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Version finale

32nd Legislature, 3rd Session
(November 9, 1981 au March 10, 1983)

Wednesday, October 21, 1981 - Vol. 25 N° 9

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Présentation de mémoires en regard des modifications à apporter à la Charte des droits et libertés de la personne


Journal des débats

Débats de la Commission permanente de la justice, Le mercredi 21 octobre 1981

 

Les travaux parlementaires
32e législature, 2e session
(du 30 septembre 1981 au 2 octobre 1981)

Journal des débats

 

Commission permanente de la justice

Le mercredi 21 octobre 1981 _ No 9

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Présentation de mémoires en regard

des modifications à apporter

à la Charte des droits

et libertés de la personne (5)

(Dix heures vingt-trois minutes)

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission permanente de la justice reprend ses travaux. Le mandat qu'elle a reçu de l'Assemblée nationale est de tenir des auditions publiques en regard des modifications à apporter à la Charte des droits et libertés de la personne.

Aujourd'hui, nous recevrons, dans l'ordre: la Centrale des syndicats démocratiques, le Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec, le Mouvement écologique pour la qualité de la vie, le Rassemblement des Africains du Québec, M. Jean-Guy Mercier, la Ligue des droits et libertés, région de l'Estrie, l'Association des producteurs d'oeufs québécois, MM. Adamkiewiez, Degrandpré, Lorrain et Demers, le Groupe d'action sur le milieu carcéral, l'Office des droits des détenus et, pour dépôt seulement, l'Association de la femme et le droit, de Montréal.

Les membres de cette commission sont: M. Beaumier (Nicolet), M. Bédard (Chicoutimi), M. Boucher (Rivière-du-Loup), M. LeBlanc (Montmagny-L'Islet) remplaçant M. Brouillet (Chauveau); Mme Marois (La Peltrie) remplaçant M. Charbonneau (Verchères); M. Dauphin (Marquette), M. Gravel (Limoilou) remplaçant Mme Juneau (Johnson); M. Kehoe (Chapleau), M. Lafrenière (Ungava), M. Marx (D'Arcy McGee) et M. Paradis (Brome-Missisquoi).

Les intervenants sont: M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Bissonnet (Jeanne-Mance), M. Blank (Saint-Louis), M. Brassard (Lac-Saint-Jean), M. Ciaccia (Mont-Royal), M. Dussault (Châteauguay), M. Lévesque (Kamouraska-Témiscouata) remplaçant Mme Lachapelle (Dorion); M. Martel (Richelieu) et M. Pagé (Portneuf).

M. le député de D'Arcy McGee.

Questions sur les services aux Cris et aux aveugles

M. Marx: Avant qu'on commence, j'aimerais rappeler au ministre qu'il a pris deux engagements la semaine dernière, notamment d'essayer de faire avancer les droits de la personne au Québec. J'aimerais lui demander s'il y a des résultats en ce qui concerne les services de santé pour les Cris au nord du Québec et en ce qui concerne le groupe d'aveugles.

M. Bédard: J'ai déjà indiqué à mon collègue que j'avais sensibilisé la personne spécialement responsable de ce dossier, soit le ministre des Affaires sociales, concernant la troisième étape, en ce qui a trait aux aveugles. Je dois m'entretenir d'une façon spéciale avec les instances concernées en ce qui a trait à toutes les revendications qui nous ont été faites par les Cris.

M. Marx: Est-ce que le ministre aurait une réponse en ce qui concerne le dossier des Cris?

M. Bédard: Je pense bien que ces aux personnes concernées dans des dossiers, au premier chef, à répondre en temps et lieu, lorsque des questions leur sont posées. Je compte sur mon collègue pour...

M. Marx: Votre collègue pourrait aussi envoyer une lettre ou téléphoner à quelqu'un. Est-ce qu'on va avoir des résultats concrets? C'est une situation d'urgence vraiment pour les Cris, comme nous l'avons vu l'autre soir. J'ai pensé que le ministre ferait plus que juste appeler ou demander...

M. Bédard: Je demanderai à mon collègue...

M. Marx: J'ai l'impression et je pense que toutes les personnes qui étaient ici ont eu l'impression que vous alliez faire une certaine pression sur vos collègues.

M. Bédard: Certainement. J'aurai l'occasion de m'en entretenir d'une façon tout à fait spéciale avec le premier ministre, M. Lévesque. Nous essaierons de déboucher sur des solutions après consultation avec les ministres concernés.

M. Marx: Est-ce que cela...

M. Bédard: Mais soyez convaincu que des pressions en conséquence vont être faites.

M. Marx: Peut-on vous demander s'il sera possible d'avoir une réponse demain sur l'action que le gouvernement va entreprendre?

M. Bédard: Sur l'action, écoutez! Le dossier était quand même assez élaboré et il mérite analyse de la part des Affaires

sociales, qui sont concernées, comme vous le savez, et peut-être d'autres organismes qui sont affectés d'une façon spéciale à l'analyse des problèmes concernant les Cris.

M. Marx: En ce qui concerne les Cris, c'est une question d'urgence. Quand c'est une question d'urgence, on fait quelque chose, on ne fait pas d'autres rapports, d'autres études.

M. Bédard: Mais ce n'est pas une question d'études. Il faut quand même... Vous me demandez si, demain...

M. Marx: Ce n'est pas votre ministère. M. Bédard: Oui. Alors, soyez...

M. Marx: Non, ce n'est pas votre ministère. On comprend bien cela et on ne vous blâme pas.

M. Bédard: Dès demain...

M. Marx: On a beaucoup apprécié et les Cris ont beaucoup apprécié que vous ayez accepté d'intervenir dans ce dossier et on comprend la difficulté que vous pourriez avoir, parce que ce n'est pas votre ministère, ce n'est pas vous qui allez donner des ordres à qui que ce soit. Mais comme c'est un dossier vraiment d'urgence, où il est question de la santé des gens, c'est une question de vie ou de mort pour certains, je pense qu'il faut décider quelque chose tout de suite.

M. Bédard: Demain, j'essaierai d'être... Déjà, quelque chose a été fait, je vous l'ai dit. Maintenant, vous me demandez s'il y a un plan qui a été arrêté, des décisions qui ont été arrêtées à la suite des représentations faites par les Cris ici à cette commission. Si je peux être plus explicite demain, je le ferai avec plaisir.

M. Marx: Merci. On va commencer avec cette question demain matin.

Mémoires Centrale des syndicats démocratiques

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre! J'invite la Centrale des syndicats démocratiques, dont Mme Thérèse Paquette est la représentante, le porte-parole. Mme Paquette, je vous demanderais de présenter les personnes qui vous accompagnent, s'il vous plaît!

Mme Benoît-Paquette (Thérèse): M. le Président, M. le ministre, messieurs les députés et membres de la commission parlementaire - j'aurais aimé ce matin dire Mme la députée, mais il n'y a personne du côté féminin - je me présente; je suis Thérèse Benoît-Paquette, membre du conseil de direction de la Centrale des syndicats démocratiques, mais aussi une personne de la base, car je suis à l'emploi de la commission scolaire de Trois-Rivières. Vous avez, à ma droite, M. René Poiré, ex-travailleur dans les mines d'amiante, qui est aussi directeur du conseil de direction de la Centrale des syndicats démocratiques; à mon extrême gauche, France Roy, secrétaire du secteur social hospitalier de la Centrale des syndicats démocratiques et, près de moi, Lisette Lapointe, recherchiste à la centrale. (10 h 30)

Pour une vie démocratique, des droits démocratiques. Éliminer à la source la discrimination. À titre d'organisation vouée à la promotion et à la défense des droits des travailleurs et des travailleuses, la CSD s'est penchée avec un grand intérêt sur ce qui constitue, à son point de vue, des modifications fondamentales devant être apportées à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.

À cet égard, rappelons que nous avons déjà fait connaître notre position concernant la discrimination dans les régimes d'assurance et d'avantages sociaux, en nous associant, en avril dernier, à une coalition regroupant un ensemble d'organismes syndicaux et populaires. Cette coalition réclamait l'abrogation de l'article 97, cet article étant jugé contraire à l'esprit de la charte.

Par ailleurs, notre réflexion s'est poursuivie dans le but d'apporter d'autres recommandations concrètes visant à améliorer les conditions de vie des femmes et des hommes au travail. En ce sens, nous croyons que la Charte des droits et libertés de la personne doit viser essentiellement un but: éliminer à la source toute forme de discrimination collective ou individuelle. Pour atteindre ce but, il ne faut pas compter sur une hypothétique évolution des mentalités et des comportements. On connaît trop bien la résistance proverbiale de certains groupes historiquement privilégiés. Il faut plutôt s'attaquer à la racine du mal. D'abord, en reconnaissant à chacun des droits égaux. Puis, surtout, en donnant à chacun les moyens de faire respecter ces droits.

La discrimination. Un groupe historiquement discriminé: les femmes. Quand on pense à la discrimination en milieu de travail, on pense souvent aux femmes, et avec raison. En effet, depuis leur entrée sur le marché du travail, les femmes ont été confinées aux entreprises et aux emplois les moins rentables. Encore aujourd'hui, la "sexisation" dans le domaine du travail permet le sectionnement de la main-d'oeuvre selon le sexe, les femmes remplissant certaines tâches spécifiques, rémunérées à un faible prix, les hommes exerçant les fonctions payées en moyenne au double et

ayant plus de possibilités de carrière. Selon Statistique Canada, les travailleuses engagées à temps plein recevaient 58% du revenu masculin moyen, soit 9874 $ par rapport aux hommes qui recevaient 17 038 $. C'était dans la Presse de la semaine dernière.

Par ailleurs, pour l'année 1980, 590 dossiers étudiés par la Commission québécoise des droits de la personne ont été classés comme des cas de discrimination envers les femmes. On ne connaît pas le pourcentage des femmes qui osent se plaindre.

La discrimination à l'embauche et lors de congédiements et de mises à pied. Discrimination au niveau des salaires pour un travail équivalent. J'aimerais attirer votre attention sur l'article 19 de la charte qui dit que tout employeur doit, sans discrimination, accorder un traitement ou un salaire égal aux membres de son personnel qui accomplissent un travail équivalent au même endroit. À notre avis, "au même endroit" est restrictif, et je vis cette situation dans une commission scolaire. Pour nos patrons, le même endroit, c'est le même toit. Si on travaille hors du bureau de l'administration de la commission scolaire, en faisant le même travail, un travail équivalent, on n'a pas le même salaire parce qu'on n'est pas sous le même toit.

Il y a aussi de la discrimination au niveau des promotions. Discrimination dans les avantages sociaux et une discrimination plus subtile fondée sur la condition physique comprenant notamment l'apparence physique et la grossesse. Ici, je fais une pause pour vous faire remarquer que dans les institutions financières, derrière les guichets, vous pourriez peut-être faire un peu plus attention et regarder l'âge des caissières. Passé 30 ans, elles sont vraiment trop vieilles, on les envoie en arrière, sinon on les met à la porte. Elles ont toutes moins de 30 ans. Il y a aussi, comme je viens de vous le mentionner, la discrimination fondée sur l'âge. La discrimination aussi fondée sur l'état civil. J'ai vu des plaintes dernièrement à savoir que certaines femmes ne peuvent pas se trouver du travail parce qu'elles ont de jeunes enfants. Elles en sont rendues à se déclarer célibataires pour se trouver du travail parce que le patron ne veut pas leur donner l'emploi. Ils pensent qu'elles vont s'absenter à cause de jeunes enfants, etc.

Je vous fais remarquer aussi qu'à l'article 20 de la charte, il y a une distinction qui se fait sur... La discrimination est permise dans les associations à but philanthropique, religieux, politique ou éducatif, ces gens peuvent faire ce qu'ils veulent, c'est réputé non discriminatoire. Je pense qu'il ne faudrait pas oublier l'article 20 dans les amendements apportés à la charte.

D'autre part, comment ignorer les formes sournoises de harcèlement dont bien sûr le harcèlement sexuel qui fait l'objet de plus en plus de plaintes de la part des femmes. Le harcèlement sexuel, c'est un terme bien nouveau dans notre société. Il y a deux ou trois ans, les femmes ne nous parlaient pas de harcèlement sexuel, elles nous disaient: Le boss m'écoeure. Aujourd'hui, en termes plus distingués, on parle de harcèlement sexuel.

Pour remédier à cette situation, des programmes d'information et d'éducation devront être élaborés afin d'aider les femmes et les autres groupes discriminés à prendre conscience de leur situation et à faire respecter leurs droits. La charte devra être restructurée de façon à rendre illégale la discrimination fondée sur l'âge et celle permise dans les avantages sociaux. Parallèlement, une démarche fondamentale s'impose. Il faudra permettre concrètement à ces personnes de s'organiser en syndicat si on veut leur donner les moyens de revendiquer leurs droits individuels et collectifs.

En effet, sans cet outil essentiel, combien d'entre elles n'oseront jamais se prévaloir des droits reconnus par la charte? Considérant que l'accès à la syndicalisation est indissociable de l'objectif poursuivi, c'est-à-dire l'élimination à la source de la discrimination, la Centrale des syndicats démocratiques croit important de porter à l'attention de cette commission certaines recommandations formulées en diverses occasions à cet égard.

Favoriser l'accès à la syndicalisation pour les femmes: Pour donner aux femmes qui le désirent la possibilité réelle de se regrouper en syndicats et leur permettre d'acquérir ainsi un instrument de défense privilégié, il faut, d'une part, reconnaître aux femmes le droit véritable au travail rémunéré et, d'autre part, il faut modifier le Code du travail.

Reconnaître aux femmes le droit au travail rémunéré. Il peut, à prime abord, sembler exagéré de revendiquer la reconnaissance d'un droit aussi naturel. Pourtant, dans les faits, notre société a toujours nié ce droit. Les politiques de main-d'oeuvre s'adressaient surtout aux clientèles masculines et les secteurs de pointe leur sont souvent réservés. Les tâches féminines sont sous-évaluées et sous-payées; par exemple le ghetto des secrétaires et le ghetto des femmes qui travaillent dans le textile. Ces femmes sont sous-payées et les programmes de formation sont inappropriés.

D'autre part, les femmes en emploi ayant souvent à assumer une double tâche ne disposent pas du temps nécessaire aux activités professionnelles ou de perfectionnement. Un rapport des Nations Unies, préparé dans le cadre de la décennie des femmes, indique que les femmes

constituent la moitié de la population mondiale et produisent presque les deux tiers des heures de travail tout en ne recevant qu'un dixième du revenu mondial. Cette situation commande un virage. On doit donc fixer un objectif de plein emploi qui tienne compte de la main-d'oeuvre féminine, élaborer des programmes de formation qui répondent vraiment aux besoins, mettre sur pied des programmes d'aide pour faciliter l'entrée des femmes dans les industries de pointe et dans les emplois traditionnellement masculins, amorcer des changements en profondeur du milieu de travail, par exemple les horaires flexibles, les congés parentaux, les services de garde, et de l'organisation sociale. Les femmes comme les hommes doivent être en mesure de concilier leurs fonctions de parents, de travailleurs et de citoyens.

Je fais une pause ici pour vous rappeler que ce n'est pas tellement facile pour les femmes d'aller se recycler quand elles ont une double tâche, et souvent elles ont une triple tâche. Il faudrait mettre sur pied des programmes de formation qui répondent vraiment à leurs besoins. Il faut aussi modifier le Code du travail de manière à améliorer le sort des travailleuses.

Je laisse la parole à mon confrère, René Poiré, qui va nous l'expliquer.

M. Poiré (René): Merci, M. le Président et les membres de la commission. Je voudrais vous faire part d'expériences, du cheminement que les femmes, dans l'industrie du vêtement, entre autres, doivent faire pour parvenir à avoir un syndicat et un syndicat, qui est viable et qui peut leur rendre des services. Tout le monde sait que dans le Code du travail, le droit à l'accréditation est reconnu. Mais, en pratique, ce droit est difficile à appliquer parce que pour nous, de la CSD, on croit que le droit qui existe à l'intérieur du Code du travail n'est pas un droit démocratique. Voici les raisons. Je compare un peu le cheminement du début des démarches pour obtenir une accréditation dans le secteur du vêtement pour les femmes à une course à obstacles que les athlètes ont à faire. Mais la période d'une minute ou d'une minute et demie pour franchir les sept ou huit barrières est beaucoup plus longue quand il s'agit pour les femmes de faire le cheminement pour obtenir une accréditation.

Je dois vous dire, au départ, que la première question qui nous est posée par les femmes est: Combien ça prend de temps avant d'être accréditées? On serait porté à leur dire, pour leur faire plaisir et ôter la crainte qui existe: Cela peut prendre à peu près un mois. Mais comme, en pratique, on sait que ça peut prendre d'un mois à un an et demi et même deux ans avant d'obtenir l'accréditation, on est obligé de le leur dire et déjà plusieurs femmes abandonnent l'idée de se syndiquer parce qu'elles disent: L'employeur va avoir tous les moyens nécessaires pour nous empêcher de nous syndiquer ou nous démoraliser.

D'ailleurs, lorsque les femmes parlent au tout début de se syndiquer, si ça vient aux oreilles de l'employeur, vous savez tous que l'employeur réunit les femmes sur les lieux du travail, même si le Code du travail dit qu'il n'en a pas le droit, et là commencent l'intimidation et le harcèlement. Normalement, voici la première chose que l'employeur leur dit: Vous savez, si vous vous syndiquez, on va fermer les portes. La femme se dit: C'est peut-être vrai qu'il va fermer les portes. Et quand la femme nous pose la question, la première question que nous lui posons est celle-ci: Madame, est-ce que l'employeur - surtout dans l'industrie du vêtement - est propriétaire de la bâtisse où vous travaillez? La plupart du temps malheureusement, elle est obligée de nous dire non, parce que vous savez que dans l'industrie du vêtement, les employeurs louent à des municipalités des bâtisses qui sont souvent subventionnées en plus par les gens de la place ou par les gouvernements. Ces employeurs de l'industrie du vêtement ont des machines qui sont faciles à déménager, et, c'est bien simple, ils ferment les portes quand la syndicalisation se fait à l'intérieur de leur usine et vont s'installer ailleurs, sous une autre raison sociale.

Essayez de les courir à travers la province. À l'intérieur d'à peu près chaque village, si vous faites le tour de la province, vous allez trouver une "shop" de chemises, de pantalons, de jeans, de robes, de vêtements pour bébés, etc. La plupart du temps, je dirais dans 95% des cas, les bâtisses ne leur appartiennent pas, elles appartiennent aux municipalités. (10 h 45)

À titre d'exemple, en plus, je voudrais porter à votre attention qu'en 1978, à Disraeli, il y avait une industrie qui s'appelait la Mains Knitting Mills, qui avait à son emploi 147 employés; elle y était installée depuis 17 ans. Les femmes ont manifesté l'intention de se syndiquer et elles sont venues rencontrer la CSD. On a fait ça rapidement une fin de semaine, pour que l'employeur n'ait pas connaissance de ce qui se passait; le lundi matin, on déposait une demande d'accréditation, et l'employeur recevait la lettre la même semaine. Quand l'agent d'accréditation s'est présenté, la réponse qu'on lui a faite - c'était écrit, à ce qu'on m'a dit, dans le rapport de l'agent d'accréditation - c'est: "La liste, vous ne l'aurez pas; vous pouvez les accréditer, on s'en fiche, nous autres, aussitôt qu'elles vont être accréditées, on ferme les portes."

Le syndicat a été accrédité, mais, en même temps que l'employeur disait ça aux représentants du gouvernement, l'employeur a

envoyé au ministère une lettre l'informant que, dans trois mois, il fermait ses portes. C'est un employeur qui, pendant 17 ans, a exploité des femmes au maximum. Après l'avoir rencontré, on avait fait des démarches auprès des agents de sécurité, ceux qui faisaient dans le temps appliquer les règlements dans les établissements industriels et commerciaux, et on s'est fait dire que, dans cet établissement où il y avait 147 femmes qui travaillaient au moment du dépôt de l'accréditation, les normes prévoyaient qu'il ne devait pas y avoir plus de 80 femmes à l'intérieur de cette bâtisse. Pas de ventilation, pas de toilettes, la salle à manger servait, en même temps, d'entrepôt, pas de corridors, absolument rien de sécuritaire n'existait à l'intérieur.

Ce que je vous rapporte, pour la Mains Knitting Mills de Disraeli, si vous faites le tour d'à peu près toutes ces "shops", où des femmes travaillent à 92%, vous allez vous rendre compte que c'est à peu près la même situation qui existe. J'ai justement devant moi le rapport d'une enquête qu'on avait fait faire, à la première rencontre, et l'inspecteur qui a fait l'enquête nous a dit: Si j'avais mis sur papier tout ce qui n'était pas conforme aux règlements, j'aurais rempli au moins une dizaine de pages; je me suis contenté, pour la première fois, de mettre au moins les points les plus importants.

C'est une facette. Quand vous rencontrez des gens qui sont exploités, entre autres les femmes, dans ce domaine du vêtement, à ce point-là, si vous regardez le cheminement pour obtenir l'accréditation, il ne faut pas se surprendre.

Je regardais un rapport qui paraissait dans les journaux cette semaine où on dit que, dans la main-d'oeuvre syndiquée au Québec, il y a seulement 30% de femmes syndiquées. Premièrement, l'employeur a tous les outils, parce qu'on lui donne le temps de faire de l'obstruction à la syndicalisation. On lui donne le temps parce que le Code du travail lui donne en même temps le temps de contester à toutes les étapes. L'employeur a son mot à dire au niveau de l'unité qui est visée. Quand on veut retarder l'accréditation d'une couple de mois, on conteste juste pour le plaisir de contester, même si on sait qu'au départ le syndicat va être accrédité et qu'il n'y a rien qui va être enlevé à l'intérieur. L'employeur se dit: Moi, je viens de "sauver" deux mois. En même temps, cela lui donne la chance, quand la décision du commissaire du travail sort, de contester par la suite devant le tribunal, de demander la permission, le droit d'en appeler. Par toutes sortes de façons, avec des avocats habiles, on obtient souvent le droit d'en appeler. Quand vous obtenez le droit d'en appeler, vous venez de prolonger encore la période de six, sept ou huit mois, parce qu'au Tribunal du travail, je dois vous dire que cela prend du temps avant de passer. Durant ce temps, il se passe toutes sortes de choses à l'intérieur. On congédie des femmes, on fait des menaces. Il n'y a rien qu'on néglige pour essayer de les épeurer, assez que souvent on obtient l'accréditation, mais on n'a plus personne qui veut s'occuper du syndicat. L'employeur, quand on va le rencontrer pour négocier, nous demande où sont nos membres. C'est bien simple, nos membres sont encore à l'intérieur de l'usine, mais ils ne veulent pas participer et ils ne veulent plus se défendre, parce qu'ils ont été intimidés, harcelés. C'est un point.

J'avais parlé aussi à l'intérieur, justement de ces "shops"-là, du harcèlement sexuel qui se produit. Vous savez que, la plupart du temps, on retrouve 95% de femmes qui travaillent à l'intérieur de ces "shops"-là. Souvent, ce sont des jeunes filles de 15, 16, 17 et 18 ans qui commencent à travailler, qui arrivent sur le marché du travail. Si vous avez des contremaîtres ou des gérants qui sont un petit peu véreux, le poignage de fesses, le collage dans les coins commencent. Cela n'arrête pas, cela continue et les petites filles n'osent pas parler parce que l'employeur leur fait la remarque que, si elles parlent, elles sont congédiées. Présentement, avec nos lois, demandez à une petite fille qui est toute seule avec un contremaître ou un gérant à l'intérieur d'un bureau ou d'un appartement, qui se fait prendre les fesses, de venir prouver qu'elle se les est fait prendre, l'autre va le nier et la petite fille, le public va dire n'importe quoi à son sujet. Aux yeux de ses parents, cela va être la même chose. Souvent, c'est arrivé et syndicalement, on a fait des démarches pour essayer d'empêcher cela. Comme tout le monde nie, comment voulez-vous prouver cela?

On vous laisse le soin d'essayer de trouver des formules pour empêcher cela et de permettre à ces gens qui arrivent sur le marché du travail de ne pas avoir continuellement ce harcèlement sur le dos. Vous voyez ce qui se passe dans l'industrie du vêtement. Ne vous posez pas la question: Pourquoi, au niveau des employés de bureau, des secrétaires et ainsi de suite, on ne trouve pas de syndicalisation? J'ai nettement l'impression que - je n'ai pas de chiffres - le pourcentage des employés de bureau syndiqués est très faible au Québec, sûrement pas au-dessus de 5% à 6%. Pourquoi? C'est exactement la même chose qui se passe à l'intérieur des manufactures de vêtements. Le patron a souvent une, deux ou trois secrétaires. C'est limité. Il a tout, il est chez lui, la loi défend, quand c'est le cheminement de l'accréditation, aux représentants syndicaux d'aller sur les lieux de travail pour essayer d'aider, ou de surveiller, ou de contrôler ces choses.

Comme on est exclu de ces bâtisses tant et aussi longtemps qu'on n'a pas eu l'accréditation et qu'on n'a pas obtenu, par des clauses dans les conventions collectives, le droit d'aller sur les lieux du travail, il arrive ce qui arrive aujourd'hui, c'est qu'à un petit nombre on donne tous les droits, on prive la très grande masse et on permet à des gens de profiter de la situation.

Mme Benoît-Paquette: Pour ajouter à ce que mon confrère dit, on fait aussi face à beaucoup de paternalisme, surtout dans le monde des secrétaires. Le patron dit: Ne te syndique pas et je vais te donner une augmentation de salaire. Là, il se fait paternel envers elle et tout se règle.

Il faudrait aussi élargir la définition de la personne syndicable, comme les cadres intermédiaires, les pigistes, les surnuméraires et les employés à temps partiel; faciliter l'étape de la négociation pour le syndicat en s'assurant que le Tribunal du travail puisse agir efficacement quand un employeur refuse de négocier de bonne foi; reconnaître, dès que l'accréditation est accordée, le droit à la procédure de grief et le droit à la libération d'agents syndicaux.

Ces amendements au Code du travail favoriseraient également l'accès à la syndicalisation pour d'autres groupes de travailleurs et de travailleuses: les personnes handicapées et les personnes issues des minorités ethniques, notamment.

Malgré les lois conçues pour les protéger, ces personnes demeurent isolées. On les retrouve trop souvent forcées de travailler au noir ou dans des conditions d'exploitation inimaginables. Une société qui se respecte se doit de mettre un terme à de tels abus.

Quand je vous parle du travail au noir, j'ai fait une enquête dans ma région. J'ai rencontré des femmes qui travaillaient au noir dans leur sous-sol. Messieurs, du Pierre Cardin, cela se fait dans la région de Nicolet et de Saint-Léonard-d'Aston, et cela se fait dans les sous-sols. On oblige les femmes à s'acheter des machines à coudre à 800 $ et à les payer comptant, jamais par chèque, parce que la femme ne sait pas pour quelle compagnie elle travaille. Le mari doit lui aider et elle fait en moyenne de 75 à 80 heures par semaine pour avoir 50 $ et peut-être se rendre à 60 $. Là, je n'exagère rien.

En plus, celle qui fait des patrons pour Pierre Cardin, qui fait le modèle, n'a rien, parce qu'on lui a fait croire que c'était pour elle une belle promotion.

La Charte des droits et libertés de la personne. Les avantages sociaux. L'article 97 de la charte, chapitre des dispositions diverses, se lit comme suit: "Les articles 11, 13, 16, 17 et 19 de la présente Charte ne s'appliquent à un régime de rentes ou de retraite, à un régime d'assurance de personnes ou à tout autre régime d'avantages sociaux que si la discrimination est fondée sur la race, la couleur, la religion, les convictions politiques, la langue, le régime ethnique ou national et la condition sociale."

En vue de cet article, on permet implicitement la discrimination basée sur le sexe, l'état civil, l'orientation sexuelle et le fait d'être une personne handicapée ou d'utiliser un moyen pour pallier son handicap dans les régimes d'avantages sociaux. Malgré les pressions exercées par de nombreux groupes, aucun amendement n'a été apporté à la charte et aucune suite n'a été donnée aux recommandations du comité sur la non-discrimination dans les avantages sociaux - le rapport Boutin.

Nous avons quant à nous, formulé nos recommandations relativement à l'article 97 de la charte en tant qu'organisme appuyant la coalition pour l'abrogation de cet article, (voir en annexe 1). Nous ne reprendrons pas ici toute l'argumentation déjà développée. Nous croyons que le gouvernement dispose de toutes les preuves ou justifications nécessaires et que c'est maintenant une question de volonté politique d'agir.

Rappelons simplement que la CSD estime que la discrimination en matière d'avantages sociaux ne devrait, pas plus qu'en d'autres domaines, être pratiquée. C'est pourquoi nous réclamons l'abrogation de l'article 97 de la charte, lequel constitue, à notre avis, une exception injustifiée au principe de non-discrimination.

La CSD recommande que l'article 97 de la Charte des droits et libertés de la personne soit abrogé.

Ici, je fais une pause pour vous dire que, ce matin, pour moi, c'est une douce revanche. La revanche est douce au coeur de l'Indien, ou la vengeance, je ne sais pas quoi. J'étais là, en 1975, quand la charte a été adoptée, et l'article 97 m'a fait rugir. En tant que femme, je voyais toute la discrimination qu'on se préparait à faire sur la moitié de la population du Québec, les femmes.

Aujourd'hui quand on m'a mandatée pour défendre le mémoire de la CSD, je vous le répète, je prends une revanche.

La CSD recommande l'inclusion aux articles 11 à 19 de la charte d'un nouvel article interdisant toute discrimination dans les avantages sociaux tels que: nul ne peut exercer de discrimination dans un régime de rentes ou de retraite, un régime d'assurance de personnes ou dans tout autre régime d'avantages sociaux.

La CSD recommande qu'il soit stipulé dans la charte que la législation et le régime public doivent être modifiés dans le sens de l'abolition de toute discrimination en matière d'avantages sociaux. La CSD a bien sûr approuvé le rapport Boutin, sauf les recommandations 7 et 8.

À la recommandation 7, le comité recommande que dans les régimes à prestations indéterminées, ou avec participation aux bénéfices, le niveau de la rente ne puisse varier en raison du sexe, de l'état civil ou de l'âge de l'employé sauf pour des considérations actuarielles.

À l'article 8, le comité recommande que le niveau de la rente ne puisse varier en raison du sexe, de l'état civil ou de l'âge de l'employé sauf pour des considérations actuarielles dans les options suivantes...

Quand on connaît les échelles actuarielles, on sait très bien que nos actuaires ont fait une échelle actuarielle pour les hommes et une autre pour les femmes. Je me demande pourquoi ils n'en ont pas fait pour les gens de couleur, puisqu'ils ont une longévité beaucoup plus courte que la nôtre. Les actuaires nous disent: Pour vous, les femmes, on a fait une échelle actuarielle parce que vous avez une longévité beaucoup longue que les hommes. J'ai l'impression que c'est facultatif, c'est utopique, c'est injuste en tout cas de nous faire porter l'odieux de notre longévité. Ensuite, on ne sait pas, maintenant que l'on est au travail, si vraiment notre longévité va être aussi prolongée. (11 heures)

La CSD est convaincue que des considérations de type actuariel ne justifient aucunement une telle discrimination. Elle recommande que, dans les régimes d'avantages sociaux, nulle distinction ne soit autorisée en fonction du sexe des personnes concernées, même si ces distinctions sont prétendues justifiées sur la base de calculs actuariels.

La discrimination fondée sur l'âge. L'inscription de l'âge comme motif illicite de discrimination à l'article 10 de la charte constitue, à notre avis, une modification fondamentale devant y être apportée. Dans le secteur du travail, l'âge intervient de façon particulièrement dramatique à l'embauche et à l'occasion de mises à pied; on refuse un emploi à des personnes jugées trop jeunes ou trop âgées. Les femmes qui désirent réintégrer le marché du travail après quelques années d'arrêt se retrouvent également dans une situation très difficile.

Lorsque nous parlons de discrimination selon l'âge, il y a aussi une discrimination que j'ai pu constater, c'est que, dans les régimes d'avantages sociaux, notamment les régimes supplémentaires de rentes, on retardait l'âge d'accès aux régimes supplémentaires aux femmes. Et je m'explique: L'homme qui arrive sur le marché du travail commence immédiatement à cotiser au régime supplémentaire, mais il y a une clause dans la constitution qui dit que la femme commencera à cotiser à 25 ans. On pense qu'elle va débarrasser le marché du travail et qu'elle n'aura pas à adhérer au fonds de retraite.

La CSD recommande donc que l'âge soit reconnu comme motif illicite de discrimination à l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne.

La discrimination fondée sur la condition physique. Plusieurs cas de discrimination ont pour motif la condition physique. Nous n'en ferons pas ici un relevé exhaustif, mais nous tenterons, à l'aide de deux exemples, d'attirer l'attention de cette commission sur la nécessité de reconnaître la condition physique comme motif illicite de discrimination.

Plusieurs lois québécoises protègent actuellement les femmes enceintes. La Loi sur les normes du travail interdit à un employeur de mettre à pied une femme sous prétexte qu'elle est enceinte.

La Loi sur la santé et la sécurité du travail permet le retrait préventif et rémunéré de la femme enceinte si son travail comporte des dangers pour elle ou pour l'enfant à naître. Finalement, l'ordonnance no 17 accorde à la femme enceinte un congé de maternité et une protection contre toute perte d'avantages.

Malgré toutes ces lois, la discrimination continue pour les femmes qui veulent avoir un emploi et qui sont enceintes. On en a eu des cas récemment qui ont paru dans les journaux; j'ai vu aussi que la femme avait perdu sa cause.

La condition physique comprenant l'apparence physique. Dans sa version actuelle, la charte interdit d'inclure des critères relatifs à la taille, à la force physique ou à la beauté dans les exigences minimales d'emploi. Toutefois, dans la pratique, on sait qu'un bon nombre d'employeurs font peu de cas de ces interdictions. Comme il est à peu près impossible de faire la preuve d'une telle discrimination, les possibilités de recours pour ces motifs sont à peu près inexistantes. La CSD recommande que la condition physique comprenant la grossesse et l'apparence physique soit reconnue comme motif illicite de discrimination à l'article 10 de la charte.

La discrimination fondée sur le harcèlement. La notion de harcèlement prend de plus en plus d'importance dans la conscience publique, au fur et à mesure que l'on reconnaît le fait qu'il s'agit d'un problème à caractère institutionnel. Une forme courante de harcèlement est le harcèlement sexuel. L'étendue du problème est par ailleurs difficile à circonscrire, de nombreuses femmes craignant des représailles si elles dénoncent ces situations, et ma compagne, France Roy-Meunier, a justement un cas à vous citer.

Mme Roy-Meunier (France): Merci. M. le Président, membres de la commission,

l'exemple que j'ai à vous apporter, c'est un exemple qui est très concret. C'est d'ailleurs la première personne dont je ne nommerai pas le nom, parce que c'est un exemple qui se passe présentement.

C'est une femme, à l'emploi d'une compagnie, qui fait de l'entretien ménager le soir. Cette femme travaille environ six mois par année pour cette compagnie parce qu'elle remplace pendant les vacances. Ce qui s'est produit, c'est que cette femme est allée travailler à l'étage que le surintendant lui avait assigné, et elle s'est retrouvée, à un moment donné, avec le surintendant à cet étage. Le surintendant avait pris la précaution de refermer la porte derrière lui afin de s'assurer que personne ne puisse entrer, étant donné que les seules personnes détenant les clés étaient cette femme et lui-même. Il a alors commencé à lui faire des compliments, à lui dire qu'elle était jolie et il lui a demandé si elle était mariée. Quand elle lui a répondu qu'elle était mariée et qu'elle n'était pas intéressée, il lui a répondu qu'il trouvait ça bien dommage, etc. Finalement, quand il s'est aperçu qu'il ne pouvait pas obtenir ce qu'il désirait par des compliments, il s'est approché d'elle et a tenté de la maîtriser en voulant l'embrasser, la caresser, etc. La femme a pris panique et l'homme a finalement décidé d'en rester là et est reparti.

Ce qui s'est produit à partir de ce moment-là, c'est que le surintendant, au lieu de laisser sa carte de poinçon dans les casiers habituels, la prenait dans son bureau. Donc, la femme devait chaque fois, pour poinçonner, retourner au bureau chercher sa carte, et il faisait certains sous-entendus, lui demandant si elle aimait bien travailler là et si elle désirait garder son emploi, etc. Par la suite, la femme en a parlé à une de ses compagnes de travail, en lui faisant promettre de n'en parler à personne. Cependant, cette femme en a parlé aux officiers du syndicat qui avaient entendu dire depuis pas mal longtemps que certains surintendants se permettaient un harcèlement sexuel face à plusieurs femmes; ce n'était pas le premier cas, mais c'était la première fois qu'un exemple concret venait véritablement à leurs oreilles.

Donc, ils sont allés voir la femme et ont essayé d'obtenir d'elle qu'elle dénonce le surintendant. Par quel moyen? on ne le sait pas, mais c'est arrivé aux oreilles du surintendant qui, lui, pour se protéger, avec un autre surintendant, peut-être le surintendant en chef, a fait venir la femme au bureau pour lui faire signer une déclaration disant que les deux officiers syndicaux l'avaient harcelée - on revirait un peu les rôles - pour lui faire avouer une situation qui était fausse. La femme, ayant peur, a signé la déclaration et, par la suite, les deux officiers ont été congédiés. Il y a d'ailleurs des procédures de griefs qui sont en cours, qui ne sont absolument pas réglées.

Les officiers ont ensuite tenté d'amener cette femme à rencontrer le représentant syndical pour pouvoir éclaircir la situation. Après discussion, la femme a finalement expliqué au représentant syndical, dans les détails, ce qui s'était passé, soit approximativement ce que je vous ai expliqué. Il lui a dit: Pourquoi ne l'as-tu jamais dénoncé? Cela faisait déjà plusieurs semaines que la situation durait et elle trouvait quand même assez traumatisant le fait de toujours être obligée d'aller chercher sa carte au bureau du surintendant, ayant toujours peur qu'il recommence à l'approcher. Elle lui a répondu - cette personne est néo-Québécoise, elle est Italienne - que, premièrement, elle avait absolument besoin de son travail parce que l'argent qu'elle rapportait à la maison était nécessaire. Deuxièmement, à cause de sa mentalité, elle disait que si sa famille apprenait par hasard ce qui se passait, elle savait que ça entraînerait des conséquences qui seraient, pour elle, vraiment désastreuses.

D'ailleurs, dans ces milieux d'entretien ménager, généralement, on trouve toujours des personnes italiennes, portugaises, et généralement des femmes, c'est sûr. Leur mentalité fait que si l'employeur, le surintendant ou un autre communique avec le mari pour lui laisser sous-entendre quelque chose, même s'il ne s'est jamais rien produit, le simple fait d'arriver à créer le doute chez le mari est suffisant pour que l'homme considère que sa femme a effectivement posé des actes, et ça entraîne toutes sortes de conséquences. Pour elle, c'est très catastrophique, la famille au complet s'en mêle, généralement. Donc, la femme refuse.

Dans le cas présent, elle a décidé d'expliquer ce qui s'est passé. Mais, vraiment, elle a une crainte énorme. Tout ce qu'elle a demandé tout le temps, c'est: II ne faut pas que mon nom paraisse, il ne faut pas que personne le sache. Il v a quand même eu des congédiements et c'est un peu ce qui l'a convaincue de parler. Tout de même, c'est très difficile pour elles.

Il y a un autre cas, c'est aussi dans une compagnie d'entretien ménager. Mais là, c'est encore bien pire, ce qui s'y passe. Là, c'est véritablement un réseau de prostitution. Je ne l'invente pas, c'est lors du maraudage que des conseillers de la CSD ont parlé avec ces femmes, qui leur ont expliqué ce qui se produisait. Les contremaîtres ou les surintendants, toujours, tentent de prendre les femmes en défaut. Lorsque la femme a fait quelque chose de pas correct, le surintendant lui dit: Si tu veux conserver "ta job", tu as une seule solution. Il le lui demande peut-être plus poliment, plus gentiment, c'est de lui obtenir... Il lui demande tout simplement des faveurs

sexuelles.

Une fois que la femme a cédé, pour ne pas perdre son emploi, toujours en tenant compte du fait que, la majorité du temps, ce sont des personnes néo-québécoises, qui ont donc beaucoup plus de difficulté, premièrement, à s'exprimer, même en français ou en anglais, et beaucoup plus de difficulté à comprendre tout ce qui se passe, le surintendant lui dit: On a averti ton mari, ton ami ou ta famille de ce qui vient de se passer; si tu n'acceptes pas d'aller plus loin...

Généralement, ce sont d'autres personnes qui entrent en ligne de compte puisqu'elles disent à la femme: C'est très simple, tu vas avoir un petit travail bien tranquille à faire, mais, par contre, lorsqu'on aura besoin de tes services, tu accepteras de travailler pour nous à autre chose.

Naturellement et malheureusement, l'autre chose, quand je parlais de réseau de prostitution, c'est effectivement ce qui se produit. Cela n'est pas isolé. Dans le moment, je vous parle de cas d'une région principale. Hier, on en discutait justement et M. Poiré mentionnait que lui aussi il a connu maints cas. Ces femmes n'oseront jamais avouer, premièrement, parce qu'elles ont honte d'avoir cédé à un moment donné et d'être prises dans cet engrenage; il y a aussi le fait des conséquences familiales, la conséquence de la perte de leur emploi, parce que ces personnes ont vraiment besoin de leur emploi.

M. Poiré avait aussi un autre exemple à donner face à cela.

M. Poiré: Oui. Tantôt, je vous ai parlé de la Mains Knitting Mills de Disraeli. C'est une compagnie qui possédait quatre usines, une à Disraeli, une à Saint-Gilles-de-Lotbinière et les deux autres, semblerait-il, dans la région de Montréal. Nous, pour essayer d'empêcher la fermeture de l'usine de Disraeli, on s'est dit: On va syndiquer les autres. Effectivement, on a mandaté Marielle Gravel, qui est une organisatrice à la CSD, pour aller faire les contacts dans les autres usines. Elle a dit: Je vais commencer par Saint-Gilles-de-Lotbinière. Elle a fait ses contacts, elle a rencontré une douzaine de filles, qui lui ont dit: Oui, cela a bien du bon sens, on est d'accord. Ces filles ont même signé leur carte.

On a fondé le syndicat. Il avait été convenu encore une fois qu'une fin de semaine, on ferait l'organisation pour essayer d'éviter que l'employeur découvre l'organisation de la syndicalisation de son entreprise. Le vendredi après-midi, une petite fille s'est échappée un peu, elle en a parlé à une de ses compagnes de travail à l'intérieur de l'industrie. Le contremaître qui a eu connaissance de cela l'a rapporté tout de suite au gérant. Le gérant a fait immédiatement une assemblée sur place. Mais il ne s'est pas contenté de faire l'assemblée sur place, il a aussi appelé tous les parents des petites filles, parce que la plupart des gens qui travaillent dans ces industries, souvent, une grande majorité et même une très grande majorité sont des jeunes filles qui arrivent sur le marché du travail.

Nous, on est arrivé vers la fin de l'après-midi dans la région, bien discrètement, pour nous préparer à faire notre porte-à-porte. Quand on est arrivé à l'hôtel, Marielle Gravel avait eu un coup de fil d'une des filles qu'elle avait recontrées et un de ses poteaux - en termes syndicaux, on appelle cela des poteaux - lui disant qu'elle voulait absolument la voir chez elle immédiatement. Alors, Marielle Gravel nous a donné le travail à faire, avec nos gens à rencontrer, et elle est partie rencontrer la fille qui l'avait appelée. Cette fille-là demeurait avec quatre autres filles dans un appartement à Saint-Gilles-de-Lotbinière. Elle est arrivée là et les filles lui ont dit: Nous, on ne veut plus se syndiquer, le "boss" nous a fait une assemblée cet après-midi, etc. Marielle a dit: Écoutez! Mes équipes sont parties, on fait le tour de tout le monde ce soir pour faire signer les cartes, etc. (11 h 15)

Au même moment, trois hommes sont sortis des chambres. C'étaient les pères des petites filles. Ils ont dit à Marielle Gravel: Tu es venue monter la tête de nos petites filles. Ils ont dit: Tu ne sortiras plus d'ici. Je dois vous dire qu'ils l'ont gardée jusqu'à la fin de la veillée. Je n'ai pas besoin de vous dire aussi que, partout où on allait "cogner" pour rencontrer les petites filles, on se faisait traiter de toutes sortes de choses épouvantables. Les gens ne voulaient pas nous laisser entrer. Tout le travail avait été fait.

Où est la liberté démocratique de se syndiquer dans ça? On a rapporté cela au ministre du Travail, du temps, c'était en 1978. Je veux vous dire qu'en même temps j'avais rapporté la fermeture de l'usine de Disraeli. Le ministre du Travail m'a répondu bien simplement: - j'étais avec l'avocat Lucien Bouchard de Chicoutimi que certains connaissent très bien, on était là pour un problème de garage en même temps - Que veux-tu que je fasse? Si, au moins, il m'avait répondu: On va dépêcher un enquêteur, on va faire une enquête. Si c'est réellement vrai que l'employeur ferme pour la syndicalisation, il doit y avoir quelque chose à faire.

Deuxièmement, il aurait au moins dû envoyer un enquêteur aussi pour aller vérifier ce qui s'est passé à Saint-Gilles et faire respecter le Code du travail. Dans ce dossier-là, je dois vous dire que les femmes ont été brimées dans leurs droits et

harcelées. On a rencontré les petites filles de Saint-Gilles trois semaines après parce qu'on leur avait dit que, si on ne passait pas au travers, on leur remettrait leurs 2 $. J'ai dit à Marielle: On ne l'enverra pas par la "malle", on va aller leur porter. On est allé les rencontrer et je dois vous dire que la discussion, ce n'était pas drôle au commencement parce qu'il n'y avait pas d'atmosphère, mais on a expliqué que nous, on ne pouvait pas les forcer, etc. Les petites filles nous ont alors raconté dans tous les détails tout ce que l'employeur avait fait pour empêcher la syndicalisation. Il avait fait des réunions sur les lieux du travail où il avait dit aux petites filles encore la même chose que ce qu'on entend partout: Fermeture de l'usine. Ils ont donné le cas de Disraeli. Comme c'était le même employeur et qu'il avait fermé une "shop" de 147 employés, imaginez-vous que pour une "shop" d'une cinquantaine d'employés, la clé, c'est encore plus vite.

