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Version finale

31st Legislature, 4th Session
(March 6, 1979 au June 18, 1980)

Friday, May 18, 1979 - Vol. 21 N° 88

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Question avec débat: La place occupée par les sociétés d'État québécoises dans la stratégie de développement économique du Québec


Journal des débats

 

Question avec débat

(Dix heures cinq minutes)

La Présidente (Mme Cuerrier): La commission permanente de la présidence du conseil et de la constitution se réunit, ce matin, pour discuter la question avec débat du député de Lotbinière, au ministre d'État au développement économique. Le sujet est le suivant: La place occupée par les sociétés d'État québécoises à l'intérieur de la stratégie de développement économique du Québec.

M. le député de Lotbinière et chef de l'Union Nationale.

Exposé du sujet

M. Rodrigue Biron

M. Biron: Merci, Mme la Présidente. D'abord je veux remercier le ministre d'avoir accepté d'être ici aujourd'hui malgré toutes ses autres occupations, pour discuter d'un sujet qui intéresse non seulement les députés de l'Union Nationale, mais aussi, j'en suis convaincu, à peu près tous les Québécois. Nous avons parlé à plusieurs reprises des sociétés d'État, de la gestion des sociétés d'État depuis maintenant un an et le ministre lui-même nous a parlé aussi de la place des sociétés d'État dans sa stratégie de développement économique du Québec.

C'est un peu surtout ça que je voudrais discuter avec lui ce matin, pour savoir comment les sociétés d'État peuvent intervenir dans le développement économique du Québec ou comment ces sociétés pourraient être encore plus utiles qu'elles ne le sont aujourd'hui pour permettre à des travailleurs, à des chômeurs, à des bénéficiaires d'aide sociale, à des étudiants et, surtout, à tous ceux qui sont à la recherche d'un emploi, de pouvoir avoir un meilleur lendemain.

En définitive, cette question avec débat concerne une facette importante de l'avenir économique du Québec. En effet, cette question touche vraiment deux sujets importants, dont l'un est de nature beaucoup plus générale et l'autre de nature plus spécifique. Lorsqu'on parle de la place occupée par les sociétés d'État québécoises à l'intérieur de la stratégie de développement économique du Québec, on parle en effet de deux choses: Premièrement, de l'existence d'une véritable stratégie de développement économique du Québec, qui, pou le moment, fait défaut. Le ministre va me dire que lorsqu'il est arrivé en place il y a deux ans et demi, il n'y en avait pas, il y en a peut-être un squelette maintenant, mais, quand même, je voudrais savoir où on en est rendu avec cette stratégie de développement économique du Québec.

La deuxième chose dont on parle, lorsqu'on traite de stratégie de développement, c'est la place justement que le gouvernement veut donner aux sociétés d'État à l'intérieur de cette stratégie de développement économique.

Donc, premièrement, est-ce qu'il y en a une? Où est rendue cette stratégie? Deuxièmement, comment les sociétés d'État vont-elles intervenir ou quelle va être leur participation? Lors du dernier sommet économique, le ministre a fait état à plusieurs reprises que 1979 serait enfin l'année de l'économie, qu'en 1979 le gouvernement rendrait publique une véritable politique de développement économique, demande, faut-il le répéter, qui fait l'objet de revendications de l'Union Nationale depuis le mois de novembre 1976. Qu'après plus de deux ans et demi au pouvoir, le gouvernement ait décidé de passer à l'action, je pense que c'est un strict minimum.

Je voudrais, dans un premier temps, que le ministre nous dise où en est rendu le gouvernement dans sa réflexion sur les énoncés de politique économique qu'il doit rendre publics d'ici quelques mois. Il m'a dit, il y a deux semaines environ, que ça prendrait peut-être quelques mois. Je voudrais savoir si on peut espérer être informés, vers la mi-juillet ou quelque chose comme ça, ou à une date précise, où le gouvernement veut aller et dans quelle direction il va aller.

Aussi, s'agira-t-il d'énoncés de nature globale qui toucheront à tous les secteurs de la vie économique ou devons-nous nous attendre à des déclarations de nature plus limitée, qui ne s'attarderont qu'à un, deux ou trois secteurs de l'économie? En particulier, on connaît maintenant la stratégie vis-à-vis des pâtes et papiers, vis-à-vis de l'amiante, mais est-ce qu'on va prendre secteur par secteur ou si ça va être véritablement global? Est-ce qu'on va nous parler de l'énergie des forêts, des mines, des PME, des investissements étrangers? Est-ce qu'on va nous parler aussi d'une stratégie qui va s'attaquer aux différentes régions du Québec? Est-ce qu'on va faire un effort spécial dans une région plutôt que dans l'autre, dans la région de Montréal en particulier?

En somme, est-ce qu'on s'en va vers une politique économique globale ou vers quelque chose qui ressemblera beaucoup plus à des cataplasmes dans des secteurs particuliers? J'ai espérance qu'aujourd'hui le ministre pourra nous fournir ce qu'on pourrait considérer tout au moins comme un rapport d'étape sur l'état de sa réflexion et de celle de ses collègues à vocation économique, réflexion qui dure depuis déjà deux ans et demi et qui se fait attendre.

Il me semble évident que toute stratégie de développement économique émanant de la part du gouvernement doit tenir compte, entre autres, du rapport de forces existant entre le secteur public et le secteur privé. C'est un secret de polichinelle pour tous les Québécois, surtout depuis le début de la Révolution tranquille, que leur gouvernement provincial a favorisé une intervention toujours plus grandissante et coûteuse de l'État dans le domaine de l'économie, qu'il s'agisse de la création de

sociétés d'État, de sociétés mixtes, publiques et privées, de subventions gouvernementales de toutes sortes, par exemple Tricofil, ainsi de suite, donc une intervention gouvernementale toujours plus accrue.

J'aimerais que le ministre, ce matin, aborde franchement et sans faux-fuyant cette question qui me paraît tout à fait névralgique et qui nous permettra de voir clairement la véritable conception du gouvernement relativement au développement économique du Québec. Que fera le gouvernement et que fera le secteur privé dans cette conception de développement économique du Québec? En somme, pour évaluer la place que le gouvernement veut donner au secteur public dans sa nouvelle politique économique, il faut, à mon avis, savoir ce que le gouvernement réserve également à l'entreprise privée. Ce qui nous permettra d'établir tout au moins des bases de comparaison et de savoir, une fois pour toutes, si le gouvernement du Parti québécois désire créer un meilleur équilibre entre ces deux secteurs de notre vie économique. C'est pourquoi en vous demandant quelle sera la place des sociétés d'État à l'intérieur des énoncés de politique économique que vous rendrez publics d'ici peu, je m'attends à ce que vous nous donniez également un aperçu tout au moins de la place qu'occupera l'entreprise privée.

Est-ce qu'il y aura d'autres nationalisations? On a vu, depuis deux ans et demi, l'assurance automobile, on voit l'amiante, on vit présentement la nationalisation de l'amiante, est-ce qu'il y en aura d'autres et quelle sera la place de l'entreprise privée?

Ce n'est pas pour rien que l'Union Nationale a insisté, depuis maintenant plus de deux ans, avec encore plus de vigueur, lors de la fin de la dernière session, pour que le gouvernement s'occupe avec encore plus de rigueur et de détermination, et surtout plus de cohérence, du fonctionnement et de la performance de nos sociétés d'État.

Il faut bien se rendre compte que, lorsqu'on parle des sociétés d'État québécoises, on parle d'actifs qui dépassent les $22 milliards et qui touchent directement à plus de 35 000 travailleurs du Québec, dans toutes les régions et dans tous les secteurs de l'activité économique de notre province.

Compte tenu des mises de fonds importantes que l'État a englouties dans les nombreuses sociétés d'État à caractère industriel, commercial ou financier, depuis plus de 20 ans, je pense que ce n'est que faire preuve de responsabilité que d'exiger, de la part du gouvernement, une attention plus poussée et plus sérieuse sur le rôle et les activités de l'entreprise publique dans la vie économique de la province.

Dans un premier temps, nous avons voulu agir là où nous avions la possibilité d'être le plus efficaces, à titre de représentants élus à l'Assemblée nationale. C'est non sans satifaction que nous avons constaté l'accueil unanime de tous les partis politiques représentés à l'Assemblée nationale, à notre requête de mettre sur pied, dans les plus brefs délais, une commission permanente de l'Assemblée nationale, pour mieux surveiller le fonctionnement et la performance de nos sociétés d'État. Déjà, cette commission est en train d'élaborer sa façon de travailler.

Et ici, je voudrais reprendre tout simplement, pour bien situer le débat à ce niveau, certains propos que j'avais prononcés lors de la réunion de la commission de l'Assemblée nationale en novembre dernier, en vue de la création de cette commission permanente des sociétés d'État. Et je disais: "Je ne crois pas que notre système parlementaire soit réfractaire à de telles innovations, qui n'ont pour but que de fournir aux élus du peuple des instruments d'intervention et de contrôle conformes aux besoins et aux exigences de notre temps moderne. La création d'une commission parlementaire permanente des sociétés d'État aurait cet insigne avantage, dû en particulier à son caractère permanent, d'établir des relations plus soutenues et plus intelligentes entre le corps législatif, d'une part, et les dirigeants des sociétés d'État, d'autre part, les deux pouvant enfin discuter d'égal à égal. " C'est un terme que le gouvernement aime.

M. Landry: Amendement pour les libéraux.

M. Biron: "II n'est pas interdit d'imaginer qu'une telle commission, bénéficiant d'une aide technique appropriée, pourra éventuellement disposer d'une banque de données fort importante sur le fonctionnement de nos sociétés d'État. Il sera alors plus facile pour les députés de bien situer la performance d'une société d'État à l'intérieur de la stratégie globale de développement économique du gouvernement, et d'évaluer la pertinence, non seulement des actions de l'entreprise, mais aussi des contrôles gouvernementaux en vue d'assurer une plus grande cohérence et une meilleure coordination de nos sociétés d'État dans la vie économique du Québec."

Si un meilleur contrôle parlementaire s'impose sur la gestion de l'administration des sociétés d'État, et semble vouloir se concrétiser, il m'apparaît tout aussi valable que le gouvernement poursuive sa politique déjà annoncée d'un meilleur contrôle gouvernemental sur les sociétés d'État et l'existence de ce contrôle gouvernemental, la nature de ces contrôles, la portée de ces contrôles, auront une très grande influence sur la place que ces nombreuses entreprises publiques occuperont à l'intérieur de la stratégie de développement économique mise de l'avant par le gouvernement du Québec.

Or, il faudrait aussi savoir du ministre quels sont les critères de formation de nouvelles sociétés d'État. En 1978, nous avons fondé au Québec cinq nouvelles sociétés d'État. Si la stratégie de développement économique ou la place des sociétés d'État n'est pas encore définie à l'intérieur de cette stratégie, pourquoi fondons-nous à gauche et à droite des sociétés d'État si on ne sait pas où on s'en va avec cela. (10 h 15)

Nous savons, entre autres, que le ministre d'État au développement économique a mis sur

pied un certain nombre de structures, en vue de faciliter un meilleur contrôle gouvernemental sur les sociétés d'État. C'est ainsi, à en juger par un article publié dans le Soleil du 16 septembre 1978, que, depuis au moins un an et demi et peut-être plus: "M. Albert Jessop travaille avec minutie et patience à l'établissement de la problématique des sociétés et des critères de performance." Or, si cela fait un an et demi qu'on travaille là-dessus, je voudrais savoir où en sont ces études; est-ce qu'on a au moins un rapport d'étape à donner aux membres de l'Assemblée nationale ou à la population du Québec sur ce travail de M. Jessop depuis un an et demi?

Dans le même article, on laissait entendre qu'une étude sur les critères de performance et de cohérence serait terminée vers la fin de 1978. Est-ce que cette étude est terminée? Où en est-on rendu? Est-ce qu'ici, aujourd'hui, on pourrait avoir un rapport d'étape, puisque cela fait déjà au-delà de cinq mois, tout près de cinq mois que 1978 a pris fin?

Je crois qu'il est tout à fait normal que le ministre nous dise aujourd'hui où en est rendu ce travail et quand il sera rendu public.

En plus, nous savons qu'il existe depuis un certain temps, au sein du Conseil exécutif, un comité ministériel de coordination regroupant le ministre des Finances, le ministre de l'Industrie et du Commerce, le ministre d'État au développement économique ainsi que le ministre des Richesses naturelles. Je voudrais savoir, de la part du ministre, aujourd'hui, s'il est exact que le gouvernement a en main les données qui échappent à nous, parlementaires de l'Opposition, ainsi que toutes les études nécessaires qui lui permettront d'assurer une meilleure coordination de l'ensemble de la gestion de ces sociétés d'État.

Le gouvernement possède-t-il un plan détaillé de programmes de développement de toutes les sociétés d'État québécoises et est-il en mesure aujourd'hui d'évaluer concrètement et efficacement la performance économique et administrative de ces sociétés publiques? Est-il exact que le gouvernement songe à créer une supersociété d'État qui s'appellerait peut-être "SOGOPIQ", ou quelque chose comme cela, qui verrait à coordonner toutes les sociétés d'État dans le domaine industriel ou commercial? Il a aussi été question de cela dans un rapport soumis au gouvernement. Je voudrais savoir du ministre si c'est exact.

Si on parle de critères de performance et d'efficacité, il faut aussi poser des questions. Pourquoi certaines sociétés d'État vont-elles déposer leur plan quinquennal de développement, en particulier, SIDBEC qui l'a déposé à la fin de septembre 1978? Nous sommes rendus à la fin de mai 1979. Donc, cela remonte déjà à huit mois. Le plan quinquennal n'est pas encore accepté ou refusé. On voudrait en entendre parler. Il n'y a pas une entreprise privée qui pourrait attendre aussi longtemps pour des critères de performance ou, au moins, accepter les plans d'investissements dans les années à venir.

Je voudrais aussi savoir du ministre pourquoi cela prend tant de temps à avoir les bilans des sociétés d'État ou les états financiers des sociétés d'État. Cette semaine, je recevais justement par la poste les états financiers intérimaires, pour trois mois de fonctionnement au 31 mars 1979, de plusieurs sociétés privées. On a cela au 31 mars 1979. Cela veut dire que cela ne fait même pas deux mois, et on a cela pour toutes nos sociétés privées. Pourquoi les sociétés d'État ne peuvent-elles pas fournir au moins leur bilan intérimaire là-dessus? Pourquoi faut-il attendre un an et un an et demi, et souvent deux ans, pour mettre la main sur les états financiers des sociétés d'État.

J'ai ici avec moi un rapport sur les états financiers des entreprises du gouvernement du Québec. J'ai vérifié encore ce matin à la bibliothèque de l'Assemblée nationale. Ce que j'ai, c'est ceux de 1976/77. On n'a pas encore 1977/78 et on est rendu en 1979. Est-ce normal que nos sociétés d'État doivent attendre aussi longtemps, alors que des multinationales aussi importantes que Consolidated Bathurst ou Canadien Pacifique peuvent, deux mois après la fin de leur exercice financier, faire part au moins à leurs actionnaires, d'un sommaire de l'état financier de l'entreprise.

Cette question est extrêmement importante, car si le gouvernement n'a pas les instruments capables de lui fournir une analyse exhaustive de la situation de ces sociétés d'État, il sera difficile, sinon impossible de définir clairement la place qu'il entend faire à ces créatures de l'État. Ce n'est pas seulement une gestion si on veut leur faire la place et si on veut les surveiller. Il faut au moins savoir où elles sont allées dans le passé. De plus, sans ces renseignements, il sera difficile, sinon impossible pour le gouvernement de nous dire dans quelle mesure les sociétés d'État ont d'abord été créées, et ensuite, se sont développées selon une politique économique cohérente. Comme je disais tout à l'heure, est-ce qu'on les fonde à gauche et à droite et il n'y a pas de politique économique ou s'il y a une cohérence là-dedans? S'il y en a une, on voudrait au moins le savoir, que ce soit au niveau global ou au niveau sectoriel.

Ce sujet m'amène à parler d'une autre question extrêmement importante qui découle normalement d'une telle analyse. Je fais allusion à la nécessité d'en arriver à une meilleure rationalisation des fonds publics et de l'activité des sociétés d'État, plus particulièrement, sur une base sectorielle. Ici, je fais référence, non seulement au secteur forestier, REXFOR, Donohue, SGF, SDBJ, mais aussi le secteur minier, SOQUEM, SIDBEC-Normines, la Société nationale de l'amiante, ainsi qu'au secteur énergétique, l'Hydro-Québec, SOQUIP, etc. Si je m'attache de façon plus particulière à cette question, c'est que nous-mêmes, à titre de parlementaires, nous avons eu énormément de difficultés à obtenir des renseignements à jour et précis sur l'état actuel de nos sociétés d'État.

Nous avions, entre autres, demandé aux services de recherche de la bibliothèque des renseignements qui, à notre avis, devraient être disponi-

bles sans trop de difficulté. Nous avons demandé, entre autres, un relevé le plus complet possible de toutes les sociétés d'État qui ont été créées par le gouvernement du Québec et qui fonctionnent toujours et un aperçu, pour chacune de ces sociétés, des points suivants: les investissements faits par le gouvernement en avances de fonds, en capital-actions, sous forme de prêts et conditions rattachées à ces prêts, indiquer si les prêts ont été remboursés ou non, les investissements sous forme de garantie d'emprunt et, finalement, les engagements financiers pris par le gouvernement du Québec. On n'a pas pu avoir de réponse là-dessus.

On a demandé aussi, pour chacune des sociétés d'État, une indication claire, depuis leur création, des déficits encourus, s'il y a lieu, les surplus obtenus pour chaque année de fonctionnement et, pour chacune de ces sociétés, nous voulions avoir, depuis l'année de leur création, une illustration, sous forme d'organigramme ou autrement, de toutes les filiales faisant partie de ces sociétés; également pour chacune de ces sociétés, le nombre d'employés, dans la mesure du possible, le montant requis par année de fonctionnement pour l'administration et la gestion interne des sociétés.

La bibliothèque du Parlement a tenté d'obtenir les réponses à ces questions en communiquant avec le bureau du ministre d'État au développement économique et la réponse que nous a fournie le service de recherche était la suivante, et je cite: "Devant l'ampleur de la recherche, ce dernier" — faisant allusion à un haut fonctionnaire du bureau du ministre — "a répondu qu'il était impossible de répondre aux questions".

C'est grave si, du bureau du ministre, on ne peut pas répondre à des questions aussi claires, aussi élémentaires que celles que nous avons posées; comment va-t-on faire pour intégrer les sociétés d'État dans une politique de développement économique du Québec?

Or, justement, le fonctionnaire qui doit mettre de l'ordre dans les sociétés d'État ne possède même pas les renseignements de base que nous voulions avoir comme parlementaires. Ou il ne les avait pas ou il ne voulait pas les donner aux parlementaires. Mais j'ai bien l'impression qu'il ne les avait pas, il ne pouvait pas les mettre ensemble.

Le ministre peut-il nous dire aujourd'hui si le gouvernement possède des réponses à chacune de ces questions et j'attends sa réponse avec impatience, des réponses précises. Je pense que ce serait le meilleur moyen de savoir exactement où on va avec tout ça.

En terminant, je voudrais également poser d'autres questions au ministre qui sont de nature toujours générale et qui nous permettraient de connaître davantage la place que le gouvernement entend donner aux sociétés d'État.

Ici, Mme la Présidente, nous savons en outre que le gouvernement se doit, dans ses énoncés de politiques, de rechercher un juste milieu entre un accès d'étatisation et un accès d'autonomie technocratique. Ce juste milieu n'est pas facile à aller chercher, mais ce n'est pas parce qu'une chose est difficile qu'il faut conclure qu'elle est impossible.

Le ministre est-il en mesure de nous dire, aujourd'hui, si, dans les énoncés de politique qu'il rendra publics bientôt, il sera possible de savoir quel sera le rôle joué par les entreprises publiques par rapport aux investissements étrangers, la Société nationale de l'amiante, qui va prendre des investissements du Québec ou d'ailleurs, mais finalement pour acheter une part, une participation dans une entreprise québécoise qui appartient déjà à du capital étranger? Quelle sera la place des sociétés d'État? Est-ce que les sociétés d'État vont aider les investissements étrangers à venir au Québec ou si on va les empêcher de venir au Québec? Le rôle de l'Hydro-Québec International, peut-être que le ministre peut nous parler de cela vis-à-vis des investissements étrangers, ainsi de suite.

