Journal des débats (Hansard) of the Committee on Institutions
Version préliminaire
43rd Legislature, 1st Session
(November 29, 2022 au September 10, 2025)
Cette version du Journal des débats est une version préliminaire : elle peut donc contenir des erreurs. La version définitive du Journal, en texte continu avec table des matières, est publiée dans un délai moyen de 2 ans suivant la date de la séance.
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Thursday, June 1, 2023
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Vol. 47 N° 36
Special consultations and public hearings on Bill 16, An Act to amend the Courts of Justice Act to, in particular, give effect to the agreement between the chief judge of the Court of Québec and the Minister of Justice
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Intervenants par tranches d'heure
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Bachand, André
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Jolin-Barrette, Simon
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Morin, André Albert
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Cliche-Rivard, Guillaume
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Cliche-Rivard, Guillaume
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Bachand, André
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Nichols, Marie-Claude
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Jolin-Barrette, Simon
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Morin, André Albert
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Morin, André Albert
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Bachand, André
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Cliche-Rivard, Guillaume
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Nichols, Marie-Claude
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Bachand, André
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Jolin-Barrette, Simon
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Morin, André Albert
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Cliche-Rivard, Guillaume
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Bachand, André
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Nichols, Marie-Claude
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Bachand, André
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Jolin-Barrette, Simon
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Morin, André Albert
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Morin, André Albert
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Bachand, André
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Cliche-Rivard, Guillaume
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Nichols, Marie-Claude
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Jolin-Barrette, Simon
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Jolin-Barrette, Simon
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Bachand, André
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Morin, André Albert
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Cliche-Rivard, Guillaume
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Nichols, Marie-Claude
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Bachand, André
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Jolin-Barrette, Simon
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Morin, André Albert
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Bachand, André
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Morin, André Albert
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Cliche-Rivard, Guillaume
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Nichols, Marie-Claude
15 h (version révisée)
(Quinze heures vingt et une minutes)
Le Président (M.
Bachand) :À l'ordre, s'il vous plaît! Bon
après-midi à tout le monde. Ayant constaté le quorum, je déclare à la séance de
la Commission des institutions ouverte. Je vous souhaite encore une fois la
bienvenue.
La commission est réunie afin de procéder
aux consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 26,
Loi modifiant la Loi sur les tribunaux judiciaires afin notamment de donner
suite à l'Entente entre le juge en chef de la Cour du Québec et le ministre de
la Justice.
Avant de <débuter...
Le Président (M.
Bachand) :
...de la Cour du Québec
et le ministre de la Justice.
Avant de >débuter, Mme la
secrétaire, y a-t-il des remplacements?
La Secrétaire : Oui, M. le
Président. M. Zanetti (Jean-Lesage) est remplacé par M. Cliche-Rivard (Saint-Henri—Sainte-Anne).
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup. Alors, cet
après-midi, nous allons débuter par les remarques préliminaires. On va d'abord
débuter avec le Pr Patrick Taillon et après nous aurons le représentant de
Droits collectifs Québec.
Cela dit, nous allons cependant commencer
par les remarques préliminaires. Alors, M. le ministre de la Justice, je vous
invite à faire vos remarques préliminaires pour une période de six minutes. M.
le ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Oui.
Merci, M. le Président. Très heureux de vous retrouver pour les consultations
du projet de loi n° 26, Loi modifiant la Loi sur les tribunaux judiciaires
afin notamment de donner suite à l'Entente entre la juge en chef de la Cour du
Québec et le ministre de la Justice.
Un peu d'histoire, M. le Président, vous
vous souviendrez que la juge en chef m'a informé, au mois de décembre 2021,
qu'elle changeait unilatéralement les assignations des juges. Donc, en Chambre
criminelle et pénale, M. le Président, les juges de la Cour du Québec, donc,
siégeaient 139 jours par année depuis la création de la Cour du Québec.
Puis il faut remonter, antérieurement à ça, c'était le ratio de jours siégés
versus le jour... le nombre de jours en délibéré, qui remonte à la Cour
des sessions de la paix. Donc, il y a eu fusion de la Cour du Québec au début
des années 90, mais création de la Cour du Québec, donc la Cour des
sessions de la paix, le tribunal de la jeunesse ainsi que la Chambre civile, à
l'époque, qui s'appelait. M. le Président... vous me le rappellerez tout à
l'heure, mais, bref, les trois chambres qui ont fusionné avec la Cour du Québec
pour créer la Cour du Québec. Et donc les juges de la Cour du Québec siégeaient
139 jours, et, d'une façon unilatérale, on a enlevé 35 jours de banc,
donc pour se retrouver à 104 jours, donc dans un ratio d'une journée
siégée et une journée de délibéré, du jour au lendemain, comme ça, et que ça
rentrait exécutoire à la rentrée judiciaire de septembre 2022, faisant fi
de toutes les conséquences sur les justiciables, sur les victimes, sur les
accusés, et disant au gouvernement du Québec, à l'État québécois : Bien,
écoutez, j'ai pris une décision sans prendre en considération les impacts de
cette décision-là sur les justiciables québécois, sur le fonctionnement du
système de justice, et donc je vous demande 41 juges supplémentaires
uniquement pour combler le fait que les juges de la Cour du Québec en Chambre
criminelle et pénale vont moins siéger.
À partir de ce moment-là, le gouvernement
du Québec a dit : Bien, écoutez, on vous demande de surseoir à votre
décision le temps qu'on puisse analyser la demande et le temps également qu'on
puisse s'organiser. On comprend qu'il y a des besoins de ressources dans le
système de justice, et j'en suis, et j'en rajoute depuis que je suis ministre
de la Justice, mais on doit faire les choses dans l'ordre.
Manifestement, il n'y a pas eu d'écho du
côté de la Cour du Québec, de la direction de la Cour du Québec, puis on a
maintenu la ligne dure. On a même fait un renvoi à la Cour d'appel pour demander
à la cour : Quelle est votre opinion, est-ce qu'on peut changer
unilatéralement un ratio sans avoir de considération de l'impact sur les
justiciables québécois et sans mesures d'efficacité? Finalement, M. le
Président, on a eu recours à un facilitateur, donc le juge Jacques Chamberland
de la Cour d'appel, qui a été sous-ministre de la Justice, et il nous a
grandement aidés dans ce... dans cette conversation, si je puis dire, et on est
arrivé à une entente avec la juge en chef de la Cour du Québec, et donc dans
laquelle le gouvernement du Québec va rajouter 14 juges à la Chambre
criminelle et pénale, qui fait l'objet du projet de loi pour modifier la Loi
sur les tribunaux judiciaires, mais, par contre, les juges vont augmenter le
ratio de nombre de jours siégés à 121 jours. Donc, on arrive à peu près à
la moitié.
Mais, par contre, élément intéressant que
nous avons négocié, c'est le fait qu'il y ait des cibles de performance et
d'efficacité du système de justice, et c'est la première fois, ça, M. le
Président, qu'il y a des cibles de performance. Donc, le nombre de dossiers
fermés dans un ratio de 1,1, ça veut dire que les juges s'engagent à fermer
plus de dossiers qu'il y a de dossiers ouverts par année, ce qui va amener une
diminution du... de l'inventaire du nombre de dossiers, ce qui va faire en
sorte également de raccourcir les délais. Parce que, si vous fermez à chaque
année plus de dossiers que vous en ouvrez, bien, ça va faire en sorte de
réduire, donc on va travailler sur les délais. Une cible de près de 88 %
de dossiers entendus entre 18 et 30 mois, ce qui sont les paramètres de
l'arrêt Jordan, et ça, ça vise à faire en sorte... parce qu'il y a des dossiers
qui sont reportés par la défense, donc c'est pour ça que ce n'est pas
100 % des dossiers, et un délai médian également qui va être... qui va
être raccourci. Donc, on passe de 303 ou 306 jours à 212 jours pour
les délais médians.
Alors, c'est une bonne entente, ça a fait
l'objet d'un compromis. Puis moi, ma responsabilité, comme ministre de la
Justice quand je prends des décisions, je pense à l'intérêt collectif, je pense
à l'intégrité et à la confiance du public dans le système de justice. Donc,
c'est toujours important de... lorsqu'on est ministre, de réfléchir aux impacts
des décisions sur les victimes, sur les justiciables, sur les accusés. Alors,
c'est la position que l'État québécois a prise, et on arrive avec un projet de
loi auquel, j'espère, mes collègues vont souscrire, parce qu'on vise à faire en
sorte de pouvoir ouvrir la Loi sur les tribunaux judiciaires pour rajouter 14 juges.
Autre élément dans le projet de loi qui
fait le bonheur de mes collègues également, le fait qu'en matière d'intégrité
de la gestion des fonds du Conseil de la <magistrature...
M. Jolin-Barrette :
...le
fait qu'en matière d'intégrité de la gestion des fonds du Conseil de la >magistrature
on est dans une situation où les fonds du Conseil de la magistrature sont des
crédits permanents, au lieu d'être des crédits votés comme tous les organismes
de l'État québécois. Alors, on propose que les sommes deviennent des crédits
votés.
Vous vous souviendrez de la journée des
crédits budgétaires, la députée de Vaudreuil a soulevé, à juste titre, un
dépassement de coûts inexpliqué et inhabituel de près de 30 % du budget du
Conseil de la magistrature. Donc, la députée de Vaudreuil nous a alertés sur ce
point-là, et je pense, à juste titre, que les parlementaires, qui sont les gens
élus par la population, ont un devoir de contrôle des sommes qui sont conférées
au Conseil de la magistrature. Écoutez, dans l'État québécois, tout est
assujetti à des règles, et je pense que ça doit l'être ainsi pour assurer la
confiance du public par rapport à la gestion des fonds publics.
Alors, je vous remercie, M. le Président.
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup, M. le ministre.
Alors, M. le député d'Acadie, pour 3 min 36 s, s'il vous plaît.
M. le député.
M. Morin : Merci, M. le
Président. M. le ministre, chers collègues. Donc, je serai très bref avec mes
paroles introductives parce qu'on n'a pas beaucoup de temps. Donc, projet de
loi n° 26, écoutez, un projet de loi qui met en vigueur, en partie,
l'Entente entre la juge en chef de la Cour du Québec et le ministre de la
Justice, document sans précédent — moi, dans ma carrière de plaideur
et d'avocat, et puis, en passant, moi, d'abord, j'ai plaidé devant la Cour des
sessions de la paix, ça ne me rajeunit pas, mais, bon, on va miser sur
l'expérience — donc, sans précédent, entente entre le ministre et la
juge en chef. Il y avait un litige, il a fallu un médiateur. Finalement, on
arrive à quelque chose puis on se dit : 14 nouveaux postes, eh oui, il y a
des ratios, c'est une excellente chose. Et on se dit : Bien, écoutez, ça
ne sera pas compliqué, un article... un projet de loi, deux articles, ça va
bien aller. Alors, on commence avec l'article 1, qui est vraiment
identique à l'entente, c'est parfait. Mais, après ça, j'imagine que le ministre
a mis «notamment» dans son projet de loi, puis que ça veut dire quelque chose,
parce qu'il y a deux autres articles, qui, eux, sont peut-être un peu plus
problématiques.
On n'est pas contre la reddition de
comptes, M. le Président. Évidemment, c'est des fonds publics. Sauf que, dans
l'État, il y a aussi un concept fondamental dans toutes nos sociétés
démocratiques, qui s'appelle l'indépendance de la magistrature, et ça, il faut
le préserver. Donc, nouveau mode de financement, le Conseil obtient ses fonds à
même le fonds consolidé. Maintenant, on veut que tous les crédits soient votés
annuellement, annuellement. Puis on se rend compte que, s'il y a eu un
dépassement de coûts, parce que le Conseil a quand même répondu à certaines
demandes de M. le ministre, bien, c'est parce que le Conseil s'est adressé aux
tribunaux, c'est un droit de s'adresser à la cour, pour contester des lois
adoptées par le gouvernement, puis ils estimaient qu'elles devaient être
contestées. Alors, ce n'est pas comme si on était dans une situation de
dépassement de coûts parce que tout le monde ne savait pas ce qu'ils faisaient,
là. Il faut quand même... Puis on a eu une lettre du conseil qui était très,
très claire à cet effet-là. Donc, je pense qu'il faut remettre ça dans le
contexte, il faut remettre ça dans cette perspective, et il faut absolument
entendre des experts, pour nous assurer qu'avec ce projet de loi on ne va pas
franchir la ligne, et qu'on ne touchera pas, et qu'on n'ira pas empiéter sur
l'indépendance institutionnelle du Conseil de la magistrature.
• (15 h 30) •
Projet de loi d'autant plus étonnant,
parce que, quand on parle de reddition de comptes, et on en est, et on est pour
ça, c'est clair, on vient d'adopter le projet de loi n° 8, où on a permis
à la Vérificatrice générale de venir regarder,évaluer les comptes du Conseil de
la magistrature. Donc, est-ce que le projet de loi n° 8, qui est à peine
sec, qui vient d'entrer en vigueur, n'est pas bon? Est-ce que les
parlementaires ont fait un travail qui n'est pas valable? On peut se poser la
question. Là, le ministre veut aller plus loin, et il faut être capables
d'identifier, à l'aide d'experts, clairement, pourquoi on veut aller plus loin.
Ça m'apparaît tout à fait important puisque, dans une société, dans un État de
droit, dans un État où on fait, évidemment, la promotion de la primauté du
droit, la magistrature et son conseil doivent être indépendants, et,
évidemment, c'est fondamental, donc, d'où l'importance d'entendre des experts
sur cette question. Je vous remercie.
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup. M. le député de
Saint-Henri—Sainte-Anne pour 1 min 12 s. M. le député, s'il vous
plaît.
M. Cliche-Rivard : Merci, M.
le Président. D'abord, bien heureux de l'entente, l'entente qui va appuyer un
rehaussement du nombre de juges et un meilleur accès à la justice. Alors, je
souligne aussi l'importance des cibles de performance. Donc, sur l'entente et
sur le premier article, j'en félicite le ministre.
Par contre, enjeu important, inquiétudes
énormes relatives à l'indépendance de la magistrature. Quand même, plusieurs
drapeaux rouges qui ont été soulignés dans les médias, par différents experts,
dans les dernières semaines. Je vais avoir très hâte... En fait, j'ai très hâte
d'entendre les groupes pour voir ce que les experts en pensent. Mais, d'emblée,
comme mon collègue, je suis très inquiet relativement au principe
d'indépendance judiciaire...
15 h 30 (version révisée)
M. Cliche-Rivard : ...il est
très inquiet relativement au principe d'indépendance judiciaire. Alors, j'ai d'énormes
questions, on va en avoir beaucoup et on s'attend à ce qu'on puisse être
éclairés sur le fond de ces questions. Merci.
Le Président (M.
Bachand) :Merci, M. le député. Mme la
députée de Vaudreuil, pour, encore une fois, 1 min 12 s. Mme la
députée.
Mme Nichols : C'est mieux que
12 secondes, M. le Président. Bonjour. Je partage... Étant donné le court
laps de temps, là, je vais être très directe, là, je partage la préoccupation
de mes collègues. Oui, ça a été soulevé à l'étude des crédits, le dépassement
de coûts. Évidemment ça a été justifié, on l'a reçu par... on a reçu, là, les
comptes, la ventilation, en fait, par lettre.
Moi, je vous... je le soumets, je soumets
ma position d'emblée, je me demande si ce n'est pas tout simplement prématuré
de légiférer de la sorte puisqu'on a récemment adopté le projet de loi n° 8 qui va justement venir... qui prévoit, qui prévoit des...
qui donne au ministre, en fait, qui donne au ministre le... Et le ministre doit
soumettre ses prévisions budgétaires, en fait, la... Je recommence. Le Conseil
de la magistrature doit soumettre ses prévisions budgétaires au ministre de la
Justice, puis les livres vont être vérifiés par la Vérificatrice générale.
Alors, je me disais : C'est peut-être juste prématuré de l'inclure comme
ça dans un projet de loi, à moins qu'il y ait autre chose qui viendra le
justifier.
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup. Alors donc,
nous allons débuter nos auditions, et on débute avec le Pr Patrick Taillon, qui
est professeur à la Faculté de droit de l'Université Laval, mais qui n'est pas
à l'Université Laval. Je ne dis pas où est-ce qu'il est, mais il n'est pas à l'Université
Laval. Alors, Pr Taillon, merci beaucoup d'être avec nous, c'est un grand
privilège. Merci beaucoup. Alors, comme vous savez, vous avez 10 minutes
de remarques, et puis après ça nous aurons un échange avec les membres de la
commission. Alors, Pr Taillon, la parole est à vous.
M. Taillon (Patrick) : Bonjour.
D'abord, merci, M. le Président, pour cette invitation. Je suis désolé auprès
des membres du comité, là, je n'ai pas pu produire un mémoire, l'invitation est
arrivée un peu rapidement. Mais j'ai l'espoir que ce ne soit pas très grave
parce que, de toute manière, je suis ici davantage dans l'optique de répondre
aux questions des membres de la commission, pas nécessairement pour convaincre
ou recommander l'adoption ou le rejet, là, du projet de loi, surtout de... surtout
sur la question, là, sur laquelle je vais cibler mon intervention, sur la
question, là, du vote des crédits budgétaires.
Je vais quand même, en guise d'introduction,
jouer franc jeu et vous dire ce que je pense de cette question du vote des
crédits. Mais, avant de le faire, je veux d'abord insister sur deux remarques
préliminaires qui, pour moi, sont fondamentales et qui me semblent être, bon,
peut-être un peu théoriques, puis, au risque d'être un peu professoral, je
trouve ça important de poser ces deux remarques préliminaires parce que je
pense que ça permet de clarifier les termes du débat.
Donc, premier... première observation. Je
pense qu'il faut partir du principe suivant, c'est que l'administration de la
justice relève de la compétence du législateur québécois. Donc, à cet égard, le
législateur québécois, ça, c'est le principe, dispose d'une capacité de
légiférer et il doit légiférer pour créer des tribunaux. Il pourrait les
réformer, les organiser à sa guise, mais, à l'inverse de ce qu'il peut faire
avec les municipalités, par exemple, lorsqu'il est question de l'administration
de la justice, le principe et sa compétence connaît néanmoins deux types de
limites importantes, deux exceptions au principe de... qui veut que le
législateur peut tout faire en cette matière.
Donc, le premier type d'exception, qui n'est
pas en cause ici pour la discussion d'aujourd'hui, c'est que le législateur
québécois ne pourrait pas, dans l'administration de la justice, empiéter outre
mesure sur ce qui relève un peu du carré de sable des juges de nomination
fédérale. Ce n'est pas notre problème aujourd'hui, mais ça fait partie des
limites qui s'appliquent à l'action législative du législateur québécois. La
deuxième limite, et elle, elle est plus importante pour la discussion d'aujourd'hui,
c'est que le législateur québécois peut tout faire, créer, réformer des
tribunaux, mais, lorsqu'il le fait, il ne doit pas porter atteinte aux
aspects... aux garanties minimales, essentielles, impératives, garanties par la
Constitution, donc, au-dessus de la volonté du législateur, de l'indépendance
judiciaire. Certains intervenants craignent qu'il y ait une telle mise en cause
de l'indépendance judiciaire dans le projet de loi qui est devant nous aujourd'hui.
Ce n'est pas mon cas. Mais, avant d'expliquer pourquoi ce n'est pas mon cas, je
dois faire cette deuxième observation préliminaire qui est très importante à
mes yeux.
Il faut absolument, lorsqu'il est question
d'indépendance judiciaire... Mais c'est le cas aussi pour d'autres fondements
de l'État. J'entends par «fondements de l'État» des droits, des principes, des
idéaux, des valeurs qui sont inscrits dans notre Constitution, ça peut être la
démocratie, le <fédéralisme...
M. Taillon (Patrick) :
...
qui sont inscrits dans notre Constitution, ça peut être la démocratie, le >fédéralisme
l'indépendance judiciaire, les droits fondamentaux. Lorsqu'il est question de
ces fondements de l'État, il faut savoir distinguer ce qui, d'un côté, est obligatoire,
s'impose au Parlement, ce que la Constitution oblige... ce en quoi la
Constitution oblige le législateur ou ce que la Constitution interdit, en
quelque sorte, au législateur. Ça, c'est ce que j'appellerai, aux fins de la
discussion d'aujourd'hui, l'indépendance judiciaire en droit positif. Donc,
c'est à un niveau de lecture qu'il ne faut pas confondre avec une autre
conception des choses où, là, on peut discuter de ce qui est souhaitable, ce
qui est opportun pour concrétiser un idéal qui peut être l'indépendance
judiciaire, la démocratie, le fédéralisme et ce que j'appellerai ici
l'indépendance judiciaire comme un idéal qui inspire le comportement des
acteurs, des institutions. Et donc il ne faut pas mélanger ce que veut dire
l'indépendance judiciaire, en droit positif canadien, ce que ça contient comme
obligations, comme interdictions, qui sont non négociables et qui s'imposent au
législateur québécois, et la discussion qu'on peut avoir sur les différentes
manières de concrétiser l'idéal d'indépendance judiciaire. C'est deux types de
discussion qu'il ne faut pas confondre.
Pour prendre une analogie toute simple,
quelqu'un pourrait dire qu'avoir un lieutenant-gouverneur non élu ou avoir un sénat
non élu, c'est antidémocratique. Bien, sur le terrain de l'idéal démocratique,
l'affirmation est juste, mais sur le terrain de ce qui était obligatoire
démocratiquement au Canada, bien, c'est faux. La Constitution canadienne, elle
a des exigences en ce qui concerne la démocratie, mais ça ne lui pose pas de
problème que le lieutenant-gouverneur ou les sénateurs soient non élus. C'est
un peu la même chose en matière d'indépendance judiciaire. Il y a une espèce de
minimum non négociable qui s'impose au législateur, puis après il est quand
même important que le législateur, le gouvernement ait une réflexion sur :
Au delà de ce minimum, quelle est la meilleure façon de concrétiser l'idéal
puis de le concilier avec d'autres idéaux, aussi, qui doit animer les
institutions?
Donc, ça, c'était mes deux remarques préliminaires
qui m'amènent à prendre position sur le projet de loi qui est devant nous.
Le projet de loi qui est devant nous ne
porte pas atteinte à l'indépendance judiciaire telle qu'on l'entend en droit
positif, parce qu'en droit positif, cette indépendance-là, elle a été définie
par la jurisprudence comme une protection un peu à géométrie variable qui va
s'impliquer... qui va s'appliquer avec beaucoup d'intensité lorsqu'il est
question, par exemple, de l'inamovibilité des juges. Tu sais, on ne veut pas que
le politique puisse destituer un juge. Donc, tout ce qui est déontologie chez
les juges, la manière dont ils vont devoir se créer un système déontologique à l'interne,
bien là, les garanties s'imposent avec beaucoup de vigueur. À l'inverse, par
exemple, un autre exemple parmi d'autres, sur la nomination des juges, bien,
encore récemment, en janvier, la Cour fédérale a rendu une décision dans
l'affaire Democracy Watch, où elle a dit : Non, vous ne pouvez pas
mobiliser l'indépendance judiciaire pour contester le processus de nomination
des juges à Ottawa, et on a rejeté la plainte qui avait été formulée par ce
groupe de la société civile. Donc, selon le domaine où on est, la nomination
versus la destitution d'un juge, bien, l'indépendance judiciaire, en droit
positif, ne produit pas la même intensité sur le plan des effets.
• (15 h 40) •
Sur le plan de la sécurité financière, le
salaire des juges, leur rémunération, bien, la jurisprudence a fait l'objet
d'une très, très longue saga puis elle a un peu coupé… elle a placé le curseur
à un certain endroit. La rémunération des juges relève des institutions
gouvernementales. Les gouvernements ont le pouvoir de fixer cette rémunération,
mais ils ne peuvent pas le faire n'importe comment. Ils peuvent le faire
seulement après avoir entendu le point de vue des juges, qui s'expriment à
travers une commission. Et le gouvernement, s'il ne suit pas les
recommandations formulées par ses commissions, bien, il doit justifier son
refus de manière rationnelle et de bonne foi. Donc, on voit ici que le principe
d'indépendance judiciaire produit des effets, mais il s'accommode quand même du
fait qu'à la fin c'est les institutions politiques qui fixent la rémunération.
Même sur la question de la destitution des
juges, s'il y a un domaine où l'indépendance judiciaire produit énormément
d'effets, c'est bien la destitution, mais le système s'accommode <du fait
que...
M. Taillon (Patrick) :
...
énormément d'effets, c'est bien la destitution, mais le système s'accommode
>du fait que, pour destituer un juge de nomination fédérale, ça prend un
vote des deux chambres du Parlement fédéral, donc une intervention politique
directe. Mais l'indépendance judiciaire est protégée parce qu'en amont de ce
vote des assemblées il y a un processus déontologique interne, par le Conseil
de la magistrature, qui fait en sorte que l'action du politique qui arrive à la
fin n'est pas une ingérence puis une atteinte.
Donc, c'est ça un peu, ce que je veux
essayer d'illustrer ici, c'est que le principe produit des effets à géométrie
variable. Il n'est jamais absolu, puis c'est plus dans la manière dont on
organise les choses que ça va prendre forme.
Personnellement, non pas sur le terrain du
droit positif, mais sur le terrain de l'idéal de l'indépendance judiciaire,
c'est un principe qui nous tient tous à cœur, mais ce que je constate, c'est
qu'on n'a pas toujours les mêmes conceptions de la manière de l'atteindre. Par
exemple, moi, ça me chatouille personnellement, sur le plan de l'idéal de la
séparation des pouvoirs, de voir qu'à chaque discours du Trône, à Ottawa, les
juges de la Cour suprême sont là et fréquentent les élus dans la même salle. Je
ne suis pas très confortable avec le fait qu'à chaque rentrée judiciaire le
ministre de la Justice du Québec est en présence d'un paquet de juges. Mais ça
fait partie de nos mœurs et, sur le plan de l'idéal de l'indépendance, ça peut
chatouiller Patrick Taillon, mais ça ne change rien au fait qu'en droit positif
ce contact direct entre les juges et le politique n'est pas sanctionné, en
droit positif. Donc, sur le terrain du droit positif, on a comme des garanties
minimales, puis après on peut avoir une discussion sur les meilleures... la
meilleure façon...
Le Président (M.
Bachand) : Merci...
M. Taillon (Patrick) : ...d'en
donner plus, d'indépendance judiciaire.
Le Président (M.
Bachand) :Merci, Pr Taillon, merci
infiniment. Alors, M. le ministre, pour 16 min 30 s en période
d'échange. M. le ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Oui. Bonjour,
Pr Taillon, merci d'être parmi nous aujourd'hui. Écoutez, j'écoutais votre
propos avec intérêt. Donc, je comprends que l'indépendance judiciaire a des
limites. Et, au cours des derniers mois, on a beaucoup entendu cet argument-là,
on dirait que tout est à l'indépendance judiciaire. Donc, vous me confirmez
qu'il y a une limite à l'indépendance judiciaire?
M. Taillon (Patrick) : Bien,
en droit positif, oui. Comme idéal, on peut toujours bonifier tout cela. Mais
il y a même des limites intrinsèques parce que, par définition, il y a des
points de contact entre les institutions politiques et le judiciaire.
D'ailleurs, une des choses qui, moi personnellement, me plaît dans le projet de
loi qui est devant nous, c'est le fait qu'en ce moment, s'il y a des échanges,
des discussions qui doivent avoir lieu sur les finances du Conseil de la
magistrature, bien, ça va se passer entre le sous-ministre à la Justice ou le
ministre de la Justice et les autorités judiciaires compétentes. Donc, on va
avoir un point de contact qui va être, avec égards, plus opaque. Parce qu'à l'exécutif,
c'est efficace, mais l'exécutif… c'est efficace, mais c'est un peu plus secret,
son activité, alors qu'à l'inverse, avec le projet de loi, on déplace ce débat
devant les parlementaires dans une dynamique plus transparente, plus
transpartisane.
Mais après, ça se discute. D'autres
peuvent trouver que non, on préfère que les choses se règlent dans le secret et
la confidentialité des rapports exécutif et judiciaire, d'autres vont
dire : Non, on souhaite que ce soit élargi à quelque chose qui est plus
large, plus transparent, devant le Parlement.
M. Jolin-Barrette : Et, dans
le fond, le Parlement, c'est lui qui tire sa source de la population. Puis en
fait, rappelez-moi, là, en matière... je pense que c'est un des fondements de
notre démocratie que le Parlement est souverain, notamment, pour voter les
sommes qui doivent être allouées à l'exécutif, aux différentes branches de
l'État, notamment au pouvoir judiciaire, au pouvoir exécutif également. Donc,
la source même d'un élément démocratique, c'est le fait que les impôts et les
sommes qui sont prélevées sur les citoyens doivent l'être par les élus du
peuple.
M. Taillon (Patrick) : Oui,
ça, c'est le propre du droit constitutionnel, c'est de mettre plusieurs idéaux,
d'essayer de les transposer dans un même... un même truc. Donc évidemment,
l'indépendance judiciaire, c'est une réalité qui doit être conciliée avec
d'autres. Et celle qui veut que les parlementaires, les élus du peuple, aient
le contrôle des crédits budgétaires, c'est au fondement, là, du système
parlementaire britannique, de ses origines quand même assez lointaines, et
c'est une constante. Après, les parlementaires ont le droit de créer des
exceptions à cette règle. Ils en créent pour certaines entités, à commencer par
l'Assemblée nationale elle-même. Mais c'est ça qui est intéressant, c'est de
voir que, sur la question des crédits pour les organismes, disons, judiciaires,
bien là, on a toutes sortes de points de repère sur le plan des comparaisons.
Et il y a la situation du Conseil de la
magistrature, qui est des crédits qui ne sont pas votés, automatiques, mais il
y a d'autres organismes au Québec et ailleurs au Canada qui sont sur le régime <qui
est proposé...
M. Taillon (Patrick) :
...
d'autres organismes au Québec et ailleurs au Canada qui sont sur le régime >qui
est proposé par le projet de loi n° 26. Comme ça n'a jamais été contesté
devant les tribunaux, on ne peut pas dire avec certitude que, parce que ça
existe, c'est constitutionnel. Mais il faut, à tout le moins, le présumer. Il
faut présumer que, si, dans d'autres provinces, au fédéral, et pour d'autres
organismes au Québec, le régime proposé par le projet de loi n° 26
rencontre les exigences minimales de l'indépendance judiciaire, bien, fort
probablement que ça le rencontrerait aussi pour le Conseil de la magistrature
puisque son équivalent fédéral ou son équivalent dans d'autres provinces est à
peu près soumis au régime proposé par le projet de loi n° 26.
M. Jolin-Barrette : Et donc,
ce qu'on propose dans le projet de loi n° 26, ce n'est pas inusité, si
j'en tiens vos propos, si, au fédéral, ce sont des crédits votés et si, dans
d'autres États fédérés du Canada également, dans certaines circonstances, c'est
des crédits votés.
Écoutez, je suis présentement dans la
salle Papineau... dans la salle La Fontaine, pardon, et... Papineau,
Papineau, excusez-moi, dans la salle Papineau, puis j'ai un tableau devant moi
qui dit : «Les origines du parlementarisme, 1376. Le principe de contrôle
budgétaire par les Communes est consacré sous le régime d'Édouard III,
épisode connu sous le nom de Bon Parlement.» C'est quand même parlant qu'on
discute aujourd'hui de contrôle, également que ce soit... qu'on veuille confier
aux élus de l'Assemblée nationale, qui sont élus par le peuple québécois, un
mécanisme pour faire en sorte que, justement... que les fonds publics soient
votés par les élus du peuple québécois.
