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Version finale

32nd Legislature, 3rd Session
(November 9, 1981 au March 10, 1983)

Thursday, October 22, 1981 - Vol. 25 N° 10

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Présentation de mémoires en regard des modifications à apporter à la Charte des droits et libertés de la personne


Journal des débats

Débats de la Commission permanente de la justice, Le jeudi 22 octobre 1981

 

Les travaux parlementaires
32e législature, 2e session
(du 30 septembre 1981 au 2 octobre 1981)

Journal des débats

 

Commission permanente de la justice

Le jeudi 22 octobre 1981 _ No 10

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Présentation de mémoires en regard

des modifications à apporter

à la Charte des droits

et libertés de la personne (6)

(Dix heures vingt minutes)

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission élue permanente de la justice reprend ses travaux. Son mandat est de tenir des auditions publiques en regard des modifications apportées à la Charte des droits et libertés de la personne.

Nous entendrons aujourd'hui l'Ordre des architectes du Québec, le Comité de défense des trois femmes congédiées de Pratt et Whitney, la Fédération des syndicats du secteur aluminium, le Conseil du civisme de Montréal, l'Université Laval, la Maison internationale de la rive sud, le Front populaire québécois, la Clinique juridique populaire de Hull Inc., Francine Roy, le Conseil du Québec, le Mouvement québécois pour combattre le racisme, Gaston Hervieux, et pour dépôt seulement, D. Pierre Smith, Mlle Danielle Dubé, la Communauté chrétienne des Haïtiens de Montréal, la Fédération des pompiers professionnels du Québec et le Conseil des femmes de Montréal.

Les membres de la commission sont M. Beaumier (Nicolet), M. Bédard (Chicoutimi), M. Boucher (Rivière-du-Loup), M. Brouillet (Chauveau), M. Marois (La Peltrie) remplace M. Charbonneau (Verchères); M. Dauphin (Marquette), M. Gravel (Limoilou) remplace Mme Juneau (Johnson); M. Kehoe (Chapleau), M. Lafrenière (Ungava), M. Marx (D'Arcy McGee), M. Paradis (Brome-Missisquoi).

Les intervenants sont: M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Bissonnette (Jeanne-Mance), M. Blank (Saint-Louis), M. Brassard (Lac-Saint-Jean), M. Ciaccia (Mont-Royal), M. Dussault (Châteauguay), M. Lachapelle (Dorion), M. Martel (Richelieu) et M. Pagé (Portneuf).

Ordre des architectes du Québec

J'invite immédiatement l'Ordre des architectes du Québec, représenté par M. Blouin.

M. Blouin (Patrick): Je n'ai été prévenu d'aucune procédure. J'aimerais savoir si j'ai trois, cinq ou dix minutes pour la présentation de mon mémoire.

Le Président (M. Desbiens): En règle générale, on s'en tient à une vingtaine de minutes pour la présentation des mémoires, et selon l'état, les questions suivent durant 20, 30 ou 40 minutes.

M. Blouin (Patrick): D'accord. Je représente ici Hubert Chamberland, président de l'ordre, qui a été retenu à Montréal. J'ai été président pendant deux ans. Grâce à Dieu, les membres ont trouvé que c'était assez. Ce sont les sujets sur lesquels l'ordre travaille, en particulier, depuis deux ou trois ans.

La présentation qui a été faite, l'a été à l'aide d'un très court mémoire sur un sujet très important qui touche tout le monde.

L'Ordre des architectes est en train de préparer une étude complète sur l'importance de la qualité du cadre de vie dans une société, en particulier dans une société comme celle des Québécois. On l'a baptisée pour le moment Livre blanc sur l'architecture, étant donné que le gouvernement n'avait pas l'air très encombré dans ce domaine.

Ce que je vais faire, étant donné que c'est extrêmement court, c'est que je vais relire le texte en donnant certains commentaires additionnels au fur et à mesure.

Le 30 mai dernier, M. Alain Marcoux, nouveau titulaire du ministère des Travaux publics et de l'Approvisionnement, s'adressait à l'assemblée annuelle de l'Ordre des architectes du Québec dans ces termes: "Au Québec, de 1960 à 1975, nous avons vécu dans ce qu'on peut appeler une société technologique, c'est-à-dire une société où le technocrate, l'expert, était à la fois celui qui déterminait les objectifs de notre société et les moyens pour atteindre ces objectifs. C'est lui qui avait raison: le technocrate, l'expert, le compétent. Mais nous sommes en train de passer - et il va falloir accélérer ce mouvement - à une société de participation. C'est une société où l'expert va avoir sa place, le technicien va avoir sa place, l'architecte va avoir sa place, mais une société où la population va déterminer les objectifs, ses besoins et les priorités parmi ses besoins et où l'expert va indiquer par quels moyens atteindre ces objectifs. Je suis convaincu que c'est une distinctions fondamentale. "Dans tout ceci, le rôle de l'élu est essentiellement d'assumer la responsabilité de faire participer la population à la détermination des choix, à la détermination des objectifs, des priorités que notre société

pourra poursuivre dans tel ou tel secteur. De plus en plus, le rôle des élus est de s'occuper des choix de culture, des choix sociaux, des choix économiques fondamentaux et, ceci, ils devront le faire avec la participation de la population en impliquant les citoyens, c'est-à-dire en travaillant à ce que les citoyens expriment leurs besoins, dégagent des priorités. Le temps des édits est fini: les édits de l'homme politique et les édits de l'expert."

Dans un document d'une autre nature qui a été émis par l'ordre ces jours-ci, on faisait remarquer qu'effectivement le mythe de la technologie dans nos sociétés, heureusement, commence à s'estomper, que, pendant de nombreuses années, l'expert a été à l'avant-scène peut-être pour remplir une absence de la classe politique qui avait les rênes du pouvoir, mais qui ne s'en servait pas.

Je voudrais dire, M. le ministre, que j'espère que M. Marcoux vous tient aussi ces propos au cabinet. Nous avons été très impressionnés par cette approche.

Une ou deux remarques en passant comme cela. Nous avons envoyé un mémoire à M. Marcoux à ce moment-là touchant les relations entre l'État et l'aménagement et le cadre de vie. Cela c'était un premier élément; l'ensemble du mémoire sera publié vers le mois de janvier.

On disait quelque chose qui, à mon avis, sera extrêmement important et qui situe la perspective dans laquelle l'Ordre des architectes voit le rôle du politicien, le rôle du public et le rôle de l'expert. Nous disons, par exemple, que l'ordre reconnaît que l'architecture n'est pas la propriété des architectes. Nous disons aussi que l'ordre ne demande ni protection accrue ou spéciale, ni loi ou réglementation additionnelle. L'ordre considère qu'il appartient au pouvoir politique de faire, après consultation et concertation avec les citoyens, les organismes compétents et la fonction publique, les choix fondamentaux en matière d'aménagement et d'architecture, c'est-à-dire d'instaurer une politique du cadre de vie.

L'Ordre des architectes appuie inconditionnellement les propos et les objectifs de M. Marcoux. La société québécoise doit s'engager résolument sur la voie de la participation, tout particulièrement en ce qui touche l'élaboration de son cadre de vie.

Le gouvernement du Québec a déjà manifesté l'intérêt qu'il portait à la question à l'occasion de la publication du livre blanc sur sa politique culturelle. En page 167 figure en bonne place une citation extraite de la déclaration de Nieborow, qui était une assemblée à Varsovie, en 1975, sur l'environnement et les arts visuels. D'ailleurs, c'est une déclaration que nous reprenons dans notre proposition: "Toute personne a le droit de vivre et de travailler dans un cadre spatial dont les qualités soient telles qu'elles contribuent à son épanouissement et tiennent compte de la spécificité culturelle de la communauté à laquelle elle appartient."

L'architecte montréalaise Phyllis

Lambert exprime elle-même en terme chaleureux la relation entre l'être humain et son environnement. "Pour l'être humain, dit-elle, les bâtiments sont des éléments regroupés qui décrivent le contexte de la vie quotidienne communale, la vie des quartiers. Cette vie est à la base de toute communauté humaine et répond aux besoins d'être en société, d'être responsables les uns les autres, d'avoir des relations sociales, de pouvoir agir en commun pour modeler une qualité urbaine, fruit du consensus de gens désireux de la sauvegarder et l'améliorer. C'est donc cet élément fondamental du tissu urbain, le quartier et ses habitants, qui doit être la structure de base de toute action, de toute intervention, de toute pensée architecturale."

D'ailleurs, je pense que nous rejoignons certainement les vues du gouvernement avec ces volontés de décentralisation qui auront certainement un impact très important sur l'amélioration du cadre de vie.

Au cours des 40 dernières années, la ville a été détruite en profondeur en tant qu'espace de vie, mais aussi en tant que communauté humaine, réalité sociale complexe et précisément intégrée. La progression constante de la pollution visuelle et culturelle de notre environnement rencontre peu d'obstacles.

La population est demeurée sans défense, sans principe tangible, enfin, on pourrait dire sans règle de société, identifiable au nom duquel se réclamer, devant des doctrines qui imposaient, continuent et continueront encore d'imposer pour un certain temps et privilégier les dimensions mécanistes, quantitatives, matérialistes des villes, et de susciter par divers zonages la ségrégation des hommes, la fragmentation abusive des espaces et du temps. Ces procédés ont entraîné et entraînent encore une véritable aliénation urbaine et suscité la perte d'identité de la cité. (10 h 30)

II faut moraliser une fois pour toutes l'usage de l'espace urbain qui fait partie des ressources et du patrimoine commun des citoyens. C'est une chose qu'on oublie souvent: l'espace, c'est une ressource qui va être de plus en plus coûteuse, qui aura une valeur de plus en plus importante. Ceux-ci ne peuvent plus se contenter simplement d'une interprétation implicite d'un droit absolument fondamental.

Le gouvernement français promulguait, il y a plus de quatre ans, sa loi no 77-2 du 3 janvier 1977 sur l'architecture. Il y était

dit: "Article 1er: L'architecture est une expression de la culture. "La création architecturale, la qualité des constructions, leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant, le respect des paysages naturels ou urbains ainsi que du patrimoine sont d'intérêt public."

La référence à l'intérêt public est le fondement nécessaire de toute tentative destinée à mettre fin à une carence de la qualité architecturale qui découle, d'une part, d'un manque d'exigence du public insuffisamment informé sur son environnement, sur ses droits et sur ses capacités, et mis dans l'impossibilité de participer utilement à l'élaboration de son cadre de vie, et, d'autre part, de mécanismes économiques et administratifs incapables de prendre en compte les préoccupations de cette qualité architecturale. Dans nos économies de marché, c'est toujours le bon vieux principe de l'offre et de la demande qui prime. Quand la demande est muselée, l'offre se détériore.

C'est au nom de l'intérêt public et de lui seul qu'il est nécessaire et qu'il est possible d'arrêter les mesures de concertation et de sensibilisation permettant de donner naissance à une exigence collective de qualité architecturale et de créer les conditions d'une véritable démocratisation de notre cadre de vie.

Vous remarquerez ici que nous parlons de concertation et de sensibilisation. On parlera tout à l'heure de contrôle incitatif. Il n'est pas question d'ajouter des lois sur des lois. Je pense qu'elles ont peut-être prouvé leur inutilité dans le cas de l'environnement. Ce qu'il est important de faire, c'est reconnaître un principe fondamental auquel on pourra se référer quand on devra faire ces opérations de concertation, de sensibilisation et d'incitation à la qualité.

En conséquence, nous proposons que l'article suivant soit intégré à la Charte des droits et libertés de la personne. On a présenté, en fait, un article en deux volets et je voudrais immédiatement vous dire que, dans notre esprit, ils ont été présentés ensemble pour avoir l'occasion d'en parler ensemble, mais nous considérons que l'un peut fonctionner sans l'autre. Le plus important est le premier que je vais vous lire; le deuxième est très important, mais a trait plus à une politique de l'aménagement et de l'architecture qu'à un droit fondamental. Je voudrais que cela soit assez clair, parce qu'on aurait dû certainement mettre un pointillé entre les deux.

Alors, la proposition d'article pour la charte des droits de la personne. "Toute personne a le droit fondamental de participer à l'élaboration de son cadre de vie, de vivre et travailler dans un cadre spatial dont les qualités contribuent à son épanouissement et tiennent compte de la spécificité culturelle de la communauté à laquelle elle appartient". Il existe un terme important aujourd'hui qui a refait surface, en particulier, l'an dernier à Paris à la biennale sur l'environnement, c'est l'urbanité et on pourrait dire, en résumé, le droit du citoyen à l'urbanité.

J'ai envie de vous donner juste une lecture très brève de ce qu'est l'urbanité. L'urbanité: qualité d'une organisation urbaine illustrant l'identité d'une ville, sa mémoire, ses conflits, ses changements. Qualité d'un espace ou d'une architecture exprimant et laissant s'exprimer les projets et les comportements des différents acteurs sociaux. Qualité de pratique sociale agissant sur l'espace et l'architecture. L'urbanité tend à mettre en relation l'homme et la ville à travers une culture et le génie du lieu. L'homme et la ville peuvent être dotés d'urbanité.

La deuxième partie, le deuxième volet de cette proposition qui s'adresse plus directement peut-être à une charte de l'environnement et du cadre de vie, c'est que l'architecture est une expression de la culture. C'est repris approximativement dans les termes de la législation française qui a été adoptée en 1977, mais complété par... Enfin, je vais vous donner la définition de l'architecture qu'on propose avec cet article. La qualité de l'architecture et de l'aménagement urbain, la qualité de toute construction et superstructure, leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant, le respect des paysages naturels ou urbains ainsi que du patrimoine sont d'intérêt public et participent simultanément à l'élaboration du cadre de vie. Nous avons repris, et ce sera explicité probablement beaucoup plus dans le mémoire qu'on a déposé au mois de janvier, une définition de l'architecture tirée de l'oeuvre de William Morris, qui était un théoricien anglais de la fin du XIXe siècle, ardent socialiste lui-même et important dans l'histoire du développement des procédés d'industrialisation. Morris disait: "L'architecture signifie la prise en considération de tout l'environnement physique qui entoure la vie humaine: Nous ne pouvons nous y soustraire tant que nous faisons partie de la civilisation, car l'architecture est l'ensemble des modifications et des variations introduites sur la surface terrestre pour répondre aux nécessités humaines".

Je dois dire, puisqu'on a senti le besoin de l'écrire, que cette proposition ne doit pas être interprétée comme une tentative implicite ou explicite, immédiate ou subséquente d'élargissement du champ de pratique des architectes québécois. L'architecture, c'est infiniment plus qu'une profession, c'est un mode de vie. Le mot lui-même est chargé d'évocations et de significations séculaires. L'architecture

appartient aux Québécois qui doivent se donner les moyens de l'interpréter et d'en décider l'orientation pour ici, pour maintenant et pour demain. Dans ce livre blanc qu'on est en train de préparer à l'Ordre des architectes, il y aura des propositions qui, tout en étant simples et évidentes aujourd'hui, vont peut-être révolutionner les services professionnels au Québec.

Il y avait un deuxième volet à la définition de Morris dans lequel il disait: "L'art auquel nous travaillons - parlant toujours de l'architecture - est un bien auquel tous peuvent participer et qui sert à rendre meilleurs tous les hommes. En réalité, si tous n'y participent pas, personne ne pourra y participer". Je pense qu'il a vu très juste.

Pour le moment, je préfère peut-être répondre à vos questions. J'aurais peut-être à ce moment-là, d'autres éléments à apporter. Si vous avez des éclaircissements à me demander, ça me fera plaisir.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Bédard: M. le Président, je tiens à remercier l'Ordre des architectes du Québec de la présentation de son mémoire devant les membres de la commission. Je vous remercie particulièrement de la réflexion très intéressante et très poussée dont vous avez fait état devant les membres de cette commission sur l'ensemble des objectifs de votre profession, d'une façon très générale.

Vous donnez, comme exemple, à la page 3 de votre mémoire, la loi sectorielle française qui a été promulguée sur l'architecture. Ne croyez-vous pas qu'on devrait privilégier une loi sectorielle, si le gouvernement veut légiférer sur l'architecture, plutôt que la charte des droits et libertés?

M. Blouin (Patrick): C'est-à-dire que ce sont deux niveaux d'intervention, quoique nous les ayons mis ensemble, parce qu'on pensait que ça valait la peine de les discuter avec vous. D'un côté, il y a, je dirais, des structures existantes qui seront, malgré une volonté du gouvernement, très difficiles à changer et par lesquelles la participation de l'usager, la proposition, je dirais plutôt la déclaration que vous a faite M. Marcoux est pratiquement insoluble. Et entre le fait de le penser réellement, de le dire, et d'y arriver, il y a un monde absolument énorme.

J'avais un petit commentaire un peu tordu là-dessus, quand on pousse la délicatesse jusqu'à interdire la discrimination pour cause d'orientation sexuelle, on doit bien pouvoir la pousser jusqu'à interdire la discrimination qui sévit au détriment de l'usager.

Il faut remettre la proposition d'avoir un article dans la dimension elle-même à laquelle elle touche. J'avais quelques notes sur le maître d'usage. En fait, il y a des mécanismes qui permettent... c'est l'idée de dire, est-ce que l'usager a réellement un droit de parole dans son environnement? On sait pertinemment que c'est non. M. Marcoux est venu nous dire: Les architectes, il faut que vous pensiez à l'utilisateur, vous n'y pensez pas assez, c'est pour cela que vos bâtiments ne sont pas adaptés, c'est pour ceci, c'est pour cela. On lui a dit: M. Marcoux, c'est certain, on n'a pas été clair jusqu'à maintenant, mais on va l'être bientôt. Mais il existe un mur de béton que l'État construit entre l'usager et nous. Est-ce que vous le saviez?

M. Bédard: Est-ce que vous ne croyez pas que l'application des dispositions actuelles de la charte donne implicitement le droit à chaque personne de participer à l'élaboration de son cadre de vie auquel vous vous référez?

M. Blouin (Patrick): Je ne penserais pas. La deuxième partie...

M. Bédard: Je vous ai parlé...

M. Blouin (Patrick): ... disant que l'architecture est une expression de la culture, cela peut faire partie d'une législation sectorielle. C'est cela que je disais tout à l'heure. La première partie parlant d'un droit fondamental, c'est la constatation des années de combat et des résultats souvent assez modestes de toutes les associations d'usagers, de tous les groupes communautaires. Je peux vous donner un exemple: Le ministère des Affaires sociales qui a des idées sociales très correctes s'est permis de construire des foyers de personnes âgées sans jamais consulter les personnes âgées. S'il existait un principe, un article sur un droit fondamental de choisir l'endroit où on vit, j'ai l'impression que le ministère des Affaires sociales se poserait lui-même ou se ferait rappeler qu'il existe un droit.

M. Bédard: Si vous parlez d'une construction en particulier, qu'il y a consultation de tous les usagers potentiels et que vous arrivez à des opinions différentes de part et d'autre, à un moment donné, il faudra bien que quelqu'un fasse un choix.

M. Blouin (Patrick): Sur le plan...

M. Bédard: Au niveau de la consultation, je pense que nous partageons les mêmes objectifs, à savoir que la population, les usagers doivent être le plus possible et de plus en plus consultés sur tout ce qui a trait à leur environnement, à leur

cadre de vie, à leur architecture, etc. J'essaie de voir comment on peut privilégier cela par voie d'amendements à la charte des droits et libertés. Cette consultation de plus en plus poussée et qui est nécessaire auprès de la population, quand on parle d'environnement au sens général du mot, est-ce qu'on ne doit pas plutôt privilégier des contacts beaucoup plus fréquents de l'administration avec la population, que ce soit par le biais de commissions parlementaires, en structurant des modes de communication avec la population pour savoir quelle est son idée? Je ne vois pas comment on peut régler ce problème par le biais de la charte. (10 h 45)

Vous nous faites une suggestion, à la fin de votre mémoire, d'insérer dans la charte un article qui dirait ceci: "Toute personne a le droit fondamental de participer à l'élaboration de son cadre de vie, de vivre et travailler dans un cadre spatial dont les qualités contribuent à son épanouissement et tiennent compte de la spécificité culturelle de la communauté à laquelle elle appartient. "L'architecture est une expression de la culture."

M. Blouin (Patrick): C'est un deuxième volet, c'est la partie sectorielle.

M. Bédard: Oui, je comprends, mais, en fait...

M. Blouin (Patrick): Mais...

M. Bédard: Prenons la première partie, parce que vous aviez mis tout cela ensemble.

M. Blouin (Patrick): Oui.

M. Bédard: "Toute personne a le droit fondamental de participer à l'élaboration de son cadre de vie." Est-ce que la Charte des droits et libertés de la personne ne donne pas implicitement ce droit à chaque personne de participer à l'élaboration de son cadre de vie?

M. Blouin (Patrick): Implicitement; le problème, c'est quand les choses sont trop implicites. De toute façon, c'est une déclaration qui...

M. Bédard: Oui, mais, si on les explicite pour l'architecture, il faudra les expliciter dans une foule d'autres domaines. Par exemple, certains groupes ont proposé l'inclusion dans la charte du droit à un environnement sain. Ne pensez-vous pas que, si cela devait être le cas, cette notion pourrait recouper, sinon englober l'essentiel des préoccupations que vous mettez de l'avant dans votre communication?

M. Blouin (Patrick): Cela pourrait l'englober. D'ailleurs, si nous avions eu le temps et si nous avions eu conscience que la commission avait un intérêt dans ce sens, probablement qu'on aurait proposé à la Commission des droits de la personne d'intégrer si possible cet article. Quand on prend l'article sur l'environnement, il est implicite aussi de la même manière dans la charte qu'on doit avoir un environnement sain, mais l'environnement, c'est un secteur tellement large qu'en fin de compte, il ne veut plus tellement dire, c'est-à-dire qu'il s'adresse à l'environnement, l'eau, l'air qu'on respire, etc. et, en fin de compte, l'endroit où l'on vit.

Je ne veux pas mettre en doute la proposition faite par la commission, mais il y a des lois importantes faites sur l'environnement. Il y a des domaines, des éléments de qualité de l'environnement physique qui se précisent en termes physiques. En soi, c'est quelque chose qui peut probablement être relativement bien couvert par la législation sectorielle sur l'environnement, ce qu'on respire... Mais, quand on parle du cadre de vie, de l'environnement de la vie, de l'environnement visuel aussi, on se trouve complètement démuni, parce que, si on parle du cadre de vie, on parle de quoi, en fait? En majeure partie, dans les villes, on parle de l'habitation, parce qu'en fin de compte, nos villes sont pratiquement toutes faites d'habitations. On touche au cadre de vie des gens et toutes sortes de législations peuvent se permettre de venir trancher dedans, casser, démolir, détruire, déplacer. Cela se fait moins ces temps-ci, d'accord, mais cela se fait encore beaucoup, en particulier à Montréal où, n'étant pas protégée par la loi 125, c'est la foire d'empoigne, d'une certaine manière, dans les conditions d'environnement et de cadre de vie, puisque les Montréalais n'ont même pas le droit de participer, parce que, si on parle de participation au cadre de vie à Montréal, c'est un autre genre d'illusion d'optique.

M. Bédard: Je vous remercie.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Merci pour avoir présenté votre mémoire. Parfois, j'ai l'impression qu'on demande trop ou qu'on attend trop de la Charte des droits et libertés de la personne. J'ai l'impression, de temps en temps, qu'on pense que la charte sera la panacée à tous nos maux et, une fois qu'on inscrira ces articles dans la charte, ce sera fini, on aura un Québec plus libre, plus beau, plus sain et ainsi de suite, du point de vue de l'environnement, je veux dire. Pour discuter de vos recommandations, je vois que

le deuxième volet, c'est pour aller vers une loi sectorielle et, comme vous l'avez bien souligné, l'architecture est une expression de la culture, si je me souviens des deux livres blancs sur la culture, tout est culture au Québec, le notariat, le droit. Pardon?

M. Blouin (Patrick): Là vous le prenez en vous moquant de moi, Vous vous moquez un peu de moi. Je le sais très bien, si on prend pour règle que tout est culture, je pense quand même à ce qui touche directement à la vie des gens tous les jours. Je vais vous lire toute une phrase je m'excuse, je vous ai peut-être coupé la parole - simplement pour vous dire que je suis d'accord avec vous; c'est une phrase de Bruno Zevi, un critique d'art italien qui disait: "Le public s'intéresse à la peinture et à la musique, à la sculpture et à la littérature, mais pas à l'architecture. Les quotidiens consacrent des colonnes entières au dernier livre à succès, mais ils ignorent la construction d'un nouvel immeuble. "La censure existe pour le cinéma, parfois pour la littérature, mais pour prévenir les scandales de l'urbanisme ou de l'architecture, rien. Pourtant, si chacun - et cela est la partie de la phrase importante -si chacun est libre de tourner le bouton de la radio, de déserter les salles de concert, de cinéma ou de théâtre, comme de ne pas lire un livre ou de ne pas aller chez le notaire - cela, c'est moi qui ajoute cela -personne ne peut fermer les yeux devant les édifices qui constituent le décor de notre vie".

Si vous le permettez, je voudrais dire que l'Ordre des architectes a fait une intervention qui est simplement pour déposer auprès de vous un point important et donner l'occasion au législateur de penser à ce point important. Nous, on vous dépose quelque chose pour que vous y réfléchissiez, mais je peux vous dire aussi que, dans le cas de l'environnement du cadre de vie de l'architecture et de l'aménagement, on peut se demander - et cela, c'est un autre aspect important qui va venir au mois de janvier, quand les précisions sortiront - à qui s'adresser au Québec.

De l'architecture, il y en a partout, c'est éparpillé entre tous les ministères, il n'y a aucune direction de l'architecture et de l'aménagement nulle part, et on s'est dit, en fin de compte: On va proposer la réflexion sur ce thème à la charte des droits et libertés.

Je dois vous dire que c'est une manière très simple de cette façon-là, et je serais très content si le gouvernement pouvait se pencher sur cette question. Au dehors, je sais les points difficiles que cela peut apporter que de mettre un article comme celui-là dans une charte, cela peut porter à tellement d'interprétations aussi ou d'exigences de participation, c'est juste un foutoir intégral que l'on propose pour le Québec, mais je pense que c'est surtout la volonté de le déposer à un endroit où on pouvait, étant donné qu'il n'y a pas d'endroit au Québec où on puisse parler d'architecture, proposer une réflexion importante pour la société québécoise. Merci.

M. Marx: Oui, si on met le deuxième volet dans la charte, il faut donner une place égale à tous les autres postes.

M. Blouin (Patrick): Non, non.

M. Marx: Pour prendre le premier paragraphe de votre recommandation, vous comprenez que la présomption, c'est que l'Assemblée nationale aimerait que tout le monde vive dans un environnement et un milieu sains, et pas dans un environnement malsain. Je crois que c'est cela la présomption.

Il n'y a pas d'objection, à mon avis, à mettre le premier paragraphe dans la charte. Par exemple, on a à l'article 44: "Toute personne a droit à l'information dans la mesure prévue par la loi". Mais, si on ajoute à votre premier paragraphe, "dans la mesure prévue par la loi", cela irait bien, mais qu'est-ce que cela va finalement donner? Ce serait une déclaration de principe, je ne sais pas, à cause de ma déformation professionnelle, parce que je suis avocat, je vois toujours cela en termes de mise en application. Si on met des déclarations semblables dans la charte, je ne sais pas si cela va vraiment améliorer la qualité de vie au Québec...

M. Blouin (Patrick): Vous savez, je...

M. Marx: ... même si on a fait des déclarations. Je pense que c'est une déclaration qui va de soi. C'est une présomption qu'on veut que tous les Québécois vivent dans un environnement sain.

M. Blouin (Patrick): Vous savez, comme toutes les choses qui vont de soi, quand elles vont de soi en soi, bien souvent, cela ne les aide pas beaucoup. Parfois, il faut écrire des évidences pour arriver à s'y résigner pratiquement, je dirais.

M. Marx: Oui, mais...

M. Blouin (Patrick): Cela peut être fait, comme vous le proposiez tout à l'heure, de beaucoup d'autres manières. Je pense qu'il pourrait y avoir une charte, par exemple, de l'environnement et du cadre de vie qui soit un grand secteur touchant le cadre de vie, l'aménagement, l'urbanisme et l'architecture, tout cela ensemble parce que, en fin de compte, ce sont tous les mêmes principes.

On n'a pas besoin d'avoir des chartes très sectorielles sur ces points. Je crois que tout cela peut certainement être intégré de cette façon.

M. Marx: Oui, d'accord. Merci. M. Blouin (Patrick): Merci.

Le Président (M. Desbiens): Nous vous remercions de votre participation aux travaux de la commission.

Comité de défense des trois femmes congédiées de Pratt & Whitney

J'inviterais maintenant le Comité de défense des trois femmes congédiées de Pratt & Whitney à s'approcher en avant, s'il vous plaît! Bonjour.

Mme Stevenson (Wendy): Bonjour.

Le Président (M. Desbiens): Vous êtes Mme Stevenson?

Mme Stevenson: Oui.

Le Président (M. Desbiens): Si vous voulez présenter votre mémoire, s'il vous plaît!

Mme Stevenson: Je pense que le mémoire que je vais présenter est peut-être un peu différent de ceux que la plupart ont présentés devant cette commission parce que nous autres, nous n'avons pas de recommandations comme telles à faire ou d'ajouts à faire à la Charte des droits et libertés de la personne. Ce qu'on voulait soulever, c'est un aspect qui, trop souvent, n'est pas tellement présent dans ce genre de discussion, à savoir comment la charte s'applique et comment la Commission des droits de la personne fonctionne. On veut essayer, à travers notre cause, de montrer quelques problèmes qu'on pense important pour vous de discuter.

Je suis Wendy Stevenson, une des trois femmes qui ont été congédiées en 1979 par la compagnie Pratt & Whitney de Longueuil, Québec. Je vais essayer de donner brièvement les faits concernant notre cas et d'expliquer un peu pourquoi on est venu.

Le 16 novembre 1979, Suzanne Chabot, Katy LeRougetel et moi-même avons été congédiées par Pratt & Whitney. Les raisons invoquées par la compagnie pour expliquer ces congédiements étaient des mises à pied dues à un surplus de personnel. Les trois femmes étaient juste sur le point de finir leur période de probation chez Pratt & Whitney et c'était dans une période d'expansion, en pleine expansion. Il y a eu juste trois mises à pied et les trois étaient des militantes féministes et syndicalistes et des militantes d'un groupe politique de gauche, la Ligue ouvrière révolutionnaire.

On trouvait que c'était pas mal bizarre que les mises à pied aient touché seulement ces trois personnes dans l'usine. On est allé voir notre syndicat, local 510 des TUA, pour discuter pourquoi on avait des doutes sur les raisons données par la compagnie. Le 21 novembre 1979, Fernand Michelin, le président du comité de négociation du local 510, a demandé au nom des trois femmes qu'une enquête soit faite par la Commission des droits de la personne.

Après avoir fait la plainte initiale, on a cherché et trouvé d'autres jobs: Suzanne Chabot et moi-même, chez Canadair et Katy LeRougetel, chez Canadian Marconi. Deux mois plus tard, le 11 avril 1980, les trois ont été mises à pied par deux compagnies différentes, la même journée, encore à cause, supposément, d'un surplus de personnel, mais ces deux compagnies étaient dans une période de pleine expansion aussi. (11 heures)

Le 2 juin 1980, on a demandé à la Commission des droits de la personne de faire une deuxième enquête par rapport à ces deuxièmes congédiements. Le 29 juin 1980, on a reçu la résolution adoptée par la commission, disant que Pratt & Whitney avait été déclarée coupable de discrimination politique. La commission a affirmé que les visites d'un agent de la GRC ont "joué un rôle déterminant dans la décision de la compagnie de congédier les trois femmes". La commission a recommandé la réembauche immédiate des trois femmes et a demandé le paiement des salaires perdus, ainsi que des dommages.

On était censées aller en cour avec cette cause depuis le début de cette année mais, le 4 mars, Pratt a fait une requête pour l'émission d'un bref d'évocation contre la commission et les trois femmes. Dans sa requête, Pratt a accusé la commission d'avoir fait une enquête biaisée. La compagnie a donc demandé que l'enquête soit déclarée nulle et de nul effet et que la commission ait une interdiction de procéder dans cette poursuite.

Le 20 mai, un juge de la Cour supérieure, le juge Nichols, a rejeté la requête de Pratt & Whitney pour l'émission du bref d'évocation. Encore une fois, on avait une chance de procéder avec notre poursuite contre Pratt & Whitney. On était censées aller en cour le 30 novembre de cette année, mais encore une fois le procès a été remis, parce que Pratt a gagné en Cour supérieure le droit de procéder à l'appel de cette décision sur le bref d'évocation avant que la cause soit entendue.

Ce sont les faits généraux du cas. On peut souligner qu'on pense que c'est très important et très valable que la partie de la charte sur la discrimination politique existe,

parce que sans cela on n'aurait jamais pu procéder aussi loin qu'on est allées jusqu'à maintenant. Cela est très valable et on apprécie beaucoup que cela existe, mais il y a un gros mais qui suit, et c'est ici que l'on veut faire nos remarques.

L'existence de cette clause et la décision de la commission qu'il y avait de la discrimination politique ne se sont pas traduites par une solution rapide dans notre cas. Deux ans se sont écoulés depuis les congédiements et nous n'avons pas encore obtenu notre réembauche. Pendant tout ce temps, Pratt & Whitney a été capable de bloquer et d'éviter l'application des recommandations de la Commission des droits de la personne, recommandations qui stipulaient que la compagnie devait réembaucher les trois femmes, leur rembourser les salaires perdus, comme j'ai dit, et leur accorder leur ancienneté. À tous les niveaux, de tels délais ne peuvent aller qu'à l'encontre des victimes de discrimination et en faveur de ceux qui pratiquent la discrimination. Ceci est particulièrement vrai dans le cas que nous discutons alors que la partie qui s'est rendue coupable de discrimination est une grande corporation disposant d'énormes ressources financières, juridiques, etc.

De tels délais placent les victimes dans une position de grand désavantage. Les inconvénients et les graves problèmes auxquels nous faisions face n'ont pas fini avec les deux congédiements dont j'ai déjà parlé. Par exemple, comme conséquence des congédiements chez Pratt, nous avons été congédiées une deuxième fois, mais aussi il y avait d'autres répercussions. Une des trois femmes, Katy LeRougetel, a par la suite été congédiée d'un troisième emploi qu'elle a gagné en faisant des mensonges sur sa formule de demande d'emploi en ne marquant pas Pratt & Whitney comme employeur précédent. C'était la seule façon d'avoir "la job" et elle a été congédiée plus tard, parce qu'elle n'avait pas marqué cela.

L'autre femme, Suzanne Chabot, a trouvé "une job" dans une petite "machine shop" où elle gagnait 2 $ de moins que le gars à côté d'elle qui avait plus ou moins la même expérience qu'elle. En demandant pourquoi elle gagnait moins que l'autre gars au patron, il a expliqué: Ma chère Mlle Chabot, peut-être que tu as gagné plus chez Canadair et Pratt & Whitney, mais ici tu as "une job" et "tu vas fermer ta gueule". Cela est le genre de réaction qui a fait qu'on a décidé qu'on ne voulait pas accepter une telle discrimination et qu'on voulait porter plainte avec la Commission des droits de la personne, mais aussi une campagne publique pour sensibiliser et gagner un grand appui à notre cas. De toute évidence, il semble que nos noms figurent sur la liste noire de plusieurs compagnies, puisqu'on nous a refusé systématiquement des emplois disponibles pour lesquels nous sommes qualifiées. À l'heure actuelle une des trois femmes, Suzanne Chabot, travaille comme secrétaire alors que son travail est d'être machiniste. Moi même, je travaille le soir à un salaire beaucoup moindre que celui que j'aurais pu gagner chez Pratt & Whitney, sans sécurité d'emploi, dans une petite imprimerie.

La situation se résume ainsi: deux ans de perte de salaire, de perte d'avantages sociaux, d'insécurité, de peur de perdre notre nouvel emploi trouvé presque par miracle, de découragement et le reste. Deux ans de cette situation derrière nous et combien d'autres années devant...

Cela sera encore plus difficile d'aboutir à un règlement qui soit juste pour nous. Par exemple, avec un tel délai, des témoins dont on perd la trace après quelques années ou d'autres dont la mémoire fait défaut après un tel laps de temps ou qui oublient les détails importants, d'autres qui distinguent moins l'urgence d'un tel cas après quelques années que ça traîne et dont l'intérêt à se porter à la défense des victimes diminue. À plusieurs reprises, quand on parle avec des gens de ce qui nous est arrivé, ils disent: Ce n'est pas encore réglé ça? Cela fait combien d'années que ça continue? L'impression que les gens ont, c'est que la Commission des droits de la personne a trouvé que la compagnie était coupable, que tout était résolu, qu'on avait nos jobs.

L'autre fait d'un tel retardement, cela n'a aucun effet préventif sur d'autres compagnies qui pourraient pratiquer une discrimination similaire, comme on a vu avec Canadair et Marconi. Particulièrement, lorsqu'on sait que la Commission des droits de la personne réclame des montants ridicules comme dommages exemplaires et moraux. La commission demande aux tribunaux d'imposer les montants suivants à Pratt et Whitney: 1000 $ de dommages exemplaires et 1000 $ de dommages moraux pour chacune de nous. Cela représente 6000 $ pour une compagnie de l'envergure de Pratt et Whitney. Et que valent 6000 $ en comparaison des problèmes qu'on a soumis et que nous subissons toujours toutes trois?

La dernière chose qu'on veut soulever, c'est comment ça décourage d'autres victimes de soumettre des plaintes à la commission lorsqu'on voit plusieurs années s'écouler sans qu'une solution ne soit apportée. Des choses qu'on a découvertes durant notre campagne publique sur notre cas, c'est qu'on est loin d'être uniques. La seule chose propre à notre cas, c'est le fait qu'on ait décidé qu'on n'acceptait pas ça et qu'on irait jusqu'au bout, afin de regagner nos jobs. Aussi en faisant ça, on est devenues plus victimes qu'on l'était au début.

Nous croyons qu'une justice retardée est une justice niée. Cela ressort encore plus

fortement, comme j'ai dit, avec d'autres expériences qu'on a eues comportent d'autres congédiements. Avec le deuxième congédiement et le temps qu'on a fait chez Marconi et Canadair, l'enquête de la Commission des droits de la personne n'est pas encore terminée. Un an et demi plus tard et l'enquête n'est même pas finie. Cela veut dire que ça peut être un autre deux ans avant - s'il y a discrimination et on croit qu'il y en a - qu'on ait même la chance de paraître en cour. Quand nous avons insisté auprès de la Commission des droits de la personne pour qu'elle prenne une action rapide, la commission a expliqué qu'elle ne disposait pas de ressources humaines et matérielles suffisantes pour mener un travail plus rapidement. On veut que ce soit clair ici que ce n'est pas du tout une attaque envers les gens qui travaillent à la Commission des droits de la personne, mais c'est pour expliquer que des problèmes réels existent à la commission aussi. Cela peut être bien beau d'avoir une charte écrite avec beaucoup de bonnes choses mais s'il n'y a pas de moyens d'agir vite, ça empêche que justice soit faite.

La dernière chose qu'on veut soulever, c'est le fait que la commission doit être aussi mise au courant que Pratt et Whitney, entre autres tactiques pour retarder le cas, a lancé une attaque frontale sur le plan légal contre le droit même de la Commission des droits de la personne de poursuivre les compagnies faisant preuve de discrimination. Pratt et Whitney prétendait que la commission n'avait pas suivi les règles de la justice naturelle au cours de son enquête. Les règles de justice naturelle, c'est que tout le monde se mette ensemble, les avocats de la compagnie, les avocats de la commission, nos avocats, nous autres, tous les témoins et qu'il y ait un procès. Un procès par lequel tout le monde peut interroger des témoins. En fait, un procès, mais un procès qui n'a pas de preuve parce qu'après ce procès, on peut faire la recommandation qu'il y avait ou qu'il n'y avait pas discrimination. Il faudra encore une fois un autre procès, le vrai procès, où une décision pourra être rendue.

Si ça arrive, on peut voir les retardements qu'on a vus dans notre cas aller même plus loin. Deux ans pour cette enquête préliminaire et deux autres années pour préparer le procès. Un procès qui a comme résultat d'obliger la compagnie de nous reprendre.

Avec un tel défi, Pratt et Whitney tentait, et tente toujours, puisque la compagnie va en appel de la décision du juge, de ne pas émettre de bref d'évocation, d'empêcher la cause d'être entendue devant les tribunaux, de rendre nulles l'enquête et les recommandations. Cela nous aurait mises à l'écart de l'autorité de la Commission des droits de la personne et des découvertes de son enquête. Cela aurait pu établir un doute au niveau légal sur le droit de la commission de mener des enquêtes indépendantes, comme elle l'a fait dans le passé.

C'est une question réelle qui se pose pour nous en ce moment. Les deux ans qu'on a pour poursuivre Pratt & Whitney finissent le 16 novembre, mais on ne va pas aller en procès... Et même l'appel de Pratt & Whitney ne sera pas entendu avant le 16 novembre. Cela veut dire qu'avant le 16 novembre, nous trois, on va être obligées de décider si on procède nous-mêmes, avec toutes les ressources de la commission et avec nos propres ressources, notre propre argent, nos propres avocats, seulement au cas où une technicité, plus tard, prouverait qu'il y avait un problème avec l'enquête et qu'on ne peut plus poursuivre Pratt & Whitney. C'est le choix qui est devant nous maintenant, avant le 16 novembre, à cause du retard de cette cause.

Nous croyons que cette commission parlementaire voudra considérer les implications de cette action, puisque cela pourrait avoir un effet direct sur le fonctionnement de la Commission des droits de la personne et son efficacité. Pour nous, il y a deux messages qui ressortent de notre expérience: premièrement, si une compagnie pratique la discrimination et si on veut lutter contre ça, plus tu en fais, plus tu te trouves dans la merde. Plus tu ne peux pas t'en sortir, plus la situation devient grave pour toi. Deuxièmement, ça montre aux autres personnes qui subissent une telle discrimination de ne rien faire, parce qu'elles vont passer trois ans, quatre ans, cinq ans, qui sait, avant même d'avoir une chance de regagner leur emploi, leur logement ou quoi que ce soit.

En conclusion, nous soulignons à nouveau l'importance dans la charte d'une clause interdisant la discrimination politique. Notre cas démontre qu'une telle protection est nécessaire. Cependant, nous croyons qu'il n'est pas suffisant d'avoir de bonnes clauses dans une charte des droits de la personne si, en pratique, la justice est si lente qu'elle ne signifie plus rien. Aucune compensation ne peut égaler les torts subis par les individus qui en ont été victimes et à qui on nie un redressement rapide de la situation.

Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le ministre.

M. Bédard: Mme Stevenson, je vous remercie de votre témoignage et de vos représentations devant la commission. Comme vous l'avez dit, même si vous n'avez pas de proposition d'amendement spécifique à la charte des droits, je peux vous dire que votre témoignage est d'autant plus important que c'est quand même à partir de cas

particuliers, de situations spécifiques qu'on peut avoir un éclairage qui permet d'évaluer l'application pratique de certains principes qui se trouvent contenus dans la charte. Je pense que l'expérience vécue par vos compagnes et vous contribue à donner un éclairage sur cette application pratique des principes.

Je pense que le cas que vous évoquez, avec les nombreuses procédures judiciaires qui sont en cours et dont on doit tenir compte dans nos représentations, est quand même l'illustration des difficultés qui peuvent se présenter pour le respect des droits et libertés, surtout lorsqu'on fait face à un employeur entêté qui multiplie les procédures légales qui, il faut bien le dire, lui sont quand même permises en vertu de la loi. (11 h 15)

Vous nous dites que vous voulez passer un message dans le sens que, lorsqu'il y a des situations comme ça, il faudrait essayer de trouver des moyens d'agir rapidement, sinon d'autres groupes ou d'autres personnes concluront à l'inefficacité ou l'inutilité d'y aller de recours. Je dois dire, par exemple, que s'il y a les difficultés de règlement que vous avez évoquées concernant votre cas précis et ceux de vos compagnes, il reste qu'il y a plusieurs cas de situations semblables qui ont quand même trouvé une solution à la suite du travail fait par la Commission des droits de la personne, sauf qu'à ce moment, la commission avait probablement affaire à un autre genre d'employeur que celui que vous avez mentionné ici devant les membres de la commission.

Vous nous dites dans votre mémoire que, selon vous, les visites d'un agent de la GRC aurait joué un rôle déterminant. Est-ce que c'est une impression que vous avez? Si ce n'est pas le cas, est-ce que vous pourriez expliciter davantage?

