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Commission permanente de la présidence du
conseil,
de la constitution et des affaires
intergouvernementales
Etude des crédits du ministère des
Affaires intergouvernementales
Séance du mardi 4 juin 1974
(Seize heures trente minutes)
M. PICARD (président de la commission permanente de la
présidence du conseil, de la constitution et des affaires
intergouvernementales): A l'ordre, messieurs!
La commission de la présidence du conseil, de la constitution et
des affaires intergouvernementales commence cet après-midi
l'étude des crédits des Affaires intergouvernementales. M. Tardif
(Anjou) remplace l'honorable premier ministre; M. Léger (Lafontaine)
remplace M. Charron (Saint-Jacques). J'aimerais suggérer le nom de M.
Brown (Brome-Missisquoi) comme rapporteur. Est-ce que cette suggestion est
agréée?
M. MORIN: Adopté. M. le Président, est-ce que nous
pourrions demander au ministre de nous présenter ses principaux
adjoints?
M. LEVESQUE: Je vais demander à mon sous-ministre de faire cette
présentation.
M. MORIN: Pourquoi? Vous ne les connaissez pas?
M. LEVESQUE: Je les connais très bien, mais il les connaît
encore plus, avec leur titre exact. Je voudrais avoir le plus d'exactitude
possible dans la réponse faite au chef de l'Opposition, d'autant plus
qu'il y a un groupe assez important de gens du ministère ici, et
j'aimerais bien que la présentation se fasse le mieux possible.
M. LEGER: Sans erreur.
M. LEVESQUE: Sans aucune erreur. Delega-tus non potest delegare.
Nous sommes assez nombreux, comme vous l'avez souligné.
J'espère que je n'oublierai personne. Si, par hasard, un du groupe
était oublié, je lui demanderais de faire signe et de
s'identifier.
En commençant tout simplement par l'ordre hiérarchique, si
on peut dire, M. Brière, sous-ministre adjoint; M. Arsenault,
sous-ministre adjoint à l'administration; M. Dufour, directeur
général des relations internationales; M. Lebrun, directeur
général des affaires fédérales-provinciales; M.
Gourdeau, directeur adjoint à la coopération. Je continue tout
simplement: M. Guérin, le directeur du service de la
comptabilité; M. Diamant, coordonnateur de l'équipe de la
capitale nationale; M. Saillant, administrateur à la coopération;
M. Coulombe, qui est également à l'administration; M. Primeau,
qui est à l'administration des maisons du Québec; M. Gros
d'Aillon, directeur du service de l'information; M. Morin, qui est dans
l'équipe des relations fédérales-provinciales; M.
Vallée, qui est au groupe des organisations internationales, à la
direction des relations internationales; M. Beau-mont, qui est à la
coopération; M. Trudel, responsable du module des affaires sociales,
à la direction des relations fédérales-provinciales; M.
Poisson, responsable des affaires économiques à la
coopération; M. Paquet, qui est également à la
coopération; M. Dumas, qui est au groupe de la documentation et de la
recherche; M. Gagné, M. Veilleux et Mme Fradette.
A l'extrême gauche, maintenant, vous avez M. Alfred Tremblay, qui
est à l'administration générale du ministère, ainsi
que M. Simon, qui fait lui aussi partie de l'équipe de l'administration
générale.
M. MORIN: M. le Président, quand le sous-ministre parle du
coordonnateur à la capitale nationale, j'ai tenu pour acquis qu'il
parlait de Québec, n'est-ce pas?
M. LEVESQUE: Vous connaissez la CCN?
LE PRESIDENT (M. Picard): Je cède maintenant la parole à
l'honorable ministre, s'il a des commentaires à caractère
général à faire.
M. MORIN: M. le Président, avant que le ministre ne
débute, est-ce qu'il existe un organigramme du ministère que nous
pourrions avoir sous les yeux? Est-ce que c'est possible?
M. LEVESQUE: Celui-ci est maintenant périmé, mais il peut
servir encore. Il ne faut pas se fier à celui-ci, c'est une ancienne
édition qui est périmée.
M. MORIN: Et le grand format?
M. LEVESQUE: C'est plus à jour, mais encore il y a des
changements en cours.
M. MORIN: Merci.
LE PRESIDENT (M. Picard): L'honorable ministre.
Remarques préliminaires
M. LEVESQUE: M. le Président, les prévisions de
dépenses, que j'ai l'honneur de soumettre à votre examen
aujourd'hui, reflètent avec une netteté assez remarquable la
vigueur du ministère des Affaires intergouvernementales et
témoignent, je le crois du moins, avec éloquence de la
cohérence des actions posées depuis trois ans en vue d'en faire
un instrument plus
efficace de coordination des relations intergouvernementales.
Ces actions se sont articulées, jusqu'à maintenant, en
deux étapes. D'abord, une méthode de travail a été
mise au point qui a permis de dresser un inventaire des relations
intergouvernementales. Mis à jour chaque année, cet état
des relations du Québec avec l'extérieur permet le maintient d'un
véritable tableau d'ensemble des dossiers. C'est là une toile de
fond essentielle à l'action de coordination d'un ministère comme
le nôtre. Ainsi, nous étions en mesure d'assumer
véritablement le rôle de conseil qui nous est imparti. La mise sur
pied, dès l'automne 1971, d'un comité de coordination des
relations intergouvernementales au palier des fonctionnaires, qu'on appelle le
CCRI, et en 1972, d'un comité ministériel des relations
intergouvernementales, qu'on appelle CIDA, a visé à
réaliser précisément ce rôle.
Une fois la méthode au point, les dossiers réunis et les
institutions en place, il fallait évidemment, en un deuxième
temps, procéder au recrutement d'un personnel professionnel et de cadre
de qualité.
C'est ce que nous nous sommes attachés à faire l'an
dernier et que nous compléterons, à toutes fins utiles, dans les
prochains mois.
L'apprentissage de l'important personnel nouveau que nous avons
recruté est grandement facilité par la mise en oeuvre du
processus type de préparation des conférences et réunions
intergouvernementales dont j'ai fait état l'an dernier lors de la
présentation des crédits.
A ce moment-là, j'avais comme interlocuteur de l'Opposition, du
Parti québécois, le député de Bourget.
M. MORIN: Je crois que c'était plutôt le
député de Gouin, M. Joron.
M. LEVESQUE: L'an dernier, en l'absence du député de
Bourget; mais l'année précédente, c'était le
député de Bourget.
M. MORIN: C'est juste.
M. LEVESQUE: Je m'attends bien que le député de
Sauvé, cette année, s'intéresse particulièrement
aux Affaires intergouvernementales parce qu'il touche là,
peut-être, un de ses sujets de prédilection.
Les nouveaux venus et là je ne parle pas du
député de Sauvé, je parle des nouveaux venus au
ministère trouvent, en effet, dans ce dossier type, un cadre de
travail précis, leur permettant de profiter rapidement de
l'expérience toujours difficile de la coordination
interministérielle. Aujourd'hui, nous en sommes donc presque au terme du
processus de mise en place d'un véritable ministère des Affaires
intergouvernementales.
Une dernière étape reste à franchir que nous nous
proposerons de faire au cours de 1974. C'est l'étape de la
révision de la loi organique du ministère. Cette démarche,
vous vous en souviendrez sans doute, a été annoncée lors
du discours inaugural de la présente session de la 30e
Législature, dans les termes suivants: "De l'expérience acquise,
de la sienne propre comme de celle des autres gouvernements du Canada, le
gouvernement du Québec a tiré la conclusion qu'il devait franchir
une nouvelle étape dans l'adaptation constante des mécanismes de
coordination des relations intergouvernementales. Dans cette perspective, le
gouvernement proposera à cette Assemblée des modifications
substantielles à la Loi du ministère des Affaires
intergouvernementales destinées à intégrer dans une
même loi organique des responsabilités actuellement
exercées sous l'empire de plusieurs lois et à fournir au ministre
concerné les moyens nécessaires à l'efficacité de
son action".
L'esprit selon lequel ce projet de loi est élaboré est le
même qui nous a animés dans le cheminement suivi jusqu'ici, celui
d'un ministère de service. Notre approche, comme je l'ai
déjà indiqué, n'en est pas une de pouvoir. Toute notre
action, jusqu'ici, a visé à mettre à la disposition de
l'ensemble du gouvernement des services compétents de coordination, de
même qu'une expertise de qualité dans certains domaines propres au
ministère. En vérité, le rôle que nous avons
joué, jusqu'ici, a reposé surtout sur la qualité du
service que nous étions en mesure de rendre. Il faut donc voir le projet
de loi que vous serez appelés à étudier dans cette
même perspective. Il visera d'abord et avant tout à
préciser le rôle du ministère actuellement décrit en
termes que l'expérience nous permet maintenant de juger trop
généraux, pour déterminer de façon satisfaisante
notre action.
Cette précision de l'objet de notre loi organique nous
paraît s'imposer dans l'intérêt du service qui est requis de
nous et que nous estimons maintenant être en mesure de rendre de
façon satisfaisante. Il faut y voir le principal des moyens
nécessaires à l'efficacité de notre action que le discours
inaugural annonce.
C'est dans le même esprit que seront soumises les mesures ayant
pour effet d'intégrer certaines responsabilités actuellement
exercées sous l'empire d'autres lois.
Les crédits de $10,505,200 que je vous propose aujourd'hui de
voter représentent, par rapport à ceux de l'an dernier, une
augmentation budgétaire nette de 27 p.c. Si l'on fait abstraction des
déductions qui sont entièrement liées à
l'élément Coopération internationale du programme des
Affaires internationales, les prévisions de dépenses
réelles s'élèvent à $11,479,800, soit une
augmentation budgétaire brute de 25 p.c. en regard du budget de l'an
dernier. Plus de la moitié de cette augmentation' de $2,335,800 ira en
salaires, ce qui ne saurait étonner, compte tenu de la nature de notre
ministère.
Ces dépenses accrues sont prévues en raison des
ajustements à faire pour le personnel en place, d'une part, et en raison
de l'accroissement de notre effectif, d'autre part.
L'on aura noté, à cet égard, que le nombre de
postes, que nous vous demandons d'autoriser, s'élève cette
année à 310. L'augmentation, tout en étant moins radicale
que celle de l'an dernier, demeure significative pour un ministère comme
le nôtre, si l'on tient compte des difficultés de recrutement et
des exigences de l'apprentissage du personnel nouveau.
Le bassin des candidats que le concours AD-1537 nous avait permis de
constituer à la fin de 1972 est maintenant épuisé et des
démarches ont déjà été entreprises pour
l'organisation d'un second concours d'envergure, grâce auquel nous
comptons pouvoir combler la totalité des 310 postes autorisés au
cours de la présente année financière.
Présentement, 249 personnes sont en poste, 23 à la
direction générale des relations
fédérales-provinciales, 124 à la direction
générale des relations internationales, 36 à la direction
générale de la coopération internationale et 66 à
la direction supérieure du ministère et dans les services
généraux.
Le recrutement du personnel d'adjoints aux cadres et de professionnels
requis pour combler les postes vacants peut maintenant être mis en route
avec d'autant plus d'à-propos que les cadres supérieurs du
ministère ont, en très grande partie, été
désignés et sont en poste.
En effet, il m'est agréable de vous faire part de trois
nominations importantes au niveau du personnel de direction du
ministère, qui sont intervenues depuis janvier dernier: un sous-ministre
adjoint à l'administration a d'abord été
désigné pour assumer la responsabilité de la direction
générale de l'administration qui regroupe l'ensemble des services
généraux du ministère, soit les services de
l'administration, ceux du personnel, ceux de l'information et ceux de la
documentation; d'autre part, un directeur général des relations
fédérales-provinciales et interprovinciales a été
récemment nommé, qui verra en priorité à
compléter le recrutement du personnel de cette direction; enfin, un
nouveau responsable de la direction générale des relations
internationales a été désigné. Ainsi, seule la
direction générale de la coopération internationale
demeure, pour l'instant, sans titulaire; la tâche est cependant
assumée, par suppléance, par un sous-ministre adjoint.
A ces nominations, nous pourrions ajouter un très grand nombre de
nouvelles affectations au palier des services ou des responsables de groupes de
travail; mais, je me contenterai de souligner que l'essentiel est de retenir
que l'équipe des cadres du ministère a maintenant acquis la
consistance qui nous autorise à procéder à un recrutement
sérieux et méthodique selon l'esprit qui anime notre travail
depuis déjà quelques années.
Comme cela était le cas l'an dernier, nos activités, pour
les fins de l'étude des crédits, sont regroupées en trois
programmes dont deux sont opérationnels: les Affaires
fédérales-; provinciales et interprovinciales et les Affaires
internationales; un troisième programme, Gestion interne et soutien,
comprend l'ensemble des activités des services
généraux.
Tout d'abord, les Affaires fédérales-provinciales et
interprovinciales. Au premier programme correspondent les activités de
la direction générale des relations
fédérales-provinciales et interprovinciales. Pour l'essentiel,
les crédits qui y apparaissent consistent en des dépenses de
traitements, sauf pour le volet de la coopération interprovinciale,
élément 2, où des sommes ont été
prévues pour la mise en oeuvre de programmes d'échanges avec
d'autres provinces. Le rôle principal joué par cette direction
générale en est un de coordination des relations
fédérales-provinciales en fonction d'orientations de travail
définies par le gouvernement.
Dans l'exercice de cette tâche, la direction est parfois
appelée à prendre charge, de façon supplétive, de
responsabilités sectorielles, mais ce ne sont là que des cas
d'exception. Notre méthode de travail vise, au contraire, à
susciter la maîtrise d'oeuvre sectorielle des dossiers des relations
fédérales-provinciales. Ce mandat de coordination signifie, en
clair, que la direction générale doit veiller à ce que les
relations fédérales-provinciales se conforment à certaines
orientations de travail préétablies. Elle doit, en outre,
s'assurer que toute démarche significative au plan des relations
fédérales-provinciales soit préalablement autorisée
par le centre de décision approprié.
Pour la présente année, les orientations de travail de la
direction ont été explicitées dans le discours inaugural
du 14 mars dernier. Elles s'articulent autour de deux thèmes majeurs: la
souveraineté culturelle et le développement
économique.
Au titre de la culture, trois dossiers apparaissent majeurs: les arts et
les lettres, l'immigration et les communications. Il vous a été
donné de discuter de chacune de ces questions lors de l'examen des
crédits des trois ministères concernés. Je me contenterai
de les évoquer très brièvement.
La question du financement des arts et des lettres, comme vous le savez,
fait depuis longtemps l'objet de discussions
fédérales-provinciales. Il s'agit de savoir qui, du gouvernement
fédéral ou du gouvernement du Québec, doit avoir le droit
prépondérant d'intervention sur le territoire du Québec en
matière de culture au sens strict. La thèse
québécoise à cet égard est connue. Celle du pouvoir
de dépenser fédéral l'est également.
Plutôt que de laisser aux tribunaux ou aux aléas d'une
éventuelle réforme constitutionnelle le règlement de cette
question, nous avons choisi de tenter d'en arriver, avec le gouvernement
fédéral, à une entente visant à canaliser ses
interventions sur le territoire. Nous travaillons présentement, de
concert avec le ministère des Affaires culturelles, à la mise au
point d'un mécanisme nouveau qui sera proposé dans les prochains
mois au gouvernement fédéral.
Quant à l'immigration, le ministre responsa-
ble a indiqué récemment que le Québec a entrepris
de négocier avec le gouvernement fédéral des ententes
permettant une information adéquate des candidats, d'attribuer au
Québec un pouvoir réel de sélection et de recrutement et
d'assurer une intégration harmonieuse des immigrants à la
société québécoise.
Ces négociations sont en cours et nous y contribuons dans la
mesure de nos moyens.
Enfin, le dossier des communications constitue le troisième
élément de cette orientation de travail. Comme vous le savez,
depuis novembre 1973, l'ensemble du secteur des communications fait l'objet
d'une négociation entre le fédéral et les provinces, en
vue d'en arriver à un nouveau partage des responsabilités entre
les deux ordres de gouvernement.
La position du Québec, dans ce domaine, a été
exposée dans deux documents. Le premier: "Pour une politique
québécoise des communications" c'était le livre
vert publié en 1971 et ensuite, "Québec, maître
d'oeuvre de la politique des communications sur son territoire"; ce document
était daté de novembre 1973.
Le discours inaugural indique que le gouvernement attache la plus grande
importance à ces négociations.
Il ajoute que, tout en reconnaissant au gouvernement
fédéral, un rôle dans le domaine des communications, le
Québec entend toutefois disposer des centres de décision dont il
a besoin pour sa sécurité et sa souveraineté
culturelle.
En vue de ces négociations fédérales-provinciales,
quelques rencontres interprovinciales ont eu lieu, tant au palier
ministériel qu'à celui des fonctionnaires, afin d'arrêter
les positions des provinces. Au plan fédéral-provincial, une
première ronde de négociations s'est tenue en novembre dernier et
a permis aux gouvernements d'exposer leur position respective et de
préciser l'objet de la négociation. Une deuxième rencontre
fédérale-provinciale des ministres des Communications doit se
tenir au cours des prochaines semaines. Dans l'intervalle, le
fédéral a amorcé des discussions bilatérales avec
les provinces qui, de leur côté, tiennent des rencontres
interprovinciales en vue de la prochaine conférence
fédérale-provinciale.
D'autre part, le développement économique demeure un
objectif majeur de l'action du gouvernement. Cette préoccupation se
traduit, au plan des relations fédérales-provinciales, par la
mise en relief de certains dossiers reliés à des projets majeurs
de développement.
Le discours inaugural en énumère quelques-uns qui devront
recevoir une attention particulière: le développement de la
région de la baie James, le secteur de la pétrochimie et de la
sidérurgie, le projet de transbordement, distribution, fabrication, soit
le projet TDM à l'aéroport Mirabel, ainsi que l'usine d'eau
lourde.
De plus, certaines questions d'importance, comme la consultation des
provinces dans le cadre des négociations du GATT et le problème
de l'inflation dans le domaine de l'alimentation, prennent évidemment
l'importance que la conjoncture leur confère.
Plusieurs de ces dossiers et de nombreux autres font déjà
l'objet de négociations fédérales-provinciales. J'en
évoquerai deux en particulier, à la grande satisfaction de
l'Opposition, celui du pétrole et celui de l'entente-cadre de
développement dont l'importance est manifeste et qui ont
déjà donné lieu à des conclusions extrêmement
positives.
En ce qui concerne le pétrole, comme vous le savez, les
événements de l'automne dernier sur la scène
internationale, embargo pétrolier, révision des prix par l'OPEP,
ont précipité le processus d'établissement d'une politique
canadienne en matière de commerce interprovincial et international du
pétrole. Le schéma de détermination des prix du
pétrole s'en est trouvé d'autant plus bouleversé au
Canada.
Alors qu'auparavant le pétrole brut de l'Ouest était
relativement plus cher que le pétrole importé et approvisionnait
les provinces à l'ouest de la vallée de l'Outaouais, en janvier
1974, le pétrole brut importé, à cause des fortes
augmentations de prix décrétées par les pays producteurs,
devenait beaucoup plus dispendieux que le pétrole canadien.
Suite à la conférence des premiers ministres sur
l'énergie, les 22 et 23 janvier 1974 et à une réunion
à huis clos tenue à Ottawa le 27 mars dernier, les onze
gouvernements canadiens se sont entendus pour adopter un prix unique au Canada
de $6.50 le baril, frais de transport exclus.
Le gouvernement fédéral doit, selon la même entente,
subventionner les régions importatrices, Québec et Atlantique,
pour la différence entre le prix canadien et le prix international. Il
est prévu que ces subventions seront de l'ordre de $700 millions pour
l'année en cours et, pour financer ces subventions, le
fédéral puisera à même les revenus de la taxe
à l'exportation perçue depuis le 1er octobre 1973. Pour
l'année en cours, on prévoit que ces revenus et il est bon
de le souligner encore une fois seront de l'ordre de $1 milliard
à la suite de l'accord sur le pétrole et, en plus, le
Québec recevra des revenus additionnels et cela au titre de la
péréquation. En effet, les revenus accrus de 1'Alberta,
résultant de l'augmentation des redevances versées par les
producteurs de pétrole, se traduiront au Québec par une
augmentation de plusieurs millions de dollars quant aux sommes versées
à ce titre.
Je me permets de vous souligner que, dans l'ensemble des discussions qui
ont conduit à ce résultat positif pour le Québec et l'Est
du pays, le ministère des Affaires intergouvernementales a joué
de premier plan et cela, évidemment, en relation étroite avec le
ministère des Richesses naturelles.
Par ailleurs, l'entente-cadre Canada-Québec sur le
développement économique, signée le 15 mars 1974, traduit
une approche nouvelle dans
le domaine des relations fédérales-provinciales. Cette
entente vise à donner aux programmes québécois et
fédéraux de développement une orientation conçue
â partir d'une stratégie commune et articulée autour de
projets moteurs de développement. Valide pour une durée de dix
ans, cette entente a notamment pour objet de renforcer la structure
industrielle et urbaine du Québec, de susciter une participation accrue
des Québécois à leur propre développement et de
favoriser un meilleur équilibre dans le développement du
Québec par rapport aux autres régions du Canada.
Cette entente-cadre permet la signature d'ententes auxiliaires portant
sur des projets moteurs de développement. Il est prévu qu'environ
$3 milliards seront dépensés au Québec au cours des dix
prochaines années en vertu de ces ententes auxiliaires.
Une première entente de ce type, sur le développement de
SIDBEC, a été signée en même temps que
l'entente-cadre.
A ce moment-ci, je me permets d'intercaler que, lors de l'étude
des crédits du Conseil exécutif, lorsque nous aborderons les
crédits de l'Office de planification et de développement du
Québec, je pourrai, peut-être, m'étendre davantage sur ce
sujet et tenter, encore une fois, de corriger une impression injuste et
inexacte qui a pu se glisser dans certains milieux voulant que cette entente
Canada-Québec comportait partiellement un abandon du
développement régional. Je vous ferai part, et cela dans les
termes les plus clairs dont je suis capable, que les ententes auxiliaires
touchant des projets moteurs de développement peuvent se
concrétiser dans l'une ou l'autre des régions de la province et
qu'en second lieu, le gouvernement du Québec a adopté une
politique nouvelle et additionnelle, quant au développement
régional proprement dit, en constituant, à partir du 1er avril
1975, un fonds de développement régional purement
québécois et qui répondra, je l'espère bien, aux
aspirations très légitimes de chacune des régions du
Québec.
Pour revenir à l'entente-cadre proprement dite, et pour revenir
également au succès remporté lors des négociations
dans le domaine du pétrole, je dois dire que c'est là un
résultat très positif de la stratégie de concertation avec
le gouvernement fédéral que la direction générale
des affaires fédérales-provinciales et interprovinciales a pour
mission de mettre en oeuvre. Son action en ses matières a
essentiellement pour but de permettre d'optimiser les actions de
développement significatives pour la collectivité
québécoise dans le respect de la constitution.
Le respect de la constitution ne signifie pas cependant que le
Québec limite son intérêt aux sujets que l'Acte de
l'Amérique du Nord britannique...
M. MORIN: "British North American Act" plutôt, en l'absence de
version française officielle.
M. LEVESQUE: BNA Act, hein? ... attribue expressément aux Etats
membres de l'acte de la fédération. Bien que de compétence
fédérale exclusive, plusieurs interventions
fédérales sur le territoire québécois doivent
intéresser le gouvernement du Québec parce qu'elles sont
importantes pour le peuple québécois.
En termes plus académiques, cette notion d'intérêt
à l'égard de ce qui est primordial pour la collectivité
s'exprime par le principe de la participation qui constitue, avec celui de la
décentralisation, un des deux éléments moteurs d'un Etat
fédéral. Nos droits constitutionnels, comme vous le savez, se
limitent à la mise en oeuvre du principe de la décentralisation.
Nulle disposition constitutionnelle ne concerne la participation des Etats
membres à des décisions prises au sein d'un organisme
véritablement fédéral. A défaut de l'appui du droit
positif, il nous faut donc, en ces matières, créer un usage.
C'est ce que nous nous attachons à faire au moyen de multiples
interventions auprès du gouvernement fédéral, même
dans les domaines de sa propre compétence. Telles sont les orientations
majeures de travail de la direction générale en matière de
relations fédérales-provinciales.
En ce qui concerne les relations interprovinciales, on aura noté
que, dans la poursuite du travail amorcé l'an dernier en vue de
développer un axe interprovincial de coopération, les
dépenses prévues pour la présente année
financière s'élèvent à $101,000, soit plus du
double de celles de l'an dernier. La répartition de cette somme a
été faite de manière à amorcer
l'élargissement des actions de coopération jusqu'ici à peu
près limitées, dans les faits, à l'Ontario. On pourra
peut-être se poser la question sur la somme elle-même qui peut
paraître minime, mais il faut bien comprendre que, dans cette
coopération, il y a un facteur dont il faut tenir compte, c'est celui
des transports. A ce moment-là, les faits sont beaucoup moindres que
ceux qui sont impliqués dans la coopération Québec-Europe
ou Québec-Afrique, etc.
Par ailleurs, et là, nous arrivons aux affaires internationales
proprement dites, le deuxième programme du ministère, celui des
affaires internationales, comprend les activités de deux directions
générales.
Celle des relations internationales, élément 1, et celle
de la coopération internationale, élément 2.
D'abord les relations internationales. En ce qui concerne ces relations,
je développerai, comme le prévoit l'organigramme du
ministère, deux thèmes: Celui des maisons du Québec
à l'extérieur, d'une part, et celui des organisations
internationales, d'autre part.
Disons d'abord un mot des maisons du Québec. Comme je l'avais
annoncé l'an passé, la maison du Québec à Tokyo a
été mise en place. Nous avons également installé
celle de Toronto dont les activités nous amèneront, à
brève échéance, à redéfinir à la fois
la vocation et la mission. Nous avions aussi projeté d'établir
une
maison du Québec en Amérique latine. Les choses ont
cependant évolué autrement et l'évolution, qui s'est ainsi
produite dans nos projets pour l'Amérique latine, nous a amenés
à des conclusions qui modifieront sensiblement la façon dont nous
aborderons dans l'avenir la question de l'ouverture de nouvelles maisons du
Québec à l'extérieur.
