Débats de la Commission permanente de la justice, Le mardi 6 octobre 1981
Â
Les travaux parlementaires
32e
législature, 2e session
(du 30 septembre
1981 au 2 octobre 1981)
Journal des débats
Â
Commission permanente de la justice
Le mardi 6 octobre 1981 _ No 1
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Présentation de mémoires en
regard
des modifications à apporter
à la Charte des droits
et libertés de la personne (1)
(Dix heures vingt minutes)
Le Président (M. Desbiens): Messieurs, la commission
permanente élue de la justice tient ses premières séances
dans l'accomplissement de son mandat de recevoir en auditions publiques des
mémoires en regard des modifications à apporter à la
Charte des droits et libertés de la personne.
Les membres de la commission sont MM. Beaumier (Nicolet), Bédard
(Chicoutimi), Boucher (Rivière-du-Loup), Brouillet (Chauveau), Dauphin
(Marquette), Kehoe (Chapleau), Lafrenière (Ungava), Marx (D'Arcy McGee),
Paradis (Brome-Missisquoi), Mme Marois (La Peltrie), qui remplace M.
Charbonneau (Verchères), M. Brassard (Lac Saint-Jean), qui remplace Mme
Juneau (Johnson).
Les intervenants sont MM. Bisaillon (Sainte-Marie), Bissonnet
(Jeanne-Mance), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), qui remplace M. Blank
(Saint-Louis), MM. Ciaccia (Mont-Royal), Dussault (Châteauguay), Mme
Lachapelle (Dorion), MM. Martel (Richelieu), Pagé (Portneuf). Il serait
dans l'ordre de nommer maintenant un rapporteur.
M. Bédard: Je suggérerais la députée
de Dorion.
Le Président (M. Desbiens): Alors, Mme Lachapelle agira en
tant que rapporteur.
Comme il s'agit d'auditions publiques, comme à l'habitude il y
aura une période pour la transmission du mémoire, une vingtaine
de minutes, et une période de questions de 40 minutes environ, si la
commission est d'accord.
M. Bédard: Sûrement, avec la souplesse
nécessaire que l'on vous reconnaît, M. le Président. Je
pense que vous êtes à même de constater qu'il y a des
mémoires très substantiels, par la force des choses, et qui sont
assez volumineux. à ce moment-là , il s'agira peut-être
d'agencer à l'intérieur des 60 minutes que vous nous
indiquez.
Le Président (M. Desbiens): D'accord.
Alors, j'appelle le premier groupe. Excusez, auparavant je demanderais
au ministre de la Justice des commentaires préliminaires.
Remarques préliminaires
M. Marc-André Bédard
M. Bédard: M. le Président, au début des
travaux de cette commission parlementaire, vous me permettrez sûrement
quelques commentaires.
J'aimerais tout d'abord souhaiter la bienvenue à toutes les
personnes qui soit en leur nom personnel ou soit à titre de
représentants d'organismes, sont venues participer aux travaux de la
commission permanente de la justice et, ainsi, permettre à nous tous,
membres de cette commission, de faire le point avec elles sur la Charte des
droits et libertés de la personne, et surtout d'essayer ensemble de
déterminer quelles sont les perspectives d'avenir qui se dégagent
tant au niveau des modalités de son application que de l'étendue
des droits prévus dans la charte.
Les personnes qui sont ici, ce matin, ne représentent qu'une
partie des quelque 60 organismes ou individus qui ont déposé un
mémoire à la commission. Ces personnes ont exprimé le voeu
d'être entendues au cours des prochains jours.
Ce nombre très élevé de participants à une
commission parlementaire ne fait que confirmer davantage ma conviction profonde
qu'une période de réflexion s'impose tant dans la population que
chez les parlementaires avant que de nouveaux changements soient
apportés à la charte. En effet, une charte des droits et
libertés, dans mon optique et dans l'optique, sûrement, de tous
les membres de la commission, n'est pas qu'un simple texte législatif.
Il s'agit d'une loi qui a préséance, comme on le sait, sur les
autres lois. Le gouvernement ne peut donc envisager d'amender un texte aussi
fondamental sans un processus d'échanges soutenus qui va au-delÃ
des représentations ponctuelles qui ont pu lui être faites dans le
passé.
De plus, au Québec, comme on le sait, ce sont les tribunaux de
droit commun qui ont à se prononcer sur la portée juridique de
chaque article de la charte, de chaque mot et de chaque virgule, même. Il
nous appartient donc d'être des plus circonspects lorsque vient le temps
d'ajouter de nouveaux passages à un texte de loi aussi important ou
encore lorsqu'il s'agit de décider d'en modifier le contenu.
Par contre, il est devenu indéniable qu'avec les années,
certains amendements sont devenus nécessaires pour permettre Ã
la
charte de continuer de réaliser les objectifs visés par le
législateur en 1975. Tout d'abord, une jurisprudence s'est
développée. Cette jurisprudence a pointé du doigt
certaines imperfections ou imprécisions au niveau de la formulation de
la charte elle-même. Il m'apparaît important de faire le tour de
ces brèches afin de redonner au texte son intention première.
D'autre part, certains nouveaux droits ont été inscrits
à l'intérieur de lois sectorielles, qui font actuellement l'objet
de discussions en ce sens sur la place publique. Je pense, par exemple, aux
droits des handicapés contenus dans la Loi assurant l'exercice des
droits des personnes handicapées. Il me vient également Ã
l'esprit les droits à la santé et à la
sécurité du travail et les droits de l'enfant, contenus dans la
loi 24. Le temps est peut-être venu de se demander si une telle tendance
à la multiplication des lois, visant à accorder certains droits
spécifiques, doit se maintenir.
Que dire aussi de certaines notions d'ordre social qui ont tellement
évolué, au cours des dernières années, qu'elles
donnent lieu présentement à des débats qu'il aurait
été difficile d'imaginer il y a cinq ans, mais qui auront
nécessairement un impact sur la charte? Le plus bel exemple de cette
discussion, qu'on n'aurait peut-être pas imaginée avec la
même intensité il y a cinq ans, c'est celui sur l'abolition de
l'âge obligatoire de la retraite. Une réflexion s'impose donc sur
la cohésion législative qui doit exister au niveau des textes de
loi qui traiteront éventuellement de ces notions.
Enfin, la lutte contre toutes les formes de discrimination s'est
grandement raffinée et, grâce à l'expérience
vécue dans de nombreux Ãtats voisins, des outils peut-être
plus efficaces s'offrent maintenant à nous, dont la mise sur pied
nécessitera, elle aussi, l'adoption d'amendements à la
charte.
C'est pour toutes ces raisons qu'il est de mon intention, M. le
Président, de présenter au Conseil des ministres, le plus
rapidement possible après les audiences de la commission parlementaire,
un projet de loi amendant de façon assez substantielle la Charte des
droits et libertés de la personne, notamment au niveau de l'âge,
du sexe, des avantages sociaux et des programmes de redressement progressif. Je
compte donc mieux connaître votre opinion sur ces sujets et l'opinion de
tous les groupes qui se feront entendre, au cours de nos travaux, sur ces
sujets spécifiques, ainsi que tous les autres sujets reliés
à l'application de la charte. En fait, c'est ce que nous ferons ensemble
d'ici la fin des travaux de la commission.
M. le Président, avant d'entreprendre l'audition des
mémoires, il me vient également à l'esprit certaines
questions dont j'aimerais brièvement faire la liste pour les membres de
la commission. Il m'apparaît important que chacun d'entre nous puisse les
garder présents à l'esprit lorsque viendra le temps de discuter
du contenu des mémoires qui nous seront présentés parce
que, Ã mon humble avis, ces questions cristallisent assez bien, je
crois, les débats qui ont cours sur les différentes propositions
d'amendements qui sont couramment mises de l'avant. (10 h 30)
Tout d'abord, concernant les droits fondamentaux contenus dans la
charte, je pense qu'il y a des questions que nous devrons nous poser ensemble
et poser à ceux et celles qui viendront nous rencontrer ou faire des
représentations à cette commission. Concernant les droits
fondamentaux contenus dans la charte, une question qu'on peut sûrement se
poser est la suivante: Jusqu'où peut-on aller dans l'inclusion de
nouveaux droits sans affaiblir le caractère solennel du texte de loi que
représente la Charte des droits et libertés? Il m'apparaît
assez évident que l'intention du législateur en 1975 était
de combattre, de la façon la plus efficace possible, la discrimination
individuelle. Un besoin semble se dessiner pour que la charte serve
également à combattre la discrimination en tant que
phénomène collectif. Quel est le juste équilibre qui doit
s'établir entre les deux, la discrimination sur le plan individuel et la
discrimination sur le plan collectif? Si, par exemple, quelqu'un réclame
que le droit à la santé soit inclus dans la charte, veut-il le
faire pour que ce nouveau droit serve d'outil pour lutter contre la
discrimination ou encore désire-t-il inscrire dans la charte un objectif
solennel pour une société que tout gouvernement se doit
d'atteindre, à plus ou moins brève
échéance?
Si on parle de la discrimination dans les régimes d'avantages
sociaux et d'assurance de personnes, un calcul basé sur des
données actuarielles est-il discriminatoire? Je pense que c'est une
question qu'il va falloir se poser. Certains prétendent que oui parce
que les données actuarielles ne font que refléter les
inégalités socio-économiques qui existent au niveau d'une
société. D'autres, par exemple les signataires du rapport Boutin
sur la discrimination dans les régimes d'avantages sociaux,
prétendent qu'il faut laisser jouer les donnés actuarielles parce
qu'elles ne font que constater une réalité objective et
qu'Ã ce titre, elles seraient non discriminatoires. Je pense que c'est
une question qu'il faudra essayer de vider ensemble.
Au nom d'une certaine égalité de traitement entre
différents groupes d'assurés, une personne peut-elle être
amenée à payer plus cher pour sa prime d'assurance afin que
d'autres paient moins, et ce indépendamment du degré de risque
encouru par l'assureur? C'est une autre question qu'il va falloir se poser, je
crois.
La notion de conjoint de fait et de dépendant doit-elle
être définie dans une charte ou dans les lois et règlements
gouvernant les organismes publics et entreprises privées qui ont comme
rôle d'offrir des régimes d'avantages sociaux ou d'assurance?
Si nous parlons du rôle de la Commission des droits de la
personne, il y a sûrement plusieurs questions qui nous viendront Ã
l'esprit. Tout d'abord, la commission est-elle un organisme de support pour les
personnes qui s'estiment victimes de discrimination, notamment au niveau de
leurs recours devant les tribunaux, ou encore la commission doit-elle devenir
l'avocate attitrée de tous, tant au niveau du redressement des torts
individuels qu'au niveau de ceux subis collectivement par des groupes? Ce sont
des questions qu'on doit se poser, je pense. De plus, les ressources humaines
et financières sont-elles actuellement disponibles pour lui permettre
d'assumer efficacement une vocation plus collective?
Il y a d'autres questions possibles concernant la Commission des droits
de la personne. Est-ce que cette commission peut à la fois lancer ou
même imposer des programmes de redressement progressif et, par la suite,
vérifier si ces mêmes programmes sont respectés?
La commission devrait-elle devenir un organisme quasi judiciaire qui
remplacerait, au niveau des plaintes formulées en vertu de la charte, le
rôle actuellement joué par les tribunaux de droit commun?
Je pense que ce sont quelques-unes des questions qui nous viendront
sûrement à l'esprit à la suite de la réception de
chacun des mémoires.
Si nous parlons des programmes de redressement progressif, je pense que
là -dessus tous conviennent que la société
québécoise doit s'engager dans l'établissement de tels
programmes. Toutefois, il s'impose à nous de bien examiner tous les
impacts de leur mise en oeuvre. Ainsi, de tels programmes devraient-ils
être imposés aux entreprises? Peut-on aussi, de façon
économiquement réaliste et tout en restant efficace, adapter au
Québec un modèle essentiellement basé sur la structure de
l'économie américaine?
M. le Président, j'ai évoqué ici dans
différents secteurs, que ce soit les programmes de redressement, le
rôle de la commission, la discrimination dans les régimes
d'avantages sociaux et d'assurance de personnes, les droits fondamentaux
reconnus dans la charte. J'ai évoqué certaines des questions que
nous devons nous poser ensemble et auxquelles il nous faut essayer de trouver
les réponses les plus valables en fonction non seulement de nos
objectifs personnels, que ce soit comme groupes ou individus, mais en fonction
du mieux-être de l'ensemble d'une collectivité, la
collectivité québécoise.
En terminant, je m'en voudrais de ne pas attirer l'attention de tous sur
un sujet qui, bien que n'étant pas un de ceux sur lesquels nous serons
appelés à discuter au cours des prochains jours, n'en est pas
moins d'une importance primordiale pour l'avenir même de toutes nos
discussions. Il s'agit, bien entendu, de l'impact de la charte
fédérale des droits contenu dans la résolution
actuellement à l'étude à Ottawa sur la Charte
québécoise des droits et libertés de la personne.
Il me paraît important de faire ressortir que l'adoption de la
résolution fédérale, si elle avait lieu, n'est pas sans
conséquence sur notre charte que l'Assemblée nationale du
Québec adoptait, voici quelques années, comme étant le
reflet de certaines valeurs démocratiques et sociales qui existaient et
qui continuent d'exister au niveau de la société
québécoise. Désormais, s'il fallait que ce projet devienne
réalité, ceci voudrait essentiellement dire que le
législateur québécois ne serait plus le seul Ã
exprimer ces valeurs puisque, en ce domaine, les dispositions de la
résolution fédérale viendront soit se superposer aux
droits et libertés reconnus par le Québec, soit en modifier la
portée ou encore les remplacer, tout simplement.
De plus, notre charte, en déterminant le degré de
primauté de ses dispositions sur la législation existante, avait
aussi, on le sait, échafaudé un régime qui se trouvera
remis en question par la résolution fédérale. Certes, on
trouve dans la résolution fédérale, c'est évident,
des droits que nous avions nous-mêmes reconnus et protégés
dans la Charte des droits et libertés de la personne, dans la charte
québécoise. Cependant, non seulement toute notre
législation devrait désormais se conformer plutôt Ã
la charte fédérale, mais également il nous serait beaucoup
plus difficile, voire même impossible, de modifier ou de préciser
le contenu de ces droits afin d'en assurer l'évolution et
l'adéquation aux besoins et au rythme de la société
québécoise.
à l'heure actuelle, on le sait, nous avons un mécanisme
qui se doit de ne pas donner toutes les facilités parce que comme on l'a
dit au début, lorsqu'il s'agit de faire des amendements à une
charte, étant donné l'importance de cette loi, il faut y aller
avec beaucoup de prudence, ce qui n'empêche pas d'y aller quand
même avec fermeté. Nous avons, dans le contexte actuel, un
mécanisme beaucoup plus souple que celui que nous aurions si le projet
de charte fédérale était accepté. Je pense
qu'à partir du moment où ce projet deviendrait
réalité il en résulterait sûrement une confusion
juridique. Toute cette confusion
juridique risquerait de créer une incertitude juridique qui ne
peut exister qu'au détriment d'une protection adéquate des droits
et libertés.
Il nous faudra donc en maintes occasions attendre que les tribunaux
analysent la portée de quelques droits nouveaux et nous indiquent dans
quelle mesure il nous sera permis d'ajouter à ceux déjÃ
reconnus par la résolution fédérale. Or, on le sait, notre
charte, à bien des égards, va nettement plus loin que le projet
fédéral. Devrions-nous accepter ce recul ou même un blocage
des droits existants? Je pense que personne ici n'est prêt à y
consentir, j'en suis persuadé. Ce sont les remarques que j'avais
à faire. Je vous remercie, M. le Président.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Herbert Marx
M. Marx: Merci, M. le Président. J'aimerais,
premièrement, souhaiter la bienvenue à toutes les personnes qui
se sont présentées ici aujourd'hui en commission et j'aimerais
aussi remercier tous ceux qui ont déposé un mémoire devant
la commission.
M. le Président, il convient de rappeler aujourd'hui que ce fut
un gouvernement libéral qui, en 1975, a fait adopter la Charte des
droits et libertés de la personne et qui a créé la
Commission des droits de la personne. Il va donc sans dire que l'Opposition
libérale appuiera des modifications à la charte qui affirmeront
et renforceront cette charte et qui protégeront davantage les droits et
libertés des Québécois. Pour ma formation politique, la
société est d'abord construite pour l'individu dans le respect de
ses droits, de ses choix, de ses devoirs et de son sens des
responsabilités. C'est ainsi que, dans une société
libérale, le respect et la protection des droits fondamentaux - de
conscience, d'opinion, d'association et d'action et le droit à la vie
privée - apparaissent comme prioritaires et essentiels. Dans un tel
cadre, l'action législative de l'Ãtat consiste, non pas Ã
imposer un modèle de société, mais plutôt Ã
protéger l'action sociale des citoyens en empêchant l'exploitation
ou l'oppression des individus ou des groupes par d'autres individus, d'autres
groupes ou même par l'Ãtat.
Le Parti libéral dans son programme intitulé "La
société libérale de demain" a déjÃ
proposé certains changements à la charte. Parmi ceux-ci se
trouvent les suggestions suivantes: 1. Revoir la Charte des droits et
libertés de la personne afin de la modifier, le cas
échéant, pour renforcer les droits et libertés des
Québécois et assurer à tous l'égalité des
chances. 2. Voir à ce que chaque projet de loi et règlement soit
étudié par le ministère de la Justice, lequel avisera
l'Assemblée nationale des dispositions qui ne respectent par la charte.
3. Voir à ce que l'administration publique respecte intégralement
la Charte des droits et libertés de la personne. 4. Modifier la Charte
des droits et libertés afin de permettre l'adoption de programmes de
redressement progressif susceptibles de corriger les injustices affectant
certains groupes, notamment les femmes, les personnes âgées et les
groupes minoritaires. 5. Abroger l'article 90 de la Charte des droits et
libertés de la personne, lequel permet implicitement la discrimination
contre les femmes en matière d'assurances, d'avantages sociaux et de
régimes de rente.
En étudiant la portée et l'efficacité de la charte,
je suis frappé par une faiblesse de la charte. Il s'agit d'une faille de
taille. En effet, l'article 52 de la charte stipule que: "Les articles 9
à 38 prévalent sur toute disposition d'une loi postérieure
qui leur serait contraire, à moins que cette loi n'énonce
expressément s'appliquer malgré la charte."
Cela veut dire que le gouvernement peut passer outre les garanties de la
charte à son gré. Il s'agit simplement d'inclure une clause
dérogatoire à la charte dans la loi. Le gouvernement actuel n'a
pas hésité à violer la charte de cette façon.
Voici la liste des lois québécoises qui comportent une
telle disposition dérogatoire à la charte: 1. 1976, Loi sur les
jurés, article 58. 2. 1976, Loi autorisant les municipalités
à percevoir un droit sur les mutations mobilières, article 16. 3.
1976, Loi concernant les services de santé dans certains
établissements, article 14. 4. 1977, Loi sur la protection de la
jeunesse, article 82. 5. 1977, Loi favorisant la libération
conditionnelle des détenus, article 44. 6. 1977, Loi modifiant le Code
de procédure civile, article 43. 7. 1978, Loi assurant l'exercice des
droits des personnes handicapées, articles 70, 71 et 72. 8. 1981, Code
de la sécurité routière, article 523. 9. 1981, Loi
modifiant la Loi sur la protection de la jeunesse, article 9.
(10 h 45)
Le gouvernement péquiste a expressément violé la
charte à maintes reprises depuis son accession au pouvoir. Il ne faut
pas oublier non plus que le premier projet de loi du gouvernement
péquiste, la Charte de la langue française, comportait
une clause dérogatoire. En effet, le gouvernement a voulu donner
prépondérance à la Charte de la langue sur la Charte des
droits et des libertés de la personne, c'est-à -dire que dans la
hiérarchie des droits, dans la hiérarchie des valeurs, le
gouvernement a proposé qu'on mette les droits linguistiques au-dessus
des droits et libertés de la personne au Québec. Heureusement,
devant un tollé de protestations, surtout de la part du parti
d'Opposition et de la Commission des droits de la personne, le gouvernement
péquiste a reculé.
Enfin, le gouvernement a souvent violé la charte malgré
l'avis contraire fortement étayé de la Commission des droits de
la personne. Voir, par exemple, le mémoire de la commission rendu public
il y a quelques mois sur le Code de la sécurité routière,
où elle a écrit que la dérogation à la charte,
à l'article 523 de ce code, n'est pas justifiée.
Une charte qui peut être violée sera violée. Nous
avons vu cela au niveau fédéral lors des événements
d'octobre 1970. Nous avons aussi vu cela au Québec dans les exemples que
je viens de citer. C'est toujours dangereux quand la protection des droits et
libertés est au bon vouloir du gouvernement péquiste. Il s'agit
d'une lacune dans la protection de nos droits qui doit être
comblée.
L'Opposition aimerait faire la suggestion suivante au gouvernement:
Enchâsser une charte québécoise des droits et
libertés dans les lois du Québec afin que cette charte ait
préséance sur toute loi québécoise, sans
exception.
La technique juridique pour le faire est fort simple. Il s'agit
simplement pour l'Assemblée nationale d'adopter une charte avec un
article semblable à ce qui suit: "Cette charte ne peut pas être
abrogée ou modifiée à moins que 75% du nombre total de
députés à l'Assemblée nationale votent en faveur
d'une telle abrogation ou modification. "De plus, cet article ne peut pas
être abrogé ou modifié à moins que 75% du nombre
total des députés de l'Assemblée nationale votent en
faveur d'une telle abrogation ou modification."
Il est à noter qu'une telle charte québécoise
enchâssée lierait ce gouvernement de même que les
gouvernements futurs. La charte sera au-delà des bons vouloirs du
gouvernement, mais toujours sujette à des modifications Ã
l'Assemblée nationale par le biais d'une procédure
spéciale. Si ce gouvernement est sérieux en ce qui concerne la
protection des droits et libertés des Québécois, il
enchâssera une charte québécoise dès la prochaine
session de l'Assemblée nationale. Qui vivra verra, M. le
Président.
J'aimerais faire une dernière remarque. Le ministre a dit qu'une
charte provinciale va rendre tout confus, cela va mener aux confusions
juridiques. J'insiste sur ceci: l'Opposition libérale est contre le fait
d'avoir une charte fédérale sans le consentement du
Québec. Nous ne pouvons pas accepter une charte fédérale
sans qu'il y ait le consentement du Québec, mais nous sommes pour une
charte au niveau fédéral, et c'est tout à fait normal dans
un système fédéral d'avoir deux chartes: une au niveau
fédéral, une au niveau provincial. Par exemple, aux
Ãtats-Unis, il y a un "bill of rights" pour l'Ãtat de la
Californie et il y a un "bill of rights" au niveau fédéral.
J'insiste encore une fois là -dessus, pour que ce soit bien clair, mais
je pense que c'est clair, on a voté l'autre jour Ã
l'Assemblée nationale, c'était bien clair pour tout le monde que
le Parti libéral du Québec ne peut pas accepter une charte qu'on
imposerait au Québec sans le consentement du Québec. Merci, M. le
Président.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Marc-André Bédard
M. Bédard: M. le Président, j'aimerais faire tout
simplement quelques commentaires, parce que je crois qu'il est maintenant
important, étant donné que nos entrées en matière
sont faites, d'entendre les groupes. Je voudrais rappeler à mon
collègue d'en face, qui a fait l'énumération de certaines
lois où il y a eu des dispositions mettant de côté
l'application de la Charte des droits et libertés, que, dans cette
énumération, si on parle de la Loi de la protection de la
jeunesse, c'était à des endroits et pour des motifs qui
étaient valables au point que la Loi sur la protection de la jeunesse,
vous le savez, a été adoptée unanimement par
l'Assemblée nationale. S'il y avait eu violation de la charte pour des
motifs inavouables, je suis convaincu qu'à ce moment-là ,
l'Opposition n'aurait pas été d'accord.
Si on parle de la loi sur les libérations conditionnelles
où, effectivement, il y a eu une disposition à cet effet, je
rappelle encore une fois à l'Opposition que c'est une loi qui a
été adoptée à l'unanimité de
l'Assemblée nationale parce que, effectivement, avec le concours de
l'Opposition... Si vous me permettez, le droit de parole.
M. Marx: Oui, allez-y.
M. Bédard: Alors, je suis d'accord qu'il y a certains
projets de loi, certains des exemples qui ont été donnés
par mon collègue de l'Opposition qui n'ont pas amené
l'adhésion de l'ensemble des membres de l'Assemblée nationale; je
n'en disconviens pas. Je veux simplement rappeler qu'il y a
plusieurs lois où on a cru bon d'insérer une
dérogation à la charte, mais qui était justifiée au
point d'amener l'adhésion de l'ensemble des membres de
l'Assemblée nationale. Je pense, entre autres, à la Loi sur la
protection de la jeunesse et à la loi sur les libérations
conditionnelles; il y a peut-être d'autres exemples. Je ne veux pas faire
un long débat, M. le Président. Je ne crois pas qu'il y ait lieu
de faire une réplique aux propos très intéressants qui ont
été tenus par mon collègue de l'Opposition. Je serais
prêt à passer à l'audition des groupes.
M. Marx: Question de privilège.
Le Président (M. Desbiens): II n'y a pas de question de
privilège en commission parlementaire.
M. Marx: Question de règlement. Je n'ai pas mon code de
procédure aujourd'hui, mais je suis sûr que le ministre sera
d'accord de me permettre de parler 30 secondes, surtout qu'on défend la
liberté de parole ici.
Le ministre a bien dit qu'on a voté certaines lois où il y
avait une clause dérogatoire. On n'a pas voulu empêcher l'adoption
de ces lois parce que le gouvernement insistait pour qu'on fasse une
dérogation à la loi. Il nous était impossible
d'empêcher la mise en vigueur, de voter contre la loi. Donc, on
était d'accord, sauf pour une clause. Je vais vous donner le dernier
exemple, M. le Président, c'est le Code de la sécurité
routière. On a voulu refaire le code, nous étions d'accord sur ce
point, mais on s'est battu pour que le ministre enlève l'article 523, la
Commission des droits de la personne a fait un mémoire au ministre pour
dire que cette dérogation à la charte est injustifiée.
Enfin, quand le gouvernement a 80 députés et que nous en avons
seulement 42, c'est difficile de gagner chaque bataille. On en gagne
quelques-unes ici et là , mais c'est difficile de gagner chaque
bataille.
Je vais dire en concluant que, si on a une charte et qu'en partant, on
dit: On va la violer, le cas échéant, on part d'un mauvais
esprit. Dans l'Ãtat de la Californie, ils ont une charte de
l'Ãtat, ils ont une charte fédérale et ils ne violent pas
leur charte parce qu'ils ne peuvent pas. L'assemblée ou
l'équivalent de l'Assemblée nationale, dans l'Ãtat de la
Californie, ne peut pas. Si c'est une bonne charte, on ne la viole pas. Si on
part avec l'idée qu'on va la violer, le cas échéant, quand
le gouvernement pense que c'est bien, c'est une mauvaise chose. C'est pourquoi
j'ai fait cette suggestion.
M. Bédard: Je vais prendre note très
sérieusement de la suggestion qui a été faite par M. le
député. Je voudrais lui rappeler que s'il y a des
dérogations possibles à la charte c'est en vertu d'une
disposition qui existe à l'heure actuelle dans la charte, et qui n'a pas
été votée par le gouvernement actuel.
M. Marx: On demande de faire les corrections. L'objet de la
commission, c'est de corriger la charte.
Le Président (M. Desbiens): à l'ordre:
M. Bédard: Je ne vous interromps pas. Le
député sait très bien qu'on ne peut pas tirer de mes
propos quelque conclusion à savoir qu'on doit violer la charte. Non, je
pense qu'on doit avoir non seulement toute l'attention nécessaire, mais
la volonté nécessaire du point de vue politique pour qu'elle soit
respectée. Il y a peut-être des mécanismes qu'on peut se
donner. Il s'agit de les évaluer ensemble. Comme le fait remarquer Mme
Lavoie-Roux, effectivement, il y a, Ã l'heure actuelle, dans la charte
telle qu'elle a été votée par un autre gouvernement, une
possibilité de dérogation, parce qu'il peut y avoir lÃ
certaines circonstances dans l'intérêt même de ceux pour qui
on légifère. Je suis d'accord qu'on devrait trouver le moyen de
cerner le mécanisme à un point tel que ce ne soit pas une porte
ouverte de ce côté.
Mémoires
Le Président (M. Desbiens): Dans le but d'en arriver au
plus tôt aux modifications désirées, on va commencer
à entendre les mémoires des intervenants. J'appelle la Commission
des droits de la personne, représentée par Mme Francine Fournier.
Je lui demanderais de présenter les personnes qui l'accompagnent.
Commission des droits de la personne
Mme Fournier (Francine): Merci, M. le Président.
M. le Président, M. le ministre, Mme la ministre, mesdames et
messieurs membres de la commission parlementaire, la Commission des droits de
la personne du Québec se réjouit de l'occasion qui lui est
donnée, ainsi qu'à l'ensemble de la population
québécoise, de s'exprimer sur la Charte des droits et
libertés de la personne et de recommander aux législateurs les
modifications qui s'imposent.
Il me fait plaisir de vous présenter les commissaires de la
Commission des droits de la personne du Québec qui ont bien voulu et qui
ont pu se joindre à nous aujourd'hui: Mme Nicole Trudeau Bérard,
qui est vice-présidente de la commission, M. Raymond
Sliger, commissaire; Ã ma gauche, Mme Armande Saint-Jean,
commissaire, M. Vaughan Dowie, commissaire, et M. Michel Yarosky, commissaire.
Les autres commissaires seront sans doute présents à d'autres
moments durant les discussions à cette commission parlementaire.
Le mémoire de la commission que j'ai l'honneur de vous
présenter ce matin est le résultat, non seulement de la
réflexion et de l'action de la Commission des droits de la personne et
de son personnel, des commissaires depuis le tout début de la commission
et des commissaires actuels, mais aussi des efforts concertés de
groupes, organismes et individus pour qui la défense des droits et
libertés est l'oeuvre de tous les instants. J'aimerais les remercier
tous de leur précieuse collaboration.
Nous croyons que cette commission parlementaire revêt dans les
circonstances une très grande importance. Nous espérons que le
débat démocratique qu'elle ne manquera pas de susciter
contribuera à l'amélioration de la qualité de vie et des
rapports sociaux au Québec. La Commission des droits de la personne se
présente aujourd'hui comme l'un des intervenants à cette
commission parlementaire, consciente que la Charte des droits et
libertés est le bien de tous les Québécois et que cette
charte doit être soutenue par une volonté collective.
Les responsabilités spécifiques que lui a
conférées le législateur, ainsi que son expérience
des cinq dernières années, autorisent la Commission des droits
à proposer des modifications susceptibles d'améliorer cet
instrument de justice. C'est à partir des besoins de la population, dans
l'esprit de la déclaration universelle des droits de l'homme et dans le
mouvement évolutif des droits de la personne que la Commission des
droits examine avec vous la charte québécoise. (11 heures)
La charte, comme vous le savez, est une loi fondamentale, d'abord par
l'étendue des droits qu'elle consacre. Outre le droit Ã
l'égalité pour les motifs prévus, elle reconnaît les
libertés fondamentales classiques telles que la liberté d'opinion
et d'expression, les droits de la personnalité, comme le droit Ã
l'intégrité physique et à la vie privée. Deux de
ses chapitres sont consacrés, l'un aux droits politiques, l'autre aux
droits judiciaires. Enfin, elle contient un chapitre consacré aux droits
économiques et sociaux, dont le droit à l'information, le droit
à un niveau de vie décent, à des conditions de travail
justes et raisonnables. Bien sûr, pour la plupart de ces droits, c'est
spécifié "dans la mesure prévue par la loi".
La charte est une loi fondamentale, en second lieu, parce que ses
dispositions relatives au secret professionnel, au droit Ã
l'égalité, aux droits judiciaires "prévalent sur toute
disposition d'une loi postérieure qui leur serait contraire, Ã
moins que cette loi n'énonce expressément s'appliquer
malgré la charte". Il est impossible de comprendre l'action de la
Commission des droits de la personne du Québec sans prendre connaissance
de l'étendue des droits reconnus par la charte. En effet,
énumérant les pouvoirs et les devoirs de la commission, le
législateur lui a conféré le mandat général
de "promouvoir, par toutes mesures appropriées, les principes contenus
dans la présente charte".
Les obligations particulières, nous les connaissons bien, il
s'agit pour la commission de recevoir des plaintes, de faire enquête; il
s'agit d'un mandat très général et très important
d'éducation et d'information populaire concernant les droits et
libertés; il s'agit de coopération; il s'agit de recherches
fondamentales concernant les droits et libertés et
particulièrement des recherches sur la législation
antérieure se développant au Québec.
L'indépendance de la commission a été
souhaitée par le législateur, et ceci est fondamental, puisque
ses membres, au nombre de onze actuellement, sont nommés avec
l'approbation, comme vous le savez, des deux tiers des membres de
l'Assemblée nationale. De plus, même si administrativement la
commission relève du ministre de la Justice, elle fait rapport Ã
l'Assemblée nationale.
L'expérience encore une fois des cinq années sert de base
à plusieurs des recommandations de modifications à la charte que
nous présentons aujourd'hui. Certaines de celles-ci ont cependant
été identifiées dès le départ. Les
modifications demandées portent sur certains droits fondamentaux, sur
l'interdiction de discrimination et sur les pouvoirs de la commission. La
considération majeure qui ressort de notre expérience, et donc de
ce mémoire, est la reconnaissance du caractère systémique
de la discrimination. Les personnes sont atteintes de façon collective
par la discrimination. Les cas individuels sont rarement isolés; ils
font partie du système. Les racines des inégalités ne se
retrouvent donc pas surtout dans les relations entre individus, mais bien dans
des pratiques sociales. La discrimination se situe surtout au niveau
collectif.
Une première série de recommandations concernent ce
caractère collectif de la discrimination. La première, les
programmes d'accès à l'égalité, que nous avons
parfois appelés des programmes de redressement, d'autres fois des
programmes d'action collective. Je vous indique que le choix de la commission
s'est finalement porté sur ce terme "programmes d'accès Ã
l'égalité". Nous avons fait de longues études avec l'aide
de
l'Office de la langue française.
La commission recommande, d'abord, que la charte soit amendée de
manière à permettre la mise en oeuvre efficace de programmes
d'accès à l'égalité. Ces programmes ont pour but de
lutter plus efficacement contre la discrimination systémique
s'exerçant à l'endroit de certains groupes de personnes qui ont
subi historiquement et de façon généralisée et qui
subissent encore diverses formes d'exclusions ou de traitements
inégalitaires. Ils s'adresseraient notamment aux femmes, aux
autochtones, à certaines minorités raciales, ethniques ou
nationales, ainsi qu'aux personnes handicapées. Ils s'appliqueraient
surtout dans le domaine du travail et dans celui de l'éducation.
Aux yeux de la commission, la nécessité d'implanter des
programmes d'accès à l'égalité ne fait aucun doute.
Notre expérience, de même que celle des autres commissions
analogues au Canada, aux Ãtats-Unis, en Suède et en
Grande-Bretagne, nous démontre, en effet, que l'approche du cas par cas,
bien qu'absolument nécessaire, ainsi que les mesures incitatives
basées sur la bonne volonté sont tout à fait insuffisantes
pour contrer la discrimination systémique. Soulignons que les lois du
Québec et de Terre-Neuve sont les seules au Canada à ne pas
contenir de dispositions à cet effet. Bien sûr, les lois
d'ailleurs au Canada sont de diverses formes et elles sont analysées
dans notre mémoire. La discrimination ne consiste pas en une
série de phénomènes isolés, nous l'avons vu; dans
plusieurs secteurs d'activités, elle s'érige en système
plus ou moins conscient et volontaire, certes, mais qui a pour effet concret
d'exclure collectivement des groupes de personnes ou tout au moins de les
traiter inégalement. Notre mémoire illustre abondamment Ã
cet égard la situation défavorable des femmes, de certaines
minorité raciales, des autochtones, des personnes
handicapées.
Face à ces données, on voit difficilement comment on
pourrait s'opposer à des mesures vigoureuses de redressement, d'autant
plus que les programmes volontaires d'égalité des chances
appliqués jusqu'ici au Québec n'ont donné que fort peu de
résultats.
La Commission des droits de la personne croit que seuls les programmes
d'accès à l'égalité peuvent constituer des
instruments rationnels et efficaces parce que précisément ils
s'adressent au caractère systémique et collectif de la
discrimination. Un tel programme peut se définir comme suit: C'est un
programme intégré, axé sur l'égalité de
résultats, adopté par une entreprise ou une institution comme
remède à la discrimination systémique et visant Ã
supprimer les obstacles qui s'opposent à l'intégration dans un
secteur donné d'un groupe défavorisé.
Il ne s'agit pas, et ceci est fondamental dans toute l'approche que l'on
peut avoir à ces programmes, de discrimination à rebours qui
s'exercerait contre les groupes majoritaires, mais bien de mesures globales et
plus réalistes visant à faire disparaître ou tout au moins
à atténuer les traitements inégalitaires dont sont
victimes les membres de certains groupes. Un tel programme n'aurait pas pour
effet, par exemple, de diminuer les normes d'embauche en usage dans une
entreprise de manière à favoriser des candidats ou candidates qui
ne posséderaient pas les qualifications requises. En revanche,
l'accès à l'égalité pourrait impliquer que
l'entreprise révise certaines normes d'embauche arbitraires qui ne sont
pas directement reliées à l'accomplissement des tâches,
mais qui ont pour effet de défavoriser systématiquement un groupe
de personnes.
Les programmes d'accès à l'égalité
pourraient impliquer aussi la mise sur pied de programmes spéciaux de
formation visant à combler certains écarts. Ces programmes se
situent dans un contexte de planification et d'intégration d'une
main-d'oeuvre dans le secteur du travail ou d'une population étudiante
dans le secteur de l'éducation. Ils visent à l'obtention de
résultats définis en termes d'objectifs et
d'échéanciers qui tiennent compte de la situation
particulière de l'organisation. Il n'est donc pas question
d'établir des quotas ou des pourcentages fixes. Chaque programme serait
adapté aux besoins et contraintes de chaque organisation.
Quant à savoir si de tels programmes pourraient dans certains cas
être imposés par la loi ou par les tribunaux, la commission se dit
résolument en faveur d'une telle option. Le projet de loi no 24
déposé à l'Assemblée nationale en décembre
dernier nous apparaît à cet égard insuffisant, nous l'avons
déjà dit. Il faut permettre ces programmes, mais aussi pouvoir
les imposer lorsque les circonstances l'exigent. La commission insiste
également pour que la mise en oeuvre de ces programmes soit
contrôlée par une réglementation appropriée qu'elle
aurait le pouvoir de faire respecter. Il importe d'éviter notamment que
le redressement de la discrimination systémique ne donne lieu Ã
de nouvelles formes d'inégalité.
Certains s'opposent à ce que la commission acquière plus
de pouvoirs qu'elle n'en a maintenant et craignent que la commission ne soit
à la fois organisme régulateur, juge et partie. VoilÃ
comment on peut répondre à de telles craintes.
Quand la commission demande une réglementation visant Ã
déterminer la portée et le contenu des programmes, elle ajoute
que ses règlements devraient être approuvés, bien
sûr, soit par le lieutenant-gouverneur, soit par l'Assemblée
nationale. La
commission déposerait un projet, mais ce n'est pas elle qui
légiférerait. De plus, la commission a toujours affirmé
que ses règlements devraient être faits après une large
consultation avec et auprès de milieux intéressés.
Deuxièmement, dire que la commission est à la fois juge et
partie dans l'application de ses programmes est mal connaître le
fonctionnement actuel de la commission. La commission, dans l'exercice des ses
pouvoirs pour combattre la discrimination, remplit successivement des
rôles différents. C'est comme cela que la charte a prévu le
rôle de la commission. Du rôle d'enquêteur, exigeant
l'impartialité, et par lequel elle recueille et analyse des faits pour
vérifier si les raisons de croire à la discrimination sont
exactes, elle passe à celui de médiatrice où elle tente
d'amener les parties à régler leurs différends. Si la
médiation échoue, elle fait des recommandations formelles, mais
qui ne sont pas exécutoires, c'est-à -dire qu'elle ne peut forcer
les parties à agir. Si ses recommandations ne sont pas suivies, elle
doit tout recommencer devant les tribunaux. Devant le tribunal, elle est comme
le plus petit des justiciables. Elle doit plaider en fait et en droit comme
toute partie devant un tribunal.
Il faut donc que les pouvoirs de la commission en matière
d'accès et des programmes d'accès Ã
l'égalité soient définis de façon qu'ils puissent
être exercés en continuité et en harmonie avec les pouvoirs
qu'elle exerce actuellement. Un amendement à la charte ferait en sorte
que les programmes d'accès à l'égalité soient un
remède à la discrimination et que la commission ait le pouvoir de
recommander l'implantation de tels programmes.
L'implantation de ces programmes serait recommandée à la
suite d'une enquête et, au besoin, ordonnée par les tribunaux.
Par ailleurs, d'aucuns pourront prétendre que la mise sur pied
d'un appareil aussi complexe et contraignant n'apparaît pas
nécessaire et qu'il suffirait, par des programmes
d'égalité des chances ou des programmes établis sur une
base volontaire, de placer tous les coureurs sur une même ligne de
départ. Mais le problème, c'est que la piste est courbe, si bien
que les coureurs situés à l'extérieur de la piste n'ont
pratiquement aucune chance de remporter la course. L'accès Ã
l'égalité, dans cette perspective, consiste à placer les
coureurs de manière que tous aient la même distance Ã
parcourir et, partant, les mêmes chances de gagner.
Bref, nous sommes convaincus que l'égalité de tous les
êtres humains en valeur et en dignité, sans distinction, exclusion
ou préférence discriminatoire, se mesure aussi dans une
société en termes de résultat. C'est pourquoi la
commission recommande qu'une modification à la Charte des droits et
libertés de la personne visant les programmes d'accès Ã
l'égalité comporte les éléments suivants:
à la demande d'une personne ou d'un groupe, ou de sa propre
initiative, la commission peut approuver ou, dans le cas de discrimination
ayant fait l'objet d'une plainte au sens de l'article 69 de la charte, ou d'une
enquête de sa propre initiative, au sens de l'article 73, recommander
l'adoption de programmes d'accès à l'égalité
destinés à empêcher, éliminer ou réduire
toute forme de discrimination à l'égard d'un groupe de personnes.
Ces programmes peuvent s'appliquer dans les domaines de l'accès aux
services ordinairement offerts au public, du logement, de l'emploi et de
l'éducation.
La commission peut également en tout temps, avant ou après
l'approbation ou la recommandation de programmes d'accès Ã
l'égalité, effectuer des enquêtes relativement Ã
leur application, les modifier et retirer son approbation quand les faits le
requièrent. Une activité en accord avec de tels programmes ne
constitue pas une violation de la charte. La Commission des droits de la
personne fait des règlements qui déterminent la portée et
le contenu des programmes. Ces règlements seraient approuvés soit
par le lieutenant-gouverneur en conseil, soit par l'Assemblée
nationale.
La Commission des droits de la personne fait des règlements
soumis à la même approbation pour assortir les contrats, permis,
licences ou subventions accordés par le gouvernement du Québec ou
tout organisme ou entreprise relevant de son autorité, de conditions et
modalités prévoyant la mise en place de programmes d'accès
à l'égalité sous réserve, pour celui qui obtient
tels contrats, permis, licences ou subventions, de démontrer que
l'introduction de semblables programmes n'est pas nécessaire parce que
sa politique d'emploi n'est entachée d'aucune forme de discrimination.
Ce même principe s'appliquerait à la fonction publique.
Enfin, l'article 83 de la charte devrait être modifié de
manière que la commission puisse prendre toute action judiciaire
appropriée en matière de programmes d'accès Ã
l'égalité sans devoir obtenir le consentement d'une victime
individuelle. Cela fait l'objet d'une autre recommandation de la
commission.
Voilà notre position, M. le Président, sur les programmes
d'accès à l'égalité. Avec une préoccupation
semblable, la commission fait aussi des recommandations concernant son pouvoir
d'ester en justice. (11 h 15)
Dans l'état actuel des choses, l'article 83 de la charte
prévoit ceci: "Lorsque, aux termes d'une enquête, la
recommandation de la commission n'a pas été suivie dans le
délai fixé, elle peut, avec le consentement écrit
de la victime, s'adresser au tribunal en vue d'obtenir une injonction contre la
personne en défaut. Elle peut aussi, avec le même consentement,
s'adresser au tribunal pour réclamer, en faveur de la victime,
l'indemnité dont elle avait réclamé le paiement." Ces
dispositions risquent d'empêcher la commission de demander, par
injonction, l'accomplissement d'un acte au-delà de
l'intérêt particulier d'une victime identifiée. C'est ainsi
qu'elle peut, par exemple, réclamer l'embauche d'une personne qu'on a
refusée à cause d'une politique d'embauche discriminatoire, mais
son intérêt, au sens du Code de procédure civile, est moins
évident lorsqu'il s'agit de demander la correction d'une politique
d'embauche ou de promotion discriminatoire non seulement pour la personne qui a
porté plainte, mais pour toute personne de sa catégorie.
De même, dans les cas d'atteinte à la dignité,
à l'honneur et à la réputation d'un groupe de personnes -
nous pensons aux femmes, aux autochtones, Ã certains groupes raciaux ou
ethniques - par des paroles, des écrits, des avis ou des symboles, la
commission peut difficilement recourir aux tribunaux, faute de pouvoir
identifier une victime contre laquelle les paroles ou écrits vexatoires
seraient personnellement dirigés.
Enfin, dans le cas où des personnes ou des groupes se
prévalent eux-mêmes de quelque disposition de la charte devant un
tribunal, la commission ne peut présentement participer a
l'enquête et à l'audition, comme si elle était partie au
litige. C'est pourquoi la commission recommande que sa capacité d'ester
en justice soit précisée, pour demander l'accomplissement d'un
acte au-delà de l'intérêt particulier d'une victime
identifiée, pour agir en cas d'atteinte aux droits fondamentaux d'un
groupe de personnes, pour participer à l'enquête et Ã
l'audition, comme si elle y était partie, dans toute instance touchant
l'application de la Charte des droits et libertés de la personne.
La commission recommande aussi une modification de l'article 83, de
façon à lui permettre explicitement d'agir devant les tribunaux
par le recours collectif. Cette possibilité est présentement
exclue par la Loi sur le recours collectif, notamment parce que le
représentant du groupe doit être une personne physique. Il arrive
assez fréquemment que des personnes, faisant partie d'un groupe
discriminé - disons des femmes qui recevraient un salaire
inférieur à des hommes pour un travail équivalent
-hésitent à perdre leur anonymat en portant individuellement leur
cause devant les tribunaux, même avec l'aide de la commission. Pensons
surtout aux personnes en situation de faiblesse, pour qui l'appui d'un groupe
peut constituer un élément important dans la poursuite de leur
action. Il est clair que si la commission pouvait utiliser le recours
collectif, n'exigeant que la signature d'un seul membre du groupe
concerné, son action serait beaucoup plus efficace. Elle pourrait
corriger, Ã partir d'une seule plainte, la discrimination subie par tout
un groupe ou une classe de personnes; d'autant plus que, les coûts
étant assumés par la commission, son intervention
épargnerait aux victimes ou au fonds d'aide prévu par la loi les
frais considérables qui sont présentement rattachés au
recours collectif. Il est bien entendu, toutefois, que la commission
continuerait d'intenter des poursuites judiciaires avec le consentement des
victimes, comme cela est le cas présentement.
Au chapitre de la discrimination comme telle, notre deuxième
série de recommandations vise à étendre ou Ã
améliorer la protection des citoyens contre la discrimination en termes
spécifiques.
Premièrement, l'âge. Il nous apparaît d'abord
impérieux que la charte soit modifiée de manière Ã
inclure l'âge comme motif interdit de discrimination. Le
bien-fondé d'une telle mesure est particulièrement
évident. Non seulement le Québec est-il la seule province
canadienne à ne pas disposer d'une telle interdiction, mais les
problèmes sociaux qui découlent de cette lacune sont largement
connus et dénoncés depuis de nombreuses années. Les
jeunes, aussi bien que les personnes d'âge mûr, sont ici
concernés. Des équations rigides sont faites entre l'âge
d'une personne et les emplois qu'elle peut occuper, et vous n'ignorez pas que,
pour certains emplois, on devient vieux dès l'âge de 35 ou 40 ans
alors que des personnes de 25 ans ou moins sont souvent
considérées comme trop jeunes, qu'elles aient de
l'expérience ou non.
Nous estimons que l'interdiction de toute discrimination fondée
sur l'âge ne devrait pas comporter de limites inférieures ou
supérieures. Il est bien entendu que les exceptions législatives
devraient alors être justifiées.
Comme conséquences, les jeunes seraient ainsi
protégés et les personnes âgées ne seraient plus
contraintes de prendre leur retraite à un âge
déterminé, entre autres bénéfices d'une telle
interdiction de discrimination.
Notre mémoire précise que la commission favorise la mise
en place de mécanismes souples d'accès à la retraite ainsi
qu'un abaissement de l'âge possible de la retraite. En
conséquence, la Commission des droits de la personne recommande que
l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne soit
modifié de façon que l'âge soit ajouté après
l'état civil comme motif de discrimination illicite, et que l'âge
soit défini de manière à ne pas permettre le maintien d'un
âge obligatoire de
la retraite.
La nationalité. Nous estimons que la nationalité doit
être ajoutée à l'article 10 de la charte comme motif de
discrimination et s'ajouterait à celle fondée sur l'origine
ethnique ou nationale. Les résidents permanents qui n'ont pas acquis la
citoyenneté canadienne seraient ainsi protégés contre
diverses pratiques discriminatoires, notamment dans le domaine du travail et du
logement.
Notons que l'article 1664s du Code civil abrogé en 1976
prévoyait déjà cette protection dans le secteur du
logement, si bien que l'actuelle absence de protection constitue un recul par
rapport à la situation qui existait avant la mise en vigueur de la
charte.
L'état de grossesse. La commission a toujours soutenu et soutient
encore que la discrimination fondée sur le sexe inclut également
celle qui est fondée sur l'état de grossesse. Depuis 1978,
l'ordonnance no 17 accorde aux travailleuses un congé de
maternité et une protection contre toute perte d'avantages, mais la
commission a continué de recevoir des plaintes dans des secteurs non
couverts par l'ordonnance no 17, par exemple, les cas de refus d'embauche. La
commission reçoit aussi des plaintes dans le secteur du logement
touchant les femmes enceintes.
Or, deux jugements récents refusent cette interprétation
de la commission, si bien qu'une partie de la protection accordée aux
femmes enceintes risque d'être remise en question. Nous croyons que la
charte est le lieu privilégié pour reconnaître pleinement
la fonction sociale de la maternité et, partant, le droit Ã
l'égalité pour les femmes sans discrimination fondée sur
l'état de grossesse.
La commission recommande donc d'ajouter à l'article 10 de la
charte, après le mot "sexe", les mots "état de grossesse".
Le handicap. Un problème se pose à propos de la
discrimination fondée sur le fait qu'une personne est handicapée
ou qu'elle utilise quelque moyen pour pallier son handicap. Ce motif de
discrimination, comme vous le savez, a été ajouté Ã
la charte par la Loi assurant l'exercice des droits des personnes
handicapées. Les tribunaux sont donc enclins à appliquer Ã
la charte la définition de personne handicapée
précisée à l'article 1g de cette loi, soit: "Toute
personne limitée dans l'accomplissement d'activités normales et
qui, de façon significative et persistante, est atteinte d'une
déficience physique ou mentale ou qui utilise
régulièrement une orthèse, une prothèse ou tout
autre moyen pour pallier son handicap."
Une telle définition restrictive convient très bien aux
objectifs de la loi qui assure l'exercice des droits des personnes
handicapées prévoyant, notamment, des plans de services et de
l'aide matérielle pour ces personnes. L'objectif de la charte est,
cependant, tout autre. Si l'on veut prévenir la discrimination et
l'exploitation des personnes atteintes d'un handicap, ce sont toutes les
personnes qui doivent être visées et non pas seulement celles qui
sont limitées de façon significative et persistante dans
l'accomplissement d'activités normales. Certaines malformations
mineures, par exemple, ou le fait d'être diabétique ou
épileptique constituent des handicaps qui n'affectent pas les
activités normales. Ils représentent pourtant de fréquents
motifs de congédiement ou d'exclusion à l'embauche, ainsi que de
refus de location dans le secteur du logement.
C'est pourquoi il faudrait remplacer l'expression "personne
handicapée", dans l'article 10 de la charte, par une interdiction de
toute discrimination fondée sur le handicap physique ou mental ou
l'utilisation d'un moyen pour pallier un handicap.
Les personnes plus légèrement handicapées aussi
bien que celles qui le sont lourdement seraient ainsi protégées
efficacement contre une forme de discrimination très largement
répandue.
D'autres recommandations concernent les articles 10, 11, 19 et 20. Nous
recommandons, Ã propos des formulaires de demande d'emploi et des
entrevues, qu'il soit interdit d'une façon spécifique de demander
des renseignements susceptibles de donner lieu à la discrimination dans
l'embauche et que la charte soit modifiée de façon Ã
mentionner expressément cette interdiction. C'est l'expérience
qui nous a amenés à demander une telle modification.
Nous recommandons également que le législateur
prévoie l'interdiction formelle d'exercer quelque forme de
harcèlement que ce soit fondée sur l'un ou l'autre des motifs de
discrimination illicites énumérés à l'article 10 de
la charte.
De nombreuses personnes sollicitent les services de la commission et
s'informent des recours qu'elle peut offrir aux victimes de harcèlement
sexuel. Le harcèlement sexuel se rencontre dans les milieux de travail,
mais aussi dans d'autres milieux comme les écoles et les
universités.
Notre interprétation, comme commission, est que le
harcèlement sexuel est une forme de discrimination, mais nous voulons
nous assurer que les personnes qui ont à subir ce type de
harcèlement soient protégées d'une façon
efficace.
Maintenant, bien que le harcèlement sexuel soit une forme
courante de harcèlement, forme de harcèlement
particulièrement odieuse, nous ne voulons pas laisser entendre qu'il
soit l'unique forme de harcèlement constituant de la discrimination.
Nous reconnaissons que le harcèlement fondé notamment sur la
race, la couleur et l'origine ethnique est un phénomène
réel,
dans notre société, qui ne peut passer
inaperçu.
La commission recommande donc d'ajouter, après l'article 11,
l'article suivant: " Nul ne doit exercer quelque forme de harcèlement
que ce soit, fondé sur l'un des motifs de l'article 10."
L'article 19, pour sa part, qui traite de la discrimination salariale
pour un travail équivalent, devrait faire l'objet d'une précision
quant au sens qu'il faut donner aux termes "même endroit". Nous le
spécifions dans notre mémoire.
Par ailleurs, et la commission tient à le souligner, le
même article permet des différences salariales fondées sur
la quantité de production et l'évaluation au mérite. La
commission tient à souligner les dangers sérieux reliés
à l'application de ces formes, de ces termes, et les contradictions
qu'ils peuvent représenter par rapport au droit à des conditions
de travail justes et raisonnables et qui respectent la santé, la
sécurité et l'intégrité physique des
travailleurs.
En conséquence, la commission recommande que la
législation du travail soit revue en tenant compte de ces
préoccupations et son application surveillée étroitement
de façon que de tels abus soient évités.
Enfin, en ce qui touche l'article 20, la commission recommande, pour
clarifier la première partie de cet article et la rendre intelligible
pour tous, de remplacer les mots "aptitudes et qualités exigées
de bonne foi pour l'emploi" par "aptitudes et qualités requises par
l'emploi". Cette rédaction rendrait l'article 20 conforme Ã
toutes les législations analogues au Canada, qui utilisent l'expression
" bona fide occupational qualifications".
