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Version finale

32nd Legislature, 3rd Session
(November 9, 1981 au March 10, 1983)

Tuesday, October 6, 1981 - Vol. 25 N° 1

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Présentation de mémoires en regard des modifications à apporter à la Charte des droits et libertés de la personne


Journal des débats

Débats de la Commission permanente de la justice, Le mardi 6 octobre 1981

 

Les travaux parlementaires
32e législature, 2e session
(du 30 septembre 1981 au 2 octobre 1981)

Journal des débats

 

Commission permanente de la justice

Le mardi 6 octobre 1981 _ No 1

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Présentation de mémoires en regard

des modifications à apporter

à la Charte des droits

et libertés de la personne (1)

(Dix heures vingt minutes)

Le Président (M. Desbiens): Messieurs, la commission permanente élue de la justice tient ses premières séances dans l'accomplissement de son mandat de recevoir en auditions publiques des mémoires en regard des modifications à apporter à la Charte des droits et libertés de la personne.

Les membres de la commission sont MM. Beaumier (Nicolet), Bédard (Chicoutimi), Boucher (Rivière-du-Loup), Brouillet (Chauveau), Dauphin (Marquette), Kehoe (Chapleau), Lafrenière (Ungava), Marx (D'Arcy McGee), Paradis (Brome-Missisquoi), Mme Marois (La Peltrie), qui remplace M. Charbonneau (Verchères), M. Brassard (Lac Saint-Jean), qui remplace Mme Juneau (Johnson).

Les intervenants sont MM. Bisaillon (Sainte-Marie), Bissonnet (Jeanne-Mance), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), qui remplace M. Blank (Saint-Louis), MM. Ciaccia (Mont-Royal), Dussault (Châteauguay), Mme Lachapelle (Dorion), MM. Martel (Richelieu), Pagé (Portneuf). Il serait dans l'ordre de nommer maintenant un rapporteur.

M. Bédard: Je suggérerais la députée de Dorion.

Le Président (M. Desbiens): Alors, Mme Lachapelle agira en tant que rapporteur.

Comme il s'agit d'auditions publiques, comme à l'habitude il y aura une période pour la transmission du mémoire, une vingtaine de minutes, et une période de questions de 40 minutes environ, si la commission est d'accord.

M. Bédard: Sûrement, avec la souplesse nécessaire que l'on vous reconnaît, M. le Président. Je pense que vous êtes à même de constater qu'il y a des mémoires très substantiels, par la force des choses, et qui sont assez volumineux. À ce moment-là, il s'agira peut-être d'agencer à l'intérieur des 60 minutes que vous nous indiquez.

Le Président (M. Desbiens): D'accord.

Alors, j'appelle le premier groupe. Excusez, auparavant je demanderais au ministre de la Justice des commentaires préliminaires.

Remarques préliminaires

M. Marc-André Bédard

M. Bédard: M. le Président, au début des travaux de cette commission parlementaire, vous me permettrez sûrement quelques commentaires.

J'aimerais tout d'abord souhaiter la bienvenue à toutes les personnes qui soit en leur nom personnel ou soit à titre de représentants d'organismes, sont venues participer aux travaux de la commission permanente de la justice et, ainsi, permettre à nous tous, membres de cette commission, de faire le point avec elles sur la Charte des droits et libertés de la personne, et surtout d'essayer ensemble de déterminer quelles sont les perspectives d'avenir qui se dégagent tant au niveau des modalités de son application que de l'étendue des droits prévus dans la charte.

Les personnes qui sont ici, ce matin, ne représentent qu'une partie des quelque 60 organismes ou individus qui ont déposé un mémoire à la commission. Ces personnes ont exprimé le voeu d'être entendues au cours des prochains jours.

Ce nombre très élevé de participants à une commission parlementaire ne fait que confirmer davantage ma conviction profonde qu'une période de réflexion s'impose tant dans la population que chez les parlementaires avant que de nouveaux changements soient apportés à la charte. En effet, une charte des droits et libertés, dans mon optique et dans l'optique, sûrement, de tous les membres de la commission, n'est pas qu'un simple texte législatif. Il s'agit d'une loi qui a préséance, comme on le sait, sur les autres lois. Le gouvernement ne peut donc envisager d'amender un texte aussi fondamental sans un processus d'échanges soutenus qui va au-delà des représentations ponctuelles qui ont pu lui être faites dans le passé.

De plus, au Québec, comme on le sait, ce sont les tribunaux de droit commun qui ont à se prononcer sur la portée juridique de chaque article de la charte, de chaque mot et de chaque virgule, même. Il nous appartient donc d'être des plus circonspects lorsque vient le temps d'ajouter de nouveaux passages à un texte de loi aussi important ou encore lorsqu'il s'agit de décider d'en modifier le contenu.

Par contre, il est devenu indéniable qu'avec les années, certains amendements sont devenus nécessaires pour permettre à la

charte de continuer de réaliser les objectifs visés par le législateur en 1975. Tout d'abord, une jurisprudence s'est développée. Cette jurisprudence a pointé du doigt certaines imperfections ou imprécisions au niveau de la formulation de la charte elle-même. Il m'apparaît important de faire le tour de ces brèches afin de redonner au texte son intention première.

D'autre part, certains nouveaux droits ont été inscrits à l'intérieur de lois sectorielles, qui font actuellement l'objet de discussions en ce sens sur la place publique. Je pense, par exemple, aux droits des handicapés contenus dans la Loi assurant l'exercice des droits des personnes handicapées. Il me vient également à l'esprit les droits à la santé et à la sécurité du travail et les droits de l'enfant, contenus dans la loi 24. Le temps est peut-être venu de se demander si une telle tendance à la multiplication des lois, visant à accorder certains droits spécifiques, doit se maintenir.

Que dire aussi de certaines notions d'ordre social qui ont tellement évolué, au cours des dernières années, qu'elles donnent lieu présentement à des débats qu'il aurait été difficile d'imaginer il y a cinq ans, mais qui auront nécessairement un impact sur la charte? Le plus bel exemple de cette discussion, qu'on n'aurait peut-être pas imaginée avec la même intensité il y a cinq ans, c'est celui sur l'abolition de l'âge obligatoire de la retraite. Une réflexion s'impose donc sur la cohésion législative qui doit exister au niveau des textes de loi qui traiteront éventuellement de ces notions.

Enfin, la lutte contre toutes les formes de discrimination s'est grandement raffinée et, grâce à l'expérience vécue dans de nombreux États voisins, des outils peut-être plus efficaces s'offrent maintenant à nous, dont la mise sur pied nécessitera, elle aussi, l'adoption d'amendements à la charte.

C'est pour toutes ces raisons qu'il est de mon intention, M. le Président, de présenter au Conseil des ministres, le plus rapidement possible après les audiences de la commission parlementaire, un projet de loi amendant de façon assez substantielle la Charte des droits et libertés de la personne, notamment au niveau de l'âge, du sexe, des avantages sociaux et des programmes de redressement progressif. Je compte donc mieux connaître votre opinion sur ces sujets et l'opinion de tous les groupes qui se feront entendre, au cours de nos travaux, sur ces sujets spécifiques, ainsi que tous les autres sujets reliés à l'application de la charte. En fait, c'est ce que nous ferons ensemble d'ici la fin des travaux de la commission.

M. le Président, avant d'entreprendre l'audition des mémoires, il me vient également à l'esprit certaines questions dont j'aimerais brièvement faire la liste pour les membres de la commission. Il m'apparaît important que chacun d'entre nous puisse les garder présents à l'esprit lorsque viendra le temps de discuter du contenu des mémoires qui nous seront présentés parce que, à mon humble avis, ces questions cristallisent assez bien, je crois, les débats qui ont cours sur les différentes propositions d'amendements qui sont couramment mises de l'avant. (10 h 30)

Tout d'abord, concernant les droits fondamentaux contenus dans la charte, je pense qu'il y a des questions que nous devrons nous poser ensemble et poser à ceux et celles qui viendront nous rencontrer ou faire des représentations à cette commission. Concernant les droits fondamentaux contenus dans la charte, une question qu'on peut sûrement se poser est la suivante: Jusqu'où peut-on aller dans l'inclusion de nouveaux droits sans affaiblir le caractère solennel du texte de loi que représente la Charte des droits et libertés? Il m'apparaît assez évident que l'intention du législateur en 1975 était de combattre, de la façon la plus efficace possible, la discrimination individuelle. Un besoin semble se dessiner pour que la charte serve également à combattre la discrimination en tant que phénomène collectif. Quel est le juste équilibre qui doit s'établir entre les deux, la discrimination sur le plan individuel et la discrimination sur le plan collectif? Si, par exemple, quelqu'un réclame que le droit à la santé soit inclus dans la charte, veut-il le faire pour que ce nouveau droit serve d'outil pour lutter contre la discrimination ou encore désire-t-il inscrire dans la charte un objectif solennel pour une société que tout gouvernement se doit d'atteindre, à plus ou moins brève échéance?

Si on parle de la discrimination dans les régimes d'avantages sociaux et d'assurance de personnes, un calcul basé sur des données actuarielles est-il discriminatoire? Je pense que c'est une question qu'il va falloir se poser. Certains prétendent que oui parce que les données actuarielles ne font que refléter les inégalités socio-économiques qui existent au niveau d'une société. D'autres, par exemple les signataires du rapport Boutin sur la discrimination dans les régimes d'avantages sociaux, prétendent qu'il faut laisser jouer les donnés actuarielles parce qu'elles ne font que constater une réalité objective et qu'à ce titre, elles seraient non discriminatoires. Je pense que c'est une question qu'il faudra essayer de vider ensemble.

Au nom d'une certaine égalité de traitement entre différents groupes d'assurés, une personne peut-elle être amenée à payer plus cher pour sa prime d'assurance afin que d'autres paient moins, et ce indépendamment du degré de risque encouru par l'assureur? C'est une autre question qu'il va falloir se poser, je crois.

La notion de conjoint de fait et de dépendant doit-elle être définie dans une charte ou dans les lois et règlements gouvernant les organismes publics et entreprises privées qui ont comme rôle d'offrir des régimes d'avantages sociaux ou d'assurance?

Si nous parlons du rôle de la Commission des droits de la personne, il y a sûrement plusieurs questions qui nous viendront à l'esprit. Tout d'abord, la commission est-elle un organisme de support pour les personnes qui s'estiment victimes de discrimination, notamment au niveau de leurs recours devant les tribunaux, ou encore la commission doit-elle devenir l'avocate attitrée de tous, tant au niveau du redressement des torts individuels qu'au niveau de ceux subis collectivement par des groupes? Ce sont des questions qu'on doit se poser, je pense. De plus, les ressources humaines et financières sont-elles actuellement disponibles pour lui permettre d'assumer efficacement une vocation plus collective?

Il y a d'autres questions possibles concernant la Commission des droits de la personne. Est-ce que cette commission peut à la fois lancer ou même imposer des programmes de redressement progressif et, par la suite, vérifier si ces mêmes programmes sont respectés?

La commission devrait-elle devenir un organisme quasi judiciaire qui remplacerait, au niveau des plaintes formulées en vertu de la charte, le rôle actuellement joué par les tribunaux de droit commun?

Je pense que ce sont quelques-unes des questions qui nous viendront sûrement à l'esprit à la suite de la réception de chacun des mémoires.

Si nous parlons des programmes de redressement progressif, je pense que là-dessus tous conviennent que la société québécoise doit s'engager dans l'établissement de tels programmes. Toutefois, il s'impose à nous de bien examiner tous les impacts de leur mise en oeuvre. Ainsi, de tels programmes devraient-ils être imposés aux entreprises? Peut-on aussi, de façon économiquement réaliste et tout en restant efficace, adapter au Québec un modèle essentiellement basé sur la structure de l'économie américaine?

M. le Président, j'ai évoqué ici dans différents secteurs, que ce soit les programmes de redressement, le rôle de la commission, la discrimination dans les régimes d'avantages sociaux et d'assurance de personnes, les droits fondamentaux reconnus dans la charte. J'ai évoqué certaines des questions que nous devons nous poser ensemble et auxquelles il nous faut essayer de trouver les réponses les plus valables en fonction non seulement de nos objectifs personnels, que ce soit comme groupes ou individus, mais en fonction du mieux-être de l'ensemble d'une collectivité, la collectivité québécoise.

En terminant, je m'en voudrais de ne pas attirer l'attention de tous sur un sujet qui, bien que n'étant pas un de ceux sur lesquels nous serons appelés à discuter au cours des prochains jours, n'en est pas moins d'une importance primordiale pour l'avenir même de toutes nos discussions. Il s'agit, bien entendu, de l'impact de la charte fédérale des droits contenu dans la résolution actuellement à l'étude à Ottawa sur la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.

Il me paraît important de faire ressortir que l'adoption de la résolution fédérale, si elle avait lieu, n'est pas sans conséquence sur notre charte que l'Assemblée nationale du Québec adoptait, voici quelques années, comme étant le reflet de certaines valeurs démocratiques et sociales qui existaient et qui continuent d'exister au niveau de la société québécoise. Désormais, s'il fallait que ce projet devienne réalité, ceci voudrait essentiellement dire que le législateur québécois ne serait plus le seul à exprimer ces valeurs puisque, en ce domaine, les dispositions de la résolution fédérale viendront soit se superposer aux droits et libertés reconnus par le Québec, soit en modifier la portée ou encore les remplacer, tout simplement.

De plus, notre charte, en déterminant le degré de primauté de ses dispositions sur la législation existante, avait aussi, on le sait, échafaudé un régime qui se trouvera remis en question par la résolution fédérale. Certes, on trouve dans la résolution fédérale, c'est évident, des droits que nous avions nous-mêmes reconnus et protégés dans la Charte des droits et libertés de la personne, dans la charte québécoise. Cependant, non seulement toute notre législation devrait désormais se conformer plutôt à la charte fédérale, mais également il nous serait beaucoup plus difficile, voire même impossible, de modifier ou de préciser le contenu de ces droits afin d'en assurer l'évolution et l'adéquation aux besoins et au rythme de la société québécoise.

À l'heure actuelle, on le sait, nous avons un mécanisme qui se doit de ne pas donner toutes les facilités parce que comme on l'a dit au début, lorsqu'il s'agit de faire des amendements à une charte, étant donné l'importance de cette loi, il faut y aller avec beaucoup de prudence, ce qui n'empêche pas d'y aller quand même avec fermeté. Nous avons, dans le contexte actuel, un mécanisme beaucoup plus souple que celui que nous aurions si le projet de charte fédérale était accepté. Je pense qu'à partir du moment où ce projet deviendrait réalité il en résulterait sûrement une confusion juridique. Toute cette confusion

juridique risquerait de créer une incertitude juridique qui ne peut exister qu'au détriment d'une protection adéquate des droits et libertés.

Il nous faudra donc en maintes occasions attendre que les tribunaux analysent la portée de quelques droits nouveaux et nous indiquent dans quelle mesure il nous sera permis d'ajouter à ceux déjà reconnus par la résolution fédérale. Or, on le sait, notre charte, à bien des égards, va nettement plus loin que le projet fédéral. Devrions-nous accepter ce recul ou même un blocage des droits existants? Je pense que personne ici n'est prêt à y consentir, j'en suis persuadé. Ce sont les remarques que j'avais à faire. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Herbert Marx

M. Marx: Merci, M. le Président. J'aimerais, premièrement, souhaiter la bienvenue à toutes les personnes qui se sont présentées ici aujourd'hui en commission et j'aimerais aussi remercier tous ceux qui ont déposé un mémoire devant la commission.

M. le Président, il convient de rappeler aujourd'hui que ce fut un gouvernement libéral qui, en 1975, a fait adopter la Charte des droits et libertés de la personne et qui a créé la Commission des droits de la personne. Il va donc sans dire que l'Opposition libérale appuiera des modifications à la charte qui affirmeront et renforceront cette charte et qui protégeront davantage les droits et libertés des Québécois. Pour ma formation politique, la société est d'abord construite pour l'individu dans le respect de ses droits, de ses choix, de ses devoirs et de son sens des responsabilités. C'est ainsi que, dans une société libérale, le respect et la protection des droits fondamentaux - de conscience, d'opinion, d'association et d'action et le droit à la vie privée - apparaissent comme prioritaires et essentiels. Dans un tel cadre, l'action législative de l'État consiste, non pas à imposer un modèle de société, mais plutôt à protéger l'action sociale des citoyens en empêchant l'exploitation ou l'oppression des individus ou des groupes par d'autres individus, d'autres groupes ou même par l'État.

Le Parti libéral dans son programme intitulé "La société libérale de demain" a déjà proposé certains changements à la charte. Parmi ceux-ci se trouvent les suggestions suivantes: 1. Revoir la Charte des droits et libertés de la personne afin de la modifier, le cas échéant, pour renforcer les droits et libertés des Québécois et assurer à tous l'égalité des chances. 2. Voir à ce que chaque projet de loi et règlement soit étudié par le ministère de la Justice, lequel avisera l'Assemblée nationale des dispositions qui ne respectent par la charte. 3. Voir à ce que l'administration publique respecte intégralement la Charte des droits et libertés de la personne. 4. Modifier la Charte des droits et libertés afin de permettre l'adoption de programmes de redressement progressif susceptibles de corriger les injustices affectant certains groupes, notamment les femmes, les personnes âgées et les groupes minoritaires. 5. Abroger l'article 90 de la Charte des droits et libertés de la personne, lequel permet implicitement la discrimination contre les femmes en matière d'assurances, d'avantages sociaux et de régimes de rente.

En étudiant la portée et l'efficacité de la charte, je suis frappé par une faiblesse de la charte. Il s'agit d'une faille de taille. En effet, l'article 52 de la charte stipule que: "Les articles 9 à 38 prévalent sur toute disposition d'une loi postérieure qui leur serait contraire, à moins que cette loi n'énonce expressément s'appliquer malgré la charte."

Cela veut dire que le gouvernement peut passer outre les garanties de la charte à son gré. Il s'agit simplement d'inclure une clause dérogatoire à la charte dans la loi. Le gouvernement actuel n'a pas hésité à violer la charte de cette façon.

Voici la liste des lois québécoises qui comportent une telle disposition dérogatoire à la charte: 1. 1976, Loi sur les jurés, article 58. 2. 1976, Loi autorisant les municipalités à percevoir un droit sur les mutations mobilières, article 16. 3. 1976, Loi concernant les services de santé dans certains établissements, article 14. 4. 1977, Loi sur la protection de la jeunesse, article 82. 5. 1977, Loi favorisant la libération conditionnelle des détenus, article 44. 6. 1977, Loi modifiant le Code de procédure civile, article 43. 7. 1978, Loi assurant l'exercice des droits des personnes handicapées, articles 70, 71 et 72. 8. 1981, Code de la sécurité routière, article 523. 9. 1981, Loi modifiant la Loi sur la protection de la jeunesse, article 9.

(10 h 45)

Le gouvernement péquiste a expressément violé la charte à maintes reprises depuis son accession au pouvoir. Il ne faut pas oublier non plus que le premier projet de loi du gouvernement péquiste, la Charte de la langue française, comportait

une clause dérogatoire. En effet, le gouvernement a voulu donner prépondérance à la Charte de la langue sur la Charte des droits et des libertés de la personne, c'est-à-dire que dans la hiérarchie des droits, dans la hiérarchie des valeurs, le gouvernement a proposé qu'on mette les droits linguistiques au-dessus des droits et libertés de la personne au Québec. Heureusement, devant un tollé de protestations, surtout de la part du parti d'Opposition et de la Commission des droits de la personne, le gouvernement péquiste a reculé.

Enfin, le gouvernement a souvent violé la charte malgré l'avis contraire fortement étayé de la Commission des droits de la personne. Voir, par exemple, le mémoire de la commission rendu public il y a quelques mois sur le Code de la sécurité routière, où elle a écrit que la dérogation à la charte, à l'article 523 de ce code, n'est pas justifiée.

Une charte qui peut être violée sera violée. Nous avons vu cela au niveau fédéral lors des événements d'octobre 1970. Nous avons aussi vu cela au Québec dans les exemples que je viens de citer. C'est toujours dangereux quand la protection des droits et libertés est au bon vouloir du gouvernement péquiste. Il s'agit d'une lacune dans la protection de nos droits qui doit être comblée.

L'Opposition aimerait faire la suggestion suivante au gouvernement: Enchâsser une charte québécoise des droits et libertés dans les lois du Québec afin que cette charte ait préséance sur toute loi québécoise, sans exception.

La technique juridique pour le faire est fort simple. Il s'agit simplement pour l'Assemblée nationale d'adopter une charte avec un article semblable à ce qui suit: "Cette charte ne peut pas être abrogée ou modifiée à moins que 75% du nombre total de députés à l'Assemblée nationale votent en faveur d'une telle abrogation ou modification. "De plus, cet article ne peut pas être abrogé ou modifié à moins que 75% du nombre total des députés de l'Assemblée nationale votent en faveur d'une telle abrogation ou modification."

Il est à noter qu'une telle charte québécoise enchâssée lierait ce gouvernement de même que les gouvernements futurs. La charte sera au-delà des bons vouloirs du gouvernement, mais toujours sujette à des modifications à l'Assemblée nationale par le biais d'une procédure spéciale. Si ce gouvernement est sérieux en ce qui concerne la protection des droits et libertés des Québécois, il enchâssera une charte québécoise dès la prochaine session de l'Assemblée nationale. Qui vivra verra, M. le Président.

J'aimerais faire une dernière remarque. Le ministre a dit qu'une charte provinciale va rendre tout confus, cela va mener aux confusions juridiques. J'insiste sur ceci: l'Opposition libérale est contre le fait d'avoir une charte fédérale sans le consentement du Québec. Nous ne pouvons pas accepter une charte fédérale sans qu'il y ait le consentement du Québec, mais nous sommes pour une charte au niveau fédéral, et c'est tout à fait normal dans un système fédéral d'avoir deux chartes: une au niveau fédéral, une au niveau provincial. Par exemple, aux États-Unis, il y a un "bill of rights" pour l'État de la Californie et il y a un "bill of rights" au niveau fédéral. J'insiste encore une fois là-dessus, pour que ce soit bien clair, mais je pense que c'est clair, on a voté l'autre jour à l'Assemblée nationale, c'était bien clair pour tout le monde que le Parti libéral du Québec ne peut pas accepter une charte qu'on imposerait au Québec sans le consentement du Québec. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Marc-André Bédard

M. Bédard: M. le Président, j'aimerais faire tout simplement quelques commentaires, parce que je crois qu'il est maintenant important, étant donné que nos entrées en matière sont faites, d'entendre les groupes. Je voudrais rappeler à mon collègue d'en face, qui a fait l'énumération de certaines lois où il y a eu des dispositions mettant de côté l'application de la Charte des droits et libertés, que, dans cette énumération, si on parle de la Loi de la protection de la jeunesse, c'était à des endroits et pour des motifs qui étaient valables au point que la Loi sur la protection de la jeunesse, vous le savez, a été adoptée unanimement par l'Assemblée nationale. S'il y avait eu violation de la charte pour des motifs inavouables, je suis convaincu qu'à ce moment-là, l'Opposition n'aurait pas été d'accord.

Si on parle de la loi sur les libérations conditionnelles où, effectivement, il y a eu une disposition à cet effet, je rappelle encore une fois à l'Opposition que c'est une loi qui a été adoptée à l'unanimité de l'Assemblée nationale parce que, effectivement, avec le concours de l'Opposition... Si vous me permettez, le droit de parole.

M. Marx: Oui, allez-y.

M. Bédard: Alors, je suis d'accord qu'il y a certains projets de loi, certains des exemples qui ont été donnés par mon collègue de l'Opposition qui n'ont pas amené l'adhésion de l'ensemble des membres de l'Assemblée nationale; je n'en disconviens pas. Je veux simplement rappeler qu'il y a

plusieurs lois où on a cru bon d'insérer une dérogation à la charte, mais qui était justifiée au point d'amener l'adhésion de l'ensemble des membres de l'Assemblée nationale. Je pense, entre autres, à la Loi sur la protection de la jeunesse et à la loi sur les libérations conditionnelles; il y a peut-être d'autres exemples. Je ne veux pas faire un long débat, M. le Président. Je ne crois pas qu'il y ait lieu de faire une réplique aux propos très intéressants qui ont été tenus par mon collègue de l'Opposition. Je serais prêt à passer à l'audition des groupes.

M. Marx: Question de privilège.

Le Président (M. Desbiens): II n'y a pas de question de privilège en commission parlementaire.

M. Marx: Question de règlement. Je n'ai pas mon code de procédure aujourd'hui, mais je suis sûr que le ministre sera d'accord de me permettre de parler 30 secondes, surtout qu'on défend la liberté de parole ici.

Le ministre a bien dit qu'on a voté certaines lois où il y avait une clause dérogatoire. On n'a pas voulu empêcher l'adoption de ces lois parce que le gouvernement insistait pour qu'on fasse une dérogation à la loi. Il nous était impossible d'empêcher la mise en vigueur, de voter contre la loi. Donc, on était d'accord, sauf pour une clause. Je vais vous donner le dernier exemple, M. le Président, c'est le Code de la sécurité routière. On a voulu refaire le code, nous étions d'accord sur ce point, mais on s'est battu pour que le ministre enlève l'article 523, la Commission des droits de la personne a fait un mémoire au ministre pour dire que cette dérogation à la charte est injustifiée. Enfin, quand le gouvernement a 80 députés et que nous en avons seulement 42, c'est difficile de gagner chaque bataille. On en gagne quelques-unes ici et là, mais c'est difficile de gagner chaque bataille.

Je vais dire en concluant que, si on a une charte et qu'en partant, on dit: On va la violer, le cas échéant, on part d'un mauvais esprit. Dans l'État de la Californie, ils ont une charte de l'État, ils ont une charte fédérale et ils ne violent pas leur charte parce qu'ils ne peuvent pas. L'assemblée ou l'équivalent de l'Assemblée nationale, dans l'État de la Californie, ne peut pas. Si c'est une bonne charte, on ne la viole pas. Si on part avec l'idée qu'on va la violer, le cas échéant, quand le gouvernement pense que c'est bien, c'est une mauvaise chose. C'est pourquoi j'ai fait cette suggestion.

M. Bédard: Je vais prendre note très sérieusement de la suggestion qui a été faite par M. le député. Je voudrais lui rappeler que s'il y a des dérogations possibles à la charte c'est en vertu d'une disposition qui existe à l'heure actuelle dans la charte, et qui n'a pas été votée par le gouvernement actuel.

M. Marx: On demande de faire les corrections. L'objet de la commission, c'est de corriger la charte.

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre:

M. Bédard: Je ne vous interromps pas. Le député sait très bien qu'on ne peut pas tirer de mes propos quelque conclusion à savoir qu'on doit violer la charte. Non, je pense qu'on doit avoir non seulement toute l'attention nécessaire, mais la volonté nécessaire du point de vue politique pour qu'elle soit respectée. Il y a peut-être des mécanismes qu'on peut se donner. Il s'agit de les évaluer ensemble. Comme le fait remarquer Mme Lavoie-Roux, effectivement, il y a, à l'heure actuelle, dans la charte telle qu'elle a été votée par un autre gouvernement, une possibilité de dérogation, parce qu'il peut y avoir là certaines circonstances dans l'intérêt même de ceux pour qui on légifère. Je suis d'accord qu'on devrait trouver le moyen de cerner le mécanisme à un point tel que ce ne soit pas une porte ouverte de ce côté.

Mémoires

Le Président (M. Desbiens): Dans le but d'en arriver au plus tôt aux modifications désirées, on va commencer à entendre les mémoires des intervenants. J'appelle la Commission des droits de la personne, représentée par Mme Francine Fournier. Je lui demanderais de présenter les personnes qui l'accompagnent.

Commission des droits de la personne

Mme Fournier (Francine): Merci, M. le Président.

M. le Président, M. le ministre, Mme la ministre, mesdames et messieurs membres de la commission parlementaire, la Commission des droits de la personne du Québec se réjouit de l'occasion qui lui est donnée, ainsi qu'à l'ensemble de la population québécoise, de s'exprimer sur la Charte des droits et libertés de la personne et de recommander aux législateurs les modifications qui s'imposent.

Il me fait plaisir de vous présenter les commissaires de la Commission des droits de la personne du Québec qui ont bien voulu et qui ont pu se joindre à nous aujourd'hui: Mme Nicole Trudeau Bérard, qui est vice-présidente de la commission, M. Raymond

Sliger, commissaire; à ma gauche, Mme Armande Saint-Jean, commissaire, M. Vaughan Dowie, commissaire, et M. Michel Yarosky, commissaire. Les autres commissaires seront sans doute présents à d'autres moments durant les discussions à cette commission parlementaire.

Le mémoire de la commission que j'ai l'honneur de vous présenter ce matin est le résultat, non seulement de la réflexion et de l'action de la Commission des droits de la personne et de son personnel, des commissaires depuis le tout début de la commission et des commissaires actuels, mais aussi des efforts concertés de groupes, organismes et individus pour qui la défense des droits et libertés est l'oeuvre de tous les instants. J'aimerais les remercier tous de leur précieuse collaboration.

Nous croyons que cette commission parlementaire revêt dans les circonstances une très grande importance. Nous espérons que le débat démocratique qu'elle ne manquera pas de susciter contribuera à l'amélioration de la qualité de vie et des rapports sociaux au Québec. La Commission des droits de la personne se présente aujourd'hui comme l'un des intervenants à cette commission parlementaire, consciente que la Charte des droits et libertés est le bien de tous les Québécois et que cette charte doit être soutenue par une volonté collective.

Les responsabilités spécifiques que lui a conférées le législateur, ainsi que son expérience des cinq dernières années, autorisent la Commission des droits à proposer des modifications susceptibles d'améliorer cet instrument de justice. C'est à partir des besoins de la population, dans l'esprit de la déclaration universelle des droits de l'homme et dans le mouvement évolutif des droits de la personne que la Commission des droits examine avec vous la charte québécoise. (11 heures)

La charte, comme vous le savez, est une loi fondamentale, d'abord par l'étendue des droits qu'elle consacre. Outre le droit à l'égalité pour les motifs prévus, elle reconnaît les libertés fondamentales classiques telles que la liberté d'opinion et d'expression, les droits de la personnalité, comme le droit à l'intégrité physique et à la vie privée. Deux de ses chapitres sont consacrés, l'un aux droits politiques, l'autre aux droits judiciaires. Enfin, elle contient un chapitre consacré aux droits économiques et sociaux, dont le droit à l'information, le droit à un niveau de vie décent, à des conditions de travail justes et raisonnables. Bien sûr, pour la plupart de ces droits, c'est spécifié "dans la mesure prévue par la loi".

La charte est une loi fondamentale, en second lieu, parce que ses dispositions relatives au secret professionnel, au droit à l'égalité, aux droits judiciaires "prévalent sur toute disposition d'une loi postérieure qui leur serait contraire, à moins que cette loi n'énonce expressément s'appliquer malgré la charte". Il est impossible de comprendre l'action de la Commission des droits de la personne du Québec sans prendre connaissance de l'étendue des droits reconnus par la charte. En effet, énumérant les pouvoirs et les devoirs de la commission, le législateur lui a conféré le mandat général de "promouvoir, par toutes mesures appropriées, les principes contenus dans la présente charte".

Les obligations particulières, nous les connaissons bien, il s'agit pour la commission de recevoir des plaintes, de faire enquête; il s'agit d'un mandat très général et très important d'éducation et d'information populaire concernant les droits et libertés; il s'agit de coopération; il s'agit de recherches fondamentales concernant les droits et libertés et particulièrement des recherches sur la législation antérieure se développant au Québec.

L'indépendance de la commission a été souhaitée par le législateur, et ceci est fondamental, puisque ses membres, au nombre de onze actuellement, sont nommés avec l'approbation, comme vous le savez, des deux tiers des membres de l'Assemblée nationale. De plus, même si administrativement la commission relève du ministre de la Justice, elle fait rapport à l'Assemblée nationale.

L'expérience encore une fois des cinq années sert de base à plusieurs des recommandations de modifications à la charte que nous présentons aujourd'hui. Certaines de celles-ci ont cependant été identifiées dès le départ. Les modifications demandées portent sur certains droits fondamentaux, sur l'interdiction de discrimination et sur les pouvoirs de la commission. La considération majeure qui ressort de notre expérience, et donc de ce mémoire, est la reconnaissance du caractère systémique de la discrimination. Les personnes sont atteintes de façon collective par la discrimination. Les cas individuels sont rarement isolés; ils font partie du système. Les racines des inégalités ne se retrouvent donc pas surtout dans les relations entre individus, mais bien dans des pratiques sociales. La discrimination se situe surtout au niveau collectif.

Une première série de recommandations concernent ce caractère collectif de la discrimination. La première, les programmes d'accès à l'égalité, que nous avons parfois appelés des programmes de redressement, d'autres fois des programmes d'action collective. Je vous indique que le choix de la commission s'est finalement porté sur ce terme "programmes d'accès à l'égalité". Nous avons fait de longues études avec l'aide de

l'Office de la langue française.

La commission recommande, d'abord, que la charte soit amendée de manière à permettre la mise en oeuvre efficace de programmes d'accès à l'égalité. Ces programmes ont pour but de lutter plus efficacement contre la discrimination systémique s'exerçant à l'endroit de certains groupes de personnes qui ont subi historiquement et de façon généralisée et qui subissent encore diverses formes d'exclusions ou de traitements inégalitaires. Ils s'adresseraient notamment aux femmes, aux autochtones, à certaines minorités raciales, ethniques ou nationales, ainsi qu'aux personnes handicapées. Ils s'appliqueraient surtout dans le domaine du travail et dans celui de l'éducation.

Aux yeux de la commission, la nécessité d'implanter des programmes d'accès à l'égalité ne fait aucun doute. Notre expérience, de même que celle des autres commissions analogues au Canada, aux États-Unis, en Suède et en Grande-Bretagne, nous démontre, en effet, que l'approche du cas par cas, bien qu'absolument nécessaire, ainsi que les mesures incitatives basées sur la bonne volonté sont tout à fait insuffisantes pour contrer la discrimination systémique. Soulignons que les lois du Québec et de Terre-Neuve sont les seules au Canada à ne pas contenir de dispositions à cet effet. Bien sûr, les lois d'ailleurs au Canada sont de diverses formes et elles sont analysées dans notre mémoire. La discrimination ne consiste pas en une série de phénomènes isolés, nous l'avons vu; dans plusieurs secteurs d'activités, elle s'érige en système plus ou moins conscient et volontaire, certes, mais qui a pour effet concret d'exclure collectivement des groupes de personnes ou tout au moins de les traiter inégalement. Notre mémoire illustre abondamment à cet égard la situation défavorable des femmes, de certaines minorité raciales, des autochtones, des personnes handicapées.

Face à ces données, on voit difficilement comment on pourrait s'opposer à des mesures vigoureuses de redressement, d'autant plus que les programmes volontaires d'égalité des chances appliqués jusqu'ici au Québec n'ont donné que fort peu de résultats.

La Commission des droits de la personne croit que seuls les programmes d'accès à l'égalité peuvent constituer des instruments rationnels et efficaces parce que précisément ils s'adressent au caractère systémique et collectif de la discrimination. Un tel programme peut se définir comme suit: C'est un programme intégré, axé sur l'égalité de résultats, adopté par une entreprise ou une institution comme remède à la discrimination systémique et visant à supprimer les obstacles qui s'opposent à l'intégration dans un secteur donné d'un groupe défavorisé.

Il ne s'agit pas, et ceci est fondamental dans toute l'approche que l'on peut avoir à ces programmes, de discrimination à rebours qui s'exercerait contre les groupes majoritaires, mais bien de mesures globales et plus réalistes visant à faire disparaître ou tout au moins à atténuer les traitements inégalitaires dont sont victimes les membres de certains groupes. Un tel programme n'aurait pas pour effet, par exemple, de diminuer les normes d'embauche en usage dans une entreprise de manière à favoriser des candidats ou candidates qui ne posséderaient pas les qualifications requises. En revanche, l'accès à l'égalité pourrait impliquer que l'entreprise révise certaines normes d'embauche arbitraires qui ne sont pas directement reliées à l'accomplissement des tâches, mais qui ont pour effet de défavoriser systématiquement un groupe de personnes.

Les programmes d'accès à l'égalité pourraient impliquer aussi la mise sur pied de programmes spéciaux de formation visant à combler certains écarts. Ces programmes se situent dans un contexte de planification et d'intégration d'une main-d'oeuvre dans le secteur du travail ou d'une population étudiante dans le secteur de l'éducation. Ils visent à l'obtention de résultats définis en termes d'objectifs et d'échéanciers qui tiennent compte de la situation particulière de l'organisation. Il n'est donc pas question d'établir des quotas ou des pourcentages fixes. Chaque programme serait adapté aux besoins et contraintes de chaque organisation.

Quant à savoir si de tels programmes pourraient dans certains cas être imposés par la loi ou par les tribunaux, la commission se dit résolument en faveur d'une telle option. Le projet de loi no 24 déposé à l'Assemblée nationale en décembre dernier nous apparaît à cet égard insuffisant, nous l'avons déjà dit. Il faut permettre ces programmes, mais aussi pouvoir les imposer lorsque les circonstances l'exigent. La commission insiste également pour que la mise en oeuvre de ces programmes soit contrôlée par une réglementation appropriée qu'elle aurait le pouvoir de faire respecter. Il importe d'éviter notamment que le redressement de la discrimination systémique ne donne lieu à de nouvelles formes d'inégalité.

Certains s'opposent à ce que la commission acquière plus de pouvoirs qu'elle n'en a maintenant et craignent que la commission ne soit à la fois organisme régulateur, juge et partie. Voilà comment on peut répondre à de telles craintes.

Quand la commission demande une réglementation visant à déterminer la portée et le contenu des programmes, elle ajoute que ses règlements devraient être approuvés, bien sûr, soit par le lieutenant-gouverneur, soit par l'Assemblée nationale. La

commission déposerait un projet, mais ce n'est pas elle qui légiférerait. De plus, la commission a toujours affirmé que ses règlements devraient être faits après une large consultation avec et auprès de milieux intéressés.

Deuxièmement, dire que la commission est à la fois juge et partie dans l'application de ses programmes est mal connaître le fonctionnement actuel de la commission. La commission, dans l'exercice des ses pouvoirs pour combattre la discrimination, remplit successivement des rôles différents. C'est comme cela que la charte a prévu le rôle de la commission. Du rôle d'enquêteur, exigeant l'impartialité, et par lequel elle recueille et analyse des faits pour vérifier si les raisons de croire à la discrimination sont exactes, elle passe à celui de médiatrice où elle tente d'amener les parties à régler leurs différends. Si la médiation échoue, elle fait des recommandations formelles, mais qui ne sont pas exécutoires, c'est-à-dire qu'elle ne peut forcer les parties à agir. Si ses recommandations ne sont pas suivies, elle doit tout recommencer devant les tribunaux. Devant le tribunal, elle est comme le plus petit des justiciables. Elle doit plaider en fait et en droit comme toute partie devant un tribunal.

Il faut donc que les pouvoirs de la commission en matière d'accès et des programmes d'accès à l'égalité soient définis de façon qu'ils puissent être exercés en continuité et en harmonie avec les pouvoirs qu'elle exerce actuellement. Un amendement à la charte ferait en sorte que les programmes d'accès à l'égalité soient un remède à la discrimination et que la commission ait le pouvoir de recommander l'implantation de tels programmes.

L'implantation de ces programmes serait recommandée à la suite d'une enquête et, au besoin, ordonnée par les tribunaux.

Par ailleurs, d'aucuns pourront prétendre que la mise sur pied d'un appareil aussi complexe et contraignant n'apparaît pas nécessaire et qu'il suffirait, par des programmes d'égalité des chances ou des programmes établis sur une base volontaire, de placer tous les coureurs sur une même ligne de départ. Mais le problème, c'est que la piste est courbe, si bien que les coureurs situés à l'extérieur de la piste n'ont pratiquement aucune chance de remporter la course. L'accès à l'égalité, dans cette perspective, consiste à placer les coureurs de manière que tous aient la même distance à parcourir et, partant, les mêmes chances de gagner.

Bref, nous sommes convaincus que l'égalité de tous les êtres humains en valeur et en dignité, sans distinction, exclusion ou préférence discriminatoire, se mesure aussi dans une société en termes de résultat. C'est pourquoi la commission recommande qu'une modification à la Charte des droits et libertés de la personne visant les programmes d'accès à l'égalité comporte les éléments suivants:

À la demande d'une personne ou d'un groupe, ou de sa propre initiative, la commission peut approuver ou, dans le cas de discrimination ayant fait l'objet d'une plainte au sens de l'article 69 de la charte, ou d'une enquête de sa propre initiative, au sens de l'article 73, recommander l'adoption de programmes d'accès à l'égalité destinés à empêcher, éliminer ou réduire toute forme de discrimination à l'égard d'un groupe de personnes. Ces programmes peuvent s'appliquer dans les domaines de l'accès aux services ordinairement offerts au public, du logement, de l'emploi et de l'éducation.

La commission peut également en tout temps, avant ou après l'approbation ou la recommandation de programmes d'accès à l'égalité, effectuer des enquêtes relativement à leur application, les modifier et retirer son approbation quand les faits le requièrent. Une activité en accord avec de tels programmes ne constitue pas une violation de la charte. La Commission des droits de la personne fait des règlements qui déterminent la portée et le contenu des programmes. Ces règlements seraient approuvés soit par le lieutenant-gouverneur en conseil, soit par l'Assemblée nationale.

La Commission des droits de la personne fait des règlements soumis à la même approbation pour assortir les contrats, permis, licences ou subventions accordés par le gouvernement du Québec ou tout organisme ou entreprise relevant de son autorité, de conditions et modalités prévoyant la mise en place de programmes d'accès à l'égalité sous réserve, pour celui qui obtient tels contrats, permis, licences ou subventions, de démontrer que l'introduction de semblables programmes n'est pas nécessaire parce que sa politique d'emploi n'est entachée d'aucune forme de discrimination. Ce même principe s'appliquerait à la fonction publique.

Enfin, l'article 83 de la charte devrait être modifié de manière que la commission puisse prendre toute action judiciaire appropriée en matière de programmes d'accès à l'égalité sans devoir obtenir le consentement d'une victime individuelle. Cela fait l'objet d'une autre recommandation de la commission.

Voilà notre position, M. le Président, sur les programmes d'accès à l'égalité. Avec une préoccupation semblable, la commission fait aussi des recommandations concernant son pouvoir d'ester en justice. (11 h 15)

Dans l'état actuel des choses, l'article 83 de la charte prévoit ceci: "Lorsque, aux termes d'une enquête, la recommandation de la commission n'a pas été suivie dans le

délai fixé, elle peut, avec le consentement écrit de la victime, s'adresser au tribunal en vue d'obtenir une injonction contre la personne en défaut. Elle peut aussi, avec le même consentement, s'adresser au tribunal pour réclamer, en faveur de la victime, l'indemnité dont elle avait réclamé le paiement." Ces dispositions risquent d'empêcher la commission de demander, par injonction, l'accomplissement d'un acte au-delà de l'intérêt particulier d'une victime identifiée. C'est ainsi qu'elle peut, par exemple, réclamer l'embauche d'une personne qu'on a refusée à cause d'une politique d'embauche discriminatoire, mais son intérêt, au sens du Code de procédure civile, est moins évident lorsqu'il s'agit de demander la correction d'une politique d'embauche ou de promotion discriminatoire non seulement pour la personne qui a porté plainte, mais pour toute personne de sa catégorie.

De même, dans les cas d'atteinte à la dignité, à l'honneur et à la réputation d'un groupe de personnes - nous pensons aux femmes, aux autochtones, à certains groupes raciaux ou ethniques - par des paroles, des écrits, des avis ou des symboles, la commission peut difficilement recourir aux tribunaux, faute de pouvoir identifier une victime contre laquelle les paroles ou écrits vexatoires seraient personnellement dirigés.

Enfin, dans le cas où des personnes ou des groupes se prévalent eux-mêmes de quelque disposition de la charte devant un tribunal, la commission ne peut présentement participer a l'enquête et à l'audition, comme si elle était partie au litige. C'est pourquoi la commission recommande que sa capacité d'ester en justice soit précisée, pour demander l'accomplissement d'un acte au-delà de l'intérêt particulier d'une victime identifiée, pour agir en cas d'atteinte aux droits fondamentaux d'un groupe de personnes, pour participer à l'enquête et à l'audition, comme si elle y était partie, dans toute instance touchant l'application de la Charte des droits et libertés de la personne.

La commission recommande aussi une modification de l'article 83, de façon à lui permettre explicitement d'agir devant les tribunaux par le recours collectif. Cette possibilité est présentement exclue par la Loi sur le recours collectif, notamment parce que le représentant du groupe doit être une personne physique. Il arrive assez fréquemment que des personnes, faisant partie d'un groupe discriminé - disons des femmes qui recevraient un salaire inférieur à des hommes pour un travail équivalent -hésitent à perdre leur anonymat en portant individuellement leur cause devant les tribunaux, même avec l'aide de la commission. Pensons surtout aux personnes en situation de faiblesse, pour qui l'appui d'un groupe peut constituer un élément important dans la poursuite de leur action. Il est clair que si la commission pouvait utiliser le recours collectif, n'exigeant que la signature d'un seul membre du groupe concerné, son action serait beaucoup plus efficace. Elle pourrait corriger, à partir d'une seule plainte, la discrimination subie par tout un groupe ou une classe de personnes; d'autant plus que, les coûts étant assumés par la commission, son intervention épargnerait aux victimes ou au fonds d'aide prévu par la loi les frais considérables qui sont présentement rattachés au recours collectif. Il est bien entendu, toutefois, que la commission continuerait d'intenter des poursuites judiciaires avec le consentement des victimes, comme cela est le cas présentement.

Au chapitre de la discrimination comme telle, notre deuxième série de recommandations vise à étendre ou à améliorer la protection des citoyens contre la discrimination en termes spécifiques.

Premièrement, l'âge. Il nous apparaît d'abord impérieux que la charte soit modifiée de manière à inclure l'âge comme motif interdit de discrimination. Le bien-fondé d'une telle mesure est particulièrement évident. Non seulement le Québec est-il la seule province canadienne à ne pas disposer d'une telle interdiction, mais les problèmes sociaux qui découlent de cette lacune sont largement connus et dénoncés depuis de nombreuses années. Les jeunes, aussi bien que les personnes d'âge mûr, sont ici concernés. Des équations rigides sont faites entre l'âge d'une personne et les emplois qu'elle peut occuper, et vous n'ignorez pas que, pour certains emplois, on devient vieux dès l'âge de 35 ou 40 ans alors que des personnes de 25 ans ou moins sont souvent considérées comme trop jeunes, qu'elles aient de l'expérience ou non.

Nous estimons que l'interdiction de toute discrimination fondée sur l'âge ne devrait pas comporter de limites inférieures ou supérieures. Il est bien entendu que les exceptions législatives devraient alors être justifiées.

Comme conséquences, les jeunes seraient ainsi protégés et les personnes âgées ne seraient plus contraintes de prendre leur retraite à un âge déterminé, entre autres bénéfices d'une telle interdiction de discrimination.

Notre mémoire précise que la commission favorise la mise en place de mécanismes souples d'accès à la retraite ainsi qu'un abaissement de l'âge possible de la retraite. En conséquence, la Commission des droits de la personne recommande que l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne soit modifié de façon que l'âge soit ajouté après l'état civil comme motif de discrimination illicite, et que l'âge soit défini de manière à ne pas permettre le maintien d'un âge obligatoire de

la retraite.

La nationalité. Nous estimons que la nationalité doit être ajoutée à l'article 10 de la charte comme motif de discrimination et s'ajouterait à celle fondée sur l'origine ethnique ou nationale. Les résidents permanents qui n'ont pas acquis la citoyenneté canadienne seraient ainsi protégés contre diverses pratiques discriminatoires, notamment dans le domaine du travail et du logement.

Notons que l'article 1664s du Code civil abrogé en 1976 prévoyait déjà cette protection dans le secteur du logement, si bien que l'actuelle absence de protection constitue un recul par rapport à la situation qui existait avant la mise en vigueur de la charte.

L'état de grossesse. La commission a toujours soutenu et soutient encore que la discrimination fondée sur le sexe inclut également celle qui est fondée sur l'état de grossesse. Depuis 1978, l'ordonnance no 17 accorde aux travailleuses un congé de maternité et une protection contre toute perte d'avantages, mais la commission a continué de recevoir des plaintes dans des secteurs non couverts par l'ordonnance no 17, par exemple, les cas de refus d'embauche. La commission reçoit aussi des plaintes dans le secteur du logement touchant les femmes enceintes.

Or, deux jugements récents refusent cette interprétation de la commission, si bien qu'une partie de la protection accordée aux femmes enceintes risque d'être remise en question. Nous croyons que la charte est le lieu privilégié pour reconnaître pleinement la fonction sociale de la maternité et, partant, le droit à l'égalité pour les femmes sans discrimination fondée sur l'état de grossesse.

La commission recommande donc d'ajouter à l'article 10 de la charte, après le mot "sexe", les mots "état de grossesse".

Le handicap. Un problème se pose à propos de la discrimination fondée sur le fait qu'une personne est handicapée ou qu'elle utilise quelque moyen pour pallier son handicap. Ce motif de discrimination, comme vous le savez, a été ajouté à la charte par la Loi assurant l'exercice des droits des personnes handicapées. Les tribunaux sont donc enclins à appliquer à la charte la définition de personne handicapée précisée à l'article 1g de cette loi, soit: "Toute personne limitée dans l'accomplissement d'activités normales et qui, de façon significative et persistante, est atteinte d'une déficience physique ou mentale ou qui utilise régulièrement une orthèse, une prothèse ou tout autre moyen pour pallier son handicap."

Une telle définition restrictive convient très bien aux objectifs de la loi qui assure l'exercice des droits des personnes handicapées prévoyant, notamment, des plans de services et de l'aide matérielle pour ces personnes. L'objectif de la charte est, cependant, tout autre. Si l'on veut prévenir la discrimination et l'exploitation des personnes atteintes d'un handicap, ce sont toutes les personnes qui doivent être visées et non pas seulement celles qui sont limitées de façon significative et persistante dans l'accomplissement d'activités normales. Certaines malformations mineures, par exemple, ou le fait d'être diabétique ou épileptique constituent des handicaps qui n'affectent pas les activités normales. Ils représentent pourtant de fréquents motifs de congédiement ou d'exclusion à l'embauche, ainsi que de refus de location dans le secteur du logement.

C'est pourquoi il faudrait remplacer l'expression "personne handicapée", dans l'article 10 de la charte, par une interdiction de toute discrimination fondée sur le handicap physique ou mental ou l'utilisation d'un moyen pour pallier un handicap.

Les personnes plus légèrement handicapées aussi bien que celles qui le sont lourdement seraient ainsi protégées efficacement contre une forme de discrimination très largement répandue.

D'autres recommandations concernent les articles 10, 11, 19 et 20. Nous recommandons, à propos des formulaires de demande d'emploi et des entrevues, qu'il soit interdit d'une façon spécifique de demander des renseignements susceptibles de donner lieu à la discrimination dans l'embauche et que la charte soit modifiée de façon à mentionner expressément cette interdiction. C'est l'expérience qui nous a amenés à demander une telle modification.

Nous recommandons également que le législateur prévoie l'interdiction formelle d'exercer quelque forme de harcèlement que ce soit fondée sur l'un ou l'autre des motifs de discrimination illicites énumérés à l'article 10 de la charte.

De nombreuses personnes sollicitent les services de la commission et s'informent des recours qu'elle peut offrir aux victimes de harcèlement sexuel. Le harcèlement sexuel se rencontre dans les milieux de travail, mais aussi dans d'autres milieux comme les écoles et les universités.

Notre interprétation, comme commission, est que le harcèlement sexuel est une forme de discrimination, mais nous voulons nous assurer que les personnes qui ont à subir ce type de harcèlement soient protégées d'une façon efficace.

Maintenant, bien que le harcèlement sexuel soit une forme courante de harcèlement, forme de harcèlement particulièrement odieuse, nous ne voulons pas laisser entendre qu'il soit l'unique forme de harcèlement constituant de la discrimination. Nous reconnaissons que le harcèlement fondé notamment sur la race, la couleur et l'origine ethnique est un phénomène réel,

dans notre société, qui ne peut passer inaperçu.

La commission recommande donc d'ajouter, après l'article 11, l'article suivant: " Nul ne doit exercer quelque forme de harcèlement que ce soit, fondé sur l'un des motifs de l'article 10."

L'article 19, pour sa part, qui traite de la discrimination salariale pour un travail équivalent, devrait faire l'objet d'une précision quant au sens qu'il faut donner aux termes "même endroit". Nous le spécifions dans notre mémoire.

Par ailleurs, et la commission tient à le souligner, le même article permet des différences salariales fondées sur la quantité de production et l'évaluation au mérite. La commission tient à souligner les dangers sérieux reliés à l'application de ces formes, de ces termes, et les contradictions qu'ils peuvent représenter par rapport au droit à des conditions de travail justes et raisonnables et qui respectent la santé, la sécurité et l'intégrité physique des travailleurs.

En conséquence, la commission recommande que la législation du travail soit revue en tenant compte de ces préoccupations et son application surveillée étroitement de façon que de tels abus soient évités.

Enfin, en ce qui touche l'article 20, la commission recommande, pour clarifier la première partie de cet article et la rendre intelligible pour tous, de remplacer les mots "aptitudes et qualités exigées de bonne foi pour l'emploi" par "aptitudes et qualités requises par l'emploi". Cette rédaction rendrait l'article 20 conforme à toutes les législations analogues au Canada, qui utilisent l'expression " bona fide occupational qualifications".