Là aussi, la bâtisse n'appartenait pas à l'employeur. C'est une bâtisse qui appartenait à un citoyen de l'endroit et qui avait été un peu prêtée à la ville pour en faire une bâtisse industrielle pour permettre à une industrie de venir s'installer.

Mme Benoît-Paquette: Le harcèlement fondé notamment sur la race, la couleur et l'origine ethnique, la religion, l'orientation politique est un phénomène réel qu'on ne peut ignorer. Dans sa version actuelle, la charte permet à la commission de recevoir des plaintes de cette nature, mais elle n'autorise pas explicitement la commission à intervenir en cette matière.

La CSD recommande que soit ajouté, après l'article 11, un article interdisant toute forme de harcèlement, tel que: Nul ne peut exercer quelque forme de harcèlement que ce soit, fondé sur l'un des motifs de l'article 10 de la charte.

Le Président (M. Desbiens): Je m'excuse de vous interrompre. Il y a près de 50 minutes que la présentation du mémoire est commencée. Habituellement, bien que ce soit très élastique, on essaie de s'en tenir à une représentation un tiers-deux tiers pour la période des questions. Maintenant, on laisse cela à votre choix. S'il y a plus de temps pour la déposition du mémoire, ça laisse moins de temps pour la période de questions. Si vous voulez continuer ou accélérer, c'est à votre choix.

Mme Benoît-Paquette: Je vais accélérer.

Les recommandations. La CSD recommande que la charte soit amendée de façon à rendre légaux les programmes d'accès à l'égalité, d'action positive, parce que la CSD croit que la charte devrait être amendée de façon à rendre les programmes plus faciles.

Ainsi, dans les milieux de travail, de tels programmes pourraient être négociés dans le cadre de conventions collectives. La Commission des droits de la personne aurait alors un rôle majeur à jouer auprès des parties, un rôle d'information et de soutien. Elle devrait aussi, de manière générale, coopérer étroitement avec les groupes voués à la promotion des droits en apportant un support technique et en étant à l'écoute des besoins exprimés.

On ne pourrait parler des responsabilités de la commission sans référer d'abord aux priorités qu'elle devra se donner, particulièrement au chapitre de sa fonction éducative. Tous les changements découlant des différentes propositions d'amendement à la charte, notamment dans le domaine des avantages sociaux et des nouveaux motifs illicites de discrimination, supposent une information dynamique à l'intention des personnes concernées. Il nous semble donc logique que la commission puisse disposer des ressources et des moyens adéquats pour répondre aux demandes croissantes qui lui seront adressées. Il nous paraît également essentiel que la commission dispose d'une présence permanente en région.

La CSD recommande qu'au chapitre de ses responsabilités en matière de mise sur pied de programmes d'information et d'éducation la Commission des droits de la personne se donne comme priorité d'informer la population, premièrement, sur les changements apportés au régime d'avantages sociaux conformément à la charte telle qu'amendée; deuxièmement, les nouveaux motifs illicites de discrimination.

La CSD recommande au gouvernement de s'assurer que la Commission des droits de la personne dispose de moyens adéquats pour s'acquitter efficacement de sa tâche.

La CSD recommande que la Commission des droits de la personne puisse procéder à l'ouverture de bureaux régionaux. Au chapitre des pouvoirs de la commission, nous croyons qu'il serait très souhaitable que celle-ci puisse agir à titre de procureur en matière de recours collectif. Ces ressources techniques ainsi que ces moyens de communication mis ainsi à la disposition du groupe lésé constitueraient un apport indéniable. De plus, il nous semble que cette fonction cadre très bien avec sa mission de promotion des droits ainsi qu'avec sa fonction éducative.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Bédard: M. le Président, je tiens à remercier les personnes présentes pour la présentation de leur mémoire devant les membres de la commission parlementaire.

Nous sommes à même de constater qu'il s'agit de représentations très étoffées, très fouillées concernant un ensemble de situations dont vous avez voulu faire part aux membres de la commission. Ce qui est peut-être remarquable, c'est que vous vous êtes astreints à donner des exemples très pratiques, des exemples vécus qui ont permis aux membres de cette commission de vérifier l'ensemble des revendications que vous faites pour des amendements au niveau de la charte des droits et libertés. Ce n'est pas toujours facile. C'est peut-être plus facile d'y aller d'une façon philosophique, mais je tiens à souligner que le fait que vous vous soyez astreints à nous donner des exemples pratiques nous permet assurément une meilleure compréhension des situations que vous voulez dénoncer.

Une partie de ces représentations concernant l'urgence de faciliter l'accréditation syndicale, vous en conviendrez, peut s'adresser d'une façon plus particulière au ministère du Travail. Je vois que vous êtes d'accord avec moi. Il reste que c'était indiqué d'en faire part aux membres de cette commission.

Concernant les facilités d'accréditation, secteur où le législateur doit nécessairement agir, je vous ferai simplement remarquer, en passant, qu'après la Loi sur les normes minimales, la Loi sur la santé et la sécurité du travail le ministre actuel du Travail a déjà annoncé son intention d'y aller de mesures législatives afin de faciliter l'accréditation syndicale de manière à faire obstacle à toutes ces manoeuvres qui peuvent être exercées par certains employeurs aux fins d'empêcher la syndicalisation.

Vous avez parlé d'une façon spéciale du harcèlement sexuel en y allant d'exemples très précis. Mme France Roy-Meunier et d'ailleurs d'autres membres de votre délégation avez énoncé des situations très précises. J'ai remarqué que Mme Roy-Meunier a quand même dit, à un moment donné, en dénonçant ces situations, que ce qui est malheureux, c'est que les femmes n'osent jamais les dénoncer. Comment pensez-vous qu'en ajoutant la notion de harcèlement sexuel ou harcèlement de façon générale dans la charte des droits que cela constituera un élément qui permettra ou qui incitera ces femmes victimes de situations précises à les dénoncer?

Mme Benoît-Paquette: Ma compagne va vous répondre.

M. Bédard: Parce que déjà, en fait, dans l'article 10, vous pouvez le constater comme moi, il y a la défense de discriminer concernant le sexe, en raison du sexe. Il y a également, dans le Code criminel, des dispositions prévues aux fins de pénaliser les personnes qui sont en autorité et qui osent exercer des pressions sur leurs employés, dans le sens de ce que vous avez expliqué.

Malgré ces dispositions déjà présentes, soit dans la charte ou dans le Code criminel, vous nous dites que d'une façon générale les femmes n'osent pas dénoncer ces situations. Comment pensez-vous qu'en y ajoutant une notion de plus, celle du harcèlement, cela contribuera à changer la mentalité ou à changer les manières d'agir?

Mme Roy-Meunier: Au niveau du changement de la mentalité, d'ailleurs, dans le mémoire, à un moment donné, on précise qu'on ne fait pas cela en fonction de changer une mentalité immédiatement. On est conscient que c'est très long. Par contre, on se dit que si l'article sur le harcèlement est ajouté, s'il y a de la publicité qui se fait à ce niveau, si les femmes sont éduquées, si on leur rappelle constamment qu'elles n'ont pas à se laisser harceler, il leur donne droit de se faire défendre. Parce que pour certaines femmes, tant qu'elles ne sont pas carrément violées, elles se disent... d'ailleurs, dans les procès pour viol, c'est souvent ce qui se produit, c'est quasiment la femme qu'on accuse d'avoir provoqué la situation. Je pense que tout le monde est au courant. Ces mêmes femmes aussi ont cette impression et tant qu'elles n'ont pas été violées, elles n'ont pas l'impression qu'elles ont droit de contester ce que l'employeur fait, parce que souvent ces femmes de minorité ethnique ont l'impression que l'employeur, c'est le maître après Dieu.

Donc, s'il y a de l'éducation et de l'information comme il s'en fait, présentement au niveau du viol... Il y a de plus en plus d'information. On dit aux femmes: Vous devez dénoncer. Vous allez avoir des organismes qui vont vous soutenir, qui vont vous aider pour aller jusqu'au bout. Les femmes, de plus en plus, avouent des situations semblables. Quand je dis avouent, cela en est quasiment incroyable. Parce que c'est un fait, pour elles, c'est quasiment avouer quelque chose de honteux. Mais pour le harcèlement, qui ne va pas nécessairement jusqu'au viol, il est aussi difficile pour une femme lorsqu'elle a à le subir pendant des semaines et des mois. Il faudrait que les femmes à ce niveau soient informées de leurs droits. Si la personne qui tente de faire le harcèlement sexuel est aussi informée que dans la charte existe une clause disant que si tu fais du harcèlement et qu'on le prouve, tu es aussi passible d'une peine, je ne sais trop, de quelque chose au bout, la personne qui va faire le harcèlement va peut-être s'y arrêter un tout petit peu. Elle va peut-être y penser deux fois avant de faire son harcèlement. (11 h 30)

Juste un instant! Ce qu'on dit, c'est que, par rapport à ce qui avait été dit à la

fin, finalement, le rôle de la commission, c'est d'arriver à faire cette information et cette éducation auprès des femmes.

M. Bédard: Autrement dit, vous voyez surtout, dans l'inclusion de la notion de harcèlement dans la Charte des droits et libertés, un effet psychologique et un effet éducatif, tout en étant conscients de part et d'autre que, même si cette notion était insérée dans la charte, les difficultés de preuve demeureront celles qu'on connaît et que vous avez d'ailleurs évoquées auprès de cette commission.

Mme Roy-Meunier: Oui, effectivement, c'est une partie de la réponse pour moi. Je ne sais pas, mais je crois que René a quelque chose à ajouter.

Le Président (M. (Desbiens): M. Poiré.

M. Poiré: Dans le Code du travail, quand l'employeur congédie quelqu'un et qu'on fait une plainte en disant: II est congédié pour activités syndicales, c'est à l'employeur de démontrer qu'il l'a congédié pour autre chose. Là, on devrait renverser les rôles aussi. Au lieu de toujours obliger l'employée à se battre, à se défendre ou à prouver que telle ou telle chose a été faite, là aussi, on devrait renverser les rôles et dire: Le gars qui l'a caressée ou qui l'a violée, ce sera à lui de venir prouver qu'il ne l'a pas fait.

À part cela, au lieu d'avoir une preuve concrète, au niveau du Code du travail, si quelqu'un est congédié, il s'agit pour nous de prouver, de démontrer que l'employeur peut l'avoir congédié sans preuve absolue. Dans le cas d'un harcèlement sexuel et ainsi de suite, on peut aussi le démontrer. Lorsque des femmes travaillent avec d'autres femmes, tout le monde se connaît. On sait à quelle sorte de femmes on a affaire. Si vous avez affaire à une femme qui manifeste continuellement, c'est-à-dire qu'elle démontre qu'elle aime se faire approcher et se faire coller, c'est entendu qu'elle aura le problème de démontrer, devant une commission ou devant un juge, que c'est l'autre qui l'a provoquée. Mais à la petite fille qui arrive là, qui a 17 ou 18 ans, parfois 16 ans, 15 ans et parfois 14 ans - on triche sur l'âge pour les faire entrer dans ces usines parce que, dans le petit village, on manque de personnel féminin - et qui n'a jamais rien fait, on va dire: Tu vas venir démontrer et faire la preuve que c'est toi qui l'as provoqué, quand elle a de la misère à parler et à s'exprimer, tandis que l'autre, qui a de l'expérience parfois - cela fait dix ou quinze ans qu'il est à l'intérieur d'une industrie comme surintendant ou contremaître, il a commencé à la base - et qui pratique cela depuis un certain nombre d'années, a appris à se défendre, à intimider ces filles et à s'organiser pour qu'elles ne parlent pas. Il faudrait renverser les rôles.

M. Bédard: Je comprends que vous demandez présentement une sorte de renversement de la situation qui existe au niveau du Code criminel, autrement dit, le renversement de la notion de la présomption d'innocence pour la remplacer par une présomption de culpabilité au niveau des employeurs ou des personnes qui seraient susceptibles d'avoir exercé des pressions. Ne pensez-vous pas que cela peut donner ouverture à d'autres sortes de violations de droits et libertés et à d'autres sortes de pressions qui sont difficiles à imaginer au moment où on se parle?

M. Poiré: Mais, si on se compare...

M. Bédard: Le système de droit qui existe à l'heure actuelle est basé sur la présomption d'innocence.

M. Poiré: ...au droit du travail présentement, on sait que le fait que nous ayons à établir la présomption que quelqu'un a été congédié pour activités syndicales et que l'employeur ait à se défendre, cela a comme conséquence de mettre un frein aux congédiements pour activités syndicales. Il y a encore beaucoup d'employeurs qui congédient des gens parce que souvent ils consultent des avocats qui ne sont pas en droit du travail et qui n'ont pas d'expérience en ce sens. Les avocats leur disent: Ne t'inquiète pas, il n'y a pas de problème, je vais te sortir de ça. Mais quand ils consultent des avocats qui sont en droit du travail ou qui ont une bonne expérience du monde du travail, ces avocats leur recommandent de ne pas les congédier. S'ils l'ont fait, ils leur recommandent de les reprendre le plus rapidement possible et de les payer. Il est facile de démontrer qu'un employé qui a été un modèle d'employé pendant deux ans et qui n'a jamais eu rien à se reprocher ne peut devenir du jour au lendemain un paresseux, un lâche, un voleur et un bandit. Pour la petite fille, c'est exactement la même chose. C'est une petite fille qui s'est toujours comportée comme du monde. Pourquoi, au niveau de la présomption, tout simplement, aurait-elle à démontrer qu'elle s'est toujours bien comportée et qu'elle n'a jamais eu rien à se reprocher? L'autre aurait le fardeau de la preuve.

M. Bédard: Vous êtes ici pour donner votre opinion, c'est d'ailleurs pour cela que je vous ai demandé d'expliciter, sans aller plus loin dans mes commentaires.

Au niveau des programmes d'accès à l'égalité, dans votre mémoire, à la page 19,

vous dites que "de tels programmes pourraient être négociés dans le cadre de la convention collective. La Commission des droits de la personne, dites-vous, aurait alors un rôle majeur à jouer auprès des parties, un rôle d'information et de soutien." Est-ce Que, lorsqu'une situation de discrimination est prouvée et qu'il y a difficulté ou impossibilité d'en arriver à un programme négocié, vous êtes d'accord que de tels programmes puissent devenir obligatoires?

Mme Lapointe (Lisette): Nous préférerions que ces programmes soient des programmes qui viennent du milieu même. Dans une entreprise donnée, même dans les divers départements, il y a des changements, il y a des choses très différentes qui peuvent se produire. Il peut y avoir seulement un ou deux départements à l'intérieur de l'entreprise où il y a eu discrimination à l'égard de femmes ou de minorités ethniques, par exemple.

Nous croyons sincèrement que, même si ces programmes étaient élaborés par la commission et les parties, s'il n'y a pas entente au niveau de l'entreprise, même si ces programmes sont imposés, on a bien peur que d'autres discriminations ou d'autres harcèlements se produisent ensuite dans l'application même de ces programmes, s'ils ne sont pas négociés par les deux parties, acceptés par les personnes qui ont à les vivre. Je donne l'exemple d'un département où on aurait dit: II faudrait engager cette année cinq femmes puisqu'il n'y a que 2% de femmes qui exercent ce métier. J'aurais bien peur, si les collègues ne l'ont pas accepté d'abord, si c'est imposé d'en haut, que ces femmes soient harcelées, pas sexuellement, mais au niveau professionnel, c'est-à-dire qu'on essaie de les enfarger un peu, de les discréditer au niveau de leur compétence, etc.

Cela nous semble important, dans les lieux où on est syndiqué, que ces programmes soient demandés, s'il y a lieu, et ensuite négociés. C'est évident...

M. Bédard: Si je comprends bien, dans le cas de l'impossibilité d'une entente souhaitée, tel que vous le dites, votre réflexion ne vous porte pas encore à affirmer que ces programmes pourraient nettement être imposés.

Mme Lapointe: Non, nous pensons que ce serait très problématique.

Mme Benoît-Paquette: Nous pensons au recours collectif face à la Commission des droits de la personne qui viendrait nous épauler si l'employeur était récalcitrant.

Mme Lapointe: Même le syndicat.

M. Bédard: Vous demandez par exemple l'abrogation - ce sera ma dernière question -de l'article 90 concernant la discrimination dans les avantages sociaux. Est-ce que -comme certains groupes nous l'ont déjà recommandé - vous croyez que cette modification doit nécessiter l'octroi d'un pouvoir réglementaire pour en fixer les modalités? Si oui, à qui devrait-on confier ce pouvoir?

Mme Benoît-Paquette: Je pense qu'il faut réglementer dans ce domaine et j'imagine que ça relève de votre ministère ou encore de celui des Coopératives et Institutions financières, surtout dans le domaine des fonds de retraite, parce qu'il y a de la discrimination sur une large échelle. Je pense qu'il faut légiférer pour aller voir ce qui se passe là-dedans, parce que ce sont toujours les femmes qui sont discriminées. J'ai vu un cas où c'étaient les hommes qui étaient discriminés.

M. Bédard: Dans l'assurance-vie, par exemple, est-ce que vous pensez que ce sont les femmes qui sont discriminées?

Mme Benoît-Paquette: Oui. Je reviens au fonds de retraite, moi-même, j'ai eu un...

M. Bédard: II y a un groupe du domaine de l'assurance-vie qui a comparu devant nous et qui, en fait, je pense, nous a peut-être fait la preuve du contraire.

Mme Benoît-Paquette: Dans les faits, ce n'est pas toujours ça. Pour les fonds de retraite, je peux vous...

M. Bédard: C'est dans les chiffres.

Mme Benoît-Paquette: ...dire que, dans mon fonds de retraite, mon bénéficiaire était mon "épouse".

M. Bédard: Une dernière question, vous comprendrez...

Mme Benoît-Paquette: Comme je n'ai pas d'épouse...

M. Bédard: ...que, sur bien des sujets que vous avez abordés, on aimerait peut-être revenir avec des questions pour vous demander certains éclaircissements, nous allons nous en abstenir, parce que déjà pas moins d'une trentaine de groupes, même plus, une quarantaine de groupes, sont venus témoigner devant la commission et nous avons eu avec eux l'occasion d'aller au fond des choses le plus possible.

Une dernière question. Dans le domaine des avantages sociaux, dans le cas où il y a un conjoint de fait et un conjoint légitime, comment devrait-on prévoir l'attribution des

avantages sociaux?

Mme Benoît-Paquette: Je pense qu'il faut légiférer dans ce domaine, tout dépend s'il y a eu divorce ou non, si la personne a vécu avec le premier conjoint ou le deuxième conjoint. Si elle a vécu un an avec le premier conjoint, si elle a vécu vingt ans avec le deuxième conjoint, il faudrait légiférer dans ce domaine pour voir qui a droit aux bénéfices.

M. Bédard: Comme législateur, si vous aviez à établir une ligne de démarcation, ce serait quoi, parce qu'on ne peut pas écrire un roman quand on fait un article de loi, vous comprenez?

Mme Benoît-Paquette; Je sais bien.

M. Bédard: Mais je comprends très bien le sens de vos remarques. Vous avez dit également qu'il y aurait à considérer le fait qu'il y a divorce ou pas, légalement parlant.

Mme Benoît-Paquette: II faut considérer les enfants aussi.

Mme Lapointe: On avait pensé à trois ans de vie commune pour des conjoints de fait, s'il n'y a pas d'enfant, et s'il y a un enfant, un an de vie commune. Maintenant, il y a toujours, comme Thérèse disait...

M. Bédard: Disons qu'il n'y a pas de séparation...

Mme Lapointe: II n'y a pas de séparation légale...

M. Bédard: ...et qu'il y a dix ans de vie commune avec un conjoint dit légitime, avec cinq enfants issus de cette union, et qu'il y succède une cohabitation de fait pendant un an avec une autre personne et qu'il y a un enfant issu de cette nouvelle cohabitation, je pense que vous conviendrez avec moi que ça ne devient pas facile de faire les distinctions.

Mme Benoît-Paquette: Je pense que, dans ce domaine, les jeunes enfants devraient avoir priorité; quand les enfants sont rendus à 25 ans, il n'y a plus de problème, mais quand il y a une conjointe qui a de jeunes enfants, je pense qu'elle devrait avoir priorité pour les bénéfices.

M. Bédard: Je vous remercie personnellement encore une fois de vos représentations très intéressantes et très positives.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: J'aimerais vous remercier pour votre mémoire. J'ai trouvé que c'était une représentation assez originale. Je pense que les membres de la commission ont mieux compris un certain nombre de problèmes à travers les exemples que vous avez donnés. Disons que le travail à domicile est un problème au Québec. L'Assemblée nationale a déjà essayé de contrôler ça d'une certaine façon par certaines lois et certains règlements, mais on sait que c'est encore un problème. (11 h 45)

Vous avez parlé du problème de la prostitution. Vous avez même fait des allégations qu'il y a de la prostitution dans certaines usines et que les femmes sont forcées, d'une façon ou d'une autre, de se prostituer. J'aimerais suggérer que vous demandiez au ministre qu'une enquête soit faite, parce que c'est un problème assez sérieux, mais un problème qu'on ne peut pas résoudre par une charte des droits. Cela prendrait d'autres mesures. Comme vous avez soulevé ce problème, je demanderais aussi au ministre de faire une étude sur ce problème, parce que, si cela existe dans une ou deux usines, ici et là, cela doit exister ailleurs aussi. On voit juste quelques exemples.

M. Bédard: Si mon collègue me permet juste un mot sur ce sujet précis. En fait, vous avez dénoncé certaines situations qui vont jusqu'à la prostitution. Je vous informe simplement que, lorsque des situations de cette nature existent, il y a une manière très précise de faire en sorte qu'il y ait enquête, pas seulement au niveau du ministère du Travail, mais au niveau du ministère de la Justice, parce qu'on rejoint le Code criminel. Il s'agit qu'une plainte en bonne et due forme soit acheminée - je vous le dis en passant - au ministère de la Justice.

M. Marx: Le problème, c'est que la fille a peur de porter plainte. C'est cela, le problème.

M. Bédard: II arrive parfois que le syndicat... Vous avez quand même dénoncé certaines situations.

M. Marx: Tout ce que j'ai voulu dire, c'est un problème assez difficile et, comme cela a déjà été souligné, les filles ont peur de porter plainte pour toutes sortes de raisons. Il y a un chantage qui se fait. J'aimerais suggérer au ministre de considérer la possibilité de faire une enquête, le cas échéant, dans les usines que vous pouvez lui nommer en privé et peut-être de faire une étude sur cette question. On fait tellement d'études au Québec, surtout dans certains ministères, qui ne mènent nulle part. Peut-être que cela pourrait être une étude qui

mène quelque part et qui va nous permettre de trouver des solutions pour traiter de ce problème.

M. Bédard: II faudrait peut-être mentionner qu'à l'heure actuelle la CECO est dans ce secteur particulier du vêtement. Peut-être que cela nous donnera des résultats sur tous les plans, pas seulement au niveau du domaine du travail.

M. Marx: Si on attend une enquête ou une étude! Il y a des années que cela existe et on n'a rien fait. Voici qu'on a des exemples concrets de cette situation. Je demande encore au ministre de ne pas attendre le rapport de la CECO ou le rapport d'une autre commission, mais d'essayer de faire une étude et peut-être une enquête dans ces usines que vous pouvez lui mentionner en privé et de voir ce qu'on pourrait faire. C'est un problème des droits de la personne, mais je ne pense pas qu'on puisse le régler par la charte. C'est cela, le problème.

En ce qui concerne l'article 90, nous sommes d'accord. L'Opposition rougit avec vous, dans le sens que c'était supposé être un article temporaire dans la charte. Nous avons demandé au ministre depuis quelques années d'abroger cet article, mais voilà, il ne l'a pas encore fait. Peut-être qu'il va le faire cette année ou l'an prochain.

M. Bédard: Vous me faites rire avec quelques années. Cela fait cinq ans que la charte est là.

M. Marx: M. le ministre, vous êtes bien nerveux, ce matin!

M. Bédard: Au contraire, très calme. Je vous trouve amusant!

M. Marx: C'était supposé être un article temporaire. Avec ce gouvernement, c'était temporaire pour cinq ans. Maintenant, peut-être que cela va prendre une autre année avant de l'abroger.

À la page 16, vous avez fait la recommandation "que la condition physique, comprenant la grossesse et l'apparence physique, soit reconnue comme motif illicite de discrimination à l'article 10 de la charte". Si on met cela dans l'article 10, cela veut dire que, si une femme pose sa candidature pour un poste, même si elle est enceinte de huit mois, elle doit être engagée. Est-ce que vous proposez cela?

Mme Lapointe: Je pense que, si on reconnaît vraiment le droit au travail des femmes, la grossesse ne devrait pas être un empêchement à se trouver un emploi. D'ailleurs, l'employeur n'est pas pénalisé s'il engage une femme enceinte. Il y a toutes sortes de lois qui le protègent. Huit mois, on exagère peut-être un peu, mais si elle a quatre mois de grossesse et qu'elle a besoin de travailler, si elle est de famille monoparentale, notamment, je ne pense pas qu'on puisse l'empêcher de travailler pour cette raison.

M. Marx: Si une femme n'a peut-être pas huit mois, mais sept mois ou six mois et demi et qu'elle pose sa candidature pour un emploi, l'employeur devrait l'engager...

Mme Lapointe: II devrait l'engager, oui, au même titre que si elle n'était pas enceinte.

M. Marx: ... au même titre que n'importe quelle autre personne.

Mme Benoît-Paquette: Oui, parce qu'elle a besoin de travailler.

M. Marx: Oui, je comprends qu'elle a besoin de travailler, mais supposons que ce soit un magasin où il y a seulement deux employés, que c'est un bureau où il y a seulement un employé, comme dans mon bureau de comté où j'ai seulement une secrétaire. Si quelqu'un se présente un jour, enceinte de sept mois, je comprends le problème et, si c'est dans la charte, je n'aurai pas de choix et je vais engager quelqu'un pour un mois. Après cela, je n'aurai pas...

Mme Lapointe: Je suis certaine que vous l'engageriez de toute façon, même si ce n'est pas dans la charte.

M. Marx: Surtout si c'est dans la charte.

Mme Lapointe: Même si cela peut poser de petits problèmes, que vous devriez, pour quinze semaines environ, la remplacer. Finalement, est-ce qu'on accepte la clef, est-ce qu'on accepte que la femme a le droit de travailler quand elle en a besoin? Les quinze semaines où elle serait partie, elle recevrait une rémunération. Il vous serait possible d'engager quelqu'un pour la remplacer pendant ce temps et de la reprendre ensuite à votre emploi.

M. Marx: Oui, l'autre qui va la remplacer pendant quinze semaines va perdre son emploi, elle va travailler seulement quinze semaines.

Mme Lapointe: Elle saurait que c'est un emploi temporaire; il faudrait la prévenir.

M. Marx: Oui, souvent, dans beaucoup d'emplois, il y a une période d'entraînement.

Mme Lapointe: C'est sûr.

M. Marx: Si quelqu'un pose sa candidature en étant enceinte de sept mois, l'entraînement... Je suis en faveur du principe; je trouve que le principe que vous avez souligné est celui qu'il faut encadrer dans la charte, mais je me demande s'il y a des limites à ce principe qu'il faut prévoir. Faut-il étudier les effets d'une telle disposition dans la charte avant de l'encadrer?

Mme Lapointe: J'ai l'impression qu'il ne devrait pas y avoir de limite.

M. Marx: Pas de limite. Mme Lapointe: Pas de limite.

M. Marx: D'accord. Dans la même recommandation, on trouve aussi l'apparence physique. L'apparence physique, qu'est-ce que cela veut dire pour vous?

Mme Benoît-Paquette: Par exemple, une femme qui serait un peu dodue. Quand c'est un endroit public, on lui refuse l'emploi, parce qu'elle n'est pas assez svelte. Ce cas de discrimination arrive fréquemment. Elle peut aussi être un peu plus petite que la normale ou trop grande. Cela arrive un peu plus rarement, mais les plus gros cas que j'ai vus de discrimination portaient surtout sur l'embonpoint. On refusait la femme parce que...

M. Marx: D'accord. Est-ce que cela arrive seulement aux femmes ou est-ce que cela arrive aux hommes aussi?

Mme Lapointe: Non.

M. Marx: Si cela arrive seulement aux femmes, c'est une question de discrimination à cause du sexe.

Mme Benoît-Paquette: C'est à cause de son apparence.

M. Marx: Oui, mais si on fait cela juste aux femmes, si on juge l'apparence des femmes importante, contrairement aux hommes, on fait de la discrimination contre les femmes et c'est déjà couvert par l'article 10.

Mme Benoît-Paquette: Probablement que les hommes ne sont pas venus porter plainte là-dessus.

Mme Lapointe: On a aussi vu des cas de discrimination à ce niveau chez des hommes qui doivent travailler à la manutention d'objets assez lourds. Selon l'apparence, on engage plus facilement quelqu'un qui est grand et solide pour des postes comme cela, sans vérifier si cela change quoi que ce soit au niveau du travail. Ce sont des cas qui se produisent assez souvent.

M. Marx: Si c'est une espèce de discrimination qu'on pratique vis-à-vis des femmes, c'est déjà couvert dans la charte.

Mme Benoît-Paquette: D'accord mais...

M. Marx: Rendre l'apparence physique un motif de discrimination, c'est bien difficile... Quelqu'un va toujours plaider en disant: On ne m'a pas servi, on ne m'a pas loué l'appartement à cause de mon apparence physique. C'est difficile à juger, l'apparence physique. Si vous dites qu'on fait la discrimination contre les femmes dans certains bureaux, dans certaines banques et ainsi de suite, je comprends, cela est déjà, à mon avis, peut-être à l'avis de la commission aussi, la discrimination fondée sur le sexe.

En ce qui concerne le harcèlement, à la page 17 de votre mémoire, vous formulez cette recommandation: "Nul ne peut exercer quelque forme de harcèlement que ce soit, fondé sur l'un des motifs de l'article 10 de la charte". Avez-vous trouvé qu'il y a du harcèlement pour d'autres motifs, c'est-à-dire pour des motifs autres que le sexe.

Mme Benoît-Paquette: Bien sûr, il y a du harcèlement par exemple du côté politique, appartenance politique. J'ai vu aussi du harcèlement du côté religion.

M. Marx: Prenons le côté politique, quel genre de harcèlement, que dit-on?

Mme Benoît-Paquette: C'est une chose encore qui n'est pas tout à fait palpable: Si tu n'es pas du bon côté, tu ferais mieux de te mettre du bon côté... c'est un peu du harcèlement qu'on fait.

M. Marx: Moi, je suis harcelé à l'Assemblée nationale, chaque jour, et surtout par le ministre. Moi, je suis du bon côté. Cette blague est pour illustrer que souvent le harcèlement, c'est la blague, ce n'est pas un motif de discrimination; ce sont des choses que l'on se dit au travail, partout et on ne prend pas cela trop au sérieux, ce n'est pas un motif pour faire la discrimination, les gens ne perdent pas leur emploi pour cette raison. Il peut arriver sûrement qu'à cause de l'opinion politique, quelqu'un perde son emploi; il y a déjà des plaintes à la Commission des droits de la personne, mais congédier quelqu'un, c'est quelque chose de couvert par l'article 10. Le harcèlement, j'aimerais...

Mme Benoît-Paquette: On ne congédie

peut-être pas, mais on le harcèle tellement qu'il se congédie lui-même ou elle-même.

M. Marx: Avez-vous des exemples, avez-vous eu des plaintes?

Mme Benoît-Paquette: Oui.

M. Marx: Vous avez des plaintes?

Mme Benoît-Paquette: Oui.

M. Marx: Quel genre de plaintes? Pouvez-vous nous donner un exemple?

Mme Benoît-Paquette: Disons que ce n'était pas un travail rémunéré, mais c'était une représentation dans un conseil d'administration. On s'est demandé à quel parti politique elle appartenait? Finalement, on n'était pas sûr, puis cela a été un peu du harcèlement, et ce n'est pas encore réglé.

M. Marx: Avez-vous des exemples de harcèlement pour des motifs autres que le sexe?

Mme Benoît-Paquette: La religion. M. Marx: Quel genre de...

Mme Benoît-Paquette: II y a des gens encore qui font une grosse différence entre les religions et qui font du harcèlement à cet égard, ils cherchent même à les convertir.

Mme Roy-Meunier: J'ai aussi un exemple de harcèlement au niveau des minorités ethniques. On nous contait que des personnes vont parrainer soit des Italiens ou d'autres gens qui veulent immigrer ici, au Québec. Généralement, ce sont des Néo-Québécois qui sont ici depuis quelques années, qui sont assez bien placés, contremaîtres ou autres, qui ont un travail qui leur permet quand même d'avoir une certaine autorité là où ils travaillent. Ils vont parrainer des gens qui veulent venir ici en leur trouvant du travail, parce qu'il y a quand même plusieurs critères à respecter pour pouvoir immigrer ici. Lorsqu'ils arrivent, ils leur disent: Maintenant que je t'ai trouvé du travail, que je t'ai aidé à venir ici au Québec, tu vas devoir me payer un certain pourcentage sur ton salaire ou un cadeau. Soit qu'ils lui demandent un cadeau qui est global ou sinon un pourcentage. La plupart de ces gens-là travaillent au salaire minimum et on leur demande un pourcentage sur chaque heure travaillée. (12 heures)

La plupart du temps, ce sont des Néo-Québécois qui font cette demande ou encore ce sont quelquefois des Québécois, malheureusement. Les personnes vont payer parce qu'elles calculent que c'est une faveur que la personne ait accepté de les parrainer pour les aider à venir ici; elle ne prennent pas cela comme étant une espèce de chantage; elles ont l'impression que c'est une faveur et qu'elles doivent payer. Je pense que c'est un exemple de harcèlement. La personne en est plus ou moins consciente, mais je trouve que c'est quand même un petit peu aberrant.

M. Marx: Je comprends que le chantage, dans un tel cas, est couvert déjà par le Code criminel, mais, de toute façon, pensez-vous qu'à travers un article dans la charte, on pourrait changer les moeurs des personnes? Est-ce que ce serait prouvable que quelqu'un a dit telle et telle chose à quelqu'un? Est-ce que ce serait possible vraiment pour ces personnes d'invoquer leurs droits en vertu d'un article où on parle de harcèlement? Je pense qu'il y a vraiment un problème au niveau des femmes, c'est un problème qu'on voit partout, mais d'autres genres de harcèlement, je me demande si c'est quelque chose que le législateur devra rendre illicite en vertu de la loi, parce que souvent, c'est difficile de tirer la ligne entre la blague et le harcèlement; c'est cela le problème.

Mme Roy-Meunier: II y a d'autres harcèlements comme dans une compagnie où on fait l'emballage de produits jetables pour les hôpitaux. Le harcèlement qu'elles subissent, c'est que l'employeur a un circuit fermé de télévision pour surveiller les employés tout le temps; ils ont un système de micros qui fait que les femmes ne peuvent pas parler, ne peuvent pas bouger. Cela est du harcèlement.

M. Marx: C'est le Code de travail, et les conventions collectives. Il y a d'autres façons de régler ces problèmes.

Mme Roy-Meunier: Sauf qu'à ce niveau-là, je pense qu'il ne se fait pas grand-chose non plus. Faudrait peut-être qu'il y ait...

M. Marx: Je pense que, dans certaines industries, ils ont eu des caméras, des micros; les gens ont fait des plaintes auprès du Tribunal du travail ou auprès de leur syndicat; dans une autre convention collective, on a enlevé le micro et ainsi de suite.

Mme Roy-Meunier: Pour cela, il faut leur permettre au moins de se syndiquer, et ces personnes sont en voie de se syndiquer, elles sont en voie de négocier une convention, sauf qu'elles ont eu tellement de difficultés. Cela fait plus d'un an et demi que c'est commencé et elles viennent juste d'avoir leur accréditation. L'employeur là-

dedans n'est vraiment pas commode.

M. Marx: Oui, d'accord. Tous les problèmes des relations du travail ne sont pas vraiment traités dans la charte des droits; ils sont traités dans le Code de travail. C'est un peu hors de notre compétence. Ce sont des lois sectorielles qui ne relèvent pas de notre compétence, de la compétence de cette commission. Merci.

M. Bédard: Merci, Mme Paquette, de même que celles et celui qui l'accompagnent; je les remercie encore une fois de leurs représentations.

Mme Benoît-Paquette: Je vous remercie, M. le Président, M. le ministre, les membres de la commission, de nous avoir écoutés.

Le Président (M. Desbiens): Nous vous remercions.

Syndicat de professionnels du gouvernement du Québec

Je demanderais maintenant au Syndicat de professionnels du gouvernement du Québec de s'approcher, s'il vous plaît.

M. Bédard: M. le Président, avec votre permission, nous pourrions peut-être, dans un premier temps, procéder à la présentation du mémoire et, avec entente, revenir cet après-midi pour la période des questions.

Le Président (M. Desbiens): Nous allons procéder à l'audition du mémoire et nous suspendrons les travaux jusqu'à 15 heures ou 14 h 30.

M. Bédard: 15 heures.

Le Président (M. Desbiens): 15 heures.

M. Lecourt (Roger): Une question de procédure, M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): Oui.

M. Lecourt: M. le ministre de la Justice souligne qu'on reprendrait cet après-midi. On a une contrainte qui nous a amenés ici plus tôt, et notre présentation sera relativement brève.

M. Bédard: Allons-y.

Le Président (M. Desbiens): On jugera au fur et à mesure...

M. Lecourt: II y aurait peut-être lieu de tenter...

M. Bédard: On pourra peut-être en disposer.

Le Président (M. Desbiens): Je vous demanderais d'abord de présenter les membres de votre groupe, s'il vous plaît.

M. Lecourt: D'accord. Messieurs, je voudrais vous présenter la délégation du SPGQ. À ma gauche, Lise Courcelles, membre du comité des femmes de notre syndicat. À ma gauche immédiate, Madeleine Rochon, membre de l'exécutif et responsable du comité des femmes. Mon nom est Roger Lecourt, je suis président du syndicat.

La présentation de notre mémoire, c'est Madeleine qui va la faire. Je terminerai brièvement en parlant quelque peu du statut particulier des fonctionnaires à l'égard de la liberté d'opinion et de la liberté d'expression. Sur le fond du mémoire, je cède la parole à Madeleine Rochon.

Mme Rochon (Madeleine): La partie principale de notre mémoire concerne ce qu'on appelait les programmes d'action positive et qu'on appelle maintenant les programmes d'accès à l'égalité. Dans un deuxième temps, on a voulu appuyer et faire nôtres plusieurs revendications des organismes voués à la défense des intérêts des travailleuses, travailleurs et groupes discriminés.

Notre particularité tient au fait qu'il existe depuis peu une politique d'égalité en emploi pour les femmes dans la fonction publique, programme sur lequel nous n'avons jamais été consultés, et qui a donné très peu de résultats concrets. Dans le milieu de travail de la fonction publique, comme dans la majorité des milieux de travail, les femmes se retrouvent concentrées dans certains secteurs d'emploi, au bas de l'échelle hiérarchique et salariale, et l'article 19 de la charte, à travail équivalent, salaire égal, n'y est pas respecté.

Au Syndicat de professionnels du gouvernement du Québec, ce sont des gens qui se situent à un certain niveau dans, justement, ce qu'on a appelé l'échelle hiérarchique et salariale, et il n'y a que 15% des membres qui sont des femmes. Cependant, 30% des femmes de notre syndicat se retrouvent dans les échelles salariales les plus basses contre seulement 7% des hommes. Malgré les revendications répétées à chaque négociation, les échelles de salaire où se retrouvent historiquement les femmes dans le groupe professionnel ne sont toujours pas corrigées.

Pour l'action positive obligatoire. Le premier paragraphe représente, je pense, l'optique qui sous-tend toutes nos propositions. Seul un engagement ferme, non seulement au niveau des principes, mais également au niveau des moyens, peut enrayer la discrimination systémique et

historique que subissent les femmes et les autres groupes discriminés. C'est important, en termes de société, qu'on fasse des choix, qu'on se prononce sur un certain nombre de choses qu'on trouve incorrectes ou injustes -le harcèlement sexuel en est une - mais il faut aussi prendre les moyens pour que ces choses puissent être respectées.

L'expérience des programmes d'égalité des chances a démontré l'inertie des employeurs quand il s'agit de mettre de l'avant des programmes qui modifient la situation des groupes discriminés historiquement. Les objectifs ne sont pas opérationnels, les mesures ne touchant pas le coeur des problèmes, les échéanciers sont peu contraignants, les centres de responsabilités sont mal déterminés et l'évaluation est impossible. L'absence de consultation des premiers intéressés, c'est-à-dire les groupes discriminés, mène à des culs-de-sac certains. Les programmes se limitent à l'analyse de situations, à la promotion de quelques personnes ou à l'élimination de quelques inégalités, sans vraiment combattre la discrimination par des mesures vigoureusement significatives pour les groupes historiquement discriminés.

Par conséquent, nous recommandons que la charte soit amendée pour que l'action positive soit reconnue comme moyen d'enrayer la discrimination; que de tels programmes soient possibles dans tous les secteurs où des services sont rendus à la population, particulièrement dans les secteurs de l'éducation et de la formation; que, dans le secteur du travail, de tels programmes soient obligatoires pour toutes les entreprises; que les entreprises soient obligées de négocier ces programmes avec les syndicats et que, si les travailleuses et travailleurs de l'entreprise ne sont pas syndiqués, la commission soit chargée de voir à ce qu'elles et ils soient représentés par un comité d'action positive.

Donc, quant à nous, les programmes d'égalité des chances ne sont pas suffisants. Il faut des programmes d'action positive et ces programmes doivent être obligatoires.

Sur le contenu des programmes d'action positive, qu'est-ce qu'on entend par un programme d'action positive? Sans reprendre les définitions données par la Commission des droits de la personne, nous voudrions insister sur le caractère indispensable des mesures de redressement et des mesures supports dans les programmes d'action positive.

Sur les mesures supports, j'ouvre ici une parenthèse, je crois que les employeurs -la négociation des programmes d'action positive va le permettre - ont un rôle à jouer, mais, en ce qui concerne les mesures supports, il y a aussi le gouvernement et l'État, si on veut, qui a un rôle important à jouer. Quand on parle de garderies, il y a les garderies en milieu de travail, mais il y a aussi toute une politique au niveau des garderies. Quand on parle d'emploi pour les femmes, il y a une politique de plein emploi et on pense à des choses, à l'heure actuelle, qu'on considère comme étant une récupération des revendications des femmes: le temps partiel qui se développe de plus en plus - quand on sait que les femmes qui ne travaillent à temps partiel que parce qu'elles ne trouvent pas de travail à temps plein augmentent face à ces nouvelles politiques -naturellement, tout le secteur de l'éducation des adultes qui, on le sait, à l'heure actuelle, est un des premiers visés dans les coupures. Donc, tout le secteur de la formation est aussi très important. Quand on parle des mesures supports, il ne faut donc pas oublier qu'il y a un aspect important des mesures supports qui se retrouve au niveau gouvernemental.

Les problèmes de ghettos d'emploi, de classifications, de salaires, d'organisation du travail doivent être abordés pour que tous les problèmes de sous-représentation et de surreprésentation à tous les niveaux de l'entreprise soient résolus. Pour nous, c'est très important que les programmes d'action positive ne servent pas juste à corriger la sous-représentation des femmes, par exemple, dans certains secteurs d'emploi, par exemple, les cadres. Il y a une sous-représentation des femmes au bas de l'échelle et celle-ci doit être corrigée. C'est la seule façon de changer substantiellement la situation des groupes discriminés, particulièrement dans une époque de récession économique où il se fait peu de recrutement.

Audiences publiques sur la réglementation. Il nous apparaît de première importance que la définition des programmes d'action positive et toute la réglementation déterminant la portée et le contenu des programmes fassent l'objet d'une réelle consultation puisque ce sont ces règlements qui vont fixer l'étendue de l'action de la Commission des droits de la personne.

Nous recommandons donc la tenue d'audiences publiques sur la réglementation fixant la portée et le contenu des programmes d'action positive de même que les pouvoirs de la Commission des droits de la personne dans l'établissement de tels programmes.

Responsabilités de la Commission des droits de la personne. Nos recommandations, à ce moment-ci, vont dans le sens de permettre l'implication la plus grande possible des personnes concernées, le rôle de la commission étant de les soutenir. C'est un moyen important pour faire reculer la discrimination systémique.

Nous recommandons donc que la Commission des droits de la personne mette sur pied un programme de sensibilisation sur les programmes d'action positive destinés en

priorité aux groupes discriminés; que la Commission des droits de la personne prévoie les modalités de formation du comité d'action positive dans les milieux de travail où il n'y a pas de syndicat; que la Commission des droits de la personne ait la responsabilité de fournir l'assistance technique aux travailleuses et travailleurs. Plus spécifiquement, le dossier établi par la commission sur les entreprises à la suite de son pouvoir d'enquête devra être transmis par la commission au syndicat ou au comité d'action positive; que la commission ait le pouvoir d'imposer un programme d'action positive à la demande du syndicat ou du comité des travailleuses et travailleurs.

Ces programmes d'action positive doivent être négociés par le syndicat ou le comité d'action positive avec l'employeur. En cas de rupture des négociations, le syndicat ou le comité d'action positive pourrait avoir recours à la commission pour que cette dernière impose le programme d'action positive; que la Commission des droits de la personne assure une surveillance active et systématique de l'application des programmes d'action positive dans les entreprises.