Mme Stevenson: Oui. La Commission des droits de la personne a découvert qu'après un mois d'emploi chez Pratt et Whitney, un agent de la GRC est arrivé chez Pratt et Whitney. Il faut dire que le monsieur qui est responsable de la sécurité chez Pratt et Whitney est un ancien de la GRC qui travaillait avec le monsieur de la GRC qui est venu visiter. Il savait, sans que l'agent de la GRC n'ait besoin d'ouvrir la bouche, pourquoi il était là, parce qu'il travaillait avec lui au service de sécurité. Il savait même à quel groupe politique il était affecté. Je fais partie du groupe trotskiste, et le gars qui est venu était affecté au groupe trotskiste au Québec. Il a demandé mon nom, le nom de Suzanne Chabot et le nom d'une troisième femme, Katy Curtin, qui est aussi membre de la Ligue ouvrière révolutionnaire, mais pas la même Katy qui travaillait chez Pratt et Whitney. Il est revenu un mois plus tard ou quelques semaines plus tard, il avait trouvé la bonne Katy, cette fois, et il a demandé Katy LeRougetel. Ils disent que tout ce qu'ils ont fait, c'était cela, demander les notes biographiques, les renseignements que la compagnie avait sur nous. On ne croit pas cela, mais il n'y a pas moyen d'avoir une preuve sur quoi portait la discussion entre les deux messieurs dans le bureau de sécurité. C'est une preuve trouvée par la Commission des droits de la personne qu'un agent de la GRC a pris le temps d'aller visiter Pratt et Whitney, pour les informer que nous étions employées là-bas.

M. Bédard: Du point de vue syndical, est-ce qu'il y a des gestes qui ont été posés par votre syndicat?

Mme Stevenson: Oui. Il a soumis des griefs pour nous. Le problème, c'est que parce qu'on n'avait pas fini notre période de probation, nous n'étions pas couvertes par la convention collective. On a perdu deux cas en arbitrage, parce que, selon la convention collective, la compagnie peut faire ce qu'elle veut avec les employés en probation. On ne croit pas que cela doit exister, mais c'est comme cela que la convention collective a été interprétée; la compagnie avait le droit de faire cela. C'est surtout dans le cas de la Charte des droits et libertés de la personne qu'on pense qu'on a le plus de chance de gagner, parce que c'est une discrimination politique et cela n'existe pas, des discriminations politiques comme raison de congédier quelqu'un. Ce n'est pas dans notre convention collective au local 510.

M. Bédard: Par rapport à la situation que vous avez évoquée, j'imagine qu'une des avenues possibles serait d'évaluer jusqu'à quel point il devrait être obligatoire pour une compagnie de garder une employée jusqu'à ce que la cour en ait décidé.

Mme Stevenson: Une chose qu'on a voulu faire, c'est une injonction interlocutoire. La Commission des droits de la personne était prête à essayer une injonction interlocutoire pour nous réintégrer, mais une injonction interlocutoire, c'est une mesure urgente, sauf qu'on ne pouvait même pas arriver à l'injonction interlocutoire avant deux ans. Cela veut dire que la mesure urgente n'était pas assez urgente pour arriver devant un tribunal. Je ne sais pas s'il n'y a pas moyen dans la charte... Comme je vous dis, ce n'est pas à nous à faire des recommandations, mais il me semble que dans une situation semblable, on doit ravoir nos jobs, surtout, avec le point que fait valoir la décision de la Commission des droits de la personne, qui dit qu'il y a eu discrimination, que nous devons

être réintégrées dans notre emploi et que cette cause doit être entendue par les tribunaux.

La chose la plus flagrante, c'est évident que Pratt & Whitney ne veut pas paraître en cour sur la cause comme telle. C'est là-dessus que la compagnie doit être assignée, non pas sur tous les à-côtés, mais on doit avoir le droit de procéder sur le contenu de nos accusations contre la compagnie, parce qu'on croit que, si on a une chance de faire valoir nos accusations contre la compagnie devant la cour, avec les preuves qu'on a, on va regagner nos emplois.

M. Bédard: Vous avez mentionné un délai qui est très rapproché et à l'intérieur duquel vous vous devez de prendre une décision dans le sens de savoir si vous y allez de procédures spécifiques en votre nom, en termes de dommages-intérêts, j'imagine, ou autrement. Vous avez parlé de vos moyens limités. Si ces moyens sont limités, vous pouvez en référer à l'aide juridique. Est-ce que vous avez...

Mme Stevenson: On a toutes un emploi.

M. Bédard: Oui, même à l'aide juridique, jusqu'à un certain montant, il peut y avoir des possibilités au moins d'obtenir un avis juridique, quitte...

Mme Stevenson: On a notre propre avocat et on paie à ce moment-ci notre propre avocat avec les contributions qui ont été fournies par beaucoup de gens qui ont entendu parler de notre cause, dans les syndicats et des groupes comme cela. On a même une lettre d'appui qui a été signée par des députés tels que Robert Dean, Louise Harel et même l'ex-solliciteur général, Warren Allmand, a signé notre lettre d'appui pour nous aider. À ce niveau, cela marche un peu, mais ce sont quand même des ressources qui exigent beaucoup d'énergie de notre part pour quelque chose qu'on ne doit pas avoir besoin de faire nous-mêmes.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Je dois dire que le ministre a déjà posé beaucoup de questions que j'aurais aimé poser moi-même. Vous avez souligné, bien sûr, un problème d'application de la charte. Cela affecte d'autres personnes aussi, parce que c'est difficile d'empêcher les gens d'aller devant les tribunaux, c'est difficile de prévoir un système d'application des droits qui dise aux gens: On a mis une clause privative dans la loi et vous n'avez pas le droit d'aller en appel. On ne peut pas empêcher les gens d'aller en appel. S'ils ont beaucoup d'argent, ils peuvent aller plusieurs fois en appel. C'est une façon de tergiverser qui arrive souvent non pas seulement dans votre cas, mais dans d'autres aussi, dans les cas qui sont devant la commission et qu'on retrouve après devant les tribunaux. Cela traîne et cela peut prendre quelques années. J'avoue que c'est un problème. Ce sera au ministre de se pencher sur ce problème, de voir s'il y a des solutions possibles à apporter à ces situations et s'il est possible de modifier la charte en conséquence, mais c'est très difficile. Comment dire à une compagnie: Vous n'avez pas le droit d'aller devant les tribunaux, parce que, finalement, la compagnie a peut-être raison, peut-être qu'elle n'a pas tort, peut-être qu'elle n'a pas fait de discrimination.

J'ai lu votre mémoire; je ne dis pas que vous n'avez pas raison, mais il faut que ce soit décidé par un tribunal compétent.

Mme Stevenson: C'est notre chance d'aller devant un tribunal compétent pour en discuter, c'est le problème.

M. Marx: Non, je veux dire que notre système, c'est cela, ce n'est pas l'arbitraire. L'Assemblée nationale ne peut pas demander à une personne ou à une commission de statuer et, après cela, de bloquer tout recours aux tribunaux. Cela irait à l'encontre de nos principes fondamentaux aussi. C'est donc difficile de concilier ces deux principes, c'est-à-dire le recours aux tribunaux ainsi que la justice... Comment avez-vous formulé cela? La justice...

Mme Stevenson: Ce n'est pas comme nous autres; c'est comme Pratt & Whitney. C'est la justice naturelle, parce qu'elle n'a pas suivi les règlements de la justice naturelle.

M. Marx: La justice retardée est une justice niée, c'est cela. Je pense que vous avez raison de dire cela.

Est-ce que vous avez fait des activités politiques dans l'usine?

Mme Stevenson: À ma connaissance, on n'est pas ici pour faire une enquête pour savoir si on a fait des agissements ou non. Je pense que cela n'a rien à faire ici. Cela, c'est la cause que l'on veut discuter en cour avec notre propre preuve.

M. Marx: Cela, c'est la cause en cour.

Mme Stevenson: Je ne crois pas que cela...

M. Bédard: Vous avez raison.

M. Marx: Oui, mais parce que vous en avez parlé.

Mme Stevenson: On ne veut pas un

troisième procès.

M. Marx: Non, pas de troisième procès, mais vous avez commencé à discuter de votre cause dans votre mémoire. Je veux bien ne pas discuter de la cause, mais, comme vous aviez commencé, j'ai pensé que c'était une question dans l'ordre.

Je vais poser une autre question, je ne sais pas si vous voulez y répondre. Est-ce qu'on travaille chez Pratt & Whitney sur des projets dits secrets?

Mme Stevenson: Moi, je suis prête à répondre à toutes ces questions, mais je les trouve un peu antiréglementaires, dans le sens que, à mon avis, vous êtes ici pour comprendre les problèmes qui existent avec la charte. Vous pouvez discuter entre vous, à savoir si c'est de la discrimination contre nous ou non. On a l'autorité de votre commission qui dit, selon ses preuves et son enquête, qu'il y avait de la discrimination. Cela, c'est votre affaire. Je suis prête à discuter n'importe quand. Enfin, il me semble que j'ai essayé de discuter une fois sur la rue avec vous là-dessus. C'est le problème. Je suis prête à discuter à côté, mais je ne pense pas que ce soit l'affaire des filles de discuter ici si elles avaient à se préoccuper de sécurité.

M. Marx: D'accord, je comprends. Même en vertu de la charte, la commission n'a pas le dernier mot.

Mme Stevenson: Non, non, ils n'ont pas le dernier mot.

M. Marx: Le dernier mot, c'est aux tribunaux. La commission fait des recommandations et souvent les tribunaux trouvent que la commission avait tort. Donc, juste parce qu'on a des recommandations de la commission, cela ne veut pas dire qu'on a raison.

Peut-être une dernière observation ou une question sur la question de sécurité. Dans la charte, on a dit: On ne peut pas faire de la discrimination à cause des convictions politiques, mais j'imagine j'aimerais avoir votre réflexion sur cette question - que, pour des raisons sécuritaires, on pourrait refuser le travail à certaines personnes dans certains postes.

Mme Stevenson: Pratt & Whitney nous a mises à pied à cause d'un surplus de personnel. Ils ne nous ont pas congédiées à cause des raisons de sécurité; ils n'ont pas dit que nous étions congédiées parce que nous avions fait quelque chose de croche dans l'usine. Ils nous ont mises à pied à cause d'un surplus de personnel. Cela, c'est la raison qu'ils ont donnée pour que nous ne travaillions plus là. Tout le reste, la GRC, le fait qu'ils ont discuté à au moins quatre ou cinq réunions de la haute direction de Pratt & Whitney sur la manière de se débarrasser de nous n'a pas sorti. Pratt & Whitney ne nous a pas dit: On a discuté pour savoir comment se débarrasser de vous autres, mais ils ont essayé de cacher leur raison qui était de la discrimination politique; ils ont essayé de cacher cela en arrière d'une mise à pied à cause d'un surplus de personnel. C'est nous autres et la commission qui avons sorti les vraies raisons et c'est ce qui est important.

La sécurité. Les compagnies qui font un job de sécurité, à mon avis, n'ont pas le droit de congédier quelqu'un parce qu'il est socialiste. À mon avis, c'est à cause des convictions politiques. Si j'ai fait des crimes, elles peuvent m'amener en cour et elles peuvent me mettre en prison. Si tout ce que j'ai, c'est des idées, elles n'ont pas raison, à cause de mes idées libérales, péquistes, socialistes, ou quoi que ce soit, de me congédier de mon job, même si c'est un job dit sécuritaire. Je suis aussi fiable qu'un libéral, qu'un péquiste ou un créditiste, à mon avis, dans un job malgré ou à cause de mes convictions politiques.

M. Marx: Oui, mais je vous pose la question. Je suis d'accord sur cette question de convictions politiques. Si c'est dans la charte, c'est parce qu'on n'a pas voulu que les gens fassent de la discrimination à cause des convictions politiques. C'est clair et je pense que cela a été mis là dans le but qu'il n'y ait pas cette discrimination. (11 h 30)

Autrefois, au Québec, il y avait beaucoup de discrimination à cause des convictions politiques des gens, surtout des communistes. C'était même dans la loi au Québec qu'un communiste n'était pas éligible au poste de directeur d'un syndicat, etc. Vous connaissez cette histoire au Québec, dans les autres provinces canadiennes aussi, aux États-Unis et au fédéral. Donc, je pense que cela est clair dans la charte.

Mais est-ce que vous voyez une différence entre les convictions politiques et des raisons de sécurité? Est-ce que c'est la même...

Mme Stevenson: Non. J'ai dit non. Je ne vois pas une raison pour laquelle je suis...

M. Marx: Est-ce que vous voyez la possibilité pour une compagnie de ne pas embaucher quelqu'un pour des raisons sécuritaires?

Mme Stevenson: Franchement, je ne connais personne en Russie. Je ne peux pas passer de secrets à qui que ce soit.

M. Marx: Non, pas dans votre cas parce

que...

Mme Stevenson: Mais je sais qu'on pourrait me refuser un job sur la base dite de la sécurité nationale. En fait, j'ai été congédiée à cause de la sécurité nationale parce que la GRC, en faisant son enquête, selon Robert Kaplan, était, dans le cadre de son travail de protéger la sécurité nationale, allée visiter mon employeur pour lui dire que j'étais une socialiste.

M. Marx: Je comprends.

Mme Stevenson: C'est dans ce cadre de la sécurité nationale. Mais, à mon avis, je ne menace pas la sécurité nationale. Je veux avoir le droit de pratiquer mes idées politiques, mes deux amies aussi, sans être empêchée de travailler, soit chez Pratt & Whitney, soit chez Canadair. Je me fiche où travailler, même dans "une job" de sécurité, parce que je ne suis une menace à rien.

M. Marx: C'est cela. En fait, c'est un harcèlement sur les convictions politiques, si l'on peut dire. On a beaucoup parlé ici du harcèlement sexuel, le harcèlement des femmes. Ici, si tout est vrai, c'est le harcèlement à cause des convictions politiques de quelqu'un.

Juste une dernière question. Est-ce qu'il y a beaucoup d'autres membres de votre groupe politique qui subissent la même discrimination? Est-ce que cela arrive à d'autres ou si c'est arrivé seulement à vous trois?

Mme Stevenson: Non. Probablement, le cas le plus connu, c'est le cas de COJO...

M. Marx: COJO, je me souviens, oui.

Mme Stevenson: ...où un groupe de nos membres ont été congédiés. Ce n'était pas seulement nos membres, mais quelques-uns de nos membres ont été congédiés. En plus, il y a eu à peu près, depuis que les trois femmes ont été congédiées, huit congédiements des membres de notre organisation qui paraissent louches, sauf qu'on n'a pas les moyens, à cause des particularités des congédiements, de prouver quoi que ce soit. Je ne dirais pas que ce genre de discrimination est quelque chose d'autrefois ou d'une autre période. C'est cela qu'on essaie de dire avec notre cause. J'ai dit qu'on n'était pas uniques, je ne parle pas juste de notre groupe politique, je parle de tous les groupes politiques. Je dirais même y compris le Parti québécois, parce que je crois qu'il y a des congédiements qui arrivent. Chez les membres du Parti québécois, je crois qu'il y avait, chez Pratt & Whitney, un militant syndical qui a donné à M. Lévesque des pétitions ramassées dans l'usine pour

Solidarité-Québec; il a été congédié quelques mois plus tard. Je crois que ce n'est pas quelque chose d'autrefois. C'est quelque chose de la réalité d'aujourd'hui et c'est un grand problème pour...

M. Marx: Oui, mais autrefois c'était même dans les lois. Aujourd'hui, ce n'est pas dans les lois. Oui, c'est évident qu'il y a des congédiements à cause des convictions politiques. Il y avait même un cas à la commission où le gouvernement a congédié... L'allégation, c'était que le gouvernement avait congédié un gardien dans un parc parce qu'il était libéral. Je ne sais pas ce qui est arrivé finalement. Il a peut-être été réembauché par le gouvernement.

M. Bédard: Vous étiez à la commission. J'imagine que vous devez le savoir.

Mme Stevenson: Mais, pour le Parti libéral, c'est assez dangereux d'être enquêté par la GRC aussi, n'est-ce pas?

M. Marx: Oui, mais j'imagine... Pas le Parti libéral du Québec.

Merci. C'était très intéressant.

M. Bédard: Merci beaucoup, mademoiselle.

Le Président (M. Desbiens): Je vous remercie.

Fédération des syndicats du secteur aluminium

Je demanderais maintenant à la Fédération des syndicats du secteur aluminium de s'approcher, s'il vous plaît! M. Jean-Marc Dubois, si vous voulez présenter les membres qui vous accompagnent, s'il vous plaît.

M. Dubois (Jean-Marc): Cela me fait plaisir M. le Président. Alors vous avez le président de la fédération M. Lévis Desgagné à droite, M. Arthur Bonneau qui est membre de notre conseil fédéral, qui a travaillé à notre mémoire; nous avons également M. Jacques Hubert qui par humilité préfère demeurer en arrière, M. Laliberté aussi qui est vice-président de notre fédération et M. Pageau qui est membre de notre comité exécutif à titre de trésorier.

M. le Président, la Fédération des syndicats du secteur aluminium est heureuse d'avoir l'occasion de collaborer étroitement à la commission parlementaire sur les droits et libertés de la personne.

Comme le groupement socio-économique représentant les intérêts des travailleurs à l'emploi d'une multinationale, notre fédération s'intéresse particulièrement aux droits et libertés de la personne qui sont liés directement à l'aspect du travailleur dans

son milieu, ce qui implique par conséquent l'accessibilité à l'emploi pour tous à part égale, les avantages sociaux, les recours collectifs ou encore, l'âge de la retraite qui sont tous des sujets que nous devons traiter dans nos responsabilités de syndicaliste.

C'est évidemment dans un esprit de collaboration et de souci du respect des autres que nous soumettons une opinion guidée par l'expérience du milieu.

Cet exposé que vous nous permettrez de juger positif endosse évidemment les projets de la commission que nous croyons de nature à favoriser le travailleur dans son milieu, dans sa famille, dans son entourage.

C'est avec simplicité que nous soumettons notre opinion et en ayant la conviction que nos commentaires seront tout de même pris en considération.

En cours de présentation, M. le Président, vous nous permettrez d'apporter des précisions, quant à notre point de vue sur l'âge comme critère d'emploi, les convictions politiques, dans cette même section, et enfin nous ferons état, à la toute fin, d'une situation particulière à notre milieu en ce qui concerne un privilège spécial détenu par notre employeur et les conséquences de ce privilège sur les droits de libertés de nos travailleurs et, enfin, notre souci de garantie de protection de nos droits collectifs qui sont en fait un ensemble de droits individuels.

L'ajout de l'âge comme motif interdit de discrimination. La fédération syndicale que nous représentons reconnaît que l'âge est un grand facteur de discrimination dans un contexte où l'économie est libérale et cherchant toujours à maximiser le rendement de la productivité sans égard à la dimension proprement humaine. Nous sommes conscients qu'il existe des stéréotypes qui établissent un âge optimum d'un travailleur et d'une travailleuse qui se situe à l'intérieur d'une limite inférieure de 23 ou 24 ans et d'une limite supérieure de 37 ans environ.

Comme le souligne la Commission des droits de la personne dans son résumé, ces stéréotypes ont pour effet de conduire à l'exclusion du marché du travail des plus jeunes (moins de 24 ans) et des plus vieux (plus de 37 ans).

Nous sommes bien placés pour donner raison à la commission, car on peut affirmer qu'on connaît bien ce type de discrimination. Plus concrètement on peut même mentionner qu'on en possède une connaissance empirique douloureuse. En effet, dans notre propre milieu de relation du travail, on voit un employeur multinational tendre de plus en plus à réduire ce portrait optimum d'un travailleur jugé désirable à embaucher par elle.

Historiquement, dans les années quarante, et celles qui ont suivi, et à cause sans doute d'une pénurie de main-d'oeuvre, l'employeur pouvait sembler plus juste et libéral dans sa politique d'embauche, mais ce n'est certes plus le cas aujourd'hui. Pour mieux illustrer ce que l'on veut dire, prenons l'exemple de l'usine Grande-Baie, dans la région du Saguenay, où pour une personne embauchée on a interviewé jusqu'à douze candidats.

Il est clair que cette forme de discrimination par groupe d'âge prend de l'ampleur et nous ne pouvons que réclamer l'adoption d'un article dans la charte des droits à ce sujet, tel que suggéré par la commission. Nous reviendrons sur cet aspect de l'âge comme facteur de discrimination quand nous toucherons plus spécialement les programmes d'action positive et ce que nous appelons les nouvelles formes de discrimination.

L'égalité d'emploi et programme d'action positive. La Commission des droits de la personne définit un programme d'action positive comme: "une action globale planifiée et orientée de façon à augmenter la représentation des populations discriminées à tous les niveaux d'une organisation". La commission voit dans cet instrument une arme de lutte contre la discrimination sécrétée par les sous-systèmes sociaux, économiques et politiques de nos sociétés (discrimination systémique).

En ce qui nous concerne, nous ne pouvons qu'être heureux de constater que la commission veuille introduire dans la charte des droits un article qui rend possible l'institution de tels programmes d'action positive dans les organisations et entreprises diverses. Comme le souligne justement la commission, le Québec étant l'une des rares provinces après Terre-Neuve à ne pas posséder d'article similaire dans sa charte des droits; il serait donc opportun et louable qu'on ait la volonté de corriger les inégalités de toutes sortes causées par la discrimination dans l'emploi, car, il faut l'avouer, les statistiques le prouvent, l'urgence d'un tel programme s'impose, au Québec comme ailleurs au Canada. Il va sans dire que nous appuyons fortement la commission d'une façon générale dans son désir d'implanter ces programmes d'action positive.

Par ailleurs, la commission identifie dans son rapport les groupes de personnes qui ont souffert de discrimination et qui continueront sans doute à en souffrir dans l'avenir; certains de ces groupes, selon la commission, sont malheureusement marqués par une discrimination historique, comme les femmes, les autochtones, les groupes ethniques non blancs, etc. Nous sommes conscients de l'importance de l'identification de tous ces groupes pénalisés historiquement par la discrimination, et la fédération syndicale que nous représentons approuve sans réserve la mise en oeuvre d'une lutte qui tend à éliminer à la racine les causes

structurelles qui conduisent à la discrimination de ces groupes identifiés.

Cependant, l'expérience que nous vivons quotidiennement en matière de relations du travail avec une multinationale nous autorise à penser qu'il n'y a pas que ces groupes qui subissent de la discrimination, car des formes nouvelles de discrimination naissent partout, particulièrement dans les politiques d'embauche des grandes entreprises multinationales. En effet, si on analyse de plus près ces politiques d'embauche des multinationales, on s'aperçoit que les formes de discrimination changent et évoluent dans le temps et qu'elles revêtent des aspects plus insidieux encore et difficiles à saisir et à combattre. Ces nouvelles formes de discrimination concernent des groupes d'âge qui ne correspondent pas au stéréotype et au portrait optimum pour la production, l'âge optimum se situant entre 25 et 35 ans.

Vous me permettrez ici de faire une parenthèse, M. le Président, en vous donnant en exemple l'usine de Grande-Baie que je mentionnais tout à l'heure concernant les critères d'embauche que s'est fixés la multinationale Alcan où on disait que, sur douze personnes interviewées, une seulement était embauchée. Alors, il est évident pour nous que l'âge est un critère d'embauche important à cette usine et dans les usines existantes. Même actuellement, lorsqu'on embauche de nouveaux travailleurs, on considère également l'âge comme un critère très important. On va prendre, par exemple, les individus qui sont âgés de seulement 25 ans et plus et qui sont mariés parce que leur situation est plus stable que celle d'une personne qui est non mariée. Les raisons de l'établissement de ce critère ne sont pas seulement à cause d'une productivité optimale de l'homme entre 25 et 35 ans selon les recherches. Parmi les autres raisons, ne croyez-vous pas que le fait que les moins de 25 ans soient reconnus comme étant plus revendicateurs de leurs droits ait été un point important pour que la multinationale fixe son choix entre 25 et 35 ans? D'autant plus que les moins de 25 ans sont aussi moins maniables que les autres catégories. Dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, cette liberté accordée à l'employeur a eu pour effet de priver de nombreux jeunes d'obtenir de l'emploi à cette usine. La preuve concrète est que plusieurs personnes qui ont été embauchées proviennent d'autres régions, alors qu'on sait que, dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, c'est là qu'on retrouve actuellement le plus haut taux de chômage. Et on est allé chercher des personnes à l'extérieur de la région parce que les autres ne cadraient pas dans les critères d'âge, dans les critères d'embauche en ce qui concerne l'âge à l'usine de La Baie et actuellement aussi dans les usines existantes au Québec à la multinationale Alcan.

Ce qui veut dire que tous les groupes d'âge qui se situent en haut ou en bas de ce type idéal ont peu de chance d'être embauchés. Une autre forme nouvelle de discrimination insidieuse dans les politiques d'embauche dans les entreprises multinationales s'exerce contre, non pas des personnes étiquetées "politiquement dangereuses", mais contre de simples travailleurs ou de simples travailleuses qui auraient des sympathies syndicales ou qui auraient eu des activités syndicales. Cela nous paraît simplement inéquitable et dangereux dans un pays et une province où le syndicalisme est légal. On peut donc affirmer que les nouvelles formes de discrimination en matière d'embauche ne visent plus uniquement les femmes et les Noirs, mais une catégorie dans l'homme. (11 h 45)

Permettez-moi, à ce moment-ci, M. le Président, d'ouvrir une autre parenthèse afin de clarifier une interrogation que nous avons. À l'article 16, il est dit: "Nul ne peut exercer de discrimination dans l'embauche...", etc. En fonction de quoi nul ne peut-il se permettre une telle discrimination? L'article 10 de la charte précise "... sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l'état civil, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale..." Là où on s'interroge, c'est à savoir si, dans l'esprit du législateur, les convictions syndicales sont comprises dans les convictions politiques. Si c'est le cas, il nous apparaît essentiel, M. le Président, que soient précisées dans la charte les convictions syndicales. Si ce n'est pas le cas, nous croyons que l'article 10 devrait préciser que nul ne peut exercer de discrimination en fonction des convictions syndicales.

Autrement, comment un individu qui n'obtiendrait pas d'emploi en raison de ses convictions syndicales pourrait-il revendiquer lorsqu'il a été victime de discrimination pour cette cause? Si nous soulevons ce point, c'est qu'actuellement nous vivons cette situation. Vous me permettrez ici de citer en exemple une réponse obtenue par un travailleur qui avait postulé pour être embauché, particulièrement à l'usine Alcan de La Baie, au Saguenay: "Nous regrettons, monsieur, vous ne pouvez être engagé parce que vous n'êtes pas assez porté vers l'employeur."

Pour terminer cette parenthèse, je vous pose une question à laquelle il serait peut-être bon de porter attention. Ne serait-il pas préférable que la Commission des droits de la personne se réserve un droit de regard sur les critères d'embauche d'un employeur au Québec, et, plus encore, sur la vérification des motifs qui font qu'une personne ait ou n'ait pas obtenu un emploi? Je précise ici

que nous disons que la commission se réserve ce droit, parce que nous avons volontairement voulu ne pas dire qu'un syndicat ait un droit sur les critères d'embauche. Cela aurait pu soulever un tollé de protestations. Mais que la commission elle-même se réserve ce droit, comme, dans d'autres lois, un ministère se réserve un droit, par exemple avec le Code du travail, de vérifier des votes au scrutin secret qui sont pris - ce que nous considérons comme normal - pour voir à ce que la démocratie soit appliquée. Dans la Charte des droits et libertés de la personne, nous verrions très bien que la commission se réserve ce droit de regard sur les motifs d'embauche dans les compagnies.

C'est pourquoi la fédération syndicale que nous représentons recommande fortement que soit adopté, dans le plus bref délai, l'amendement suggéré par la commission, qui préconise l'adoption d'un programme d'action positive, de manière à empêcher, éliminer ou réduire toute forme de discrimination à l'égard d'un groupe de personnes. À notre avis, l'amendement suggéré à la charte par la commission répond à un besoin véritable, ce qui permettra à ces nouveaux groupes discriminés d'avoir un instrument de recours pour enrayer les traitements inégalitaires dont ils sont victimes.

L'élimination de la discrimination dans les avantages sociaux: abrogation de l'article 90 de la charte. Selon la Commission des droits de la personne, la charte des droits a pour effet d'autoriser certaines formes de discrimination qu'il serait souhaitable de faire disparaître en ce qui a trait, tout spécialement, au régime de rentes ou de retraite ou à un régime d'avantages sociaux. La commission, dans son résumé des amendements à apporter à la charte, déclare de plus: "La discrimination en matière d'avantages sociaux ne devrait, pas plus qu'en d'autres domaines, être pratiquée." C'est pourquoi elle réclame l'abrogation de l'article 90 de la charte, lequel constitue une exception injustifiée, du point de vue de la commission, au principe général de la non-discrimination.

Quand on lit l'article 90 (article 97), on doit avouer qu'on se sent mal à l'aise devant les exceptions auxquelles cet article se réfère, ce qui donne lieu, dans la pratique, à des injustices manifestes, particulièrement envers les femmes, même si la situation des femmes dans notre milieu de travail et syndical paraît "moins pire" qu'ailleurs. Entre parenthèses, l'employeur Alcan a la réputation de bien traiter les femmes, ce qui reste à voir. On doit quand même considérer toute la dimension injuste et discriminatoire que cet article permet explicitement pour toutes les femmes en général. Donc, nous sommes certainement d'accord pour l'abrogation de cet article.

Concernant l'état civil comme tel, nous sommes également d'avis avec la commission que le conjoint de fait soit traité de la même manière que le conjoint légalement marié, d'autant plus que nous sommes nous-mêmes confrontés dans notre propre sphère d'activités syndicales à vivre avec des difficultés inhérentes à cette situation déplorable, mais notre vision s'étend plus loin. Nous englobons dans nos préoccupations à ce sujet tous les Québécois, y compris nos membres qui, à cause de cette absence de statut légal, subissent une forme de discrimination qui est la résultante de la perte d'avantages qui sont rattachés à des personnes ou des enfants à charge.

Comme solution à cette anomalie grave, la Commission des droits de la personne recommande d'élargir la définition des enfants à charge de façon que l'ayant droit ne soit pas pénalisé pour des avantages qui lui sont dus relativement à des dépendants qui sont effectivement à sa charge. Nous sommes donc d'accord avec la commission pour élargir la définition d'enfant à charge, qui est restrictive dans les différents régimes d'avantages sociaux au Québec.

Concernant le recours collectif et la charte, un bref commentaire. Nous trouvons normal que la commission désire faire amender la charte des droits de façon à permettre explicitement le recours collectif sans obtenir au préalable l'assentiment écrit d'un mandataire du groupe.

À noter que cet amendement toucherait l'article 83 de la charte.

Quant à la suspension de la prescription, nous considérons qu'il est juste et fondé que la commission ait l'intention de suspendre la loi de la prescription relativement à des plaintes diverses de discrimination qu'elle pourra recevoir. Nous croyons que toute personne ou organisation puissante peut utiliser des moyens dilatoires que permet la loi de la prescription pour différer un recours jusqu'à sa nullité.

La mise en cause de la retraite obligatoire. Sur la base de grands principes des droits et de la liberté de la personne, notre fédération syndicale reconnaît que l'âge devrait être défini de manière à rendre illégal le principe d'un âge obligatoire de retraite. Nous sommes conscients également qu'il existe des tendances qui se dessinent tant au Canada qu'à l'étranger relativement à cette remise en cause de la retraite obligatoire. Cependant, tout en reconnaissant le bien-fondé d'une telle initiative et tout en ayant d'une part une propension envers l'abolition d'une telle contrainte aux droits individuels et, d'autre part, sans vouloir tomber dans un paternalisme dépassé et obtus, force nous est quand même de reconnaître que l'on ne peut rompre avec une tradition socio-syndicale vieille de plus

de 40 ans sans connaître un tant soit peu les conséquences et la portée d'une rupture avec la tradition et l'histoire très particulière à un groupe de travailleurs.

Nous nous devons en effet d'être prudents car la portée d'une telle loi aura des effets non seulement au niveau historique et économique, mais également à des niveaux sociaux, voire gérontologique et psychologique. Qui empêchera un employé "vidé" de travailler au-delà de 65 ans et qui, dans une société de consommation, voudra continuellement maintenir constant son pouvoir d'achat? Plus encore, à quel type de résistance aux changements ferons-nous face sur le plan proprement humain?

D'autre part, même si les changements à apporter aux conventions collectives, aux ententes diverses et au fonds de retraite ne sont que des technicités, il faudra quand même analyser soigneusement l'impact à toute modification nouvelle en rapport avec ces mêmes conventions collectives de travail.

Donc, comme nous l'avons déclaré plus haut, nous sommes d'accord avec le principe de l'abolition de la retraite obligatoire à 65 ans, mais il nous faudra analyser toute la portée de cette loi avant de nous prononcer ouvertement sur cette mesure.

À la lumière de notre exposé, vous constatez que nous sommes limités à faire une analyse sommaire des projets de la commission.

Soyez assurés que nos commentaires sont le résultat d'une analyse sérieuse et le reflet de certaines expériences qui nous sont amenées avec les années à traiter de nombreux dossiers, de même que de sérieuses préoccupations quant à l'avenir de la protection de l'individu, à sa représentation dans une société parfois sans pitié pour le sort qui est réservé à celui qui n'est pas toujours gratifié par les événements. Trop souvent, le travailleur moyen doit se fier à des lois pour obtenir ce qui lui revient de plein droit.

Vous me permettrez encore une fois de glisser une autre parenthèse qui, selon nous, est une anomalie dans le système que nous vivons avec la multinationale Alcan. Chez nous, l'employeur détient un privilège qui lui permet d'avoir ses propres policiers qui détiennent le même statut que les policiers au service de l'État, qu'ils soient provinciaux ou municipaux, bref son propre corps policier. Cette situation permet à un employeur d'effectuer des fouilles systématiques aux barrières de l'usine, des perquisitions au domicile des travailleurs, des interrogatoires serrés au cours desquels menaces, chantage et que sais-je encore sont exercés de façon abusive pour le seul motif et la seule raison qu'il détient un doute raisonnable.

Cette exagération et cet abus de pouvoir ont pour effet de priver plusieurs travailleurs des droits légitimes de liberté d'action, parce qu'une force policière au service d'un employeur privé, qui n'a comme objectif que la protection de biens matériels et d'équipement physique, contrairement aux policiers de l'État qui protègent avant tout la société, permet aux policiers de l'Alcan d'agir librement et d'exercer une répression constante sur ces travailleurs.

Certes, nous concevons qu'un employeur doive protéger ses biens, mais il n'est pas nécessaire qu'il détienne autant de pouvoir. C'est pourquoi il serait souhaitable, face à ce privilège d'avoir un corps de police assermenté, armé, avec autant de pouvoir, que vous puissiez intervenir auprès de l'Alcan afin qu'elle fasse exercer un rôle plus social et plus humain à ses policiers.

Dans un autre ordre d'idées, comme organisation syndicale, nous aimerions que, dans l'avenir, les droits collectifs soient pleinement garantis. Nous ne nous étendrons pas trop longtemps sur le sujet, mais nous allons simplement vous dire que tous tant que nous sommes, nous détenons ensemble un droit collectif de revendication qui nous est accordé par d'autres lois et qui nous permet d'aller jusqu'à déclencher des grèves. À ce moment-là, d'autres lois nous permettent encore d'établir ce qu'on appelle des lignes de piquetage.

Par le passé, nous avons vu des forces policières faire fi de ce droit, évinçant les travailleurs de l'endroit autorisé légalement par des juges de la cour pour maintenir des lignes de piquetage. Chez nous, en 1976, à l'occasion d'un conflit qui a duré six mois, qui s'est terminé au mois d'octobre, nous avons vécu telle situation. Heureusement, cela ne s'est pas répété en 1979.

Nous voyons d'un bon oeil une protection de ce droit collectif qui est, en fait, une multitude de droits individuels de revendication afin que, dans l'avenir, notre société ne soit plus témoin d'affrontements entre grévistes et force policière. Nous avons vécu l'expérience en 1979 et nous savons qu'un contrôle sévère et valable est possible sans affrontements physiques.

Cette Charte des droits et libertés de la personne représente un minimum de protection dans notre société de consommation et c'est pourquoi nous l'endossons en espérant de tout coeur qu'elle s'améliore sans cesse et plus souvent, en étant bien conscients que les propositions d'amendements sont là parce qu'un jour quelqu'un a profité de l'ignorance de l'autre et que, pour améliorer notre société, il est devenu obligatoire d'assurer protection, bien-être et sécurité à chacun, qu'il soit travailleur, chômeur, handicapé ou autre.

Nous remercions ceux qui nous ont permis d'exprimer les craintes de nos membres et de la société qui nous entoure en invitant les dirigeants de nos villes, de

notre province, de nos usines, de nos associations quelles qu'elles soient à se préoccuper sans cesse d'un bien-être égal pour tous. C'est là, messieurs, notre représentation.

Le Président (M. Desbiens): M. Dubois, comme il y a des membres des deux côtés ici qui ont d'autres rencontres prévues pour remplir leur devoir d'état, je me demande si cela vous causerait vraiment un préjudice si nous suspendions maintenant pour revenir pour la période des questions à 15 h 15.

M. Dubois (Jean-Marc): À 15 h 15? M. le Président, ce qui se produit, c'est que nous sommes un peu bouleversés dans notre horaire. Il y en a parmi nous qui doivent prendre un avion à 13 h 30. Nous sommes déjà engagés, avec plusieurs de nos membres, à des rencontres en fin d'après-midi. Vous savez que, pour nous, la démocratie, c'est très sévère. On ne peut pas bouder nos membres, on doit les rencontrer en fin d'après-midi.

M. Bédard: Je comprends très bien cette situation, M. le Président, et je pense qu'on devrait procéder maintenant...

Le Président (M. Desbiens): On va procéder. (12 heures)

M. Bédard: ... en essayant de concilier nos horaires et nos charges respectives. Je voudrais tout d'abord, M. le Président, remercier M. Dubois et ceux qui l'accompagnent pour leur collaboration aux travaux de cette commission au nom de la Fédération des syndicats du secteur de l'aluminium. Tel que vous l'avez mentionné, il s'agit d'une réflexion très positive et très sérieuse sur plusieurs des sujets qui ont retenu, depuis déjà plusieurs jours, l'attention de la commission permanente de la justice.

Étant donné que nous sommes limités dans le temps, je prendrai un des éléments de votre mémoire, parmi les autres. J'adresserais ma question à M. Dubois ou à M. Desgagné, le président, qu'on salue; il me fait plaisir de l'avoir ici. Cela concerne les programmes d'action positive.

Vous affirmez dans votre mémoire que la discrimination se manifeste contre les travailleurs qui n'appartiennent pas au groupe d'âge 25-35 ou encore contre des militants syndicaux. Est-ce que vous suggérez que ces clientèles pourraient constituer les groupes cibles qui pourraient bénéficier éventuellement de programmes d'action positive qui sont destinés à des groupes où il y a une discrimination systémique, pour employer l'expression consacrée?

M. Dubois (Jean-Marc): En fait, je peux peut-être émettre le principe général. Si mes confrères veulent préciser par la suite, ils le feront.

Voici ce que nous croyons quant à ces programmes. Pour tous les groupes d'âges, qu'il n'y ait pas de discrimination. Si l'individu est âgé de 20-22 ans, qu'il ait aussi le droit à l'embauche et qu'on ne dise pas: On va se limiter à certaines personnes. Si tu es plus jeune que 25 ans, nous ne t'engageons pas, parce qu'à ce moment-là tu es moins productif, moins stable, tu n'es pas à ton meilleur; on invoque différentes raisons comme cela. Ce critère de l'âge, soit qu'il faut qu'un individu soit entre 25 et 35 ans parce qu'il est plus productif, parce qu'il est moins contestataire, parce que ses convictions syndicales sont moins influençables, ne devrait pas exister. C'est dans cette optique que nous avons fait ce commentaire.

M. Bédard: Concernant les convictions syndicales, vous nous avez suggéré de faire une étude approfondie afin de savoir si l'expression "liberté d'opinion" ou encore la non-discrimination concernant les convictions politiques couvrait très spécifiquement les convictions syndicales. Je peux vous assurer que nous allons pousser l'étude d'une façon très approfondie. Les convictions syndicales ne doivent pas être un élément qui puisse de quelque façon que ce soit amener une action répressive, sauvage ou tout ce que l'on voudra à l'endroit de ceux qui ont de telles convictions.

M. Desgagné (Lévis): II y a eu des affirmations directes qui ont été mentionnées ce matin. À l'usine de La Baie, les critères d'embauche sont vraiment axés sur la non-syndicalisation, même si on est sur le terrain et que l'on va essayer de syndiquer ces gens-là. On est allé chercher des gars de l'extérieur. Il y a 12 000 demandes d'emploi pour 600 emplois qui vont être créés. Comme il n'y a pas de pénurie de main-d'oeuvre, ils ont le choix. On disait que 12 bonshommes étaient rencontrés pour en embaucher un, mais probablement que c'est un peu plus que cela parce que vous avez 12 000 demandes qui ont été faites à l'usine La Baie pour 600 emplois. C'est certain que c'est axé vers la non-syndicalisation.

Moi-même, j'ai posé la question à M. Rich, qui était président de la SECAL. Il fut assez embêté pour répondre. C'est M. Mainville, qui était son directeur du personnel, qui a essayé de s'en sortir du mieux qu'il pouvait en disant: Écoutez, vous avez le Code du travail qui dit qu'on ne peut pas s'ingérer dans cela, vous savez ce qu'on va en faire. Il ne répond jamais à la question. On sait que l'exemple que l'on a donné, c'est qu'un gars qui est trop porté vers l'employeur était éliminé au départ par les psychologues parce qu'il y avait des

tests. Lors d'entrevues, c'est quand même très long. Lorsqu'il rencontre ces gens-là, cela dure peut-être une journée complète. Tout est vraiment axé vers la non-syndicalisation et c'est pour cela qu'on soulevait ce point.

M. Bédard: Un autre point, ce sera... M. Dubois (Jean-Marc): Puis aussi...

M. Bédard: Pardon. Vous vouliez ajouter quelque chose?

M. Dubois (Jean-Marc): C'est simplement une précision. Pourquoi est-ce qu'on demande que cela soit précisé? C'est pour éviter qu'il y ait trop de place à l'interprétation. Alors, qu'on dise: En vertu aussi des convictions syndicales. Que cela soit précisé dans la charte, même si dans l'esprit du législateur, les convictions syndicales sont comprises dans les convictions politiques. Si cela n'est pas précisé, cela laisse trop de place à l'interprétation et vous n'êtes pas sans savoir que cela fait des procédures très longues.

M. Marx: Comme vous l'avez souligné, on ne peut pas faire de discrimination à cause des convictions politiques, mais je ne pense pas que cela soit interprété comme englobant les convictions syndicales. Est-ce que j'ai raison?

M. Dubois (Jean-Marc): Nous, on s'interroge.

M. Marx: J'ai tort. Donc, on a l'interprétation des convictions politiques comme englobant les convictions syndicales. C'est à la Commission des droits de la personne, mais les tribunaux n'ont pas encore décidé, me dit-on.

M. Dubois (Jean-Marc): À ce moment-là...

M. Marx: Donc, je comprends votre souci. Si les tribunaux décident que cela n'est pas couvert dans les convictions politiques, ce sera possible pour les employeurs de continuer à faire ce genre de discrimination.

M. Dubois (Jean-Marc): Vous savez, si cela n'est pas précisé, de plus en plus, c'est le taux de syndicalisation qui diminue. Je référerai à l'encyclique de Sa Sainteté Jean-Paul II où il dit que dans une entreprise sans syndicat, on ne peut fonctionner, parce qu'il y a trop de discrimination.

M. Marx: Oui.

M. Dubois (Jean-Marc): Alors, il ne faudrait pas que cela s'en vienne ainsi au Québec.

M. Marx: Quand on embauche quelqu'un - il y a les cas que vous avez soulignés -est-ce qu'on pose les questions assez directes en ce qui concerne les convictions des gens ou si on fait cela d'une façon détournée, que la personne ne sache même pas...

M. Desgagné: On y va de façon déguisée, détournée. On reste en deçà de la légalité. On sait que le Code du travail empêche l'employeur de s'ingérer dans les affaires syndicales. On le fait, mais ils ont des psychologues d'abord qui font passer des entrevues. À un moment donné, le cas qu'on a mentionné, ils y sont allés assez directement. Dans la lettre, ils ont dit qu'il était trop porté quand même... qu'il n'était pas assez porté vers le patron. Cela voulait quand même dire: Si tu avais été porté plus vers le patron, probablement qu'on t'aurait embauché.

M. Bédard: Sur un autre sujet. Vous avez insisté sur l'abolition de l'âge de la retraite tout en nous disant que votre réflexion n'est pas finale.

M. Desgagné: Je voudrais peut-être... Excusez-moi.

M. Bédard: Même si vous n'avez pas complété votre réflexion, est-ce que vous seriez en mesure de nous expliquer les raisons de certaines réserves que vous avez évoquées par rapport à une telle mesure?