Là aussi, c'est l'expérience qui nous a amenés
à constater qu'il y avait de la confusion en ce qui concerne
l'interprétation ou le sens à donner à cet article.
M. le Président, l'une de nos demandes de modifications majeures
concerne la discrimination dans les avantages sociaux. Comme vous le savez, au
moment où fut adoptée et mise en vigueur la Charte des droits et
libertés de la personne, l'article 97 de la charte autorisait la
discrimination fondée sur le sexe et l'état civil, pourvu que les
distinctions soient fondées sur des données actuarielles. (11 h
30)
Dès 1976, prévoyant les conclusions du rapport Boutin sur
la discrimination dans les régimes d'avantages sociaux, la charte fut
amendée pour autoriser implicitement, par une modification Ã
l'article 97 de la charte, toute discrimination fondée sur le sexe et
l'état civil dans les régimes d'avantages sociaux. Avec l'ajout
à la charte de nouveaux motifs interdits de discrimination, soit
l'orientation sexuelle et le handicap, la discrimination dans les secteurs des
avantages sociaux et des assurances de personnes était désormais
autorisée dans tous les cas où elle était fondée
sur le sexe, l'état civil, l'orientation sexuelle et le handicap.
Cette situation, de l'avis de la Commission des droits de la personne,
ne peut plus durer et il convient d'abroger l'article 97, devenu l'article 90
dans les Lois refondues du Québec, pour le remplacer par une
interdiction générale d'exercer de la discrimination dans ce
secteur en prévoyant toutefois une réglementation qui viendrait
préciser les situations discriminatoires et celles qui ne le sont pas,
limitant de ce fait les occasions de litiges. Par exemple, en ce qui concerne
la discrimination fondée sur le handicap, la réglementation
établirait les distinctions requises entre handicap et état de
santé et délimiterait les situations qui justifient l'assureur de
tenir compte de l'élément état de santé.
Je crois que je vais vous référer à l'ensemble du
document pour la justification des recommandations de la commission. Je vous
ferai donc lecture des recommandations elles-mêmes.
Recommandations: Que, dans les régimes d'avantages sociaux, nulle
distinction ne soit autorisée en fonction du sexe des personnes
concernées, même si ces distinctions sont prétendues
justifiées sur la base de calculs actuariels.
Que le conjoint autre que légalement marié soit admissible
aux bénéfices normalement accordés par les régimes
d'avantages sociaux, compte tenu d'exigences appropriées quant Ã
la période de cohabitation. (Par exemple, une période maximale de
trois ans. On ne pourrait autoriser, par exemple, une exception qui
dépasserait trois ans si l'un des conjoints est légalement
marié et un an dans les autres cas, comme le prévoit la
réglementation fédérale).
Que toute personne à charge, sans distinction fondée sur
l'état civil et les liens de parenté, soit admise aux
bénéfices attribués aux dépendants par les
régimes d'avantages sociaux, sur la base d'une définition
appropriée et raisonnable. (Par exemple, pourrait être ainsi
considérée, comme le prévoit l'actuelle Loi sur
l'assurance automobile, toute personne liée à l'assuré par
le sang ou l'adoption, ainsi que toute personne étrangère qui
était, à l'égard de la victime, in loco parentis ou
à l'égard de qui la victime était in loco parentis et qui,
lors de l'accident, vivait entièrement ou dans une large mesure des
revenus de la victime).
Que toute distinction fondée sur l'âge ne soit
autorisée qu'en autant qu'elle ait pour effet d'assurer des
avantages
équivalents pour l'ensemble des participants au régime
d'avantages sociaux.
Que les personnes du même sexe vivant ouvertement ensemble d'une
manière continue et stable soient considérées comme
conjoints pour les fins des régimes d'avantages sociaux.
Que, dans les avantages sociaux, nulle distinction, exclusion ou
préférence ne soit effectuée sur la base du handicap, sauf
s'il est justifié de tenir compte, dans les circonstances, de
l'état de santé des personnes concernées.
Que les régimes étatiques d'avantages sociaux et de
prestations sociales soient, si besoin est, modifiés pour tenir compte
des recommandations ci-haut énoncées.
Que les régimes privés d'assurance individuelle soient
également modifiés en ce sens.
Qu'un pouvoir de réglementation soit accordé à la
Commission des droits de la personne pour assurer la mise en oeuvre de ces
recommandations. Je vous rappelle que c'était aussi une recommandation
du rapport Boutin.
En ce qui concerne les droits fondamentaux que nous pourrions qualifier
de classiques, voici les recommandations que la commission tient Ã
faire.
L'article 1 de la charte est libellé de façon Ã
reconnaître comme fondamentaux les droits à la vie, à la
sûreté, à l'intégrité physique et à la
liberté de sa personne. On sait aussi qu'il y a d'autres types
d'atteintes, des tortures ou des harcèlements qui s'attaquent Ã
l'esprit autant qu'au corps. Cela est d'ailleurs reconnu depuis toujours par
les tribunaux, qui octroient des dommages moraux pour les atteintes Ã
l'intégrité psychologique de la personne et qui reconnaissent que
l'angoisse mentale ou morale causée par la faute d'autrui peut donner
lieu à une compensation. La commission recommande en conséquence
d'enlever à l'article 1 de la charte le mot "physique" pour que soit
reconnu comme fondamental le droit à l'intégrité de la
personne.
Le droit à un environnement sain. à ce même article,
devrait s'ajouter la reconnaissance du droit de toute personne à un
environnement sain. De nombreux textes internationaux le reconnaissent, ainsi
d'ailleurs que la Loi sur la qualité de l'environnement.
Le droit au secours. L'article 2 de la charte impose l'obligation de
porter secours à celui dont la vie est en péril. Dans sa
formulation actuelle, l'article 2 de la charte nous paraît cependant
insuffisant.
Premièrement, il n'oblige à porter secours que si la vie
d'autrui est en péril. Deuxièmement, l'article ne prévoit
expressément aucune immunité, aucune impunité pour celui
qui de bonne foi a porté secours à son prochain. Le viol, les
voies de fait, pour ne donner que deux exemples, sont des cas où
l'intégrité d'une personne est en danger. De plus, la commission
demande depuis longtemps qu'une immunité soit prévue par celui ou
celle qui porte secours à autrui. Cette précision pourrait
contribuer à atténuer les craintes des citoyens qui
hésitent à intervenir en pareil cas de peur d'être
poursuivis pour un dommage qu'ils pourraient causer.
L'article 2 pourrait donc se lire ainsi: "Tout être humain en
péril a droit au secours. Toute personne doit porter secours Ã
celui qui est en péril, personnellement ou en provoquant du secours,
à moins d'un risque pour elle ou pour les tiers, ou d'un autre motif
raisonnable. "Celui qui, de bonne foi, a porté secours à autrui
ne peut être poursuivi en justice en raison des actes ainsi accomplis,
sauf en cas de faute lourde."
Les droits économiques et sociaux. Dans le courant de
l'évolution du droit international relatif à la défense
des droits et libertés, la charte du Québec reconnaît et
affirme les droits économiques et sociaux comme droits fondamentaux. Cet
acquis de la charte québécoise doit être maintenu. C'est
dans cette perspective que la Commission des droits de la personne recommande
que certains ajouts soient apportés à ce chapitre. En premier
lieu, la commission recommande qu'un nouvel article soit ajouté Ã
la charte reconnaissant les droits des peuples autochtones. L'article 43 de la
charte qui confère aux minorités ethniques le droit de maintenir
et de faire progresser leur propre vie culturelle apparaît
inadéquat pour défendre les droits des peuples autochtones vivant
au Québec.
Les minorités dont il est question dans l'article sont celles
dont les membres sont venus s'installer au Québec à une date
relativement récente. C'est cette lacune de la charte que la
présente proposition de modification veut combler en prévoyant un
article nouveau confirmant la reconnaissance des droits des premiers habitants
de ce pays. Les revendications des autochtones comme peuple distinct se sont
exprimées à travers une continuité historique et une
détermination inchangée, qu'il s'agisse des droits de chasse, de
pêche et de piégeage, d'indemnités diverses, de la
protection de leur culture et de leur mode de vie comme de la volonté
d'administrer eux-mêmes leurs affaires et leur territoire. Les
gouvernements fédéral et provinciaux ont déjÃ
ratifié plusieurs conventions internationales reconnaissant
expressément le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et
à utiliser librement leurs richesses et ressources naturelles.
En formulant un nouvel article dans la charte, reconnaissant les droits
des peuples
autochtones, la commission suggère que les rédacteurs
prennent en considération les éléments ci-après qui
sont le fondement des pactes et des conventions que j'ai mentionnés tout
à l'heure; le droit des communautés autochtones d'exister en tant
que groupe distinct; le droit à leur bien-être, sans contrepartie
aucune à l'égard de l'Ãtat; le droit à la
différence qui englobe le droit de parler leur langue et de conserver
les traits caractéristiques de leur culture; le droit, en tant que
collectivité, de décider de leur développement et de
procéder aux choix économiques qui leur conviennent y compris le
droit à l'autosubsistance; le droit de ne pas être
dépossédées de leurs biens; le droit de contrôle sur
leurs ressources naturelles et le droit de les conserver comme elles
l'entendent; le droit de revendiquer leur titre de peuple aborigène; le
droit à l'autodétermination et au choix du statut politique qui
leur convient.
à ce même chapitre des droits économiques et
sociaux, nous avons cru bon de recommander précisément, dans un
effort de reconnaître en termes solennels un certain nombre de droits,
d'ajouter l'affirmation du droit au travail.
Le droit au travail est un droit reconnu dans la déclaration
universelle des droits de l'homme, dans le pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels. Nous croyons que ce droit doit
être inséré dans le chapitre des droits économiques
et sociaux de la charte. à ceux qui prétendraient que la
reconnaissance de ce droit dans le droit positif québécois est
irréaliste, nous rappelons que le droit au travail recouvre d'autres
réalités que celles d'une tendance au plein emploi, soit, par
exemple, l'établissement de mesures visant à faciliter
l'accès à l'emploi et à protéger le salarié
contre les licenciements sans causes justes et suffisantes.
En conséquence, la commission recommande que l'article 46 de la
charte se lise dorénavant comme suit: Toute personne a droit au travail.
Quiconque travaille a droit, conformément à la loi, à des
conditions de travail justes et raisonnables et qui respectent sa santé,
sa sécurité et son intégrité physique.
De la même façon, les textes internationaux qui inspirent
nombre de dispositions de la charte comportent de manière précise
une reconnaissance du droit à la santé. On peut citer Ã
cet égard la déclaration universelle des droits de l'homme, le
pacte international, encore, relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels et la Charte sociale européenne. La commission recommande, en
s'inspirant particulièrement de la Charte sociale européenne,
d'ajouter à la charte l'article suivant: Toute personne a le droit de
bénéficier de toutes les mesures lui permettant de jouir du
meilleur état de santé qu'elle puisse atteindre.
Le droit à l'éducation. Il convient, de l'avis de la
Commission des droits de la personne, d'assurer intégralement la
reconnaissance du droit à l'éducation dans la charte. Celle-ci ne
reconnaît ce droit que d'une manière partielle, en mentionnant le
droit à l'instruction publique gratuite, la liberté de choix
entre l'enseignement moral et religieux et le droit à l'enseignement
privé. Or, comme en témoignent les conventions internationales,
le droit à l'éducation a une portée beaucoup plus vaste.
La Commission des droits de la personne recommande donc que l'article 40 de la
charte se lise dorénavant de la façon suivante: Toute personne a
droit à l'éducation. Toute personne a droit, dans la mesure et
suivant les normes prévues par la loi, à l'instruction publique
gratuite.
Enfin, Ã ce chapitre, sur la question des droits des enfants, la
commission recommande que l'article 39 de la charte soit reformulé comme
il l'était avant l'adoption de la Loi instituant un nouveau Code civil
et portant réforme du droit de la famille. Nous demandons donc que
l'article 39 se lise comme suit: Tout enfant a droit à la protection,
à la sécurité et a l'attention que doivent - et non pas
"que peuvent" - lui apporter ses parents ou les personnes qui en tiennent
lieu.
Voilà , M. le Président, l'ensemble de nos recommandations.
Avant de conclure notre présentation, j'aimerais attirer l'attention de
la commission sur les ressources de la commission.
(11 h 45)
La Commission des droits de la personne lance deux appels pressants en
ce qui concerne les ressources. Premièrement, elle manque dramatiquement
de ressources par rapport aux mandats qui lui sont confiés. En 1975,
lors de sa création, la commission obtenait 60 postes qui se sont vite
avérés insuffisants. En 1981, elle ne dispose toujours que de ces
mêmes 60 postes, alors que la charte a été amendée,
par exemple, par l'ajout du handicap et de l'orientation sexuelle, et que les
demandes adressées au service d'accueil sont passées, entre 1979
et 1981, de 9500 à plus de 15 000. Les dossiers d'enquête, pour
leur part, connaissent une augmentation régulière: 421 en 1977,
834 en 1978, 931 en 1979, 1372 en 1980 et le rythme se maintient, sinon
s'accélère.
Outre le pouvoir d'enquête qu'elle s'est vu confier par le
législateur, la commission s'est vu également attribuer le devoir
de faire de l'information, de la coopération, de l'éducation et
de la recherche. Or, malgré une utilisation maximale de ses ressources
humaines et malgré les nombreuses réalisations qu'elle a Ã
son actif, la commission ne peut répondre adéquatement aux
diverses demandes qui lui sont adressées
dans le cadre précis de son mandat. Vous conviendrez que, dans
certains cas, le retard que nous prenons à traiter de certains cas
d'enquête peut équivaloir à des dénis de
justice.
Les présences régionales.
Deuxièmement, la commission juge essentiel l'établissement
de présences régionales continues. Les atteintes aux droits et
libertés de la personne n'existent pas qu'à Montréal et
à Québec et la charte elle-même précise que la
commission peut ouvrir des bureaux à tout endroit du Québec.
L'accessibilité des services de la commission pour tous les
Québécois est aussi une garantie de respect des droits. Ã
cet égard, les présences itinérantes et occasionnelles des
agents de la commission dans les régions demeurent tout à fait
insatisfaisantes. Des présences continues s'imposent et le meilleur
réquisitoire à cet effet demeure les demandes
répétées des citoyens de l'Outaouais, de la
Côte-Nord, de l'Abitibi-Témiscamingue et du
Saguenay-Lac-Saint-Jean, pour ne nommer que celles-là .
Les modifications à la Charte des droits et libertés de la
personne, que la Commission des droits recommande, impliquent des choix sociaux
et, dans certains cas, des coûts. La commission est profondément
convaincue, cependant, que ces coûts sont infiniment inférieurs
à ceux qui résulteraient à moyen, à long et parfois
à court terme de la négation ou de la défense
mitigée des droits et libertés. La Commission des droits de la
personne estime aussi que la rationalisation des ressources d'une
société est un objectif indiscutablement valable, mais que
celle-ci ne peut être faite à la défaveur de certaines
catégories de personnes, particulièrement celles qui sont
spécifiquement protégées par la charte. On risquerait
alors de pénaliser plus avant des groupes de personnes qui n'ont pas eu,
dans le passé, et qui n'ont pas encore, à l'heure actuelle, des
chances égales de participer à la richesse collective. Nous
devons, comme société, nous fixer le standard le plus
élevé possible de définition et d'exercice de
libertés et de droits fondamentaux. Nous devons viser la codification la
plus complète et la plus juste de ces droits et libertés et nous
devons nous assurer que l'accès à ceux-ci est égal pour
tous. Les accrocs même mineurs à l'exercice des droits et
libertés ne peuvent être tolérés, car non seulement
ils constituent des injustices, mais ils contiennent de plus des germes
d'atteinte plus grave à ces mêmes droits et libertés.
L'histoire nous a appris que nulle société n'est à l'abri
d'une telle menace.
Les lacunes, dans certains cas substantielles, identifiées dans
la charte par la commission, mais aussi par plusieurs groupes et organismes qui
lui ont fait connaître leur intérêt et leur appui doivent
être comblées si nous voulons atteindre ce standard. La commission
doit posséder les instruments qui l'habiliteront à mener une
lutte efficace contre la discrimination et contre les entorses qui portent
préjudice aux libertés et droits fondamentaux. Ayant situé
les racines de la discrimination au niveau systémique et ayant
constaté le caractère collectif de sa pratique, la commission est
justifiée de réclamer des moyens efficaces pour la contrer. Il
est plus économique de s'attaquer à la racine du mal que de n'en
soigner que les expressions individuelles.
Cela dit, l'importance du traitement adéquat des cas individuels
d'atteinte aux droits ne doit faire l'objet d'aucune hésitation. La
discrimination actuellement légale, celle sur la base de l'âge et
celle permise dans les avantages sociaux à l'égard de certaines
catégories de personnes, ne doit plus être tolérée.
La définition plus adéquate de certains droits ainsi que
l'affirmation ferme de certains autres - nous pensons aux droits des peuples
autochtones, aux droits au travail, à la santé et Ã
l'éducation placeront cette charte reconnue comme très riche mais
perfectible à la hauteur des espoirs qu'elle suscite.
La commission est persuadée que les modifications à la
charte qu'elle propose auraient pour effet d'en faire un instrument de justice
plus complet et plus efficace. La loi fondamentale qui affirme les droits et
libertés des citoyens et résidents du Québec a
été conçue et est vécue avec la
générosité et la noblesse de la déclaration
universelle des droits de l'homme et des pactes internationaux.
L'expérience des cinq années de défense et de promotion
des droits que la commission a à son actif lui permet de croire que la
volonté collective québécoise se situe dans un courant de
défense avancé des droits et libertés et que la population
du Québec souhaite être associée Ã
l'évolution internationale des droits de la personne. Le Québec
mérite une Charte des droits et libertés de la personne qui lui
permette d'espérer l'égalité de tous dans le respect
profond des libertés de chacun. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le ministre.
M. Bédard: M. le Président, je suis convaincu de
traduire l'opinion de tous les membres de cette commission en remerciant la
Commission des droits pour son mémoire très substantiel, un
mémoire qui, je pense, fait la preuve d'une réflexion remarquable
sur l'ensemble du vaste sujet des droits et libertés. Ce mémoire
reflète le dynamisme des membres de la commission, il aborde, on est
à même de le constater, de nombreux sujets; s'il fallait que,
personnellement, j'entreprenne une discussion avec les
membres de la commission, je risquerais de prendre tout le temps, non
pas qui reste, parce que, s'il fallait s'en tenir à nos règles,
le temps serait déjà presque passé; je pense que tout le
monde comprendra, étant donné l'importance de la Commission des
droits, que nous puissions nous permettre un peu plus de temps.
Je n'aborderai pas chacun des sujets parce qu'il ne resterait absolument
aucun temps pour mes autres collègues de la commission. Il y a des
sujets... On parle d'accès à l'égalité, d'avantages
sociaux; ce sont des sujets sur lesquels il y a déjà , depuis un
certain temps, une discussion au niveau de la société. Il
faudrait peut-être aborder une orientation qui me semble un peu plus
nouvelle concernant la demande de la Commission des droits d'insérer
dans la charte des droits fondamentaux, généraux, tels que le
droit à un environnement sain, le droit de jouir d'un meilleur
état de santé et, plus particulièrement, l'article 39 au
sujet du droit des enfants par rapport à celui des parents.
J'aimerais peut-être que la Commission des droits puisse
entretenir, d'une façon beaucoup plus élaborée, les
membres de cette commission parlementaire des conséquences qu'il
pourrait y avoir si nous en venions à la conclusion de l'insertion de
droits dans la charte tels que le droit à un environnement sain, le
droit de jouir d'un meilleur état de santé. Peut-être que
vous pourriez détailler un peu plus pour que nous puissions en mesurer
toute l'ampleur.
M. Marx: Est-ce que je pourrais faire une petite intervention
avant qu'on passe aux questions...
M. Bédard: On irait par question...
M. Marx: ... pour donner mon appréciation globale, surtout
cette fois, parce que c'est une intervention exceptionnellement importante?
J'aimerais remercier d'une façon toute spéciale la
présidente de la commission et ses autres membres d'être venus
présenter leur mémoire à notre commission. J'ai
trouvé ce mémoire d'une grande qualité. Honnêtement,
cela m'a empêché de dormir hier soir; c'est tellement volumineux
que cela m'a pris presque toute la nuit pour le lire. J'ai beaucoup appris en
lisant ce mémoire. C'est tout à fait complet. On est
frappé par le fouillis des points juridiques dans le mémoire. Il
va sans dire qu'il y a beaucoup de recommandations qui sont très
intéressantes et que l'Opposition officielle est prête Ã
appuyer un certain nombre de ces recommandations tout de suite. Par exemple, en
ce qui concerne l'article 90, la discrimination contre les femmes, depuis que
je suis ici à l'Assemblée nationale, j'ai demandé au
ministre de la Justice d'abroger cet article pour que les femmes soient sur un
plan d'égalité avec les hommes. Je suis ici depuis deux ans, je
n'ai rien inventé. Avant moi, la députée de L'Acadie a
posé cette même question, a demandé au ministre d'abroger
cet article. Si les femmes doivent attendre encore quelques années,
soyez patientes, nous avons un excellent gouvernement. Qu'est-ce que c'est
quelques années dans la vie d'une femme? Cela prendra encore quelques
années. Ils ont d'autres priorités.
Vous comprenez, M. le ministre, qu'en lisant tout cela, je me suis
arrêté au chapitre qui touche les ressources de la commission.
Elle nous a lancé un cri d'alarme ce matin. On donne plus de
responsabilités à la commission et moins d'argent. Chaque
année, on ajoute un autre groupe dont la commission aura la
responsabilité de protéger les droits et on donne moins d'argent.
Par exemple, c'est très frappant qu'il y a une situation
d'inégalité des Québécois dans le Québec,
c'est-à -dire qu'il y a des bureaux seulement à Montréal et
à Québec. à Chicoutimi, où se trouve le ministre,
il n'y a pas de bureau. Je ne sais pas s'il veut que les gens de Chicoutimi
vivent dans une situation d'inégalité! Je vous pose la question,
M. le ministre.
M. Bédard: J'y viendrai tout à l'heure.
M. Marx: II y a juste un autre point que je n'ai pas
terminé. Je vous pose des questions et vous pourrez répondre
après. J'ai eu beaucoup de plaintes de l'extérieur en ce qui
concerne les enquêtes à la commission, c'est-à -dire que,
faute de ressources, elles sont en retard de six mois, huit mois, un an. Il y a
beaucoup de plaintes. Ce n'est pas la faute de la commission, bien sûr,
c'est toujours la faute du patron, c'est-Ã -dire le gouvernement, le
ministre qui n'a pas veillé à donner assez de ressources Ã
la commission. Un grand juge anglais a dit: "Justice delayed is justice
denied". En fait, c'est ce qu'on fait. On voit bien que dans les
priorités du gouvernement, la fête du patronage est plus
importante que la commission, c'est-à -dire que la fête du
patronage a coûté deux fois plus que le budget de la Commission
des droits. Je passe d'autres cas de patronage du gouvernement péquiste.
Ce serait important de revenir sur cette question, parce que la forme rejoint
le fond. C'est bon d'avoir une charte qui est excellente, qui couvre tout, qui
va faire que ce sera possible pour le gouvernement de publier beaucoup de
brochures, de se présenter partout en disant: Nous avons la meilleure
charte, voilà c'est écrit, mais si nous n'avons pas les
ressources pour mettre en oeuvre la charte, veiller à son application,
cela ne vaut pas grand-chose.
Vient un moment où le gouvernement doit décider s'il veut
seulement mettre de l'encre sur le papier ou s'il a l'intention que la charte
soit administrée de façon à protéger davantage les
droits des Québécois. (12 heures)
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Bédard: M. le Président, j'aime autant le faire
dès le début de cette commission en guise de mise au point. Je
n'ai en aucune façon l'intention de m'embarquer avec mon collègue
de l'Opposition dans un débat partisan, tel qu'il me le propose d'une
certaine façon par les remarques qu'il vient de faire. Je crois que
celles et ceux qui nous visitent, les organismes qui nous visitent
méritent mieux qu'un débat uniquement partisan au niveau des
membres de cette commission. J'aime autant le dire dès le départ,
je vais procéder au niveau de cette commission parlementaire de la
même façon que je l'ai fait concernant la réforme du droit
civil, c'est-à -dire, dans un premier temps, écouter tous les
organismes et les personnes qui ont des choses à dire en fonction de la
protection de droits, en fonction de l'amélioration de la qualité
juridique de notre société sans, au départ d'une
commission, me placer dans la situation de commencer à appuyer telle
demande par rapport à telle autre demande, etc. Je le dis dès le
départ: C'est une commission et le but de cette commission, c'est
d'entendre les représentations des organismes. C'est le devoir auquel je
me conformerai. Cette manière de procéder est non seulement plus
respectueuse des personnes et des groupes qui nous visitent, mais elle nous
donne pas mal plus de chances d'en arriver après cela à une
législation qui corresponde vraiment aux préoccupations des
organismes et des groupes qui se font entendre. Sans vouloir me donner des
félicitations de quelque façon que ce soit, c'est simplement un
état d'esprit...
M. Marx: Vous n'en aurez pas de l'Opposition, des
félicitations.
M. Bédard: Vous avez fait votre petit bout partisan, si
vous voulez, on va parler sérieusement. La fête de la Saint-Jean
et la Charte des droits et libertés de la personne...
M. Marx: J'ai parlé de patronage, je n'ai pas parlé
d'autre chose.
M. Bédard: ... quelqu'un qui commence à mêler
cela au niveau d'une discussion aussi importante que celle qu'on a, c'est
un...
M. Marx: Nous avons parlé des ressources.
M. Bédard: Vous avez parlé, laissez donc parler les
autres. ... premier manque de respect, en ce qui me regarde, envers ceux qui
nous visitent et qui ne sont pas venus ici pour parler ou pour entendre parler
de la fête de la Saint-Jean...
M. Marx: Nous avons parlé des ressources.
M. Bédard: ... ou de vos petites préoccupations de
faire de la politique. Ils sont venus parler des droits qu'ils voudraient voir
inclure dans cette Charte des droits et libertés de la personne qu'ils
respectent. La meilleure discussion qu'on peut avoir dans le sens du...
M. Marx: M. le Président, une question de
privilège.
M. Bédard: Je vous ai laissé parler, laissez-moi
parler.
Le Président (M. Desbiens): à l'ordre, s'il vous
plaît! II n'y a pas de question de privilège. M. le ministre.
M. Marx: Question de règlement.
Le Président (M. Desbiens): Quel règlement?
M. Marx: II déforme ce que j'ai dit. J'ai cité un
exemple.
Le Président (M. Desbiens): C'est une question de
privilège que vous faites, M. le député de D'Arcy
McGee.
M. Marx: C'est une question de ressources, il ne veut pas
discuter de ressources.
Le Président (M. Desbiens): S'il vous plaît,
à l'ordre!
M. Bédard: Pouvez-vous respecter au moins les conventions
ou les règles de cette commission?
M. Marx: Si vous pensez que c'est légal, je dois les
respecter.
Le Président (M. Desbiens): Je demanderais de passer
à l'étude du mémoire, s'il vous plaît!
M. Bédard: Ce que je voulais dire, M. le Président,
c'est que cette méthode est beaucoup plus productive et respectueuse. Si
on parle de la réforme du droit de la famille, nous l'avons fait avec
des membres de l'Opposition d'une façon très responsable.
à ce moment-là , je comprends que mon collègue qui est
maintenant responsable
n'était pas là .
M. Marx: J'étais là , M. le Président. M.
Bédard: Oui, très rarement.
M. Marx: Autre erreur, la troisième ce matin.
M. Bédard: Cela a donné la possibilité d'en
arriver à un projet de loi qui a fait l'unanimité de
l'Assemblée nationale, qui n'a peut-être pas correspondu
complètement à tout ce que les gens, chaque groupe, auraient
voulu, mais qui correspondait à l'essentiel des revendications des
groupes et des citoyens qui nous avaient visités. C'est la même
attitude que j'adopterai. C'est pour cela que, M. le Président, je
reviens à ma première question, en oubliant complètement
les propos de mon collègue, sinon en retenant les préoccupations
qu'il a concernant les ressources de la commission. J'y reviendrai tout
à l'heure, parce que je pense que c'est important.
J'en reviens à la première question que je posais Ã
Mme la présidente en lui demandant peut-être d'expliquer un peu
plus les conséquences juridiques qu'il pourrait y avoir si on allait
dans le sens de l'insertion de droits tels que le droit Ã
l'environnement sain, le droit de jouir d'un meilleur état de
santé, etc., concernant les enfants.
Le Président (M. Desbiens): Mme la présidente.
Mme Fournier: Avant de répondre à cette question,
je voudrais vous remercier, M. le Président, de m'avoir permis de parler
aussi longtemps tout à l'heure. La question que vous posez est celle qui
vient aux lèvres de bien des personnes effectivement.
Ce que cela ajoute d'avoir un droit affirmé dans une charte c'est
essentiellement le caractère solennel de ce droit, c'est de confirmer le
caractère solennel d'une tel droit. Cela ne veut d'aucune façon
dire, par exemple en ce qui concerne le droit au travail, que les
chômeurs sont en état d'illégalité ou, en ce qui
concerne le droit à la santé, que ceux qui ne sont pas en
santé vivent aussi une situation d'illégalité. On n'a pas
pensé en ces termes. Il s'agit essentiellement de l'affirmation
solennelle de droits qui permettront aux individus et aux groupes d'invoquer
ces droits d'une façon spécifique devant les tribunaux en s'y
référant et en se référant encore une fois au
caractère fondamental d'un tel droit.
Pour ce qui est du droit au travail, je vous disais tout Ã
l'heure que le fait de ne pas reconnaître d'une façon claire le
droit au travail fait en sorte qu'en ce moment les salariés qui sont
licenciés sans aucune cause, sans préavis, sans cause juste et
raisonnable n'ont aucun recours. Je ne vous dis pas que ce serait gagné
devant les tribunaux mais, avec l'affirmation d'un tel droit dans la charte,
ils pourraient tout au moins avoir une porte d'entrée pour
défendre leurs droits. Et, oui...
M. Bédard: Concernant le droit au travail, je sais que
vous ne voulez pas lui donner l'ampleur que l'on aurait pu croire; de toute
façon, moi non plus. Quand vous parlez de votre préoccupation
concernant d'une certaine façon la manière de parer ou d'arriver
à donner des protections pour qu'il n'y ait pas de licenciements
collectifs ou d'ensembles de travailleurs qui soient carrément victimes
de discrimination, est-ce que ceci ne peut se faire par une loi sectorielle?
Entre autres, je sais que le ministre du Travail a déjÃ
annoncé la possibilité d'en arriver à l'adoption d'une loi
pour protéger les travailleurs à l'encontre de licenciements
collectifs au niveau des conditions minimales de travail. Est-ce que vous ne
croyez pas que ces lois, par le biais de lois telles que celle-là , on
peut mieux faire face, je dirais, aux besoins et au rythme d'une
société?
Mme Fournier: C'est la question de reconnaître, encore une
fois, un statut fondamental à un tel droit. Il n'y a pas du tout
d'incompatibilité quant au fait qu'un tel droit soit reconnu et
affirmé dans une loi sectorielle; la charte, d'ailleurs, comme vous le
savez, est faite en partie de droits qui sont actuellement très
clairement affirmés dans des lois sectorielles. Mais le
législateur a cru bon, et encore une fois dans la foulée des
déclarations universelles des droits de l'homme et des pactes
internationaux, de donner un statut particulier à un certains nombre de
droits, et, de même que pour les droits judiciaires que l'on trouve
affirmés ailleurs, ils sont en bonne et due forme affirmés dans
la Charte des droits et libertés. Ce qui en consacre le caractère
fondamental.
M. Bédard: Je veux être certain de bien vous
comprendre. Est-ce que je dois comprendre que c'est surtout en termes
d'objectifs solennels à émettre que vous le voulez
énoncé dans la charte ou si vous dites que c'est un droit, donc
générateur de conséquences juridiques? Il y a quand
même les tribunaux. On peut peut-être, dans une charte, tous
s'entendre pour insérer un tel droit comme étant un objectif
à atteindre mais on n'est pas maître de l'interprétation
que pourront en faire les tribunaux. Si les tribunaux en font une autre
interprétation que celle dont nous parlons, à ce
moment-là , il y a toute une série de conséquences
juridiques qui sont énormes.
Mme Fournier: Oui, comme vous le savez, nous ne demandons pas un
pouvoir d'enquête sur le droit au travail; c'est bien inscrit dans les
droits économiques et sociaux, d'aucune manière nous n'irions
vérifier l'ensemble des licenciements, par exemple, qui pourraient se
faire au Québec.
Il s'agit, encore une fois, de donner une arme et une porte
d'entrée aux personnes et aux groupes qui pourraient se
considérer lésés. Cela nous permet aussi, comme
commission, et ça permet à d'autres organismes de se baser sur
l'affirmation d'un tel droit pour faire en sorte que l'ensemble de la
législation et des pratiques sociales aille dans le sens de cet
objectif, effectivement, du droit au travail et du droit à la
santé. Lorsque nous disons, en termes de droit à la santé,
que toute personne a le droit de bénéficier de toutes les mesures
lui permettant de jouir du meilleur état de santé qu'elle puisse
atteindre, je crois que oui, ça affirme un droit que cette personne a.
Nous ne voyons aucunement qu'il y ait incompatibilité entre le fait
qu'il soit affirmé dans la charte et précisé dans des lois
plus sectorielles où le détail de l'application de la loi
pourrait être fait.
M. Marx: M. le Président, il y a l'article 53 qui est
très important dans ce sens. L'article 53 prévoit, que si un
doute surgit dans l'interprétation d'une disposition de la loi, il est
tranché dans le sens indiqué par la charte.
Donc, ça peut avoir pour effet d'encourager les tribunaux
à trancher, s'il y a un doute entre la loi et la charte, en faveur des
dispositions contenues dans la charte. Ce serait possiblement une
conséquence juridique.
M. Bédard: Pour les autres droits?
Mme Fournier: Pour le droit à l'éducation, c'est
exactement dans le même sens, comme nous l'avons dit.
M. Bédard: Le droit à la santé?
Mme Fournier: Pour ce qui est de l'éducation, nous
constatons que le droit, comme je l'ai dit, qui est défini dans la
charte est restreint au droit à l'instruction. L'éducation, comme
elle est définie par le pacte international, est beaucoup plus
englobante. Cela permet, entre autres, une affirmation du droit Ã
l'éducation permanente, par exemple, que toute personne a droit Ã
l'éducation d'une façon globale.
Pour ce qui est du droit à un environnement sain, lÃ
aussi, ça ne veut pas dire que demain... Surtout, la commission ne
demande pas le pouvoir d'enquête là -dessus.
M. Bédard: Cessez de fumer au moment où vous le
dites.
Mme Fournier: Cela, de la même manière, peut
permettre aux groupes ou aux personnes de s'aligner sur un objectif beaucoup
plus élevé. Même s'il est déjà décrit
dans la loi dont on a parlé tout à l'heure, le loi concernant la
protection de l'environnement, le fait de l'inscrire dans la charte lui donne,
encore une fois, un caractère de solennité et de profondeur qui
devrait permettre un poids supplémentaire devant les tribunaux. C'est
dans ce sens que notre préoccupation s'est fait valoir.
M. Bédard: Je sais que mes collègues reviendront
sur le sujet. Vous avez indiqué, à la fin de votre
mémoire, certaines demandes. Vous dites que la commission manque de
ressources, aurait besoin d'en avoir plus, de même qu'elle aurait besoin
d'une représentation au niveau des régions. Je ne suis pas ici
pour essayer d'amorcer un débat sur les possibilités
financières de le faire ou pas, je ne pense pas que ça entre en
ligne de compte ni pour se comparer à d'autres pour mieux se consoler.
Mais je pense, quand même, qu'on a fait une petite... je ne parlerai
même pas d'étude, mais on a essayé de voir ce qui se
passait dans les autres provinces. Ce n'est pas pour se consoler que je le dis,
mais on est à même de constater que les efforts en termes
d'attribution de ressources financières d'une province à l'autre
se comparent avantageusement. Cela ne veut pas dire que c'est suffisant, loin
de là . Je suis très conscient de ce que vous dites, étant
donné l'importance du sujet dont on parle. Prenez, par exemple, en
Ontario, on me dit qu'il y a 8 000 000 d'habitants -ça, on le sait - et
une commission où il y a 62 permanents. Nous, nous en avons 60; vos
remarques doivent sûrement s'adresser non seulement à nous, mais
à tous les autres.
De ce côté, est-ce qu'on peut dire qu'on utilise toutes les
ressources financières disponibles à l'ensemble des citoyens, du
point de vue juridique? Par exemple, est-ce que vous pensez que la
communauté juridique, au moment où on se parle, utilise
suffisamment les dispositions de la charte pour intenter des recours? Vous me
disiez, tout à l'heure, que les trois quarts de votre clientèle
sont des pauvres gens; je pense que vous avez raison, mais je pense que ces
pauvres gens ont quand même droit à l'aide juridique où des
fonds sont disponibles pour la protection de ces droits et libertés
individuels, comme pour n'importe quel autre recours. Est-ce que vous croyez
que la communauté juridique utilise suffisamment les dispositions de la
charte?
Mme Fournier: Sur la première question, la comparaison
avec les autres commissions dans tout le Canada, c'est très
juste que les commissions sont souvent peu importantes en termes de
membres, mais je tiens à rappeler que la charte québécoise
est très différente, de beaucoup plus grande envergure et que
nous avons des mandats multiples qui sont à peu près inexistants
dans les autres provinces.
M. Bédard: ... aux autres?
Mme Fournier: C'est ce qui fait que, par exemple, pour faire
l'analyse de la législation antérieure à la charte - qui
est un mandat très spécifique dans notre charte ça nous
prend quand même soit de l'argent, soit du personnel. Déjà ,
ceci n'est pas un mandat que d'autres commissions ont. En ce qui concerne
l'utilisation des ressources, juridiques ou autres, les personnes qui se
plaignent à la commission font appel à l'aide juridique lorsque
c'est nécessaire. On doit cependant vous dire que la commission a
développé bien naturellement une spécialisation et une
expertise dans la défense des droits et libertés, ce qui fait que
notre personnel est nécessaire. Que les personnes soient
défendues devant les tribunaux avec l'aide de personnes de l'aide
juridique, il n'y a pas de difficulté, mais, au niveau de
l'enquête comme telle, il faut que ce soit fait par les membres de la
commission, il faut que ce soit fait par le personnel de la commission, pour
déterminer s'il y a ou non discrimination, et elle doit être faite
chez nous. Ãvidemment, on pourrait imaginer que quelqu'un décide
d'aller directement devant les tribunaux sans passer par la commission, c'est
entendu, mais l'expertise, le poids moral, dirais-je, d'une Commission des
droits de la personne, doit être mesurée pour ce qu'elle vaut, et
je crois que c'est important.
M. Bédard: Dernière question. En parlant de poids
moral et de tribunal, vous disiez que, lorsque vous aviez Ã
comparaître devant la cour, la commission était sur le même
pied que le plus petit des citoyens et que vous aviez à discuter de
faits et de droit. Est-ce que ce n'est pas normal qu'il y ait d'abord un
état d'égalité d'organismes et de citoyens, quand on fait
face au tribunal? J'aimerais que vous expliquiez un peu cela.
Mme Fournier: Oui.
M. Bédard: Quand vous demandez le droit d'aller en
justice, d'intenter des procédures, même sans le consentement d'un
citoyen, est-ce que ça n'amènera pas une situation qui va
créer un véritable problème? Disons que vous
intentez une procédure malgré le désir du citoyen et que
celui-ci ne veut pas venir témoigner pour étayer la preuve que
vous avez à faire, qu'est-ce que vous allez faire dans ce
cas-là ?
Mme Fournier: Nous ne demandons pas ça, ce que nous
demandons c'est que l'on puisse passer par le recours collectif de la
même façon que d'autres types de plaintes qui sont
présentées aux tribunaux par l'intermédiaire du recours
collectif. Ce que nous développons, ce n'est pas du tout de
défendre les gens malgré eux. Vous savez bien qu'en ce qui
concerne le recours collectif, la personne n'a qu'à refuser d'être
partie de la plainte et, pour toucher ce qu'elle gagnerait, disons, Ã la
suite d'une telle procédure, il faut qu'elle s'identifie. Alors, ce
n'est d'aucune manière contre l'autorisation des personnes
impliquées.
M. Bédard: D'accord. Je reviendrai avec d'autres questions
pour donner la chance à mes collègues de...
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: J'ai deux courtes questions car j'aimerais que mes
collègues des deux côtés de la table aient le temps de
poser des questions.
Je reviens, premièrement, sur les ressources. Je pense que c'est
important; si on n'a pas de ressources, c'est un mandat fictif qu'on donne. Par
exemple, la présidente a mentionné que la commission a un mandat
de revoir toutes les lois du Québec. Avez-vous déjà eu
l'occasion d'accomplir ce mandat? Est-ce que vous avez vérifié
toutes les lois du Québec vis-à -vis de la charte?
Mme Fournier: Pas toutes.
M. Marx: Pas toutes. Bon, voilà ! Un mandat, six ans,
manque de ressources, ce n'est pas accompli. J'imagine qu'il y a d'autres
mandats dans la charte qui ne sont pas accomplis, mais je ne veux pas
embarrasser le ministre.
Le ministre a fait allusion à l'Ontario. Il a dit qu'il y a 62
permanents en Ontario et 60 Ã la Commission des droits de la personne du
Québec. Comme il y a 8 000 000 de personnes en Ontario et seulement 6
500 000 au Québec, cela peut donner l'impression qu'on ne foute rien
à la Commission des droits de la personne. Je pense qu'il est essentiel
de comprendre, comme la présidente vient de le souligner, que la
responsabilité de la Commission des droits de la personne du
Québec n'a aucun -comment puis-je dire? - vis-à -vis dans d'autres
provinces, même au fédéral. Est-ce que vous avez - c'est ma
question, finalement - des chiffres? Je sais qu'il y a une association qui
regroupe toutes les commissions des droits au Canada. Par exemple, est-ce que
vous avez moins de demandes qu'en Ontario? Est-ce que vous
avez plus de demandes? Avez-vous plus de dossiers ouverts ou moins de
dossiers ouverts? Avez-vous fait plus de recherches ou moins de recherches?
Qu'est-ce que vous avez fait dans le domaine de l'éducation? Est-ce
qu'on fait cela en Ontario, etc.? J'aimerais vous demander si, effectivement,
vous faites au moins, avec vos 60 permanents, ce qui est fait en Ontario avec
62 permanents.
Mme Fournier: Voici...
M. Marx: J'aimerais avoir une idée de...
Mme Fournier: Si on fait la comparaison avec d'autres commissions
- je reprends les chiffres de 60 postes à la Commission des droits de la
personne - il faut bien savoir que nous avons là -dessus douze personnes
uniquement pour faire les enquêtes, à proprement parler. Ajoutez
à cela quelques personnes, trois ou quatre, pour faire l'accueil.
à ce moment-là , si l'on compare, ce n'est plus de 60 à 60
qu'on doit comparer, mais 12 plus 4 Ã 60, avec un certain nombre de
personnes qui ne sont pas directement reliées aux enquêtes.
Déjà , en partant.
La comparaison de chiffres que nous avons, c'est que le nombre
d'enquêtes et de demandes adressées à la commission serait
comparable à celui de l'Ontario, en termes de plaintes,
spécifiquement de plaintes et de discriminations. Encore une fois, nous
avons tout un champ de demandes qui ne concernent pas la discrimination, mais
bien les droits fondamentaux.
Ceci m'amène donc à faire la comparaison. Le personnel,
disons, en Ontario qui aurait à faire à peu près le
même nombre d'enquêtes a beaucoup plus d'enquêteurs pour le
faire. Maintenant, pour ce qui est des autres commissions, les enquêtes
qui sont instruites, si vous voulez, sont beaucoup moins nombreuses qu'au
Québec ou en Ontario. La comparaison que je faisais... Par exemple, en
Saskatchewan -je n'ai pas les chiffres ici - c'était autour de 400, je
crois, alors que nous en avons 2000, en ce moment, pour un personnel comparable
d'enquête. Alors, c'est de 400 à 2000. Je me trompe, c'est
l'Alberta. Mais enfin, ce n'est pas loin, c'est à peu près
pareil.
M. Marx: Je ne veux pas insister sur cette question, on va
peut-être y revenir. Est-ce que, dans les autres provinces, on fait
l'éducation comme on la fait au Québec, c'est-à -dire
est-ce qu'on a des programmes éducatifs?
Mme Fournier: D'autres provinces ont un mandat
d'éducation. Par exemple, l'Alberta a quelques agents
d'éducation.
M. Marx: En Ontario aussi?
Mme Fournier: Ils ont un certain personnel Ã
l'éducation. Ils ne sont pas très nombreux.
M. Marx: Pour passer à une autre question, j'ai
trouvé très intéressantes vos recommandations en ce qui
concerne l'action affirmative, mais je me suis posé la question
suivante. Vous voulez que ce soit la commission qui prépare ces
programmes et qui veille à la mise en oeuvre de ces programmes - je
comprends cela - mais, dans certains domaines, est-ce qu'il ne serait pas plus
efficace d'avoir d'autres organismes qui veilleraient à ces programmes?
Je pense surtout à la fonction publique. Il y a supposément un
programme d'égalité...
Une voix: II y a!
M. Marx: II y a. Voilà . J'ai dit "supposément" et
je vais vous dire pourquoi; je me suis peut-être trompé. On est en
train de couper le personnel de la fonction publique et, en même temps,
on va intégrer plus de gens des minorités, plus de femmes, etc.
C'est une fumisterie, c'était un projet électoral. Comment
peut-on couper du personnel à la fonction publique et, en même
temps, intégrer des gens des minorités, des femmes, etc.? Ce
n'est pas logique.
La question que j'aimerais poser à la présidente - la
ministre aura le temps de répondre à cette question - est la
suivante: Ne serait-il pas plus efficace que ce soit la fonction publique
elle-même, disons la ministre de la Fonction publique, qui s'occupe de ce
programme d'action affirmative?
Mme Fournier: Ce que nous demandons, c'est un pouvoir de
contrôle sur les programmes d'accès Ã
l'égalité. Nous ne demandons pas de les implanter
nous-mêmes, d'aucune manière. Nous souhaiterions que plusieurs
organismes privés développent des compétences de
manière à être consultants auprès d'employeurs, par
exemple, mais ce que nous considérons essentiel, c'est qu'il y ait un
contrôle de ces programmes d'accès Ã
l'égalité. L'expérience est concluante là -dessus:
S'il n'y a pas un organisme de contrôle, les programmes d'accès
sont plus ou moins volontaires, plus ou moins conformes aux
échéanciers, etc.
Donc, ce que nous voulons, c'est, premièrement,
réglementer ce type de programmes de manière que ce ne soient pas
des programmes qui seraient simplement des façades ou encore des
programmes qui, peut-être sans mauvaise volonté,
développeraient des injustices différentes. Nous voulons donc,
comme commission, avoir une telle responsabilité. Nous n'avons pas
l'intention de
les implanter nous-mêmes, avec notre personnel. Nous souhaitons
que ce soient les organismes eux-mêmes, les employeurs et employés
qui définissent ensemble le type de programmes d'accès Ã
l'égalité qui serait souhaitable pour leur entreprise, mais ceci
à l'intérieur de bornes clairement définies et
définies par réglementation, fît une fois que ce serait
défini, qu'il y ait possibilité pour la commission de suivre
l'évolution d'une telle implantation parce qu'on peut très bien
deviner - l'expérience l'a démontré - que s'il n'y a pas
un contrôle régulier, ces programmes ne valent plus.
M. Marx: Juste une précision. Si je comprends bien, vous
demandez un pouvoir de réglementation et un pouvoir de contrôle
même sur les programmes d'accès à l'égalité
de la fonction publique du Québec? C'est ça. D'accord, je
comprends. (12 h 30)
Mme Fournier: Pour le même principe, c'est-à -dire
que nous considérons que probablement, à la fonction publique
même, ceux qui ont la meilleure expertise de la fonction publique, c'est
le personnel de la fonction publique comme tel, mais nous demandons un pouvoir
de contrôle, à savoir si le programme est efficace et est conforme
à une réglementation qui aura été mise sur
pied.
M. Marx: D'accord, merci.
Le Président (M. Desbiens): Mme la ministre,
députée de La Peltrie.
Mme Marois: Merci, M. le Président. Je suis heureuse de
constater que le député de D'Arcy McGee est un grand
défenseur des droits des femmes. Je vais compter sur lui. Je le
remercie, d'ailleurs.
M. Marx: Vous pouvez compter plus sur moi que sur le gouvernement
actuel.
Mme Marois: Pas du tout. J'aimerais revenir sur une chose qui a
été soulignée par le député dans laquelle il
y a des faussetés et, ensuite, m'adresser à la commission avec
deux sujets précis que j'aimerais aborder. Quand on parle de
compressions dans la fonction publique, d'abord - et la députée,
ministre de la Fonction publique, en a parlé dernièrement
à l'Assemblée nationale - on a particulièrement
mentionné le fait qu'on procédait par attrition,
c'est-à -dire que, lorsque des gens décident d'eux-mêmes,
soit pour raison de retraite - on aura l'occasion d'en parler - ou autrement,
de partir, ces postes n'étaient pas comblés. Il reste, cependant,
que de nouveaux programmes gouvernementaux sont mis en place Ã
différents moments de la vie de notre gouvernement et que ces nouveaux
programmes nous permettent d'être beaucoup plus positifs ou même
agressifs, au sens positif du terme, dans la reconnaissance d'un certain nombre
de droits et dans l'élimination de discriminations et même, en
allant plus loin que ça, dans la possibilité de mise en place de
programmes d'accès à l'égalité.
Ce point étant fait, M. le Président, je vais m'adresser
aux membres de la commission avec deux sujets précis que j'aimerais
aborder. Je pense que vous nous avez expliqué très bien la
nécessité de mettre en place, selon votre point de vue, les
programmes d'accès à l'égalité et ce, compte tenu
du caractère systémique de la discrimination qu'on constate soit
dans les milieux de travail, dans les milieux d'éducation ou dans tout
autre milieu. J'aimerais cependant que vous reveniez - et ma question est
à trois volets - pour nous expliquer d'abord très clairement
quelles seraient, d'après vous, les conditions nécessaires - et
j'appuie sur le mot nécessaires - au succès de ces programmes et,
dans un second temps - vous en avez parlé à différents
moments; j'aimerais les revoir de façon très précise -
comment ça fonctionnerait au niveau des étapes à franchir
pour l'implantation de ces programmes. Le troisième volet de cette
première question: Comment percevez-vous les rôles respectifs de
l'emploveur, du syndicat et de l'employé dans l'élaboration d'un
programme qui concernerait une unité de travail particulière ou
même, à la limite, toute l'entreprise?
Je reviendrai, M. le Président, si vous me le permettez, avec ma
deuxième question qui, elle, touchera les avantages sociaux.
Le Président (M. Desbiens): Mme la présidente.
Mme Fournier: En ce qui concerne les conditions
nécessaires, sans entrer dans un détail très technique, il
s'agit essentiellement de fixer des échéanciers et des objectifs
clairs pour définir ce que devrait être un programme donné
d'accès à l'égalité. Ceci devra être
basé sur une analyse précise et détaillée de
l'état de la situation: de quel groupe s'agit-il, où se situe le
malaise, s'il y en a un, est-ce que c'est au niveau de l'embauche, au niveau de
chacune des étapes de gestion possibles que se situe la discrimination
ou le système de discrimination? II s'agit donc, au départ, de
faire une analyse extrêmement précise de la situation. Ã
partir de cette analyse, par rapport au contexte donné,
c'est-à -dire le marché du travail, par rapport aux
disponibilités et par rapport au personnel en place, il s'agit de fixer
les objectifs que nous voulons atteindre; si nous voulons 100%, si nous voulons
50% de femmes, 50%
d'hommes partout à travers toute la ligne, bien qu'on le fixe
d'une façon précise.
Dans la plupart des cas, ce ne sera pas ça, et là , je
touche à une autre de vos questions. C'est que, justement l'implantation
de tels programmes doit se faire par étapes. Les
échéanciers qui doivent être fixés doivent
être aussi très précis. Si l'on ne les respecte pas, il
faut expliquer pourquoi, c'est-Ã -dire rendre des comptes, justifier
pourquoi on n'a pas réussi à combler tant de postes par telle
minorité, tel groupe autochtone ou les femmes. Donc, la fixation des
objectifs est extrêmement importante. Elle se fait par rapport Ã
l'analyse de la situation particulière et par rapport à la
possibilité de marchés de travail. Même si l'on sait,
encore une fois, que les femmes forment 52% de la population, on ne fixera pas
des objectifs de tel ordre dans une entreprise. Pardon?
Mme Marois: C'est un rêve pour l'instant.
Mme Fournier: C'est cela. Par exemple, en région où
des populations autochtones sont importantes, s'il y a une entreprise
donnée qui s'implante, il s'agirait de regarder quelle main-d'oeuvre
autochtone il y a de disponible, ce que cela prend comme formation, combien de
temps cela peut prendre pour former cette main-d'oeuvre, etc.; donc,
l'identifier très précisément, trouver les remèdes
et le fixer sur un échéancier. Ce qui est fondamental, c'est
contrôler l'échéancier, la poursuite de cela.
Mme Marois: Une des choses que vous avez mentionnées dans
votre intervention et on le retrouve assez abondamment dans le mémoire
aussi, c'est que vous semblez dire que ces programmes ne sont pas possibles
dans une perspective de volontariat. Pourriez-vous revenir sur cela et
expliquer davantage? Avez-vous analysé des expériences dans
d'autres pays, dans d'autres communautés et dans d'autres
collectivités?
Mme Fournier: Le volontariat comme tel, nous ne sommes pas contre
qu'il y ait à l'occasion des programmes d'accès Ã
l'égalité implantés sur une base volontaire, mais nous
disons que, s'il n'y a que cela, cela ne fonctionnera pas. L'expérience
américaine, en particulier - mais aussi canadienne - nous
démontre abondamment que, si c'est basé uniquement sur le
volontariat, cela ne donne pas de résultats. La raison en est assez
évidente. On peut difficilement, à moins d'être très
naïf, je pense, et très utopiste, s'imaginer que ce sont les plus
"discriminants" qui vont être ceux qui vont, de fait, mettre sur pied les
meilleurs programmes d'accès à l'égalité.
Cependant, qu'il y ait des programmes volontaires d'accès Ã
l'égalité qui suivraient un contrôle pour éviter les
abus possibles de tels programmes, nous n'avons absolument rien contre cela.
Mais nous estimons essentiel que, s'il y a une démonstration de
discrimination systémique, nous puissions procéder exactement
comme dans le cas où on a découvert qu'il y a une discrimination
individuelle, nous puissions recommander l'implantation d'un tel programme et
que, si les recommandations n'étaient pas suivies par l'employeur,
à ce moment-là on aille devant les tribunaux en demandant la
même chose. Dans un cas, si nous croyons que le redressement du tort est
de donner un salaire égal et, dans un autre cas, si nous croyons que le
redressement du tort est d'implanter un programme d'accès Ã
l'égalité, que ce soit la manière de fonctionner.
Mme Marois: Est-ce que je comprends qu'Ã ce
moment-là vous procéderiez à la suite d'une demande
d'enquête et qu'après cela l'entreprise dépose une
proposition et vous évaluez si cela va ou non?