Ce que je voudrais savoir aussi, c'est la place qu'on pourra donner à l'entreprise privée. Sur ce dernier point, le gouvernement entend-il faire jouer aux sociétés d'État un rôle essentiellement complémentaire et supplétif face à l'entreprise privée? On a eu un exemple vis-à-vis de SIDBEC et Quésteel qu'on a vécu il y a deux ans, à peu près; cela, c'est peut-être important de le savoir. Quel est le rôle que jouera l'Hydro-Québec, si on veut attirer une usine de moteurs d'automobile en aluminium? On va se servir beaucoup de l'électricité. Est-ce que l'Hydro-Québec va être supplétive et va donner des taux préférentiels pour l'électricité afin d'attirer des industries de l'entreprise privée chez nous?

Quel sera le rôle de SOQUIP vis-à-vis de Gaz métropolitain? Il est question d'un pipe-line qui va transporter le gaz naturel à partir de Montréal jusqu'aux Maritimes en passant tout le long par le Québec, en servant des ville comme Québec, Rivière-du-Loup et Trois-Rivières. Quel sera le rôle de SOQUIP vis-à-vis de l'entreprise privée Gaz métropolitain? Est-ce que ce sera seulement supplétif ou si, un jour ou l'autre, ce sera étatisé et si ce sera le rôle complet de l'État?

Ce sont des choses que je voudrais savoir. Vis-à-vis de la transformation de l'amiante, est-ce que ce sera la Société nationale de l'amiante toute seule ou si on fera appel aux entreprises privées.

Enfin, le gouvernement est-il en mesure de nous dire si un des objectifs primordiaux qui sera confié dorénavant aux sociétés d'État sera d'axer leurs activités vers une transformation de la structure industrielle du Québec? On sait qu'on a une structure qui est vétuste, qui est déficiente, particulièrement dans les secteurs mous, peut-être sauf dans le meuble, où on a réussi, au cours des deux, trois ou quatre dernières années, à se moderniser d'une façon appréciable. Est-ce que les sociétés d'État vont aider ces vieilles structures à se transformer ou si les sociétés d'État prendront une participation très accrue ou à peu près exclusive dans les industries de pointe? Est-ce que les

sociétés d'État vont se lancer dans des domaines comme l'automobile? On en traitait hier, justement, on disait: On voit que le Québec est déficitaire, chaque année, peut-être de $3 milliards en pièces d'automobiles ou de camions, en pétrole et tout cela. Est-ce qu'une ou des sociétés d'État vont intervenir dans ce domaine pour changer la structure industrielle du Québec?

J'aurais aussi une question à poser au ministre là-dessus vis-à-vis de...

La Présidente (Mme Cuerrier): Pourriez-vous la réserver pour...

M. Biron: D'accord, je poserai...

La Présidente (Mme Cuerrier): Ou bien vous terminez rapidement, c'est presque déjà fait.

M. Biron: Non, je garderai cette question. Je pense qu'il y a assez de questions posées au ministre pour le moment, je garderai cette question pour après.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre d'État au développement économique.

Réponse du ministre

M. Bernard Landry

M. Landry: Je dois reconnaître, Mme la Présidente, qu'effectivement, le chef de l'Union Nationale a mis la table, comme on dit. Il a aligné une série de questions qui sont pratiquement toutes importantes et bien formulées et il a insisté sur le fait que je dois y répondre le plus complètement possible et en toute franchise. Cela tombe bien parce que c'est justement ce que j'ai l'intention de faire. Comme cette formule de question avec débat permet de revenir à la charge et qu'on a tout notre temps, je demande au chef de l'Union Nationale de vérifier, dans mes réponses, ce qui ne serait pas conforme à l'esprit de sa question et d'y revenir, de façon qu'effectivement, comme il l'a dit lui-même, on tente de vider le plus grand nombre de choses possible.

S'il y a donc des obscurités dans mes réponses, ce n'est pas parce que je veux cacher la vérité, c'est parce que je me serai mal exprimé ou que j'aurai mal compris la question et on pourra y aller d'un échange rapide par la suite pour compléter.

Donc, en procédant, à peu près systématiquement et dans l'ordre des questions posées, je voudrais aborder, premièrement, cette question des énoncés de politique économique et de stratégie de développement, en disant d'abord que le Québec n'a jamais eu de stratégie de développement économique ou industriel. Je ne dis pas ça sur le ton de la catastrophe, pour dire que, parce qu'il n'y a pas eu de stratégie, le Québec ne s'est pas développé. Effectivement, pendant un siècle, l'économie québécoise a subi des transformations profondes, certaines dans un sens positif ou négatif, mais sans que tout cela ait été l'objet formel- lement d'une stratégie. Plusieurs ont rêvé, autour des années soixante en particulier, au point tournant de la Révolution tranquille, de doter le Québec d'un plan au sens économique du terme, de développement économique. Ceux qui connaissent un peu l'histoire de la haute fonction publique québécoise se rappellent même que ce plan a été fait — ça s'appelait le plan A-1 — et c'était empreint d'une telle naïveté que certains l'ont appelé le "plan rataplan".

Effectivement, c'était empreint d'une certaine naïveté. Le Québec est une économie décentralisée, au sens strict du terme, c'est-à-dire que les centres de décision sont partout et nulle part et dispersés dans un très grand nombre d'entreprises privées où des "décideurs" font ce qu'ils veulent bien faire, en répondant, dans la mesure du possible, aux demandes du marché et, s'ils ne le font pas, la sanction est cruelle et c'est la règle de base de l'activité économique privée, c'est la faillite.

Par conséquent, une économie décentralisée, déconcentrée et, en ce qui me concerne et en ce qui concerne le gouvernement, il est bien qu'il en soit ainsi, fondamentalement. Également une économie ouverte sur le monde. L'économie du Québec est beaucoup plus exportatrice et importatrice par rapport à son PNB que, par exemple, la puissante économie des États-Unis d'Amérique. Contrairement à une opinion répandue, même si les montants exportés, les volumes exportés par les Américains sont énormes — 225 millions de consommateurs solvables — proportionnellement, les États-Unis sont une économie relativement fermée. 5% ou 6% seulement du PNB américain transite à l'exportation et il y a une longue tradition protectionniste du Congrès américain, qui tend à s'atténuer depuis quelques années. (10 h 30)

Au Québec, et au Canada dans une certaine mesure, les frontières ont toujours été largement ouvertes à un flot considérable d'exportations et d'importations. Pour cette raison, la planification économique au sens soviétique ou même au sens français du terme n'est ni souhaitable, ni désirable, ni possible dans une économie qui a les caractéristiques de la nôtre. J'ajoute une dernière raison qui, pour le gouvernement du Québec, est une raison déterminante, une raison massue, le gouvernement du Québec, comme je l'ai dit à plusieurs reprises, est en matière économique, un gouvernement junior et un gouvernement secondaire.

Je ne qualifie pas le phénomène, je ne dis pas que c'est bon ou pas bon, parce que ce n'est pas le temps d'en parler aujourd'hui. Si on était dans un débat sur la souveraineté-association, je m'élèverais de toutes mes forces contre cette domination de la politique économique par le gouvernement du Canada, mais je ne fais pas de qualificatif, je dis que c'est la réalité. Le gouvernement économique du Canada, c'est le gouvernement central qui a à sa disposition le plus grand volume, le plus grand volant de trésorerie en matière fiscale comme en matière de dépense, qui contrô-

le l'institut d'émissions, la Banque du Canada et ses politiques monétaires et qui s'occupe également du commerce extérieur de I'import-export, des travaux d'infrastructure, la canalisation du Saint-Laurent, les chemins de fer, le transport aérien.

Par conséquent, celui qui voudrait planifier l'économie du Québec, à partir de la base de pouvoirs que possède le gouvernement du Québec, se mettrait dans une situation ridicule. Il n'aurait aucune espèce de crédibilité dans les milieux d'économie ou d'affaires. Même si le gouvernement du Québec avait les pouvoirs, je crois fondamentalement qu'il les aura, le peuple québécois... Robert Bourassa parlait de souveraineté culturelle, pensait que c'était fondamental et indispensable, il ne l'a pas obtenue, mais il la voulait sincèrement, je pense, pour les mêmes raisons que nous voulons la souveraineté économique, nous la pensons indispensable, fondamentale.

Contrairement à la souveraineté culturelle, je pense que nous l'aurons et nous aurons les deux. Mais même quand l'économie du Québec sera contrôlée et dirigée surtout par le gouvernement national des Québécois, il n'est pas sûr du tout qu'il faudrait que nous nous mêlions de tout et que nous allions tenter de planifier l'économie, même d'une manière indicative — j'insiste là-dessus, pour ne pas que l'opinion — ... je sais que le chef de l'Union Nationale ne sera pas déçu de m'entendre dire ça — quand les énoncés de politique économique seront publiés, il ne s'agira pas d'une planification au sens économique du terme, il s'agira d'un plan d'action.

Ce plan d'action sera précédé de deux volumes comportant surtout de l'analyse, un bon diagnostic de la situation québécoise au cours du dernier quart de siècle en particulier, où les facteurs les plus négatifs, en même temps que les plus positifs se sont surtout développés. Donc, un bon diagnostic qui n'a jamais été fait. Je ne porte le blâme sur personne, ce n'était peut-être pas mûr, ce n'était peut-être pas le temps, mais il n'y en a jamais eu au gouvernement et il y en aura un.

Deuxième volume. Rôle des agents de l'économie, les travailleurs et leurs syndicats, les coopératives, l'entreprise privée, le gouvernement comme agent. Enfin, dans un troisième volume, les stratégies au sens propre du terme, c'est-à-dire le plan d'action, ce qui doit être fait par un gouvernement du Québec dans l'état actuel des choses et ce qui devrait être fait lorsque ce gouvernement aura plus de pouvoirs pour mettre fin à une période d'un quart de siècle que tous les analystes s'accordent pour qualifier de déclin relatif de l'économie du Québec. Je dis relatif, parce que ce n'est pas tout qui est en déclin, mais il y a des problèmes structurels qui doivent être réglés, un virage s'impose. Tout le monde le sait, tout le monde le dit, personne ne l'a encore fait, parce qu'il ne faut pas être démagogique en cette matière.

Des tendances lourdes dans une économie, qui durent depuis 25 ans, il n'y a qu'un imposteur qui pourrait dire: Je vais les changer en un an ou en deux ans. Une tendance de 25 ans, cela demande toute l'énergie du gouvernement et des agents économiques pour la contrer et le résultat n'est pas immédiat. Ce n'est pas le lendemain qu'on voit diminuer radicalement le taux de chômage, ce n'est pas le lendemain qu'on voit se restructurer l'économie.

Le chef de l'Union Nationale a également demandé pourquoi on avait entendu deux ans et demi pour énoncer ces stratégies. Ma réponse, elle est claire, j'ai déjà commencé un peu à la donner. Elle est claire et elle est double.

La première raison, c'est que cette oeuvre de diagnostic et de constitution de stratégie de développement est une chose extrêmement complexe, subtile, qui fait appel à un appareillage mathématique et scientifique considérable, qui fait appel à une collecte de données considérable et il n'aurait pas été sérieux, on serait retombé dans le plan A-1, le "plan rataplan" si, six mois ou un an après avoir pris le pouvoir, on avait énoncé ces politiques, alors que le travail de fond et de base n'était pas fini.

Donc, la première raison pour laquelle ces politiques n'ont pas été énoncées avant, c'est parce qu'il n'était pas possible, scientifiquement, techniquement et honnêtement de le faire sans que ce soit de la fumisterie.

Deuxième raison — et, dans sa propre intervention, le chef de l'Union Nationale a évoqué cette deuxième raison — c'est qu'il y avait des urgences. Avant de travailler sur des diagnostics de maladies chroniques, il y avait des catastrophes qui nécessitaient une action urgente, catastrophes appréhendées, si je puis dire — le mot "appréhender", dans l'histoire du Canada, est un mot extrêmement important — et je pense à pâtes et papiers, je pense à secteurs traditionnels, je pense à amiante.

Il fallait agir et agir vite pour les pâtes et papiers, et c'est fait. Remarquez qu'on était prêt, il y a un an et demi, à faire ce qui se fera dans les semaines qui suivent. Mais les négociations ont traîné en longueur avec le gouvernement du Canada, comme chacun le sait, pour aboutir, d'ailleurs, au même point qu'il y a un an et demi. Mais on a pris un retard d'un an et demi.

Pourquoi est-ce qu'il était urgent d'agir dans le domaine des pâtes et papiers? Il était urgent parce que, depuis plusieurs années, dix ou quinze ans, une année sur l'autre, la part québécoise du marché nord-américain des pâtes et papiers diminuait relativement. Le volume augmentait et la part du Québec diminuait. De leader absolu en matière de prix, en matière de volume et de quantité que nous étions il y a une vingtaine d'années, on était en train de se faire marginaliser, lentement mais sûrement, par l'industrie américaine naissante et croissante des pâtes et papiers.

Si on avait laissé développer ce phénomène plus longtemps, pour ceux qui connaissent l'importance des pâtes et papiers dans l'économie du Québec, là, c'était vraiment la catastrophe dans cinq ou dix ans. Mais nous nous dirigeons vers

cela lentement et sûrement. Des usines vieillies. Le chef de l'Union Nationale, qui s'intéresse aux questions économiques, a dû visiter des usines. J'ai visité des usines où j'ai vu des machines qui ont été installées à la fin du siècle dernier. Et, dans un cas en particulier, une de ces machines va aller au musée, quand ils vont faire le plan de rééquipement. Elle est tellement vieille que cela vaut la peine de la montrer aux générations futures, pour qu'elles sachent comment on faisait cela à la fin du XIXe siècle. Donc, il y avait urgence. On a fait cela.

Secteurs traditionnels. Je l'ai dit à plusieurs reprises, quand nous sommes arrivés au pouvoir et que nous nous sommes penchés un peu, à la manière d'un médecin, sur les secteurs traditionnels qu'on appelait secteurs mous — mais je ne les appelle plus secteurs mous parce qu'ils se sont raffermis — on se demandait si ces secteurs étaient bons pour la salle d'autopsie ou pour la salle de soins intensifs et de soins d'urgence.

Les anciens gouvernements, dans une attitude technocratique, parlaient de "phasing out". Je m'excuse de l'expression anglaise, mais disons que c'était l'évanescence planifiée des secteurs traditionnels. Et sur le plan d'une vue de l'esprit, cela pouvait être satisfaisant de dire: On va remplacer la guenille — ils disaient cela d'une façon un peu méprisante — par l'industrie de pointe, par l'électronique, par ceci, par cela.

Oui. Mais quand tu as 100 000 personnes qui travaillent dans ces secteurs, cela devient purement théorique de dire: On va remplacer par la technologie de pointe, surtout que, dans la technologie de pointe, en général, il n'y a pas tellement d'emplois de créés. Je pense à Electrochimie, à Bécancour, CIL investit $100 millions et va créer cent "jobs", alors qu'il y a quelques jours, le député de Bellechasse me montrait une coupure de presse dans le sens que, dans le textile, dans son comté, pour un investissement modeste qui pourrait être peut-être $60 000, on va créer soixante emplois. Ce n'est pas la même chose.

Je ne dis pas que l'économie du Québec ne doit pas se reconvertir, mais elle ne doit sûrement pas bousculer les hommes et les femmes qui, au nombre d'une centaine de milliers, travaillent dans les secteurs traditionnels, d'autant plus que même si nous pouvions acheter 100% de notre production à l'étranger en matière de vêtements, textiles, chaussures, même si on avait de l'emploi dans d'autres secteurs pour tous ceux qui évacueraient vêtements, textiles, chaussures, je pense qu'il ne serait pas sage de sacrifier ces industries. Il faut toujours qu'une partie de ton marché soit desservie par l'entreprise locale dans les secteurs traditionnels. L'expérience a été faite par l'Angleterre, par la Suède, par l'Allemagne, qui sont toutes venues tôt ou tard à la conclusion qu'on ne peut pas compter uniquement sur l'étranger pour les chaussures, les vêtements et les textiles, parce que, là, on devient esclave de l'étranger et on a un effet de prix. Les vendeurs étrangers ne sont pas fous. S'ils savent que tu n'a pas d'industrie traditionnelle, ils vont te vendre à prix d'or des choses qui sont nécessaires à la vie, le vêtement qui est nécessaire à la vie, particulièrement sous nos latitudes.

J'ai expliqué un peu longuement au chef de l'Union Nationale pourquoi le gouvernement a agi de façon urgente dans d'autres domaines que la stratégie, et j'ai expliqué pourquoi, avant de faire une stratégie, il faut vraiment avoir tous les instruments mathématiques et avoir fait la réflexion suffisante.

Le chef de l'Union Nationale me demande aussi s'il s'agira d'une stratégie globale ou d'une stratégie sectorielle. Je lui réponds qu'il s'agira des deux. Il y a des problématiques — et je vais donner des exemples, pour être bien clair — qui s'abordent d'une façon intersectorielle et globale, et il y en a d'autres qui sont sectorielles et visent une branche de l'économie ou quelques branches de l'économie. Exemple du premier cas: approche globale: recherche et développement. Recherche et développement, c'est un investissement macroéconomique pour l'ensemble de l'activité économique qui peut s'appliquer à toutes les branches. Quand un professeur de l'Ecole polytechnique à Montréal travaille dans son laboratoire sur une molécule, ses découvertes peuvent aussi bien s'appliquer à la chimie industrielle qu'à la médecine. C'est donc une approche intersectorielle et globale. Nous aurons de ces genres d'approches. La concertation entre les agents économiques est aussi une chose globale. Au sommet économique de Montebello auquel a assisté le chef de l'Union Nationale, il n'a pas été question d'un secteur, il a été question de l'ensemble des relations de travail dans tous les secteurs; il a été question des problèmes de financement de tous les secteurs. Toutes ces approches globales seront contenues dans nos énoncés et il y aura aussi, préparées par chacun des ministres sectoriels et leurs équipes et revues par l'ensemble des ministres économiques, des stratégies qui vont viser l'électrochimie, l'électrométallurgie, les secteurs traditionnels, etc.

Par conséquent, il y a approche à la fois globale et sectorielle. J'en profite pour répondre à une autre question. Le chef de l'Union Nationale m'a parlé du comité ministériel pour le développement économique. Il y a beaucoup de gens qui sont intéressés comme lui à savoir si le gouvernement est satisfait de cette nouvelle structure et ce qu'elle fait exactement. Sans être capable d'en écrire une thèse de doctorat, parce qu'on laissera cela aux analystes politiques et économiques dans l'avenir, on peut dire, dès maintenant, que l'objectif majeur des comités de développement économique comme social était d'introduire de la cohérence dans l'action de l'État et, d'une façon, au départ, même très modeste, simplement empêcher que le ministre économique A ait une politique qui soit directement opposée à celle du ministre économique B, parce que les deux ne s'en étaient tout simplement pas parlé, n'avaient pas fait l'analyse et n'avaient pas vu les retombées de l'une sur l'autre, donc éviter ce qu'on a vu dans le passé, qu'un ministère donne des primes pour planter telle chose et qu'un autre ministère donne des primes pour

arracher la même chose. Comprenez-vous? Cela s'est vu. (10 h 45)

Deuxième objectif modeste: casser l'impérialisme des ministères. Le député de Notre-Dame-de-Grâce est un ancien fonctionnaire, il sait ce que c'est. Il sait que se sont développées, dans la fonction publique, en tout bien, tout honneur, du reste, souvent parce que les gens voulaient faire le travail, des espèces d'empires. Le ministre de l'Industrie et du Commerce disait: L'industrie, c'est moi. Donc, si c'est moi l'industrie et que la laiterie est une industrie, c'est moi qui m'occupe de la laiterie. Le ministre de l'Agriculture disait non. La laiterie, c'est une retombée directe de l'activité agricole et cela relève de moi. Je vais vous donner un exemple très concret; les pâtes et papiers. Le plan que vous avez devant vous, qui est devant l'opinion publique et qui commence à s'appliquer pour les quelque cinquante moulins du Québec, a fait l'objet d'une bataille pendant des années, entre Industrie et Commerce qui disait: Pâtes et papiers, c'est une industrie, je m'en occupe; et Terres et Forêts qui disait: Les transformations d'arbres, c'est moi qui m'occupe de cela. Qu'a fait le comité ministériel de développement économique? Il a fait travailler ensemble le secrétariat général au développement économique, le ministère des Terres et Forêts et le ministère de l'Industrie et du Commerce, sous le leadership du ministre des Terres et Forêts, M. Bérubé. C'est lui qui a piloté le plan, mais les fonctionnaires du MIC ont travaillé honnêtement et loyalement avec lui, et le secrétariat général au développement économique a assuré la coordination.

