées les renseignements médicaux requis, sous réserve du consentement de celui dont les renseignements sont demandés. À défaut de consentement, l'obtention de ces renseignements est assujettie à l'autorisation du tribunal. Bien que l'objectif de cette disposition est louable, nous considérons que le libellé proposé aurait avantage à être clarifié particulièrement en ce qui a trait à l'identité de la personne qui doit saisir le tribunal. Il y aurait lieu de spécifier cette information pour faciliter la mise en application de ce mécanisme. À ce sujet, il y aurait lieu de considérer la contribution évidente du directeur de la protection de la jeunesse, étant donné qu'il est le seul à connaître l'identité de toutes les parties, particulièrement celle du parent d'origine, qui n'est connue que de lui. Dans ce contexte, l'avocat de l'enfant pourrait encore une fois être d'une grande assistance.

Dans un autre ordre d'idées, nous constatons que l'apposition des noms des parents biologiques et des parents adoptifs dans le certificat de naissance est délicate et potentiellement stigmatisante. Pour cette raison, nous considérons qu'il y aurait lieu de prévoir une autre façon de faire. Le Barreau propose que l'inscription des parents d'origine se fasse dans un document annexé au certificat de naissance, et non pas dans l'acte lui-même.

Par ailleurs, si le Barreau est en faveur de toute initiative qui vise à confirmer le droit aux origines, il est toutefois en faveur du respect de toute interdiction de communication ou de contact que les parents biologiques ont pu formuler. En effet, bien que le droit de connaître ses origines soit important, il n'est pas, à ce jour, reconnu comme étant un droit fondamental, alors que le droit au respect de la vie privée est expressément prévu à l'article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne et implicitement protégé par l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Or, comme tout droit fondamental, le respect de la vie privée n'est pas illimité. Dans ce contexte, le Barreau s'interroge sur la portée de ce droit. Une fois le parent biologique décédé, il sera intéressant de voir comment les tribunaux interpréteront la possibilité de lever le veto post-mortem au bénéfice de l'enfant, eu égard aux critères de l'expectative de vie privée du défunt. De plus, le Barreau s'interroge sur la mise en oeuvre concrète qui pourra être faite de la levée du veto post-mortem.

Alors que le projet de loi prévoit que les interdictions formulées doivent être respectées durant la vie du parent biologique, nous avons certaines préoccupations au sujet de fratries qui ne pourraient pas bénéficier des retrouvailles dans un contexte d'application du veto par le parent biologique — par exemple, on pense à des frères et soeurs adoptés par des familles différentes qui ne pourraient pas se retrouver, puisqu'ils ne connaissent pas l'identité de leurs parents d'origine. Nous suggérons donc de créer un mécanisme qui permettrait à l'adopté de retrouver sa fratrie et les autres membres de la famille du défunt dans les cas où il ne pourrait être informé de l'identité de son parent. Je passe la parole à Me Champagne.

Le Président (M. Ouellette) : Me Champagne.

• (11 h 40) •

Mme Champagne (Sylvie) : Nous avons suivi vos travaux. Nous sommes d'avis qu'il n'est pas justifié de prévoir que le consentement spécial à l'adoption soit fait par acte notarié. Premièrement, il n'y a pas de problématique documentée au niveau des consentements spéciaux. Comme vous le savez, en vertu de l'article 548 du Code civil du Québec, le consentement à l'adoption est donné par écrit devant deux témoins. Deuxièmement, c'est au tribunal à qui revient la mission de vérifier la validité des consentements, tel que prévu à l'article 568 du Code civil du Québec.

Enfin, nous croyons qu'il est essentiel de conserver la souplesse prévue aux articles 557 et 558 du Code civil du Québec, qui prévoient la possibilité de rétracter le consentement. Ainsi, procéder par acte notarié viendrait complexifier inutilement la procédure. Il ne faut pas oublier qu'un acte notarié est un acte authentique qui oblige une procédure de contestation — anciennement l'inscription en faux, maintenant demande de contestation — en vertu de l'article 258 du Code de procédure civile. Je cède maintenant la parole à Me Brousseau.

Mme Brousseau (Catherine) : Alors, le projet de loi prévoit également la possibilité pour la famille adoptive et la famille d'origine de conclure une entente facilitant la communication de renseignements concernant l'enfant ou permettant des relations interpersonnelles. De l'avis du Barreau, il s'agit là d'une possibilité intéressante mais qui n'est pas suffisamment balisée par le projet de loi actuel tant au niveau du fond que de la forme. Par exemple, quel est le statut juridique de cette entente? Quelle forme doit prendre l'entente? À quel moment doit-elle être conclue? De quelle manière peut-elle être modifiée? À défaut de prévoir ces éléments, qu'arrivera-t-il si l'entente n'est pas respectée?

Il semble au vu du projet de loi que l'entente n'a pas à être entérinée par le tribunal pour avoir des effets. Certes, cela peut faire preuve d'une grande souplesse, mais ça amène beaucoup d'incertitude et, potentiellement, certaines injustices. À titre d'exemple, on peut anticiper que certains parents biologiques s'engagent à ne pas contester l'adoption en raison de l'entente qui leur permettrait de maintenir des liens avec leur enfant. Dans ce contexte, comment s'assurer de la mise en oeuvre de l'entente? En outre, il ne faudrait pas que cette entente devienne un élément utilisé pour témoigner du consentement libre et éclairé d'un parent biologique à l'adoption. Également, le Barreau s'inquiète du fait que ces ententes ne soient pas élaborées dans le réel intérêt de l'enfant, mais plutôt dans un contexte de marchandisation de l'enfant à adopter. Ainsi, dans un souci de prévisibilité et de sécurité juridiques, le Barreau considère que l'entente doit être entérinée pour avoir des effets et suivre une forme de contrôle. Le projet de loi doit déterminer quel est le tribunal qui aura juridiction pour entendre ces demandes. À défaut de faire ces ajouts, les ententes n'auront aucune valeur ajoutée par rapport à la situation actuelle.

Finalement, nous tenons à souligner qu'en vertu du projet de loi le consentement de l'enfant de 10 ans et plus est nécessaire afin de confirmer la validité de l'entente de communication entre ce dernier et ses parents biologiques. À cet égard, le Barreau réitère que la représentation de l'enfant par procureur est essentielle.

Alors, nous sommes disponibles pour répondre à toute question que vous pourriez avoir sur ces sujets ou sur d'autres. Merci.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Merci beaucoup. Merci de votre participation à nos travaux. On va prendre quelques minutes pour saluer nos collègues, également, dont plusieurs sont membres du Barreau, qui sont dans la salle, les juristes de l'État qui sont présents avec nous aujourd'hui puis encore une fois réitérer le désir de vous retrouver autour de la table de négo. On vous aime beaucoup, on apprécie votre présence ici, mais c'est à la table de négo, et puis on espère pouvoir compter sur vos précieux services assez rapidement. Alors donc, ce petit message a été fait, parce que je sais que c'est une préoccupation aussi que partage le Barreau du Québec.

Pour ce qui est de votre mémoire, fort intéressant, vous abordez un enjeu qui n'a pas été abordé de façon aussi claire par ceux et celles qui se sont présentés jusqu'à date, soit la représentation de l'enfant au coeur de l'ensemble du processus. Actuellement, on a des dispositions à l'intérieur du Code de procédure civile, qui permet... et c'est, entre autres, l'article 90 du Code de procédure civile qui prévoit que la représentation peut, tant dans une procédure contentieuse que non contentieuse, être ordonnée par le tribunal. Vous, ce que je comprends, c'est que vous souhaitez que la représentation de l'enfant soit clairement établie dans les dispositions touchant l'adoption à tout point, à toute étape à l'intérieur du processus. Donc, est-ce que vous croyez... Je comprends donc que, pour vous, 90 du Code de procédure civile et la discrétion du tribunal d'ordonner la nomination d'un procureur à l'enfant, ce n'est pas suffisant. Puis pourquoi vous présentez cette demande-là aujourd'hui?

Est-ce qu'il y a des éléments, au cours des années, qui ont amené le Barreau à reconnaître que, faute d'une obligation précise d'avoir un procureur à l'enfant, il pouvait survenir, malgré la présence des dispositions du Code de procédure, des enjeux particuliers pour les enfants où l'intérêt de l'enfant pourrait ne pas être considéré à sa juste mesure dans les dossiers?

(Interruption)

Mme Vallée : Ah! puis, on s'excuse, il y a des travaux à l'extérieur. Parfois, ça met une musique ambiante qui n'est pas toujours agréable.

M. Trahan (Dominique) : Alors, sur cette question...

(Interruption)

M. Trahan (Dominique) : En autant qu'il ne m'arrive pas dans le pied, ça va aller.

Des voix : Ha, ha, ha!

M. Trahan (Dominique) : Alors, sur cette question-là de la représentation de l'enfant, c'est qu'il y a beaucoup d'enjeux en première instance, et, si ce n'est pas systématique, à l'occasion, quand les dossiers vont en appel, il faut refaire les devoirs, il faut recommencer, et c'est peut-être tardif. Et il y a des décisions qui ont été rendues dernièrement, ces dernières années, par la Cour d'appel du Québec, qui a nommé un procureur à l'enfant au niveau d'auditions à la Cour d'appel. Alors, c'est pour ça qu'on trouvait qu'il est nécessaire que ça puisse et que ça doive se faire dès la première instance dans ce contexte-là comme ça se fait dans d'autres lois qui sont applicables aux enfants.

Mme Vallée : Et je comprends que, pour vous, cette présence d'un procureur à l'enfant pourrait aussi être fort utile dans le contexte de la négociation d'une convention entre les parents adoptants et les parents d'origine.

M. Trahan (Dominique) : Effectivement. À toutes les étapes du processus ou les nouvelles étapes qui prendraient naissance à travers le projet de loi.

Mme Vallée : Est-ce que vous voyez la nécessité de prévoir, outre la nomination d'un procureur à l'enfant, un mandat particulier ou des éléments particuliers qui devraient être considérés?

M. Trahan (Dominique) : Bien, si je compare avec d'autres domaines de droit où le procureur à l'enfant est présent — et moi, j'emploie l'expression «les enfants sans voix» — le procureur à l'enfant, à ce moment-là, représente l'enfant dans le contexte d'un mandat légal, par opposition à un mandat conventionnel qui lui est transmis par le client. Le procureur à l'enfant, dans ces circonstances-là, n'est pas amicus curiae, il est avocat à l'enfant et doit faire valoir les droits et les intérêts de l'enfant. Alors, dans ce contexte-là, c'est les paramètres de la loi applicables qui le guident dans la façon de remplir son mandat, et, à ce moment-là, ça serait les mêmes critères ici, les critères qui seraient applicables à l'adoption ou aux différentes procédures en l'espèce, qui guideraient l'avocat dans la représentation de l'enfant.

Mme Vallée : Sur, justement, les ententes de communication, on a eu quand même plusieurs représentations, comme vous avez pu le constater lors de nos travaux, sur les modalités puis l'utilisation de ces ententes-là comme moyens, puis vous l'avez mentionné, de chantage entre les parties. L'objectif derrière la disposition, c'est vraiment de permettre aux familles d'origine et à la famille adoptive de pouvoir conclure des ententes dans l'intérêt de l'enfant, des ententes de communication qui visent l'intérêt de l'enfant sans nécessairement toujours solliciter une intervention judiciaire, ce qui contribue à l'accumulation de délais et, parfois, à la surcharge des tribunaux. Et parfois les délais aussi pour les familles vont plutôt décourager les familles de conclure des ententes, parce qu'elles doivent nécessairement être homologuées. Donc, moi, j'aimerais comprendre vos craintes.

Puis est-ce qu'il n'y aurait pas un moyen de prévoir un encadrement qui ne serait pas nécessairement et systématiquement présenté devant le tribunal? Est-ce qu'il pourrait y avoir des enjeux soumis au tribunal, des éléments qui n'ont pas besoin d'être soumis au tribunal? Avez-vous une idée ou une proposition qui pourrait nous guider quant à l'encadrement?

Le Président (M. Ouellette) : Me Brousseau.

Mme Brousseau (Catherine) : Oui. Si on regarde comment ça se passe, dans le fond, soit on a un consentement spécial à l'adoption ou une déclaration d'admissibilité à l'adoption.

Alors, c'est sûr que, dans le cadre du consentement spécial, ce que je lis au projet de loi, c'est que, là, celui qui donne son consentement devra dire aussi s'il est d'accord avec une adoption ouverte ou une adoption plénière et, par la suite, c'est au moment de l'ordonnance de placement qu'on regardera s'il pourra y avoir des ententes de communication, et tout ça. De toute façon, ce processus-là se fait devant le tribunal. Alors, oui, il peut y avoir, je dirais, des communications entre les parties pour faire une entente à l'amiable, si vous voulez, mais je pense que ça n'alourdit pas le processus, que l'entente soit homologuée en même temps, finalement, qu'on est déjà devant le tribunal. C'est sûr que, si on veut la faire plus tard, ça pourra toujours être possible aussi, mais je pense que, souvent, ces discussions-là vont souvent se faire au départ, quand on va déterminer quel type d'adoption il va y avoir, parce qu'il va falloir se poser la question : Est-ce qu'il y a un lien significatif? Est-ce qu'on veut garder une identité aux parents d'origine?

Donc, c'est quand on va faire, je pense, toutes ces discussions-là pratico-pratiques que ça va se passer.

Si je prends la déclaration d'admissibilité à l'adoption, il ne faut pas oublier qu'à ce moment-là c'est la directrice de la protection de la jeunesse ou le directeur qui présente cette demande-là, et là les parents sont au coeur même du processus, dans le sens où ils peuvent être en désaccord, être représentés, et tout ça, alors que, quand on va arriver à la requête pour ordonnance de placement, ils ne sont plus, là, déjà partie au processus, pas plus que l'enfant, il ne reste que les adoptants. Alors, d'où l'importance, nous, on dit, que l'enfant soit présent, que l'enfant soit représenté à toutes ces étapes-là, qui sont nouvelles, où il y aura des décisions qui vont se prendre dans leur intérêt, mais aussi sur le fait que tout ça doit se faire et être balisé par le tribunal et non pas à l'extérieur.

• (11 h 50) •

Mme Vallée : Est-ce qu'une fois l'entente homologuée... Parce que vous dites : Dans plusieurs cas, ça se fait à l'intérieur du processus global. Mais il y a cette nécessité de revenir devant le tribunal pour y apporter toute forme de modification.

Mme Brousseau (Catherine) : Oui. Effectivement. Puis, je vous dirais, si on prend pour acquis aussi... Dans le projet de loi, on dit que l'enfant de 10 ans et plus doit y consentir. Alors, pour s'assurer du consentement... là, je comprends qu'on peut faire des ententes entre nous, mais là, si on a un parent adoptif qui dit : Non, l'enfant ne veut pas, l'autre qui dit : Oui, mais moi, je ne suis pas sûr qu'il ne veut pas, c'est peut-être... Bon, peut-être qu'il veut, mais il y a un conflit de loyauté, là, entre les deux familles. Alors, on n'aura pas le choix, à un moment donné, d'aller vers un processus, soit vers un procureur à l'enfant, pour avoir vraiment une opinion neutre de l'enfant. Et je pense que le retour au tribunal est un peu tributaire de ça. Que ce soit comme en matière de protection de la jeunesse, en matière de tutelle, quand on confie l'enfant au tuteur, le juge peut déterminer quels seront les droits d'accès avec les parents, les grands-parents. Et, si jamais on veut changer les modalités, bien, on revient au tribunal, tout simplement, pour dire qu'est-ce qui a changé et puis qu'est-ce qu'on peut modifier, là. Puis ce n'est pas plus lourd, selon moi, que... Je ne pense pas que ça alourdit le processus, là, de faire ça, parce que ça va demeurer quand même, je pense, exceptionnel... ou, en tout cas, pas suffisamment pour engorger les tribunaux, en tout cas, avec ce genre de demande.

Mme Vallée : Je vous écoute, et il me vient une idée. Croyez-vous qu'une modification d'entente pourrait faire l'objet d'un processus de médiation?

Mme Brousseau (Catherine) : Bien, je pense que ça pourrait effectivement être le cas, là. C'est sûr qu'on n'a pas discuté de cette solution-là au sein du comité du Barreau, mais je pense qu'on n'a jamais été contre le fait que le processus de médiation pourrait être possible, là, avant d'en arriver de se rendre au tribunal. Tout à fait.

Mme Vallée : Bien, vous mentionnez qu'il pourrait être préjudiciable pour l'enfant d'avoir une référence à son statut d'adopté sur son certificat de naissance, vous mentionnez l'idée d'avoir un document distinct. Quelle forme pourrait prendre ce document distinct?

Mme Brousseau (Catherine) : Bien, un peu, je pense, ce qui a déjà été mentionné, que parfois on a un acte authentique au long, là, avec toutes les mentions, où il pourrait y avoir effectivement le nom des deux parents biologiques, des deux parents adoptants... mais un document peut-être plus concis qui pourrait être pour les demandes de la vie courante, que ce soient les passeports, peu importe, là, pour l'inscription à l'école, où cette mention-là n'apparaît pas, donc, où on pourrait quand même garder un peu le caractère privé, là, de ces informations-là, tout simplement.

Mme Vallée : Certains nous recommandaient que l'ensemble du dossier d'adoption et les informations contenues soient consignés au Directeur de l'état civil plutôt qu'à la direction de la protection de la jeunesse pour en permettre, le cas échéant, la divulgation à l'adopté ou aux parents biologiques. Qu'est-ce que vous pensez de cette proposition? Parce qu'on nous dit : Bon, la protection de la jeunesse est un organisme qui est là. Lorsque l'enfant est mineur, ça va, mais, bien souvent, ces demandes de divulgation d'informations vont survenir beaucoup plus tard dans le cheminement d'une personne, donc la protection de la jeunesse n'a plus ou moins sa raison d'être.

Et donc l'État civil, considérant qu'il consigne déjà bon nombre d'informations concernant les citoyens, serait peut-être le plus apte... ou l'autorité la plus compétente pour consigner l'information et la divulguer à ceux et celles qui auront droit de recevoir l'info.

Mme Brousseau (Catherine) : Par rapport cette question-là, ce n'est pas un sujet qui avait été discuté, là, ça n'apparaît pas non plus dans nos documents, donc je serais mal à l'aise de répondre pour le comité. Mais je pense qu'il y a du pour et du contre, là, dans les deux propositions, mais on n'avait pas vraiment, là, de position à cet égard-là, sur qui devrait regarder les données.

Mme Vallée : Vous avez abordé dans votre mémoire puis dans votre présentation la question du respect de la vie privée, donc la possibilité pour un parent de maintenir ce refus de communication d'information, ce refus de contact.

Plusieurs groupes demandent, au nom du droit de l'adopté de connaître ses origines et de pouvoir transmettre la bonne information, d'avoir les bonnes informations concernant les informations qui touchent la santé de ses parents, des questions fort importantes. Certains groupes nous demandent de faire tomber le droit de refus, donc de ne pas permettre un droit de refus à un parent. Me Alain Roy, hier, proposait une alternative mitoyenne, c'est-à-dire de maintenir le droit de refus à l'intérieur du 12 mois de la naissance de l'enfant mais de permettre, au moment de la majorité de l'enfant, aux parents de réviser ce droit de refus là. Donc, lorsque l'enfant, rendu adulte, manifestera un désir de connaître ses origines, eh bien, le veto ne sera pas... le droit de refus ne sera pas une porte cadenassée à tout jamais mais pourra être révisé.

Que pensez-vous de cette possibilité-là qui pourrait être donnée à un parent de réviser un droit de refus prévu à une autre époque et de revenir et de permettre cette communication-là?

Mme Brousseau (Catherine) : Bien, je vous dirais que la position du Barreau, antérieurement, là — on me corrigera si je me trompe — a toujours été, effectivement, de respecter le veto, de respecter le droit à la vie privée, et tout ça.

Ceci étant dit, étant entendu qu'effectivement il y a eu des adoptions qui se sont faites à une époque où c'était stigmatisant, où c'était mal vu... mal vu, entre guillemets, là, mais où c'était plus stigmatisant et on se disait : Bien, il faut respecter le choix que ces personnes-là ont fait à l'époque... On est rendus en 2016. C'est sûr que, ces situations-là, peut-être qu'il y en a de moins en moins. On se dirige peut-être maintenant vers d'autres types d'adoption. Ce n'est plus les adoptions qu'on a connues à l'époque. Donc, c'est de trouver un équilibre dans tout ça, dans ce qui peut être fait versus vie privée, versus droit de connaître ses origines.

Nous, tout ce qu'on dit, simplement, c'est qu'actuellement le droit à la vie privée est enchâssé dans la charte, effectivement on est conscients aussi du droit aux origines, qui est dans la convention relative aux droits des enfants, et c'est deux droits donc qu'il faut balancer. Comment on peut le faire? On n'a pas nécessairement regardé les mécanismes, mais j'ai bien entendu Me Roy hier dans ce qu'il proposait, mais je pense que c'est là qu'il faut trouver l'équilibre et regarder aussi comment les tribunaux vont interpréter tout ça, dans la mesure où effectivement on a un droit qui est enchâssé dans la charte et un autre droit qui tire ses origines d'ailleurs et qui peut-être, là, actuellement, n'a pas le même poids. Mais, à ce moment-là, il faudra regarder quel est le poids qu'on veut donner à l'autre droit et voir est-ce qu'on veut les mettre au même pied d'égalité dans la balance.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Me Brousseau. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon : Oui. Merci beaucoup, M. le Président. Alors, bonjour à vous quatre, merci beaucoup d'être parmi nous. Moi aussi, je vais prendre quelques secondes pour saluer les juristes de l'État, qui suivent assidûment nos travaux. Donc, on va avoir beaucoup d'experts en adoption quand ils vont retourner, on le souhaite, le plus tôt possible, avec des négociations fructueuses dans les différents ministères.

Donc, écoutez, merci beaucoup pour vos commentaires. D'abord, vous êtes les premiers qui nous dites qu'on devrait définir ce qu'est l'identification significative. Est-ce que vous pouvez nous dire comment vous voyez qu'on pourrait définir ça? Est-ce que c'est parce que, pour vous, c'est quelque chose qui pourrait poser problème? J'essaie de comprendre pourquoi vous nous faites cette demande-là.

• (12 heures) •

Mme Brousseau (Catherine) : Si vous me permettez.

Bon. Moi, je pratique surtout en droit de la jeunesse. Donc, si je prends des paramètres, là, qui peuvent se ressembler, dans la Loi de la protection de la jeunesse, il y a la personne significative. Donc, on a là-dedans des balises. La jurisprudence a déterminé certains critères. Est-ce qu'on pourrait partir de ces critères-là pour définir ce qu'est l'appartenance significative aux parents d'origine?

Puis, nous, ce qu'on dit aussi, c'est qu'il y a le parent d'origine, mais il y a la famille d'origine. Là, le projet de loi, ce qu'il prévoit actuellement, c'est le maintien du lien par rapport aux parents d'origine. Mais, pratico-pratique, ça arrive parfois que l'enfant est jeune et la mère, par exemple, ne s'occupe pas de l'enfant, et c'est le grand-parent qui s'occupe de l'enfant, qui, à un moment donné, voit qu'il ne pourra peut-être pas s'en occuper à long terme, qui va être prêt à ce que cet enfant-là soit adopté, soit élevé par quelqu'un d'autre mais qui va vouloir garder un lien avec l'enfant. Mais on se comprend, là, que c'est l'identité aux parents d'origine, pas aux grands-parents d'origine, pas à la famille d'origine. C'est plus restrictif en termes de concept. Alors, c'est là où ça nous préoccupe, justement. Quand on parle d'identité, quand on parle de tout cet aspect-là, là c'est important de ne pas oublier ça, de ne pas oublier la fratrie, parce que souvent il y a des enfants, par exemple, qui peuvent être adoptés mais qui ont des frères et soeurs plus vieux, et les liens sont coupés, et on ne pourra pas tenir compte de ça quand on va regarder la portion identitaire de l'enfant... en tout cas, à notre sens, pas dans le cadre actuel de comment est rédigé l'article.