Mme Fournier: II y a plusieurs scénarios possibles, en
fait. L'un d'entre eux est précisément celui que vous venez de
décrire, c'est-à -dire qu'à l'occasion d'une plainte
à la commission nous faisons enquête et nous découvrons
qu'il y a là discrimination généralisée. Nous
recommandons un programme d'accès à l'égalité. Cela
pourrait venir d'un autre moyen. Cela pourrait venir via les contrats avec le
gouvernement ou les subventions données par le gouvernement Ã
certaines institutions. Ceci s'est révélé la
manière la plus régulière et systématique de faire
intervenir ce type de programme de manière qu'il soit implanté
sur une base permanente. La plupart des organismes importants font affaires
à un moment ou à un autre avec le gouvernement et les contrats
devraient avoir cette clause qui précise que la personne ou l'entreprise
qui fait la demande n'obtiendra son contrat qu'Ã la condition de faire
la démonstration qu'elle est une entreprise non discriminatoire. Ici,
elle ne peut faire cette démonstration; elle doit, pour avoir son
contrat, mettre sur pied un programme d'accès Ã
l'égalité qui aurait l'approbation de la commission.
Mme Marois: Vous me permettrez. La dernière question que
j'avais posée, quant au rôle de l'employeur, du syndicat, des
employés, vous n'y êtes pas revenue.
Mme Fournier: La seule façon de faire en sorte que des
programmes d'accès à l'égalité soient viables et
correspondent effectivement aux besoins révélés ou
identifiés, c'est que ces programmes soient discutés entre les
parties patronale et syndicale; s'il n'y a pas de syndicat, la
formation d'un comité d'employés pourrait probablement
être une des solutions fort intéressantes pour pallier l'absence
de syndicat. Mais, la participation syndicale, est essentielle
là -dedans; c'est là aussi l'expérience de la Colombie
britannique, de la Suède et des Ãtats-Unis. On ne peut pas aller
contre les membres importants qui ont à définir les balises
essentielles de l'organisation du travail.
M. Bédard: Si vous me permettez, si le patron et les
syndicats ne s'entendent pas, qui décide?
Mme Fournier: La commission.
Mme Marois: Le deuxième volet porte sur les avantages
sociaux. Qu'est-ce qui vous incite finalement, et ce, contrairement à la
recommandation du rapport Boutin, que le député D'Arcy McGee
citait tout à l'heure d'ailleurs, à refuser de prendre en
considération les données actuarielles qui sont basées sur
le sexe et ce, dans l'établissement des rentes, dans les régimes
surtout - on en parle beaucoup - Ã prestation
indéterminée?
Mme Fournier: Ce qui nous porte à demander cela
relève d'une question d'option idéologique et sociale. Il s'agit
pour nous de ne pas accepter la discrimination. Je fais l'analogie avec ce qui
s'est passé aux Ãtats-Unis à une certaine époque.
II y était permis et légal de faire de la discrimination
relativement aux avantages sociaux entre les personnes de race blanche et les
personnes de race noire. Ceci était basé sur des tables
actuarielles. Les personnes de race noire mourant plus tôt que les
personnes de race blanche, c'était considéré légal.
à un moment donné, la société ne l'a plus
toléré tout simplement et cela a été donc
refusé.
De la même manière dans le cas des femmes, il y a des
différences en termes de taux de mortalité et de
morbidité. Il s'agit de savoir si la société veut
tolérer une discrimination basée sur ces différences, oui
ou non? Nous disons, sans aucune hésitation, non.
Mme Marois: Merci, Mme la présidente.
Le Président (M. Desbiens): Mme la députée
de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je voudrais
d'abord remercier les membres de la commission et souligner comment de
l'extérieur, comme profane, le travail que vous faites me paraît
extrêmement important particulièrement comme agent de changement,
d'évolution des mentalités. Ãgalement important aussi
à une époque où les gouvernements, quels qu'ils soient,
ont une tendance fort prononcée, personne ne me contredira, Ã
intervenir de plus en plus dans la vie des individus et même de certaines
collectivités. Alors, je suis heureuse de souligner en passant que le
travail que j'ai eu l'occasion de juger, au meilleur de ma connaissance, m'est
apparu extrêmement constructif et non partisan. Je pense que c'est
fondamental à votre fonctionnement mais, les humains étant des
humains, je pense qu'il y a toujours possibilité d'errer. (12 h 45)
Inutile de vous dire que je me réjouis que cette commission ait
été convoquée, je veux simplement dire un mot sur la
recommandation que vous faites quant à l'abolition de l'article 90 qui
touche la discrimination concernant les avantages sociaux. Même si le
gouvernement n'aime pas qu'on lui rappelle certaines choses - je pense que je
le fais en toute objectivité - la réalité est que
l'Opposition demande au gouvernement d'intervenir dans ce domaine depuis 1977.
S'il était intervenu plus tôt, on ne se serait peut-être pas
retrouvé avec des conventions collectives, dans les secteurs public et
parapublic, qui contiennent encore certains éléments, pas
seulement certains mais plusieurs éléments de discrimination
quant aux avantages sociaux et quant à certains avantages salariaux,
etc.
Ceci étant dit, je me pose une question. Je ne veux pas revenir
sur chacune des recommandations, vous en faites beaucoup, vous ajoutez beaucoup
à votre tâche, en disant: Le travail, c'est comme un principe
fondamental, il ne s'agit pas pour nous de nous impliquer d'une façon
concrète, mais pour le Québec de reconnaître que le travail
est un droit fondamental. Je pense que je saisis un peu la philosophie
derrière ceci. Il y a d'autres éléments que vous
recommandez, d'une part.
D'un autre côté, vous dites: Nos ressources sont
limitées. Je pense qu'on peut en convenir, compte tenu des
responsabilités supplémentaires qui ont été
ajoutées, soit avec la loi 24, la loi 9 et enfin, plusieurs autres lois;
non pas que je sois en désaccord avec les principes nouveaux que vous
voulez inclure dans la charte, mais est-ce que, à ce moment-là ,
la commission ne court pas le risque, si ses ressources ne sont pas
augmentées, de se diluer davantage peut-être ou de donner
l'impression ou créer l'impression d'un travail qui sera fait moins en
profondeur et qui, finalement, pourrait, à moyen ou à long terme,
enlever à la commission le poids moral qu'elle a
présentement?
Quand la commission émet un avis, il est reçu très
sérieusement par tous; d'un côté ou de l'autre de la table,
on peut certainement s'entendre là -dessus. Je me demande, mise Ã
part même la discussion
philosophique de tel ou tel principe, avant de demander de vous ajouter
ce qui serait en quelque sorte des responsabilités nouvelles, avant
même que ces ressources nouvelles soient objectivement mesurées,
je ne sais pas si vous avez raison ou si le gouvernement a raison, je ne suis
pas en mesure de le dire, de diluer votre action et, par le fait même,
peut-être éventuellement de diminuer l'influence morale qu'a la
Commission des droits de la personne.
Mme Fournier: Merci. Le commentaire fondamental que j'aimerais
faire en réponse à cette question, c'est que la charte ne doit
pas s'ajuster à la Commission des droits de la personne. C'est une loi
fondamentale pour tous et pour tous les citoyens et l'amélioration de la
charte doit être faite en soi. Elle a une valeur en elle-même.
C'est la propriété de tous les citoyens du Québec. Je ne
voudrais pas qu'on refuse d'insérer un droit dans la charte en se disant
que la commission ne serait pas à la hauteur de ce droit. Je pense que
la population a le droit d'avoir ses droits. C'est en ce sens qu'on les
demande.
Maintenant, par rapport à la participation de la commission, je
suis d'accord. Je pense que plusieurs des éléments que nous
abordons, des demandes que nous faisons impliquent un ajustement de ressources,
non pas un ajustement phénoménal, mais un ajustement de
ressources. Je ne veux pas revenir là -dessus. Déjà , nous
avons de la difficulté à ramer, si vous voulez, mais, si nous
avons des ajouts, si l'on considère que c'est important d'ajouter tel ou
tel élément à la charte, je présume qu'on va aussi
trouver important d'ajuster les ressources en conséquence.
Encore une fois, ce que j'aimerais dire de plus fondamental, c'est que
la charte existe comme telle, comme propriété et bien de tous les
citoyens du Québec. Il ne faudrait pas l'ajuster aux ressources d'un
organisme qui est simplement là pour l'administrer.
Mme Lavoie-Roux: Ma deuxième question va un peu dans le
même sens. Vous demandez - vous me corrigerez si j'ai tort -ce qui
m'apparaît des responsabilités nouvelles quand vous parlez, par
exemple, d'une possibilité de réglementation des programmes
d'égalité d'accès à l'emploi. Je vous donne ma
réaction de profane là -dessus. Les gens ont le loisir de vous
consulter, et particulièrement le gouvernement, les citoyennes aussi.
Vous-mêmes, vous avez le loisir de donner des avis, d'examiner des choses
qui ne vous paraissent pas correctes et de les dénoncer ou de faire des
représentations, etc. Si on vous donnait une responsabilité de
réglementation vis-à -vis des programmes particuliers, que ce
soient ceux- là , cela pourrait être évidemment autre chose,
est-ce qu'Ã ce moment, vous ne vous mettez pas, comme commission, dans
une position vulnérable, dans ce sens - peut-être que
j'idéalise la Commission des droits de la personne - que ce ne doit pas
être un organisme qui soit, à un moment donné, pris dans un
conflit ou dont on peut juger le rendement, Ã savoir que, par exemple,
une fois que vous auriez eu passablement de participation Ã
l'élaboration de la réglementation, et même un certain
contrôle de la réglementation, vous vous retrouveriez dans deux ou
trois ans, comme ayant réalisé peu de choses? Cela ne
dépendrait peut-être pas de vous. Je me demande si cela ne risque
pas, à ce moment, de mettre la commission dans une espèce de
situation de conflit qui ne serait peut-être pas à l'avantage de
la commission, et, par ricochet, ce qui est beaucoup plus grave, Ã
l'avantage de l'ensemble des citoyens.
Mme Fournier: La question est sérieuse et nous l'avons
justement étudiée d'une façon sérieuse. Au
départ, je peux vous dire que la commission fédérale des
droits de la personne a ce pouvoir de réglementation et émet des
règlements. Cela n'a pas nui du tout à sa
crédibilité, à mon avis. Je crois que ces craintes ne sont
pas fondées en fait, bien que la question soit sérieuse, encore
une fois. Ce que nous demandons, nous voyons cela comme une prolongation de la
charte. La réglementation qui serait ajustée soit au programme
d'accès à l'égalité, soit à la question des
avantages sociaux, ne deviendrait à toutes fins utiles qu'une
spécification plus détaillée de l'implantation du droit ou
de la loi qui serait adoptée. Ce n'est donc pas des pouvoirs en termes
de pouvoirs supplémentaires à la commission. Ce que nous croyons,
c'est que nous sommes finalement bien placés pour émettre des
recommandations qui seraient encore une fois - là , c'est très
important - adoptées soit par le lieutenant-gouverneur, soit par
l'Assemblée nationale. Nous avions même suggéré
l'Assemblée nationale à cause du caractère justement
fondamental de la Charte des droits et libertés de la personne, ce qui
fait que les suggestions que nous ferions, étant bien placés pour
les faire, connaissant la loi comme nous la connaissons et à partir de
notre expérience, si vous voulez, ne mettraient pas la commission en
conflit d'intérêts, soit d'être perçue comme juge et
partie. Ce serait, comme j'ai essayé de l'expliquer tout Ã
l'heure, la même procédure, finalement, que ce que nous faisons
actuellement lorsque nous allons défendre quelqu'un devant les
tribunaux, après avoir fait enquête sur le même cas. Nous
avons plusieurs rôles à jouer, nous les jouons successivement et
ceci n'entrerait pas en contradiction, Ã notre avis.
La réglementation qui émanerait, qui serait reliée
soit aux programmes d'accès à l'égalité, soit aux
avantages sociaux, est une réglementation que nous voyons comme
explicitant le droit qui serait affirmé dans la charte, et une
réglementation nécessaire. Précisément en ce qui
concerne les avantages sociaux, par exemple, nous sommes très conscients
que simplement abroger l'article 90 de la charte et interdire la discrimination
comme telle dans les avantages sociaux, cela pourrait mener à des
incohérences. Ce que nous voulons, c'est qu'il y ait une
réglementation qui définisse les balises et les limites de
l'application de la loi comme telle. C'est la même chose pour
l'accès à l'égalité.
Mme Lavoie-Roux: Une dernière question pour ne pas enlever
le temps aux autres; c'est sur la santé. Je dois vous dire que j'ai
été étonnée que vous ne veniez pas à une
commission parlementaire qui a été tenue il y a quinze jours,
reliée au droit de grève, aux services essentiels, aux services
de santé. Je veux vous demander si vous vous êtes penchés
sur ce problème des services essentiels en fonction d'au moins trois
articles que l'on retrouve dans la Charte des droits et libertés, les
articles 1, 39 et 48? Dans l'article 1, c'est un principe fondamental. Dans
l'article 39, on parle de personnes handicapées et de l'exploitation de
personnes âgées, ensuite, un peu plus loin, des jeunes enfants qui
sont sous la tutelle de l'Ãtat et de ces choses-là . Je voulais
vous demander si vous vous étiez penchés sur ce problème
parce qu'il m'apparaissait, à première vue, toucher Ã
certaines dispositions de la Charte des droits et libertés.
Mme Fournier: Nous ne sommes pas venus en commission
parlementaire. En fait, c'est une politique de la Commission des droits:
jusqu'à présent, nous ne nous présentons pas comme telle
en commission parlementaire. Nous faisons connaître nos avis au
législateur et nous tentons d'avoir un impact de cette façon en
faisant des recommandations précises sur diverses questions.
Cependant, il est indiscutable que le problème que vous soulevez,
concerne la Charte des droits et libertés et ce n'est pas un
problème facile. Nous avons réfléchi à la question,
mais nous n'avons pas émis d'avis en ce moment sur la question. C'est
pour cela que je trouve peut-être difficile de parler sur le fond de la
question. Nous y avons réfléchi; nous n'avons pas encore
émis d'avis.
Mme Lavoie-Roux: Qui peut vous demander un avis?
Mme Fournier: Tout le monde peut nous demander un avis ou nous
pouvons le faire de notre propre initiative. Qui que ce soit peut demander un
avis à la commission et nous évaluons si c'est approprié
ou non de le faire.
Mme Lavoie-Roux: Merci beaucoup.
Le Président (M. Desbiens): Alors, comme conclusion, M. le
ministre.
M. Bédard: Peut-être une dernière question.
Concernant les délais que vous avez évoqués dans le
processus de traitement des plaintes qui existe à l'heure actuelle, il y
a des gens qui nous ont suggéré certaines modifications Ã
la procédure accompagnant une plainte. Par exemple, ils nous ont
suggéré la possibilité d'abolir l'étape de la
conciliation, et de confier au directeur du contentieux la décision de
poursuivre la plainte ou non. J'aimerais connaître votre opinion
là -dessus et j'aimerais aussi savoir ce que vous pensez de la
création d'un tribunal administratif qui serait chargé d'entendre
les plaintes faites en contravention avec la charte. Il y aurait
possibilité d'appel à un tribunal supérieur des
décisions rendues par ce tribunal administratif.
Mme Fournier: Sur la question de la conciliation, je dois dire
que nous n'avons pas envisagé cette possibilité,
précisément parce que nous considérons que, probablement,
l'une des plus importantes originalités de la charte par rapport
à d'autres organismes, c'est de faire en sorte de favoriser le plus
possible l'entente entre les gens. Vous savez que cela donne beaucoup de
résultats.
M. Bédard: Cela fait partie de l'éducation.
Mme Fournier: Oui, et dans 80% des cas ça se règle
au niveau de la médiation. Ce n'est pas nécessaire d'aller devant
les tribunaux et exacerber les conflits lorsqu'il est possible de s'entendre,
précisément. Comme vous le dites, ça fait partie de
l'éducation précise des personnes.
Pour ce qui est de la deuxième question, la mise sur pied de
tribunaux administratifs, c'est une question qui n'est pas facile. LÃ
aussi, nous avons une étude qui est en cours. Nous n'avons pas fait de
recommandation précise à cette commission parlementaire
là -dessus parce que nous considérons que nous ne sommes pas assez
avancés non seulement dans notre réflexion, mais, je dirais, dans
notre expérience de la commission comme telle, avec le système
que nous avons. Nous avons des jugements qui sont devant les tribunaux, nous
attendons de voir comment ceci va aboutir. Cinq ans, ce n'est pas long pour une
commission de
cet ordre avant de changer ses procédures de façon aussi
radicale.
Maintenant, je vous répète que nous avons analysé
l'expérience des autres provinces et celle du fédéral et
nous poursuivons l'étude là -dessus. Nous considérons
d'ailleurs que, si à la suite de nos expériences vécues et
de nos études nous en venions à suggérer la
création de tels tribunaux, nous demanderions, à ce
moment-là , une modification à la charte. (13 heures)
M. Bédard: M. le Président, je pense que mes
collègues, tous les membres de la commission parlementaire aimeraient
bien continuer la discussion encore de longs moments avec les membres de la
Commission des droits de la personne, mais je pense que plusieurs des sujets
que la commission évoque sont aussi repris par d'autres organismes, et
on aura l'occasion de s'y attarder. Alors, je voudrais, au nom de tous les
membres de la commission, vous remercier très sincèrement du
travail remarquable qui a été fait et vous inviter Ã
demeurer avec nous.
Mme Fournier: Merci beaucoup.
Le Président (M. Desbiens): Oui, M. le
député de D'Arcy McGee.
M. Marx: J'aimerais aussi remercier la présidente et tous
les membres de la Commission des droits de la personne. J'aimerais
suggérer au ministre, quand il va refaire la charte, qu'il demande des
avis à la Commission des droits de la personne pour la rédaction
de ses modifications, étant donné qu'elle a une certaine
expertise qu'il serait difficile de trouver ailleurs au Québec.
Merci.
M. Bédard: II est clair, M. le Président, que je me
proposais de le faire.
Le Président (M. Desbiens): Merci aux membres de la
Commission des droits de la personne de leur participation. La commission
élue permanente de la justice suspend ses travaux jusqu'à 15
heures alors que nous accueillerons le Conseil du statut de la femme.
(Suspension à 13 h 02)
(Reprise de la séance à 15 h 19)
Le Président (M. Desbiens): à l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission élue permanente de la justice reprend ses travaux
pour recevoir en audition publique les mémoires relatifs aux
modifications à apporter à la Charte des droits et
libertés de la personne. Je demanderais le consentement des membres de
la commission pour faire un changement d'intervenant. Mme Harel (Maisonneuve)
remplacerait M. Dussault (Châteauguay).
M. Bédard: Avec plaisir, M. le Président.
Mme Lavoie-Roux: Pour une fois qu'il y a des femmes, du
côté du Parti québécois, à une commission qui
intéresse les femmes.
M. Bédard: II y en a toujours.
Mme Lavoie-Roux: Oh non, oh non! Pas avant, pas avant.
Le Président (M. Desbiens): à l'ordre, s'il vous
plaît!
Mme Lavoie-Roux: Non, ce n'est pas ce que j'ai dit.
M. Bédard: Arrêtons de déblatérer sur
les gens qui sont partis.
Conseil du statut de la femme
Le Président (M. Desbiens): à l'ordre, s'il vous
plaît!
J'invite maintenant les membres du Conseil du statut de la femme qui
sont placés en avant, représenté par Mme Claire Bonenfant.
Je vous souhaite la bienvenue et je vous demanderais, Mme Bonenfant, de nous
présenter les personnes qui vous accompagnent.
Mme Bonenfant (Claire): à ma droite, Mme Renée
Carpentier qui travaille à la recherche au Conseil du statut de la femme
et qui a travaillé à la rédaction de notre mémoire
et Me Sandra Shee qui est conseillère juridique auprès de la
présidente du conseil.
Le Président (M. Desbiens): Allez-y.
Mme Bonenfant: M. le Président, M. le ministre, mesdames
et messieurs de la commission et, aussi, mesdames et messieurs derrière
moi qui vous intéressez aux travaux si importants de cette commission,
c'est avec un vif intérêt que le Conseil du statut de la femme a
pris note de la décision du gouvernement de permettre aux groupes et
personnes intéressés de présenter à la commission
permanente de la justice leur point de vue sur les modifications Ã
apporter à la Charte des droits et libertés de la personne.
On se rappelle, d'ailleurs, qu'en mars 1980 une coalition regroupant
plusieurs organismes, dont le Conseil du statut de la femme, avait ardemment
invité le gouvernement à tenir une commission parlementaire
publique sur cette question.
Nous avons, quant à nous, déjà exprimé dans
notre politique d'ensemble Pour les Québécoises:
égalité et indépendance plusieurs recommandations visant
à modifier la charte. Depuis, notre réflexion s'est
continuée et, comme cet événement risque d'avoir des
conséquences importantes pour l'amélioration des conditions de
vie et de travail des femmes, nous nous sommes donc empressés de
répondre à l'invitation du gouvernement pour la
présentation de ce mémoire.
Bon nombre des recommandations qui y sont contenues ne sont cependant
pas nouvelles, ayant déjà fait l'objet de requêtes Ã
plusieurs reprises et ce, par différents organismes. Nous avons,
néanmoins, cru opportun de les rappeler ici, étant donné
que les changements conséquents à ces requêtes n'ont pas
encore été apportés. D'autres recommandations, par contre,
sont peut-être moins connues, mais elles ne témoignent pas pour
autant d'injustices moins importantes.
Pour clore cette brève présentation, notons que l'ensemble
des modifications exigées dans le cadre de ce mémoire ne
constitue pas un relevé exhaustif de tous les changements qui devront
être apportés à la charte et à son application. Nous
nous sommes limités ici à ceux qui nous semblaient prioritaires
en ayant pour cibles les situations les plus flagrantes de discrimination dont
les femmes sont souvent les principales victimes. Nous espérons donc que
le gouvernement, qui se dit, par ailleurs, conscient de la discrimination dont
les femmes sont victimes depuis tant d'années, saura faire preuve d'une
volonté réelle d'agir en donnant suite à ces
recommandations.
Nous avons assisté ce matin à la présentation du
mémoire de la Commission des droits de la personne. Ãtant
donné la similitude de nos revendications, je ne pense pas vous lire
complètement le mémoire que nous avons déposé.
C'est une chose normale que nos mémoires soient un peu semblables
puisque nous sommes deux organismes voués à la défense des
droits des discriminés, mais, pour le conseil, évidemment, il
s'agit surtout des femmes et nous insisterons d'ailleurs sur les points qui
nous touchent d'une façon plus sensible.
Je vous répète que, pour nous, ces modifications Ã
la charte consistent en des enjeux fort importants pour la condition des
femmes. Dans notre mémoire, nous nous appuyons sur les circonstances de
discrimination les plus flagrantes dont les femmes sont souvent les principales
victimes. Les points majeurs de notre mémoire sont: la discrimination
dans les avantages sociaux, l'action positive - c'est-Ã -dire ce que le
Conseil de la langue française a récemment
décrété être des programmes d'accès Ã
l'égalité - la discrimination fondée sur le
harcèlement sexuel, la discrimination fondée sur la condition
physique et aussi la question des pouvoirs et des ressources de la Commission
des droits de la personne.
Commençons d'abord par la discrimination dans les avantages
sociaux. Parler de la discrimination dans les avantages sociaux, c'est parler
de la discrimination dont certains groupes sont victimes au chapitre des
assurances et des régimes de rentes. à l'article 97 de la charte
- je sais qu'on l'appelle maintenant l'article 90, mais, si vous me le
permettez, je continuerai de l'appeler 97 puisque tous les groupes de femmes
l'appellent encore 97 et les femmes ont tellement travaillé à son
abrogation que je ne voudrais pas qu'elles se sentent isolées - on
permet la discrimination dans le domaine des avantages sociaux sur la base des
critères sexe, état civil, orientation sexuelle, personnes
handicapées, âge. Concrètement, cela veut dire, par
exemple, que la charte permet que des polices d'assurance n'acceptent pas les
femmes comme soutiens de famille, les privant ainsi de l'accès aux
avantages sociaux de nature familiale comme l'assurance-vie pour le conjoint et
les frais médicaux pour les enfants.
Autre exemple: La charte permet que les compagnies d'assurances exigent
des femmes des périodes d'attente plus longues pour
bénéficier des avantages d'une police. Troisième exemple:
La charte permet que des polices n'accordent pas aux héritiers
légaux d'une femme des prestations égales à celles des
héritiers légaux d'un homme. Plusieurs organismes se battent
depuis longtemps pour que l'article 97 soit abrogé. En 1976, on a
déposé au gouvernement le rapport Boutin. Le Conseil du statut de
la femme a déposé une politique d'ensemble, en 1978, où on
faisait des réclamations à ce sujet. Nous avons fait partie aussi
de l'équipe de mise en application du rapport Boutin en 1979. En 1980,
nous avons fait partie d'une coalition, comme je l'ai rappelé tout
à l'heure, mais aucune modification n'a été
apportée. Cette situation est tout à fait inacceptable, contraire
à l'esprit même de la charte. Nous revenons encore à la
charge pour exiger l'abrogation de cet article.
Nous ne croyons plus qu'en cette matière, donc, ce soit la
faiblesse de l'argumentation qui retienne depuis tant d'années le
gouvernement québécois dans l'immobilisme. Aussi n'avons-nous pas
l'intention dans le cadre du présent mémoire de reprendre
l'argumentation déjà développée. Nous croyons cette
démarche inutile car les changements à apporter ne
dépendent plus d'un manque de preuves ou de justifications au
changement, mais bien d'une volonté politique d'agir. Aussi nous
contentons-nous de présenter ici sous forme de recommandations les
changements qui devront être apportés à l'actuelle Charte
des droits
et libertés de la personne pour que l'égalité entre
hommes et femmes puisse être rétablie en matière
d'avantages sociaux. Nous recommandons que l'article 97 de la Charte des droits
et libertés de la personne soit abrogé. Nous recommandons qu'un
pouvoir de réglementation soit accordé à la Commission des
droits de la personne pour assurer la mise en oeuvre des normes de
non-discrimination dans les avantages sociaux.
Nous recommandons qu'il soit stipulé dans la charte que les
législations et régimes publics doivent être
modifiés dans le sens de l'abolition de toute discrimination en
matière d'avantages sociaux. Nous venons de dire qu'une
réglementation doit être faite et, à notre avis, un
organisme doit être mandaté pour en assurer l'application et le
contrôle. Pour le Conseil du statut de la femme, ce rôle revient
à la Commission des droits de la personne.
Un point sur lequel nous aimerions insister alors qu'on y a fait
allusion ce matin, c'est les notions relatives aux conjoints de fait. Ã
la recommandation 4 de son rapport final, le comité Boutin a
accepté une définition du conjoint de fait similaire Ã
celle de la Régie des rentes du Québec, c'est-à -dire une
définition établissant à sept ans la durée de vie
commune nécessaire pour que soit reconnu le conjoint de fait.
Considérant certaines de nos remarques, le comité chargé
de l'application des recommandations du rapport a, par la suite, proposé
une modification à la définition de conjoint de fait, la rendant
cette fois tout à fait conforme à la loi et aux règlements
prévalant dans le cadre du Régime de rentes du Québec.
Nous avons à l'époque réagi à cette modification de
la façon suivante: nous croyons qu'il y aurait avantage à arriver
à une certaine uniformité dans les différentes lois et
même dans les régimes privés en ce qui a trait à la
définition du conjoint de fait et du partage des droits de chacune dans
une situation où coexiste un conjoint de fait. Une lecture sommaire des
lois existantes nous amène encore aujourd'hui à dénoncer
le manque d'uniformité, pour ne pas dire le véritable fouillis
entourant la notion de conjoint de fait. Ainsi, la situation relative Ã
la reconnaissance légale du conjoint de fait nous semble
témoigner d'assez de confusion et d'arbitraire pour ne plus risquer
aujourd'hui d'accroître cette tendance en proposant une définition
reposant sur une analyse trop superficielle. Actuellement, la situation est
telle qu'avant d'opter pour l'une ou l'autre définition une analyse plus
systématique des implications devrait être faite par la
commission.
à propos de la réglementation, nous croyons qu'elle doit
s'élaborer sur la base des recommandations du rapport Boutin, mais avec
certaines modifications, toutefois, dont la plus importante porte sur les
considérations actuarielles. Objection à ce que les
considérations actuarielles justifient des traitements différents
selon qu'on est homme ou femme. Pour illustrer la situation, on peut dire que
la science actuarielle établit que l'espérance de vie des femmes
est plus longue que celle des hommes, c'est-Ã -dire sept ans. Des
assureurs allouent donc pour un même montant de prime des rentes
mensuelles plus faibles. Raison: les femmes recevront leurs rentes plus
longtemps. On n'a pas semblé considérer que le pain, le beurre,
l'habillement et le logement coûtent le même prix pour les hommes
et pour les femmes et qu'en punition nous allons avoir moins d'argent plus
longtemps parce que nous vivons plus longtemps. C'est une situation
inacceptable en vertu du principe d'égalité de
rémunération pour travail équivalent. Une
rémunération comprend non seulement les compensations directes,
c'est-Ã -dire les salaires, mais aussi les compensations indirectes, les
avantages sociaux. Une mesure qui sanctionne un niveau de vie inférieur
pour les femmes est inacceptable. (15 h 30)
D'ailleurs, ce ne sont pas toutes les femmes qui vivent plus longtemps.
Ce ne sont pas tous les hommes qui vivent moins longtemps. Peut-on dire que
c'est une injustice? Les conditions socio-économiques des femmes varient
aussi. Dans quelle mesure les savants conseils actuariels en tiennent-ils
compte? Le conseil dénonce, encore une fois, les considérations
actuarielles comme prétexte à la discrimination homme et
femme.
Au chapitre des avantages sociaux, le Conseil du statut de la femme
demande aussi que les législations et régimes publics soient
modifiés dans le sens de l'abolition de toute discrimination en
matière d'avantages sociaux, évidemment vous trouverez dans notre
rapport de plus langues considérations sur ce dossier, mais nous ne
voulons pas accaparer les travaux de la commission alors que beaucoup a
été dit ce matin.
Nous allons passer maintenant aux modifications relatives à ce
qu'on appelle l'action positive ou programmes d'accès Ã
l'égalité. Par ces programmes, il s'agit ici de permettre
à différents groupes dont les femmes, victimes depuis fort
longtemps de pratiques discriminatoires, de jouir enfin des mêmes chances
que les autres. LÃ aussi, je me permettrai de ne pas lire
entièrement le mémoire puisque la commission en a largement
traité ce matin, mais nous voulons quand même insister sur le
retard accumulé par les femmes dans la structure de notre
société ce qui suppose la mise en place de mesures de
redressement.
Actuellement la charte ne permet pas ces programmes. Le conseil a
déjà recommandé, dans la politique d'ensemble, d'amender
la charte en conséquence; nous
continuons de le faire. On doit le faire plus que jamais. Malgré
des idées généreuses, malgré des programmes
généreux qu'on a essayé de mettre en place, dans les
gouvernements ou dans certaines industries, on se rend compte que finalement
les inégalités viennent du système lui-même; si on
ne met pas en place de tels programmes, on n'y arrivera jamais, parce que la
pyramide monte toujours inégalement. Au conseil, on appuie plus
précisément la Commission des droits de la personne dans
l'obligation d'avoir un organisme unique qui régisse ces programmes et
on demande que ces programmes ne soient pas seulement appliqués au monde
du travail, mais aussi au monde de l'éducation, en particulier dans le
domaine de la formation. Sur ce sujet, nous vous référons, pour
de plus amples informations et pour un appui encore plus considérable
à nos arguments, au rapport que nous avons déposé devant
la commission Jean, l'automne dernier, où on prouve que les femmes sont
déjà discriminées au départ dans notre
système d'éducation.
Alors, nous appuyons donc entièrement la Commission des droits de
la personne pour qu'elle soit aussi chargée de la réglementation
déterminant la portée et les contenus de ces programmes et
qu'elle puisse prendre toute action judiciaire appropriée sans avoir le
consentement d'une victime individuelle, ce qui nous amène Ã
parler des recours collectifs. On demandait que la Charte des droits ait des
pouvoirs supplémentaires pour agir au nom des collectivités qui
étaient discriminées.
Pour continuer dans les programmes d'action positive, nous demandons
aussi qu'ils soient rendus obligatoires, dans toutes les entreprises
contractant avec l'Ãtat et aussi dans la fonction publique ou dans tout
autre organisme où des cas de discrimination ont été
démontrés, que l'application de ces programmes ne se
réduise pas, je viens de le dire, qu'au domaine du travail. Nous
insistons également sur une chose que nous considérons
très importante, c'est le dialogue entre la Commission des droits de la
personne et les syndicats. Nous croyons, avec certitude, que ces programmes ne
pourront être mis en application s'il n'y a pas une concertation du
milieu, c'est-à -dire des comités paritaires qui
réuniraient les syndicats et les patrons afin de rendre possibles ces
programmes d'action positive.
Un sujet que nous voulons aborder tout spécialement, parce qu'il
revient au Conseil du statut de la femme en particulier d'insister sur ces
recommandations, c'est les modifications relatives à la discrimination
fondée sur le harcèlement sexuel.
Le harcèlement sexuel est une autre circonstance de
discrimination dont les femmes sont très souvent victimes. Selon la
définition qu'en donne la Commission des droits de la personne il
consiste, dans une pression indue exercée sur une femme, soit pour
obtenir des faveurs sexuelles, soit pour ridiculiser ses
caractéristiques sexuelles, qui a pour effet de compromettre son droit
à l'égalité dans l'emploi, son droit à des
conditions de travail justes et raisonnables, son droit à recevoir en
toute égalité des services ordinairement offerts au public, son
droit à la dignité.
Le harcèlement sexuel peut prendre différentes formes,
depuis les regards soutenus en passant par les moqueries jusqu'aux demandes de
faveurs sexuelles s'accompagnant de menaces explicites ou implicites.
Ces différentes tactiques de harcèlement sont souvent
considérées comme anodines et sans conséquence par leurs
auteurs. Certains diront qu'elles font partie des règles du jeu,
qu'elles sont assimilables au flirt. Cependant, la réalité est
tout autre du point de vue des victimes.
Sans vouloir ici discourir trop longuement sur ce problème, nous
aimerions, vu son importance, rappeler devant cette commission certaines
données découlant d'études portant sur ce problème.
Notons tout d'abord que, bien qu'il soit difficile de circonscrire parfaitement
l'étendue de ce problème, des sondages ont déjÃ
démontré que la majorité des femmes en milieu de travail
s'y trouve confrontée. De plus, les milieux de travail ne sont pas les
seuls à laisser prise à ce type de discrimination. On retrouve
aussi de nombreux cas dans les institutions de formation, écoles,
universités, ainsi qu'au niveau de l'accès aux services
publics.
Quant aux répercussions de ces pratiques, dans leur étude
intitulée "The Secret Oppression", Backhouse et Cohen notent qu'en plus
des conséquences économiques reliées aux
difficultés d'avancement, voire même à la perte de
l'emploi, elles entraînent souvent chez les victimes de graves
problèmes aux niveaux physique et psychologique.
D'autre part, il s'agit d'un problème excessivement difficile
à combattre et ce, pour plusieurs raisons. Un des meilleurs moyens
d'enrayer le harcèlement sexuel consisterait, logiquement du moins,
à dénoncer publiquement chacune de ses manifestations. Cependant,
bien que les femmes soient nombreuses à dire en avoir été
victimes, rares sont celles qui dénoncent officiellement ces situations
et utilisent les recours auxquels elles ont normalement droit. Les femmes sont
souvent isolées dans ces circonstances, donc ne pouvant
bénéficier du support de témoins. De plus, la culture
aidant, elles vont même jusqu'à se sentir coupables d'avoir
été victimes de ce type de discrimination. La crainte des
représailles constitue également une des raisons les plus
fréquemment évoquées par les victimes pour
justifier leur mutisme.
Le fait que le harcèlement sexuel frappe davantage les femmes que
les hommes ne résulte pas du hasard. Le fait qu'il soit
particulièrement fréquent en milieu de travail n'est pas non plus
de l'ordre de la coïncidence. Ce phénomène de discrimination
constitue au contraire une autre manifestation de l'inégale distribution
des hommes et des femmes, notamment, sur le marché du travail, et de la
faiblesse du rapport au pouvoir de ces dernières.
Ãtant donné que, sur le marché du travail, les
femmes sont très vulnérables au chômage, qu'elles occupent
encore massivement des postes de subalternes, que dans les tâches qui
leur reviennent la démarcation entre fonctions particulières et
faveurs personnelles n'est pas toujours facile à faire, les femmes
deviennent facilement des proies à l'exercice du pouvoir mâle.
Cette situation d'inégalité rend d'autant plus difficile et
complexe la lutte qui doit être menée pour mettre fin au
harcèlement sexuel.
Face à un tel problème de discrimination, certains recours
sont actuellement possibles. Ainsi, en vertu des articles 10 et 19 de sa
charte, la Commission québécoise des droits de la personne
reçoit les plaintes de cette nature. Dans un document produit par la
Commission des droits de la personne, en mai dernier, on affirmait de
façon catégorique que "la charte couvre tout harcèlement
sexuel susceptible d'exister dans le domaine de l'emploi, du logement ou de
tous services ordinairement offerts au public".
Bien que la commission interprète les articles 10 et 19 de sa
charte comme pouvant permettre de recevoir les plaintes de harcèlement
sexuel, la charte ne donne pas pour autant un pouvoir d'intervention formelle
et explicite en cette matière. Le harcèlement sexuel n'est donc
pas encore reconnu aujourd'hui comme un motif sexuel et exclusif de
discrimination.
Considérant que même en présence des recours
légaux actuels, les cas de harcèlement sexuel officiellement
dénoncés constituent encore aujourd'hui des cas d'exception, nous
croyons qu'il est du devoir du gouvernement d'amender la présente charte
de manière que le harcèlement sexuel puisse être
considéré comme un motif explicite de discrimination. Il va sans
dire qu'une telle modification à la charte ne suffira pas Ã
mettre fin à ce type de discrimination, bien d'autres approches doivent
être développées. Nous croyons toutefois qu'en
procédant ainsi, les harceleurs seront moins tentés de mettre
leur projet à exécution et les victimes mieux
équipées pour lutter contre cette réalité qu'il
nous faut à tout prix démasquer.
Je voudrais aussi passer à une autre modification relative
à la discrimination fondée sur la condition physique. La
Commission des droits de la personne a parlé ce matin
spécifiquement de la grossesse. Nous voulons aller plus loin sous le
vocable "condition physique", parce que plusieurs cas de discrimination peuvent
être évoqués sous ce vocable. Notre intention ici n'est pas
d'en faire un relevé systématique ni exhaustif; nous voulons
plutôt, en nous appuyant sur deux types de circonstances
particulièrement flagrantes, faire voir à la commission la
nécessité de considérer la condition physique comme un
motif explicite et textuel de discrimination.
Au Québec, différentes lois - nous l'avons dit ce matin -
protègent actuellement les femmes enceintes. La Loi sur les normes du
travail interdit à un employeur de mettre à pied une femme sous
prétexte qu'elle est enceinte. La Loi sur la santé et la
sécurité du travail permet de son côté à la
femme enceinte dont le travail comporte des dangers pour elle et l'enfant
à naître de refuser d'exécuter ce travail. Enfin,
l'ordonnance 17 permet les congés de maternité et aussi les
avantages sociaux.
Cependant, en dépit de ces lois, il semble bien que les femmes
enceintes puissent encore être victimes de discrimination et ce, sans
bénéficier d'aucun recours. Ce matin, la commission a cité
l'exemple récent de cette femme qui fut refusée à l'emploi
parce qu'elle était enceinte.
Ainsi, Ã moins d'un renversement de ce jugement, on peut donc
conclure que notre charte autorise la discrimination fondée sur une
dimension importante de la condition physique des femmes, soit leur
réalité biologique. Une telle porte ouverte à la
discrimination nous paraît tout à fait inacceptable. Ã
notre avis, la charte québécoise devrait interdire explicitement
cette forme de discrimination basée sur la condition physique des
femmes.
Mais nous voulons aller plus loin, nous voulons que la condition
physique inclue l'apparence physique. D'autre part, combien de fois n'a-t-on
pas entendu, non pas officiellement, mais à travers les coulisses, des
employeurs avouer, voire se flatter d'avoir retenu la candidate la plus jolie?
Certains considèrent encore comme allant de soi le fait que la
secrétaire à engager réponde à certains
critères d'esthétique non requis d'ailleurs chez les candidats
masculins.
On sait en outre que, lorsqu'une femme désire postuler un emploi
dans un secteur de travail traditionnellement réservé aux hommes,
les mêmes critères d'esthétique sont encore souvent pris en
considération, bien qu'ils soient appliqués, cette fois, de
façon différente.
Ainsi, dans les secteurs de travail
traditionnellement réservés à la main-d'oeuvre
féminine, une femme a souvent plus de chances d'obtenir le poste
convoité si elle jolie, bien faite, etc., alors que ces mêmes
caractéristiques pourront contribuer à diminuer ses chances
d'obtenir l'emploi convoité si elle s'inscrit dans un secteur
traditionnellement masculin.
Actuellement, la charte interdit d'inclure des critères de
beauté dans les exigences minimales d'emploi. De plus, les
critères relatifs à la taille et à la force physique ne
peuvent être retenus à moins d'être jugés pertinents
à certains emplois.
Cependant, dans la pratique, chacun sait qu'encore beaucoup d'employeurs
font peu de cas de ces interdictions. En cette matière, les
stéréotypes sexistes sont encore très persistants. D'autre
part, les possibilités de recours réels pour un tel motif sont
à peu près inexistantes. Allez donc faire la preuve qu'en
processus de sélection, on a préféré retenir une
autre candidate parce qu'elle était plus jolie que vous, notamment
lorsque vous avez passé votre entrevue en l'absence d'un jury ou encore
devant un jury composé exclusivement d'hommes, comme c'est souvent le
cas! Différents moyens et stratégies doivent être mis de
l'avant pour lutter contre cette forme de discrimination. Nous croyons qu'une
interdiction encore plus explicite de ces pratiques dans la Charte des droits
et libertés de la personne devrait être du nombre de ces moyens.
(15 h 45)
Avant de conclure, je voudrais parler des modifications relatives aux
pouvoirs et devoirs de la commission. Ã ce chapitre, nous aimerions,
d'une part, appuyer la Commission des droits de la personne dans ses demandes
visant à lui conférer un pouvoir accru et, d'autre part, insister
sur la nécessité d'adjoindre à ces pouvoirs les ressources
et disponibilités requises pour exercer décemment ses
fonctions.
Nous recommandons donc que les pouvoirs de la Commission des droits de
la personne soient accrus conformément aux recommandations
déjà formulées au chapitre précédent. Nous
recommandons au gouvernement de voir à ce que la Commission des droits
de la personne dispose des ressources humaines et matérielles
nécessaires à l'exercice des pouvoirs anciens et nouveaux qui lui
seront reconnus dans la charte tel qu'amendée. Nous recommandons, de
plus, que la Commission des droits de la personne puisse procéder
à l'ouverture de bureaux régionaux; sur ce point, peut-être
pourrions-nous trouver des accommodations pour pouvoir régionaliser en
même temps le Conseil du statut de la femme.
M. Bédard: Des bureaux conjoints. Mme Bonenfant: Je
voudrais reprendre un peu, parce que je l'ai faite au mauvais endroit tout
à l'heure, une des recommandations qui pour nous est très
importante. Nous recommandons au gouvernement de donner suite à la
recommandation faite par la Commission des droits de la personne en
matière de recours collectif et d'amender la charte en
conséquence. Nous recommandons aussi que soit spécifiées
dans la charte les conditions ou circonstances permettant à une loi
postérieure d'énoncer expressément s'appliquer
malgré la charte, et je pense que cela ajoute au débat que nous
avons eu longuement ce matin.
Nous voudrions insister sur la modification de l'article 19, retirer de
l'article 19 le critère "quantité de production" et voir Ã
ce que ce critère ne soit pas contenu implicitement dans l'expression
"évaluation au mérite". Quand nous parlons de cette
évaluation de "quantité de production" nous pensons surtout
à ne plus exposer les femmes qui font du travail à la
pièce, qui font du travail au rendement. C'est pour cela que nous
insistons beaucoup sur cette recommandation; on pourra peut-être en
reparler tout à l'heure.
C'est à peu près ce que le conseil recommande. Ce que je
voudrais dire en terminant, c'est que lorsque nous demandons au gouvernement,
par exemple, des programmes d'accès à l'égalité
d'emploi, ce n'est pas une préoccupation nouvelle, bien sûr, et on
en avait déjà parlé. Aussi, ce que je voudrais dire au
gouvernement, c'est que beaucoup d'autres pays, d'autres provinces et le Canada
lui-même sont dotés d'une législation qui permet ce type de
programme. Pour le gouvernement, amender la charte en ce sens ce n'est donc pas
se jeter à l'avant-garde ni se poser en pionnier, mais c'est tout
simplement établir un cohérence entre le discours et la pratique.
Merci.
Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le ministre.
M. Bédard: M. le Président, je remercie le Conseil
du statut de la femme pour son mémoire très articulé, tel
que madame la présidente l'a fait remarquer. Elle a fait porter une
grande partie de son intervention sur des points qui avaient été
peut-être moins explicités ce matin parce que, comme vous l'avez
dit, madame la présidente, l'essentiel de toutes vos revendications, de
vos représentations se trouve déjà contenu dans les
représentations qui nous ont été faites ce matin par la
Commission des droits de la personne.
Maintenant, vous avez, entre autres, je crois, enfin on a pu le
constater, porté une attention particulière - ce qui ne
minimisait pas les autres points, étant donné qu'ils avaient
déjà été traités - à la question
du
harcèlement sexuel. Ce matin, comme vous avez pu le constater,
nous ne l'avons pas abordé avec la Commission des droits de la personne.
Nous étions à même de voir, dans les mémoires qui
ont été présentés, que vous y attachiez une
importance très spéciale, et c'est avec vous peut-être
qu'on pourrait en profiter afin que vous nous donniez un l'éclairage le
plus complet possible sur cet aspect qui vous tient à coeur. D'abord,
est-ce que vous croyez qu'il est nécessaire que le harcèlement
sexuel soit clairement défini dans la loi? Tout le monde pourrait
être très disposé à ce que le terme soit dans la
loi, mais il faut quand même lui donner un contenu très explicite.
On parle de la Charte des droits et libertés de la personne; s'il y a
une place où on se doit d'être plus précis concernant
toutes les notions qu'on y insère, c'est bien au niveau de la Charte des
droits et libertés de la personne.
Ne croyez-vous pas - je vous le demande parce que je n'ai vraiment pas
d'opinion de faite - qu'en voulant spécifier d'une façon tout
à fait particulière la question du harcèlement sexuel,
à ce moment-là , on pourrait risquer de limiter la portée
de tout ce qui est permis en vertu des articles 10 et 11 qui défendent
toute discrimination concernant le sexe et qui permettent, justement,
d'englober encore plus que ne pourrait le faire une notion telle que le
harcèlement sexuel, s'il était défini?
Je sais qu'il y a des manifestations du harcèlement sexuel que
tout le monde connaît; vous l'avez mentionné au niveau des
relations entre employées et patron qui, d'ailleurs, sont un peu
couvertes par le Code criminel. Je sais que ce ne sont pas de ces
manifestations très tangibles, très visibles que vous parlez;
vous allez beaucoup plus loin que ça. J'aimerais que vous
précisiez votre pensée là -dessus; autrement dit, vous
pourriez peut-être expliquer un peu plus quelles pourraient être,
à votre idée, les manifestations les plus raffinées, si on
peut employer l'expression, de ce qu'on pourrait appeler le harcèlement
sexuel. Vous parliez du fait que ça pouvait aller - je l'ai noté
-jusqu'au regard soutenu. En fait, à partir du moment où on met
une notion dans la loi, il faut qu'elle soit suffisamment explicite pour que
des éléments de preuve puissent y être apportés si
on veut que cela ait vraiment des conséquences pratiques, une
portée pratique. Pourriez-vous expliciter cela, s'il vous
plaît?
Mme Bonenfant: Premièrement, le motif...
M. Bédard: Si vous me permettez, en terminant...
Mme Bonenfant: Excusez, je pensais que votre question
était terminée.
M. Bédard: Non, non, c'est moi qui m'excuse, c'est parce
que ça va terminer un peu ma question. Vous parliez également de
l'apparence physique. Vous indiquez des manifestations de discrimination qui,
effectivement, doivent sûrement se produire. Maintenant, de lÃ
à en faire la preuve, je pense que vous évoquez avec beaucoup
d'Ã -propos qu'il y a toute une marge entre la manifestation
elle-même de discrimination et les possibilités d'en faire la
preuve. Peut-être, pourriez-vous expliquer davantage ces deux
points-là .
Mme Bonenfant: Premièrement, ce que vous évoquez au
sujet du motif du sexe, ça ne l'exclut pas parce que nous
désirons que ce motif demeure dans l'article.
M. Bédard: Oui, je suis parti du principe que vous vouliez
que ça demeure.
Mme Bonenfant: Oui, mais l'un n'exclut pas l'autre.
M. Bédard: Non, au contraire.
Mme Bonenfant: Je pars de l'idée que ce qui n'est pas dit
n'existe pas. Quand je dis ça, je le dis pour le législateur et
je le dis aussi pour les personnes qui subissent. Si on ne le dit pas d'une
façon explicite dans la loi, dans la charte, ce sera extrêmement
difficile d'arriver à le prouver, d'arriver à porter des plaintes
si les mots n'existent pas. Si on se cache derrière l'abstention,
ça demeurera toujours de plus en plus difficile de parler de
harcèlement sexuel, chose qui existe. Quand je dis que ce qui n'est pas
dit n'existe pas, c'est aussi au niveau des femmes. On commence Ã
percevoir cette discrimination qui nous est faite. Vous avez vu
récemment des manifestations où on disait: La nuit nous
appartient. On commence à réaliser qu'on ne peut pas sortir la
nuit, parce qu'on est harcelées sur la rue. C'est pour ça que je
dis que c'est important de nommer les choses et les mots "harcèlement
sexuel", il ne faut pas en avoir peur, parce qu'il existe. Nous avons, au
conseil, deux portes ouvertes, je dirais, sur le monde des femmes; il y a notre
service Consult-Action, qui est un service dévoué Ã
l'animation des groupes de femmes et nous avons des groupes de femmes qui
s'occupent de dénoncer la violence faite aux femmes. Par ces voies, nous
savons que le harcèlement sexuel existe. Je ne veux pas entrer ici dans
des descriptions plus explicites, mais nous avons encore ce qui est plus
secret, c'est le service d'écoute téléphonique qui
s'appelle Action-Femmes. LÃ , dans le secret des lignes
téléphoniques, nous savons ce qui se passe entre les hommes et
les femmes de cette société; nous savons que les femmes sont
harcelées par leurs patrons, dans les
restaurants, dans les magasins, dans les universités, par leurs
propres professeurs; nous savons que, même dans notre bon gouvernement du
Québec, ça se passe, nous avons vu le cas L.R. qui a
été illustré dans tous les journaux. Alors, c'est pour
cette raison que je dis: Cette chose qui existe, elle doit être
nommée et on ne doit pas en avoir peur.
M. Bédard: Ãcoutez, entendons-nous...
Mme Bonenfant: Là , je parle d'une façon très
passionnée, maintenant je vais laisser ma conseillère juridique
vous parler de droit.
Mme Shee (Sandra): Ce que je pourrais ajouter à ce sujet,
M. le ministre, c'est que finalement, Ã l'heure actuelle, c'est une
forme de discrimination qui est plus ou moins définie. Comme le disait
si bien Mme la présidente, on commence à sentir les
premières manifestations, les premières réactions
publiques et, à partir de là , on pourra avoir une
définition beaucoup plus élaborée, à mesure que les
cas seront dénoncés. Il ne faut pas croire que le Conseil du
statut de la femme semble novateur en ce qui a trait à cette
recommandation; si je reprends une recommandation de Mme Fournier, ce matin,
celle-ci demandait que le cas de harcèlement s'applique non seulement au
motif sexe, mais à tous les autres motifs contenus à l'article 10
de la Charte des droits et libertés de la personne, c'est-à -dire
que déjà la commission pense que ça s'applique au motif
sexe, mais qu'on devrait l'appliquer aussi au motif de nationalité et
d'origine ethnique. Si Mme Fournier va beaucoup plus loin, c'est parce qu'elle
s'occupe de tous les cas de discriminations; nous, le motif sexe, c'est le
motif qui nous concerne le plus, et on ne pense pas être novateur en le
demandant. Je fais aussi une comparaison avec la Commission des droits de la
personne de l'Ontario qui réclame des modifications à sa charte
depuis nombre d'années et qui demande aussi que soit inscrit ce motif de
harcèlement sexuel.
M. Bédard: Je voudrais être bien clair,
j'espère que mes propos n'ont pas donné l'impression contraire.
Je crois qu'il y a du harcèlement sexuel, je n'ai aucun doute, et je
n'ai pas peur des mots "harcèlement sexuel". C'est sur une question de
principe que je pose la question. L'article 10, vous l'avez mentionné,
permet à l'heure actuelle de porter certaines plaintes qui peuvent
être apparentées au harcèlement sexuel. Si on sent le
besoin de spécifier le harcèlement sexuel comme tel, le
définir, est-ce qu'on ne risque pas - c'est là -dessus que je veux
avoir votre opinion - de diminuer - disons que la définition n'est pas
suffisante ou encore qu'elle n'englobe pas tout, étant donné
l'importance du problème que vous avez soulevé - l'effet de
l'article 10 qui peut comprendre le harcèlement et toute autre forme de
discrimination concernant le sexe? Si on en arrivait à la conclusion
qu'on doit mentionner le harcèlement sexuel, je crois qu'il faudrait
presque mentionner tous les harcèlements de toute autre nature, parce
qu'il ne faut quand même que, en en mentionnant un dans la charte, il y
en ait qui tirent la conclusion que le harcèlement, dans d'autres
domaines, peut être permis. Justement, au contraire, je vous le demande,
est-ce que l'article 10 ne vous donne pas plus possibilité que si on se
limitait à une définition simplement du harcèlement
sexuel, est-ce que les efforts ne doivent pas être orientés en
fonction de donner le plus de sens possible à l'article 10 plutôt
que d'essayer d'en limiter la manifestation dans une définition
concernant le harcèlement sexuel?(16 heures)
Mme Shee: M. le ministre, ce que le conseil demande, c'est non
pas une définition comme telle parce que si on a une définition,
peut-être qu'on restreindrait la portée, mais que cela soit
inscrit à l'article 10. Si cela n'est pas inscrit à l'article 10
-à l'heure actuelle, on a le motif sexe - si cela n'est pas écrit
textuellement, comme le disait Mme Bonenfant tout à l'heure, lorsqu'on
arrivera devant les tribunaux, même si on dit qu'on a un motif sexe qui,
pour nous, a comme une interprétation de harcèlement sexuel, ils
diront, comme ils ont dit dans le cas de sexe: Cela ne comprend pas état
de grossesse; et, on va se retrouver dans un cul-de-sac. C'est pour cela que
nous demandons que cela soit inscrit, pour que les tribunaux ne nous disent
pas: Vous avez le motif sexe. Comme cela sera inscrit, ils vont devoir
l'interpréter eux-mêmes et avoir une notion qui est beaucoup plus
large. Une définition comme telle, ce n'est pas ce qu'on demande dans le
mémoire. Ce qu'on demande, c'est que cela soit inscrit comme motif
explicite. à partir de là , c'est la jurisprudence peut-être
et les cas qui viendront, par la suite, devant les tribunaux, qui auront
à voir quel genre de définition on donnera. Il est sûr
qu'en plaidant, on pourra argumenter avec une recherche beaucoup plus
approfondie.