Il y a déjà un bon moment, des discussions entreprises
avec l'ACDI, l'Agence canadienne de développement international, nous
ont conduits à proposer à nos interlocuteurs une formule pour
coordonner nos actions respectives dont nous avions fait, depuis 1970,
l'expérience. L'expérience, à laquelle je
réfère, est celle du programme Derro-Tetouan au Maroc, qui a
été l'objet, en 1969, d'une entente entre l'ACDI et le
Québec. Cette expérience nous a permis de mettre au point des
modalités à la fois de concertation et de coordination dont nous
avons constaté, de part et d'autre, qu'elle nous donne
réciproquement satisfaction. Aussi avons-nous proposé d'appliquer
cette formule à d'autres parties du monde. C'est ainsi que nous sommes
en voie de mettre au point des accords analogues à celui du programme
Derro-Tetouan pour plusieurs pays de l'Afrique et pour un pays de
l'Amérique latine.
Compte tenu de cette évolution des choses, nous en sommes venus
à la conclusion qu'au lieu de viser, dans l'immédiat, à
l'implantation d'une maison du Québec en Amérique latine, comme
nous en avions formulé le projet il y a quelque temps, il nous semble
plus réaliste de commencer à mettre au point des projets de
coopération en Amérique latine, que nous mettrions en oeuvre dans
le cadre d'un accord avec l'ACDI, inspirés du modèle
Derro-Tetouan. Je le souligne, le projet annoncé l'an passé d'une
maison du Québec en Amérique latine n'est pas abandonné
pour autant. Il s'agit plutôt de le réaliser dans de meilleures
conditions et de le situer dans le prolongement d'actions concrètes dont
il sera, en quelque sorte, l'aboutissement plutôt que le point de
départ.
M. MORIN: Dans le cadre de l'ACDI...
M. LEVESQUE: Je vais revenir à la question de l'ACDI pour qu'on
ne se méprenne pas là-dessus, parce qu'il s'agit là d'une
approche qui nous semble beaucoup plus pratique, beaucoup plus pragmatique et
qui a un effet multiplicateur sur les dollars que nous avons à notre
disposition. Nous pouvons ainsi, tout en utilisant les fonds de l'ACDI, assurer
notre présence dans beaucoup plus de projets et notre influence,
également, dans beaucoup plus de projets.
M. MORIN: Grâce aux fonds de l'ACDI?
M. LEVESQUE: Nous n'avons pas d'objection à utiliser, en plus de
nos fonds propres, les fonds de l'ACDI. Ils sont en fait le produit de taxes
des contribuables québécois, comme ceux des autres citoyens
canadiens. Nous avons l'intention d'être pleinement Canadiens et de
profiter entièrement du fédéralisme dans lequel nous
croyons.
M. le Président, désormais, nous verrons à engager
d'abord des actions concrètes, si modestes soient-elles, dans les pays
à propos desquels nous formulons l'hypothèse qu'ils pourraient
être des lieux adéquats pour une présence institutionnelle
du Québec. C'est à la lumière de telles actions
concrètes que nous serons en mesure de prendre la décision
toujours significative, au point de vue politique, de donner à la
présence québécoise le cadre permanent d'unt maison.
Une telle approche n'était peut-être pas nécessaire
ou essentielle à l'époque où on pouvait considérer
que l'implantation d'une maison du Québec allait en quelque sorte de
soi, dans un certain nombre de pays.
Il faut bien considérer et se rappeler qu'il n'était pas
nécessaire peut-être d'agir de la même façon
lorsqu'il s'agissait de s'établir en France, en Angleterre, en Belgique,
en Italie ou aux Etats-Unis, etc. Nous en sommes cependant au point où
de telles décisions doivent être mesurées avec soin.
La meilleure façon de procéder, d'après nous,
à l'évaluation qui s'impose dans de telles circonstances, c'est
précisément de mettre en oeuvre, dans un premier temps, des
programmes d'action dont le résultat nous servira de critère pour
les étapes ultérieures à franchir.
On comprendra également que nos moyens ne nous permettent pas et
nos effectifs ne pourraient pas non plus répondre à de telles
exigences. Nous ne pouvons pas songer par exemple, que nous pourrions
être présents dans chacun des pays de l'Amérique latine,
pas plus que dans tous les pays d'Afrique et dans tous les pays du monde.
Ce que nous voulons, c'est justement poser certains gestes et nous
associer à des institutions comme l'ACDI, d'une part, comme l'Agence de
coopération culturelle et technique des pays francophones, d'autre part,
et, à l'intérieur de ces cadres, procéder à
certaines actions et ainsi utiliser ces actions comme un sondage et voir
jusqu'à quel point elles sont un préalable à
l'établissement de maisons du Québec.
La présence du Québec à l'étranger,
d'ailleurs, ne se manifeste pas exclusivement par le réseau des missions
du Québec. Notre participation aux activités de certaines
organisations internationales constitue une ouverture sur le monde qui est loin
d'être négligeable.
Comme je le mentionnais il y a quelques instants, l'Agence de
coopération culturelle et technique a pris pour nous une signification
particulière, car elle constitue la seule organisation internationale
dont le Québec, comme gouvernement, soit membre. A ce titre, nous
participons à toutes les réunions de l'agence avec plein droit de
parole.
Notre contribution à cette organisation, la quatrième en
importance après celles de la
France, du Canada et de la Belgique, a été établie
à 3 p.c. du budget total. Cette année, elle
s'élèvera à près de $160,000. Il serait superflu de
discourir plus longuement sur notre participation aux institutions de l'agence,
tous savent l'importance que nous y attachons.
Nous avons l'intention de poursuivre, au cours de la présente
année, la politique de présence mise en oeuvre depuis 1971.
A divers titres, des représentants du gouvernement du
Québec sont souvent appelés, par ailleurs, à participer
aux activités de certaines organisations internationales, comme l'OIT,
J'UNESCO ou l'OCDE, par exemple. Certains hauts fonctionnaires y sont
même parfois appelés à participer à titre
personnel.
Dans le but de rentabiliser cette autre forme de présence du
Québec au sein d'organismes internationaux, nous avons entrepris,
auprès de plus de 25 ministères ou organismes du gouvernement, de
dresser un inventaire complet des différentes relations qui existent
entre fonctionnaires, ministères ou organismes et les organisations
internationales.
Une fois terminé cet état des relations existantes, nous
serons en mesure de proposer les modalités selon lesquelles, dans chacun
des cas, il sera possible d'appliquer les deux principes qui guident notre
action au sein d'instances internationales: identification du Québec et
le droit de s'exprimer au nom du Québec sur les questions à
l'égard desquelles, en droit interne, le Québec possède
une compétence constitutionnelle.
Notons à cet égard que, grâce à
l'expérience acquise depuis plusieurs années à l'OIT, nous
avons déjà pu élaborer un document sur les conditions de
la participation du Québec dans le cadre de délégations
canadiennes aux réunions des instances de cette organisation
internationale.
Ce document, qui a été rendu public, a été
déposé en avril dernier à la conférence des
sous-ministres du Travail du Canada.
Dans le cas des conférences internationales, dans le domaine de
l'éducation, qui se tiennent sous les auspices de l'UNESCO et de l'OCDE,
nous avons participé très activement et de façon
déterminante à l'élaboration, par le conseil des ministres
de l'Education du Canada, d'une position commune de l'ensemble des Etats
membres de la fédération Canadienne à l'égard des
conditions de la participation à ces manifestations.
Le processus est donc amorcé. Nous comptons être en mesure,
au cours de la présente année, de permettre la définition,
pour chacun des cas, des meilleurs modalités de la participation du
Québec aux activités des organisations internationales de
caractère gouvernemental.
Par ailleurs, nous poursuivrons, au cours de cette année, la mise
en oeuvre de notre politique de subvention qui vise à soutenir des
activités d'organismes internationaux de caractère non
gouvernemental, ayant une significa- tion particulière pour le
Québec et dont l'action est complémentaire de celle du
gouvernement.
Il importe de souligner à ce sujet que nous avons
décidé d'accorder cette année à l'AUPELF,
Association des universités partiellement ou entièrement de
langue française, en plus de sa subvention de fonctionnement, une
subvention spéciale de $23,500 qui sera consacrée à un
programme particulièrement important pour la francophonie, soit le
regroupement dans tout le monde de tous les départements et centres
universitaires d'études françaises.
Telles sont, pour l'essentiel, les orientations de travail de la
direction générale des relations internationales pour la
présente année.
Pour la coopération internationale, disons un mot maintenant des
activités de cette direction qui sont regroupées au sein de
l'élément 2 du programme des affaires internationales.
Ses activités consistent principalement dans l'élaboration
et la mise en oeuvre de programmes d'échanges dans le cadre d'ententes
conclues par le Québec avec des gouvernements étrangers ou
d'ententes conclues par le Canada et auxquelles le Québec a
accepté de participer.
Evidemment, les accords franco-québécois de 1964 et 1965,
de loin les plus importants que le Québec ait conclus, recouvrent encore
aujourd'hui le plus gros des activités de coopération
internationale du Québec. En termes budgétaires, la programmation
élaborée, en vertu de ces accords, représente, cette
année, 54.7 p.c. de l'ensemble du budget des programmes de
coopération. Ainsi qu'il appert au compte rendu des
délibérations de la 17e session de la Commission permanente
franco-québécoise qui s'est tenue à Paris les 29 et 30 mai
dernier, les opérations prévues pour l'année en cours se
déroulent normalement et on peut constater avec satisfaction une
préoccupation de plus en plus grande de rigueur dans l'organisation des
échanges.
Une attention particulière a été donnée
à l'élaboration de programmes de coopération technique
pour l'année en cours de manière à élargir
davantage le champ des échanges traditionnellement limités au
domaine de l'éducation et de la culture au sens strict.
C'est ainsi que, cette année, dans ce domaine de la
coopération franco-québécoise, des secteurs comme ceux des
affaires sociales, des richesses naturelles, de l'agriculture, de la justice et
des terres et forêts feront l'objet d'échanges plus nombreux et
mieux articulés.
D'autre part, nous comptons bien élaborer, en vue de la
commission permanente décisionnelle de novembre, une programmation qui
tiendra compte d'abord et avant tout de la préoccupation du gouvernement
en matière linguistique. C'est l'ensemble des échanges
franco-québécois qui doivent s'articuler autour de cette
préoccupation et non pas seulement un ou deux programmes
d'échanges de linguistes.
S'ils sont essentiels à long terme, ces échanges de
spécialistes seront sans effet s'ils ne sont pas appuyés par un
courant d'échanges de personnes concrètement situées dans
des posi-
tions stratégiques du point de vue de la langue d'usage comme,
par exemple, des professeurs de technologie, des magasiniers de grandes
entreprises et ainsi de suite.
Sachant que nous pouvons compter, en matière de défense de
la langue française, sur un appui substantiel de la France, nous
projetons de proposer, lors de la 18e session de la commission permanente, une
programmation qui privilégie cette approche.
Bien que de loin la plus importante, la coopération avec la
France n'est toutefois pas exclusive, loin de là. Traduisant l'objectif
de diversification, la programmation élaborée cette année
prévoit des échanges avec plusieurs pays autres que la
France.
Il est significatif de constater à ce sujet que l'importance
relative des crédits affectés à la coopération
franco-québécoise est passée successivement de 84.3 p.c.
de l'ensemble des crédits de coopération en 1969/70 à 84
p.c. en 1970/71, à 75.2 p.c. en 1971/72 à 76.5 p.c. en 1972/73,
à 68.9 p.c. en 1973/74 et, finalement, à 54.7 p.c. pour 1974/75.
Mais j'ajoute immédiatement qu'il s'agit là d'une importance
relative parce qu'on a remarqué, par les chiffres cités
auparavant, que le budget de la coopération a augmenté
considérablement et qu'en chiffres absolus, la proportion ne serait pas
la même parce que ce que nous faisons présentement, c'est que nous
sommes arrivés à ce rythme de croisière avec la
coopération franco-québécoise, ce qui fait qu'en chiffres
absolus, nous nous maintenons à peu près aux mêmes chiffres
que ceux de l'an dernier. Mais nous avons utilisé l'augmentation de nos
crédits justement pour avoir une action plus diversifiée à
travers le monde.
Cette diversification assez radicale que nous comptons opérer
cette année vise principalement à rentabiliser les missions
permanentes que nous avons établies à l'étranger, d'une
part, et à nous assurer d'une participation effective à certains
accords conclus par le Canada dans le domaine de la coopération
scientifique, technologique et industrielle. C'est ainsi que des programmes
d'échange ont été élaborés pour la Belgique,
l'Allemagne, l'Angleterre, l'Italie et les Etats-Unis, particulièrement
dans les Etats de la Louisiane et ceux de la Nouvelle-Angleterre.
Outre cette diversification de nos actions de coopération, la
programmation que nous projetons de réaliser cette année comporte
une deuxième caractéristique non moins importante en ce qu'elle
privilégie, dans le domaine de l'aide au développement, l'action
multilatérale. En raison de la limite de nos ressources
financières, il est évident que la coopération
bilatérale avec les pays en voie de développement n'est pas
aisément à notre portée. Sans exclure les actions
modestes, mais significatives sur une base bilatérale, il nous a
semblé plus rentable, en termes d'aide au développement,
d'affecter nos ressources à des actions de caractère
multilatéral. J'en reviens à préciser ce que je men-
tionnais il y a quelques minutes. Deux voies d'action ont été
retenues à cet égard, celle de l'Agence de coopération
culturelle et technique, d'une part, et celle de la collaboration avec l'Agence
canadienne de développement international, d'autre part.
J'ai déjà évoqué le mode de concertation mis
au point avec l'ACDI. Je n'y reviendrai pas, à moins qu'il n'y ait des
questions additionnelles. Quant à l'Agence de coopération, notre
mode de collaboration à ses programmes de développement
international est double. D'abord, à titre de membre de l'organisation,
nous sommes appelés à contribuer de façon
particulière à certains projets élaborés par les
instances décisionnelles de l'agence comme, par exemple, l'hôtel
de l'Amitié au Mali où le Québec assume la formation du
personnel hôtelier. D'autre part, certaines actions
québécoises dans des pays membres de l'agence sont mises au point
en complémentarité avec des projets de l'agence. Un bon exemple
de ce second volet de notre action d'aide au développement en liaison
avec l'agence est celui du programme de coopération convenu en
décembre 1973 entre le ministre de l'Education du Liban et le ministre
de l'Education du Québec. Ce programme prévoit la collaboration
d'experts québécois aux actions entreprises par le Liban, dans le
domaine de l'utilisation des moyens audio-visuels, de l'intégration de
l'enseignement technique dans le cadre de l'enseignement général,
de la formation du personnel d'encadrement, de professeurs et de
jardinières d'enfants pour les écoles normales. Or, la
dernière conférence générale de l'agence, tenue
à Liège, en octobre 1973, a décidé
d'élaborer pour le Liban et un certain nombre d'autres pays, où
le français serait en péril, un programme de formation de
professeurs de français à être mis en oeuvre en 1975.
Je n'aimerais pas laisser ce sujet sans mentionner également un
projet très important que nous faisons en accord avec l'agence, comme
gouvernement participant à l'agence et en accord avec les autres pays
membres de l'agence, mais particulièrement avec le Canada, sur le plan
financier, c'est-à-dire la tenue du festival de la jeunesse qui aura
lieu cet été à Québec même, dans la
capitale.
Notre participation à cette activité de l'agence, nous la
croyons fort importante et nous formulons tous les voeux de succès
à ce festival qui réunira plusieurs pays et surtout cette
jeunesse qui viendra se rencontrer dans nos murs.
Pour revenir à ces actions multilatérales, notons que le
fait de les privilégier n'a pas pour effet de réduire, de quelque
façon que ce soit, l'identification du Québec. Au contraire, dans
le cas de l'agence, nos actions sont identifiées au même titre que
celles des autres membres. Dans le cas des actions concertées avec
l'ACDI, le caractère conjoint des opérations est toujours
divulgué en vertu des positions expresses prévues dans les
ententes.
Tout à l'heure, je voyais le chef de l'Opposi-
tion froncer un peu les sourcils lorsque nous parlions de notre
présence envisagée en Amérique Latine. Lorsque nous
parlions d'une maison, il ne faut pas se méprendre. Une maison du
Québec ne serait pas une maison qui serait ouverte dans le cadre de
l'ACDI. Si nous procédons à l'implantation d'une maison du
Québec, ce sera une maison exclusivement québécoise. Mais,
comme je le mentionnais, son ouverture ferait suite à des actions de
coopération, dont plusieurs pourraient s'inscrire dans cette
collaboration avec l'ACDI. Elle répondra sans doute à des besoins
sectoriels comme possiblement ceux de l'immigration et ceux de l'industrie et
du commerce.
Je pourrais m'étendre davantage, mais je pense que j'ai voulu
simplement brosser un tableau général des activités du
ministère. Je n'ai pas l'intention d'entrer dans tous les
détails, mais j'essaierai, bien honnêtement, de répondre
aux préoccupations des membres de cette commission parlementaire. J'ai,
entre autres, quelques têtes de chapitre qui pourraient inspirer
l'Opposition si elle ne l'est pas suffisamment. J'ai, par exemple, les
variations budgétaires 1974/75 et leurs justifications, les effectifs de
l'ensemble du ministère et la programmation quant à certains
articles de coopération, soit interprovinciale ou internationale; enfin,
ce qui peut justifier, autrement dit, les crédits requis pour
l'année en cours.
M. MORIN: Et votre rapport annuel pour l'année 1972/73?
M. LEVESQUE: Si vous me permettez, je trouve que c'est là une
excellente question. Il est très logique qu'elle soit posée en
premier. Je dirai simplement que j'aimerais dire que je n'ai pas autre chose
à dire là-dessus, que nous suivons une tradition à
laquelle j'essaie, présentement, de mettre fin. J'ai eu, avec mes
sous-ministres, une réunion où nous avons convenu pour mettre fin
à ce ratard... Parce qu'il faut bien admettre, j'ai déjà
siégé de l'autre côté de cette table, au moins
à deux reprises, lorsque les rapports annuels nous arrivent, ce sont
souvent des rapports annuels qui perdent de leur actualité parce qu'ils
arrivent alors que tout le monde est au courant de ce qu'ils contiennent, et
même ce n'est plus d'actualité tellement parce qu'il s'est souvent
produit un espace de temps entre... Ce n'est peut-être pas vrai pour tous
les ministères, mais lorsque je lis mon rapport annuel... Par exemple,
j'ai déposé aujourd'hui le rapport de l'Office de planification
et de développement du Québec. En le lisant, je sais que j'aurais
beaucoup de choses à ajouter, parce que ce rapport a trait à un
exercice financier qui est terminé depuis un an et quelques mois.
Alors nous avons convenu j'espère que le chef de
l'Opposition sera d'accord là-dessus et tous les membres de la
commission de procéder immédiatement. Je l'ai d'ailleurs
en manuscrit ici, malheureusement.
M. MORIN: Le rapport pour l'année 1972/73?
M. LEVESQUE: 1972/73, et je vous assure que le chef de l'Opposition ne
sera pas tellement avancé en lisant tout cela.
M. MORIN: Je serais plus avancé qu'en lisant votre rapport
1971/72.
M. LEVESQUE: Oui, peut-être; mais ce que nous voulons faire, c'est
dès la reprise de la session au mois de novembre, pouvoir déposer
les deux. Ou octobre, je ne sais pas quand.
M. LEGER: Au mois de novembre?
M. LEVESQUE: Pas la session, l'ajournement. C'est parce qu'on peut
rester longtemps cet été. Je ne le sais pas. Si vous voulez me
dire quand la session va se terminer, je vais vous dire quand on va la
reprendre.
M. LEGER: Après le temps chaud, le temps froid.
M. LEyESQUE: Oui. Mais ce dont nous avons parlé, c'est novembre,
pour le dépôt du rapport annuel. Nous espérons pouvoir
déposer je voudrais que ce soit fait comme cela, pour que ce soit
repris à l'avenir et 1972/73 et 1973/74 et ensuite nous aurions
à l'avenir, je l'espère, c'est un voeu, notre rapport annuel dans
les six mois qui suivent la fin de l'exercice financier. Maintenant, c'est un
voeu. Ce n'est pas moi qui écris le rapport annuel, ce n'est pas facile
non plus de recueillir les données.
M. MORIN: Puisqu'il est terminé, pourriez-vous nous le
communiquer? Il n'est pas nécessaire qu'il soit imprimé pour que
nous le lisions.
M. LEVESQUE: II m'a été remis et je n'ai même pas eu
le temps de... J'ai eu le temps de le feuilleter. Je l'ai demandé
justement...
M. MORIN: Sûrement que vous en connaissez une partie par
coeur.
M. LEVESQUE: Non. Je ne connais pas cela par coeur comme vous. Je suis
encore très limité, comme on le sait; cela parait tous les jours.
Mais j'aimerais le lire et même je crois que certains hauts
fonctionnaires du ministère ne l'ont pas encore vu. Je peux le livrer
à titre personnel au député de Sauvé, mais je ne
peux pas en faire une distribution parce que ce n'est qu'un manuscrit et il
n'est pas du tout à jour. Je pense que ce serait au moins ma
responsabilité de le lire et que mes hauts fonctionnaires, qui sont
responsables de ce rapport annuel, puissent également en prendre
connaissance. Mais, ce n'est pas parce qu'il y a quelque chose ici que je ne
veux pas montrer au chef de l'Opposition ou aux membres de la commission.
M. MORIN: Cela aurait été utile quand même pour
l'étude de vos crédits.
M. LEVESQUE: C'est vrai. Je l'admets, et c'est pour cela qu'à
l'avenir j'espère que vous aurez le rapport annuel quelques mois avant
l'étude des crédits. Je n'en fais pas une promesse parce que cela
dépasse souvent je le dis ma volonté. Rien ne me
fait plus plaisir que lorsque j'ai le rapport annuel. Aujourd'hui,
j'étais très heureux de pouvoir déposer le rapport annuel
de l'Office de planification et de développement et j'ai insisté
auprès des imprimeurs pour pouvoir le déposer dès
aujourd'hui. J'aurais autant aimé avoir le même plaisir quant au
ministère des Affaires intergouvernementales.
M. MORIN: Je tiens pour acquis que le ministre ne se scandalisera pas
des nombreuses questions que j'aurai à lui poser et qui auraient
trouvé leur réponse dans ce rapport?
M. LEVESQUE: J'en conviens. M. MORIN: Enfin.
M. LEVESQUE: Voilà, messieurs, les remarques préliminaires
qu'il m'est apparu utile de faire pour l'étude des crédits du
ministère des Affaires intergouvernementales. En somme, il est
particulièrement remarquable de noter que nos efforts ont
dédramatisé les relations intergouvernementales au profit de
l'établissement de rapports concrets et inédits, tant avec le
gouvernement fédéral qu'avec les gouvernements étrangers.
J'espère que nous pourrons faire preuve de la même
sobriété dans les discussions qu'il est possible d'engager
présentement.
LE PRESIDENT (M. Picard): L'honorable chef de l'Opposition.
M. MORIN: M. le Président, puis-je, avant de vous livrer quelques
remarques préliminaires, dire au ministre qui pourra, selon la
conception qu'il se fait de son rôle et de son ministère, s'en
réjouir ou s'en désoler, qu'à mes yeux, le
ministère des Affaires intergouvernementales est le plus important de
tous les ministères québécois, parce que c'est un
organisme de synthèse; en tout cas, ce devrait l'être. Ce sont en
fait les Affinter, comme on les appelle quelquefois, qui peuvent définir
les rapports du Québec avec l'extérieur aussi bien avec les
provinces canadiennes et le pouvoir fédéral, qu'avec les autres
Etats étrangers. Or, il en va des collectivités comme des
individus.
On se définit soi-même en se définissant par rapport
aux autres. C'est donc des Affaires intergouvernementales que relève, au
premier chef, à mon avis, l'identité québécoise.
J'espère que le ministre en est conscient. Cette identité
requiert, naturellement, des vues d'ensemble sur l'avenir du Québec, un
certain dessein, ce que le ministre lui-même a appelé une
"cohérence" ou encore des orientations de travail, qu'on pourrait
appeler un principe directeur qui canalise les énergies, les travaux et
donne une orientation générale au développement.
Le rôle des Affaires intergouvernementales est double comme on
sait. Dans certains domaines, il est directement responsable et agit par ses
propres organes, qu'il s'agisse de négociations constitutionnelles, de
négociations fiscales, de coopération technique, de
délégations à l'étranger, mais il a aussi un
rôle de coordination dans les autres domaines où existent des
rapports intergouvernementaux.
Or, c'est nécessairement à la lumière d'un principe
directeur que les Affaires intergouvernementales peuvent coordonner l'action
des divers ministères, non pas seulement à court terme, mais en
fonction des intérêts à long terme du Québec, tant
au plan canadien qu'au plan international. Sans cette politique d'ensemble, M.
le Président, l'action du ministère des Affaires
intergouvernementales est impossible pour ne pas dire inutile. Elle se borne
à enregistrer les contradictions qui sont fort nombreuses, notamment
entre le pouvoir fédéral et le pouvoir encore provincial. Par
exemple, la politique fédérale en matière de relations
fédérales-provinciales a toujours fait miroiter les avantages
immédiats, concrets sur lesquels se jettent avec une certaine
voracité les ministres québécois. Ce sont naturellement
des avantages de nature financière en général et cela pour
faire accepter une mainmise à long terme sur un secteur
donné.
Je prendrai quelques exemples puisque le ministre a voulu lui-même
en donner. Dans le cas du pétrole, l'accord qui a été
conclu avec Ottawa risque de fédéraliser les richesses
naturelles, comme le confirme d'ailleurs un certain projet de loi
fédéral, et ceci en échange d'une baisse temporaire des
prix, d'avantages qui, essentiellement, dureront quelques mois, au maximum deux
ou trois ans, selon l'aveu même du ministre des Richesses naturelles.
Autre exemple, les relations fédérales-municipales, où le
gouvernement fédéral s'efforce d'imposer sa compétence en
faisant miroiter les millions aux yeux des municipalités qui en ont un
criant besoin, avec le résultat qu'on voit maintenant certaines
municipalités qui, devant les hésitations du gouvernement
québécois, sont prêtes à reconnaître une
certaine compétence au fédéral pour ensuite aboutir, selon
le processus inexorable dont nous avons été tant de fois
témoins dans le passé, à la reconnaissance d'une sorte de
droit d'afnesse du pouvoir fédéral.