Là aussi, c'est l'expérience qui nous a amenés à constater qu'il y avait de la confusion en ce qui concerne l'interprétation ou le sens à donner à cet article.

M. le Président, l'une de nos demandes de modifications majeures concerne la discrimination dans les avantages sociaux. Comme vous le savez, au moment où fut adoptée et mise en vigueur la Charte des droits et libertés de la personne, l'article 97 de la charte autorisait la discrimination fondée sur le sexe et l'état civil, pourvu que les distinctions soient fondées sur des données actuarielles. (11 h 30)

Dès 1976, prévoyant les conclusions du rapport Boutin sur la discrimination dans les régimes d'avantages sociaux, la charte fut amendée pour autoriser implicitement, par une modification à l'article 97 de la charte, toute discrimination fondée sur le sexe et l'état civil dans les régimes d'avantages sociaux. Avec l'ajout à la charte de nouveaux motifs interdits de discrimination, soit l'orientation sexuelle et le handicap, la discrimination dans les secteurs des avantages sociaux et des assurances de personnes était désormais autorisée dans tous les cas où elle était fondée sur le sexe, l'état civil, l'orientation sexuelle et le handicap.

Cette situation, de l'avis de la Commission des droits de la personne, ne peut plus durer et il convient d'abroger l'article 97, devenu l'article 90 dans les Lois refondues du Québec, pour le remplacer par une interdiction générale d'exercer de la discrimination dans ce secteur en prévoyant toutefois une réglementation qui viendrait préciser les situations discriminatoires et celles qui ne le sont pas, limitant de ce fait les occasions de litiges. Par exemple, en ce qui concerne la discrimination fondée sur le handicap, la réglementation établirait les distinctions requises entre handicap et état de santé et délimiterait les situations qui justifient l'assureur de tenir compte de l'élément état de santé.

Je crois que je vais vous référer à l'ensemble du document pour la justification des recommandations de la commission. Je vous ferai donc lecture des recommandations elles-mêmes.

Recommandations: Que, dans les régimes d'avantages sociaux, nulle distinction ne soit autorisée en fonction du sexe des personnes concernées, même si ces distinctions sont prétendues justifiées sur la base de calculs actuariels.

Que le conjoint autre que légalement marié soit admissible aux bénéfices normalement accordés par les régimes d'avantages sociaux, compte tenu d'exigences appropriées quant à la période de cohabitation. (Par exemple, une période maximale de trois ans. On ne pourrait autoriser, par exemple, une exception qui dépasserait trois ans si l'un des conjoints est légalement marié et un an dans les autres cas, comme le prévoit la réglementation fédérale).

Que toute personne à charge, sans distinction fondée sur l'état civil et les liens de parenté, soit admise aux bénéfices attribués aux dépendants par les régimes d'avantages sociaux, sur la base d'une définition appropriée et raisonnable. (Par exemple, pourrait être ainsi considérée, comme le prévoit l'actuelle Loi sur l'assurance automobile, toute personne liée à l'assuré par le sang ou l'adoption, ainsi que toute personne étrangère qui était, à l'égard de la victime, in loco parentis ou à l'égard de qui la victime était in loco parentis et qui, lors de l'accident, vivait entièrement ou dans une large mesure des revenus de la victime).

Que toute distinction fondée sur l'âge ne soit autorisée qu'en autant qu'elle ait pour effet d'assurer des avantages

équivalents pour l'ensemble des participants au régime d'avantages sociaux.

Que les personnes du même sexe vivant ouvertement ensemble d'une manière continue et stable soient considérées comme conjoints pour les fins des régimes d'avantages sociaux.

Que, dans les avantages sociaux, nulle distinction, exclusion ou préférence ne soit effectuée sur la base du handicap, sauf s'il est justifié de tenir compte, dans les circonstances, de l'état de santé des personnes concernées.

Que les régimes étatiques d'avantages sociaux et de prestations sociales soient, si besoin est, modifiés pour tenir compte des recommandations ci-haut énoncées.

Que les régimes privés d'assurance individuelle soient également modifiés en ce sens.

Qu'un pouvoir de réglementation soit accordé à la Commission des droits de la personne pour assurer la mise en oeuvre de ces recommandations. Je vous rappelle que c'était aussi une recommandation du rapport Boutin.

En ce qui concerne les droits fondamentaux que nous pourrions qualifier de classiques, voici les recommandations que la commission tient à faire.

L'article 1 de la charte est libellé de façon à reconnaître comme fondamentaux les droits à la vie, à la sûreté, à l'intégrité physique et à la liberté de sa personne. On sait aussi qu'il y a d'autres types d'atteintes, des tortures ou des harcèlements qui s'attaquent à l'esprit autant qu'au corps. Cela est d'ailleurs reconnu depuis toujours par les tribunaux, qui octroient des dommages moraux pour les atteintes à l'intégrité psychologique de la personne et qui reconnaissent que l'angoisse mentale ou morale causée par la faute d'autrui peut donner lieu à une compensation. La commission recommande en conséquence d'enlever à l'article 1 de la charte le mot "physique" pour que soit reconnu comme fondamental le droit à l'intégrité de la personne.

Le droit à un environnement sain. À ce même article, devrait s'ajouter la reconnaissance du droit de toute personne à un environnement sain. De nombreux textes internationaux le reconnaissent, ainsi d'ailleurs que la Loi sur la qualité de l'environnement.

Le droit au secours. L'article 2 de la charte impose l'obligation de porter secours à celui dont la vie est en péril. Dans sa formulation actuelle, l'article 2 de la charte nous paraît cependant insuffisant.

Premièrement, il n'oblige à porter secours que si la vie d'autrui est en péril. Deuxièmement, l'article ne prévoit expressément aucune immunité, aucune impunité pour celui qui de bonne foi a porté secours à son prochain. Le viol, les voies de fait, pour ne donner que deux exemples, sont des cas où l'intégrité d'une personne est en danger. De plus, la commission demande depuis longtemps qu'une immunité soit prévue par celui ou celle qui porte secours à autrui. Cette précision pourrait contribuer à atténuer les craintes des citoyens qui hésitent à intervenir en pareil cas de peur d'être poursuivis pour un dommage qu'ils pourraient causer.

L'article 2 pourrait donc se lire ainsi: "Tout être humain en péril a droit au secours. Toute personne doit porter secours à celui qui est en péril, personnellement ou en provoquant du secours, à moins d'un risque pour elle ou pour les tiers, ou d'un autre motif raisonnable. "Celui qui, de bonne foi, a porté secours à autrui ne peut être poursuivi en justice en raison des actes ainsi accomplis, sauf en cas de faute lourde."

Les droits économiques et sociaux. Dans le courant de l'évolution du droit international relatif à la défense des droits et libertés, la charte du Québec reconnaît et affirme les droits économiques et sociaux comme droits fondamentaux. Cet acquis de la charte québécoise doit être maintenu. C'est dans cette perspective que la Commission des droits de la personne recommande que certains ajouts soient apportés à ce chapitre. En premier lieu, la commission recommande qu'un nouvel article soit ajouté à la charte reconnaissant les droits des peuples autochtones. L'article 43 de la charte qui confère aux minorités ethniques le droit de maintenir et de faire progresser leur propre vie culturelle apparaît inadéquat pour défendre les droits des peuples autochtones vivant au Québec.

Les minorités dont il est question dans l'article sont celles dont les membres sont venus s'installer au Québec à une date relativement récente. C'est cette lacune de la charte que la présente proposition de modification veut combler en prévoyant un article nouveau confirmant la reconnaissance des droits des premiers habitants de ce pays. Les revendications des autochtones comme peuple distinct se sont exprimées à travers une continuité historique et une détermination inchangée, qu'il s'agisse des droits de chasse, de pêche et de piégeage, d'indemnités diverses, de la protection de leur culture et de leur mode de vie comme de la volonté d'administrer eux-mêmes leurs affaires et leur territoire. Les gouvernements fédéral et provinciaux ont déjà ratifié plusieurs conventions internationales reconnaissant expressément le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et à utiliser librement leurs richesses et ressources naturelles.

En formulant un nouvel article dans la charte, reconnaissant les droits des peuples

autochtones, la commission suggère que les rédacteurs prennent en considération les éléments ci-après qui sont le fondement des pactes et des conventions que j'ai mentionnés tout à l'heure; le droit des communautés autochtones d'exister en tant que groupe distinct; le droit à leur bien-être, sans contrepartie aucune à l'égard de l'État; le droit à la différence qui englobe le droit de parler leur langue et de conserver les traits caractéristiques de leur culture; le droit, en tant que collectivité, de décider de leur développement et de procéder aux choix économiques qui leur conviennent y compris le droit à l'autosubsistance; le droit de ne pas être dépossédées de leurs biens; le droit de contrôle sur leurs ressources naturelles et le droit de les conserver comme elles l'entendent; le droit de revendiquer leur titre de peuple aborigène; le droit à l'autodétermination et au choix du statut politique qui leur convient.

À ce même chapitre des droits économiques et sociaux, nous avons cru bon de recommander précisément, dans un effort de reconnaître en termes solennels un certain nombre de droits, d'ajouter l'affirmation du droit au travail.

Le droit au travail est un droit reconnu dans la déclaration universelle des droits de l'homme, dans le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Nous croyons que ce droit doit être inséré dans le chapitre des droits économiques et sociaux de la charte. À ceux qui prétendraient que la reconnaissance de ce droit dans le droit positif québécois est irréaliste, nous rappelons que le droit au travail recouvre d'autres réalités que celles d'une tendance au plein emploi, soit, par exemple, l'établissement de mesures visant à faciliter l'accès à l'emploi et à protéger le salarié contre les licenciements sans causes justes et suffisantes.

En conséquence, la commission recommande que l'article 46 de la charte se lise dorénavant comme suit: Toute personne a droit au travail. Quiconque travaille a droit, conformément à la loi, à des conditions de travail justes et raisonnables et qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique.

De la même façon, les textes internationaux qui inspirent nombre de dispositions de la charte comportent de manière précise une reconnaissance du droit à la santé. On peut citer à cet égard la déclaration universelle des droits de l'homme, le pacte international, encore, relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et la Charte sociale européenne. La commission recommande, en s'inspirant particulièrement de la Charte sociale européenne, d'ajouter à la charte l'article suivant: Toute personne a le droit de bénéficier de toutes les mesures lui permettant de jouir du meilleur état de santé qu'elle puisse atteindre.

Le droit à l'éducation. Il convient, de l'avis de la Commission des droits de la personne, d'assurer intégralement la reconnaissance du droit à l'éducation dans la charte. Celle-ci ne reconnaît ce droit que d'une manière partielle, en mentionnant le droit à l'instruction publique gratuite, la liberté de choix entre l'enseignement moral et religieux et le droit à l'enseignement privé. Or, comme en témoignent les conventions internationales, le droit à l'éducation a une portée beaucoup plus vaste. La Commission des droits de la personne recommande donc que l'article 40 de la charte se lise dorénavant de la façon suivante: Toute personne a droit à l'éducation. Toute personne a droit, dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi, à l'instruction publique gratuite.

Enfin, à ce chapitre, sur la question des droits des enfants, la commission recommande que l'article 39 de la charte soit reformulé comme il l'était avant l'adoption de la Loi instituant un nouveau Code civil et portant réforme du droit de la famille. Nous demandons donc que l'article 39 se lise comme suit: Tout enfant a droit à la protection, à la sécurité et a l'attention que doivent - et non pas "que peuvent" - lui apporter ses parents ou les personnes qui en tiennent lieu.

Voilà, M. le Président, l'ensemble de nos recommandations. Avant de conclure notre présentation, j'aimerais attirer l'attention de la commission sur les ressources de la commission.

(11 h 45)

La Commission des droits de la personne lance deux appels pressants en ce qui concerne les ressources. Premièrement, elle manque dramatiquement de ressources par rapport aux mandats qui lui sont confiés. En 1975, lors de sa création, la commission obtenait 60 postes qui se sont vite avérés insuffisants. En 1981, elle ne dispose toujours que de ces mêmes 60 postes, alors que la charte a été amendée, par exemple, par l'ajout du handicap et de l'orientation sexuelle, et que les demandes adressées au service d'accueil sont passées, entre 1979 et 1981, de 9500 à plus de 15 000. Les dossiers d'enquête, pour leur part, connaissent une augmentation régulière: 421 en 1977, 834 en 1978, 931 en 1979, 1372 en 1980 et le rythme se maintient, sinon s'accélère.

Outre le pouvoir d'enquête qu'elle s'est vu confier par le législateur, la commission s'est vu également attribuer le devoir de faire de l'information, de la coopération, de l'éducation et de la recherche. Or, malgré une utilisation maximale de ses ressources humaines et malgré les nombreuses réalisations qu'elle a à son actif, la commission ne peut répondre adéquatement aux diverses demandes qui lui sont adressées

dans le cadre précis de son mandat. Vous conviendrez que, dans certains cas, le retard que nous prenons à traiter de certains cas d'enquête peut équivaloir à des dénis de justice.

Les présences régionales.

Deuxièmement, la commission juge essentiel l'établissement de présences régionales continues. Les atteintes aux droits et libertés de la personne n'existent pas qu'à Montréal et à Québec et la charte elle-même précise que la commission peut ouvrir des bureaux à tout endroit du Québec. L'accessibilité des services de la commission pour tous les Québécois est aussi une garantie de respect des droits. À cet égard, les présences itinérantes et occasionnelles des agents de la commission dans les régions demeurent tout à fait insatisfaisantes. Des présences continues s'imposent et le meilleur réquisitoire à cet effet demeure les demandes répétées des citoyens de l'Outaouais, de la Côte-Nord, de l'Abitibi-Témiscamingue et du Saguenay-Lac-Saint-Jean, pour ne nommer que celles-là.

Les modifications à la Charte des droits et libertés de la personne, que la Commission des droits recommande, impliquent des choix sociaux et, dans certains cas, des coûts. La commission est profondément convaincue, cependant, que ces coûts sont infiniment inférieurs à ceux qui résulteraient à moyen, à long et parfois à court terme de la négation ou de la défense mitigée des droits et libertés. La Commission des droits de la personne estime aussi que la rationalisation des ressources d'une société est un objectif indiscutablement valable, mais que celle-ci ne peut être faite à la défaveur de certaines catégories de personnes, particulièrement celles qui sont spécifiquement protégées par la charte. On risquerait alors de pénaliser plus avant des groupes de personnes qui n'ont pas eu, dans le passé, et qui n'ont pas encore, à l'heure actuelle, des chances égales de participer à la richesse collective. Nous devons, comme société, nous fixer le standard le plus élevé possible de définition et d'exercice de libertés et de droits fondamentaux. Nous devons viser la codification la plus complète et la plus juste de ces droits et libertés et nous devons nous assurer que l'accès à ceux-ci est égal pour tous. Les accrocs même mineurs à l'exercice des droits et libertés ne peuvent être tolérés, car non seulement ils constituent des injustices, mais ils contiennent de plus des germes d'atteinte plus grave à ces mêmes droits et libertés. L'histoire nous a appris que nulle société n'est à l'abri d'une telle menace.

Les lacunes, dans certains cas substantielles, identifiées dans la charte par la commission, mais aussi par plusieurs groupes et organismes qui lui ont fait connaître leur intérêt et leur appui doivent être comblées si nous voulons atteindre ce standard. La commission doit posséder les instruments qui l'habiliteront à mener une lutte efficace contre la discrimination et contre les entorses qui portent préjudice aux libertés et droits fondamentaux. Ayant situé les racines de la discrimination au niveau systémique et ayant constaté le caractère collectif de sa pratique, la commission est justifiée de réclamer des moyens efficaces pour la contrer. Il est plus économique de s'attaquer à la racine du mal que de n'en soigner que les expressions individuelles.

Cela dit, l'importance du traitement adéquat des cas individuels d'atteinte aux droits ne doit faire l'objet d'aucune hésitation. La discrimination actuellement légale, celle sur la base de l'âge et celle permise dans les avantages sociaux à l'égard de certaines catégories de personnes, ne doit plus être tolérée. La définition plus adéquate de certains droits ainsi que l'affirmation ferme de certains autres - nous pensons aux droits des peuples autochtones, aux droits au travail, à la santé et à l'éducation placeront cette charte reconnue comme très riche mais perfectible à la hauteur des espoirs qu'elle suscite.

La commission est persuadée que les modifications à la charte qu'elle propose auraient pour effet d'en faire un instrument de justice plus complet et plus efficace. La loi fondamentale qui affirme les droits et libertés des citoyens et résidents du Québec a été conçue et est vécue avec la générosité et la noblesse de la déclaration universelle des droits de l'homme et des pactes internationaux. L'expérience des cinq années de défense et de promotion des droits que la commission a à son actif lui permet de croire que la volonté collective québécoise se situe dans un courant de défense avancé des droits et libertés et que la population du Québec souhaite être associée à l'évolution internationale des droits de la personne. Le Québec mérite une Charte des droits et libertés de la personne qui lui permette d'espérer l'égalité de tous dans le respect profond des libertés de chacun. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le ministre.

M. Bédard: M. le Président, je suis convaincu de traduire l'opinion de tous les membres de cette commission en remerciant la Commission des droits pour son mémoire très substantiel, un mémoire qui, je pense, fait la preuve d'une réflexion remarquable sur l'ensemble du vaste sujet des droits et libertés. Ce mémoire reflète le dynamisme des membres de la commission, il aborde, on est à même de le constater, de nombreux sujets; s'il fallait que, personnellement, j'entreprenne une discussion avec les

membres de la commission, je risquerais de prendre tout le temps, non pas qui reste, parce que, s'il fallait s'en tenir à nos règles, le temps serait déjà presque passé; je pense que tout le monde comprendra, étant donné l'importance de la Commission des droits, que nous puissions nous permettre un peu plus de temps.

Je n'aborderai pas chacun des sujets parce qu'il ne resterait absolument aucun temps pour mes autres collègues de la commission. Il y a des sujets... On parle d'accès à l'égalité, d'avantages sociaux; ce sont des sujets sur lesquels il y a déjà, depuis un certain temps, une discussion au niveau de la société. Il faudrait peut-être aborder une orientation qui me semble un peu plus nouvelle concernant la demande de la Commission des droits d'insérer dans la charte des droits fondamentaux, généraux, tels que le droit à un environnement sain, le droit de jouir d'un meilleur état de santé et, plus particulièrement, l'article 39 au sujet du droit des enfants par rapport à celui des parents.

J'aimerais peut-être que la Commission des droits puisse entretenir, d'une façon beaucoup plus élaborée, les membres de cette commission parlementaire des conséquences qu'il pourrait y avoir si nous en venions à la conclusion de l'insertion de droits dans la charte tels que le droit à un environnement sain, le droit de jouir d'un meilleur état de santé. Peut-être que vous pourriez détailler un peu plus pour que nous puissions en mesurer toute l'ampleur.

M. Marx: Est-ce que je pourrais faire une petite intervention avant qu'on passe aux questions...

M. Bédard: On irait par question...

M. Marx: ... pour donner mon appréciation globale, surtout cette fois, parce que c'est une intervention exceptionnellement importante? J'aimerais remercier d'une façon toute spéciale la présidente de la commission et ses autres membres d'être venus présenter leur mémoire à notre commission. J'ai trouvé ce mémoire d'une grande qualité. Honnêtement, cela m'a empêché de dormir hier soir; c'est tellement volumineux que cela m'a pris presque toute la nuit pour le lire. J'ai beaucoup appris en lisant ce mémoire. C'est tout à fait complet. On est frappé par le fouillis des points juridiques dans le mémoire. Il va sans dire qu'il y a beaucoup de recommandations qui sont très intéressantes et que l'Opposition officielle est prête à appuyer un certain nombre de ces recommandations tout de suite. Par exemple, en ce qui concerne l'article 90, la discrimination contre les femmes, depuis que je suis ici à l'Assemblée nationale, j'ai demandé au ministre de la Justice d'abroger cet article pour que les femmes soient sur un plan d'égalité avec les hommes. Je suis ici depuis deux ans, je n'ai rien inventé. Avant moi, la députée de L'Acadie a posé cette même question, a demandé au ministre d'abroger cet article. Si les femmes doivent attendre encore quelques années, soyez patientes, nous avons un excellent gouvernement. Qu'est-ce que c'est quelques années dans la vie d'une femme? Cela prendra encore quelques années. Ils ont d'autres priorités.

Vous comprenez, M. le ministre, qu'en lisant tout cela, je me suis arrêté au chapitre qui touche les ressources de la commission. Elle nous a lancé un cri d'alarme ce matin. On donne plus de responsabilités à la commission et moins d'argent. Chaque année, on ajoute un autre groupe dont la commission aura la responsabilité de protéger les droits et on donne moins d'argent. Par exemple, c'est très frappant qu'il y a une situation d'inégalité des Québécois dans le Québec, c'est-à-dire qu'il y a des bureaux seulement à Montréal et à Québec. À Chicoutimi, où se trouve le ministre, il n'y a pas de bureau. Je ne sais pas s'il veut que les gens de Chicoutimi vivent dans une situation d'inégalité! Je vous pose la question, M. le ministre.

M. Bédard: J'y viendrai tout à l'heure.

M. Marx: II y a juste un autre point que je n'ai pas terminé. Je vous pose des questions et vous pourrez répondre après. J'ai eu beaucoup de plaintes de l'extérieur en ce qui concerne les enquêtes à la commission, c'est-à-dire que, faute de ressources, elles sont en retard de six mois, huit mois, un an. Il y a beaucoup de plaintes. Ce n'est pas la faute de la commission, bien sûr, c'est toujours la faute du patron, c'est-à-dire le gouvernement, le ministre qui n'a pas veillé à donner assez de ressources à la commission. Un grand juge anglais a dit: "Justice delayed is justice denied". En fait, c'est ce qu'on fait. On voit bien que dans les priorités du gouvernement, la fête du patronage est plus importante que la commission, c'est-à-dire que la fête du patronage a coûté deux fois plus que le budget de la Commission des droits. Je passe d'autres cas de patronage du gouvernement péquiste. Ce serait important de revenir sur cette question, parce que la forme rejoint le fond. C'est bon d'avoir une charte qui est excellente, qui couvre tout, qui va faire que ce sera possible pour le gouvernement de publier beaucoup de brochures, de se présenter partout en disant: Nous avons la meilleure charte, voilà c'est écrit, mais si nous n'avons pas les ressources pour mettre en oeuvre la charte, veiller à son application, cela ne vaut pas grand-chose.

Vient un moment où le gouvernement doit décider s'il veut seulement mettre de l'encre sur le papier ou s'il a l'intention que la charte soit administrée de façon à protéger davantage les droits des Québécois. (12 heures)

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Bédard: M. le Président, j'aime autant le faire dès le début de cette commission en guise de mise au point. Je n'ai en aucune façon l'intention de m'embarquer avec mon collègue de l'Opposition dans un débat partisan, tel qu'il me le propose d'une certaine façon par les remarques qu'il vient de faire. Je crois que celles et ceux qui nous visitent, les organismes qui nous visitent méritent mieux qu'un débat uniquement partisan au niveau des membres de cette commission. J'aime autant le dire dès le départ, je vais procéder au niveau de cette commission parlementaire de la même façon que je l'ai fait concernant la réforme du droit civil, c'est-à-dire, dans un premier temps, écouter tous les organismes et les personnes qui ont des choses à dire en fonction de la protection de droits, en fonction de l'amélioration de la qualité juridique de notre société sans, au départ d'une commission, me placer dans la situation de commencer à appuyer telle demande par rapport à telle autre demande, etc. Je le dis dès le départ: C'est une commission et le but de cette commission, c'est d'entendre les représentations des organismes. C'est le devoir auquel je me conformerai. Cette manière de procéder est non seulement plus respectueuse des personnes et des groupes qui nous visitent, mais elle nous donne pas mal plus de chances d'en arriver après cela à une législation qui corresponde vraiment aux préoccupations des organismes et des groupes qui se font entendre. Sans vouloir me donner des félicitations de quelque façon que ce soit, c'est simplement un état d'esprit...

M. Marx: Vous n'en aurez pas de l'Opposition, des félicitations.

M. Bédard: Vous avez fait votre petit bout partisan, si vous voulez, on va parler sérieusement. La fête de la Saint-Jean et la Charte des droits et libertés de la personne...

M. Marx: J'ai parlé de patronage, je n'ai pas parlé d'autre chose.

M. Bédard: ... quelqu'un qui commence à mêler cela au niveau d'une discussion aussi importante que celle qu'on a, c'est un...

M. Marx: Nous avons parlé des ressources.

M. Bédard: Vous avez parlé, laissez donc parler les autres. ... premier manque de respect, en ce qui me regarde, envers ceux qui nous visitent et qui ne sont pas venus ici pour parler ou pour entendre parler de la fête de la Saint-Jean...

M. Marx: Nous avons parlé des ressources.

M. Bédard: ... ou de vos petites préoccupations de faire de la politique. Ils sont venus parler des droits qu'ils voudraient voir inclure dans cette Charte des droits et libertés de la personne qu'ils respectent. La meilleure discussion qu'on peut avoir dans le sens du...

M. Marx: M. le Président, une question de privilège.

M. Bédard: Je vous ai laissé parler, laissez-moi parler.

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, s'il vous plaît! II n'y a pas de question de privilège. M. le ministre.

M. Marx: Question de règlement.

Le Président (M. Desbiens): Quel règlement?

M. Marx: II déforme ce que j'ai dit. J'ai cité un exemple.

Le Président (M. Desbiens): C'est une question de privilège que vous faites, M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: C'est une question de ressources, il ne veut pas discuter de ressources.

Le Président (M. Desbiens): S'il vous plaît, à l'ordre!

M. Bédard: Pouvez-vous respecter au moins les conventions ou les règles de cette commission?

M. Marx: Si vous pensez que c'est légal, je dois les respecter.

Le Président (M. Desbiens): Je demanderais de passer à l'étude du mémoire, s'il vous plaît!

M. Bédard: Ce que je voulais dire, M. le Président, c'est que cette méthode est beaucoup plus productive et respectueuse. Si on parle de la réforme du droit de la famille, nous l'avons fait avec des membres de l'Opposition d'une façon très responsable. À ce moment-là, je comprends que mon collègue qui est maintenant responsable

n'était pas là.

M. Marx: J'étais là, M. le Président. M. Bédard: Oui, très rarement.

M. Marx: Autre erreur, la troisième ce matin.

M. Bédard: Cela a donné la possibilité d'en arriver à un projet de loi qui a fait l'unanimité de l'Assemblée nationale, qui n'a peut-être pas correspondu complètement à tout ce que les gens, chaque groupe, auraient voulu, mais qui correspondait à l'essentiel des revendications des groupes et des citoyens qui nous avaient visités. C'est la même attitude que j'adopterai. C'est pour cela que, M. le Président, je reviens à ma première question, en oubliant complètement les propos de mon collègue, sinon en retenant les préoccupations qu'il a concernant les ressources de la commission. J'y reviendrai tout à l'heure, parce que je pense que c'est important.

J'en reviens à la première question que je posais à Mme la présidente en lui demandant peut-être d'expliquer un peu plus les conséquences juridiques qu'il pourrait y avoir si on allait dans le sens de l'insertion de droits tels que le droit à l'environnement sain, le droit de jouir d'un meilleur état de santé, etc., concernant les enfants.

Le Président (M. Desbiens): Mme la présidente.

Mme Fournier: Avant de répondre à cette question, je voudrais vous remercier, M. le Président, de m'avoir permis de parler aussi longtemps tout à l'heure. La question que vous posez est celle qui vient aux lèvres de bien des personnes effectivement.

Ce que cela ajoute d'avoir un droit affirmé dans une charte c'est essentiellement le caractère solennel de ce droit, c'est de confirmer le caractère solennel d'une tel droit. Cela ne veut d'aucune façon dire, par exemple en ce qui concerne le droit au travail, que les chômeurs sont en état d'illégalité ou, en ce qui concerne le droit à la santé, que ceux qui ne sont pas en santé vivent aussi une situation d'illégalité. On n'a pas pensé en ces termes. Il s'agit essentiellement de l'affirmation solennelle de droits qui permettront aux individus et aux groupes d'invoquer ces droits d'une façon spécifique devant les tribunaux en s'y référant et en se référant encore une fois au caractère fondamental d'un tel droit.

Pour ce qui est du droit au travail, je vous disais tout à l'heure que le fait de ne pas reconnaître d'une façon claire le droit au travail fait en sorte qu'en ce moment les salariés qui sont licenciés sans aucune cause, sans préavis, sans cause juste et raisonnable n'ont aucun recours. Je ne vous dis pas que ce serait gagné devant les tribunaux mais, avec l'affirmation d'un tel droit dans la charte, ils pourraient tout au moins avoir une porte d'entrée pour défendre leurs droits. Et, oui...

M. Bédard: Concernant le droit au travail, je sais que vous ne voulez pas lui donner l'ampleur que l'on aurait pu croire; de toute façon, moi non plus. Quand vous parlez de votre préoccupation concernant d'une certaine façon la manière de parer ou d'arriver à donner des protections pour qu'il n'y ait pas de licenciements collectifs ou d'ensembles de travailleurs qui soient carrément victimes de discrimination, est-ce que ceci ne peut se faire par une loi sectorielle? Entre autres, je sais que le ministre du Travail a déjà annoncé la possibilité d'en arriver à l'adoption d'une loi pour protéger les travailleurs à l'encontre de licenciements collectifs au niveau des conditions minimales de travail. Est-ce que vous ne croyez pas que ces lois, par le biais de lois telles que celle-là, on peut mieux faire face, je dirais, aux besoins et au rythme d'une société?

Mme Fournier: C'est la question de reconnaître, encore une fois, un statut fondamental à un tel droit. Il n'y a pas du tout d'incompatibilité quant au fait qu'un tel droit soit reconnu et affirmé dans une loi sectorielle; la charte, d'ailleurs, comme vous le savez, est faite en partie de droits qui sont actuellement très clairement affirmés dans des lois sectorielles. Mais le législateur a cru bon, et encore une fois dans la foulée des déclarations universelles des droits de l'homme et des pactes internationaux, de donner un statut particulier à un certains nombre de droits, et, de même que pour les droits judiciaires que l'on trouve affirmés ailleurs, ils sont en bonne et due forme affirmés dans la Charte des droits et libertés. Ce qui en consacre le caractère fondamental.

M. Bédard: Je veux être certain de bien vous comprendre. Est-ce que je dois comprendre que c'est surtout en termes d'objectifs solennels à émettre que vous le voulez énoncé dans la charte ou si vous dites que c'est un droit, donc générateur de conséquences juridiques? Il y a quand même les tribunaux. On peut peut-être, dans une charte, tous s'entendre pour insérer un tel droit comme étant un objectif à atteindre mais on n'est pas maître de l'interprétation que pourront en faire les tribunaux. Si les tribunaux en font une autre interprétation que celle dont nous parlons, à ce moment-là, il y a toute une série de conséquences juridiques qui sont énormes.

Mme Fournier: Oui, comme vous le savez, nous ne demandons pas un pouvoir d'enquête sur le droit au travail; c'est bien inscrit dans les droits économiques et sociaux, d'aucune manière nous n'irions vérifier l'ensemble des licenciements, par exemple, qui pourraient se faire au Québec.

Il s'agit, encore une fois, de donner une arme et une porte d'entrée aux personnes et aux groupes qui pourraient se considérer lésés. Cela nous permet aussi, comme commission, et ça permet à d'autres organismes de se baser sur l'affirmation d'un tel droit pour faire en sorte que l'ensemble de la législation et des pratiques sociales aille dans le sens de cet objectif, effectivement, du droit au travail et du droit à la santé. Lorsque nous disons, en termes de droit à la santé, que toute personne a le droit de bénéficier de toutes les mesures lui permettant de jouir du meilleur état de santé qu'elle puisse atteindre, je crois que oui, ça affirme un droit que cette personne a. Nous ne voyons aucunement qu'il y ait incompatibilité entre le fait qu'il soit affirmé dans la charte et précisé dans des lois plus sectorielles où le détail de l'application de la loi pourrait être fait.

M. Marx: M. le Président, il y a l'article 53 qui est très important dans ce sens. L'article 53 prévoit, que si un doute surgit dans l'interprétation d'une disposition de la loi, il est tranché dans le sens indiqué par la charte.

Donc, ça peut avoir pour effet d'encourager les tribunaux à trancher, s'il y a un doute entre la loi et la charte, en faveur des dispositions contenues dans la charte. Ce serait possiblement une conséquence juridique.

M. Bédard: Pour les autres droits?

Mme Fournier: Pour le droit à l'éducation, c'est exactement dans le même sens, comme nous l'avons dit.

M. Bédard: Le droit à la santé?

Mme Fournier: Pour ce qui est de l'éducation, nous constatons que le droit, comme je l'ai dit, qui est défini dans la charte est restreint au droit à l'instruction. L'éducation, comme elle est définie par le pacte international, est beaucoup plus englobante. Cela permet, entre autres, une affirmation du droit à l'éducation permanente, par exemple, que toute personne a droit à l'éducation d'une façon globale.

Pour ce qui est du droit à un environnement sain, là aussi, ça ne veut pas dire que demain... Surtout, la commission ne demande pas le pouvoir d'enquête là-dessus.

M. Bédard: Cessez de fumer au moment où vous le dites.

Mme Fournier: Cela, de la même manière, peut permettre aux groupes ou aux personnes de s'aligner sur un objectif beaucoup plus élevé. Même s'il est déjà décrit dans la loi dont on a parlé tout à l'heure, le loi concernant la protection de l'environnement, le fait de l'inscrire dans la charte lui donne, encore une fois, un caractère de solennité et de profondeur qui devrait permettre un poids supplémentaire devant les tribunaux. C'est dans ce sens que notre préoccupation s'est fait valoir.

M. Bédard: Je sais que mes collègues reviendront sur le sujet. Vous avez indiqué, à la fin de votre mémoire, certaines demandes. Vous dites que la commission manque de ressources, aurait besoin d'en avoir plus, de même qu'elle aurait besoin d'une représentation au niveau des régions. Je ne suis pas ici pour essayer d'amorcer un débat sur les possibilités financières de le faire ou pas, je ne pense pas que ça entre en ligne de compte ni pour se comparer à d'autres pour mieux se consoler. Mais je pense, quand même, qu'on a fait une petite... je ne parlerai même pas d'étude, mais on a essayé de voir ce qui se passait dans les autres provinces. Ce n'est pas pour se consoler que je le dis, mais on est à même de constater que les efforts en termes d'attribution de ressources financières d'une province à l'autre se comparent avantageusement. Cela ne veut pas dire que c'est suffisant, loin de là. Je suis très conscient de ce que vous dites, étant donné l'importance du sujet dont on parle. Prenez, par exemple, en Ontario, on me dit qu'il y a 8 000 000 d'habitants -ça, on le sait - et une commission où il y a 62 permanents. Nous, nous en avons 60; vos remarques doivent sûrement s'adresser non seulement à nous, mais à tous les autres.

De ce côté, est-ce qu'on peut dire qu'on utilise toutes les ressources financières disponibles à l'ensemble des citoyens, du point de vue juridique? Par exemple, est-ce que vous pensez que la communauté juridique, au moment où on se parle, utilise suffisamment les dispositions de la charte pour intenter des recours? Vous me disiez, tout à l'heure, que les trois quarts de votre clientèle sont des pauvres gens; je pense que vous avez raison, mais je pense que ces pauvres gens ont quand même droit à l'aide juridique où des fonds sont disponibles pour la protection de ces droits et libertés individuels, comme pour n'importe quel autre recours. Est-ce que vous croyez que la communauté juridique utilise suffisamment les dispositions de la charte?

Mme Fournier: Sur la première question, la comparaison avec les autres commissions dans tout le Canada, c'est très

juste que les commissions sont souvent peu importantes en termes de membres, mais je tiens à rappeler que la charte québécoise est très différente, de beaucoup plus grande envergure et que nous avons des mandats multiples qui sont à peu près inexistants dans les autres provinces.

M. Bédard: ... aux autres?

Mme Fournier: C'est ce qui fait que, par exemple, pour faire l'analyse de la législation antérieure à la charte - qui est un mandat très spécifique dans notre charte ça nous prend quand même soit de l'argent, soit du personnel. Déjà, ceci n'est pas un mandat que d'autres commissions ont. En ce qui concerne l'utilisation des ressources, juridiques ou autres, les personnes qui se plaignent à la commission font appel à l'aide juridique lorsque c'est nécessaire. On doit cependant vous dire que la commission a développé bien naturellement une spécialisation et une expertise dans la défense des droits et libertés, ce qui fait que notre personnel est nécessaire. Que les personnes soient défendues devant les tribunaux avec l'aide de personnes de l'aide juridique, il n'y a pas de difficulté, mais, au niveau de l'enquête comme telle, il faut que ce soit fait par les membres de la commission, il faut que ce soit fait par le personnel de la commission, pour déterminer s'il y a ou non discrimination, et elle doit être faite chez nous. Évidemment, on pourrait imaginer que quelqu'un décide d'aller directement devant les tribunaux sans passer par la commission, c'est entendu, mais l'expertise, le poids moral, dirais-je, d'une Commission des droits de la personne, doit être mesurée pour ce qu'elle vaut, et je crois que c'est important.

M. Bédard: Dernière question. En parlant de poids moral et de tribunal, vous disiez que, lorsque vous aviez à comparaître devant la cour, la commission était sur le même pied que le plus petit des citoyens et que vous aviez à discuter de faits et de droit. Est-ce que ce n'est pas normal qu'il y ait d'abord un état d'égalité d'organismes et de citoyens, quand on fait face au tribunal? J'aimerais que vous expliquiez un peu cela.

Mme Fournier: Oui.

M. Bédard: Quand vous demandez le droit d'aller en justice, d'intenter des procédures, même sans le consentement d'un citoyen, est-ce que ça n'amènera pas une situation qui va créer un véritable problème? Disons que vous intentez une procédure malgré le désir du citoyen et que celui-ci ne veut pas venir témoigner pour étayer la preuve que vous avez à faire, qu'est-ce que vous allez faire dans ce cas-là?

Mme Fournier: Nous ne demandons pas ça, ce que nous demandons c'est que l'on puisse passer par le recours collectif de la même façon que d'autres types de plaintes qui sont présentées aux tribunaux par l'intermédiaire du recours collectif. Ce que nous développons, ce n'est pas du tout de défendre les gens malgré eux. Vous savez bien qu'en ce qui concerne le recours collectif, la personne n'a qu'à refuser d'être partie de la plainte et, pour toucher ce qu'elle gagnerait, disons, à la suite d'une telle procédure, il faut qu'elle s'identifie. Alors, ce n'est d'aucune manière contre l'autorisation des personnes impliquées.

M. Bédard: D'accord. Je reviendrai avec d'autres questions pour donner la chance à mes collègues de...

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: J'ai deux courtes questions car j'aimerais que mes collègues des deux côtés de la table aient le temps de poser des questions.

Je reviens, premièrement, sur les ressources. Je pense que c'est important; si on n'a pas de ressources, c'est un mandat fictif qu'on donne. Par exemple, la présidente a mentionné que la commission a un mandat de revoir toutes les lois du Québec. Avez-vous déjà eu l'occasion d'accomplir ce mandat? Est-ce que vous avez vérifié toutes les lois du Québec vis-à-vis de la charte?

Mme Fournier: Pas toutes.

M. Marx: Pas toutes. Bon, voilà! Un mandat, six ans, manque de ressources, ce n'est pas accompli. J'imagine qu'il y a d'autres mandats dans la charte qui ne sont pas accomplis, mais je ne veux pas embarrasser le ministre.

Le ministre a fait allusion à l'Ontario. Il a dit qu'il y a 62 permanents en Ontario et 60 à la Commission des droits de la personne du Québec. Comme il y a 8 000 000 de personnes en Ontario et seulement 6 500 000 au Québec, cela peut donner l'impression qu'on ne foute rien à la Commission des droits de la personne. Je pense qu'il est essentiel de comprendre, comme la présidente vient de le souligner, que la responsabilité de la Commission des droits de la personne du Québec n'a aucun -comment puis-je dire? - vis-à-vis dans d'autres provinces, même au fédéral. Est-ce que vous avez - c'est ma question, finalement - des chiffres? Je sais qu'il y a une association qui regroupe toutes les commissions des droits au Canada. Par exemple, est-ce que vous avez moins de demandes qu'en Ontario? Est-ce que vous

avez plus de demandes? Avez-vous plus de dossiers ouverts ou moins de dossiers ouverts? Avez-vous fait plus de recherches ou moins de recherches? Qu'est-ce que vous avez fait dans le domaine de l'éducation? Est-ce qu'on fait cela en Ontario, etc.? J'aimerais vous demander si, effectivement, vous faites au moins, avec vos 60 permanents, ce qui est fait en Ontario avec 62 permanents.

Mme Fournier: Voici...

M. Marx: J'aimerais avoir une idée de...

Mme Fournier: Si on fait la comparaison avec d'autres commissions - je reprends les chiffres de 60 postes à la Commission des droits de la personne - il faut bien savoir que nous avons là-dessus douze personnes uniquement pour faire les enquêtes, à proprement parler. Ajoutez à cela quelques personnes, trois ou quatre, pour faire l'accueil. À ce moment-là, si l'on compare, ce n'est plus de 60 à 60 qu'on doit comparer, mais 12 plus 4 à 60, avec un certain nombre de personnes qui ne sont pas directement reliées aux enquêtes. Déjà, en partant.

La comparaison de chiffres que nous avons, c'est que le nombre d'enquêtes et de demandes adressées à la commission serait comparable à celui de l'Ontario, en termes de plaintes, spécifiquement de plaintes et de discriminations. Encore une fois, nous avons tout un champ de demandes qui ne concernent pas la discrimination, mais bien les droits fondamentaux.

Ceci m'amène donc à faire la comparaison. Le personnel, disons, en Ontario qui aurait à faire à peu près le même nombre d'enquêtes a beaucoup plus d'enquêteurs pour le faire. Maintenant, pour ce qui est des autres commissions, les enquêtes qui sont instruites, si vous voulez, sont beaucoup moins nombreuses qu'au Québec ou en Ontario. La comparaison que je faisais... Par exemple, en Saskatchewan -je n'ai pas les chiffres ici - c'était autour de 400, je crois, alors que nous en avons 2000, en ce moment, pour un personnel comparable d'enquête. Alors, c'est de 400 à 2000. Je me trompe, c'est l'Alberta. Mais enfin, ce n'est pas loin, c'est à peu près pareil.

M. Marx: Je ne veux pas insister sur cette question, on va peut-être y revenir. Est-ce que, dans les autres provinces, on fait l'éducation comme on la fait au Québec, c'est-à-dire est-ce qu'on a des programmes éducatifs?

Mme Fournier: D'autres provinces ont un mandat d'éducation. Par exemple, l'Alberta a quelques agents d'éducation.

M. Marx: En Ontario aussi?

Mme Fournier: Ils ont un certain personnel à l'éducation. Ils ne sont pas très nombreux.

M. Marx: Pour passer à une autre question, j'ai trouvé très intéressantes vos recommandations en ce qui concerne l'action affirmative, mais je me suis posé la question suivante. Vous voulez que ce soit la commission qui prépare ces programmes et qui veille à la mise en oeuvre de ces programmes - je comprends cela - mais, dans certains domaines, est-ce qu'il ne serait pas plus efficace d'avoir d'autres organismes qui veilleraient à ces programmes? Je pense surtout à la fonction publique. Il y a supposément un programme d'égalité...

Une voix: II y a!

M. Marx: II y a. Voilà. J'ai dit "supposément" et je vais vous dire pourquoi; je me suis peut-être trompé. On est en train de couper le personnel de la fonction publique et, en même temps, on va intégrer plus de gens des minorités, plus de femmes, etc. C'est une fumisterie, c'était un projet électoral. Comment peut-on couper du personnel à la fonction publique et, en même temps, intégrer des gens des minorités, des femmes, etc.? Ce n'est pas logique.

La question que j'aimerais poser à la présidente - la ministre aura le temps de répondre à cette question - est la suivante: Ne serait-il pas plus efficace que ce soit la fonction publique elle-même, disons la ministre de la Fonction publique, qui s'occupe de ce programme d'action affirmative?

Mme Fournier: Ce que nous demandons, c'est un pouvoir de contrôle sur les programmes d'accès à l'égalité. Nous ne demandons pas de les implanter nous-mêmes, d'aucune manière. Nous souhaiterions que plusieurs organismes privés développent des compétences de manière à être consultants auprès d'employeurs, par exemple, mais ce que nous considérons essentiel, c'est qu'il y ait un contrôle de ces programmes d'accès à l'égalité. L'expérience est concluante là-dessus: S'il n'y a pas un organisme de contrôle, les programmes d'accès sont plus ou moins volontaires, plus ou moins conformes aux échéanciers, etc.

Donc, ce que nous voulons, c'est, premièrement, réglementer ce type de programmes de manière que ce ne soient pas des programmes qui seraient simplement des façades ou encore des programmes qui, peut-être sans mauvaise volonté, développeraient des injustices différentes. Nous voulons donc, comme commission, avoir une telle responsabilité. Nous n'avons pas l'intention de

les implanter nous-mêmes, avec notre personnel. Nous souhaitons que ce soient les organismes eux-mêmes, les employeurs et employés qui définissent ensemble le type de programmes d'accès à l'égalité qui serait souhaitable pour leur entreprise, mais ceci à l'intérieur de bornes clairement définies et définies par réglementation, fît une fois que ce serait défini, qu'il y ait possibilité pour la commission de suivre l'évolution d'une telle implantation parce qu'on peut très bien deviner - l'expérience l'a démontré - que s'il n'y a pas un contrôle régulier, ces programmes ne valent plus.

M. Marx: Juste une précision. Si je comprends bien, vous demandez un pouvoir de réglementation et un pouvoir de contrôle même sur les programmes d'accès à l'égalité de la fonction publique du Québec? C'est ça. D'accord, je comprends. (12 h 30)

Mme Fournier: Pour le même principe, c'est-à-dire que nous considérons que probablement, à la fonction publique même, ceux qui ont la meilleure expertise de la fonction publique, c'est le personnel de la fonction publique comme tel, mais nous demandons un pouvoir de contrôle, à savoir si le programme est efficace et est conforme à une réglementation qui aura été mise sur pied.

M. Marx: D'accord, merci.

Le Président (M. Desbiens): Mme la ministre, députée de La Peltrie.

Mme Marois: Merci, M. le Président. Je suis heureuse de constater que le député de D'Arcy McGee est un grand défenseur des droits des femmes. Je vais compter sur lui. Je le remercie, d'ailleurs.

M. Marx: Vous pouvez compter plus sur moi que sur le gouvernement actuel.

Mme Marois: Pas du tout. J'aimerais revenir sur une chose qui a été soulignée par le député dans laquelle il y a des faussetés et, ensuite, m'adresser à la commission avec deux sujets précis que j'aimerais aborder. Quand on parle de compressions dans la fonction publique, d'abord - et la députée, ministre de la Fonction publique, en a parlé dernièrement à l'Assemblée nationale - on a particulièrement mentionné le fait qu'on procédait par attrition, c'est-à-dire que, lorsque des gens décident d'eux-mêmes, soit pour raison de retraite - on aura l'occasion d'en parler - ou autrement, de partir, ces postes n'étaient pas comblés. Il reste, cependant, que de nouveaux programmes gouvernementaux sont mis en place à différents moments de la vie de notre gouvernement et que ces nouveaux programmes nous permettent d'être beaucoup plus positifs ou même agressifs, au sens positif du terme, dans la reconnaissance d'un certain nombre de droits et dans l'élimination de discriminations et même, en allant plus loin que ça, dans la possibilité de mise en place de programmes d'accès à l'égalité.

Ce point étant fait, M. le Président, je vais m'adresser aux membres de la commission avec deux sujets précis que j'aimerais aborder. Je pense que vous nous avez expliqué très bien la nécessité de mettre en place, selon votre point de vue, les programmes d'accès à l'égalité et ce, compte tenu du caractère systémique de la discrimination qu'on constate soit dans les milieux de travail, dans les milieux d'éducation ou dans tout autre milieu. J'aimerais cependant que vous reveniez - et ma question est à trois volets - pour nous expliquer d'abord très clairement quelles seraient, d'après vous, les conditions nécessaires - et j'appuie sur le mot nécessaires - au succès de ces programmes et, dans un second temps - vous en avez parlé à différents moments; j'aimerais les revoir de façon très précise - comment ça fonctionnerait au niveau des étapes à franchir pour l'implantation de ces programmes. Le troisième volet de cette première question: Comment percevez-vous les rôles respectifs de l'emploveur, du syndicat et de l'employé dans l'élaboration d'un programme qui concernerait une unité de travail particulière ou même, à la limite, toute l'entreprise?

Je reviendrai, M. le Président, si vous me le permettez, avec ma deuxième question qui, elle, touchera les avantages sociaux.

Le Président (M. Desbiens): Mme la présidente.

Mme Fournier: En ce qui concerne les conditions nécessaires, sans entrer dans un détail très technique, il s'agit essentiellement de fixer des échéanciers et des objectifs clairs pour définir ce que devrait être un programme donné d'accès à l'égalité. Ceci devra être basé sur une analyse précise et détaillée de l'état de la situation: de quel groupe s'agit-il, où se situe le malaise, s'il y en a un, est-ce que c'est au niveau de l'embauche, au niveau de chacune des étapes de gestion possibles que se situe la discrimination ou le système de discrimination? II s'agit donc, au départ, de faire une analyse extrêmement précise de la situation. À partir de cette analyse, par rapport au contexte donné, c'est-à-dire le marché du travail, par rapport aux disponibilités et par rapport au personnel en place, il s'agit de fixer les objectifs que nous voulons atteindre; si nous voulons 100%, si nous voulons 50% de femmes, 50%

d'hommes partout à travers toute la ligne, bien qu'on le fixe d'une façon précise.

Dans la plupart des cas, ce ne sera pas ça, et là, je touche à une autre de vos questions. C'est que, justement l'implantation de tels programmes doit se faire par étapes. Les échéanciers qui doivent être fixés doivent être aussi très précis. Si l'on ne les respecte pas, il faut expliquer pourquoi, c'est-à-dire rendre des comptes, justifier pourquoi on n'a pas réussi à combler tant de postes par telle minorité, tel groupe autochtone ou les femmes. Donc, la fixation des objectifs est extrêmement importante. Elle se fait par rapport à l'analyse de la situation particulière et par rapport à la possibilité de marchés de travail. Même si l'on sait, encore une fois, que les femmes forment 52% de la population, on ne fixera pas des objectifs de tel ordre dans une entreprise. Pardon?

Mme Marois: C'est un rêve pour l'instant.

Mme Fournier: C'est cela. Par exemple, en région où des populations autochtones sont importantes, s'il y a une entreprise donnée qui s'implante, il s'agirait de regarder quelle main-d'oeuvre autochtone il y a de disponible, ce que cela prend comme formation, combien de temps cela peut prendre pour former cette main-d'oeuvre, etc.; donc, l'identifier très précisément, trouver les remèdes et le fixer sur un échéancier. Ce qui est fondamental, c'est contrôler l'échéancier, la poursuite de cela.

Mme Marois: Une des choses que vous avez mentionnées dans votre intervention et on le retrouve assez abondamment dans le mémoire aussi, c'est que vous semblez dire que ces programmes ne sont pas possibles dans une perspective de volontariat. Pourriez-vous revenir sur cela et expliquer davantage? Avez-vous analysé des expériences dans d'autres pays, dans d'autres communautés et dans d'autres collectivités?

Mme Fournier: Le volontariat comme tel, nous ne sommes pas contre qu'il y ait à l'occasion des programmes d'accès à l'égalité implantés sur une base volontaire, mais nous disons que, s'il n'y a que cela, cela ne fonctionnera pas. L'expérience américaine, en particulier - mais aussi canadienne - nous démontre abondamment que, si c'est basé uniquement sur le volontariat, cela ne donne pas de résultats. La raison en est assez évidente. On peut difficilement, à moins d'être très naïf, je pense, et très utopiste, s'imaginer que ce sont les plus "discriminants" qui vont être ceux qui vont, de fait, mettre sur pied les meilleurs programmes d'accès à l'égalité. Cependant, qu'il y ait des programmes volontaires d'accès à l'égalité qui suivraient un contrôle pour éviter les abus possibles de tels programmes, nous n'avons absolument rien contre cela. Mais nous estimons essentiel que, s'il y a une démonstration de discrimination systémique, nous puissions procéder exactement comme dans le cas où on a découvert qu'il y a une discrimination individuelle, nous puissions recommander l'implantation d'un tel programme et que, si les recommandations n'étaient pas suivies par l'employeur, à ce moment-là on aille devant les tribunaux en demandant la même chose. Dans un cas, si nous croyons que le redressement du tort est de donner un salaire égal et, dans un autre cas, si nous croyons que le redressement du tort est d'implanter un programme d'accès à l'égalité, que ce soit la manière de fonctionner.

Mme Marois: Est-ce que je comprends qu'à ce moment-là vous procéderiez à la suite d'une demande d'enquête et qu'après cela l'entreprise dépose une proposition et vous évaluez si cela va ou non?