Comme je le disais tout à l'heure, ce genre de harcèlement
peut prendre différentes formes depuis les regards soutenus en passant
par les moqueries jusqu'aux demandes de faveurs sexuelles s'accompagnant de
menaces explicites ou implicites. Pour nous, c'est important que cela soit
inscrit dans la charte. C'est cela qui est important pour le conseil et non pas
la définition, à savoir ce que cela comprend.
M. Bédard: Oui, mais on ne peut quand même pas
mettre quelque chose dans la charte sans pouvoir y donner la portée la
plus grande possible. Selon l'essentiel de mes questions, j'ai l'impression, il
s'agit de continuer la réflexion ensemble. Il faudrait être bien
sûr qu'en y allant de spécifications précises, cela n'ait
pas pour effet de limiter ce qui existe déjà dans la charte
à l'article 10, parce que c'est très large.
Mme Carpentier (Renée): J'aimerais ajouter un court
commentaire. C'est bien évident que, pour nous, notre intention n'est
pas non plus à des effets comme ceux-là . Notre intention est de
démasquer cette réalité. Ce qu'on dit, en faisant cette
demande, c'est que le harcèlement sexuel, à l'heure actuelle, est
à peine reconnu comme étant un motif de discrimination, tant chez
les harceleurs potentiels ou réels que chez les...
Mme Bonenfant: Les victimes.
Mme Carpentier: ...personnes qui sont victimes de
harcèlement. Comme Mme Bonenfant le disait tout à l'heure, ce qui
n'est pas dit n'existe pas. On considère que le harcèlement
sexuel existe dans les faits et qu'il faut le dire dans la charte que c'est un
motif de discrimination qui existe et qui est très répandu. Ce
qu'on souhaite, c'est qu'effectivement cela n'ait pas les effets que vous...
Mais notre intention, c'est de démasquer cette réalité qui
est niée.
M. Bédard: Je comprends très bien que vos
intentions soient dans ce sens-là . Peut-être y a-t-il aussi un
phénomène d'éducation là -dedans qui peut être
un remède. Je reviens simplement et je termine même
là -dessus, à partir du moment où vous indiquez la notion
de harcèlement sexuel et qu'il y a une certaine
énumération, je pense que cela peut - on continuera, je le dis
encore une fois, la réflexion ensemble - vous le savez, prêter
à une interprétation restrictive de la part des tribunaux et, au
bout de la ligne, on peut en arriver à l'effet contraire de celui que
vous voulez atteindre. En tout cas, on aura sûrement l'occasion de
revenir sur le sujet.
Maintenant, une autre question concernant les avantages sociaux chez les
conjoints de fait. Je pense que vous vous attendiez à la question, sans
doute. Je voudrais vous fournir l'occasion de concilier l'argumentation que
vous avez soutenue lors du débat sur le Code civil, à savoir que
l'union de fait ne devait aucunement entraîner des obligations -
d'ailleurs, nous étions d'accord, à ce moment-là - avec
celle que vous soutenez actuellement au niveau des avantages sociaux. Est-ce
qu'il serait dans l'ordre des possibilités de limiter notre intervention
à l'option pour un conjoint de fait de faire profiter, selon sa
volonté, son conjoint des avantages découlant de son
régime?
J'aurais peut-être une autre question. Qu'arrive-t-il dans ce
domaine-là lorsqu'il y a un conjoint légitime et un conjoint de
fait qui existe encore?
Mme Bonenfant: Si vous vous rappelez bien le sens de mon
intervention, c'était justement de dire que, dans l'état actuel
des choses, il nous apparaît que la commission, ou tout autre organisme,
devrait se pencher sur le problème parce que tel que cela est, c'est un
fouillis et c'est extrêmement difficile de se prononcer. Ce qui est
extrêmement pénible, c'est justement qu'on arrive parfois Ã
des règlements qui sont contradictoires et qui favorisent ou
défavorisent les conjoints de fait, selon que cela fait l'affaire ou non
de certains services.
M. Bédard: Un genre de législation?
Mme Bonenfant: Par exemple, l'aide sociale reconnaît
l'existence du conjoint de fait à partir du moment où cela
défavorise une femme qui vit en concubinage avec un homme, mais demande
sept ans pour profiter de la rente de survivant de la sécurité
sociale. Il y a deux poids, deux mesures. Ce que l'on demande, c'est de
vraiment se pencher sur une façon d'uniformiser.
On est très conscients que ce n'est pas facile et nous avions
comme position, au conseil, lors de la refonte du Code civil, de ne pas marier
les gens de force; on ne voulait pas qu'on légifère sur l'union
de fait, mais, d'un autre côté, il y a ce qui s'appelle le droit
social, il y a des avantages sociaux à partager entre des individus. Il
faut trouver des règles pour ça et, à mon avis, c'est
urgent que l'Ãtat se penche sur des modalités les plus uniformes
possible et aussi les plus justes possible pour les citoyens.
M. Bédard: Autrement dit, par rapport aux lois
sectorielles...
Mme Bonenfant: C'est ça.
M. Bédard: ... ce que vous aimeriez, c'est qu'on trouve le
moyen, à partir du moment où ça existe, d'en arriver
à une certaine uniformité.
Mme Bonenfant: Parce que là , il y a trois ans pour
l'assurance automobile, sept ans pour le régime de rentes...
M. Bédard: Oui, oui, chacun y fait passer ses notions
particulières.
Mme Bonenfant: Exactement, oui, notre
intervention est dans ce sens-là .
M. Bédard: D'accord. C'est tout, M. le
Président.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: Je me joins aux remerciements du ministre
vis-Ã -vis de la commission. Je ne veux pas harceler qui que ce soit,
mais je veux revenir sur cette question de harcèlement. C'est
évident que c'est un problème et je pense que la Commission des
droits de la personne a déjà eu des cas de harcèlement,
des plaintes. Quant à moi, c'est simple, il faut trouver la solution
pour combattre ce mal. Il va de soi que c'est très difficile d'en faire
la preuve. C'est ça le problème: Comment va-t-on prouver qu'il y
avait vraiment du harcèlement? Quelqu'un va dire: On m'a fait telle et
telle offre. L'autre va nier l'offre. On va faire une enquête. Un dit
oui, l'autre dit non. Cela peut être du chantage, c'est difficile de
faire la preuve.
J'ai toujours pensé, pour ma part, que le harcèlement est
couvert par l'article 10 parce que, si le patron fait une offre à une de
ses employées qui ne l'a pas acceptée et qu'il la met à la
porte, ce n'est pas à cause du harcèlement, c'est à cause
de son sexe. Je suis d'accord avec le ministre que cela est déjÃ
couvert par le mot "sexe" dans l'article 10. Si ce n'est pas couvert, il faut
se pencher sur cette question et ça ne me choquerait pas de trouver un
autre article ajouté à la charte.
J'ai une question à vous poser - parce que nous avons des experts
devant nous -pour m'instruire vraiment. Vous avez parlé de l'action
positive et de l'égalité homme-femme; il va de soi que tout le
monde veut qu'on marche dans cette direction, mais ce qui m'intéresse,
c'est la mise en oeuvre sur le plan pratique d'un tel programme d'action
positive.
Prenons la compagnie Unetelle qui a des classifications pour des postes.
Il y a la classification A et tous les postes de la classification A sont
occupés par des hommes. Il y a la classification R et ce sont des postes
où on ne trouve que des femmes. Quand on fait une enquête dans
tout cela, on voit que ce sont des classifications fictives pour payer les
hommes plus cher que les femmes. Finalement, quand on fait une enquête,
on voit que les deux font le même travail ou, au moins, essentiellement
le même travail et les hommes et les femmes méritent le même
traitement.
On a ce problème avec la compagnie Unetelle et, si on veut
établir un programme d'action positive, on va à la compagnie et
la compagnie dit: Bon, on n'est pas en désaccord, c'est la loi. La
compagnie va dire: Mettre les femmes sur un pied d'égalité avec
les hommes, ça va coûter 1 000 000 $ cette année; c'est
beaucoup d'argent. Elle hésite et dit: Pourquoi faut-il payer cette
année pour la discrimination historique de la société? Ce
n'est pas seulement la compagnie qui l'a fait, ce sont toutes les compagnies,
ce sont les gouvernements, c'est tout le monde. Peut-être qu'à la
fin, la compagnie va dire: On est prêt à dépenser 1 000 000
$ cette année, on va le donner au syndicat pour qu'il en fasse la
distribution. Le syndicat sera coincé aussi parce qu'il va dire: Si on
met les femmes sur un pied d'égalité avec les hommes cette
année, cela va prendre 1 000 000 $ et il n'y aura pas d'autre argent
pour les augmentations cette année.
C'est un problème très pratique et je me demande si vous
avez déjà étudié cette question, si cela a
déjà été étudié aux Ãtats-Unis
ou ailleurs. On peut avoir un bon programme sur papier, on peut avoir une bonne
loi, mais, dans les faits, comment va-t-on l'appliquer et quels seront les
problèmes auxquels on va faire face sur le champ? Je suis sûr
qu'après vous, on aura d'autres intervenants qui vont dire: Oui,
l'action positive, nous sommes pour cela, mais, sur le plan pratique, nous ne
pouvons pas faire une telle chose. Bien sûr, c'est plus facile pour le
gouvernement de mettre en oeuvre un tel programme, mais j'aimerais avoir
certaines réponses sur le plan pratique pour peut-être faire face,
d'ici la semaine prochaine, à d'autres interventions où les
intervenants seront moins portés à mettre en oeuvre ces
programmes. Donc, on vous demande de nous fournir des armes pour d'autres
intervenants.
Mme Bonenfant: C'est vrai, c'est une question très
complexe et très globale; c'est justement une des raisons pour
lesquelles on recommande qu'un organisme soit responsable de l'implantation de
tels programmes. Ce que vous venez de décrire, justement, c'est un cas
spécifique; on va appliquer, dans une entreprise, des mesures
d'égalité des chances à l'emploi, on va combler des
fossés qui existent entre les hommes et les femmes d'une façon
pratique, sur un cas pratique, alors que ce que nous proposons, quand on parle
de programmes d'action positive, ce sont justement des programmes plus globaux,
qui supposent d'abord une analyse vraiment complète de la situation dans
chacune des unités concernées, parce que tel programme, qui
serait applicable dans une usine, ne le serait pas ailleurs, compte tenu des
effectifs.
Il y a aussi les objectifs.
C'est évident que, dans une usine où il n'y a
présentement que trois femmes et que le reste, ce sont des hommes, les
objectifs à atteindre ne seront pas les mêmes que s'il y a une
possibilité d'équilibrer le nombre d'hommes et de femmes. Ce
seront toujours
des cas spécifiques, mais basés sur des principes globaux
et c'est pour cela que c'est important qu'il y ait un organisme qui planifie et
qui coordonne pour pouvoir établir, par exemple, des comparaisons entre
différents plans établis dans différents secteurs. (16 h
15)
II y a déjà eu des études. La Commission des droits
de la personne a particulièrement fait une étude sur les
programmes d'action positive où on décrit les quinze phases
d'établissement d'un programme d'action positive qui part de l'examen de
la situation et de l'importance, par exemple, de nommer un cadre ayant des
pouvoirs à l'intérieur de l'organisme ou de l'entreprise. Enfin,
il y a toute une série d'actions à prendre. Je pense que cela
confirme l'idée qu'on ne peut pas laisser cela au hasard, à la
bonne volonté ni des patrons, ni des syndicats. Il faut un organisme
au-dessus de la mêlée parce qu'il va y avoir mêlée.
Il ne faut pas s'en faire, il va y en avoir des mêlées autour de
ces programmes et je pense que c'est pour ça qu'il est important que la
Commission des droits de la personne soit chargée de les administrer.
Mme Carpentier voudrait ajouter quelque chose.
Mme Carpentier: En réponse à votre question, vous
cherchez des arguments, finalement, par rapport à la partie patronale
qui va avoir sûrement de sérieuses objections face à de
tels programmes, et l'argument des coûts va nécessairement
être un des points forts. Une des réponses qu'on peut faire
à ce type d'objections, c'est que si on sent le besoin aujourd'hui et
depuis déjà un bon nombre d'années de mettre sur pied des
programmes d'action positive, c'est que les gens ont été victimes
de discrimination, discrimination qu'on peut appeler aussi exploitation. Cette
exploitation de catégories de gens a servi à quelqu'un, Ã
des entreprises, à des patrons. Or, c'est peut-être un petit peu
normal qu'aujourd'hui les patrons aient à payer pour cette exploitation
à laquelle ils ont contribué. En termes de coûts, on peut
peut-être s'attendre que les coûts qui vont être
nécessaires pour mettre sur pied des programmes comme ceux-lÃ
soient de toute façon inférieurs au large profit que les
entrepreneurs ont pu tirer de l'exploitation qui a été faite de
ces groupes de femmes jusqu'Ã maintenant.
Je pense que les patrons ne peuvent pas carrément se laver les
mains de ce type de problème. L'autre chose, c'est que d'autres
employés disent, allèguent qu'on privilégie certaines
catégories de population. Je pense qu'il y a une éducation
à faire, qu'il va y avoir effectivement des difficultés dans
l'application de programmes comme ceux-là , mais je ne pense pas que ce
soient les autres employés qui soient les plus difficiles Ã
convaincre par rapport à un programme comme celui-là . L'argument
des coûts est réfutable. Cela va coûter des sous, mais c'est
un prix à payer pour une exploitation antérieure.
M. Marx: Je ne pense pas que ce soit seulement la faute des
patrons. Je pense qu'il y a une certaine faute de la part des syndicats aussi.
Ils n'ont pas aidé beaucoup en ce qui concerne l'égalité
des hommes et des femmes. Je veux dire que c'est tellement enraciné dans
notre société que cela était pratiqué partout,
même dans les syndicats... Je m'excuse auprès du
député de Sainte-Marie. Je parle en connaissance de cause, il y a
des industries à Montréal, par exemple, où il y a une
inégalité sur le plan des traitements entre les hommes et les
femmes. C'est tellement évident dans certaines industries que beaucoup
de femmes qui travaillent sont vachement moins payées que les hommes,
peut-être les trois quarts, la moitié. Oui, c'est l'inverse... les
compagnies vont plaider, ces industries vont plaider qu'elles n'ont pas la
capacité de payer. Elles vont dire qu'il y a juste tant d'argent pour
les augmentations cette année et que si on donne ça aux femmes,
les hommes n'auront pas d'augmentation. Pardon? Qui va protester?
Mme Lavoie-Roux: Les hommes.
M. Marx: Les hommes vont protester. C'est déjÃ
arrivé que c'était les hommes qui n'étaient pas tellement
chauds pour qu'on mette les femmes, au point de vue du traitement, sur le
même pied que les hommes, parce qu'ils étaient en train de subir
les conséquences, ont-ils dit, de la discrimination historique dans
cette industrie. Je soulève la question. Je pense qu'il faut rayer cette
inégalité. Cela va de soi, mais il faut trouver des
mécanismes sur le plan pratique pour réaliser les objectifs qu'on
aimerait tous réaliser.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Sainte-Marie.
M. Bisaillon: M. le Président, j'aurais deux ou trois
questions. Si nos invités veulent le permettre, je vais les poser en
vrac et on pourra peut-être y répondre les unes après les
autres. Sur la question du harcèlement sexuel, si on oubliait quelque
peu pour l'instant votre recommandation et qu'on tienne compte des arguments
selon lesquels on craignait que cela restreigne trop la portée de ce
qu'il y a déjà dans la charte. Ne seriez-vous pas plutôt
d'accord avec la formulation qui a été recommandée par la
Commission des droits de la personne et qui dit, par exemple: "Nul ne peut
exercer quelque forme de harcèlement que ce soit fondé sur
l'un des motifs de l'article 10"? Il me semble que cela élargit, cela
couvre l'ensemble des choses qu'on veut couvrir et cela donne une
définition au terme "harcèlement" qui s'applique Ã
l'ensemble des motifs couverts par l'article 10. C'est ma première
question.
Ma deuxième question. L'article 19 de la charte traite, entre
autres, du salaire au rendement et de la quantité de production. Je
voudrais, d'abord, dire qu'au plan des relations de travail comme telles - et
quand on pense au bien-être de l'ensemble des travailleurs - la notion
même de salaire au rendement ou de salaire à la quantité de
production est une notion qu'on devrait bannir. Vous semblez, dans votre
mémoire, démontrer que cela s'appliquerait davantage aux femmes.
Je voudrais que vous m'expliquiez un peu cette notion. Pourquoi, dans votre
esprit, votre recommandation de bannir des motifs de non-discrimination
l'élément quantité de production s'appliquerait-elle
davantage aux femmes? Et si on le faisait, si on enlevait du deuxième
paragraphe de l'article 19 la notion "quantité de production",
l'évaluation au mérite -mérite étant perçu
par l'employeur comme étant la quantité de production fournie par
une travailleuse - ne pourrait-elle pas servir quand même Ã
l'employeur pour éviter d'être poursuivi?
Troisième et dernière question, à la page 34 de
votre mémoire, vous faites une recommandation pour que soit incluse,
comme motif de discrimination, la notion "condition physique" en comprenant
grossesse et apparence physique. Sur l'aspect grossesse, je voudrais savoir
quelle est votre expertise à l'heure actuelle sur les cas de
discrimination à l'embauche en regard de la grossesse. Sur la question
apparence physique, le ministre a posé une question tantôt et je
pense qu'il n'a pas eu de réponse. Je serais bien
intéressé à savoir comment vous percevez ou comment vous
établissez les critères qui devraient être utilisés
pour faire la preuve qu'il y a eu discrimination quant à l'apparence
physique.
Mme Bonenfant: D'abord, pour la première question, oui, on
est d'accord. Je pense qu'on est d'accord avec la Commission des droits de la
personne pour la formulation que vous avez suggérée.
Pour ce qui est de la deuxième question, je pense que
Renée est plus documentée que moi, mais je voudrais vous dire que
de nombreuses études ont démontré que ce sont les femmes
qui sont massivement concentrées dans les emplois qui sont encore
payés au rendement, c'est-à -dire que les femmes sont massivement
dans les usines où on travaille à la pièce, dans les
usines de textile, en particulier. Nous avons justement publié au
conseil une étude sur la non-syndicalisation des femmes dans laquelle
nous avons des chiffres fort éloquents sur les vestiges encore de cette
exploitation d'une grande partie des femmes dans le monde du travail.
Renée va continuer sur le sujet.
Mme Carpentier: Je voudrais seulement apporter comme
précision que ce qu'on demande, c'est que l'expression "quantité
de production" qui réfère au salaire au rendement soit bannie et
que ce ne soit pas compris implicitement dans le terme "évaluation au
mérite". Cela ne va pas de soi pour nous que, quand on parle
d'évaluation au mérite, il y a nécessairement et
automatiquement le critère quantité de production qui doit entrer
en ligne de compte.
M. Bisaillon: Si vous me le permettez, seulement pour avoir une
précision, ce que vous voulez dire, c'est qu'on pourrait laisser dans le
deuxième paragraphe de l'article 19 la notion "évaluation au
mérite", mais en précisant que cela ne doit pas comprendre
l'élément quantité de production.
Mme Carpentier: Quantité de production.
M. Bisaillon: II y avait une troisième partie.
Mme Shee: La troisième partie. Pour répondre
à la première partie de la question qui concerne la
discrimination à l'embauche, il y a eu un cas très récent.
La commission faisait écho ce matin à deux, mais nous, le cas
dont nous parlons dans notre mémoire, c'est le cas à la Reynolds
dans la région de Trois-Rivières, c'est-à -dire qu'une
femme s'était présentée pour un emploi et, lorsqu'on lui a
demandé de passer un examen médical, elle a refusé de
passer cet examen parce qu'elle était enceinte et là , on ne l'a
pas engagée du tout. On est allé devant les tribunaux.
Mme Bonenfant: On l'avait déjà engagée.
Mme Shee: On l'avait déjà engagée, mais
à la condition, finalement, de passer...
Mme Bonenfant: Un examen des poumons.
Mme Shee: C'est cela, un examen des poumons. Lorsqu'on a su
qu'elle était enceinte, finalement, on lui a refusé l'emploi. La
commission est allée devant les tribunaux parce qu'il n'y a pas eu de
possibilité de conciliation et les tribunaux ont dit que le motif sexe
ne comprenait pas la question d'embauche.
M. Bisaillon: J'ai bien vu dans votre mémoire cette
description du cas que vous venez de faire pour le bénéfice de la
commission. Ma question était pour savoir si votre analyse vous
amène à affirmer que c'est une pratique répandue.
Mme Shee: Ãcoutez, Ã l'heure actuelle on a ce cas
flagrant, nous, Ã Action-Femmes; je veux dire qu'il y a
déjà eu des cas comme cela il y a quelques années, mais
à l'heure actuelle c'est le cas le plus flagrant. Et je reviens sur le
commentaire que j'avais émis au ministre tout à l'heure
concernant le harcèlement sexuel. C'est que, lorsqu'un motif est dans la
charte, c'est sûr que finalement la commission peut avoir un
interprétation. Mais quand vous plaidez devant les tribunaux ce sont les
juges qui ont à interpréter.
Je peux vous donner un autre exemple de cela: condition sociale, une des
interprétations de la charte c'est que cela comprend les
antécédents; si vous avez eu des antécédents
judiciaires, cela doit être considéré comme une condition
sociale. Mais cela a été reconnu devant les tribunaux que
condition sociale ne voulait pas dire ex-détenu. C'est toujours la
question d'interprétation devant les tribunaux. C'est la raison pour
laquelle nous et la Commission des droits de la personne concernant
l'état de grossesse, en fait la fonction biologique d'une femme, voulons
que ce soit inscrit comme tel pour ne pas qu'on se retrouve avec des situations
assez aberrantes. On a un cas flagrant, mais cela ne veut pas dire que toutes
les personnes ont porté plainte devant la commission. C'est pour la
même raison que cela nous semblait important, au conseil, de mettre
condition physique incluant état de grossesse et apparence physique.
Avec notre expérience, surtout par le service Action-Femmes, on s'est
retrouvé avec des cas de discrimination comme cela. Pour l'apparence
physique, c'est très difficile. Vous demandiez tout à l'heure des
critères; comme on l'a souligné dans le mémoire, qui va
vous dire si c'est parce que vous êtes plus blonde ou plus brune qu'on
vous a refusé l'emploi? C'est sûr qu'il est difficile de faire la
preuve, mais on peut dire que bien souvent des femmes nous disent: Moi, c'est
parce que j'étais un petit plus petite ou un petit peu plus grassette et
je sens que, sur mon apparence physique, on m'a refusé l'emploi. C'est
très difficile. Notre position, c'est que, si on pouvait mettre un motif
qui dirait condition physique - parce que cela peut être autre chose
-dont état de grossesse et apparence physique, finalement on pourrait
avoir des recours qui seraient efficaces devant les tribunaux. C'est toujours
la question d'interprétation devant les tribunaux.
M. Bisaillon: Donc, dans votre position les critères
seraient éventuellement déterminés par la
jurisprudence.
Mme Shee: Non, je pense que quand même on peut avoir des
critères qui peuvent être élaborés dans une
réglementation. Il y a différents moyens légaux où
on pourrait parler de critères. Je ne pense pas qu'il faille toujours se
fier aux...
Mme Bonenfant: ...des choses comme cela.
Mme Shee: Je pense qu'il ne faut pas se fier aux tribunaux pour
les laisser aller avec autant de discrétion. C'est la même chose -
je m'excuse de revenir sur la question du harcèlement sexuel - lorsqu'on
parle de sexe, c'est toujours une discrimination par rapport à un homme
et une femme, ce qui est inscrit à l'article 10, mais lorsqu'on traite
de harcèlement sexuel, c'est beaucoup plus subtil, c'est une question
d'oppression d'un sexe sur l'autre; ce n'est pas une question d'homme et de
femme, c'est une question de relation de pouvoir qui rentre en ligne de compte.
Cette situation, qui était fort peu dénoncée il y a
à peine cinq ans, de plus en plus on en entend parler et de plus en plus
on a des cas au service Action-Femmes. C'est la raison pour laquelle, nous,
cela nous semble très important d'appuyer la recommandation de la CDP
qui va même beaucoup plus loin que la nôtre en disant: Tous les
autres motifs devraient aussi être inclus dans la question de
harcèlement.
Le Président (M. Desbiens): Mme la
députée...
M. Marx: Juste une petite question pour enchaîner avec sa
question. Sur la grossesse, ce qui m'a frappé, supposons qu'on a une
femme qui est enceinte, elle est dans son septième mois. Sur le plan
pratique, elle va pour un emploi dans une grosse compagnie. Je n'ai pas
d'hésitation, les grosses compagnies ont la capacité de payer et
donc, si elles refusent d'engager, qu'elles paient. Mais supposons qu'elle va
pour un poste dans un petit magasin où il y a seulement un
employé; ils ne peuvent pas parce que, s'ils l'engagent, cela sera juste
pour deux mois; après cela elle ne sera pas là . Le
propriétaire est de bonne foi, il aimerait engager des femmes, il ne
veut pas faire de la discrimination. Sur le plan pratique, cela peut causer des
problèmes dans un magasin où il y a une employée, dans une
usine où il a deux employés et ainsi de suite.
J'aimerais qu'on se penche sur ces problèmes d'ordre pratique, la
mise en oeuvre d'une telle disposition de la charte.
Le Président (M. Desbiens): Mme
Carpentier.
(16 h 30)
Mme Carpentier: C'est évident qu'il peut se poser des
problèmes comme celui-là . La probabilité qu'une femme
aille postuler un emploi quand elle est rendue à sept ou huit mois, elle
est peut-être assez faible.
M. Marx: Cinq mois.
Mme Carpentier: Cinq mois. Un cas comme celui que vous citez,
c'est possible. Quand la femme est en congé de maternité, ce
n'est quand même pas l'entreprise, à l'heure actuelle, qui va
payer son salaire. Elle a un salaire pour engager quelqu'un, ça ne lui
pose pas plus de problème. C'est sûr que c'est un peu
embêtant d'engager une femme pour une période courte et devoir en
réengager une autre pour la remplacer pendant son absence, mais c'est
aussi le prix qu'il faut payer pour reconnaître socialement la
maternité. Cela fait partie de la condition des femmes et ça fait
partie d'un produit important dans notre société que de mettre au
monde des enfants.
M. Marx: On ne nie pas ça, madame. Dans mon esprit, je
fais des distinctions entre General Motors et l'épicerie du coin. On
peut avoir des difficultés avec le magasin du coin et non pas avec
General Motors.
Le Président (M. Desbiens): Mme Lavoie-Roux.
Mme Shee: M. le Président, si vous me le permettez, je
voudrais dire qu'on parle de discrimination. Il ne faudrait pas parler contre
la grandeur des entreprises parce que la discrimination, c'est de la
discrimination à quelque niveau que ce soit. Je pense qu'il faut laisser
les questions économiques de côté.
Le Président (M. Desbiens): Mme
Lavoie-Roux.
Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je voudrais
revenir sur cette question de harcèlement. Le député de
Sainte-Marie a posé une question que je me proposais de poser. Pour ma
part, il est préférable que ça s'étende Ã
toutes les autres dispositions de l'article 10 et non pas uniquement au
harcèlement sexuel.
On peut en discuter du harcèlement sexuel; tout le monde est
d'accord qu'il y en a. Tout ce que la charte des droits peut faire sur cette
question, c'est d'indiquer des balises ou des valeurs fondamentales d'une
société. Que la société ne veuille pas de
harcèlement sexuel, racial ou autre, la vraie solution à ce
problème et les moyens de recours, je ne suis pas sûre que
ça puisse, au plan pratique, intervenir par le truchement du respect ou
du non-respect de la Charte des droits de la personnes. Un endroit où il
y a beaucoup de harcèlement, tout le monde autour de la table va
s'entendre là -dessus, c'est dans les restaurants, auprès des
jeunes serveuses. Pourtant, ce serait extrêmement difficile pour l'une
d'elles, de son propre chef... ça ne veut pas dire qu'il ne doit pas y
être dans la Charte des droits et libertés de la personnes, mais
il ne faut pas attendre de miracle à la solution de ce problème
de l'insertion précise dans la Charte des droits et libertés.
J'aimerais demander au Conseil du statut de la femme, quand des
situations lui sont apportées, pas nécessairement en termes de
harcèlement sexuel mais dans d'autres domaines de discrimination, quelle
action il pose.
Prenez-vous des recours auprès de la Commission des droits de la
personne? J'aimerais que vous répondiez à cette question.
Mme Bonenfant: Nous ne pouvons pas prendre de recours mais nous
envoyons les plaignantes à la Commission des droits de la personne, nous
les dirigeons vers la commission, nous les aidons dans leur démarche
auprès de la Commission des droits. Il est arrivé même que
nous les accompagnions à la Commission des droits lorsque que ce sont
des femmes démunies. Nous faisons enquête, bien entendu,
dès que nous avons une plainte; nous avons un droit d'enquête,
mais c'est très limité. Nous référons à la
Commission des droits, les plaintes qui nous sont acheminées soit par
nos services à l'Action travail des femmes ou Consult-action.
Mme Lavoie-Roux: Par exemple, quand...
Mme Bonenfant: Nous n'avons pas de pouvoir au Conseil du statut
de la femme à ce niveau.
Mme Lavoie-Roux: Par exemple, dans les dernières offres
gouvernementales qui avaient été faites, ici, dans la fonction
publique et parapublique, il y avait évidemment...
Mme Bonenfant: C'est un autre palier d'intervention...
Mme Lavoie-Roux: Pouvez-vous me laisser finir, s'il vous
plaît?
Mme Bonenfant: Je m'excuse, je pensais que vous aviez
terminé.
Mme Lavoie-Roux: Quand il y a eu ce cas-là , c'était
une situation qui se perpétuait, elle existait, il y en a qui ont
parlé de situation historique, mais qui n'a
pas été entièrement corrigée, à ce
moment-là . Est-ce que vous autres, vous avez d'autres pouvoirs que de le
signaler au gouvernement ou si vous pouvez dans un cas comme ça qui
touche le gouvernement présenter la situation à la
commission?
Mme Bonenfant: Non. Le mandat du conseil, c'est de conseiller le
gouvernement et d'informer les femmes. Chaque fois, au moment des
négociations, nous avons appuyé les syndicats au niveau de leurs
revendications qui concernaient les femmes. Nous l'avons fait publiquement, par
communiqué de presse, et nous l'avons fait aussi auprès du
ministre de la Fonction publique. C'est le pouvoir que le conseil a dans son
mandat. Nous ne pouvons pas nous porter partie ni poursuivre le gouvernement,
ce n'est pas dans notre mandat et ce n'est pas dans nos pouvoirs.
Mme Lavoie-Roux: Non pas le poursuivre, mais vous pouvez au moins
le signaler.
Mme Bonenfant: Nous le signalons aux instances gouvernementales
qui nous concernent, c'est-Ã -dire le sous-ministre qui est membre
d'office du Conseil du statut de la femme et la ministre de la Fonction
publique que nous touchons par l'entremise de la ministre d'Ãtat
à la Condition féminine. Ce sont les voies officielles
d'intervention du Conseil du statut de la femme. Il y a aussi de rendre publics
nos avis au gouvernement et cela, nous ne manquons jamais de le faire. Lorsque
nous intervenons auprès d'un ministre, nous rendons publique notre
intervention. Dans le cas des négociations, nous l'avons fait. Vous avez
parfaitement raison, il y a encore des disparités entre des corps
d'emploi qui constituent des ghettos à l'intérieur du
gouvernement du Québec. Nous allons continuer d'appuyer ces femmes qui
font des luttes au niveau du syndicat des fonctionnaires, en particulier.
Mme Lavoie-Roux: à l'article 19, vous suggérez que
la quantité de production, ou la productivité, ou le temps
supplémentaire disparaisse, mais vous êtes prêtes Ã
garder l'évaluation au mérite. Pour moi, l'évaluation au
mérite est encore plus arbitraire que l'autre, non seulement Ã
l'endroit des femmes, mais à l'endroit de tout le monde, parce que c'est
établi très souvent sur des critères subjectifs. Cela
m'étonne que vous conserviez ce point et que vous demandiez qu'on
élimine le facteur productivité.
Mme Carpentier: Par rapport à cela, on n'a pas pris
position comme telle sur le fait qu'on doive conserver l'évaluation au
mérite ou pas. Ce qu'on dit, c'est que le critère quantité
de production doit être banni et il ne doit pas être conclu non
plus implicitement dans ce qu'on appelle la notion d'évaluation au
mérite. On n'a pas pris position sur la question de l'évaluation
au mérite, ce qui supposerait une étude qu'on n'a pas pu faire
à l'heure actuelle. C'est juste la correction.
Mme Lavoie-Roux: Vous n'avez pas d'opinion là -dessus?
Mme Bonenfant: Pour le moment, non, mais s'il y a révision
de la loi 50, c'est évident que le conseil aura des travaux plus
élaborés sur ces questions.
Mme Lavoie-Roux: Une dernière question sur l'action
positive ou l'action affirmative pour l'égalité des chances dans
l'emploi. C'est peut-être assez facile d'élaborer des programmes
qui touchent un plus grand nombre de femmes à l'intérieur de la
fonction publique, à l'intérieur des cadres, mais quand vous
tombez dans des milieux comme les universités, comment, au plan concret,
voyez-vous une telle action s'affirmer? Il y a eu des études de faites
dans les universités également où c'est très clair
que ce même phénomène de discrimination existe dans la
hiérarchie universitaire; est-ce que vous avez pensé
concrètement comment ceci peut se corriger? Ce n'est pas le même
type de discrimination, tout le monde est un professionnel en entrant ou,
enfin, exerce une profession ou une autre, je pense au corps professoral; on
est moins porté à se pencher sur un problème comme
celui-là parce qu'on dit: Ils sont tous, dans le fond, professeurs. On
sait fort bien que, dans la structure hiérarchique, il se produit une
discrimination assez évidente. Est-ce que le Conseil du statut de la
femme s'est penché là -dessus quant à la nature exacte ou
l'étendue exacte de ce problème et quant aux moyens concrets qui
pourraient être pris à l'intérieur d'un programme d'action
affirmative pour corriger cette situation?
Mme Bonenfant: On n'a pas fait de travaux spécifiques qui
s'appliqueraient à des secteurs en particulier. Je serais portée
à vous répondre que l'université, comme la fonction
publique, comme une multinationale, ce sont des unités et on doit
procéder de la même façon, en gros, parce que, comme je
l'ai dit tout à l'heure, c'est une approche globale qu'il faut. On
commence toujours par l'examen de la situation, par obtenir l'adhésion
d'un patron, d'un recteur...
Mme Lavoie-Roux: Pas d'une rectrice, il n'y en a pas encore.
Mme Bonenfant: ... ou d'un premier
ministre. Il faut toujours l'adhésion des parties dans des
programmes comme cela et ensuite donner la responsabilité de
l'établissement de tels programmes à des gens suffisamment en
autorité. C'est toujours le même processus, l'évaluation de
la situation, l'évaluation des mesures qui peuvent varier d'une
entreprise à l'autre, car, comme vous dites, ce ne sont pas
nécessairement des gens défavorisés, c'est entre personnes
favorisées qu'il y a encore de la discrimination, puisqu'on
retrouve massivement les femmes, par exemple, comme chargées de cours
alors qu'on retrouve massivement les hommes comme professeurs
agrégés. Ce sont des cas spécifiques, mais, à mon
avis, c'est toujours le même processus qui joue dans ces programmes. Vous
comprenez que le rôle du conseil dans ce dossier, c'était surtout
de chercher les justifications à de tels programmes et d'identifier les
causes qui les rendent nécessaires, mais je ne pense pas que, pour le
moment, c'était le rôle du conseil d'aller faire des programmes
spécifiques pour tel ou tel type d'entreprise.
Je pense que la Commission des droits de ta personne a par ailleurs
élaboré des documents beaucoup plus considérables que nous
et des modèles ont été appliqués ailleurs, aux
Ãtats-Unis, et il y a d'énormes briques sur le sujet, mais je
pense que la pertinence de votre question, c'est de bien démontrer
qu'effectivement la discrimination existe même dans les milieux
très favorisés et encore, à ces endroits, les femmes sont
plus maltraitées que les hommes, malgré qu'elles aient un
degré d'instruction presque équivalent, équivalent
même.
Mme Lavoie-Roux: Merci.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre, en
terminant.
M. Bédard: En terminant, une petite question rapide. Quand
vous parlez d'enlever, à l'article 19, la quantité de production
ou de temps supplémentaire, j'imagine que, lorsqu'on parlerait
d'évaluation au mérite, il y aurait une notion de
productivité dont on pourrait tenir compte, à ce
moment-là .
Mme Carpentier: Oui, c'est certain qu'il pourrait y en avoir
une.
M. Bédard: Parce qu'à un moment donné...
Mme Carpentier: Je voudrais simplement préciser qu'on ne
demande pas d'exclure ce que appelez le temps supplémentaire, on se
limite à l'évaluation...
M. Bédard: Oui, d'accord, c'est pour cela que j'ai
cité le temps supplémentaire, mais limitons-nous à la
quantité de production.
M. Carpentier: Ah bon!
M. Bédard: Quand vous parlez de la réglementation
qui devrait être faite par la Commission des droits de la personne,
pourriez-vous concevoir qu'il serait possible que cette réglementation,
parce qu'il s'agit de la Charte des droits et libertés de la personne,
puisse être faite, même les programmes - en tout cas, c'est
peut-être une autre chose - par le gouvernement après consultation
de la Commission des droits de la personne et qu'ensuite cette
réglementation devrait être acceptée par les
parlementaires, que ce soit aux commissions parlementaires ou encore Ã
l'Assemblée nationale, étant donné l'importance de la loi
que cela touche, la charte qui a préséance sur toutes les autres
lois, comme on le sait? Cela permettrait à la Commission des droits de
la personne d'intervenir au début du processus et également au
niveau de l'adoption soit par l'entremise d'une commission parlementaire ou
autrement, par exemple, par audiences publiques.
On ne conclut pas, on réfléchit tout haut ensemble, il me
semble qu'à partir du moment où c'est la commission qui en a
l'entière responsabilité, est-ce que cela ne donne pas un peu la
situation de conflit qui existerait? Par exemple, si le gouvernement faisait
ses lois et si c'était lui qui devait les interpréter, cela
amènerait quelques conflits d'intérêts, en tout cas souvent
une certaine confusion ou encore il y aurait, Ã certains moments, les
circonstances aidant, des interprétations qui pourraient être
très progressives ou qui seraient susceptibles de changer selon les
circonstances. Je ne vous demande pas une réponse, oui ou non, mais
pourrait-on envisager que cela puisse aussi être un processus qui soit
non seulement intéressant à étudier, mais qui amène
quand même des garanties qui font que tout le monde est
concerné?
Mme Bonenfant: Oui, je ne peux pas faire autrement que de dire
que c'est un processus que je trouve intéressant, parce que le Conseil
du statut de la femme réclame continuellement que, lorsqu'on adopte des
règlements à la suite des lois, il y ait le plus large spectre
possible de consultation. à mon avis, si ces règlements
étaient adoptés après consultation de la population, ce
serait l'idéal. (16 h 451
M. Bédard: Consultation de l'Assemblée?
Mme Bonenfant: De l'Assemblée, mais aussi de la
population. Je pense qu'une commission parlementaire pour l'adoption
d'un règlement, ce n'est pas de surplus.
M. Bédard: D'accord. Cela peut s'envisager aussi. Je vous
remercie. Pour ne pas être taxé de harcèlement, nous allons
conclure. Je comprends...
Mme Lavoie-Roux: M. le ministre, excusez-moi, c'est juste une
information, si vous me le permettez, que j'aimerais donner à la
commission suite à une question du député de Sainte-Marie.
Je voulais le faire, puis j'ai oublié. Il demandait tout Ã
l'heure si le Conseil du statut de la femme avait eu connaissance de plusieurs
cas touchant la grossesse.
M. Bédard: On a parlé de deux là ,
mais...
Mme Lavoie-Roux: Mais je parle de la grossesse. L'apparence
physique c'est assez compliqué.
M. Bédard: C'est autre chose.
Mme Lavoie-Roux: Mais pour la grossesse, je dois vous dire que
concernant des hôpitaux du Québec - cela c'est le système
public ou parapublic - j'ai devant moi... D'ailleurs, cela a été
porté à l'attention du Conseil du statut de la femme, mais je ne
sais pas ce qu'il en a fait. Vous avez ici une directive du directeur du bureau
de santé, une directive sur les tests annuels de routine pour le
personnel, les tests pour le préemploi. Dans les tests pour le
préemploi vous avez des tests de grossesse; là , il s'agit d'un
hôpital pour soins prolongés qui ordinairement a des personnes
plus âgées, des personnes chroniques, d'ailleurs c'est
marqué test de préemploi, de toute façon.
M. Bédard: C'est au niveau de l'emploi pour....
Mme Lavoie-Roux: Du préemploi, les tests...
M. Bédard: ...les soins prolongés.
Mme Lavoie-Roux: Oui, oui, dans un hôpital, de toute
façon, où comme directive... On tient, Ã
l'intérieur des laboratoires, le matériel nécessaire pour
faire subir des tests de grossesse aux personnes qu'on interviewe; elles ne
sont pas nécessairement employées, ces personnes, parce qu'on
établit une liste d'attente, puis lorsqu'il y a des besoins, on les
appelle. C'est tout à fait inacceptable. Je suis étonnée -
c'est une chose que j'apprends -qu'il n'y ait pas de recours...
M. Bédard: Je ne suis pas certain, je ne suis pas un
expert, que le test de grossesse soit demandé... Ce n'est
peut-être pas en fonction de déterminer si l'on doit employer ou
pas, c'est peut-être médicalement, étant donné le
genre...
Mme Lavoie-Roux: Ãcoutez, ce n'est pas une maladie, la
grossesse.
M. Bédard: Mais non, ce n'est pas ce que je vous dis,
franchement! N'essayez pas de marquer...
Mme Lavoie-Roux: Non, non, ne vous fâchez pas, M. le
ministre.
M. Bédard: ...un point dans un but où il n'y a pas
de gardien de but. Ce n'est pas ce que j'ai dit du tout.
Mme Lavoie-Roux: J'essaie de répondre à votre
question.
M. Bédard: Non, non, je vous ai dit au départ que
je n'étais pas un expert. Je veux dire qu'on ne demande pas un test de
grossesse nécessairement... Je ne veux pas défendre cela, parce
que si ce n'est pas correct, ce n'est pas correct, cela finit là . Vous
ne m'avez pas laissé finir mon idée.
Mme Lavoie-Roux: Ce que je veux apporter, c'est que... Finissez
M. le ministre... Je pense que vous avez là des situations vraiment
inacceptables. Que l'on fasse passer dans les organismes publics et parapublics
des tests de grossesse aux personnes qui viennent pour préemploi... Le
député de Sainte-Marie voulait savoir s'il y avait des cas; bien
cela est un cas grossier à mon point de vue de discrimination Ã
l'endroit des femmes. Je ne vous dispute pas, M. le ministre, ce n'est pas vous
qui faite passer les tests, qui les avez demandés, mais...
M. Bédard: Je ne sais pas d'ailleurs à quand
remontent ces règlements.
Mme Lavoie-Roux: J'étais étonnée d'entendre,
d'après le Conseil du statut de la femme, qu'il n'y avait aucun recours
en vertu de l'article 10, d'après ce que vous avez dit, contre ce type
de directive qui peut exister à l'intérieur d'un
établissement quelconque. Cela pourrait être ailleurs aussi; cela
pourrait être dans une entreprise privée. Si ce n'est pas couvert,
si l'article 10 ne couvre pas cela, je pense que c'est important qu'il y ait
une modification qui permette de couvrir ce type de procédure qui,
à mon point de vue, n'est pas acceptable.
Le Président (M. Desbiens): Mme
Bonenfant.
Mme Bonenfant: J'aimerais prendre la
référence du cas parce que je n'ai jamais vu passer cela
au conseil. Est-ce récent?
Mme Lavoie-Roux: Vous en avez probablement eu connaissance en
avril ou mai.
Mme Bonenfant: Est-ce que l'on peut avoir la
référence exacte?
Mme Lavoie-Roux: Non, je m'excuse, je ne la donnerai pas. Je peux
vous en parler, cependant.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre, la conclusion,
s'il vous plaît.
M. Bédard: Vous pourriez peut-être nous donner la
référence exacte, cela nous permettrait d'évaluer ce qui
en est.
Mme Lavoie-Roux: Je la donnerai à qui de droit. Je pense
qu'il s'agit d'un établissement de soins prolongés de la ville de
Montréal. Ce n'est pas dans mon imagination M. le ministre, mais je
pense qu'on n'est pas ici pour identifier...
M. Bédard: Non, non ce n'est pas cela que je
prétends. Je vous trouve agressive pour rien. Je vous le demande
simplement. On peut le regarder, peut-être y a-t-il des raisons
médicales, je ne le sais pas, je ne suis pas un expert là -dedans,
mais ça mérite d'être analysé.
Mme Lavoie-Roux: Vous irez voir Mme la présidente et elle
va vous le donner.
M. Bédard: Fin du harcèlement, peut-être?
Mme Lavoie-Roux: On ne sait pas qui a été
harcelé, M. le ministre.
M. Bédard: Je voudrais tout simplement vous remercier de
votre présence ici et d'avoir bien voulu vous prêter Ã
répondre en détail sur un sujet qui n'est quand même pas
facile à traiter, quand on parle de harcèlement sexuel. Tout ce
que je puis vous dire en terminant, c'est que, concernant cette notion et
l'opportunité de l'insérer dans la charte, que ce soit dans le
sens proposé par la Commission des droits de la personne ou dans le sens
que vous l'avez proposé, nous allons l'étudier sous un angle que
j'ai mentionné tout à l'heure, pour nous assurer que quelque
inclusion que ce soit ne soit pas de nature à diminuer les
possibilités ou les droits donnés par la charte. Dans ce sens, je
pense que vous avez la même préoccupation. Si ça ne se
retrouve pas, c'est parce qu'on aura pu faire la preuve qu'il peut y avoir des
dangers de limiter ce qui existe déjà .
Mme Bonenfant: On continuera de vous harceler, M. le
ministre.
M. Bédard: D'accord. En vous remerciant.
Le Président (M. Desbiens): Je remercie les membres du
Conseil du statut de la femme, et je ferai maintenant appel au groupe Action
travail des femmes, qui est représenté par Mme Dominique
Leclercq.
Je rappelle, pendant que vous prenez place, que la coutume veut que la
période d'une heure allouée à chaque groupe soit
partagée en 20 minutes pour la présentation du mémoire et
une période de questions limitée autant que possible à 40
minutes.
Mme Leclercq, si vous voulez présenter les personnes qui vous
accompagnent.
Action travail des femmes
Mme Leclercq (Dominique): Je vais présenter les personnes
qui m'accompagnent. à ma droite, Mme Normande Beaulne, et à ma
gauche, Mme Y, qui préfère garder l'anonymat. Ce sont des femmes
qui sont discriminées à l'heure actuelle, et elles parleront de
leurs problèmes.
La contribution d'Action travail des femmes, c'est une action positive
pour les femmes, une nécessité pour atteindre
l'égalité dans l'emploi. Nous avons apporté une
contribution - j'espère que vous l'avez reçue - à propos
de l'âge. Je me permettrai d'en dire quelques mots à la fin.
Disons que, pour nous, l'important, c'est l'action positive, et je veux essayer
de vous montrer pourquoi c'est bien important pour toutes les femmes qui
viennent nous voir.
D'abord, je me permettrai de vous dire que le mémoire que nous
déposons aujourd'hui sur l'action positive est appuyé par
plusieurs groupes et organismes communautaires. Je me permettrai de les citer
parce que nous avons reçu de nouveaux appuis depuis le début de
la rédaction de notre mémoire. D'abord, le mouvement Action
chômage de Montréal, l'Assistance aux femmes de Montréal,
l'Association pour la défense des droits des assistés sociaux du
Montréal métropolitain, ADDASMM, COM-Femmes de Brossard, Vie
ouvrière, Vie nouvelle de Longueuil - ce sont des groupes de femmes -
ACEF, de Montréal, l'Association coopérative d'économie
familiale, l'Association pour la défense des droits du personnel
domestique, l'Association québécoise pour la défense des
droits des retraités et préretraités, les Employés
du carrefour d'éducation populaire de Pointe-Saint-Charles, l'Institut
Simone-de-Beauvoir de l'Université Concordia, l'Institut canadien de
l'éducation des adultes, l'ICÃA, la Ligue des droits et
libertés, le Centre de référence pour les femmes de la
région de l'amiante,
de Thetford-Mines, et l'Association des travailleurs grecs. J'ai une
copie pour vous. Malheureusement, je n'en ai qu'une, mais je me permettrai de
vous la remettre tout à l'heure.
Action travail des femmes, qui sommes-nous? Nous sommes un groupe
communautaire et autonome. Ã l'heure actuelle, nous avons plus de 450
membres, même tout près de 500 membres, et nous existons depuis
1976. Ãvidemment, nos membres sont toutes des femmes, des femmes qui
viennent nous voir parce qu'elles cherchent du travail et qui demandent
à devenir membres de notre association. Notre objectif est de faciliter
l'accès des femmes au marché du travail. Ce sont des femmes chefs
de famille, des femmes de 40 ans et plus, des femmes qui retournent sur le
marché du travail après quelques années d'absence ou des
femmes qui n'ont aucune expérience de travail. Mais toutes ces femmes -
ça, c'est bien important - sont obligées de travailler pour des
raisons économiques. Si vous voulez des détails sur leur
situation, je pourrais parler de différentes situations, mais ce sont
vraiment des femmes qui ont besoin de travailler.
Elles veulent donc chercher du travail, mais quelle est la situation du
marché du travail à l'heure actuelle? J'ai indiqué
quelques statistiques que vous pouvez avoir sous les yeux: 75% des travailleurs
au salaire minimum sont des femmes; les travailleuses gagnent 59% du salaire
des hommes - ce sont des statistiques officielles - les récents
changements technologiques ont un impact négatif sur les métiers
des femmes, par exemple, la mécanisation du travail de bureau. Vous avez
dû voir cette étude de l'Organisation internationale du travail
qui a mis en valeur cette question de mécanisation; ces machines de
traitement de mots qui forment 400 mots minute, alors que la meilleure des
secrétaires fait 75 mots minute; c'est vous dire l'impact que ça
peut avoir au niveau du travail de secrétariat qui, jusqu'Ã
maintenant, était occupé en masse par les femmes. Autrement dit,
il n'y a pas de nouveaux emplois dans ce domaine, Ã part des
secrétaires extrêmement qualifiées qui ont dans les 20
à 25 ans d'expérience.
Ensuite, il y a les coupures budgétaires - tout à l'heure
nous parlions de la fonction publique - dans les secteurs sociaux, comme dans
les hôpitaux et l'enseignement; beaucoup de ces emplois étaient
occupés par des femmes. Vu les coupures budgétaires, il y a des
coupures de postes, ce qui diminue le nombre d'emplois disponibles pour les
femmes.
Il y a cette situation économique des ghettos d'emplois
féminins. Face à ça, il y a toutes ces femmes qui veulent
de plus en plus gagner leur vie elles-mêmes, avoir leur autonomie
financière. Il y a non seulement les familles monoparentales avec comme
chef une femme; il y a aussi de plus en plus de femmes mariées qui
viennent parce qu'un salaire ne suffit plus. Vous connaissez comme moi le taux
d'inflation actuel et, maintenant, nous avons les taux hypothécaires.
Donc, nous avons des femmes qui viennent et qui disent: Mon mari ne gagne plus
assez pour la famille. Donc, elles viennent aussi et, en général,
il y a les femmes qui viennent travailler à temps partiel, par exemple,
à 18 heures pas semaine, mais ça ne suffit pas pour faire vivre
une famille ou même pour elles-mêmes et elles n'acceptent plus ces
mauvaises conditions de travail des ghettos féminins. Maintenant, il y a
aussi un accroissement du travail sur appel. Cela veut dire que vous êtes
appelée à 18 heures pour travailler la nuit, vous ne le savez
jamais d'avance ou alors vous êtes appelée et on vous dit: Venez
demain alors que vous ne venez pas le lendemain. Donc, vous ne savez jamais,
à la fin de la semaine, combien vous allez avoir pour faire votre
marché.
C'est quand même une situation vécue qui nous est
rapportée chaque semaine par les femmes qui viennent nous voir toutes
les semaines et au téléphone aussi. Les femmes ne veulent plus
ça et, quand elles viennent, elles disent: Nous, on ne veut plus de ces
conditions, on ne veut plus des salaires minables, on ne veut plus de ces
conditions de travail, on ne veut plus des ghettos féminins et on ne
veut plus être exclues du marché du travail.
Alors, nous, on s'est dit: Qu'est-ce qu'on peut faire face à une
situation pareille? Il faut faire quelque chose. Il est bien évident
qu'on y pense depuis 1976 et la situation économique s'est
détériorée depuis 1976.
Ces femmes cherchent donc des emplois stables; c'est la première
chose, elles veulent une stabilité d'emploi. Elles veulent être
bien rémunérées; ça veut dire des salaires
décents qui permettent de vivre. Elles veulent des conditions de travail
décentes. Elles veulent des possibilités d'apprentissage et de
promotion. Dans les ghettos d'emplois féminins, on n'a pas ces
possibilités, à part quelques rares secteurs comme les
infirmières qui ont réussi, par leurs luttes syndicales, Ã
améliorer leurs conditions de travail. Elles veulent aussi, bien
sûr, des avantages sociaux qu'elles n'ont jamais dans les ghettos
féminins. (17 heures)
Face à ça, on a essayé d'identifier des secteurs
économiques en expansion où il y a des emplois bien payés,
des emplois syndiqués avec des conditions de travail qui sont tout
à fait décentes. Ãvidemment, elles peuvent toujours
l'être plus, mais, par rapport à ce qu'elles ont à l'heure
actuelle, elles sont beaucoup mieux. C'est là que en sommes venues
à mettre l'accent sur les métiers non traditionnels. Pourquoi?
Parce que les
secteurs économiques en expansion, à l'heure actuelle, ce
sont les secteurs de haute technologie, les secteurs de mécanique, les
secteurs où on fabrique des ordinateurs, les secteurs où on
contrôle ces ordinateurs, les techniques de fabrication mécanique,
l'électrotechnique, l'entretien, la mécanique d'entretien des
machines industrielles, le secteur du traitement des eaux; vu que nos eaux sont
polluées, on se met à les traiter. Donc, là , il y a des
emplois créés et ces emplois sont très
rémunérateurs. Un homme qui a suivi un petit cours de
main-d'oeuvre en technique de fabrication mécanique commence à 18
000 $ par année. J'aimerais bien qu'on me dise quel est l'emploi du
ghetto de travail féminin qui rapporte 18 000 $ après quinze ou
vingt ans d'expérience. Il n'y en a presque pas.
Alors, c'est cela l'histoire. Nous, on se dit qu'il faut que les femmes
puissent avoir droit à ces métiers, surtout qu'il y a de
l'embauche en ce moment. C'est là où on se dit qu'il y a des
femmes qualifiées - j'en ai deux à côté de moi -
mais qui ne sont pas embauchées. Alors, pourquoi ne sont-elles pas
embauchées? Parce que les employeurs ont des préjugés
discriminatoires par rapport aux femmes. C'est la tradition, mais de plus, en
ce moment, ils deviennent très sophistiqués, si bien qu'on ne
peut plus les prendre en flagrant délit de discrimination sur des cas
individuels. Quand ils voient une femme arriver, ils haussent les
critères d'embauche. Pour un homme, il faut à peine un secondaire
V et à peine un cours de main-d'oeuvre - d'ailleurs, il y a des gens de
Pratt & Whitney qui disent: On les prend sur la rue, les hommes - alors
que, pour les femmes, il faut un DEC en aéronautique, par exemple. Une
femme qui est seule ne connaît pas forcément ces critères
et elle dit: Bon, je n'ai aucune chance; je n'ai pas mon DEC en
aéronautique; je peux essayer d'aller le chercher, mais là encore
il faut de l'argent pour pouvoir se permettre de compléter un DEC. II
faut quelqu'un qui vous supporte, sinon vous ne le pouvez pas. Donc, elles se
disent: Bon, cela n'est pas pour moi.
