Débats de la Commission permanente de la justice, Le mercredi 21 octobre 1981
Â
Les travaux parlementaires
32e
législature, 2e session
(du 30 septembre
1981 au 2 octobre 1981)
Journal des débats
Â
Commission permanente de la justice
Le mercredi 21 octobre 1981 _ No 9
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Présentation de mémoires en
regard
des modifications à apporter
à la Charte des droits
et libertés de la personne (5)
(Dix heures vingt-trois minutes)
Le Président (M. Desbiens): à l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission permanente de la justice reprend ses travaux. Le mandat
qu'elle a reçu de l'Assemblée nationale est de tenir des
auditions publiques en regard des modifications à apporter à la
Charte des droits et libertés de la personne.
Aujourd'hui, nous recevrons, dans l'ordre: la Centrale des syndicats
démocratiques, le Syndicat des professionnels du gouvernement du
Québec, le Mouvement écologique pour la qualité de la vie,
le Rassemblement des Africains du Québec, M. Jean-Guy Mercier, la Ligue
des droits et libertés, région de l'Estrie, l'Association des
producteurs d'oeufs québécois, MM. Adamkiewiez,
Degrandpré, Lorrain et Demers, le Groupe d'action sur le milieu
carcéral, l'Office des droits des détenus et, pour
dépôt seulement, l'Association de la femme et le droit, de
Montréal.
Les membres de cette commission sont: M. Beaumier (Nicolet), M.
Bédard (Chicoutimi), M. Boucher (Rivière-du-Loup), M. LeBlanc
(Montmagny-L'Islet) remplaçant M. Brouillet (Chauveau); Mme Marois (La
Peltrie) remplaçant M. Charbonneau (Verchères); M. Dauphin
(Marquette), M. Gravel (Limoilou) remplaçant Mme Juneau (Johnson); M.
Kehoe (Chapleau), M. Lafrenière (Ungava), M. Marx (D'Arcy McGee) et M.
Paradis (Brome-Missisquoi).
Les intervenants sont: M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Bissonnet
(Jeanne-Mance), M. Blank (Saint-Louis), M. Brassard (Lac-Saint-Jean), M.
Ciaccia (Mont-Royal), M. Dussault (Châteauguay), M. Lévesque
(Kamouraska-Témiscouata) remplaçant Mme Lachapelle (Dorion); M.
Martel (Richelieu) et M. Pagé (Portneuf).
M. le député de D'Arcy McGee.
Questions sur les services aux Cris et aux
aveugles
M. Marx: Avant qu'on commence, j'aimerais rappeler au ministre
qu'il a pris deux engagements la semaine dernière, notamment d'essayer
de faire avancer les droits de la personne au Québec. J'aimerais lui
demander s'il y a des résultats en ce qui concerne les services de
santé pour les Cris au nord du Québec et en ce qui concerne le
groupe d'aveugles.
M. Bédard: J'ai déjà indiqué Ã
mon collègue que j'avais sensibilisé la personne
spécialement responsable de ce dossier, soit le ministre des Affaires
sociales, concernant la troisième étape, en ce qui a trait aux
aveugles. Je dois m'entretenir d'une façon spéciale avec les
instances concernées en ce qui a trait à toutes les
revendications qui nous ont été faites par les Cris.
M. Marx: Est-ce que le ministre aurait une réponse en ce
qui concerne le dossier des Cris?
M. Bédard: Je pense bien que ces aux personnes
concernées dans des dossiers, au premier chef, à répondre
en temps et lieu, lorsque des questions leur sont posées. Je compte sur
mon collègue pour...
M. Marx: Votre collègue pourrait aussi envoyer une lettre
ou téléphoner à quelqu'un. Est-ce qu'on va avoir des
résultats concrets? C'est une situation d'urgence vraiment pour les
Cris, comme nous l'avons vu l'autre soir. J'ai pensé que le ministre
ferait plus que juste appeler ou demander...
M. Bédard: Je demanderai à mon
collègue...
M. Marx: J'ai l'impression et je pense que toutes les personnes
qui étaient ici ont eu l'impression que vous alliez faire une certaine
pression sur vos collègues.
M. Bédard: Certainement. J'aurai l'occasion de m'en
entretenir d'une façon tout à fait spéciale avec le
premier ministre, M. Lévesque. Nous essaierons de déboucher sur
des solutions après consultation avec les ministres
concernés.
M. Marx: Est-ce que cela...
M. Bédard: Mais soyez convaincu que des pressions en
conséquence vont être faites.
M. Marx: Peut-on vous demander s'il sera possible d'avoir une
réponse demain sur l'action que le gouvernement va entreprendre?
M. Bédard: Sur l'action, écoutez! Le dossier
était quand même assez élaboré et il mérite
analyse de la part des Affaires
sociales, qui sont concernées, comme vous le savez, et
peut-être d'autres organismes qui sont affectés d'une façon
spéciale à l'analyse des problèmes concernant les
Cris.
M. Marx: En ce qui concerne les Cris, c'est une question
d'urgence. Quand c'est une question d'urgence, on fait quelque chose, on ne
fait pas d'autres rapports, d'autres études.
M. Bédard: Mais ce n'est pas une question d'études.
Il faut quand même... Vous me demandez si, demain...
M. Marx: Ce n'est pas votre ministère. M.
Bédard: Oui. Alors, soyez...
M. Marx: Non, ce n'est pas votre ministère. On comprend
bien cela et on ne vous blâme pas.
M. Bédard: Dès demain...
M. Marx: On a beaucoup apprécié et les Cris ont
beaucoup apprécié que vous ayez accepté d'intervenir dans
ce dossier et on comprend la difficulté que vous pourriez avoir, parce
que ce n'est pas votre ministère, ce n'est pas vous qui allez donner des
ordres à qui que ce soit. Mais comme c'est un dossier vraiment
d'urgence, où il est question de la santé des gens, c'est une
question de vie ou de mort pour certains, je pense qu'il faut décider
quelque chose tout de suite.
M. Bédard: Demain, j'essaierai d'être...
Déjà , quelque chose a été fait, je vous l'ai dit.
Maintenant, vous me demandez s'il y a un plan qui a été
arrêté, des décisions qui ont été
arrêtées à la suite des représentations faites par
les Cris ici à cette commission. Si je peux être plus explicite
demain, je le ferai avec plaisir.
M. Marx: Merci. On va commencer avec cette question demain
matin.
Mémoires Centrale des syndicats
démocratiques
Le Président (M. Desbiens): à l'ordre! J'invite la
Centrale des syndicats démocratiques, dont Mme Thérèse
Paquette est la représentante, le porte-parole. Mme Paquette, je vous
demanderais de présenter les personnes qui vous accompagnent, s'il vous
plaît!
Mme Benoît-Paquette (Thérèse): M. le
Président, M. le ministre, messieurs les députés et
membres de la commission parlementaire - j'aurais aimé ce matin dire Mme
la députée, mais il n'y a personne du côté
féminin - je me présente; je suis Thérèse
Benoît-Paquette, membre du conseil de direction de la Centrale des
syndicats démocratiques, mais aussi une personne de la base, car je suis
à l'emploi de la commission scolaire de Trois-Rivières. Vous
avez, à ma droite, M. René Poiré, ex-travailleur dans les
mines d'amiante, qui est aussi directeur du conseil de direction de la Centrale
des syndicats démocratiques; à mon extrême gauche, France
Roy, secrétaire du secteur social hospitalier de la Centrale des
syndicats démocratiques et, près de moi, Lisette Lapointe,
recherchiste à la centrale. (10 h 30)
Pour une vie démocratique, des droits démocratiques.
Ãliminer à la source la discrimination. à titre
d'organisation vouée à la promotion et à la défense
des droits des travailleurs et des travailleuses, la CSD s'est penchée
avec un grand intérêt sur ce qui constitue, à son point de
vue, des modifications fondamentales devant être apportées
à la Charte québécoise des droits et libertés de la
personne.
à cet égard, rappelons que nous avons déjÃ
fait connaître notre position concernant la discrimination dans les
régimes d'assurance et d'avantages sociaux, en nous associant, en avril
dernier, Ã une coalition regroupant un ensemble d'organismes syndicaux
et populaires. Cette coalition réclamait l'abrogation de l'article 97,
cet article étant jugé contraire à l'esprit de la
charte.
Par ailleurs, notre réflexion s'est poursuivie dans le but
d'apporter d'autres recommandations concrètes visant Ã
améliorer les conditions de vie des femmes et des hommes au travail. En
ce sens, nous croyons que la Charte des droits et libertés de la
personne doit viser essentiellement un but: éliminer à la source
toute forme de discrimination collective ou individuelle. Pour atteindre ce
but, il ne faut pas compter sur une hypothétique évolution des
mentalités et des comportements. On connaît trop bien la
résistance proverbiale de certains groupes historiquement
privilégiés. Il faut plutôt s'attaquer à la racine
du mal. D'abord, en reconnaissant à chacun des droits égaux.
Puis, surtout, en donnant à chacun les moyens de faire respecter ces
droits.
La discrimination. Un groupe historiquement discriminé: les
femmes. Quand on pense à la discrimination en milieu de travail, on
pense souvent aux femmes, et avec raison. En effet, depuis leur entrée
sur le marché du travail, les femmes ont été
confinées aux entreprises et aux emplois les moins rentables. Encore
aujourd'hui, la "sexisation" dans le domaine du travail permet le sectionnement
de la main-d'oeuvre selon le sexe, les femmes remplissant certaines
tâches spécifiques, rémunérées à un
faible prix, les hommes exerçant les fonctions payées en moyenne
au double et
ayant plus de possibilités de carrière. Selon Statistique
Canada, les travailleuses engagées à temps plein recevaient 58%
du revenu masculin moyen, soit 9874 $ par rapport aux hommes qui recevaient 17
038 $. C'était dans la Presse de la semaine dernière.
Par ailleurs, pour l'année 1980, 590 dossiers
étudiés par la Commission québécoise des droits de
la personne ont été classés comme des cas de
discrimination envers les femmes. On ne connaît pas le pourcentage des
femmes qui osent se plaindre.
La discrimination à l'embauche et lors de congédiements et
de mises à pied. Discrimination au niveau des salaires pour un travail
équivalent. J'aimerais attirer votre attention sur l'article 19 de la
charte qui dit que tout employeur doit, sans discrimination, accorder un
traitement ou un salaire égal aux membres de son personnel qui
accomplissent un travail équivalent au même endroit. Ã
notre avis, "au même endroit" est restrictif, et je vis cette situation
dans une commission scolaire. Pour nos patrons, le même endroit, c'est le
même toit. Si on travaille hors du bureau de l'administration de la
commission scolaire, en faisant le même travail, un travail
équivalent, on n'a pas le même salaire parce qu'on n'est pas sous
le même toit.
Il y a aussi de la discrimination au niveau des promotions.
Discrimination dans les avantages sociaux et une discrimination plus subtile
fondée sur la condition physique comprenant notamment l'apparence
physique et la grossesse. Ici, je fais une pause pour vous faire remarquer que
dans les institutions financières, derrière les guichets, vous
pourriez peut-être faire un peu plus attention et regarder l'âge
des caissières. Passé 30 ans, elles sont vraiment trop vieilles,
on les envoie en arrière, sinon on les met à la porte. Elles ont
toutes moins de 30 ans. Il y a aussi, comme je viens de vous le mentionner, la
discrimination fondée sur l'âge. La discrimination aussi
fondée sur l'état civil. J'ai vu des plaintes dernièrement
à savoir que certaines femmes ne peuvent pas se trouver du travail parce
qu'elles ont de jeunes enfants. Elles en sont rendues à se
déclarer célibataires pour se trouver du travail parce que le
patron ne veut pas leur donner l'emploi. Ils pensent qu'elles vont s'absenter
à cause de jeunes enfants, etc.
Je vous fais remarquer aussi qu'Ã l'article 20 de la charte, il y
a une distinction qui se fait sur... La discrimination est permise dans les
associations à but philanthropique, religieux, politique ou
éducatif, ces gens peuvent faire ce qu'ils veulent, c'est
réputé non discriminatoire. Je pense qu'il ne faudrait pas
oublier l'article 20 dans les amendements apportés à la
charte.
D'autre part, comment ignorer les formes sournoises de
harcèlement dont bien sûr le harcèlement sexuel qui fait
l'objet de plus en plus de plaintes de la part des femmes. Le
harcèlement sexuel, c'est un terme bien nouveau dans notre
société. Il y a deux ou trois ans, les femmes ne nous parlaient
pas de harcèlement sexuel, elles nous disaient: Le boss
m'écoeure. Aujourd'hui, en termes plus distingués, on parle de
harcèlement sexuel.
Pour remédier à cette situation, des programmes
d'information et d'éducation devront être élaborés
afin d'aider les femmes et les autres groupes discriminés Ã
prendre conscience de leur situation et à faire respecter leurs droits.
La charte devra être restructurée de façon à rendre
illégale la discrimination fondée sur l'âge et celle
permise dans les avantages sociaux. Parallèlement, une démarche
fondamentale s'impose. Il faudra permettre concrètement à ces
personnes de s'organiser en syndicat si on veut leur donner les moyens de
revendiquer leurs droits individuels et collectifs.
En effet, sans cet outil essentiel, combien d'entre elles n'oseront
jamais se prévaloir des droits reconnus par la charte?
Considérant que l'accès à la syndicalisation est
indissociable de l'objectif poursuivi, c'est-à -dire l'élimination
à la source de la discrimination, la Centrale des syndicats
démocratiques croit important de porter à l'attention de cette
commission certaines recommandations formulées en diverses occasions
à cet égard.
Favoriser l'accès à la syndicalisation pour les femmes:
Pour donner aux femmes qui le désirent la possibilité
réelle de se regrouper en syndicats et leur permettre d'acquérir
ainsi un instrument de défense privilégié, il faut, d'une
part, reconnaître aux femmes le droit véritable au travail
rémunéré et, d'autre part, il faut modifier le Code du
travail.
Reconnaître aux femmes le droit au travail
rémunéré. Il peut, à prime abord, sembler
exagéré de revendiquer la reconnaissance d'un droit aussi
naturel. Pourtant, dans les faits, notre société a toujours
nié ce droit. Les politiques de main-d'oeuvre s'adressaient surtout aux
clientèles masculines et les secteurs de pointe leur sont souvent
réservés. Les tâches féminines sont
sous-évaluées et sous-payées; par exemple le ghetto des
secrétaires et le ghetto des femmes qui travaillent dans le textile. Ces
femmes sont sous-payées et les programmes de formation sont
inappropriés.
D'autre part, les femmes en emploi ayant souvent à assumer une
double tâche ne disposent pas du temps nécessaire aux
activités professionnelles ou de perfectionnement. Un rapport des
Nations Unies, préparé dans le cadre de la décennie des
femmes, indique que les femmes
constituent la moitié de la population mondiale et produisent
presque les deux tiers des heures de travail tout en ne recevant qu'un
dixième du revenu mondial. Cette situation commande un virage. On doit
donc fixer un objectif de plein emploi qui tienne compte de la main-d'oeuvre
féminine, élaborer des programmes de formation qui
répondent vraiment aux besoins, mettre sur pied des programmes d'aide
pour faciliter l'entrée des femmes dans les industries de pointe et dans
les emplois traditionnellement masculins, amorcer des changements en profondeur
du milieu de travail, par exemple les horaires flexibles, les congés
parentaux, les services de garde, et de l'organisation sociale. Les femmes
comme les hommes doivent être en mesure de concilier leurs fonctions de
parents, de travailleurs et de citoyens.
Je fais une pause ici pour vous rappeler que ce n'est pas tellement
facile pour les femmes d'aller se recycler quand elles ont une double
tâche, et souvent elles ont une triple tâche. Il faudrait mettre
sur pied des programmes de formation qui répondent vraiment Ã
leurs besoins. Il faut aussi modifier le Code du travail de manière
à améliorer le sort des travailleuses.
Je laisse la parole à mon confrère, René
Poiré, qui va nous l'expliquer.
M. Poiré (René): Merci, M. le Président et
les membres de la commission. Je voudrais vous faire part d'expériences,
du cheminement que les femmes, dans l'industrie du vêtement, entre
autres, doivent faire pour parvenir à avoir un syndicat et un syndicat,
qui est viable et qui peut leur rendre des services. Tout le monde sait que
dans le Code du travail, le droit à l'accréditation est reconnu.
Mais, en pratique, ce droit est difficile à appliquer parce que pour
nous, de la CSD, on croit que le droit qui existe à l'intérieur
du Code du travail n'est pas un droit démocratique. Voici les raisons.
Je compare un peu le cheminement du début des démarches pour
obtenir une accréditation dans le secteur du vêtement pour les
femmes à une course à obstacles que les athlètes ont
à faire. Mais la période d'une minute ou d'une minute et demie
pour franchir les sept ou huit barrières est beaucoup plus longue quand
il s'agit pour les femmes de faire le cheminement pour obtenir une
accréditation.
Je dois vous dire, au départ, que la première question qui
nous est posée par les femmes est: Combien ça prend de temps
avant d'être accréditées? On serait porté Ã
leur dire, pour leur faire plaisir et ôter la crainte qui existe: Cela
peut prendre à peu près un mois. Mais comme, en pratique, on sait
que ça peut prendre d'un mois à un an et demi et même deux
ans avant d'obtenir l'accréditation, on est obligé de le leur
dire et déjà plusieurs femmes abandonnent l'idée de se
syndiquer parce qu'elles disent: L'employeur va avoir tous les moyens
nécessaires pour nous empêcher de nous syndiquer ou nous
démoraliser.
D'ailleurs, lorsque les femmes parlent au tout début de se
syndiquer, si ça vient aux oreilles de l'employeur, vous savez tous que
l'employeur réunit les femmes sur les lieux du travail, même si le
Code du travail dit qu'il n'en a pas le droit, et là commencent
l'intimidation et le harcèlement. Normalement, voici la première
chose que l'employeur leur dit: Vous savez, si vous vous syndiquez, on va
fermer les portes. La femme se dit: C'est peut-être vrai qu'il va fermer
les portes. Et quand la femme nous pose la question, la première
question que nous lui posons est celle-ci: Madame, est-ce que l'employeur -
surtout dans l'industrie du vêtement - est propriétaire de la
bâtisse où vous travaillez? La plupart du temps malheureusement,
elle est obligée de nous dire non, parce que vous savez que dans
l'industrie du vêtement, les employeurs louent à des
municipalités des bâtisses qui sont souvent subventionnées
en plus par les gens de la place ou par les gouvernements. Ces employeurs de
l'industrie du vêtement ont des machines qui sont faciles Ã
déménager, et, c'est bien simple, ils ferment les portes quand la
syndicalisation se fait à l'intérieur de leur usine et vont
s'installer ailleurs, sous une autre raison sociale.
Essayez de les courir à travers la province. Ã
l'intérieur d'à peu près chaque village, si vous faites le
tour de la province, vous allez trouver une "shop" de chemises, de pantalons,
de jeans, de robes, de vêtements pour bébés, etc. La
plupart du temps, je dirais dans 95% des cas, les bâtisses ne leur
appartiennent pas, elles appartiennent aux municipalités. (10 h 45)
à titre d'exemple, en plus, je voudrais porter à votre
attention qu'en 1978, Ã Disraeli, il y avait une industrie qui
s'appelait la Mains Knitting Mills, qui avait à son emploi 147
employés; elle y était installée depuis 17 ans. Les femmes
ont manifesté l'intention de se syndiquer et elles sont venues
rencontrer la CSD. On a fait ça rapidement une fin de semaine, pour que
l'employeur n'ait pas connaissance de ce qui se passait; le lundi matin, on
déposait une demande d'accréditation, et l'employeur recevait la
lettre la même semaine. Quand l'agent d'accréditation s'est
présenté, la réponse qu'on lui a faite - c'était
écrit, à ce qu'on m'a dit, dans le rapport de l'agent
d'accréditation - c'est: "La liste, vous ne l'aurez pas; vous pouvez les
accréditer, on s'en fiche, nous autres, aussitôt qu'elles vont
être accréditées, on ferme les portes."
Le syndicat a été accrédité, mais, en
même temps que l'employeur disait ça aux représentants du
gouvernement, l'employeur a
envoyé au ministère une lettre l'informant que, dans trois
mois, il fermait ses portes. C'est un employeur qui, pendant 17 ans, a
exploité des femmes au maximum. Après l'avoir rencontré,
on avait fait des démarches auprès des agents de
sécurité, ceux qui faisaient dans le temps appliquer les
règlements dans les établissements industriels et commerciaux, et
on s'est fait dire que, dans cet établissement où il y avait 147
femmes qui travaillaient au moment du dépôt de
l'accréditation, les normes prévoyaient qu'il ne devait pas y
avoir plus de 80 femmes à l'intérieur de cette bâtisse. Pas
de ventilation, pas de toilettes, la salle à manger servait, en
même temps, d'entrepôt, pas de corridors, absolument rien de
sécuritaire n'existait à l'intérieur.
Ce que je vous rapporte, pour la Mains Knitting Mills de Disraeli, si
vous faites le tour d'à peu près toutes ces "shops", où
des femmes travaillent à 92%, vous allez vous rendre compte que c'est
à peu près la même situation qui existe. J'ai justement
devant moi le rapport d'une enquête qu'on avait fait faire, à la
première rencontre, et l'inspecteur qui a fait l'enquête nous a
dit: Si j'avais mis sur papier tout ce qui n'était pas conforme aux
règlements, j'aurais rempli au moins une dizaine de pages; je me suis
contenté, pour la première fois, de mettre au moins les points
les plus importants.
C'est une facette. Quand vous rencontrez des gens qui sont
exploités, entre autres les femmes, dans ce domaine du vêtement,
à ce point-là , si vous regardez le cheminement pour obtenir
l'accréditation, il ne faut pas se surprendre.
Je regardais un rapport qui paraissait dans les journaux cette semaine
où on dit que, dans la main-d'oeuvre syndiquée au Québec,
il y a seulement 30% de femmes syndiquées. Premièrement,
l'employeur a tous les outils, parce qu'on lui donne le temps de faire de
l'obstruction à la syndicalisation. On lui donne le temps parce que le
Code du travail lui donne en même temps le temps de contester Ã
toutes les étapes. L'employeur a son mot à dire au niveau de
l'unité qui est visée. Quand on veut retarder
l'accréditation d'une couple de mois, on conteste juste pour le plaisir
de contester, même si on sait qu'au départ le syndicat va
être accrédité et qu'il n'y a rien qui va être
enlevé à l'intérieur. L'employeur se dit: Moi, je viens de
"sauver" deux mois. En même temps, cela lui donne la chance, quand la
décision du commissaire du travail sort, de contester par la suite
devant le tribunal, de demander la permission, le droit d'en appeler. Par
toutes sortes de façons, avec des avocats habiles, on obtient souvent le
droit d'en appeler. Quand vous obtenez le droit d'en appeler, vous venez de
prolonger encore la période de six, sept ou huit mois, parce qu'au
Tribunal du travail, je dois vous dire que cela prend du temps avant de passer.
Durant ce temps, il se passe toutes sortes de choses Ã
l'intérieur. On congédie des femmes, on fait des menaces. Il n'y
a rien qu'on néglige pour essayer de les épeurer, assez que
souvent on obtient l'accréditation, mais on n'a plus personne qui veut
s'occuper du syndicat. L'employeur, quand on va le rencontrer pour
négocier, nous demande où sont nos membres. C'est bien simple,
nos membres sont encore à l'intérieur de l'usine, mais ils ne
veulent pas participer et ils ne veulent plus se défendre, parce qu'ils
ont été intimidés, harcelés. C'est un point.
J'avais parlé aussi à l'intérieur, justement de ces
"shops"-là , du harcèlement sexuel qui se produit. Vous savez que,
la plupart du temps, on retrouve 95% de femmes qui travaillent Ã
l'intérieur de ces "shops"-là . Souvent, ce sont des jeunes filles
de 15, 16, 17 et 18 ans qui commencent à travailler, qui arrivent sur le
marché du travail. Si vous avez des contremaîtres ou des
gérants qui sont un petit peu véreux, le poignage de fesses, le
collage dans les coins commencent. Cela n'arrête pas, cela continue et
les petites filles n'osent pas parler parce que l'employeur leur fait la
remarque que, si elles parlent, elles sont congédiées.
Présentement, avec nos lois, demandez à une petite fille qui est
toute seule avec un contremaître ou un gérant Ã
l'intérieur d'un bureau ou d'un appartement, qui se fait prendre les
fesses, de venir prouver qu'elle se les est fait prendre, l'autre va le nier et
la petite fille, le public va dire n'importe quoi à son sujet. Aux yeux
de ses parents, cela va être la même chose. Souvent, c'est
arrivé et syndicalement, on a fait des démarches pour essayer
d'empêcher cela. Comme tout le monde nie, comment voulez-vous prouver
cela?
On vous laisse le soin d'essayer de trouver des formules pour
empêcher cela et de permettre à ces gens qui arrivent sur le
marché du travail de ne pas avoir continuellement ce harcèlement
sur le dos. Vous voyez ce qui se passe dans l'industrie du vêtement. Ne
vous posez pas la question: Pourquoi, au niveau des employés de bureau,
des secrétaires et ainsi de suite, on ne trouve pas de syndicalisation?
J'ai nettement l'impression que - je n'ai pas de chiffres - le pourcentage des
employés de bureau syndiqués est très faible au
Québec, sûrement pas au-dessus de 5% à 6%. Pourquoi? C'est
exactement la même chose qui se passe à l'intérieur des
manufactures de vêtements. Le patron a souvent une, deux ou trois
secrétaires. C'est limité. Il a tout, il est chez lui, la loi
défend, quand c'est le cheminement de l'accréditation, aux
représentants syndicaux d'aller sur les lieux de travail pour essayer
d'aider, ou de surveiller, ou de contrôler ces choses.
Comme on est exclu de ces bâtisses tant et aussi longtemps qu'on
n'a pas eu l'accréditation et qu'on n'a pas obtenu, par des clauses dans
les conventions collectives, le droit d'aller sur les lieux du travail, il
arrive ce qui arrive aujourd'hui, c'est qu'Ã un petit nombre on donne
tous les droits, on prive la très grande masse et on permet à des
gens de profiter de la situation.
Mme Benoît-Paquette: Pour ajouter à ce que mon
confrère dit, on fait aussi face à beaucoup de paternalisme,
surtout dans le monde des secrétaires. Le patron dit: Ne te syndique pas
et je vais te donner une augmentation de salaire. LÃ , il se fait
paternel envers elle et tout se règle.
Il faudrait aussi élargir la définition de la personne
syndicable, comme les cadres intermédiaires, les pigistes, les
surnuméraires et les employés à temps partiel; faciliter
l'étape de la négociation pour le syndicat en s'assurant que le
Tribunal du travail puisse agir efficacement quand un employeur refuse de
négocier de bonne foi; reconnaître, dès que
l'accréditation est accordée, le droit à la
procédure de grief et le droit à la libération d'agents
syndicaux.
Ces amendements au Code du travail favoriseraient également
l'accès à la syndicalisation pour d'autres groupes de
travailleurs et de travailleuses: les personnes handicapées et les
personnes issues des minorités ethniques, notamment.
Malgré les lois conçues pour les protéger, ces
personnes demeurent isolées. On les retrouve trop souvent forcées
de travailler au noir ou dans des conditions d'exploitation inimaginables. Une
société qui se respecte se doit de mettre un terme à de
tels abus.
Quand je vous parle du travail au noir, j'ai fait une enquête dans
ma région. J'ai rencontré des femmes qui travaillaient au noir
dans leur sous-sol. Messieurs, du Pierre Cardin, cela se fait dans la
région de Nicolet et de Saint-Léonard-d'Aston, et cela se fait
dans les sous-sols. On oblige les femmes à s'acheter des machines
à coudre à 800 $ et à les payer comptant, jamais par
chèque, parce que la femme ne sait pas pour quelle compagnie elle
travaille. Le mari doit lui aider et elle fait en moyenne de 75 Ã 80
heures par semaine pour avoir 50 $ et peut-être se rendre à 60 $.
Là , je n'exagère rien.
En plus, celle qui fait des patrons pour Pierre Cardin, qui fait le
modèle, n'a rien, parce qu'on lui a fait croire que c'était pour
elle une belle promotion.
La Charte des droits et libertés de la personne. Les avantages
sociaux. L'article 97 de la charte, chapitre des dispositions diverses, se lit
comme suit: "Les articles 11, 13, 16, 17 et 19 de la présente Charte ne
s'appliquent à un régime de rentes ou de retraite, à un
régime d'assurance de personnes ou à tout autre régime
d'avantages sociaux que si la discrimination est fondée sur la race, la
couleur, la religion, les convictions politiques, la langue, le régime
ethnique ou national et la condition sociale."
En vue de cet article, on permet implicitement la discrimination
basée sur le sexe, l'état civil, l'orientation sexuelle et le
fait d'être une personne handicapée ou d'utiliser un moyen pour
pallier son handicap dans les régimes d'avantages sociaux. Malgré
les pressions exercées par de nombreux groupes, aucun amendement n'a
été apporté à la charte et aucune suite n'a
été donnée aux recommandations du comité sur la
non-discrimination dans les avantages sociaux - le rapport Boutin.
Nous avons quant à nous, formulé nos recommandations
relativement à l'article 97 de la charte en tant qu'organisme appuyant
la coalition pour l'abrogation de cet article, (voir en annexe 1). Nous ne
reprendrons pas ici toute l'argumentation déjÃ
développée. Nous croyons que le gouvernement dispose de toutes
les preuves ou justifications nécessaires et que c'est maintenant une
question de volonté politique d'agir.
Rappelons simplement que la CSD estime que la discrimination en
matière d'avantages sociaux ne devrait, pas plus qu'en d'autres
domaines, être pratiquée. C'est pourquoi nous réclamons
l'abrogation de l'article 97 de la charte, lequel constitue, Ã notre
avis, une exception injustifiée au principe de non-discrimination.
La CSD recommande que l'article 97 de la Charte des droits et
libertés de la personne soit abrogé.
Ici, je fais une pause pour vous dire que, ce matin, pour moi, c'est une
douce revanche. La revanche est douce au coeur de l'Indien, ou la vengeance, je
ne sais pas quoi. J'étais là , en 1975, quand la charte a
été adoptée, et l'article 97 m'a fait rugir. En tant que
femme, je voyais toute la discrimination qu'on se préparait Ã
faire sur la moitié de la population du Québec, les femmes.
Aujourd'hui quand on m'a mandatée pour défendre le
mémoire de la CSD, je vous le répète, je prends une
revanche.
La CSD recommande l'inclusion aux articles 11 Ã 19 de la charte
d'un nouvel article interdisant toute discrimination dans les avantages sociaux
tels que: nul ne peut exercer de discrimination dans un régime de rentes
ou de retraite, un régime d'assurance de personnes ou dans tout autre
régime d'avantages sociaux.
La CSD recommande qu'il soit stipulé dans la charte que la
législation et le régime public doivent être
modifiés dans le sens de l'abolition de toute discrimination en
matière d'avantages sociaux. La CSD a bien sûr approuvé le
rapport Boutin, sauf les recommandations 7 et 8.
à la recommandation 7, le comité recommande que dans les
régimes à prestations indéterminées, ou avec
participation aux bénéfices, le niveau de la rente ne puisse
varier en raison du sexe, de l'état civil ou de l'âge de
l'employé sauf pour des considérations actuarielles.
à l'article 8, le comité recommande que le niveau de la
rente ne puisse varier en raison du sexe, de l'état civil ou de
l'âge de l'employé sauf pour des considérations
actuarielles dans les options suivantes...
Quand on connaît les échelles actuarielles, on sait
très bien que nos actuaires ont fait une échelle actuarielle pour
les hommes et une autre pour les femmes. Je me demande pourquoi ils n'en ont
pas fait pour les gens de couleur, puisqu'ils ont une longévité
beaucoup plus courte que la nôtre. Les actuaires nous disent: Pour vous,
les femmes, on a fait une échelle actuarielle parce que vous avez une
longévité beaucoup longue que les hommes. J'ai l'impression que
c'est facultatif, c'est utopique, c'est injuste en tout cas de nous faire
porter l'odieux de notre longévité. Ensuite, on ne sait pas,
maintenant que l'on est au travail, si vraiment notre longévité
va être aussi prolongée. (11 heures)
La CSD est convaincue que des considérations de type actuariel ne
justifient aucunement une telle discrimination. Elle recommande que, dans les
régimes d'avantages sociaux, nulle distinction ne soit autorisée
en fonction du sexe des personnes concernées, même si ces
distinctions sont prétendues justifiées sur la base de calculs
actuariels.
La discrimination fondée sur l'âge. L'inscription de
l'âge comme motif illicite de discrimination à l'article 10 de la
charte constitue, Ã notre avis, une modification fondamentale devant y
être apportée. Dans le secteur du travail, l'âge intervient
de façon particulièrement dramatique à l'embauche et
à l'occasion de mises à pied; on refuse un emploi à des
personnes jugées trop jeunes ou trop âgées. Les femmes qui
désirent réintégrer le marché du travail
après quelques années d'arrêt se retrouvent
également dans une situation très difficile.
Lorsque nous parlons de discrimination selon l'âge, il y a aussi
une discrimination que j'ai pu constater, c'est que, dans les régimes
d'avantages sociaux, notamment les régimes supplémentaires de
rentes, on retardait l'âge d'accès aux régimes
supplémentaires aux femmes. Et je m'explique: L'homme qui arrive sur le
marché du travail commence immédiatement à cotiser au
régime supplémentaire, mais il y a une clause dans la
constitution qui dit que la femme commencera à cotiser à 25 ans.
On pense qu'elle va débarrasser le marché du travail et qu'elle
n'aura pas à adhérer au fonds de retraite.
La CSD recommande donc que l'âge soit reconnu comme motif illicite
de discrimination à l'article 10 de la Charte des droits et
libertés de la personne.
La discrimination fondée sur la condition physique. Plusieurs cas
de discrimination ont pour motif la condition physique. Nous n'en ferons pas
ici un relevé exhaustif, mais nous tenterons, à l'aide de deux
exemples, d'attirer l'attention de cette commission sur la
nécessité de reconnaître la condition physique comme motif
illicite de discrimination.
Plusieurs lois québécoises protègent actuellement
les femmes enceintes. La Loi sur les normes du travail interdit à un
employeur de mettre à pied une femme sous prétexte qu'elle est
enceinte.
La Loi sur la santé et la sécurité du travail
permet le retrait préventif et rémunéré de la femme
enceinte si son travail comporte des dangers pour elle ou pour l'enfant
à naître. Finalement, l'ordonnance no 17 accorde à la femme
enceinte un congé de maternité et une protection contre toute
perte d'avantages.
Malgré toutes ces lois, la discrimination continue pour les
femmes qui veulent avoir un emploi et qui sont enceintes. On en a eu des cas
récemment qui ont paru dans les journaux; j'ai vu aussi que la femme
avait perdu sa cause.
La condition physique comprenant l'apparence physique. Dans sa version
actuelle, la charte interdit d'inclure des critères relatifs à la
taille, à la force physique ou à la beauté dans les
exigences minimales d'emploi. Toutefois, dans la pratique, on sait qu'un bon
nombre d'employeurs font peu de cas de ces interdictions. Comme il est Ã
peu près impossible de faire la preuve d'une telle discrimination, les
possibilités de recours pour ces motifs sont à peu près
inexistantes. La CSD recommande que la condition physique comprenant la
grossesse et l'apparence physique soit reconnue comme motif illicite de
discrimination à l'article 10 de la charte.
La discrimination fondée sur le harcèlement. La notion de
harcèlement prend de plus en plus d'importance dans la conscience
publique, au fur et à mesure que l'on reconnaît le fait qu'il
s'agit d'un problème à caractère institutionnel. Une forme
courante de harcèlement est le harcèlement sexuel.
L'étendue du problème est par ailleurs difficile Ã
circonscrire, de nombreuses femmes craignant des représailles si elles
dénoncent ces situations, et ma compagne, France Roy-Meunier, a
justement un cas à vous citer.
Mme Roy-Meunier (France): Merci. M. le Président, membres
de la commission,
l'exemple que j'ai à vous apporter, c'est un exemple qui est
très concret. C'est d'ailleurs la première personne dont je ne
nommerai pas le nom, parce que c'est un exemple qui se passe
présentement.
C'est une femme, Ã l'emploi d'une compagnie, qui fait de
l'entretien ménager le soir. Cette femme travaille environ six mois par
année pour cette compagnie parce qu'elle remplace pendant les vacances.
Ce qui s'est produit, c'est que cette femme est allée travailler
à l'étage que le surintendant lui avait assigné, et elle
s'est retrouvée, à un moment donné, avec le surintendant
à cet étage. Le surintendant avait pris la précaution de
refermer la porte derrière lui afin de s'assurer que personne ne puisse
entrer, étant donné que les seules personnes détenant les
clés étaient cette femme et lui-même. Il a alors
commencé à lui faire des compliments, à lui dire qu'elle
était jolie et il lui a demandé si elle était
mariée. Quand elle lui a répondu qu'elle était
mariée et qu'elle n'était pas intéressée, il lui a
répondu qu'il trouvait ça bien dommage, etc. Finalement, quand il
s'est aperçu qu'il ne pouvait pas obtenir ce qu'il désirait par
des compliments, il s'est approché d'elle et a tenté de la
maîtriser en voulant l'embrasser, la caresser, etc. La femme a pris
panique et l'homme a finalement décidé d'en rester là et
est reparti.
Ce qui s'est produit à partir de ce moment-là , c'est que
le surintendant, au lieu de laisser sa carte de poinçon dans les casiers
habituels, la prenait dans son bureau. Donc, la femme devait chaque fois, pour
poinçonner, retourner au bureau chercher sa carte, et il faisait
certains sous-entendus, lui demandant si elle aimait bien travailler lÃ
et si elle désirait garder son emploi, etc. Par la suite, la femme en a
parlé à une de ses compagnes de travail, en lui faisant promettre
de n'en parler à personne. Cependant, cette femme en a parlé aux
officiers du syndicat qui avaient entendu dire depuis pas mal longtemps que
certains surintendants se permettaient un harcèlement sexuel face
à plusieurs femmes; ce n'était pas le premier cas, mais
c'était la première fois qu'un exemple concret venait
véritablement à leurs oreilles.
Donc, ils sont allés voir la femme et ont essayé d'obtenir
d'elle qu'elle dénonce le surintendant. Par quel moyen? on ne le sait
pas, mais c'est arrivé aux oreilles du surintendant qui, lui, pour se
protéger, avec un autre surintendant, peut-être le surintendant en
chef, a fait venir la femme au bureau pour lui faire signer une
déclaration disant que les deux officiers syndicaux l'avaient
harcelée - on revirait un peu les rôles - pour lui faire avouer
une situation qui était fausse. La femme, ayant peur, a signé la
déclaration et, par la suite, les deux officiers ont été
congédiés. Il y a d'ailleurs des procédures de griefs qui
sont en cours, qui ne sont absolument pas réglées.
Les officiers ont ensuite tenté d'amener cette femme Ã
rencontrer le représentant syndical pour pouvoir éclaircir la
situation. Après discussion, la femme a finalement expliqué au
représentant syndical, dans les détails, ce qui s'était
passé, soit approximativement ce que je vous ai expliqué. Il lui
a dit: Pourquoi ne l'as-tu jamais dénoncé? Cela faisait
déjà plusieurs semaines que la situation durait et elle trouvait
quand même assez traumatisant le fait de toujours être
obligée d'aller chercher sa carte au bureau du surintendant, ayant
toujours peur qu'il recommence à l'approcher. Elle lui a répondu
- cette personne est néo-Québécoise, elle est Italienne -
que, premièrement, elle avait absolument besoin de son travail parce que
l'argent qu'elle rapportait à la maison était nécessaire.
Deuxièmement, à cause de sa mentalité, elle disait que si
sa famille apprenait par hasard ce qui se passait, elle savait que ça
entraînerait des conséquences qui seraient, pour elle, vraiment
désastreuses.
D'ailleurs, dans ces milieux d'entretien ménager,
généralement, on trouve toujours des personnes italiennes,
portugaises, et généralement des femmes, c'est sûr. Leur
mentalité fait que si l'employeur, le surintendant ou un autre
communique avec le mari pour lui laisser sous-entendre quelque chose,
même s'il ne s'est jamais rien produit, le simple fait d'arriver Ã
créer le doute chez le mari est suffisant pour que l'homme
considère que sa femme a effectivement posé des actes, et
ça entraîne toutes sortes de conséquences. Pour elle, c'est
très catastrophique, la famille au complet s'en mêle,
généralement. Donc, la femme refuse.
Dans le cas présent, elle a décidé d'expliquer ce
qui s'est passé. Mais, vraiment, elle a une crainte énorme. Tout
ce qu'elle a demandé tout le temps, c'est: II ne faut pas que mon nom
paraisse, il ne faut pas que personne le sache. Il v a quand même eu des
congédiements et c'est un peu ce qui l'a convaincue de parler. Tout de
même, c'est très difficile pour elles.
Il y a un autre cas, c'est aussi dans une compagnie d'entretien
ménager. Mais là , c'est encore bien pire, ce qui s'y passe.
Là , c'est véritablement un réseau de prostitution. Je ne
l'invente pas, c'est lors du maraudage que des conseillers de la CSD ont
parlé avec ces femmes, qui leur ont expliqué ce qui se
produisait. Les contremaîtres ou les surintendants, toujours, tentent de
prendre les femmes en défaut. Lorsque la femme a fait quelque chose de
pas correct, le surintendant lui dit: Si tu veux conserver "ta job", tu as une
seule solution. Il le lui demande peut-être plus poliment, plus
gentiment, c'est de lui obtenir... Il lui demande tout simplement des
faveurs
sexuelles.
Une fois que la femme a cédé, pour ne pas perdre son
emploi, toujours en tenant compte du fait que, la majorité du temps, ce
sont des personnes néo-québécoises, qui ont donc beaucoup
plus de difficulté, premièrement, à s'exprimer, même
en français ou en anglais, et beaucoup plus de difficulté
à comprendre tout ce qui se passe, le surintendant lui dit: On a averti
ton mari, ton ami ou ta famille de ce qui vient de se passer; si tu n'acceptes
pas d'aller plus loin...
Généralement, ce sont d'autres personnes qui entrent en
ligne de compte puisqu'elles disent à la femme: C'est très
simple, tu vas avoir un petit travail bien tranquille à faire, mais, par
contre, lorsqu'on aura besoin de tes services, tu accepteras de travailler pour
nous à autre chose.
Naturellement et malheureusement, l'autre chose, quand je parlais de
réseau de prostitution, c'est effectivement ce qui se produit. Cela
n'est pas isolé. Dans le moment, je vous parle de cas d'une
région principale. Hier, on en discutait justement et M. Poiré
mentionnait que lui aussi il a connu maints cas. Ces femmes n'oseront jamais
avouer, premièrement, parce qu'elles ont honte d'avoir
cédé à un moment donné et d'être prises dans
cet engrenage; il y a aussi le fait des conséquences familiales, la
conséquence de la perte de leur emploi, parce que ces personnes ont
vraiment besoin de leur emploi.
M. Poiré avait aussi un autre exemple à donner face
à cela.
M. Poiré: Oui. Tantôt, je vous ai parlé de la
Mains Knitting Mills de Disraeli. C'est une compagnie qui possédait
quatre usines, une à Disraeli, une Ã
Saint-Gilles-de-Lotbinière et les deux autres, semblerait-il, dans la
région de Montréal. Nous, pour essayer d'empêcher la
fermeture de l'usine de Disraeli, on s'est dit: On va syndiquer les autres.
Effectivement, on a mandaté Marielle Gravel, qui est une organisatrice
à la CSD, pour aller faire les contacts dans les autres usines. Elle a
dit: Je vais commencer par Saint-Gilles-de-Lotbinière. Elle a fait ses
contacts, elle a rencontré une douzaine de filles, qui lui ont dit: Oui,
cela a bien du bon sens, on est d'accord. Ces filles ont même
signé leur carte.
On a fondé le syndicat. Il avait été convenu encore
une fois qu'une fin de semaine, on ferait l'organisation pour essayer
d'éviter que l'employeur découvre l'organisation de la
syndicalisation de son entreprise. Le vendredi après-midi, une petite
fille s'est échappée un peu, elle en a parlé à une
de ses compagnes de travail à l'intérieur de l'industrie. Le
contremaître qui a eu connaissance de cela l'a rapporté tout de
suite au gérant. Le gérant a fait immédiatement une
assemblée sur place. Mais il ne s'est pas contenté de faire
l'assemblée sur place, il a aussi appelé tous les parents des
petites filles, parce que la plupart des gens qui travaillent dans ces
industries, souvent, une grande majorité et même une très
grande majorité sont des jeunes filles qui arrivent sur le marché
du travail.
Nous, on est arrivé vers la fin de l'après-midi dans la
région, bien discrètement, pour nous préparer Ã
faire notre porte-à -porte. Quand on est arrivé Ã
l'hôtel, Marielle Gravel avait eu un coup de fil d'une des filles qu'elle
avait recontrées et un de ses poteaux - en termes syndicaux, on appelle
cela des poteaux - lui disant qu'elle voulait absolument la voir chez elle
immédiatement. Alors, Marielle Gravel nous a donné le travail
à faire, avec nos gens à rencontrer, et elle est partie
rencontrer la fille qui l'avait appelée. Cette fille-là demeurait
avec quatre autres filles dans un appartement Ã
Saint-Gilles-de-Lotbinière. Elle est arrivée là et les
filles lui ont dit: Nous, on ne veut plus se syndiquer, le "boss" nous a fait
une assemblée cet après-midi, etc. Marielle a dit:
Ãcoutez! Mes équipes sont parties, on fait le tour de tout le
monde ce soir pour faire signer les cartes, etc. (11 h 15)
Au même moment, trois hommes sont sortis des chambres.
C'étaient les pères des petites filles. Ils ont dit Ã
Marielle Gravel: Tu es venue monter la tête de nos petites filles. Ils
ont dit: Tu ne sortiras plus d'ici. Je dois vous dire qu'ils l'ont
gardée jusqu'à la fin de la veillée. Je n'ai pas besoin de
vous dire aussi que, partout où on allait "cogner" pour rencontrer les
petites filles, on se faisait traiter de toutes sortes de choses
épouvantables. Les gens ne voulaient pas nous laisser entrer. Tout le
travail avait été fait.
Où est la liberté démocratique de se syndiquer dans
ça? On a rapporté cela au ministre du Travail, du temps,
c'était en 1978. Je veux vous dire qu'en même temps j'avais
rapporté la fermeture de l'usine de Disraeli. Le ministre du Travail m'a
répondu bien simplement: - j'étais avec l'avocat Lucien Bouchard
de Chicoutimi que certains connaissent très bien, on était
là pour un problème de garage en même temps - Que veux-tu
que je fasse? Si, au moins, il m'avait répondu: On va
dépêcher un enquêteur, on va faire une enquête. Si
c'est réellement vrai que l'employeur ferme pour la syndicalisation, il
doit y avoir quelque chose à faire.
Deuxièmement, il aurait au moins dû envoyer un
enquêteur aussi pour aller vérifier ce qui s'est passé
à Saint-Gilles et faire respecter le Code du travail. Dans ce
dossier-là , je dois vous dire que les femmes ont été
brimées dans leurs droits et
harcelées. On a rencontré les petites filles de
Saint-Gilles trois semaines après parce qu'on leur avait dit que, si on
ne passait pas au travers, on leur remettrait leurs 2 $. J'ai dit Ã
Marielle: On ne l'enverra pas par la "malle", on va aller leur porter. On est
allé les rencontrer et je dois vous dire que la discussion, ce
n'était pas drôle au commencement parce qu'il n'y avait pas
d'atmosphère, mais on a expliqué que nous, on ne pouvait pas les
forcer, etc. Les petites filles nous ont alors raconté dans tous les
détails tout ce que l'employeur avait fait pour empêcher la
syndicalisation. Il avait fait des réunions sur les lieux du travail
où il avait dit aux petites filles encore la même chose que ce
qu'on entend partout: Fermeture de l'usine. Ils ont donné le cas de
Disraeli. Comme c'était le même employeur et qu'il avait
fermé une "shop" de 147 employés, imaginez-vous que pour une
"shop" d'une cinquantaine d'employés, la clé, c'est encore plus
vite.