Mme Hivon : O.K. Mais on se comprend que... d'ailleurs, certains le déplorent, d'autres sont d'accord avec ça, mais on est vraiment, là... on n'est plus dans l'adoption sans rupture du lien de filiation, donc, ça, c'est un concept qui a été mis de côté, on est dans la reconnaissance. Donc, on reste dans le domaine de l'adoption plus traditionnelle, plénière, mais avec une reconnaissance du lien de filiation préalable. Ce que j'ai toujours compris, c'est que l'objectif premier... Parce qu'en plus il n'y a pas d'effet juridique à cette reconnaissance-là. Ça ne donne pas de droit de visite, ça ne donne pas de voie vers une entente de communication, c'est deux choses séparées. Donc, dans les faits, ce qu'on nous avait expliqué — puis je vais être très heureuse d'entendre les directeurs de la protection de la jeunesse aussi — c'était vraiment pour la préservation, par exemple, dans le cas d'un enfant plus vieux qui peut avoir une histoire de vie x, y, z, de pouvoir garder ce lien-là. Mais là, quand vous me dites : De manière plus globale, il faut voir avec, bon, le reste de la famille, puis tout ça, je le comprends en termes d'identification, mais on se comprend qu'il n'y a pas d'effet à ça.

Et ça, est-ce que vous trouvez que c'est la bonne chose aussi, qu'il n'y ait pas d'effet? Est-ce qu'il devrait y avoir des effets? Parce que vous avez l'air à en parler plus globalement, de cette réalité-là.

Mme Brousseau (Catherine) : Bien, c'est sûr que, quand on regarde l'évolution du projet de loi, au départ ça semblait effectivement plus large. Là, on semble être dans le plus spécifique. Mais moi, je vous dirais, même si on dit qu'effectivement il y a une rupture du lien de filiation, on reste, comme vous dites, dans l'adoption plus traditionnelle, de ce qu'on fait. En amenant la possibilité des ententes de communication ou justement qu'il y ait maintien de relations interpersonnelles, bien, ça devient un peu interrelié. C'est comme si on rompait, mais on garde. Je trouve qu'on joue un peu sur les deux tableaux, là, et c'est peut-être là où c'est flou un peu sur... Oui, on rompt le lien plus traditionnel, on veut maintenir des liens, ça ne donne pas de droit, ça ne donne pas d'effet, mais, quand on vient dire : Le choix de l'adoption va dépendre de ce lien-là significatif qu'il va y avoir avec le parent d'origine, bien, en quelque part, on reconnaît quelque chose, et ça va avoir un effet aussi peut-être sur la possibilité de maintenir des liens ou d'avoir une entente de communication. À défaut de ça, on revient à l'adoption traditionnelle, là.

Mme Hivon : C'est ça. En fait, on entend toujours les groupes avant de commencer l'étude du projet de loi, ça fait que des fois il y a des précisions dont on aimerait discuter entre nous, mais...

M. Trahan (Dominique) : Je me permets d'intervenir, mais parce qu'à la lecture ça peut laisser penser...

Mme Hivon : Qu'il y a un lien.

M. Trahan (Dominique) : ...qu'il y a quelque chose à faire ou que ça va nous amener à...

Mme Hivon : Moi, je pense que non. C'est pour ça que je vous dis...

M. Trahan (Dominique) : Et donc c'est pour ça que ça peut être utile de...

Mme Hivon : C'est ça. Moi, je pense que l'interprétation, c'est qu'il n'y a pas de lien automatique entre adoption avec reconnaissance du lien préalable et entente de communication. Moi, je le vois séparé. Puis je ne dis pas qu'il ne peut pas, dans les faits, y avoir plus d'ententes de communication, peut-être, quand on reconnaît ça, mais je ne vois pas de lien dans le projet de loi comme il est libellé, mais c'est des choses dont on va discuter aussi plus tard.

Ça m'amène à la question du consentement à l'adoption. C'est une question qui, je pense, nous préoccupe. On veut s'assurer qu'il n'y a pas cette espèce de marchandage là. Et je comprends, bon, que vous avez tous de l'expérience dans le domaine. On voit dans le projet de loi que le consentement à l'adoption va se donner soit pour une adoption plénière ou pour une adoption avec reconnaissance du lien de filiation d'origine. Est-ce que, selon vous, il peut y avoir un peu un rapport de force qui s'établit pour qu'un parent finisse par dire oui... un parent biologique... à une adoption mais en disant : Je tiens absolument à ce que le lien demeure, et qu'on s'éloigne peut-être un peu de l'intérêt de l'enfant?

Est-ce que, pour vous, il y a un risque là-dedans? Est-ce qu'on doit garder ça comme ça ou est-ce qu'on doit être plus face à un consentement général puis c'est devant le tribunal après que ça se décide?

Le Président (M. Ouellette) : Me Brousseau.

Mme Brousseau (Catherine) : Bien, je pense qu'effectivement c'est un peu ce qu'on reprenait dans notre mémoire. On a un peu cette crainte-là, effectivement, qu'il y ait du marchandage qui se fasse par rapport au consentement à l'adoption, parce que, on ne se le cachera pas, il y a des dossiers actuellement où il n'y a pas d'adoption qui se fait justement parce que, bon, il y a un maintien du lien avec le parent et puis le parent n'est pas d'accord à l'adoption, etc., parce qu'il sait que, si jamais le lien biologique était rompu, bien, oui, peut-être que le parent adoptant, en vertu de l'autorité parentale, maintiendrait des liens avec lui, mais peut-être que non aussi, et qu'il n'aurait pas de recours juridique pour revenir et dire : Bien, moi, je veux maintenir mon lien.

Alors là, c'est sûr que, si on embarque dans ce processus-là, où il peut y avoir des ententes, bien, effectivement, ça se peut, là, que le parent dise : Bien, moi, je vais consentir, mais là je veux être sûr que je vais avoir une entente puis que je vais avoir des contacts, et tout ça. Ça se peut que ça arrive, et avec tout ce que ça peut engendrer ensuite, parfois, comme dérapages, où, là, par exemple, l'enfant ne veut pas y aller, et, là, où on va peut-être dire : Bien, écoutez, l'enfant ne veut pas y aller, donc, même si on a signé une entente, je ne l'enverrai pas, il ne veut pas y aller. Et ça peut donner lieu, peut-être, à des débats.

Mme Hivon : Si on prend l'autre côté, est-ce que ça peut faciliter des consentements? Parce que, justement, les parents, est-ce qu'ils pourraient être amenés à consentir plus rapidement en se disant : Bien, il va y avoir cette reconnaissance là de mon lien qui va demeurer quelque part? On ne sait pas quels effets... parce que l'entente de communication, c'est séparé. Est-ce que vous pensez que ça peut aussi aider dans ce sens-là, de par votre pratique?

Mme Brousseau (Catherine) : Oui. Il y a des dossiers aussi où je pense que les gens, avec une certaine certitude... entre guillemets, là, mais une certaine certitude que la situation va demeurer vont accepter, effectivement, de dire : Bon, bien, moi, je pense que c'est mieux pour mon enfant qu'il soit adopté, puis ça, je suis d'accord avec ce projet-là, puis moi, je veux faire partie du décor, et puis on n'en entendra pas parler, puis ça va être positif. Ça, c'est certain, là, il va y avoir de tout, c'est clair.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Me Brousseau. M. le député de Borduas.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Me Trahan, Me Brousseau, Me Aguerre, Me Champagne, merci de votre présence et de contribuer aux travaux de la commission.

M. le Président, vous me permettrez... ça fait trois jours qu'on est en commission parlementaire, que j'entends la ministre dire qu'elle souhaite un règlement avec les juristes de l'État, vous me permettrez ces commentaires-là. Il faut, lorsqu'on est le gouvernement, qu'on fasse preuve de leadership et qu'on donne un vrai mandat de négocier au négociateur. On peut favoriser la négociation, on peut dire : Venez à la table de négociation, mais, si on ne donne pas de mandat de négocier au négociateur du gouvernement, alors là ce sont des paroles en l'air. Les juristes de l'État, ce sont des gens qui ont à coeur les services publics, l'intérêt de l'État, et je pense que, la façon dont on traite les juristes de l'État, on devrait avoir un peu plus de respect pour eux.

Ceci étant dit...

Une voix : ...

Le Président (M. Ouellette) : M. le député de Borduas, c'est vous qui avez la parole.

M. Jolin-Barrette : Certainement. J'écoutais le député d'Argenteuil m'interpeller.

Le Président (M. Ouellette) : C'est vous qui avez la parole, M. le député de Borduas.

M. Jolin-Barrette : Tout à fait, M. le Président.

Le Président (M. Ouellette) : Merci.

M. Jolin-Barrette : Revenons à l'adoption, M. le Président. Je voudrais savoir avec vous : Est-ce que... Vous avez parlé du tribunal. Quel tribunal pourrait entériner les ententes? Donc, est-ce que vous aviez une opinion là-dessus? Est-ce que vous visiez davantage la Cour du Québec, le Tribunal administratif, tout ça? Vers où vous dirigeriez ça?

• (12 h 10) •

Mme Brousseau (Catherine) : ...les dossiers d'adoption se font devant la Cour du Québec, chambre de la jeunesse. Donc, peut-être qu'on aurait, a priori, là, un préjugé favorable devant la Cour du Québec, chambre de la jeunesse, là, mais, encore là, comme je dis, ce n'est pas une question qu'on a nécessairement débattue au comité, là. Mais actuellement, en tout cas, les adoptions se font à la Cour du Québec, chambre de la jeunesse, donc l'accessoire suit le principal.

M. Trahan (Dominique) : C'est ça.

Le Président (M. Ouellette) : M. Trahan.

M. Trahan (Dominique) : Bien, c'est ça que je m'en allais dire. Puis les dossiers sont là, puis ça devrait être joint au dossier d'adoption, puisqu'on parle d'un dossier d'adoption. Alors, après ça, tout est...

M. Jolin-Barrette : ...se retrouver à cet endroit-là.

M. Trahan (Dominique) : C'est ça.

M. Jolin-Barrette : O.K. Hier, on a entendu beaucoup parler de la question de la tutelle dative, de l'autorité parentale aussi. On se retrouve dans des situations où, bon, parfois on est forcé à l'adoption plutôt que d'avoir cette possibilité-là de donner une tutelle ou une délégation de l'autorité parentale pour le conjoint. Qu'est-ce que vous en pensez? Qu'est-ce que le Barreau en pense?

Mme Brousseau (Catherine) : Me Champagne.

Mme Champagne (Sylvie) : En fait, on n'a pas étudié cette question-là de façon précise, parce que ce n'est pas dans le projet de loi n° 113. Mais évidemment, s'il y avait un nouveau projet de loi, le Barreau va regarder cette question-là avec grand intérêt, parce que ça fait partie, en fait, évidemment, peut-être d'une autre étape de la réforme du droit de la famille. Donc, on suit ces travaux-là avec beaucoup d'intérêt.

M. Jolin-Barrette : Mais est-ce que vous diriez que c'est directement lié à l'adoption, que ça pourrait constituer un outil pour répondre à certaines situations qui sont vécues, dans le fond, dans certaines familles québécoises?

Mme Champagne (Sylvie) : Pour l'instant, les comités en droit de la jeunesse puis en droit de la famille ne se sont pas prononcés sur ça. Donc, je prends bien votre question puis je vais pouvoir leur soumettre avec plaisir.

M. Jolin-Barrette : O.K. Même élément dans cette optique-là, bon, dans le projet de loi, on prévoit des dommages punitifs en cas de bris à l'entente de confidentialité. Tout à l'heure, on va entendre la direction de la protection de la jeunesse, qui, eux, suggérait de le mettre dans la Loi sur la protection de la jeunesse, le fait de mettre une disposition pénale plutôt que d'avoir un dommage punitif, parce que, bon, nécessairement, si on le met dans le Code civil du Québec, bien, la personne qui va prendre le recours, c'est la personne qui a été contactée.

Comment vous voyez ça? Est-ce qu'on devrait le laisser pour la personne qui a été contactée ou on devrait confier ce rôle-là à l'État?

Mme Brousseau (Catherine) : En fait, le comité, nous, le seul point sur lequel on s'est prononcés, là, par rapport aux dommages-intérêts punitifs, c'est... on s'est questionnés à savoir pourquoi cette disposition-là existait, en ce sens où, par rapport... on met des dommages punitifs si on contacte la personne, mais, par exemple, là, on n'avait pas de mode par rapport aux ententes de non-communication ou... par rapport, excusez-moi, aux ententes de communication ou aux ententes entre la famille d'origine et la famille adoptive. On ne prévoyait rien s'il n'y avait pas respect des ententes. Alors, on se disait : Pourquoi, là, dans ce cas-ci, on prévoyait des dommages punitifs, alors qu'on ne prévoyait rien d'autre pour le reste de toutes les autres dispositions du projet de loi, là? Alors, on se questionnait un peu sur l'ajout de ça, tout simplement.

M. Trahan (Dominique) : Puis il y a peut-être juste... comme ajout à la réponse, il y a peut-être la question aussi de la force exécutoire. Si ce n'est pas mentionné, s'il n'en est pas fait état, quel recours aura-t-on? Comment on va l'exercer?

Le Président (M. Ouellette) : Une dernière minute, M. le député de Borduas.

M. Jolin-Barrette : Oui. J'aimerais qu'on revienne sur la question de la fratrie. Bon, dans votre mémoire, vous dites qu'il pourrait y avoir certaines problématiques avec le veto. Pouvez-vous détailler un petit peu qu'est-ce qu'on devrait faire pour permettre à la fratrie de se retrouver, d'avoir accès également...

Le Président (M. Ouellette) : Me Brousseau.

Mme Brousseau (Catherine) : Bien, en fait, par rapport au veto, ce qu'on disait, effectivement, c'est que, lorsqu'il y a le veto, bon, l'adopté n'est pas capable d'avoir accès, donc, aux informations qui lui permettraient peut-être de connaître sa famille d'origine. Comment ça pourrait se faire? C'est une excellente question, mais je pense qu'il faut se pencher là-dessus puis essayer de trouver des façons de faire pour le permettre, parce que sinon, par rapport à l'adopté, on le prive carrément d'un pan entier, là, de sa filiation d'origine. On peut comprendre que la personne met un veto, mais qu'est-ce qui l'empêcherait de connaître, effectivement, des frères et soeurs qui, eux, peut-être seraient intéressés à connaître leur fratrie? Alors, comment ça peut se faire? Ça, c'est une bonne question, puis je pense qu'on va avoir l'occasion, nous, d'y penser, puis vous aussi, de regarder comment ça pourrait se faire, mais je pense qu'il faut que ça soit une préoccupation importante.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Me Catherine Brousseau, Me Dominique Trahan, Me Ana Maria Aguerre, Me Sylvie Champagne, représentant le Barreau du Québec, d'être venus déposer en commission.

Je suspends quelques minutes et je demanderais aux directeurs et directrices de la protection de la jeunesse de s'avancer, s'il vous plaît.

(Suspension de la séance à 12 h 15)

(Reprise à 12 h 18)

Le Président (M. Ouellette) : Nous reprenons nos travaux. Nous recevons maintenant les directeurs et directrices de la protection de la jeunesse. Me Caroline Brown, qui est la directrice de la protection de la jeunesse, qui allez prendre la parole, vous allez nous présenter les gens qui vous accompagnent. Vous connaissez les règles, vous avez 10 minutes pour faire votre présentation, et après il y aura échange avec Mme la ministre et les porte-parole des deux partis d'opposition. Me Brown, à vous la parole.

Directeurs et directrices de la protection de la jeunesse

Mme Brown (Caroline) : Merci. Bonjour, M. le Président, Mme la ministre, Mmes et MM. les députés. Merci de nous accueillir. Je suis Caroline Brown, directrice de la protection de la jeunesse et directrice provinciale pour la région de Chaudière-Appalaches. Je suis accompagnée de M. Eric Salois, qui est directeur de la protection de la jeunesse et directeur provincial pour la région de Lanaudière, ainsi que de Me Annick Bergeron, qui est du CISSS de la Montérégie-Est, et Me Alexandra Laberge, qui est du CISSS de Chaudière-Appalaches, ainsi que de Mme Nicole Anne Vautour, qui est chef de service adoption au CISSS de la Montérégie-Est. Je vais passer la parole à M. Salois.

M. Salois (Eric) : Bonjour. En 2016, contrairement aux profils d'adoption du siècle dernier, la majorité des parents qui choisissent de signer un consentement général à l'adoption ne le font plus en raison du fait qu'ils sont soumis à une pression familiale ou sociale. Les décisions quant à ce geste d'abnégation parentale résultent habituellement d'une réflexion mature, sage et éclairée. La perception de la société quant à l'adoption a évolué. Si le portrait des parents d'origine a changé, le portrait des enfants adoptables s'est également transformé. La majorité des adoptions d'enfants québécois s'actualisent suite au constat des incapacités sévères des parents à assumer leurs responsabilités parentales. Ceci signifie qu'une partie des enfants adoptés connaissent leurs origines et ont côtoyé leurs parents dans le cadre, souvent, de visites supervisées.

Au Québec, les DPJ ont pour principale mission de protéger les enfants dont la sécurité ou le développement est compromise. Par contre, ce qui est moins connu, c'est que les DPJ exercent également plusieurs responsabilités en matière d'adoption, à savoir : recevoir les consentements généraux requis pour l'adoption, demander au tribunal de déclarer un enfant admissible à l'adoption, examiner les demandes d'adoption, prendre charge des enfants qui leur sont confiés en vue de l'adoption, assurer le placement de ces derniers et effectuer les évaluations psychosociales des personnes désirant adopter dans le cadre d'une adoption québécoise.

Ce sont également les DPJ qui sont responsables d'accueillir et traiter les demandes de recherche d'antécédents et de retrouvailles. Les DPJ occupent donc une place de choix dans la réflexion des projets de vie d'adoption et dans l'élaboration de ces derniers. En 2015‑2016, nous avons réalisé 236 adoptions d'enfants québécois et nous avons été impliqués dans 147 situations d'adoption internationale.

Les DPJ accueillent favorablement le projet de loi n° 113, mais nous demeurons avec certaines préoccupations pour lesquelles nous adressons 20 recommandations que vous retrouverez dans le mémoire qui vous a été remis. Aujourd'hui, nous attirerons votre attention sur quelques-unes d'entre elles. Je cède donc la parole à Mme Caroline Brown.

• (12 h 20) •

Le Président (M. Ouellette) : Mme Brown.

Mme Brown (Caroline) : Les dispositions du projet de loi apparaissent tout à fait complémentaires avec les objectifs de la LPJ eu égard à la priorisation de l'intérêt de l'enfant, à la stabilité, à l'enracinement familial des enfants de même qu'au respect de leur identité.

Plus spécifiquement, nous sommes en accord avec l'introduction d'une adoption avec reconnaissance des liens de filiation préexistants lorsqu'il est dans l'intérêt de l'enfant de connaître l'identification des parents d'origine. Nous appuyons l'ajout de cette forme d'adoption plutôt que de remplacer la forme d'adoption connue à ce jour. Ce projet de loi doit d'abord servir l'intérêt supérieur de l'adopté et non pas celui des adultes qui l'entourent, que ce soient ses parents d'origine ou ses parents d'adoption. En aucun temps ce type d'adoption ne doit devenir une monnaie d'échange pour obtenir l'assentiment d'un parent en faveur d'une adoption en regard de laquelle il s'opposerait en temps normal. De plus, nous comprenons que le certificat de naissance d'une adoption avec reconnaissance des liens de filiation antérieurs affichera invariablement l'identité des parents d'origine et des parents d'adoption. Nous sommes sensibles à la préservation du caractère confidentiel du statut de l'adopté. Ce dernier pourrait ne pas vouloir obligatoirement dévoiler son statut à chaque fois qu'il doit présenter son certificat de naissance. Par conséquent, nous recommandons que le certificat de naissance comporte seulement la filiation d'adoption et qu'une attestation comportant les liens de filiation antérieurs soit délivrée à la personne adoptée, lui donnant accès à l'ensemble des données nominatives permises par la loi.

Concernant les ententes de communication, le fait que le législateur autorise la possibilité pour les parents d'origine et les parents adoptants de convenir d'une entente de communication est perçu favorablement. Par contre, nous désirons soumettre au législateur l'importance de ne pas contraindre ni l'une ou l'autre des parties a à une telle entente par ordonnance de cour. Nous devons faire confiance aux parents adoptants à l'effet que, s'ils choisissent de mettre fin à l'entente de communication, c'est parce que celle-ci ne sert plus l'intérêt de l'enfant ou encore parce que le maintien de cette dernière serait à son détriment, décision qui peut être prise par tout parent compétent. Donc, nous recommandons que soit ajouté à l'article 579 du Code civil qu'aucun recours judiciaire, incluant le recours visant l'obtention des droits d'accès, ne sera possible par la famille d'origine dans les cas où le parent adoptant ou l'enfant âgé de 10 ans et plus déciderait de ne plus y donner suite.

Au sujet du refus de communication de l'identité ou au contact, les modifications proposées en matière de recherche d'antécédents et de retrouvailles sont majeures et auront comme effet de modifier grandement nos pratiques actuelles. Nous sommes généralement favorables aux modifications proposées. Nous sommes actuellement témoins de retrouvailles via les réseaux sociaux... ainsi que les effets dévastateurs de telles retrouvailles. Nous croyons qu'en raison de l'expertise clinique déjà présente dans nos établissements ainsi que nos pratiques rigoureuses en matière de conservation de dossiers et de traitement d'informations confidentielles la recherche d'antécédents et de retrouvailles doit demeurer une responsabilité exclusive du DPJ. Les DPJ demandent depuis des années un pouvoir d'investigation plus important en matière de localisation en vue de retrouvailles. Ainsi, nous sommes favorables à l'introduction de l'article 71.3.13 de la LPJ, lequel augmente considérablement nos chances de localiser une personne avec laquelle nous n'avons pas été en contact depuis, parfois, plusieurs décennies.

Pour les jeunes âgés de 14 ans à 18 ans, nous tenons à souligner un aspect préoccupant des changements législatifs proposés pour les adoptés qui font l'objet d'une admissibilité à l'adoption. Le cadre législatif proposé impose d'informer un demandeur âgé entre 14 et 18 ans de l'identité de son parent d'origine et/ou des informations lui permettant d'entrer en contact avec ce dernier, et ce, sans accompagnement clinique obligatoire. Nous considérons que nous avons une responsabilité d'accompagnement et une responsabilité de protection envers ces jeunes. Par conséquent, nous recommandons qu'un accompagnement par le DPJ soit obligatoire pour les jeunes âgés entre 14 et 18 ans qui ont fait l'objet d'une déclaration d'admissibilité à l'adoption.

Concernant l'accès aux renseignements médicaux, nous sommes favorables aux nouvelles règles proposées afin de donner accès aux médecins traitants aux informations médicales contenues dans les dossiers des parents d'origine et des adoptés. La prise du consentement des parties doit demeurer la responsabilité des DPJ, puisque nous avons l'expertise en lien avec la localisation d'une personne recherchée. Par contre, afin de préserver la confidentialité des dossiers et légitimer le pouvoir d'un usager sur son dossier médical, nous recommandons de modifier l'article 71.3.11 de la LPJ, que vous allez retrouver dans notre mémoire. Je passe à nouveau la parole à M. Salois.