M. Desgagné: Oui. Comme on l'a mentionné, c'est sûr...

M. Bédard: II y a peut-être des exemples pratiques au niveau du milieu de travail que vous connaissez bien.

M. Desgagné: Au niveau du droit individuel, c'est évident, comme on le mentionne, qu'on ne peut pas être contre l'abolition de l'âge de la retraite à 65 ans. C'est sûr qu'on est d'accord pour dire que c'est l'individu qui doit décider à quel âge. Mais au niveau du droit collectif, on sait actuellement - d'ailleurs, on en a discuté un peu ce matin - qu'on a un contexte particulier au niveau du secteur de l'aluminium où on va avoir quand même la perte d'environ 1200 emplois seulement au complexe de Jonquière d'ici la fin de 1985, des emplois directs permanents qu'on va perdre. C'est évident que si on abolit encore l'âge de la retraite à 65 ans, je ne sais pas dans quelle mesure les employés, les travailleurs décideront de dépasser 65 ans, mais c'est évident que cela pourrait empirer cette situation économique qui empêcherait

encore davantage toute la nouvelle main-d'oeuvre qui entre sur le marché ou celle qui va être affectée justement par toute la technologie nouvelle. On dit que cela pourrait être désastreux au niveau économique. C'est pour cela qu'on a fait une nuance par rapport au contexte dans lequel on vit et aussi au niveau du droit individuel, au niveau de l'individu. Au niveau de l'environnement, je ne sais pas si vous le savez, nos travailleurs travaillent quand même dans des conditions assez pénibles, dans des salles de cuves ou dans des usines chimiques. Ce n'est pas comme travailler dans des laboratoires ou comme des gars qui travaillent avec des cols blancs. On a actuellement 1000 employés au complexe de Jonquière, qui sont diminués physiquement et on fait faire une étude justement avec la CSST qui est maître d'oeuvre et qui va se terminer en 1984, pour voir jusqu'à quel point l'état de santé de nos travailleurs - il y a des études épidémiologiques qui sont effectuées présentement - est affecté. Compte tenu de tout cela, c'est évident qu'on a déjà négocié une préretraite pour ces employés diminués physiquement à l'âge de 55 ans. On sait que le type peut sortir avec 70% de son salaire; on dit que cela vient un petit peu à l'encontre... On sait que la période de longévité chez les travailleurs de l'Alcan présentement est de 69 ans, alors qu'elle est peut-être plus élevée dans d'autres secteurs d'activités. Mais, comme on a quand même à parler de notre secteur, c'est évident que moi, personnellement... Il y a un rapport qui va être soumis. On ne s'est pas fait entendre, mais on va vous le présenter dans les prochains jours, je n'en connais même pas les conclusions. Mais c'est évident que, compte tenu du contexte dans lequel on vit, on condamnerait peut-être ces travailleurs à travailler pratiquement jusqu'à leur mort. Je ne serais pas porté tellement, non pas au niveau du droit de la personne, mais au niveau du droit collectif, par rapport au contexte dans lequel on vit... Il va certainement y avoir des précisions au niveau des recommandations.

M. Bédard: Concernant ce sujet spécifique de l'âge de la retraite obligatoire, comme nous en avons parlé ce matin, je vous invite à faire parvenir le résultat de vos réflexions à partir du milieu de travail où vous oeuvrez.

M. Desgagné: On a un comité qui va vous faire parvenir le rapport. Il est en train de le terminer, mais disons qu'on est peut-être un petit peu en retard; on va vous le faire parvenir tel qu'on le disait ce matin.

M. Bédard: D'accord, alors je vous remercie et, encore une fois, merci de votre collaboration aux travaux de cette commission.

M. Desgagné: Merci.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Juste une autre question, parce que c'est quelque chose dont on n'a jamais discuté à cette commission cette semaine et la semaine passée. Vous avez demandé que la commission vérifie les critères d'embauche. Je pense que la commission le fait dans le sens que la commission a avisé des compagnies et des bureaux de recrutement qu'on ne peut pas inclure, dans une formule d'embauche, des questions qui portent sur les éléments qu'on trouve dans l'article 10 de la charte. C'est-à-dire qu'on ne peut pas avoir comme questions, sur une formule d'embauche, on ne peut pas demander le sexe de la personne, sa race, sa religion et ainsi de suite. Est-ce que c'est cela que vous voulez dire?

M. Dubois (Jean-Marc): Non, on parle de ce droit de regard, mais on va plus loin en disant aussi que, lorsqu'une personne n'a pas été embauchée, la commission devrait pouvoir à l'occasion aussi vérifier les raisons qui font qu'une personne... Qu'on n'écrive pas un mot sur papier, mais, lorsqu'on sait qu'il y a des personnes qui sont compétentes, qui possèdent les qualités nécessaires pour obtenir un emploi et qui ne sont pas engagées, jamais personne ne peut savoir vraiment pourquoi. Si la Commission des droits de la personne pouvait à l'occasion vérifier les véritables raisons, par des enquêtes ou par un suivi serré, pour lesquelles une personne n'a pas été engagée, cela aiderait sûrement à clarifier ces situations et cela éviterait des discriminations qui, bien souvent, ne refont jamais surface. Comprenez-vous?

M. Marx: Oui, cela serait difficile de donner le droit à une personne qui a été refusée à un poste d'aller se plaindre à la commission pour que la commission fasse enquête, lorsqu'elle ne sait même pas si elle est refusée pour une raison prévue à l'article 10; cela serait faire des "fishing expedition", aller à la pêche.

M. Bédard: Je ne crois pas qu'on nous propose ce mode d'action avant même qu'une décision soit rendue. C'est après qu'une décision a été rendue par l'employeur.

M. Desgagné: Je ne sais pas si j'ai bien compris. Il y avait des étudiants d'été chez Alcan et, pour être embauché comme travailleur étudiant durant les périodes estivales, il fallait être fils de travailleur. On sait que la Commission des droits de la

personne... Alcan a été obligée cette année de changer son fusil d'épaule là-dessus de sorte que, dans l'ordinateur aujourd'hui, que ton père soit travailleur à l'Alcan ou non, on dit que tous ceux qui font leurs demandes doivent être considérés au même titre. Je ne sais pas si c'était dans ce sens-là, mais c'est parce que...

M. Dubois (Jean-Marc): Dans ce sens-là aussi. Ce qui arrive, c'est que l'Alcan a dû le faire parce que la Commission des droits de la personne est intervenue, parce qu'il y a eu une plainte, mais on voit d'autres usines qui sont autour de chez nous où il n'y a pas eu de plainte de personne et où personne ne peut intervenir; la compagnie dit: J'engage seulement les fils de mes employés.

M. Desgagné: L'Abitibi-Price, par exemple.

M. Dubois (Jean-Marc): Oui, l'Abitibi-Price dans la région.

M. Marx: Vous pouvez informer la commission vous-mêmes qu'il y a des cas de discrimination à telle et telle compagnie, et j'imagine qu'elle va faire enquête.

M. Dubois (Jean-Marc): II faut une plainte d'un individu qui subit la discrimination.

M. Desgagné: Est-ce que nous autres, en tant qu'organisation syndicale, on pourrait loger une plainte?

M. Marx: Je pense que oui. Les gens de la commission en arrière me disent oui.

M. Dubois (Jean-Marc): Parce que ce n'est pas l'information qu'on avait eue.

M. Marx: Vous êtes quand même un syndicat qui voit à la protection des droits de tous les Québécois, si je peux le dire dans ce sens. Je pense qu'elle va accepter vos plaintes et si ça arrive dans d'autres compagnies, ce serait bon que la commission les avise que ce qu'elles font va à l'encontre de la charte. Finalement, c'est ça, parce que ce n'est pas assez d'aviser une compagnie; comme vous l'avez dit, il faut aviser tout le monde qui pratique la discrimination.

M. Dubois (Jean-Marc): Parce que si ce droit était préservé, ça prendrait beaucoup moins de chiens de garde à l'extérieur.

M. Marx: Je suis d'accord. Merci.

Le Président (M. Desbiens): Nous vous remercions de votre participation aux travaux de la commission.

La commission élue permanente de la justice suspend ses travaux jusqu'à 15 h 15.

(Suspension de la séance à 12 h 17)

(Reprise de la séance à 15 h 27)

Le Président (M. Desbiens): La commission élue permanente de la justice reprend ses travaux. Il y aurait nécessité d'un consentement pour inscrire comme intervenants M. Lévesque (Kamouraska-Témiscouata) au lieu de Mme Lachapelle (Dorion) et M. Blais (Terrebonne) au lieu de M. Brassard (Lac-Saint-Jean).

Avant d'entendre Mme Francine Roy, M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: J'ai seulement un mot à dire. L'autre jour, le grand chef Diamond, des Cris, a été entendu par la commission. Il a fait une plaidoirie pour des services de santé dans le Grand-Nord et le ministre a pris l'engagement de parler à ses collègues du Conseil des ministres pour voir si quelque chose pourrait être fait. Je vous dis tout de suite, M. le Président, que j'ai téléphoné au grand chef Diamond à l'heure du lunch et il m'a dit que le problème dure, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de communication entre les Cris et le gouvernement du Québec. Je trouve que c'est grave. J'aimerais savoir ce que le ministre a essayé de faire.

M. Bédard: M. le Président, sur...

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Bédard: ... le plan judiciaire, je pense que mon collègue comprendra que je n'ai pas autre chose à ajouter à ce qui a déjà été dit ici à la commission en présence du grand chef des Cris. Pour ce qui est de la situation concernant les services de santé, j'ai effectivement communiqué avec le ministre d'État au Développement social. Il a également en main une copie du mémoire et des revendications qui ont été acheminées aux membres de la commission par l'entremise du grand chef des Cris. Il fera les déclarations qui s'imposent en temps et lieu.

M. Marx: C'est cela.

Le Président (M. Desbiens): Merci. Mme Roy, vous avez un mémoire à soumettre à titre personnel.

Mme Francine Roy

Mme Roy (Francine): Merci M. le Président. Tout d'abord, avant d'exposer les principaux points, l'essentiel de mon mémoire, j'aimerais faire une mise au point.

On qualifie mon mémoire de personnel, mais je pense que c'est une acception trop restrictive. Je dois vous dire que les délais laissés aux organismes pour présenter une position étaient très courts et, à l'Université Laval, ces délais ont été trop courts pour permettre à l'université d'en arriver à un consensus pour développer une position officielle, consensus pour lequel il aurait été nécessaire de consulter tous les doyens. (15 h 30)

Compte tenu que les délais étaient trop courts, le rapport a été discuté au sein du Conseil exécutif et le recteur m'a demandé de déposer le rapport qui avait été soumis au Conseil exécutif pour qu'on ait une idée de la position de l'université, sans que ce soit la position officielle de l'université. Cette mise au point étant faite, je vais vous faire part brièvement de l'essentiel du contenu de notre rapport.

Mon rapport se centre essentiellement sur l'amendement concernant les programmes de redressement progressif. L'université n'a pas pu étudier à fond les autres aspects qui sont soumis à la commission parlementaire. Nous nous en sommes tenus aux aspects des programmes de redressement progressif. Je dois dire que nous avons fait une étude exhaustive du milieu de travail à l'Université Laval et nous en sommes arrivés à différentes constatations que je vais vous résumer immédiatement.

On constate à l'Université Laval qu'il y a une division du travail selon le sexe, une présence proportionnellement plus importante des femmes au bas de l'échelle occupationnelle, un très petit nombre de femmes dans les structures décisionnelles et une situation désavantageuse concernant la rémunération. Cette situation n'est pas due à des politiques officielles de discrimination, mais bien à des habitudes de discrimination qui excluent les femmes de certains postes. On peut bien parler ici de discrimination systémique. Les seuls moyens qui restent pour venir à bout des discriminations systémiques dans les différentes organisations, c'est la mise sur pied de programmes de redressement progressif.

Le rapport déposé face à la communauté universitaire, qui s'intitulait L'Université Laval au féminin, recommandait l'adoption d'une politique d'égalité en emploi. Évidemment, cette politique d'égalité en emploi se veut une politique d'égalité au niveau des résultats. À ce moment, nous sommes entièrement en accord avec l'objet de l'amendement proposé, soit que les programmes de redressement progressif ne constituent plus une violation au sens de la charte. Cet amendement permettrait à l'université d'aller de l'avant avec un programme d'égalité en emploi.

Je vais maintenant vous détailler la position qu'on a développée selon tous les paragraphes que la Commission des droits de la personne a proposés à la commission parlementaire. Je pense qu'il y a jusqu'à f), quelques paragraphes.

Brièvement, j'ai une petite réserve à émettre. Je vais passer cela très rapidement. Le premier paragraphe proposait que la Commission des droits de la personne puisse approuver des programmes de non-discrimination après une plainte de quelqu'un de l'organisme ou à la suite d'une enquête faite par la commission elle-même. Nous sommes d'accord avec cet amendement.

Le paragraphe d) voulait que la commission ait la possibilité d'enquêter sur l'application des programmes d'égalité en emploi. Nous pensons que cet amendement est peut-être redondant avec l'actuel article 73 de la Charte des droits et libertés de la personne qui donne déjà cette possibilité d'enquête à la commission.

En ce qui concerne le paragraphe c) qui fait l'objet même de l'amendement, c'est-à-dire que les programmes de redressement progressif ne constituent plus une violation au sens de la charte, comme je vous l'ai dit au début de mon exposé, nous sommes en entier accord avec cet amendement. Nous sommes également d'accord qu'il y ait des règlements sur la portée et le contenu des programmes.

En ce qui concerne les organismes en relation avec le gouvernement, évidemment, c'est le paragraphe e). On prévoit toute une procédure pour les organismes en relation avec le gouvernement, particulièrement ceux qui reçoivent des subventions. Comme vous savez, même si les universités se plaignent beaucoup actuellement, elles reçoivent quand même des subventions du gouvernement. Cela vise directement un organisme comme l'Université Laval.

Pour différentes raisons, j'ai quelques réserves à émettre par rapport à la façon dont on entrevoit l'application de programmes d'égalité en emploi auprès de ces organismes. Je propose donc une approche quelque peu différente qui, d'après moi, permettrait d'atteindre les mêmes résultats, c'est-à-dire une plus grande égalité en ce qui concerne les questions d'emploi.

Ce que nous proposons, c'est de laisser, à partir du moment où l'amendement est adopté par l'Assemblée nationale, aux différents organismes en relation avec le gouvernement un délai de trois ans pour mettre de l'avant une politique d'égalité d'emploi.

Pourquoi ce délai? Avant d'en arriver à élaborer une politique d'égalité d'emploi, il y a un certain nombre de préalables que les organismes doivent respecter eux-mêmes. Si on veut que les programmes soient efficaces, il faut que les organismes aient le temps d'étudier leur propre situation, d'analyser la situation, d'apporter un diagnostic, d'en

arriver à définir une situation idéale à moyen terme, d'identifier les différents écarts et leurs causes, de définir des objectifs à atteindre et, à la suite de cela, il sera possible d'adopter un plan d'action concret avec des moyens bien identifiés. Ce plan d'action sera la politique d'égalité en emploi. Compte tenu des organismes visés par le paragraphe f), je pense que pour faire tout ce travail un délai de trois ans est suffisant et raisonnable.

Je mentionne également que durant ce délai de trois ans, la Commission des droits de la personne pourra agir comme personne-ressource auprès des organismes durant cette démarche pour les aider à développer un programme d'égalité en emploi qui soit adopté à leur situation.

Le paragraphe f) concerne la fonction publique, et le paragraphe g) est plutôt un paragraphe de cohérence technique; à ce moment-là, je me sens mal placée pour prendre position.

Finalement, je dois ajouter que si on veut que cet amendement donne vraiment des résultats dans la réalité, il faudra que la Commission des droits de la personne ait des moyens et des ressources pour en arriver à un changement dans la société. Je vous remercie.

M. Bédard: Alors je remercie Mme Roy de sa contribution aux travaux de la commission. Vous avez insisté d'une façon spéciale sur les programmes de redressement progressif. Vous faites remarquer que dans le projet de loi no 24 qui avait été déposé, on prévoyait la mise sur pied de programmes volontaires. Lorsque vous parlez du milieu universitaire, celui que vous connaissez bien, est-ce que cela peut aller jusqu'à des programmes obligatoires?

Mme Roy: Je pense que l'université est prête à aller dans le sens d'un programme volontaire, mais il est évident qu'actuellement l'ambiguïté de la charte met les autorités de l'université dans une position plus difficile pour mettre de l'avant un programme volontaire. C'est certain que s'il y avait un peu plus d'encadrement de la part de la charte et un certain nombre de grands paramètres définis dans une réglementation, cela aiderait beaucoup les autorités de l'université à prendre une position et aller de l'avant avec une politique d'égalité en emploi qui serait plus que de faire accepter par le conseil de l'université un énoncé de principe que nous sommes pour une politique d'égalité en emploi sans mettre des moyens qui l'accompagnent. C'est la position de l'université, elle travaille un peu dans ce sens-là, mais elle pourrait faire des changements beaucoup plus importants si l'ambiguïté juridique de la charte était clarifiée en ce qui concerne les possibilités de mise sur pied de programmes de redressement progressif.

M. Bédard: Si je vous ai bien compris, vous dites que la constatation, qui est assez facile à faire, que les femmes ne sont pas suffisamment présentes au niveau des postes de responsabilité supérieurs, etc., est due plus à des habitudes qu'à une discrimination voulue.

Mme Roy: À une discrimination explicite.

M. Bédard: Oui. À ce moment-là, vous voyez quand même l'importance de programmes volontaires de redressement progressif ou d'accès à l'égalité, qui auraient, j'imagine, comme effet de garder toujours très présente la préoccupation de corriger ces situations.

Mme Roy: Oui, c'est sûr que les programmes volontaires peuvent garder cette préoccupation, mais je pense que la Commission des droits de la personne doit quand même avoir des possibilités d'aller plus loin que le seul programme volontaire dans des cas où des organismes montreraient vraiment de la mauvaise volonté pour changer leurs habitudes.

M. Bédard: À ce moment-là, cela pourrait aller jusqu'à être obligatoire.

Mme Roy: D'après moi, oui. Je pense qu'on doit laisser la chance au coureur, c'est-à-dire à un organisme de démontrer qu'il a lui-même la capacité de faire les changements. Mais s'il ne démontre pas cette capacité, je pense qu'on devrait aller vers des programmes obligatoires. Actuellement, si l'université ne va pas plus loin, c'est à cause de l'ambiguïté de la charte par rapport à la possibilité de faire des programmes de redressement progressif. D'accord?

M. Bédard: D'accord. Je vous remercie.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Si je comprends bien, ces jours-ci, les universités sont dans une situation financière précaire, c'est-à-dire qu'il y a des compressions partout. J'ai parlé à certains universitaires qui me disent que ce sera nécessaire bientôt de ne pas réembaucher des professeurs qui, disons, n'ont pas encore la permanence. Je me demande, dans une telle situation financière, où vous allez trouver des ressources, premièrement, pour mettre en application un tel programme d'action positive.

Deuxièmement, je vois mal qu'on embauche d'autres personnes, c'est-à-dire que, si on a

une faible proportion de femmes ou de personnes des groupes minoritaires dans cette faculté, je vois mal qu'on embauche des personnes de ces milieux...

Mme Roy: Je pense que vous abordez un point important. Je considère qu'il est doublement important d'avoir des programmes d'action positive dans un cadre de contraction économique, justement pour éviter le genre de description que vous faites, et même si on prévoit dans certains départements, je ne parlerais pas de mises à pied, mais certains non-réengagements, il reste des départements qui continuent à engager du personnel, parce que la répartition de la population étudiante se fait différemment et il est doublement important à ce moment-là que les remplacements soient faits par des gens qui sont défavorisés actuellement.

Je pense qu'il est possible, si les choses sont bien étudiées, sont bien analysées, si les moyens sont clairs, de faire des changements dans la structure d'emploi à l'université sans beaucoup de ressources supplémentaires. Sinon, je ne serais pas ici.

M. Bédard: Si je comprends bien, vous ne tenez pas à ce que ce soit le genre d'accès à l'égalité qui soit plutôt artificiel qu'autre chose, quand vous dites cela. C'est qu'à l'intérieur on ne doit pas se calmer la conscience du fait qu'il y ait période de restrictions budgétaires ou pas, mais il n'est pas question de se calmer la conscience en ouvrant un certain nombre de postes simplement pour dire qu'il y a des femmes...

Mme Roy: Non.

M. Bédard: ... qui sont là en tel nombre, par rapport à ce qui existait auparavant. Mais ce qui vous importe, c'est que celles qui sont déjà à l'intérieur du système aient l'accès à l'égalité quand on parle d'accès à des postes supérieurs et à des postes de responsabilité.

Mme Roy: Oui, exactement, je pense que...

M. Bédard: C'est vraiment cela le changement des mentalités.

Mme Roy: Exactement.

M. Bédard: Ce n'est pas l'addition artificielle d'un nombre de personnes.

Mme Roy: Je dis à nos amis anglophones que ce n'est pas du "tokenism" que je veux.

M. Marx: Étant donné qu'il y a très peu de femmes...

M. Bédard: J'aime bien votre manière de voir.

M. Marx: Étant donné qu'il y a peu de femmes à part les secrétaires dans les universités, c'est-à-dire peu de femmes dans les postes clés mais pas de professionnelles, ce serait impossible de vraiment prévoir l'accélération aux postes clés des femmes dans l'université étant donné le nombre restreint des femmes qui se trouvent là aujourd'hui. (15 h 45)

Mme Roy: Je pense qu'il ne faut peut-être pas voir ça demain matin, il faut peut-être voir ça dans un horizon plus à moyen terme. Actuellement, il y a 30% des femmes qui sont au doctorat dans différentes disciplines et qui se préparent à des postes de responsabilité dans le domaine universitaire. Alors, il faut fixer des objectifs par rapport au bassin prévisible, à des choses qui se font à l'extérieur, à des professionnels qui peuvent oeuvrer actuellement dans les organismes parapublics, ou gouvernementaux, ou privés, qui auraient les compétences pour prendre des postes à l'université. Je pense que le bassin est plus large qu'uniquement celui des gens qui sont déjà en poste à titre de professeurs à l'université.

M. Marx: Mais ça prendra des embauchages, il sera nécessaire d'embaucher. Quoique je répète ce que les gens me disent...

M. Bédard: Je ne vous conteste pas.

M. Marx: ... dans une université, on discute maintenant des coupures de salaires...

Mme Roy: Oui, à Sherbrooke.

M. Marx: ... de la mise à pied de certains professeurs, de la fermeture des départements. Dans une période de régression, de compression, je vois mal qu'on commence un programme d'action positive. Quoique je sois pour un tel programme, je vois mal comment on peut l'appliquer, étant donné la situation financière.

Mme Roy: Je vais vous donner un exemple très concret. Je pense que, globalement, dans les universités actuellement, il n'y aura pas d'augmentation du nombre de professeurs. Sur ça, je suis d'accord avec vous. Sauf que, si on regarde cela par secteur, actuellement, à la faculté des sciences de l'administration, qui est une faculté qui a connu une croissance très importante au point de vue de la population étudiante, ils ont en permanence à peu près douze postes de professeurs vacants qu'ils ne sont pas capables de combler. Il y aurait

peut-être des moyens de les combler. D'accord?

M. Marx: D'accord.

Mme Roy: Je vais donner un autre exemple. Si je m'en vais en métallurgie, il y a des postes vacants. Il se fait des déplacements de clientèle et, à ce moment-là, globalement, le nombre de professeurs dans l'ensemble des départements ou dans l'ensemble de l'université ne changera pas, mais il va y avoir des non-réengagements dans certains secteurs et des engagements dans d'autres. À ce moment-là, il faut faire une politique qui n'est pas seulement globale. C'est pour ça que je parle d'un délai de trois ans, mais qui est approprié à la situation des différents secteurs de l'université, parce que l'université est un organisme très décentralisé.

M. Marx: D'accord. J'aimerais...

M. Bédard: II y a des changements de mentalités qui doivent entrer en ligne de compte.

Mme Roy: Oui, aussi.

M. Bédard: Même quand il n'y a pas de programme, je pense qu'il est question de changement de mentalités et d'attitudes. J'arrive justement d'un congrès de deux jours des avocats et notaires de la fonction publique. Il y a quatre ans ou cinq ans, c'était presque des exceptions lorsqu'on voyait des femmes qui oeuvraient au niveau des avocats et notaires de la fonction publique. Aujourd'hui, on est à même de constater de visu que ce nombre a augmenté grandement. Je pense que c'est à partir de changements de mentalités qui s'imposaient.

M. Marx: J'espère, 50% des étudiants en droit sont des femmes.

M. Bédard: Oui, ce qui n'était pas le cas il y a quelques années.

M. Marx: D'accord. J'ai seulement une autre question. Avez-vous étudié le problème de l'âge à l'université? Parce que nous avons eu un mémoire de l'Université de Montréal et ils ne sont pas tout à fait prêts à accepter qu'on fasse un amendement en ce qui concerne l'âge de la retraite.

Mme Roy: Comme je le disais au début de mon exposé, compte tenu des délais qui nous ont été laissés, nous avions fait une étude, dont je vous ai parlé des principaux résultats, sur la question de la discrimination par rapport au sexe en milieu de travail, mais l'université n'avait pas fait d'étude élaborée concernant les questions d'âge. Elle a préféré ne pas se baser sur l'amendement que la commission envisage plutôt que de se prononcer sur des études partielles.

M. Marx: D'accord. Merci.

Le Président (M. Desbiens): Mme la députée de La Peltrie.

Mme Marois: II y a quelque chose de pas correct un peu parfois quand on s'enligne essentiellement sur la politique d'embauche, tenant pour acquis que l'accès à l'égalité n'est que cet aspect de la question. C'est beaucoup plus large que ça. M. Bédard parlait de changement de mentalités, mais il...

M. Marx: Cela dépend pour qui. Mme Marois: Non.

M. Marx: Pour les anglophones à la fonction publique, ça prend l'embauche.

Mme Marois: Dans le cas que vous soulevez, entre autres, si c'est vrai, là où il y a absence complète, c'est évident que c'est nécessaire qu'on intervienne au moment de l'embauche. Si on n'ouvre pas de postes, c'est évident qu'on ne peut pas intervenir au niveau de l'embauche. C'est ce qui est dit là et je pense que c'est important. On dit la même chose. Au niveau du gouvernement, il y a certains programmes qu'on remet en question parce qu'ils ne répondent pas aux besoins identifiés et, par contre, on en crée de nouveaux qui permettent effectivement de créer de l'embauche.

Mais ça me fatigue tout le temps, car c'est plus large que ça. C'est dans les politiques de promotion, c'est dans les politiques de formation et, s'il y a un endroit à l'université où c'est possible de faire ça, où c'est intéressant de le faire, c'est bien là.

M. Marx: II y a des facultés où il n'y a pas de femmes professeurs.

Mme Marois: Oui, c'est vrai.

M. Marx: Donc, là, il n'y a pas de chances de promotion.

Mme Marois: À ce moment-là, effectivement. C'est pour ça que je dis que c'est un ensemble de facteurs, dont l'embauche est un des éléments importants et quasi-clé, mais ce n'est pas le seul élément. Je trouve que c'est biaiser un peu le débat de le mettre seulement là.

M. Marx: Je n'ai pas voulu biaiser le débat. Tout ce que je veux dire, c'est qu'étant donné la situation financière de

l'université on peut faire des progrès, mais ce serait vraiment minimal, parce qu'on n'a pas de ressources, on ne peut pas embaucher et ainsi de suite. Je pense qu'il faut essayer de faire quelque chose, mais il faut être réaliste aussi. Cela prend des ressources, ça prend l'argent.

Mme Marois: J'aimerais justement poser la question à Mme Roy si effectivement, on le voit ailleurs qu'à l'embauche. Pourriez-vous donner quelques exemples? Vous avez fait une analyse assez impressionnante sur l'université au féminin. N'y a-t-il pas d'autres secteurs ou d'autres lieux d'intervention qui permettent d'avancer quand même à un rythme relativement rapide et important?

Mme Roy: C'est sûr que l'embauche est un aspect. Quand on parle de politique d'égalité en emploi, on veut englober l'ensemble du processus de la gestion des ressources humaines. À ce moment, l'annexe qui est jointe au rapport donne une idée de l'ensemble des secteurs qui ont été abordés; les questions de promotion et de perfectionnement deviennent très importants dans ces variables. Il y a aussi une question, comme M. le ministre le disait, de changement d'attitude, de rendre les gens conscients des stéréotypes qu'ils véhiculent. C'est sur tous ces aspects qu'une politique d'égalité en emploi s'articulerait. Ce n'est pas juste alentour d'un aspect.

Mme Marois: Ah bon! C'est intéressant. C'est un des premiers mémoires - quelques-uns m'ont échappé - où vous parlez d'un délai où on donnerait aux gens, dans le fond, la chance au coureur; vous le dites un peu comme cela. Ce qui me fatigue un peu, c'est que je me dis que l'université est un milieu un peu particulier dans une société. On voit souvent des gens qui ont réfléchi sur un certain nombre de situations, qui se sont posé un certain nombre de questions, évidemment d'autres pas, aussi, mais c'est quand même un milieu qui est ouvert, règle générale, aux idées nouvelles. On sait, par contre - il y a beaucoup de groupes de femmes qui sont venus - qu'il y a certains milieux industriels ou d'entreprises, cela peut même être dans le public ou le parapublic, où les résistances sont beaucoup plus importantes. Vous misez beaucoup sur la notion de volontariat, de délai, de se donner le temps, etc. Cela m'inspire certaines craintes jusqu'à un certain point. Je me dis que, là où on sait que c'est l'absence complète des femmes ou de membres de communautés ethniques ou de handicapés, la preuve est déjà faite; ces espèces de délai qu'on se donne dans un milieu peut-être déjà ouvert à cette idée ou présentant déjà une certaine volonté, cela devient extrêmement intéressant. Dans un milieu où il n'y a pas de volonté du tout et même où il y a de la résistance passive et importante, même pas de la résistance passive, dans certains cas, comment voyez-vous cela?

Mme Roy: Je dois dire que l'analyse qu'on avait faite dans notre rapport L'Université Laval au féminin, la première constatation, c'est que l'université est loin d'être une tour d'ivoire, qu'elle reflète bien les valeurs du milieu dans lequel elle s'insère. C'est une mise au point parce qu'on a fait une analyse, non seulement du milieu de travail, mais du milieu de formation et du milieu de vie que constitue l'université. C'est un premier point. Je pense qu'il y a des gens très ouverts à l'université, mais globalement, comme tout organisme, il y a une grande force d'inertie.

M. Bédard: C'est bien dit.

Mme Marois: Je voulais l'entendre dire, disons.

Mme Roy: Deuxièmement, je pense que c'est sûr que l'université est particulière, mais c'est aussi un organisme qui est très décentralisé. Pour en arriver à des politiques adaptées - je ne le fais pas dans l'idée d'un délai, par exemple, il faut leur donner trois ans pour se décider s'ils veulent ou non faire une politique d'égalité en emploi, mais je dis que cela prend trois ans pour vraiment en développer une. Dans le type de milieu comme celui de l'Université Laval, je prévois que cela prend un délai d'à peu près trois ans, si on veut avoir quelque chose qui sera efficace, qui va vraiment amener un changement, pour en arriver à quelque chose de structuré qui sera fonctionnel, qui sera adapté, entre autres, à la situation de chacune des facultés.

M. Bédard: Autrement dit, les intentions doivent être exprimées dès maintenant. L'analyse des résultats peut à ce moment-là souffrir un délai naturellement.

Mme Roy: Oui, c'est cela exactement. C'est dans ce sens.

Mme Marois: Cela va. Cela vient quand même préciser beaucoup l'idée que vous développez. Peut-être une dernière question. À la page 18 du mémoire, vous dites: "... je pense que les organismes qui mettent sur pied des programmes volontaires d'action positive ne devraient pas être tenus de faire approuver leur programme par la commission. Une approche consultative me semble plus appropriée. À cet effet, la commission pourrait fournir aux organismes des guides, etc."

La notion d'obligation, vous la voyez

s'exercer comment à ce moment-là?

Mme Roy: À la page 18, quand je dis "je pense que les organismes...", c'est au moment où ils mettent des programmes volontaires. Quant au deuxième projet de loi ici à l'étude, par rapport au premier, qui avait complètement laissé tomber cet aspect de programmes volontaires, je trouvais qu'il faudrait peut-être prévoir des possibilités là-dedans. C'est dans ce sens que je dis cela.

C'est sûr que la Commission des droits de la personne doit avoir une possibilité d'intervenir. S'il y a une réglementation d'émise, les gens qui mettent de l'avant un programme volontaire vont s'en inspirer. Je ne sais pas si je devrais parler en termes de malaise entre une certaine coercition et une certaine possibilité pour les organismes de produire quand même leurs propres changements, mais en ayant un cadre. Évidemment, s'ils ne veulent pas produire leurs propres changements, la commission devra avoir les moyens qu'il faut pour intervenir et, là, forcer un changement. C'est dans ce sens...

Mme Marois: ... que vous faisiez cette remarque.

Mme Roy: ... cette nuance. D'accord?

Mme Marois: Cela va, merci, M. le Président. Merci.

Le Président (M. Desbiens): S'il n'y a pas d'autres interventions, je remercie Mme Roy pour sa participation aux travaux de la commission.

Mme Roy: Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M- Desbiens): M. le ministre.

M. Dédard: M. le Président, avant de passer à un autre groupe, je voudrais souligner la présence parmi nous, cet après-midi, d'un groupe de magistrats français. Ils nous font l'honneur de visiter le Québec.

Le Président (M. Desbiens): Je vous souhaite la bienvenue, messieurs, mesdames.

Conseil du civisme de Montréal

Je demanderais maintenant au Conseil du civisme de Montréal de venir présenter son mémoire. Mme Matte.

Mme Matte: Oui, c'est moi-même.

Le Président (M. Desbiens): Si vous voulez nous présenter votre mémoire, madame.

Mme Matte: Oui. M. le Président, M. le ministre, madame, MM. les députés, le Conseil du civisme a fait porter son mémoire sur le droit au secours.

Premièrement, j'aimerais dire deux mots sur le conseil lui-même. Le Conseil du civisme de Montréal a été fondé en 1954 et il regroupe 56 associations.

Il s'est donné pour but premier de stimuler chez le citoyen des comportements et des actes de civisme.

M. Attar, qui est le président du Conseil du civisme, s'excuse, il a été retenu par ses fonctions à Montréal. Je suis seule à représenter le conseil. Je vais donner un résumé de notre mémoire. (16 heures)

Nous avons essayé de faire, premièrement, une brève vue d'ensemble sur tout le problème du droit au secours, étant donné que tout ce domaine est assez mal connu par l'opinion publique.

Nous avons, depuis le début, fixé les quatre étapes législatives bien différentes, mais complémentaires qui, à notre avis, pourraient assurer une législation aussi complète que possible dans le domaine du droit au secours.

Premièrement, l'obligation de porter secours. Cette obligation se trouve déjà réglementée par l'article no 2 de la charte.

Deuxièmement, l'immunité accordée à ceux qui ont obéi à l'obligation légale créée par l'article no 2, afin de ne pas être poursuivis en justice en raison des actes ainsi accomplis. Cette étape reste à être franchie et cela fait partie d'une de nos recommandations.

Troisièmement, les sanctions à prévoir contre ceux qui ont manqué à l'obligation de porter secours. Cette étape aussi doit être réglementée en droit positif et elle fait aussi partie d'une de nos recommandations.

Finalement, l'indemnisation de celui qui subit des dommages en portant secours. Cette dernière étape est assurée par la loi favorisant le civisme sanctionnée le 19 décembre 1977.

En ce qui concerne cette courte vue d'ensemble du droit au secours, nous avons décrit la situation, les positions et les solutions trouvées dans le domaine de l'assistance d'une personne en péril d'après le système juridique de divers pays.

Alors, premièrement, les États relevant du système de la common law. La parabole du Bon Samaritain et les différentes attitudes individuelles qu'elle décrit sont propres aux humains de tous les temps. Sans doute, au niveau moral, nous sommes toujours d'accord avec l'opinion exprimée au temps biblique que c'est le Bon Samaritain qui agit correctement et non pas le prêtre et le lévite.

Au niveau légal, cependant, les États de la common law n'imposent pas l'obligation

de porter secours et ne prévoient pas de sanction contre ceux, médecins ou simples passants, qui choisissent de ne pas secourir celui qui se trouve en péril.

La common law n'admet un tel devoir que si celui qui est témoin du péril de la victime a contribué à exposer celle-ci au danger, lorsqu'une relation antérieure lie le témoin et la victime ou lorsque le témoin est sujet à un devoir pénal d'intervenir.

Par contre, si le Bon Samaritain par son action aggrave la situation de la victime, il est passible de poursuite civile.

En d'autres mots, si le Samaritain sert de modèle moral, le prêtre et le lévite ont été les modèles légaux; c'est le Samaritain incompétent qui est poursuivi et le lévite excusé.

La solution nord-américaine, les lois du Bon Samaritain. Les 5 000 000 d'accidents routiers annuellement aux États-Unis, plus de 40 000 accidents mortels et les cas révoltants de totale indifférence face à un être humain en péril, comme le célèbre cas de Kitty Genovese tuée en 1963 devant trente-huit témoins new-yorkais, ont incité les pays de la common law à trouver d'autres solutions.

De nombreuses juridictions nord-américaines, dans les deux dernières décennies, ne se sont pas contentées de laisser ce problème se régler par la common law ou la conscience de ceux qui voyagent sur la route de Jéricho, Medicine Hat ou Yellowknife, mais ont essayé d'inciter les médecins ou les autres citoyens à être de Bons Samaritains, en limitant ou en leur accordant l'immunité face à une éventuelle responsabilité pour négligence.

C'est la Californie qui, en 1959, a introduit la première législation du Bon Samaritain. Depuis, les trois quarts des États américains et trois des provinces canadiennes ont adopté des législations de ce type.

Ces législations comportent une très grande variété, certaines accordant l'immunité seulement aux médecins, d'autres aux infirmières, aux dentistes, aux professions paramédicales ou à tout autre citoyen.

De toute façon, le manque d'unité dans cette mosaïque législative fait peut-être le délice des professeurs de droit, mais complique beaucoup le champ de leur application.

Je vais essayer de sauter puisque, de toute façon, nous avons cité un nombre de doctrinaires qui font état de toutes les distinctions entre les différentes lois du Bon Samaritain beaucoup mieux que je pourrais le faire ou que nous avons pu le faire.

Ce que je veux en conclure, c'est que toutes ces lois du Bon Samaritain, finalement, n'ont pas donné beaucoup de résultats et cela, à notre avis, est fort compréhensible parce qu'elles ne représentent qu'une des quatre étapes que nous avons citées au début et qui nous semblent absolument nécessaires.

Pour finir, le système de la common law a choisi le modèle de la carotte; les pays du système juridique codifié, le bâton.

En ce qui concerne les États relevant du système juridique codifié, nos amis français ici connaissent la teneur de l'article 63 et pourront peut-être même nous aider à mieux éclaircir un domaine où, je pense, ils ont réussi beaucoup mieux que les États du continent nord-américain. En ce qui concerne les pays avec un système juridique codifié, il y a plus d'un siècle, en 1845, que le Code pénal russe a introduit une obligation de porter secours. Les Russes n'étaient pas les premiers. Il paraît que les codes de l'ancienne Égypte et de l'Inde contenaient déjà des dispositions pour punir ceux qui s'abstenaient de porter secours à une personne en détresse.

Finalement, la solution positive de créer une obligation de porter secours fut adoptée par pratiquement tous les pays européens, de même que par l'Éthiopie et l'Asie soviétique.

Autant que dans la solution négative de la common law, il y a une multitude de distinctions entre ces différentes dispositions positives dans les codes pénaux européens. Il reste que, malgré toutes ces différences, il y quand même beaucoup de similitude et je me suis permis de citer le texte de l'article 63 du Code pénal, à la page 7, en même temps que l'article 127 du Code pénal russe adopté en 1960. C'était tout simplement pour voir la similitude des solutions trouvées par les pays régis par un système codifié.

Nous avons essayé ensuite de faire un résumé des différentes dispositions des codes européens. Enfin, je ne veux pas vous fatiguer parce qu'au fond, de toute façon, c'est inscrit dans le mémoire, mais j'aimerais quand même retenir ou mentionner les différentes catégories en ce qui concerne les pénalités, les sanctions prévues au manquement des articles qui font une obligation de porter secours.

En ce qui concerne les sanctions, nous avons des pays qui imposent tout simplement une amende. Il y en a d'autres qui imposent une détention de trois mois. D'autres imposent une détention de six mois, d'autres, une détention d'une année, de trois années et, finalement, la France, une détention allant jusqu'à cinq années. La sévérité de la pénalité maximale en France s'explique par le fait que les dispositions régissant la non-assistance servent également à punir les crimes d'homicide par omission d'agir.

Il nous reste à souligner que les dispositions pénales européennes concernant la non-assistance, dont l'article 63 du Code pénal français est le prototype, sont couramment appliquées par les cours de

justice et sont unanimement connues par les citoyens des pays respectifs, et cela dès le plus jeune âge.

En ce qui concerne la situation au Québec, seul coin de l'Amérique du Nord légataire du Code civil, mais sans compétence dans la sphère du droit pénal, le Québec a choisi la voie de la Charte des droits et libertés de la personne pour introduire, sous sa forme positive d'un droit au secours, l'obligation de porter secours qui se trouve habituellement dans les codes pénaux.

Cette solution a le grand mérite éducatif d'inscrire le droit au secours parmi les valeurs fondamentales que notre société respecte et désire faire respecter et qui sont solennellement garanties par la volonté collective exprimée dans la charte. Il faut donc voir dans cette charte une volonté certaine d'établir des normes qui puissent servir de critères à la conduite d'une société et des personnes qui la composent.

Cette disposition est tout à fait nouvelle en droit statutaire québécois. On a pu affirmer, cependant, que l'article 1053 du Code civil contenait déjà l'obligation de secourir son prochain en rendant responsable celui qui, capable de discerner le bien du mal, cause, par sa négligence fautive, un dommage à autrui.

Évidemment, il y avait déjà, avant la Charte des droits et libertés de la personne, certaines catégories de personnes tenues plus particulièrement par la loi d'assumer les services du Bon Samaritain. Qu'il me suffise de citer la Loi sur la protection de la santé publique, la Loi sur les services de santé et les services sociaux, le Code de déontologie médicale, le Code de la route, finalement la Loi sur la protection de la jeunesse, ainsi que la Loi de la marine marchande.

L'article 2 de la charte a le mérite d'imposer clairement cette obligation à tous, du moins quand la vie d'autrui est en péril. Il constitue l'affirmation d'un droit que ni le Code criminel, ni le Code civil ne réglaient d'une manière satisfaisante.

Il est tout à l'honneur du Québec de posséder la première législation en cette matière dans l'Amérique du Nord. Mais le Québec en a fait plus. Par la Loi visant à favoriser le civisme, sanctionnée le 19 décembre 1977, il permet à celui qui subit un dommage en portant secours d'être dédommagé.

La Loi visant à favoriser le civisme. Il y avait trois solutions au problème de l'indemnisation des dommages au sauveteur. Le poids de cette indemnisation pouvait être subi par la victime, comme matière de responsabilité civile, le sauveteur, ce qui est souvent le cas dans les pays de common law, et la communauté.

C'est cette dernière solution qui nous semble la plus juste dans une perspective de responsabilité sociale commune et qui fut le principe directeur de cette loi.

Bien que le ministre de la Justice soit responsable de l'exécution de cette loi, qui fut sanctionnée le 19 décembre 1977, l'application en a été confiée à la Commission des accidents du travail du Québec, aujourd'hui Commission de la santé et de la sécurité du travail. Elle est administrée par le Service de l'indemnisation des victimes d'actes criminels.

De janvier 1978 à la fin de décembre 1980, il y a eu 71 demandes acceptées dans le cadre de la loi favorisant le civisme. Les dépenses ainsi encourues s'élèvent à 111 608 019 $, ici il y a une faute de frappe, c'est bien 111 608 019 $ et non 11 608.19 $.

Même si nous n'avons pas eu le temps d'étudier plus à fond les demandes reçues par le service responsable de l'administration de cette loi, nous considérons qu'elle a rempli un vide législatif et remédié à une situation douloureusement injuste envers le sauveteur qui subit des dommages physiques et matériels lors de l'accomplissement de son action d'assistance; elle ne coûte pas cher au contribuable et est utilisée par nos concitoyens, malgré l'absence de publicité pour faire connaître son existence.

À la page 12, nous avons parlé brièvement du cas sur lequel le Conseil du civisme a assis son argumentation en faveur de cette loi, puisque nous avons été une des associations, ce n'est peut-être pas la seule, qui ont oeuvré d'une façon très active justement pour l'établissement de cette loi.

Nous n'allons pas parler davantage de cette Loi visant à favoriser le civisme, puisque ce n'est pas le sujet de notre mémoire, mais si jamais il y avait une possibilité de la modifier, nous aurions aimé faire certaines suggestions en ce qui concerne le préambule manquant et en ce qui concerne le fait qu'une loi qui s'appelle Loi visant à favoriser le civisme commence même par parler du décès et du cadavre du sauveteur, etc. Ce n'était réellement pas un moyen très alléchant de parler de civisme, mais cela est une autre chose.

Maintenant j'arrive aux amendements proposés à la charte que nous avons l'honneur de vous soumettre.

L'article 2, l'obligation de porter secours. Nous avons énuméré dans l'introduction de ce mémoire les différentes étapes qui nous semblent indispensables pour doter le Québec d'une législation complète dans le domaine du droit au secours.

La charte, faut-il l'affirmer encore, est un instrument fonctionnel, dynamique et perfectible.

Nous croyons que le temps est venu de compléter les dispositions de l'article 2 qui couvre, en droit positif québécois, le droit et l'obligation de porter secours.