Mme Fournier: II y a plusieurs scénarios possibles, en fait. L'un d'entre eux est précisément celui que vous venez de décrire, c'est-à-dire qu'à l'occasion d'une plainte à la commission nous faisons enquête et nous découvrons qu'il y a là discrimination généralisée. Nous recommandons un programme d'accès à l'égalité. Cela pourrait venir d'un autre moyen. Cela pourrait venir via les contrats avec le gouvernement ou les subventions données par le gouvernement à certaines institutions. Ceci s'est révélé la manière la plus régulière et systématique de faire intervenir ce type de programme de manière qu'il soit implanté sur une base permanente. La plupart des organismes importants font affaires à un moment ou à un autre avec le gouvernement et les contrats devraient avoir cette clause qui précise que la personne ou l'entreprise qui fait la demande n'obtiendra son contrat qu'à la condition de faire la démonstration qu'elle est une entreprise non discriminatoire. Ici, elle ne peut faire cette démonstration; elle doit, pour avoir son contrat, mettre sur pied un programme d'accès à l'égalité qui aurait l'approbation de la commission.

Mme Marois: Vous me permettrez. La dernière question que j'avais posée, quant au rôle de l'employeur, du syndicat, des employés, vous n'y êtes pas revenue.

Mme Fournier: La seule façon de faire en sorte que des programmes d'accès à l'égalité soient viables et correspondent effectivement aux besoins révélés ou identifiés, c'est que ces programmes soient discutés entre les parties patronale et syndicale; s'il n'y a pas de syndicat, la

formation d'un comité d'employés pourrait probablement être une des solutions fort intéressantes pour pallier l'absence de syndicat. Mais, la participation syndicale, est essentielle là-dedans; c'est là aussi l'expérience de la Colombie britannique, de la Suède et des États-Unis. On ne peut pas aller contre les membres importants qui ont à définir les balises essentielles de l'organisation du travail.

M. Bédard: Si vous me permettez, si le patron et les syndicats ne s'entendent pas, qui décide?

Mme Fournier: La commission.

Mme Marois: Le deuxième volet porte sur les avantages sociaux. Qu'est-ce qui vous incite finalement, et ce, contrairement à la recommandation du rapport Boutin, que le député D'Arcy McGee citait tout à l'heure d'ailleurs, à refuser de prendre en considération les données actuarielles qui sont basées sur le sexe et ce, dans l'établissement des rentes, dans les régimes surtout - on en parle beaucoup - à prestation indéterminée?

Mme Fournier: Ce qui nous porte à demander cela relève d'une question d'option idéologique et sociale. Il s'agit pour nous de ne pas accepter la discrimination. Je fais l'analogie avec ce qui s'est passé aux États-Unis à une certaine époque. II y était permis et légal de faire de la discrimination relativement aux avantages sociaux entre les personnes de race blanche et les personnes de race noire. Ceci était basé sur des tables actuarielles. Les personnes de race noire mourant plus tôt que les personnes de race blanche, c'était considéré légal. À un moment donné, la société ne l'a plus toléré tout simplement et cela a été donc refusé.

De la même manière dans le cas des femmes, il y a des différences en termes de taux de mortalité et de morbidité. Il s'agit de savoir si la société veut tolérer une discrimination basée sur ces différences, oui ou non? Nous disons, sans aucune hésitation, non.

Mme Marois: Merci, Mme la présidente.

Le Président (M. Desbiens): Mme la députée de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je voudrais d'abord remercier les membres de la commission et souligner comment de l'extérieur, comme profane, le travail que vous faites me paraît extrêmement important particulièrement comme agent de changement, d'évolution des mentalités. Également important aussi à une époque où les gouvernements, quels qu'ils soient, ont une tendance fort prononcée, personne ne me contredira, à intervenir de plus en plus dans la vie des individus et même de certaines collectivités. Alors, je suis heureuse de souligner en passant que le travail que j'ai eu l'occasion de juger, au meilleur de ma connaissance, m'est apparu extrêmement constructif et non partisan. Je pense que c'est fondamental à votre fonctionnement mais, les humains étant des humains, je pense qu'il y a toujours possibilité d'errer. (12 h 45)

Inutile de vous dire que je me réjouis que cette commission ait été convoquée, je veux simplement dire un mot sur la recommandation que vous faites quant à l'abolition de l'article 90 qui touche la discrimination concernant les avantages sociaux. Même si le gouvernement n'aime pas qu'on lui rappelle certaines choses - je pense que je le fais en toute objectivité - la réalité est que l'Opposition demande au gouvernement d'intervenir dans ce domaine depuis 1977. S'il était intervenu plus tôt, on ne se serait peut-être pas retrouvé avec des conventions collectives, dans les secteurs public et parapublic, qui contiennent encore certains éléments, pas seulement certains mais plusieurs éléments de discrimination quant aux avantages sociaux et quant à certains avantages salariaux, etc.

Ceci étant dit, je me pose une question. Je ne veux pas revenir sur chacune des recommandations, vous en faites beaucoup, vous ajoutez beaucoup à votre tâche, en disant: Le travail, c'est comme un principe fondamental, il ne s'agit pas pour nous de nous impliquer d'une façon concrète, mais pour le Québec de reconnaître que le travail est un droit fondamental. Je pense que je saisis un peu la philosophie derrière ceci. Il y a d'autres éléments que vous recommandez, d'une part.

D'un autre côté, vous dites: Nos ressources sont limitées. Je pense qu'on peut en convenir, compte tenu des responsabilités supplémentaires qui ont été ajoutées, soit avec la loi 24, la loi 9 et enfin, plusieurs autres lois; non pas que je sois en désaccord avec les principes nouveaux que vous voulez inclure dans la charte, mais est-ce que, à ce moment-là, la commission ne court pas le risque, si ses ressources ne sont pas augmentées, de se diluer davantage peut-être ou de donner l'impression ou créer l'impression d'un travail qui sera fait moins en profondeur et qui, finalement, pourrait, à moyen ou à long terme, enlever à la commission le poids moral qu'elle a présentement?

Quand la commission émet un avis, il est reçu très sérieusement par tous; d'un côté ou de l'autre de la table, on peut certainement s'entendre là-dessus. Je me demande, mise à part même la discussion

philosophique de tel ou tel principe, avant de demander de vous ajouter ce qui serait en quelque sorte des responsabilités nouvelles, avant même que ces ressources nouvelles soient objectivement mesurées, je ne sais pas si vous avez raison ou si le gouvernement a raison, je ne suis pas en mesure de le dire, de diluer votre action et, par le fait même, peut-être éventuellement de diminuer l'influence morale qu'a la Commission des droits de la personne.

Mme Fournier: Merci. Le commentaire fondamental que j'aimerais faire en réponse à cette question, c'est que la charte ne doit pas s'ajuster à la Commission des droits de la personne. C'est une loi fondamentale pour tous et pour tous les citoyens et l'amélioration de la charte doit être faite en soi. Elle a une valeur en elle-même. C'est la propriété de tous les citoyens du Québec. Je ne voudrais pas qu'on refuse d'insérer un droit dans la charte en se disant que la commission ne serait pas à la hauteur de ce droit. Je pense que la population a le droit d'avoir ses droits. C'est en ce sens qu'on les demande.

Maintenant, par rapport à la participation de la commission, je suis d'accord. Je pense que plusieurs des éléments que nous abordons, des demandes que nous faisons impliquent un ajustement de ressources, non pas un ajustement phénoménal, mais un ajustement de ressources. Je ne veux pas revenir là-dessus. Déjà, nous avons de la difficulté à ramer, si vous voulez, mais, si nous avons des ajouts, si l'on considère que c'est important d'ajouter tel ou tel élément à la charte, je présume qu'on va aussi trouver important d'ajuster les ressources en conséquence.

Encore une fois, ce que j'aimerais dire de plus fondamental, c'est que la charte existe comme telle, comme propriété et bien de tous les citoyens du Québec. Il ne faudrait pas l'ajuster aux ressources d'un organisme qui est simplement là pour l'administrer.

Mme Lavoie-Roux: Ma deuxième question va un peu dans le même sens. Vous demandez - vous me corrigerez si j'ai tort -ce qui m'apparaît des responsabilités nouvelles quand vous parlez, par exemple, d'une possibilité de réglementation des programmes d'égalité d'accès à l'emploi. Je vous donne ma réaction de profane là-dessus. Les gens ont le loisir de vous consulter, et particulièrement le gouvernement, les citoyennes aussi. Vous-mêmes, vous avez le loisir de donner des avis, d'examiner des choses qui ne vous paraissent pas correctes et de les dénoncer ou de faire des représentations, etc. Si on vous donnait une responsabilité de réglementation vis-à-vis des programmes particuliers, que ce soient ceux- là, cela pourrait être évidemment autre chose, est-ce qu'à ce moment, vous ne vous mettez pas, comme commission, dans une position vulnérable, dans ce sens - peut-être que j'idéalise la Commission des droits de la personne - que ce ne doit pas être un organisme qui soit, à un moment donné, pris dans un conflit ou dont on peut juger le rendement, à savoir que, par exemple, une fois que vous auriez eu passablement de participation à l'élaboration de la réglementation, et même un certain contrôle de la réglementation, vous vous retrouveriez dans deux ou trois ans, comme ayant réalisé peu de choses? Cela ne dépendrait peut-être pas de vous. Je me demande si cela ne risque pas, à ce moment, de mettre la commission dans une espèce de situation de conflit qui ne serait peut-être pas à l'avantage de la commission, et, par ricochet, ce qui est beaucoup plus grave, à l'avantage de l'ensemble des citoyens.

Mme Fournier: La question est sérieuse et nous l'avons justement étudiée d'une façon sérieuse. Au départ, je peux vous dire que la commission fédérale des droits de la personne a ce pouvoir de réglementation et émet des règlements. Cela n'a pas nui du tout à sa crédibilité, à mon avis. Je crois que ces craintes ne sont pas fondées en fait, bien que la question soit sérieuse, encore une fois. Ce que nous demandons, nous voyons cela comme une prolongation de la charte. La réglementation qui serait ajustée soit au programme d'accès à l'égalité, soit à la question des avantages sociaux, ne deviendrait à toutes fins utiles qu'une spécification plus détaillée de l'implantation du droit ou de la loi qui serait adoptée. Ce n'est donc pas des pouvoirs en termes de pouvoirs supplémentaires à la commission. Ce que nous croyons, c'est que nous sommes finalement bien placés pour émettre des recommandations qui seraient encore une fois - là, c'est très important - adoptées soit par le lieutenant-gouverneur, soit par l'Assemblée nationale. Nous avions même suggéré l'Assemblée nationale à cause du caractère justement fondamental de la Charte des droits et libertés de la personne, ce qui fait que les suggestions que nous ferions, étant bien placés pour les faire, connaissant la loi comme nous la connaissons et à partir de notre expérience, si vous voulez, ne mettraient pas la commission en conflit d'intérêts, soit d'être perçue comme juge et partie. Ce serait, comme j'ai essayé de l'expliquer tout à l'heure, la même procédure, finalement, que ce que nous faisons actuellement lorsque nous allons défendre quelqu'un devant les tribunaux, après avoir fait enquête sur le même cas. Nous avons plusieurs rôles à jouer, nous les jouons successivement et ceci n'entrerait pas en contradiction, à notre avis.

La réglementation qui émanerait, qui serait reliée soit aux programmes d'accès à l'égalité, soit aux avantages sociaux, est une réglementation que nous voyons comme explicitant le droit qui serait affirmé dans la charte, et une réglementation nécessaire. Précisément en ce qui concerne les avantages sociaux, par exemple, nous sommes très conscients que simplement abroger l'article 90 de la charte et interdire la discrimination comme telle dans les avantages sociaux, cela pourrait mener à des incohérences. Ce que nous voulons, c'est qu'il y ait une réglementation qui définisse les balises et les limites de l'application de la loi comme telle. C'est la même chose pour l'accès à l'égalité.

Mme Lavoie-Roux: Une dernière question pour ne pas enlever le temps aux autres; c'est sur la santé. Je dois vous dire que j'ai été étonnée que vous ne veniez pas à une commission parlementaire qui a été tenue il y a quinze jours, reliée au droit de grève, aux services essentiels, aux services de santé. Je veux vous demander si vous vous êtes penchés sur ce problème des services essentiels en fonction d'au moins trois articles que l'on retrouve dans la Charte des droits et libertés, les articles 1, 39 et 48? Dans l'article 1, c'est un principe fondamental. Dans l'article 39, on parle de personnes handicapées et de l'exploitation de personnes âgées, ensuite, un peu plus loin, des jeunes enfants qui sont sous la tutelle de l'État et de ces choses-là. Je voulais vous demander si vous vous étiez penchés sur ce problème parce qu'il m'apparaissait, à première vue, toucher à certaines dispositions de la Charte des droits et libertés.

Mme Fournier: Nous ne sommes pas venus en commission parlementaire. En fait, c'est une politique de la Commission des droits: jusqu'à présent, nous ne nous présentons pas comme telle en commission parlementaire. Nous faisons connaître nos avis au législateur et nous tentons d'avoir un impact de cette façon en faisant des recommandations précises sur diverses questions.

Cependant, il est indiscutable que le problème que vous soulevez, concerne la Charte des droits et libertés et ce n'est pas un problème facile. Nous avons réfléchi à la question, mais nous n'avons pas émis d'avis en ce moment sur la question. C'est pour cela que je trouve peut-être difficile de parler sur le fond de la question. Nous y avons réfléchi; nous n'avons pas encore émis d'avis.

Mme Lavoie-Roux: Qui peut vous demander un avis?

Mme Fournier: Tout le monde peut nous demander un avis ou nous pouvons le faire de notre propre initiative. Qui que ce soit peut demander un avis à la commission et nous évaluons si c'est approprié ou non de le faire.

Mme Lavoie-Roux: Merci beaucoup.

Le Président (M. Desbiens): Alors, comme conclusion, M. le ministre.

M. Bédard: Peut-être une dernière question. Concernant les délais que vous avez évoqués dans le processus de traitement des plaintes qui existe à l'heure actuelle, il y a des gens qui nous ont suggéré certaines modifications à la procédure accompagnant une plainte. Par exemple, ils nous ont suggéré la possibilité d'abolir l'étape de la conciliation, et de confier au directeur du contentieux la décision de poursuivre la plainte ou non. J'aimerais connaître votre opinion là-dessus et j'aimerais aussi savoir ce que vous pensez de la création d'un tribunal administratif qui serait chargé d'entendre les plaintes faites en contravention avec la charte. Il y aurait possibilité d'appel à un tribunal supérieur des décisions rendues par ce tribunal administratif.

Mme Fournier: Sur la question de la conciliation, je dois dire que nous n'avons pas envisagé cette possibilité, précisément parce que nous considérons que, probablement, l'une des plus importantes originalités de la charte par rapport à d'autres organismes, c'est de faire en sorte de favoriser le plus possible l'entente entre les gens. Vous savez que cela donne beaucoup de résultats.

M. Bédard: Cela fait partie de l'éducation.

Mme Fournier: Oui, et dans 80% des cas ça se règle au niveau de la médiation. Ce n'est pas nécessaire d'aller devant les tribunaux et exacerber les conflits lorsqu'il est possible de s'entendre, précisément. Comme vous le dites, ça fait partie de l'éducation précise des personnes.

Pour ce qui est de la deuxième question, la mise sur pied de tribunaux administratifs, c'est une question qui n'est pas facile. Là aussi, nous avons une étude qui est en cours. Nous n'avons pas fait de recommandation précise à cette commission parlementaire là-dessus parce que nous considérons que nous ne sommes pas assez avancés non seulement dans notre réflexion, mais, je dirais, dans notre expérience de la commission comme telle, avec le système que nous avons. Nous avons des jugements qui sont devant les tribunaux, nous attendons de voir comment ceci va aboutir. Cinq ans, ce n'est pas long pour une commission de

cet ordre avant de changer ses procédures de façon aussi radicale.

Maintenant, je vous répète que nous avons analysé l'expérience des autres provinces et celle du fédéral et nous poursuivons l'étude là-dessus. Nous considérons d'ailleurs que, si à la suite de nos expériences vécues et de nos études nous en venions à suggérer la création de tels tribunaux, nous demanderions, à ce moment-là, une modification à la charte. (13 heures)

M. Bédard: M. le Président, je pense que mes collègues, tous les membres de la commission parlementaire aimeraient bien continuer la discussion encore de longs moments avec les membres de la Commission des droits de la personne, mais je pense que plusieurs des sujets que la commission évoque sont aussi repris par d'autres organismes, et on aura l'occasion de s'y attarder. Alors, je voudrais, au nom de tous les membres de la commission, vous remercier très sincèrement du travail remarquable qui a été fait et vous inviter à demeurer avec nous.

Mme Fournier: Merci beaucoup.

Le Président (M. Desbiens): Oui, M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: J'aimerais aussi remercier la présidente et tous les membres de la Commission des droits de la personne. J'aimerais suggérer au ministre, quand il va refaire la charte, qu'il demande des avis à la Commission des droits de la personne pour la rédaction de ses modifications, étant donné qu'elle a une certaine expertise qu'il serait difficile de trouver ailleurs au Québec. Merci.

M. Bédard: II est clair, M. le Président, que je me proposais de le faire.

Le Président (M. Desbiens): Merci aux membres de la Commission des droits de la personne de leur participation. La commission élue permanente de la justice suspend ses travaux jusqu'à 15 heures alors que nous accueillerons le Conseil du statut de la femme.

(Suspension à 13 h 02)

(Reprise de la séance à 15 h 19)

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission élue permanente de la justice reprend ses travaux pour recevoir en audition publique les mémoires relatifs aux modifications à apporter à la Charte des droits et libertés de la personne. Je demanderais le consentement des membres de la commission pour faire un changement d'intervenant. Mme Harel (Maisonneuve) remplacerait M. Dussault (Châteauguay).

M. Bédard: Avec plaisir, M. le Président.

Mme Lavoie-Roux: Pour une fois qu'il y a des femmes, du côté du Parti québécois, à une commission qui intéresse les femmes.

M. Bédard: II y en a toujours.

Mme Lavoie-Roux: Oh non, oh non! Pas avant, pas avant.

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, s'il vous plaît!

Mme Lavoie-Roux: Non, ce n'est pas ce que j'ai dit.

M. Bédard: Arrêtons de déblatérer sur les gens qui sont partis.

Conseil du statut de la femme

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, s'il vous plaît!

J'invite maintenant les membres du Conseil du statut de la femme qui sont placés en avant, représenté par Mme Claire Bonenfant. Je vous souhaite la bienvenue et je vous demanderais, Mme Bonenfant, de nous présenter les personnes qui vous accompagnent.

Mme Bonenfant (Claire): À ma droite, Mme Renée Carpentier qui travaille à la recherche au Conseil du statut de la femme et qui a travaillé à la rédaction de notre mémoire et Me Sandra Shee qui est conseillère juridique auprès de la présidente du conseil.

Le Président (M. Desbiens): Allez-y.

Mme Bonenfant: M. le Président, M. le ministre, mesdames et messieurs de la commission et, aussi, mesdames et messieurs derrière moi qui vous intéressez aux travaux si importants de cette commission, c'est avec un vif intérêt que le Conseil du statut de la femme a pris note de la décision du gouvernement de permettre aux groupes et personnes intéressés de présenter à la commission permanente de la justice leur point de vue sur les modifications à apporter à la Charte des droits et libertés de la personne.

On se rappelle, d'ailleurs, qu'en mars 1980 une coalition regroupant plusieurs organismes, dont le Conseil du statut de la femme, avait ardemment invité le gouvernement à tenir une commission parlementaire publique sur cette question.

Nous avons, quant à nous, déjà exprimé dans notre politique d'ensemble Pour les Québécoises: égalité et indépendance plusieurs recommandations visant à modifier la charte. Depuis, notre réflexion s'est continuée et, comme cet événement risque d'avoir des conséquences importantes pour l'amélioration des conditions de vie et de travail des femmes, nous nous sommes donc empressés de répondre à l'invitation du gouvernement pour la présentation de ce mémoire.

Bon nombre des recommandations qui y sont contenues ne sont cependant pas nouvelles, ayant déjà fait l'objet de requêtes à plusieurs reprises et ce, par différents organismes. Nous avons, néanmoins, cru opportun de les rappeler ici, étant donné que les changements conséquents à ces requêtes n'ont pas encore été apportés. D'autres recommandations, par contre, sont peut-être moins connues, mais elles ne témoignent pas pour autant d'injustices moins importantes.

Pour clore cette brève présentation, notons que l'ensemble des modifications exigées dans le cadre de ce mémoire ne constitue pas un relevé exhaustif de tous les changements qui devront être apportés à la charte et à son application. Nous nous sommes limités ici à ceux qui nous semblaient prioritaires en ayant pour cibles les situations les plus flagrantes de discrimination dont les femmes sont souvent les principales victimes. Nous espérons donc que le gouvernement, qui se dit, par ailleurs, conscient de la discrimination dont les femmes sont victimes depuis tant d'années, saura faire preuve d'une volonté réelle d'agir en donnant suite à ces recommandations.

Nous avons assisté ce matin à la présentation du mémoire de la Commission des droits de la personne. Étant donné la similitude de nos revendications, je ne pense pas vous lire complètement le mémoire que nous avons déposé. C'est une chose normale que nos mémoires soient un peu semblables puisque nous sommes deux organismes voués à la défense des droits des discriminés, mais, pour le conseil, évidemment, il s'agit surtout des femmes et nous insisterons d'ailleurs sur les points qui nous touchent d'une façon plus sensible.

Je vous répète que, pour nous, ces modifications à la charte consistent en des enjeux fort importants pour la condition des femmes. Dans notre mémoire, nous nous appuyons sur les circonstances de discrimination les plus flagrantes dont les femmes sont souvent les principales victimes. Les points majeurs de notre mémoire sont: la discrimination dans les avantages sociaux, l'action positive - c'est-à-dire ce que le Conseil de la langue française a récemment décrété être des programmes d'accès à l'égalité - la discrimination fondée sur le harcèlement sexuel, la discrimination fondée sur la condition physique et aussi la question des pouvoirs et des ressources de la Commission des droits de la personne.

Commençons d'abord par la discrimination dans les avantages sociaux. Parler de la discrimination dans les avantages sociaux, c'est parler de la discrimination dont certains groupes sont victimes au chapitre des assurances et des régimes de rentes. À l'article 97 de la charte - je sais qu'on l'appelle maintenant l'article 90, mais, si vous me le permettez, je continuerai de l'appeler 97 puisque tous les groupes de femmes l'appellent encore 97 et les femmes ont tellement travaillé à son abrogation que je ne voudrais pas qu'elles se sentent isolées - on permet la discrimination dans le domaine des avantages sociaux sur la base des critères sexe, état civil, orientation sexuelle, personnes handicapées, âge. Concrètement, cela veut dire, par exemple, que la charte permet que des polices d'assurance n'acceptent pas les femmes comme soutiens de famille, les privant ainsi de l'accès aux avantages sociaux de nature familiale comme l'assurance-vie pour le conjoint et les frais médicaux pour les enfants.

Autre exemple: La charte permet que les compagnies d'assurances exigent des femmes des périodes d'attente plus longues pour bénéficier des avantages d'une police. Troisième exemple: La charte permet que des polices n'accordent pas aux héritiers légaux d'une femme des prestations égales à celles des héritiers légaux d'un homme. Plusieurs organismes se battent depuis longtemps pour que l'article 97 soit abrogé. En 1976, on a déposé au gouvernement le rapport Boutin. Le Conseil du statut de la femme a déposé une politique d'ensemble, en 1978, où on faisait des réclamations à ce sujet. Nous avons fait partie aussi de l'équipe de mise en application du rapport Boutin en 1979. En 1980, nous avons fait partie d'une coalition, comme je l'ai rappelé tout à l'heure, mais aucune modification n'a été apportée. Cette situation est tout à fait inacceptable, contraire à l'esprit même de la charte. Nous revenons encore à la charge pour exiger l'abrogation de cet article.

Nous ne croyons plus qu'en cette matière, donc, ce soit la faiblesse de l'argumentation qui retienne depuis tant d'années le gouvernement québécois dans l'immobilisme. Aussi n'avons-nous pas l'intention dans le cadre du présent mémoire de reprendre l'argumentation déjà développée. Nous croyons cette démarche inutile car les changements à apporter ne dépendent plus d'un manque de preuves ou de justifications au changement, mais bien d'une volonté politique d'agir. Aussi nous contentons-nous de présenter ici sous forme de recommandations les changements qui devront être apportés à l'actuelle Charte des droits

et libertés de la personne pour que l'égalité entre hommes et femmes puisse être rétablie en matière d'avantages sociaux. Nous recommandons que l'article 97 de la Charte des droits et libertés de la personne soit abrogé. Nous recommandons qu'un pouvoir de réglementation soit accordé à la Commission des droits de la personne pour assurer la mise en oeuvre des normes de non-discrimination dans les avantages sociaux.

Nous recommandons qu'il soit stipulé dans la charte que les législations et régimes publics doivent être modifiés dans le sens de l'abolition de toute discrimination en matière d'avantages sociaux. Nous venons de dire qu'une réglementation doit être faite et, à notre avis, un organisme doit être mandaté pour en assurer l'application et le contrôle. Pour le Conseil du statut de la femme, ce rôle revient à la Commission des droits de la personne.

Un point sur lequel nous aimerions insister alors qu'on y a fait allusion ce matin, c'est les notions relatives aux conjoints de fait. À la recommandation 4 de son rapport final, le comité Boutin a accepté une définition du conjoint de fait similaire à celle de la Régie des rentes du Québec, c'est-à-dire une définition établissant à sept ans la durée de vie commune nécessaire pour que soit reconnu le conjoint de fait. Considérant certaines de nos remarques, le comité chargé de l'application des recommandations du rapport a, par la suite, proposé une modification à la définition de conjoint de fait, la rendant cette fois tout à fait conforme à la loi et aux règlements prévalant dans le cadre du Régime de rentes du Québec. Nous avons à l'époque réagi à cette modification de la façon suivante: nous croyons qu'il y aurait avantage à arriver à une certaine uniformité dans les différentes lois et même dans les régimes privés en ce qui a trait à la définition du conjoint de fait et du partage des droits de chacune dans une situation où coexiste un conjoint de fait. Une lecture sommaire des lois existantes nous amène encore aujourd'hui à dénoncer le manque d'uniformité, pour ne pas dire le véritable fouillis entourant la notion de conjoint de fait. Ainsi, la situation relative à la reconnaissance légale du conjoint de fait nous semble témoigner d'assez de confusion et d'arbitraire pour ne plus risquer aujourd'hui d'accroître cette tendance en proposant une définition reposant sur une analyse trop superficielle. Actuellement, la situation est telle qu'avant d'opter pour l'une ou l'autre définition une analyse plus systématique des implications devrait être faite par la commission.

À propos de la réglementation, nous croyons qu'elle doit s'élaborer sur la base des recommandations du rapport Boutin, mais avec certaines modifications, toutefois, dont la plus importante porte sur les considérations actuarielles. Objection à ce que les considérations actuarielles justifient des traitements différents selon qu'on est homme ou femme. Pour illustrer la situation, on peut dire que la science actuarielle établit que l'espérance de vie des femmes est plus longue que celle des hommes, c'est-à-dire sept ans. Des assureurs allouent donc pour un même montant de prime des rentes mensuelles plus faibles. Raison: les femmes recevront leurs rentes plus longtemps. On n'a pas semblé considérer que le pain, le beurre, l'habillement et le logement coûtent le même prix pour les hommes et pour les femmes et qu'en punition nous allons avoir moins d'argent plus longtemps parce que nous vivons plus longtemps. C'est une situation inacceptable en vertu du principe d'égalité de rémunération pour travail équivalent. Une rémunération comprend non seulement les compensations directes, c'est-à-dire les salaires, mais aussi les compensations indirectes, les avantages sociaux. Une mesure qui sanctionne un niveau de vie inférieur pour les femmes est inacceptable. (15 h 30)

D'ailleurs, ce ne sont pas toutes les femmes qui vivent plus longtemps. Ce ne sont pas tous les hommes qui vivent moins longtemps. Peut-on dire que c'est une injustice? Les conditions socio-économiques des femmes varient aussi. Dans quelle mesure les savants conseils actuariels en tiennent-ils compte? Le conseil dénonce, encore une fois, les considérations actuarielles comme prétexte à la discrimination homme et femme.

Au chapitre des avantages sociaux, le Conseil du statut de la femme demande aussi que les législations et régimes publics soient modifiés dans le sens de l'abolition de toute discrimination en matière d'avantages sociaux, évidemment vous trouverez dans notre rapport de plus langues considérations sur ce dossier, mais nous ne voulons pas accaparer les travaux de la commission alors que beaucoup a été dit ce matin.

Nous allons passer maintenant aux modifications relatives à ce qu'on appelle l'action positive ou programmes d'accès à l'égalité. Par ces programmes, il s'agit ici de permettre à différents groupes dont les femmes, victimes depuis fort longtemps de pratiques discriminatoires, de jouir enfin des mêmes chances que les autres. Là aussi, je me permettrai de ne pas lire entièrement le mémoire puisque la commission en a largement traité ce matin, mais nous voulons quand même insister sur le retard accumulé par les femmes dans la structure de notre société ce qui suppose la mise en place de mesures de redressement.

Actuellement la charte ne permet pas ces programmes. Le conseil a déjà recommandé, dans la politique d'ensemble, d'amender la charte en conséquence; nous

continuons de le faire. On doit le faire plus que jamais. Malgré des idées généreuses, malgré des programmes généreux qu'on a essayé de mettre en place, dans les gouvernements ou dans certaines industries, on se rend compte que finalement les inégalités viennent du système lui-même; si on ne met pas en place de tels programmes, on n'y arrivera jamais, parce que la pyramide monte toujours inégalement. Au conseil, on appuie plus précisément la Commission des droits de la personne dans l'obligation d'avoir un organisme unique qui régisse ces programmes et on demande que ces programmes ne soient pas seulement appliqués au monde du travail, mais aussi au monde de l'éducation, en particulier dans le domaine de la formation. Sur ce sujet, nous vous référons, pour de plus amples informations et pour un appui encore plus considérable à nos arguments, au rapport que nous avons déposé devant la commission Jean, l'automne dernier, où on prouve que les femmes sont déjà discriminées au départ dans notre système d'éducation.

Alors, nous appuyons donc entièrement la Commission des droits de la personne pour qu'elle soit aussi chargée de la réglementation déterminant la portée et les contenus de ces programmes et qu'elle puisse prendre toute action judiciaire appropriée sans avoir le consentement d'une victime individuelle, ce qui nous amène à parler des recours collectifs. On demandait que la Charte des droits ait des pouvoirs supplémentaires pour agir au nom des collectivités qui étaient discriminées.

Pour continuer dans les programmes d'action positive, nous demandons aussi qu'ils soient rendus obligatoires, dans toutes les entreprises contractant avec l'État et aussi dans la fonction publique ou dans tout autre organisme où des cas de discrimination ont été démontrés, que l'application de ces programmes ne se réduise pas, je viens de le dire, qu'au domaine du travail. Nous insistons également sur une chose que nous considérons très importante, c'est le dialogue entre la Commission des droits de la personne et les syndicats. Nous croyons, avec certitude, que ces programmes ne pourront être mis en application s'il n'y a pas une concertation du milieu, c'est-à-dire des comités paritaires qui réuniraient les syndicats et les patrons afin de rendre possibles ces programmes d'action positive.

Un sujet que nous voulons aborder tout spécialement, parce qu'il revient au Conseil du statut de la femme en particulier d'insister sur ces recommandations, c'est les modifications relatives à la discrimination fondée sur le harcèlement sexuel.

Le harcèlement sexuel est une autre circonstance de discrimination dont les femmes sont très souvent victimes. Selon la définition qu'en donne la Commission des droits de la personne il consiste, dans une pression indue exercée sur une femme, soit pour obtenir des faveurs sexuelles, soit pour ridiculiser ses caractéristiques sexuelles, qui a pour effet de compromettre son droit à l'égalité dans l'emploi, son droit à des conditions de travail justes et raisonnables, son droit à recevoir en toute égalité des services ordinairement offerts au public, son droit à la dignité.

Le harcèlement sexuel peut prendre différentes formes, depuis les regards soutenus en passant par les moqueries jusqu'aux demandes de faveurs sexuelles s'accompagnant de menaces explicites ou implicites.

Ces différentes tactiques de harcèlement sont souvent considérées comme anodines et sans conséquence par leurs auteurs. Certains diront qu'elles font partie des règles du jeu, qu'elles sont assimilables au flirt. Cependant, la réalité est tout autre du point de vue des victimes.

Sans vouloir ici discourir trop longuement sur ce problème, nous aimerions, vu son importance, rappeler devant cette commission certaines données découlant d'études portant sur ce problème. Notons tout d'abord que, bien qu'il soit difficile de circonscrire parfaitement l'étendue de ce problème, des sondages ont déjà démontré que la majorité des femmes en milieu de travail s'y trouve confrontée. De plus, les milieux de travail ne sont pas les seuls à laisser prise à ce type de discrimination. On retrouve aussi de nombreux cas dans les institutions de formation, écoles, universités, ainsi qu'au niveau de l'accès aux services publics.

Quant aux répercussions de ces pratiques, dans leur étude intitulée "The Secret Oppression", Backhouse et Cohen notent qu'en plus des conséquences économiques reliées aux difficultés d'avancement, voire même à la perte de l'emploi, elles entraînent souvent chez les victimes de graves problèmes aux niveaux physique et psychologique.

D'autre part, il s'agit d'un problème excessivement difficile à combattre et ce, pour plusieurs raisons. Un des meilleurs moyens d'enrayer le harcèlement sexuel consisterait, logiquement du moins, à dénoncer publiquement chacune de ses manifestations. Cependant, bien que les femmes soient nombreuses à dire en avoir été victimes, rares sont celles qui dénoncent officiellement ces situations et utilisent les recours auxquels elles ont normalement droit. Les femmes sont souvent isolées dans ces circonstances, donc ne pouvant bénéficier du support de témoins. De plus, la culture aidant, elles vont même jusqu'à se sentir coupables d'avoir été victimes de ce type de discrimination. La crainte des représailles constitue également une des raisons les plus

fréquemment évoquées par les victimes pour justifier leur mutisme.

Le fait que le harcèlement sexuel frappe davantage les femmes que les hommes ne résulte pas du hasard. Le fait qu'il soit particulièrement fréquent en milieu de travail n'est pas non plus de l'ordre de la coïncidence. Ce phénomène de discrimination constitue au contraire une autre manifestation de l'inégale distribution des hommes et des femmes, notamment, sur le marché du travail, et de la faiblesse du rapport au pouvoir de ces dernières.

Étant donné que, sur le marché du travail, les femmes sont très vulnérables au chômage, qu'elles occupent encore massivement des postes de subalternes, que dans les tâches qui leur reviennent la démarcation entre fonctions particulières et faveurs personnelles n'est pas toujours facile à faire, les femmes deviennent facilement des proies à l'exercice du pouvoir mâle. Cette situation d'inégalité rend d'autant plus difficile et complexe la lutte qui doit être menée pour mettre fin au harcèlement sexuel.

Face à un tel problème de discrimination, certains recours sont actuellement possibles. Ainsi, en vertu des articles 10 et 19 de sa charte, la Commission québécoise des droits de la personne reçoit les plaintes de cette nature. Dans un document produit par la Commission des droits de la personne, en mai dernier, on affirmait de façon catégorique que "la charte couvre tout harcèlement sexuel susceptible d'exister dans le domaine de l'emploi, du logement ou de tous services ordinairement offerts au public".

Bien que la commission interprète les articles 10 et 19 de sa charte comme pouvant permettre de recevoir les plaintes de harcèlement sexuel, la charte ne donne pas pour autant un pouvoir d'intervention formelle et explicite en cette matière. Le harcèlement sexuel n'est donc pas encore reconnu aujourd'hui comme un motif sexuel et exclusif de discrimination.

Considérant que même en présence des recours légaux actuels, les cas de harcèlement sexuel officiellement dénoncés constituent encore aujourd'hui des cas d'exception, nous croyons qu'il est du devoir du gouvernement d'amender la présente charte de manière que le harcèlement sexuel puisse être considéré comme un motif explicite de discrimination. Il va sans dire qu'une telle modification à la charte ne suffira pas à mettre fin à ce type de discrimination, bien d'autres approches doivent être développées. Nous croyons toutefois qu'en procédant ainsi, les harceleurs seront moins tentés de mettre leur projet à exécution et les victimes mieux équipées pour lutter contre cette réalité qu'il nous faut à tout prix démasquer.

Je voudrais aussi passer à une autre modification relative à la discrimination fondée sur la condition physique. La Commission des droits de la personne a parlé ce matin spécifiquement de la grossesse. Nous voulons aller plus loin sous le vocable "condition physique", parce que plusieurs cas de discrimination peuvent être évoqués sous ce vocable. Notre intention ici n'est pas d'en faire un relevé systématique ni exhaustif; nous voulons plutôt, en nous appuyant sur deux types de circonstances particulièrement flagrantes, faire voir à la commission la nécessité de considérer la condition physique comme un motif explicite et textuel de discrimination.

Au Québec, différentes lois - nous l'avons dit ce matin - protègent actuellement les femmes enceintes. La Loi sur les normes du travail interdit à un employeur de mettre à pied une femme sous prétexte qu'elle est enceinte. La Loi sur la santé et la sécurité du travail permet de son côté à la femme enceinte dont le travail comporte des dangers pour elle et l'enfant à naître de refuser d'exécuter ce travail. Enfin, l'ordonnance 17 permet les congés de maternité et aussi les avantages sociaux.

Cependant, en dépit de ces lois, il semble bien que les femmes enceintes puissent encore être victimes de discrimination et ce, sans bénéficier d'aucun recours. Ce matin, la commission a cité l'exemple récent de cette femme qui fut refusée à l'emploi parce qu'elle était enceinte.

Ainsi, à moins d'un renversement de ce jugement, on peut donc conclure que notre charte autorise la discrimination fondée sur une dimension importante de la condition physique des femmes, soit leur réalité biologique. Une telle porte ouverte à la discrimination nous paraît tout à fait inacceptable. À notre avis, la charte québécoise devrait interdire explicitement cette forme de discrimination basée sur la condition physique des femmes.

Mais nous voulons aller plus loin, nous voulons que la condition physique inclue l'apparence physique. D'autre part, combien de fois n'a-t-on pas entendu, non pas officiellement, mais à travers les coulisses, des employeurs avouer, voire se flatter d'avoir retenu la candidate la plus jolie? Certains considèrent encore comme allant de soi le fait que la secrétaire à engager réponde à certains critères d'esthétique non requis d'ailleurs chez les candidats masculins.

On sait en outre que, lorsqu'une femme désire postuler un emploi dans un secteur de travail traditionnellement réservé aux hommes, les mêmes critères d'esthétique sont encore souvent pris en considération, bien qu'ils soient appliqués, cette fois, de façon différente.

Ainsi, dans les secteurs de travail

traditionnellement réservés à la main-d'oeuvre féminine, une femme a souvent plus de chances d'obtenir le poste convoité si elle jolie, bien faite, etc., alors que ces mêmes caractéristiques pourront contribuer à diminuer ses chances d'obtenir l'emploi convoité si elle s'inscrit dans un secteur traditionnellement masculin.

Actuellement, la charte interdit d'inclure des critères de beauté dans les exigences minimales d'emploi. De plus, les critères relatifs à la taille et à la force physique ne peuvent être retenus à moins d'être jugés pertinents à certains emplois.

Cependant, dans la pratique, chacun sait qu'encore beaucoup d'employeurs font peu de cas de ces interdictions. En cette matière, les stéréotypes sexistes sont encore très persistants. D'autre part, les possibilités de recours réels pour un tel motif sont à peu près inexistantes. Allez donc faire la preuve qu'en processus de sélection, on a préféré retenir une autre candidate parce qu'elle était plus jolie que vous, notamment lorsque vous avez passé votre entrevue en l'absence d'un jury ou encore devant un jury composé exclusivement d'hommes, comme c'est souvent le cas! Différents moyens et stratégies doivent être mis de l'avant pour lutter contre cette forme de discrimination. Nous croyons qu'une interdiction encore plus explicite de ces pratiques dans la Charte des droits et libertés de la personne devrait être du nombre de ces moyens. (15 h 45)

Avant de conclure, je voudrais parler des modifications relatives aux pouvoirs et devoirs de la commission. À ce chapitre, nous aimerions, d'une part, appuyer la Commission des droits de la personne dans ses demandes visant à lui conférer un pouvoir accru et, d'autre part, insister sur la nécessité d'adjoindre à ces pouvoirs les ressources et disponibilités requises pour exercer décemment ses fonctions.

Nous recommandons donc que les pouvoirs de la Commission des droits de la personne soient accrus conformément aux recommandations déjà formulées au chapitre précédent. Nous recommandons au gouvernement de voir à ce que la Commission des droits de la personne dispose des ressources humaines et matérielles nécessaires à l'exercice des pouvoirs anciens et nouveaux qui lui seront reconnus dans la charte tel qu'amendée. Nous recommandons, de plus, que la Commission des droits de la personne puisse procéder à l'ouverture de bureaux régionaux; sur ce point, peut-être pourrions-nous trouver des accommodations pour pouvoir régionaliser en même temps le Conseil du statut de la femme.

M. Bédard: Des bureaux conjoints. Mme Bonenfant: Je voudrais reprendre un peu, parce que je l'ai faite au mauvais endroit tout à l'heure, une des recommandations qui pour nous est très importante. Nous recommandons au gouvernement de donner suite à la recommandation faite par la Commission des droits de la personne en matière de recours collectif et d'amender la charte en conséquence. Nous recommandons aussi que soit spécifiées dans la charte les conditions ou circonstances permettant à une loi postérieure d'énoncer expressément s'appliquer malgré la charte, et je pense que cela ajoute au débat que nous avons eu longuement ce matin.

Nous voudrions insister sur la modification de l'article 19, retirer de l'article 19 le critère "quantité de production" et voir à ce que ce critère ne soit pas contenu implicitement dans l'expression "évaluation au mérite". Quand nous parlons de cette évaluation de "quantité de production" nous pensons surtout à ne plus exposer les femmes qui font du travail à la pièce, qui font du travail au rendement. C'est pour cela que nous insistons beaucoup sur cette recommandation; on pourra peut-être en reparler tout à l'heure.

C'est à peu près ce que le conseil recommande. Ce que je voudrais dire en terminant, c'est que lorsque nous demandons au gouvernement, par exemple, des programmes d'accès à l'égalité d'emploi, ce n'est pas une préoccupation nouvelle, bien sûr, et on en avait déjà parlé. Aussi, ce que je voudrais dire au gouvernement, c'est que beaucoup d'autres pays, d'autres provinces et le Canada lui-même sont dotés d'une législation qui permet ce type de programme. Pour le gouvernement, amender la charte en ce sens ce n'est donc pas se jeter à l'avant-garde ni se poser en pionnier, mais c'est tout simplement établir un cohérence entre le discours et la pratique. Merci.

Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le ministre.

M. Bédard: M. le Président, je remercie le Conseil du statut de la femme pour son mémoire très articulé, tel que madame la présidente l'a fait remarquer. Elle a fait porter une grande partie de son intervention sur des points qui avaient été peut-être moins explicités ce matin parce que, comme vous l'avez dit, madame la présidente, l'essentiel de toutes vos revendications, de vos représentations se trouve déjà contenu dans les représentations qui nous ont été faites ce matin par la Commission des droits de la personne.

Maintenant, vous avez, entre autres, je crois, enfin on a pu le constater, porté une attention particulière - ce qui ne minimisait pas les autres points, étant donné qu'ils avaient déjà été traités - à la question du

harcèlement sexuel. Ce matin, comme vous avez pu le constater, nous ne l'avons pas abordé avec la Commission des droits de la personne. Nous étions à même de voir, dans les mémoires qui ont été présentés, que vous y attachiez une importance très spéciale, et c'est avec vous peut-être qu'on pourrait en profiter afin que vous nous donniez un l'éclairage le plus complet possible sur cet aspect qui vous tient à coeur. D'abord, est-ce que vous croyez qu'il est nécessaire que le harcèlement sexuel soit clairement défini dans la loi? Tout le monde pourrait être très disposé à ce que le terme soit dans la loi, mais il faut quand même lui donner un contenu très explicite. On parle de la Charte des droits et libertés de la personne; s'il y a une place où on se doit d'être plus précis concernant toutes les notions qu'on y insère, c'est bien au niveau de la Charte des droits et libertés de la personne.

Ne croyez-vous pas - je vous le demande parce que je n'ai vraiment pas d'opinion de faite - qu'en voulant spécifier d'une façon tout à fait particulière la question du harcèlement sexuel, à ce moment-là, on pourrait risquer de limiter la portée de tout ce qui est permis en vertu des articles 10 et 11 qui défendent toute discrimination concernant le sexe et qui permettent, justement, d'englober encore plus que ne pourrait le faire une notion telle que le harcèlement sexuel, s'il était défini?

Je sais qu'il y a des manifestations du harcèlement sexuel que tout le monde connaît; vous l'avez mentionné au niveau des relations entre employées et patron qui, d'ailleurs, sont un peu couvertes par le Code criminel. Je sais que ce ne sont pas de ces manifestations très tangibles, très visibles que vous parlez; vous allez beaucoup plus loin que ça. J'aimerais que vous précisiez votre pensée là-dessus; autrement dit, vous pourriez peut-être expliquer un peu plus quelles pourraient être, à votre idée, les manifestations les plus raffinées, si on peut employer l'expression, de ce qu'on pourrait appeler le harcèlement sexuel. Vous parliez du fait que ça pouvait aller - je l'ai noté -jusqu'au regard soutenu. En fait, à partir du moment où on met une notion dans la loi, il faut qu'elle soit suffisamment explicite pour que des éléments de preuve puissent y être apportés si on veut que cela ait vraiment des conséquences pratiques, une portée pratique. Pourriez-vous expliciter cela, s'il vous plaît?

Mme Bonenfant: Premièrement, le motif...

M. Bédard: Si vous me permettez, en terminant...

Mme Bonenfant: Excusez, je pensais que votre question était terminée.

M. Bédard: Non, non, c'est moi qui m'excuse, c'est parce que ça va terminer un peu ma question. Vous parliez également de l'apparence physique. Vous indiquez des manifestations de discrimination qui, effectivement, doivent sûrement se produire. Maintenant, de là à en faire la preuve, je pense que vous évoquez avec beaucoup d'à-propos qu'il y a toute une marge entre la manifestation elle-même de discrimination et les possibilités d'en faire la preuve. Peut-être, pourriez-vous expliquer davantage ces deux points-là.

Mme Bonenfant: Premièrement, ce que vous évoquez au sujet du motif du sexe, ça ne l'exclut pas parce que nous désirons que ce motif demeure dans l'article.

M. Bédard: Oui, je suis parti du principe que vous vouliez que ça demeure.

Mme Bonenfant: Oui, mais l'un n'exclut pas l'autre.

M. Bédard: Non, au contraire.

Mme Bonenfant: Je pars de l'idée que ce qui n'est pas dit n'existe pas. Quand je dis ça, je le dis pour le législateur et je le dis aussi pour les personnes qui subissent. Si on ne le dit pas d'une façon explicite dans la loi, dans la charte, ce sera extrêmement difficile d'arriver à le prouver, d'arriver à porter des plaintes si les mots n'existent pas. Si on se cache derrière l'abstention, ça demeurera toujours de plus en plus difficile de parler de harcèlement sexuel, chose qui existe. Quand je dis que ce qui n'est pas dit n'existe pas, c'est aussi au niveau des femmes. On commence à percevoir cette discrimination qui nous est faite. Vous avez vu récemment des manifestations où on disait: La nuit nous appartient. On commence à réaliser qu'on ne peut pas sortir la nuit, parce qu'on est harcelées sur la rue. C'est pour ça que je dis que c'est important de nommer les choses et les mots "harcèlement sexuel", il ne faut pas en avoir peur, parce qu'il existe. Nous avons, au conseil, deux portes ouvertes, je dirais, sur le monde des femmes; il y a notre service Consult-Action, qui est un service dévoué à l'animation des groupes de femmes et nous avons des groupes de femmes qui s'occupent de dénoncer la violence faite aux femmes. Par ces voies, nous savons que le harcèlement sexuel existe. Je ne veux pas entrer ici dans des descriptions plus explicites, mais nous avons encore ce qui est plus secret, c'est le service d'écoute téléphonique qui s'appelle Action-Femmes. Là, dans le secret des lignes téléphoniques, nous savons ce qui se passe entre les hommes et les femmes de cette société; nous savons que les femmes sont harcelées par leurs patrons, dans les

restaurants, dans les magasins, dans les universités, par leurs propres professeurs; nous savons que, même dans notre bon gouvernement du Québec, ça se passe, nous avons vu le cas L.R. qui a été illustré dans tous les journaux. Alors, c'est pour cette raison que je dis: Cette chose qui existe, elle doit être nommée et on ne doit pas en avoir peur.

M. Bédard: Écoutez, entendons-nous...

Mme Bonenfant: Là, je parle d'une façon très passionnée, maintenant je vais laisser ma conseillère juridique vous parler de droit.

Mme Shee (Sandra): Ce que je pourrais ajouter à ce sujet, M. le ministre, c'est que finalement, à l'heure actuelle, c'est une forme de discrimination qui est plus ou moins définie. Comme le disait si bien Mme la présidente, on commence à sentir les premières manifestations, les premières réactions publiques et, à partir de là, on pourra avoir une définition beaucoup plus élaborée, à mesure que les cas seront dénoncés. Il ne faut pas croire que le Conseil du statut de la femme semble novateur en ce qui a trait à cette recommandation; si je reprends une recommandation de Mme Fournier, ce matin, celle-ci demandait que le cas de harcèlement s'applique non seulement au motif sexe, mais à tous les autres motifs contenus à l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne, c'est-à-dire que déjà la commission pense que ça s'applique au motif sexe, mais qu'on devrait l'appliquer aussi au motif de nationalité et d'origine ethnique. Si Mme Fournier va beaucoup plus loin, c'est parce qu'elle s'occupe de tous les cas de discriminations; nous, le motif sexe, c'est le motif qui nous concerne le plus, et on ne pense pas être novateur en le demandant. Je fais aussi une comparaison avec la Commission des droits de la personne de l'Ontario qui réclame des modifications à sa charte depuis nombre d'années et qui demande aussi que soit inscrit ce motif de harcèlement sexuel.

M. Bédard: Je voudrais être bien clair, j'espère que mes propos n'ont pas donné l'impression contraire. Je crois qu'il y a du harcèlement sexuel, je n'ai aucun doute, et je n'ai pas peur des mots "harcèlement sexuel". C'est sur une question de principe que je pose la question. L'article 10, vous l'avez mentionné, permet à l'heure actuelle de porter certaines plaintes qui peuvent être apparentées au harcèlement sexuel. Si on sent le besoin de spécifier le harcèlement sexuel comme tel, le définir, est-ce qu'on ne risque pas - c'est là-dessus que je veux avoir votre opinion - de diminuer - disons que la définition n'est pas suffisante ou encore qu'elle n'englobe pas tout, étant donné l'importance du problème que vous avez soulevé - l'effet de l'article 10 qui peut comprendre le harcèlement et toute autre forme de discrimination concernant le sexe? Si on en arrivait à la conclusion qu'on doit mentionner le harcèlement sexuel, je crois qu'il faudrait presque mentionner tous les harcèlements de toute autre nature, parce qu'il ne faut quand même que, en en mentionnant un dans la charte, il y en ait qui tirent la conclusion que le harcèlement, dans d'autres domaines, peut être permis. Justement, au contraire, je vous le demande, est-ce que l'article 10 ne vous donne pas plus possibilité que si on se limitait à une définition simplement du harcèlement sexuel, est-ce que les efforts ne doivent pas être orientés en fonction de donner le plus de sens possible à l'article 10 plutôt que d'essayer d'en limiter la manifestation dans une définition concernant le harcèlement sexuel?(16 heures)

Mme Shee: M. le ministre, ce que le conseil demande, c'est non pas une définition comme telle parce que si on a une définition, peut-être qu'on restreindrait la portée, mais que cela soit inscrit à l'article 10. Si cela n'est pas inscrit à l'article 10 -à l'heure actuelle, on a le motif sexe - si cela n'est pas écrit textuellement, comme le disait Mme Bonenfant tout à l'heure, lorsqu'on arrivera devant les tribunaux, même si on dit qu'on a un motif sexe qui, pour nous, a comme une interprétation de harcèlement sexuel, ils diront, comme ils ont dit dans le cas de sexe: Cela ne comprend pas état de grossesse; et, on va se retrouver dans un cul-de-sac. C'est pour cela que nous demandons que cela soit inscrit, pour que les tribunaux ne nous disent pas: Vous avez le motif sexe. Comme cela sera inscrit, ils vont devoir l'interpréter eux-mêmes et avoir une notion qui est beaucoup plus large. Une définition comme telle, ce n'est pas ce qu'on demande dans le mémoire. Ce qu'on demande, c'est que cela soit inscrit comme motif explicite. À partir de là, c'est la jurisprudence peut-être et les cas qui viendront, par la suite, devant les tribunaux, qui auront à voir quel genre de définition on donnera. Il est sûr qu'en plaidant, on pourra argumenter avec une recherche beaucoup plus approfondie.

Comme je le disais tout à l'heure, ce genre de harcèlement peut prendre différentes formes depuis les regards soutenus en passant par les moqueries jusqu'aux demandes de faveurs sexuelles s'accompagnant de menaces explicites ou implicites. Pour nous, c'est important que cela soit inscrit dans la charte. C'est cela qui est important pour le conseil et non pas la définition, à savoir ce que cela comprend.