Écoutez, je voulais vous demander... Le
Conseil de la magistrature a distribué un mémoire à tous les parlementaires,
puis il a été rendu public également, et un des arguments pour dire :
Écoutez, il ne faudrait pas que les parlementaires votent les crédits du
Conseil de la magistrature, c'est le fait que ça a toujours été puisé sur le
fonds consolidé, puis il faut que ça demeure ainsi. Qu'est-ce que vous pensez
de ça?
M. Taillon (Patrick) : Bien,
il faut prendre le temps de se mettre dans la peau du Conseil de la
magistrature. Pour eux, c'est sûr que c'est plus commode de ne pas avoir à présenter
des prévisions ou ne pas avoir à présenter des demandes de crédits
supplémentaires, s'il y a des imprévus. Alors, je les comprends de considérer
que, pour eux, la situation actuelle présente des avantages sur le plan de la
commodité administrative, qui sont avantageux.
Mais après, quand ils prétendent dans leur
mémoire que c'est une atteinte à l'état actuel du droit positif, bien, moi, je
demande à savoir quelle décision dit cela, parce qu'en l'état actuel de
l'indépendance judiciaire, non pas comme un idéal absolu que l'on peut vouloir
mobiliser pour faire mieux, mais tout simplement comme exigence requise par le
droit positif, je ne vois pas du tout l'embryon d'une telle limite. Puis après
c'est une question de choix, le législateur québécois est libre de décider s'il
préfère garder le régime actuel avec ses avantages et ses inconvénients ou s'il
préfère aller vers un autre régime qui a d'autres avantages et d'autres
inconvénients.
• (15 h 50) •
M. Jolin-Barrette : Parce
qu'on comprend que le régime actuel, le fait d'être branché directement sur le
fonds consolidé, c'est qu'il n'y a aucune mesure de contrôle. Dans le fond, je
vous donne un comparatif, Pr Taillon. Les parlementaires ou les ministres, ils
ont un budget qui est déterminé, et ça doit être soumis aux parlementaires pour
être autorisé à dépenser le budget, à l'exception, je vous donne l'exemple, au
ministère de la Justice, on a des crédits permanents, mais… qui est le
programme d'indemnisation des victimes d'actes criminels, et ça, c'est un droit :
dès que vous vous qualifiez, le citoyen a droit à l'indemnisation. Donc, ce
sont des crédits permanents. Là, dans la situation du Conseil de la
magistrature, contrairement à d'autres organismes disciplinaires... Je vous
donne un exemple, le Conseil de la justice administrative, ce sont des crédits
votés, il n'y a pas d'enjeu à ce niveau-là. La Cour du Québec, la Cour
supérieure, la Cour d'appel, les crédits des tribunaux judiciaires au Québec,
dans le portefeuille Justice, ce sont des crédits votés, mais les tribunaux ne
sont pas moins indépendants parce que ce sont des crédits votés. Qu'est-ce que
vous pensez de ça?
M. Taillon (Patrick) : Bien,
c'est ce que je disais tantôt, quand je disais que le régime qui est dans le
projet de loi n° 26, il existe déjà pour d'autres organismes, organes du
pouvoir judiciaire. Et après il faut aussi... C'est sûr que, si on se met à
paranoïer ou à inventer que le Parlement va se comporter de façon... de
mauvaise foi puis va refuser les crédits, bien là, oui, effectivement, il y a
un problème pour l'indépendance. Mais il faut au contraire, je pense, présumer
que si le projet de loi n° 26 est adopté, c'est plus un mécanisme de vote
des crédits qui va se produire, et donc de transparence, de discussions,
éventuellement, mais non pas un mécanisme qui va nous plonger dans une
dynamique où les parlementaires vont rejeter systématiquement les demandes de
crédits. La preuve, <depuis des...
M. Taillon (Patrick) :
...
vont rejeter systématiquement les demandes de crédits. La preuve, >depuis
des années, voire des décennies, ça fonctionne très bien, les parlementaires
votent les crédits pour les autres organismes avec la bonne foi, la déférence
que commande l'idéal d'indépendance judiciaire. Donc, je trouve que l'exemple
des autres organismes qui font partie du pouvoir judiciaire québécois, et
ailleurs dans le Canada… vont nous permettre d'illustrer que ça peut
fonctionner, si c'est ce que le législateur québécois veut faire et élargir
comme régime.
M. Jolin-Barrette : OK. Une
des critiques du Conseil de la magistrature, dans leur mémoire, c'est que «le
fait de soumettre aux crédits votés le conseil aurait pour effet que le conseil
devra se demander s'il aura assez d'argent ou non pour enquêter ou non sur les
juges et que les membres devront potentiellement se demander s'ils devraient ou
non accorder plus ou moins de temps sur des examens de plaintes.» Qu'est-ce que
vous pensez de cet argument-là?
M. Taillon (Patrick) : Bien,
je suis plus sensible à l'argument de tout à l'heure sur le petit fardeau
administratif que ça leur impose de plus. L'argument qui consiste à prétendre :
Non, c'est trop imprévisible, on n'est pas capables, nous, de faire des
prévisions, ça ne me semble pas très réaliste comme argument, dans la mesure où
les autres organismes, qu'ils soient judiciaires ou non, se soumettent à un
exercice de prévision. Puis un exercice de prévision, bien, ça s'ajuste, quand
il y a matière à ajustement, surtout sur des enjeux de contestation, ou de
nombre de dossiers à traiter, ou de frais judiciaires à engager. C'est des
dossiers qui ne se règlent pas toujours en 12 mois, et donc on les voit
naître, on les voit se poursuivre. À moins que... En tout cas, je veux dire,
dans la mesure où on engage des frais qui sont réguliers, prévisibles,
raisonnables, généralement, entre la prévision et la réalité, l'écart est
gérable, parce que les autres y arrivent. Après, c'est le choix du législateur
québécois de décider si cet effort de prévision là… Puis le plus que ça apporte
en transparence, aussi en démocratie, parce que c'est plus démocratique que ça
se passe au Parlement qu'au bureau du sous-ministre, ça, c'est… Est-ce que
c'est le choix qu'on veut faire ou on aime mieux garder ça comme avant?
M. Jolin-Barrette : ...intéressant.
C'est plus démocratique et plus transparent que ce soit l'ensemble des
parlementaires qui soient saisis de cette demande-là, plutôt que le Conseil de
la magistrature, lui, prélève ses sommes directement, sans soumettre cela au
contrôle des parlementaires ou à l'approbation des parlementaires. Parce
qu'ultimement c'est ça qu'on veut. Il n'est pas question de bloquer les sommes
pour le Conseil de la magistrature, mais je pense que c'est un exercice de
transparence.
Je voulais vous demander également, Pr
Taillon. Un des éléments qui étaient invoqués dans le mémoire du Conseil de la
magistrature est une décision qui a été invoquée, une décision du 7 mars
2000, de la Cour d'appel du Québec, Conseil de la magistrature c. Commission
d'accès à l'information. Alors, le Conseil de la magistrature nous dit que
«selon la décision de la Cour d'appel, le conseil doit puiser ces sommes à même
le fonds consolidé pour lui permettre d'assumer sa mission.» Bien, écoutez, moi,
j'ai lu la décision de la Cour d'appel, ce n'est pas tout à fait ce que ça dit,
mais je voudrais vous entendre sur la décision de la Cour d'appel.
M. Taillon (Patrick) : Bien,
je trouve que c'est une décision qui permet vraiment de bien poser la distinction
que je voulais faire, en remarques préliminaires, entre ce que le droit positif
impose puis un idéal qu'on peut vouloir enrichir. Et ce qu'elle dit, la
décision… d'abord, on ne se pose pas la question de savoir s'il faut voter ou
non des crédits, ce qu'elle dit, c'est : Je dois qualifier cet organisme,
jusqu'à quel point il est rattaché à l'État québécois, quelle distance il a, et
donc, pour le qualifier, je lis sa loi constitutive et je puise, dans la loi
constitutive, des indices. Et la Cour d'appel voit dans le fait qu'à l'époque
et encore aujourd'hui les crédits sont automatiques, une preuve de l'intention
du législateur de vouloir... de faire... de faire de cet organisme un organisme
qui bénéficie, évidemment, des plus hautes... Mais ce n'est pas le seul indice
qui existe, et jamais la Cour d'appel n'a dit : Cet indice doit exister
aujourd'hui et pour toujours. Elle fait juste constater que c'est une réalité
de la loi et elle se fonde sur cette réalité pour dire : Ça témoigne d'une
intention. Ça veut dire que, si la Cour d'appel avait à rendre la même décision
sur le même problème, au lendemain de l'adoption du projet de loi n° 26,
bien, dans l'arsenal des arguments qu'elle aurait à puiser pour soutenir son
point de vue qui est : il s'agit d'un organisme indépendant, bien, elle
devrait puiser dans d'autres indices qui figurent dans la loi pour faire la
démonstration qui est de toute façon une évidence, qui est :
effectivement, c'est un organisme indépendant.
M. Jolin-Barrette : Une
question pour vous, Pr Taillon : Est-ce que les Parlements successifs, les
nouvelles législatures sont liés, pieds et poings liés, en tout temps, pour 1 000, ans
<par rapport...
M. Jolin-Barrette :
...
législatures sont liés, pieds et poings liés, en tout temps, pour
1 000 ans, >par rapport à l'intention du législateur antérieur?
Est-ce que ça empêche le législateur actuel d'amener des modifications dans les
lois qui sont conformes à son pouvoir d'administration de la justice, à son
pouvoir de légiférer? Est-ce que c'est possible de modifier des lois
antérieures pour changer l'état du droit?
M. Taillon (Patrick) : C'est
même ça, le concept de souveraineté du Parlement, c'est que le Parlement de
demain est libre de défaire ce que le Parlement d'hier a décidé. Cela dit,
comme je l'ai dit en introduction, dans le cas du Québec, sa compétence sur
l'administration de la justice, elle est entière, sous réserve de deux types de
limites importantes, une qui concerne les juges de nomination fédérale, et ce
n'est pas vraiment notre sujet aujourd'hui, et l'autre limite qui s'impose,
c'est l'indépendance judiciaire au sens du droit positif. Mais, par rapport...
après, ce minimum de droit positif, la manière de concrétiser les rapports
interinstitutionnels, ça, on peut les... on peut les améliorer, les modifier
dans un sens qui n'est pas à sens unique. Parce qu'il y a des préoccupations
d'indépendance judiciaire, des préoccupations de transparence financière, il y
a toutes sortes de pondérations à faire, puis ça, ça relève du choix du
législateur.
M. Jolin-Barrette : Et je
comprends que, dans notre système démocratique, les institutions ont parfois
des discussions entre elles. Lorsqu'un tribunal rend une décision, il peut
arriver que le législateur réponde à cette décision-là en modifiant une loi.
C'est de la façon que ça fonctionne ici, dans notre démocratie.
M. Taillon (Patrick) : C'est
de la façon que ça fonctionne dans notre démocratie, et, je dirais, c'est même
encore plus fréquent dans les juridictions de common law, où on va laisser
beaucoup de place... C'est paradoxal, mais la tradition... la tradition
juridique de common law est une tradition où on fait énormément confiance aux
juges pour élaborer des solutions créatives et jurisprudentielles, tout en
préservant énormément la souveraineté des Parlements d'y répliquer. Bien,
après, le Canada est héritier de tout ça et l'a aménagé, ça, il l'a fait
évoluer d'une certaine manière. Mais le principe de notre tradition juridique,
c'est beaucoup ce dialogue et cette discussion entre la jurisprudence et la
loi.
M. Jolin-Barrette : OK. Donc,
en résumé, ce que nous faisons dans le cadre du projet de loi n° 26, selon
vous, est acceptable car il permet également de préserver l'indépendance
judiciaire, parce que l'indépendance judiciaire n'est pas un concept qui est
figé, qui est rigide et qui est blanc ou noir. C'est ce que je comprends bien?
Le Président (M.
Bachand) :Rapidement, Pr Taillon, s'il
vous plaît.
M. Taillon (Patrick) : Oui.
En deux phrases, pour résumer, ma position, c'est que le projet de loi ne porte
pas atteinte à l'indépendance judiciaire au sens minimal qu'exige le droit
positif. Quant à l'idéal, là, il y a une discussion qui est possible. Moi, je
pense que ce qu'on gagne en transparence puis en démocratisation avec le
Parlement... Si j'étais le Conseil de la magistrature, j'aimerais mieux que ces
affaires-là, là, les comptes à rendre, des explications, des prévisions à
fournir... j'aimerais mieux les fournir devant le Parlement, devant un contexte
transpartisan, que devant juste l'exécutif de façon opaque. D'autres pourraient
avoir un autre point de vue, pourraient avoir peur que le Parlement, c'est le
lieu de la partisanerie, puis ça va virer en cirque. Ce n'est pas mon point de
vue.
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup…
M. Taillon (Patrick) : Mais,
personnellement, je pense qu'il y a un gain, que ce soit devant les
parlementaires, mais ça, c'est un point de vue plus d'opportunité.
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup. M. le député...
M. Jolin-Barrette : Merci, Pr
Taillon.
Le Président (M.
Bachand) :M. le député d'Acadie, pour 9 min 54 s,
s'il vous plaît.
• (16 heures) •
M. Morin : Merci, M. le
Président. Bonjour, Pr Taillon. Merci. Merci d'être là. J'ai une question pour
vous. Parce qu'évidemment, dans le projet de loi, on parle maintenant de
crédits qui seraient votés, n'est-ce pas, par l'Assemblée nationale, évidemment,
présentés par le ministre de la Justice. On s'est rendu compte, parce qu'on a
eu la réponse en avril 2023, que le dépassement des coûts du Conseil de la
magistrature vient, entre autres, de contestations judiciaires parce que le
conseil s'est adressé aux tribunaux. Êtes-vous d'accord avec moi pour dire que
c'est quand même un droit de pouvoir s'adresser à la cour, dans notre société
démocratique?
M. Taillon (Patrick) : Absolument.
Et c'est intéressant, là-dessus, parce que, par exemple, la Cour du Québec
aussi, elle s'est adressée aux tribunaux et elle est pourtant soumise à l'autre
régime. Puis c'est intéressant de voir que la conférence des juges, qui est une
association entre eux, dont le budget n'est pas nécessairement, là, associé aux
fonds publics de l'État, eux aussi ont esté en justice. Donc, on voit qu'il n'y
a pas nécessairement un lien d'automatisme, là, entre le régime budgétaire
auquel on est soumis puis la capacité d'ester en justice. Puis c'est fascinant
de voir comment, dans les dernières années, il y a eu une multiplication des
contestations, et c'est très, très légitime de la part des juges de défendre
leurs intérêts et leurs intérêts constitutionnels devant les tribunaux.
M. Morin : Absolument. On en
convient…
M. Taillon (Patrick) : Jadis,
il y avait une autre école de pensée. Jadis, on se disait : Bien, il faut
faire preuve, peut-être, plus de retenue puis laisser les justiciables...
16 h (version révisée)
M. Taillon (Patrick) : ...on
disait : Bien, il faut faire preuve de peut-être plus de retenue puis
laisser les justiciables amener ces questions-là avec le temps. Là, il y a
peut-être une approche plus proactive, un peu plus d'activisme. C'est les temps
qui changent. Et les litiges se multiplient. Et ça fait partie de la nouvelle
réalité des rapports entre les institutions politiques et les institutions
judiciaires.
M. Morin : Et, si vous
me permettez, donc là, on a un dépassement de coûts. Et on explique le
dépassement de coûts. C'est une lettre qui a été envoyée au sous-ministre de la
Justice. Donc, ça, c'est en avril 2023, et, peu de temps après, on a un projet
de loi qui veut désormais que les crédits soient votés annuellement par l'Assemblée
nationale. Qu'arriverait-il pour l'indépendance de la magistrature si l'Assemblée
nationale disait : Non, non. Écoutez, à l'avenir, on va réduire votre
budget parce qu'au fond vous prenez cet argent-là, là, puis dans notre État de
droit, vous contestez les lois du Parlement. Puis ça, bien, nous, là, le
gouvernement, on n'aime pas ça. Il n'y a pas là pour vous un danger pour la
société en général? Parce qu'écoutez, la trame temporelle pourrait suggérer ça?
M. Taillon (Patrick) : Bien,
c'est important. C'est un peu comme la rémunération. Il y a le «qui décide».
Est-ce que l'organe qui décide a le droit de décider? Sur la rémunération, le
salaire des juges, à la Cour suprême, il y a eu une saga immense. Ça a duré des
années. Et elle nous a dit clairement qui décide. C'est le politique, c'est le
gouvernement, mais il ne peut pas décider n'importe comment. Il faut d'abord qu'il
ait entendu, écouté, puis il faut qu'il soit capable de se défendre, il faut qu'il
soit de bonne foi. Moi, ma thèse, c'est qu'effectivement, s'il y avait un
exercice malveillant du vote des crédits, je pense que, là, l'indépendance
judiciaire pourrait, comme elle l'a fait sur les salaires, connaître évidemment
un développement qui serait parfaitement logique. C'est pour ça que, moi, l'hypothèse
selon laquelle le Parlement ne voterait pas les crédits qui sont demandés, c'est
une hypothèse qui me semble farfelue au regard de tous les autres organismes
qui sont soumis à ce régime-là. Pour moi, l'enjeu, c'est : Est-ce qu'on
veut que ça soit automatique, puis, quand il y a un problème, ça se règle au
niveau ministériel et sous-ministériel, ou on veut que les parlementaires aient
l'info puis que ça se passe au Parlement? L'hypothèse que le Parlement est de
mauvaise foi puis il ne vote pas les crédits, c'est une hypothèse qui, à mon
avis, est peu réaliste et qui serait immédiatement sanctionnée. Ça ne durerait
pas. Ça ne pourrait pas tenir la route très longtemps.
M. Morin : Ça générerait
à nouveau, en fait, des audiences devant les tribunaux. Récemment, le
Parlement, justement, pour accroître la reddition de comptes, a adopté le
projet de loi n° 8, où
maintenant la Vérificatrice générale peut, bien, en fait, va faire un audit des
comptes du conseil, et le conseil est soumis à la Loi sur l'accès à l'information.
On vient d'adopter le projet de loi. C'est à peine si l'encre est sèche. N'est-ce
pas là des mesures qui ont été mises en place, qui pourraient satisfaire et s'assurer
de conserver l'indépendance de la magistrature et attendre pour voir l'effet de
ces dispositions-là, parce que le Parlement ne parle pas pour rien dire, là,
avant d'adopter immédiatement les articles 2 et 3 du projet de loi n° 26?
M. Taillon (Patrick) : Bien,
moi, je n'ai pas de problème avec le scénario qui consiste à voter le projet de
loi n° 26, à attendre ou à ne pas le voter. Mon point, c'est que le
Parlement est libre de le voter au regard des exigences du droit positif.
Après, c'est des choix d'opportunités politiques qui peuvent être faits.
Quant à l'accélération des réformes, à
Ottawa, on remarque aussi la même chose. Il y a eu la saga du juge Girouard qui
a mené à un projet de loi sur la modification des juges. Autrement dit, on est
à une époque où ce domaine du droit est un peu en pleine effervescence. De la
saga sur la rémunération qui date d'à peine, là, 15, 20 ans à aujourd'hui,
ces nouvelles questions, à Ottawa comme à Québec, il y a une espèce de... Il y
a comme une accélération de l'histoire, puis il y a des raisons contextuelles
qui l'expliquent. Puis moi, je ne suis pas juge du contexte, mais on me demande
si c'est conforme à l'indépendance judiciaire. Je réponds oui. Et, sur le
contexte qui amène le gouvernement à proposer un projet de loi, c'est sûr que
ce n'est pas indifférent au fait qu'il y ait eu récemment des coûts importants
en lien avec une contestation judiciaire. Mais ce bout-là, il ne me regarde
pas, si je peux dire, là.
M. Morin : Mais vous y
voyez peut-être un lien vous aussi. Ceci étant, à titre d'expert, parce que
vous avez parlé beaucoup d'idéal, est-ce que vous connaissez dans la fédération
canadienne des modèles ou ce que j'appellerais un peu, disons, un modèle
hybride, c'est-à-dire que... C'est sûr que l'argent, le ministre y faisait
référence, va venir, bon, de la collecte d'impôts et de taxes. Le Parlement les
redistribue. Bien, justement, pour assurer l'indépendance du conseil, il y a
par exemple un modèle avec une autonomie limitée qui assurerait d'une part l'indépendance
du conseil et le rôle du Parlement. Est-ce que vous pouvez nous parler...
Est-ce que ça existe? Est-ce que vous pouvez nous parler de modèles comme ça?
M. Taillon (Patrick) : Bien,
moi, ce que j'ai vu dans les autres lois, là, rapidement, j'ai survolé ça même
récemment en vue de la comparution d'aujourd'hui. Grosso modo, il y a <beaucoup
de lois qui font juste..
M. Taillon (Patrick) :
...même
récemment en vue de la comparution d'aujourd'hui. Grosso modo, il y a >beaucoup
de lois qui font juste être... Elles font juste être silencieuses sur la
question. Et donc, comme elles ne disent rien, c'est le régime par défaut qui
s'applique, le régime par un vote des crédits. Donc ça, c'est le cas de
plusieurs provinces pour plusieurs tribunaux. Après ça, ce que vous appelez
peut-être un régime hybride, bien, c'est un régime où il va y avoir une
spécification. On va dire... Par exemple, on ne dit rien sur... en général. Donc,
en général, ce sont des crédits votés, mais on va venir préciser, par exemple,
que si un juge est poursuivi, comme l'a été le juge Michel Girouard, au
fédéral, pour des problèmes de déontologie, bien là, l'entité fédérée, Ontario
ou je ne sais quelle autre, est obligée de payer les frais de représentation
par avocat pour le juge en question. Ça fait que, là, on crée comme une
exception au régime général qui veut que ce soit les crédits.
Moi, c'est ça que j'ai vu dans les autres
lois. Et si le projet de loi à Ottawa était adopté, bien là, on viendrait
dire : Oui, mais quand un juge a un problème de déontologie, pour son
régime de retraite, pour certaines choses, on va venir apporter des balises parce
que... Donc, on peut s'attendre à ce que, si le projet de loi à Ottawa est
adopté, on ait un genre de troisième cas de figure qui... qui se dessine à
l'horizon.
M. Morin : Et êtes-vous
familier... Pouvez-vous nous parler un peu du régime fédéral avec le
Commissaire à la magistrature? Parce que, bon, si ma compréhension est bonne,
au Parlement fédéral, il y a des crédits qui sont votés, mais il y a aussi des
sommes qui sont réservées. Donc, il y a une espèce d'hybride. Et le
commissaire, finalement, sert un peu en fait d'organisme entre la magistrature
comme telle et le ministre de la Justice.
M. Taillon (Patrick) : Oui.
M. Morin : Pouvez-vous
nous parler de ce modèle-là qui semble garantir, d'une façon en fait optimale,
l'indépendance de la magistrature?
M. Taillon (Patrick) : Oui.
M. le Président, je n'ai aucun doute que le député, vu sa vaste expérience,
maîtrise encore mieux ce régime fédéral que moi. Moi, ma compréhension, là,
elle ne va pas jusque dans les moindres détails, mais effectivement, à Ottawa,
c'est une partie des crédits qui serait votée, puis une partie qui serait comme
imputée directement. Et là, vous faites référence au rôle un peu d'interface
que fait le Commissariat à la magistrature. Ça me semble logique et cohérent, mais
là, sur cet aspect-là, je vous crois sur parole puis je... Il faudrait que
j'aille le revérifier, mais ça me semble... Ce que vous ajoutez comme
complément dans votre question, à ma compréhension, me semble s'inscrire dans
la même... Et ça confirme un peu votre...
Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup. Il vous reste moins d'une minute, M. le
député de l'Acadie.
M. Taillon (Patrick) : ...hypothèse
de tout à l'heure sur la possibilité de régime intermédiaire.
Le Président (M. Bachand) :Rapidement, M. le député de l'Acadie.
M. Morin : Oui. Donc
finalement, ça pourrait être un modèle optimal parce qu'il y a le rôle du
Parlement.
M. Taillon (Patrick) : Ça
fait partie des choix possibles.
M. Morin : Tout à fait,
absolument. Merci.
Le Président (M. Bachand) :30 secondes, M. le député.
M. Morin : Très bien.
Voilà, c'est bien, M. le Président.
Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup, M. le député de l'Acadie. M. le député de Saint-Henri—Sainte-Anne,
pour 3 min 18 s. Merci beaucoup, M. le député de l'Acadie.
M. Morin : Merci, M. le
professeur.
• (16 h 10) •
M. Cliche-Rivard : Merci.
Pr Taillon, on a parlé d'un scénario que vous ne souhaitez pas,
évidemment, mais qui est possible, un scénario où l'Assemblée nationale ne
voterait pas tous les crédits demandés par le conseil. À mon humble avis, si le
conseil n'a pas les budgets pour assurer son fonctionnement, il y aurait, là,
possible menace à l'indépendance judiciaire. Alors, si on acceptait plutôt la
proposition du ministre mais, dans le projet de loi, mais qu'on y joignait
aussi un engagement du même ministre d'accepter le budget demandé par le
conseil pour assurer ses fonctions et de les soumettre aux crédits... pardon,
de les soumettre au Trésor en son nom, sans modification, est-ce qu'on n'aurait
pas là le meilleur des deux mondes où il y aurait finalement transparence, mais
il y aurait aussi assurance que le conseil préserverait les sommes nécessaires
à son indépendance?
M. Taillon (Patrick) : Je
vais essayer des réponses concises parce que le temps est précieux. Mais,
grosso modo, la suggestion est intéressante, mais à la fin ce n'est pas le
ministre qui approuve les crédits même si, dans la réalité, il y a majorité
ministérielle. Donc, l'engagement vaut un peu, mais c'est pour ça que, sur le
plan du libellé, c'est peut-être... Je me demande en tout cas dans quelle
mesure c'est optimal de pointer vers le ministre pour cet aspect-là, là, dans
le sens qu'ultimement, lui, ce n'est pas lui qui les approuve les crédits, puis
c'est... c'est peut-être même une concession que les parlementaires sont... ne veulent
pas, ne veulent pas faire. Mais je comprends l'esprit de la proposition.
Moi, ma lecture, là, c'est... Un exercice
cavalier par le Parlement serait l'équivalent d'un gouvernement qui voudrait
imposer une baisse de salaire sans avoir entendu le point de vue de la commission
de la rémunération des juges. L'état actuel des choses montre très bien que ça
serait sanctionné très rapidement. Donc, c'est pour ça. Et c'est sûr que si on
regarde le projet de loi à travers des... à travers un exercice malveillant du
pouvoir qui est confié au Parlement et qui ne serait pas permis par la
Constitution canadienne, bien, c'est sûr qu'on va être inquiet. Et il n'y a
rien de mal à vouloir, dans le projet de loi, venir préciser que de tels
scénarios ne sont ni <possibles ni envisagés ni envisageables...
M. Taillon (Patrick) :
...dans
le projet de loi, venir préciser que de tels scénarios ne sont ni >possibles
ni envisagés ni envisageables. Je n'ai pas de problème avec ça, même si j'ai
confiance que, là-dessus, le parallèle qu'on peut faire avec la rémunération
fait en sorte que le pouvoir qu'on confie au Parlement ici ne peut pas être
exercé d'une manière malveillante.
M. Cliche-Rivard : Mais
donc un engagement du ministre à présenter en son nom ces crédits-là au nom du conseil
auprès du Trésor, donc de ne pas les modifier, de ne pas les diminuer, là...
M. Taillon (Patrick) : Ah!
je comprends mieux la proposition.
M. Cliche-Rivard : ...là,
il y aurait possibilité, justement, de ne pas venir limiter la capacité du
conseil, a posteriori, de venir finalement prendre des recours judiciaires si
elle en a besoin ou, etc. Parce que, là, ce qu'on arrive et ce qu'on voit,
c'est que, finalement, le dépassement de coûts a été justifié ou initié par la
prise de recours qui, finalement, visaient à assurer l'indépendance dudit Conseil
de la magistrature. Alors, si le conseil n'avait pas eu ces sommes-là, ce
million-là supplémentaire, il n'y aurait pas nombre de décisions telles qu'on
les connaît. Ils n'auraient pas pu mettre en place ou contester des
dispositions qui, eux et finalement la Cour d'appel, dans quelques scénarios,
ont jugé qui étaient ultra vires et on aurait, là... on aurait eu, là, un
problème où le conseil n'aurait pas pu défendre sa légitimité et son
indépendance.
Le Président (M. Bachand) :Rapidement, Pr Taillon, il reste quelques secondes.
M. Taillon (Patrick) : Oui.
Je ne vois pas dans quel dossier ça a été jugé ultra vires. Là, je pense que le
dossier, ça a été suspendu provisoirement, mais je peux me tromper. Chose
certaine, je trouve que la proposition qui vise à forcer le ministre à relayer
tel quel la demande budgétaire m'apparaît plus intéressante que l'amendement
qui viserait à engager le ministre à soutenir l'adoption des crédits.
Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup...
M. Taillon (Patrick) : Mais
peut-être, c'est ma mauvaise compréhension au départ, mais l'idée de relayer
est intéressante.
Le Président (M. Bachand) :Merci. Désolé Pr Taillon, le temps... Le temps va
très, très rapidement. Mme la députée de Vaudreuil, pour 3 min 33 s.
Mme Nichols : Oui.
Merci, M. le Président. Merci, Pr Taillon, d'être parmi nous. Votre opinion...
Votre opinion est claire. J'ai cependant, je ne vous le cacherai pas, là, de la
difficulté à l'appliquer dans le monde politique. Tu sais, on fait de la
politique, on est un Parlement, on est avec un gouvernement majoritaire. Bien
sûr, les législatures changent, puis le ministre l'a dit, là, il pense toujours
à l'intérêt collectif avant tout. Bon. Reste que c'est un gouvernement
majoritaire. Puis moi, mon inquiétude par rapport aux crédits votés, aux
crédits que nous soumettrait le conseil, bien, c'est peut-être la possibilité
d'orienter, tu sais, de donner une certaine orientation. Moi, ce que j'ai
compris dans votre opinion, c'est que c'est quelque chose qui ne pourrait pas...
qui ne pourrait pas arriver, parce que vous nous parlez, entre autres, du droit,
le droit idéal ou... En fait, ce n'est pas un scénario que... Mais je ne veux
pas... Je l'ai dit, là, je ne présume pas...
M. Taillon (Patrick) : Oui,
mais dans les dernières années, quand le... quand ce Parlement a voté les
crédits de l'équivalent pour la justice administrative du Québec du Conseil de
la magistrature, ça s'est passé d'une certaine manière qui n'a pas posé de
problème. Alors, effectivement, moi, je présume que ça va se passer de la même
manière et que, si ça ne se passait pas de cette manière-là, les juges ont ce
qu'il faut pour se défendre. Après, comme je vous l'ai dit en introduction, moi,
je... J'ai une légère préférence avec une approche qui crée le point de contact
entre les parlementaires et le judiciaire, mais d'autres vont aimer... vont
préférer que, s'il y a des questions à se poser, que ça se passe au niveau du
bureau du sous-ministre, puis dans une certaine opacité, mais qui vient avec de
l'efficacité, peut-être un peu plus de pudeur, puis ça a moins de chances de
devenir un spectacle médiatique.