Le ministre a mentionné certains domaines où l'on
retrouve...
M. LEVESQUE: Est-ce que le député me permet de
préciser, parce que c'est assez grave, lorsqu'il a dit: Les
hésitations du gouvernement québécois...
M. MORIN: Oui, j'y reviendrai.
M. LEVESQUE: Le gouvernement québécois n'a jamais, ni
aujourd'hui ni hier, changé d'avis
là-dessus. Cela a été une constante. Jamais on n'a
accepté que le gouvernement fédéral ait quoi que ce soit
à faire avec les municipalités et n'a jamais permis de liens
directs du gouvernement fédéral avec les
municipalités.
M. MORIN: Je compte y revenir et m'expli-quer là-dessus plus
tard.
Dans les autres domaines, dont certains ont été
mentionnés par le ministre, les Affaires culturelles, les
Communications, l'Immigration, nous sommes toujours témoins de cette
tendance du pouvoir fédéral à imposer ses pratiques, ses
thèses. Le ministre nous a fait un cours de théorie
fédéraliste tout à l'heure. Il a invoqué le
principe de la participation, moteur du système fédéral,
a-t-il dit. C'est une belle théorie, parce que jusqu'ici...
M. LEVESQUE: C'en est deux.
M. MORIN: Oui. Je reviendrai sur le second principe dans un instant.
M. LEVESQUE: II faut tout dire, parce qu'on m'interprète...
M. MORIN: Si le ministre veut bien, comme je l'ai fait, me faire
crédit pour quelques connaissances dans ce domaine, j'y viendrai,
à l'autre principe, dans un instant.
Pour l'heure, je parle du principe de la participation où, dans
le passé, ce n'est pas le Québec, et encore aujourd'hui, ce n'est
pas tellement le Québec qui participe à l'élaboration des
politiques fédérales dans les domaines de compétence
fédérale. C'est plutôt le pouvoir fédéral
qui, lui, participe aux domaines de compétence provinciale. Si c'est
cela que vous entendez par principe de participation, je ne pense pas que ce
soit conforme à ce qu'on appelle le vrai fédéralisme.
Parlons donc de cet autre principe dont vous nous entreteniez tout
à l'heure. Vous l'avez appelé... M. le ministre...
M. LEVESQUE: Excusez-moi. Je ne veux pas vous interrompre, mais je ne
peux pas accepter...
M. MORIN: Je vois que vous ne voulez pas m'interrompre tout en
m'interrompant...
M. LEVESQUE: C'est parce que je ne peux pas. laisser passer une
interprétation de ce que j'ai dit. Ce sont mes paroles après
tout. J'ai parlé du principe de la décentralisation.
M. MORIN: Oui.
M. LEVESQUE: Vous n'en avez pas parlé. Vous l'avez
oublié.
M. MORIN: J'y arrivais justement.
M. LEVESQUE: Quant à la participation, je n'ai pas parlé
de la participation du fédéral au Québec, mais du
Québec au fédéral.
M. MORIN: Moi, je vous en parle. M. LEVESQUE: Oui, d'accord!
M. MORIN : Parce que c'est cela le véritable principe de
participation au Canada.
M. LEVESQUE: D'accord, mais ce n'est pas ce que je disais,
cependant.
M. MORIN: Non. Vous avez parlé de la participation du
Québec, mais moi, je vous dis que ce qui se passe dans la
réalité, c'est plutôt la participation du pouvoir
fédéral aux compétences provinciales, grâce aux
"zones grises" et autres techniques que vous connaissez bien.
Parlons de ce principe de décentralisation. J'imagine que vous
vous référiez par là au principe d'autonomie. Au Canada,
c'est plutôt le principe de la prédominance fédérale
qui prévaut. Dans le vrai fédéralisme, on trouve, à
côté du principe d'autonomie, le principe de subsidiarité
qui veut que le pouvoir fédéral n'intervienne que dans la mesure
où les pouvoirs locaux sont incapables de régler une question par
eux-mêmes.
C'est tout le contraire dont nous sommes témoins dans le
fédéralisme canadien, et cela pour de nombreuses raisons d'ordre
historique sur lesquelles je n'ai pas à insister. Quel que soit le
domaine, c'est en puissance un domaine de compétence
fédérale aux yeux du pouvoir fédéral si on le
laisse faire. Bien sûr, cette attitude de prééminence, elle
est sans doute naturelle au Canada anglais, et ma foi! si j'étais
Anglo-Canadien, je ne dis pas que je n'appuierais point ce principe, et que je
n'appuierais pas les efforts du gouvernement fédéral pour
s'immiscer de plus en plus dans certaines compétences d'ordre
provincial. Parce que cela est peut-être nécessaire à
l'identité anglo-canadienne devant l'envahissement américain.
Mais pour nous Québécois c'est une autre affaire; nous ne sommes
pas des Anglo-Canadiens. Nous sommes des Québécois. Les principes
ne peuvent s'appliquer de la même façon. Ces principes,
d'ailleurs, que le ministre a évoqués en mentionnant, d'abord, le
principe de participation, puis en second lieu, le principe d'autonomie, selon
une gradation qui doit prendre beaucoup de signification dans l'esprit du
ministre, ces principes ont autrefois...
M. LEVESQUE: Non, non! Je n'aurais pas parlé de
décentralisation, soyons honnêtes...
M. MORIN: Oui.
M. LEVESQUE: ... si je ne voulais pas parler de la participation. C'est
parce que je parlais de participation que j'ai ajouté, mais non pas
en
deuxième lieu, non pas par ordre de priorité. Au moins,
laissez-moi le droit de...
M. MORIN: C'est l'autonomie qui vient en premier lieu à vos yeux,
M. le ministre?
M. LEGER: Par ordre alphabétique, autonomie vient avant.
M. MORIN: Très bien! C'étaient ces principes qui avaient
guidé l'un de vos prédécesseurs, M. Gérin-Lajoie,
alors qu'il était vice-premier ministre du Québec. Le voici
maintenant à l'ACDI où il applique les principes exactement
contraires de ceux qu'il défendait à l'époque. Alors, je
dis au ministre...
M. LEVESQUE: Oui, mais vous-mêmes, vous avez été
élève, probablement, de Frank Scott...
M. MORIN: C'est exact.
M. LEVESQUE: ... à McGill; mon Dieu, cela ne veut pas dire que
vous reniez votre université, que vous reniez ce que vous êtes.
Qu'est-ce que c'est? On peut...
M. MORIN: C'est de Frank Scott que, comme mon vis-à-vis,
d'ailleurs, lui qui a été également son étudiant,
je pense...
M. LEVESQUE: Oui.
M. MORIN: C'est de lui que j'ai appris un certain nombre de principes
qu'il appliquait à Ottawa et que j'applique à Québec tout
simplement. Il s'agissait de faire la transposition.
M. LEVESQUE: Ce n'est pas pour cela que vous ne voulez pas participer
à l'élection fédérale, puis à l'appui du
NPD?
M. MORIN: Si vous le voulez bien, M. le Président, nous n'allons
pas nous laisser entraf-ner à la manière du premier ministre sur
des sentiers puérils. Nous allons essayer d'en rester à la
matière qui nous intéresse cet après-midi. J'étais
en train de dire...
M. LEVESQUE: II n'y a rien de puéril là-dedans.
M. MORIN: J'étais en train de dire que le vice-premier ministre a
de qui tenir dans le domaine de l'autonomie québécoise. Son
prédécesseur, lui, est allé appliquer à Ottawa des
principes contraires, d'où je tirerais la conclusion que,
peut-être, le destin de l'actuel ministre est de finir comme
fonctionnaire fédéral. Mais non, je ne le pense pas à la
réflexion. Parce que pour intéresser Ottawa, il faut être
très autonomiste. C'est alors seulement qu'on est bon à
récupérer. Le ministre ne me paraît pas suffisamment
autonomiste pour intéresser le gouvernement d'Ottawa. Peut-être
certains de ses fonctionnaires finiront-ils à Ottawa un jour.
M. LEVESQUE: Le chef de l'Opposition se pense-t-il digne?
M. MORIN: En ce qui me concerne...
M. LEVESQUE: Ou est-il en train de se tailler un...
M. MORIN: Je n'ai pas le moindre intérêt pour la chose.
M. le Président, pour pouvoir organiser ce que j'appellerais la
résistance, pour pouvoir donner la riposte aux manoeuvres du pouvoir
fédéral, les Affaires intergouvernementales doivent avoir une vue
précise des intérêts à long terme du Québec.
Elles doivent avoir un "grand dessein". Ce ministère doit être
capable de séparer ce qui est essentiel de ce qui est accessoire. On
nous a parlé de beaucoup d'accessoires cet après-midi, mais peu
de l'essentiel. Pour cela, il doit avoir des vues d'ensemble, des politiques
d'ensemble, une définition, comment dire, globale de l'identité
québécoise et des exigences qu'elle entraîne. A l'heure
actuelle, si cette vue d'ensemble existe, nous ne la connaissons pas, et le
ministre ne nous en a pas fait part.
Le sous-ministre, M. Tremblay, a même laissé entendre
clairement, il y a quelques mois, qu'il doutait qu'elle soit possible. En tout
cas, il se disait incapable, quant à lui, de la définir. C'est
pour répondre à ce besoin inéluctable que le gouvernement
a commencé, il y a quelque temps, à parler de
"souveraineté culturelle dans un fédéralisme
économiquement décentralisé". Pour le moment, M. le
Président, ce ne sont là que des mots, et encore dans le discours
du ministre cet après-midi, ce n'était là, j'en ai bien
peur, que des mots, en l'absence d'une vue globale de l'avenir du
Québec.
Nous essaierons donc, au cours de l'étude de ces crédits,
de découvrir comment ces slogans se traduisent dans l'action
concrète du ministère et du gouvernement. C'est pourquoi je me
propose, avec la collaboration du ministre et de ses fonctionnaires, de
procéder à un bilan systématique de toutes les
activités du ministère, dossier par dossier.
Merci, M. le Président.
LE PRESIDENT (M. Picard): Messieurs, j'aimerais avoir vos directives sur
la façon dont vous voulez procéder pour l'étude de ces
crédits. Comme vous savez, il y a trois programmes. Habituellement, nous
procédons programme par programme, et à l'intérieur de
chaque programme, nous étudions les éléments à tour
de rôle.
M. LEVESQUE: C'est cela.
LE PRESIDENT (M. Picard): Si vous décidez sur cette
procédure, ne soyez pas surpris si je vous rappelle à l'ordre si
vous allez en dehors de l'élément en discussion.
M. MORIN: M. le Président, il est coutumier,
dans les diverses commissions où nous étudions les
crédits, que, dès le programme 1, nous puissions poser des
questions d'ordre général et même faire des interventions
d'ordre général.
LE PRESIDENT (M. Picard): D'accord!
M. MORIN: Vous êtes d'accord que nous puissions procéder de
cette façon?
LE PRESIDENT (M. Picard): Absolument! M.MORIN: Bien.
LE PRESIDENT (M. Picard): Le programme 1 vise à maintenir et
développer les relations entre le gouvernement du Québec et les
autres gouvernements du Canada. Elément 1 : Relations
fédérales-provinciales et interprovinciales. Le
député de Lafontaine.
M. LEGER: Je veux simplement dire un petit mot général
pour orienter les discussions qui vont venir. Quand on regarde
l'évolution du Québec et qu'on regarde l'évolution du
ministère actuel qui est passé d'un ministère des Affaires
interprovinciales à un ministère des Affaires
intergouvernementales, dans notre optique, un jour viendra où cela
deviendra un ministère des Affaires internationales.
C'est donc à l'intérieur de cette projection à
savoir que le ministère des Affaires intergouvernementales a un avenir
devant lui qui correspond à l'avenir des Québécois, que
nos questions vont venir. Elles sont dans l'ordre de préserver cette
orientation possible de ce ministère. Que les fonctionnaires qui
travaillent à ce niveau soient conscients qu'un jour ce
ministère, qui a déjà une vocation partiellement
internationale, pourra en avoir une bientôt complètement
internationale. C'est à cette ouverture d'esprit que nous avons beaucoup
de questions pour que ce ministère ait l'importance voulue à
l'intérieur des préoccupations actuelles du gouvernement.
M. LEVESQUE: Votre message commercial est parvenu, j'imagine...
M. LEGER: J'espère que vous...
M. LEVESQUE: ... mais deuxièmement, lorsque vous dites un jour,
bien, ce sera peut-être "un jour, tu auras ton tour". Vos chances sont
à peu près celles qu'ont les gens qui jouent à la
loterie.
M. MORIN: Je suis sûr que le ministre serait très fier
d'être un jour ministre des Affaires étrangères. Il ne peut
pas le nier; il en sourit d'aise.
M. LEVESQUE: Non, je souris parce que c'est justement ce qui fait
qu'à certains moments, je vois des séparatistes, des gens de
votre parti, avec cette sorte d'auréole, se promener avec ce regard
rempli d'espoir, se voyant déjà ambassadeur à tel et tel
endroit.
M. le Président, je crois que ces gens devraient revenir sur
terre, prendre les préoccupations qui sont celles des citoyens
québécois d'aujourd'hui et essayer de régler les
problèmes d'aujourd'hui. Quant à l'évolution, chacun a son
opinion là-dessus. Notre mandat n'est pas de régler les
problèmes de l'an je ne sais quoi, ou ceux qui peuvent mijoter dans
l'esprit de personnes trop ambitieuses.
M. LEGER: ... à mijoter...
M. LEVESQUE: Ce qu'il faut présentement, c'est remplir le mandat
qui nous a amenés ici, vous comme moi. Le gouvernement ne peut pas
mettre de côté, et il aurait bien tort de le faire, l'opinion
publique qui a été clairement exprimée, en particulier, le
29 octobre 1973...
M. LEGER: ... l'Assemblée nationale, ça.
M. LEVESQUE: ... alors que la population de Québec a clairement
opté pour l'option sépa... fédéraliste.
M. LEGER: C'est cela. Cela dit tout.
M. LEVESQUE: A ce moment-là, je ne crois pas qu'on puisse
commencer à nous préoccuper des nominations d'ambassadeur ou,
encore moins, de ministre des Affaires étrangères. Si vous voulez
vivre comme cela, libre à vous.
M. MORIN: Non. Nous allons, pour l'instant, nous en tenir à des
questions plus concrètes. Je tiens à rassurer le ministre actuel
des Affaires intergouvernementales, si jamais, au moment où ces
événements se produiront, il n'était plus ministre, il
ferait un excellent ambassadeur, à Ottawa, notamment.
Bon, M. le Président, pourrions-nous peut-être aborder la
réforme constitutionnelle? Le gouvernement...
M. BOSSE: Avorter?
M. MORIN: Aborder, bien sûr. D'après le rapport annuel du
ministère des Affaires intergouvernementales en 1971/72, il s'agissait
là d'un élément majeur de sa politique. Je me permets de
citer un extrait de ce rapport, à la page 11: "A l'échelle
canadienne, le Québec a manifesté sa présence en se
faisant le promoteur d'une révision de la constitution pour en
moderniser la structure et les méthodes. Les transformations rapides
qu'il a connues l'ont amené à rechercher, au sein de la
confédération canadienne, une place favorable à son
épanouissement économique et culturel. Cette évolution
récente de la société québécoise a
été à l'origine de son affirmation à
l'intérieur du fédéralisme. C'est pourquoi le
ministère des Affaires inter-
gouvernementales s'occupe des négociations constitutionnelles,
fiscales, etc."
On peut également lire dans un autre document fort
intéressant qui est le programme électorale du Parti
libéral, au cours de la dernière campagne, en ce qui concerne la
question constitutionnelle, les extraits suivants: "Le gouvernement du
Québec a une responsabilité particulière en regard de la
permanence et de l'épanouissement de la langue et de la culture
française au Canada et sur le continent nord-américain, puisque
le Québec est et demeurera le principal foyer d'expression de la culture
française au pays, son gouvernement ne peut abandonner à d'autres
une telle responsabilité. C'est cette responsabilité qui doit
être reconnue sur le plan constitutionnel pour des raisons
évidentes de permanence, d'épanouissement et de
sécurité".
J'en passe, mais ce qui est intéressant, c'est la conclusion: "En
conséquence, le prochain gouvernement libéral du Québec
demandera la réouverture du dossier de la révision
constitutionnelle". Dans les quelques jours qui ont suivi l'élection
d'octobre 1973, la question de la reprise des discussions sur la réforme
constitutionnelle est revenue brièvement sur l'horizon politique
québécois. C'était à l'occasion, je crois, d'une
rencontre entre le premier ministre du Québec et le premier ministre
fédéral, où l'on avait discuté en particulier des
modes d'amendement à la constitution. Cela avait donné l'occasion
au premier ministre, M. Trudeau, de définir un certain nombre de
positions, du gouvernement fédéral.
Premièrement, que la reprise des pourparlers dépendait de
la capacité du gouvernement québécois d'en arriver,
disait-il, "à des propositions compatibles avec celles du pouvoir
fédéral et acceptables en général par les
Canadiens."
Deuxièmement, qu'il appartenait au Québec de solliciter la
reprise des discussions sur ce qui était le triple enjeu de la
conférence de Victoria, c'est-à-dire le rapatriement de la
constitution canadienne, une formule d'amendement essentiellement canadienne et
la reconnaissance dans la constitution d'une charte des droits de l'homme et de
garanties linguistiques. Dans les jours qui ont suivi, lors d'une courte
rencontre entre le premier ministre du Québec et celui du Canada
c'était, je crois, le 2 novembre 1973 la question devait
être abordée. Puis, on n'en a plus jamais entendu parler; depuis
lors, plus un mot.
J'aimerais demander au ministre, compte tenu de ce que le rapport de son
ministère disait, il y a déjà deux ou trois ans, compte
tenu de ce qu'on trouve dans le programme du Parti libéral, comment se
fait-il qu'on ne soit pas plus avancé en matière de
réforme constitutionnelle? Où en êtes-vous en ce
moment?
M. LEVESQUE: Voici. Il faut d'abord se rappeler, parce qu'on a encore ce
rapport annuel de 1971 et on ne semble pas suivre l'évolution des choses
lorsqu'on se réfère à un document qui parle de choses
passées en 1970/71...
M. MORIN: Donnez-nous des rapports plus récents.
M. LEVESQUE: Je le sais, on ne reviendra pas là-dessus. J'ai dit
qu'on essaierait de le faire pour l'avenir. Il faut bien se rappeler qu'il y a
eu, dans le domaine des Affaires sociales, en particulier, une nouvelle
approche qui a été prise, à la suite des
événements qu'on connaît. Lorsque nous n'avons pas
réussi dans le domaine purement constitutionnel, nous avons pris une
autre approche qui nous a apporté des solutions extrêmement
favorables pour le peuple québécois. C'est ainsi que, dans le
domaine des allocations familiales, par exemple, nous avons atteint les buts
que nous recherchions. Nous avons maintenant, par la législation du
Parlement du Québec, réussi à avoir une primauté
dans la distribution des sommes versées aux bénéficiaires
des allocations familiales. C'est ainsi que nous avons nous-mêmes
déterminé c'est ce que nous voulions en vue et
surtout dans le contexte d'une politique sociale, nous avons nous-mêmes
réussi, sur le plan pratique, à faire reconnaître par le
gouvernement central que les allocations familiales, jusque-là
versées par le gouvernement fédéral, seraient
distribuées selon les normes déterminées par la
législation québécoise.
C'est là, je crois, une victoire pratique.
M. MORIN: Mais ne dites pas que c'est ce que vous vouliez. Ce que vous
vouliez, c'était l'article 94A.
M. LEVESQUE: Evidemment, je l'ai mentionné, il y a un instant,
lorsque l'approche purement constitutionnelle n'a pas abouti comme nous
l'avions dans ce temps-là préconisé, nous ne sommes pas
retournés chez nous en disant: Cela ne se réglera pas. Nous avons
pris une autre voie, une voie très pratique, qui nous a amenés
à des résultats concrets pour le peuple québécois
et a permis au gouvernement, et particulièrement au ministère des
Affaires sociales, de planifier une politique sociale tenant compte de cela,
lorsque cela s'est marié avec les autres politiques sociales, par
exemple l'aide sociale. A ce moment-là, nous avons pu arriver aux buts
et aux objectifs qui étaient les nôtres. Mais je voudrais dire
avant six heures, avant que l'on m'arrête, que je n'ai pas l'intention
cependant, dans l'étude de ces crédits, d'entrer dans le contenu
de ce qui appartient à l'un ou l'autre des autres ministères
sectoriels, parce que ce serait à ce moment-là une
répétition de l'étude des crédits des autres
ministères.
M. MORIN: Oui.
M. LEVESQUE: Je le donne seulement à titre d'illustration.
M. MORIN: Votre ministère n'est pas responsable des
négociations?
M. LEVESQUE: Pour autant que nous sommes responsables des
négociations, d'accord, mais je ne voudrais pas me laisser
entraîner à ce moment-ci dans la politique sociale du
ministère des Affaires sociales. C'est la seule mise en garde que je
fais; autrement, on va reprendre la discussion des crédits de chacun des
ministères et je suis loin d'être préparé, ni
même prêt.
LE PRESIDENT (M. Picard): Messieurs, il est dix-huit heures trois. La
commission suspend ses travaux jusqu'à vingt heures quinze, ce soir,
même salle. (Suspension de la séance à 18 h 3)
Reprise de la séance à 20 h 20
M. PICARD (président de la commission permanente de la
présidence du conseil, de la constitution et des affaires
intergouvernementales): A l'ordre, messieurs!
La parole est au chef de l'Opposition officielle.
M. MORIN: Au moment où nous nous sommes quittés, M. le
Président, le ministre tentait de nous faire croire que l'arrangement
sur les allocations familiales constituait un triomphe pour le Québec.
C'est une étrange logique que celle-là, puisqu'en 1971/72, si je
m'en remets au rapport annuel du ministère, celui-ci devait se faire le
promoteur d'une révision de la constitution, pour en moderniser les
structures et les méthodes. Survinrent ensuite les revendications du
Québec dans le domaine des allocations familiales, des affaires
sociales, la proposition de M. Castonguay, qu'on a appelée l'article 94
A, l'échec de l'article 94 A, l'échec de la Conférence de
Victoria. Depuis ce temps, semble-t-il, le grand dessein de la révision
constitutionnelle est tombé dans l'oubli, pour faire place à des
arrangements ad hoc, des arrangements concrets, dont se félicitait tout
à l'heure le ministre.
Dois-je conclure qu'à l'heure actuelle le ministère des
Affaires intergouvernementales a cessé de travailler aux dossiers de la
réforme constitutionnelle?
M. LEVESQUE: Ce que j'ai dit cet après-midi, si on me permet
d'expliciter ce que je veux dire, c'est que nous avions utilisé une
approche différente. Evidemment, il y a des gens qui préconisent
une révision globale de la constitution canadienne et nous avons vu que,
lorsque nous voulons faire certaines révisions globales, il arrive que
nous n'ayons pas toujours le succès désiré.
M. MORIN: Qu'en termes élégants ces choses-là sont
dites!
M. LEVESQUE: En pratique, nous avons décidé d'avoir une
approche différente, c'est-à-dire de prendre les cas les uns
après les autres, mais toujours dans le but non caché de faire
valoir nos revendications et d'arriver aux objectifs visés.
Nous en avons fait l'expérience du côté des affaires
sociales et, comme je l'ai mentionné cet après-midi, nous avons
abordé le problème des communications, celui de l'immigration,
celui des arts et des lettres, un peu avec la même formule, la même
procédure. Le député de Sauvé, qui est chef de
l'Opposition, se rappelle qu'on peut très bien prétendre
connaître son droit, qu'on l'ait étudié selon la
méthode française, celle qui part du principe et qui va vers son
application, ou qu'on l'ait appris, comme le député de
Sauvé, à McGill, où on part de cas concrets et où
on essaie d'en dégager des
principes. Je me permets de faire un peu cette comparaison, pour bien
illustrer la procédure que nous suivons présentement.
Cela ne veut pas dire que nous n'arriverons pas...
M. MORIN: Heureusement que je ne m'en suis pas tenu à cette
faculté.
M. LEVESQUE: Enfin, nous pourrons parler des titres de l'honorable
député de Sauvé un peu plus tard, mais pour le moment je
veux simplement citer ce fait à titre d'illustration. Autrement dit,
j'essaie de dire que nous pouvons arriver aux mêmes buts en utilisant une
autre voie. Présentement, nous essayons de partir de cas très
concrets, nous essayons de régler ces points très importants
quitte, par la suite, une fois que cela sera réglé, que nous
soyons vis-à-vis des faits acquis qui se traduiront, si
nécessaire à ce moment-là, par une révision
constitutionnelle. Nous n'avons donc pas abandonné notre désir
d'une révision constitutionnelle; nous avons plutôt, si je puis
m'exprimer ainsi, eu recours plus à la psychologie qu'à la
question pure de la politique ou du droit constitutionnel.
Il est entendu, et le député de Sauvé et les
membres de la commission le savent bien, que nos partenaires de la
fédération canadienne sont plus près de l'empirisme, sont
plus près du pragmatisme, sont plus frappés par une approche
comme celle que nous avons adoptée que par une approche purement
théorique et, si je peux m'exprimer ainsi, qui va purement vers la
codification. Autrement dit, ils aiment bien faire une analyse de chacun des
cas que nous voulons aborder plutôt que d'accepter toute une série
de révision avec tous les principes qui s'ensuivent. Il faut bien
admettre qu'ils sont comme cela.
M. MORIN: Ils vous ont amenés sur leur terrain, c'est
certain.
M. LEVESQUE: Pas du tout. C'est nous qui avons abordé une autre
voie qui nous paraissait plus fructueuse. En fait, ce que nous avons
déjà devant nous dans si peu de temps indique que le gouvernement
actuel a fait beaucoup plus de progrès vers un fédéralisme
acceptable par le Québec que tous les grands discours autonomistes, mais
souvent négatifs et stériles, que nous ayons pu connaître
dans notre histoire. Autrement dit, ce que nous voulons, c'est de parcourir une
certaine distance et, à partir de cette distance,
réévaluer la situation et repartir de nouveau. Nous voulons,
autrement dit, que cela évolue, nous voulons voir une constitution qui
évolue dans les faits plutôt que rester dans des désirs qui
ne semblent pas se matérialiser.