Le Président (M. Ouellette) : M. Salois.

M. Salois (Eric) : Concernant l'adoption coutumière, le projet de loi vient reconnaître l'adoption coutumière autochtone dans la législation québécoise comme projet de vie légitime. Cela vient confirmer une pratique ancestrale chez les Premières Nations du Québec. L'adoption coutumière peut représenter un gage de sécurité et de préservation de l'identité culturelle pour plusieurs enfants de ces communautés.

Toutefois, considérant que l'adoption coutumière se pratique selon des conditions et des conséquences légales variables d'une nation à une autre, et afin d'éviter toute confusion dans l'application de la Loi de la protection de la jeunesse, nous recommandons que soit insérée à l'article 1 de la LPJ la définition de l'adoption coutumière autochtone en application du projet de loi n° 113 en spécifiant qu'une telle adoption doit être confirmée à l'acte de naissance de l'enfant. Nous recommandons également le retrait de l'article 45 du présent projet de loi, car nous considérons que l'ajout proposé à l'article 2.4 de la LPJ ne respecte pas le sens premier de cet article. Le fait de reconnaître l'adoption coutumière dans le présent projet de loi suffit à donner une signification supplémentaire à l'obligation qui est déjà faite aux directeurs de la protection de la jeunesse, à l'article 2.4, de prendre en considération les caractéristiques des communautés autochtones à toutes les étapes de l'intervention.

Concernant les défis d'implantation de ces nouvelles pratiques, des modifications aussi importantes sur l'adoption et ses découlants ne peuvent s'effectuer avec succès sans la présence de conditions gagnantes. Nous avons le souci d'offrir à l'ensemble de la population québécoise un service équitable, efficace et respectueux des nouvelles balises légales sur l'adoption. Pour ce faire, nous recommandons de prévoir une application postérieure à l'application du projet de loi.

En conclusion, si, au Québec, nous désirons que l'intérêt des enfants reste au centre de nos préoccupations, nos modèles législatifs doivent évoluer. Ce projet de loi représente une avancée incontournable et il apportera des changements importants pour tous dans son application. Malgré des préoccupations que nous avons relevées, nous tenons à réitérer que les nouvelles dispositions législatives proposées sont accueillies favorablement par l'ensemble des directeurs de la protection de la jeunesse et nous nous engageons à tout mettre en oeuvre pour s'assurer le succès de l'implantation des modifications législatives. Merci.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Merci beaucoup de votre présentation, qui est fort intéressante puis qui apporte également une lumière qui est différente de celle des autres organismes qui se sont succédé.

J'aimerais vous entendre au sujet des ententes de communication. Vous nous dites : Il ne faut pas contraindre par ordonnance de cour, il faut faire bien attention de ne pas judiciariser à outrance, ce qui peut donner suite... ou être comme conséquence d'une entente de communication ou du non-respect d'une entente de communication. D'autres groupes avant vous nous disaient : Nous, on a des craintes que l'entente de communication puisse être un outil de marchandage entre les parents biologiques, les parents adoptés. On a des craintes que des engagements pris dans l'entente de communication ne soient pas respectés et aient pour effet de venir modifier la relation entre les parties. Donc, on a eu différentes visions de... et on nous demandait de peaufiner, de resserrer cette disposition du texte.

Quel serait le rôle que le DPJ pourrait jouer dans ces ententes de communication? Comment s'assurer que, justement, ces ententes de communication là ne puissent être utilisées comme outils de marchandage entre, parfois, des parents biologiques qui sont dans des situations de vulnérabilité quand même assez importantes et... Bref, des contextes qui ne sont pas toujours simples. Parfois, les relations vont très bien, parce qu'on est à l'intérieur d'une même famille, mais, dans d'autres contextes, les situations sont un petit peu plus délicates, les situations humaines sont plus fragiles.

• (12 h 30) •

Quel rôle pourrait jouer le DPJ dans ce contexte-là? Comment assurer la protection de tout le monde sans pour autant, justement, toujours devoir recourir au tribunal pour entériner ou ne pas entériner les ententes entre des parents biologiques et des parents adoptants?

Le Président (M. Ouellette) : Me Brown.

Mme Brown (Caroline) : Bien, je voudrais juste spécifier, j'aime beaucoup la profession d'avocate, mais, malheureusement, je ne le suis pas. Ça fait que ça me fait plaisir de me faire appeler Me Brown, mais je ne le suis pas. Alors, je voulais juste le spécifier.

Cela dit, dans le fond, je pense que ça fait partie tout à fait de notre rôle, effectivement, comme responsabilité, comme DPJ, de devoir accompagner ces gens-là avant. Il y a toute, dans la Loi de la protection de la jeunesse, la notion de projet de vie. La clarification d'un projet de vie, c'est là qu'on va regarder, avec la famille qui pourrait adopter l'enfant, avec l'enfant et avec les parents biologiques, toutes ces avenues potentielles là. Ça fait que c'est sûr qu'on en est très conscients, et on l'a nommé aussi, on ne souhaite pas qu'il y ait de marchandage par rapport à des ententes de communication. Le rôle qu'on y voit, c'est vraiment un rôle dans l'avant, dans toute la préparation clinique à amener ce projet-là à bon terme. Donc, pour nous, c'est pour ça qu'on voit notre implication préalable de façon importante. Par contre, pour l'après, un coup que l'adoption a été prononcée, cette entente de communication là, pour nous, on veut vraiment laisser place aux parents adoptants qu'on a préparés, avec lesquels on a eu l'occasion, de long et en large, de discuter de tout ce qui peut arriver dans le futur. Les choses évoluent, mais on veut laisser toute la confiance à ces parents-là qu'on a évalués, qu'on a pris le temps de les regarder, leurs compétences parentales. Et, à partir du moment où on considère qu'ils peuvent être les parents de cet enfant-là, on veut leur laisser toute la latitude de prendre les décisions comme tout bon parent a la compétence de le faire, en lien avec les relations que les enfants peuvent avoir dans leur vie. Alors, c'est un petit peu pour ça qu'on souhaite que cette entente-là ne soit pas... il n'y ait pas de recours au tribunal. On veut éviter aussi qu'on replonge les enfants dans un système judiciaire éventuellement où ils pourraient être aux prises dans un conflit entre ses parents et ses parents biologiques. Pour nous, c'est important. Puis, autre chose, c'est que c'est toute la notion de droit. D'avoir des recours au tribunal, pour nous, ça amène une notion de droit pour le parent biologique, alors qu'on va encore dans une adoption quand même qui rompt ces liens-là. Et, pour nous, ça nous questionne énormément, là, d'aller vers une voie judiciaire pour ces ententes de communication là.

Ce qu'il faut penser aussi, c'est que, si toutefois pour un enfant ce n'est pas la meilleure option possible pour lui, parce qu'il doit maintenir à tout prix des contacts réguliers avec ses parents, sa fratrie, et tout ça, il y a d'autres choses qu'on peut proposer, comme par exemple la tutelle à l'enfant, et non pas l'adoption, dans ces situations-là. Donc, voilà un petit peu notre position.

Mme Vallée : Le Barreau du Québec, un peu plus tôt, recommandait qu'à travers tout le processus d'adoption il soit automatiquement nommé un procureur à l'enfant, du début à la fin, pour éviter que des procureurs ne soient nommés rendu en appel d'une décision et assurer que l'intérêt de l'enfant soit vraiment au coeur de toute décision prise au dossier.

Qu'est-ce que vous pensez de cette proposition? Parce qu'il faisait un parallèle avec les dispositions de la Loi sur la protection de la jeunesse.

Le Président (M. Ouellette) : Mme Brown.

Mme Brown (Caroline) : Bien, si je peux me permettre, puis ça pourra être complété par les avocats qui sont avec nous, en lien avec ça, majoritairement, dans la pratique, la majorité des établissements, actuellement, on signifie automatiquement, systématiquement, au procureur de l'enfant la déclaration d'admissibilité à l'adoption, même si ce n'est pas nécessairement prévu. Il y a certaines régions encore qui n'ont pas cette pratique-là. Mais c'est dans le respect des droits des enfants. On pense que, comme DPJ, on ne peut pas être à l'encontre de ça. Puis on n'est pas défavorables à cette orientation-là du tout. Je ne sais pas si on voulait compléter.

Le Président (M. Ouellette) : Me Bergeron.

Mme Bergeron (Annick) : Oui. En fait, peut-être pour rajouter aussi, vous savez, dans notre pratique, nous, au niveau de l'application de la Loi sur la protection de la jeunesse, les enfants sont toujours représentés par avocat dans des situations où les circonstances ne sont pas aussi graves et définitives que pour l'adoption, où on a une rupture de lien de filiation. Donc, ça vient ajouter. Je pense que, dans ces situations qui sont encore plus extrêmes, il y a une certaine logique puis une cohérence à ce que le respect des droits des enfants soit davantage respecté, compte tenu des conséquences, là, irrémédiables de l'adoption.

M. Salois (Eric) : Peut-être que je pourrais me permettre de rajouter que...

Le Président (M. Ouellette) : M. Salois.

M. Salois (Eric) : Mais ça, c'est vraiment dans les situations où on va en déclaration d'admissibilité à l'adoption, parce que, quand j'entendais les représentants du Barreau, ça semblait pouvoir peut-être aller plus largement. Mais c'est davantage dans ces situations-là, où on pense... bien, pas qu'on pense, mais qu'on y va déjà dans plusieurs établissements quand on va en déclaration d'admissibilité à l'adoption, où il va y avoir un avis qui va être envoyé à l'avocat de l'enfant, là.

Mme Vallée : Lorsque l'avant-projet de loi sur l'adoption a été déposé puis lorsque les précédents projets de loi ont été déposés, vous aviez fait valoir certaines préoccupations quant au mécanisme qu'il serait nécessaire de mettre en place pour prévoir d'enregistrer un refus à la communication ou à l'identité des personnes vulnérables ou qui sont introuvables ou qui sont décédées.

Est-ce que vous croyez que le projet de loi n° 113 répond à ces préoccupations? Est-ce qu'il y a lieu de prévoir des dispositions supplémentaires?

Le Président (M. Ouellette) : Me Vautour.

Mme Vautour (Nicole Anne) : Encore une fois, comme Mme Brown, je serais honorée d'être avocate. Malheureusement, je ne le suis pas.

Le Président (M. Ouellette) : Mme Vautour. Je m'excuse, là, je suis... Il y a trop d'avocats dans la salle, probablement, aujourd'hui.

Mme Vautour (Nicole Anne) : Oui. Alors, Mme Vallée, si je comprends bien votre question, vous... En fait, je vais me permettre de vous demander de répéter votre question, si vous me le permettez.

Mme Vallée : Bien, dans le passé, lorsqu'il y a eu des avant-projets de loi et des projets de loi déposés, vous aviez mentionné certaines préoccupations quant au mécanisme qui devrait être mis en place pour enregistrer le refus à l'identité ou au contact de la part des personnes qui sont vulnérables, des personnes introuvables, des personnes décédées, parce qu'il y a quand même un mécanisme à mettre en place.

Est-ce que vous considérez que les mesures qui sont au projet de loi sont suffisantes ou est-ce qu'il y a encore, pour vous, des défis à relever dans ce sens-là?

Mme Vautour (Nicole Anne) : Oui. Alors, ce qu'on a compris du projet de loi, c'est que, lorsqu'une personne serait introuvable, on enregistrerait automatiquement un refus dans son dossier. Ce qu'on a constaté ensemble en étudiant le projet de loi, c'est que cette disposition-là faisait en sorte de respecter le contrat social. Alors, si on ne peut pas trouver quelqu'un, il faut d'emblée, naturellement, considérer que cette personne-là ne désire pas être contactée par la personne qui la recherche. Donc, effectivement, à la lumière de la lecture du projet de loi, nous considérons que les dispositions sont prises pour pouvoir permettre le respect de la volonté de ces personnes-là.

Mme Vallée : Vous nous avez parlé de l'accompagnement qui est offert à travers le réseau lorsqu'il y a une demande d'antécédents, une demande de retrouvailles qui est formulée. Est-ce que vous allez devoir modifier vos façons de travailler, vos méthodes de travail pour vous ajuster aux dispositions du projet de loi?

Mme Vautour (Nicole Anne) : Il est certain que les dispositions législatives qui sont proposées vont modifier en profondeur notre façon de travailler, effectivement. Il faudra revoir de fond en comble les guides de pratiques qui sont actuellement en vigueur, et que les intervenants se sont appropriés et qu'ils appliquent au quotidien, parce que les dispositions législatives, justement, vont venir les modifier. On a une préoccupation particulière quant à l'accompagnement des enfants, des adolescents âgés entre 14 et 18 ans et, comme une de nos recommandations en fait foi, nous recommandons un accompagnement obligatoire pour ces enfants-là — j'ose les appeler des enfants parce qu'ils le sont encore au sens de la loi — en raison de leur caractère vulnérable.

Il faut se rappeler que les enfants actuellement âgés entre 14 et 18 ans ont majoritairement été rendus admissibles à l'adoption via une déclaration judiciaire. Donc, il y a un juge, à un moment donné dans la vie de cet enfant-là, qui a considéré que les parents n'avaient pas assumé leurs responsabilités de soins, d'entretien, d'éducation sur une période assez longue pour que ça soit très, très inquiétant, d'une part. D'autre part, un juge a également décidé... ou analysé que le parent ne présentait pas de plan de reprise en charge dans un avenir assez rapproché, dans ce contexte-là devait rendre l'enfant admissible à l'adoption. Donc, vous en conviendrez, que c'est une décision judiciaire qui est lourde de sens, puisqu'elle change la trajectoire de vie d'un enfant et qu'elle doit seulement être prononcée si les incapacités parentales sont assez graves, chroniques et récurrentes.

Notre préoccupation, c'est du risque que ces enfants rentrent en contact sans accompagnement avec des parents qui pourraient être encore aux prises avec ces difficultés importantes là et de les remettre, par le fait même, dans une situation qui pourrait encore compromettre leur sécurité, leur développement et, dans certains cas graves, menacer leur intégrité physique. Donc, à ce niveau-là, effectivement, nous demandons des balises plus importantes au niveau du projet de loi pour nous permettre un meilleur accompagnement auprès de ces enfants, que nous jugeons, effectivement, vulnérables.

• (12 h 40) •

Le Président (M. Ouellette) : Deux minutes.

Mme Vallée : Je trouve ça intéressant, parce qu'un regroupement de parents disait : Les familles adoptantes devraient être impliquées lorsqu'une telle demande est formulée dans la vie d'un enfant de 14 à 18 ans, parce qu'on souhaite être capable de répondre, advenant que l'enfant réagisse... Parce qu'évidemment tout ça, c'est pendant la période de l'adolescence, et on s'entend que nos adolescents sont parfois assez imprévisibles. Mais ce que vous proposez, c'est cet accompagnement qui respecte le droit de l'enfant de 14 ans d'entrer en communication avec ses parents biologiques et, en même temps, qui assure un accompagnement et un suivi auprès de ce jeune-là, qui pourrait potentiellement venir contrer les effets négatifs que d'autres groupes nous ont présentés un peu plus tôt cette semaine.

Est-ce que vous avez une idée... En fait, vous, votre accompagnement serait... Ce que vous proposez, c'est que l'accompagnement soit automatique, peu importe le contexte dans lequel l'enfant a été placé en adoption.

Mme Vautour (Nicole Anne) : Effectivement, ce que nous proposons, c'est un accompagnement automatique, donc obligatoire. Si un adolescent peut avoir le droit de cogner à notre porte pour recevoir des services sans aviser son parent adoptant d'abord, nous nous proposons de devenir l'adulte bienveillant qui va veiller, justement, à ce que le contact soit le plus positif possible et, au besoin, de référer à des services d'accompagnement à long terme.

Ce qu'il faut savoir, c'est qu'on peut également jouer un rôle dans l'accompagnement de l'enfant à annoncer à ses parents adoptants qu'il souhaite entamer et compléter un processus de retrouvailles avec son milieu d'origine.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Mme la ministre. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon : Oui. Bonjour à vous tous, toutes. Nous sommes très heureux de vous entendre. Je dois vous dire que je pense qu'on pourrait vous poser beaucoup, beaucoup de questions, parce que vous avez une expertise qui est très unique et qu'on n'a pas la chance d'entendre toujours. Et justement, dans l'avant-projet de loi, il me semble... puis là je m'en veux un peu, il me semble qu'on avait plus d'experts psychosociaux qui venaient justement nous expliquer l'impact de la rupture du lien de filiation puis toute la question de l'identification significative. Puis je pense que c'est des choses qu'il va falloir approfondir.

D'entrée de jeu, justement, sur la question de l'identification significative, et donc qui pourrait amener à garder le lien, donc une reconnaissance du lien de filiation, est-ce que vous pensez que, de par votre pratique, c'est quelque chose qui devrait demeurer relativement exceptionnel? Est-ce que vous voyez que c'est des cas... Vous, dans votre pratique, j'imagine que vous anticipez puis vous voyez dans quels cas ça pourrait être indiqué pour l'intérêt de l'enfant. Est-ce que vous pensez que c'est quelque chose qui va devenir très généralisé ou vous voyez ça comme quelque chose de plutôt exceptionnel?

Mme Vautour (Nicole Anne) : Effectivement, nous croyons que l'adoption qui sera favorisée sera l'adoption qui est actuellement en cours. Donc, oui, nous croyons que ce sera dans des cas exceptionnels ou, oui, qui sortent de l'ordinaire. Et, comme exemple, je vous dirais, effectivement, des enfants plus âgés pourraient avoir... ou que ça soit positif dans leur vie, pour des enfants plus âgés, de conserver, là, cette possibilité de reconnaître sur un document officiel son identité d'origine.

Je ferais une petite distinction, par contre. Je comprends des liens d'identification significatifs... moi, je rajouterais : identification significativement positive, parce qu'il y a des liens qui existent, surtout auprès de nos enfants plus âgés, des liens qui sont significatifs, parce qu'ils connaissent, effectivement, bien leurs parents d'origine ou leurs milieux d'origine, mais des contacts qui sont négatifs, et voire toxiques pour eux. Donc, c'est la distinction, là, et l'ajout que j'aimerais apporter aujourd'hui.

Mme Hivon : Bien, c'est un excellent point, parce que, de l'extérieur, c'est sûr qu'on peut être porté à se questionner sur le bien que ça peut faire à un enfant de garder ces liens-là, de ne pas être dans quelque chose, peut-être, de clair et net, quand on nous avait exposé à l'époque à quel point justement il y a beaucoup d'enfants qui ont besoin de quelque chose de clair et net pour s'attacher à leurs nouvelles familles, prendre racine, puis tout ça. Donc, on peut imaginer que ce serait dans des cas où l'enfant plus vieux manifesterait ce besoin-là de pouvoir garder une certaine reconnaissance de ce lien-là que pour lui ça serait plus positif, mais, à première vue, ça peut apparaître assez peu fréquent que ce soit si positif pour l'enfant.

Ça fait que c'est là-dessus que j'aimerais que vous nous éclairiez un peu d'un point de vue plus clinique.

Mme Vautour (Nicole Anne) : Oui. Alors, il faut encore une fois se rappeler que la majorité des enfants qui sont adoptés aujourd'hui au Québec le sont par processus judiciaire, ce processus judiciaire là vient mettre en lumière des incapacités parentales qui sont importantes, ce sont des enfants qui ont été victimes d'abus, de maltraitance, oui, de négligence, qu'il y a des impacts à court, moyen et long terme sur ces enfants-là et, lorsqu'ils sont remis en contact dans le cadre de visites supervisées, on voit apparaître des impacts encore. Même si les contacts sont peu fréquents, même si les contacts sont très courts, on voit des impacts physiologiques et psychologiques, émotifs chez ces enfants-là, avant la visite, bien entendu, lorsqu'on leur annonce qu'ils vont venir voir papa, maman, pendant la visite mais également après. Donc, c'est la raison pour laquelle j'ai tenu à mentionner que ce serait important que soit rajoutée la notion de positivisme dans les liens significatifs.

Mme Hivon : Est-ce que vous pensez que ce serait une bonne idée d'écrire le caractère exceptionnel dans la loi?

Mme Vautour (Nicole Anne) : Je ne voudrais certainement pas me substituer à un légiste ou un juriste.

Mme Hivon : Inquiétez-vous pas, on se prend tellement au sérieux, vous...

Des voix : Ha, ha, ha!

Mme Hivon : Je vous demande votre expertise.

Mme Vautour (Nicole Anne) : Alors, comme experte clinique, j'apprécierais, effectivement, qu'on nomme cette obligation de mettre cette paire de lunettes là dans l'analyse des situations d'adoption.

Mme Hivon : Parce qu'évidemment aujourd'hui on a tous en tête ce qu'on veut avec ça, mais on peut se projeter dans l'avenir puis on ne sait pas comment la pratique pourrait se développer puis que ça devienne quelque chose de plus régulier. Je comprends que, dans tous les cas, c'est l'intérêt de l'enfant qui doit primer. On en a parlé souvent. Comme le projet de loi est libellé, le consentement, donc, du parent va devoir se donner pour l'une ou l'autre forme d'adoption. Est-ce que vous pensez que ça, ça risque peut-être d'accroître un peu de marchandage au consentement, d'accepter mais en étant certain que ces liens-là vont être reconnus?

Est-ce que vous pensez que le consentement devrait être obtenu de manière générale puis que ça soit plus le tribunal qui, à la suite des expertises, vienne décider — il peut avoir une recommandation — mais que le consentement ne soit pas lié à une ou l'autre, puisqu'on reste dans la même forme juridique mais avec une reconnaissance différente?

Le Président (M. Ouellette) : Me Laberge.

Mme Laberge (Alexandra) : Je pense, par rapport au consentement, que, si un parent consent à l'adoption mais avec maintien du lien préexistant et qu'en définitive le DPJ, dans son évaluation, en viendrait à la conclusion que ce ne serait pas dans l'intérêt de l'enfant, je vois difficilement comment on pourrait procéder à l'adoption par consentement. Je pense qu'à partir de ce moment-là on devrait nécessairement prendre le volet de la déclaration d'admissibilité à l'adoption, ce qui, à mon avis, laissera la porte au tribunal pour décider d'une adoption sans le maintien des liens.

Mais, dans la mesure où le parent consent avec ce volet-là du maintien, je vois mal comment on pourrait faire l'adoption sur son consentement, mais sans maintenir le lien préexistant, comme il le demande.

Mme Hivon : Oui, c'est ça. Mais ma question, c'est : Justement, est-ce que c'est utile de prévoir ça, que le consentement est pour une ou l'autre des formes, ou, indépendamment, là, ça peut être... ou est-ce que justement on devrait se dire : Bien, à la lumière de tout le dossier, il y a un consentement puis on...

• (12 h 50) •

Mme Laberge (Alexandra) : Juridiquement, ça n'a pas d'effet. Tu sais, on le disait tout à l'heure, ça reste une adoption qui est plénière, ça reste une adoption qui met fin aux obligations et aux droits entre le parent d'origine et l'adopté. Donc, en définitive, ça n'a pas d'effet, donc, oui, le parent... Peut-être qu'on pourrait perdre des consentements, parce qu'un parent voudrait consentir, mais, avec ça... et on ne se dirige pas vers ça, mais est-ce qu'en bout de ligne ça va nuire au processus? Je ne saurais pas vous le dire.