Alors, de fil en aiguille, il n'y a pas de femmes qui rentrent, et c'est
là que j'en viens à l'action positive justement. Enfin, il y a
des petits détails ici à propos des qualifications, mais
peut-être que vous aurez des questions à poser à ce sujet.
On s'est rendu compte que, parfois, on exige des qualifications des femmes,
comme le poids et la taille, qui ne sont pas du tout pertinentes Ã
l'emploi ou des qualifications qui sont acquises par les hommes une fois dans
l'industrie. Alors, on se dit: Pourquoi exiger des femmes qu'elles les aient
avant, alors que les hommes les acquièrent dans le cadre des plans de
formation d'entreprises?
De plus, des femmes de la Commission des droits de la personne et du
Conseil du statut de la femme ont dit avant qu'il y a une question d'apparence
physique, de féminité, l'âge compte aussi et la situation
familiale est prise en considération au moment de l'embauche.
C'est là où on en arrive à l'action positive et
nous pensons qu'il faut que cela soit absolument imposé aux employeurs.
Sur le plan individuel, cela n'est pas possible parce que les femmes sont mises
à pied, par exemple. On peut les réintégrer, mais une
autre femme va être mise à pied ou elle ne sera pas
embauchée. Donc, on ne peut pas, au niveau individuel. Cela n'est pas
possible. Donc, on demande que cela soit imposé aux employeurs qui
embauchent dans le moment. Il y a des employeurs qui, à Montréal
- je parle de Montréal puisqu'on connaît mieux la situation -
embauchent, Ã l'heure actuelle, 1000 Ã 2000 personnes par
année - je dis "personnes" parce que je ne fais pas de discrimination -
mais, malheureusement, ce sont des hommes, Ã part une ou deux femmes
peut-être et encore. Quand on embauche 2000 personnes à l'heure
actuelle, on n'embauche pas une femme. Pourquoi?C'est lÃ
qu'on dit qu'on veut des programmes d'action positive à l'embauche.
Qu'on embauche un certain pourcentage de femmes, que ce soit à ...
Ãvidemment, l'idéal serait d'atteindre la population active, au
moins cela. Un travailleur sur deux, dans le moment, est une femme,
c'est-à -dire 50%. On est tout de même assez réaliste pour
savoir qu'on ne va pas le faire en 24 heures, mais au moins, dans le moment, il
faudrait dire un certain quota. Par exemple, chaque fois qu'on embauche 1000
personnes, on embauche 20, 30, ou un certain nombre de femmes. La Commission
des droits de la personne, comme elle le disait tout à l'heure, peut
très bien voir en fonction de chaque entreprise, les quotas qui
pourraient être atteints chaque année. Nous laissons cela au soin
de la commission, mais nous trouvons qu'il faut qu'il y ait absolument un quota
d'embauche de femmes.
Pour l'imposition - vous l'avez sûrement lu dans notre
mémoire - il y a eu un certain nombre de programmes déjÃ
de possibilités égales, ce que l'on appelle égalité
des chances. En fait, il y a eu quelques femmes qu'on appelle des femmes alibis
qui ont été employées, mais plutôt dans la
hiérarchie pour donner une belle image à la compagnie, mais il
n'y a rien eu de fait dans le fond.
Je peux vous parler de l'exemple du Canadien National. Vous êtes
certainement au courant de la lutte que nous menons depuis trois ans contre le
CN justement pour l'établissement d'un vrai programme d'action positive
au CN, ce qui est parmi par la Charte fédérale des droits de la
personne; mais alors que cette charte existe depuis un certain temps et permet
ces programmes, il n'y a pas encore eu un seul programme qui a
été mis sur pied. Donc, c'est dire qu'il faut absolument
les imposer, sinon ça ne se fait pas. Voilà notre
expérience actuelle.
Pour nous, c'est simplement une mesure de rattrapage - ces programmes
d'action positive - ce n'est pas du tout une mesure de favoritisme. Nous
disons: Commençons par l'embauche, commençons par les compagnies
qui embauchent et là , peu à peu, on introduira des femmes et,
pour répondre à un argument économique, ça ne
coûtera pas plus cher. Employer un homme ou une femme, ça ne
coûte pas plus cher.
On ne peut pas aussi oublier que les groupes majoritaires ont recueilli
collectivement les bénéfices de l'exclusion ou du traitement
différencié subis par les membres des groupes contre lesquels
s'est exercée la discrimination. Je cite la présidente de la
Commission des droits de la personne. Donc, c'est juste un rattrapage.
Pour nous, ce que doit comprendre - si vous me permettez d'expliquer -
un programme d'action positive, c'est d'abord des quotas d'embauche, des
programmes de formation, certains de rattrapage, d'autres identiques Ã
ceux auxquels les hommes ont déjà accès. On s'est rendu
compte que dans beaucoup de grandes compagnies, il y a déjà des
programmes de formation interne et les femmes pourraient très bien avoir
accès à ces programmes également. Des annonces dans les
journaux assez claires pour que les femmes qui cherchent du travail soient
conscientes des nouvelles possibilités qui leur sont offertes. Parce
que, dans le moment, elles savent que ce n'est même pas la peine d'aller
essayer de s'engager dans une usine, parce qu'il n'y a que des hommes. Elles
n'essaient donc même pas très souvent. Elles sont aussi au courant
de la discrimination.
Le quatrième point serait des possibilités d'avancement
identiques à celles obtenues par les hommes.
Cinquièmement, des quotas de mises à pied pour
éviter que les femmes étant les dernières
embauchées ne soient toutes renvoyées lors de mises Ã
pied. Autrement dit, il s'agit que les mises à pied n'affectent les
femmes qu'en fonction de leur proportion parmi les employés. Nous nous
fions sur le cas de compagnies qui font des mises à pied temporaires,
par exemple de deux ou trois mois. En ayant embauché des femmes, par
exemple il y a deux mois, lors d'une mise à pied temporaire, toutes les
femmes pourraient être mises à la porte et on repartirait Ã
zéro. C'est pour ça qu'on dit aussi des quotas de mises Ã
pied pour ne pas qu'elles soient affectées hors de proportion.
Les femmes seraient donc embauchées, premièrement, et en
nombre. Quand on dit "quota", ça veut dire un certain nombre de femmes,
ça ne veut pas dire une femme mise dans un milieu d'hommes et qui va se
retrouver en butte aux harcèlements de toutes sortes, sexuels ou sur le
plan de son travail. Mais tu es une femme, qu'est-ce que tu fais, ce n'est pas
ta place, et ci et ça... Jusqu'à aller à lui demander les
travaux les plus durs pour vraiment voir si elle est capable de faire le
travail. Si vous voulez des cas concrets, je peux vous en citer. Au CN, par
exemple, ou dans d'autres compagnies et même Gracia et Normande ici vont
vous en citer tout à l'heure. C'est vraiment ce qui se passe dans la
réalité. Donc, l'imposition de programmes d'action positive
permettrait l'embauche d'un certain nombre de femmes dans des métiers
où les salaires sont bons, où il y a des syndicats et où
les conditions de travail sont décentes, plus décentes que dans
les ghettos d'emplois féminins et, d'autre part, elles seraient
embauchées en nombre, c'est-à -dire qu'elles ne seraient pas
isolées, seules dans un milieu d'hommes pour faire leurs preuves,
c'est-Ã -dire travailler deux ou trois fois plus qu'un homme pour pouvoir
conserver l'emploi. Au bout d'un moment, elles ont tellement été
poussées à bout qu'à un moment donné elles
lâchent et on dit: Tu vois bien, on te l'avait dit, tu es une femme! On
t'avait dit que tu ne serais pas capable de "toffer" ça! Voilà !
à vous de juger.
à moins que vous ne vouliez me poser des questions maintenant, je
voudrais laisser la parole à Mme Y, dont vous avez le témoignage
ici, et Normande Beaulne aussi. Mme Y a été discriminée
à l'embauche alors qu'elle est inspectrice de fabrication en
aéronautique; elle ne trouve pas d'embauche, à l'heure actuelle.
Mme Normande Beaulne a été une employée extrêmement
compétente dans le secteur de l'estimation de dommages matériels
automobiles et, à un moment donné, elle a été mise
à pied sans raison. C'était la première femme dans ce
métier.
Mme Y: Ron, je vais présenter mon témoignage pour
démontrer la nécessité d'un programme d'action positive
dans les entreprises. J'ai décidé de prendre le cours
d'inspecteur d'aéronautique, premièrement, parce que
c'était un secteur en développement, dans lequel on disait qu'on
engageait beaucoup de monde, et aussi à cause des avantages et des
conditions de travail assez bonnes qu'offrait ce métier. Au
début, je n'ai pas été encouragée fortement par le
centre de la main-d'oeuvre quand j'ai demandé à suivre ce cours;
c'est à la suite de plusieurs rencontres, discussions, tests, etc. que
j'ai fini par convaincre le centre de la main-d'oeuvre de me donner ce cours
pour prouver qu'une femme était aussi capable qu'un homme.
J'ai suivi le cours au mois de septembre passé et j'ai
très bien réussi; d'ailleurs, dans plusieurs matières, je
me suis classée dans les premiers rangs. Les professeurs qui nous
enseignaient, qui étaient
majoritairement des employés de Pratt & Whitney, nous ont
encouragés fortement à suivre le cours en nous disant que la
compagnie nous attendait les bras ouverts puisque celle-ci avait proposé
au centre de la main-d'oeuvre de donner ce cours parce que c'était un
secteur très en demande à l'heure actuelle et qu'il y avait un
manque de professionnels. On nous avait mentionné qu'il ne fallait pas
remplir une demande d'emploi avant les deux dernières semaines du cours,
que c'était une politique de l'école pour empêcher les
étudiants de partir avant la fin de leur cours. On est allé
postuler un emploi deux semaines avant la fin du cours, j'y suis allée
avec plusieurs étudiants; les autres s'y sont présentés
d'autres journées.
Quand on s'est présenté, on a demandé si on pouvait
avoir une entrevue en sachant que les autres étudiants en avaient eu une
les jours précédents. On nous a dit que c'était impossible
et que, de toute façon, on n'engageait pas de femme. La
secrétaire était très surprise - on était trois
femmes quand on s'est présenté - de voir des femmes postuler un
emploi dans ce domaine et on est reparti un peu déçu, mais dans
l'espoir qu'on nous appellerait pour des entrevues. Par la suite, tous les gars
ont commencé à être appelés un par un; on
commençait à s'inquiéter, mais nos profs nous disaient de
ne pas s'inquiéter, qu'on allait tous être appelés vu le
manque d'inspecteurs en ce moment à la compagnie.
Deux semaines après le cours, deux autres étudiants ont
été appelés en entrevue; cela ne voulait pas dire qu'ils
étaient engagés, mais pour nous, les filles, pas d'entrevue! Plus
tard, ils ont été engagés pour le mois de mars. Dans la
première semaine de février, on a essayé de rejoindre M.
Boismenu, le directeur du personnel de la Pratt, mais il était parti en
vacances et on nous disait que personne ne le remplaçait. Alors, dans la
deuxième semaine, on a essayé de rejoindre un de nos professeurs,
Michel Chagnon, sachant qu'il était contremaître Ã
l'inspection. Il nous disait de ne pas nous inquiéter au début
mais, par la suite, je lui ai dit que je me posais des questions Ã
savoir pourquoi c'étaient les deux femmes qui n'avaient pas
été appelées. Alors, il m'a répondu que
peut-être, dans certains départements, cela demandait une certaine
force physique. Je lui ai dit que ce n'était pas un critère dans
le cours et que, de toute façon, je ne trouvais pas que c'était
une bonne raison. (17 h 15)
Par la suite, dans la même semaine, on a demandé Ã
parler à quelqu'un d'autre si M. Boismenu n'était pas revenu. On
nous a alors passé M. Ferland. Je me suis fait dire d'attendre, que ma
demande était prise en considération, que le groupe pour le mois
de mars avait été sélectionné et que je devais
attendre la prochaine fois. J'ai demandé si je pouvais avoir une
entrevue. Il m'a dit que ce n'était pas nécessaire, que ma
demande était prise en considération et qu'on m'appellerait si
j'étais choisie. Je trouvais ça quand même injuste de ne
pas avoir eu droit à une entrevue que tous les gens du groupe avaient
obtenue, même avant d'avoir été assurés d'être
engagés. C'est alors qu'on a consulté Action travail des femmes,
un organisme qu'on a connu pendant notre cours, et qu'on a décidé
d'envoyer une lettre à la compagnie pour demander des clarifications sur
le non-engagement.
On a décidé d'entreprendre cette démarche parce
qu'on trouvait que la discrimination était flagrante, même si par
la suite il y a une femme qui a été engagée. On trouvait
ça très faible puisqu'on était trois femmes dans le
groupe. En tout cas, M. Côté, à la suite d'une lettre, a
pris contact avec Action travail des femmes et on avait pris rendez-vous avec
lui pour le mois de mars. Il a dit qu'il ne comprenait pas pourquoi on
s'inquiétait puisque, lors de notre entrevue, on avait
spécifié qu'on serait sélectionnées pour le mois
d'avril. Nous autres, on n'a jamais eu d'entrevue et on ne nous a jamais dit
qu'on était sélectionnées pour le mois d'avril. On nous a
reçues assez froidement et on nous a mises - en tout cas, l'autre femme
qui était avec moi - chacune dans un bureau en nous disant qu'on voulait
nous faire passer des entrevues. J'ai dit à M. Côté que je
ne comprenais pas pourquoi on faisait ça maintenant puisque avant on n'a
jamais voulu nous recevoir.
On nous a répondu qu'on avait demandé de passer une
entrevue, c'est ce qu'on allait faire. M. Ferlatte, c'est lui qui m'a
reçue, m'a posé quelques questions banales et m'a répondu
que je serais sélectionnée pour le mois d'avril. J'ai fait
remarquer que je ne m'étais pas déplacée pour me faire
dire ça, que je voulais savoir les raisons pour lesquelles je n'avais
pas été engagée et je voulais me faire certifier que
j'aurais un emploi puisque je savais que Pratt & Whitney engageait
présentement des inspecteurs. M. Ferlatte m'a fait comprendre qu'il ne
pouvait rien faire pour moi. Je l'ai remercié et je suis sortie. J'ai
rejoint les autres femmes qui étaient avec M. Côté et M.
Alain Gagné, directeur des relations humaines. La raison à notre
non-engagement, c'était une question de circonstances. On nous a dit
qu'on était arrivées les dernières. Il fallait venir plus
tôt. On a répliqué qu'on était quatre personnes
cette journée-là et qu'on nous avait dit à l'école
de ne pas venir avant. J'ajouterais que, depuis cette rencontre, je n'ai
toujours pas été appelée et qu'en tout cas, il y a eu
d'autres finissants qui n'ont pas été appelés non
plus.
Donc, pourquoi on ne nous a pas choisies puisque, nous autres, on
était de
très bonnes candidates et qu'on remplissait toutes les exigences?
On n'a reçu aucun appel. Nous autres, on a fait d'autres
démarches. On a rappelé M. Côté. Il était
toujours occupé. Ensuite, il m'a dit qu'il avait essayé de me
rejoindre pour des questions ayant rapport à ma demande. Maintenant,
quand je l'ai rappelé, il m'a dit qu'elles se sont
révélées inutiles et que je n'avais pas été
choisie. Je lui ai demandé quelle était la raison. Il m'a dit
qu'il n'avait pas d'explications à me donner et que, si je voulais en
savoir plus, il allait prendre un rendez-vous. J'ai rappelé par la
suite, M. Côté était toujours absent ou occupé. J'ai
laissé le message de me rappeler le soir parce que j'avais
commencé à travailler, mais il ne m'a jamais appelée.
C'est là que j'ai porté plainte à la Commission des droits
de la personne contre Pratt & Whitney pour raisons de discrimination
sexuelle à l'embauche parce que je ne voyais aucune raison valable pour
laquelle je n'avais pas été embauchée. Je pense que c'est
seulement quand il y aura des programmes d'action positive imposés aux
compagnies comme d'autres l'ont dit au début que les femmes ne seront
plus à la merci des patrons qui nous font subir cette
discrimination.
Mme Leclercq: Je peux ajouter un petit mot. Il ne faut pas
oublier que ce cours avait été demandé, avait
été mis sur pied à la demande explicite de Pratt &
Whitney qui avait besoin d'inspecteurs. Quand on sait qu'Ã chaque mois,
ils embauchent des inspecteurs, ils en ont besoin, on se demande pourquoi ils
ne prennent pas des inspectrices qualifiées. C'est ça le
problème. Si vous me le permettez, je ne sais pas si vous voulez que je
continue à parler un peu de Pratt & Whitney, mais nous-mêmes,
nous sommes allées faire une visite à cette compagnie et je
pourrais vous raconter un peu cette visite, ce que nous avons eu l'occasion de
voir, où étaient les femmes dans la compagnie.
Le Président (M. Desbiens): Est-ce que je peux vous faire
remarquer, Mme Leclercq, qu'il y a déjà 30 minutes de
passées à la présentation de votre mémoire? Si les
membres de la commission désirent intervenir par une série de
questions... Enfin, il y a la liberté autant que possible que les
mémoires puissent être présentés au complet, selon
votre choix. Si vous préférez recevoir des questions ou continuer
l'exposé...
Mme Leclercq: De toute façon, pour Pratt et Whitney,
abrégeons en disant que c'est ici dans le mémoire. Ce que nous
avons constaté, c'est que dans l'usine, quand il y a des femmes, elles
sont très ghettoïsées, et cela, nous l'avons écrit
ici. Donc, c'est assez clair, ce qui se passe. Il y en a très peu, en
tout cas. Si vous voulez, on va laisser parler
Mme Normande Beaulne. Elle va vous raconter ce qui lui est
arrivé.
Mme Beaulne (Normande): J'avais suivi un cours en estimation
d'automobiles...
M. Bédard: Peut-être qu'on pourrait approcher le
micro.
Mme Beaulne: J'avais suivi un cours en estimation d'automobiles
subventionné par le centre de main-d'oeuvre et j'ai été la
première femme dans ce métier habituellement fait par des hommes.
J'ai eu beaucoup de difficulté à me trouver un emploi dans ce
domaine. J'appelais pour avoir un emploi au Centre d'estimation Chomedey, et il
n'y avait même pas moyen de parler au propriétaire de ce centre,
parce qu'il faisait répondre par sa secrétaire
particulière que c'était impossible qu'il y ait une femme dans ce
métier. Il est même parti à rire, selon sa
secrétaire particulière.
Finalement, à force de démarches, de persuasion, j'ai fini
par le rencontrer et il a accepté de m'embaucher, mais à l'essai,
pour trois mois. Il a bien spécifié que je devais faire mes
preuves, étant donné que j'étais une femme et que cela ne
s'était jamais vu. Donc que je devais travailler deux fois plus qu'un
homme. C'est ce que j'ai fait. J'ai fait mon possible pendant ces trois mois.
Au bout de trois mois, il m'a convoquée et s'est dit satisfait de mon
travail. Il a ajouté que cela le surprenait beaucoup, étant
donné que j'étais une femme. Il a décidé de me
garder et de me donner une augmentation de salaire. Au bout de quelque temps,
il a engagé un autre estimateur qui avait suivi des cours avec moi,
justement, mais au bout de quelques mois il m'a convoquée de nouveau
à son bureau pour me dire qu'il devait se défaire de cet
employé parce qu'il n'était pas satisfait de ses services et que
s'il était à la place de cet employé, il serait
gêné d'être surpassé par une femme. C'est à la
suite du départ de ce nouvel employé que j'ai eu une autre
augmentation de salaire. Il surveillait fréquemment notre rendement et
la quantité des estimations que nous faisions par jour, mais je dois
dire qu'il était beaucoup plus réticent à mon
égard, c'est-à -dire qu'il me demandait beaucoup plus de comptes
à moi qu'aux autres employés. J'étais même parmi
ceux qui faisaient le plus d'estimations par jour, ce qui m'a encore valu des
félicitations de sa part, mais aussi une surprise très vive,
étant donné que j'étais une femme.
à un moment donné, il m'a encore convoquée dans son
bureau et là , il m'a offert une augmentation de salaire, mais beaucoup
moindre que celles que j'avais déjà eues. Je l'ai refusée,
parce que j'avais su des autres employés qu'ils avaient eu le triple des
augmentations qu'il m'offrait. Je
l'ai refusée et c'est à partir de ce moment qu'il ne m'a
plus adressé la parole. à la suite de cette nouvelle augmentation
que j'avais refusée, j'ai dû être hospitalisée et
j'ai dû prendre une semaine de vacances pour convalescence. Au moment
où j'étais en convalescence chez moi, j'ai reçu par la
poste un avis de cessation d'emploi, ma paie de vacances et ma semaine de
préavis. C'est à la suite de cela que j'ai fait ma demande
à la Commission des droits de la personne. Sur l'avis de cessation
d'emploi, il avait écrit comme raison "incompétence",
après dix mois de service et trois augmentations de salaire. C'est pour
cette raison que je crois moi aussi qu'il devrait y avoir un programme mis sur
pied comme action positive.
Je voulais soulever le point qui avait été apporté
au point de vue du rendement et de la quantité de travail, parce que
j'étais beaucoup surveillée a ce point de vue. Pour l'apparence
physique aussi. J'ai eu plusieurs remarques de mes confrères de travail
et de mon patron disant, et je cite leurs paroles: "Malgré son
métier, elle reste féminine, c'est surprenant". Et, ensuite, dans
ce métier, il est beaucoup plus pratique d'avoir les cheveux
coupés, étant donné qu'on va sous les autos et qu'il y a
de l'huile qui nous tombe dans la figure ou dans les cheveux, mais, Ã
chaque fois que j'allais me faire couper les cheveux et que je revenais au
bureau, le patron me critiquait et me disait que j'avais l'air d'un
"tomboy".
Mme Leclercq: Nous avons essayé de voir un peu ce qui se
passait et nous sommes persuadées que ce secteur, les centres
d'estimation et le regroupement des assureurs, font de la discrimination envers
les femmes. Nous, nous sommes très inquiètes de cette situation,
parce que le métier d'estimateur convient très bien aux femmes
qui viennent nous voir, en ce sens qu'il n'implique pas de travail en rotation,
il offre de bons salaires, environ 13 000 $ à 17 000 $ par année,
et on peut y avoir accès à la suite d'une période de
formation relativement courte, c'est-Ã -dire cinq mois de cours au Centre
de main-d'oeuvre. La formation, ce qui est très important aussi pour les
femmes, c'est, de jour, de 9 heures à 17 heures. Quand on a des enfants,
c'est important de pouvoir suivre des cours de jour, mais beaucoup de cours de
main-d'oeuvre ne sont pas de jour.
Pour nous, ce métier est très intéressant et nous
avons à l'heure actuelle des femmes qui suivent les cours de la
main-d'oeuvre, et nous voulons qu'elles trouvent de l'emploi en terminant,
elles en ont besoin. Je ne sais pas si vous imaginez la situation des deux
dames qui m'entourent à l'heure actuelle, mais ce n'est pas brillant sur
le plan économique et ce ne sont pas les seules. Alors, voilà ,
c'était cela.
Le Président (M. Desbiens): Alors, M. le ministre.
M. Bédard: Mme la présidente, je vous remercie de
votre participation ainsi que de celle de vos deux compagnes aux travaux de
cette commission. Au nom de tous les groupes que vous représentez, je
suis convaincu de refléter les sentiments des membres de la commission
en vous disant que je vous ai trouvées très éloquentes,
dans le sens que non seulement vous êtes pratiques, mais on sent que
l'expérience du vécu fait que votre participation aux travaux de
cette commission est peut-être une des meilleures illustrations, du point
de vue pratique, des problèmes que, dans certains secteurs, vous avez
évoqués, de certains problèmes auxquels les femmes ont
à faire face.
Vous avez également votre côté pratique. Vous en
venez peut-être à être un des groupes qui a essayé de
définir un peu ce que serait un programme d'action positive. Vous avez
d'autre part évoqué que, dans les deux cas pratiques,
vécus, qui ont été évoqués cet
après-midi, vous aviez communiqué avec la Commission des droits
de la personne. Est-ce que vous pourriez m'expliciter votre démarche
là -dessus, nous en donner le résultat, si résultat il y
a?
Mme Leclercq: Malheureusement, la plupart du temps, ce sont les
moyens, c'est l'attente. La commission dit que cela prend un temps fou, le
dossier de Mme Y et de Mme X sont en attente à l'heure actuelle, ils ne
sont pas encore au service des enquêtes, il paraît que cela va
prendre encore six mois, c'est ce qu'on nous a dit. Pendant ce temps, elle n'a
rien, elle a 100 $, 121 $ exactement par mois. C'est donc très urgent,
c'est dans ce sens que nous disons que les procédures actuelles de la
commission, qui prendraient cinq ans au total, c'est beaucoup trop long; quand
on a des femmes dans ces situations, elles ne peuvent pas attendre cinq ans.
Donc, c'est une question de procédure...
M. Bédard: Quand vous parlez de l'élaboration des
programmes tels que vous nous les définissez, est-ce que vous voyez
seulement un organisme qui devrait voir à leur élaboration et
à leur application ou encore si vous pensez qu'il pourrait y avoir
d'autres options possibles? (17 h 30)
Mme Leclercq: Quand vous parlez d'organisme, vous voulez dire la
Commission des droits de la personne?
M. Bédard: Oui.
Mme Leclercq: Nous, nous sommes convaincues de son expertise,
à la
Commission des droits de la personne.
M. Bédard: Est-ce que vous voyez la possibilité que
l'élaboration et l'application de ces programmes puissent être
confiées à d'autres organismes?
Mme Leclercq: Ce qui est très important, à notre
avis, c'est que la commission ait un pouvoir d'imposer aux employeurs; sinon,
rien ne va se passer.
M. Bédard: Quand vous dites "le pouvoir d'imposer", est-ce
que vous voulez dire imposer dans tous les secteurs de l'activité ou
s'il y a des secteurs particuliers que vous seriez portées Ã
privilégier?
Mme Leclercq: Oui. Là où il y a de l'embauche dans
le moment. Il n'y a quand même pas beaucoup de secteurs.
Commençons par les secteurs où il y a de l'embauche. Comme
ça, on ne se trouve pas en butte aux problèmes...
M. Bédard: Qu'évoquait tout à l'heure...
Mme Leclercq: ... internes qui ont été
évoqués. De toute façon, je pense que les syndicats vont
en parler. Mais nous, on dit, pour l'instant, qu'il y a beaucoup de femmes qui
ont besoin de travailler, qui soit sont dans les ghettos d'emplois
féminins et veulent en sortir, soit n'ont pas accès au
marché du travail parce qu'il n'y a pas d'emplois. Les femmes viennent
et nous appellent; nous recevons X coups de téléphone par jour
pour dire: Je ne trouve pas d'emploi. Elles ne comprennent pas. Il y a dix ans,
vous sortiez, vous trouviez un emploi de vendeuse, un emploi au coin de la rue;
maintenant, ce n'est plus ça. Donc, toutes ces femmes, avec les
conditions économiques actuelles, viennent et elles veulent de l'emploi
et il n'y en a pas de disponibles, sauf dans ces secteurs dont on parlait. Nous
en avons identifié quelques-uns.
Nous, nous disons concrètement: Cela ne coûte pas cher,
qu'on commence par ceux-là et qu'on emploie des femmes là -dedans.
Après ça, il y aura un effet d'entraînement. Une fois dans
l'entreprise, elles auront de plus en plus accès aux promotions et elles
seront dans les syndicats là où il y en a. C'est un peu notre
contribution. Commençons par la base, c'est-à -dire l'embauche,
premier niveau.
M. Bédard: C'est ce qui explique un peu les
critères qui vous semblent essentiels pour le moment au niveau des
programmes d'action positive.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: J'ai beaucoup apprécié votre
présentation; c'est la première fois qu'on a des cas concrets.
J'aimerais vous poser deux questions; la première question, c'est que la
dame à votre droite, Mme Beaulne, à la fin de sa
présentation, a fait état de certaines remarques des hommes dans
la compagnie où elle a travaillé. J'aimerais, juste pour mon
information, savoir si c'est le harcèlement auquel il faut mettre fin
dans la loi. Est-ce que c'est ça qu'on va rendre illégal dans la
charte ou est-ce que c'est juste de l'enfantillage?
Mme Beaulne: Ce n'est pas un harcèlement, tout
dépend de la façon dont la personne le prend. Moi, je ne le
prenais pas comme un harcèlement. Ce sont des remarques simplement
auxquelles on ne peut rien; il n'y a aucune loi qui va interdire ça.
M. Marx: On ne va pas poursuivre chacun qui fait des remarques
semblables, si je comprends.
Mme Leclercq: Si je peux me permettre d'intervenir, ce qu'on
appelle "harcèlement", c'est le fait que ça peut gêner une
femme dans son travail. Si vous avez, par exemple, un homme qui est
hiérarchiquement au-dessus de vous, qui passe tout le temps dans votre
bureau et qui dit: Alors, c'est bientôt, etc., cela vous gêne dans
votre travail. Donc, vous, après, vous pouvez faire des erreurs dans
votre travail et après ça, vous êtes mise à pied
parce que vous n'êtes plus assez compétente. C'est parce que vous
avez été gênée, ça vous pose des
problèmes. Parfois, vous savez très bien que les harceleurs vous
téléphonent à la maison. Vous êtes chez vous un
soir, si vous habitez seule, on frappe à la porte, vous ouvrez;
malheureusement pour vous, c'est quelqu'un de votre travail pas du tout
attendu. C'est quand même des choses dont les femmes nous parlent de plus
en plus. Ce sont des cas vécus, ça peut même aller beaucoup
plus loin. J'ai un ou deux cas en tête, justement, où c'est
allé beaucoup plus loin.
C'est surtout ça, le harcèlement. Je crois que ça
peut être, comme dit Normande, des petites remarques. Toutes les femmes
ont eu des petites remarques. Il y a des petites remarques qui font partie du
jeu social encore à notre époque, mais, quand elles deviennent
constantes, que vous les avez tous les jours, vous arrivez à un
état de nervosité qui devient absolument épouvantable.
Là , on peut vous prendre très facilement en tort sur votre
travail, et c'est là qu'on vous met à la porte, et allez donc
prouver que c'était du harcèlement sexuel qui a fait que vous
deveniez incompétente. C'est là où il va falloir le mettre
dans la Charte des droits de la personne pour qu'au moins on commence Ã
voir ce que c'est,
parce que cela commence par des petites remarques et cela finit par des
viols. Oui, parlez un peu aux femmes autour de vous, je suis sûre
que...
M. Bédard: ... Code criminel.
M. Marx: Entre ces quelques remarques et le viol, il y a encore
une marge.
Mme Leclercq: Si vous voulez, c'est quand même une
réalité. Monsieur, je m'excuse, c'est une réalité.
Quand je dis qu'il y a toute une hiérarchie de harcèlement entre
les deux, j'en suis bien consciente. Mais cela va jusqu'au bout. J'ai des
femmes en tête qui ont eu le bout d'un côté et le bout de
l'autre. C'est tout de même une réalité vécue par
les femmes. C'est dans le milieu du travail, c'est cela.
M. Marx: II y a un problème...
Mme Leclercq: C'est votre travail qui est en cause,
c'est-à -dire votre salaire à la fin de la semaine qui est en
cause. C'est là où cela devient grave.
M. Marx: Oui, parce que je pense qu'il y a une ligne Ã
tirer entre le harcèlement et la blague. Il y a aussi des degrés
de harcèlement, c'est-à -dire qu'on veut prohiber un certain
degré de harcèlement et d'autres degrés de
harcèlement. On dirait que cela n'est pas vraiment le harcèlement
qui doit être prohibé par une loi et par des
pénalités, ainsi de suite, si je comprends bien.
Ma deuxième question, c'est qu'à la page 5 vous avez dit
qu'il faut que les mises à pied n'affectent les femmes qu'en fonction de
leur proportion parmi les employés. Dans une compagnie, ce serait
difficile de blâmer les hommes qui travaillent là pour toute la
discrimination que les femmes ont subie depuis le début de notre
système social. Je me demande si ce n'est pas de la discrimination
à rebours, la proposition que vous avez à la page 5.
Mme Leclercq: Le no 5?
M. Marx: Le no 5. Il faut écouter tous les hommes aussi
avant qu'on pense à légiférer dans ce sens, parce que cela
me frappe comme...
Mme Leclercq: Ãcoutez, monsieur, c'est quand même
simple. S'il y a des mises à pied temporaires... Mettons qu'on a un
programme d'action positive, si on embauche des femmes et qu'il y a des mises
à pied, elles sont toutes dehors. Cela veut dire que le programme
d'action positive n'aura servi à rien. S'il n'y a pas d'embauche pendant
deux ans, il n'y aura pas de femme dans la compagnie. C'est uniquement cela que
cela veut dire. Sinon, les femmes n'arriveront jamais à avoir de
l'ancienneté. C'est juste cela. On voit, par exemple, dans le cas du CN,
il y a des mises à pied temporaires. En général, au bout
de trois ou six mois, il y a une liste d'ancienneté et ils emploient
à nouveau le monde. Si vous voulez, ils pourraient très bien ne
pas employer à nouveau les femmes. On aurait eu un beau programme
d'action positive. Première mise à pied: toutes les femmes
dehors, après on n'engage que des hommes. Il faut recommencer toute la
procédure à zéro. C'est dans ce sens qu'on a mis
ici...
M. Marx: Oui, je comprends. Je ne veux pas qu'il y ait une porte
de sortie, qu'on mette en oeuvre un plan qui ne sera jamais
réalisé à cause des manoeuvres dont vous avez fait
état. à mon sens, je vois un programme d'action affirmative comme
quoi on va avoir des objectifs: d'ici cinq ans, il doit y avoir un tel
pourcentage, comme il y a dans le plan d'action d'égalité des
chances au gouvernement. Il y a un certain pourcentage dans la fonction
publique qu'on va atteindre, c'est-Ã -dire en embauchant des gens des
groupes minoritaires et des femmes. Si la compagnie réalise cet
objectif, cela ne m'intéresse pas de savoir comment elle va le faire,
mais de mettre dans la loi ou dans un programme d'action positive la suggestion
du paragraphe 5, cela prendrait peut-être certaines informations qu'on
n'a pas aujourd'hui. Vous comprenez ce que les gens vont déclarer quand
ils viendront devant la commission. Ils vont dire: Ce n'est pas nous.
Mme Leclercq: Oui, d'accord, mais écoutez, monsieur,
est-ce qu'un homme vaut plus qu'une femme? On arrive dans un débat comme
cela. Malheureusement, il n'y aurait pas de problème, si tout le monde
avait droit au travail, s'il y avait du travail pour tout le monde. C'est ce
qui devrait arriver d'ailleurs. C'est cela qu'on dit. Pourquoi les femmes
devraient-elles être les premières à ne pas avoir de
travail? C'est cela le problème. On arrive à peser...
M. Marx: D'accord, je suis tout à fait d'accord avec cela.
Mais supposons que, dans une compagnie, on ait des programmes d'action
affirmative pour quelques groupes, pas seulement des femmes, tel et tel groupes
minoritaires, des handicapés, etc., on peut avoir toute une série
de programmes. Cela devient difficile. Cela veut dire que le gars qui a
travaillé là 25 ans serait le premier à être mis
à pied.
Mme Leclercq: Ah non! non, écoutez.
M. Marx: Mais comprenez-vous ce que je veux dire?
Mme Leclercq: Monsieur, ce n'est pas du tout la question,
quelqu'un qui a 25 ans d'ancienneté ne va quand même pas
être mis à pied avec les premiers. Il ne s'agit pas de sortir des
gens en emploi pour en mettre d'autres à la place, ce n'est tout de
même pas la question.
M. Marx: On va dire les derniers arrivés ne seront pas les
premiers qu'on va...
Mme Leclercq: En proportion, c'est tout, en proportion.
M. Marx: En proportion. Mme Leclercq: C'est juste. M.
Marx: Merci.
Le Président (M. Desbiens): Mme la députée
de Maisonneuve.
Mme Harel: Je pense bien que, pour vous deux qui avez
témoigné, non seulement c'était exemplaire de poursuivre
une formation dans des emplois traditionnellement réservés aux
hommes, mais c'est aussi exemplaire de venir devant nous aujourd'hui. Dans
votre dossier, vous nous dites que maintenant, en 1981, un travailleur sur deux
est une femme. J'aimerais vous demander si ce sont des chiffres
récents.
Mme Leclercq: C'est-à -dire que les dernières
statistiques, je crois, datent de 1978. Là , on disait à peu
près plus de 46%. Disons que là , c'est à peu près
48%, mais presque un travailleur sur deux. C'est parce que 48%, c'est proche de
50% et cela monte constamment. On peut imaginer que, si on faisait la
statistique aujourd'hui, ce serait très proche de 50%.
Mme Harel: Ce sont des statistiques du Québec ou des
statistiques canadiennes?
Mme Leclercq: Là , je parlais du Québec.
Mme Harel: Je voudrais vous poser une question. Tantôt,
vous disiez que parmi les arguments invoqués pour justifier le fait que
vous n'ayez pas été embauchée immédiatement, comme
vos collègues masculins, il y avait le fait que vous vous soyez
présentée plus tard qu'eux. Vous avez invoqué que vous
aviez suivi les consignes données à l'école. On sait qu'en
général les femmes suivent plus les consignes que les hommes.
Est-ce que c'est un cas? Est-ce que vous aviez suivi une consigne que vos
collègues n'avaient pas suivie?
Mme Y: C'est à l'intervalle d'une journée qu'on
s'est présenté, toutes la même semaine.
Mme Harel: Ce n'est donc pas un argument qui peut être
retenu.
D'autre part, est-ce que vous travaillez présentement?
Mme Y: Non, j'avais un emploi, mais, là , je ne travaille
plus.
Mme Harel: Quand vous nous dites que vous vous êtes
présentée à Action travail des femmes à la suite de
cette visite que vous avez faite à la Pratt & Whitney. Vous avez
présenté, en vertu de l'article 70, une demande d'enquête
à la commission. Vous nous avez fait état que c'était en
attente, mais qu'est-ce que la commission peut faire dans le cadre juridique
actuel? Vous avez présenté cette demande pour les personnes qui
ont été victimes, alors elle peut les rétablir dans leur
droit, mais elle ne peut évidemment pas aller plus loin que cela.
Mme Leclercq: Non, c'est cela. C'est bien cela, oui. Alors, nous
demandons une enquête.
M. Marx: C'est rétroactif.
Mme Harel: Cela a, évidemment, l'effet rétroactif
de rétablir les droits éventuellement, mais cela ne modifie en
rien, par exemple, les critères ou les exigences d'embauche dont vous
parlez dans le résumé que vous faites de la rencontre que vous
avez eue avec Pratt & Whitney, c'est bien le cas?
Mme Leclercq: C'est bien cela, et c'est pour cela qu'il faudrait
une action positive dans la mesure où il y a d'autres femmes qui sont
intéressées à rentrer dans cette compagnie. (17 h 45)
Mme Harel: Ces exigences d'embauche. Vous faites état
beaucoup dans votre mémoire d'exigences d'embauche qui ont l'air de
fluctuer dépendamment des personnes qui postulent un emploi. Vous dites
qu'on a répondu au groupe de femmes avec qui vous avez visité
l'usine qu'il fallait un DEC, mais que la compagnie embauche sans
nécessairement de formation.
Mme Leclercq: La preuve c'est que, voyez-vous, ses
collègues masculins qui étaient au cours ont été
engagés avec le cours d'inspecteur en aéronautique. Donc, un DEC,
ce n'est pas nécessaire.
Mme Harel: Et connaissant ce que peut faire la Commission des
droits de la personne puisque vous travaillez beaucoup comme organisme,
j'imagine, avec la commission, est-ce que la commission peut,
en regard des deux cas qui lui sont présentés, faire
valoir des recommandations pour que les critères d'embauche ou les
exigences à l'embauche soient définitivement
arrêtées par la compagnie?
Mme Leclercq: J'aimerais bien que vous posiez la question
à la commission. Je ne sais pas si Mme Fournier veut répondre
parce que je sais que la commission a le pouvoir dans le moment, après
enquête auprès de la compagnie, de réintégrer les
femmes qui ont subi la discrimination, mais au niveau des devoirs. Nous, nous
l'avons fait dans le sens d'appuyer les femmes et parce que nous nous
inquiétions de la situation et nous voulions la rendre publique, si vous
voulez, cette situation dans cette compagnie, mais là ,
évidemment, nous pensons qu'il faudra aller beaucoup plus loin dans le
sens d'une action positive. C'est pour cela que nous vous les avons soumis
comme cas concrets en faveur de l'action positive. Je laisse la parole Ã
Mme Fournier.
Mme Harel: Non, je pense bien qu'on aura l'occasion
peut-être de s'en reparler, mais il faudrait peut-être juste se
dire que, dans le cadre juridique actuel, les personnes qui ont
été victimes de discrimination peuvent être
rétablies dans leurs droits, mais les critères d'embauche qui
vous ont été communiqués au groupe Action travail des
femmes lors de la visite resteraient aussi flous et de nature Ã
être différents selon les personnes qui sollicitent un emploi.
M. Marx: Cela règle cas par cas, la commission, mais cela
ne règle pas le problème.
M. Bédard: Je n'ai pas d'autres questions, M. le
Président.
Le Président (M. Desbiens): S'il n'y a pas d'autres
interventions, je remercie...
Mme Leclercq: Excusez-moi, j'ai une petite contribution Ã
propos de l'âge, si je peux vous retenir encore quelques secondes.
M. Bédard: D'accord, alors allez-y, je vous en prie. On en
avait pris connaissance, mais allez-y.
Le Président (M. Desbiens): Mme la députée
de Maisonneuve, avant.
Mme Harel: Seulement une question sur le harcèlement dont
vous avez fait état. Tantôt, le député de D'Arcy
McGee vous a demandé si vous trouviez cela suffisant comme motif de
harcèlement; évidemment, les remarques semblent assez anodines,
finalement. Ãtre traitée de "tomboy" comme vous nous avez dit
l'avoir été, cela peut être une qualité plus qu'un
défaut, de toute façon. Finalement, la question la plus
intéressante, c'est: Quelle serait la réaction qui serait venue
si, à cette remarque, du tac au tac, vous aviez répliqué?
C'est un peu la question qu'on doit se poser. Ce sont des remarques anodines,
mais, si on répond à ces remarques anodines, quelles sont les
réactions qu'on doit en attendre et les craintes de représailles
que ça représente? C'est ça qui est le plus important.
Le Président (M. Desbiens): Mme
Leclercq.
Mme Leclercq: C'est une question?M. Bédard:
Oui, allez-y.
Mme Leclercq: Je peux revenir sur le fait que, par exemple, dans
les métiers non traditionnels, c'est là qu'effectivement, les
femmes, si elles sont seules, isolées dans un milieu d'hommes, comme,
par exemple, on peut imaginer une inspectrice en fabrication avec 100 ou 200
hommes dans l'atelier; c'est évident qu'elles vont avoir plus de
harcèlement et elles vont être beaucoup plus ennuyées parce
que les hommes ne sont pas habitués à voir une femme là .
C'est là où, si nous avions l'action positive, des femmes
pourraient être embauchées 30 ensemble, elles seraient donc 30 sur
100, sur 200 et elles se tiendraient plus ensemble, elles pourraient
réagir à des remarques et elles deviendraient un groupe. Cela ne
serait pas seulement un individu ou une "individue".
C'est aussi pour contrer le harcèlement sexuel que nous voyons
l'importance des quotas et de l'action positive dans ce sens, quand les femmes
sont en groupe dans ces milieux, les milieux d'hommes. C'est dans ce sens que
nous avons vu le harcèlement sexuel. Nous ne nous sommes pas
penchées sur une définition juridique. Enfin, nous laissons ce
soin au Conseil du statut de la femme et à la Commission des droits de
la personne. Mais nous voyons dans la réalité que, quand une
femme ou deux femmes sont seules avec 200 ou 300 hommes, elles sont en butte
à du harcèlement, à tel point que ça les
empêche de travailler. C'est ça qu'il faut dire. à notre
avis, le problème du harcèlement, c'est que, si ça vous
gêne dans votre travail, ça doit cesser.
M. Marx: C'est-Ã -dire qu'on peut, dans la charte, prohiber
le harcèlement, mais on laisse la jurisprudence définir ce qu'est
le harcèlement dans le concret. On peut juste inscrire le mot
"harcèlement" dans la charte, on ne peut pas inclure la
définition parce que c'est impossible.
Mme Leclercq: Déjà , l'inclure dans la charte, ce
serait très important parce que ça
ouvrirait une porte pour...
M. Marx: Juste la prohibition, pas la définition.
M. Bédard: Pour ce qui est du harcèlement, je ne
reviendrai pas sur ce qu'on a dit tout à l'heure; on va étudier
la portée de ce que ça pourrait avoir comme conséquence en
termes de limitation de ce qui existe déjà au niveau des pouvoirs
de la charte, tout en étant conscients, les uns et les autres, que c'est
le même objectif qu'on essaie d'atteindre. Mais il faut être
sûr de l'atteindre.
Le Président (M. Desbiens): Mme
Leclercq, pour la deuxième partie de votre mémoire.
Mme Leclercq: Je vous remercie. C'est que l'âge soit inclus
comme motif illicite de discrimination. LÃ , nous appuyons fortement les
recommandations de la Commission des droits de la personne du Québec sur
le chapitre de l'âge comme motif illicite de discrimination, Ã
l'article 10 de la charte. En effet, notre organisme, qui vise entre autres
à aider les femmes de 40 ans et plus à réintégrer
le marché du travail, est bien placé pour savoir que ces femmes
cherchent de l'emploi par nécessité économique et non pour
se payer du luxe. Déjà , elles ont d'énormes
difficultés à se trouver du travail, vu les circonstances
actuelles et vu, peut-être, qu'elles ont travaillé il y a un
certain nombre d'années ou à cause du manque d'emplois dans les
ghettos d'emplois féminins. Si, en plus, elles sont discriminées
à cause de leur âge, les possibilités d'embauche n'existent
plus. De plus, pour nous c'est une forme de discrimination sexuelle
cachée, parce qu'il y a beaucoup de femmes qui retournent sur le
marché du travail à 40 ans, quand elles ont fini d'élever
leurs enfants. Aussi, il y a quand même le taux de divorce qui a
augmenté, donc il y a beaucoup de femmes qui n'ont plus de soutien
économique à cet âge et, par suite de l'inflation aussi,
elles doivent retourner sur le marché du travail et ne le peuvent pas
à cause de leur âge. Elles sont discriminées.
On voit bien, dans les faits, que ces femmes sont vouées Ã
l'assistance sociale jusqu'à ce qu'elles aient atteint l'âge de
recevoir la pension de vieillesse. De plus, comme l'espérance de vie
pour une femme est de 76 ans en moyenne, ça veut dire que la
moitié de sa vie active, elle la passera inactive. Enfin, c'est un peu
une façon humoristique de voir la réalité, mais c'est
quand même la réalité dans toute son horreur.
Il y a aussi les jeunes femmes. Ã celles-ci on dit: Vous
êtes immatures et, aux femmes qui ont plus de 40 ans, on dit: Vous
êtes trop vieilles. Quel âge faut-il donc avoir finalement pour
travailler? C'est ça, notre contribution. Merci.
Le Président (M. Desbiens): Mme la députée
de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: Juste une remarque ou une question. Je suis
sensible au fait que c'est difficile, pour les femmes de 40 ans et plus, de
retourner sur le marché du travail. Mais est-ce que la même chose
ne vaut pas pour les hommes qui ont dû quitter leur emploi, soit qu'ils
aient été mis à pied ou quelles que soient les
circonstances?Finalement, le facteur âge est peut-être,
dans cette deuxième partie de la vie, un facteur de discrimination aussi
grand pour les hommes que pour les femmes, Ã l'embauche.
Mme Leclercq: La seule chose que je puisse dire, c'est qu'il est
sûr qu'il faut que ce soit l'âge pour les deux, mais les femmes
sont encore plus atteintes parce qu'elles n'ont peut-être pas
travaillé déjà de longues années; elles n'ont
peut-être pas accumulé une expérience qu'a, malgré
tout, un homme qui atteint ces zones d'âge et a toujours
travaillé. Une femme n'a peut-être pas forcément
travaillé, alors elle est en plus handicapée avec ça.
C'est tout de même un aspect qui est important pour les femmes, mais il
est bien évident que, pour les deux, il faut que ce soit inclus comme
motif dans la charte.
M. Bédard: ... des emplois pour... Mme Leclercq:
Oui.
M. Bédard: Je vous remercie de votre participation
très active et très intéressante.
Le Président (M. Desbiens): La commission élue
permanente de la justice suspend ses travaux jusqu'Ã 20 heures.
(Suspension de la séance à 17 h 55)
(Reprise de la séance à 20 h 141
Le Président (M. Desbiens): La commission élue
permanente de la justice reprend ses travaux d'audition publique en regard des
modifications apportées à la Charte des droits et libertés
de la personne.
Nous accueillerons maintenant le groupe Au bas de l'échelle et je
demanderais à Mme Ãlisabeth Roussel de se présenter
à la table, en avant, s'il vous plaît.
Bonsoir.
Groupe Au bas de l'échelle
Mme Roussel (Ãlisabeth): Bonsoir, M. le
Président.
Le Président (M. Desbiens): Je vous demanderais de nous
présenter toutes les personnes qui vous accompagnent, s'il vous
plaît.
Mme Roussel: Certainement. Est-ce que les gens m'entendent bien?
Oui? Je m'appelle Ãlisabeth Roussel, je suis secrétaire du groupe
Au bas de l'échelle et je vous présente, à ma gauche,
Pierre Bosset, qui est membre de notre conseil d'administration, et, Ã
ma droite, Michel Morin, qui est membre de notre organisme. Nous sommes les
trois personnes qui ont fait la rédaction finale de ce mémoire
que nous allons vous présenter ce soir.
Le groupe Au bas de l'échelle est un organisme communautaire qui
défend les droits des travailleurs et travailleuses non syndiqués
du Québec. Je crois qu'actuellement c'est le seul organisme de ce genre
qui existe au Québec. Notre mémoire est divisé en trois
parties. Pierre Bosset va présenter la première partie, qui porte
sur les changements au fonctionnement interne de la Commission des droits de la
personne; je vais présenter la deuxième partie, qui porte sur les
lacunes de fond de la charte, et Michel Morin présentera la
troisième partie, qui porte sur le redressement progressif, ou le
nouveau terme dont on l'appelle maintenant, l'accès Ã
l'égalité dans l'emploi.
M. Bosset (Pierre): Pour la première partie du
mémoire, qui traite de l'application de la charte, je ne traiterai pas
de tous les points contenus dans notre mémoire, étant
donné les contraintes de temps qui s'imposent à nous, je vais
m'intéresser aux points les plus importants. Le premier est celui du
fardeau de la preuve, imposé au plaignant qui formule une plainte devant
la Commission des droits de la personne.
M. Bédard: Est-ce que vous pourriez parler plus fort, s'il
vous plaît?
M. Bosset: Oui.
M. Bédard: Approchez votre micro, si c'est possible. Bon,
ça va.
M. Bosset: C'est mieux? M. Bédard: On va voir.
M. Bosset: Le problème du fardeau de la preuve. Le groupe
Au bas de l'échelle a pu constater, depuis cinq ans qu'il envoie des
dossiers à la Commission des droits de la personne et aussi en
consultant des dossiers de la commission même, qu'il existe des
problèmes de preuve qui rendent, à toutes fins utiles, la
tâche très difficile aux plaignants qui désirent faire
valoir leurs droits devant la commission. On a pu constater qu'Ã peine
6% des demandes qui sont reçues par la commission, que ce soient des
demandes d'enquête ou d'information ou d'autres demandes, donnent
finalement lieu à une enquête. Il y a plusieurs facteurs qui
peuvent l'expliquer; ils sont traités dans notre mémoire. Par
exemple, le taux de roulement du personnel très élevé dans
les milieux de travail non syndiqués. Le fait qu'il existe des listes
d'attente pour le traitement des plaintes qui fait qu'après un certain
temps il est pratiquement impossible de retrouver des témoins pour
appuyer notre cause. Le fait qu'il s'exerce parfois des menaces devant les
employés qui menacent de porter témoignage contre leur employeur
devant la commission. Aussi, le fait que la commission, jusqu'Ã un
certain point, se sente liée par les règles normales de preuve
dans ses enquêtes. Par exemple, elle accepte avec une certaine
réticence le ouï-dire; le fait qu'on lui interdise d'enregistrer
sur bobine magnétique les dépositions des témoins, selon
un jugement assez récent de la cour.
Bref, tout ça fait qu'une enquête sur deux se termine
finalement au désavantage des plaignants, que ce soit à la suite
d'un désistement ou à la suite de la fermeture de l'enquête
faute de preuves. Alors, Ã ce niveau, on propose comme correctif,
d'abord, un renversement du fardeau de la preuve en vertu duquel le plaignant
aurait à prouver au départ ce qu'on appelle des conditions
préliminaires, c'est-à -dire que prima facie, Ã
première vue, il existe une discrimination. Une fois cette preuve
préliminaire faite, il appartiendrait à l'employeur de prouver
que sa décision de congédier, par exemple, procède d'une
cause juste et suffisante et non d'une discrimination. Il existe des
dispositions semblables déjà dans le Code du travail - c'est
l'exemple le plus connu, je pense - Ã l'article 14 et aussi dans la Loi
sur la santé et la sécurité du travail, dans la loi des
normes minimales et même dans le Code de procédure civile au
chapitre des saisies-arrêts.
Toujours au niveau du fardeau de la preuve, on propose l'assouplissement
des règles de preuve suivies par la commission. Il existe, par exemple,
dans la charte fédérale, de même que dans la charte de la
Saskatchewan des dispositions qui permettent au tribunal d'enquête de
recevoir toutes preuves pertinentes au dossier, indépendamment de leur
admissibilité devant un tribunal judiciaire. On proposerait qu'une
disposition semblable soit incluse dans la charte sous réserve, bien
entendu, de la possibilité pour l'employeur ou la partie
incriminée de contredire la preuve et sous réserve de la
règle de la meilleure preuve du
Code civil qui continuerait à s'appliquer Ã
l'enquête. Voilà pour le fardeau de la preuve.
Maintenant, pour le fonctionnement de la commission proprement dit, on a
pu constater que l'étape de la conciliation qui est imposée
à la commission par la charte elle-même s'avère un
échec. La conciliation a des avantages; d'abord, la souplesse, c'est le
principal de ces avantages, mais il y a aussi des désavantages.
D'après nous, tenter de concilier deux parties, surtout dans le domaine
des droits de la personne, cela équivaut à marchander sur les
droits fondamentaux de la personne. Il nous semble qu'il serait tout Ã
fait contraire à l'esprit de la charte tel qu'énoncé dans
ses dispositions introductives de faire un tel marchandage sur des droits
fondamentaux. On a pu constater également - et c'est une conclusion
reprise par des études internationales - que les règlements
à l'amiable qui sont atteints à la suite de conciliation sont
souvent des règlements bon marché qui sont conclus au
détriment des plaignants; on accepte des dommages assez faibles, par
exemple. Finalement, il y a un problème de suivi, puisque, une fois que
le règlement à l'amiable est conclu, il faut qu'il soit
observé et la commission, étant donné son peu de
ressources, n'est pas à même de remplir ce rôle de suivi ou
de "follow up" qui s'impose. Du reste, sous la charte actuelle, la conciliation
est obligatoire. Nous proposons d'abolir cette étape de la conciliation.