M. Bédard: Oui, mais on ne peut quand même pas mettre quelque chose dans la charte sans pouvoir y donner la portée la plus grande possible. Selon l'essentiel de mes questions, j'ai l'impression, il s'agit de continuer la réflexion ensemble. Il faudrait être bien sûr qu'en y allant de spécifications précises, cela n'ait pas pour effet de limiter ce qui existe déjà dans la charte à l'article 10, parce que c'est très large.

Mme Carpentier (Renée): J'aimerais ajouter un court commentaire. C'est bien évident que, pour nous, notre intention n'est pas non plus à des effets comme ceux-là. Notre intention est de démasquer cette réalité. Ce qu'on dit, en faisant cette demande, c'est que le harcèlement sexuel, à l'heure actuelle, est à peine reconnu comme étant un motif de discrimination, tant chez les harceleurs potentiels ou réels que chez les...

Mme Bonenfant: Les victimes.

Mme Carpentier: ...personnes qui sont victimes de harcèlement. Comme Mme Bonenfant le disait tout à l'heure, ce qui n'est pas dit n'existe pas. On considère que le harcèlement sexuel existe dans les faits et qu'il faut le dire dans la charte que c'est un motif de discrimination qui existe et qui est très répandu. Ce qu'on souhaite, c'est qu'effectivement cela n'ait pas les effets que vous... Mais notre intention, c'est de démasquer cette réalité qui est niée.

M. Bédard: Je comprends très bien que vos intentions soient dans ce sens-là. Peut-être y a-t-il aussi un phénomène d'éducation là-dedans qui peut être un remède. Je reviens simplement et je termine même là-dessus, à partir du moment où vous indiquez la notion de harcèlement sexuel et qu'il y a une certaine énumération, je pense que cela peut - on continuera, je le dis encore une fois, la réflexion ensemble - vous le savez, prêter à une interprétation restrictive de la part des tribunaux et, au bout de la ligne, on peut en arriver à l'effet contraire de celui que vous voulez atteindre. En tout cas, on aura sûrement l'occasion de revenir sur le sujet.

Maintenant, une autre question concernant les avantages sociaux chez les conjoints de fait. Je pense que vous vous attendiez à la question, sans doute. Je voudrais vous fournir l'occasion de concilier l'argumentation que vous avez soutenue lors du débat sur le Code civil, à savoir que l'union de fait ne devait aucunement entraîner des obligations - d'ailleurs, nous étions d'accord, à ce moment-là - avec celle que vous soutenez actuellement au niveau des avantages sociaux. Est-ce qu'il serait dans l'ordre des possibilités de limiter notre intervention à l'option pour un conjoint de fait de faire profiter, selon sa volonté, son conjoint des avantages découlant de son régime?

J'aurais peut-être une autre question. Qu'arrive-t-il dans ce domaine-là lorsqu'il y a un conjoint légitime et un conjoint de fait qui existe encore?

Mme Bonenfant: Si vous vous rappelez bien le sens de mon intervention, c'était justement de dire que, dans l'état actuel des choses, il nous apparaît que la commission, ou tout autre organisme, devrait se pencher sur le problème parce que tel que cela est, c'est un fouillis et c'est extrêmement difficile de se prononcer. Ce qui est extrêmement pénible, c'est justement qu'on arrive parfois à des règlements qui sont contradictoires et qui favorisent ou défavorisent les conjoints de fait, selon que cela fait l'affaire ou non de certains services.

M. Bédard: Un genre de législation?

Mme Bonenfant: Par exemple, l'aide sociale reconnaît l'existence du conjoint de fait à partir du moment où cela défavorise une femme qui vit en concubinage avec un homme, mais demande sept ans pour profiter de la rente de survivant de la sécurité sociale. Il y a deux poids, deux mesures. Ce que l'on demande, c'est de vraiment se pencher sur une façon d'uniformiser.

On est très conscients que ce n'est pas facile et nous avions comme position, au conseil, lors de la refonte du Code civil, de ne pas marier les gens de force; on ne voulait pas qu'on légifère sur l'union de fait, mais, d'un autre côté, il y a ce qui s'appelle le droit social, il y a des avantages sociaux à partager entre des individus. Il faut trouver des règles pour ça et, à mon avis, c'est urgent que l'État se penche sur des modalités les plus uniformes possible et aussi les plus justes possible pour les citoyens.

M. Bédard: Autrement dit, par rapport aux lois sectorielles...

Mme Bonenfant: C'est ça.

M. Bédard: ... ce que vous aimeriez, c'est qu'on trouve le moyen, à partir du moment où ça existe, d'en arriver à une certaine uniformité.

Mme Bonenfant: Parce que là, il y a trois ans pour l'assurance automobile, sept ans pour le régime de rentes...

M. Bédard: Oui, oui, chacun y fait passer ses notions particulières.

Mme Bonenfant: Exactement, oui, notre

intervention est dans ce sens-là.

M. Bédard: D'accord. C'est tout, M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Je me joins aux remerciements du ministre vis-à-vis de la commission. Je ne veux pas harceler qui que ce soit, mais je veux revenir sur cette question de harcèlement. C'est évident que c'est un problème et je pense que la Commission des droits de la personne a déjà eu des cas de harcèlement, des plaintes. Quant à moi, c'est simple, il faut trouver la solution pour combattre ce mal. Il va de soi que c'est très difficile d'en faire la preuve. C'est ça le problème: Comment va-t-on prouver qu'il y avait vraiment du harcèlement? Quelqu'un va dire: On m'a fait telle et telle offre. L'autre va nier l'offre. On va faire une enquête. Un dit oui, l'autre dit non. Cela peut être du chantage, c'est difficile de faire la preuve.

J'ai toujours pensé, pour ma part, que le harcèlement est couvert par l'article 10 parce que, si le patron fait une offre à une de ses employées qui ne l'a pas acceptée et qu'il la met à la porte, ce n'est pas à cause du harcèlement, c'est à cause de son sexe. Je suis d'accord avec le ministre que cela est déjà couvert par le mot "sexe" dans l'article 10. Si ce n'est pas couvert, il faut se pencher sur cette question et ça ne me choquerait pas de trouver un autre article ajouté à la charte.

J'ai une question à vous poser - parce que nous avons des experts devant nous -pour m'instruire vraiment. Vous avez parlé de l'action positive et de l'égalité homme-femme; il va de soi que tout le monde veut qu'on marche dans cette direction, mais ce qui m'intéresse, c'est la mise en oeuvre sur le plan pratique d'un tel programme d'action positive.

Prenons la compagnie Unetelle qui a des classifications pour des postes. Il y a la classification A et tous les postes de la classification A sont occupés par des hommes. Il y a la classification R et ce sont des postes où on ne trouve que des femmes. Quand on fait une enquête dans tout cela, on voit que ce sont des classifications fictives pour payer les hommes plus cher que les femmes. Finalement, quand on fait une enquête, on voit que les deux font le même travail ou, au moins, essentiellement le même travail et les hommes et les femmes méritent le même traitement.

On a ce problème avec la compagnie Unetelle et, si on veut établir un programme d'action positive, on va à la compagnie et la compagnie dit: Bon, on n'est pas en désaccord, c'est la loi. La compagnie va dire: Mettre les femmes sur un pied d'égalité avec les hommes, ça va coûter 1 000 000 $ cette année; c'est beaucoup d'argent. Elle hésite et dit: Pourquoi faut-il payer cette année pour la discrimination historique de la société? Ce n'est pas seulement la compagnie qui l'a fait, ce sont toutes les compagnies, ce sont les gouvernements, c'est tout le monde. Peut-être qu'à la fin, la compagnie va dire: On est prêt à dépenser 1 000 000 $ cette année, on va le donner au syndicat pour qu'il en fasse la distribution. Le syndicat sera coincé aussi parce qu'il va dire: Si on met les femmes sur un pied d'égalité avec les hommes cette année, cela va prendre 1 000 000 $ et il n'y aura pas d'autre argent pour les augmentations cette année.

C'est un problème très pratique et je me demande si vous avez déjà étudié cette question, si cela a déjà été étudié aux États-Unis ou ailleurs. On peut avoir un bon programme sur papier, on peut avoir une bonne loi, mais, dans les faits, comment va-t-on l'appliquer et quels seront les problèmes auxquels on va faire face sur le champ? Je suis sûr qu'après vous, on aura d'autres intervenants qui vont dire: Oui, l'action positive, nous sommes pour cela, mais, sur le plan pratique, nous ne pouvons pas faire une telle chose. Bien sûr, c'est plus facile pour le gouvernement de mettre en oeuvre un tel programme, mais j'aimerais avoir certaines réponses sur le plan pratique pour peut-être faire face, d'ici la semaine prochaine, à d'autres interventions où les intervenants seront moins portés à mettre en oeuvre ces programmes. Donc, on vous demande de nous fournir des armes pour d'autres intervenants.

Mme Bonenfant: C'est vrai, c'est une question très complexe et très globale; c'est justement une des raisons pour lesquelles on recommande qu'un organisme soit responsable de l'implantation de tels programmes. Ce que vous venez de décrire, justement, c'est un cas spécifique; on va appliquer, dans une entreprise, des mesures d'égalité des chances à l'emploi, on va combler des fossés qui existent entre les hommes et les femmes d'une façon pratique, sur un cas pratique, alors que ce que nous proposons, quand on parle de programmes d'action positive, ce sont justement des programmes plus globaux, qui supposent d'abord une analyse vraiment complète de la situation dans chacune des unités concernées, parce que tel programme, qui serait applicable dans une usine, ne le serait pas ailleurs, compte tenu des effectifs.

Il y a aussi les objectifs.

C'est évident que, dans une usine où il n'y a présentement que trois femmes et que le reste, ce sont des hommes, les objectifs à atteindre ne seront pas les mêmes que s'il y a une possibilité d'équilibrer le nombre d'hommes et de femmes. Ce seront toujours

des cas spécifiques, mais basés sur des principes globaux et c'est pour cela que c'est important qu'il y ait un organisme qui planifie et qui coordonne pour pouvoir établir, par exemple, des comparaisons entre différents plans établis dans différents secteurs. (16 h 15)

II y a déjà eu des études. La Commission des droits de la personne a particulièrement fait une étude sur les programmes d'action positive où on décrit les quinze phases d'établissement d'un programme d'action positive qui part de l'examen de la situation et de l'importance, par exemple, de nommer un cadre ayant des pouvoirs à l'intérieur de l'organisme ou de l'entreprise. Enfin, il y a toute une série d'actions à prendre. Je pense que cela confirme l'idée qu'on ne peut pas laisser cela au hasard, à la bonne volonté ni des patrons, ni des syndicats. Il faut un organisme au-dessus de la mêlée parce qu'il va y avoir mêlée. Il ne faut pas s'en faire, il va y en avoir des mêlées autour de ces programmes et je pense que c'est pour ça qu'il est important que la Commission des droits de la personne soit chargée de les administrer. Mme Carpentier voudrait ajouter quelque chose.

Mme Carpentier: En réponse à votre question, vous cherchez des arguments, finalement, par rapport à la partie patronale qui va avoir sûrement de sérieuses objections face à de tels programmes, et l'argument des coûts va nécessairement être un des points forts. Une des réponses qu'on peut faire à ce type d'objections, c'est que si on sent le besoin aujourd'hui et depuis déjà un bon nombre d'années de mettre sur pied des programmes d'action positive, c'est que les gens ont été victimes de discrimination, discrimination qu'on peut appeler aussi exploitation. Cette exploitation de catégories de gens a servi à quelqu'un, à des entreprises, à des patrons. Or, c'est peut-être un petit peu normal qu'aujourd'hui les patrons aient à payer pour cette exploitation à laquelle ils ont contribué. En termes de coûts, on peut peut-être s'attendre que les coûts qui vont être nécessaires pour mettre sur pied des programmes comme ceux-là soient de toute façon inférieurs au large profit que les entrepreneurs ont pu tirer de l'exploitation qui a été faite de ces groupes de femmes jusqu'à maintenant.

Je pense que les patrons ne peuvent pas carrément se laver les mains de ce type de problème. L'autre chose, c'est que d'autres employés disent, allèguent qu'on privilégie certaines catégories de population. Je pense qu'il y a une éducation à faire, qu'il va y avoir effectivement des difficultés dans l'application de programmes comme ceux-là, mais je ne pense pas que ce soient les autres employés qui soient les plus difficiles à convaincre par rapport à un programme comme celui-là. L'argument des coûts est réfutable. Cela va coûter des sous, mais c'est un prix à payer pour une exploitation antérieure.

M. Marx: Je ne pense pas que ce soit seulement la faute des patrons. Je pense qu'il y a une certaine faute de la part des syndicats aussi. Ils n'ont pas aidé beaucoup en ce qui concerne l'égalité des hommes et des femmes. Je veux dire que c'est tellement enraciné dans notre société que cela était pratiqué partout, même dans les syndicats... Je m'excuse auprès du député de Sainte-Marie. Je parle en connaissance de cause, il y a des industries à Montréal, par exemple, où il y a une inégalité sur le plan des traitements entre les hommes et les femmes. C'est tellement évident dans certaines industries que beaucoup de femmes qui travaillent sont vachement moins payées que les hommes, peut-être les trois quarts, la moitié. Oui, c'est l'inverse... les compagnies vont plaider, ces industries vont plaider qu'elles n'ont pas la capacité de payer. Elles vont dire qu'il y a juste tant d'argent pour les augmentations cette année et que si on donne ça aux femmes, les hommes n'auront pas d'augmentation. Pardon? Qui va protester?

Mme Lavoie-Roux: Les hommes.

M. Marx: Les hommes vont protester. C'est déjà arrivé que c'était les hommes qui n'étaient pas tellement chauds pour qu'on mette les femmes, au point de vue du traitement, sur le même pied que les hommes, parce qu'ils étaient en train de subir les conséquences, ont-ils dit, de la discrimination historique dans cette industrie. Je soulève la question. Je pense qu'il faut rayer cette inégalité. Cela va de soi, mais il faut trouver des mécanismes sur le plan pratique pour réaliser les objectifs qu'on aimerait tous réaliser.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Sainte-Marie.

M. Bisaillon: M. le Président, j'aurais deux ou trois questions. Si nos invités veulent le permettre, je vais les poser en vrac et on pourra peut-être y répondre les unes après les autres. Sur la question du harcèlement sexuel, si on oubliait quelque peu pour l'instant votre recommandation et qu'on tienne compte des arguments selon lesquels on craignait que cela restreigne trop la portée de ce qu'il y a déjà dans la charte. Ne seriez-vous pas plutôt d'accord avec la formulation qui a été recommandée par la Commission des droits de la personne et qui dit, par exemple: "Nul ne peut

exercer quelque forme de harcèlement que ce soit fondé sur l'un des motifs de l'article 10"? Il me semble que cela élargit, cela couvre l'ensemble des choses qu'on veut couvrir et cela donne une définition au terme "harcèlement" qui s'applique à l'ensemble des motifs couverts par l'article 10. C'est ma première question.

Ma deuxième question. L'article 19 de la charte traite, entre autres, du salaire au rendement et de la quantité de production. Je voudrais, d'abord, dire qu'au plan des relations de travail comme telles - et quand on pense au bien-être de l'ensemble des travailleurs - la notion même de salaire au rendement ou de salaire à la quantité de production est une notion qu'on devrait bannir. Vous semblez, dans votre mémoire, démontrer que cela s'appliquerait davantage aux femmes. Je voudrais que vous m'expliquiez un peu cette notion. Pourquoi, dans votre esprit, votre recommandation de bannir des motifs de non-discrimination l'élément quantité de production s'appliquerait-elle davantage aux femmes? Et si on le faisait, si on enlevait du deuxième paragraphe de l'article 19 la notion "quantité de production", l'évaluation au mérite -mérite étant perçu par l'employeur comme étant la quantité de production fournie par une travailleuse - ne pourrait-elle pas servir quand même à l'employeur pour éviter d'être poursuivi?

Troisième et dernière question, à la page 34 de votre mémoire, vous faites une recommandation pour que soit incluse, comme motif de discrimination, la notion "condition physique" en comprenant grossesse et apparence physique. Sur l'aspect grossesse, je voudrais savoir quelle est votre expertise à l'heure actuelle sur les cas de discrimination à l'embauche en regard de la grossesse. Sur la question apparence physique, le ministre a posé une question tantôt et je pense qu'il n'a pas eu de réponse. Je serais bien intéressé à savoir comment vous percevez ou comment vous établissez les critères qui devraient être utilisés pour faire la preuve qu'il y a eu discrimination quant à l'apparence physique.

Mme Bonenfant: D'abord, pour la première question, oui, on est d'accord. Je pense qu'on est d'accord avec la Commission des droits de la personne pour la formulation que vous avez suggérée.

Pour ce qui est de la deuxième question, je pense que Renée est plus documentée que moi, mais je voudrais vous dire que de nombreuses études ont démontré que ce sont les femmes qui sont massivement concentrées dans les emplois qui sont encore payés au rendement, c'est-à-dire que les femmes sont massivement dans les usines où on travaille à la pièce, dans les usines de textile, en particulier. Nous avons justement publié au conseil une étude sur la non-syndicalisation des femmes dans laquelle nous avons des chiffres fort éloquents sur les vestiges encore de cette exploitation d'une grande partie des femmes dans le monde du travail. Renée va continuer sur le sujet.

Mme Carpentier: Je voudrais seulement apporter comme précision que ce qu'on demande, c'est que l'expression "quantité de production" qui réfère au salaire au rendement soit bannie et que ce ne soit pas compris implicitement dans le terme "évaluation au mérite". Cela ne va pas de soi pour nous que, quand on parle d'évaluation au mérite, il y a nécessairement et automatiquement le critère quantité de production qui doit entrer en ligne de compte.

M. Bisaillon: Si vous me le permettez, seulement pour avoir une précision, ce que vous voulez dire, c'est qu'on pourrait laisser dans le deuxième paragraphe de l'article 19 la notion "évaluation au mérite", mais en précisant que cela ne doit pas comprendre l'élément quantité de production.

Mme Carpentier: Quantité de production.

M. Bisaillon: II y avait une troisième partie.

Mme Shee: La troisième partie. Pour répondre à la première partie de la question qui concerne la discrimination à l'embauche, il y a eu un cas très récent. La commission faisait écho ce matin à deux, mais nous, le cas dont nous parlons dans notre mémoire, c'est le cas à la Reynolds dans la région de Trois-Rivières, c'est-à-dire qu'une femme s'était présentée pour un emploi et, lorsqu'on lui a demandé de passer un examen médical, elle a refusé de passer cet examen parce qu'elle était enceinte et là, on ne l'a pas engagée du tout. On est allé devant les tribunaux.

Mme Bonenfant: On l'avait déjà engagée.

Mme Shee: On l'avait déjà engagée, mais à la condition, finalement, de passer...

Mme Bonenfant: Un examen des poumons.

Mme Shee: C'est cela, un examen des poumons. Lorsqu'on a su qu'elle était enceinte, finalement, on lui a refusé l'emploi. La commission est allée devant les tribunaux parce qu'il n'y a pas eu de possibilité de conciliation et les tribunaux ont dit que le motif sexe ne comprenait pas la question d'embauche.

M. Bisaillon: J'ai bien vu dans votre mémoire cette description du cas que vous venez de faire pour le bénéfice de la commission. Ma question était pour savoir si votre analyse vous amène à affirmer que c'est une pratique répandue.

Mme Shee: Écoutez, à l'heure actuelle on a ce cas flagrant, nous, à Action-Femmes; je veux dire qu'il y a déjà eu des cas comme cela il y a quelques années, mais à l'heure actuelle c'est le cas le plus flagrant. Et je reviens sur le commentaire que j'avais émis au ministre tout à l'heure concernant le harcèlement sexuel. C'est que, lorsqu'un motif est dans la charte, c'est sûr que finalement la commission peut avoir un interprétation. Mais quand vous plaidez devant les tribunaux ce sont les juges qui ont à interpréter.

Je peux vous donner un autre exemple de cela: condition sociale, une des interprétations de la charte c'est que cela comprend les antécédents; si vous avez eu des antécédents judiciaires, cela doit être considéré comme une condition sociale. Mais cela a été reconnu devant les tribunaux que condition sociale ne voulait pas dire ex-détenu. C'est toujours la question d'interprétation devant les tribunaux. C'est la raison pour laquelle nous et la Commission des droits de la personne concernant l'état de grossesse, en fait la fonction biologique d'une femme, voulons que ce soit inscrit comme tel pour ne pas qu'on se retrouve avec des situations assez aberrantes. On a un cas flagrant, mais cela ne veut pas dire que toutes les personnes ont porté plainte devant la commission. C'est pour la même raison que cela nous semblait important, au conseil, de mettre condition physique incluant état de grossesse et apparence physique. Avec notre expérience, surtout par le service Action-Femmes, on s'est retrouvé avec des cas de discrimination comme cela. Pour l'apparence physique, c'est très difficile. Vous demandiez tout à l'heure des critères; comme on l'a souligné dans le mémoire, qui va vous dire si c'est parce que vous êtes plus blonde ou plus brune qu'on vous a refusé l'emploi? C'est sûr qu'il est difficile de faire la preuve, mais on peut dire que bien souvent des femmes nous disent: Moi, c'est parce que j'étais un petit plus petite ou un petit peu plus grassette et je sens que, sur mon apparence physique, on m'a refusé l'emploi. C'est très difficile. Notre position, c'est que, si on pouvait mettre un motif qui dirait condition physique - parce que cela peut être autre chose -dont état de grossesse et apparence physique, finalement on pourrait avoir des recours qui seraient efficaces devant les tribunaux. C'est toujours la question d'interprétation devant les tribunaux.

M. Bisaillon: Donc, dans votre position les critères seraient éventuellement déterminés par la jurisprudence.

Mme Shee: Non, je pense que quand même on peut avoir des critères qui peuvent être élaborés dans une réglementation. Il y a différents moyens légaux où on pourrait parler de critères. Je ne pense pas qu'il faille toujours se fier aux...

Mme Bonenfant: ...des choses comme cela.

Mme Shee: Je pense qu'il ne faut pas se fier aux tribunaux pour les laisser aller avec autant de discrétion. C'est la même chose - je m'excuse de revenir sur la question du harcèlement sexuel - lorsqu'on parle de sexe, c'est toujours une discrimination par rapport à un homme et une femme, ce qui est inscrit à l'article 10, mais lorsqu'on traite de harcèlement sexuel, c'est beaucoup plus subtil, c'est une question d'oppression d'un sexe sur l'autre; ce n'est pas une question d'homme et de femme, c'est une question de relation de pouvoir qui rentre en ligne de compte. Cette situation, qui était fort peu dénoncée il y a à peine cinq ans, de plus en plus on en entend parler et de plus en plus on a des cas au service Action-Femmes. C'est la raison pour laquelle, nous, cela nous semble très important d'appuyer la recommandation de la CDP qui va même beaucoup plus loin que la nôtre en disant: Tous les autres motifs devraient aussi être inclus dans la question de harcèlement.

Le Président (M. Desbiens): Mme la députée...

M. Marx: Juste une petite question pour enchaîner avec sa question. Sur la grossesse, ce qui m'a frappé, supposons qu'on a une femme qui est enceinte, elle est dans son septième mois. Sur le plan pratique, elle va pour un emploi dans une grosse compagnie. Je n'ai pas d'hésitation, les grosses compagnies ont la capacité de payer et donc, si elles refusent d'engager, qu'elles paient. Mais supposons qu'elle va pour un poste dans un petit magasin où il y a seulement un employé; ils ne peuvent pas parce que, s'ils l'engagent, cela sera juste pour deux mois; après cela elle ne sera pas là. Le propriétaire est de bonne foi, il aimerait engager des femmes, il ne veut pas faire de la discrimination. Sur le plan pratique, cela peut causer des problèmes dans un magasin où il y a une employée, dans une usine où il a deux employés et ainsi de suite.

J'aimerais qu'on se penche sur ces problèmes d'ordre pratique, la mise en oeuvre d'une telle disposition de la charte.

Le Président (M. Desbiens): Mme

Carpentier.

(16 h 30)

Mme Carpentier: C'est évident qu'il peut se poser des problèmes comme celui-là. La probabilité qu'une femme aille postuler un emploi quand elle est rendue à sept ou huit mois, elle est peut-être assez faible.

M. Marx: Cinq mois.

Mme Carpentier: Cinq mois. Un cas comme celui que vous citez, c'est possible. Quand la femme est en congé de maternité, ce n'est quand même pas l'entreprise, à l'heure actuelle, qui va payer son salaire. Elle a un salaire pour engager quelqu'un, ça ne lui pose pas plus de problème. C'est sûr que c'est un peu embêtant d'engager une femme pour une période courte et devoir en réengager une autre pour la remplacer pendant son absence, mais c'est aussi le prix qu'il faut payer pour reconnaître socialement la maternité. Cela fait partie de la condition des femmes et ça fait partie d'un produit important dans notre société que de mettre au monde des enfants.

M. Marx: On ne nie pas ça, madame. Dans mon esprit, je fais des distinctions entre General Motors et l'épicerie du coin. On peut avoir des difficultés avec le magasin du coin et non pas avec General Motors.

Le Président (M. Desbiens): Mme Lavoie-Roux.

Mme Shee: M. le Président, si vous me le permettez, je voudrais dire qu'on parle de discrimination. Il ne faudrait pas parler contre la grandeur des entreprises parce que la discrimination, c'est de la discrimination à quelque niveau que ce soit. Je pense qu'il faut laisser les questions économiques de côté.

Le Président (M. Desbiens): Mme

Lavoie-Roux.

Mme Lavoie-Roux: Merci, M. le Président. Je voudrais revenir sur cette question de harcèlement. Le député de Sainte-Marie a posé une question que je me proposais de poser. Pour ma part, il est préférable que ça s'étende à toutes les autres dispositions de l'article 10 et non pas uniquement au harcèlement sexuel.

On peut en discuter du harcèlement sexuel; tout le monde est d'accord qu'il y en a. Tout ce que la charte des droits peut faire sur cette question, c'est d'indiquer des balises ou des valeurs fondamentales d'une société. Que la société ne veuille pas de harcèlement sexuel, racial ou autre, la vraie solution à ce problème et les moyens de recours, je ne suis pas sûre que ça puisse, au plan pratique, intervenir par le truchement du respect ou du non-respect de la Charte des droits de la personnes. Un endroit où il y a beaucoup de harcèlement, tout le monde autour de la table va s'entendre là-dessus, c'est dans les restaurants, auprès des jeunes serveuses. Pourtant, ce serait extrêmement difficile pour l'une d'elles, de son propre chef... ça ne veut pas dire qu'il ne doit pas y être dans la Charte des droits et libertés de la personnes, mais il ne faut pas attendre de miracle à la solution de ce problème de l'insertion précise dans la Charte des droits et libertés.

J'aimerais demander au Conseil du statut de la femme, quand des situations lui sont apportées, pas nécessairement en termes de harcèlement sexuel mais dans d'autres domaines de discrimination, quelle action il pose.

Prenez-vous des recours auprès de la Commission des droits de la personne? J'aimerais que vous répondiez à cette question.

Mme Bonenfant: Nous ne pouvons pas prendre de recours mais nous envoyons les plaignantes à la Commission des droits de la personne, nous les dirigeons vers la commission, nous les aidons dans leur démarche auprès de la Commission des droits. Il est arrivé même que nous les accompagnions à la Commission des droits lorsque que ce sont des femmes démunies. Nous faisons enquête, bien entendu, dès que nous avons une plainte; nous avons un droit d'enquête, mais c'est très limité. Nous référons à la Commission des droits, les plaintes qui nous sont acheminées soit par nos services à l'Action travail des femmes ou Consult-action.

Mme Lavoie-Roux: Par exemple, quand...

Mme Bonenfant: Nous n'avons pas de pouvoir au Conseil du statut de la femme à ce niveau.

Mme Lavoie-Roux: Par exemple, dans les dernières offres gouvernementales qui avaient été faites, ici, dans la fonction publique et parapublique, il y avait évidemment...

Mme Bonenfant: C'est un autre palier d'intervention...

Mme Lavoie-Roux: Pouvez-vous me laisser finir, s'il vous plaît?

Mme Bonenfant: Je m'excuse, je pensais que vous aviez terminé.

Mme Lavoie-Roux: Quand il y a eu ce cas-là, c'était une situation qui se perpétuait, elle existait, il y en a qui ont parlé de situation historique, mais qui n'a

pas été entièrement corrigée, à ce moment-là. Est-ce que vous autres, vous avez d'autres pouvoirs que de le signaler au gouvernement ou si vous pouvez dans un cas comme ça qui touche le gouvernement présenter la situation à la commission?

Mme Bonenfant: Non. Le mandat du conseil, c'est de conseiller le gouvernement et d'informer les femmes. Chaque fois, au moment des négociations, nous avons appuyé les syndicats au niveau de leurs revendications qui concernaient les femmes. Nous l'avons fait publiquement, par communiqué de presse, et nous l'avons fait aussi auprès du ministre de la Fonction publique. C'est le pouvoir que le conseil a dans son mandat. Nous ne pouvons pas nous porter partie ni poursuivre le gouvernement, ce n'est pas dans notre mandat et ce n'est pas dans nos pouvoirs.

Mme Lavoie-Roux: Non pas le poursuivre, mais vous pouvez au moins le signaler.

Mme Bonenfant: Nous le signalons aux instances gouvernementales qui nous concernent, c'est-à-dire le sous-ministre qui est membre d'office du Conseil du statut de la femme et la ministre de la Fonction publique que nous touchons par l'entremise de la ministre d'État à la Condition féminine. Ce sont les voies officielles d'intervention du Conseil du statut de la femme. Il y a aussi de rendre publics nos avis au gouvernement et cela, nous ne manquons jamais de le faire. Lorsque nous intervenons auprès d'un ministre, nous rendons publique notre intervention. Dans le cas des négociations, nous l'avons fait. Vous avez parfaitement raison, il y a encore des disparités entre des corps d'emploi qui constituent des ghettos à l'intérieur du gouvernement du Québec. Nous allons continuer d'appuyer ces femmes qui font des luttes au niveau du syndicat des fonctionnaires, en particulier.

Mme Lavoie-Roux: À l'article 19, vous suggérez que la quantité de production, ou la productivité, ou le temps supplémentaire disparaisse, mais vous êtes prêtes à garder l'évaluation au mérite. Pour moi, l'évaluation au mérite est encore plus arbitraire que l'autre, non seulement à l'endroit des femmes, mais à l'endroit de tout le monde, parce que c'est établi très souvent sur des critères subjectifs. Cela m'étonne que vous conserviez ce point et que vous demandiez qu'on élimine le facteur productivité.

Mme Carpentier: Par rapport à cela, on n'a pas pris position comme telle sur le fait qu'on doive conserver l'évaluation au mérite ou pas. Ce qu'on dit, c'est que le critère quantité de production doit être banni et il ne doit pas être conclu non plus implicitement dans ce qu'on appelle la notion d'évaluation au mérite. On n'a pas pris position sur la question de l'évaluation au mérite, ce qui supposerait une étude qu'on n'a pas pu faire à l'heure actuelle. C'est juste la correction.

Mme Lavoie-Roux: Vous n'avez pas d'opinion là-dessus?

Mme Bonenfant: Pour le moment, non, mais s'il y a révision de la loi 50, c'est évident que le conseil aura des travaux plus élaborés sur ces questions.

Mme Lavoie-Roux: Une dernière question sur l'action positive ou l'action affirmative pour l'égalité des chances dans l'emploi. C'est peut-être assez facile d'élaborer des programmes qui touchent un plus grand nombre de femmes à l'intérieur de la fonction publique, à l'intérieur des cadres, mais quand vous tombez dans des milieux comme les universités, comment, au plan concret, voyez-vous une telle action s'affirmer? Il y a eu des études de faites dans les universités également où c'est très clair que ce même phénomène de discrimination existe dans la hiérarchie universitaire; est-ce que vous avez pensé concrètement comment ceci peut se corriger? Ce n'est pas le même type de discrimination, tout le monde est un professionnel en entrant ou, enfin, exerce une profession ou une autre, je pense au corps professoral; on est moins porté à se pencher sur un problème comme celui-là parce qu'on dit: Ils sont tous, dans le fond, professeurs. On sait fort bien que, dans la structure hiérarchique, il se produit une discrimination assez évidente. Est-ce que le Conseil du statut de la femme s'est penché là-dessus quant à la nature exacte ou l'étendue exacte de ce problème et quant aux moyens concrets qui pourraient être pris à l'intérieur d'un programme d'action affirmative pour corriger cette situation?

Mme Bonenfant: On n'a pas fait de travaux spécifiques qui s'appliqueraient à des secteurs en particulier. Je serais portée à vous répondre que l'université, comme la fonction publique, comme une multinationale, ce sont des unités et on doit procéder de la même façon, en gros, parce que, comme je l'ai dit tout à l'heure, c'est une approche globale qu'il faut. On commence toujours par l'examen de la situation, par obtenir l'adhésion d'un patron, d'un recteur...

Mme Lavoie-Roux: Pas d'une rectrice, il n'y en a pas encore.

Mme Bonenfant: ... ou d'un premier

ministre. Il faut toujours l'adhésion des parties dans des programmes comme cela et ensuite donner la responsabilité de l'établissement de tels programmes à des gens suffisamment en autorité. C'est toujours le même processus, l'évaluation de la situation, l'évaluation des mesures qui peuvent varier d'une entreprise à l'autre, car, comme vous dites, ce ne sont pas nécessairement des gens défavorisés, c'est entre personnes favorisées qu'il y a encore de la discrimination, puisqu'on retrouve massivement les femmes, par exemple, comme chargées de cours alors qu'on retrouve massivement les hommes comme professeurs agrégés. Ce sont des cas spécifiques, mais, à mon avis, c'est toujours le même processus qui joue dans ces programmes. Vous comprenez que le rôle du conseil dans ce dossier, c'était surtout de chercher les justifications à de tels programmes et d'identifier les causes qui les rendent nécessaires, mais je ne pense pas que, pour le moment, c'était le rôle du conseil d'aller faire des programmes spécifiques pour tel ou tel type d'entreprise.

Je pense que la Commission des droits de ta personne a par ailleurs élaboré des documents beaucoup plus considérables que nous et des modèles ont été appliqués ailleurs, aux États-Unis, et il y a d'énormes briques sur le sujet, mais je pense que la pertinence de votre question, c'est de bien démontrer qu'effectivement la discrimination existe même dans les milieux très favorisés et encore, à ces endroits, les femmes sont plus maltraitées que les hommes, malgré qu'elles aient un degré d'instruction presque équivalent, équivalent même.

Mme Lavoie-Roux: Merci.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre, en terminant.

M. Bédard: En terminant, une petite question rapide. Quand vous parlez d'enlever, à l'article 19, la quantité de production ou de temps supplémentaire, j'imagine que, lorsqu'on parlerait d'évaluation au mérite, il y aurait une notion de productivité dont on pourrait tenir compte, à ce moment-là.

Mme Carpentier: Oui, c'est certain qu'il pourrait y en avoir une.

M. Bédard: Parce qu'à un moment donné...

Mme Carpentier: Je voudrais simplement préciser qu'on ne demande pas d'exclure ce que appelez le temps supplémentaire, on se limite à l'évaluation...

M. Bédard: Oui, d'accord, c'est pour cela que j'ai cité le temps supplémentaire, mais limitons-nous à la quantité de production.

M. Carpentier: Ah bon!

M. Bédard: Quand vous parlez de la réglementation qui devrait être faite par la Commission des droits de la personne, pourriez-vous concevoir qu'il serait possible que cette réglementation, parce qu'il s'agit de la Charte des droits et libertés de la personne, puisse être faite, même les programmes - en tout cas, c'est peut-être une autre chose - par le gouvernement après consultation de la Commission des droits de la personne et qu'ensuite cette réglementation devrait être acceptée par les parlementaires, que ce soit aux commissions parlementaires ou encore à l'Assemblée nationale, étant donné l'importance de la loi que cela touche, la charte qui a préséance sur toutes les autres lois, comme on le sait? Cela permettrait à la Commission des droits de la personne d'intervenir au début du processus et également au niveau de l'adoption soit par l'entremise d'une commission parlementaire ou autrement, par exemple, par audiences publiques.

On ne conclut pas, on réfléchit tout haut ensemble, il me semble qu'à partir du moment où c'est la commission qui en a l'entière responsabilité, est-ce que cela ne donne pas un peu la situation de conflit qui existerait? Par exemple, si le gouvernement faisait ses lois et si c'était lui qui devait les interpréter, cela amènerait quelques conflits d'intérêts, en tout cas souvent une certaine confusion ou encore il y aurait, à certains moments, les circonstances aidant, des interprétations qui pourraient être très progressives ou qui seraient susceptibles de changer selon les circonstances. Je ne vous demande pas une réponse, oui ou non, mais pourrait-on envisager que cela puisse aussi être un processus qui soit non seulement intéressant à étudier, mais qui amène quand même des garanties qui font que tout le monde est concerné?

Mme Bonenfant: Oui, je ne peux pas faire autrement que de dire que c'est un processus que je trouve intéressant, parce que le Conseil du statut de la femme réclame continuellement que, lorsqu'on adopte des règlements à la suite des lois, il y ait le plus large spectre possible de consultation. À mon avis, si ces règlements étaient adoptés après consultation de la population, ce serait l'idéal. (16 h 451

M. Bédard: Consultation de l'Assemblée?

Mme Bonenfant: De l'Assemblée, mais aussi de la population. Je pense qu'une commission parlementaire pour l'adoption

d'un règlement, ce n'est pas de surplus.

M. Bédard: D'accord. Cela peut s'envisager aussi. Je vous remercie. Pour ne pas être taxé de harcèlement, nous allons conclure. Je comprends...

Mme Lavoie-Roux: M. le ministre, excusez-moi, c'est juste une information, si vous me le permettez, que j'aimerais donner à la commission suite à une question du député de Sainte-Marie. Je voulais le faire, puis j'ai oublié. Il demandait tout à l'heure si le Conseil du statut de la femme avait eu connaissance de plusieurs cas touchant la grossesse.

M. Bédard: On a parlé de deux là, mais...

Mme Lavoie-Roux: Mais je parle de la grossesse. L'apparence physique c'est assez compliqué.

M. Bédard: C'est autre chose.

Mme Lavoie-Roux: Mais pour la grossesse, je dois vous dire que concernant des hôpitaux du Québec - cela c'est le système public ou parapublic - j'ai devant moi... D'ailleurs, cela a été porté à l'attention du Conseil du statut de la femme, mais je ne sais pas ce qu'il en a fait. Vous avez ici une directive du directeur du bureau de santé, une directive sur les tests annuels de routine pour le personnel, les tests pour le préemploi. Dans les tests pour le préemploi vous avez des tests de grossesse; là, il s'agit d'un hôpital pour soins prolongés qui ordinairement a des personnes plus âgées, des personnes chroniques, d'ailleurs c'est marqué test de préemploi, de toute façon.

M. Bédard: C'est au niveau de l'emploi pour....

Mme Lavoie-Roux: Du préemploi, les tests...

M. Bédard: ...les soins prolongés.

Mme Lavoie-Roux: Oui, oui, dans un hôpital, de toute façon, où comme directive... On tient, à l'intérieur des laboratoires, le matériel nécessaire pour faire subir des tests de grossesse aux personnes qu'on interviewe; elles ne sont pas nécessairement employées, ces personnes, parce qu'on établit une liste d'attente, puis lorsqu'il y a des besoins, on les appelle. C'est tout à fait inacceptable. Je suis étonnée - c'est une chose que j'apprends -qu'il n'y ait pas de recours...

M. Bédard: Je ne suis pas certain, je ne suis pas un expert, que le test de grossesse soit demandé... Ce n'est peut-être pas en fonction de déterminer si l'on doit employer ou pas, c'est peut-être médicalement, étant donné le genre...

Mme Lavoie-Roux: Écoutez, ce n'est pas une maladie, la grossesse.

M. Bédard: Mais non, ce n'est pas ce que je vous dis, franchement! N'essayez pas de marquer...

Mme Lavoie-Roux: Non, non, ne vous fâchez pas, M. le ministre.

M. Bédard: ...un point dans un but où il n'y a pas de gardien de but. Ce n'est pas ce que j'ai dit du tout.

Mme Lavoie-Roux: J'essaie de répondre à votre question.

M. Bédard: Non, non, je vous ai dit au départ que je n'étais pas un expert. Je veux dire qu'on ne demande pas un test de grossesse nécessairement... Je ne veux pas défendre cela, parce que si ce n'est pas correct, ce n'est pas correct, cela finit là. Vous ne m'avez pas laissé finir mon idée.

Mme Lavoie-Roux: Ce que je veux apporter, c'est que... Finissez M. le ministre... Je pense que vous avez là des situations vraiment inacceptables. Que l'on fasse passer dans les organismes publics et parapublics des tests de grossesse aux personnes qui viennent pour préemploi... Le député de Sainte-Marie voulait savoir s'il y avait des cas; bien cela est un cas grossier à mon point de vue de discrimination à l'endroit des femmes. Je ne vous dispute pas, M. le ministre, ce n'est pas vous qui faite passer les tests, qui les avez demandés, mais...

M. Bédard: Je ne sais pas d'ailleurs à quand remontent ces règlements.

Mme Lavoie-Roux: J'étais étonnée d'entendre, d'après le Conseil du statut de la femme, qu'il n'y avait aucun recours en vertu de l'article 10, d'après ce que vous avez dit, contre ce type de directive qui peut exister à l'intérieur d'un établissement quelconque. Cela pourrait être ailleurs aussi; cela pourrait être dans une entreprise privée. Si ce n'est pas couvert, si l'article 10 ne couvre pas cela, je pense que c'est important qu'il y ait une modification qui permette de couvrir ce type de procédure qui, à mon point de vue, n'est pas acceptable.

Le Président (M. Desbiens): Mme

Bonenfant.

Mme Bonenfant: J'aimerais prendre la

référence du cas parce que je n'ai jamais vu passer cela au conseil. Est-ce récent?

Mme Lavoie-Roux: Vous en avez probablement eu connaissance en avril ou mai.

Mme Bonenfant: Est-ce que l'on peut avoir la référence exacte?

Mme Lavoie-Roux: Non, je m'excuse, je ne la donnerai pas. Je peux vous en parler, cependant.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre, la conclusion, s'il vous plaît.

M. Bédard: Vous pourriez peut-être nous donner la référence exacte, cela nous permettrait d'évaluer ce qui en est.

Mme Lavoie-Roux: Je la donnerai à qui de droit. Je pense qu'il s'agit d'un établissement de soins prolongés de la ville de Montréal. Ce n'est pas dans mon imagination M. le ministre, mais je pense qu'on n'est pas ici pour identifier...

M. Bédard: Non, non ce n'est pas cela que je prétends. Je vous trouve agressive pour rien. Je vous le demande simplement. On peut le regarder, peut-être y a-t-il des raisons médicales, je ne le sais pas, je ne suis pas un expert là-dedans, mais ça mérite d'être analysé.

Mme Lavoie-Roux: Vous irez voir Mme la présidente et elle va vous le donner.

M. Bédard: Fin du harcèlement, peut-être?

Mme Lavoie-Roux: On ne sait pas qui a été harcelé, M. le ministre.

M. Bédard: Je voudrais tout simplement vous remercier de votre présence ici et d'avoir bien voulu vous prêter à répondre en détail sur un sujet qui n'est quand même pas facile à traiter, quand on parle de harcèlement sexuel. Tout ce que je puis vous dire en terminant, c'est que, concernant cette notion et l'opportunité de l'insérer dans la charte, que ce soit dans le sens proposé par la Commission des droits de la personne ou dans le sens que vous l'avez proposé, nous allons l'étudier sous un angle que j'ai mentionné tout à l'heure, pour nous assurer que quelque inclusion que ce soit ne soit pas de nature à diminuer les possibilités ou les droits donnés par la charte. Dans ce sens, je pense que vous avez la même préoccupation. Si ça ne se retrouve pas, c'est parce qu'on aura pu faire la preuve qu'il peut y avoir des dangers de limiter ce qui existe déjà.

Mme Bonenfant: On continuera de vous harceler, M. le ministre.

M. Bédard: D'accord. En vous remerciant.

Le Président (M. Desbiens): Je remercie les membres du Conseil du statut de la femme, et je ferai maintenant appel au groupe Action travail des femmes, qui est représenté par Mme Dominique Leclercq.

Je rappelle, pendant que vous prenez place, que la coutume veut que la période d'une heure allouée à chaque groupe soit partagée en 20 minutes pour la présentation du mémoire et une période de questions limitée autant que possible à 40 minutes.

Mme Leclercq, si vous voulez présenter les personnes qui vous accompagnent.

Action travail des femmes

Mme Leclercq (Dominique): Je vais présenter les personnes qui m'accompagnent. À ma droite, Mme Normande Beaulne, et à ma gauche, Mme Y, qui préfère garder l'anonymat. Ce sont des femmes qui sont discriminées à l'heure actuelle, et elles parleront de leurs problèmes.

La contribution d'Action travail des femmes, c'est une action positive pour les femmes, une nécessité pour atteindre l'égalité dans l'emploi. Nous avons apporté une contribution - j'espère que vous l'avez reçue - à propos de l'âge. Je me permettrai d'en dire quelques mots à la fin. Disons que, pour nous, l'important, c'est l'action positive, et je veux essayer de vous montrer pourquoi c'est bien important pour toutes les femmes qui viennent nous voir.

D'abord, je me permettrai de vous dire que le mémoire que nous déposons aujourd'hui sur l'action positive est appuyé par plusieurs groupes et organismes communautaires. Je me permettrai de les citer parce que nous avons reçu de nouveaux appuis depuis le début de la rédaction de notre mémoire. D'abord, le mouvement Action chômage de Montréal, l'Assistance aux femmes de Montréal, l'Association pour la défense des droits des assistés sociaux du Montréal métropolitain, ADDASMM, COM-Femmes de Brossard, Vie ouvrière, Vie nouvelle de Longueuil - ce sont des groupes de femmes - ACEF, de Montréal, l'Association coopérative d'économie familiale, l'Association pour la défense des droits du personnel domestique, l'Association québécoise pour la défense des droits des retraités et préretraités, les Employés du carrefour d'éducation populaire de Pointe-Saint-Charles, l'Institut Simone-de-Beauvoir de l'Université Concordia, l'Institut canadien de l'éducation des adultes, l'ICÉA, la Ligue des droits et libertés, le Centre de référence pour les femmes de la région de l'amiante,

de Thetford-Mines, et l'Association des travailleurs grecs. J'ai une copie pour vous. Malheureusement, je n'en ai qu'une, mais je me permettrai de vous la remettre tout à l'heure.

Action travail des femmes, qui sommes-nous? Nous sommes un groupe communautaire et autonome. À l'heure actuelle, nous avons plus de 450 membres, même tout près de 500 membres, et nous existons depuis 1976. Évidemment, nos membres sont toutes des femmes, des femmes qui viennent nous voir parce qu'elles cherchent du travail et qui demandent à devenir membres de notre association. Notre objectif est de faciliter l'accès des femmes au marché du travail. Ce sont des femmes chefs de famille, des femmes de 40 ans et plus, des femmes qui retournent sur le marché du travail après quelques années d'absence ou des femmes qui n'ont aucune expérience de travail. Mais toutes ces femmes - ça, c'est bien important - sont obligées de travailler pour des raisons économiques. Si vous voulez des détails sur leur situation, je pourrais parler de différentes situations, mais ce sont vraiment des femmes qui ont besoin de travailler.

Elles veulent donc chercher du travail, mais quelle est la situation du marché du travail à l'heure actuelle? J'ai indiqué quelques statistiques que vous pouvez avoir sous les yeux: 75% des travailleurs au salaire minimum sont des femmes; les travailleuses gagnent 59% du salaire des hommes - ce sont des statistiques officielles - les récents changements technologiques ont un impact négatif sur les métiers des femmes, par exemple, la mécanisation du travail de bureau. Vous avez dû voir cette étude de l'Organisation internationale du travail qui a mis en valeur cette question de mécanisation; ces machines de traitement de mots qui forment 400 mots minute, alors que la meilleure des secrétaires fait 75 mots minute; c'est vous dire l'impact que ça peut avoir au niveau du travail de secrétariat qui, jusqu'à maintenant, était occupé en masse par les femmes. Autrement dit, il n'y a pas de nouveaux emplois dans ce domaine, à part des secrétaires extrêmement qualifiées qui ont dans les 20 à 25 ans d'expérience.

Ensuite, il y a les coupures budgétaires - tout à l'heure nous parlions de la fonction publique - dans les secteurs sociaux, comme dans les hôpitaux et l'enseignement; beaucoup de ces emplois étaient occupés par des femmes. Vu les coupures budgétaires, il y a des coupures de postes, ce qui diminue le nombre d'emplois disponibles pour les femmes.

Il y a cette situation économique des ghettos d'emplois féminins. Face à ça, il y a toutes ces femmes qui veulent de plus en plus gagner leur vie elles-mêmes, avoir leur autonomie financière. Il y a non seulement les familles monoparentales avec comme chef une femme; il y a aussi de plus en plus de femmes mariées qui viennent parce qu'un salaire ne suffit plus. Vous connaissez comme moi le taux d'inflation actuel et, maintenant, nous avons les taux hypothécaires. Donc, nous avons des femmes qui viennent et qui disent: Mon mari ne gagne plus assez pour la famille. Donc, elles viennent aussi et, en général, il y a les femmes qui viennent travailler à temps partiel, par exemple, à 18 heures pas semaine, mais ça ne suffit pas pour faire vivre une famille ou même pour elles-mêmes et elles n'acceptent plus ces mauvaises conditions de travail des ghettos féminins. Maintenant, il y a aussi un accroissement du travail sur appel. Cela veut dire que vous êtes appelée à 18 heures pour travailler la nuit, vous ne le savez jamais d'avance ou alors vous êtes appelée et on vous dit: Venez demain alors que vous ne venez pas le lendemain. Donc, vous ne savez jamais, à la fin de la semaine, combien vous allez avoir pour faire votre marché.

C'est quand même une situation vécue qui nous est rapportée chaque semaine par les femmes qui viennent nous voir toutes les semaines et au téléphone aussi. Les femmes ne veulent plus ça et, quand elles viennent, elles disent: Nous, on ne veut plus de ces conditions, on ne veut plus des salaires minables, on ne veut plus de ces conditions de travail, on ne veut plus des ghettos féminins et on ne veut plus être exclues du marché du travail.

Alors, nous, on s'est dit: Qu'est-ce qu'on peut faire face à une situation pareille? Il faut faire quelque chose. Il est bien évident qu'on y pense depuis 1976 et la situation économique s'est détériorée depuis 1976.

Ces femmes cherchent donc des emplois stables; c'est la première chose, elles veulent une stabilité d'emploi. Elles veulent être bien rémunérées; ça veut dire des salaires décents qui permettent de vivre. Elles veulent des conditions de travail décentes. Elles veulent des possibilités d'apprentissage et de promotion. Dans les ghettos d'emplois féminins, on n'a pas ces possibilités, à part quelques rares secteurs comme les infirmières qui ont réussi, par leurs luttes syndicales, à améliorer leurs conditions de travail. Elles veulent aussi, bien sûr, des avantages sociaux qu'elles n'ont jamais dans les ghettos féminins. (17 heures)

Face à ça, on a essayé d'identifier des secteurs économiques en expansion où il y a des emplois bien payés, des emplois syndiqués avec des conditions de travail qui sont tout à fait décentes. Évidemment, elles peuvent toujours l'être plus, mais, par rapport à ce qu'elles ont à l'heure actuelle, elles sont beaucoup mieux. C'est là que en sommes venues à mettre l'accent sur les métiers non traditionnels. Pourquoi? Parce que les

secteurs économiques en expansion, à l'heure actuelle, ce sont les secteurs de haute technologie, les secteurs de mécanique, les secteurs où on fabrique des ordinateurs, les secteurs où on contrôle ces ordinateurs, les techniques de fabrication mécanique, l'électrotechnique, l'entretien, la mécanique d'entretien des machines industrielles, le secteur du traitement des eaux; vu que nos eaux sont polluées, on se met à les traiter. Donc, là, il y a des emplois créés et ces emplois sont très rémunérateurs. Un homme qui a suivi un petit cours de main-d'oeuvre en technique de fabrication mécanique commence à 18 000 $ par année. J'aimerais bien qu'on me dise quel est l'emploi du ghetto de travail féminin qui rapporte 18 000 $ après quinze ou vingt ans d'expérience. Il n'y en a presque pas.

Alors, c'est cela l'histoire. Nous, on se dit qu'il faut que les femmes puissent avoir droit à ces métiers, surtout qu'il y a de l'embauche en ce moment. C'est là où on se dit qu'il y a des femmes qualifiées - j'en ai deux à côté de moi - mais qui ne sont pas embauchées. Alors, pourquoi ne sont-elles pas embauchées? Parce que les employeurs ont des préjugés discriminatoires par rapport aux femmes. C'est la tradition, mais de plus, en ce moment, ils deviennent très sophistiqués, si bien qu'on ne peut plus les prendre en flagrant délit de discrimination sur des cas individuels. Quand ils voient une femme arriver, ils haussent les critères d'embauche. Pour un homme, il faut à peine un secondaire V et à peine un cours de main-d'oeuvre - d'ailleurs, il y a des gens de Pratt & Whitney qui disent: On les prend sur la rue, les hommes - alors que, pour les femmes, il faut un DEC en aéronautique, par exemple. Une femme qui est seule ne connaît pas forcément ces critères et elle dit: Bon, je n'ai aucune chance; je n'ai pas mon DEC en aéronautique; je peux essayer d'aller le chercher, mais là encore il faut de l'argent pour pouvoir se permettre de compléter un DEC. II faut quelqu'un qui vous supporte, sinon vous ne le pouvez pas. Donc, elles se disent: Bon, cela n'est pas pour moi.