Là aussi, la bâtisse n'appartenait pas Ã
l'employeur. C'est une bâtisse qui appartenait à un citoyen de
l'endroit et qui avait été un peu prêtée à la
ville pour en faire une bâtisse industrielle pour permettre à une
industrie de venir s'installer.
Mme Benoît-Paquette: Le harcèlement fondé
notamment sur la race, la couleur et l'origine ethnique, la religion,
l'orientation politique est un phénomène réel qu'on ne
peut ignorer. Dans sa version actuelle, la charte permet à la commission
de recevoir des plaintes de cette nature, mais elle n'autorise pas
explicitement la commission à intervenir en cette matière.
La CSD recommande que soit ajouté, après l'article 11, un
article interdisant toute forme de harcèlement, tel que: Nul ne peut
exercer quelque forme de harcèlement que ce soit, fondé sur l'un
des motifs de l'article 10 de la charte.
Le Président (M. Desbiens): Je m'excuse de vous
interrompre. Il y a près de 50 minutes que la présentation du
mémoire est commencée. Habituellement, bien que ce soit
très élastique, on essaie de s'en tenir à une
représentation un tiers-deux tiers pour la période des questions.
Maintenant, on laisse cela à votre choix. S'il y a plus de temps pour la
déposition du mémoire, ça laisse moins de temps pour la
période de questions. Si vous voulez continuer ou
accélérer, c'est à votre choix.
Mme Benoît-Paquette: Je vais accélérer.
Les recommandations. La CSD recommande que la charte soit amendée
de façon à rendre légaux les programmes d'accès
à l'égalité, d'action positive, parce que la CSD croit que
la charte devrait être amendée de façon à rendre les
programmes plus faciles.
Ainsi, dans les milieux de travail, de tels programmes pourraient
être négociés dans le cadre de conventions collectives. La
Commission des droits de la personne aurait alors un rôle majeur Ã
jouer auprès des parties, un rôle d'information et de soutien.
Elle devrait aussi, de manière générale, coopérer
étroitement avec les groupes voués à la promotion des
droits en apportant un support technique et en étant Ã
l'écoute des besoins exprimés.
On ne pourrait parler des responsabilités de la commission sans
référer d'abord aux priorités qu'elle devra se donner,
particulièrement au chapitre de sa fonction éducative. Tous les
changements découlant des différentes propositions d'amendement
à la charte, notamment dans le domaine des avantages sociaux et des
nouveaux motifs illicites de discrimination, supposent une information
dynamique à l'intention des personnes concernées. Il nous semble
donc logique que la commission puisse disposer des ressources et des moyens
adéquats pour répondre aux demandes croissantes qui lui seront
adressées. Il nous paraît également essentiel que la
commission dispose d'une présence permanente en région.
La CSD recommande qu'au chapitre de ses responsabilités en
matière de mise sur pied de programmes d'information et
d'éducation la Commission des droits de la personne se donne comme
priorité d'informer la population, premièrement, sur les
changements apportés au régime d'avantages sociaux
conformément à la charte telle qu'amendée;
deuxièmement, les nouveaux motifs illicites de discrimination.
La CSD recommande au gouvernement de s'assurer que la Commission des
droits de la personne dispose de moyens adéquats pour s'acquitter
efficacement de sa tâche.
La CSD recommande que la Commission des droits de la personne puisse
procéder à l'ouverture de bureaux régionaux. Au chapitre
des pouvoirs de la commission, nous croyons qu'il serait très
souhaitable que celle-ci puisse agir à titre de procureur en
matière de recours collectif. Ces ressources techniques ainsi que ces
moyens de communication mis ainsi à la disposition du groupe
lésé constitueraient un apport indéniable. De plus, il
nous semble que cette fonction cadre très bien avec sa mission de
promotion des droits ainsi qu'avec sa fonction éducative.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Bédard: M. le Président, je tiens Ã
remercier les personnes présentes pour la présentation de leur
mémoire devant les membres de la commission parlementaire.
Nous sommes à même de constater qu'il s'agit de
représentations très étoffées, très
fouillées concernant un ensemble de situations dont vous avez voulu
faire part aux membres de la commission. Ce qui est peut-être
remarquable, c'est que vous vous êtes astreints à donner des
exemples très pratiques, des exemples vécus qui ont permis aux
membres de cette commission de vérifier l'ensemble des revendications
que vous faites pour des amendements au niveau de la charte des droits et
libertés. Ce n'est pas toujours facile. C'est peut-être plus
facile d'y aller d'une façon philosophique, mais je tiens Ã
souligner que le fait que vous vous soyez astreints à nous donner des
exemples pratiques nous permet assurément une meilleure
compréhension des situations que vous voulez dénoncer.
Une partie de ces représentations concernant l'urgence de
faciliter l'accréditation syndicale, vous en conviendrez, peut
s'adresser d'une façon plus particulière au ministère du
Travail. Je vois que vous êtes d'accord avec moi. Il reste que
c'était indiqué d'en faire part aux membres de cette
commission.
Concernant les facilités d'accréditation, secteur
où le législateur doit nécessairement agir, je vous ferai
simplement remarquer, en passant, qu'après la Loi sur les normes
minimales, la Loi sur la santé et la sécurité du travail
le ministre actuel du Travail a déjà annoncé son intention
d'y aller de mesures législatives afin de faciliter
l'accréditation syndicale de manière à faire obstacle
à toutes ces manoeuvres qui peuvent être exercées par
certains employeurs aux fins d'empêcher la syndicalisation.
Vous avez parlé d'une façon spéciale du
harcèlement sexuel en y allant d'exemples très précis. Mme
France Roy-Meunier et d'ailleurs d'autres membres de votre
délégation avez énoncé des situations très
précises. J'ai remarqué que Mme Roy-Meunier a quand même
dit, à un moment donné, en dénonçant ces
situations, que ce qui est malheureux, c'est que les femmes n'osent jamais les
dénoncer. Comment pensez-vous qu'en ajoutant la notion de
harcèlement sexuel ou harcèlement de façon
générale dans la charte des droits que cela constituera un
élément qui permettra ou qui incitera ces femmes victimes de
situations précises à les dénoncer?
Mme Benoît-Paquette: Ma compagne va vous
répondre.
M. Bédard: Parce que déjà , en fait, dans
l'article 10, vous pouvez le constater comme moi, il y a la défense de
discriminer concernant le sexe, en raison du sexe. Il y a également,
dans le Code criminel, des dispositions prévues aux fins de
pénaliser les personnes qui sont en autorité et qui osent exercer
des pressions sur leurs employés, dans le sens de ce que vous avez
expliqué.
Malgré ces dispositions déjà présentes, soit
dans la charte ou dans le Code criminel, vous nous dites que d'une façon
générale les femmes n'osent pas dénoncer ces situations.
Comment pensez-vous qu'en y ajoutant une notion de plus, celle du
harcèlement, cela contribuera à changer la mentalité ou
à changer les manières d'agir?
Mme Roy-Meunier: Au niveau du changement de la mentalité,
d'ailleurs, dans le mémoire, à un moment donné, on
précise qu'on ne fait pas cela en fonction de changer une
mentalité immédiatement. On est conscient que c'est très
long. Par contre, on se dit que si l'article sur le harcèlement est
ajouté, s'il y a de la publicité qui se fait à ce niveau,
si les femmes sont éduquées, si on leur rappelle constamment
qu'elles n'ont pas à se laisser harceler, il leur donne droit de se
faire défendre. Parce que pour certaines femmes, tant qu'elles ne sont
pas carrément violées, elles se disent... d'ailleurs, dans les
procès pour viol, c'est souvent ce qui se produit, c'est quasiment la
femme qu'on accuse d'avoir provoqué la situation. Je pense que tout le
monde est au courant. Ces mêmes femmes aussi ont cette impression et tant
qu'elles n'ont pas été violées, elles n'ont pas
l'impression qu'elles ont droit de contester ce que l'employeur fait, parce que
souvent ces femmes de minorité ethnique ont l'impression que
l'employeur, c'est le maître après Dieu.
Donc, s'il y a de l'éducation et de l'information comme il s'en
fait, présentement au niveau du viol... Il y a de plus en plus
d'information. On dit aux femmes: Vous devez dénoncer. Vous allez avoir
des organismes qui vont vous soutenir, qui vont vous aider pour aller jusqu'au
bout. Les femmes, de plus en plus, avouent des situations semblables. Quand je
dis avouent, cela en est quasiment incroyable. Parce que c'est un fait, pour
elles, c'est quasiment avouer quelque chose de honteux. Mais pour le
harcèlement, qui ne va pas nécessairement jusqu'au viol, il est
aussi difficile pour une femme lorsqu'elle a à le subir pendant des
semaines et des mois. Il faudrait que les femmes à ce niveau soient
informées de leurs droits. Si la personne qui tente de faire le
harcèlement sexuel est aussi informée que dans la charte existe
une clause disant que si tu fais du harcèlement et qu'on le prouve, tu
es aussi passible d'une peine, je ne sais trop, de quelque chose au bout, la
personne qui va faire le harcèlement va peut-être s'y
arrêter un tout petit peu. Elle va peut-être y penser deux fois
avant de faire son harcèlement. (11 h 30)
Juste un instant! Ce qu'on dit, c'est que, par rapport à ce qui
avait été dit à la
fin, finalement, le rôle de la commission, c'est d'arriver
à faire cette information et cette éducation auprès des
femmes.
M. Bédard: Autrement dit, vous voyez surtout, dans
l'inclusion de la notion de harcèlement dans la Charte des droits et
libertés, un effet psychologique et un effet éducatif, tout en
étant conscients de part et d'autre que, même si cette notion
était insérée dans la charte, les difficultés de
preuve demeureront celles qu'on connaît et que vous avez d'ailleurs
évoquées auprès de cette commission.
Mme Roy-Meunier: Oui, effectivement, c'est une partie de la
réponse pour moi. Je ne sais pas, mais je crois que René a
quelque chose à ajouter.
Le Président (M. (Desbiens): M. Poiré.
M. Poiré: Dans le Code du travail, quand l'employeur
congédie quelqu'un et qu'on fait une plainte en disant: II est
congédié pour activités syndicales, c'est Ã
l'employeur de démontrer qu'il l'a congédié pour autre
chose. Là , on devrait renverser les rôles aussi. Au lieu de
toujours obliger l'employée à se battre, à se
défendre ou à prouver que telle ou telle chose a
été faite, là aussi, on devrait renverser les rôles
et dire: Le gars qui l'a caressée ou qui l'a violée, ce sera
à lui de venir prouver qu'il ne l'a pas fait.
à part cela, au lieu d'avoir une preuve concrète, au
niveau du Code du travail, si quelqu'un est congédié, il s'agit
pour nous de prouver, de démontrer que l'employeur peut l'avoir
congédié sans preuve absolue. Dans le cas d'un harcèlement
sexuel et ainsi de suite, on peut aussi le démontrer. Lorsque des femmes
travaillent avec d'autres femmes, tout le monde se connaît. On sait
à quelle sorte de femmes on a affaire. Si vous avez affaire à une
femme qui manifeste continuellement, c'est-Ã -dire qu'elle
démontre qu'elle aime se faire approcher et se faire coller, c'est
entendu qu'elle aura le problème de démontrer, devant une
commission ou devant un juge, que c'est l'autre qui l'a provoquée. Mais
à la petite fille qui arrive là , qui a 17 ou 18 ans, parfois 16
ans, 15 ans et parfois 14 ans - on triche sur l'âge pour les faire entrer
dans ces usines parce que, dans le petit village, on manque de personnel
féminin - et qui n'a jamais rien fait, on va dire: Tu vas venir
démontrer et faire la preuve que c'est toi qui l'as provoqué,
quand elle a de la misère à parler et à s'exprimer, tandis
que l'autre, qui a de l'expérience parfois - cela fait dix ou quinze ans
qu'il est à l'intérieur d'une industrie comme surintendant ou
contremaître, il a commencé à la base - et qui pratique
cela depuis un certain nombre d'années, a appris à se
défendre, à intimider ces filles et à s'organiser pour
qu'elles ne parlent pas. Il faudrait renverser les rôles.
M. Bédard: Je comprends que vous demandez
présentement une sorte de renversement de la situation qui existe au
niveau du Code criminel, autrement dit, le renversement de la notion de la
présomption d'innocence pour la remplacer par une présomption de
culpabilité au niveau des employeurs ou des personnes qui seraient
susceptibles d'avoir exercé des pressions. Ne pensez-vous pas que cela
peut donner ouverture à d'autres sortes de violations de droits et
libertés et à d'autres sortes de pressions qui sont difficiles
à imaginer au moment où on se parle?
M. Poiré: Mais, si on se compare...
M. Bédard: Le système de droit qui existe Ã
l'heure actuelle est basé sur la présomption d'innocence.
M. Poiré: ...au droit du travail présentement, on
sait que le fait que nous ayons à établir la présomption
que quelqu'un a été congédié pour activités
syndicales et que l'employeur ait à se défendre, cela a comme
conséquence de mettre un frein aux congédiements pour
activités syndicales. Il y a encore beaucoup d'employeurs qui
congédient des gens parce que souvent ils consultent des avocats qui ne
sont pas en droit du travail et qui n'ont pas d'expérience en ce sens.
Les avocats leur disent: Ne t'inquiète pas, il n'y a pas de
problème, je vais te sortir de ça. Mais quand ils consultent des
avocats qui sont en droit du travail ou qui ont une bonne expérience du
monde du travail, ces avocats leur recommandent de ne pas les congédier.
S'ils l'ont fait, ils leur recommandent de les reprendre le plus rapidement
possible et de les payer. Il est facile de démontrer qu'un
employé qui a été un modèle d'employé
pendant deux ans et qui n'a jamais eu rien à se reprocher ne peut
devenir du jour au lendemain un paresseux, un lâche, un voleur et un
bandit. Pour la petite fille, c'est exactement la même chose. C'est une
petite fille qui s'est toujours comportée comme du monde. Pourquoi, au
niveau de la présomption, tout simplement, aurait-elle Ã
démontrer qu'elle s'est toujours bien comportée et qu'elle n'a
jamais eu rien à se reprocher? L'autre aurait le fardeau de la
preuve.
M. Bédard: Vous êtes ici pour donner votre opinion,
c'est d'ailleurs pour cela que je vous ai demandé d'expliciter, sans
aller plus loin dans mes commentaires.
Au niveau des programmes d'accès Ã
l'égalité, dans votre mémoire, à la page 19,
vous dites que "de tels programmes pourraient être
négociés dans le cadre de la convention collective. La Commission
des droits de la personne, dites-vous, aurait alors un rôle majeur
à jouer auprès des parties, un rôle d'information et de
soutien." Est-ce Que, lorsqu'une situation de discrimination est prouvée
et qu'il y a difficulté ou impossibilité d'en arriver à un
programme négocié, vous êtes d'accord que de tels
programmes puissent devenir obligatoires?
Mme Lapointe (Lisette): Nous préférerions que ces
programmes soient des programmes qui viennent du milieu même. Dans une
entreprise donnée, même dans les divers départements, il y
a des changements, il y a des choses très différentes qui peuvent
se produire. Il peut y avoir seulement un ou deux départements Ã
l'intérieur de l'entreprise où il y a eu discrimination Ã
l'égard de femmes ou de minorités ethniques, par exemple.
Nous croyons sincèrement que, même si ces programmes
étaient élaborés par la commission et les parties, s'il
n'y a pas entente au niveau de l'entreprise, même si ces programmes sont
imposés, on a bien peur que d'autres discriminations ou d'autres
harcèlements se produisent ensuite dans l'application même de ces
programmes, s'ils ne sont pas négociés par les deux parties,
acceptés par les personnes qui ont à les vivre. Je donne
l'exemple d'un département où on aurait dit: II faudrait engager
cette année cinq femmes puisqu'il n'y a que 2% de femmes qui exercent ce
métier. J'aurais bien peur, si les collègues ne l'ont pas
accepté d'abord, si c'est imposé d'en haut, que ces femmes soient
harcelées, pas sexuellement, mais au niveau professionnel,
c'est-Ã -dire qu'on essaie de les enfarger un peu, de les
discréditer au niveau de leur compétence, etc.
Cela nous semble important, dans les lieux où on est
syndiqué, que ces programmes soient demandés, s'il y a lieu, et
ensuite négociés. C'est évident...
M. Bédard: Si je comprends bien, dans le cas de
l'impossibilité d'une entente souhaitée, tel que vous le dites,
votre réflexion ne vous porte pas encore à affirmer que ces
programmes pourraient nettement être imposés.
Mme Lapointe: Non, nous pensons que ce serait très
problématique.
Mme Benoît-Paquette: Nous pensons au recours collectif face
à la Commission des droits de la personne qui viendrait nous
épauler si l'employeur était récalcitrant.
Mme Lapointe: Même le syndicat.
M. Bédard: Vous demandez par exemple l'abrogation - ce
sera ma dernière question -de l'article 90 concernant la discrimination
dans les avantages sociaux. Est-ce que -comme certains groupes nous l'ont
déjà recommandé - vous croyez que cette modification doit
nécessiter l'octroi d'un pouvoir réglementaire pour en fixer les
modalités? Si oui, à qui devrait-on confier ce pouvoir?
Mme Benoît-Paquette: Je pense qu'il faut réglementer
dans ce domaine et j'imagine que ça relève de votre
ministère ou encore de celui des Coopératives et Institutions
financières, surtout dans le domaine des fonds de retraite, parce qu'il
y a de la discrimination sur une large échelle. Je pense qu'il faut
légiférer pour aller voir ce qui se passe là -dedans, parce
que ce sont toujours les femmes qui sont discriminées. J'ai vu un cas
où c'étaient les hommes qui étaient
discriminés.
M. Bédard: Dans l'assurance-vie, par exemple, est-ce que
vous pensez que ce sont les femmes qui sont discriminées?
Mme Benoît-Paquette: Oui. Je reviens au fonds de retraite,
moi-même, j'ai eu un...
M. Bédard: II y a un groupe du domaine de l'assurance-vie
qui a comparu devant nous et qui, en fait, je pense, nous a peut-être
fait la preuve du contraire.
Mme Benoît-Paquette: Dans les faits, ce n'est pas toujours
ça. Pour les fonds de retraite, je peux vous...
M. Bédard: C'est dans les chiffres.
Mme Benoît-Paquette: ...dire que, dans mon fonds de
retraite, mon bénéficiaire était mon "épouse".
M. Bédard: Une dernière question, vous
comprendrez...
Mme Benoît-Paquette: Comme je n'ai pas
d'épouse...
M. Bédard: ...que, sur bien des sujets que vous avez
abordés, on aimerait peut-être revenir avec des questions pour
vous demander certains éclaircissements, nous allons nous en abstenir,
parce que déjà pas moins d'une trentaine de groupes, même
plus, une quarantaine de groupes, sont venus témoigner devant la
commission et nous avons eu avec eux l'occasion d'aller au fond des choses le
plus possible.
Une dernière question. Dans le domaine des avantages sociaux,
dans le cas où il y a un conjoint de fait et un conjoint
légitime, comment devrait-on prévoir l'attribution des
avantages sociaux?
Mme Benoît-Paquette: Je pense qu'il faut
légiférer dans ce domaine, tout dépend s'il y a eu
divorce ou non, si la personne a vécu avec le premier conjoint ou le
deuxième conjoint. Si elle a vécu un an avec le premier conjoint,
si elle a vécu vingt ans avec le deuxième conjoint, il faudrait
légiférer dans ce domaine pour voir qui a droit aux
bénéfices.
M. Bédard: Comme législateur, si vous aviez
à établir une ligne de démarcation, ce serait quoi, parce
qu'on ne peut pas écrire un roman quand on fait un article de loi, vous
comprenez?
Mme Benoît-Paquette; Je sais bien.
M. Bédard: Mais je comprends très bien le sens de
vos remarques. Vous avez dit également qu'il y aurait Ã
considérer le fait qu'il y a divorce ou pas, légalement
parlant.
Mme Benoît-Paquette: II faut considérer les enfants
aussi.
Mme Lapointe: On avait pensé à trois ans de vie
commune pour des conjoints de fait, s'il n'y a pas d'enfant, et s'il y a un
enfant, un an de vie commune. Maintenant, il y a toujours, comme
Thérèse disait...
M. Bédard: Disons qu'il n'y a pas de
séparation...
Mme Lapointe: II n'y a pas de séparation
légale...
M. Bédard: ...et qu'il y a dix ans de vie commune avec un
conjoint dit légitime, avec cinq enfants issus de cette union, et qu'il
y succède une cohabitation de fait pendant un an avec une autre personne
et qu'il y a un enfant issu de cette nouvelle cohabitation, je pense que vous
conviendrez avec moi que ça ne devient pas facile de faire les
distinctions.
Mme Benoît-Paquette: Je pense que, dans ce domaine, les
jeunes enfants devraient avoir priorité; quand les enfants sont rendus
à 25 ans, il n'y a plus de problème, mais quand il y a une
conjointe qui a de jeunes enfants, je pense qu'elle devrait avoir
priorité pour les bénéfices.
M. Bédard: Je vous remercie personnellement encore une
fois de vos représentations très intéressantes et
très positives.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: J'aimerais vous remercier pour votre mémoire.
J'ai trouvé que c'était une représentation assez
originale. Je pense que les membres de la commission ont mieux compris un
certain nombre de problèmes à travers les exemples que vous avez
donnés. Disons que le travail à domicile est un problème
au Québec. L'Assemblée nationale a déjÃ
essayé de contrôler ça d'une certaine façon par
certaines lois et certains règlements, mais on sait que c'est encore un
problème. (11 h 45)
Vous avez parlé du problème de la prostitution. Vous avez
même fait des allégations qu'il y a de la prostitution dans
certaines usines et que les femmes sont forcées, d'une façon ou
d'une autre, de se prostituer. J'aimerais suggérer que vous demandiez au
ministre qu'une enquête soit faite, parce que c'est un problème
assez sérieux, mais un problème qu'on ne peut pas résoudre
par une charte des droits. Cela prendrait d'autres mesures. Comme vous avez
soulevé ce problème, je demanderais aussi au ministre de faire
une étude sur ce problème, parce que, si cela existe dans une ou
deux usines, ici et là , cela doit exister ailleurs aussi. On voit juste
quelques exemples.
M. Bédard: Si mon collègue me permet juste un mot
sur ce sujet précis. En fait, vous avez dénoncé certaines
situations qui vont jusqu'Ã la prostitution. Je vous informe simplement
que, lorsque des situations de cette nature existent, il y a une manière
très précise de faire en sorte qu'il y ait enquête, pas
seulement au niveau du ministère du Travail, mais au niveau du
ministère de la Justice, parce qu'on rejoint le Code criminel. Il s'agit
qu'une plainte en bonne et due forme soit acheminée - je vous le dis en
passant - au ministère de la Justice.
M. Marx: Le problème, c'est que la fille a peur de porter
plainte. C'est cela, le problème.
M. Bédard: II arrive parfois que le syndicat... Vous avez
quand même dénoncé certaines situations.
M. Marx: Tout ce que j'ai voulu dire, c'est un problème
assez difficile et, comme cela a déjà été
souligné, les filles ont peur de porter plainte pour toutes sortes de
raisons. Il y a un chantage qui se fait. J'aimerais suggérer au ministre
de considérer la possibilité de faire une enquête, le cas
échéant, dans les usines que vous pouvez lui nommer en
privé et peut-être de faire une étude sur cette question.
On fait tellement d'études au Québec, surtout dans certains
ministères, qui ne mènent nulle part. Peut-être que cela
pourrait être une étude qui
mène quelque part et qui va nous permettre de trouver des
solutions pour traiter de ce problème.
M. Bédard: II faudrait peut-être mentionner
qu'Ã l'heure actuelle la CECO est dans ce secteur particulier du
vêtement. Peut-être que cela nous donnera des résultats sur
tous les plans, pas seulement au niveau du domaine du travail.
M. Marx: Si on attend une enquête ou une étude! Il y
a des années que cela existe et on n'a rien fait. Voici qu'on a des
exemples concrets de cette situation. Je demande encore au ministre de ne pas
attendre le rapport de la CECO ou le rapport d'une autre commission, mais
d'essayer de faire une étude et peut-être une enquête dans
ces usines que vous pouvez lui mentionner en privé et de voir ce qu'on
pourrait faire. C'est un problème des droits de la personne, mais je ne
pense pas qu'on puisse le régler par la charte. C'est cela, le
problème.
En ce qui concerne l'article 90, nous sommes d'accord. L'Opposition
rougit avec vous, dans le sens que c'était supposé être un
article temporaire dans la charte. Nous avons demandé au ministre depuis
quelques années d'abroger cet article, mais voilà , il ne l'a pas
encore fait. Peut-être qu'il va le faire cette année ou l'an
prochain.
M. Bédard: Vous me faites rire avec quelques
années. Cela fait cinq ans que la charte est là .
M. Marx: M. le ministre, vous êtes bien nerveux, ce
matin!
M. Bédard: Au contraire, très calme. Je vous trouve
amusant!
M. Marx: C'était supposé être un article
temporaire. Avec ce gouvernement, c'était temporaire pour cinq ans.
Maintenant, peut-être que cela va prendre une autre année avant de
l'abroger.
à la page 16, vous avez fait la recommandation "que la condition
physique, comprenant la grossesse et l'apparence physique, soit reconnue comme
motif illicite de discrimination à l'article 10 de la charte". Si on met
cela dans l'article 10, cela veut dire que, si une femme pose sa candidature
pour un poste, même si elle est enceinte de huit mois, elle doit
être engagée. Est-ce que vous proposez cela?
Mme Lapointe: Je pense que, si on reconnaît vraiment le
droit au travail des femmes, la grossesse ne devrait pas être un
empêchement à se trouver un emploi. D'ailleurs, l'employeur n'est
pas pénalisé s'il engage une femme enceinte. Il y a toutes sortes
de lois qui le protègent. Huit mois, on exagère peut-être
un peu, mais si elle a quatre mois de grossesse et qu'elle a besoin de
travailler, si elle est de famille monoparentale, notamment, je ne pense pas
qu'on puisse l'empêcher de travailler pour cette raison.
M. Marx: Si une femme n'a peut-être pas huit mois, mais
sept mois ou six mois et demi et qu'elle pose sa candidature pour un emploi,
l'employeur devrait l'engager...
Mme Lapointe: II devrait l'engager, oui, au même titre que
si elle n'était pas enceinte.
M. Marx: ... au même titre que n'importe quelle autre
personne.
Mme Benoît-Paquette: Oui, parce qu'elle a besoin de
travailler.
M. Marx: Oui, je comprends qu'elle a besoin de travailler, mais
supposons que ce soit un magasin où il y a seulement deux
employés, que c'est un bureau où il y a seulement un
employé, comme dans mon bureau de comté où j'ai seulement
une secrétaire. Si quelqu'un se présente un jour, enceinte de
sept mois, je comprends le problème et, si c'est dans la charte, je
n'aurai pas de choix et je vais engager quelqu'un pour un mois. Après
cela, je n'aurai pas...
Mme Lapointe: Je suis certaine que vous l'engageriez de toute
façon, même si ce n'est pas dans la charte.
M. Marx: Surtout si c'est dans la charte.
Mme Lapointe: Même si cela peut poser de petits
problèmes, que vous devriez, pour quinze semaines environ, la remplacer.
Finalement, est-ce qu'on accepte la clef, est-ce qu'on accepte que la femme a
le droit de travailler quand elle en a besoin? Les quinze semaines où
elle serait partie, elle recevrait une rémunération. Il vous
serait possible d'engager quelqu'un pour la remplacer pendant ce temps et de la
reprendre ensuite à votre emploi.
M. Marx: Oui, l'autre qui va la remplacer pendant quinze semaines
va perdre son emploi, elle va travailler seulement quinze semaines.
Mme Lapointe: Elle saurait que c'est un emploi temporaire; il
faudrait la prévenir.
M. Marx: Oui, souvent, dans beaucoup d'emplois, il y a une
période d'entraînement.
Mme Lapointe: C'est sûr.
M. Marx: Si quelqu'un pose sa candidature en étant
enceinte de sept mois, l'entraînement... Je suis en faveur du principe;
je trouve que le principe que vous avez souligné est celui qu'il faut
encadrer dans la charte, mais je me demande s'il y a des limites à ce
principe qu'il faut prévoir. Faut-il étudier les effets d'une
telle disposition dans la charte avant de l'encadrer?
Mme Lapointe: J'ai l'impression qu'il ne devrait pas y avoir de
limite.
M. Marx: Pas de limite. Mme Lapointe: Pas de limite.
M. Marx: D'accord. Dans la même recommandation, on trouve
aussi l'apparence physique. L'apparence physique, qu'est-ce que cela veut dire
pour vous?
Mme Benoît-Paquette: Par exemple, une femme qui serait un
peu dodue. Quand c'est un endroit public, on lui refuse l'emploi, parce qu'elle
n'est pas assez svelte. Ce cas de discrimination arrive fréquemment.
Elle peut aussi être un peu plus petite que la normale ou trop grande.
Cela arrive un peu plus rarement, mais les plus gros cas que j'ai vus de
discrimination portaient surtout sur l'embonpoint. On refusait la femme parce
que...
M. Marx: D'accord. Est-ce que cela arrive seulement aux femmes ou
est-ce que cela arrive aux hommes aussi?
Mme Lapointe: Non.
M. Marx: Si cela arrive seulement aux femmes, c'est une question
de discrimination à cause du sexe.
Mme Benoît-Paquette: C'est à cause de son
apparence.
M. Marx: Oui, mais si on fait cela juste aux femmes, si on juge
l'apparence des femmes importante, contrairement aux hommes, on fait de la
discrimination contre les femmes et c'est déjà couvert par
l'article 10.
Mme Benoît-Paquette: Probablement que les hommes ne sont
pas venus porter plainte là -dessus.
Mme Lapointe: On a aussi vu des cas de discrimination à ce
niveau chez des hommes qui doivent travailler à la manutention d'objets
assez lourds. Selon l'apparence, on engage plus facilement quelqu'un qui est
grand et solide pour des postes comme cela, sans vérifier si cela change
quoi que ce soit au niveau du travail. Ce sont des cas qui se produisent assez
souvent.
M. Marx: Si c'est une espèce de discrimination qu'on
pratique vis-à -vis des femmes, c'est déjà couvert dans la
charte.
Mme Benoît-Paquette: D'accord mais...
M. Marx: Rendre l'apparence physique un motif de discrimination,
c'est bien difficile... Quelqu'un va toujours plaider en disant: On ne m'a pas
servi, on ne m'a pas loué l'appartement à cause de mon apparence
physique. C'est difficile à juger, l'apparence physique. Si vous dites
qu'on fait la discrimination contre les femmes dans certains bureaux, dans
certaines banques et ainsi de suite, je comprends, cela est déjà ,
à mon avis, peut-être à l'avis de la commission aussi, la
discrimination fondée sur le sexe.
En ce qui concerne le harcèlement, à la page 17 de votre
mémoire, vous formulez cette recommandation: "Nul ne peut exercer
quelque forme de harcèlement que ce soit, fondé sur l'un des
motifs de l'article 10 de la charte". Avez-vous trouvé qu'il y a du
harcèlement pour d'autres motifs, c'est-à -dire pour des motifs
autres que le sexe.
Mme Benoît-Paquette: Bien sûr, il y a du
harcèlement par exemple du côté politique, appartenance
politique. J'ai vu aussi du harcèlement du côté
religion.
M. Marx: Prenons le côté politique, quel genre de
harcèlement, que dit-on?
Mme Benoît-Paquette: C'est une chose encore qui n'est pas
tout à fait palpable: Si tu n'es pas du bon côté, tu ferais
mieux de te mettre du bon côté... c'est un peu du
harcèlement qu'on fait.
M. Marx: Moi, je suis harcelé à l'Assemblée
nationale, chaque jour, et surtout par le ministre. Moi, je suis du bon
côté. Cette blague est pour illustrer que souvent le
harcèlement, c'est la blague, ce n'est pas un motif de discrimination;
ce sont des choses que l'on se dit au travail, partout et on ne prend pas cela
trop au sérieux, ce n'est pas un motif pour faire la discrimination, les
gens ne perdent pas leur emploi pour cette raison. Il peut arriver
sûrement qu'à cause de l'opinion politique, quelqu'un perde son
emploi; il y a déjà des plaintes à la Commission des
droits de la personne, mais congédier quelqu'un, c'est quelque chose de
couvert par l'article 10. Le harcèlement, j'aimerais...
Mme Benoît-Paquette: On ne congédie
peut-être pas, mais on le harcèle tellement qu'il se
congédie lui-même ou elle-même.
M. Marx: Avez-vous des exemples, avez-vous eu des plaintes?
Mme Benoît-Paquette: Oui.
M. Marx: Vous avez des plaintes?
Mme Benoît-Paquette: Oui.
M. Marx: Quel genre de plaintes? Pouvez-vous nous donner un
exemple?
Mme Benoît-Paquette: Disons que ce n'était pas un
travail rémunéré, mais c'était une
représentation dans un conseil d'administration. On s'est demandé
à quel parti politique elle appartenait? Finalement, on n'était
pas sûr, puis cela a été un peu du harcèlement, et
ce n'est pas encore réglé.
M. Marx: Avez-vous des exemples de harcèlement pour des
motifs autres que le sexe?
Mme Benoît-Paquette: La religion. M. Marx: Quel
genre de...
Mme Benoît-Paquette: II y a des gens encore qui font une
grosse différence entre les religions et qui font du harcèlement
à cet égard, ils cherchent même à les convertir.
Mme Roy-Meunier: J'ai aussi un exemple de harcèlement au
niveau des minorités ethniques. On nous contait que des personnes vont
parrainer soit des Italiens ou d'autres gens qui veulent immigrer ici, au
Québec. Généralement, ce sont des
Néo-Québécois qui sont ici depuis quelques années,
qui sont assez bien placés, contremaîtres ou autres, qui ont un
travail qui leur permet quand même d'avoir une certaine autorité
là où ils travaillent. Ils vont parrainer des gens qui veulent
venir ici en leur trouvant du travail, parce qu'il y a quand même
plusieurs critères à respecter pour pouvoir immigrer ici.
Lorsqu'ils arrivent, ils leur disent: Maintenant que je t'ai trouvé du
travail, que je t'ai aidé à venir ici au Québec, tu vas
devoir me payer un certain pourcentage sur ton salaire ou un cadeau. Soit
qu'ils lui demandent un cadeau qui est global ou sinon un pourcentage. La
plupart de ces gens-là travaillent au salaire minimum et on leur demande
un pourcentage sur chaque heure travaillée. (12 heures)
La plupart du temps, ce sont des Néo-Québécois qui
font cette demande ou encore ce sont quelquefois des Québécois,
malheureusement. Les personnes vont payer parce qu'elles calculent que c'est
une faveur que la personne ait accepté de les parrainer pour les aider
à venir ici; elle ne prennent pas cela comme étant une
espèce de chantage; elles ont l'impression que c'est une faveur et
qu'elles doivent payer. Je pense que c'est un exemple de harcèlement. La
personne en est plus ou moins consciente, mais je trouve que c'est quand
même un petit peu aberrant.
M. Marx: Je comprends que le chantage, dans un tel cas, est
couvert déjà par le Code criminel, mais, de toute façon,
pensez-vous qu'Ã travers un article dans la charte, on pourrait changer
les moeurs des personnes? Est-ce que ce serait prouvable que quelqu'un a dit
telle et telle chose à quelqu'un? Est-ce que ce serait possible vraiment
pour ces personnes d'invoquer leurs droits en vertu d'un article où on
parle de harcèlement? Je pense qu'il y a vraiment un problème au
niveau des femmes, c'est un problème qu'on voit partout, mais d'autres
genres de harcèlement, je me demande si c'est quelque chose que le
législateur devra rendre illicite en vertu de la loi, parce que souvent,
c'est difficile de tirer la ligne entre la blague et le harcèlement;
c'est cela le problème.
Mme Roy-Meunier: II y a d'autres harcèlements comme dans
une compagnie où on fait l'emballage de produits jetables pour les
hôpitaux. Le harcèlement qu'elles subissent, c'est que l'employeur
a un circuit fermé de télévision pour surveiller les
employés tout le temps; ils ont un système de micros qui fait que
les femmes ne peuvent pas parler, ne peuvent pas bouger. Cela est du
harcèlement.
M. Marx: C'est le Code de travail, et les conventions
collectives. Il y a d'autres façons de régler ces
problèmes.
Mme Roy-Meunier: Sauf qu'à ce niveau-là , je pense
qu'il ne se fait pas grand-chose non plus. Faudrait peut-être qu'il y
ait...
M. Marx: Je pense que, dans certaines industries, ils ont eu des
caméras, des micros; les gens ont fait des plaintes auprès du
Tribunal du travail ou auprès de leur syndicat; dans une autre
convention collective, on a enlevé le micro et ainsi de suite.
Mme Roy-Meunier: Pour cela, il faut leur permettre au moins de se
syndiquer, et ces personnes sont en voie de se syndiquer, elles sont en voie de
négocier une convention, sauf qu'elles ont eu tellement de
difficultés. Cela fait plus d'un an et demi que c'est commencé et
elles viennent juste d'avoir leur accréditation. L'employeur
là -
dedans n'est vraiment pas commode.
M. Marx: Oui, d'accord. Tous les problèmes des relations
du travail ne sont pas vraiment traités dans la charte des droits; ils
sont traités dans le Code de travail. C'est un peu hors de notre
compétence. Ce sont des lois sectorielles qui ne relèvent pas de
notre compétence, de la compétence de cette commission.
Merci.
M. Bédard: Merci, Mme Paquette, de même que celles
et celui qui l'accompagnent; je les remercie encore une fois de leurs
représentations.
Mme Benoît-Paquette: Je vous remercie, M. le
Président, M. le ministre, les membres de la commission, de nous avoir
écoutés.
Le Président (M. Desbiens): Nous vous remercions.
Syndicat de professionnels du gouvernement du
Québec
Je demanderais maintenant au Syndicat de professionnels du gouvernement
du Québec de s'approcher, s'il vous plaît.
M. Bédard: M. le Président, avec votre permission,
nous pourrions peut-être, dans un premier temps, procéder Ã
la présentation du mémoire et, avec entente, revenir cet
après-midi pour la période des questions.
Le Président (M. Desbiens): Nous allons procéder
à l'audition du mémoire et nous suspendrons les travaux
jusqu'Ã 15 heures ou 14 h 30.
M. Bédard: 15 heures.
Le Président (M. Desbiens): 15 heures.
M. Lecourt (Roger): Une question de procédure, M. le
Président.
Le Président (M. Desbiens): Oui.
M. Lecourt: M. le ministre de la Justice souligne qu'on
reprendrait cet après-midi. On a une contrainte qui nous a amenés
ici plus tôt, et notre présentation sera relativement
brève.
M. Bédard: Allons-y.
Le Président (M. Desbiens): On jugera au fur et Ã
mesure...
M. Lecourt: II y aurait peut-être lieu de tenter...
M. Bédard: On pourra peut-être en disposer.
Le Président (M. Desbiens): Je vous demanderais d'abord de
présenter les membres de votre groupe, s'il vous plaît.
M. Lecourt: D'accord. Messieurs, je voudrais vous
présenter la délégation du SPGQ. à ma gauche, Lise
Courcelles, membre du comité des femmes de notre syndicat. à ma
gauche immédiate, Madeleine Rochon, membre de l'exécutif et
responsable du comité des femmes. Mon nom est Roger Lecourt, je suis
président du syndicat.
La présentation de notre mémoire, c'est Madeleine qui va
la faire. Je terminerai brièvement en parlant quelque peu du statut
particulier des fonctionnaires à l'égard de la liberté
d'opinion et de la liberté d'expression. Sur le fond du mémoire,
je cède la parole à Madeleine Rochon.
Mme Rochon (Madeleine): La partie principale de notre
mémoire concerne ce qu'on appelait les programmes d'action positive et
qu'on appelle maintenant les programmes d'accès Ã
l'égalité. Dans un deuxième temps, on a voulu appuyer et
faire nôtres plusieurs revendications des organismes voués
à la défense des intérêts des travailleuses,
travailleurs et groupes discriminés.
Notre particularité tient au fait qu'il existe depuis peu une
politique d'égalité en emploi pour les femmes dans la fonction
publique, programme sur lequel nous n'avons jamais été
consultés, et qui a donné très peu de résultats
concrets. Dans le milieu de travail de la fonction publique, comme dans la
majorité des milieux de travail, les femmes se retrouvent
concentrées dans certains secteurs d'emploi, au bas de l'échelle
hiérarchique et salariale, et l'article 19 de la charte, Ã
travail équivalent, salaire égal, n'y est pas
respecté.
Au Syndicat de professionnels du gouvernement du Québec, ce sont
des gens qui se situent à un certain niveau dans, justement, ce qu'on a
appelé l'échelle hiérarchique et salariale, et il n'y a
que 15% des membres qui sont des femmes. Cependant, 30% des femmes de notre
syndicat se retrouvent dans les échelles salariales les plus basses
contre seulement 7% des hommes. Malgré les revendications
répétées à chaque négociation, les
échelles de salaire où se retrouvent historiquement les femmes
dans le groupe professionnel ne sont toujours pas corrigées.
Pour l'action positive obligatoire. Le premier paragraphe
représente, je pense, l'optique qui sous-tend toutes nos propositions.
Seul un engagement ferme, non seulement au niveau des principes, mais
également au niveau des moyens, peut enrayer la discrimination
systémique et
historique que subissent les femmes et les autres groupes
discriminés. C'est important, en termes de société, qu'on
fasse des choix, qu'on se prononce sur un certain nombre de choses qu'on trouve
incorrectes ou injustes -le harcèlement sexuel en est une - mais il faut
aussi prendre les moyens pour que ces choses puissent être
respectées.
L'expérience des programmes d'égalité des chances a
démontré l'inertie des employeurs quand il s'agit de mettre de
l'avant des programmes qui modifient la situation des groupes
discriminés historiquement. Les objectifs ne sont pas
opérationnels, les mesures ne touchant pas le coeur des
problèmes, les échéanciers sont peu contraignants, les
centres de responsabilités sont mal déterminés et
l'évaluation est impossible. L'absence de consultation des premiers
intéressés, c'est-à -dire les groupes discriminés,
mène à des culs-de-sac certains. Les programmes se limitent
à l'analyse de situations, à la promotion de quelques personnes
ou à l'élimination de quelques inégalités, sans
vraiment combattre la discrimination par des mesures vigoureusement
significatives pour les groupes historiquement discriminés.
Par conséquent, nous recommandons que la charte soit
amendée pour que l'action positive soit reconnue comme moyen d'enrayer
la discrimination; que de tels programmes soient possibles dans tous les
secteurs où des services sont rendus à la population,
particulièrement dans les secteurs de l'éducation et de la
formation; que, dans le secteur du travail, de tels programmes soient
obligatoires pour toutes les entreprises; que les entreprises soient
obligées de négocier ces programmes avec les syndicats et que, si
les travailleuses et travailleurs de l'entreprise ne sont pas syndiqués,
la commission soit chargée de voir à ce qu'elles et ils soient
représentés par un comité d'action positive.
Donc, quant à nous, les programmes d'égalité des
chances ne sont pas suffisants. Il faut des programmes d'action positive et ces
programmes doivent être obligatoires.
Sur le contenu des programmes d'action positive, qu'est-ce qu'on entend
par un programme d'action positive? Sans reprendre les définitions
données par la Commission des droits de la personne, nous voudrions
insister sur le caractère indispensable des mesures de redressement et
des mesures supports dans les programmes d'action positive.
Sur les mesures supports, j'ouvre ici une parenthèse, je crois
que les employeurs -la négociation des programmes d'action positive va
le permettre - ont un rôle à jouer, mais, en ce qui concerne les
mesures supports, il y a aussi le gouvernement et l'Ãtat, si on veut,
qui a un rôle important à jouer. Quand on parle de garderies, il y
a les garderies en milieu de travail, mais il y a aussi toute une politique au
niveau des garderies. Quand on parle d'emploi pour les femmes, il y a une
politique de plein emploi et on pense à des choses, à l'heure
actuelle, qu'on considère comme étant une
récupération des revendications des femmes: le temps partiel qui
se développe de plus en plus - quand on sait que les femmes qui ne
travaillent à temps partiel que parce qu'elles ne trouvent pas de
travail à temps plein augmentent face à ces nouvelles politiques
-naturellement, tout le secteur de l'éducation des adultes qui, on le
sait, à l'heure actuelle, est un des premiers visés dans les
coupures. Donc, tout le secteur de la formation est aussi très
important. Quand on parle des mesures supports, il ne faut donc pas oublier
qu'il y a un aspect important des mesures supports qui se retrouve au niveau
gouvernemental.
Les problèmes de ghettos d'emploi, de classifications, de
salaires, d'organisation du travail doivent être abordés pour que
tous les problèmes de sous-représentation et de
surreprésentation à tous les niveaux de l'entreprise soient
résolus. Pour nous, c'est très important que les programmes
d'action positive ne servent pas juste à corriger la
sous-représentation des femmes, par exemple, dans certains secteurs
d'emploi, par exemple, les cadres. Il y a une sous-représentation des
femmes au bas de l'échelle et celle-ci doit être corrigée.
C'est la seule façon de changer substantiellement la situation des
groupes discriminés, particulièrement dans une époque de
récession économique où il se fait peu de recrutement.
Audiences publiques sur la réglementation. Il nous apparaît
de première importance que la définition des programmes d'action
positive et toute la réglementation déterminant la portée
et le contenu des programmes fassent l'objet d'une réelle consultation
puisque ce sont ces règlements qui vont fixer l'étendue de
l'action de la Commission des droits de la personne.
Nous recommandons donc la tenue d'audiences publiques sur la
réglementation fixant la portée et le contenu des programmes
d'action positive de même que les pouvoirs de la Commission des droits de
la personne dans l'établissement de tels programmes.
Responsabilités de la Commission des droits de la personne. Nos
recommandations, Ã ce moment-ci, vont dans le sens de permettre
l'implication la plus grande possible des personnes concernées, le
rôle de la commission étant de les soutenir. C'est un moyen
important pour faire reculer la discrimination systémique.
Nous recommandons donc que la Commission des droits de la personne mette
sur pied un programme de sensibilisation sur les programmes d'action positive
destinés en
priorité aux groupes discriminés; que la Commission des
droits de la personne prévoie les modalités de formation du
comité d'action positive dans les milieux de travail où il n'y a
pas de syndicat; que la Commission des droits de la personne ait la
responsabilité de fournir l'assistance technique aux travailleuses et
travailleurs. Plus spécifiquement, le dossier établi par la
commission sur les entreprises à la suite de son pouvoir d'enquête
devra être transmis par la commission au syndicat ou au comité
d'action positive; que la commission ait le pouvoir d'imposer un programme
d'action positive à la demande du syndicat ou du comité des
travailleuses et travailleurs.
Ces programmes d'action positive doivent être
négociés par le syndicat ou le comité d'action positive
avec l'employeur. En cas de rupture des négociations, le syndicat ou le
comité d'action positive pourrait avoir recours à la commission
pour que cette dernière impose le programme d'action positive; que la
Commission des droits de la personne assure une surveillance active et
systématique de l'application des programmes d'action positive dans les
entreprises.
Sur les autres amendements à la Charte des droits et
libertés de la personne, nous recommandons l'ajout de l'âge, de
l'état de grossesse et de l'apparence physique comme motifs interdits de
discrimination à l'article 10 de la charte.
Le harcèlement sexuel est une réalité devant
laquelle les individus qui la subissent sont fort démunis. Une
enquête effectuée auprès des femmes membres du Syndicat des
professionnels en juin 1979 montrait que 2,5% d'entre elles avaient subi des
agressions sexuelles, 23,6% des contacts physiques non désirés et
25,8% des agressions verbales de type sexuel.