Ce ne serait pas un changement si révolutionnaire que cela puisqu'il
serait toujours possible, en vertu des règles de droit commun, de
conclure une entente à l'amiable, même si la conciliation n'est
pas comme telle imposée par la charte. Nous recommandons l'abolition de
cette phase de conciliation.
Au deuxième stade du travail de la commission, celui de la
recommandation, tout le monde sait que les recommandations n'ont aucun effet
exécutoire et qu'il y a toutes sortes de délais d'attente, etc.,
qui font que, finalement, cette étape constitue une perte de temps et
d'énergies selon nous.
La troisième étape, les poursuites judiciaires. Une fois
que la recommandation est émise et non suivie, la commission va devant
les tribunaux pour demander une injonction ou des
dommages-intérêts. Un des problèmes, enfin, qu'on retrouve
à cette étape, c'est qu'il faut le consentement de la victime
pour qu'une poursuite judiciaire soit entreprise. Or, il y a toutes sortes de
conditions matérielles qui font que les plaignants ont souvent de la
réticence à s'engager dans des poursuites judiciaires. C'est
très long une enquête devant un tribunal. Il y a des
problèmes de preuve. Il faut souvent recommencer à zéro
toute la preuve qu'on a déjà faite devant la commission, ce qui
fait qu'il y a assez peu d'intérêt pour un plaignant d'aller
porter sa cause devant la Cour supérieure, ce qui fait aussi, selon
nous, que finalement la charte reçoit assez peu d'application
exemplaire, c'est-à -dire que les décisions sont souvent
réglées au stade de la recommandation et, à ce
moment-là , sont plus ou moins connues du public sinon par, de temps en
temps, des articles de journaux. Les procédures judiciaires sont assez
rares, donc assez peu d'exemplarité. On croit que l'exemplarité
serait un des meilleurs moyens de respecter le rôle d'éducation de
la charte.
Nos correctifs au niveau du fonctionnement de la commission sont d'abord
l'abolition de l'étape de la conciliation et ensuite - on en a
parlé un peu ce matin - la création d'un tribunal administratif.
Ce tribunal administratif, je veux vous expliquer un peu de quoi il s'agirait.
Il serait rattaché à la commission, mais indépendant
d'elle en ce sens qu'il ne serait pas lié par les constatations faites
par la commission auparavant dans son enquête. Le plaignant aurait le
droit de s'y adresser soit par l'entremise de la commission, Ã l'aide de
la preuve recueillie par la commission par enquêteurs, ou si la
commission constate ou est d'avis que sa plainte n'est pas justifiée, il
garderait la possibilité de s'adresser lui-même au tribunal par
l'entremise d'un avocat.
Le problème avec les tribunaux administratifs, c'est que souvent
leurs délibérations sont moins publiques que celles des tribunaux
de droit commun, et surtout la plupart des tribunaux administratifs sont
couverts par une clause privative qui empêche le droit d'appel. Alors
nous croyons qu'en matière des droits de la personne, un droit d'appel
est tout à fait fondamental, puisqu'il serait assez paradoxal de vouloir
prétendre défendre les droits de la personne et de donner un
pouvoir définitif à un tribunal administratif.
Donc, on recommande, à part la création du tribunal
administratif, un droit d'appel à la Cour d'appel. On sait qu'il n'est
pas dans les habitudes du législateur québécois de
prévoir des droits d'appel des décisions des tribunaux
administratifs. C'est pourquoi nous recommandons que si le tribunal n'est pas
accompagné d'un droit d'appel, nous préférons abandonner
l'idée du tribunal administratif et nous en tenir au recours actuel
devant la Cour supérieure avec toutefois des ressources accrues
données à la commission, il s'agit d'un autre problème.
Puisque l'on manque de ressources humaines et financières, il nous
semble qu'il serait tout à fait logique de donner à la
commission, des ressources à la mesure de ses fonctions.
Finalement, le recours collectif. Pour qu'un recours collectif soit
entrepris, au sens de l'article 69 de la charte, il ne s'agit pas
vraiment d'un recours collectif, il s'agit plutôt d'une plainte
collective. Il faut que chaque personne individuellement dépose une
plainte. Nous recommandons qu'une seule personne puisse déposer une
plainte au nom d'un groupe donné; la plainte pourrait alors porter sur
une situation collective de discrimination et non sur une addition de cas
individuels.
Au niveau du recours collectif proprement dit devant les tribunaux, nous
recommandons, comme la commission le fait elle-même d'ailleurs depuis un
certain nombre d'années, que la commission soit habilitée
à se porter requérante dans le cadre du recours collectif.
Finalement au niveau des pénalités, il existe des
pénalités, des amendes, dans la charte. Nous recommandons que ces
amendes soient haussées de façon à être
déterminées proportionnellement au nombre d'employés qui
se trouvent dans l'entreprise.
Mme Roussel: Pour terminer cette première partie,
j'aimerais attirer l'attention des gens sur le plus gros de nos recommandations
qui commencent à la page 18. Vous avez là la liste des
recommandations sur les changements dans le fonctionnement interne de la
commission. On est conscient que c'est technique, mais c'est absolument
indispensable, parce qu'Ã la Commission des droits de la personne, tant
à cause de son manque de ressources, que du fait qu'il y a trop
d'étapes de nature administrative à caractère
décisionnel, cela retarde énormément et cela cause des
délais qui deviennent également des dénis de justice.
Quand trop de personnes peuvent décider trop de choses à la fois,
effectivement, vous avez un dossier de plaintes qui ne circule pas aussi vite
qu'il le pourrait. C'est pour ça que, dans un esprit d'efficacité
et dans un esprit de planification cohérente, le groupe Au bas de
l'échelle recommande fortement qu'on révise le fonctionnement
interne de la commission. Vous avez toutes ces recommandations de la page 18
à la page 20.
Il y a une recommandation qui a été un peu oubliée
par Pierre. C'est la fameuse étape de la présentation des
dossiers devant le bureau des commissaires; on saute par dessus et on demande
que les dossiers soient présentés directement au directeur du
contentieux. à ce moment-là , le contentieux est libre de
poursuivre le dossier ou de le fermer, mais un plaignant individuel est
toujours habilité à poursuivre sa plainte lui-même et on
demande qu'un avocat ou un organisme auquel le plaignant fait confiance puisse
obtenir une copie du rapport de l'enquêteur de la commission et puisse
poursuivre le dossier sans qu'il y ait trop d'obstacles administratifs.
Cela, c'est pour la première partie. Je vais vous exposer la
deuxième partie de notre mémoire qui porte sur les lacunes de
fond de la charte et qui commence à la page 26. Nous commençons
par le harcèlement sexuel. Cela a été assez discuté
cet après-midi, je ne m'étendrai pas trop là -dessus. La
Commission des droits de la personne a fourni une bonne définition du
harcèlement sexuel qu'on reproduit dans notre mémoire à la
page 27. Cependant, la Commission des droits de la personne limite le
harcèlement sexuel aux femmes, alors que nous savons très bien
qu'actuellement, et de plus en plus, il existe des homosexuels qui peuvent
très bien être harcelés au travail. Nous recommandons de
remplacer le mot "femme" par le mot "personne" et si M. Bédard veut
porter le harcèlement à toutes les formes de harcèlement,
je ne vois pas pourquoi on aurait des objections là -dessus.
La façon dont on présente le harcèlement - cela
peut très bien ne pas sauter aux yeux que c'est une sorte de
discrimination - c'est que...
M. Bédard: Le harcèlement du député
de D'Arcy McGee à mon endroit.
M. Marx: Je vais demander ça.
Mme Roussel: Vous porterez plainte, M. le ministre.
M. Marx: Ce n'est pas tellement connu, mais les
députés sont aussi des personnes.
M. Bédard: Excusez-moi, mademoiselle.
Mme Roussel: La façon dont on explique comment le
harcèlement sexuel est une forme de discrimination, c'est qu'à ce
moment-là vous avez un employé dans l'entreprise qui n'a pas un
traitement égal à son collègue de travail,
c'est-à -dire qu'il est, en quelque sorte, discriminé parce qu'il
ne reçoit pas un traitement égal dans son emploi. Il est
harcelé et, à ce moment-là , la discrimination se
crée, avec toutes les difficultés qui s'ensuivent, qui vont du
chantage jusqu'au congédiement.
Cela, c'est pour le harcèlement sexuel. Donc, on demande qu'on
ajoute un article 10a à la charte qui se lirait comme suit: "Le
harcèlement sexuel constitue une violation des droits et libertés
de la personne et un motif de discrimination illicite." Nous demandons aussi
une chose qui a été oubliée cet après-midi et qui
est très importante, c'est que nous demandons que les enquêteurs,
la commission et le tribunal administratif n'aient pas droit de faire
référence au comportement ou aux habitudes passés de la
prétendue victime de harcèlement sexuel; d'ailleurs, cela se
retrouve maintenant dans le Code criminel pour les cas d'agression
sexuelle.
Ensuite, nous passons à l'âge, à l'état de
grossesse et à l'apparence physique qui ont été amplement
exposés cet après-midi par les organismes. Alors, on sait que le
Québec est la seule province du Canada qui ne comprend pas l'âge
dans ses motifs de discrimination illicite; nous demandons qu'il soit
ajouté. L'état de grossesse également pour empêcher
la discrimination des femmes à l'embauche parce que par après,
elles sont protégées par la loi 126; le congé de
maternité et l'apparence physique ont été expliqués
cet après-midi assez abondamment. (20 h 30)
On passe ensuite à l'article 97 de la charte qui est le nouvel
article 90; c'est la discrimination basée sur quatre motifs permise dans
les programmes d'avantages sociaux et autres régimes de rentes et
assurances. On demande, premièrement, qu'on abroge l'article 90,
autrefois l'article 97, et qu'on rédige un nouvel article interdisant la
discrimination dans les avantages sociaux. Je vous ferai remarquer que demain
il y a un organisme qui s'appelle la Coalition pour l'abrogation de l'article
97 qui va venir présenter un mémoire détaillé sur
cette question; alors, comme Au bas de l'échelle est membre de cette
coalition, je ne voudrais pas trop m'étendre là -dessus pour ne
pas brûler son sujet.
Ensuite, on passe à l'article 19 qui est le salaire égal
à travail équivalent actuellement dans la charte; alors, nous
demandons que le premier paragraphe de l'article 19 soit reformulé de
façon à remplacer l'expression "travail équivalent" par
"travail de valeur égale" parce que, d'après nous, le travail de
"valeur égale" est une notion plus large qui fait appel à la
qualité d'un travail et non seulement à sa quantité,
à son aspect quantitatif et nous demandons que, contrairement Ã
ce qui se trouve actuellement dans la charte, les employés dont on
compare le salaire doivent se trouver au même endroit, nous demandons que
ce soit changé pour dire qu'il s'agit des employés d'un
même employeur, ce qui empêche la formation de ghettos d'emplois et
des conditions de travail différentes d'une usine à l'autre d'un
même employeur.
Nous sommes rendus à la page 33; nous passons à la
protection d'emploi. Cela est un point assez important. Actuellement, dans la
Charte des droits et libertés de la personne du Québec, il
n'existe rien qui protège un plaignant ou quelqu'un qui a aidé la
commission dans une enquête contre les congédiements ou autres
mesures disciplinaires exercées par un employeur à son endroit.
Ce genre de protection d'emploi se retrouve notamment dans le Code du travail,
la Loi sur les normes du travail, la Loi sur la santé et la
sécurité du travail, selon un mécanisme de
congédiement illégal qui fait que lorsque vous êtes
congédié pour avoir porté une plainte ou aidé un
organisme gouvernemental dans son travail, vous pouvez vous présenter
devant le commissaire général du travail et obtenir la
réintégration avec remboursement, indemnité
financière et tous les avantages.
Nous demandons que ce genre de mécanisme,
légèrement transformé, soit inscrit dans la charte au
chapitre de la protection de l'emploi. Voici la transformation que nous
recommandons. Au lieu d'obtenir la réintégration une fois que le
mal est fait et qu'on a fini par passer à travers les huit mois de
démarches devant le commissaire ou devant le Tribunal du travail, nous
demandons la formule dite du statu quo ante, qui est défendue depuis
quelques années par les syndicats. Cela revient à dire qu'un
employé qui aurait porté plainte, qui aurait aidé la
Commission des droits de la personne dans une de ses enquêtes ou qui
aurait témoigné et aurait des raisons de croire qu'il a subi une
mesure disciplinaire pour cette raison pourrait obtenir, devant un tribunal,
une injonction pour être maintenu dans son emploi jusqu'à ce que
jugement ou règlement final soit obtenu sur la plainte en question.
à ce moment-là , lorsqu'un jugement ou règlement
final sera intervenu, l'employeur, pour pouvoir exercer sa mesure
disciplinaire, devra prouver qu'il a agi non pas parce que la personne avait
porté plainte en discrimination, mais pour une autre cause juste et
suffisante. Cela veut dire qu'au lieu de réintégrer la personne
une fois que le mal est fait, on évite que le mal ne se produise. Si
elle est congédiée ou s'il y a une mesure disciplinaire pour une
autre cause juste et suffisante, à ce moment-là , l'employeur
pourra appliquer sa mesure disciplinaire.
Voici un point également très important. Un cas
très particulier nous est venu à l'esprit quand on a
rédigé le chapitre de notre mémoire, à la page 36,
qui s'intitule: La charte utilisée comme prétexte à la
suppression d'un droit ou d'un avantage. Un cas s'est produit dans un
hôpital où on fournissait des sarraus aux infirmiers, alors qu'on
n'en fournissait pas aux infirmières. Les infirmières ayant
porté plainte en discrimination à la Commission des droits de la
personne, les infirmiers se sont vu retirer leurs sarraus afin que tout le
monde soit sur un même pied. Ãvidemment, c'est égalitaire,
mais ça ne nous semble pas très juste au point de vue des droits
acquis des employés au travail. Nous, on demande que la charte
défende ce genre de pratique d'égalisation à la baisse,
c'est-à -dire la méthode qui veut qu'on coupe les têtes qui
dépassent, au lieu de hausser tout le monde sur des tabourets. Nous
demandons que ce vide de la charte soit comblé, parce que effectivement
ça cause des problèmes concrets assez regrettables, comme cet
exemple dans un hôpital.
Là -dessus, notre recommandation est à la page "58 et se
lit comme suit: "La charte prévoit qu'aucune de ses dispositions ne peut
justifier la suppression, au nom de l'égalité, de quelque droit
ou avantage existant."
Finalement, à la page 39, on arrive à la conclusion des
parties I et II, qui est une critique de la philosophie actuelle de la Charte
des droits et libertés de la personne. La philosophie actuelle de la
Charte des droits et libertés de la personne est fort louable, c'est une
très belle charte et on en convient, cependant, la façon dont
elle est comprise et la façon dont elle est expliquée, et dans
son texte et par la Commission des droits de la personne, revient Ã
faire, si vous voulez, une espèce d'opération de replâtrage
des inégalités apparentes dont souffrent des individus.
On sait qu'il existe une discrimination systématisée pour
ce qui est de l'emploi ou du marché du travail pour ce qu'on appelle les
fameux groupes minoritaires, qui sont minorisés soit de façon
historique, soit de façon conjoncturelle, mais qui sont
évidemment discriminés par leur statut de groupes minoritaires.
C'est à ce niveau que nous demandons que les gens aient un égal
accès à l'emploi et à tous les bénéfices qui
en découlent dans notre société, d'abord un emploi
rémunérateur et enrichissant. C'est pour cette raison que nous
demandons des programmes de redressement progressif.
M. Morin (Michel): Le sujet dont je voudrais parler
brièvement, c'est comment fonctionneraient les programmes d'accès
à l'égalité dans l'emploi, tels que nous les avons
conçus dans le mémoire.
à partir de ce problème, il y a trois principes vraiment
fondamentaux qui nous ont guidés. Le premier, on en a déjÃ
parlé, c'est que l'autorité compétente en la
matière serait un tribunal administratif et non pas une commission avec
un simple pouvoir de recommandation, c'est-Ã -dire que tout le
fonctionnement des programmes serait supervisé par une autorité
qui aurait - sauf le droit d'appel - une décision exécutoire
à rendre.
Ensuite, l'objectif des programmes nous semblerait devoir être le
pourcentage des travailleurs dans la population de la région; ça,
c'est bien important. C'est-Ã -dire que, s'il y a 52% de femmes dans une
région, on voudrait que, à long terme, dans toutes les
catégories d'emplois de toutes les entreprises touchées par les
programmes, il y ait un pourcentage qui soit le même que le pourcentage
du groupe visé dans la région, que ce soient les femmes, les
minorités ethniques, les autochtones, les handicapés, etc. Par le
fait même, je viens de définir ce qui nous semblait être les
groupes cibles devant bénéficier des programmes. Le sexe,
l'origine ethnique, la race, le fait d'être autochtone et les personnes
handicapées nous semblaient les critères fondamentaux pour que
les personnes puissent bénéficier d'un programme.
Enfin, la dernière constatation, c'est que les programmes doivent
être conçus pour exiger l'obtention de résultats et non pas
des efforts, des genres de bonnes intentions, donner des infrastructures pour
permettre une amélioration. Il y a eu tellement de
variétés différentes de programmes qu'on peut nuancer
à l'infini les genres d'obligations qu'on impose à l'employeur
et, nous, on a essayé de définir les mécanismes, de
façon qu'il y ait des résultats qui soient obtenus le plus
rapidement possible.
Dans cet esprit, on pensait qu'une réglementation
générale pourrait être établie dans le
Québec, pour chaque région, qui définirait d'abord les
groupes cibles pouvant faire l'objet d'un programme d'accès Ã
l'égalité dans l'emploi et qui définirait aussi des
minimums selon les secteurs d'activité économique, le genre
d'emplois, le genre d'industries, enfin, toutes les variables qui devraient
être prises en compte. Mais ce seraient des critères minimaux,
c'est-Ã -dire que le tribunal administratif serait toujours la personne
qui impose le programme et qui décide des pourcentages qu'on veut
obtenir et, donc, la réglementation établirait un seuil qu'on
considère comme une politique générale, mais le tribunal
pourrait tenir compte de toutes les variations particulières
s'appliquant aux différents employeurs.
Un autre des points qui nous semble très important c'est de
savoir quand on va décider d'établir les programmes. Le premier
mécanisme serait applicable à la suite d'une plainte
portée par un individu. Mais le critère pour dire qu'il y aurait
discrimination serait la simple constatation du fait qu'il y a une
inégalité entre la représentation des employés du
groupe dans une catégorie d'emplois de l'entreprise et la
représentation dans la population de la région. Ceci voudrait
dire, en fait, que, si l'objectif qu'on s'est fixé pour les programmes
n'est pas atteint quand un individu a porté plainte, automatiquement, on
doit imposer un programme. Si c'est le but qu'on veut atteindre, quand il n'est
pas atteint, on devrait, du coup, mettre en oeuvre les moyens pour corriger la
situation.
Ensuite, il y aurait évidemment, ce qui a été
longuement expliqué toute la journée aujourd'hui, l'imposition
aux entreprises faisant affaires avec le gouvernement, Ã la fonction
publique, aux systèmes parapublics, aux programmes où il y a de
la formation qui se donne. Tout ce qui est relié de près ou de
loin à l'embauche et qui est sous le contrôle indirect du
gouvernement devrait faire l'objet d'un programme d'accès Ã
l'égalité dans l'emploi.
Finalement, la commission garderait,
face à notre tribunal administratif, un rôle technique,
c'est-à -dire que c'est elle qui ferait une première proposition
de programmes, d'objectifs pour les catégories d'emplois, la formation
nécessaire, la publicité, mais le tribunal garderait la
décision finale, ce qui permettrait à un plaignant et Ã
l'employeur de faire des représentations sur la suffisance du programme,
sur sa réalisation pratique et sur tous les autres facteurs qui seraient
jugés pertinents.
Notre objectif, on l'a mentionné, serait d'obtenir la
représentation proportionnelle à la population de la
région à long terme. Ãvidemment, les programmes ne
pourraient pas viser un si haut objectif du premier coup, il y aurait donc des
étapes qui seraient établies. On assignerait une première
étape qui varierait, évidemment, selon la représentation
du groupe minoritaire dans l'entreprise dans les catégories d'emplois
visées. Si, pendant une de ces étapes, un candidat d'un groupe
cible était refusé à un emploi et que, par ailleurs,
l'objectif assigné à l'entreprise n'était pas atteint, on
pense que la commission devrait pouvoir exiger l'embauche de ce candidat comme
sanction au fait que la discrimination n'a pas été suffisamment
combattue.
Lorsqu'une étape est terminée, le processus continuerait
puisqu'on a mentionné que notre objectif est la représentation au
niveau de la région. Alors, il y aurait autant d'étapes
nécessaires pour atteindre cet objectif, avec un nouveau programme
chaque fois, toujours plus élevé, sauf si, évidemment, il
y a des contraintes économiques dans le genre mises à pied ou
licenciements.
Quant aux sanctions - cela nous semble l'une des parties très
importantes si on veut assurer l'efficacité des programmes - dès
que les pourcentages fixés comme objectifs au bout d'une étape
n'ont pas été atteints, il y aurait automatiquement infraction.
On admettrait deux moyens de défense: aucun travailleur du groupe cible
n'était disponible à venir travailler dans la région et il
était impossible d'en former ou bien il n'y a pas eu suffisamment
d'embauche pour qu'il soit possible d'atteindre les objectifs.
C'est-à -dire que même si tous les candidats avaient
été embauchés dans un groupe cible, l'embauche ou les
promotions ayant effectivement eu lieu n'ont pas permis de changer suffisamment
la représentation du personnel pour atteindre l'objectif.
Quant aux amendes, on recommande qu'elles soient égales Ã
une proportion, si on veut, de l'échec du programme, c'est-à -dire
la différence entre l'objectif fixé et le pourcentage du groupe
cible effectivement atteint dans l'entreprise. Par exemple, si vous aviez 0% de
femmes dans une entreprise, que vous aviez fixé un objectif de 10% en
cinq ans et que l'entreprise n'a atteint que 7%, la différence
représente 3% des employés; l'amende serait donc proportionnelle
au montant du salaire de 3% des employés pendant le temps où le
programme a duré, de façon que ce soit proportionné
à l'échec. C'est-à -dire que, si un employeur a obtenu
9,5%, l'amende serait très faible, mais, s'il est à 7%, 5% ou
même 3%, à ce moment-là , l'amende devient beaucoup plus
considérable. Cela tient compte des efforts dont il a fait preuve. (20 h
45)
Le dernier point, qui nous semble un des points très sensibles du
point de vue des implications sociales des programmes, c'est que dans les cas
de l'application du principe d'ancienneté aux mises à pied et au
licenciement, pour ne pas complètement détruire
l'efficacité des programmes, on devrait pouvoir appliquer
séparément aux groupes cibles et aux candidats majoritaires le
principe de l'ancienneté, sauf, et c'est l'exception, s'il devenait
nécessaire de nuire à quelqu'un ayant un an d'ancienneté
de plus qu'une personne du groupe cible. C'est-à -dire si l'écart
maximal entre les deux groupes dépassait un an, à ce moment on
reviendrait à un principe d'ancienneté s'appliquant pour
tous.
La conclusion de nos recommandations: Les programmes de redressement
progressif prennent fin lorsque le pourcentage des groupes cibles dans toutes
les catégories d'emploi correspond à leur proportion dans la
population régionale. C'était l'objectif qu'on s'était
fixé au départ.
M. Bosset: J'aimerais ajouter qu'on peut retrouver aux pages 52
et suivantes du mémoire une illustration concrète de ce qu'on
entend par le redressement progressif, s'il y en a qui veulent comprendre en
pratique ce que cela signifierait pour nous.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Bédard: On aura l'occasion. Je ne peux pas citer un
exemple venant du Saguenay-Lac-Saint-Jean... Je reviendrai après pour ne
pas avoir trop l'air régionaliste non plus.
Je tiens d'abord à vous remercier de votre participation
très intéressante au niveau des travaux de cette commission. Le
moins qu'on puisse dire, c'est que votre document, ça paraît au
départ, est le fruit non seulement de beaucoup de réflexion, mais
exprime un souci d'essayer de trouver des avenues qui soient de nature Ã
améliorer la situation au niveau de l'ensemble du fonctionnement des
mécanismes que nous connaissons déjà . Il y a
sûrement tout ce qu'il faut, en tout cas, pour ouvrir une discussion.
J'ai vu plusieurs de mes collègues
noter des passages. Je ne voudrais pas prendre tout le temps, mais
peut-être une remarque générale.
Par exemple, au niveau du processus pour essayer de faire en sorte que
les délais soient moins longs, etc., plus expéditifs, vous
proposez, d'une part, l'abolition de la période de conciliation et vous
proposez aussi l'augmentation des amendes de façon assez significative
lorsqu'on parle de certains programmes; est-ce que vous n'avez pas l'impression
de retirer à la commission un outil important de sensibilisation ou
d'éducation en demandant d'abolir cette période de
négociations? Vous vous en êtes rendu compte, ce matin, j'ai
peut-être osé précéder votre mémoire, je m'en
excuse au départ, mais je voulais avoir certaines remarques de la part
de la commission sur cette suggestion. Vous avez entendu, je crois, les
remarques de Mme la présidente. J'aimerais ça que vous me fassiez
part de vos remarques additionnelles. Au niveau de tout le mécanisme, en
ce qui a trait au programme de redressement progressif, dans l'ensemble cela se
tient, mais à la suite d'un raisonnement qui fait qu'on a l'impression
que vous voulez judiciariser beaucoup l'ensemble du processus. Vous semblez
vouloir beaucoup faire appel aux tribunaux. N'avez-vous pas l'impression, en
enlevant ce dont on a parlé tout à l'heure, l'étape de
conciliation, en voulant aller directement aux tribunaux, que cela peut donner
comme résultat au bout de la ligne de durcir le débat? La
discrimination, cela ne suppose pas seulement des lois, cela suppose des
changements de mentalité, de l'éducation, de la sensibilisation.
J'aimerais bien entendre vos commentaires sur cet aspect du mémoire,
cette tendance que je pense déceler.
M. Bosset: Oui, je ferai...
M. Bédard: Remarquez que je peux me tromper.
M. Bosset: Je m'excuse. Je ferai deux commentaires. D'abord, un
que j'ai fait dans mon exposé, à savoir que la conciliation ou le
règlement à l'amiable des cas est toujours possible. N'importe
qui peut s'entendre avec son employeur sans même aller devant la
commission.
M. Bédard: Oui, j'ai vu cela.
M. Bosset: D'autre part, pour la fonction de
l'éducation...
M. Bédard: Seulement sur ce point, vous voulez dire qu'il
est toujours possible entre les délais...
M. Bosset: Non, non, tout à fait en dehors des cadres de
la charte ou de la commission, aller voir son employeur et lui dire:
Ãcoutez, il y a manifestement une situation injuste, entendons-nous
à l'amiable sans nécessairement passer par la commission. La
situation, actuellement, est institutionnalisée.
M. Bédard: Mais pensez-vous que cela a des chances de
réussir sans médiateur, tel que c'est le cas avec la
commission?
M. Bosset: La commission peut jouer un rôle technique et
elle le joue effectivement; mais comme je le soulignais tout à l'heure,
ce rôle se traduit souvent en défaveur du plaignant. En ce sens,
on se demande si cette situation où la conciliation est obligatoire ne
vient pas inutilement d'abord accentuer les délais et ensuite se
terminer au désavantage des plaignants eux-mêmes.
Mme Roussel: Si vous avez...
M. Bédard: Oui. Si j'ai bien compris votre rapport, cela
peut donner lieu à un certain marchandage...
M. Bosset: Exactement. C'est le terme que j'ai
utilisé.
M. Bédard: ...mais cela dit, non d'une façon
négative - de certains droits, quoique la conciliation, c'est toujours
la conciliation. Oui, mademoiselle?
Mme Roussel: Oui, je m'excuse de vous interrompre. Je voudrais
attirer votre attention sur la page 8; c'est l'endroit où on parle de
l'étape de la conciliation et on cite des pourcentages...
M. Bédard: Oui, j'ai vu.
Mme Roussel: ...qui viennent des rapports annuels de la
commission elle-même. Ces pourcentages démontrent quelle est
l'importance des cas qui s'arrêtent au niveau de l'étape de la
conciliation. Nous pensons que l'éducation doit faire connaître
aux gens leurs droits, leurs responsabilités et la loi. Quand vous avez
un très fort pourcentage de plaintes qui s'arrêtent au niveau de
l'étape de la conciliation, il est impossible d'obtenir une
jurisprudence au niveau des tribunaux. Il est impossible à des
organismes comme la commission, comme le nôtre et ceux qui nous ont
précédés, d'informer les gens de leurs droits,
jusqu'où on peut aller et où on doit s'arrêter. C'est
impossible pour nous, parce qu'on n'a rien en main. On a des règlements
qui ont été dans les meilleurs des cas obtenus par un plaignant
aidé d'un enquêteur de la commission et de son avocat et un
employeur qui, la plupart du temps, a accès à des ressources
juridiques auxquelles
un simple plaignant n'a pas accès.
M. Bédard: Autrement dit, vous pensez que des jugements de
la part des tribunaux, la jurisprudence qui est établie à partir
des tribunaux, vous permettent de faire une meilleure sensibilisation ou
encore, de mieux circonscrire, de mieux informer vraiment les gens de leurs
droits, jusqu'où cela peut aller, alors que la conciliation se fait
à partir de critères que vous n'êtes pas toujours en mesure
d'évaluer, j'imagine. C'est ce que vous voulez dire?
Mme Roussel: Non. Une partie de l'éducation de la
population se fait au niveau de savoir quels sont les droits que les gens
peuvent exercer au Québec et jusqu'où leurs droits vont
effectivement dans la réalité, en dehors du texte d'une charte.
Pour nous, c'est très important.
Je voudrais aussi vous dire que lorsque vous avez conciliation, vous
avez une plainte qui a été déposée. Cela veut dire
qu'il y a possiblement - cela reste à prouver - une discrimination qui a
été exercée, c'est-à -dire un tort qui a
été fait à quelqu'un. Je ne pense pas que
l'éducation doive se faire lorsque la plainte est déposée
et lorsque le tort a été causé. On ne pense pas cela,
honnêtement. On pense que lorsqu'on est arrivé à ce
point-là , c'est le temps de défendre le droit de quelqu'un ou si,
effectivement, son droit est mal fondé, de prouver qu'il est mal
fondé, mais si effectivement, il y a un droit, de le défendre. On
ne pense pas que la conciliation ait une valeur éducative lorsque le
processus en est rendu à cette étape, c'est-à -dire que la
plainte est déposée. Le tort a été causé et
il s'agit de le redresser de façon significative et juste.
M. Bédard: Je pense que cela explique bien votre point.
Maintenant, quant à votre autre suggestion - je m'en tiens au point de
vue judiciaire, je sais que ma collègue de la Condition féminine
aura d'autres questions -vous parlez d'un tribunal administratif plutôt
que de tribunaux de droit commun, ce qui existe présentement. Pourquoi
avez-vous une tendance vers le tribunal administratif? Est-ce que vous y voyez
plus d'avantages et quels sont ces avantages?
M. Bosset: Des avantages de deux ordres. D'abord, des avantages
purement matériels à savoir qu'actuellement le rôle de la
Cour supérieure, du moins à Montréal, contient une liste
d'attente d'environ deux à trois ans, en moyenne, pour les causes
civiles. Alors, on connaît les problèmes que cela peut causer au
niveau du dépistage des témoins, surtout dans des cas de
discrimination.
Le deuxième avantage, c'est que le tribunal administratif aurait
une certaine expertise dans le domaine, une expertise que les tribunaux de
droit commun n'ont pas.
M. Morin (Michel): Je pourrais peut-être ajouter quelque
chose sur le phénomène de la conciliation. En regardant les
dossiers de la commission, on s'est rendu compte que c'était un principe
assez illusoire. J'ai certains exemples qui me viennent en tête où
un plaignant a porté plainte et l'employeur ou le fauteur de la
discrimination a dit: "D'accord, je ne le ferai plus", et cela a
été cela, la conciliation. Je ne dis pas que c'est
général, mais je pense que cela repose sur l'idée que les
gens font de la discrimination toujours de façon inconsciente et
involontaire et, si on le leur souligne, ils vont changer d'attitude. Or,
souvent le sexisme, ou le racisme, est aussi conditionné par une
réaction d'agressivité et en plus, dans les relations de travail,
il y a toujours un rapport de dépendance entre l'employé et
l'employeur, ce qui fait que si la personne est déjà rendue
à porter plainte devant la commission - c'est ce que disait Elisabeth -
probablement que l'employeur n'est pas intéressé à changer
son comportement mais, au contraire, veut l'étirer le plus possible.
à ce moment-là , imposer une étape de conciliation, c'est
une surcharge qui ne produit aucun résultat; s'il veut effectivement
donner des accords, il n'y a rien qui l'en empêche si on supprime
l'étape, dans une premier temps.
M. Bédard: Je m'excuse mais, si la personne admet quand
même qu'elle a eu tort et qu'elle ne recommencera plus - cela, c'est au
minimum, c'est vraiment le minimum de résultat que peut donner une
conciliation - est-ce que ce n'est quand même pas déjà un
pas de fait?
M. Morin (Michel): Cela suppose la bonne foi de la personne, mais
on se rend compte que beaucoup d'employeurs n'ont pas toujours cette attitude
de bonne foi et cherchent à maximiser les mesures dilatoires et Ã
échapper au contrôle et au respect des droits.
M. Bédard: Imaginez un peu quelles seraient les mesures
dilatoires s'il fallait y aller en judiciarisant, tel que vous nous le
demandez, avec des appels possibles. Est-ce qu'en fin de compte ce ne sont pas
ceux qui sont bien placés pour se défendre qui ont le plus de
chances de pouvoir allonger les procédures d'une façon indue,
jusqu'à ce que cela représente presque un déni de justice?
Vous me disiez tout à l'heure, je pense que c'est monsieur, que votre
suggestion concernant les tribunaux administratifs, cela allait, mais Ã
condition qu'il y ait un appel parce que, si je vous ai bien compris, s'il
n'y
a pas d'appel, vous aimez autant rester dans le système tel qu'il
existe. Alors, si on ouvre la boîte vraiment à grande dimension
concernant toutes les possibilités d'appel, vous ne pensez pas que cela
peut représenter un mécanisme très lourd?
Mme Roussel: Oui. Quand on a rédigé nos
recommandations, on a pensé à cela, voyez-vous, et ce point du
mémoire a fait énormément de discussions dans notre
groupe. On a bien réfléchi à la question, on a fait des
calculs et on a mis nos calculs chacun dans un plateau de la balance. Si vous
comptez les délais actuels qu'une plainte doit subir pour traverser le
fonctionnement interne, le système administratif de la commission, pour
arriver en Cour supérieure où il y a également un droit
d'appel en Cour d'appel et possiblement un droit d'appel en Cour suprême,
j'estime que vous êtes chanceux si vous vous en tirez en moins de six
ans. J'estime cela, je peux me tromper, mais on a fait des calculs. (21
heures)
Avec le fonctionnement qu'on propose, on élimine des
étapes de nature administrative qui prennent du temps, on élimine
des niveaux décisionnels, étant donné qu'il y a trop
d'étapes administratives à caractère décisionnel ou
il y a trop de remises en question et de reprises d'un dossier de A Ã Z
pour, finalement, recommencer le tout devant le tribunal supérieur. On
élimine ça et on essaie d'écourter le plus possible
l'étape de l'enquête et l'étape de la recommandation, avant
qu'un dossier arrive devant le directeur du contentieux. Finalement, si la
commission décide de le poursuivre ou non elle-même ou si le
plaignant décide de le poursuivre lui-même devant le tribunal
administratif, là , il y a un droit d'appel en Cour d'appel et
après, possiblement, en Cour suprême. En faisant le calcul, on
estimait peut-être gagner deux ans.
M. Bédard: J'aurais d'autres questions, mais je vais
laisser la place à mes collègues.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: J'ai trouvé votre mémoire
intéressant, très original, voire révolutionnaire. Ce que
je n'ai pas décidé encore, c'est si ça va dans le sens de
protéger des droits ou d'empiéter sur des droits. Je vais vous
poser des questions dans ce sens.
Premièrement, dans votre mémoire, il y a une
présomption que le plaignant a toujours raison et la mise en cause a
toujours tort; ce n'est pas sûr, ça. Il y a beaucoup de causes qui
sont portées contre les gens qui sont au bas de l'échelle,
c'est-à - dire, qu'il y a beaucoup de propriétaires de duplex qui
ne louent pas à quelqu'un pour quelque raison que ce soit;
peut-être que c'est de la discrimination, peut-être pas. Cette
personne au bas de l'échelle se trouve, un jour, soumise à toute
la machinerie et tout l'appareil de l'Ãtat, c'est-Ã -dire que la
Commission des droits de la personne fait des enquêtes et le reste.
à la fin, peut-être qu'il va faire une conciliation, il paierait
700 $ ou 500 $. Cela veut dire que souvent les mises en cause ont raison;
souvent, ce n'est pas de la discrimination, ce sont des plaintes frivoles, non
fondées et ainsi de suite. Je pense qu'en parlant des droits de la
personne, il ne faut pas penser que ce sont seulement des poursuites contre les
grosses compagnies; souvent, c'est contre des gens vraiment au bas de
l'échelle. Si vous allez fouiller dans les dossiers de la commission,
vous allez voir que j'ai raison sur ce point.
Vous avez suggéré que ce n'est pas souhaitable qu'on garde
les règles normales de la preuve et vous voulez le renversement du
fardeau de la preuve. Cela devient difficile pour quelqu'un de prouver quelque
chose de négatif, de prouver qu'il n'a pas fait de discrimination;
ça devient impossible. Je vais vous donner un exemple. Lors des
événements d'octobre 1970, dans le règlement adopté
en vertu de la Loi sur les mesures de guerre, on a dit que quelqu'un qui
était felquiste en 1960 était présumé être
felquiste en 1970; c'était à cette personne de prouver qu'elle
n'était pas encore felquiste. Cela devient bien difficile de prouver
quelque chose de négatif comme ça. On a critiqué cela
à cette époque. Ce que vous proposez, ça revient au
même; quelqu'un doit prouver une chose négative, qu'il n'a pas
fait de discrimination.
Deuxièmement, vous demandez l'assouplissement des règles
de la preuve. Je m'excuse, mais les règles de la preuve sont -comment
puis-je dire? - la grande source de notre protection des droits de la personne.
Si c'était tellement facile de prouver quoi que ce soit, il y a un
danger qu'on empiète sur les droits de l'autre personne,
c'est-Ã -dire la mise en cause.
à la fin, vous arrivez en disant: Les recommandations doivent
être exécutoires. Après tout ça, je trouve qu'il y a
des points ici qu'il faut vraiment examiner à la loupe, parce qu'en fin
de compte, si on mettait tout ça en vigueur, ce serait empiéter
sur les droits des autres d'une façon exorbitante, à mon point de
vue.
Mon deuxième point. Sur ce point, je rejoins le ministre, parce
que vous avez parlé de l'abolition de la conciliation. Je pense que la
conciliation est le fondement de cette loi, de cette charte. Il y a des pays
où il n'y a pas de litige, où il n'y a pas d'affrontement,
où il a y seulement la conciliation. Je pense à la Chine, par
exemple, où il y a très peu
d'avocats; tout se fait par la conciliation et cela marche bien.
Peut-être que l'on pourrait prendre exemple de la Chine; on peut
étudier ses lois sur les droits de la personne. Tout cela pour dire que
la conciliation est très importante. Comme le ministre vient de le dire,
vous voulez "judiciariser" - je m'excuse pour la prononciation - les droits de
la personne. Vous cherchez l'affrontement. En disant qu'il faut abolir la
conciliation, on cherche l'affrontement. Moi, ce que vous avez écrit la
page 8, Ã savoir qu'il y a conciliation dans 45% des cas, je trouve cela
assez bon; peut-être que l'on peut augmenter cela à 50%, 60% pour
les gens qui ne vont pas devant les tribunaux parce que, finalement, souvent
ils ne vont pas obtenir plus devant les tribunaux que ce qu'ils vont avoir lors
d'une conciliation. Pour ces raisons, je trouve que ce sont des recommandations
vraiment révolutionnaires parce que cela changerait tellement la charte
que cela la rendrait tout à fait différente. Je ne sais pas si ce
serait à l'avantage des Québécois ou à leur
détriment.
M. Bosset: D'abord, concernant votre première objection,
à savoir qu'il est difficile pour un employeur de repousser une
présomption qu'il a commis une discrimination, théoriquement,
vous avez raison. Cependant, dans la pratique, dans le milieu du travail, il y
a une série de facteurs qui font que, sous l'actuel fardeau de la
preuve, il est beaucoup plus difficile pour le plaignant de prouver la
discrimination que pour l'employeur de prouver le contraire, en ce sens
que...
M. Marx: Je m'excuse, vous m'avez mal compris. Si nous mettons
cela dans la charte, ce n'est pas seulement pour General Motors et Reynolds,
c'est pour tout le monde. Expliquez-moi comment le gars qui a un duplex va
renverser le fardeau de la preuve, ou le gars qui a un petit magasin, le
magasin du coin. Il ne faut pas seulement penser aux grosses compagnies; il
faut penser aussi aux petits qui sont mis en cause. Le travail, c'est un autre
domaine, avec d'autres lois. Ici, ce n'est pas seulement une charte que l'on
applique au monde du travail; on applique cela à tout le monde,
partout.
M. Bosset: Sur ce point-là , je dois vous avouer que la
réflexion du groupe Au bas de l'échelle, à cause de ses
activités mêmes, a porté sur le secteur du travail
uniquement et non sur le secteur, par exemple, du logement - ou le gars du
duplex que vous mentionniez - le secteur de l'accès aux lieux publics ou
quoi que ce soit. On s'en est tenu uniquement au secteur du travail.
D'ailleurs, l'exemple que l'on donne pour justifier notre solution, c'est un
exemple d'embauche, de discrimination à l'embauche, ce qui fait qu'il y
aurait des modalités selon chaque secteur. On pourrait même
prévoir que la charte à ce niveau ne s'appliquerait qu'au secteur
du travail. Enfin, cela reste à déterminer. Nous, notre
réflexion n'a pas porté sur l'ensemble de la charte parce que
l'on n'a aucune connaissance particulière des autres secteurs Ã
part le travail.
Mme Roussel: On est un groupe qui s'occupe des travailleurs non
syndiqués. Effectivement, on n'a pas une expertise dans le domaine du
logement, dans le domaine de la santé, dans le domaine de
l'éducation; je pense que les gens peuvent le comprendre facilement.
Ceci dit, vous dites, M. Marx, qu'il est peut-être difficile de faire une
preuve négative; effectivement, je ne pense pas que ce que nous voulons
faire, c'est d'enlever des droits aux gens. Si la personne a effectivement
refusé de louer un logement pour une autre cause juste et suffisante qui
n'est pas de la discrimination, elle peut forcément exposer son autre
cause, puis, si elle est juste et suffisante, elle aura fait sa preuve.
M. Marx: Je m'excuse parce que j'ai étudié le Code
du travail il y a tellement longtemps que je ne me souviens pas de grand-chose,
mais je pense que dans le Code du travail il y a un renversement du fardeau de
la preuve quand il y a un congédiement, c'est cela?
M. Bosset: Une suspension ou un déplacement.
M. Marx: Pas pour l'embauche. C'est cela. Le gars est
déjà là , il a des droits acquis. C'est comme un professeur
qui a la permanence; avant qu'on le mette à la porte, il faut prouver
quelque chose. Mais cela est un cas très spécial, il faut...
M. Bédard: Même en le faisant.
M. Marx: C'est un cas tout à fait spécial, et
généraliser ça dans la charte pour l'embauche, je ne sais
pas où ça va mener. Dans le Code du travail, c'est tout Ã
fait spécial, et c'est pour une raison spéciale.
M. Bédard: Sur ce point spécifique, vous
suggériez de renverser le fardeau de la preuve, sous réserve de
certaines conditions préliminaires, comme vous vous êtes
exprimés. Vous ne l'avez pas dit, mais j'imagine que vous avez
pensé à certaines des conditions préliminaires qui
pourraient exister?
M. Bosset: Dans le Code du travail, les conditions
préliminaires qui existent, c'est que le salarié démontre
qu'il a exercé un
droit résultant du code, à savoir l'exercice de son droit
d'association du côté syndical. Pour la Charte des droits et
libertés de la personne, dans la décision américaine, les
facteurs approuvés, je les cite de mémoire, c'est qu'il faut que
le plaignant prouve qu'il appartient à un groupe minoritaire, qu'il
était qualifié pour occuper le poste, que sa candidature a
été rejetée et que, après le rejet de sa
candidature, l'employeur a continué d'offrir le poste à d'autres
personnes. Dans le cas de l'embauche, on pourrait s'inspirer de ces quatre
critères pour établir la preuve préliminaire ou, si on
veut, la preuve prima facie.
Le Président (M. Desbiens): Mme la députée
de La Peltrie.
Mme Marois: Merci, M. le Président. Il y a une question
que j'ai déjà posée à la Commission des droits de
la personne ce matin et, malheureusement, je n'étais pas là cet
après-midi, mais j'aimerais vous poser la même question pour
connaître votre point de vue. Dans votre mémoire, vous parlez de
l'insuccès des programmes volontaires d'action positive. Est-ce que vous
pourriez élaborer un peu votre point de vue particulier?
M. Morin (Michel): Je voudrais dire d'abord qu'on a
étudié sommairement ce qui se faisait aux Ãtats-Unis, et
beaucoup d'études concluent à l'inefficacité des
programmes volontaires. On a dit ce matin que les programmes volontaires sont
permis au Canada, et on attend toujours qu'ils produisent des effets. La
discrimination dans le milieu du travail sert des buts bien précis, et
je ne pense pas que ça disparaisse seulement en demandant aux gens de
changer d'attitude. Même aux Ãtats-Unis, nonseulement
les programmes volontaires étaient inefficaces, mais les programmes qui
donnaient une grande latitude aux employeurs s'avéraient souvent
être des simulacres de programmes et justifiaient même des cas de
discrimination plus élevée.
Je pense au cas des entrepreneurs du gouvernement fédéral
où, encore une fois, les organismes administratifs étaient
débordés, mais on demandait seulement à l'employeur
d'avoir fait un effort de bonne foi, d'avoir fait de la publicité,
d'avoir étudié des candidatures, et on se rendait compte que,
dans l'ensemble, les programmes étaient particulièrement
inefficaces et qu'ils n'avaient pas du tout modifié la situation. C'est
vraiment à la suite de constatations...
Mme Marois: Cela revient, finalement, Ã celles que faisait
la Commission des droits de la personne ce matin. Cela va.
M. Morin (Michel): Ce que je veux dire, c'est que ce n'est pas
une hypothèse que nous avons posée, c'a été
démontré dans plusieurs études.
Mme Marois: Dans un autre ordre d'idées, cependant,
concernant le recours collectif, on dit qu'il est un instrument
nécessaire à la protection des droits des travailleuses,
évidemment, ceci me préoccupe particulièrement, est-ce que
vous pourriez citer des exemples ou des circonstances, de par votre
expérience, évidemment, où le recours collectif pourrait
être utilisé efficacement?
Mme Roussel: Oui, on a un très beau cas, comme on dit dans
le bureau, qui nous est arrivé la semaine passée. Je ne nommerai
pas l'employeur - premièrement parce que je ne me souviens pas du nom de
la compagnie et, deuxièmement, même si je m'en souvenais,
ça ne se fait pas - qui avait toujours permis à ses
employées féminines de porter la tenue vestimentaire qu'elles
désiraient et qui, du jour au lendemain, leur a demandé de porter
des jupes ou des robes. Il y a plusieurs employées féminines, et
une seule a décidé de venir au groupe Au bas de l'échelle
et de porter plainte en discrimination sur le sexe. On ne savait pas où
placer ça, on ne fait pas de discrimination sur l'uniforme; on a donc
placé ça à la discrimination sur le sexe à la
Commission des droits de la personne. Mais elle n'était pas la seule en
cause. Or, les autres personnes, soit par crainte de représailles, soit
faute de temps ou ce que vous voudrez, manque d'information ou quelque raison
que ce soit, n'ont pas manifesté la volonté de porter plainte.
Alors, là , vous avez une personne qui s'est décidée
à porter plainte et, si on avait un mécanisme de recours
collectif, elle pourrait porter plainte au nom des autres employées
féminines de la compagnie concernée. (21 h 15)
M. Bédard: Vous ne trouvez pas que c'est le plus bel
exemple de conciliation possible, avant d'avoir recours à ...
Mme Marois: II protège bien ses intérêts:
M. Bédard: Non, peut-être que, par
tempérament, je suis porté vers la conciliation. Ce n'est pas
seulement par tempérament. Mais, dans un tel cas, j'aimerais avoir votre
réaction. Vous ne pensez pas que la première étape, la
conciliation...
Mme Roussel: Je vais seulement vous dire une chose, M.
Bédard: Lorsque vous avez n'importe quel dossier civil, criminel, etc. -
vous êtes avocat, je ne vous cache rien - qui est amené
dans...
M. Bédard: Vous ne me cachez rien, vous me rappelez un
paquet de choses.
Mme Roussel: ... des bureaux d'avocats respectifs, vous avez la
partie qui se plaint, vous avez la partie qui se défend. On demande, par
exemple, 10 000 $ et finalement les avocats en arrivent à ce qu'on
appelle un règlement hors cour à 7000 $, mais il y a toujours une
Cour supérieure au bout. Je veux dire que, au bout du processus, il y a
toujours une Cour supérieure; on judici... Enfin, j'ai encore bien plus
de difficulté à le prononcer que M. Marx.
M. Bédard: Moi non plus, je n'y arrive pas!
Une voix: On judiciarise.
Mme Roussel: Comme vous dites... excessivement le processus.
Lorsqu'on demande que la conciliation soit abolie, on n'empêche
absolument pas que les gens fassent des règlements, on n'empêche
pas un plaignant d'aller voir un avocat ou d'aller voir une personne qui peut
faire un règlement ou qui peut l'aider à faire un
règlement. On n'empêche rien de ça - de toute façon,
c'est pratique courante et vous le savez comme moi - mais on cherche Ã
abolir une étape administrative qui prend énormément de
temps et d'énergie et qui, finalement, peut peut-être faire une
éducation. Mais, d'après nous, l'éducation, quand le tort
est causé - il reste à prouver qu'il est causé - ou
possiblement causé, ce n'est plus le temps de la faire. D'après
nous, c'est le temps de défendre les droits que la charte
reconnaît aux citoyens.
Mme Marois: D'accord. Dans mon cas, il y aurait une seule autre
question. Vous êtes les seuls - et vous en avez parlé - Ã
recommander que la charte soit amendée pour protéger quelqu'un
qui porte plainte contre des représailles ou des mesures disciplinaires
de la part de son employeur. Je fais abstraction du fardeau de la preuve; je ne
le situe pas dans cette perspective-là . Est-ce que votre
expérience - puisque vous en avez une, je pense, et très
importante -vous permet de conclure que c'est une situation qui est
fréquente et qu'il s'agit donc d'un amendement important, à votre
point de vue?
Mme Roussel: C'est une situation
généralisée.
Mme Marois: Pouvez-vous vous expliquer?
Mme Roussel: Lorsqu'elle porte plainte,
généralement, la personne est congédiée, si
ça se sait, ou elle est suspendue ou il y a soudainement un manque de
travail qui se produit dans l'entreprise. Ou alors elle ne porte plainte
qu'après un congédiement, de peur d'avoir à en subir
un.
Mme Marois: Oui, j'allais justement poser la question Ã
savoir si ce n'était pas couvert par le Code du travail.
M. Bédard: On se demandait si c'était couvert par
le Code du travail.
Mme Marois: Peut-être que les mécanismes
prévus par le Code du travail ne sont pas suffisants. C'est ça
que vous nous dites finalement.
Mme Roussel: Non, le Code du travail protège seulement les
congédiements pour activités syndicales.
M. Marx: Je m'excuse, M. le Président.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: Ã l'article 87 de la charte: "Commet une
infraction quiconque tente d'exercer ou exerce des représailles contre
une personne, un groupe de personnes ou un organisme qui a, de bonne foi, fait
une demande d'enquête, etc." Il y a déjà quelque chose dans
la charte. Je n'ai pas le temps de vraiment l'étudier, mais il y a
déjà , à l'article 87, paragraphe d), une disposition qui
traite des représailles.
M. Bosset: Oui, d'abord, il s'agit bien de représailles,
on sanctionne après le fait, on n'empêche pas que le fait se
produise. Deuxièmement, c'est un recours pénal, il n'y a rien
là -dedans qui oblige l'employeur à réinstaller
l'employé à son poste.
Mme Roussel: C'est l'amende au bout, si vous voulez.
M. Bosset: Et la somme de l'amende risque de ne pas être
très élevée, vu que c'est la Loi des poursuites
sommaires.
M. Marx: Oui, c'est minime. M. Kehoe: M. le
Président...
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Chapleau.
M. Kehoe: ... c'est un autre point sur la question de la
conciliation. Votre suggestion de l'abolition de la conciliation qui existe
actuellement, je me demande quel sera son effet pratique quand on
considère qu'il y a au-delà de 40% des causes qui sont
réglées actuellement à ce niveau. Par quel
mécanisme allez-vous la remplacer? Si on
tient compte du fait qu'il y a un manque d'enquêteurs à la
commission, si on met tout cela ensemble, quel sera l'effet de l'abolition de
l'étape de conciliation? Par quel mécanisme allez-vous remplacer
la conciliation?
M. Morin (Michel): On ne veut pas remplacer la conciliation, on
veut éviter qu'elle soit un obstacle. Que les gens veuillent
procéder à une conciliation, parfait; sauf que, dans les cas
où ils ne veulent pas, c'est là où cela nous paraît
être un obstacle majeur. M. Bédard nous posait la question: Est-ce
que cela ne nous paraissait pas un beau cas de conciliation, l'exemple des
serveuses avec leur uniforme? Imaginez que l'employeur ait fait cela et
supposons, en ayant un gros préjugé sexiste, que ce soit rentable
pour l'employeur de faire porter des uniformes à ses serveuses, ce qui
me semblerait parfaitement sexiste, Ã part cela...
Une voix: Cela dépend.
Mme Marois: On pourrait en discuter longuement.
M. Bédard: Votre compagne a l'air d'évaluer ce que
vous dites.
M. Morin (Michel): Supposons donc qu'il y a une motivation
économique pour l'employeur à ne pas changer les uniformes. Dans
la situation actuelle de la commission, la personne va porter plainte et,
après un an ou un an et demi, l'enquêteur va constater
qu'effectivement on les a forcées à porter des uniformes.
LÃ , l'employeur va dire: Bon, on va faire la conciliation. Maintenant,
peut-être qu'on pourrait offrir des couleurs différentes
d'uniformes à tout le monde, des modèles différents pour
ne pas les forcer et pour que tout le monde se sente bien individuellement.
Mais pas: Moi, je veux faire des concessions, on va concilier mon besoin
d'avoir un uniforme avec l'idée que ça ne vous plaît pas.
On suppose, évidemment, que l'uniforme est particulièrement
humiliant, comme cela peut se produire souvent; si on veut que ce soit rentable
en plus, il y a de bonnes chances que ce soit dans ce style.
M. Bédard: Je l'avais deviné un peu, que cela
pouvait être comme ça.
M. Marx: On a demandé aux serveuses de porter des
uniformes, est-ce cela?
Mme Roussel: Non, c'étaient des employées de
bureau, l'exemple que j'ai donné.
M. Marx: Des employées de bureau?
Mme Roussel: Oui.