Alors, de fil en aiguille, il n'y a pas de femmes qui rentrent, et c'est là que j'en viens à l'action positive justement. Enfin, il y a des petits détails ici à propos des qualifications, mais peut-être que vous aurez des questions à poser à ce sujet. On s'est rendu compte que, parfois, on exige des qualifications des femmes, comme le poids et la taille, qui ne sont pas du tout pertinentes à l'emploi ou des qualifications qui sont acquises par les hommes une fois dans l'industrie. Alors, on se dit: Pourquoi exiger des femmes qu'elles les aient avant, alors que les hommes les acquièrent dans le cadre des plans de formation d'entreprises?

De plus, des femmes de la Commission des droits de la personne et du Conseil du statut de la femme ont dit avant qu'il y a une question d'apparence physique, de féminité, l'âge compte aussi et la situation familiale est prise en considération au moment de l'embauche.

C'est là où on en arrive à l'action positive et nous pensons qu'il faut que cela soit absolument imposé aux employeurs. Sur le plan individuel, cela n'est pas possible parce que les femmes sont mises à pied, par exemple. On peut les réintégrer, mais une autre femme va être mise à pied ou elle ne sera pas embauchée. Donc, on ne peut pas, au niveau individuel. Cela n'est pas possible. Donc, on demande que cela soit imposé aux employeurs qui embauchent dans le moment. Il y a des employeurs qui, à Montréal - je parle de Montréal puisqu'on connaît mieux la situation - embauchent, à l'heure actuelle, 1000 à 2000 personnes par année - je dis "personnes" parce que je ne fais pas de discrimination - mais, malheureusement, ce sont des hommes, à part une ou deux femmes peut-être et encore. Quand on embauche 2000 personnes à l'heure actuelle, on n'embauche pas une femme. Pourquoi?C'est là qu'on dit qu'on veut des programmes d'action positive à l'embauche. Qu'on embauche un certain pourcentage de femmes, que ce soit à ... Évidemment, l'idéal serait d'atteindre la population active, au moins cela. Un travailleur sur deux, dans le moment, est une femme, c'est-à-dire 50%. On est tout de même assez réaliste pour savoir qu'on ne va pas le faire en 24 heures, mais au moins, dans le moment, il faudrait dire un certain quota. Par exemple, chaque fois qu'on embauche 1000 personnes, on embauche 20, 30, ou un certain nombre de femmes. La Commission des droits de la personne, comme elle le disait tout à l'heure, peut très bien voir en fonction de chaque entreprise, les quotas qui pourraient être atteints chaque année. Nous laissons cela au soin de la commission, mais nous trouvons qu'il faut qu'il y ait absolument un quota d'embauche de femmes.

Pour l'imposition - vous l'avez sûrement lu dans notre mémoire - il y a eu un certain nombre de programmes déjà de possibilités égales, ce que l'on appelle égalité des chances. En fait, il y a eu quelques femmes qu'on appelle des femmes alibis qui ont été employées, mais plutôt dans la hiérarchie pour donner une belle image à la compagnie, mais il n'y a rien eu de fait dans le fond.

Je peux vous parler de l'exemple du Canadien National. Vous êtes certainement au courant de la lutte que nous menons depuis trois ans contre le CN justement pour l'établissement d'un vrai programme d'action positive au CN, ce qui est parmi par la Charte fédérale des droits de la personne; mais alors que cette charte existe depuis un certain temps et permet ces programmes, il n'y a pas encore eu un seul programme qui a

été mis sur pied. Donc, c'est dire qu'il faut absolument les imposer, sinon ça ne se fait pas. Voilà notre expérience actuelle.

Pour nous, c'est simplement une mesure de rattrapage - ces programmes d'action positive - ce n'est pas du tout une mesure de favoritisme. Nous disons: Commençons par l'embauche, commençons par les compagnies qui embauchent et là, peu à peu, on introduira des femmes et, pour répondre à un argument économique, ça ne coûtera pas plus cher. Employer un homme ou une femme, ça ne coûte pas plus cher.

On ne peut pas aussi oublier que les groupes majoritaires ont recueilli collectivement les bénéfices de l'exclusion ou du traitement différencié subis par les membres des groupes contre lesquels s'est exercée la discrimination. Je cite la présidente de la Commission des droits de la personne. Donc, c'est juste un rattrapage.

Pour nous, ce que doit comprendre - si vous me permettez d'expliquer - un programme d'action positive, c'est d'abord des quotas d'embauche, des programmes de formation, certains de rattrapage, d'autres identiques à ceux auxquels les hommes ont déjà accès. On s'est rendu compte que dans beaucoup de grandes compagnies, il y a déjà des programmes de formation interne et les femmes pourraient très bien avoir accès à ces programmes également. Des annonces dans les journaux assez claires pour que les femmes qui cherchent du travail soient conscientes des nouvelles possibilités qui leur sont offertes. Parce que, dans le moment, elles savent que ce n'est même pas la peine d'aller essayer de s'engager dans une usine, parce qu'il n'y a que des hommes. Elles n'essaient donc même pas très souvent. Elles sont aussi au courant de la discrimination.

Le quatrième point serait des possibilités d'avancement identiques à celles obtenues par les hommes.

Cinquièmement, des quotas de mises à pied pour éviter que les femmes étant les dernières embauchées ne soient toutes renvoyées lors de mises à pied. Autrement dit, il s'agit que les mises à pied n'affectent les femmes qu'en fonction de leur proportion parmi les employés. Nous nous fions sur le cas de compagnies qui font des mises à pied temporaires, par exemple de deux ou trois mois. En ayant embauché des femmes, par exemple il y a deux mois, lors d'une mise à pied temporaire, toutes les femmes pourraient être mises à la porte et on repartirait à zéro. C'est pour ça qu'on dit aussi des quotas de mises à pied pour ne pas qu'elles soient affectées hors de proportion.

Les femmes seraient donc embauchées, premièrement, et en nombre. Quand on dit "quota", ça veut dire un certain nombre de femmes, ça ne veut pas dire une femme mise dans un milieu d'hommes et qui va se retrouver en butte aux harcèlements de toutes sortes, sexuels ou sur le plan de son travail. Mais tu es une femme, qu'est-ce que tu fais, ce n'est pas ta place, et ci et ça... Jusqu'à aller à lui demander les travaux les plus durs pour vraiment voir si elle est capable de faire le travail. Si vous voulez des cas concrets, je peux vous en citer. Au CN, par exemple, ou dans d'autres compagnies et même Gracia et Normande ici vont vous en citer tout à l'heure. C'est vraiment ce qui se passe dans la réalité. Donc, l'imposition de programmes d'action positive permettrait l'embauche d'un certain nombre de femmes dans des métiers où les salaires sont bons, où il y a des syndicats et où les conditions de travail sont décentes, plus décentes que dans les ghettos d'emplois féminins et, d'autre part, elles seraient embauchées en nombre, c'est-à-dire qu'elles ne seraient pas isolées, seules dans un milieu d'hommes pour faire leurs preuves, c'est-à-dire travailler deux ou trois fois plus qu'un homme pour pouvoir conserver l'emploi. Au bout d'un moment, elles ont tellement été poussées à bout qu'à un moment donné elles lâchent et on dit: Tu vois bien, on te l'avait dit, tu es une femme! On t'avait dit que tu ne serais pas capable de "toffer" ça! Voilà! À vous de juger.

À moins que vous ne vouliez me poser des questions maintenant, je voudrais laisser la parole à Mme Y, dont vous avez le témoignage ici, et Normande Beaulne aussi. Mme Y a été discriminée à l'embauche alors qu'elle est inspectrice de fabrication en aéronautique; elle ne trouve pas d'embauche, à l'heure actuelle. Mme Normande Beaulne a été une employée extrêmement compétente dans le secteur de l'estimation de dommages matériels automobiles et, à un moment donné, elle a été mise à pied sans raison. C'était la première femme dans ce métier.

Mme Y: Ron, je vais présenter mon témoignage pour démontrer la nécessité d'un programme d'action positive dans les entreprises. J'ai décidé de prendre le cours d'inspecteur d'aéronautique, premièrement, parce que c'était un secteur en développement, dans lequel on disait qu'on engageait beaucoup de monde, et aussi à cause des avantages et des conditions de travail assez bonnes qu'offrait ce métier. Au début, je n'ai pas été encouragée fortement par le centre de la main-d'oeuvre quand j'ai demandé à suivre ce cours; c'est à la suite de plusieurs rencontres, discussions, tests, etc. que j'ai fini par convaincre le centre de la main-d'oeuvre de me donner ce cours pour prouver qu'une femme était aussi capable qu'un homme.

J'ai suivi le cours au mois de septembre passé et j'ai très bien réussi; d'ailleurs, dans plusieurs matières, je me suis classée dans les premiers rangs. Les professeurs qui nous enseignaient, qui étaient

majoritairement des employés de Pratt & Whitney, nous ont encouragés fortement à suivre le cours en nous disant que la compagnie nous attendait les bras ouverts puisque celle-ci avait proposé au centre de la main-d'oeuvre de donner ce cours parce que c'était un secteur très en demande à l'heure actuelle et qu'il y avait un manque de professionnels. On nous avait mentionné qu'il ne fallait pas remplir une demande d'emploi avant les deux dernières semaines du cours, que c'était une politique de l'école pour empêcher les étudiants de partir avant la fin de leur cours. On est allé postuler un emploi deux semaines avant la fin du cours, j'y suis allée avec plusieurs étudiants; les autres s'y sont présentés d'autres journées.

Quand on s'est présenté, on a demandé si on pouvait avoir une entrevue en sachant que les autres étudiants en avaient eu une les jours précédents. On nous a dit que c'était impossible et que, de toute façon, on n'engageait pas de femme. La secrétaire était très surprise - on était trois femmes quand on s'est présenté - de voir des femmes postuler un emploi dans ce domaine et on est reparti un peu déçu, mais dans l'espoir qu'on nous appellerait pour des entrevues. Par la suite, tous les gars ont commencé à être appelés un par un; on commençait à s'inquiéter, mais nos profs nous disaient de ne pas s'inquiéter, qu'on allait tous être appelés vu le manque d'inspecteurs en ce moment à la compagnie.

Deux semaines après le cours, deux autres étudiants ont été appelés en entrevue; cela ne voulait pas dire qu'ils étaient engagés, mais pour nous, les filles, pas d'entrevue! Plus tard, ils ont été engagés pour le mois de mars. Dans la première semaine de février, on a essayé de rejoindre M. Boismenu, le directeur du personnel de la Pratt, mais il était parti en vacances et on nous disait que personne ne le remplaçait. Alors, dans la deuxième semaine, on a essayé de rejoindre un de nos professeurs, Michel Chagnon, sachant qu'il était contremaître à l'inspection. Il nous disait de ne pas nous inquiéter au début mais, par la suite, je lui ai dit que je me posais des questions à savoir pourquoi c'étaient les deux femmes qui n'avaient pas été appelées. Alors, il m'a répondu que peut-être, dans certains départements, cela demandait une certaine force physique. Je lui ai dit que ce n'était pas un critère dans le cours et que, de toute façon, je ne trouvais pas que c'était une bonne raison. (17 h 15)

Par la suite, dans la même semaine, on a demandé à parler à quelqu'un d'autre si M. Boismenu n'était pas revenu. On nous a alors passé M. Ferland. Je me suis fait dire d'attendre, que ma demande était prise en considération, que le groupe pour le mois de mars avait été sélectionné et que je devais attendre la prochaine fois. J'ai demandé si je pouvais avoir une entrevue. Il m'a dit que ce n'était pas nécessaire, que ma demande était prise en considération et qu'on m'appellerait si j'étais choisie. Je trouvais ça quand même injuste de ne pas avoir eu droit à une entrevue que tous les gens du groupe avaient obtenue, même avant d'avoir été assurés d'être engagés. C'est alors qu'on a consulté Action travail des femmes, un organisme qu'on a connu pendant notre cours, et qu'on a décidé d'envoyer une lettre à la compagnie pour demander des clarifications sur le non-engagement.

On a décidé d'entreprendre cette démarche parce qu'on trouvait que la discrimination était flagrante, même si par la suite il y a une femme qui a été engagée. On trouvait ça très faible puisqu'on était trois femmes dans le groupe. En tout cas, M. Côté, à la suite d'une lettre, a pris contact avec Action travail des femmes et on avait pris rendez-vous avec lui pour le mois de mars. Il a dit qu'il ne comprenait pas pourquoi on s'inquiétait puisque, lors de notre entrevue, on avait spécifié qu'on serait sélectionnées pour le mois d'avril. Nous autres, on n'a jamais eu d'entrevue et on ne nous a jamais dit qu'on était sélectionnées pour le mois d'avril. On nous a reçues assez froidement et on nous a mises - en tout cas, l'autre femme qui était avec moi - chacune dans un bureau en nous disant qu'on voulait nous faire passer des entrevues. J'ai dit à M. Côté que je ne comprenais pas pourquoi on faisait ça maintenant puisque avant on n'a jamais voulu nous recevoir.

On nous a répondu qu'on avait demandé de passer une entrevue, c'est ce qu'on allait faire. M. Ferlatte, c'est lui qui m'a reçue, m'a posé quelques questions banales et m'a répondu que je serais sélectionnée pour le mois d'avril. J'ai fait remarquer que je ne m'étais pas déplacée pour me faire dire ça, que je voulais savoir les raisons pour lesquelles je n'avais pas été engagée et je voulais me faire certifier que j'aurais un emploi puisque je savais que Pratt & Whitney engageait présentement des inspecteurs. M. Ferlatte m'a fait comprendre qu'il ne pouvait rien faire pour moi. Je l'ai remercié et je suis sortie. J'ai rejoint les autres femmes qui étaient avec M. Côté et M. Alain Gagné, directeur des relations humaines. La raison à notre non-engagement, c'était une question de circonstances. On nous a dit qu'on était arrivées les dernières. Il fallait venir plus tôt. On a répliqué qu'on était quatre personnes cette journée-là et qu'on nous avait dit à l'école de ne pas venir avant. J'ajouterais que, depuis cette rencontre, je n'ai toujours pas été appelée et qu'en tout cas, il y a eu d'autres finissants qui n'ont pas été appelés non plus.

Donc, pourquoi on ne nous a pas choisies puisque, nous autres, on était de

très bonnes candidates et qu'on remplissait toutes les exigences? On n'a reçu aucun appel. Nous autres, on a fait d'autres démarches. On a rappelé M. Côté. Il était toujours occupé. Ensuite, il m'a dit qu'il avait essayé de me rejoindre pour des questions ayant rapport à ma demande. Maintenant, quand je l'ai rappelé, il m'a dit qu'elles se sont révélées inutiles et que je n'avais pas été choisie. Je lui ai demandé quelle était la raison. Il m'a dit qu'il n'avait pas d'explications à me donner et que, si je voulais en savoir plus, il allait prendre un rendez-vous. J'ai rappelé par la suite, M. Côté était toujours absent ou occupé. J'ai laissé le message de me rappeler le soir parce que j'avais commencé à travailler, mais il ne m'a jamais appelée. C'est là que j'ai porté plainte à la Commission des droits de la personne contre Pratt & Whitney pour raisons de discrimination sexuelle à l'embauche parce que je ne voyais aucune raison valable pour laquelle je n'avais pas été embauchée. Je pense que c'est seulement quand il y aura des programmes d'action positive imposés aux compagnies comme d'autres l'ont dit au début que les femmes ne seront plus à la merci des patrons qui nous font subir cette discrimination.

Mme Leclercq: Je peux ajouter un petit mot. Il ne faut pas oublier que ce cours avait été demandé, avait été mis sur pied à la demande explicite de Pratt & Whitney qui avait besoin d'inspecteurs. Quand on sait qu'à chaque mois, ils embauchent des inspecteurs, ils en ont besoin, on se demande pourquoi ils ne prennent pas des inspectrices qualifiées. C'est ça le problème. Si vous me le permettez, je ne sais pas si vous voulez que je continue à parler un peu de Pratt & Whitney, mais nous-mêmes, nous sommes allées faire une visite à cette compagnie et je pourrais vous raconter un peu cette visite, ce que nous avons eu l'occasion de voir, où étaient les femmes dans la compagnie.

Le Président (M. Desbiens): Est-ce que je peux vous faire remarquer, Mme Leclercq, qu'il y a déjà 30 minutes de passées à la présentation de votre mémoire? Si les membres de la commission désirent intervenir par une série de questions... Enfin, il y a la liberté autant que possible que les mémoires puissent être présentés au complet, selon votre choix. Si vous préférez recevoir des questions ou continuer l'exposé...

Mme Leclercq: De toute façon, pour Pratt et Whitney, abrégeons en disant que c'est ici dans le mémoire. Ce que nous avons constaté, c'est que dans l'usine, quand il y a des femmes, elles sont très ghettoïsées, et cela, nous l'avons écrit ici. Donc, c'est assez clair, ce qui se passe. Il y en a très peu, en tout cas. Si vous voulez, on va laisser parler

Mme Normande Beaulne. Elle va vous raconter ce qui lui est arrivé.

Mme Beaulne (Normande): J'avais suivi un cours en estimation d'automobiles...

M. Bédard: Peut-être qu'on pourrait approcher le micro.

Mme Beaulne: J'avais suivi un cours en estimation d'automobiles subventionné par le centre de main-d'oeuvre et j'ai été la première femme dans ce métier habituellement fait par des hommes. J'ai eu beaucoup de difficulté à me trouver un emploi dans ce domaine. J'appelais pour avoir un emploi au Centre d'estimation Chomedey, et il n'y avait même pas moyen de parler au propriétaire de ce centre, parce qu'il faisait répondre par sa secrétaire particulière que c'était impossible qu'il y ait une femme dans ce métier. Il est même parti à rire, selon sa secrétaire particulière.

Finalement, à force de démarches, de persuasion, j'ai fini par le rencontrer et il a accepté de m'embaucher, mais à l'essai, pour trois mois. Il a bien spécifié que je devais faire mes preuves, étant donné que j'étais une femme et que cela ne s'était jamais vu. Donc que je devais travailler deux fois plus qu'un homme. C'est ce que j'ai fait. J'ai fait mon possible pendant ces trois mois. Au bout de trois mois, il m'a convoquée et s'est dit satisfait de mon travail. Il a ajouté que cela le surprenait beaucoup, étant donné que j'étais une femme. Il a décidé de me garder et de me donner une augmentation de salaire. Au bout de quelque temps, il a engagé un autre estimateur qui avait suivi des cours avec moi, justement, mais au bout de quelques mois il m'a convoquée de nouveau à son bureau pour me dire qu'il devait se défaire de cet employé parce qu'il n'était pas satisfait de ses services et que s'il était à la place de cet employé, il serait gêné d'être surpassé par une femme. C'est à la suite du départ de ce nouvel employé que j'ai eu une autre augmentation de salaire. Il surveillait fréquemment notre rendement et la quantité des estimations que nous faisions par jour, mais je dois dire qu'il était beaucoup plus réticent à mon égard, c'est-à-dire qu'il me demandait beaucoup plus de comptes à moi qu'aux autres employés. J'étais même parmi ceux qui faisaient le plus d'estimations par jour, ce qui m'a encore valu des félicitations de sa part, mais aussi une surprise très vive, étant donné que j'étais une femme.

À un moment donné, il m'a encore convoquée dans son bureau et là, il m'a offert une augmentation de salaire, mais beaucoup moindre que celles que j'avais déjà eues. Je l'ai refusée, parce que j'avais su des autres employés qu'ils avaient eu le triple des augmentations qu'il m'offrait. Je

l'ai refusée et c'est à partir de ce moment qu'il ne m'a plus adressé la parole. À la suite de cette nouvelle augmentation que j'avais refusée, j'ai dû être hospitalisée et j'ai dû prendre une semaine de vacances pour convalescence. Au moment où j'étais en convalescence chez moi, j'ai reçu par la poste un avis de cessation d'emploi, ma paie de vacances et ma semaine de préavis. C'est à la suite de cela que j'ai fait ma demande à la Commission des droits de la personne. Sur l'avis de cessation d'emploi, il avait écrit comme raison "incompétence", après dix mois de service et trois augmentations de salaire. C'est pour cette raison que je crois moi aussi qu'il devrait y avoir un programme mis sur pied comme action positive.

Je voulais soulever le point qui avait été apporté au point de vue du rendement et de la quantité de travail, parce que j'étais beaucoup surveillée a ce point de vue. Pour l'apparence physique aussi. J'ai eu plusieurs remarques de mes confrères de travail et de mon patron disant, et je cite leurs paroles: "Malgré son métier, elle reste féminine, c'est surprenant". Et, ensuite, dans ce métier, il est beaucoup plus pratique d'avoir les cheveux coupés, étant donné qu'on va sous les autos et qu'il y a de l'huile qui nous tombe dans la figure ou dans les cheveux, mais, à chaque fois que j'allais me faire couper les cheveux et que je revenais au bureau, le patron me critiquait et me disait que j'avais l'air d'un "tomboy".

Mme Leclercq: Nous avons essayé de voir un peu ce qui se passait et nous sommes persuadées que ce secteur, les centres d'estimation et le regroupement des assureurs, font de la discrimination envers les femmes. Nous, nous sommes très inquiètes de cette situation, parce que le métier d'estimateur convient très bien aux femmes qui viennent nous voir, en ce sens qu'il n'implique pas de travail en rotation, il offre de bons salaires, environ 13 000 $ à 17 000 $ par année, et on peut y avoir accès à la suite d'une période de formation relativement courte, c'est-à-dire cinq mois de cours au Centre de main-d'oeuvre. La formation, ce qui est très important aussi pour les femmes, c'est, de jour, de 9 heures à 17 heures. Quand on a des enfants, c'est important de pouvoir suivre des cours de jour, mais beaucoup de cours de main-d'oeuvre ne sont pas de jour.

Pour nous, ce métier est très intéressant et nous avons à l'heure actuelle des femmes qui suivent les cours de la main-d'oeuvre, et nous voulons qu'elles trouvent de l'emploi en terminant, elles en ont besoin. Je ne sais pas si vous imaginez la situation des deux dames qui m'entourent à l'heure actuelle, mais ce n'est pas brillant sur le plan économique et ce ne sont pas les seules. Alors, voilà, c'était cela.

Le Président (M. Desbiens): Alors, M. le ministre.

M. Bédard: Mme la présidente, je vous remercie de votre participation ainsi que de celle de vos deux compagnes aux travaux de cette commission. Au nom de tous les groupes que vous représentez, je suis convaincu de refléter les sentiments des membres de la commission en vous disant que je vous ai trouvées très éloquentes, dans le sens que non seulement vous êtes pratiques, mais on sent que l'expérience du vécu fait que votre participation aux travaux de cette commission est peut-être une des meilleures illustrations, du point de vue pratique, des problèmes que, dans certains secteurs, vous avez évoqués, de certains problèmes auxquels les femmes ont à faire face.

Vous avez également votre côté pratique. Vous en venez peut-être à être un des groupes qui a essayé de définir un peu ce que serait un programme d'action positive. Vous avez d'autre part évoqué que, dans les deux cas pratiques, vécus, qui ont été évoqués cet après-midi, vous aviez communiqué avec la Commission des droits de la personne. Est-ce que vous pourriez m'expliciter votre démarche là-dessus, nous en donner le résultat, si résultat il y a?

Mme Leclercq: Malheureusement, la plupart du temps, ce sont les moyens, c'est l'attente. La commission dit que cela prend un temps fou, le dossier de Mme Y et de Mme X sont en attente à l'heure actuelle, ils ne sont pas encore au service des enquêtes, il paraît que cela va prendre encore six mois, c'est ce qu'on nous a dit. Pendant ce temps, elle n'a rien, elle a 100 $, 121 $ exactement par mois. C'est donc très urgent, c'est dans ce sens que nous disons que les procédures actuelles de la commission, qui prendraient cinq ans au total, c'est beaucoup trop long; quand on a des femmes dans ces situations, elles ne peuvent pas attendre cinq ans. Donc, c'est une question de procédure...

M. Bédard: Quand vous parlez de l'élaboration des programmes tels que vous nous les définissez, est-ce que vous voyez seulement un organisme qui devrait voir à leur élaboration et à leur application ou encore si vous pensez qu'il pourrait y avoir d'autres options possibles? (17 h 30)

Mme Leclercq: Quand vous parlez d'organisme, vous voulez dire la Commission des droits de la personne?

M. Bédard: Oui.

Mme Leclercq: Nous, nous sommes convaincues de son expertise, à la

Commission des droits de la personne.

M. Bédard: Est-ce que vous voyez la possibilité que l'élaboration et l'application de ces programmes puissent être confiées à d'autres organismes?

Mme Leclercq: Ce qui est très important, à notre avis, c'est que la commission ait un pouvoir d'imposer aux employeurs; sinon, rien ne va se passer.

M. Bédard: Quand vous dites "le pouvoir d'imposer", est-ce que vous voulez dire imposer dans tous les secteurs de l'activité ou s'il y a des secteurs particuliers que vous seriez portées à privilégier?

Mme Leclercq: Oui. Là où il y a de l'embauche dans le moment. Il n'y a quand même pas beaucoup de secteurs. Commençons par les secteurs où il y a de l'embauche. Comme ça, on ne se trouve pas en butte aux problèmes...

M. Bédard: Qu'évoquait tout à l'heure...

Mme Leclercq: ... internes qui ont été évoqués. De toute façon, je pense que les syndicats vont en parler. Mais nous, on dit, pour l'instant, qu'il y a beaucoup de femmes qui ont besoin de travailler, qui soit sont dans les ghettos d'emplois féminins et veulent en sortir, soit n'ont pas accès au marché du travail parce qu'il n'y a pas d'emplois. Les femmes viennent et nous appellent; nous recevons X coups de téléphone par jour pour dire: Je ne trouve pas d'emploi. Elles ne comprennent pas. Il y a dix ans, vous sortiez, vous trouviez un emploi de vendeuse, un emploi au coin de la rue; maintenant, ce n'est plus ça. Donc, toutes ces femmes, avec les conditions économiques actuelles, viennent et elles veulent de l'emploi et il n'y en a pas de disponibles, sauf dans ces secteurs dont on parlait. Nous en avons identifié quelques-uns.

Nous, nous disons concrètement: Cela ne coûte pas cher, qu'on commence par ceux-là et qu'on emploie des femmes là-dedans. Après ça, il y aura un effet d'entraînement. Une fois dans l'entreprise, elles auront de plus en plus accès aux promotions et elles seront dans les syndicats là où il y en a. C'est un peu notre contribution. Commençons par la base, c'est-à-dire l'embauche, premier niveau.

M. Bédard: C'est ce qui explique un peu les critères qui vous semblent essentiels pour le moment au niveau des programmes d'action positive.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: J'ai beaucoup apprécié votre présentation; c'est la première fois qu'on a des cas concrets. J'aimerais vous poser deux questions; la première question, c'est que la dame à votre droite, Mme Beaulne, à la fin de sa présentation, a fait état de certaines remarques des hommes dans la compagnie où elle a travaillé. J'aimerais, juste pour mon information, savoir si c'est le harcèlement auquel il faut mettre fin dans la loi. Est-ce que c'est ça qu'on va rendre illégal dans la charte ou est-ce que c'est juste de l'enfantillage?

Mme Beaulne: Ce n'est pas un harcèlement, tout dépend de la façon dont la personne le prend. Moi, je ne le prenais pas comme un harcèlement. Ce sont des remarques simplement auxquelles on ne peut rien; il n'y a aucune loi qui va interdire ça.

M. Marx: On ne va pas poursuivre chacun qui fait des remarques semblables, si je comprends.

Mme Leclercq: Si je peux me permettre d'intervenir, ce qu'on appelle "harcèlement", c'est le fait que ça peut gêner une femme dans son travail. Si vous avez, par exemple, un homme qui est hiérarchiquement au-dessus de vous, qui passe tout le temps dans votre bureau et qui dit: Alors, c'est bientôt, etc., cela vous gêne dans votre travail. Donc, vous, après, vous pouvez faire des erreurs dans votre travail et après ça, vous êtes mise à pied parce que vous n'êtes plus assez compétente. C'est parce que vous avez été gênée, ça vous pose des problèmes. Parfois, vous savez très bien que les harceleurs vous téléphonent à la maison. Vous êtes chez vous un soir, si vous habitez seule, on frappe à la porte, vous ouvrez; malheureusement pour vous, c'est quelqu'un de votre travail pas du tout attendu. C'est quand même des choses dont les femmes nous parlent de plus en plus. Ce sont des cas vécus, ça peut même aller beaucoup plus loin. J'ai un ou deux cas en tête, justement, où c'est allé beaucoup plus loin.

C'est surtout ça, le harcèlement. Je crois que ça peut être, comme dit Normande, des petites remarques. Toutes les femmes ont eu des petites remarques. Il y a des petites remarques qui font partie du jeu social encore à notre époque, mais, quand elles deviennent constantes, que vous les avez tous les jours, vous arrivez à un état de nervosité qui devient absolument épouvantable. Là, on peut vous prendre très facilement en tort sur votre travail, et c'est là qu'on vous met à la porte, et allez donc prouver que c'était du harcèlement sexuel qui a fait que vous deveniez incompétente. C'est là où il va falloir le mettre dans la Charte des droits de la personne pour qu'au moins on commence à voir ce que c'est,

parce que cela commence par des petites remarques et cela finit par des viols. Oui, parlez un peu aux femmes autour de vous, je suis sûre que...

M. Bédard: ... Code criminel.

M. Marx: Entre ces quelques remarques et le viol, il y a encore une marge.

Mme Leclercq: Si vous voulez, c'est quand même une réalité. Monsieur, je m'excuse, c'est une réalité. Quand je dis qu'il y a toute une hiérarchie de harcèlement entre les deux, j'en suis bien consciente. Mais cela va jusqu'au bout. J'ai des femmes en tête qui ont eu le bout d'un côté et le bout de l'autre. C'est tout de même une réalité vécue par les femmes. C'est dans le milieu du travail, c'est cela.

M. Marx: II y a un problème...

Mme Leclercq: C'est votre travail qui est en cause, c'est-à-dire votre salaire à la fin de la semaine qui est en cause. C'est là où cela devient grave.

M. Marx: Oui, parce que je pense qu'il y a une ligne à tirer entre le harcèlement et la blague. Il y a aussi des degrés de harcèlement, c'est-à-dire qu'on veut prohiber un certain degré de harcèlement et d'autres degrés de harcèlement. On dirait que cela n'est pas vraiment le harcèlement qui doit être prohibé par une loi et par des pénalités, ainsi de suite, si je comprends bien.

Ma deuxième question, c'est qu'à la page 5 vous avez dit qu'il faut que les mises à pied n'affectent les femmes qu'en fonction de leur proportion parmi les employés. Dans une compagnie, ce serait difficile de blâmer les hommes qui travaillent là pour toute la discrimination que les femmes ont subie depuis le début de notre système social. Je me demande si ce n'est pas de la discrimination à rebours, la proposition que vous avez à la page 5.

Mme Leclercq: Le no 5?

M. Marx: Le no 5. Il faut écouter tous les hommes aussi avant qu'on pense à légiférer dans ce sens, parce que cela me frappe comme...

Mme Leclercq: Écoutez, monsieur, c'est quand même simple. S'il y a des mises à pied temporaires... Mettons qu'on a un programme d'action positive, si on embauche des femmes et qu'il y a des mises à pied, elles sont toutes dehors. Cela veut dire que le programme d'action positive n'aura servi à rien. S'il n'y a pas d'embauche pendant deux ans, il n'y aura pas de femme dans la compagnie. C'est uniquement cela que cela veut dire. Sinon, les femmes n'arriveront jamais à avoir de l'ancienneté. C'est juste cela. On voit, par exemple, dans le cas du CN, il y a des mises à pied temporaires. En général, au bout de trois ou six mois, il y a une liste d'ancienneté et ils emploient à nouveau le monde. Si vous voulez, ils pourraient très bien ne pas employer à nouveau les femmes. On aurait eu un beau programme d'action positive. Première mise à pied: toutes les femmes dehors, après on n'engage que des hommes. Il faut recommencer toute la procédure à zéro. C'est dans ce sens qu'on a mis ici...

M. Marx: Oui, je comprends. Je ne veux pas qu'il y ait une porte de sortie, qu'on mette en oeuvre un plan qui ne sera jamais réalisé à cause des manoeuvres dont vous avez fait état. À mon sens, je vois un programme d'action affirmative comme quoi on va avoir des objectifs: d'ici cinq ans, il doit y avoir un tel pourcentage, comme il y a dans le plan d'action d'égalité des chances au gouvernement. Il y a un certain pourcentage dans la fonction publique qu'on va atteindre, c'est-à-dire en embauchant des gens des groupes minoritaires et des femmes. Si la compagnie réalise cet objectif, cela ne m'intéresse pas de savoir comment elle va le faire, mais de mettre dans la loi ou dans un programme d'action positive la suggestion du paragraphe 5, cela prendrait peut-être certaines informations qu'on n'a pas aujourd'hui. Vous comprenez ce que les gens vont déclarer quand ils viendront devant la commission. Ils vont dire: Ce n'est pas nous.

Mme Leclercq: Oui, d'accord, mais écoutez, monsieur, est-ce qu'un homme vaut plus qu'une femme? On arrive dans un débat comme cela. Malheureusement, il n'y aurait pas de problème, si tout le monde avait droit au travail, s'il y avait du travail pour tout le monde. C'est ce qui devrait arriver d'ailleurs. C'est cela qu'on dit. Pourquoi les femmes devraient-elles être les premières à ne pas avoir de travail? C'est cela le problème. On arrive à peser...

M. Marx: D'accord, je suis tout à fait d'accord avec cela. Mais supposons que, dans une compagnie, on ait des programmes d'action affirmative pour quelques groupes, pas seulement des femmes, tel et tel groupes minoritaires, des handicapés, etc., on peut avoir toute une série de programmes. Cela devient difficile. Cela veut dire que le gars qui a travaillé là 25 ans serait le premier à être mis à pied.

Mme Leclercq: Ah non! non, écoutez.

M. Marx: Mais comprenez-vous ce que je veux dire?

Mme Leclercq: Monsieur, ce n'est pas du tout la question, quelqu'un qui a 25 ans d'ancienneté ne va quand même pas être mis à pied avec les premiers. Il ne s'agit pas de sortir des gens en emploi pour en mettre d'autres à la place, ce n'est tout de même pas la question.

M. Marx: On va dire les derniers arrivés ne seront pas les premiers qu'on va...

Mme Leclercq: En proportion, c'est tout, en proportion.

M. Marx: En proportion. Mme Leclercq: C'est juste. M. Marx: Merci.

Le Président (M. Desbiens): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Je pense bien que, pour vous deux qui avez témoigné, non seulement c'était exemplaire de poursuivre une formation dans des emplois traditionnellement réservés aux hommes, mais c'est aussi exemplaire de venir devant nous aujourd'hui. Dans votre dossier, vous nous dites que maintenant, en 1981, un travailleur sur deux est une femme. J'aimerais vous demander si ce sont des chiffres récents.

Mme Leclercq: C'est-à-dire que les dernières statistiques, je crois, datent de 1978. Là, on disait à peu près plus de 46%. Disons que là, c'est à peu près 48%, mais presque un travailleur sur deux. C'est parce que 48%, c'est proche de 50% et cela monte constamment. On peut imaginer que, si on faisait la statistique aujourd'hui, ce serait très proche de 50%.

Mme Harel: Ce sont des statistiques du Québec ou des statistiques canadiennes?

Mme Leclercq: Là, je parlais du Québec.

Mme Harel: Je voudrais vous poser une question. Tantôt, vous disiez que parmi les arguments invoqués pour justifier le fait que vous n'ayez pas été embauchée immédiatement, comme vos collègues masculins, il y avait le fait que vous vous soyez présentée plus tard qu'eux. Vous avez invoqué que vous aviez suivi les consignes données à l'école. On sait qu'en général les femmes suivent plus les consignes que les hommes. Est-ce que c'est un cas? Est-ce que vous aviez suivi une consigne que vos collègues n'avaient pas suivie?

Mme Y: C'est à l'intervalle d'une journée qu'on s'est présenté, toutes la même semaine.

Mme Harel: Ce n'est donc pas un argument qui peut être retenu.

D'autre part, est-ce que vous travaillez présentement?

Mme Y: Non, j'avais un emploi, mais, là, je ne travaille plus.

Mme Harel: Quand vous nous dites que vous vous êtes présentée à Action travail des femmes à la suite de cette visite que vous avez faite à la Pratt & Whitney. Vous avez présenté, en vertu de l'article 70, une demande d'enquête à la commission. Vous nous avez fait état que c'était en attente, mais qu'est-ce que la commission peut faire dans le cadre juridique actuel? Vous avez présenté cette demande pour les personnes qui ont été victimes, alors elle peut les rétablir dans leur droit, mais elle ne peut évidemment pas aller plus loin que cela.

Mme Leclercq: Non, c'est cela. C'est bien cela, oui. Alors, nous demandons une enquête.

M. Marx: C'est rétroactif.

Mme Harel: Cela a, évidemment, l'effet rétroactif de rétablir les droits éventuellement, mais cela ne modifie en rien, par exemple, les critères ou les exigences d'embauche dont vous parlez dans le résumé que vous faites de la rencontre que vous avez eue avec Pratt & Whitney, c'est bien le cas?

Mme Leclercq: C'est bien cela, et c'est pour cela qu'il faudrait une action positive dans la mesure où il y a d'autres femmes qui sont intéressées à rentrer dans cette compagnie. (17 h 45)

Mme Harel: Ces exigences d'embauche. Vous faites état beaucoup dans votre mémoire d'exigences d'embauche qui ont l'air de fluctuer dépendamment des personnes qui postulent un emploi. Vous dites qu'on a répondu au groupe de femmes avec qui vous avez visité l'usine qu'il fallait un DEC, mais que la compagnie embauche sans nécessairement de formation.

Mme Leclercq: La preuve c'est que, voyez-vous, ses collègues masculins qui étaient au cours ont été engagés avec le cours d'inspecteur en aéronautique. Donc, un DEC, ce n'est pas nécessaire.

Mme Harel: Et connaissant ce que peut faire la Commission des droits de la personne puisque vous travaillez beaucoup comme organisme, j'imagine, avec la commission, est-ce que la commission peut,

en regard des deux cas qui lui sont présentés, faire valoir des recommandations pour que les critères d'embauche ou les exigences à l'embauche soient définitivement arrêtées par la compagnie?

Mme Leclercq: J'aimerais bien que vous posiez la question à la commission. Je ne sais pas si Mme Fournier veut répondre parce que je sais que la commission a le pouvoir dans le moment, après enquête auprès de la compagnie, de réintégrer les femmes qui ont subi la discrimination, mais au niveau des devoirs. Nous, nous l'avons fait dans le sens d'appuyer les femmes et parce que nous nous inquiétions de la situation et nous voulions la rendre publique, si vous voulez, cette situation dans cette compagnie, mais là, évidemment, nous pensons qu'il faudra aller beaucoup plus loin dans le sens d'une action positive. C'est pour cela que nous vous les avons soumis comme cas concrets en faveur de l'action positive. Je laisse la parole à Mme Fournier.

Mme Harel: Non, je pense bien qu'on aura l'occasion peut-être de s'en reparler, mais il faudrait peut-être juste se dire que, dans le cadre juridique actuel, les personnes qui ont été victimes de discrimination peuvent être rétablies dans leurs droits, mais les critères d'embauche qui vous ont été communiqués au groupe Action travail des femmes lors de la visite resteraient aussi flous et de nature à être différents selon les personnes qui sollicitent un emploi.

M. Marx: Cela règle cas par cas, la commission, mais cela ne règle pas le problème.

M. Bédard: Je n'ai pas d'autres questions, M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): S'il n'y a pas d'autres interventions, je remercie...

Mme Leclercq: Excusez-moi, j'ai une petite contribution à propos de l'âge, si je peux vous retenir encore quelques secondes.

M. Bédard: D'accord, alors allez-y, je vous en prie. On en avait pris connaissance, mais allez-y.

Le Président (M. Desbiens): Mme la députée de Maisonneuve, avant.

Mme Harel: Seulement une question sur le harcèlement dont vous avez fait état. Tantôt, le député de D'Arcy McGee vous a demandé si vous trouviez cela suffisant comme motif de harcèlement; évidemment, les remarques semblent assez anodines, finalement. Être traitée de "tomboy" comme vous nous avez dit l'avoir été, cela peut être une qualité plus qu'un défaut, de toute façon. Finalement, la question la plus intéressante, c'est: Quelle serait la réaction qui serait venue si, à cette remarque, du tac au tac, vous aviez répliqué? C'est un peu la question qu'on doit se poser. Ce sont des remarques anodines, mais, si on répond à ces remarques anodines, quelles sont les réactions qu'on doit en attendre et les craintes de représailles que ça représente? C'est ça qui est le plus important.

Le Président (M. Desbiens): Mme

Leclercq.

Mme Leclercq: C'est une question?M. Bédard: Oui, allez-y.

Mme Leclercq: Je peux revenir sur le fait que, par exemple, dans les métiers non traditionnels, c'est là qu'effectivement, les femmes, si elles sont seules, isolées dans un milieu d'hommes, comme, par exemple, on peut imaginer une inspectrice en fabrication avec 100 ou 200 hommes dans l'atelier; c'est évident qu'elles vont avoir plus de harcèlement et elles vont être beaucoup plus ennuyées parce que les hommes ne sont pas habitués à voir une femme là. C'est là où, si nous avions l'action positive, des femmes pourraient être embauchées 30 ensemble, elles seraient donc 30 sur 100, sur 200 et elles se tiendraient plus ensemble, elles pourraient réagir à des remarques et elles deviendraient un groupe. Cela ne serait pas seulement un individu ou une "individue".

C'est aussi pour contrer le harcèlement sexuel que nous voyons l'importance des quotas et de l'action positive dans ce sens, quand les femmes sont en groupe dans ces milieux, les milieux d'hommes. C'est dans ce sens que nous avons vu le harcèlement sexuel. Nous ne nous sommes pas penchées sur une définition juridique. Enfin, nous laissons ce soin au Conseil du statut de la femme et à la Commission des droits de la personne. Mais nous voyons dans la réalité que, quand une femme ou deux femmes sont seules avec 200 ou 300 hommes, elles sont en butte à du harcèlement, à tel point que ça les empêche de travailler. C'est ça qu'il faut dire. À notre avis, le problème du harcèlement, c'est que, si ça vous gêne dans votre travail, ça doit cesser.

M. Marx: C'est-à-dire qu'on peut, dans la charte, prohiber le harcèlement, mais on laisse la jurisprudence définir ce qu'est le harcèlement dans le concret. On peut juste inscrire le mot "harcèlement" dans la charte, on ne peut pas inclure la définition parce que c'est impossible.

Mme Leclercq: Déjà, l'inclure dans la charte, ce serait très important parce que ça

ouvrirait une porte pour...

M. Marx: Juste la prohibition, pas la définition.

M. Bédard: Pour ce qui est du harcèlement, je ne reviendrai pas sur ce qu'on a dit tout à l'heure; on va étudier la portée de ce que ça pourrait avoir comme conséquence en termes de limitation de ce qui existe déjà au niveau des pouvoirs de la charte, tout en étant conscients, les uns et les autres, que c'est le même objectif qu'on essaie d'atteindre. Mais il faut être sûr de l'atteindre.

Le Président (M. Desbiens): Mme

Leclercq, pour la deuxième partie de votre mémoire.

Mme Leclercq: Je vous remercie. C'est que l'âge soit inclus comme motif illicite de discrimination. Là, nous appuyons fortement les recommandations de la Commission des droits de la personne du Québec sur le chapitre de l'âge comme motif illicite de discrimination, à l'article 10 de la charte. En effet, notre organisme, qui vise entre autres à aider les femmes de 40 ans et plus à réintégrer le marché du travail, est bien placé pour savoir que ces femmes cherchent de l'emploi par nécessité économique et non pour se payer du luxe. Déjà, elles ont d'énormes difficultés à se trouver du travail, vu les circonstances actuelles et vu, peut-être, qu'elles ont travaillé il y a un certain nombre d'années ou à cause du manque d'emplois dans les ghettos d'emplois féminins. Si, en plus, elles sont discriminées à cause de leur âge, les possibilités d'embauche n'existent plus. De plus, pour nous c'est une forme de discrimination sexuelle cachée, parce qu'il y a beaucoup de femmes qui retournent sur le marché du travail à 40 ans, quand elles ont fini d'élever leurs enfants. Aussi, il y a quand même le taux de divorce qui a augmenté, donc il y a beaucoup de femmes qui n'ont plus de soutien économique à cet âge et, par suite de l'inflation aussi, elles doivent retourner sur le marché du travail et ne le peuvent pas à cause de leur âge. Elles sont discriminées.

On voit bien, dans les faits, que ces femmes sont vouées à l'assistance sociale jusqu'à ce qu'elles aient atteint l'âge de recevoir la pension de vieillesse. De plus, comme l'espérance de vie pour une femme est de 76 ans en moyenne, ça veut dire que la moitié de sa vie active, elle la passera inactive. Enfin, c'est un peu une façon humoristique de voir la réalité, mais c'est quand même la réalité dans toute son horreur.

Il y a aussi les jeunes femmes. À celles-ci on dit: Vous êtes immatures et, aux femmes qui ont plus de 40 ans, on dit: Vous êtes trop vieilles. Quel âge faut-il donc avoir finalement pour travailler? C'est ça, notre contribution. Merci.

Le Président (M. Desbiens): Mme la députée de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: Juste une remarque ou une question. Je suis sensible au fait que c'est difficile, pour les femmes de 40 ans et plus, de retourner sur le marché du travail. Mais est-ce que la même chose ne vaut pas pour les hommes qui ont dû quitter leur emploi, soit qu'ils aient été mis à pied ou quelles que soient les circonstances?Finalement, le facteur âge est peut-être, dans cette deuxième partie de la vie, un facteur de discrimination aussi grand pour les hommes que pour les femmes, à l'embauche.

Mme Leclercq: La seule chose que je puisse dire, c'est qu'il est sûr qu'il faut que ce soit l'âge pour les deux, mais les femmes sont encore plus atteintes parce qu'elles n'ont peut-être pas travaillé déjà de longues années; elles n'ont peut-être pas accumulé une expérience qu'a, malgré tout, un homme qui atteint ces zones d'âge et a toujours travaillé. Une femme n'a peut-être pas forcément travaillé, alors elle est en plus handicapée avec ça. C'est tout de même un aspect qui est important pour les femmes, mais il est bien évident que, pour les deux, il faut que ce soit inclus comme motif dans la charte.

M. Bédard: ... des emplois pour... Mme Leclercq: Oui.

M. Bédard: Je vous remercie de votre participation très active et très intéressante.

Le Président (M. Desbiens): La commission élue permanente de la justice suspend ses travaux jusqu'à 20 heures.

(Suspension de la séance à 17 h 55)

(Reprise de la séance à 20 h 141

Le Président (M. Desbiens): La commission élue permanente de la justice reprend ses travaux d'audition publique en regard des modifications apportées à la Charte des droits et libertés de la personne.

Nous accueillerons maintenant le groupe Au bas de l'échelle et je demanderais à Mme Élisabeth Roussel de se présenter à la table, en avant, s'il vous plaît.

Bonsoir.

Groupe Au bas de l'échelle

Mme Roussel (Élisabeth): Bonsoir, M. le

Président.

Le Président (M. Desbiens): Je vous demanderais de nous présenter toutes les personnes qui vous accompagnent, s'il vous plaît.

Mme Roussel: Certainement. Est-ce que les gens m'entendent bien? Oui? Je m'appelle Élisabeth Roussel, je suis secrétaire du groupe Au bas de l'échelle et je vous présente, à ma gauche, Pierre Bosset, qui est membre de notre conseil d'administration, et, à ma droite, Michel Morin, qui est membre de notre organisme. Nous sommes les trois personnes qui ont fait la rédaction finale de ce mémoire que nous allons vous présenter ce soir.

Le groupe Au bas de l'échelle est un organisme communautaire qui défend les droits des travailleurs et travailleuses non syndiqués du Québec. Je crois qu'actuellement c'est le seul organisme de ce genre qui existe au Québec. Notre mémoire est divisé en trois parties. Pierre Bosset va présenter la première partie, qui porte sur les changements au fonctionnement interne de la Commission des droits de la personne; je vais présenter la deuxième partie, qui porte sur les lacunes de fond de la charte, et Michel Morin présentera la troisième partie, qui porte sur le redressement progressif, ou le nouveau terme dont on l'appelle maintenant, l'accès à l'égalité dans l'emploi.

M. Bosset (Pierre): Pour la première partie du mémoire, qui traite de l'application de la charte, je ne traiterai pas de tous les points contenus dans notre mémoire, étant donné les contraintes de temps qui s'imposent à nous, je vais m'intéresser aux points les plus importants. Le premier est celui du fardeau de la preuve, imposé au plaignant qui formule une plainte devant la Commission des droits de la personne.

M. Bédard: Est-ce que vous pourriez parler plus fort, s'il vous plaît?

M. Bosset: Oui.

M. Bédard: Approchez votre micro, si c'est possible. Bon, ça va.

M. Bosset: C'est mieux? M. Bédard: On va voir.

M. Bosset: Le problème du fardeau de la preuve. Le groupe Au bas de l'échelle a pu constater, depuis cinq ans qu'il envoie des dossiers à la Commission des droits de la personne et aussi en consultant des dossiers de la commission même, qu'il existe des problèmes de preuve qui rendent, à toutes fins utiles, la tâche très difficile aux plaignants qui désirent faire valoir leurs droits devant la commission. On a pu constater qu'à peine 6% des demandes qui sont reçues par la commission, que ce soient des demandes d'enquête ou d'information ou d'autres demandes, donnent finalement lieu à une enquête. Il y a plusieurs facteurs qui peuvent l'expliquer; ils sont traités dans notre mémoire. Par exemple, le taux de roulement du personnel très élevé dans les milieux de travail non syndiqués. Le fait qu'il existe des listes d'attente pour le traitement des plaintes qui fait qu'après un certain temps il est pratiquement impossible de retrouver des témoins pour appuyer notre cause. Le fait qu'il s'exerce parfois des menaces devant les employés qui menacent de porter témoignage contre leur employeur devant la commission. Aussi, le fait que la commission, jusqu'à un certain point, se sente liée par les règles normales de preuve dans ses enquêtes. Par exemple, elle accepte avec une certaine réticence le ouï-dire; le fait qu'on lui interdise d'enregistrer sur bobine magnétique les dépositions des témoins, selon un jugement assez récent de la cour.

Bref, tout ça fait qu'une enquête sur deux se termine finalement au désavantage des plaignants, que ce soit à la suite d'un désistement ou à la suite de la fermeture de l'enquête faute de preuves. Alors, à ce niveau, on propose comme correctif, d'abord, un renversement du fardeau de la preuve en vertu duquel le plaignant aurait à prouver au départ ce qu'on appelle des conditions préliminaires, c'est-à-dire que prima facie, à première vue, il existe une discrimination. Une fois cette preuve préliminaire faite, il appartiendrait à l'employeur de prouver que sa décision de congédier, par exemple, procède d'une cause juste et suffisante et non d'une discrimination. Il existe des dispositions semblables déjà dans le Code du travail - c'est l'exemple le plus connu, je pense - à l'article 14 et aussi dans la Loi sur la santé et la sécurité du travail, dans la loi des normes minimales et même dans le Code de procédure civile au chapitre des saisies-arrêts.

Toujours au niveau du fardeau de la preuve, on propose l'assouplissement des règles de preuve suivies par la commission. Il existe, par exemple, dans la charte fédérale, de même que dans la charte de la Saskatchewan des dispositions qui permettent au tribunal d'enquête de recevoir toutes preuves pertinentes au dossier, indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire. On proposerait qu'une disposition semblable soit incluse dans la charte sous réserve, bien entendu, de la possibilité pour l'employeur ou la partie incriminée de contredire la preuve et sous réserve de la règle de la meilleure preuve du

Code civil qui continuerait à s'appliquer à l'enquête. Voilà pour le fardeau de la preuve.

Maintenant, pour le fonctionnement de la commission proprement dit, on a pu constater que l'étape de la conciliation qui est imposée à la commission par la charte elle-même s'avère un échec. La conciliation a des avantages; d'abord, la souplesse, c'est le principal de ces avantages, mais il y a aussi des désavantages. D'après nous, tenter de concilier deux parties, surtout dans le domaine des droits de la personne, cela équivaut à marchander sur les droits fondamentaux de la personne. Il nous semble qu'il serait tout à fait contraire à l'esprit de la charte tel qu'énoncé dans ses dispositions introductives de faire un tel marchandage sur des droits fondamentaux. On a pu constater également - et c'est une conclusion reprise par des études internationales - que les règlements à l'amiable qui sont atteints à la suite de conciliation sont souvent des règlements bon marché qui sont conclus au détriment des plaignants; on accepte des dommages assez faibles, par exemple. Finalement, il y a un problème de suivi, puisque, une fois que le règlement à l'amiable est conclu, il faut qu'il soit observé et la commission, étant donné son peu de ressources, n'est pas à même de remplir ce rôle de suivi ou de "follow up" qui s'impose. Du reste, sous la charte actuelle, la conciliation est obligatoire. Nous proposons d'abolir cette étape de la conciliation. Ce ne serait pas un changement si révolutionnaire que cela puisqu'il serait toujours possible, en vertu des règles de droit commun, de conclure une entente à l'amiable, même si la conciliation n'est pas comme telle imposée par la charte. Nous recommandons l'abolition de cette phase de conciliation.