M. Salois (Eric) : C'est ça. Puis est-ce qu'on le fait pour les bonnes décisions, dans le sens qu'il faut que ce parent-là, s'il consent, il consente sur le fait que lui-même considère qu'il a une incapacité et que les parents, souvent, chez qui vit l'enfant déjà vont être en mesure de respecter ça? C'est là-dessus qu'il faut que le parent prenne sa décision libre et éclairée et non pas sur une condition de contact ou pas.

Mme Hivon : C'est pour ça que je me demande si ça n'augmente pas le risque. Évidemment, vous êtes là pour évaluer, le tribunal est là pour évaluer l'intérêt de l'enfant, mais on veut minimiser les risques aussi qu'on puisse arriver à une situation où il y a une tension ou un marchandage ou une pression qui soit mise. Si jamais, en tout cas, vous avez des réflexions supplémentaires sur cette question-là, vous pouvez écrire à la commission pour nous le dire.

J'ai aussi une dernière question, ce n'est pas la moindre. Mais, compte tenu de toute l'ouverture pour la recherche, donc, des antécédents et d'identité, on peut s'imaginer, parce qu'on a beaucoup de témoignages de gens plus âgés qui ont très, très hâte au changement de la loi... il va y avoir des vetos qui vont pouvoir être inscrits, une campagne d'information qui va être faite, il va y avoir des gens qui vont vous le demander. Donc, j'imagine que ça, ça vient avec du travail supplémentaire.

Est-ce qu'il y a des ressources additionnelles qui vont être requises? Et est-ce que vous êtes rassurés par rapport à ça?

Le Président (M. Ouellette) : Une petite réponse, Mme Brown.

Mme Brown (Caroline) : Oui, je peux y aller. On est déjà en pourparlers avec le ministère de la Santé et des Services sociaux à ce niveau-là. Ils sont très conscientisés de la demande, effectivement, de la charge de travail que ça va nous amener, la charge supplémentaire de travail que ça va nous amener pendant un bon bout de temps. Alors, les représentations dans ce sens-là ont déjà été faites.

Mme Hivon : Parfait.

Le Président (M. Ouellette) : Merci. Mme la députée de Repentigny.

Mme Lavallée : Une petite question. Tout à l'heure, vous avez soulevé la question de la tutelle. La Chambre des notaires et Me Alain Roy ont parlé du fait que l'adoption ne devait pas être considérée comme la seule et unique solution et que parfois ça ne répondait pas, parce qu'il y a des cas où on veut maintenir le lien avec la famille d'origine, et on a parlé de tutelle dative, ou délégation de l'autorité parentale.

Qu'est-ce que vous pensez de ça? Avec ce que vous voyez, vous, votre clientèle, est-ce que c'est des solutions qui auraient dû être envisagées aussi?

Mme Brown (Caroline) : Pour nous, les directeurs de la protection de la jeunesse, on a déjà ce levier-là à l'intérieur de la Loi de la protection de la jeunesse. Pour certains enfants, leur projet de vie, effectivement, d'aller vers une adoption, ce n'est pas la meilleure option, parce que les liens avec sa famille d'origine... est trop importante, il faut les maintenir. Donc, pour l'enfant, son meilleur projet de vie, c'est d'aller vers une tutelle. À ce moment-là, c'est une tutelle qui est balisée par les directeurs de la protection de la jeunesse mais qui conclut à la fin d'une compromission dans la situation de cet enfant-là, et, à ce moment-là, il n'y a plus d'intervention du DPJ. Ça fait que, pour nous, c'est suffisant pour les cas que nous, on voit.

Maintenant, pour l'ensemble de la population ou les autres situations, je suis peut-être moins habilitée, là, à répondre concernant la tutelle dative, et tout ça. Nous, on n'en fait pas, de ça. Ça peut être un besoin, par contre. J'entends ce besoin-là, mais, comme directeurs de la protection de la jeunesse, on a déjà les leviers à l'intérieur de la Loi de la protection de la jeunesse pour pouvoir y répondre.

Mme Lavallée : Donc, ce que j'entends, c'est que l'adoption n'est pas la seule solution envisageable, là, pour les enfants dont vous vous occupez.

Mme Brown (Caroline) : Non. Effectivement, il y a différentes options qu'on regarde à l'intérieur du projet de vie, l'adoption étant ultimement la plus permanente pour un enfant, mais il y en a effectivement d'autres. On va placer des enfants encore, à la majorité, dans une famille d'accueil, mais on peut aussi aller vers une tutelle qui met fin à l'intervention du DPJ et on peut aller vers l'adoption.

M. Jolin-Barrette : Et sur cette question-là, lorsque vous choisissez d'aller à la tutelle, ça représente combien de pourcentage de vos cas que vous dirigez, supposons, vers la tutelle?

Mme Brown (Caroline) : Hum! Bonne question.

M. Jolin-Barrette : Est-ce que c'est une minorité? Est-ce qu'on peut le chiffrer un peu ou...

M. Salois (Eric) : On n'a pas les chiffres avec nous, là. On serait capables de vous les fournir, dans le sens que, quand on va au niveau... puis, si vous alliez consulter le bilan des DPJ, probablement qu'on peut le retrouver. Il se retrouve, là, au niveau du Web. Mais, je vous dirais, si je parle de ma région, dans Lanaudière, c'est à peu près l'équivalent actuellement. Dans Lanaudière, on parle, peut-être, de 10 à 12 tutelles par année mais aussi d'une dizaine à une douzaine d'adoptions qu'on va faire aussi dans l'année, pour une population approximative d'à peu près 500 000 de population.

M. Jolin-Barrette : Sur la question de l'entrée en vigueur des dispositions législatives du projet de loi n° 113, vous dites : Bien, écoutez, on devrait peut-être repousser ça d'une année, le temps d'avoir un délai tampon. La difficulté, c'est que les gens attendent vraiment le projet de loi. Je comprends, là, que vous êtes en discussion avec le ministère de la Santé pour des ressources supplémentaires, mais actuellement, lorsque vous avez des demandes, c'est traité dans un délai de combien de temps, environ?

Mme Brown (Caroline) : Bien, actuellement, ça dépend des régions. Il y a des régions qui n'ont pas d'attente du tout, ils ont des réponses quand même assez rapides, mais ça peut aller, dans certaines régions, jusqu'à quatre ans, actuellement.

M. Jolin-Barrette : Jusqu'à quatre ans?

Mme Brown (Caroline) : Oui.

M. Jolin-Barrette : Ça fait que manifestement, déjà, vous manquez de ressources.

Mme Brown (Caroline) : Actuellement, pour différentes raisons, effectivement, il y a... question de volume aussi, ce qui fait qu'on partage, effectivement, nos ressources à bon escient, mais effectivement, au niveau des retrouvailles ou des... il y a, dans certaines régions, plus de difficultés où il manque de personnel à ce niveau-là.

M. Jolin-Barrette : Parce qu'un des objectifs du projet de loi aussi... Je donnais l'exemple, à l'ouverture de la commission, le cas de Mme Blouin, qui a 83 ans. Elle, ça presse, là, vraiment, cette information-là, de l'avoir. Puis quelles régions c'est quatre ans?

Mme Brown (Caroline) : Bien, je ne sais pas si c'est pertinent, mais, en Gaspésie, entre autres, actuellement, c'est quatre ans. Dans les régions, comme en Chaudière-Appalaches, chez nous, on n'a pas d'attente. Montréal, c'est peut-être trois, quatre mois. Mais je ne les ai pas toutes par coeur. Voilà.

M. Jolin-Barrette : Vous êtes les premiers à aborder la question de l'adoption internationale dans votre mémoire. J'aimerais ça vous entendre un peu sur les recommandations que vous formulez, pour vous, l'impact que ça a.

Mme Vautour (Nicole Anne) : Bien, en fait, il n'y a qu'une seule recommandation en adoption internationale que nous émettons dans notre mémoire, c'est celle de préciser la notion de déplacement dans l'article 71 de la LPJ, là, la Loi sur la protection de la jeunesse, parce qu'à notre sens il n'est pas clairement indiqué qu'il s'agit de demandes de déplacement en vue d'une adoption internationale. Par contre, pour l'ensemble des articles de loi en matière d'adoption internationale, nous accueillons favorablement ce qui est écrit dans le projet de loi. Donc, comme il est mentionné dans notre mémoire, tout article de loi qui vise à clarifier le rôle, les mandats et les responsabilités de différentes organisations qui ont à travailler ensemble dans un partenariat étroit ne peut qu'être perçu favorablement.

M. Jolin-Barrette : Sur la question de la disposition pénale, vous dites : Bon, on ne devrait pas mettre de dommages punitifs, on devrait favoriser une disposition pénale. Est-ce que la DPJ poursuivrait, si on l'habilite, là, législativement à le faire... Est-ce que vous indiqueriez vraiment à vos procureurs de dire : Bien, oui, on va donner instruction de poursuite vraiment pour amener les individus qui ont contrevenu, et de les poursuivre devant la cour?

Le Président (M. Ouellette) : Mme Bergeron.

Mme Bergeron (Annick) : Actuellement, il y a déjà des dispositions pénales qui sont prévues dans la Loi sur la protection de la jeunesse. Ce n'est pas le DPJ qui va poursuivre, exactement, et c'est très peu utilisé, mais c'est le DPCP. Et je comprends, là, qu'au bureau du DPCP il y a une équipe qui s'occupe des différentes lois qui ont des dispositions pénales. Donc, dans la mesure où il y avait une situation où c'était clair que la personne, sciemment, était au courant que la personne ne voulait pas de contact, je pense qu'il y a des situations où ça pourrait, effectivement, donner ouverture. Mais, par contre, c'est certain que, dans des situations aussi délicates que ça, bien, il faudrait analyser les situations cas pas cas, et je souhaiterais ardemment que le procureur au DPCP nous consulte pour voir si c'est approprié ou non de donner suite, là.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Mme Caroline Brown, M. Eric Salois, Mme Nicole Anne Vautour, Me Alexandra Laberge, Me Annick Bergeron, représentant les directeurs et directrices de la protection de la jeunesse.

La commission suspend ses travaux quelques instants, avant de se réunir en séance de travail sur le Code d'éthique à la salle RC.171. Les auditions publiques sur le projet de loi n° 113 se poursuivront à 15 heures ici même.

(Suspension de la séance à 12 h 59)

(Reprise à 15 h 4)

Le Président (M. Ouellette) : À l'ordre, s'il vous plaît! La Commission des institutions reprend ses travaux. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électriques... électroniques — ce serait mieux. Bon, probablement que je suis encore dans l'euphorie d'à matin avec «maître» et «madame».

Nous poursuivons les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 113, Loi modifiant le Code civil et autres dispositions législatives en matière d'adoption et de communication de renseignements. Nous entendrons, cet après-midi, les organismes suivants : les Femmes autochtones du Québec, un groupe d'Uashat Mani-Utenam — puis je sais que c'est plus long que ça, là, mais vous allez m'aider quand vous allez être avec nous — et le Conseil de la nation atikamekw.

Nous recevons comme premier groupe les Femmes autochtones du Québec, sa présidente, Mme Viviane Michel. Vous avez 10 minutes pour faire votre présentation aux membres de la commission, Mme Michel, et, par la suite, il y aura un échange avec Mme la ministre et les porte-parole des deux oppositions. Je vous donne la parole.

Femmes autochtones du Québec inc. (FAQ)

Mme Michel (Viviane) : (S'exprime dans une langue autochtone). Est-ce qu'on vous a dit que j'allais le faire dans ma langue? Non?

Le Président (M. Ouellette) : Si on me l'avait dit, on aurait eu la traduction simultanée.

Mme Michel (Viviane) : M. le Président de l'Assemblée, Mme la ministre Vallée, élus, députés, etc., bonjour. «Kwei». Mon prénom est Viviane Michel. Je suis la présidente de Femmes autochtones du Québec, une organisation qui est en mouvement depuis 1974 et qui représente les 10 nations au Québec, incluant le milieu urbain.

Femmes autochtones remercie la nation huronne-wendat de nous accueillir dans son vaste territoire non cédé. Nous profitons de notre rassemblement aujourd'hui à l'Assemblée nationale pour réitérer notre demande d'une commission d'enquête judiciaire indépendante provinciale sur les relations entre les forces policières et les femmes autochtones, et ce, dans les plus brefs délais. La violence que les femmes autochtones vivent à tous les jours au Québec découle d'un racisme et d'une discrimination systémiques. Nous demandons au gouvernement provincial de sortir de son état de léthargie et de travailler avec nous pour protéger nos femmes, nos enfants et pour bâtir ensemble une société que nous serons fiers de léguer à nos futures générations. Femmes anishnabes, femmes autochtones au Québec, on vous croit.

Nous aimerions également remercier les membres de la Commission des institutions de nous avoir convoquées pour partager nos commentaires et recommandations sur le projet de loi n° 113, Loi modifiant le Code civil et d'autres dispositions législatives en matière d'adoption et de communication de renseignements.

Comme vous le savez, Femmes autochtones du Québec est impliquée, depuis plusieurs années, dans le processus de discussion et de réflexion sur l'adoption coutumière autochtone et la reconnaissance de ses effets dans le système juridique québécois. S'il acquiert le statut de loi, ce projet de loi marquera l'histoire du Québec. En effet, cette loi, de par sa nature, reconnaît le pluralisme juridique qui existe au Québec et au Canada en donnant effet au système juridique autochtone à l'intérieur de l'ordre légal québécois. À l'époque précoloniale, les peuples autochtones avaient et ont su élaborer leurs propres moyens de se gouverner et de s'organiser. À cet effet, chaque nation avait son propre ordre juridique qui régissait la société. L'héritage de la colonisation nous a imposé un système de gouvernance et d'appartenance imprégné de valeurs et de conceptions du monde qui nous sont étrangères et différentes. Cependant, nos ordres juridiques n'ont jamais cessé d'exister et constituent aujourd'hui les bases de nos sociétés. Nos pratiques sont d'ailleurs bien vivantes encore aujourd'hui, ce qui est notamment le cas de pratiques traditionnelles et coutumières de garde ou d'adoption d'enfants. Selon nos histoires orales, nos familles, communautés et nations exerçaient et exercent toujours aujourd'hui des pratiques de garde d'enfants. Celles-ci ont toujours été pratiquées dans le meilleur intérêt de l'enfant et devaient respecter certaines règles et principes, ce qui est encore la réalité aujourd'hui.

Femmes autochtones du Québec a fait une recherche complémentaire en 2010 afin d'avoir une meilleure compréhension de ces pratiques à l'intérieur de nos nations. Neuf des 10 nations membres de Femmes autochtones du Québec y ont participé, et les résultats permettaient d'avoir une bonne vue d'ensemble des pratiques traditionnelles et coutumières de garde d'enfants dans nos différentes nations. Il ressort de ce rapport que les pratiques variaient d'une nation à autre, voire d'une communauté à une autre. En revanche, malgré les différences, il existe une compréhension commune de pratiques coutumières en matière de garde ou d'adoption des enfants qui sembler émerger des témoignages recueillis. Ainsi, chez les Premières Nations du Québec, ces concepts sont globalement définis comme des pratiques qui permettent à des parents biologiques autochtones de demander à d'autres familles, aux membres de la communauté de prendre soin de leurs enfants en dehors du système légal québécois. Les pratiques actuellement en vigueur ne s'appuient pas sur la signature de documents officiels ou légaux par les parents adoptifs et biologiques, mais plutôt par les soins et l'éducation à dispenser aux enfants, c'est-à-dire sur le transfert des responsabilités parentales sur une base temporaire ou indéterminée.

• (15 h 10) •

Les raisons justifiant le transfert d'un enfant à une personne autre que ses parents biologiques semblent varier d'une communauté à l'autre. La majorité des répondants ont aussi déclaré que ces pratiques coutumières se situaient naturellement dans le contexte de la famille élargie : grands-parents, oncles, tantes, cousins, soeurs, etc. Elles permettent aux parents de se décharger de leurs responsabilités familiales lorsqu'ils se sentent incapables de les assumer pleinement.

Les pratiques coutumières en matière de garde ou d'adoption des enfants permettent aux parents biologiques de garder le contact avec leurs enfants, contrairement à l'adoption légale. Ces derniers n'abandonnent donc pas leurs enfants, ils demandent plutôt à d'autres personnes de prendre soin d'eux pendant la période où ils sont incapables de le faire, pour diverses raisons, entre autres économiques ou en cas de négligence, fournissant ainsi l'occasion à des couples sans enfants d'être parents. La responsabilité entière de l'enfant, incluant son développement, est alors placée entre les mains de personnes compétentes tout en préservant l'identité, la culture, la tradition et la langue autochtones chez l'enfant.

Femmes autochtones du Québec rappelle que nos familles, communautés et nations autochtones demeurent les expertes de nos ordres juridiques. Nous accueillons favorablement que ce projet de loi avance dans le même sens, considérant que cela faisait partie des recommandations que Femmes autochtones du Québec avait déposées en 2010. Le projet de loi n° 113 reconnaît que les communautés et nations sont les plus à même d'évaluer nos lois internes en matière de garde ou d'adoption traditionnelle et coutumière. Elles ont le même pouvoir d'établir une autorité compétente qui sera en charge d'établir, s'il y a lieu, le respect de leurs pratiques et coutumes.

Comme l'objectif de la loi est de donner effet aux lois autochtones en matière de garde d'enfants dans l'ordre juridique québécois, Femmes autochtones du Québec est d'avis que le projet de loi doit s'abstenir de légiférer le droit interne autochtone, qui relève, nous le répétons, des compétences autochtones. Nous sommes aussi conscientes que nos pratiques d'adoption coutumière peuvent parfois apporter des complications dans le système légal québécois. La délivrance d'un certificat par une autorité compétente autochtone de la nation de l'enfant qui atteste la pratique de l'adoption coutumière pourrait possiblement en venir à les atténuer.

Femmes autochtones du Québec recommande au législateur d'ajouter l'article 601.1, tel qu'il appert dans le mémoire d'Uauitshitun santé et services sociaux, afin de permettre aux nations autochtones dont les pratiques d'adoption ne créent pas un nouveau lien de filiation entre l'enfant et l'adoptant de bénéficier des mêmes droits que ceux dans la pratique coutumière, qui en crée en vertu de l'article.

543.1. Femmes autochtones du Québec demande également au gouvernement du Québec que la reconnaissance légale des effets de lois autochtones régissant la garde et l'adoption coutumière traditionnelle soit accompagnée d'autres solutions préventives d'ordre non législatif permettant de s'attaquer aux causes fondamentales qui entraînent le placement des enfants autochtones à l'extérieur de leurs communautés, soit les effets de la colonisation, dont la Loi sur les Indiens, les pensionnats indiens, la pauvreté et violence.

Femmes autochtones du Québec rappelle que, dans l'intérêt de nos enfants, et en conformité avec nos ordres juridiques autochtones, il est important de protéger leur liberté de choisir entre demeurer avec leurs familles adoptives ou de retourner auprès de leurs familles biologiques. Ces pratiques de garde ou d'adoption d'enfants rejoignent également notre sentiment d'appartenance à la famille en tant que Premières Nations. Le principe de flexibilité et de fluidité des droits autochtones doit être préservé et maintenu par ce projet de loi, constitue pour nous un signe de respect envers les enfants de même qu'un de leurs droits, celui de laisser la liberté de choisir.

Avec l'adoption de telles dispositions dans l'ordre juridique québécois, nous faisons ensemble un grand pas vers le respect des droits à l'enfant. «Tshinashkumitin». Merci.

Le Président (M. Ouellette) : Merci. Mme la ministre.

Mme Vallée : Merci, Mme Michel. Merci beaucoup de votre...

Une voix : ...

Mme Vallée : Oui. Je vais vous laisser reprendre votre souffle. Merci de votre présentation. Je sais que votre association a participé, avec beaucoup d'intérêt, à tous les travaux qu'a menés le Groupe de travail sur l'adoption coutumière, qui avait rendu son rapport public en 2012.

Donc, est-ce que vous considérez que le projet de loi, dans sa forme actuelle, répond bien aux préoccupations qui étaient soulevées dans le rapport? Est-ce qu'il y a des éléments que vous considérez qui devraient être renforcés à l'intérieur du projet de loi n° 113?

Le Président (M. Ouellette) : Mme Michel.

Une voix : Oui.

Le Président (M. Ouellette) : Mme Smith.

Mme Smith (Cynthia) : «Kwei». Cynthia Smith, analyste juridique et politique pour Femmes autochtones du Québec.

Comme on l'a souligné, en fait, on appuie la disposition qui a été mise de l'avant, en fait, par les Innus, qui est supportée aussi par les Attikameks et, si je ne m'abuse, par le Barreau du Québec également, qui est l'article 601.1. Cet article-là, en fait, vient apporter un soutien à la coutume où il n'y a pas création de lien de filiation. Donc, ce qui se passe en fait, c'est que, dans la majorité... suite à la recherche qu'on a faite, Femmes autochtones du Québec, notamment en 2010... Dans toutes... ou la majorité, en fait, des Premières Nations qu'on est allées visiter, ce qui ressort majoritairement, c'est qu'il n'y a pas de bris ou de création, nécessairement, non plus du lien de filiation. Donc, ce qu'on voit quand on parle d'adoption... le terme, là, d'adoption coutumière, là, mais que nous, on parle plutôt, là, de garde d'enfants, c'est une délégation ou un partage, en fait, là, de l'autorité parentale en termes légaux québécois, là. Donc, on partage les responsabilités ou c'est une délégation complète, là, des responsabilités. Donc, c'est vraiment ça qui se passe.

Donc, ce qu'on voit comme faille, c'est que, si on regarde, par exemple, l'article 543.1, si je ne m'abuse... oui, 543.1 parle, en fait, de situations où, au deuxième paragraphe, là, «une telle adoption, qui, selon la coutume, crée un lien de filiation entre l'enfant et l'adoptant». Donc, ça voudrait dire qu'on pourrait seulement donner un certificat, en fait, là, qui reconnaîtrait l'adoption coutumière seulement dans les cas où il y aurait la création d'un lien de filiation. En l'espèce, ce qui se passe, c'est que, dans la majorité des Premières Nations, ce n'est pas quelque chose qui se fait dans nos coutumes. Donc, il n'y a pas de création de lien de filiation, là, dans la coutume, entre l'adoptant et l'enfant.

Mme Vallée : Donc, en fait, ce que vous recommandez, c'est d'intégrer à l'intérieur du projet de loi les dispositions relatives à une possibilité de délégation d'autorité parentale, puis vous considérez que la proposition de l'article 601.1 qui est présenté correspond en tous points à votre souhait et aux besoins des communautés. Donc, ce n'est pas d'abroger ce qui est prévu, mais d'ajouter d'autres alternatives.

Mme Smith (Cynthia) : C'est exact.

Mme Vallée : D'accord.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Vous avez aussi apporté des recommandations qui sont beaucoup plus larges à l'intérieur de votre mémoire. Je pense notamment à la recommandation 4, par laquelle vous recommandez que le système de protection de la jeunesse du Québec adopte une approche plus holistique en matière de garde des enfants et de protection de la jeunesse de façon à tenir compte des réalités, coutumes et enseignements traditionnels autochtones et des réalités des communautés.

De quelle façon imaginez-vous la mise en place de cette approche? Ça pourrait passer par quel type de mesures, quel type de démarches qui devraient être entreprises par le DPJ pour donner pleinement effet à la recommandation que vous nous présentez?

Le Président (M. Ouellette) : Mme Smith.