Cet article se lit ainsi: "Tout être humain dont la vie est en péril a droit au secours. "Toute personne doit porter secours à celui dont la vie est en péril, personnellement ou en obtenant du secours, en lui apportant l'aide physique nécessaire et immédiate, à moins d'un risque pour elle ou pour les tiers ou d'un autre motif raisonnable". (16 h 15)

Dans sa formulation actuelle, l'article 2 de la charte nous paraît cependant insuffisant. Premièrement, il n'oblige à porter secours que si la vie d'autrui est en péril. Le viol, les voies de fait, la torture morale, pour ne donner que quelques exemples, sont des cas où l'intégrité d'une personne est en danger. D'ailleurs, l'Office de révision du Code civil, dans son rapport de juin 1966 sur les droits civils, avait déjà proposé la version suivante: "Toute personne en péril a droit au secours". Le Code pénal français qui a inspiré ces dispositions de la charte, à l'article 63, parle de "personne en péril". D'autres codes pénaux européens parlent de "grand danger", de "danger évident", "d'accident ou de danger commun", de "situation d'urgence", etc.

À cause des ambiguïtés du droit civil québécois en ce qui concerne la faute par omission, à cause de la fréquence des actes de violence à l'égard de certaines personnes, femmes, personnes âgées, notamment qui ne sont pas protégées comme le sont les enfants par la Loi sur la protection de la jeunesse, la commission croit qu'il faut modifier l'article 2 pour que soit reconnu spécifiquement le droit au secours quand l'intégrité d'une personne est en danger.

Nous recommandons donc la modification du second alinéa de cet article qui se lirait comme suit: Toute personne doit porter secours à celui qui est en péril.

Deuxièmement, nous considérons que la nature de l'aide à apporter, définie par l'article 2 comme une aide physique, est une conception étroite du rôle du Bon Samaritain. Ainsi, le témoin d'une tentative de suicide, dont, la plupart du temps, le seul moyen d'intervention est une aide morale, le réconfort et la discussion, n'est pas visé par l'article 2. Cette conception vient, du reste, en contradiction avec l'esprit qui préside à la Loi sur la protection du malade mental. C'est l'opinion des professeurs Barakett et Jobin.

Nous recommandons donc que l'expression "aide physique" soit enlevée du texte de l'article 2.

Même si nous appuyons les recommandations de la commission concernant les amendements apportés à l'article 2, nous préférerions que les termes "nécessaire et immédiate" soient mentionnés. Ainsi, on précise mieux l'assistance que le

Bon Samaritain doit apporter.

Je passe maintenant au deuxième point: l'immunité accordée à ceux qui portent secours. L'article 2 de la charte impose clairement une obligation de porter secours à tous, du moins quand la vie d'autrui est en péril. Mais il faut reconnaître que, malgré l'existence de cette obligation légale, il y a une raison fondamentale qui empêche celui qui, dans d'autres domaines, se montre "bon père de famille" de prêter main-forte à son voisin en danger, et ce motif, c'est la peur d'être impliqué dans des poursuites judiciaires.

Nous avons cité plusieurs travaux de certains auteurs. Nous donnons quelques statistiques pour justement souligner cette peur d'être impliqué dans des poursuites judiciaires qui empêche les gens d'intervenir.

En droit positif québécois, nous trouvons déjà un précédent concernant l'immunité accordée à celui qui vient au secours d'une personne en péril. C'est la Loi sur la protection de la jeunesse qui, après avoir fait, aux articles 39 et 42, une obligation de signaler toute situation qui peut compromettre la sécurité ou le développement d'un enfant, lui accorde, à l'article 43, l'immunité pour des actes accomplis de bonne foi. De l'avis de tous ceux qui administrent la Loi sur la protection de la jeunesse, cette immunité était plus que nécessaire pour sécuriser les gens qui s'adressaient à eux. Avec l'expérience des années d'application de ces dispositions particulières, on peu conclure à son bien fondé et à son efficacité. Pourtant, on se rappelle qu'au moment où on a discuté de la Loi sur la protection de la jeunesse on a eu très peur que cette immunité puisse éventuellement conduire les gens à la délation.

L'article 2 de la charte constitue une loi impérative. Il impose à toute personne le devoir de "porter secours à celui dont la vie est en péril". On se trouve en présence des éléments constitutifs de la défense de nécessité. Premièrement, l'obligation légale (porter secours ou provoquer du secours); deuxièmement, un intérêt supérieur à sauver (la vie); troisièmement, le cas d'urgence, (le péril). Il faut donc conclure que la personne qui agit de bonne foi dans les limites de l'article 2 ne peut être poursuivie en justice pour les actes ainsi accomplis, du moins si elle n'a pas commis de faute grossière.

Nous laissons les arguments d'un caractère plus juridique et plus technique au document de la Commission des droits de la personne que la commission vous a envoyé déjà depuis 1978. J'aimerais quand même citer, en conclusion, que la charte, tel que le stipule le préambule, énumère les droits et libertés de la personne. Elle a une fonction éducative privilégiée. C'est donc dans la charte qu'il faudrait inclure cette

immunité du sauveur. Au devoir de secourir son prochain en péril correspond le droit d'être protégé contre des poursuites judiciaires pour des actes accomplis de bonne foi dans une opération de sauvetage. Cette mesure fut d'ailleurs également demandée par le comité d'étude sur l'assurance automobile en 1974.

Le troisième point: les sanctions à prévoir contre ceux qui ont manqué à l'obligation de porter secours, article 87. Dans un texte intitulé, La charte vue sous l'angle du législateur, Me Marie-Josée Longtin et Me Daniel Jacoby, actuellement sous-ministre au ministère de la Justice, écrivaient: "Les droits et obligations posés par l'article 2 de la charte demeurent à être sanctionnés, et sans doute que l'obligation de secours nécessitera un autre développement législatif pour parer à certaines carences". Le Conseil du civisme de Montréal a la ferme conviction que les lois qui ont pour but d'aménager la conduite des citoyens dans le respect d'autrui et qui prévoient des obligations en ce sens perdent de leur efficacité si des sanctions ne sont pas prévues contre ceux qui les transgressent.

Le moment est venu de rappeler la liste des classifications des sanctions imposées par les divers codes pénaux, cités ci-dessus à la page 9, ainsi que les dispositions de l'article 63 du Code pénal français et dont le texte se trouve également reproduit à la page 7. L'exemple de ce code pourrait, à notre sens, bien inspirer le législateur québécois. En effet, faute d'un texte stipulant clairement des sanctions envers les contrevenants de l'article 2, celui-ci risque fort de n'avoir qu'une portée limitée, sinon purement exhortative.

C'est pour combler cette lacune que le Conseil du civisme de Montréal, déjà depuis son rapport du 22 janvier 1975 présenté à la commission permanente de la justice, avait suggéré que le manquement à l'obligation imposée par l'article 2 de la charte devienne une infraction au même titre que les manquements prévus aux articles 10 à 19 de la même charte.

À ce même effet, la Commission des droits de la personne, dans son rapport de 1976, abondait dans le même sens et cela a été la même chose dans les recommandations de la commission en février 1978.

Le fait de ne pas porter secours deviendrait, dans des circonstances précises, une infraction. Il serait alors possible d'ajouter un recours pénal dont la société assurerait la mise en oeuvre, au lieu de porter plainte en vertu de la Loi sur les poursuites sommaires et au recours civil -toujours hypothétique et onéreux - prévus à l'article 49 de la charte. La valeur éducative de cette mesure serait très grande. Elle aurait le mérite d'enlever à la victime le poids des démarches juridiques coûteuses à cause desquelles la victime ou ses héritiers renoncent à prendre action en justice contre ceux qui ont causé des torts par leur non assistance.

Nous recommandons que l'article 87 de la charte soit modifié comme suit: "Commet une infraction quiconque contrevient aux articles 2 et 10 à 19."

Nous avons un autre point qui est un amendement à apporter à la charte, pour tous ceux qui ont un rôle à jouer dans l'information du public. "Nul n'est censé ignorer la loi", mais dans le cas qui nous concerne, s'agissant d'une législation particulière et sans contredit novatrice sur le continent nord-américain, le Conseil du civisme est surpris, sinon déçu du silence qui a entouré ces dispositions jusqu'à maintenant. Aucune campagne d'information, si modeste soit-elle, ne fut entreprise par la Commission des droits de la personne, ni par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, ni par le ministère de la Justice ou de l'Éducation. Jusqu'à maintenant, c'est seulement dans les cours de formation, dans les universités, dans les facultés de droit et seulement dans un cours de formation professionnelle du barreau que ce droit au secours a été discuté.

En proclamant la charte, le législateur poursuivait les objectifs suivants: situer le Québec dans le courant des développements législatifs des pays occidentaux, faire une synthèse de certaines valeurs démocratiques et sociales, permettre le développement ultérieur de ces valeurs, attribuer des recours aux citoyens. Mais, pour que les objectifs atteignent leur but, une oeuvre d'éducation devrait être faite pour que des valeurs reconnues soient respectées, imprègnent les valeurs sociales. C'est pourquoi nous recommandons qu'une campagne d'information soit entreprise par toute institution intéressée à consolider les valeurs qui servent d'assise à la société et, notamment, la Commission des droits de la personne, le ministère de la Justice, le ministère de l'Éducation, la Commission des accidents du travail, les médias et tous les autres. Je vous remercie.

Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le ministre.

M. Bédard: Je tiens à remercier Mme Matte de sa contribution aux travaux de cette commission par la présentation d'un mémoire vraiment très fouillé. C'est un mémoire d'expert en la matière. Il serait plus juste de parler d'un mémoire d'un organisme de personnes dont on sent une préoccupation très aigüe en ce qui a trait à un droit qui, comme vous le dites, quand on parle du droit au secours ou de l'obligation de porter secours, constitue un des aspects

fondamentaux d'une société qui se veut civilisée et humaine. Les membres de la commission sont à même de constater toute la recherche qui a été faite sur le sujet. Comme vous l'avez dit, le premier point, celui concernant l'obligation de porter secours, est déjà inclus dans la charte.

Effectivement, un des autres points que vous avez soulignés, à savoir celui de l'indemnisation de la personne qui subit des dommages en portant secours, n'y est peut-être pas inclus...

Mme Matte: II n'est pas couvert actuellement.

M. Bédard: ... mais il a été touché très précisément par la loi que nous avons fait adopter en 1977, c'est-à-dire la Loi visant à favoriser le civisme, qui a été sanctionnée en 1977. D'ailleurs, je tiens à le dire, cette Loi visant à favoriser le civisme a abouti; il faut en tenir compte, à la suite de représentations qui avaient été faites par votre organisme; vous y aviez ajouté d'autres représentations, vous l'évoquez d'ailleurs, concernant la mise en place d'un système de récompenses, de décorations, etc. Je peux vous dire que le travail du comité est terminé là-dessus au ministère de la Justice. Des recommandations appropriées seront faites. Nous espérons que vous y trouverez satisfaction également.

Mme Matte: Nous étions très heureux de le constater. Oui, nous l'avons reconnu d'ailleurs dans le mémoire, notre satisfaction.

M. Bédard: Maintenant, vous ne nous en voudrez sûrement pas de profiter de votre expertise en la matière pour vous demander d'expliquer deux des autres étapes qui, selon vous, ne sont pas couvertes ni par la charte, ni par d'autres lois, à savoir le problème de l'immunité des personnes qui portent secours, et, l'autre problème, concernant des sanctions possibles à l'endroit de personnes qui auraient refusé de porter secours. C'est un sujet quand même assez délicat, vous en conviendrez.

Dans un premier temps, vous pourriez peut-être déterminer le nombre de situations qui ont été portées à votre connaissance, de cas où des dommages ont été réclamés contre des personnes qui avaient voulu porter secours de bonne foi. Je dois vous dire honnêtement qu'il n'y a pas beaucoup de cas qui ont été signalés au ministère de la Justice depuis que j'en assume la responsabilité.

Pour ce qui est des sanctions, j'aimerais que vous précisiez quelles sortes de sanctions vous avez à l'esprit. (16 h 30)

Mme Matte: En ce qui concerne l'immunité, nous le savons très bien d'ailleurs, le auteurs que nous avons cités dans notre mémoire le disent aussi - que, devant les cours, il n'y a pas réellement de pléiade de victimes qui se retournent contre leurs sauveteurs. C'est certain que les cours n'ont pas encouragé ce genre d'action. Vous savez, il faut lutter avec la peur que les gens ont de ce genre de poursuite. Même si elle imaginaire, même si, finalement, cela n'a pas réellement donné lieu à beaucoup de poursuites devant les cours, il reste que la peur est réelle. Nous avons cité plusieurs travaux de recherche qui ont été faits. Il faut dire que cela n'a pas été fait au Québec, mais des recherches ont été faites aux États-Unis et des recherches ont été faites en Ontario. Invariablement, entre 50% et un tiers des médecins, parce que c'est au niveau des médecins que ces recherches ont été faites, ont répondu qu'ils ne vont pas s'arrêter pour aider quelqu'un dans le besoin à cause de la peur des poursuites ou enfin des...

Même si cette peur est irréelle, qu'elle n'a pas de fondement, elle existe. Les gens ne s'arrêtent pas, parce qu'ils ont peur ensuite d'avoir un tas d'embêtements, de perte de temps, etc. C'est justement pour faire oeuvre d'éducation, pour justement leur donner, leur offrir cette sécurité qu'ils ne seraient pas poursuivis, qu'ils n'auraient pas d'ennuis s'ils apportaient de l'aide à quelqu'un que nous croyons que c'est très important que l'immunité accordée au sauveteur soit finalement inscrite dans la charte. Elle ne peut pas être inscrite ailleurs que dans la charte, puisque cela été le seul moyen pour le Québec d'inscrire finalement ce droit au secours et l'obligation de porter secours dans la charte. Cette immunité doit aussi se trouver là.

Si le Québec avait eu juridiction sur le Code pénal, cela aurait été autre chose, mais, dans les circonstances, c'est le seul moyen qu'on ait et il nous semble que, pour la très grande valeur éducative des gens au droit au secours, il faudrait que cette disposition de leur accorder l'immunité soit inscrite dans la charte.

Mme Marois: Ne pourrait-on pas penser d'inscrire cela dans une loi sectorielle, compte tenu que la charte est évidemment toujours une loi d'application générale? Ne pourrait-on pas, justement, en modifiant certaines des lois déjà adoptées, dont celle que vous avez mentionnée sur le civisme, y inclure des éléments comme ceux-là?

Mme Matte: À notre avis, il faut que ce soit réellement dans la charte. Si jamais vous pouvez nous proposer quelque chose qui ait une valeur égale éducative... Parce que, selon nous, c'est le côté éducatif qui est extrêmement important. Les gens ont peur, ils ont peur de s'arrêter, parce qu'ils

s'imaginent qu'ils vont avoir ensuite beaucoup de difficultés à s'en sortir, etc. C'est là où l'obligation se trouve de porter secours. Puisque, aujourd'hui, on a en droit positif québécois une obligation de porter secours, il nous semble que c'est là aussi qu'il faudrait leur accorder cette immunité.

Vous savez qu'actuellement, si on regarde nos voisins, les États-Unis, quand on voit le taux de criminalité tellement élevé sur les routes, je pense que, pour que le Québec reste une terre de sécurité, il faut tout faire pour prévenir justement les gens, pour qu'ils n'aient pas cette attitude de totale indifférence envers les malheurs de quelqu'un d'autre. Cela peut nous arriver à chacun de nous, à vous, à moi, à tout le monde, de se trouver dans une situation de danger et que les passants passent tout simplement. Je crois qu'il faut tout mettre en oeuvre pour prévenir justement une situation qui pourrait se détériorer, comme elle s'est détériorée aux États-Unis.

C'est certain que le crime est encouragé justement par la peur des gens qui n'interviennent pas. Si les passants intervenaient plus vite, sûrement que les crimes dans les rues seraient plus limités. C'est un constat d'échec de société, ce qui se passe actuellement aux États-Unis. C'est assez curieux de voir que, dans les pays totalitaires, le danger de vie vienne des autorités et que, dans les sociétés démocratiques, le danger de vie vienne de ce qui se passe dans la rue.

M. Bédard: Je crois que vous avez vraiment raison de dire qu'il y a des gens qui ne portent pas secours alors qu'ils devraient le faire, de peur d'avoir des embêtements, des tracasseries ou des poursuites de quelque nature que ce soit. Je crois que ce danger existe, et dans ce sens vous voyez surtout une portée éducative au fait qu'on mentionne...

Mme Matte: Actuellement, j'y vois surtout une portée éducative. Plus tard peut-être que ce serait différent.

M. Bédard: Est-ce que cette approche, cette portée éducative ne retrouve pas aussi ses effets lorsque vous parlez de sanctions, parce que cela semble difficile à concilier civisme obligatoire... C'est un peu cela si on commence à prévoir des sanctions contre des personnes qui devraient porter secours et qui ne le font pas. Il y a une large part d'éducation là aussi lorsqu'il y a une situation extrêmement importante où une personne n'a pas porté secours alors qu'elle aurait dû poser un geste. Selon le Code criminel, lorsque la preuve en est faite, cela peut devenir une négligence criminelle par...

Mme Matte: Par omission, non c'est le

Code civil par omission, article 1053.

M. Bédard: Quel ordre de sanctions... Vous admettrez avec moi que c'est un petit peu difficile à concilier.

Mme Matte: Si nous recommandons la modification de l'article 87 de la charte, soit de faire du manquement à l'article no 2, donc de la non-assistance une infraction, si on propose cela, c'est surtout pour enlever à la victime le poids d'une poursuite judiciaire.

Je vais vous donner un exemple parmi bien d'autres. Au printemps, il y a eu à Montréal un cas qui a ému un peu l'opinion publique. Deux dames juives revenaient d'une synagogue après une fête religieuse; elles avaient dîné là-bas. C'était dans la région de la Côte-des-Neiges. En sortant un groupe de voyous, qui n'ont jamais été retrouvés d'ailleurs, les ont attaquées. Une en est morte, l'autre était blessée, inconsciente. Il y a eu des gens qui sont passés en voiture qui ne se sont pas arrêtés. Finalement, c'est quand même quelqu'un avec une voiture qui s'est arrêté, puis a emmené à l'hôpital une des deux dames, parce que l'autre était déjà morte. Dans tous les journaux, c'était écrit que des personnes qui étaient passées ne s'étaient pas arrêtées. Qui voulez-vous qui commence une action judiciaire contre ces gens-là qui ont fait un manquement à l'article 2? L'article 2 de la charte leur imposait une tout autre attitude; il y avait quelqu'un qui était en péril, la vie de ces personnes était en péril, ils devaient s'arrêter, ils devaient leur porter secours, mais ils ne l'ont pas fait. Ils ont passé à côté.

M. Bédard: Vous admettrez que les nuances deviennent difficiles à faire. Dans le cas dont vous parlez, il peut y avoir des personnes qui ne se sont pas arrêtées tout simplement parce qu'elles ne voulaient pas avoir de problème; je pense que l'on peut accuser, comme vous le faites, ces personnes de négligence. Il y d'autres personnes qui ont pu ne pas s'arrêter tout simplement par peur. Il faut quand même que quelqu'un soit responsable de ne pas avoir... Pour amener une condamnation, il faut que quelqu'un soit responsable d'avoir posé un geste d'une façon très lucide face à une situation comme celle que vous évoquez. Si la preuve est faite qu'une personne n'a pas arrêté, n'est pas intervenue parce qu'elle était sous l'empire d'une peur qui était presque comparable à celle des personnes qui étaient l'objet d'agression, qu'est-ce que l'on fait dans un cas comme celui-là?

Mme Matte: L'article 2, je crois, permet un peu toutes les situations: "Tout être humain dont la vie est en péril a droit au secours. Toute personne doit porter

secours à celui dont la vie est en péril, personnellement ou en obtenant du secours, en lui apportant l'aide physique nécessaire et immédiate, à moins d'un risque pour elle ou pour les tiers ou d'un autre motif raisonnable". On a laissé assez de portes de sortie. Il y a les autres motifs raisonnables. Il y a la possibilité que la personne, si elle ne peut pas voir le sang, s'évanouisse si elle voit du sang, mais elle peut s'arrêter à un poste de police ou, enfin...

M. Bédard: Elle peut au moins appeler la police.

Mme Matte: Alors, elle peut faire quelque chose. Enfin, si la personne qui a passé à côté n'a absolument rien fait ni rien annoncé à quelqu'un d'autre, absolument rien fait, qui voulez-vous qui se charge de sanctionner le geste ou la non-assistance de cette personne? C'est pour cela que nous aimerions, nous du Conseil du civisme de Montréal, que la Commission des droits de la personne soit capable de faire une enquête, d'établir les faits et que le poids des poursuites judiciaires soit réellement porté par toute la communauté et non pas par la victime, parce que la victime... Qu'est-ce que voulez? Je vous ai donné cet exemple. Une personne était déjà morte, l'autre, c'était une vieille personne qui a été blessée et qui ne voulait qu'une chose, ne plus entendre parler de rien. Est-ce que c'est elle qui va commencer toute une poursuite au civil, d'après l'article 49 de la charte? Tout cela s'en va comme cela.

Vous savez ce qui est ressorti de toutes les recherches que j'ai eu la possibilité de faire et des documents que j'ai lus? Une chose, est claire, c'est que les citoyens, que ce soit des États-Unis, du Canada, de l'Allemagne ou d'ailleurs - enfin, selon toutes les recherches qui ont été faites - savent très bien s'ils sont obligés ou s'ils ne sont pas obligés. Regardez le Code de la route. On a une peur bleue du "hit and run". Les gens s'arrêtent parce qu'ils ont peur du "hit and run". Les automobilistes qui ont commis un accident, généralement, s'arrêtent parce qu'ils ont peur. On le sait, les gens le savent, et c'est cette partie éducative qui est importante pour nous. C'est à cause de cela que nous voudrions avoir des sanctions prévues dans la charte et pas seulement des sanctions dans le sens pénal, mais aussi le fait que ce soit la communauté qui enlève le poids des poursuites judiciaires à la victime, parce que cela coûte très cher. Même si, évidemment, on peut dire: Oui, mais il y a l'aide juridique, vous savez, même avec l'aide juridique...

Premièrement, il faut être très pauvre pour être accepté à l'aide juridique. Alors, quelqu'un qui a un revenu moyen ne peut pas se permettre ensuite... Il est tellement heureux... Soit qu'il se soit échappé, soit qu'il ne veuille plus entendre parler de rien, soit qu'il soit mort, ou je ne sais pas quoi, qui va conduire l'affaire finalement? Qui va supporter le poids d'une poursuite, par la suite, de celui qui n'a pas porté secours et qui a donc été fautif, à mes yeux, d'une chose très grave? Nous vivons en société. Nous avons des responsabilités sociales à assumer, chacun de nous. Je pense que le droit au secours est le corollaire du premier article de la charte, du droit à la vie, à l'intégrité, etc. Si ce deuxième article n'a pas de dents...

J'ai demandé aux gens de la commission...

M. Bédard: Je puis vous dire que vous plaidez admirablement bien et vous êtes très convaincante. Je pense que tous les membres ici présents sont à même de constater que cette conviction vient d'une préoccupation bien sentie de votre part et de la part des membres que vous représentez aujourd'hui sur ce sujet. Soyez convaincue que nous allons prendre en très grande considération l'ensemble des représentations que vous venez de faire devant la commission.

Mme Matte: Je vous remercie, M. le ministre. Je ne voudrais pas que le Québec devienne Détroit ou New York. J'aimerais que le Québec reste ce qu'il est et je suis très fière de toute la législation que le Québec a faite.

M. Bédard: Même en période de restrictions budgétaires, on préfère demeurer nous-mêmes, le Québec. Je suis d'accord avec vous.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: J'aimerais remercier le Conseil du civisme de Montréal et Mme Matte d'avoir présenté ce mémoire. Il va sans dire que c'est le Conseil du civisme de Montréal qui est l'expert en cette matière. Chaque fois que le Conseil du civisme de Montréal prépare un mémoire, on apprend des choses et je pense qu'on a appris des choses aujourd'hui.

J'ai pensé que le ministre était en train de conclure qu'il était prêt à adopter les quatre recommandations, mais il a dit qu'il va les prendre en considération seulement.

M. Bédard: Vous présumez de ce que cela veut dire.

M. Marx: J'ai quelques questions. Vous avez écrit que l'article 2 de la charte devrait se lire comme suit: "Tout être humain en péril a droit au secours".

D'accord? (16 h 45)

Mme Matte: Oui.

M. Marx: Parce que l'article 2, maintenant, dit: "Tout être humain dont la vie est en péril a droit au secours". Premièrement, est-ce que cela existe dans d'autres législations, tout être humain en péril?

Mme Matte: Oui. Je vais vous en citer quelques-unes tout de suite. Certains pays limitent l'aide seulement si la vie est en danger; d'autres prévoient des dispositions qui parlent de sérieux danger pour la santé, comme la Tchécoslovaquie, l'Éthiopie, la Pologne et la Roumanie. Certains pays définissent le danger dans lequel se trouve la personne à être secourue comme immédiat ou direct (Éthiopie, Hongrie, Hollande, Pologne et Yougoslavie), d'autres comme imminent (France, Norvège) ou évident (Danemark, Norvège, Espagne).

Le Code pénal belge, qui contient une des plus récentes dispositions sur ce sujet introduite en 1961, et le code finlandais ne requièrent pas que le sauveteur soit témoin de la détresse de la victime; il suffit d'avoir été informé de la situation.

M. Marx: Cela, je le comprends, mais les deux derniers exemples ne touchent pas la question. Ici, vous avez mis "tout être humain en péril". Quels sont les critères? Supposons qu'il y a une bagarre dans un restaurant, deux gars se battent un petit peu, cela arrive souvent, les deux sont en péril, mais leur vie n'est pas en péril. Est-ce qu'il faut intervenir et pour lequel? Le critère pour l'intervention d'une tierce personne, c'est quoi?

Mme Matte: Bien, voilà. Je pense que les voies de fait comme le viol, par exemple... Il y a eu un cas en Saskatchewan où il y a eu, sur la rue, un viol et les gens ont passé à côté. On aurait pu dire: La vie de la personne n'était pas en danger, c'était juste un viol, mais c'était son intégrité qui était en danger, son intégrité physique. C'est la même chose s'il y a deux personnes qui se battent, il me semble. Je ne pourrais pas intervenir, mais je peux téléphoner à un policier, je peux m'organiser.

Une fois j'ai été témoin, je passais dans la rue et j'ai vu un couple. Le mari ou l'homme enfin frappait sur la femme. J'étais toute seule, c'était la nuit, mais j'étais en voiture. J'ai fermé mes quatre portes et j'ai tellement klaxonné et je l'ai tellement suivi en klaxonnant que le bonhomme finalement en a eu assez et est parti. Il faut faire quelque chose. On ne demande pas de l'héroïsme; on demande de la décence. On demande tout simplement une attitude de décence et non pas d'héroïsme.

M. Marx: Je ne suis pas en désaccord. Tout ce que je veux dire, c'est que j'aimerais savoir les critères. Dans les autres lois que vous avez citées, on parle que la santé soit en péril, qu'il y ait un péril immédiat pour la vie, imminent et ainsi de suite. Il y a des critères. Ici, il n'y a aucun critère; c'est juste "tout être humain en péril". Je pense que ce serait peut-être mieux de mettre un critère plus précis, comme dans d'autres lois que vous avez citées.

Mme Matte: Mais, voyez-vous, en France, par exemple, dans l'article 63, qui est un peu le prototype dans le domaine du droit au secours, ils mettent juste "tout être en péril". Ils n'en mettent pas plus. Je sais qu'il y a eu une variation de cas. Par exemple, il y avait une femme enceinte et elle est morte. Le bébé, le foetus était vivant et le médecin n'a pas fait une césarienne ou quelque chose pour sauver le bébé. Il a été condamné, parce que c'était la vie de quelqu'un qui était en péril, en l'occurrence le foetus. C'est allé aussi loin que cela. Je peux vous citer beaucoup de cas comme cela en France où, tout simplement, quand quelqu'un est en péril, il faut intervenir d'une façon ou d'une autre.

M. Bédard: En quelle année? Mme Matte: Je m'excuse.

M. Bédard: Vous référiez à une jurisprudence française?

Mme Matte: Française, oui. J'ai cité un cas qui s'est passé en France, il est cité par un auteur, Feldbrugge, que j'ai cité.

M. Marx: Où se trouve la phrase dans l'article 63 du Code pénal français comparable à la phrase que vous avez suggérée?

Mme Matte: Oui. À la page 7 du mémoire, vous avez l'article 63 du Code pénal français et vous avez l'article 127 du Code pénal russe. Au bas de l'article 63: "Sera puni des mêmes peines quiconque s'abstient volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ni pour les tiers, il pouvait lui prêter...".

M. Marx: Qu'est-ce que ça veut dire le péril en jurisprudence française, dans ce deuxième paragraphe?

Mme Matte: Dans la jurisprudence française - d'ailleurs, dans la mémoire que la commission a préparé à la demande du

Conseil du civisme là-dessus, il y a bien des détails - ce que je sais, c'est que la jurisprudence a été réellement très large. Je vous ai cité le cas du médecin qui n'a pas sauvé le foetus; il y a le cas d'un pharmacien, par exemple, dont un malade est venu avec une ordonnance. Il y avait une faute dans l'ordonnance que le médecin avait faite, il s'est rendu compte que l'ordonnance pouvait être dangereuse pour le patient. Au lieu de faire le nécessaire et dire: Ce n'est pas possible, le médecin a fait une erreur, il a complété l'ordonnance. Le patient est mort. Le pharmacien a été condamné d'après l'article 63 du Code pénal parce qu'il avait vu qu'il y avait quelqu'un qui aurait pu être en péril et il n'a rien fait, malgré le fait qu'il savait que cette ordonnance pouvait le tuer.

M. Marx: D'accord. Donc la jurisprudence française...

Mme Matte: La jurisprudence française est très large.

M. Marx: ... dans le sens que la vie ou l'intégrité physique ou morale doit être en danger. Merci.

Pour votre deuxième recommandation, je comprends bien...

Mme Matte: Pour les sanctions.

M. Marx: Oui. Vous parlez de l'immunité...

Mme Matte: Oui, l'immunité.

M. Marx: ... en ce qui concerne les poursuites civiles, je vois bien que, si on aide quelqu'un, on ne veut pas être poursuivi après.

Mme Matte: Sauf faute grossière, on laisse quand même la faute grossière.

M. Marx: Oui. C'est presque voulu. Faute lourde en droit Québécoise, ça veut dire qu'on fait quelque chose consciemment, presque voulu.

La troisième recommandation...

Mme Matte: Les sanctions.

M. Marx: ... les sanctions. Cela peut être utile sur le plan éducatif parce que...

Mme Matte: Éducatif parce que, voyez-vous, ça serait la même chose finalement que la discrimination, que les pouvoirs de la commission aux articles 10 à 19. Ce serait la possibilité de faire l'enquête sans que ça en coûte à la victime et ensuite porter le poids des poursuites judiciaires. C'est surtout là-dessus parce qu'au fond on sait très bien que la commission n'arrive pas, même dans le domaine de la discrimination, à imposer des...

M. Marx: II y a très peu de poursuites en vertu de l'article 87, même là ces 25 $ et quelque chose...

Mme Matte: Mais il y aurait quand même une portée éducative et c'est celle-là qu'il faut retenir, je pense.

M. Marx: Merci.

Mme Matte: M. le ministre - M. le Président peut me juger hors d'ordre - j'ai la chance de vous voir et j'aimerais changer de chapeau, si vous me permettez, et vous poser une question. Je suis très active à la Fédération des femmes du Québec et nous avons organisé un colloque, le 25 mai dernier, sur les mesures à prendre pour protéger les mineurs dans le domaine de la pornographie. Par le sous-ministre, M. Bouchard, nous vous avions envoyé 325 000 signatures et appuis de nos recommandations. On n'a pas reçu encore de réponse de votre part.

M. Bédard: Nous n'avions pas jugé bon de faire un accusé de réception puisque la pétition nous avait été transmise officiellement par notre sous-ministre, M. Rémi Bouchard. Je m'excuse, peut-être que...

M. Marx: Sur la pornographie, est-ce que le ministre a l'intention de faire quelque chose en ce qui concerne cette matière?

M. Bédard: J'invite mon collègue à regarder ce qui se passe. Il y a déjà beaucoup de choses qui se font concernant...

M. Marx: Est-ce qu'il se fait des études dans votre ministère?

M. Bédard: Si vous voulez amorcer une discussion sur ce sujet...

M. Marx: Je pense que c'est le droit de la personne aussi, cela a été soulevé par Mme Matte.

M. Bédard: ...quitte à le faire. M. Marx: J'ai déjà soulevé ça...

M. Bédard: Madame a soulevé sa question. Si vous en avez d'autres à soulever, c'est votre problème.

Le Président (M. Desbiens): Ce sera à l'étude des crédits, s'il vous plaît.

M. Marx: J'ai soulevé ça aux crédits, je n'ai pas eu de réponse, c'est ça le problème.

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre! À l'ordre!

M. Bédard: C'est bien simple, vous ne suivez pas les activités du ministère de la Justice.

M. Marx: Je cours le ministre partout avec mes questions, je n'ai jamais de réponse.

Le Président (M. Desbiens): Mme Matte, vous voyez ce qui arrive lorsqu'on va à l'encontre du règlement.

M. Bédard: Vous ne suivez pas les activités du ministère de la Justice...

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre!

M. Bédard: ...vous ne faites que lire vos déclarations dans le journal, ce n'est pas mon problème.

M. Marx: Vous ne donnez pas de réponse.

Le Président (M. Desbiens): Est-ce qu'il y a d'autres interventions sur le mémoire soumis par Mme Matte, s'il vous plaît?

S'il n'y a pas d'autres interventions, Mme Matte, je vous remercie de votre participation aux travaux de la commission.

M. Bédard: Merci beaucoup, Mme Matte.

Département d'information et communication de l'Université Laval

Le Président (M. Desbiens): Je demanderais maintenant à l'Université Laval, département d'information et communication de s'approcher, s'il vous plaît. M. Willett?

M. Willett (Gilles): Oui.

Le Président (M. Desbiens): Vous pouvez y aller.

M. Willett: M. le Président, M. le ministre, madame et MM. les députés, ce que je veux présenter à la commission permanente de la justice, c'est quelques réflexions sur un droit qui est celui de communiquer. Compte tenu du temps qui est alloué à chaque intervenant, je me contenterai de faire un résumé du mémoire que j'ai déposé pour ensuite passer à une période de questions.

À l'époque de l'antiquité et d'Aristote, on déterminait le fondement de la vie comme étant l'âme, le souffle et il a fallu attendre Lamarck, en 1809, pour que la notion d'être organisé remplace celle d'être vivant et que l'organisation devienne le trait essentiel et spécifique du vivant. À partir de ce moment-là, on a considéré que la personne, l'humain, était un être organisé. Cette notion d'organisation est devenue le mot clé dans les sciences et dans la vie en société. L'idée et le fait de l'organisation s'imposent comme exprimant à eux seuls la vie dans sa totalité. Tout est perçu et conçu par rapport à cette notion d'organisation ou son contraire, la désorganisation.

Ce dont on se rend compte avec les recherches dans différents domaines des sciences sociales et des sciences de la nature, c'est qu'organisation et vie sont indissolublement liées. Mais à ce trait s'ajoute aussi celui de la communication. On se rend de plus en plus compte, surtout dans notre société contemporaine, où on a à notre disposition de plus en plus de moyens de télécommunication, que communication et vie sont aussi indissolublement liées. (17 heures)

Tout comme l'humain ne peut pas ne pas être un être organisé, il ne peut pas ne pas être un être de communication. Partant de là, communication et organisation ne peuvent se concevoir l'une sans l'autre. La vie n'existe que par, dans et à travers la communication et l'organisation. On se rend bien compte dans notre vie quotidienne que rien ne peut s'organiser sans qu'il y ait communication et que rien ne peut être communiqué sans qu'il y ait organisation. Communication et organisation sont donc deux aspects indissolublement liés d'un même phénomène qui est celui de la vie.

Si on considère que tout être humain a droit à la vie, il est nécessaire et urgent de concevoir la personne comme étant à la fois un être organisé et un être de communication. C'est en ce sens qu'il faut reconnaître que le droit de communiquer est un droit fondamental de la personne.

Ne pas reconnaître ce droit, c'est occulter et nier en quelque sorte l'un des aspects fondamentaux de la vie, du vivant et de la personne. C'est en 1969 que Jean d'Arcy, ancien président de l'Eurovision et directeur des services d'information à l'UNESCO, a lancé cette idée d'un droit de communiquer; donc, il y a déjà presque une douzaine d'années. Jean d'Arcy appuyait sa thèse sur l'émergence et la prolifération des nouveaux moyens de télécommunication et de diffusion et, partant de là, considérait que cette nouvelle situation exigeait la reconnaissance du droit de communiquer. Il y a d'autres aspects plus fondamentaux que la simple présence de nouveaux moyens ou de nouvelles technologies, c'est-à-dire que communication et organisation sont deux aspects fondamentaux de la vie et que la personne est à la fois un être organisé et un être de communication.

C'est en reproduisant, dans des outils, des machines, des techniques et des

technologies, ce qu'il est que l'humain parvient à mieux s'observer, se comprendre et s'expliquer. C'est par ce biais et les connaissances qu'il produit qu'il faut nous rendre maintenant à l'évidence que la personne est un être non seulement organisé au sens de la biologie, mais aussi un être de communication. C'est là le sens profond de la mutation brusque suscitée par le développement et la croissance des nouvelles technologies de télécommunication. C'est ce qui fonde la nécessité et l'exigence du droit de communiquer.

On sait aujourd'hui, de façon précise, que la communication répond à des besoins tant biologiques que physiologiques et psychiques pour la personne, mais c'est aussi un état, une manière d'être qui caractérise fondamentalement et existentiellement la vie et le vécu de toute personne. L'existence même de tout individu dépend de ses capacités et des possibilités qu'il a de communiquer. Rien ne se produit dans le vécu d'une personne, dans la constitution d'un groupe, d'une institution, d'une société sans qu'il y ait communication.

Certes, les canaux physiologiques de communication, telles la vue, l'ouïe, etc., rendent possibles la réalisation et l'actualisation de celle-ci, de même que notre système nerveux. Dans notre société actuelle, on a tendance à considérer que ce sont d'abord nos organisations sociales qui contribuent le plus à conditionner toutes les activités de relations de la personne et de son développement.

D'une certaine façon, cette perception des choses est vraie, mais il n'en demeure pas moins que, si l'organisation ou les organisations sociales ont un poids si énorme, c'est justement qu'on n'a pas encore reconnu la personne comme étant un être de communication.

La communication est un acte d'origine biologique. À ce titre, elle a une double nature et procède aussi d'une double nature; c'est qu'il y a toujours organisation et communication, de manière indissociable. Tout handicap physique ou psychique, et particulièrement le handicap d'un ou de plusieurs canaux physiologiques de communication, réduit fondamentalement les capacités d'organiser et de communiquer de la personne. Qu'il s'agisse de handicap physique ou psychique ou encore de handicap issu de facteurs économiques, politiques, éducatifs ou autres, la personne est toujours atteinte dans ses capacités d'organiser et de communiquer, et cela a une incidence directe sur le droit à la vie de tout être humain, car la vie comme le vécu sont indissociables de la communication et de l'organisation qui elles-mêmes sont inconcevables l'une sans l'autre et indissolublement liées.

Le respect de la vie et le droit à la vie exigent que l'on reconnaisse le droit de communiquer comme étant un droit fondamental de la personne. C'est pour ces raisons et ces évidences, d'ailleurs, que la notion de communication doit s'appliquer à toutes les personnes et ne pas être le privilège de quelques-uns.

En considérant certains individus comme étant des communicateurs, on considère par le fait même que d'autres ne le sont pas. Ainsi, une fois de plus, l'être humain, la personne est dépossédée de sa caractéristique fondamentale et existentielle d'être de communication. Ce n'est plus qu'une ressource qui doit être organisée, qu'un produit qui implique un coût.

De plus, ceux qui se considèrent communicateurs s'approprient l'un des fondements existentiels de la vie et du vivant.

Dès lors, il n'est pas surprenant qu'avec le temps et les circonstances on oublie, volontairement ou pas, que c'est par, dans et à travers les individus qu'un groupe, que la société, que les institutions existent.

Il n'est donc pas surprenant non plus que de plus en plus de personnes se sentent incapables d'agir sur les structures sociales, les institutions et les événements et qu'elles aient tendance à abdiquer, à démissionner face aux exigences des relations dites formelles ou statutaires.

C'est là essentiellement une réaction naturelle et viscérale de l'humain qui veut et qui cherche à survivre comme être de communication dans un milieu qui nie constamment ce trait fondamental de la personne, c'est-à-dire celui d'être de communication.

Ce que les technologies de télécommunication mettent en cause actuellement, ce sont les libertés individuelles et les pouvoirs. Dans une société où la télécommunication et l'information prennent valeur de fondements de la structuration des rapports sociaux et institutionnels et, par le fait même, de la structuration et de la distribution des pouvoirs, il n'est pas surprenant que, d'une part, il soit question du nouvel ordre mondial de l'information et de la communication et que, d'autre part, les individus se sentent déconnectés des institutions et manifestent des problèmes de communication non seulement dans leurs relations institutionnelles, mais aussi dans leurs relations personnelles.

Dans la mesure où l'humain n'est pas conçu comme être de communication, il s'ensuit que la communication n'est pas comprise comme moteur, matrice et support des situations de relations, que ce soient des situations de relations personnelles ou institutionnelles.

La communication et l'organisation sont alors dissociées et l'on ramène la communication essentiellement à des

échanges, des structures, des fonctions, des causes, des effets que l'on tente de démêler, de catégoriser et de structurer. On fait de la communication essentiellement un processus de transmission.

Dès lors, la communication ne joue plus de rôle essentiel dans l'aventure humaine et les relations sociales deviennent des situations de diffusion, de transmission et d'échanges dont les structures, les fonctions, les normes et les règles sont souvent perçues comme étant immuables. Le développement et l'évolution de la personne dépendent alors non plus de la communication, mais bien des possibilités de diffuser, de transmettre ou d'échanger qu'on veut bien lui reconnaître ou lui attribuer.

Les pouvoirs préfèrent de beaucoup que les individus, que les masses écoutent et voient. Il est toujours possible de s'exprimer, mais selon les circonstances qui, bien entendu, sont prédéterminées.

Dès lors, les pseudo-situations de communication se définissent d'elles-mêmes par "tais-toi" ou "cause toujours", mais jamais dans le micro.

Dans un tel contexte, qui oblige les personnes à se constituer en groupes de pression, la personne n'existe plus. Si chaque individu vit pour son compte le destin collectif, il est alors urgent de s'interroger sur ce destin qui se fait sans la personne.

Cette interrogation est d'autant plus urgente que les pouvoirs et les gens de pouvoir ont compris depuis longtemps que le contrôle de la société, d'une institution, d'un groupe passe toujours par la communication sinon par la répression de celle-ci.

Il en est ainsi parce que l'on sait que la communication implique le libre choix et la possibilité d'établir de nouvelles relations; c'est pourquoi la communication n'est pas seulement pouvoir d'organiser, elle est aussi pouvoir d'acquisition de connaissances.

Bien que communication et organisation soient complémentaires et interdépendantes, la spécificité de la communication, c'est de générer de nouvelles relations et par le fait même de nouvelles significations, de nouvelles valeurs.

Quant à l'organisation, sa spécificité est de maintenir ses relations, ses significations et ses valeurs. C'est d'ailleurs le rôle essentiel que l'on attribue aux institutions, maintenir les relations, les significations et les valeurs.

Que les institutions et les sociétés se dotent pour leur fonctionnement et l'expression de ce qu'elles sont de moyens de télécommunication et établissent leur propre circuit de communications, cela paraît évident. Toutefois, il faut bien comprendre que la diffusion, la circulation unidirectionnelle verticale de messages souvent anonymes, vides de sens, non diversifiés et produits par quelques-uns pour tous bloque et nie la communication non seulement entre les individus mais aussi entre les institutions et entre les nations.

Chaque innovation de diffusion, de transmission ou de télécommunication a provoqué d'une part des luttes contre les pouvoirs et, d'autre part, l'énoncé d'une liberté nouvelle pour l'individu. Pourtant, on a toujours passé à côté d'un fait essentiel, c'est-à-dire que la personne est un être organisé et de communication.

La mutation fondamentale de notre époque, c'est de reconnaître ce fait que, dans le présent débat sur le nouvel ordre international de l'information et de la communication, on ait évacué l'idée même du droit de communiquer est inquiétant et il faut s'en demander la raison.

Une lutte entre les pouvoirs politiques et la presse, entre les pays riches et les pays pauvres, entre les industries et les multinationales des télécommunications qui cherchent à s'approprier les marchés, telle est l'image que projettent actuellement les discussions relatives au nouvel ordre mondial de l'information et de la communication.

Certains soutiendront peut-être qu'on ne peut reconnaître un droit de communiquer si on ne sait pas ce qu'est la communication. Les chercheurs tentent encore aujourd'hui de savoir, de décrire, de comprendre, et d'expliquer tant la plus petite unité d'organisation que le fait de l'organisation, ses lois et son sens. Va-t-on pour autant supprimer demain le droit à la vie des personnes et arrêter d'organiser, de structurer la vie en société?