Nous avons peut-être suivi une voie qui ne correspond pas aux vues
de l'Opposition. Nous n'avons pas à nous guider sur les vues de
l'Opposition pour répondre au mandat que le peuple nous a confié.
Nous sommes heureux des suggestions positives ou constructives qui peuvent nous
être fournies par l'Opposition. Mais, lorsque cette Opposition officielle
a les théories, les croyances ou les doctrines qu'elle préconise,
il est évident que nous ne pourrons pas nous entendre parce que
l'Opposition officielle, on le sait, aujourd'hui, désire la
séparation du Québec du reste du Canada. C'est clair. Si on part
de ce principe de base, si on en fait un principe de base, si on en fait une
question a priori, s'il faut d'abord que telle situation se matérialise
avant que l'on puisse discuter autre chose, on ne s'entendra pas. Mais que le
député de Sauvé prenne la situation telle qu'elle est,
aujourd'hui, dans un fédéralisme, fédéralisme qui
est reconnu comme l'une des meilleures formes de gouvernement, surtout pour un
pays aussi vaste que le nôtre et aussi diversifié dans ses
ressources, autant humaines que matérielles. A ce moment-là, si
on part d'une situation existante, qu'on veuille l'améliorer, qu'on
veuille y apporter des solutions à l'échelle de l'homme, je crois
que nous pouvons considérer que la voie que nous avons entreprise est
une voie réaliste, tenant compte de l'existence de partenaires, non pas
de leur non-existence. Nous arrivons ainsi à dégager certaines
politiques et, en même temps, aux fins que nous nous étions
proposé d'atteindre.
M. MORIN: M. le Président, je ne tente pas de juger le ministre
ou ses politiques à la lumière de celle que l'Opposition fera
prévaloir, puisque nous pourrons faire cela en temps et lieu. Je tente
de juger les politiques du ministre à la lumière du mandat que
son ministère s'était donnée en 1972, qui était de
se faire le promoteur d'une révision de la constitution pour en
moderniser les structures. Ce n'est pas du raccommodage.
Deuxièmement, à la lumière du mandat que se donnait
le Parti libéral en 1973 en conséquence, dit le programme,
le prochain gouvernement libéral du Québec demandera la
réouverture du dossier de la révision constitutionnelle
c'est à l'intérieur de la logique propre du ministre que j'essaie
de me situer pour voir où il en est. C'est selon cette logique que je
crois qu'il doit être jugé pour l'instant. Or, vous nous dites, M.
le ministre: Notre approche est différente, nous avons une approche
pragmatique, empiriste, à la manière de ceux que nous tentons de
persuader; en somme, vous nous dites, à la manière des
Anglo-Saxons.
Je le veux bien, sauf que...
M. LEVESQUE: Je n'ai pas dit cela. J'ai dit que je tenais compte...
M. MORIN: De toute façon, ce ne serait pas dérogatoire de
votre part.
M. LEVESQUE: J'ai dit que nous tenions compte de certaines
particularités ou certains
particularismes chez nos partenaires de la
confédération.
M. MORIN: Oui, mais le problème, c'est que sur ce terrain Ottawa
est beaucoup plus fort que le Québec, parce que le jeu de l'empirisme
est un jeu qui donne une très large part au poids des
éléments en présence, au poids spécifique de chacun
et notamment au poids financier, et vous êtes payés pour le
savoir. Chaque fois que vous vous en remettez à cet empirisme, au bout
du compte vous vous ramassez avec un système où c'est Ottawa qui
contrôle parce que c'est lui qui a le "spending power". Si vous me dites,
maintenant, que vous allez appliquer, aux arts, aux lettres, aux
communications, à l'immigration, le système de l'article 94A et
des allocations familiales, M. le ministre, ça ne nous avancera
guère. Cela veut dire que vous allez lâcher sur toute la ligne,
parce que, à ce jeu de règlement ad hoc, pièce par
pièce, ce n'est pas vous le plus fort, ce n'est pas le Québec qui
est le plus fort. Il y a un seul domaine où le Québec est le plus
fort, c'est dans la présentation d'une demande de révision
globale, cohérente. Cela, il semble que vous l'ayez abandonné ou
alors je me trompe. Si c'est le cas, si vous nous dites que vous l'avez
abandonné, je serai obligé de vous demander: A la suite de quel
choix politique cohérent? Est-ce que c'est le cabinet qui a
décidé d'abandonner la révision globale? Est-ce que c'est
le premier ministre? Qu'est-ce que vous nous réservez pour l'avenir,
à l'intérieur toujours de votre propre logique de révision
constitutionnelle?
M. LEVESQUE: Oui, je n'ai jamais mentionné que nous avions
abandonné quoi que ce soit dans les revendications qui sont celles du
Québec.
M. MORIN: Vous les avez simplement mises en veilleuse.
M. LEVESQUE: J'ai simplement dit que nous avions changé une
chose, c'est-à-dire la procédure, mais, quant au fond, nous
n'avons rien changé. Nous n'avons pas changé nos revendications,
ni dans le domaine social, ni dans le domaine économique, ni dans le
domaine culturel, au contraire.
M. MORIN: Bon.
M. LEVESQUE: C'est nous, justement, qui avons souligné
l'importance pour le Québec de se voir reconnaître sa
souveraineté culturelle. Ce n'est pas vous qui avez dit cela. C'est
nous.
M. MORIN: Nous avons parlé de souveraineté tout court.
M. LEVESQUE: Non seulement nous voulons en parler, mais nous voulons la
réaliser. Pour la réaliser, sans mettre de côté
quelque revendication que ce soit, nous croyons que, suivant une telle voie,
nous arriverons plus rapidement à nos fins qu'en demandant la
révision globale, comme vous dites, de la constitution. Combien de fois
et combien d'heures et combien de jours et combien de mois et combien
d'années les gens du Québec ont réclamé -- des gens
à différents postes, que ce soient des professeurs
d'université, que ce soient des membres du gouvernement la
révision globale de la constitution, mais j'aimerais voir en quoi il y a
eu révision globale de la constitution.
M. MORIN: C'est vous qui alliez la faire, d'après vos propres
documents.
M. LEVESQUE: Nous allons la faire, mais selon la méthode que nous
allons adopter. Nous croyons qu'il était possible de rendre la
constitution canadienne plus moderne, répondant mieux aux besoins et aux
aspirations du peuple québécois. Nous croyons qu'il est plus
pratique et plus réaliste de le faire selon la méthode que nous
avons employée et qui a déjà apporté des
résultats concrets et qui continuera à en apporter, quoi qu'en
pense le député de Sauvé.
M. MORIN: Si vous appliquez les méthodes comme celles de
l'article 94A, avec l'échec de cette méthode, aux autres
domaines, ce ne sera pas riche, M. le ministre. Je suis bien obligé de
vous le dire d'avance. Vous allez certainement susciter plusieurs de nos
critiques. Mais puisque vous n'avez pas abandonné complètement la
révision constitutionnelle, est-ce que vous pourriez nous dire quels
fonctionnaires sont assignés à cette tâche, à
l'heure actuelle? Quel est leur mandat exactement?
M. LEVESQUE: Lorsque le député de Sauvé dit: Vous
n'avez pas abandonné complètement, j'ai dit: Nous n'avons pas
abandonné du tout. Pourquoi essayer de me faire dire des choses que je
n'ai pas dites? Nous n'avons pas abandonné le but d'avoir une
révision constitutionnelle. Ce que nous avons fait, c'est que nous avons
décidé de poser des gestes et de gagner des points, de faire en
sorte que, devant un état de fait, la révision constitutionnelle
se fasse par elle-même, par le fait que tel et tel chemin est
déjà parcouru, telle et telle chose est déjà
décidée, telle et telle influence est celle du Québec dans
tel et tel domaine, tel et tel centre de décision est
déplacé de telle et telle façon, de sorte qu'il est
possible d'entrevoir qu'après de nombreux gestes de cette nature, l'on
puisse arriver à une constitution modernisée, avant même de
l'avoir codifiée au préalable.
Maintenant, combien de fonctionnaires travaillent sur les dossiers
constitutionnels? Je vous l'ai dit après-midi, lorsque j'ai donné
les effectifs du ministère, mais les dossiers sectoriels, qui font
l'objet des relations fédérales-provinciales et
interprovinciales, couvrent les
quatre grandes missions de l'Etat, que ce soit la mission
économique, que ce soit la mission culturelle et éducative, que
ce soit la mission sociale ou que ce soit la mission gouvernementale et
administrative, et cela touchant à peu près toutes les
activités de chacun des ministères du gouvernement du
Québec. Lorsqu'on parle de dossiers économiques, nous avons des
gens qui travaillent sur les dossiers des ressources naturelles, les industries
primaires, l'agriculture, les forêts, les mines, l'eau, l'énergie,
les pêches maritimes, la faune. Nous avons des gens dans l'industrie
secondaire, touchant les stimulants à l'industrie, les parcs
industriels, la recherche industrielle. Dans les services: les communications,
le commerce, les institutions financières, le tourisme. Dans
l'immigration, quant au recrutement et à l'intégration, nous
avons des gens là-bas; de même dans le domaine du travail, de la
main-d'oeuvre et de l'emploi. Nous avons également des gens dans les
transports, soit le transport terrestre, maritime ou aérien. Dans
l'éducation, que ce soit à tous les niveaux: la culture, la
jeunesse, les sports, les loisirs. Tous ces dossiers et j'en passe
on pourrait parler de la sécurité du revenu, de la
santé, de la socialité.
M. MORIN: Vous m'énumérez tous les ministères.
M. LEVESQUE: Les affaires municipales, urbaines, la fonction publique,
la protection de la personne et de la propriété, les affaires
indiennes et esquimaudes, le territoire, les ententes et développement,
la science et la technologie, l'environnement, dans tout cela, là
où il y a une influence.
M. MORIN: Vous avez l'annuaire du Canada devant vous!
M. LEVESQUE: Vous avez les communications, dont je vous ai parlé
amplement, mais là où il y a une présence du gouvernement
fédéral, que ce soit parce que le gouvernement
fédéral a une compétence particulière dans ce
domaine ou parce que le gouvernement fédéral participe à
un financement quelconque, à ce moment, nous avons évidemment des
fonctionnaires qui travaillent en collaboration avec le maître d'oeuvre,
dans chaque cas, qui est le ministère sectoriel.
M. MORIN: Donc, vous travaillez dans tous les aspects de la
révision constitutionnelle. Est-ce que je pourrais vous demander dans
quel cadre général vous fonctionnez? Est-ce qu'il y a des
idées générales qui guident tous ces fonctionnaires qui
travaillent dans ces cent domaines que vous avez énumérés,
ou si tout cela se fait n'importe comment, chacun de son côté?
M. LEVESQUE: Je sais bien que je pourrais qualifier la question d'un peu
comment le député avait-il dit cela cet après-midi
puérile, c'est ce que vous avez employé comme
qualificatif, je pourrais vous retourner...
M. MORIN: Oui, dans un autre cadre.
M. LEVESQUE: ... cela comme genre de question.
M. MORIN: Non.
M. LEVESQUE: Disons que, sur les études comparatives, et cela se
fait continuellement sur les constitutions fédérales, etc., nous
avons des fonctionnaires qui travaillent spécialement sur le point de
vue constitutionnel à faire des comparaisons avec les constitutions
fédérales d'ailleurs, etc. Nous avons cette
préoccupation-là, mais comme principe directeur, et il me semble
que je n'ai pas à commencer à le définir tellement. C'est
clair, le mandat du gouvernement actuel est assez clair. Nous croyons au
fédéralisme, mais à un fédéralisme sain,
où le Québec peut s'épanouir complètement, et nous
croyons qu'il est important de souligner, encore une fois, les deux volets que
mentionnait le discours inaugural, le message inaugural, c'étaient
justement le déblocage économique et la souveraineté
culturelle. Nos fonctionnaires sont bien au courant de la politique
gouvernementale dans ce domaine et, chacun de son côté, ils
tâchent d'étudier ces dossiers, dans chacun des cas, ne demeurant
pas dans une théorie purement abstraite, n'essayant pas continuellement
de codifier une constitution idéale qui pourrait, à un moment
donné, si tout le monde pensait en même temps la même chose,
être traduite immédiatement...
M. MORIN: Surtout aucune pensée sur l'avenir.
M. LEVESQUE: Au contraire, avec beaucoup de pensées sur l'avenir.
J'ai dit, tout à l'heure, et le député fait exprès
pour me provoquer...
M. MORIN: Non.
M. LEVESQUE: ... que nous n'avions pas laissé de
côté notre vision sur une révision constitutionnelle, mais
que, pour atteindre cet objectif que, j'espère, nous partageons, au
moins d'une façon transitoire pour le député de
Sauvé, nous croyons bon d'utiliser certaines méthodes
différentes de celles que nous avons utilisées autrefois.
M. MORIN: Le ministre parle de travaux comparatifs, M. le
Président. Est-ce qu'il pourrait me dire sur quel genre de
fédération ces travaux portent? Parce que, à l'heure
actuelle le nombre des fédérations auxquelles on pourrait
comparer la fédération canadienne n'est pas très
considérable. Est-ce que, par exemple, ils
s'inspireraient plutôt de l'Inde, de l'Australie, de la Malaisie,
d'une part, ou de l'Union Soviétique, de l'Allemagne de l'Ouest, du
Mexique, voire du Brésil peut-être?
M. LEVESQUE: Dans tous les domaines que j'ai mentionnés cet
après-midi, en particulier lorsque j'ai dit que l'on soulignait
certaines préoccupations qui apparaissaient également dans le
discours inaugural, en particulier lorsque l'on parlait de souveraineté
culturelle, il y avait trois domaines que nous avons dégagés,
trois secteurs: celui des communications, celui de l'immigration et celui des
arts et des lettres. Dans ces trois domaines, nous avons fait des études
exhaustives et nous les poursuivons quant à ce qui se
passe dans tous les régimes fédéraux. Nous avons je
songe à l'Allemagne fédérale, mais je songe
également à plusieurs autres pays où nous avons fait des
études examiné la législation et la situation qui
s'est dégagée de certaines mesures prises dans ce pays touchant
ces problèmes.
M. MORIN: Le chef du gouvernement fédéral, le premier
ministre Trudeau, à la suite de l'échec de Victoria, a
déclaré qu'il appartenait au Québec, qui n'avait pas cru
bon d'adopter les positions fédérales, de solliciter la reprise
des discussions sur ce qui était le triple enjeu de la conférence
de Victoria: Le rapatriement de la constitution canadienne, une formule
d'amendement essentiellement canadienne et la reconnaissance dans la
constitution d'une charte des droits de l'homme et de garanties linguistiques.
Est-ce que ce triple objectif de Victoria a donc été
laissé de côté pour se concentrer sur des problèmes
concrets, comme les communications, l'immigration, les arts et les lettres?
M. LEVESQUE: Est-ce que le député veut parler du
rapatriement de la constitution canadienne?
M. MORIN: Oui, c'est bien de cela que M. Trudeau parle.
M. LEVESQUE: Est-ce que le député veut qu'on lui rappelle
tous ces travaux sur la commission Fulton-Favreau?
M. MORIN: Non, il n'est pas nécessaire de remonter si loin en
arrière, M. le ministre.
M. LEVESQUE: On ne m'a jamais souligné que le
député de Sauvé s'était particulièrement
passionné pour ce problème.
M. MORIN: C'est juste, mais je vous parle de la conférence de
Victoria. M. Trudeau pose des conditions à la reprise du dialogue
constitutionnel. Est-ce que le Québec est prêt, d'une
manière ou d'une autre, à satisfaire ces exigences?
M. LEVESQUE: Evidemment, il s'agit là d'une responsabilité
du chef du gouvernement. Le député de Sauvé aura sans
doute l'occasion, au cours de l'étude de ces crédits,
probablement, de rencontrer le chef du gouvernement et je laisserai à ce
dernier le soin d'expliciter sa pensée là-dessus, s'il le juge
à propos.
M. MORIN: Vous voulez dire que votre ministère...
M. LEVESQUE: Parce qu'il s'agit là d'une décision qui est
à l'échelle du gouvernement dans son ensemble et je pense bien
que le meilleur porte-parole serait le chef du gouvernement.
M. MORIN: Pourtant, c'est vous qui êtes responsable de ce secteur
de la politique gouvernementale?
M. LEVESQUE: Je suis responsable de ce secteur, mais cela dépasse
de beaucoup le secteur, parce qu'il s'agit d'une question de fond, oui, mais
également d'une question de stratégie et cela à
l'échelle gouvernementale, c'est-à-dire qui touche tout
l'ensemble du gouvernement.
Je ne dis pas et je ne voudrais pas être interprété
comme n'ayant pas personnellement mes idées sur le sujet. Au contraire.
Nous avons fait des efforts dans le passé pour participer au
rapatriement de la constitution, pour canadiani-ser la constitution, mais nous
avons décidé à chaque reprise, et le député
le sait, que nous ne pouvions pas accepter le rapatriement aux conditions qui
intervenaient à ce moment-là. Si les conditions de rapatriement
sont acceptables par le Québec, il n'y a aucun doute que nous pourrions
envisager le rapatriement de la constitution, mais, encore là, faut-il
connaître les conditions et ce sont justement ces conditions que je ne
suis pas à même d'évaluer à ce moment-ci.
M. MORIN: Au moment de la rencontre entre M. Bourassa et M. Trudeau, au
début de novembre 1973, on notait dans le Devoir: "Dans l'entourage de
M. Bourassa, on ne juge pas prématuré l'examen des conditions
propices à une reprise du débat sur la constitution, mais on
indique que les discussions, d'abord entre Ottawa et Québec, puis entre
Ottawa et l'ensemble des provinces, pourraient très probablement
reprendre dans les mois qui viennent".
A lire cela, j'aurais cru que votre ministère était fin
prêt à reprendre les débats sur le mode d'amendement, sur
le rapatriement ou soi-disant rapatriement de la constitution.
M. LEVESQUE: Nous avons, au ministère, des juristes, des
constitutionnalistes, nous avons une équipe extrêmement bien
préparée pour étudier et qui étudie ces questions,
mais la
façon dont vous me posiez la question méritait que je vous
réponde de cette façon, il me semble. Il ne s'agit pas simplement
d'une question technique, mais il s'agit également d'une question
politique, et comme cette question dépasse la compétence d'un
seul ministère, même si mon ministère est très
près de cette question au point de vue technique, je ne suis pas
prêt à répondre sur le plan politique à ce
moment-ci. C'est ce que j'ai dit.
M. MORIN: Bien. Est-ce que le jour où le gouvernement aura pris
une décision, dans un sens ou dans l'autre, cette décision
politique dont vous parlez, est-ce qu'il y aura discussion publique des
propositions du Québec cette fois?
Je vous rappelle que, la dernière fois, il n'y a eu aucune
discussion publique. Tout cela s'était passé en catimini.
M. LEVESQUE: Je comprends. Présentement, cette question
revêt un caractère, légèrement au moins,
hypothétique, parce que nous n'en sommes pas là. C'est un peu
comme si le député me demandait si on allait avoir une commission
parlementaire sur le sujet.
M. MORIN: Oui, par exemple.
M. LEVESQUE: C'est cela. Il me semble qu'il faudrait attendre un
peu.
M. MORIN: C'est parce que la dernière fois, c'était
drôlement concret comme huis-clos.
M. LEVESQUE: Je note que c'est un voeu qu'exprime le chef de
l'Opposition et disons que, si je suis encore là, au moment où
cela deviendra actuel, j'essaierai de me rappeler.
M. MORIN: Bien. M. le Président, je souhaiterais que l'autre
parti de l'Opposition soit représenté, comme cela je ne serais
pas le seul à être en tête-à-tête avec le
ministre, mais puisque c'est notre sort !
M. LEVESQUE: Nous avons des gens qui sont prêts à vous
donner un coup de main.
M. BOSSE: On peut vous donner un "break".
M. MORIN: C'est la seconde intervention du député, depuis
qu'il est à la Chambre, du moins durant ce Parlement-ci. La
première a été pour prononcer le mot "avorter" et la
seconde a été pour nous donner un "break". Ce sont des
interventions déterminantes dans le débat.
M. BOSSE: Je vois que vous avez beaucoup de mémoire. D'ailleurs,
nous avons déjà eu l'occasion de nous rencontrer et j'ai
déjà vu aussi le genre d'interventions que vous faisiez lorsque
j'étais négociateur à l'Université de
Montréal, où vous étiez intervenu dans le débat
comme médiateur et que vous aviez, à ce moment, si je me souviens
bien, soutenu que $34.80 étaient bien suffisants pour une personne qui
travaillait avec un torchon.
M. MORIN: Non.
M. BOSSE: Vous avez perdu la mémoire, parce qu'à ce
moment, vous étiez seulement intellectuel, au niveau universitaire. Vous
n'étiez pas encore descendu au niveau des travailleurs.
M. MORIN: Je ne sais pas de quoi le député parle. Je n'ai
jamais été médiateur à l'université, ni
ailleurs.
M. BOSSE: Ah oui! Vous avez participé comme médiateur dans
un conflit à l'Université de Montréal, lorsque les
employés...
M. MORIN: Vous me confondez certainement avec quelqu'un d'autre.
M. BOSSE: Je ne vous confonds point. Je n'ai point l'habitude.
D'ailleurs, je connais bien mes adversaires et je ne les confonds point, sinon
sur le plan électoral.
LE PRESIDENT (M. Picard): A l'ordre, s'il vous plaît, messieurs!
Je crois qu'on s'éloigne un peu du sujet de la discussion. Est-ce que
vous êtes prêts maintenant à procéder à
l'élément 1 du programme 1?
M. MORIN: Non. Nous sommes toujours dans la discussion
générale.
LE PRESIDENT (M. Picard): Vous avez d'autres questions d'ordre
général?
M. MORIN: Oui, s'il vous plaît, M. le Président.
LE PRESIDENT (M. Picard): Allez.
M. BOSSE: On est toujours prêt à vous le donner quand
même.
M. MORIN: Je ne comprends pas de quoi le député parle. Il
pourra me donner des détails ces jours-ci, s'il le veut. Mais revenons
à nos moutons. Je voudrais maintenant entretenir le ministre des
relations intergouvernementales en particulier du fameux bilan qui devait
être dressé par M. Arthur Tremblay, lorsqu'il est devenu
sous-ministre, je crois que c'était à l'automne 1971. Dans le
discours inaugural du premier ministre, le 7 mars 1972, il avait annoncé
qu'il donnait pour mandat au nouveau sous-ministre des Affaires
intergouvernementales de dresser le bilan de l'ensemble de nos relations
intergouvernementales cela se trouve dans les Débats de
l'Assemblée, le 7 mars 1972 de faire un relevé complet des
activités du ministère, autant dans le domaine des
relations fédérales-provinciales que dans celui des
relations avec l'extérieur. Ce bilan d'ensemble devait être
dressé en deux phases: D'abord, en. rassemblant les matériaux et
ensuite en portant un diagnostic, en indiquant des orientations. C'était
donc un mandat public qui était confié au sous-ministre. Le
ministre lui-même, en juin 1972, nous a parlé de l'état des
travaux à ce moment. Il y aurait eu, nous a-t-il dit, un plan
détaillé et quatre ou cinq tomes de rapports déjà
sur le bilan des relations intergouvernementales. Le 20 juin 1972, M. Bourassa
déclarait que la substance du bilan était
complétée. Au début de mai 1973, une fuite dans le Soleil
donnait les grandes lignes du bilan. Suivant ce qu'on a pu en lire, en tout
cas, dans le Soleil qui semblait bien informé, ce bilan était
clairement négatif. Je voudrais demander au ministre pourquoi le
gouvernement n'a pas publié ce bilan et s'il compte le publier
maintenant?
M. LEVESQUE: M. le Président, je crois que j'ai eu l'occasion,
dans le passé, de le mentionner, mais je n'ai pas d'objection à
le répéter. Ce bilan est pour nous un instrument de travail
extrêmement important. Il est vrai qu'à un moment donné il
y a eu certains articles dans le journal Le Soleil, qui parlaient justement du
bilan et qui en donnaient certains extraits, si ma mémoire est
fidèle, mais ce bilan n'était pas, dans mon esprit du moins,
fabriqué pour publication.
J'ai eu l'occasion de dire pourquoi. Il y a là,, dans ce bilan,
des éléments de stratégie et je n'ai jamais cru qu'il
serait opportun de livrer ce bilan à ceux avec qui l'on a à
négocier, non pas seulement annuellement ou mensuellement, mais
quotidiennement.
A ce moment, je pense que le député de Sauvé parle
d'une période où nous étions à l'étude des
crédits du ministère, c'était, je crois, en 1972; j'avais
même apporté, à l'étude des crédits, les
volumes du bilan.
Lorsque je mentionnais tout à l'heure les divers sujets qui
faisaient l'objet de l'étude des fonctionnaires du ministère,
c'est un peu la table des matières du bilan. Il existe toujours, je l'ai
encore ici en résumé. Ce n'est pas un dossier tellement secret,
mais il est au service du personnel du ministère des Affaires
intergouvernementales. Il est continuellement remis à jour.
Nous ne vivons pas dans une forme statique au ministère des
Affaires intergouvernementales et au gouvernement du Québec. Il y a des
développements dans ces dossiers régulièrement et il
s'agit d'une remise à jour continuelle de ce dossier, qui sert
d'instrument de travail privilégié pour les gens du
ministère des Affaires intergouvernementales.
Nous ne sommes pas généralement maître d'oeuvre,
comme je l'ai déjà mentionné. Dans les relations
fédérales-provinciales, il s'agit ordinairement d'un secteur
donné, d'un ministère qui a justement la responsabilité de
tel ou tel secteur. Mais nous, nous nous assurons, comme le disait le chef de
l'Opposition, de la coordination et de la cohérence, mot qui semble
l'avoir frappé. Mais justement, c'est que ça nous
préoccupe aussi d'avoir coordination et cohérence dans les
dossiers.
Mais pour avoir coordination et cohérence et surtout
efficacité, nous devons être au courant de l'évolution des
dossiers, même dans le ministère sectoriel. Et nous avons des gens
qui travaillent à l'intérieur de ce que nous appelons des
modules, au ministère des Affaires intergouvernementales. C'est un
module qui correspond à une activité chez les ministères
sectoriels.