Les conséquences de refus dans un milieu de travail comme le
nôtre, la fonction publique, sont des notations (processus
d'évaluation) à la baisse avec plusieurs conséquences au
niveau de la carrière et la recherche d'un autre poste, qu'on appelle le
processus de mutation, les agresseurs restant en place. Nous croyons que si les
personnes victimes de telles agressions pouvaient s'adresser à un
organisme compétent, de tels comportements pourraient être
davantage dénoncés et donc être moins fréquents.
Nous recommandons que l'article 10 soit amendé de manière
que le harcèlement sexuel soit explicitement interdit et que, par
conséquent, il puisse être explicitement cause d'une plainte
à la Commission des droits de la personne. (12 h 15)
L'article 19. La formulation de l'article 19 est beaucoup trop
restrictive. Il s'agit de l'article à travail équivalent, salaire
égal. Elle ne reconnaît pas la réalité qui fait que
plusieurs employeurs se donnent des structures communes de
négociation.
Par conséquent, nous recommandons que l'article 19 soit
reformulé clairement ainsi: Tout employeur ou groupe d'employeurs doit,
sans discrimination, accorder un traitement ou un salaire égal aux
membres de son personnel qui accomplissent un travail équivalent dans le
même établissement ou groupe d'établissements.
Il y a aussi, par comparaison à la charte du
fédéral, une plus grande difficulté d'établir la
plainte au niveau travail équivalent, salaire égal, mais on va y
revenir dans le traitement d'une plainte à la Commission des droits de
la personne. Il y a quelque chose qui est important et qui joue au niveau de
l'article 19. Au niveau du fédéral, la présomption est
favorable aux plaignantes, alors que ce n'est pas le cas au provincial. Il y
aurait deux façons de l'obtenir, soit par un tribunal administratif au
lieu de se retrouver devant un tribunal civil ou ajouter à la charte la
présomption favorable, mais on va y revenir.
Au niveau de l'article 97, nous reprenons les recommandations de la
Coalition pour l'abrogation de l'article 97 de la charte, soit l'abrogation de
l'article 97 et l'inclusion aux articles 11 Ã 19 de la charte d'un
nouvel article interdisant toute discrimination dans les avantages sociaux.
Le traitement d'une plainte à la Commission des droits de la
personne. Sans nous prononcer sur les "mécaniques",
particulièrement celles de type juridique - au moment où on
écrivait cela, on connaissait la proposition d'un tribunal
administratif; avec le problème du droit d'appel on n'était pas
à ce moment-là tout à fait en mesure de se prononcer, mais
ça nous paraît vraiment une solution au problème au niveau
de l'article 19, tel que j'en parlais tantôt, et je pense qu'on est
relativement favorable certainement à ce que cette question-lÃ
soit étudiée - nous voudrions, en plus de voir les ressources de
la commission accrues, que le traitement d'une plainte par la Commission des
droits de la personne soit plus rapide, ceci afin d'éviter les effets
néfastes de la situation actuelle. Il est certain qu'un tribunal
administratif à ce niveau-là est un des moyens.
Le fardeau de la preuve devrait également être
renversé. Nous reprenons ici la recommandation du mouvement Au bas de
l'échelle, à savoir que: " La Charte des droits et
libertés de la personne établisse, en faveur du plaignant, une
présomption favorable au bien-fondé de sa cause, en ne demandant
à ce dernier que de remplir certains critères minimaux. Cette
présomption de discrimination illégale, une fois établie,
aura pour effet de placer le fardeau de la preuve d'absence de discrimination
sur les épaules du mis-en-cause qui devra alors prouver que son
geste
procède d'une autre cause, juste et suffisante."
Le recours collectif. Nous reprenons à notre compte les
revendications du mouvement Au bas de l'échelle. Je peux peut-être
ne pas les lire.
M. Bédard: Même si vous ne les lisez pas, on
demandera qu'elles soient insérées au journal des
Débats.
Mme Rochon: Oui, oui.
M. Bédard: De même que le reste du mémoire,
si vous voulez.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre, je peux
peut-être profiter de l'occasion pour souligner que ce n'est pas possible
de les inscrire au journal des Débats.
M. Bédard: Ce n'est pas possible? Je m'excuse.
Mme Rochon: Alors, je vais les lire.
Le Président (M. Desbiens): Toutefois, toute personne qui
veut se procurer le mémoire au complet peut l'obtenir au
Secrétariat des commissions.
M. Bédard: Ce n'est pas la Charte des droits et
libertés de la personne qui l'empêche; ce sont nos
règlements.
Le Président (M. Desbiens): C'est presque terminé,
de toute façon.
Mme Rochon: Les ressources de la Commission des droits de la
personne. Compte tenu du peu de ressources dont dispose la commission pour
s'acquitter correctement de ses responsabilités actuelles, nous
recommandons avec insistance l'accroissement des ressources humaines et
matérielles, donc financières, mises à la disposition de
la commission. Il va sans dire que les nouvelles responsabilités qui
seront confiées à la commission requerront également une
addition importante de ressources.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Bédard: Je vous remercie.
Mme Rochon: Ce n'est pas terminé. Il y a une partie...
M. Bédard: Excusez-moi.
Le Président (M. Desbiens): Excusez.
M. Lecourt: J'avais annoncé tantôt une très
brève partie.
Le Président (M. Desbiens): Oui, c'est vrai.
M. Lecourt: Celle-ci touche la situation particulière des
fonctionnaires de l'Ãtat québécois. En tant que membres de
l'Assemblée nationale, vous savez que la Loi sur la fonction publique
détermine un certain nombre de conditions de travail qui
régissent les fonctionnaires. Notamment, il y a un chapitre de la loi
qui est un peu inspiré de l'ancien régime militaire qui parle des
conditions du service.
La charte, Ã son article 3, au niveau des principes, avance le
principe de la liberté d'expression et de la liberté d'opinion.
Dans la Loi sur la fonction publique, on retrouve un article qui interdit aux
fonctionnaires de faire du travail partisan à l'occasion d'une
élection provinciale ou fédérale. Historiquement, - et
c'est le ministre de Belleval qui avait, en commission parlementaire, il y a
quelques années, expliqué la source de cet article - on voulait
protéger les fonctionnaires contre des pressions pour leur faire faire
du travail partisan dans les années quarante. Aujourd'hui, les moeurs
politiques ont quelque peu évolué et cet article devient pour le
moins désuet. Entre autres choses, lors d'un événement
politique d'importance, il y a un an, lors du référendum, il n'y
avait aucune restriction au travail partisan des fonctionnaires pour l'un ou
l'autre camp. Cet article est resté dans la loi malgré la refonte
de 1978 et nous croyons que cela va contre l'esprit de la charte en termes de
liberté d'opinion et d'expression. Cela pour les droits politiques.
Pour les droits professionnels. Dans un règlement qui est
fondé sur la loi, il est interdit à un membre de la fonction
publique qui détient un diplôme universitaire - c'est le cas de
l'immense majorité de nos membres - d'exercer sa profession autrement
que pour le compte du gouvernement. Ce n'est pas ici notre intérêt
de multiplier le double emploi, mais ce texte a toujours prêté
à des interprétations abusives de l'employeur. Quant Ã
nous, il devrait être changé pour interdire les situations de
conflit d'intérêts qui pourraient survenir si quelqu'un
exerçait sa profession pour le compte de quelqu'un d'autre, même
souvent à titre bénévole. Actuellement, c'est interdit de
faire de l'enseignement sans avoir de permission expresse. Cela laisse donc une
discrétion absolue à l'employeur, le gouvernement du
Québec, ce qui n'existe pas ailleurs au Québec dans le Code du
travail ou dans toute autre loi qui régit le travail. Je voulais le
souligner ici, même si ça ne touche pas directement la charte dans
sa forme, mais dans son esprit.
Comme c'est le cas pour beaucoup d'autres revendications syndicales
concernant le statut particulier des fonctionnaires qui est aujourd'hui
injustifiable, je voulais le souligner à l'attention de la commission
puisqu'on pourrait apporter des changements à la loi par le biais de la
charte; toute autre forme d'amendement à cette loi serait bienvenue. Je
vous remercie.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Bédard: Je vous remercie de vos représentations
devant la commission. Comme vous l'avez dit au début de votre
présentation, il serait indiqué de vous libérer le plus
vite possible, étant donné certaines contraintes. Je me limiterai
à une question concernant l'article 19. Dans votre nouvelle formulation
de l'article 19, vous ajoutez la notion de groupe d'employeurs, qui n'existe
pas à l'heure actuelle dans cet article. J'aimerais que vous
précisiez votre pensée sur ce sujet.
Mme Rochon: II y a deux choses: groupe d'employeurs et groupe
d'établissements. S'il y a un seul employeur qui a plusieurs
établissements, on trouve que le champ d'application devrait être
celui-là , donc, plus large que ce qu'il est à l'heure actuelle,
soit "au même endroit". Un groupe d'employeurs sert Ã
reconnaître la réalité qui fait que des employeurs se
donnent des structures communes de négociation; il en existe dans le
secteur privé, mais, dans les secteurs public et parapublic, la
structure commune de négociation d'un grand nombre d'employeurs est
très claire.
M. Bédard: Est-ce que je dois comprendre que vous
désirez l'abrogation du deuxième alinéa?
Mme Rochon: Les exceptions, voulez-vous dire?
M. Bédard: Oui, les exceptions.
Mme Rochon: Non, c'était sur le premier paragraphe: "Tout
employeur... au même endroit". C'est ce qu'on voulait voir
reformuler.
M. Bédard: D'accord.
Mme Rochon: II y a certainement des choses à changer au
niveau du deuxième paragraphe, tel que certains groupes l'ont dit, quant
à la quantité de production et des choses comme cela, mais ce sur
quoi nous voulions insister, c'était le premier.
M. Bédard: Je vous remercie.
Mme Rochon: Roger va ajouter quelque chose.
M. Lecourt: II y a peut-être un autre élément
dans ce changement qu'on demande. Un groupe d'employeurs, cela pourrait aussi
être, par référence au Code du travail ou à la Loi
sur la santé et la sécurité du travail, une association
d'employeurs, mais il y a la notion de même établissement qu'on
introduit au lieu de même endroit; c'est une question de concordance avec
les lois du travail qui parlent d'établissement. Il y a une confusion
sur le sens du mot "endroit".
Il y a aussi un groupe d'établissements. Cela vise à faire
en sorte qu'un employeur qui possède plusieurs établissements ne
puisse pas pratiquer des politiques salariales discriminatoires d'un
établissement à l'autre. Prenons un exemple. Un
établissement, pour un certain type de travail, a surtout une
main-d'oeuvre masculine. Posons l'hypothèse que cette main-d'oeuvre est
mieux rémunérée que la main-d'oeuvre féminine ou
à forte concentration féminine d'un autre établissement
où il y a un travail équivalent. On ne pourrait pas,
actuellement, en vertu du texte de la charte, loger une plainte contre cet
employeur puisque ce sont deux établissements distincts du même
employeur. La notion de groupe d'établissements vise à corriger
cette situation.
M. Bédard: D'accord. Je vous remercie.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: Merci pour votre mémoire. Malheureusement, il ne
nous reste pas beaucoup de temps ce matin. Vous avez parlé des droits
politiques et de l'article 3 de la charte. Vous savez que la commission a comme
devoir d'étudier des lois à l'intérieur de la charte en
fonction des exigences de la charte. Peut-être pouvez-vous demander
à la commission des droits de vous dire si cet article dans la Loi de la
fonction publique que vous avez mentionné enfreint la Charte des droits
et libertés de la personne. Je suis sûr qu'on sera heureux de
faire l'étude.
M. Lecourt: On a précédé de quelques
années votre remarque et on a déjà fait part à la
commission de notre point de vue là -dessus. à l'époque, il
y avait un élément particulier, cet article existait dans
l'ancienne Loi de la fonction publique qui avait été
adoptée antérieurement à la charte. Donc, il n'y avait pas
de possibilité de recours. Mais, même depuis, alors qu'il y aurait
une possibilité de recours, il reste que l'opinion qu'on avait eue
à l'époque de la commission n'est pas très claire. C'est
pour cela que je parlais de l'esprit plutôt que du
fond. Ce n'est pas clair dans la charte, Ã l'article 3, que
liberté d'expression, liberté d'opinion enfreint, sur le plan
strictement juridique, de front le droit au travail partisan. Ce n'est pas
aussi clair que ça. Vous savez que dans les lois, il y a l'esprit et les
tribunaux jugent rarement selon l'esprit. C'est la raison pour laquelle on fait
plutôt appel aux législateurs qu'aux tribunaux sur une question
comme celle-là . C'est un peu votre rôle de
légiférer, aux dernières nouvelles.
M. Marx: Nous n'en doutons pas, mais je pense qu'il y a la
jurisprudence au Canada pour dire que dans les lois où il y a de telles
restrictions pour les fonctionnaires, cela n'enfreint pas la liberté
d'opinion qu'on trouve dans la déclaration canadienne des droits. Vous
pouvez réclamer ces droits, mais je pense que c'est difficile de dire
que dans cette loi, on brime un des droits dont vous avez la garantie par la
charte. On dit, oui, il y a la liberté d'opinion, mais une telle
disposition qui vous empêche de faire un travail partisan n'enfreint pas
cette liberté d'opinion.
Si je peux résumer ma pensée, cette disposition de la loi
ne va pas à l'encontre de l'article sur la liberté d'expression
qu'on trouve dans la charte.
M. Lecourt: C'est l'opinion qu'avait la commission, comme je
viens de le souligner, strictement sur le plan du droit, sauf que sur le plan
de l'esprit on pense que cela va à l'encontre. D'ailleurs, au moment de
voter la Loi sur la fonction publique, le porte-parole du gouvernement,
à l'époque, le ministre de la Fonction publique, avait
souligné que cet article se retrouvait dans le projet de loi un peu par
routine et qu'à sa face même, les événements qui
avaient amené ce texte étaient morts depuis belle lurette,
l'ère de la partisanerie politique était quelque peu
éteinte, mettons. D'ailleurs, on avait cité, à ce moment,
le référendum qui s'en venait et où le travail partisan
serait permis. C'est pourtant un événement politique. On
connaît les hauts et les bas qu'il a apportés. Je pense qu'il n'y
a eu aucun abus de la part des fonctionnaires qui a pu être
dénoncé, quel qu'il soit, dans ce domaine. C'est une chose qui
semble désuète.
Le ministre de la Fonction publique de l'époque le disait. C'est
au législateur peut-être de faire en sorte que l'esprit de la
charte se retrouve dans le régime de travail de la fonction
publique.
M. Marx: Ce serait un amendement, si je comprends bien, Ã
la Loi sur la fonction publique et il faut s'adresser à Mme la ministre.
(12 h 30)
En ce qui concerne les programmes d'action positive - ce sera ma
dernière question ou intervention - le gouvernement a déjÃ
publié des brochures en ce qui concerne l'égalité des
chances pour les femmes et pour les personnes des groupes minoritaires. Y
a-t-il des postes ouverts dans la fonction publique? Ãtes-vous au courant
si on va ouvrir d'autres postes? Si je comprends bien, on est dans une
situation de compressions, de restrictions où on n'engage pas et
où on ne remplace pas les départs. Donc, comme je l'ai dit
l'autre soir - je suis prêt à le répéter - c'est la
grande fumisterie péquiste, l'égalité des chances, parce
que c'est impossible d'actualiser ce programme. J'ose dire que c'est un autre
OSE, c'est-Ã -dire...
M. Bédard: Je ne reprendrai pas mes explications de ce
moment-là , M. le Président.
M. Marx: M. le ministre, je ne vous ai jamais interrompu depuis
trois semaines maintenant...
M. Bédard: Oh!
M. Marx: ...et on voit que c'est la troisième fois
aujourd'hui...
M. Bédard: C'est vrai que vous êtes gentil.
M. Marx: Je ne veux pas vous exciter, mais ce sont seulement des
questions que je pose. Oui?
Mme Rochon: Les programmes d'égalité des chances,
comme on l'indique à la page 4 de notre mémoire, sont
insuffisants. Il faut des programmes qui ont beaucoup plus de mesures - on
parle de différents types de mesures - avec des
échéanciers précis et des objectifs quantitatifs. Ce qui
est très important dans les programmes d'action positive - je reviens
là -dessus - ce n'est pas seulement une question de recrutement, c'est
aussi la question de la place des femmes dans la fonction publique, des
possibilités de mobilité et la question des salaires. Si, par
exemple, les ghettos d'emplois traditionnels recevaient des révisions en
termes de classification, d'enrichissement de tâches et d'augmentations
de salaires aussi, c'est sûr que cela deviendrait moins des ghettos. On
sait à l'heure actuelle qu'au niveau de l'ensemble de la province, il y
a une "ghettoïsation" plus forte dans les secteurs d'emplois
traditionnellement féminins, sauf dans le seul ghetto d'emplois qui a
une échelle salariale élevée, c'est-à -dire les
infirmières. C'est le seul endroit, à l'heure actuelle, où
la concentration de femmes ne va pas en augmentant. C'est parce que les
salaires y sont élevés. Quant à nous, il y a vraiment
moyen de faire des choses pour
améliorer le sort des femmes dans la fonction publique, les
mesures supports, les garderies en milieu de travail, les mesures de
redressement, revoir les classifications et les salaires. Il y a vraiment des
choses à faire en plus de tout l'aspect du recrutement. Il y a l'aspect
de la mobilité, entre autres.
M. Marx: Oui, mais l'aspect du recrutement peut être
important. Supposons que le ministre, comme je le lui ai déjÃ
suggéré...
Mme Rochon: L'aspect du recrutement est certainement très
important dans la fonction publique comme dans l'ensemble de la province. C'est
toute la problématique du plein emploi et du droit au travail. C'est
certain.
M. Marx: Mais, si l'aspect du recrutement est important, j'ai
déjà suggéré au ministre qu'il se trouve une femme
sous-ministre ou sous-ministre adjoint. C'est souvent difficile de trouver une
telle personne à l'intérieur de la fonction publique. Il faut
aller à l'extérieur, mais, comme on ne fait pas de recrutement
à cause des compressions et ainsi de suite, cette possibilité
existe seulement sur papier ces jours-ci. Je trouve que c'est un
problème.
M. Bédard: Arrêtez de me regarder, si vous ne voulez
pas que je vous interrompe.
M. Marx: à l'intérieur des ministères, je
suis d'accord qu'il y a des changements à faire et une action positive,
mais souvent, quand on parle d'action positive, on parle surtout du
recrutement, de l'embauche. Voyez-vous des possibilités dans ce sens
dans la fonction publique?
Mme Rochon: Bien sûr.
M. Marx: Vous pensez qu'il y a une possibilité
d'engager...
Mme Rochon: On connaît la politique Parizeau Ã
l'heure actuelle en ce qui a trait aux coupures, ce qui a été
annoncé pour les prochaines années. Cela ne va pas avec le
recrutement, c'est clair, mais, quant à nous - et je pense que le
message qu'on veut faire est clair au niveau de la partie, du contenu des
programmes d'action positive -le recrutement est important, la mobilité
aussi. Mais il y a aussi d'autres choses à faire pour changer la
situation des femmes dans un milieu de travail.
M. Marx: Oui, mais, à la fonction publique, où il
n'y a pas de personnes, de groupes minoritaires, c'est impossible d'avoir la
mobilité. Ce serait avoir la mobilité des fantômes. Quand
les gens ne sont pas là , c'est impossible d'avoir la mobilité. Il
ne faut pas se conter des histoires.
M. Lecourt: Cela dépend, M. Marx, de quoi vous parlez. Je
souligne au passage que votre parti a voté en faveur des programmes de
redressement d'emploi ou de recrutement, il y a quelques mois à peine.
La fumisterie est plus globale, mais enfin, c'est un détail.
M. Marx: C'est cela, mais tout de suite après, on nous a
dit que c'était beau. On a fait adopter cela. On a imprimé la
brochure, mais maintenant ce sera impossible de réaliser ce
programme.
M, Lecourt: Ãcoutez, c'était au mois de mai
dernier; on le savait. Ce qui arrive, c'est que c'est vrai que pour les
minorités ethniques...
M. Marx: Je m'excuse, au mois de mai dernier...
M. Bédard: Vous interrompez monsieur.
M. Marx: II ne peut pas faire de politique partisane mais moi, je
peux en faire. Jusqu'avant les élections on a dit: Tout est beau, tout
est fin, tout fonctionne bien, on a la meilleure situation des finances au
Québec. C'est tout de suite après, quand le groupe des onze a
fait son rapport, qu'on a appris que ce n'est pas si bien et si beau que
ça. Donc, on a appris que ce serait impossible de mettre en vigueur ces
programmes.
M. Bédard: M. le Président, simplement si vous me
permettez...
M. Lecourt: Est-ce que vous me permettez de parler?
M. Bédard: ...sur ce point, je pense que mon
collègue a déjà oublié la dernière campagne
électorale. Je comprends qu'il l'ait oubliée assez rapidement
puisqu'une grande partie de l'argumentation suite à la
présentation du budget a porté sur la nécessité de
restrictions budgétaires. Alors, la fumisterie n'existe pas là ,
au contraire.
Le Président (M. Desbiens): M. Lecourt.
M. Lecourt: Sans vouloir me mêler des questions partisanes
parce que vous avez l'air de bien vous organiser avec ça, je ne vous
citerai pas la liste des CT qui compriment les effectifs depuis quatre ans,
mais quant au redressement d'emploi, c'est évident que pour que les
minorités ethniques aient une place peut-être plus
équitable dans la fonction publique que ce n'est le cas actuellement...
quand il n'y a pas de
recrutement c'est assez évident que c'est difficile de le faire.
Par contre, et c'est là le problème majeur quant à nous,
à cause de la situation qu'on vit, de la conjoncture présente
où il n'y a pas de recrutement ou très peu, il y a un nombre
considérable de femmes dans la fonction publique qui sont
déjà là , qui sont concentrées dans des ghettos
d'emplois, qui sont sous-rémunérées, qui sont globalement,
sur le plan de l'organisation du travail, dans des positions où il n'y a
pas de mobilité. Là -dessus, le gouvernement peut très bien
faire des choses. On espère que ça va aller plus loin que ce
qu'on a connu dans les dernières négociations. C'est
extraordinaire, on défend tout le monde sauf qu'en pratique, les moyens
- c'est l'introduction de notre mémoire - à ce jour n'ont pas
été mis en place pour corriger vraiment ces situations.
M. Bédard: Ce que j'ai compris des représentations
de madame et de vous-même, c'est qu'au-delà du facteur
recrutement, qui est très important, il y a quand même bien
d'autres facteurs sur lesquels on peut agir en termes de combat contre la
discrimination, entre autres, la mobilité, les salaires, les promotions,
etc. Ce que vous avez voulu nous dire c'est que ce n'est pas parce qu'il y a
des restrictions budgétaires qu'on doive, comme gouvernement, oublier
tous les autres secteurs qui peuvent être touchés par des
politiques gouvernementales.
Le Président (M. Desbiens): Mme
Courcelles.
Mme Courcelles (Lise): Sans oublier les mesures de support dont
on parle fort peu. Je pense que, présentement, il y a beaucoup de
milieux de travail dans la fonction publique qui réclament des
garderies. Peut-être que le ministre de la Justice est au courant
également que ça se passe dans son ministère. Ã
cause de toutes sortes d'embûches administratives et politiques, ces
garderies ne peuvent être implantées présentement dans les
milieux de travail. Or, pour les femmes qui sont là et pour les hommes
qui sont là , qui sont aussi parents, c'est une mesure de support fort
importante.
M. Marx: J'ai compris la même chose que le ministre mais
j'ai aussi compris des choses qu'il n'a pas l'air d'avoir comprises,
c'est-Ã -dire que pour les femmes qui sont dans la fonction publique, il
y a des choses à faire, c'est évident. Mais il y a le programme
Ãgalité des chances, je pense que c'est ça le titre du
programme, pour les groupes minoritaires. Pour eux, je vois qu'il n'y a aucune
chance parce qu'il n'y a pas de postes, et comme on ne remplace pas les
départs, il n'y a pas de possibilité d'avoir un programme
d'action positive.
M. Bédard: C'est votre manière de voir les choses
concernant...
M. Marx: C'est la vérité.
M. Bédard: Laissez-moi parler, vous êtes toujours
là à harceler... Vous savez très bien, concernant les
groupes minoritaires, que j'ai eu l'occasion au cours des travaux de cette
commission de répondre à votre affirmation qui me semble fausse
au départ parce que, effectivement, en ce qui regarde les groupes
minoritaires, il faudra qu'il y ait un effort spécial qui soit fait, et
là , on parle en termes de recrutement. Vous serez à même de
constater les résultats en fonction de l'avenir.
M. Marx: J'ai des femmes de groupes minoritaires dans mon
comté qui sont aussi...
M. Bédard: J'en ai aussi, on ne réglera pas des
problèmes de comté ici.
M. Marx: ...qui ont des diplômes, qui veulent travailler
dans la fonction publique, qui ont fait des demandes que j'ai acheminées
à Mme la ministre. J'imagine que, dans une couple de mois, je vais avoir
une réponse pour me dire qu'on n'a pas de place, quoiqu'on va m'envoyer
une copie de la brochure pour m'expliquer qu'il y a un programme. C'est
ça, notre gouvernement d'aujourd'hui.
M. Bédard: Si vous voulez faire de la politique,
continuez, je n'ai pas d'autres questions à poser.
Le Président (M. Desbiens): à l'ordre, s'il vous
plaît!
M. Bédard: Ce n'est pas très réaliste, votre
message.
Le Président (M. Desbiens): Est-ce que vous avez d'autres
interventions?
M. Marx: Un gouvernement transparent.
M. Lecourt: Ã la suite de cette petite altercation,
j'aurais peut-être une conclusion à apporter. Souvent, je pense
que, par la présentation des mémoires et l'argumentation qui est
soutenue, on regarde beaucoup les cas individuels, même quand on parle de
recrutement, c'est un par un, ou quand on parle de promotion de femmes, de
minorités ethniques ou d'autres groupes qui ont eu une discrimination
historique, on parle de déplacement individuel, de gens qui montent dans
l'appareil. Le programme d'égalité des chances en emploi dans la
fonction publique est centré sur la progression individuelle. Dans le
contexte actuel, il n'y a pas plus de promotion que de recrutement et, de
toute
façon, même s'il y en avait, tout le monde ne deviendra pas
sous-ministre, grâce à Dieu.
L'approche de l'Ãtat employeur qui, je pense, aime bien se citer
en exemple et qui devrait le faire peut-être plus souvent
concrètement, devrait peut-être, quant à ses fameux
programmes d'action positive, être de regarder plus les
collectivités que les individus. L'exemple classique, vous l'avez
probablement entendu d'autres syndicats de la fonction publique, mais, Ã
force de le répéter, on va peut-être finir par avoir gain
de cause, c'est le fameux classement-moquette, le personnel de
secrétariat, qui est discriminé sur le plan salarial, et cette
revendication syndicale est apparue depuis fort longtemps, avant même les
programmes d'égalité des chances, etc.
Pourtant, ce n'est toujours pas corrigé, ça s'en vient,
ça s'en est venu sous d'autres gouvernements, ça s'en vient sous
le présent gouvernement et j'espère que ça va arriver sous
le présent gouvernement, avec l'aide des deux partis. C'est un
élément qu'on pourra peut-être faire ressortir, comme
syndicat de la fonction publique, le rôle de l'Ãtat employeur, et
un rôle en tant que rôle de correcteur de situations non pas
individuelles, mais collectives.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre, en
terminant.
M. Bédard: J'imagine que si les restrictions
budgétaires sont ce qu'elles sont, si la situation économique est
ce qu'elle est, il ne faut pas compter sur les mieux payés pour pouvoir
faire certains sacrifices pour les moins payés.
M. Lecourt: On en reparlera à la table des
négociations, si vous voulez.
M. Bédard: Je croyais que c'était un principe
facilement acceptable. Merci.
M. Marx: ... il ne faut pas toujours blâmer les
employés, c'est le patron qui est en faute.
Le Président (M. Desbiens): Je remercie les
participants...
M. Bédard: On ne sait jamais de quel bord vous êtes,
vous.
Le Président (M. Desbiens): ...et la commission
élue permanente de la justice suspend ses travaux jusqu'à 15
heures.
(Suspension de la séance à 12 h 44)
(Reprise de la séance à 15 h 31)
Le Président (M. Desbiens): à l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission élue permanente de la justice reprend ses travaux.
Son mandat est de tenir des auditions publiques en regard des modifications
à apporter à la Charte des droits et libertés de la
personne.
Mouvement écologique pour la qualité de
la vie
J'inviterais maintenant le Mouvement écologique pour la
qualité de la vie à s'approcher, s'il vous plaît. C'est M.
Jean-Jacques Le Roux.
M. Le Roux (Jean-Jacques): Oui. Je suis seul, car M. Cassoullot
qui devait m'accompagner a été retenu par une
légère maladie à Montréal. Je suis actuellement
animateur en information communautaire depuis dix ans. Je travaille dans les
groupes sociaux et communautaires, en particulier ceux qui sont dans le
logement, dans la santé et les services sociaux. J'ai participé,
en partie, à l'élaboration de la loi 65 avec des groupes
populaires à Montréal. J'ai suivi de près tout le
phénomène de la loi des services juridiques. Depuis deux ans,
j'ai pris conscience de l'importance de l'environnement, de la protection de
l'environnement et de ce que j'appelle la qualité de la vie dans notre
société actuelle.
Ce mémoire est très succinct. Des exemples auraient pu y
être ajoutés mais j'ai voulu donner l'essentiel en le moins de
pages possible, parce que je suis un apôtre du non-gaspillage de papier.
Pour donner l'exemple, j'ai agi ainsi.
Mémoire concernant des améliorations à apporter
à la Charte des droits et libertés de la personne. Inclusion dans
la Charte des droits et libertés de la personne du droit à un
environnement équilibré et sain, du droit à une
qualité de vie minimum pour tous les citoyens et citoyennes vivant sur
le territoire québécois sans distinction.
Bref rappel historique des droits de la personne. La coutume et la
tradition jadis, avant l'ère gréco-latine, tenaient lieu de
reconnaissance légale des droits humains et du citoyen et cela
n'exigeait pas, comme aujourd'hui, des codes de lois épais comme des
encyclopédies qui ont pour effet une bureaucratie de plus en plus
paralysante. Avant la révolution de 1789, il y avait, de fait, sous la
monarchie, un "droit naturel" assorti de traditions vivantes. Mais la froide
raison des révolutionnaires français voulut, pour protéger
les gens du peuple, instituer ce que l'on a appelé "déclaration
des droits de l'homme et du citoyen" qui se voulait être le "paratonnerre
de la république" contre les éventuels orages populaires...
Mais, ce que l'on connaît actuellement, depuis 1946,
c'est-à -dire la Déclaration universelle des droits de l'homme,
proclamée
et votée par les pays fondateurs de l'Organisation des Nations
Unies, ce sont une série de droits et libertés qui "veulent
graver sur une tablette" des principes essentiellement matériels qui
touchent la sécurité et le bien-être des citoyens.
La Charte des droits et libertés de la personne doit être
un modèle de promotion des droits humains. Nous qui croyons de toute
notre âme à une vie meilleure dans le temps présent ainsi
qu'Ã un environnement harmonieux souhaitable pour nos enfants, nous
recommandons à cette commission permanente de la justice sur les
améliorations à apporter à la charte: 1) Le droit de la
personne et du citoyen à un environnement sain dans son besoin quotidien
d'avoir une atmosphère respirable, une eau potable, un milieu ambiant
exempt de bruits excessifs, un sol naturel avec le moins de produits chimiques,
un espace urbain et rural libéré de toutes les entraves Ã
circuler librement et à jouir paisiblement de celui-ci, cela Ã
cause en grande partie de l'automobile.
Je voudrais simplement donner un exemple au sujet de l'espace urbain
à Montréal et à Québec. Le contrôle juridique
du sol urbain, selon la présente Loi sur l'aménagement, n'est pas
possible actuellement pour les citoyens, parce qu'il n'y a pas de plan
d'aménagement à Montréal et à Québec. C'est
très difficile pour un citoyen de pouvoir contrôler l'endroit
où il vit.
Deuxièmement, droit de la personne et du citoyen et sa
reconnaissance officielle, légale et politique d'une qualité de
la vie minimale pour tous les citoyens vivant sur le territoire
québécois sans distinction, en insistant particulièrement
sur ceux qui sont économiquement faibles, c'est-à -dire, les
femmes seules, les enfants défavorisés, les autochtones, les
minorités ethniques, je voudrais même ajouter ici les
handicapés.
La reconnaissance officielle de ces deux droits d'importance vitale
donnerait plus de poids juridique aux énoncés de la loi no 69 sur
la qualité de l'environnement ainsi que de la volonté politique
de rendre réalisable en pratique le droit des citoyens à un
environnement sain. Comme exemple, je donne le difficile paradoxe dans le cas
de la pollution de l'air par l'incinérateur des Carrières de la
ville de Montréal. Il a fallu trois ans pour savoir l'état de la
pollution de cet incinérateur. Il y a eu un rapport, mais il n'a jamais
été publié. Alors, ce droit de l'environnement, tel que
proclamé maintes fois par l'honorable ministre de l'Environnement, en
théorie, on le proclame, mais en pratique, ce n'est pas
réalisé.
Nous nous associons aussi aux nombreux autres groupes et mouvements
écologiques ou environnementaux qui réclament depuis une
décennie des droits et libertés minimaux pour les citoyens en
matière de protection de la santé publique et de
l'environnement.
En parlant de santé publique, je voudrais donner un autre
exemple, c'est celui de la mousse d'urée formaldéhyde dont on a
découvert la toxicité après presque trois ans
d'utilisation; c'est un exemple qui prouve que les citoyens n'ont vraiment pas
de droits pour protéger leur santé.
De plus, nous voudrions associer nos efforts avec les institutions
internationales telles Green Peace et certains organismes reliés
à l'ONU pour leur volonté de vouloir protéger la vie des
humains, des espèces vivantes, et des ressources naturelles surtout
à l'heure où les superpuissances utilisent les armes chimiques.
Nos souhaits vont aux honorables députés qui décident de
l'avenir de notre peuple pour qu'ils prennent tous conscience de la
nécessité d'un environnement équilibré et sain et
d'une qualité de la vie minimale si nous voulons avoir de futures
générations de Québécois vivant en harmonie, forts
et en santé, écologiquement et communautairement.
Le Président (M. Boucher): M. le ministre.
M. Bédard: Au nom des membres de la commission, je
remercie M. Le Roux de sa communication. Ã cette commission
parlementaire, je voudrais lui poser une ou deux questions, parce que
déjà il y a eu des groupes qui sont venus faire des
représentations, à savoir de placer dans la Charte des droits et
libertés de la personne la reconnaissance de droits aussi
généraux que le droit au travail, le droit à un
environnement sain, etc. En ce qui regarde d'une façon plus
particulière le sujet de vos préoccupations, ne trouvez-vous pas
que le critère d'une qualité de vie minimale est vraiment trop
arbitraire lorsqu'on a à parler de l'insertion de principes dans une
Charte des droits et libertés de la personne? Autrement dit, je pense
que l'essentiel de vos préoccupations rejoint celles de nombreux groupes
dans la population lorsqu'on parle d'environnement sain, mais,
reconnaître un droit aussi général dans une charte des
droits, avec toutes les conséquences juridiques que ça peut
entraîner, est-ce que vous ne croyez pas que c'est le genre de droit ou
d'objectif qu'on se doit d'atteindre par le biais de politiques globales d'un
gouvernement plutôt que par l'insertion, qui pourrait risquer
d'être seulement académique, l'insertion d'une notion dans une
charte des droits et libertés?
M. Le Roux: Est-ce que les droits et libertés, c'est
vraiment une notion académique dans la pratique actuelle?
M. Bédard: Non, ce n'est pas ça que je
veux dire, au contraire. à partir du moment où vous
inscrivez dans la charte certaines notions, cela a des conséquences
juridiques très précises. Par exemple, si vous insérez
d'une façon générale le droit à un environnement
sain, avec tout ce que cela représente en termes d'exigences - et vous
l'évoquez très bien dans votre mémoire - je pense que vous
pouvez réaliser rapidement l'ensemble de recours que cela peut
représenter pour des citoyens et que ce n'est pas facilement
identifiable.
M. Le Roux: C'est évident. C'est sûrement un peu
idéaliste par rapport aux autres représentations, aux autres
mémoires, que ce soit le droit au travail ou le droit à l'action
positive, tel que je l'ai entendu, et tous les autres droits, mais dans les
circonstances actuelles, je me demande s'il ne faut pas viser plus haut pour
obtenir... Je prends l'exemple des pluies acides, le difficile dossier des
pluies acides. Je ne sais pas si cela risque d'être vraiment
solutionné pour la prochaine génération. Je me demande
s'il ne faut pas être un peu plus exigeant que d'habitude, que la
normale, parce que...
M. Bédard: Si on parle des pluies acides, j'irais
même jusqu'à dire qu'il y a une urgence à agir et que
même il y a eu des retards lorsqu'on voit toutes les conséquences
qui peuvent en résulter, en fait, sur l'ensemble de l'environnement.
Dans ce sens, il y a à l'heure actuelle des gouvernements qui se
concertent. Je voyais, entre autres, le ministre de l'Environnement du
Québec établir dès maintenant des relations avec
l'Ãtat de New York aux fins de mieux concerter l'action et les pressions
vis-à -vis des gouvernements qui sont plus particulièrement
concernés afin que des mesures soient prises. (15 h 45)
Je pense que tous les membres de la commission reconnaissent
l'à -propos de vos préoccupations. Nos interrogations s'orientent
dans le sens que nous avons à agir ici également comme
législateurs, donc, rédacteurs de lois qui, en fin de compte,
débouchent non seulement sur des revendications, mais sur des recours
possibles du point de vue judiciaire. C'est dans ce sens-là . Ne
croyez-vous pas que ces préoccupations globales doivent faire partie de
l'ensemble, d'une préoccupation primordiale que doit avoir un
gouvernement, que ce soit le droit au travail, le droit à un
environnement sain, etc.?
M. Le Roux: Cela pourrait être inclus dans une souhaitable
constitution, s'il y en a une un jour dans ce pays ou au Canada, quoi qu'il
arrive. J'ai l'impression qu'il n'y a plus de retard à attendre, si vous
lisez les rapports, comme le rapport Russell, qui il y a environ deux ans,
donnait une marge, de dix ans pour pouvoir faire des changements draconiens au
niveau des gouvernements face aux agressions biologiques, enfin une
dégradation, pour préciser, que ce soit par la pollution de
l'air, les pluies acides ou l'extinction des espèces.
M. Bédard: On va essayer d'être plus concret
peut-être par rapport à ce que vous dites. Vous dites: Le droit
à un environnement sain. Dans votre mémoire, ceci veut dire: "Le
droit d'avoir entre autres un espace urbain et rural libéré de
toutes les entraves à circuler librement et à jouir paisiblement
de celui-ci, cela à cause, en grande partie, de l'automobile". Si
ça voulait dire ça que d'inscrire le droit Ã
l'environnement dans votre esprit, jusqu'où vont les recours juridiques
à partir d'une affirmation comme celle-là ?
M. Le Roux: II y aurait des recours mais il y a quand même
un juste milieu à atteindre dans la proclamation de droits et
libertés. Je souligne ici qu'il y a peut-être 20 ans, il n'y
aurait pas eu beaucoup de citoyens ou de groupes de citoyens à venir ici
proposer des amendements, des améliorations. Je trouve qu'il y a eu des
acquis, mais il ne faut pas s'arrêter sur les acquis face aux droits des
citoyens. Il faut penser vers l'avenir et c'est dans ce souci, je n'ai pas
envie de vouloir démantibuler des textes de loi, mais je pense qu'il
faut avoir un souci humanitaire un peu plus haut que la table rase où
s'accumulent les textes de loi; il faut voir un peu plus grand. J'appellerais
ça des droits humanitaires ou des droits moraux, même spirituels,
puisqu'il faut dire le mot, pourquoi pas? Je ne suis pas le premier, au
Québec, ni en Amérique, à réclamer certaines
exigences spirituelles, parce que, quand vous avez travaillé, que vous
avez mangé, que vous vous êtes bien reposé, que vous avez
eu les loisirs qu'il vous fallait, qu'est-ce qui vous reste au bout de la
ligne? Cela touche quand même quelque chose...
M. Bédard: Je pense que vous avez...
M. Le Roux: Je vous donne un exemple au sujet de la
qualité de la vie. Je cite le présent chef de cabinet du ministre
Marcel Léger qui a écrit un texte sur la qualité de la vie
dans la revue des caisses populaires qui m'a beaucoup touché. Il m'a
tellement touché que je suis allé le rencontrer Ã
Québec dans son bureau et ça m'a galvanisé. Il s'appelle
André Beauchamp. Il disait qu'actuellement ce n'est pas une crise de
structures, c'est une crise de valeurs et qu'on était dans une
société où tout était quantifié, Ã
quelque niveau que ce soit:
travail, productivité et qu'il fallait arriver par transition,
petit à petit, à une société plus humanitaire qui
serait plus qualitative. C'est l'essence de ce texte.
M. Bédard: D'ailleurs, je suis convaincu d'exprimer
l'opinion de tous les membres de la commission pour vous féliciter de la
préoccupation que vous avez, d'une façon tout à fait
particulière, quant à la nécessité d'un
environnement sain. C'est un problème social de toute première
importance. Vous disiez tout à l'heure que ça prenait un peu
d'idéal. Je dirais que ce n'est même pas de l'idéal que de
parler d'environnement sain; c'est très pratique, ce sont des
nécessités qui sont très présentes pas seulement
dans la société québécoise, mais partout. On en est
simplement à s'interroger sur les conséquences. Qu'il y ait des
politiques globales gouvernementales dans le sens des préoccupations que
vous avez évoquées, c'est une chose, mais qu'il y ait une
insertion dans une charte d'un droit général, avec toutes les
conséquences juridiques que ça peut représenter, je pense
que vous convenez avec moi que...
M. Le Roux: Je crois que ça peut déranger beaucoup,
mais il y aurait lieu...
M. Bédard: ... cela peut prendre beaucoup de
réflexion.
M. Le Roux: ... probablement de faire des études et des
analyses, enfin des recherches pour essayer de donner un peu plus de protection
pour les citoyens.
M. Bédard: Je vous remercie beaucoup. Une seconde...
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: Oui, j'ai quelques questions. Premièrement,
ça va de soi qu'il faut promouvoir qu'on ait un sain environnement,
qu'il y ait une qualité de vie minimale pour tous. Je pense qu'on
retrouve ça dans les lois sectorielles, c'est-à -dire qu'il y a la
Loi sur l'aide sociale et le gouvernement, dans sa sagesse, pense que, pour
quelqu'un qui a moins de 30 ans, 121 $ par mois c'est assez; pour quelqu'un qui
a plus de 30 ans, c'est environ 200 $ ou 300 $. Donc, c'est ce qu'on donne pour
que quelqu'un ait une qualité de vie minimale. Il y a d'autres lois
aussi pour promouvoir ce droit de la personne, si on peut l'appeler droit de la
personne.
En ce qui concerne l'environnement, cela va de soi qu'on a une Loi sur
l'environnement. Il y a des règlements municipaux, et ainsi de suite.
Donc, il y a une certaine protection de l'environnement par l'Ãtat
fédéral, par l'Ãtat provincial et même par les
municipalités. Cela ne veut pas dire qu'on ne peut pas inclure une
clause dans la charte. Prenons par exemple l'article 44: "Toute personne a
droit à l'information, dans la mesure prévue par la loi",
c'est-Ã -dire que ce sont les lois qui circonscrivent ces pouvoirs. On
pourrait ajouter un article 44a: Toute personne a droit à un sain
environnement, dans la mesure prévue par la loi. On pourrait mettre
cette clause dans la charte. Cela ne changerait absolument rien.
Peut-être que vous voyez cela d'une autre façon, je vous pose la
question. Est-ce que ce serait suffisant pour vous qu'on mette une telle clause
dans la charte?
M. Le Roux: Le problème d'un droit Ã
l'environnement en est un d'information justement. Je vous parlais tout
à l'heure de la mousse d'urée formaldéhyde; cela fait
trois ou quatre ans qu'on l'utilise. On ne le sait plus très bien
à l'origine, parce que d'après nos recherches, au
fédéral, c'est assez difficile. Si on améliore
l'accès et la qualité de l'information pour les citoyens, on va
obtenir une meilleure compréhension. Autrement dit, l'environnement ne
sera plus une question de technocrate, cela va devenir une
réalité. Plus les gens vont avoir la connaissance lÃ
où ils se trouvent, vis-à -vis des pouvoirs, de leur
liberté, plus grande va être leur connaissance, plus grande va
être leur liberté. Ils seront aussi plus responsables et moins
dépendants.
M. Marx: On est d'accord. Quand on a commencé Ã
utiliser cette mousse pour l'isolation des maisons, on ne savait pas que
c'était dangereux. On a appris cela, il y a un an ou peut-être
plus, mais l'idée, c'est qu'une fois que les gouvernements ont appris
que c'était une matière dangereuse ils ont rendu cela hors
commerce, si je puis dire, pour l'isolation des maisons. Peut-être
peut-on demander plus aux gouvernements, parce qu'ils sont peut-être
responsables pour l'utilisation après une certaine date de cette mousse,
parce qu'ils étaient informés aux Ãtats-Unis, et ainsi de
suite.
Pour revenir à ma question: Est-ce que vous voulez qu'on mette
dans la charte un article pour dire, par exemple: Toute personne a droit
à un environnement sain dans la mesure prévue par la loi ou,
toute personne a droit à une qualité de vie minimale dans la
mesure prévue par la loi. On ne peut pas aller plus loin que cela.
M. Le Roux: En principe, je serais d'accord avec une telle
suggestion, mais la façon de le formuler, je trouve que cela permettrait
au moins de préciser et d'appuyer par rapport aux lois existantes.
M. Marx: Le principe serait inscrit dans
la charte, c'est cela que... M. Le Roux: Oui.
M. Marx: On a eu des suggestions dans le même sens d'autres
intervenants. La CEQ a fait des suggestions dans le même sens.
M. Le Roux: La Centrale des enseignants du Québec.
M. Bédard: Plusieurs organismes l'ont
évoqué.
M. Marx: Oui, la Centrale des enseignants du Québec a fait
des suggestions dans le même sens.
Le Président (M. Desbiens): S'il n'y a pas d'autres
intervenants, je remercie M. Le Roux de sa participation aux travaux de la
commission.
M. Le Roux: Merci beaucoup.
Le Président (M. Desbiens): J'invite maintenant le
Rassemblement des Africains du Québec à se présenter
à l'avant, s'il vous plaît.
Si le groupe, le Rassemblement des Africains n'est pas présent,
je demanderais immédiatement à ...
M. Marx: C'est cela.
Le Président (M. Desbiens): Oui, M. le
député de D'Arcy McGee.
M. Bédard: On peut aller vérifier au Parlementaire
s'ils sont là .
M. Marx: Oui, on pourrait vérifier. Peut-être
peut-on demander à quelqu'un de téléphoner à ces
gens à Montréal, parce qu'ils ont écrit leur numéro
de téléphone sur le mémoire. S'ils viennent plus tard,
peut-être...
M. Bédard: Déjà des efforts ont
été faits dans ce sens, M. le Président, puisqu'on me dit
que le secrétariat des...
Le Président (M. Desbiens): On m'annonce que le
secrétariat des commissions a fait des appels chaque jour et qu'on ne
répond pas au numéro indiqué.
M. Marx: D'accord.
Le Président (M. Desbiens): Si les
intéressés se présentaient de toute façon pendant
la journée, on pourrait...
M. Bédard: D'accord.
M. Marx: Parfait, on va les entendre, il n'y a pas de
problème.
Le Président (M. Desbiens): J'inviterais donc M. Jean-Guy
Mercier à se présenter, s'il vous plaît.