Sur les autres amendements à la Charte des droits et libertés de la personne, nous recommandons l'ajout de l'âge, de l'état de grossesse et de l'apparence physique comme motifs interdits de discrimination à l'article 10 de la charte.

Le harcèlement sexuel est une réalité devant laquelle les individus qui la subissent sont fort démunis. Une enquête effectuée auprès des femmes membres du Syndicat des professionnels en juin 1979 montrait que 2,5% d'entre elles avaient subi des agressions sexuelles, 23,6% des contacts physiques non désirés et 25,8% des agressions verbales de type sexuel.

Les conséquences de refus dans un milieu de travail comme le nôtre, la fonction publique, sont des notations (processus d'évaluation) à la baisse avec plusieurs conséquences au niveau de la carrière et la recherche d'un autre poste, qu'on appelle le processus de mutation, les agresseurs restant en place. Nous croyons que si les personnes victimes de telles agressions pouvaient s'adresser à un organisme compétent, de tels comportements pourraient être davantage dénoncés et donc être moins fréquents.

Nous recommandons que l'article 10 soit amendé de manière que le harcèlement sexuel soit explicitement interdit et que, par conséquent, il puisse être explicitement cause d'une plainte à la Commission des droits de la personne. (12 h 15)

L'article 19. La formulation de l'article 19 est beaucoup trop restrictive. Il s'agit de l'article à travail équivalent, salaire égal. Elle ne reconnaît pas la réalité qui fait que plusieurs employeurs se donnent des structures communes de négociation.

Par conséquent, nous recommandons que l'article 19 soit reformulé clairement ainsi: Tout employeur ou groupe d'employeurs doit, sans discrimination, accorder un traitement ou un salaire égal aux membres de son personnel qui accomplissent un travail équivalent dans le même établissement ou groupe d'établissements.

Il y a aussi, par comparaison à la charte du fédéral, une plus grande difficulté d'établir la plainte au niveau travail équivalent, salaire égal, mais on va y revenir dans le traitement d'une plainte à la Commission des droits de la personne. Il y a quelque chose qui est important et qui joue au niveau de l'article 19. Au niveau du fédéral, la présomption est favorable aux plaignantes, alors que ce n'est pas le cas au provincial. Il y aurait deux façons de l'obtenir, soit par un tribunal administratif au lieu de se retrouver devant un tribunal civil ou ajouter à la charte la présomption favorable, mais on va y revenir.

Au niveau de l'article 97, nous reprenons les recommandations de la Coalition pour l'abrogation de l'article 97 de la charte, soit l'abrogation de l'article 97 et l'inclusion aux articles 11 à 19 de la charte d'un nouvel article interdisant toute discrimination dans les avantages sociaux.

Le traitement d'une plainte à la Commission des droits de la personne. Sans nous prononcer sur les "mécaniques", particulièrement celles de type juridique - au moment où on écrivait cela, on connaissait la proposition d'un tribunal administratif; avec le problème du droit d'appel on n'était pas à ce moment-là tout à fait en mesure de se prononcer, mais ça nous paraît vraiment une solution au problème au niveau de l'article 19, tel que j'en parlais tantôt, et je pense qu'on est relativement favorable certainement à ce que cette question-là soit étudiée - nous voudrions, en plus de voir les ressources de la commission accrues, que le traitement d'une plainte par la Commission des droits de la personne soit plus rapide, ceci afin d'éviter les effets néfastes de la situation actuelle. Il est certain qu'un tribunal administratif à ce niveau-là est un des moyens.

Le fardeau de la preuve devrait également être renversé. Nous reprenons ici la recommandation du mouvement Au bas de l'échelle, à savoir que: " La Charte des droits et libertés de la personne établisse, en faveur du plaignant, une présomption favorable au bien-fondé de sa cause, en ne demandant à ce dernier que de remplir certains critères minimaux. Cette présomption de discrimination illégale, une fois établie, aura pour effet de placer le fardeau de la preuve d'absence de discrimination sur les épaules du mis-en-cause qui devra alors prouver que son geste

procède d'une autre cause, juste et suffisante."

Le recours collectif. Nous reprenons à notre compte les revendications du mouvement Au bas de l'échelle. Je peux peut-être ne pas les lire.

M. Bédard: Même si vous ne les lisez pas, on demandera qu'elles soient insérées au journal des Débats.

Mme Rochon: Oui, oui.

M. Bédard: De même que le reste du mémoire, si vous voulez.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre, je peux peut-être profiter de l'occasion pour souligner que ce n'est pas possible de les inscrire au journal des Débats.

M. Bédard: Ce n'est pas possible? Je m'excuse.

Mme Rochon: Alors, je vais les lire.

Le Président (M. Desbiens): Toutefois, toute personne qui veut se procurer le mémoire au complet peut l'obtenir au Secrétariat des commissions.

M. Bédard: Ce n'est pas la Charte des droits et libertés de la personne qui l'empêche; ce sont nos règlements.

Le Président (M. Desbiens): C'est presque terminé, de toute façon.

Mme Rochon: Les ressources de la Commission des droits de la personne. Compte tenu du peu de ressources dont dispose la commission pour s'acquitter correctement de ses responsabilités actuelles, nous recommandons avec insistance l'accroissement des ressources humaines et matérielles, donc financières, mises à la disposition de la commission. Il va sans dire que les nouvelles responsabilités qui seront confiées à la commission requerront également une addition importante de ressources.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Bédard: Je vous remercie.

Mme Rochon: Ce n'est pas terminé. Il y a une partie...

M. Bédard: Excusez-moi.

Le Président (M. Desbiens): Excusez.

M. Lecourt: J'avais annoncé tantôt une très brève partie.

Le Président (M. Desbiens): Oui, c'est vrai.

M. Lecourt: Celle-ci touche la situation particulière des fonctionnaires de l'État québécois. En tant que membres de l'Assemblée nationale, vous savez que la Loi sur la fonction publique détermine un certain nombre de conditions de travail qui régissent les fonctionnaires. Notamment, il y a un chapitre de la loi qui est un peu inspiré de l'ancien régime militaire qui parle des conditions du service.

La charte, à son article 3, au niveau des principes, avance le principe de la liberté d'expression et de la liberté d'opinion. Dans la Loi sur la fonction publique, on retrouve un article qui interdit aux fonctionnaires de faire du travail partisan à l'occasion d'une élection provinciale ou fédérale. Historiquement, - et c'est le ministre de Belleval qui avait, en commission parlementaire, il y a quelques années, expliqué la source de cet article - on voulait protéger les fonctionnaires contre des pressions pour leur faire faire du travail partisan dans les années quarante. Aujourd'hui, les moeurs politiques ont quelque peu évolué et cet article devient pour le moins désuet. Entre autres choses, lors d'un événement politique d'importance, il y a un an, lors du référendum, il n'y avait aucune restriction au travail partisan des fonctionnaires pour l'un ou l'autre camp. Cet article est resté dans la loi malgré la refonte de 1978 et nous croyons que cela va contre l'esprit de la charte en termes de liberté d'opinion et d'expression. Cela pour les droits politiques.

Pour les droits professionnels. Dans un règlement qui est fondé sur la loi, il est interdit à un membre de la fonction publique qui détient un diplôme universitaire - c'est le cas de l'immense majorité de nos membres - d'exercer sa profession autrement que pour le compte du gouvernement. Ce n'est pas ici notre intérêt de multiplier le double emploi, mais ce texte a toujours prêté à des interprétations abusives de l'employeur. Quant à nous, il devrait être changé pour interdire les situations de conflit d'intérêts qui pourraient survenir si quelqu'un exerçait sa profession pour le compte de quelqu'un d'autre, même souvent à titre bénévole. Actuellement, c'est interdit de faire de l'enseignement sans avoir de permission expresse. Cela laisse donc une discrétion absolue à l'employeur, le gouvernement du Québec, ce qui n'existe pas ailleurs au Québec dans le Code du travail ou dans toute autre loi qui régit le travail. Je voulais le souligner ici, même si ça ne touche pas directement la charte dans sa forme, mais dans son esprit.

Comme c'est le cas pour beaucoup d'autres revendications syndicales concernant le statut particulier des fonctionnaires qui est aujourd'hui injustifiable, je voulais le souligner à l'attention de la commission puisqu'on pourrait apporter des changements à la loi par le biais de la charte; toute autre forme d'amendement à cette loi serait bienvenue. Je vous remercie.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Bédard: Je vous remercie de vos représentations devant la commission. Comme vous l'avez dit au début de votre présentation, il serait indiqué de vous libérer le plus vite possible, étant donné certaines contraintes. Je me limiterai à une question concernant l'article 19. Dans votre nouvelle formulation de l'article 19, vous ajoutez la notion de groupe d'employeurs, qui n'existe pas à l'heure actuelle dans cet article. J'aimerais que vous précisiez votre pensée sur ce sujet.

Mme Rochon: II y a deux choses: groupe d'employeurs et groupe d'établissements. S'il y a un seul employeur qui a plusieurs établissements, on trouve que le champ d'application devrait être celui-là, donc, plus large que ce qu'il est à l'heure actuelle, soit "au même endroit". Un groupe d'employeurs sert à reconnaître la réalité qui fait que des employeurs se donnent des structures communes de négociation; il en existe dans le secteur privé, mais, dans les secteurs public et parapublic, la structure commune de négociation d'un grand nombre d'employeurs est très claire.

M. Bédard: Est-ce que je dois comprendre que vous désirez l'abrogation du deuxième alinéa?

Mme Rochon: Les exceptions, voulez-vous dire?

M. Bédard: Oui, les exceptions.

Mme Rochon: Non, c'était sur le premier paragraphe: "Tout employeur... au même endroit". C'est ce qu'on voulait voir reformuler.

M. Bédard: D'accord.

Mme Rochon: II y a certainement des choses à changer au niveau du deuxième paragraphe, tel que certains groupes l'ont dit, quant à la quantité de production et des choses comme cela, mais ce sur quoi nous voulions insister, c'était le premier.

M. Bédard: Je vous remercie.

Mme Rochon: Roger va ajouter quelque chose.

M. Lecourt: II y a peut-être un autre élément dans ce changement qu'on demande. Un groupe d'employeurs, cela pourrait aussi être, par référence au Code du travail ou à la Loi sur la santé et la sécurité du travail, une association d'employeurs, mais il y a la notion de même établissement qu'on introduit au lieu de même endroit; c'est une question de concordance avec les lois du travail qui parlent d'établissement. Il y a une confusion sur le sens du mot "endroit".

Il y a aussi un groupe d'établissements. Cela vise à faire en sorte qu'un employeur qui possède plusieurs établissements ne puisse pas pratiquer des politiques salariales discriminatoires d'un établissement à l'autre. Prenons un exemple. Un établissement, pour un certain type de travail, a surtout une main-d'oeuvre masculine. Posons l'hypothèse que cette main-d'oeuvre est mieux rémunérée que la main-d'oeuvre féminine ou à forte concentration féminine d'un autre établissement où il y a un travail équivalent. On ne pourrait pas, actuellement, en vertu du texte de la charte, loger une plainte contre cet employeur puisque ce sont deux établissements distincts du même employeur. La notion de groupe d'établissements vise à corriger cette situation.

M. Bédard: D'accord. Je vous remercie.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Merci pour votre mémoire. Malheureusement, il ne nous reste pas beaucoup de temps ce matin. Vous avez parlé des droits politiques et de l'article 3 de la charte. Vous savez que la commission a comme devoir d'étudier des lois à l'intérieur de la charte en fonction des exigences de la charte. Peut-être pouvez-vous demander à la commission des droits de vous dire si cet article dans la Loi de la fonction publique que vous avez mentionné enfreint la Charte des droits et libertés de la personne. Je suis sûr qu'on sera heureux de faire l'étude.

M. Lecourt: On a précédé de quelques années votre remarque et on a déjà fait part à la commission de notre point de vue là-dessus. À l'époque, il y avait un élément particulier, cet article existait dans l'ancienne Loi de la fonction publique qui avait été adoptée antérieurement à la charte. Donc, il n'y avait pas de possibilité de recours. Mais, même depuis, alors qu'il y aurait une possibilité de recours, il reste que l'opinion qu'on avait eue à l'époque de la commission n'est pas très claire. C'est pour cela que je parlais de l'esprit plutôt que du

fond. Ce n'est pas clair dans la charte, à l'article 3, que liberté d'expression, liberté d'opinion enfreint, sur le plan strictement juridique, de front le droit au travail partisan. Ce n'est pas aussi clair que ça. Vous savez que dans les lois, il y a l'esprit et les tribunaux jugent rarement selon l'esprit. C'est la raison pour laquelle on fait plutôt appel aux législateurs qu'aux tribunaux sur une question comme celle-là. C'est un peu votre rôle de légiférer, aux dernières nouvelles.

M. Marx: Nous n'en doutons pas, mais je pense qu'il y a la jurisprudence au Canada pour dire que dans les lois où il y a de telles restrictions pour les fonctionnaires, cela n'enfreint pas la liberté d'opinion qu'on trouve dans la déclaration canadienne des droits. Vous pouvez réclamer ces droits, mais je pense que c'est difficile de dire que dans cette loi, on brime un des droits dont vous avez la garantie par la charte. On dit, oui, il y a la liberté d'opinion, mais une telle disposition qui vous empêche de faire un travail partisan n'enfreint pas cette liberté d'opinion.

Si je peux résumer ma pensée, cette disposition de la loi ne va pas à l'encontre de l'article sur la liberté d'expression qu'on trouve dans la charte.

M. Lecourt: C'est l'opinion qu'avait la commission, comme je viens de le souligner, strictement sur le plan du droit, sauf que sur le plan de l'esprit on pense que cela va à l'encontre. D'ailleurs, au moment de voter la Loi sur la fonction publique, le porte-parole du gouvernement, à l'époque, le ministre de la Fonction publique, avait souligné que cet article se retrouvait dans le projet de loi un peu par routine et qu'à sa face même, les événements qui avaient amené ce texte étaient morts depuis belle lurette, l'ère de la partisanerie politique était quelque peu éteinte, mettons. D'ailleurs, on avait cité, à ce moment, le référendum qui s'en venait et où le travail partisan serait permis. C'est pourtant un événement politique. On connaît les hauts et les bas qu'il a apportés. Je pense qu'il n'y a eu aucun abus de la part des fonctionnaires qui a pu être dénoncé, quel qu'il soit, dans ce domaine. C'est une chose qui semble désuète.

Le ministre de la Fonction publique de l'époque le disait. C'est au législateur peut-être de faire en sorte que l'esprit de la charte se retrouve dans le régime de travail de la fonction publique.

M. Marx: Ce serait un amendement, si je comprends bien, à la Loi sur la fonction publique et il faut s'adresser à Mme la ministre. (12 h 30)

En ce qui concerne les programmes d'action positive - ce sera ma dernière question ou intervention - le gouvernement a déjà publié des brochures en ce qui concerne l'égalité des chances pour les femmes et pour les personnes des groupes minoritaires. Y a-t-il des postes ouverts dans la fonction publique? Êtes-vous au courant si on va ouvrir d'autres postes? Si je comprends bien, on est dans une situation de compressions, de restrictions où on n'engage pas et où on ne remplace pas les départs. Donc, comme je l'ai dit l'autre soir - je suis prêt à le répéter - c'est la grande fumisterie péquiste, l'égalité des chances, parce que c'est impossible d'actualiser ce programme. J'ose dire que c'est un autre OSE, c'est-à-dire...

M. Bédard: Je ne reprendrai pas mes explications de ce moment-là, M. le Président.

M. Marx: M. le ministre, je ne vous ai jamais interrompu depuis trois semaines maintenant...

M. Bédard: Oh!

M. Marx: ...et on voit que c'est la troisième fois aujourd'hui...

M. Bédard: C'est vrai que vous êtes gentil.

M. Marx: Je ne veux pas vous exciter, mais ce sont seulement des questions que je pose. Oui?

Mme Rochon: Les programmes d'égalité des chances, comme on l'indique à la page 4 de notre mémoire, sont insuffisants. Il faut des programmes qui ont beaucoup plus de mesures - on parle de différents types de mesures - avec des échéanciers précis et des objectifs quantitatifs. Ce qui est très important dans les programmes d'action positive - je reviens là-dessus - ce n'est pas seulement une question de recrutement, c'est aussi la question de la place des femmes dans la fonction publique, des possibilités de mobilité et la question des salaires. Si, par exemple, les ghettos d'emplois traditionnels recevaient des révisions en termes de classification, d'enrichissement de tâches et d'augmentations de salaires aussi, c'est sûr que cela deviendrait moins des ghettos. On sait à l'heure actuelle qu'au niveau de l'ensemble de la province, il y a une "ghettoïsation" plus forte dans les secteurs d'emplois traditionnellement féminins, sauf dans le seul ghetto d'emplois qui a une échelle salariale élevée, c'est-à-dire les infirmières. C'est le seul endroit, à l'heure actuelle, où la concentration de femmes ne va pas en augmentant. C'est parce que les salaires y sont élevés. Quant à nous, il y a vraiment moyen de faire des choses pour

améliorer le sort des femmes dans la fonction publique, les mesures supports, les garderies en milieu de travail, les mesures de redressement, revoir les classifications et les salaires. Il y a vraiment des choses à faire en plus de tout l'aspect du recrutement. Il y a l'aspect de la mobilité, entre autres.

M. Marx: Oui, mais l'aspect du recrutement peut être important. Supposons que le ministre, comme je le lui ai déjà suggéré...

Mme Rochon: L'aspect du recrutement est certainement très important dans la fonction publique comme dans l'ensemble de la province. C'est toute la problématique du plein emploi et du droit au travail. C'est certain.

M. Marx: Mais, si l'aspect du recrutement est important, j'ai déjà suggéré au ministre qu'il se trouve une femme sous-ministre ou sous-ministre adjoint. C'est souvent difficile de trouver une telle personne à l'intérieur de la fonction publique. Il faut aller à l'extérieur, mais, comme on ne fait pas de recrutement à cause des compressions et ainsi de suite, cette possibilité existe seulement sur papier ces jours-ci. Je trouve que c'est un problème.

M. Bédard: Arrêtez de me regarder, si vous ne voulez pas que je vous interrompe.

M. Marx: À l'intérieur des ministères, je suis d'accord qu'il y a des changements à faire et une action positive, mais souvent, quand on parle d'action positive, on parle surtout du recrutement, de l'embauche. Voyez-vous des possibilités dans ce sens dans la fonction publique?

Mme Rochon: Bien sûr.

M. Marx: Vous pensez qu'il y a une possibilité d'engager...

Mme Rochon: On connaît la politique Parizeau à l'heure actuelle en ce qui a trait aux coupures, ce qui a été annoncé pour les prochaines années. Cela ne va pas avec le recrutement, c'est clair, mais, quant à nous - et je pense que le message qu'on veut faire est clair au niveau de la partie, du contenu des programmes d'action positive -le recrutement est important, la mobilité aussi. Mais il y a aussi d'autres choses à faire pour changer la situation des femmes dans un milieu de travail.

M. Marx: Oui, mais, à la fonction publique, où il n'y a pas de personnes, de groupes minoritaires, c'est impossible d'avoir la mobilité. Ce serait avoir la mobilité des fantômes. Quand les gens ne sont pas là, c'est impossible d'avoir la mobilité. Il ne faut pas se conter des histoires.

M. Lecourt: Cela dépend, M. Marx, de quoi vous parlez. Je souligne au passage que votre parti a voté en faveur des programmes de redressement d'emploi ou de recrutement, il y a quelques mois à peine. La fumisterie est plus globale, mais enfin, c'est un détail.

M. Marx: C'est cela, mais tout de suite après, on nous a dit que c'était beau. On a fait adopter cela. On a imprimé la brochure, mais maintenant ce sera impossible de réaliser ce programme.

M, Lecourt: Écoutez, c'était au mois de mai dernier; on le savait. Ce qui arrive, c'est que c'est vrai que pour les minorités ethniques...

M. Marx: Je m'excuse, au mois de mai dernier...

M. Bédard: Vous interrompez monsieur.

M. Marx: II ne peut pas faire de politique partisane mais moi, je peux en faire. Jusqu'avant les élections on a dit: Tout est beau, tout est fin, tout fonctionne bien, on a la meilleure situation des finances au Québec. C'est tout de suite après, quand le groupe des onze a fait son rapport, qu'on a appris que ce n'est pas si bien et si beau que ça. Donc, on a appris que ce serait impossible de mettre en vigueur ces programmes.

M. Bédard: M. le Président, simplement si vous me permettez...

M. Lecourt: Est-ce que vous me permettez de parler?

M. Bédard: ...sur ce point, je pense que mon collègue a déjà oublié la dernière campagne électorale. Je comprends qu'il l'ait oubliée assez rapidement puisqu'une grande partie de l'argumentation suite à la présentation du budget a porté sur la nécessité de restrictions budgétaires. Alors, la fumisterie n'existe pas là, au contraire.

Le Président (M. Desbiens): M. Lecourt.

M. Lecourt: Sans vouloir me mêler des questions partisanes parce que vous avez l'air de bien vous organiser avec ça, je ne vous citerai pas la liste des CT qui compriment les effectifs depuis quatre ans, mais quant au redressement d'emploi, c'est évident que pour que les minorités ethniques aient une place peut-être plus équitable dans la fonction publique que ce n'est le cas actuellement... quand il n'y a pas de

recrutement c'est assez évident que c'est difficile de le faire. Par contre, et c'est là le problème majeur quant à nous, à cause de la situation qu'on vit, de la conjoncture présente où il n'y a pas de recrutement ou très peu, il y a un nombre considérable de femmes dans la fonction publique qui sont déjà là, qui sont concentrées dans des ghettos d'emplois, qui sont sous-rémunérées, qui sont globalement, sur le plan de l'organisation du travail, dans des positions où il n'y a pas de mobilité. Là-dessus, le gouvernement peut très bien faire des choses. On espère que ça va aller plus loin que ce qu'on a connu dans les dernières négociations. C'est extraordinaire, on défend tout le monde sauf qu'en pratique, les moyens - c'est l'introduction de notre mémoire - à ce jour n'ont pas été mis en place pour corriger vraiment ces situations.

M. Bédard: Ce que j'ai compris des représentations de madame et de vous-même, c'est qu'au-delà du facteur recrutement, qui est très important, il y a quand même bien d'autres facteurs sur lesquels on peut agir en termes de combat contre la discrimination, entre autres, la mobilité, les salaires, les promotions, etc. Ce que vous avez voulu nous dire c'est que ce n'est pas parce qu'il y a des restrictions budgétaires qu'on doive, comme gouvernement, oublier tous les autres secteurs qui peuvent être touchés par des politiques gouvernementales.

Le Président (M. Desbiens): Mme

Courcelles.

Mme Courcelles (Lise): Sans oublier les mesures de support dont on parle fort peu. Je pense que, présentement, il y a beaucoup de milieux de travail dans la fonction publique qui réclament des garderies. Peut-être que le ministre de la Justice est au courant également que ça se passe dans son ministère. À cause de toutes sortes d'embûches administratives et politiques, ces garderies ne peuvent être implantées présentement dans les milieux de travail. Or, pour les femmes qui sont là et pour les hommes qui sont là, qui sont aussi parents, c'est une mesure de support fort importante.

M. Marx: J'ai compris la même chose que le ministre mais j'ai aussi compris des choses qu'il n'a pas l'air d'avoir comprises, c'est-à-dire que pour les femmes qui sont dans la fonction publique, il y a des choses à faire, c'est évident. Mais il y a le programme Égalité des chances, je pense que c'est ça le titre du programme, pour les groupes minoritaires. Pour eux, je vois qu'il n'y a aucune chance parce qu'il n'y a pas de postes, et comme on ne remplace pas les départs, il n'y a pas de possibilité d'avoir un programme d'action positive.

M. Bédard: C'est votre manière de voir les choses concernant...

M. Marx: C'est la vérité.

M. Bédard: Laissez-moi parler, vous êtes toujours là à harceler... Vous savez très bien, concernant les groupes minoritaires, que j'ai eu l'occasion au cours des travaux de cette commission de répondre à votre affirmation qui me semble fausse au départ parce que, effectivement, en ce qui regarde les groupes minoritaires, il faudra qu'il y ait un effort spécial qui soit fait, et là, on parle en termes de recrutement. Vous serez à même de constater les résultats en fonction de l'avenir.

M. Marx: J'ai des femmes de groupes minoritaires dans mon comté qui sont aussi...

M. Bédard: J'en ai aussi, on ne réglera pas des problèmes de comté ici.

M. Marx: ...qui ont des diplômes, qui veulent travailler dans la fonction publique, qui ont fait des demandes que j'ai acheminées à Mme la ministre. J'imagine que, dans une couple de mois, je vais avoir une réponse pour me dire qu'on n'a pas de place, quoiqu'on va m'envoyer une copie de la brochure pour m'expliquer qu'il y a un programme. C'est ça, notre gouvernement d'aujourd'hui.

M. Bédard: Si vous voulez faire de la politique, continuez, je n'ai pas d'autres questions à poser.

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Bédard: Ce n'est pas très réaliste, votre message.

Le Président (M. Desbiens): Est-ce que vous avez d'autres interventions?

M. Marx: Un gouvernement transparent.

M. Lecourt: À la suite de cette petite altercation, j'aurais peut-être une conclusion à apporter. Souvent, je pense que, par la présentation des mémoires et l'argumentation qui est soutenue, on regarde beaucoup les cas individuels, même quand on parle de recrutement, c'est un par un, ou quand on parle de promotion de femmes, de minorités ethniques ou d'autres groupes qui ont eu une discrimination historique, on parle de déplacement individuel, de gens qui montent dans l'appareil. Le programme d'égalité des chances en emploi dans la fonction publique est centré sur la progression individuelle. Dans le contexte actuel, il n'y a pas plus de promotion que de recrutement et, de toute

façon, même s'il y en avait, tout le monde ne deviendra pas sous-ministre, grâce à Dieu.

L'approche de l'État employeur qui, je pense, aime bien se citer en exemple et qui devrait le faire peut-être plus souvent concrètement, devrait peut-être, quant à ses fameux programmes d'action positive, être de regarder plus les collectivités que les individus. L'exemple classique, vous l'avez probablement entendu d'autres syndicats de la fonction publique, mais, à force de le répéter, on va peut-être finir par avoir gain de cause, c'est le fameux classement-moquette, le personnel de secrétariat, qui est discriminé sur le plan salarial, et cette revendication syndicale est apparue depuis fort longtemps, avant même les programmes d'égalité des chances, etc.

Pourtant, ce n'est toujours pas corrigé, ça s'en vient, ça s'en est venu sous d'autres gouvernements, ça s'en vient sous le présent gouvernement et j'espère que ça va arriver sous le présent gouvernement, avec l'aide des deux partis. C'est un élément qu'on pourra peut-être faire ressortir, comme syndicat de la fonction publique, le rôle de l'État employeur, et un rôle en tant que rôle de correcteur de situations non pas individuelles, mais collectives.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre, en terminant.

M. Bédard: J'imagine que si les restrictions budgétaires sont ce qu'elles sont, si la situation économique est ce qu'elle est, il ne faut pas compter sur les mieux payés pour pouvoir faire certains sacrifices pour les moins payés.

M. Lecourt: On en reparlera à la table des négociations, si vous voulez.

M. Bédard: Je croyais que c'était un principe facilement acceptable. Merci.

M. Marx: ... il ne faut pas toujours blâmer les employés, c'est le patron qui est en faute.

Le Président (M. Desbiens): Je remercie les participants...

M. Bédard: On ne sait jamais de quel bord vous êtes, vous.

Le Président (M. Desbiens): ...et la commission élue permanente de la justice suspend ses travaux jusqu'à 15 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 44)

(Reprise de la séance à 15 h 31)

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission élue permanente de la justice reprend ses travaux. Son mandat est de tenir des auditions publiques en regard des modifications à apporter à la Charte des droits et libertés de la personne.

Mouvement écologique pour la qualité de la vie

J'inviterais maintenant le Mouvement écologique pour la qualité de la vie à s'approcher, s'il vous plaît. C'est M. Jean-Jacques Le Roux.

M. Le Roux (Jean-Jacques): Oui. Je suis seul, car M. Cassoullot qui devait m'accompagner a été retenu par une légère maladie à Montréal. Je suis actuellement animateur en information communautaire depuis dix ans. Je travaille dans les groupes sociaux et communautaires, en particulier ceux qui sont dans le logement, dans la santé et les services sociaux. J'ai participé, en partie, à l'élaboration de la loi 65 avec des groupes populaires à Montréal. J'ai suivi de près tout le phénomène de la loi des services juridiques. Depuis deux ans, j'ai pris conscience de l'importance de l'environnement, de la protection de l'environnement et de ce que j'appelle la qualité de la vie dans notre société actuelle.

Ce mémoire est très succinct. Des exemples auraient pu y être ajoutés mais j'ai voulu donner l'essentiel en le moins de pages possible, parce que je suis un apôtre du non-gaspillage de papier. Pour donner l'exemple, j'ai agi ainsi.

Mémoire concernant des améliorations à apporter à la Charte des droits et libertés de la personne. Inclusion dans la Charte des droits et libertés de la personne du droit à un environnement équilibré et sain, du droit à une qualité de vie minimum pour tous les citoyens et citoyennes vivant sur le territoire québécois sans distinction.

Bref rappel historique des droits de la personne. La coutume et la tradition jadis, avant l'ère gréco-latine, tenaient lieu de reconnaissance légale des droits humains et du citoyen et cela n'exigeait pas, comme aujourd'hui, des codes de lois épais comme des encyclopédies qui ont pour effet une bureaucratie de plus en plus paralysante. Avant la révolution de 1789, il y avait, de fait, sous la monarchie, un "droit naturel" assorti de traditions vivantes. Mais la froide raison des révolutionnaires français voulut, pour protéger les gens du peuple, instituer ce que l'on a appelé "déclaration des droits de l'homme et du citoyen" qui se voulait être le "paratonnerre de la république" contre les éventuels orages populaires...

Mais, ce que l'on connaît actuellement, depuis 1946, c'est-à-dire la Déclaration universelle des droits de l'homme, proclamée

et votée par les pays fondateurs de l'Organisation des Nations Unies, ce sont une série de droits et libertés qui "veulent graver sur une tablette" des principes essentiellement matériels qui touchent la sécurité et le bien-être des citoyens.

La Charte des droits et libertés de la personne doit être un modèle de promotion des droits humains. Nous qui croyons de toute notre âme à une vie meilleure dans le temps présent ainsi qu'à un environnement harmonieux souhaitable pour nos enfants, nous recommandons à cette commission permanente de la justice sur les améliorations à apporter à la charte: 1) Le droit de la personne et du citoyen à un environnement sain dans son besoin quotidien d'avoir une atmosphère respirable, une eau potable, un milieu ambiant exempt de bruits excessifs, un sol naturel avec le moins de produits chimiques, un espace urbain et rural libéré de toutes les entraves à circuler librement et à jouir paisiblement de celui-ci, cela à cause en grande partie de l'automobile.

Je voudrais simplement donner un exemple au sujet de l'espace urbain à Montréal et à Québec. Le contrôle juridique du sol urbain, selon la présente Loi sur l'aménagement, n'est pas possible actuellement pour les citoyens, parce qu'il n'y a pas de plan d'aménagement à Montréal et à Québec. C'est très difficile pour un citoyen de pouvoir contrôler l'endroit où il vit.

Deuxièmement, droit de la personne et du citoyen et sa reconnaissance officielle, légale et politique d'une qualité de la vie minimale pour tous les citoyens vivant sur le territoire québécois sans distinction, en insistant particulièrement sur ceux qui sont économiquement faibles, c'est-à-dire, les femmes seules, les enfants défavorisés, les autochtones, les minorités ethniques, je voudrais même ajouter ici les handicapés.

La reconnaissance officielle de ces deux droits d'importance vitale donnerait plus de poids juridique aux énoncés de la loi no 69 sur la qualité de l'environnement ainsi que de la volonté politique de rendre réalisable en pratique le droit des citoyens à un environnement sain. Comme exemple, je donne le difficile paradoxe dans le cas de la pollution de l'air par l'incinérateur des Carrières de la ville de Montréal. Il a fallu trois ans pour savoir l'état de la pollution de cet incinérateur. Il y a eu un rapport, mais il n'a jamais été publié. Alors, ce droit de l'environnement, tel que proclamé maintes fois par l'honorable ministre de l'Environnement, en théorie, on le proclame, mais en pratique, ce n'est pas réalisé.

Nous nous associons aussi aux nombreux autres groupes et mouvements écologiques ou environnementaux qui réclament depuis une décennie des droits et libertés minimaux pour les citoyens en matière de protection de la santé publique et de l'environnement.

En parlant de santé publique, je voudrais donner un autre exemple, c'est celui de la mousse d'urée formaldéhyde dont on a découvert la toxicité après presque trois ans d'utilisation; c'est un exemple qui prouve que les citoyens n'ont vraiment pas de droits pour protéger leur santé.

De plus, nous voudrions associer nos efforts avec les institutions internationales telles Green Peace et certains organismes reliés à l'ONU pour leur volonté de vouloir protéger la vie des humains, des espèces vivantes, et des ressources naturelles surtout à l'heure où les superpuissances utilisent les armes chimiques. Nos souhaits vont aux honorables députés qui décident de l'avenir de notre peuple pour qu'ils prennent tous conscience de la nécessité d'un environnement équilibré et sain et d'une qualité de la vie minimale si nous voulons avoir de futures générations de Québécois vivant en harmonie, forts et en santé, écologiquement et communautairement.

Le Président (M. Boucher): M. le ministre.

M. Bédard: Au nom des membres de la commission, je remercie M. Le Roux de sa communication. À cette commission parlementaire, je voudrais lui poser une ou deux questions, parce que déjà il y a eu des groupes qui sont venus faire des représentations, à savoir de placer dans la Charte des droits et libertés de la personne la reconnaissance de droits aussi généraux que le droit au travail, le droit à un environnement sain, etc. En ce qui regarde d'une façon plus particulière le sujet de vos préoccupations, ne trouvez-vous pas que le critère d'une qualité de vie minimale est vraiment trop arbitraire lorsqu'on a à parler de l'insertion de principes dans une Charte des droits et libertés de la personne? Autrement dit, je pense que l'essentiel de vos préoccupations rejoint celles de nombreux groupes dans la population lorsqu'on parle d'environnement sain, mais, reconnaître un droit aussi général dans une charte des droits, avec toutes les conséquences juridiques que ça peut entraîner, est-ce que vous ne croyez pas que c'est le genre de droit ou d'objectif qu'on se doit d'atteindre par le biais de politiques globales d'un gouvernement plutôt que par l'insertion, qui pourrait risquer d'être seulement académique, l'insertion d'une notion dans une charte des droits et libertés?

M. Le Roux: Est-ce que les droits et libertés, c'est vraiment une notion académique dans la pratique actuelle?

M. Bédard: Non, ce n'est pas ça que je

veux dire, au contraire. À partir du moment où vous inscrivez dans la charte certaines notions, cela a des conséquences juridiques très précises. Par exemple, si vous insérez d'une façon générale le droit à un environnement sain, avec tout ce que cela représente en termes d'exigences - et vous l'évoquez très bien dans votre mémoire - je pense que vous pouvez réaliser rapidement l'ensemble de recours que cela peut représenter pour des citoyens et que ce n'est pas facilement identifiable.

M. Le Roux: C'est évident. C'est sûrement un peu idéaliste par rapport aux autres représentations, aux autres mémoires, que ce soit le droit au travail ou le droit à l'action positive, tel que je l'ai entendu, et tous les autres droits, mais dans les circonstances actuelles, je me demande s'il ne faut pas viser plus haut pour obtenir... Je prends l'exemple des pluies acides, le difficile dossier des pluies acides. Je ne sais pas si cela risque d'être vraiment solutionné pour la prochaine génération. Je me demande s'il ne faut pas être un peu plus exigeant que d'habitude, que la normale, parce que...

M. Bédard: Si on parle des pluies acides, j'irais même jusqu'à dire qu'il y a une urgence à agir et que même il y a eu des retards lorsqu'on voit toutes les conséquences qui peuvent en résulter, en fait, sur l'ensemble de l'environnement. Dans ce sens, il y a à l'heure actuelle des gouvernements qui se concertent. Je voyais, entre autres, le ministre de l'Environnement du Québec établir dès maintenant des relations avec l'État de New York aux fins de mieux concerter l'action et les pressions vis-à-vis des gouvernements qui sont plus particulièrement concernés afin que des mesures soient prises. (15 h 45)

Je pense que tous les membres de la commission reconnaissent l'à-propos de vos préoccupations. Nos interrogations s'orientent dans le sens que nous avons à agir ici également comme législateurs, donc, rédacteurs de lois qui, en fin de compte, débouchent non seulement sur des revendications, mais sur des recours possibles du point de vue judiciaire. C'est dans ce sens-là. Ne croyez-vous pas que ces préoccupations globales doivent faire partie de l'ensemble, d'une préoccupation primordiale que doit avoir un gouvernement, que ce soit le droit au travail, le droit à un environnement sain, etc.?

M. Le Roux: Cela pourrait être inclus dans une souhaitable constitution, s'il y en a une un jour dans ce pays ou au Canada, quoi qu'il arrive. J'ai l'impression qu'il n'y a plus de retard à attendre, si vous lisez les rapports, comme le rapport Russell, qui il y a environ deux ans, donnait une marge, de dix ans pour pouvoir faire des changements draconiens au niveau des gouvernements face aux agressions biologiques, enfin une dégradation, pour préciser, que ce soit par la pollution de l'air, les pluies acides ou l'extinction des espèces.

M. Bédard: On va essayer d'être plus concret peut-être par rapport à ce que vous dites. Vous dites: Le droit à un environnement sain. Dans votre mémoire, ceci veut dire: "Le droit d'avoir entre autres un espace urbain et rural libéré de toutes les entraves à circuler librement et à jouir paisiblement de celui-ci, cela à cause, en grande partie, de l'automobile". Si ça voulait dire ça que d'inscrire le droit à l'environnement dans votre esprit, jusqu'où vont les recours juridiques à partir d'une affirmation comme celle-là?

M. Le Roux: II y aurait des recours mais il y a quand même un juste milieu à atteindre dans la proclamation de droits et libertés. Je souligne ici qu'il y a peut-être 20 ans, il n'y aurait pas eu beaucoup de citoyens ou de groupes de citoyens à venir ici proposer des amendements, des améliorations. Je trouve qu'il y a eu des acquis, mais il ne faut pas s'arrêter sur les acquis face aux droits des citoyens. Il faut penser vers l'avenir et c'est dans ce souci, je n'ai pas envie de vouloir démantibuler des textes de loi, mais je pense qu'il faut avoir un souci humanitaire un peu plus haut que la table rase où s'accumulent les textes de loi; il faut voir un peu plus grand. J'appellerais ça des droits humanitaires ou des droits moraux, même spirituels, puisqu'il faut dire le mot, pourquoi pas? Je ne suis pas le premier, au Québec, ni en Amérique, à réclamer certaines exigences spirituelles, parce que, quand vous avez travaillé, que vous avez mangé, que vous vous êtes bien reposé, que vous avez eu les loisirs qu'il vous fallait, qu'est-ce qui vous reste au bout de la ligne? Cela touche quand même quelque chose...

M. Bédard: Je pense que vous avez...

M. Le Roux: Je vous donne un exemple au sujet de la qualité de la vie. Je cite le présent chef de cabinet du ministre Marcel Léger qui a écrit un texte sur la qualité de la vie dans la revue des caisses populaires qui m'a beaucoup touché. Il m'a tellement touché que je suis allé le rencontrer à Québec dans son bureau et ça m'a galvanisé. Il s'appelle André Beauchamp. Il disait qu'actuellement ce n'est pas une crise de structures, c'est une crise de valeurs et qu'on était dans une société où tout était quantifié, à quelque niveau que ce soit:

travail, productivité et qu'il fallait arriver par transition, petit à petit, à une société plus humanitaire qui serait plus qualitative. C'est l'essence de ce texte.

M. Bédard: D'ailleurs, je suis convaincu d'exprimer l'opinion de tous les membres de la commission pour vous féliciter de la préoccupation que vous avez, d'une façon tout à fait particulière, quant à la nécessité d'un environnement sain. C'est un problème social de toute première importance. Vous disiez tout à l'heure que ça prenait un peu d'idéal. Je dirais que ce n'est même pas de l'idéal que de parler d'environnement sain; c'est très pratique, ce sont des nécessités qui sont très présentes pas seulement dans la société québécoise, mais partout. On en est simplement à s'interroger sur les conséquences. Qu'il y ait des politiques globales gouvernementales dans le sens des préoccupations que vous avez évoquées, c'est une chose, mais qu'il y ait une insertion dans une charte d'un droit général, avec toutes les conséquences juridiques que ça peut représenter, je pense que vous convenez avec moi que...

M. Le Roux: Je crois que ça peut déranger beaucoup, mais il y aurait lieu...

M. Bédard: ... cela peut prendre beaucoup de réflexion.

M. Le Roux: ... probablement de faire des études et des analyses, enfin des recherches pour essayer de donner un peu plus de protection pour les citoyens.

M. Bédard: Je vous remercie beaucoup. Une seconde...

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Oui, j'ai quelques questions. Premièrement, ça va de soi qu'il faut promouvoir qu'on ait un sain environnement, qu'il y ait une qualité de vie minimale pour tous. Je pense qu'on retrouve ça dans les lois sectorielles, c'est-à-dire qu'il y a la Loi sur l'aide sociale et le gouvernement, dans sa sagesse, pense que, pour quelqu'un qui a moins de 30 ans, 121 $ par mois c'est assez; pour quelqu'un qui a plus de 30 ans, c'est environ 200 $ ou 300 $. Donc, c'est ce qu'on donne pour que quelqu'un ait une qualité de vie minimale. Il y a d'autres lois aussi pour promouvoir ce droit de la personne, si on peut l'appeler droit de la personne.

En ce qui concerne l'environnement, cela va de soi qu'on a une Loi sur l'environnement. Il y a des règlements municipaux, et ainsi de suite. Donc, il y a une certaine protection de l'environnement par l'État fédéral, par l'État provincial et même par les municipalités. Cela ne veut pas dire qu'on ne peut pas inclure une clause dans la charte. Prenons par exemple l'article 44: "Toute personne a droit à l'information, dans la mesure prévue par la loi", c'est-à-dire que ce sont les lois qui circonscrivent ces pouvoirs. On pourrait ajouter un article 44a: Toute personne a droit à un sain environnement, dans la mesure prévue par la loi. On pourrait mettre cette clause dans la charte. Cela ne changerait absolument rien. Peut-être que vous voyez cela d'une autre façon, je vous pose la question. Est-ce que ce serait suffisant pour vous qu'on mette une telle clause dans la charte?

M. Le Roux: Le problème d'un droit à l'environnement en est un d'information justement. Je vous parlais tout à l'heure de la mousse d'urée formaldéhyde; cela fait trois ou quatre ans qu'on l'utilise. On ne le sait plus très bien à l'origine, parce que d'après nos recherches, au fédéral, c'est assez difficile. Si on améliore l'accès et la qualité de l'information pour les citoyens, on va obtenir une meilleure compréhension. Autrement dit, l'environnement ne sera plus une question de technocrate, cela va devenir une réalité. Plus les gens vont avoir la connaissance là où ils se trouvent, vis-à-vis des pouvoirs, de leur liberté, plus grande va être leur connaissance, plus grande va être leur liberté. Ils seront aussi plus responsables et moins dépendants.

M. Marx: On est d'accord. Quand on a commencé à utiliser cette mousse pour l'isolation des maisons, on ne savait pas que c'était dangereux. On a appris cela, il y a un an ou peut-être plus, mais l'idée, c'est qu'une fois que les gouvernements ont appris que c'était une matière dangereuse ils ont rendu cela hors commerce, si je puis dire, pour l'isolation des maisons. Peut-être peut-on demander plus aux gouvernements, parce qu'ils sont peut-être responsables pour l'utilisation après une certaine date de cette mousse, parce qu'ils étaient informés aux États-Unis, et ainsi de suite.

Pour revenir à ma question: Est-ce que vous voulez qu'on mette dans la charte un article pour dire, par exemple: Toute personne a droit à un environnement sain dans la mesure prévue par la loi ou, toute personne a droit à une qualité de vie minimale dans la mesure prévue par la loi. On ne peut pas aller plus loin que cela.

M. Le Roux: En principe, je serais d'accord avec une telle suggestion, mais la façon de le formuler, je trouve que cela permettrait au moins de préciser et d'appuyer par rapport aux lois existantes.

M. Marx: Le principe serait inscrit dans

la charte, c'est cela que... M. Le Roux: Oui.

M. Marx: On a eu des suggestions dans le même sens d'autres intervenants. La CEQ a fait des suggestions dans le même sens.

M. Le Roux: La Centrale des enseignants du Québec.

M. Bédard: Plusieurs organismes l'ont évoqué.

M. Marx: Oui, la Centrale des enseignants du Québec a fait des suggestions dans le même sens.

Le Président (M. Desbiens): S'il n'y a pas d'autres intervenants, je remercie M. Le Roux de sa participation aux travaux de la commission.

M. Le Roux: Merci beaucoup.

Le Président (M. Desbiens): J'invite maintenant le Rassemblement des Africains du Québec à se présenter à l'avant, s'il vous plaît.

Si le groupe, le Rassemblement des Africains n'est pas présent, je demanderais immédiatement à...

M. Marx: C'est cela.

Le Président (M. Desbiens): Oui, M. le député de D'Arcy McGee.

M. Bédard: On peut aller vérifier au Parlementaire s'ils sont là.

M. Marx: Oui, on pourrait vérifier. Peut-être peut-on demander à quelqu'un de téléphoner à ces gens à Montréal, parce qu'ils ont écrit leur numéro de téléphone sur le mémoire. S'ils viennent plus tard, peut-être...

M. Bédard: Déjà des efforts ont été faits dans ce sens, M. le Président, puisqu'on me dit que le secrétariat des...

Le Président (M. Desbiens): On m'annonce que le secrétariat des commissions a fait des appels chaque jour et qu'on ne répond pas au numéro indiqué.