Moi, je ne crains pas cet aspect-là, là,
que les parlementaires soient investis. La preuve? On dit souvent que les
personnes désignées, Vérificateur général, président de la Commission des
droits, sont plus indépendants parce que c'est avec l'Assemblée directement
qu'ils font affaire. Donc, moi, je vous dirai : Si j'étais le Conseil de
la magistrature, je... je verrais d'un bon oeil d'avoir plus de relations
directes avec le législatif et moins avec l'exécutif. Je verrais un gain, là.
Mais je comprends que sur le plan de la commodité administrative, je verrais
aussi que c'était plus agréable de ne pas avoir à faire de prévisions et de
pouvoir embaucher, par exemple, les avocats de notre choix, peu importe leur
tarif horaire, en n'ayant pas à expliquer à l'avance ou à retardement. Mais la
preuve que des questions se posent...
Mme Nichols : Quitte à
froisser un peu le politique sur cet aspect.
M. Taillon (Patrick) : Pardon?
Mme Nichols : J'ai
dit : Quitte à froisser un peu le politique sur cet aspect.
M. Taillon (Patrick) : Ah!
Mais ça, c'est le rôle de chacun. Le législatif... Le Parlement est là pour brasser
le gouvernement puis le judiciaire est là aussi pour brasser le gouvernement
fréquemment en rendant des décisions qui contrôlent l'action du gouvernement.
Ça fait partie du système et c'est pour ça qu'il est important de réfléchir les
rapports entre chacun parce que chacun a son rôle, mais...
Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup, il reste 35 secondes, Mme la députée.
Mme Nichols : 35 secondes.
Dans les <différentes... Vite, vite, vite, là. Dans les différentes
missions
Le Président (M. Bachand) :
...il reste 35 secondes, Mme la députée.
Mme Nichols :
35 secondes.
Dans les >différentes... Vite, vite, vite, là. Dans les différentes
missions du Conseil de la magistrature, on le sait, il y en a plusieurs, là,
mais est-ce qu'il y en a une, en particulier, où vous dites : Bien, ça, il
faudrait l'isoler, il ne faudrait vraiment pas que ça soit un crédit voté?
M. Taillon (Patrick) : Ah!
O.K. Bien, si vous en... Si vous souhaitez en exclure une, probablement que
l'aspect déontologique, c'est la plus... la plus... Autrement dit, si l'idée
serait d'adopter un 26, couper la poire en deux et créer une exclusion, moi,
c'est celle-là que je créerais. Mais bon, c'est vraiment un choix qui
appartient au législateur de rester sur le régime actuel, d'aller vers 26, ou
d'aller à un scénario entre les deux.
Mme Nichols : Merci.
Le Président (M. Bachand) :Merci. Sur ce, Pr Taillon, merci infiniment d'être
avec nous cet après-midi, pour vous, à une heure différente. Alors, on se dit à
bientôt. Merci beaucoup.
M. Taillon (Patrick) : Merci.
Le Président (M. Bachand) :Sur ce, je suspends les travaux quelques instants. Merci.
(Suspension de la séance à 16 h 17)
(Reprise à 16 h 22)
Le Président
(M. Bachand) :À l'ordre, s'il vous
plaît. La commission reprend ses travaux. Alors, il nous fait plaisir
d'accueillir les représentants de Droits collectifs Québec. Donc, messieurs,
merci beaucoup d'être ici. Donc, comme vous le savez, vous avez 10 minutes
de présentation. Après ça, on aura un échange avec les membres. D'abord, je
vous invite à vous présenter et à débuter votre présentation, s'il vous plaît. Allez-y.
Vous avez la parole.
M. Boucher (Etienne-Alexis) :
Bien, je me présente, Etienne-Alexis Boucher, président de Droits collectifs
Québec. Et j'ai le bonheur d'être accompagné par M. Daniel Turp,
administrateur à l'organisme et évidemment éminent juriste et
constitutionnaliste québécois qui a notamment connu une grande carrière
académique à titre de professeur émérite de la Faculté de droit de l'Université
de Montréal. Alors, M. le Président, et député de la très belle circonscription
de Richmond, M. le ministre de la Justice et...
Des voix : ...
M. Boucher (Etienne-Alexis) :
Bien non, mais je viens de l'Estrie aussi. Alors, hein, on défend notre patrie.
M. le ministre de la Justice et député de Borduas, Mmes et MM. les
parlementaires, je tiens d'abord à vous remercier, chers membres de la
Commission des institutions, pour l'occasion que vous offrez à l'organisme de
participer aux consultations particulières et aux auditions publiques tenues
dans le cadre de l'étude du projet de loi no 26, intitulé Loi modifiant
sur les tribunaux... la Loi, pardon, sur les tribunaux judiciaires afin
notamment de donner suite à l'Entente entre la juge en chef de la Cour du
Québec et le ministre de la Justice.
Vous permettez ainsi à Droits collectifs
Québec d'assumer pleinement sa mission, soit de contribuer à la défense des
droits collectifs des Québécoises et des Québécois, eut égard à leurs droits
linguistiques et constitutionnels, par l'atteinte de nombreux objectifs liés à
l'éducation populaire, la mobilisation sociale et la représentation politique.
En effet, cette mission nous a amenés à nous intéresser de manière particulière
à la dynamique sociopolitique et institutionnelle intervenant entre des
pouvoirs publics qui sont le socle de notre régime démocratique, soit les
pouvoirs judiciaire, exécutif et législatif.
Et mine de rien, ce court projet de loi,
composé de seulement quatre articles, touche au cœur de notre régime politique
puisqu'il permettrait aux membres de l'Assemblée nationale du Québec, de même
qu'aux membres du gouvernement du Québec d'être en mesure de mieux assumer les
responsabilités qui leur sont dévolues par le cadre législatif et
constitutionnel régissant nos institutions. Ainsi, en permettant aux
parlementaires québécoises et québécois d'étudier et de voter les crédits
octroyés au Conseil de la magistrature, le projet de loi no 26 articule de
manière concrète l'un des fondements de notre démocratie à l'effet que les
dépenses des organismes publics tels que le Conseil de la magistrature doivent
faire l'objet d'un examen par les membres de l'Assemblée nationale qui
incarnent évidemment la volonté démocratique exprimée par les Québécoises et
les Québécois.
De même, il permet au ministre de la
Justice, qui chapeaute le ministère duquel relève le Conseil de la
magistrature, de bénéficier des outils nécessaires afin d'assumer pleinement le
principe de responsabilité ministérielle à l'égard de l'utilisation des fonds
publics et d'en assumer une gestion rigoureuse qui respecte les diverses règles
administratives encadrant celles-ci. En exigeant du Conseil de la magistrature
une plus grande transparence quant à l'utilisation qu'il fait des deniers
publics, l'Assemblée nationale contribuerait à consolider la confiance du
public tant à son égard qu'à l'égard du gouvernement et des tribunaux. C'est
pourquoi Droits collectifs Québec est actuellement favorable à l'adoption du
projet de loi n° 26 tel que présenté.
Ainsi, contrairement aux prétentions du
Conseil de la magistrature exprimées dans le mémoire qu'il a produit en vue de
l'étude du projet de loi n° 26 par l'Assemblée
nationale, l'article 3 du présent projet de loi ne vient pas démontrer
l'inefficacité ou l'impertinence des modifications législatives adoptées grâce
à la Loi visant à améliorer l'efficacité et l'accessibilité de la justice,
notamment en favorisant la médiation et l'arbitrage et en simplifiant la
procédure civile à la Cour du Québec, désolé si c'est le titre de la loi, alors
qu'il assujettit désormais le Conseil de la magistrature à un examen annuel de
ses finances par le Vérificateur ou la <Vérificatrice générale du Québec...
M. Boucher
(Etienne-Alexis) :
..le Vérificateur ou la >Vérificatrice
générale du Québec. Au contraire, cet article vient plutôt compléter une
logique qui prévaut pour l'ensemble des organismes publics québécois, dont les
crédits sont, bien entendu, étudiés par les parlementaires, des crédits qui
peuvent aussi faire l'objet d'un examen par le Vérificateur ou la Vérificatrice
générale du Québec. L'un n'est pas contraire à l'autre.
Enfin, l'adoption du projet de loi... de
l'article 3, tel que présenté, permettrait à l'Assemblée nationale
d'harmoniser ses pratiques avec celles en cours au sein de l'État fédéral, dont
les parlementaires étudient et votent toujours les crédits octroyés au Conseil
canadien de la magistrature, tout comme celles de nombreux autres régimes
démocratiques, je pense au régime politique français et britannique notamment.
Je cède maintenant la parole de
M. Turp qui complétera la présentation de Droits collectifs Québec.
M. Turp (Daniel) : Grand
merci, cher collègue. D'abord, je veux saluer le président de la commission, on
a siégé ensemble dans un autre parlement, à la Chambre des communes, pendant
quelques années, saluer les membres de la Commission des institutions qui est
une commission où j'ai beaucoup aimé siéger, vous êtes chanceux, la commission
la plus intéressante de cette Assemblée selon moi. Et je voulais saluer le
ministre aussi et vous remercier de cette invitation.
Et moi, mes remarques vont porter sur,
effectivement, l'enjeu fondamental qui est dans un article d'un projet de loi
qui vise à modifier la Loi sur les tribunaux judiciaires. Et cet enjeu
fondamental, c'est la... l'équilibre entre trois grands principes que sont
l'indépendance judiciaire, la... l'imputabilité démocratique et la souveraineté
parlementaire. Vraiment, on est... on est, en étudiant un article d'un projet
de loi, dans un débat tellement fondamental qu'il mérite d'être fait et il
mérite d'être résolu, à mon avis, rapidement et, à la fin, moi, je suis, comme
mon collègue Patrick Taillon, tout à fait en accord avec la solution qui est
proposée ici, qui est très simple, qui vise à permettre aux parlementaires
d'examiner les crédits du Conseil de la magistrature, de les approuver et donc
de permettre à ce conseil d'exercer les fonctions qui sont les siennes en application
de la Loi sur les tribunaux judiciaires.
• (16 h 30) •
Moi, aussi, j'ai été amené à devoir
rapidement examiner le projet de loi, examiner les mémoires. Je remarque que le
Conseil de la magistrature, dans sa... son mémoire et sa lettre, dit assez
clairement qu'il est... qu'il considère que c'est une... ce serait une atteinte
à l'indépendance judiciaire. Et donc il ne souhaite pas que cet article soit
adopté. Je suis quand même assez surpris que le Barreau n'est pas aussi...
n'est pas aussi catégorique. Si vous lisez comme il faut le mémoire du Barreau,
il dit qu'il y aurait un risque, il y aurait un risque peut-être, il y aurait
un risque. Mais s'il y avait un engagement du ministre, il en a été question
tout à l'heure de l'engagement du ministre, alors peut-être, là, il y a... il
n'y aurait pas d'atteinte au principe de l'indépendance judiciaire. Alors donc,
il faut donc reconnaître qu'il y a peut-être certaines mesures qui pourraient
être prises qui feraient qu'il n'y a pas d'atteinte à l'indépendance
judiciaire, selon le Barreau lui-même. Mais à mon avis, il n'y en a pas de
risque. Il n'y a pas de risque et il n'y a pas d'atteinte à l'indépendance du
pouvoir judiciaire pour trois raisons principales.
La première raison, c'est que l'approbation
parlementaire des crédits ne supposera pas qu'on va dicter... que les
parlementaires vont dicter l'utilisation des sommes à dépenser par le Conseil
de la magistrature et ne signifie pas non plus que, s'il y a besoin de crédits
supplémentaires, on ne pourra pas, tu sais, revenir à la charge parce qu'il y a
eu des dépenses supplémentaires imprévues.
Donc, en quelque sorte, dire que les... le
Conseil de la magistrature va être limité dans sa capacité de dépenser de
l'argent parce qu'il y aura eu un examen parlementaire des crédits et son
approbation, à mon avis, ne tient pas la route. Alors, ça, c'est quand même un
argument qui devrait être déterminant.
Le deuxième argument, il a été présenté
par mon collègue Patrick Taillon, c'est qu'il y a d'autres... il y a d'autres
organes, organismes, y compris des organismes qui rendent la justice,
administrative dans ce cas-là, qui sont régis par ce nouveau régime qu'on veut
utiliser. Pour le Conseil de la magistrature, je vous rappelle le Conseil de la
justice administrative, en vertu de la Loi sur la justice administrative, dans
son article 198, lisez-le comme moi, là, prévoit que les sommes requises...
16 h 30 (version révisée)
M. Turp (Daniel) : ...lisez-le
comme moi, là, prévoit que les sommes requises pour l'application du présent
titre, là, celui qui concerne à peu près les mêmes attributions que le Conseil
de justice administrative a ou similaires à ceux du Conseil de la magistrature,
qu'elles sont prises sur les sommes accordées annuellement par l'Assemblée
nationale. Je remarque qu'il y a quand même une petite différence
terminologique, là, qui est... entre les... les deux lois. Et, et il y en a d'autres,
organes de même nature judiciaire, comme l'a rappelé le ministre tout à l'heure,
alors... Donc, ce qu'on... ce que le projet de loi fait, c'est qu'il aligne, en
quelque sorte, des pratiques, pour un conseil comme celui de la justice... et d'autres,
sur le Conseil de la magistrature. Alors, moi, je trouve que c'est... c'est presque
souhaitable qu'on ait un corps législatif où il y a une certaine cohérence puis
il y a... qu'on ne... n'assujettit pas le Conseil de la magistrature à des règles
différentes des autres lorsqu'il s'agit de l'approbation budgétaire.
Et l'autre, je pense, qui... qui pourrait,
à mon avis, jouer une... avoir une influence, c'est que, quand on examine la
pratique d'autres juridictions, on a parlé du Canada, on a parlé de la... de ce
qui se passe à Ottawa, bien, écoutez, l'avantage de ce que... ce qui est
proposé aujourd'hui, c'est que c'est beaucoup plus clair, c'est beaucoup plus
transparent. Quand vous allez voir la Loi sur les juges, fédérale, il n'y a pas
d'indication de qui finance le Conseil canadien de la magistrature. Et... Et là
on le sait, que c'est des crédits parlementaires, parce que dans les lois sur
les crédits, on prévoit très... très clairement que les... les crédits de...
pour les... le Conseil canadien de la magistrature émanent d'une décision qui a
été prise par le Parlement lors de l'étude des crédits budgétaires.
Le Président (M.
Bachand) :Merci, M. Turp. Juste... On est
rendus déjà à la période d'échange, alors je sais que le ministre a sûrement
des questions à vous poser. Merci beaucoup, M. Boucher et M. Turp.
M. Turp (Daniel) : Oui.
Le Président (M.
Bachand) : Oui.
M. Jolin-Barrette : M.
Boucher, Pr Turp, merci beaucoup de votre présence en commission
parlementaire. C'est fort instructif.
Alors, pour vous, le projet de loi comme
tel n'affecte pas l'indépendance judiciaire. C'est ce que j'ai compris?
M. Turp (Daniel) : ...mon
collègue Patrick Taillon, je pense que c'est un choix qui appartient au
législateur. Puis, si... me permet de revenir sur les... les trois principes,
là, écoutez, c'est vous, le Parlement, le Parlement est souverain sur cette
question-là. Et il est vrai qu'il y a une limite au Parlement en raison de... du
principe de l'indépendance judiciaire, mais à la fin, c'est vous qui devez
choisir, qui pouvez choisir puis... aligner... votre pratique sur d'autres
pratiques qui ont été décidées par cette Assemblée. Et il n'y a aucune raison,
à mon avis, si ce n'est de créer un rapport de force, hein, pour dire les
choses un peu, je voudrais dire, délicatement, là, entre un... un Conseil de la
magistrature qui voudrait peut-être diminuer la portée... ou augmenter,
devrais-je dire, la portée et l'impact de l'indépendance judiciaire dans son
rapport avec la souveraineté parlementaire.
M. Boucher (Etienne-Alexis) : ...me
permettre pour compléter. Souvent, le Conseil de la magistrature va invoquer de
la jurisprudence canadienne et québécoise pour légitimer ses positions. Or,
tant le Conseil canadien de la magistrature que d'autres... d'autres conseils,
là, qui... qui gèrent la justice dans... dans des législatures canadiennes ou
ailleurs, sont assujettis à la... à voir leurs crédits être votés par les
parlementaires. Et je n'ai jamais entendu le juge en chef Richard Wagner, par
exemple, dénoncer l'intervention du politique dans la gestion des tribunaux
parce que les crédits étaient votés par le Parlement, même chose au niveau de
la Grande-Bretagne ou de la France. Donc, on... Et... Et, malgré cela, on
revient à Ottawa, où c'était la... c'est la même jurisprudence qui gère ce type
de relation là. Donc, nous, on y voit plus une posture, je vous dirais,
idéologique, là : c'est ce qu'ils pensent, mais, au fond, la jurisprudence
pourrait tout à fait légitimer une position contraire à celle que défend
actuellement le... le Conseil de la magistrature.
M. Jolin-Barrette : Y
voyez-vous un objectif de transparence avec le projet de loi? Et... Parce que
vous venez de souligner : Bien, écoutez, dans les autres parlements, bien,
c'est la règle, que ce soient des crédits votés, l'objectif ici, qu'on amène ça
au vote des parlementaires, y voyez-vous un objectif de transparence?
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Bien,
c'est... Tout à fait. Non seulement un objectif de transparence, mais aussi un
objectif d'uniformisation, là. La... La jurisprudence, elle est très claire, le
Conseil de la magistrature est un organisme public qui relève davantage du
ministère de la Justice que d'un tribunal. Et, à ce titre, il... il doit, à l'instar
de... de tous les autres organismes publics, faire l'objet d'un examen de ces...
des crédits qui lui sont octroyés par l'Assemblée nationale, alors que celle-ci
a cette responsabilité <constitutionnelle...
M. Boucher (Etienne-Alexis) :
...par
l'Assemblée nationale, alors que celle-ci a cette responsabilité >constitutionnelle.
M. Turp (Daniel) : ...c'est
davantage que la transparence. C'est l'imputabilité démocratique, hein? Dans un
système où on met beaucoup l'accent sur la séparation des pouvoirs, on devrait
peut-être aussi et davantage parler de la collaboration des pouvoirs. Et... Et
là on laisse parfois entendre : Ah non! Les juges, il ne faut pas qu'ils
soient dans la collaboration. Mais ils devraient être dans la... collaboration.
Ils doivent reconnaître que le Parlement est souverain, c'est lui qui adopte
les crédits et qui adopte des crédits pour les institutions judiciaires, qui
font partie des trois pouvoirs, et qu'ils devraient collaborer en présentant
leurs crédits, puis en amenant les parlementaires à... à, tu sais, demander des
questions légitimes.
M. Jolin-Barrette : Pensez-vous
que le projet de loi porte atteinte au concept de séparation des pouvoirs?
M. Turp (Daniel) : Non, bien
sûr que non, il ne porte pas atteinte au... pas plus qu'il ne porte atteinte au
principe de l'indépendance judiciaire.
M. Jolin-Barrette : OK. Au
cours des dernières années, on a... on a constaté, je crois, une implication
soudaine du Conseil de la magistrature, dans le cadre de recours judiciaires,
au même titre que la Cour du Québec. Avez-vous fait cet exercice-là? Avez-vous
constaté cet exercice-là, une implication plus soutenue du Conseil de la
magistrature dans des recours judiciaires?
M. Boucher (Etienne-Alexis) : C'était
quelque chose qui était déjà arrivé dans le passé, hein? Si on remonte aux
années 2000, effectivement, le Conseil de la magistrature est déjà
intervenu directement, lui-même, en... en justice. Mais c'était plutôt
l'exception que la règle, alors que normalement, lorsque les... la
magistrature, les juges jugeaient nécessaire d'intervenir en cour, ils le
faisaient à travers des associations de juges, devaient payer eux-mêmes
l'ensemble des... des frais liés à de telles procédures, c'est-à-dire leur
association, tu sais. Et effectivement, au cours des dernières années, on a
senti que... cette exception, que de voir le Conseil de la magistrature
intervenir directement, tendait à... à ne plus être l'exception, mais... mais plutôt
la règle. On peut... On peut se questionner sur cette nouvelle pratique qui est
permise, mais qui... et qui a toujours été permise, mais qui vient quand même
changer les mœurs politiques ou juridicopolitiques qu'on connaissait avant.
Effectivement, on... il y a des... des questions qui peuvent se... se poser à
cet égard.
M. Turp (Daniel) : ...je
pense... pourriez donner de réponse en donnant la liste, la liste des affaires
qui ont été initiées par le Conseil de la magistrature. Et il y en a beaucoup,
et beaucoup. Et pourquoi? Pourquoi il y en a autant? Et pourquoi, aujourd'hui,
on veut échapper à un contrôle parlementaire? Il faut se poser des questions
sur le... les... les intentions véritables du Conseil de la magistrature sur
cette question.
• (16 h 40) •
M. Jolin-Barrette : Pensez-vous
que c'est sain, dans une démocratie, de dire au Parlement : Ne regardez
pas les dépenses rattachées à des fonds publics, ne vous occupez pas, le
Parlement, des dépenses qui se... qui touchent certains organismes de... de l'État,
ne les examinez pas, ce n'est pas de vos affaires, vous, membres élus de
l'Assemblée nationale par le peuple québécois? Nous, en... le Conseil de la
magistrature, on invoque le principe de l'indépendance judiciaire, et on n'est
pas redevables, la confiance du public ne compte pas dans les institutions, et
vous ne devriez pas vous mêler de ça : Comment est-ce que vous percevez
ça? Parce que c'est un peu ça qu'on nous dit par le biais du Conseil de la
magistrature, du mémoire du Conseil de la magistrature.
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Bien...
manifestement, chacun et chacune n'a pas la même interprétation de la portée du
principe d'indépendance judiciaire. Or... vous la connaissez, cette réponse :
clairement que ce n'est pas sain, alors que notre démocratie, elle est
notamment fondée sur l'importance pour les parlementaires, c'est-à-dire les
élus des citoyennes et des citoyens qui composent la nation québécoise, de
cette capacité à questionner le gouvernement et les organismes publics quant à
l'utilisation qu'ils font des deniers publics, c'est-à-dire des taxes et des
impôts assumés par les citoyens et les citoyennes du Québec. Donc, est-ce que
c'est... est-ce que c'est sain que des organismes publics... puissent se
soustraire à un fondement... à un des fondements de notre démocratie? Je pense
que la réponse, elle est évidente, là.
M. Turp (Daniel) : Moi, je
vais être un peu plus direct, là. C'est malsain, c'est malsain de vouloir
échapper à un contrôle parlementaire et à l'exercice de la souveraineté
parlementaire. C'est... C'est... Et c'est pour ça qu'à mon avis cet article est
très important. C'est un enjeu fondamental. Parce qu'en affirmant la
souveraineté parlementaire sur cette question-là, vous allez lancer un message
assez clair aux <juges...
M. Turp (Daniel) :
...en
affirmant la souveraineté parlementaire sur cette question-là, vous allez
lancer un message assez clair aux >juges et au Conseil de la
magistrature... qu'il ne faut pas étendre la portée du principe d'indépendance
judiciaire jusqu'à priver le Parlement de sa capacité d'examiner les dépenses
d'un conseil qu'il a créé en plus lui-même par une loi et à qui il accorde... à
qui des crédits sont... sont accordés. Alors, à mon avis... Et, même s'il
devait y avoir des recours judiciaires, la question va peut-être être posée. Bon,
bien, parfait, on va voir, les tribunaux, comment ils... ils trancheront, et
comment on va tenter de... de régler cette question délicate et d'équilibre
entre la souveraineté parlementaire et... l'indépendance judiciaire.
M. Jolin-Barrette : M.
Boucher, dans votre réponse précédente, pas celle-ci, l'autre d'avant, vous
nous expliquiez qu'à une certaine époque, lorsqu'il y avait des recours
judiciaires de la part des membres de la magistrature, ce n'était pas fait par
le biais de la... du Conseil de la magistrature avec des fonds publics, mais
plutôt les juges eux-mêmes qui se cotisaient pour payer les... les frais
juridiques associés aux contestations. C'est ce que j'ai compris tout à l'heure?
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Tout
à fait.
M. Jolin-Barrette : Puis de...
de quelle façon ça... ça fonctionnait? C'est... C'est quoi la différence entre
actuellement puis dans le temps?
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Bien,
quand même, hein, le Conseil de la magistrature est responsable de... d'une
partie de l'administration de la justice, il est donc un acteur fondamental de
notre... de notre système juridique et politique. Et il utilise des tribunaux,
qu'il gère lui-même, pour finalement contester la volonté démocratique exprimée
par les législateurs et les... législatrices, pardon, qui... qui composent
l'Assemblée nationale du Québec, tu sais. Donc...
M. Jolin-Barrette : Et... Et je
comprends que la différence de ce que vous m'expliquiez, c'est qu'auparavant
les juges, s'ils voulaient contester une loi, finançaient le recours à même
leurs propres deniers personnels, tandis que, là, les ressources de l'État, les
fonds publics sont utilisés, notamment, pour contester des lois validement
adoptées à l'Assemblée nationale. C'est ça?
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Bien,
tout à fait. Évidemment, les comparaisons sont toujours boiteuses, mais le...
on... on pourrait voir le Conseil de la magistrature comme une espèce de... de patron,
finalement, d'une entreprise, et une association de juges comme un... une forme
de syndicat. Et, lorsque des... des membres d'un syndicat veulent faire valoir
des... comment dire, des... des positions, veulent contester d'éventuelles
lois, bien, c'est normal que ce soit le syndicat qui assume les... les honoraires
liés à ça, tu sais. Donc, il y a vraiment une différence fondamentale entre
l'institution qu'est le Conseil de la magistrature et une association de juges.
M. Turp (Daniel) : ...ils
avaient les moyens à l'époque, je pense qu'ils les ont encore, hein? Ils ont
encore des... des bonnes rémunérations, les juges.
M. Jolin-Barrette : Et donc
je comprends ce que vous me dites. C'est comme si le Conseil de la
magistrature, qui est un organisme responsable de la déontologie judiciaire,
qui a des... des responsabilités importantes en vertu de la Loi sur les
tribunaux judiciaires, remplace l'équivalent de la Conférence des juges dans le
cadre des recours qui pourraient être entrepris. Il y a comme une... une
mauvaise interprétation du rôle et de qui devrait assumer les recours et qui
devrait payer les recours. Est-ce que c'est ça que vous me dites?
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Bien
oui. Personnellement, je... je pense que le Conseil de la magistrature a une
interprétation extrêmement large des mandats qui lui sont déférés par la Loi
sur les... les tribunaux judiciaires. C'est... C'est une évidence. Et, dans une...
une optique de, comment je vous dirais... d'équilibre entre les pouvoirs
judiciaires... exécutifs et législatifs, il devrait, il pourrait avoir le souci
de ne pas multiplier lui-même les recours, mais plutôt de le confier à une
association de juges, comme ce fut tant le cas par le passé.
M. Turp (Daniel) : ...moi, ce
qui me dérange et pourrait vous déranger aussi, là, comme... comme députés,
comme parlementaires, c'est le fait que le Conseil de la magistrature paraît
vouloir échapper à nouveau à une... à une loi. Ils l'ont fait avec la loi sur
l'accès à l'information...
M. Boucher (Etienne-Alexis) : ...
M. Turp (Daniel) : Et la loi
sur la laïcité, on pourrait en parler. Il y a... Il n'y a pas eu encore de
décision judiciaire dans ce... sur cette question-là. Mais, écoutez, à un
moment donné, on... on leur a dit : Oui, oui, vous devez être assujettis à
la loi sur l'accès à l'information. Là, maintenant, vous leur dites : Vous
allez devoir être assujettis à une loi qui dit que vous allez devoir... puis,
tu sais... vos crédits vont devoir être adoptés par le Parlement. On veut y
échapper. Et je crois que c'est votre responsabilité de ne pas permettre qu'on
échappe à cela.
M. Jolin-Barrette : OK. Vous
l'avez abordée un petit peu, cette question-là, là : Est-ce que votre
organisme a vécu des expériences avec le Conseil de la magistrature en matière
de... de transparence, notamment, en matière d'accès aux documents? Parce que,
dans le cadre du projet de loi n° 8, on est venus clarifier la <décision...
M. Jolin-Barrette :
...d'accès
aux documents? Parce que, dans le cadre du projet de loi n° 8, on est
venus clarifier la >décision des... de la Cour d'appel du début des
années 2000 pour dire clairement : Le Conseil de la magistrature est
assujetti à la loi sur l'accès à l'information. Est-ce que vous, vous avez vécu
une expérience quelconque avec le conseil à ce niveau-là?
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Ah!
bien, clairement, hein? Droits collectifs Québec s'est intéressé notamment à
l'application de l'article 5 de la Loi sur la laïcité de l'État qui
stipule que c'est au Conseil de la magistrature de définir les nouvelles règles
en matière... déontologique lui permettant à... permettant à ses membres de
respecter les nouveaux principes édictés par la... cette loi fondamentale. Et
ça a pris un an. Ça a pris un an. On a commencé en février 2022, et c'est le 20
décembre, la veille de mon anniversaire, où j'ai finalement reçu les documents
qui avaient été demandés. Et ça a pris énormément de démarches, non seulement
auprès du Conseil de la magistrature, aussi auprès de la Commission d'accès à
l'information qui, à ce moment-là, donnait raison au Conseil de la
magistrature, toujours sur la base du même jugement sur lequel il se base
aujourd'hui, là, le jugement intervenu en 2000 sur le... sur un appel et rendu
par le juge Beaudoin. On a contesté la décision de la Commission d'accès à
l'information pour se rendre en cour. Et, dès le moment où on était rendus en
cour, là, tout le monde a... rétropédalé. La Commission d'accès à l'information
a dit : Bien, écoutez, abandonnez vos poursuites, on va vous donner une
audition. Puis, devant la tenue d'une... d'une audition, le Conseil de la
magistrature s'est simplement plié à nos demandes, c'est-à-dire nous donner les
documents qu'on avait demandés et qu'on jugeait normal de pouvoir avoir accès,
puisqu'à nouveau le Conseil de la magistrature est un organisme public qui
doit... auquel on... on peut, les citoyens et les citoyennes du Québec ou des
organisations, demander une reddition de comptes.
Alors, autrement dit, il a fallu user de
la menace des tribunaux pour voir finalement le Conseil de la magistrature
accéder à nos demandes. Et les parlementaires québécois ont finalement réglé ce
flou juridique. Nous, on prétend que le conseil était assujetti à cette même
loi, même avant l'adoption du projet de loi n° 8. Ce projet de loi est
venu clarifier la situation, mais c'était notre interprétation dès le départ,
alors que le juge Beaudoin disait que ce n'était que lorsque le Conseil de la
magistrature assumait des fonctions de tribunal déontologique, qu'il n'était
pas assujetti à ladite loi.
Le Président (M.
Bachand) :Merci. Une minute, M. le
ministre, une minute.