Par conséquent, si, éventuellement, dans un avenir que je ne vois pas prévisible, l'Union Nationale venait au pouvoir, je pense que le chef de l'Union Nationale conserverait ces structures et les considérerait comme essentielles. Avant cela, tous ces arbitrages, ces impérialismes, cette coordination, cela devait aller se régler au bureau du premier ministre et cela accumulait des piles impressionnantes de dossiers. Tout devait aller au premier ministre. Là, les arbitrages sont faits dans les comités de développement, ce qui permet au premier ministre de faire des arbitrages essentiels et ultimes et au cabinet de faire la même chose.

Pour cette première période, je pense que j'ai à peu près épuisé mon temps, madame.

La Présidente (Mme Cuerrier): J'étais en train de vous faire signe, M. le ministre.

M. Landry: Oui, mais là, je sais...

La Présidente (Mme Cuerrier): Je pense que vous pourriez peut-être répartir... Peut-être que M. le député, qui a un droit de parole privilégié, pourrait vous proposer une façon...

M. Landry: Je voudrais dire encore une chose, madame, avec votre permission. Je sais que le chef de l'Union Nationale est resté sur son appétit, parce que j'ai répondu à un certain nombre de ses questions et pas aux autres. J'ai l'intention de répondre à toutes et chacune de ses questions. C'est simplement parce que mon temps est écoulé. J'arrête, mais je reprendrai dès que j'aurai de nouveau la parole. Merci, madame.

La Présidente (Mme Cuerrier): Après cette clarification, M. le chef de l'Union Nationale.

M. Bertrand: Mme la Présidente, si le chef de l'Union Nationale était d'accord, est-ce qu'on ne pourrait pas permettre au ministre d'État au développement économique de prendre peut-être encore cinq minutes pour ajouter un certain nombre de réponses? Nous serions tout à fait disposés, par la suite, à ce que la période du chef de l'Union Nationale soit prolongée d'autant, si cela peut permettre un meilleur dialogue.

Discussion générale

M. Biron: Le ministre a répondu à la première partie de mes questions, presque totalement, même si j'ai des sous-questions à lui poser sur la stratégie du développement économique du Québec. Maintenant, sur la deuxième partie, tout au long, sur la place des sociétés d'État dans la stratégie du développement économique, on n'a pas encore eu une seule réponse là-dessus. J'ai peut-être l'impression que cela va prendre plus que cinq minutes pour établir clairement comment nos sociétés d'État du Québec peuvent intervenir là-dessus.

Je voudrais tout simplement poser quelques questions et, après cela, laisser au ministre le soin de terminer ses réponses sur sa stratégie de développement économique. Je comprends qu'il nous a parlé tout à l'heure des secteurs mous, en particulier, ou des secteurs des pâtes et papiers où on a dû intervenir. C'est sûr que les secteurs mous, en fonction de barrières tarifaires ou de quotas d'importation, cela peut aider des secteurs mous ou cela peut nuire, mais, quand même, je veux savoir si on va aller plus loin dans ce domaine et si les sociétés d'État, un jour ou l'autre, vont intervenir. C'est sûr que, tant et aussi longtemps qu'on vit dans un régime fédéral, il faut quand même se fier au gouvernement fédéral pour dire qu'il va y avoir des barrières tarifaires ou qu'il y en aura moins, mais, encore là, cela fera peut-être partie d'une négociation sur d'autres secteurs de l'activité économique qui nous intéressent nous aussi.

Le ministre a mentionné aussi les secteurs de pointe où cela ne fait pas beaucoup de création d'emplois pour beaucoup d'investissements, en les comparant au secteur mou. C'est vrai. On ne peut pas fonctionner continuellement et toujours avec des secteurs mous. Il faut aussi avoir une balance commerciale qui serait mieux équilibrée plutôt que d'avoir tout simplement des secteurs dits traditionnels. Il faut aussi...

Le ministre a une approche intéressante vis-à-vis du domaine de la recherche et du dévelop-

pement. Ce serait intéressant de savoir de lui quelle forme d'aide il s'attend de donner justement aux entreprises de tous les secteurs, que ce soient des secteurs traditionnels, les pâtes et papiers ou des secteurs de pointe, vis-à-vis de la recherche et du développement. Là-dessus, je suis d'accord avec lui. Dans le passé, au Québec, on n'a pas assez investi dans la recherche et le développement et, finalement, on marchait sur l'erre d'aller avec nos entreprises. Comme on dit chez nous, on marchait sur le "swing". Mais, un jour ou l'autre, ça arrête, cette histoire-là. La seule façon de pouvoir rester à la fine pointe du progrès, c'est de faire de la recherche et du développement. Or, tout ce que le gouvernement peut faire dans ce domaine pour encourager les entreprises, quant à moi, je suis d'accord qu'on en fasse le plus possible, mais je voudrais savoir du ministre la forme d'aide — peut-être que c'est prévu déjà dans son plan d'action — qu'il apportera aux différentes entreprises pour la recherche et le développement.

Aussi, dans son plan d'action, le ministre nous parle de diagnostic, du rôle des agents et ses stratégies d'action. Or, ce serait peut-être bon de connaître, d'une façon encore plus précise — il nous dit que, déjà, ses deux premiers volumes sont prêts — quand ce plan d'action sera-t-il prêt et quand pourrons-nous en discuter ici, à l'Assemblée nationale.

Il y a une chose importante à laquelle je voudrais que le ministre réponde aussi lorsqu'il répondra vis-à-vis des sociétés d'État. Au sujet des sociétés d'État, on a dit tout à l'heure que ce sont $22 milliards d'actif, 35 000 travailleurs directement. Alors, ce bilan est drôlement important dans une stratégie de développement économique. Le ministre nous a dit: Traditionnellement, au Québec, en Amérique du Nord, on fait confiance aux entreprises privées avec ce que ça comporte. Parfois, ça va bien et parfois, ça va mal et le prix à payer pour mal aller dans une entreprise, c'est d'aller en faillite. Mais lorsque l'État intervient directement parmi 35 000 travailleurs et $22 milliards d'actif, si on a une stratégie vis-à-vis de la place des sociétés d'État dans le développement économique, je pense que c'est là que c'est important, parce qu'un seul ministre ou un comité de ministres ou le gouvernement pourra finalement décider d'aller dans telle direction ou telle autre et, lorsque des sociétés de $22 milliards vont dans une direction, je pense que c'est particulièrement important vis-à-vis du développement économique.

Les autres questions concernent, Mme la Présidente, beaucoup plus la place des sociétés d'État que j'avais encore. Alors, je laisserai au ministre le soin de répondre à la question vis-à-vis de la place des sociétés d'État et, ensuite, on pourra peut-être revenir sur certaines questions plus précises là-dessus.

J'aimerais demander au ministre finalement — ce sera peut-être ma dernière question — au sujet de son plan d'action, quand va-t-on être en mesure de l'annoncer? Est-ce qu'on a une date pas mal plus précise? Cela serait important. Quand sera-t-on en mesure aussi d'en discuter? S'attend-il de convoquer une commission parlementaire spéciale pour discuter justement de ce plan d'action du gouvernement?

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre d'État.

M. Landry: Je vais commencer par la question la plus simple et la dernière. Quand? J'ai dit à cette Assemblée, il y a peu de temps, que ce serait dans quelques mois et ce n'est pas du tout pour noyer le poisson, en aucune manière. Essayez d'imaginer ce qu'un tel énoncé représente en termes de décisions pour le gouvernement.

Dans un système démocratique comme le nôtre, ce n'est pas un ministre qui dit: Voici mon plan et on le publie. Ce plan est le plan du gouvernement et, comme le gouvernement est aux rênes de l'État aujourd'hui, c'est le plan de l'État. Par conséquent, il y a toute une série d'étapes, de décisions. Il faut que le Conseil des ministres, en toute solidarité ministérielle, approuve chacune des grandes orientations et même des petites orientations et, ce n'est pas seulement le rôle du ministre de l'économie. Le ministre de l'économie a un rôle déterminant, mais le ministre des Affaires culturelles a tout aussi le droit de se prononcer, de poser ses questions, ses objections, de demander ses modifications, de telle sorte que nous allons, en dépit de la période sessionnelle intense que nous allons commencer dans quelques jours, accélérer le travail du Conseil des ministres, mais, encore une fois, il faut compter que des délais de prises de décisions sont absolument nécessaires, afin que rien ne soit fait à la légère.

Il se pourrait donc que la présente session se termine sans que le plan ne soit devant l'Assemblée nationale. Personne ne se formaliserait s'il était déposé en dehors de notre période sessionnelle, immédiatement au moment où nous serons prêts, et que les mécanismes parlementaires, à la rentrée, s'occupent de son analyse.

Alors, cette suggestion d'une commission parlementaire n'est nullement rejetée. Elle est considérée avec beaucoup d'attention. C'est probablement ce que nous ferons. Mais, je n'ai pas donné de date précise et ce n'est pas pour, encore une fois, noyer le poisson. C'est parce que je suis incapable de donner, honnêtement, une date précise.

Revenons maintenant au coeur du sujet qui est le rôle des sociétés d'État, l'équilibre nécessaire entre les secteurs public et privé et les motivations pour lesquelles on fait des sociétés d'État et pourquoi, depuis 1960 au Québec, mais depuis 1945 en Occident, on a vu naître tellement de sociétés d'État. Un bref rappel de la situation présente au Québec et quelques comparaisons avec l'étranger. Les comparaisons avec l'étranger ne sont pas toujours extrêmement fertiles, mais c'est quand même bon de savoir ce qu'on fait par rapport à d'autres sociétés qui fonctionnent.

Au Québec, on a une vingtaine de sociétés d'État, $20 milliards d'actifs comme il a été dit, 35 000 personnes qui y travaillent et 1,5% de l'emploi directement relié aux sociétés d'État. Est-ce que c'est beaucoup ou si c'est peu, c'est important. J'entends des hommes d'affaires qui disent que le gouvernement du Québec se mêle de tout, qu'il écrase l'économie de sa présence par l'entremise de ses sociétés d'État. Cela est faux! Je vais vous donner un certain nombre de statistiques qui vont vous démontrer que le Québec vient très loin après la plupart des pays industrialisés décentralisés, entre parenthèses, capitalistes, pour l'implication de l'État dans l'activité de production directe.

En Autriche, par exemple, petit pays de 7 millions d'habitants, je crois, avec un taux de chômage de 1%, une croissance du PNB d'environ 4% ou 4,5% annuellement, une économie prospère, 13,7% des travailleurs autrichiens sont dans le secteur public, sociétés d'État. Vous vous souvenez de mon chiffre au Québec, 1,5%, en Autriche, 13,7% et 1% de chômage. C'est un petit pays tout en montagnes, sans richesses naturelles. Si l'Autriche était aplanie, cela ferait peut-être un grand pays, mais en montagnes, cela ne fait pas un très grand pays. Un petit fait amusant, une des bonnes entreprises autrichiennes, c'est Rotax, filiale à 100% de Bombardier Québec. Donc, 13% dans le secteur public.

En Suède, 8,2%, au Royaume-Uni, 8,1%. Remarquez qu'on ne prend plus le Royaume-Uni comme exemple de développement économique harmonieux. Il y a eu des périodes glorieuses, ils ont fait la révolution industrielle les premiers, mais je pense qu'ils se sont fatigués plus vite que les autres ou ils se sont blasés parce que là, bien qu'ils aient de bons espoirs pour le pétrole et les hydrocarbures, l'économie de la Grande-Bretagne, avec son vaste secteur public, a beaucoup plus de problèmes qu'autre chose.

Bien qu'on dise que les Anglais, d'après tous les sondages, sont les gens les plus heureux de l'Occident, le taux de suicides a diminué, on dirait que depuis que la gloire de l'empire les a laissés, ils sont devenus des gens équilibrés, harmonieux, campagne anglaise, Beatles, Mary Quant. En tout cas, il y a un fichu de gros secteur public.

M. Biron: II est plus heureux avec un gouvernement conservateur, maintenant.

M. Landry: Cela, c'est à l'usage qu'on verra. Les Anglais ont de drôles de moeurs politiques, c'est la mère de tous les Parlements. Il y a souvent des à-coups absolument imprévisibles, Winston Churchill s'est fait battre après la guerre, alors qu'il avait été l'inspirateur de son pays et peut-être le plus grand homme d'État occidental.

La France, 7,3% des travailleurs dans le secteur public; l'Allemagne fédérale, la Bundesrepublik, celle qu'on cite en exemple de succès capitaliste délirant, et c'est vrai, 7,3% dans le secteur public; des choses aussi importantes que Volkswagen sont dans le secteur public.

Avec notre petit 1,5%, j'espère que vous avez compris et admis qu'il n'y a pas d'abus d'influence du secteur public au Québec. Le Canada, dont nous faisons partie et dont nous ferons toujours partie sur le plan économique, s'est lui-même lancé à qui mieux mieux, peut-être influencé par la Grande-Bretagne — d'ailleurs, il y a beaucoup de circulation culturelle entre le Canada et la Grande-Bretagne, particulièrement après la guerre et avant: Canadien National, Petrocan, Polysar, Air Canada, Atomic Energy of Canada, Havilland, Ca-nadair, Corporation de développement, Banque fédérale de développement. En d'autres termes, le secteur public "Canadian" du gouvernement fédéral est probablement huit ou dix fois plus gros que le secteur public québécois, même si on inclut notre Hydro-Québec dans la balance. Il y a 380 compagnies qui sont contrôlées complètement ou partiellement par le gouvernement fédéral. (11 heures)

M. Scowen: Est-ce que je peux poser au ministre une question sur ces chiffres pour mieux les comprendre?

M. Landry: Volontiers.

M. Scowen: Vous avez cité 1,5% comme étant le pourcentage de la population québécoise qui travaille pour les sociétés d'État. Sont-ce des sociétés d'État québécoises ou toutes les sociétés d'État québécoises et canadiennes au Québec?

M. Landry: Je vous remercie de poser la question, parce que je vois visiblement que vous n'aviez pas saisi ce que j'ai dit. Je n'ai pas dit 1,5% de la population, d'une part, c'est de la force de travail, et, deuxièmement, c'est vraiment dans le secteur public québécois.

M. Scowen: Avez-vous le pourcentage pour la force de travail au Québec, qui travaille pour les sociétés d'État québécoises ou canadiennes au Québec?

M. Landry: Je l'ai sans doute ou je pourrais l'avoir par recoupement. Je ne sais pas si je l'ai avec moi, j'ai des collaborateurs. Est-ce qu'on a ce chiffre avec nous? On ne l'a pas avec nous, mais la chose est à ce point intéressante que je peux m'engager à l'envoyer par écrit au député au cours de la semaine, si, toutefois, une telle statistique est disponible aussi clairement qu'il le demande.

Donc, l'importance du secteur public est énorme en Occident aujourd'hui, et énorme dans des pays qui sont réputés pour être des parties de la libre entreprise. Souvent, ce qui est assez paradoxal, les pays cités comme modèles de la libre entreprise ont un gouvernement socialiste ou social-démocrate, ce qui est le cas, par exemple, de l'Autriche, avec le chancelier Bruno Kreisky, socialiste, avec la Bundes, République fédérale toujours, depuis sa fondation, influencée profondément par les sociaux-démocrates, par les socialistes, par les chrétiens-démocrates, avec la

France souvent gouvernée par des gouvernements socialistes ou des coalitions de tendances sociales-démocrates.

Il ne faut donc pas faire — et c'est le point principal que je veux tirer de ça, la conclusion principale que je veux tirer — de la présence des sociétés d'État une ligne idéologique. Cela fait partie de la politique du présent gouvernement de ne pas être idéologique sur les sociétés d'État. Ce n'est pas parce qu'on préfère une entreprise capitaliste ou une entreprise d'État ou une entreprise coopérative, c'est simplement parce que l'on recherche, au Québec comme ailleurs, la meilleure formule pour faire la meilleure performance dans un secteur donné ou l'autre. C'est une différence énorme du reste avec les pays qui sont guidés par des idéologies. L'économie soviétique ne recherche pas le meilleur instrument pour jouer tel ou tel rôle de production. L'économie sociétique part du postulat que les entreprises doivent être nationalisées ou coopératives et que l'activité de l'entreprise privée est néfaste en soi, ce qui, de toute évidence, n'est pas le cas pour les gouvernements occidentaux que j'ai nommés et n'est pas le cas pour le gouvernement du Québec, ni maintenant, ni dans l'avenir.

Pourquoi y a-t-il des sociétés d'État au Québec? Quelles ont été les motivations des gouvernements qui les ont créées — et il s'en est créé en pagaille à partir de 1960 —? Je vous donne une analyse du passé qui peut être utile, c'est une analyse personnelle, ce n'est pas le présent gouvernement qui a fait ça, ça s'est fait comme ça. Je pense qu'une des premières motivations de la naissance des sociétés d'État, de la nationalisation des compagnies d'électricité, en particulier en deux trains de mesures, 1944 et 1962, a découlé d'abord du nationalisme québécois. Cela peut paraître étrange dans une discussion qui, normalement, devrait être de caractère purement économique, ça ne l'est pas. J'ai la conviction profonde que si les Québécois ont voté massivement pour la nationalisation de Montreal Light & Power et ensuite Shawinigan et ensuite Southern Canada Power et Quebec Power, c'est parce que le nationalisme québécois requérait le contrôle sur sa richesse naturelle la plus évidente, la plus absolue, et qui l'est de jour en jour, l'hydroélectricité.

Il y a eu également d'autres motivations plus économiques, celles-là. Je vais donner comme exemple SIDBEC. Je sais que cette malheureuse société est souvent la tête de turc du chef de l'Union Nationale. Il n'a pas toujours tort, je n'ai pas sa sévérité vis-à-vis de SIDBEC.

SIDBEC a été constituée, selon moi, pour des raisons beaucoup plus économiques. Le gouvernement du temps s'est rendu compte qu'une industrie secondaire du Québec, une industrie secondaire que le chef de l'Union Nationale connaît bien, c'est la tradition de sa famille, était privée d'un approvisionnement à coût concurrentiel fondamental, l'acier. L'acier était fait en Ontario et dans l'Est surtout, avec quelques petits noyaux au Québec, je n'en disconviens pas, mais le gouvernement a décidé de permettre à l'indus- trie secondaire du Québec, c'était son intention formelle, de s'approvisionner d'une sidérurgie qui serait près des marchés de distribution et de consommation.

C'est la raison pour laquelle SIDBEC est née. Quoi qu'on dise, c'est le chef de l'Union Nationale qui pose les questions, mais j'aimerais qu'il me réponde à cause de son expérience dans le domaine de l'acier. N'est-il pas exact qu'en dépit de tous ses malheurs, SIDBEC a eu, à plusieurs reprises, un effet sur les prix de l'acier pour les consommateurs québécois, les genres d'acier d'armature, de structure, etc. et que, si SIDBEC a encouru des déficits énormes, elle a permis à des entreprises québécoises de faire des profits, parce qu'elles ont pu s'approvisionner à une sidérurgie qui était plus proche d'eux à tous égards, y compris géographiquement?

On a donc là un exemple de nationalisation ou de création de sociétés d'État de nature économique. Il y a aussi des nationalisations qui n'ont pas été pratiquées au Québec, heureusement, et qui ne le seront pas, mais qui ont tenu, au cours de l'histoire, un certain caractère de vengeance. Cela n'a pas trop mal tourné. Je pense à la nationalisation de la régie Renault en France, par exemple. Pas pour des raisons économiques. C'est que M. Louis Renault, qui en était le patron et l'artisan, le chef de l'entreprise familiale, avait fabriqué des chars pour l'ennemi à l'époque et le gouvernement français l'a puni en nationalisant. C'est pour dire que les nationalisations, on peut en faire pour n'importe quelle raison et pour n'importe quel prétexte.