M. Marx: D'accord.

Le Président (M. Desbiens): Si les intéressés se présentaient de toute façon pendant la journée, on pourrait...

M. Bédard: D'accord.

M. Marx: Parfait, on va les entendre, il n'y a pas de problème.

Le Président (M. Desbiens): J'inviterais donc M. Jean-Guy Mercier à se présenter, s'il vous plaît.

M. Jean-Guy Mercier

M. Mercier (Jean-Guy): M. le Président, mesdames, messieurs de la commission parlementaire sur la Charte des droits et libertés de la personne, le but de mon intervention est de fournir quelques éléments de réflexion sur la délicate question de l'avortement et, de façon plus globale, d'essayer de dégager les principes d'une approche humaniste au respect de la vie qui doit, à mon avis, inspirer l'action des gouvernements soucieux du bien-être de la population qu'ils ont à diriger.

Je lisais récemment un texte publié dans le revue Maintenant, du mois de janvier 1973, sous le titre "Le Parti québécois et l'avortement", texte écrit par Jacques Baillargeon, Hélène Pelletier-Baillargeon, Jacques Boulay et Henri Laberge. Ce texte a été présenté au président du Parti québécois ainsi qu'à tous les membres du conseil exécutif de l'époque.

Ce texte reproduisait, en préambule, pour s'en inspirer, un extrait du manifeste de l'exécutif du Parti québécois intitulé "Quand nous serons vraiment chez nous". (16 heures)

Cet extrait se lisait comme suit: "Le Parti québécois est tout seul à proposer l'effort suprême de la naissance. Il est terriblement conscient de la difficulté aussi bien que de l'importance vitale de l'enjeu." Dans le cadre de l'article, on retrouvait des idées empreintes de générosité et d'humanisme, comme celle-ci, et je cite: "C'est le sens même de notre lutte pour l'indépendance qui y est impliqué (dans la question de l'avortement) et, de la réponse que nous donnerons à cette question, dépendra largement la qualité du tissu humain dont sera fait le Québec indépendant et libre." Cette affirmation m'apparaît être d'une logique impeccable.

Plus loin, je cite encore: "Le peuple québécois a toujours été colonisé; comme femme, la Québécoise, à bien des égards, l'a peut-être été doublement. Aussi, l'un et l'autre, le peuple et la femme, à la veille de leur libération, doivent-ils à tout prix éviter de se comporter à leur tour, cette fois envers la vie à naître, selon la morale des loups et des brebis, en niant à l'enfant sa liberté sous prétexte d'exalter celle de la mère."

Il m'apparaît évident que la liberté et les droits qu'on veut pour soi, on doit être prêt à les garantir aux autres avec davantage de précautions lorsqu'ils concernent des êtres faibles. C'est à partir

d'un tel principe, je crois, que le Parti québécois reconnaît à la minorité anglophone, faible sur le plan numérique, forte au plan économique quand même, ce droit à ses institutions et à son existence.

C'est à partir d'un même principe, démocratique je l'espère, que le ministère de l'Immigration fait des efforts particuliers pour que les minorités italiennes, grecques et autres, qu'on retrouve dans notre société, puissent retrouver, conserver et exprimer leurs traditions, ce qui accroît du même souffle la qualité de notre vie culturelle. Il me semble évident que le souci de respect à l'égard des droits et libertés des êtres faibles est un signe de civilisation et aussi de démocratie.

Vous me permettrez une dernière citation de ce même texte: "Chaque individu a droit à son autodétermination et l'autodétermination commence par le droit de naître et de grandir." Comme ces propos sont actuels...

On se plaît à souhaiter que la majorité gouvernementale qui sait par coeur ou par nécessité les textes écrits par les adversaires politiques, mais qui semble avoir perdu l'habitude de lire les textes qui ont inspiré les débuts de son action politique, retrouve au plus vite une source d'inspiration qui lui soit authentique. Les racines, c'est important...

D'autant plus que la question de l'avortement est au coeur du débat constitutionnel. C'est en quelque sorte l'exemple par excellence des plus mauvais effets de la Confédération canadienne sur le fonctionnement du processus démocratique. Et je m'explique: C'est un amendement au Code criminel, le bill omnibus, voté en 1969, qui a établi le cadre juridique à partir duquel s'est développée une pratique qui prend de l'ampleur. Il est dit, à l'article 251 du Code criminel, depuis cet amendement, que l'avortement est un acte criminel passible de l'emprisonnement à perpétuité, pour celui qui le fait et pour la personne qui y participe. Cet article permet toutefois des exceptions qui sont définies par le critère de la vie et de la santé physique et/ou mentale de la mère. Il y a trois exigences techniques, à part celle évidemment qui veut que l'opération s'accomplisse par un médecin, a) il faut que ce soit pratiqué dans un hôpital accrédité ou approuvé; b) un comité doit examiner le cas; c) un certificat de la décision du comité doit être remis au médecin qualifié.

On constate que les termes "danger pour la vie" de même que "santé physique et mentale" et les termes "mettrait ou mettrait probablement", appliqués dans un domaine aussi complexe au plan médical, débordant d'ailleurs largement le plan médical par le critère de santé mentale qui renvoie à des influences socio-économiques, l'ambiguïté de ces termes, dis-je, fait que je n'hésite pas à qualifier cette loi fédérale d'hypocrite. Le ministre d'État à la Condition féminine aurait sans doute dû dénoncer aussi cette hypocrisie.

Manifestement, le gouvernement fédéral ne voulait pas prendre position clairement et a renvoyé la balle aux provinces qui ont juridiction dans le domaine de la santé. Et on aboutit à cette situation aberrante où, à partir d'une même loi fédérale, on retrouve des différences énormes quant à son application par les provinces, et je cite les plus récentes données fournies par Statistique Canada, couvrant l'année 1979 et publiées au mois de décembre 1980. En Colombie britannique, il y a 34,2 avortements par 100 naissances. En Ontario, 25,4 par 100 naissances. Au Québec, il y en a 9,1 officiels, légaux (avait, parce que ce pourcentage croît), et, à l'Île-du-Prince-Édouard, 2,3 avortements par 100 naissances.

Et il s'agit de la même loi pour chacune des provinces. Ces écarts démontrent bien que la marge de manoeuvre des provinces dans la définition ou l'absence de définition de ce qu'est un avortement thérapeutique est très grande, voire totale, avec comme seule réserve l'esprit de la loi fédérale qui part d'une prémisse qualifiant l'avortement d'acte criminel, ce qui est restrictif, cela va de soi. Ainsi, la libéralisation de l'avortement devenant l'avortement libre et sur demande est un acte illégal, ceci par déduction car on doit conclure que la libéralisation, lorsqu'elle devient totale ou presque, fait disparaître toute culpabilité légale. Le gouvernement fédéral sachant que la Colombie britannique a 34,2 avortements par 100 naissances va donc conclure que les femmes de cette province ont une santé bien fragile ou bien que la loi n'est pas respectée.

Je fais remarquer au passage qu'il est malsain pour un gouvernement, quel qu'il soit, de faire des lois qui ne soient pas respectées car c'est la légalité de toutes les autres lois qui est tôt ou tard remise en cause. À la limite, c'est l'anarchie ou la loi de la jungle. Une telle situation fait qu'on peut à juste titre se demander si une éventuelle charte fédérale des droits et libertés de la personne ajusterait le Québec sur la Colombie britannique ou sur l'Île-du-Prince-Édouard. La population du Québec doit connaître les intentions du législateur fédéral et du législateur provincial. Nous du Québec, qui sommes dans une position démographique difficile sur ce continent anglophone, souhaitons-nous l'avortement libre et sur demande de la Colombie britannique et de l'Ontario ou l'avortement thérapeutique probable de l'Île-du-Prince-Édouard et de certaines régions du Québec?

Si nous voulons définir une charte québécoise des droits et libertés de la

personne, c'est à des questions de ce genre qu'il faut répondre. Lorsque j'affirmais tout à l'heure que le régime fédéral actuel est antidémocratique, je crois en avoir fait la démonstration. Il n'y a pas eu de débat politique franc et honnête, ni au niveau fédéral ni au niveau provincial. La population est contre l'avortement sur demande, ou du moins elle l'était jusqu'à une époque toute récente, mais pourtant il y a eu la mise en marche d'une politique créatrice de valeurs et de changements profonds dans notre société. Je le répète, sans débat politique. Il y a d'autres questions bien précises qu'il faut se poser, par exemple, sachant que des avortements se pratiquent en dehors des hôpitaux, dans des cliniques privées, sachant aussi que les décisions de certains comités d'avortement thérapeutique dans des hôpitaux connus de l'Ouest de Montréal ne sont en fait que des formalités légales sans plus. Le ministère de la Justice sait cela. Pourquoi ne fait-il pas appliquer la loi?

Il y a encore d'autres bonnes questions. Par exemple: Sachant qu'il y a eu approximativement 12 000 avortements dits thérapeutiques payés par la Régie de l'assurance-maladie du Québec l'année dernière, le ministère des Affaires sociales n'a jamais défini ce qu'est un avortement thérapeutique. Même lorsque certains hôpitaux lui ont demandé expressément de le faire, le ministère a spécifiquement refusé de définir une politique précise. Comment, dans un tel contexte, le gouvernement peut-il répondre de l'utilisation des deniers publics? J'ai appris lorsque j'étais député que, pour chaque dépense, il y a un programme définissant les conditions. C'est ce qui permet de savoir où on va et de répondre aux questions de la population. Les dépenses de la Régie de l'assurance-maladie du Québec pour les avortements ne s'appuient sur aucun critère spécifique puisque le ministère des Affaires sociales n'a pas défini ce qu'est un avortement thérapeutique dans les faits.

En cette période de restrictions budgétaires, voilà une question qui me semble de brûlante actualité. Pour compléter cette brève analyse de l'amendement au Code criminel voté en 1969, et les conséquences de son application, j'aimerais citer un extrait du mémoire présenté aux membres de la Chambre des communes du Canada, le 22 novembre 1979, par Campagne-Vie-Canada, à la page 8: "Cet amendement a fait en sorte que maintenant, dans notre société, on croit que la vie d'une personne peut être détruite au profit de la qualité de vie ou de la commodité d'une personne ou de personnes plus puissantes. Cet amendement fait aussi en sorte qu'il n'est plus possible de faire observer la loi sur l'avortement puisqu'on y prévoit que les comités d'avortement peuvent approuver et voir à la destruction des vies d'enfants à naître tout en étant exempts de sanction et en n'ayant de comptes à rendre à personne."

En bref, l'amendement à la Loi sur l'avortement de 1969 marque la fin de la protection légale pour l'enfant avant la naissance au Canada. De plus, cet amendement a créé un précédent applicable à d'autres groupes vulnérables tels que les handicapés, les personnes âgées ou celles qui sont atteintes d'une maladie terminale. Lorsqu'en plus ont sait les pressions qui se sont exercées sur le ministère des Affaires sociales pour que les comités d'avortement thérapeutique soient extensionnés aux réseaux des CLSC, cette extension souhaitée par des groupes de pression amènerait une situation où la multiplication des comités, sans qu'il y ait au préalable de critères d'évaluation des cas autres qu'une loi fédérale intentionnellement imprécise, aurait l'effet direct de réduire à néant les velléités de certains comités de faire vraiment un travail d'évaluation sérieux. Cette extension éliminerait de façon certaine toute possibilité d'une politique de défense des droits et libertés des enfants à naître puisque les seuls critères retenus par la majorité des comités seraient bientôt ceux de la pseudofemme en détresse sans que personne n'essaie de connaître les causes de la détresse.

Les critères socio-économiques. Il importe de savoir ce qui se cache derrière ces critères des femmes en détresse quand on sait que 65% des avortements - et les gens dans le milieu me disent que c'est beaucoup plus - sont faits pour des raisons socio-économiques. Il y a là, à mon avis, en même temps qu'une possibilité de véritable politique de la famille prise au sens large, une responsabilité sociale et gouvernementale.

Si on accepte que la vie des enfants à naître soit évaluée à partir de critères économiques sur lesquels les individus n'ont plus de prise - et, actuellement, l'exemple classique, c'est le couple affolé par la hausse des intérêts sur hypothèque et qui se voit obligé de recourir à l'avortement - il semble évident qu'il se présente des cas de ce genre, et on permet qu'une telle situation se perpétue, c'est qu'on choisit les valeurs matérielles, l'avoir au sens large de préférence à l'être. Il y aurait là pour un gouvernement qui croit à l'identité nationale, à l'affirmation de l'être national, une contradiction profonde, si cette situation devait durer. Comment peut-on vouloir pour la nation le droit à l'existence et la liberté de choisir l'avenir si on refuse à certains le droit de naître et la liberté du foetus et du père, dans certains cas, de se défendre? Mais ceci dit, je ne veux pas mettre la responsabilité sur les femmes et exonérer les hommes. Il ne faut pas comprendre mon

texte dans ce sens-là. C'est une précision que je me dois de faire, je pense.

Procréer est un acte social qui nous concerne tous et toutes, un geste qui nous appelle à des responsabilités qui nous touchent directement, hommes et femmes. Il n'y a pas d'endroit où les libertés et les droits individuels rejoignent de façon plus complète les libertés et les droits collectifs. Être ou avoir, voilà la question, question complexe, puisqu'il existe deux réponses ayant chacune leur logique.

Pour conclure, je rappelle que l'avortement a toujours été lié dans l'esprit de ceux qui s'y opposaient à l'euthanasie. Lorsqu'on joue avec des valeurs humaines, on ne sait plus à quels abus cela peut mener. Par ailleurs, cette question de l'avortement ne concerne pas seulement le droit et la liberté de la femme, mais, par ses liens avec les valeurs d'une société à l'égard de la vie, nous sommes tous et toutes directement impliqués. J'aimerais vous faire lecture d'un texte récent extrait du magazine "Fermières", édition des mois d'octobre et novembre 1981, texte signé Hubert Doucet, aux pages 12 et 13, et je cite. À propos, le titre du texte est: "L'euthanasie, la seule mort humaine?" "Mourir d'une manière humaine, en contexte hospitalier, consiste à vivre les derniers moments de la vie en étant considéré comme une personne. Pour plusieurs, cela voudra dire mourir sans le complexe appareillage technique qui ne prolonge la vie que de quelque temps. D'autres, au contraire, espèrent qu'on prolongera la vie le plus longtemps possible. L'essentiel n'est-il pas que chacun puisse vivre selon ses volontés les derniers instants de sa vie? "Même si la technologie médicale doit cesser, d'autres soins demeurent absolument nécessaires. Il faut soulager les douleurs qui empêchent un malade de vivre dignement ses derniers moments. La médecine a un devoir de réaliser régulièrement un dosage équilibré de médicaments pour prévenir l'apparition de la souffrance et briser la spirale croissante de la douleur. Cet effort de dosage de médicaments ne suffit pas. L'attention au malade doit se faire encore plus profonde. Au moment où il vit ses derniers moments, le patient doit les vivre dans un environnement qui lui permet d'être un être humain. "La présence continue des autres et l'affection manifeste des siens appartiennent à l'art de mourir humainement puisque le grand départ est un saut angoissant dans l'inconnu. Malheureusement, dans de nombreux hôpitaux, le moribond est réduit à l'état d'objet. Il ne connaît rien de son état et seules des machines lui tiennent compagnie. La mort est devenue inhumaine. Cette situation explique, comme nous l'avons vu plus haut, pourquoi plusieurs préfèrent l'euthanasie au sens précis du terme. "Transformer la question de mourir demeure possible et doit constituer une exigence de société." Une telle approche doctrinale aurait suscité la réprobation populaire il y a quelques années, tellement c'était peu conforme au profond respect de la vie des Québécois. Aujourd'hui, on en est presque rendu à la situation où on comprimera les dépenses d'éducation par l'avortement et celles des affaires sociales par l'euthanasie. Est-ce qu'on est sérieux lorsqu'on réclame le droit d'exister comme peuple?

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Bédard: M. le Président, je remercie M. Mercier de ses représentations devant la commission où il évoque des convictions très précises et qu'il a d'ailleurs évoquées à d'autres moments que celui-ci. (16 h 15)

Je voudrais lui demander comment il voit les amendements qu'on doit apporter à la charte par rapport à l'expression des convictions qu'il énonce dans son mémoire.

M. Mercier: Je pense que, essentiellement, le problème se résoudra en permanence par une profonde réflexion de la société sur des valeurs. Finalement, quand j'évoquais dans mon texte "être ou avoir", je crois que nous vivons dans une société, mais ce n'est pas la seule, qui a évalué les individus à partir d'une notion de l'avoir. Quand on a une grosse voiture, un mois de vacances en Floride, on a réussi dans la vie sans égard finalement au rôle qu'on joue et à ce qu'on apporte véritablement à la société. On a subordonné l'être à l'avoir dans notre société. Je pense que, pour résoudre les contradictions qu'on constate au plan économique, ces affrontements persistants entre groupes, entre individus à l'intérieur des usines, à l'intérieur des familles, il faudra rebâtir une société qui redonnera à l'être une signification qu'on ne retrouve pas. Je pense que c'est à partir de réflexions de ce genre que se développera à travers une éducation le sens profond de l'existence.

Toute charte des droits et libertés de la personne doit partir du sens de l'existence. Nous avons vécu dans les années cinquante une situation où les valeurs spirituelles donnaient un sens à l'existence et, finalement, la vie prenait son sens à partir de ces valeurs spirituelles. Avec le pluralisme et une évolution de la société, cette idée de trouver le bonheur à travers une augmentation de richesses, la révolution technologique aidant, a laissé l'impression à beaucoup d'individus que les valeurs matérielles pouvaient apporter une réponse.

Depuis quelques années, nous vivons, sur le plan international et sur le plan local, une situation de restrictions des gouvernements qui ont été passablement coupables en entretenant chez les citoyens cette idée de l'État paternaliste qui pouvait donner tout à n'importe qui, n'importe comment et que ça ne finirait jamais.

Il faudra donc découvrir de nouvelles motivations, de nouvelles façons de rebâtir des contrats sociaux. Je pense que c'est à partir de la découverte du sens de l'existence, de cette question du respect de la vie, de l'avortement, de l'euthanasie aussi, c'est à partir de ces problèmes profondément humains que nous pourrons en arriver dans notre société probablement à rebâtir un tissu humain et à trouver une réponse aux contradictions qui mènent à des affrontements de plus en plus stériles et à une situation très difficile pour l'ensemble de la société.

Ceci dit, je ne pense pas qu'il y ait des solutions faciles à ce problème, mais il faut le poser sur le plan des valeurs. Concrètement parlant, il y a une situation juridique qui existe, qui est une loi fédérale volontairement imprécise, appliquée de façon très différente d'une province à l'autre. Il y a nous, le Québec, qui avons, par le ministère des Affaires sociales, notre responsabilité dans le domaine de la santé à fonctionner avec une loi fédérale qui est imprécise. Si nous avions la juridiction, je dirais: Faisons tout de suite le débat des valeurs et trouvons une réponse à cette question. Nous n'avons pas cette juridiction; n'allons pas assumer mal une juridiction fédérale imprécise. Nous sommes dans la situation, à l'heure actuelle, où des groupes de pression, des individus placés à des endroits de pouvoir - c'était le cas de l'ancien ministre des Affaires sociales, je pense - ont mis en marche des mécanismes, une incitation, ont fait des pressions auprès des hôpitaux, qui étaient une voie vers la libéralisation de l'avortement sur demande, sans avoir consulté la population du Québec, sans que le problème des valeurs se soit posé. Il se pose plus particulièrement pour nous, Québécois, que pour l'ensemble canadien. Nous ne sommes quand même pas une très grande population. Pour nous, la question démographique est extrêmement importante. Il ne s'agit pas de revenir à la revanche des berceaux, mais il s'agit quand même de savoir quels sont les dangers qui nous menacent si cette libéralisation devait se poursuivre et si, de plus, elle entraînait, ce qui est évident, je pense, une remise en question des valeurs. À substituer une société de l'être pour une société de l'avoir, quelle sera l'originalité de ce qu'on peut qualifier de québécitude?

Face à cette situation précise, je pense que l'État du Québec doit, dans le préambule de la charte de 1975 - vous avez ce droit et les autres aussi - à l'article 1, ajouter simplement ceci: Tout être humain a droit à la vie dès le moment de sa conception, ainsi qu'à la sûreté, à l'intégrité physique et à la liberté de sa personne. À ce moment-là, nous afficherons vraiment nos couleurs sur le plan des valeurs que nous voulons comme société. À partir de ça, puisqu'il faut appliquer une loi fédérale, qu'il y ait quelques hôpitaux qu'on surveille pour qu'il s'agisse vraiment d'avortements thérapeutiques, donc pour des raisons médicales. À l'heure actuelle, vu le nombre des avortements, la pratique démontre bien qu'avec une même conception large et élastique du critère de santé mentale il faudrait considérer une légère dépression nerveuse comme un cas de santé mentale qui met en danger la vie de la mère pour justifier certains avortements. Il s'agit de critères socio-économiques, non pas de critères médicaux.

En ce sens-là, je pense que le gouvernement du Québec ne doit pas s'associer à ça.

M. Bédard: Quand vous parlez de débat social, vous conviendrez avec moi qu'il est présent, au moment où on se parle, sur cette question et qu'on ne peut pas parler de consensus, que ce soit dans un sens ou dans l'autre.

M. Mercier: Regardez bien, ce qui a finalement motivé mon intervention à l'époque, ma colère et mon indignation - je ne sais pas si la politique du gouvernement a été changée depuis, il s'agit du gouvernement dont j'ai fait partie - c'est un document qui m'était parvenu du ministre des Affaires sociales de l'époque, un document daté du 6 novembre 1980, qui disait: "Pour chacune des régions du Québec et chacun des hôpitaux, la situation de l'avortement." Au hasard, je vais prendre le Lac-Saint-Jean. "Le centre hospitalier de Jonquière, ça va, 132 cas pour la première année, on entrevoit 30 à 50 cas cette année, par mois. Procède encore par anesthésie générale, envoie les cas d'infertilité au centre hospitalier de Chicoutimi. Centre hospitalier de la Mauricie, on attendait une échographie, entre parenthèses, un prétexte; Centre hospitalier Sainte-Marie, ça va normalement". Cela veut dire que quand ça va, ça progresse; quand il y a des obstacles, c'est que ça va moins bien. "Rythme ralenti", comme on dit dans le rapport. "Ce qui est à craindre, querelles entre les gynécologues et les omnipraticiens. Hôpital Notre-Dame, ça va; présentement avortement possible, jusqu'à 16 semaines, bientôt jusqu'à 19 semaines. Hôpital Saint-Luc, problème avec le CRSSS pour l'équipement et les locaux. Rythme ralenti." Je pense que le bouquet, c'était la région 07

qui est une région extrêmement délicate; ce problème a été crucial dans deux régions, l'Outaouais et Joliette en particulier, d'où je viens. "Centre hospitalier Maniwaki, le directeur général, M. Laurent Boisclerc, ne veut rien savoir, rien ne fonctionne. Hôpital des Laurentides, à L'Annonciation, comité d'avortement en place. On nous promet le premier avortement dans quelques semaines. Hôpital Notre-Dame-de-Sainte-Croix, à Mont-Laurier, avortement fait la semaine dernière, fin octobre 1980."

Je pense qu'il y a un état d'esprit là-dedans vérifié dans les faits. J'ai rencontré des directions d'hôpitaux, on m'a rapporté des cas où le cabinet du ministre a spécifiquement fait des pressions sur la direction de l'hôpital pour procéder à un avortement sur une personne qui n'était pas consentante, mais à la suite de pressions politiques de la part de la famille, de la part du père. Il y a eu des situations de ce genre.

M. Bédard: Je n'entreprendrai pas une discussion - je ne pense pas que vous vous y attendiez - qui déborde sur la politique, parce que, face à ce document auquel vous vous référez, je crois qu'à ce moment-là, à l'Assemblée nationale, le ministre des Affaires sociales a eu à répondre à toutes les questions qui se posaient. Vous avez vos convictions, vous les évoquez devant les membres de cette commission, vous avez évoqué aussi que dans certains cas spécifiques il y avait lieu que des actions soient prises, quels que soient les droits fondamentaux dont on parle, et dans le respect des droits fondamentaux dont on parle.

Vous admettrez également avec moi que le débat social existe au moment où on s'en parle, chacun y allant de ses convictions, qu'elles soient religieuses, morales, politiques ou autrement, il ne faut pas essayer d'en faire un sujet non complexe et ce débat social est loin d'être concluant au moment où on se parle, dans le sens qu'il continue.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Je vous remercie. J'ai trouvé votre mémoire intéressant, M. Mercier. C'est la première fois qu'on fait une intervention dans ce sens et c'est la première fois que quelqu'un vient devant la commission parler de l'avortement. Si c'est seulement pour faire un débat, vous avez eu l'occasion de présenter votre point de vue devant la commission. Peut-être que ce sera diffusé ailleurs par les médias.

En ce qui concerne votre mémoire, parmi ceux que l'on a reçus, c'est le seul qui ne fait pas de recommandations. C'est la première chose qui m'a frappé. Finalement, on est ici pour modifier la charte des droits. Est-ce que vous avez une recommandation précise à mettre dans la charte, le cas échéant?

M. Mercier: Comme je le disais tout à l'heure, ma recommandation précise serait toute simple, mais en même temps, énorme de conséquences pour tout le monde, pour ceux qui sont pour, pour ceux qui sont contre. Ce serait d'ajouter simplement: Tout être humain a droit à la vie dès le moment de sa conception. À partir de cela, c'est tout un ensemble de droits que vous rendez possibles. Quelqu'un disait tout à l'heure, et je suis tout à fait d'accord, qu'une Charte des droits et libertés de la personne établit des principes. Ce n'est pas comme une loi spécifique qui corrige un cas et qui crée des infractions ou quoi que ce soit. Sur le plan des principes, qu'une société établisse que le respect de la vie commence au moment de la conception, cela ouvre un débat et cela amène une société à prendre une voie dans un ensemble de valeurs. À partir de cela, cela peut avoir des conséquences juridiques. Cela n'éliminera pas... qu'on n'essaie pas de me faire dire que je sous-estime l'ampleur du problème et qu'à partir simplement de trois mots, on va éviter toute une réalité. Avant que le phénomène ne soit devenu une pratique tellement généralisée, inscrite dans les moeurs, qu'il soit très difficile après coup, de faire marche arrière, que, dès maintenant, on commence à prendre des mesures qui vont dans le sens d'une approche existentielle à la vie en société. C'est à partir du respect de la vie qu'on développe une thématique et qu'on réanalyse finalement nos comportements à l'intérieur de la société, qu'on essaie de développer un contrat social à partir de cela.

Finalement, quand on regarde la Charte des droits et libertés de la personne, cela peut devenir un livre de recettes, si on établit des droits un petit peu plus par ici, un petit peu plus par là, et la société change, évolue. Finalement, cela ne résout aucune des contradictions. Cela ne les résoudra pas tant qu'on ne se sera pas entendus sur le sens de l'existence.

M. Marx: D'accord.

M. Mercier: On a là un beau cas.

M. Marx: Votre recommandation rejoint bien vos idées. Merci.

Le Président (M. Desbiens): S'il n'y a pas d'autres interventions, je remercierai M. Mercier de sa participation aux travaux de cette commission.

J'inviterai la Ligue des droits et libertés de la région de l'Estrie, à se

présenter, s'il vous plaît. M. Côté.

Ligue des droits et libertés de l'Estrie

M. Dechêne (Gaston Miville): Je me présente. Je ne suis pas M. Côté. M. Côté devait être présent ici avec moi. Il est une des personnes qui a participé à la rédaction du mémoire. Il est malheureusement retenu à Sherbrooke par ses occupations. Je m'appelle Gaston Miville Dechêne. Je suis porte-parole délégué par la Ligue des droits et libertés pour vous présenter ce bref mémoire que le comité plénier de la ligue devait vous présenter. (16 h 30)

M. le Président, M. le ministre, MM. les membres de la commission, vous connaissez déjà la Ligue des droits et libertés. La Ligue des droits et libertés de Montréal vous a déjà soumis un mémoire où on a fait déjà plusieurs recommandations et il est mentionné dans ce mémoire qu'un comité régional de la Ligue des droits et libertés vous présenterait un mémoire concernant l'âge. C'est ce que nous avons voulu faire, c'est une des préoccupations qui nous est revenue le plus souvent au cours de nos activités depuis les deux dernières années.

Je vais vous présenter quand même un peu la Ligue des droits et libertés. La Ligue des droits et libertés, section Estrie, est un comité régional de la Ligue des droits et libertés du Québec et est membre de la Fédération internationale des droits de l'homme. Elle a été officiellement formée le 13 mars 1978, sous le patronage du Carrefour de solidarité internationale. Soutenue par environ 500 adhérents en Estrie, une équipe de quinze membres actifs anime cet organisme d'intervention communautaire voué à la connaissance, la défense et la promotion des droits et libertés individuelles et collectives.

La Ligue des droits et libertés, section Estrie, oriente ses recherches et ses interventions à partir des plaintes et des demandes d'appui qui lui sont acheminées. Si l'étude du dossier révèle une violation des droits, la ligue pilote la résolution du problème par différents moyens: la conciliation des parties en litige, l'exercice de bons offices et de pressions publiques, les références aux organismes de juridiction compétente, l'animation et l'éducation.

Étant une section régionale, notre organisation est appelée à faire écho aux divers dossiers à caractère général mis de l'avant par la ligue au niveau national ou l'un ou l'autre de ses dix comités.

Les objectifs des dossiers nationaux consistent à alerter l'opinion publique de l'état des droits et libertés au pays ainsi qu'à exercer les pressions nécessaires au rajustement des mécanismes institutionnels et politiques ayant trait à la défense, entre autres, des droits et libertés des défavorisés et des minorités.

La Charte des droits et libertés de la personne adoptée en 1975 n'aura été amendée qu'une seule fois à propos de la discrimination basée sur l'orientation sexuelle.

Aussi, c'est avec une grande joie que la Ligue des droits et libertés de la région de l'Estrie apprenait, il y a quelques mois, que le gouvernement du Québec tiendrait à l'automne une commission permanente de la justice portant sur la Charte des droits et libertés de la personne.

Soucieuse de son rôle voué à la défense des droits et libertés de la personne, la Ligue des droits et libertés de la région de l'Estrie adoptait, le 8 septembre dernier, une proposition dans le sens de présenter à la commission permanente de la justice sur la charte des droits et libertés un mémoire demandant d'abord l'inclusion, dans l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne, de l'âge comme motif discriminatoire et l'abrogation de l'article 90 de la Charte des droits et libertés de la personne.

Pour nous, il était tout à fait étonnant pour ne pas dire renversant de constater que l'inscription de l'âge comme motif illicite de discrimination n'a pas encore été inclus dans la Charte des droits et libertés de la personne.

En effet, et comme l'ont souligné avant nous plusieurs organismes, y compris la Commission des droits de la personne, il nous semble, à la Ligue des droits et libertés de la région de l'Estrie, qu'au niveau même des principes, ce point soit indiscutable. D'ailleurs, il est à noter à cet égard que l'ensemble des lois définissant les droits de la personne dans les autres provinces, de même que la loi fédérale, incluent, bien que d'une façon variable, cette interdiction de faire de la discrimination en raison de l'âge.

On peut noter qu'au Québec, on peut, en toute légalité et sans contrevenir à aucune loi ou règlement, refuser d'embaucher les personnes jugées trop jeunes ou trop vieilles. Concernant ce point particulier, j'aimerais vous faire état de quelques exemples que nous avons, quelques cas que nous avons relevés ici, autant à l'intérieur de la région qu'à l'extérieur de la région.

Tout d'abord, on a noté que, par exemple, la compagnie Voyageur avait comme politique de ne pas embaucher de conducteurs d'autobus âgés de plus de 40 ans. On a noté aussi qu'Air Canada avait aussi comme politique de n'accepter que des candidats âgés de 18 à 28 ans pour l'entraînement au pilotage. Dans la région et dans les journaux locaux, on a souvent des

offres d'emploi où les employeurs ne se gênent pas du tout pour faire de la discrimination à ce niveau. Vous en avez plusieurs exemples tels que celui-ci, où on offre une possibilité presque en or, comme vendeur ou ex-vendeur, à des hommes ou des femmes, si on est âgé de 21 ans ou plus. On note aussi qu'on demande un représentant, dans un autre cas, qui doit être âgé de 25 ans et plus. Dans un autre cas, une compagnie québécoise demande un représentant pour la région de Coaticook, où on exige comme compétence d'avoir 25 ans et plus, ce n'est pas l'apanage des corporations privées. Il y a la Société Saint-Jean-Baptiste de la Mauricie qui demande un candidat possédant les normes d'éligibilité décrites et dont l'âge se situe en deçà de 40 ans, disant qu'il sera sûrement favorisé.

Une autre compagnie demande un constructeur de machines et on exige que la personne ait 30 ans minimum; on se demande bien pourquoi. La ville de Disraeli, un peu plus loin, fait une offre d'emploi pour un directeur du service des loisirs où on exige une personne qui est âgée de 23 à 40 ans. Il y a même la Société des loteries et courses, à Sherbrooke, qui a écarté un Sherbrookois à cause de son âge.

On note aussi qu'au Québec on peut en toute légalité et sans contrevenir à aucune loi ou règlement congédier des individus parce qu'ils ont atteint un certain âge et, dans plusieurs cas, les remplacer par d'autres que l'on paiera évidemment moins cher. Les travailleurs non-syndiqués, qui sont par ailleurs les moins protégés, sont de ce fait particulièrement vulnérables.

Il y a aussi la discrimination qui s'exerce au niveau des programmes gouvernementaux. On peut par exemple, ici au Québec, être éliminé dès le départ de certains programmes d'emploi du gouvernement du Québec. L'État québécois, afin de légitimer son geste, parle alors du principe de la discrimination positive.

Maintenant, j'aimerais faire un petit aparté ici pour dire que la Ligue des droits et libertés a examiné et discuté le concept de discrimination positive. On tient à souligner que par rapport à ce concept la ligue n'en rejette pas l'usage dans l'établissement des programmes d'emploi du gouvernement du Québec, mais a déjà critiqué fortement l'extension que le gouvernement donne à ce concept. À notre avis, le gouvernement va trop loin dans l'application du concept. Nous favorisons ces programmes, ces mesure sociales qui s'appliquent à des minorités ou des groupes particuliers, mais nous déplorons aussi le fait qu'ils soient limités, comme dans le cas des programmes OSE-Arts, aux seuls travailleurs culturels âgés de 18 à 29 ans. Ironiquement, d'après des représentants régionaux du ministère des Affaires culturelles, il semblerait que les travailleurs culturels atteignent leur seuil maximal de rentabilité passé 29 ans, justement, et que les programmes tels qu'ils sont conçus actuellement frustrent fréquemment des initiatives admirables proposées par des travailleurs de plus de 29 ans, et, j'imagine, de moins de 18 ans, ce qui est peut-être plus rare.

En ce sens-là, ce que l'on critique c'est la notion - là je vais faire référence un peu à ce qu'un intervenant précédent a déclaré tout à l'heure - de la quantification d'à peu près tout dans notre société; jusqu'au concept d'âge que l'on quantifie pour ce qui est des programmes OSE-Arts, de 18 à 29 ans. Pour ce qui est des programmes de l'Office franco-québécois pour la jeunesse, je crois que c'est de 19 à 35 ans. Il faut voir qu'au départ il y a une différence sur le concept de la jeunesse que ces deux programmes gouvernementaux peuvent nous offrir. Maintenant, c'est un concept qui est quantifié, je ne sais pour quelle raison exactement, mais il y aurait peut-être lieu d'élargir le concept de jeunesse à ce qu'on notait comme étant un état caractérisé par un besoin d'apprentissage, de renouvellement, de recyclage, et, disons, de recyclage au niveau de la créativité. Une fois que - nous l'espérons - l'âge sera inclus dans l'article no 10 comme motif interdit de discrimination, il y aura peut-être lieu de revoir de quelle façon on devrait quantifier les concepts d'âge et les limites d'âge pour ce qui est de l'accessibilité aux programmes gouvernementaux.

On note aussi qu'il est possible, au Québec, sans contrevenir à aucune loi et règlement, de limiter à certains groupes d'âge les programmes de voyage qu'offre, par exemple, l'Office franco-québécois pour la jeunesse. Il est possible aussi de forcer certaines personnes âgées à prendre une retraite anticipée ou, lorsqu'elles ont atteint 65 ans, de les obliger à prendre immédiatement leur retraite, etc. Cette discrimination pratiquée ouvertement au Québec n'a vraiment pas de quoi nous enorgueillir. Aussi, estimant que les arguments généralement présentés en faveur du maintien de l'âge comme motif de discrimination ne sont pas particulièrement convaincants, c'est-à-dire favoriser l'emploi des jeunes, mobilité professionnelle, gestion des ressources humaines, coûts élevés, etc., la Ligue des droits et libertés de la région de l'Estrie demande d'inclure dans l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne l'âge comme motif de discrimination.

Nous demandons aussi que l'âge soit défini de manière à ne pas permettre le maintien d'un âge obligatoire de la retraite et, quant à la limite de l'âge inférieur, la position de la Ligue des droits et libertés de

la région de l'Estrie est qu'elle ne saurait être restreinte que dans quelques rares cas où l'ordre biologique et/ou naturel indique de façon évidente la nécessité d'exercer une discrimination. Dans ce cas, évidemment, cela pourra faire l'objet d'une sanction par le législateur.

Enfin, quant à la limite supérieure, toute restriction nous paraît odieuse et inacceptable puisqu'elle entérine cette tendance fortement accusée dans nos sociétés à l'exclusion des personnes du troisième âge.

Maintenant, vous savez qu'un ensemble d'organismes, c'est-à-dire la Coalition pour l'abrogation de l'article 97, a déjà présenté un mémoire détaillé à ce sujet et que la Ligue des droits et libertés faisait partie des organismes formant cette coalition. Conséquemment, dans la mesure de notre perception de ce problème de discrimination dans la région de l'Estrie, surtout dans le domaine des droits des handicapés, nous désirons ajouter notre voix à celle de la coalition.

La Ligue des droits et libertés de la région de l'Estrie estime que la discrimination en matière d'avantages sociaux ne devrait pas plus qu'en d'autres domaines être pratiquée et qu'en conséquence l'article 90 de la charte devrait être abrogé. La Ligue des droits et libertés estime que l'article 90 constitue une sérieuse brèche au principe général de non-discrimination et qu'il s'agit là d'un état de fait inacceptable.

La Ligue des droits et libertés, au même titre que la Commission des droits de la personne, considère que la situation particulière des handicapés ne devrait justifier aucune situation d'exception en ce qui a trait aux avantages sociaux. Ici, j'aimerais vous faire part d'un cas particulier à la région de l'Estrie; il s'agit d'une discrimination particulièrement flagrante dont nous sommes les témoins depuis quelques mois dans notre région. Les personnes handicapées qui habitent le territoire desservi par la Corporation municipale de transport de Sherbrooke se sont vu retirer récemment l'usage - je dis bien retirer parce qu'on le leur avait bien accordé au départ - d'une carte passe-partout donnant droit à l'usage illimité à tarif réduit, des autobus publics servant au transport en commun. La raison évidente de ce retrait, c'est, bien sûr, le handicap de ces personnes, qui occasionne à la CMTS des dépenses plus élevées. La CMTS, en adoptant cette résolution, refusait donc de reconnaître le droit égalitaire des handicapés au transport en commun, sous prétexte d'une saine gestion, et ce malgré une pétition aussi de 2500 à 3000 noms qui a été présentée à la ville de Sherbrooke, qui contrôle la Corporation municipale de transport, à savoir que les citoyens étaient favorables à assumer le déficit encouru par la CMTS pour ce qui est du rétablissement de l'usage de cette carte concernant les handicapés.

Évidemment, on fait référence à ça en fonction aussi de la réglementation de la Commission des transports du ministère des Transports qui prévoyait que le programme d'aide et de subventions pour permettre l'usage d'une carte passe-partout ne serait efficace que dans le cas du transport normal. Ce qui est arrivé, c'est que la Corporation municipale de transport de Sherbrooke, croyant que cette mesure s'appliquait également au transport adapté, a tout simplement, de façon très naturelle, accepté d'émettre la carte aux handicapés au tout départ et, quand elle a vu que cela s'appliquait strictement au transport normalisé et que Québec refusait de payer la note pour ce qui est du transport adapté, elle a retiré la carte aux handicapés. C'est aussi simple que ça.

Maintenant, pour ce qui est du reste, en ce qui a trait à l'élimination de l'état civil et de l'orientation sexuelle comme motifs de discrimination dans les régimes d'avantages sociaux, la Ligue des droits et libertés entérine la position de base de la Commission des droits de la personne et se réserve le droit de préciser plus tard sa position de façon plus détaillée à ce sujet. Je vous réfère au mémoire de la coalition, parce que, pour ce qui est d'autres implications concernant l'abrogation de l'article 97, nous n'avons pu nous pencher vraiment sur le sujet. (16 h 45)

La Ligue des droits et libertés a conscience, en vous présentant ce bref mémoire, de ne pas avoir parcouru tout le terrain que nous aurions souhaité pour vous permettre de recommander à l'Assemblée nationale l'ensemble des modifications qui s'imposent à la Charte des droits et libertés de la personne. Cependant, si nous vous recommandons de modifier quelques points précis de la charte, c'est que nous croyons d'avance que les changements qui seront apportés n'auront pas été guidés uniquement par des principes de saine gestion, mais bien également par un idéal de dignité, d'égalité, de liberté et de relèvement social qui se doit d'être à la source de toute action législative. Merci beaucoup.

Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le ministre.

Mme Marois: M. le Président, M. le ministre m'a cédé son droit de parole.

M. Bédard: Nous nous partageons le travail, M. le Président.

Mme Marois: Merci. Je veux m'excuser auprès des membres de la commission de ne pas avoir été là ce matin. J'avais une

rencontre prévue depuis très longtemps avec le comité ministériel et, malheureusement, je n'ai pas pu la faire remettre à plus tard.

Dans votre mémoire, à la page 5, vous mentionnez: "Quant à la limite de l'âge inférieur, la position de la Ligue des droits et libertés est à l'effet qu'elle ne saurait être restreinte que dans quelques rares cas où l'ordre biologique et/ou naturel indique de façon évidente la nécessité d'exercer une discrimination." J'aimerais que vous précisiez un peu cela. D'autre part, pourriez-vous nous expliquer un peu comment vous croiriez que cette limite doit se manifester? Doit-on l'inclure dans la charte ou peut-on penser à l'inclure dans des lois sectorielles? Comment voyez-vous un peu la chose et aussi, à partir de tout cela, qui, finalement, devrait être responsable - le législateur, la commission sur recommandation, je ne sais pas - de la fixation de la limite et des critères qui devraient prévaloir pour faire le tout?

M. Dechêne: Quant à cette limite d'âge inférieur, ce que nous souhaiterions, c'est qu'il n'y ait pas de discrimination à la base en fonction de l'âge. Quand on parle de restriction dans les cas où "l'ordre biologique ou naturel indique de façon évidente la nécessité d'exercer une discrimination", on va prendre un exemple évident, c'est dans le sens que c'est très difficile de laisser un enfant de six ans conduire un autobus. Cela peut être moins évident que cela. Par contre, on pourrait tout simplement argumenter à savoir qu'il n'y a peut-être pas d'âge nécessaire ou absolument nécessaire que l'on doit indiquer pour ce qui est d'accorder quelque droit que ce soit si on met en place des mécanismes d'évaluation des aptitudes biologiques ou naturelles des individus à exercer telle ou telle fonction. À ce moment-là, je pense qu'il revient au législateur - je reviens à mon idée - de ne pas quantifier de façon absolue les limites d'âge imposables dans un cas ou dans un autre, comme dans le cas des programmes OSE-Arts, mais plutôt d'évaluer cela d'une façon un peu plus large et de laisser quand même les individus faire la preuve de leurs aptitudes, établir d'autres critères qui pourront élargir cette limite d'âge qui peut quand même servir de critère de référence habituel, mais non pas de critère de référence absolu pour exclure des individus d'un programme ou d'un autre. À ce moment-là, je pense qu'il revient au législateur de voir à ce que les lois ne soient pas trop restrictives à ce niveau et à ce que les mécanismes d'évaluation des possibilités d'accès des candidats à différents programmes, à différents avantages sociaux soient instaurés d'une façon plus souple que les limites d'âge qu'on a habituellement.

C'est évident que cela fait plus l'affaire de tout le monde et de la bureaucratie en général d'établir des limites fixes. C'est moins compliqué, mais aussi c'est énormément plus frustrant pour les individus de se buter à des limites d'âge, alors que plusieurs individus ont des capacités qui dépassent ces limites d'âge. D'une certaine façon, je pense que beaucoup de gens reconnaissent ce principe en disant que le principe de la retraite obligatoire devrait être aboli. On ne voit pas pourquoi on ne le reconnaîtrait pas pour des individus d'âge inférieur.

Mme Marois: Oui, il y a parfois des évidences. Ce que vous mentionnez est effectivement une évidence. Cela va assez bien. On pourrait toujours le laisser conduire sa petite bicyclette, mais à part cela? Il faudrait se limiter à cela. Il y a peut-être d'autres éléments où l'évidence n'est pas si grande. Évidemment, je pense que vous en êtes conscients, et vous le soulevez. Le problème des lois sectorielles, c'est souvent d'être pris à nous dire: Nonobstant toute disposition de la charte. C'est un peu embêtant parce qu'on souhaite toujours que la charte des droits et libertés soit le plus possible au-dessus de toute possibilité d'exclure certains des articles de la charte dans nos lois sectorielles. Il y a effectivement un certain nombre de questions extrêmement lourdes à solutionner et à se poser autour de ça.