• (15 h 20) •

Mme Smith (Cynthia) : Ce qui se passe, en fait, c'est que ce qu'on voit comme problème, par exemple, avec la DPJ, c'est que... Par exemple, un enfant est enlevé de la communauté, mais qu'il est déjà, disons, dans une situation, là, d'adoption coutumière, O.K., mais que, sous le projet, là, avant le projet de loi actuel... ou, même s'il n'y a pas l'ajout de 601.1, donc, par exemple, dans des cas où il n'y aurait pas, là, la création d'un nouveau lien de filiation et donc il n'y aurait pas l'émission d'un certificat qui reconnaît l'adoption coutumière, l'enfant ne pourrait pas être reconnu comme étant, là, déjà traditionnellement adopté par la nouvelle famille adoptive. Donc, il serait enlevé de cette famille-là, et puis, avec les dispositions, en fait, de durée maximale qui sont prévues avec la DPJ, c'est que l'enfant, à partir du moment où on a atteint la durée maximale, serait éligible à l'adoption. Ça, c'est des situations qui se produisent actuellement et qui nous posent problème, qui nous font peur. Donc, ce qu'on propose, en fait, c'est qu'il y ait une meilleure réorganisation avec la DPJ et le système, en fait, de reconnaissance de l'adoption coutumière, parce qu'ils sont interreliés à ce niveau-là, là, quand on parle de durée maximale.

Quand on est venues également, là, faire des recommandations et des commentaires concernant le projet de loi n° 99, on a mentionné qu'on désirait, en fait, que la durée maximale soit réévaluée, parce que justement c'est quelque chose qui n'est pas adapté aux communautés autochtones, dans la mesure où souvent les durées maximales, en fait, ne permettent pas nécessairement que les gens qui sont en communauté aient accès aux services nécessaires d'aide, de remise sur pied aux parents, en fait, pour qu'ils puissent être en mesure de réaccueillir l'enfant. Donc, dans ces mesures-là, quand on voit qu'il y a comme une connexion... Dans nos pratiques d'adoption coutumière, il y a aussi le fait qu'il y a le caractère temporaire et indéterminé. Donc, ça aussi, c'est quelque chose qu'on ne voit pas actuellement, là, dans la version actuelle du projet de loi n° 113.

Donc, comme Mme Michel le disait tantôt, il y a une fluidité, en fait, dans nos systèmes juridiques autochtones, où, si l'enfant désire revenir dans sa famille biologique... c'est quelque chose qu'on voit fréquemment. Même que les familles adoptives, donc souvent c'est la famille élargie, vont encourager l'enfant à retourner dans la famille biologique. Donc, ça, on demande, dans le fond, une mesure plus holistique, là, pour éviter qu'on regarde un seul projet de loi ou une seule loi individuellement quand, en fait, elles sont interreliées.

Mme Vallée : Si je vous comprends bien, vous demandez des aménagements, plus de souplesse lorsque des interventions notamment des centres jeunesse sont faites auprès d'enfants des communautés autochtones afin de reconnaître les différentes alternatives qui, traditionnellement, ont cours au sein des communautés. Et je comprends, parce que la particularité du projet de loi, c'est de reconnaître les autorités compétentes qui verront à déterminer s'il s'agit bel et bien d'une adoption coutumière.

Dans ce sens, comment voyez-vous la création et la mise en place de ces autorités compétentes et voyez-vous un enjeu particulier en lien avec la détermination des autorités compétentes? Est-ce que vous avez des commentaires à formuler face à cette façon de fonctionner?

Le Président (M. Ouellette) : Mme Michel.

Mme Michel (Viviane) : C'est une question quand même pertinente. Merci, M. le Président.

Écoutez, on a quand même un exercice aussi à faire dans chaque communauté, justement, premièrement avec peut-être notre service des services sociaux, qui est quand même un apport indispensable, justement, pour le bien-être de l'enfant. Et, pour le reste, c'est à voir aussi à établir des stratégies, justement, comment on va éviter, justement, à l'avenir, de faire sortir des enfants des Premières Nations des communautés. Et ce qu'on apporte, justement, avec le mémoire qu'on vous dépose, avec la démarche qu'on est en train de faire sur la loi n° 113 va éviter de sortir des enfants maintenant des communautés. Et une des choses majeures que nous, on trouve importantes à garder, c'est vraiment le lien avec la famille, évidemment, la famille élargie, le lien avec la communauté, le lien avec sa langue, sa culture et aussi la façon de vivre avec nos communautés. Donc, ça, c'est une entité quand même importante pour le développement de nos enfants. On sait que, dans la société en général, les communautés sont mal vues, mais on a quand même des belles valeurs. Premièrement, l'identité de l'enfant, la retransmission de la langue, la retransmission de l'identité fait partie innée chez nous, et ça, c'est une responsabilité des femmes de retransmettre la langue, la culture, etc.

Donc, je pense que les moyens à l'interne sont la responsabilité des communautés, justement, d'établir quels vont être vraiment les vrais besoins à l'interne des communautés. Je ne pense pas que Femmes autochtones du Québec va vous donner une directive directement pour dire : Voilà, nous, comment on veut que ça marche dans les communautés. On a une responsabilité, oui, nous aussi, en tant que porte-parole, mais il y a aussi la responsabilité de chaque communauté au Québec. 54 communautés au Québec doivent être au courant aussi de la loi n° 113. Donc, je pense qu'il y a aussi une éducation à faire dans les communautés, à les informer sur c'est quoi, la loi n° 113. Ce n'est pas tout le monde qui est quand même au courant de la loi n° 113, qui va être adoptée bientôt.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Merci. En fait, c'est un élément que vous abordez, qui est fort important, qui est celui de rejoindre les communautés pour informer des changements, de modifications qui sont apportés. Vous avez bien raison.

En ce sens, de quelle façon la voyez-vous, cette communication, vous qui êtes près des communautés? Quelle forme devrait-elle prendre? Est-ce qu'elle devrait se faire à travers les communautés comme telles par des biais de rencontres, de documentation? Est-ce que vous avez une suggestion à nous proposer?

Mme Michel (Viviane) : Évidemment, nous, à Femmes autochtones du Québec, lorsqu'on a justement à informer nos membres, parce qu'on représente les 10 nations au Québec, incluant la population urbaine, et on est une organisation bilingue, donc la langue est quand même importante... les langues québécoises, comme on pourrait dire.

Nous, de la façon dont on procède, c'est sûr que nous, on a quand même un privilège. C'est que nous, nous sommes en contact avec nos membres. Nous allons, une fois par année, faire la tournée de nos membres. Si on prend, exemple, la loi S-2, nous avons participé, justement, à consulter et à informer nos membres et à revenir avec des propositions. Ça, c'est notre façon à nous. Et par la suite, évidemment, on a produit quand même des genres de pamphlets informatifs sur, justement, les enjeux ou les grandes idées principales, et ça s'est fait dans les deux langues. Évidemment, nous, quand on va dans les communautés... Si je vais dans ma communauté, tout se passe dans ma langue. La langue est importante lorsqu'on a à faire des sessions d'information. Sessions d'information, pamphlets, etc. Il y a toutes ces formes, justement, informatives qui peuvent être données, ou envoyées, ou... peu importe de la façon dont ça se fait.

Mme Vallée : Une autre de vos recommandations, c'est de sensibiliser l'ensemble des intervenants non autochtones à la réalité des communautés auprès de qui ils sont ou elles sont appelées à travailler, puis vous ciblez particulièrement les intervenants des centres jeunesse. Je sais d'expérience, dans certaines régions, et vous avez une vue d'ensemble qui est beaucoup plus large, qu'il y a une sensibilité de plus en plus grande, justement, à comprendre les réalités des communautés environnantes.

Est-ce que vous avez des précisions à aborder sur votre recommandation? Parce que votre recommandation, c'est une formation sur les cultures, l'histoire, les réalités autochtones. Vous avez 54 communautés. Donc, cette formation, si je comprends bien, serait propre à chaque communauté.

• (15 h 30) •

Mme Michel (Viviane) : Écoutez, c'est sûr que c'est vraiment important surtout pour les non-autochtones qui viennent travailler en territoire autochtone, la connaissance, au moins une grande base, des réalités des peuples autochtones.

Nous sommes des peuples vraiment différents. On a un fonctionnement différent.

Et, si je prends, par exemple, en 2012, on a été appelées d'urgence dans une communauté où est-ce que des femmes ont fait un blocus pour ne pas faire entrer des intervenants, des travailleurs sociaux provinciaux, parce que cette communauté-là n'avait pas la prise en charge de sa propre communauté. Donc, j'ai été quand même assez étonnée de voir que 38 travailleurs sociaux étaient en place pour une petite communauté. Et là on peut voir les différences fédérales et provinciales; quand c'est du fédéral, pour cette même communauté-là que j'ai entendue dernièrement : deux travailleurs sociaux. Vous voyez l'importance aussi de donner une formation à des gens non autochtones qui arrivent. Et les femmes qui avaient fait le blocus avaient contesté dans le sens... trop de placements d'enfants et elles ne connaissaient pas la réalité des peuples autochtones. Donc, c'est important, eux autres, pour leur donner la formation, qui que ce soit qui vient travailler dans une communauté... l'importance.

Maintenant, si la loi n° 113 s'applique, il y a quand même un même processus à faire avec nos intervenants. Il faut que nos intervenants soient aussi capables de bien comprendre cette loi-là maintenant, capables aussi de bien l'appliquer dans leur travail au quotidien.

Le Président (M. Ouellette) : Merci.

Mme Vallée : Merci.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon : Bonjour. Merci beaucoup d'être parmi nous, Mme la présidente et Mme Smith, pour votre éclairage. Je veux simplement, d'entrée de jeu, vous dire qu'on a entendu votre cri du coeur en début de témoignage, et nous souhaitons aussi, tout comme vous, que vous puissiez avoir droit à une commission d'enquête indépendante sur la question des relations entre les policiers et les femmes autochtones, notamment, et que cela puisse amener de l'apaisement aussi dans vos communautés.

Écoutez, beaucoup de questions. D'entrée de jeu, j'aimerais comprendre... ou savoir pourquoi, pour vous, c'est une avancée de voir reconnaître la réalité de l'adoption et, on va y venir, potentiellement, de la garde coutumière dans un projet de loi, parce qu'on peut se poser la question si on est à l'extérieur. Vous avez votre coutume, elle se pratique, elle existe. Donc, quels effets recherchez-vous par une reconnaissance, au sein du droit civil québécois, de cette réalité-là?

Mme Michel (Viviane) : J'aurais le goût de...

Le Président (M. Ouellette) : Mme Michel.

Mme Michel (Viviane) : M. le Président, j'aurais le goût de vous renvoyer la question, justement, vous qui travaillez sur la loi n° 113 : Pourquoi est-ce que vous avez fait une ouverture, justement? Pour nous, on l'accueille très bien. C'est une forme, quand même, de reconnaissance aussi des différences d'application que l'on a.

Nous, on a quand même des lois, à l'intérieur des communautés, naturelles, comme on pourrait dire, des lois où est-ce que ce n'est pas écrit comme dans votre code québécois. Ces formes-là ont toujours existé, la garde d'enfants chez la mère quand on n'est plus capable. On a quand même cette force de dire même, en tant que parent : Quand on n'est pas capable, on n'est pas capable — ça, c'est une grande force, il ne faut pas le voir du côté négatif — et avoir ce choix-là de donner la garde à qui que ce soit en qui on va avoir confiance quand on sait qu'on n'est pas capable de continuer à vouloir garder son enfant, malgré quelques problèmes, ou peu importe.

Donc, je pense qu'avec ce qui arrive maintenant on arrive, je pense, à un momentum où est-ce qu'il y a quand même un changement. Il y a quand même un changement et il y a quand même une petite reconnaissance pour nous, en quelque part. Enfin, une porte s'ouvre. Enfin, une petite reconnaissance peut exister dans notre façon, dans notre manière d'adoption ou de garde d'enfants, et ça, de notre côté, à Femmes autochtones du Québec, on apprécie justement cette petite ouverture, comme on pourrait dire.

Mme Smith (Cynthia) : Je rajouterais... Est-ce que je peux?

Le Président (M. Ouellette) : Mme Smith.

Mme Smith (Cynthia) : Ce qui est important aussi, c'est que nos systèmes légaux ont toujours existé. Ils existent encore. Ils ont toujours existé. Puis ce qui se passe actuellement, c'est que, pour la première fois, on a clairement écrit noir sur blanc qu'il y a une reconnaissance et qu'il y a un respect aussi de la compétence autochtone. Il y a un respect au niveau de laisser les communautés, les nations à décider et à octroyer, là, nos propres droits, nos propres lois, nos propres systèmes juridiques, parce que le projet de loi, il ne touche pas le contenu, il touche les effets. Donc, dans cette vision-là, c'est vraiment un grand avancement, parce que c'est de faire un pas vers le pluralisme juridique, comme Mme Viviane Michel disait au début. Donc, c'est le premier pas, en fait, qu'on fait dans cette direction-là.

Puis nous, on continue à les pratiquer, tu sais? Qu'il y en ait ou qu'il n'y en ait pas, de cette ouverture-là, on va continuer à les appliquer quand même, nos systèmes juridiques. Sauf que ce qui se passe, c'est qu'on les pratique, puis, quand on fait face avec le système juridique québécois puis qu'il ne le reconnaît pas, bien, elle est où, notre force de notre système, là-dedans? Nous, on va continuer à le faire quand même, mais c'est comme s'il y a une hiérarchie qui se crée puis qui a toujours été là, puis là c'est comme de dire : Bon, bien, votre hiérarchie, on accepte, là, que maintenant c'est... au moins à ce niveau-là, là, on accepte que c'est d'égal à égal, que vous avez, en tant que peuple autochtone, vos manières de faire, que vous avez, en tant que société québécoise, vos manières de faire, qu'on respecte les compétences de l'un et de l'autre puis qu'on accepte qu'il va y avoir des effets de nos systèmes dans votre système.

Mme Hivon : Moi, comment je le voyais, pas experte du domaine de l'adoption coutumière, d'une part, tout ce que vous dites, donc la reconnaissance de cette coutume... Puis je pense qu'effectivement c'est une grande avancée, parce qu'il n'y en a pas des tonnes, d'exemples, là... je ne dirais pas que c'est le premier, mais d'une incorporation d'une coutume des Premières Nations formellement reconnue comme ça. Donc, je pense que, de ce point de vue là, oui. Mais je pensais aussi qu'il y avait une question, je dirais, de simplifier aussi en termes d'effets juridiques la vie, peut-être, des communautés pour que ça puisse être plus simple quand il y a cohabitation des systèmes, je vous dirais, québécois et des Premières Nations, comme par exemple, pour une déclaration, un certificat de l'acte de l'État civil, ou tout ça.

Et puis là la raison pour laquelle je vous demande ça, c'est que vous nous dites que... Moi, je présumais que l'adoption coutumière faisait en sorte qu'il y avait parfois, effectivement, maintien du premier lien, auquel s'ajoutait un deuxième lien de filiation. On nous a parlé de ça dans les premiers groupes en nous disant que généralement... en tout cas, les Cris, que le premier lien n'était pas rompu. Donc, on a entendu les commentaires par rapport à certains libellés, et tout ça. Mais, en général, je voyais qu'il y avait une addition de liens de filiation. Et là vous, vous nous dites avec la notion de garde que... puis là vous me corrigerez, là, ce que je comprends, qu'il y a des circonstances où, dans le fond, il n'y a pas de deuxième lien. Il y a une garde coutumière, mais ça ne crée pas un deuxième lien. Auquel cas, je me questionne sur les effets recherchés de reconnaître la garde coutumière dans la loi si, de toute façon, le lien de filiation demeure le premier lien, le lien biologique puis il n'y en a pas un deuxième.

Donc, s'il n'y a pas, je dirais, de superposition, quels effets sont recherchés avec la reconnaissance de la notion potentielle de garde coutumière?

• (15 h 40) •

Mme Smith (Cynthia) : Ce qui se passe, c'est que, par exemple, quand on regarde les situations de... Disons que, mes enfants, c'est Viviane qui s'en occupe puis qu'on a besoin d'une signature, par exemple, pour avoir accès aux soins, ou peu importe. Bien, si moi, je ne suis pas en mesure de le faire, Viviane, elle dit : Bien, je vais le faire. Sauf que, dans le système actuel, c'est qu'on ne reconnaîtra pas que Viviane, elle signe. Donc, dans ces situations-là, quand il y a un partage, en fait, de l'autorité parentale... Parce que c'est ça, l'adoption coutumière, là. Ce qu'on entend par adoption coutumière, ça n'existe pas dans nos langues. On ne parle pas d'adoption. Le mot n'existe pas. On parle de prendre soin d'un enfant, dans la majorité des langues, parce qu'on s'entend aussi, là, qu'on a 11 nations au Québec, là. Mais l'idée, dans la majorité des nations, c'est ça, c'est un partage... en fait, soit une délégation ou un partage des responsabilités face à l'enfant.

Puis, comme vous l'avez vous-même souligné, en effet, il y a des situations où, des fois, il y a des enfants qui vont dire que Viviane, ça va être sa mère, que moi aussi, je vais être sa mère, il va y avoir comme deux mères. Il y en a des fois, ils vont dire : Ah! bien, j'ai encore juste une mère ou... Tu sais, il y a une fluidité là-dedans. Dans le système légal, comme on disait tantôt, là, c'est... Ce n'est pas comme le système légal, là, québécois, où c'est très ferme. Il y a une capacité d'adaptation puis une certaine liberté là-dedans. Donc, dans cette optique-là, effectivement, il n'y a pas nécessairement... la majorité des cas, en fait, la règle générale, il n'y a pas de rupture du lien de filiation puis il n'y a pas de création non plus, généralement, là, du lien dans toutes les nations.

Mme Hivon : Je n'ai plus de temps, hein?

Le Président (M. Ouellette) : Non. On s'en va à Borduas.

M. Jolin-Barrette : Bonjour, mesdames. Merci d'être ici, en commission parlementaire. À la lecture de votre mémoire, à la page 7, au haut de la page... vous dites : Les femmes autochtones victimes de violence conjugale, 80 % de celles-ci «avaient vu leur enfant placé dans des familles non autochtones». Donc, je comprends qu'il y a un enjeu, là aussi, au niveau du respect de la tradition puis au niveau du transfert des valeurs, au niveau de la culture.

Mme Michel (Viviane) : Oui. Votre question, c'est?

M. Jolin-Barrette : Bien, en fait, la question, c'est : Comment est-ce qu'on peut pallier à ça? Comment est-ce qu'on peut faire pour, lorsqu'il y un placement, dans le fond, que les enfants puissent se retrouver dans des familles autochtones?

Mme Michel (Viviane) : C'est une grande question. Tout à l'heure, je vous ai parlé que certaines communautés ont la prise en charge des services sociaux, d'autres ne l'ont pas et, lorsque tu n'as pas la prise en charge des services sociaux de ta communauté, donc, c'est vraiment les lois provinciales qui s'appliquent dans une région fédérale, O.K.?

Et, si je prends comme exemple ma communauté, qui a sa propre prise en charge des services sociaux... applique ou bien donc fait quand même leur propre fonctionnement, ce qui ne l'est pas dans une communauté qui n'a pas la prise en charge des services sociaux. Ce qui amène à, justement, des intervenants non autochtones qui viennent travailler à la masse, comme je vous ai dit tout à l'heure. 38 intervenants dans une petite communauté, c'est fort. Et, ne connaissant pas les réalités, nos réalités à l'intérieur des communautés, lorsqu'ils rentrent... la petite étudiante qui vient de finir son bac ou sa maîtrise, qui rentre dans une communauté, voit un enfant dans un parc jouer tout seul, il y a matière à faire un signalement, tandis que, nous, dans une communauté, c'est ça, la réalité : nos enfants sont quand même en liberté, mais on a un oeil dessus, sur nos enfants, quand même. Vous voyez, ça, c'est des différences encore dans ce sens-là.

Et, pour avoir été dans cette communauté, beaucoup, beaucoup de plaintes envers les parents, beaucoup, beaucoup de sorties d'enfants de la communauté... parce que, premièrement, dans la Loi de la protection de la jeunesse, la loi n° 152 — c'est ça? — on ne peut pas répondre aux critères d'admissibilité pour être famille d'accueil. Parce que vous connaissez quand même... j'espère que vous connaissez le portrait des Premières Nations : manque de logements, surpeuplement. Et, même si moi, j'ai un coeur à vouloir prendre plein d'enfants, dans vos lois à vous, il faut que l'enfant ait sa propre chambre. On est en surpeuplement. Nous, si on le regarde, mon peuple vivait de façon nomade, on dormait dans le même espace, dans une tente. Il n'y avait aucun problème. Mais, pour vos lois à vous, si l'enfant n'a pas sa propre chambre, bon, bien là ça devient matière à problèmes, tandis que, pour nous, on peut dormir ensemble dans le salon, puis il n'y a rien de malsain, c'est tout à fait sain.

Ça, c'est des différences quand même. C'est triste à dire, mais, avec la Loi de la protection de la jeunesse, il y a quand même des dangers, dans le sens que plus les enfants vont être ressortis de la communauté... les enfants perdent le contact avec leur langue, leur culture, la vie avec la communauté. Et deux ans pour se rétablir... Si moi, je me suis fait beaucoup de dépressions nerveuses, comment, en deux ans, je vais me rétablir? Si aussi j'ai un problème de toxicomanie... etc. Puis je ne veux pas rentrer dans les victimisations, mais c'est le timing. Et, après, le danger, c'est que l'enfant peut être adopté par la famille d'accueil qui est non autochtone. Et, avec la loi 113, si la loi s'applique, je pense que, ça, on évite justement d'aller dans ce sens-là et on peut, nous, à l'interne, dans les communautés, faire des plans de match pour éviter ces genres de situation.

Mme Smith (Cynthia) : Ce qui est dangereux aussi, c'est que, comme Mme Michel a dit, si l'enfant, il est adopté, là, dans la famille non autochtone, c'est de manière permanente, alors que, quand nous, on fait nos adoptions traditionnelles, on reconnaît, en tant que parents, que : En ce moment, je ne suis pas en mesure de m'occuper de mon enfant. C'est dans le meilleur intérêt de mon enfant, là, qu'il aille dans une famille que je sais qu'il va être mieux, là, en ce moment. Donc, c'est de prendre cette responsabilité, en tant que parent, pour notre enfant puis c'est de savoir que, bien, je me donne le temps, moi, là, de guérir aussi. Puis ça prendra le temps que ça prendra. Il n'y a pas une limite de : O.K., Cynthia, là, tu as deux ans, «let's go», là. Tu sais, tu prends le temps de guérir. Puis, si l'enfant aussi... C'est quelque chose qui se fait en partenariat avec tous les individus qui sont impliqués.

Comme Viviane le disait plus tôt, il y a une liberté aussi qui est donnée à l'enfant. Nous, on reconnaît beaucoup de liberté dans les droits de nos enfants, dans le droit de nos individus, de nos citoyens. Ça fait que ça, c'est quelque chose aussi, là, qui est très, très différent avec l'adoption légale puis nos adoptions à nous, qui sont de garde d'enfants, là.

M. Jolin-Barrette : O.K.

Le Président (M. Ouellette) : Mme Viviane Michel, Mme Cynthia Smith, représentant les Femmes autochtones du Québec, merci d'être venues déposer devant la commission.

Je suspends quelques minutes. Et, je vais me risquer, je vais avoir les gens, à l'avant, de l'Innu Takuaikan Uashat mak Mani-Utenam, ITUM. Bon, si je ne l'ai pas dit comme il faut, vous me le direz. Je suspends quelques minutes.

(Suspension de la séance à 15 h 47)

(Reprise à 15 h 50)

Le Président (M. Ouellette) : Nous reprenons nos travaux. Nous recevons la vice-cheffe d'Uashat Mani-Utenam et nous recevons la coordonnatrice des services sociaux, Mme Nadine Vollant, et le professeur en droit, à l'Université d'Ottawa, M. Sébastien Grammond.