Ces gens sont continuellement en contact avec les ministères en
question, de sorte que la direction des affaires
fédérales-provinciales a comme responsabilité de tenir
à jour tous ces éléments du ce qu'on a
appelé dans le temps bilan et qui est justement l'ensemble des
dossiers sectoriels de relations fédérales-provinciales et
interprovinciales.
La direction générale des affaires
fédérales-provinciales a de plus cette responsabilité, non
pas seulement autrement dit de faire l'inventaire, une mise à jour
continuelle, mais également de développer des stratégies
pour tel, tel ou tel dossier dans tel ou tel secteur.
Il faut bien se rendre compte également que nous avons de plus en
plus un nombre considérable de conférences
fédérales-provinciales, soit à l'échelle
ministérielle ou au niveau des fonctionnaires. J'ai ici, par exemple,
toute la liste, et je ne peux pas le dire au journal des Débats,
mais j'indique à la commission le volume de la liste des
rencontres qui ont eu lieu en 1972/73 et 1973/74, rencontres qui avaient trait
justement au dossier correspondant dans chacun des secteurs.
J'aime donner une explication additionnelle de la procédure que
nous suivons maintenant au ministère dans l'utilisation de cet
instrument privilégié qui est le bilan mis à jour
continuellement, c'est qu'avant chacune des rencontres des fonctionnaires ou
des ministres dans tel ou tel secteur, dès qu'il y a un dossier qui a
une certaine consistance, une certaine importance, il est acheminé
à travers le ministère d'abord, de concert avec le
ministère sectoriel, vers ce que j'ai appelé cet
après-midi le CCRI, qui est le comité des hauts fonctionnaires
qui a été mis en place justement pour aviser le ministre des
Affaires intergouvernementales sur, non pas seulement l'état du dossier,
le problématique, mais également sur les orientations
désirées ou désirables, les options, les stratégies
à suivre ou les options de stratégie.
Après cela, après avoir été examiné
par ce comité de hauts fonctionnaires, qui est composé non pas
seulement de fonctionnaires du ministère des Affaires
intergouvernementales, mais d'autres hauts fonctionnaires du gouvernement,
à ce moment, c'est acheminé vers un groupe ministériel.
Justement parce que nous attachons beaucoup d'importance à ces rela-
tions fédérales-provinciales et je rappelle que le
chef de l'Opposition mentionnait, cet après-midi, que ses tout premiers
mots étaient pour souligner l'importance du ministère, de sa
fonction justement parce que le gouvernement est très conscient
de l'importance des orientations qui peuvent être prises au
ministère, nous avons voulu en faire une sorte de direction
collégiale par la création de ce que j'ai appelé CIDA, qui
est le comité interministériel des Affaires
intergouvernementales, que ce dossier finalement arrive à ce
comité ministériel qui se réunit
régulièrement et qui prend connaissance de l'état de
chacun des dossiers à la veille des conférences
fédérales-provinciales.
Je pense qu'il y a là un cheminement logique et qui souligne
l'importance que nous apportons, non pas seulement à la coordination,
mais également à la cohérence et à
l'efficacité.
M. MORIN: Je remercie le ministre de nous avoir décrit le
cheminement de la révision, mais, je voudrais revenir à ce que le
premier ministre avait déclaré le 7 mars 1972. Le mandat qui
avait été donné au nouveau sous-ministre, c'était
clairement un mandat public. En 1973, l'année suivante, M. Bourassa
avait parlé d'une publication éventuelle.
Je voudrais souligner au ministre que ça n'intéresse pas
que son ministère. Ce bilan intéresse tous les
Québécois. Et c'est eux, en fin de compte, qui vont être
les arbitres de cette situation, les arbitres de leur propre avenir. Qu'est-ce
que vous avez à perdre à renseigner les Québécois
sur le bilan entre le pouvoir fédéral et le Québec?
M. LEVESQUE: Disons tout de suite, avant que le député ne
dramatise une situation qui est loin de mériter les qualifications qu'il
se préparait à lui donner, qu'il me permette simplement de lui
dire que la plupart de ces dossiers sont connus du public. Chaque
ministère sectoriel fait connaître sa politique à mesure
qu'il y a un développement dans son secteur particulier.
Ceux qui ont lu le bilan, d'abord, on ne peut pas le lire tous les
jours, il change continuellement.
M. MORIN: Oui.
M. LEVESQUE: Si on le publiait, il serait déjà
dépassé dans quelques semaines. Mais ce que je dis...
M. MORIN: Si on suivait un critère comme celui-là, le
gouvernement ne publierait jamais rien.
M. LEVESQUE: Ce qui arrive, c'est qu'il s'agit d'un document de travail,
c'est comme ça que nous le considérons. Mais chaque secteur, le
ministère des Affaires sociales, par exemple, ou le ministère de
l'Industrie et du Commerce, ou le ministère de l'Education ou les autres
ministères, tour à tour, font part de leurs politiques et de
leurs relations avec le gouvernement fédéral ou du contentieux
qui existe entre le fédéral et le provincial. Vous avez ça
continuellement.
M. MORIN: Bien sûr, mais ce n'est pas la même chose que le
jugement intégré de votre ministère, en l'occurrence, sur
l'ensemble de ces rapports fédéraux-provinciaux.
M. LEVESQUE: Justement, c'est que, lorsque nous avons donné ce
mandat au sous-ministre, nous ne lui avons pas demandé de poser un
jugement sur chacun des aspects des dossiers.
Il s'agissait beaucoup plus d'un inventaire de la situation qui n'avait
pas été fait jusqu'à maintenant. C'est ce que nous avons
fait, l'inventaire: et la mise à jour se poursuit.
M. MORIN: Donc, il y a...
M. LEVESQUE: Mais la question de poser les jugements, c'est le
journaliste en question qui avait parlé de la qualité
négative ou positive de certaines parties du bilan, etc. Mais quant au
bilan lui-même, il n'y a pas de jugement au bout de chacun des chapitres
qui dit que ceci est positif ou que ceci est négatif.
M. MORIN: En septembre 1973, le sous-ministre lui-même qui
commentait le bilan devant les étudiants de l'ENAP ce qui prouve
d'ailleurs le caractère déjà public de la chose
avait dit qu'il était loin d'être convaincu qu'il soit jamais
possible d'élaborer une stratégie globale à partir de
l'état du dossier à ce moment, mais que le bilan ...
M. LEVESQUE: Qui aurait dit ça?
M. MORIN: Le sous-ministre. Mais que le bilan n'était pas
conçu pour fins de publication; que cependant...
M. LEVESQUE: C'est parce que, lorsque vous avez parlé de l'ENAP,
je me demandais quel sous-ministre...
M. MORIN: C'était bien le sous-ministre actuel devant les
étudiants de l'ENAP. Le sous-ministre actuel avait ajouté qu'il
n'était pas opposé à l'idée d'en communiquer les
résultats à la presse. Moi, je pense qu'ils devraient d'abord
être communiqués à l'Assemblée.
Pourquoi est-ce que le ministre ne le fait pas? Est-ce que le bilan est
si négatif que ça? Il vient de nous dire que chaque
ministère, à tour de rôle, fait état de sa propre
situation. Puisque ça semble être positif d'après ce
que nous dit le ministre pourquoi ne pas publier le document? Qu'est-ce
qu'il contient que nous ne sachions déjà?
M. LEVESQUE: S'il n'y a rien que vous ne sachiez, je me demande pourquoi
vous me posez la question, si vous savez tout.
M. MORIN: Est-ce que les Québécois n'ont pas
intérêt...
M. LEVESQUE: Interrogez-moi sur les choses que vous ne savez pas.
M. MORIN: ... ainsi que les membres de l'Assemblée à ce
que vous publiiez officiellement, plutôt que d'être obligés
d'en prendre connaissance par des fuites aux journaux?
M. LEVESQUE: II y a des dossiers sûrement dans l'ensemble,
je pense qu'il y avait 400 dossiers, c'a été diminué
à 150 ou 200 à un moment donné, ceux que nous avions
conservés parmi les 400 sans doute quelques-uns, qui sont moins
actifs que d'autres. Pour ceux-là peut-être qu'il n'y aurait
aucune objection. Mais ceux pour lesquels nous sommes présentement en
pleine négociation, est-ce que le député croit qu'il
serait opportun, à ce moment-ci, d'en faire la publication?
M. MORIN: Oui.
M. LEVESQUE: Je suis convaincu que si le député de
Sauvé était à ma place, il hésiterait beaucoup
à en faire la publication au moment où les négociations
sont en cours. Et quant à déposer la moitié ou une
fraction du bilan, là on se ferait accuser de tous les
péchés d'Israël.
M. MORIN: Quand les négociations sont en vue, on dit qu'on ne
publiera pas parce qu'il ne faut pas compromettre les négociations.
Après les négociations, on dit: Ce serait mieux qu'on attende les
prochaines, pour ne pas compromettre les résultats. En sorte que ce ne
sera jamais publié.
M. LEVESQUE: Je le dis et je le répète, il s'agit d'un
instrument de travail privilégié qui est utilisé en
collaboration avec le ministère sectoriel, par les gens du
ministère des Affaires intergouvernementales et particulièrement
par la direction des affaires fédérales-provinciales.
M. MORIN: Oui, bien moi, je vous réponds que le mandat
était public et que vous devez avoir de trop bonnes raisons de ne pas le
publier. Je pense que le bilan doit être drôlement négatif,
parce qu'autrement vous l'auriez publié depuis longtemps. Et je ne peux
faire autrement qu'être d'accord avec M. Ryan, septembre 1973: "Le
mandat...
M. LEVESQUE: Etes-vous toujours d'accord avec M. Ryan?
M. MORIN: Pas toujours, mais cette fois je l'étais rudement.
M. LEVESQUE: Quand ça fait votre affaire vous l'êtes, quand
ça ne fait pas votre affaire, vous ne l'êtes pas.
M. MORIN: C'est un peu comme le ministre: si le rapport avait fait son
affaire, il l'aurait publié, mais je vois qu'il ne fait pas son affaire
puisqu'il ne l'a pas publié.
M. LEVESQUE: Je suis très heureux d'avoir cet instrument de
travail. Je vais même vous dire bien franchement et bien candidement que
les fonctionnaires du ministère sont très heureux d'avoir cet
instrument à leur disposition.
M. MORIN: Evidemment.
M. LEVESQUE: Et ils sont très heureux de pouvoir le mettre
à jour continuellement.
M. MORIN: Oui. Et seraient-ils heureux qu'il soit publié?
Peut-être se sentiraient-ils moins technocrates.
M. LEVESQUE: Aucun de mes conseillers ne m'a suggéré de le
publier.
M. MORIN: Bien. Je leur rappelle donc...
M. CHARRON: Probablement parce qu'ils avaient renoncé d'avance
à vous convaincre.
M. LEVESQUE: Peut-être, mais pas nécessairement. Je suis
très sensible aux conseils de ceux qui m'entourent, parce que je pense
que je suis très bien conseillé.
M. CHARRON: Alors, est-ce que je peux vous en donner un?
M. LEVESQUE: Un quoi? M. CHARRON: Un conseil.
M. LEVESQUE: Je parlais des gens du ministère des Affaires
intergouvernementales. Si le député veut "faire application"
comme on dit, présenter sa candidature, nous pourrons l'examiner avec la
même objectivité que nous faisons d'habitude avec les candidatures
qui nous sont suggérées. Il y a d'ailleurs un nouveau concours
qui est ouvert, n'est-ce pas?
M. CHARRON: Si je "fais application", allez-vous
téléphoner à mon député pour voir si je suis
d'allégeance libérale?
M. LEVESQUE: Dans votre cas, ce ne sera pas nécessaire.
M. MORIN: Pour en revenir à M. Ryan, je pense qu'on pourrait
conclure: "Le mandat confié à M. Tremblay fut public, ne fut-ce
que par les nombreuses évocations qu'en fit publiquement le chef du
gouvernement. Tout le monde continue l'éditorial comprit
que le rapport serait aussi public. M. Bourassa ne laissera jamais entendre le
contraire".
L'éditorial se termine en disant: "Comman-
der une étude de fond, c'est s'engager implicitement à
prendre position sur les conclusions qui en émaneront. Le gouvernement
Bourassa tenait-il à être placé devant une telle
obligation?" C'est la question que je me pose aussi.
M. LEVESQUE: Quelle est la date de l'article?
M. MORIN: C'était le 19 septembre 1973. M. LEVESQUE: Merci.
M. MORIN: Et j'ai bien l'impression que c'est ça qui est le fond
de la question. Le gouvernement ne veut pas être obligé de prendre
position publiquement devant les conclusions de ce rapport.
M. LEVESQUE: Ce n'est pas juste de dire ça, parce que ce n'est
pas vrai. Nous n'avons aucune objection de principe, c'est une question de
stratégie. Nous croyons qu'il est préférable d'utiliser
à l'intérieur du ministère cet instrument de travail.
D'ailleurs ce qui nous importe davantage, c'est de pouvoir obtenir des
résultats positifs. S'il y a avantage à rendre le bilan public,
nous croyons qu'il y a un avantage supérieur à l'utiliser en vue
d'obtenir des résultats positifs.
Je ne dis pas que M. Ryan n'a pas raison de souhaiter la publication du
bilan. Je pense même que c'est une chose bonne en soi. Mais je crois
qu'il est meilleur de ne point le publier afin d'avoir le maximum
d'efficacité dans la stratégie que nous poursuivons.
M. MORIN: Vous disiez tout à l'heure, M. le ministre, que vos
fonctionnaires n'avaient fait en somme qu'une sorte de compilation et qu'ils
n'avaient pas porté de jugement de valeur sur les dossiers, du moins si
je vous ai bien compris.
M. LEVESQUE: C'est-à-dire que le bilan, tel qu'il est
actuellement, ne comporte pas lorsque nous le mettons à jour,
autrement dit de...
M. MORIN: De jugement.
M. LEVESQUE: ...jugement de valeur sur chacun des dossiers. Mais
ça ne veut pas dire cependant qu'il n'y a pas, à
l'intérieur du ministère, des rapports qui justement portent des
jugements de valeur sur les dossiers. Il ne faudrait pas mal
m'interpréter. C'est évident qu'on le fait continuellement.
M. MORIN: Oui, parce qu'en 1973, si on en juge d'après les fuites
publiées dans le Soleil, il y avait eu un jugement de valeur sur un
ensemble de dossiers parce que...
M. LEVESQUE: II y avait eu un jugement de valeur...
M.MORIN: ...seuls cinq dossiers sur 25 étaient jugés
positifs.
M. LEVESQUE: ... ce n'était pas le bilan c'était
une version préliminaire dont je parle lorsque nous parlons du
bilan tel qu'il a été complété.
M. MORIN: Mais c'étaient les bilans sectoriels dans l'état
où ils se trouvaient à ce moment. Je vois que nous devons nous
résigner...
M. LEVESQUE: II y avait là évidemment des matériaux
recueillis dans les ministères. S'il y avait des jugements de valeur qui
arrivaient avec les matériaux, ils étaient là. Mais notre
travail n'était pas de compiler des jugements de valeur, c'était
de compiler les matériaux de base.
M. CHARRON: Justement là-dessus, dans le discours inaugural de la
session 1972, que, je crois, vous a cité le chef de 4'Opposition tout
à l'heure, si je reprends mot à mot le discours inaugural du
premier ministre, on parlait de cette phase du relevé des
matériaux, mais on la définissait très bien comme une
première phase essentielle. Mais on disait aussi: "Cette phase initiale
qui est à être achevée" il y a de cela deux ans
"nous fournira les éléments nécessaires à la
seconde phase du bilan, la plus décisive, la plus déterminante
pour l'avenir du Québec, celle où nous aurons à poser le
diagnostic de l'état de nos relations intergouvernementales et à
définir les orientations à prendre pour l'avenir."
D'abord cette seconde phase est-elle aussi secrète
j'imagine que la première l'a été que la
première? Et où en est exactement cette seconde phase depuis deux
ans?
M. LEVESQUE: Voulez-vous répéter la fin de votre
question?
M. CHARRON: Où en est cette seconde phase?
M. LEVESQUE: Ah bon! La première phase en est une de compilation,
d'inventaire, n'est-ce pas? La seconde phase consiste à porter des
jugements de valeur, à évaluer, à étudier non pas
seulement la problématique, mais des options qui s'ouvrent, des
solutions et en même temps définir des stratégies.
Tout cela, cette seconde phase, se fait présentement à
l'intérieur des cadres que nous avons mentionnés tout à
l'heure, du CCRI et du CIDA. Les matériaux de base sont utilisés
régulièrement et sont acheminés au CCRI, qui est le
comité des hauts fonctionnaires, qui étudie les questions qui lui
sont refilées, et ensuite qui apporte le jugement au niveau des hauts
fonctionnaires. Ensuite, le tout est acheminé vers le CIDA, qui est le
comité interministériel des Affaires intergouvernementales,
où
siègent les ministres représentant la mission culturelle,
la mission éducative, la mission sociale, la mission économique,
la mission gouvernementale et administrative, et ces cinq ministres
parce que j'en suis également apportent des jugements de valeur.
Il y a là évidemment un élément de politique, c'est
au niveau politique à ce moment que se portent ces jugements qui doivent
l'être.
M. MORIN: Au fond, M. le ministre...
M. LEVESQUE: Et c'est là d'ailleurs que ça doit finalement
aboutir.
M. MORIN: ... l'exercice qui est en cours, ce n'est plus un bilan comme
ce devait l'être au début. Parce qu'un bilan, on l'arrête
à une date. Et même si c'est publié plusieurs mois
après la date où on a arrêté le bilan, ça
représente un certain portrait, à ce moment, de l'état de
choses.
Ce que vous faites, c'est une sorte d'état permanent de pertes et
profits, en quelque sorte. Et ça n'aura, pour ainsi dire, jamais de
fin.
M. LEVESQUE: Au statique, nous avons préféré le
dynamique.
M. CHARRON: Oh! que c'est bien dit. Vous allez nous expliquer ça
quand même, parce que les formules, ce n'est pas notre fort, il faudrait
peut-être préciser ça.
Quand vous m'avez dit que vous portiez le diagnostic par secteur en fin
de compte, avec tous vos comités, je vous en prie, ne faites pas
l'énumération pour la quatrième fois, c'est
déjà fait...
M. LEVESQUE: C'est ça.
M. CHARRON: Quand vous faites ce diagnostic par secteur, qui en est
chargé, qui a fait et quand a-t-on fait un diagnostic
général de la situation du Québec?
M. LEVESQUE: Ce n'est pas ce que vous essayez de faire tous les jours,
vous autres?
M. CHARRON: Vous, l'avez-vous fait?
M. LEVESQUE: Evidemment, si on parle du bilan lui-même, si on a
fait un résumé du bilan, c'est ça que vous voulez dire? Un
résumé complet pour essayer d'en dégager un principe
directeur, c'est ça que vous voulez?
M. MORIN: Non, si vous avez établi à un moment
donné l'actif et le passif, cela a l'air de quoi? C'est ça faire
un bilan. On compare l'actif et le passif.
M. LEVESQUE: On peut faire ça si on est à
l'université, disons, et si on veut faire de la recherche. Mais on a
jugé beaucoup plus important de déterminer pour l'avenir l'action
à prendre sur chacun des dossiers que de porter jugement sur le
passé. C'est beaucoup plus important pour nous de savoir quels gestes
nous allons poser aujourd'hui, demain, quelle stratégie nous allons
suivre.
M. MORIN: Surtout pas de vision d'avenir, de l'immédiat, du
concret, du pragmatique toujours.
M. LEVESQUE: C'est l'avenir, beaucoup plus que le passé. Si nous
faisons le portrait statique que vous voudriez du bilan tel que
rédigé en 1972, c'est cela que vous aimeriez avoir au portrait?
C'est cela que vous demandez depuis une demi-heure, une heure? Vous demandez le
portrait?
M. MORIN: Cela se peut qu'il soit favorable aussi. On vous demande de
mettre les Québécois au courant.
M. LEVESQUE: Les Québécois sont au courant, parce que
chacun des ministères sectoriels parle abondamment aux
Québécois. Les ministres sont dans toute la province et sont au
Parlement. Ils sont partout à la fois. Ils parlent de leur
ministère, de leur secteur, du contentieux
fédéral-provincial.
M. MORIN: Alors, tout cela était inutile depuis le début,
mais pour nous...
M. LEVESQUE: Afin, justement d'avoir une action valable de coordination,
de cohérence et d'efficacité, il était important pour nous
d'avoir ce bilan, mais pas un bilan statique, mais un bilan qui évolue
avec une mise à jour continuelle. II me semble que c'est clair. Puis,
nous avons mis en place des structures pour que ce bilan puisse servir et qu'il
ne soit pas simplement un souvenir ou une pièce importante dans une
bibliothèque. Nous avons voulu que ce soit un instrument vivant pour
tout le ministère des Affaires intergouvernementales, qui est au service
de tous les ministères du gouvernement.
M. MORIN: Vivant, mais secret. M. CHARRON: M. le Président,... M.
LEVESQUE: Que voulez-vous?
M. CHARRON: Un bilan, un document de travail...
M. LEVESQUE: Pas secret quant aux citoyens du Québec, mais comme
je le mentionnais, chacun des ministères, chacun des ministres publie
régulièrement le contentieux fédéral-provincial en
ce qui le regarde. Mais nous croyons que ce document est un document de travail
privilégié pour le ministère des Affaires
intergouvernementales. C'est clair?
M. CHARRON: Est-ce qu'on annonce, avec tambours et trompettes,
l'existence d'un document de travail dans un ministère dans le discours
inaugural? Combien de documents de travail à l'intérieur des
ministères ont été annoncés avec tambours et
trompettes dans le discours inaugural? Vous êtes ici, vous, depuis
à peu près quatre fois plus de temps que moi, vous êtes en
mesure peut-être de me dire combien de fois a été fait un
document de travail comme cela qui aide à la préparation de
dossiers à la pièce?
M. LEVESQUE: Non, je vais... M. MORIN: Un document vivant.
M. LEVESQUE: C'est facile à répondre. D'ailleurs, le chef
de l'Opposition y a répondu lui-même dans ses premiers
renseignements d'ouverture, cet après-midi, lorsqu'il a souligné
l'importance du ministère des Affaires intergouvernementales. Il a
mentionné et ce n'est pas moi qui l'ai provoqué du tout, il a dit
que c'était ce qui est le plus important, je pense, sous le soleil!
C'est effrayant comme il est important cet après-midi. C'est normal
qu'on parle...
M. CHARRON: Cela devait vous faire drôle!
M. LEVESQUE: ... de l'instrument le plus important du ministère
le plus important. Il ne faut pas s'étonner de cela.
M. CHARRON: Est-ce qu'il a réussi à vous convaincre?
M. LEVESQUE: Non, mais voici! Il s'est mis à rêver en
couleur et il a parlé d'un ministère des Affaires
étrangères. Ensuite, il a parlé des jobs d'ambassadeur, il
en avait même une pour le député de Saint-Jacques.
M. MORIN: II y en avait une pour le député de Bonaventure
aussi.
M. CHARRON: II va être nonce apostolique.
M. MORIN: Blague à part, M. le ministre, si je tire la conclusion
de tout cet échange, les Québécois n'auront pas votre
bilan "vivant", mais secret. C'est bien cela; ils ne l'auront pas.
M. LEVESQUE: J'ai oublié de mentionner quelque chose de bien
important, parce que je vois le chef de cabinet du chef de l'Opposition est
assis derrière lui, puis je ne voudrais pas créer de choc ou de
conflit entre les deux, parce que j'ai renoncé au ministère des
Affaires étrangères que m'avait offert le chef de l'Opposition.
Alors, le chef de cabinet peut être rassuré. Ceci étant
dit, je reviens à ce qu'on appelle le bilan.
M. MORIN: Je ne sais pas, il y a là des allusions qui
m'échappent. Est-ce que vous voulez dire que vous avez promis cela
à vos aides derrière vous?
M. LEVESQUE: II a les mêmes euphories que vous. Alors...
M. MORIN: En résumé, les Québécois n'auront
donc pas cet instrument de travail? Cela reste un document secret.
M. LEVESQUE: Les Québécois vont profiter de cet instrument
de travail beaucoup plus, parce qu'il est au service et, dans la dynamique du
ministère, ils en profiteraient simplement par une lecture d'une
édition d'un journal une journée pour ensuite, souffrir d'une
publication prématurée d'un instrument
privilégié.
M. CHARRON: J'aimerais que vous nous expliquiez comment est
utilisée exactement la dynamique quotidienne du ministère?
M. LEVESQUE: Vous voudriez que je recommence?
M. CHARRON: Non.
M. LEVESQUE: Vous m'avez dit tout à l'heure de ne pas recommencer
cela.
M. CHARRON: Non. Je ne vous demande pas les comités. Je veux dire
politiquement, vous avez un dossier, par exemple, s'il est fait par secteur, et
dans le domaine des communications, il est essentiellement négatif. J'en
ai discuté avec votre collègue des Communications, lorsqu'on a
étudié les crédits de son ministère. Je pense qu'il
a tenu des propos absolument semblables aux... Par contre, vous pouvez avoir,
dans le même bilan, un autre secteur où le "bargaining power", le
jeu de marchandage ou la force de quémandage du Québec a eu plus
de résultat. Je ne sais pas lequel, je vous laisse libre choix d'avoir
un exemple. Est-ce que vous jouez une carte avec une autre? Les
Québécois ont le droit de savoir comment le gouvernement conduit
ses affaires dans les différents secteurs. Dans ce sens, si le document
était public, on pourrait verifier quels outils vous utilisez et
lesquels vous n'utilisez pas.
Je veux bien m'enfermer dans votre vocabulaire de la dynamique, un terme
du ministère. Cela ne me dit rien pour le moment, à moins que
vous ne le décriviez de façon très précise. En quoi
le secret devient-il un outil stratégiquement indispensable à la
conduite des affaires du Québec?
M. LEVESQUE: Voici. Disons qu'il n'y a pas de secret. Il n'y a plus
tellement de secrets dans le gouvernement, vous savez cela.
M. MORIN: Qu'est-ce que vous voulez dire? M. LEVESQUE: N'ayez pas l'air
surpris.
M. CHARRON: Je n'ai pas l'air surpris. J'attends juste que vous
expliquiez votre affirmation.
M. LEVESQUE: Bon. Il ne faut pas faire de mystère sur le secret.
Il n'y a pas de secret. Tout est ouvert. Le gouvernement n'a rien à
cacher. Encore moins, le ministère des Affaires
intergouvernementales.