Ce qu'il faut comprendre, c'est que la communication est relation avec et mise en commun; elle est productrice ou transformatrice de structures. C'est en ce sens que la communication est intimement et fondamentalement liée et intégrée aux vivants, à la vie. C'est en ce sens que la vie ne peut exister, se réaliser et évoluer que s'il y a organisation et communication. La vie nécessite et exige que tant les processus d'organisation que ceux de la communication puissent se manifester, se réaliser. C'est sur la base de cette évidence, évidence aussi forte que celle que tout objet lancé tombe vers le sol ou que la terre tourne autour du soleil, que l'on doit d'une part reconnaître que la personne est un être organisé et de communication, et que, du fait de la reconnaissance du droit à la vie comme droit fondamental, on doit reconnaître à la personne le droit fondamental de communiquer.

La communication est fondamentalement, comme aspect intrinsèque de la vie de la personne et même d'un peuple, processus de développement et d'émergence de structures, de nouveautés. C'est en cela que le respect de la vie, le respect de la personne et le respect d'un

peuple ne sont et ne font qu'une seule et même chose et exigent la reconnaissance et la proclamation du droit de communiquer. (17 h 15)

II serait fallacieux de vouloir prétendre que le droit de communiquer est déjà reconnu via les libertés de conscience, d'opinion, de religion, d'expression, d'association, via le droit à l'information et d'autres droits particuliers. Ces libertés et ces droits ne peuvent être équivalents au droit fondamental de communiquer et ce, d'autant plus qu'ils apparaissent comme normes légitimes et essentielles de la vie en société. Masquer les différences entre les libertés et les droits particuliers et le droit fondamental de communiquer, c'est, dans le contexte historique actuel et futur, d'une part, affaiblir l'affirmation du droit fondamental à la vie et, d'autre part, refuser de reconnaître la personne comme étant un être organisé et de communication.

Ceci étant et considérant qu'organisation et communication sont deux aspects fondamentaux et indissociables d'un même phénomène, celui de la vie; considérant que toute constitution de structures, qu'elles soient sociales ou autres, exige que la communication soit reconnue comme principe vital et puisse se réaliser; considérant que la personne est source fondamentale d'émergence des structures sociales et de l'organisation de la société; considérant que la personne doit être reconnue comme un être organisé et un être de communication; considérant que communiquer est un besoin humain et social vital et le fondement du développement de la personne et de l'organisation sociale; considérant que le droit de communiquer, tout comme le droit à la sûreté, à l'intégrité physique et à la liberté de la personne, dérive du droit à la vie et qu'à ce titre il doit être reconnu et affirmé comme un droit universel et inaliénable de la personne; considérant que toute institution, toute organisation et toute personne oeuvrant dans le domaine de la communication et de la télécommunication ont des droits et libertés spécifiques qui découlent du droit fondamental de communiquer et que ce droit caractérise les manières d'exercer leurs responsabilités, nous recommandons au ministre de la Justice et à l'Assemblée nationale du Québec: de reconnaître, d'affirmer et d'inscrire dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne le droit de communiquer; de proclamer et d'affirmer le droit de communiquer comme étant un droit fondamental et, enfin, d'interdire l'utilisation du mot "communicateur" pour désigner une profession ou un statut professionnel et l'inclusion de ce mot dans le libellé d'une raison sociale. Je vous remercie.

Le Président (M. Desbiens): Merci. Mme la députée de La Peltrie.

Mme Marois: Je remercie M. Willett. C'est passionnant. Cela m'a rappelé - je le dis très positivement - un certain nombre de réflexions que j'ai déjà faites à l'université ou ailleurs. J'avoue que j'ai de la misère à être convaincue. Peut-être qu'on peut reprendre un certain nombre d'éléments. J'aimerais que vous puissiez m'expliquer quels seraient les effets bien concrets que pourrait entraîner l'ajout du droit de communiquer au niveau de la charte. Il y a une très grande réflexion, elle est extrêmement intéressante, mais qu'est-ce que cela fait?

M. Willett: D'accord. Il y a plusieurs domaines et je prendrai un exemple très concret qui s'est passé et qui se passe au Québec. J'ai travaillé pendant deux ans et demi au ministère des Communications du Québec et, à l'époque, c'était le gros boom des médias communautaires où il était question de l'accessibilité de groupes de citoyens aux compagnies de câble pour avoir leurs canaux communautaires et être capables de diffuser leurs messages.

En l'absence d'un droit de communiquer, quels sont les recours que toute personne ou tout groupe de citoyens a à sa disposition pour faire respecter son droit, comme être de communication, de pouvoir livrer ses messages, tout au moins de les diffuser? Il y en a très peu. Ce n'est pas une question de droit d'opinion, même pas de droit d'expression, à ce moment-là. C'est un cas concret, entre autres, où, en l'absence du droit de communiquer, les gens qui veulent faire entendre leur voix sont obligés de le faire via la constitution de groupes de pression, etc., mais comme individus ils ne peuvent - très peu, en tout cas - le faire. Cela est un des exemples. Autre exemple...

Mme Marois: Est-ce qu'à ce moment-là ce n'est pas relié beaucoup plus à une notion de moyens, à la limite? Parce que ce que vous me dites, ce sont des moyens existant ou n'existant pas.

M. Willett: Oui, mais...

Mme Marois: Vous l'avez mentionné vous-même, à l'article 3 de la charte - je ne l'ai pas devant moi - on parle de la liberté d'expression, de la liberté d'opinion.

M. Willett: Oui, ce sont là des droits particuliers qui limitent, en fin de compte, d'une certaine façon un droit à la communication, et ce sont des limites légitimes. Il y a un droit à l'expression et un droit à l'opinion, mais à l'intérieur de cadres spécifiques, à l'intérieur de situations

spécifiques. Ce n'est pas n'importe qui qui peut aller, par exemple, s'exprimer à Radio-Canada ou même à Radio-Québec. Ce n'est pas n'importe quel citoyen, première des choses, sauf que tout le monde a le droit à l'expression.

Mme Marois: Mais Radio-Canada ou Radio-Québec ou la télé communautaire ce n'est pas le seul moyen qui existe dans une société.

M. Willett: Non, ce n'est pas le seul moyen. Sauf qu'avec l'avènement des nouveaux moyens de télécommunication et entre autres de la télématique, il y a des situations qui se préparent; par exemple, prenons le cas de la télématique. En France, on a décidé de rendre la télématique généralisée en supprimant les bottins de téléphone sur papier et en planifiant sur un certain nombre d'années toute une série de réseaux où les gens auront nécessairement, s'ils veulent avoir le téléphone, un terminal de télématique pour chercher leurs numéros de téléphone. Là-dessus, on constitue toute une industrie, tout un marché. Il y a des coûts impliqués à ceci. Ce qui s'en vient dans une certaine mesure, c'est que tout le monde a aujourd'hui le téléphone, l'électricité, l'eau courante dans sa maison...

Mme Marois: L'écran cathodique bientôt.

M. Willett: Oui c'est cela. Est-ce que la télématique va être quelque chose qui va s'imposer à partir d'une planification par l'État? Ou est-ce que c'est une nouvelle situation de télécommunication qui s'imposera un moment donné par la force des marchés, par la force de la publicité des multinationales ou des industries de télécommunication?

C'est comme si, par exemple, il y avait certains quartiers dans la région qui n'auraient pas l'électricité, parce que les gens ne sont pas capables de se la payer, et que, dans d'autres, vous auriez l'électricité. Dans la conjoncture économique actuelle et avec les développements technologiques et la pression aussi qu'on ressent au Québec face à ces nouvelles situations de télécommunication, l'État devra fort probablement intervenir pour planifier cette évolution technologique. Je pense aussi que l'État doit reconnaître un droit de communiquer à la personne, parce que ce droit de communiquer, à cause des nouvelles technologies qui s'en viennent, des nouveaux réseaux et des nouvelles structures de télécommunication qui vont prendre place dans nos sociétés, ce droit sera de plus en plus mis de côté.

Mme Marois: À la limite, on pourrait dire qu'on serait quasi obligé, comme État, que l'ensemble de ces systèmes, de façon systématique, soient rendus disponibles à tous les citoyens et citoyennes. Cela pourrait nous amener à conclure ce que vous me dites.

M. Willett: Oui d'une certaine façon. Vous avez un autre cas qui est celui de ['interconnection. Le gouvernement fédéral a statué là-dessus et n'importe quel citoyen peut acheter son appareil de téléphone chez Radio Shack, par exemple, et se l'installer. La Régie des services publics est encore à délibérer sur le sujet, à la suite des audiences qui ont eu lieu au mois de mai dernier et vous avez plusieurs secteurs du territoire québécois où les abonnés, entre autres de Québec Téléphone, ne savent s'ils vont avoir le droit ou pas d'interconnecter n'importe quel appareil sur le réseau. D'une certaine façon, cette situation, pour moi, enfreint le droit de la personne de communiquer par des moyens techniques.

Mme Marois: II reste que le droit fondamental, soit d'expression ou d'opinion, et même le droit à l'information qui est affirmé dans l'article 44, existe actuellement dans notre charte. Je reviens quand même à la même affirmation de départ. Je pense que vous en convenez parce que tous les exemples concordent à le dire, c'est de l'ordre des moyens. Évidemment, vous pourriez peut-être me répondre quand on parle par exemple de programmes d'accès à l'égalité, c'est aussi de l'ordre des moyens. Dans une perspective où une société a évolué, a changé de mentalité ou a connu un développement dans un sens plutôt que dans un autre, mon impression c'est qu'à ce moment-ci, compte tenu du contexte dans lequel on est, de l'état des mentalités d'évolution, ça m'apparaît très prématuré d'inclure un élément comme celui-là dans la charte. D'abord, comme société, on n'aura probablement même pas les moyens de se payer ces moyens actuellement ou de façon très limitée. Ma principale intervention est sur le fait que ça reste de l'ordre des moyens.

M. Willett: Oui. Le droit à la vie reste de l'ordre des moyens également. Il faut pouvoir se nourrir, se loger...

Mme Marois: Ce n'est quand même pas tout à fait...

M. Willett: D'une certaine façon.

Mme Marois: La comparaison est un peu tirée par les cheveux. Remarquez qu'il y a des choses qui ne coûtent pas très cher. Les Anglais et les Chinois l'ont trouvé. Ils ont identifié des - je cherche depuis tout à l'heure le nom - places publiques où chacun

peut aller à l'heure qui lui convient et comme il veut exprimer sur la place publique ce à quoi il croit, ce à quoi il pense et donc communiquer sa pensée, sa philosophie et tout le reste.

M. Willett: Le Hyde Park même.

Mme Marois: C'est ça. Je ne veux pas insister davantage, il y a peut-être d'autres collègues qui veulent intervenir. Vous avez cependant une autre recommandation dans votre texte qui dit: On devrait interdire l'utilisation du mot "communicateur". J'ai l'impression que cette recommandation est intéressante et on peut voir où elle peut être véhiculée; je n'ai pas l'impression qu'elle s'adresse comme modification à la charte, mais beaucoup plus au niveau du code des professions, des choses comme ça. On en convient?

M. Willett: Oui.

Mme Marois: Cela va. Parce que je ne voyais pas où cela se logeait au niveau de la charte. Merci.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Marquette.

M. Dauphin: Merci, M. le Président. Je tiens également à vous remercier pour votre mémoire. J'aimerais tout simplement avoir votre opinion. Étant donné la façon dont la communication et la télécommunication se sont développées au cours des années, un groupe ou un gouvernement, peu importe l'ordre et la façon dont ils peuvent utiliser les communications pour faire passer n'importe quel message, éventuellement, qu'elle serait une forme de protection pour les citoyens? Je ne sais pas si vous comprenez le sens de ma question. Dans un message qui pourrait être véhiculé...

M. Willett: Je pense que je comprends le sens du mot "communication" au sens de propagande, c'est ce que vous voulez dire?

M. Dauphin: Un peu, dans ce sens...

M. Willett: Alors, votre question serait: Comment protéger le citoyen contre la propagande ou quoi?

M. Dauphin: Pas nécessairement contre la propagande, mais une espèce de... Peu importe l'ordre de gouvernement...

M. Willett: II y a tout le problème de la relation intercitoyen et de la circulation de l'information utile, comme voter à l'Assemblée nationale est un problème difficile sur lequel beaucoup de gens au ministère des Communications ont travaillé et travaillent encore. On n'a pas trouvé la solution idéale. On a plutôt réussi à identifier toute une série de problèmes qui sont non seulement des problèmes de manière de véhiculer des contenus mais aussi des problèmes d'attention chez les gens à qui s'adresse telle information, et ce n'est jamais au bon moment. (17 h 30)

Ce sont là des problèmes assez complexes. Comme je vous disais tantôt, toute institution sociale a besoin de se doter de ses propres circuits de télécommunication et de ses propres réseaux de communication.

Mais il y a une chose quand même fort importante qui est ressortie dans tout le débat sur le nouvel ordre mondial de l'information et de la communication et qui nous est venue des pays du tiers monde qui ont constaté que cet article de la Déclaration universelle des droits de l'homme qui stipulait la libre circulation de l'information, etc., a fait que les pays riches et les pays occidentaux ont constitué des réseaux de diffusion et de télécommunication qui permettaient aux pays du tiers monde de voir et d'entendre, mais il n'y avait pas de bidirectionnalité là-dedans.

Ces pays s'aperçoivent de plus en plus que c'est tout leur mode de pensée, tout leur fonctionnement institutionnel et toute leur culture qui sont mis en cause. Déjà, en 1922, je pense, à la commission Aird, la première commission sur la radiodiffusion au Canada, lord Aird avait dit que les cerveaux des jeunes Canadiens étaient envahis par des opinions et des idées qui ne cadraient pas avec les valeurs canadiennes de l'époque.

Or, c'est un problème de moyens, mais il faut se rendre compte que ces moyens véhiculent des contenus, véhiculent des messages, véhiculent des valeurs, des significations qui, dans certains cas, et j'inclus là-dedans l'ensemble des moyens de diffusion, de transmission, effectivement, ont des effets qui sont difficiles à évaluer à très court terme et à très long terme. On n'a pas les moyens ni même les méthodologies adéquates pour faire des études sérieuses et significatives là-dedans.

Mais il y a des domaines comme celui du téléphone, où on a un moyen de télécommunication bidirectionnel qui a des impacts qu'on ne connaît absolument pas. Il y a à peine une dizaine de recherches qui ont été faites en Amérique du Nord sur l'impact des réseaux téléphoniques sur le plan personnel, industriel, commercial, etc. Lorsque j'étais au ministère des Communications et qu'on faisait les téléconférences entre la France et le Québec, soit en cardiologie ou en sciences de l'administration, on se rendait compte qu'on avait mis en place des systèmes qui n'avaient rien à voir avec la radio et la télévision telles qu'on les connaît

quotidiennement, qui sont essentiellement des moyens de diffusion. On mettait en place des systèmes et des réseaux qui permettaient justement à des professionnels d'entrer en situation de communication au sens fort et plein du terme, c'est-à-dire en bidirectionnalité et instantanéité, ce que la plupart des moyens de diffusion ne font absolument pas.

Donc, il y a des incidences, non seulement pour les individus, mais en même temps pour les cultures et les peuples, chose qui est ressortie abondamment dans le débat sur le nouvel ordre de l'information. Ce qui se passe, c'est que, dans ce débat, au point de départ, la notion du droit de la personne à communiquer était une notion centrale, mais, comme ce débat se situe aussi dans le cadre du débat Nord-Sud et qu'il y a des gros sous, qu'il y a les multinationales, etc., avec le temps, on a évacué de tout ce débat cette notion du droit de la personne à communiquer ou du droit à la communication et, actuellement, le débat tourne à vide autour de questions de réseaux de transmission, d'inégalité entre les pays riches et les pays pauvres quant aux moyens informatiques, téléinformatiques, etc.

Autrement dit, le grand débat, à l'heure actuelle, c'est de savoir où on va mettre le centre commercial, peu importe qui circule dedans et peu importe ce qu'on y vend.

Le Président (M. Desbiens): S'il n'y a pas d'autres interventions, je remercie M. Willett de sa participation et je demanderais aux représentants de la Maison internationale de la rive sud de s'approcher, s'il vous plaît.

M. Strutynski, je vous demande de présenter les personnes qui vous accompagnent, s'il vous plaît.

Maison internationale de la rive sud

M. Cherif (Mohamed): Mohamed Cherif.

Mme Béland (Lise): Lise Béland.

Le Président (M. Desbiens): On va écouter votre mémoire.

M. Strutynski: M, le Président, mesdames et messieurs les parlementaires, la Maison internationale de la rive sud, établie depuis bientôt sept ans sur la rive sud de Montréal, est un organisme voué à l'accueil et à l'adaptation des Néo-Québécois. Nos objectifs sont d'harmoniser leur intégration à leur nouveau pays et de sensibiliser les Québécois aux diverses cultures que nous représentons, ainsi qu'aux problèmes vécus par les immigrants. Nos membres représentent plus de 20 ethnies différentes et nous comptons parmi eux de nombreux Québécois. Nous sommes venus devant cette commission parlementaire, d'une part, pour apporter notre appui à la mise en place de programmes de redressement progressif -l'action positive - réclamés par la Commission des droits de la personne, et, d'autre part, pour signaler certaines formes de discrimination religieuse qui échappent à la réglementation de la charte.

L'action positive. En tant qu'organisme représentant des minorités ethniques, nous ne pouvons qu'être d'accord avec des mesures qui viseraient à réparer des inégalités ou injustices subies par les minorités raciales, ethniques ou autres et causées non par des attitudes discriminatoires mais par une inégalité de chances due à plusieurs facteurs.

Chaque année, le Québec accueille près de 25 000 immigrants de toute origine, langue, culture ou ethnie. Ceci représente le quart de l'accroissement annuel de la population québécoise. Pourtant, ce quart de la population est tout à fait sous-représenté dans plusieurs secteurs de l'économie ou totalement absent des postes clés où il pourrait y avoir un effet certain sur les attitudes du public face à l'immigration.

Combien y a-t-il de Néo-Québécois enseignant dans les écoles publiques au Québec? Combien y a-t-il de chauffeurs d'autobus noirs à Montréal? Combien y a-t-il d'enfants immigrants qui auront accès aux études collégiales ou universitaires? Combien y a-t-il de gens d'origine autre que québécoise dans la fonction publique provinciale ou municipale? Ainsi, l'égalité en droit n'est pas toujours l'égalité en fait.

Notre absence de ces secteurs publics, ainsi que d'autres secteurs économiquement forts, a pour effet de nous maintenir dans un certain isolement et dans un sous-développement général par rapport à l'ensemble de la population. Ceci favorise alors les préjugés de toutes sortes. Pourtant, nous tenons à nous insérer le mieux possible dans la société québécoise et être considérés comme des Québécois à part entière, sans toutefois perdre nos caractéristiques propres.

Nous croyons que des programmes d'action positive pourraient contribuer à améliorer cette situation en contrant certains désavantages économiques et sociaux dont peuvent être victimes les minorités ethniques. C'est pourquoi nous demandons d'amender la Charte des droits et libertés de la personne de façon à rendre possibles les programmes de type "action positive" ou de lutte contre la discrimination. Il ne s'agit que d'un appui de principe. Nous avons voulu laisser l'aspect technique de l'instauration de ces programmes aux spécialistes des relations du travail. Il nous paraît cependant souhaitable que les mesures touchant les programmes soient de nature coercitive afin de les rendre vraiment efficaces.

De plus, nous considérons essentiel que la mise en place de tels programmes soit

accompagnée d'une vaste campagne d'information et de sensibilisation auprès du public, de façon que la population comprenne bien le sens et les raisons de telles mesures. Autrement, on risquerait de provoquer des effets tout à fait contraires et de renforcer certains préjugés au lieu de les combattre.

Discrimination religieuse. Un organisme comme le nôtre, qui compte parmi ses membres des gens de tous les coins du monde, regroupe nécessairement des gens de tendances religieuses les plus diverses. Quelles que soient nos convictions religieuses, ce qui nous frappe tous en arrivant ici, c'est de constater que le système scolaire public est confessionnel. La Charte des droits et libertés de la personne protège d'une certaine façon ce système puisque l'article 41 accorde le droit d'exiger un enseignement religieux conforme à nos convictions dans les écoles publiques. Comparativement à plusieurs de nos pays d'origine où souvent les constitutions interdisent l'enseignement religieux à l'école, cela pourrait paraître à première vue comme une garantie plus large de liberté. Hélas, ce n'est pas le cas. En effet, l'article 41 ne garantit ce droit qu'aux catholiques et aux protestants, puisqu'il précise que cet enseignement doit se situer dans le cadre des programmes prévus par la loi. Ce droit devient donc une discrimination pour toutes les autres confessions qui ne se voient pas accorder les mêmes garanties, de même que pour ceux qui n'ont pas d'appartenance religieuse et qui se voient insérés dans ces systèmes confessionnels. Nous concevons très bien qu'il soit impossible d'organiser un système d'enseignement public pouvant offrir un enseignement religieux conforme aux convictions de chacun. Il nous paraît alors plus juste et plus équitable que tous, quelle que soit leur opinion religieuse, aient droit à la même qualité d'enseignement public. Ceci ne peut être assuré qu'en retirant l'enseignement religieux confessionnel de l'école publique. Nous croyons en la neutralité de l'État face au fait religieux et que l'école publique ne doit pas privilégier une religion au détriment d'une autre.

D'autre part, la présence d'un tel enseignement, dans une école confessionnelle ou autre, comporte toujours son revers, qui est l'exemption. Dans un document sur "l'accueil des enfants de traditions religieuses et culturelles diverses", le Comité catholique présente l'exemption comme une preuve de l'ouverture de l'école catholique à la diversité des croyances. Pourtant, la réalité est tout autre. Dans la pratique, ce droit s'avère être une discrimination. Plusieurs institutions québécoises l'ont déjà reconnu comme tel et font valoir leurs arguments. Ce que nous tenons à ajouter, c'est que ce droit, difficile d'accès pour les Québécois eux-mêmes, à cause du manque d'information et des embûches de toutes sortes, devient pratiquement inaccessible pour les Néo-Québécois qui, bien souvent, ne parlent pas la langue du pays, comprennent mal la complexité des structures scolaires et ignorent tout d'une procédure d'exemption qu'il leur faudrait en plus répéter chaque année.

De plus, les Québécois d'origine rejettent ce système entre autres parce qu'ils voient leurs enfants marginalisés, voire même rejetés et isolés par rapport à l'ensemble du groupe. Vous comprenez que ceci est ressenti de façon beaucoup plus vive encore par un enfant qui doit affronter en plus les barrières de langue, de couleur, de culture, de mode de vie. L'exemption est donc loin d'être un mécanisme qui puisse aider l'enfant à se sentir accepté des autres et pleinement intégré à son nouveau milieu. Dans de tels cas, cette situation est même à proscrire pour l'équilibre et le bien-être de l'enfant. L'enseignement religieux à l'école, contrairement à ce qu'on pourrait penser, est donc un obstacle de plus pour l'adaptation des Néo-Québécois à la société québécoise.

L'article 41 ne peut que maintenir ou sanctionner de telles situations. Or, les effets de cette situation sont exactement du même ordre que ceux que l'on cherche à redresser par le programme d'action positive. Si on adopte de tels programmes, il nous paraît alors nécessaire de procéder simultanément à l'élimination de toutes les causes d'inégalités, dont la discrimination religieuse à l'école.

C'est pourquoi nous demandons que l'article 41 soit abrogé de façon que tous aient le même droit à une éducation d'égale qualité à l'école publique, quelles que soient leurs convictions en matière religieuse.

Dans le même ordre d'idées, nous désirons signaler une lacune à la Charte des droits et libertés de la personne. En avril 1979, un de nos membres, d'origine hindoue, se voyait refuser un poste de professeur d'anglais dans une commission scolaire, parce qu'il refusait de signer une déclaration attestant qu'il était de foi catholique. Un tel cas illustre bien à notre avis la contradiction qu'il y aurait entre l'instauration d'un programme d'action positive et le maintien de la confessionnalité scolaire.

Nous avons porté cette cause devant la Commission des droits de la personne, devant le Conseil supérieur de l'éducation, devant le ministre de l'Éducation, devant le premier ministre et nous avons recueilli l'appui de quinze associations ethniques et organismes voués à la défense des droits de la personne. À chaque étape, nous nous sommes heurtés au règlement du comité catholique qui légalise cette discrimination, mais nous avons aussi constaté que la Charte des droits et libertés n'accorde aucune protection dans de tels cas. Au contraire, elle semble même les protéger.

Le Conseil supérieur de l'éducation nous répondait qu'il fallait examiner le problème à la lumière de l'article 20 de la charte qui dit, entre autres, qu"'une exclusion justifiée par le caractère éducatif d'une institution est réputée non discriminatoire". Dans son ensemble, cet article est absolument injustifiable et nous reconnaissons qu'il peut avantageusement servir les groupes ethniques.

Par contre, dans la partie citée précédemment, il conduit à protéger l'article 22 du règlement du comité catholique, puisque nos institutions éducatives ont aussi un caractère confessionnel. La victime de cette discrimination se voyait alors privée de tout recours, même si personne ne pouvait justifier de façon satisfaisante une telle exclusion et même si la Commission des droits de la personne reconnaissait quelque temps après que l'école confessionnelle était porteuse de discrimination.

Notre ami finit par se trouver du travail dans sa spécialité, mais suffisamment loin pour qu'on se préoccupe d'abord de ses qualifications pédagogiques avant ses convictions religieuses. C'est au Poste-à-la-Baleine, parmi les autochtones, qu'on l'accepta pour ce qu'il était: un citoyen avec ses particularités, mais aussi avec les mêmes droits que les autres. (17 h 45)

II est déjà suffisamment difficile à un immigrant de faire reconnaître ses qualifications et de se trouver un travail correspondant sans qu'il soit nécessaire d'exiger de lui des qualités qui ne regardent que sa vie personnelle et qui n'ont rien à voir avec la tâche à accomplir. L'exigence du Comité catholique est un obstacle de plus à l'adaptation et à l'intégration des Néo-Québécois.

C'est pourquoi, dans la même optique que les programmes d'action positive, nous demandons que la Charte des droits et libertés de la personne prévoie une protection suffisante contre la discrimination religieuse dans l'emploi dans les écoles publiques du Québec.

En résumé, nous considérons que les conséquences de l'article 41 et la lacune de l'article 20 produisent des effets contraires à ceux recherchés par l'instauration des programmes d'action positive et c'est pourquoi nous vous adressons ces demandes.

Nous vous prions d'agréer, mesdames et messieurs les parlementaires, l'assurance de notre considération distinguée.

Le Président (M. Desbiens): Madame la députée de La Peltrie.

Mme Marois: Je remercie le représentant de la Maison internationale de la rive sud. Je pense que vous soulevez effectivement - et vous y référez même dans votre mémoire - un problème qui est réel relativement à la confessionnalité, aux difficultés d'exemption et tout cela, que vivent - et vous le soulignez aussi - les Québécois et les Québécoises eux-mêmes qui ont à se confronter à ce système. On sait que le ministre de l'Éducation est à revoir un peu tout cela. Il nous déposera un projet qui pourrait être intéressant. Il faudra le regarder sérieusement.

Je voudrais revenir sur les programmes d'action positive dans le cas de groupes ethniques un petit peu diversifiés, évidemment, et répandus dans différents territoires et reliés à différents groupes et associations. Dans plusieurs cas, on a parlé beaucoup de l'action positive relativement au travail, mais cela peut être à l'éducation, cela peut être dans d'autres secteurs de la vie. Est-ce que vous considérez la possibilité que ces groupes puissent être consultés ou puissent participer à des programmes d'action positive et de quelle façon vous le voyez, si c'est le cas?

Mme Béland: Chose certaine, nous, à l'heure actuelle, on est un petit groupe subventionné. Nous sommes seulement cinq personnes, 300 membres bénévoles. On n'a pas les ressources financières et matérielles pour vous dire comment faire et par quelle mesures coercitives. Chose certaine, parce que l'on travaille avec des immigrants et qu'ils sont discriminés à tous les jours, on est convaincus qu'il faut que ces mesures soient coercitives parce que si elles sont seulement volontaires...

Mme Marois: C'est cela, c'est un ajout que vous avez fait à votre mémoire. Je suivais et je me suis rendu compte que c'est un ajout que vous avez fait. Vous pourriez peut-être nous expliquer pourquoi vous en êtes convaincus. Je comprends, vous m'expliquez effectivement la technique pour le faire ou la cuisine, si on veut. Vous nous dites: II y a un tas de gens qui y ont peut-être réfléchi et, compte tenu des ressources limitées dont on dispose, on n'a pas pu faire cette recherche en profondeur. C'est cela?

Mme Béland: Effectivement.

Mme Marois: Vous l'affirmez maintenant dans votre mémoire avec l'ajout que vous faites sur la notion de l'obligation.

J'aimerais que vous expliquiez ce qui a justifié votre ajout.

Mme Béland: Chose certaine, comme je le disais, les immigrants sont discriminés. Je vais donner des exemples bien concrets au niveau de l'emploi. On leur ouvre la porte, mais il faut aussi les accepter avec leurs us, leurs coutumes, leur religion, leur couleur. On a des cas que l'on a traités dernièrement. Un directeur de chemin de fer

franco-éthiopien, un type qui a travaillé à la réfection des lignes de chemins de fer brisées par la guerre de Somalie-Éthiopie se retrouve ici. Il fait quoi? De l'entretien ménager; ce n'est pas un jeune homme de 20 ans; il a 20 ans d'expérience, c'est un homme dans la quarantaine.

Sa femme, depuis 9 ans, est infirmière licenciée à Addis-Abeba. Ici, l'Ordre des infirmières ne reconnaissait pas encore son diplôme, parce qu'ils n'ont pas reçu les équivalences venant d'Addis-Abeba. Mais lorsqu'on sait que cette dame-là, sa tête est mise à prix là-bas, c'est bien évident que le régime en place n'enverra pas ses équivalences. Cela est un cas de discrimination.

On pourrait les multiplier comme cela en quantité. Les immigrants nous disent: Faites-nous de la place; il faut nous ouvrir la maison, nous inviter à la table, pas seulement dans les toilettes, parce que c'est là qu'on les retrouve en grande quantité, dans l'entretien ménager. On les retrouve dans le textile; c'est de la discrimination. Ils revendiquent une place qu'on doit leur donner. Si c'est seulement mis sur papier, cela reste des voeux pieux alors que, par des mesures coercitives, pas juste du style on va donner 100 $ d'amende à une compagnie, quand on sait qu'un avocat coûte 50 $ l'heure au minimum, et c'est un avocat qui ne demande pas cher... À ce moment-là, s'il faut vraiment que ce soient des mesures fortes et sérieuses pour amener les compagnies, les patrons à tenir compte du fait qu'il faut faire de la place aux immigrants et non pas les reléguer à des tâches de subalternes.

Mme Marois: Cela va. Je vous remercie.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Marquette.

M. Dauphin: Je tiens également à vous remercier pour votre mémoire. Selon vous, les programmes d'action positive à moyen terme, les verriez-vous d'une façon obligatoire?

Mme Béland: Oui. Je ne veux pas revenir là-dessus, mais changer des mentalités, cela prend du temps. Si le gouvernement du Québec a été capable d'organiser des campagnes de sensibilisation comme "Au Québec, on s'attache", pour le port obligatoire de la ceinture, on est aussi capable d'organiser des campagnes pour ouvrir la porte aux immigrants.

Effectivement, si on instaure des mesures de redressement et qu'il n'y a pas une campagne d'information large, compte tenu qu'il y a déjà des préjugés comme "Ils nous volent nos jobs" alors qu'ils ne volent pas grand-chose, cela va renforcer les préjugés au lieu de les diminuer.

Mme Marois: D'ailleurs, je trouve cela extrêmement intéressant parce que ce n'est pas dit de façon aussi affirmative, le fait qu'on ait de l'information à faire autour de ces programmes d'accès à l'égalité ou d'action positive. Ce qu'on constate j'imagine que vous devez faire le même constat - c'est que, quand on en parle, et cela fait longtemps qu'on en discute, qu'on échange autour de cela, les gens ont tendance à voir cela très négativement comme de la discrimination à rebours et ils ont toute espèce de préjugés autour de ces programmes. Je trouve extrêmement intéressant ce que vous dites parce qu'on a effectivement, en plus, à combattre l'idée qu'on se fait de ce qu'est un programme d'accès à l'égalité ou d'action positive. Je trouve extrêmement intéressant ce que vous soulevez ici.

Mme Béland: Tantôt, le député de D'Arcy McGee a dit une phrase qui, à mon avis, est très révélatrice quand il a dit que nous étions en période de dépression. Il a dit: "Restrictions budgétaires". Nous sommes véritablement en période de dépression dans le sens suivant. Quand cela va bien économiquement parlant, les fonctionnaires des gouvernements vont en Europe, en Afrique, en Asie et disent: Venez-vous en! L'argent pousse dans les arbres au Canada. Venez-vous en! II y a des jobs pour vous autres. Mais quand on est en période économique difficile, cela devient la faute de qui si cela va mal? Des immigrants. On est conscient de cela tous les jours. Effectivement, les immigrants sont les premiers à subir la dépression, pas juste la dépression économique.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Marquette, aviez-vous terminé? M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Juste une question. Est-ce que vous envoyez beaucoup de personnes déposer des plaintes à la Commission des droits de la personne ou si la charte, ce n'est vraiment pas utile pour combattre les problèmes auxquels vous faites face chaque jour?

M. Strutynski: En ce qui concerne les cas de discrimination professionnelle, nous avons suivi tout le processus. Cela a duré longtemps, cela a été pénible. On s'est aperçu de l'inutilité. Il n'y a rien qui peut être fait. Partout, on est arrivé à des culs-de-sac, à des impasses. On n'ose plus. On se dit: À quoi bon? Enfin, c'est plus l'aspect scolaire; pour les écoles, on pourrait citer des dizaines de cas chaque jour, disons, de

matraquage idéologique ou de tordage de bras, des choses comme cela. Cela ne donne rien, c'est comme cela et c'est pénible pour l'intégration, parce que c'est une barrière de plus.

M. Marx: C'est cela. Vous faites face à beaucoup de problèmes qu'on ne peut pas vraiment régler seulement par une commission des droits ou par une charte. Cela prendrait plus que cela, cela prendrait plus que l'intervention d'une commission des droits. Il faudrait des programmes, toutes sortes de programmes d'action positive, des sensibilisations et ainsi de suite.

M. Strutynski: En matière économique, c'est certain. En matière de législation scolaire, c'est moins certain; on peut certainement régler beaucoup de choses si on clarifie des situations, mais il y a certainement quelque chose à faire, une possibilité à faire si on lève les obstacles existants et si éventuellement on fait l'action positive également dans le domaine de l'éducation.

Mme Béland: II y a des Québécois qui sont ici depuis leur naissance et qui connaissent mal les lois ou qui ont peur, il y a un phénomène de peur. Mettez-vous dans la peau d'un immigrant qui est parti de son pays pour des raisons d'ordre politique. On l'avertit et drôlement: Tu arrives au Canada, tu te tiens tranquille maintenant, mon gars. Il va se tenir tranquille effectivement, il n'ira pas revendiquer à la Commission des droits de la personne, parce qu'il a la trouille, il ne veut pas connaître des problèmes qu'il a déjà connus. Les immigrants vivent avec ce phénomène de peur.

M. Marx: Je n'ai pas les statistiques devant moi, mais j'ai l'impression qu'il n'y a pas tellement de plaintes à la Commission des droits de la personne, en ce qui concerne l'origine ethnique ou nationale des personnes, la religion. Il y a des plaintes, mais pas tellement. Parce que souvent, comme vous avez dit, les immigrants qui viennent ne sont pas au courant de leurs droits et ils n'ont pas des groupes de pression, comme par exemple il en existe du côté des femmes. Les femmes québécoises connaissent mieux leurs droits. Il y a des groupes de pression et ainsi de suite, mais il y a plus.

M. Strutynski: Demander, par exemple, le droit à l'exemption, c'est demander une marginalisation, l'immigrant justement voudrait s'intégrer. Ensuite, imaginez-vous aller dans un pays dont vous ne connaissez pas la langue, ce n'est pas en Suède, vous inscrivez votre enfant à l'école, vous épelez le nom de l'enfant, c'est tout.

M. Marx: Le problème de la religion dans les écoles est un problème constitutionnel et ce n'est pas un problème québécois; c'est un problème canadien, parce que cela existe dans d'autres provinces aussi. Je pense à Terre-Neuve, par exemple.

M. Strutynski: Je veux dire que, par exemple, la loi 101 favorise l'évangélisation. Parce que l'immigrant n'est pas capable de comprendre le processus d'exemption, automatiquement, tu inscris ton enfant, c'est parfait. L'enfant se retrouve en catéchèse, et, en catéchèse, c'est la pastorale du matin au soir. C'est une façon d'évangéliser tous les immigrants.

M. Marx: Mais si ce n'est pas un catholique, il peut s'inscrire dans une école protestante française.

M. Strutynski: Oui. La loi 101 nous invite fortement à nous inscrire dans des écoles catholiques du quartier. Justement, c'est un moyen d'intégration. Je ne peux pas envoyer mon enfant à dix milles de chez moi dans un autobus.

M. Marx: Oui, c'est ça.

M. Strutynski: Je veux qu'il vive avec ses amis dans l'école du quartier. Ou bien je me marche dessus comme tous les immigrants, ou bien je fais quelque chose et on se marginalise, ou bien on évangélise de force. C'est contraire à tous les droits de l'homme.

M. Marx: C'était à la base de l'anglicisation des gens comme moi. Ces écoles étaient fermées aux immigrants autrefois et c'est pourquoi les gens ont appris la langue anglaise et non pas la langue française. C'est le drame du Québec pour beaucoup de monde.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Nicolet. Oui, madame.

Mme Béland: Quand monsieur parle d'évangélisation par la force, c'est un fait. Prenons un enfant musulman, il veut l'exemption, mais, dans les cours de français, on va préparer la fête de Noël, on va préparer la fête de Pâques; il va se retrouver en histoire, ça va être la même chose. Veux, veux pas, on le catholicise. C'est ça que les immigrants veulent, ils veulent qu'on les laisse vivre avec leur religion. Quand ils s'en viennent, ils apportent leur religion et il faut les accepter avec leur religion.

M. Marx: Oui, mais je me demande si c'est la religion ou si c'est un peu la culture.

M. Strutynski: Dans l'animation pastorale dans les écoles, l'animateur de pastorale peut entrer n'importe quand, n'importe où, dans n'importe quelle place, à n'importe quel moment et il fait - on a dit ce matin du harcèlement sexuel - on pourrait dire, du harcèlement idéologique; ils sont victimes de ce harcèlement. Les écoles élémentaires sont en fait toujours des propriétés privées des curés de paroisse, c'est eux qui font ce qu'ils veulent. C'est leur propriété; pourtant, ce sont des écoles publiques. Il y en a des centaines.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Nicolet.

M. Beaumier: Merci, M. le Président. Cela précède un peu... Vous dites, à la page 3 de votre mémoire: C'est pourquoi nous demandons que l'article 41 soit abrogé, de façon que tous aient le même droit à une éducation d'égale qualité. En disant éducation d'égale qualité, est-ce que vous faites référence uniquement à l'aspect religieux?

M. Strutynski: L'école étant confessionnelle, il y a tout un projet chrétien. Toute l'ambiance de l'école du matin... Je vais citer un cas personnel. Mon enfant était dans une école; huit fois par jour, on lui faisait faire la prière. C'est textuel, c'est authentique. À la rentrée, pour la récréation, à la rentrée de la récréation, à midi la même chose et le soir, huit fois par jour. (18 heures)

M. Beaumier: Le sens de ma question...

M. Strutynski: Oui....

M. Beaumier: Je me suis peut-être mal exprimé. Est-ce que vraiment l'éducation d'égale qualité...

M. Strutynski: Oui, parce qu'il y a...

M. Beaumier: ... se réfère uniquement à la notion religieuse, ici?

M. Strutynski: C'est tout le climat de l'école, c'est toute la marginalisation. Il n'y a pas la même chose.

M. Beaumier: II y aurait deux solutions. Supposons qu'éducation d'égale qualité renvoie à égalité dans la religion, ça veut dire deux voies possibles: ou bien ce sont des écoles neutres, complètement, où il n'y a aucune religion, ou ce sont des écoles où il y a toutes les possibilités, toutes les religions. Ce sont deux façons de faire une égalité, à titre éducatif.

M. Strutynski: À condition d'enlever la pastorale.

M. Beaumier: Non, c'est que toutes les pastorales seraient là, dans cette optique. Ce sont deux options. Si on dit "égale", toutes sont là ou aucune.

M. Strutynski: C'est ça.

M. Beaumier: J'aimerais savoir, à titre d'information, laquelle des deux vous privilégiez, puis on verra les formes. Est-ce que toutes les religions pourraient être enseignées, ou aucune?

M. Strutynski: Je privilégierais la neutralité de l'État en matière scolaire, c'est-à-dire l'école neutre. La religion, c'est du domaine de l'Église et de la famille.

M. Beaumier: Donc, aucun élément religieux à l'école.

M. Strutynski: Non, c'est "la job" de l'Église, ce sont ses affaires. Rendez à César ce qui est à César, à Dieu ce qui est à Dieu.

Le Président (M. Desbiens): S'il n'y a pas d'autres interventions, je vous remercie de votre participation aux travaux.

Front populaire québécois

J'invite maintenant le Front populaire québécois à s'approcher, s'il vous plaît.

Il y a consentement pour poursuivre les travaux, même s'il est maintenant 18 heures, jusqu'à épuisement des mémoires?

Une voix: Oui, M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): M.

Chouinard, vous pouvez nous présenter votre mémoire.

M. Chouinard (Jean-Yves): M. le Président, M. le ministre, MM. les députés, j'aimerais faire un ajout, un addenda. Dans la présentation, je faisais allusion à une pensée en exergue. Par suite d'une faute d'impression, elle ne se trouve pas sur la page de garde. Je vous la livre: "II faut sortir du droit commun pour rentrer dans nos droits légitimes." Bien entendu, je me réfère ici à la situation du Québec, qui a un droit qui s'appuie sur le droit civil.

Il y a une correction, en page 8, à la septième ligne, où il faut lire: "II y a eu, les 11 et 12 décembre 1975", la date de 1975 doit apparaître.

J'aimerais ajouter quelques informations sur les caractéristiques du Front populaire québécois, qui est un parti politique en vertu de la Loi électorale du Canada. Il a été enregistré en 1978 sous le nom d'Union populaire.

Par la nature de notre organisme et

aussi à cause de la situation particulière que le Québec vit, face à l'éventualité où les droits de l'Assemblée nationale soient limités par la volonté unilatérale d'un autre gouvernement, il va sans dire que nous avons axé notre mémoire sur la partie de la Charte des droits et libertés de la personne qui traite des droits politiques. Je pense qu'il fallait interpréter certains articles ou certains textes de loi d'une façon politique, parce que la politique a beaucoup à faire avec le droit.

D'ailleurs, ce sont des volontés politiques beaucoup plus que des volontés humanistes qui font qu'on insiste pour vouloir nous imposer une charte des droits, à partir du gouvernement central. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai adopté cette approche.

Je vais être succinct pour résumer plutôt le contexte dans lequel notre mémoire se situe. La première phrase sera celle-ci: Trois fois la Loi des mesures des guerres. Pourquoi dis-je: Trois fois la Loi des mesures de guerre et que je le souligne? Parce que chaque fois que cela a eu lieu, il se trouvait, par le contexte socio-politique du Québec, qu'il y avait ce qu'on pourrait appeler une montée nationaliste, je dirais plutôt une volonté d'exprimer un droit collectif. Il s'est trouvé qu'on s'est servi de ces situations où l'on a brimé des droits de la personne pour inférer que l'exercice du droit à la libre disposition du peuple québécois serait quelque chose comme amenant par exemple la possibilité de discrimination des droits de la personne. Certains groupes se sont servis en 1980 de cet argument. Je trouve qu'il est fallacieux. C'est un détournement de raisons. Trop de coïncidences finissent par n'en plus être. C'est pour cela que cela justifie la protection des droits et libertés de la personne dans le cadre de l'exercice du droit à la libre disposition du peuple québécois.

Si je le présente de cette façon, c'est parce que lorsqu'on regarde la déclaration canadienne des droits, il y a quelque chose de tout à fait stupéfiant. On ne s'y arrête pas la première fois, mais on dirait qu'il y a là une coïncidence aussi. Justement, en 1960, il y a eu une montée du nationalisme, et cette déclaration canadienne des droits a été élaborée au moment où on nie l'existence d'un peuple ou d'une nation québécoise, où on dit: "One Canada, One Nation".

Il est assez surprenant, par exemple, que, dans la deuxième partie - cela peut se contenir à peu près dans deux pages, cette déclaration canadienne des droits - l'article 6, qui fait presque le tiers de cette déclaration canadienne des droits, se trouve justement être une modification de l'article 6 de la Loi des mesures de guerre.