Je vais vous poser une dernière question. Vous n'avez pas été beaucoup plus explicite dans la phrase que vous avez ajoutée à la page 6 quand vous dites: Autres motifs de discrimination. En ce qui a trait à l'élimination de l'état civil et de l'orientation sexuelle comme motifs de discrimination dans les avantages sociaux... Vous entérinez la position de base de la Commission des droits de la personne sous réserve de préciser plus tard de façon plus détaillée à ce sujet la position de la ligue.

M. Dechêne: Ce paragraphe était inscrit dans le mémoire à cause des délais que nous avons encourus, qui étaient assez courts pour la rédaction du mémoire, en ce qui nous concerne dans l'Estrie. On a inscrit ce paragraphe, c'est une réflexion philosophique plus qu'une demande fondée. C'est la raison pour laquelle on se réfère à la position de base adoptée par la coalition et je ne me sens pas en mesure de discuter ce paragraphe particulièrement.

Mme Marois: D'aller plus avant dans ce dossier. Cela va, je vous remercie. C'est tout pour moi, M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Merci. J'étais dans l'Estrie

hier et j'ai vu que vous étiez mal desservis en ce qui concerne la protection des libertés publiques. Premièrement, il n'y a pas de bureau de la Commission des droits de la personne, donc il faut courir soit à Québec, soit à Montréal. Aussi, j'ai visité la prison moyenâgeuse que vous avez à Sherbrooke, où j'ai trouvé que les droits de la personne ne sont pas tellement bien respectés pour toutes sortes de raisons, pas la faute des administrateurs de la prison, faute des patrons qui se trouvent à Québec.

M. Bédard: On en parlera en temps et lieu des prisons.

M. Marx: Le ministre a fait son intervention, il a pris son engagement.

M. Bédard: Vous allez vous réveiller tantôt.

M. Marx: L'engagement en ce qui concerne les conditions dans les prisons, il va parler de ça plus tard.

M. Bédard: Comme vous.

M. Marx: En ce qui concerne le problème d'âge que vous avez soulevé et qui a été soulevé par beaucoup d'intervenants, nous avons eu, par exemple, les assureurs d'automobiles qui ont dit que l'un de leurs critères pour l'assurance automobile c'est l'âge. Donc, ils ont voulu une exception si on met l'âge dans l'article 10 de la charte. On peut penser à d'autres cas, par exemple, les citoyens du troisième âge qui ont des tarifs spéciaux pour l'autobus, pour le train, pour l'avion et ainsi de suite. Est-ce que vous voyez des exceptions si on met l'âge comme motif de discrimination dans l'article 10? Pensez-vous qu'il faut mettre des exceptions quelque part dans la charte?

M. Dechêne: En principe, nous n'avons pas vu d'exception à inscrire dans la charte même si on réalise qu'il y a de la discrimination qui se fait au niveau des assurances, par rapport à certains groupes minoritaires. C'est sûr, qu'ils établissent des classes spéciales d'assurés; il y a une forme de discrimination, le risque n'est pas le même pour chaque classe. Alors, de ce côté, c'est évident que, si au moins ils acceptent d'assurer des handicapés, s'ils acceptent d'assurer des jeunes, c'est déjà une grosse chose. Pour ce qui est de l'évaluation du risque, je pense que ça fait partie des règles du jeu pour l'instant. Je ne crois pas que ça devrait être inscrit dans la charte comme tel, c'est accepté de façon générale par l'ensemble des citoyens.

M. Marx: Parce qu'ils ont des statistiques pour prouver que les jeunes ont plus d'accidents que les plus vieux, moins de 25 ans.

M. Dechêne: II y aurait peut-être lieu de demander, je ne sais pas de quelle façon, aux compagnies d'assurance d'établir des critères plus généraux ou plus spécifiques pour classer les assurés et ne pas les mettre tous dans le même paquet, parce qu'ils ont entre 18 et 29 ans. Ils ont déjà ces critères, mais...

M. Marx: Ils disent même que les femmes qui ont moins de 25 ans ont moins d'accidents que les hommes qui ont moins de 25 ans; donc, les femmes ont un tarif préférentiel, si je peux dire. Qu'est-ce qu'on fait avec les citoyens du troisième âge qui ont des tarifs spéciaux pour les théâtres, par exemple, pour les cinémas. Si on met l'âge dans l'article 10, d'une façon imprévisible, va-t-on rendre illégaux ces tarifs préférentiels pour ces citoyens du troisième âge?

M. Dechêne: C'est une bonne question.

M. Marx: J'ai des questions, je n'ai pas de réponses.

M. Dechêne: J'avoue que je n'en ai pas plus que vous pour celle-là.

M. Marx: Ah bon!

M. Dechêne: Légalement, c'est possible, mais il y a une question de gros bon sens; par contre, il faudrait peut-être éliminer aussi, si on suit votre raisonnement, les stationnements spéciaux pour les handicapés. C'est une discrimination à l'égard des autres qui ne peuvent pas stationner dans ces endroits-là. Cela pourrait aller jusque-là.

M. Marx: Oui, d'accord.

M. Dechêne: II y a une question de bon sens là aussi qui doit jouer. J'avoue que je n'ai pas de réponse spécifique.

M. Marx: D'accord. J'ai posé cette question parce qu'il serait utile, avant que le ministre fasse quoi que ce soit, qu'on voie les effets d'une telle modification de la charte dans la mesure du possible.

Une dernière question. Quelles sont les principales causes de discrimination dans l'Estrie, selon votre expérience? Y a-t-il d'autres causes de discrimination?

M. Dechêne: II y a les droits des handicapés qui reviennent souvent et aussi les droits des détenus. On a souvent des références aux droits des détenus, même s'il n'y a pas de comités spécifiques pour s'en occuper. La principale source d'atteinte à

ces droits, c'est justement, comme vous le souligniez tout à l'heure, la question de la prison qui est tout à fait inadéquate aux besoins des détenus présentement. Il y a l'état de la prison, habituellement.

M. Marx: Ce sont les trois dossiers les plus...

M. Dechêne: II y a les immigrants aussi. C'est une question qui est revenue très fréquemment. Les immigrants sont très présents dans les activités de la ligue, à Sherbrooke.

M. Marx: D'accord. Vous voulez, bien sûr, un bureau de la commission, à Sherbrooke.

M. Dechêne: Oui. Dans ce sens-là, on s'en remet au mémoire général de la Ligue des droits et libertés qui demande que la Commission des droits de la personne puisse établir des bureaux régionaux. C'est évident, le besoin est criant.

M. Marx: D'accord, merci.

Le Président (M. Desbiens): S'il n'y a pas d'autres interventions, je remercie M. Gaston Miville Dechêne de sa participation aux travaux de la commission.

Association Les producteurs d'oeufs québécois

J'invite maintenant l'Association Les producteurs d'oeufs québécois à s'approcher, s'il vous plaît. M. Barret.

M. Barret (Jean-Pierre): Jean-Pierre Barret. Avant de commencer, je tiens à remercier les membres de la commission parlementaire qui nous ont permis de nous faire entendre.

Je vais vous lire mon mémoire que vous avez...

Le Président (M. Desbiens): S'il vous plaît, si vous voulez présenter les membres qui vous accompagnent. (17 heures)

M. Barret: D'abord, je me présente moi-même, je m'appelle Jean-Pierre Barret, secrétaire de l'Association Les producteurs d'oeufs québécois.

M. Montpetit (François): François Montpetit, producteur d'oeufs.

M. Saucier (Yves): Yves Saucier, ex-producteur d'oeufs.

M. Carrier (Paul-Émile): Paul-Émile Carrier, ex-producteur d'oeufs.

M. Bonneau (Jean-Paul): Jean-Paul Bonneau, producteur d'oeufs.

M. Barret: Objet: Charte des droits et libertés de la personne.

Monsieur, je suis un agriculteur engagé dans la production d'oeufs au Québec depuis 1963 et membre de l'Association Les producteurs d'oeufs québécois. Je m'adresse à vous tant en mon nom personnel qu'au nom de l'association dont je suis membre.

Après quelques années d'adhésion au système de contingentement, contributions et commercialisation mis en place par notre syndicat, je m'en suis dissocié avec une centaine d'autres confrères producteurs; sans faire le procès du système de commercialisation des oeufs prôné par FEDCO, il s'est avéré que celui-ci était tout à fait inadéquat et nous voulions un changement.

Les pouvoirs que s'est vu alors conférer le syndicat afin de nous prévenir ou de nous empêcher de faire valoir nos revendications sont exorbitants, d'une injustice flagrante et tout à fait indigne d'une province qui s'est dotée depuis 1975 d'une Charte des droits et libertés de la personne.

A. Le pouvoir de saisie sans autorisation d'un tribunal. Le pouvoir le plus aberrant qu'a le syndicat et que nous tenons à dénoncer par les présentes est celui de confisquer notre production sans aucune espèce d'audition devant un tribunal et sans aucune autorisation d'un tribunal.

Pour bien comprendre le contexte dans lequel nous nous adressons à vous, il est important de mentionner que FEDCO a un double rôle: d'un côté, celui de syndicat qui administre le plan conjoint et, de l'autre côté, celui d'un vendeur d'oeufs.

Vous pouvez facilement imaginer la situation d'un concurrent en affaires dont l'un se voit donner le pouvoir de saisir à son bon vouloir le produit du travail de l'autre.

Il n'est pas étonnant que, dotée de ce pouvoir, FEDCO en ait abusé. FEDCO a, au cours des six dernières années, utilisé à près de 75 reprises les pouvoirs de saisie qu'elle détient contre des confrères producteurs et ce, sans y être autorisée par un tribunal.

Ce pouvoir de saisie sans autorisation judiciaire a été délégué à FEDCO par la Régie des marchés agricoles; FEDCO saisit pour, à toutes fins utiles, obtenir que nous acquittions les contributions qu'elle nous réclame devant la Cour supérieure. Malgré le fait que les tribunaux nous aient donné gain de cause sur la question des contributions, FEDCO a continué de saisir au motif de non-paiement des contributions.

J'ai moi-même été victime d'une telle saisie le 26 janvier 1981, au motif de non-paiement des contributions. FEDCO, assistée des agents de la Sûreté du Québec, s'est emparée de toute ma production d'oeufs,

privant ma famille et moi-même de notre seule source de revenu. Ceci est une injustice flagrante et n'est rien d'autre qu'une façon de m'empêcher de m'adresser aux tribunaux pour faire valoir mes droits.

Ceci constitue une injustice flagrante et une violation de mes droits les plus fondamentaux: droit à la demeure, droit à la propriété privée et à la jouissance du produit de mon travail. Je m'insurge contre le fait qu'un syndicat ait le droit de s'introduire chez moi, de s'emparer de mes biens sans y être autorisé par un tribunal ou de détenir un mandat et ce, dans le seul but de me forcer à payer une dette civile.

B. La présence de la Sûreté du Québec lors de saisies de FEDCO. Je m'insurge également contre le fait que les agents de la Sûreté du Québec participent aux illégalités et injustices commises par FEDCO.

En janvier dernier, lors de la saisie de FEDCO, lorsque j'ai voulu interdire l'entrée de mon poulailler aux employés de FEDCO, j'ai été immédiatement arrêté par un des quatre agents de la Sûreté du Québec qui se trouvaient sur les lieux.

Devant notre opposition aux saisies et l'arrivée de jugements confirmant notre point de vue sur les contributions, FEDCO a demandé à la Sûreté du Québec de lui prêter main-forte lors des saisies, ce qu'elle a obtenu.

Lors d'une saisie pratiquée chez mon confrère ici présent, Paul-Émile Carrier, à Lauzon, 26 agents de la Sûreté du Québec étaient sur les lieux pour que FEDCO puisse saisir les oeufs. M. Carrier se trouvait seul chez lui avec son épouse et ses trois enfants. Lors d'une saisie, le 9 septembre 1980, chez M. Jean-Paul Bonneau, également présent ici, de Saint-François de Montmagny, 12 policiers étaient présents dans le même but d'aider FEDCO à saisir. Les policiers se sont portés à des actes de violence avec le résultat qu'une personne a été blessée, qui est présente ici également.

Chez les producteurs Saucier, les policiers ont également participé à la saisie et se sont même introduits jusque dans leur chambre à coucher à la recherche d'oeufs.

Je trouve d'une injustice flagrante qu'on me traite comme un criminel parce que je refuse de payer des contributions après que la Cour supérieure du Québec ait rendu un jugement en ma faveur. Je trouve aberrant que ce soit l'escouade anti-émeute qui veille à l'application des règlements de FEDCO et participe à des saisies qu'aucun tribunal n'a autorisées.

Je demande donc au ministre de la Justice de prendre en considération les recommandations suivantes dans l'élaboration et l'application de la Charte des droits et libertés de la personne au Québec:

Premièrement, il ne devrait pas être permis à la Régie des marchés agricoles du

Québec de déléguer à FEDCO des pouvoirs de saisie; on pourrait même mettre entre parenthèse "aussi bien à la Régie des marchés";

Deuxièmement, il ne devrait pas y avoir de loi permettant des saisies sans autorisation d'un tribunal pour autre chose que des infractions pénales ou criminelles;

Troisièmement, il ne devrait jamais être permis de saisir sans autorisation judiciaire, surtout pour une dette civile;

Quatrièmement, la Sûreté du Québec ne devrait en aucun cas intervenir pour aider un syndicat à confisquer les biens de ses membres sans qu'un tribunal de droit commun n'ait autorisé cette confiscation.

C'est pourquoi je demande à être entendu lors de vos audiences.

Jean-Pierre Barret, secrétaire de l'association.

Je tiens à vous préciser, contrairement à tous les intervenants qui m'ont précédé, qui demandent des amendements à votre charte, que ce n'est pas notre but principal. Notre principal but, en fait, c'est d'essayer de respecter ce qui a été rédigé dans cette loi.

Il y a des choses fondamentales que le ministre, M. Bédard, a mentionnées le 30 septembre dernier, lorsqu'il donnait les avantages des droits de la charte du Québec comparativement à celle du Canada. Par exemple, "toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation". Je m'adresse, en mon nom personnel et au nom de mes collègues, à cette commission pour dire que je me sens frustré en fait de par le comportement des syndicats et le comportement qu'on a sur nos fermes actuellement.

L'article 5, dit que "toute personne a droit au respect de sa vie privée". Quand on vient, qu'on défonce les portes, qu'on rentre chez vous, on est vraiment affecté dans notre milieu de travail et dans le milieu familial dans lequel nous vivons. Il y a différents articles comme cela... "La demeure est inviolable". Ce qu'on demande, ce ne sont pas des amendements, mais qu'on respecte ce que le gouvernement ose mettre entre les mains des citoyens du Québec.

Je suis à votre disposition, ainsi que mes collègues. Si des fois il y a des questions auxquelles on peut répondre, on s'en fera un plaisir. Merci beaucoup.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Bédard: M. le Président, je remercie les membres de cette association d'être venus présenter ce mémoire à l'ensemble des membres de la commission. Effectivement, je crois que certaines des recommandations dont vous parlez s'orientent plus vers le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de

l'Alimentation que vers le ministère de la Justice. Vous évoquez d'autres situations qui, comme vous le savez, ont déjà fait l'objet d'échanges entre le ministère de la Justice, les dissidents et ceux qui représentaient la majorité aussi, parce qu'il y a assurément lieu que soit examiné ce pouvoir délégué donné à FEDCO, ce qui l'amène à mon sens à exercer certains pouvoirs qui devraient être exercés peut-être d'une façon exclusive par la régie elle-même.

Il y a lieu de mentionner aussi qu'il s'agit d'un plan conjoint qui a quand même été accepté par la majorité, lorsque vous parlez de la situation que vous évoquez présentement. Je comprends que plusieurs dont vous êtes, pouvaient être dissidents et que d'autres ne l'étaient pas. Vous vous référez à des situations spécifiques dans votre mémoire, mais vous reconnaîtrez aussi qu'il y avait une situation globale assez explosive, je pense, il faut se le dire. Vous savez très bien que c'est à la suite d'une intervention de la SQ, en fait, je crois qu'il y a une mise au point qui est nécessaire, parce que l'intervention de la Sûreté du Québec a été, à un moment donné, motivée par certaines situations de force qui ont été quand même déployées par les producteurs pour résister aux inspecteurs de la Régie des marchés agricoles dans l'exercice de leurs fonctions; à ce moment-là, la Sûreté du Québec a dû intervenir.

Comme vous l'avez dit, la Cour suprême a rendu une décision au début de l'année en matière criminelle et décrété que les pouvoirs de saisie ne permettraient pas de pénétrer sur la propriété d'un citoyen sans y être autorisé par celui-ci par une disposition expresse de la loi ou par un mandat de perquisition. Depuis cette décision, les autorités du ministère et celles de la Sûreté du Québec ont décidé qu'il n'y aurait plus d'intervention policière lors de saisies pratiquées en vertu de la Loi sur la mise en marché des produits agricoles, à moins qu'un mandat de perquisition n'ait été obtenu au préalable.

Dans le cas présent, effectivement, je crois que, comme vous le mentionnez, cela doit être étudié à fond, nous sommes face à un pouvoir qui est donné à un organisme et qui peut devenir très rapidement un pouvoir exorbitant alors que ce pouvoir devrait être restreint à la régie. Maintenant, je peux vous le dire, parce que vous ne faites pas de représentations précises en ce qui a trait à la Charte des droits et libertés, vous pouvez être quand même convaincus que l'on va prendre en considération l'essentiel du contenu du message que vous voulez livrer aux membres de cette commission.

M. Marx: On a fait la recommandation précise que la charte soit respectée et vous êtes l'administrateur de la charte, dans un sens.

M. Barret: Pourrais-je ajouter quelque chose, M. Bédard?

M. Bédard: Oui, vous poserez des questions à votre tour.

M. Barret: Je voudrais vous apporter une rectification lorsque vous dites que la SQ n'est pas intervenue depuis que vous avez fait des recommandations, et, je voudrais vous faire part d'un jugement qui a été rendu par l'honorable...

M. Bédard: Je n'ai pas dit qu'elle n'était pas intervenue, j'ai dit qu'elle a eu des instructions, parce que effectivement il y avait eu des échanges, de ne pas intervenir sans qu'un mandat de perquisition ait été obtenu au préalable, conformément au jugement rendu par la Cour suprême.

M. Barret: C'est là que je voudrais amener ma rectification en fait. En 1978, le juge Brassard a donné gain de cause à un de nos confrères, Philippe Wakeland, qui, comme vous le mentionnez, a eu des coups avec la Sûreté du Québec. Ce jugement a été rendu en sa faveur, à savoir que la police n'avait rien à faire ici. Cela c'est la Cour des sessions de la paix de Valleyfield qui a rendu...

M. Bédard: Le jugement de la Cour suprême auquel je me réfère, c'est au début de 1981.

M. Barret: Oui, maintenant, moi, c'est en janvier 1981. Ma situation actuelle, c'est que j'ai devant moi la citation de comparaître et je suis pour le Québec un criminel. Pourquoi? Parce que l'on m'a dit: Wakeland a eu gain de cause et il ne faut pas que tu laisses sortir ton produit. Alors, j'ai voulu...

M. Bédard: Non, vous n'êtes pas un criminel parce que vous avez une demande de comparution, cela arrive à des milliers de citoyens, quand même.

M. Barret: Je m'excuse, j'ai été enfermé dans la voiture de police, et, pour moi, c'est une grave atteinte, M. Bédard, que je voudrais essayer de faire ressortir. On n'est pas venu ici pour faire le procès de quelque organisation ou gouvernement quelconque, mais c'est pour essayer de vous faire voir la vie que nous vivons aujourd'hui. J'ai à côté de moi des producteurs qui vous ont dit "ex-producteurs" et, comme vous faisiez mention que ce plan conjoint a été abrogé à la majorité, évidemment, en 1966, nous étions 2800 producteurs et nous ne sommes plus aujourd'hui que 135 producteurs

au Québec. C'est un cri d'alarme en fait, lorsqu'on essaie de se faire entendre un peu par vous. Je suis un des plus petits producteurs avec un quota de 50D0 poules; je suis rendu à 4200 poules et, le 1er novembre, on va encore me couper mon quota de 3%. Où est-ce que je vais en venir économiquement? (17 h 15)

M. Bédard: Écoutez, je ne voudrais quand même pas commencer la discussion sur les plans conjoints; il y a, vous le savez, un plan conjoint est accepté à partir du moment où la majorité des producteurs qui ont...

M. Barret: C'est la raison pour laquelle je vous dis qu'on ne veut pas faire le procès des plans conjoints et de la commercialisation, mais c'est l'attitude qu'on a. On a des photos, par exemple, si ça vous intéresse; un producteur de 1700 poules a eu la visite de 26 agents de sécurité. On ne peut pas blâmer ces gens. On en connaît, d'ailleurs, dans notre milieu et ils disent: Les pouvoirs viennent du haut. Qui donne ces pouvoirs d'inciter un syndicat à venir prendre le bien d'un producteur? N'est-ce pas là la pierre angulaire d'un pays, de l'économie d'un pays, l'agriculture? Et c'est ça qu'on essaie de défendre.

M. Bédard: Écoutez, je ne suis pas un expert en agriculture, mais je pense que la majorité des producteurs qui a opté en faveur d'un plan conjoint reconnaît comme vous l'importance de l'agriculture comme base économique. II y a eu une majorité, à un moment donné, qui s'est dégagée en termes d'acceptation du plan conjoint. Vous savez qu'à partir du moment où ce plan conjoint n'est pas respecté ceci génère des infractions, d'où l'obligation en fait, de saisie par les inspecteurs de la Régie des marchés agricoles.

M. Marx: Ce n'est pas de cela qu'on discute: c'est de l'administration de la justice.

M. Bédard: Vous poserez vos questions tout à l'heure, si vous me le permettez.

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre.

M. Bédard: Quand même, j'espère que vous voulez avoir les éléments de la situation pour vous permettre de juger. Il s'agit d'un plan conjoint pour lequel la majorité a opté et où il y a certains dissidents. Maintenant, qu'il y ait des actions qui, à un moment donné, sont posées, que ce soit par la Sûreté du Québec ou par des inspecteurs ou quelque chose de même, qui sont contraires aux droits et libertés et au respect de certains droits fondamentaux dudit citoyen, je crois qu'à ce moment vous savez qu'il y a la possibilité pour le citoyen lésé, quand il s'agit de la Sûreté du Québec ou de quelque corps policier que ce soit, de porter plainte. Je pense que vous l'avez fait dans certains cas. Est-ce que vous l'avez fait dans certains cas?

M. Barret: Absolument. Oui, mais il est grave, justement, pour une société qui se veut...

M. Bédard: Depuis le jugement de la Cour suprême, la Sûreté n'interviendra plus à moins que, conformément au jugement de la Cour suprême, elle n'ait obtenu préalablement un mandat de perquisition.

M. Barret: Ce que vous mentionnez date de 1981.

M. Marx: Comme il vaut mieux prévenir que guérir, et qu'est-ce qui va arriver avec...

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre, avez-vous terminé?

M. Bédard: Je pense que vous n'êtes même pas au courant de la situation qui existait, très explosive, dans cette période.

M. Marx: Je suis au courant.

Le Président (M. Desbiens): D'autres questions? À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Bédard: II y a le rôle de la police, qui est une chose et il y a l'administration des plans conjoints qui en est une autre. C'est quand même différent.

M. Barret: M. Bédard, moi, ce que je veux faire ressortir - on pourra faire parler mes confrères si cette commission le permet - c'est l'anxiété qui existe à l'intérieur, en fait, de la personnalité et c'est ce qu'on essaie de défendre aujourd'hui. Cette loi que vous avez écrite, en fait, elle est splendide dans son contexte et dans son essence même, mais elle n'est pas respectée. Je n'ai pas à vous le cacher, je suis d'origine européenne, peut-être plus Canadien que certains de la province de Québec. Ma femme devrait être là. Elle est restée à la ferme parce qu'on a toujours la hantise d'une visite quelconque. On vit avec cette contrainte qu'on a connue, nous, pendant la guerre. Je ne voudrais pas que mes enfants... Il y a bien des producteurs qui ont vendu leurs quotas pour que leurs enfants ne continuent pas cette petite guerre. C'est l'essentiel même de la Charte des droits et libertés de la personne qui est affectée et qu'on veut essayer de présenter devant vous aujourd'hui.

M. Bédard: Vous admettrez avec moi

que les plans conjoints, ce n'est jamais facile, parce que c'est presque toujours contesté. On a la même situation en ce qui regarde le porc et dans d'autres secteurs, mais on n'a pas les mêmes problèmes. En fait, tout dépend.

M. Barret: Oui, mais c'est un signal d'alarme.

M. Bédard: Vous avez raison.

M. Barret: C'est un signal d'alarme, quand on dit qu'il y avait 2800 producteurs -vous me direz peut-être qu'il y en avait des petits quand même là-dedans qui ont disparu - qu'aujourd'hui on soit rendu à 135... Je suis allé la semaine dernière à la Cour d'appel justement pour essayer de... On était rendu avec 15 avocats dans la cour pour 135 producteurs. Cela va aller en Cour suprême, cette affaire. On est obligé de payer. On ne peut plus travailler. Vous voyez, aujourd'hui, c'est une belle journée pour qu'on soit dans les champs en train de battre nos grains et on est pris; on a 50% de notre temps où on est en train d'essayer de se défendre, que ce soit contre les tribunaux ou contre les syndicats. On ne peut plus vivre comme ça. C'est pour cela que je vous dis que c'est un signal d'alarme. Les plans conjoints, au départ l'idée a été bonne, comme tout mouvement socialiste, en fait. On veut une équité pour toute la société, mais on s'aperçoit à longue haleine - j'ai ma fille actuellement dans un hôpital - que c'est une charge sociale et on ne peut plus... Les dépenses administratives comme FEDCO, on va avoir plus de personnel au sein de FEDCO qu'il y a de producteurs au Québec. C'est une chose aberrante.

M. Bédard: Je respecte votre non-acceptation des plans conjoints comme formule. Je pense que c'est votre liberté.

M. Barret: Je ne voudrais pas élaborer, mais c'était surtout... Pourquoi doit-on lancer la Sûreté du Québec dans les fermes pour appuyer un syndicat?

M. Bédard: D'ailleurs, vous m'aviez déjà fait des représentations. C'est dans ce sens que je vous ai dit qu'il n'y aurait plus d'intervention ou d'aide de la Sûreté du Québec sans qu'il y ait des mandats en bonne et due forme, mais qu'il n'y aurait plus...

M. Barret: Parce que vous savez, cela...

M. Bédard: ... cet appui de la Sûreté du Québec auprès des inspecteurs en fonction du respect des plans conjoints dont vous êtes des dissidents.

M. Barret: J'ai vécu et je comprends une femme, par exemple, qui va devant les tribunaux se plaindre qu'elle a eu une agression sexuelle et qu'elle a subi un viol. J'ai eu, moi, avec ce que j'ai connu lors de ma dernière saisie, probablement la même impression, être impuissant, enfermé et méprisé avec les mains dans le dos, enfermé dans une voiture de police en voyant ma porte de poulailler défoncée et des étrangers entrer comme cela et prendre ma possession. C'est une chose aberrante qui ne devrait jamais exister dans un pays libre comme le Québec prétend l'être.

M. Bédard: Vous pouvez être convaincu, concernant le pouvoir de délégation - vous savez que c'est là le problème - qui est donné à FEDCO...

M. Barret: Je vous remercie d'attacher à un point...

M. Bédard: ... que nous allons trouver le moyen de...

M. Barret: Je vous remercie, M. Bédard, de prendre un intérêt sur ce point particulier.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Mégantic-Compton.

M. Bélanger: M. le Président, je voudrais d'abord vous remercier à mon tour en mon nom personnel et au nom de l'Opposition officielle d'être venu faire état de ce qu'on peut appeler... Le Parti québécois est habitué d'appeler cela un coup de force, mais nous, on va appeler cela - cette fois-ci, tout au moins - un abus de pouvoir flagrant. Je suis totalement d'accord avec vous.

Je suis totalement en désaccord avec le ministre, qui dit que cela relève du ministère de l'Agriculture. Ce n'est pas vrai. La Charte des droits et libertés de la personne relève du ministère de la Justice, la Sûreté du Québec aussi. Je le comprends d'être nerveux un peu de voir que, la Sûreté du Québec étant sous ses ordres, elle ait exercé un tel abus de pouvoir. C'est affreux, 26 policiers pour faire la saisie de 5 douzaines d'oeufs. C'est épouvantable.

J'aurais quand même quelques questions à vous poser, M. Barret, si vous me le permettez. Lorsque vous dites avoir été arrêté par la Sûreté du Québec parce qu'ils voulaient entrer dans votre poulailler, vous a-t-on retenu pour pouvoir entrer ou vous a-t-on mis en état d'arrestation? C'est toute une différence, cela.

M. Barret: Dès que j'ai commencé à vouloir empêcher mes caisses d'oeufs de sortir, on m'a pris par les mains et on m'a mis aux arrêts. C'est là qu'on m'a enfermé

dans la voiture de police, comme je l'expliquais à M. Bédard.

M. Bélanger: Vous a-t-on menotté?

M. Barret: On voulait me menotter et devant la force, évidemment, vous avez vu que je ne pèse pas le poids, j'ai dit: Ce n'est pas nécessaire. Du fait que vous me mettez en état d'arrestation, je n'ai pas à résister à l'arrestation.

M. Bélanger: C'est évident que nous avons là la preuve, encore une fois, que même avec une charte des droits bien faite, bien écrite, si on ne respecte pas cette charte des droits - c'est ce qui est arrivé dans votre cas, on a violé quatre ou cinq articles de la charte existante... Je vous comprends aussi lorsque vous dites que vous ne venez pas ici pour tenter d'ajouter d'autres éléments à la charte, mais plutôt tenter de faire respecter ceux qui y sont déjà. Je crois que c'est primordial. C'est ce dont il faut se soucier d'abord et avant tout. Je crois que le ministère de la Justice est vraiment à blâmer d'avoir donné des ordres à la Sûreté du Québec. C'est quasiment la police au service de l'État, tout simplement pour saisir des oeufs pour payer une contribution. À part cela, cette contribution, elle va à qui, M. Barret?

M. Barret: Maintenant, j'aimerais vous donner une précision. Moi, personnellement, par exemple, si parfois cela intéresse les gens, la raison pour laquelle j'ai été saisi, c'est justement pour non-paiement des contributions. Au sujet de ce non-paiement, comme je le mentionnais, j'ai eu un jugement qui a été rendu le 11 mars 1980 -ma saisie a été faite le 26 janvier 1981, presque un an après - par l'honorable juge Péloquin et qui dit que, du fait que je fais un commerce intraprovincial, je n'ai pas à payer les redevances que la fédération me demande pour envoyer au fédéral. Alors, il y a quelque chose qui me surprend de la part d'un gouvernement qui justement prône une certaine souveraineté ou séparation. On utilise la force constabulaire du Québec pour prendre des deniers québécois et les emmener au fédéral, il y a quelque chose qui me dépasse dans ce contexte. Étant donné que je suis certain que vous n'êtes pas sans vous douter que la production des oeufs du Québec est déficitaire, alors on n'est pas une province exportatrice, au contraire, on importe des oeufs des autres provinces.

M. Bélanger: Cela fait sûrement partie de la nouvelle entente fédérale-provinciale parce qu'ils...

M. Marx: II commence à travailler pour

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Mégantic-Compton.

M. Bélanger: Soyez assuré qu'on comprend très bien votre indignation face à une telle situation. Comme je disais tout à l'heure, ça sert à quoi d'avoir une charte si on ne la fait pas respecter? C'est évident que le ministère de la Justice est à blâmer.

M. Bédard: M. le député, juste une question en passant. Est-ce qu'il y a quelque chose d'illégal? Êtes-vous en mesure d'affirmer que quelque chose a été fait?

M. Bélanger: Je peux affirmer...

M. Bédard: Qu'il y ait des lois mal faites, qu'il y ait des plans conjoints qui ne soient pas acceptés par tout le monde à l'unanimité, ce n'est quand même pas la faute du ministère de la Justice. Qu'on soit obligé de faire appliquer certaines lois...

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Bédard: Ne déraisonnez pas non plus.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Mégantic-Compton.

M. Bélanger: M. le Président...

M. Bédard: Pensez-vous que ça me fait plaisir de faire appliquer certaines lois pour envoyer de l'argent au fédéral comme dit monsieur? C'est parce qu'il y a une loi.

M. Bélanger: M. le Président, on n'est pas ici...

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Mégantic-Compton.

M. Barret: M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): M. Barret veut répondre au député de Mégantic-Compton.

M. Barret: J'aimerais vous répondre dans ce sens, c'est qu'en fait, effectivement il y a viol des règlements. Parce que même si, chose contre laquelle je suis, la régie des marchés a un pouvoir de saisie, elle n'a pas ce pouvoir, il faut absolument qu'on soit entendu par un juge et on n'a jamais été entendu par un juge. Quand on est entendu par un juge, l'article précise que la première offense est de 100 $. On n'a jamais été entendu devant une cour pour les questions de saisie. Alors, ça c'est vraiment une atteinte à la législation.

M. Marx: Juste...

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre! M. le député de D'Arcy McGee, vous avez une question?

M. Marx: ... pour répondre au ministre. Il y a des façons d'appliquer des lois, on a vu comment on applique des lois à Restigouche durant l'été. Ce n'était pas la faute d'autres, c'était la faute du ministre. Il y a des façons d'appliquer la loi. Quand la Sûreté du Québec défonce des portes inutilement, c'est vous qui êtes responsable de ça. Si on fait des dommages...

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre!

M. Marx: Non, mais je veux lui donner l'exemple de l'illégalité, il a posé la question.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee, on est ici pour entendre les mémoires sur la loi...

M. Marx: Mais il a demandé quel est l'acte...

M. Bédard: Si des gestes illégaux sont posés par des membres de la Sûreté du Québec ou de quelque corps policier que ce soit, ou encore que des forces exagérées sont utilisées dans des situations, je suis le premier à inciter les citoyens à faire appel à un organisme qui est là justement pour corriger...

M. Marx: M. le ministre... M. Bédard: ... les excès.

M. Marx: ... la force exagérée utilisée souvent comme des portes défoncées. Et la personne va demander aux policiers: Qu'est-ce que je vais faire? Les policiers vont répondre: Envoie la facture au ministère, il va vous payer. S'il y avait la force exagérée utilisée, pourquoi ne pas payer des dommages, au moins ça? On a vu dans le mémoire que la force exagérée a été employée. Même six policiers pour quelques poulets, c'est un peu exagéré. Même des poulets dangereux.

M. Bédard: Je ne porterai pas de jugement de valeur, il y a des recours qui sont toujours possibles. Maintenant, votre manière d'évaluer est très exagérée sinon simpliste. Je pense que vous n'êtes pas au courant de l'ambiance et de l'atmosphère qui existaient à ce moment.

M. Marx: Comment est-ce qu'un individu peut se battre contre votre ministère?

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre! À l'ordre! On n'est pas en commission d'étude des crédits, on est en commission d'audition de mémoires. S'il vous plaît!

M. Bédard: Je perçois, M. le Président, que ceux qui nous visitent sont beaucoup plus pondérés et réalistes que ne l'est le député de D'Arcy McGee. Parce qu'à un moment donné, concernant certains pouvoirs délégués qui étaient donnés... (17 h 30)

M. Marx: II se permet de dire n'importe quoi aujourd'hui.

M. Bédard: ...à FEDCO, il y a eu des échanges faits et, à ce moment-là, le ministère de la Justice a agi en conséquence.

Le Président (M. Desbiens): Le député de Mégantic-Compton avait la parole.

M. Bélanger: Merci, M. le Président. Je voudrais dire au ministre qu'on n'est pas ici pour juger les plans conjoints, je ne suis pas ici non plus pour condamner les plans conjoints. On est ici pour étudier la Charte des droits et libertés de la personne et je m'aperçois que, dans l'application de ce plan conjoint, on a fait un abus de pouvoir. C'est tout simplement ça. Je dis que c'est le ministre responsable de la Sûreté du Québec qui a exagéré les forces, la force était exagérée, 26 voitures de police... Il faut aussi se rappeler une autre chose, ce n'est pas sur la rue Sainte-Catherine à Montréal que c'est arrivé, c'est à la campagne, dans des petites localités où les gens sont éberlués de voir passer ça, ces poulets-là, comme on les appelle en France. C'est tout ce contexte qu'il faut voir.

Je comprends très bien qu'il y a eu des dissidents, qu'il y a eu des poursuites judiciaires, qu'il y a eu tout ça, mais le principe et la façon dont cela a été appliqué, il y a quelqu'un qui en est responsable à la Sûreté du Québec. Si j'avais été capitaine ou chef d'une sûreté, je n'aurais pas envoyé 26 voitures pour saisir des oeufs dans une petite localité.

Une voix: Deux par voiture.

M. Bélanger: Deux par voiture. On a des témoins, on pourra peut-être nous dire combien il y avait de voitures, effectivement.

M. Barret: On a des photos qui peuvent être distribuées à la commission.

J'aurais encore un dernier point, M. le Président, si vous permettez.

Le Président (M. Desbiens): Oui, allez-y.

M. Barret: C'est...

M. Bédard: ... tout à l'heure, je pense que monsieur en a pris note, c'est qu'à partir du moment où il y a eu un jugement qui a été rendu, étant donné surtout certains pouvoirs délégués qui sont donnés à FEDCO, qui me semblent exorbitants, j'ai demandé -vous avez été à même de le constater - à la Sûreté du Québec de ne plus intervenir pour aider, autrement dit pour appuyer les inspecteurs de la régie qui font leur travail, de ne plus les appuyer dans leur travail.

M. Barret: Vous me permettrez...

M. Bédard: Sauf lorsqu'il y a un mandat de perquisition en bonne et due forme.

M. Barret: Vous me permettrez, M. le ministre, d'être un peu sceptique sur vos décisions, parce que, quand on se reporte, lorsque différents de mes collègues ont gagné des points à différentes cours de première instance, établissant qu'on n'avait pas ces réclamations à payer, on s'est aperçu que le gouvernement québécois a adopté une loi rétroactive, cette fameuse loi 116, dont vous avez encore des souvenirs à la mémoire et annulant les jugements antérieurs.

Alors, en tant que citoyen, on se dit: À quoi ça sert de payer des avocats, de se faire défendre, de gagner des procès si un législateur est capable d'annuler ces causes? Vous voyez à quoi je fais référence, en fait, l'article 6 de la loi 116...

M. Bédard: Je sais, la loi 116; d'ailleurs...

M. Barret: Si, d'une façon...

M. Bédard: ... l'Opposition libérale avait voté pour cette loi, je le rappellerais en passant.

M. Barret: Je suis au courant. Remarquez, n'oubliez pas que le principal des dissidents était M. Biron qui est maintenant de votre côté. Alors, il est préférable de passer rapidement sur la couleur des partis de l'époque, mais vis-à-vis des producteurs, on est quand même dans un contexte. On se défend. On a un budget annuel maintenant pour avoir une représentativité d'avocats. Est-ce nécessaire et est-ce une chose normale, dans un milieu agricole, qu'on doive traîner une multitude d'avocats pour se défendre? On a été appelé à faire ça quand on a vu qu'en se présentant à la Régie des marchés, par exemple, on s'adressait non pas à un président, mais à des avocats.

M. Bédard: Écoutez, ce n'est quand même pas notre faute si la majorité des producteurs ont voté en fonction du plan conjoint, vous conviendrez au moins de ça avec nous.

M. Barret: Ma question n'est pas là. Comment se fait-il que, devant les tribunaux, on ait gain de cause et qu'une loi puisse, par rétroactivité, annuler ces jugements? C'est grave pour une société, quand même, qui essaie de se défendre et de sauver cette Charte des droits et libertés de la personne. C'est la raison pour laquelle on la met un peu en doute. J'espère, remarquez que vous me semblez sincère quand vous me dites que vous êtes prêt à faire le maximum dans ce sens, et je suis conscient que vous allez le faire, comme vous pouvez le faire.

Au nom de mes collègues et en mon nom, je vous remercie.

Le Président (M. Desbiens): Excusez, M. le député de Mégantic-Compton avait une autre question à vous poser.

M. Bélanger: J'aurais une dernière question à vous poser, à vous et à vos collègues. Est-ce qu'il y a eu des dommages causés par ce défonçage de portes, ces bris, etc.?

M. Barret: Je vais répondre d'abord en mon nom personnel: une double porte défoncée; vous me direz que ce n'est pas une grosse affaire, mais enfin aujourd'hui, c'est à peu près une centaine de dollars; une confiscation d'oeufs, c'étaient 144 boîtes qui m'ont été confisquées et qui ne m'ont pas encore été rendues, c'est de l'ordre de 2500 $. Il va falloir qu'on attende les tribunaux. Vous savez comme moi... Cela va passer dans combien de temps? Je suis un des petits producteurs. Il y a des producteurs... On a avec tout cela des frais de saisie qui sont demandés par FEDCO. Il y a, par exemple, M. Saucier qui a été... Je préfère le faire parler parce que j'ai peur de me tromper sur les chiffres.

M. Bélanger: D'accord. Avant de terminer, savez-vous ce qu'il est advenu de ces oeufs? Qu'est-ce qu'ils ont fait avec cela?

M. Barret: Ces oeufs ont été jetés, parce qu'ils ne pouvaient plus être gardés.

M. Bélanger: Est-ce que vous avez eu des dommages?

M. Saucier: J'ai eu beaucoup de dommages. J'ai eu six saisies. Une des saisies a été remarquable. C'était en 1976, il y avait eu pour 3300 $ d'oeufs saisis. La régie avait ordonné à FEDCO de me remettre la valeur de ces oeufs, parce qu'elle avait été trouvée en faute. On

m'avait envoyé des frais de saisie de 3600 $.

Il manquait encore 300 $ sur les frais de saisie. Ils ne pouvaient pas me remettre la valeur des oeufs, ils me réclament encore de l'argent pour les frais de saisie.

M. Bélanger: Si on se rapporte aux dommages causés par la Sûreté du Québec lors de ces saisies, parce que le ministre a ouvert la porte, disant que s'il y avait eu des dommages, on était prêt à payer, etc...

M. Bédard: Non...

M. Bélanger: Vous avez quand même semblé avoir une certaine ouverture d'esprit.

M. Bédard: Dites ce que vous avez à dire, et chacun va prendre ses responsabilités.

M. Bélanger: II y a eu des dommages causés par la Sûreté du Québec dans son déchaînement à vouloir maintenir la loi.

M. Saucier: Des dommages! L'escouade anti-émeute avait tout arrêté par chez nous, sur les chemins, pour que personne ne vienne m'aider à me défendre. J'étais tout seul. Toute l'escouade de Montréal était descendue. Il y avait des voitures, cela ne se comptait pas. Ils ont même dit à mes enfants, les "bouncers" qu'engageait FEDCO: Si vous ne nous dites pas où sont les oeufs, on défonce la maison. Ils ont défoncé la maison, ils sont venus partout dans la maison, dans la chambre à coucher pour voir s'il y aurait des oeufs de cachés. Si ce n'est pas de l'abus de pouvoir, je ne sais pas ce que c'est.

M. Bélanger: Des dommages comme tels, être obligé de réparer une porte ou une fenêtre, est-ce que vous avez fait une évaluation de cela?

M. Saucier: Plusieurs fois. Les portes ont été changées. C'est en cours actuellement. Il y a des comptes à envoyer à FEDCO, mais cela va prendre... J'avais des poussins, mais ils ont défoncé les portes et laissé les portes ouvertes pendant que j'étais occupé avec les gars de la sûreté à essayer de me défendre un peu, à essayer d'appeler mon avocat. Pendant ce temps, FEDCO en profitait. Ils défonçaient partout et ils laissaient les portes ouvertes, saisissaient tout ce qu'ils pouvaient trouver. Pendant ce temps, on s'amusait avec la fameuse sûreté. Ils disaient que les ordres venaient d'en haut, que ce n'étaient pas eux, qu'ils ne voulaient pas.

M. Bélanger: Cela monte jusqu'au ministre.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee, en terminant.

M. Marx: En terminant, tout ce que je retiens de tout cela, c'est qu'il y avait des saisies sans mandat qui étaient vraiment un abus de pouvoir. Cela a été arrêté par la Cour suprême du Canada à Ottawa, parce que le ministre n'avait pas assez de bon sens pour arrêter cela avant. C'est ce qu'on retient de tout cela. C'est un abus de pouvoir facile à voir, cela a été arrêté par la Cour suprême. Pourquoi le ministre de la Justice du Québec n'a-t-il pas arrêté ces pratiques quelques années avant? Voilà la question qu'il aimerait peut-être...

M. Bédard: Vous pourriez la poser à l'autre ministre de la Justice qui m'a précédé, parce que les mêmes problèmes se sont posés. On sait que c'était une ambiance extrêmement difficile.

M. Marx: Vous étiez...

Le Président (M. Desbiens): Comme il n'y a pas d'autres interventions sur l'audition du mémoire...

M. Marx: C'est cela. C'est l'autre ministre qui est en faute.

Le Président (M. Desbiens): ... je remercie les participants de leur travail.

M. Bédard: On a pris les mesures qu'il fallait.

M. Bonneau (Jean-Paul): Moi, M. le ministre, on m'a passé les menottes et on m'a cassé un poignet. J'ai été deux mois sans me servir de mon bras. En plus de cela, pour monter dans la voiture de la Sûreté du Québec - je calcule qu'il y a une part de mes taxes dans cette voiture - on m'a fait déshabiller, torse nu, sous prétexte que j'étais sale. Je les ai avertis que je souffrais d'arthrite, que si j'étais sale, j'avais des vêtements chez nous, que je pouvais aller en chercher. On n'a pas voulu. Je suis monté torse nu à bord de la voiture. Une chance que les deux policiers étaient assez gentils. J'ai réclamé qu'au moins on monte la vitre. Si cela n'avait pas été du deuxième qui a dit au premier: Lève ta vitre, ils m'amenaient au poste de Montmagny les deux vitres baissées. Je souffre d'arthrite.