M. Jolin-Barrette : Je
voudrais vous entendre : Comment expliquez-vous cela, cette difficulté
pour le Conseil de la magistrature à vouloir être assujetti à la loi sur
l'accès à l'information, à contester, le fait que le Conseil de la magistrature
conteste souvent des lois adoptées par le législateur québécois sous le couvert
de l'indépendance judiciaire? Comment vous expliquez cette... cette réalité
soudaine?
Le Président (M.
Bachand) :...Turp, quelques secondes. Merci.
• (16 h 50) •
M. Turp (Daniel) : Bien, sur
la première, c'est la résistance à la transparence. Puis ce n'est pas la
première fois. Ce n'est pas la première institution : des institutions ne
veulent pas être transparentes. Là, c'est réglé, en partie.
Puis, pour l'autre chose, c'est une
question de rapport de force. C'est une question éminemment politique, même si
on... C'est le judiciaire qui est en cause ici. Puis on veut étendre la portée
du principe de l'indépendance judiciaire et, à mon avis, aux dépens de la
souveraineté parlementaire.
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup.
M. Jolin-Barrette : Merci.
Le Président (M.
Bachand) :M. le député de l'Acadie, s'il
vous plaît.
M. Morin : Merci, merci, M.
le Président. Alors, bonjour, M. Boucher, Pr Turp. Merci, merci d'être là.
Je sais que vous n'avez pas eu beaucoup de temps pour vous préparer puis vous
venez en personne nous rencontrer, alors c'est d'autant plus intéressant et...
et louable de votre part. Je vous remercie sincèrement.
Je suis heureux, M. le Président, de
revoir le Pr Turp, parce que j'ai eu le privilège d'enseigner dans la même
faculté que lui pendant des bonnes années, lui comme professeur et moi comme
chargé d'enseignement. Évidemment, j'utilise les mots justes, n'est-ce pas, je
n'étais pas professeur. Mais, quand même, ça me fait énormément plaisir.
M. Turp (Daniel) : ...votre
professeur?
M. Morin : Non. Non.
M. Turp (Daniel) : Non. Je
n'ai pas eu ce... cette chance-là. J'en ai eu d'autres.
M. Morin : Puis je n'ai pas
eu... je n'ai pas eu le privilège de vous avoir comme prof. Ça aurait pu, mais
ce n'est pas arrivé.
Écoutez, je vous écoutais très, très... attentivement,
puis vous avez raison, Pr Turp, la... la collaboration des pouvoirs, c'est...
c'est fondamental. D'ailleurs, on le voit dans... dans différentes provinces,
avec leurs mécanismes, n'est-ce pas. Il y a... Il y a un dialogue constant
entre le judiciaire et le ministre de la Justice... le... le seul ennui ici,
c'est que nous, ça... ça nous a pris une entente écrite pour qu'il y ait un
dialogue, alors c'est... ici, c'est un peu plus compliqué, et puis avec un...
un conciliateur-médiateur de grande renommée. Alors, je vous entends quand vous
parlez de collaboration, mais, des fois, c'est un peu plus difficile. Puis je
pense que c'est le rôle aussi du Parlement de s'assurer qu'il y aura une
fluidité, n'est-ce pas, d'échange... d'échange d'information.
Vous avez très bien, très bien identifié
l'enjeu, Pr Turp, M. Boucher également : il faut trouver un
équilibre entre l'indépendance <judiciaire...
M. Morin :
...Vous
avez très bien, très bien identifié l'enjeu, Pr Turp, M. Boucher
également : il faut trouver un équilibre entre l'indépendance >judiciaire,
l'imputabilité puis la souveraineté parlementaire. Donc, évidemment, les juges,
quand ils sont à rendre leurs décisions, doivent le faire en toute quiétude, le
Parlement, quand il agit, doit le faire aussi en toute quiétude. C'est
fondamental.
Maintenant, le ministre nous propose de
passer d'un régime où les sommes du conseil viennent du fonds consolidé, donc
c'est un transfert automatique de fonds, à des crédits votés annuellement, mais
pour l'ensemble. Donc, il n'y a pas... il n'y a aucune qualification. La
modification qui serait apportée dirait : Maintenant, tout va être voté
par des crédits votés annuellement par l'Assemblée nationale. Puis j'aimerais
que vous puissiez nous éclairer davantage. Le Pr Taillon parlait d'un...
d'un idéal, mais j'aimerais qu'on regarde les... les exigences minimales, si on
veut, de l'indépendance, de l'indépendance judiciaire. Est-ce que vous convenez
avec moi que la sécurité financière des juges fait partie de l'indépendance
judiciaire?
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Je...
Je dirais simplement que je ne vois absolument pas en quoi ce projet de loi là
vient... viendrait remettre en question la sécurité financière du Conseil de la
magistrature ou sa capacité à assumer ses mandats. On parle d'une capacité de
prévision que possède l'ensemble des organismes publics, et on parle aussi
d'une possibilité de demander des crédits supplémentaires advenant qu'on n'a
pas été en mesure de... de prévoir des choses absolument exceptionnelles. Non,
vraiment, je... je ne vois pas en quoi ce projet de loi là concerne la sécurité
financière du Conseil de la magistrature ou des juges.
M. Turp (Daniel) : ...regardez
282, M. le député.
M. Morin : En fait, je... je parlais...
Oui.
M. Turp (Daniel) : 282,
c'est... ça s'applique à... à la partie V, hein?, donc au fonctionnement
du conseil puis à... au perfectionnement des... des juges, mais à la
déontologie judiciaire. C'est... C'est ça, là, qui est en cause ici. Et... Et
donc à mon avis, ce n'est pas vraiment un enjeu de sécurité financière ici, là.
Et, la sécurité financière, c'est... c'est rendu... c'est... c'est respecté par
toutes sortes d'autres façons de financer les juges, y compris sur le fonds... consolidé
du revenu, pour... plein d'autres choses. Alors, à mon avis, tu sais... comme
disait Patrick Taillon, je pense, c'était très important de dire : Écoutez,
c'est la bonne foi qui doit régner, le... le Parlement, les parlementaires...
vont être responsables, et l'exécutif, responsable devant le Parlement, va
continuer de l'être. Et ça fonctionne avec le Conseil de justice administrative
puis avec d'autres instances de nature judiciaire, pourquoi est-ce que ça ne
fonctionnerait pas avec le Conseil de la magistrature?
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Pourquoi
ça fonctionne à Ottawa puis... tu sais?
M. Morin : Donc... Donc, M.
le Président, ma question, en fait, c'était sur la sécurité financière :
Donc, vous reconnaissez que ça fait partie intégrante de l'indépendance
judiciaire?
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Bien,
c'est une... c'est une drôle de façon de poser la question, M. le député. Ce
qu'on vous dit, c'est que nous, on ne voit pas en quoi l'examen, par les
parlementaires québécoises et québécois, des crédits octroyés au Conseil de la
magistrature viendrait remettre en question ce que vous... le concept que vous
invoquez, soit la sécurité financière.
M. Morin : Parfait. Et ça ne
touchera pas non plus à l'amovibilité des juges non plus, qui fait partie
évidemment d'un autre principe. Qu'en est-il de l'indépendance administrative?
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Que
voulez-vous dire? Précisez.
M. Morin : Bien, c'est-à-dire
que parmi les garanties qui sont reconnues par la jurisprudence, que ce soit la
Cour suprême ou la Cour fédérale d'appel, notamment dans l'affaire Girouard, la
cour nous rappelle que parmi les garanties objectives, alors, là, on ne parle
pas d'idéal, objectives de l'indépendance judiciaire, il y a l'indépendance
administrative. Donc, moi, je veux simplement entendre de vous, vous êtes des
experts, qu'en est-il de l'indépendance administrative, compte tenu des
modifications que le législateur veut apporter à la loi?
M. Turp (Daniel) : Bien, je...
je crois que c'est une bonne question. Il faudrait peut-être y réfléchir,
demander, comme Patrick, tu sais, un temps de délibération. Mais est-ce que vraiment
l'indépendance administrative est affectée par la modification qui est faite
au... à... au mode de financement du chapitre... du titre V, là? C'est
quoi? C'est le fonctionnement? Parce qu'ils doivent s'assurer du
fonctionnement, là, de la cour, que... leur indépendance administrative serait
en jeu parce qu'on financerait différemment? Je... Je ne vois pas très bien,
là, en quoi... Il y a d'autres mécanismes pour assurer leur indépendance
administrative. Ce n'est pas seulement un enjeu d'argent puis un... de... du
mode de <financement...
M. Turp (Daniel) :
...de...
du mode de >financement.
M. Boucher (Etienne-Alexis) : ...
M. Morin : Oui. Oui.
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Je
me permettrais de compléter. À nouveau, ce projet de loi là permet d'harmoniser
les pratiques qui ont déjà cours dans de nombreux parlements, tant à Ottawa que
dans d'autres législatures, d'autres législatures... canadiennes ou encore
internationales. Et jamais je... je n'ai entendu quelque juge ou le Conseil
canadien de la magistrature, que cela portait atteinte non seulement à... à son
indépendance juridique, mais à son indépendance administrative, là, à laquelle
vous faites référence. Donc, tu sais, à un moment donné, il ne faut pas non
plus, comment dire, faire peur au monde, là. C'est une pratique qui est... qui
est courante et elle n'est... elle n'a absolument jamais posé de... de problèmes
d'ordre administratif, des problèmes que vous invoquez à l'heure actuelle,
ailleurs.
M. Morin : Mais... Mais je pense
que vous avez fait référence au Conseil canadien de la magistrature, si je vous
ai bien... si je vous ai bien compris.
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Tout
à fait.
M. Morin : Donc, n'est-il pas
exact qu'au Conseil canadien de la magistrature, il y a quand même un
commissaire à la magistrature fédérale, donc il y a une partie des crédits qui
sont votés? C'est un modèle hybride. J'y faisais référence tout à l'heure. Il y
a évidemment des... un montant qui n'est pas voté par des crédits, mais il y a
quand même cet intermédiaire. Donc, vous avez le commissaire qui est en charge
de son bureau, qui s'occupe de la déontologie judiciaire fédérale, et vous avez
le... le ministre. Donc, il y a une question d'imputabilité. Mais vous avez
aussi un intermédiaire qui s'assure que, dans tous les cas, il y aura
évidemment une étanchéité entre la magistrature, le ministre, et que, comme ça,
de toute façon, l'indépendance sera garantie. Alors, est-ce que vous pensez que
c'est un mécanisme qui mérite d'être étudié?
M. Boucher (Etienne-Alexis) : L'Assemblée
nationale est libre de ce qu'elle désire apporter comme modification,
évidemment. Je tiendrais simplement à dire qu'il a été démontré que la présence
du commissaire ne garantit pas une indépendance ou une étanchéité entre les
pouvoirs. On l'a très bien vu lors du rapatriement de la Constitution
canadienne en 1982, alors que le pouvoir judiciaire, grâce à des... à des câbles
diplomatiques britanniques, finalement, travaillait de concert avec le pouvoir
politique qui, lui-même, entendait une cause... sur le... le rapatriement de la
Constitution. Alors, malheureusement... malgré la présence d'un commissaire, on
a vu dans le passé que non, il n'y avait pas d'étanchéité absolue au fédéral,
là. Ottawa... Donc, Ottawa ne sait pas toujours mieux, on va le dire en
français.
M. Turp (Daniel) : On n'est
pas obligés de suivre le modèle fédéral en la question. On vous propose un
nouveau modèle. On vous propose probablement, quand la loi va être adoptée, de
le mettre à l'épreuve, de voir comment les parlementaires vont gérer cette
nouvelle situation. Et, à mon avis, tu sais, l'avantage de cette... de cette disposition,
c'est que le Québec va être un des seules juridictions où c'est clair. ...c'est
clair maintenant, avec le fonds consolidé du revenu, alors que ce n'est pas du
tout le cas dans la loi fédérale. Il n'y a aucune mention. Mais là on le sait
parce qu'ils adoptent des lois de crédits, alors, là, c'est clair. Puis c'est
clair qu'on choisit un... un régime où les parlementaires ont un mot à dire. Et...
Et, comme parlementaire, moi, si j'étais à votre place, là, je voudrais avoir
un mot à dire, je voudrais avoir des échanges sur cette question pour exercer
ma souveraineté parlementaire.
• (17 heures) •
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup. M. le député de
Saint-Henri—Sainte-Anne.
M. Cliche-Rivard : Merci
beaucoup à vous deux, Pr Turp, M. Boucher.
Alors, la reddition de comptes, aucun
problème. En fait, au contraire, hein, c'est... c'est... c'est ça qu'on veut.
Que ce soit présenté aux crédits, moi, je n'ai aucun problème. Au contraire, je
pense que c'est une très bonne idée. Vous avez dit tout à l'heure de les
examiner, hein, vous les avez dits deux fois, «examiner ces budgets», «de les
approuver», vous avez dit aussi, mais le problème se déclinerait peut-être
s'ils sont refusés. Et c'est là où je, moi, vois une problématique potentielle,
où finalement les crédits budgétaires demandés par le Conseil de la
magistrature pour exercer ses fonctions, notamment ses fonctions d'indépendance,
ou pour assurer son indépendance de quelconques recours, là on viendrait à les
refuser. Un gouvernement majoritaire, c'est son pouvoir à l'Assemblée
nationale, viendrait dire : Non, je ne vote pas les crédits qui sont
demandés. Et là, dans ce scénario-là potentiel, moi, je commence à voir, ou je
peux voir une potentielle problématique.
Et je comprends que vous dites : On
va présumer de la bonne foi, mais malheureusement, on ne peut pas baser des
principes de base, là, nos principes de séparation de pouvoir, sur la seule
bonne foi. Il faut qu'on ait quand même des... certaines garanties judiciaires.
Et, ce que je vous soumets, c'est : Si on proposait ou si on assurait un
mécanisme transparent de reddition de comptes, mais dans lequel le ministre
s'engagerait à soumettre sans modification les demandes budgétaires du conseil
auprès du Conseil du trésor, sans les modifier, on ferait des redditions de
comptes, on poserait des questions, mais on ne les refuserait pas, est-ce qu'on
n'aurait pas là un peu le meilleur des deux mondes? C'est ça, ma question.
M. Boucher (Etienne-Alexis) : C'est
une... En fait, vous faites référence à l'entente, notamment, là, qui... qui...
soulevée par le Barreau...
17 h (version révisée)
M. Boucher (Etienne-Alexis) : ...en
fait, vous faites référence à l'entente, notamment, là, qui... soulevée par le
Barreau, qui serait intervenue entre le Conseil canadien de la magistrature et
le ministre. C'est une entente qui ne change rien quant à l'étude des crédits
par les parlementaires, hein, c'est très stipulé... c'est stipulé très
clairement, pardon, l'article 5 dit que ça ne change rien au régime de loi
actuel. L'article, je pense que c'est le 18 ou le 17, rappelle que ça ne change
rien quant à la responsabilité ministérielle de... pour l'utilisation des
deniers et, au final, n'engage que le ministre, ça n'engage pas le
gouvernement. Donc, même une telle entente pourrait, dans un cas extrême,
comment dire, ne pas répondre à la situation à laquelle vous faites référence.
Personnellement, bon, bien, écoutez, je n'ai
que 44 ans, je ne suis la politique activement que depuis environ 25 ans,
mais je n'ai jamais vu de crédits non votés, jamais. Donc, à un moment donné,
on peut, bien sûr, imaginer toutes sortes de scénarios, je ne vois pas la
moindre chance qu'un tel scénario puisse réellement se concrétiser sans un
retour du balancier assez... assez solide.
M. Turp (Daniel) : ...vous
êtes nouveau dans cette Assemblée, à l'étude des crédits, on parle de tout sauf
des crédits, hein? Ça, ça arrive souvent, mais, écoutez, sans modification,
licence pour dépenser, dépenser, beaucoup dépenser... Et là il faut dire les
vraies choses, là, on n'ose pas trop, là, le Conseil de la magistrature a
beaucoup dépensé dans ses recours judiciaires, les multiples recours
judiciaires, puis il y a des avocats qui ont été très bien payés, il y en a qui
diraient trop bien payés. Alors, c'est ça qu'on veut? Ce qu'on veut, c'est que
ça continue, ça? Puis, si un ministre dit «sans modification», oh boy! Il va y
en avoir, des beaux budgets par le Conseil de la magistrature.
Le Président (M.
Bachand) :Merci. Merci beaucoup. Le temps
est écoulé, malheureusement. Mme la députée de Vaudreuil.
Mme Nichols : Oui. Merci, M.
le Président. Merci d'être parmi nous. Je n'ai pas grand temps, je vais y aller
avec des questions très directes, précises. Sur votre dernière intervention,
là, ça semble venir vous chercher quand vous parlez des recours du Conseil de
la magistrature. Puis vous en avez parlé aussi dans... quand vous avez fait
votre exposé de 10 minutes, là, vous avez parlé que c'est de plus en plus
fréquent, peut-être un peu plus depuis 2018, ce que je comprends, que ça
arrivait... ça arrivait très rarement, sauf à l'an 2000, que vous avez
noté.
Bien, si c'est ça, l'enjeu, là, si c'est
juste cette partie-là, pourquoi on ne vient pas plutôt limiter les recours du
Conseil de la magistrature juste sur cet aspect-là, plutôt que d'y aller, parce
que... Puis je vous donne... je fais une sous-question en même temps : Le projet
de loi n° 8, vous l'avez lu, là, vous l'avez lu, là, c'est prévu que le
Conseil de la magistrature doit soumettre ses prévisions budgétaires au
ministre de la Justice puis que ses livres vont être désormais vérifiés par le
VG.
M. Turp (Daniel) : Parfait.
On ajoute quelque chose, on ajoute un examen parlementaire. Ça s'ajoute, c'est
encore plus démocratique, c'est plus d'imputabilité de la part du Conseil de la
magistrature. Alors, moi, j'aime ça, et ça ne dérange pas juste le ministre, qu'il
y ait des recours et beaucoup de recours, ça dérange les citoyens aussi, à mon
avis.
Mme Nichols : On n'a pas fait
cet exercice-là encore. Le projet de loi n° 8, il vient d'être adopté, là.
Peut-être qu'on pourrait regarder ce que ça va donner, c'est peut-être
suffisant, on n'a pas besoin d'aller aussi loin. Puis je reviens à ma question :
Si la problématique... Si vous trouvez que le Conseil de la magistrature
utilise trop de pouvoirs pour des recours ou utilise trop des sommes pour des
recours, qu'est-ce que vous suggérez, qu'on vienne peut-être encadrer juste
cette partie-là?
M. Turp (Daniel) : Que le Procureur
général conteste, ce qu'il a fait peut-être modestement, trop modestement, son intérêt
à agir dans des affaires où le Conseil de la magistrature va vouloir invoquer
le principe d'indépendance judiciaire comme il le veut, en toute matière, ça,
ce serait une solution. Est-ce que le Conseil de la magistrature a toujours
intérêt à agir devant les tribunaux lorsqu'il s'agit de questions d'application
des lois votées par cette Assemblée au Conseil de la magistrature?
Mme Nichols : Bien, à la
limite, là, moi, ce que j'entends, là, c'est que vous êtes d'accord que le
politique démontre son rapport de force face au conseil de la législature. Moi,
c'est ça qui... c'est ça que j'entends.
M. Boucher (Etienne-Alexis) : Honnêtement,
on ne voit pas en quoi il y a là une démonstration de force. À nouveau, on
pense que c'est une question d'harmonisation des pratiques, non seulement avec
ce qui se fait ailleurs, dans les autres législatures, mais qui se fait aussi à
l'Assemblée nationale concernant les organismes publics. Or, on considère que
le Conseil de la magistrature, outre le volet de lorsqu'il agit comme tribunal
déontologique, est un organisme public. Ça a été reconnu par les diverses
jurisprudences, dont le jugement auquel il fait référence, là, le fameux
jugement de l'an 2000. Et il n'y a là que la volonté de rendre... comment
dire, plus normal ce qui entoure l'utilisation des deniers publics par le
Conseil de la <magistrature...
M. Boucher (Etienne-Alexis) :
...comment
dire, plus normal ce qui entoure l'utilisation des deniers publics par le
Conseil de la >magistrature.
M. Turp (Daniel) : Je vais
me permettre, M. le Président, et à la députée... Je vais donner à la greffière
du comité un article que j'ai trouvé assez fascinant, Judicial Independence
and the Budget : A Taxonomy of Judicial Budgeting Mechanisms, et on se
rend compte, là, que, dans le monde, dans la très grande majorité des
juridictions, il y a une approbation parlementaire des budgets des conseils de
la... équivalents. Alors, je vais vous donner ça, Mme la greffière. Je pense
que ça pourrait être la peine que tout le monde lise ça, parce que ce que l'on
veut faire par ce projet de loi, ce n'est pas inusité, ce n'est pas inhabituel,
c'est plutôt une pratique assez répandue dans le monde entier.
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup. Sur ce... On
compte sur vous pour la transférer de façon électronique, bien sûr, à la
commission. M. Boucher, M. Turp, ça a été un grand plaisir.
Sur ce, la commission suspend ses travaux
jusqu'à 19 h 30. Merci beaucoup. À tantôt.
(Suspension de la séance à 17 h 07)
19 h (version révisée)
(Reprise à 19 h 31)
Le Président (M. Bachand) :À l'ordre, s'il vous plaît! Bonsoir à tout le monde. La Commission
des institutions reprend ses travaux.
On poursuit donc les consultations
particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 26,
Loi modifiant la Loi sur les tribunaux judiciaires afin notamment de donner
suite à l'Entente entre la juge en chef de la Cour du Québec et le ministre de
la Justice.
Ce soir, nous allons entendre les
personnes et organismes suivants : la Pre Martine Valois, le Barreau
du Québec. Mais d'abord, il nous fait plaisir de recevoir les représentants et
représentantes de l'Association québécoise des avocats et avocates de la
défense. Alors, merci beaucoup d'être avec nous, c'est très, très apprécié.
Alors, je vous inviterais à vous présenter puis à... à débuter, pardon, votre
présentation. Merci beaucoup.
Mme Boulet (Marie-Pier) : Merci,
M. le Président. Bonsoir. Marie-Pier Boulet, d'abord, présidente...
19 h 30 (version révisée)
Le Président (M.
Bachand) :...et à débuter, pardon, votre
présentation. Merci beaucoup.
Mme Boulet (Marie-Pier) : Merci,
M. le Président. Bonsoir. Marie-Pier Boulet, d'abord, présidente de l'Association
québécoise des avocats et avocates de la défense, et je suis accompagnée de Me
Jean-François Benoit, qui, lui, est responsable, au sein de l'association, du
comité projet de loi.
Alors, un petit mot, brièvement, sur l'association.
Alors, l'Association québécoise des avocats et avocates de la défense, on
simplifie par l'acronyme AQAAD, est une association qui a été fondée en 1995,
qui représente plus de 600 avocats et avocates qui oeuvrent en droit
criminel et pénal partout au Québec. Sa mission s'intéresse en différents
points à l'intérêt des membres, mais aussi à la défense spécifique des libertés
individuelles, ainsi que les droits fondamentaux des justiciables. La mission,
donc, de défendre les droits et libertés des justiciables a amené l'AQAAD à
agir à plusieurs reprises comme intervenante dans les dossiers devant la Cour
d'appel du Québec et la Cour suprême du Canada. D'ailleurs, pour être
spécifique à la... à notre... à notre présence ce soir, l'AQAAD est
intervenante dans le cadre du recours devant la Cour d'appel, lequel devrait
faire l'objet, normalement, d'un désistement par le dépôt du projet de loi n° 26.
L'association a néanmoins déjà produit son mémoire dans le cadre du recours.
Maintenant, donc, le projet de loi n° 26
et l'intérêt de l'AQAAD quant à faire des représentations sur ledit projet, eh
bien, simplement spécifier que le premier article du projet de loi n'est pas
visé par nos commentaires. Celui-ci, qui concrétise strictement l'entente
intervenue relativement à l'augmentation du nombre de juges à la Cour du Québec,
donc cet article, ne fait pas l'objet de nos commentaires. Malheureusement, je
le dirais ainsi, l'ajout d'un sous-objectif au projet de loi, qui est
totalement étranger au premier, risque d'avoir pour effet de ralentir la
nomination des juges, alors qu'il s'agit d'un besoin identifié comme urgent. Ce
que nous pourrions qualifier d'une forme de marchandage est regrettable,
puisque la conclusion d'augmenter le nombre de juges peut difficilement se
relier à l'objectif de revoir le mode de financement du Conseil de la
magistrature.
Les membres de l'AQAAD, donc, sont des
acteurs du système de justice, et leur collaboration est toujours essentielle à
son bon fonctionnement. C'est dans ce cadre-là que nous reconnaissons que le
fonctionnement du système de justice passe par un respect irréprochable de l'indépendance
judiciaire, qui, elle, est directement mise en cause dans les changements
apportés au mode de fonctionnement du Conseil de la magistrature et l'encadrement
des prévisions budgétaires par ce projet de loi n° 26.
Donc, pour parler directement d'indépendance
judiciaire, alors évidemment il se passe d'explication le fait que le pouvoir
judiciaire est une composante essentielle de notre démocratie. Dans sa
définition, donc, la plus connue, l'indépendance judiciaire fait en sorte que
les juges ne sont pas influencés par les partis, y compris le gouvernement, et
que les litiges sont donc tranchés conformément à la loi, sans influence
extérieure. Par contre, et c'est là où nous insistons, il ne faut pas croire
que l'indépendance judiciaire se limite strictement à ce pouvoir décisionnel
des juges en ce qu'ils sont libres de décider. Cette vision constituerait même,
selon nous, une vision beaucoup trop étroite du principe de l'indépendance
judiciaire. L'indépendance judiciaire est aussi institutionnelle. Il faut le
rappeler, l'indépendance judiciaire n'existe pas au profit des juges dans le
cadre de leurs fonctions, mais bien au bénéfice des justiciables.
Ainsi, le Conseil de la magistrature,
selon nous, de par sa mission, fait partie de ce volet institutionnel. Il n'est
pas l'équivalent de la Cour du Québec. En partant, le Conseil de la
magistrature assume une mission de protection du public par au moins deux de
ses objectifs et/ou missions, notamment le traitement des plaintes contre les
magistrats et la défense de toute mesure qui viendrait affecter l'efficacité du
système. L'indépendance judiciaire présuppose évidemment cette absence d'ingérence
de la part du gouvernement, quel que soit le véhicule procédural employé.
Donc, parlant de véhicule procédural, une
procédure de contrôle budgétaire, pour prendre cet exemple, relève...
représente, en fait, un outil puissant qui devrait au contraire être mis au service
des différents pouvoirs, donc législatifs, exécutifs et même judiciaires, et
non à l'un d'eux pour assurer un contrôle sur l'autre. C'est pourquoi, selon
nous, il y a une grande distinction entre exiger une reddition de comptes, ce
qui vise... ce qui vient, en fait, a posteriori par rapport à soumettre des
dépenses à une approbation préalable... l'approbation s'intéresse à l'acquiescement,
donc l'approbation est d'ailleurs davantage synonyme d'acquiescement que de...
que de transparence, par exemple.
Il s'ensuit logiquement de mes propos que
le processus de contrôle de l'exercice financier du Conseil de la magistrature
peut en lui-même porter atteinte à cette indépendance, sinon, au moins, est
perçu comme tel. En <effet...
Mme Boulet (Marie-Pier) :
...financier
du Conseil de la magistrature peut en lui-même porter atteinte à cette
indépendance, sinon, au moins, est perçu comme tel. En >effet, en
privant le Conseil de la magistrature des moyens et, par le fait même, de la
latitude qu'il détient pour défendre l'indépendance judiciaire, les pouvoirs
exécutif et, même, législatif peuvent, littéralement, le museler. Le contrôle...
budgétaire vient affaiblir et potentiellement priver totalement le Conseil de
la magistrature des moyens qu'il peut utiliser pour assurer sa mission.
Ce dont il est question, c'est-à-dire un
dépassement des coûts ponctuel par le Conseil de la magistrature, a été rendu
nécessaire par des démarches judiciaires qui visaient directement à assurer le
maintien de l'indépendance judiciaire. Les tribunaux supérieurs ont reconnu le
bien-fondé des arguments défendus par le Conseil de la magistrature et ce lien
avec la défense de l'indépendance judiciaire. La situation factuelle,
prospective, donc les autres cas d'espèce qui pourraient subvenir, est
facilement imaginable. Le Conseil de la magistrature devrait demander à
l'exécutif de lui donner les moyens de contester une de ses décisions qui
l'affectent dans sa mission ou encore une décision du pouvoir législatif qui
serait inconstitutionnelle, par exemple.
Nous sommes bien au-delà d'une situation
de conflit d'intérêts. Cette situation, selon nous, traduit une méconnaissance
des grands principes de gouvernance étatique au sein d'une société
démocratique. Aucun des pouvoirs n'est absolu, et les trois coexistent. Je vous
remercie.
Le Président (M.
Bachand) :Merci. Merci infiniment. Merci
infiniment. Donc, nous... nous allons débuter la période d'échange. M. le
ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Merci, M.
le Président. Me Boulet, Me Benoit, de l'Association québécoise des avocats et
des avocates de la défense, merci de participer aux travaux de la commission.
Écoutez, d'entrée de jeu, Me Boulet, je note... en fait, j'aimerais ça avoir
autant de certitude que vous venez de l'affirmer dans vos propos. Ça semble
tellement clair, tellement limpide, sans aucune nuance. C'est tellement clair.
Écoutez, le droit, ça doit être clair comme ça. Moi, j'aimerais ça, comme
ministre de la Justice, avec l'ensemble des juristes qui m'entourent, même avec
l'ensemble des parlementaires autour de la table, avoir autant de certitude.
Écoutez, c'est quoi, les fonctions du
Conseil de la magistrature? Article 256 : «Le conseil a pour
fonctions :
«a) d'organiser, conformément au
chapitre II de la présente partie, des programmes de perfectionnement des
juges;
«b) d'adopter, conformément au
chapitre III de la... de la présente partie, un code de déontologie de la
magistrature;
«c) de recevoir et d'examiner toute
plainte formulée contre un juge auquel s'applique le chapitre III de la
présente partie;
«d) de favoriser l'efficacité et
l'uniformisation de la procédure devant les tribunaux;
«e) de recevoir les suggestions,
recommandations et demandes qui lui sont faites relativement à l'administration
de la justice, et de les étudier et de faire au ministre de la Justice les
recommandations appropriées;
«f) de coopérer, suivant la loi, avec
tout organisme qui, à l'extérieur du Québec, poursuit des fins similaires — et;
«g) connaître des appels visés à
l'article 112.»
• (19 h 40) •
Essentiellement, vous donnez une approche,
disons, extensive des fonctions du conseil à 256, mais j'ai noté, dans votre
propos, qu'il y avait du marchandage, que l'efficacité du système de justice
allait être compromise, qu'on a une méconnaissance du système démocratique,
aussi. Écoutez, c'est quand même des propos qui sont empreints de certitude, je
vous dirais. Nous, ici, les députés de l'Assemblée nationale, qui sont élus par
la nation québécoise dans chacune de leurs circonscriptions, qui ont un mandat
légitime d'adopter des lois, qui font partie d'un Parlement, vous pensez qu'ils
ont une méconnaissance du système démocratique ici? J'aimerais ça vous entendre
là-dessus...