Je pense que cette forme, au Québec, n'a jamais été pratiquée, est à proscrire et à combattre et ne le sera jamais. Mais la raison nationale me paraît importante; la raison économique, ça va de soi. Il y a eu des créations d'entreprises de ce genre et il y en aura d'autres. La Société nationale de l'amiante me semble procéder de la même philosophie que la nationalisation des compagnies d'électricité en 1962 et du premier train en 1944. Je m'explique un peu sur la SNA, une société contemporaine qui est en voie d'organisation, en voie d'acquisition d'actifs importants.

D'ailleurs, ce qui est bizarre, c'est que le gouvernement du Canada a acheté Canadair de General Dynamics. Tout le monde a été ravi de ça, cela a bien tourné; le programme Challenger qui tourne à plein, c'est une des belles réussites technologiques de l'histoire. Quand le gouvernement du Québec veut acheter une mine de la même société General Dynamics, on en fait tout un plat et on fait les manchettes. Cela me semble manquer un peu de relativité. Pourquoi y a-t-il une Société nationale de l'amiante? Premièrement, parce qu'il devenait scandaleux qu'après 90 ans pratiquement d'exploitation de cette richesse naturelle quasi monopolistique pour le Québec, nous n'avions pas, dans l'extraction primaire, une seule entreprise québécoise.

Si les chefs d'entreprise québécois, les capitalistes québécois avaient décidé, il y a 30 ans, il y a 20 ans, il y a 15 ans, il y a 5 ans, de se lancer dans

l'extraction primaire de cette richesse naturelle dans laquelle nous avons un monopole occidental, pensez-vous que nous aurions formé la Société nationale de l'amiante et que nous aurions induit ce train de nationalisation? Très certainement non.

Il était devenu scandaleux, il l'était déjà au temps d'Alexandre Taschereau. On n'avait pas le verbatim des débats, mais on rapporte que Louis-Alexandre Taschereau avait dit lui-même aux compagnies: II vous en reste pour quelques mois. Il a dit ça au cours des années trente. Déjà, le scandale était évident.

Donc, première raison, présence québécoise, et ça procède du nationalisme bien compris et de bon aloi, le même nationalisme qui fait que Pétro-Canada existe, par exemple; le même nationalisme qui fait que Pétro-Canada est discutée présentement; le même nationalisme qui a fait dire à Eric Kierans ce qu'il a dit de la potasse dans l'Ouest; le même nationalisme qui a inspiré le rapport Gordon; le même nationalisme qui a inspiré une partie de la carrière de M. Walter Gordon. C'est aussi une dimension de l'action économique.

Mais dans le cas de la Société nationale de l'amiante, il y a plus que cela. Il y a le fait que sur le plan économique, des dizaines de milliers d'emplois n'ont pas été créés au Québec et ont été créés ailleurs, à même la ressource québécoise. On parle de centaines même de milliers de travailleurs en Occident, qui transforment de l'amiante du Québec et qui contribuent à l'économie nationale de leur pays, alors qu'ici nous avions la mine et les déchets.

Un bel exemple de cela — cela répond à une autre question du chef de l'Union Nationale — qu'est-ce qu'on va faire dans la transformation? Est-ce qu'on va aller avec le secteur privé? Bien sûr que oui. La première réalisation de la Société nationale de l'amiante, c'est Lupel-Amiante, dans l'ancien immeuble de Wayagamack. La production est commencée. Et cela est un exemple extraordinaire de ce vers quoi nous allons. Nous allons vers les entreprises mixtes, association du secteur public et du secteur privé. Dans le cas de Lupel-Amiante, ce sont les frères Lemaire, Papier Cascade, des entrepreneurs québécois, brillants, du reste, qui ont des performances ailleurs, et dans d'autres usines.

Premier aspect, entreprises mixtes. Second aspect, transformation d'amiante pour satisfaire un marché qui était, jusqu'à ce jour, satisfait par des usines britanniques. Ce que Lupel fait dans l'usine de Wayagamack, était fait dans les îles britanniques. Ce sont des travailleurs britanniques qui occupaient ces emplois avant. L'amiante partait de Thetford et s'en allait Dieu sait où en Grande-Bretagne et revenait ici sous forme d'endos de linoléum.

Là, on a raccourci le circuit. L'amiante ne va plus en Grande-Bretagne. Elle part de la région de l'amiante, elle s'en va à Trois-Rivières-Cap-de-la-Madeleine et est redistribuée dans l'économie québécoise et à l'étranger, et vraisemblablement d'ailleurs, à cause de nos coûts de production qui défient toute concurrence, en Grande-Bretagne.

Vous voyez la stratégie. On pense que dans une période relativement courte, on va monter le niveau de transformation à des sommets que personne n'aurait pu imaginer et que les compagnies d'amiante, pendant 75 ans, n'ont surtout pas imaginé. On transformait 3% de l'amiante et à la suite de deux ou trois projets, on va passer à 8%, un presque triplement en l'espace de un an. Cela, c'est du résultat. Pour parodier une publicité d'autrefois, c'est de la performance, à mon avis, et on doit continuer dans cette voie. On doit accélérer le phénomène.

Ce propos me permet de raccrocher une question du chef de l'Union Nationale. Il a parlé des pièces d'automobiles. Dans une automobile, il y a une partie vitale et stratégique, sur laquelle repose une grande partie de la sécurité et ce sont les freins. Or, les freins, c'est fait en amiante, avec un sabot de métal. On a une compagnie québécoise qui sait faire les sabots de métal, qui sait faire la partie métallique et qui est une réussite assez spectaculaire. Et nous allons ajouter la partie amiante et matériel de friction, transformés au Québec et, tout cela encore, de concert avec l'entreprise privée. Notre déficit automobile, je n'insiste pas là-dessus, tout le monde le sait, c'est une vraie catastrophe. On consomme 30% de la production automobile et on en fabrique à peu près 5%. On l'a évoqué au débat de la semaine dernière aussi.

Là, on a un moyen, avec un avantage comparatif, parce que c'est nous qui avons l'amiante, de fabriquer les freins, et de fabriquer les freins non seulement pour notre espace économique, mais pour l'espace économique canadien et l'exportation aux États-Unis. Et la compagnie québécoise qui fait des freins actuellement, fait des freins pour à peu près tous les Cadillac qui sont produits, que le Cadillac soit vendu à Gaspé, à Chicoutimi ou à San Clemente. Cela fait un marché absolument fantastique. Vous voyez une retombée de l'action d'une société d'État.

Pour me résumer — et vous avez voulu savoir la philosophie globale du gouvernement sur le rôle des sociétés d'État dans l'économie — je vous dis premièrement qu'une société d'État, à moins de raisons majeures, doit faire de l'argent. Une société d'État est soumise à la règle du profit. Et la règle du profit n'est pas une règle socialiste, capitaliste ou coopérative, c'est la règle du bon sens. Le profit, c'est la différence entre les dépenses de l'entreprise et ses rentrées et cette différence s'appelle profit. Qu'est-ce qu'on fait avec le profit? On rémunère le capital investi et on fait de l'expansion. Une entreprise, qu'elle soit publique, privée ou coopérative, qui ne fait pas de profits, premièrement, est en train de creuser sa propre tombe, parce que tu ne peux pas remplir le trou avec l'argent des taxes, indéfiniment. Elle creuse sa propre tombe et deuxièmement, elle ne contribue pas à la richesse nationale ni à l'enrichissement national. Elle contribue à l'appauvrissement national. (11 h 15)

Je suis heureux de vous dire que la plupart des entreprises du secteur public québécois font

de l'argent. C'est une autre des questions que vous m'avez posées, à savoir quels sont les résultats. Je vais vous donner un certain nombre d'exemples: En 1977/78, SDI, $1 400 000 de profits; la Société des alcools — vous me direz: C'est facile parce que ce n'est pas demain que les gens vont arrêter de consommer des produits vendus par la société — $173 millions de profits — c'est un monopole — Forano qui a eu des heures noires, comme vous le savez, $693 000 de profits; Volcano, filiale de la SGF, $884 000 — elle est passée d'une perte assez lourde au cours des dernières années et elle est redevenue dans le noir, comme on dit. Quand le gouvernement a cessé d'être rouge, l'encre des sociétés d'État a cessé d'être rouge en même temps, cela a tombé comme cela. Donohue, compagnie forestière, filiale de la SGF, $8 millions de profits; Cegelec Industries, $3 millions; LaSalle Tricot, $360 000; Sogefor, $2 600 000; Hydro-Québec, la plus grande compagnie du Canada, $381 millions de profits. Cela, c'est d'être dans l'argent, comme on dit. Cela illustre bien que ce n'est pas parce qu'une société est une société étatique qu'elle ne peut pas être une société extraordinaire au plan de la rentabilité et à tout point de vue.

L'Hydro-Québec qui, comme je l'ai dit, a été nationalisée pour des raisons nationalistes et économiques est devenue un signe de fierté pour les Québécois en termes d'administration, en termes de services, en termes de recherche avec l'IREQ, en termes d'exportation de technologie, Hydro-Québec internationale qui va aller dans tous les pays du monde vendre les techniques conçues par des Québécois, l'Hydro-Québec qui contribue sur le plan macro-économique déjà depuis un quart de siècle à la prospérité du Québec. Cela a été Bersimis, cela a été Manic 5 et, maintenant, c'est le complexe La Grande et c'est LG 2 qui va rentrer en production à l'automne. Ce sera un événement mondial, dans un univers assoiffé d'énergie, qu'on puisse rentrer plus de 100 mégawatts et faire de LG 2 la plus grande centrale de l'Hydro-Québec qui va détrôner Beauharnois, Beauharnois qui avait été fait, comme chacun le sait, par Montréal Light Heat and Power avant que Hydro-Québec existe. La Caisse de dépôt et placement, une des plus grandes banques du Canada, sinon la plus grande, secteur public bien géré, bien administré, extrêmement profitable, à telle enseigne que la Caisse de dépôt est le plus gros actionnaire individuel de CPR; SOQUIA, $62 000 de profits, Société de cartographie, il y en a des petites.

Il y en a qui perdent aussi. Le chef de l'Union Nationale m'attendait. Il faut dire qu'il y en a qui perdent et qui perdent largement: SIDBEC, perte, $28 millions, en 1977; REXFOR, $5 millions; Raffinerie de sucre — Raffinerie de sucre, cela tombe mal, c'est un peu injuste pour elle, elle a presque toujours fait des profits, de petits — en 1977/78, elle a perdu $207 000; et Marine Industrie, l'histoire des bateaux, bateau dans lequel le présent gouvernement ne s'est pas embarqué, il a été embarqué par ses prédécesseurs, mais il a fallu qu'on navigue et qu'on se retrouve dans cette galère, $34 millions de perte.

Je dois dire, par ailleurs, à la décharge de SIDBEC et de Marine — je voudrais bien que le chef de l'Union Nationale me donne ensuite ses commentaires là-dessus — la sidérurgie, au Canada, comme vous le savez, à l'époque de grands développements, quand il n'y avait pas d'impôt sur le revenu, quand il n'y avait pas de syndicats ouvriers et qu'on construisait des chemins de fer, des locomotives, des rails, était surtout installée en Ontario, a eu le temps de se consolider, à la fin du siècle dernier et la sidérurgie canadienne une des plus puissantes et des plus solides du monde, avec une politique très habile de toujours sous-investir et ne jamais aller s'embarquer dans de grands investissements pour faire face à des demandes qui vont venir dans dix ans. Elle était toujours un peu sous-investie et les gens ont toujours fait de l'argent plein leurs poches. C'est une des seules sidérurgies au monde qui ait réussi à rester dans l'argent même aux périodes noires.

Les grands consortiums américains, Bethlehem Steel, etc., ont eu des périodes très difficiles il y a deux ans. La sidérurgie française, la puissante sidérurgie allemande, les Japonais eux-mêmes ont perdu de l'argent. SIDBEC qui est née il y a une dizaine d'années et qui avait un mandat difficile, une mission extrêmement difficile, une sidérurgie intégrée de la mine au train de laminage, éventuellement à la chaîne de galvanisation, à la chaîne de peinture, c'est un mandat surhumain.

SIDBEC — j'ai dit pourquoi, tout à l'heure — face aux consommateurs d'acier, n'est pas un désastre intégral. Ce n'est pas vrai, sur le plan économique, et même sur le plan technique, le procédé de réduction Midrex, employé par SIDBEC, est en train d'ouvrir un modèle à l'ensemble des sidérurgies de cette dimension dans le monde. Les Midrex de SIDBEC, pour la même capacité de réduction, demandent un investissement qui est la moitié de l'investissement en sidérurgie conventionnelle. Avec ses trois trains de laminage, le Steckel, le Sendzimir, des machineries, comme vous le savez, qui ont été achetées de Dosco, et qui n'étaient peut-être pas ce qu'il y avait de mieux à l'époque, mais, en tout cas, avec ce matériel que SIDBEC a eu entre les mains, elle a fait des choses quand même acceptables. Je finis par une parenthèse d'un beau cas qui passionne le chef de l'Union Nationale, Quésteel. Vous vous souvenez de tout ce qu'on a dit, tout ce qu'on a discuté sur Quésteel. Quésteel a été victime d'une mauvaise conjoncture dans la construction. C'était une entreprise privée. On avait prévu que l'usine coûterait $30 millions et elle en a coûté $70 millions. Tout le monde s'est rendu compte, à ce moment, que, quand tu dépasses du simple au double tes coûts de construction, tu es foutu pour la rentabilité, et, à moins d'une chance inouïe et d'un miracle qui n'est pas arrivé, c'est la faillite qui guette. C'est ce qui est arrivé. SIDBEC a racheté le train de laminage de Longueuil, a racheté les deux fours, a remis cela en production. À cause de la conjoncture de l'acier, les deux

fours n'ont pas été nécessaires, mais SIDBEC me dit qu'elle va mettre en production un des deux fours très bientôt. Elle a payé cela, je dois le dire, une bouchée de pain et c'est un des secteurs rentables de l'activité de SIDBEC.

Vous voyez comment le secteur public peut aller à la rescousse d'une mésaventure du secteur privé, en faire un succès, conserver des emplois et conserver de la machinerie au travail. Le train de laminage de Quésteel, c'est un des meilleurs de sa catégorie au monde. SIDBEC le fait fonctionner aujourd'hui. Peut-être qu'au moment où on parle, il y a des travailleurs québécois qui sont là.

Si on n'avait pas eu SIDBEC, si on n'avait pas eu le secteur public, qui aurait acheté Quésteel? On n'a pas eu d'offre. On a sauvé l'affaire.

Ce sera le dernier mot que je dirai sur cette période de la discussion. Ce n'est pas une question idéologique qui fait qu'on nationalise ou qu'on ne nationalise pas. C'est une question de trouver le bon instrument pour faire le bon travail au bon moment, et, en général, parce que l'entreprise privée ne l'a pas fait.

Si les capitalistes québécois en 1950 nous avaient dotés d'une sidérurgie puissante comme celle qui se trouve en Ontario aujourd'hui, c'est sûr qu'il n'apparaîtrait pas $30 millions de perte dans le patrimoine public. On ne serait pas allé dans ce domaine, j'en suis sûr.

Si les capitalistes québécois avaient exploité l'amiante, qui a été découverte par un fermier du nom de Fecteau, il y a 90 ans, et s'ils l'avaient transformé ici, vous n'auriez pas devant l'Assemblée nationale une loi amenant la nationalisation d'Asbestos Corporation.

Le Président (M. Laberge): Merci, M. le ministre. M. le chef de l'Union Nationale.

M. Biron: Par courtoisie pour mon excellent ami, le député de Notre-Dame-de-Grâce, je lui laisserai la parole et je reviendrai après.

M. Scowen: M. le Président, je vous remercie. La présidente m'avait avisé, avant de quitter temporairement, qu'elle avait donné la parole au député de Brome-Missisquoi. Après, je suis prêt... mais c'est comme vous voudrez.

M. Russell: Je pense que la courtoisie veut ceci: L'Union Nationale a parlé, alors le porte-parole du Parti libéral peut parler. Je reviendrai après, simplement comme...

M. Landry: C'est l'extrême politesse. Cela contraste avec vendredi passé, où cela ressemblait plus à la foire d'empoigne.

Le Président (M. Laberge): M. le ministre, j'étais absent vendredi dernier, alors je ne sais pas.

M. Landry: Cela bardait vendredi dernier, mais, ce matin, tout le monde est d'une politesse exquise. Tirez les premiers, messieurs.

M. Bertrand: On pourrait peut-être en profiter pour créer deux ou trois sociétés...

Le Président (M. Laberge): C'est tant mieux. M. le député de Notre-Dame-de-Grâce.

M. Scowen: C'est peut-être parce que le ministre a mieux dormi hier soir. Je ne peux pas l'expliquer moi-même. Parce qu'il y a plusieurs intervenants, j'avais d'abord l'idée de trancher mes questions, parce qu'il y a des sujets différents, mais je vois qu'il y en a deux ou trois qui vont parler après. Je vais prendre mes 20 minutes, je vais épuiser mes questions. Par après, le ministre peut répondre, ou tout de suite, dans le contexte de sa conversation avec le chef de l'Union Nationale. Je dis simplement que j'ai fait le choix. Je suis un peu étonné ce matin, parce que je suis rendu ici pour travailler à un plan plus précis, si vous voulez, sur les sociétés d'État mêmes. Je vois comment le débat a été élargi.

On parle de la politique économique, un peu de tout. J'ai des questions précises sur les sociétés d'État et je vais y revenir après. Mais je pense qu'il y a certaines questions qui ont été suscitées par les commentaires du ministre et je veux au moins les poser. Peut-être pourra-t-il y revenir.

Premièrement, il a parlé de son plan économique et je pense qu'il a bien encadré les problèmes qui se présentent quand on décide de faire un plan. Mais j'ai deux questions assez précises. Il a parlé de trois volumes.

J'ai remarqué, dans le programme officiel du Parti québécois, dans la partie qui touche au développement économique que le parti s'engageait à créer un plan indicatif élaboré par des représentants, en nombre égal, des travailleurs et d'autres parties de la population, des entreprises et d'autres pouvoirs publics, ainsi de suite.

La première question: Est-ce que le plan dont il parle, c'est ce plan-ci, ou est-ce que ce plan, qu'ils se sont engagés à faire il y a deux ans avec la population, est quelque chose qui n'est pas encore en cours de route? Est-ce qu'ils ont décidé de laisser tomber celui-ci, qui est d'une nature participante?

Deuxièmement, il y a les éléments d'un plan économique dans le programme officiel du Parti québécois, surtout dans le chapitre 3, les entreprises, dans le chapitre 6 et on peut dire que toute cette partie touche notre vie économique.

Il y a certainement des éléments qui contredisent un peu l'attitude du ministre. Je prends, à titre d'exemple... Il a dit que, dans le domaine de la création des sociétés d'État, il n'y a rien d'idéologique. C'est le pragmatisme pur et simple. Mais je vois dans le programme officiel du Parti québécois, et je cite: "... favoriser, comme forme prioritaire d'intervention dans l'économie, une extension soutenue du secteur public."

Alors, pour moi, ce n'est pas explicité. Il y a, entre parenthèses, entreprises d'État et mixtes, mais pour moi, ça relève plutôt d'une idéologie, d'un plan de base, d'une philosophie de base plutôt que d'un pragmatisme simple. Alors, ma

deuxième question au ministre... Premièrement, est-ce qu'en gros, le plan économique qu'on attend du ministre, du ministère ou je ne sais pas exactement de qui, le plan dont il parle, est-ce qu'on peut s'attendre qu'il va reprendre en gros les éléments, les attitudes, les idéologies, les points de vue qu'on voit dans ce programme officiel du Parti québécois qui date, cette version-ci, de 1978?

Je passe ensuite à une deuxième question. C'est un peu délicat, parce que ça touche aux questions fédérales.

Le ministre, ce matin, ne pouvait pas résister à la tentation de parler un peu du plan d'indépendance du Québec. Il a parlé de la domination fédérale.