M. Jean-Guy Mercier
M. Mercier (Jean-Guy): M. le Président, mesdames,
messieurs de la commission parlementaire sur la Charte des droits et
libertés de la personne, le but de mon intervention est de fournir
quelques éléments de réflexion sur la délicate
question de l'avortement et, de façon plus globale, d'essayer de
dégager les principes d'une approche humaniste au respect de la vie qui
doit, Ã mon avis, inspirer l'action des gouvernements soucieux du
bien-être de la population qu'ils ont à diriger.
Je lisais récemment un texte publié dans le revue
Maintenant, du mois de janvier 1973, sous le titre "Le Parti
québécois et l'avortement", texte écrit par Jacques
Baillargeon, Hélène Pelletier-Baillargeon, Jacques Boulay et
Henri Laberge. Ce texte a été présenté au
président du Parti québécois ainsi qu'à tous les
membres du conseil exécutif de l'époque.
Ce texte reproduisait, en préambule, pour s'en inspirer, un
extrait du manifeste de l'exécutif du Parti québécois
intitulé "Quand nous serons vraiment chez nous". (16 heures)
Cet extrait se lisait comme suit: "Le Parti québécois est
tout seul à proposer l'effort suprême de la naissance. Il est
terriblement conscient de la difficulté aussi bien que de l'importance
vitale de l'enjeu." Dans le cadre de l'article, on retrouvait des idées
empreintes de générosité et d'humanisme, comme celle-ci,
et je cite: "C'est le sens même de notre lutte pour l'indépendance
qui y est impliqué (dans la question de l'avortement) et, de la
réponse que nous donnerons à cette question, dépendra
largement la qualité du tissu humain dont sera fait le Québec
indépendant et libre." Cette affirmation m'apparaît être
d'une logique impeccable.
Plus loin, je cite encore: "Le peuple québécois a toujours
été colonisé; comme femme, la Québécoise,
à bien des égards, l'a peut-être été
doublement. Aussi, l'un et l'autre, le peuple et la femme, Ã la veille
de leur libération, doivent-ils à tout prix éviter de se
comporter à leur tour, cette fois envers la vie à naître,
selon la morale des loups et des brebis, en niant à l'enfant sa
liberté sous prétexte d'exalter celle de la mère."
Il m'apparaît évident que la liberté et les droits
qu'on veut pour soi, on doit être prêt à les garantir aux
autres avec davantage de précautions lorsqu'ils concernent des
êtres faibles. C'est à partir
d'un tel principe, je crois, que le Parti québécois
reconnaît à la minorité anglophone, faible sur le plan
numérique, forte au plan économique quand même, ce droit
à ses institutions et à son existence.
C'est à partir d'un même principe, démocratique je
l'espère, que le ministère de l'Immigration fait des efforts
particuliers pour que les minorités italiennes, grecques et autres,
qu'on retrouve dans notre société, puissent retrouver, conserver
et exprimer leurs traditions, ce qui accroît du même souffle la
qualité de notre vie culturelle. Il me semble évident que le
souci de respect à l'égard des droits et libertés des
êtres faibles est un signe de civilisation et aussi de
démocratie.
Vous me permettrez une dernière citation de ce même texte:
"Chaque individu a droit à son autodétermination et
l'autodétermination commence par le droit de naître et de
grandir." Comme ces propos sont actuels...
On se plaît à souhaiter que la majorité
gouvernementale qui sait par coeur ou par nécessité les textes
écrits par les adversaires politiques, mais qui semble avoir perdu
l'habitude de lire les textes qui ont inspiré les débuts de son
action politique, retrouve au plus vite une source d'inspiration qui lui soit
authentique. Les racines, c'est important...
D'autant plus que la question de l'avortement est au coeur du
débat constitutionnel. C'est en quelque sorte l'exemple par excellence
des plus mauvais effets de la Confédération canadienne sur le
fonctionnement du processus démocratique. Et je m'explique: C'est un
amendement au Code criminel, le bill omnibus, voté en 1969, qui a
établi le cadre juridique à partir duquel s'est
développée une pratique qui prend de l'ampleur. Il est dit,
à l'article 251 du Code criminel, depuis cet amendement, que
l'avortement est un acte criminel passible de l'emprisonnement Ã
perpétuité, pour celui qui le fait et pour la personne qui y
participe. Cet article permet toutefois des exceptions qui sont définies
par le critère de la vie et de la santé physique et/ou mentale de
la mère. Il y a trois exigences techniques, à part celle
évidemment qui veut que l'opération s'accomplisse par un
médecin, a) il faut que ce soit pratiqué dans un hôpital
accrédité ou approuvé; b) un comité doit examiner
le cas; c) un certificat de la décision du comité doit être
remis au médecin qualifié.
On constate que les termes "danger pour la vie" de même que
"santé physique et mentale" et les termes "mettrait ou mettrait
probablement", appliqués dans un domaine aussi complexe au plan
médical, débordant d'ailleurs largement le plan médical
par le critère de santé mentale qui renvoie à des
influences socio-économiques, l'ambiguïté de ces termes,
dis-je, fait que je n'hésite pas à qualifier cette loi
fédérale d'hypocrite. Le ministre d'Ãtat à la
Condition féminine aurait sans doute dû dénoncer aussi
cette hypocrisie.
Manifestement, le gouvernement fédéral ne voulait pas
prendre position clairement et a renvoyé la balle aux provinces qui ont
juridiction dans le domaine de la santé. Et on aboutit à cette
situation aberrante où, à partir d'une même loi
fédérale, on retrouve des différences énormes quant
à son application par les provinces, et je cite les plus récentes
données fournies par Statistique Canada, couvrant l'année 1979 et
publiées au mois de décembre 1980. En Colombie britannique, il y
a 34,2 avortements par 100 naissances. En Ontario, 25,4 par 100 naissances. Au
Québec, il y en a 9,1 officiels, légaux (avait, parce que ce
pourcentage croît), et, à l'Ãle-du-Prince-Ãdouard,
2,3 avortements par 100 naissances.
Et il s'agit de la même loi pour chacune des provinces. Ces
écarts démontrent bien que la marge de manoeuvre des provinces
dans la définition ou l'absence de définition de ce qu'est un
avortement thérapeutique est très grande, voire totale, avec
comme seule réserve l'esprit de la loi fédérale qui part
d'une prémisse qualifiant l'avortement d'acte criminel, ce qui est
restrictif, cela va de soi. Ainsi, la libéralisation de l'avortement
devenant l'avortement libre et sur demande est un acte illégal, ceci par
déduction car on doit conclure que la libéralisation, lorsqu'elle
devient totale ou presque, fait disparaître toute culpabilité
légale. Le gouvernement fédéral sachant que la Colombie
britannique a 34,2 avortements par 100 naissances va donc conclure que les
femmes de cette province ont une santé bien fragile ou bien que la loi
n'est pas respectée.
Je fais remarquer au passage qu'il est malsain pour un gouvernement,
quel qu'il soit, de faire des lois qui ne soient pas respectées car
c'est la légalité de toutes les autres lois qui est tôt ou
tard remise en cause. Ã la limite, c'est l'anarchie ou la loi de la
jungle. Une telle situation fait qu'on peut à juste titre se demander si
une éventuelle charte fédérale des droits et
libertés de la personne ajusterait le Québec sur la Colombie
britannique ou sur l'Ãle-du-Prince-Ãdouard. La population du
Québec doit connaître les intentions du législateur
fédéral et du législateur provincial. Nous du
Québec, qui sommes dans une position démographique difficile sur
ce continent anglophone, souhaitons-nous l'avortement libre et sur demande de
la Colombie britannique et de l'Ontario ou l'avortement thérapeutique
probable de l'Ãle-du-Prince-Ãdouard et de certaines régions
du Québec?
Si nous voulons définir une charte québécoise des
droits et libertés de la
personne, c'est à des questions de ce genre qu'il faut
répondre. Lorsque j'affirmais tout à l'heure que le régime
fédéral actuel est antidémocratique, je crois en avoir
fait la démonstration. Il n'y a pas eu de débat politique franc
et honnête, ni au niveau fédéral ni au niveau provincial.
La population est contre l'avortement sur demande, ou du moins elle
l'était jusqu'à une époque toute récente, mais
pourtant il y a eu la mise en marche d'une politique créatrice de
valeurs et de changements profonds dans notre société. Je le
répète, sans débat politique. Il y a d'autres questions
bien précises qu'il faut se poser, par exemple, sachant que des
avortements se pratiquent en dehors des hôpitaux, dans des cliniques
privées, sachant aussi que les décisions de certains
comités d'avortement thérapeutique dans des hôpitaux connus
de l'Ouest de Montréal ne sont en fait que des formalités
légales sans plus. Le ministère de la Justice sait cela. Pourquoi
ne fait-il pas appliquer la loi?
Il y a encore d'autres bonnes questions. Par exemple: Sachant qu'il y a
eu approximativement 12 000 avortements dits thérapeutiques payés
par la Régie de l'assurance-maladie du Québec l'année
dernière, le ministère des Affaires sociales n'a jamais
défini ce qu'est un avortement thérapeutique. Même lorsque
certains hôpitaux lui ont demandé expressément de le faire,
le ministère a spécifiquement refusé de définir une
politique précise. Comment, dans un tel contexte, le gouvernement
peut-il répondre de l'utilisation des deniers publics? J'ai appris
lorsque j'étais député que, pour chaque dépense, il
y a un programme définissant les conditions. C'est ce qui permet de
savoir où on va et de répondre aux questions de la population.
Les dépenses de la Régie de l'assurance-maladie du Québec
pour les avortements ne s'appuient sur aucun critère spécifique
puisque le ministère des Affaires sociales n'a pas défini ce
qu'est un avortement thérapeutique dans les faits.
En cette période de restrictions budgétaires, voilÃ
une question qui me semble de brûlante actualité. Pour
compléter cette brève analyse de l'amendement au Code criminel
voté en 1969, et les conséquences de son application, j'aimerais
citer un extrait du mémoire présenté aux membres de la
Chambre des communes du Canada, le 22 novembre 1979, par Campagne-Vie-Canada,
à la page 8: "Cet amendement a fait en sorte que maintenant, dans notre
société, on croit que la vie d'une personne peut être
détruite au profit de la qualité de vie ou de la commodité
d'une personne ou de personnes plus puissantes. Cet amendement fait aussi en
sorte qu'il n'est plus possible de faire observer la loi sur l'avortement
puisqu'on y prévoit que les comités d'avortement peuvent
approuver et voir à la destruction des vies d'enfants Ã
naître tout en étant exempts de sanction et en n'ayant de comptes
à rendre à personne."
En bref, l'amendement à la Loi sur l'avortement de 1969 marque la
fin de la protection légale pour l'enfant avant la naissance au Canada.
De plus, cet amendement a créé un précédent
applicable à d'autres groupes vulnérables tels que les
handicapés, les personnes âgées ou celles qui sont
atteintes d'une maladie terminale. Lorsqu'en plus ont sait les pressions qui se
sont exercées sur le ministère des Affaires sociales pour que les
comités d'avortement thérapeutique soient extensionnés aux
réseaux des CLSC, cette extension souhaitée par des groupes de
pression amènerait une situation où la multiplication des
comités, sans qu'il y ait au préalable de critères
d'évaluation des cas autres qu'une loi fédérale
intentionnellement imprécise, aurait l'effet direct de réduire
à néant les velléités de certains comités de
faire vraiment un travail d'évaluation sérieux. Cette extension
éliminerait de façon certaine toute possibilité d'une
politique de défense des droits et libertés des enfants Ã
naître puisque les seuls critères retenus par la majorité
des comités seraient bientôt ceux de la pseudofemme en
détresse sans que personne n'essaie de connaître les causes de la
détresse.
Les critères socio-économiques. Il importe de savoir ce
qui se cache derrière ces critères des femmes en détresse
quand on sait que 65% des avortements - et les gens dans le milieu me disent
que c'est beaucoup plus - sont faits pour des raisons socio-économiques.
Il y a là , à mon avis, en même temps qu'une
possibilité de véritable politique de la famille prise au sens
large, une responsabilité sociale et gouvernementale.
Si on accepte que la vie des enfants à naître soit
évaluée à partir de critères économiques sur
lesquels les individus n'ont plus de prise - et, actuellement, l'exemple
classique, c'est le couple affolé par la hausse des
intérêts sur hypothèque et qui se voit obligé de
recourir à l'avortement - il semble évident qu'il se
présente des cas de ce genre, et on permet qu'une telle situation se
perpétue, c'est qu'on choisit les valeurs matérielles, l'avoir au
sens large de préférence à l'être. Il y aurait
là pour un gouvernement qui croit à l'identité nationale,
à l'affirmation de l'être national, une contradiction profonde, si
cette situation devait durer. Comment peut-on vouloir pour la nation le droit
à l'existence et la liberté de choisir l'avenir si on refuse
à certains le droit de naître et la liberté du foetus et du
père, dans certains cas, de se défendre? Mais ceci dit, je ne
veux pas mettre la responsabilité sur les femmes et exonérer les
hommes. Il ne faut pas comprendre mon
texte dans ce sens-là . C'est une précision que je me dois
de faire, je pense.
Procréer est un acte social qui nous concerne tous et toutes, un
geste qui nous appelle à des responsabilités qui nous touchent
directement, hommes et femmes. Il n'y a pas d'endroit où les
libertés et les droits individuels rejoignent de façon plus
complète les libertés et les droits collectifs. Ãtre ou
avoir, voilà la question, question complexe, puisqu'il existe deux
réponses ayant chacune leur logique.
Pour conclure, je rappelle que l'avortement a toujours été
lié dans l'esprit de ceux qui s'y opposaient à l'euthanasie.
Lorsqu'on joue avec des valeurs humaines, on ne sait plus à quels abus
cela peut mener. Par ailleurs, cette question de l'avortement ne concerne pas
seulement le droit et la liberté de la femme, mais, par ses liens avec
les valeurs d'une société à l'égard de la vie, nous
sommes tous et toutes directement impliqués. J'aimerais vous faire
lecture d'un texte récent extrait du magazine "Fermières",
édition des mois d'octobre et novembre 1981, texte signé Hubert
Doucet, aux pages 12 et 13, et je cite. Ã propos, le titre du texte est:
"L'euthanasie, la seule mort humaine?" "Mourir d'une manière humaine, en
contexte hospitalier, consiste à vivre les derniers moments de la vie en
étant considéré comme une personne. Pour plusieurs, cela
voudra dire mourir sans le complexe appareillage technique qui ne prolonge la
vie que de quelque temps. D'autres, au contraire, espèrent qu'on
prolongera la vie le plus longtemps possible. L'essentiel n'est-il pas que
chacun puisse vivre selon ses volontés les derniers instants de sa vie?
"Même si la technologie médicale doit cesser, d'autres soins
demeurent absolument nécessaires. Il faut soulager les douleurs qui
empêchent un malade de vivre dignement ses derniers moments. La
médecine a un devoir de réaliser régulièrement un
dosage équilibré de médicaments pour prévenir
l'apparition de la souffrance et briser la spirale croissante de la douleur.
Cet effort de dosage de médicaments ne suffit pas. L'attention au malade
doit se faire encore plus profonde. Au moment où il vit ses derniers
moments, le patient doit les vivre dans un environnement qui lui permet
d'être un être humain. "La présence continue des autres et
l'affection manifeste des siens appartiennent à l'art de mourir
humainement puisque le grand départ est un saut angoissant dans
l'inconnu. Malheureusement, dans de nombreux hôpitaux, le moribond est
réduit à l'état d'objet. Il ne connaît rien de son
état et seules des machines lui tiennent compagnie. La mort est devenue
inhumaine. Cette situation explique, comme nous l'avons vu plus haut, pourquoi
plusieurs préfèrent l'euthanasie au sens précis du terme.
"Transformer la question de mourir demeure possible et doit constituer une
exigence de société." Une telle approche doctrinale aurait
suscité la réprobation populaire il y a quelques années,
tellement c'était peu conforme au profond respect de la vie des
Québécois. Aujourd'hui, on en est presque rendu à la
situation où on comprimera les dépenses d'éducation par
l'avortement et celles des affaires sociales par l'euthanasie. Est-ce qu'on est
sérieux lorsqu'on réclame le droit d'exister comme peuple?
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Bédard: M. le Président, je remercie M. Mercier
de ses représentations devant la commission où il évoque
des convictions très précises et qu'il a d'ailleurs
évoquées à d'autres moments que celui-ci. (16 h 15)
Je voudrais lui demander comment il voit les amendements qu'on doit
apporter à la charte par rapport à l'expression des convictions
qu'il énonce dans son mémoire.
M. Mercier: Je pense que, essentiellement, le problème se
résoudra en permanence par une profonde réflexion de la
société sur des valeurs. Finalement, quand j'évoquais dans
mon texte "être ou avoir", je crois que nous vivons dans une
société, mais ce n'est pas la seule, qui a évalué
les individus à partir d'une notion de l'avoir. Quand on a une grosse
voiture, un mois de vacances en Floride, on a réussi dans la vie sans
égard finalement au rôle qu'on joue et à ce qu'on apporte
véritablement à la société. On a subordonné
l'être à l'avoir dans notre société. Je pense que,
pour résoudre les contradictions qu'on constate au plan
économique, ces affrontements persistants entre groupes, entre individus
à l'intérieur des usines, à l'intérieur des
familles, il faudra rebâtir une société qui redonnera
à l'être une signification qu'on ne retrouve pas. Je pense que
c'est à partir de réflexions de ce genre que se
développera à travers une éducation le sens profond de
l'existence.
Toute charte des droits et libertés de la personne doit partir du
sens de l'existence. Nous avons vécu dans les années cinquante
une situation où les valeurs spirituelles donnaient un sens Ã
l'existence et, finalement, la vie prenait son sens à partir de ces
valeurs spirituelles. Avec le pluralisme et une évolution de la
société, cette idée de trouver le bonheur à travers
une augmentation de richesses, la révolution technologique aidant, a
laissé l'impression à beaucoup d'individus que les valeurs
matérielles pouvaient apporter une réponse.
Depuis quelques années, nous vivons, sur le plan international et
sur le plan local, une situation de restrictions des gouvernements qui ont
été passablement coupables en entretenant chez les citoyens cette
idée de l'Ãtat paternaliste qui pouvait donner tout Ã
n'importe qui, n'importe comment et que ça ne finirait jamais.
Il faudra donc découvrir de nouvelles motivations, de nouvelles
façons de rebâtir des contrats sociaux. Je pense que c'est
à partir de la découverte du sens de l'existence, de cette
question du respect de la vie, de l'avortement, de l'euthanasie aussi, c'est
à partir de ces problèmes profondément humains que nous
pourrons en arriver dans notre société probablement Ã
rebâtir un tissu humain et à trouver une réponse aux
contradictions qui mènent à des affrontements de plus en plus
stériles et à une situation très difficile pour l'ensemble
de la société.
Ceci dit, je ne pense pas qu'il y ait des solutions faciles à ce
problème, mais il faut le poser sur le plan des valeurs.
Concrètement parlant, il y a une situation juridique qui existe, qui est
une loi fédérale volontairement imprécise,
appliquée de façon très différente d'une province
à l'autre. Il y a nous, le Québec, qui avons, par le
ministère des Affaires sociales, notre responsabilité dans le
domaine de la santé à fonctionner avec une loi
fédérale qui est imprécise. Si nous avions la juridiction,
je dirais: Faisons tout de suite le débat des valeurs et trouvons une
réponse à cette question. Nous n'avons pas cette juridiction;
n'allons pas assumer mal une juridiction fédérale
imprécise. Nous sommes dans la situation, à l'heure actuelle,
où des groupes de pression, des individus placés à des
endroits de pouvoir - c'était le cas de l'ancien ministre des Affaires
sociales, je pense - ont mis en marche des mécanismes, une incitation,
ont fait des pressions auprès des hôpitaux, qui étaient une
voie vers la libéralisation de l'avortement sur demande, sans avoir
consulté la population du Québec, sans que le problème des
valeurs se soit posé. Il se pose plus particulièrement pour nous,
Québécois, que pour l'ensemble canadien. Nous ne sommes quand
même pas une très grande population. Pour nous, la question
démographique est extrêmement importante. Il ne s'agit pas de
revenir à la revanche des berceaux, mais il s'agit quand même de
savoir quels sont les dangers qui nous menacent si cette libéralisation
devait se poursuivre et si, de plus, elle entraînait, ce qui est
évident, je pense, une remise en question des valeurs. Ã
substituer une société de l'être pour une
société de l'avoir, quelle sera l'originalité de ce qu'on
peut qualifier de québécitude?
Face à cette situation précise, je pense que l'Ãtat
du Québec doit, dans le préambule de la charte de 1975 - vous
avez ce droit et les autres aussi - Ã l'article 1, ajouter simplement
ceci: Tout être humain a droit à la vie dès le moment de sa
conception, ainsi qu'à la sûreté, Ã
l'intégrité physique et à la liberté de sa
personne. à ce moment-là , nous afficherons vraiment nos couleurs
sur le plan des valeurs que nous voulons comme société. Ã
partir de ça, puisqu'il faut appliquer une loi fédérale,
qu'il y ait quelques hôpitaux qu'on surveille pour qu'il s'agisse
vraiment d'avortements thérapeutiques, donc pour des raisons
médicales. à l'heure actuelle, vu le nombre des avortements, la
pratique démontre bien qu'avec une même conception large et
élastique du critère de santé mentale il faudrait
considérer une légère dépression nerveuse comme un
cas de santé mentale qui met en danger la vie de la mère pour
justifier certains avortements. Il s'agit de critères
socio-économiques, non pas de critères médicaux.
En ce sens-là , je pense que le gouvernement du Québec ne
doit pas s'associer à ça.
M. Bédard: Quand vous parlez de débat social, vous
conviendrez avec moi qu'il est présent, au moment où on se parle,
sur cette question et qu'on ne peut pas parler de consensus, que ce soit dans
un sens ou dans l'autre.
M. Mercier: Regardez bien, ce qui a finalement motivé mon
intervention à l'époque, ma colère et mon indignation - je
ne sais pas si la politique du gouvernement a été changée
depuis, il s'agit du gouvernement dont j'ai fait partie - c'est un document qui
m'était parvenu du ministre des Affaires sociales de l'époque, un
document daté du 6 novembre 1980, qui disait: "Pour chacune des
régions du Québec et chacun des hôpitaux, la situation de
l'avortement." Au hasard, je vais prendre le Lac-Saint-Jean. "Le centre
hospitalier de Jonquière, ça va, 132 cas pour la première
année, on entrevoit 30 à 50 cas cette année, par mois.
Procède encore par anesthésie générale, envoie les
cas d'infertilité au centre hospitalier de Chicoutimi. Centre
hospitalier de la Mauricie, on attendait une échographie, entre
parenthèses, un prétexte; Centre hospitalier Sainte-Marie,
ça va normalement". Cela veut dire que quand ça va, ça
progresse; quand il y a des obstacles, c'est que ça va moins bien.
"Rythme ralenti", comme on dit dans le rapport. "Ce qui est à craindre,
querelles entre les gynécologues et les omnipraticiens. Hôpital
Notre-Dame, ça va; présentement avortement possible,
jusqu'à 16 semaines, bientôt jusqu'à 19 semaines.
Hôpital Saint-Luc, problème avec le CRSSS pour l'équipement
et les locaux. Rythme ralenti." Je pense que le bouquet, c'était la
région 07
qui est une région extrêmement délicate; ce
problème a été crucial dans deux régions,
l'Outaouais et Joliette en particulier, d'où je viens. "Centre
hospitalier Maniwaki, le directeur général, M. Laurent Boisclerc,
ne veut rien savoir, rien ne fonctionne. Hôpital des Laurentides,
à L'Annonciation, comité d'avortement en place. On nous promet le
premier avortement dans quelques semaines. Hôpital
Notre-Dame-de-Sainte-Croix, Ã Mont-Laurier, avortement fait la semaine
dernière, fin octobre 1980."
Je pense qu'il y a un état d'esprit là -dedans
vérifié dans les faits. J'ai rencontré des directions
d'hôpitaux, on m'a rapporté des cas où le cabinet du
ministre a spécifiquement fait des pressions sur la direction de
l'hôpital pour procéder à un avortement sur une personne
qui n'était pas consentante, mais à la suite de pressions
politiques de la part de la famille, de la part du père. Il y a eu des
situations de ce genre.
M. Bédard: Je n'entreprendrai pas une discussion - je ne
pense pas que vous vous y attendiez - qui déborde sur la politique,
parce que, face à ce document auquel vous vous référez, je
crois qu'à ce moment-là , à l'Assemblée nationale,
le ministre des Affaires sociales a eu à répondre à toutes
les questions qui se posaient. Vous avez vos convictions, vous les
évoquez devant les membres de cette commission, vous avez
évoqué aussi que dans certains cas spécifiques il y avait
lieu que des actions soient prises, quels que soient les droits fondamentaux
dont on parle, et dans le respect des droits fondamentaux dont on parle.
Vous admettrez également avec moi que le débat social
existe au moment où on s'en parle, chacun y allant de ses convictions,
qu'elles soient religieuses, morales, politiques ou autrement, il ne faut pas
essayer d'en faire un sujet non complexe et ce débat social est loin
d'être concluant au moment où on se parle, dans le sens qu'il
continue.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: Je vous remercie. J'ai trouvé votre
mémoire intéressant, M. Mercier. C'est la première fois
qu'on fait une intervention dans ce sens et c'est la première fois que
quelqu'un vient devant la commission parler de l'avortement. Si c'est seulement
pour faire un débat, vous avez eu l'occasion de présenter votre
point de vue devant la commission. Peut-être que ce sera diffusé
ailleurs par les médias.
En ce qui concerne votre mémoire, parmi ceux que l'on a
reçus, c'est le seul qui ne fait pas de recommandations. C'est la
première chose qui m'a frappé. Finalement, on est ici pour
modifier la charte des droits. Est-ce que vous avez une recommandation
précise à mettre dans la charte, le cas
échéant?
M. Mercier: Comme je le disais tout à l'heure, ma
recommandation précise serait toute simple, mais en même temps,
énorme de conséquences pour tout le monde, pour ceux qui sont
pour, pour ceux qui sont contre. Ce serait d'ajouter simplement: Tout
être humain a droit à la vie dès le moment de sa
conception. Ã partir de cela, c'est tout un ensemble de droits que vous
rendez possibles. Quelqu'un disait tout à l'heure, et je suis tout
à fait d'accord, qu'une Charte des droits et libertés de la
personne établit des principes. Ce n'est pas comme une loi
spécifique qui corrige un cas et qui crée des infractions ou quoi
que ce soit. Sur le plan des principes, qu'une société
établisse que le respect de la vie commence au moment de la conception,
cela ouvre un débat et cela amène une société
à prendre une voie dans un ensemble de valeurs. à partir de cela,
cela peut avoir des conséquences juridiques. Cela n'éliminera
pas... qu'on n'essaie pas de me faire dire que je sous-estime l'ampleur du
problème et qu'à partir simplement de trois mots, on va
éviter toute une réalité. Avant que le
phénomène ne soit devenu une pratique tellement
généralisée, inscrite dans les moeurs, qu'il soit
très difficile après coup, de faire marche arrière, que,
dès maintenant, on commence à prendre des mesures qui vont dans
le sens d'une approche existentielle à la vie en société.
C'est à partir du respect de la vie qu'on développe une
thématique et qu'on réanalyse finalement nos comportements
à l'intérieur de la société, qu'on essaie de
développer un contrat social à partir de cela.
Finalement, quand on regarde la Charte des droits et libertés de
la personne, cela peut devenir un livre de recettes, si on établit des
droits un petit peu plus par ici, un petit peu plus par là , et la
société change, évolue. Finalement, cela ne résout
aucune des contradictions. Cela ne les résoudra pas tant qu'on ne se
sera pas entendus sur le sens de l'existence.
M. Marx: D'accord.
M. Mercier: On a là un beau cas.
M. Marx: Votre recommandation rejoint bien vos idées.
Merci.
Le Président (M. Desbiens): S'il n'y a pas d'autres
interventions, je remercierai M. Mercier de sa participation aux travaux de
cette commission.
J'inviterai la Ligue des droits et libertés de la région
de l'Estrie, Ã se
présenter, s'il vous plaît. M. Côté.
Ligue des droits et libertés de
l'Estrie
M. Dechêne (Gaston Miville): Je me présente. Je ne
suis pas M. Côté. M. Côté devait être
présent ici avec moi. Il est une des personnes qui a participé
à la rédaction du mémoire. Il est malheureusement retenu
à Sherbrooke par ses occupations. Je m'appelle Gaston Miville
Dechêne. Je suis porte-parole délégué par la Ligue
des droits et libertés pour vous présenter ce bref mémoire
que le comité plénier de la ligue devait vous présenter.
(16 h 30)
M. le Président, M. le ministre, MM. les membres de la
commission, vous connaissez déjà la Ligue des droits et
libertés. La Ligue des droits et libertés de Montréal vous
a déjà soumis un mémoire où on a fait
déjà plusieurs recommandations et il est mentionné dans ce
mémoire qu'un comité régional de la Ligue des droits et
libertés vous présenterait un mémoire concernant
l'âge. C'est ce que nous avons voulu faire, c'est une des
préoccupations qui nous est revenue le plus souvent au cours de nos
activités depuis les deux dernières années.
Je vais vous présenter quand même un peu la Ligue des
droits et libertés. La Ligue des droits et libertés, section
Estrie, est un comité régional de la Ligue des droits et
libertés du Québec et est membre de la Fédération
internationale des droits de l'homme. Elle a été officiellement
formée le 13 mars 1978, sous le patronage du Carrefour de
solidarité internationale. Soutenue par environ 500 adhérents en
Estrie, une équipe de quinze membres actifs anime cet organisme
d'intervention communautaire voué à la connaissance, la
défense et la promotion des droits et libertés individuelles et
collectives.
La Ligue des droits et libertés, section Estrie, oriente ses
recherches et ses interventions à partir des plaintes et des demandes
d'appui qui lui sont acheminées. Si l'étude du dossier
révèle une violation des droits, la ligue pilote la
résolution du problème par différents moyens: la
conciliation des parties en litige, l'exercice de bons offices et de pressions
publiques, les références aux organismes de juridiction
compétente, l'animation et l'éducation.
Ãtant une section régionale, notre organisation est
appelée à faire écho aux divers dossiers Ã
caractère général mis de l'avant par la ligue au niveau
national ou l'un ou l'autre de ses dix comités.
Les objectifs des dossiers nationaux consistent à alerter
l'opinion publique de l'état des droits et libertés au pays ainsi
qu'à exercer les pressions nécessaires au rajustement des
mécanismes institutionnels et politiques ayant trait à la
défense, entre autres, des droits et libertés des
défavorisés et des minorités.
La Charte des droits et libertés de la personne adoptée en
1975 n'aura été amendée qu'une seule fois à propos
de la discrimination basée sur l'orientation sexuelle.
Aussi, c'est avec une grande joie que la Ligue des droits et
libertés de la région de l'Estrie apprenait, il y a quelques
mois, que le gouvernement du Québec tiendrait à l'automne une
commission permanente de la justice portant sur la Charte des droits et
libertés de la personne.
Soucieuse de son rôle voué à la défense des
droits et libertés de la personne, la Ligue des droits et
libertés de la région de l'Estrie adoptait, le 8 septembre
dernier, une proposition dans le sens de présenter à la
commission permanente de la justice sur la charte des droits et libertés
un mémoire demandant d'abord l'inclusion, dans l'article 10 de la Charte
des droits et libertés de la personne, de l'âge comme motif
discriminatoire et l'abrogation de l'article 90 de la Charte des droits et
libertés de la personne.
Pour nous, il était tout à fait étonnant pour ne
pas dire renversant de constater que l'inscription de l'âge comme motif
illicite de discrimination n'a pas encore été inclus dans la
Charte des droits et libertés de la personne.
En effet, et comme l'ont souligné avant nous plusieurs
organismes, y compris la Commission des droits de la personne, il nous semble,
à la Ligue des droits et libertés de la région de
l'Estrie, qu'au niveau même des principes, ce point soit indiscutable.
D'ailleurs, il est à noter à cet égard que l'ensemble des
lois définissant les droits de la personne dans les autres provinces, de
même que la loi fédérale, incluent, bien que d'une
façon variable, cette interdiction de faire de la discrimination en
raison de l'âge.
On peut noter qu'au Québec, on peut, en toute
légalité et sans contrevenir à aucune loi ou
règlement, refuser d'embaucher les personnes jugées trop jeunes
ou trop vieilles. Concernant ce point particulier, j'aimerais vous faire
état de quelques exemples que nous avons, quelques cas que nous avons
relevés ici, autant à l'intérieur de la région
qu'à l'extérieur de la région.
Tout d'abord, on a noté que, par exemple, la compagnie Voyageur
avait comme politique de ne pas embaucher de conducteurs d'autobus
âgés de plus de 40 ans. On a noté aussi qu'Air Canada avait
aussi comme politique de n'accepter que des candidats âgés de 18
à 28 ans pour l'entraînement au pilotage. Dans la région et
dans les journaux locaux, on a souvent des
offres d'emploi où les employeurs ne se gênent pas du tout
pour faire de la discrimination à ce niveau. Vous en avez plusieurs
exemples tels que celui-ci, où on offre une possibilité presque
en or, comme vendeur ou ex-vendeur, Ã des hommes ou des femmes, si on
est âgé de 21 ans ou plus. On note aussi qu'on demande un
représentant, dans un autre cas, qui doit être âgé de
25 ans et plus. Dans un autre cas, une compagnie québécoise
demande un représentant pour la région de Coaticook, où on
exige comme compétence d'avoir 25 ans et plus, ce n'est pas l'apanage
des corporations privées. Il y a la Société
Saint-Jean-Baptiste de la Mauricie qui demande un candidat possédant les
normes d'éligibilité décrites et dont l'âge se situe
en deçà de 40 ans, disant qu'il sera sûrement
favorisé.
Une autre compagnie demande un constructeur de machines et on exige que
la personne ait 30 ans minimum; on se demande bien pourquoi. La ville de
Disraeli, un peu plus loin, fait une offre d'emploi pour un directeur du
service des loisirs où on exige une personne qui est âgée
de 23 à 40 ans. Il y a même la Société des loteries
et courses, à Sherbrooke, qui a écarté un Sherbrookois
à cause de son âge.
On note aussi qu'au Québec on peut en toute
légalité et sans contrevenir à aucune loi ou
règlement congédier des individus parce qu'ils ont atteint un
certain âge et, dans plusieurs cas, les remplacer par d'autres que l'on
paiera évidemment moins cher. Les travailleurs non-syndiqués, qui
sont par ailleurs les moins protégés, sont de ce fait
particulièrement vulnérables.
Il y a aussi la discrimination qui s'exerce au niveau des programmes
gouvernementaux. On peut par exemple, ici au Québec, être
éliminé dès le départ de certains programmes
d'emploi du gouvernement du Québec. L'Ãtat
québécois, afin de légitimer son geste, parle alors du
principe de la discrimination positive.
Maintenant, j'aimerais faire un petit aparté ici pour dire que la
Ligue des droits et libertés a examiné et discuté le
concept de discrimination positive. On tient à souligner que par rapport
à ce concept la ligue n'en rejette pas l'usage dans
l'établissement des programmes d'emploi du gouvernement du
Québec, mais a déjà critiqué fortement l'extension
que le gouvernement donne à ce concept. à notre avis, le
gouvernement va trop loin dans l'application du concept. Nous favorisons ces
programmes, ces mesure sociales qui s'appliquent à des minorités
ou des groupes particuliers, mais nous déplorons aussi le fait qu'ils
soient limités, comme dans le cas des programmes OSE-Arts, aux seuls
travailleurs culturels âgés de 18 à 29 ans. Ironiquement,
d'après des représentants régionaux du ministère
des Affaires culturelles, il semblerait que les travailleurs culturels
atteignent leur seuil maximal de rentabilité passé 29 ans,
justement, et que les programmes tels qu'ils sont conçus actuellement
frustrent fréquemment des initiatives admirables proposées par
des travailleurs de plus de 29 ans, et, j'imagine, de moins de 18 ans, ce qui
est peut-être plus rare.
En ce sens-là , ce que l'on critique c'est la notion - lÃ
je vais faire référence un peu à ce qu'un intervenant
précédent a déclaré tout à l'heure - de la
quantification d'à peu près tout dans notre
société; jusqu'au concept d'âge que l'on quantifie pour ce
qui est des programmes OSE-Arts, de 18 Ã 29 ans. Pour ce qui est des
programmes de l'Office franco-québécois pour la jeunesse, je
crois que c'est de 19 à 35 ans. Il faut voir qu'au départ il y a
une différence sur le concept de la jeunesse que ces deux programmes
gouvernementaux peuvent nous offrir. Maintenant, c'est un concept qui est
quantifié, je ne sais pour quelle raison exactement, mais il y aurait
peut-être lieu d'élargir le concept de jeunesse à ce qu'on
notait comme étant un état caractérisé par un
besoin d'apprentissage, de renouvellement, de recyclage, et, disons, de
recyclage au niveau de la créativité. Une fois que - nous
l'espérons - l'âge sera inclus dans l'article no 10 comme motif
interdit de discrimination, il y aura peut-être lieu de revoir de quelle
façon on devrait quantifier les concepts d'âge et les limites
d'âge pour ce qui est de l'accessibilité aux programmes
gouvernementaux.
On note aussi qu'il est possible, au Québec, sans contrevenir
à aucune loi et règlement, de limiter à certains groupes
d'âge les programmes de voyage qu'offre, par exemple, l'Office
franco-québécois pour la jeunesse. Il est possible aussi de
forcer certaines personnes âgées à prendre une retraite
anticipée ou, lorsqu'elles ont atteint 65 ans, de les obliger Ã
prendre immédiatement leur retraite, etc. Cette discrimination
pratiquée ouvertement au Québec n'a vraiment pas de quoi nous
enorgueillir. Aussi, estimant que les arguments généralement
présentés en faveur du maintien de l'âge comme motif de
discrimination ne sont pas particulièrement convaincants,
c'est-à -dire favoriser l'emploi des jeunes, mobilité
professionnelle, gestion des ressources humaines, coûts
élevés, etc., la Ligue des droits et libertés de la
région de l'Estrie demande d'inclure dans l'article 10 de la Charte des
droits et libertés de la personne l'âge comme motif de
discrimination.
Nous demandons aussi que l'âge soit défini de
manière à ne pas permettre le maintien d'un âge obligatoire
de la retraite et, quant à la limite de l'âge inférieur, la
position de la Ligue des droits et libertés de
la région de l'Estrie est qu'elle ne saurait être
restreinte que dans quelques rares cas où l'ordre biologique et/ou
naturel indique de façon évidente la nécessité
d'exercer une discrimination. Dans ce cas, évidemment, cela pourra faire
l'objet d'une sanction par le législateur.
Enfin, quant à la limite supérieure, toute restriction
nous paraît odieuse et inacceptable puisqu'elle entérine cette
tendance fortement accusée dans nos sociétés Ã
l'exclusion des personnes du troisième âge.
Maintenant, vous savez qu'un ensemble d'organismes, c'est-Ã -dire
la Coalition pour l'abrogation de l'article 97, a déjÃ
présenté un mémoire détaillé à ce
sujet et que la Ligue des droits et libertés faisait partie des
organismes formant cette coalition. Conséquemment, dans la mesure de
notre perception de ce problème de discrimination dans la région
de l'Estrie, surtout dans le domaine des droits des handicapés, nous
désirons ajouter notre voix à celle de la coalition.
La Ligue des droits et libertés de la région de l'Estrie
estime que la discrimination en matière d'avantages sociaux ne devrait
pas plus qu'en d'autres domaines être pratiquée et qu'en
conséquence l'article 90 de la charte devrait être abrogé.
La Ligue des droits et libertés estime que l'article 90 constitue une
sérieuse brèche au principe général de
non-discrimination et qu'il s'agit là d'un état de fait
inacceptable.
La Ligue des droits et libertés, au même titre que la
Commission des droits de la personne, considère que la situation
particulière des handicapés ne devrait justifier aucune situation
d'exception en ce qui a trait aux avantages sociaux. Ici, j'aimerais vous faire
part d'un cas particulier à la région de l'Estrie; il s'agit
d'une discrimination particulièrement flagrante dont nous sommes les
témoins depuis quelques mois dans notre région. Les personnes
handicapées qui habitent le territoire desservi par la Corporation
municipale de transport de Sherbrooke se sont vu retirer récemment
l'usage - je dis bien retirer parce qu'on le leur avait bien accordé au
départ - d'une carte passe-partout donnant droit à l'usage
illimité à tarif réduit, des autobus publics servant au
transport en commun. La raison évidente de ce retrait, c'est, bien
sûr, le handicap de ces personnes, qui occasionne à la CMTS des
dépenses plus élevées. La CMTS, en adoptant cette
résolution, refusait donc de reconnaître le droit
égalitaire des handicapés au transport en commun, sous
prétexte d'une saine gestion, et ce malgré une pétition
aussi de 2500 à 3000 noms qui a été
présentée à la ville de Sherbrooke, qui contrôle la
Corporation municipale de transport, Ã savoir que les citoyens
étaient favorables à assumer le déficit encouru par la
CMTS pour ce qui est du rétablissement de l'usage de cette carte
concernant les handicapés.
Ãvidemment, on fait référence à ça en
fonction aussi de la réglementation de la Commission des transports du
ministère des Transports qui prévoyait que le programme d'aide et
de subventions pour permettre l'usage d'une carte passe-partout ne serait
efficace que dans le cas du transport normal. Ce qui est arrivé, c'est
que la Corporation municipale de transport de Sherbrooke, croyant que cette
mesure s'appliquait également au transport adapté, a tout
simplement, de façon très naturelle, accepté
d'émettre la carte aux handicapés au tout départ et, quand
elle a vu que cela s'appliquait strictement au transport normalisé et
que Québec refusait de payer la note pour ce qui est du transport
adapté, elle a retiré la carte aux handicapés. C'est aussi
simple que ça.
Maintenant, pour ce qui est du reste, en ce qui a trait Ã
l'élimination de l'état civil et de l'orientation sexuelle comme
motifs de discrimination dans les régimes d'avantages sociaux, la Ligue
des droits et libertés entérine la position de base de la
Commission des droits de la personne et se réserve le droit de
préciser plus tard sa position de façon plus
détaillée à ce sujet. Je vous réfère au
mémoire de la coalition, parce que, pour ce qui est d'autres
implications concernant l'abrogation de l'article 97, nous n'avons pu nous
pencher vraiment sur le sujet. (16 h 45)
La Ligue des droits et libertés a conscience, en vous
présentant ce bref mémoire, de ne pas avoir parcouru tout le
terrain que nous aurions souhaité pour vous permettre de recommander
à l'Assemblée nationale l'ensemble des modifications qui
s'imposent à la Charte des droits et libertés de la personne.
Cependant, si nous vous recommandons de modifier quelques points précis
de la charte, c'est que nous croyons d'avance que les changements qui seront
apportés n'auront pas été guidés uniquement par des
principes de saine gestion, mais bien également par un idéal de
dignité, d'égalité, de liberté et de
relèvement social qui se doit d'être à la source de toute
action législative. Merci beaucoup.
Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le ministre.
Mme Marois: M. le Président, M. le ministre m'a
cédé son droit de parole.
M. Bédard: Nous nous partageons le travail, M. le
Président.
Mme Marois: Merci. Je veux m'excuser auprès des membres de
la commission de ne pas avoir été là ce matin. J'avais
une
rencontre prévue depuis très longtemps avec le
comité ministériel et, malheureusement, je n'ai pas pu la faire
remettre à plus tard.
Dans votre mémoire, à la page 5, vous mentionnez: "Quant
à la limite de l'âge inférieur, la position de la Ligue des
droits et libertés est à l'effet qu'elle ne saurait être
restreinte que dans quelques rares cas où l'ordre biologique et/ou
naturel indique de façon évidente la nécessité
d'exercer une discrimination." J'aimerais que vous précisiez un peu
cela. D'autre part, pourriez-vous nous expliquer un peu comment vous croiriez
que cette limite doit se manifester? Doit-on l'inclure dans la charte ou
peut-on penser à l'inclure dans des lois sectorielles? Comment
voyez-vous un peu la chose et aussi, Ã partir de tout cela, qui,
finalement, devrait être responsable - le législateur, la
commission sur recommandation, je ne sais pas - de la fixation de la limite et
des critères qui devraient prévaloir pour faire le tout?
M. Dechêne: Quant à cette limite d'âge
inférieur, ce que nous souhaiterions, c'est qu'il n'y ait pas de
discrimination à la base en fonction de l'âge. Quand on parle de
restriction dans les cas où "l'ordre biologique ou naturel indique de
façon évidente la nécessité d'exercer une
discrimination", on va prendre un exemple évident, c'est dans le sens
que c'est très difficile de laisser un enfant de six ans conduire un
autobus. Cela peut être moins évident que cela. Par contre, on
pourrait tout simplement argumenter à savoir qu'il n'y a peut-être
pas d'âge nécessaire ou absolument nécessaire que l'on doit
indiquer pour ce qui est d'accorder quelque droit que ce soit si on met en
place des mécanismes d'évaluation des aptitudes biologiques ou
naturelles des individus à exercer telle ou telle fonction. à ce
moment-là , je pense qu'il revient au législateur - je reviens
à mon idée - de ne pas quantifier de façon absolue les
limites d'âge imposables dans un cas ou dans un autre, comme dans le cas
des programmes OSE-Arts, mais plutôt d'évaluer cela d'une
façon un peu plus large et de laisser quand même les individus
faire la preuve de leurs aptitudes, établir d'autres critères qui
pourront élargir cette limite d'âge qui peut quand même
servir de critère de référence habituel, mais non pas de
critère de référence absolu pour exclure des individus
d'un programme ou d'un autre. à ce moment-là , je pense qu'il
revient au législateur de voir à ce que les lois ne soient pas
trop restrictives à ce niveau et à ce que les mécanismes
d'évaluation des possibilités d'accès des candidats
à différents programmes, à différents avantages
sociaux soient instaurés d'une façon plus souple que les limites
d'âge qu'on a habituellement.
C'est évident que cela fait plus l'affaire de tout le monde et de
la bureaucratie en général d'établir des limites fixes.
C'est moins compliqué, mais aussi c'est énormément plus
frustrant pour les individus de se buter à des limites d'âge,
alors que plusieurs individus ont des capacités qui dépassent ces
limites d'âge. D'une certaine façon, je pense que beaucoup de gens
reconnaissent ce principe en disant que le principe de la retraite obligatoire
devrait être aboli. On ne voit pas pourquoi on ne le reconnaîtrait
pas pour des individus d'âge inférieur.
Mme Marois: Oui, il y a parfois des évidences. Ce que vous
mentionnez est effectivement une évidence. Cela va assez bien. On
pourrait toujours le laisser conduire sa petite bicyclette, mais à part
cela? Il faudrait se limiter à cela. Il y a peut-être d'autres
éléments où l'évidence n'est pas si grande.
Ãvidemment, je pense que vous en êtes conscients, et vous le
soulevez. Le problème des lois sectorielles, c'est souvent d'être
pris à nous dire: Nonobstant toute disposition de la charte. C'est un
peu embêtant parce qu'on souhaite toujours que la charte des droits et
libertés soit le plus possible au-dessus de toute possibilité
d'exclure certains des articles de la charte dans nos lois sectorielles. Il y a
effectivement un certain nombre de questions extrêmement lourdes Ã
solutionner et à se poser autour de ça.
Je vais vous poser une dernière question. Vous n'avez pas
été beaucoup plus explicite dans la phrase que vous avez
ajoutée à la page 6 quand vous dites: Autres motifs de
discrimination. En ce qui a trait à l'élimination de
l'état civil et de l'orientation sexuelle comme motifs de discrimination
dans les avantages sociaux... Vous entérinez la position de base de la
Commission des droits de la personne sous réserve de préciser
plus tard de façon plus détaillée à ce sujet la
position de la ligue.