M. Morin (Michel): L'exemple est le même.
M. Bédard: Mais cela pourrait s'appliquer à une
autre catégorie.
M. Marx: Si on demande aux policiers de porter un uniforme, ce
n'est pas vraiment de la discrimination?
M. Morin (Michel): Non. M. Marx: Je ne dirais pas.
Mme Roussel: Demandez aux policiers, M. Marx.
M. Marx: Oui, mais les agents de la paix ne portent pas leur
uniforme, aujourd'hui, parce qu'ils sont mal payés par le ministre!
L'idée de demander à un certain groupe de porter un
uniforme, ce n'est pas nécessairement de la discrimination.
M. Morin (Michel): Non, ce n'est pas ce qu'on a dit.
M. Bosset: D'ailleurs, cela peut être couvert par l'actuel
article 20.
M. Bédard: Ce n'est pas ce que vous avez dit, je
comprends.
M. Marx: C'est parce qu'on a demandé à des femmes,
dans un bureau, de porter des jupes, c'est cela?
M. Bédard: C'est l'obligation de porter un uniforme qui
peut être "attrayant" pour la clientèle.
Mme Roussel: Ce sont des employées de bureau.
Le Président (M. Desbiens): Mme la députée
de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: J'aimerais que les représentants de
l'organisme Au bas de l'échelle, pour ma compréhension
personnelle, spécifient bien s'il y a une contradiction entre des formes
de redressement progressif et des obligations qui seraient créées
aux employeurs, aux entreprises, au gouvernement ou autres d'appliquer le
principe de redressement progressif dans la philosophie de
l'égalité des chances à l'emploi.
M. Morin (Michel): Je ne comprends pas de quel genre de
contradiction vous voulez parler.
Mme Lavoie-Roux: C'est parce qu'Ã un
moment donné vous dites que les formes volontaires sont plus ou
moins efficaces et vous démontrez de quelle façon les formes de
redressement progressif, telles qu'elles sont en vigueur aux Ãtats-Unis,
ont peut-être été inefficaces. Est-ce que vous vous
opposez?Dans le fond, je comprends que vous dites que ce
redressement progressif devrait être obligatoire; est-ce bien cela?
M. Morin (Michel): Oui, oui.
Mme Lavoie-Roux: Est-ce que du fait qu'il soit obligatoire c'est
nécessairement contradictoire avec un redressement progressif? Vous
pourriez, dans un premier temps, dire à une compagnie: II faudra que sur
un échéancier de X années vous augmentiez de 10% ou de 15%
votre main-d'oeuvre pour telle catégorie cible de personnes.
Après une évaluation de la chose, vous augmentez davantage. Vous
nous montrez ce qui nous paraît être des difficultés...
enfin, non pas des difficultés, mais des échecs aux formes de
redressement progressif. Est-ce qu'on ne peut pas avoir les deux ensemble et
des mesures obligatoires, mais que ce soit dans un système
progressif?
M. Morin (Michel): Je vais essayer de répondre. Je ne
crois pas que ce qu'on propose exclue la progressivité, au contraire. Ce
qu'on demande, c'est qu'il soit obligatoire d'obtenir des résultats
déterminés à l'avance. D'un autre côté,
l'objectif de tous les programmes étant un objectif global de
représentation égal au pourcentage dans la population, mais
après plusieurs étapes, les étapes constituant justement
ce qui est progressif, le fait de l'obligation pour assurer l'efficacité
se situe au niveau des objectifs qu'on assigne à chaque étape des
pourcentages qui sont imposés. Cela reste quand même graduel.
L'employeur a un délai pour atteindre l'objectif de la façon dont
il veut, il garde le...
Pour ce qui est d'un conflit avec les programmes volontaires, il ne
semble pas y en avoir; mais si une entreprise se fait imposer un programme
obligatoire, cela devrait avoir la priorité et cela n'exclut pas qu'il y
ait des programmes volontaires à côté, parce que, au
début, les programmes seraient imposés seulement à la
suite d'une plainte individuelle.
Mme Lavoie-Roux: D'accord. J'avais cru comprendre... parce que,
au début, vous avez parlé de vos 52%; vous donniez un exemple.
Dans tel domaine où il y a 52% de femmes, on devrait viser... Pour vous,
ce serait avec un échéancier de façon progressive, mais
obligatoire.
M. Morin (Michel): Par étapes, mais obligatoire.
Mme Lavoie-Roux: Je suis d'accord. On aura peut-être des
données assez intéressantes. L'embauche des personnes
handicapées à la suite de la loi 9 est sur une base volontaire.
On dit aux industries, aux entreprises qui ont plus de 50 employés de
présenter un plan d'intégration de personnes handicapées.
Malheureusement, je crains fort qu'on ne fasse la preuve, après
supposons trois ans ou quatre ans, que finalement cela a donné des
résultats, à moins que vous ayez des données
précises. J'ai l'impression qu'on se dirige vers un fiasco assez
important dans ce domaine.
Voici mon autre question. Je sais que vous vous êtes
intéressés de très près à toute la
discussion qui a entouré l'adoption de la Loi sur les normes du travail.
Maintenant, il y a une commission qui régit ces normes du travail.
à la suite de la mise en place de cette commission, votre
expérience montre-t-elle que cela vient diminuer ce qui autrefois devait
être porté devant la Commission des droits de la personne et qu'il
y a des cas qui se règlent par l'intermédiaire de la Commission
des normes du travail?
Mme Roussel: Oui, entre autres les congédiements ou
mesures disciplinaires pour les femmes enceintes. Maintenant, elles ont une
protection d'emploi, par la loi 126, le congé de maternité.
Effectivement, à ce niveau, elles sont protégées par un
mécanisme de réintégration dans leur emploi devant le
commissaire général du travail. Il y a plus de plaintes
basées sur la discrimination sur le sexe, à ce niveau, qui se
présentent devant la Commission des droits de la personne, parce que
c'est couvert par la commission des normes.
à part cela, je vois difficilement ce qu'il pourrait y avoir.
Peut-être seulement sur la question des personnes handicapées,
parce que, au niveau de la Loi sur les normes du travail, on a étendu la
couverture aux handicapés. La Commission des normes du travail a eu
certains dossiers assez percutants dont un ici à Québec - je ne
le nommerai pas - pour des personnes handicapées mentalement qui avaient
été exploitées par des hôpitaux psychiatriques, qui
avaient travaillé plusieurs années à des salaires de 0,50
$ par jour.
La commission des normes prend des dossiers comme ça, qui sont de
très gros dossiers. à part cela, non, je ne verrais pas.
Mme Lavoie-Roux: Un domaine, par exemple, qui vous avait beaucoup
intéressés et pour lequel vous aviez beaucoup plaidé,
c'était celui des travailleuses en service domestique. C'est un domaine
où il peut facilement y avoir de la discrimination, ne serait-ce que le
refus d'employer une personne à cause de sa couleur ou d'une foule
de
facteurs dont on a parlé toute la journée. Est-ce
qu'Ã l'heure actuelle, la Commission des normes du travail permet de
corriger ces choses ou si c'est encore très difficile, même avec
la commission, d'en faire le suivi ou de permettre aux gens de se
prévaloir des... (21 h 30)
Mme Roussel: La Commission des normes du travail entre en cause
lorsque la personne est embauchée et qu'elle ne reçoit pas le
plancher minimal des normes qui est fixé par la loi. Au niveau de
l'embauche, avant que la personne soit effectivement embauchée, la
commission des normes n'a absolument aucun pouvoir, parce que la personne n'est
pas un travailleur.
Le Président (M. Desbiens): Mme la députée
de Maisonneuve.
Mme Harel: En fait, votre rapport est substantiel et volumineux,
mais il y a un aspect particulier sur lequel j'aimerais revenir avec vous.
C'est la question des représailles à la suite d'un recours
à la Commission des droits de la personne. Vous êtes en action
à Montréal spécifiquement, je pense...
Mme Roussel: Oui.
Mme Harel: ... et vous traitez annuellement combien de dossiers?
Les personnes individuellement qui font appel à vos services sont au
nombre de combien?
Mme Roussel: 2000.
Mme Harel: Annuellement?
Mme Roussel: Oui, et cela augmente.
Mme Harel: Sur ce nombre, j'imagine qu'il y a un très fort
pourcentage de femmes.
Mme Roussel: Cela tourne autour de 80%.
Mme Harel: Vous estimez à combien le pourcentage de
dossiers qui sont portés à votre attention, sur ces 2000, qui ont
recours à la Commission des droits de la personne?
Mme Roussel: Oh! mon Dieu! Très peu.
Mme Harel: Un très infime pourcentage que vous
référez à la commission?
Mme Roussel: Non, on réfère toujours les gens
à la Commission des droits de la personne, parce que la Commission des
droits de la personne a les services d'enquête qu'un organisme comme nous
ou qu'un avocat privé n'a pas. C'est extrêmement précieux,
des pouvoirs d'enquête. C'est irremplaçable. C'est pour cette
raison qu'on réfère toujours les gens à la Commission des
droits de la personne. Après, ce qui en advient, c'est une autre
histoire.
Mme Harel: Donc, vous référez la majorité
des personnes qui font appel à vos services à la commission.
C'est bien le cas?
Mme Roussel: Oui, pour les plaintes en discrimination.
Mme Harel: Sur ce total de personnes que vous
référez à la commission, à votre connaissance,
combien qui ont porté plainte ont pu subir des préjudices
à la suite de la plainte?
Mme Roussel: Oh! mon Dieu! Le problème est le suivant:
très souvent, la personne va porter plainte, alors qu'elle est
déjà mise à pied ou congédiée. Le
problème est là . La personne craint d'être
congédiée, d'être mise à pied ou de subir une mesure
disciplinaire si elle porte plainte. Donc, elle va soit démissionner,
soit attendre d'être congédiée ou mise à pied avant
de porter plainte, mais on a des exemples de gens qui ont effectivement
été congédiés. J'en ai un à l'esprit, une
personne qui avait une très bonne cause, d'ailleurs, et qui a
effectivement été congédiée après avoir
porté plainte au groupe Au bas de l'échelle et, après
cela, Ã la Commission des droits de la personne.
Mme Harel: Donc, vous avez 2000 plaintes annuellement.
Mme Roussel: Pas seulement en discrimination.
Mme Harel: Voilà ! Sur la discrimination, vous
évaluez à ...
Mme Roussel: Environ 150 Ã 200, Ã peu
près.
Mme Harel: à peu près 10%, donc, des dossiers qui
vous sont référés.
Mme Roussel: à peu près 10%.
Mme Harel: Là -dessus, y a-t-il eu déjà ,
à votre connaissance, une infraction portée, par exemple, en
vertu de l'article 87 de la charte pour entrave au travail de la
commission?
Mme Roussel: C'est un recours pénal.
Mme Harel: Oui. Ã votre connaissance, sur ces 150 plaintes
annuelles qui vous sont connues, y a-t-il déjà eu des plaintes
pénales portées?
Mme Roussel: Pas à ma connaissance.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre, pour
conclure.
M. Bédard: Je conclurais peut-être avec une question
à laquelle vous répondrez rapidement, sans doute. Concernant les
programmes de redressement progressif, croyez-vous que ces programmes devraient
nécessiter la consultation et la collaboration des groupes cibles, des
syndicats ou, encore, des autres organismes qui peuvent être
concernés avec l'organisme responsable de l'ensemble de l'application du
programme?
M. Morin (Michel): Pour les syndicats, cela me semble
évident qu'on ne peut pas changer les conditions de travail sans les
consulter de par leur monopole de représentation et quand il y a
conclusion d'une convention collective. Pour les groupes cibles, on ne pensait
pas faire institutionnaliser cela pour ne pas faire dépendre de leurs
ressources le succès des plaintes, mais on voulait leur donner la chance
d'intervenir en rendant le tribunal responsable d'une décision sur les
échéanciers à établir pour permettre ce genre de
négociation et d'intervention dans un cadre plus judiciaire, puisqu'on
croit que le redressement progressif est suffisamment important pour
nécessiter une attention très soutenue. Qu'est-ce que
c'était l'autre aspect?
M. Bédard: Non, c'est pour savoir si vous prévoyez
la nécessité non seulement d'une collaboration, mais d'une
consultation très étroite entre les parties qui sont
concernées ou qui peuvent faire l'objet d'une discrimination.
M. Bosset: J'ajouterais que, dans notre mémoire, on
prévoit la possibilité que le gouvernement fixe par
règlement des normes minimales, pour employer une expression
déjà utilisée ailleurs, des quotas minimaux, si on veut,
qui seraient applicables aux entreprises et aux programmes d'action de
redressement progressif. Un règlement peut être adopté par
une commission parlementaire, peut être filtré par une commission,
peut être soumis à la publication d'un projet de règlement.
Donc, il peut y avoir toutes sortes de consultations qui peuvent être
faites.
M. Bédard: Alors, vous ne seriez pas réfractaires
à l'idée que la réglementation puisse être faite par
le gouvernement avec consultation naturellement de la Commission des droits et
à l'accepter.
M. Morin (Michel): Je crois qu'on a demandé un pouvoir de
réglementation pour la commission. Cela nous semble de beaucoup
préférable à une forme de réglementation au
gouvernement, étant donné la disponibilité du
gouvernement. Qu'après les propositions de la commission, il y ait une
discussion, une concertation, cela nous semble tout à fait
désirable. Mais, il me semble que, dans notre mémoire, on
privilégie un pouvoir de réglementation accordé Ã
la commission.
M. Bédard: Moi, j'ai vu que tous les groupes
privilégient cela...
Mme Roussel: Du moment qu'il y a une réglementation, M. le
ministre, on ne se plaindra pas...
M. Bédard: Tout le monde se connaît bien, j'imagine,
dans le milieu. Maintenant, tout ce que je veux savoir, c'est que vous
n'êtes pas réfractaires à un processus qui ferait
qu'après consultation avec la commission, il y a une
réglementation faite par le gouvernement également; il peut avoir
audition publique, consultation encore une fois de la commission pour aboutir
à une réglementation acceptée par l'Assemblée
nationale ou une commission parlementaire.
Mme Roussel: Sans problème.
M. Bédard: Alors, on vous remercie. Une autre
question.
M. Marx: Oui, sur la question des représailles, parce que
je n'ai pas pensé à cela avant, franchement. C'était
soulevé encore par la députée de Maisonneuve. Les
représailles, dans le milieu de travail, ne sont pas couvertes dans
d'autres lois. Est-ce que c'est couvert dans les lois du travail? Ce n'est pas
couvert dans d'autres lois?
Mme Roussel: Non, ce n'est pas couvert dans d'autres lois, au
niveau de la Charte des droits; au niveau de la Charte des droits, ce n'est pas
couvert, je veux dire que chaque loi du travail a son mécanisme de
protection, mais la Charte des droits et libertés n'en a pas.
Ãvidemment, la commission peut aller devant la Cour supérieure et
obtenir un injonction pour forcer la compagnie Ã
réintégrer les gens, mais il n'y a pas de mécanisme dans
la charte.
M. Marx: Cela veut dire que dans les lois du travail, si on
exerce un recours qui est donné par une autre loi et qu'il y ait des
représailles, il n'y a pas de recours en vertu de ces lois du travail.
C'est cela? Mais, si c'est cela, M. le ministre, je pense qu'il faut vraiment
se pencher sur cette question, parce que, s'il y a vraiment des
représailles, cela veut dire que les gens n'ont pas les droits qui sont
inscrits dans la charte et...
M. Bédard: Peut-être qu'il y a lieu d'être pas
mal plus explicite que la charte ne l'est présentement, de même
que je crois que vous avez...
M. Marx: Est-ce que vous êtes prêt à prendre
des engagements ce soir? Non?
M. Bédard: Non, je vous ai dit que cette
commission-là ...
M. Marx: Pas le soir des engagements...
M. Bédard: Si vous voulez, on ne jouera pas à la
politique d'accord avec cela.
M. Marx: Non pas la politique, les droits de la personne... On
est prêt à prendre des engagements temps à autre.
M. Bédard: Je pense que la meilleure des discussions,
c'est celle qu'on a maintenant, quitte après cela à conclure en
temps et lieu. De même, je crois que vous faites bien de nous rappeler la
nécessité de l'interruption de la prescription à partir du
moment où une personne achemine une plainte, formule une plainte
à la commission, surtout si on tient compte des délais que cela
peut représenter avant l'audition. Je pense que c'est très
important de le rappeler et on va le noter d'une façon
particulière. Je ne sais pas si c'est une façon de s'engager,
mais je tiens à vous remercier... On ne s'engage pas, mais on fait de
bonnes lois qui recueillent l'unanimité de l'Assemblée
nationale.
M. Marx: Le ministre ne s'engage jamais, et même s'il
s'engage...
Mme Roussel: Merci, beaucoup.
M. Bédard: On vous remercie de votre brillante
participation.
M. Morin (Michel): Est-ce que je peux me permettre une
question?
M. Bédard: Si vous me permettez, comme vous l'avez dit,
c'est plutôt en droit du travail que vous avez votre
spécialisation. Je pense que vous comprendrez. C'est le fait de
plusieurs groupes qui ont une spécialisation ou une expérience
dans un domaine, un secteur déterminé d'activité.
Maintenant, au niveau de l'ensemble des membres de la commission parlementaire,
quand on parle d'insérer un droit, il ne faut pas l'insérer
seulement en fonction d'un groupe; il faut penser à toutes les
conséquences de ce droit sur l'ensemble de la population, des citoyens
et des citoyennes.
M. Morin (Michel): Comme tout le monde semblait bien s'entendre
sur la néces- sité d'une protection de l'emploi, je voulais
essayer de vous faire réfléchir en vous disant: Quel genre de
conciliation peut-on avoir quand on vient de se faire renvoyer par un employeur
pour un motif raciste ou sexiste? Ã la base, le comportement est
bâti sur la conciliation et, quand on se retrouve devant lui, le dialogue
sera très difficile si ce n'est pas carrément inutile.
M. Bédard: Je pense qu'il y a une différence entre
faire une règle obligatoire de conciliation et la faire lorsque les
conditions s'y prêtent. On est capable d'en imaginer de part et d'autre,
des situations qui sont telles que la conciliation n'est pas appropriée
parce qu'on est rendu au bout du tunnel et que c'est le temps d'aboutir.
M. Morin (Michel): à ce moment-là , ça
représente une perte de temps. C'est ce qu'on a essayé de...
M. Bédard: J'imagine que, dans ces cas-là , la
commission ne perd pas de temps dans la conciliation. Enfin, on s'en
reparlera.
Mme Roussel: Merci beaucoup.
Le Président (M. Desbiens): Je demanderais à la
Fédération des femmes du Québec de s'approcher, s'il vous
plaît.
Fédération des femmes du
Québec
Mme Thibault (Charlotte): Bonsoir, M. le Président, M. le
ministre, Mme la ministre, Mmes les députés et MM. les
députés. Mon nom est Charlotte Thibault, je suis au conseil de
l'administration provinciale de la Fédération des femmes du
Québec. Je vous présente Yolande Larochelle, qui est au conseil
régional de Québec.
Je dois d'abord vous dire que la Fédération des femmes du
Québec vous présente aujourd'hui un mémoire et que
celui-ci n'a pas été préparé par des juristes et
par des spécialistes, mais plutôt par des femmes qui tentent
d'être les porte-parole les plus fidèles de leur groupe.
La Fédération des femmes du Québec veut d'abord
remercier le ministre de la Justice, Me Marc-André Bédard,
d'avoir donné suite à l'une des recommandations de la coalition
pour l'abrogation de l'article 97 concernant la tenue d'une commission
parlementaire sur la Charte des droits et libertés de la personne. Nous
voulons aussi féliciter l'équipe de commissaires qui a
implanté la Charte des droits et libertés de la personne. Nous
nous réjouissons de la nomination des deux commissaires permanentes,
Mmes Francine Fournier et Nicole Trudeau-Bérard. Ce sont deux femmes
fort compétentes dans la défense des droits de la personne. Elles
ont aussi acquis leurs
lettres de créance dans les dossiers touchant la condition
féminine.
La Fédération des femmes du Québec (FFQ) a pour but
de promouvoir les droits de la femme et l'amélioration de la condition
féminine dans tous les milieux. Elle regroupe une quarantaine
d'associations-membres et près de 600 membres individuels
regroupés en conseils régionaux. Compte tenu de ses objectifs, la
FFQ suit de près l'évolution du dossier Droits de la personne
depuis ses débuts. Dès janvier 1975, elle a
présenté un mémoire lors de la commission parlementaire
sur le projet de loi no 50 créant la Charte des droits et
libertés de la personne. Toutes les recommandations de la FFQ n'ont pas
été retenues et nous voulons revenir sur ces points
ignorés dans la rédaction finale du projet de loi no 50. La FFQ
soumet donc à cette commission parlementaire une série de
modifications à la Charte des droits et libertés de la personne
et des recommandations quant à son application.
Discrimination basée sur l'âge.
La discrimination basée sur l'âge est un problème
rencontré par bon nombre de femmes qui désirent retourner sur le
marché du travail après avoir consacré plusieurs
années à leur famille.
La FFQ existe depuis quinze ans et ce problème est soulevé
à chacun de ses congrès. Cette difficulté est aussi
rapportée dans les programmes de réinsertion au marché du
travail comme Nouveau Départ, Transition au travail, Retour. Il est
inconcevable d'avoir une telle lacune dans notre charte
québécoise. Toutes les législations analogues au Canada
ont reconnu ce motif comme discriminatoire. (21 h 45)
En outre, l'ordonnance sur le congé de maternité a
amélioré les conditions de travail des femmes. Nous recevons
toutefois des témoignages relatant que plusieurs femmes en âge de
procréer seraient discriminées au niveau de l'embauche, les
employeurs craignant un congé de maternité éventuel. En
conséquence, la FFQ recommande l'ajout de l'âge comme motif
interdit de discrimination.
Abrogation de l'article 97.
Vous pouvez l'appeler 90 si vous préférez. Le 30 juin
1976, l'article 97 était amendé afin de ne pas préjuger
des résultats des travaux du comité sur la non-discrimination
dans les avantages sociaux, mieux connu sous le nom de comité Boutin.
L'ajout de cet article n'était qu'une disposition transitoire.
La FFQ ne voudrait pas se répéter pour faire comprendre
les nécessités de faire abroger cet article, nous nous
référons au mémoire présenté par la
coalition pour l'abrogation de l'article 97 dont la FFQ est un des membres
initiateurs. Le mémoire sera d'ailleurs présenté
demain.
La FFQ recommande que l'article 97 soit abrogé de la Charte des
droits et libertés de la personne.
La FFQ recommande que les législations et régimes publics
soient modifiés dans le sens de l'abolition de toute discrimination en
concordance avec la charte telle qu'amendée.
Enfin, la FFQ recommande qu'un article soit inclus parmi les articles 11
à 19 pour traiter spécifiquement des avantages sociaux, il
pourrait être ainsi formulé: Nul ne peut discriminer dans les
avantages sociaux.
Action positive ou programmes de redressement positif ou progressif.
à l'exception de Terre-Neuve, le Québec est la seule province
à ne pas avoir un programme d'action positive pour contrebalancer la
discrimination systémique à l'égard des femmes. Il est
temps, si l'on veut arriver à une égalité entre les sexes,
de contrer le système en accordant la préférence aux
femmes. Ce sont des mesures compensatoires pour le déficit
accumulé dans le passé.
Les programmes d'égalité en emploi et
d'égalité des chances n'ont pu rétablir la situation. Le
Conseil du statut de la femme du Québec le démontre clairement
dans son étude parue en 1978. L'Association des femmes
diplômées d'université, section Montréal, abonde
dans le même sens. Enfin, une étude du service féminin du
ministère du Travail du Canada confirme que le revenu moyen d'une femme
en 1978 équivaut à 58% de celui d'un homme. Seules des mesures
rigoureuses permettront de rétablir la situation.
La FFQ appuie entièrement les recommandations de la Commission
des droits de la personne du Québec et demande que l'action positive
soit considérée comme non discriminatoire, elle demande que ces
programmes soient légaux.
Dans ce sens, la FFQ recommande que la Commission des droits de la
personne du Québec puisse approuver ou recommander l'adoption des
programmes d'action positive dans les domaines de l'accès aux services
publics, au logement, à l'emploi et à l'éducation.
La FFQ recommande que la Commission des droits de la personne du
Québec puisse déterminer la portée et le contenu de ces
programmes par des règlements. La FFQ recommande que la Commission des
droits de la personne du Québec puisse implanter ces programmes dans la
fonction publique et dans tous les organismes en relation directe avec le
gouvernement. La FFQ recommande que la Commission des droits de la personne du
Québec puisse prendre toute action judiciaire appropriée dans ce
domaine sans avoir nécessairement le consentement de la victime.
Harcèlement sexuel. Bien qu'il ait été
établi clairement par un document de la
Commission des droits de la personne que le harcèlement sexuel
est discriminatoire, la FFQ s'interroge. Nous croyons qu'il serait pertinent de
préciser dans la charte que cette forme de discrimination est
illégale. La commission s'appuie sur la jurisprudence américaine
et sur celle des autres provinces du Canada. Nous soulignons qu'Ã ce
jour, à notre connaissance, la commission n'a porté aucune cause
devant les tribunaux. On se demande quelle serait l'interprétation de
ceux-ci. La FFQ est très préoccupée par cette forme de
discrimination: 110 demandes d'information ont été faites
à ce sujet en 15 mois à la Commission des droits de la personne.
Une vingtaine d'enquêtes sont en cours. En conséquence, la FFQ
recommande l'ajout d'un article à la charte sur le harcèlement
sexuel.
La grossesse. Sous le motif sexe, on peut couvrir plusieurs formes de
discrimination à l'égard des femmes; nous croyons que la
grossesse peut y être incluse. La FFQ a fait une demande d'enquête
le 6 septembre 1978 pour un cas de congédiement pour motif de grossesse.
Dans son jugement du 28 juillet 1981, la Cour supérieure a refusé
d'accepter la demande de la Commission des droits de la personne du
Québec qui invoquait, dans ce cas, le sexe comme motif de
discrimination. Pour ces raisons, la FFQ recommande que le législateur
trouve un mécanisme pour que la grossesse soit incluse implicitement
dans l'article sexe comme motif de non-discrimination.
Article 69. En janvier 1975, la FFQ, dans son mémoire, demandait
que la Commission des droits de la personne puisse étendre son pouvoir
d'enquête dans tous les cas où la personne est lésée
dans ses droits et libertés fondamentaux inscrits dans la charte. Elle
demande à nouveau d'étendre le pouvoir d'enquête de la
commission. La FFQ recommande que l'article 69 se lise dorénavant ainsi:
"Toute personne qui a raison de croire qu'elle est ou a été
victime d'une atteinte à un droit reconnu aux articles 1 à 19 ou
au premier alinéa de l'article 48 peut adresser par écrit une
demande d'enquête à la commission. Tout groupe de personnes peut,
de la même manière et aux mêmes conditions, faire une
demande d'enquête."
Recommandations quant à l'application de la charte. Afin
d'assurer un meilleur service au public, la FFQ demande que des bureaux
régionaux de la commission soient ouverts dans toutes les régions
administratives du Québec. Presque tous les organismes gouvernementaux
ont des bureaux et du personnel dans les régions. Il est plus que temps
que la commission, qui a des pouvoirs d'enquête spécifiques, en
ait aussi. Pour les citoyens et citoyennes en dehors de Montréal et
Québec, il est impossible de présenter leur cas dans leur
environnement immédiat. Cette discrimination géographique doit
cesser. Il faudrait, d'ailleurs, augmenter le nombre d'enquêteurs. Les
délais entre le moment de la demande d'enquête et celui de la
comparution devant les tribunaux sont facilement d'un an; ça, c'est
quand on est dans le district Saint-François. Cet état de fait
est particulièrement pénible pour les plaignants et plaignantes.
Il va sans dire que la FFQ souhaite que les budgets suivront pour permettre
à la Commission des droits de la personne de faire encore mieux
connaître et appliquer la Charte des droits et libertés de la
personne.
La FFQ recommande que la Commission des droits de la personne du
Québec puisse établir des bureaux dans toutes les régions
du Québec. La FFQ recommande que le nombre d'agents d'accueil et
d'enquêteurs soit augmenté. La FFQ recommande que les budgets de
la commission soient augmentés pour permettre une meilleure application
de la Charte des droits et libertés de la personne.
En conclusion, la FFQ croit que la Commission des droits de la personne
du Québec a fait un excellent travail depuis cinq ans. Les femmes
prennent de plus en plus conscience de leurs droits et des recours possibles
pour se défendre. La FFQ constate que toutes les recommandations qu'elle
a faites en 1975, lors de la commission parlementaire pour le projet de loi no
50, n'ont pas été retenues. Considérant ses demandes
actuelles comme un minimum, la FFQ demande à la présente
commission de voir à l'application de ses recommandations. Pour Huguette
Lapointe-Roy, présidente de la Fédération des femmes du
Québec.
Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le ministre.
M. Bédard: Je tiens à vous remercier de votre
participation à nos travaux, de même que tous ceux et celles que
vous représentez. Effectivement, nous savons que la
Fédération des femmes du Québec est un organisme qui a une
présence continue et soutenue dans le milieu féminin. J'avais eu
l'occasion de rencontrer de vos représentantes, Ã
Montréal, je crois...
Mme Thibault: C'était d'ailleurs moi, M. le ministre.
M. Bédard: Exactement, je me rappelle... lors du groupe de
coalition et vous nous aviez, à ce moment, sensibilisés Ã
plusieurs des sujets auxquels vous vous référez dans votre
mémoire.
Je serais porté à vous remercier, non seulement en mon nom
personnel et au nom des membres de la commission, mais également au nom
de la Commission des
droits de la personne. Je pense que le plaidoyer que vous faites dans le
sens de ses revendications est certainement un plaidoyer dont il nous faudra
tenir compte, dans la mesure du possible. On est à même de voir
que vous traitez de plusieurs points qui ont été abordés
jusqu'Ã maintenant. Si nous avons moins de questions, je pense que vous
le comprendrez...
Mme Thibault: Oui, très bien, M. le ministre.
M. Bédard: ... ce n'est pas que votre mémoire ne
soit pas substantiel, mais plusieurs des sujets ont déjÃ
été soulevés.
Je voudrais cependant vous poser quelques questions. Par exemple,
concernant le harcèlement sexuel. Est-ce que vous pensez que c'est
nécessaire de définir dans la charte ce qu'on entend par
harcèlement sexuel?
Mme Thibault: Oui, c'est important de le définir dans la
charte. Si on avait, par exemple, ce que propose la Commission des droits de la
personne, c'est-à -dire le point harcèlement, nous serions
très satisfaites.
M. Bédard: Maintenant, êtes-vous d'accord avec moi
pour dire qu'une étude quand même assez approfondie du point de
vue juridique doit être faite de manière que le fait de le
définir ou même de le mentionner dans la charte n'ait pas pour
effet de diminuer la portée de l'article 10 ou le libellé? Quand
on parle de harcèlement, au bout du compte, ce sont des gestes qui sont
posés et qui démontrent de la discrimination. L'article 10 parle
de distinctions qui ne doivent pas être faites en raison de l'âge,
de l'état civil, du sexe, etc. Nous allons demander à nos
juristes de voir jusqu'à quel point l'élément distinction
peut couvrir ce qu'on essaie d'inclure dans la notion de harcèlement
sexuel.
Mme Thibault: Pour ce qui est de la notion de harcèlement
sexuel, la Commission des droits de la personne a publié un texte
excellent qui le définit très bien.
M. Bédard: Maintenant, est-ce que, selon vous, la
commission devrait exercer une compétence exclusive dans la
responsabilité de la mise sur pied des programmes ou de la
réglementation concernant les programmes de redressement progressif ou
encore, est-il possible de penser qu'il peut y avoir d'autres mécanismes
qui puissent nous permettre d'atteindre les buts que vous visez?
Mme Larochelle (Yolande): Nous pensons que pour un système
plus souple et plus rapide, cela devrait être centralisé dans un
organisme. Si on se réfère à l'expérience
américaine, au début, les recours contre la discrimination
étaient divisés entre la Commission du service civil, le
"Department of Labour" et la "Equal employment opportunity Commission" et cela
entraînait beaucoup de délais qui n'en finissaient plus d'un
organisme à l'autre. Nous pensons qu'il serait mieux que ce soit
centralisé dans un organisme.
M. Bédard: Dans un organisme, d'accord.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Chapleau.
M. Kehoe: Je tiens à vous féliciter pour le travail
que vous avez fait, c'est un mémoire court, précis et positif. Le
ministre a mentionné que les recommandations que vous avez faites sont
comprises dans les autres rapports qui ont été faits. Dans la
recommandation quant à l'application de la charte - M. le ministre, la
question s'adresse plutôt à vous - on mentionne que le
délai à partir du moment de l'enquête jusqu'à la
comparution devant les tribunaux est facilement d'un an. Il n'y a aucun doute
qu'il y a une injustice flagrante qui s'ensuit naturellement envers les
victimes de discrimination. Lors de la commission pour étudier les
crédits du ministère de la Justice, on a parlé de
l'encombrement des rôles de la Cour supérieure. Je pense que c'est
une autre cause d'encombrement des rôles, mais ce n'est pas tout Ã
fait la même chose. La solution à apporter au problème est
beaucoup plus facile et simple. Si on regarde les recommandations faites par
l'association, c'est bien clair, il s'agit tout simplement de nommer plus
d'enquêteurs, d'avoir un budget plus important et d'avoir des bureaux
dans les différentes régions du Québec.
Je me demande quelle est votre réaction à ces trois
suggestions très positives qui, je pense, permettraient de rendre
justice beaucoup plus vite et beaucoup plus simplement pour beaucoup de monde,
beaucoup de victimes de discrimination.
M. Bédard: Je crois que c'est le genre de décision
qu'il faudra prendre à un moment donné, quand on se sera
arrêté sur l'ensemble des droits nouveaux ou des
responsabilités nouvelles qu'on pourra octroyer à la commission
à la suite d'un projet de loi qui pourrait être
déposé. Entre-temps, il y a déjà des demandes que
j'ai fait acheminer dans le sens d'essayer d'avoir les ressources
financières possibles pour donner...
M. Kehoe: C'est une priorité de votre ministère,
d'après vous? (22 heures)
M. Bédard: Absolument. M. le sous-ministre qui est ici me
dit qu'il y a même une étude présentement, mais c'est
assurément une priorité. Il est clair qu'on peut avoir la
meilleure des commissions des droits et libertés, si on ne lui donne pas
tous les moyens, tenant compte de nos disponibilités financières
quand même, si on ne lui donne pas tous les moyens pour pouvoir
être la plus expéditive possible au niveau du règlement des
cas qui lui sont soumis, cela peut devenir des dénis de justice envers
plusieurs citoyens.
M. Kehoe: Vous reconnaissez que la solution au problème,
c'est simplement une question budgétaire. C'est une question de nommer
plus d'enquêteurs, d'ouvrir des bureaux. Ce n'est pas tout à fait
la même chose...
M. Bédard: II n'y a pas seulement cette question, ce n'est
pas seulement en augmentant le nombre qu'on peut régler le
problème. Il y a peut-être aussi l'utilisation de certaines
ressources qui existent au niveau des régions. Je me demandais - au
niveau de la commission, nous allons l'étudier - jusqu'à quel
point on utilisait toutes les ressources qui sont quand même mises
à la disposition des individus qui peuvent être l'objet de
discrimination dans le domaine des services d'aide juridique,
peut-être...
Mme Thibault: Je vous signale simplement, M. le ministre, que,
pour ce qui est de l'aide juridique, pour avoir moi-même porté
plainte à la Commission des droits de la personne, il faut avoir un
faible revenu pour pouvoir utiliser l'aide juridique et, même quand on
est en situation de chômage, comme c'était mon cas à ce
moment-là , j'avais encore des revenus trop élevés pour
l'aide juridique, ce qui fait que...
M. Bédard: Oui, je sais qu'on...
Mme Thibault: ...c'est extrêmement pénible, parce
que je l'ai vécu. Habitant dans la région de Sherbrooke, j'ai
trouvé cela extrêmement difficile d'avoir à communiquer
à Montréal et encore, j'étais chanceuse, parce que je
pense aux femmes de la Gaspésie ou de l'Abitibi-Témiscamingue.
Là , cela devient vraiment très compliqué.
M. Bédard: Je ne veux pas dire par là qu'on va
régler tous les cas...
Mme Thibault: Non, non.
M. Bédard: ...mais, ce matin, je me rappelle quand
même que la Commission des droits de la personne nous a dit que les deux
tiers de sa clientèle étaient surtout du pauvre monde, donc, des
gens qui peuvent bénéficier des services de l'aide juridique. Il
y a l'ensemble des ressources. En fait, il ne faut quand même pas refuser
d'en parler.
Mme Thibault: Non, non.
M. Bédard: Elle existe, l'aide juridique.
Mme Thibault: Oui, oui.
M. Bédard: On n'en prend pas prétexte pour ne pas
essayer d'intensifier nos efforts pour augmenter les ressources de la
Commission des droits de la personne, mais je pense que c'est normal, dans un
contexte comme celui dans lequel on vit, d'essayer d'aller au maximum de
l'utilisation des ressources qui existent.
Mme Thibault: Oui. Le problème, c'est plutôt que les
gens qui n'ont pas un revenu très élevé, qui ne peuvent
pas avoir accès à l'aide juridique, qui ne peuvent pas engager un
avocat pour accélérer et simplement utiliser la charte, ces gens
sont extrêmement pénalisés.
M. Bédard: D'accord. C'est de ceux-là qu'il est
question.
Le Président (M. Desbiens): Mme la députée
de La Peltrie.
Mme Marois: Vous proposez une discrimination basée sur
l'âge...
Mme Thibault: Oui.
Mme Marois: ...évidemment, l'ajout de l'âge comme
motif interdit de discrimination et vous faites une relation dans votre
document - et c'est au point 1 - avec le congé de maternité
éventuel. J'aimerais que vous expliquiez cela davantage. Je ne sais pas
le genre de relation qui a été fait dans d'autres
mémoires. Comment voyez-vous que ce type de plainte soit traité?
Vous semblez mentionner ici: Nous recevons des témoignages relatant que
plusieurs femmes en âge, etc.
Mme Thibault: C'est peut-être très difficile
à prouver, mais ce que je constate, c'est que les femmes sont toujours
trop jeunes ou trop vieilles pour être engagées. C'est frappant.
Quand c'est trop jeune, on leur dit que c'est parce qu'elles vont se marier,
qu'elles vont déménager ou des choses comme cela.
Mme Marois: On le leur dit.
Mme Thibault: Souvent, on entend des employeurs, malgré
tout, qui vont faire des commentaires. Effectivement, j'ai entendu beaucoup de
commentaires d'employeurs à la
suite du congé de maternité qui est maintenant dans les
lois. Beaucoup d'employeurs disent: Oui, mais engager une femme, cela veut dire
qu'on risque de la voir partir pour un congé de maternité,
d'être obligé de la remplacer et justement les petits employeurs
vont hésiter. C'est pour cette raison que je dis que les femmes d'un
certain âge sont doublement ou triplement discriminées dans
l'emploi.
Mme Marois: Vous dites que les femmes plus âgées le
sont à partir de l'âge...
Mme Thibault: Après cela, pour autre chose, oui.
Mme Marois: ...et en période très active...
Mme Thibault: Oui, c'est cela.
Mme Marois: ...entre 25 et 35 ans, par exemple...
Mme Thibault: C'est cela, 35 ans.
Mme Marois: ...ces motifs-là vont intervenir.
Mme Thibault: Oui, c'est cela.
Le Président (M. Desbiens): Mme la députée
de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: Ã la page 3, vous dites: la
Fédération des femmes du Québec recommande "que la
commission puisse prendre toute action judiciaire appropriée dans ce
domaine sans avoir nécessairement le consentement de la victime". Je ne
sais pas si ma question s'adresse à vous ou si elle s'adresse au
ministre. Est-ce que c'est - je comprends que c'est en relation avec une non
application des règlements qui seraient édictés pour le
plan de redressement, d'accès à l'égalité des
chances dans l'emploi coutumier qu'on puisse prendre un action judiciaire sans
le consentement de la victime?
M. Bédard: Ce n'est sûrement pas coutumier.
Mme Lavoie-Roux: Je me pose des questions là -dessus, quel
est votre...
Mme Thibault: Pour ce qui est de cette recommandation, nous
appuyons les recommandations de la Commission des droits de la personne qui
sans doute pourrait vous l'expliquer plus clairement que moi, parce que je ne
suis pas juriste. C'est que souvent, s'il faut absolument qu'une victime
autorise, cela peut ralentir les programmes d'action positive. S'il faut
absolument qu'il y ait une victime qui, par exemple, dans une industrie porte
plainte et qu'Ã la suite de cela on puisse installer un programme
d'action positive, cela devient compliqué. Enfin, moi c'est comme cela
que je l'avais vu.
Mme Lavoie-Roux: II me semble, en tout cas, qu'il peut y avoir un
certain danger. Est-ce qu'à ce moment, le cas d'où on part ne
peut pas être l'objet de représailles? Vous allez peut-être
dire que les représailles, cela va être aussi dans l'ensemble des
droits et libertés, mais cela devient compliqué. Juste au plan
juridique, je me demandais si c'était très pratique d'avoir une
telle disposition. Comme profane cela ne me semble pas...
M. Bédard: Quand on fait cette demande, c'est qu'on veut
déboucher sur autre chose en termes de préoccupation, parce que,
comme vous l'avez mentionné tout à l'heure - en fait votre
question le mentionnait - c'est très peu coutumier qu'on puisse intenter
une action judiciaire sans le consentement de la personne qui a pu subir le
préjudice, parce que si cette personne n'est pas là pour faire la
preuve du préjudice, il n'y a pas de condamnation possible. Il est clair
que lorsque cette demande est faite, c'est plutôt dans l'intention pour
la commission de se pencher sur le phénomène même que
représente le cas particulier, et pouvoir exercer des actions sans que
la personne nommément ne soit mise en cause...
Mme Thibault: Oui, mais c'est dans le cas très
précis qui entoure l'action positive, ce n'est pas pour l'ensemble des
plaintes. Cela touche uniquement le secteur de l'action positive.
Mme Lavoie-Roux: Cela reste à être examiné de
toute façon. Merci.
Le Président (M. Desbiens): En terminant...
M. Bédard: Est-ce qu'il y a d'autres questions? Nous vous
remercions encore une fois...
Mme Thibault: Merci.
M. Bédard: ...de votre participation à nos travaux.
Merci.
Comité d'action politique des femmes du
PQ
Le Président (M. Desbiens): Je demanderais maintenant au
Comité d'action politique des femmes du Parti québécois de
se présenter.
M. Bédard: II me semble que c'est un parti dont j'ai
déjà entendu le nom, M. le Président.
Le Président (M. Desbiens): Mme Daffe, si vous voulez
présenter les personnes qui vous accompagnent.
Mme Daffe (Jeannine): Mme Lafortune va les présenter.
Mme Lafortune (Marjolaine): Bonsoir, je me nomme Marjolaine
Lafortune. Ã ma gauche, Danielle Cordeau, qui est membre du
comité; à ma droite, Jeannine Daffe, qui est la responsable
permanente au parti du Comité d'action politique des femmes du Parti
québécois.
D'abord, je voudrais dire qu'on est très heureuses de pouvoir
participer à la commission, puisque cette démarche s'inscrit
comme un pas supplémentaire dans la poursuite des objectifs qu'on a et
des mandats qui nous ont été confiés par le conseil
national de notre parti.
Le préambule de la Charte des droits et libertés de la
personne énonce dans ses considérants qu'il y a lieu d'affirmer
solennellement dans une charte les libertés et droits fondamentaux de la
personne afin que ceux-ci soient garantis par la volonté collective et
mieux protégés contre toute violation.
Le Comité d'action politique des femmes du Parti
québécois participe à cette volonté collective qui
vise essentiellement à la réalisation d'un projet de
société qui assurera l'égalité des droits et une
égalité véritable des chances pour toutes les
Québécoises et pour tous les Québécois.
Le comité, composé de membres élus par le conseil
national du Parti québécois, s'intéresse plus
spécifiquement aux conditions de vie des femmes et c'est à ce
titre qu'il s'adresse aujourd'hui à la commission permanente de la
justice.
Le comité considère la Charte des droits et
libertés de la personne du Québec comme un instrument
privilégié d'affirmation, de promotion des libertés
fondamentales et de lutte contre la discrimination sous toutes ses formes, en
particulier la discrimination faite aux femmes.
Le comité n'a pas hésité par le passé,
à l'occasion de réunions, de colloques, de rencontres
informelles, de publications, à diffuser la charte et à inciter
les femmes à s'en servir comme leur appartenant aussi en propre. Il a
été attentif aussi aux prises de position et aux activités
de la Commission des droits de la personne, gestionnaire et fiduciaire de
ladite charte.
Les réflexions et propositions du présent mémoire
porteront principalement sur la nécessité d'amender la Charte des
droits et libertés de la personne afin de permettre l'implantation de
programmes dits d'action positive (programmes de redressement progressif) et de
prohiber toute discrimination de quelque nature que ce soit dans les
régimes d'avantages sociaux.
Par ailleurs, il nous apparaît important de préciser le
motif du sexe qui rend la discrimination illégale en faisant une mention
explicite, dans la loi, de l'état de grossesse qui permet actuellement
à certains employeurs de refuser à l'embauche des femmes
enceintes du seul fait qu'elles sont enceintes. Il ne semble pas évident
non plus, dans l'état actuel du droit, que le motif du sexe recouvre les
situations de harcèlement sexuel dont sont fréquemment victimes
les femmes en position de faiblesse dans le monde du travail encore très
généralement dirigé par des hommes.
Enfin, le comité croit important d'ajouter à l'article 10
de la charte l'âge comme actif interdit de discrimination. Le concept de
discrimination, en outre, devrait être défini de façon plus
explicite dans la charte et qu'on fasse ressortir davantage que les pouvoirs
d'enquête de la Commission des droits de la personne en matière de
discrimination s'étendent à toutes les situations prévues
dans les énoncés de principe.
Déjà un projet de loi qui n'a pu se concrétiser, le
projet de loi 24, visait à modifier la Charte des droits et
libertés de la personne pour permettre l'adoption de programmes
destinés à améliorer la situation de personnes
désavantagées en tant que groupe. Ce projet de loi, s'il avait
été adopté tel que libellé, aurait permis tout au
plus l'établissement de programmes d'action positive sur une base
volontaire, sans la vigueur et la coercition souvent nécessaires en
matière de lutte contre la discrimination.
Point n'est besoin de démontrer ici que les femmes
particulièrement ont été victimes de la discrimination
institutionnalisée que d'aucuns appellent la discrimination
systémique. Cette discrimination renvoie au rôle
traditionnellement tenu par les hommes et les femmes dans la
société. Qu'on songe seulement à la hiérarchie du
fonctionnarisme québécois. L'infime minorité de femmes
dans les fonctions d'encadrement est une illustration de cette discrimination
dite systémique. Quand le réseau d'éducation, famille,
école, société, a survalorisé pour les femmes les
fonctions de soutien c'était déjà , de façon
institutionnalisée, compromettre pour les femmes l'égalité
des chances d'avancement et de promotion. L'égalité des chances
étant compromise au départ, l'égalité de
résultat l'était aussi.
Une observation tant soit peu sérieuse de la situation des femmes
sur le marché du travail suffit à faire comprendre qu'il ne
s'agit pas seulement de corriger des situations isolées par des
interventions
individuelles et marginales, mais qu'il s'agit d'abord et avant tout de
prendre des mesures globales et parfois radicales pour bloquer les
résultats néfastes de systèmes historiquement
discriminatoires. Il s'agirait de relire ici l'étude de la Commission
des droits de la personne sur la situation faite aux femmes dans les
conventions collectives de travail pour comprendre que ces mesures globales
s'imposent. Qu'en est-il si on songe que la main-d'oeuvre non syndiquée
se compose majoritairement de femmes?
Afin de lutter de façon efficace contre la discrimination et en
particulier la discrimination à l'égard des femmes, le
Comité d'action politique des femmes du Parti québécois
recommande que la Charte des droits et libertés de la personne soit
amendée de façon à permettre les programmes d'action
positive ou de redressement progressif en dotant la Commission des droits de la
personne des pouvoirs de réglementation nécessaire à la
mise sur pied et à la surveillance de tels programmes. (22 h 15)
Le comité recommande, en outre, reprenant en cela les
recommandations d'autres instances, que les contrats, permis, licences ou
subventions accordés par le gouvernement du Québec et tous
organismes et entreprises relevant de son autorité soient assortis de
conditions et de modalités prévoyant la mise en place d'un
programme d'action positive, sous réserve de la démonstration par
les intéressés que l'introduction d'un semblable programme n'est
pas nécessaire parce que la politique d'emploi n'est entachée
d'aucune forme de discrimination.
En ce qui concerne l'article 90 de la Charte des droits et
libertés de la personne, il autorise la discrimination dans les
régimes de rentes ou de retraite, dans les régimes d'avantages
sociaux et dans les régimes d'assurance de personnes quand telle
discrimination est fondée sur le sexe, l'état civil,
l'orientation sexuelle ou le handicap. Notre comité estime que l'article
90 est une mesure d'exception qui pénalise les femmes, entre autres.
Même si le comité Boutin sur la non-discrimination dans les
avantages sociaux a pu reconnaître que des considérations
actuarielles pouvaient justifier cette discrimination, il nous paraît
indécent que des arguments d'ordre économique maintiennent
certains groupes dans une situation d'inégalité et qu'une Charte
des droits et libertés qui veut promouvoir l'égalité des
uns et des autres autorise les distinctions porteuses
d'inégalités.
Nous recommandons que l'article 90 de la Charte des droits et
libertés de la personne soit purement et simplement abrogé.
En ce qui concerne l'embauche des femmes enceintes, je pense que le
Conseil du statut de la femme a fait ce matin un excellent exposé
concernant le cas qui a été porté devant les tribunaux,
dans lequel le juge est arrivé à la conclusion qu'il n'y avait
pas eu de discrimination basée sur le sexe dans le cas où on
n'avait pas engagé la femme qui était enceinte, mais qui avait
passé tous les tests nécessaires à l'embauche. Il ressort
de tout cela que, pour le juge, si le législateur avait voulu prohiber
la discrimination fondée sur l'état de grossesse, il l'aurait
dit.
Déjà , la loi 126 sur les normes du travail, en son article
122, paragraphe 4, interdit à un employeur de congédier, de
suspendre ou de déplacer une salariée pour la raison qu'elle est
enceinte. Cette protection s'applique aux femmes enceintes déjÃ
sur le marché du travail. Les femmes enceintes à la recherche
d'emplois ne sont pas protégées. Sans qu'il soit besoin
d'argumenter sur la fonction sociale de la maternité et les conjonctures
socio-économiques qui poussent certaines femmes enceintes à se
chercher du travail, le comité, pour assurer l'égalité des
chances des femmes enceintes, recommande que le législateur amende la
Charte des droits et libertés de la personne pour interdire la
discrimination faite aux femmes enceintes du seul fait qu'elles sont enceintes.
L'état de grossesse, comme le sexe, l'état civil, etc., devrait
être ainsi ajouté à l'article 10 de la charte comme motif
interdit de discrimination ou encore il faudrait que la charte stipule
explicitement que discriminer en raison de l'état de grossesse constitue
de la discrimination fondée sur le sexe.
Le harcèlement sexuel. Le droit à l'égalité
pour les femmes, notamment sur le marché du travail, est souvent
compromis par l'épineux problème du harcèlement sexuel.
Des études et sondages récents ont démontré qu'une
majorité de femmes sur le marché du travail ont au moins une fois
été victimes de harcèlement sexuel. Cette pratique qui
veut que l'embauche, les promotions, les conditions de travail des femmes en
général soient reliées au consentement à des
faveurs sexuelles accordées à des hommes en situation de pouvoir,
le harcèlement sexuel, ne peut plus faire partie des règles du
jeu au travail.
Une femme harcelée sexuellement qui se verrait, par exemple,
congédiée parce que refusant de se prêter à ce jeu
du pouvoir pourrait se plaindre de discrimination sur la base du sexe. Selon
nos informations, la Commission des droits de la personne estime recevable ce
genre de plainte et fait enquête. Est-il certain, cependant, que la cour
quelle qu'elle soit verrait dans le harcèlement sexuel une forme
quelconque de discrimination?
Le harcèlement sexuel qui a été
qualifié de maladie sociale est un phénomène en
soi. Les programmes d'information sur la question ne suffisent pas Ã
assurer aux femmes les moyens nécessaires pour lutter efficacement quand
elles sont victimes de harcèlement sexuel. La loi devrait interdire
expressément ce genre de pratique. Notre comité recommande donc
que le harcèlement sexuel soit considéré et de
façon explicite comme illégal au sens de la Charte des droits et
libertés de la personne et que les plaintes de harcèlement sexuel
soient recevables pour fins d'enquête par la Commission des droits de la
personne.
L'âge comme motif de discrimination. Parmi les pratiques
discriminatoires courantes, il faut relever celles relatives Ã
l'âge. Il suffit de consulter rapidement les offres d'emplois dans les
quotidiens pour constater que l'on catégorise souvent la main-d'oeuvre
par groupes d'âge. Les employeurs recherchent généralement
des gens se situant entre 25 et 35 ans; avant on est trop jeune, après
on est trop vieux.
Les femmes qui désirent retourner sur le marché du travail
après s'être adonnées aux tâches d'éducation
des enfants sont pénalisées par ce critère de l'âge
comme exigence d'obtention d'emploi.
Il y a évidemment la question de l'âge obligatoire de la
retraite qui devrait être repensée. La discrimination selon le
sexe dans les régimes de retraite étant autorisée, comme
nous l'avons signalé plus haut, il arrive assez souvent que ces
régimes prévoient des différences d'âge quant
à l'accès à la retraite pour les femmes ou les hommes. On
créera, par exemple, l'obligation aux femmes de prendre leur retraite
à 60 ans, alors que ce sera à 65 ans pour les hommes. Le
Comité d'action politique des femmes du Parti québécois
recommande donc aux législateurs d'amender la Charte des droits et
libertés de la personne pour ajouter le motif d'âge Ã
l'article 10 comme motif interdit de discrimination.
En ce qui a trait au concept de discrimination, en même temps que
l'affirmation des libertés et des droits fondamentaux, la Charte des
droits et libertés de la personne proclame pour les citoyennes et les
citoyens le droit à la reconnaissance et à l'exercice en pleine
égalité des droits et libertés de la personne. Une
atteinte à ce droit pour l'un des motifs de l'article 10 constitue de la
discrimination. La définition juridique du concept de discrimination
dans la charte peut certes paraître claire pour les personnes
familières avec les textes de loi. Il n'est pas certain, cependant, que
celles et ceux qui vivent des situations de discrimination puissent comprendre
facilement que ces situations qui les touchent sont peut-être
illégales. La Commission des droits de la personne peut-elle
enquêter chaque fois que le droit à la reconnaissance et Ã
l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de
la personne est compromis et que quelqu'un s'en plaint? Ou encore, ce pouvoir
d'enquête est-il restreint comme peut le laisser penser l'article 69 de
la charte?
Comme la Charte des droits et libertés de la personne est - nous
le répétons - un instrument privilégié de lutte
contre la discrimination, notre comité estime qu'il y aurait lieu de
rendre plus explicite et plus facilement compréhensible pour tout le
monde le concept de discrimination et de faire ressortir clairement que les
pouvoirs d'enquête de la Commission des droits de la personne en
matière de discrimination s'étendent à tous les domaines
prévus dans la charte, soit les droits fondamentaux, les droits
politiques, les droits judiciaires, les droits économiques et sociaux.