Tout à l'heure, vous faisiez allusion, M. Bédard, aux plans conjoints. Je suis d'accord à 100% sur les plans conjoints votés par les producteurs. Quand on dit à un gars: Tu as deux porcs, tu as droit de vote et que celui qui en garde 1000 a le même droit que celui qui en a deux, lequel est dissident? Celui qui paie ou celui qui ne paie pas? Ce sont les producteurs qui sont réellement contre le

plan conjoint. Ceux qui sont pour, ce sont ceux qui ont deux porcs. Ceux qui ont voté pour le plan conjoint dans les poules, faites-les voter.... C'est ceux qui n'avaient pas de production qui ont dit aux gars... Je connais à Saint-François de Montmagny trois délégués dans la zone. Aujourd'hui, ces trois délégués ont tous vendu leur production, ils n'en ont plus de poules. Mais les lois adoptées quand ils étaient délégués, ils ne les ont pas ramenées avec eux, lorsqu'ils ont vendu leur production.

Le Président (M. Desbiens): Je vous remercie au nom des membres de la commission de votre participation. Je demanderais maintenant à MM. Adamkiewicz, de Grandpré, Lorrain et Demers de se présenter à l'avant, s'il vous plaît.

Groupe de Doyens d'âge de l'UM

M. Demers (Pierre): M. le Président, M. le ministre...

Le Président (M. Desbiens): Vous êtes M. Adamkiewicz? J'espère que je prononce votre nom comme il faut, correctement.

M. Demers: Oui. Les noms sont comme suit: Je vais vous les débiter dans un instant, si vous voulez bien, M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): Oui.

M. Demers: Le présent mémoire est mon oeuvre, dans ce sens que je prends entièrement charge de son contenu. C'est moi qui l'ai rédigé. Il reflète et représente les opinions que j'ai recueillies auprès d'un certain nombre de collègues dont voici la liste. Le premier, c'est Vincent-Witold Adamkiewicz, de la Faculté de médecine. Les autres sont Bernard Brody, en relations industrielles, Marcel de Grandpré, Faculté des sciences de l'éducation; moi-même en physique, à la retraite; Lise Denis, étudiante en psychologie; Claude Lagadec, en philosophie; Paul Lorrain, en physique; Jean McNeil, en urbanisme; André Morel, en droit; Charles Murin, en philosophie - c'est un retraité lui aussi, comme moi - Ariette Nicodème-Joffe, professeur et directrice des bibliothèques, Léo Roback, relations industrielles; Waldo Ross, études hispaniques, et Réginald Savoie, Faculté de droit.

Voici donc l'origine du présent mémoire. Nous sommes tous des professeurs à l'Université de Montréal, sauf Mme Denis, qui est étudiante.

Les Doyens d'âge, c'est le nom que nous nous sommes donné et que nous avons donné à ce groupe - nous ne produisons pas des oeufs, nous essayons de réaliser une production scientifique et intellectuelle - les Doyens d'âge, dis-je, se sont manifestés au printemps de 1980. Nous avons écouté le sénateur Deschâtelets, par exemple, nous parler d'une retraite sans douleur. Voici quelques dépliants qui ont paru à ce moment-là sur papier blanc, sur papier jaune.

Mon premier point, M. le Président, concerne les droits. Je m'appuie sur les textes qui vous sont parvenus, je l'espère et j'en ai la confiance, y compris le dernier, qui s'appelle Notes, mais je ne le lis pas tel quel; j'ai essayé de l'améliorer, depuis qu'il est écrit, en m'appuyant en particulier sur le peu d'expérience que j'ai de la vie parlementaire, l'expérience que j'ai eue hier en présentant la même substance devant la commission des affaires sociales.

Donc, voici le premier point: il s'agit des droits de la personne, de droits individuels, mais de droits individuels qui sont alliés, de la manière que je les considère et que je vous les expose, au profit de la collectivité.

Il faut savoir gré au gouvernement de se préoccuper de ces droits. Il faut savoir gré aux syndicats, par exemple à la CSN qui a bataillé pour obtenir la retraite, pour obtenir des pensions aux travailleurs âgés. Mais il ne faudrait pas que les aspects financiers empêchent les travailleurs du troisième âge qui le désirent de continuer leur travail et leur oeuvre dans la mesure de leurs facultés. (17 h 45)

Donc, je vous parle de ceux du troisième âge. Bien sûr, je voudrais mettre une note humanisante et de sympathie pour les vieilles personnes démunies et spécialement pour les vieilles femmes dont je sais que le sort est particulièrement difficile au point de vue financier. À ce propos, ne devrait-on pas abandonner l'expression "âge d'or" parce ce n'est pas sur l'or que ces personnes roulent, n'est-ce pas? Troisième âge, sans doute, mais "âge d'or", c'est presque une risée dans beaucoup de cas.

Je voudrais vous parler du droit au travail et à un travail productif des personnes du troisième âge et spécialement des scientifiques. Donc, je vais vous parler, si vous le voulez bien, de la recherche scientifique et des professeurs d'université. Je vais essayer de vous en parler dans l'optique de la justice et de la charte des droits de la personne.

D'abord, cette question de mise à la retraite, je voudrais vous proposer cette idée que c'est une cessation d'emploi, ce qui est très évident, et que cela est jusqu'à maintenant l'équivalent d'un congédiement pour discipline. Ce n'est pas pour incapacité que l'on met automatiquement les gens à la retraite à 65 ans jusqu'à maintenant; c'est par discipline; il faut que tu t'en ailles. Tu as 65 ans, bon, va-t'en et un autre prendra ta place ou bien la place restera vide. C'est donc une espèce de sanction disciplinaire,

c'est un congédiement disciplinaire, et cela a peut-être un intérêt en relation avec l'article 38b du Code du travail où l'on parle des recours des employés contre le syndicat et contre l'employeur à l'occasion d'un congédiement injuste.

Je parle surtout de la mise à la retraite des professeurs d'université. Notre mémoire s'inquiète de ce droit de travailler, de poursuivre un travail productif dans la recherche scientifique et dans l'université. On refuse ce droit aux retraités dans la pratique. Sauf changement, on le refusera à ceux qui vont prendre la retraite, qui sont déjà sur les listes, du moins, pour juin 1982.

Quant à ceux qui approchent de la retraite, on les met sur la tablette. C'est entendu que tu vas prendre ta retraite dans deux ans, dans cinq ans, peut-être même dans dix ans et par conséquent ce n'est pas la peine, calme-toi, réduis tes activités. Ne produis pas autant. Réduis ton activité créatrice en science. C'est très grave au point de vue des droits de la personne et des droits des personnes âgées qui n'ont pas encore 65 ans, n'est-ce pas?

Je voudrais parler ici des handicapés. On parle beaucoup des handicapés. J'ai, par exemple, Ici Radio FM. On a toute une semaine qui est annoncée, pleine participation et égalité. C'est fort bien. Je ne m'en plains pas. Au contraire. Je prends cela comme un modèle. Le gouvernement du Québec a fait beaucoup pour promouvoir la cause des handicapés de manière qu'ils puissent avoir une vie presque normale, aussi normale qu'il est possible. On fait beaucoup de dépenses à ce sujet. J'aimerais le faire remarquer à cette commission. Par exemple, tous les trottoirs qu'on a abaissés à Montréal de manière que les chaises roulantes puissent traverser plus facilement les grandes rues, cela représente une dépense considérable qu'on fait pour les handicapés. Évidemment, c'est un signe d'humanité, de civilisation, et c'est à l'honneur de la population, mais c'est une dépense. Est-ce que c'est rentable au point de vue des affaires? Voilà quelque chose que les manufacturiers, par exemple, pourraient envisager ou les administrateurs municipaux. Du point de vue financier, économique, est-il rentable de faire travailler certains handicapés? Cela coûte plus cher de les faire travailler qu'ils ne produisent par leur travail, n'est-ce pas?

Il y a là deux aspects. Un aspect économique, que je viens de signaler, et un aspect de propagande. La propagande réussit quand c'est une chose acceptable. Est-ce un harcèlement? On se dit parfois: C'est un harcèlement. Ces gens n'arrêtent pas de parler de leur affaire, de leur cause. Éventuellement, on se dit: Bien non. Ce n'est pas un harcèlement. C'est de l'éducation. Il peut y avoir une propagande éducative qui est très valable dans certains cas, dans le cas des handicapés, et le troisième âge est une espèce de handicap lui aussi. Est-ce que l'on ne devrait pas - ce n'est pas une recommandation spécifique sur la charte, mais cela va dans le sens de la charte des droits des personnes âgées - entreprendre une propagande en faveur des personnes âgées, montrer de vieilles personnes qui fument leur pipe, par exemple? Mais pas seulement des gens du troisième âge qui sont occupés, si on peut dire, aux loisirs, mais des gens qui travaillent, des gens à l'oeuvre, qui sont créateurs dans les métiers. Il y a certains métiers qui se perdent. Il n'y a que les vieilles personnes qui sont capables de les pratiquer. Dans des besognes, dans des professions plus évoluées, plus compliquées, plus subtiles peut-être, de vieux artistes ou peut-être de vieux scientifiques.

À propos des vieux scientifiques, c'est bien l'occasion d'en parler aujourd'hui puisque, hier, on annonçait que René Pomerleau gagnait le prix du Québec. Je ne me rappelle plus son nom. Autrefois, quand ces prix ont été fondés, cela s'appelait prix David, je pense. Maintenant, le prix David, c'est seulement une petite section des prix du Québec. Je crois que c'est le prix Marie-Victorin. René Pomerleau est un biologiste de grande valeur, mais il n'est pas du premier âge ni du deuxième. Il est forcément du troisième âge. Il y a donc de vieux scientifiques qui sont productifs et qui méritent des récompenses que le Québec, de la manière la plus officielle, leur accorde.

J'aimerais donc vous parler maintenant des potentialités du troisième âge en matière de recherche scientifique. Ce sont là des extraits d'un mémoire que j'ai adressé au ministre d'État au Développement culturel et scientifique, il y a un peu plus d'une année. Le troisième âge représente des ressources humaines considérables lorsqu'il s'agit de ne gaspiller aucun potentiel scientifique. Je vous réfère au livre blanc sur une politique québécoise de la recherche scientifique. Selon une enquête publiée en 1980 dans Physics today, qui est l'organe de l'American Physical Society, les scientifiques âgés, pourvu qu'ils soient placés dans des conditions psychosocioculturelles favorables, ont un excellent rendement. Ils sont aussi productifs et créateurs que les plus jeunes et peut-être davantage. Naturellement, ce ne sont pas tous... Attention! L'affirmation de Physics today se réfère à ceux qui sont actifs. Évidemment, il y en a qui cessent d'être actifs, qui ne veulent pas continuer, mais pour ceux qui sont actifs, pourvu qu'ils trouvent des circonstances favorisant leur travail, ils ne l'empêcheront pas. L'affirmation vaut.

La proportion des scientifiques du troisième âge qui désirent continuer leur activité paraît être de 10%. À 65 ans, âge nominal normal de la retraite, il y a environ

10% des scientifiques qui désirent continuer leur oeuvre, cela, dans les circonstances actuelles et malgré les obstacles qui leur sont apportés. Si les circonstances devenaient favorables, on peut penser que de 10%, le taux monterait à 20%, disons, une grosse douzaine sur cent scientifiques qui prennent leur retraite selon la norme actuelle de 65 ans à chaque année au Québec. Il y a donc, à travers le Québec, environ quinze, ce n'est pas beaucoup, scientifiques qui désirent continuer leur oeuvre en abordant le troisième âge. Si vous ajoutez à cela ceux qui sont mis sur la tablette parce qu'ils approchent de 65 ans, cela représente - je ne fais pas le calcul, vous pouvez le faire -un potentiel humain considérable non pas tellement par le nombre de personnes, c'est quelques centaines, mais par l'expérience qu'elles possèdent, une expérience - c'est peut-être à propos de le rappeler - qui remonte au début de l'éveil du Québec vers les sciences, vers l'étude, entre 1930 et 1940.

Ces chercheurs ont une qualité particulière, le bagage de leur expérience est plus considérable, le jugement repose sur une base plus large et souvent plus ferme, comme le disait Jacques Henripin dans le SGPUM en 1980. S'il est vrai que les chercheurs du troisième âge n'ont pas devant eux la stimulation d'un avenir aussi prolongé que les chercheurs du deuxième âge, ils ont en revanche d'autres qualités.

On note la volonté de ne gaspiller aucun potentiel valable en matière de ressources humaines, en recherche scientifique. À cette fin, on note des mesures concernant le personnel des collèges, les chercheurs individuels, les diplômés qui se sont éloignés de la recherche, la création de postes à temps partiel; on pourrait imaginer des mesures plus ou moins analogues afin de ne pas gaspiller le potentiel du troisième âge. On se préoccupe de la formation du personnel, des bourses d'études. Dans le cas du troisième âge, il ne s'agit pas de rapatrier les chercheurs, il s'agit de les conserver. Il ne s'agit pas d'en susciter, ils sont là. Il s'agit de ne pas les laisser inutilisés, de ne pas gaspiller cette ressource humaine.

Voici un extrait d'une lettre adressée par Patrice Tardif, président de la Fédération de l'âge d'or du Québec, en 1980: "À notre avis, le Québec n'a pas le droit ni les moyens de se priver des services aussi précieux de ses aînés, d'autant plus que l'espérance de vie est maintenant prolongée bien au-delà de 70 ans."

J'aimerais vous parler maintenant du thème "place aux jeunes" et de psychologie. Paul Lacoste, recteur de l'Université de Montréal, a dit: "II est sûr que la maturité et la sagesse sont des éléments fort importants dans certaines disciplines, mais ils jouent beaucoup moins pour les professeurs qui oeuvrent en physique, en mathématiques, par exemple. En moyenne, cet âge représente celui où il vaut mieux se retirer et laisser la place aux plus jeunes." Cela était le 14 septembre 1981. C'est là un préjugé assez répandu et je vais y répondre d'une façon scientifique dans quelques instants.

Le mémoire de la direction de l'Université de Montréal, présenté par le recteur Paul Lacoste à la commission des affaires sociales, dans cette chambre no 81, il y a deux semaines, représentait cette attitude et réclamait un moratoire sur l'abolition de l'âge obligatoire de la retraite. (18 heures)

Le mémoire émis au nom de l'Université du Québec et au nom du principal et vice-chancelier David L. Johnston, de l'Université McGill, et présenté à la commission des affaires sociales, encore une fois, répète à peu de chose près les arguments de la direction de l'Université de Montréal à ce sujet.

Soit dit en passant, la direction de l'Université de Montréal, parlant en son nom seulement, comme il est écrit en page 1 de son mémoire, cela signifie que ce mémoire est l'oeuvre du recteur et de son entourage immédiat et que le principal et vice-chancelier David L. Johnston ne prétend pas, dans son mémoire, parler au nom de l'Université McGill.

Il faudrait corriger en conséquence, ou lire correctement, modifier la feuille de l'ordre du jour du 6 octobre pour l'Université de Montréal et du 20 octobre pour l'Université McGill.

Le Président (M. Desbiens): M. Demers, je m'excuse de vous interrompre, mais on est rendu à 18 heures, je ne sais pas si vous désirez ou abréger peut-être un peu, puisque vous avez eu, comme vous l'avez dit vous-même, l'occasion de soumettre vos représentations à la commission des affaires sociales, ou revenir à 21 heures et peut-être continuer la présentation de votre mémoire et poser des questions.

M. Demers: Je suis à votre service, M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): Alors, on va suspendre nos travaux jusqu'à neuf heures? Est-ce que vous en avez encore pour longtemps?

M. Bédard: Est-ce que vous en avez encore pour longtemps?

M. Demers: 10 minutes.

M. Bédard: Sinon, cela va vous obliger à revenir à 9 heures ce soir.

M. Demers: Vous allez suspendre jusqu'à 9 heures?

M. Bédard: Nous allons suspendre jusqu'à 9 heures. Alors, c'est comme vous voudrez: ou vous revenez à 9 heures ou...

M. Demers: Nous suspendons à l'instant, M. le Président?

M. Bédard: Cela dépend de votre désir. Qu'est-ce que vous préférez?

M. Demers: Je préfère revenir à 9 heures.

Le Président (M. Desbiens): Alors, la commission élue permanente de la justice ajourne ses travaux à 21 heures.

(Suspension de la séance à 18 h 02)

(Reprise de la séance à 21 h 09)

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Demers, vous aviez commencé à exposer votre point de vue en regard des modifications à la Charte des droits et libertés de la personne. Je vous rappelle, pour votre bénéfice et celui des autres groupes, qu'habituellement on se limite à une heure, dont une vingtaine de minutes, en gros - bien qu'il y ait une certaine élasticité - pour la présentation du mémoire, suivie d'une période de questions. Selon ce que j'ai calculé, vous avez seize minutes d'écoulées sur votre temps. Je vous rends la parole pour continuer votre exposé maintenant, si vous le désirez.

M. Demers: Merci, M. le Président. Je vais y aller aussi rapidement que j'en suis capable. J'avais commencé à parler de place aux jeunes et de psychologie. Voici la réponse que Thérèse Gouin-Décarie, professeur de psychologie, a donnée aux propos du recteur Paul Lacoste: "S'il est vrai qu'on observe une diminution de productivité avant 65 ans, celle-ci est imputable à l'imminence de la retraite et les facteurs socioculturels de découragement sont plus importants que la diminution des facultés du vieux professeur." C'était le 5 octobre dernier.

Une enquête de Physics today parue en juillet 1980 pour les physiciens - je l'ai déjà mentionnée - d'accord avec les enquêtes du Sénat, de la Fédération de l'âge d'or, du BIT, de la Commission des droits de la personne du Québec pour l'ensemble des travailleurs, a démontré que la productivité et la créativité ne diminuent pas au sein de la collectivité des personnes actives, avec l'incidence du troisième âge, pourvu que ces personnes soient placées dans des conditions socioculturelles favorables.

Quant à faire place aux jeunes, il y a beaucoup à dire ou à redire à ce sujet. Bien sûr, il faut une place pour les jeunes, mais il faut aussi une place pour les vieux. Les jeunes sont-ils tous productifs? Le resteront-ils toujours? Faudrait-il interdire l'arrivée des immigrants? Chaque immigrant prend une place qu'un autre ne pourra pas prendre. Est-il vrai qu'un professeur jeune revient moins cher à l'université? J'aimerais, si vous voulez, M. le Président, prendre les chiffres du principal de l'Université McGill: 60 000 $ pour une personne de 65 ans, 24 000 $ pour une personne de 30 ans qui le remplace. Différence évidente de 36 000 $.

Cependant le bilan est faux parce que si le vieux professeur accepte de continuer à 60 000 $ au lieu de toucher sa pension de 70%, soit 42 000 $, il ne coûtera en réalité que 18 000 $. C'est donc une économie pour l'université si le vieux professeur est maintenu à l'oeuvre. Celui-ci fait en réalité un cadeau à l'université.

J'aimerais maintenant proposer des mesures positives de redressement avec des effets de redressement. On peut regretter que le législateur ait tant tardé à inclure l'âge comme motif interdit de discrimination à la suite des recommandations de la commission depuis 1976. Certains employeurs ont restreint injustement les conditions de maintien en fonction de leurs employés, restrictions qui deviendront, nous l'espérons tous, illégales.

Il convient que les employeurs réparent le tort causé aux employés et à la collectivité par l'oisiveté imposée à des personnes qui, autrement, auraient poursuivi leur oeuvre scientifique.

L'Université de Montréal a attribué des droits et des privilèges aux professeurs à la retraite. Ces droits et privilèges répètent en tout point les éléments d'une carrière du professeur en exercice, sauf que ces droits et privilèges sont laissés à la discrétion de l'employeur, de l'administrateur. Donc, à partir du moment où le professeur est mis à la retraite pour cause de discipline et non pas d'incapacité, il devient abandonné à la bonne grâce et à l'arbitraire des administrateurs. On lui retire tout droit politique, cependant. Le troisième âge devient alors une espèce de ghetto politique pour les professeurs d'université.

Cela explique que le professeur à la retraite ou sur le point de l'être redoute de se plaindre en public et, s'il réclame, c'est à force de faire antichambre et de faire des révérences aux personnes qui peuvent lui consentir une certaine liberté d'oeuvrer dans le domaine de leurs désirs, et c'est ce que le professeur Nicodème-Joffe a signalé le 5 octobre à l'assemblée universitaire.

L'administration a regardé ce règlement dont

je vous parle avec désinvolture et ne l'a presque pas appliqué, en réalité. Les professeurs du troisième âge devraient conserver, qu'ils soient à la retraite ou non, leurs droits politiques et leurs droits syndicaux. Il serait discriminatoire de former un syndicat des vieux professeurs; mieux vaut que les professeurs vieux et à la retraite restent membres du syndicat réunissant tous les professeurs. (21 h 15)

J'aimerais signaler que la direction de l'université a proposé un moratoire à l'abolition de la retraite; le mémoire de la direction de l'université n'a été approuvé ni par le conseil de l'université, ni par l'assemblée. Des professeurs se sont exprimés dans le mémoire du syndicat et des professeurs s'expriment présentement sous l'étiquette des doyens d'âge. Le mémoire de la direction est l'oeuvre des permanents, des administrateurs de la hiérarchie supérieure. S'ils ont proposé un moratoire, je crois savoir pourquoi. C'est, pour une bonne part, parce que j'ai engagé un procès contre l'université, et la direction de l'université ne tient pas à ce que la situation s'envenime à son détriment à propos des droits des professeurs âgés.

Je conclus sur des recommandations. J'ai essayé de formuler des recommandations dans l'esprit de la législation possible, de la réglementation et de la charte des droits de la personne.

Premièrement, que la discrimination selon l'âge, à l'encontre des personnes du troisième âge, devienne interdite au point de vue de la retraite et au point de vue du droit au travail. C'est là un principe; cette interdiction sera établie dans l'esprit que voilà décrit.

Deuxièmement, favoriser le droit des personnes âgées et spécialement des professeurs chercheurs scientifiques de poursuivre leur oeuvre pour leur satisfaction et pour l'intérêt collectif du Québec.

Troisièmement, notamment, que les personnes du troisième âge conservent leurs droits politiques et syndicaux au sein des entreprises, qu'ils soient en exercice ou à la retraite, en particulier, chez les professeurs d'université.

Quatrièmement, qu'on réalise sur le modèle de la propagande éducative au sujet des handicapés une propagande comparable pour les droits du troisième âge revalorisé. Montrer des vieux qui fument leur pipe et qui sont heureux, tant mieux, c'est très bien; mais qu'on montre aussi des personnes du troisième âge qui exercent une activité, leur métier, leur profession.

Cinquièmement, qu'on prenne des mesures positives de redressement pour indemniser et réintégrer les employés mis à la retraite contre leur gré ou auxquels on a refusé un emploi. Ce n'est pas parce que la discrimination à l'encontre du troisième âge est déclarée illégale qu'elle deviendra injuste, c'est parce qu'elle est et qu'elle était depuis toujours injuste qu'elle deviendra illégale. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le ministre.

M. Bédard: Je remercie M. Demers pour la présentation de son mémoire devant la commission. Vous ne nous en voudrez sûrement pas de ne pas vous poser de nombreuses questions, même si vous avez témoigné en expert sur le sujet qui vous intéresse d'une façon tout à fait particulière. Vous avez déjà fait des représentations, je crois, devant la commission des affaires sociales.

M. Demers: En effet, M. le ministre.

M. Bédard: Vous suggérez, à un moment donné, des amendements afin que les changements, s'il y en a, apportés à l'âge de la retraite puissent se faire graduellement. Pourriez-vous développer ce sujet? Qu'est-ce que vous pensez de l'idée que les changements puissent se faire d'une façon graduelle en ce qui regarde l'âge de la retraite?

M. Demers: Je n'ai pas proposé...

M. Bédard: Non, je le sais. Vous voulez tout simplement qu'on abolisse cette disposition dans la charte, mais, comme ça peut représenter des changements, des thèmes d'évolution quand même assez rapides au niveau des conséquences qu'il peut y avoir, est-ce que cela pourrait se faire graduellement?

M. Demers: M. le ministre, je favorise l'abolition immédiate et complète...

M. Bédard: Je sais.

M. Demers: ... tel que prévu dans la loi 15, de la retraite obligatoire à quelque âge que ce soit. Je ne favorise nullement un étapisme du genre d'un moratoire, puisque ce serait un moratoire sur l'abolition de l'âge de la retraite à l'université. Bien au contraire. L'université est le milieu par excellence où les facultés intellectuelles sont prédominantes en principe. Ce n'est pas la force physique qui compte. Ce n'est pas spécialement la force, l'aptitude physiologique qui compte, ce sont principalement les facultés intellectuelles qui sont mises en jeu. C'est bien indiqué que, dans un milieu où les facultés intellectuelles sont d'importance prédominante, dans ce milieu, l'âge de la retraite soit déclaré ouvert.

M. Bédard: Est-ce que vous ne suggérez pas des mesures transitoires concernant ceux qui ont déjà été mis à la retraite?

M. Demers: D'accord.

M. Bédard: Est-ce que vous pourriez détailler un petit peu là-dessus? Cela prendrait quelle forme?

M. Demers: M. le ministre, c'est ce que j'ai appelé: dispositions positives à effet de redressement, pour éviter toute autre locution ou circonlocution qui pourrait prêter à fausse interprétation. Je propose, comme mesures de transition, en effet, pour adopter votre vocabulaire, M. le ministre, que ceux qui ont été mis à la retraite déjà soient indemnisés et réintégrés d'une façon qui leur convienne et qui les satisfasse, au point de vue de la poursuite de leur oeuvre scientifique selon leurs capacités, et que ceux qui ont été mis à la retraite et qu'on a empêchés de reprendre des situations à cause de leur âge reçoivent eux aussi un redressement correspondant à ces dispositions positives. C'est un...

M. Bédard: Je comprends votre idée, mais j'aimerais que vous en disiez davantage sur les formes que cela pourrait prendre, parce qu'avec la réflexion que vous avez faite sur le sujet et qui vous amène à faire des représentations devant la commission parlementaire, est-ce que vous pouvez - si ce n'est pas possible, ce n'est pas plus grave que cela - nous dire quelle forme pourraient prendre ces mesures transitoires concernant les personnes déjà mises à la retraite? Quand vous parlez d'indemnisation, vous voulez dire quoi? Indemnisation de ces personnes à leur satisfaction? Réintégration à leur satisfaction?

M. Demers: En effet, il faut évidemment tenir compte des circonstances, des possibilités de travail, des possibilités de locaux, des possibilités de ressources pour faire des recherches, des études et de l'enseignement, mais ces possibilités sont disponibles dans ces entreprises qu'on appelle des universités.

M. Bédard: Les universités, mais là, vous ne nous proposez pas cela seulement pour les gens qui sont à l'université et qui ont été obligés de prendre leur retraite. On ne peut quand même pas légiférer en fonction d'un groupe précis, avec tout le respect qu'on peut avoir pour nos amis chercheurs universitaires.

M. Demers: C'est pourquoi j'ai dit, M. le ministre, dans quelques-unes de mes dernières paroles, d'après le texte que j'ai devant moi, que la discrimination selon l'âge à l'encontre du troisième âge devienne interdite, dans l'esprit que voici... Il est difficile de trouver des dispositions législatives réglementaires plus précises. Peut-être que si j'avais une habitude plus grande de la vie parlementaire - c'est un noviciat que je fais actuellement j'arriverais à donner une forme à ces idées, une forme législative plus correcte et plus précise, mais l'esprit, le voilà: j'ai énoncé les trois articles subséquents afin d'illustrer quel est l'esprit dans lequel la discrimination selon l'âge devrait être abolie selon moi.

M. Bédard: Je vous remercie.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: M. Demers, j'ai un intérêt personnel en ce qui concerne l'âge de la retraite à l'Université de Montréal, étant donné que je suis en congé sans solde de l'université. Vous ne m'avez pas entendu?

M. Demers: Non, non.

M. Marx: Je vais répéter. J'ai un intérêt personnel en ce qui concerne la retraite à l'Université de Montréal, étant donné que je suis en congé sans solde de l'Université de Montréal.

M. Demers: Ah oui, oui, très intéressant!

M. Marx: J'espère y retourner avant l'âge de 65 ans, même si j'ai un comté qui m'apprécie beaucoup.

M. Demers: Je vous le souhaite bien.

M. Bédard: Je pense que vos chances sont assez bonnes. Cela ressemble pas mal à Chicoutimi.

M. Marx: Voilà! Si j'ai des problèmes dans mon comté, le ministre va changer de comté avec moi.

Ma question touche vraiment l'âge de la retraite des professeurs d'université, parce que l'autre jour, nous avons reçu M. Boucher qui a présenté un mémoire pour l'Université de Montréal et il a suggéré qu'on fasse un moratoire en ce qui concerne l'âge de la retraite vis-à-vis des universités, parce qu'il a vu des problèmes. Par exemple, il a dit que les professeurs d'un certain âge publient moins que les jeunes professeurs, que les professeurs plus vieux font moins de recherche que les jeunes professeurs et que cela poserait un problème en ce qui concerne la promotion des jeunes professeurs. Si je me rappelle bien, il a dit aussi que si l'âge de la retraite est aboli, l'université va se trouver avec un corps professoral assez âgé.

J'aimerais avoir vos commentaires sur ces points.

M. Demers: Volontiers, mon cher collègue. D'abord, est-il vrai que la productivité et la créativité diminuent avec l'âge? J'ai cité tout à l'heure la réplique de Thérèse Gouin-Décarie, qui est professeur de psychologie. Elle a dit: C'est une question socioculturelle. Si vous placez un professeur, ou une personne arbitraire, dans des circonstances pénibles qui lui rendent la vie difficile, c'est bien sûr qu'il fonctionnera moins bien, et c'est précisément ce que l'université s'efforce de faire avec ses vieux professeurs, ses professeurs vieillissants. Voilà une première réponse.

En fait...

M. Marx: Ai-je raison de dire qu'un vieux prof, un titulaire a moins, comme on dit en anglais, d'"incentive" pour faire de la recherche, pour être vraiment actif?

M. Demers: Un doyen d'une faculté importante de l'université me l'a déclaré en toutes paroles. Il est entendu qu'à mesure qu'un professeur approche de 65 ans, il va partir, donc, il faut qu'il réduise ses activités. L'"incentive", c'est plutôt...

M. Marx: It is a disincentive. (21 h 30)

M. Demers: ... c'est cela, du "disincentive". D'autre part, l'université dit, dans le mémoire que vous mentionnez, manquer de renseignements sur le sujet. Il y a en tout cas au moins une enquête spécifiquement sur les physiciens, qui sont mis en cause par le recteur Paul Lacoste, dans la citation que j'ai lue avant l'interruption de tout à l'heure. À propos des physiciens, il y a une enquête qui a donné des résultats formels, les conclusions sont formelles, elle a paru dans Physics today, qui est l'organe de l'American Physical Society. La conclusion est ceci: "Les physiciens âgés restés actifs". Elle ne montre pas de diminution dans leur productivité ou leur créativité avec l'incidence du troisième âge; c'est plutôt le contraire, si on les compare aux physiciens plus jeunes, pourvu qu'ils aient des conditions socioculturelles favorables. Alors, cela répond, je crois un peu, cela commence à répondre à une de vos questions.

À part cela, il y a la question du recrutement, il y a du vieillissement au corps professoral. Je crois que ce que je viens de dire répond en partie. Le vieillissement n'est pas une cause inévitable de détérioration, c'est une cause inévitable dans les circonstances que la direction de l'université crée de son propre gré, de façon délibérée, à l'encontre du principe même de la charte des droits de la personne, qu'il ne faut pas discriminer des personnes; maintenant, ce sera illégal de discriminer les personnes âgées.

M. Bédard: Vous me surprenez avec cette affirmation. Quel serait l'intérêt d'une université de créer des situations difficiles à ceux qui assurent l'enseignement, qui font la recherche, etc? Je vous avoue que c'est assez difficile à croire.

M. Demers: C'est difficile à croire, mais le fait est là, M. le ministre...

M. Bédard: Je respecte votre opinion, mais là...

M. Demers: Le fait est là, l'université vient de...

M. Bédard: Vous ne nous avez pas apporté de faits précis qui prouvent cette avancé.

M. Demers: Je pourrais vous citer un témoignage, qui n'est pas une analyse statistique, si vous voulez.

M. Bédard: Remarquez que je ne devrais peut-être pas poser la question, parce que vous avez à l'heure actuelle des procédures, vous nous l'avez dit, d'intentées par rapport à l'université?

M. Demers: Votre question ne met pas en cause ces procédures, M. le ministre.

M. Bédard: Si cela ne vous gêne pas de répondre, soyez bien à l'aise, allez.

M. Demers: Merci.

M. Bédard: J'aimerais quand même, quand vous nous faites cette affirmation vous voir nous aligner quelques faits qui nous permettent de prendre en considération ce que vous dites.

M. Demers: J'aimerais vous citer un extrait du SGPUM de septembre 1979. L'article est signé par Claude Lagadec, professeur de philosophie. Le titre est: "Alors, les vieux, achevez-vous?" "Le sort que nous faisons à nos vieux professeurs est typique du marché du travail nord-américain. Il est d'une grande brutalité. Dès qu'ils atteignent l'âge de 65 ans, nous les éloignons sans pitié." Le reste de l'article est à l'avenant. Cela est un témoignage, il n'y a pas de personnes mentionnées dans cet article que je lis, mais cela est vraiment le témoignage d'un professeur de philosophie qui a été témoin de la mise à la retraite forcée, d'un professeur de philosophie, éconduit malgré la réclamation unanime de tous les professeurs et de tous les élèves dudit

département de philosophie. On l'a mis à la retraite à 65 ans, malgré lui, et on l'a privé des moyens de continuer son oeuvre. On lui a fourni effectivement une situation temporaire, mais on l'a mis à la retraite et on l'a laissé à la retraite malgré l'opinion unanime des collègues et des élèves.

Quant à la diminution de productivité avant 65 ans, je regrette, je n'ai pas préparé de dossier exprès sur ce point, mais le témoignage de Thérèse Gouin-Décarie est là pour signifier que la chose existe, puisqu'elle en parle. Il me plairait de communiquer plus tard avec vous pour vous fournir des renseignements concrets.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Marquette.

M. Dauphin: Merci, M. le Président. Je tiens, évidemment, à vous remercier pour la présentation de votre mémoire. Je vous ai entendu mentionner à quelques reprises, lors de votre présentation, que les professeurs, rendus à un certain âge, perdaient leurs droits politiques. J'aimerais que vous nous expliquiez concrètement ce que vous voulez dire par la perte de droits politiques pour un professeur, à moins que j'aie mal compris.

M. Demers: II s'agit des professeurs à la retraite. Quand un professeur est mis à la retraite sous le régime qui existe encore, il cesse évidemment d'être professeur avec tous les droits et privilèges, etc. Il n'est plus un professeur en exercice. À partir de ce moment peuvent intervenir des négociations avec l'université selon le bon vouloir des autorités. Ces négociations peuvent, selon un certain règlement de bon plaisir, lui permettre d'exercer temporairement des fonctions administratives, des fonctions d'enseignement, de recherche, d'étude, de publication. Cela est mentionné explicitement dans les règlements en question qui ont été adoptés à la suite de longues discussions. Mais tout cela est laissé à la merci des autorités.

M. Dauphin: Si vous me permettez... Excusez.

M. Demers: Quant aux droits politiques, le professeur, au sein de l'entreprise, au sein de l'université, n'a plus, une fois mis à la retraite - c'est entendu - de droits politiques. C'est-à-dire qu'il n'a plus le droit d'appartenir à l'assemblée universitaire, il n'intervient pas dans les conseils de faculté, ni dans les assemblées de département. C'est ça que je veux dire par droits politiques.

M. Dauphin: D'accord, merci. Si vous me le permettez, M. le Président, l'Université de Montréal a présenté un mémoire et, si ma mémoire est bonne, elle s'est prononcée contre l'abolition de la retraite obligatoire. C'est bien ça? Mais les autres universités du Québec, à votre connaissance, est-ce qu'elles ont la même attitude face au vieillissement normal de leurs professeurs?

M. Demers: M. le député, d'abord, de l'Université de Montréal sont venus, en réalité, trois mémoires. Le nôtre compte pour un puisque c'est le même mémoire, en principe, qui est soumis aux deux commissions. La direction de l'université, c'est-à-dire le recteur et son entourage, d'une part, et le Syndicat général des professeurs de l'Université de Montréal ont présenté un mémoire, et nous-mêmes, le groupe des doyens d'âge. La direction de l'université a terminé son rapport en demandant un moratoire non pas sur la retraite obligatoire, ce que les doyens d'âge ont déjà demandé, mais sur l'abolition de la retraite obligatoire. Voilà ce qu'ils ont fait. Le syndicat a approuvé sans ambages l'abolition immédiate de la retraite obligatoire. Les doyens d'âge, également, recommandent l'abolition de l'âge obligatoire de la retraite.

M. Dauphin: D'accord. Dans les autres universités, à votre connaissance, c'est la même chose, c'est le même phénomène qui se produit.

M. Demers: Voilà les documents que j'ai à ce sujet. L'Université du Québec a présenté un mémoire à la commission des affaires sociales où elle recommande de procéder avec prudence dans l'abolition de l'âge de la retraite obligatoire. Donc, elle concourt à l'opinion de la direction de l'Université de Montréal. Ses arguments sont à peu près les mêmes et nous avons essayé d'y répondre tout à l'heure. L'Université McGill ne s'est pas prononcée comme telle. Le principal et vice-recteur Johnston a adressé un mémoire - il ne déclare pas que c'est le mémoire de l'Université McGill -dans la même ligne de pensée que la direction de l'Université de Montréal.

M. Dauphin: Merci.

Le Président (M. Desbiens): S'il n'y a pas d'autres interventions, je vous remercie, M. Demers, de votre participation aux travaux de la commission.

Groupe d'action sur le milieu carcéral

J'inviterais maintenant le Groupe d'action sur le milieu carcéral à s'approcher, s'il vous plaît.

M. Bougie, c'est ça?

M. Bougie (Jean-Marc): C'est ça.

Le Président (M. Desbiens): Vous pouvez y aller.

M. Bougie: M. le Président, MM. les membres de la commission, avant de procéder, je désire m'excuser pour la qualité du texte qui est devant vous aujourd'hui. Il y a eu une petite erreur au département de la polycopie à l'université et, au lieu de faire parvenir le texte fini et corrigé au complet, on a envoyé le texte qui a servi pour rédiger le mémoire.

Le Président (M. Desbiens): Est-ce le texte final?

M. Bougie: Je pense qu'on vient juste de vous distribuer deux autres chapitres au mémoire.

Le Président (M. Desbiens): Cela s'ajoute au mémoire?

M. Bougie: C'est ça.

Le Président (M. Desbiens): D'accord.

M. Bougie: C'est la partie analyse politique et la section de la discrimination au travail et l'ex-détenu.

Messieurs, puisqu'il n'y a pas de dames qui siègent. Idéalement il ne devrait pas y avoir de circulation d'informations concernant les antécédents judiciaires. À défaut de cet objectif, je désire ce soir, au nom du Groupe d'action sur le milieu carcéral, vous entretenir de sujets touchant les articles 10 et 16 de la charte afin qu'il soit inclus dans les articles que la condition sociale telle que désignée à l'article 10 doit comprendre les antécédents judiciaires.

L'État doit cesser d'adopter des lois en faveur des règles de pratique discriminatoires et prendre le plus tôt possible l'initiative d'abolir celles qui le sont directement ou celles qui, par d'autres chemins, deviennent discriminatoires.

La société québécoise, vous les législateurs, nous tous, ensemble, devons mettre fin à l'érosion des droits individuels. Cela est d'autant plus nécessaire si nous désirons sauvegarder et faire respecter les droits de l'État et de la collectivité.

Si les législateurs adoptent une Charte des droits et libertés de la personne afin qu'un homme ou une femme n'ait pas plusieurs portions de droits et qu'une autre personne n'en possède pas moins, il faut que les autres lois de ces mêmes législateurs soient actives pour la maintenir dans son application et qu'elle ne soit pas qu'une condition passagère où l'inégalité entrera par le côté que les lois n'auront pas défendu.

À titre d'exemple, je souligne l'article 227, sections 5 et 6, du Code municipal qui interdit à l'ex-détenu d'être fonctionnaire ou employé d'une municipalité. Un tel exemple se retrouve à des dizaines d'endroits dans les lois du Québec et, sous silence, une telle règle est appliquée quotidiennement dans des milliers de demandes d'emploi au Québec. (21 h 45)

Le détenu et l'ex-détenu forment un marché captif, un réservoir de main-d'oeuvre bon marché; les pénitenciers et les prisons du Québec sont le noyau de l'esclavage au Québec et au Canada.

Tel qu'exprimé par Hélène Dumont, criminologue à l'Université de Montréal, au fur et à mesure que se déroule le processus judiciaire, le détenu perd progressivement mais sûrement son statut de membre de la société. Son identité est détruite. Lorsque le détenu aura purgé sa peine et sortira de prison, on le considérera comme un ex-détenu, statut qui l'empêchera de se trouver du travail, de faire des affaires et de vivre comme tout autre citoyen.

L'expérience de la Commission des droits et libertés de la personne vient dans tous les cas le confirmer. Les cas d'antécédents judiciaires les plus fréquemment portés à son attention mettent en relief l'ampleur de l'exclusion qui frappe ces personnes dans le domaine de l'emploi, plus particulièrement. Le fait d'avoir un dossier judiciaire ou un dossier de police marque irrémédiablement son titulaire, l'empêchant de trouver ou de garder un emploi et ce, quelle que soit la gravité de l'infraction pour laquelle il a été condamné, quel que soit le délai qui s'est écoulé depuis la commission de l'infraction, quelle que soit sa volonté de réhabilitation démontrée depuis et pour laquelle le pardon n'est même pas, dans certains cas, une preuve suffisante.

La stigmatisation est, bien sûr, moins radicale qu'à l'époque où on marquait l'épiderme des condamnés au fer rouge, mais elle est tout aussi permanente. Grâce, en effet, à l'efficacité des moyens de communication, d'identification et de conservation des renseignements, surtout depuis le développement prodigieux de l'informatique, grâce aussi à l'accès facile qu'ont certains enquêteurs et employeurs pour faire enquête sur les antécédents d'une personne qui postule un emploi, le casier judiciaire colle à la peau presque aussi sûrement qu'un stigmate physique.

Mais il y a plus. En faisant obstacle à l'emploi, le casier judiciaire nuit à la réhabilitation et encourage même l'agir délinquant. Comme le dit le criminologue Maurice Cusson en décrivant les conséquences de cette exclusion: "Ce n'est pas un moindre paradoxe des peines stigmatisantes qu'elles poussent le délinquant sur le chemin de l'antisocialité tout en le pénalisant impitoyablement pour avoir pris

cette orientation. Tous les éléments de la stigmatisation qui poussent le délinquant au crime le privent en même temps des bienfaits les plus précieux de la vie en société. L'exclusion libère le délinquant des contraintes sociales et le motive à l'agir criminel mais, en même temps, elle le condamne à l'isolement et l'expose à l'hostilité d'autrui. L'étiquetage conduit le délinquant à intérioriser une identité criminelle qui justifiera son activité antisociale mais, en même temps, le voue au mépris et à la honte".

Cette exclusion contredit donc carrément une des finalités explicites du système pénal et de la Charte des droits et libertés de la personne, à savoir la réhabilitation, la resocialisation du délinquant et l'égalité en société. Dans la mesure, en effet, où l'on reconnaît que l'emploi a un rôle de premier plan dans la réhabilitation et la réintégration sociale des personnes, il convient en toute logique de favoriser l'emploi des ex-délinquants en investissant soit dans la formation professionnelle, dans leur temps d'incarcération, soit lorsqu'ils sont de retour en société.

Or, dans notre système actuel, on semble nager en pleine contradiction. Non seulement ne fait-on pratiquement rien pour l'emploi postpénal mais la société, par ses lois et ses pratiques, pose toutes sortes de barrières légales à l'endroit des personnes condamnées annulant, à toutes fins utiles, les quelques efforts tentés du côté de la formation professionnelle dans certains centres de détention. Est-on vraiment sérieux lorsqu'on parle de réhabilitation?

À cet égard, on n'est pas suffisamment conscient encore du cercle infernal dans lequel ces personnes sont engagées lorsque, stigmatisées pour un geste délictueux, elles ne peuvent que difficilement retrouver leur place dans la société dite normale, gagner leur vie par des moyens légitimes et se sentir acceptées et utiles.

L'État se fait partie prenante de cette situation en venant structurer dans ses lois des incapacités liées à la commission d'infractions criminelles et même au défaut de la personne de prouver sa bonne conduite. Exemple: Ainsi, dans le secteur public, en vertu de l'article 682 du Code criminel, il est impossible pour toute personne condamnée à un emprisonnement de cinq ans ou plus, à moins d'obtenir un pardon absolu, un pardon illusoire, d'occuper une fonction relevant de la couronne ou tout autre emploi public, ni de siéger comme député au Parlement du Canada ou à une Législature provinciale. J'aimerais savoir si c'est un objectif. Exemple: Dans le secteur des relations du travail dans la construction, la Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction définit légalement plusieurs types d'incapacités liées aux casiers judiciaires, article 2g de la loi, le fait d'avoir commis certaines infractions comme les voies de fait simples, le vol, l'intimidation, le trafic de narcotiques rend inhabile à l'exercice de certaines fonctions syndicales.

Un autre exemple: les règles relatives aux appareils d'amusement, article 2. Une personne qui désire obtenir une licence d'exploitant ou de commerçant doit être exempte de toute condamnation pour acte criminel. Au Québec, tout comme dans les autres États, nombreux sont les lois et les règlements qui rendent inhabile au travail l'ex-détenu, c'est-à-dire de la discrimination basée sur la condition sociale de la personne. Pour comprendre cela, il n'est nullement besoin d'avoir une grande connaissance des choses. Il s'agit simplement de considérer les exclusions dans les domaines suivants: les banques, Air Canada, Canadien National, Pétro-Canada, un grand nombre de professions, le domaine de l'éducation au Québec, l'industrie du transport au Québec et, sans avoir exagéré, nous pouvons compter plus de 2 000 000 d'emplois que l'ex-détenu est inhabile à postuler.