M. Dechêne: Ce paragraphe était inscrit dans le
mémoire à cause des délais que nous avons encourus, qui
étaient assez courts pour la rédaction du mémoire, en ce
qui nous concerne dans l'Estrie. On a inscrit ce paragraphe, c'est une
réflexion philosophique plus qu'une demande fondée. C'est la
raison pour laquelle on se réfère à la position de base
adoptée par la coalition et je ne me sens pas en mesure de discuter ce
paragraphe particulièrement.
Mme Marois: D'aller plus avant dans ce dossier. Cela va, je vous
remercie. C'est tout pour moi, M. le Président.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: Merci. J'étais dans l'Estrie
hier et j'ai vu que vous étiez mal desservis en ce qui concerne
la protection des libertés publiques. Premièrement, il n'y a pas
de bureau de la Commission des droits de la personne, donc il faut courir soit
à Québec, soit à Montréal. Aussi, j'ai
visité la prison moyenâgeuse que vous avez à Sherbrooke,
où j'ai trouvé que les droits de la personne ne sont pas
tellement bien respectés pour toutes sortes de raisons, pas la faute des
administrateurs de la prison, faute des patrons qui se trouvent Ã
Québec.
M. Bédard: On en parlera en temps et lieu des prisons.
M. Marx: Le ministre a fait son intervention, il a pris son
engagement.
M. Bédard: Vous allez vous réveiller
tantôt.
M. Marx: L'engagement en ce qui concerne les conditions dans les
prisons, il va parler de ça plus tard.
M. Bédard: Comme vous.
M. Marx: En ce qui concerne le problème d'âge que
vous avez soulevé et qui a été soulevé par beaucoup
d'intervenants, nous avons eu, par exemple, les assureurs d'automobiles qui ont
dit que l'un de leurs critères pour l'assurance automobile c'est
l'âge. Donc, ils ont voulu une exception si on met l'âge dans
l'article 10 de la charte. On peut penser à d'autres cas, par exemple,
les citoyens du troisième âge qui ont des tarifs spéciaux
pour l'autobus, pour le train, pour l'avion et ainsi de suite. Est-ce que vous
voyez des exceptions si on met l'âge comme motif de discrimination dans
l'article 10? Pensez-vous qu'il faut mettre des exceptions quelque part dans la
charte?
M. Dechêne: En principe, nous n'avons pas vu d'exception
à inscrire dans la charte même si on réalise qu'il y a de
la discrimination qui se fait au niveau des assurances, par rapport Ã
certains groupes minoritaires. C'est sûr, qu'ils établissent des
classes spéciales d'assurés; il y a une forme de discrimination,
le risque n'est pas le même pour chaque classe. Alors, de ce
côté, c'est évident que, si au moins ils acceptent
d'assurer des handicapés, s'ils acceptent d'assurer des jeunes, c'est
déjà une grosse chose. Pour ce qui est de l'évaluation du
risque, je pense que ça fait partie des règles du jeu pour
l'instant. Je ne crois pas que ça devrait être inscrit dans la
charte comme tel, c'est accepté de façon générale
par l'ensemble des citoyens.
M. Marx: Parce qu'ils ont des statistiques pour prouver que les
jeunes ont plus d'accidents que les plus vieux, moins de 25 ans.
M. Dechêne: II y aurait peut-être lieu de demander,
je ne sais pas de quelle façon, aux compagnies d'assurance
d'établir des critères plus généraux ou plus
spécifiques pour classer les assurés et ne pas les mettre tous
dans le même paquet, parce qu'ils ont entre 18 et 29 ans. Ils ont
déjà ces critères, mais...
M. Marx: Ils disent même que les femmes qui ont moins de 25
ans ont moins d'accidents que les hommes qui ont moins de 25 ans; donc, les
femmes ont un tarif préférentiel, si je peux dire. Qu'est-ce
qu'on fait avec les citoyens du troisième âge qui ont des tarifs
spéciaux pour les théâtres, par exemple, pour les
cinémas. Si on met l'âge dans l'article 10, d'une façon
imprévisible, va-t-on rendre illégaux ces tarifs
préférentiels pour ces citoyens du troisième
âge?
M. Dechêne: C'est une bonne question.
M. Marx: J'ai des questions, je n'ai pas de réponses.
M. Dechêne: J'avoue que je n'en ai pas plus que vous pour
celle-là .
M. Marx: Ah bon!
M. Dechêne: Légalement, c'est possible, mais il y a
une question de gros bon sens; par contre, il faudrait peut-être
éliminer aussi, si on suit votre raisonnement, les stationnements
spéciaux pour les handicapés. C'est une discrimination Ã
l'égard des autres qui ne peuvent pas stationner dans ces
endroits-là . Cela pourrait aller jusque-là .
M. Marx: Oui, d'accord.
M. Dechêne: II y a une question de bon sens là aussi
qui doit jouer. J'avoue que je n'ai pas de réponse
spécifique.
M. Marx: D'accord. J'ai posé cette question parce qu'il
serait utile, avant que le ministre fasse quoi que ce soit, qu'on voie les
effets d'une telle modification de la charte dans la mesure du possible.
Une dernière question. Quelles sont les principales causes de
discrimination dans l'Estrie, selon votre expérience? Y a-t-il d'autres
causes de discrimination?
M. Dechêne: II y a les droits des handicapés qui
reviennent souvent et aussi les droits des détenus. On a souvent des
références aux droits des détenus, même s'il n'y a
pas de comités spécifiques pour s'en occuper. La principale
source d'atteinte Ã
ces droits, c'est justement, comme vous le souligniez tout Ã
l'heure, la question de la prison qui est tout à fait inadéquate
aux besoins des détenus présentement. Il y a l'état de la
prison, habituellement.
M. Marx: Ce sont les trois dossiers les plus...
M. Dechêne: II y a les immigrants aussi. C'est une question
qui est revenue très fréquemment. Les immigrants sont très
présents dans les activités de la ligue, à Sherbrooke.
M. Marx: D'accord. Vous voulez, bien sûr, un bureau de la
commission, Ã Sherbrooke.
M. Dechêne: Oui. Dans ce sens-là , on s'en remet au
mémoire général de la Ligue des droits et libertés
qui demande que la Commission des droits de la personne puisse établir
des bureaux régionaux. C'est évident, le besoin est criant.
M. Marx: D'accord, merci.
Le Président (M. Desbiens): S'il n'y a pas d'autres
interventions, je remercie M. Gaston Miville Dechêne de sa participation
aux travaux de la commission.
Association Les producteurs d'oeufs
québécois
J'invite maintenant l'Association Les producteurs d'oeufs
québécois à s'approcher, s'il vous plaît. M.
Barret.
M. Barret (Jean-Pierre): Jean-Pierre Barret. Avant de commencer,
je tiens à remercier les membres de la commission parlementaire qui nous
ont permis de nous faire entendre.
Je vais vous lire mon mémoire que vous avez...
Le Président (M. Desbiens): S'il vous plaît, si vous
voulez présenter les membres qui vous accompagnent. (17 heures)
M. Barret: D'abord, je me présente moi-même, je
m'appelle Jean-Pierre Barret, secrétaire de l'Association Les
producteurs d'oeufs québécois.
M. Montpetit (François): François Montpetit,
producteur d'oeufs.
M. Saucier (Yves): Yves Saucier, ex-producteur d'oeufs.
M. Carrier (Paul-Ãmile): Paul-Ãmile Carrier,
ex-producteur d'oeufs.
M. Bonneau (Jean-Paul): Jean-Paul Bonneau, producteur
d'oeufs.
M. Barret: Objet: Charte des droits et libertés de la
personne.
Monsieur, je suis un agriculteur engagé dans la production
d'oeufs au Québec depuis 1963 et membre de l'Association Les producteurs
d'oeufs québécois. Je m'adresse à vous tant en mon nom
personnel qu'au nom de l'association dont je suis membre.
Après quelques années d'adhésion au système
de contingentement, contributions et commercialisation mis en place par notre
syndicat, je m'en suis dissocié avec une centaine d'autres
confrères producteurs; sans faire le procès du système de
commercialisation des oeufs prôné par FEDCO, il s'est
avéré que celui-ci était tout à fait
inadéquat et nous voulions un changement.
Les pouvoirs que s'est vu alors conférer le syndicat afin de nous
prévenir ou de nous empêcher de faire valoir nos revendications
sont exorbitants, d'une injustice flagrante et tout à fait indigne d'une
province qui s'est dotée depuis 1975 d'une Charte des droits et
libertés de la personne.
A. Le pouvoir de saisie sans autorisation d'un tribunal. Le pouvoir le
plus aberrant qu'a le syndicat et que nous tenons à dénoncer par
les présentes est celui de confisquer notre production sans aucune
espèce d'audition devant un tribunal et sans aucune autorisation d'un
tribunal.
Pour bien comprendre le contexte dans lequel nous nous adressons
à vous, il est important de mentionner que FEDCO a un double rôle:
d'un côté, celui de syndicat qui administre le plan conjoint et,
de l'autre côté, celui d'un vendeur d'oeufs.
Vous pouvez facilement imaginer la situation d'un concurrent en affaires
dont l'un se voit donner le pouvoir de saisir à son bon vouloir le
produit du travail de l'autre.
Il n'est pas étonnant que, dotée de ce pouvoir, FEDCO en
ait abusé. FEDCO a, au cours des six dernières années,
utilisé à près de 75 reprises les pouvoirs de saisie
qu'elle détient contre des confrères producteurs et ce, sans y
être autorisée par un tribunal.
Ce pouvoir de saisie sans autorisation judiciaire a été
délégué à FEDCO par la Régie des
marchés agricoles; FEDCO saisit pour, à toutes fins utiles,
obtenir que nous acquittions les contributions qu'elle nous réclame
devant la Cour supérieure. Malgré le fait que les tribunaux nous
aient donné gain de cause sur la question des contributions, FEDCO a
continué de saisir au motif de non-paiement des contributions.
J'ai moi-même été victime d'une telle saisie le 26
janvier 1981, au motif de non-paiement des contributions. FEDCO,
assistée des agents de la Sûreté du Québec, s'est
emparée de toute ma production d'oeufs,
privant ma famille et moi-même de notre seule source de revenu.
Ceci est une injustice flagrante et n'est rien d'autre qu'une façon de
m'empêcher de m'adresser aux tribunaux pour faire valoir mes droits.
Ceci constitue une injustice flagrante et une violation de mes droits
les plus fondamentaux: droit à la demeure, droit à la
propriété privée et à la jouissance du produit de
mon travail. Je m'insurge contre le fait qu'un syndicat ait le droit de
s'introduire chez moi, de s'emparer de mes biens sans y être
autorisé par un tribunal ou de détenir un mandat et ce, dans le
seul but de me forcer à payer une dette civile.
B. La présence de la Sûreté du Québec lors de
saisies de FEDCO. Je m'insurge également contre le fait que les agents
de la Sûreté du Québec participent aux
illégalités et injustices commises par FEDCO.
En janvier dernier, lors de la saisie de FEDCO, lorsque j'ai voulu
interdire l'entrée de mon poulailler aux employés de FEDCO, j'ai
été immédiatement arrêté par un des quatre
agents de la Sûreté du Québec qui se trouvaient sur les
lieux.
Devant notre opposition aux saisies et l'arrivée de jugements
confirmant notre point de vue sur les contributions, FEDCO a demandé
à la Sûreté du Québec de lui prêter main-forte
lors des saisies, ce qu'elle a obtenu.
Lors d'une saisie pratiquée chez mon confrère ici
présent, Paul-Ãmile Carrier, à Lauzon, 26 agents de la
Sûreté du Québec étaient sur les lieux pour que
FEDCO puisse saisir les oeufs. M. Carrier se trouvait seul chez lui avec son
épouse et ses trois enfants. Lors d'une saisie, le 9 septembre 1980,
chez M. Jean-Paul Bonneau, également présent ici, de
Saint-François de Montmagny, 12 policiers étaient présents
dans le même but d'aider FEDCO à saisir. Les policiers se sont
portés à des actes de violence avec le résultat qu'une
personne a été blessée, qui est présente ici
également.
Chez les producteurs Saucier, les policiers ont également
participé à la saisie et se sont même introduits jusque
dans leur chambre à coucher à la recherche d'oeufs.
Je trouve d'une injustice flagrante qu'on me traite comme un criminel
parce que je refuse de payer des contributions après que la Cour
supérieure du Québec ait rendu un jugement en ma faveur. Je
trouve aberrant que ce soit l'escouade anti-émeute qui veille Ã
l'application des règlements de FEDCO et participe à des saisies
qu'aucun tribunal n'a autorisées.
Je demande donc au ministre de la Justice de prendre en
considération les recommandations suivantes dans l'élaboration et
l'application de la Charte des droits et libertés de la personne au
Québec:
Premièrement, il ne devrait pas être permis à la
Régie des marchés agricoles du
Québec de déléguer à FEDCO des pouvoirs de
saisie; on pourrait même mettre entre parenthèse "aussi bien
à la Régie des marchés";
Deuxièmement, il ne devrait pas y avoir de loi permettant des
saisies sans autorisation d'un tribunal pour autre chose que des infractions
pénales ou criminelles;
Troisièmement, il ne devrait jamais être permis de saisir
sans autorisation judiciaire, surtout pour une dette civile;
Quatrièmement, la Sûreté du Québec ne devrait
en aucun cas intervenir pour aider un syndicat à confisquer les biens de
ses membres sans qu'un tribunal de droit commun n'ait autorisé cette
confiscation.
C'est pourquoi je demande à être entendu lors de vos
audiences.
Jean-Pierre Barret, secrétaire de l'association.
Je tiens à vous préciser, contrairement à tous les
intervenants qui m'ont précédé, qui demandent des
amendements à votre charte, que ce n'est pas notre but principal. Notre
principal but, en fait, c'est d'essayer de respecter ce qui a été
rédigé dans cette loi.
Il y a des choses fondamentales que le ministre, M. Bédard, a
mentionnées le 30 septembre dernier, lorsqu'il donnait les avantages des
droits de la charte du Québec comparativement à celle du Canada.
Par exemple, "toute personne a droit à la sauvegarde de sa
dignité, de son honneur et de sa réputation". Je m'adresse, en
mon nom personnel et au nom de mes collègues, à cette commission
pour dire que je me sens frustré en fait de par le comportement des
syndicats et le comportement qu'on a sur nos fermes actuellement.
L'article 5, dit que "toute personne a droit au respect de sa vie
privée". Quand on vient, qu'on défonce les portes, qu'on rentre
chez vous, on est vraiment affecté dans notre milieu de travail et dans
le milieu familial dans lequel nous vivons. Il y a différents articles
comme cela... "La demeure est inviolable". Ce qu'on demande, ce ne sont pas des
amendements, mais qu'on respecte ce que le gouvernement ose mettre entre les
mains des citoyens du Québec.
Je suis à votre disposition, ainsi que mes collègues. Si
des fois il y a des questions auxquelles on peut répondre, on s'en fera
un plaisir. Merci beaucoup.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Bédard: M. le Président, je remercie les membres
de cette association d'être venus présenter ce mémoire
à l'ensemble des membres de la commission. Effectivement, je crois que
certaines des recommandations dont vous parlez s'orientent plus vers le
ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de
l'Alimentation que vers le ministère de la Justice. Vous
évoquez d'autres situations qui, comme vous le savez, ont
déjà fait l'objet d'échanges entre le ministère de
la Justice, les dissidents et ceux qui représentaient la majorité
aussi, parce qu'il y a assurément lieu que soit examiné ce
pouvoir délégué donné à FEDCO, ce qui
l'amène à mon sens à exercer certains pouvoirs qui
devraient être exercés peut-être d'une façon
exclusive par la régie elle-même.
Il y a lieu de mentionner aussi qu'il s'agit d'un plan conjoint qui a
quand même été accepté par la majorité,
lorsque vous parlez de la situation que vous évoquez
présentement. Je comprends que plusieurs dont vous êtes, pouvaient
être dissidents et que d'autres ne l'étaient pas. Vous vous
référez à des situations spécifiques dans votre
mémoire, mais vous reconnaîtrez aussi qu'il y avait une situation
globale assez explosive, je pense, il faut se le dire. Vous savez très
bien que c'est à la suite d'une intervention de la SQ, en fait, je crois
qu'il y a une mise au point qui est nécessaire, parce que l'intervention
de la Sûreté du Québec a été, à un
moment donné, motivée par certaines situations de force qui ont
été quand même déployées par les producteurs
pour résister aux inspecteurs de la Régie des marchés
agricoles dans l'exercice de leurs fonctions; à ce moment-là , la
Sûreté du Québec a dû intervenir.
Comme vous l'avez dit, la Cour suprême a rendu une décision
au début de l'année en matière criminelle et
décrété que les pouvoirs de saisie ne permettraient pas de
pénétrer sur la propriété d'un citoyen sans y
être autorisé par celui-ci par une disposition expresse de la loi
ou par un mandat de perquisition. Depuis cette décision, les
autorités du ministère et celles de la Sûreté du
Québec ont décidé qu'il n'y aurait plus d'intervention
policière lors de saisies pratiquées en vertu de la Loi sur la
mise en marché des produits agricoles, à moins qu'un mandat de
perquisition n'ait été obtenu au préalable.
Dans le cas présent, effectivement, je crois que, comme vous le
mentionnez, cela doit être étudié à fond, nous
sommes face à un pouvoir qui est donné à un organisme et
qui peut devenir très rapidement un pouvoir exorbitant alors que ce
pouvoir devrait être restreint à la régie. Maintenant, je
peux vous le dire, parce que vous ne faites pas de représentations
précises en ce qui a trait à la Charte des droits et
libertés, vous pouvez être quand même convaincus que l'on va
prendre en considération l'essentiel du contenu du message que vous
voulez livrer aux membres de cette commission.
M. Marx: On a fait la recommandation précise que la charte
soit respectée et vous êtes l'administrateur de la charte, dans un
sens.
M. Barret: Pourrais-je ajouter quelque chose, M.
Bédard?
M. Bédard: Oui, vous poserez des questions à votre
tour.
M. Barret: Je voudrais vous apporter une rectification lorsque
vous dites que la SQ n'est pas intervenue depuis que vous avez fait des
recommandations, et, je voudrais vous faire part d'un jugement qui a
été rendu par l'honorable...
M. Bédard: Je n'ai pas dit qu'elle n'était pas
intervenue, j'ai dit qu'elle a eu des instructions, parce que effectivement il
y avait eu des échanges, de ne pas intervenir sans qu'un mandat de
perquisition ait été obtenu au préalable,
conformément au jugement rendu par la Cour suprême.
M. Barret: C'est là que je voudrais amener ma
rectification en fait. En 1978, le juge Brassard a donné gain de cause
à un de nos confrères, Philippe Wakeland, qui, comme vous le
mentionnez, a eu des coups avec la Sûreté du Québec. Ce
jugement a été rendu en sa faveur, à savoir que la police
n'avait rien à faire ici. Cela c'est la Cour des sessions de la paix de
Valleyfield qui a rendu...
M. Bédard: Le jugement de la Cour suprême auquel je
me réfère, c'est au début de 1981.
M. Barret: Oui, maintenant, moi, c'est en janvier 1981. Ma
situation actuelle, c'est que j'ai devant moi la citation de comparaître
et je suis pour le Québec un criminel. Pourquoi? Parce que l'on m'a dit:
Wakeland a eu gain de cause et il ne faut pas que tu laisses sortir ton
produit. Alors, j'ai voulu...
M. Bédard: Non, vous n'êtes pas un criminel parce
que vous avez une demande de comparution, cela arrive à des milliers de
citoyens, quand même.
M. Barret: Je m'excuse, j'ai été enfermé
dans la voiture de police, et, pour moi, c'est une grave atteinte, M.
Bédard, que je voudrais essayer de faire ressortir. On n'est pas venu
ici pour faire le procès de quelque organisation ou gouvernement
quelconque, mais c'est pour essayer de vous faire voir la vie que nous vivons
aujourd'hui. J'ai à côté de moi des producteurs qui vous
ont dit "ex-producteurs" et, comme vous faisiez mention que ce plan conjoint a
été abrogé à la majorité, évidemment,
en 1966, nous étions 2800 producteurs et nous ne sommes plus aujourd'hui
que 135 producteurs
au Québec. C'est un cri d'alarme en fait, lorsqu'on essaie de se
faire entendre un peu par vous. Je suis un des plus petits producteurs avec un
quota de 50D0 poules; je suis rendu à 4200 poules et, le 1er novembre,
on va encore me couper mon quota de 3%. Où est-ce que je vais en venir
économiquement? (17 h 15)
M. Bédard: Ãcoutez, je ne voudrais quand même
pas commencer la discussion sur les plans conjoints; il y a, vous le savez, un
plan conjoint est accepté à partir du moment où la
majorité des producteurs qui ont...
M. Barret: C'est la raison pour laquelle je vous dis qu'on ne
veut pas faire le procès des plans conjoints et de la commercialisation,
mais c'est l'attitude qu'on a. On a des photos, par exemple, si ça vous
intéresse; un producteur de 1700 poules a eu la visite de 26 agents de
sécurité. On ne peut pas blâmer ces gens. On en
connaît, d'ailleurs, dans notre milieu et ils disent: Les pouvoirs
viennent du haut. Qui donne ces pouvoirs d'inciter un syndicat à venir
prendre le bien d'un producteur? N'est-ce pas là la pierre angulaire
d'un pays, de l'économie d'un pays, l'agriculture? Et c'est ça
qu'on essaie de défendre.
M. Bédard: Ãcoutez, je ne suis pas un expert en
agriculture, mais je pense que la majorité des producteurs qui a
opté en faveur d'un plan conjoint reconnaît comme vous
l'importance de l'agriculture comme base économique. II y a eu une
majorité, à un moment donné, qui s'est
dégagée en termes d'acceptation du plan conjoint. Vous savez
qu'à partir du moment où ce plan conjoint n'est pas
respecté ceci génère des infractions, d'où
l'obligation en fait, de saisie par les inspecteurs de la Régie des
marchés agricoles.
M. Marx: Ce n'est pas de cela qu'on discute: c'est de
l'administration de la justice.
M. Bédard: Vous poserez vos questions tout Ã
l'heure, si vous me le permettez.
Le Président (M. Desbiens): à l'ordre.
M. Bédard: Quand même, j'espère que vous
voulez avoir les éléments de la situation pour vous permettre de
juger. Il s'agit d'un plan conjoint pour lequel la majorité a
opté et où il y a certains dissidents. Maintenant, qu'il y ait
des actions qui, à un moment donné, sont posées, que ce
soit par la Sûreté du Québec ou par des inspecteurs ou
quelque chose de même, qui sont contraires aux droits et libertés
et au respect de certains droits fondamentaux dudit citoyen, je crois
qu'à ce moment vous savez qu'il y a la possibilité pour le
citoyen lésé, quand il s'agit de la Sûreté du
Québec ou de quelque corps policier que ce soit, de porter plainte. Je
pense que vous l'avez fait dans certains cas. Est-ce que vous l'avez fait dans
certains cas?
M. Barret: Absolument. Oui, mais il est grave, justement, pour
une société qui se veut...
M. Bédard: Depuis le jugement de la Cour suprême, la
Sûreté n'interviendra plus à moins que, conformément
au jugement de la Cour suprême, elle n'ait obtenu préalablement un
mandat de perquisition.
M. Barret: Ce que vous mentionnez date de 1981.
M. Marx: Comme il vaut mieux prévenir que guérir,
et qu'est-ce qui va arriver avec...
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre, avez-vous
terminé?
M. Bédard: Je pense que vous n'êtes même pas
au courant de la situation qui existait, très explosive, dans cette
période.
M. Marx: Je suis au courant.
Le Président (M. Desbiens): D'autres questions? Ã
l'ordre, s'il vous plaît!
M. Bédard: II y a le rôle de la police, qui est une
chose et il y a l'administration des plans conjoints qui en est une autre.
C'est quand même différent.
M. Barret: M. Bédard, moi, ce que je veux faire ressortir
- on pourra faire parler mes confrères si cette commission le permet -
c'est l'anxiété qui existe à l'intérieur, en fait,
de la personnalité et c'est ce qu'on essaie de défendre
aujourd'hui. Cette loi que vous avez écrite, en fait, elle est splendide
dans son contexte et dans son essence même, mais elle n'est pas
respectée. Je n'ai pas à vous le cacher, je suis d'origine
européenne, peut-être plus Canadien que certains de la province de
Québec. Ma femme devrait être là . Elle est restée
à la ferme parce qu'on a toujours la hantise d'une visite quelconque. On
vit avec cette contrainte qu'on a connue, nous, pendant la guerre. Je ne
voudrais pas que mes enfants... Il y a bien des producteurs qui ont vendu leurs
quotas pour que leurs enfants ne continuent pas cette petite guerre. C'est
l'essentiel même de la Charte des droits et libertés de la
personne qui est affectée et qu'on veut essayer de présenter
devant vous aujourd'hui.
M. Bédard: Vous admettrez avec moi
que les plans conjoints, ce n'est jamais facile, parce que c'est presque
toujours contesté. On a la même situation en ce qui regarde le
porc et dans d'autres secteurs, mais on n'a pas les mêmes
problèmes. En fait, tout dépend.
M. Barret: Oui, mais c'est un signal d'alarme.
M. Bédard: Vous avez raison.
M. Barret: C'est un signal d'alarme, quand on dit qu'il y avait
2800 producteurs -vous me direz peut-être qu'il y en avait des petits
quand même là -dedans qui ont disparu - qu'aujourd'hui on soit
rendu à 135... Je suis allé la semaine dernière Ã
la Cour d'appel justement pour essayer de... On était rendu avec 15
avocats dans la cour pour 135 producteurs. Cela va aller en Cour suprême,
cette affaire. On est obligé de payer. On ne peut plus travailler. Vous
voyez, aujourd'hui, c'est une belle journée pour qu'on soit dans les
champs en train de battre nos grains et on est pris; on a 50% de notre temps
où on est en train d'essayer de se défendre, que ce soit contre
les tribunaux ou contre les syndicats. On ne peut plus vivre comme ça.
C'est pour cela que je vous dis que c'est un signal d'alarme. Les plans
conjoints, au départ l'idée a été bonne, comme tout
mouvement socialiste, en fait. On veut une équité pour toute la
société, mais on s'aperçoit à longue haleine - j'ai
ma fille actuellement dans un hôpital - que c'est une charge sociale et
on ne peut plus... Les dépenses administratives comme FEDCO, on va avoir
plus de personnel au sein de FEDCO qu'il y a de producteurs au Québec.
C'est une chose aberrante.
M. Bédard: Je respecte votre non-acceptation des plans
conjoints comme formule. Je pense que c'est votre liberté.
M. Barret: Je ne voudrais pas élaborer, mais
c'était surtout... Pourquoi doit-on lancer la Sûreté du
Québec dans les fermes pour appuyer un syndicat?
M. Bédard: D'ailleurs, vous m'aviez déjÃ
fait des représentations. C'est dans ce sens que je vous ai dit qu'il
n'y aurait plus d'intervention ou d'aide de la Sûreté du
Québec sans qu'il y ait des mandats en bonne et due forme, mais qu'il
n'y aurait plus...
M. Barret: Parce que vous savez, cela...
M. Bédard: ... cet appui de la Sûreté du
Québec auprès des inspecteurs en fonction du respect des plans
conjoints dont vous êtes des dissidents.
M. Barret: J'ai vécu et je comprends une femme, par
exemple, qui va devant les tribunaux se plaindre qu'elle a eu une agression
sexuelle et qu'elle a subi un viol. J'ai eu, moi, avec ce que j'ai connu lors
de ma dernière saisie, probablement la même impression, être
impuissant, enfermé et méprisé avec les mains dans le dos,
enfermé dans une voiture de police en voyant ma porte de poulailler
défoncée et des étrangers entrer comme cela et prendre ma
possession. C'est une chose aberrante qui ne devrait jamais exister dans un
pays libre comme le Québec prétend l'être.
M. Bédard: Vous pouvez être convaincu, concernant le
pouvoir de délégation - vous savez que c'est là le
problème - qui est donné à FEDCO...
M. Barret: Je vous remercie d'attacher à un point...
M. Bédard: ... que nous allons trouver le moyen de...
M. Barret: Je vous remercie, M. Bédard, de prendre un
intérêt sur ce point particulier.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Mégantic-Compton.
M. Bélanger: M. le Président, je voudrais d'abord
vous remercier à mon tour en mon nom personnel et au nom de l'Opposition
officielle d'être venu faire état de ce qu'on peut appeler... Le
Parti québécois est habitué d'appeler cela un coup de
force, mais nous, on va appeler cela - cette fois-ci, tout au moins - un abus
de pouvoir flagrant. Je suis totalement d'accord avec vous.
Je suis totalement en désaccord avec le ministre, qui dit que
cela relève du ministère de l'Agriculture. Ce n'est pas vrai. La
Charte des droits et libertés de la personne relève du
ministère de la Justice, la Sûreté du Québec aussi.
Je le comprends d'être nerveux un peu de voir que, la Sûreté
du Québec étant sous ses ordres, elle ait exercé un tel
abus de pouvoir. C'est affreux, 26 policiers pour faire la saisie de 5
douzaines d'oeufs. C'est épouvantable.
J'aurais quand même quelques questions à vous poser, M.
Barret, si vous me le permettez. Lorsque vous dites avoir été
arrêté par la Sûreté du Québec parce qu'ils
voulaient entrer dans votre poulailler, vous a-t-on retenu pour pouvoir entrer
ou vous a-t-on mis en état d'arrestation? C'est toute une
différence, cela.
M. Barret: Dès que j'ai commencé à vouloir
empêcher mes caisses d'oeufs de sortir, on m'a pris par les mains et on
m'a mis aux arrêts. C'est là qu'on m'a enfermé
dans la voiture de police, comme je l'expliquais à M.
Bédard.
M. Bélanger: Vous a-t-on menotté?
M. Barret: On voulait me menotter et devant la force,
évidemment, vous avez vu que je ne pèse pas le poids, j'ai dit:
Ce n'est pas nécessaire. Du fait que vous me mettez en état
d'arrestation, je n'ai pas à résister à l'arrestation.
M. Bélanger: C'est évident que nous avons lÃ
la preuve, encore une fois, que même avec une charte des droits bien
faite, bien écrite, si on ne respecte pas cette charte des droits -
c'est ce qui est arrivé dans votre cas, on a violé quatre ou cinq
articles de la charte existante... Je vous comprends aussi lorsque vous dites
que vous ne venez pas ici pour tenter d'ajouter d'autres éléments
à la charte, mais plutôt tenter de faire respecter ceux qui y sont
déjà . Je crois que c'est primordial. C'est ce dont il faut se
soucier d'abord et avant tout. Je crois que le ministère de la Justice
est vraiment à blâmer d'avoir donné des ordres à la
Sûreté du Québec. C'est quasiment la police au service de
l'Ãtat, tout simplement pour saisir des oeufs pour payer une
contribution. à part cela, cette contribution, elle va à qui, M.
Barret?
M. Barret: Maintenant, j'aimerais vous donner une
précision. Moi, personnellement, par exemple, si parfois cela
intéresse les gens, la raison pour laquelle j'ai été
saisi, c'est justement pour non-paiement des contributions. Au sujet de ce
non-paiement, comme je le mentionnais, j'ai eu un jugement qui a
été rendu le 11 mars 1980 -ma saisie a été faite le
26 janvier 1981, presque un an après - par l'honorable juge
Péloquin et qui dit que, du fait que je fais un commerce
intraprovincial, je n'ai pas à payer les redevances que la
fédération me demande pour envoyer au fédéral.
Alors, il y a quelque chose qui me surprend de la part d'un gouvernement qui
justement prône une certaine souveraineté ou séparation. On
utilise la force constabulaire du Québec pour prendre des deniers
québécois et les emmener au fédéral, il y a quelque
chose qui me dépasse dans ce contexte. Ãtant donné que je
suis certain que vous n'êtes pas sans vous douter que la production des
oeufs du Québec est déficitaire, alors on n'est pas une province
exportatrice, au contraire, on importe des oeufs des autres provinces.
M. Bélanger: Cela fait sûrement partie de la
nouvelle entente fédérale-provinciale parce qu'ils...
M. Marx: II commence à travailler pour
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Mégantic-Compton.
M. Bélanger: Soyez assuré qu'on comprend
très bien votre indignation face à une telle situation. Comme je
disais tout à l'heure, ça sert à quoi d'avoir une charte
si on ne la fait pas respecter? C'est évident que le ministère de
la Justice est à blâmer.
M. Bédard: M. le député, juste une question
en passant. Est-ce qu'il y a quelque chose d'illégal? Ãtes-vous en
mesure d'affirmer que quelque chose a été fait?
M. Bélanger: Je peux affirmer...
M. Bédard: Qu'il y ait des lois mal faites, qu'il y ait
des plans conjoints qui ne soient pas acceptés par tout le monde
à l'unanimité, ce n'est quand même pas la faute du
ministère de la Justice. Qu'on soit obligé de faire appliquer
certaines lois...
Le Président (M. Desbiens): à l'ordre, s'il vous
plaît!
M. Bédard: Ne déraisonnez pas non plus.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Mégantic-Compton.
M. Bélanger: M. le Président...
M. Bédard: Pensez-vous que ça me fait plaisir de
faire appliquer certaines lois pour envoyer de l'argent au
fédéral comme dit monsieur? C'est parce qu'il y a une loi.
M. Bélanger: M. le Président, on n'est pas
ici...
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Mégantic-Compton.
M. Barret: M. le Président.
Le Président (M. Desbiens): M. Barret veut répondre
au député de Mégantic-Compton.
M. Barret: J'aimerais vous répondre dans ce sens, c'est
qu'en fait, effectivement il y a viol des règlements. Parce que
même si, chose contre laquelle je suis, la régie des
marchés a un pouvoir de saisie, elle n'a pas ce pouvoir, il faut
absolument qu'on soit entendu par un juge et on n'a jamais été
entendu par un juge. Quand on est entendu par un juge, l'article précise
que la première offense est de 100 $. On n'a jamais été
entendu devant une cour pour les questions de saisie. Alors, ça c'est
vraiment une atteinte à la législation.
M. Marx: Juste...
Le Président (M. Desbiens): à l'ordre! M. le
député de D'Arcy McGee, vous avez une question?
M. Marx: ... pour répondre au ministre. Il y a des
façons d'appliquer des lois, on a vu comment on applique des lois
à Restigouche durant l'été. Ce n'était pas la faute
d'autres, c'était la faute du ministre. Il y a des façons
d'appliquer la loi. Quand la Sûreté du Québec
défonce des portes inutilement, c'est vous qui êtes responsable de
ça. Si on fait des dommages...
Le Président (M. Desbiens): à l'ordre!
M. Marx: Non, mais je veux lui donner l'exemple de
l'illégalité, il a posé la question.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
D'Arcy McGee, on est ici pour entendre les mémoires sur la loi...
M. Marx: Mais il a demandé quel est l'acte...
M. Bédard: Si des gestes illégaux sont posés
par des membres de la Sûreté du Québec ou de quelque corps
policier que ce soit, ou encore que des forces exagérées sont
utilisées dans des situations, je suis le premier à inciter les
citoyens à faire appel à un organisme qui est là justement
pour corriger...
M. Marx: M. le ministre... M. Bédard: ... les
excès.
M. Marx: ... la force exagérée utilisée
souvent comme des portes défoncées. Et la personne va demander
aux policiers: Qu'est-ce que je vais faire? Les policiers vont répondre:
Envoie la facture au ministère, il va vous payer. S'il y avait la force
exagérée utilisée, pourquoi ne pas payer des dommages, au
moins ça? On a vu dans le mémoire que la force
exagérée a été employée. Même six
policiers pour quelques poulets, c'est un peu exagéré. Même
des poulets dangereux.
M. Bédard: Je ne porterai pas de jugement de valeur, il y
a des recours qui sont toujours possibles. Maintenant, votre manière
d'évaluer est très exagérée sinon simpliste. Je
pense que vous n'êtes pas au courant de l'ambiance et de
l'atmosphère qui existaient à ce moment.
M. Marx: Comment est-ce qu'un individu peut se battre contre
votre ministère?
Le Président (M. Desbiens): à l'ordre! Ã
l'ordre! On n'est pas en commission d'étude des crédits, on est
en commission d'audition de mémoires. S'il vous plaît!
M. Bédard: Je perçois, M. le Président, que
ceux qui nous visitent sont beaucoup plus pondérés et
réalistes que ne l'est le député de D'Arcy McGee. Parce
qu'à un moment donné, concernant certains pouvoirs
délégués qui étaient donnés... (17 h 30)
M. Marx: II se permet de dire n'importe quoi aujourd'hui.
M. Bédard: ...à FEDCO, il y a eu des
échanges faits et, à ce moment-là , le ministère de
la Justice a agi en conséquence.
Le Président (M. Desbiens): Le député de
Mégantic-Compton avait la parole.
M. Bélanger: Merci, M. le Président. Je voudrais
dire au ministre qu'on n'est pas ici pour juger les plans conjoints, je ne suis
pas ici non plus pour condamner les plans conjoints. On est ici pour
étudier la Charte des droits et libertés de la personne et je
m'aperçois que, dans l'application de ce plan conjoint, on a fait un
abus de pouvoir. C'est tout simplement ça. Je dis que c'est le ministre
responsable de la Sûreté du Québec qui a
exagéré les forces, la force était exagérée,
26 voitures de police... Il faut aussi se rappeler une autre chose, ce n'est
pas sur la rue Sainte-Catherine à Montréal que c'est
arrivé, c'est à la campagne, dans des petites localités
où les gens sont éberlués de voir passer ça, ces
poulets-là , comme on les appelle en France. C'est tout ce contexte qu'il
faut voir.
Je comprends très bien qu'il y a eu des dissidents, qu'il y a eu
des poursuites judiciaires, qu'il y a eu tout ça, mais le principe et la
façon dont cela a été appliqué, il y a quelqu'un
qui en est responsable à la Sûreté du Québec. Si
j'avais été capitaine ou chef d'une sûreté, je
n'aurais pas envoyé 26 voitures pour saisir des oeufs dans une petite
localité.
Une voix: Deux par voiture.
M. Bélanger: Deux par voiture. On a des témoins, on
pourra peut-être nous dire combien il y avait de voitures,
effectivement.
M. Barret: On a des photos qui peuvent être
distribuées à la commission.
J'aurais encore un dernier point, M. le Président, si vous
permettez.
Le Président (M. Desbiens): Oui, allez-y.
M. Barret: C'est...
M. Bédard: ... tout à l'heure, je pense que
monsieur en a pris note, c'est qu'à partir du moment où il y a eu
un jugement qui a été rendu, étant donné surtout
certains pouvoirs délégués qui sont donnés Ã
FEDCO, qui me semblent exorbitants, j'ai demandé -vous avez
été à même de le constater - à la
Sûreté du Québec de ne plus intervenir pour aider,
autrement dit pour appuyer les inspecteurs de la régie qui font leur
travail, de ne plus les appuyer dans leur travail.
M. Barret: Vous me permettrez...
M. Bédard: Sauf lorsqu'il y a un mandat de perquisition en
bonne et due forme.
M. Barret: Vous me permettrez, M. le ministre, d'être un
peu sceptique sur vos décisions, parce que, quand on se reporte, lorsque
différents de mes collègues ont gagné des points Ã
différentes cours de première instance, établissant qu'on
n'avait pas ces réclamations à payer, on s'est aperçu que
le gouvernement québécois a adopté une loi
rétroactive, cette fameuse loi 116, dont vous avez encore des souvenirs
à la mémoire et annulant les jugements antérieurs.
Alors, en tant que citoyen, on se dit: à quoi ça sert de
payer des avocats, de se faire défendre, de gagner des procès si
un législateur est capable d'annuler ces causes? Vous voyez Ã
quoi je fais référence, en fait, l'article 6 de la loi 116...
M. Bédard: Je sais, la loi 116; d'ailleurs...
M. Barret: Si, d'une façon...
M. Bédard: ... l'Opposition libérale avait
voté pour cette loi, je le rappellerais en passant.
M. Barret: Je suis au courant. Remarquez, n'oubliez pas que le
principal des dissidents était M. Biron qui est maintenant de votre
côté. Alors, il est préférable de passer rapidement
sur la couleur des partis de l'époque, mais vis-à -vis des
producteurs, on est quand même dans un contexte. On se défend. On
a un budget annuel maintenant pour avoir une représentativité
d'avocats. Est-ce nécessaire et est-ce une chose normale, dans un milieu
agricole, qu'on doive traîner une multitude d'avocats pour se
défendre? On a été appelé à faire ça
quand on a vu qu'en se présentant à la Régie des
marchés, par exemple, on s'adressait non pas à un
président, mais à des avocats.
M. Bédard: Ãcoutez, ce n'est quand même pas
notre faute si la majorité des producteurs ont voté en fonction
du plan conjoint, vous conviendrez au moins de ça avec nous.
M. Barret: Ma question n'est pas là . Comment se fait-il
que, devant les tribunaux, on ait gain de cause et qu'une loi puisse, par
rétroactivité, annuler ces jugements? C'est grave pour une
société, quand même, qui essaie de se défendre et de
sauver cette Charte des droits et libertés de la personne. C'est la
raison pour laquelle on la met un peu en doute. J'espère, remarquez que
vous me semblez sincère quand vous me dites que vous êtes
prêt à faire le maximum dans ce sens, et je suis conscient que
vous allez le faire, comme vous pouvez le faire.
Au nom de mes collègues et en mon nom, je vous remercie.
Le Président (M. Desbiens): Excusez, M. le
député de Mégantic-Compton avait une autre question
à vous poser.
M. Bélanger: J'aurais une dernière question
à vous poser, à vous et à vos collègues. Est-ce
qu'il y a eu des dommages causés par ce défonçage de
portes, ces bris, etc.?
M. Barret: Je vais répondre d'abord en mon nom personnel:
une double porte défoncée; vous me direz que ce n'est pas une
grosse affaire, mais enfin aujourd'hui, c'est à peu près une
centaine de dollars; une confiscation d'oeufs, c'étaient 144
boîtes qui m'ont été confisquées et qui ne m'ont pas
encore été rendues, c'est de l'ordre de 2500 $. Il va falloir
qu'on attende les tribunaux. Vous savez comme moi... Cela va passer dans
combien de temps? Je suis un des petits producteurs. Il y a des producteurs...
On a avec tout cela des frais de saisie qui sont demandés par FEDCO. Il
y a, par exemple, M. Saucier qui a été... Je
préfère le faire parler parce que j'ai peur de me tromper sur les
chiffres.
M. Bélanger: D'accord. Avant de terminer, savez-vous ce
qu'il est advenu de ces oeufs? Qu'est-ce qu'ils ont fait avec cela?
M. Barret: Ces oeufs ont été jetés, parce
qu'ils ne pouvaient plus être gardés.
M. Bélanger: Est-ce que vous avez eu des dommages?
M. Saucier: J'ai eu beaucoup de dommages. J'ai eu six saisies.
Une des saisies a été remarquable. C'était en 1976, il y
avait eu pour 3300 $ d'oeufs saisis. La régie avait ordonné
à FEDCO de me remettre la valeur de ces oeufs, parce qu'elle avait
été trouvée en faute. On
m'avait envoyé des frais de saisie de 3600 $.
Il manquait encore 300 $ sur les frais de saisie. Ils ne pouvaient pas
me remettre la valeur des oeufs, ils me réclament encore de l'argent
pour les frais de saisie.
M. Bélanger: Si on se rapporte aux dommages causés
par la Sûreté du Québec lors de ces saisies, parce que le
ministre a ouvert la porte, disant que s'il y avait eu des dommages, on
était prêt à payer, etc...
M. Bédard: Non...
M. Bélanger: Vous avez quand même semblé
avoir une certaine ouverture d'esprit.
M. Bédard: Dites ce que vous avez à dire, et chacun
va prendre ses responsabilités.
M. Bélanger: II y a eu des dommages causés par la
Sûreté du Québec dans son déchaînement
à vouloir maintenir la loi.
M. Saucier: Des dommages! L'escouade anti-émeute avait
tout arrêté par chez nous, sur les chemins, pour que personne ne
vienne m'aider à me défendre. J'étais tout seul. Toute
l'escouade de Montréal était descendue. Il y avait des voitures,
cela ne se comptait pas. Ils ont même dit à mes enfants, les
"bouncers" qu'engageait FEDCO: Si vous ne nous dites pas où sont les
oeufs, on défonce la maison. Ils ont défoncé la maison,
ils sont venus partout dans la maison, dans la chambre à coucher pour
voir s'il y aurait des oeufs de cachés. Si ce n'est pas de l'abus de
pouvoir, je ne sais pas ce que c'est.
M. Bélanger: Des dommages comme tels, être
obligé de réparer une porte ou une fenêtre, est-ce que vous
avez fait une évaluation de cela?
M. Saucier: Plusieurs fois. Les portes ont été
changées. C'est en cours actuellement. Il y a des comptes Ã
envoyer à FEDCO, mais cela va prendre... J'avais des poussins, mais ils
ont défoncé les portes et laissé les portes ouvertes
pendant que j'étais occupé avec les gars de la
sûreté à essayer de me défendre un peu, Ã
essayer d'appeler mon avocat. Pendant ce temps, FEDCO en profitait. Ils
défonçaient partout et ils laissaient les portes ouvertes,
saisissaient tout ce qu'ils pouvaient trouver. Pendant ce temps, on s'amusait
avec la fameuse sûreté. Ils disaient que les ordres venaient d'en
haut, que ce n'étaient pas eux, qu'ils ne voulaient pas.
M. Bélanger: Cela monte jusqu'au ministre.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
D'Arcy McGee, en terminant.
M. Marx: En terminant, tout ce que je retiens de tout cela, c'est
qu'il y avait des saisies sans mandat qui étaient vraiment un abus de
pouvoir. Cela a été arrêté par la Cour suprême
du Canada à Ottawa, parce que le ministre n'avait pas assez de bon sens
pour arrêter cela avant. C'est ce qu'on retient de tout cela. C'est un
abus de pouvoir facile à voir, cela a été
arrêté par la Cour suprême. Pourquoi le ministre de la
Justice du Québec n'a-t-il pas arrêté ces pratiques
quelques années avant? Voilà la question qu'il aimerait
peut-être...
M. Bédard: Vous pourriez la poser à l'autre
ministre de la Justice qui m'a précédé, parce que les
mêmes problèmes se sont posés. On sait que c'était
une ambiance extrêmement difficile.
M. Marx: Vous étiez...
Le Président (M. Desbiens): Comme il n'y a pas d'autres
interventions sur l'audition du mémoire...
M. Marx: C'est cela. C'est l'autre ministre qui est en faute.
Le Président (M. Desbiens): ... je remercie les
participants de leur travail.
M. Bédard: On a pris les mesures qu'il fallait.
M. Bonneau (Jean-Paul): Moi, M. le ministre, on m'a passé
les menottes et on m'a cassé un poignet. J'ai été deux
mois sans me servir de mon bras. En plus de cela, pour monter dans la voiture
de la Sûreté du Québec - je calcule qu'il y a une part de
mes taxes dans cette voiture - on m'a fait déshabiller, torse nu, sous
prétexte que j'étais sale. Je les ai avertis que je souffrais
d'arthrite, que si j'étais sale, j'avais des vêtements chez nous,
que je pouvais aller en chercher. On n'a pas voulu. Je suis monté torse
nu à bord de la voiture. Une chance que les deux policiers
étaient assez gentils. J'ai réclamé qu'au moins on monte
la vitre. Si cela n'avait pas été du deuxième qui a dit au
premier: Lève ta vitre, ils m'amenaient au poste de Montmagny les deux
vitres baissées. Je souffre d'arthrite.
Tout à l'heure, vous faisiez allusion, M. Bédard, aux
plans conjoints. Je suis d'accord à 100% sur les plans conjoints
votés par les producteurs. Quand on dit à un gars: Tu as deux
porcs, tu as droit de vote et que celui qui en garde 1000 a le même droit
que celui qui en a deux, lequel est dissident? Celui qui paie ou celui qui ne
paie pas? Ce sont les producteurs qui sont réellement contre le
plan conjoint. Ceux qui sont pour, ce sont ceux qui ont deux porcs. Ceux
qui ont voté pour le plan conjoint dans les poules, faites-les voter....