Je veux lui rappeler, M. le Président, que le premier ministre, hier... Il nous a dit que, jusqu'ici, depuis deux ans, aucun de ses ministres ou députés n'avait parlé du plan de référendum ou d'indépendance, parce que chacun s'occupait à 100% du bon gouvernement. C'est la cause du problème aujourd'hui. C'est la raison pour laquelle ils perdraient certainement le référendum s'il était tenu aujourd'hui, d'après le premier ministre. Il a défendu à ses ministres et à ses députés, hier, de parler de ces choses jusqu'à mardi prochain, minuit. Je veux simplement rappeler au ministre, quand je pose cette deuxième question, que le premier ministre est probablement à la télévision en ce moment; il doit faire attention à sa réponse, parce que c'est défendu. Il y a un moratoire, d'après le premier ministre, jusqu'à la semaine prochaine, après les élections fédérales.

Mais la question que je veux poser, c'est dans le domaine des pâtes et papiers. Il parlait de la nécessité de restructurer cette industrie et il a parlé, bien sûr, des anciennes usines, des anciennes machines que je connais moi-même, par expérience, mais on vient de conclure une entente fédérale-provinciale avec cette industrie. (11 h 30)

J'aimerais avoir certaines précisions. Premièrement, quel est le montant maximal qui sera versé dans ce programme de relance par les trois éléments, le fédéral, le Québec et l'industrie elle-même? Quel est le pourcentage? Est-ce que le fédéral est là pour 30% et nous pour 30% et l'industrie pour 40%? Quel est le pourcentage? J'aimerais aussi savoir du ministre, comme ministre du bon gouvernement québécois, provincial, comment il voyait les négociations qui ont été faites? Est-ce que les négociations avec le fédéral, qui semble-t-il ont été conclues à la satisfaction de tout le monde, se sont déroulées dans une atmosphère de bonne entente, de bonnes relations? Comment se fait-il que cela ait été réalisé? Est-ce que cela a été fait grâce à nos efforts inouïs contre un fédéral récalcitrant ou s'il y avait une coopération? J'aimerais avoir une description de cette entente qui semble avoir été réalisée d'une façon satisfaisante pour tout le monde. C'est peut-être un exemple d'un système fédéral qui peut fonctionner.

La prochaine question que je veux soulever — je reviendrai plus tard aux sociétés d'État — touche la société SIDBEC et surtout les chiffres. C'est une légère critique que je veux faire au ministre. Il a d'abord parlé, ce matin, de cette question de lancer les chiffres pour expliquer sa position, très vite et dans une présentation qui, pour moi, a été très impressionnante, franchement, de temps en temps, mais qui est souvent incomplète. Je porte à l'attention du ministre cette question du 1,6%. Il a dit qu'il n'y a que 1,6% des Québécois qui travaillent pour les sociétés d'État, mais il laisse tomber CN, Air-Canada et toutes les sociétés d'État qui font partie de notre réseau canadien et où beaucoup de Québécois travaillent.

Je porte à son attention l'importance que cela a, parce qu'il a comparé le Canada à l'Allemagne. Or, tout le monde sait que l'Allemagne, un pays très fort, est aussi un pays fédéral avec les deux gouvernements. C'est un autre système fédéral qui fonctionne très bien, exactement comme le nôtre. J'ai l'impression que quand il a cité les chiffres pour l'Allemagne, il a donné les chiffres pour les sociétés d'État des provinces de l'Allemagne et les chiffres pour les sociétés d'État de l'État fédéral allemand. En effet, il a mis les deux ensemble. Mais, quand il a parlé du Québec, il a seulement donné les chiffres du Québec même.

Je pense que c'est simplement pour démontrer qu'il faut faire attention aux chiffres qui sont lancés non seulement par le ministre, mais par nous tous.

C'est un préambule à une brève discussion concernant SIDBEC. SIDBEC est, pour nous, un fardeau épouvantable. Les citoyens de Québec ont investi, ont payé, depuis douze ans maintenant, à peu près $300 millions en perte pour lancer une industrie de sidérurgie. En effet, la compagnie SIDBEC a vendu, depuis douze ans, de l'acier et des produits de l'acier à un prix inférieur à leurs coûts d'à peu près $300 millions. C'est nous, les contribuables québécois, qui avons subventionné les clients du SIDBEC depuis ce temps.

Le ministre a dit qu'il y avait des problèmes dans le domaine de l'acier, que tout le monde a perdu. C'est quelque chose que le président de SIDBEC avait tendance à dire aussi et c'est quelque chose qu'on peut dire très vite, mais ce n'est pas vrai. J'ai les chiffres ici qui datent de huit ans...

M. Landry: M. le député... M. Scowen: Le...

M. Landry: Vous vous trompez certainement dans l'interprétation des faits, M. le député, quand vous dites que je prétends que tout le monde a perdu, j'ai insisté lourdement pour dire que la sidérurgie canadienne n'avait pas perdu. Je pense avoir été extrêmement clair sur cette question.

M. Scowen: Je vous remercie...

M. Landry: J'aimerais qu'on ait au Québec l'appareillage sidérurgique qu'il y a en Ontario.

M. Scowen: ... ce n'est jamais le sens des paroles de l'ancien président de SIDBEC qui a rempli les journaux et les ondes avec l'efficacité de cette compagnie. En effet, les trois grandes compagnies — à part SIDBEC — qui travaillent, qui fonctionnent au Canada, ont été — comme vous le savez — toutes très rentables...

M. Landry: Je sais, comme j'ai dit...

M. Scowen: ... on est parfaitement d'accord là-dessus. Vous avez dit aussi que SIDBEC a perdu beaucoup d'argent — c'est la seule compagnie canadienne — les contribuables québécois ont assumé cette perte, mais c'était bien dans un sens, parce que les acheteurs d'acier québécois avaient la possibilité d'acheter depuis ce temps de l'acier de notre propre société d'acier, à des prix plus favorables qu'ils pourraient acheter le même acier des trois grandes compagnies canadiennes Algoma, Dofasco et Stelco.

Franchement, M. le ministre, je pense que vous devez supporter cette allégation avec un témoin des compagnies qui peuvent nous donner la dimension des bénéfices qu'elles ont fait pendant cette période, en achetant de SIDBEC plutôt que des autres. J'ai l'impression que vous verrez que si elles ont économisé de l'argent, parce qu'elles avaient la possibilité d'acheter à meilleur prix de SIDBEC que de DOSCO, ce n'est pas beaucoup, c'est quelque chose relativement au transport. Le système de frais de transport est un peu compliqué dans les sociétés d'acier. Je suis persuadé que vous ne pourrez pas déposer devant nous des exemples concrets, des sommes importantes, d'importantes compagnies québécoises qui sont dans la transformation de l'acier, qui peuvent dire: Écoutez, si on n'avait pas SIDBEC, on aurait dû acheter de l'acier beaucoup plus cher ailleurs.

J'aimerais avoir ces précisions, je pense que c'est quelque chose que vous devez supporter. Un dernier point avant que je vous pose deux questions sur les sociétés d'État mêmes M. le Président, où en suis-je?

Le Président (M. Laberge): Vous avez utilisé quinze minutes de votre temps.

M. Scowen: Quinze minutes, alors, je vais parler très vite. Le dernier point, c'est sur la question de l'amiante...

M. Landry: II faut qu'on comprenne quand même.

M. Scowen: Pardon?

M. Landry: Arrangez-vous pour qu'on comprenne, même si vous parlez très vite.

M. Scowen: Oui, pour le ministre c'est souvent difficile, même quand je parle lentement. Je vais faire mon possible.

M. Landry: Posez-vous des questions sur l'ensemble de la Chambre, M. le député.

M. Scowen: L'amiante... La compagnie Asbestos a décidé d'acheter l'amiante — et je cite le ministre à peu près — "Parce que les compagnies d'amiante n'avaient pas fait de transformation ici depuis des années". Pour moi — et c'est la nième fois qu'on le répète — c'est une solution simpliste et la cause et les effets ne sont pas reliés. On peut dire: On veut créer une SIDBEC, on veut faire la transformation de notre minerai de fer, c'est essentiel de nationaliser The Iron Ore Company. On peut dire qu'on veut assurer l'avenir de notre industrie du textile, alors il faut natinaliser DuPont. On veut garantir la croissance de nos imprimeries québécoises, alors, on nationalise la compagnie Rolland Paper, parce que c'est cette compagnie qui fabrique le papier. Pas du tout — et tout le monde le sait, M. le ministre — on ne peut pas dire que, pour développer un secteur secondaire dans n'importe quel domaine, ce soit nécessaire d'acheter et de nationaliser les compagnies qui fabriquent des matières brutes. Ces deux problèmes ne sont pas du tout liés, pas du tout. La preuve, M. le Président, c'est que le ministre vient de parler de développement, de la création d'une industrie à Wayagamack, qui va faire la transformation des produits de la fibre d'amiante ici, bien avant qu'on ait nationalisé la société d'Asbestos. C'était une initiative suscitée, comme il l'a dit, par le secteur public, par le secteur privé. Cela va rester, même si I'Asbestos n'est pas nationalisée.

Il y a des moyens de créer beaucoup plus d'industries secondaires qui utilisent notre matière première, dans le cas de l'amiante, ou la matière première des autres, comme j'ai dit hier, comme dans le cas des boulangeries qui utilisent le blé de la Saskatchewan. On peut développer notre secteur secondaire, on peut développer notre secteur tertiaire, sans nationaliser nos richesses naturelles.

Je ne dis pas qu'il n'y a pas de cas où on doit nationaliser les richesses naturelles, bien sûr, mais de lier les deux, c'est du simplisme et c'est de la mauvaise économie. Finalement — j'imagine que je n'ai que deux ou trois minutes — je vais poser deux questions qui touchent directement aux sociétés d'État, j'espère que le ministre trouvera le temps de répondre. La première, je ne passe pas de message, je pose des questions, c'est le champ d'action des sociétés d'État. Je pense qu'on est sur la même longueur d'onde, j'accepte que les grands monopoles comme l'énergie ou comme les télécommunications dans plusieurs pays, dans plusieurs États, c'est un champ d'action accepté pour l'État en ce qui concerne les sociétés d'État.

J'admets aussi, bien sûr, un débat qui est légitime en ce qui concerne les industries qui touchent les richesses naturelles. Je vous avais dit pourquoi je suis contre l'amiante, mais, quand même, j'accepte que, dans ces domaines, il y a du pour et du contre et c'est bien. Mais nous avons développé depuis quinze ans, pour plusieurs raisons qu'on connaît, une série de petites indus-

tries, la plupart font partie de la Société générale de financement. Je pense que tout le monde est d'accord que ces sociétés, je parle de Volcano, Forano, j'ai toute la liste ici, sont de petites compagnies qui font concurrence à plusieurs compagnies dans le secteur privé, et je veux demander au ministre, parce que je pense que, d'après nos conversations avant Noël sur la SGF, on a l'intention de se débarrasser de ces sociétés aussi vite que possible.

Je veux avoir un peu de précision du ministre sur l'échéancier, si c'est vrai qu'il va se débarrasser ou s'il a changé d'idée depuis Noël, une idée qui était inscrite dans le programme qui nous a été donné par la SGF, si on a changé d'idée et pourquoi? Est-ce qu'on va retourner ces sociétés au secteur privé et quand?

Mme la Présidente, j'ai une dernière question qui touche simplement...

La Présidente (Mme Cuerrier): Rapidement, M. le député, le temps dont vous disposez est déjà écoulé.

M. Scowen: Parfait.

M. Landry: Allez-y pour votre dernière question, si vous voulez. Vous m'avez empêché de répliquer vendredi dernier...

M. Scowen: Non.

M. Landry: ... ce n'était pas gentil de votre part, mais je vais vous permettre de poser encore une question, même si vous n'avez plus de temps.

M. Scowen: C'est une question que je peux poser en 60 secondes et c'est encore une question de fait, si vous me permettez, c'est le contrôle des sociétés d'État, j'espère que vous allez vous lancer là-dedans ce matin. Je prends à titre d'exemple seulement la compagnie Marine, où le président répond à la fois au conseil d'administration de Marine, au président du conseil d'administration de la SGF, au PDG de SGF, au ministre, au ministère, au ministre des Finances, tous ces problèmes dont vous êtes très conscient. J'ai fait une étude là-dessus moi-même pour le ministre, il y a trois ans. Je pense que c'est une question très importante et j'aimerais, avant la fin de la matinée, si possible, que vous parliez un peu de cette question. Je vous remercie, madame.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre d'État au développement économique.

M. Landry: Pour la dernière question du député, je soumets qu'on pourrait peut-être s'occuper, pour le temps qui reste, d'autre chose qu'à la réponse de cette question et je vous dis pourquoi. À la suite d'une motion de l'Union Nationale, qui a été votée par cette Chambre, il y a une commission parlementaire qui s'occupe de la question. La commission parlementaire a constitué une sous-commission qui s'est réunie à plusieurs reprises et qui doit se réunir bientôt d'une façon finale, et on a déjà eu l'assentiment de votre formation politique, M. le député de Notre-Dame-de-Grâce, sur une formule que nous allons proposer bientôt. Je pense que ce ne serait pas sage d'utiliser le temps qui nous reste à ça. (11 h 45)

Pour les autres questions, vous avez parlé du programme du Parti québécois et d'un plan indicatif. Je ne vous ferai pas l'injure de penser que vous ne savez pas ce qu'est un plan économique ou un plan indicatif. Mais au cas où certains ne le sauraient pas, un plan implique une décision centralisée et mathématique des quantités à produire. Ce n'est pas un plan d'action. Un plan, au sens économique du terme, je vais vous en donner un exemple: l'usine de tracteurs de Leningrad doit produire 5000 unités. C'est décidé d'avance. C'est un plan quinquennal. 5000 unités. Et on commande à la sidérurgie de Kiev, s'il y en a une à Kiev, l'acier qu'il faut, et à l'usine de pneus, à telle autre ville. C'est un plan.

Je n'ai aucune espèce de confiance dans cette façon de gérer l'économie. Ni pour aujourd'hui, ni pour demain. Je ne peux pas être plus franc avec vous. Cela donne lieu à des choses ridicules, des gaspillages économiques, des rigidités. L'usine de tracteurs atteint son objectif, l'usine de pneus ne l'atteint pas. Tu te retrouves avec des champs complets, des parcs de tracteurs pas de pneus, des choses complètement ridicules. L'industrie textile, en Union Soviétique, quand est arrivée la mini-jupe, n'avait pas prévu le coût dans son plan quinquennal, de sorte que les femmes soviétiques se sont mises à couper les jupes trop longues vendues dans les magasins. Ils ont perdu la moitié de la production en déchets. Vous me direz qu'ils auraient pu faire deux mini-jupes avec le même tissu, mais, en tout cas.

C'est pour vous dire que ces plans-là — et j'espère que cela règle la question pour ce matin — je n'y crois pas, dans nos contextes et dans nos économies. Je ne dis pas qu'un pays sous-développé, où le revenu per capita est de $375 par année et où les gens meurent de faim, ne doit pas être l'objet d'un plan impératif, même presque autoritaire, s'il le faut, pour sauver la vie des gens qui n'ont pas de quoi manger.

Mais, dans les économies développées comme les nôtres, dans le contexte nord-américain, un contexte de liberté des citoyens et des entreprises, réglons la question. Cela ne tient pas debout.

Quant à un plan indicatif à la française, qui suppose aussi un appareillage mathématique extraordinaire, appareillage statistique, appareil de prises de décision, là, je n'ai pas la même attitude négative. L'économie française, après la guerre, a réalisé, avec sa planification, et en partie à cause de sa planification indicative... Ce n'est pas donner l'ordre à telle usine de faire telle quantité, c'est essayer de prévoir quelle quantité telle usine produira et lui fournir les matières premières, et faire les grands ajustements, avec la partie que l'État prend, les taxes, les équipements collectifs, une vue rationnelle de l'économie, en

d'autres termes. Un plan indicatif, ce serait peut-être souhaitable pour le Québec, éventuellement.

Mais je dis tout de suite — et je veux soulager les angoisses que peut vous donner le programme du Parti québécois — que le programme du Parti québécois est fait dans l'hypothèse de la souveraineté-association, pour une grande partie des mesures qu'il préconise. Présentement, même un plan indicatif pour le Québec, qui est une province de la fédération canadienne, est absolument impensable. Comment puis-je faire un plan indicatif si la Banque du Canada décide, pendant que j'ai une politique expansionniste, de faire une politique de serrage du crédit, par exemple? Pendant que je veux faire construire des unités de logements, on monte le taux d'hypothèque à 12,5% ou à 13,5%. Il faut oublier cela dans le contexte présent. Dans un contexte de souveraineté-association, c'est une tout autre affaire. Et je pense qu'il serait souhaitable que nous ayons une approche plus rationnelle de l'économie, tout en laissant la liberté aux agents, éventuellement, dans une planification indicative de type français.

Encore là, cela ne fait pas de miracle. Je me souviens du père du plan français, M. Jean Monnet, qui est décédé récemment, qui a vécu à Montréal, pour ceux qui ne le savent pas, parce qu'il était membre de la famille des cognacs Monnet. Il était venu vendre du cognac à Montréal pendant un an. C'était un homme absolument extraordinaire, le père du plan français.

Il disait à peu près ceci: Ceux qui pensent que le plan développe l'économie, ils sont comme le coq Chantecler, dans Edmond Rostand. Chantecler, ce coq, était tellement bête que, lorsqu'il chantait, il pensait que c'était lui qui faisait se lever le soleil.

Jean Monnet avait dit: Le plan français ne fait pas lever le soleil. Et ce n'est pas parce que le coq a chanté que le soleil s'est levé. Mais, avec ce plan, on fait que le soleil se lève avec un peu moins de brume. Voyez-vous, c'est dit d'une façon subtile. On ne peut pas demander n'importe quoi à un plan. Peut-être qu'on pourra en avoir un et je souhaite que nous en ayons un de ce genre, dans un Québec souverain, où nous aurons une marge de manoeuvre beaucoup plus grande, comme la France est un pays souverain dans le cadre du Marché commun européen; c'est exactement la même formule que nous proposons d'ailleurs pour l'insertion du Québec dans l'appareil économique.

Le député de Notre-Dame-de-Grâce a parlé également d'idéologie et de pragmatisme toujours en regard du programme du Parti québécois, mais le programme du Parti québécois peut préconiser une extension du secteur public et le faire par pur pragmatisme. Quand on préconise de nationaliser l'Asbestos Corporation, ce n'est pas une question d'idéologie, c'est une question pragmatique. En 75 ans, en 90 ans, les compagnies n'ont pas réussi à faire de la transformation et les entrepreneurs québécois n'ont pas réussi à s'infiltrer dans ce domaine. On prend des choses que Louis-Alexandre Taschereau aurait dû faire. Comment peut-on parler d'idéologie dans le cas de Louis-Alexandre

Taschereau qui n'était pas marxiste ou de quelque autre tendance du même genre, que je sache.

Le député de Notre-Dame-de-Grâce m'a fait une petite pointe sur le référendum en déformant grossièrement les paroles du premier ministre. Le premier ministre lui-même à plusieurs reprises a parlé de la souveraineté-association. Il est allé en parler à l'Economic Club de New York, il est allé en parler dans tous les pays du monde. J'ai fait la même chose. Nous sommes des militants de la souveraineté du Québec, déjà, depuis une bonne quinzaine d'années. Cela fait quinze ans qu'on parle de cela. Qui aurait sérieusement pensé qu'une fois élus pour faire un bon gouvernement, ce que nous avons fait, nous cesserions de parler de notre idéal québécois dont nous entretenions la population d'abord en petit nombre et puis en nombre grandissant depuis quinze ans? Il n'est pas défendu de parler de la souveraineté-association, il n'a jamais été défendu de parler de la souveraineté-association. D'ailleurs, il n'est défendu de parler de quoi que ce soit au Québec. Tout le monde... Le député de Notre-Dame-de-Grâce peut préconiser les formules qu'il veut, nous préconisons celles qu'on veut en parfaite liberté de parole et d'action. C'est bien ainsi et c'est un objectif fondamental du gouvernement de préserver cela.