Cette dure réalité est très coûteuse pour l'ensemble de la société puisqu'elle se prive d'une banque d'énergie humaine considérable. Pour entretenir au passif de telles ressources humaines et pour nourrir un tel état de discrimination basé sur les antécédents judiciaires, les citoyens et l'État qui le font doivent débourser d'énormes sommes d'argent soit par l'assistance sociale afin de maintenir l'individu au-dessus du seuil de la pauvreté, soit en investissant davantage dans la police afin de surveiller l'ex-détenu sans emploi, soit par l'investissement accru que l'État doit faire dans ses tribunaux et dans ses prisons afin de réincarcérer ces gens sans emploi. Les 6 000 000 $ que nous coulons dans un fleuve déficitaire année après année doivent être renversés afin que ces gens aient la possibilité de devenir des actifs dans la société.

Il est essentiel que, si nous devons avoir des peines, elles aient au moins aussi des fins. Lors du prononcé d'une sentence, le juge parle strictement de réinsertion une fois que la peine d'incarcération sera terminée. Je crois qu'une telle façon de procéder est fausse et contraire à la réalité puisque les lois et les juges aideront tous ceux qui voudront exercer de la discrimination à la faire lorsque le détenu sera libéré du pénitencier ou de la prison. Vous comprenez, le juge prononce une sentence d'incarcération tout en faisant miroiter à long terme la possibilité de refonctionner dans la société, mais les juges ne disent pas toute la vérité, c'est-à-dire qu'ils ne disent pas que les lois du Québec vont permettre à l'employeur de le discriminer à cause de ces antécédents judiciaires. Ce n'est pas une réinsertion qu'on

fait. On réincarcère quelqu'un en société.

L'individu ne pourra pas, une fois relâché du pénitencier, se trouver "une job" à la municipalité, ni se construire une profession d'assureur ou de huissier ou travailler dans des compagnies qui exigent une preuve de bonnes moeurs, ni exercer son droit démocratique, ni participer pleinement au processus politique, puisque les lois lui interdisent de solliciter ces emplois et la Charte des droits et libertés de la personne ne peut rien contre ce type de discrimination présentement. Alors, si nous devons avoir des peines, nous devons aussi y mettre de l'espérance. La clémence et la tolérance sont des qualités qui distinguent bien une société qui a de la maturité et est capable de vivre avec les contradictions des autres types de sociétés. Le contraire ne peut servir qu'à ôter aux citoyens l'amour qu'ils ont pour l'État et les gens. Vos lois disent: Quand faut-il punir? Quand faut-il discriminer? Il est temps de leur faire dire quand il faut cesser de punir et quand il faut cesser de punir de façon excessive.

Moi-même, comme d'autres détenus, j'ai certaines compétences. J'ai un bac en communications et je complète présentement une licence en droit. L'année prochaine, j'espère que le jour de ma demande d'admission au barreau, lorsqu'elle sera étudiée, elle se fera à partir de mes compétences, de mes connaissances et de ma volonté d'être actif dans la société, et qu'un refus ne me sera pas donné à cause de mesures discriminatoires basées sur mes antécédents judiciaires, comme cela se produit continuellement depuis ma sortie du pénitencier. Depuis ma sortie du pénitencier, j'ai fait 109 demandes d'emploi, et à la plupart, de façon polie, on a répondu: On n'a pas de place. D'autres, de façon informelle et non écrite, me disaient: On ne veut pas d'un casier judiciaire.

Il y a certaines solutions qu'on doit apporter à la charte et à notre société. Au Groupe d'action sur le milieu carcéral, nous partons d'une philosophie axée sur l'égalité dans la reconnaissance et l'exercice des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la condition sociale, et de toutes les autres conditions présentement incluses dans la charte.

Nous reconnaissons que le fond du problème n'est pas le casier ou le dossier lui-même, mais les attitudes des dirigeants des modes de production dans notre société. Le fond du problème se trouve aussi dans les attitudes de la société qui refuse d'accepter la personne telle qu'elle est, et non de cacher le casier ou le dossier. Il existe une structure réglementaire qui oblige l'individu au service de l'État et de l'industrie à discriminer contre la personne qui était préalablement incarcérée.

Ceci dit, il faut interdire, par des mesures éducatives et législatives, la discrimination contre les personnes qui ont un casier ou un dossier judiciaire. Il faut aussi stipuler dans l'article 10 que la condition sociale doit englober les antécédents judiciaires et non pas ce que peuvent prétendre deux juges dernièrement qui ont donné des opinions différentes à ce sujet. Il faut aussi éliminer dans les lois et les règlements les exigences reliées aux moeurs, habitudes de vie et fréquentations, à cause de leur imprécision et subjectivité et parce qu'elles permettent d'exercer une trop grande discrétion.

Le gouvernement et les compagnies doivent investir dans un programme du genre "Affirmative action program" afin d'encourager l'intégration dans la société de l'ex-détenu. Un tel programme ne doit pas s'appliquer uniquement à des secteurs qui sont à l'extérieur de la fonction publique ni à l'extérieur des professions, et encore moins là où il y a la présence d'un syndicat. Comme critère minimal, le programme doit favoriser l'accès à l'éducation, y compris les niveaux collégial et universitaire, l'accès au travail, la réintégration à la vie économique d'une société. À long terme, idéalement, il faudrait abolir les pratiques destructives de la société, c'est-à-dire le droit pénal, notre présent mode d'incarcération, les structures qui forcent la personne humaine à s'incarcérer dans un état de soumission. Je vous remercie de votre attention.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Bédard: Je tiens à vous remercier d'une façon tout à fait particulière de votre communication aux membres de cette commission. Il s'agit d'une communication très personnalisée, mais très éloquente aussi. Je suis d'accord avec vous qu'il y a beaucoup trop de fonctions qui sont refusées à ceux qui ont le malheur d'avoir un casier judiciaire. Je pense que vous parliez de 1 000 000 de fonctions. Je comprends que c'est une image.

M. Bougie: Non, c'est 2 000 000 jusqu'à maintenant. Ma recherche n'est pas encore complétée. Elle va l'être d'ici à Noël, mais là, je suis rendu à 2 000 000. (22 heures)

M. Bédard: De toute façon, sans arriver à un chiffre précis, je pense que jusqu'à maintenant, il y a encore beaucoup trop de cette propension, que ce soit de la part du législateur ou encore de la part des gens dans la société à être rébarbatifs ou encore à être très réticents à donner véritablement une chance de réhabilitation à ceux qui ont un casier judiciaire.

Je peux d'autant plus en parler que j'ai

eu l'occasion de pratiquer le droit criminel durant dix ans. Personnellement, à moins de circonstances très exceptionnelles, je suis un de ceux qui croient vraiment à la réhabilitation à partir de très nombreux exemples qu'il m'a été donné de vivre, où j'ai vu non seulement des jeunes, mais des gens de tous les âges qui, après avoir eu des difficultés avec les tribunaux, ont quand même pu, à partir du moment où la société leur a donné la chance, se tailler une place intéressante au niveau des responsabilités à assumer dans la société.

Je pense que, d'une façon générale, la société est pour le principe de la réhabilitation. Vous allez vous promener parmi le monde et il n'y a pas, je crois, une personne qui va se prononcer contre le principe de la nécessité de la réhabilitation, mais on est à même de constater que, quand vient le temps effectivement de faire confiance à quelqu'un, d'accepter de lui donner des responsabilités, une véritable chance, le nombre est beaucoup plus restreint, à ce moment, de ceux qui acceptent de donner cette chance qui est nécessaire à la réhabilitation.

Maintenant, vous nous dites qu'il y a un très grand nombre de fonctions qui sont inaccessibles à ceux qui ont un casier judiciaire et vous avez raison. Est-ce que vous croyez cependant qu'il peut y avoir certaines fonctions où on se doit de tenir compte des antécédents judiciaires d'une personne? C'est pour fins de discussion que je vous pose la question. Je pense, par exemple, à la profession de policier, d'agent de sécurité. Est-ce que vous croyez qu'il y a certaines fonctions qui peuvent difficilement...

M. Bougie: J'ai longuement réfléchi à cette dimension. Premièrement, je me posais la question moi-même, et, deuxièmement, je savais que quelqu'un était pour me la poser. L'exemple typique que tout le monde va faire surgir, c'est le poste du policier. Personnellement, je n'ai pas d'ambition dans ce sens. Je ne crois pas que ceux qui sont incarcérés présentement auraient cette ambition de devenir policier. C'est un exemple qui est un peu sorti, pour dire: On justifie l'incarcération parce qu'il y a des meurtriers, lorsqu'on sait pertinemment que les meurtriers composent peut-être 2% ou 3% de la population carcérale. J'aimerais plutôt répondre dans le sens suivant: dans le domaine de l'éducation, professeurs, psychologues, administrateurs ou, dans le domaine judiciaire, huissiers, avocats, notaires, dans le domaine du transport, camionneurs, hommes d'entrepôts, dans le domaine de l'assurance, vendeurs d'assurances, courtiers d'assurances, évaluateurs d'assurances, franchement et honnêtement, je ne crois pas qu'on devrait mettre et qu'on doit mettre des entraves. Je suis totalement contre ce principe, qu'on doive dire que telle fonction...

M. Bédard: Vous ne voyez aucune exception?

M. Bougie: Non, je n'en vois pas d'exception, parce qu'il y a quelque chose...

M. Bédard: Je vous pose la question pour vous permettre d'élaborer votre idée, parce que vous le faites à partir d'une conviction personnelle.

M. Bougie: C'est cela. Si on veut construire une société où on respecte pleinement les droits et libertés de l'individu, même si à certains moments il a lui-même outrepassé ses libertés et ses droits, on ne doit pas lui couper toute source d'espérance. On ne doit pas dire à cette personne humaine: Floc, on n'a plus besoin de toi dans la société. La société a suffisamment de problèmes, a suffisamment de questions à se poser qu'elle ne peut pas se permettre de mettre des gens de côté et de dire: Toi, tu ne peux pas nous aider à les résoudre. On ne doit pas faire cela. Effectivement, c'est de cette façon qu'on procède; on exclut les gens, on leur dit: Tu n'es plus bon.

M. Bédard: Pensez-vous qu'il y a...

M. Bougie: La même chose se produit avec les gens plus âgés, la même chose se produit chez les jeunes. On ne tient pas compte de leurs opinions et, pour toutes sortes de raisons, on exclut un paquet de gens du "package to solution problem". On les exclut. C'est pareil pour les assistés sociaux. On leur dit: Vous autres, vous êtes sur l'assistance sociale, on vous exclut, vous ne pouvez pas tellement participer à l'élaboration d'une bonne société. On restreint toujours le groupe qui prend des décisions et qui participe activement. On ne devrait pas partir de ce principe.

M. Bédard: D'accord, il faut partir du principe qu'il est important de faire confiance à l'humain qu'il y a dans chaque personne pour qu'elle trouve les possibilités de se réhabiliter même s'il y a eu certaines difficultés de parcours. Cela me semble très important, humainement parlant. Je ne parle pas des offenses mineures, mais, quand il s'agit d'offenses majeures, d'actes criminels majeurs, pensez-vous qu'il peut être acceptable que certaines personnes demandent quand même une "période de probation"? Trouvez-vous que cela peut être normal que certains citoyens, avant de lui faire confiance, demandent, autrement dit, à la personne concernée d'apporter des preuves de réhabilitation durant un certain temps,

avant d'aller jusqu'à lui confier des responsabilités de premier ordre?

M. Bougie: Dans un premier temps, si on prend l'exemple d'un ex-détenu qui est dangereusement déséquilibré mentalement et d'un citoyen ordinaire qui peut aussi être dangereusement déséquilibré mentalement, cela existe des deux bords...

M. Bédard: Oui.

M. Bougie: ... c'est certain qu'on doit prendre certaines précautions, d'accord. Mais ce n'est pas le cas pour la très grande majorité des gens incarcérés. On dit même qu'ils ont beaucoup de créativité et beaucoup d'énergie, ce qui ne serait pas mauvais dans la fonction publique.

On parle de période de probation. Disons que vous fixez une période de probation de deux ans avant qu'il soit habilité à travailler. Durant ces deux ans, que va faire ce bonhomme? Se promener d'un bureau d'aide sociale à l'autre? Je refuse de le faire, parce que je ne veux rien savoir de cela. On ne peut pas soumettre quelqu'un continuellement à un régime de dépendance de l'État, dépendance qui se crée en prison, dépendance qui se continue à l'extérieur en faisant continuellement appel à l'aide sociale ou à d'autres organismes communautaires. Il faut qu'un jour on lui donne un peu cette liberté de participer activement à la société. Foncièrement, je dis: Non, une période de probation, personnellement, je n'en voudrais pas.

M. Bédard: Je suis bien d'accord avec vous que la meilleure manière d'arriver à une réhabilitation le plus rapidement possible pour le prévenu, c'est d'avoir la possibilité, très rapidement, d'assumer des responsabilités, mais je pense...

M. Bougie: Le problème de la période de probation, c'est que pendant cette période on empêche l'individu de travailler au même titre que tous les autres. Je reprends mon exemple, si on me permet...

M. Bédard: Je voudrais m'expliquer comme il faut, il ne s'agit pas de faire en sorte qu'il y ait une défense, j'ai parlé de période de probation, c'est une expression comme une autre...

M. Bougie: Je comprenais le sens.

M. Bédard: J'aurais peut-être dû vous poser la question autrement. Est-ce que vous expliquez le fait que des employeurs aient des réticences à employer des ex-détenus dès leur sortie d'institution?

M. Bougie: C'est que les employeurs, habituellement...

M. Bédard: Réticences qui peuvent tomber après quelques années.

M. Bougie: Les employeurs lorsqu'ils veulent avoir du "cheap labour", ils n'ont plus de réticences, d'accord? D'un autre côté, il y a plusieurs employeurs qui redisent toujours la raison suivante: Pourquoi, moi, je t'engagerais, lorsque le gouvernement ne veut même pas faire l'effort lui-même pour donner l'exemple? Ils ne veulent rien savoir de cela.

D'un autre côté, il y a plusieurs employeurs qui prennent la chance, si on veut, et puis il y en a qui se font brûler; la grande majorité ne se fait pas brûler. Ceux qui se font brûler c'est un pourcentage identique à la moyenne normale d'employés qui travaillent à l'intérieur d'une industrie; il n'est pas plus haut.

Plusieurs employeurs vont vous dire que leur productivité est supérieure parce que le gars est motivé. Certains employeurs veulent avoir une certaine garantie, mais cette garantie peut être donnée comme présentement de façon informelle par l'entremise du service de libérations conditionnelles, par l'entremise de la John Howard Society ou par d'autres groupes communautaires qui travaillent continuellement avec les ex-détenus. Cela se fait de façon informelle; le patron téléphone, dit "oui, c'est correct", le travailleur social dit "oui, cela marche" cela se fait de façon informelle et cela fonctionne comme cela.

La plus grande réticence c'est qu'il ne faut pas oublier que l'État est le plus grand employeur; si lui-même pose des barrières, les autres vont difficilement suivre.

M. Bédard: Je vous remercie de votre témoignage.

Le Président (M. Desbiens): Le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Oui, merci pour votre témoignage personnel. Je pense qu'à travers votre témoignage personnel on a compris les problèmes de beaucoup de Québécois qui se trouvent dans votre situation.

Vous êtes un ex-détenu exceptionnel, tous les ex-détenus ne sont pas comme vous; ils ne font pas tous des cours de droit.

M. Bougie: Est-ce que je peux faire une petite parenthèse ici?

M. Marx: Oui.

M. Bougie: Tous ne font pas des cours de droit, mais d'autres font des cours d'administration, de sociologie, de psychologie, de mécanique, de peinture et à

mes yeux c'est tout autant valable que mon choix.

M. Marx: Beaucoup d'ex-détenus se retrouvent en prison une autre fois, ils retournent en prison souvent; est-ce que vous avez des récidivistes? Est-ce que vous avez suivi - puis-je poser des questions personnelles, ce n'est pas nécessaire de répondre si vous ne le voulez pas - des cours de réhabilitation ou des programmes de réhabilitation en prison?

M. Bougie: Cela me fait sourire. J'ai été dans un pénitencier pendant près de cinq ans, et les cours de réhabilitation, j'ai dû les suivre moi-même; pour obtenir les livres à l'université, j'ai dû aller à la cour fédérale. Je pense que cela répond à vos questions. Il ne faut pas se leurrer avec les programmes de réhabilitation à l'intérieur. Le travailleur social a 150 cas à régler dans la semaine, plus tous les rapports à faire, il n'a pas le temps de s'en occuper; ce n'est pas le gardien qui s'en occupe non plus; le directeur de l'institution est tellement occupé dans ses réunions que lui non plus n'a pas le temps. Les programmes de réhabilitation où l'on montre à un gars comment laver le plancher pendant cinq ans ou dix ans cela ne sert pas à grand chose. (22 h 15)

Les programmes de réhabilitation où l'on montre à quelqu'un un métier en lui disant: À ta sortie, tu vas avoir un emploi, c'est illusoire parce que l'employeur, même si le gars est compétent, ne l'embauchera pas à cause de son casier judiciaire. Souvent, dans ces programmes de réhabilitation, on dit: Apprends tel métier et tout va bien marcher. Mais on ne dit pas à la personne qu'elle pourra avoir sa carte de compétence. Cela lui prend son secondaire V ou son cégep et on ne compense pas avec cela. Donc, il y a plusieurs lacunes et ces programmes de réhabilitation, jusqu'à un certain degré, sont faussés dès le début. Il y en a qui fonctionnent et tous ceux que j'ai vus qui fonctionnent ont été des programmes individuels où la personne s'est prise elle-même en main.

M. Marx: Quelle est la valeur de la loi fédérale sur le pardon après trois ou cinq ans?

M. Bougie: La loi fédérale sur le pardon, c'est cinq ans après la fin de la sentence. De plus, elle ne s'applique pas aux provinces, elle ne s'applique pas aux corps policiers municipaux ni provinciaux. Cela veut dire qu'au lieu de téléphoner à la GRC pour savoir si le gars a un dossier judiciaire, il va téléphoner à la SQ ou il va téléphoner à la police de Montréal. Ils gardent des dossiers, eux. Le pardon ne s'applique qu'au niveau fédéral.

M. Marx: Le dossier est censé être effacé. Non?

M. Bougie: Non, le dossier n'est pas effacé. Le dossier est pris, il est mis dans une voûte quelque part à Ottawa. Cela s'applique seulement au niveau fédéral.

M. Marx: C'est-à-dire que si...

M. Bougie: Cela ne s'applique pas...

M. Marx: Supposons que quelqu'un vous pose la question suivante: Avez-vous un dossier judiciaire? Après avoir reçu un pardon, devez-vous répondre: Oui, j'ai un dossier judiciaire, ou pouvez-vous répondre honnêtement: Non, je n'ai pas de dossier?

M. Bougie: On dit qu'on peut dire non. D'accord?

M. Marx: Oui.

M. Bougie: Mais d'un autre côté, tu peux dire non, mais le gars, s'il fait de la recherche le moindrement, va dire: Tu m'as menti parce que tu as été condamné. Il va avoir cette information des corps policiers des municipalités ou de la Sûreté du Québec ou, en Ontario, de la police provinciale de l'Ontario, parce que la loi fédérale sur le pardon ne s'applique uniquement qu'aux dossiers que possède le fédéral. Elle ne s'applique pas aux dossiers de la province ni des municipalités.

M. Marx: Mais quel est l'effet juridique du pardon? Par exemple...

M. Bougie: C'est un faux pardon. M. Marx: C'est un faux pardon.

M. Bougie: Ces conclusions-là sont les miennes. Ces conclusions-là ont été dites à maintes reprises par la Commission des droits de la personne et par tous les autres organismes communautaires qui s'occupent de l'incarcération. C'est faux parce que cela ne s'applique qu'à un niveau.

M. Marx: Supposons que, pour les fins d'être admis au Barreau, on vous pose la question: Est-ce que vous avez un dossier judiciaire? Si vous allez répondre non, ce sera une réponse véridique...

Une voix: ...

M. Marx: Pardon? Est-ce que c'est une réponse fausse ou une réponse véridique?

M. Bougie: Je ne suis pas un praticien

du droit, mais monsieur...

M. Marx: Peut-être peut-on avoir un peu d'expertise sur ce sujet?

M. Bédard: Je peux peut-être avoir une information auprès de...

M. Marx: Oui, ce monsieur est... Ce monsieur peut-il s'identifier?

M. Bédard: Si vous me le permettez. Je suis Roméo Landry de la Direction générale de détention et de probation.

M. Marx: D'accord.

M. Bédard: II y a eu des journées d'étude dernièrement organisées par la Société de criminologie du Québec avec la Commission nationale des libérations conditionnelles et nos organismes au Québec. Il a été dit, à ces journées d'étude, que la Loi du casier judiciaire s'appliquait, comme monsieur l'a dit, au casier judiciaire qui est dans les mains de la GRC. Elle ne s'applique pas aux provinces, c'est une loi fédérale qui s'applique au niveau fédéral.

Par contre, quand une personne a eu un pardon, elle doit répondre: Oui, j'ai eu un casier judiciaire, mais j'ai obtenu un pardon.

M. Marx: C'est un faux pardon si c'est cela.

M. Bédard: C'est ce que la Commission nationale des libérations conditionnelles suggère parce qu'il y a eu des cas où des personnes, pour le barreau ou autres fonctions, ont répondu: Non, je n'ai pas de casier judiciaire. C'est une personne qui avait eu un pardon. L'employeur ou l'organisme avait trouvé, par les dossiers de police ou autrement, qu'elle avait eu, effectivement, déjà un casier judiciaire. Cela n'abolit pas le casier judiciaire; cela le met de côté.

M. Marx: Ah bon! Cela le met de côté du point de vue des organismes fédéraux.

M. Bédard: Si on comprend bien votre explication, même lorsqu'on répond à un questionnaire venant du fédéral, préparé par les autorités fédérales, la réponse doit être: "J'ai un casier, mais j'ai obtenu un pardon."

D'ailleurs, la Commission des droits s'est penchée sur le problème et, dans un bulletin mensuel, disait la même chose.

M. Marx: Et pour des infractions provinciales, il n'y a pas de pardon.

M. Bédard: II n'y a pas de casier judiciaire.

M. Marx: II n'y a pas de casier judiciaire, donc on...

M. Bédard: Ce sont des peines de moins de deux ans.

M. Marx: C'est le droit pénal provincial, donc pas de casier judiciaire.

M. Bougie: Sur les peines de moins de deux ans, même cette information-là est transmise à la GRC.

M. Bédard: C'est le casier judiciaire.

M. Marx: Tous les actes criminels en vertu du Code criminel.

Donc, je comprends comment cela peut être vu comme un faux pardon. Comment allez-vous vous présenter au barreau?

M. Bougie: C'est qu'il y a deux solutions.

M. Marx: II y en a une que je vois bien, c'est que quelqu'un dépose un projet de loi privé, quelqu'un comme moi, et ce serait appuyé par le ministre, cela va passer vite.

M. Bougie: II y a deux solutions: premièrement, que le législateur trouve les modifications nécessaires, non seulement à la loi du barreau, mais à toutes les autres lois qui existent. Deuxièmement, mon autre solution, c'est de faire une maudite facture juridique et vous amener en cour pendant dix ans s'il le faut, mais je vais gagner mon point.

M. Marx: II y a la troisième solution, un projet de loi privé.

M. Bougie: Oui. Le Parlement est souverain.

M. Marx: Le Parlement est souverain. Autrefois, on a eu beaucoup de projets de lois privés pour l'admission au barreau des avocats.

M. Bédard: Ou sans être avocat, comme vous dites, avoir une cause très importante dans le sens des réclamations. Enfin, on n'est pas ici quand même pour décider de situations personnelles.

M. Marx: Je pense que M. Bougie a soulevé une question importante, parce qu'il y a tellement d'emplois dont les ex-détenus sont exclus. C'est que, finalement, on fait la réhabilitation pourquoi? Les gens sont dans un cul-de-sac et peut-être faudra-t-il se pencher sur cette question quand on révisera la charte, le cas échéant.

M. Bougie: Juste une note pour la fin.

Soit qu'on comprenne que, dans la condition sociale, les antécédents judiciaires sont compris dans cela, ou soit qu'on étire l'article 10 d'une virgule de plus, et qu'on dise que l'antécédent judiciaire, on ne peut pas faire de discrimination à partir de cela.

M. Marx: Disons que oui, oui.

M. Bédard: Ce n'est pas tellement par la charte qu'on peut régler le problème, c'est plutôt par des amendements en conséquence aux lois sectorielles.

M. Bougie: C'est certain que la charte, moi, je la considère comme un début et je suis certain que, s'il y a d'autres lois à côté qui viennent contredire la charte... Donc, nécessairement, il faudrait amender la charte et amender les autres lois qui permettent présentement la discrimination.

M. Marx: Juste une dernière question, parce que le ministre a posé cette question. Dans votre idée, il n'y aurait pas de discrimination du tout. Donc, si quelqu'un a un dossier judiciaire de cinq vols de banque et pose sa candidature à une banque, il doit être engagé. Cela sera difficile à avaler pour les banques, sans parler de la population.

M. Bougie: Cela sera difficile à faire avaler aux banques. Je ne suis pas tellement d'accord. C'est que le seul emploi que j'ai eu depuis ma sortie, cela a été de rédiger des articles justement pour le mouvement Desjardins; j'ai été engagé par le président du mouvement Desjardins dans ce temps-là. Peut-être que, si on considérait un peu plus les présidents de banque, ils pourraient établir des politiques à cet effet.

M. Marx: Mais cela dépend de l'emploi qu'on a à la banque. Si c'est un caissier ou quelqu'un qui rédige des textes, je vois cela comme...

M. Bougie: C'est là que je veux en venir, c'est que, dans une banque, il y a 8 caissiers, mais il y a 1000 administrateurs.

M. Marx: Je pose la question, parce que je ne suis pas nécessairement en désaccord avec ce que vous dites, mais je pose la question parce que je vois qu'on peut avoir des réticences ici et là.

M. Bougie: Je comprends que vous pouvez aller dans les cas extrêmes mais, d'un autre côté, si on fait une analyse des graphiques qui sont présentés par le système fédéral, ces cas extrêmes sont minoritaires.

M. Marx: D'accord.

M. Bougie: Puis la masse, il faut la prendre en considération aussi.

M. Bédard: C'est évident que quand on fait l'évaluation des réussites qui ont lieu au niveau des libérations conditionnelles, le pourcentage de réussites est très élevé. Malheureusement, ce sont toujours les cas plus isolés, où il y a eu des difficultés, qui ressortent. Je suis bien d'accord avec vous.

Le Président (M. Desbiens): D'autres commentaires?

M. Bougie: Non.

Le Président (M. Desbiens): Je vous remercie de votre participation aux travaux de la commission.

M. Bougie: Je vous remercie. M. Bédard: Merci.

Office des droits des détenus

Le Président (M. Desbiens): J'inviterais maintenant l'Office des droits des détenus à s'approcher, s'il vous plaît.

M. Jean-Claude Bernheim, si vous voulez présenter votre compagnon, s'il vous plaît.

M. Bernheim (Jean-Claude): M. le Président, messieurs, je vous remercie pour l'occasion que vous nous offrez. Je voudrais d'abord vous présenter des excuses de Me Millette, qui n'a pu se présenter ce soir pour nous accompagner pour des raisons professionnelles. M. Luc Gosselin m'accompagne. Nous allons lire chacun une partie de notre mémoire.

Avant de présenter le texte de notre mémoire, permettez-nous de vous faire une remarque. Tout d'abord, la Ligue des droits et libertés, autrefois la Ligue des droits de l'homme, a été à l'origine d'un projet de charte des droits et libertés, lequel projet de charte de la ligue a été promulgué comme loi au Québec en 1975, quoiqu'elle ne soit pas promulguée comme loi fondamentale comme nous le proposions. La ligue a également proposé ou est à l'origine de la Loi sur la protection de la jeunesse. Le comité de l'Office des droits des détenus de la Ligue des droits et libertés a aussi proposé, pendant un très grand nombre d'années, le droit de vote pour les détenus au niveau des prisons provinciales, et on est heureux que le gouvernement ait adopté une loi qui fait en sorte que les détenus ont maintenant le droit de vote. Comme vous pouvez le constater, le sérieux de nos propositions antérieures n'est plus à démontrer. C'est dans ce contexte que nous vous présentons ce projet de charte des droits des détenus, projet déjà repris par la

Fédération internationale des droits de l'homme et qui fera l'objet d'une résolution au cours du congrès de la fédération internationale, en mai 1982, à Montréal,

M. Gosselin (Luc): Si toute loi tire sa signification de sa nécessité, il est à la fois paradoxal et logique qu'aucun texte légal ne vienne confirmer les droits des personnes incarcérées. Les besoins des prisonniers sont multiples mais leur définition d'exclus les prive de toute référence aux règles régissant l'ensemble. Il est d'ailleurs intéressant de noter que la plupart des textes devant protéger les droits, comme par exemple la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, incluent une clause restrictive de type "sauf pour les motifs prévus par la loi". C'est-à-dire, grosso modo, toutes les catégories de captifs. Les détenus dans une société sont donc les seules personnes pour lesquelles il soit à peu près impossible de faire appel à la notion de droit. L'ensemble de règles minimales pour le traitement des détenus adopté par le premier congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants à Genève, en 1955, semble, à première vue, infirmer nos allégations. Mais l'examen du texte démontre, hélas, qu'un large fossé a séparé les signataires des intentions premières des initiateurs du projet. (22 h 30)

Énoncer, par exemple, comme on peut le lire à l'article 20, que tout détenu doit recevoir de l'administration, aux heures usuelles, une alimentation de bonne qualité, bien préparée et servie, ayant une valeur nutritive suffisante et au maintien de sa santé et de ses forces, ou, à l'article 22, que chaque établissement pénitentiaire doit disposer au moins des services d'un médecin qualifié qui devrait avoir des connaissances en psychiatrie ou, enfin, à l'article 27, que l'ordre et la discipline doivent être maintenus avec fermeté, mais sans apporter plus de restrictions qu'il n'est nécessaire pour le maintien de la sécurité d'une vie communautaire bien organisée, relève, en définitive, plus des préceptes pour une bonne administration pénitentiaire que d'une volonté de protéger les droits des individus.

Au Canada, pour prendre un exemple, des centaines - pour ne pas dire des milliers - de délits de justice sont enregistrés chaque année dans les établissements de détention sans que, pour autant, les fameuses règles minimales ne soient, en apparence, violées. Force est de constater que ce n'est que dans les pays où les conditions de détention s'associent plus ou moins à ce qui était en vigueur au Moyen Âge qu'on pourrait invoquer avec pertinence le texte de Genève.

Si l'époque du donjon humide est révolue, il ne faudrait pas croire pour autant que les conditions de détention se sont substantiellement humanisées. Selon les estimations de M. Ruy-Lopez Rey, en un jour donné, en 1976, au moins un million d'individus subissaient des traitements dégradants dans les prisons du monde, sur les quelque deux millions de personnes incarcérées. Ces régimes avilissants ne découlent que rarement de décisions du législateur. Ce serait plutôt le processus carcéral en entier qui serait en cause. Le Dr Raymond Boyer a d'ailleurs su dégager le sens de ces traitements cruels et injustes relatifs, selon lui, à des abus de pouvoir: "Le seul droit que doit perdre une personne condamnée à une peine privative de liberté est celui de circuler librement en société. Toute autre entrave est répressive et punitive."

Depuis quelques années, l'Office des droits des détenus du Québec, avec de modestes moyens, oeuvre à la reconnaissance et au respect des droits des personnes incarcérées. Mais la sensibilisation du large public aux problèmes carcéraux et les interventions répétées au niveau des canaux prévus par les autorités, lesquels, soulignons-le, comportent des embûches multiples et complexes, suffisent à peine à subvenir aux appels nombreux et dramatiques des prisonniers. Une charte des droits des détenus est donc de première importance. Son adoption permettra notamment de disposer d'une base légale adéquate aux interventions et aux revendications de tout ordre, sans parler des retombées d'ordre humanitaire sur les groupes concernés.

Notre projet de charte procède d'une démarche bien particulière. Pour la majorité des points soulevés, nous nous sommes inspirés, ou nous les avons adaptés à la réalité carcérale, de divers articles de constitutions, lois, déclarations, conventions de pays et organismes ayant valeur de modèle sur certains droits fondamentaux. Pour d'autres articles, compte tenu des particularités des lieux de détention, les principes exprimés découlent de notre expérience du milieu. Comme aucun texte dans le monde, sauf erreur, n'assure le droit aux relations sexuelles, nous espérons que l'article 8 du présent projet saura influencer les défenseurs des droits de la personne sur cet aspect primordial de la vie.

Les premiers considérants sur les buts de la société et le rôle des pouvoirs politiques servent de préambule à la charte. Cette entrée en matière nous apparaissait essentielle, compte tenu que les politiques pénales, dont l'incarcération constitue un volet, procèdent à partir de ces données de base.

Nous sommes bien conscients que les principes à la base de notre projet de charte heurtent une foule d'idées bien ancrées sur les crimes et châtiments. Pourtant, il faut garder en mémoire que le progrès et

l'évolution des sociétés, de Socrate à La Boétie et Rousseau, de Thoreau à Dunant et Cassin, tiennent à ce parti pris de croire plus en l'homme qu'à ce qui l'écrase.

M. Bernheim: Considérant que le but de la société est le bonheur commun; considérant que la liberté, l'égalité, la justice, la confiance mutuelle et la paix entre les citoyens et les peuples doivent être les fondements de toutes les communautés humaines; considérant que le pouvoir politique doit être au service de la collectivité et supprimer toute exploitation et domination de l'homme par l'homme, seule façon de garantir à tous la jouissance de tous leurs droits naturels et imprescriptibles; considérant tous ces motifs, nous déclarons ce qui suit:

Article 1: droit à la présomption d'innocence.

Le droit à la présomption d'innocence pour tous les citoyens comprend: 1) le droit, pour toute personne mise sous arrêt ou incarcérée, de se voir signifier, dans les 24 heures, devant un tribunal compétent, toutes les accusations qui seront portées contre elle, le non-respect de cette disposition entraînant l'immunité totale du prévenu; 2) le droit qu'aucun cautionnement ou condition de nature exagérée ne puisse être exigé pour la remise en liberté de la personne contre qui auraient été logées des accusations; 3) le droit de subir son procès dans un délai maximum de six mois suivant la mise en accusation; toute violation de cette disposition entraîne l'acquittement automatique du prévenu.

Article 2, discrimination.

Toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la nature de la condamnation, la sentence reçue, les antécédents judiciaires, la personnalité, le comportement, le handicap, l'orientation sexuelle, les opinions, le sexe, la race, la couleur, l'origine nationale ou ethnique, les croyances politiques et religieuses, et qui a pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l'exercice, dans des conditions d'égalité, des libertés de la personne et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique, doit être proscrite des lieux d'enfermement. Il en va de même de tout autre motif non pertinent à l'incarcération.

Article 3. Règle du droit démocratique. Considérant que toutes les directives, ordonnances d'autorités en vigueur dans les prisons et qui n'ont pas force de loi laissent place à l'arbitraire, l'abus de pouvoir, le totalitarisme et sont contraires aux exigences d'une société démocratique, tous les règlements, lois, directives et ordonnances doivent découler directement des décisions de législateurs élus démocratiquement et avoir ainsi force de loi dans les prisons.

Article 4. Droit à l'intégrité physique. Tout détenu a droit à la vie et à la sûreté de sa personne; aucun détenu ne peut être tenu en esclavage, ni en servitude, ni soumis à la torture, ni à des peines, traitements ou thérapies cruels, inhumains ou dégradants.

Article 5. Droit à la santé. La possession du meilleur état de santé constitue l'un des droits fondamentaux de tout être humain. La santé est un état complet de bien-être physique, mental et social et non uniquement l'absence d'infirmité ou de maladie. Les détenus doivent avoir accès, et cela sans aucune restriction ni contrainte, aux connaissances, pratiques et traitements acquis par les sciences médicales et psychologiques.

Article 6. Droit aux relations sexuelles. Tout détenu a droit à des relations émotionnelles et sexuelles, quelle qu'en soit l'orientation, soit dans l'amitié, le concubinage ou dans le cadre du mariage. Tout détenu doit avoir accès aux moyens de contraception de son choix.

Article 7. Droit à la famille. Tous les détenus ont droit de fonder et d'assurer la continuité d'une famille, élément fondamental de la société, et de recevoir protection en sa faveur.

Article 8. Droit spécifique à la condition féminine. Toute détenue a le droit de décider de la poursuite ou de l'interruption d'une grossesse, aux conditions prévues dans la présente charte.

Considérant qu'un enfant doit pouvoir grandir et se développer d'une façon saine, ce qui implique une alimentation, un logement, des loisirs et des soins médicaux adéquats, dans une atmosphère d'affection et de sécurité morale et matérielle, toute femme qui accouche au cours d'une sentence d'emprisonnement doit bénéficier d'une libération.

Article 9. Droit au travail. Tous les détenus ont le droit de poursuivre leur progrès matériel et leur développement spirituel dans la liberté et la dignité, la sécurité économique et avec des chances égales. Tous les détenus ont droit au travail libre et volontaire, et ce labeur doit être rémunéré selon les critères qui régissent le monde du travail hors des institutions.

Article 10. Droit à la liberté d'expression. Considérant que la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux; 1. tout détenu peut parler, écrire, imprimer librement; 2. la censure doit être bannie des institutions; 3. le secret des lettres, des conversations privées ou téléphoniques est inviolable.

Article 11. Droit d'organisation. Les

détenus ont le droit, sans autorisation préalable, de constituer des organisations de leur choix, ainsi que celui de s'affilier à des organisations, d'élaborer des statuts et règlements, d'élire librement leurs représentants, d'acquérir une personnalité juridique, d'organiser leur gestion et leurs activités et de formuler leurs programmes d'action. Ces organisations peuvent prendre la forme de comités, de syndicats, de coopératives, etc.

Article 12. Droit de pétition. Le droit de présenter des pétitions aux dépositaires de l'autorité publique ne peut en aucun cas être interdit, suspendu ni limité.

Article 13. Droit de défense. Dans toutes les poursuites contre les détenus, l'accusé doit jouir du droit d'être jugé promptement et publiquement par un tribunal impartial et extérieur à l'institution. De plus, ledit accusé ne peut être obligé de témoigner contre lui-même. Il doit être informé de la nature et de la cause de l'accusation, être confronté avec les témoins à décharge, avoir l'assistance d'un avocat, ainsi qu'accès aux services et à la documentation nécessaires à une défense pleine et entière. Le détenu ainsi mis en accusation a droit à toutes les procédures et aucune preuve illégalement obtenue ne peut être retenue contre lui.

Article 14. Droit aux activités politiques. Considérant que les pouvoirs publics émanent du peuple, chaque détenu a le droit et le devoir de participer aux affaires publiques de son pays, de sa province ou de sa municipalité.

Ce droit est assuré par la participation aux consultations nationales, aux référendums, par l'exercice du droit de vote actif ou passif, par l'acceptation de fonctions publiques, tant administratives que judiciaires.

Article 15. Droit à la culture. Tous les détenus ont droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts, de participer au progrès scientifique, d'avoir accès à l'éducation et aux bienfaits qui en résultent.

Article 16. Droit à la révolte. Quand un gouvernement ou des autorités administratives ou des subalternes violent les droits des détenus et compromettent ainsi leur intégrité physique, intellectuelle, morale et spirituelle, la révolte sous toutes ses formes, prise dans le sens de la légitime défense, est pour chaque prisonnier le plus sacré des droits.

Article 17. Droit à l'évasion. Le fait, pour une personne, de sortir de l'établissement où elle est détenue sans accomplissement des formalités réglementaires et légales est un droit inaliénable. L'éventuelle capture d'un fugitif ne pourra en aucune façon donner lieu à une pénalité relative à l'évasion.

Article 18. Droit au pardon. Toute personne, à l'expiration de sa sentence, voit son casier judiciaire définitivement effacé. De plus, aucun renseignement relatif à ce dossier ne peut être divulgué, même pour des motifs qui tiennent à l'administration de la justice ou à la sécurité du pays, et le pardon ne peut être révogué.

Avant de répondre à vos questions, nous voulons soulever deux points. Tout d'abord, nous nous étonnons qu'un gouvernement adopte une loi stipulant que des articles de la charte ne s'appliquent pas. Nous pensons tout particulièrement à la loi québécoise des libérations conditionnelles qui stipule que les articles 23 et 34 de la charte ne s'appliquent pas.

L'article 23 se lit comme suit: "Toute personne a droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu'il s'agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de toute accusation portée contre elle. "Le tribunal peut toutefois ordonner le huis clos dans l'intérêt de la morale ou de l'ordre public. "Il peut également l'ordonner dans l'intérêt des enfants, notamment en matière de divorce...". Ce qui ne s'applique pas.

L'article 34 stipule: "Toute personne a droit de se faire représenter par un avocat ou d'en être assistée devant tout tribunal".

Deuxièmement, ce qui nous paraît très étonnant, c'est que le ministre de la Justice fasse tant de déclarations au sujet de la haute qualité de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne et que le même ministre assume la responsabilité de proposer et de voter des lois qui contiennent des "nonobstant" au sujet de la charte. Pour nous, la seule attitude que nous considérerons comme une preuve du réel intérêt des gouvernants pour les droits de la personne sera la promulgation d'une charte des droits et libertés fondamentales qui prévaudra sur toutes les lois de juridiction provinciale.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Bédard: M. le Président, il me fait plaisir de remercier la Ligue des droits et libertés de la présentation de son mémoire devant les membres de la commission. On pourrait peut-être régler un problème dès le départ. Vous venez de nous dire que vous vous étonnez qu'il y ait certaines lois où on stipule des "nonobstant" à la charte, où il y a des dispositions qui s'appliquent nonobstant la charte. Je ne pense pas qu'on doive condamner sans aucune nuance certaines dispositions du législateur. Je pense, par exemple, à la Loi sur la protection de la jeunesse où il y a un "nonobstant la charte" concernant les audiences publiques. Cela

dépend pourquoi on met la charte de côté; il peut y avoir des situations tout à fait exceptionnelles. Par exemple, d'une façon générale, on demande des audiences publiques; lorsqu'il s'agit de la règle générale devant les tribunaux, ce sont des audiences publiques. Cependant, quand il s'agit des jeunes - je pense à la Loi sur la protection de la jeunesse - il y a un "nonobstant les dispositions de la charte" parce que nous croyions à ce moment-là - et tous les membres de l'Assemblée étaient d'accord -que la règle générale, lorsqu'il s'agit de jeunes de moins de 18 ans, ne devait pas être dans le sens des audiences publiques, mais plutôt dans le sens du huis clos de manière que ces jeunes ne subissent aucun préjudice à la suite de leur comparution devant un tribunal de la jeunesse. Le fait que dans une loi il y ait une stipulation d'ignorer certaines dispositions de la charte, ce n'est pas toujours très négatif. Il faut évaluer chacune des situations à sa juste mesure. Prenez, concernant les libérations conditionnelles... (22 h 45)

M. Bernheim: Avant de passer aux libérations conditionnelles, si on regarde l'article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne, il est déjà stipulé que le huis clos peut être demandé dans le cas où l'intérêt des enfants notamment en matière de divorce, séparation, etc... Par conséquent, les principes d'une charte ne peuvent pas être remis en cause systématiquement. Ou bien les droits doivent s'appliquer, ou bien ils ne doivent pas s'appliquer. Si on commence à accepter des dérogations au niveau des principes, des droits, c'est comme ça qu'on donne ouverture à l'abus de pouvoir. La charte prévoit déjà le huis clos dans des cas concernant des enfants. Il est dit: Le tribunal peut toutefois ordonner le huis clos dans l'intérêt de la morale ou de l'ordre public. Par conséquent, il n'était pas nécessaire d'ajouter un "nonobstant" dans la Loi sur la protection de la jeunesse.

M. Marx: Nous avons proposé une charte enchâssée dans la constitution...

M. Bédard: Ne mêlons pas la constitution et la charte. Si vous me permettez. Est-ce que vous avez décidé de m'interrompre avant qu'on commence?

M. Marx: On a parlé d'une charte enchâssée dans les lois du Québec.

M. Bédard: Je suis bien d'accord avec vous qu'on ne peut pas mettre en cause systématiquement la charte. Il peut y avoir des situations d'exception où il y a des dispositions qui s'appliquent nonobstant la charte. Mais tout cela est fait en fonction d'un but qui est très louable; en ce qui regarde la Loi sur la protection de la jeunesse, justement, on ne voulait pas laisser de discrétion. C'était à l'unanimité des membres de l'Assemblée nationale. On ne voulait pas laisser de discrétion de ce côté. On voulait absolument que le huis clos soit la règle générale quand il s'agit de jeunes en bas de 18 ans. Je tiens à vous dire très sincèrement que je suis loin de regretter cette disposition parce que je crois encore qu'elle était très justifiée.

En tout cas, chacun a le droit à son opinion. Il faut que ce soient des situations exceptionnelles, je suis d'accord avec vous, et non pas une remise en cause systématique de la charte lorsqu'il s'agit des législations de façon générale.

Maintenant, dans votre charte...

M. Bernheim: Vous avez parlé des libérations conditionnelles aussi où deux articles de la charte ne s'appliquent pas. Ce sont les principes de droits fondamentaux de pouvoir avoir une défense pleine et entière. Au niveau des libérations conditionnelles, la personne qui passe en audience ne peut pas avoir droit à une défense pleine et entière parce qu'elle ne peut pas être assistée d'un avocat. Elle ne peut pas avoir accès à son dossier. Par conséquent, c'est inacceptable.

M. Bédard: S'il n'y avait pas eu de "nonobstant", peut-être qu'il n'y aurait pas eu de loi des libérations conditionnelles aussi avec...