Au deuxième stade du travail de la commission, celui de la recommandation, tout le monde sait que les recommandations n'ont aucun effet exécutoire et qu'il y a toutes sortes de délais d'attente, etc., qui font que, finalement, cette étape constitue une perte de temps et d'énergies selon nous.

La troisième étape, les poursuites judiciaires. Une fois que la recommandation est émise et non suivie, la commission va devant les tribunaux pour demander une injonction ou des dommages-intérêts. Un des problèmes, enfin, qu'on retrouve à cette étape, c'est qu'il faut le consentement de la victime pour qu'une poursuite judiciaire soit entreprise. Or, il y a toutes sortes de conditions matérielles qui font que les plaignants ont souvent de la réticence à s'engager dans des poursuites judiciaires. C'est très long une enquête devant un tribunal. Il y a des problèmes de preuve. Il faut souvent recommencer à zéro toute la preuve qu'on a déjà faite devant la commission, ce qui fait qu'il y a assez peu d'intérêt pour un plaignant d'aller porter sa cause devant la Cour supérieure, ce qui fait aussi, selon nous, que finalement la charte reçoit assez peu d'application exemplaire, c'est-à-dire que les décisions sont souvent réglées au stade de la recommandation et, à ce moment-là, sont plus ou moins connues du public sinon par, de temps en temps, des articles de journaux. Les procédures judiciaires sont assez rares, donc assez peu d'exemplarité. On croit que l'exemplarité serait un des meilleurs moyens de respecter le rôle d'éducation de la charte.

Nos correctifs au niveau du fonctionnement de la commission sont d'abord l'abolition de l'étape de la conciliation et ensuite - on en a parlé un peu ce matin - la création d'un tribunal administratif. Ce tribunal administratif, je veux vous expliquer un peu de quoi il s'agirait. Il serait rattaché à la commission, mais indépendant d'elle en ce sens qu'il ne serait pas lié par les constatations faites par la commission auparavant dans son enquête. Le plaignant aurait le droit de s'y adresser soit par l'entremise de la commission, à l'aide de la preuve recueillie par la commission par enquêteurs, ou si la commission constate ou est d'avis que sa plainte n'est pas justifiée, il garderait la possibilité de s'adresser lui-même au tribunal par l'entremise d'un avocat.

Le problème avec les tribunaux administratifs, c'est que souvent leurs délibérations sont moins publiques que celles des tribunaux de droit commun, et surtout la plupart des tribunaux administratifs sont couverts par une clause privative qui empêche le droit d'appel. Alors nous croyons qu'en matière des droits de la personne, un droit d'appel est tout à fait fondamental, puisqu'il serait assez paradoxal de vouloir prétendre défendre les droits de la personne et de donner un pouvoir définitif à un tribunal administratif.

Donc, on recommande, à part la création du tribunal administratif, un droit d'appel à la Cour d'appel. On sait qu'il n'est pas dans les habitudes du législateur québécois de prévoir des droits d'appel des décisions des tribunaux administratifs. C'est pourquoi nous recommandons que si le tribunal n'est pas accompagné d'un droit d'appel, nous préférons abandonner l'idée du tribunal administratif et nous en tenir au recours actuel devant la Cour supérieure avec toutefois des ressources accrues données à la commission, il s'agit d'un autre problème. Puisque l'on manque de ressources humaines et financières, il nous semble qu'il serait tout à fait logique de donner à la commission, des ressources à la mesure de ses fonctions.

Finalement, le recours collectif. Pour qu'un recours collectif soit entrepris, au sens de l'article 69 de la charte, il ne s'agit pas

vraiment d'un recours collectif, il s'agit plutôt d'une plainte collective. Il faut que chaque personne individuellement dépose une plainte. Nous recommandons qu'une seule personne puisse déposer une plainte au nom d'un groupe donné; la plainte pourrait alors porter sur une situation collective de discrimination et non sur une addition de cas individuels.

Au niveau du recours collectif proprement dit devant les tribunaux, nous recommandons, comme la commission le fait elle-même d'ailleurs depuis un certain nombre d'années, que la commission soit habilitée à se porter requérante dans le cadre du recours collectif.

Finalement au niveau des pénalités, il existe des pénalités, des amendes, dans la charte. Nous recommandons que ces amendes soient haussées de façon à être déterminées proportionnellement au nombre d'employés qui se trouvent dans l'entreprise.

Mme Roussel: Pour terminer cette première partie, j'aimerais attirer l'attention des gens sur le plus gros de nos recommandations qui commencent à la page 18. Vous avez là la liste des recommandations sur les changements dans le fonctionnement interne de la commission. On est conscient que c'est technique, mais c'est absolument indispensable, parce qu'à la Commission des droits de la personne, tant à cause de son manque de ressources, que du fait qu'il y a trop d'étapes de nature administrative à caractère décisionnel, cela retarde énormément et cela cause des délais qui deviennent également des dénis de justice. Quand trop de personnes peuvent décider trop de choses à la fois, effectivement, vous avez un dossier de plaintes qui ne circule pas aussi vite qu'il le pourrait. C'est pour ça que, dans un esprit d'efficacité et dans un esprit de planification cohérente, le groupe Au bas de l'échelle recommande fortement qu'on révise le fonctionnement interne de la commission. Vous avez toutes ces recommandations de la page 18 à la page 20.

Il y a une recommandation qui a été un peu oubliée par Pierre. C'est la fameuse étape de la présentation des dossiers devant le bureau des commissaires; on saute par dessus et on demande que les dossiers soient présentés directement au directeur du contentieux. À ce moment-là, le contentieux est libre de poursuivre le dossier ou de le fermer, mais un plaignant individuel est toujours habilité à poursuivre sa plainte lui-même et on demande qu'un avocat ou un organisme auquel le plaignant fait confiance puisse obtenir une copie du rapport de l'enquêteur de la commission et puisse poursuivre le dossier sans qu'il y ait trop d'obstacles administratifs.

Cela, c'est pour la première partie. Je vais vous exposer la deuxième partie de notre mémoire qui porte sur les lacunes de fond de la charte et qui commence à la page 26. Nous commençons par le harcèlement sexuel. Cela a été assez discuté cet après-midi, je ne m'étendrai pas trop là-dessus. La Commission des droits de la personne a fourni une bonne définition du harcèlement sexuel qu'on reproduit dans notre mémoire à la page 27. Cependant, la Commission des droits de la personne limite le harcèlement sexuel aux femmes, alors que nous savons très bien qu'actuellement, et de plus en plus, il existe des homosexuels qui peuvent très bien être harcelés au travail. Nous recommandons de remplacer le mot "femme" par le mot "personne" et si M. Bédard veut porter le harcèlement à toutes les formes de harcèlement, je ne vois pas pourquoi on aurait des objections là-dessus.

La façon dont on présente le harcèlement - cela peut très bien ne pas sauter aux yeux que c'est une sorte de discrimination - c'est que...

M. Bédard: Le harcèlement du député de D'Arcy McGee à mon endroit.

M. Marx: Je vais demander ça.

Mme Roussel: Vous porterez plainte, M. le ministre.

M. Marx: Ce n'est pas tellement connu, mais les députés sont aussi des personnes.

M. Bédard: Excusez-moi, mademoiselle.

Mme Roussel: La façon dont on explique comment le harcèlement sexuel est une forme de discrimination, c'est qu'à ce moment-là vous avez un employé dans l'entreprise qui n'a pas un traitement égal à son collègue de travail, c'est-à-dire qu'il est, en quelque sorte, discriminé parce qu'il ne reçoit pas un traitement égal dans son emploi. Il est harcelé et, à ce moment-là, la discrimination se crée, avec toutes les difficultés qui s'ensuivent, qui vont du chantage jusqu'au congédiement.

Cela, c'est pour le harcèlement sexuel. Donc, on demande qu'on ajoute un article 10a à la charte qui se lirait comme suit: "Le harcèlement sexuel constitue une violation des droits et libertés de la personne et un motif de discrimination illicite." Nous demandons aussi une chose qui a été oubliée cet après-midi et qui est très importante, c'est que nous demandons que les enquêteurs, la commission et le tribunal administratif n'aient pas droit de faire référence au comportement ou aux habitudes passés de la prétendue victime de harcèlement sexuel; d'ailleurs, cela se retrouve maintenant dans le Code criminel pour les cas d'agression sexuelle.

Ensuite, nous passons à l'âge, à l'état de grossesse et à l'apparence physique qui ont été amplement exposés cet après-midi par les organismes. Alors, on sait que le Québec est la seule province du Canada qui ne comprend pas l'âge dans ses motifs de discrimination illicite; nous demandons qu'il soit ajouté. L'état de grossesse également pour empêcher la discrimination des femmes à l'embauche parce que par après, elles sont protégées par la loi 126; le congé de maternité et l'apparence physique ont été expliqués cet après-midi assez abondamment. (20 h 30)

On passe ensuite à l'article 97 de la charte qui est le nouvel article 90; c'est la discrimination basée sur quatre motifs permise dans les programmes d'avantages sociaux et autres régimes de rentes et assurances. On demande, premièrement, qu'on abroge l'article 90, autrefois l'article 97, et qu'on rédige un nouvel article interdisant la discrimination dans les avantages sociaux. Je vous ferai remarquer que demain il y a un organisme qui s'appelle la Coalition pour l'abrogation de l'article 97 qui va venir présenter un mémoire détaillé sur cette question; alors, comme Au bas de l'échelle est membre de cette coalition, je ne voudrais pas trop m'étendre là-dessus pour ne pas brûler son sujet.

Ensuite, on passe à l'article 19 qui est le salaire égal à travail équivalent actuellement dans la charte; alors, nous demandons que le premier paragraphe de l'article 19 soit reformulé de façon à remplacer l'expression "travail équivalent" par "travail de valeur égale" parce que, d'après nous, le travail de "valeur égale" est une notion plus large qui fait appel à la qualité d'un travail et non seulement à sa quantité, à son aspect quantitatif et nous demandons que, contrairement à ce qui se trouve actuellement dans la charte, les employés dont on compare le salaire doivent se trouver au même endroit, nous demandons que ce soit changé pour dire qu'il s'agit des employés d'un même employeur, ce qui empêche la formation de ghettos d'emplois et des conditions de travail différentes d'une usine à l'autre d'un même employeur.

Nous sommes rendus à la page 33; nous passons à la protection d'emploi. Cela est un point assez important. Actuellement, dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, il n'existe rien qui protège un plaignant ou quelqu'un qui a aidé la commission dans une enquête contre les congédiements ou autres mesures disciplinaires exercées par un employeur à son endroit. Ce genre de protection d'emploi se retrouve notamment dans le Code du travail, la Loi sur les normes du travail, la Loi sur la santé et la sécurité du travail, selon un mécanisme de congédiement illégal qui fait que lorsque vous êtes congédié pour avoir porté une plainte ou aidé un organisme gouvernemental dans son travail, vous pouvez vous présenter devant le commissaire général du travail et obtenir la réintégration avec remboursement, indemnité financière et tous les avantages.

Nous demandons que ce genre de mécanisme, légèrement transformé, soit inscrit dans la charte au chapitre de la protection de l'emploi. Voici la transformation que nous recommandons. Au lieu d'obtenir la réintégration une fois que le mal est fait et qu'on a fini par passer à travers les huit mois de démarches devant le commissaire ou devant le Tribunal du travail, nous demandons la formule dite du statu quo ante, qui est défendue depuis quelques années par les syndicats. Cela revient à dire qu'un employé qui aurait porté plainte, qui aurait aidé la Commission des droits de la personne dans une de ses enquêtes ou qui aurait témoigné et aurait des raisons de croire qu'il a subi une mesure disciplinaire pour cette raison pourrait obtenir, devant un tribunal, une injonction pour être maintenu dans son emploi jusqu'à ce que jugement ou règlement final soit obtenu sur la plainte en question.

À ce moment-là, lorsqu'un jugement ou règlement final sera intervenu, l'employeur, pour pouvoir exercer sa mesure disciplinaire, devra prouver qu'il a agi non pas parce que la personne avait porté plainte en discrimination, mais pour une autre cause juste et suffisante. Cela veut dire qu'au lieu de réintégrer la personne une fois que le mal est fait, on évite que le mal ne se produise. Si elle est congédiée ou s'il y a une mesure disciplinaire pour une autre cause juste et suffisante, à ce moment-là, l'employeur pourra appliquer sa mesure disciplinaire.

Voici un point également très important. Un cas très particulier nous est venu à l'esprit quand on a rédigé le chapitre de notre mémoire, à la page 36, qui s'intitule: La charte utilisée comme prétexte à la suppression d'un droit ou d'un avantage. Un cas s'est produit dans un hôpital où on fournissait des sarraus aux infirmiers, alors qu'on n'en fournissait pas aux infirmières. Les infirmières ayant porté plainte en discrimination à la Commission des droits de la personne, les infirmiers se sont vu retirer leurs sarraus afin que tout le monde soit sur un même pied. Évidemment, c'est égalitaire, mais ça ne nous semble pas très juste au point de vue des droits acquis des employés au travail. Nous, on demande que la charte défende ce genre de pratique d'égalisation à la baisse, c'est-à-dire la méthode qui veut qu'on coupe les têtes qui dépassent, au lieu de hausser tout le monde sur des tabourets. Nous demandons que ce vide de la charte soit comblé, parce que effectivement ça cause des problèmes concrets assez regrettables, comme cet exemple dans un hôpital.

Là-dessus, notre recommandation est à la page "58 et se lit comme suit: "La charte prévoit qu'aucune de ses dispositions ne peut justifier la suppression, au nom de l'égalité, de quelque droit ou avantage existant."

Finalement, à la page 39, on arrive à la conclusion des parties I et II, qui est une critique de la philosophie actuelle de la Charte des droits et libertés de la personne. La philosophie actuelle de la Charte des droits et libertés de la personne est fort louable, c'est une très belle charte et on en convient, cependant, la façon dont elle est comprise et la façon dont elle est expliquée, et dans son texte et par la Commission des droits de la personne, revient à faire, si vous voulez, une espèce d'opération de replâtrage des inégalités apparentes dont souffrent des individus.

On sait qu'il existe une discrimination systématisée pour ce qui est de l'emploi ou du marché du travail pour ce qu'on appelle les fameux groupes minoritaires, qui sont minorisés soit de façon historique, soit de façon conjoncturelle, mais qui sont évidemment discriminés par leur statut de groupes minoritaires. C'est à ce niveau que nous demandons que les gens aient un égal accès à l'emploi et à tous les bénéfices qui en découlent dans notre société, d'abord un emploi rémunérateur et enrichissant. C'est pour cette raison que nous demandons des programmes de redressement progressif.

M. Morin (Michel): Le sujet dont je voudrais parler brièvement, c'est comment fonctionneraient les programmes d'accès à l'égalité dans l'emploi, tels que nous les avons conçus dans le mémoire.

À partir de ce problème, il y a trois principes vraiment fondamentaux qui nous ont guidés. Le premier, on en a déjà parlé, c'est que l'autorité compétente en la matière serait un tribunal administratif et non pas une commission avec un simple pouvoir de recommandation, c'est-à-dire que tout le fonctionnement des programmes serait supervisé par une autorité qui aurait - sauf le droit d'appel - une décision exécutoire à rendre.

Ensuite, l'objectif des programmes nous semblerait devoir être le pourcentage des travailleurs dans la population de la région; ça, c'est bien important. C'est-à-dire que, s'il y a 52% de femmes dans une région, on voudrait que, à long terme, dans toutes les catégories d'emplois de toutes les entreprises touchées par les programmes, il y ait un pourcentage qui soit le même que le pourcentage du groupe visé dans la région, que ce soient les femmes, les minorités ethniques, les autochtones, les handicapés, etc. Par le fait même, je viens de définir ce qui nous semblait être les groupes cibles devant bénéficier des programmes. Le sexe, l'origine ethnique, la race, le fait d'être autochtone et les personnes handicapées nous semblaient les critères fondamentaux pour que les personnes puissent bénéficier d'un programme.

Enfin, la dernière constatation, c'est que les programmes doivent être conçus pour exiger l'obtention de résultats et non pas des efforts, des genres de bonnes intentions, donner des infrastructures pour permettre une amélioration. Il y a eu tellement de variétés différentes de programmes qu'on peut nuancer à l'infini les genres d'obligations qu'on impose à l'employeur et, nous, on a essayé de définir les mécanismes, de façon qu'il y ait des résultats qui soient obtenus le plus rapidement possible.

Dans cet esprit, on pensait qu'une réglementation générale pourrait être établie dans le Québec, pour chaque région, qui définirait d'abord les groupes cibles pouvant faire l'objet d'un programme d'accès à l'égalité dans l'emploi et qui définirait aussi des minimums selon les secteurs d'activité économique, le genre d'emplois, le genre d'industries, enfin, toutes les variables qui devraient être prises en compte. Mais ce seraient des critères minimaux, c'est-à-dire que le tribunal administratif serait toujours la personne qui impose le programme et qui décide des pourcentages qu'on veut obtenir et, donc, la réglementation établirait un seuil qu'on considère comme une politique générale, mais le tribunal pourrait tenir compte de toutes les variations particulières s'appliquant aux différents employeurs.

Un autre des points qui nous semble très important c'est de savoir quand on va décider d'établir les programmes. Le premier mécanisme serait applicable à la suite d'une plainte portée par un individu. Mais le critère pour dire qu'il y aurait discrimination serait la simple constatation du fait qu'il y a une inégalité entre la représentation des employés du groupe dans une catégorie d'emplois de l'entreprise et la représentation dans la population de la région. Ceci voudrait dire, en fait, que, si l'objectif qu'on s'est fixé pour les programmes n'est pas atteint quand un individu a porté plainte, automatiquement, on doit imposer un programme. Si c'est le but qu'on veut atteindre, quand il n'est pas atteint, on devrait, du coup, mettre en oeuvre les moyens pour corriger la situation.

Ensuite, il y aurait évidemment, ce qui a été longuement expliqué toute la journée aujourd'hui, l'imposition aux entreprises faisant affaires avec le gouvernement, à la fonction publique, aux systèmes parapublics, aux programmes où il y a de la formation qui se donne. Tout ce qui est relié de près ou de loin à l'embauche et qui est sous le contrôle indirect du gouvernement devrait faire l'objet d'un programme d'accès à l'égalité dans l'emploi.

Finalement, la commission garderait,

face à notre tribunal administratif, un rôle technique, c'est-à-dire que c'est elle qui ferait une première proposition de programmes, d'objectifs pour les catégories d'emplois, la formation nécessaire, la publicité, mais le tribunal garderait la décision finale, ce qui permettrait à un plaignant et à l'employeur de faire des représentations sur la suffisance du programme, sur sa réalisation pratique et sur tous les autres facteurs qui seraient jugés pertinents.

Notre objectif, on l'a mentionné, serait d'obtenir la représentation proportionnelle à la population de la région à long terme. Évidemment, les programmes ne pourraient pas viser un si haut objectif du premier coup, il y aurait donc des étapes qui seraient établies. On assignerait une première étape qui varierait, évidemment, selon la représentation du groupe minoritaire dans l'entreprise dans les catégories d'emplois visées. Si, pendant une de ces étapes, un candidat d'un groupe cible était refusé à un emploi et que, par ailleurs, l'objectif assigné à l'entreprise n'était pas atteint, on pense que la commission devrait pouvoir exiger l'embauche de ce candidat comme sanction au fait que la discrimination n'a pas été suffisamment combattue.

Lorsqu'une étape est terminée, le processus continuerait puisqu'on a mentionné que notre objectif est la représentation au niveau de la région. Alors, il y aurait autant d'étapes nécessaires pour atteindre cet objectif, avec un nouveau programme chaque fois, toujours plus élevé, sauf si, évidemment, il y a des contraintes économiques dans le genre mises à pied ou licenciements.

Quant aux sanctions - cela nous semble l'une des parties très importantes si on veut assurer l'efficacité des programmes - dès que les pourcentages fixés comme objectifs au bout d'une étape n'ont pas été atteints, il y aurait automatiquement infraction. On admettrait deux moyens de défense: aucun travailleur du groupe cible n'était disponible à venir travailler dans la région et il était impossible d'en former ou bien il n'y a pas eu suffisamment d'embauche pour qu'il soit possible d'atteindre les objectifs. C'est-à-dire que même si tous les candidats avaient été embauchés dans un groupe cible, l'embauche ou les promotions ayant effectivement eu lieu n'ont pas permis de changer suffisamment la représentation du personnel pour atteindre l'objectif.

Quant aux amendes, on recommande qu'elles soient égales à une proportion, si on veut, de l'échec du programme, c'est-à-dire la différence entre l'objectif fixé et le pourcentage du groupe cible effectivement atteint dans l'entreprise. Par exemple, si vous aviez 0% de femmes dans une entreprise, que vous aviez fixé un objectif de 10% en cinq ans et que l'entreprise n'a atteint que 7%, la différence représente 3% des employés; l'amende serait donc proportionnelle au montant du salaire de 3% des employés pendant le temps où le programme a duré, de façon que ce soit proportionné à l'échec. C'est-à-dire que, si un employeur a obtenu 9,5%, l'amende serait très faible, mais, s'il est à 7%, 5% ou même 3%, à ce moment-là, l'amende devient beaucoup plus considérable. Cela tient compte des efforts dont il a fait preuve. (20 h 45)

Le dernier point, qui nous semble un des points très sensibles du point de vue des implications sociales des programmes, c'est que dans les cas de l'application du principe d'ancienneté aux mises à pied et au licenciement, pour ne pas complètement détruire l'efficacité des programmes, on devrait pouvoir appliquer séparément aux groupes cibles et aux candidats majoritaires le principe de l'ancienneté, sauf, et c'est l'exception, s'il devenait nécessaire de nuire à quelqu'un ayant un an d'ancienneté de plus qu'une personne du groupe cible. C'est-à-dire si l'écart maximal entre les deux groupes dépassait un an, à ce moment on reviendrait à un principe d'ancienneté s'appliquant pour tous.

La conclusion de nos recommandations: Les programmes de redressement progressif prennent fin lorsque le pourcentage des groupes cibles dans toutes les catégories d'emploi correspond à leur proportion dans la population régionale. C'était l'objectif qu'on s'était fixé au départ.

M. Bosset: J'aimerais ajouter qu'on peut retrouver aux pages 52 et suivantes du mémoire une illustration concrète de ce qu'on entend par le redressement progressif, s'il y en a qui veulent comprendre en pratique ce que cela signifierait pour nous.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Bédard: On aura l'occasion. Je ne peux pas citer un exemple venant du Saguenay-Lac-Saint-Jean... Je reviendrai après pour ne pas avoir trop l'air régionaliste non plus.

Je tiens d'abord à vous remercier de votre participation très intéressante au niveau des travaux de cette commission. Le moins qu'on puisse dire, c'est que votre document, ça paraît au départ, est le fruit non seulement de beaucoup de réflexion, mais exprime un souci d'essayer de trouver des avenues qui soient de nature à améliorer la situation au niveau de l'ensemble du fonctionnement des mécanismes que nous connaissons déjà. Il y a sûrement tout ce qu'il faut, en tout cas, pour ouvrir une discussion. J'ai vu plusieurs de mes collègues

noter des passages. Je ne voudrais pas prendre tout le temps, mais peut-être une remarque générale.

Par exemple, au niveau du processus pour essayer de faire en sorte que les délais soient moins longs, etc., plus expéditifs, vous proposez, d'une part, l'abolition de la période de conciliation et vous proposez aussi l'augmentation des amendes de façon assez significative lorsqu'on parle de certains programmes; est-ce que vous n'avez pas l'impression de retirer à la commission un outil important de sensibilisation ou d'éducation en demandant d'abolir cette période de négociations? Vous vous en êtes rendu compte, ce matin, j'ai peut-être osé précéder votre mémoire, je m'en excuse au départ, mais je voulais avoir certaines remarques de la part de la commission sur cette suggestion. Vous avez entendu, je crois, les remarques de Mme la présidente. J'aimerais ça que vous me fassiez part de vos remarques additionnelles. Au niveau de tout le mécanisme, en ce qui a trait au programme de redressement progressif, dans l'ensemble cela se tient, mais à la suite d'un raisonnement qui fait qu'on a l'impression que vous voulez judiciariser beaucoup l'ensemble du processus. Vous semblez vouloir beaucoup faire appel aux tribunaux. N'avez-vous pas l'impression, en enlevant ce dont on a parlé tout à l'heure, l'étape de conciliation, en voulant aller directement aux tribunaux, que cela peut donner comme résultat au bout de la ligne de durcir le débat? La discrimination, cela ne suppose pas seulement des lois, cela suppose des changements de mentalité, de l'éducation, de la sensibilisation. J'aimerais bien entendre vos commentaires sur cet aspect du mémoire, cette tendance que je pense déceler.

M. Bosset: Oui, je ferai...

M. Bédard: Remarquez que je peux me tromper.

M. Bosset: Je m'excuse. Je ferai deux commentaires. D'abord, un que j'ai fait dans mon exposé, à savoir que la conciliation ou le règlement à l'amiable des cas est toujours possible. N'importe qui peut s'entendre avec son employeur sans même aller devant la commission.

M. Bédard: Oui, j'ai vu cela.

M. Bosset: D'autre part, pour la fonction de l'éducation...

M. Bédard: Seulement sur ce point, vous voulez dire qu'il est toujours possible entre les délais...

M. Bosset: Non, non, tout à fait en dehors des cadres de la charte ou de la commission, aller voir son employeur et lui dire: Écoutez, il y a manifestement une situation injuste, entendons-nous à l'amiable sans nécessairement passer par la commission. La situation, actuellement, est institutionnalisée.

M. Bédard: Mais pensez-vous que cela a des chances de réussir sans médiateur, tel que c'est le cas avec la commission?

M. Bosset: La commission peut jouer un rôle technique et elle le joue effectivement; mais comme je le soulignais tout à l'heure, ce rôle se traduit souvent en défaveur du plaignant. En ce sens, on se demande si cette situation où la conciliation est obligatoire ne vient pas inutilement d'abord accentuer les délais et ensuite se terminer au désavantage des plaignants eux-mêmes.

Mme Roussel: Si vous avez...

M. Bédard: Oui. Si j'ai bien compris votre rapport, cela peut donner lieu à un certain marchandage...

M. Bosset: Exactement. C'est le terme que j'ai utilisé.

M. Bédard: ...mais cela dit, non d'une façon négative - de certains droits, quoique la conciliation, c'est toujours la conciliation. Oui, mademoiselle?

Mme Roussel: Oui, je m'excuse de vous interrompre. Je voudrais attirer votre attention sur la page 8; c'est l'endroit où on parle de l'étape de la conciliation et on cite des pourcentages...

M. Bédard: Oui, j'ai vu.

Mme Roussel: ...qui viennent des rapports annuels de la commission elle-même. Ces pourcentages démontrent quelle est l'importance des cas qui s'arrêtent au niveau de l'étape de la conciliation. Nous pensons que l'éducation doit faire connaître aux gens leurs droits, leurs responsabilités et la loi. Quand vous avez un très fort pourcentage de plaintes qui s'arrêtent au niveau de l'étape de la conciliation, il est impossible d'obtenir une jurisprudence au niveau des tribunaux. Il est impossible à des organismes comme la commission, comme le nôtre et ceux qui nous ont précédés, d'informer les gens de leurs droits, jusqu'où on peut aller et où on doit s'arrêter. C'est impossible pour nous, parce qu'on n'a rien en main. On a des règlements qui ont été dans les meilleurs des cas obtenus par un plaignant aidé d'un enquêteur de la commission et de son avocat et un employeur qui, la plupart du temps, a accès à des ressources juridiques auxquelles

un simple plaignant n'a pas accès.

M. Bédard: Autrement dit, vous pensez que des jugements de la part des tribunaux, la jurisprudence qui est établie à partir des tribunaux, vous permettent de faire une meilleure sensibilisation ou encore, de mieux circonscrire, de mieux informer vraiment les gens de leurs droits, jusqu'où cela peut aller, alors que la conciliation se fait à partir de critères que vous n'êtes pas toujours en mesure d'évaluer, j'imagine. C'est ce que vous voulez dire?

Mme Roussel: Non. Une partie de l'éducation de la population se fait au niveau de savoir quels sont les droits que les gens peuvent exercer au Québec et jusqu'où leurs droits vont effectivement dans la réalité, en dehors du texte d'une charte. Pour nous, c'est très important.

Je voudrais aussi vous dire que lorsque vous avez conciliation, vous avez une plainte qui a été déposée. Cela veut dire qu'il y a possiblement - cela reste à prouver - une discrimination qui a été exercée, c'est-à-dire un tort qui a été fait à quelqu'un. Je ne pense pas que l'éducation doive se faire lorsque la plainte est déposée et lorsque le tort a été causé. On ne pense pas cela, honnêtement. On pense que lorsqu'on est arrivé à ce point-là, c'est le temps de défendre le droit de quelqu'un ou si, effectivement, son droit est mal fondé, de prouver qu'il est mal fondé, mais si effectivement, il y a un droit, de le défendre. On ne pense pas que la conciliation ait une valeur éducative lorsque le processus en est rendu à cette étape, c'est-à-dire que la plainte est déposée. Le tort a été causé et il s'agit de le redresser de façon significative et juste.

M. Bédard: Je pense que cela explique bien votre point. Maintenant, quant à votre autre suggestion - je m'en tiens au point de vue judiciaire, je sais que ma collègue de la Condition féminine aura d'autres questions -vous parlez d'un tribunal administratif plutôt que de tribunaux de droit commun, ce qui existe présentement. Pourquoi avez-vous une tendance vers le tribunal administratif? Est-ce que vous y voyez plus d'avantages et quels sont ces avantages?

M. Bosset: Des avantages de deux ordres. D'abord, des avantages purement matériels à savoir qu'actuellement le rôle de la Cour supérieure, du moins à Montréal, contient une liste d'attente d'environ deux à trois ans, en moyenne, pour les causes civiles. Alors, on connaît les problèmes que cela peut causer au niveau du dépistage des témoins, surtout dans des cas de discrimination.

Le deuxième avantage, c'est que le tribunal administratif aurait une certaine expertise dans le domaine, une expertise que les tribunaux de droit commun n'ont pas.

M. Morin (Michel): Je pourrais peut-être ajouter quelque chose sur le phénomène de la conciliation. En regardant les dossiers de la commission, on s'est rendu compte que c'était un principe assez illusoire. J'ai certains exemples qui me viennent en tête où un plaignant a porté plainte et l'employeur ou le fauteur de la discrimination a dit: "D'accord, je ne le ferai plus", et cela a été cela, la conciliation. Je ne dis pas que c'est général, mais je pense que cela repose sur l'idée que les gens font de la discrimination toujours de façon inconsciente et involontaire et, si on le leur souligne, ils vont changer d'attitude. Or, souvent le sexisme, ou le racisme, est aussi conditionné par une réaction d'agressivité et en plus, dans les relations de travail, il y a toujours un rapport de dépendance entre l'employé et l'employeur, ce qui fait que si la personne est déjà rendue à porter plainte devant la commission - c'est ce que disait Elisabeth - probablement que l'employeur n'est pas intéressé à changer son comportement mais, au contraire, veut l'étirer le plus possible. À ce moment-là, imposer une étape de conciliation, c'est une surcharge qui ne produit aucun résultat; s'il veut effectivement donner des accords, il n'y a rien qui l'en empêche si on supprime l'étape, dans une premier temps.

M. Bédard: Je m'excuse mais, si la personne admet quand même qu'elle a eu tort et qu'elle ne recommencera plus - cela, c'est au minimum, c'est vraiment le minimum de résultat que peut donner une conciliation - est-ce que ce n'est quand même pas déjà un pas de fait?

M. Morin (Michel): Cela suppose la bonne foi de la personne, mais on se rend compte que beaucoup d'employeurs n'ont pas toujours cette attitude de bonne foi et cherchent à maximiser les mesures dilatoires et à échapper au contrôle et au respect des droits.

M. Bédard: Imaginez un peu quelles seraient les mesures dilatoires s'il fallait y aller en judiciarisant, tel que vous nous le demandez, avec des appels possibles. Est-ce qu'en fin de compte ce ne sont pas ceux qui sont bien placés pour se défendre qui ont le plus de chances de pouvoir allonger les procédures d'une façon indue, jusqu'à ce que cela représente presque un déni de justice? Vous me disiez tout à l'heure, je pense que c'est monsieur, que votre suggestion concernant les tribunaux administratifs, cela allait, mais à condition qu'il y ait un appel parce que, si je vous ai bien compris, s'il n'y

a pas d'appel, vous aimez autant rester dans le système tel qu'il existe. Alors, si on ouvre la boîte vraiment à grande dimension concernant toutes les possibilités d'appel, vous ne pensez pas que cela peut représenter un mécanisme très lourd?

Mme Roussel: Oui. Quand on a rédigé nos recommandations, on a pensé à cela, voyez-vous, et ce point du mémoire a fait énormément de discussions dans notre groupe. On a bien réfléchi à la question, on a fait des calculs et on a mis nos calculs chacun dans un plateau de la balance. Si vous comptez les délais actuels qu'une plainte doit subir pour traverser le fonctionnement interne, le système administratif de la commission, pour arriver en Cour supérieure où il y a également un droit d'appel en Cour d'appel et possiblement un droit d'appel en Cour suprême, j'estime que vous êtes chanceux si vous vous en tirez en moins de six ans. J'estime cela, je peux me tromper, mais on a fait des calculs. (21 heures)

Avec le fonctionnement qu'on propose, on élimine des étapes de nature administrative qui prennent du temps, on élimine des niveaux décisionnels, étant donné qu'il y a trop d'étapes administratives à caractère décisionnel ou il y a trop de remises en question et de reprises d'un dossier de A à Z pour, finalement, recommencer le tout devant le tribunal supérieur. On élimine ça et on essaie d'écourter le plus possible l'étape de l'enquête et l'étape de la recommandation, avant qu'un dossier arrive devant le directeur du contentieux. Finalement, si la commission décide de le poursuivre ou non elle-même ou si le plaignant décide de le poursuivre lui-même devant le tribunal administratif, là, il y a un droit d'appel en Cour d'appel et après, possiblement, en Cour suprême. En faisant le calcul, on estimait peut-être gagner deux ans.

M. Bédard: J'aurais d'autres questions, mais je vais laisser la place à mes collègues.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: J'ai trouvé votre mémoire intéressant, très original, voire révolutionnaire. Ce que je n'ai pas décidé encore, c'est si ça va dans le sens de protéger des droits ou d'empiéter sur des droits. Je vais vous poser des questions dans ce sens.

Premièrement, dans votre mémoire, il y a une présomption que le plaignant a toujours raison et la mise en cause a toujours tort; ce n'est pas sûr, ça. Il y a beaucoup de causes qui sont portées contre les gens qui sont au bas de l'échelle, c'est-à- dire, qu'il y a beaucoup de propriétaires de duplex qui ne louent pas à quelqu'un pour quelque raison que ce soit; peut-être que c'est de la discrimination, peut-être pas. Cette personne au bas de l'échelle se trouve, un jour, soumise à toute la machinerie et tout l'appareil de l'État, c'est-à-dire que la Commission des droits de la personne fait des enquêtes et le reste. À la fin, peut-être qu'il va faire une conciliation, il paierait 700 $ ou 500 $. Cela veut dire que souvent les mises en cause ont raison; souvent, ce n'est pas de la discrimination, ce sont des plaintes frivoles, non fondées et ainsi de suite. Je pense qu'en parlant des droits de la personne, il ne faut pas penser que ce sont seulement des poursuites contre les grosses compagnies; souvent, c'est contre des gens vraiment au bas de l'échelle. Si vous allez fouiller dans les dossiers de la commission, vous allez voir que j'ai raison sur ce point.

Vous avez suggéré que ce n'est pas souhaitable qu'on garde les règles normales de la preuve et vous voulez le renversement du fardeau de la preuve. Cela devient difficile pour quelqu'un de prouver quelque chose de négatif, de prouver qu'il n'a pas fait de discrimination; ça devient impossible. Je vais vous donner un exemple. Lors des événements d'octobre 1970, dans le règlement adopté en vertu de la Loi sur les mesures de guerre, on a dit que quelqu'un qui était felquiste en 1960 était présumé être felquiste en 1970; c'était à cette personne de prouver qu'elle n'était pas encore felquiste. Cela devient bien difficile de prouver quelque chose de négatif comme ça. On a critiqué cela à cette époque. Ce que vous proposez, ça revient au même; quelqu'un doit prouver une chose négative, qu'il n'a pas fait de discrimination.

Deuxièmement, vous demandez l'assouplissement des règles de la preuve. Je m'excuse, mais les règles de la preuve sont -comment puis-je dire? - la grande source de notre protection des droits de la personne. Si c'était tellement facile de prouver quoi que ce soit, il y a un danger qu'on empiète sur les droits de l'autre personne, c'est-à-dire la mise en cause.

À la fin, vous arrivez en disant: Les recommandations doivent être exécutoires. Après tout ça, je trouve qu'il y a des points ici qu'il faut vraiment examiner à la loupe, parce qu'en fin de compte, si on mettait tout ça en vigueur, ce serait empiéter sur les droits des autres d'une façon exorbitante, à mon point de vue.

Mon deuxième point. Sur ce point, je rejoins le ministre, parce que vous avez parlé de l'abolition de la conciliation. Je pense que la conciliation est le fondement de cette loi, de cette charte. Il y a des pays où il n'y a pas de litige, où il n'y a pas d'affrontement, où il a y seulement la conciliation. Je pense à la Chine, par exemple, où il y a très peu

d'avocats; tout se fait par la conciliation et cela marche bien. Peut-être que l'on pourrait prendre exemple de la Chine; on peut étudier ses lois sur les droits de la personne. Tout cela pour dire que la conciliation est très importante. Comme le ministre vient de le dire, vous voulez "judiciariser" - je m'excuse pour la prononciation - les droits de la personne. Vous cherchez l'affrontement. En disant qu'il faut abolir la conciliation, on cherche l'affrontement. Moi, ce que vous avez écrit la page 8, à savoir qu'il y a conciliation dans 45% des cas, je trouve cela assez bon; peut-être que l'on peut augmenter cela à 50%, 60% pour les gens qui ne vont pas devant les tribunaux parce que, finalement, souvent ils ne vont pas obtenir plus devant les tribunaux que ce qu'ils vont avoir lors d'une conciliation. Pour ces raisons, je trouve que ce sont des recommandations vraiment révolutionnaires parce que cela changerait tellement la charte que cela la rendrait tout à fait différente. Je ne sais pas si ce serait à l'avantage des Québécois ou à leur détriment.

M. Bosset: D'abord, concernant votre première objection, à savoir qu'il est difficile pour un employeur de repousser une présomption qu'il a commis une discrimination, théoriquement, vous avez raison. Cependant, dans la pratique, dans le milieu du travail, il y a une série de facteurs qui font que, sous l'actuel fardeau de la preuve, il est beaucoup plus difficile pour le plaignant de prouver la discrimination que pour l'employeur de prouver le contraire, en ce sens que...

M. Marx: Je m'excuse, vous m'avez mal compris. Si nous mettons cela dans la charte, ce n'est pas seulement pour General Motors et Reynolds, c'est pour tout le monde. Expliquez-moi comment le gars qui a un duplex va renverser le fardeau de la preuve, ou le gars qui a un petit magasin, le magasin du coin. Il ne faut pas seulement penser aux grosses compagnies; il faut penser aussi aux petits qui sont mis en cause. Le travail, c'est un autre domaine, avec d'autres lois. Ici, ce n'est pas seulement une charte que l'on applique au monde du travail; on applique cela à tout le monde, partout.

M. Bosset: Sur ce point-là, je dois vous avouer que la réflexion du groupe Au bas de l'échelle, à cause de ses activités mêmes, a porté sur le secteur du travail uniquement et non sur le secteur, par exemple, du logement - ou le gars du duplex que vous mentionniez - le secteur de l'accès aux lieux publics ou quoi que ce soit. On s'en est tenu uniquement au secteur du travail. D'ailleurs, l'exemple que l'on donne pour justifier notre solution, c'est un exemple d'embauche, de discrimination à l'embauche, ce qui fait qu'il y aurait des modalités selon chaque secteur. On pourrait même prévoir que la charte à ce niveau ne s'appliquerait qu'au secteur du travail. Enfin, cela reste à déterminer. Nous, notre réflexion n'a pas porté sur l'ensemble de la charte parce que l'on n'a aucune connaissance particulière des autres secteurs à part le travail.

Mme Roussel: On est un groupe qui s'occupe des travailleurs non syndiqués. Effectivement, on n'a pas une expertise dans le domaine du logement, dans le domaine de la santé, dans le domaine de l'éducation; je pense que les gens peuvent le comprendre facilement. Ceci dit, vous dites, M. Marx, qu'il est peut-être difficile de faire une preuve négative; effectivement, je ne pense pas que ce que nous voulons faire, c'est d'enlever des droits aux gens. Si la personne a effectivement refusé de louer un logement pour une autre cause juste et suffisante qui n'est pas de la discrimination, elle peut forcément exposer son autre cause, puis, si elle est juste et suffisante, elle aura fait sa preuve.

M. Marx: Je m'excuse parce que j'ai étudié le Code du travail il y a tellement longtemps que je ne me souviens pas de grand-chose, mais je pense que dans le Code du travail il y a un renversement du fardeau de la preuve quand il y a un congédiement, c'est cela?

M. Bosset: Une suspension ou un déplacement.

M. Marx: Pas pour l'embauche. C'est cela. Le gars est déjà là, il a des droits acquis. C'est comme un professeur qui a la permanence; avant qu'on le mette à la porte, il faut prouver quelque chose. Mais cela est un cas très spécial, il faut...

M. Bédard: Même en le faisant.

M. Marx: C'est un cas tout à fait spécial, et généraliser ça dans la charte pour l'embauche, je ne sais pas où ça va mener. Dans le Code du travail, c'est tout à fait spécial, et c'est pour une raison spéciale.

M. Bédard: Sur ce point spécifique, vous suggériez de renverser le fardeau de la preuve, sous réserve de certaines conditions préliminaires, comme vous vous êtes exprimés. Vous ne l'avez pas dit, mais j'imagine que vous avez pensé à certaines des conditions préliminaires qui pourraient exister?

M. Bosset: Dans le Code du travail, les conditions préliminaires qui existent, c'est que le salarié démontre qu'il a exercé un

droit résultant du code, à savoir l'exercice de son droit d'association du côté syndical. Pour la Charte des droits et libertés de la personne, dans la décision américaine, les facteurs approuvés, je les cite de mémoire, c'est qu'il faut que le plaignant prouve qu'il appartient à un groupe minoritaire, qu'il était qualifié pour occuper le poste, que sa candidature a été rejetée et que, après le rejet de sa candidature, l'employeur a continué d'offrir le poste à d'autres personnes. Dans le cas de l'embauche, on pourrait s'inspirer de ces quatre critères pour établir la preuve préliminaire ou, si on veut, la preuve prima facie.

Le Président (M. Desbiens): Mme la députée de La Peltrie.

Mme Marois: Merci, M. le Président. Il y a une question que j'ai déjà posée à la Commission des droits de la personne ce matin et, malheureusement, je n'étais pas là cet après-midi, mais j'aimerais vous poser la même question pour connaître votre point de vue. Dans votre mémoire, vous parlez de l'insuccès des programmes volontaires d'action positive. Est-ce que vous pourriez élaborer un peu votre point de vue particulier?

M. Morin (Michel): Je voudrais dire d'abord qu'on a étudié sommairement ce qui se faisait aux États-Unis, et beaucoup d'études concluent à l'inefficacité des programmes volontaires. On a dit ce matin que les programmes volontaires sont permis au Canada, et on attend toujours qu'ils produisent des effets. La discrimination dans le milieu du travail sert des buts bien précis, et je ne pense pas que ça disparaisse seulement en demandant aux gens de changer d'attitude. Même aux États-Unis, nonseulement les programmes volontaires étaient inefficaces, mais les programmes qui donnaient une grande latitude aux employeurs s'avéraient souvent être des simulacres de programmes et justifiaient même des cas de discrimination plus élevée.

Je pense au cas des entrepreneurs du gouvernement fédéral où, encore une fois, les organismes administratifs étaient débordés, mais on demandait seulement à l'employeur d'avoir fait un effort de bonne foi, d'avoir fait de la publicité, d'avoir étudié des candidatures, et on se rendait compte que, dans l'ensemble, les programmes étaient particulièrement inefficaces et qu'ils n'avaient pas du tout modifié la situation. C'est vraiment à la suite de constatations...

Mme Marois: Cela revient, finalement, à celles que faisait la Commission des droits de la personne ce matin. Cela va.

M. Morin (Michel): Ce que je veux dire, c'est que ce n'est pas une hypothèse que nous avons posée, c'a été démontré dans plusieurs études.

Mme Marois: Dans un autre ordre d'idées, cependant, concernant le recours collectif, on dit qu'il est un instrument nécessaire à la protection des droits des travailleuses, évidemment, ceci me préoccupe particulièrement, est-ce que vous pourriez citer des exemples ou des circonstances, de par votre expérience, évidemment, où le recours collectif pourrait être utilisé efficacement?

Mme Roussel: Oui, on a un très beau cas, comme on dit dans le bureau, qui nous est arrivé la semaine passée. Je ne nommerai pas l'employeur - premièrement parce que je ne me souviens pas du nom de la compagnie et, deuxièmement, même si je m'en souvenais, ça ne se fait pas - qui avait toujours permis à ses employées féminines de porter la tenue vestimentaire qu'elles désiraient et qui, du jour au lendemain, leur a demandé de porter des jupes ou des robes. Il y a plusieurs employées féminines, et une seule a décidé de venir au groupe Au bas de l'échelle et de porter plainte en discrimination sur le sexe. On ne savait pas où placer ça, on ne fait pas de discrimination sur l'uniforme; on a donc placé ça à la discrimination sur le sexe à la Commission des droits de la personne. Mais elle n'était pas la seule en cause. Or, les autres personnes, soit par crainte de représailles, soit faute de temps ou ce que vous voudrez, manque d'information ou quelque raison que ce soit, n'ont pas manifesté la volonté de porter plainte. Alors, là, vous avez une personne qui s'est décidée à porter plainte et, si on avait un mécanisme de recours collectif, elle pourrait porter plainte au nom des autres employées féminines de la compagnie concernée. (21 h 15)

M. Bédard: Vous ne trouvez pas que c'est le plus bel exemple de conciliation possible, avant d'avoir recours à...

Mme Marois: II protège bien ses intérêts:

M. Bédard: Non, peut-être que, par tempérament, je suis porté vers la conciliation. Ce n'est pas seulement par tempérament. Mais, dans un tel cas, j'aimerais avoir votre réaction. Vous ne pensez pas que la première étape, la conciliation...

Mme Roussel: Je vais seulement vous dire une chose, M. Bédard: Lorsque vous avez n'importe quel dossier civil, criminel, etc. - vous êtes avocat, je ne vous cache rien - qui est amené dans...

M. Bédard: Vous ne me cachez rien, vous me rappelez un paquet de choses.

Mme Roussel: ... des bureaux d'avocats respectifs, vous avez la partie qui se plaint, vous avez la partie qui se défend. On demande, par exemple, 10 000 $ et finalement les avocats en arrivent à ce qu'on appelle un règlement hors cour à 7000 $, mais il y a toujours une Cour supérieure au bout. Je veux dire que, au bout du processus, il y a toujours une Cour supérieure; on judici... Enfin, j'ai encore bien plus de difficulté à le prononcer que M. Marx.

M. Bédard: Moi non plus, je n'y arrive pas!

Une voix: On judiciarise.

Mme Roussel: Comme vous dites... excessivement le processus. Lorsqu'on demande que la conciliation soit abolie, on n'empêche absolument pas que les gens fassent des règlements, on n'empêche pas un plaignant d'aller voir un avocat ou d'aller voir une personne qui peut faire un règlement ou qui peut l'aider à faire un règlement. On n'empêche rien de ça - de toute façon, c'est pratique courante et vous le savez comme moi - mais on cherche à abolir une étape administrative qui prend énormément de temps et d'énergie et qui, finalement, peut peut-être faire une éducation. Mais, d'après nous, l'éducation, quand le tort est causé - il reste à prouver qu'il est causé - ou possiblement causé, ce n'est plus le temps de la faire. D'après nous, c'est le temps de défendre les droits que la charte reconnaît aux citoyens.

Mme Marois: D'accord. Dans mon cas, il y aurait une seule autre question. Vous êtes les seuls - et vous en avez parlé - à recommander que la charte soit amendée pour protéger quelqu'un qui porte plainte contre des représailles ou des mesures disciplinaires de la part de son employeur. Je fais abstraction du fardeau de la preuve; je ne le situe pas dans cette perspective-là. Est-ce que votre expérience - puisque vous en avez une, je pense, et très importante -vous permet de conclure que c'est une situation qui est fréquente et qu'il s'agit donc d'un amendement important, à votre point de vue?

Mme Roussel: C'est une situation généralisée.

Mme Marois: Pouvez-vous vous expliquer?

Mme Roussel: Lorsqu'elle porte plainte, généralement, la personne est congédiée, si ça se sait, ou elle est suspendue ou il y a soudainement un manque de travail qui se produit dans l'entreprise. Ou alors elle ne porte plainte qu'après un congédiement, de peur d'avoir à en subir un.

Mme Marois: Oui, j'allais justement poser la question à savoir si ce n'était pas couvert par le Code du travail.

M. Bédard: On se demandait si c'était couvert par le Code du travail.

Mme Marois: Peut-être que les mécanismes prévus par le Code du travail ne sont pas suffisants. C'est ça que vous nous dites finalement.

Mme Roussel: Non, le Code du travail protège seulement les congédiements pour activités syndicales.

M. Marx: Je m'excuse, M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: À l'article 87 de la charte: "Commet une infraction quiconque tente d'exercer ou exerce des représailles contre une personne, un groupe de personnes ou un organisme qui a, de bonne foi, fait une demande d'enquête, etc." Il y a déjà quelque chose dans la charte. Je n'ai pas le temps de vraiment l'étudier, mais il y a déjà, à l'article 87, paragraphe d), une disposition qui traite des représailles.

M. Bosset: Oui, d'abord, il s'agit bien de représailles, on sanctionne après le fait, on n'empêche pas que le fait se produise. Deuxièmement, c'est un recours pénal, il n'y a rien là-dedans qui oblige l'employeur à réinstaller l'employé à son poste.

Mme Roussel: C'est l'amende au bout, si vous voulez.

M. Bosset: Et la somme de l'amende risque de ne pas être très élevée, vu que c'est la Loi des poursuites sommaires.

M. Marx: Oui, c'est minime. M. Kehoe: M. le Président...

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Chapleau.

M. Kehoe: ... c'est un autre point sur la question de la conciliation. Votre suggestion de l'abolition de la conciliation qui existe actuellement, je me demande quel sera son effet pratique quand on considère qu'il y a au-delà de 40% des causes qui sont réglées actuellement à ce niveau. Par quel mécanisme allez-vous la remplacer? Si on

tient compte du fait qu'il y a un manque d'enquêteurs à la commission, si on met tout cela ensemble, quel sera l'effet de l'abolition de l'étape de conciliation? Par quel mécanisme allez-vous remplacer la conciliation?

M. Morin (Michel): On ne veut pas remplacer la conciliation, on veut éviter qu'elle soit un obstacle. Que les gens veuillent procéder à une conciliation, parfait; sauf que, dans les cas où ils ne veulent pas, c'est là où cela nous paraît être un obstacle majeur. M. Bédard nous posait la question: Est-ce que cela ne nous paraissait pas un beau cas de conciliation, l'exemple des serveuses avec leur uniforme? Imaginez que l'employeur ait fait cela et supposons, en ayant un gros préjugé sexiste, que ce soit rentable pour l'employeur de faire porter des uniformes à ses serveuses, ce qui me semblerait parfaitement sexiste, à part cela...

Une voix: Cela dépend.

Mme Marois: On pourrait en discuter longuement.

M. Bédard: Votre compagne a l'air d'évaluer ce que vous dites.

M. Morin (Michel): Supposons donc qu'il y a une motivation économique pour l'employeur à ne pas changer les uniformes. Dans la situation actuelle de la commission, la personne va porter plainte et, après un an ou un an et demi, l'enquêteur va constater qu'effectivement on les a forcées à porter des uniformes. Là, l'employeur va dire: Bon, on va faire la conciliation. Maintenant, peut-être qu'on pourrait offrir des couleurs différentes d'uniformes à tout le monde, des modèles différents pour ne pas les forcer et pour que tout le monde se sente bien individuellement. Mais pas: Moi, je veux faire des concessions, on va concilier mon besoin d'avoir un uniforme avec l'idée que ça ne vous plaît pas. On suppose, évidemment, que l'uniforme est particulièrement humiliant, comme cela peut se produire souvent; si on veut que ce soit rentable en plus, il y a de bonnes chances que ce soit dans ce style.

M. Bédard: Je l'avais deviné un peu, que cela pouvait être comme ça.

M. Marx: On a demandé aux serveuses de porter des uniformes, est-ce cela?

Mme Roussel: Non, c'étaient des employées de bureau, l'exemple que j'ai donné.

M. Marx: Des employées de bureau?

Mme Roussel: Oui.

M. Morin (Michel): L'exemple est le même.

M. Bédard: Mais cela pourrait s'appliquer à une autre catégorie.

M. Marx: Si on demande aux policiers de porter un uniforme, ce n'est pas vraiment de la discrimination?

M. Morin (Michel): Non. M. Marx: Je ne dirais pas.

Mme Roussel: Demandez aux policiers, M. Marx.