Mme Michel, vous avez 10 minutes pour faire votre présentation. Après, il y aura un échange avec Mme la ministre et les porte-parole des deux oppositions. J'ai compris qu'au cours de vos 10 minutes chacun en fera une petite partie. Juste nous aider puis nous aiguiller pour que les gens de l'audio puissent capter les conversations. Ça fait que je vous donne la parole, Mme Michel.

Innu Takuaikan Uashat mak Mani-Utenam (ITUM) et Uauitshitun

Mme Michel (Virginie) : «Kuei, kuei». (S'exprime dans une langue autochtone).

Je vous souhaitais le bonjour à tous et à toutes. J'exprimais que j'étais fière et contente d'être présente ici parmi vous, O.K., puis que j'avais fait beaucoup de route justement pour venir affirmer nos droits, les droits de nos enfants aussi puis que j'appuyais le projet de loi. Mais, dans un premier temps, je désire aussi remercier la solidarité autochtone, qui sont venus défendre ou exprimer leurs points de vue, je dirais, concernant le projet de loi : la FAQ, les Femmes autochtones; la CSSSPNQL — c'est très long; ensuite les Cris (s'exprime dans une langue autochtone), les Attikameks.

Je crois que c'est quand même une avancée, effectivement, que la nation du Québec reconnaisse certains droits. Ce n'est qu'un pas parmi des milliers de pas à faire encore pour la reconnaissance du droit et des besoins de nos enfants. Donc, je vous remercie de prendre le temps, justement, de penser à nos droits et à nos enfants. Évidemment, lorsque je passais en conduite en venant ici, j'ai pensé à nos parents, à nos enfants, aux enfants qui sont devenus nos parents. À l'heure actuelle, nos enfants ont beaucoup de besoins, ont beaucoup de difficultés. Donc, je fais appel à la nation du Québec de respecter les droits de nos nations, de notre nation innue, de nos enfants, parce que nos enfants, nous aussi, ont le droit de vivre selon leurs coutumes, qui existent depuis des millénaires avant la création du Québec et du Canada.

Donc, j'espère que toutes les recommandations qui vous seront apportées de la part des autochtones soient entendues et respectées, parce qu'on ne vient pas demander un accommodement raisonnable, on vient tout simplement affirmer avec humilité et dignité que vous respectiez nos enfants.

Mme Vollant (Nadine) : «Kuei». (S'exprime dans une langue autochtone). Nadine Vollant, (s'exprime dans une langue autochtone), services sociaux, depuis plusieurs années.

Ce que je vous dis, c'est que je vous salue tous. Nous sommes heureux d'être ici justement pour apporter la parole des nôtres à l'Assemblée nationale, à Mme la ministre ainsi qu'aux députés. Nous avons une richesse en termes d'expertise, de l'intervention que l'on fait auprès de nos membres, et c'est ceci qu'on vient vous partager aussi aujourd'hui de par notre présentation de notre mémoire. Merci.

Le Président (M. Ouellette) : Me Grammond...

M. Grammond (Sébastien) : Oui. Merci. Alors...

Le Président (M. Ouellette) : ...non, M. Grammond.

M. Grammond (Sébastien) : Comme vous voulez.

Le Président (M. Ouellette) : J'ai un petit peu de misère avec ça. Est-ce que c'est maître ou monsieur?

M. Grammond (Sébastien) : Oh! bien, vous pouvez dire «maître» ou «M. le professeur» aussi...

Le Président (M. Ouellette) : Non, mais c'est bon, je n'ai pas de trouble. O.K.

M. Grammond (Sébastien) : ...peu importe, parce que je suis ici dans le cadre d'un partenariat de recherche avec Uauitshitun où on s'est intéressés à la question de l'adoption coutumière.

Et Uauitshitun et Innu Takuaikan sont d'accord avec le projet de loi n° 113, parce que ça reconnaît les effets du droit innu, du droit des autres nations autochtones et ça va contribuer à mettre de côté un certain nombre de conséquences nuisibles, là, de la non-reconnaissance actuelle des phénomènes qu'on appelle l'adoption ou la garde coutumière, là, par le Québec, et on en donne des exemples dans le mémoire. L'exemple des cartes d'assurance maladie. Souvent, dans une situation d'adoption ou de garde coutumière, il est difficile de faire signer le parent d'origine pour faire renouveler une carte d'assurance maladie. On pourrait croire que ce n'est qu'une difficulté d'ordre administratif, mais, comme on le souligne dans le mémoire, il y a des cas où ça a entraîné la judiciarisation, le signalement d'un enfant en protection de la jeunesse, alors que tous ses besoins étaient comblés, sauf qu'il y avait cette difficulté administrative là, qui était, dans le fond, liée au fait qu'actuellement les autorités québécoises refusent de reconnaître les ordres juridiques autochtones et les concepts de garde et d'adoption coutumière. Et l'article 543.1 qui est proposé va contribuer à remédier à cette situation-là pour les nations autochtones du Québec où l'adoption coutumière crée un nouveau lien de filiation.

Cependant, nos recherches nous ont appris que ce n'est pas partout le cas. Et, entre autres, chez les Innus, le phénomène que l'on appelle, là, adoption ou garde coutumière ne donne pas lieu à la création d'un nouveau lien de filiation... ou, en tout cas, si elle le fait, ce n'est pas immédiat, c'est au bout, je dirais, d'une longue période de temps que les gens considèrent qu'il y a un nouveau lien de filiation, qu'ils vont appeler la personne maman, et ainsi de suite. Et en réalité, quand on regarde le projet de loi n° 113 et on dit : La création d'un nouveau lien de filiation, c'est un concept très juridique, dans le fond, et finalement les Innus ne se posent pas vraiment la question en ces termes-là. Et c'est pour ça que, si l'on s'en tient à cette disposition-là, si on n'y ajoute pas... bien, ça va causer des difficultés. Il se peut que, pour des groupes comme les Innus, ça ne contribue pas vraiment à résoudre les difficultés administratives que j'ai évoquées.

Alors, c'est pour ça qu'Innu Takuaikan et Uauitshitun proposent une nouvelle disposition qui aurait l'objectif plus modeste de reconnaître les effets d'une garde coutumière, si vous voulez, donc la délégation de l'autorité parentale, parce que c'est de ça dont il s'agit. Et, à ce moment-là, on n'a pas besoin de se poser la question de la filiation dans un cas comme celui-là, là. Et donc une disposition comme l'article 601.1 permettrait de répondre de façon simple et flexible à bon nombre de problèmes administratifs qui découlent de la non-reconnaissance actuelle des phénomènes d'adoption et de garde coutumière par l'État québécois. Et nous proposons également des modifications corrélatives à la Loi sur la protection de la jeunesse, là, entre autres un article 38.4 pour clarifier que des situations comme celles-là ne constituent pas à elles seules une situation de compromission au sens de la loi.

Alors, c'est un peu la proposition principale que nous faisons. Nous croyons que cette disposition-là, elle est essentielle pour des groupes comme les Innus, là, où l'article 543.1 pourrait, finalement, ne pas avoir beaucoup d'effets.

Le Président (M. Ouellette) : Merci. Mme la ministre.

• (16 heures) •

Mme Vallée : Merci beaucoup, Mme Vollant, Mme Michel, Me Grammond. Merci de votre présentation, qui fut succincte. Puis je dois dire que votre mémoire est fascinant et passionnant, parce que vous menez actuellement une recherche qui vise, si j'ai bien compris, à identifier les pratiques, les us et coutumes de la nation innue en matière d'adoption ou de garde coutumière.

J'aimerais vous entendre, parce qu'évidemment, on le mentionnait, Mme Michel, de Femmes autochtones, nous disait tout à l'heure : On a 54 communautés, 54 communautés qui ont chacune leur façon de gérer les relations entre les enfants, leurs parents, la famille élargie. J'aimerais vous entendre davantage sur... Je sais que cette recherche n'est pas complétée à l'heure où l'on se parle, mais il y a quand même de grands constats que vous dressez dans votre mémoire, puis j'en ai pris connaissance, mais, pour le bénéfice des gens qui nous écoutent et qui sont ici, j'aimerais que vous en parliez un petit peu, parce que vous nous indiquez qu'il y a quand même... oui, il y a cette garde coutumière, qui est une forme de délégation de l'autorité parentale, qui existe, qu'il existe aussi, dans certains cas, des situations où on va recourir au principe plus traditionnel, civiliste de l'adoption. Donc, il doit y avoir des contextes aussi qui nous amènent à ça. Et j'aimerais vous entendre aussi sur d'autres modèles, ce que vos travaux vous auront amenés à constater.

Le Président (M. Ouellette) : Me Grammond.

M. Grammond (Sébastien) : Alors, je pense qu'il faut bien distinguer deux choses, il faut bien distinguer le contenu de l'ordre juridique innu. Et on a essayé de cerner et de décrire, dans des termes, là... d'abord, en langue française et en des termes qui sont compréhensibles pour les juristes civilistes, là, quelle est à peu près, là, la façon de fonctionner de cet ordre juridique innu. Ça, c'est une chose. Et il y a une autre chose qui est : Quels concepts de droit québécois peut-on utiliser lorsqu'on souhaite donner des effets, en droit québécois, à ce qui se passe dans l'ordre juridique innu?

Alors, quand on dit qu'il y a une situation qu'on appelle, là, la garde ou l'adoption coutumière, là... peu importe le terme qu'on utilise, c'est ce que nous avons constaté, c'est une... je l'ai décrit comme une liberté des parents innus, des familles innues de réarranger, d'une certaine manière, leurs relations familiales d'une façon qui, au départ, se veut temporaire mais qui, dans un certain nombre de cas, devient assez permanente au fil du temps. Et donc on ne peut pas tracer une ligne très précise entre la garde et l'adoption. C'est-à-dire que la garde, si elle se poursuit pendant un certain temps, on constate que les gens considèrent que ça devient... et on a utilisé le mot «adoption», mais c'est nous, les chercheurs, qui l'avons fait, parce que les enfants traitent les parents qu'on appelle adoptifs comme étant leurs vrais parents, et vice-versa. Donc, c'est une observation que l'on fait.

Maintenant, quand on dit : Est-ce qu'il y a différents modèles en droit québécois pour reconnaître cette réalité-là?, alors, oui, il y en a. Et évidemment il faut comprendre que certains parents innus font le choix de ne pas mobiliser le droit québécois. Ils vont dire : Nous, on a adopté quelqu'un coutumièrement ou on garde un enfant — peu importe, là, le terme qu'ils utilisent — et ils ne chercheront pas à obtenir une quelconque reconnaissance de ça. La situation fonctionne, il n'y a pas de problème. Dans certains cas, il y aura des difficultés administratives, et on peut, dans certains cas, les régler, par exemple, en obtenant la signature du parent d'origine. Dans d'autres cas, et on l'a mentionné, vous y avez fait allusion, il y aura des parents adoptifs innus qui vont choisir de recourir à l'adoption légale pour essentiellement traduire en droit québécois une situation qui existe déjà en droit innu. Mais ce n'est pas obligatoire, c'est leur choix. Il peut y avoir différentes raisons pour faire ce choix-là. Il y a des cas aussi où on a utilisé la tutelle. Je crois que c'est des cas qui étaient déjà sous la responsabilité de la DPJ. C'est une autre possibilité. Ce qu'on dit, c'est qu'il devrait y avoir une façon plus flexible de mobiliser le droit québécois pour reconnaître les effets qui vont régler les principales situations où il y a un problème, donc essentiellement des questions qui intéressent l'autorité parentale, pas nécessairement les liens de filiation au sens strict.

Alors, c'est un peu la différence entre les différentes hypothèses, là, qui ont été mentionnées.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Cette étude...

Le Président (M. Ouellette) : Mme Michel, en complément.

Mme Michel (Virginie) : Bien, je vais continuer juste à m'exprimer. Pour moi, ce n'est pas compliqué, tout ce qui est inscrit ici, dans le contenu du rapport, oui, je l'ai reconnu. C'est tout simplement nos valeurs, nos coutumes qui ont été décortiquées pour que vous compreniez les choses selon votre vision de votre cadre juridique. Moi, quand je l'ai lu avec partenaire de recherche, je me suis dit : Ah! tu as tout décortiqué quelque chose qui est tout à fait normal pour nous autres. Je ne me suis jamais mise à réfléchir à tout le décorticage du processus de filiation, mais c'est un fait, je reconnais ce que vous avez écrit. Évidemment, comme je vous dis, les besoins de nos enfants ne sont pas seulement la reconnaissance de l'adoption coutumière, c'est : le jour où nous, on va nous donner le droit de décider sur la manière d'intervenir avec nos familles et nos enfants, là, il va y avoir une vraie avancée. J'ai travaillé au sein de la protection de la jeunesse, j'ai travaillé pour les enfants. Je me suis retirée lorsque je travaillais au sein de la protection de la jeunesse. Pourquoi? Parce que je ne pouvais pas oeuvrer comme j'aurais voulu oeuvrer avec les familles.

Donc, oui à cette modification-là, mais le gros problème, c'est aussi la Loi de la protection de la jeunesse. Vous voulez le bien de nos enfants, on veut le bien de nos enfants. Donc, il y a des modifications encore deux fois ou quatre fois plus fondamentales qu'à un moment donné on devra réfléchir, vous en tant que nation québécoise et nous en tant que nation innue, versus les autres nations, parce que, la compromission d'un enfant, ce n'est pas juste un enfant. À l'heure actuelle, avec tout ce qui se passe dans nos communautés, il y a compromission de tous les enfants autochtones. Je parle avec mon coeur.

Le Président (M. Ouellette) : Me Grammond.

M. Grammond (Sébastien) : Et je rappelle qu'Uauitshitun et ITUM ont déposé un mémoire dans le cadre de la commission, là, qui étudiait le projet de loi n° 99.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Je vous remercie. Puis parler avec son coeur en commission parlementaire, c'est important aussi. C'est important de porter le message, parce que, les intervenants, les collègues parlementaires, bien, on est appelés aussi, à d'autres moments donnés, à se pencher sur d'autres projets de loi. Donc, c'est certain qu'un témoignage livré ici dans le cadre de ce projet de loi là, bien, il reste avec nous aussi lorsqu'on est appelés à intervenir à d'autres niveaux, dans d'autres domaines. Donc, c'est correct de parler avec son coeur, c'est important. C'est surtout important.

J'avais une question peut-être un petit peu plus pratico-pratique, parce que votre étude, évidemment, elle tombe dans un bon moment. J'imagine qu'elle va servir énormément dans le cadre de l'aménagement des autorités compétentes. Quelles sont les démarches? Comment voyez-vous la mise en place de l'autorité compétente à laquelle on fait référence dans le projet de loi, qui verra à déterminer les paramètres qui vont servir à guider la reconnaissance d'une adoption coutumière autochtone? Et je parle d'adoption coutumière autochtone, mais on a eu une recommandation de référer à une adoption coutumière des Premières Nations et Innus. Alors, je ne sais pas ce que vous pensez de cette recommandation aussi, de modifier le terme, de ne pas faire référence au terme «autochtone» mais plutôt de faire référence aux termes «Premières Nations» et «Innus».

Mme Michel (Virginie) : Je vais juste donner un petit commentaire. La matérialisation des valeurs ou de votre perception d'autorité compétente, elle devra être prise par consultation avec les peuples. Évidemment, nous, on ne peut pas décider ici de quel type, de quelle forme... comment elle va avoir lieu. Il faut que la population prenne des décisions, parce que ce sont ses enfants.

Le Président (M. Ouellette) : Mme Vollant.

• (16 h 10) •

Mme Vollant (Nadine) : Je peux continuer sur le pouce de Mme Michel. Concernant l'autorité parentale, c'est sûr que, dans le cadre des recherches, des recherches visent particulièrement, justement, au développement des politiques familiales et sociales que nous devons développer dans notre communauté dans divers domaines, incluant celui de la protection de la jeunesse et des politiques familiales. Mais tout ce projet-là s'inscrit dans un projet de consultation communautaire. Les recherches, pour nous, nous permettent de pouvoir mettre des mots, hein? Souvent, les choses ne sont pas écrites, comme disait Mme Michel, et on a besoin d'écrire ça pour démontrer que nos pratiques existent et qu'elles sont vivantes encore aujourd'hui.

Il est sûr que, dans cette optique-là, on est très conscients qu'il va y avoir la nécessité d'un financement qui va accompagner les nations pour justement pouvoir inscrire tout le processus au niveau de l'autorité compétente. Nous avons aussi une démarche de consultation à faire auprès de nos membres pour valider leurs orientations quant à la forme que va prendre cette autorité-là. Puis, comme je le disais aussi tout à l'heure, c'est un projet qui, pour nous, s'inscrit dans un projet global de gouvernance de politiques familiales au niveau de notre nation innue.

Le Président (M. Ouellette) : Me Grammond.

M. Grammond (Sébastien) : Et j'ajouterais qu'ITUM et Uauitshitun sont d'accord avec les recommandations qui ont été faites par l'APNQL et la CSSSPNQL, dont celles que vous avez mentionnées.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Combien de temps nous...

Le Président (M. Ouellette) : Trois minutes.

Mme Vallée : Trois? D'accord. Comment ça se passe? Actuellement, là, vous nous expliquez que, bien, la garde coutumière, l'adoption se fait par entente sans nécessairement avoir d'intervention d'un tiers entre les parents. Comment vous faites pour déterminer le statut plus permanent d'une telle entente puis pour déterminer la distinction, par exemple, entre une entente qui a un caractère plutôt semi-permanent ou permanent et une simple demande d'aide ponctuelle qui pourrait avoir été présentée envers une famille pour répondre à un enjeu bien précis?

Est-ce que vous faites une distinction entre la durée de l'entente de garde pour déterminer s'il y a un statut plus permanent, s'il y a lieu d'apporter une modification ou s'il y aurait lieu, par exemple, d'avoir recours aux dispositions qui sont prévues au projet de loi? Comment arrivez-vous à déterminer le moment où on est dans un processus plus formel?

Le Président (M. Ouellette) : Me Grammond.

M. Grammond (Sébastien) : Oui. Alors, c'est, en effet, un enjeu, en ce sens que ce qu'on a constaté, c'est qu'il n'y a pas vraiment... en tout cas, pas au début, de différence claire entre deux types de situation, c'est-à-dire que ça s'inscrit plutôt dans un continuum, et, lorsqu'il y a une entente, bien, à moins que ce soit une entente, là, pour une fin de semaine, là, ou pour... ça, évidemment, c'est autre chose, mais il n'y a pas d'échéance, il n'y a pas d'entente, là, que ça va être pour six mois ou pour un an. Évidemment, il peut y avoir, dans chaque cas, des attentes de chaque côté, là, pour savoir : Bon, est-ce qu'on va essayer d'améliorer la situation puis de reprendre l'enfant? Il peut y avoir différentes... enfin, chaque cas est un cas particulier, là.

Et ce qu'on a aussi observé, c'est que les situations vont se cristalliser graduellement, si bien qu'au moment où l'enfant change de famille, si vous voulez, ou, à tout le moins, de parents gardiens, bien, c'est difficile de dire que ce sera un cas de garde ou que ce sera un cas d'adoption. Autrement dit, on ne peut pas, à l'avance, prédire comment les choses vont évoluer et est-ce que l'enfant va retourner dans sa famille après quelques mois, est-ce qu'il va plutôt rester de façon plus permanente, tenter un retour à l'adolescence comme on le voit souvent. Alors, ça, ce n'est pas des choses qu'on peut vraiment prédire à partir du jour un, et c'est pour cette raison-là qu'on croit que l'article 601.1 va être un outil flexible qui va pouvoir être utilisé, même si on ne sait pas ce que l'avenir nous réserve, autrement dit, même si on ne sait pas si, dans cinq ans, toutes les parties concernées vont considérer qu'il y a eu véritablement une adoption, qu'il y a eu création d'un nouveau lien de filiation. On n'est pas capables de le dire à l'avance. Alors, c'est pour cette raison-là que l'article 601.1 nous paraît essentiel.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Me Grammond. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon : Oui. Bonjour. Merci beaucoup d'être parmi nous, Mme la vice-cheffe, Mme Vollant et M. Grammond.

Je vais poursuivre un peu sur la même veine. Ça peut avoir l'air vraiment technique, puis je comprends que pour vous c'est une réalité qui se vit par la coutume à tous les jours, mais pour nous c'est de grands apprentissages. Donc, on apprend à mieux connaître cette réalité-là, puis je pense qu'on veut, vu qu'on est dans du nouveau droit aussi, le faire le mieux possible.

D'abord, est-ce que vous estimez que les deux expressions, «adoption coutumière» et «garde coutumière», devraient être dans le projet de loi? Parce qu'on comprend que, pour certaines nations... je pense aux Inuits, qu'on n'a pas entendus encore, mais, pour eux, ça a l'air d'être vraiment de l'adoption. Là, vous, vous nous arrivez plus avec la notion de garde. Est-ce que, pour vous, un englobe l'autre ou vous souhaitez vraiment les deux termes?

Le Président (M. Ouellette) : Me Grammond.

M. Grammond (Sébastien) : Je ne me prononcerais pas au nom des Inuits. Je crois comprendre qu'eux font une différence entre les deux concepts, et il faut faire attention à transposer, là, la situation des Inuits aux Premières Nations.

En ce qui a trait aux Innus, ce que j'essaie de dire peut-être maladroitement, c'est qu'il n'est pas possible de différencier les deux concepts... ou, en tout cas, pas à partir du début, et c'est pour cette raison-là qu'il nous semble qu'il serait souhaitable d'avoir un outil plus flexible que l'article 543.1, qui exige la création d'un nouveau lien de filiation, O.K., autrement dit, qui affirme, qui suppose qu'il existe, au sein des ordres juridiques autochtones, un concept qui s'appelle l'adoption et qui dit : Nous allons reconnaître les effets de ce concept-là mais seulement s'il crée un nouveau lien de filiation. Et c'est cette restriction-là qui nous paraît problématique, parce qu'elle va être difficile à appliquer à des situations où, finalement, il y a un continuum entre ce qu'on appelle la garde et ce qu'on appelle l'adoption.

Mme Hivon : ...de l'inclure dans le code, la reconnaissance de la pratique coutumière, c'est aussi de simplifier les effets, là. Vous donniez l'exemple de la carte d'assurance maladie. Donc, pour vous, ces effets-là, que l'on soit dans une réalité plus permanente, moins permanente qu'on appellerait davantage adoption ou garde, qu'il y ait le maintien du lien, qu'il y ait deux liens, qu'il y en ait juste un, pour vous, ça devrait être les mêmes effets.

M. Grammond (Sébastien) : C'est-à-dire pas nécessairement. Nous, on le répète, on est d'accord avec l'article 543.1, c'est-à-dire que, lorsqu'on peut conclure qu'il y a création d'un nouveau lien de filiation, on ne s'oppose absolument pas à la reconnaissance des effets de cette situation-là par les moyens qui sont mis en oeuvre par le projet de loi.

Cependant, ce qu'on dit, c'est qu'il y aurait lieu aussi de prévoir, disons, une reconnaissance d'effets plus limités qui se limitent donc à l'autorité parentale, mais sans toucher à la filiation elle-même, et qu'une reconnaissance de ces effets plus limités permettrait de traduire, en droit québécois, des situations du droit innu qui ne répondent pas nécessairement aux conditions de l'article 543.1 ou dans des cas où on n'a pas envie de se poser la question : Y a-t-il un nouveau lien de filiation?, ou que ce serait trop complexe. Et donc, du point de vue des Innus, une solution pratique qui réussit à solutionner les difficultés d'ordre administratif auxquelles les Innus font face, là, à tous les jours, bien, on peut tout simplement se limiter à l'autorité parentale. J'espère que j'ai répondu...