Le paragraphe suivant de cet article dit que les droits énumérés aux articles 1 et 2 ne doivent pas empêcher l'application de la Loi des mesures de guerre. En d'autres termes, on ne camoufle même pas l'opération. On laisse les articles l'un contre l'autre aux mêmes numéros. On ne camoufle pas l'opération. C'est un instrument politique qui permettra éventuellement, si cette revendication du droit à l'autodétermination se poursuit, de s'en servir.

À vrai dire, on s'en est servi en 1970. C'est un contexte qu'il faut bien regarder à l'heure actuelle, parce que je n'ai pas lu dans la proposition de charte à l'heure actuelle du gouvernement fédéral quelque chose qui pourrait laisser supposer que l'on laisse derrière, qu'on amende ou qu'on adoucit ces dispositions de la déclaration canadienne des droits.

Cela m'apparaît assez dangereux. Cela veut dire que, cette fois, au lieu de seulement arrêter 500 personnes sans accusation, sans avoir de plainte à porter contre eux, à ce moment, il pourrait y en avoir plus, elles seraient toutes obligées d'aller devant les tribunaux, et ce seraient les tribunaux qui décideraient. On voit ce que cela pourrait donner. Je ne veux pas expliciter ma pensée sur ce thème, parce que ce sont des faits connus et qu'il s'agit tout simplement de se remettre en mémoire pour justifier, dirais-je, la protection des droits et libertés de la personne dans le cadre du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

Dans cette première partie de notre mémoire, nous inférons aussi que le Québec a des prérogatives dans l'application de la protection des droits de la personne humaine. C'est ainsi que, les 11 et 12 décembre, à Ottawa, il y a eu une conférence fédérale-provinciale au cours de laquelle le fédéral reconnaissait explicitement le rôle prépondérant des provinces dans l'application des droits de l'homme. Si on se réfère à la Déclaration canadienne des droits aussi, elle ne devait s'appliquer que dans les domaines où agit le gouvernement fédéral. De même, la Loi canadienne sur les droits de la personne dit bien à l'article 2 qu'il s'agit de "compléter la législation canadienne actuelle en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada..." Il y a aussi l'esprit, la substance de l'article 92 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique qui dit bien que les droits civils relèvent des gouvernements des provinces.

Partant de là, nous inférons que le Québec a un droit de légiférer. D'ailleurs, nous parlons aujourd'hui sur l'amélioration possible d'une législation qui a été adoptée ici par l'Assemblée nationale du Québec. Je crois que c'est une chose importante et c'est pour cela que nous l'avons soulignée dans la première partie.

Dans la deuxième partie de notre

mémoire, nous démontrons, en comparant la charte québécoise à la Déclaration universelle des droits de l'homme, que les articles, par exemple, de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec défendent ou prescrivent certaines actions dans le but de protéger justement les droits de la personne. On voit par leur destination que les droits de la personne sont d'un côté, que les pouvoirs sont de l'autre. C'est donc dire que les droits relèvent du contexte sociopolitique. On ne peut indiquer plus clairement que, si les droits de la personne sont d'essence individuelle de par leur titulaire, ils constituent un phénomène social du fait de leur destination. Conséquemment, il y a une relation entre les droits individuels et les droits collectifs. Par exemple, l'un des considérants de la charte québécoise affirme "que les droits et libertés de la personne humaine sont inséparables des droits et libertés d'autrui et du bien-être général."

L'article 29, paragraphe 1, de la déclaration universelle, dit: "L'individu a des devoirs envers la communauté dans laquelle seul le libre et plein développement de sa personnalité est possible." On peut ajouter d'autres exemples pour démontrer que les droits individuels sont inséparables justement des droits collectifs.

Un autre considérant de la charte québécoise spécifie "que ceux-ci - les droits fondamentaux - soient garantis par la volonté collective et mieux protégés contre toute violation". La volonté collective est celle du peuple. Nous constituons un peuple, une nation et la volonté collective qui, au Québec, permet de protéger les droits et libertés des individus, c'est la volonté du peuple.

Des droits de la personne au droit de libre disposition du peuple. Ce sont des liens qui ont été établis dans la charte universelle des droits par certaines résolution des Nations Unies. Je ne vais pas les répéter; j'en ai souligné quelques exemples dans le mémoire.

Nous en arrivons à dire, par exemple, que les droits de la personne et du peuple à disposer de lui-même sont si intimement liés tant dans leurs fondements que dans leur évolution que cela devient un exercice théorique que d'essayer de les séparer. Nous posons la question: Comment comprendre autrement que l'exigence des citoyens pour leurs droits individuels les porte à demander que la société dans laquelle ils vivent se dote de tous les pouvoirs économiques et politiques pour que l'exercice de leurs droits atteigne à la plénitude?

Cela semble évident que ce sont des requêtes collectives qui permettent à la volonté collective par la suite de respecter des droits individuels. (18 h 15)

Le droit à la libre disposition du peuple est non seulement un droit de la "personne morale" en ce qu'elle a d'humain, mais aussi en ce qu'elle est à la source de tous les droits de la "personne citoyenne", puisque la jouissance de ces droits présuppose la reconnaissance du droit de la personne morale, qu'est le peuple, de disposer librement d'elle-même.

Les droits de la personne sont concevables sans le droit à la libre disposition du peuple, mais seulement lorsque celui-ci a été reconnu et appliqué. Inversement, le droit à la libre détermination du peuple est inconcevable sans les droits de la personne. Mais, dans le cas où les droits de la personne sont niés ou brimés, il arrive souvent que seuls la reconnaissance et l'exercice du droit à la libre disposition du peuple puissent rétablir les droits de la personne. Cela arrive dans des pays qui sont sous domination et cela arrive aussi à des peuples qui se trouvent à être sous le coup d'une loi martiale où sous le coup de lois de mesures de guerre. Nous en avons vécu trois fois, quatre fois l'expérience et je les ai citées dans le mémoire.

Je conclurai avant de repasser les recommandations que nous faisons, en disant que c'est presque devenu un cliché dans le langage populaire de dire qu'une personne n'est jamais plus libre que la société dans laquelle elle vit. Dans cette phrase lapidaire issue du bon sens populaire, ne retrouve-t-on pas le fondement même de l'article 28 de la Déclaration universelle des droits de l'homme qui s'énonce ainsi: "Toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la présente déclaration puissent y trouver plein effet"? Nous pourrions transposer cet article dans la Charte des droits et libertés du Québec pour nos besoins, surtout dans la situation actuelle.

Nous demandons où nous recommandons à la commission parlementaire de la justice, et partant au ministère de la Justice du Québec, que soient prises toutes les dispositions légales tant par le recours aux tribunaux que par voies législatives, pour éviter que la déclaration canadienne des droits ou une quelconque charte des droits canadienne n'empiète sur les prérogatives du Québec en matière des droits de la personne. Cela me semble bien important.

Si par une charte des droits fédérale qui nous serait - et j'espère que ça ne le sera pas - imposée, qu'elle soit unilatérale ou non, diminuerait les pouvoirs de l'Assemblée nationale, il serait bien évident que cela éroderait le droit à l'autodétermination du peuple québécois. Pourquoi? Parce que c'est l'Assemblée nationale, et elle seule, qui a, par les représentants du peuple, le moyen d'appliquer

effectivement le droit à l'autodétermination, le droit à la libre disposition du peuple. Il me semble évident que, si nous laissons éroder les droits de l'Assemblée nationale par une charte des droits d'un autre gouvernement, nous érodons notre droit à l'autodétermination - indirectement, diront certains; moi, je prétends que c'est directement - parce que les droits de la personne font corps et âme avec les droits du peuple.

La deuxième recommandation c'est que la commission parlementaire de la justice propose à l'Assemblée nationale l'inclusion dans la charte québécoise d'une affirmation solennelle reconnaissant le droit prépondérant du Québec à légiférer en matière des droits et libertés de la personne. Je reconnais ici, qu'en employant "droit prépondérant" cela peut poser une difficulté d'ordre constitutionnel entre les pouvoirs du fédéral et du Québec. Mais en inférant que nous avons droit à l'autodétermination et que, si on a le droit et que ce droit est inaliénable, nous ne pouvons pas le laisser éroder par ailleurs en lui enlevant toute la base, alors, il faudra arriver à prévoir cela.

Quant à la troisième recommandation que nous faisons, en s'inspirant de la déclaration universelle des droits de l'homme, l'article no 28, nous disons ceci: Toute personne ou groupe de personnes, au Québec, a droit à ce que le libre fonctionnement et l'intégrité juridique des institutions sociales et politiques du Québec assurent un ordre tel que la volonté collective puisse garantir et protéger les droits et libertés individuels.

Peut-être faudrait-il, si la commission agréait cette suggestion d'ajout à la charte, trouver une façon de protéger les tribunaux administratifs du Québec qui protègent beaucoup de droits individuels et qui à l'heure actuelle sont en danger de nous être enlevés par une interprétation très légaliste de la constitution canadienne qui, par ailleurs, n'a pas que des aspects légaux, apparemment il y a des aspects conventionnels aussi qui ont été interprétés de façon politique; alors je me permets d'interpréter du droit d'une façon politique aussi.

Voici l'autre recommandation que nous ferions pour rendre l'application de cet article 21. Après les mots "Toute personne" que l'on ajoute "ou groupe de personnes" a droit d'adresser des pétitions à l'Assemblée nationale pour le redressement de griefs.

Si je fais cet ajout "ou groupe de personnes", c'est pour harmoniser cet article no 21 de la charte avec l'article 180, paragraphe 1 des règlements de l'Assemblée nationale qui, m'apparaît-il, est l'un des moyens de porter une pétition devant l'Assemblée nationale. Or, cet article 180, paragraphe 1 des règlements de l'Assemblée nationale se lit comme suit: "Au moment du dépôt de documents, une personne ou une association de personnes..." Si c'est dans les règlements de l'Assemblée nationale, je ne verrais pas pourquoi ce même élément ne serait pas transposé à l'article no 21, "toute personne ou tout groupe de personnes". Il me semble qu'il faudrait qu'il y ait cet ajout à l'article no 21, "toute personne ou tout groupe de personnes", cela permettrait d'harmoniser les deux.

Par contre, cette harmonisation pourrait aller plus loin, si l'article no 180, paragraphe 1 des règlements de l'Assemblée nationale, se lisait comme ceci: Toute personne ou groupe de personnes peut, par l'intermédiaire soit d'un député, soit du comité des pétitions, adresser des pétitions à l'Assemblée nationale pour le redressement de griefs.

Il y a, vous le remarquerez, une petite modification parce que dans ce règlement no 180, on parle de grief public, on dit: "Au moment du dépôt de documents..." On s'arrête à réfléchir pour se demander: au moment du dépôt de documents, cela veut dire quoi au juste? Est-ce que ça ne pourrait pas être une restriction? Il y a un document qui est déposé à l'Assemblée nationale, une personne ou un groupe de personnes disent: Nous avons été lésés, nous avons été nommés, des droits à la suite de ce document risquent de l'être ou le sont. C'est le lendemain qu'ils peuvent réagir; un mois après, il faut qu'ils préparent leur document, qu'ils préparent leurs revendications, leurs pétitions; au moment du dépôt d'un document me semble quelque chose qui pourrait en certains cas être restrictif, surtout si le groupe avait à présenter, par exemple, une pétition en prétendant que l'intégrité d'une institution est attaquée et que cela brime ses droits individuels.

Alors l'harmonisation entre les deux articles me semble importante. Vous aurez remarqué que je fais allusion à un comité de pétitions, ce serait un ajout. Un comité de pétitions serait de beaucoup préférable, je pense, à l'obligation de s'adresser à un député en particulier pour présenter une pétition pour redressement de grief à l'Assemblée nationale. Je n'ai pas de cas précis à vous citer, mais, à certaines occasions, parce qu'il s'est déjà présenté des pétitions ici, à l'Assemblée nationale, les personnes disent: Ce député-là, il nous la présenterait peut-être, mais son opinion politique, ses déclarations récentes, cela va peut-être l'embêter, et ainsi de suite. En fait, je ne veux pas en parler plus longuement, mais cela est arrivé souvent. Le député de mon comté n'est pas de mon groupe et il n'est pas au pouvoir, il est du côté de l'Opposition. Cela me semble... La position est difficile pour le député de

l'Opposition et, dans d'autres cas, ce l'est aussi pour le député qui fait partie de la majorité parlementaire.

Je suggérerais qu'un comité de 3 ou 5 personnes représentant tous les partis qui siègent à l'Assemblée nationale soit créé pour agir sous la responsabilité - je fais une suggestion ici - du secrétariat des commissions. Ledit comité pourrait avoir pour fonction d'informer et de conseiller des personnes ou groupes de personnes sur la procédure et le protocole rédactionnel, par exemple, des pétitions et, le cas échéant, de déposer la pétition devant l'Assemblée nationale. Il me semble bien que cela départisaniserait la présentation de la pétition, cela faciliterait les choses aussi, surtout dans le cas où cela serait un grief qui pourrait, dans sa nature, laisser croire que c'est un grief contre l'Assemblée nationale, par exemple, ce qui pourrait arriver.

Ce sont là les recommandations principales que nous faisons. Nous pensons aussi que toute personne ou groupe de personnes a le droit de présenter un mémoire et de faire des recommandations à une commission, et on voit que cela nous est reconnu. Nous avons aussi le droit de vote, mais pourtant cela a été inscrit dans la charte. Je ne sais pas si c'est parce qu'on manquait de droits politiques à mettre à ce chapitre-là, où il y a seulement deux articles. Je me dis que, si on avait déjà le droit de vote, le droit de se présenter comme candidat et qu'on le met dans la charte des droits, pourquoi ne pas mettre aussi ce droit de présenter des pétitions, et surtout d'être entendu, si ladite commission tient des audiences?

Il est déjà arrivé, il y a quelques années, que des personnes présentaient des mémoires et espéraient être entendues et la commission, se considérant suffisamment informée pour présenter son rapport, a tout simplement décidé de ne plus entendre d'autres mémoires. Les personnes avaient la consolation de croire que les membres de la commission avaient quand même tenu compte des recommandations et avaient lu leurs mémoires. Je pense cependant qu'il faudrait le placer. Pourquoi? Parce que certaines personnes pourraient arriver à croire que, parce qu'elles ne sont pas de gros organismes, qu'elles n'ont pas les moyens de "lobbying", elles ne peuvent pas être entendues autant que d'autres et faire valoir leur opinion. Dans certains cas, elles pourraient avoir raison. De sorte que, si le droit d'être entendus lorsque la commission tient des audiences était assuré, ces citoyens se verraient placés sur un pied d'égalité avec les gros et grands organismes qui ont les moyens d'insister pour être entendus.

En dernier ressort, il semble bien évident, dans la situation actuelle, que, même si toutes ces recommandations que nous vous proposons étaient acceptées, il y a bien des possibilités que cela ne soit pas suffisant pour la protection des droits politiques, des droits collectifs, par exemple, des Québécois. Et c'est pourquoi nous recommandons à la commission qu'elle reconduise devant l'Assemblée nationale la proposition suivante: Que le projet de loi 194, 1978, intitulé: Loi reconnaissant le droit à la libre disposition du peuple québécois, soit représenté en première lecture et que la commission de la justice reçoive des mémoires et tienne des audiences sur le sujet. Il y a sans doute, et je serais le premier à revenir, des personnes qui peuvent, avec un mémoire plus longuement présenté et mieux étoffé peut-être, démontrer que les droits et libertés individuels des Québécois pourraient être mieux protégés si le droit à la libre disposition du peuple québécois l'était. La situation actuelle nous laisse croire que ça pourrait être éventuellement le cas dans très peu de temps. Je vous remercie. (18 h 30)

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Bédard: M. le Président, je tiens à remercier M. Chouinard pour sa collaboration aux travaux de cette commission et pour le mémoire qu'il a présenté au nom du Front populaire québécois. Vous avez indiqué très précisément votre principal sujet d'intérêt dès le départ de vos représentations concernant l'importance du droit du peuple québécois à disposer de lui-même. Sur ce point, mes collègues de l'Opposition ont peut-être quelques questions à vous poser. Il me semble, de toute façon, que...

M. Marx: Tout est dans le livre beige.

M. Bédard: ... le droit... Oui... Votre livre beige...

M. Marx: Tout est là-dedans.

M. Bédard: ... qui demeure toujours très actuel, j'imagine...

M. Marx: Oui.

M. Bédard: ... reconnaît le droit du Québec à l'autodétermination.

M. Marx: Je pense que je vais vérifier ça. Je vais parler...

M. Bédard: Vous n'en êtes pas sûr... Je suis convaincu qu'en fait il y aurait une unanimité très rapide au niveau de l'Assemblée nationale concernant la reconnaissance du droit du Québec à l'autodétermination, qui me semble

fondamental. Mon collègue de l'Opposition me dit oui. Maintenant, quand on parle du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, ça traduit tout simplement - c'est le cas de le dire, on n'invente rien - l'article 1 du pacte international relatif aux droits civils et politiques qui a été adopté par l'assemblée générale des Nations Unies.

M. Marx: Le Canada a signé ce pacte avec le consentement des provinces, dont la province du Québec. Voilà la réponse.

M. Bédard: Continuez.

M. Marx: Cela existe déjà dans une loi qu'on peut peut-être qualifier de loi qui est au-dessus de la charte des droits et libertés du Québec et au-dessus de la Déclaration canadienne des droits, dans un sens. Donc, je ne vois pas la nécessité de répéter des choses dans toutes les lois, sauf si on veut un débat politique.

M. Chouinard: Si cela va bien sans le dire, pourquoi ne pas le dire?

M. Bédard: C'est justement.

M. Chouinard: On peut s'abstenir à la rigueur de ne pas être d'accord que ce soit écrit; c'est peut-être moins éclatant, c'est peut-être moins convaincant, une abstention de vouloir le reconnaître. Je pense que si cela est au-dessus, il faut inférer que nous, nous pouvons mieux protéger ce droit en le disant.

M. Bédard: Je viens d'écouter les remarques faites par le député de D'Arcy McGee et je me rends compte, à moins que je ne me trompe, que je n'étais pas présomptueux en disant qu'une motion ou une affirmation du droit du Québec à l'autodétermination en tant que peuple ferait rapidement l'unanimité des membres de l'Assemblée nationale, dont nos amis d'en face.

Vous avez fait, d'autre part, des recommandations. Je me réfère aux recommandations no 1 et no 2. En fait ce sont des souhaits que la commission parlementaire de la justice et partant le ministère de la Justice du Québec prennent toutes les dispositions légales, tant par le recours aux tribunaux que par voie législative, pour éviter que la Déclaration canadienne des droits ou une quelconque charte canadienne des droits n'empiète sur les prérogatives du Québec en matière des droits de la personne. Je puis vous dire -vous lisez les journaux autant que moi - que cette recommandation que vous faites, c'est plus qu'une recommandation, au moment où on se parle, c'est un mandat qui a été voté à l'Assemblée nationale.

M. Chouinard: Je dois admettre que j'avais écrit le mémoire avant que le jugement de la Cour suprême soit prononcé.

M. Bédard: Je ne vous en fais pas reproche, au contraire, ça démontre la justesse... Quand vous demandez que la commission parlementaire de la justice propose à l'Assemblée nationale l'inclusion dans la charte québécoise d'une affirmation solennelle reconnaissant le droit prépondérant du Québec à légiférer en matière de droits et de libertés, déjà, dans le contexte actuel, ce sont les provinces qui ont un rôle prépondérant de ce côté-là. Cela fait partie des droits du Québec, donc des droits qui se doivent d'être défendus et qu'on ne peut aliéner de quelque manière que ce soit sans le consentement des membres de l'Assemblée nationale, et ce conformément à la résolution qui a été votée tout dernièrement par les membres de l'Assemblée nationale, à l'unanimité des partis.

M. Chouinard: Je pourrais me permettre de suggérer que ces recommandations, comme elles sont acceptées en fait et dans les actions que la commission pose en étudiant les droits et libertés de la personne, soient transposées dans des attendus, tout comme il aurait été excellent d'inscrire dans des attendus que les droits et libertés de la personne humaine étaient inséparables de la volonté collective et des droits collectifs.

M. Bédard: D'ailleurs, à moins de me tromper, il y a un autre groupe qui a comparu devant cette commission - je crois que c'est la communauté juive - et qui suggérait que soit inséré au niveau des attendus le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes dans la Charte des droits et libertés de la personne, étant donné que c'est inclus dans la Charte des Nations Unies. Enfin, on en est au niveau des moyens.

Vous évoquez également d'autres sujets de préoccupation, en ce qui a trait aux pétitions devant être présentées à l'Assemblée nationale, à la page 20 de votre mémoire. J'aimerais que vous précisiez votre pensée sur la recommandation no 5. En quoi la formule actuelle des règlements de l'Assemblée nationale est-elle insatisfaisante?

M. Chouinard: À l'heure actuelle, l'article 180, paragraphe 1, dit: "Au moment du dépôt de documents, une personne ou une association de personnes peut, par l'intermédiaire d'un député..."

M. Bédard: Vous voudriez que ça fasse l'objet, en bonne et due forme, d'une présentation?

M. Chouinard: C'est-à-dire que je préférerais que soient enlevés de ce

règlement les mots, par exemple, "au moment du dépôt de documents". C'est, premièrement, parce que ça pourrait être restrictif en certains cas. On pourrait invoquer le règlement ou la coutume pour dire qu'on peut présenter une pétition seulement au moment du dépôt de documents. Il pourrait y avoir ce genre de tracasserie qui rendrait difficile la présentation d'une pétition. Si on imaginait, par exemple, que la recommandation no 3 est acceptée et qu'il arrive...

M. Bédard: On peut approfondir...

Le Président (M. Desbiens): M.

Chouinard, il me semble que vous interprétez d'une mauvaise façon l'expression "au moment du dépôt de documents" dans le règlement de l'Assemblée nationale. Mon collègue, qui est aussi président de commissions, pourrait peut-être le confirmer. Ce n'est qu'un moment dans le déroulement de la journée parlementaire qui s'appelle "dépôt de documents". Alors, cela peut être un rapport d'une commission, cela peut être un rapport soumis par un ministre. C'est pour indiquer que c'est à cette période de la journée parlementaire qu'une pétition peut être présentée.

M. Chouinard: D'accord. S'il y a une coutume pour l'interpréter de cette façon, comme on respecte sans doute la coutume ici...

M. Bédard: C'est un moment des travaux parlementaires.

M. Chouinard: ... je ne m'opposerai pas à ce que cela reste là.

M. Bédard: Votre suggestion de formation d'un comité de pétitions est très intéressante parce que, effectivement, cela pourrait avoir comme effet de dépolitiser complètement cet acte, ce geste qui peut être posé par des groupes de citoyens.

M. Chouinard: C'est cela.

M. Bédard: Le fait qu'une pétition soit déposée par un député de quelque formation que ce soit peut effectivement avoir comme effet de politiser le geste, ce que ne veulent pas nécessairement les gens qui ont des revendications à faire. Jusqu'à quel point est-ce nécessaire que ce comité soit formé de députés?

M. Chouinard: Disons que je l'ai fait en pensant suivre un peu ce qui était déjà à l'article 180 du règlement...

M. Bédard: Si je comprends bien, ce n'est pas le comité qui la dépose.

M. Chouinard: ... puisqu'on devait le demander à un député. D'ailleurs, je voyais cela aussi dans le cadre de la réforme...

M. Bédard: En fait, cela ne va pas au niveau d'une charte. On se comprend au départ.

M. Chouinard: Non, cela ne va pas au niveau d'une charte.

M. Bédard: Le comité ne dépose pas lui-même. À ce moment-là, ce serait via le président de l'Assemblée nationale.

M. Chouinard: C'est cela, qui pourrait être neutre face à un comité.

M. Bédard: Alors, je vais laisser mon collègue s'intéresser...

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Maintenant, je vais parler pour moi-même.

M. Bédard: II n'y a pas d'inquiétude, vous êtes en terrain sûr. Votre chef, M. Ryan, a dit que le droit à l'autodétermination du Québec ne faisait pas de problème. D'ailleurs, le fait qu'il y a eu un référendum...

M. Marx: Oui, je vais expliquer cela tout de suite.

M. Bédard: ... n'est-il pas la meilleure illustration d'un droit qui est acquis?

M. Marx: C'est cela. J'aimerais vous féliciter pour votre mémoire qui est tout à fait original. Il n'y a pas beaucoup de gens qui sont venus nous parler de l'autodétermination ou d'autres points que vous avez soulevés.

Sur l'autodétermination, comme le ministre vient de le dire, c'est à l'article 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui a été signé par le Canada avec le consentement des provinces. Donc, cela lie les provinces aussi. Il y a même des gens qui ont dit qu'on a exercé ce droit lors du référendum avec les résultats que vous connaissez bien, j'imagine. Donc, je ne vois pas de problème dans ce sens. Pour moi, cela ne pose pas de problème.

J'aimerais vous poser une question en ce qui concerne votre recommandation pour que la commission propose à l'Assemblée nationale l'inclusion dans la charte québécoise d'une affirmation solennelle reconnaissant le droit prépondérant du Québec de légiférer en matière de droits et libertés de la personne. Je ne comprends pas comment le Québec pourrait faire une telle

chose étant donné qu'on est encore dans un système fédéral avec un gouvernement à Ottawa.

M. Chouinard: Moi, je comprends très bien comment le gouvernement d'Ottawa pourrait arriver, par exemple, à nous l'enlever, si cela continue comme ça va là.

M. Marx: Enlever comment?

M. Chouinard: C'est-à-dire que, si on légifère unilatéralement à Ottawa, avec le concours d'un autre Parlement, pour avoir une charte des droits qui enlève des pouvoirs à l'Assemblée nationale et, par conséquent, au peuple québécois par la voie de ses représentants dans cette Assemblée, c'est bien évident qu'il perd sa prépondérance. (18 h 45)

M. Marx: Mais disons que...

M. Chouinard: Cela me semble nécessaire.

M. Marx: Oui, je comprends ce que vous voulez dire, mais disons que notre formation et moi-même avons voté contre l'action unilatérale du gouvernement fédéral. C'est notre position et on va continuer de croire cela, mais je vois mal quelles libertés on enlève aux Québécois dans la charte fédérale. Quelles libertés? Est-ce qu'on enlève la liberté de s'exprimer, la liberté de religion, la liberté de voyager partout au Québec ou au Canada? Quelle liberté est-ce qu'on enlève dans la charte fédérale?

M. Chouinard: La liberté, pour moi, monsieur, ce ne sont pas les droits qu'on m'enlève, ce sont ceux que je ne peux pas exercer.

M. Marx: Par exemple?

M. Chouinard: Si, en tant que Québécois, je ne suis pas plus libre que la société dans laquelle je vis, si je ne peux pas exercer, via mes représentants à l'Assemblée nationale, le droit d'avoir tous les pouvoirs qu'elle a maintenant parce qu'ils sont susceptibles de lui être enlevés, déjà, là, le fait de vouloir - simplement le fait de vouloir - enlever des droits à l'Assemblée nationale du Québec et aux autres Législatures des provinces...

M. Marx: Cela va nous nuire...

M. Chouinard: ... devient quelque chose qui brime nos droits collectifs, et, par conséquent, nos droits individuels.

M. Marx: C'est une autre question et sur ce point je suis d'accord qu'on ne peut pas accepter que le Parlement fédéral ou un autre Parlement modifie les droits de l'Assemblée nationale sans le consentement de l'Assemblée nationale. C'est cela le point important pour moi, je comprends cela, et le processus est très important comme cela a été dit par la Cour suprême du Canada. Mais, en partant de là...

M. Bédard: Je suis surpris de voir que vous posez la question...

M. Marx: Je veux me renseigner, on est ici pour se renseigner.

M. Bédard: ... sur les droits qui sont affectés. Il me semble qu'une étude...

M. Marx: Non, je n'ai pas dit ça. J'ai dit: Quelles sont les libertés qu'on va vous enlever dans cette charte fédérale? Parce que moi, je...

M. Chouinard: Tous ceux que la déclaration canadienne des droits permet de violer lorsqu'ils ne sont pas d'accord avec la réclamation collective au Québec. L'article 6 de la déclaration canadienne des droits n'est absolument pas réduit ou amoindri, sa portée n'est pas affectée du tout par la nouvelle charte, à moins que je ne sache pas lire et interpréter le droit, ce qui pourrait bien arriver, mais, dans la nouvelle charte que le fédéral veut nous imposer, il n'y a rien qui amoindrisse la portée de l'article 6, paragraphe 5, de...

M. Marx: Dans la nouvelle charte fédérale...

M. Chouinard: ... la charte canadienne des droits et il n'y a rien qui l'abolisse non plus.

M. Marx: Non, la nouvelle charte fédérale aurait préséance sur toute loi canadienne, y compris la loi sur les mesures de guerre. Cela est clair dans la nouvelle charte fédérale.

M. Chouinard: Sauf, peut-être, que les conventions autour de l'application d'une loi qui n'est pas abolie, qui n'est pas caduque, pourraient très bien ne pas être respectées. Non?

M. Marx: Non, je ne pense pas. Prenons l'article 2 - je ne veux pas poursuivre dans ce sens - dans la charte fédérale qui prévoit que chacun a les libertés fondamentales suivantes: Liberté de conscience et de religion, liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication, liberté de réunion pacifique et d'association. Si on parle de ces libertés, la charte fédérale n'enlèvera quoi que ce

soit. Le ministre des Affaires intergouvernementales et le ministre d'État aux Affaires culturelles ont dit qu'ils étaient même prêts à ce qu'on enchâsse ces libertés fondamentales dans une constitution canadienne. Je ne vois pas de risque là.

M. Chouinard: Ce sont des droits individuels et...

M. Bédard: C'est plus que ça, le projet fédéral, quand même. Franchement, si ce n'était que ça.

M. Chouinard: Permettez-moi! Ce sont des droits individuels dont vous venez de me parler et moi, ici, je parle des droits politiques. Je m'en suis tenu, et mon mémoire le dit bien, au chapitre des droits politiques. Les droits politiques sont des droits collectifs et c'est par la volonté collective qu'on protège les libertés individuelles. Protéger les droits politiques de la collectivité permet de protéger les droits individuels. Nous sommes une collectivité distincte de la collectivité qui se réfère au Parlement canadien pour nous donner une charte dont on n'a absolument pas besoin puisqu'on en a une.

Je pense que vous, monsieur, aussi bien que tous les autres députés de l'Assemblée nationale, avez à coeur les droits et libertés de la personne au Québec; ce que le gouvernement libéral a fait en 1975 et ce que le gouvernement du Parti québécois fait maintenant en est la preuve. Nous avons une Assemblée nationale, c'est à elle que nous nous référons, c'est le seul organisme, la seule Assemblée qui nous appartient en propre, qui est aux Québécois. L'autre ne nous appartient pas en propre, nous la partageons avec une autre majorité qui se trouve à être plus forte que nous.

M. Marx: Oui, je suis d'accord avec vous. J'aimerais souligner un petit point et ce sera ma dernière intervention. C'est très drôle aujourd'hui au niveau fédéral, parce qu'il y a une majorité libérale dans le Parlement d'Ottawa et, parmi le caucus libéral, la majorité est faite de Québécois. Donc, si on veut vraiment être honnête, ce sont les Québécois qui mènent au fédéral à ce moment-ci. Au fédéral, il y a une majorité de Québécois dans le caucus libéral.

Sur ce plan, ce n'est pas à nous de nous plaindre, c'est aux gens de l'Alberta, de la Colombie britannique, du Manitoba et ainsi de suite, parce que quand ils voient ce qui se passe au Canada, ils disent: Ce n'est pas nous qui menons, ce sont les gens du Québec. Qu'on le veuille ou non, c'est la situation.

M. Bédard: Ce n'est pas parce que des folies sont faites par des gens de chez nous qu'on n'a pas le devoir de s'y opposer. Franchement.

M. Marx: Bien sûr, même si ce sont des folies qu'on commet à l'Assemblée nationale, on a le droit de se plaindre.

M. Bédard: D'ailleurs, je suis un peu surpris par l'interrogation du député de D'Arcy McGee concernant les effets de la charte fédérale sur les droits de l'Assemblée nationale, en fait, les droits du peuple québécois. Il me semble que le jugement de la Cour suprême a été très clair en précisant que cette charte des droits empiétait sur les droits de l'Assemblée nationale, donc, les droits des Québécois, donc, le droit de légiférer, comme ce que nous sommes en train de faire à l'heure actuelle. Ce sont ces droits qui sont carrément pris de front.

M. Marx: Je n'ai pas dit non, c'est vrai. Je n'ai pas oublié.

M. Bédard: Non, je sais, je ne veux pas entreprendre une discussion.

M. Marx: J'ai demandé à ce monsieur quelle est la liberté qu'on lui enlève, à lui. C'est cela, la question. Il y a une différence. Supposons qu'Ottawa veuille subventionner les écoles privées au Québec, parce qu'on a besoin d'argent et qu'Ottawa peut le faire, même si c'était bon pour nous, on ne peut pas l'accepter parce que cela empiète sur un droit de l'Assemblée nationale. Cela n'enlève pas nécessairement les droits du monsieur qui est devant nous ou d'un autre.

M. Bédard: Bien voyons! Un droit qui appartient à l'Assemblée nationale...

M. Marx: Une liberté...

M. Bédard: ... est un droit qui appartient au peuple québécois, qui appartient à chaque individu qui compose ce peuple. Quand la charte - cela est clair -affecte le droit de l'Assemblée nationale de légiférer pour les Québécois, ce sont les Québécois qui sont affectés d'une façon générale. On n'est pas ici pour discuter - je pense que vous me comprendrez - chacune des lois, mais il me semble que c'est une question de principe.

M. Marx: Bon, je ne veux pas amorcer de débat.

M. Bédard: Par exemple, prenez toutes les lois que le gouvernement du Québec, comme représentant du peuple du Québec, a le droit de faire concernant les préférences qu'il accorde à ses industriels, à ses agriculteurs, à différentes classes de la

société, ce sont des droits qui n'appartiennent pas uniquement à l'Assemblée nationale, ils appartiennent à l'ensemble des citoyens qui la composent.

M. Marx: M. le ministre, ma réponse à cela...

M. Bédard: Vous l'avez donnée à l'Assemblée nationale, il me semble.

M. Marx: Minute Ottawa! n'est pas un document sérieux et il n'est pas fondé sur une étude juridique sérieuse. Donc, toutes les allégations...

M. Bédard: On ne discutera pas...

M. Marx: ... et même l'interprétation que vous avez donnée de la charte fédérale, pour moi, cela ne se tient pas vraiment; tout ce qu'on a écrit, Minute Ottawa! c'est de la propagande, ce n'est pas la vérité... C'est mon opinion.

M. Bédard: C'est ça. Je me demande jusqu'à quel point vous votez d'une façon éclairée quand vous votez, quand je vous entends raisonner comme ça. Ce n'est pas Minute Ottawa! qui le dit, ce n'est pas le ministre de la Justice; seulement, la Cour suprême elle-même a été très claire: le projet de charte des droits et libertés enlève des droits à l'Assemblée nationale, donc des droits du peuple québécois et de ses citoyens qui le composent, donc du monsieur qui est là devant nous...

M. Marx: Et quelle liberté de ce monsieur?

M. Bédard: Entre autres, le droit d'avoir un Parlement qui a tous les pouvoirs nécessaires pour légiférer dans le sens des intérêts de chacun de ses citoyens. Il me semble que c'est là le droit fondamental. D'ailleurs, cela me surprend. Au niveau de cette commission, pas tous les groupes, mais certains groupes nous ont parlé de l'importance des droits collectifs; sauf une exception que je mentionnais tout à l'heure, il n'y a pas de groupe qui a parlé du droit collectif du peuple du Québec, comme, par exemple, on y a pensé dans la Charte des Nations Unies.

M. Marx: C'est une question de terminologie, une question de sémantique, on ne s'entend pas.

M. Bédard: Je suis certain. C'est plutôt la peur d'avoir l'air politique.

Le Président (M. Desbiens): M.

Chouinard.

M. Chouinard: Je voudrais essayer de ramener la pensée sur celle des personnes, sur la principale recommandation et l'essence même de notre mémoire; je voudrais revenir à la recommandation no 3, je vais la lire lentement. Toute personne ou groupe de personnes, au Québec, a droit à ce que le libre fonctionnement et l'intégrité juridique des institutions sociales et politiques du Québec assurent un ordre tel que la volonté collective puisse garantir et protéger les droits et libertés individuels. Je prends un exemple précis, à l'heure actuelle: Ce sont les tribunaux administratifs qui sont mis en cause. Nous avons une pensée collective, nous avons une culture, nous avons une façon d'agir, de nous administrer et de juger de nos actes administratifs, une façon d'être, et ce vouloir vivre collectif ne peut être que s'il s'accompagne d'un pouvoir vivre collectif. Pour ça, il ne faut pas que nos institutions ou l'intégrité de nos institutions soient menacées par les actions d'un autre gouvernement, quelle que soit la bonne foi qu'il puisse y mettre. C'est l'essence de mon mémoire.

Le Président (M. Desbiens): S'il n'y a pas d'autre intervention, je remercie M. Chouinard de sa participation à nos travaux.

Clinique juridique populaire de Hull et autres organismes

J'invite les représentants de la Clinique juridique populaire de Hull Inc. à se présenter à l'avant, s'il vous plaît.

Mme Gaudet (Pauline): Madame, messieurs, j'ai d'abord une correction à apporter quant au mémoire. Le mémoire est un mémoire d'organismes de la région de l'Outaouais, non pas le mémoire exclusif de la Clinique juridique. Là comme ailleurs, on n'a pas le monopole.

Le Président (M. Desbiens): Mme

Gaudet, si vous voulez présenter les personnes qui vous accompagnent.

Mme Gaudet: Certainement. Les personnes présentes sont parmi les personnes qui appuient ce document. À ma droite, Roger Poirier du diocèse de Hull. À ma gauche immédiate, Denis Dufour de l'aide juridique. À mon extrême gauche, Gilles Graveline de la CEQ. Les autres signataires de ce mémoire sont indiqués sur le document. On a distribué - je ne sais pas si on appelle cela au secrétaire de la commission - des documents qui serviront d'exemples. On ne les lira pas en entier. Ne vous découragez pas. Mais ce sont des exemples vécus à l'appui des conclusions qu'on fait et qui justifient les recommandations.

(19 heures)

M. Dufour (Denis): M. le Président, M. le ministre, madame et messieurs les députés, en mars 1981, nous demandions une enquête sur la Commission des droits de la personne. Malheureusement pour nous, nous sommes tombés en pleine période électorale. En effet, malgré des plaintes étoffées et des demandes d'enquête dans des dossiers même publics de discrimination, tout se passait comme si les droits de la personne n'existaient pas. Nos plaintes demeuraient sur la tablette ou au frigidaire, pour employer les termes mêmes d'un représentant de la commission.

Mme Gaudet: On va passer tout de suite à des exemples concrets que vous avez en main. Le premier document, c'est la demande d'enquête que vous aurez le loisir de lire. Le deuxième document donne des exemples de dossiers collectifs que nous avons soumis à la Commission des droits de la personne. Sauf dans les dossiers qui n'ont pas été rendus publics, les noms n'ont pas été omis. Le premier exemple est une pétition publique contre des assistés sociaux dans la région. La demande d'enquête a été soumise le 12 octobre 1978. Vous avez cette première demande en main. En bref, il s'agissait d'une pétition largement publicisée - vous avez les coupures de presse, je pense que c'est assez éloquent - faite par des individus afin de ne pas admettre des assistés sociaux dans leurs logements. Les coupures de presse qui suivent attestent de cette notoriété. Le geste était public et, selon nous, appelait une réplique rapide et de même nature, soit publique, puisque des personnes vivant d'aide sociale subissaient à cause de ce geste un jugement discriminatoire quant à leur condition sociale. De plus, un tel geste était susceptible de rendre encore plus aigu le problème pour des citoyens vivant d'aide sociale à trouver un logement.

Notre demande d'enquête, comme je viens de le dire, était datée du 12 octobre 1978. Le 8 novembre 1978 - vous avez encore le document en main - nous recevions une demande de précisions de la commission qui ne s'était pas sentie interpellée. Nous répondions le 11 décembre 1978. Après cela, de longs délais devaient suivre. Ainsi, c'est le 22 mars 1979 que nous recevions un accusé de réception de notre lettre du 11 décembre 1978. Cette lettre indiquait que Me Bertrand Roy de la commission serait "en communication avec vous dès son retour afin de vous faire savoir comment il entend donner suite à cette demande." Ce n'était guère encourageant. Pendant ce temps, tout le débat sur cette question s'était passé sans l'intervention de la commission.

L'intervention finale de la commission dans le dossier, que fut-elle? Une lettre à M.

Richard Gaudreau, qui était l'instigateur de la pétition, dont je reçus copie le 6 juin 1979, et qui disait: "Nous avons cru utile de formuler ce texte malgré le fait que les événements en question remontent à plusieurs mois". Elle n'était somme toute qu'une petite réprimande: Non, on ne fait pas cela. La teneur de la lettre et sa venue neuf mois après la demande d'une enquête, c'était vraiment accoucher d'une souris.

Le deuxième exemple collectif que nous avons soumis à la Commission des droits de la personne - exemple dont vous avez encore les textes en main; vous n'avez pas l'original de chaque requête, parce que cela aurait été une répétition - concernait six différents cas de discrimination. Les faits: encore une fois, une question de logement que la commission a toujours affirmé être une question urgente. En l'instance, il s'agissait du refus dans six cas précis, à Aylmer, de louer à une femme chef de famille soit parce qu'elle était prestataire d'aide sociale, soit parce qu'elle avait trop d'enfants. Trois différents propriétaires étaient impliqués. Vous avez tout cela dans le dossier qui vous a été remis. La demande d'enquête a été faite le 6 juin 1978, l'accusé de réception, le 4 juillet 1978, un avis qu'un enquêteur serait nommé, le 10 juillet. On n'a pas eu de nouvelles jusqu'au 9 février 1979, date où on nous a avertis qu'il y aurait une action éducative qui serait prise. Quel genre d'action? On ne l'a jamais trop su. De plus, les plaignantes n'avaient pas été vues par l'enquêteur, qui a enquêté surtout par téléphone à partir de Montréal.

Dans le troisième cas - c'est le troisième document que vous avez en main -il s'agissait d'un dossier individuel, mais qui se répète très souvent dans notre région. Comme vous le savez, on est limitrophe avec l'Ontario et le fédéral. Les faits: la Société canadienne d'hypothèques et de logement, le plus gros propriétaire de logements dans l'Outaouais, impose des exigences aux gagne-petit avant de les accepter comme locataires. Ces conditions que nous jugions discriminatoires étaient les suivantes: d'abord, la SCHL exigeait un cosignataire si le montant du loyer dépassait 30% du revenu et, en plus, ce cosignataire devait aller faire signer à son employeur une formule pour confirmer son salaire, ses fonctions et ses perspectives d'emploi.

Dans l'instance, puisque le dossier a été public, je peux mentionner le nom de ce dossier que nous avons soumis, c'est celui de Pierre et Hélène Ross, qui recevaient des prestations d'aide sociale. La SCHL a refusé le cosignataire qu'ils avaient trouvé parce que ce cosignataire était leur belle-mère, qui était enseignante et qui tombait à sa retraite. Ces citoyens avaient des références impeccables démontrant qu'ils avaient toujours payé leur loyer. Or, la Commission

des droits de la personne n'a pas de documents sur ce dossier parce qu'elle a refusé de s'en saisir, car elle a dit: la SCHL, c'est fédéral, ce n'est pas de notre ressort.

On s'est donc tourné vers la Commission des droits de la personne, au fédéral, et, si ça peut vous consoler, lisez les résultats, ce n'est pas brillant, mais ce n'est pas un motif de discrimination, selon la charte fédérale.

Les quatrième et cinquième cas que vous avez encore en main sont des cas similaires; on aurait pu vous en soumettre d'autres. À la suite d'interventions et de la demande d'enquête que nous avions faites, nous avons rencontré la présidente de la commission, qui est venue à Hull, je dois le dire, bien gentiment, et les membres de la commission ont convenu qu'ils s'occuperaient aussi des dossiers de discrimination faite par la Société canadienne d'hypothèques et de logement. Les quatrième et cinquième cas sont des dossiers, encore une fois, de discrimination; c'est soit parce que la personne avait déclaré faillite, avait fait cession de ses biens qu'on lui a refusé un logement, soit qu'elle était en chômage; c'est toujours de la discrimination à cause de faibles revenus.

Malheureusement, l'intervention tardive dans le dossier n'a rien donné, les citoyens ont dû se trouver un logement ailleurs.

M. Dufour: II y a un septième cas qu'on vous a soumis, il s'agissait de conjoints au service du même employeur. Dans ce dossier, une dame a porté plainte auprès de la Commission des droits de la personne le 13 juin 1979 pour avoir, selon elle, été congédiée parce que son mari travaillait pour le même employeur. Un an plus tard, soit le 26 juin 1980, la commission décide de clore le dossier; pourtant, dans une lettre adressée à l'employeur le 9 octobre 1980, l'enquêteur de la commission considère son enquête terminée, tout en concluant à un congédiement de la plaignante, à cause des liens de parenté.

Dans la même lettre, cependant, l'enquêteur demande, magnanime, à l'employeur, s'il ne pourrait pas justifier, par hasard, le congédiement, par autre chose que le lien de parenté. Cette dernière lettre permettra à l'enquêteur d'obtenir de ce dernier une explication qu'il retiendra finalement, à savoir un conflit de personnalité entre la plaignante et un membre de l'administration de la compagnie.