Dans un des raisonnements qui introduisaient une question du député de Notre-Dame-de-Grâce, je vois une faille logique et politique qui saute aux yeux. Il a dit, prenant un exemple: Si on veut du minerai de fer, on va nationaliser I'lron Ore, essayant d'affaiblir la position de certaines nationalisations. C'est exactement ce que les libéraux ont fait. Ils n'ont pas nationalisé I'lron Ore, mais ils ont créé une société publique qui s'appelle SIDBEC-Normines. C'était M. Guy Saint-Pierre — le député a déjà été dans son cabinet — et M. Raymond Garneau qui était ministre des Finances, ils se sont associés avec British Steel Corporation qui est une sidérurgie publique comme SIDBEC qui a à peu près les mêmes genres de malheurs et, pour avoir du minerai de fer, ils ont intégré une société nationale jusqu'à la mine et c'est pour cela aujourd'hui que SIDBEC-Normines est la partie minière avec une usine de bouletage, l'expédition au midrex et que SIDBEC est devenue une sidérurgie intégrée. On a eu une démission à SIDBEC dernièrement. Cela a fait couler beaucoup d'encre, etc. On peut rendre hommage à M. Jean-Paul Gignac qui a porté SIDBEC sur ses épaules pendant dix ans, d'avoir fait cette chose que de créer une sidérurgie intégrée de la mine aux sorties du laminage à froid. Ce n'est pas n'importe quoi. Cela a coûté cher, me direz-vous. S'il l'avait fait à l'époque où les grandes sidérurgies canadiennes se sont constituées, à l'époque où il n'y avait pas de syndicats, époque à laquelle il ne faut pas revenir — qu'on ne me prête pas d'intentions — à l'époque où il n'y avait pas de conditions minimales de travail, à l'époque où il n'y avait pas de difficultés d'environnement, s'il avait travaillé dans les mêmes conditions que les sidérurgistes "Canadian" de la fin du siècle dernier, on dirait

peut-être aujourd'hui que c'est un des grands "tycoons" de la sidérurgie contemporaine et qu'il a fait un "job" fantastique. En tout cas, quelles que soient les critiques que l'on puisse faire à l'égard de l'ancien président, du président démissionnaire de SIDBEC, SIDBEC-Normines existe, les midrex existent et parmi les plus performants du monde dans leur catégorie. Le Québec a une sidérurgie intégrée et, pendant tout ce temps-là, il y a des Québécois qui ont appris la sidérurgie, qui ont travaillé dans la sidérurgie. Il y a 5000 travailleurs à SIDBEC, ce n'est pas n'importe quoi.

Le député de Notre-Dame-de-Grâce disait que je n'ai pas démontré à l'aide de chiffres ce que les clients de SIDBEC ont gagné. Les clients de SIDBEC, ils sont par milliers. On pourra toujours faire l'analyse statistique. Je ne pense pas que ces données-là existent, mais une chose est certaine, ce n'est pas seulement une question de prix, quand l'acier devient rare, si tu n'es pas dans le club, si tu n'es pas client de l'usine, tu t'en passes, et cela, c'est extrêmement grave. Il y a des flambées dans l'acier à un moment donné, les prix flambent et tu ne peux plus avoir d'acier de l'usine, c'est aussi simple que cela, si tu n'es pas dans le club.

SIDBEC, comme toutes les autres sidérurgies, a ses clients. Il y a des gars qui ont été clients de SIDBEC et qui ont pu faire fonctionner des entreprises de transformation ou faire de l'acier d'armature. L'Hydro-Québec a pu s'approvisionner facilement en acier, parce que SIDBEC existait et consentait à lui en vendre. Le monde de l'acier, c'est un monde d'une dureté extraordinaire. Je ne sais pas si vous vous rappelez des paroles du président Kennedy, que j'ose à peine répéter à la télévision. Il avait dit que les gens de l'acier, c'étaient des "s.o.b.", pour ceux qui comprennent l'abréviation. C'est un métier dur. Je ne veux pas dire que les sidérurgistes canadiens sont ce qu'avait dit le président Kennedy des Américains, mais SIDBEC a permis une forte présence québécoise dans un milieu dur, hautement concurrentiel. Je suis persuadé qu'il y a actuellement des petits entrepreneurs qui nous écoutent, qui ont acheté de l'acier de SIDBEC qu'ils n'auraient jamais pu acheter de personne d'autre dans les conditions où ils ont pu l'avoir.

Le député de Notre-Dame-de-Grâce fait une petite parenthèse sur l'Allemagne fédérale aussi, oui. D'abord, dans les statistiques que je lui ai données, j'ai compté le secteur public de la Bundes Republik, mais je n'ai pas compté les länder. S'il veut faire la petite comparaison, provinces et entreprise fédérale au Canada, il faudrait que j'ajoute à mon chiffre les entreprises publiques des länder. Je lui dis également en passant qu'entre la République fédérale d'Allemagne et la monarchie fédérale canadienne, il y a des différences qui sont comme le jour et la nuit. Imaginez-vous que ce sont les lànder qui perçoivent toutes les taxes et qui envoient un chèque à Bonn. Ce n'est pas tout à fait la même chose.

Dans le contexte de la souveraineté-association, c'est comme cela qu'on va contribuer aux institutions "Canadian" ou canadiennes. Le Qué- bec va percevoir tous les impôts et les taxes, comme le font essentiellement les lànder allemands. Le ministre des Finances du Québec va adresser un chèque global: Contributions québécoises à l'Association économique canadienne. Cela rejoint un peu ce qu'un grand leader politique québécois, un chef de l'Union Nationale demandait. Quand M. Daniel Johnson disait: 100 — 100 — 100, il préconisait une formule qui ressemble à celle de la République fédérale d'Allemagne et à ses lànder qui sont des États extrêmement plus puissants et aux pouvoirs beaucoup plus étendus que n'importe quelle des provinces du Canada.

Certaines questions aussi ont été posées sur les pâtes et papiers et sur les négociations avec le fédéral. Le député de Notre-Dame-de-Grâce n'est pas sans se douter que si le ministre de l'Expansion économique régionale n'était pas en élection présentement et s'il n'y avait pas, dans sa propre région, des formations politiques extrêmement actives qui — c'est la sagesse politique et c'est la démocratie — font réfléchir les politiciens plus en période électorale qu'autrement, je ne sais pas si on aurait signé. Cela fait un an et demi qu'Ottawa nous retarde. Cette année et demie peut nous coûter très cher, parce que notre stratégie, en termes de pâtes et papiers, c'est d'empêcher que les Américains, avec leur pain jaune dans le sud, ouvrent des usines pour nous prendre nos marchés. Le temps compte.

Si la production québécoise n'est pas haussée — et c'est notre principale difficulté avec le fédéral, l'accélération de la vitesse-machine... C'est une situation avantageuse que le Québec a et que peu de provinces ont. Les machines à papier au Québec étaient vieilles, elles avaient été conçues comme on le faisait dans le temps, les ingénieurs avaient des techniques moins perfectionnées. Ils disaient: Trop fort ne casse pas. Ils ont fait des machines extrêmement solides, extrêmement robustes et, aujourd'hui, on peut les accélérer en changeant des roulements à bille et des moteurs. On peut peut-être augmenter la production de 600 000 ou 700 000 tonnes avec des investissements vraiment presque insignifiants, en accélérant par changement de roulement à bille et moteur.

Les Américains ne peuvent pas faire cela, et c'est là que nos vieilleries nous servent, dans une certaine mesure. Ils ont des machines qui ne peuvent pas s'accélérer. Ce sont des machines pratiquement contemporaines. Ces machines leur ont coûté très cher. Notre stratégie consistait à faire qu'on produise 600 000 ou 700 000 tonnes de plus pour enlever l'idée à un industriel du sud des États-Unis de se construire une usine. Or, il est peut-être en train de construire une usine au moment où on parle. Il va être notre concurrent sur les marchés américains. Si le fédéral avait bougé et si le fédéral avait répondu à nos demandes il y a un an ou un an et demi, on aurait peut-être eu une stratégie encore plus efficace, parce qu'on n'aurait pas donné le temps aux Américains de réagir. Là, on leur a télégraphié toute l'affaire. (12 heures)

Je ferai remarquer — cela va frapper le chef de l'Union Nationale — que, quand le Canada était prêt à faire une chose et que le Québec n'était pas prêt, exemple, l'assurance-santé, le fédéral l'appliquait tout de suite. Du temps de M. Jean-Jacques Bertrand, on a perdu $350 millions, parce que notre programme n'était pas prêt et que les programmes canadiens étaient prêts. Ne t'inquiète pas, les technocrates fédéraux de l'Université Western Ontario qui sont à Ottawa et qui sont à Queen's Park s'étaient entendus et le programme est parti. Là, parce que le Québec était prêt avant tout le monde pour son programme de pâtes et papiers, il nous a renversé le bonnet. Là, le Québec est prêt et le fédéral n'est pas prêt, tout le monde attend. Avant ça, c'était: Tout le monde est prêt, le Québec n'est pas prêt, on n'attend pas. Une belle illustration de ce que nous coûte économiquement le fédéralisme canadien.

Le député a également demandé des proportions. Oui, le gouvernement du Canada contribue au programme dans une proportion d'à peu près 60%-40%, c'est-à-dire la clé habituelle, mais n'oubliez pas que les taxes de ces compagnies, les impôts sur les corporations de pâtes et papiers, ça va surtout à Ottawa. On est marginaux, nous, dans le domaine de la taxation des compagnies. Alors, le fédéral ne peut pas dire: Je suis généreux. Il fait simplement faire une ponction fiscale extraordinaire sur les 50 usines de papier qu'on a et, si ces usines deviennent plus rentables et plus productives, le gouvernement fédéral va se compenser à peu près 50 fois de l'argent qu'il va nous donner dans une période de dix ans. Il n'y a pas de générosité là-dedans. C'est de la réelle politique, comme on dit.

M. Scowen: Quel est le pourcentage des compagnies mêmes? C'est entre...

M. Landry: Le pourcentage des compagnies? M. Scowen: Oui, c'est 60%-40%, mais...

M. Landry: Ah! c'est 60%-40%, au programme fédéral.

M. Scowen: Le gouvernement y verse quel pourcentage...

M. Landry: Cela pourrait être dit globalement, parce que vous savez que l'analyse d'investissement est faite usine par usine. Je pense qu'il y a 50 usines, peut-être 52. Il y en a qui vont demander des investissements énormes et qui vont être plus aidées, et d'autres qui le seront moins. C'est difficile à dire et, ensuite, il y a toute la partie du travail forestier. Je pense qu'il va falloir attendre six mois avant qu'on négocie avec chacune pour vous donner des chiffres, qu'on vous donnera volontiers à cette époque.

Maintenant, Forano et Volcano, vous me dites qu'on veut se défaire de Forano et Volcano. Je vous l'ai dit. Elles sont sorties du rouge, elles ont fait comme le Québec, elles sont sorties du rouge.

Depuis leur sortie du rouge, on est moins vendeur qu'on était. Samoco, on perdait notre chemise avec ça. C'est à vendre, on a sept acheteurs. Mais Forano et Volcano, là, c'est une autre paire de manches. Si ces compagnies sont revenues dans la rentabilité, sont prêtes à l'expansion et tournent bien, ça ne se présente pas tout à fait de la même manière.

En terminant, le député avait tellement de questions que je m'excuse de ne pas avoir répondu à toutes. J'ai tenté honnêtement de ramasser tout ce que j'ai pu dans ses demandes.

M. Russell: Mme la Présidente...

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Brome-Missisquoi.

M. Russell: ...même si j'ai perdu un peu de temps la semaine dernière, je voudrais tâcher de l'utiliser cette semaine et je vous avertis immédiatement que je vais utiliser mes 20 minutes immédiatement. Cela ne créera pas de problèmes après à qui que ce soit. La semaine dernière, j'ai pu en avoir à peu près neuf et j'ai manqué de temps. De toute façon, je vais le faire d'une façon très sommaire. J'ai bien des questions à poser, mais je ne voudrais pas, non plus, me laisser entraîner sur le terrain où le ministre voudrait nous entraîner en tentant de répondre au député de Notre-Dame-de-Grâce, quoique le député de Notre-Dame-de-Grâce ait posé des questions assez intéressantes. Je suis d'accord sur certaines d'entre elles, mais, sur d'autres, je le suis moins.

Lorsqu'il dit que ça va bien avec le fédéral, si j'écoute la télévision et les nouvelles, M. Broad-bent, M. Clark et M. Roy, je suis d'opinion qu'il y a un petit malaise quelque part, parce qu'eux, ils ne semblent pas s'accorder sur bien des points.

En ce qui concerne SIDBEC, je suis un peu d'accord avec lui à savoir qu'il y a eu là un malaise qui a été créé et je dis que les responsables de l'administration doivent en prendre la responsabilité. On sait que Quésteel a failli et on sait pourquoi. Cela a été une baisse du marché canadien. SIDBEC a créé l'augmentation du prix de la "scrap" et a baissé le prix de l'acier, ce qui a mis la main au collet de Quésteel, qui a croulé. Ensuite, SIDBEC est revenue et on l'a achetée à un prix très modeste ou à peu près pour rien. Aujourd'hui, on tente de l'améliorer.

Mais c'est sur ce point que je voudrais faire part au ministre de certaines des grandes inquiétudes que nous posent certaines de nos sociétés d'État.

Tout à l'heure, on a parlé de questions de revanche lorsqu'on fait la nationalisation en citant Renault. On sait que Renault a été... Je ne discuterai pas la question au mérite de la nationalisation de Renault. Je sais qu'on l'a vécue nous aussi un peu au Canada. On a créé une société d'État qui fabrique des Renault, avec un grand président, qui travaillait anciennement pour le Devoir, mais ça n'a pas été tellement chanceux. C'est le même gars ensuite qui a pris effective-

ment Marine Industrie et qui, avec la même façon d'agir, aurait obtenu à peu près les mêmes résultats.

Une chose qui est certaine, c'est que, si on a nationalisé Renault pour la revanche, les nationalisations qu'on a tenté de faire ou qu'on a faites n'ont certainement pas été par revanche. Au dire de plusieurs grands politiciens, lorsqu'on a créé la Société générale de financement, on a acheté des actions, pas totalement, mais en partie, de certaines de nos sociétés comme Marine Industrie et comme Forano et Volcano, pour ne mentionner que ces cas-là; c'était pour éviter des problèmes de succession à de grandes familles qui étaient reconnaissantes à un certain parti politique, sans mentionner personne.

M. Landry: C'est le contraire de la vengeance.

M. Russell: C'était le contraire de la vengeance, assurément, mais c'était la façon d'agir. Qu'est-ce que cela a rapporté? On aurait peut-être été mieux d'abolir le montant d'impôt qu'on aurait retiré par les droits successoraux que de créer cette Société générale de financement pour faire deux choses: donner des "jobs" à certains amis du groupe et ensuite prendre des sociétés qui ont créé des malaises dans l'ensemble économique du Québec.

Je voudrais surtout parler d'une société qu'on connaît très bien et dont on dit qu'elle marche dans le noir actuellement, peut-être parce que l'entreprise privée a failli dans le domaine ou a été très faible et qu'on a réussi à prendre le dessus; ce n'est pas moi qui le dis, c'est écrit dans un rapport, dans le cas de Forano. Forano, on l'a nationalisée... c'est-à-dire qu'on ne l'a pas nationalisée, mais on a acheté des actions. Une partie des ventes de Forano était de l'équipement qu'on importait de l'étranger et qui faisait la concurrence, dans bien des cas, à des industries canadiennes québécoises. Forano, dans un de ses rapports, disait que la concurrence était tellement dense qu'elle a dû réduire ses prix. C'est cela qui a créé le déficit. Si Forano a eu des déficits en réduisant ses prix, qu'est-il arrivé à l'entreprise privée qui, elle, n'avait pas l'État derrière elle pour la sauver, pour la supporter, pour la garantir? Forano a créé un certain malaise.

Les sociétés comme Forano ne devraient pas recevoir le soutien direct ou indirect de l'État. Je suis d'accord que l'État intervienne par un organisme qu'on peut appeler une banque industrielle — donnons-lui le nom qu'on voudra — et c'est à cela que je faisais référence hier lorsqu'on parlait de la loi 7, une société qui deviendrait une société qui prête à l'industrie privée qui est en difficultés; non pas un parapluie quand il fait beau, comme on tente de le faire actuellement.

Mme la Présidente, tout à l'heure, on a parlé de l'entente conclue dans le domaine des usines à papier. On est fier, on l'a d'ailleurs dit, que cette entente ait été conclue. On a parlé de cette entente il y a au-delà de deux ans. J'ai moi-même dit au ministre des Terres et Forêts, dans le temps, qu'il y avait un grave malaise et qu'il fallait agir immédiatement. D'accord, le ministre a dit qu'il s'orientait vers cela, mais qu'il était difficile de s'entendre avec Ottawa. Je suis d'accord qu'il y a eu une lenteur inacceptable. Par contre, il a été prouvé qu'il est possible de s'entendre avec Ottawa. L'entente est conclue; malheureusement, cela a retardé plus que cela aurait dû.

Je me demande si le même malaise ne se crée pas actuellement au niveau du programme du Parti québécois, du gouvernement actuel. Il y a deux ans et demi, il a été élu, en 1976, sous l'étiquette d'un bon gouvernement. Si je regarde son programme politique, ces gens avaient certainement, à ce moment-là, des solutions possibles, immédiates, des applications de solutions immédiates. Je ne sais pas ce qui s'est passé depuis deux ans et demi, le ministre a fait allusion à certaines difficultés dans les systèmes démocratiques, à un accord tacite avec ses collègues; parfois, c'était difficile, on est bien conscient de cela. Il y a des mesures radicales qui doivent être prises et je pense qu'en bons administrateurs, comme ces gens prétendent l'être, ils auraient dû prendre ces mesures avant deux ans et demi.

Il y a des choses qui sont drôlement inquiétantes, et je ne voudrais pas les repasser une après l'autre. On a mentionné que Forano marchait dans le noir; il faudrait peut-être examiner si le fait que Forano marche dans le noir n'a pas nui à d'autres dans le domaine de l'entreprise privée, et c'est la même chose pour Volcano. Volcano marche dans le noir et aurait dû toujours marcher dans le noir quand on connaît la situation chez Volcano.

Il y a d'autres sociétés d'État qui nous inquiètent un peu. On peut faire dire aux chiffres à peu près ce qu'on veut. On sait que dans l'opération gouvernementale, un contrôle se fait. Si on prend tous les ministères, les Travaux publics, les transports et les autres, tous les documents qui y passent doivent passer à la trésorerie, même si c'est $25 000 et plus ça doit passer devant la trésorerie avec une surveillance très rigide, composée de ministres et qu'on surveille. Ensuite on a la commission des engagements financiers qui a un droit de regard là-dessus, mais ce n'est pas la même chose pour une société d'État, aucune d'elles ou à peu près aucune d'elles — pour n'en mentionner que quelques-unes — comme l'Hydro-Québec, la Curatelle publique, l'Office des autoroutes, la Régie du Grand Théâtre, SIDBEC et toutes ses filiales, on a la Société d'aménagement de l'Outaouais, la Société des alcools, la Société de la Baie-James, la Société générale de financement, la Société Inter-Port. Société des parcs industriels et j'en passe.

Mme la Présidente, j'aimerais que le ministre, dans toute sa planification, nous indique quelles mesures le gouvernement a prises ou prendra pour tâcher d'établir des contrôles très rigides dans l'administration de ces sociétés? Surtout pour essayer de savoir s'il y a une possibilité de contrôler ou de freiner les dépenses bien exagérées. Quand on parle de Forano, j'avais une petite

coupure drôlement intéressante, qu'on pourrait peut-être présenter au ministre afin qu'il réfléchisse un peu. Je pense que c'est le président de Forano, l'administrateur, le responsable, M. Jacques Villeneuve, qui attribue ce revirement spectaculaire de $3 700 000 à deux facteurs. En premier lieu, la dévaluation du dollar canadien a grandement favorisé les ventes d'équipements à l'industrie forestière, et, deuxièmement, un nettoyage dans les coûts de la firme de bois franc a permis d'économiser $2 millions, ce qui veut dire un nettoyage de $2 millions. Imaginez-vous, si on a réussi à faire un nettoyage chez Forano de $2 millions, ce n'est pas la plus grosse des sociétés contrôlées par la SGF. C'est encore très petit, comparativement aux sociétés d'État que je viens de mentionner, sur lesquelles on n'exerce aucun contrôle rigoureux comme on le fait au niveau d'un petit ministère.