Mme Hivon : Ah! non, c'est très clair. Je veux dire, je comprends votre point de vue. Puis juste pour vous dire qu'il y a des groupes, je veux dire, dans notre système juridique québécois sans coutume qui sont venus nous dire qu'on devrait... parce qu'il y a des situations qui se posent aussi en droit québécois où, par exemple, l'adoption par le nouveau conjoint de la mère doit avoir lieu pour qu'il puisse avoir tous les attributs de l'autorité parentale, donc, mais ça peut couper la filiation avec les grands-parents, et tout ça.

Donc, c'est une demande aussi plus large qui est faite, de revoir la question de l'autorité puis de la délégation de l'autorité parentale. Je pense que vous vouliez ajouter quelque chose.

• (16 h 20) •

Le Président (M. Ouellette) : Vous aviez un commentaire, Mme la vice-cheffe?

Mme Michel (Virginie) : Moi, j'ai juste un commentaire bien concret, là : C'est votre légalité qui se complique tout, là, alors que c'est hypersimple, O.K.? Ma soeur garde son petit-fils, petit-fils qui a été comme donné, entre guillemets, O.K.? Je ne dis pas «donné»... confié, confié par sa belle-fille, parce que la belle-fille a des difficultés pour l'instant. La grand-mère accepte : Oui, j'assume. Mais la DPJ veut intervenir. Non, je suis en mesure de le garder et d'assumer les soins de mon petit-fils, je n'ai pas besoin de vous, la DPJ. Mais la DPJ s'est comme imposée. Ma soeur me dit : Aïe! Virginie, c'est dans nos droits, ça a toujours marché de même, qu'est-ce que la DPJ vient faire dans ma vie, alors que j'ai réussi à élever mes autres enfants? C'est une autre personne qui va venir regarder comment j'élève mes enfants, alors que j'ai réussi? Donc, c'est toute la relation, à un moment donné, entre le droit de la grand-mère, je dirais, versus son petit-fils, étant donné que les liens familiaux, là, ils sont... On est tous interconnectés. J'ai l'impression que c'est ça que les gens ne catchent pas, tout le lien familial, qui n'est pas juste la cellule familiale papa, maman et enfant. La cellule familiale, là, elle est carrément grand-père, tante, puis tout. C'est peut-être ça, je pense, qu'on s'est dit.

Le Président (M. Ouellette) : Mme Vollant.

Mme Vollant (Nadine) : Je pourrais rajouter là-dessus : ce qu'on constate aussi, là, c'est que, nos parents, ce qu'ils mentionnent, c'est que... ils verbalisent souvent, les parents adoptants, je parle bien, là, ils verbalisent : Tant que l'enfant va avoir besoin de moi, je vais être là. C'est comme ça que nos gens nous le verbalisent. Puis, si on regarde au niveau de l'accord, c'est un accord commun fait entre le parent, soit le grand-parent ou quelqu'un de la famille, et même l'enfant participe à ça. Il y a un très grand respect dans le processus qu'on fait en termes de garde. On demande même aux enfants leur avis, s'ils sont en accord, et on leur donne aussi la permission de retourner auprès de leurs parents quand ceux-ci vont mieux.

C'est sûr que, comme expliquait M. Grammond, ce qui ressort de notre recherche, c'est que, malgré le fait qu'on donne cette possibilité-là à l'enfant, il décide de lui-même de rester, et parfois les choses se cristallisent au niveau familial, mais il reste que les liens entre la mère, le grand-parent ou la tante qui en prend soin sont toujours présents.

Le Président (M. Ouellette) : Me Grammond.

M. Grammond (Sébastien) : Je comprends qu'il y a des revendications, là, des beaux-parents dans des situations comme celle-là, mais je pense qu'il faut bien distinguer les deux situations qui sont devant vous. C'est-à-dire qu'ici, pour ce qui de l'adoption coutumière ou de la garde coutumière des Premières Nations, il y a le contexte politique, je crois, d'une relation de nation à nation qui devrait impliquer la reconnaissance de l'ordre juridique de l'autre partenaire, là. Ça, c'est une situation que le projet de loi n° 113 reconnaît, et nous, on dit : Il y aurait un moyen de le faire un petit peu mieux. Mais c'est un contexte qui est totalement absent, là, du genre de revendications que vous mentionnez, qui sont peut-être valables, là. Donc, je pense qu'il faut les traiter séparément.

Le Président (M. Ouellette) : C'est terminé, Mme la députée de Joliette. Mme la députée de Repentigny.

Mme Lavallée : Merci. J'ai écouté les groupes qui sont venus avant vous et je vous écoute et je comprends que, dans vos coutumes, on parle, pratiquement tout le temps, de délégation de l'autorité parentale, on confie l'enfant à quelqu'un d'autre. La notion d'adoption avec la perte du lien avec les parents d'origine, est-ce que ça existe ou ce n'est pas du tout ça? Ce n'est pas présent dans vos communautés? Ça n'existe pas?

Le Président (M. Ouellette) : Mme la vice-cheffe.

Mme Michel (Virginie) : Bien, en tout cas, je vais parler pour notre communauté, notre nation innue, non, le lien n'est jamais perdu, jamais, jamais, jamais. Moi, j'ai vu, même quand je travaillais au sein de la DPJ, O.K., carrément des enfants qui ont été placés en très bas âge. Lorsque le système avait fini de travailler avec eux autres, ces enfants-là retournaient... Moi, je ne peux pas concevoir que vous posiez la question : Si le lien est fini? Non, ce n'est jamais fini.

Mme Lavallée : C'est pour ça que, quand je regarde... Dans le document, vous parlez de l'article 543.1, l'article 132.0.1. On parle beaucoup d'adoption. Mais j'ai comme l'impression que ce terme-là devrait être changé dans la rédaction de ces articles-là, parce que ça ne correspond pas aux réalités.

Mme Michel (Virginie) : Ce n'est pas conforme à notre pensée.

Mme Lavallée : Donc, cette rédaction-là, elle n'est pas bonne.

Mme Michel (Virginie) : Quand j'évalue la portée de votre pensée juridique, ou politique, ou sociale concernant le terme «adoption» et notre conception de ça, non, on ne parle pas du même mot, je pense. C'est ça, hein?

M. Grammond (Sébastien) : Bien, je...

Mme Michel (Virginie) : Tu parles mieux le français que moi. Ça me demande beaucoup d'efforts de m'exprimer en français.

M. Grammond (Sébastien) : Si vous permettez. Écoutez, ce sont des défis que l'on retrouve à chaque fois qu'on essaie de transposer des concepts d'un système juridique à un autre système juridique, que ce soient le droit civil et la common law, où, des fois, on s'aperçoit qu'on utilise des termes qui se ressemblent mais qui ne veulent pas dire la même chose, et c'est encore plus vrai ici.

Je rappelle qu'on appuie, là, le projet de loi tel qu'il existe, là, mais il faut, en effet, être conscient que le mot «adoption» est un mot du français, un mot des traditions juridiques occidentales, de droit civil et de common law et qu'il n'a pas d'équivalent exact. Ce que je comprends, c'est que les promoteurs du projet de loi, les membres du groupe de travail ont fait bien attention pour ne pas tenter de définir le contenu des ordres juridiques autochtones, mais plutôt de tenter d'aménager une interface, donc de trouver des concepts du droit québécois qui pourraient servir à recevoir cette réalité juridique qui vient d'un autre système, hein? Je ne suis pas contre l'utilisation du terme «adoption» si l'on comprend que c'est ça, le contexte. Et c'est pour la même raison que, dans l'article 601.1 que l'on propose, on utilise le terme «autorité parentale» pour référer à des concepts de droit québécois qui vont être les effets reconnus d'une situation que les Innus connaissent bien et qu'ils n'auront pas besoin, là, de faire entrer dans des cases ou dans des catégories d'un système étranger, là, pour assurer cette reconnaissance-là.

Alors, c'est un peu ça, là, le dilemme, si vous voulez, que votre question soulève.

Mme Lavallée : Mais je pense qu'il n'y a pas un si gros dilemme que ça, parce que, comme disait ma collègue tout à l'heure, on a rencontré des gens de la Chambre des notaires et Me Alain Roy, qui a travaillé sur la réforme du droit de la famille, et eux autres disaient : On met de côté la notion de tutelle et la notion de délégation d'autorité parentale, tous les enfants ne doivent pas nécessairement être adoptés avec la rupture du lien. Donc, on en a parlé. Ce que je comprends, c'est qu'on n'est pas si loin que ça, parce que nous aussi, on dit que ce n'est pas toujours valable de couper le lien familial, le lien avec la famille d'origine. Et ces deux groupes-là ont quand même ramené ça, disaient : Mais il y a d'autres façons de faire les choses, la tutelle ou la délégation d'autorité parentale. Puis je pense que là-dessus on n'est pas loin au niveau des concepts. C'est pour ça que je pense qu'on vient, lorsqu'on reprend les termes «adoptant», «adopté» dans les articles lorsqu'on s'adresse à vos communautés... on vient mêler les notions, alors que la délégation de l'autorité parentale puis la notion de tutelle, c'est simple, là.

Le Président (M. Ouellette) : Me Grammond.

M. Grammond (Sébastien) : Il est vrai que les anthropologues, les juristes ont utilisé... j'allais dire «traditionnellement», là, le terme d'«adoption coutumière» ou d'«adoption traditionnelle» pour tenter d'analyser des réalités chez les peuples autochtones, mais ils se sont peut-être un peu trompés. C'est vrai. Peut-être que d'autres termes seraient préférables, mais ce qu'on vous invite à faire, c'est de ne pas tant vous attarder à ce genre de débat technique, mais plutôt à vous concentrer sur les solutions. Et je pense, en effet, qu'on se rejoint, en ce sens qu'une solution comme la reconnaissance d'une délégation de l'autorité parentale serait tout à fait appropriée pour régler la plupart des problèmes concrets auxquels les Innus font face. Et, après ça, on pourra envisager la question de l'adoption. Mais, si on n'envisage que la question de l'adoption, eh bien, là, ça pourrait ne pas vraiment répondre aux besoins concrets des Innus, là.

• (16 h 30) •

Mme Lavallée : Donc, lorsque madame disait que c'est simple, chez vous, dans le fond, la notion de délégation, c'est simple pour moi aussi. Donc, on se rejoint à ce niveau-là, c'est de garder, toujours, protéger le lien avec la famille, puis c'est vrai que c'est important dans votre cas, mais c'est important dans notre cas aussi, puis je pense que là-dessus on s'entend.

Vous avez parlé beaucoup de la DPJ. Ça semble être un irritant...

Le Président (M. Ouellette) : Mme la députée de Repentigny, on n'a plus de temps.

Merci beaucoup, Mme la vice-cheffe Virginie Michel, Mme Nadine Vollant, M. Sébastien Grammond, représentant Uashat Mani-Utenam. Bon, je ne suis pas pire, je vais finir par pratiquer.

Je suspends quelques minutes. Je demanderais au Conseil de la nation atikamekw de s'avancer.

(Suspension de la séance à 16 h 31)

(Reprise à 16 h 35)

Le Président (M. Ouellette) : Nous reprenons nos travaux. Nous recevons le Conseil de la nation atikamekw. Nous recevons son grand chef et président, M. Constant Awashish, qui va nous présenter les gens qui l'accompagnent. Vous avez 10 minutes de présentation. Votre présentation des gens ne comptera pas dans votre 10 minutes, là, soyez sans crainte. Et par la suite il y aura un échange avec Mme la ministre et les porte-parole des deux oppositions. Grand chef, à vous la parole.

Conseil de la nation atikamekw (CNA)

M. Awashish (Constant) : Merci. (S'exprime dans une langue autochtone).

Mme la ministre Vallée, mesdames messieurs, distingués membres de cette commission, merci. Merci d'avoir bien voulu nous recevoir afin de nous permettre d'exprimer nos préoccupations face au projet de loi n° 113, qui concerne les dispositions de l'adoption. Je me présente donc devant vous pour faire valoir le point de vue des Atikamekw Nehirowisiwok sur un projet de loi qui nous interpelle au plus haut niveau, car il touche qu'est-ce qu'il y a de plus précieux pour nous, soit l'avenir de nos enfants. Nos enfants représentent notre futur, représentent la pérennité de notre société. Nous avons le devoir de préserver nos traditions, nos coutumes. Il en va de la dignité de notre nation; plus important encore, de la dignité de nos enfants.

Ainsi, des situations très particulières font qu'il est parfois nécessaire de confier un enfant à une personne de confiance qui aura à voir à son épanouissement et son éducation, à répondre également à ses besoins et le soutenir afin qu'il devienne un citoyen digne et fier de contribuer et de faire partie d'Atikamekw Nehirowisiw, la nation atikamekw. Très souvent, ce seront de proches parents, et à l'occasion cela se fera en dehors du cercle familial. Cependant, les liens entre l'enfant et ses parents ne sont jamais coupés, de sorte qu'on ne peut parler d'adoption telle que vous la comprenez. Le mot que nous utilisons pour référer à ce que vous appelez adoption coutumière vous sera expliqué dans quelque peu. Il est important pour nous que vous y prêtiez attention afin que vous puissiez considérer cette question de façon la plus primordiale.

Permettez-moi de vous rappeler que votre Conseil des ministres a déjà statué sur certains éléments qui touchent notre identité, dont l'adoption coutumière, qui en fait partie intégrante. Plus précisément, cette décision porte le numéro 80-151, a été adoptée le 24 septembre 1980 — dont un extrait se lit comme suit : « Le gouvernement reconnaît que les Indiens attikameks et montagnais ont en principe le droit de disposer d'eux-mêmes pour tout ce qui touche directement leur identité culturelle. Le gouvernement reconnaît notamment le droit aux Attikameks et aux Montagnais d'avoir vis-à-vis les institutions d'éducation et l'organisation de l'éducation des jeunes, ainsi que vis-à-vis les services sociaux, leur philosophie spécifique.»

Cette décision a été renforcée par l'adoption des 15 principes à l'Assemblée nationale du Québec le 9 février 1983. Le premier principe est fort éloquent et très pertinent aujourd'hui et se lit comme suit : «Le Québec reconnaît que les peuples aborigènes du Québec sont des nations distinctes qui ont droit à leur culture, à leur langue, à leurs coutumes et traditions ainsi que le droit d'orienter elles-mêmes le développement de [leur propre identité].»

Je me présente donc devant vous, devant cette commission, en tant que grand chef représentant de la nation atikamekw qui a à coeur la défense des droits et intérêts de son peuple mais surtout de ses enfants. Nous vous déposons ce mémoire et nous le faisons en toute bonne foi dans un contexte de nation à nation pour votre juste considération.

En terminant, j'aimerais ajouter que notre «opikihawasowin» fait toujours partie de notre réalité, qu'il demeure bien vivant encore de nos jours. C'est une tradition orale qui fut transmise de génération à génération. Les personnes qui m'accompagnent auront l'occasion de vous en parler davantage.

Laissez-moi vous présenter ces personnes en commençant par la gauche : ici, il y a Anne Fournier, qui est avocate aux services sociaux du Conseil de la nation atikamekw; immédiatement à ma gauche, Alice Cleary, qui est directrice de la protection sociale au Conseil de la nation atikamekw — moi-même; David Boivin, mon conseiller politique; ainsi que Paul-Émile Ottawa, conseiller stratégique.

Je vais maintenant donner la parole à Alice Cleary, qu'elle puisse venir vous parler du concept de l'adoption coutumière chez les Attikameks.

• (16 h 40) •

Le Président (M. Ouellette) : Mme Cleary.

Mme Cleary (Alice) : «Kwei». Bonjour. Nous, dans la langue attikamek, il n'y a pas vraiment de définition au niveau de l'adoption coutumière, adoption traditionnelle. Certains dans nos communautés vont dire (s'exprime dans une langue autochtone), ça veut dire «le garder»; (s'exprime dans une langue autochtone), ça veut dire «il l'a élevé».

Pour nous, les Attikameks, «opikihawasowin» signifie «prendre soin de l'enfant, s'occuper de son bien-être, lui donner tout ce dont il a besoin, enseigner sa culture, sa tradition, être responsable de l'accompagner jusqu'à sa maturité et surtout l'aimer et le chérir». Habituellement, c'est les parents qui choisissent des personnes à qui ils vont confier leurs enfants soit dans la famille élargie... habituellement, bien plus souvent, c'est les grands-parents, la tante, l'oncle, aux membres de la famille élargie ou proches d'un membre de la communauté. Cette démarche est faite lorsque les parents ne sont pas en mesure de garder leurs enfants, que ce soit par la maladie, que ce soit par décès de la mère, ou différents problèmes que les parents vivent, ou la famille est nombreuse.

Les parents biologiques et les parents choisis, adoptants s'entendent soit pour le renouvellement d'assurance maladie, l'inscription à l'école. Ils se consultent aussi aux soins de l'enfant lorsqu'il a besoin de soins de santé, mais c'est toujours les parents adoptants qui assument l'entière responsabilité parentale. Parfois, les parents biologiques peuvent aussi contribuer au niveau des dépenses soit sportives... activités sportives de l'enfant. Il permet à l'enfant de garder contact avec ses parents biologiques. Donc, il connaît ses parents, il grandit avec sa famille, il n'y a pas de rupture. Rendu à l'adolescence, parfois l'adolescent peut décider de lui-même de retourner auprès de ses parents biologiques, surtout lorsque les parents sont aussi en mesure de le reprendre, ou encore, s'il le désire, il va demeurer aussi longtemps avec ses parents adoptifs, même s'il a eu ses 18 ans. Les difficultés que rencontrent les parents adoptants, c'est : lorsque l'enfant est hospitalisé, pour recevoir les soins de santé médicaux, les parents biologiques doivent signer une autorisation; soit aussi à une demande de passeport les parents adoptants doivent avoir la signature du parent biologique. Lorsque le parent adoptant déménage de la communauté et que l'enfant doit être inscrit dans une école, le parent adoptant doit avoir la signature des parents biologiques.

«Opikihawasowin» se fait de façon naturelle. Il n'y a pas de limite de temps où est-ce qu'on va décider le temps que la garde de l'enfant est confiée aux parents adoptants. C'est une pratique de tradition orale, il n'y a pas d'écrit. Aujourd'hui, en 2016, «opikihawasowin» est vivante encore dans nos communautés. C'est une pratique courante, elle se fait au sein du cercle familial de l'enfant. «Mikwetc».

Le Président (M. Ouellette) : Mme Fournier.

Mme Fournier (Anne) : Oui. Alors, je vais poursuivre brièvement, mais je vais poursuivre. La réalité à laquelle le mot «opikihawasowin» fait référence, ça n'a rien à voir avec l'adoption suivant le droit étatique. Il est vrai que, pour les juristes, l'adoption, ça a nécessairement un effet sur la filiation de l'enfant, alors que, pour les Attikameks, l'adoption coutumière n'a pas d'effet sur la filiation au sens où l'entend le droit québécois.

Compte tenu du libellé actuel de l'article 543.1, pour que les Attikameks puissent bénéficier du processus de reconnaissance d'effets juridiques, ce qu'on appelle l'adoption coutumière, ils doivent être en mesure d'affirmer qu'en vertu de la coutume l'adoption attikamek crée un lien de filiation, et ça, ça pose des difficultés au moins à deux niveaux. D'abord, comme je viens de le dire, c'est que l'adoption attikamek ne crée généralement pas de lien de filiation au sens où l'entend notre droit. Concrètement, il n'y a pas d'effet sur le certificat de naissance et il n'y a pas d'effet sur le nom de l'enfant. Et, deuxièmement, le mot «filiation», c'est complètement étranger aux Attikameks, il n'y a aucun équivalent dans la langue attikamek, mais je peux vous dire que c'est tout un défi que d'expliquer cette notion.

Pour l'adoption... Pardon. Pour les Attikameks, l'adoption coutumière a pour effet de remettre entre les mains des parents substituts tous les attributs de l'autorité parentale, ce que le droit québécois ne permet pas. En effet, l'article 601 du Code civil permet que soient déléguées la garde, la surveillance ou l'éducation de l'enfant. Pour cette raison, on propose de permettre une exception à la règle posée par l'article 601 du Code civil afin de permettre que tous les attributs de l'autorité parentale puissent être délégués aux parents substituts, pour employer ces termes-là, lorsque le prévoit la coutume. En somme, si on veut trouver un équivalent sur le plan du droit québécois, ça ressemble beaucoup à la tutelle. Alors, le nouvel article 601.1 permettrait l'émission d'un certificat qui traduirait le transfert des attributs de l'autorité parentale. Pour ceux qui sont inquiets de la gestion de tout ça, le Conseil de la nation atikamekw est d'avis que gérer ces certificats-là, ce ne serait pas plus complexe que pour les tiers, aujourd'hui, de gérer l'infinité d'aménagements possibles de la garde conférée par tout autant de jugements sur la garde des enfants.

Un mot rapidement sur l'intérêt de l'enfant. À l'article 543.1, on prévoit que l'autorité compétente doit s'assurer que l'adoption est suivant une appréciation objective conforme à l'intérêt de l'enfant. Ça nous semble superflu d'ajouter ces mots-là. Ce qu'il est convenu d'appeler en français l'adoption coutumière se passe toujours, d'ores et déjà, dans l'intérêt de l'enfant, et on ne voit pas pourquoi, alors que ce n'est prévu à aucune autre loi, dans aucun autre texte, il faudrait, parce qu'on parle d'adoption coutumière, préciser que, là, dans ce cas-là, on fait une appréciation objective.

Le Président (M. Ouellette) : Merci beaucoup, Me Fournier. Mme la ministre.

Mme Vallée : Merci beaucoup, «mikwetc», pour votre présentation, fort appréciée. Et, encore une fois, vous démontrez à quel point, d'une communauté à l'autre, les pratiques, les coutumes sont différentes et qu'il est important pour nous, avec notre perception civiliste du droit de l'adoption, des relations entre les parents et les enfants... on doit s'ouvrir puis apprendre à adapter aussi notre façon, nos habitudes. C'est changer un peu nos habitudes à tous que d'embrasser cette réalité qui est la vôtre.

J'aime particulièrement le commentaire que vous indiquez concernant la notion de l'appréciation objective. Dans le fond, ce que je comprends de votre message, c'est que l'intérêt de l'enfant, peu importe le type d'adoption, c'est ce qui doit primer. Alors, si je comprends votre message, l'appréciation objective n'est pas un critère dans les autres dispositions du Code civil du Québec lorsqu'il est question d'apprécier l'intérêt de l'enfant, alors il ne devrait pas en être ainsi pour les dispositions touchant l'adoption coutumière. C'est bien ça?

Une voix : ...

Mme Vallée : D'accord.

Le Président (M. Ouellette) : Me Fournier.

Mme Fournier (Anne) : Oui, oui, tout à fait, vous avez très bien compris.

Mme Vallée : Vous avez mentionné dans votre présentation : L'adoption attikamek ne crée pas de lien de filiation en principe ou en général. Est-ce qu'il existe au sein de la nation atikamekw, comme on le mentionnait tout à l'heure au sein de la nation innue, un recours à l'adoption qui est plus traditionnelle, qui est celle que l'on connaît, qui est reconnue à l'intérieur du Code civil? Est-ce qu'il y a recours à ce type d'adoption, qui va reconnaître un nouveau type de filiation?

• (16 h 50) •

Le Président (M. Ouellette) : Grand chef.