C'est ceux qui n'avaient pas de production qui ont dit aux gars... Je connais
à Saint-François de Montmagny trois délégués
dans la zone. Aujourd'hui, ces trois délégués ont tous
vendu leur production, ils n'en ont plus de poules. Mais les lois
adoptées quand ils étaient délégués, ils ne
les ont pas ramenées avec eux, lorsqu'ils ont vendu leur production.
Le Président (M. Desbiens): Je vous remercie au nom des
membres de la commission de votre participation. Je demanderais maintenant
à MM. Adamkiewicz, de Grandpré, Lorrain et Demers de se
présenter à l'avant, s'il vous plaît.
Groupe de Doyens d'âge de l'UM
M. Demers (Pierre): M. le Président, M. le ministre...
Le Président (M. Desbiens): Vous êtes M.
Adamkiewicz? J'espère que je prononce votre nom comme il faut,
correctement.
M. Demers: Oui. Les noms sont comme suit: Je vais vous les
débiter dans un instant, si vous voulez bien, M. le
Président.
Le Président (M. Desbiens): Oui.
M. Demers: Le présent mémoire est mon oeuvre, dans
ce sens que je prends entièrement charge de son contenu. C'est moi qui
l'ai rédigé. Il reflète et représente les opinions
que j'ai recueillies auprès d'un certain nombre de collègues dont
voici la liste. Le premier, c'est Vincent-Witold Adamkiewicz, de la
Faculté de médecine. Les autres sont Bernard Brody, en relations
industrielles, Marcel de Grandpré, Faculté des sciences de
l'éducation; moi-même en physique, à la retraite; Lise
Denis, étudiante en psychologie; Claude Lagadec, en philosophie; Paul
Lorrain, en physique; Jean McNeil, en urbanisme; André Morel, en droit;
Charles Murin, en philosophie - c'est un retraité lui aussi, comme moi -
Ariette Nicodème-Joffe, professeur et directrice des
bibliothèques, Léo Roback, relations industrielles; Waldo Ross,
études hispaniques, et Réginald Savoie, Faculté de
droit.
Voici donc l'origine du présent mémoire. Nous sommes tous
des professeurs à l'Université de Montréal, sauf Mme
Denis, qui est étudiante.
Les Doyens d'âge, c'est le nom que nous nous sommes donné
et que nous avons donné à ce groupe - nous ne produisons pas des
oeufs, nous essayons de réaliser une production scientifique et
intellectuelle - les Doyens d'âge, dis-je, se sont manifestés au
printemps de 1980. Nous avons écouté le sénateur
Deschâtelets, par exemple, nous parler d'une retraite sans douleur. Voici
quelques dépliants qui ont paru à ce moment-là sur papier
blanc, sur papier jaune.
Mon premier point, M. le Président, concerne les droits. Je
m'appuie sur les textes qui vous sont parvenus, je l'espère et j'en ai
la confiance, y compris le dernier, qui s'appelle Notes, mais je ne le lis pas
tel quel; j'ai essayé de l'améliorer, depuis qu'il est
écrit, en m'appuyant en particulier sur le peu d'expérience que
j'ai de la vie parlementaire, l'expérience que j'ai eue hier en
présentant la même substance devant la commission des affaires
sociales.
Donc, voici le premier point: il s'agit des droits de la personne, de
droits individuels, mais de droits individuels qui sont alliés, de la
manière que je les considère et que je vous les expose, au profit
de la collectivité.
Il faut savoir gré au gouvernement de se préoccuper de ces
droits. Il faut savoir gré aux syndicats, par exemple à la CSN
qui a bataillé pour obtenir la retraite, pour obtenir des pensions aux
travailleurs âgés. Mais il ne faudrait pas que les aspects
financiers empêchent les travailleurs du troisième âge qui
le désirent de continuer leur travail et leur oeuvre dans la mesure de
leurs facultés. (17 h 45)
Donc, je vous parle de ceux du troisième âge. Bien
sûr, je voudrais mettre une note humanisante et de sympathie pour les
vieilles personnes démunies et spécialement pour les vieilles
femmes dont je sais que le sort est particulièrement difficile au point
de vue financier. Ã ce propos, ne devrait-on pas abandonner l'expression
"âge d'or" parce ce n'est pas sur l'or que ces personnes roulent,
n'est-ce pas? Troisième âge, sans doute, mais "âge d'or",
c'est presque une risée dans beaucoup de cas.
Je voudrais vous parler du droit au travail et à un travail
productif des personnes du troisième âge et spécialement
des scientifiques. Donc, je vais vous parler, si vous le voulez bien, de la
recherche scientifique et des professeurs d'université. Je vais essayer
de vous en parler dans l'optique de la justice et de la charte des droits de la
personne.
D'abord, cette question de mise à la retraite, je voudrais vous
proposer cette idée que c'est une cessation d'emploi, ce qui est
très évident, et que cela est jusqu'à maintenant
l'équivalent d'un congédiement pour discipline. Ce n'est pas pour
incapacité que l'on met automatiquement les gens à la retraite
à 65 ans jusqu'à maintenant; c'est par discipline; il faut que tu
t'en ailles. Tu as 65 ans, bon, va-t'en et un autre prendra ta place ou bien la
place restera vide. C'est donc une espèce de sanction disciplinaire,
c'est un congédiement disciplinaire, et cela a peut-être un
intérêt en relation avec l'article 38b du Code du travail
où l'on parle des recours des employés contre le syndicat et
contre l'employeur à l'occasion d'un congédiement injuste.
Je parle surtout de la mise à la retraite des professeurs
d'université. Notre mémoire s'inquiète de ce droit de
travailler, de poursuivre un travail productif dans la recherche scientifique
et dans l'université. On refuse ce droit aux retraités dans la
pratique. Sauf changement, on le refusera à ceux qui vont prendre la
retraite, qui sont déjà sur les listes, du moins, pour juin
1982.
Quant à ceux qui approchent de la retraite, on les met sur la
tablette. C'est entendu que tu vas prendre ta retraite dans deux ans, dans cinq
ans, peut-être même dans dix ans et par conséquent ce n'est
pas la peine, calme-toi, réduis tes activités. Ne produis pas
autant. Réduis ton activité créatrice en science. C'est
très grave au point de vue des droits de la personne et des droits des
personnes âgées qui n'ont pas encore 65 ans, n'est-ce pas?
Je voudrais parler ici des handicapés. On parle beaucoup des
handicapés. J'ai, par exemple, Ici Radio FM. On a toute une semaine qui
est annoncée, pleine participation et égalité. C'est fort
bien. Je ne m'en plains pas. Au contraire. Je prends cela comme un
modèle. Le gouvernement du Québec a fait beaucoup pour promouvoir
la cause des handicapés de manière qu'ils puissent avoir une vie
presque normale, aussi normale qu'il est possible. On fait beaucoup de
dépenses à ce sujet. J'aimerais le faire remarquer à cette
commission. Par exemple, tous les trottoirs qu'on a abaissés Ã
Montréal de manière que les chaises roulantes puissent traverser
plus facilement les grandes rues, cela représente une dépense
considérable qu'on fait pour les handicapés. Ãvidemment,
c'est un signe d'humanité, de civilisation, et c'est à l'honneur
de la population, mais c'est une dépense. Est-ce que c'est rentable au
point de vue des affaires? Voilà quelque chose que les manufacturiers,
par exemple, pourraient envisager ou les administrateurs municipaux. Du point
de vue financier, économique, est-il rentable de faire travailler
certains handicapés? Cela coûte plus cher de les faire travailler
qu'ils ne produisent par leur travail, n'est-ce pas?
Il y a là deux aspects. Un aspect économique, que je viens
de signaler, et un aspect de propagande. La propagande réussit quand
c'est une chose acceptable. Est-ce un harcèlement? On se dit parfois:
C'est un harcèlement. Ces gens n'arrêtent pas de parler de leur
affaire, de leur cause. Ãventuellement, on se dit: Bien non. Ce n'est
pas un harcèlement. C'est de l'éducation. Il peut y avoir une
propagande éducative qui est très valable dans certains cas, dans
le cas des handicapés, et le troisième âge est une
espèce de handicap lui aussi. Est-ce que l'on ne devrait pas - ce n'est
pas une recommandation spécifique sur la charte, mais cela va dans le
sens de la charte des droits des personnes âgées - entreprendre
une propagande en faveur des personnes âgées, montrer de vieilles
personnes qui fument leur pipe, par exemple? Mais pas seulement des gens du
troisième âge qui sont occupés, si on peut dire, aux
loisirs, mais des gens qui travaillent, des gens à l'oeuvre, qui sont
créateurs dans les métiers. Il y a certains métiers qui se
perdent. Il n'y a que les vieilles personnes qui sont capables de les
pratiquer. Dans des besognes, dans des professions plus évoluées,
plus compliquées, plus subtiles peut-être, de vieux artistes ou
peut-être de vieux scientifiques.
à propos des vieux scientifiques, c'est bien l'occasion d'en
parler aujourd'hui puisque, hier, on annonçait que René Pomerleau
gagnait le prix du Québec. Je ne me rappelle plus son nom. Autrefois,
quand ces prix ont été fondés, cela s'appelait prix David,
je pense. Maintenant, le prix David, c'est seulement une petite section des
prix du Québec. Je crois que c'est le prix Marie-Victorin. René
Pomerleau est un biologiste de grande valeur, mais il n'est pas du premier
âge ni du deuxième. Il est forcément du troisième
âge. Il y a donc de vieux scientifiques qui sont productifs et qui
méritent des récompenses que le Québec, de la
manière la plus officielle, leur accorde.
J'aimerais donc vous parler maintenant des potentialités du
troisième âge en matière de recherche scientifique. Ce sont
là des extraits d'un mémoire que j'ai adressé au ministre
d'Ãtat au Développement culturel et scientifique, il y a un peu
plus d'une année. Le troisième âge représente des
ressources humaines considérables lorsqu'il s'agit de ne gaspiller aucun
potentiel scientifique. Je vous réfère au livre blanc sur une
politique québécoise de la recherche scientifique. Selon une
enquête publiée en 1980 dans Physics today, qui est l'organe de
l'American Physical Society, les scientifiques âgés, pourvu qu'ils
soient placés dans des conditions psychosocioculturelles favorables, ont
un excellent rendement. Ils sont aussi productifs et créateurs que les
plus jeunes et peut-être davantage. Naturellement, ce ne sont pas tous...
Attention! L'affirmation de Physics today se réfère à ceux
qui sont actifs. Ãvidemment, il y en a qui cessent d'être actifs,
qui ne veulent pas continuer, mais pour ceux qui sont actifs, pourvu qu'ils
trouvent des circonstances favorisant leur travail, ils ne l'empêcheront
pas. L'affirmation vaut.
La proportion des scientifiques du troisième âge qui
désirent continuer leur activité paraît être de 10%.
à 65 ans, âge nominal normal de la retraite, il y a environ
10% des scientifiques qui désirent continuer leur oeuvre, cela,
dans les circonstances actuelles et malgré les obstacles qui leur sont
apportés. Si les circonstances devenaient favorables, on peut penser que
de 10%, le taux monterait à 20%, disons, une grosse douzaine sur cent
scientifiques qui prennent leur retraite selon la norme actuelle de 65 ans
à chaque année au Québec. Il y a donc, à travers le
Québec, environ quinze, ce n'est pas beaucoup, scientifiques qui
désirent continuer leur oeuvre en abordant le troisième
âge. Si vous ajoutez à cela ceux qui sont mis sur la tablette
parce qu'ils approchent de 65 ans, cela représente - je ne fais pas le
calcul, vous pouvez le faire -un potentiel humain considérable non pas
tellement par le nombre de personnes, c'est quelques centaines, mais par
l'expérience qu'elles possèdent, une expérience - c'est
peut-être à propos de le rappeler - qui remonte au début de
l'éveil du Québec vers les sciences, vers l'étude, entre
1930 et 1940.
Ces chercheurs ont une qualité particulière, le bagage de
leur expérience est plus considérable, le jugement repose sur une
base plus large et souvent plus ferme, comme le disait Jacques Henripin dans le
SGPUM en 1980. S'il est vrai que les chercheurs du troisième âge
n'ont pas devant eux la stimulation d'un avenir aussi prolongé que les
chercheurs du deuxième âge, ils ont en revanche d'autres
qualités.
On note la volonté de ne gaspiller aucun potentiel valable en
matière de ressources humaines, en recherche scientifique. Ã
cette fin, on note des mesures concernant le personnel des collèges, les
chercheurs individuels, les diplômés qui se sont
éloignés de la recherche, la création de postes Ã
temps partiel; on pourrait imaginer des mesures plus ou moins analogues afin de
ne pas gaspiller le potentiel du troisième âge. On se
préoccupe de la formation du personnel, des bourses d'études.
Dans le cas du troisième âge, il ne s'agit pas de rapatrier les
chercheurs, il s'agit de les conserver. Il ne s'agit pas d'en susciter, ils
sont là . Il s'agit de ne pas les laisser inutilisés, de ne pas
gaspiller cette ressource humaine.
Voici un extrait d'une lettre adressée par Patrice Tardif,
président de la Fédération de l'âge d'or du
Québec, en 1980: "à notre avis, le Québec n'a pas le droit
ni les moyens de se priver des services aussi précieux de ses
aînés, d'autant plus que l'espérance de vie est maintenant
prolongée bien au-delà de 70 ans."
J'aimerais vous parler maintenant du thème "place aux jeunes" et
de psychologie. Paul Lacoste, recteur de l'Université de
Montréal, a dit: "II est sûr que la maturité et la sagesse
sont des éléments fort importants dans certaines disciplines,
mais ils jouent beaucoup moins pour les professeurs qui oeuvrent en physique,
en mathématiques, par exemple. En moyenne, cet âge
représente celui où il vaut mieux se retirer et laisser la place
aux plus jeunes." Cela était le 14 septembre 1981. C'est là un
préjugé assez répandu et je vais y répondre d'une
façon scientifique dans quelques instants.
Le mémoire de la direction de l'Université de
Montréal, présenté par le recteur Paul Lacoste à la
commission des affaires sociales, dans cette chambre no 81, il y a deux
semaines, représentait cette attitude et réclamait un moratoire
sur l'abolition de l'âge obligatoire de la retraite. (18 heures)
Le mémoire émis au nom de l'Université du
Québec et au nom du principal et vice-chancelier David L. Johnston, de
l'Université McGill, et présenté à la commission
des affaires sociales, encore une fois, répète à peu de
chose près les arguments de la direction de l'Université de
Montréal à ce sujet.
Soit dit en passant, la direction de l'Université de
Montréal, parlant en son nom seulement, comme il est écrit en
page 1 de son mémoire, cela signifie que ce mémoire est l'oeuvre
du recteur et de son entourage immédiat et que le principal et
vice-chancelier David L. Johnston ne prétend pas, dans son
mémoire, parler au nom de l'Université McGill.
Il faudrait corriger en conséquence, ou lire correctement,
modifier la feuille de l'ordre du jour du 6 octobre pour l'Université de
Montréal et du 20 octobre pour l'Université McGill.
Le Président (M. Desbiens): M. Demers, je m'excuse de vous
interrompre, mais on est rendu à 18 heures, je ne sais pas si vous
désirez ou abréger peut-être un peu, puisque vous avez eu,
comme vous l'avez dit vous-même, l'occasion de soumettre vos
représentations à la commission des affaires sociales, ou revenir
à 21 heures et peut-être continuer la présentation de votre
mémoire et poser des questions.
M. Demers: Je suis à votre service, M. le
Président.
Le Président (M. Desbiens): Alors, on va suspendre nos
travaux jusqu'Ã neuf heures? Est-ce que vous en avez encore pour
longtemps?
M. Bédard: Est-ce que vous en avez encore pour
longtemps?
M. Demers: 10 minutes.
M. Bédard: Sinon, cela va vous obliger à revenir
à 9 heures ce soir.
M. Demers: Vous allez suspendre jusqu'Ã 9 heures?
M. Bédard: Nous allons suspendre jusqu'à 9 heures.
Alors, c'est comme vous voudrez: ou vous revenez à 9 heures ou...
M. Demers: Nous suspendons à l'instant, M. le
Président?
M. Bédard: Cela dépend de votre désir.
Qu'est-ce que vous préférez?
M. Demers: Je préfère revenir à 9
heures.
Le Président (M. Desbiens): Alors, la commission
élue permanente de la justice ajourne ses travaux à 21
heures.
(Suspension de la séance à 18 h 02)
(Reprise de la séance à 21 h 09)
Le Président (M. Desbiens): à l'ordre, s'il vous
plaît!
M. Demers, vous aviez commencé à exposer votre point de
vue en regard des modifications à la Charte des droits et
libertés de la personne. Je vous rappelle, pour votre
bénéfice et celui des autres groupes, qu'habituellement on se
limite à une heure, dont une vingtaine de minutes, en gros - bien qu'il
y ait une certaine élasticité - pour la présentation du
mémoire, suivie d'une période de questions. Selon ce que j'ai
calculé, vous avez seize minutes d'écoulées sur votre
temps. Je vous rends la parole pour continuer votre exposé maintenant,
si vous le désirez.
M. Demers: Merci, M. le Président. Je vais y aller aussi
rapidement que j'en suis capable. J'avais commencé à parler de
place aux jeunes et de psychologie. Voici la réponse que
Thérèse Gouin-Décarie, professeur de psychologie, a
donnée aux propos du recteur Paul Lacoste: "S'il est vrai qu'on observe
une diminution de productivité avant 65 ans, celle-ci est imputable
à l'imminence de la retraite et les facteurs socioculturels de
découragement sont plus importants que la diminution des facultés
du vieux professeur." C'était le 5 octobre dernier.
Une enquête de Physics today parue en juillet 1980 pour les
physiciens - je l'ai déjà mentionnée - d'accord avec les
enquêtes du Sénat, de la Fédération de l'âge
d'or, du BIT, de la Commission des droits de la personne du Québec pour
l'ensemble des travailleurs, a démontré que la
productivité et la créativité ne diminuent pas au sein de
la collectivité des personnes actives, avec l'incidence du
troisième âge, pourvu que ces personnes soient placées dans
des conditions socioculturelles favorables.
Quant à faire place aux jeunes, il y a beaucoup à dire ou
à redire à ce sujet. Bien sûr, il faut une place pour les
jeunes, mais il faut aussi une place pour les vieux. Les jeunes sont-ils tous
productifs? Le resteront-ils toujours? Faudrait-il interdire l'arrivée
des immigrants? Chaque immigrant prend une place qu'un autre ne pourra pas
prendre. Est-il vrai qu'un professeur jeune revient moins cher Ã
l'université? J'aimerais, si vous voulez, M. le Président,
prendre les chiffres du principal de l'Université McGill: 60 000 $ pour
une personne de 65 ans, 24 000 $ pour une personne de 30 ans qui le remplace.
Différence évidente de 36 000 $.
Cependant le bilan est faux parce que si le vieux professeur accepte de
continuer à 60 000 $ au lieu de toucher sa pension de 70%, soit 42 000
$, il ne coûtera en réalité que 18 000 $. C'est donc une
économie pour l'université si le vieux professeur est maintenu
à l'oeuvre. Celui-ci fait en réalité un cadeau Ã
l'université.
J'aimerais maintenant proposer des mesures positives de redressement
avec des effets de redressement. On peut regretter que le législateur
ait tant tardé à inclure l'âge comme motif interdit de
discrimination à la suite des recommandations de la commission depuis
1976. Certains employeurs ont restreint injustement les conditions de maintien
en fonction de leurs employés, restrictions qui deviendront, nous
l'espérons tous, illégales.
Il convient que les employeurs réparent le tort causé aux
employés et à la collectivité par l'oisiveté
imposée à des personnes qui, autrement, auraient poursuivi leur
oeuvre scientifique.
L'Université de Montréal a attribué des droits et
des privilèges aux professeurs à la retraite. Ces droits et
privilèges répètent en tout point les
éléments d'une carrière du professeur en exercice, sauf
que ces droits et privilèges sont laissés à la
discrétion de l'employeur, de l'administrateur. Donc, à partir du
moment où le professeur est mis à la retraite pour cause de
discipline et non pas d'incapacité, il devient abandonné Ã
la bonne grâce et à l'arbitraire des administrateurs. On lui
retire tout droit politique, cependant. Le troisième âge devient
alors une espèce de ghetto politique pour les professeurs
d'université.
Cela explique que le professeur à la retraite ou sur le point de
l'être redoute de se plaindre en public et, s'il réclame, c'est
à force de faire antichambre et de faire des révérences
aux personnes qui peuvent lui consentir une certaine liberté d'oeuvrer
dans le domaine de leurs désirs, et c'est ce que le professeur
Nicodème-Joffe a signalé le 5 octobre à l'assemblée
universitaire.
L'administration a regardé ce règlement dont
je vous parle avec désinvolture et ne l'a presque pas
appliqué, en réalité. Les professeurs du troisième
âge devraient conserver, qu'ils soient à la retraite ou non, leurs
droits politiques et leurs droits syndicaux. Il serait discriminatoire de
former un syndicat des vieux professeurs; mieux vaut que les professeurs vieux
et à la retraite restent membres du syndicat réunissant tous les
professeurs. (21 h 15)
J'aimerais signaler que la direction de l'université a
proposé un moratoire à l'abolition de la retraite; le
mémoire de la direction de l'université n'a été
approuvé ni par le conseil de l'université, ni par
l'assemblée. Des professeurs se sont exprimés dans le
mémoire du syndicat et des professeurs s'expriment présentement
sous l'étiquette des doyens d'âge. Le mémoire de la
direction est l'oeuvre des permanents, des administrateurs de la
hiérarchie supérieure. S'ils ont proposé un moratoire, je
crois savoir pourquoi. C'est, pour une bonne part, parce que j'ai engagé
un procès contre l'université, et la direction de
l'université ne tient pas à ce que la situation s'envenime
à son détriment à propos des droits des professeurs
âgés.
Je conclus sur des recommandations. J'ai essayé de formuler des
recommandations dans l'esprit de la législation possible, de la
réglementation et de la charte des droits de la personne.
Premièrement, que la discrimination selon l'âge, Ã
l'encontre des personnes du troisième âge, devienne interdite au
point de vue de la retraite et au point de vue du droit au travail. C'est
là un principe; cette interdiction sera établie dans l'esprit que
voilà décrit.
Deuxièmement, favoriser le droit des personnes âgées
et spécialement des professeurs chercheurs scientifiques de poursuivre
leur oeuvre pour leur satisfaction et pour l'intérêt collectif du
Québec.
Troisièmement, notamment, que les personnes du troisième
âge conservent leurs droits politiques et syndicaux au sein des
entreprises, qu'ils soient en exercice ou à la retraite, en particulier,
chez les professeurs d'université.
Quatrièmement, qu'on réalise sur le modèle de la
propagande éducative au sujet des handicapés une propagande
comparable pour les droits du troisième âge revalorisé.
Montrer des vieux qui fument leur pipe et qui sont heureux, tant mieux, c'est
très bien; mais qu'on montre aussi des personnes du troisième
âge qui exercent une activité, leur métier, leur
profession.
Cinquièmement, qu'on prenne des mesures positives de redressement
pour indemniser et réintégrer les employés mis à la
retraite contre leur gré ou auxquels on a refusé un emploi. Ce
n'est pas parce que la discrimination à l'encontre du troisième
âge est déclarée illégale qu'elle deviendra injuste,
c'est parce qu'elle est et qu'elle était depuis toujours injuste qu'elle
deviendra illégale. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le ministre.
M. Bédard: Je remercie M. Demers pour la
présentation de son mémoire devant la commission. Vous ne nous en
voudrez sûrement pas de ne pas vous poser de nombreuses questions,
même si vous avez témoigné en expert sur le sujet qui vous
intéresse d'une façon tout à fait particulière.
Vous avez déjà fait des représentations, je crois, devant
la commission des affaires sociales.
M. Demers: En effet, M. le ministre.
M. Bédard: Vous suggérez, à un moment
donné, des amendements afin que les changements, s'il y en a,
apportés à l'âge de la retraite puissent se faire
graduellement. Pourriez-vous développer ce sujet? Qu'est-ce que vous
pensez de l'idée que les changements puissent se faire d'une
façon graduelle en ce qui regarde l'âge de la retraite?
M. Demers: Je n'ai pas proposé...
M. Bédard: Non, je le sais. Vous voulez tout simplement
qu'on abolisse cette disposition dans la charte, mais, comme ça peut
représenter des changements, des thèmes d'évolution quand
même assez rapides au niveau des conséquences qu'il peut y avoir,
est-ce que cela pourrait se faire graduellement?
M. Demers: M. le ministre, je favorise l'abolition
immédiate et complète...
M. Bédard: Je sais.
M. Demers: ... tel que prévu dans la loi 15, de la
retraite obligatoire à quelque âge que ce soit. Je ne favorise
nullement un étapisme du genre d'un moratoire, puisque ce serait un
moratoire sur l'abolition de l'âge de la retraite Ã
l'université. Bien au contraire. L'université est le milieu par
excellence où les facultés intellectuelles sont
prédominantes en principe. Ce n'est pas la force physique qui compte. Ce
n'est pas spécialement la force, l'aptitude physiologique qui compte, ce
sont principalement les facultés intellectuelles qui sont mises en jeu.
C'est bien indiqué que, dans un milieu où les facultés
intellectuelles sont d'importance prédominante, dans ce milieu,
l'âge de la retraite soit déclaré ouvert.
M. Bédard: Est-ce que vous ne suggérez pas des
mesures transitoires concernant ceux qui ont déjÃ
été mis à la retraite?
M. Demers: D'accord.
M. Bédard: Est-ce que vous pourriez détailler un
petit peu là -dessus? Cela prendrait quelle forme?
M. Demers: M. le ministre, c'est ce que j'ai appelé:
dispositions positives à effet de redressement, pour éviter toute
autre locution ou circonlocution qui pourrait prêter à fausse
interprétation. Je propose, comme mesures de transition, en effet, pour
adopter votre vocabulaire, M. le ministre, que ceux qui ont été
mis à la retraite déjà soient indemnisés et
réintégrés d'une façon qui leur convienne et qui
les satisfasse, au point de vue de la poursuite de leur oeuvre scientifique
selon leurs capacités, et que ceux qui ont été mis
à la retraite et qu'on a empêchés de reprendre des
situations à cause de leur âge reçoivent eux aussi un
redressement correspondant à ces dispositions positives. C'est un...
M. Bédard: Je comprends votre idée, mais j'aimerais
que vous en disiez davantage sur les formes que cela pourrait prendre, parce
qu'avec la réflexion que vous avez faite sur le sujet et qui vous
amène à faire des représentations devant la commission
parlementaire, est-ce que vous pouvez - si ce n'est pas possible, ce n'est pas
plus grave que cela - nous dire quelle forme pourraient prendre ces mesures
transitoires concernant les personnes déjà mises à la
retraite? Quand vous parlez d'indemnisation, vous voulez dire quoi?
Indemnisation de ces personnes à leur satisfaction?
Réintégration à leur satisfaction?
M. Demers: En effet, il faut évidemment tenir compte des
circonstances, des possibilités de travail, des possibilités de
locaux, des possibilités de ressources pour faire des recherches, des
études et de l'enseignement, mais ces possibilités sont
disponibles dans ces entreprises qu'on appelle des universités.
M. Bédard: Les universités, mais là , vous ne
nous proposez pas cela seulement pour les gens qui sont Ã
l'université et qui ont été obligés de prendre leur
retraite. On ne peut quand même pas légiférer en fonction
d'un groupe précis, avec tout le respect qu'on peut avoir pour nos amis
chercheurs universitaires.
M. Demers: C'est pourquoi j'ai dit, M. le ministre, dans
quelques-unes de mes dernières paroles, d'après le texte que j'ai
devant moi, que la discrimination selon l'âge à l'encontre du
troisième âge devienne interdite, dans l'esprit que voici... Il
est difficile de trouver des dispositions législatives
réglementaires plus précises. Peut-être que si j'avais une
habitude plus grande de la vie parlementaire - c'est un noviciat que je fais
actuellement j'arriverais à donner une forme à ces idées,
une forme législative plus correcte et plus précise, mais
l'esprit, le voilà : j'ai énoncé les trois articles
subséquents afin d'illustrer quel est l'esprit dans lequel la
discrimination selon l'âge devrait être abolie selon moi.
M. Bédard: Je vous remercie.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: M. Demers, j'ai un intérêt personnel en ce
qui concerne l'âge de la retraite à l'Université de
Montréal, étant donné que je suis en congé sans
solde de l'université. Vous ne m'avez pas entendu?
M. Demers: Non, non.
M. Marx: Je vais répéter. J'ai un
intérêt personnel en ce qui concerne la retraite Ã
l'Université de Montréal, étant donné que je suis
en congé sans solde de l'Université de Montréal.
M. Demers: Ah oui, oui, très intéressant!
M. Marx: J'espère y retourner avant l'âge de 65 ans,
même si j'ai un comté qui m'apprécie beaucoup.
M. Demers: Je vous le souhaite bien.
M. Bédard: Je pense que vos chances sont assez bonnes.
Cela ressemble pas mal à Chicoutimi.
M. Marx: Voilà ! Si j'ai des problèmes dans mon
comté, le ministre va changer de comté avec moi.
Ma question touche vraiment l'âge de la retraite des professeurs
d'université, parce que l'autre jour, nous avons reçu M. Boucher
qui a présenté un mémoire pour l'Université de
Montréal et il a suggéré qu'on fasse un moratoire en ce
qui concerne l'âge de la retraite vis-à -vis des
universités, parce qu'il a vu des problèmes. Par exemple, il a
dit que les professeurs d'un certain âge publient moins que les jeunes
professeurs, que les professeurs plus vieux font moins de recherche que les
jeunes professeurs et que cela poserait un problème en ce qui concerne
la promotion des jeunes professeurs. Si je me rappelle bien, il a dit aussi que
si l'âge de la retraite est aboli, l'université va se trouver avec
un corps professoral assez âgé.
J'aimerais avoir vos commentaires sur ces points.
M. Demers: Volontiers, mon cher collègue. D'abord, est-il
vrai que la productivité et la créativité diminuent avec
l'âge? J'ai cité tout à l'heure la réplique de
Thérèse Gouin-Décarie, qui est professeur de psychologie.
Elle a dit: C'est une question socioculturelle. Si vous placez un professeur,
ou une personne arbitraire, dans des circonstances pénibles qui lui
rendent la vie difficile, c'est bien sûr qu'il fonctionnera moins bien,
et c'est précisément ce que l'université s'efforce de
faire avec ses vieux professeurs, ses professeurs vieillissants. VoilÃ
une première réponse.
En fait...
M. Marx: Ai-je raison de dire qu'un vieux prof, un titulaire a
moins, comme on dit en anglais, d'"incentive" pour faire de la recherche, pour
être vraiment actif?
M. Demers: Un doyen d'une faculté importante de
l'université me l'a déclaré en toutes paroles. Il est
entendu qu'Ã mesure qu'un professeur approche de 65 ans, il va partir,
donc, il faut qu'il réduise ses activités. L'"incentive", c'est
plutôt...
M. Marx: It is a disincentive. (21 h 30)
M. Demers: ... c'est cela, du "disincentive". D'autre part,
l'université dit, dans le mémoire que vous mentionnez, manquer de
renseignements sur le sujet. Il y a en tout cas au moins une enquête
spécifiquement sur les physiciens, qui sont mis en cause par le recteur
Paul Lacoste, dans la citation que j'ai lue avant l'interruption de tout
à l'heure. à propos des physiciens, il y a une enquête qui
a donné des résultats formels, les conclusions sont formelles,
elle a paru dans Physics today, qui est l'organe de l'American Physical
Society. La conclusion est ceci: "Les physiciens âgés
restés actifs". Elle ne montre pas de diminution dans leur
productivité ou leur créativité avec l'incidence du
troisième âge; c'est plutôt le contraire, si on les compare
aux physiciens plus jeunes, pourvu qu'ils aient des conditions socioculturelles
favorables. Alors, cela répond, je crois un peu, cela commence Ã
répondre à une de vos questions.
à part cela, il y a la question du recrutement, il y a du
vieillissement au corps professoral. Je crois que ce que je viens de dire
répond en partie. Le vieillissement n'est pas une cause
inévitable de détérioration, c'est une cause
inévitable dans les circonstances que la direction de
l'université crée de son propre gré, de façon
délibérée, à l'encontre du principe même de
la charte des droits de la personne, qu'il ne faut pas discriminer des
personnes; maintenant, ce sera illégal de discriminer les personnes
âgées.
M. Bédard: Vous me surprenez avec cette affirmation. Quel
serait l'intérêt d'une université de créer des
situations difficiles à ceux qui assurent l'enseignement, qui font la
recherche, etc? Je vous avoue que c'est assez difficile à croire.
M. Demers: C'est difficile à croire, mais le fait est
là , M. le ministre...
M. Bédard: Je respecte votre opinion, mais
là ...
M. Demers: Le fait est là , l'université vient
de...
M. Bédard: Vous ne nous avez pas apporté de faits
précis qui prouvent cette avancé.
M. Demers: Je pourrais vous citer un témoignage, qui n'est
pas une analyse statistique, si vous voulez.
M. Bédard: Remarquez que je ne devrais peut-être pas
poser la question, parce que vous avez à l'heure actuelle des
procédures, vous nous l'avez dit, d'intentées par rapport
à l'université?
M. Demers: Votre question ne met pas en cause ces
procédures, M. le ministre.
M. Bédard: Si cela ne vous gêne pas de
répondre, soyez bien à l'aise, allez.
M. Demers: Merci.
M. Bédard: J'aimerais quand même, quand vous nous
faites cette affirmation vous voir nous aligner quelques faits qui nous
permettent de prendre en considération ce que vous dites.
M. Demers: J'aimerais vous citer un extrait du SGPUM de septembre
1979. L'article est signé par Claude Lagadec, professeur de philosophie.
Le titre est: "Alors, les vieux, achevez-vous?" "Le sort que nous faisons
à nos vieux professeurs est typique du marché du travail
nord-américain. Il est d'une grande brutalité. Dès qu'ils
atteignent l'âge de 65 ans, nous les éloignons sans pitié."
Le reste de l'article est à l'avenant. Cela est un témoignage, il
n'y a pas de personnes mentionnées dans cet article que je lis, mais
cela est vraiment le témoignage d'un professeur de philosophie qui a
été témoin de la mise à la retraite forcée,
d'un professeur de philosophie, éconduit malgré la
réclamation unanime de tous les professeurs et de tous les
élèves dudit
département de philosophie. On l'a mis à la retraite
à 65 ans, malgré lui, et on l'a privé des moyens de
continuer son oeuvre. On lui a fourni effectivement une situation temporaire,
mais on l'a mis à la retraite et on l'a laissé à la
retraite malgré l'opinion unanime des collègues et des
élèves.
Quant à la diminution de productivité avant 65 ans, je
regrette, je n'ai pas préparé de dossier exprès sur ce
point, mais le témoignage de Thérèse Gouin-Décarie
est là pour signifier que la chose existe, puisqu'elle en parle. Il me
plairait de communiquer plus tard avec vous pour vous fournir des
renseignements concrets.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Marquette.
M. Dauphin: Merci, M. le Président. Je tiens,
évidemment, à vous remercier pour la présentation de votre
mémoire. Je vous ai entendu mentionner à quelques reprises, lors
de votre présentation, que les professeurs, rendus à un certain
âge, perdaient leurs droits politiques. J'aimerais que vous nous
expliquiez concrètement ce que vous voulez dire par la perte de droits
politiques pour un professeur, Ã moins que j'aie mal compris.
M. Demers: II s'agit des professeurs à la retraite. Quand
un professeur est mis à la retraite sous le régime qui existe
encore, il cesse évidemment d'être professeur avec tous les droits
et privilèges, etc. Il n'est plus un professeur en exercice. Ã
partir de ce moment peuvent intervenir des négociations avec
l'université selon le bon vouloir des autorités. Ces
négociations peuvent, selon un certain règlement de bon plaisir,
lui permettre d'exercer temporairement des fonctions administratives, des
fonctions d'enseignement, de recherche, d'étude, de publication. Cela
est mentionné explicitement dans les règlements en question qui
ont été adoptés à la suite de longues discussions.
Mais tout cela est laissé à la merci des autorités.
M. Dauphin: Si vous me permettez... Excusez.
M. Demers: Quant aux droits politiques, le professeur, au sein de
l'entreprise, au sein de l'université, n'a plus, une fois mis Ã
la retraite - c'est entendu - de droits politiques. C'est-Ã -dire qu'il
n'a plus le droit d'appartenir à l'assemblée universitaire, il
n'intervient pas dans les conseils de faculté, ni dans les
assemblées de département. C'est ça que je veux dire par
droits politiques.
M. Dauphin: D'accord, merci. Si vous me le permettez, M. le
Président, l'Université de Montréal a
présenté un mémoire et, si ma mémoire est bonne,
elle s'est prononcée contre l'abolition de la retraite obligatoire.
C'est bien ça? Mais les autres universités du Québec,
à votre connaissance, est-ce qu'elles ont la même attitude face au
vieillissement normal de leurs professeurs?
M. Demers: M. le député, d'abord, de
l'Université de Montréal sont venus, en réalité,
trois mémoires. Le nôtre compte pour un puisque c'est le
même mémoire, en principe, qui est soumis aux deux commissions. La
direction de l'université, c'est-à -dire le recteur et son
entourage, d'une part, et le Syndicat général des professeurs de
l'Université de Montréal ont présenté un
mémoire, et nous-mêmes, le groupe des doyens d'âge. La
direction de l'université a terminé son rapport en demandant un
moratoire non pas sur la retraite obligatoire, ce que les doyens d'âge
ont déjà demandé, mais sur l'abolition de la retraite
obligatoire. Voilà ce qu'ils ont fait. Le syndicat a approuvé
sans ambages l'abolition immédiate de la retraite obligatoire. Les
doyens d'âge, également, recommandent l'abolition de l'âge
obligatoire de la retraite.
M. Dauphin: D'accord. Dans les autres universités,
à votre connaissance, c'est la même chose, c'est le même
phénomène qui se produit.
M. Demers: Voilà les documents que j'ai à ce sujet.
L'Université du Québec a présenté un mémoire
à la commission des affaires sociales où elle recommande de
procéder avec prudence dans l'abolition de l'âge de la retraite
obligatoire. Donc, elle concourt à l'opinion de la direction de
l'Université de Montréal. Ses arguments sont à peu
près les mêmes et nous avons essayé d'y répondre
tout à l'heure. L'Université McGill ne s'est pas prononcée
comme telle. Le principal et vice-recteur Johnston a adressé un
mémoire - il ne déclare pas que c'est le mémoire de
l'Université McGill -dans la même ligne de pensée que la
direction de l'Université de Montréal.
M. Dauphin: Merci.
Le Président (M. Desbiens): S'il n'y a pas d'autres
interventions, je vous remercie, M. Demers, de votre participation aux travaux
de la commission.
Groupe d'action sur le milieu carcéral
J'inviterais maintenant le Groupe d'action sur le milieu carcéral
à s'approcher, s'il vous plaît.
M. Bougie, c'est ça?
M. Bougie (Jean-Marc): C'est ça.
Le Président (M. Desbiens): Vous pouvez y aller.
M. Bougie: M. le Président, MM. les membres de la
commission, avant de procéder, je désire m'excuser pour la
qualité du texte qui est devant vous aujourd'hui. Il y a eu une petite
erreur au département de la polycopie à l'université et,
au lieu de faire parvenir le texte fini et corrigé au complet, on a
envoyé le texte qui a servi pour rédiger le mémoire.
Le Président (M. Desbiens): Est-ce le texte final?
M. Bougie: Je pense qu'on vient juste de vous distribuer deux
autres chapitres au mémoire.
Le Président (M. Desbiens): Cela s'ajoute au
mémoire?
M. Bougie: C'est ça.
Le Président (M. Desbiens): D'accord.
M. Bougie: C'est la partie analyse politique et la section de la
discrimination au travail et l'ex-détenu.
Messieurs, puisqu'il n'y a pas de dames qui siègent.
Idéalement il ne devrait pas y avoir de circulation d'informations
concernant les antécédents judiciaires. à défaut de
cet objectif, je désire ce soir, au nom du Groupe d'action sur le milieu
carcéral, vous entretenir de sujets touchant les articles 10 et 16 de la
charte afin qu'il soit inclus dans les articles que la condition sociale telle
que désignée à l'article 10 doit comprendre les
antécédents judiciaires.
L'Ãtat doit cesser d'adopter des lois en faveur des règles
de pratique discriminatoires et prendre le plus tôt possible l'initiative
d'abolir celles qui le sont directement ou celles qui, par d'autres chemins,
deviennent discriminatoires.
La société québécoise, vous les
législateurs, nous tous, ensemble, devons mettre fin Ã
l'érosion des droits individuels. Cela est d'autant plus
nécessaire si nous désirons sauvegarder et faire respecter les
droits de l'Ãtat et de la collectivité.
Si les législateurs adoptent une Charte des droits et
libertés de la personne afin qu'un homme ou une femme n'ait pas
plusieurs portions de droits et qu'une autre personne n'en possède pas
moins, il faut que les autres lois de ces mêmes législateurs
soient actives pour la maintenir dans son application et qu'elle ne soit pas
qu'une condition passagère où l'inégalité entrera
par le côté que les lois n'auront pas défendu.
à titre d'exemple, je souligne l'article 227, sections 5 et 6, du
Code municipal qui interdit à l'ex-détenu d'être
fonctionnaire ou employé d'une municipalité. Un tel exemple se
retrouve à des dizaines d'endroits dans les lois du Québec et,
sous silence, une telle règle est appliquée quotidiennement dans
des milliers de demandes d'emploi au Québec. (21 h 45)
Le détenu et l'ex-détenu forment un marché captif,
un réservoir de main-d'oeuvre bon marché; les pénitenciers
et les prisons du Québec sont le noyau de l'esclavage au Québec
et au Canada.
Tel qu'exprimé par Hélène Dumont, criminologue
à l'Université de Montréal, au fur et à mesure que
se déroule le processus judiciaire, le détenu perd
progressivement mais sûrement son statut de membre de la
société. Son identité est détruite. Lorsque le
détenu aura purgé sa peine et sortira de prison, on le
considérera comme un ex-détenu, statut qui l'empêchera de
se trouver du travail, de faire des affaires et de vivre comme tout autre
citoyen.
L'expérience de la Commission des droits et libertés de la
personne vient dans tous les cas le confirmer. Les cas
d'antécédents judiciaires les plus fréquemment
portés à son attention mettent en relief l'ampleur de l'exclusion
qui frappe ces personnes dans le domaine de l'emploi, plus
particulièrement. Le fait d'avoir un dossier judiciaire ou un dossier de
police marque irrémédiablement son titulaire, l'empêchant
de trouver ou de garder un emploi et ce, quelle que soit la gravité de
l'infraction pour laquelle il a été condamné, quel que
soit le délai qui s'est écoulé depuis la commission de
l'infraction, quelle que soit sa volonté de réhabilitation
démontrée depuis et pour laquelle le pardon n'est même pas,
dans certains cas, une preuve suffisante.
La stigmatisation est, bien sûr, moins radicale qu'Ã
l'époque où on marquait l'épiderme des condamnés au
fer rouge, mais elle est tout aussi permanente. Grâce, en effet, Ã
l'efficacité des moyens de communication, d'identification et de
conservation des renseignements, surtout depuis le développement
prodigieux de l'informatique, grâce aussi à l'accès facile
qu'ont certains enquêteurs et employeurs pour faire enquête sur les
antécédents d'une personne qui postule un emploi, le casier
judiciaire colle à la peau presque aussi sûrement qu'un stigmate
physique.
Mais il y a plus. En faisant obstacle à l'emploi, le casier
judiciaire nuit à la réhabilitation et encourage même
l'agir délinquant. Comme le dit le criminologue Maurice Cusson en
décrivant les conséquences de cette exclusion: "Ce n'est pas un
moindre paradoxe des peines stigmatisantes qu'elles poussent le
délinquant sur le chemin de l'antisocialité tout en le
pénalisant impitoyablement pour avoir pris
cette orientation. Tous les éléments de la stigmatisation
qui poussent le délinquant au crime le privent en même temps des
bienfaits les plus précieux de la vie en société.
L'exclusion libère le délinquant des contraintes sociales et le
motive à l'agir criminel mais, en même temps, elle le condamne
à l'isolement et l'expose à l'hostilité d'autrui.
L'étiquetage conduit le délinquant à intérioriser
une identité criminelle qui justifiera son activité antisociale
mais, en même temps, le voue au mépris et à la honte".
Cette exclusion contredit donc carrément une des finalités
explicites du système pénal et de la Charte des droits et
libertés de la personne, à savoir la réhabilitation, la
resocialisation du délinquant et l'égalité en
société. Dans la mesure, en effet, où l'on reconnaît
que l'emploi a un rôle de premier plan dans la réhabilitation et
la réintégration sociale des personnes, il convient en toute
logique de favoriser l'emploi des ex-délinquants en investissant soit
dans la formation professionnelle, dans leur temps d'incarcération, soit
lorsqu'ils sont de retour en société.
Or, dans notre système actuel, on semble nager en pleine
contradiction. Non seulement ne fait-on pratiquement rien pour l'emploi
postpénal mais la société, par ses lois et ses pratiques,
pose toutes sortes de barrières légales à l'endroit des
personnes condamnées annulant, à toutes fins utiles, les quelques
efforts tentés du côté de la formation professionnelle dans
certains centres de détention. Est-on vraiment sérieux lorsqu'on
parle de réhabilitation?
à cet égard, on n'est pas suffisamment conscient encore du
cercle infernal dans lequel ces personnes sont engagées lorsque,
stigmatisées pour un geste délictueux, elles ne peuvent que
difficilement retrouver leur place dans la société dite normale,
gagner leur vie par des moyens légitimes et se sentir acceptées
et utiles.
L'Ãtat se fait partie prenante de cette situation en venant
structurer dans ses lois des incapacités liées à la
commission d'infractions criminelles et même au défaut de la
personne de prouver sa bonne conduite. Exemple: Ainsi, dans le secteur public,
en vertu de l'article 682 du Code criminel, il est impossible pour toute
personne condamnée à un emprisonnement de cinq ans ou plus,
à moins d'obtenir un pardon absolu, un pardon illusoire, d'occuper une
fonction relevant de la couronne ou tout autre emploi public, ni de
siéger comme député au Parlement du Canada ou à une
Législature provinciale. J'aimerais savoir si c'est un objectif.
Exemple: Dans le secteur des relations du travail dans la construction, la Loi
sur les relations du travail dans l'industrie de la construction définit
légalement plusieurs types d'incapacités liées aux casiers
judiciaires, article 2g de la loi, le fait d'avoir commis certaines infractions
comme les voies de fait simples, le vol, l'intimidation, le trafic de
narcotiques rend inhabile à l'exercice de certaines fonctions
syndicales.
Un autre exemple: les règles relatives aux appareils d'amusement,
article 2. Une personne qui désire obtenir une licence d'exploitant ou
de commerçant doit être exempte de toute condamnation pour acte
criminel. Au Québec, tout comme dans les autres Ãtats, nombreux
sont les lois et les règlements qui rendent inhabile au travail
l'ex-détenu, c'est-à -dire de la discrimination basée sur
la condition sociale de la personne. Pour comprendre cela, il n'est nullement
besoin d'avoir une grande connaissance des choses. Il s'agit simplement de
considérer les exclusions dans les domaines suivants: les banques, Air
Canada, Canadien National, Pétro-Canada, un grand nombre de professions,
le domaine de l'éducation au Québec, l'industrie du transport au
Québec et, sans avoir exagéré, nous pouvons compter plus
de 2 000 000 d'emplois que l'ex-détenu est inhabile Ã
postuler.