C'est ce qui a amené l'Union Nationale à faire la motion que le ministre connaît. On voulait créer une commission qui aurait un droit de regard là-dessus, qui comprendrait des hauts fonctionnaires et tout le mécanisme nécessaire pour avoir un droit de regard sur toutes les dépenses des sociétés d'État. Cette commission — comme le chef de l'Union Nationale l'a dit tout à l'heure — était acceptée quant à sa formation de façon unanime par l'ensemble des députés en Chambre, mais il ne semble pas que ça bouge très vite. Je me demande si c'est si compliqué que ça, parce que si tel est le fait, on ne l'aura peut-être pas encore dans un an cette commission. Et pendant tout ce temps, aucun contrôle ne se fait pour ces sociétés d'État.

Je pense que le ministre sera d'accord avec moi pour dire que le contrôle sur l'administration d'une société, qu'elle soit privée ou d'État, c'est le début de la sagesse. Une surveillance. Cela va protéger non seulement le gouvernement, mais ça va même permettre aux ministres de remplir leur rôle, leurs obligations d'être de bons administrateurs. Cela va aider aux présidents, aux gérants, aux administrateurs de toutes ces sociétés d'État de se faire respecter, parce qu'ils ne connaissent jamais le moment où ils seront appelés à venir parader devant ce comité qui sera composé seulement de députés, pas de ministres, autant de l'Opposition que du gouvernement, et qu'ils auront tous les spécialistes nécessaires pour enquêter comme ils le désirent, afin de s'assurer que tout sera fait dans l'ordre, convenablement. Si certains ne se conforment pas au respect du fonctionnement des choses normales, qui font des erreurs, ils prendront leurs responsabilités, ils subiront les conséquences comme le font souvent les administrateurs d'entreprises privées qui font des erreurs, ils sont obligés d'en subir les conséquences.

Quand je regarde un peu en arrière, quand je regarde l'histoire — je ne voudrais pas vous parler sur chacune de ces sociétés-là mais vous en mentionner seulement quelques-unes — quand je regarde l'affaire de Samoco, je trouve qu'il est affreux, inacceptable, qu'on ait investi ou englouti dans une scierie, une toute petite scierie, $24 millions. C'est absolument inacceptable. Le ministre dit qu'on a seize acheteurs. Je comprends. Il vaudrait mieux la donner, ça va coûter meilleur marché de la donner à quelqu'un pour s'en débarrasser que de tâcher de l'administrer et continuer à perdre de l'argent comme on le fait maintenant. (12 h 15)

C'est inacceptable, c'est un domaine que je connais très bien. Si on continue à administrer de cette façon dans d'autres sociétés d'État, où les montants sont beaucoup plus libéraux, si on peut dire, je me demande si on n'aura pas des précautions très rigoureuses à prendre pour s'assurer d'un meilleur fonctionnement.

Mme la Présidente, tout à l'heure, on a parlé de philosophie, on a tâché de parler de la seule possibilité d'administrer ou de redresser l'économie québécoise: la souveraineté-association ou la séparation, avec laquelle je ne suis nullement d'accord. Je le dis carrément, je ne voudrais pas me laisser entraîner non plus par le ministre dans une discussion sur la souveraineté-association, je voudrais simplement qu'on se penche sur le mandat que cette commission a d'examiner les points qui sont mis devant nous actuellement: le contrôle sur les sociétés d'État et l'effet économique des sociétés d'État sur l'économie québécoise.

On a des points qui ont été touchés par le chef de l'Union Nationale ou le député de Notre-Dame-de-Grâce qui indiquent clairement que la négociation est possible. D'abord, le secteur des pâtes et papiers nous l'indique clairement. On sait que certains agissements du fédéral peuvent créer un malaise économique dans une province, quelle qu'elle soit, le Québec ou ailleurs, c'est évident, c'est certain. Il s'agit encore là de s'entendre avec le gouvernement central. Je sais aussi que certains agissements de certaines sociétés d'État qui sont créées par le gouvernement peuvent déclencher une réaction et créer un malaise économique chez l'entreprise privée.

Cela aussi devrait être fait avec beaucoup de délicatesse. Il y a les points les plus frappants que le ministre devrait retenir et qui nous expliquent clairement ce qu'il a l'intention de faire, c'est le contrôle financier de chacune des sociétés d'État, pas simplement un voeu pieux, mais il est indirectement responsable de ce domaine, qu'il nous dise quand ça va avoir lieu. Il y a une commission parlementaire qu'on a demandée, on ne sait même pas quand on va l'avoir. On avait promis, à la suite de l'élection, qu'on corrigerait toute cette situation. Dieu sait que ce n'était pas drôle, je suis bien d'accord avec lui que l'aspect économique n'était pas drôle en 1976.

Mais il faut être dans le domaine pour savoir que ce n'est pas trop reluisant encore. Je pourrais bien me retourner de bord et accuser seulement le gouvernement fédéral, mais je sais que les deux ont une responsabilité. Je trouve qu'actuellement, dans le domaine de l'administration provinciale, je pourrais bien dire municipale et fédérale, il y a une action qui doit être prise par les responsables,

indépendamment des partis auxquels ils appartiennent. Actuellement, le gouvernement du Québec, c'est le Parti québécois, mais on n'a pas le droit de se laisser entraîner vers cette politique sociale-démocrate, tant libérale qui a été amorcée en 1960. Je ne voudrais pas, le ministre y a fait allusion tout à l'heure, tout repasser étape par étape, expérience par expérience vécue; le ministre et le gouvernement les connaît comme nous, ce sont des chiffres qui demeurent là, des actes qui demeurent là, c'est l'expérience du passé qu'on devrait regarder et nous assurer qu'on va faire des correctifs acceptables pour s'assurer de l'avenir économique de notre province.

Si je regarde bien, je dis qu'on dépense aujourd'hui d'une façon inacceptable dans le domaine public, à un point tel que l'ouvrier même ne peut plus supporter le fardeau et son pouvoir d'achat diminue d'année en année, depuis les années 60 que ça existe. Il y a quelques années, je le disais l'autre jour, l'ouvrier qui avait un peu de malaise parce que son salaire baissait, même si on tentait de lui donner des augmentations de salaire exigées par les syndicats ou par d'autres, son pouvoir d'achat diminuait. La mère au foyer est partie et est allée travailler, soit à temps plein ou à temps partiel.

Cela a commencé, les budgets bouclaient, mais aujourd'hui, ce stade est dépassé. Les deux travaillent et n'arrivent plus. C'est créé par quoi? Par une surcharge des gouvernements, tant municipal, provincial que fédéral. Les dépenses augmentent tout le temps. Je pense que ces sociétés d'État sont responsables, comme les gouvernements et on doit faire en sorte d'avoir un contrôle, même chez ces sociétés d'État, plus rigoureux que celui du gouvernement.

Le gouvernement est quand même responsable à la Chambre. Le ministre, s'il a un budget à administrer est responsable devant la Chambre, tous les députés ont le droit de poser les questions qu'ils veulent, d'obtenir les documents qu'ils désirent, par les procédures parlementaires qu'on connaît. Or, en commission, pour faire accepter leurs crédits, aucune de ces sociétés n'est obligée de faire cela. En plus de cela, elles ne sont pas soumises au rapport du Vérificateur général. Je trouve cela inacceptable. Je sais que, pour certaines sociétés d'État, le vérificateur dit, dans son rapport, que l'interprétation de son mandat lui donnait ce pouvoir. Je pense que c'est ambigu à un point tel que je demande au ministre actuel de faire en sorte de proposer au gouvernement de donner ce pouvoir au Vérificateur général de la province. Ainsi, il pourrait avoir un droit de regard sur ces sociétés d'État, et ce serait un plus à la commission parlementaire. Ceci assurerait à nos Québécois sur les dépenses publiques, un bon contrôle et ce qu'on exigerait d'elles serait justifié, chose qu'actuellement je ne peux pas accepter, parce qu'il est évident que les dépenses publiques sont beaucoup trop élevées pour la capacité de payer de nos contribuables et même de nos entreprises privées.

Je pourrais, si j'en avais le temps, démontrer au ministre que même l'entreprise privée n'a plus les moyens de faire face au fardeau qu'on lui fait porter actuellement. C'est impensable, lorsqu'on sait que les dépenses du gouvernement, actuellement, sont plus élevées que toutes les ventes au détail qu'on a au Québec. C'est inacceptable.

Je voudrais terminer là-dessus. Je suis certain que le ministre va trouver une façon de nous répondre simplement, sans s'engloutir dans des sociétés d'État passées et qui ont été créées par un autre gouvernement. On connaît le malaise qui a été créé par ces sociétés. Je ne voudrais pas qu'on se dirige vers cette même conception, aveuglément, comme on l'a fait dans le passé.

La Présidente (Mme Cuerrier): Je vais vous donner la parole, M. le ministre d'État au développement économique, M. le député de Notre-Dame-de-Grâce et M. le député de Brome-Missisquoi ayant épuisé le temps qui leur était alloué. J'aimerais savoir comment vous voulez... Est-ce que vous avez encore des questions, M. le chef de l'Union Nationale? Il faudra quand même réserver une dizaine de minutes pour que celui qui a reçu les questions puisse être le dernier à intervenir.

Je demande à chacun de quelle façon vous voulez...

Est-ce que vous aurez d'autres interventions?

M. Biron: Mme la Présidente, j'aurais besoin d'une dizaine de minutes pour terminer mes questions.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre, entendez-vous répondre immédiatement à M. le député de Brome-Missisquoi?

M. Landry: Ce que je vais dire pourrait peut-être épargner du temps et on pourrait prendre le chef de l'Union Nationale rapidement. Je ne répondrai pas tellement au député de Brome-Missisquoi pour l'unique raison que je fais mon profit de la plupart de ses remarques. Je n'ai pas de contradiction à apporter. Pour l'essentiel, je suis d'accord avec lui. Je veux cependant revenir sur cette question de contrôles, qui est fondamentale, je l'admets. Si je ne veux pas en discuter longuement ce matin, c'est pour la raison bien simple que la commission parlementaire que votre formation politique a réclamée a été obtenue. Elle a siégé deux ou trois fois. Nous avons travaillé des heures et des heures sur cette question ensemble et une sous-commission est à l'oeuvre, qui s'est réunie elle-même. Le Parti libéral, hier, m'a fait connaître sa position définitive pour qu'on fasse une ultime séance de la sous-commission et qu'on en vienne aux conclusions. J'attends de votre formation politique — je ne dis pas cela pour vous bousculer d'aucune manière — une réaction pour que je puisse fixer la date de convocation de cette commission.

Vous semblez être impatient. Je vous comprends. C'est une question d'une extrême com-

plexité. On a couru à peu près aux informations dans tous les Parlements du monde. On a fait venir des documents de la Nouvelle-Zélande, de l'Australie et de Dieu sait où, y compris, d'Ottawa, le rapport Lambert. Le contrôle des élus sur des sociétés d'État est un des problèmes les plus grands de tous les Parlements du monde présentement.

Mais le contrôle du gouvernement, lui, continue. Il faut faire la différence entre Assemblée nationale et gouvernement. La sous-commission travaille sur le contrôle gouvernemental, sur le contrôle Assemblée nationale, mais le contrôle gouvernemental, le chef de l'Union Nationale lui-même a évoqué, dans son intervention, ce que nous avions réussi à faire en deux ans et demi. Il y a eu du remue-ménage et il y a eu ce que le député de Brome-Missisquoi appelle du nettoyage. Un nettoyage de $2 millions, cela commence à compter, quand c'est la différence entre la perte et les profits.

C'est en marche. Le gouvernement a démontré qu'il avait commencé son ménage, même l'Hydro-Québec, qui est une chose qui va bien, a été restructurée, comme vous le savez, avec un conseil d'administration à la moderne et non pas une commission hydroélectrique du Québec, comme du temps de T.-D. Bouchard. Il y a eu énormément de choses de faites, et la pression est sur les sociétés d'État. Je ne parle pas de pression au sens péjoratif du terme, mais on leur demande des plans de développement, on établit avec elles des critères d'efficacité. Je ne répondrai pas plus longuement, parce qu'une commission s'en occupe, et je laisserai la parole au chef de l'Union Nationale. Si je comprends bien notre entente, c'est qu'il parlera environ dix minutes et je parlerai dix minutes, et ce sera la fin de nos travaux.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le chef de l'Union Nationale.

M. Biron: Merci, Mme la Présidente. Je voudrais, dans les dernières minutes qui me restent, tout simplement revoir quelques points. Le ministre n'a pas répondu à quelques questions précises, peut-être parce que je lui en avais posé tellement au début. Je ne m'attarderai pas à l'administration et à la gestion des sociétés d'État, mais je m'attarderai un peu plus à la place que le gouvernement veut donner aux sociétés d'État à l'intérieur de sa stratégie de développement économique.

Le ministre nous a dit tout à l'heure: Lorsque le gouvernement se sentira obligé, il va intervenir; lorsque l'entreprise privée ne le fera pas, le gouvernement interviendra. Ce n'est pas d'aujourd'hui, dans le fond, qu'on se pose la question. Je veux tout simplement vous lire quelques lignes d'un texte d'un homme politique québécois et, après cela, je pourrai peut-être vous poser la devinette de dire qui a dit cela. Je suis pas mal certain que mon collègue de Notre-Dame-de-Grâce dira que c'est un ministre du Parti québécois. Ce qu'il disait, c'est ceci: "Le seul puissant moyen que nous possédons, c'est l'État du Québec. Si nous refusions de nous servir de notre État par crainte ou préjugé, nous nous priverions alors de ce qui est peut-être l'unique recours qui nous reste pour survivre comme minorité."

M. Landry: Jean Lesage.

M. Biron: C'est Jean Lesage, un ancien premier ministre du Québec, chef du Parti libéral du Québec, votre parti, mon cher collègue, qui a dit cela il y a déjà tout près de 17 ou 18 ans. Quand même, on jurerait entendre une parole de la bouche même d'un ministre du Parti québécois. À l'époque, on se posait quand même sérieusement des questions sur ce qu'était le rôle de l'État du Québec dans le développement économique, pour justement protéger nos francophones en Amérique du Nord.

Or, un peu plus tard, le présent ministre des Finances a dit: Au Québec, il nous faut faire intervenir l'État, c'est inévitable. On voit qu'il y a des hommes politiques qui sont allés dans cette direction-là. Maintenant, il s'agit de se demander, aujourd'hui, comment on va faire pour maximiser justement les retombées économiques des entreprises ou de l'intervention du gouvernement sur la vie économique.

Je suis un de ceux qui croient que le gouvernement doit intervenir le moins possible et d'autres personnes croient que le gouvernement doit intervenir fréquemment par les sociétés d'État, ou directement par le gouvernement, mais c'est sûr qu'il y a quelque chose. On a des sociétés d'État à l'heure actuelle. Soit qu'on s'en débarrasse ou qu'on continue, mais, si on continue avec ces sociétés, il faut véritablement que ces sociétés puissent aider à développer économiquement le Québec. On ne peut pas laisser aller toutes ces sociétés à la va-comme-je-te-pousse sans savoir exactement où on va avec elles. Lorsqu'on pense que le Vérificateur général du Québec, dans le rapport annuel qu'il déposait il y a environ un mois et demi, cinq ou six semaines, nous disait qu'il n'avait même pas la responsabilité de vérifier les livres et les comptes des entreprises du gouvernement et qu'il nous citait tout cela: l'Hydro-Québec, l'Office des autoroutes, SIDBEC, le Grand Théâtre, la Société d'aménagement, la Société nationale de l'amiante, l'Université du Québec, etc., on peut se demander comment on va faire pour mettre tout cela ensemble et orienter les décisions et les actions de ces sociétés dans la même direction.

C'est cela, la question fondamentale, je pense, qui doit être posée ce matin et à laquelle le gouvernement devrait répondre. Comment va-t-il faire pour que toutes les sociétés d'État servent, à l'intérieur de la stratégie de développement du gouvernement, véritablement dans la même direction? Je crois que, si on laisse nos sociétés d'État aller à gauche et à droite, bien sûr, avec toute la meilleure volonté du monde, on ne pourra quand même pas arriver à faire quelque chose. C'est pour cela d'ailleurs qu'il y a eu un rapport de

déposé au gouvernement du Québec — je crois que c'est le rapport Vézina — qui nous parlait d'une supersociété d'État, je le mentionnais au début, la SOGEPIC, la Société générale des entreprises publiques et commerciales. Je ne sais pas si c'est cela qui pourrait régler le problème, mais c'est sûr qu'à l'heure actuelle, il y a une absence de coordination de la part de nos sociétés d'État et qu'il y a un effort qu'il faut faire dans ce domaine. D'abord, une coordination au point de vue d'une gestion efficace, mais une coordination aussi pour savoir comment telle entreprise va intervenir dans telle direction.

Le ministre, tout à l'heure, nous disait qu'il y avait même autrefois certains ministères qui faisaient planter des arbres à une place et que d'autres les faisaient arracher. Dans les sociétés d'État, parfois, on se demande si ce n'est pas cela qui arrive, s'il n'y a pas un manque de coordination, à tel point que certaines sociétés d'État vont se concurrencer les unes les autres. De ce côté-là, je pense qu'il y a un effort à faire dans la bonne direction. Il y a beaucoup à faire de ce côté-là. (12 h 30)

Le gouvernement du Québec, c'est sûr qu'à travers ces sociétés, qu'il le veuille ou non, devient un leader dans la stimulation économique, dans l'économie. Ce n'est pas le seul agent économique capable de réunir tous les facteurs de production et de vente et d'implanter quelque chose dans le domaine, soit de l'énergie et de l'exploitation des richesses naturelles, et ainsi de suite, mais c'est un facteur très important, surtout dans le domaine énergétique, on a l'Hydro-Québec et on ne connaît personne d'autre; dans le domaine du gaz, on a SOQUIP et très peu d'autre chose. Il reste le domaine de la forêt et tout cela. Cela veut dire que la majorité des actions dans le domaine de l'énergie, c'est le gouvernement. L'énergie devient un facteur très important sur les investissements à venir au cours des dix ou quinze prochaines années. Ce sera peut-être quelque chose comme 15% des investissements totaux qui seront dans le domaine de l'énergie. On sait que c'est le gouvernement du Québec, à l'heure actuelle, qui prend ces décisions par ces sociétés d'État.

C'est la question: Quelle est la place des sociétés d'État dans cette stratégie de développement? Comment le gouvernement va-t-il se servir de l'ensemble des sociétés d'État pour développer l'économie du Québec?

C'est sûr qu'une société — le ministre nous citait des exemples tout à l'heure sur la Société nationale de l'amiante ou une autre société, REXFOR ou ainsi de suite — peut aller dans une certaine direction, mais je voudrais savoir du ministre si on a fait un effort de ce côté vis-à-vis du gouvernement du Québec ou si on a une planification vis-à-vis du gouvernement du Québec pour que l'ensemble des sociétés d'État puisse aller dans la même direction et non pas entrer en concurrence l'une envers l'autre.

Je voudrais savoir aussi du ministre — c'est une question que j'ai posée au début, je n'ai pas eu de réponse — si on coordonne toutes les actions des sociétés d'État, soit dans SOGEPIC ou un autre organisme semblable, ou une autre coordination interministérielle, ce qu'on fera vis-à-vis du capital étranger, les investissements étrangers. Est-ce que les sociétés d'État vont craindre de prendre une participation à des entreprises étrangères? Est-ce qu'il n'y aura pas lieu, pour une société d'État, d'investir dans une entreprise de blocs de moteurs d'automobiles en aluminium, en collaboration avec GM ou avec Alcan? Ce que je dis, c'est que, habituellement, nos sociétés d'État ne sont pas reconnues comme de bons gestionnaires, mais qu'il y ait quelque chose de mixte entre l'État et l'entreprise privée, je ne veux pas me prononcer carrément contre toute intervention de l'État. Souvent, certaines entreprises vont manquer de capitaux ou vont craindre d'investir des capitaux dans une province ou dans un pays. Si l'État, par ces sociétés, fait quelque chose dans cette direction, peut-être qu'on va répondre à des besoins pressants de chez nous.