M. MORIN: Alors, vous allez publier ce rapport demain?
M. LEVESQUE: C'est justement parce que vous ne faites pas la
différence entre l'utilisation d'un document comme celui-là,
continuellement mis à jour, et qui, une fois utilisé, fait partie
de notre travail quotidien. J'essayais de répondre au
député de Saint-Jacques, mais je vois qu'il n'était pas
ici cet après-midi. Je ne le blâme pas, il devait être
occupé ailleurs, mais j'ai essayé de dégager cet
après-midi les priorités que l'on retrouve d'ailleurs dans le
discours inaugural, les priorités gouvernementales. C'est justement dans
la poursuite des objectifs ainsi définis que nous utilisons le bilan. Si
on veut savoir d'une façon très concrète comment cela se
fait, il y a régulièrement, dans la poursuite des objectifs du
Québec, des rencontres entre fonctionnaires des différentes
provinces ou du gouvernement fédéral, ou encore des
conférences fédérales-provinciales, cela pour de multiples
sujets et régulièrement.
Au lieu d'aller à ces conférences, comme cela se faisait
dans le passé... Je ne blâme personne, nous n'étions pas
organisés, cela se faisait quelquefois avec le ministère
sectoriel, quelquefois avec le ministère des Affaires
intergouvernementales, quelquefois avec le bureau du premier ministre,
quelquefois c'était du cru du ministre ou selon les renseignements que
pouvait obtenir un fonctionnaire avant d'aller à une telle
conférence. Aujourd'hui, c'est systématique. Tout le gouvernement
a accepté le ministère des Affaires intergouvernementales comme
l'instrument de coordination qui essaie d'obtenir une cohérence d'abord,
dans les actions intergouvernementales, mais en même temps a ce souci
d'efficacité. C'est pourquoi nous avons mis en place, non pas seulement
les structures, mais le dossier type dans chaque cas qui est utilisé,
c'est-à-dire l'historique, les antécédents, la
problématique, les solutions, la stratégie, la composition de la
délégation, etc. Autrement dit, tous les éléments
que nous rassemblons du ministère sectoriel et de notre ministère
et notre bilan est justement l'instrument privilégié qui nous
permet de fournir le contenu à tout cela. Cela ne peut pas être
plus logique. Les gens qui aiment la logique plutôt que l'empirisme,
etc.
M. MORIN: En parlant de logique, ce n'est pas un bilan.
M. LEVESQUE: Ils n'aiment pas avoir quelque chose de clair comme cela,
que chacun des dossiers soit préparé de la même
façon, si vous voulez, avec le même soin et qu'on ait une
façon systématique pour procéder à la
préparation des conférences intergouvernementales.
M. MORIN: Ce n'est pas un bilan, c'est un état des revenus et
dépenses. Ce n'est pas la même chose.
M. LEVESQUE: Enfin.
M. MORIN: Si nous avions ce document, nous pourrions certainement
interroger le ministre de façon plus pertinente. Comme nous ne l'avons
pas, on va se servir des instruments qui sont à notre portée,
parce que les députés à l'Assemblée n'ont pas le
droit de voir cela. C'est réservé aux fonctionnaires. Cela n'est
pas bon pour les Québécois. Nous allons donc nous servir de ce
qui est sorti de votre bilan dans les journaux pour pouvoir tout de même
vous interroger sur ce qui se passe au Québec. Cela intéresse un
petit peu les Québécois quand même.
Est-ce qu'on peut, comme le Soleil, tirer la conclusion
générale que le Québec n'a pas en main les instruments
nécessaires pour stimuler l'économie québécoise,
qu'en matière de développement économique, c'est Ottawa
qui est le meneur de jeu? C'est la conclusion qui émanait de la partie
du bilan que le Soleil a publiée le 1er mai 1973. Je peux vous en faire
des citations, si vous voulez. C'est tiré de votre rapport.
"Malgré les prétentions du premier ministre Robert Bourassa, dit
le Soleil, dans le domaine économique, le Québec n'a pas en main
les instruments pour stimuler l'industrie québécoise. C'est
plutôt Ottawa qui est le meneur de jeu." Un peu plus loin: "Les mesures
fédérales étendent leur action à presque toute
l'industrie secondaire et, dans certains cas, au secteur tertiaire, ce qui
laisse peu de place pour une action québécoise. En
résumé, le dossier sur les stimulants de l'industrie est
très négatif."
Est-ce que cette conclusion est toujours valable?
M. LEVESQUE: Disons tout d'abord que personne n'a prétendu qu'il
n'y avait pas d'instruments économiques aux mains du pouvoir central.
Personne n'a prétendu cela.
M. CHARRON: Sa crédibilité...
M. LEVESQUE: Et deuxièmement, je me demande même si
quelqu'un a prétendu que cela serait bon...
M. MORIN: Que?
M. LEVESQUE: ...que le gouvernement cen-
tral n'ait pas de pouvoir économique. Est-ce qu'il y a quelqu'un
qu'on connaît, qu'on peut citer, qui a dit que le gouvernement central ne
devrait pas avoir de pouvoir d'ordre économique?
M. MORIN: Vous voulez dire dans le système fédéral
actuel?
M. LEVESQUE: Oui.
M. MORIN: Dans un système fédéral, il doit avoir
certains pouvoirs économiques...
M. LEVESQUE: Bon.
M. MORIN: ... mais il ne les utilise pas à l'avantage du
Québec.
M. LEVESQUE: Ah non! Il ne faut pas se mêler. Vous admettez que si
on part d'un régime fédéral, il n'est pas question
d'enlever au pouvoir central le pouvoir économique.
M. MORIN: Entendons-nous! Des affirmations à
l'emporte-pièce...
M. LEVESQUE: C'est ce que vous venez de dire.
M. MORIN: ... comme cela. Le pouvoir économique se
décompose en une série de pouvoirs.
M. LEVESQUE: Ah bon! D'accord. Mais certains pouvoirs
économiques.
M. MORIN: Oui, et alors?
M. LEVESQUE: C'est cela. Il ne faut pas partir du fait que le
député serait d'avis que le pouvoir central dans un régime
fédéral n'ait pas de pouvoirs ou de leviers économiques.
Il serait impossible pour moi de nier que l'influence de la politique
monétaire, de la politique tarifaire et de plusieurs politiques
fédérales se fait sentir au Québec comme ailleurs au pays.
On ne peut faire autrement que de saluer l'arrivée du premier ministre
qui arrive justement au milieu d'une question qui, sans doute, le
préoccupe...
M. BOURASSA: Sur le pétrole? M. MORIN: Encore cette
confiture.
M. LEVESQUE: Justement, cela serait intéressant de parler du
pétrole.
M. MORIN: Commencez par répondre à la question. Nous
aurons certainement des questions pour le premier ministre.
M. LEVESQUE: La question du député de Sauvé est
celle-ci, si je la comprends bien: Est-ce que le pouvoir économique
utilisé ou entre les mains du gouvernement central est exclusif ou y en
a-t-il une part pour le Québec? Est-ce que c'est bien cela? Je veux bien
comprendre la question du député.
M. CHARRON: Ce n'est pas cela que le chef de l'Opposition a posé
comme question.
M. LEVESQUE: Alors, qu'il la pose donc de nouveau, si ce n'est pas
cela.
M. CHARRON: Le document dont il vous a lu un extrait ne réduisait
pas l'affirmation de façon aussi bête que vous venez de le faire,
à affirmer qu'au bout d'une étude sur le bilan des relations
fédérales-provinciales, on concluait qu'Ottawa jouait un
rôle dans l'économie du Canada. Il affirmait qu'Ottawa, en ce qui
concernait le développement économique du Québec,
était effectivement le meneur de jeu. C'est toute la différence
au monde. On peut admettre, dans un régime fédéral, bien
sûr, que le gouvernement central ait les pouvoirs économiques
comme ceux que vous avez mentionnés, mais la question est de savoir si,
à partir de ces pouvoirs qu'il possède déjà, il est
effectivement le meneur de jeu du développement économique des
Québécois et que le gouvernement des Québécois
n'est, dans ce domaine, que bon second.
M. BOURASSA: C'est toujours l'approche de tout ou rien.
M. CHARRON: Non. Puis-je signaler au premier ministre, avant qu'il ne
parle, que nous parlons d'un document du ministère des Affaires
intergouvernementales. Cela n'est pas une affirmation du député
de Saint-Jacques ou du chef de l'Opposition. C'est un document sur le bilan des
relations fédérales-provinciales qui a été
publié le mardi 1er mai 1973, à la suite d'une fuite, puisque le
gouvernement se refuse à remettre ce bilan aux mains de la population,
et qui faisait ce genre d'affirmation: "Le Québec n'a pas en main les
instruments pour stimuler l'industrie québécoise. C'est
plutôt Ottawa qui est le meneur de jeu". C'est le document de travail du
ministère à partir duquel on discute depuis tantôt.
M. BOURASSA: C'est le document sectoriel. Quel que soit le
système politique au Québec, il faudrait collaborer
économiquement. Je me souviens de la dernière entente
fédérale-provinciale sur le développement régional.
Je pense que c'est Maurice Giroux, qui était anciennement au
ministère, qui faisait le commentaire dans le journal Le Jour...
M. MORIN: M. le premier ministre, vous êtes arrivé comme un
cheveu sur la soupe; la Commission ne parlait pas de ça.
M. BOURASSA: Mais vous parliez du déve-
loppement économique du Québec et du Canada.
M. MORIN: Oui, d'accord, mais on était en train de
procéder à partir du bilan, pour essayer de savoir...
M. BOURASSA: Dans les nuages...
M. MORIN: ... quel était aujourd'hui... Ah! là, vous allez
faire ce que vous avez fait dans d'autres commissions. Vous arrivez et, sans
même écouter pendant cinq minutes ce qui se passe pour comprendre
à peu près la nature du débat, vous commencez à
piétiner dans les plates-bandes. J'aimerais mieux que le ministre
réponde aux questions et que vous écoutiez un bout de temps
avant...
M. BOURASSA: Je sais que vous n'aimez pas cela quand je réponds
aux questions.
M. MORIN: Ah non! Vous pourrez répondre. J'ai des questions pour
vous d'ailleurs parce que le ministre, tout à l'heure, s'est
déchargé de certaines responsabilités sur vous. Alors, on
vous attendait.
M. LEVESQUE: Non. Un instant! Une seule question. C'était sur la
question du rapatriement de la constitution et j'ai dit qu'il s'agissait
là d'un sujet qui devait être traité par le chef du
gouvernement.
M. BOURASSA: J'avais déjà consulté le chef de
l'Opposition là-dessus quand il était expert en droit
international.
M. MORIN: C'est un fait, oui. Le premier ministre m'avait appelé,
mais je lui avais fait comprendre que je préférais ne pas
être mis au courant de tout le dossier, parce que je ne voulais pas
avoir...
M. BOURASSA: Cela vous permettrait de critiquer à ce moment.
M. MORIN: ... les mains liées. Mais reprenons, si vous le voulez
bien, la question que je vous posais. D'après le bilan, le Québec
n'a pas en main les instruments pour stimuler l'industrie
québécoise; il n'a pas en main les instruments pour pouvoir
planifier son économie, et les mesures fédérales
étendent leur action à presque toute l'industrie secondaire et,
dans certains cas, au secteur tertiaire, ce qui laisse peu de place pour une
action québécoise. Ceci est complété par des
constatations d'un de vos collègues, le ministre Saint-Pierre, qui a
admis je pourrais citer des extraits de sa contribution aux
débats que le Québec a été traité en
parent pauvre par le gouvernement fédéral. Est-ce que ce bilan
dressé en mai 1973 est toujours exact?
M. BOURASSA: Si le chef de l'Opposition me permet de répondre,
évidemment, il pose une question de nature très
générale. Est-ce que le gouvernement du Québec est
satisfait de la collaboration économique du Canada ou du gouvernement
fédéral ou du reste du Canada? Dans certains secteurs, on peut
avoir...
M. MORIN: Ce n'est pas cela. Est-ce que vous avez en main les
instruments?
M. BOURASSA: Cela revient au même. Je m'excuse, mais le chef de
l'Opposition me permettra de donner un exemple concret de cette collaboration
économique.
M. MORIN: Le pétrole?
M. BOURASSA: Laissez-moi terminer. Cela fait trois mois que j'attends
des questions de la part de l'Opposition sur le pétrole. Il n'y en a
jamais. On dirait qu'elle ne veut pas poser de questions sur le
pétrole.
M. MORIN: Nous attendons que le prix international commence à
baisser et que le prix de l'Est commence à monter et on en reparlera
à ce moment. A part cela, nous attendons le rapport du ministère
du Revenu sur les impôts payés par les compagnies de
pétrole. C'est de cela que vous voulez parler?
M. BOURASSA: Si je comprends bien le chef de l'Opposition, est-ce qu'il
affirme, comme il l'a fait à quelques reprises, que, d'après lui,
le prix international du pétrole va baisser?
M. MORIN: Non. J'affirme là, avec le bilan des relations
fédérales-provinciales, que le Québec n'a pas en main les
instruments nécessaires pour stimuler l'industrie
québécoise; les mesures fédérales étendent
leur action à presque toute l'industrie secondaire, ce qui laisse peu de
place pour une action québécoise. Etes-vous d'accord sur ce
verdict?
M. BOURASSA: II n'y a pas un pays au monde qui est économiquement
autonome, de moins en moins, et alors, supposer que le Québec pourrait
être économiquement souverain, c'est faire preuve d'une grande
naïveté. Je donne l'exemple...
M. MORIN: ... du fédéralisme.
M. BOURASSA: Laissez donc faire les fuites. Si vous n'aviez pas les
fuites et les articles de journaux, qu'est-ce que vous feriez comme
Opposition?
M. MORIN: Justement, on demandait au ministre de nous donner le document
tout à l'heure.
M. BOURASSA: Vous me parlez du développement économique,
je vous donne l'exemple
du pétrole. Le ministre l'a mentionné cet
après-midi, le Québec va recevoir près de $1 milliard.
C'est de l'argent cela, de l'extérieur du Canada.
M. MORIN: Est-ce que c'est du développement?
M. BOURASSA: C'est du développement, M. le Président,
parce qu'imaginez ce qui serait arrivé à l'économie du
Québec s'il fallait payer le prix international du pétrole.
Qu'est-ce qui serait arrivé à notre pétrochimie, à
nos papeteries ou à nos entreprises minières s'il fallait payer
près de $11 le baril? Qu'est-ce qui arriverait aux dizaines de milliers
d'emplois? C'est sérieux.
M. MORIN: Ce n'est pas du développement, c'est de l'assistance
sociale, ce n'est pas la même chose.
M. BOURASSA: Cela n'arrive pas souvent, mais la réponse du chef
de l'Opposition n'est pas sérieuse.
M. MORIN: Allons donc!
M. BOURASSA: II sait fort bien que, si le Québec avait
été forcé de payer le prix international du pétrole
à $11 le baril, alors qu'en Ontario les gens pourraient payer $7, alors
que nos concurrents immédiats et des plus importants pourraient payer
une différence de 40 p.c, imaginez ce qui arriverait à toutes nos
entreprises qui utilisent le pétrole. Ce sont des dizaines de
milliers...
M. MORIN: Qu'est-ce qui leur arrive justement aux industries
pétrochimiques, M. le premier ministre? Dites-nous donc cela?
M. BOURASSA: Est-ce que je peux terminer? Cela les énerve, le
pétrole !
M. MORIN: Parlez-nous des industries pétrochimiques. Où en
sont-elles à l'heure actuelle?
M. BOURASSA: S'il fallait, M. le Président, que l'économie
québécoise... Il me semble que je pose une question
sérieuse et concrète...
M. MORIN : Moi aussi.
M. BOURASSA: On peut s'entendre sur les objectifs, mais le Parti
libéral ne croit pas au séparatisme économique. Je ne
crois pas du tout au séparatisme économique qui était
exprimé dans votre budget à la dernière campagne
électorale et par une piastre séparée. Nous croyons que
cela comporte beaucoup plus d'inconvénients que d'avantages.
M. CHARRON: Vous ne croyez pas à cela, mais vous croyez au
fédéralisme, on le sait.
Dans le bilan que le ministère des Affaires intergouvernementales
a fait, que vous aimiez y croire...
M. BOURASSA: ... Robert Charlebois tantôt à
l'Assemblée nationale. Vous devriez lire ce que Robert Charlebois a
écrit sur le fédéralisme.
M. CHARRON: M. le Président, je demande au député
de Mercier de me laisser formuler ma question.
Dans le bilan, dont une fuite nous a permis de connaître un
extrait, dans ce régime fédéral, sans aucune espèce
d'allusion au séparatisme économique ou au pétrole, sur un
point bien précis ce bilan dit et je vais le
répéter pour la cinquième fois ce bilan que vous
avez probablement lu, que le ministre des Affaires intergouvernementales a lu
et qui est aujourd'hui utilisé, nous dit-on, dans la dynamique interne
du ministère comme document de travail, dans ce bilan, on dit ceci: Le
Québec n'a pas en main dans le fédéralisme
les instruments pour stimuler l'industrie québécoise. C'est
plutôt Ottawa qui est le meneur de jeu on dit dans le
fédéralisme que les mesures fédérales
étendent leur action à presque toute l'industrie secondaire et,
dans certains cas, au secteur tertiaire, ce qui laisse peu de place pour une
action québécoise. Dans ce document et tenons-nous-en
à ce document le ministre des Affaires intergouvernementales et
le premier ministre ont-ils tiré une conclusion politique de cette
affirmation contenue au bilan que se refuse à rendre public le ministre
des Affaires intergouvernementales? On en est au fédéralisme. Ne
me parlez pas de la peste, du choléra qui arriveraient dans un
séparatisme économique. Vous avez fait cela sur toutes les
tribunes électorales en octobre dernier.
M. LEVESQUE: C'est vous qui le dites. M. BOURASSA: Et la population
a...
M. CHARRON: Je vous demande simplement". Etes-vous d'accord pour dire
que le bilan que les fonctionnaires du ministère des Affaires
intergouvernementales ont édifié et la conclusion à
laquelle ils sont parvenus, à la suite de leur étude, est
fondée ou n'est pas fondée?
M. LEVESQUE: Un instant. Quelle conclusion?
M. CHARRON: Celle-là, dans ce rapport. Est-ce qu'il est exact
que, dans le fédéralisme actuel, le Québec n'a pas en main
les instruments pour stimuler l'industrie québécoise. C'est
Ottawa qui...
M. LEVESQUE: Ce ne sont pas les fonctionnaires du ministère des
Affaires intergouvernementales qui...
M. CHARRON: C'est dans le document.
M. LEVESQUE: Dans quel document?
M. CHARRON: Le bilan des relations fédérales-provinciales
qui a été publié, comme l'a dit le premier ministre,
à la suite d'une fuite.
M. LEVESQUE: Oui, mais pas du ministère des Affaires
intergouvernementales, parce qu'il s'agit là d'un jugement de valeur par
un fonctionnaire dans un ministère sectoriel.
M. BOURASSA: On peut avoir un autre document où un autre
fonctionnaire va arriver à une conclusion contraire. C'est du travail
interne. J'espère que l'Opposition se rend compte de ce qu'elle fait en
publiant des opinions de fonctionnaires...
M. CHARRON: Mais, est-ce qu'il y a un document qui dit cela?
M. BOURASSA: On n'est pas pour se mettre à publier... Quelle
sorte de gouvernement voulez-vous avoir?
M. MORIN: En avez-vous un bilan?
M. BOURASSA: Ce sont les fonctionnaires qui vont décider de ce
qu'on va discuter ici ! Ce serait très facile d'en faire...
M. MORIN: C'est vous qui avez annoncé que bilan serait
publié. C'est vous qui l'avez annoncé publiquement, qui avez
donné le mandat au sous-ministre d'établir ce document.
M. BOURASSA: Le chef de l'Opposition n'était pas là
à ce moment-là, il ne peut pas parler comme cela.
M. MORIN: Oui, mais...
M. BOURASSA: C'est la méthode de l'Opposition actuellement. Elle
sort un document signé par un fonctionnaire. Il y a 50,000
fonctionnaires.
M. MORIN: Voulez-vous dire que vous n'avez jamais dit que vous rendriez
public le bilan des rapports fédéraux-provinciaux
rédigé par le sous-ministre actuel des Affaires
intergouvernementales? Vous n'avez jamais dit cela?
M. LEVESQUE: Voici ce que le premier ministre avait dit...
M. MORIN: Non. Je lui pose la question à lui.
M. LEVESQUE: C'est parce que je me rappelle de la réponse...
M. CHARRON: ... de répondre.
M. MORIN: II va se sauver de la question en vous la passant.
M. LEVESQUE: Je me rappelle fort bien que le premier minsitre a dit
publiquement qu'il avait demandé un bilan des affaires
intergouvernementales, mais je ne me rappelle pas qu'il ait dit qu'il le
publierait.
M. BOURASSA: Avez-vous la référence?
M. MORIN: Oui, je crois que j'ai la référence ici.
M. BOURASSA: Vous croyez?
M. MORIN: C'était en septembre 1973, je crois.
M. CHARRON : Je vous avertis tout de suite que, quand vous aurez fini
cette question, je vais revenir avec la mienne, celle à laquelle vous
n'avez pas voulu répondre.
M. BOURASSA: On va passer les crédits à discuter des
documents et des lettres que peuvent s'écrire des fonctionnaires.
M. CHARRON: ... imaginez-vous donc!
M. BOURASSA: Mais répondez donc à ma question. Qu'est-ce
qu'il arriverait au Québec s'il fallait payer le prix international?
C'est une question concrète. Ce n'est pas un document qui circule entre
fonctionnaires.
M. MORIN: Parlez-nous donc de l'industrie pétrochimique
québécoise. Qu'est-ce qui lui arrive? Parlez-nous-en. On vous
parle de développement.
M. BOURASSA: On a fait des annonces; il y a des investissements dans
l'industrie pétrochimique québécoise.
M. MORIN: Ah oui! Vous m'en direz tant!
M. BOURASSA: II n'y en aurait pas du tout si vous aviez pris le
pouvoir.
M. MORIN: Etes-vous prêt à en annoncer ce soir?
M. BOURASSA: Vous auriez été complètement
annulé et la situation serait catastrophique. Vous le savez fort bien
d'ailleurs.
M. MORIN: Quels investissements allez-vous annoncer?
M. BOURASSA: Nous les avons annoncés il y a six ou neuf mois.
M. MORIN: Lesquels?
M. BOURASSA: Hercules et Union Carbide.
M. MORIN: Hercules, c'est compromis.
M. CHARRON: Où est-ce que cela en est?
M. MORIN: Où est-ce que cela en est à l'heure
actuelle?
M. BOURASSA: Je n'ai pas les détails précis.
M. CHARRON: Qui est le meneur de jeu là-dedans?
M. BOURASSA: Est-ce que vous avez posé les questions au
ministère de l'Industrie et du Commerce là-dessus?
M. MORIN: Oui, et on nous a dit que tout cela était remis en
question et qu'il...
M. BOURASSA: Etes-vous sûr que c'est ce qu'on vous a
répondu?
M. MORIN: Bien, oui.
M. CHARRON: J'en ai posé aux Richesses naturelles cet
après-midi sur le même sujet.
M. MORIN: C'est cela. UNE VOIX: Une autre fuite.
M. MORIN: Dites-nous où cela en est le projet Hercules.
M. LEVESQUE: C'est pour cela, M. le Président.que j'ai
mentionné cet après-midi que je n'avais pas l'intention d'entrer
dans des discussions sectorielles qui ont déjà eu lieu lors de
l'étude des crédits des ministères sectoriels. Parce que
justement...
M. MORIN: C'est le premier ministre qui nous amène sur le
pétrole, je vous ferai remarquer.
M. LEVESQUE: Le pétrole, c'est justement une des
préoccupations du ministère des Affaires intergouvernementales et
je suis très fier, à titre de ministre des Affaires
intergouvernementales, de voir la contribution de l'équipe du
ministère des Affaires intergouvernementales dans cette
chose-là.
M. MORIN: Bon. Alors, on va en parler.
M. LEVESQUE: Et nous avons eu là une influence du Québec
et je sais que le premier ministre a été un instrument
déterminant dans la politique canadienne quant au pétrole. Il ne
le dira pas lui-même, peut-être, mais je peux le dire.
M. CHARRON: Est-ce que le ministre consi- dère que, dans le
système actuel, le Québec est le meneur de jeu de son
développement économique? Est-ce que le premier ministre
considère qu'il reste suffisamment de place pour une action
québécoise, même si les mesures fédérales
étendent leur action à presque toute l'industrie secondaire et,
dans certains cas au secteur tertiaire?
M. BOURASSA: M. le Président, je considère qu'il y a
beaucoup de manoeuvre pour le gouvernement du Québec. Je comprends qu'il
faut collaborer avec le gouvernement...
M. CHARRON: Est-ce que le Québec est le meneur?
M. BOURASSA: Est-ce que le député peut me laisser
terminer?
M. CHARRON: Une dernière question. Je vais vous permettre de
répondre après cela.
M. BOURASSA: D'accord. Je vous écoute.
M. CHARRON: Est-ce que le Québec est le meneur de jeu de son
développement économique dans le système actuel?
M. BOURASSA: Avez-vous d'autres questions?
M. CHARRON: Non, mais celle-là.
M. BOURASSA: Alors, là vous allez me permettre de
répondre. Je dis au député de Saint-Jacques que le
Québec a suffisamment de pouvoir pour faire sentir son influence...
M. CHARRON: Est-il le meneur de jeu?
M. BOURASSA: Meneur, dans certains secteurs oui; dans d'autres secteurs,
à cause du contexte, dans le domaine des transports entre les provinces,
c'est évident que c'est la politique fédérale des
transports; dans le domaine des ports, la constitution s'applique. Dans
d'autres secteurs, c'est nous qui décidons, dans le domaine de
l'énergie, dans le cas de l'électricité notamment.
Hydro-Québec, c'est de juridiction provinciale. Donc, le gouvernement du
Québec a démontré, depuis quinze ans, qu'il pouvait agir
dans le domaine économique avec tous les outils qu'il possède. Il
pourrait également, dans d'autres secteurs continuer son action. Je ne
suis pas pour répéter ce que la SDI a fait ou SOQUEM ou SIDBEC,
l'entente dont on a discuté à l'occasion des crédits du
ministère des Finances, la trouée qu'on fait dans le
développement des richesses naturelles avec des outils proprement
québécois. C'est vrai, c'est le chef de l'Opposition
lui-même qui a soulevé le problème. Je me demande s'il n'a
pas félicité le gouvernement...