Mme Boulet (Marie-Pier) : En
fait, il y a plusieurs...
M. Jolin-Barrette : ...parce
que vous le déclamez avec tant de certitude. L'association déclame ça, c'est la
position de l'association. Ça me surprend un peu, parce que moi, je connais
beaucoup de criminalistes qui ont une bonne crédibilité, puis qui font preuve
de nuance, puis qui vont plaider, à tous les jours, devant les tribunaux.
J'aimerais vous entendre là-dessus.
Le Président (M.
Bachand) :...
Mme Boulet (Marie-Pier) : Alors,
je vous remercie pour votre question, M. le Président. Si je peux me permettre,
maintenant, d'y répondre. Donc, il y a plusieurs choses. Évidemment, il y a
plusieurs questions dans cette série de questions. La première chose :
Est-ce que le droit est clair? Le droit, effectivement, évolue, et le droit
n'est pas toujours clair. Par contre, ici, on parle d'indépendance judiciaire,
et ça, c'est certainement un principe qui est clair, et c'est certainement une
base qui est acquise et qui doit être maintenue. Alors, cette certitude-là,
vous avez raison, elle est facile d'être retrouvée quand on parle d'indépendance
judiciaire. Elle est facile également d'être nuancée quand on parle
d'indépendance judiciaire.
Maintenant, l'autre <sous-question...
Mme Boulet (Marie-Pier) :
...judiciaire.
Elle est facile également d'être nuancée quand on parle d'indépendance
judiciaire.
Maintenant, l'autre >sous-question,
c'était non seulement la question d'être clair...
M. Jolin-Barrette : C'est
drôle, parce qu'écoutez...
Mme Boulet (Marie-Pier) : ...mais
c'était le pouvoir...
Le Président (M.
Bachand) :...
M. Jolin-Barrette : ...attendez,
je vais juste terminer, j'ai une sous-question là-dessus, M. le Président. On a
eu deux constitutionnalistes qui sont venus, professeurs émérites de
l'Université de Montréal, Daniel Turp, Pr Taillon, qui enseignent depuis
plusieurs années, qui sont titulaires de doctorat en droit constitutionnel. Puis,
c'est drôle, l'indépendance judiciaire, pour eux, ce n'était pas si clair que
ça. Alors, je comprends que vous avez une meilleure expertise en droit
constitutionnel que ces deux professeurs-là?
Mme Boulet (Marie-Pier) : En
fait, la définition de l'indépendance judiciaire, je pense qu'elle est connue.
Je le disais, d'entrée de jeu, que le volet où les juges sont libres de rendre
des décisions, c'est un volet qui est certainement connu puis qui est, en fait,
je vous dirais, partagé...
M. Jolin-Barrette : Et quel
est... M. le Président, je veux juste compléter, oui.
Le Président (M.
Bachand) :Monsieur...Juste faire
attention, on est en visioconférence, aussi de donner le temps aux témoins de
répondre aussi. M. le ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Oui, je
comprends. Alors, vous me parlez... On ne conteste pas ça, que les juges ont la
liberté de rendre leurs décisions, que l'assignation des dossiers au rôle, ça
fait partie de l'indépendance judiciaire. Même, écoutez, les stationnements, ça
fait partie de l'indépendance judiciaire. Cela étant, est-ce que le financement
du Conseil de la magistrature relève de l'indépendance judiciaire? Bien
entendu, le Conseil de la magistrature nous dit ça, mais le législateur a une
opinion autre, mais je ne pense pas que la jurisprudence a déterminé ce que
vous avancez. Voulez-vous nous l'indiquer, dans quelle décision ça a été
avancé?
Mme Boulet (Marie-Pier) : En
fait... oui, bien, évidemment, dans la décision de... M. le Président, si vous
me permettez de répondre, donc dans le Conseil de la magistrature contre
ministre de la Justice du Québec, 2022, QCCS 266, décision du juge Immer
du 2 février 2022 qui reconnaît explicitement que... Parce que la deuxième
question était celle de l'interprétation extensive des pouvoirs du Conseil de
la magistrature. Eh bien, je peux lire au paragraphe 41°, effectivement, qu'on
reprend l'ensemble de ses pouvoirs et qu'on souligne spécifiquement celui que
vous avez cité en d, c'est-à-dire favoriser l'efficacité de la procédure devant
les tribunaux. Et ce pouvoir-là a donc été effectivement interprété par les
tribunaux supérieurs ici, pour... pour nommer la Cour supérieure, comme étant
effectivement une partie intégrante de l'objectif du Conseil de la magistrature
et qui vise spécifiquement la question de l'indépendance judiciaire.
Donc, oui, cette... cette
interprétation...
M. Jolin-Barrette : Sur le
financement. Ma question, Me Boulet, est sur le financement.
Mme Boulet (Marie-Pier) : Bien,
en fait... en fait, une fois que...
M. Jolin-Barrette : Est-ce
que... est-ce que le... est-ce que le jugement dit ça? Puis je comprends de vos
propos que, lorsque vous faites référence à «tribunaux supérieurs», pour vous,
la Cour supérieure, c'est un tribunal supérieur versus la Cour du Québec.
Est-ce que c'est ce que je retiens de votre propos, parce que la référence à «tribunaux
supérieurs», c'est Cour supérieure pour vous?
Mme Boulet (Marie-Pier) : Bien,
c'est ce qu'il faut... Effectivement. Vous savez que la... que la Cour
supérieure est un tribunal de révision des décisions de la Cour du Québec,
entre autres, si on parle en matière criminelle, pour les affaires sommaires,
et qu'il y a même le stare decisis qui s'applique entre les deux, tout à fait.
Pour d'autres matières, eh bien, la Cour supérieure, justement, peut entendre
ce qu'on appelle des renvois. Donc, évidemment, je ne vais pas me lancer dans
un cours de droit, nécessairement, mais, oui, la Cour supérieure, ce n'est pas
juste son nom qui l'indique, mais elle a effectivement des pouvoirs qui, dans
certains cas, peuvent, disons, s'équivaloir ou juste faire un partage de
compétences avec la Cour du Québec. Quand on parle, par exemple, du montant des
litiges en matière civile, il y a une séparation, disons, entre les deux, ils
ne sont pas nécessairement supérieurs l'un à l'autre. Mais, quand on parle de
révision de la décision judiciaire ou de renvoi qui vise à établir effectivement
des principes, là on peut effectivement parler de supériorité.
M. Jolin-Barrette : Alors,
revenons sur... revenons sur le fond. En quoi les crédits du Conseil de la
magistrature affectent l'indépendance judiciaire, en fonction des décisions?
Parce que vous m'avez cité une décision de 2022 relativement à la question du
bilinguisme des juges et par rapport à la Charte de la langue française. On ne
parle pas de financement des crédits budgétaires.
Mme Boulet (Marie-Pier) : Tout
à fait. Alors, moi, je vous répondais à la deuxième sous-question avant de
répondre à la troisième, évidemment. Alors, cette deuxième sous-question, vous
parliez de mon interprétation extensive des pouvoirs du Conseil de la
magistrature et sur quoi je me basais. Alors, je me basais sur cette décision
judiciaire là.
Si on revient aux crédits budgétaires ou à
l'aspect davantage budgétaire, en quoi est-ce que ça affecte l'indépendance
judiciaire? Eh bien, c'est explicitement ce que j'ai mentionné, dans le texte
introductif, c'est-à-dire qu'on vient contrôler... Avant que le Conseil de la
magistrature puisse même entreprendre des recours qui visent à assurer sa
mission, on vient donner un contrôle sur cette... ce pouvoir-là du Conseil de
la magistrature d'assurer sa mission. Donc, on dit : Vous avez une mission
qui est bien définie, mais, avant de pouvoir exercer les pouvoirs qui viennent
évidemment... et même, je dirais, les devoirs qui viennent avec le respect de
la mission, eh bien, si vous avez besoin de budget, on va passer, effectivement,
par l'exécutif. Et, s'il s'avérait, c'est une image qui est très simple et très
forte, s'il s'avérait que vous vouliez contester une décision de l'exécutif, eh
bien, c'est ce même <exécutif...
Mme Boulet (Marie-Pier) :
...l'exécutif.
Et, s'il s'avérait, c'est une image qui est très simple et très forte, s'il
s'avérait que vous vouliez contester une décision de l'exécutif, eh bien, c'est
ce même >exécutif qui devrait approuver l'octroi des moyens pour
réaliser votre mission. C'est ce que je qualifiais à la toute fin, et c'est là
que je faisais un lien avec la méconnaissance des principes du système
démocratique, c'est de dire : Là, on dépasse le conflit d'intérêts. On
n'est pas dans le conflit d'intérêts du tout, on est littéralement dans un a le
contrôle sur l'autre et les bases de la séparation des pouvoirs.
M. Jolin-Barrette : C'est un
peu particulier, hein, parce que vous nous citez la décision du juge Immer, la
première décision du juge Immer. Or, le passage que vous nous avez cité, là,
c'est pour déterminer la qualité pour agir du conseil et non pas l'indépendance
judiciaire. Alors, c'est fort différent.
Bien, écoutez, je voudrais vous demander,
parce que vous dites : Bien, écoutez, ça fait partie des... des fonctions
du conseil, est-ce que, selon vous, l'Assemblée nationale est libre de modifier
les fonctions du conseil, ou ça porterait atteinte à l'indépendance judiciaire?
Mme Boulet (Marie-Pier) : Bien,
évidemment, là on parle de «libre», je pense que tout pouvoir n'est pas absolu.
D'ailleurs, je l'ai nommé, il y a évidemment une procédure. Et, quand il y a
une procédure qui entoure... par exemple, comme vous dites, modifier les
fonctions du conseil, ça viendrait avec modifier la Loi sur les tribunaux
judiciaires...
M. Jolin-Barrette : C'est ma
question.
Mme Boulet (Marie-Pier) : ...et
ce n'est certainement pas moi qui vais vous expliquer comment on modifie,
justement, une loi. Ça, c'est davantage dans votre... dans votre gouverne que
dans la mienne.
M. Jolin-Barrette : Non, non.
Ma question, c'est : Est-ce que c'est possible... est-ce que c'est
possible pour l'Assemblée nationale de le faire? Est-ce que c'est possible de
modifier la Loi sur les tribunaux judiciaires?
Mme Boulet (Marie-Pier) : Bien,
en fait, c'est exactement ce qui... Le projet de loi, c'en est un exemple.
Donc, on modifie la Loi sur les tribunaux judiciaires, et, par ce processus, il
y a un débat qui peut être fait. Et, même une fois que le changement
législatif, par exemple, est entériné, eh bien, ce n'est pas terminé, ça peut
être contesté constitutionnellement. Donc, c'est là où les pouvoirs,
effectivement, peuvent entre eux avoir des débats sains puis permettre à la...
à la société non seulement de demeurer démocratique, mais d'évoluer dans ce...
dans ce... dans ce principe démocratique là. Alors, est-ce que l'Assemblée
nationale peut modifier...
M. Jolin-Barrette : Je suis
très au courant, M. le Président, comment ça fonctionne, mais, moi, ma question
pour Me Boulet, c'est... Je comprends que l'Assemblée nationale a la légitimité
de modifier des lois, que ce soit dans le cadre du projet de loi n° 26,
avec les modifications qu'on fait ou si on souhaitait modifier
l'article 256, l'Assemblée nationale pourrait le faire.
Mme Boulet (Marie-Pier) : Alors,
c'est exactement le même genre de représentation, d'ailleurs, qui serait faite
dans ce cadre-là, M. le Président. À ce moment-là, donc, vous passez par le
processus de projet de loi. Vous souhaitez modifier effectivement, la Loi sur
les tribunaux judiciaires. Alors, nous allons faire des représentations, que ce
soit par le biais de mémoire ou oralement, comme c'est le cas maintenant, pour
expliquer en quoi ce changement législatif là ne devrait pas être fait, par
exemple, ou est totalement justifié.
Parce que, si j'en avais un à vous
proposer, en fait, ce serait de dire : Ajoutez même un élément à la
mission du Conseil de la magistrature, c'est-à-dire, si ce n'est pas clair
qu'ils doivent défendre l'indépendance judiciaire, eh bien, ajoutons cet
alinéa. Mais, ceci étant, puisque ce n'est peut-être pas l'idée première ici,
je vous dirais que, oui, il a la légitimité de le faire, mais il y a... De
l'autre côté, la légitimité pour l'Assemblée nationale d'agir n'enlève pas la
légitimité pour les intervenants de réagir et n'enlève même pas la légitimité
au pouvoir judiciaire, une fois que c'est en vigueur, de contester, par
exemple, la constitutionnalité. Donc, il n'y a pas de pouvoir absolu.
Sinon, c'est de dire : On a la
légitimité, au niveau du pouvoir exécutif, au niveau de l'Assemblée nationale,
et les autres ne peuvent plus rien faire, on va même les empêcher de faire quoi
que ce soit ou de tenir un débat, parce que tenir un débat, ça ne veut pas dire
que c'est un ou l'autre qui va avoir raison, l'exécutif, au terme, pourrait
avoir raison, mais tenir un débat, ça signifie d'écouter l'autre partie.
• (19 h 50) •
M. Jolin-Barrette : Et là...
et là, Me Boulet, est-ce qu'on... est-ce que, Me Boulet, on est dans le
processus... Est-ce que c'est une décision de l'exécutif, présentement, là, ce
qu'on est en train de faire?
Mme Boulet (Marie-Pier) : On
est dans le processus vers une décision de l'exécutif.
M. Jolin-Barrette : Ah! là on
est dans le processus exécutif, présentement?
Mme Boulet (Marie-Pier) : On
est dans le processus législatif, pardon.
M. Jolin-Barrette : Ah! OK.
Parce que, vous savez, autour de la table, c'est des parlementaires que vous
avez, des membres de l'Assemblée nationale. Puis leur première fonction, c'est
des législateurs.
Écoutez, vous avez dit, tout à l'heure :
Ça va ralentir la nomination des juges. Écoutez, moi, j'ai un projet de loi avec
14 nouveaux juges. Vous devriez accueillir ça favorablement.
Mme Boulet (Marie-Pier) : C'est
pour ça...
M. Jolin-Barrette : Qu'est-ce
qui vous fait dire que ça va ralentir le processus de nomination des juges? Les
parlementaires sont saisis d'un projet de loi avec différents articles. Il
n'aurait pas fallu, dans un projet de loi, faire en sorte de venir mettre des
articles modifiant la Loi sur les tribunaux judiciaires pour les crédits du
Conseil de la magistrature, selon vous?
Mme Boulet (Marie-Pier) :
Bien, en fait, je pense que c'est mélanger, effectivement, deux choses qui ne
vont pas ensemble. Ça, c'était exactement le sens de mes propos en <ouverture...
Mme Boulet (Marie-Pier) :
...en
fait, je pense que c'est mélanger, effectivement, deux choses qui ne vont pas
ensemble. Ça, c'était exactement le sens de mes propos en >ouverture,
c'est-à-dire que l'entente qui est intervenue était accueillie favorablement. Et
j'ai même pris la peine de le dire, d'entrée de jeu, et ça a même été mentionné
au-delà de la présente instance, c'est-à-dire que c'était accueilli
favorablement, cette entente-là. Alors, si le seul article avait été l'article
premier, on ne serait même pas ici présentement pour parler du projet de loi
n° 26.
Alors, là où on parle de ralentissement,
c'est qu'effectivement il faut tenir un débat sur les articles 2 et 3,
qui, eux, s'avèrent à être controversés, alors que le premier, lui, ne l'était
pas du tout, était, j'allais dire de manière assez manifeste, accueilli
unanimement. Les articles 2 et 3, eux, par contre, n'ont d'ailleurs aucun
lien avec le premier, mais amènent effectivement, selon nous, un débat
nécessaire, à savoir si on doit aller de l'avant. Parce que si...
effectivement, et tout à l'heure, vous avez bien fait de me corriger, là, si le
législatif amenait le tout à terme, bien, ça ne veut pas dire que, par la
suite, il n'y a pas encore d'autres débats, par exemple, juridiques, qui
pourraient se tenir autour de la question, là, on s'entend, mais présentement
je vous dis... et je pense que ce serait assez unanime autour de votre table
sur le fait que, s'il n'était question que de l'article 1, on n'en serait
même pas ici.
M. Jolin-Barrette : Alors, je
comprends que, selon votre conception, le législateur devrait se restreindre
dans les choix qu'il fait parce que les lois sont susceptibles d'être
contestées.
Mme Boulet (Marie-Pier) : Non,
parce que la loi pourrait être contestée... D'ailleurs, le projet de loi
n° 26 pourrait être contesté sans que l'on conteste l'article premier. Ce
que je dis, c'est que, présentement, on a mêlé deux choses ensemble, j'ai fait
le commentaire d'entrée de jeu, comme quoi on a mêlé deux choses qui n'allaient
pas ensemble...
M. Jolin-Barrette : ...
Mme Boulet (Marie-Pier) :
...et donc que le projet de loi serait déjà, selon moi, en vigueur, et même,
hein... ou presque, s'il n'était pas question des articles 2 et 3.
M. Jolin-Barrette : Ah oui?
Bien, M. le Président, je voudrais savoir : Est-ce que Me Boulet a beaucoup
d'expérience parlementaire pour affirmer ça aussi, de dire que le projet de loi
serait déjà adopté puis que, dans le fond, elle connaît l'agenda législatif,
elle connaît la procédure parlementaire aussi? Parce que ça semble tellement
clair, de la part de l'association des avocats en droit de la défense, les
propos qui sont tenus aujourd'hui. Alors, vous, vous dites : Le
législateur ne doit faire des projets de loi sur qu'un seul sujet tout le
temps, c'est ça?
Mme Boulet (Marie-Pier) : En
fait, là il y a deux questions, est-ce que vous devez le faire sur un seul
sujet tout le temps? Je ne tomberai pas dans le même piège de vous dire comment
faire les choses, au contraire, je vais vous... j'ai fait le commentaire sur le
fait qu'on avait mélangé deux choses ensemble, et je ne vais pas vous dire quoi
faire et comment le faire, c'était un commentaire qui était, selon moi, encore
une fois, tout à fait légitime, si on peut reprendre le terme «légitimité».
Par ailleurs, est-ce que le projet de loi
serait déjà en vigueur? Vous avez raison que ce n'est pas de par mon expérience
que je parle, mais plutôt par mon intuition.
M. Jolin-Barrette : Bon. On
est contents que votre mémoire repose sur votre intuition puis vos propos
aussi. Alors, écoutez, je vous remercie pour votre présence ici, en commission
parlementaire. Manifestement, on connaît l'opinion de l'association des avocats
en droit de la défense, avec toute la nuance que ça prenait pour entendre vos
propos. Merci.
Le Président (M. Bachand) :Merci. M. le député de l'Acadie, s'il vous plaît.
M. Morin : Merci. Merci, M.
le Président. Bonsoir, Me Boulet et Me Benoit, merci d'être avec nous ce soir.
Évidemment, vous l'avez souligné, vous avez pris une position. Moi, j'aimerais avoir...
que vous puissiez partager avec nous votre expertise. Parce que, vous savez,
dans l'opposition, on est face à un gouvernement qui a 90 députés, donc il
y a de très, très fortes chances que le projet de loi soit adopté, n'est-ce
pas?
Le projet de loi change le régime de
financement pour le Conseil de la magistrature. Présentement, les sommes sont
versées directement à même les fonds consolidés du revenu, et, si le projet de
loi est adopté, ce seront des crédits qui vont être votés. Compte tenu de ce
que vous avez vu dans le projet de loi, vous nous avez parlé, selon vous,
clairement, que ça allait porter une entaille, ça allait enfreindre le principe
de l'indépendance de la magistrature. Quel serait le meilleur moyen ou les
modifications qu'on pourrait apporter aux articles 3 et 4 pour les
réconcilier, finalement, avec votre position?
Mme Boulet (Marie-Pier) : En
fait, je vous remercie pour votre question, la réponse, M. le Président, ce qui
avait été mis en vigueur il y a justement deux mois, si je ne m'abuse, là,
c'est-à-dire la question de la reddition de comptes. Pour reprendre des termes
que j'ai déjà tenus dans un article, là, qui avait été publié dans Le Devoir,
c'est qu'on n'a même pas eu le temps de même tester l'efficacité de ce système-là
de reddition de comptes. Et, dans mes propos que j'ai tenus au tout début, là,
de la séance, je parlais <spécifiquement...
Mme Boulet (Marie-Pier) :
...l'efficacité
de ce système-là de reddition de comptes. Et, dans mes propos que j'ai tenus au
tout début, là, de la séance, je parlais >spécifiquement de ça aussi, en
disant qu'il y a une grande différence entre la reddition de comptes, qui amène
d'ailleurs même un principe de transparence sur le travail qu'on a effectué et
qui... et qui arrive a posteriori, tandis que l'octroi de crédits votés, elle,
vient déjà restreindre d'avance, sinon soumettre à un contrôle, je veux dire,
il n'y a pas d'autre définition que ça, les extras qui pourraient être générés.
Et ces extras-là... je veux dire, on parle
de l'expérience passée, j'ai voulu surtout être prospective dans mes propos,
mais, si on parle de l'expérience passée, je veux dire, on regarde, là, les
dépassements, et les dépassements sont dus à des contestations judiciaires.
Donc, les dépassements sont directement reliés à des contestations judiciaires
pour lesquelles le Conseil de la magistrature a toujours eu gain de cause, je
veux dire, ou presque, j'ai envie de me garder une réserve, mais alors... Et là
ces contestations judiciaires là venaient vraiment opposer, je vais le dire
ainsi, puis ce n'est pas dans le sens péjoratif, là, c'est dans le sens où on
avait des positions différentes à débattre devant les tribunaux du côté du
ministère de la Justice... du côté du ministre de la Justice ou du côté du
Conseil de la magistrature.
Alors là, évidemment, quand on parle...
c'est ce que je disais, quand on parlait d'une façon prospective, présentement,
on n'avait pas besoin de demander la permission pour engendrer ces fonds-là,
mais surtout engendrer ces procédures-là. Là, l'équivalent d'aller... d'aller
demander des crédits votés, c'est de dire : Est-ce que vous nous permettez
de contester votre décision législative ou encore exécutive? Parce que, dans un
cas, c'était une décision de nature exécutive.
M. Morin : Alors, je
comprends de vos propos, au fond... puis j'aimerais vous entendre là-dessus,
parce que, l'Assemblée nationale, on vient d'adopter le projet de loi n° 8,
qui... et vous y avez fait référence, qui, en fait, donne un pouvoir à la
Vérificatrice générale de faire un audit des comptes du Conseil de la
magistrature. Et puis le conseil est maintenant soumis à la loi sur l'accès à
l'information. Donc, ça, selon vous, c'étaient déjà des éléments suffisants
et... Donc là, est-ce que vous vous interrogez, finalement, sur la sagesse du
législateur de, quelques semaines après, vouloir aller un peu plus loin?
Mme Boulet (Marie-Pier) : En
fait, non seulement d'aller un peu plus loin, mais d'aller totalement ailleurs,
avec beaucoup de respect. C'est-à-dire que le projet de loi n° 8, quant à
moi, justement, s'intéressait à des principes avec un équilibre nécessaire,
c'est-à-dire, justement, la transparence puis... et cette question de rapporter,
finalement, un travail exécuté sans avoir à l'empêcher de l'exécuter. Là, on
est vraiment dans le posteriori versus le prospectif, c'est là où il y a
vraiment une différence, entre le contrôle et dire : Qu'est-ce qui a été
fait, qu'est-ce qui... donc de rapporter. Puis, en fait, c'est même... Je vous
dirais que la reddition de comptes a un élément très positif, c'est-à-dire de
rendre compte du bon travail qui est fait. Je suis convaincue, pour le Conseil
de la magistrature, que c'est non seulement pas difficile ni lourd, mais que
c'est même une fierté de pouvoir rapporter le travail qu'ils... qu'ils
exécutent.
• (20 heures) •
M. Morin : Et qu'est-ce que
vous pensez, par exemple, de l'idée d'avoir une personne indépendante entre le
Conseil de la magistrature et l'exécutif, le ministre de la Justice, qui
pourrait éventuellement présenter les crédits du Conseil de la magistrature au
Parlement? Est-ce que vous pouvez élaborer là-dessus? Est-ce que ça vous semble
être une situation qui respecterait le principe de l'indépendance du Conseil de
la magistrature?
Mme Boulet (Marie-Pier) : En
fait, certainement que la personne indépendante, elle, oui, ce serait justement
en considération de cette indépendance-là, mais, du moment que c'est le
ministre de la Justice, je veux dire... C'est là que je parlais, tout à l'heure,
de non seulement le conflit d'intérêts, mais de principes de gouvernance qui ne
fonctionnent pas. C'est là où on devient déchirés avec nos propres... notre
propre mission par rapport à celle de l'autre, je vais dire, institution ou par
rapport à celle de l'autre pouvoir. Donc, une personne indépendante, ça rime
nécessairement avec l'indépendance de la magistrature et même la séparation des
pouvoirs.
M. Morin : Bien, je comprends
qu'à ce moment-là, s'il y avait... s'il y avait quelqu'un de... bon,
d'indépendant qui faisait le pont, vous n'avez pas d'objection à ce moment-là à
ce que l'Assemblée nationale vote des crédits, mais, si je vous comprends bien,
ce que vous voulez éviter, c'est que le conseil soumette directement au
ministre son budget puis que le ministre vote les crédits. Est-ce que je vous
comprends bien?
Mme Boulet (Marie-Pier) : En
fait, non, c'est ça, le point de s'adresser directement au ministre. Ça,
c'est... pour moi, ça, c'est clairement une évidence, là, je veux dire, on
n'est même pas dans le... dans la nuance, mais la personne indépendante... la
décision finale revient quand même à l'Assemblée, là, on est toujours au sein
du même pouvoir, là. On ne parle pas d'une personne totalement indépendante...
20 h (version révisée)
Mme Boulet (Marie-Pier) : ...la
décision finale revient quand même à l'Assemblée, là, on est toujours au sein
du même pouvoir, là, on ne parle pas d'une personne totalement indépendante
dans l'exemple, là, on parle d'une personne qui a cette indépendance-là,
disons, pour transiger l'information, mais, au final, la décision revient à l'Assemblée
quand même, alors on exerce toujours un contrôle.
M. Morin : C'est ça, vous n'avez
pas d'objection à ce qu'à un moment donné l'Assemblée vote des crédits, mais
vous voulez vous assurer... ou si vous avez... vous êtes contre ça
complètement.
Mme Boulet (Marie-Pier) : Contre
ça complètement.
M. Morin : Complètement.
Mme Boulet (Marie-Pier) : Donc,
oui, c'est ça. Comme je vous dis, quand on parlait d'une personne indépendante,
c'est-à-dire que... de me dire qu'il y a une personne indépendante entre les
deux qui discute, qui... par exemple, pour la reddition de comptes, ça, ça va.
Mais, quand on parle de voter des crédits, c'est de limiter et de contrôler la
mission du Conseil de la magistrature, c'est là où on dit : Vous allez
devoir agir dans tel cadre.
Puis on parle beaucoup... je vous ai
beaucoup parlé de la limite, hein, par exemple, à entreprendre des recours
judiciaires, hein, parce que... notamment, pour, par exemple, contester une
décision de l'exécutif ou contester une loi, par exemple, pour sa
constitutionnalité, mais il y a d'autres... on parle de cette mission-là du
Conseil de la magistrature, mais il y en a d'autres, notamment celle, par
exemple, d'évaluer les plaintes. Imaginez, là, je peux sembler être dans l'hypothétique,
mais imaginez une recrudescence de plaintes. Et là le Conseil de la
magistrature doit augmenter effectivement son budget parce que, là, il y a
beaucoup de plaintes à traiter contre la magistrature. Là, il devrait demander
l'augmentation des crédits votés. Puis, si c'est refusé, il va faire quoi? Il
va juste traiter les cas les plus manifestes mais pas les autres?
Bon, vous me direz, c'est hypothétique,
sauf qu'on s'entend que le Conseil de la magistrature, sa mission est déjà bien
cadrée, bien campée, et ça fait en sorte que... En quoi est-ce qu'on craint un
dépassement injustifié? On n'a même pas la base, c'est-à-dire l'étincelle, la
raison première de dire : Écoutez, on pense qu'il y a des dépassements
injustifiés, et donc on s'intéresse à recadrer le tout. Ça prendrait au moins
le début de preuve.
Le Président (M.
Bachand) :Il vous reste une minute, M. le
député de l'Acadie, une minute.
M. Morin : Parfait. Très
bien. Donc, je comprends que, donc, pour vous, cet intermédiaire ou cette
personne du type, genre, commissaire à la magistrature fédérale, parce qu'au
fédéral il y a quand même une partie des crédits qui sont votés, ce serait
suffisant ou pas suffisant?
Mme Boulet (Marie-Pier) : Je
vais peut-être lancer la balle à Me Benoit que... je parle beaucoup depuis
le début, mais je sais qu'il avait certainement une idée de réponse là-dessus.
M. Benoit (Jean-François) : Bien,
écoutez, on n'a pas fait l'analyse comparée par rapport à ce qui se fait au
fédéral, dans un premier temps, mais ce qui est important, c'est que l'Assemblée
législative n'ait pas la capacité de limiter le Conseil de la magistrature, de
faire valoir son indépendance judiciaire, de faire valoir ses fonctions. C'est
ça, l'idée.
Puis la façon de ce que vous nous avez
décrit tout à l'heure, ça me semblait être comme un messager entre le Conseil
de la magistrature, le législatif ou l'exécutif. Je pense que le concept de
messager entre les deux, qui fait seulement transmettre des messages, ne change
absolument rien. C'est seulement un écran de fumée, simplement.
Ultimement, la question qui est
importante, là, c'est : Est-ce que le législatif ou l'exécutif va avoir la
capacité de limiter la fonction du Conseil de la magistrature et de défendre
son indépendance, l'indépendance judiciaire? C'est ça, ultimement.
Le Président (M.
Bachand) :Merci. Merci, Me Benoit.
Le temps file rapidement. M. le député de Saint-Henri—Sainte-Anne, s'il vous
plaît.
M. Cliche-Rivard : Merci, M.
le Président. Merci. Je voudrais vous remercier, Me Boulet, Me Benoit,
on est très reconnaissants de votre présence ce soir, vous aidez grandement...
vous nous aidez grandement dans nos travaux et vous avez pris beaucoup de
temps, de votre temps, bénévolement et rapidement pour nous présenter vos
positions, et je vous en remercie. Je sais que vous êtes tous très occupés, vous
travaillez fort, vous prenez quand même le temps de venir nous parler ce soir,
alors merci.
M. le Président, je pense qu'il faudra
toujours qu'on soit respectueux et accueillants envers ceux et celles qui se
présentent ici, en commission, surtout dans de si courts délais.
Ma question est la suivante : Est-ce
qu'il serait possible, selon vous, et je voudrais vous entendre, d'améliorer la
reddition de comptes du conseil tout en assurant son indépendance? Est-ce que
vous voyez une façon de nous permettre de rallier les deux concepts?