Dans un autre ordre d'idées, on sait que l'article 79 de la charte québécoise oblige la commission, lorsqu'elle juge la plainte non fondée, à en aviser le plaignant et à lui fournir les motifs de sa décision. Mais, dans notre cas, c'est l'enquêteur de la commission lui-même qui avise la plaignante du rejet de sa plainte sans fournir, par surcroît, de motif, en date du 4 août 1980. Donc, jusque là, aucune preuve qu'il s'agit là de la décision de la commission elle-même, ni aucun motif fourni au plaignant. Le 26 août 1980, le même enquêteur fait parvenir au procureur de la plaignante copie des recommandations qu'il a faites au commissaire. Nous attendons toujours de connaître la décision de la commission.

Finalement, à la suite d'un échange de lettres, le procureur de la plaignante obtient, pour la première fois, copie de la décision de la commission, soit le 1er octobre 1980, des mains même de la présidente par intérim, soit un an et quatre mois après le dépôt même de la plainte. Il s'agit, en l'espèce, de l'extrait d'un procès-verbal d'une réunion de la commission tenue le 26 juin 1980. Sur une même feuille, 4'3 numéros qui correspondent à 43 plaintes différentes, dont le numéro de notre plaignante. Les motifs de la commission pour rejeter les 43 plaintes se résument à deux attendus: attendu le rapport du service des enquêteurs; attendu l'étude et la discussion.

M. Poirier (Roger): C'est à partir de ces expériences et de notre pratique que, dans le mémoire, nous disons que nous devions conclure qu'une charte des droits de la personne existait peut-être ailleurs au Québec, mais demeurait lettre morte dans l'Outaouais. On fait ensuite une citation qui est très intéressante: "Afin que tous les citoyens puissent profiter de la charte, il faut que la commission développe une présence minimale au moins dans tous les grands centres administratifs autres que ceux couverts par Montréal et Québec dès le départ." Curieusement, cette déclaration à laquelle nous souscrivons n'est pas de nous, mais de la commission même et date de 1976, dans son document intitulé Plan d'organisation et de développement.

Concrètement, les permanences régionales n'ont jamais vu le jour. Les services de la commission ont été presque nuls pour les citoyens de l'Outaouais. L'exception a été la présence, un après-midi par semaine, d'un agent d'information pendant une courte période. Nous avons été informés le 20 octobre que cette personne, au lieu de venir une journée par semaine, viendrait deux jours par deux semaines. Il va y avoir la possibilité que cette personne reçoive au moins les plaintes. Voilà une petite amélioration que je ne qualifierai pas pour le moment. Cet état de fait doit être corrigé immédiatement, puisque, comme le déclarait la commission, "il s'agit d'abord d'une question de justice pour tous les citoyens du Québec, de toutes les régions de la province".

Nous recommandons, et à court terme, la régionalisation de la commission par la

création d'une permanence régionale qui ait un mandat précis de traiter les dossiers de discrimination qui lui seront soumis. Je rappelle que nous ne sommes pas uniquement une région frontalière, mais que nous sommes la troisième région en importance au Québec. On nous affuble souvent de cette qualification: L'Outaouais est une région frontalière. Non seulement nous sommes cela - cela nous cause déjà des problèmes, vous le savez, sous bien des aspects - mais nous sommes aussi une région importante au plan de la population. Nous croyons qu'une commission plus présente dans notre région, plus agressive dans la défense des dossiers individuels et collectifs de discrimination, une commission qui connaîtrait le milieu aussi, qui serait plus en contact avec les groupes, les individus, les personnes, avec des pouvoirs bien définis, est requise face aux violations de la charte qui sont tout autre chose que discrètes dans notre région. On en mentionné des exemples jusqu'à maintenant.

Cette présence de la commission visera à assurer non seulement l'accès des citoyens à la charte des droits, mais permettrait à la commission d'adapter ses services aux besoins des différentes régions. Également, dans un esprit de cohérence - cela n'a pas été fait, semble-t-il, pour le moment, on pose des questions - il importe aussi que les commissaires nommés soient représentatifs des régions du Québec.

M. Dufour: D'un autre côté, la façon actuelle pour la commission d'enquêter sur les plaintes laisse trop de place, selon nous, à l'arbitraire. À la suite d'une plainte de discrimination, la commission procédera à une enquête dont les modalités sont nébuleuses. Les parties, lorsqu'elles sont entendues, sont entendues chacune de son côté et on ne sait pas exactement quand une enquête est terminée. Lors de l'enquête, les parties ne sont pas entendues de façon contradictoire. Parfois même les plaignants ne sont jamais vus par l'enquêteur. À force de vouloir simplifier, la procédure actuelle mystifie et ouvre la porte, sinon aux abus, du moins à un sentiment de frustration constant de ne pas avoir été entendu. Ce qui découle de notre expérience, c'est que les enquêtes règlent souvent le sort définitif des plaintes, puisque, lorsque la commission rejette une plainte et ne procède pas soit à son règlement, soit à une poursuite devant les tribunaux, la personne qui a soumis la plainte se découragera et ne procédera que rarement seule devant les tribunaux.

Nous apprenions de la commission que les procédures d'enquête ont changé récemment, mais elles ne sont toujours pas connues. De plus, la décision que rend la commission de ne pas retenir une plainte est une décision, à toutes fins utiles, de nature quasi judiciaire ou judiciaire dans les faits et devrait être sujette, selon nous, à un appel comme on peut le voir dans d'autres provinces. Or, dans l'état actuel de discrétion arbitraire, les droits sont, selon nous, bafoués.

Une petite statistique intéressante en passant: dans les jugements rapportés concernant les poursuites intentées par la Commission des droits de la personne depuis que la commission existe, depuis 1975, on a relevé, pour les poursuites civiles de la commission au nom des individus ou des groupes, douze jugements qui proviennent de la région de Montréal, deux de la région de Québec et deux autres de deux autres régions, à savoir Iberville ou Saint-Jean et Sherbrooke. Voilà les statistiques qui nous révèlent dans une certaine mesure où se trouvent des permanences, à savoir Montréal et Québec, et, dans les autres régions, naturellement, on constate déjà qu'il y a un manque à ce niveau. (19 h 15)

Les citoyens de notre région avaient cru, lors de la création de la charte, en 1975, que certains droits seraient dorénavant protégés. La publicité de la commission a renforcé ces attentes; la réalité malheureusement nous a déçus.

Nous proposons que, dans tous les dossiers, la commission procède à une enquête en région et en présence des parties concernées, sauf sur demande expresse du plaignant. D'autres organismes en font autant, telle la Régie de l'assurance automobile du Québec, en procédant à une révision où les parties sont convoquées. Pourquoi pas la Commission des droits de la personne? Cette approche faciliterait, nous le croyons, le règlement des plaintes. On pourrait ajouter qu'elle mettrait en confiance les parties, puisque les règles du jeu seraient enfin connues.

Mme Gaudet: J'aborde maintenant un sujet que, en tout cas, je n'ai pas entendu avant. J'espère qu'il va retenir votre attention. C'est la nécessité pour nous - en tout cas, c'est une de nos propositions - d'un tribunal des droits de la personne.

La commission soumet, comme M. Dufour vient de vous le dire, des dossiers de discrimination devant les tribunaux. Le plaignant peut aussi y recourir seul, mais, en pratique, s'il n'a pas l'appui de la commission, il se croit déjà défait et ira rarement devant les tribunaux de droit commun.

Nous vous proposons une révision complète de cette approche pour les motifs que nous allons maintenant vous exposer.

Premièrement, il est inquiétant de constater à l'heure actuelle l'interprétation qui ressort de certaines décisions rendues par les tribunaux de droit commun, entre autres sur la définition de la condition sociale et

sur les questions de grossesse. Ce ne sont que deux exemples, vous avez deux décisions qu'on vous a données dans les documents 9 et 10. Lisez-les, c'est incroyable. On a dit que vivre de prestations d'aide sociale, ce n'est pas une condition sociale, parce que cela va contre la libre entreprise! Ce sont des choses qu'on retrouve dans les jugements. Ce jugement vous l'avez en main.

Force nous est de constater que les tribunaux de droit commun semblent appliquer cette loi comme une loi mineure et traiter les cas de discrimination sans trop d'importance. Sans avoir fait une analyse exhaustive des causes portées à l'attention des tribunaux, nous constatons que la moyenne au bâton de la commission n'est pas très heureuse. La faute n'est pas en ce sens du côté de la commission, mais vient du peu d'ouverture d'esprit des tribunaux de droit commun.

Un tribunal administratif serait plus cohérent dans sa jurisprudence et plus ouvert aux questions de discrimination.

J'ai une petite citation de Jacques Rivero, de son traité de droit administratif, si vous me le permettez. "Les caractères particuliers du droit administratif permettent de penser que les tribunaux judiciaires seraient mal préparés à l'appliquer et à en poursuivre le développement. Très informés des réalités administratives, les juges de l'administration savent jusqu'où ils peuvent aller dans le contrôle qu'ils lui imposent et ils vont d'autant plus loin qu'ils sont sûrs de ne pas aller trop loin. Les juges ordinaires, moins informés, risqueraient d'être beaucoup plus souvent, soit trop réservés, soit sévères, mal à propos." Un tel tribunal administratif, selon des formes variées, existe ailleurs au Canada et dans d'autres pays. Des droits, somme toute, secondaires, si l'on considère les droits de la personne comme un minimum dans notre société, jouissent d'un processus d'audition plus accessible et moins onéreux. Pour ces motifs, nous demandons la création d'un tribunal spécialisé des droits de la personne. Nous croyons que deux modèles sont possibles, soit que la commission fasse d'abord l'audition des plaintes, qu'un droit d'appel soit confié à la Commission des affaires sociales - c'est un tribunal dont les dossiers présentent une certaine analogie -ou qu'on nomme dans chaque région des personnes qui seraient convoquées à tour de rôle pour entendre les plaintes en appel après la première audition sans règlement par la Commission des droits de la personne.

L'avantage de cette deuxième formule est de favoriser une approche simple où les besoins régionaux seraient mieux compris.

En conclusion, pour le reste du mémoire de la Commission des droits de la personne sur les nouveaux motifs de discrimination, nous appuyons d'emblée tout ce qui a été soumis. Nos propositions sont donc devant vous et nous espérons qu'elles y trouveront un écho. Je vous remercie.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Bédard: Je remercie Mme Gaudet et ceux qui l'accompagnent de leur représentation devant la commission. Je pense bien que vous ne vous attendez pas qu'on discute chacun des cas que vous avez soumis à l'attention de la commission.

Vous vous déclarez insatisfaits du traitement de certaines de ces plaintes auprès de la commission, que ce soit à cause de rejet de plaintes que vous dites sans motif, procédure d'enquête inadéquate, etc., mais...

Mme Gaudet: On n'est pas satisfait, on n'a pas de dossier positif à vous présenter. Parmi les dossiers que l'on vous a présentés, nous n'avons que des dossiers négatifs à vous présenter. On en aurait présenté d'autres si on avait eu des résultats positifs.

M. Bédard: Comme vous êtes de l'Aide juridique, pourriez-vous m'informer jusqu'à quel point l'Aide juridique a pu prendre l'initiative de procédures devant les tribunaux puisqu'il s'agit de gens pour la plupart démunis et la protection des droits et libertés appartient à la Commission des droits et libertés, qui fait son possible avec les moyens qu'elle a, et aussi à d'autres organismes dont, entre autres l'aide juridique?

Mme Gaudet: Je pense que vous y avez répondu en partie. Lorsqu'il y a un organisme précis qui doit s'occuper d'une question, pourquoi une Commission des droits de la personne? Quel est le rôle de la Commission des droits de la personne, si ce n'est pas de défendre les droits de la personne? Se substituer aux droits de la personne, c'est une chose que l'on va faire lorsque l'on va constater que ce rôle, elle ne le jouera jamais; je pense qu'il est beaucoup plus important qu'un organisme comme la Commission des droits de la personne joue le rôle pour lequel il a été créé.

Deuxièmement, pour répondre précisément à votre question, on aurait bien pris des poursuites, sauf que dans des cas de logement, lorsque vous n'avez pas le logement et que vous cherchez, vous êtes pressé d'en trouver un autre, vous n'avez pas le temps de faire un beau débat théorique.

Ce qui arrive, c'est que les personnes victimes de discrimination ne veulent pas passer le processus de la Cour supérieure ou de la Cour provinciale simplement pour affirmer un droit théorique; pour eux c'est une question vitale à laquelle on doit répondre rapidement. Je rejoins dans ce sens

le mémoire qu'ont fait ce matin les femmes congédiées de Pratt & Whitney. Ce qu'elles ont illustré est extrêmement éloquent, puisque c'étaient des militantes, elles avaient la foi de continuer à militer; mais vous le savez très bien, M. le ministre, que la justice retardée, c'est la justice niée. Alors le processus que l'on vous propose, le droit administratif, ce serait une accélération. On pense que l'on pourrait épargner du temps et que les citoyens ne laisseraient pas tomber leurs droits, parce qu'ils doivent passer à travers un processus judiciaire lourd et puis, somme toute, assez décourageant.

M. Bédard: Vous nous faites une suggestion justement sur la mise en place d'une sorte de tribunal administratif. J'avoue que je suis un peu surpris, parce que l'on parle de droits fondamentaux qui au niveau de l'ensemble d'une collectivité et lorsqu'il s'agit de faire les recours devant les tribunaux, on s'en remettrait à un tribunal de droit...

Mme Gaudet: Avez-vous d'autres suggestions?

M. Bédard: ...administratif, et non aux tribunaux... écoutez, j'essaie... D'une part, vous nous dites: On n'a pas confiance plus qu'il ne le faut dans l'ouverture d'esprit des tribunaux de droit commun, si je vous ai bien interprété; puis, à partir de ce constat, vous n'avez pas l'impression que d'en venir à un tribunal administratif, ce ne serait pas un peu - je ne sais pas - réduire l'ampleur des concepts qui sont en cause...

Mme Gaudet: Si cela ne demeure que des concepts, bien oui, mais...

M. Bédard: ...on parle de droits fondamentaux qui vont pour toute une société qui...

Mme Gaudet: C'est beau en théorie, mais il faut que ce soit applicable dans la réalité. Or, la réalité, ce que le dossier de Pratt & Whitney vous a dit ce matin, c'est difficilement applicable. On vous amène un bilan de dossiers, ce n'est pas applicable. Moi, je suis bien pour cela des droits fondamentaux, c'est beau la théorie, mais après 9 heures, ici en commission parlementaire, j'aimerais bien que l'on tombe en pratique. Ce que l'on vous dit, c'est que devant les tribunaux de droit commun, faites-en le bilan si vous avez le temps ou faites-le faire par vos adjoints ou je ne sais pas qui, lisez les décisions de la Cour supérieure ou de la Cour provinciale, vous ne serez pas impressionné vous non plus. Si c'est ainsi qu'on défend les droits de la personne ou qu'on les juge, il s'impose une révision, il va falloir s'avouer que cela ne marche pas.

M. Dufour: Je pourrais ajouter que la procédure devant les tribunaux administratifs aurait avantage à simplifier les choses et à accélérer drôlement le processus. Parce que les tribunaux de droit commun, comme vous le savez, ont des décisions à prendre dans différents domaines. Il arrive ce qui arrive présentement, à savoir qu'en 1981, on a seize dossiers qui ont été jugés par les tribunaux civils, soit depuis 1975 que la Charte des droits et libertés de la personne existe. Alors, seize dossiers, si vous trouvez que c'est beaucoup, pour nous, c'est nettement insuffisant. Cela nous révèle une lacune terrible et on a constaté aussi que non seulement au niveau de l'application de la charte québécoise, mais au niveau aussi de l'application de la charte fédérale, les tribunaux de droit commun ont eu, par le passé, une interprétation restrictive de cette charte. Des tribunaux administratifs, il en existe dans différents domaines, c'est accessible et cela produit un délai de 3 à 4 ans avant que les décisions soient prises. Ils ne sont pas là, à ce moment-là, on écourte drôlement le débat.

M. Bédard: Remarquez que l'engorgement arrive aussi au niveau des tribunaux administratifs, on en a les meilleures preuves concernant la Régie du logement, à d'autres tribunaux à la Commission des affaires sociales. Ce n'est quand même pas la faute de...

Mme Gaudet: Mais, si c'est fondamental, il faudrait trouver un moyen de l'appliquer; c'est tout ce qu'on vous dit, M. le ministre. Si c'est fondamental, il faudrait qu'il y ait des moyens pour qu'on puisse l'appliquer. Si on a à attendre... Je reviens encore à un exemple qui a été donné ce matin, je l'ai trouvé fameux. Quand l'employeur est capable de faire un dédale judiciaire, et on vit cela face à d'autres dossiers de citoyens, et que les préjudices et les lenteurs sont tous subis par la victime, mon Dieu, à ce moment-là, celui qui a l'argent dit à ses avocats: Arrêtez, c'est tout.

M. Bédard: II y a d'autres moyens; vous parliez tout à l'heure de l'exemple de Pratt & Whitney qui vous a frappés d'une façon tout à fait spéciale. Je ne sais pas ce vous pensez de la suggestion suivant laquelle on pourrait prévoir que, dans des situations comme celle-là, il y ait un statu quo qui existe en faveur de la personne qui est concernée jusqu'à ce qu'une décision soit rendue...

Mme Gaudet: Ce serait déjà...

M. Dufour: ... dans la bonne direction, il n'y a pas de doute.

M. Bédard: Mais de là, par exemple, à tasser... Je comprends que ce n'est pas facile de trouver des solutions, vous êtes aussi là pour nous aider...

Mme Gaudet: Moi, j'ai l'impression que ce qui vous retient, M. le ministre, c'est qu'il y a un débat qui est plus d'ordre intellectuel, c'est-à-dire que les droits de la personne semblent tellement importants, alors qu'en réalité, ils sont bafoués à tous les jours et je ne suis pas le seul groupe...

M. Bédard: Non, je n'ai jamais été considéré comme très intellectuel ou très théorique dans des débats et je ne pense pas commencer aujourd'hui.

Mme Gaudet: Vous dites de ne pas mettre cela devant les tribunaux de droit commun, mon Dieu, de limiter cela à un petit tribunal administratif. Il y a des tribunaux administratifs qui décident de questions joliment importantes.

M. Bédard: Non, mais écoutez, les tribunaux administratifs, il va falloir qu'il y ait appel. On a des décisions judiciaires, à l'heure actuelle, qui ne nous permettent plus d'avoir la dernière instance au niveau des tribunaux administratifs; donc, appel devant les tribunaux de droit commun avec toutes les possibilités d'aller jusqu'à la Cour suprême.

Mme Gaudet: Mais cela, on a...

M. Bédard: Je comprends qu'un processus judiciaire, vous le savez autant que moi, peut difficilement ne pas être lourd. Autant que c'est possible, on peut essayer d'accélérer les choses. On ne peut quand même pas empêcher des citoyens, qu'ils soient employeurs ou qu'ils soient citoyens, d'utiliser tous les moyens légaux qui sont à leurs disposition.

M. Dufour: M. le ministre, pour ajouter à ce que mon confrère a dit, ce qu'on veut finalement, c'est enlever une étape. Ce qui se passe actuellement, c'est qu'elle n'a pas de pouvoir coercitif, la Commission des droits de la personne, elle a un pouvoir de recommandation. On arrive avec des dossiers où la décision de la commission est prise un an et demi, un an après que la plainte a été portée et là on dit: On porte plainte devant les tribunaux civils ou on ne porte pas plainte. On vous demande d'enlever cette étape et de nous rapprocher d'un an ou d'un an et demi dans certains cas. On vous demande que ces dossiers-là soient réglés dans l'immédiat. Je pense que c'est une demande qui correspond à la réalité des choses. Vous prenez des personnes qui se font refuser des logements pour discrimination. Croyez-vous que, dans un an et demi, l'intérêt sera le même? Je vous garantis qu'il y en a qui vont abandonner leurs recours dans un an et demi. Mais si vous aviez un tribunal administratif qui siège, qui entend la requête dans l'immédiat, vous verriez des choses différentes.

M. Bédard: Mon collègue me demande de vous poser des questions. Avec plaisir.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee. (19 h 30)

M. Marx: J'aimerais vous remercier pour votre mémoire, parce que c'est évident que vous avez soulevé des problèmes que d'autres n'ont pas soulevés. Personne n'a soulevé vraiment ces problèmes. On n'a même pas discuté ces questions durant ces trois semaines. En ce qui concerne les bureaux régionaux, ça va de soi qu'on a besoin de bureaux à l'extérieur de Montréal.

Mme Gaudet: Vous vous engagez à défendre le principe, M. le député?

M. Marx: Je peux m'engager à n'importe quoi, je suis dans l'Opposition. Mon problème, c'est que je ne peux pas convaincre le ministre.

Mme Gaudet: II m'a l'air convaincu lui aussi.

M. Marx: J'étais...

Mme Gaudet: Mais j'aimerais...

M. Marx: ... commissaire à la commission quand on a fait cette recommandation en 1976 ou 1977 et je vois bien qu'il y a des lenteurs dans votre région en ce qui concerne les dossiers de la commission. Il y a des lenteurs ailleurs aussi parce qu'elle a plus de responsabilités et moins de personnel. Disons que c'est vraiment difficile pour la commission de faire tout ce qu'elle a à faire. C'est une question de ressources; le ministre va décider, à un moment donné, s'il va accorder plus de ressources à la commission ou non, et peut-être que s'il ne le peut pas, il va blâmer le Conseil du trésor.

Mme Gaudet: À ce moment-là, il faudrait conclure, nous, que tant qu'on n'a pas de moyens, il n'y a pas de droits de la personne dans l'Outaouais. C'est ça qu'on veut savoir, s'il y en a ou s'il n'y en a pas.

M. Marx: En ce qui concerne cette question, j'aimerais vous suggérer qu'on ne

juge pas l'efficacité d'une charte par rapport aux causes qu'on porte devant les tribunaux. C'est-à-dire que la charte a été adoptée pour qu'il y ait le moins possible de causes devant les tribunaux. C'est pourquoi il y a la conciliation, les recommandations et ainsi de suite. On veut éviter qu'il y ait des causes devant les tribunaux. On peut prendre n'importe quel chapitre dans le Code civil et compter le nombre de contestations devant les tribunaux; peut-être qu'on en a très peu mais que ce chapitre est bien respecté. En matière de logement, par exemple, le problème que vous avez soulevé - c'est ça le gros problème - c'est qu'après un an et demi, le gars n'a pas d'intérêt. S'il ne peut avoir le logement dans les quelques jours, c'est un droit qu'il est inutile d'exercer devant les tribunaux. Mais est-ce que la commission n'a pas pris des mesures spéciales en matière de logement?

Mme Gaudet: Je laisse à la commission le soin de répondre à cette question parce que votre question s'adresse carrément à elle et je n'y suis pas. Ce que je peux vous dire, c'est que quand on a un problème de logement, on téléphone à Montréal pour que l'intervention soit plus rapide. Il y a un peu plus de collaboration maintenant qu'il n'y en avait auparavant, mais la présence physique de la commission est à Montréal. Comment voulez-vous qu'elle intervienne? Maintenant, il y a quelqu'un qui va venir deux jours par deux semaines, c'est un peu une amélioration, mais c'est comme dire à la victime d'un attentat: Attends deux semaines, la police va venir dans deux semaines. C'est ça finalement qu'on dit.

M. Marx: J'ai compris qu'en cas de logement, la commission envoie des télégrammes tout de suite ou prend...

Mme Gaudet: Non, dans notre région, c'est tout récent. Il y a eu un cas, à ma connaissance, où elle a envoyé un télégramme à la SCHL dans un dossier qu'elle lui avait soumis. À savoir si elle en a envoyé d'autres, demandez-le-lui.

M. Marx: Si on veut résumer votre problème dans l'Outaouais, c'est qu'il n'y a pas de présence de la commission à plein temps.

Mme Gaudet: Absolument.

M. Marx: Je pense que c'est le gros problème qui a déjà été soulevé auprès du ministre et c'est à lui de prendre des décisions à savoir si on veut ouvrir des bureaux à Hull, à Sherbrooke... Même dans son comté de Chicoutimi, ce serait peut-être utile d'avoir un bureau.

Pour juste toucher peut-être une autre question, vous avez dit que les décisions de la commission de continuer l'enquête ou de ne pas continuer l'enquête...

Mme Gaudet: Oui.

M. Marx: ... de dire qu'il y a assez de preuves ou de décider quand il n'y en a pas assez pour aller devant les cours sont arbitraires. Je pense que c'est comme ça dans tout notre système, dans le sens que le procureur de la couronne décide s'il y a ces preuves ou s'il n'y a pas ces preuves. Le policier décide s'il va continuer à faire son enquête ou non. Les autres commissions décident s'il y a assez de preuves ou non, et ainsi de suite. Ce n'est pas arbitraire, je dirais que c'est plutôt discrétionnaire. Peut-être est-ce contestable dans certaines situations, mais j'aimerais vous souligner que le système est ainsi et que c'est partout ainsi. Je ne vois pas d'autre façon de fonctionner.

M. Dufour: Ce qu'on vous dit, c'est que cela a ouvert la porte à des abus. Dans certains cas, on décide de communiquer en dernier lieu avec le plaignant ou l'employeur pour avoir une dernière idée, ou encore on va communiquer par téléphone, par exemple.

Mme Gaudet: Le pire, c'est qu'on ne communique pas de décision. Non seulement faut-il que justice soit rendue, mais il faut qu'il apparaisse qu'elle est rendue. Dans ces cas, ça n'apparaît même pas.

M. Marx: Cela veut dire que la commission n'a pas communiqué avec vous?

Mme Gaudet: Elle n'a pas communiqué de décision, non. Les dossiers restent sur les tablettes. Je sais qu'on se tanne de téléphoner et qu'on se tanne de soumettre des dossiers, même si, maintenant, il semble y avoir une ouverture; mais quand vous n'avez pas de nouvelles d'un dossier depuis un an et demi, vous dites: C'est fini à la Commission des droits de la personne, on va écrire ailleurs dorénavant, c'est tout. Sauf qu'il faut espérer à nouveau, venir vous voir et tenter d'améliorer cet organisme qu'est la Commission des droits de la personne.

Vous avez discuté toute la journée de motifs de discrimination, mais quand même en aurait-on seulement un et qu'on l'applique, ce serait déjà mieux que d'en avoir quarante. Je suis favorable à en avoir d'autres que ceux qu'on a suggérés, mais s'ils ne sont pas applicables, on se gargarise.

M. Dufour: C'est beau d'avoir une belle charte avec de beaux articles, de beaux principes, mais, dans les faits, est-ce qu'on est rapide, efficace, est-ce qu'on atteint beaucoup de gens? C'est la question,

finalement, qu'on vous pose.

M. Marx: J'ai posé cette question à d'autres qui ont voulu inclure dans la charte toutes sortes de droits, le droit au repos, le droit de communiquer, le droit à un sain environnement. Je suis d'accord sur ce point, mais j'insiste sur le fait que ce n'est pas seulement par le contentieux qu'on voit l'efficacité d'une charte.

Mme Gaudet: Non, absolument pas, mais une présence peut être éducative à la fois et...

M. Marx: Votre problème est très simple, vous avez besoin de quelqu'un, à Hull, pour vraiment pouvoir vous prévaloir de la charte. Je recommande tout de suite au ministre d'allouer des fonds à la commission pour qu'elle puisse ouvrir un bureau, même si c'était un petit bureau avec une seule personne. C'est au ministre de décider, ou peut-être à ses collègues, M. Parizeau ou M. Bérubé, on verra, mais on va appuyer ce projet jusqu'au bout.

Le Président (M. Desbiens): Mme la députée de La Peltrie.

Mme Marois: Cela suit un peu les questions du député de D'Arcy McGee. Je connais assez bien l'Outaouais et certaines des personnes qui sont à la table. Pour y avoir vécu, je puis dire, effectivement, qu'il y a des manques de ressources absolument épouvantables, et à bien d'autres points de vue, de toute façon. Il y a une question que je me pose. Quand vous parlez de la nécessité d'un tribunal des droits de la personne, est-ce que le moyen n'est pas un peu gros et, pour pousser plus loin, est-ce que ce n'est pas, justement, dans un autre ordre de moyens que devraient venir l'application plus complète, plus grande et une meilleure réponse aux problèmes que vous avez soulevés?

Finalement, la question de la conciliation m'est aussi venue à l'esprit dans le sens où la Commission des droits de la personne a un rôle d'éducation de ce côté-là, etc., et le recours aux tribunaux supérieurs n'est pas nécessairement vu comme quelque chose de positif à la limite. Évidemment, il faut y arriver, si des droits sont lésés. Mais est-ce que le moyen n'est pas un peu gros et, dans l'ordre des moyens, est-ce que ce n'est pas un autre type de moyens que ça prendrait pour répondre aux attentes que vous exprimez?

Mme Gaudet: II y a des tribunaux des droits de la personne dans beaucoup de pays, il y en a au Canada dans différentes provinces aussi. C'est un choix des moyens que vous faites, c'est sûr, mais mon expérience des tribunaux administratifs me porte à croire que les gens qui siègent dans un domaine viennent à le connaître, à le maîtriser et, comme je le citais tantôt, à aller d'autant plus loin qu'ils savent qu'ils ne vont pas trop loin. Je sais que la solution n'est pas législative pour tous les dossiers, loin de là. Les recommandations qu'on vous a faites, on l'espère, vont régler beaucoup de dossiers avant d'en arriver là, et c'est ce que je souhaite aussi, parce que le plein emploi pour les avocats, on en a suffisamment, sauf qu'en matière de droit administratif, il y a plus de chance avec un tribunal spécialisé. La jurisprudence actuelle est aberrante en matière de droits de la personne. Vous avez une décision de Montréal qui va dans un sens et une décision d'ailleurs qui va dans un autre sens. C'est difficile d'harmoniser cela.

M. Marx: Est-ce que les "Boards of Inquiry" au niveau fédéral ou en Ontario fonctionnent mieux? Là, ils n'ont pas un tribunal spécialisé, mais ils nomment trois personnes pour siéger comme tribunal pour la cause.

Mme Gaudet: Je n'ai jamais vécu là. Je ne pourrais pas vous le dire.

M. Marx: Vous n'avez jamais plaidé au fédéral.

Mme Gaudet: Non. J'ai plaidé au fédéral, mais pas devant le "Board of Inquiry", comme vous dites.

M. Marx: Pas devant le "Board of Inquiry".

M. Dufour: Notre constatation, entre autres, sur la condition sociale, on peut vous dire qu'on sait ce que ce n'est pas, la condition sociale, avec les jugements des tribunaux de droit commun actuellement. On ne sait pas encore ce que c'est. Les tribunaux nous ont dit: Ce n'est pas cela et ce n'est pas cela. On ne sait pas encore ce que c'est avec les tribunaux.

M. Marx: Oui, je comprends le problème. C'est qu'on attend de la jurisprudence.

M. Dufour: Cela fait cinq ans.

Le Président (M. Desbiens): S'il n'y a pas d'autres interventions, je remercie les participants.

Conseil du Québec du Syndicat canadien de la fonction publique

Je demande au Conseil du Québec de se présenter, s'il vous plaît! M. Boisjoli, si

vous voulez, s'il vous plaît, présenter les personnes qui vous accompagnent et nous présenter, par la suite, votre mémoire.

M. Boisjoli (Jean): M. le Président, j'ai le plaisir de vous présenter, du Conseil du Québec, Diane Savage, qui est membre du Comité de la condition féminine, à mon extrême gauche; Ginette Dussault, qui est coordonnatrice du Comité de la condition féminine et conseillère au SCFP; Johane Saint-Amour, qui est directrice du Comité de la condition féminine du Conseil du Québec et, également, conseillère au SCFP. À ma droite, le vice-président du Conseil du Québec, Gilles Racicot. Je suis Jean Boisjoli, président du Conseil du Québec.

Pour éclairer certaines personnes, il serait peut-être bon de dire que le Conseil du Québec, c'est tout simplement la réunion de presque 300 sections locales du Syndicat canadien de la fonction publique qui oeuvrent au Québec, qui sont au Québec. Elle ont décidé ensemble de former le Conseil du Québec afin de se donner des services, afin de se donner des moyens politiques de faire valoir les droits des travailleurs plus facilement de cette façon que juste par le SCFP, quand on se retrouve tout le monde ensemble, parce qu'on représente énormément de secteurs. On représente le secteur de l'hydroélectrique, les universités, les municipalités, les affaires sociales, le soutien scolaire, les communications, etc., et on parle au nom de 55 000 membres.

On voudrait, par ce mémoire, vous rendre compte de ce qui s'est passé en congrès chez nous et d'une réflexion qui s'est faite au cours des années par les membres et les différents comités de condition féminine à travers nos sections locales. Lorsqu'on s'est rencontré en congrès, nous avons adopté certaines résolutions dont on voudrait vous faire part, entre autres. On se préoccupe énormément des questions relatives à la discrimination des femmes sur le marché du travail et de leurs conditions de vie en général. Cet intérêt s'est manifesté, comme je vous le disais, par la création d'un Comité de la condition féminine qui oeuvre également avec le Comité de la condition féminine de la FTQ.

Les nombreuses consultations de ce comité auprès des membres, que ce soit sous forme de colloques ou d'ateliers lors des congrès, nous ont amenés à considérer les programmes d'action positive comme un élément de solution aux problèmes de discrimination dont sont victimes les femmes sur le marché du travail. À ce sujet, on endosse très facilement les recommandations du Conseil du statut de la femme aux pages 15 et 16 de son mémoire. (19 h 45)

Notre intervention devant vous aujourd'hui a tout simplement pour objet de vous transmettre le contenu des résolutions de notre congrès de mai 1981 en ce qui concerne spécifiquement les modifications à apporter à la Charte des droits et libertés de la personne. Là, on n'a pas voulu reprendre le mémoire de la FTQ qu'on endosse, ni celui du Conseil du statut de la femme qu'on endosse également, bien sûr. On y référera à certains moments, comme je viens de le faire pour les pages 15 et 16 du mémoire.

On a passé une résolution qui nous a semblé très importante et qu'on veut vous soumettre. Cette résolution disait: " II est résolu que le Conseil du Québec fasse les démarches nécessaires afin d'amener le gouvernement à accélérer l'adoption des modifications à la Charte des droits et libertés de la personne qui permettraient la négociation de programmes d'action positive." Pour nous c'est excessivement important. Lors de ce même congrès on a passé une autre résolution dont je vous fais part immédiatement et qui n'est pas contenue dans ce mémoire, mais qui va juste compléter un peu votre dossier. On dit: " II est résolu que le SCFP et les sections locales affiliées luttent par la négociation et tout autre moyen pour l'implantation de programmes d'action positive à tous les niveaux et contrôlés par les syndicats." Si on dit "par tout autre moyen" ça peut impliquer par l'imposition, à un moment donné, par le gouvernement ou un autre organisme, de programmes d'action positive ailleurs, mais on voudrait d'abord que cela ne soit pas imposé. On voudrait pouvoir négocier parce que, pour nous, ne pas négocier et se faire imposer des choses, c'est simplement sabrer dans la motivation des membres.

Vous savez fort bien, M. le Président, que dans les syndicats, nous avons besoin de ces moyens pour amener les membres à être motivés et que, si, par hasard, on laisse s'imposer des choses, on risque que les membres se laissent un petit peu aller, se laissent dominer par le gouvernement ou par d'autres organismes qui seraient nommés par le gouvernement.

On sait fort bien, sans vouloir aller trop loin dans le sujet, que l'imposition, non seulement n'est pas toujours bonne pour les membres, mais parfois elle n'est pas bonne du tout. Si on se rappelle un peu la loi 88 qui a forcé les gens d'Hydro-Québec à retourner au travail, cela a été une imposition. Si on se rappelle la loi 93 qui a forcé les cols bleus de la ville de Montréal à retourner au travail, cela a été aussi une imposition. Je ne veux pas juger de la valeur de ces lois en ce moment, mais il me semble très très important que cette négociation nous reste, que cette négociation des programmes d'action positive restent aux syndicats; si jamais ceux-ci ne sont pas capables de les résoudre, on reviendra vous

voir et on s'en reparlera à ce moment-là.

C'est en ces termes que les délégués au congrès du Conseil du Québec du SCFP ont signifié leur volonté de se doter d'outils efficaces pour contrer les mécanismes de discrimination sur le marché du travail. Ils se sont d'ailleurs engagés à négocier dans leur milieu de travail respectif de tels programmes dès que ceux-ci seraient légalisés. Ils ont également voté une résolution à l'effet que leur organisation syndicale, en tant qu'employeur, donne l'exemple en privilégiant l'embauche de femmes à des postes de conseillers syndicaux et donne aussi des postes d'employés de bureau et ce, afin de rééquilibrer la composition de sa main-d'oeuvre.

Juste peut-être une petite anecdote pour vous éclairer; on l'a fait, ça, au SCFP. On a commencé à le faire. C'est un travail qui n'est pas facile. On sait fort bien qu'il y a des embûches partout, il y a des problèmes de possibilité - on y reviendra un petit peu plus tard - mais je peux vous dire qu'alors qu'avant il n'y avait que deux femmes conseillères syndicales chez nous on a augmenté nos effectifs de 150%. On en a trois autres depuis peu de temps et déjà c'est un mouvement vers une solution du problème. Ces femmes-là n'ont pas...

Non, justement, il y en a une ici à côté de moi, Johane, qui a été effectivement nommée conseillère syndicale il n'y a pas très longtemps...

M. Bédard: ... amener les trois.

M. Boisjoli: Non, non, non, non. Il y en a une autre, M. le ministre, et je peux vous en parler tout de suite, qui était candidate du Parti québécois lors des dernières élections. Elle a été, je ne dirai quasiment pas malheureusement battue, parce qu'à ce moment-là nous l'avons eue à l'intérieur du SCFP. Elle oeuvrait déjà à l'intérieur du SCFP et elle est maintenant conseillère syndicale au SCFP; c'est Monique Cloutier, que vous connaissez probablement.

M. Bédard: J'espère qu'elle n'aura pas plus de difficultés avec ses convictions politiques qu'avec ses convictions syndicales. On a eu des représentations là-dessus.

M. Boisjoli: On la laissera répondre, M. le ministre.

M. Bédard: D'accord.

M. Boisjoli: On est allé plus loin que ça, on a fait la même chose nous autres, chez les employés de bureau, parce que c'était un désir des membres et on a travaillé dans le sens de donner à des hommes des postes "cléricaux" chez nous. On a centuplé notre effectif, car on n'en avait pas du tout et on en a maintenant un, très efficace, d'ailleurs, et qui s'entend fort bien avec les autres femmes.

M. Bédard: Avec lui-même.

M. Boisjoli: Les femmes avec qui il travaille, entendons-nous bien. Ces résolutions sont l'aboutissement d'une réflexion sérieuse sur la situation et on constate que la charte, dans sa forme actuelle, et les clauses de nos conventions collectives interdisant toute discrimination, permettent de corriger les manifestations visibles et immédiates de discrimination comme, par exemple, les écarts de salaire pour des emplois identiques, mais elles se sont révélées malheureusement insuffisantes pour s'attaquer à l'ensemble du problème. La triste réalité veut en effet que la discrimination touche collectivement les femmes. Ce n'est pas un phénomène individuel, elle se perpétue insidieusement sur le marché du travail par de nombreux mécanismes indirects.

L'orientation et la formation professionnelle, par exemple, que reçoivent les jeunes à l'école, sont peut-être le plus démasqué de ces mécanismes indirects. L'orientation biaisée de la formation professionnelle donnée aux adultes est moins connue, mais combien choquante, discriminant systématiquement les femmes qui voudraient se réorienter selon leurs goûts et aptitudes vers des métiers non traditionnels. Il est en effet de pratique courante d'exiger que les personnes qui s'inscrivent à une séquence de cours donnée aient déjà de l'expérience dans leur métier ou occupation.

Quand on dit "des personnes", je pense bien plus à des femmes qu'à des hommes. Parce que j'ai vu très souvent un homme qui disait: Moi, je voudrais me diriger vers cela. Là, son patron disait: C'est fantastique, tu es un gars qui veut aller quelque part, on va t'aider. Quand la femme arrive et dit la même chose: Moi, je voudrais me diriger vers cela. On lui dit: Bien voyons donc, tu n'es pas capable, ce n'est pas ton genre, tu es mieux où tu es, pourquoi veux-tu changer, etc.? On va trouver toutes les raisons pour empêcher qu'elle puisse s'épanouir dans un travail qui serait non seulement plus rémunérateur, mais plus exaltant et qui lui rapporterait beaucoup plus moralement.

Cette perspective de la formation crée et maintient des ghettos d'emploi qui sont au coeur même de la discrimination. Les stéréotypes sexistes qui en découlent rendent encore plus difficile la correction de la situation parce qu'il n'existe aucun fondement logique à leur existence. Personne n'est malheureusement à l'abri de ces stéréotypes. On vous en donne quelques exemples.

On peut s'avouer entre nous, facilement, la tendance que nous avons tous

à aborder la première femme rencontrée dans le corridor d'un édifice comme si elle était la secrétaire de la place. On est bien surpris quand elle ne l'est pas. Malheureusement, cela arrive souvent qu'elle le soit.

La surprise ironique que nous éprouvons quand nous téléphonons à Bell Canada et à Hydro-Québec et qu'un homme nous répond. D'abord, on a l'impression qu'on s'est trompé de numéro. Après cela, on se pose des questions sur l'individu, on ne sait pas si c'est le patron qui a remplacé la fille qui était là avant, etc.

On peut aussi se rappeler la réputation plutôt curieuse qu'ont eue les premiers hommes qui ont choisi la profession d'infirmier diplômé. Ils n'ont pas fini d'en entendre parler, d'ailleurs, encore aujourd'hui.

C'est cette analyse de la situation qui nous convainc que seuls les programmes d'action positive pourront apporter les correctifs nécessaires. À ce stade-ci de l'argumentation, précisons que selon nous, les quotas à l'embauche sont la pièce maîtresse de tout programme d'action positive. Il nous paraît évident que seuls des objectifs chiffrés peuvent annuler réellement les effets négatifs de ces stéréotypes.

En ce qui concerne les autres dimensions d'éventuels programmes d'action positive, il nous est plus difficile de les commenter parce qu'elles découleront de l'analyse spécifique de chaque milieu de travail. Il nous semble cependant, d'ores et déjà, que les politiques de formation et les conditions générales de travail devront être soumises à un examen attentif et astreintes à des normes serrées. À cet égard, il nous semble que la Commission des droits de la personne pourrait avoir un rôle d'appui dans l'évaluation de l'efficacité et de la cohérence de ces programmes. Cela rejoint ce que le Conseil du statut de la femme disait dans son mémoire à la page 20, mémoire que vous pourrez consulter.

À un autre niveau, il nous paraît essentiel que la législation soit modifiée en vue d'inclure le principe que le fardeau de la preuve appartient toujours à l'employeur dans les plaintes relatives à la discrimination. Cette demande se justifie par les difficultés qu'éprouvent les personnes lésées à faire valoir leurs droits. Dans cette matière, notre pratique syndicale nous en a beaucoup appris. Nous aimerions aussi attirer votre attention sur une autre question qui préoccupe notre syndicat, à savoir la discrimination actuellement permise dans les régimes d'avantages sociaux. Cette discrimination fondée sur le sexe et rarement remise en question engendre une situation où, fréquemment, les femmes ne peuvent bénéficier des mêmes avantages que leurs confrères masculins.

Il est presque pratique courante, dans les régimes supplémentaires de rentes, de spécifier que les femmes doivent attendre plus longtemps que les hommes avant de participer auxdits régimes et qu'elles doivent prendre leur retraite plus tôt. Les actuaires nous démontrent que les femmes ont une espérance de vie plus longue que celle des hommes et, à cause de cela, ils ne veulent pas les entrer dans le même... Parce que cela leur coûterait peut-être plus cher, etc. On dirait que c'est une raison pour qu'elles souffrent un peu plus parce qu'elles doivent vivre un peu plus longtemps. Je n'ai pas encore compris pourquoi. Je me pose des questions. J'aimerais avoir quelques actuaires... Pardon?

Mme Marois: Vivre pauvrement, mais plus longtemps.

M. Boisjoli: C'est ça. Il vaut mieux vivre pauvre et malade que riche et en bonne santé. On n'accepte pas cette situation et les mécanismes de négociation dont nous disposons ne nous ont pas permis, dans de nombreux cas, de corriger cet état de fait. Nous demandons donc que la charte interdise dorénavant la discrimination basée sur le sexe dans les avantages sociaux. Si vous consultez les pages 3 et 4 du mémoire du Conseil du statut de la femme, vous allez voir qu'on rejoint encore ses recommandations.