M. MORIN: Aux Richesses naturelles?
M. BOURASSA: Aux Finances, parce que l'actionnaire de SIDBEC est le
ministère des Finances.
M. MORIN: Oui, et alors, qu'est-ce que vous me faites dire exactement?
Cela m'intéresserait d'entendre cela.
M. BOURASSA: Vous étiez d'accord sur la politique du gouvernement
pour ce qui a trait à l'évolution des opérations de SIDBEC
en association avec Québec Cartier pour le développement des
richesses naturelles sur la Côte-Nord et procurer des sources
d'approvisionnement à SIDBEC. Vous étiez d'accord.
M. MORIN: Dans le projet de Fire Lake?
M. BOURASSA: C'est cela. Il me semble que vous avez manifesté
votre accord.
M. MORIN: Sur le projet en soi, mais on vous a posé un tas de
questions sur les débouchés, sur la transformation sur place, vos
réponses étaient plus qu'ambiguës.
M. BOURASSA: II s'en vient politicien, ça ne lui prend pas de
temps. Vous étiez d'accord sur le projet.
M. MORIN: Je salue en vous un maître remarquable.
M. BOURASSA: Vous ne le regrettez pas.
M. MORIN: J'attends pour voir. J'ai l'impression qu'il ne me faudrait
pas apprendre trop vite de vous.
M. BOURASSA: Le chef de l'Opposition a dit qu'il était d'accord
pour le projet et ça, c'est un exemple parmi beaucoup d'autres de la
marge de manoeuvre, mais je ne pense pas, à tout prendre, je suis
convaincu et je me demande même si... Ce n'est pas pour rien que le
député de Lafontaine parlait d'un fédéralisme
à deux et Claude Morin parle d'un fédéralisme par
étapes. Ils se rendent bien compte des conséquences très
dangereuses pour l'économie du Québec du séparatisme
économique. Donc, pour répondre à la question du
député, si nous examinons les différents secteurs, il
reste beaucoup de marge de manoeuvre au gouvernement du Québec. En
collaboration avec le gouvernement fédéral, il peut faire
beaucoup.
L'année dernière, par exemple, on a eu, si on prend les
nouveaux emplois comme critère, plus que notre proportion, si on regarde
la population. On a eu 30 p.c. de nouveaux emplois, 130,000 sur un peu plus de
400,000. On a eu 30 p.c. des nouveaux emplois alors que nous formons 26 p.c. de
la population. Certains mois, on en avait plus que l'Ontario, même si
l'Ontario a une population 25 p.c. supérieure à la nôtre.
Cela dépend de quoi? Cela dépend des politiques
québécoises qui révèlent leur efficacité
sous ce rapport.
Alors je dis que c'est évident que le fédéralisme
suppose une collaboration avec les autres niveaux de gouvernement, le reste du
Canada et le gouvernement fédéral. Le marché commun que
vous proposez dans votre plate-forme supposerait le même type de
collaboration, comme l'Allemagne et la France sont obligées de
collaborer ensemble au niveau des charges fiscales, au niveau des charges
sociales puisque c'est un marché commun, un marché ouvert et avec
les mêmes types de collaboration, avec les désavantages, qu'on n'a
pas actuellement, et que le pétrole révèle, notamment.
C'est pour ça que je réponds au député de
Saint-Jacques que le système actuel, même s'il comporte des
inconvénients, tout le monde va l'admettre, mais il en comporte beaucoup
moins, avec les données qu'on possède, que le séparatisme
économique pour le niveau de vie des Québécois et surtout
pour les débouchés des jeunes Québécois qui
arrivent sur le marché du travail en nombre sans
précédent.
M. MORIN: On en revient maintenant au bilan qui constatait...
M. BOURASSA: Cela répond à votre question?
M. MORIN: ... que c'est plutôt Ottawa qui est le meneur de jeu.
Vous nous dites que le Québec a de la marge de manoeuvre. Je suis
obligé de vous citer ce que votre propre ministre de l'Industrie et du
Commerce en pense, parce que ça ne semble pas être la même
chose que vous, M. le premier ministre.
M. BOURASSA: Citez, on va voir.
M. MORIN: "Le Québec a été souvent
défavorisé par les programmes fédéraux du secteur
économique, conçus sans tenir compte de ses besoins". C'est
textuel. "Les statistiques démontrent noir sur blanc que les avantages
principaux des programmes fédéraux allaient presque toujours
à l'Ontario. Peut-être, note le ministre et c'est là
que le bilan deviendra intéressant est-ce en l'absence de
politique de sa part ou à cause de la faiblesse de ses interventions que
le Québec a connu un développement de parent pauvre".
M. BOURASSA: Depuis que nous sommes au pouvoir, je peux donner
l'exemple...
M.MORIN: J'ai hâte de voir quel genre de contorsion vous allez
faire pour nous dire que Saint-Pierre n'a pas dit ce qui est exact.
M. BOURASSA: Pas de contorsion. C'est évident que le
Québec n'a pas toujours accordé
la priorité à l'économique comme nous l'avons fait
depuis que nous sommes au pouvoir, parce que nous croyons qu'il n'y a pas de
croissance des Québécois sans croissance du Québec. La
croissance du Québec suppose la collaboration avec le reste du Canada.
Dès notre arrivée au pouvoir, nous avons fait des
représentations dans le domaine de la fiscalité minière,
il en est résulté $1 milliard d'investissement pour les
Québécois sur la Côte-Nord et en Gaspésie. Ce sont
des résultats concrets et le gouvernement fédéral a
accepté nos représentations; dans le domaine de la
fiscalité scolaire, il a accepté nos représentations; dans
le domaine du pétrole pour y revenir encore il a
accepté nos représentations, c'est ce qu'on proposait, $6.50,
même si on n'a pas de pétrole et de pipe-line, c'est la
proposition du Québec qui a été acceptée.
M. LEVESQUE: Si on peut me permettre d'ajouter ceci, on a encore eu un
exemple récent de ce changement complet de vie et d'optique à
cause de la priorité donnée à l'économique par le
gouvernement québécois et son chef. Nous avons eu à
négocier une nouvelle entente-cadre avec le gouvernement
fédéral et là, lorsqu'on parle de qui mène le jeu,
c'est mené à deux. C'est mené à deux de cette
façon-ci, c'est encore plus fort que ça, le député
de Saint-Jacques devrait en prendre connaissance.
Cette entente-cadre reconnaît les priorités du
Québec et, comme exemple, on ne peut pas s'empêcher de voir que la
première entente auxiliaire signée entre le gouvernement
fédéral et le gouvernement du Québec a été
l'entente avec SIDBEC. C'est une priorité du gouvernement du
Québec qui est traduite immédiatement dans la première
entente auxiliaire. Les autres ententes auxiliaires qui sont envisagées
comportent également des priorités du Québec, l'autoroute
de l'acier se relie à SIDBEC...
M. MORIN: Montréal-Sorel.
M. LEVESQUE: ... Montrêal-Sorel.
M. BOURASSA: Ils en veulent donc à Sorel.
M. LEVESQUE: Cet accord d'entente auxiliaire qui est envisagée
pour le développement de la région de l'Estrie, de la
région de Sherbrooke; il y a cette autre entente envisagée sur
les infrastructures municipales reliées à l'implantation de
l'industrie, toutes des priorités du Québec acceptées par
le gouvernement fédéral à l'intérieur de cette
nouvelle entente-cadre. Nous avons d'autres projets moteurs que nous allons
déposer à la table de négociations et ce sera encore les
priorités québécoises qui seront retenues en vertu et dans
le contexte de l'entente-cadre. Ce sont là des choses très
positives qui expliquent justement et illustrent bien que c'est un jeu qui
n'est pas mené unilatéralement, mais à deux, selon une
stratégie commune. C'est nous qui avons établi cette
stratégie, elle a été étudiée par nos
partenaires fédéraux et c'est un fédéralisme
économique qui se tient, mais qui tient compte du Québec, de ses
aspirations et de ses priorités.
M. CHARRON: II y a aussi les menus bilingues et la traduction
simultanée à la Chambre des communes, si vous voulez
réviser ça.
M. BOURASSA: Vous n'avez pas...
M. CHARRON: La question n'est pas celle-là.
M. BOURASSA: Le voilà encore.
M. CHARRON: La question que nous avons posée au premier ministre
est sur l'existence de domaines où l'entente quelconque on en
discutera de l'entente Canada-Québec dont vous venez de faire mention,
on va en discuter quand on va aborder les crédits de l'Office de
planification et de développement du Québec mais
qu'à certaines occasions, l'action soit favorable au gouvernement du
Québec ou favorable aux Québécois, personne ne le
nierait... Parce que j'imagine qu'il y a assez...
M. BOURASSA: De plus en plus.
M. CHARRON: ... de coeur du côté ministériel pour,
si tout était unanimement défavorable, avoir un sursaut de
dignité au moins dans une équipe de qui on ne l'attend pas. Mais
nous n'affirmons pas qu'à un moment donné, sur certains terrains,
il y ait ça. J'ai posé la question au premier ministre à
partir d'un document. Est-ce que le bilan, à la suite des domaines
où ça avance, des domaines où ça n'avance pas, des
domaines où le Québec gagne, où le Québec perd,
apparaît au gouvernement québécois comme satisfaisant?
M. BOURASSA: Je vais répondre au député de
Saint-Jacques. Je vais reprendre une partie de la réponse que j'ai dite
tantôt. La meilleure façon de juger un bilan, c'est par les
résultats. On est d'accord là-dessus, c'est par les
résultats qu'on doit juger un bilan.
M. CHARRON: Est-ce qu'il vous satisfait?
M. BOURASSA: Est-ce que le député est d'accord sur cette
affirmation: La meilleure façon de juger un bilan, c'est par les
résultats.
M. MORIN: Non, c'est par l'actif et le passif.
M. BOURASSA: Or, l'an dernier, on a eu la meilleure année
économique de l'histoire du Québec avec 130,000 nouveaux emplois
et une croissance réelle...
M. MORIN: C'est votre façon de faire le bilan de ces rapports
fédéraux-provinciaux?
M. BOURASSA: Non, laissez-moi terminer. Je dis au député
de Saint-Jacques: Est-ce qu'on est satisfait de la collaboration avec le
gouvernement fédéral? On peut avoir des motifs de
mécontentement et on les exprime. Cela ne veut pas dire qu'on est contre
le régime. On les exprime. Mais dans l'ensemble, depuis que nous sommes
au pouvoir, on doit admettre que le fédéralisme économique
a été profitable aux Québécois et, l'an dernier,
l'année économique est la meilleure preuve que cela a
été profitable aux Québécois et le fait qu'on ait
eu cinq budgets sans augmentation de taxes, même avec des dépenses
qui augmentent de $400 millions... Ce sont des faits, ça s'exprime, tout
ça est lié ensemble. Je sais que vous ne voulez pas en
parler.
M. MORIN: On va être obligé de parler de l'inflation. On en
a déjà parlé cent fois.
M. BOURASSA: D'accord, mais ce sera une fois de plus parce que c'est
peut-être une façon de vous convaincre finalement.
M. MORIN: Si vous voulez qu'on en parle, nous allons en parler. Je suis
bien prêt.
M. BOURASSA: Je ne veux pas parler de l'indexation qui profite aux
riches et que propose le Parti québécois. Je ne veux pas parler
des cadeaux que vous voulez faire aux riches, aux contribuables les plus
fortunés. Je dis que, si on regarde la croissance économique,
ça nous a permis cette année de présenter un budget qui
comporte, à cause de l'inflation, $400 millions de dépenses
additionnelles et qui ne comporte non seulement aucune augmentation de taxes
mais des réductions importantes, ça nous a permis depuis que nous
sommes au pouvoir de tripler les sommes aux municipalités. M. Parizeau
lui-même faisait l'éloge du gouvernement à cause de son
aide aux municipalités.
Je pense que tout cela, si on juge par les résultats, on doit
constater que la collaboration économique... On peut être meneur
de jeu dans certains secteurs, dans d'autres secteurs on va collaborer. Cela
dépend de l'application de la constitution. Mais, dans l'ensemble, les
Québécois ont profité de cette croissance
économique et, au lieu d'avoir 3,000 Québécois qui vont
travailler en Ontario ou en Nouvelle-Angleterre, comme c'était le cas en
1969, on en a peut-être un nombre considérablement
inférieur. En 1972, c'était 1,500, probablement que maintenant
c'est beaucoup moins. Mais pour moi, c'est important qu'il y ait des milliers
de Québécois qui ne soient pas forcés de quitter le
Québec et nous appauvrir, ce faisant.
M. MORIN: Maintenant, M. le premier mi- nistre, pour en revenir à
notre propos, un bilan se dresse avec l'actif d'un côté et le
passif de l'autre, autant que possible. Vous nous dites: II y a de l'actif. On
veut bien vous croire, mais maintenant dites-nous ce qui ne va pas. Il y a
certainement des choses qui ne vont pas.
M. BOURASSA: Vous êtes là pour cela.
M. MORIN: On est là pour vous interroger afin que vous
répondiez à nos questions. Parce qu'on essaie d'être
éclairés et, à travers nous, d'éclairer les
Québécois. Est-ce que désormais je dois en conclure que
c'est Québec qui est le meneur de jeu dans le domaine économique?
Parce que le bilan, lui, disait le contraire. C'est là-dessus qu'on a...
Est-ce que vous avez les instruments nécessaires...
M. LEVESQUE: Ce n'est pas le bilan qui disait le contraire.
M. MORIN: ... pour stimuler l'économie? M. LEVESQUE: II ne faut
pas dire cela.
M. BOURASSA: Le gouvernement du Québec a beaucoup d'instruments.
Est-ce qu'il a tous les instruments? Il a tous les instruments
nécessaires dans le contexte où nous vivons. Je ne crois pas
qu'en pratique, parce que vous posez la question dans le cadre de votre option
en théorie, oui vous auriez certainement moins de marge de
manoeuvre.
M. MORIN: Ce n'est pas cela du tout. On vous pose la question à
l'intérieur de vos propres critères, de vos propres options,
c'est-à-dire à l'intérieur du fédéralisme.
Et si vous ne pouvez pas répondre, est-ce que vous pourriez au
moins...
M. LEVESQUE: Si le chef de l'Opposition me permet...
M. MORIN: ... publier le sacré bilan?
M. LEVESQUE: Si le chef de l'Opposition me permet à ce moment-ci
d'intervenir très brièvement; premièrement, le bilan n'a
jamais dit ce que dit le chef de l'Opposition...
M. CHARRON: Alors, qu'est-ce qu'il dit?
M. LEVESQUE: ... c'est simplement tiré d'un article de journal et
je peux facilement l'expliquer...
M. CHARRON: Alors, qu'est-ce qu'il dit, le bilan?
M. LEVESQUE: Un instant. J'essaie de répondre, tout simplement,
sans trop d'interruptions. Mais je dirai cependant que le bilan ne dit pas ou
ne réflète pas une situation absolu-
ment idéale, il y a un contentieux qui existe, il y a des choses
que nous aimerions régler à l'avantage des
Québécois, elles ne sont pas encore réglées.
M. CHARRON: Lesquelles?
M. LEVESQUE: Mais, ce que nous faisons, avec les priorités
données à l'économique, c'est que nous nous
intéressons davantage au développement économique du
Québec et que nous voulons davantage, non seulement exercer nos
compétences à nous, reconnues par la constitution, mais nous
voulons aller encore plus loin et nous insérer dans le processus qui,
souvent, est de compétence fédérale; par exemple, nous
croyons qu'il est important de participer davantage dans les accords
internationaux...
M. MORIN: Comme le GATT.
M. LEVESQUE: Nous voulons, par exemple, le GATT, c'est un excellent
exemple que...
M. MORIN: ... parlé plus...
M. LEVESQUE: ... souligne le chef de l'Opposition...
M. MORIN: Oui.
M. LEVESQUE: Nous avons fait des démarches et nous continuons de
les faire. Nous avons réussi partiellement cela va commencer
à porter des fruits justement dans le domaine du GATT,
d'être présents avant les négociations et même
d'être présents jusqu'à un certain point, parce que nous
allons, encore là, procéder par étapes, à
Genève, lors des discussions du GATT; c'est un excellent exemple qu'a
souligné, peut-être sans le vouloir, le chef de l'Opposition.
M. CHARRON: Qu'est-ce qu'on a demandé? Et qu'est-ce qu'on a
obtenu en ce qui concerne le GATT?
M. LEVESQUE: Nous avons demandé d'être consultés
avant la ronde des négociations. Nous avons voulu avoir l'occasion de
présenter notre point de vue et nous avons voulu avoir une
présence au moins comme observateurs...
M. CHARRON: Symbolique.
M. LEVESQUE: Non, pas symbolique, au moins comme observateurs et
possiblement comme participants, éventuellement, dans les discussions.
Mais jusqu'à maintenant, nous avons enregistré des
progrès, progrès qui justement soulignent que jusqu'à
récemment, nous n'étions pas présents.
M. CHARRON: Alors, y aura-t-il consultation? Avez-vous gagné
cela?
M. BOURASSA: J'ai rencontré les dirigeants du Marché
commun...
M. CHARRON: Non, non.
M. BOURASSA: M. Ortoli et...
M. MORIN: Non, non, excusez, mais...
M. CHARRON: On est à parler de quelque chose de
sérieux.
M. BOURASSA: C'est cela. Je sais que le député de
Saint-Jacques était peut-être occupé ailleurs à ce
moment...
M. CHARRON: Le ministre des institutions intergouvernementales...
M. BOURASSA: Les relations économiques...
M. CHARRON: ... du domaine québécois. Qu'est-ce que vous
avez obtenu de ces demandes?
M. LEVESQUE: Bien, voici.
M. BOURASSA: Ce n'est pas encore commencé, les
négociations.
M. LEVESQUE: Les négociations avec le gouvernement
fédéral sont déjà entamées, les contacts
sont établis, les mécanismes sont déjà en
préparation, mais nous n'avons pas encore la réponse finale qui
pourrait...
M. CHARRON: Ah!
M. LEVESQUE: ... satisfaire le député de
Saint-Jacques.
M. MORIN: Qu'est-ce que...
M. LEVESQUE: Mais il y a là une préoccupation chez nous,
il y a même déjà des réponses du gouvernement
fédéral et...
M. CHARRON: Vous avez dit...
M. LEVESQUE: ... d'ici peu, nous serons en mesure probablement de vous
en dire davantage.
M. CHARRON: C'est cela que vous appeliez des succès partiels tout
à l'heure, en parlant du GATT?
M. BOURASSA: Non, on en a donné des exemples.
M. CHARRON: Vous avez dit: On a déjà enregistré des
succès partiels.
M. LEVESQUE: C'est cela.
M. CHARRON: Des succès partiels, c'est quoi depuis le
début sur cette question?
M. LEVESQUE: Le gouvernement fédéral a déjà
décidé d'établir un comité pour s'occuper de cette
question.
M. MORIN: Non, c'est le parti.
M. BOURASSA: Je voudrais ajouter, si le député me le
permet, qu'on parle de Marché commun canadien. Dans le cas...
M. MORIN: On parle du GATT.
M. CHARRON: Je m'excuse, on parle du GATT.
M. BOURASSA: Oui, mais les négociations tarifaires, cela suppose
un Marché commun, n'est-ce pas, il me semble.
M. CHARRON: Mais n'empêche...
M. MORIN: Voyons donc!
M. CHARRON: Ce qui m'épate, c'est...
M. MORIN: Les négociations tarifaires, cela suppose un
Marché commun?
M. BOURASSA: Je veux dire que si, au Québec, on veut
négocier dans le cas des relations internationales, c'est parce qu'on
fait parti du marché commun canadien qu'on fait des
représentations au gouvernement fédéral.
M. MORIN: Oui, oui.
M. BOURASSA: Comme le Marché commun européen essaie
d'avoir un tarif extérieur commun.
M. MORIN: Oui.
M. BOURASSA: Une union douanière, une union commerciale.
M. CHARRON: Le Canada, lui, comme entité autonome, se rend aux
discussions du GATT. Ce qu'on veut savoir, ce dont on était en train de
discuter avant que vous n'interveniez...
M. BOURASSA: Comme la commission exécutive du Marché
commun a négocié avec l'Angleterre.
M. CHARRON: ... c'est que le gouvernement du Québec a
demandé que, désormais, avant de se rendre à ces
négociations périodiques que tiennent les pays membres de cet
accord appelé GATT, le Québec soit consulté, à ce
que nous a dit le ministre des Affaires intergouvernementales, qu'un
observateur puisse même être lié aux négociations
où le Canada est partie intégrante, parce que pays souverain.
Qu'est-ce qu'on a gagné comme succès partiel?
M. LEVESQUE: On a gagné ceci, c'est qu'il y a déjà
un comité fédéral-provincial d'institué. Nous avons
notre propre représentant accrédité au comité
fédéral-provincial.
M. CHARRON: C'est qui?
M. LEVESQUE: C'est M. De Coster, sous-ministre de l'Industrie et du
Commerce.
M. CHARRON: Et sur le point...
M. LEVESQUE: Présentement, on prépare ensemble, le
fédéral et les provinces, la position canadienne qui sera
transmise au GATT. C'est la première fois que cela arrive.
M. MORIN: Nous le savions. Maintenant, comment cela va-t-il se faire
lors...
M. CHARRON: Vous avez constaté qu'on vous pose une question?
M. LEVESQUE: Pardon?
M. MORIN: ... de la conférence, lors du prochain "round"? Cela va
se passer comment?
M. LEVESQUE: Pardon?
M. MORIN: Lors du prochain "round"...
M. LEVESQUE: Oui.
M. MORIN: Kennedy, ou Dillon, tout ce que vous voudrez, comment cela va
se passer? Est-ce que le Québec...
M. LEVESQUE: On vous le dira alors. On est rendu présentement
à préparer, comme je le mentionne, à l'intérieur
d'un comité fédéral-provincial, où nous avons notre
propre représentant, la position canadienne. Suite au prochain
numéro.
M. MORIN: Qu'est-ce que vous avez demandé exactement?
M. LEVESQUE: C'est justement cela qu'on est à étudier
présentement. La position du Québec est préparée
par les experts québécois.
M. MORIN: Oui.
M. LEVESQUE: II y a une foule de domaines. Je ne sais pas si le
député était au courant de la complexité de cette
ronde de négociations, mais...
M. MORIN: II peut l'être.
M. LEVESQUE: ... il ne pense pas que je vais faire ici ce soir un
résumé de toutes les positions canadiennes.
M. MORIN: Non, je ne m'attends pas à ce qu'on se mette à
revoir chaque produit, l'un après l'autre, mais j'aimerais
connaître la position que vous avez prise au sujet de la participation
à la conférence, au "round" lui-même. Vous nous l'avez
indiqué. Vous avez fait des représentations à Ottawa
là-dessus. Quelles étaient ces représentations
exactement?
M. LEVESQUE: Ces représentations ont eu comme effet la
création d'un comité fédéral-provincial pour
préparer ensemble...
M. MORIN: D'accord.
M. LEVESQUE: ... le fédéral et les provinces, la position
canadienne.
M. MORIN: Bien, mais pour la présence elle-même?
M. LEVESQUE: Quant à la présence physique d'un
représentant du Québec aux négociations même
à Genève, nous n'avons pas encore de réponse. Si j'en
avais, je vous le dirais.
M. MORIN: Oui, mais qu'est-ce que vous avez demandé? Vous avez
demandé qu'il y ait un représentant ou un observateur
québécois à Genève, c'est cela?
M. LEVESQUE: Oui.
M. MORIN: Un représentant ou un observateur? Lequel?
M. LEVESQUE: Pardon?
M. MORIN: Représentant ou observateur?
M. LEVESQUE: Pour être bien pratique encore...
M. MORIN: Oui.
M. LEVESQUE: ... il peut, il y a nécessairement des divergences
de vue entre les provinces.
M. MORIN: Oui, mais qu'est-ce que vous avez...
M. LEVESQUE: Dans un marché comme on...
M. MORIN: Qu'est-ce que vous souhaiteriez?
M. LEVESQUE: ... le mentionnait tout à l'heure, il faut bien
comprendre qu'on ne peut pas avoir exactement les mêmes vues sur tous les
produits, de l'Atlantique au Pacifique.
M. MORIN: Bien sûr.
M. BOURASSA: C'est la raison d'être du
fédéralisme.
M. LEVESQUE: Tout en désirant d'une façon réaliste
une participation, le poste d'observateur nous semble très
important.
M. MORIN: Vous n'avez pas demandé d'avoir un
représentant?
M. LEVESQUE: On peut le demander. Nous l'avons sans doute
mentionné, mais il faut bien comprendre et être bien
réaliste: chacune des provinces a ses propres priorités, ses
propres vues.
M. BOURASSA: Ce n'est pas nécessaire d'avoir une
conférence fédérale-provinciale à
Genève.
M. MORIN: Je comprends cela, que chaque province a ses propres vues,
mais on vous demande quelles sont celles du Québec et ce que vous avez
demandé exactement. Ce n'est pas clair ce que le ministre a dit. Il ne
nous a pas dit de manière définie si c'était un
représentant ou un observateur que le Québec avait
demandé.
Si on avait le rapport de votre ministère, on n'aurait
peut-être pas à poser toutes ces questions, mais comme on n'a pas
le bilan, on est obligé de... Est-ce que c'était un poste de
représentant ou d'observateur que vous avez demandé?
M. LEVESQUE: Soyons bien clairs. Premièrement...
M. MORIN: Oui, s'il vous plaît.
M. LEVESQUE: ... ce qui est important, c'est que, pour la
première fois dans l'histoire du Québec, nous avons réussi
à obtenir la création d'un comité
fédéral-provincial pour établir de concert, le
gouvernement fédéral et les provinces, la position
canadienne.
Nous croyons même, si on veut aller au bout de notre
pensée, que la présence d'un observateur serait peut-être
plus valable pour le Québec que quelqu'un qui fait partie de la
délégation, parce qu'évidemment, à
l'intérieur de la délégation, il n'aurait peut-être
pas les mêmes idées franches que l'observateur qui, s'il
était membre de la délégation, serait peut-être tenu
par certaines règles du jeu et certains secrets professionnels, etc.