Mme Boulet (Marie-Pier) : En
fait, ce que je mentionnais un petit peu plus tôt, c'est que la reddition de
comptes était quand même relativement nouvelle et a été très peu testée. Alors,
je pense que, un, d'avoir l'ouverture, de commencer par l'exercer et de voir,
un peu comme tout à l'heure on disait, là, le messager qui serait entre les
deux, c'est-à-dire, bon, on veut une reddition de comptes un peu plus poussée
ou un petit peu plus de détails, ce serait une chose d'avoir ce dialogue, mais
il faut d'abord voir qu'est-ce qui manque dans la reddition des comptes. Est-ce
qu'il manque réellement des choses? C'est ce que je disais tout à l'heure par
début de preuve. Est-ce qu'on est capable d'identifier, en testant la reddition
de comptes, qu'il y a une problématique, qu'on n'a pas suffisamment de détails,
qu'on a l'impression que le Conseil de la magistrature, par exemple, utilise
des deniers à mauvais escient? Je veux dire, ça prend... ça prend un minimum de
soupçons ou de faits qui permettent, à ce moment-là, de dire : Bien, la reddition
de comptes n'est pas <suffisante...
Mme Boulet (Marie-Pier) :
...prend...
ça prend un minimum de soupçons ou de faits qui permettent,
à ce
moment-là, de dire : Bien, la
reddition de comptes n'est pas >suffisante.
Mais la reddition de comptes, à la base, représente, je pense... maintient cet
équilibre-là entre le pouvoir de l'un et l'autre et fait juste ouvrir un
dialogue de transparence entre les trois pouvoirs, oui.
M. Cliche-Rivard : Merci.
Selon vous, est-ce qu'il aurait été judicieux qu'on entende ici, en commission,
le Conseil de la magistrature?
Mme Boulet (Marie-Pier) : Bien,
pour avoir, en fait, lu leur mémoire, j'avoue que je suis certaine qu'ils
auraient eu beaucoup de choses pertinentes à vous mentionner, tant à l'oral que
l'écrit, parce qu'effectivement ils étaient en mesure, selon moi, de très bien
expliquer et de défendre l'objectif, finalement, qui était derrière chacune des
actions qui ont été prises par eux et qui ont entraîné des dépenses. Je pense
que ce n'est pas... a posteriori, c'est très différent, encore une fois,
d'expliquer, d'élaborer. Ils peuvent même le faire en citant des jugements,
comme je l'ai fait plus tôt. Alors, c'était un exercice qui, selon moi, pouvait
se faire très aisément par eux et qui étaient les premiers intervenants
pertinents, là. Je pense que, dans l'esprit d'un dialogue, même au niveau, là...
autant au niveau législatif qu'exécutif, c'est d'entendre les premiers
intéressés, donner la parole aux premiers intéressés, ça me semble évident.
M. Cliche-Rivard : Merci
beaucoup.
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup, M. le député de
Saint-Henri—Saint-Jacques. Mme la députée de Vaudreuil, s'il vous plaît.
Mme Nichols : Oui. Merci
beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup à vous deux d'être parmi nous dans
un... on l'a dit, là, dans un si court laps de temps. Il y a certains groupes
qui ont dû se désister justement parce qu'ils n'avaient pas le temps de se
préparer adéquatement. Moi, je l'ai dit dans mes remarques préliminaires, là,
une de mes préoccupations, c'était l'ingérence politique. Puis ce qu'on vient
de voir, là, dans les dernières minutes, je pense que... puis inconsciemment,
là, je pense que ce n'était pas voulu, mais clairement, moi... c'est clairement
ce qu'on ne veut pas voir, on ne veut pas voir de l'ingérence, on ne veut pas
voir de l'ingérence politique. Puis on l'a vu, parce que votre position, elle
n'est clairement pas celle du ministre, elle est vraiment totalement
différente. Puis j'étais bien contente, là, d'entendre les groupes aussi qui
sont venus avant, qui sont passés avant vous en commission parlementaire, mais
ça... moi, c'est cette partie-là qui m'embête, c'est cette partie-là
d'ingérence, là, qui m'inquiète. Puis je pense que, bien, comme je vous dis,
là, de façon... c'est apparu, ça nous a sauté aux yeux. Donc, vous avez fait
une partie... vous avez fait une partie du travail, là, sans le savoir.
Question sur les crédits votés, je l'ai
déjà posée à un autre groupe, mais, si on s'en va avec les crédits votés parce
que ça pourrait... parce que ça se fait un peu ailleurs, puis on a regardé, là,
on est en train de regarder aussi comment ça se fait ailleurs, si on pouvait
exclure... exclure quelque chose, là, des crédits votés, parce qu'on le sait
qu'ils ont différentes... que le Conseil de la magistrature a différentes
missions, s'il y avait une mission qu'on pourrait exclure de ces crédits-là,
qu'est-ce que vous suggérez?
• (20 h 10) •
Mme Boulet (Marie-Pier) : Bien,
je vais prendre... Merci pour votre question, M. le Président, je peux... C'est
là où le Conseil de la magistrature aurait certainement été mieux à même de
répondre à cette question-là, parce que moi, pour ma part, comme juriste, comme
praticienne, évidemment, je commente le fait que l'indépendance judiciaire,
pour moi, quand je disais tantôt que le droit n'est pas toujours gris, c'est un
principe qui est effectivement... qui doit être immuable au sein de notre
système. Alors, c'est plus dans ce sens plus large là que je m'intéressais à la
question de contrôler les actions du... pardon, du Conseil de la magistrature.
Mais, si on devait... au final, ce que
vous dites, c'est un peu : Qu'est-ce qui pourrait être couvert dans les
crédits et, pour le reste, un budget discrétionnaire ou, au contraire, qui
serait... Parce qu'évidemment la question de prendre les mesures pour assurer
l'efficacité, là, le 258f, ça, pour moi, c'est celui qui est beaucoup plus
large et qui peut viser de multiples actions, dont les recours judiciaires,
c'est-à-dire pas juste entreprendre un recours judiciaire, mais ça peut être
aussi de se défendre dans le cadre d'un recours judiciaire.
Il faut se rappeler, là, le recours, en ce
moment, qui est visé par l'article 1 et qui fait l'objet d'une entente, ce
n'est pas un recours qui a été entrepris par le Conseil de la magistrature.
Mme Nichols : Entre autres, il
y avait les dépenses liées à la déontologie judiciaire, qui ne sont pas
nécessairement incluses ou, en fait, dans... incluses, là, parce que, là, je
reprends le mémoire du Conseil de la magistrature, parce qu'il aurait été
pertinent de les entendre, là, puis ils parlaient de l'enveloppe du 3,2 millions
par rapport à la déontologie. C'est quelque chose qu'on pourrait exclure?
Mme Boulet (Marie-Pier) : Oui...
Le Président (M.
Bachand) :Rapidement, oui, en quelques
secondes, s'il vous plaît. Merci.
Mme Boulet (Marie-Pier) : En
fait, qui pourrait être exclu des crédits votés, la question de la déontologie...
Bien, en fait, c'est <évidemment...
Mme Boulet (Marie-Pier) :
...qui
pourrait être exclu des crédits votés, la question de la déontologie... Bien,
en fait, c'est >évidemment tout ce qui est le rôle du conseil d'évaluer
les plaintes contre la magistrature, là. Donc, ça, c'est... ça dépend,
évidemment, de... j'allais dire de la demande. Et la prévision budgétaire,
là-dessus, là, j'imagine que c'est tout simplement infaisable. Ça va de soi,
hein, c'est comme pour...
Mme Nichols : Merci.
Le Président (M.
Bachand) :OK. Sur ce, le temps file
rapidement, Me Boulet, Me Benoit, merci beaucoup d'avoir été avec
nous. C'est très apprécié.
Cela dit, la commission suspend ses
travaux quelques instants. Merci beaucoup. Bonne soirée.
(Suspension de la séance à 20 h 12)
(Reprise à 20 h 15)
Le Président (M.
Bachand) :À l'ordre, s'il vous plaît!
Alors, la commission des... continue ses travaux. Il nous fait plaisir
d'accueillir les représentantes du Barreau du Québec. Mesdames, merci beaucoup
d'être avec nous. Alors, d'emblée, j'aimerais vous inviter à vous présenter et
à débuter votre présentation, s'il vous plaît. Merci.
Mme Claveau (Catherine) : M.
le Président, M. le ministre, Mmes et MM. les députés, je suis Catherine
Claveau, bâtonnière du Québec. Je suis accompagnée de Me Sylvie Champagne,
qui est la directrice des Affaires juridiques du Barreau du Québec.
Je vous remercie de nous avoir invités à
participer aux consultations entourant le projet de loi n° 26. Il nous
fait plaisir de partager avec vous nos observations et commentaires. Avant de
commencer, il me paraît judicieux de rappeler que notre objectif, dans le cadre
des consultations sur un projet de loi, est de fournir un éclairage juridique
et d'alimenter vos réflexions sur la législation et les mesures proposées.
Tout d'abord, nous saluons la mise en
œuvre de l'entente avec la Cour du Québec concernant l'ajout des
14 nouveaux postes de juges, favorisant ainsi une plus grande efficacité
de la justice. En misant sur le dialogue et la conciliation pour convenir d'une
série de compromis, le gouvernement et la Cour du Québec font la preuve qu'ils
placent l'accès à la justice et l'intérêt des justiciables au sommet de leurs
priorités. Nous leur en sommes reconnaissants.
L'article 3 du projet de loi propose
de modifier les sources du financement du Conseil de la magistrature en
assujettissant son budget aux crédits votés annuellement à cette fin par
l'Assemblée <nationale...
Mme Claveau (Catherine) :
...de
la magistrature en assujettissant son budget aux crédits votés annuellement à
cette fin par l'Assemblée >nationale. Actuellement, ces dépenses sont
prises à même le fonds consolidé du revenu.
Nous comprenons que l'intention du projet
de loi vise à ce que les sommes octroyées annuellement au Conseil de la
magistrature s'inscrivent dans un processus budgétaire gouvernemental
transparent à l'égard de l'utilisation des fonds publics. Le Barreau du Québec
est favorable à un exercice de reddition de comptes et à une plus grande
transparence, contribuant ainsi à préserver la confiance des citoyens dans les
institutions.
Nous croyons toutefois que la modification
proposée, sans autre engagement du ministre de la Justice, comporte des risques
d'atteinte à l'indépendance du Conseil de la magistrature. Cela pourrait mener
à des contestations judiciaires qui fragiliseraient cette confiance nécessaire
envers notre système démocratique.
À ce sujet, il est important de rappeler
que le Conseil de la magistrature est un organisme qui contribue à maintenir
l'indépendance du pouvoir judiciaire. Sa mission est fondamentale dans notre
système judiciaire. Le conseil est chargé d'organiser des programmes de
perfectionnement des juges, d'adopter le Code de déontologie de la magistrature,
de recevoir et examiner toute plainte formulée contre un juge ainsi que
favoriser l'efficacité et l'uniformisation de la procédure devant les
tribunaux.
D'ailleurs, la Cour d'appel du Québec a
reconnu que le financement indépendant du Conseil de la magistrature est un
élément important pour déterminer qu'il n'est pas un organisme gouvernemental
au sens de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la
protection des renseignements personnels. Il n'est donc pas surprenant que le
Conseil de la magistrature bénéficie d'un statut particulier lui permettant de
garantir son indépendance, notamment en raison de ses fonctions en déontologie
judiciaire pour lesquelles le principe de l'indépendance de la magistrature
peut être en jeu.
• (20 h 20) •
Nous sommes donc préoccupés par la
modification proposée dans le projet de loi quant au financement du conseil.
Tel que le Conseil de la magistrature l'a soulevé dans son propre mémoire, on
peut se poser la question suivante : Si les sommes requises pour
l'exercice des activités du conseil devaient être plafonnées, devra-t-il
considérer le budget pour décider d'entreprendre ou non une enquête sur un
manquement déontologique allégué d'un juge? Les membres d'un comité d'enquête
devront-ils prendre en compte ce même budget avant de décider de retenir les
services d'un avocat pour les appuyer dans leurs travaux? Et le conseil
devra-t-il demander aux membres non-juges de limiter le temps consacré à
l'examen de la plainte d'un citoyen et à la rédaction d'un projet de décision à
la lumière de contraintes budgétaires?
Ces possibilités paraissent, de façon
évidente, contraires à l'une des missions fondamentales confiées au Conseil de
la magistrature, qui consiste à veiller au respect par les juges de tous leurs
devoirs déontologiques au bénéfice des citoyens et ainsi maintenir la confiance
du public à l'égard des tribunaux québécois.
Par ailleurs, en 2022, une entente est
intervenue entre le ministre de la Justice fédéral et le Conseil canadien de la
magistrature concernant le financement de ce dernier. Cette entente prévoit, et
je cite, «que le Conseil canadien de la magistrature détermine ses propres
besoins de financement supplémentaire et travaille en consultation avec le commissariat
pour préparer les présentations requises. Le ministre convient de soumettre ces
présentations au ministre des Finances au nom du Conseil canadien de la
magistrature et sans modification.» Fin de la citation.
Donc, à l'instar de ce qui se fait au
fédéral, nous recommandons que toute modification à la source du financement du
Conseil de la magistrature fasse l'objet de discussions préalables entre le conseil
et le ministre de la Justice, et ce, afin de préserver cette indépendance.
Aussi, il ne faut pas oublier que, depuis
l'adoption récente du projet de loi n° 8, le Conseil
de la magistrature doit transmettre une copie de ses prévisions budgétaires
ainsi que les dépenses et excès de ces prévisions au ministre de la Justice. De
plus, les livres et les comptes du conseil sont désormais soumis à la... au
Vérificateur général.
Ces nouveaux processus permettent
d'assujettir le processus budgétaire du Conseil de la magistrature à un
exercice de reddition de comptes et, par le fait même, à une plus grande
transparence. Elles sont importantes et permettront d'augmenter la rigueur du
processus. Ne devrions-nous pas attendre les résultats de ces nouvelles mesures
avant de modifier le nouveau... le processus budgétaire du conseil?
Ainsi, à la lumière de ce qui précède,
plutôt que d'adopter ces dispositions dans un projet de loi, le Barreau du
Québec <propose...
Mme Claveau (Catherine) :
...ce
qui précède, plutôt que d'adopter ces dispositions dans un projet de loi, le Barreau
du Québec >propose la conclusion d'une entente prévoyant des règles
claires quant à l'octroi des crédits budgétaires, garantissant ainsi
l'indépendance du Conseil de la magistrature et, ultimement, l'indépendance
judiciaire.
En terminant, nous croyons que la
réflexion sur ces enjeux fondamentaux mérite d'être analysée de façon plus
approfondie, compte tenu de l'importance de l'indépendance du pouvoir
judiciaire au sein de notre système démocratique québécois.
Nous vous remercions, encore une fois,
pour cette invitation et nous sommes disponibles pour répondre à vos questions.
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup, Mme la
bâtonnière. M. le ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Merci, M.
le Président. Me Claveau, Me Champagne, bonjour. Très heureux de vous
accueillir en commission parlementaire.
Bien, écoutez, commençons par le début.
Donc, je comprends que le Barreau est satisfait qu'il y ait une entente avec la
Cour du Québec relativement au nombre de jours siégés.
Mme Claveau (Catherine) : Effectivement.
C'est toujours... Vous vous rappellerez, M. le ministre, que c'est ce que nous
souhaitions, que vous vous entendiez avec Mme la juge. Et c'est sûr que l'ajout
de 14 nouveaux juges à la Cour du Québec, pour nous, c'est une mesure qui
va nous permettre de réduire notamment les délais de... pour les causes et qui
va bénéficier, là, au système de justice et aux justiciables.
M. Jolin-Barrette : Puis
comment, Me Claveau, entrevoyez-vous le fait qu'on s'est dotés
d'objectifs, notamment, la magistrature, le fait d'avoir des objectifs,
notamment, de performance et d'objectifs d'efficacité? Parce qu'un des enjeux,
dans le système de justice, c'est notamment les délais puis l'inventaire des
dossiers.
Donc, parmi les trois objectifs que nous
avons, il y a celui du taux de fermeture de dossiers, de 1,1 %, donc de
fermer davantage de dossiers qu'il y en a d'ouverts. Le deuxième indicateur,
notamment, c'est sur la question du nombre de dossiers qui vont se conclure à
l'intérieur des délais Jordan, donc on est autour de 87,7 %, je crois,
comme objectif, comme cible. Donc, bien entendu, on n'est pas à 100 %,
parce que la défense peut renoncer aux délais, donc ce n'est pas tous les
dossiers qui vont se retrouver à l'intérieur de ce dossier-là. Et le délai
médian aussi des dossiers, je pense qu'on est à 306 ou 307 jours, puis là
on ramène ça comme cible à 212 jours.
Qu'est-ce que vous pensez de ça, du fait
que la magistrature se dote d'objectifs, notamment, des cibles de performance,
des cibles d'efficacité?
Mme Claveau (Catherine) : Écoutez,
je dois vous dire que la question que vous me posez, je ne l'ai pas étudiée
avant de préparer cette... la présente commission. On s'est plutôt concentrés
sur les quatre nouveaux articles, sur ces aspects-là de... du calcul pour les
ratios, etc. Mais, si ça permet de... d'améliorer les choses, on ne peut pas
être contre, c'est certain.
M. Jolin-Barrette : OK. Parce
qu'un des objectifs de l'entente, puis je vous explique, pour ne pas refaire la
genèse au complet du dossier, mais, à partir du moment où on a une décision
unilatérale de la part de la Cour du Québec, qui dise : Bien, nous,
écoutez, on diminue notre temps siégé, on siégeait 139 jours à la chambre
criminelle et pénale, et là, désormais, on va siéger 104 jours, puis, peu
importe ce qui va arriver, on va siéger 104 jours, au ministère de la
Justice, on avait un enjeu avec ça. Parce que nécessairement, ce que ça fait,
c'est que ça soustrait du nombre... des nombres de jours-juge siégés pour
entendre les dossiers. Et, si vous enlevez, puis c'est un principe
mathématique, là, si vous siégez moins puis vous ne changez pas les façons de
travailler, bien, à ce moment-là, nécessairement, les délais vont s'allonger.
Puis la Cour du Québec le reconnaissait
aussi, parce que leur demande était de dire : Bien, puisque je retire
35 jours siégés par juge à la chambre criminelle et pénale,
nécessairement, en faisant le calcul, ce n'est pas le calcul du ministère de la
Justice, c'est le calcul de la Cour du Québec, nous souhaitons avoir
41 juges de plus nommés uniquement pour combler cette perte de jours
d'audience là.
Alors, bon, nous, on a demandé de
suspendre la décision de la part de la direction de la cour, le temps qu'on
trouve une solution. La cour... la direction de la Cour du Québec a refusé de
suspendre sa décision. On a même fait une demande de renvoi à la Cour d'appel.
Et, suite à la demande de renvoi, on a resoumis notre demande de suspension de
la décision à la direction de la cour. Ça a été un refus. Finalement, vous avez
vu, on a mandaté l'honorable juge Chamberland comme facilitateur et puis,
finalement, on est arrivés à cette entente-là.
Alors, moi, je pense qu'il s'agit d'une
bonne entente puisque, bien entendu, et je ne m'en suis jamais caché, le fait
de donner des ressources supplémentaires au système de justice, j'en suis,
notamment l'engagement du gouvernement du Québec, puis c'est pour ça ici qu'on
se retrouve ce soir avec un projet de loi qui vise à ajouter 14 juges
supplémentaires. L'idée, c'est de faire en sorte qu'on puisse bien utiliser le
système de justice, mais, en contrepartie, ce n'est pas <uniquement...
M. Jolin-Barrette :
L'idée,
c'est de faire en sorte qu'on puisse bien utiliser le système de justice, mais,
en contrepartie, ce n'est pas >uniquement l'ajout de ressources qui va
faire une solution, c'est aussi la façon dont on travaille puis la façon aussi
dont on se fixe des objectifs. Parce que, si on fait toujours la même recette
de juste rajouter des ressources puis on ne se pose jamais la question comment
pouvons-nous être plus efficaces, on va arriver au même résultat.
Donc, c'est pour ça que l'entente prévoit...
oui, le gouvernement du Québec consacre 14 juges supplémentaires, la Cour
du Québec... la direction de la Cour du Québec fait en sorte que les juges
siégeront 121 jours, donc, au lieu de 139, passer à 104, on se ramène à
121. Mais l'élément le plus important de l'entente, ce sont les cibles de
performance et d'efficacité pour faire en sorte d'arriver avec un taux de
fermeture de dossiers puis avec des délais qu'ils vont respecter aussi.
Parce que la pire chose qu'il peut y
avoir, puis peut-être serez-vous d'accord avec moi, c'est, lorsque le public
apprend que les procès sont annulés, il y a des arrêts de procédure, il y a des
arrêts dits Jordan, parce que les délais ne sont pas respectés
institutionnellement. Moi, je pense que tout le monde y perd, quand ça arrive,
à la fois les victimes, à la fois l'ensemble des intervenants du système de
justice, mais à la fois le public qui se dit : Mais comment ça que le
système de justice ne fonctionne pas?
Alors, peut-être serez-vous d'accord avec
moi sur ce point-là. Je vous soumets ça dans le cadre de l'entente qu'on a
conclue.
Mme Claveau (Catherine) : Bien,
je réitère que nous nous réjouissons de cette entente-là et qu'effectivement,
lorsqu'on recherche des solutions pour améliorer les délais par... et
effectivement, l'ajout de 14 juges, c'est une partie de la solution, ce
n'est pas la seule. La gestion de plus en plus importante par les juges des
dossiers, la conciliation en cours d'instance, et tout ça, permettent aussi
d'alléger les délais. Donc, nous, au Barreau du Québec, on se réjouit de cette
entente-là puis on est toujours en faveur de toute mesure qui permet de réduire
les délais.
M. Jolin-Barrette : J'étais
curieux de savoir, vous, au Barreau du Québec, dans le fond, vous avez des
bâtonniers de section dans les différentes régions, et, en fonction des
districts judiciaires, à certains endroits, ça va mieux que dans d'autres
districts. Il y a des districts judiciaires, là, des barreaux de section qui
sont très performants, où est-ce que les délais sont beaucoup plus courts, puis
ça fonctionne très bien. Il y a d'autres endroits, ça ne fonctionne pas très
bien. Est-ce que vous avez une idée des raisons pour lesquelles, dans certains
districts judiciaires, ça fonctionne bien, puis, dans d'autres, en matière
criminelle et pénale, là, je parle uniquement, là, pour les fins de la
discussion aujourd'hui, c'est plus difficile, c'est plus... c'est plus aride
pour les délais, on fonctionne moins bien?
• (20 h 30) •
Mme Claveau (Catherine) : Je
suis désolée, mais, compte tenu du délai qu'on avait pour se préparer pour la
présente commission, on n'a pas eu... on n'a pas eu le temps de se pencher sur
cette question-là. Il y a différents facteurs qui font que les délais sont plus
longs dans un endroit qu'un autre. Il y a parfois le nombre de dossiers qui est
plus important, le nombre de salles de cours qui sont... qui sont vouées à...
pour entendre les dossiers. Donc, il y a divers facteurs qui font en sorte que,
malheureusement, les délais sont plus élevés dans un district qu'un autre, mais
je ne suis pas en mesure de vous donner les raisons exactes ce soir.
M. Jolin-Barrette : OK. Tout
à l'heure, Me Claveau, sur les articles 2 et 3 du projet de loi, puis
le Barreau l'aborde dans la correspondance que vous nous avez fait parvenir,
vous disiez : Écoutez, supposons, au fédéral, il y a une sorte d'entente
entre le ministre de la Justice et le Conseil canadien de la magistrature.
Vous, c'est un élément que vous amenez, que vous soulevez pour dire : Bon,
écoutez... Bien, premièrement, en matière déontologique, c'est... je pense que
c'est ce qui vous... ce qui... sur lequel vous avez le plus grand intérêt.
Alors, vous voudriez qu'on fasse l'équivalent d'une entente comme c'est le cas
au fédéral.
Mme Claveau (Catherine) : Bien,
effectivement, parce que vous voyez la... Je réitère que c'est important, quand
même, là, de... La reddition de comptes, pour nous, c'est un principe
important, on le reconnaît. Maintenant, il faut faire attention quand même de
conserver, là, la séparation des pouvoirs, l'indépendance du pouvoir aussi du conseil.
Et au fédéral, une partie de la solution est venue par la signature d'une
entente entre le ministre de la Justice, Lametti, et le juge en chef du Canada,
Richard Wagner. Donc, ils ont dit : Oui, on va... on va se parler, on va
faire des représentations. Mais je pense, ce qui est important, c'est sans
modification, c'est-à-dire qu'il y a quand même une confiance du gouvernement
envers... envers la magistrature, dire : Vous avez certains besoins
pour... pour, entre autres, là, la déontologie, la formation de vos juges, on
va en discuter, on vous fait confiance, puis moi, quand je vais arriver devant
mon gouvernement pour demander des sommes...
20 h 30 (version révisée)
Mme Claveau (Catherine) : ...on
va en discuter, on vous fait confiance. Puis moi, quand je vais arriver devant
mon gouvernement pour demander des sommes, mais je vais les demander sans
modification. Alors, pour nous, c'est important. Et ce qu'on souhaiterait, ce
serait que vous, vous fassiez la même chose avec la juge en chef ou la juge qui
va être présidente... qui va présider le Conseil de la magistrature pour voir,
bien, voici comment... comment pouvez-vous nous rassurer... comment pouvez-vous
être transparent dans vos dépenses, mais, en même temps, tout en conservant
votre indépendance?
M. Jolin-Barrette : OK Puis,
dans le cadre de votre proposition, Mme la bâtonnière, je comprends qu'au
fédéral les crédits sont tout de même votés par le Parlement.
Mme Claveau (Catherine) : ...Me
Champagne, je ne sais pas si vous pouvez m'aider à répondre à cette question-là
par rapport au fédéral.
Mme Champagne (Sylvie) : Oui,
tout à fait.
Mme Claveau (Catherine) : Allez-y.
Mme Champagne (Sylvie) : Oui.
Bien, il y a le commissariat et le commissaire qui jouent un rôle, là. Il y a
quand même une personne indépendante entre le Parlement et le Conseil canadien
de la magistrature pour faire, je vous dirais, cette présentation-là des
besoins du Conseil canadien de la magistrature. Mais, à la fin de la journée,
oui, il y a... c'est adopté, là, les crédits sont votés par le Parlement.
M. Jolin-Barrette : C'est ça,
donc, ce sont des crédits votés au fédéral. Cependant, il y a une entente entre
le juge en chef, l'honorable Wagner, et le ministre de la Justice canadien.
Cependant, je lisais justement le protocole d'entente entre les deux
institutions et, notamment, on indique que, bon, le protocole, c'est le
paragraphe 5° de l'entente, là : «Ce protocole d'entente reflète les
intentions du ministre et du Conseil canadien de la magistrature, mais n'est
pas destiné à servir de contrat juridiquement exécutoire ni à créer des droits
ou obligations juridiquement exécutoires.»
Donc, je comprends que c'est un engagement
de bonne foi, mais le contrat... bien, la convention entre le juge en chef et
le ministre de la Justice fédéral, c'est un engagement de bonne foi. C'est la
parole, là... bien, en fait, c'est de la parole qui n'est pas exécutoire. Je ne
sais pas comment le formuler, là, mais, dans le fond, c'est un énoncé de bonnes
intentions réciproques.
Mme Champagne (Sylvie) : Mais
c'est quand même un engagement, il y a un engagement des parties à procéder de
cette façon pour... Et puis il faut lire le protocole dans son ensemble, parce
qu'également, M. le ministre, il y a des reconnaissances de part et d'autre. Et
puis, si vous regardez — je vois que vous savez le protocole — au
paragraphe 1°, on parle, évidemment, de la relation de collaboration
fructueuse entre le pouvoir exécutif puis judiciaire de l'État, mais au
paragraphe 2°, qui est très long, là, mais, à la fin, on reconnaît «le
principe de l'indépendance judiciaire est une caractéristique fondamentale de
la Constitution canadienne, cela comprend l'indépendance du CCM — donc
du Conseil canadien de la magistrature — dans l'exercice de son
mandat». Et, si vous regardez au paragraphe 6° du protocole, on
reconnaît... on dit que... je suis au milieu du paragraphe, on dit : «Les
deux parties reconnaissent l'indépendance du CCM relativement à l'atteinte de
ses objectifs et à la réalisation de son mandat.»
Donc, il y a vraiment des reconnaissances,
dans ce... dans ce protocole-là qui reconnaît cette indépendance-là et qui fait
en sorte que la négociation, si vous voulez, ou la présentation des besoins du
Conseil canadien de la magistrature, il y a une espèce d'éloignement au niveau
du pouvoir, là, législatif pour éviter cette ingérence et la séparation des
pouvoirs qui est... qui est, dans le fond, consacrée, là, par la Constitution
puis pour le respect de l'indépendance de la magistrature.
M. Jolin-Barrette : OK. Bien,
je vous suis, mais, ultimement, Me Champagne, vous me corrigez, là, mais,
malgré tout ça, les crédits sont votés, sont votés par le Parlement fédéral,
parlement du... par le Parlement du Canada, puis ce sont les membres du
Parlement, de la Chambre des communes qui votent les crédits du Conseil
canadien de la magistrature. Ils sont...
Mme Champagne (Sylvie) : Oui.
M. Jolin-Barrette : ...ils ne
sont pas dans une situation, comme au Québec présentement, où ils sont branchés
directement sur le fonds consolidé, puis il n'y a aucune reddition de comptes.
Puis là vous avez abordé la question du projet
de loi n° 8. Je suis heureux que vous le souligniez, parce que c'est le
projet de loi que nous avons adopté ensemble avec nos collègues, mais c'est une
initiative gouvernementale quand même. Mais cela fait en sorte qu'on est quand
même dans une situation fédérale, c'est des crédits votés, puis ici, ce n'est
pas des crédits votés, puis le Conseil de la magistrature, ici, est branché,
comme on dit en bon québécois, <sur le 220...
M. Jolin-Barrette :
...fédérale,
c'est des crédits votés, puis ici, ce n'est pas des crédits votés, puis le
Conseil de la magistrature, ici, est branché, comme on dit en bon québécois, >sur
le 220. Donc, il y a quand même une différence, là, puis ça n'affecte pas
l'indépendance du Conseil canadien de la magistrature parce que les crédits
sont votés par le Parlement fédéral.
Mme Champagne (Sylvie) : Bien
là, pour l'instant, il n'y a pas de décision, à moins que vous ayez une
décision, M. le ministre, à nous soumettre, là, il n'y a pas de décision par
rapport à cette question-là, et... Mais, par contre, on a pris des précautions
pour justement éviter de judiciariser, probablement, ce débat-là et de faire en
sorte qu'il y ait des garanties, c'est par un protocole, mais qui crée un tiers
indépendant qui va venir discuter des questions... des questions budgétaires
pour qu'à la fin de la journée, comme vous dites, ce soit adopté par le
Parlement.
Le Président (M.