M. Marx: Oui, mais les agents de la paix ne portent pas leur uniforme, aujourd'hui, parce qu'ils sont mal payés par le ministre!

L'idée de demander à un certain groupe de porter un uniforme, ce n'est pas nécessairement de la discrimination.

M. Morin (Michel): Non, ce n'est pas ce qu'on a dit.

M. Bosset: D'ailleurs, cela peut être couvert par l'actuel article 20.

M. Bédard: Ce n'est pas ce que vous avez dit, je comprends.

M. Marx: C'est parce qu'on a demandé à des femmes, dans un bureau, de porter des jupes, c'est cela?

M. Bédard: C'est l'obligation de porter un uniforme qui peut être "attrayant" pour la clientèle.

Mme Roussel: Ce sont des employées de bureau.

Le Président (M. Desbiens): Mme la députée de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: J'aimerais que les représentants de l'organisme Au bas de l'échelle, pour ma compréhension personnelle, spécifient bien s'il y a une contradiction entre des formes de redressement progressif et des obligations qui seraient créées aux employeurs, aux entreprises, au gouvernement ou autres d'appliquer le principe de redressement progressif dans la philosophie de l'égalité des chances à l'emploi.

M. Morin (Michel): Je ne comprends pas de quel genre de contradiction vous voulez parler.

Mme Lavoie-Roux: C'est parce qu'à un

moment donné vous dites que les formes volontaires sont plus ou moins efficaces et vous démontrez de quelle façon les formes de redressement progressif, telles qu'elles sont en vigueur aux États-Unis, ont peut-être été inefficaces. Est-ce que vous vous opposez?Dans le fond, je comprends que vous dites que ce redressement progressif devrait être obligatoire; est-ce bien cela?

M. Morin (Michel): Oui, oui.

Mme Lavoie-Roux: Est-ce que du fait qu'il soit obligatoire c'est nécessairement contradictoire avec un redressement progressif? Vous pourriez, dans un premier temps, dire à une compagnie: II faudra que sur un échéancier de X années vous augmentiez de 10% ou de 15% votre main-d'oeuvre pour telle catégorie cible de personnes. Après une évaluation de la chose, vous augmentez davantage. Vous nous montrez ce qui nous paraît être des difficultés... enfin, non pas des difficultés, mais des échecs aux formes de redressement progressif. Est-ce qu'on ne peut pas avoir les deux ensemble et des mesures obligatoires, mais que ce soit dans un système progressif?

M. Morin (Michel): Je vais essayer de répondre. Je ne crois pas que ce qu'on propose exclue la progressivité, au contraire. Ce qu'on demande, c'est qu'il soit obligatoire d'obtenir des résultats déterminés à l'avance. D'un autre côté, l'objectif de tous les programmes étant un objectif global de représentation égal au pourcentage dans la population, mais après plusieurs étapes, les étapes constituant justement ce qui est progressif, le fait de l'obligation pour assurer l'efficacité se situe au niveau des objectifs qu'on assigne à chaque étape des pourcentages qui sont imposés. Cela reste quand même graduel. L'employeur a un délai pour atteindre l'objectif de la façon dont il veut, il garde le...

Pour ce qui est d'un conflit avec les programmes volontaires, il ne semble pas y en avoir; mais si une entreprise se fait imposer un programme obligatoire, cela devrait avoir la priorité et cela n'exclut pas qu'il y ait des programmes volontaires à côté, parce que, au début, les programmes seraient imposés seulement à la suite d'une plainte individuelle.

Mme Lavoie-Roux: D'accord. J'avais cru comprendre... parce que, au début, vous avez parlé de vos 52%; vous donniez un exemple. Dans tel domaine où il y a 52% de femmes, on devrait viser... Pour vous, ce serait avec un échéancier de façon progressive, mais obligatoire.

M. Morin (Michel): Par étapes, mais obligatoire.

Mme Lavoie-Roux: Je suis d'accord. On aura peut-être des données assez intéressantes. L'embauche des personnes handicapées à la suite de la loi 9 est sur une base volontaire. On dit aux industries, aux entreprises qui ont plus de 50 employés de présenter un plan d'intégration de personnes handicapées. Malheureusement, je crains fort qu'on ne fasse la preuve, après supposons trois ans ou quatre ans, que finalement cela a donné des résultats, à moins que vous ayez des données précises. J'ai l'impression qu'on se dirige vers un fiasco assez important dans ce domaine.

Voici mon autre question. Je sais que vous vous êtes intéressés de très près à toute la discussion qui a entouré l'adoption de la Loi sur les normes du travail. Maintenant, il y a une commission qui régit ces normes du travail. À la suite de la mise en place de cette commission, votre expérience montre-t-elle que cela vient diminuer ce qui autrefois devait être porté devant la Commission des droits de la personne et qu'il y a des cas qui se règlent par l'intermédiaire de la Commission des normes du travail?

Mme Roussel: Oui, entre autres les congédiements ou mesures disciplinaires pour les femmes enceintes. Maintenant, elles ont une protection d'emploi, par la loi 126, le congé de maternité. Effectivement, à ce niveau, elles sont protégées par un mécanisme de réintégration dans leur emploi devant le commissaire général du travail. Il y a plus de plaintes basées sur la discrimination sur le sexe, à ce niveau, qui se présentent devant la Commission des droits de la personne, parce que c'est couvert par la commission des normes.

À part cela, je vois difficilement ce qu'il pourrait y avoir. Peut-être seulement sur la question des personnes handicapées, parce que, au niveau de la Loi sur les normes du travail, on a étendu la couverture aux handicapés. La Commission des normes du travail a eu certains dossiers assez percutants dont un ici à Québec - je ne le nommerai pas - pour des personnes handicapées mentalement qui avaient été exploitées par des hôpitaux psychiatriques, qui avaient travaillé plusieurs années à des salaires de 0,50 $ par jour.

La commission des normes prend des dossiers comme ça, qui sont de très gros dossiers. À part cela, non, je ne verrais pas.

Mme Lavoie-Roux: Un domaine, par exemple, qui vous avait beaucoup intéressés et pour lequel vous aviez beaucoup plaidé, c'était celui des travailleuses en service domestique. C'est un domaine où il peut facilement y avoir de la discrimination, ne serait-ce que le refus d'employer une personne à cause de sa couleur ou d'une foule de

facteurs dont on a parlé toute la journée. Est-ce qu'à l'heure actuelle, la Commission des normes du travail permet de corriger ces choses ou si c'est encore très difficile, même avec la commission, d'en faire le suivi ou de permettre aux gens de se prévaloir des... (21 h 30)

Mme Roussel: La Commission des normes du travail entre en cause lorsque la personne est embauchée et qu'elle ne reçoit pas le plancher minimal des normes qui est fixé par la loi. Au niveau de l'embauche, avant que la personne soit effectivement embauchée, la commission des normes n'a absolument aucun pouvoir, parce que la personne n'est pas un travailleur.

Le Président (M. Desbiens): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: En fait, votre rapport est substantiel et volumineux, mais il y a un aspect particulier sur lequel j'aimerais revenir avec vous. C'est la question des représailles à la suite d'un recours à la Commission des droits de la personne. Vous êtes en action à Montréal spécifiquement, je pense...

Mme Roussel: Oui.

Mme Harel: ... et vous traitez annuellement combien de dossiers? Les personnes individuellement qui font appel à vos services sont au nombre de combien?

Mme Roussel: 2000.

Mme Harel: Annuellement?

Mme Roussel: Oui, et cela augmente.

Mme Harel: Sur ce nombre, j'imagine qu'il y a un très fort pourcentage de femmes.

Mme Roussel: Cela tourne autour de 80%.

Mme Harel: Vous estimez à combien le pourcentage de dossiers qui sont portés à votre attention, sur ces 2000, qui ont recours à la Commission des droits de la personne?

Mme Roussel: Oh! mon Dieu! Très peu.

Mme Harel: Un très infime pourcentage que vous référez à la commission?

Mme Roussel: Non, on réfère toujours les gens à la Commission des droits de la personne, parce que la Commission des droits de la personne a les services d'enquête qu'un organisme comme nous ou qu'un avocat privé n'a pas. C'est extrêmement précieux, des pouvoirs d'enquête. C'est irremplaçable. C'est pour cette raison qu'on réfère toujours les gens à la Commission des droits de la personne. Après, ce qui en advient, c'est une autre histoire.

Mme Harel: Donc, vous référez la majorité des personnes qui font appel à vos services à la commission. C'est bien le cas?

Mme Roussel: Oui, pour les plaintes en discrimination.

Mme Harel: Sur ce total de personnes que vous référez à la commission, à votre connaissance, combien qui ont porté plainte ont pu subir des préjudices à la suite de la plainte?

Mme Roussel: Oh! mon Dieu! Le problème est le suivant: très souvent, la personne va porter plainte, alors qu'elle est déjà mise à pied ou congédiée. Le problème est là. La personne craint d'être congédiée, d'être mise à pied ou de subir une mesure disciplinaire si elle porte plainte. Donc, elle va soit démissionner, soit attendre d'être congédiée ou mise à pied avant de porter plainte, mais on a des exemples de gens qui ont effectivement été congédiés. J'en ai un à l'esprit, une personne qui avait une très bonne cause, d'ailleurs, et qui a effectivement été congédiée après avoir porté plainte au groupe Au bas de l'échelle et, après cela, à la Commission des droits de la personne.

Mme Harel: Donc, vous avez 2000 plaintes annuellement.

Mme Roussel: Pas seulement en discrimination.

Mme Harel: Voilà! Sur la discrimination, vous évaluez à...

Mme Roussel: Environ 150 à 200, à peu près.

Mme Harel: À peu près 10%, donc, des dossiers qui vous sont référés.

Mme Roussel: À peu près 10%.

Mme Harel: Là-dessus, y a-t-il eu déjà, à votre connaissance, une infraction portée, par exemple, en vertu de l'article 87 de la charte pour entrave au travail de la commission?

Mme Roussel: C'est un recours pénal.

Mme Harel: Oui. À votre connaissance, sur ces 150 plaintes annuelles qui vous sont connues, y a-t-il déjà eu des plaintes pénales portées?

Mme Roussel: Pas à ma connaissance.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre, pour conclure.

M. Bédard: Je conclurais peut-être avec une question à laquelle vous répondrez rapidement, sans doute. Concernant les programmes de redressement progressif, croyez-vous que ces programmes devraient nécessiter la consultation et la collaboration des groupes cibles, des syndicats ou, encore, des autres organismes qui peuvent être concernés avec l'organisme responsable de l'ensemble de l'application du programme?

M. Morin (Michel): Pour les syndicats, cela me semble évident qu'on ne peut pas changer les conditions de travail sans les consulter de par leur monopole de représentation et quand il y a conclusion d'une convention collective. Pour les groupes cibles, on ne pensait pas faire institutionnaliser cela pour ne pas faire dépendre de leurs ressources le succès des plaintes, mais on voulait leur donner la chance d'intervenir en rendant le tribunal responsable d'une décision sur les échéanciers à établir pour permettre ce genre de négociation et d'intervention dans un cadre plus judiciaire, puisqu'on croit que le redressement progressif est suffisamment important pour nécessiter une attention très soutenue. Qu'est-ce que c'était l'autre aspect?

M. Bédard: Non, c'est pour savoir si vous prévoyez la nécessité non seulement d'une collaboration, mais d'une consultation très étroite entre les parties qui sont concernées ou qui peuvent faire l'objet d'une discrimination.

M. Bosset: J'ajouterais que, dans notre mémoire, on prévoit la possibilité que le gouvernement fixe par règlement des normes minimales, pour employer une expression déjà utilisée ailleurs, des quotas minimaux, si on veut, qui seraient applicables aux entreprises et aux programmes d'action de redressement progressif. Un règlement peut être adopté par une commission parlementaire, peut être filtré par une commission, peut être soumis à la publication d'un projet de règlement. Donc, il peut y avoir toutes sortes de consultations qui peuvent être faites.

M. Bédard: Alors, vous ne seriez pas réfractaires à l'idée que la réglementation puisse être faite par le gouvernement avec consultation naturellement de la Commission des droits et à l'accepter.

M. Morin (Michel): Je crois qu'on a demandé un pouvoir de réglementation pour la commission. Cela nous semble de beaucoup préférable à une forme de réglementation au gouvernement, étant donné la disponibilité du gouvernement. Qu'après les propositions de la commission, il y ait une discussion, une concertation, cela nous semble tout à fait désirable. Mais, il me semble que, dans notre mémoire, on privilégie un pouvoir de réglementation accordé à la commission.

M. Bédard: Moi, j'ai vu que tous les groupes privilégient cela...

Mme Roussel: Du moment qu'il y a une réglementation, M. le ministre, on ne se plaindra pas...

M. Bédard: Tout le monde se connaît bien, j'imagine, dans le milieu. Maintenant, tout ce que je veux savoir, c'est que vous n'êtes pas réfractaires à un processus qui ferait qu'après consultation avec la commission, il y a une réglementation faite par le gouvernement également; il peut avoir audition publique, consultation encore une fois de la commission pour aboutir à une réglementation acceptée par l'Assemblée nationale ou une commission parlementaire.

Mme Roussel: Sans problème.

M. Bédard: Alors, on vous remercie. Une autre question.

M. Marx: Oui, sur la question des représailles, parce que je n'ai pas pensé à cela avant, franchement. C'était soulevé encore par la députée de Maisonneuve. Les représailles, dans le milieu de travail, ne sont pas couvertes dans d'autres lois. Est-ce que c'est couvert dans les lois du travail? Ce n'est pas couvert dans d'autres lois?

Mme Roussel: Non, ce n'est pas couvert dans d'autres lois, au niveau de la Charte des droits; au niveau de la Charte des droits, ce n'est pas couvert, je veux dire que chaque loi du travail a son mécanisme de protection, mais la Charte des droits et libertés n'en a pas. Évidemment, la commission peut aller devant la Cour supérieure et obtenir un injonction pour forcer la compagnie à réintégrer les gens, mais il n'y a pas de mécanisme dans la charte.

M. Marx: Cela veut dire que dans les lois du travail, si on exerce un recours qui est donné par une autre loi et qu'il y ait des représailles, il n'y a pas de recours en vertu de ces lois du travail. C'est cela? Mais, si c'est cela, M. le ministre, je pense qu'il faut vraiment se pencher sur cette question, parce que, s'il y a vraiment des représailles, cela veut dire que les gens n'ont pas les droits qui sont inscrits dans la charte et...

M. Bédard: Peut-être qu'il y a lieu d'être pas mal plus explicite que la charte ne l'est présentement, de même que je crois que vous avez...

M. Marx: Est-ce que vous êtes prêt à prendre des engagements ce soir? Non?

M. Bédard: Non, je vous ai dit que cette commission-là...

M. Marx: Pas le soir des engagements...

M. Bédard: Si vous voulez, on ne jouera pas à la politique d'accord avec cela.

M. Marx: Non pas la politique, les droits de la personne... On est prêt à prendre des engagements temps à autre.

M. Bédard: Je pense que la meilleure des discussions, c'est celle qu'on a maintenant, quitte après cela à conclure en temps et lieu. De même, je crois que vous faites bien de nous rappeler la nécessité de l'interruption de la prescription à partir du moment où une personne achemine une plainte, formule une plainte à la commission, surtout si on tient compte des délais que cela peut représenter avant l'audition. Je pense que c'est très important de le rappeler et on va le noter d'une façon particulière. Je ne sais pas si c'est une façon de s'engager, mais je tiens à vous remercier... On ne s'engage pas, mais on fait de bonnes lois qui recueillent l'unanimité de l'Assemblée nationale.

M. Marx: Le ministre ne s'engage jamais, et même s'il s'engage...

Mme Roussel: Merci, beaucoup.

M. Bédard: On vous remercie de votre brillante participation.

M. Morin (Michel): Est-ce que je peux me permettre une question?

M. Bédard: Si vous me permettez, comme vous l'avez dit, c'est plutôt en droit du travail que vous avez votre spécialisation. Je pense que vous comprendrez. C'est le fait de plusieurs groupes qui ont une spécialisation ou une expérience dans un domaine, un secteur déterminé d'activité. Maintenant, au niveau de l'ensemble des membres de la commission parlementaire, quand on parle d'insérer un droit, il ne faut pas l'insérer seulement en fonction d'un groupe; il faut penser à toutes les conséquences de ce droit sur l'ensemble de la population, des citoyens et des citoyennes.

M. Morin (Michel): Comme tout le monde semblait bien s'entendre sur la néces- sité d'une protection de l'emploi, je voulais essayer de vous faire réfléchir en vous disant: Quel genre de conciliation peut-on avoir quand on vient de se faire renvoyer par un employeur pour un motif raciste ou sexiste? À la base, le comportement est bâti sur la conciliation et, quand on se retrouve devant lui, le dialogue sera très difficile si ce n'est pas carrément inutile.

M. Bédard: Je pense qu'il y a une différence entre faire une règle obligatoire de conciliation et la faire lorsque les conditions s'y prêtent. On est capable d'en imaginer de part et d'autre, des situations qui sont telles que la conciliation n'est pas appropriée parce qu'on est rendu au bout du tunnel et que c'est le temps d'aboutir.

M. Morin (Michel): À ce moment-là, ça représente une perte de temps. C'est ce qu'on a essayé de...

M. Bédard: J'imagine que, dans ces cas-là, la commission ne perd pas de temps dans la conciliation. Enfin, on s'en reparlera.

Mme Roussel: Merci beaucoup.

Le Président (M. Desbiens): Je demanderais à la Fédération des femmes du Québec de s'approcher, s'il vous plaît.

Fédération des femmes du Québec

Mme Thibault (Charlotte): Bonsoir, M. le Président, M. le ministre, Mme la ministre, Mmes les députés et MM. les députés. Mon nom est Charlotte Thibault, je suis au conseil de l'administration provinciale de la Fédération des femmes du Québec. Je vous présente Yolande Larochelle, qui est au conseil régional de Québec.

Je dois d'abord vous dire que la Fédération des femmes du Québec vous présente aujourd'hui un mémoire et que celui-ci n'a pas été préparé par des juristes et par des spécialistes, mais plutôt par des femmes qui tentent d'être les porte-parole les plus fidèles de leur groupe.

La Fédération des femmes du Québec veut d'abord remercier le ministre de la Justice, Me Marc-André Bédard, d'avoir donné suite à l'une des recommandations de la coalition pour l'abrogation de l'article 97 concernant la tenue d'une commission parlementaire sur la Charte des droits et libertés de la personne. Nous voulons aussi féliciter l'équipe de commissaires qui a implanté la Charte des droits et libertés de la personne. Nous nous réjouissons de la nomination des deux commissaires permanentes, Mmes Francine Fournier et Nicole Trudeau-Bérard. Ce sont deux femmes fort compétentes dans la défense des droits de la personne. Elles ont aussi acquis leurs

lettres de créance dans les dossiers touchant la condition féminine.

La Fédération des femmes du Québec (FFQ) a pour but de promouvoir les droits de la femme et l'amélioration de la condition féminine dans tous les milieux. Elle regroupe une quarantaine d'associations-membres et près de 600 membres individuels regroupés en conseils régionaux. Compte tenu de ses objectifs, la FFQ suit de près l'évolution du dossier Droits de la personne depuis ses débuts. Dès janvier 1975, elle a présenté un mémoire lors de la commission parlementaire sur le projet de loi no 50 créant la Charte des droits et libertés de la personne. Toutes les recommandations de la FFQ n'ont pas été retenues et nous voulons revenir sur ces points ignorés dans la rédaction finale du projet de loi no 50. La FFQ soumet donc à cette commission parlementaire une série de modifications à la Charte des droits et libertés de la personne et des recommandations quant à son application.

Discrimination basée sur l'âge.

La discrimination basée sur l'âge est un problème rencontré par bon nombre de femmes qui désirent retourner sur le marché du travail après avoir consacré plusieurs années à leur famille.

La FFQ existe depuis quinze ans et ce problème est soulevé à chacun de ses congrès. Cette difficulté est aussi rapportée dans les programmes de réinsertion au marché du travail comme Nouveau Départ, Transition au travail, Retour. Il est inconcevable d'avoir une telle lacune dans notre charte québécoise. Toutes les législations analogues au Canada ont reconnu ce motif comme discriminatoire. (21 h 45)

En outre, l'ordonnance sur le congé de maternité a amélioré les conditions de travail des femmes. Nous recevons toutefois des témoignages relatant que plusieurs femmes en âge de procréer seraient discriminées au niveau de l'embauche, les employeurs craignant un congé de maternité éventuel. En conséquence, la FFQ recommande l'ajout de l'âge comme motif interdit de discrimination.

Abrogation de l'article 97.

Vous pouvez l'appeler 90 si vous préférez. Le 30 juin 1976, l'article 97 était amendé afin de ne pas préjuger des résultats des travaux du comité sur la non-discrimination dans les avantages sociaux, mieux connu sous le nom de comité Boutin. L'ajout de cet article n'était qu'une disposition transitoire.

La FFQ ne voudrait pas se répéter pour faire comprendre les nécessités de faire abroger cet article, nous nous référons au mémoire présenté par la coalition pour l'abrogation de l'article 97 dont la FFQ est un des membres initiateurs. Le mémoire sera d'ailleurs présenté demain.

La FFQ recommande que l'article 97 soit abrogé de la Charte des droits et libertés de la personne.

La FFQ recommande que les législations et régimes publics soient modifiés dans le sens de l'abolition de toute discrimination en concordance avec la charte telle qu'amendée.

Enfin, la FFQ recommande qu'un article soit inclus parmi les articles 11 à 19 pour traiter spécifiquement des avantages sociaux, il pourrait être ainsi formulé: Nul ne peut discriminer dans les avantages sociaux.

Action positive ou programmes de redressement positif ou progressif. À l'exception de Terre-Neuve, le Québec est la seule province à ne pas avoir un programme d'action positive pour contrebalancer la discrimination systémique à l'égard des femmes. Il est temps, si l'on veut arriver à une égalité entre les sexes, de contrer le système en accordant la préférence aux femmes. Ce sont des mesures compensatoires pour le déficit accumulé dans le passé.

Les programmes d'égalité en emploi et d'égalité des chances n'ont pu rétablir la situation. Le Conseil du statut de la femme du Québec le démontre clairement dans son étude parue en 1978. L'Association des femmes diplômées d'université, section Montréal, abonde dans le même sens. Enfin, une étude du service féminin du ministère du Travail du Canada confirme que le revenu moyen d'une femme en 1978 équivaut à 58% de celui d'un homme. Seules des mesures rigoureuses permettront de rétablir la situation.

La FFQ appuie entièrement les recommandations de la Commission des droits de la personne du Québec et demande que l'action positive soit considérée comme non discriminatoire, elle demande que ces programmes soient légaux.

Dans ce sens, la FFQ recommande que la Commission des droits de la personne du Québec puisse approuver ou recommander l'adoption des programmes d'action positive dans les domaines de l'accès aux services publics, au logement, à l'emploi et à l'éducation.

La FFQ recommande que la Commission des droits de la personne du Québec puisse déterminer la portée et le contenu de ces programmes par des règlements. La FFQ recommande que la Commission des droits de la personne du Québec puisse implanter ces programmes dans la fonction publique et dans tous les organismes en relation directe avec le gouvernement. La FFQ recommande que la Commission des droits de la personne du Québec puisse prendre toute action judiciaire appropriée dans ce domaine sans avoir nécessairement le consentement de la victime.

Harcèlement sexuel. Bien qu'il ait été établi clairement par un document de la

Commission des droits de la personne que le harcèlement sexuel est discriminatoire, la FFQ s'interroge. Nous croyons qu'il serait pertinent de préciser dans la charte que cette forme de discrimination est illégale. La commission s'appuie sur la jurisprudence américaine et sur celle des autres provinces du Canada. Nous soulignons qu'à ce jour, à notre connaissance, la commission n'a porté aucune cause devant les tribunaux. On se demande quelle serait l'interprétation de ceux-ci. La FFQ est très préoccupée par cette forme de discrimination: 110 demandes d'information ont été faites à ce sujet en 15 mois à la Commission des droits de la personne. Une vingtaine d'enquêtes sont en cours. En conséquence, la FFQ recommande l'ajout d'un article à la charte sur le harcèlement sexuel.

La grossesse. Sous le motif sexe, on peut couvrir plusieurs formes de discrimination à l'égard des femmes; nous croyons que la grossesse peut y être incluse. La FFQ a fait une demande d'enquête le 6 septembre 1978 pour un cas de congédiement pour motif de grossesse. Dans son jugement du 28 juillet 1981, la Cour supérieure a refusé d'accepter la demande de la Commission des droits de la personne du Québec qui invoquait, dans ce cas, le sexe comme motif de discrimination. Pour ces raisons, la FFQ recommande que le législateur trouve un mécanisme pour que la grossesse soit incluse implicitement dans l'article sexe comme motif de non-discrimination.

Article 69. En janvier 1975, la FFQ, dans son mémoire, demandait que la Commission des droits de la personne puisse étendre son pouvoir d'enquête dans tous les cas où la personne est lésée dans ses droits et libertés fondamentaux inscrits dans la charte. Elle demande à nouveau d'étendre le pouvoir d'enquête de la commission. La FFQ recommande que l'article 69 se lise dorénavant ainsi: "Toute personne qui a raison de croire qu'elle est ou a été victime d'une atteinte à un droit reconnu aux articles 1 à 19 ou au premier alinéa de l'article 48 peut adresser par écrit une demande d'enquête à la commission. Tout groupe de personnes peut, de la même manière et aux mêmes conditions, faire une demande d'enquête."

Recommandations quant à l'application de la charte. Afin d'assurer un meilleur service au public, la FFQ demande que des bureaux régionaux de la commission soient ouverts dans toutes les régions administratives du Québec. Presque tous les organismes gouvernementaux ont des bureaux et du personnel dans les régions. Il est plus que temps que la commission, qui a des pouvoirs d'enquête spécifiques, en ait aussi. Pour les citoyens et citoyennes en dehors de Montréal et Québec, il est impossible de présenter leur cas dans leur environnement immédiat. Cette discrimination géographique doit cesser. Il faudrait, d'ailleurs, augmenter le nombre d'enquêteurs. Les délais entre le moment de la demande d'enquête et celui de la comparution devant les tribunaux sont facilement d'un an; ça, c'est quand on est dans le district Saint-François. Cet état de fait est particulièrement pénible pour les plaignants et plaignantes. Il va sans dire que la FFQ souhaite que les budgets suivront pour permettre à la Commission des droits de la personne de faire encore mieux connaître et appliquer la Charte des droits et libertés de la personne.

La FFQ recommande que la Commission des droits de la personne du Québec puisse établir des bureaux dans toutes les régions du Québec. La FFQ recommande que le nombre d'agents d'accueil et d'enquêteurs soit augmenté. La FFQ recommande que les budgets de la commission soient augmentés pour permettre une meilleure application de la Charte des droits et libertés de la personne.

En conclusion, la FFQ croit que la Commission des droits de la personne du Québec a fait un excellent travail depuis cinq ans. Les femmes prennent de plus en plus conscience de leurs droits et des recours possibles pour se défendre. La FFQ constate que toutes les recommandations qu'elle a faites en 1975, lors de la commission parlementaire pour le projet de loi no 50, n'ont pas été retenues. Considérant ses demandes actuelles comme un minimum, la FFQ demande à la présente commission de voir à l'application de ses recommandations. Pour Huguette Lapointe-Roy, présidente de la Fédération des femmes du Québec.

Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le ministre.

M. Bédard: Je tiens à vous remercier de votre participation à nos travaux, de même que tous ceux et celles que vous représentez. Effectivement, nous savons que la Fédération des femmes du Québec est un organisme qui a une présence continue et soutenue dans le milieu féminin. J'avais eu l'occasion de rencontrer de vos représentantes, à Montréal, je crois...

Mme Thibault: C'était d'ailleurs moi, M. le ministre.

M. Bédard: Exactement, je me rappelle... lors du groupe de coalition et vous nous aviez, à ce moment, sensibilisés à plusieurs des sujets auxquels vous vous référez dans votre mémoire.

Je serais porté à vous remercier, non seulement en mon nom personnel et au nom des membres de la commission, mais également au nom de la Commission des

droits de la personne. Je pense que le plaidoyer que vous faites dans le sens de ses revendications est certainement un plaidoyer dont il nous faudra tenir compte, dans la mesure du possible. On est à même de voir que vous traitez de plusieurs points qui ont été abordés jusqu'à maintenant. Si nous avons moins de questions, je pense que vous le comprendrez...

Mme Thibault: Oui, très bien, M. le ministre.

M. Bédard: ... ce n'est pas que votre mémoire ne soit pas substantiel, mais plusieurs des sujets ont déjà été soulevés.

Je voudrais cependant vous poser quelques questions. Par exemple, concernant le harcèlement sexuel. Est-ce que vous pensez que c'est nécessaire de définir dans la charte ce qu'on entend par harcèlement sexuel?

Mme Thibault: Oui, c'est important de le définir dans la charte. Si on avait, par exemple, ce que propose la Commission des droits de la personne, c'est-à-dire le point harcèlement, nous serions très satisfaites.

M. Bédard: Maintenant, êtes-vous d'accord avec moi pour dire qu'une étude quand même assez approfondie du point de vue juridique doit être faite de manière que le fait de le définir ou même de le mentionner dans la charte n'ait pas pour effet de diminuer la portée de l'article 10 ou le libellé? Quand on parle de harcèlement, au bout du compte, ce sont des gestes qui sont posés et qui démontrent de la discrimination. L'article 10 parle de distinctions qui ne doivent pas être faites en raison de l'âge, de l'état civil, du sexe, etc. Nous allons demander à nos juristes de voir jusqu'à quel point l'élément distinction peut couvrir ce qu'on essaie d'inclure dans la notion de harcèlement sexuel.

Mme Thibault: Pour ce qui est de la notion de harcèlement sexuel, la Commission des droits de la personne a publié un texte excellent qui le définit très bien.

M. Bédard: Maintenant, est-ce que, selon vous, la commission devrait exercer une compétence exclusive dans la responsabilité de la mise sur pied des programmes ou de la réglementation concernant les programmes de redressement progressif ou encore, est-il possible de penser qu'il peut y avoir d'autres mécanismes qui puissent nous permettre d'atteindre les buts que vous visez?

Mme Larochelle (Yolande): Nous pensons que pour un système plus souple et plus rapide, cela devrait être centralisé dans un organisme. Si on se réfère à l'expérience américaine, au début, les recours contre la discrimination étaient divisés entre la Commission du service civil, le "Department of Labour" et la "Equal employment opportunity Commission" et cela entraînait beaucoup de délais qui n'en finissaient plus d'un organisme à l'autre. Nous pensons qu'il serait mieux que ce soit centralisé dans un organisme.

M. Bédard: Dans un organisme, d'accord.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Chapleau.

M. Kehoe: Je tiens à vous féliciter pour le travail que vous avez fait, c'est un mémoire court, précis et positif. Le ministre a mentionné que les recommandations que vous avez faites sont comprises dans les autres rapports qui ont été faits. Dans la recommandation quant à l'application de la charte - M. le ministre, la question s'adresse plutôt à vous - on mentionne que le délai à partir du moment de l'enquête jusqu'à la comparution devant les tribunaux est facilement d'un an. Il n'y a aucun doute qu'il y a une injustice flagrante qui s'ensuit naturellement envers les victimes de discrimination. Lors de la commission pour étudier les crédits du ministère de la Justice, on a parlé de l'encombrement des rôles de la Cour supérieure. Je pense que c'est une autre cause d'encombrement des rôles, mais ce n'est pas tout à fait la même chose. La solution à apporter au problème est beaucoup plus facile et simple. Si on regarde les recommandations faites par l'association, c'est bien clair, il s'agit tout simplement de nommer plus d'enquêteurs, d'avoir un budget plus important et d'avoir des bureaux dans les différentes régions du Québec.

Je me demande quelle est votre réaction à ces trois suggestions très positives qui, je pense, permettraient de rendre justice beaucoup plus vite et beaucoup plus simplement pour beaucoup de monde, beaucoup de victimes de discrimination.

M. Bédard: Je crois que c'est le genre de décision qu'il faudra prendre à un moment donné, quand on se sera arrêté sur l'ensemble des droits nouveaux ou des responsabilités nouvelles qu'on pourra octroyer à la commission à la suite d'un projet de loi qui pourrait être déposé. Entre-temps, il y a déjà des demandes que j'ai fait acheminer dans le sens d'essayer d'avoir les ressources financières possibles pour donner...

M. Kehoe: C'est une priorité de votre ministère, d'après vous? (22 heures)

M. Bédard: Absolument. M. le sous-ministre qui est ici me dit qu'il y a même une étude présentement, mais c'est assurément une priorité. Il est clair qu'on peut avoir la meilleure des commissions des droits et libertés, si on ne lui donne pas tous les moyens, tenant compte de nos disponibilités financières quand même, si on ne lui donne pas tous les moyens pour pouvoir être la plus expéditive possible au niveau du règlement des cas qui lui sont soumis, cela peut devenir des dénis de justice envers plusieurs citoyens.

M. Kehoe: Vous reconnaissez que la solution au problème, c'est simplement une question budgétaire. C'est une question de nommer plus d'enquêteurs, d'ouvrir des bureaux. Ce n'est pas tout à fait la même chose...

M. Bédard: II n'y a pas seulement cette question, ce n'est pas seulement en augmentant le nombre qu'on peut régler le problème. Il y a peut-être aussi l'utilisation de certaines ressources qui existent au niveau des régions. Je me demandais - au niveau de la commission, nous allons l'étudier - jusqu'à quel point on utilisait toutes les ressources qui sont quand même mises à la disposition des individus qui peuvent être l'objet de discrimination dans le domaine des services d'aide juridique, peut-être...

Mme Thibault: Je vous signale simplement, M. le ministre, que, pour ce qui est de l'aide juridique, pour avoir moi-même porté plainte à la Commission des droits de la personne, il faut avoir un faible revenu pour pouvoir utiliser l'aide juridique et, même quand on est en situation de chômage, comme c'était mon cas à ce moment-là, j'avais encore des revenus trop élevés pour l'aide juridique, ce qui fait que...

M. Bédard: Oui, je sais qu'on...

Mme Thibault: ...c'est extrêmement pénible, parce que je l'ai vécu. Habitant dans la région de Sherbrooke, j'ai trouvé cela extrêmement difficile d'avoir à communiquer à Montréal et encore, j'étais chanceuse, parce que je pense aux femmes de la Gaspésie ou de l'Abitibi-Témiscamingue. Là, cela devient vraiment très compliqué.

M. Bédard: Je ne veux pas dire par là qu'on va régler tous les cas...

Mme Thibault: Non, non.

M. Bédard: ...mais, ce matin, je me rappelle quand même que la Commission des droits de la personne nous a dit que les deux tiers de sa clientèle étaient surtout du pauvre monde, donc, des gens qui peuvent bénéficier des services de l'aide juridique. Il y a l'ensemble des ressources. En fait, il ne faut quand même pas refuser d'en parler.

Mme Thibault: Non, non.

M. Bédard: Elle existe, l'aide juridique.

Mme Thibault: Oui, oui.

M. Bédard: On n'en prend pas prétexte pour ne pas essayer d'intensifier nos efforts pour augmenter les ressources de la Commission des droits de la personne, mais je pense que c'est normal, dans un contexte comme celui dans lequel on vit, d'essayer d'aller au maximum de l'utilisation des ressources qui existent.

Mme Thibault: Oui. Le problème, c'est plutôt que les gens qui n'ont pas un revenu très élevé, qui ne peuvent pas avoir accès à l'aide juridique, qui ne peuvent pas engager un avocat pour accélérer et simplement utiliser la charte, ces gens sont extrêmement pénalisés.

M. Bédard: D'accord. C'est de ceux-là qu'il est question.

Le Président (M. Desbiens): Mme la députée de La Peltrie.

Mme Marois: Vous proposez une discrimination basée sur l'âge...

Mme Thibault: Oui.

Mme Marois: ...évidemment, l'ajout de l'âge comme motif interdit de discrimination et vous faites une relation dans votre document - et c'est au point 1 - avec le congé de maternité éventuel. J'aimerais que vous expliquiez cela davantage. Je ne sais pas le genre de relation qui a été fait dans d'autres mémoires. Comment voyez-vous que ce type de plainte soit traité? Vous semblez mentionner ici: Nous recevons des témoignages relatant que plusieurs femmes en âge, etc.

Mme Thibault: C'est peut-être très difficile à prouver, mais ce que je constate, c'est que les femmes sont toujours trop jeunes ou trop vieilles pour être engagées. C'est frappant. Quand c'est trop jeune, on leur dit que c'est parce qu'elles vont se marier, qu'elles vont déménager ou des choses comme cela.

Mme Marois: On le leur dit.

Mme Thibault: Souvent, on entend des employeurs, malgré tout, qui vont faire des commentaires. Effectivement, j'ai entendu beaucoup de commentaires d'employeurs à la

suite du congé de maternité qui est maintenant dans les lois. Beaucoup d'employeurs disent: Oui, mais engager une femme, cela veut dire qu'on risque de la voir partir pour un congé de maternité, d'être obligé de la remplacer et justement les petits employeurs vont hésiter. C'est pour cette raison que je dis que les femmes d'un certain âge sont doublement ou triplement discriminées dans l'emploi.

Mme Marois: Vous dites que les femmes plus âgées le sont à partir de l'âge...

Mme Thibault: Après cela, pour autre chose, oui.

Mme Marois: ...et en période très active...

Mme Thibault: Oui, c'est cela.

Mme Marois: ...entre 25 et 35 ans, par exemple...

Mme Thibault: C'est cela, 35 ans.

Mme Marois: ...ces motifs-là vont intervenir.

Mme Thibault: Oui, c'est cela.

Le Président (M. Desbiens): Mme la députée de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: À la page 3, vous dites: la Fédération des femmes du Québec recommande "que la commission puisse prendre toute action judiciaire appropriée dans ce domaine sans avoir nécessairement le consentement de la victime". Je ne sais pas si ma question s'adresse à vous ou si elle s'adresse au ministre. Est-ce que c'est - je comprends que c'est en relation avec une non application des règlements qui seraient édictés pour le plan de redressement, d'accès à l'égalité des chances dans l'emploi coutumier qu'on puisse prendre un action judiciaire sans le consentement de la victime?

M. Bédard: Ce n'est sûrement pas coutumier.

Mme Lavoie-Roux: Je me pose des questions là-dessus, quel est votre...

Mme Thibault: Pour ce qui est de cette recommandation, nous appuyons les recommandations de la Commission des droits de la personne qui sans doute pourrait vous l'expliquer plus clairement que moi, parce que je ne suis pas juriste. C'est que souvent, s'il faut absolument qu'une victime autorise, cela peut ralentir les programmes d'action positive. S'il faut absolument qu'il y ait une victime qui, par exemple, dans une industrie porte plainte et qu'à la suite de cela on puisse installer un programme d'action positive, cela devient compliqué. Enfin, moi c'est comme cela que je l'avais vu.

Mme Lavoie-Roux: II me semble, en tout cas, qu'il peut y avoir un certain danger. Est-ce qu'à ce moment, le cas d'où on part ne peut pas être l'objet de représailles? Vous allez peut-être dire que les représailles, cela va être aussi dans l'ensemble des droits et libertés, mais cela devient compliqué. Juste au plan juridique, je me demandais si c'était très pratique d'avoir une telle disposition. Comme profane cela ne me semble pas...

M. Bédard: Quand on fait cette demande, c'est qu'on veut déboucher sur autre chose en termes de préoccupation, parce que, comme vous l'avez mentionné tout à l'heure - en fait votre question le mentionnait - c'est très peu coutumier qu'on puisse intenter une action judiciaire sans le consentement de la personne qui a pu subir le préjudice, parce que si cette personne n'est pas là pour faire la preuve du préjudice, il n'y a pas de condamnation possible. Il est clair que lorsque cette demande est faite, c'est plutôt dans l'intention pour la commission de se pencher sur le phénomène même que représente le cas particulier, et pouvoir exercer des actions sans que la personne nommément ne soit mise en cause...

Mme Thibault: Oui, mais c'est dans le cas très précis qui entoure l'action positive, ce n'est pas pour l'ensemble des plaintes. Cela touche uniquement le secteur de l'action positive.

Mme Lavoie-Roux: Cela reste à être examiné de toute façon. Merci.

Le Président (M. Desbiens): En terminant...

M. Bédard: Est-ce qu'il y a d'autres questions? Nous vous remercions encore une fois...

Mme Thibault: Merci.

M. Bédard: ...de votre participation à nos travaux. Merci.

Comité d'action politique des femmes du PQ

Le Président (M. Desbiens): Je demanderais maintenant au Comité d'action politique des femmes du Parti québécois de se présenter.

M. Bédard: II me semble que c'est un parti dont j'ai déjà entendu le nom, M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): Mme Daffe, si vous voulez présenter les personnes qui vous accompagnent.

Mme Daffe (Jeannine): Mme Lafortune va les présenter.

Mme Lafortune (Marjolaine): Bonsoir, je me nomme Marjolaine Lafortune. À ma gauche, Danielle Cordeau, qui est membre du comité; à ma droite, Jeannine Daffe, qui est la responsable permanente au parti du Comité d'action politique des femmes du Parti québécois.

D'abord, je voudrais dire qu'on est très heureuses de pouvoir participer à la commission, puisque cette démarche s'inscrit comme un pas supplémentaire dans la poursuite des objectifs qu'on a et des mandats qui nous ont été confiés par le conseil national de notre parti.

Le préambule de la Charte des droits et libertés de la personne énonce dans ses considérants qu'il y a lieu d'affirmer solennellement dans une charte les libertés et droits fondamentaux de la personne afin que ceux-ci soient garantis par la volonté collective et mieux protégés contre toute violation.

Le Comité d'action politique des femmes du Parti québécois participe à cette volonté collective qui vise essentiellement à la réalisation d'un projet de société qui assurera l'égalité des droits et une égalité véritable des chances pour toutes les Québécoises et pour tous les Québécois.

Le comité, composé de membres élus par le conseil national du Parti québécois, s'intéresse plus spécifiquement aux conditions de vie des femmes et c'est à ce titre qu'il s'adresse aujourd'hui à la commission permanente de la justice.

Le comité considère la Charte des droits et libertés de la personne du Québec comme un instrument privilégié d'affirmation, de promotion des libertés fondamentales et de lutte contre la discrimination sous toutes ses formes, en particulier la discrimination faite aux femmes.

Le comité n'a pas hésité par le passé, à l'occasion de réunions, de colloques, de rencontres informelles, de publications, à diffuser la charte et à inciter les femmes à s'en servir comme leur appartenant aussi en propre. Il a été attentif aussi aux prises de position et aux activités de la Commission des droits de la personne, gestionnaire et fiduciaire de ladite charte.

Les réflexions et propositions du présent mémoire porteront principalement sur la nécessité d'amender la Charte des droits et libertés de la personne afin de permettre l'implantation de programmes dits d'action positive (programmes de redressement progressif) et de prohiber toute discrimination de quelque nature que ce soit dans les régimes d'avantages sociaux.

Par ailleurs, il nous apparaît important de préciser le motif du sexe qui rend la discrimination illégale en faisant une mention explicite, dans la loi, de l'état de grossesse qui permet actuellement à certains employeurs de refuser à l'embauche des femmes enceintes du seul fait qu'elles sont enceintes. Il ne semble pas évident non plus, dans l'état actuel du droit, que le motif du sexe recouvre les situations de harcèlement sexuel dont sont fréquemment victimes les femmes en position de faiblesse dans le monde du travail encore très généralement dirigé par des hommes.

Enfin, le comité croit important d'ajouter à l'article 10 de la charte l'âge comme actif interdit de discrimination. Le concept de discrimination, en outre, devrait être défini de façon plus explicite dans la charte et qu'on fasse ressortir davantage que les pouvoirs d'enquête de la Commission des droits de la personne en matière de discrimination s'étendent à toutes les situations prévues dans les énoncés de principe.

Déjà un projet de loi qui n'a pu se concrétiser, le projet de loi 24, visait à modifier la Charte des droits et libertés de la personne pour permettre l'adoption de programmes destinés à améliorer la situation de personnes désavantagées en tant que groupe. Ce projet de loi, s'il avait été adopté tel que libellé, aurait permis tout au plus l'établissement de programmes d'action positive sur une base volontaire, sans la vigueur et la coercition souvent nécessaires en matière de lutte contre la discrimination.

Point n'est besoin de démontrer ici que les femmes particulièrement ont été victimes de la discrimination institutionnalisée que d'aucuns appellent la discrimination systémique. Cette discrimination renvoie au rôle traditionnellement tenu par les hommes et les femmes dans la société. Qu'on songe seulement à la hiérarchie du fonctionnarisme québécois. L'infime minorité de femmes dans les fonctions d'encadrement est une illustration de cette discrimination dite systémique. Quand le réseau d'éducation, famille, école, société, a survalorisé pour les femmes les fonctions de soutien c'était déjà, de façon institutionnalisée, compromettre pour les femmes l'égalité des chances d'avancement et de promotion. L'égalité des chances étant compromise au départ, l'égalité de résultat l'était aussi.

Une observation tant soit peu sérieuse de la situation des femmes sur le marché du travail suffit à faire comprendre qu'il ne s'agit pas seulement de corriger des situations isolées par des interventions

individuelles et marginales, mais qu'il s'agit d'abord et avant tout de prendre des mesures globales et parfois radicales pour bloquer les résultats néfastes de systèmes historiquement discriminatoires. Il s'agirait de relire ici l'étude de la Commission des droits de la personne sur la situation faite aux femmes dans les conventions collectives de travail pour comprendre que ces mesures globales s'imposent. Qu'en est-il si on songe que la main-d'oeuvre non syndiquée se compose majoritairement de femmes?

Afin de lutter de façon efficace contre la discrimination et en particulier la discrimination à l'égard des femmes, le Comité d'action politique des femmes du Parti québécois recommande que la Charte des droits et libertés de la personne soit amendée de façon à permettre les programmes d'action positive ou de redressement progressif en dotant la Commission des droits de la personne des pouvoirs de réglementation nécessaire à la mise sur pied et à la surveillance de tels programmes. (22 h 15)

Le comité recommande, en outre, reprenant en cela les recommandations d'autres instances, que les contrats, permis, licences ou subventions accordés par le gouvernement du Québec et tous organismes et entreprises relevant de son autorité soient assortis de conditions et de modalités prévoyant la mise en place d'un programme d'action positive, sous réserve de la démonstration par les intéressés que l'introduction d'un semblable programme n'est pas nécessaire parce que la politique d'emploi n'est entachée d'aucune forme de discrimination.

En ce qui concerne l'article 90 de la Charte des droits et libertés de la personne, il autorise la discrimination dans les régimes de rentes ou de retraite, dans les régimes d'avantages sociaux et dans les régimes d'assurance de personnes quand telle discrimination est fondée sur le sexe, l'état civil, l'orientation sexuelle ou le handicap. Notre comité estime que l'article 90 est une mesure d'exception qui pénalise les femmes, entre autres. Même si le comité Boutin sur la non-discrimination dans les avantages sociaux a pu reconnaître que des considérations actuarielles pouvaient justifier cette discrimination, il nous paraît indécent que des arguments d'ordre économique maintiennent certains groupes dans une situation d'inégalité et qu'une Charte des droits et libertés qui veut promouvoir l'égalité des uns et des autres autorise les distinctions porteuses d'inégalités.

Nous recommandons que l'article 90 de la Charte des droits et libertés de la personne soit purement et simplement abrogé.

En ce qui concerne l'embauche des femmes enceintes, je pense que le Conseil du statut de la femme a fait ce matin un excellent exposé concernant le cas qui a été porté devant les tribunaux, dans lequel le juge est arrivé à la conclusion qu'il n'y avait pas eu de discrimination basée sur le sexe dans le cas où on n'avait pas engagé la femme qui était enceinte, mais qui avait passé tous les tests nécessaires à l'embauche. Il ressort de tout cela que, pour le juge, si le législateur avait voulu prohiber la discrimination fondée sur l'état de grossesse, il l'aurait dit.

Déjà, la loi 126 sur les normes du travail, en son article 122, paragraphe 4, interdit à un employeur de congédier, de suspendre ou de déplacer une salariée pour la raison qu'elle est enceinte. Cette protection s'applique aux femmes enceintes déjà sur le marché du travail. Les femmes enceintes à la recherche d'emplois ne sont pas protégées. Sans qu'il soit besoin d'argumenter sur la fonction sociale de la maternité et les conjonctures socio-économiques qui poussent certaines femmes enceintes à se chercher du travail, le comité, pour assurer l'égalité des chances des femmes enceintes, recommande que le législateur amende la Charte des droits et libertés de la personne pour interdire la discrimination faite aux femmes enceintes du seul fait qu'elles sont enceintes. L'état de grossesse, comme le sexe, l'état civil, etc., devrait être ainsi ajouté à l'article 10 de la charte comme motif interdit de discrimination ou encore il faudrait que la charte stipule explicitement que discriminer en raison de l'état de grossesse constitue de la discrimination fondée sur le sexe.

Le harcèlement sexuel. Le droit à l'égalité pour les femmes, notamment sur le marché du travail, est souvent compromis par l'épineux problème du harcèlement sexuel. Des études et sondages récents ont démontré qu'une majorité de femmes sur le marché du travail ont au moins une fois été victimes de harcèlement sexuel. Cette pratique qui veut que l'embauche, les promotions, les conditions de travail des femmes en général soient reliées au consentement à des faveurs sexuelles accordées à des hommes en situation de pouvoir, le harcèlement sexuel, ne peut plus faire partie des règles du jeu au travail.

Une femme harcelée sexuellement qui se verrait, par exemple, congédiée parce que refusant de se prêter à ce jeu du pouvoir pourrait se plaindre de discrimination sur la base du sexe. Selon nos informations, la Commission des droits de la personne estime recevable ce genre de plainte et fait enquête. Est-il certain, cependant, que la cour quelle qu'elle soit verrait dans le harcèlement sexuel une forme quelconque de discrimination?

Le harcèlement sexuel qui a été

qualifié de maladie sociale est un phénomène en soi. Les programmes d'information sur la question ne suffisent pas à assurer aux femmes les moyens nécessaires pour lutter efficacement quand elles sont victimes de harcèlement sexuel. La loi devrait interdire expressément ce genre de pratique. Notre comité recommande donc que le harcèlement sexuel soit considéré et de façon explicite comme illégal au sens de la Charte des droits et libertés de la personne et que les plaintes de harcèlement sexuel soient recevables pour fins d'enquête par la Commission des droits de la personne.

L'âge comme motif de discrimination. Parmi les pratiques discriminatoires courantes, il faut relever celles relatives à l'âge. Il suffit de consulter rapidement les offres d'emplois dans les quotidiens pour constater que l'on catégorise souvent la main-d'oeuvre par groupes d'âge. Les employeurs recherchent généralement des gens se situant entre 25 et 35 ans; avant on est trop jeune, après on est trop vieux.

Les femmes qui désirent retourner sur le marché du travail après s'être adonnées aux tâches d'éducation des enfants sont pénalisées par ce critère de l'âge comme exigence d'obtention d'emploi.

Il y a évidemment la question de l'âge obligatoire de la retraite qui devrait être repensée. La discrimination selon le sexe dans les régimes de retraite étant autorisée, comme nous l'avons signalé plus haut, il arrive assez souvent que ces régimes prévoient des différences d'âge quant à l'accès à la retraite pour les femmes ou les hommes. On créera, par exemple, l'obligation aux femmes de prendre leur retraite à 60 ans, alors que ce sera à 65 ans pour les hommes. Le Comité d'action politique des femmes du Parti québécois recommande donc aux législateurs d'amender la Charte des droits et libertés de la personne pour ajouter le motif d'âge à l'article 10 comme motif interdit de discrimination.

En ce qui a trait au concept de discrimination, en même temps que l'affirmation des libertés et des droits fondamentaux, la Charte des droits et libertés de la personne proclame pour les citoyennes et les citoyens le droit à la reconnaissance et à l'exercice en pleine égalité des droits et libertés de la personne. Une atteinte à ce droit pour l'un des motifs de l'article 10 constitue de la discrimination. La définition juridique du concept de discrimination dans la charte peut certes paraître claire pour les personnes familières avec les textes de loi. Il n'est pas certain, cependant, que celles et ceux qui vivent des situations de discrimination puissent comprendre facilement que ces situations qui les touchent sont peut-être illégales. La Commission des droits de la personne peut-elle enquêter chaque fois que le droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne est compromis et que quelqu'un s'en plaint? Ou encore, ce pouvoir d'enquête est-il restreint comme peut le laisser penser l'article 69 de la charte?

Comme la Charte des droits et libertés de la personne est - nous le répétons - un instrument privilégié de lutte contre la discrimination, notre comité estime qu'il y aurait lieu de rendre plus explicite et plus facilement compréhensible pour tout le monde le concept de discrimination et de faire ressortir clairement que les pouvoirs d'enquête de la Commission des droits de la personne en matière de discrimination s'étendent à tous les domaines prévus dans la charte, soit les droits fondamentaux, les droits politiques, les droits judiciaires, les droits économiques et sociaux. Merci.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Bédard: Je vous remercie de votre mémoire et de votre contribution aux travaux de cette commission. Je pense bien que vous êtes à même de constater comme nous que votre mémoire rejoint sur l'essentiel beaucoup des points qui ont été soulevés. Ce n'est pas que l'heure est tardive, mais il est évident qu'à mesure que les mémoires défilent les uns après les autres le nombre de nos questions est peut-être plus restreint pour la bonne et simple raison qu'on a eu l'occasion de les aborder à l'occasion de la présentation d'autres mémoires. D'une façon générale, croyez-vous que la Commission des droits de la personne doit être le seul intervenant en matière de protection des droits et libertés?