Là-dessus aussi, j'ai une question à poser au ministre, lorsque je dis que les sociétés d'État devraient peut-être investir quelque chose comme du capital avec les entreprises privées. La Caisse de dépôt et placement du Québec, c'est une société d'État du Québec qui a un pouvoir économique extraordinaire. La Caisse de dépôt et placement du Québec, je veux savoir comment elle sert à développer le Québec, quelles sortes d'influence peut-elle avoir dans le sens des objectifs économiques du Québec. Là-dessus aussi, dans un rapport déposé, il y a déjà un an... M. Lesage autrefois, lorsqu'il a fondé la Caisse de dépôt et placement du Québec, disait: Une partie considérable de l'épargne des habitants du Québec va être investie par un organisme gouvernemental. Les intérêts des Québécois ne s'arrêtent pas à la sécurité des sommes qu'ils mettront de côté pour assurer leur retraite. Des fonds aussi considérables doivent être canalisés dans le sens du développement accéléré des secteurs publics et privés, de façon que les objectifs économiques et sociaux du Québec puissent être atteints rapidement et avec la plus grande efficacité possible.

En somme, la caisse ne doit pas seulement être envisagée comme un fond de placement au même titre que les autres, mais plutôt comme un instrument de croissance, un levier plus puissant que tous ceux qu'on a eus dans cette province jusqu'à maintenant. Je ne veux pas que la caisse investisse tout simplement dans des entreprises gouvernementales ou des sociétés d'État.

L'an dernier, à la fin de l'année, on apprenait que la caisse de dépôt qui avait une participation d'environ 11% dans une société CAE Industrie a vendu sa participation. Ce serait important de savoir quelle est la philosophie de la caisse de dépôt. Il y a un actif énorme là-dedans. Elle peut peut-être participer au développement économique du Québec, si on a une philosophie générale et d'ensemble des sociétés d'État.

Comment la Caisse de dépôt et placement du Québec peut-elle participer? Est-ce que c'est bon que la caisse ait vendu sa participation dans une

telle entreprise? Est-ce qu'il n'aurait pas été mieux que la caisse ait pris une participation additionnelle et intervenir fortement au conseil d'administration pour garder le siège social de cette entreprise ici au Québec? Le siège social est déménagé de Montréal à Toronto. La caisse a vendu sa participation. Je ne veux pas blâmer l'action nette de la caisse, mais on peut se poser des questions. Qu'elle est la participation de la caisse? Est-ce que cela va se borner à prêter de l'argent au gouvernement? Je prétends que non.

La Caisse de dépôt et placement du Québec devrait investir dans des sociétés québécoises, peut-être des sociétés mixtes, mais investir considérablement pour le développement économique du Québec. C'est de l'argent, dans des grandes entreprises, qui est sûr.

On a même des organismes, comme la Société de développement industriel, qui investissent dans les petites et moyennes entreprises. La caisse peut investir dans les grandes entreprises, mais, à condition qu'on ait, à partir du gouvernement, une philosophie générale, une stratégie générale à laquelle les sociétés d'État ou les organismes publics comme la Caisse de dépôt et placement vont être intégrés et vont participer eux aussi.

Vis-à-vis de la participation des sociétés d'État et de l'investissement étranger, je voudrais savoir du ministre ce qu'il en pense et quelle sera cette place? C'est important de le savoir.

Aussi, certaines sociétés d'État peuvent investir au Québec en disant: La performance économique, c'est secondaire. Il y a un besoin social, un engagement social qu'en tant que société on doit prendre et il faut que certaines sociétés d'État soient déficitaires. Il y a peut-être des exemples là-dessus. Il y a peut-être, encore là, à l'intérieur de cette grande stratégie, certains secteurs d'activités où on peut dire: II faut y aller, parce que, socialement, c'est bon. SIDBEC, j'en suis rendu à me demander si ce n'est pas juste une action sociale qu'on fait à l'heure actuelle ou si ça va devenir rentable un jour ou l'autre. Mais il y a peut-être d'autres exemples où le ministre pourra me dire: Au point de vue social, il faut absolument y aller. Je pense peut-être, je ne sais pas, à SOQUEM, même si on y perd de l'argent à chaque année. Peut-être qu'il faut aussi garder des gens qui vont travailler à faire de l'exploration pendant des années et des années. On peut mettre ça au compte des profits et pertes pour le gouvernement. Un bon jour, dans 10, 15, 20 ou 30 ans, peut-être que nos enfants ou nos petits-enfants en profiteront. Cela fait peut-être partie aussi de la philosophie générale. Le ministre pourra peut-être nous dire quelle est sa vision de cette chose.

Or, quels sont les critères de performance? Le ministre en a dit un mot tout à l'heure. La coordination, le contrôle. Le contrôle, on peut peut-être revenir encore rapidement là-dessus en terminant. Une société comme SIDBEC — on en a beaucoup parlé aujourd'hui — a fait de la publicité à la télévision au cours de l'an dernier. Alors que le ministre de l'Industrie et du Commerce disait: Je tiens à souligner que j'ai demandé à la direction de SIDBEC en janvier dernier de prendre les mesures nécessaires afin de réduire les pertes, dans sa réponse, le ministre nous disait: SIDBEC, quand même, a fait pour $460 000 de publicité à la télévision. C'est peut-être juste un exemple, quel genre de contrôle on peut avoir. Est-ce que la publicité à la télévision a pu intervenir dans une stratégie de développement économique? Est-ce que le gouvernement a un contrôle là-dessus? L'Hydro-Qué-bec qui fait de la publicité à la télévision, c'est peut-être bon, mais je n'ai pas l'impression, moi, que c'est essentiel, parce que si on bâtit une maison, on est obligé, d'une façon ou d'une autre, de faire appel à l'Hydro-Québec.

Il y a des choses comme ça qui manquent certainement. Je ne veux pas accuser le présent ministre d'être responsable de tout, mais j'ai l'impression que si on avait une stratégie globale pour toutes nos sociétés d'État, on pourrait régler beaucoup de problèmes. En tout cas, on saurait à qui s'adresser, en plus de vérifier la gestion à travers une commission parlementaire. Je pense qu'on aura besoin d'une orientation générale pour savoir dans quelle direction les sociétés d'État vont intervenir dans la stratégie de développement économique du gouvernement.

Le ministre nous dit que cette stratégie va être publiée au cours des prochaines semaines, des prochains mois. J'ai hâte de l'avoir pour pouvoir en discuter et l'étudier à fond. Maintenant, je voudrais aussi qu'il prenne peut-être quelques jours de plus, s'il le faut, mais, à l'intérieur de cette stratégie, qu'il nous dise quelle va être la place des sociétés d'État et comment les sociétés d'État vont pouvoir intervenir pour l'aider à développer cette stratégie?

Peut-être un exemple aussi en terminant là-dessus. Peut-être que la Caisse de dépôt et placement pourrait intervenir vis-à-vis des investissements dans certaines sociétés de pâtes et papiers et faire en sorte, justement, que ces sociétés soient encore plus attachées au Québec. On sait que ce sont des sociétés qui sont rentables à l'heure actuelle.

C'est tout ça que je voudrais savoir du ministre. Je lui laisse les quelques minutes qui lui sont disponibles pour répondre à mes questions là-dessus. Mais c'est sûr que je l'assure que notre discussion de ce matin continuera encore au cours des prochains mois pour le meilleur intérêt des Québécois.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre d'État au développement économique.

M. Landry: Je voudrais d'abord parler brièvement du rôle de la Caisse de dépôt. Il a été évoqué. Il a été évoqué à juste titre. La Caisse de dépôt est devenue une des institutions financières les plus puissantes au Canada. Je serais le premier également à déplorer qu'elle ne serve qu'à alimenter les finances publiques. J'y vois même un certain danger. C'est un peu comme la tension créatrice qui doit exister entre le gouvernement du

Canada et la Banque du Canada. Il ne faut pas que les hommes politiques aient la liberté absolue de mettre en marche ce que feu Réal Caouette appelait la machine à piastres.

La caisse de dépôt, c'est un peu cela, mais pas tout à fait cela. La caisse de dépôt est une banque, elle doit donc rendre compte de son passif, qui est l'avoir des clients, et les clients, ce sont essentiellement nos fonds de retraite et la Régie des rentes. De ce point de vue, la caisse a été prudente et sage et je ne pense pas qu'on doive modifier radicalement cette attitude, sauf qu'en dépit du grand rôle qu'elle a joué dans l'économie, je l'ai dit, c'est le plus gros actionnaire du CPR, par exemple; ce qu'aucun d'entre nous n'a pu faire, on a collectivement pu le faire. Elle a donc joué un rôle important.

Des aménagements sont recherchés par le gouvernement pour que son rôle soit encore plus important. L'exemple donné par le chef de l'Union Nationale est assez dramatique, la caisse vend les actions d'une compagnie qui décide de transporter son siège social à Toronto. Le gouvernement est à la recherche d'un mécanisme qui, tout en respectant l'autonomie et la liberté de la caisse, va quand même permettre de mobiliser des argents plus directement dans le sens du développement économique et de servir des objectifs de développement sans nuire à la rentabilité.

Les réponses à ces questions seront contenues dans les énoncés du gouvernement plus tard.

Quant au rôle global des sociétés d'État dans l'économie, je réitère d'une façon synthétique ce qu'il doit être. Nous avons un éventail de moyens pour agir et pour assurer la production et la transformation: le secteur public, les coopératives, le secteur privé, les sociétés mixtes. Je pense que les Québécois, les décideurs privés, les gens des coopératives et le gouvernement doivent mobiliser tous ces moyens, les uns avec les autres ou séparément, dans le but d'assurer le développement. Mais il y a une caractéristique qui doit être commune à toutes ces aventures et, je le réitère, c'est le profit. Il n'est pas normal qu'une coopérative ne fasse pas de profit, il n'est pas normal qu'une entreprise privée n'en fasse pas et il n'est pas normal qu'une entreprise publique n'en fasse pas.

Je raccroche la dimension sociale dont parlait le chef de l'Union Nationale, voici comment le gouvernement voit la chose. Si nous demandons à une de nos sociétés d'État de faire une chose sociale pour ne pas perturber sa comptabilité, pour ne pas démoraliser ses gestionnaires, pour ne pas en perdre le contrôle, qu'on la subventionne à ce titre. Si une société d'État est obligée de voir peser sur elle une usine non rentable qu'on garde dans un village parce que c'est la seule usine du village, qu'il apparaisse clairement dans les comptes de la société qu'elle a été subventionnée pour sauver le village. S'il y a des pertes, on ne pourra pas dire: Les gestionnaires sont mauvais, la société est mal administrée. On pourra dire: Le gouvernement a donné de l'argent pour sauver un village. Je pense que c'est la philosophie générale vis-à-vis du compte d'exploitation des sociétés.

Les sociétés d'État vis-à-vis du capital étranger. Les sociétés d'État sont souvent, et de plus en plus, un bon partenaire pour le capital étranger, car le capital étranger, dans la plupart des pays occidentaux, maintenant, recherche les alliances avec les gouvernements nationaux pour des raisons de sécurité, pour mieux comprendre la politique et savoir ce qui se passe. Il y a des sociétés étrangères, actuellement, qui offrent leur collaboration au gouvernement du Québec et qui ne veulent pas offrir la même coopération au secteur privé québécois. C'est ce qu'on pourrait appeler un "pattern" qui se développe dans l'économie internationale; il a déjà été pratiqué ici.

Nos associés dans Normines, vous savez que ce sont les Britanniques, une société d'État, British Steel Corporation. Je ne sais pas si elle va rester société d'État avec les changements de gouvernement qu'il y a eu en Grande-Bretagne, mais déjà on a une coopération avec du capital étranger public et du capital local public.

Une autre grande aventure économique se dessine dans le domaine de la pétrochimie, exactement sur le même modèle. La Société générale de financement, Gulf et Union Carbide sont en train d'élaborer un plan d'intervention conjoint, dans le domaine des oléfines et de la pétrochimie, pour créer au Québec une unité d'oléfines à taille mondiale. Autre bel exemple de ce que peut faire une société d'État de concert avec des capitaux privés.

Je dis enfin une chose qui m'apparaît fondamentale, qui a été évoquée à plusieurs reprises dans la discussion; un des grand déséquilibres de l'économie du Québec, une des clés des énoncés de politique du gouvernement tournent autour de cette notion de domination de l'économie. On s'est tellement habitué à la domination de l'économie du Québec par d'autres qu'on ne s'est pas rendu compte qu'on est dans une situation presque unique au monde, partagée un peu avec nous par le Canada, je parle du Canada sans Québec. (12 h 45)

Dans les facultés de sciences économiques du monde entier, quand on veut donner un modèle de domination, on donne le Canada ou le Québec. Cela n'est pas sain et c'est intolérable, et c'est sans précédent dans la plupart des pays industrialisés importants. Les capitaux américains en Allemagne, par exemple, c'est peut-être 5% ou 10% du total, avec aucune domination dans aucun secteur. Ici, dans plusieurs secteurs clés et des secteurs de richesses naturelles — et ça, vraiment, je ne trouve pas d'autres mots que le mot "scandaleux" pour qualifier ça — la présence étrangère est à 100% dans les richesses naturelles. Dans les mines, par exemple, il n'y a plus aucun groupe québécois important actif dans les mines au moment où je vous parle et le secteur minier est en pleine renaissance. C'est scandaleux. Quand je dis aucun, je fais exception de SOQUEM, société publique qui fait à peu près 3% de la

valeur des expéditions. Ce n'est pas très important, mais il y a de bonnes possibilités d'avenir à cause du gisement de sel sur lequel SOQUEM travaille, à cause d'un certain nombre de découvertes faites par SOQUEM ces temps derniers.

Mais les sociétés d'État, de ce point de vue là, peuvent être un instrument stratégique fondamental, parce que je vous lève d'avance le voile sur une des orientations du gouvernement. Il n'y aura plus au Québec un seul projet majeur dans le domaine des richesses naturelles sans une participation québécoise significative et, quand je dis participation québécoise, je ne veux pas dire participation de l'État, je veux dire participation québécoise au sens large, secteur privé québécois, secteur coopératif québécois ou, si l'un et l'autre sont défaillants, intervention publique québécoise, capitaux publics en association, de proportion variable, avec le capital étranger.

Donc, les sociétés d'État pourront se mobiliser à la demande du gouvernement et devenir un élément stratégique majeur — je donne un exemple — si une grande firme étrangère découvre un gisement d'une matière minière quelconque et veut déclencher un investissement, disons, de $300 millions ou $400 millions.

Autrefois, on se précipitait tête baissée sur l'investissement et on ne participait pas du tout au capital. Je ne reproche pas à ceux qui ont ouvert la Côte-Nord, par exemple, d'avoir laissé faire ça, on ne pouvait pas faire autrement à l'époque. On n'avait pas de société d'État, on n'avait peut-être pas le "know-how", on n'avait pas les capitaux. Aujourd'hui, on a le savoir-faire, on a les capitaux.

Si un grand projet minier doit voir le jour au Québec — je ne nomme rien, mais il y en a un que j'ai en tête, je ne veux pas révéler de choses qui ne sont pas mûres — s'il doit voir le jour sous le présent gouvernement, il n'est pas question que les Québécois ne soient pas impliqués d'une façon significative dans le capital-actions et dans la gestion. L'ère de la domination et du colonialisme en matière d'exploitation des richesses naturelles est terminée, pour autant que le présent gouvernement est concerné. Remarquez que ce que je dis n'est ni original, ni radical, il n'y a plus un seul pays au monde qui tolère que ses richesses naturelles soient exploitées sans sa participation au capital-actions et à la gestion.

Même un tout petit pays devenu indépendant comme la Jamaïque a trouvé moyen de négocier avec l'Aluminium du Canada pour se faire donner une participation dans une usine, à cause de la bauxite présente en Jamaïque. Ce qui est le plus paradoxal, quand je lisais le journal relatant cette nouvelle, ça me rendait songeur, c'est un Québécois qui, au nom de l'Aluminium du Canada, est allé négocier avec ce petit pays qu'est la Jamaïque pour que la Jamaïque soit impliquée dans ce qui se passe sur son territoire en matière de richesses naturelles.

On a des exemples à prendre souvent de beaucoup plus petit que soi. En tout cas, cette leçon est retenue.

Ce que je dis, en terminant, reprend globa- lement la philosophie qu'on a invoquée ce matin, les Québécois doivent compter sur eux-mêmes d'abord pour leur propre développement. Le secteur public étant un instrument, mais le secteur privé étant appelé à réfléchir sur cette condition qui est la nôtre et que nous avons en commun avec tous les peuples de la terre que nul peuple ne s'est développé d'une façon équilibrée sans le faire par ses propres moyens d'abord et avant tout.

L'aide technologique, l'aide financière, l'implantation étrangère ici doit devenir un supplément, un appoint, doit travailler avec nos techniciens, avec nos capitaux à faire une prospérité plus grande; les investissements étrangers sont les bienvenus ici, la domination doit reculer... Ceux qui veulent venir faire des affaires au Québec doivent les faire avec nous, pas simplement pour extraire nos richesses naturelles et exploiter nos marchés, mais pour nous considérer comme des partenaires à part entière de l'activité qui a lieu sur notre territoire.

En ce sens, le secteur public dans sa dimension actuelle, dans ses expansions, j'ai dit que nous n'étions pas idéologiques, si on doit faire d'autres sociétés d'État, on en fera. Nous avons d'ailleurs l'intention d'en proposer un certain nombre d'autres qui ne sont peut-être pas d'une importance déterminante comme celles qui ont été créées par les gouvernements antérieurs, mais s'il faut en faire, nous ne reculerons pas devant une soi-disant argumentation idéologique contraire; si c'est le bon moyen, il sera employé.

De ce point de vue, les régions du Québec commencent déjà à donner l'exemple. On parle souvent de la Beauce et j'ai fini de ne parler que de la Beauce, parce qu'il y a beaucoup de régions au Québec qui sont dans une grande prospérité présentement, la Beauce en est une, bien sûr, mais l'Abitibi, les Bois-Francs, le Saguenay-Lac-Saint-Jean et bientôt Montréal, je l'espère avec le député de Notre-Dame-de-Grâce, ont pris leur sort en main, ont amorcé leur développement économique. Quand, par fatalité d'épuisement des gisements, les mines se sont mises à fermer à Val-D'Or, il y a une quinzaine d'années, les gens de Val-D'Or ont décidé que leur ville ne disparaîtrait pas et ils se sont lancés dans une série d'aventures industrielles modestes au départ et qui sont devenus des géants aujourd'hui. Le Parc industriel de Val-D'Or présentement est plein comme un oeuf et il y a dix entreprises qui veulent s'implanter et il faut absolument que le ministère des Terres et Forêts en particulier leur cède du terrain pour en permettre la croissance.

Il y a beaucoup de théoriciens de l'économie québécoise, et même certains hommes politiques de l'Opposition libérale, qui feraient bien de faire un stage d'une semaine à Val-D'Or, rien qu'une semaine, pour voir que le Québec et ses régions, ce n'est pas la dépression économique. Au contraire, c'est l'expansion, c'est la croissance, c'est l'optimisme et c'est fait par des gens de ces régions, avec leurs moyens économiques, leurs moyens technologiques. Une des grandes tâches

de ce gouvernement et de la collectivité économique québécoise présentement, c'est de susciter ce même esprit à Montréal, qui est peut-être devenue une des seules régions qui n'est pas apparemment animée par ce dynamisme et ce désir de développement que l'on retrouve dans presque toutes les autres. Et, à Montréal comme ailleurs, le secteur public québécois, avec les suggestions que vous nous avez faites, avec les réserves qu'il faut faire, avec le contrôle qu'il nous faut établir, dans cette région comme dans les autres, le secteur public québécois sera présent et sera un des instruments du développement.

Merci, madame. Et je remercie également mes collègues pour la façon dont s'est déroulé cette séance qui m'apparaît une séance de travail extrêmement fructueuse et pour laquelle, au nom du gouvernement, je leur suis reconnaissant.

M. Biron: Mme la Présidente, je voudrais remercier le ministre de sa présence et faire un voeu avec lui, en terminant, c'est que le Québec doit être plus qu'un marché de 6 millions d'habitants pour les industries d'ailleurs et plus aussi qu'un réservoir de richesses naturelles pour les industries d'ailleurs.

La Présidente (Mme Cuerrier): C'était donc la question avec débat de M. le député de Lotbinière et chef de l'Union Nationale au ministre d'État au développement économique, la question étant la place occupée par les sociétés d'État québécoises à l'intérieur de la stratégie de développement économique du Québec.

Cette commission de la présidence du conseil et de la constitution ajourne ses travaux sine die.

Fin de la séance à 12 h 54

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