Merci.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Bédard: Je vous remercie de votre mémoire et de
votre contribution aux travaux de cette commission. Je pense bien que vous
êtes à même de constater comme nous que votre mémoire
rejoint sur l'essentiel beaucoup des points qui ont été
soulevés. Ce n'est pas que l'heure est tardive, mais il est
évident qu'à mesure que les mémoires défilent les
uns après les autres le nombre de nos questions est peut-être plus
restreint pour la bonne et simple raison qu'on a eu l'occasion de les aborder
à l'occasion de la présentation d'autres mémoires. D'une
façon générale, croyez-vous que la Commission des droits
de la personne doit être le seul intervenant en matière de
protection des droits et libertés?
Mme Lafortune: Je le pense. Si on se fie à l'histoire du
modèle américain dans ce domaine où au début,
à mesure qu'on créait des organismes pour protéger
certains groupes contre la discrimination... Il n'est pas question pour nous,
en passant, d'adopter le modèle américain, mais il est question
pour nous de profiter de l'expérience du modèle américain
dans lequel il y avait trois organismes émettant leurs propres
réglementations. Ces réglementations s'entrecoupaient, rendaient
pratiquement inapplicables celles des autres, ce qui fait que finalement on
aboutissait à un résultat complètement contraire Ã
celui qu'on poursuivait. Pour ces raisons, je pense que la commission qui a les
pouvoirs d'enquête doit être l'organisme responsable de
l'application des programmes d'action positive et des autres recommandations
que l'on fait.
M. Bédard: Mais en matière d'action positive,
pouvez-vous concevoir qu'il puisse être possible, au niveau de la
réglementation
et de la programmation, qu'il y ait un seul couloir, mais qui pourrait
être... En fait, le gouvernement, après consultation de la
commission, suivie d'auditions publiques ou de commissions parlementaires
où la commission et des groupes peuvent se faire entendre de
manière à déboucher sur un consensus concernant la
réglementation et la mise au point de certains programmes...
Mme Lafortune: Certainement. Si je comprends bien votre question,
c'est au niveau de la réglementation?
M. Bédard: C'est cela.
Mme Lafortune: Oui. Je pense que la première
réglementation, si la commission obtient le pouvoir...
M. Bédard: De l'application, au niveau de
l'application...
Mme Lafortune: ...de rédiger au moins les premières
réglementations que c'est nécessaire qu'il y ait une
première consultation, qu'il y ait une consultation, un lien entre les
organismes, ceux qui interviennent et qui seront appelés Ã
intervenir, parce que chacun défend un domaine qui lui est
spécifique. Certains, c'est le travail, d'autres c'est...
M. Bédard: Autrement dit vous voyez nécessaire, la
participation non seulement des groupes cibles, mais des syndicats si c'est
nécessaire lorsqu'il s'agit de l'élaboration de programmes et
puis le fait que la réglementation et les programmes puissent être
amorcés par le gouvernement après consultation de la commission
pour déboucher... cela vous semble un canal acceptable. Oui?
Mme Lafortune: Oui, entièrement.
M. Bédard: Je demanderais peut-être...
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Shefford.
Une voix: Un peu comme la semaine passée en Chambre,
l'Opposition vote en faveur du rapport tel que présenté, mais on
n'appuie pas le parti qu'il l'a présenté.
Le Président (M. Desbiens): Mme la députée
de La Peltrie.
Mme Lavoie-Roux: Je voudrais ajouter un mot... s'il vous
plaît.
Mme Marois: Je m'excuse Mme Lavoie-Roux. Il y a quelque chose qui
est assez original, effectivement parce qu'on est revenu beaucoup et
abondamment sur les différentes questions que vous avez
soulevées, ce qui est intéressant. Il reste que votre
mémoire est clair, succinct et assez concis dans ce sens-là . Il y
a une chose que vous soulevez à la toute fin de votre mémoire et
qui est quand même assez originale, où on dit: "II y aurait lieu
de rendre plus explicite et plus facilement compréhensible pour tout le
monde, le concept de discrimination et de faire ressortir clairement les
pouvoirs d'enquête de la commission". Dans le fond, j'aimerais que vous
explicitiez un peu. Est-ce que déjà dans notre tête on peut
conclure que les gens ne recourent même pas suffisamment à la
commission, parce qu'ils ne sont pas sensibles à certaines formes de
discrimination qui existent, n'étant pas conscientisés Ã
cette notion de discrimination? J'aimerais que vous explicitiez un peu
davantage, parce que c'est assez original dans votre mémoire.
Mme Lafortune: Cette recommandation est faite à partir de
la rédaction de l'article 69 de la charte. L'article 69 semble limiter
dans son interprétation les pouvoirs d'enquête de la commission
aux articles 10 Ã 19, alors qu'Ã partir des articles 19 Ã
48 qui couvrent les droits politiques, les droits judiciaires, les droits
économiques et sociaux, si on interprète strictement l'article
69, on semblerait dire que la commission n'aurait pas le pouvoir
d'enquête sur ces droits. C'est difficile. Pour des juristes, on finit
par comprendre, on devient familier avec le texte, mais pour une personne qui
veut savoir, par exemple, si elle a été discriminée pour
des cas qui sont un peu moins flagrants que, par exemple, sur le sexe ou les
cas qu'on connaît bien, l'état civil, la race, la couleur de la
peau, ce n'est pas facile pour des gens de prendre le texte de loi, tout le
monde sait que nul n'est censé ignorer la loi, mais on n'est pas
obligé d'avoir des lois difficiles de compréhension.
Alors ce qu'on voudrait, c'est que le concept de discrimination soit un
peu plus facile d'accès pour sa compréhension,
c'est-Ã -dire que cela soit clair que discrimination comprend, en plus
des 12 motifs de l'article 10, aussi les droits fondamentaux, les droits
politiques - ce que plusieurs personnes ne savent pas - les droits judiciaires,
les droits économiques et les droits sociaux. C'est dans ce sens
là que...
Mme Marois: à ce moment-là , vous vous
référez, par exemple, aux articles 1 à 10, vous les
incluez.
Mme Lafortune: Oui, oui.
Mme Marois: Cela l'est plus dans ce sens-là que dans le
sens de sensibiliser une population à la notion de discrimination.
Mme Lafortune: II y a cela aussi, effectivement. Ã part,
comme je disais tout à l'heure, les situations discriminatoires, qui
sont facilement reconnaissables sur la race, le sexe... il y a d'autres notions
qui sont plus difficiles à saisir et les gens ne se rendent
peut-être même pas compte qu'ils subissent une discrimination pour
tout autre motif. On demande qu'il y ait une définition plus facile,
parce que quand tu fais référence à plusieurs articles, tu
passes de l'article 69, tu réfères à l'article 10, tu lis
les articles 10 jusqu'à 19, alors tu dis c'est compliqué, pour un
néophyte. Ce n'est presque pas possible de s'y retrouver.
Ãvidemment nul n'est censé ignorer la loi, mais vous savez comme
moi que lire des textes de loi, cela reste encore pour un monde
privilégié.
M. Bédard: Ce n'est pas facile pour tout le monde.
Mme Lafortune: Même pas pour nous autres parfois.
Le Président (M. Desbiens): Mme la députée
de L'Acadie. (22 h 30)
Mme Lavoie-Roux: Je voudrais remercier le Comité d'action
politique des femmes du Parti québécois. Sans aucun doute, elle
sont venues devant la commission pour deux raisons: pour indiquer que le parti
entend être indépendant vis-à -vis du pouvoir
exécutif...
Mme Lafortune: C'est votre interprétation.
Mme Lavoie-Roux: ... et également, je pense, parce que,
depuis longtemps, ce sont des questions qui vous préoccupent et c'est
normal de vous retrouver ici devant cette commission. Comme d'autres ont
parlé avant moi, à peu près tous les sujets qui sont ici
ont été traités, alors il ne s'agit de prolonger la
discussion. La seule question que je voudrais vous poser, on a beaucoup
parlé ce soir de plans d'action positive dans le redressement de
l'emploi, etc., pour une possibilité d'accès, est-ce que ceci
devrait s'appliquer également, selon vous, au plan politique, par
exemple, dans les nominations aux différents conseils d'administration
ou conseils consultatifs, enfin tous les organismes gouvernementaux que l'on
connaît et qui se sont multipliés depuis quelques années?
Est-ce que ceci devrait s'appliquer a l'intérieur des cabinets
politiques des ministres?
Mme Lafortune: II faut faire des distinctions là . Oui, je
pense que le gouvernement doit donner l'exemple pour ce qui est des organismes
qui sont directement sous sa juridiction, c'est-Ã -dire la fonction
publique. Ãvidemment, les entreprises privées vont regarder
comment ça se passe, qu'importe le parti qui est au pouvoir.
Mme Lavoie-Roux: Oui.
Mme Lafortune: Pour ce qui est du personnel de cabinet politique,
je pense que oui, en principe ça devrait être un exemple Ã
donner, quoique ce n'est pas soumis aux mêmes...
Une voix: Ce n'est pas soumis aux mêmes règles.
Mme Lafortune: ... aux mêmes règles.
Mme Lavoie-Roux: Je suis d'accord avec vous, quoique ceux qui
sont dans les cabinets politiques sont rémunérés dans le
sens qu'ils détiennent un emploi. Vous me dites: Oui, le gouvernement
devrait donner l'exemple, mais ça fait plusieurs années qu'il
devrait donner l'exemple.
Mme Lafortune: Oui.
Mme Lavoie-Roux: Pour tous les gouvernements, je ne veux pas en
faire une question partisane - vu que c'est vous autres qui êtes ici
à la table, ça peut paraître comme ça - est-ce que
l'organisme ou le comité, que ce soit la Commission des droits de la
personne, qui se pencherait sur la réglementation touchant ces
programmes de redressement ou d'action positive devrait y inclure, selon
vous...
Mme Lafortune: Jusqu'au personnel.
Mme Lavoie-Roux: ... des dispositions qui toucheraient
également ces secteurs d'activité qui sont quand même des
secteurs gouvernementaux, que ce soient des organismes gouvernementaux ou les
cabinets politiques?
Mme Lafortune: Je pense qu'il devrait au moins s'y pencher parce
que le personnel de cabinet politique a quand même des fonctions
d'encadrement. Ce sont de hautes fonctions. Si on se fie à la
hiérarchie, le personnel politique comprend les secrétaires; il y
a des ghettos là aussi, ce n'est pas différent des autres
institutions dans lesquelles on vit. Il ne s'agit peut-être pas d'en
faire une mention spécifique dans la charte, mais sûrement de s'y
pencher. Chaque gouvernement doit le faire, qu'importe le parti.
Mme Lavoie-Roux: Cela ferait partie d'une
réglementation.
Mme Lafortune: Je ne serais peut-être
pas d'accord d'avoir une réglementation aussi spécifique,
c'est-Ã -dire qui irait dans le sens...
Mme Lavoie-Roux: Pour quelle raison?
Mme Lafortune: D'abord, parce que l'article 20 de la Charte des
droits et libertés de la personne permet des exclusions et des
exemptions en ce qui concerne un parti politique. Ce n'est pas
considéré comme étant des mesures discriminatoires. Je ne
pense pas qu'on doive, dans la législation ou dans la
réglementation des programmes d'action positive, être aussi
spécifique que ça.
Mme Lavoie-Roux: Ãvidemment, on discute pour discuter, un
peu plus que pour discuter, parce que je pense que c'est intéressant,
mais il reste quand même que les personnes sont payées Ã
même les fonds publics, à même les taxes des contribuables.
Ce n'est pas l'argent qu'un parti politique -pour "départisaner" la
chose - ramasse à même ses campagnes de financement ou ainsi de
suite, c'est vraiment de l'argent qui vient des fonds publics. Je m'explique
mal que des mesures d'action positive puissent exclure même...
M. Bédard: Je voudrais bien, c'est un sujet qui
m'intéresse...
Mme Lavoie-Roux: ...pas exclure...
M. Bédard: ...si vous me le permettez c'est un sujet qui
m'intéresse parce que les gouvernements ne sont pas toujours les
mêmes, mais je voudrais bien savoir ce que veut dire Mme la
députée de L'Acadie. Est-ce qu'elle veut dire... Qu'est-ce
qu'elle entend par personnel politique, d'abord?
Deuxièmement, est-ce qu'elle veut nous dire, au sujet du
personnel politique autour d'un ministre, qu'Ã ce moment, il n'y aurait
pas la possibilité pour le ministre de choisir des personnes qui vont
dans le sens de ses convictions; est-ce qu'elle veut dire que...
Mme Lavoie-Roux: Non, je pense qu'il y a suffisamment de
sympathisants péquistes pour que vous en trouviez qui soient
qualifiés pour remplir les tâches.
M. Bédard: Non, non, j'essaie d'oublier péquistes
et libéraux parce qu'on pourrait poser la même question. Si vous
étiez au pouvoir, est-ce que vous trouveriez normal que les ministres
libéraux s'entourent de personnes aux fins d'appliquer des politiques,
de personnes qui ne croient pas dans ces politiques-là ? Si c'est cela
que vous voulez dire, je ne vois pas en quoi la charte peut s'appliquer au
niveau du recrutement du personnel politique.
Le Président (M. Desbiens): Mme la députée
de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: M. le Président, si vous me permettez de
répondre au ministre, je pense que ce n'était pas du tout le sens
de ma question.
M. Bédard: Ah! bon, c'est cela que je veux savoir.
Mme Lavoie-Roux: Ce n'était pas du tout ce que j'ai voulu
dire, que vous devriez prendre "at large", excusez l'expression, des
sympathisants libéraux pour travailler à l'intérieur... Ce
serait beaucoup trop de vertu, je ne vous en connais pas autant que cela
encore.
M. Bédard: à l'Assemblée nationale, vous en
avez 65 qui sont rattachés au parti de l'Opposition. Je pense bien
qu'ils choisissent des gens qui sont de leur opinion politique. C'est
logique.
Mme Lavoie-Roux: Non, non, quand j'ai parlé d'action
positive ou de redressement, c'est vraiment dans le même sens qu'on en a
parlé toute la journée. Je me souviens que, la première
année, et je n'ai pas eu le temps de refaire l'exercice depuis, j'avais
examiné les cabinets des ministres et, de mémoire, on y
retrouvait une seule femme chef de cabinet. Je ne sais pas si elle l'est
encore, c'était Louise Beaudoin; le reste, on les retrouvait toutes
comme secrétaires de troisième ou quatrième rang.
M. Bédard: ...
Mme Lavoie-Roux: Ãcoutez, je vous parle de la
première année. Comme je vous dis, je n'ai pas refait l'exercice.
Alors, je pense que ce que l'on appelle du redressement quant à la
hiérarchie occupée dans les cabinets des ministres, le même
principe que l'on veut voir appliquer ailleurs devrait normalement pouvoir
s'appliquer là . Maintenant, si un parti politique, à même
ses fonds, décide qu'il veut faire de la discrimination, cela le
regarde. Il sera jugé par ses militants, mais là , il s'agit
vraiment de l'argent qui...
M. Bédard: Je comprends très bien le sens de votre
question.
Le Président (M. Desbiens): Mme la députée
de La Peltrie, s'il vous plaît!
Mme Marois: Oui, j'aimerais revenir un peu sur ce que dit Mme
Lavoie-Roux. Il m'apparaîtrait normal qu'effectivement, Ã
l'ensemble de la masse des cabinets, s'applique aussi la règle de
l'accès à l'égalité. Je vous reproche juste une
chose,
quand vous avez dit discrimination, mais c'est vraiment fort
différent quand on parle de programme d'accès Ã
l'égalité; vous avez utilisé discrimination, dans le fond,
dans le sens de discrimination positive, mais on sait que c'est fort
différent; alors là -dessus, j'aimerais bien que l'on se
reprenne.
Au niveau des directrices de cabinet, il y en a quand même cinq
actuellement; c'est déjà un point important par rapport Ã
une personne qu'il y a eu. D'autre part, je dois dire que, et je l'ai
déjà mentionné à la députée de
L'Acadie à une commission parlementaire précédente sur
l'étude des crédits, je me suis fait moi-même mon petit
programme de redressement progressif en ce qui a trait aux nominations
politiques. Vous pourrez, j'imagine, poser de nouveau les mêmes questions
que celles que vous avez déjà posées au moment de la
commission parlementaire de juin dernier et cela me permettra probablement,
à ce moment-là , de prouver que c'est possible sur une base de
volontariat; dans mon cas, il s'en dit.
Le Président (M. Desbiens): Mme la députée
de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: Je voudrais quand même, puisque toutes ces
questions s'adressaient à ces dames et que chacun a jugé bon
d'intervenir, ce qui est d'ailleurs de la bonne démocratie...
M. Bédard: Oui, cela a permis de clarifier des choses.
Mme Lavoie-Roux: ...il reste que ce que j'ai dit... Encore une
fois, je suis prête à refaire l'exercice et Ã
réexaminer les cabinets des ministres. J'ai aussi parlé, il ne
faudrait pas les oublier, des organismes gouvernementaux qui sont une partie
importante, mais on les a perdus dans la discussion. Je me dis que, si
l'exercice... Parce que, dans le fond, ce que l'on dit, je pense que c'est
même dans votre mémoire. Vous dites que, si on fait la preuve
qu'il n'y a pas de discrimination, on pourrait soustraire à certaines
entreprises qui font des affaires avec le gouvernement l'obligation de se
soumettre à un plan de redressement, mais, si le cas s'applique aux
cabinets des ministres, la même règle pourrait s'appliquer.
Mme Marois: Oui.
Mme Lafortune: Oui, entièrement d'accord.
Mme Lavoie-Roux: Si elle ne s'applique pas, je pense qu'ils
pourraient aussi faire l'objet des mêmes...
Mme Harel: D'une attention soutenue.
Mme Lafortune: D'une réglementation précise.
Mme Lavoie-Roux: ... dispositions, d'une recommandation
précise qu'on prévoit pour les autres entreprises, organismes
gouvernementaux ou fonction publique, etc. C'est tout ce que je voulais dire,
M. le Président.
Mme Marois: Ou même s'appliquer d'abord la loi, comme
législateurs.
Mme Lavoie-Roux: Cela...
M. Bédard: On va surveiller les cabinets de l'Opposition
aussi. On va voir si les femmes sont bien représentées.
Mme Lavoie-Roux: Vous avez tout à fait raison. En
voilà une, toujours! On n'en a pas beaucoup, nous autres.
M. Bédard: La meilleure manière d'avancer, c'est de
se surveiller les uns les autres.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre, en
concluant.
M. Bédard: Nous allons conclure en remerciant, M. le
Président, les représentantes du Comité d'action politique
du Parti québécois d'avoir fait l'effort d'acheminer ici des
représentations concernant ce qui pourrait sûrement
représenter une amélioration à l'ensemble de la condition
féminine. On vous remercie beaucoup.
Une voix: Merci beaucoup.
Le Président (M. Desbiens): Merci. Bonsoir.
YWCA
Je demanderais maintenant à la représentante du YWCA, Mme
Lise Moisan, de s'approcher, s'il vous plaît.
Une voix: YWCA.
Le Président (M. Desbiens): Oui, YWCA. Excusez-moi.
Mme Moisan (Lise): D'accord, M. le Président. Tout le
monde fait la même erreur. Bonsoir. Veut, veut pas, on va finir la
soirée avec une discussion sur le harcèlement sexuel, parce que
notre mémoire porte exclusivement sur cette question.
En juin de cette année, le YWCA a organisé une
conférence publique à Montréal, portant sur le
harcèlement sexuel des femmes au travail. Pendant les trois
semaines avant l'événement et durant aussi la semaine
suivant l'événement, près de 60 femmes nous ont
appelées, non seulement pour nous demander des renseignements au sujet
de la conférence, mais plus particulièrement pour chercher de
l'aide et des renseignements. La plupart d'entre elles avaient
déjà été congédiées ou
étaient, selon elles, sur le point de l'être, pour cause - non
avouée, bien sûr, par l'employeur - de harcèlement
sexuel.
J'ai essayé de donner suite à ces demandes de
renseignements et j'ai, dans tous les cas, suggéré aux femmes qui
appelaient d'au moins prendre contact avec la Commission des droits de la
personne. J'ai vérifié par la suite pour voir ce qui était
advenu de cette suggestion, si les femmes avaient ou non réagi Ã
cette suggestion. Deux l'avaient fait. Le problème que nous nous sommes
posé, c'est celui du recours dont disposent les femmes pour redresser
cette situation, le cas échéant, et pour obtenir justice face
à un problème dont on commence seulement à connaître
les proportions. Pour en connaître les proportions, justement, les
dimensions, nous avons dû consulter des études américaines.
Il n'en existe pas au Québec ni au Canada. Je crois - et vous en
conviendrez sûrement -qu'à moins qu'on pense que les rapports
entre les hommes et les femmes sont fondamentalement différents aux
Ãtats-Unis et au Québec, eh bien, il me semble que les
données, toutes proportions gardées, peuvent être valables
ici pour nous. (22 h 45)
D'abord, nous devons au moins partir d'une définition du
harcèlement sexuel pour ensuite en discuter. Alors, nous l'avons
défini comme suit: "Toute avance sexuelle non désirée, et
le mot clé est là , "non désirée", qu'une femme peut
subir au travail, allant des regards insistants, attouchements et commentaires
abusifs, pressions subtiles pour obtenir des faveurs sexuelles, jusqu'Ã
la tentative de viol et au viol. Le harceleur peut être l'employeur de la
victime, son supérieur hiérarchique, un collègue ou un
client. En plus de provoguer chez celle à qui il impose ses avances un
sentiment d'angoisse, le harceleur laisse sous-entendre qu'un refus de se
soumettre à ses pressions amènera des représailles. Ces
représailles peuvent comprendre l'intensification du harcèlement,
ce qui est souvent le cas, l'assignation à des tâches ingrates, le
sabotage du travail, les sarcasmes, des évaluations de travail
défavorables, des menaces de rétrogradation, les mutations, le
blocage des augmentations de salaire, des promotions et des avantages et, en
dernier lieu, le congédiement et les références
désavantageuses."
Quant à l'étendue du problème, rappelons les faits
saillants dégagés par les plus importantes études
américaines, les plus importantes et les plus récentes.
En mai 1975, le Working Woman United Institute entreprenait une
enquête dans la région de Binghampton-Ithaca, dans le nord de
l'Ãtat de New-York, sur la question du harcèlement sexuel. Dans
cette enquête, le harcèlement sexuel était défini
comme suit: "toutes remarques d'ordre sexuel répétées et
non désirées, regards, propositions de contacts physiques et
attouchements que vous jugez répréhensibles ou agressants et qui
vous incommodent au travail. C'est comme cela que la question était
formulée et ensuite posée aux femmes répondant au
questionnaire.
Sur les 155 femmes interrogées, 70% rapportèrent avoir
été sujettes au harcèlement sexuel au moins une fois, 92%
des répondantes considéraient le harcèlement sexuel comme
un problème grave, et même parmi celles qui n'avaient jamais
vécu d'expérience de harcèlement sexuel, 62% le
considéraient également comme un problème grave.
Dans une étude menée en 1976, par le magasine Red Rook,
88% des 9000 répondantes avaient subi une forme ou une autre de
harcèlement sexuel. Dans 92% des réponses totales, on
considérait le harcèlement sexuel comme un problème
grave.
Sur les 875 femmes et hommes employés de bureau ou professionnels
de l'ONU choisis par le Comité ad hoc sur l'égalité des
droits des femmes, 50% des femmes et 31% des hommes rapportèrent avoir
à certains moments vécu personnellement des pressions d'ordre
sexuel ou avoir eu connaissance de l'existence de telles pressions Ã
l'intérieur de l'organisation, qui est une organisation qui se prononce
en faveur de toute pratique pour la non-discrimination et ainsi de suite. Vous
connaissez très bien la politique de l'ONU.
Avec ces études et ces études-sondages, le mur du silence
qui jusque là entourait le vécu des femmes sur le marché
du travail a commencé à se lézarder pour finalement
s'effondrer complètement, provoguant dans certains milieux des
réactions de choc et de désarroi. Et là je parle plus
particulièrement du milieu de la fonction publique
fédérale américaine, où on a constaté que le
harcèlement sexuel prenait des proportions insoupçonnées,
que 42% de toutes les employées fédérales féminines
rapportèrent avoir été sexuellement harcelées
contre seulement 15% chez les hommes.
Je vais lire rapidement les constats majeurs. Le harcèlement
sexuel n'est pas une expérience accidentelle qui n'arrive qu'une fois.
Beaucoup de victimes ont subi des pratiques répétées de
harcèlement sexuel, surtout dans ses formes les moins
sévères. Les incidents de harcèlement sexuel ne sont
pas des phénomènes passagers; la plupart se sont
déroulés sur une période de plus d'une semaine et beaucoup
se prolongeaient sur une période de plus de six mois.
à part l'arsenal de représailles qui l'accompagnent et
qui, finalement, lui confèrent son caractère si redoutable pour
chacune qui le subit, le harcèlement sexuel a aujourd'hui et toujours eu
un impact considérable sur l'ensemble de la main-d'oeuvre
féminine. D'une part, le harcèlement constitue une menace
réelle à notre sécurité d'emploi et crée, du
fait même, un climat menaçant, intimidant et insécurisant
pour les femmes au travail. Le harcèlement sexuel des femmes Ã
l'emploi se fait sentir chez toutes les femmes, même celles qui n'en sont
pas elles-mêmes les victimes directes. En ce sens, c'est quelque chose
qui nous guette, qui vient renforcer l'impression que nos collègues
mâles et nos patrons nous perçoivent toujours d'abord et
ultimement en tant qu'objets sexuels, agrémentant quelque peu leur
décor de travail, ou bien que, tout simplement, nous ne sommes pas
vraiment à notre place sur le marché du travail. C'est un message
très difficile à avaler, très difficile à regarder
en face. D'ailleurs, nous nous efforçons quotidiennement de ne pas
entendre ce message; sinon, je crois que la situation pourrait être
insupportable. D'ailleurs, ça pourrait mener à un cynisme
terrible.
Je continue avec la description des effets parce que je crois que c'est
important d'en connaître l'impact. Cela mine notre
sécurité, notre stabilité et notre
légitimité en tant que travailleuses. C'est comme si toutes les
femmes devaient marcher sur des échasses ou, encore, sur des souliers
à talons très très hauts, tout en gardant un parfait
équilibre, un fonctionnement assidu et sérieux au travail et le
sourire; surtout ne pas oublier de sourire. Cela peut être
littéralement affolant; pour certaines, c'est désastreux.
Coincées entre cette forme d'agression sexuelle et leur situation
économique défavorisée au départ - voilà le
petit vice particulier de cette problématique - les femmes peuvent
être soumises à un véritable chantage dans les cas les plus
graves.
En septembre 1980, le "Equal Employment Opportunity Commission",
Commission d'égalité des chances à l'emploi, a
adopté des directives qu'elle publia en novembre 1980, par lesquelles
elle établissait que le harcèlement sexuel constitue une forme de
discrimination fondée sur le sexe dans certaines circonstances et, en
tant que tel, est une violation de la section 703 du titre 7 de l'Acte des
droits civils de 1964. C'est une section qui, bien sûr, interdit la
discrimination fondée sur le sexe. Les directives du EEOC ont
essentiellement officialisé la position du gouvernement
fédéral américain concernant le harcèlement sexuel
en tant que forme de discrimination. Les nombreux jugements rendus avant la
mise en vigueur de cette directive reflétaient différentes
façons d'interpréter certaines questions clés. Vraiment,
cela a été la cause d'un débat juridique dans les
journaux, les périodiques de droit, dans les cours comme telles pendant
plusieurs années. Alors, les questions clés
d'interprétation étaient si oui ou non le harcèlement
sexuel constitue une forme de discrimination basée sur le sexe; si la
plaignante doit avoir ou non avoir subi des pertes tangibles et mesurables ou
encore avoir subi une action négative dans l'emploi pour que le
harcèlement sexuel soit illégal sous le titre VII, title VII, et
si l'employeur est responsable pour le comportement de ses employés.
Voilà les trois questions que les juristes américains ont
débattues pendant au moins sept ans à ma connaissance.
Le EEOC a tranché en affirmant que les avances sexuelles non
désirées, les sollicitations pour obtenir des faveurs sexuelles
et toute autre pression verbale ou physique de nature sexuelle constituent de
la discrimination fondée sur le sexe selon le sens de la loi lorsque le
fait de se soumettre à de telles pressions devient implicitement ou
explicitement une modalité ou une condition d'emploi pour un individu,
lorsque les décisions concernant l'emploi d'un individu se prennent sur
la base de son acceptation ou de son refus de se soumettre à de telles
pressions ou lorsque de telles pressions ont pour objet ou pour effet
d'entraver gravement la tâche de travail d'un individu ou de créer
un climat de travail intimidant, hostile ou agressant.
De plus, les directives soulignent que lorsque des
bénéfices et avantages dans l'emploi sont accordés parce
qu'un individu se soumet à des pressions et des avances sexuelles de la
part de l'employeur ou d'un autre employé, c'est-à -dire dans les
cas de favoritisme sexuel, si on peut dire, l'employeur peut être tenu
responsable de discrimination sexuelle illégale contre des personnes qui
étaient qualifiées pour obtenir l'emploi ou les avantages
à qui ces chances ou avantages ont été refusés.
C'est le corollaire juridique en matière de discrimination.
Les recommandations présentées à la fin de notre
mémoire sont largement inspirées et, dans certaines clauses,
textuellement reprises du document du EEOC. Nous considérons que
l'introduction de ces principes et mesures à la Charte
québécoise des droits et libertés est indispensable pour
corriger le flou juridique actuel sur cette question et pour contrer le
problème tenace d'interprétation en cour, problème qui ne
s'est peut-être pas encore posé énormément. On a dit
tout à l'heure
que la Commission des droits de la personne n'avait porté aucun
cas de harcèlement jusqu'aux tribunaux, mais il y a d'autres moyens de
porter ces cas aux tribunaux par le biais du droit commun. On risque d'avoir
des problèmes d'interprétation s'il n'y a pas de précision
quelque part dans la loi.
Nous expliquons dans notre mémoire les raisons que nous trouvons
valables pour que le législateur établisse clairement
l'illégalité des pratiques du harcèlement sexuel et qu'il
formule des directives claires précisant la nature ou la
définition du harcèlement sexuel et les responsabilités
des employeurs.
Permettez-moi donc, en conclusion, quelques remarques sur ce Ã
quoi les femmes se butent quand elles ont recours à la protection de la
loi. J'ai assisté la semaine dernière à une
conférence qui s'intitulait: Les femmes face à la loi. Ã
l'ordre du jour de ce colloque, on faisait une étude comparée du
recours dans les cas de viol, de femmes battues, ce qu'on appelle en se servant
d'un euphémisme, la violence domestique - viol et harcèlement
sexuel. On a essayé de comparer, de voir quelles étaient les
dispositions légales dans les trois cas auxquelles les femmes pouvaient
avoir recours. Cette analyse comparée dégage une constante. Notre
réalité et notre vécu en tant que femmes sont plus que
systématiquement remis en question par la magistrature. (23 heures)
En matière d'agression sexuelle, d'assaut par les maris et de
harcèlement sexuel à l'emploi, la preuve constitue l'obstacle
quasiment ultime auquel nous nous butons, non seulement parce que les
circonstances des délits en question font que la preuve est
généralement très difficile à établir par
manque de témoins et ainsi de suite, mais aussi avons-nous
constaté que la parole et le témoignage des femmes sont
fondamentalement mis en doute au départ. Trop souvent, force est de
croire qu'en cour, la parole d'une femme ne vaut pas toujours celle d'un homme.
Aucune loi ne peut en elle-même régler ce problème. Mais ce
que nous demandons ici, c'est un outil législatif qui, par sa
clarté et sa précision, limitera les dégâts de ce
préjudice.
Je vous remercie de votre attention à cette heure tardive.
M. Bédard: Je vous en prie.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Bédard: Malgré l'heure tardive, c'est nous qui
vous remercions de votre contribution très positive aux travaux de cette
commission. Nous pouvons dire que vous avez fourni le mémoire qui
représente un travail de recherche le plus remarquable concernant non
seulement la définition de ce que pourrait être le
harcèlement sexuel, mais également les conséquences qui
peuvent en découler en référence avec... Vous y êtes
vraiment allée avec conviction, malgré l'heure tardive, comme
vous l'avez dit. à partir d'une étude très poussée
de ce qui se fait ailleurs en termes de législation, surtout au niveau
de l'analyse du phénomène du harcèlement sexuel, vous
insistez pour que la notion de harcèlement sexuel soit bien
définie dans la charte, si cette notion devait s'y retrouver.
Je conclus que vous ne croyez pas que l'introduction d'une
définition du harcèlement sexuel dans la charte risquerait de
susciter des interprétations plutôt restrictives de la part des
tribunaux, parce que, en même temps que vous indiquez le besoin qu'une
définition très explicite soit contenue dans la charte, vous y
êtes allée également de vos remarques concernant
l'appréciation qui est faite jusqu'à maintenant par les tribunaux
quand on parle de ce domaine des droits et libertés. Ne craignez-vous
pas qu'une définition explicite puisse être de nature Ã
limiter ces droits plutôt qu'à en favoriser l'exercice?
Mme Moisan: C'est un risque que nous courons, j'en conviens.
M. Bédard: Je pense qu'il y a un risque.
Mme Moisan: Si vous permettez, j'aimerais répondre en
quelques points à votre question, parce que je me suis posé la
même question, bien sûr. D'abord, j'en conviens, il y a des
risques. Ces risques, on peut toujours les courir en autant que la
définition... je crois que la définition qui est incluse dans le
mémoire est fort adéquate, peut-être pas parfaite au sens
de tout le monde, mais à mon sens fort adéquate. En
matière législative, il faut commencer par définir les
problèmes que nous cherchons à éliminer ou les
comportements illégaux que nous cherchons à éliminer,
à moins que cela ne soit tellement clair que cela se passe de
définition, alors que ce n'est pas le cas, au contraire.
Donc, dans la balance, on a dû mettre les risques encourus
actuellement, les risques d'interprétation qui ne nous conviennent pas,
qui ne font pas justice à la situation et aux femmes en matière
d'interprétation et qui existent actuellement en l'absence de
définitions claires et même en l'absence de mention du
harcèlement sexuel comme étant un geste illégal au sens de
la charte. Nous contrebalançons assez facilement avec une bonne
définition. Tôt ou tard, il faut compter sur la bonne
volonté, la bonne foi, nous ne pouvons que faire notre plus grand
possible pour aider à améliorer la clarté et
pour permettre l'interprétation la plus juste possible.
M. Bédard: On ne se prononcera pas sur une
définition, je pense, on ne veut pas jouer à l'expert ce soir,
pas plus ce soir qu'une autre journée, mais prenez la définition
que vous trouvez quand même satisfaisante: Se réfère
à toute avance sexuelle dans le domaine du travail. D'abord, cela se
limite au domaine du travail.
Mme Moisan: Oui, cela est une faille. J'aimerais le souligner
tout de suite.
M. Bédard: C'est déjà une première
restriction par rapport à ce que je pense et à ce qui est contenu
dans l'extension de la charte, Ã l'article 10, parce que l'article 10
dit: Toute discrimination concernant le sexe dans tous les domaines. Tandis que
là , si on s'en tenait à cette définition, on aurait
déjà une première limitation en parlant du domaine du
travail. Je pense que vous l'avez remarqué aussi.
Mme Moisan: Oui, et je crois que cela ne pose pas vraiment de
problèmes dans la mesure où je n'étais pas en train
d'écrire une loi...
M. Bédard: Je vous comprends, prenez mes remarques avec
beaucoup de respect, parce que...
Mme Moisan: Non, c'est tout simplement pour en convenir avec
vous...
M. Bédard: ... je trouve déjà l'effort que
vous avez fait tellement intéressant. Par exemple, on définit le
harceleur comme étant l'employeur, la victime, son supérieur
hiérarchique, un collègue ou un client. Pourquoi, ce n'est pas:
Toute personne? Vous savez, cela peut représenter une limitation...
Mme Moisan: Si on est dans la rue.
M. Bédard: Je comprends que c'est parce que vous le faites
par rapport au travail, il y a une suite normale, en tout cas. Qu'est-ce que
vous pensez de la définition qui nous est fournie par la Commission des
droits de la personne?
Le Président (M. Desbiens): Mme la députée
de La Peltrie.
Mme Marois: La Commission des droits de la personne fait une
recommandation assez claire à ce sujet, elle dit d'ajouter après
l'article 11: Nul ne doit exercer quelque forme de harcèlement que ce
soit -donc c'est très large - fondé sur l'un des motifs de
l'article 10. Est-ce que cette introduction vous semble répondre aux
objectifs que vous vous fixez dans le mémoire?
Mme Moisan: C'est un pas dans la bonne direction. Je
n'étais pas au courant de cette proposition de la part de la commission
au moment où je rédigeais ce mémoire. Je l'ai entendue
aujourd'hui et je me suis dis: Oui, cela a du bon sens, c'est un pas dans la
bonne direction. Néanmoins, je continue à croire que le
problème du harcèlement sexuel des femmes, et
particulièrement dans le milieu du travail et peut-être aussi dans
le milieu de l'éducation, revêt des particularités et
surtout des dimensions qui, Ã mon sens, pourraient justifier qu'on en
fasse l'objet d'un article spécifique. Il y a aussi le fait -il fait
partie du problème - que les femmes hésitent beaucoup avant de se
plaindre de ce type de comportement. Nous tolérons à longueur
d'année et à longueur de carrière ce type de comportement
et je crois qu'il faut que le législateur indique aux femmes, aussi bien
qu'aux harceleurs et aux employeurs, que ce type de comportement est
spécifiquement illégal. C'est un message qui doit être
porté à la population, non seulement un message dans le style
voeu pieux, mais qui comporte aussi un pouvoir juridique.
M. Bédard: Par exemple, à la page 2 de la partie
II, on lit, en haut de la page, que les termes "harcèlement sexuel" ou
"harcèlement fondé sur le sexe" n'apparaissent nulle part dans la
Charte des droits et libertés de la personne. Par ailleurs, dans un
communiqué publié le 16 mars 1981 et intitulé Le
harcèlement sexuel, une monnaie courante, la Commission des droits de la
personne déclarait: "Pour la Commission des droits de la personne, il
s'agit là (en parlant du harcèlement sexuel) d'une forme de
discrimination basée sur le sexe qui constitue un acte illégal au
sens de la Charte des droits et libertés de la personne."
Mme Moisan: Oui. Justement...
M. Bédard: J'essaie de concilier. La commission, dans ce
communiqué, définit le harcèlement sexuel comme
étant une forme de discrimination qui est basée sur le sexe et,
dans ce sens, c'est un acte illégal. Que dit la charte? Si on va
à l'article 10, la charte dit qu'elle défend toute forme de
discrimination qui est basée sur le sexe. Le harcèlement est une
de ces manifestations d'illégalité parce qu'il n'y a pas
seulement le harcèlement, il y a bien d'autres phénomènes
qui représentent des discriminations basées sur le sexe. Nous
avons encore ici présente Mme la présidente de la Commission des
droits de la personne.
Mme Moisan: M. le ministre, vous conviendrez avec moi que nous ne
légiférons pas à coup de communiqués.
M. Bédard: Non, sûrement pas. Mme Moisan: Et
que...
M. Bédard: Mais on affirme des choses dans un
communiqué.
Mme Moisan: Bien sûr, et c'est justement ce sur quoi je me
basais pour m'interroger, à savoir si la commission considère
justement que cette forme de comportement est illégale, raison de plus
pour l'inscrire dans la charte. Tout ça au nom de l'éducation,
d'une certaine manière et aussi... (23 h 15)
M. Bédard: Peut-être que vous avez touché le
mot. Est-ce qu'au fond, ce n'est pas pour des raisons pédagogiques que
vous voulez que le mot "harcèlement" soit inscrit dans la charte
puisqu'il peut sembler assez clair que le harcèlement sexuel est une
forme de discrimination basée sur le sexe, qui est couverte par la
charte à l'article 10. Est-ce que cette - aussi bien se comprendre
très bien - insistance à demander que la notion même se
retrouve textuellement dans la charte ne serait pas basée surtout sur
des raisons pédagogiques qui pourraient se comprendre pour fins
d'éducation parce que le phénomène est peut-être
plus perceptible qu'il ne l'était auparavant? On sent le besoin qu'il
soit spécifié, qu'il y ait une spécification tout Ã
fait spéciale au niveau de la charte.
Mme Moisan: Aucune loi à ma connaissance n'a pour vocation
première l'éducation. La vocation première d'une loi est
d'interdire et d'enrayer les comportements illégaux, que nous
considérons illégaux, et c'est vraiment pour cette raison que je
souhaite voir l'inclusion, l'introduction dans la charte de cette expression,
voyez-vous.
M. Bédard: Oui, est-ce que vous me permettez... Je
comprends qu'Ã cette heure-ci on est moins de monde au niveau des
travaux de la commission, ce qui est bien compréhensible, mais nous
avons encore la présence de Mme la présidente de la Commission
des droits de la personne. Peut-être pouvez-vous me répondre
vous-même. Est-ce qu'il y a des jugements de cour qui vont dans le sens
de ne pas reconnaître le harcèlement sexuel comme étant une
forme de discrimination basée sur le sexe?
Mme Fournier: Vous me posez la question?
M. Bédard: Enfin, si vous voulez. Est-ce que vous
permettriez que...
Mme Moisan: Bien sûr.
M. Bédard: Vous pouvez y aller de vos commentaires
aussi.
Mme Fournier: D'accord, pour ce qui est du...
Une voix: Plus fort, plus fort, pour le journal des
Débats.
M. Bédard: Je pense que toutes les deux vous avez
épousé la même cause.
Mme Fournier: Oui, certainement, merci. Sur l'ensemble de la
question, j'aimerais en profiter pour préciser une chose. Effectivement,
nous considérons toujours que le harcèlement sexuel est une forme
de discrimination sur la base du sexe, mais nous ne sommes pas convaincues que
cela soit absolument limpide pour les tribunaux et nous ne voulons pas prendre
la chance que les tribunaux interprètent la loi différemment.
Notre conviction, c'est bien que c'est inclus dans le terme "sexe".
D'autre part, l'élément pédagogique ou
éducatif est aussi un élément important; de plus, cela a
été bien élaboré justement tout de suite. Les
personnes qui subissent ce type de comportement peuvent hésiter Ã
s'adresser à la commission ou à avoir recours aux tribunaux. Le
fait d'inscrire d'une façon explicite dans la charte que cela est
interdit, cela peut donner une assurance aux personnes qui subiraient ce type
de comportement ou d'attitude.
M. Bédard: Cela va dans le sens de l'argumentation de
madame Moisan, si je comprends bien.
Mme Fournier: C'est cela. Alors, il y a plusieurs
éléments qui militent pour l'introduction d'une telle
modification à la charte.
Le Président (Desbiens): Madame la députée
de La Peltrie.
Mme Marois: Dans le fond, ce que je comprends, c'est ce que la
commission dit qu'on l'introduit par un article formel, et ce qui m'agace un
peu depuis le début de la discussion c'est de savoir si on peut mettre
dans une charte - et là , je ne suis pas juriste - une telle
définition, aussi exhaustive et aussi complète, sur laquelle on
peut s'entendre ou pas. C'est une question que je me pose. Je la pose
peut-être au ministre de la Justice en même temps.
M. Bédard: On peut toujours y aller
d'une définition dans un texte de loi, mais cela a des
conséquences. Cela peut avoir comme conséquence que les tribunaux
l'interprètent d'une façon restrictive.
Mme Marois: C'est cela.
M. Bédard: Je crois cependant bien comprendre l'essentiel
de votre argumentation. Quand on pense qu'un motif pédagogique est une
raison pour inscrire dans une charte des droits et libertés qui a
préséance sur toutes les autres lois des termes dont on ne donne
pas toute la dimension, ce que je veux dire par là , c'est que s'il
fallait prendre le critère pédagogique pour faire une charte, je
vous jure une chose, on aurait une charte qui n'aurait pas 97 articles, mais
qui en aurait 3000 ou enfin, ce serait beaucoup plus volumineux en termes de
contenu.
On n'a pas répondu, à ce qu'on nous dit, si vous me
permettez...
Le Président (M. Desbiens): Oui, oui.
M. Bédard: Je termine, parce que,,en fait, ce
sera peut-être la dernière discussion. On en a discuté
quand même pas mal aujourd'hui. On nous dit, c'est l'autre argument -
parce que cela résume à peu près l'argumentation - que,
premièrement, du point de vue pédagogique, ce ne serait pas
mauvais - j'en conviens avec vous - et, deuxièmement, qu'on n'a pas de
jugements de tribunaux qu'on peut citer à l'heure actuelle qui vont dans
le sens de dire que le harcèlement sexuel n'est pas une discrimination
fondée sur le sexe, mais pour prévenir, de peur que les tribunaux
puissent en venir à cette conclusion, on aimerait mieux que ce soit dans
la charte. Je pense que c'est le dernier des arguments. Je me demande
jusqu'à quel point on peut donner un contenu à la charte
simplement - alors qu'on pense que c'est déjà contenu dans
l'article 10 - par peur que les tribunaux en viennent à d'autres
conclusions. On n'a pas d'exemples de conclusions qui nous font croire que le
harcèlement sexuel ne serait pas considéré comme
étant de la discrimination.
Le Président (M. Desbiens): II y a Mme Moisan qui voudrait
donner une réponse.
Mme Moisan: Si vous permettez, je ne suis pas du tout d'accord
avec votre ligne de raisonnement...
M. Bédard: Ce n'est pas le mien. Mme Moisan:
Pardon?
M. Bédard: Ce n'est pas le mien. D'accord, allez-y.
Mme Moisan: C'est d'abord parce qu'en prenant l'exemple du "Case
Law" américain assez volumineux sur la question, on peut constater un
débat absolument tumultueux au niveau des cours et qui tourne
essentiellement autour de la question de la définition. Est-ce, oui ou
non, de la discrimination basée sur le sexe, d'une part? La commission
québécoise dit oui. Parfait. Mais la commission, notre
commission, fait des choix conscients pour ne pas porter certaines causes
devant les tribunaux sachant ou craignant l'interprétation,
espérant un jour avoir un cas tellement clair, précis et limpide
pour ainsi établir une jurisprudence québécoise en la
matière. Eh bien, du point de vue d'une stratégie juridique,
c'est peut-être logique d'attendre d'avoir un cas dont on soit vraiment
sûr...
M. Bédard: Convaincant.
Mme Moisan: ... mais, du point de vue des femmes à qui on
nie un recours, d'une certaine manière, c'est un déni de justice,
parce que, justement, par la nature même du comportement du délit,
il faut procéder par le cas à cas; la preuve est difficile, les
conditions varient énormément. Bref, le cas parfait va
peut-être tarder très longtemps à se présenter au
Québec. Alors, où en sommes-nous?
M. Bédard: Je pense que vous y allez avec beaucoup de
conviction.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: Je pense que le ministre sera d'accord pour dire qu'il
existe un problème. Il y a un problème, il y a lacune. La
question maintenant, c'est: Comment va-t-on combler cette lacune? Mieux vaut
prévenir que guérir l'an prochain ou dans trois ans.
Je me demande si le harcèlement, c'est vraiment couvert par la
discrimination. En effet, supposons que quelqu'un fasse des blagues sur une
personne qui est handicapée: est-ce qu'on va dire que c'est de la
discrimination, le harcèlement d'un handicapé"? Si on fait des
blagues à cause de la race de quelqu'un; est-ce que c'est de la
discrimination? Parce que, finalement, il n'y a pas d'effets qui suivent de
tels harcèlements. Je me demande si vraiment c'est couvert par la
discrimination. De toute façon, je suis d'accord avec la
présidente de la commission pour dire que, selon moi, les tribunaux sont
très conservateurs au Québec et que, s'ils ont le choix entre une
interprétation libérale et une interprétation
conservatrice, ils vont choisir la dernière.
M. Bédard: Prenez garde de vous mêler,
là .
M. Marx: La commission a déjà donné
certaines interprétations assez libérales à certains
articles dans la charte et, Ã sa surprise, les tribunaux ont
décidé à l'inverse. Donc, il y a de bonnes chances ici que
le harcèlement ne soit pas couvert par la discrimination.
J'aimerais demander au ministre s'il accepte en principe l'engagement de
traiter de ce problème; on va laisser la plomberie à ses
fonctionnaires pour que la lacune soit comblée.
M. Bédard: Si on s'en tient au niveau des principes, je
pense que nous comprenons tous très bien le but qui est visé,
l'objectif qu'on veut atteindre, que tous les groupes veulent atteindre par les
représentations qu'ils ont faites devant la commission. Je suis d'accord
avec leur préoccupation que tout soit fait pour que ce but soit atteint.
Là où, je pense, il reste une question à se poser, c'est
jusqu'à quel point - cela demeure toujours la même question - une
définition ou une mention au niveau de la charte peut constituer une
restriction concernant le contenu même de la charte tel que nous le
connaissons. Dans le respect, justement, des préoccupations qui ont
été évoquées devant nous, je vais sûrement
demander à des légistes d'y aller d'une étude la plus
approfondie possible, de manière à être convaincu que, si
nous faisons un geste, il n'aille pas dans le sens contraire des
préoccupations qui ont été évoquées devant
nous.
M. Marx: Si on veut éliminer le harcèlement, si on
fait en sorte de couvrir cette question dans la charte, je ne vois pas de
danger. Je vois des dangers - je ne fais pas un procès d'intention, M.
le ministre, mais c'est toujours possible - d'avoir une opinion d'avocat de
trois ou quatre pages, toute une étude pour pas grand-chose. On a vu
cela au niveau fédéral. Je n'ai jamais vu cela au niveau
provincial, mais au niveau fédéral le rapport McDonald, 10 000
000 $; le gouvernement fédéra! a dit que cela ne vaut pas cher
avec deux opinions assez minces de deux avocats. Donc, j'ai peur que ce soit...
On veut fermer la porte...
M. Bédard: Disons que le rapport McDonald a fait plus de
chemin que les deux opinions légales de deux ou trois pages.
M. Marx: Non, mais...
M. Bédard: Soyons sérieux, si on n'était pas
préoccupé par le désir de donner suite à des
représentations et à des inquiétudes qui ont
été exprimées ici au cours de la journée concernant
le harcèlement sexuel, je pense qu'on n'en discuterait pas autant dans
les détails qu'on le fait présentement. C'est ma manière
de voir les choses. (23 h 30)
M. Marx: Puis-je demander au ministre de...
M. Bédard: Vous avez déjà été
membre de la Commission des droits de la personne, je pense que vous serez
sûrement d'accord que tout le sérieux soit apporté pour
être convaincu que le geste qui pourrait être posé soit
vraiment de nature à servir l'objectif et constituer un remède
aux inquiétudes qui ont été exprimées par tous les
groupes qui ont comparu devant la commission aujourd'hui.
M. Marx: Si on veut faire quelque chose, M. le ministre, je pense
qu'il faut prendre l'engagement de modifier la charte dans ce sens. Si vous ne
pouvez pas le faire, peut-être que la députée de La Peltrie
va le faire en votre nom.
M. Bédard: J'ai pris une attitude au début de cette
commission et je ne pense pas que ça marche à coups de pressions
sur le bord d'une table à 23 h 30; j'ai des oreilles pour entendre, j'ai
écouté toutes les...
Mme Lavoie-Roux: Vous n'êtes pas plus disposé
à 10 heures.
M. Bédard: Encore moins à 2 heures.
M. Marx: L'Opposition va prendre l'engagement de vous
appuyer.
M. Bédard: J'ai écouté avec beaucoup
d'attention toutes les recommandations et, en temps et lieu, une
décision sera prise.
Le Président (M. Desbiens): Mme
Moisan.
Mme Moisan: M. le Président, j'aimerais poser une question
au problème que vous soulevez, M. le ministre, concernant l'introduction
d'une clause d'un article et les conséquences restrictives auxquelles
vous faites allusion. Pourriez-vous me donner un exemple d'un autre
comportement illégal, pour ainsi dire, que le gouvernement voudrait
proscrire et au sujet duquel il s'empêcherait de légiférer
sur telle ou telle chose, craignant que se prononcer sous forme de loi en
matière X poserait des problèmes de restriction? Je ne comprends
pas exactement en quoi exprimer clairement la volonté d'interdire un
geste illégal pose ce problème.
Est-ce que vous avez des exemples dans d'autres secteurs ou dans
d'autres cas problématiques? Il me semble que, quand il y a une
volonté claire d'enrayer un certain comportement criminel, on ne prend
pas cinquante-six chemins pour le faire.
M. Bédard: Je ne veux pas jouer à l'expert ce soir
sur le bord d'une table, mais je pense qu'on en a parlé tout Ã
l'heure. Si vous prenez la peine d'indiquer dans la charte le mot
"harcèlement", il se peut que des cours en viennent à la
conclusion que telle attitude n'est pas un harcèlement alors qu'Ã
partir du contenu de l'article 10 le même comportement peut constituer
une discrimination concernant le sexe.
Mme Moisan: Le comportement n'est pas décrit dans la
charte, on n'y fait allusion nulle part.
M. Bédard: Non.
M. Marx: Ã l'article 11 dans la charte, on dit: Nul ne
peut diffuser, publier ou exposer en public un avis, un symbole ou un signe
comportant discrimination, ni donner une autorisation à cet effet. Cela
empêche un certain comportement. On peut dire que harceler est interdit
au Québec, harceler les femmes, les députés ou qui que ce
soit. Je pense que c'est possible de faire un article dans la charte si on a la
volonté politique; tout ce qu'on fait ici, ça prend la
volonté politique. On se demande ce soir si le ministre l'a
déjà .
Mme Lavoie-Roux: Si on s'étend sur le mot
"harcèlement" dans le sens où mon collègue de D'Arcy McGee
vient de le dire, le harcèlement des professeurs sur les
étudiants en temps de grève, qu'est-ce que vous en faites?
M. Marx: C'est sur le harcèlement en fonction d'une des
raisons de discrimination à l'article 10.
M. Bédard: On le sait, les tribunaux, devant une
définition, ont tendance à interpréter cette
définition d'une façon restrictive; c'est très clair.
Puis, lorsque c'est une interdiction, encore davantage. Prenez la
définition que vous nous proposez: Toute avance sexuelle non
désirée qu'une femme peut subir au travail, allant des regards
insistants, attouchements et commentaires abusifs, pressions subtiles... quelle
sera l'interprétation des tribunaux?
Alors, il s'agit d'aller au bout des choses; tous ces comportements
peuvent à un moment donné être considérés par
une cour comme étant une discrimination par rapport au sexe en vertu de
l'article 10.
à l'issue des travaux de cette commission, ce soir, tous les
groupes qui ont défilé devant nous ont la conviction de notre
désir d'essayer de donner suite à la préoccupation -
laissons les mots de côté -et aux inquiétudes qui ont
été évoquées par tous les groupes aujourd'hui sur
ce sujet. Vous pouvez être certains que non seulement on vous a
écoutés d'une manière attentive, mais les membres de la
commission vont essayer de trouver la solution qui constitue le meilleur
remède possible à ces inquiétudes très valables que
vous nous avez énoncées aujourd'hui.
M. Marx: Le ministre reste fidèle à son engagement
de ne pas prendre d'engagement devant cette commission.
M. Bédard: Ce qui est important pour les groupes qui
viennent, c'est qu'ils sachent que nous ne les avons pas écoutés
pour la forme; on va essayer de trouver les moyens d'en sortir, juridiquement
parlant, pour faire suite à ces inquiétudes. Est-ce que cela
répond à votre préoccupation?
M. Marx: On va faire le débat une autre fois quand le
projet de loi sera déposé. C'est cela qui va arriver.
M. Bédard: Alors, on vous remercie beaucoup, madame, pour
vos représentations devant les membres de cette commission.
Mme Moisan: Merci.
Le Président (M. Desbiens): La commission élue
permanente de la justice ajourne ses travaux à demain, dix heures.
(Fin de la séance à 23 h 381