Mme Lafortune: Je le pense. Si on se fie à l'histoire du modèle américain dans ce domaine où au début, à mesure qu'on créait des organismes pour protéger certains groupes contre la discrimination... Il n'est pas question pour nous, en passant, d'adopter le modèle américain, mais il est question pour nous de profiter de l'expérience du modèle américain dans lequel il y avait trois organismes émettant leurs propres réglementations. Ces réglementations s'entrecoupaient, rendaient pratiquement inapplicables celles des autres, ce qui fait que finalement on aboutissait à un résultat complètement contraire à celui qu'on poursuivait. Pour ces raisons, je pense que la commission qui a les pouvoirs d'enquête doit être l'organisme responsable de l'application des programmes d'action positive et des autres recommandations que l'on fait.

M. Bédard: Mais en matière d'action positive, pouvez-vous concevoir qu'il puisse être possible, au niveau de la réglementation

et de la programmation, qu'il y ait un seul couloir, mais qui pourrait être... En fait, le gouvernement, après consultation de la commission, suivie d'auditions publiques ou de commissions parlementaires où la commission et des groupes peuvent se faire entendre de manière à déboucher sur un consensus concernant la réglementation et la mise au point de certains programmes...

Mme Lafortune: Certainement. Si je comprends bien votre question, c'est au niveau de la réglementation?

M. Bédard: C'est cela.

Mme Lafortune: Oui. Je pense que la première réglementation, si la commission obtient le pouvoir...

M. Bédard: De l'application, au niveau de l'application...

Mme Lafortune: ...de rédiger au moins les premières réglementations que c'est nécessaire qu'il y ait une première consultation, qu'il y ait une consultation, un lien entre les organismes, ceux qui interviennent et qui seront appelés à intervenir, parce que chacun défend un domaine qui lui est spécifique. Certains, c'est le travail, d'autres c'est...

M. Bédard: Autrement dit vous voyez nécessaire, la participation non seulement des groupes cibles, mais des syndicats si c'est nécessaire lorsqu'il s'agit de l'élaboration de programmes et puis le fait que la réglementation et les programmes puissent être amorcés par le gouvernement après consultation de la commission pour déboucher... cela vous semble un canal acceptable. Oui?

Mme Lafortune: Oui, entièrement.

M. Bédard: Je demanderais peut-être...

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Shefford.

Une voix: Un peu comme la semaine passée en Chambre, l'Opposition vote en faveur du rapport tel que présenté, mais on n'appuie pas le parti qu'il l'a présenté.

Le Président (M. Desbiens): Mme la députée de La Peltrie.

Mme Lavoie-Roux: Je voudrais ajouter un mot... s'il vous plaît.

Mme Marois: Je m'excuse Mme Lavoie-Roux. Il y a quelque chose qui est assez original, effectivement parce qu'on est revenu beaucoup et abondamment sur les différentes questions que vous avez soulevées, ce qui est intéressant. Il reste que votre mémoire est clair, succinct et assez concis dans ce sens-là. Il y a une chose que vous soulevez à la toute fin de votre mémoire et qui est quand même assez originale, où on dit: "II y aurait lieu de rendre plus explicite et plus facilement compréhensible pour tout le monde, le concept de discrimination et de faire ressortir clairement les pouvoirs d'enquête de la commission". Dans le fond, j'aimerais que vous explicitiez un peu. Est-ce que déjà dans notre tête on peut conclure que les gens ne recourent même pas suffisamment à la commission, parce qu'ils ne sont pas sensibles à certaines formes de discrimination qui existent, n'étant pas conscientisés à cette notion de discrimination? J'aimerais que vous explicitiez un peu davantage, parce que c'est assez original dans votre mémoire.

Mme Lafortune: Cette recommandation est faite à partir de la rédaction de l'article 69 de la charte. L'article 69 semble limiter dans son interprétation les pouvoirs d'enquête de la commission aux articles 10 à 19, alors qu'à partir des articles 19 à 48 qui couvrent les droits politiques, les droits judiciaires, les droits économiques et sociaux, si on interprète strictement l'article 69, on semblerait dire que la commission n'aurait pas le pouvoir d'enquête sur ces droits. C'est difficile. Pour des juristes, on finit par comprendre, on devient familier avec le texte, mais pour une personne qui veut savoir, par exemple, si elle a été discriminée pour des cas qui sont un peu moins flagrants que, par exemple, sur le sexe ou les cas qu'on connaît bien, l'état civil, la race, la couleur de la peau, ce n'est pas facile pour des gens de prendre le texte de loi, tout le monde sait que nul n'est censé ignorer la loi, mais on n'est pas obligé d'avoir des lois difficiles de compréhension.

Alors ce qu'on voudrait, c'est que le concept de discrimination soit un peu plus facile d'accès pour sa compréhension, c'est-à-dire que cela soit clair que discrimination comprend, en plus des 12 motifs de l'article 10, aussi les droits fondamentaux, les droits politiques - ce que plusieurs personnes ne savent pas - les droits judiciaires, les droits économiques et les droits sociaux. C'est dans ce sens là que...

Mme Marois: À ce moment-là, vous vous référez, par exemple, aux articles 1 à 10, vous les incluez.

Mme Lafortune: Oui, oui.

Mme Marois: Cela l'est plus dans ce sens-là que dans le sens de sensibiliser une population à la notion de discrimination.

Mme Lafortune: II y a cela aussi, effectivement. À part, comme je disais tout à l'heure, les situations discriminatoires, qui sont facilement reconnaissables sur la race, le sexe... il y a d'autres notions qui sont plus difficiles à saisir et les gens ne se rendent peut-être même pas compte qu'ils subissent une discrimination pour tout autre motif. On demande qu'il y ait une définition plus facile, parce que quand tu fais référence à plusieurs articles, tu passes de l'article 69, tu réfères à l'article 10, tu lis les articles 10 jusqu'à 19, alors tu dis c'est compliqué, pour un néophyte. Ce n'est presque pas possible de s'y retrouver. Évidemment nul n'est censé ignorer la loi, mais vous savez comme moi que lire des textes de loi, cela reste encore pour un monde privilégié.

M. Bédard: Ce n'est pas facile pour tout le monde.

Mme Lafortune: Même pas pour nous autres parfois.

Le Président (M. Desbiens): Mme la députée de L'Acadie. (22 h 30)

Mme Lavoie-Roux: Je voudrais remercier le Comité d'action politique des femmes du Parti québécois. Sans aucun doute, elle sont venues devant la commission pour deux raisons: pour indiquer que le parti entend être indépendant vis-à-vis du pouvoir exécutif...

Mme Lafortune: C'est votre interprétation.

Mme Lavoie-Roux: ... et également, je pense, parce que, depuis longtemps, ce sont des questions qui vous préoccupent et c'est normal de vous retrouver ici devant cette commission. Comme d'autres ont parlé avant moi, à peu près tous les sujets qui sont ici ont été traités, alors il ne s'agit de prolonger la discussion. La seule question que je voudrais vous poser, on a beaucoup parlé ce soir de plans d'action positive dans le redressement de l'emploi, etc., pour une possibilité d'accès, est-ce que ceci devrait s'appliquer également, selon vous, au plan politique, par exemple, dans les nominations aux différents conseils d'administration ou conseils consultatifs, enfin tous les organismes gouvernementaux que l'on connaît et qui se sont multipliés depuis quelques années? Est-ce que ceci devrait s'appliquer a l'intérieur des cabinets politiques des ministres?

Mme Lafortune: II faut faire des distinctions là. Oui, je pense que le gouvernement doit donner l'exemple pour ce qui est des organismes qui sont directement sous sa juridiction, c'est-à-dire la fonction publique. Évidemment, les entreprises privées vont regarder comment ça se passe, qu'importe le parti qui est au pouvoir.

Mme Lavoie-Roux: Oui.

Mme Lafortune: Pour ce qui est du personnel de cabinet politique, je pense que oui, en principe ça devrait être un exemple à donner, quoique ce n'est pas soumis aux mêmes...

Une voix: Ce n'est pas soumis aux mêmes règles.

Mme Lafortune: ... aux mêmes règles.

Mme Lavoie-Roux: Je suis d'accord avec vous, quoique ceux qui sont dans les cabinets politiques sont rémunérés dans le sens qu'ils détiennent un emploi. Vous me dites: Oui, le gouvernement devrait donner l'exemple, mais ça fait plusieurs années qu'il devrait donner l'exemple.

Mme Lafortune: Oui.

Mme Lavoie-Roux: Pour tous les gouvernements, je ne veux pas en faire une question partisane - vu que c'est vous autres qui êtes ici à la table, ça peut paraître comme ça - est-ce que l'organisme ou le comité, que ce soit la Commission des droits de la personne, qui se pencherait sur la réglementation touchant ces programmes de redressement ou d'action positive devrait y inclure, selon vous...

Mme Lafortune: Jusqu'au personnel.

Mme Lavoie-Roux: ... des dispositions qui toucheraient également ces secteurs d'activité qui sont quand même des secteurs gouvernementaux, que ce soient des organismes gouvernementaux ou les cabinets politiques?

Mme Lafortune: Je pense qu'il devrait au moins s'y pencher parce que le personnel de cabinet politique a quand même des fonctions d'encadrement. Ce sont de hautes fonctions. Si on se fie à la hiérarchie, le personnel politique comprend les secrétaires; il y a des ghettos là aussi, ce n'est pas différent des autres institutions dans lesquelles on vit. Il ne s'agit peut-être pas d'en faire une mention spécifique dans la charte, mais sûrement de s'y pencher. Chaque gouvernement doit le faire, qu'importe le parti.

Mme Lavoie-Roux: Cela ferait partie d'une réglementation.

Mme Lafortune: Je ne serais peut-être

pas d'accord d'avoir une réglementation aussi spécifique, c'est-à-dire qui irait dans le sens...

Mme Lavoie-Roux: Pour quelle raison?

Mme Lafortune: D'abord, parce que l'article 20 de la Charte des droits et libertés de la personne permet des exclusions et des exemptions en ce qui concerne un parti politique. Ce n'est pas considéré comme étant des mesures discriminatoires. Je ne pense pas qu'on doive, dans la législation ou dans la réglementation des programmes d'action positive, être aussi spécifique que ça.

Mme Lavoie-Roux: Évidemment, on discute pour discuter, un peu plus que pour discuter, parce que je pense que c'est intéressant, mais il reste quand même que les personnes sont payées à même les fonds publics, à même les taxes des contribuables. Ce n'est pas l'argent qu'un parti politique -pour "départisaner" la chose - ramasse à même ses campagnes de financement ou ainsi de suite, c'est vraiment de l'argent qui vient des fonds publics. Je m'explique mal que des mesures d'action positive puissent exclure même...

M. Bédard: Je voudrais bien, c'est un sujet qui m'intéresse...

Mme Lavoie-Roux: ...pas exclure...

M. Bédard: ...si vous me le permettez c'est un sujet qui m'intéresse parce que les gouvernements ne sont pas toujours les mêmes, mais je voudrais bien savoir ce que veut dire Mme la députée de L'Acadie. Est-ce qu'elle veut dire... Qu'est-ce qu'elle entend par personnel politique, d'abord?

Deuxièmement, est-ce qu'elle veut nous dire, au sujet du personnel politique autour d'un ministre, qu'à ce moment, il n'y aurait pas la possibilité pour le ministre de choisir des personnes qui vont dans le sens de ses convictions; est-ce qu'elle veut dire que...

Mme Lavoie-Roux: Non, je pense qu'il y a suffisamment de sympathisants péquistes pour que vous en trouviez qui soient qualifiés pour remplir les tâches.

M. Bédard: Non, non, j'essaie d'oublier péquistes et libéraux parce qu'on pourrait poser la même question. Si vous étiez au pouvoir, est-ce que vous trouveriez normal que les ministres libéraux s'entourent de personnes aux fins d'appliquer des politiques, de personnes qui ne croient pas dans ces politiques-là? Si c'est cela que vous voulez dire, je ne vois pas en quoi la charte peut s'appliquer au niveau du recrutement du personnel politique.

Le Président (M. Desbiens): Mme la députée de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: M. le Président, si vous me permettez de répondre au ministre, je pense que ce n'était pas du tout le sens de ma question.

M. Bédard: Ah! bon, c'est cela que je veux savoir.

Mme Lavoie-Roux: Ce n'était pas du tout ce que j'ai voulu dire, que vous devriez prendre "at large", excusez l'expression, des sympathisants libéraux pour travailler à l'intérieur... Ce serait beaucoup trop de vertu, je ne vous en connais pas autant que cela encore.

M. Bédard: À l'Assemblée nationale, vous en avez 65 qui sont rattachés au parti de l'Opposition. Je pense bien qu'ils choisissent des gens qui sont de leur opinion politique. C'est logique.

Mme Lavoie-Roux: Non, non, quand j'ai parlé d'action positive ou de redressement, c'est vraiment dans le même sens qu'on en a parlé toute la journée. Je me souviens que, la première année, et je n'ai pas eu le temps de refaire l'exercice depuis, j'avais examiné les cabinets des ministres et, de mémoire, on y retrouvait une seule femme chef de cabinet. Je ne sais pas si elle l'est encore, c'était Louise Beaudoin; le reste, on les retrouvait toutes comme secrétaires de troisième ou quatrième rang.

M. Bédard: ...

Mme Lavoie-Roux: Écoutez, je vous parle de la première année. Comme je vous dis, je n'ai pas refait l'exercice. Alors, je pense que ce que l'on appelle du redressement quant à la hiérarchie occupée dans les cabinets des ministres, le même principe que l'on veut voir appliquer ailleurs devrait normalement pouvoir s'appliquer là. Maintenant, si un parti politique, à même ses fonds, décide qu'il veut faire de la discrimination, cela le regarde. Il sera jugé par ses militants, mais là, il s'agit vraiment de l'argent qui...

M. Bédard: Je comprends très bien le sens de votre question.

Le Président (M. Desbiens): Mme la députée de La Peltrie, s'il vous plaît!

Mme Marois: Oui, j'aimerais revenir un peu sur ce que dit Mme Lavoie-Roux. Il m'apparaîtrait normal qu'effectivement, à l'ensemble de la masse des cabinets, s'applique aussi la règle de l'accès à l'égalité. Je vous reproche juste une chose,

quand vous avez dit discrimination, mais c'est vraiment fort différent quand on parle de programme d'accès à l'égalité; vous avez utilisé discrimination, dans le fond, dans le sens de discrimination positive, mais on sait que c'est fort différent; alors là-dessus, j'aimerais bien que l'on se reprenne.

Au niveau des directrices de cabinet, il y en a quand même cinq actuellement; c'est déjà un point important par rapport à une personne qu'il y a eu. D'autre part, je dois dire que, et je l'ai déjà mentionné à la députée de L'Acadie à une commission parlementaire précédente sur l'étude des crédits, je me suis fait moi-même mon petit programme de redressement progressif en ce qui a trait aux nominations politiques. Vous pourrez, j'imagine, poser de nouveau les mêmes questions que celles que vous avez déjà posées au moment de la commission parlementaire de juin dernier et cela me permettra probablement, à ce moment-là, de prouver que c'est possible sur une base de volontariat; dans mon cas, il s'en dit.

Le Président (M. Desbiens): Mme la députée de L'Acadie.

Mme Lavoie-Roux: Je voudrais quand même, puisque toutes ces questions s'adressaient à ces dames et que chacun a jugé bon d'intervenir, ce qui est d'ailleurs de la bonne démocratie...

M. Bédard: Oui, cela a permis de clarifier des choses.

Mme Lavoie-Roux: ...il reste que ce que j'ai dit... Encore une fois, je suis prête à refaire l'exercice et à réexaminer les cabinets des ministres. J'ai aussi parlé, il ne faudrait pas les oublier, des organismes gouvernementaux qui sont une partie importante, mais on les a perdus dans la discussion. Je me dis que, si l'exercice... Parce que, dans le fond, ce que l'on dit, je pense que c'est même dans votre mémoire. Vous dites que, si on fait la preuve qu'il n'y a pas de discrimination, on pourrait soustraire à certaines entreprises qui font des affaires avec le gouvernement l'obligation de se soumettre à un plan de redressement, mais, si le cas s'applique aux cabinets des ministres, la même règle pourrait s'appliquer.

Mme Marois: Oui.

Mme Lafortune: Oui, entièrement d'accord.

Mme Lavoie-Roux: Si elle ne s'applique pas, je pense qu'ils pourraient aussi faire l'objet des mêmes...

Mme Harel: D'une attention soutenue.

Mme Lafortune: D'une réglementation précise.

Mme Lavoie-Roux: ... dispositions, d'une recommandation précise qu'on prévoit pour les autres entreprises, organismes gouvernementaux ou fonction publique, etc. C'est tout ce que je voulais dire, M. le Président.

Mme Marois: Ou même s'appliquer d'abord la loi, comme législateurs.

Mme Lavoie-Roux: Cela...

M. Bédard: On va surveiller les cabinets de l'Opposition aussi. On va voir si les femmes sont bien représentées.

Mme Lavoie-Roux: Vous avez tout à fait raison. En voilà une, toujours! On n'en a pas beaucoup, nous autres.

M. Bédard: La meilleure manière d'avancer, c'est de se surveiller les uns les autres.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre, en concluant.

M. Bédard: Nous allons conclure en remerciant, M. le Président, les représentantes du Comité d'action politique du Parti québécois d'avoir fait l'effort d'acheminer ici des représentations concernant ce qui pourrait sûrement représenter une amélioration à l'ensemble de la condition féminine. On vous remercie beaucoup.

Une voix: Merci beaucoup.

Le Président (M. Desbiens): Merci. Bonsoir.

YWCA

Je demanderais maintenant à la représentante du YWCA, Mme Lise Moisan, de s'approcher, s'il vous plaît.

Une voix: YWCA.

Le Président (M. Desbiens): Oui, YWCA. Excusez-moi.

Mme Moisan (Lise): D'accord, M. le Président. Tout le monde fait la même erreur. Bonsoir. Veut, veut pas, on va finir la soirée avec une discussion sur le harcèlement sexuel, parce que notre mémoire porte exclusivement sur cette question.

En juin de cette année, le YWCA a organisé une conférence publique à Montréal, portant sur le harcèlement sexuel des femmes au travail. Pendant les trois

semaines avant l'événement et durant aussi la semaine suivant l'événement, près de 60 femmes nous ont appelées, non seulement pour nous demander des renseignements au sujet de la conférence, mais plus particulièrement pour chercher de l'aide et des renseignements. La plupart d'entre elles avaient déjà été congédiées ou étaient, selon elles, sur le point de l'être, pour cause - non avouée, bien sûr, par l'employeur - de harcèlement sexuel.

J'ai essayé de donner suite à ces demandes de renseignements et j'ai, dans tous les cas, suggéré aux femmes qui appelaient d'au moins prendre contact avec la Commission des droits de la personne. J'ai vérifié par la suite pour voir ce qui était advenu de cette suggestion, si les femmes avaient ou non réagi à cette suggestion. Deux l'avaient fait. Le problème que nous nous sommes posé, c'est celui du recours dont disposent les femmes pour redresser cette situation, le cas échéant, et pour obtenir justice face à un problème dont on commence seulement à connaître les proportions. Pour en connaître les proportions, justement, les dimensions, nous avons dû consulter des études américaines. Il n'en existe pas au Québec ni au Canada. Je crois - et vous en conviendrez sûrement -qu'à moins qu'on pense que les rapports entre les hommes et les femmes sont fondamentalement différents aux États-Unis et au Québec, eh bien, il me semble que les données, toutes proportions gardées, peuvent être valables ici pour nous. (22 h 45)

D'abord, nous devons au moins partir d'une définition du harcèlement sexuel pour ensuite en discuter. Alors, nous l'avons défini comme suit: "Toute avance sexuelle non désirée, et le mot clé est là, "non désirée", qu'une femme peut subir au travail, allant des regards insistants, attouchements et commentaires abusifs, pressions subtiles pour obtenir des faveurs sexuelles, jusqu'à la tentative de viol et au viol. Le harceleur peut être l'employeur de la victime, son supérieur hiérarchique, un collègue ou un client. En plus de provoguer chez celle à qui il impose ses avances un sentiment d'angoisse, le harceleur laisse sous-entendre qu'un refus de se soumettre à ses pressions amènera des représailles. Ces représailles peuvent comprendre l'intensification du harcèlement, ce qui est souvent le cas, l'assignation à des tâches ingrates, le sabotage du travail, les sarcasmes, des évaluations de travail défavorables, des menaces de rétrogradation, les mutations, le blocage des augmentations de salaire, des promotions et des avantages et, en dernier lieu, le congédiement et les références désavantageuses."

Quant à l'étendue du problème, rappelons les faits saillants dégagés par les plus importantes études américaines, les plus importantes et les plus récentes.

En mai 1975, le Working Woman United Institute entreprenait une enquête dans la région de Binghampton-Ithaca, dans le nord de l'État de New-York, sur la question du harcèlement sexuel. Dans cette enquête, le harcèlement sexuel était défini comme suit: "toutes remarques d'ordre sexuel répétées et non désirées, regards, propositions de contacts physiques et attouchements que vous jugez répréhensibles ou agressants et qui vous incommodent au travail. C'est comme cela que la question était formulée et ensuite posée aux femmes répondant au questionnaire.

Sur les 155 femmes interrogées, 70% rapportèrent avoir été sujettes au harcèlement sexuel au moins une fois, 92% des répondantes considéraient le harcèlement sexuel comme un problème grave, et même parmi celles qui n'avaient jamais vécu d'expérience de harcèlement sexuel, 62% le considéraient également comme un problème grave.

Dans une étude menée en 1976, par le magasine Red Rook, 88% des 9000 répondantes avaient subi une forme ou une autre de harcèlement sexuel. Dans 92% des réponses totales, on considérait le harcèlement sexuel comme un problème grave.

Sur les 875 femmes et hommes employés de bureau ou professionnels de l'ONU choisis par le Comité ad hoc sur l'égalité des droits des femmes, 50% des femmes et 31% des hommes rapportèrent avoir à certains moments vécu personnellement des pressions d'ordre sexuel ou avoir eu connaissance de l'existence de telles pressions à l'intérieur de l'organisation, qui est une organisation qui se prononce en faveur de toute pratique pour la non-discrimination et ainsi de suite. Vous connaissez très bien la politique de l'ONU.

Avec ces études et ces études-sondages, le mur du silence qui jusque là entourait le vécu des femmes sur le marché du travail a commencé à se lézarder pour finalement s'effondrer complètement, provoguant dans certains milieux des réactions de choc et de désarroi. Et là je parle plus particulièrement du milieu de la fonction publique fédérale américaine, où on a constaté que le harcèlement sexuel prenait des proportions insoupçonnées, que 42% de toutes les employées fédérales féminines rapportèrent avoir été sexuellement harcelées contre seulement 15% chez les hommes.

Je vais lire rapidement les constats majeurs. Le harcèlement sexuel n'est pas une expérience accidentelle qui n'arrive qu'une fois. Beaucoup de victimes ont subi des pratiques répétées de harcèlement sexuel, surtout dans ses formes les moins sévères. Les incidents de harcèlement sexuel ne sont

pas des phénomènes passagers; la plupart se sont déroulés sur une période de plus d'une semaine et beaucoup se prolongeaient sur une période de plus de six mois.

À part l'arsenal de représailles qui l'accompagnent et qui, finalement, lui confèrent son caractère si redoutable pour chacune qui le subit, le harcèlement sexuel a aujourd'hui et toujours eu un impact considérable sur l'ensemble de la main-d'oeuvre féminine. D'une part, le harcèlement constitue une menace réelle à notre sécurité d'emploi et crée, du fait même, un climat menaçant, intimidant et insécurisant pour les femmes au travail. Le harcèlement sexuel des femmes à l'emploi se fait sentir chez toutes les femmes, même celles qui n'en sont pas elles-mêmes les victimes directes. En ce sens, c'est quelque chose qui nous guette, qui vient renforcer l'impression que nos collègues mâles et nos patrons nous perçoivent toujours d'abord et ultimement en tant qu'objets sexuels, agrémentant quelque peu leur décor de travail, ou bien que, tout simplement, nous ne sommes pas vraiment à notre place sur le marché du travail. C'est un message très difficile à avaler, très difficile à regarder en face. D'ailleurs, nous nous efforçons quotidiennement de ne pas entendre ce message; sinon, je crois que la situation pourrait être insupportable. D'ailleurs, ça pourrait mener à un cynisme terrible.

Je continue avec la description des effets parce que je crois que c'est important d'en connaître l'impact. Cela mine notre sécurité, notre stabilité et notre légitimité en tant que travailleuses. C'est comme si toutes les femmes devaient marcher sur des échasses ou, encore, sur des souliers à talons très très hauts, tout en gardant un parfait équilibre, un fonctionnement assidu et sérieux au travail et le sourire; surtout ne pas oublier de sourire. Cela peut être littéralement affolant; pour certaines, c'est désastreux. Coincées entre cette forme d'agression sexuelle et leur situation économique défavorisée au départ - voilà le petit vice particulier de cette problématique - les femmes peuvent être soumises à un véritable chantage dans les cas les plus graves.

En septembre 1980, le "Equal Employment Opportunity Commission",

Commission d'égalité des chances à l'emploi, a adopté des directives qu'elle publia en novembre 1980, par lesquelles elle établissait que le harcèlement sexuel constitue une forme de discrimination fondée sur le sexe dans certaines circonstances et, en tant que tel, est une violation de la section 703 du titre 7 de l'Acte des droits civils de 1964. C'est une section qui, bien sûr, interdit la discrimination fondée sur le sexe. Les directives du EEOC ont essentiellement officialisé la position du gouvernement fédéral américain concernant le harcèlement sexuel en tant que forme de discrimination. Les nombreux jugements rendus avant la mise en vigueur de cette directive reflétaient différentes façons d'interpréter certaines questions clés. Vraiment, cela a été la cause d'un débat juridique dans les journaux, les périodiques de droit, dans les cours comme telles pendant plusieurs années. Alors, les questions clés d'interprétation étaient si oui ou non le harcèlement sexuel constitue une forme de discrimination basée sur le sexe; si la plaignante doit avoir ou non avoir subi des pertes tangibles et mesurables ou encore avoir subi une action négative dans l'emploi pour que le harcèlement sexuel soit illégal sous le titre VII, title VII, et si l'employeur est responsable pour le comportement de ses employés. Voilà les trois questions que les juristes américains ont débattues pendant au moins sept ans à ma connaissance.

Le EEOC a tranché en affirmant que les avances sexuelles non désirées, les sollicitations pour obtenir des faveurs sexuelles et toute autre pression verbale ou physique de nature sexuelle constituent de la discrimination fondée sur le sexe selon le sens de la loi lorsque le fait de se soumettre à de telles pressions devient implicitement ou explicitement une modalité ou une condition d'emploi pour un individu, lorsque les décisions concernant l'emploi d'un individu se prennent sur la base de son acceptation ou de son refus de se soumettre à de telles pressions ou lorsque de telles pressions ont pour objet ou pour effet d'entraver gravement la tâche de travail d'un individu ou de créer un climat de travail intimidant, hostile ou agressant.

De plus, les directives soulignent que lorsque des bénéfices et avantages dans l'emploi sont accordés parce qu'un individu se soumet à des pressions et des avances sexuelles de la part de l'employeur ou d'un autre employé, c'est-à-dire dans les cas de favoritisme sexuel, si on peut dire, l'employeur peut être tenu responsable de discrimination sexuelle illégale contre des personnes qui étaient qualifiées pour obtenir l'emploi ou les avantages à qui ces chances ou avantages ont été refusés. C'est le corollaire juridique en matière de discrimination.

Les recommandations présentées à la fin de notre mémoire sont largement inspirées et, dans certaines clauses, textuellement reprises du document du EEOC. Nous considérons que l'introduction de ces principes et mesures à la Charte québécoise des droits et libertés est indispensable pour corriger le flou juridique actuel sur cette question et pour contrer le problème tenace d'interprétation en cour, problème qui ne s'est peut-être pas encore posé énormément. On a dit tout à l'heure

que la Commission des droits de la personne n'avait porté aucun cas de harcèlement jusqu'aux tribunaux, mais il y a d'autres moyens de porter ces cas aux tribunaux par le biais du droit commun. On risque d'avoir des problèmes d'interprétation s'il n'y a pas de précision quelque part dans la loi.

Nous expliquons dans notre mémoire les raisons que nous trouvons valables pour que le législateur établisse clairement l'illégalité des pratiques du harcèlement sexuel et qu'il formule des directives claires précisant la nature ou la définition du harcèlement sexuel et les responsabilités des employeurs.

Permettez-moi donc, en conclusion, quelques remarques sur ce à quoi les femmes se butent quand elles ont recours à la protection de la loi. J'ai assisté la semaine dernière à une conférence qui s'intitulait: Les femmes face à la loi. À l'ordre du jour de ce colloque, on faisait une étude comparée du recours dans les cas de viol, de femmes battues, ce qu'on appelle en se servant d'un euphémisme, la violence domestique - viol et harcèlement sexuel. On a essayé de comparer, de voir quelles étaient les dispositions légales dans les trois cas auxquelles les femmes pouvaient avoir recours. Cette analyse comparée dégage une constante. Notre réalité et notre vécu en tant que femmes sont plus que systématiquement remis en question par la magistrature. (23 heures)

En matière d'agression sexuelle, d'assaut par les maris et de harcèlement sexuel à l'emploi, la preuve constitue l'obstacle quasiment ultime auquel nous nous butons, non seulement parce que les circonstances des délits en question font que la preuve est généralement très difficile à établir par manque de témoins et ainsi de suite, mais aussi avons-nous constaté que la parole et le témoignage des femmes sont fondamentalement mis en doute au départ. Trop souvent, force est de croire qu'en cour, la parole d'une femme ne vaut pas toujours celle d'un homme. Aucune loi ne peut en elle-même régler ce problème. Mais ce que nous demandons ici, c'est un outil législatif qui, par sa clarté et sa précision, limitera les dégâts de ce préjudice.

Je vous remercie de votre attention à cette heure tardive.

M. Bédard: Je vous en prie.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Bédard: Malgré l'heure tardive, c'est nous qui vous remercions de votre contribution très positive aux travaux de cette commission. Nous pouvons dire que vous avez fourni le mémoire qui représente un travail de recherche le plus remarquable concernant non seulement la définition de ce que pourrait être le harcèlement sexuel, mais également les conséquences qui peuvent en découler en référence avec... Vous y êtes vraiment allée avec conviction, malgré l'heure tardive, comme vous l'avez dit. À partir d'une étude très poussée de ce qui se fait ailleurs en termes de législation, surtout au niveau de l'analyse du phénomène du harcèlement sexuel, vous insistez pour que la notion de harcèlement sexuel soit bien définie dans la charte, si cette notion devait s'y retrouver.

Je conclus que vous ne croyez pas que l'introduction d'une définition du harcèlement sexuel dans la charte risquerait de susciter des interprétations plutôt restrictives de la part des tribunaux, parce que, en même temps que vous indiquez le besoin qu'une définition très explicite soit contenue dans la charte, vous y êtes allée également de vos remarques concernant l'appréciation qui est faite jusqu'à maintenant par les tribunaux quand on parle de ce domaine des droits et libertés. Ne craignez-vous pas qu'une définition explicite puisse être de nature à limiter ces droits plutôt qu'à en favoriser l'exercice?

Mme Moisan: C'est un risque que nous courons, j'en conviens.

M. Bédard: Je pense qu'il y a un risque.

Mme Moisan: Si vous permettez, j'aimerais répondre en quelques points à votre question, parce que je me suis posé la même question, bien sûr. D'abord, j'en conviens, il y a des risques. Ces risques, on peut toujours les courir en autant que la définition... je crois que la définition qui est incluse dans le mémoire est fort adéquate, peut-être pas parfaite au sens de tout le monde, mais à mon sens fort adéquate. En matière législative, il faut commencer par définir les problèmes que nous cherchons à éliminer ou les comportements illégaux que nous cherchons à éliminer, à moins que cela ne soit tellement clair que cela se passe de définition, alors que ce n'est pas le cas, au contraire.

Donc, dans la balance, on a dû mettre les risques encourus actuellement, les risques d'interprétation qui ne nous conviennent pas, qui ne font pas justice à la situation et aux femmes en matière d'interprétation et qui existent actuellement en l'absence de définitions claires et même en l'absence de mention du harcèlement sexuel comme étant un geste illégal au sens de la charte. Nous contrebalançons assez facilement avec une bonne définition. Tôt ou tard, il faut compter sur la bonne volonté, la bonne foi, nous ne pouvons que faire notre plus grand possible pour aider à améliorer la clarté et

pour permettre l'interprétation la plus juste possible.

M. Bédard: On ne se prononcera pas sur une définition, je pense, on ne veut pas jouer à l'expert ce soir, pas plus ce soir qu'une autre journée, mais prenez la définition que vous trouvez quand même satisfaisante: Se réfère à toute avance sexuelle dans le domaine du travail. D'abord, cela se limite au domaine du travail.

Mme Moisan: Oui, cela est une faille. J'aimerais le souligner tout de suite.

M. Bédard: C'est déjà une première restriction par rapport à ce que je pense et à ce qui est contenu dans l'extension de la charte, à l'article 10, parce que l'article 10 dit: Toute discrimination concernant le sexe dans tous les domaines. Tandis que là, si on s'en tenait à cette définition, on aurait déjà une première limitation en parlant du domaine du travail. Je pense que vous l'avez remarqué aussi.

Mme Moisan: Oui, et je crois que cela ne pose pas vraiment de problèmes dans la mesure où je n'étais pas en train d'écrire une loi...

M. Bédard: Je vous comprends, prenez mes remarques avec beaucoup de respect, parce que...

Mme Moisan: Non, c'est tout simplement pour en convenir avec vous...

M. Bédard: ... je trouve déjà l'effort que vous avez fait tellement intéressant. Par exemple, on définit le harceleur comme étant l'employeur, la victime, son supérieur hiérarchique, un collègue ou un client. Pourquoi, ce n'est pas: Toute personne? Vous savez, cela peut représenter une limitation...

Mme Moisan: Si on est dans la rue.

M. Bédard: Je comprends que c'est parce que vous le faites par rapport au travail, il y a une suite normale, en tout cas. Qu'est-ce que vous pensez de la définition qui nous est fournie par la Commission des droits de la personne?

Le Président (M. Desbiens): Mme la députée de La Peltrie.

Mme Marois: La Commission des droits de la personne fait une recommandation assez claire à ce sujet, elle dit d'ajouter après l'article 11: Nul ne doit exercer quelque forme de harcèlement que ce soit -donc c'est très large - fondé sur l'un des motifs de l'article 10. Est-ce que cette introduction vous semble répondre aux objectifs que vous vous fixez dans le mémoire?

Mme Moisan: C'est un pas dans la bonne direction. Je n'étais pas au courant de cette proposition de la part de la commission au moment où je rédigeais ce mémoire. Je l'ai entendue aujourd'hui et je me suis dis: Oui, cela a du bon sens, c'est un pas dans la bonne direction. Néanmoins, je continue à croire que le problème du harcèlement sexuel des femmes, et particulièrement dans le milieu du travail et peut-être aussi dans le milieu de l'éducation, revêt des particularités et surtout des dimensions qui, à mon sens, pourraient justifier qu'on en fasse l'objet d'un article spécifique. Il y a aussi le fait -il fait partie du problème - que les femmes hésitent beaucoup avant de se plaindre de ce type de comportement. Nous tolérons à longueur d'année et à longueur de carrière ce type de comportement et je crois qu'il faut que le législateur indique aux femmes, aussi bien qu'aux harceleurs et aux employeurs, que ce type de comportement est spécifiquement illégal. C'est un message qui doit être porté à la population, non seulement un message dans le style voeu pieux, mais qui comporte aussi un pouvoir juridique.

M. Bédard: Par exemple, à la page 2 de la partie II, on lit, en haut de la page, que les termes "harcèlement sexuel" ou "harcèlement fondé sur le sexe" n'apparaissent nulle part dans la Charte des droits et libertés de la personne. Par ailleurs, dans un communiqué publié le 16 mars 1981 et intitulé Le harcèlement sexuel, une monnaie courante, la Commission des droits de la personne déclarait: "Pour la Commission des droits de la personne, il s'agit là (en parlant du harcèlement sexuel) d'une forme de discrimination basée sur le sexe qui constitue un acte illégal au sens de la Charte des droits et libertés de la personne."

Mme Moisan: Oui. Justement...

M. Bédard: J'essaie de concilier. La commission, dans ce communiqué, définit le harcèlement sexuel comme étant une forme de discrimination qui est basée sur le sexe et, dans ce sens, c'est un acte illégal. Que dit la charte? Si on va à l'article 10, la charte dit qu'elle défend toute forme de discrimination qui est basée sur le sexe. Le harcèlement est une de ces manifestations d'illégalité parce qu'il n'y a pas seulement le harcèlement, il y a bien d'autres phénomènes qui représentent des discriminations basées sur le sexe. Nous avons encore ici présente Mme la présidente de la Commission des droits de la personne.

Mme Moisan: M. le ministre, vous conviendrez avec moi que nous ne légiférons pas à coup de communiqués.

M. Bédard: Non, sûrement pas. Mme Moisan: Et que...

M. Bédard: Mais on affirme des choses dans un communiqué.

Mme Moisan: Bien sûr, et c'est justement ce sur quoi je me basais pour m'interroger, à savoir si la commission considère justement que cette forme de comportement est illégale, raison de plus pour l'inscrire dans la charte. Tout ça au nom de l'éducation, d'une certaine manière et aussi... (23 h 15)

M. Bédard: Peut-être que vous avez touché le mot. Est-ce qu'au fond, ce n'est pas pour des raisons pédagogiques que vous voulez que le mot "harcèlement" soit inscrit dans la charte puisqu'il peut sembler assez clair que le harcèlement sexuel est une forme de discrimination basée sur le sexe, qui est couverte par la charte à l'article 10. Est-ce que cette - aussi bien se comprendre très bien - insistance à demander que la notion même se retrouve textuellement dans la charte ne serait pas basée surtout sur des raisons pédagogiques qui pourraient se comprendre pour fins d'éducation parce que le phénomène est peut-être plus perceptible qu'il ne l'était auparavant? On sent le besoin qu'il soit spécifié, qu'il y ait une spécification tout à fait spéciale au niveau de la charte.

Mme Moisan: Aucune loi à ma connaissance n'a pour vocation première l'éducation. La vocation première d'une loi est d'interdire et d'enrayer les comportements illégaux, que nous considérons illégaux, et c'est vraiment pour cette raison que je souhaite voir l'inclusion, l'introduction dans la charte de cette expression, voyez-vous.

M. Bédard: Oui, est-ce que vous me permettez... Je comprends qu'à cette heure-ci on est moins de monde au niveau des travaux de la commission, ce qui est bien compréhensible, mais nous avons encore la présence de Mme la présidente de la Commission des droits de la personne. Peut-être pouvez-vous me répondre vous-même. Est-ce qu'il y a des jugements de cour qui vont dans le sens de ne pas reconnaître le harcèlement sexuel comme étant une forme de discrimination basée sur le sexe?

Mme Fournier: Vous me posez la question?

M. Bédard: Enfin, si vous voulez. Est-ce que vous permettriez que...

Mme Moisan: Bien sûr.

M. Bédard: Vous pouvez y aller de vos commentaires aussi.

Mme Fournier: D'accord, pour ce qui est du...

Une voix: Plus fort, plus fort, pour le journal des Débats.

M. Bédard: Je pense que toutes les deux vous avez épousé la même cause.

Mme Fournier: Oui, certainement, merci. Sur l'ensemble de la question, j'aimerais en profiter pour préciser une chose. Effectivement, nous considérons toujours que le harcèlement sexuel est une forme de discrimination sur la base du sexe, mais nous ne sommes pas convaincues que cela soit absolument limpide pour les tribunaux et nous ne voulons pas prendre la chance que les tribunaux interprètent la loi différemment. Notre conviction, c'est bien que c'est inclus dans le terme "sexe".

D'autre part, l'élément pédagogique ou éducatif est aussi un élément important; de plus, cela a été bien élaboré justement tout de suite. Les personnes qui subissent ce type de comportement peuvent hésiter à s'adresser à la commission ou à avoir recours aux tribunaux. Le fait d'inscrire d'une façon explicite dans la charte que cela est interdit, cela peut donner une assurance aux personnes qui subiraient ce type de comportement ou d'attitude.

M. Bédard: Cela va dans le sens de l'argumentation de madame Moisan, si je comprends bien.

Mme Fournier: C'est cela. Alors, il y a plusieurs éléments qui militent pour l'introduction d'une telle modification à la charte.

Le Président (Desbiens): Madame la députée de La Peltrie.

Mme Marois: Dans le fond, ce que je comprends, c'est ce que la commission dit qu'on l'introduit par un article formel, et ce qui m'agace un peu depuis le début de la discussion c'est de savoir si on peut mettre dans une charte - et là, je ne suis pas juriste - une telle définition, aussi exhaustive et aussi complète, sur laquelle on peut s'entendre ou pas. C'est une question que je me pose. Je la pose peut-être au ministre de la Justice en même temps.

M. Bédard: On peut toujours y aller

d'une définition dans un texte de loi, mais cela a des conséquences. Cela peut avoir comme conséquence que les tribunaux l'interprètent d'une façon restrictive.

Mme Marois: C'est cela.

M. Bédard: Je crois cependant bien comprendre l'essentiel de votre argumentation. Quand on pense qu'un motif pédagogique est une raison pour inscrire dans une charte des droits et libertés qui a préséance sur toutes les autres lois des termes dont on ne donne pas toute la dimension, ce que je veux dire par là, c'est que s'il fallait prendre le critère pédagogique pour faire une charte, je vous jure une chose, on aurait une charte qui n'aurait pas 97 articles, mais qui en aurait 3000 ou enfin, ce serait beaucoup plus volumineux en termes de contenu.

On n'a pas répondu, à ce qu'on nous dit, si vous me permettez...

Le Président (M. Desbiens): Oui, oui.

M. Bédard: Je termine, parce que,,en fait, ce sera peut-être la dernière discussion. On en a discuté quand même pas mal aujourd'hui. On nous dit, c'est l'autre argument - parce que cela résume à peu près l'argumentation - que, premièrement, du point de vue pédagogique, ce ne serait pas mauvais - j'en conviens avec vous - et, deuxièmement, qu'on n'a pas de jugements de tribunaux qu'on peut citer à l'heure actuelle qui vont dans le sens de dire que le harcèlement sexuel n'est pas une discrimination fondée sur le sexe, mais pour prévenir, de peur que les tribunaux puissent en venir à cette conclusion, on aimerait mieux que ce soit dans la charte. Je pense que c'est le dernier des arguments. Je me demande jusqu'à quel point on peut donner un contenu à la charte simplement - alors qu'on pense que c'est déjà contenu dans l'article 10 - par peur que les tribunaux en viennent à d'autres conclusions. On n'a pas d'exemples de conclusions qui nous font croire que le harcèlement sexuel ne serait pas considéré comme étant de la discrimination.

Le Président (M. Desbiens): II y a Mme Moisan qui voudrait donner une réponse.

Mme Moisan: Si vous permettez, je ne suis pas du tout d'accord avec votre ligne de raisonnement...

M. Bédard: Ce n'est pas le mien. Mme Moisan: Pardon?

M. Bédard: Ce n'est pas le mien. D'accord, allez-y.

Mme Moisan: C'est d'abord parce qu'en prenant l'exemple du "Case Law" américain assez volumineux sur la question, on peut constater un débat absolument tumultueux au niveau des cours et qui tourne essentiellement autour de la question de la définition. Est-ce, oui ou non, de la discrimination basée sur le sexe, d'une part? La commission québécoise dit oui. Parfait. Mais la commission, notre commission, fait des choix conscients pour ne pas porter certaines causes devant les tribunaux sachant ou craignant l'interprétation, espérant un jour avoir un cas tellement clair, précis et limpide pour ainsi établir une jurisprudence québécoise en la matière. Eh bien, du point de vue d'une stratégie juridique, c'est peut-être logique d'attendre d'avoir un cas dont on soit vraiment sûr...

M. Bédard: Convaincant.

Mme Moisan: ... mais, du point de vue des femmes à qui on nie un recours, d'une certaine manière, c'est un déni de justice, parce que, justement, par la nature même du comportement du délit, il faut procéder par le cas à cas; la preuve est difficile, les conditions varient énormément. Bref, le cas parfait va peut-être tarder très longtemps à se présenter au Québec. Alors, où en sommes-nous?

M. Bédard: Je pense que vous y allez avec beaucoup de conviction.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Je pense que le ministre sera d'accord pour dire qu'il existe un problème. Il y a un problème, il y a lacune. La question maintenant, c'est: Comment va-t-on combler cette lacune? Mieux vaut prévenir que guérir l'an prochain ou dans trois ans.

Je me demande si le harcèlement, c'est vraiment couvert par la discrimination. En effet, supposons que quelqu'un fasse des blagues sur une personne qui est handicapée: est-ce qu'on va dire que c'est de la discrimination, le harcèlement d'un handicapé"? Si on fait des blagues à cause de la race de quelqu'un; est-ce que c'est de la discrimination? Parce que, finalement, il n'y a pas d'effets qui suivent de tels harcèlements. Je me demande si vraiment c'est couvert par la discrimination. De toute façon, je suis d'accord avec la présidente de la commission pour dire que, selon moi, les tribunaux sont très conservateurs au Québec et que, s'ils ont le choix entre une interprétation libérale et une interprétation conservatrice, ils vont choisir la dernière.

M. Bédard: Prenez garde de vous mêler, là.

M. Marx: La commission a déjà donné certaines interprétations assez libérales à certains articles dans la charte et, à sa surprise, les tribunaux ont décidé à l'inverse. Donc, il y a de bonnes chances ici que le harcèlement ne soit pas couvert par la discrimination.

J'aimerais demander au ministre s'il accepte en principe l'engagement de traiter de ce problème; on va laisser la plomberie à ses fonctionnaires pour que la lacune soit comblée.

M. Bédard: Si on s'en tient au niveau des principes, je pense que nous comprenons tous très bien le but qui est visé, l'objectif qu'on veut atteindre, que tous les groupes veulent atteindre par les représentations qu'ils ont faites devant la commission. Je suis d'accord avec leur préoccupation que tout soit fait pour que ce but soit atteint. Là où, je pense, il reste une question à se poser, c'est jusqu'à quel point - cela demeure toujours la même question - une définition ou une mention au niveau de la charte peut constituer une restriction concernant le contenu même de la charte tel que nous le connaissons. Dans le respect, justement, des préoccupations qui ont été évoquées devant nous, je vais sûrement demander à des légistes d'y aller d'une étude la plus approfondie possible, de manière à être convaincu que, si nous faisons un geste, il n'aille pas dans le sens contraire des préoccupations qui ont été évoquées devant nous.

M. Marx: Si on veut éliminer le harcèlement, si on fait en sorte de couvrir cette question dans la charte, je ne vois pas de danger. Je vois des dangers - je ne fais pas un procès d'intention, M. le ministre, mais c'est toujours possible - d'avoir une opinion d'avocat de trois ou quatre pages, toute une étude pour pas grand-chose. On a vu cela au niveau fédéral. Je n'ai jamais vu cela au niveau provincial, mais au niveau fédéral le rapport McDonald, 10 000 000 $; le gouvernement fédéra! a dit que cela ne vaut pas cher avec deux opinions assez minces de deux avocats. Donc, j'ai peur que ce soit... On veut fermer la porte...

M. Bédard: Disons que le rapport McDonald a fait plus de chemin que les deux opinions légales de deux ou trois pages.

M. Marx: Non, mais...

M. Bédard: Soyons sérieux, si on n'était pas préoccupé par le désir de donner suite à des représentations et à des inquiétudes qui ont été exprimées ici au cours de la journée concernant le harcèlement sexuel, je pense qu'on n'en discuterait pas autant dans les détails qu'on le fait présentement. C'est ma manière de voir les choses. (23 h 30)

M. Marx: Puis-je demander au ministre de...

M. Bédard: Vous avez déjà été membre de la Commission des droits de la personne, je pense que vous serez sûrement d'accord que tout le sérieux soit apporté pour être convaincu que le geste qui pourrait être posé soit vraiment de nature à servir l'objectif et constituer un remède aux inquiétudes qui ont été exprimées par tous les groupes qui ont comparu devant la commission aujourd'hui.

M. Marx: Si on veut faire quelque chose, M. le ministre, je pense qu'il faut prendre l'engagement de modifier la charte dans ce sens. Si vous ne pouvez pas le faire, peut-être que la députée de La Peltrie va le faire en votre nom.

M. Bédard: J'ai pris une attitude au début de cette commission et je ne pense pas que ça marche à coups de pressions sur le bord d'une table à 23 h 30; j'ai des oreilles pour entendre, j'ai écouté toutes les...

Mme Lavoie-Roux: Vous n'êtes pas plus disposé à 10 heures.

M. Bédard: Encore moins à 2 heures.

M. Marx: L'Opposition va prendre l'engagement de vous appuyer.

M. Bédard: J'ai écouté avec beaucoup d'attention toutes les recommandations et, en temps et lieu, une décision sera prise.

Le Président (M. Desbiens): Mme

Moisan.

Mme Moisan: M. le Président, j'aimerais poser une question au problème que vous soulevez, M. le ministre, concernant l'introduction d'une clause d'un article et les conséquences restrictives auxquelles vous faites allusion. Pourriez-vous me donner un exemple d'un autre comportement illégal, pour ainsi dire, que le gouvernement voudrait proscrire et au sujet duquel il s'empêcherait de légiférer sur telle ou telle chose, craignant que se prononcer sous forme de loi en matière X poserait des problèmes de restriction? Je ne comprends pas exactement en quoi exprimer clairement la volonté d'interdire un geste illégal pose ce problème.

Est-ce que vous avez des exemples dans d'autres secteurs ou dans d'autres cas problématiques? Il me semble que, quand il y a une volonté claire d'enrayer un certain comportement criminel, on ne prend pas cinquante-six chemins pour le faire.

M. Bédard: Je ne veux pas jouer à l'expert ce soir sur le bord d'une table, mais je pense qu'on en a parlé tout à l'heure. Si vous prenez la peine d'indiquer dans la charte le mot "harcèlement", il se peut que des cours en viennent à la conclusion que telle attitude n'est pas un harcèlement alors qu'à partir du contenu de l'article 10 le même comportement peut constituer une discrimination concernant le sexe.

Mme Moisan: Le comportement n'est pas décrit dans la charte, on n'y fait allusion nulle part.

M. Bédard: Non.

M. Marx: À l'article 11 dans la charte, on dit: Nul ne peut diffuser, publier ou exposer en public un avis, un symbole ou un signe comportant discrimination, ni donner une autorisation à cet effet. Cela empêche un certain comportement. On peut dire que harceler est interdit au Québec, harceler les femmes, les députés ou qui que ce soit. Je pense que c'est possible de faire un article dans la charte si on a la volonté politique; tout ce qu'on fait ici, ça prend la volonté politique. On se demande ce soir si le ministre l'a déjà.

Mme Lavoie-Roux: Si on s'étend sur le mot "harcèlement" dans le sens où mon collègue de D'Arcy McGee vient de le dire, le harcèlement des professeurs sur les étudiants en temps de grève, qu'est-ce que vous en faites?

M. Marx: C'est sur le harcèlement en fonction d'une des raisons de discrimination à l'article 10.

M. Bédard: On le sait, les tribunaux, devant une définition, ont tendance à interpréter cette définition d'une façon restrictive; c'est très clair. Puis, lorsque c'est une interdiction, encore davantage. Prenez la définition que vous nous proposez: Toute avance sexuelle non désirée qu'une femme peut subir au travail, allant des regards insistants, attouchements et commentaires abusifs, pressions subtiles... quelle sera l'interprétation des tribunaux?

Alors, il s'agit d'aller au bout des choses; tous ces comportements peuvent à un moment donné être considérés par une cour comme étant une discrimination par rapport au sexe en vertu de l'article 10.

À l'issue des travaux de cette commission, ce soir, tous les groupes qui ont défilé devant nous ont la conviction de notre désir d'essayer de donner suite à la préoccupation - laissons les mots de côté -et aux inquiétudes qui ont été évoquées par tous les groupes aujourd'hui sur ce sujet. Vous pouvez être certains que non seulement on vous a écoutés d'une manière attentive, mais les membres de la commission vont essayer de trouver la solution qui constitue le meilleur remède possible à ces inquiétudes très valables que vous nous avez énoncées aujourd'hui.

M. Marx: Le ministre reste fidèle à son engagement de ne pas prendre d'engagement devant cette commission.

M. Bédard: Ce qui est important pour les groupes qui viennent, c'est qu'ils sachent que nous ne les avons pas écoutés pour la forme; on va essayer de trouver les moyens d'en sortir, juridiquement parlant, pour faire suite à ces inquiétudes. Est-ce que cela répond à votre préoccupation?

M. Marx: On va faire le débat une autre fois quand le projet de loi sera déposé. C'est cela qui va arriver.

M. Bédard: Alors, on vous remercie beaucoup, madame, pour vos représentations devant les membres de cette commission.

Mme Moisan: Merci.

Le Président (M. Desbiens): La commission élue permanente de la justice ajourne ses travaux à demain, dix heures.

(Fin de la séance à 23 h 381

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