M. Awashish (Constant) : Il faut comprendre à la base que, chez les Attikameks, une coutume, ça ne change pas. Elle peut être modifiée de force. Mais, au sein même de la nation atikamekw, notre coutume, il n'y a pas de changement de filiation. C'est ça qu'il faut comprendre à la base. C'est ça, notre coutume. On ne peut pas la travestir. On ne peut pas donner une autre nature au concept de coutume. Dans notre coutume, il n'y a pas de changement de filiation. Peut-être qu'il est arrivé des cas, mais ce n'était pas dû à notre coutume. C'étaient des forces qui étaient extérieures à notre coutume. C'est simple comme ça.

Mme Vallée : D'accord. Donc, lorsque vous avez utilisé le terme «en principe», donc, vous faisiez peut-être référence à d'autres types d'adoption, mais, à l'intérieur de vos coutumes, il n'existe pas...

M. Awashish (Constant) : À l'intérieur de notre coutume, il n'existe pas.

Mme Vallée : Donc, pour vous, ce qui serait le plus représentatif de ce qui se vit chez vous serait d'ajouter la disposition 601.1, qui nous a également été présentée par d'autres groupes, qui vise à reconnaître une forme de délégation d'autorité parentale. Alors, ça, c'est ce qui correspond davantage à votre réalité?

Le Président (M. Ouellette) : Grand chef.

M. Awashish (Constant) : ...nous permettrait de pouvoir exprimer notre réalité.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : D'accord. Pour ce qui est de la mise en place de l'autorité compétente, est-ce que, pour vous, ça cause un enjeu? Comment voyez-vous la mise en place de l'autorité compétente? Est-ce que vous avez déjà une organisation en place ou est-ce que ça va demander un certain délai, un certain processus de consultation à l'intérieur de la nation atikamekw?

Le Président (M. Ouellette) : Grand chef.

M. Awashish (Constant) : Il est évident qu'il va y avoir un certain délai pour pouvoir, justement, former les gens qu'on a ciblés. On a déjà des registraires, au sein des communautés, qui pourraient effectuer ce genre de travail là. Également, il y aurait d'autres acteurs, mais c'est encore au niveau de l'organisation. Moi, je donne à peu près... de six à un an pour pouvoir mettre ça en place au sein de la nation atikamekw. Mais il faudra, de votre côté, aviser vos acteurs qu'il y a un mécanisme chez les Attikameks qu'il faudra être reconnu au sein de vos institutions. C'est tout.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Et, suivant la proposition que vous faites d'introduire la proposition d'article 601.1, est-ce que cette reconnaissance-là de la délégation d'autorité parentale serait elle-même attestée par l'autorité compétente?

M. Awashish (Constant) : Les attributs nécessaires pour pouvoir exercer pleinement, là, le rôle de parent adoptant sans nécessairement effacer le lien de filiation antérieure pour le transférer aux parents adoptants, c'est ce qui nous permettrait, justement, de répondre à cette problématique, c'est à travers l'article 601.1.

Le Président (M. Ouellette) : Me Fournier, vous avez un complément?

Mme Fournier (Anne) : Oui. Si je peux me permettre d'ajouter. L'article 601.1 est utile... Non, je vais recommencer, je vais répondre à votre question. Oui, c'est l'autorité compétente qui serait chargée d'émettre ces certificats-là. Et ça serait utile vis-à-vis les tiers, vis-à-vis les autorités administratives, vis-à-vis les écoles, les établissements de santé. Alors, c'est pour ça qu'il faut un document officiel.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Et, à l'intérieur de votre coutume — et j'ai posé la même question tout à l'heure — à quel moment est-ce qu'on reconnaît qu'il s'agit bien d'une forme de délégation d'autorité parentale et non simplement d'une garde temporaire qui va se terminer en raison de la fin d'un événement, une période où le parent, pour une raison ou une autre, doit s'absenter, doit être à l'extérieur, est dans un processus de guérison et il préfère que, pour une période temporaire, on s'occupe de l'enfant?

À quel moment, au sein de votre communauté, on est appelé à statuer qu'il y a effectivement lieu d'aller de l'avant avec une forme de délégation d'autorité parentale et que cette démarche-là, cette étape-là doit être officialisée? Comment faire la distinction entre une garde temporaire et un processus qui est plus officiel?

Le Président (M. Ouellette) : Grand chef.

M. Awashish (Constant) : Ça, au niveau de la nation atikamekw, ça peut paraît difficile à comprendre, mais c'est très flexible, hein, c'est du cas par cas, c'est un accord consensuel entre le parent qui veut adopter et le parent qui veut, justement, confier la garde ou... La garde, ce n'est pas le concept exact, mais c'est ce qui s'apparente le plus à qu'est-ce que vous connaissez d'après les systèmes actuels, le système de droit québécois. Mais, chez les Attikameks, ça se fait du cas par cas. Ça dépend de l'individu, ça dépend du parent, qu'est-ce qu'il ressent. Il n'y a pas vraiment de temps à donner là-dessus, là, mais ça se ferait d'un commun accord devant une autorité. Pour pouvoir répondre à cette problématique-là, ça se ferait devant une autorité, une personne qui sera désignée, au sein de la nation, qui fera ce rôle-là de s'assurer que les deux parties connaissent leurs... bien, connaissent chacun leurs devoirs et à quelle extension se fera l'adoption.

Le Président (M. Ouellette) : Mme Cleary, en complément.

Mme Cleary (Alice) : Moi, ce que je pourrais rajouter, dans certaines familles avec lesquelles on a discuté dernièrement, certaines familles nous disaient que l'enfant... au début, là, avant que l'enfant soit confié à une personne, il y a beaucoup de discussions qui se font. La décision ne se prend pas du jour au lendemain. Les parents plus les grands-parents parlent de l'avenir aussi de l'enfant. Puis il n'y a pas vraiment de limite de temps où est-ce qu'on dit : Bon, on va garder l'enfant jusqu'à l'âge de. Puis il y a aussi qu'est-ce qu'eux font, et ils parlent avec l'enfant régulièrement. L'enfant sait qu'il habite chez les grands-parents, mais sa maman, c'est une telle ou une telle. Puis, à mesure que l'enfant grandit, il peut aussi s'exprimer. Étant donné qu'il garde contact avec ses parents, il peut exprimer aussi un retour. Mais le grand-parent qui a pris la responsabilité de son petit-fils ou de sa petite-fille peut décider aussi dans quel moment qu'il peut retourner.

On disait le tantôt, parfois les parents, ils ont des difficultés. Quand les difficultés demeurent, c'est le grand-parent qui va dire : Elle n'est pas prête pour retourner. C'est surtout vers l'adolescence qu'on voit beaucoup des retours dans le milieu. Quand ils sont rendus un peu plus vieux, ils sont capables de parler, ils sont capables de décider par eux-mêmes. Le retour se fait, mais sauf que, bien souvent, ce qu'on voit aussi, ils vont revenir vers les grands-parents puis ils vont demeurer là aussi longtemps que... même rendus plus vieux, là. C'est comme ça que je pourrais l'expliquer.

Le Président (M. Ouellette) : Merci. Mme la ministre.

Mme Vallée : Comment on procède lorsqu'il y a un conflit ou un désaccord entre le parent qui... en fait, le gardien ou la famille qui a pris charge de l'enfant et les parents biologiques? Parce qu'il peut survenir, parfois, des désaccords quant à la durée, quant aux termes à mettre à l'entente, parce que vous disiez que ce n'est pas définitif, il y a beaucoup de flexibilité, il y a beaucoup d'aménagements qui peuvent se faire.

Alors, dans la tradition attikamek, comment on résout ce type de différend là entre les parents? Est-ce qu'à ce moment-là l'autorité compétente deviendrait le forum approprié? Est-ce qu'il y a des tiers qui vont... La famille élargie va se pencher sur la situation? Quel est le processus habituel ou traditionnel qui est mis en place?

Le Président (M. Ouellette) : Grand chef.

M. Awashish (Constant) : Il y aurait quelques options qui pourraient être mises en place pour ce genre de situation là, mais il faut comprendre à la base que l'enfant a été confié par le parent qui était soit temporairement incapable de s'en occuper, mais c'était... Comment je pourrais dire ça? Les parents qui adoptent, tu sais, ils n'ont pas le sentiment de possession d'un enfant, ils sont là pour l'élever, l'aider à s'épanouir, à grandir. Si, un jour ou l'autre, le parent qui a confié son enfant aimerait le ravoir, bien, ça se fait par dialogue, ça se fait par communication. C'est ça, la culture attikamek, c'est de dialoguer, c'est de trouver un terrain d'entente, c'est d'échanger au sein de la famille élargie s'il le faut, mais c'est toujours par le dialogue.

C'est comme ça qu'on a toujours réglé nos problèmes, c'est dans le consensus. Aujourd'hui, c'est des concepts qui sont durs à comprendre ou à concevoir en 2016, mais chez nous, chez les Attikameks, ça existe toujours, cette approche-là pour la résolution de conflits.

• (17 heures) •

Le Président (M. Ouellette) : Merci, grand chef. M. Boivin,

M. Boivin (David) : C'est, quand on parle de conflits, pour l'éviter. Pour régler les conflits, là, à l'intérieur d'une famille ou bien donc des deux familles en question, nous, la nation atikamekw, nous avons mis en place, là, des politiques sociales, qu'on appelle. Dans ces politiques sociales là, il existe des mécanismes pour éviter qu'il y ait des conflits, là. On appelle ça le conseil de famille ou encore, là, le conseil des sages si on s'en va plus loin. Maintenant, qu'est-ce qu'on fait, là, tu sais, quand on parle, là, de... Parce que les parents peuvent choisir qui qu'ils veulent être au sein du conseil de famille, que je pourrais appeler. Parfois, c'est des amis qui arrivent. Donc, à ce moment-là, c'est là que ça se règle. Souvent, là, c'est au sein d'une même famille.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, M. Boivin. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon : Merci beaucoup, M. le Président. Alors, je suis très heureuse de vous entendre, membres de la nation atikamekw, et de retrouver M. Ottawa, qui vient de ma région, donc, de la communauté qui est dans la circonscription voisine de la mienne. Et j'ai déjà fait jadis, quand j'étais attachée politique — vous allez penser que j'ai eu tellement de — un voyage en terre attikamek où Me Fournier était présente, donc, à Obedjiwan. Alors, ça avait été une très belle expérience. Merci beaucoup.

Avant de poursuivre, je veux juste... je pense qu'on ne les a pas salués cet après-midi, donc, je voulais saluer la présence des juristes de l'État. Je ne suis pas certaine que c'est les mêmes que ce matin. Je crois que non. Donc, merci d'être présents à nos travaux.

Dans un premier temps, je comprends que l'essentiel de la modification que vous demandez, c'est vraiment l'introduction de ce nouvel article 601.1. Donc, pour le reste, le vocabulaire, même si vous dites qu'il n'y a pas d'équivalent parfait, puis là je pense qu'on commence à le comprendre, la notion d'adoption, ça vous va, mais vous voulez qu'on introduise la notion aussi de garde, mais vous êtes à l'aise de faire cohabiter les deux pour, je dirais, répondre peut-être à différentes réalités entre les différentes nations. Je comprends la vôtre. On a entendu auparavant les Innus. On a entendu les Cris aussi cette semaine. On va entendre les Inuits. Je comprends qu'il y a quand même des différences dans les coutumes.

Donc, en termes de vocabulaire, pour le reste du projet de loi, ça vous va?

M. Awashish (Constant) : On peut dire, en général. Tu sais, il y a le concept de garde. Ça, vous connaissez votre concept. Mais il y a aussi le concept d'adoption, où est-ce qu'il y a totalement un transfert de filiation. Nous, on se retrouve à quelque part entre les deux. C'est pour ça qu'avec l'introduction de l'article 601.1 ça viendrait remédier à cette situation-là, où est-ce qu'il y aurait transfert des attributs parentaux sans nécessairement éteindre la filiation du parent qui confie son enfant. C'est ça qu'on veut rechercher. C'est sûr, il n'y a rien de parfait dans la vie, mais au moins ça va se rapprocher le plus de qu'est-ce qui ressemble à notre coutume. C'est simplement ça qu'on demande.

Mme Hivon : C'est que, vous, il n'y a pas de... je comprends même que la notion de filiation est quelque chose d'étranger à votre réalité, mais il n'y a pas de création d'un nouveau lien.

M. Awashish (Constant) : Non, il n'y a pas de création de nouveau lien.

Mme Hivon : Donc, l'article ne fonctionne pas. Parce que j'essaie de comprendre comment l'autorité compétente... Je comprends que vous la voyez intervenir aussi avec cette notion-là du 601.1. En même temps, vous nous dites que ça fonctionne bien, on n'a pas besoin de judiciariser tout ça, dans le sens que la coutume fait bien les choses... la famille élargie, bon, tout ça.

L'autorité compétente, là, outre de prendre acte de la situation d'un enfant qui est confié ou qui est gardé ou élevé par un autre membre de sa famille élargie ou une autre famille, est-ce qu'elle pourrait intervenir pour dire : Bien là, on n'est pas dans une des situations qui est prévue, la garde n'est pas assez permanente, ou est-ce que, de votre point de vue, dans à peu près tous les cas, vous allez accepter cet état de fait ou est-ce que l'autorité compétente, dans votre esprit, elle va porter un certain jugement pour voir si les caractéristiques... Là, je comprends qu'on parle de la coutume, qui est respectée, mais, sur la question de la permanence des choses, est-ce qu'il y a une évaluation qui est faite de ça?

M. Awashish (Constant) : Je pense que la façon de voir la chose est un peu teintée par un concept qui s'apparente beaucoup à ce que les services sociaux appellent l'abandon. Et je pense que tout ça vient rendre les choses un peu confuses pour la majorité des gens. C'est sûr que l'autorité compétente aura un certain devoir de s'assurer que les deux parties comprennent bien c'est quoi, chaque attribut qui sera transféré. Nous, c'est juste qu'on veut s'assurer qu'il n'y a pas de création de filiation. L'autorité compétente, c'est comme j'ai parlé tantôt, il y aura une formation à lui faire. Mais, comme je dis, c'est un consensus entre le parent qui confie son enfant et le parent qui va s'en occuper.

Il y a plusieurs exemples au sein de la nation où des situations... Tout le monde connaît quelqu'un dans la nation où est-ce qu'il y a eu... Tu sais, encore aujourd'hui, ça existe. Chacun connaît quelqu'un qui a été élevé par non ses parents mais qu'il n'y a jamais eu de transfert de filiation ou il n'y a pas eu de DPJ qui a intervenu dans la situation. C'est ça qu'il faut comprendre dans ce... Tu sais, c'est des concepts. C'est comme le dualisme entre l'eurocentrisme et, nous, comment qu'on voit la perception de l'enfant. Il n'y a aucun, tu sais... L'enfant est toujours lié à ses parents. Il est né lié à ses parents. Il n'y a pas de concept... On ne possède pas l'enfant. C'est comme si on accommodait un sentiment de vouloir posséder un enfant dans le système québécois. C'est ça, le transfert de filiation. Mais en réalité, nous autres, ce n'est pas comme ça qu'on voit ça. L'enfant appartient toujours à la personne qui a donné la vie. C'est tous des concepts qu'il faut... Nous, on naît avec ça. Ce n'est pas dur à comprendre pour nous, mais c'est dur à l'expliquer, par exemple, quand on...

Mme Hivon : Comme vous, d'essayer de comprendre notre notion de filiation ou d'adoption qui rompt les liens, vous devez trouver ça très étrange, donc vous essayez de... Puis je pense qu'on est dans ce dialogue-là. En fait, la raison pour laquelle je vous posais la question, c'était juste de comprendre si l'autorité compétente porte, en quelque sorte, un jugement ou si, en fait, elle ne fait que constater ce que les parties lui disent, dans le fond.

M. Awashish (Constant) : Elle viendra seulement constater qu'est-ce que les parties vont venir lui dire mais en s'assurant que les parties ont bien compris la portée de chaque attribut. L'autorité compétente, elle viendra, en quelque sorte, donner une force, un certificat qui sera reconnu par vos institutions pour ne pas qu'il y ait de problèmes lorsqu'il sera le temps d'avoir des soins de santé ou de se procurer un passeport, la carte d'assurance maladie, ou peu importe. C'est juste ça qu'on veut régler mais tout en respectant notre coutume. C'est simplement ça que l'article 601.1 vient régler.

Mme Hivon : En général, dans la coutume, là, quand on dit : « Précise les attributs de l'autorité parentale qui ont fait l'objet de la délégation», est-ce que ça peut fluctuer beaucoup d'une situation à l'autre, ce que sont ces attributs?

M. Awashish (Constant) : En réalité, c'est vraiment les attributs totaux. Une personne qui va s'occuper d'un enfant parce qu'elle va l'avoir adopté de façon coutumière, elle va recevoir tous les attributs du parent, sauf la filiation. C'est ce qui va être...

Mme Hivon : C'est ça.

M. Awashish (Constant) : C'est la façon qu'on...

Mme Hivon : C'est pour ça que je me demande en lisant ça... puis, en fait, c'est aussi prévu ailleurs, mais je me demande si, cette notion-là, de préciser les attributs de l'autorité parentale qui font l'objet de la délégation, c'est même pertinent de mettre ça ou si ça ne va pas de soi qu'il les reçoit tous. Je ne sais pas si vous me suivez.

M. Awashish (Constant) : Oui, oui, je vous suis.

Mme Hivon : Oui?

M. Awashish (Constant) : Idéalement, je pense que ça serait la meilleure façon, pour nous, de régler le problème.

Mme Hivon : De ne pas le mettre du tout.

M. Awashish (Constant) : Mais on veut juste rassurer dans un langage de droit québécois que nous, on prend en compte qu'il y a certains attributs dans le droit québécois. Mais idéalement, pour nous, ça serait le transfert total des attributs, sauf la création de filiation. Si l'autorité compétente serait en mesure de seulement attester et que les institutions québécoises puissent reconnaître son attestation pour permettre aux parents adoptants de pouvoir exercer leur travail de parent, leur devoir de parent, ça va être parfait pour nous, ça va remplir nos besoins, et on va pouvoir exercer notre coutume.

• (17 h 10) •

Le Président (M. Ouellette) : Merci. Merci, grand chef. Mme la députée de Repentigny.

Mme Lavallée : Merci. Tout à l'heure, vous avez entendu probablement l'intervention que j'ai faite avec le groupe avant vous. Et je vous entends et j'ai l'impression que, comme législateurs, on est en train de compliquer quelque chose qui est très simple pour vous autres puis en adoptant toute la notion d'adoption on mêle des concepts qui ne correspondent pas à votre réalité.

Tout à l'heure, ce que j'ai mentionné, c'est que la Chambre des notaires et Alain Roy, qui travaille sur la réforme du droit de la famille, ils ont fait part du fait que tous les enfants au Québec n'ont pas nécessairement à être adoptés et à avoir des liens coupés avec leurs familles d'origine. Donc, c'est présent aussi dans notre tête. Et il y a des façons de faire les choses, donc, d'y aller avec la tutelle dative ou d'y aller avec la délégation d'autorité parentale. Donc, on se rejoint, je pense. Puis, lorsque je lis l'article 543.1, on parle d'adoption, mais j'ai comme l'impression qu'on vient compliquer quelque chose qui devrait être pour vous autres plus simple que ça, c'est-à-dire de parler uniquement de délégation d'autorité parentale, parce que vous ne voulez jamais couper ce lien-là avec la famille, c'est dans vos coutumes, c'est dans vos moeurs. Puis c'est ce qu'on souhaite aussi de notre côté, les enfants n'ont pas à avoir toujours le lien coupé avec leurs familles d'origine. Donc, là-dessus, on se rejoint, là. On a rencontré d'autres groupes avant vous, mais j'ai comme l'impression que c'est toujours la même chose, qu'on parle toujours de confier l'enfant, de garde d'enfants mais jamais de renoncer à nos droits comme parents, là.

Le Président (M. Ouellette) : Grand chef.

M. Awashish (Constant) : ...renoncer au fait que c'est vous qui avez donné naissance à l'enfant. L'enfant va toujours connaître c'est qui, la personne qui lui a donné naissance. Nous, c'est un concept qui est très important pour nous, ça fait partie de nos moeurs. Comme j'ai dit, pour nous, il n'y a pas une reconnaissance de possession de l'enfant par l'adoptant, la personne qui adopte ne possède pas nécessairement l'enfant, là. L'enfant, tu sais, elle est là, la différence, je pense. Pour nous, c'est simple, comme vous dites, c'est clair, on se rejoint, en quelque sorte, à quelque part. Mais je pense qu'il faut juste s'attarder à qu'est-ce qu'on désire aujourd'hui, c'est d'instaurer l'article 601.1, qui viendra, en quelque sorte, pallier à cette difficulté qui existe actuellement avec le droit québécois, et ça va nous donner un concept plus près... ou une façon de régler la situation plus près de qu'est-ce que nous, on le conçoit.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la députée de Repentigny.

Mme Lavallée : Puis ce que je comprends aussi, c'est que vous êtes capables, dans vos façons de faire, de vous entendre avec le parent, toute la question de combien de temps la personne a besoin pour se reprendre, être capable de reprendre la responsabilité de son enfant. Donc, c'est une gestion qui est interne, dans laquelle on ne peut pas interférer. Donc, c'est vous autres qui êtes capables d'évaluer toute la question du temps, du comment, et ça se fait déjà dans vos coutumes. Là, on essaie de venir l'encadrer, mais il y a une partie que vous êtes capables de faire sans compliquer les choses non plus, là.

Le Président (M. Ouellette) : Grand chef.

M. Awashish (Constant) : Bien, je suis tout à fait d'accord avec ce que vous dites. La réalité est telle quelle qu'aujourd'hui, pour nous, c'est vrai, ça prend une communauté pour élever un enfant. Ça s'applique chez les Attikameks. Peut-être, c'est dur de concevoir ça à Montréal. Ça prend-u Montréal pour élever un enfant? Mais, chez nous, c'est possible. Puis, encore aujourd'hui, c'est possible. Encore aujourd'hui, on le vit encore. C'est simplement ça.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la députée de Repentigny, dernière minute.

Mme Lavallée : Tout à l'heure, aussi, le groupe avant vous, on parlait un peu de la difficulté avec la DPJ. Puis je pense que c'est venu compliquer toute cette relation-là avec les enfants, la coupure des enfants avec la famille. J'imagine que, cette question-là, vous voulez aussi que ça soit plus encadré, dire : Vous êtes capables, comme communauté, de voir au bien-être de votre enfant sans avoir l'intervention de la DPJ, là.

M. Awashish (Constant) : Tout à fait. Comme j'ai mentionné tantôt, l'adoption coutumière attikamek, c'est souvent confondu avec le principe d'abandon, que la DPJ appelle. Donc, tu sais, c'est vraiment là, la différence. Puis, pour nous, c'est vraiment important de pouvoir exercer notre coutume, notre façon de faire sans qu'il y ait une interférence, une mauvaise interprétation de notre façon de faire. Tu sais, c'est rien que ça qu'on demande.

Le Président (M. Ouellette) : On a terminé, Mme la députée de Repentigny.

Mme Lavallée : Merci beaucoup.

Le Président (M. Ouellette) : Grand chef Constant Awashish, Mme Alice Cleary, Me Anne Fournier, M. David Boivin, M. Paul-Émile Ottawa, du Conseil de la nation atikamekw, merci d'être venus déposer devant la commission.

Je... Ah non! J'ajourne, hein? Oui, c'est ça. Il faut que je change de page. La commission ajourne ses travaux au mardi...

Le Secrétaire : ...

Le Président (M. Ouellette) : Ah! Bien oui. Mais il m'a changé mon texte. Vous voyez comment est-ce que c'est?

La commission ajourne ses travaux à demain matin, le 25 novembre, pour l'interpellation au salon bleu. Merci.

(Fin de la séance à 17 h 16)

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