Bachand) :Une minute, M. le ministre, s'il
vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Mais je
pousse la réflexion juste un peu plus loin, puis j'apprécie la proposition que
le Barreau du Québec fait. Mais, ultimement, les parlementaires à Ottawa ont
toujours le loisir d'adopter ou non les crédits. C'est le concept même des
crédits votés parce que ce sont eux qui sont élus par la population. Puis, dans
le fond, c'est de l'argent public, il y a des obligations de transparence, il y
a des obligations de reddition de comptes malgré l'indépendance judiciaire. Il
n'y a personne ici qui conteste la notion d'indépendance judiciaire puis
l'importance dans notre démocratie, mais il y a également d'autres principes à
la base de notre démocratie, auxquels tous doivent être assujettis et,
notamment à Ottawa, malgré le fait que ça n'a pas été contesté devant les
tribunaux. Je comprends qu'il n'y a pas de décision, mais, ultimement, le
Parlement est légitimé aussi de faire en sorte que ce soit des crédits votés.
Le Président (M.
Bachand) :Est-ce qu'il y a une réaction,
rapidement? Est-ce qu'il y a une réaction, rapidement, de Me Claveau ou Me
Champagne? Ça va? Oui. Allez-y, Me Champagne.
• (20 h 40) •
Mme Champagne (Sylvie) : Bien,
je vous dirais, M. le ministre, que, pour l'instant, nous, on réagissait à
votre proposition de modifier que ce soit au fonds consolidé versus une
adoption par l'Assemblée nationale... un vote de l'Assemblée nationale sans
qu'il y ait d'autre mécanisme qui soit prévu pour garantir, là, l'indépendance.
Puis on comprend les autres principes, mais l'Assemblée nationale n'est pas, tu
sais, au-dessus du principe constitutionnel du respect de l'indépendance
judiciaire. Alors, nous, notre crainte, sans que ce soit juste cette
disposition-là qui soit adoptée sans autre modalité, bien, on croit qu'il y
aurait un risque de contestation par rapport à cette question-là.
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup, Me Champagne...
M. Jolin-Barrette : Merci à
vous.
Le Président (M.
Bachand) :...je cède maintenant la parole
au député d'Acadie.
M. Morin : Merci, merci, M.
le Président. Alors, bonsoir, Mme la bâtonnière, bonsoir, Me Champagne. Heureux
de pouvoir dialoguer avec vous à nouveau dans le cadre des travaux d'une
commission parlementaire. Merci pour vous rendre disponibles, parce
qu'évidemment ça a procédé rondement, n'est-ce pas, et d'avoir produit un
mémoire. Je dois vous dire que j'ai été... j'ai été agréablement surpris, parce
que votre mémoire, en fait, il est... Les éléments que vous faites ressortir
sont importants, c'est des éléments fondamentaux, mais vous faites preuve
également de prudence et de nuance, ce qui, je pense, est important.
Si je me réfère à la page 2 de votre
mémoire, vous dites que «la modification proposée, sans autre engagement,
risque de porter atteinte à l'indépendance du conseil». On va en reparler un
peu plus tard, parce qu'on a... on a écouté des experts un peu plus tôt
aujourd'hui qui... qui, pour eux, c'était... ce n'était pas nuancé, ce n'était
pas du gris, c'était carrément : Pas de problème! Le professeur Taillon,
qui nous a dit : Le PL, le projet de loi ne porte pas atteinte à
l'indépendance judiciaire. Donc, ça, c'est... En tout cas, lui, c'était bien
clair, son affaire. Le professeur Turp qui nous a dit : Pas de risque, pas
d'atteinte. Bon. Alors, écoutez, avant la pause du repas, un peu plus puis on
finissait ça rapidement, n'est-ce pas? Mais, finalement, quand on lit la
documentation... quand on lit la documentation du conseil, ce que vous avez
produit, on voit que c'est beaucoup plus nuancé, et je l'apprécie grandement.
Maintenant, quand vous dites que ça
comporte des risques sans autre engagement du ministre, est-ce que... puis vous
avez élaboré par la suite. Pour vous, est-ce qu'un engagement que le ministre
devrait prendre, c'est une entente, comme vous l'avez évoqué, ou si ça doit
être plus que ça?
Mme Claveau (Catherine) : Nous,
on s'est référés au modèle fédéral, donc, la question s'est un peu posée au
fédéral. Donc, il y a une entente entre le juge en chef et le ministre, où
est-ce que, quand même, il y a un certain... <le ministre s'engage...
Mme Claveau (Catherine) :
...nous,
on s'est référés au modèle fédéral, donc, la question s'est un peu posée au
fédéral. Donc, il y a une entente entre le juge en chef et le ministre, où
est-ce que, quand même, il y a un certain... >le ministre s'engage à
présenter sans commenter, sans modifier la demande. Alors, c'est la première comparaison
qu'on a faite.
Maintenant, je vais laisser Me Champagne
peut-être compléter, si elle peut appuyer sur d'autres comparables.
Mme Champagne (Sylvie) : Non,
effectivement, c'est... ce qu'on a regardé, parce qu'on a eu un court délai
pour le faire, on n'a pas pu faire de droit comparé, là, avec le reste du
Canada ou d'autres juridictions. Mais on a trouvé très intéressant le protocole
qui pose des balises claires et qui reconnaît des principes fort importants
dans notre société démocratique, avec la reconnaissance de la séparation des
pouvoirs et de l'importance, là, des fonds publics, mais également qui
reconnaît l'importance de préserver l'indépendance institutionnelle de la
magistrature, dont font partie, là, les conseils, qui ont une mission, là,
importante, surtout au niveau de la déontologie judiciaire, pour, justement,
éviter, je vous dirais, que ces façons de faire soient contestées.
Et je sais qu'on a donné des exemples, là,
parce que j'ai écouté en partie la commission cet après-midi, on faisait
beaucoup référence au processus de rémunération des juges, où, justement, il y
a eu un... On a mis, suite aux décisions des... de la Cour suprême, un comité
indépendant qui fait des recommandations. Donc, il y a une certaine distance
entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif exécutif, que nous ne
trouvons pas dans la proposition du... de l'article 3 du projet de loi
n° 26. Et donc, c'est des questions qui sont importantes et qui méritent,
là, de... réflexion.
Donc, c'est sûr que, nous, rapidement, on
a trouvé intéressant le protocole. Ça ne veut pas dire qu'il n'y aurait pas
d'autres façons de faire. Et, évidemment, ça prend une collaboration avec le
Conseil de la magistrature, avec le ministère de la Justice, pour trouver
peut-être notre façon à nous, au Québec, de s'assurer de respecter, dans le
fond, l'indépendance judiciaire, mais, comme l'a dit la bâtonnière tout à
l'heure, qu'il y ait aussi une reddition de compte puis une transparence. Et
donc ces éléments-là, il faut qu'il y ait cet équilibre-là, tout en respectant
ce droit constitutionnel de l'indépendance judiciaire.
M. Morin : Oui. Et
j'apprécie, quand vous parlez d'entente. En fait, il y en a une au fédéral, ça
semble être beaucoup plus compliqué au Québec. Il a fallu un facilitateur pour
qu'on arrive à une entente entre le ministre de la Justice et la Cour du Québec
après du temps de négociation, donc, peut-être moins facile de mettre en
pratique ici.
Quand vous parlez d'un comité, donc, ce
serait, finalement, un organisme qui ferait le pont entre le Conseil de la
magistrature et le ministre, finalement. Donc, le ministre n'aurait pas à
présenter, au nom du Conseil de la magistrature, des crédits du conseil, donc
ça permettrait une plus grande indépendance. Est-ce que je vous comprends bien?
Mme Champagne (Sylvie) : Non.
On ne suggère pas de mettre nécessairement un comité. Je faisais le parallèle
avec ce qu'on a mis en place pour la rémunération des juges, où là, il y a des
comités indépendants. Je ne vous dis pas qu'ici, pour la question budgétaire du
Conseil de la magistrature, que ça prendrait un comité. Au fédéral, il y a un
commissariat avec un commissaire, alors... Mais il y a certainement des
mécanismes qui pourraient permettre de préserver l'indépendance du Conseil de
la magistrature, tout en faisant en sorte qu'il y ait une plus grande
transparence et une reddition de comptes, au niveau de l'utilisation des fonds
publics, pour le mandat important du Conseil de la magistrature.
M. Morin : Dans l'arrêt
Colombie-Britannique contre le Procureur général, en 2020, la Cour suprême
écrivait : «Il est important que les rapports entre le judiciaire et les
deux autres pouvoirs de l'État soient dépolitisés.» Est-ce que vous pensez que
le simple fait d'avoir une entente, et que ce soit le ministre qui présente,
par exemple, des crédits, ça va suffisamment dépolitiser le processus et donc
ça va être conforme à ce qu'écrivait la Cour suprême, ou s'il ne faut pas plus?
Mme Champagne (Sylvie) : Bien,
pour nous, il faudrait réfléchir davantage. Vous voyez, vous soulevez une
question importante avec cet arrêt récent de la Cour suprême. Et, au niveau de
l'indépendance institutionnelle, il y a beaucoup moins de... il y a beaucoup
moins <de jurisprudence...
Mme Champagne (Sylvie) :
...importante
avec cet arrêt récent de la Cour suprême. Et, au niveau de l'indépendance
institutionnelle, il y a beaucoup moins de...
il y a
beaucoup
moins >de jurisprudence de la Cour suprême. Et je pense qu'il faut aller
avec le principe de précaution, et donc il faut s'assurer de mettre en place...
Parce qu'il y a une question aussi... La Cour suprême disait qu'il faut... il
faut que ce soit... Quand on pose la question à savoir, s'il y a une ingérence,
et ça, c'est dans l'arrêt de la Cour suprême en 2005, l'arrêt de la
Colombie-Britannique contre Imperial Tobacco, ce que la cour nous disait, c'est :
«La question critique, c'est de savoir si la cour est libre, et raisonnablement
perçue comme étant libre d'exercer sa fonction juridictionnelle sans ingérence
de la part de qui que ce soit, y compris des pouvoirs exécutif et législatif du
gouvernement.» Donc on peut transposer ça au niveau de l'indépendance du
Conseil de la magistrature.
Et donc il faut vraiment s'assurer de
voir... de faire le tour de la question, puis de voir si, dans le fond, on a
des conditions essentielles, mais est-ce que le public serait... percevrait
aussi qu'on respecte cette indépendance? Parce que «l'indépendance
institutionnelle, elle est là — ce qu'a dit la Cour suprême dans
Valente — elle est là pour établir la confiance du citoyen dans notre
système de justice. Donc, c'est important de faire cette réflexion-là, je vous
dirais, plus poussée, pour s'assurer, là, qu'on adopte les bonnes modalités.
M. Morin : Et vous avez fait
référence également, dans votre témoignage : «Récemment, le Parlement
adoptait... modifiait la Loi sur les tribunaux judiciaires afin de permettre à
la Vérificatrice générale de faire un audit, finalement, des comptes du
conseil. Le conseil est soumis à la Loi sur l'accès à l'information.»
Est-ce que vous ne trouvez pas que ça,
c'était déjà suffisant, dans une première étape, et puis que, finalement, on
n'a pas le temps, véritablement, de voir si ces mesures-là vont être bénéfiques
ou pas, et que là, le gouvernement arrive immédiatement avec un autre projet de
loi?
Mme Claveau (Catherine) : Bien,
effectivement, c'est ce que j'ai mentionné dans mon allocution d'ouverture, c'est
qu'il y a cette mesure-là qui est proposée dans le projet de loi n° 8,
qui assure, quand même, la transparence d'une reddition de comptes
certaine. Peut-être que ça mériterait qu'on la mette en pratique, qu'on
l'expérimente, puis qu'on voit si, effectivement, c'est suffisant au niveau de
la confiance, que les sommes sont judicieusement dépensées puis, après ça, on
pourra réfléchir... Si, finalement, ça n'atteint pas les objectifs, bien, on
pourra réfléchir peut-être à d'autres options. Je pense que ça mériterait
d'être expérimenté avant de trouver déjà une autre solution.
Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup. M. le député de Saint-Henri—Sainte-Anne,
s'il vous plaît.
M. Cliche-Rivard : Merci, Mme
la bâtonnière. Merci, Me Champagne. Écoutez, je vous entends, et on est
ici dans une solution ou dans une tentative de trouver des solutions
mitoyennes, là. Alors, si on soumettait un amendement du style où les sommes
requises, pour l'application de la présente partie, sont déterminées par le
Conseil de la magistrature et sont soumises directement à la présidente du
Conseil du trésor qui, elle, les inscrit à son budget de dépenses sans
modification, donc on voterait quand même les crédits, mais ils seraient soumis
directement du Conseil de la magistrature à... au Conseil du trésor. Donc, on
omettrait le passage exécutif au ministère de la Justice et on aurait, en même
temps, une reddition de comptes. Qu'est-ce que vous pensez d'une solution comme
ça?
• (20 h 50) •
Mme Claveau (Catherine) : Me
Champagne, je vais vous laisser répondre. Moi, c'est sûr que, s'il n'y a pas de
discrétion puis quand... je pense que j'ai bien entendu «sans modification».
M. Cliche-Rivard : Sans
modification.
Mme Claveau (Catherine) : À
ce moment-là, ça pourrait assurer effectivement l'indépendance du pouvoir... du
conseil, l'indépendance qu'on souhaite continuer d'avoir. Je ne sais pas, Me
Champagne, si vous voulez ajouter quelque chose par rapport à ça.
Mme Champagne (Sylvie) : Je
n'ai pas d'opinion, pas parce que je ne veux pas faire avancer le débat utilement,
mais il faudrait que je puisse y réfléchir plus longuement.
M. Cliche-Rivard : Parfait.
Vous avez dit, le ministre en a parlé, l'entente n'est pas contraignante, hein?
Il a dit : C'est un procès de bonne intention... c'est une entente de bonnes
intentions. Alors, le... la nécessité qu'il y ait une entente, on devrait
finalement le mettre dans le projet de loi ou dans la loi pour qu'on s'assure
que ce n'est pas seulement qu'une belle entente d'intention, mais qu'elle est
finalement contraignante, le fait, pour le ministère... pour le ministre, de
s'entendre avec le Conseil de la magistrature pour le budget ou pour préserver
son indépendance. Parce que, comme il le disait lui-même, finalement, le
protocole d'entente, il peut être résilié, il peut ne pas être suivi. Donc, le
seul protocole d'entente à lui-même, sans modification, sans inclure le besoin
d'avoir, dans la loi, une entente, ça n'aura pas... ça n'aurait pas sa même
force de toute façon, ça n'aurait pas la même force.
Mme Claveau (Catherine) : Je
ne suis pas certaine <de saisir la...
M. Cliche-Rivard :
...le
besoin d'avoir, dans la loi, une entente, ça n'aura pas... ça n'aurait pas sa
même force de toute façon, ça n'aurait pas la même force.
Mme Claveau (Catherine) :
Je
ne suis pas certaine >de saisir la...
M. Cliche-Rivard : En gros,
d'ajouter, dans la loi, l'obligation qu'il y ait entente, donc qu'il y ait un
protocole d'entente, et donc qu'il ne soit pas ce dit protocole facultatif ou
qu'il ne puisse pas être résilié, finalement, est-ce que ce serait important de
le mettre dans la loi, ça?
Mme Champagne (Sylvie) : Mais
c'est sûr que ça peut être... c'est des modalités qui peuvent être mises dans
la Loi sur les tribunaux judiciaires, qu'une telle entente doit exister, ou
autre modalité qui viserait à garantir justement l'indépendance du Conseil de
la magistrature. Comme je disais tout à l'heure, dans le délai qui nous a été
imparti, on a suggéré cette entente-là, mais ça ne veut pas dire qu'il n'y a
pas d'autres modalités qui pourraient être mises dans la loi, comme vous l'avez
fait dans le projet de loi n° 8, avec les pouvoirs
octroyés à la Vérificatrice générale et le rapport annuel qui est beaucoup plus
détaillé du Conseil de la magistrature. Donc, il y a peut-être d'autres façons
de viser la transparence et la reddition de comptes tout en respectant le
principe de l'indépendance judiciaire.
M. Cliche-Rivard : Merci.
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup. M. le député de
Saint-Henri—Sainte-Anne, merci beaucoup. Mme la députée de Vaudreuil.
Mme Nichols : Oui, merci, M.
le Président. Merci beaucoup, maîtres — au pluriel — d'être
avec nous ce soir. C'est toujours pertinent de lire et d'entendre aussi les
commentaires du Barreau. Dans votre... dans votre mémoire, vous rappelez...
vous dites, entre autres, qu'il est important de rappeler que le Conseil de la
magistrature, c'est un organisme qui contribue à maintenir l'indépendance du
pouvoir judiciaire. Puis vous faites, évidemment, référence à la Loi sur les
tribunaux, puis vous parlez des missions fondamentales dans le système
judiciaire puisque... puis vous rappelez, là, entre autres, là, quatre...
quatre missions du Conseil de la magistrature : organiser des programmes
de perfectionnement des juges, adopter le code de déontologie de la
magistrature, recevoir, examiner toutes plaintes formulées par un juge,
favoriser l'efficacité et l'uniformisation de la procédure devant les
tribunaux. Puis on est... Le ministre dépose un projet de loi, le gouvernement
est majoritaire, on veut... le ministre a l'intention de s'en aller vers des
crédits votés.
Donc, si on s'en va dans ce sens-là, en
fonction des missions énumérées, si on enlevait la partie déontologique des
crédits votés, est-ce que vous pensez que ça pourrait être un avantage ou ce
serait quelque chose de... de faisable pour que, tu sais, pour que le Conseil
de la magistrature garde tout de même ses missions, disons, de base, là?
Mme Claveau (Catherine) : Bien,
c'est difficile pour nous de répondre à la question. Comme je vous dis, on n'a
pas eu... Comme on vous a dit tout à l'heure, là, le délai a quand même été
assez court, là, pour préparer notre présentation aujourd'hui. On a trouvé un
comparable avec la Cour fédérale. Maintenant, est-ce que... Tu sais, les autres
options, donner notre opinion comme ça, là, sans y avoir réfléchi puis sans
l'avoir considéré de façon plus approfondie, c'est difficile pour nous, là, de me
donner votre opinion, en tout cas, pour ma part, pour moi, c'est très
difficile.
Mais, comme on le fait dans les autres
commissions, si jamais vous avez des options que vous souhaiteriez qu'on étudie
de manière plus approfondie, ça va nous faire plaisir de le faire. Mais comme
ça sur-le-champ, c'est difficile pour nous, là, de vous donner votre... notre
opinion.
Mme Nichols : Parfait. Puis,
quand vous parlez... Juste le paragraphe précédent, vous parlez de la confiance
nécessaire envers notre système démocratique, là, que ça pourrait fragiliser la
confiance. Est-ce que vous avez peut-être des exemples... ou élaborez un peu
sur ce niveau de...
Mme Claveau (Catherine) : Je
pense qu'on peut se baser sur des précédents de la jurisprudence où est-ce que
ça a été... L'indépendance économique, c'était... ça suscite une façon aussi
d'assurer l'indépendance. Me Champagne, je vais vous laisser, peut-être, là,
faire référence à un jugement de la Cour d'appel, entre autres.
Mme Champagne (Sylvie) : Mais
je vous dirais que la question de la déontologie, c'est de la déontologie
judiciaire. Si jamais le conseil n'avait pas les sommes pour exercer son mandat
au niveau de la déontologie judiciaire et que des plaintes de citoyens à
l'égard de certains juges n'étaient pas traitées, je crois que ça pourrait
atteindre, là, directement à la confiance qu'auront... qu'auraient les citoyens
envers le système de justice au Québec.
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup, Mme la députée
de Vaudreuil... Mme la bâtonnière, Me Champagne, merci beaucoup d'avoir
été <avec nous ce soir...
Mme Champagne (Sylvie) :
...les citoyens envers le système de justice au Québec.
Le Président (M.
Bachand) :
Merci beaucoup, Mme la
députée de Vaudreuil... Mme la bâtonnière, Me Champagne, merci beaucoup
d'avoir été >avec nous ce soir, c'est extrêmement apprécié. Puis je vous
souhaite une belle soirée, puis on se dit, bien sûr, à bientôt. Merci beaucoup.
Au revoir!
Mme Claveau (Catherine) : Oui.
Merci. À vous aussi...
Mme Champagne (Sylvie) : Merci.
Le Président (M.
Bachand) :Alors, je suspends les travaux
quelques instants. Merci.
(Suspension de la séance à 20 h 57)
21 h (version révisée)
(Reprise à 21 h 03)
Le Président (M.
Bachand) :À l'ordre, s'il vous plaît! La
commission reprend ses travaux. Alors, il nous fait plaisir d'accueillir Me
Martine Valois, avocate émérite et professeure agrégée à la Faculté de droit de
l'Université de Montréal.
Alors, Me Valois, merci beaucoup d'être
avec nous ce soir. Comme je le disais, d'entrée, hors d'ondes, merci beaucoup,
à cette heure tardive, de partager vos commentaires. Donc, comme vous savez,
vous avez 10 minutes de présentation. Après ça, nous aurons un échange
avec les membres de la commission. Donc, la parole est à vous, maître.
Mme Valois (Martine) : Alors,
merci, M. le Président. Donc, M. le ministre de la Justice, Mmes et MM. les
députés membres de cette commission, je suis ici en mon nom personnel, comme
professeure, en fait, depuis aujourd'hui, titulaire de la Faculté de droit de l'Université
de Montréal. Je suis en mon nom... je parle en mon nom personnel parce que j'ai
fait ma thèse de doctorat sur l'indépendance judiciaire, que j'ai soutenue en
2009.
Alors, je vais limiter mes commentaires
aux principes constitutionnels qui doivent guider le législateur lorsqu'il s'apprête
à changer le mode de financement du Conseil de la magistrature, comme c'est
proposé dans le projet de loi n° 26. Je ne discuterai ni de la légitimité
ni de l'opportunité du projet de loi n° 26. Je laisse ces questions à la
conscience des membres de l'Assemblée nationale.
Donc, comme je vous disais, j'ai fait ma
thèse de doctorat sur l'indépendance judiciaire. Le titre était... du livre qui
a été publié suite à une version abrégée de ma thèse de doctorat s'appelle L'indépendance
judiciaire. La justice entre droit et gouvernement. J'ai choisi ce titre-là
parce qu'à mon avis la justice est souvent coincée, comme on le dit ici, entre
l'arbre et l'écorce. Elle est soumise au droit, mais elle doit appliquer le
droit et parfois limiter les pouvoirs du gouvernement, et ce sont ces
interprétations qui font autorité. Donc, depuis plus de 20 ans, je me
penche sur les questions d'indépendance judiciaire, de séparation des pouvoirs
et de gouvernance juridique.
Qu'est-ce qui relève du droit et donc de
la justice, de la jurisdictio, comme on le disait au Moyen-Âge, et qu'est-ce
qui relève de la politique du gubernaculum, depuis que ces composantes unifiées
dans l'imperium monarchique ont été différenciées progressivement à partir du
XVIe siècle? J'ai écrit plusieurs textes sur ces questions qui portent... au
cœur de ce qu'on appelle l'État de droit.
Et j'entendais le ministre, plus tôt, qui
nous parlait de ce tableau où figure le roi Édouard Ier, du bon Parlement, alors
je veux juste souligner qu'à cette époque-là, au XIVe... début du XIVe siècle,
le Parlement anglais était une assemblée féodale, je le mentionne à la page 242
de ma thèse de doctorat, et qu'il n'y avait pas de séparation des pouvoirs. Il
y avait une fusion des pouvoirs, qui relevaient tous du monarque, comme je l'explique
à la page 241 de mon livre.
Donc, je vais traiter, selon mon
interprétation, du droit positif sur l'indépendance judiciaire, du moins ce que
je comprends de la <jurisprudence...
Mme Valois (Martine) :
...interprétation,
du droit positif sur l'indépendance judiciaire, du moins ce que je comprends de
la >jurisprudence et de la doctrine. Donc, ma position concernant le
projet de loi n° 26, c'est que l'article 4 de ce projet de loi est
incompatible avec les principes de séparation des pouvoirs et d'indépendance
judiciaire. Le vote des crédits budgétaires du conseil par l'Assemblée
nationale pourrait porter atteinte à l'indépendance du conseil.
Donc, alors, avant d'exposer les contours
de ces principes constitutionnels, je vais d'abord examiner le statut juridique
du Conseil de la magistrature du Québec dans la Loi sur les tribunaux
judiciaires et la jurisprudence qui a interprété ces dispositions. Donc, le
ministre a fait référence, et plusieurs autres aussi, intervenants, à
l'article 256 de la Loi sur les tribunaux judiciaires. Je ne vais pas lire
l'article, mais on mentionne la fonction du conseil d'établir un code de
déontologie, de recevoir les plaintes formulées contre un juge, de favoriser
l'efficacité et l'uniformisation de la procédure devant les tribunaux et aussi
d'étudier les questions relatives à l'administration de la justice et de faire
des recommandations au ministre de la Justice.
Donc, ce rôle du Conseil de la
magistrature a été commenté dans un jugement de la Cour d'appel du Québec, on y
a fait référence plus tôt, jugement rendu en février 2000 par les juges
Baudoin, LeBel et Philippon, où on parle du conseil comme une instance qui a
été créée en 1978, à la suite de la publication du livre blanc sur l'administration
de la justice pour remplir deux grandes fonctions, soit, d'une part, promouvoir
et contrôler la déontologie judiciaire et, d'autre part, assurer le respect des
conditions essentielles à l'indépendance de la magistrature.
Dans le jugement qui a été rendu par le
juge Immer de la Cour supérieure, on traitait justement de cet... de l'intérêt
pour agir du Conseil de la magistrature. On a reconnu cet intérêt pour agir,
qui était contesté par le Procureur général du Québec en raison des fonctions
qui sont énumérées à la Loi sur les tribunaux judiciaires, dont l'alinéa d, sur
la question de favoriser l'efficacité de la procédure et de la justice, et,
j'ajouterais, aussi à mon avis en fonction de l'alinéa e, qui prévoit que le
conseil doit faire des recommandations sur l'administration de la justice.
• (21 h 10) •
La Cour supérieure a aussi, et je pense
que c'est important de le mentionner, a aussi conclu que le conseil avait
l'intérêt pour agir, l'intérêt public pour agir, et c'est en fonction des trois
critères qui ont été élaborés par la Cour suprême du Canada dans l'affaire,
notamment, Downtown Eastside, c'est-à-dire : Est-ce que l'affaire soulève
une question justiciable sérieuse? Est-ce que... est-ce qu'il y a un autre
organisme qui peut exercer ce pouvoir, et donc est-ce qu'il y a aussi un autre
justiciable qui pourrait soulever la question?
Et je voudrais mentionner aussi que, dans
l'arrêt... dans cet arrêt de 2000, on mentionne, et ça a été évoqué plus tôt,
le fait que Me Louis Borgeat, qui était un expert qui avait comparu devant la
cour, avait souligné que la disposition de la loi, l'article 282, qui a
été modifiée et qui serait modifiée encore suite à l'adoption du projet de loi
n° 26... que cette disposition est importante puisque les sommes d'argent
nécessaires au fonctionnement du conseil n'ont pas à être votées chaque année
par l'Assemblée nationale, mais sont autorisées par elle une fois pour toutes,
mettant ces derniers à l'abri de l'obligation annuelle de prouver ses besoins
financiers. Donc, je mets ça en lien avec la fonction du conseil, telle que
définie suivant le livre blanc de la justice en 1978, d'assurer l'indépendance
de la magistrature.
Donc, commençons par le principe de la
séparation des pouvoirs. Je sais que M. le ministre aime bien... est un fervent
admirateur du système français et de la Constitution française. Alors, vous
savez, l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
de 1789 énonce que toute société dans laquelle la <garantie...
Mme Valois (Martine) :
...des
droits de l'homme et du citoyen de 1789 énonce que toute société dans laquelle
la >garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs
déterminée n'a point de Constitution. Donc, si on revient au Canada,
selon la Cour suprême, et ça a été réitéré dans plusieurs jugements, la
séparation des pouvoirs fait partie de la structure constitutionnelle du Canada.
Et notamment dans l'arrêt de la Colombie-Britannique, en 2020, qui a été
mentionné par d'autres intervenants et, entre autres, le Barreau, on reconnaît
que le pouvoir souverain dans le pays se divise non seulement entre le
Parlement et les législatures, mais aussi entre les branches exécutives,
législatives et judiciaires de l'État. La Cour suprême a aussi énoncé qu'il doit
y avoir une séparation étanche entre, d'une part, le pouvoir judiciaire, et le
pouvoir législatif, d'autre part, et que les tribunaux doivent être
complètement séparés de tous les autres participants du système judiciaire, et
en particulier des pouvoirs exécutifs et législatifs du gouvernement. Selon,
toujours, la Cour suprême du Canada, il faut dépolitiser les rapports entre la
branche judiciaire et les branches législatives et exécutives. C'est un
impératif constitutionnel, et cet impératif vise à protéger la magistrature
contre l'ingérence des autres pouvoirs et de la manipulation financière
relative à l'utilisation des fonds publics et aux intrigues politiques et
partisanes.
C'est pourquoi, à mon avis, il doit y
avoir, comme sur la question de la rémunération des juges, un intermédiaire
entre le judiciaire et les deux autres branches lorsqu'il est question
d'indépendance financière, institutionnelle... en fait, individuelle et
institutionnelle. À mon avis, l'article 4 du projet de loi n° 26 est contraire
à cet impératif constitutionnel car il forcera les membres du Conseil de la
magistrature à négocier le budget du conseil directement avec les branches
législative et exécutive.
Concernant l'indépendance judiciaire,
maintenant, c'est un principe fondamental de notre système juridique. Cet
objectif est de maintenir la confiance du public dans l'intégrité et
l'impartialité de notre système de justice. Ce principe d'indépendance
judiciaire signifie que les juges et les autres acteurs du système judiciaire
doivent être à l'abri des ingérences de l'exécutif et du législatif, ainsi que
des pressions et imbroglios politiques qui sont susceptibles de leur nuire dans
l'exercice de leurs fonctions...
Le Président (M.
Bachand) :Merci. Merci, Me Valois. Le 10
minutes, ça va tellement rapidement qu'on doit débuter la période d'échange
avec le ministre de la Justice. M. le ministre de la Justice, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Oui. Bonjour,
Me Valois. Merci d'être avec nous à cette heure tardive. Ce n'est pas notre
habitude, sauf qu'on est en session intensive. Alors, on apprécie votre
présence pour venir témoigner à la Commission des institutions ce soir.
Vous avez abordé... bien, en fait, vous
avez débuté votre allocution en disant notamment : Bien, écoutez,
l'indépendance judiciaire, bon, c'est défini, je vais vous l'expliquer, et,
notamment, vous avez fait référence à la jurisprudence et à la doctrine. D'une
façon plus fondamentale, là, en termes d'édiction de la norme, donc, des lois,
qui doit édicter la norme, selon vous? Qui fait... qui doit être le générateur
de droit à la genèse de l'édiction du droit?
Mme Valois (Martine) : En
fait, selon mes recherches, il y a un processus circulaire qui est en jeu.
Donc, évidemment, selon une certaine conception de la production du droit, qui
est, je pense, la vôtre, seul le législateur peut édicter la norme, mais on a
reconnu depuis fort longtemps que les tribunaux étaient créateurs de normes et
que, de toute façon, une fois que la norme est édictée par le législateur, elle
est interprétée par les tribunaux, et c'est réintroduit parfois dans la législation,
et, comme ça, il y a un mouvement circulaire qui se produit, qu'on appelle
l'autoréférentialité de la production de la norme.