M. Bernheim: Mais ce "nonobstant" n'apparaît même pas dans la loi fédérale des libérations conditionnelles, loi fédérale qu'on ne peut pas qualifier non plus reconnaissant tous les droits des citoyens, mais la charte québécoise, elle, va encore au-delà de la charte fédérale dans la restriction des droits. C'est proprement inacceptable que pour une catégorie de citoyens on tolère qu'une défense pleine et entière ne puisse être exercée. Dans toute législation, il est fondamental que le respect des droits soit là. C'est pour ça que la charte...

M. Bédard: Une seconde. Il ne faudrait quand même pas mêler un procès devant un tribunal avec une preuve qui est faite devant un comité concernant les libérations conditionnelles. C'est quand même deux choses un peu différentes.

M. Bernheim: C'est une question de liberté des gens parce qu'il s'agit de la mise en liberté de gens et si ces gens ne peuvent pas avoir une défense pleine et entière par rapport à leur libération, cela veut dire qu'on donne à des gens des pouvoirs qui leur permettent de ne pas respecter...

M. Bédard: Je m'excuse. Ces gens dont vous parlez ont eu droit à un procès selon les règles qui prévalent devant un tribunal où il y a la défense pleine et entière et tous les principes dont vous avez parlé. Quand on parle de libération conditionnelle, il s'agit du fait pour une commission de libération de statuer sur un point bien précis, à savoir si elle va octroyer ou non une libération conditionnelle à un prévenu. Ce n'est pas tout à fait, vous en conviendrez avec moi, le même mécanisme.

M. Bernheim: Ce n'est pas le même mécanisme, mais la personne...

M. Bédard: Ce n'est pas le même processus que lorsqu'on parle d'un procès en bonne et due forme devant des tribunaux où il s'agit non pas de décider de l'octroi d'une libération conditionnelle, mais où il s'agit de décider de la culpabilité ou de la non-culpabilité. Il y a quand même des distinctions à faire. En tout cas, vous avez droit à votre idée.

M. Gosselin: L'expérience nous démontre éloquemment qu'une apparition devant les libérations conditionnelles prend souvent l'allure d'un second procès et les conséquences sont les mêmes puisque c'est un réemprisonnement de la personne demandant une libération, donc, devant bénéficier de tous les droits pour un procès ordinaire.

M. Bédard: Chacun a...

M. Bernheim: Ce n'est pas chacun. Il s'agit...

M. Bédard: Non, non, mais chacun a sa manière de voir. Je ne partage pas votre opinion là-dessus. C'est tout.

M. Bernheim: Non, mais c'est beaucoup plus fondamental que cela dans le sens qu'on a actuellement une Charte des droits et libertés de la personne, laquelle charte n'a pas pleine force actuellement. Actuellement, la charte n'est effective qu'au niveau des articles 10 à 19 en ce qui concerne la discrimination, mais, quand il s'agit des droits fondamentaux qui sont inscrits dans cette charte, les gens n'ont pas les moyens de s'assurer du respect de cette charte. C'est à ce niveau...

M. Bédard: Non, je m'excuse, monsieur. Je m'excuse. Le droit fondamental qui est inscrit dans la charte est celui, pour tout individu, d'avoir un procès juste, équitable et d'avoir, autrement dit, la certitude et toutes les précautions nécessaires, de telle sorte que, s'il y a une condamnation, elle est faite dans le respect des lois qui existent et du

Code criminel. Quand il s'agit de décider d'une culpabilité ou d'une non-culpabilité, cela peut être différent en termes de situation que lorsqu'il s'agit de décider s'il y a lieu d'octroyer ou non une libération conditionnelle.

Je pense qu'on pourrait en discuter longtemps ensemble, mais il y a peut-être une question que je voudrais quand même vous poser concernant la charte que vous nous proposez, dont vous avez lu l'ensemble des articles de 1 à 18. À l'article 17, par exemple, vous parlez du droit à la révolte, à l'évasion. Pourriez-vous préciser un peu plus cet article?

M. Bernheim: Ce qu'on entend par droit à l'évasion, c'est assez simple. Toute personne qui est incarcérée a humainement la réaction de vouloir s'évader. Pour nous, cela paraît être une réaction humaine normale. Par conséquent, si une personne s'évade sans commettre de délit contre le Code criminel en s'évadant, il nous apparaît aberrant de pénaliser cette personne en lui donnant une sentence supplémentaire quand elle a répondu à un sentiment humain normal. Le droit à l'évasion est un droit qui est déjà reconnu pour certains types d'accusations en France, qui est déjà reconnu en Angleterre au niveau de l'application, dans le sens qu'une personne n'est pas pénalisée pour le fait de s'être évadée comme tel, et c'est la même chose en Hollande. Par conséquent, on demande que, si une personne se retrouve évadée ou en liberté illégale, parce qu'elle a répondu à une réaction humaine normale... Parce que, si une personne incarcérée, à un moment donné, ne veut plus s'évader, il nous apparaît qu'il y a là un problème important. Tant qu'une personne veut s'évader, c'est qu'elle a encore des sentiments humains assez forts qui lui permettent de vouloir sortir de cet internement. Par conséquent, elle ne devrait pas être pénalisée pour un sentiment humain normal.

M. Bédard: Est-ce que je vous ai bien compris? Vous avez fait une nuance, pourvu qu'il n'y ait pas de délit de commis au cours de l'évasion. Voulez-vous dire par là pourvu que cette évasion n'entraîne pas la commission d'actes criminels ou d'infractions...

M. Bernheim: C'est exactement cela.

M. Gosselin: Par exemple, en France, s'il n'y a pas de prise d'otage, d'assaut sur un gardien ou de bris de prison inutile, c'est-à-dire que, si pour un détenu qui veut s'évader, il n'est pas nécessaire de scier les barreaux pour passer à travers la fenêtre, il n'y a pas bris de prison à ce moment-là. Mais si le détenu saccage toute la prison,

toute sa cellule avant de s'évader, on considère qu'il y a bris de prison, qu'une violence inutile a été exercée contre les bâtiments de l'État, et là il y a des accusations de portées.

M. Bernheim: Des accusations portées strictement sur le délit commis...

M. Bédard: Et non sur l'évasion. Effectivement, dans l'état de notre droit, lorsqu'il y a évasion, il y a une accusation spécifique concernant l'évasion, qu'elle se fasse avec ou sans délit.

M. Gosselin: II faut considérer aussi que c'est peut-être le contexte historique qui a joué énormément en Europe pour l'adoption d'une telle législation. Pendant la guerre, des juges ont été incarcérés, des avocats, et le reste, ils se sont évadés, ils ont peut-être compris cette question au point de ne pas pénaliser les évasions pour les criminels de droit commun. On ne souhaite pas que les ministres ou députés soient incarcérés, mais si cela peut amener cette compréhension-là...

M. Bédard: Si cela devait arriver, il serait naturel que le goût de l'évasion vienne aussi.

M. Marx: ... des prisons dans une autre province.

M. Bédard: Vous visiterez celles du monde entier, on parle d'un million ou de deux millions de personnes.

M. Marx: ... L'Ontario.

M. Bédard: Le droit de pétition, il existe à l'heure actuelle.

M. Bernheim: II existe. Au niveau de la pratique, évidemment, il y a des difficultés mais en principe, oui, il existe. Si on l'inscrit là, c'est pour qu'il soit véritablement réinscrit et reconnu comme tel.

M. Bédard: Pourriez-vous préciser un peu plus concernant le droit d'organisation qui peut prendre la forme de comités - cela existe déjà - de syndicats, de coopératives, etc.?

M. Bernheim: Dans la suite de notre logique, si le droit au travail est reconnu, il est normal de permettre aux détenus de se syndiquer ou de se regrouper d'une façon ou d'une autre. Ou ils peuvent se regrouper pour toute autre raison, pour un journal, pour une incorporation quelconque, comme bon leur semble, en fonction des activités qu'ils voudront mener, comme on peut le faire à l'extérieur des institutions carcérales.

M. Bédard: Concernant le droit aux activités politiques, vous avez indiqué la loi qui a été adoptée par cette Assemblée nationale pour donner le droit de vote aux détenus. Vous allez plus loin dans votre article 14. Il ne s'agit pas seulement de participation et du droit de vote, mais de la possibilité d'acceptation de charges, de fonctions publiques, tant administratives que judiciaires. Est-ce que vous pourriez...

M. Bernheim: C'est-à-dire qu'on ne voit pas pour quelle raison ces gens devraient être automatiquement exclus du processus politique. Si on est dans un...

M. Bédard: Je ne vous dis pas le contraire, je vous pose la question justement pour vous permettre de préciser les fonctions...

M. Bernheim: Dans un contexte démocratique, il nous apparaît que ce droit devrait être reconnu et que les détenus pourraient ou devraient pouvoir participer pleinement aux activités politiques, à tous les niveaux.

M. Marx: Comme en Irlande du Nord. Un détenu pouvait être élu.

M. Bédard: Concernant l'article 18, le droit au pardon, vous étiez ici, dans cette salle, tout à l'heure, lorsqu'on a parlé de la situation qui fait qu'à l'heure actuelle, pour le casier judiciaire, il y a un certain pardon qui est donné du coté des autorités fédérales, mais quand le casier judiciaire n'est pas enlevé, qu'est-ce que vous proposeriez?

M. Bernheim: C'est purement et simplement l'abolition du casier judiciaire. Étant donné que la société, en principe, considère une peine donnée par un juge comme étant la dette qu'une personne doit payer à la société, une fois la peine purgée, il nous apparaît que la dette devrait être payée définitivement. Dans cette perspective, il n'y a pas de casier judiciaire, puisqu'on dit que la peine, c'est la sentence, purement et simplement. On voit, au niveau de la pratique, que le casier judiciaire, finalement, est une peine à vie, puisque la personne... (23 heures)

M. Bédard: Lorsqu'il y a pardon, ce que vous demandez, c'est que tout soit mis en oeuvre pour effacer toute trace...

M. Bernheim: C'est ça, que le pardon soit automatique à la fin de la peine et que, par conséquent, il n'y ait pas de casier judiciaire afin qu'on ne puisse plus poser la question: Avez-vous un casier judiciaire? Il n'y aurait plus de casier judiciaire. Là, ça réglerait tous les problèmes fondamentaux

que les ex-détenus peuvent rencontrer à leur sortie à cause de l'existence du casier judiciaire, tant au niveau du travail que dans les déplacements aux États-Unis ou toute autre activité sociale.

M. Gosselin: II faut bien comprendre que le casier judiciaire ne frappe pas les gens qui ont commis des crimes, mais bien ceux qui ont été reconnus coupables de crime. Quand on connaît le taux de résolution des crimes commis, ça veut dire que beaucoup de gens, dans la société, ont commis des crimes, mais n'ont pas de casier judiciaire et méritent tous les emplois et privilèges d'un citoyen qui n'a pas de casier.

M. Bédard: Effectivement, le taux de solution est très bas.

M. Gosselin: Mais je ne veux pas parler là-dessus.

M. Marx: Cela coûte très cher par cas, mais le taux de solution est très bas.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: J'aimerais vous remercier pour votre mémoire, qui comprend seulement trois pages, mais qui peut mériter trois ou quatre heures de discussion, au moins. Vous avez condensé, effectivement, une charte dans trois pages, et chaque article y a beaucoup d'importance. J'ai entendu dire qu'une étude sur les droits des détenus a été faite au ministère de la Justice. Est-ce que je me trompe, M. le ministre? Est-ce que le ministère a fait une étude sur les droits des détenus?

M. Bédard: II y a eu, depuis que je suis en fonction, une refonte du règlement relatif aux établissements de détention. Le 1er juin 1979, le nouveau règlement relatif aux établissements de détention est entré en vigueur. Ce règlement innove à plusieurs égards et officialise, autrement dit, plusieurs usages déjà implantés dans les établissements de détention, tels que les programmes d'activités rémunérées, la création d'un comité de discipline et d'un comité d'absences temporaires. C'est le nouveau règlement que nous avons adopté à la suite, d'ailleurs, de bien des représentations qui ont été faites par plusieurs organismes, dont celui qui est avec nous ce soir. Le nouveau règlement tient compte des règles minimales de l'ONU concernant les personnes incarcérées, le respect de leurs droits, le droit d'être carrément informées.

M. Marx: On connaît le livre vert. Mais est-ce que vous avez des études sur les droits des détenus à part cela? Non?

M. Bédard: J'aimerais comprendre ce que vous voulez dire.

M. Marx: Est-ce que vous avez fait sur les droits des détenus des études que vous n'avez pas rendues publiques encore?

M. Bédard: Non. J'essaie de bien comprendre votre question.

M. Marx: Je répète ma question: Est-ce que vous avez fait sur les droits des détenus des études que vous n'avez pas rendues publiques et qu'on aimerait voir, le cas échéant?

M. Bédard: Enfin, c'est à la suite de l'évaluation de ce qui se passait, des pratiques qui existaient auparavant concernant les détenus, que nous avons jugé bon, en juin 1979, de mettre en vigueur un nouveau règlement relatif aux établissements de détention et plus respectueux des droits.

M. Marx: C'est-à-dire que, dans le règlement, on prévoit beaucoup de comités, mais, dans chaque prison, on ne retrouve pas tous ces comités, comme le comité des fonds des détenus n'existe pas dans tous les établissements. Peu importe, pour diverses raisons, j'imagine que ça n'existe pas partout.

Pour revenir à la question fondamentale que l'Office des droits des détenus a posée, c'est-à-dire une charte enchâssée dans les lois du Québec, le premier jour de cette commission j'ai proposé aussi, au nom de l'Opposition officielle, qu'on enchâsse la Charte des droits et libertés de la personne dans les lois du Québec et j'ai suggéré une procédure. Parce que, si on peut passer outre à la charte, comme cela a été suggéré, on va le faire. Tout ce qu'on fait ici, c'est critiquer le fédéral. Au fédéral, la Déclaration canadienne des droits a une clause "nonobstant" et, quand le gouvernement fédéral a décidé de passer outre à la Déclaration canadienne des droits lors des événements d'octobre, les membres du Parti québécois n'étaient pas heureux. Ils ont dit: Pourquoi avoir une charte si on peut passer outre à cette charte?

M. Bédard: Mais...

M. Marx: Un instant, M. le ministre, je n'ai pas terminé.

M. Bédard: ... vous vous adressez à moi; j'allais vous poser une question.

M. Marx: Je n'ai pas terminé. Non, je m'adresse à M. Bernheim pour voir s'il est d'accord.

Quand c'était au fédéral, on n'était pas d'accord, mais, quand c'est au provincial, on

dit que c'est nécessaire. Je vois cela comme cela.

Je n'ai pas compris l'intervention du ministre; vous pourrez peut-être m'expliquer cela davantage, M. Bernheim. Je ne vois pas la nécessité d'avoir mis dans la Loi sur les libérations conditionnelles une clause "malgré la charte".

M. Bernheim: Nous non plus, on ne voit pas la raison fondamentale de ce "nonobstant".

M. Bédard: Au fédéral, est-ce qu'on a un "nonobstant" la Déclaration canadienne des droits?

M. Bernheim: Pas au niveau de la Loi fédérale sur les libérations conditionnelles, non. D'ailleurs, au niveau de la Loi fédérale sur les libérations conditionnelles, la réglementation a été modifiée récemment pour justement permettre aux détenus d'être assistés d'un avocat lors des audiences des libérations conditionnelles.

De plus, il y a la loi fédérale qui permet aux détenus de consulter leur dossier. Évidemment, il y a des exceptions dans l'accessibilité à certains éléments du dossier qui pourraient mettre la sécurité nationale en danger, etc., mais il y a déjà là un point en avant, dans le sens que le détenu peut consulter son dossier et, par cette consultation, peut voir les éléments sur lesquels il va être jugé pour obtenir ou ne pas obtenir une libération conditionnelle.

M. Marx: Donc, votre conclusion, c'est que la loi québécoise est plus contraignante que la loi fédérale sur ce point vis-à-vis des détenus.

M. Bernheim: C'est évident.

M. Marx: C'est évident. Bien! Dans votre projet de charte, il y a un certain nombre de droits qui sont déjà encadrés dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. D'accord?

M. Bernheim: Oui, oui.

M. Marx: II y en a un certain nombre qui sont déjà là. J'aimerais vous poser peut-être une ou deux questions sur des articles précis. Prenons l'article 1, paragraphe 3, "Le droit de subir son procès dans un délai maximum de six mois suivant la mise en accusation; toute violation de cette disposition entraîne l'acquittement automatique du prévenu." Je suis allé dans les centres de détention où des gens sont jusqu'à 18 mois dans l'attente de leur procès. Il faut dire que ce n'est pas toujours la faute du gouvernement, c'est-à-dire que ce n'est pas la faute du Procureur de la couronne. Ce pourrait être aussi parce que le prévenu veut se prévaloir de certaines procédures pour que, comme on dit, on "stall" l'affaire le plus longtemps possible. Cela arrive.

M. Bernheim: C'est évident que ça peut arriver dans certains cas.

M. Marx: Donc, ce serait possible pour le prévenu de tergiverser pour avoir un acquittement automatique.

M. Bernheim: II s'agit simplement de mettre en place les mécanismes qui vont faire en sorte que le procès se tiendra dans les six mois. Un type d'article comme ça existe déjà en Hollande et les mécanismes sont prévus pour que ça puisse se faire.

M. Marx: Et au Québec?

M. Bernheim: Actuellement, non, il n'y a aucun délai maximum prévu; ça peut durer cinq ans, dix ans, vingt ans, théoriquement.

M. Marx: Oui, mais est-ce que c'est déjà arrivé à cause...

M. Bernheim: C'est évident, il y a des causes qui ont duré dix ans.

M. Marx: Si la personne va en appel, d'accord.

M. Bernheim: Non, on parle d'un premier procès. L'appel, c'est une autre...

M. Marx: Un premier procès criminel qui dure dix ans?

M. Bernheim: Peut-être pas nécessairement criminel, mais certains procès... Oui, au niveau de certaines fraudes, cela peut durer jusqu'à dix ans. Oui, criminel au niveau des fraudes, cela peut durer jusqu'à dix ans.

M. Marx: Si quelqu'un va en appel, d'une cour à l'autre.

M. Bernheim: Non, on ne parle pas...

M. Marx: Si cela traîne pendant dix ans, ce peut être au bénéfice du prévenu parce qu'il utilise tous ses droits d'appel.

M. Bernheim: Ce ne sont pas nécessairement des appels. On parle d'un premier procès, il y a une accusation et on demande que le procès débute dans les six mois. Si, pour des raisons d'un ordre ou d'un autre, le délai n'était pas respecté, il s'agirait de faire en sorte, chez les autorités administratives, que le procès se fasse.

M. Marx: D'accord, je comprends ce que vous voulez dire. Mais, souvent, cela prend plus de six mois à cause des délais que le prévenu lui-même aime avoir.

M. Bédard: Me permettez-vous une petite question?

M. Bernheim: Oui, mais il s'agit là d'exceptions. Ce qu'il faut voir, au niveau des principes, c'est qu'une personne qui est accusée doit pouvoir être libérée de son accusation dans un délai raisonnable, que le processus judiciaire soit de telle sorte que ce délai puisse se faire.

M. Marx: Est-ce qu'il y a vraiment des abus, aujourd'hui?

M. Bédard: Est-ce que vous me permettez une question?

M. Marx: Oui, j'ai juste une question, M. le ministre. Est-ce qu'il y a vraiment des abus dans notre système actuel? Est-ce que vous avez des exemples?

M. Bernheim: C'est évident qu'il y a des abus, surtout quand on connaît les conditions de détention qui règnent actuellement à Parthenais, c'est-à-dire qu'une personne qui est incarcérée à Parthenais et accusée va fréquemment plaider coupable après un certain temps, après sept, huit, dix mois, un an, pour la simple et bonne raison qu'elle veut quitter cet endroit. S'il était obligatoire que le procès se tienne dans les six mois, la personne ne serait pas obligée de subir des conditions de détention si longues et, par conséquent, elle ne plaiderait pas coupable et elle aurait un procès. Elle pourrait éviter de plaider coupable quand elle ne l'est pas.

M. Marx: Oui, c'est un bon exemple. Je suis allé à Parthenais et, effectivement, on m'a dit que les gens vont plaider coupable pour sortir de Parthenais et aller ailleurs.

Avez-vous une question, M. le ministre? Non? C'est parce que j'ai deux autres petites questions.

M. Bédard: J'ai eu la réponse. Je me demandais si vous faisiez une distinction, quand vous parlez de délai de procès, entre les détenus qui bénéficient d'un cautionnement et les personnes qui n'en ont pas. Ce sont deux situations différentes.

M. Bernheim: II faut toujours garder en perspective que c'est en fonction de la détention que nous exigeons six mois.

M. Bédard: D'accord.

M. Marx: Souvent, les gens ont droit à un cautionnement, mais... À Parthenais, j'ai rencontré quelqu'un qui recevait de l'aide sociale. Son cautionnement était de $300. Il est entré à Parthenais, son aide sociale a été coupée; il n'a pas de parents et il ne pourra donc pas sortir avant d'avoir son procès; il sera peut-être jugé non coupable. C'est une injustice. On va parler de cela dans un autre forum. On va avoir beaucoup de forums, M. le ministre, pour discuter de ces choses.

M. Bédard: Cela me fera plaisir. Délibérément, je n'engage pas la discussion, mais j'ai bien hâte de l'engager avec vous.

M. Marx: Bon, l'article 8 m'intéresse beaucoup, m'intrigue même. Droit spécifique à la condition féminine. Je cite: "Toute détenue a le droit de décider de la poursuite ou de l'interruption d'une grossesse aux conditions prévues dans la présente charte. Considérant qu'un enfant doit pouvoir grandir et se développer d'une façon saine, ce qui implique une alimentation, un logement, des loisirs et des soins médicaux adéquats dans une atmosphère d'affection et de sécurité morale et matérielle, toute femme qui accouche au cours d'une sentence d'emprisonnement doit bénéficier d'une libération."

C'est-à-dire - et ce n'est pas pour faire une blague - qu'une femme qui est enceinte depuis six mois, peut commettre un crime parce qu'il n'y a pas beaucoup de danger qu'elle fasse du temps en prison. (23 h 15)

M. Bernheim: II s'agit de voir. Je ne pense pas qu'il y ait des femmes qui commettent des crimes, parce qu'elles sont enceintes de six mois. Cet article est déjà à l'étude au niveau des Nations Unies. Au dernier congrès des Nations Unies, le sixième congrès pour la prévention du crime et les traitements des délinquants a accepté de prendre en considération l'étude d'une telle proposition parce que quand on analyse le type de criminalité que les femmes commettent avec les répercussions sociales que cela peut avoir, on se rend compte que ce sont rarement des crimes violents. Deuxièmement, quand il s'agira de l'application du mode de libération, il y aura toujours moyen pour les autorités de voir à l'application de cette libération. On pense qu'une femme qui est enceinte ne doit pas, une fois qu'elle a accouché, être obligée soit de garder son enfant à l'intérieur d'une prison ou d'abandonner son enfant.

M. Marx: Je ne suis pas contre le principe. Je veux voir les effets. En combinant l'article 8 et l'article 7 où on trouve le droit à la famille, une femme qui a commis un meurtre - cela existe au Québec, il y en a quelques-unes à la maison

Tanguay - va avoir selon votre charte le droit d'établir une famille. D'accord? Donc, elle doit avoir la possibilité d'être enceinte. Si elle a une sentence de dix ans, elle ne va pas purger plus de dix mois, douze mois. Ce serait mettre une femme sur un régime assez spécial.

M. Bernheim: Surtout si on prend la question des meurtres. Quand on regarde qui commet les meurtres et dans quelles circonstances, on se rend compte que la majorité des gens qui commettent des meurtres est dans des situations sociales et économiques bien précises, c'est-à-dire défavorisées. Il est démontré que la majorité des meurtriers ne récidive pas et encore là, la libération peut toujours se faire dans le cadre d'une certaine surveillance et la personne en question qui mettrait au monde un enfant serait tenue de l'éduquer puisqu'elle voudrait avoir cet enfant, par conséquent, quand on parle de réhabiliter les gens, les réinsérer dans la société, le cadre familial aujourd'hui est encore considéré comme un cadre important de notre société, par conséquent, une preuve, en tout cas, ou un moyen de faire en sorte que cette personne ne soit pas exclue de la société, qu'elle puisse y vivre à l'intérieur et puisse être un élément productif qui amènerait une évolution générale sociale.

M. Marx: Peut-être que la conclusion générale à laquelle mène vos idées, c'est qu'il ne faut pas emprisonner des gens qui commettent des crimes.

M. Bernheim: C'est évident que notre position est très connue. On est pour l'abolition de la prison. Par conséquent, cela ne va certainement pas à l'encontre de notre position globale.

M. Marx: À cause de votre projet de charte, je vois où cela mène. Cela mène effectivement à l'abolition des prisons. D'accord. Merci.

M. Gosselin: Nous sommes même à ce point convaincus que notre projet de charte peut aller un peu à l'encontre des prisons. On est convaincu qu'aucun principe de droit ne peut s'appliquer dans les prisons ou pénitenciers présentement. Je suis convaincu que n'importe quel des articles qui apparaissent à la charte ne pourrait s'appliquer dans une maison de détention actuelle sans que cela perturbe très sérieusement... Le principe de droit est antinomique par rapport aux prisons et aux pénitenciers.

M. Marx: Oui, mais la charte n'est pas appliquée dans les prisons, c'est évident. C'est sûr.

Le Président (M. Desbiens): S'il n'y a pas d'autres interventions, je remercie les participants.

M. Bernheim: Avant de clore tout ça, j'aimerais répéter que l'aspect le plus important sur lequel on veut insister, c'est que la Charte des droits et libertés de la personne du Québec soit une loi fondamentale qui prévaut sur toutes les autres lois. Cela nous apparaît le point majeur et ce sera, à notre avis, dans ce sens, qu'on va voir si réellement la question des droits est une préoccupation vraiment importante ou bien si c'est simplement une façon plus ou moins électoraliste de se rallier un certain nombre de personnes, parce que...

M. Bédard: On est d'accord avec vous.

M. Bernheim: ... tant qu'une charte ne sera pas fondamentale, il y aura toujours moyen, pour une raison ou pour une autre, de la rejeter parce que le législateur, dans sa supposée sagesse, va considérer que, dans tel cas particulier, il n'est pas nécessaire de l'appliquer. Comme il nous apparaît que les droits doivent être respectés tout le temps, sans aucune exception, le seul moyen dans le cadre dans lequel on vit actuellement, c'est d'avoir une charte fondamentale.

M. Bédard: Dans son mémoire, le barreau préconisait le fait qu'il soit nécessaire d'obtenir l'assentiment des deux tiers des membres de l'Assemblée nationale pour que puisse être faite une dérogation à la charte dans un cas précis. Que pensez-vous de cette suggestion?

M. Bernheim: Ce n'est pas plus acceptable, les deux tiers, les trois quarts, les 99%. C'est une loi fondamentale ou cela n'en est pas une. Si un parti au pouvoir a les deux tiers des voix, il peut décider, dans sa sagesse, que la charte ne s'appliquera pas pour un certain temps et, par conséquent, il va pouvoir brimer les droits des gens dans toute la légalité qu'il voudra. C'est ce qui n'est pas acceptable. Ou bien on reconnaît que les droits doivent être respectés, ou bien on reconnaît qu'on peut brimer occasionnellement les droits des gens. Le Canada...

M. Bédard: Là, vous parlez de brimer. Vous employez l'expression "brimer les droits des gens" lorsqu'il y a un "nonobstant" à la charte dans une loi. Ce n'est pas toujours dans le but de brimer des droits. Je vous donne un exemple bien pratique où cela a été fait. Dans la loi 24, par exemple, à l'article...

M. Gosselin: M. Bédard, que penserait-

on d'une loi...

M. Bédard: Si vous permettez, je vais vous donner un exemple pratique. Ce n'est peut-être pas de la philosophie.

M. Gosselin: ... antidiscriminatoire qui exclurait une nationalité, si on disait: C'est universel sauf pour telle ethnie? À ce moment-là, ce serait absurde.

M. Bédard: Non, non, mais cela ne va pas. On est bien d'accord là-dessus. D'ailleurs, la charte... Je pense qu'il ne viendrait jamais à l'esprit des deux tiers d'une Assemblée nationale de croire qu'ils sont pour la protection des droits et libertés en se permettant de mettre de côté une ethnie par rapport à d'autres.

M. Gosselin: À ce moment-là, que penser d'une législation qui exclut la charte ou des articles de la charte? C'est la même chose.

M. Bédard: Je vais vous donner un exemple qui peut, je pense, s'évaluer entre gens de bonne foi. Vous allez voir que ce n'est pas toujours dans le but de brimer les droits des gens qu'il arrive que, dans certaines lois, il y ait une spécification de "nonobstant la charte". Prenez, par exemple, l'article 82 de la Loi sur la protection de la jeunesse où on dit ceci: "Nonobstant l'article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne, les audiences se tiennent à huis clos. Toutefois, le tribunal doit en tout temps admettre à ses audiences un membre du comité - de la protection de la jeunesse -ainsi que toute autre personne que le comité autorise par écrit à y assister." On peut avoir votre position de principe concernant la charte ou encore une autre position qui va dans le sens de la proposition du barreau ou dans le sens d'une proposition qui est semblable émise par mon collègue de l'Opposition qui, effectivement, parlait des deux tiers, de la nécessité des deux tiers pour mettre de côté la charte, mais, dans le cas précis dont je vous parle, la Loi sur la protection de la jeunesse, c'est clair que cela n'a pas été fait - et cela se voit à sa face même - pour priver ou brimer qui que ce soit de ses droits. Cela a été fait pour répondre, justement, à une situation particulière qui est celle des enfants de moins de 18 ans qui doivent comparaître devant une cour. Le législateur, par cet article, veut qu'il n'y ait absolument rien, concernant les procédures qui peuvent être intentées vis-à-vis d'un jeune de moins de 18 ans, qui soit rendu public, de ce qui serait de nature à nuire non pas à la population, non pas à des droits, mais aux droits de l'enfant. C'est dans le sens de donner plus de droits à une personne humaine qui est l'enfant.

On peut avoir un raisonnement théorique, de part et d'autre, qui est différent, mais on ne peut quand même pas soutenir qu'un article comme celui-là est fait pour brimer qui que ce soit de ses droits; au contraire, c'est pour aider une catégorie particulière de citoyens que représentent les jeunes.

M. Bernheim: Pour être bien pratique, lisons l'article 23. Que dit-il? "Toute personne a droit, en pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant qui ne soit pas préjugé, qu'il s'agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de toute accusation portée contre elle. "Le tribunal peut toutefois ordonner le huis clos dans l'intérêt de la morale ou de l'ordre public. "Il peut également l'ordonner dans l'intérêt des enfants, notamment en matière de divorce, de séparation de corps.... etc."

Par conséquent, l'article 23 spécifie déjà qu'il est possible d'exiger le huis clos pour les enfants - laissez-moi terminer - ce qui fait...

M. Bédard: Je ne vous ai pas interrompu.

M. Bernheim: ... que si l'article 23 est retiré de l'application pour les enfants, cela veut dire que cette personne, l'enfant, n'a pas droit à une pleine égalité devant un tribunal. Or, l'article 23 permet le huis clos. Par conséquent, la Loi sur la protection de la jeunesse aurait pu dire que l'alinéa stipulant que le huis clos peut être appliqué pour les enfants sera appliqué, mais concernant la première partie où il est dit que "toute personne a droit, en pleine égalité..." là, la pleine égalité ne pourra pas être exercée entièrement, puisque la personne en cause, l'enfant, va voir cet article complètement retiré.

M. Bédard: Excusez-moi, je croyais que vous aviez terminé.

M. Bernheim: II n'était pas nécessaire d'ajouter dans la Loi sur la protection de la jeunesse, "nonobstant l'article 23", puisque l'article 23 prévoit déjà le huis clos.

M. Bédard: Je prétends complètement le contraire, avec tout le respect que j'ai eu pour votre opinion. Il s'agit de lire comme il faut cet article pour conclure que ce n'est pas si hermétique que vous semblez le laisser croire. Effectivement, lisez-le comme il faut. Le troisième paragraphe dit: "II peut également ordonner le huis clos - le juge -dans l'intérêt des enfants, notamment en matière de divorce, de séparation de corps,

de nullité de mariage ou de déclaration ou désaveu de paternité". C'est spécifié.

Dans le deuxième paragraphe, on dit: "Le tribunal peut toutefois ordonner le huis clos dans l'intérêt de la morale ou de l'ordre public." Cela est encore plus général. Le législateur aurait pu se dire qu'en vertu de cet article, il y a tout ce qu'il faut pour qu'un juge qui prend l'intérêt de l'enfant... pour qu'on puisse conclure que les juges, d'une façon générale, vont ordonner le huis clos.

Il n'y a rien dans cet article qui empêche qu'un juge qui a sa manière de concevoir l'intérêt de l'enfant en vienne à la conclusion qu'il doit y avoir des audiences publiques, si on laisse l'article seulement comme il est là. Justement, le législateur a voulu, lorsqu'il s'agit des enfants, que la règle soit le huis clos, de manière non pas à enlever des droits à l'enfant, mais de manière à le protéger contre tout ce qui pourrait être de nature à lui nuire en fonction de l'avenir. Je pense qu'à partir de ce cas-là, prétendre qu'une exception qui est faite à la charte, dans une loi, a nécessairement comme effet de brimer quelqu'un de ses droits, c'est une conclusion erronée. L'article 82 de la Loi sur la protection de la jeunesse est vraiment l'exemple du contraire; c'est plutôt pour protéger encore mieux les droits de l'enfant.

M. Gosselin: Mais dans le cas de la loi sur les libérations conditionnelles, un détenu ne peut avoir un avocat. (23 h 30)

M. Bédard: Je pense que c'est une situation différente, et je crois que ça peut se discuter. Je n'ai pas dit tout à l'heure que j'étais fermé à toute possibilité de réviser ces dispositions. Je conçois que c'est différent de l'autre cas que je viens d'énoncer concernant la protection de la jeunesse. S'il y a eu cette loi sur la libération conditionnelle, si elle a été acceptée à l'unanimité des membres de l'Assemblée nationale, même s'il y avait une disposition qui mettait la charte de côté, ce "nonobstant" à la charte a été spécifié parce qu'on voulait des mécanismes plus souples pour permettre une meilleure application de la loi sur la libération conditionnelle. C'est l'esprit qui a prévalu pour qu'on en arrive à spécifier qu'on ne tenait pas compte de la charte concernant ces deux articles. Je crois que c'est discutable.

On pourra, à un moment donné, reprendre la discussion, mais c'est l'esprit dans lequel le législateur a accepté de mettre les dispositions de la charte de côté. Ce n'était pas dans l'esprit de priver qui que ce soit de ses droits, c'était avec la conviction que ceci amènerait une souplesse plus grande, qui déboucherait sur un meilleur service pour les gens qui font une demande de libération conditionnelle.

M. Gosselin: Je pense que cette question illustre bien qu'un droit ne se donne pas selon la conjoncture ou selon ce qu'un autre palier de gouvernement a pu adopter comme loi. Une charte doit être un principe au-dessus de toutes les lois qu'un gouvernement adopte, avec...

M. Bédard: Je pense que quand on...

M. Gosselin: ... le plus de droits possible. Par la suite, les mécanismes se trouvent à un autre ordre. Il faut d'abord définir les principes, les mettre au-dessus des lois.

M. Bédard: Je pense qu'on se comprend. Les situations peuvent être différentes. Quand il s'agit de la Loi sur la protection de la jeunesse, je le maintiendrai toujours, je suis prêt à le défendre n'importe où, devant n'importe qui, c'est loin d'être une disposition qui était de nature à brimer des droits, mais, au contraire, c'était pour en assurer.

M. Gosselin: Mais si, dans les faits...

M. Bédard: Mais, dans le cas des libérations conditionnelles, j'avoue que c'est une situation qui peut s'évaluer et qu'on peut différer d'opinion là-dessus.

M. Marx: Juste une dernière intervention. Il va de soi que si, dans une charte, on a une règle d'exclusion, c'est-à-dire qu'on peut passer outre à la charte, on va utiliser cette possibilité, et ça se voit dans la charte québécoise. Si je comprends bien votre position, c'est une position que je pourrais peut-être qualifier de position absolutiste, c'est-à-dire que vous ne voulez aucune possibilité d'amender ou de modifier la charte. D'accord?

M. Gosselin: Cela peut toujours être amélioré, je pense que...

M. Marx: Qui va décider ce qu'est une amélioration? Une fois que ça pourra être modifié, il sera difficile de décider si c'est une amélioration.

M. Bernheim: Avant d'adopter une loi fondamentale, il faut vraiment bien se pencher sur la question. Une fois que la décision est prise, évidemment, ce n'est pas pour la changer le lendemain matin, parce que les mécanismes doivent être très difficiles. Mais quand on regarde, au niveau des instances internationales, tout ce que les Nations Unies ont proposé comme mécanismes et comme projets de loi qui pourraient être adoptés par les pays

signataires aux différentes conventions au niveau de la déclaration universelle des droits de l'homme, au niveau des pactes des droits civils et politiques et des droits sociaux et économiques, si ce qui est inscrit dans ces déclarations et ces conventions était adopté dans une loi, et si cette loi était adoptée comme fondamentale, je ne pense pas qu'on aurait besoin d'y revenir fréquemment.

Ces textes ont été pensés pendant des années, le Canada et le Québec y ont adhéré, le Canada comme pays actif, et la province de Québec comme appui moral ou comme prise de position de principe. Par conséquent, une fois que des positions de principe ont été adoptées, il nous apparaît qu'il faut les mettre en place, pas seulement dire: Oui, on a une position de principe, les droits doivent être respectés, mais dans les faits la loi qui régit les droits, elle, peut permettre des "nonobstant".

M. Marx: Pouvez-vous me donner l'exemple d'un pays au monde où il y a une charte qui ne peut pas être modifiée par une procédure spéciale? Prenons le "Bill of rights" aux Etats-Unis, ça peut être modifié par un vote des deux tiers au Congrès et des trois quarts des Législatures des États. Je n'ai pas d'exemple d'une loi fondamentale d'un pays qui ne peut pas être modifiée, soit par une loi ordinaire, soit par une procédure assez spéciale. C'est impensable en droit.

M. Bernheim: Oui, je comprends, mais il faudrait qu'il y ait un mécanisme très rigoureux de modification. Évidemment, dans 100 ans, une loi fondamentale peut être modifiée, comme une constitution peut être modifiée. Les constitutions ne sont pas modifiées fréquemment; en tout cas, ce n'est pas à espérer. Par conséquent, il s'agit de bien penser à la question, de rédiger un texte le plus large possible et de l'inscrire comme loi fondamentale.

M. Marx: Pour ma part, j'ai proposé que ça prendrait 75% des députés à l'Assemblée nationale pour modifier la charte. Donc, ce serait vraiment une procédure tellement spéciale qu'avant de penser à l'utiliser on va faire un sondage auprès des députés et voir si on aura vraiment leur appui, etc.

M. Bernheim: Cela pourrait être un mécanisme.

M. Marx: Donc, vous avez...

M. Bédard: C'était dans ce sens-là que le barreau faisait une recommandation qui allait dans le même sens. On en était au niveau du mécanisme quand je vous posais la question tout à l'heure.

M. Bernheim: Premièrement on n'est pas qualifié et, deuxièmement, ce qu'on défend, ce sont des principes. Au niveau des mécanismes d'application, c'est à l'Assemblée d'en décider. Si ces mécanismes-là ne sont pas acceptables au niveau des droits, on fera connaître notre position sur cette situation. Mais ce qui est fondamental avant d'agir, c'est d'avoir des principes et, une fois qu'on a des principes, de les mettre en application.

M. Marx: On s'entend bien sur ce point. Maintenant il faut convaincre le ministre.

M. Bédard: Franchement, vous vous parlez à vous tout seul parce que ça fait longtemps qu'on est convaincu de l'importance de la charte.

M. Marx: Est-ce que vous êtes prêt à enchâsser une charte dans les lois du Québec? Est-ce que vous êtes prêts à faire ça?

M. Bédard: Vous êtes dans le constitutionnel, on va laisser...

M. Marx: Est-ce que vous êtes prêt à enchâsser la charte québécoise dans les lois du Québec tel que prévu par le barreau?

M. Bédard: C'est une chose qui s'évalue comme toute chose. Je l'ai dit.

M. Marx: Pas d'engagement ce soir.

M. Bédard: Pas plus ce soir que les autres soirs.

M. Marx: Mais vous avez déjà pris...

M. Bédard: On vient juste de vous dire que c'est suffisamment important et fondamental, une loi telle que la Charte des droits et libertés de la personne. Après avoir entendu les réactions et les représentations de tous les groupes, ça mérite de se donner un peu de réflexion, si on respecte cette charte-là, pour, ensuite, en arriver à des décisions.

M. Bernheim: Ce que vous pourriez faire, c'est dire qu'effectivement vous allez réfléchir sur la question et que dans un délai raisonnable...

M. Bédard: C'est ce que je viens de dire.

M. Marx: C'est un engagement qu'il prendra n'importe quand.

M. Bernheim: Laissez-moi terminer. Mais que dans un délai raisonnable, disons six mois ou un an, vous vous engagez à adopter une loi fondamentale. À partir de là, je

pense que vraiment des discussions importantes pourraient être mises en branle. Dans ce délai inscrit, tout le monde du Québec pourrait participer à la rédaction de ce texte-là pour que, finalement, il soit adopté. Je pense que, si cette position-là était prise, ce serait une preuve réelle que le gouvernement, actuellement, est prêt à considérer les droits comme étant quelque chose de fondamental et que c'est une question sur laquelle il veut vraiment agir. Pour ça, à notre avis, il faut qu'il y ait des engagements. Que ces engagements-là soient pris dans un certain délai, c'est tout à fait compréhensible puisque, pour le faire, il faut quand même bien travailler, mais il faut un engagement parce que dire simplement on va y réfléchir, ça n'amènera pas la solution.

Parthenais, ça fait des années qu'on réfléchit sur sa fermeture et c'est encore ouvert. Si c'est la même position de base, dans cinq ans ou dans dix ans, on va encore réfléchir sur l'éventualité de poser des gestes qui vont faire que, plus tard encore, il y aura une charte fondamentale. On en parle depuis suffisamment longtemps.

M. Bédard: Il a été dit au début des travaux de cette commission qu'après que les représentations seront terminées nous allons nous donner un temps de réflexion, comme l'Opposition, je suppose, pour...

M. Marx: On a déjà réfléchi sur cette question.

M. Bédard: ... aboutir au dépôt d'un projet de loi avant la fin de la présente session.

M. Bernheim: Oui, mais ce n'est pas suffisant, un projet de loi. C'est un projet de loi qui va dire que cette loi sera une loi fondamentale. Vous vous êtes déjà engagé à modifier la Loi sur les coroners; vous avez dit: En janvier 1980 ou au début de l'automne on va la modifier. Il n'y a encore rien de fait dans ce sens-là.

M. Bédard: On ne peut pas tout faire en même temps!

M. Bernheim: Je comprends qu'on ne peut pas tout faire mais, quand il s'agit de droits, c'est de la liberté et des droits des gens qu'il est question. Il ne s'agit pas seulement d'une loi en particulier, d'une question particulière, c'est de l'ensemble des droits de tous les citoyens qu'il est question.

M. Gosselin: Le problème qui nous préoccupe le plus, en ce qui concerne les détenus - parce qu'on est d'abord venu ici pour les détenus - c'est l'article qui concerne le droit à la vie. Les gars manquent de soins médicaux, en dedans. Les gars se suicident. On fait une conférence de presse à peu près toutes les deux semaines pour déplorer que des gars se suicident dans des postes de police. Il y a des gars qui sont abattus à Montréal pour des délits de fuite. Pour des vols mineurs, on tue des adolescents. C'est quand même fondamental, on a besoin d'articles comme cela, on a besoin de principes enchâssés soit dans les lois, soit dans la constitution pour venir en aide à ces gens-là.

Actuellement, on est très démuni. C'est un imbroglio législatif chaque fois qu'on doit faire une requête pour sortir un gars du trou dans un pénitencier ou une prison provinciale ou quand on intervient pour sortir un gars d'un poste de police ou un gars qui a été battu. C'est le droit à la vie, c'est encore plus... je ne dirais pas plus important que la question de la discrimination, mais c'est ce qui est en jeu, M. le ministre.

M. Bédard: D'accord.

M. Gosselin: Depuis neuf ans, nous crions pour cela. Nous harcelons, d'une certaine façon, les ministres de la Justice...

M. Bédard: C'est normal.

M. Gosselin: ... mais je dois vous dire que nos victoires...

M. Bédard: Que vous fassiez du harcèlement, c'est normal.

M. Gosselin: ... sont très minces là-dessus. Actuellement, il y a le cas du Centre de développement correctionnel qui, bien sûr, est en dehors de votre juridiction, mais où les gars subissent des traitements aberrants de dépersonnalisation. On les habille tout en blanc, on peinture les cellules en pastel, on les force à se suicider. C'est la réalité, ce n'est pas une exagération.

M. Bédard: De quel centre parlez-vous?

M. Gosselin: Le Centre de développement correctionnel.

M. Bédard: C'est fédéral, cela?

M. Gosselin: Oui, l'Institut Laval. Cela se passe au Québec, cela se passe à un endroit où, normalement, les gens ont droit à des soins médicaux, à un avocat, etc. Ce sont des traitements aberrants, qui se comparent à ce qui se produit en Irlande, et on est incapable d'intervenir parce que c'est trop complexe juridiquement. Mais une charte inscrite dans la constitution ou une loi fondamentale au-dessus des autres lois nous permettrait d'intervenir directement.

M. Bédard: On vous remercie de vos

représentations.

Le Président (M. Desbiens): Y a-t-il d'autres interventions? Non. Je vous remercie de votre participation aux travaux de la commission.

La commission élue permanente de la justice ajourne ses travaux à demain, dix heures.

(Fin de la séance à 23 h 43)

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