En conclusion, les amendements que nous demandons à la charte sont un pas important vers l'édification d'une société non sexiste. Nous sommes fiers de nous associer à la démarche collective que le Québec poursuit dans ce domaine. Les délégués à notre dernier congrès, représentant les 50 000 membres du SCFP au Québec, ont manifesté leur ferme intention d'agir en vue d'améliorer la situation actuelle des femmes sur le marché du travail, améliorations qui ne seront rendues possibles que par des modifications législatives. Ce que je trouve très intéressant là-dedans, c'est que, lors de ce congrès où il y avait au-delà de 450 délégués qui représentaient en proportion beaucoup plus d'hommes que de femmes, parce que nous avons certains syndicats à Hydro-Québec, par exemple, certaines de nos sections locales, où c'est exclusivement des hommes, dans les techniciens, ce qu'ils appellent les "linemen", etc., ce sont purement et simplement des hommes, tous ces gens vont voter de toute façon à l'unanimité pour nos prises de position là-dedans. Je trouve cela très important parce que cela veut dire que, depuis deux ou trois ans qu'on s'occupe activement de cette chose, nous avons convaincu nos membres à travers nos sections locales. Je trouve cela extrêmement important que le gouvernement sache aujourd'hui que les gens sont motivés, qu'il y a encore un chemin à faire qui va

être très long, qui va être ardu, mais que la solution nous apparaît assez clairement à l'autre bout.

Notre pratique syndicale nous inspire un dernier commentaire à ce sujet. Tout progrès social réel passe par le plein emploi, M. le Président. La société plus égalitaire qu'on vise par les modifications à la charte ne peut se concevoir tant qu'on acceptera le gaspillage de ressources qu'implique l'existence de chômeurs.

Nous terminons en vous rappelant une vieille maxime un peu méconnue que devrait faire sienne le gouvernement du Québec: Qui veut faire quelque chose trouve toujours un moyen, mais qui ne veut rien faire trouve également une excuse.

Je vous remercie beaucoup, M. le Président. Mais avant de vous passer la parole, si vous me le permettez, j'aimerais que Johane Saint-Amour complète un peu ce dossier par le travail qu'ils ont fait.

Le Président (M. Desbiens): Mme Saint-Amour.

Mme Saint-Amour (Johane): Je vais compléter en tant que présidente du comité de la condition féminine du Conseil du Québec. Je pense que c'est important de comprendre le cheminement qu'au niveau du Conseil du Québec du SCFP, on a accompli pour aboutir aux résolutions de congrès que Jean Boisjoli vous a données. Ce cheminement a été sérieux et est le fruit de nombreuses consultations auprès de nos sections locales, auprès de nos différents secteurs d'activité et auprès des différentes instances de notre syndicat.

On a discuté, bien sûr, avec nos sections locales, de l'ensemble des problèmes auxquels les femmes sont confrontées sur le marché du travail, mais on a également entamé des discussions sur les programmes d'action positive. On a soumis à l'ensemble de nos sections locales un document de réflexion sur la question, sur l'application des programmes d'action positive et, quand nos délégués en congrès demandent de lutter par la négociation et tout autre moyen pour l'implantation de programmes d'action positive à tous les niveaux et contrôlés par les syndicats, on peut assurer ici, à la commission parlementaire, que c'est un engagement sérieux. (20 heures)

Négocier ces programmes d'action positive, cela veut dire avoir le contrôle syndical de négocier avec l'employeur l'implantation de ces programmes, de contester leur non-application si effectivement on arrive à des problèmes de contester leur non-application, parce qu'on aurait effectivement des droits au niveau de l'arbitrage, et impliquer l'ensemble de nos membres dans un processus important qui est un processus de sensibilisation, parce que négocier des programmes d'action positive, cela implique de sensibiliser l'ensemble de nos membres sur la pertinence de ces programmes et les impliquer véritablement. On pense qu'en les négociant, on va véritablement atteindre à un changement profond des mentalités, qui est vraiment important si on veut s'assurer du succès de ces progammes d'action positive.

Je pense que c'est important aussi de constater que nos délégués étaient sérieux quand ils ont voté l'implantation de programmes d'action positive au niveau de leur propre syndicat, quand ils ont demandé au conseil du Québec de les doter d'outils de sensibilisation et d'exemples de clauses de conventions collectives pour négocier avec leur employeur ces programmes d'action positive. Évidemment, on est en train d'élaborer ces outils de sensibilisation ainsi que ces clauses types de conventions collectives. Je pense qu'on mesure actuellement le sérieux de nos membres dans cette démarche. C'est dans ce sens, quand on parle de négociation de programmes d'action positive, qu'il faut comprendre notre intervention.

M. Bédard: M. le Président, je tiens à remercier M. le président Boisjoly, de même que celles et celui qui l'accompagnent, pour la collaboration qu'ils viennent d'apporter par leur mémoire au niveau de la réflexion des membres de la commission parlementaire. Même si l'heure est tardive, vous avez trouvé le moyen de nous présenter l'essentiel de votre réflexion d'une façon très dynamique et nous vous en remercions. Ce n'est pas à cause de l'heure tardive, que nous aurons peut-être moins de questions que vous ne l'anticipiez. Je pense que vous comprendrez...

M. Boisjoli: C'est dommage.

M. Bédard: ... Non, ce n'est pas dommage... Je pense que vous comprendrez...

M. Boisjoli: On avait les bonnes réponses.

M. Bédard: ... que vous représentez à l'heure actuelle le 57e ou le 58e groupe qui se fait entendre devant la commission. Vous l'avez fait avec un mémoire très fouillé et avec de l'expérience aussi. Je pense que c'est très important quand on parle des programmes d'action positive, mais nous avons eu l'occasion à partir de tous les mémoires de tous les groupes que nous avons rencontrés quand même d'élucider, si on peut employer l'expression, en tout cas, d'obtenir plusieurs réponses à des interrogations que nous nous posions. Si les questions sont moins nombreuses, ce n'est pas que le mémoire est

moins intéressant. Au contraire. Vous parlez de l'élaboration des programmes de redressement progressif et vous indiquez la nécessité de prévoir des quotas d'embauche sans cependant préciser, sans avoir d'autres spécificités sur de tels programmes. D'abord, croyez-vous à la nécessité du caractère obligatoire de tels programmes? Il me semble que vous avez dit tout à l'heure: Laissez-nous faire par la négociation - si je vous ai bien compris - si cela ne va pas, si on n'est pas capable de résoudre ces problèmes, on viendra vous voir. Vous comprenez que c'est une bonne...

M. Boisjoli: C'est parce qu'on pense être capable de les résoudre si on vous dit cela.

M. Bédard: ... invitation à se revoir, mais cela ne donne peut-être pas une indication aussi précise qu'on voudrait concernant votre idée sur la nécessité qu'il pourrait y avoir à un moment donné d'établir des programmes obligatoires lorsqu'il n'y a pas d'entente possible. Quand décider qu'on est au bout de la négociation, au bout de l'incitation et qu'enfin, il faut procéder d'une autre façon? Je pense que ce n'est pas facile à déterminer, mais à partir du moment où ce n'est pas possible de résoudre le problème, de s'entendre sur l'application d'un programme, la mise en vigueur d'un programme, à ce moment-là, est-ce que vous êtes d'accord qu'il puisse être obligatoire, tout en ne négligeant pas le sérieux du syndicat?

M. Boisjoli: Je crois difficilement à l'obligation, à l'imposition. Je vous ai donné tout à l'heure les raisons qui m'incitent à penser que l'imposition, c'est sabrer directement dans la motivation des membres. Pour moi, ça reste extrêmement important. J'ai vécu dans le milieu syndical, j'ai été longtemps président d'une section locale, on s'est battu, on est venu à bout de motiver nos membres à prendre des actions et, dès que le gouvernement se mêle de quelque chose, il y a une partie des membres qui dit: Voyons donc, on n'a pas besoin de faire ça, il y a telle affaire, telle affaire. L'imposition d'un programme d'action positive doit venir de la base. Selon nous, ça fait partie d'une réflexion qu'on s'est faite, ça fait partie d'une réflexion qu'on fait depuis déjà trois ans et plus.

M. Bédard: Est-ce qu'il y a des programmes spécifiques qui sont en cours, au moment où on se parle, parce que la charte canadienne des droits vous y autorise expressément, est-ce qu'il y a des programmes qui sont en application chez vous et dont vous pourriez nous parler?

M. Boisjoli: Je pense que Johane peut...

Mme Saint-Amour: Le seul dont on peut vous parler actuellement, c'est celui qu'on applique actuellement au Syndicat canadien de la fonction publique. Je pense que c'est vrai qu'il n'y a pas de programmes d'action positive qui ont été négociés. C'est vrai aussi que, lors de notre congrès, on s'est voté nous-mêmes l'imposition de le faire. C'était quand même un voeu des délégués et un voeu sérieux, je pense que j'ai assez argumenté à ce niveau. C'est important de les négocier pour nous, ces programmes, parce qu'on est un organisme syndical, et les programmes d'action positive influent énormément sur les conditions de travail ça doit passer, pour nous, par le processus de la négociation.

J'insiste encore sur l'argument que négocier, c'est engager tout un processus de sensibilisation auprès de nos membres, c'est fondamental pour assurer le succès de ces programmes d'action positive. Si on veut atteindre un changement des mentalités, à notre avis, comme organisme syndical, bien sûr, il faut passer par la négociation. On parle en tant qu'organisme syndical, on ne parle pas actuellement au nom des travailleurs non syndiqués. On comprend qu'ils sont confrontés à d'autres problèmes.

Mme Marois: Moi, c'est un peu pour compléter certaines questions que M. Bédard soulevait. D'abord, j'ai vu que M. Boisjoli était un très bon défenseur des droits des femmes. Je n'aurai pas d'éducation à faire, si je comprends bien, à son endroit, vous vous en êtes déjà chargées.

M. Boisjoli: Ma femme s'en est chargée aussi.

Mme Marois: C'est très bien. Je compte d'ailleurs sur toutes les femmes du Québec pour s'en charger. Vous venez de soulever qu'il y a des entreprises, évidemment, c'est encore le cas de la majorité des entreprises, où la syndicalisation n'existe pas. Comment y procède-t-on? La FTQ, entre autres, en a parlé beaucoup, et d'autres syndicats aussi, mais particulièrement la FTQ, qui a mentionné le fait que le syndicalisme avait un effet d'entraînement et venait améliorer l'ensemble des conditions des travailleurs et des travailleuses du Québec lorsqu'on négocie de grandes conventions ou des choses comme ça. C'est vrai, sauf que, dans ce secteur, est-ce que ça ne risque pas de rester des voeux pieux, s'il n'y a pas de notion d'obligation? C'est un élément de la question. Vous mentionnez toujours les quotas à l'embauche, ce qui me paraît une des mesures des programmes d'accès à l'égalité extrêmement importante et intéressante.

Mais qu'est-ce que vous avez comme pouvoir, en tant que syndicats, sur l'embauche? Cela m'inquiète un peu. Ce sont des questions que j'ai déjà posées à d'autres organismes, mais je veux voir ce que vous...

Mme Saint-Amour: C'est bien clair qu'on est préoccupé par ces questions. On a voté aussi, lors de notre dernier congrès, la présence d'un officier syndical lors des entrevues d'embauche. On est conscient des limites d'une telle résolution, mais je pense que ça démontre une voie importante pour penser à des moyens à ce niveau et pour essayer de négocier avec l'employeur des mesures importantes pour implanter des programmes d'action positive.

Bien sûr, on est limité à d'autres niveaux aussi. Je rappellerai aux membres de la commission l'immense problème auquel sont confrontés les syndiqués lorsqu'ils sont pris dans une structure d'accréditation qui regroupe des gens d'un même groupe d'emploi. On rencontre cela souvent chez les organismes chez nous, au SCFP. On est confronté à cela. Les techniciens, par exemple, sont dans une même unité d'accréditation, les groupes "bureau" dans une autre même unité d'accréditation. On comprendra que ce genre de limite légale imposée, ce fractionnement des unités d'accréditation rendent très difficile l'application des programmes d'action positive. Là-dessus, le gouvernement va devoir y voir aussi. En tout cas, c'est un constat.

Mme Marois: Ma question portait sur les endroits...

Mme Saint-Amour: Votre question concernait les...

Mme Marois: ... où il n'existe pas de syndicat. La notion d'embauche, comme vous le soulevez, c'est extrêmement difficile. Ce que vous avez proposé, c'est intéressant; encore faut-il le négocier, encore faut-il gagner, etc.

M. Boisjoli: Je pense que Gilles Racicot aurait quelque chose à dire à ce sujet.

M. Racicot (Gilles): Une réponse peut-être quant à la condition d'embauche et une interrogation à laquelle le ministre ne semble pas avoir eu de réponse, la question des quotas. Dans notre mémoire, on ne demande pas au gouvernement d'imposer des quotas, mais tout au long de la journée nous avons assisté à d'autres présentations de mémoires où on a entendu que c'est extrêmement difficile de mesurer les résultats. Pour nous, on dit que la négociation devrait aller jusqu'à la négociation de quotas pour permettre de bien évaluer le résultat des clauses qu'on pourra négocier quant à l'embauche.

Mme Marois: Là où il n'y a pas de syndicat?

M. Racicot: Évidemment, oui.

M. Boisjoli: II y a autre chose aussi, M. le ministre, une suggestion que je pourrais faire. Le gouvernement a donné des fonds à certaines centrales syndicales, à un moment donné, pour des cours sur la sécurité d'emploi et tout cela. Le gouvernement pourrait débloquer sûrement des fonds pour développer la conscience des programmes d'action positive.

Mme Marois: Vous n'avez pas, non plus, de réponse à la question: Là où il n'y a pas de syndicat?

M. Racicot: En fait, ce serait la même réponse que la FTQ vous a donnée. C'est la syndicalisation qui fait boule de neige qui entraîne cela.

M. Boisjoli: C'est fatal.

Mme Marois: C'est parce que c'est là qu'entre peut-être la notion d'obligation dans certains cas, lorsqu'il y a preuve de discrimination systémique, évidemment ce dont on parle depuis le début. La notion de volontariat, je la trouve intéressante. Ce qui est passionnant, c'est que, dans votre propre organisme, vous le faites, je trouve cela extraordinaire. C'est intéressant, la notion de négociation et d'implication de tout cela. Cela fait de l'éducation auprès des travailleurs et des travailleuses. C'est fantastique, sauf que, lorsqu'il n'y a pas de syndicat, qu'est-ce que c'est? C'est encore 70% des cas au Québec. Finalement, lorsqu'il y a preuve de discrimination, lorsqu'il y a plaintes et études, etc., à la limite, on n'a plus le choix d'avoir une notion d'imposition.

M. Boisjoli: Gilles?

M. Racicot: Un problème qui est bien évident et qui est sous-jacent à votre question, c'est: Est-ce que effectivement on devra, pour les conditions des travailleurs, dorénavant, se fier au gouvernement? On est porté à croire, au moment où on vous parle, qu'un gouvernement qui dit avoir un préjugé favorable à l'égard des travailleurs peut devenir démobilisateur en soi. À la longue, si on se limite uniquement à ce préjugé favorable qu'aurait un gouvernement ou un autre, je ne suis pas certain que l'évolution de la société va se faire au même rythme qu'elle s'est faite par le passé, par les actions qui ont été entreprises par les syndicats en général. Le problème que vous

soulevez est entier quand même, je le conçois. Mais je pense que, si, pour régler les problèmes d'une partie de la population, en même temps, on fait en sorte de freiner l'évolution de cette société en taisant ou en annihilant le travail d'un des moteurs de cette société qu'a été le syndicalisme, on n'atteindra pas plus nos buts à long terme.

Mme Marois: Je comprends que vous soulevez effectivement des correctifs à apporter au Code du travail ou des choses comme cela. J'ai compris cela aussi à travers votre mémoire.

M. Bédard: On parle de préjugé favorable aux droits et libertés. Ce qui m'inquiète un peu, c'est lorsque vous dites que ce doit être les syndicats qui décident. Je suis très heureux de constater leurs dispositions à cet effet, mais, lorsque vous dites que cela doit se faire par négociation, que ce sont les syndicats qui doivent, en définitive, presque décider, à ce moment, est-ce qu'on n'en vient pas à une situation qui fait que, quand il s'agit de droits et libertés, quand il s'agit de groupes discriminés, on s'en remet à des priorités fixées non pas par l'ensemble d'une société, mais par un groupe en particulier de cette société que je respecte, mais vous conviendrez avec moi que la question de principe est quand même là. (20 h 15)

Mme Saint-Amour: Je pense que c'est important de mentionner qu'on a abordé, lors de notre congrès, la question des programmes d'action positive dans un cadre syndical. Il faut l'avouer. On n'a pas abordé la question des non-syndiqués et on reconnaît qu'il y a là un problème.

M. Bédard: Ou de tous les autres groupes où il y a discrimination qui ne sont pas nécessairement dans...

Mme Saint-Amour: À l'école.

M. Boisjoli: La notion de programmes d'action positive, M. le ministre, vient pas mal des États-Unis, je pense, des groupes minoritaires, des groupes populaires qui ont apporté ces notions de programmes d'action positive; ce n'est pas venu des gouvernements. Cela continue de se développer. Ce n'est pas parti de là. Ici non plus, ce n'est pas parti des gouvernements, je pense. On a embarqué là-dedans, on a débattu l'affaire et on continue à débattre notre affaire, mais ce qu'on ne veut pas justement, c'est qu'on mette des freins terribles - on en parlé tout à l'heure - pour empêcher tout cela, empêcher en voulant bien faire, sûrement. Je ne doute pas de la bonne volonté déployée ici, mais ce que nous vous disons, je vais vous le répéter, et vous l'avez noté tantôt. Laissez-nous aller. Je pense qu'on y va bien. Vous pouvez nous aider, l'aide on en a toujours besoin. Vous pouvez nous aider par plusieurs mécanismes, mais des impositions, je vous le dis, cela me fait peur, cela me fait très peur.

Mme Marois: II y a juste une chose sur laquelle je voudrais revenir, c'est à la suite de groupes de pression finalement, que ce soit aux États-Unis ou ailleurs, qu'il y a eu des lois adoptées aux États-Unis.

M. Boisjoli: Oui.

Mme Marois: L'autre jour, le représentant de la FTQ soulignait qu'en Suède c'était négocié par les syndicats. Il y a eu des changements qu'on n'avait pas. Je comprends qu'on ne les ait pas. Il y a des lois qui ont été adoptées, entre autres, en 1980 et à la fin de 1976 où on va jusqu'à l'imposition même de normes très précises, par exemple, que - c'est un décret gouvernemental - l'employeur doit veiller à ce que des candidats des deux sexes posent leur candidature et, au besoin, faire le nécessaire, notamment, en organisant des moyens de formation professionnelle pour que les femmes et les hommes soient répartis également dans les divers emplois et classes de travailleurs. Lorsqu'il y a déséquilibre, l'employeur devra, au moment de recruter de nouveaux travailleurs, faire un effort spécial pour attirer des candidatures de personnes du sexe qui est sous-représenté et veiller à ce que leur proportion augmente progressivement. Il y a quand même des gouvernements qui sont allés dans les faits, dans les lois, etc.

M. Boisjoli: Mais, à Radio-Canada, entre autres, cela existe tout cela et allez voir ce que cela change, cela n'a rien changé du tout.

Mme Marois: II y a une volonté politique nécessaire aussi.

M. Boisjoli: C'est à la base qu'il va falloir le changer.

M. Bédard: On vous remercie beaucoup de vos représentations. On vous avait dit qu'il n'y aurait pas tellement de questions.

Mme Marois: On n'a pas été capable de se retenir.

M. Bédard: Étant donné l'intérêt que vous suscitez, l'éclairage que vous venez de donner est très heureux pour l'ensemble des membres de la commission.

M. Boisjoli: Je vous remercie.

Le Président (M. Desbiens): Nous vous remercions.

Mouvement québécois pour combattre le racisme

J'invite le Mouvement québécois pour combattre le racisme à s'approcher, s'il vous plaît. M. Jacquelin Télémaque. Est-ce que M. Gaston Hervieux est là? Si vous voulez vous approcher, s'il vous plaît, M. Hervieux!

M. Hervieux (Gaston): M. le Président, avant de commenter le mémoire que j'ai déposé à la commission parlementaire, j'aimerais poser une question à M. le ministre de la Justice, M. Marc-André Bédard, ou à son représentant.

M. Marx: II faudra le mettre dans la boîte aux témoins.

M. le Président (Desbiens): II ne devrait pas être loin. Ce ne sera pas long. On va suspendre quelques secondes.

(Suspension de la séance à 20 h 21)

(Reprise de la séance à 20 h 26)

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, s'il vous plaît! Mesdames, messieurs, la commission élue permanente de la justice reprend ces travaux.

M. Hervieux avait une question préliminaire à poser au ministre.

M. Hervieux (Gaston): M. Marc-André Bédard, j'aurais une question à vous poser en tant que ministre de la Justice responsable de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.

Le fait d'être responsable de l'application de la Charte des droits et libertés de la personne exempte-t-il d'y être assujetti comme tout citoyen?

M. Bédard: Non, au contraire, on y est assujetti encore plus que n'importe quel citoyen.

M. Hervieux: Je vous remercie beaucoup. Maintenant, je vais passer aux commentaires, je vais commenter immédiatement le mémoire que j'ai déposé pour la commission. Je vous remercie, M. le Président.

Mesdames, messieurs les députés, vous tous réunis ici pour représenter les droits individuels et collectifs, je m'adresse à vous pour faire valoir un droit, le droit d'appel.

Après le dépôt d'une plainte à la Commission des droits de la personne du Québec le 7 février 1979, la commission décidait d'ouvrir une enquête sur des événements survenus au module d'animation, recherche culturelle, à l'Université du Québec à Montréal et ce, en vertu de l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne.

Pendant la durée de l'enquête, j'ai demandé à la Commission des droits de la personne le retrait de la chargée d'enquête pour inaptitude à remplir son mandat référence: le document En coulisse; c'est le titre du document - ce qui me fut refusé. C'est le document que je compte remettre à M. le Président.

Au terme d'une enquête qui aurait été complétée, la commission a rendu public un rapport sommaire - c'est ce document-là -pour la fermeture de mon dossier; référence no M-M01,481-1. Le sommaire produit par la commission est de nature répréhensible, il constitue une atteinte illicite et intentionnelle à la personne.

L'analyse du sommaire fait état de la gravité de la situation. Il s'agit du document qui est joint au sommaire; l'analyse est faite paragraphe par paragraphe.

Je suis victime de discrimination de la part de la Commission des droits de la personne en vertu de l'article 10 de la charte des droits et libertés pour des raisons d'ordre idéologico-politique.

Mme la présidente de la Commission des droits de la personne a refusé de prendre la situation en considération en m'incitant à intenter une action contre la Commission des droits de la personne devant les tribunaux.

L'article 86 de la charte prévoit qu'une action civile ne peut être intentée en raison ou en conséquence de la publication d'un rapport de la commission en vertu de la charte ou de la publication faite de bonne foi d'un extrait ou d'un résumé d'un tel rapport. Les articles 1239, 1240 et 1241 du Code civil de la province de Québec expliquent le fondement de l'article 86 de la charte. La présomption légale à l'article 86 de la charte déroge à l'article 50 de la charte, elle devrait être abrogée.

L'abrogation de l'article 86 de la charte devrait susciter davantage le respect entre tous et l'exercice de la responsabilité de chacun à l'égard des autres et du bien-être général.

Le droit d'une personne de pouvoir faire la preuve du contraire de ce qu'une personne prétend être de bonne foi ou de mauvaise foi devrait se retrouver dans la charte des droits et libertés. Référence article 2202 du Code civil du Québec. (20 h 30)

Les expressions "de bonne foi" ou "de mauvaise foi" contenues dans les articles 20, 77 et 87 de la charte devraient être révisées conséquemment au paragraphe précédent se rapportant à l'article 86 de la charte.

Devraient être notamment ajoutés à la charte les mots "personnes responsables de

l'application de la charte". Mais là-dessus M. le ministre a déjà répondu. C'était en référence à l'article 61 de la charte.

Devrait également être amendé l'article 67 f) de la charte en ajoutant, à f), "coopérer avec toute personne et ou tout organisme du Québec."

L'article 49 de la charte me confère le droit d'appel de la position adoptée par la Commission des droits de la personne dans le sommaire, malgré le refus de Mme la présidente de ladite commission. Voir l'interprétation de l'article 88 de la charte.

La position des membres de ladite commission ci-haut mentionnée, responsables dans ledit dossier précité, sous-entendait-elle une allégeance idéologico-politique en affinité avec celle du groupe de professeurs noyautés au sein du rassemblement d'animation et recherches culturelles à l'Université du Québec à Montréal? Il s'agit du groupe qui a détourné les enseignements dans les programmes d'animation et recherches culturelles à l'UQAM à des fins partisanes et contre qui j'ai dû prendre position pour défendre mes droits et libertés.

M. Rodrigue Tremblay, ancien ministre de l'industrie et du commerce, lors de sa démission du Parti Québécois, n'avait-il pas raison de prétendre publiquement que le gouvernement n'était pas là pour servir les intérêts de la population, mais bien la manipuler dans ses idées préconçues?

Je requiers de l'Assemblée nationale du Québec, par le biais de la présente commission parlementaire, en vertu des droits individuels et collectifs, que le droit d'appel soit intégré à la Charte des droits et libertés de la personne et que soient mis en place les mécanismes pour assurer et garantir ce droit.

Que la Commission parlementaire de la justice concernant la Charte des droits et libertés de la personne, par l'entremise de l'Assemblée nationale du Québec, m'accorde le droit d'appel et de révision de la position adoptée par la Commission des droits de la personne du Québec dans le dossier no M-M01,481-l.

Je vous remercie, mesdames et messieurs les députés. Si vous voulez, je voudrais vous remettre la copie de mon allocution avec les documents, les pièces jointes que...

Le président (M. Desbiens): Justement je voulais faire une remarque là-dessus. Il n'y a pas de dépôt de documents... Le règlement ne prévoit pas de dépôt de documents en commission parlementaire. Sauf que si vous en avez, vous pouvez les distribuer vous-même si vous le désirez.

M. Hervieux: C'est ce que je vais faire. Le président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Bédard: M. Hervieux, je vous remercie de votre contribution aux travaux de cette commission. Nous allons faire un échange de bons procédés. Vous m'avez posé une question, je vais vous en poser une. Même si la Commission des droits de la personne a rendu une décision dans le sens qu'il n'y avait pas de discrimination dans votre cas, qu'est-ce qui vous empêche, parce que ce serait votre droit, d'intenter personnellement des procédures devant les tribunaux? C'est votre droit.

M. Hervieux: Premièrement, M. le ministre, que je sache, la commission ne rend pas de décision; selon la loi, elle n'est pas tenue de rendre une décision. Dans un deuxième temps, j'ai déjà pris une action en cour civile contre l'Université du Québec à Montréal, à la Cour supérieure, mais si je suis ici aujourd'hui, pour la commission et la charte, c'est que j'ai vu des articles qui m'empêchaient justement de faire valoir mes droits, et la Commission des droits de la personne a pris plus de deux ans pour rendre une décision dans mon dossier. La décision est vraiment, comme je le disais, répréhensible, c'est une atteinte illicite et intentionnelle à la preuve des documents que j'ai déposés, des documents d'analyse sur le sommaire produit par la commission. Donc, on peut supposer que ce n'est que certains responsables qui ont pris position.

À ce moment-là, l'Université du Québec peut fonder elle-même sa prise de position par rapport aux dossiers à la Cour supérieure sur le jugement de la Commission des droits de la personne. Alors, je n'ai pas d'autres recours que de me rendre ici pour vous demander que soit révisée cette position, à l'appui des documents que j'ai déposés pour qu'enfin, on ne puisse pas se servir d'un tel... si on peut appeler ça un jugement, c'est presque un jugement, c'est un rapport rendu public, que l'Université du Québec elle-même ne puisse se servir d'un tel document qui est faux, que je considère un dol, une fraude.

Disons que c'est un dossier très complexe. Peut-être qu'à première vue, vous ne pourrez pas analyser les documents à l'appui, mais ce sont des documents de base, préliminaires. Il y a d'autres documents qu'on pourrait même qualifier de documents d'enquête indépendants de la Commission des droits de la personne, à la suite des enquêtes qui ont été faites sur les agissements des gens à l'Université du Québec et qui démontrent très bien que le jugement de la Commission des droits de la personne est vraiment dilatoire, dans un premier temps, et discriminatoire.

Je maintiens ma position là-dessus avec des documents à l'appui, des documents

d'analyse. Moi-même, j'ai fait ma propre enquête, parce que je calculais que la Commission des droits de la personne n'était pas apte à défendre mes droits. J'ai dû me battre de toutes les façons possibles, même ma situation sociale était des plus dégradantes. Entre autres, même si j'ai droit à l'aide juridique, je n'ai même pas le droit à l'aide technique. Quant à l'aide sociale, ç'a été une lutte de près d'un an avant d'avoir le droit à l'aide sociale parce que, si je voulais faire une enquête, je n'avais pas les moyens de faire les deux en même temps. Comme j'expliquais dans mon premier document le mémoire, je n'étais pas ici pour faire état du cas dans l'ensemble mais expliquer la situation de la façon la plus synthétisée possible, pour que vous puissiez en prendre connaissance et rendre une décision à cet effet.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: M. Hervieux, on s'est déjà parlé de votre cas et je vous remercie d'être venu présenter votre mémoire devant la commission. Je pense que c'est votre dernier recours, si je peux le dire comme ça, sans aller devant les tribunaux, parce que la charte est là et l'Assemblée nationale n'est pas ici pour manipuler la charte pour ou contre un individu ou un groupe d'individus. S'il y a des recours, à vrai dire, à mon avis, l'Assemblée nationale ne pourrait pas intervenir.

M. Hervieux: Je pourrais préciser, il me semble, que vous tentez de fuir ce que j'ai apporté. J'ai apporté l'idée que l'article 86 devait être abrogé ou amendé dans le sens que l'article 86 empêche tout recours contre un organisme ou des personnes qui auraient eu un parti pris ou auraient commis une fraude au sein d'un organisme gouvernemental et particulièrement dans l'application de la charte, à moins que je ne me trompe.

M. Marx: Un instant, je vais relire l'article 86. L'article 86 prévoit: "Aucune action civile ne peut être intentée en raison ou en conséquence de la publication d'un rapport de la commission en vertu de la présente charte, ou de la publication, faite de bonne foi, d'un extrait ou d'un résumé d'un tel rapport".

M. Hervieux: C'est ce qu'on appelle une présomption légale.

M. Marx: Pas une présomption légale, c'est une immunité qu'on donne à toute commission au Québec. Si vous pensez que la Commission des droits de la personne était de mauvaise foi, vous pouvez, si vous voulez, intenter une action devant la Cour supérieure. Si vous pouvez prouver la mauvaise foi de la commission, peut-être le juge vous accordera-t-il des dommages-intérêts.

M. Hervieux: Donc, il faut se demander ce que ça fait là, cet article. C'est ce que vous êtes en train de me dire. Vous êtes en train de me dire: Pourquoi ont-ils mis ça là? Finalement, on peut le contrecarrer, on peut prendre une action devant la Cour supérieure et faire la preuve de la mauvaise foi. Je pense que ce n'est pas honnête de mettre ça dans une charte quand, tout simplement, on peut l'enlever complètement et ça revient au même.

M. Marx: Non, je m'excuse, mais vous avez mal compris la portée de l'article. Si la commission est de mauvaise foi, l'article tombe. L'article donne l'immunité à la commission seulement quand la commission est de bonne foi.

M. Hervieux: Excusez-moi de vous interrompre, mais j'ai insisté et je crois que le 13 ou le 14 octobre vous avez dit: La bonne foi se présume toujours. Donc, entre vous et moi, à ce moment-là, qu'est-ce que ça vient faire là, si la bonne foi est toujours présumée?

M. Marx: C'était seulement pour préciser dans la charte. Dans le Code civil...

M. Hervieux: Article 22.02.

M. Marx: Oui, dans ce sens, peut-être est-ce une répétition, c'est à vérifier. Mais je sais que cet article se trouve...

M. Bédard: Je vais prendre connaissance des conseils de mon collègue d'en face.

M. Marx: Je suis prêt à me renseigner chaque jour, chaque minute, devant n'importe qui. Peut-être est-ce une répétition inutile.

M. Hervieux: Elle devient utile à partir du moment où des gens se heurtent à cela. Des personnes comme la présidente de la Commission des droits de la personne nous disent: Allez devant les tribunaux et on se frappe à un tel article. Déjà, ça peut être interpété comme une tactique de découragement au départ.

M. Marx: Supposons qu'on abroge l'article, comme vous l'avez souligné, on aura l'article dans le Code civil qui présume de la bonne foi. Donc, vous serez dans la même position; ce sera nécessaire pour vous de prouver la mauvaise foi de la commission.

M. Hervieux: Je suis entièrement

d'accord avec vous, mais à partir du moment où...

M. Bédard: Vous comprendrez l'importance de cet article en faisant la comparaison avec les tribunaux ordinaires. S'il fallait que les juges qui ont à rendre des jugements, les membres de tribunaux administratifs qui ont à rendre des jugements soient dans la situation de pouvoir être poursuivis en dommages-intérêts à partir de tous les jugements qu'ils auraient rendus, ce serait une situation inacceptable. Personne ne pourrait accepter d'assumer des responsabilités de cette nature s'il n'y avait pas une immunité prévue en leur faveur, à la condition, naturellement que ces personnes exercent leur autorité de bonne foi.

Ceci est vrai tant pour les personnes que je viens de mentionner, juges, membres de commission, etc., ou membres de la Commission des droits de la personne qui ont à rendre publics des avis. C'est vrai pour tous ces gens. Si, à un moment donné, un citoyen pense qu'il n'y a pas eu bonne foi, qu'on n'a pas fait preuve de bonne foi à propos d'une décision à rendre, à ce moment-là, sur preuve de mauvaise foi, vous pouvez exercer un recours. C'est normal que le citoyen, à ce moment-là, ait à faire la preuve de la mauvaise foi, sinon, il n'y aura plus de jugement possible.

M. Hervieux: J'aurais quand même une question à vous poser. Est-ce que vous croyez que c'est vraiment nécessaire d'être obligé de prendre une action devant la Cour supérieure contre un organisme qui, quand même, représente...

M. Bédard: Je pense qu'on est allé à la limite de ce qu'il est normal de faire parce que la commission ne voudrait quand même pas commencer à se conduire comme un conseiller juridique. À partir de ce que nous venons de vous dire, c'est à vous de juqer s'il y a lieu de voir un avocat. (20 h 45)

M. Hervieux: La question est de savoir si c'est vraiment nécessaire d'être obligé d'intenter une action en Cour supérieure alors qu'on peut tout simplement déposer devant l'Assemblée nationale dans des cas très précis et s'il y a quelqu'un qui s'occupe de cela pour vérifier d'abord. Je calcule que c'est quand même quelque chose d'important. C'est un geste important à poser.

M. Marx: Vous êtes au courant qu'il y a trois pouvoirs dans notre système: le pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif. On essaie de les garder dans des compartiments assez étanches pour que l'un n'empiète pas sur l'autre. Ici, on ne veut pas empiéter sur le pouvoir judiciaire. Votre recours, c'est devant les tribunaux. On ne peut pas changer cela, malheureusement peut-être pour vous, mais heureusement pour beaucoup de vos concitoyens. Si vous pensez que vous avez une bonne cause, vous devez aller devant les tribunaux. Vous pouvez y aller seul si vous voulez. Vous savez cela.

M. Hervieux: Mais, si on va devant les tribunaux, est-ce qu'on peut invoquer la charte contre la commission?

M. Marx: C'est cela.

M. Hervieux: Et, à ce moment-là, demander soit le recours...

M. Marx: Vous pouvez utiliser la charte même contre la Commission des droits de la personne, qui est liée par la charte.

M. Hervieux: Cela répond à ma question.

M. Marx: Vous pouvez plaider votre propre cause, si vous voulez. C'est la grande liberté qu'on a ici. Vous pouvez plaider jusqu'en Cour suprême du Canada si on vous donne la permission d'en appeler.

M. Hervieux: Mais cela ne règle toujours pas la question du droit d'appel que beaucoup d'autres ont revendiqué, d'ailleurs, sous différentes formes.

M. Marx: Le droit d'appel a été revendiqué par un autre groupe, avant vous, et j'imagine que le ministre - je ne veux pas parler pour lui - va considérer cette question lors de l'étude qui sera faite de la charte.

M. Bédard: Comme toutes les autres représentations qui ont été faites.

M. Marx: C'est cela.

M. Hervieux: J'ai terminé. Je vous remercie beaucoup.

M. Bédard: Merci, monsieur.

Le Président (M. Desbiens): Je vous remercie. Est-ce qu'il y a d'autres interventions? Est-ce que l'audition des mémoires est terminée?

M. Bédard: M. le Président.

M. Marx: Je n'ai rien préparé, je vais vous écouter.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee.

Conclusions M. Marx: Merci, M. le Président. J'ai

juste deux ou trois remarques à faire assez brièvement.

Premièrement, j'ai été un peu étonné par l'intérêt que les Québécois ont pour la Charte des droits et libertés de la personne parce qu'on a reçu 70 personnes et groupes. Ce sont des Québécois et des Québécoises qui sont venus de divers milieux et ils ont fait beaucoup de suggestions dans le sens d'améliorer la charte. Par exemple, ils ont suggéré qu'on ajoute l'âge, à l'article 10, comme motif de non-discrimination, de même que le harcèlement. Ils ont exigé très fortement qu'on abroge l'article 90. À peu près tout le monde était pour l'action positive. Comme je l'ai souligné au début des travaux de la commission, l'Opposition officielle est d'accord pour qu'on fasse certaines améliorations à la charte et c'est même dans notre programme, notre livre rouge.

J'espère que les travaux qu'on a faits vont mener quelque part à quelque chose et que le ministre va déposer un projet de loi pour qu'on améliore la charte. Il y a aussi le problème de l'application de la charte. On a entendu des gens de l'Outaouais, ce soir même, qui ont dit que c'est difficile de faire valoir des droits dans la charte, dans l'Outaouais, étant donné qu'il n'y a pas de bureau régional, que Montréal est loin d'Ottawa et qu'ils sont mal servis, à cause d'un manque de bureaux à Hull, par la Commission des droits de la personne.

Il y a aussi, bien sûr, un manque de ressources à la commission, un manque de personnel, et on ne peut pas donner juste les responsabilités à la Commission des droits de la personne sans lui donner aussi des ressources pour accomplir son mandat.

En conclusion, j'aimerais souligner une autre fois que ce serait très important d'enchâsser les droits fondamentaux dans les lois du Québec pour qu'il ne soit pas possible pour l'Assemblée nationale de passer outre à ces droits fondamentaux en adoptant une loi et en stipulant malgré la charte. C'est tout ce que j'ai à dire en ce moment. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Bédard: M. le Président, à l'issue des travaux de cette commission qui ont duré, on m'en informe, au-delà de 45 heures d'audition, je pense bien que personne ne s'attend que nous fassions le tour de tous les sujets qui ont été évoqués par les différents mémoires présentés par les groupes.

Je me contenterai de remercier tous les groupes que nous avons entendus au cours des travaux de cette commission, de leur contribution très positive à l'avancement des droits et libertés pour l'ensemble de la collectivité québécoise.

Je voudrais vous remercier, M. le Président, du travail de patience que vous avez accompli tout au long de nos travaux, et remercier également tous les membres de la commission parlementaire, y compris mes collègues de l'Opposition. Nous pouvons dire que nous avons essayé ensemble de travailler de la façon la plus positive, la plus respectueuse possible en fonction des groupes qui sont venus faire des représentations ici.

Parmi ces groupes, il est normal de souligner le mémoire qui a été présenté par la Commission des droits de la personne, et de souligner aussi avec plaisir le fait que la présidente de la Commission des droits de la personne, accompagnée de plusieurs de ses collègues de la commission, sont demeurés avec nous tout au long des travaux de cette commission. Ils ont été à même de constater comme nous que tout n'est pas parfait. Il y a des améliorations - comme c'est le cas dans d'autres secteurs - possibles dans le domaine des droits et libertés.

Le nombre de mémoires que nous avons entendus de groupes qui se sont présentés, est la meilleure illustration de la nécessité qu'il y avait d'une commission parlementaire sur la Charte des droits et libertés de la personne et la meilleure illustration de l'intérêt que porte la collectivité québécoise à l'amélioration constante de la charte québécoise des droits et libertés.

Nous avons eu, tout au cours des travaux de cette commission, un éventail d'opinions qui va alimenter de façon tout à fait spéciale la réflexion que nous avons maintenant à faire et qui doit nécessairement se concrétiser par la présentation d'un projet de loi à l'Assemblée nationale.

La diversité des représentations que nous avons eues est aussi la meilleure illustration qu'il faut quand même s'accorder un temps de réflexion avant d'en arriver à la rédaction très précise de décisions qui devront être prises. Des consensus se sont quand même dégagés sur certains points - je pense qu'on peut facilement le dire - entre autres, concernant les programmes d'accès à l'égalité, concernant la nécessité de faire disparaître toute discrimination en ce qui a trait aux avantages sociaux, un consensus assez large aussi en ce qui a trait au harcèlement sexuel, même si on a été à même de constater que, quand on est confiné à devoir donner une définition très précise à cette nouvelle notion qui a été mise de l'avant, il y a toute une diversité d'opinions, ce n'est pas un travail facile à faire. La même chose si on parle des programmes d'accès à l'égalité, des avantages sociaux. S'il y a un consensus de principe qui s'est dégagé d'agir dans ces domaines, il reste que, sur le plan des modalités, nous avons eu droit, comme il fallait s'y attendre, encore là à une diversité d'opinions qui oblige une

réflexion un peu plus poussée avant d'en arriver définitivement à la formulation de textes légaux.

Concernant les demandes qui ont été appuyées par tout le monde à l'effet de donner plus de ressources à la commission, je tiens à dire que je suis très sensible aux revendications qui ont été faites et qui sont justifiées. J'essaierai de me faire le meilleur avocat possible de ces demandes, tout en tenant compte du contexte que tout le monde connaît et dans lequel nous vivons.

En terminant, il est peut-être opportun de signaler que le gouvernement du Québec, par une décision prise à cet effet par le Conseil des ministres très récemment, a accordé son consentement à la ratification de la convention internationale sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes. Adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies, cette convention, je vous le rappelle, engage les États signataires à prendre les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour assurer l'égalité des femmes et des hommes et ce, notamment, dans les domaines politique, social, économique et culturel. Déjà, l'état actuel de nos législations place le Québec à l'avant-garde dans cette matière puisqu'il permet une application concrète des principes énoncés dans cette convention. C'est très important au niveau des conventions internationales, étant donné que les discussions que nous avons eues au niveau de cette commission, d'où se sont dégagés des consensus pour aller encore plus loin dans bien des secteurs du domaine des droits et libertés, sont de nature à motiver et à justifier le Conseil des ministres d'en arriver à cette décision.

De plus, l'intention que nous avons manifestée d'apporter des modifications à la charte des droits et libertés concrétise davantage notre engagement. Le Québec souhaite donc maintenant que le gouvernement fédéral accélère le processus de ratification de cette convention. (21 heures)

Enfin, non seulement pour répondre à une question de mon collègue de l'Opposition, le député de D'Arcy McGee, mais également des questions qui ont été posées en ce sens par les groupes, c'est clair que je vous annonce l'intention de déposer à l'Assemblée nationale un projet de loi amendant la Charte des droits et libertés de la personne sur ces sujets et sur certains autres qui ont été soulevés au cours de nos travaux. Ce projet de loi sera déposé le plus rapidement possible, c'est-à-dire de façon réaliste au cours de la présente session. Une décision sera alors prise, à savoir si une commission parlementaire devra être convoquée pour réentendre les groupes, associations et individus. Il s'agira d'évaluer rapidement les réactions qui, j'en suis convaincu ne tarderont pas à se faire connaître lorsque le projet de loi sera déposé. Pour ce qui est d'une commission parlementaire additionnelle, à la suite du dépôt du projet de loi, cette décision sera prise, je tiens à le dire, à la lumière de l'expérience qu'on a vécue avec le projet de loi 89.

M. le Président, c'est l'essentiel des remarques que je voulais faire à l'issue des travaux de cette commission. Encore une fois, merci à tous ceux et celles qui y ont participé et qui y ont contribué de quelque manière que ce soit. On ne pourra pas donner suite à toutes les suggestions, je pense que ça va de soi. Toutes ces personnes auront quand même contribué, j'en suis convaincu, à l'avancement du respect des droits et libertés au niveau de la société québécoise.

M. Marx: Je veux juste féliciter le ministre et le Conseil des ministres pour avoir signé cette convention internationale en ce qui concerne la non-discrimination vis-à-vis des femmes. C'est tout à fait souhaitable qu'on agisse de cette façon. Cela va de soi que vous avez la coopération de l'Opposition officielle.

M. Bédard: Je peux vous dire qu'avec la collaboration de ma collègue, la ministre d'État à la Condition féminine, et la collaboration du ministre des Affaires intergouvernementales, le travail n'a pas été difficile pour convaincre le Conseil des ministres d'en arriver à cette décision.

Le Président (M. Desbiens): Avant d'ajourner nos travaux, je vais demander à la rapporteur désignée de faire rapport à l'Assemblée nationale le plus tôt possible. Je constate que la commission élue permanente de la justice a rempli le mandat qui lui avait été confié par l'Assemblée nationale. Je vous remercie, madame et messieurs, de votre collaboration et j'ajourne les travaux sine die.

(Fin de la séance à 21 h 03)

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