Cette dure réalité est très coûteuse pour
l'ensemble de la société puisqu'elle se prive d'une banque
d'énergie humaine considérable. Pour entretenir au passif de
telles ressources humaines et pour nourrir un tel état de discrimination
basé sur les antécédents judiciaires, les citoyens et
l'Ãtat qui le font doivent débourser d'énormes sommes
d'argent soit par l'assistance sociale afin de maintenir l'individu au-dessus
du seuil de la pauvreté, soit en investissant davantage dans la police
afin de surveiller l'ex-détenu sans emploi, soit par l'investissement
accru que l'Ãtat doit faire dans ses tribunaux et dans ses prisons afin
de réincarcérer ces gens sans emploi. Les 6 000 000 $ que nous
coulons dans un fleuve déficitaire année après
année doivent être renversés afin que ces gens aient la
possibilité de devenir des actifs dans la société.
Il est essentiel que, si nous devons avoir des peines, elles aient au
moins aussi des fins. Lors du prononcé d'une sentence, le juge parle
strictement de réinsertion une fois que la peine d'incarcération
sera terminée. Je crois qu'une telle façon de procéder est
fausse et contraire à la réalité puisque les lois et les
juges aideront tous ceux qui voudront exercer de la discrimination à la
faire lorsque le détenu sera libéré du pénitencier
ou de la prison. Vous comprenez, le juge prononce une sentence
d'incarcération tout en faisant miroiter à long terme la
possibilité de refonctionner dans la société, mais les
juges ne disent pas toute la vérité, c'est-à -dire qu'ils
ne disent pas que les lois du Québec vont permettre à l'employeur
de le discriminer à cause de ces antécédents judiciaires.
Ce n'est pas une réinsertion qu'on
fait. On réincarcère quelqu'un en
société.
L'individu ne pourra pas, une fois relâché du
pénitencier, se trouver "une job" à la municipalité, ni se
construire une profession d'assureur ou de huissier ou travailler dans des
compagnies qui exigent une preuve de bonnes moeurs, ni exercer son droit
démocratique, ni participer pleinement au processus politique, puisque
les lois lui interdisent de solliciter ces emplois et la Charte des droits et
libertés de la personne ne peut rien contre ce type de discrimination
présentement. Alors, si nous devons avoir des peines, nous devons aussi
y mettre de l'espérance. La clémence et la tolérance sont
des qualités qui distinguent bien une société qui a de la
maturité et est capable de vivre avec les contradictions des autres
types de sociétés. Le contraire ne peut servir qu'Ã
ôter aux citoyens l'amour qu'ils ont pour l'Ãtat et les gens. Vos
lois disent: Quand faut-il punir? Quand faut-il discriminer? Il est temps de
leur faire dire quand il faut cesser de punir et quand il faut cesser de punir
de façon excessive.
Moi-même, comme d'autres détenus, j'ai certaines
compétences. J'ai un bac en communications et je complète
présentement une licence en droit. L'année prochaine,
j'espère que le jour de ma demande d'admission au barreau, lorsqu'elle
sera étudiée, elle se fera à partir de mes
compétences, de mes connaissances et de ma volonté d'être
actif dans la société, et qu'un refus ne me sera pas donné
à cause de mesures discriminatoires basées sur mes
antécédents judiciaires, comme cela se produit continuellement
depuis ma sortie du pénitencier. Depuis ma sortie du pénitencier,
j'ai fait 109 demandes d'emploi, et à la plupart, de façon polie,
on a répondu: On n'a pas de place. D'autres, de façon informelle
et non écrite, me disaient: On ne veut pas d'un casier judiciaire.
Il y a certaines solutions qu'on doit apporter à la charte et
à notre société. Au Groupe d'action sur le milieu
carcéral, nous partons d'une philosophie axée sur
l'égalité dans la reconnaissance et l'exercice des droits et
libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou
préférence fondée sur la condition sociale, et de toutes
les autres conditions présentement incluses dans la charte.
Nous reconnaissons que le fond du problème n'est pas le casier ou
le dossier lui-même, mais les attitudes des dirigeants des modes de
production dans notre société. Le fond du problème se
trouve aussi dans les attitudes de la société qui refuse
d'accepter la personne telle qu'elle est, et non de cacher le casier ou le
dossier. Il existe une structure réglementaire qui oblige l'individu au
service de l'Ãtat et de l'industrie à discriminer contre la
personne qui était préalablement incarcérée.
Ceci dit, il faut interdire, par des mesures éducatives et
législatives, la discrimination contre les personnes qui ont un casier
ou un dossier judiciaire. Il faut aussi stipuler dans l'article 10 que la
condition sociale doit englober les antécédents judiciaires et
non pas ce que peuvent prétendre deux juges dernièrement qui ont
donné des opinions différentes à ce sujet. Il faut aussi
éliminer dans les lois et les règlements les exigences
reliées aux moeurs, habitudes de vie et fréquentations, Ã
cause de leur imprécision et subjectivité et parce qu'elles
permettent d'exercer une trop grande discrétion.
Le gouvernement et les compagnies doivent investir dans un programme du
genre "Affirmative action program" afin d'encourager l'intégration dans
la société de l'ex-détenu. Un tel programme ne doit pas
s'appliquer uniquement à des secteurs qui sont Ã
l'extérieur de la fonction publique ni à l'extérieur des
professions, et encore moins là où il y a la présence d'un
syndicat. Comme critère minimal, le programme doit favoriser
l'accès à l'éducation, y compris les niveaux
collégial et universitaire, l'accès au travail, la
réintégration à la vie économique d'une
société. à long terme, idéalement, il faudrait
abolir les pratiques destructives de la société,
c'est-à -dire le droit pénal, notre présent mode
d'incarcération, les structures qui forcent la personne humaine Ã
s'incarcérer dans un état de soumission. Je vous remercie de
votre attention.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Bédard: Je tiens à vous remercier d'une
façon tout à fait particulière de votre communication aux
membres de cette commission. Il s'agit d'une communication très
personnalisée, mais très éloquente aussi. Je suis d'accord
avec vous qu'il y a beaucoup trop de fonctions qui sont refusées
à ceux qui ont le malheur d'avoir un casier judiciaire. Je pense que
vous parliez de 1 000 000 de fonctions. Je comprends que c'est une image.
M. Bougie: Non, c'est 2 000 000 jusqu'Ã maintenant. Ma
recherche n'est pas encore complétée. Elle va l'être d'ici
à Noël, mais là , je suis rendu à 2 000 000. (22
heures)
M. Bédard: De toute façon, sans arriver à un
chiffre précis, je pense que jusqu'à maintenant, il y a encore
beaucoup trop de cette propension, que ce soit de la part du législateur
ou encore de la part des gens dans la société à être
rébarbatifs ou encore à être très réticents
à donner véritablement une chance de réhabilitation
à ceux qui ont un casier judiciaire.
Je peux d'autant plus en parler que j'ai
eu l'occasion de pratiquer le droit criminel durant dix ans.
Personnellement, à moins de circonstances très exceptionnelles,
je suis un de ceux qui croient vraiment à la réhabilitation
à partir de très nombreux exemples qu'il m'a été
donné de vivre, où j'ai vu non seulement des jeunes, mais des
gens de tous les âges qui, après avoir eu des difficultés
avec les tribunaux, ont quand même pu, à partir du moment
où la société leur a donné la chance, se tailler
une place intéressante au niveau des responsabilités Ã
assumer dans la société.
Je pense que, d'une façon générale, la
société est pour le principe de la réhabilitation. Vous
allez vous promener parmi le monde et il n'y a pas, je crois, une personne qui
va se prononcer contre le principe de la nécessité de la
réhabilitation, mais on est à même de constater que, quand
vient le temps effectivement de faire confiance à quelqu'un, d'accepter
de lui donner des responsabilités, une véritable chance, le
nombre est beaucoup plus restreint, Ã ce moment, de ceux qui acceptent
de donner cette chance qui est nécessaire à la
réhabilitation.
Maintenant, vous nous dites qu'il y a un très grand nombre de
fonctions qui sont inaccessibles à ceux qui ont un casier judiciaire et
vous avez raison. Est-ce que vous croyez cependant qu'il peut y avoir certaines
fonctions où on se doit de tenir compte des antécédents
judiciaires d'une personne? C'est pour fins de discussion que je vous pose la
question. Je pense, par exemple, Ã la profession de policier, d'agent de
sécurité. Est-ce que vous croyez qu'il y a certaines fonctions
qui peuvent difficilement...
M. Bougie: J'ai longuement réfléchi à cette
dimension. Premièrement, je me posais la question moi-même, et,
deuxièmement, je savais que quelqu'un était pour me la poser.
L'exemple typique que tout le monde va faire surgir, c'est le poste du
policier. Personnellement, je n'ai pas d'ambition dans ce sens. Je ne crois pas
que ceux qui sont incarcérés présentement auraient cette
ambition de devenir policier. C'est un exemple qui est un peu sorti, pour dire:
On justifie l'incarcération parce qu'il y a des meurtriers, lorsqu'on
sait pertinemment que les meurtriers composent peut-être 2% ou 3% de la
population carcérale. J'aimerais plutôt répondre dans le
sens suivant: dans le domaine de l'éducation, professeurs, psychologues,
administrateurs ou, dans le domaine judiciaire, huissiers, avocats, notaires,
dans le domaine du transport, camionneurs, hommes d'entrepôts, dans le
domaine de l'assurance, vendeurs d'assurances, courtiers d'assurances,
évaluateurs d'assurances, franchement et honnêtement, je ne crois
pas qu'on devrait mettre et qu'on doit mettre des entraves. Je suis totalement
contre ce principe, qu'on doive dire que telle fonction...
M. Bédard: Vous ne voyez aucune exception?
M. Bougie: Non, je n'en vois pas d'exception, parce qu'il y a
quelque chose...
M. Bédard: Je vous pose la question pour vous permettre
d'élaborer votre idée, parce que vous le faites à partir
d'une conviction personnelle.
M. Bougie: C'est cela. Si on veut construire une
société où on respecte pleinement les droits et
libertés de l'individu, même si à certains moments il a
lui-même outrepassé ses libertés et ses droits, on ne doit
pas lui couper toute source d'espérance. On ne doit pas dire Ã
cette personne humaine: Floc, on n'a plus besoin de toi dans la
société. La société a suffisamment de
problèmes, a suffisamment de questions à se poser qu'elle ne peut
pas se permettre de mettre des gens de côté et de dire: Toi, tu ne
peux pas nous aider à les résoudre. On ne doit pas faire cela.
Effectivement, c'est de cette façon qu'on procède; on exclut les
gens, on leur dit: Tu n'es plus bon.
M. Bédard: Pensez-vous qu'il y a...
M. Bougie: La même chose se produit avec les gens plus
âgés, la même chose se produit chez les jeunes. On ne tient
pas compte de leurs opinions et, pour toutes sortes de raisons, on exclut un
paquet de gens du "package to solution problem". On les exclut. C'est pareil
pour les assistés sociaux. On leur dit: Vous autres, vous êtes sur
l'assistance sociale, on vous exclut, vous ne pouvez pas tellement participer
à l'élaboration d'une bonne société. On restreint
toujours le groupe qui prend des décisions et qui participe activement.
On ne devrait pas partir de ce principe.
M. Bédard: D'accord, il faut partir du principe qu'il est
important de faire confiance à l'humain qu'il y a dans chaque personne
pour qu'elle trouve les possibilités de se réhabiliter même
s'il y a eu certaines difficultés de parcours. Cela me semble
très important, humainement parlant. Je ne parle pas des offenses
mineures, mais, quand il s'agit d'offenses majeures, d'actes criminels majeurs,
pensez-vous qu'il peut être acceptable que certaines personnes demandent
quand même une "période de probation"? Trouvez-vous que cela peut
être normal que certains citoyens, avant de lui faire confiance,
demandent, autrement dit, à la personne concernée
d'apporter des preuves de réhabilitation durant un certain temps,
avant d'aller jusqu'à lui confier des responsabilités de
premier ordre?
M. Bougie: Dans un premier temps, si on prend l'exemple d'un
ex-détenu qui est dangereusement déséquilibré
mentalement et d'un citoyen ordinaire qui peut aussi être dangereusement
déséquilibré mentalement, cela existe des deux
bords...
M. Bédard: Oui.
M. Bougie: ... c'est certain qu'on doit prendre certaines
précautions, d'accord. Mais ce n'est pas le cas pour la très
grande majorité des gens incarcérés. On dit même
qu'ils ont beaucoup de créativité et beaucoup d'énergie,
ce qui ne serait pas mauvais dans la fonction publique.
On parle de période de probation. Disons que vous fixez une
période de probation de deux ans avant qu'il soit habilité
à travailler. Durant ces deux ans, que va faire ce bonhomme? Se promener
d'un bureau d'aide sociale à l'autre? Je refuse de le faire, parce que
je ne veux rien savoir de cela. On ne peut pas soumettre quelqu'un
continuellement à un régime de dépendance de
l'Ãtat, dépendance qui se crée en prison,
dépendance qui se continue à l'extérieur en faisant
continuellement appel à l'aide sociale ou à d'autres organismes
communautaires. Il faut qu'un jour on lui donne un peu cette liberté de
participer activement à la société. Foncièrement,
je dis: Non, une période de probation, personnellement, je n'en voudrais
pas.
M. Bédard: Je suis bien d'accord avec vous que la
meilleure manière d'arriver à une réhabilitation le plus
rapidement possible pour le prévenu, c'est d'avoir la
possibilité, très rapidement, d'assumer des
responsabilités, mais je pense...
M. Bougie: Le problème de la période de probation,
c'est que pendant cette période on empêche l'individu de
travailler au même titre que tous les autres. Je reprends mon exemple, si
on me permet...
M. Bédard: Je voudrais m'expliquer comme il faut, il ne
s'agit pas de faire en sorte qu'il y ait une défense, j'ai parlé
de période de probation, c'est une expression comme une autre...
M. Bougie: Je comprenais le sens.
M. Bédard: J'aurais peut-être dû vous poser la
question autrement. Est-ce que vous expliquez le fait que des employeurs aient
des réticences à employer des ex-détenus dès leur
sortie d'institution?
M. Bougie: C'est que les employeurs, habituellement...
M. Bédard: Réticences qui peuvent tomber
après quelques années.
M. Bougie: Les employeurs lorsqu'ils veulent avoir du "cheap
labour", ils n'ont plus de réticences, d'accord? D'un autre
côté, il y a plusieurs employeurs qui redisent toujours la raison
suivante: Pourquoi, moi, je t'engagerais, lorsque le gouvernement ne veut
même pas faire l'effort lui-même pour donner l'exemple? Ils ne
veulent rien savoir de cela.
D'un autre côté, il y a plusieurs employeurs qui prennent
la chance, si on veut, et puis il y en a qui se font brûler; la grande
majorité ne se fait pas brûler. Ceux qui se font brûler
c'est un pourcentage identique à la moyenne normale d'employés
qui travaillent à l'intérieur d'une industrie; il n'est pas plus
haut.
Plusieurs employeurs vont vous dire que leur productivité est
supérieure parce que le gars est motivé. Certains employeurs
veulent avoir une certaine garantie, mais cette garantie peut être
donnée comme présentement de façon informelle par
l'entremise du service de libérations conditionnelles, par l'entremise
de la John Howard Society ou par d'autres groupes communautaires qui
travaillent continuellement avec les ex-détenus. Cela se fait de
façon informelle; le patron téléphone, dit "oui, c'est
correct", le travailleur social dit "oui, cela marche" cela se fait de
façon informelle et cela fonctionne comme cela.
La plus grande réticence c'est qu'il ne faut pas oublier que
l'Ãtat est le plus grand employeur; si lui-même pose des
barrières, les autres vont difficilement suivre.
M. Bédard: Je vous remercie de votre
témoignage.
Le Président (M. Desbiens): Le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: Oui, merci pour votre témoignage personnel. Je
pense qu'à travers votre témoignage personnel on a compris les
problèmes de beaucoup de Québécois qui se trouvent dans
votre situation.
Vous êtes un ex-détenu exceptionnel, tous les
ex-détenus ne sont pas comme vous; ils ne font pas tous des cours de
droit.
M. Bougie: Est-ce que je peux faire une petite parenthèse
ici?
M. Marx: Oui.
M. Bougie: Tous ne font pas des cours de droit, mais d'autres
font des cours d'administration, de sociologie, de psychologie, de
mécanique, de peinture et Ã
mes yeux c'est tout autant valable que mon choix.
M. Marx: Beaucoup d'ex-détenus se retrouvent en prison une
autre fois, ils retournent en prison souvent; est-ce que vous avez des
récidivistes? Est-ce que vous avez suivi - puis-je poser des questions
personnelles, ce n'est pas nécessaire de répondre si vous ne le
voulez pas - des cours de réhabilitation ou des programmes de
réhabilitation en prison?
M. Bougie: Cela me fait sourire. J'ai été dans un
pénitencier pendant près de cinq ans, et les cours de
réhabilitation, j'ai dû les suivre moi-même; pour obtenir
les livres à l'université, j'ai dû aller à la cour
fédérale. Je pense que cela répond à vos questions.
Il ne faut pas se leurrer avec les programmes de réhabilitation Ã
l'intérieur. Le travailleur social a 150 cas à régler dans
la semaine, plus tous les rapports à faire, il n'a pas le temps de s'en
occuper; ce n'est pas le gardien qui s'en occupe non plus; le directeur de
l'institution est tellement occupé dans ses réunions que lui non
plus n'a pas le temps. Les programmes de réhabilitation où l'on
montre à un gars comment laver le plancher pendant cinq ans ou dix ans
cela ne sert pas à grand chose. (22 h 15)
Les programmes de réhabilitation où l'on montre Ã
quelqu'un un métier en lui disant: à ta sortie, tu vas avoir un
emploi, c'est illusoire parce que l'employeur, même si le gars est
compétent, ne l'embauchera pas à cause de son casier judiciaire.
Souvent, dans ces programmes de réhabilitation, on dit: Apprends tel
métier et tout va bien marcher. Mais on ne dit pas à la personne
qu'elle pourra avoir sa carte de compétence. Cela lui prend son
secondaire V ou son cégep et on ne compense pas avec cela. Donc, il y a
plusieurs lacunes et ces programmes de réhabilitation, jusqu'à un
certain degré, sont faussés dès le début. Il y en a
qui fonctionnent et tous ceux que j'ai vus qui fonctionnent ont
été des programmes individuels où la personne s'est prise
elle-même en main.
M. Marx: Quelle est la valeur de la loi fédérale
sur le pardon après trois ou cinq ans?
M. Bougie: La loi fédérale sur le pardon, c'est
cinq ans après la fin de la sentence. De plus, elle ne s'applique pas
aux provinces, elle ne s'applique pas aux corps policiers municipaux ni
provinciaux. Cela veut dire qu'au lieu de téléphoner à la
GRC pour savoir si le gars a un dossier judiciaire, il va
téléphoner à la SQ ou il va téléphoner
à la police de Montréal. Ils gardent des dossiers, eux. Le pardon
ne s'applique qu'au niveau fédéral.
M. Marx: Le dossier est censé être effacé.
Non?
M. Bougie: Non, le dossier n'est pas effacé. Le dossier
est pris, il est mis dans une voûte quelque part à Ottawa. Cela
s'applique seulement au niveau fédéral.
M. Marx: C'est-Ã -dire que si...
M. Bougie: Cela ne s'applique pas...
M. Marx: Supposons que quelqu'un vous pose la question suivante:
Avez-vous un dossier judiciaire? Après avoir reçu un pardon,
devez-vous répondre: Oui, j'ai un dossier judiciaire, ou pouvez-vous
répondre honnêtement: Non, je n'ai pas de dossier?
M. Bougie: On dit qu'on peut dire non. D'accord?
M. Marx: Oui.
M. Bougie: Mais d'un autre côté, tu peux dire non,
mais le gars, s'il fait de la recherche le moindrement, va dire: Tu m'as menti
parce que tu as été condamné. Il va avoir cette
information des corps policiers des municipalités ou de la
Sûreté du Québec ou, en Ontario, de la police provinciale
de l'Ontario, parce que la loi fédérale sur le pardon ne
s'applique uniquement qu'aux dossiers que possède le
fédéral. Elle ne s'applique pas aux dossiers de la province ni
des municipalités.
M. Marx: Mais quel est l'effet juridique du pardon? Par
exemple...
M. Bougie: C'est un faux pardon. M. Marx: C'est un faux
pardon.
M. Bougie: Ces conclusions-là sont les miennes. Ces
conclusions-là ont été dites à maintes reprises par
la Commission des droits de la personne et par tous les autres organismes
communautaires qui s'occupent de l'incarcération. C'est faux parce que
cela ne s'applique qu'Ã un niveau.
M. Marx: Supposons que, pour les fins d'être admis au
Barreau, on vous pose la question: Est-ce que vous avez un dossier judiciaire?
Si vous allez répondre non, ce sera une réponse
véridique...
Une voix: ...
M. Marx: Pardon? Est-ce que c'est une réponse fausse ou
une réponse véridique?
M. Bougie: Je ne suis pas un praticien
du droit, mais monsieur...
M. Marx: Peut-être peut-on avoir un peu d'expertise sur ce
sujet?
M. Bédard: Je peux peut-être avoir une information
auprès de...
M. Marx: Oui, ce monsieur est... Ce monsieur peut-il
s'identifier?
M. Bédard: Si vous me le permettez. Je suis Roméo
Landry de la Direction générale de détention et de
probation.
M. Marx: D'accord.
M. Bédard: II y a eu des journées d'étude
dernièrement organisées par la Société de
criminologie du Québec avec la Commission nationale des
libérations conditionnelles et nos organismes au Québec. Il a
été dit, à ces journées d'étude, que la Loi
du casier judiciaire s'appliquait, comme monsieur l'a dit, au casier judiciaire
qui est dans les mains de la GRC. Elle ne s'applique pas aux provinces, c'est
une loi fédérale qui s'applique au niveau
fédéral.
Par contre, quand une personne a eu un pardon, elle doit
répondre: Oui, j'ai eu un casier judiciaire, mais j'ai obtenu un
pardon.
M. Marx: C'est un faux pardon si c'est cela.
M. Bédard: C'est ce que la Commission nationale des
libérations conditionnelles suggère parce qu'il y a eu des cas
où des personnes, pour le barreau ou autres fonctions, ont
répondu: Non, je n'ai pas de casier judiciaire. C'est une personne qui
avait eu un pardon. L'employeur ou l'organisme avait trouvé, par les
dossiers de police ou autrement, qu'elle avait eu, effectivement,
déjà un casier judiciaire. Cela n'abolit pas le casier
judiciaire; cela le met de côté.
M. Marx: Ah bon! Cela le met de côté du point de vue
des organismes fédéraux.
M. Bédard: Si on comprend bien votre explication,
même lorsqu'on répond à un questionnaire venant du
fédéral, préparé par les autorités
fédérales, la réponse doit être: "J'ai un casier,
mais j'ai obtenu un pardon."
D'ailleurs, la Commission des droits s'est penchée sur le
problème et, dans un bulletin mensuel, disait la même chose.
M. Marx: Et pour des infractions provinciales, il n'y a pas de
pardon.
M. Bédard: II n'y a pas de casier judiciaire.
M. Marx: II n'y a pas de casier judiciaire, donc on...
M. Bédard: Ce sont des peines de moins de deux ans.
M. Marx: C'est le droit pénal provincial, donc pas de
casier judiciaire.
M. Bougie: Sur les peines de moins de deux ans, même cette
information-là est transmise à la GRC.
M. Bédard: C'est le casier judiciaire.
M. Marx: Tous les actes criminels en vertu du Code criminel.
Donc, je comprends comment cela peut être vu comme un faux pardon.
Comment allez-vous vous présenter au barreau?
M. Bougie: C'est qu'il y a deux solutions.
M. Marx: II y en a une que je vois bien, c'est que quelqu'un
dépose un projet de loi privé, quelqu'un comme moi, et ce serait
appuyé par le ministre, cela va passer vite.
M. Bougie: II y a deux solutions: premièrement, que le
législateur trouve les modifications nécessaires, non seulement
à la loi du barreau, mais à toutes les autres lois qui existent.
Deuxièmement, mon autre solution, c'est de faire une maudite facture
juridique et vous amener en cour pendant dix ans s'il le faut, mais je vais
gagner mon point.
M. Marx: II y a la troisième solution, un projet de loi
privé.
M. Bougie: Oui. Le Parlement est souverain.
M. Marx: Le Parlement est souverain. Autrefois, on a eu beaucoup
de projets de lois privés pour l'admission au barreau des avocats.
M. Bédard: Ou sans être avocat, comme vous dites,
avoir une cause très importante dans le sens des réclamations.
Enfin, on n'est pas ici quand même pour décider de situations
personnelles.
M. Marx: Je pense que M. Bougie a soulevé une question
importante, parce qu'il y a tellement d'emplois dont les ex-détenus sont
exclus. C'est que, finalement, on fait la réhabilitation pourquoi? Les
gens sont dans un cul-de-sac et peut-être faudra-t-il se pencher sur
cette question quand on révisera la charte, le cas
échéant.
M. Bougie: Juste une note pour la fin.
Soit qu'on comprenne que, dans la condition sociale, les
antécédents judiciaires sont compris dans cela, ou soit qu'on
étire l'article 10 d'une virgule de plus, et qu'on dise que
l'antécédent judiciaire, on ne peut pas faire de discrimination
à partir de cela.
M. Marx: Disons que oui, oui.
M. Bédard: Ce n'est pas tellement par la charte qu'on peut
régler le problème, c'est plutôt par des amendements en
conséquence aux lois sectorielles.
M. Bougie: C'est certain que la charte, moi, je la
considère comme un début et je suis certain que, s'il y a
d'autres lois à côté qui viennent contredire la charte...
Donc, nécessairement, il faudrait amender la charte et amender les
autres lois qui permettent présentement la discrimination.
M. Marx: Juste une dernière question, parce que le
ministre a posé cette question. Dans votre idée, il n'y aurait
pas de discrimination du tout. Donc, si quelqu'un a un dossier judiciaire de
cinq vols de banque et pose sa candidature à une banque, il doit
être engagé. Cela sera difficile à avaler pour les banques,
sans parler de la population.
M. Bougie: Cela sera difficile à faire avaler aux banques.
Je ne suis pas tellement d'accord. C'est que le seul emploi que j'ai eu depuis
ma sortie, cela a été de rédiger des articles justement
pour le mouvement Desjardins; j'ai été engagé par le
président du mouvement Desjardins dans ce temps-là .
Peut-être que, si on considérait un peu plus les présidents
de banque, ils pourraient établir des politiques à cet effet.
M. Marx: Mais cela dépend de l'emploi qu'on a à la
banque. Si c'est un caissier ou quelqu'un qui rédige des textes, je vois
cela comme...
M. Bougie: C'est là que je veux en venir, c'est que, dans
une banque, il y a 8 caissiers, mais il y a 1000 administrateurs.
M. Marx: Je pose la question, parce que je ne suis pas
nécessairement en désaccord avec ce que vous dites, mais je pose
la question parce que je vois qu'on peut avoir des réticences ici et
là .
M. Bougie: Je comprends que vous pouvez aller dans les cas
extrêmes mais, d'un autre côté, si on fait une analyse des
graphiques qui sont présentés par le système
fédéral, ces cas extrêmes sont minoritaires.
M. Marx: D'accord.
M. Bougie: Puis la masse, il faut la prendre en
considération aussi.
M. Bédard: C'est évident que quand on fait
l'évaluation des réussites qui ont lieu au niveau des
libérations conditionnelles, le pourcentage de réussites est
très élevé. Malheureusement, ce sont toujours les cas plus
isolés, où il y a eu des difficultés, qui ressortent. Je
suis bien d'accord avec vous.
Le Président (M. Desbiens): D'autres commentaires?
M. Bougie: Non.
Le Président (M. Desbiens): Je vous remercie de votre
participation aux travaux de la commission.
M. Bougie: Je vous remercie. M. Bédard: Merci.
Office des droits des détenus
Le Président (M. Desbiens): J'inviterais maintenant
l'Office des droits des détenus à s'approcher, s'il vous
plaît.
M. Jean-Claude Bernheim, si vous voulez présenter votre
compagnon, s'il vous plaît.
M. Bernheim (Jean-Claude): M. le Président, messieurs, je
vous remercie pour l'occasion que vous nous offrez. Je voudrais d'abord vous
présenter des excuses de Me Millette, qui n'a pu se présenter ce
soir pour nous accompagner pour des raisons professionnelles. M. Luc Gosselin
m'accompagne. Nous allons lire chacun une partie de notre mémoire.
Avant de présenter le texte de notre mémoire,
permettez-nous de vous faire une remarque. Tout d'abord, la Ligue des droits et
libertés, autrefois la Ligue des droits de l'homme, a été
à l'origine d'un projet de charte des droits et libertés, lequel
projet de charte de la ligue a été promulgué comme loi au
Québec en 1975, quoiqu'elle ne soit pas promulguée comme loi
fondamentale comme nous le proposions. La ligue a également
proposé ou est à l'origine de la Loi sur la protection de la
jeunesse. Le comité de l'Office des droits des détenus de la
Ligue des droits et libertés a aussi proposé, pendant un
très grand nombre d'années, le droit de vote pour les
détenus au niveau des prisons provinciales, et on est heureux que le
gouvernement ait adopté une loi qui fait en sorte que les détenus
ont maintenant le droit de vote. Comme vous pouvez le constater, le
sérieux de nos propositions antérieures n'est plus Ã
démontrer. C'est dans ce contexte que nous vous présentons ce
projet de charte des droits des détenus, projet déjÃ
repris par la
Fédération internationale des droits de l'homme et qui
fera l'objet d'une résolution au cours du congrès de la
fédération internationale, en mai 1982, Ã
Montréal,
M. Gosselin (Luc): Si toute loi tire sa signification de sa
nécessité, il est à la fois paradoxal et logique qu'aucun
texte légal ne vienne confirmer les droits des personnes
incarcérées. Les besoins des prisonniers sont multiples mais leur
définition d'exclus les prive de toute référence aux
règles régissant l'ensemble. Il est d'ailleurs intéressant
de noter que la plupart des textes devant protéger les droits, comme par
exemple la Charte des droits et libertés de la personne du
Québec, incluent une clause restrictive de type "sauf pour les motifs
prévus par la loi". C'est-à -dire, grosso modo, toutes les
catégories de captifs. Les détenus dans une société
sont donc les seules personnes pour lesquelles il soit à peu près
impossible de faire appel à la notion de droit. L'ensemble de
règles minimales pour le traitement des détenus adopté par
le premier congrès des Nations Unies pour la prévention du crime
et le traitement des délinquants à Genève, en 1955,
semble, à première vue, infirmer nos allégations. Mais
l'examen du texte démontre, hélas, qu'un large fossé a
séparé les signataires des intentions premières des
initiateurs du projet. (22 h 30)
Ãnoncer, par exemple, comme on peut le lire à l'article
20, que tout détenu doit recevoir de l'administration, aux heures
usuelles, une alimentation de bonne qualité, bien préparée
et servie, ayant une valeur nutritive suffisante et au maintien de sa
santé et de ses forces, ou, à l'article 22, que chaque
établissement pénitentiaire doit disposer au moins des services
d'un médecin qualifié qui devrait avoir des connaissances en
psychiatrie ou, enfin, Ã l'article 27, que l'ordre et la discipline
doivent être maintenus avec fermeté, mais sans apporter plus de
restrictions qu'il n'est nécessaire pour le maintien de la
sécurité d'une vie communautaire bien organisée,
relève, en définitive, plus des préceptes pour une bonne
administration pénitentiaire que d'une volonté de protéger
les droits des individus.
Au Canada, pour prendre un exemple, des centaines - pour ne pas dire des
milliers - de délits de justice sont enregistrés chaque
année dans les établissements de détention sans que, pour
autant, les fameuses règles minimales ne soient, en apparence,
violées. Force est de constater que ce n'est que dans les pays où
les conditions de détention s'associent plus ou moins à ce qui
était en vigueur au Moyen Ãge qu'on pourrait invoquer avec
pertinence le texte de Genève.
Si l'époque du donjon humide est révolue, il ne faudrait
pas croire pour autant que les conditions de détention se sont
substantiellement humanisées. Selon les estimations de M. Ruy-Lopez Rey,
en un jour donné, en 1976, au moins un million d'individus subissaient
des traitements dégradants dans les prisons du monde, sur les quelque
deux millions de personnes incarcérées. Ces régimes
avilissants ne découlent que rarement de décisions du
législateur. Ce serait plutôt le processus carcéral en
entier qui serait en cause. Le Dr Raymond Boyer a d'ailleurs su dégager
le sens de ces traitements cruels et injustes relatifs, selon lui, Ã des
abus de pouvoir: "Le seul droit que doit perdre une personne condamnée
à une peine privative de liberté est celui de circuler librement
en société. Toute autre entrave est répressive et
punitive."
Depuis quelques années, l'Office des droits des détenus du
Québec, avec de modestes moyens, oeuvre à la reconnaissance et au
respect des droits des personnes incarcérées. Mais la
sensibilisation du large public aux problèmes carcéraux et les
interventions répétées au niveau des canaux prévus
par les autorités, lesquels, soulignons-le, comportent des
embûches multiples et complexes, suffisent à peine Ã
subvenir aux appels nombreux et dramatiques des prisonniers. Une charte des
droits des détenus est donc de première importance. Son adoption
permettra notamment de disposer d'une base légale adéquate aux
interventions et aux revendications de tout ordre, sans parler des
retombées d'ordre humanitaire sur les groupes concernés.
Notre projet de charte procède d'une démarche bien
particulière. Pour la majorité des points soulevés, nous
nous sommes inspirés, ou nous les avons adaptés à la
réalité carcérale, de divers articles de constitutions,
lois, déclarations, conventions de pays et organismes ayant valeur de
modèle sur certains droits fondamentaux. Pour d'autres articles, compte
tenu des particularités des lieux de détention, les principes
exprimés découlent de notre expérience du milieu. Comme
aucun texte dans le monde, sauf erreur, n'assure le droit aux relations
sexuelles, nous espérons que l'article 8 du présent projet saura
influencer les défenseurs des droits de la personne sur cet aspect
primordial de la vie.
Les premiers considérants sur les buts de la
société et le rôle des pouvoirs politiques servent de
préambule à la charte. Cette entrée en matière nous
apparaissait essentielle, compte tenu que les politiques pénales, dont
l'incarcération constitue un volet, procèdent à partir de
ces données de base.
Nous sommes bien conscients que les principes à la base de notre
projet de charte heurtent une foule d'idées bien ancrées sur les
crimes et châtiments. Pourtant, il faut garder en mémoire que le
progrès et
l'évolution des sociétés, de Socrate à La
Boétie et Rousseau, de Thoreau à Dunant et Cassin, tiennent
à ce parti pris de croire plus en l'homme qu'à ce qui
l'écrase.
M. Bernheim: Considérant que le but de la
société est le bonheur commun; considérant que la
liberté, l'égalité, la justice, la confiance mutuelle et
la paix entre les citoyens et les peuples doivent être les fondements de
toutes les communautés humaines; considérant que le pouvoir
politique doit être au service de la collectivité et supprimer
toute exploitation et domination de l'homme par l'homme, seule façon de
garantir à tous la jouissance de tous leurs droits naturels et
imprescriptibles; considérant tous ces motifs, nous déclarons ce
qui suit:
Article 1: droit à la présomption d'innocence.
Le droit à la présomption d'innocence pour tous les
citoyens comprend: 1) le droit, pour toute personne mise sous arrêt ou
incarcérée, de se voir signifier, dans les 24 heures, devant un
tribunal compétent, toutes les accusations qui seront portées
contre elle, le non-respect de cette disposition entraînant
l'immunité totale du prévenu; 2) le droit qu'aucun cautionnement
ou condition de nature exagérée ne puisse être exigé
pour la remise en liberté de la personne contre qui auraient
été logées des accusations; 3) le droit de subir son
procès dans un délai maximum de six mois suivant la mise en
accusation; toute violation de cette disposition entraîne l'acquittement
automatique du prévenu.
Article 2, discrimination.
Toute distinction, exclusion, restriction ou préférence
fondée sur la nature de la condamnation, la sentence reçue, les
antécédents judiciaires, la personnalité, le comportement,
le handicap, l'orientation sexuelle, les opinions, le sexe, la race, la
couleur, l'origine nationale ou ethnique, les croyances politiques et
religieuses, et qui a pour effet de détruire ou de compromettre la
reconnaissance, la jouissance ou l'exercice, dans des conditions
d'égalité, des libertés de la personne et des
libertés fondamentales dans les domaines politique, économique,
social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique, doit
être proscrite des lieux d'enfermement. Il en va de même de tout
autre motif non pertinent à l'incarcération.
Article 3. Règle du droit démocratique. Considérant
que toutes les directives, ordonnances d'autorités en vigueur dans les
prisons et qui n'ont pas force de loi laissent place à l'arbitraire,
l'abus de pouvoir, le totalitarisme et sont contraires aux exigences d'une
société démocratique, tous les règlements, lois,
directives et ordonnances doivent découler directement des
décisions de législateurs élus démocratiquement et
avoir ainsi force de loi dans les prisons.
Article 4. Droit à l'intégrité physique. Tout
détenu a droit à la vie et à la sûreté de sa
personne; aucun détenu ne peut être tenu en esclavage, ni en
servitude, ni soumis à la torture, ni à des peines, traitements
ou thérapies cruels, inhumains ou dégradants.
Article 5. Droit à la santé. La possession du meilleur
état de santé constitue l'un des droits fondamentaux de tout
être humain. La santé est un état complet de
bien-être physique, mental et social et non uniquement l'absence
d'infirmité ou de maladie. Les détenus doivent avoir
accès, et cela sans aucune restriction ni contrainte, aux connaissances,
pratiques et traitements acquis par les sciences médicales et
psychologiques.
Article 6. Droit aux relations sexuelles. Tout détenu a droit
à des relations émotionnelles et sexuelles, quelle qu'en soit
l'orientation, soit dans l'amitié, le concubinage ou dans le cadre du
mariage. Tout détenu doit avoir accès aux moyens de contraception
de son choix.
Article 7. Droit à la famille. Tous les détenus ont droit
de fonder et d'assurer la continuité d'une famille,
élément fondamental de la société, et de recevoir
protection en sa faveur.
Article 8. Droit spécifique à la condition
féminine. Toute détenue a le droit de décider de la
poursuite ou de l'interruption d'une grossesse, aux conditions prévues
dans la présente charte.
Considérant qu'un enfant doit pouvoir grandir et se
développer d'une façon saine, ce qui implique une alimentation,
un logement, des loisirs et des soins médicaux adéquats, dans une
atmosphère d'affection et de sécurité morale et
matérielle, toute femme qui accouche au cours d'une sentence
d'emprisonnement doit bénéficier d'une libération.
Article 9. Droit au travail. Tous les détenus ont le droit de
poursuivre leur progrès matériel et leur développement
spirituel dans la liberté et la dignité, la
sécurité économique et avec des chances égales.
Tous les détenus ont droit au travail libre et volontaire, et ce labeur
doit être rémunéré selon les critères qui
régissent le monde du travail hors des institutions.
Article 10. Droit à la liberté d'expression.
Considérant que la libre communication des pensées et des
opinions est un des droits les plus précieux; 1. tout détenu peut
parler, écrire, imprimer librement; 2. la censure doit être bannie
des institutions; 3. le secret des lettres, des conversations privées ou
téléphoniques est inviolable.
Article 11. Droit d'organisation. Les
détenus ont le droit, sans autorisation préalable, de
constituer des organisations de leur choix, ainsi que celui de s'affilier
à des organisations, d'élaborer des statuts et règlements,
d'élire librement leurs représentants, d'acquérir une
personnalité juridique, d'organiser leur gestion et leurs
activités et de formuler leurs programmes d'action. Ces organisations
peuvent prendre la forme de comités, de syndicats, de
coopératives, etc.
Article 12. Droit de pétition. Le droit de présenter des
pétitions aux dépositaires de l'autorité publique ne peut
en aucun cas être interdit, suspendu ni limité.
Article 13. Droit de défense. Dans toutes les poursuites contre
les détenus, l'accusé doit jouir du droit d'être
jugé promptement et publiquement par un tribunal impartial et
extérieur à l'institution. De plus, ledit accusé ne peut
être obligé de témoigner contre lui-même. Il doit
être informé de la nature et de la cause de l'accusation,
être confronté avec les témoins à décharge,
avoir l'assistance d'un avocat, ainsi qu'accès aux services et Ã
la documentation nécessaires à une défense pleine et
entière. Le détenu ainsi mis en accusation a droit Ã
toutes les procédures et aucune preuve illégalement obtenue ne
peut être retenue contre lui.
Article 14. Droit aux activités politiques. Considérant
que les pouvoirs publics émanent du peuple, chaque détenu a le
droit et le devoir de participer aux affaires publiques de son pays, de sa
province ou de sa municipalité.
Ce droit est assuré par la participation aux consultations
nationales, aux référendums, par l'exercice du droit de vote
actif ou passif, par l'acceptation de fonctions publiques, tant administratives
que judiciaires.
Article 15. Droit à la culture. Tous les détenus ont droit
de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté,
de jouir des arts, de participer au progrès scientifique, d'avoir
accès à l'éducation et aux bienfaits qui en
résultent.
Article 16. Droit à la révolte. Quand un gouvernement ou
des autorités administratives ou des subalternes violent les droits des
détenus et compromettent ainsi leur intégrité physique,
intellectuelle, morale et spirituelle, la révolte sous toutes ses
formes, prise dans le sens de la légitime défense, est pour
chaque prisonnier le plus sacré des droits.
Article 17. Droit à l'évasion. Le fait, pour une personne,
de sortir de l'établissement où elle est détenue sans
accomplissement des formalités réglementaires et légales
est un droit inaliénable. L'éventuelle capture d'un fugitif ne
pourra en aucune façon donner lieu à une pénalité
relative à l'évasion.
Article 18. Droit au pardon. Toute personne, Ã l'expiration de sa
sentence, voit son casier judiciaire définitivement effacé. De
plus, aucun renseignement relatif à ce dossier ne peut être
divulgué, même pour des motifs qui tiennent Ã
l'administration de la justice ou à la sécurité du pays,
et le pardon ne peut être révogué.
Avant de répondre à vos questions, nous voulons soulever
deux points. Tout d'abord, nous nous étonnons qu'un gouvernement adopte
une loi stipulant que des articles de la charte ne s'appliquent pas. Nous
pensons tout particulièrement à la loi québécoise
des libérations conditionnelles qui stipule que les articles 23 et 34 de
la charte ne s'appliquent pas.
L'article 23 se lit comme suit: "Toute personne a droit, en pleine
égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause
par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé,
qu'il s'agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du
bien-fondé de toute accusation portée contre elle. "Le tribunal
peut toutefois ordonner le huis clos dans l'intérêt de la morale
ou de l'ordre public. "Il peut également l'ordonner dans
l'intérêt des enfants, notamment en matière de divorce...".
Ce qui ne s'applique pas.
L'article 34 stipule: "Toute personne a droit de se faire
représenter par un avocat ou d'en être assistée devant tout
tribunal".
Deuxièmement, ce qui nous paraît très
étonnant, c'est que le ministre de la Justice fasse tant de
déclarations au sujet de la haute qualité de la Charte
québécoise des droits et libertés de la personne et que le
même ministre assume la responsabilité de proposer et de voter des
lois qui contiennent des "nonobstant" au sujet de la charte. Pour nous, la
seule attitude que nous considérerons comme une preuve du réel
intérêt des gouvernants pour les droits de la personne sera la
promulgation d'une charte des droits et libertés fondamentales qui
prévaudra sur toutes les lois de juridiction provinciale.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Bédard: M. le Président, il me fait plaisir de
remercier la Ligue des droits et libertés de la présentation de
son mémoire devant les membres de la commission. On pourrait
peut-être régler un problème dès le départ.
Vous venez de nous dire que vous vous étonnez qu'il y ait certaines lois
où on stipule des "nonobstant" à la charte, où il y a des
dispositions qui s'appliquent nonobstant la charte. Je ne pense pas qu'on doive
condamner sans aucune nuance certaines dispositions du législateur. Je
pense, par exemple, à la Loi sur la protection de la jeunesse où
il y a un "nonobstant la charte" concernant les audiences publiques. Cela
dépend pourquoi on met la charte de côté; il peut y
avoir des situations tout à fait exceptionnelles. Par exemple, d'une
façon générale, on demande des audiences publiques;
lorsqu'il s'agit de la règle générale devant les
tribunaux, ce sont des audiences publiques. Cependant, quand il s'agit des
jeunes - je pense à la Loi sur la protection de la jeunesse - il y a un
"nonobstant les dispositions de la charte" parce que nous croyions à ce
moment-là - et tous les membres de l'Assemblée étaient
d'accord -que la règle générale, lorsqu'il s'agit de
jeunes de moins de 18 ans, ne devait pas être dans le sens des audiences
publiques, mais plutôt dans le sens du huis clos de manière que
ces jeunes ne subissent aucun préjudice à la suite de leur
comparution devant un tribunal de la jeunesse. Le fait que dans une loi il y
ait une stipulation d'ignorer certaines dispositions de la charte, ce n'est pas
toujours très négatif. Il faut évaluer chacune des
situations à sa juste mesure. Prenez, concernant les libérations
conditionnelles... (22 h 45)
M. Bernheim: Avant de passer aux libérations
conditionnelles, si on regarde l'article 23 de la Charte des droits et
libertés de la personne, il est déjà stipulé que le
huis clos peut être demandé dans le cas où
l'intérêt des enfants notamment en matière de divorce,
séparation, etc... Par conséquent, les principes d'une charte ne
peuvent pas être remis en cause systématiquement. Ou bien les
droits doivent s'appliquer, ou bien ils ne doivent pas s'appliquer. Si on
commence à accepter des dérogations au niveau des principes, des
droits, c'est comme ça qu'on donne ouverture à l'abus de pouvoir.
La charte prévoit déjà le huis clos dans des cas
concernant des enfants. Il est dit: Le tribunal peut toutefois ordonner le huis
clos dans l'intérêt de la morale ou de l'ordre public. Par
conséquent, il n'était pas nécessaire d'ajouter un
"nonobstant" dans la Loi sur la protection de la jeunesse.
M. Marx: Nous avons proposé une charte
enchâssée dans la constitution...
M. Bédard: Ne mêlons pas la constitution et la
charte. Si vous me permettez. Est-ce que vous avez décidé de
m'interrompre avant qu'on commence?
M. Marx: On a parlé d'une charte enchâssée
dans les lois du Québec.
M. Bédard: Je suis bien d'accord avec vous qu'on ne peut
pas mettre en cause systématiquement la charte. Il peut y avoir des
situations d'exception où il y a des dispositions qui s'appliquent
nonobstant la charte. Mais tout cela est fait en fonction d'un but qui est
très louable; en ce qui regarde la Loi sur la protection de la jeunesse,
justement, on ne voulait pas laisser de discrétion. C'était
à l'unanimité des membres de l'Assemblée nationale. On ne
voulait pas laisser de discrétion de ce côté. On voulait
absolument que le huis clos soit la règle générale quand
il s'agit de jeunes en bas de 18 ans. Je tiens à vous dire très
sincèrement que je suis loin de regretter cette disposition parce que je
crois encore qu'elle était très justifiée.
En tout cas, chacun a le droit à son opinion. Il faut que ce
soient des situations exceptionnelles, je suis d'accord avec vous, et non pas
une remise en cause systématique de la charte lorsqu'il s'agit des
législations de façon générale.
Maintenant, dans votre charte...
M. Bernheim: Vous avez parlé des libérations
conditionnelles aussi où deux articles de la charte ne s'appliquent pas.
Ce sont les principes de droits fondamentaux de pouvoir avoir une
défense pleine et entière. Au niveau des libérations
conditionnelles, la personne qui passe en audience ne peut pas avoir droit
à une défense pleine et entière parce qu'elle ne peut pas
être assistée d'un avocat. Elle ne peut pas avoir accès
à son dossier. Par conséquent, c'est inacceptable.