M. Jolin-Barrette : OK. Dans
le cadre de ce mouvement circulaire là, là, parce que... juste pour valider mon
hypothèse... Généralement, dans notre système démocratique, la base, c'est le
législateur qui vient édicter la norme. Bien entendu, comme vous l'avez dit,
les tribunaux, par la suite, viennent interpréter. Il est vrai, également,
comme vous l'avez dit, que parfois le législateur vient incorporer une décision
d'un tribunal pour changer l'état du droit, pour venir rendre conforme la
législation, supposons, à une décision d'un tribunal, mais le Parlement peut
quand même, suite à une décision, puis, tout à l'heure, on a des intervenants
qui <venaient...
M. Jolin-Barrette :
...peut
quand même, suite à une décision, puis, tout à l'heure, on a des intervenants
qui >venaient nous le dire, venir dire : Écoutez, on vient corriger
une décision qui a été rendue par le tribunal, notamment, on vient modifier.
Donc, il existe un dialogue interinstitutions, vous êtes d'accord avec moi,
mais, à la base, généralement, ça part du Parlement.
Mme Valois (Martine) : Oui,
vous avez raison, mais, par exemple, si, demain matin, le législateur québécois
amendait la Loi sur les tribunaux judiciaires pour enlever la commission de
rémunération des juges, oui, il peut le faire, mais, selon mon interprétation
de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, cette loi serait
inconstitutionnelle parce que la Cour suprême du Canada a dit, en 1997, et elle
l'a répété dans plusieurs jugements : Il faut qu'il y ait un organisme
indépendant qui fasse... examine la rémunération des juges et fasse des
recommandations que le gouvernement doit suivre, et, s'il ne veut pas le
suivre, il doit se justifier. Ça, c'est un impératif constitutionnel.
Donc oui, le législateur peut faire ça, mais,
vous savez, même dans la théorie... de la souveraineté parlementaire... Vous
savez, vous connaissez cet exemple-là du «child blue eyes», hein, est-ce que le
Parlement pourrait, demain matin, ordonner l'exécution de tous les enfants
ayant les yeux bleus? Alors, vous googlez, hein, ces mots-là, puis vous allez
trouver plein de textes qui vont discuter de ça. Et Dicey disait : Bien,
évidemment, le législateur ne pourrait pas faire ça. Donc, oui, le législateur
peut faire certaines choses, mais ça ne veut pas dire que ça va être conforme
au principe d'indépendance judiciaire.
• (21 h 20) •
M. Jolin-Barrette : OK. Avec
égard, je trouve que votre exemple est un peu plus loin de la discussion, là, mais
revenons, supposons... Parce que ça fait quelques fois que j'entends cet
exemple-là, qui a été soulevé, le Comité de la rémunération des juges. C'est
intéressant, parce que c'est la décision de l'Île-du-Prince-Édouard en 1997,
comme vous l'avez dit, mais dans tout ce processus-là, ultimement, ce sont les
élus de l'Assemblée nationale qui entérinent le rapport ou non. Donc, au final,
malgré le fait qu'il y a un comité indépendant qui fait des recommandations,
hein, puis, dans le fond, le gouvernement nomme une personne sur le comité, la
Conférence des juges... une personne... C'est un comité de trois personnes,
puis, bon, il y a des comités de rémunération, à la fois pour Cour du Québec,
juges de paix magistrats, juges municipaux, mais, ultimement, la décision
finale revient à l'Assemblée. Malgré le fait qu'il y ait eu un rapport avec des
critères dans la loi, qui sont prévus, ultimement, ça revient aux élus
d'entériner ou non le rapport, avec motivations si jamais il n'est pas entériné,
mais, ultimement, la décision finale... Et c'est de l'argent, on parle de la
rémunération des juges, puis là, sur la rémunération, les crédits sont
permanents, mais, ultimement, pour l'augmentation salariale, je vous donne un
exemple : Dans, moi, mon expérience à titre de ministre, j'ai suivi les
recommandations du comité indépendant. Les juges de la Cour du Québec, sous ma
gouverne, sont passés de 254 000 $ à 310 000 $. On a
répondu presque intégralement au rapport, notamment sur la plus grosse partie,
avec quelques petites modalités auxquelles on a dérogé et qui n'ont pas été
contestées. Mais cependant, c'est le Parlement du Québec qui entérine le tout,
ultimement, ou qui déciderait de le rejeter.
Je voulais peut-être vous poser une
question, Me Valois, sur... Parce que les intervenants sont venus tout à
l'heure, et ce qui semblait problématique pour certains, ceux qui semblaient
être contre le projet de loi, c'était notamment le fait qu'il y ait des recours
judiciaires de la part du Conseil de la magistrature, puis ça a été soulevé. Et
là on nous dit : Bien, il ne faut pas que vous enleviez la capacité du
Conseil de la magistrature d'agir en justice. Or, ce n'est pas du tout notre
cas. Puis là on nous dit : Bien, si c'est des crédits votés... la logique
qui nous est présentée, c'est des crédits votés, vous allez les empêcher
d'ester en justice. Or, ce n'est pas notre intention puis ce n'est pas le cas
non plus.
Je vous donne le comparatif : la Cour
du Québec poursuit également le gouvernement du Québec dans certains litiges,
mais la Cour du Québec a des crédits votés, puis on ne s'est pas opposé, puis
ça ne les a pas empêchés de poursuivre l'État québécois. Alors, comment vous
voyez ça? Parce que, là, on me dit : Si vous mettez des crédits votés, ça
va faire en sorte que le Conseil de la magistrature ne pourra plus poursuivre
l'État québécois. Or, la Cour du Québec poursuit l'État québécois, puis ce sont
des crédits votés. J'aimerais ça qu'on réconcilie tout ça.
Mme Valois (Martine) : Bien,
écoutez, M. le ministre, je lis les journaux comme tout le monde. Et vous avez,
le premier, décrié le fait que le Conseil de la <magistrature...
Mme Valois (Martine) :
...comme
tout le monde. Et vous avez, le premier, décrié le fait que le Conseil de la >magistrature
utilisait les fonds publics pour poursuivre le gouvernement et soulevait
l'inconstitutionnalité des nouveaux articles de la loi sur la langue française.
Donc, je pense qu'on peut raisonnablement conclure que l'article 4 du projet de
loi n° 26 vient à circonscrire ce pouvoir-là en, peut-être, limitant les
ressources budgétaires du Conseil de la magistrature.
M. Jolin-Barrette : Je
comprends que c'est une... Ce n'est pas quelque chose d'avéré, c'est une
supposition.
Mme Valois (Martine) : Bien,
c'est parce que c'est vous qui avez fait ces déclarations-là dans les médias.
M. Jolin-Barrette : Mais je n'ai
pas fait de lien, par contre.
Mme Valois (Martine) : Bien,
vous avez...
M. Jolin-Barrette : Écoutez, écoutez,
Me Valois, je vais vous dire une chose : Il y a une question de gestion
des fonds publics aussi, hein? Puis ça, peut-être que j'aimerais ça vous
entendre aussi là-dessus. Saviez-vous que, lorsque l'État québécois, supposons,
le Procureur général, lorsqu'il donne un mandat à l'externe, de services
juridiques, il y a un règlement de l'État québécois qui prévoit que les
honoraires extrajudiciaires, les frais d'avocats que l'État québécois peut
payer sont d'un maximum de 300 $ pour un avocat de 15 ans de Barreau.
Est-ce que vous trouvez raisonnable que le Conseil de la magistrature puisse
embaucher n'importe quel avocat à un taux horaire qui excède 300 $ de
l'heure? Parce que... C'est des fonds publics, là.
Mme Valois (Martine) : Oui,
bien, comme je vous ai dit, M. le ministre, je ne vais pas discuter de
l'opportunité ou de la légitimité du projet de loi n° 26.
M. Jolin-Barrette : Ah non,
mais je ne parle pas de la légitimité, ce n'est pas sur le projet de loi, là, c'est
sur...
Mme Valois (Martine) : ...de l'indépendance
judiciaire. Et quand les provinces, dans les années 90, ont dit : On doit
baisser le salaire des juges, ils doivent contribuer comme tout le monde, la
Cour suprême leur a dit : Les juges sont dans une catégorie à part, et
vous ne pouvez pas faire ça. Vous ne pouvez pas directement négocier avec les
juges leurs salaires et vous devez... Il doit y avoir un organisme
intermédiaire indépendant entre les deux.
Et, suite à ce jugement-là, toutes les
législations provinciales au Canada, y compris la législation fédérale, a
incorporé des commissions d'examen de la rémunération des juges pour se
conformer au principe d'indépendance judiciaire tel qu'interprété. Alors, si
vous aviez posé la question aux contribuables à cette époque-là : Est-ce
que les juges doivent aussi subir une baisse de salaire?, probablement que la
question aurait été oui, mais la Cour suprême a dit : Ça ne peut pas être
décidé unilatéralement par le législateur.
M. Jolin-Barrette : Écoutez,
vous me parlez de la rémunération des juges. Moi, je vous parle du fonds
consolidé. On ne remet pas en question la rémunération des juges, là, ce sont
des crédits permanents, puis on ne touche pas à ça. Ma question, elle est quand
même très claire. Est-ce que... Et tous les membres de la commission, les
députés fonctionnent avec les crédits qui leur sont accordés et sont redevables
des dépenses publiques, les ministères sont redevables face à l'argent public.
Ma question est à l'effet de : il n'y a aucune limite à dépenser sur le
fonds consolidé. C'est ça, la structure actuelle, là, du Conseil de la
magistrature, avec le fonds consolidé.
Et je vous donne un exemple concret,
notamment en matière de litiges. L'État québécois, le Procureur général,
lorsqu'il donne un mandat de services juridiques, il est limité à 300 $ de
l'heure, il y a des raisons pour ça... avocat de 15 ans de pratique maximum.
Le Conseil de la magistrature peut engager des avocats à 800 $, 1000 $ de l'heure
sans aucune limite d'honoraires extrajudiciaires. Est-ce que vous trouvez que
c'est raisonnable? Est-ce que vous pensez que l'objectif du législateur, à
l'époque, lorsqu'il a voulu faire en sorte que le Conseil de la magistrature
ait accès au fonds consolidé, c'était pour des questions déontologiques ou
c'était pour des questions, notamment d'honoraires extrajudiciaires?
Mme Valois (Martine) : En
fait, vous faites ma cause, finalement, M. le ministre, parce qu'on est en
plein dans ce que la Cour suprême disait, c'est le juge Lamer, qui est un juge
québécois qui siégeait comme juge en chef de la Cour suprême du Canada, et qui
a dit : «Les rapports entre le judiciaire, d'une part, et le législatif et
l'exécutif, d'autre part, doit être dépolitisé». Et il explique qu'est-ce que
ça veut dire : «Comme je l'explique ci-après, dans le contexte de la
sécurité financière, institutionnelle ou collective, cet impératif commande que
la magistrature soit protégée contre l'ingérence politique des autres pouvoirs
par le biais de la manipulation <financière...
Mme Valois (Martine) :
...protégée
contre l'ingérence politique des autres pouvoirs par le biais de la
manipulation >financière, qu'elles soient perçues comme telles et
qu'elles ne deviennent pas empêtrées dans les débats politiques sur la
rémunération des personnes payées sur les fonds publics.
Alors, la question qui est importante,
c'est est-ce qu'on doit... le Conseil de la magistrature doit négocier
directement avec le ministre, avec l'exécutif ou avec le législatif, ou s'il ne
faut pas, comme sur la question de la rémunération des juges, qu'il y ait un
intermédiaire entre les deux pour respecter le principe de l'indépendance
judiciaire? Et, dans la Loi sur les juges, le commissaire à la magistrature
fédéral établit le budget du Conseil canadien de la magistrature.
Alors, est-ce qu'il ne faut pas avoir un
mécanisme semblable protégé par la loi pour éviter que le Conseil doive
justifier les dépenses qu'il fait pour soutenir l'indépendance judiciaire et
aussi le rôle que la Loi sur les tribunaux judiciaires donne au juge en chef
d'assigner les causes aux juges? Vous savez, quand on parle d'autonomie
administrative des tribunaux, l'arrêt Valente a dit : C'est difficile,
hein, de dire qu'est-ce que ça couvre exactement. Et mon collègue et ami,
Patrick Taillon, a dit : Il ne faut pas parler d'un idéal, il faut parler
du droit positif. Et, effectivement, dans l'arrêt Valente, la Cour suprême a
dit : Peut-être que l'idéal serait que les juges aient le contrôle sur le
budget, aient un contrôle sur le personnel qu'ils embauchent, mais on n'est pas
rendu là. Mais il dit : Minimalement, ça doit couvrir le rôle des... le
rôle de la cour, les séances, l'assignation des juges aux causes. Alors, c'est
exactement ce que le Conseil de la magistrature essaie de défendre devant les
tribunaux.
M. Jolin-Barrette : Bien,
avec égard, ce n'est pas la position de l'État québécois. Et il y a des litiges
devant les tribunaux, puis on ne conteste pas les litiges, ils sont là et ils
vont continuer de se dérouler.
La question que je vous ai posée, c'est
n'y a-t-il pas... En fait, de ce que je comprends de votre propos, c'est que,
sur la question des fonds publics, il n'y a aucune limite pour le Conseil de la
magistrature à dépenser. C'est ce que vous me dites, essentiellement, c'est ça,
parce que vous ramenez l'exemple de la rémunération. Même sur la rémunération,
même s'il y a un comité indépendant, ce sont les élus, ultimement, qui
entérinent le rapport, OK?
Dans le modèle que nous proposons, dans le
cadre du projet de loi n° 26, ultimement, ce seront les membres de l'Assemblée
qui vont entériner le budget du Conseil de la magistrature, également. Il n'y a
pas de différence là-dessus puis il n'est pas question d'intervenir dans le
processus.
Cependant, je note, dans l'exemple que
vous me donnez, que ce n'est pas très loin de ce qui est proposé et, également,
de ce qui se fait au niveau du fédéral, parce que ce sont les parlementaires
fédéraux, les membres du Parlement qui entérinent le budget du Conseil canadien
de la magistrature puis là on ne parle même pas du salaire des juges qui sont
sur des crédits permanents.
Alors, je reviens à ma question, puis ce
n'est pas une question de justification, il y a un mécanisme où, dans le projet
de loi n° 8, on a mis les prévisions budgétaires qui devaient être
transmises, on a mis également le fait qu'il devait y avoir un rapport annuel.
Je ne sais pas si vous saviez, Me Valois, que durant plusieurs années, le
Conseil de la magistrature n'a même pas publié de rapport d'activité ou de
rapport annuel. En termes de confiance du public, là, dans nos institutions,
incluant nos actions judiciaires comme le Conseil de la magistrature, moi,
comme ministre de la Justice, je me questionne.
Le Président (M.
Bachand) :En terminant, M. le ministre.
• (21 h 30) •
M. Jolin-Barrette : Comment
ça se fait qu'il n'y avait pas cette transparence-là?
Le Président (M.
Bachand) :Merci beaucoup. Je cède
maintenant la parole au député d'Acadie.
M. Morin : Si vous me
permettez, M. le Président, un point d'ordre. Quand M. le ministre a commencé
son intervention, qui, je pensais, allait se terminer en question, et qu'il a
émis des postulats, la Pre Valois a signifié véritablement que ce n'est pas ce
qu'elle avait dit ou qu'elle voulait dire, mais là elle ne peut pas répondre. Est-ce
qu'on peut au moins lui permettre de répondre, M. le Président?
Le Président (M.
Bachand) :Sur votre temps, si vous
voulez.
M. Morin : Alors, si vous
pouvez répondre, brièvement, sur mon temps.
Le Président (M.
Bachand) :Me Valois, allez-y, sur le
temps du député d'Acadie, oui.
M. Morin : S'il vous plaît. Parce
que je vous ai vu vraiment hocher de la tête, vous avez dit non. Alors, s'il
vous plaît.
Le Président (M.
Bachand) :Allez-y, Mme Valois.
Mme Valois (Martine) : Non, je
n'ai jamais prétendu que le Conseil de la magistrature n'avait aucune reddition
de comptes à faire qu'il pouvait dépenser ce qu'il voulait. Je n'ai jamais même
parlé...
21 h 30 (version révisée)
Mme Valois (Martine) : ...elle
n'avait aucune reddition de comptes à faire, et qu'elle pouvait dépenser ce qu'elle
voulait, et... je n'ai jamais... je n'ai jamais même parlé de ça. La seule
chose que j'ai mentionnée, et je ne suis pas d'accord avec le ministre quand il
dit que c'est ce qu'il propose : dans la Loi sur les juges, on dit que le Commissaire
à la magistrature fédérale établit le budget du conseil. En ce moment, c'est le
conseil qui établit son budget. Alors, le... la... le projet de loi n° 26
veut changer ça et veut que ça soit l'Assemblée nationale qui établisse le conseil,
maintenant... le budget du conseil. Ce que je dis qui est constitutionnellement
requis, c'est qu'il y ait un intermédiaire entre l'Assemblée nationale et le
Conseil de la magistrature si on veut enlever ce pouvoir au Conseil de la
magistrature d'établir son budget.
Le Président (M.
Bachand) :Merci. M. le député de l'Acadie,
s'il vous plaît.
M. Morin : Merci. Oui. Merci,
M. le Président. Alors, écoutez, un des éléments, une trame factuelle qui nous
amène ici, on l'a vu pendant l'étude des crédits, Pre Valois, ça a été le
dépassement des coûts du conseil. On a vu... Parce que le conseil a répondu que
ce dépassement des coûts de son budget était parce qu'ils ont intenté des
actions contre le gouvernement. Je comprends qu'en vertu de la loi le conseil
peut ester en justice et que c'est, évidemment, reconnu par la jurisprudence
si, bien sûr, la question soulève des questions d'intérêt public sérieuses.
Est-ce que c'est exact?
Mme Valois (Martine) : C'est
exact.
M. Morin : Bien. On dit,
évidemment, dans l'arrêt Valente, et c'est là que c'est difficile de cerner
tous les paramètres de... les paramètres de ce qu'est l'indépendance judiciaire...
mais que c'est souvent une question de perception. Si le Parlement est appelé à
voter tous les crédits, compte tenu de la situation dans laquelle on est,
est-ce qu'il n'y aurait pas une perception que le Parlement ou l'Exécutif
essaie de s'ingérer dans l'indépendance du Conseil de la magistrature?
Mme Valois (Martine) : À mon
avis, c'est le danger, c'est le risque qui est réel, mais ce qui est surtout
réel comme risque, c'est de ternir l'autorité des tribunaux et le respect dû à
cette autorité en faisant passer le Conseil de la magistrature comme un
organisme qui dépense sans limites et qu'il doit venir justifier, devant le
législatif, de toutes les dépenses qu'il fait, alors que, du moins, en partie,
en ce qui concerne la déontologie judiciaire, c'est clair, depuis l'arrêt Therrien
de la Cour suprême du Canada, que la discipline des juges doit relever d'un
organisme indépendant comme le Conseil de la magistrature du Québec et que c'est
la garantie d'indépendance judiciaire qui le requiert.
Donc, sur cet élément-là en particulier,
et je pense qu'on... le législateur le reconnaît, lorsqu'il a modifié la Loi
sur les tribunaux judiciaires en assujettissant le Conseil de la magistrature à
la commission... ou à la compétence de la Commission de l'accès à l'information,
on a exclu la fonction de déontologie judiciaire. Donc, évidemment, le droit n'est
pas toujours clair. J'ai exposé ce qui était, à mon avis, constitutionnellement
requis, du moins en ce qui concerne l'impératif constitutionnel d'avoir un
intermédiaire entre un organisme à caractère judiciaire comme le Conseil de la
magistrature et la branche législative et exécutive.
M. Morin : Maintenant, avec
un gouvernement majoritaire comme nous en avons un présentement, il est très,
très probable que le projet de loi n° 26 soit adopté, n'est-ce pas? La
Cour suprême nous enseigne, dans l'arrêt de la Colombie-Britannique, qu'il faut
dépolitiser les rapports entre le conseil et l'Exécutif, vous y avez fait
référence. Donc, avez-vous des suggestions pour que le législateur, et ça, c'est
l'ensemble des députés au Parlement, puisse améliorer le projet de loi pour
tenter de le dépolitiser au maximum?
Mme Valois (Martine) : En
fait, en ce moment... l'article 4, justement, politise ce rapport-là. Mes
suggestions... je laisse ça aux députés, mais il faut qu'il y ait un organisme
intermédiaire indépendant.
M. Morin : OK. Donc, pour
vous, la meilleure option, en fait, ce serait un organisme indépendant. Est-ce
que vous songez au... par exemple, au Conseil canadien de la magistrature?
Est-ce que ça pourrait être un modèle à suivre?
Mme Valois (Martine) : Bien,
en fait, c'est le Commissaire à la magistrature...
M. Morin : Ou le commissaire,
pardon, vous avez <raison...
Mme Valois (Martine) :
...fait,
c'est le Commissaire à la magistrature...
M. Morin :
Ou le
commissaire, pardon, vous avez >raison.
Mme Valois (Martine) : ...qui
fait le lien entre le conseil de la magistrature canadien et le Parlement.
M. Morin : Parce que, bon,
évidemment, vous vous entendez, mais vous allez le confirmer, au niveau fédéral
il y a quand même des crédits qui sont votés par le Parlement. Donc, ça ne
vient pas directement tout du fonds consolidé du revenu. Et ça, la
jurisprudence semble s'accommoder de ce mécanisme-là.
Mme Valois (Martine) : Mais...
moi, je regarde le projet de loi n° 28... 26, pardon...
M. Morin : 26.
Mme Valois (Martine) : ...ce
que je vois... 26, oui, ce que je vois, c'est qu'on veut changer le mode de financement
du Conseil de la magistrature pour, dans le fond, exiger que le Conseil de la
magistrature justifie ses dépenses. Et j'écoute le ministre avec ses
interventions et les questions qu'il m'a posées, et c'est ce que je comprends.
Donc, moi, je mets en garde l'Assemblée
nationale à l'égard de l'adoption d'un projet de loi et d'un article 3 qui
pourrait porter atteinte au principe de la séparation des pouvoirs et au
principe de l'indépendance institutionnelle des tribunaux, que le conseil, qui
n'est pas un tribunal mais est formé de juges et doit... est un organisme à
caractère judiciaire et, à tout le moins, en ce qui concerne la déontologie
judiciaire, est l'organisme qui doit défendre l'indépendance de la
magistrature.
M. Morin : J'ai... J'ai une
dernière question. Parce qu'évidemment, bon, le projet de loi... pas
beaucoup... pas beaucoup d'articles. Évidemment, il y a des budgets au
Parlement. Donc, créer un organisme indépendant, ça peut être parfois
compliqué, bien que souvent nécessaire. Mais, si, par hypothèse,
l'article 3 était modifié en disant, par exemple : Les sommes
requises pour l'application de la présente partie sont prises sur les crédits
votés annuellement à cette fin par l'Assemblée nationale, à l'exception de, et
là on liste des items qui protègent l'indépendance de la magistrature, par
exemple la déontologie judiciaire, l'indépendance administrative, la sécurité
financière, l'inamovibilité des juges, est-ce que ça pourrait, à tout le moins,
venir aider, corriger le projet de loi plutôt que de le laisser tel qu'il est?
Mme Valois (Martine) : C'est...
C'est possible. Vous savez, il est actuellement 21 h 39.
L'article 3 va entrer en vigueur en... le 1er avril, je pense, 2024.
Alors, comme le suggérait même mon collègue le Pr Taillon, il faut examiner la
question plus en profondeur pour éviter, justement, que le projet de loi
n° 26... que cette disposition-là porte atteinte à la séparation des
pouvoirs et à l'indépendance institutionnelle des tribunaux.
• (21 h 40) •
M. Morin : Pre Valois,
maintenant professeure titulaire, un gros merci. Je pense que... Je sais que
vous avez travaillé très fort. Vous avez eu peu de temps, il est tard, j'apprécie
énormément. Merci beaucoup, M. le Président.
Le Président (M. Bachand) :
Merci. M. le député de Saint-Henri—Sainte-Anne, s'il vous plaît.
M. Cliche-Rivard : Merci
beaucoup, M. le Président. D'abord, félicitations, Pre Valois, pour votre
titularisation.
Je suis un peu rassuré, quand même, parce
que, si j'ai bien compris, j'ai entendu le ministre de la Justice dire qu'il
n'avait aucune intention de limiter les moyens financiers du Conseil de la
magistrature quant à sa capacité d'ester en justice. Il l'a dit, c'est public,
c'est sur enregistrement. C'est quand même intéressant. Donc, j'en suis quand
même partiellement rassuré. L'exercice aura mené à ça.
Pensez-vous, cela dit, qu'il serait
important que le ministre s'engage formellement dans un protocole d'entente,
dans une entente envers la promesse, là, qu'il vient juste de tenir devant la
commission pour assurer au moins au conseil qu'il pourra toujours avoir les
moyens financiers d'ester en justice si tel est son désir?
Mme Valois (Martine) : Vous
savez, comme je l'ai dit d'entrée de jeu, moi, je ne veux pas me prononcer sur
l'opportunité de la législation. Le... Les protocoles... Le protocole d'entente
auquel a fait référence Me Champagne et la bâtonnière, on en voit de plus en
plus. Et c'est ce qui, dans un texte que j'ai publié en 2021, fait en sorte
qu'on remet en question le modèle exécutif d'administration des tribunaux. On l'a
fait entre autres devant... dans les cours fédérales, où on a... Avant, c'était
le Commissaire à la magistrature fédérale qui établissait non seulement le
budget du conseil, mais également le budget des cours <fédérales...
Mme Valois (Martine) :
...Commissaire
à la magistrature fédérale qui établissait non seulement le budget du conseil,
mais également le budget des cours >fédérales et de la Cour canadienne
de l'impôt. Maintenant, on a établi le service canadien des tribunaux
judiciaires, qui est une réforme positive — je pense qu'on ne va pas
assez loin — où on charge un administrateur général de faire le lien,
l'intermédiaire entre les cours fédérales, la Cour canadienne de l'impôt et
le... la branche exécutive et législative en ce qui concerne le financement du
fonctionnement des tribunaux.
Donc, ces protocoles-là, il y en a un qui
a été signé aussi entre le juge en chef de la Cour suprême du Canada et le
ministre Lametti. Donc, il y a eu des ententes qui ont été signées aussi. D'anciens
ministres de la Justice au Québec ont signé des ententes avec la Cour d'appel
du Québec aussi. J'en ai traité dans une conférence en 2017, en Israël, sur ces
questions-là. Donc, c'est une remise en question du modèle exécutif
d'administration des tribunaux, où là on favorise la participation des juges à
l'élaboration du budget de fonctionnement des tribunaux.
M. Cliche-Rivard : Merci.
J'aurais une dernière question. À votre avis, l'adoption telle quelle du projet
de loi, est-ce qu'il ouvre la porte à des contestations judiciaires? Est-ce que
vous pensez qu'on va entrer dans une nouvelle saga judiciaire?
Mme Valois (Martine) : En
fait, la seule chose que je peux dire, c'est que, selon mon interprétation de
la jurisprudence sur la séparation des pouvoirs et l'indépendance judiciaire,
ce projet de loi, l'article 3 porte flanc à des contestations sur la
constitutionnalité, sur sa constitutionnalité.
M. Cliche-Rivard : Merci.
Le Président (M.
Bachand) :Merci. Mme la députée de
Vaudreuil, s'il vous plaît.
Mme Nichols : Oui. Merci, M.
le Président. Bonsoir. Merci d'être parmi nous en cette session intensive, puis
aussi avec un si court laps de temps, là, pour venir faire votre présentation,
mais on sent que c'est un sujet que vous maîtrisez bien et depuis longtemps.
Vous avez parlé... Bien, en fait, moi,
puis je le dis depuis le début, là, ce qui me... là où je me pose beaucoup de
questions, c'est en lien avec la façon dont on... on vient... on fait de la
politique avec tout ça, là. Veux veux pas, il y a des décisions. On lit les
journaux, vous lisez les journaux. On sent... On sent que ça tiraille d'un peu
partout. C'est arrivé, comme ça, dans un projet de loi, on ne s'y attendait
pas, alors que... le mot «notamment» aussi qui est arrivé dans le titre du
projet de loi n° 26.
Moi, ce que je retiens... puis
corrigez-moi si je me trompe, là, mais, moi, ce que je retiens, c'est que ça
doit être dépolitisé, c'est qu'il y a vraiment un gros danger, là... moi, je
sens le clignotant que vous portez à notre attention ce soir, qu'il y a
vraiment un gros danger de politiser le tout. Puis je me demandais le lien
aussi à faire avec la confiance envers le public, envers nos citoyens.
Mme Valois (Martine) : Bien,
en fait, je vous dirais, Mme la députée, que c'est déjà fait, hein? La
politisation de la relation entre le Conseil de la magistrature et la Cour du
Québec, d'une part, et la branche exécutive et législative, en tout cas, du
moins exécutive, elle est déjà faite, et le mal est déjà fait, et ce projet de
loi va seulement ajouter à cette politisation.
Mme Nichols : Puis,
évidemment, la confiance... la confiance, parce que, c'est important, le
Barreau nous a parlé aussi de la confiance.
Mme Valois (Martine) : Oui.
Bien, en fait, toute... la garantie de l'indépendance judiciaire, ça vise à
garantir la confiance du public dans...
Mme Nichols : Lien direct.
Mme Valois (Martine) : ...de
la justice. Il y a un lien direct.
Vous savez, le ministre de la Justice a
dit souvent, dans des entrevues, que la... par exemple sur l'horaire des juges,
que la juge en chef avait pris unilatéralement une décision. Bien, moi, ma
réponse à ça... Et c'est de son rôle à elle. L'arrêt Valente a dit que ça relevait
exclusivement de l'indépendance institutionnelle des tribunaux. Et
l'article 96 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, qui décrit les
fonctions de la juge en chef, ne dit pas «après consultation du ministre»,
c'est elle qui doit prendre ces décisions-là. Et, quand on parle du lien, du
dialogue entre les tribunaux et le législateur, c'est que l'article 96,
dans le fond, reflète ce que la... les tribunaux ont dit sur qu'est-ce qui
relève de la juge en chef, qu'est-ce qui relève de l'autonomie institutionnelle
des tribunaux.
Donc... Alors, si on abolissait l'article 96
ou qu'on assujettissait le pouvoir de la juge en chef à l'autorisation du <ministre...
Mme Valois (Martine) :
...institutionnelle
des tribunaux.
Donc... Alors, si on abolissait l'article 96
ou qu'on assujettissait le pouvoir de la juge en chef à l'autorisation du >ministre,
ça serait probablement jugé inconstitutionnel parce qu'on dirait que c'est une
ingérence indue dans l'exercice de fonctions qui portent... qui ont... qui sont...
qui relèvent directement des fonctions judiciaires : quel juge doit
entendre une cause, quel va être l'horaire des juges. Donc, la politisation,
elle est déjà arrivée et elle va juste, si on peut dire, être plus importante.
Mme Nichols : Merci. C'est
très clair. Merci.
Le Président
(M. Bachand) :Merci beaucoup. À mon
tour, Me Valois, de vous remercier et de vous féliciter. Puis, encore une fois,
merci d'avoir été avec nous ce soir.
Alors, sur ce, la commission, ayant
accompli son mandat, ajourne ses travaux sine die. Merci beaucoup. À bientôt.
(Fin de la séance à 21 h 48)