M. Bédard: S'il n'y avait pas eu de "nonobstant",
peut-être qu'il n'y aurait pas eu de loi des libérations
conditionnelles aussi avec...
M. Bernheim: Mais ce "nonobstant" n'apparaît même pas
dans la loi fédérale des libérations conditionnelles, loi
fédérale qu'on ne peut pas qualifier non plus reconnaissant tous
les droits des citoyens, mais la charte québécoise, elle, va
encore au-delà de la charte fédérale dans la restriction
des droits. C'est proprement inacceptable que pour une catégorie de
citoyens on tolère qu'une défense pleine et entière ne
puisse être exercée. Dans toute législation, il est
fondamental que le respect des droits soit là . C'est pour ça que
la charte...
M. Bédard: Une seconde. Il ne faudrait quand même
pas mêler un procès devant un tribunal avec une preuve qui est
faite devant un comité concernant les libérations
conditionnelles. C'est quand même deux choses un peu
différentes.
M. Bernheim: C'est une question de liberté des gens parce
qu'il s'agit de la mise en liberté de gens et si ces gens ne peuvent pas
avoir une défense pleine et entière par rapport à leur
libération, cela veut dire qu'on donne à des gens des pouvoirs
qui leur permettent de ne pas respecter...
M. Bédard: Je m'excuse. Ces gens dont vous parlez ont eu
droit à un procès selon les règles qui prévalent
devant un tribunal où il y a la défense pleine et entière
et tous les principes dont vous avez parlé. Quand on parle de
libération conditionnelle, il s'agit du fait pour une commission
de libération de statuer sur un point bien précis, Ã
savoir si elle va octroyer ou non une libération conditionnelle Ã
un prévenu. Ce n'est pas tout à fait, vous en conviendrez avec
moi, le même mécanisme.
M. Bernheim: Ce n'est pas le même mécanisme, mais la
personne...
M. Bédard: Ce n'est pas le même processus que
lorsqu'on parle d'un procès en bonne et due forme devant des tribunaux
où il s'agit non pas de décider de l'octroi d'une
libération conditionnelle, mais où il s'agit de décider de
la culpabilité ou de la non-culpabilité. Il y a quand même
des distinctions à faire. En tout cas, vous avez droit à votre
idée.
M. Gosselin: L'expérience nous démontre
éloquemment qu'une apparition devant les libérations
conditionnelles prend souvent l'allure d'un second procès et les
conséquences sont les mêmes puisque c'est un
réemprisonnement de la personne demandant une libération, donc,
devant bénéficier de tous les droits pour un procès
ordinaire.
M. Bédard: Chacun a...
M. Bernheim: Ce n'est pas chacun. Il s'agit...
M. Bédard: Non, non, mais chacun a sa manière de
voir. Je ne partage pas votre opinion là -dessus. C'est tout.
M. Bernheim: Non, mais c'est beaucoup plus fondamental que cela
dans le sens qu'on a actuellement une Charte des droits et libertés de
la personne, laquelle charte n'a pas pleine force actuellement. Actuellement,
la charte n'est effective qu'au niveau des articles 10 Ã 19 en ce qui
concerne la discrimination, mais, quand il s'agit des droits fondamentaux qui
sont inscrits dans cette charte, les gens n'ont pas les moyens de s'assurer du
respect de cette charte. C'est à ce niveau...
M. Bédard: Non, je m'excuse, monsieur. Je m'excuse. Le
droit fondamental qui est inscrit dans la charte est celui, pour tout individu,
d'avoir un procès juste, équitable et d'avoir, autrement dit, la
certitude et toutes les précautions nécessaires, de telle sorte
que, s'il y a une condamnation, elle est faite dans le respect des lois qui
existent et du
Code criminel. Quand il s'agit de décider d'une
culpabilité ou d'une non-culpabilité, cela peut être
différent en termes de situation que lorsqu'il s'agit de décider
s'il y a lieu d'octroyer ou non une libération conditionnelle.
Je pense qu'on pourrait en discuter longtemps ensemble, mais il y a
peut-être une question que je voudrais quand même vous poser
concernant la charte que vous nous proposez, dont vous avez lu l'ensemble des
articles de 1 Ã 18. Ã l'article 17, par exemple, vous parlez du
droit à la révolte, à l'évasion. Pourriez-vous
préciser un peu plus cet article?
M. Bernheim: Ce qu'on entend par droit à l'évasion,
c'est assez simple. Toute personne qui est incarcérée a
humainement la réaction de vouloir s'évader. Pour nous, cela
paraît être une réaction humaine normale. Par
conséquent, si une personne s'évade sans commettre de
délit contre le Code criminel en s'évadant, il nous
apparaît aberrant de pénaliser cette personne en lui donnant une
sentence supplémentaire quand elle a répondu à un
sentiment humain normal. Le droit à l'évasion est un droit qui
est déjà reconnu pour certains types d'accusations en France, qui
est déjà reconnu en Angleterre au niveau de l'application, dans
le sens qu'une personne n'est pas pénalisée pour le fait de
s'être évadée comme tel, et c'est la même chose en
Hollande. Par conséquent, on demande que, si une personne se retrouve
évadée ou en liberté illégale, parce qu'elle a
répondu à une réaction humaine normale... Parce que, si
une personne incarcérée, à un moment donné, ne veut
plus s'évader, il nous apparaît qu'il y a là un
problème important. Tant qu'une personne veut s'évader, c'est
qu'elle a encore des sentiments humains assez forts qui lui permettent de
vouloir sortir de cet internement. Par conséquent, elle ne devrait pas
être pénalisée pour un sentiment humain normal.
M. Bédard: Est-ce que je vous ai bien compris? Vous avez
fait une nuance, pourvu qu'il n'y ait pas de délit de commis au cours de
l'évasion. Voulez-vous dire par là pourvu que cette
évasion n'entraîne pas la commission d'actes criminels ou
d'infractions...
M. Bernheim: C'est exactement cela.
M. Gosselin: Par exemple, en France, s'il n'y a pas de prise
d'otage, d'assaut sur un gardien ou de bris de prison inutile,
c'est-à -dire que, si pour un détenu qui veut s'évader, il
n'est pas nécessaire de scier les barreaux pour passer à travers
la fenêtre, il n'y a pas bris de prison à ce moment-là .
Mais si le détenu saccage toute la prison,
toute sa cellule avant de s'évader, on considère qu'il y a
bris de prison, qu'une violence inutile a été exercée
contre les bâtiments de l'Ãtat, et là il y a des
accusations de portées.
M. Bernheim: Des accusations portées strictement sur le
délit commis...
M. Bédard: Et non sur l'évasion. Effectivement,
dans l'état de notre droit, lorsqu'il y a évasion, il y a une
accusation spécifique concernant l'évasion, qu'elle se fasse avec
ou sans délit.
M. Gosselin: II faut considérer aussi que c'est
peut-être le contexte historique qui a joué
énormément en Europe pour l'adoption d'une telle
législation. Pendant la guerre, des juges ont été
incarcérés, des avocats, et le reste, ils se sont
évadés, ils ont peut-être compris cette question au point
de ne pas pénaliser les évasions pour les criminels de droit
commun. On ne souhaite pas que les ministres ou députés soient
incarcérés, mais si cela peut amener cette
compréhension-là ...
M. Bédard: Si cela devait arriver, il serait naturel que
le goût de l'évasion vienne aussi.
M. Marx: ... des prisons dans une autre province.
M. Bédard: Vous visiterez celles du monde entier, on parle
d'un million ou de deux millions de personnes.
M. Marx: ... L'Ontario.
M. Bédard: Le droit de pétition, il existe Ã
l'heure actuelle.
M. Bernheim: II existe. Au niveau de la pratique,
évidemment, il y a des difficultés mais en principe, oui, il
existe. Si on l'inscrit là , c'est pour qu'il soit véritablement
réinscrit et reconnu comme tel.
M. Bédard: Pourriez-vous préciser un peu plus
concernant le droit d'organisation qui peut prendre la forme de comités
- cela existe déjà - de syndicats, de coopératives,
etc.?
M. Bernheim: Dans la suite de notre logique, si le droit au
travail est reconnu, il est normal de permettre aux détenus de se
syndiquer ou de se regrouper d'une façon ou d'une autre. Ou ils peuvent
se regrouper pour toute autre raison, pour un journal, pour une incorporation
quelconque, comme bon leur semble, en fonction des activités qu'ils
voudront mener, comme on peut le faire à l'extérieur des
institutions carcérales.
M. Bédard: Concernant le droit aux activités
politiques, vous avez indiqué la loi qui a été
adoptée par cette Assemblée nationale pour donner le droit de
vote aux détenus. Vous allez plus loin dans votre article 14. Il ne
s'agit pas seulement de participation et du droit de vote, mais de la
possibilité d'acceptation de charges, de fonctions publiques, tant
administratives que judiciaires. Est-ce que vous pourriez...
M. Bernheim: C'est-Ã -dire qu'on ne voit pas pour quelle
raison ces gens devraient être automatiquement exclus du processus
politique. Si on est dans un...
M. Bédard: Je ne vous dis pas le contraire, je vous pose
la question justement pour vous permettre de préciser les
fonctions...
M. Bernheim: Dans un contexte démocratique, il nous
apparaît que ce droit devrait être reconnu et que les
détenus pourraient ou devraient pouvoir participer pleinement aux
activités politiques, à tous les niveaux.
M. Marx: Comme en Irlande du Nord. Un détenu pouvait
être élu.
M. Bédard: Concernant l'article 18, le droit au pardon,
vous étiez ici, dans cette salle, tout à l'heure, lorsqu'on a
parlé de la situation qui fait qu'à l'heure actuelle, pour le
casier judiciaire, il y a un certain pardon qui est donné du coté
des autorités fédérales, mais quand le casier judiciaire
n'est pas enlevé, qu'est-ce que vous proposeriez?
M. Bernheim: C'est purement et simplement l'abolition du casier
judiciaire. Ãtant donné que la société, en
principe, considère une peine donnée par un juge comme
étant la dette qu'une personne doit payer à la
société, une fois la peine purgée, il nous apparaît
que la dette devrait être payée définitivement. Dans cette
perspective, il n'y a pas de casier judiciaire, puisqu'on dit que la peine,
c'est la sentence, purement et simplement. On voit, au niveau de la pratique,
que le casier judiciaire, finalement, est une peine à vie, puisque la
personne... (23 heures)
M. Bédard: Lorsqu'il y a pardon, ce que vous demandez,
c'est que tout soit mis en oeuvre pour effacer toute trace...
M. Bernheim: C'est ça, que le pardon soit automatique
à la fin de la peine et que, par conséquent, il n'y ait pas de
casier judiciaire afin qu'on ne puisse plus poser la question: Avez-vous un
casier judiciaire? Il n'y aurait plus de casier judiciaire. LÃ ,
ça réglerait tous les problèmes fondamentaux
que les ex-détenus peuvent rencontrer à leur sortie
à cause de l'existence du casier judiciaire, tant au niveau du travail
que dans les déplacements aux Ãtats-Unis ou toute autre
activité sociale.
M. Gosselin: II faut bien comprendre que le casier judiciaire ne
frappe pas les gens qui ont commis des crimes, mais bien ceux qui ont
été reconnus coupables de crime. Quand on connaît le taux
de résolution des crimes commis, ça veut dire que beaucoup de
gens, dans la société, ont commis des crimes, mais n'ont pas de
casier judiciaire et méritent tous les emplois et privilèges d'un
citoyen qui n'a pas de casier.
M. Bédard: Effectivement, le taux de solution est
très bas.
M. Gosselin: Mais je ne veux pas parler là -dessus.
M. Marx: Cela coûte très cher par cas, mais le taux
de solution est très bas.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: J'aimerais vous remercier pour votre mémoire, qui
comprend seulement trois pages, mais qui peut mériter trois ou quatre
heures de discussion, au moins. Vous avez condensé, effectivement, une
charte dans trois pages, et chaque article y a beaucoup d'importance. J'ai
entendu dire qu'une étude sur les droits des détenus a
été faite au ministère de la Justice. Est-ce que je me
trompe, M. le ministre? Est-ce que le ministère a fait une étude
sur les droits des détenus?
M. Bédard: II y a eu, depuis que je suis en fonction, une
refonte du règlement relatif aux établissements de
détention. Le 1er juin 1979, le nouveau règlement relatif aux
établissements de détention est entré en vigueur. Ce
règlement innove à plusieurs égards et officialise,
autrement dit, plusieurs usages déjà implantés dans les
établissements de détention, tels que les programmes
d'activités rémunérées, la création d'un
comité de discipline et d'un comité d'absences temporaires. C'est
le nouveau règlement que nous avons adopté à la suite,
d'ailleurs, de bien des représentations qui ont été faites
par plusieurs organismes, dont celui qui est avec nous ce soir. Le nouveau
règlement tient compte des règles minimales de l'ONU concernant
les personnes incarcérées, le respect de leurs droits, le droit
d'être carrément informées.
M. Marx: On connaît le livre vert. Mais est-ce que vous
avez des études sur les droits des détenus à part cela?
Non?
M. Bédard: J'aimerais comprendre ce que vous voulez
dire.
M. Marx: Est-ce que vous avez fait sur les droits des
détenus des études que vous n'avez pas rendues publiques
encore?
M. Bédard: Non. J'essaie de bien comprendre votre
question.
M. Marx: Je répète ma question: Est-ce que vous
avez fait sur les droits des détenus des études que vous n'avez
pas rendues publiques et qu'on aimerait voir, le cas échéant?
M. Bédard: Enfin, c'est à la suite de
l'évaluation de ce qui se passait, des pratiques qui existaient
auparavant concernant les détenus, que nous avons jugé bon, en
juin 1979, de mettre en vigueur un nouveau règlement relatif aux
établissements de détention et plus respectueux des droits.
M. Marx: C'est-à -dire que, dans le règlement, on
prévoit beaucoup de comités, mais, dans chaque prison, on ne
retrouve pas tous ces comités, comme le comité des fonds des
détenus n'existe pas dans tous les établissements. Peu importe,
pour diverses raisons, j'imagine que ça n'existe pas partout.
Pour revenir à la question fondamentale que l'Office des droits
des détenus a posée, c'est-à -dire une charte
enchâssée dans les lois du Québec, le premier jour de cette
commission j'ai proposé aussi, au nom de l'Opposition officielle, qu'on
enchâsse la Charte des droits et libertés de la personne dans les
lois du Québec et j'ai suggéré une procédure. Parce
que, si on peut passer outre à la charte, comme cela a été
suggéré, on va le faire. Tout ce qu'on fait ici, c'est critiquer
le fédéral. Au fédéral, la Déclaration
canadienne des droits a une clause "nonobstant" et, quand le gouvernement
fédéral a décidé de passer outre à la
Déclaration canadienne des droits lors des événements
d'octobre, les membres du Parti québécois n'étaient pas
heureux. Ils ont dit: Pourquoi avoir une charte si on peut passer outre
à cette charte?
M. Bédard: Mais...
M. Marx: Un instant, M. le ministre, je n'ai pas
terminé.
M. Bédard: ... vous vous adressez à moi; j'allais
vous poser une question.
M. Marx: Je n'ai pas terminé. Non, je m'adresse Ã
M. Bernheim pour voir s'il est d'accord.
Quand c'était au fédéral, on n'était pas
d'accord, mais, quand c'est au provincial, on
dit que c'est nécessaire. Je vois cela comme cela.
Je n'ai pas compris l'intervention du ministre; vous pourrez
peut-être m'expliquer cela davantage, M. Bernheim. Je ne vois pas la
nécessité d'avoir mis dans la Loi sur les libérations
conditionnelles une clause "malgré la charte".
M. Bernheim: Nous non plus, on ne voit pas la raison fondamentale
de ce "nonobstant".
M. Bédard: Au fédéral, est-ce qu'on a un
"nonobstant" la Déclaration canadienne des droits?
M. Bernheim: Pas au niveau de la Loi fédérale sur
les libérations conditionnelles, non. D'ailleurs, au niveau de la Loi
fédérale sur les libérations conditionnelles, la
réglementation a été modifiée récemment pour
justement permettre aux détenus d'être assistés d'un avocat
lors des audiences des libérations conditionnelles.
De plus, il y a la loi fédérale qui permet aux
détenus de consulter leur dossier. Ãvidemment, il y a des
exceptions dans l'accessibilité à certains éléments
du dossier qui pourraient mettre la sécurité nationale en danger,
etc., mais il y a déjà là un point en avant, dans le sens
que le détenu peut consulter son dossier et, par cette consultation,
peut voir les éléments sur lesquels il va être jugé
pour obtenir ou ne pas obtenir une libération conditionnelle.
M. Marx: Donc, votre conclusion, c'est que la loi
québécoise est plus contraignante que la loi
fédérale sur ce point vis-à -vis des détenus.
M. Bernheim: C'est évident.
M. Marx: C'est évident. Bien! Dans votre projet de charte,
il y a un certain nombre de droits qui sont déjà encadrés
dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.
D'accord?
M. Bernheim: Oui, oui.
M. Marx: II y en a un certain nombre qui sont déjÃ
là . J'aimerais vous poser peut-être une ou deux questions sur des
articles précis. Prenons l'article 1, paragraphe 3, "Le droit de subir
son procès dans un délai maximum de six mois suivant la mise en
accusation; toute violation de cette disposition entraîne l'acquittement
automatique du prévenu." Je suis allé dans les centres de
détention où des gens sont jusqu'à 18 mois dans l'attente
de leur procès. Il faut dire que ce n'est pas toujours la faute du
gouvernement, c'est-Ã -dire que ce n'est pas la faute du Procureur de la
couronne. Ce pourrait être aussi parce que le prévenu veut se
prévaloir de certaines procédures pour que, comme on dit, on
"stall" l'affaire le plus longtemps possible. Cela arrive.
M. Bernheim: C'est évident que ça peut arriver dans
certains cas.
M. Marx: Donc, ce serait possible pour le prévenu de
tergiverser pour avoir un acquittement automatique.
M. Bernheim: II s'agit simplement de mettre en place les
mécanismes qui vont faire en sorte que le procès se tiendra dans
les six mois. Un type d'article comme ça existe déjà en
Hollande et les mécanismes sont prévus pour que ça puisse
se faire.
M. Marx: Et au Québec?
M. Bernheim: Actuellement, non, il n'y a aucun délai
maximum prévu; ça peut durer cinq ans, dix ans, vingt ans,
théoriquement.
M. Marx: Oui, mais est-ce que c'est déjÃ
arrivé à cause...
M. Bernheim: C'est évident, il y a des causes qui ont
duré dix ans.
M. Marx: Si la personne va en appel, d'accord.
M. Bernheim: Non, on parle d'un premier procès. L'appel,
c'est une autre...
M. Marx: Un premier procès criminel qui dure dix ans?
M. Bernheim: Peut-être pas nécessairement criminel,
mais certains procès... Oui, au niveau de certaines fraudes, cela peut
durer jusqu'Ã dix ans. Oui, criminel au niveau des fraudes, cela peut
durer jusqu'Ã dix ans.
M. Marx: Si quelqu'un va en appel, d'une cour Ã
l'autre.
M. Bernheim: Non, on ne parle pas...
M. Marx: Si cela traîne pendant dix ans, ce peut être
au bénéfice du prévenu parce qu'il utilise tous ses droits
d'appel.
M. Bernheim: Ce ne sont pas nécessairement des appels. On
parle d'un premier procès, il y a une accusation et on demande que le
procès débute dans les six mois. Si, pour des raisons d'un ordre
ou d'un autre, le délai n'était pas respecté, il s'agirait
de faire en sorte, chez les autorités administratives, que le
procès se fasse.
M. Marx: D'accord, je comprends ce que vous voulez dire. Mais,
souvent, cela prend plus de six mois à cause des délais que le
prévenu lui-même aime avoir.
M. Bédard: Me permettez-vous une petite question?
M. Bernheim: Oui, mais il s'agit là d'exceptions. Ce qu'il
faut voir, au niveau des principes, c'est qu'une personne qui est
accusée doit pouvoir être libérée de son accusation
dans un délai raisonnable, que le processus judiciaire soit de telle
sorte que ce délai puisse se faire.
M. Marx: Est-ce qu'il y a vraiment des abus, aujourd'hui?
M. Bédard: Est-ce que vous me permettez une question?
M. Marx: Oui, j'ai juste une question, M. le ministre. Est-ce
qu'il y a vraiment des abus dans notre système actuel? Est-ce que vous
avez des exemples?
M. Bernheim: C'est évident qu'il y a des abus, surtout
quand on connaît les conditions de détention qui règnent
actuellement à Parthenais, c'est-à -dire qu'une personne qui est
incarcérée à Parthenais et accusée va
fréquemment plaider coupable après un certain temps, après
sept, huit, dix mois, un an, pour la simple et bonne raison qu'elle veut
quitter cet endroit. S'il était obligatoire que le procès se
tienne dans les six mois, la personne ne serait pas obligée de subir des
conditions de détention si longues et, par conséquent, elle ne
plaiderait pas coupable et elle aurait un procès. Elle pourrait
éviter de plaider coupable quand elle ne l'est pas.
M. Marx: Oui, c'est un bon exemple. Je suis allé Ã
Parthenais et, effectivement, on m'a dit que les gens vont plaider coupable
pour sortir de Parthenais et aller ailleurs.
Avez-vous une question, M. le ministre? Non? C'est parce que j'ai deux
autres petites questions.
M. Bédard: J'ai eu la réponse. Je me demandais si
vous faisiez une distinction, quand vous parlez de délai de
procès, entre les détenus qui bénéficient d'un
cautionnement et les personnes qui n'en ont pas. Ce sont deux situations
différentes.
M. Bernheim: II faut toujours garder en perspective que c'est en
fonction de la détention que nous exigeons six mois.
M. Bédard: D'accord.
M. Marx: Souvent, les gens ont droit à un cautionnement,
mais... à Parthenais, j'ai rencontré quelqu'un qui recevait de
l'aide sociale. Son cautionnement était de $300. Il est entré
à Parthenais, son aide sociale a été coupée; il n'a
pas de parents et il ne pourra donc pas sortir avant d'avoir son procès;
il sera peut-être jugé non coupable. C'est une injustice. On va
parler de cela dans un autre forum. On va avoir beaucoup de forums, M. le
ministre, pour discuter de ces choses.
M. Bédard: Cela me fera plaisir.
Délibérément, je n'engage pas la discussion, mais j'ai
bien hâte de l'engager avec vous.
M. Marx: Bon, l'article 8 m'intéresse beaucoup, m'intrigue
même. Droit spécifique à la condition féminine. Je
cite: "Toute détenue a le droit de décider de la poursuite ou de
l'interruption d'une grossesse aux conditions prévues dans la
présente charte. Considérant qu'un enfant doit pouvoir grandir et
se développer d'une façon saine, ce qui implique une
alimentation, un logement, des loisirs et des soins médicaux
adéquats dans une atmosphère d'affection et de
sécurité morale et matérielle, toute femme qui accouche au
cours d'une sentence d'emprisonnement doit bénéficier d'une
libération."
C'est-Ã -dire - et ce n'est pas pour faire une blague - qu'une
femme qui est enceinte depuis six mois, peut commettre un crime parce qu'il n'y
a pas beaucoup de danger qu'elle fasse du temps en prison. (23 h 15)
M. Bernheim: II s'agit de voir. Je ne pense pas qu'il y ait des
femmes qui commettent des crimes, parce qu'elles sont enceintes de six mois.
Cet article est déjà à l'étude au niveau des
Nations Unies. Au dernier congrès des Nations Unies, le sixième
congrès pour la prévention du crime et les traitements des
délinquants a accepté de prendre en considération
l'étude d'une telle proposition parce que quand on analyse le type de
criminalité que les femmes commettent avec les répercussions
sociales que cela peut avoir, on se rend compte que ce sont rarement des crimes
violents. Deuxièmement, quand il s'agira de l'application du mode de
libération, il y aura toujours moyen pour les autorités de voir
à l'application de cette libération. On pense qu'une femme qui
est enceinte ne doit pas, une fois qu'elle a accouché, être
obligée soit de garder son enfant à l'intérieur d'une
prison ou d'abandonner son enfant.
M. Marx: Je ne suis pas contre le principe. Je veux voir les
effets. En combinant l'article 8 et l'article 7 où on trouve le droit
à la famille, une femme qui a commis un meurtre - cela existe au
Québec, il y en a quelques-unes à la maison
Tanguay - va avoir selon votre charte le droit d'établir une
famille. D'accord? Donc, elle doit avoir la possibilité d'être
enceinte. Si elle a une sentence de dix ans, elle ne va pas purger plus de dix
mois, douze mois. Ce serait mettre une femme sur un régime assez
spécial.
M. Bernheim: Surtout si on prend la question des meurtres. Quand
on regarde qui commet les meurtres et dans quelles circonstances, on se rend
compte que la majorité des gens qui commettent des meurtres est dans des
situations sociales et économiques bien précises,
c'est-à -dire défavorisées. Il est démontré
que la majorité des meurtriers ne récidive pas et encore
là , la libération peut toujours se faire dans le cadre d'une
certaine surveillance et la personne en question qui mettrait au monde un
enfant serait tenue de l'éduquer puisqu'elle voudrait avoir cet enfant,
par conséquent, quand on parle de réhabiliter les gens, les
réinsérer dans la société, le cadre familial
aujourd'hui est encore considéré comme un cadre important de
notre société, par conséquent, une preuve, en tout cas, ou
un moyen de faire en sorte que cette personne ne soit pas exclue de la
société, qu'elle puisse y vivre à l'intérieur et
puisse être un élément productif qui amènerait une
évolution générale sociale.
M. Marx: Peut-être que la conclusion générale
à laquelle mène vos idées, c'est qu'il ne faut pas
emprisonner des gens qui commettent des crimes.
M. Bernheim: C'est évident que notre position est
très connue. On est pour l'abolition de la prison. Par
conséquent, cela ne va certainement pas à l'encontre de notre
position globale.
M. Marx: Ã cause de votre projet de charte, je vois
où cela mène. Cela mène effectivement à l'abolition
des prisons. D'accord. Merci.
M. Gosselin: Nous sommes même à ce point convaincus
que notre projet de charte peut aller un peu à l'encontre des prisons.
On est convaincu qu'aucun principe de droit ne peut s'appliquer dans les
prisons ou pénitenciers présentement. Je suis convaincu que
n'importe quel des articles qui apparaissent à la charte ne pourrait
s'appliquer dans une maison de détention actuelle sans que cela perturbe
très sérieusement... Le principe de droit est antinomique par
rapport aux prisons et aux pénitenciers.
M. Marx: Oui, mais la charte n'est pas appliquée dans les
prisons, c'est évident. C'est sûr.
Le Président (M. Desbiens): S'il n'y a pas d'autres
interventions, je remercie les participants.
M. Bernheim: Avant de clore tout ça, j'aimerais
répéter que l'aspect le plus important sur lequel on veut
insister, c'est que la Charte des droits et libertés de la personne du
Québec soit une loi fondamentale qui prévaut sur toutes les
autres lois. Cela nous apparaît le point majeur et ce sera, Ã
notre avis, dans ce sens, qu'on va voir si réellement la question des
droits est une préoccupation vraiment importante ou bien si c'est
simplement une façon plus ou moins électoraliste de se rallier un
certain nombre de personnes, parce que...
M. Bédard: On est d'accord avec vous.
M. Bernheim: ... tant qu'une charte ne sera pas fondamentale, il
y aura toujours moyen, pour une raison ou pour une autre, de la rejeter parce
que le législateur, dans sa supposée sagesse, va
considérer que, dans tel cas particulier, il n'est pas nécessaire
de l'appliquer. Comme il nous apparaît que les droits doivent être
respectés tout le temps, sans aucune exception, le seul moyen dans le
cadre dans lequel on vit actuellement, c'est d'avoir une charte
fondamentale.
M. Bédard: Dans son mémoire, le barreau
préconisait le fait qu'il soit nécessaire d'obtenir l'assentiment
des deux tiers des membres de l'Assemblée nationale pour que puisse
être faite une dérogation à la charte dans un cas
précis. Que pensez-vous de cette suggestion?
M. Bernheim: Ce n'est pas plus acceptable, les deux tiers, les
trois quarts, les 99%. C'est une loi fondamentale ou cela n'en est pas une. Si
un parti au pouvoir a les deux tiers des voix, il peut décider, dans sa
sagesse, que la charte ne s'appliquera pas pour un certain temps et, par
conséquent, il va pouvoir brimer les droits des gens dans toute la
légalité qu'il voudra. C'est ce qui n'est pas acceptable. Ou bien
on reconnaît que les droits doivent être respectés, ou bien
on reconnaît qu'on peut brimer occasionnellement les droits des gens. Le
Canada...
M. Bédard: Là , vous parlez de brimer. Vous employez
l'expression "brimer les droits des gens" lorsqu'il y a un "nonobstant"
à la charte dans une loi. Ce n'est pas toujours dans le but de brimer
des droits. Je vous donne un exemple bien pratique où cela a
été fait. Dans la loi 24, par exemple, à l'article...
M. Gosselin: M. Bédard, que penserait-
on d'une loi...
M. Bédard: Si vous permettez, je vais vous donner un
exemple pratique. Ce n'est peut-être pas de la philosophie.
M. Gosselin: ... antidiscriminatoire qui exclurait une
nationalité, si on disait: C'est universel sauf pour telle ethnie?
à ce moment-là , ce serait absurde.
M. Bédard: Non, non, mais cela ne va pas. On est bien
d'accord là -dessus. D'ailleurs, la charte... Je pense qu'il ne viendrait
jamais à l'esprit des deux tiers d'une Assemblée nationale de
croire qu'ils sont pour la protection des droits et libertés en se
permettant de mettre de côté une ethnie par rapport Ã
d'autres.
M. Gosselin: à ce moment-là , que penser d'une
législation qui exclut la charte ou des articles de la charte? C'est la
même chose.
M. Bédard: Je vais vous donner un exemple qui peut, je
pense, s'évaluer entre gens de bonne foi. Vous allez voir que ce n'est
pas toujours dans le but de brimer les droits des gens qu'il arrive que, dans
certaines lois, il y ait une spécification de "nonobstant la charte".
Prenez, par exemple, l'article 82 de la Loi sur la protection de la jeunesse
où on dit ceci: "Nonobstant l'article 23 de la Charte des droits et
libertés de la personne, les audiences se tiennent à huis clos.
Toutefois, le tribunal doit en tout temps admettre à ses audiences un
membre du comité - de la protection de la jeunesse -ainsi que toute
autre personne que le comité autorise par écrit à y
assister." On peut avoir votre position de principe concernant la charte ou
encore une autre position qui va dans le sens de la proposition du barreau ou
dans le sens d'une proposition qui est semblable émise par mon
collègue de l'Opposition qui, effectivement, parlait des deux tiers, de
la nécessité des deux tiers pour mettre de côté la
charte, mais, dans le cas précis dont je vous parle, la Loi sur la
protection de la jeunesse, c'est clair que cela n'a pas été fait
- et cela se voit à sa face même - pour priver ou brimer qui que
ce soit de ses droits. Cela a été fait pour répondre,
justement, à une situation particulière qui est celle des enfants
de moins de 18 ans qui doivent comparaître devant une cour. Le
législateur, par cet article, veut qu'il n'y ait absolument rien,
concernant les procédures qui peuvent être intentées
vis-Ã -vis d'un jeune de moins de 18 ans, qui soit rendu public, de ce
qui serait de nature à nuire non pas à la population, non pas
à des droits, mais aux droits de l'enfant. C'est dans le sens de donner
plus de droits à une personne humaine qui est l'enfant.
On peut avoir un raisonnement théorique, de part et d'autre, qui
est différent, mais on ne peut quand même pas soutenir qu'un
article comme celui-là est fait pour brimer qui que ce soit de ses
droits; au contraire, c'est pour aider une catégorie particulière
de citoyens que représentent les jeunes.
M. Bernheim: Pour être bien pratique, lisons l'article 23.
Que dit-il? "Toute personne a droit, en pleine égalité, Ã
une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal
indépendant qui ne soit pas préjugé, qu'il s'agisse de la
détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de
toute accusation portée contre elle. "Le tribunal peut toutefois
ordonner le huis clos dans l'intérêt de la morale ou de l'ordre
public. "Il peut également l'ordonner dans l'intérêt des
enfants, notamment en matière de divorce, de séparation de
corps.... etc."
Par conséquent, l'article 23 spécifie déjÃ
qu'il est possible d'exiger le huis clos pour les enfants - laissez-moi
terminer - ce qui fait...
M. Bédard: Je ne vous ai pas interrompu.
M. Bernheim: ... que si l'article 23 est retiré de
l'application pour les enfants, cela veut dire que cette personne, l'enfant,
n'a pas droit à une pleine égalité devant un tribunal. Or,
l'article 23 permet le huis clos. Par conséquent, la Loi sur la
protection de la jeunesse aurait pu dire que l'alinéa stipulant que le
huis clos peut être appliqué pour les enfants sera
appliqué, mais concernant la première partie où il est dit
que "toute personne a droit, en pleine égalité..." là , la
pleine égalité ne pourra pas être exercée
entièrement, puisque la personne en cause, l'enfant, va voir cet article
complètement retiré.
M. Bédard: Excusez-moi, je croyais que vous aviez
terminé.
M. Bernheim: II n'était pas nécessaire d'ajouter
dans la Loi sur la protection de la jeunesse, "nonobstant l'article 23",
puisque l'article 23 prévoit déjà le huis clos.
M. Bédard: Je prétends complètement le
contraire, avec tout le respect que j'ai eu pour votre opinion. Il s'agit de
lire comme il faut cet article pour conclure que ce n'est pas si
hermétique que vous semblez le laisser croire. Effectivement, lisez-le
comme il faut. Le troisième paragraphe dit: "II peut également
ordonner le huis clos - le juge -dans l'intérêt des enfants,
notamment en matière de divorce, de séparation de corps,
de nullité de mariage ou de déclaration ou désaveu
de paternité". C'est spécifié.
Dans le deuxième paragraphe, on dit: "Le tribunal peut toutefois
ordonner le huis clos dans l'intérêt de la morale ou de l'ordre
public." Cela est encore plus général. Le législateur
aurait pu se dire qu'en vertu de cet article, il y a tout ce qu'il faut pour
qu'un juge qui prend l'intérêt de l'enfant... pour qu'on puisse
conclure que les juges, d'une façon générale, vont
ordonner le huis clos.
Il n'y a rien dans cet article qui empêche qu'un juge qui a sa
manière de concevoir l'intérêt de l'enfant en vienne
à la conclusion qu'il doit y avoir des audiences publiques, si on laisse
l'article seulement comme il est là . Justement, le législateur a
voulu, lorsqu'il s'agit des enfants, que la règle soit le huis clos, de
manière non pas à enlever des droits à l'enfant, mais de
manière à le protéger contre tout ce qui pourrait
être de nature à lui nuire en fonction de l'avenir. Je pense
qu'à partir de ce cas-là , prétendre qu'une exception qui
est faite à la charte, dans une loi, a nécessairement comme effet
de brimer quelqu'un de ses droits, c'est une conclusion erronée.
L'article 82 de la Loi sur la protection de la jeunesse est vraiment l'exemple
du contraire; c'est plutôt pour protéger encore mieux les droits
de l'enfant.
M. Gosselin: Mais dans le cas de la loi sur les
libérations conditionnelles, un détenu ne peut avoir un avocat.
(23 h 30)
M. Bédard: Je pense que c'est une situation
différente, et je crois que ça peut se discuter. Je n'ai pas dit
tout à l'heure que j'étais fermé à toute
possibilité de réviser ces dispositions. Je conçois que
c'est différent de l'autre cas que je viens d'énoncer concernant
la protection de la jeunesse. S'il y a eu cette loi sur la libération
conditionnelle, si elle a été acceptée Ã
l'unanimité des membres de l'Assemblée nationale, même s'il
y avait une disposition qui mettait la charte de côté, ce
"nonobstant" à la charte a été spécifié
parce qu'on voulait des mécanismes plus souples pour permettre une
meilleure application de la loi sur la libération conditionnelle. C'est
l'esprit qui a prévalu pour qu'on en arrive à spécifier
qu'on ne tenait pas compte de la charte concernant ces deux articles. Je crois
que c'est discutable.
On pourra, à un moment donné, reprendre la discussion,
mais c'est l'esprit dans lequel le législateur a accepté de
mettre les dispositions de la charte de côté. Ce n'était
pas dans l'esprit de priver qui que ce soit de ses droits, c'était avec
la conviction que ceci amènerait une souplesse plus grande, qui
déboucherait sur un meilleur service pour les gens qui font une demande
de libération conditionnelle.
M. Gosselin: Je pense que cette question illustre bien qu'un
droit ne se donne pas selon la conjoncture ou selon ce qu'un autre palier de
gouvernement a pu adopter comme loi. Une charte doit être un principe
au-dessus de toutes les lois qu'un gouvernement adopte, avec...
M. Bédard: Je pense que quand on...
M. Gosselin: ... le plus de droits possible. Par la suite, les
mécanismes se trouvent à un autre ordre. Il faut d'abord
définir les principes, les mettre au-dessus des lois.
M. Bédard: Je pense qu'on se comprend. Les situations
peuvent être différentes. Quand il s'agit de la Loi sur la
protection de la jeunesse, je le maintiendrai toujours, je suis prêt
à le défendre n'importe où, devant n'importe qui, c'est
loin d'être une disposition qui était de nature à brimer
des droits, mais, au contraire, c'était pour en assurer.
M. Gosselin: Mais si, dans les faits...
M. Bédard: Mais, dans le cas des libérations
conditionnelles, j'avoue que c'est une situation qui peut s'évaluer et
qu'on peut différer d'opinion là -dessus.
M. Marx: Juste une dernière intervention. Il va de soi que
si, dans une charte, on a une règle d'exclusion, c'est-à -dire
qu'on peut passer outre à la charte, on va utiliser cette
possibilité, et ça se voit dans la charte
québécoise. Si je comprends bien votre position, c'est une
position que je pourrais peut-être qualifier de position absolutiste,
c'est-à -dire que vous ne voulez aucune possibilité d'amender ou
de modifier la charte. D'accord?
M. Gosselin: Cela peut toujours être
amélioré, je pense que...
M. Marx: Qui va décider ce qu'est une amélioration?
Une fois que ça pourra être modifié, il sera difficile de
décider si c'est une amélioration.
M. Bernheim: Avant d'adopter une loi fondamentale, il faut
vraiment bien se pencher sur la question. Une fois que la décision est
prise, évidemment, ce n'est pas pour la changer le lendemain matin,
parce que les mécanismes doivent être très difficiles. Mais
quand on regarde, au niveau des instances internationales, tout ce que les
Nations Unies ont proposé comme mécanismes et comme projets de
loi qui pourraient être adoptés par les pays
signataires aux différentes conventions au niveau de la
déclaration universelle des droits de l'homme, au niveau des pactes des
droits civils et politiques et des droits sociaux et économiques, si ce
qui est inscrit dans ces déclarations et ces conventions était
adopté dans une loi, et si cette loi était adoptée comme
fondamentale, je ne pense pas qu'on aurait besoin d'y revenir
fréquemment.
Ces textes ont été pensés pendant des
années, le Canada et le Québec y ont adhéré, le
Canada comme pays actif, et la province de Québec comme appui moral ou
comme prise de position de principe. Par conséquent, une fois que des
positions de principe ont été adoptées, il nous
apparaît qu'il faut les mettre en place, pas seulement dire: Oui, on a
une position de principe, les droits doivent être respectés, mais
dans les faits la loi qui régit les droits, elle, peut permettre des
"nonobstant".
M. Marx: Pouvez-vous me donner l'exemple d'un pays au monde
où il y a une charte qui ne peut pas être modifiée par une
procédure spéciale? Prenons le "Bill of rights" aux Etats-Unis,
ça peut être modifié par un vote des deux tiers au
Congrès et des trois quarts des Législatures des Ãtats. Je
n'ai pas d'exemple d'une loi fondamentale d'un pays qui ne peut pas être
modifiée, soit par une loi ordinaire, soit par une procédure
assez spéciale. C'est impensable en droit.
M. Bernheim: Oui, je comprends, mais il faudrait qu'il y ait un
mécanisme très rigoureux de modification. Ãvidemment, dans
100 ans, une loi fondamentale peut être modifiée, comme une
constitution peut être modifiée. Les constitutions ne sont pas
modifiées fréquemment; en tout cas, ce n'est pas Ã
espérer. Par conséquent, il s'agit de bien penser à la
question, de rédiger un texte le plus large possible et de l'inscrire
comme loi fondamentale.
M. Marx: Pour ma part, j'ai proposé que ça
prendrait 75% des députés à l'Assemblée nationale
pour modifier la charte. Donc, ce serait vraiment une procédure
tellement spéciale qu'avant de penser à l'utiliser on va faire un
sondage auprès des députés et voir si on aura vraiment
leur appui, etc.
M. Bernheim: Cela pourrait être un mécanisme.
M. Marx: Donc, vous avez...
M. Bédard: C'était dans ce sens-là que le
barreau faisait une recommandation qui allait dans le même sens. On en
était au niveau du mécanisme quand je vous posais la question
tout à l'heure.
M. Bernheim: Premièrement on n'est pas qualifié et,
deuxièmement, ce qu'on défend, ce sont des principes. Au niveau
des mécanismes d'application, c'est à l'Assemblée d'en
décider. Si ces mécanismes-là ne sont pas acceptables au
niveau des droits, on fera connaître notre position sur cette situation.
Mais ce qui est fondamental avant d'agir, c'est d'avoir des principes et, une
fois qu'on a des principes, de les mettre en application.
M. Marx: On s'entend bien sur ce point. Maintenant il faut
convaincre le ministre.
M. Bédard: Franchement, vous vous parlez à vous
tout seul parce que ça fait longtemps qu'on est convaincu de
l'importance de la charte.
M. Marx: Est-ce que vous êtes prêt Ã
enchâsser une charte dans les lois du Québec? Est-ce que vous
êtes prêts à faire ça?
M. Bédard: Vous êtes dans le constitutionnel, on va
laisser...
M. Marx: Est-ce que vous êtes prêt Ã
enchâsser la charte québécoise dans les lois du
Québec tel que prévu par le barreau?
M. Bédard: C'est une chose qui s'évalue comme toute
chose. Je l'ai dit.
M. Marx: Pas d'engagement ce soir.
M. Bédard: Pas plus ce soir que les autres soirs.
M. Marx: Mais vous avez déjà pris...
M. Bédard: On vient juste de vous dire que c'est
suffisamment important et fondamental, une loi telle que la Charte des droits
et libertés de la personne. Après avoir entendu les
réactions et les représentations de tous les groupes, ça
mérite de se donner un peu de réflexion, si on respecte cette
charte-là , pour, ensuite, en arriver à des décisions.
M. Bernheim: Ce que vous pourriez faire, c'est dire
qu'effectivement vous allez réfléchir sur la question et que dans
un délai raisonnable...
M. Bédard: C'est ce que je viens de dire.
M. Marx: C'est un engagement qu'il prendra n'importe quand.
M. Bernheim: Laissez-moi terminer. Mais que dans un délai
raisonnable, disons six mois ou un an, vous vous engagez à adopter une
loi fondamentale. à partir de là , je
pense que vraiment des discussions importantes pourraient être
mises en branle. Dans ce délai inscrit, tout le monde du Québec
pourrait participer à la rédaction de ce texte-là pour
que, finalement, il soit adopté. Je pense que, si cette
position-là était prise, ce serait une preuve réelle que
le gouvernement, actuellement, est prêt à considérer les
droits comme étant quelque chose de fondamental et que c'est une
question sur laquelle il veut vraiment agir. Pour ça, à notre
avis, il faut qu'il y ait des engagements. Que ces engagements-là soient
pris dans un certain délai, c'est tout à fait
compréhensible puisque, pour le faire, il faut quand même bien
travailler, mais il faut un engagement parce que dire simplement on va y
réfléchir, ça n'amènera pas la solution.
Parthenais, ça fait des années qu'on
réfléchit sur sa fermeture et c'est encore ouvert. Si c'est la
même position de base, dans cinq ans ou dans dix ans, on va encore
réfléchir sur l'éventualité de poser des gestes qui
vont faire que, plus tard encore, il y aura une charte fondamentale. On en
parle depuis suffisamment longtemps.
M. Bédard: Il a été dit au début des
travaux de cette commission qu'après que les représentations
seront terminées nous allons nous donner un temps de réflexion,
comme l'Opposition, je suppose, pour...
M. Marx: On a déjà réfléchi sur cette
question.
M. Bédard: ... aboutir au dépôt d'un projet
de loi avant la fin de la présente session.
M. Bernheim: Oui, mais ce n'est pas suffisant, un projet de loi.
C'est un projet de loi qui va dire que cette loi sera une loi fondamentale.
Vous vous êtes déjà engagé à modifier la Loi
sur les coroners; vous avez dit: En janvier 1980 ou au début de
l'automne on va la modifier. Il n'y a encore rien de fait dans ce
sens-là .
M. Bédard: On ne peut pas tout faire en même
temps!
M. Bernheim: Je comprends qu'on ne peut pas tout faire mais,
quand il s'agit de droits, c'est de la liberté et des droits des gens
qu'il est question. Il ne s'agit pas seulement d'une loi en particulier, d'une
question particulière, c'est de l'ensemble des droits de tous les
citoyens qu'il est question.
M. Gosselin: Le problème qui nous préoccupe le
plus, en ce qui concerne les détenus - parce qu'on est d'abord venu ici
pour les détenus - c'est l'article qui concerne le droit à la
vie. Les gars manquent de soins médicaux, en dedans. Les gars se
suicident. On fait une conférence de presse à peu près
toutes les deux semaines pour déplorer que des gars se suicident dans
des postes de police. Il y a des gars qui sont abattus à Montréal
pour des délits de fuite. Pour des vols mineurs, on tue des adolescents.
C'est quand même fondamental, on a besoin d'articles comme cela, on a
besoin de principes enchâssés soit dans les lois, soit dans la
constitution pour venir en aide à ces gens-là .
Actuellement, on est très démuni. C'est un imbroglio
législatif chaque fois qu'on doit faire une requête pour sortir un
gars du trou dans un pénitencier ou une prison provinciale ou quand on
intervient pour sortir un gars d'un poste de police ou un gars qui a
été battu. C'est le droit à la vie, c'est encore plus...
je ne dirais pas plus important que la question de la discrimination, mais
c'est ce qui est en jeu, M. le ministre.
M. Bédard: D'accord.
M. Gosselin: Depuis neuf ans, nous crions pour cela. Nous
harcelons, d'une certaine façon, les ministres de la Justice...
M. Bédard: C'est normal.
M. Gosselin: ... mais je dois vous dire que nos victoires...
M. Bédard: Que vous fassiez du harcèlement, c'est
normal.
M. Gosselin: ... sont très minces là -dessus.
Actuellement, il y a le cas du Centre de développement correctionnel
qui, bien sûr, est en dehors de votre juridiction, mais où les
gars subissent des traitements aberrants de dépersonnalisation. On les
habille tout en blanc, on peinture les cellules en pastel, on les force
à se suicider. C'est la réalité, ce n'est pas une
exagération.
M. Bédard: De quel centre parlez-vous?
M. Gosselin: Le Centre de développement correctionnel.
M. Bédard: C'est fédéral, cela?
M. Gosselin: Oui, l'Institut Laval. Cela se passe au
Québec, cela se passe à un endroit où, normalement, les
gens ont droit à des soins médicaux, à un avocat, etc. Ce
sont des traitements aberrants, qui se comparent à ce qui se produit en
Irlande, et on est incapable d'intervenir parce que c'est trop complexe
juridiquement. Mais une charte inscrite dans la constitution ou une loi
fondamentale au-dessus des autres lois nous permettrait d'intervenir
directement.
M. Bédard: On vous remercie de vos
représentations.
Le Président (M. Desbiens): Y a-t-il d'autres
interventions? Non. Je vous remercie de votre participation aux travaux de la
commission.
La commission élue permanente de la justice ajourne ses travaux
à demain, dix heures.
(Fin de la séance à 23 h 43)