M. MORIN : Oui, tandis que l'observateur ne sera pas au courant, de
toute façon, des tractations, sauf pour ce qui sera dit
publiquement.
M. LEVESQUE: Même, je vais aller plus loin: nous avons
déjà retenu les services d'un expert pour être
présent à Genève.
M. MORIN : Oui. Est-ce que vous êtes tout à fait sûr
que le Québec n'a pas été consulté lors du "Kennedy
Round"? Vous êtes tout à fait sûr de cela? Vous avez dit que
c'était la première fois.
M. LEVESQUE: C'est la première fois que c'est
institutionnalisé. Je me rappelle que, lorsque j'étais ministre
de l'Industrie et du Commerce, j'avais des rapports avec M. Sharp au temps
où il était ministre de l'Industrie et du Commerce à
Ottawa. Je ne peux pas dire qu'on ne s'était pas parlé, mais je
dis que c'est la première fois que d'une façon
systématique et institutionnelle il y a un comité
fédéral-provincial qui s'occupe de préparer la position
canadienne.
M. MORIN: Donc, la position exacte est celle-ci, à l'heure
actuelle: Le Québec aura un observateur, mais c'est le pouvoir
fédéral qui négociera; c'est cela?
M. LEVESQUE: C'est normal.
M. BOURASSA: C'est la constitution.
M. MORIN: C'est juste pour établir que ce soit bien clair.
M. BOURASSA: Comme la Commission executive du marché commun
négocie avec l'Angleterre.
M. LEVESQUE: Ce qui est important, c'est de pouvoir être
présent lorsque la position canadienne se définit.
M. MORIN: Parce que ce n'est pas important d'être présent
quand il se fait du donnant donnant pendant la négociation
elle-même?
M. LEVESQUE: C'est justement là qu'est l'importance de
l'observateur.
M. MORIN: Mais l'observateur n'a pas accès au dossier.
M. LEVESQUE: II a eu accès au dossier. M. MORIN: II ne fait
qu'observer.
M. LEVESQUE: Le Québec a accès au dossier
présentement.
M. MORIN: L'observateur ne pourra pas être mêlé
à la négociation. Il va simplement observer et vous dire : II se
passe telle chose.
M. LEVESQUE: Cela dépend comment vous définissez le mot
"mêlé". Si c'est mêlé comme vous l'êtes
là...
M. MORIN: Cela dépend comment on définit "observateur"
aussi. Votre observateur, quel va être son rôle exactement? Il va
observer.
M. LEVESQUE: Tout dépendra évidemment de la
personnalité de l'homme en question, de l'expert que nous avons retenu.
Nous avons bien confiance qu'il aura une influence.
M. MORIN: Si, par hasard, le pouvoir fédéral, une fois de
plus, ne représente pas bien les intérêts du Québec
et sacrifie certains intérêts québécois, comme cela
s'est vu dans le passé, aux intérêts d'autres parties du
grand Canada, quelle est votre attitude, que pouvez-vous faire à ce
moment-là? On vous parle de pouvoir, on vous parle de
développement...
M. LEVESQUE: II faudrait bien être concret et pratique
là-dedans. Si vous pensez que le gouvernement fédéral, qui
a à faire certains arbitrages, à un moment donné, va
complètement donner raison à 100 p.c. à la position
québécoise, je ne pense pas qu'il remplirait son rôle.
Le gouvernement fédéral doit assurer un certain
équilibre entre les diverses régions du pays et permettre
à chacune des régions de pouvoir arriver à sa vocation. Je
ne vois pas qu'on puisse arriver à demander au gouvernement
fédéral de ne tenir compte que de la position
québécoise, mais c'est au Québec de prendre les mesures
nécessaires pour que, dans ce marché commun, nous ayons la part
qui nous revient. C'est cela qui est tout à fait normal dans un
régime fédéral.
Je crois qu'en ayant créé un comité
fédéral-provincial pour établir la position canadienne, on
ne pourra pas les ignorer, même si on les a ignorés et je
ne porterai pas un jugement de valeur comme le chef de l'Opposition
là-dessus ou si on n'a pas suffisamment tenu compte des
aspirations et des besoins québécois dans le passé. On
s'assure que cette présence institutionnelle à Ottawa, dans la
préparation de la position canadienne, va sûrement influencer
positivement cette position canadienne en faveur du Québec.
M. MORIN: Nous pourrons reparler de cela lorsque les résultats
seront devant nous. Je ne voudrais pas me montrer trop pessimiste, mais j'ai
l'impression qu'un système d'observateurs n'est pas de nature à
défendre véritablement les intérêts du
Québec.
J'aurais en tout cas demandé plus que cela, une participation,
à l'intérieur du fédéralisme toujours, aux
négociations elles-mêmes et pas seulement à la
préparation. Enfin, on verra.
M. LEVESQUE: Vous voudriez que chacune des provinces soit là, les
dix représentants, et que chacun...
M. BOURASSA: Qu'elles se querellent entre elles, en
négociant.
M. LEVESQUE: La tour de Babel.
M. CHARRON: Non, on ne va pas demander
cela à l'Ile-du-Prince-Edouard. Si vous nous réduisez
à ce rang, aussi bien dire tout de suite qu'on ne parle pas de la
même chose.
M. BOURASSA: Ce n'est pas le principe des dix provinces, c'est d'avoir
des régions qui ont des intérêts divergents, qui
négocient en face d'interlocuteurs qui, eux, n'en ont pas. Ce n'est pas
réaliste, ce que...
M. MORIN: Vous songez à cinq grandes régions, par
exemple.
M. BOURASSA: II y a moyen d'agir aussi efficacement sans avoir
l'approche théorique du chef de l'Opposition.
M. MORIN: Non, ce n'est pas une approche théorique, c'est tout
simplement...
M. LEVESQUE: D'ailleurs, le chef de l'Opposition me permettra de dire
que ce n'est pas à Genève même que se prendront les
décisions. Ces gens qui sont là vont faire rapport à
Ottawa; c'est là que nous serons avec notre comité et c'est
là que les décisions vont se prendre, quant à nous, quant
au Canada.
M. MORIN: Bien sur! Ce sera bien tard une fois que la conférence
aura abouti à des compromis et à des résultats. Là
encore, je ne veux pas me montrer trop pessimiste, mais il sera bien tard pour
le Québec d'intervenir à ce moment-là.
M. LEVESQUE: Est-ce qu'on peut songer à une ronde de
négociations à Genève sans qu'il y ait des compromis de
part et d'autre? Pourquoi se réunir? Voyons donc !
M. MORIN: Oui, mais ce que je vous dis, c'est que, comme dans le
passé, le système sur lequel vous vous êtes entendus...
M. BOURASSA: Une approche professorale.
M. MORIN: ... va encore permettre au fédéral de sacrifier
les intérêts du Québec dans des domaines où vous
aurez à le regretter.
M. LEVESQUE: II me semble que le chef de l'Opposition devrait être
le premier à nous féliciter de l'action positive que nous avons
prise pour la première fois dans l'histoire du Québec.
M. BOURASSA: Jamais de félicitations.
M. LEVESQUE: II devrait dire: Voici un geste qui est posé...
M. MORIN: J'ai félicité le premier ministre de son voyage
en Europe il n'y a pas si longtemps.
M. LEVESQUE: Voici un geste positif qui est posé.
M. BOURASSA: A l'Assemblée nationale? Je remercie le chef de
l'Opposition. Il n'a pas fait cela à l'Assemblée nationale.
M. MORIN: Je n'étais pas à l'Assemblée nationale,
mais je l'ai félicité publiquement.
M. BOURASSA: D'ailleurs, on l'a fait ensemble.
M. MORIN: M. le Président, dans le domaine des est-ce que
vous avez une question? Institutions financières, le bilan
souligne le danger d'une intervention fédérale accrue et demande
au gouvernement une attitude ferme. Si vous me le permettez, cette
fois-là, je vais citer un texte qui est entre guillemets, donc qui est
tiré, présumément, à moins que vous n'accusiez le
Soleil de mauvaise foi, de votre bilan.
M. LEVESQUE: Non, M. le Président. Je demande
immédiatement une rectification. Lorsqu'il y a eu cette fuite du Soleil,
c'était sur un manuscrit qui n'était pas le bilan mais
préparatoire au bilan.
M. MORIN: Oui, c'était tout simplement le brouillon du bilan. Je
le veux bien. C'est quand même un document officiel. "Alors même
que le gouvernement...
M. LEVESQUE: Ce n'était pas un document officiel.
M. MORIN: Interne, à ce moment-là, c'est tout de
même un document authentique du gouvernement.
M. BOURASSA: Est-ce vous autres qui organisez ces fuites?
M. MORIN: M. le Président...
M. BOURASSA: Vous vous organisez avec eux et vous faites écrire
des choses pour pouvoir nous mettre cela... C'est cela que vous faites?
M. MORIN: Comment? De quoi accusez-vous la presse?
M. BOURASSA: Ce n'est pas la presse que j'accuse, mais le Parti
québécois, peut-être, d'avoir des complices à
l'intérieur du gouvernement et de faire écrire des choses pour
ensuite s'en servir contre nous.
M. MORIN: En l'absence de publication du bilan que vous deviez publier,
nous sommes obligés comme je l'ai dit à l'instant, avant que vous
arriviez, M. le premier ministre, de nous
rabattre sur cette source secondaire, mais qui nous paraît
néanmoins authentique.
M. BOURASSA: Mais mon hypothèse de la complicité...
M. MORIN: Et comme vous ne voulez pas mettre de documents entre les
mains de l'Opposition ou des Québécois, on ne va pas se
gêner pour invoquer ce document qui a été publié
dans les journaux.
M. BOURASSA: Pourquoi vous ne l'avez pas fait dans la campagne
électorale? C'était sorti à ce moment.
M. MORIN: Oui, on l'a utilisé. Je l'ai utilisé. Je l'ai
utilisé même à plusieurs reprises.
M. BOURASSA: Les 102 autres candidats ne l'ont pas utilisé?
M. MORIN: Quatre dossiers sur 24 ou cinq dossiers sur 24 sont positifs.
Les autres sont tous négatifs.
UNE VOIX: Vous auriez dû vous en servir pour préparer votre
bilan !
M. MORIN: Je cite, avec votre permission, M. le Président, je
cite le document, "Alors même que le gouvernement du Québec est
à se structurer et à se donner une politique cohérente en
matière d'institutions financières, nous savons
déjà que le gouvernement fédéral entend exercer une
influence prépondérante sur l'ensemble du secteur." C'est une
citation du document. Et plus loin, toujours une autre citation: "Le bilan des
relations fédérales-provinciales sur les questions de
frontières, notamment, est carrément négatif. Le
Québec n'a marqué aucun point. Dans certains cas, il a même
perdu du terrain". Je suis sur une autre question. Revenons sur les...
M. BOURASSA: C'est M. Bernard...
M. MORIN: ... institutions carrément financières.
M. BOURASSA: C'est M. Bernard qui a écrit cela quand il
était fonctionnaire? Non?
M. MORIN: Je ne sais pas où le premier ministre veut en venir,
mais c'est le document rédigé par le sous-ministre, à
moins qu'il ne le nie.
M. BOURASSA: Ce n'est pas signé par le sous-ministre.
M. MORIN: Par le sous-ministre actuel.
M. BOURASSA: Cela m'étonnerait.
M. MORIN: C'est le bilan que vous lui aviez demandé, à
moins qu'il ne nous dise que c'est autre chose. On aimerait bien le savoir.
M. LEVESQUE: Je l'ai dit tout à l'heure. Il s'agit de certain
matériau de base, recueilli dans divers ministères sectoriels, et
qui faisait ce que le député a qualifié de brouillon tout
à l'heure, et c'est une fuite du brouillon.
M. CHARRON: Vous voulez dire que le matériau de base auquel se
réfère le chef de l'Opposition actuellement a été
annulé par un autre matériau de base, à un moment
donné, ce qui fait que, dans le bilan, ce serait une affirmation
contraire à celle-là qui avait finalement paru. Alors ce
matériau de base...
M. LEVESQUE: Non, je n'ai pas dit cela, je n'ai pas dit cela ni le
contraire. J'ai dit que ce n'est pas un document qui peut faire l'objet de
citations comme le fait présentement le chef de l'Opposition, parce
qu'il ne s'agit pas, dans tout cet article du Soleil, d'une fuite qui part du
bilan lui-même, mais d'un manuscrit antérieur.
M. CHARRON: Est-ce que cette affirmation que vient de lire le chef de
l'Opposition figure dans le bilan secret que vous connaissez?
M, LEVESQUE: Je ne suis pas à même de répondre.
Premièrement, j'étais distrait lorsqu'il le citait, et
deuxièmement, je n'ai pas fait...
M. CHARRON: Vous pouvez laisser répondre...
M. LEVESQUE: Je n'ai pas ici le bilan pour en faire une
comparaison...
M. CHARRON: Vous pouvez laisser répondre vos fonctionnaires si
vous voulez. On a eu toute cette lattitude à toutes les autres
commissions. Est-ce que les fonctionnaires qui auraient approché de
quelque façon cet aspect du bilan peuvent nous dire si cette phrase est
effectivement dans le bilan?
M. LEVESQUE: Si je ne dépose pas le bilan, je n'ai pas envie d'en
déposer des pièces détachées.
M. CHARRON: C'est parce que les pièces qu'on vous apporte nous
donnent une idée assez vague de ce que peut contenir le bilan.
M. LEVESQUE: Si, cependant, à partir de cette citation, valable
ou non, on veut poser une question, j'essaierai de répondre.
M. MORIN: Bon, alors, c'est ce que je vais faire.
M. BOURASSA: C'est la méthode que je n'aime pas, si je peux me
permettre. Quand même, avec son expérience antérieure,
c'est d'utiliser comme cela des documents signés par des
fonctionnaires, comme méthode de combattre le gouvernement, de
critiquer le gouvernement.
M. MORIN: Allons donc!
M. BOURASSA: Je trouve que c'est...
M. MORIN: Rendez public le rapport que vous avez devant vous et on en
reparlera.
M. BOURASSA: Je ne crois pas que ce soit faire preuve d'un excès
d'honnêteté intellectuelle. Cela crée des
précédents, et cela peut nuire à l'administration publique
elle-même. Les fonctionnaires ne sauront jamais à l'avenir, ceux
qui doivent pouvoir travailler librement, si le fait d'écrire un
mémo à leur sous-ministre ou à leur ministre ne sera pas
rendu public et ne compliquera pas la tâche du gouvernement, parce qu'il
y a une liberté d'expression qui est essentielle au fonctionnairisme.
L'attitude que vous prenez ce soir se trouve à nuire à cette
liberté d'expression fondamentale des fonctionnaires et des cadres
supérieurs.
M. MORIN: Et votre façon de procéder nuit à autre
chose. La connaissance que les Québécois...
M. BOURASSA: Je ne parle pas de politique, M. le Président. Je
parle de l'administration moderne qu'on veut donner au Québec...
M. MORIN: Oui, je parle...
M. BOURASSA: ... et je crois que le chef de l'Opposition, qui est un
homme responsable je le lui ai dit à plusieurs reprises
nuit à cette administration en ce n'est pas la première
fois que cela se fait utilisant constamment des documents des
fonctionnaires, ou des fuites... Sur 50,000 fonctionnaires, il peut y en avoir
quelques-uns qui n'ont pas une loyauté absolue. Dans l'immense
majorité, on est très satisfait de leur travail. Il peut y en
avoir quelques-uns qui ne soient pas comme l'immense majorité. Je ne
voudrais pas que le chef... C'est sur la méthode... Je ne voudrais pas
que le chef de l'Opposition utilise cette déloyauté de quelques
fonctionnaires pour nuire à l'administration elle-même.
M. MORIN: En fait d'honnêteté...
M. BOURASSA: Je pense que c'est un des points importants.
M. MORIN: ... M. le ministre, je suis obligé de vous retourner la
question.
Après avoir donné mandat public au sous-ministre de
rédiger un rapport, de rédiger un bilan, après avoir
laissé entendre qu'il serait publié, pourquoi ne le publiez-vous
pas?
M. BOURASSA: M. le Président...
M. MORIN: Pourquoi réduisez-vous l'Opposition et les
Québécois à se contenter de bribes publiées dans
les journaux?
M. BOURASSA: Durant des heures et des heures, vous pouvez poser... Vous
l'avez fait tantôt sur la question des tarifs. Vous l'avez fait l'autre
fois à l'Assemblée nationale dans le cas de l'industrie du
meuble. Vous avez toute la liberté de poser toutes les questions.
M. MORIN: Merci!
M. BOURASSA: Vous avez des spécialistes qui ont
déjà travaillé à l'intérieur, donc qui
connaissent un peu les problèmes et les questions en cause. Vous n'avez
pas besoin de vous servir de documents internes comme ceux-là qui
étaient des documents internes, et qui avaient pour but d'être des
documents de travail et non pas des documents... Je n'ai pas demandé de
faire une commission royale d'enquête. J'ai demandé de
préparer un document interne pour l'usage du conseil des ministres.
M. MORIN: Merci de la liberté que vous me donnez, M. le premier
ministre, de poser des questions.
M. BOURASSA: Je ne vous la donne pas, vous l'avez!
M. MORIN: Si je puis en poser une sur la base des documents qui sont
entre vos mains, et en l'absence du document que vous deviez rendre
public...
M. BOURASSA: Ils sont apocryphes.
M. MORIN: ... je demande la question suivante au ministre: Est-ce que le
Québec s'oppose à l'institution d'une commission
fédérale des valeurs mobilières? Est-ce qu'il continue de
s'y opposer?
M. BOURASSA: Je ne sais pas. On essaie d'appliquer le rapport Parizeau
qui a été rendu public, je pense, en 1967 ou en 1968. Je pense
que c'est cela. Je ne sais pas si le chef de l'Opposition est maintenant
opposé au rapport Parizeau?
M. MORIN: Est-ce que le premier ministre est en train de nous dire qu'il
y avait quelque chose dans le rapport Parizeau qui portait sur la commission
fédérale des valeurs mobilières? C'est cela que vous
voulez dire?
M. BOURASSA: Non, je dis que dans le domaine...
M. MORIN: Non, ce n'est pas cela, parce que cela n'avait rien à
voir avec cela. Vous êtes en train de mêler les cartes, et de nous
apporter ici votre confiture habituelle.
M. BOURASSA: Elle est excellente d'habitude. Vous parlez des
institutions... Le député a déjà dit qu'il aimait
les tartes aux fraises. Je dis que le chef de l'Opposition a mentionné
tantôt qu'il abordait la question des institutions financières. H
aura l'occasion, dans les semaines qui viennent, d'étudier la loi sur
les assurances. Evidemment, il va être pris avec le bill 22 et les
contradictions du député de Saint-Jacques qui parle d'un plafond
de 20 p.c, de 15.6 p.c. au mois de mars, de 13.1 p.c. en fin de semaine...
M. MORIN: C'est de la confiture.
M. BOURASSA: Non. Nous essayons, dans le domaine des institutions
financières, d'appliquer le rapport Parizeau.
M. MORIN: Maintenant, je repose ma question au ministre, parce que lui
va peut-être me donner une réponse. Est-ce que le Québec
s'oppose à l'institution d'une commission fédérale des
valeurs mobilières?
M. BOURASSA: Pour l'instant, disons que c'est une question de
stratégie. Il peut y avoir une négociation constitutionnelle
éventuelle où le Québec pourra réclamer certains
pouvoirs et sera peut-être prêt à en remettre quelques-uns
pour les fins de coordination économique normale. Pour l'instant, la
position du Québec c'est qu'on s'oppose à cela, mais cela ne veut
pas dire qu'éventuellement, dans un nouveau partage des pouvoirs, le
Québec ne pourra pas considérer la proposition du chef de
l'Opposition.
M. MORIN: C'est cela. Pour l'instant, vous vous y opposez, mais vous
pourriez être amené â céder.
M. BOURASSA: II n'est pas question de céder.
M. MORIN: Ce n'est pas cela...
M. BOURASSA: Je ne sais pas comment le chef de l'Opposition envisagerait
la négociation avec le reste du Canada, mais je pense qu'il y a des
secteurs où, à cause de l'évolution économique
qu'on connaît depuis quelques années, il pourrait y avoir un
nouveau partage des pouvoirs sans que, disons, le Québec en soit
aucunement affecté. Cela pourrait même lui être avantageux.
Mais je pense que là où cela pourrait se faire, il n'est pas
nécessaire pour le Québec d'agir immédiatement, parce
qu'il peut y avoir d'autres secteurs auxquels le Québec tient et il
pourrait, dans une négociation fédérale-provinciale,
considérer certaines propositions comme celle que vient de faire le chef
de l'Opposition. Mais pour l'instant, le dossier est inactif, parce que nous ne
sommes pas à discuter de la réforme constitutionnelle.
M. MORIN: Pourtant, avec le déclin mont- réalais dans le
secteur financier, est-ce que le premier ministre n'estime pas que ce serait
là l'un des points sur lesquels le Québec devrait tenir
coûte que coûte?
M. BOURASSA: Le déclin montréalais. Je veux dire que cela
ne date pas de quelques années, c'est une question de structures
industrielles, de proximité des marchés...
M. CHARRON: C'est une question de meneur de jeu.
M. BOURASSA: Non, pas du tout, ce n'est pas du tout en cause. C'est une
question entre l'Ontario et le Québec et non pas entre Ottawa et le
Québec. Alors, je ne pense pas que le chef de l'Opposition... Je pense
qu'il mélange les deux questions.
M. MORIN: Oui, oui.
M. BOURASSA: Je pense qu'il n'a pas encore tout à fait
compris.
M. MORIN: En attendant, n'y a-t-il pas eu de discussions sur ce point
récemment?
M. BOURASSA: Pas récemment. La question est exacte.
M. MORIN: Est-ce que je pourrais demander maintenant au ministre comment
le Québec voit l'avant-projet de loi fédéral sur les fonds
mutuels? Est-ce qu'il y a eu des représentations à Ottawa
là-dessus?
M. LEVESQUE: Les fonds mutuels? M. MORIN: Oui.
M. LEVESQUE: Pas à ma connaissance. M. MORIN: Aucune
représentation?
M. LEVESQUE: Sous réserve de ce que mon collègue, le
ministre des Institutions financières, aurait pu faire à ce
sujet...
M. BOURASSA: On passe à travers tous les ministères.
M. LEVESQUE: Oui, c'est ce qui arrive.
M. MORIN: Non, on passe à travers le bilan des rapports
fédéraux-provinciaux. Le ministre va chercher cela dans son bilan
et il va nous le dire.
M. BOURASSA: Avez-vous une autre question en attendant?
M. MORIN: Non, on veut épuiser celle-là d'abord.
M. CHARRON: Je peux vous en poser une sur le bill 22 en attendant.
M. MORIN: Non, s'il vous plaît, pas de cette confiture.
M. BOURASSA: Je ne comprends pas le député de
Saint-Jacques qui accusait pendant qu'on cherche la réponse, le ministre
de l'Education de se contredire cet après-midi, alors que
lui-même, en fin de semaine, parlait de 13.1 p.c. comme plafond
après avoir parlé, dans son interview au Devoir, de 15.6 p.c, et
après que son chef eut parlé de 20 p.c, le 19 février,
dans le Journal de Montréal. Quel est votre plafond? Pourquoi
baissez-vous comme cela de mois en mois? On va se retrouver à 5 p.c.
dans quelques mois, à l'occasion du débat en deuxième
lecture?
M. CHARRON: C'est comme la politique linguistique du Québec, cela
est parti de 85 p.c, 63 p.c, 28 p.c, 22 p.c... On s'en va vers...
M. BOURASSA: Je me demande si je me trompe en disant que le
député de Saint-Jacques s'est contredit en fin de semaine, en
parlant de 13.1 p.c, alors qu'il a parlé de 15.6 p.c. dans une
interview?
M. CHARRON: J'aurai l'occasion de vous répondre.
M. MORIN: M. le ministre, dépêchez-vous de trouver la
réponse parce qu'on va s'enfoncer...
M. CHARRON: Je vous ai répondu en fin de semaine. Si c'est votre
unique argument...
M. BOURASSA: Non, c'est vous qui êtes le trafiquant de chiffres
quand on voit les changements que vous faites dans ces chiffres-là.
M. MORIN: M. le ministre, avez-vous la réponse?
M. BOURASSA: Je vois que le député ne m'a pas
répondu.
M. CHARRON: Est-ce que le test d'aptitude...
M. BOURASSA: Non, ce n'est pas là-dessus que je parle. Je parle
du plafond dont vous parlez où des francophones pourront se glisser
alors que d'autres ne le pourront pas, deux catégories de francophones
avec le système du Parti québécois.
M. CHARRON: Actuellement, c'est 15.6 p.c. et on l'abaisse
progressivement...
M. BOURASSA: Mais vous avez dit 13.1 p.c?
M. CHARRON: ... à 13.1 p.c, c'est la taille de la minorité
anglophone.
M. BOURASSA: Non, vous avez dit 13.1 p.c. en fin de semaine, alors que
vous parliez...
M. CHARRON: C'est actuellement cela. M. BOURASSA: On y reviendra.
M. MORIN: Cela n'a pas grand-chose à voir avec les fonds
mutuels.
M. BOURASSA: Non, mais c'est...
M. LEVESQUE: Pour répondre au chef de l'Opposition, il est
possible que le ministre des Institutions financières ait fait certaines
représentations, mais nous n'avons pas au bilan cette information.
Cependant, on peut vérifier. Mes officiers vont vérifier.
M. MORIN: Vous n'êtes pas tenu au courant de ce qui se trame entre
Québec et Ottawa?
M. LEVESQUE: Un instant. Comme je l'ai mentionné tout à
l'heure, nous avions environ 400 dossiers...
M. MORIN: Oui.
M. CHARRON: C'est censé être un bilan dynamique.
M. LEVESQUE: ... des matériaux de base, mais nous avons retenu,
pour les fins du bilan, entre 150 et 200 dossiers.
M. MORIN: Si je comprends bien, le projet fédéral portant
sur les fonds mutuels et qui porte sur un domaine où le Québec a
toujours été très jaloux de sa compétence, n'a pas
été examiné par votre ministère?
M. LEVESQUE: Je vous le dirai demain.
M. MORIN: Bon, je compte bien là-dessus.
Est-ce que vous pouvez nous dire, en même temps, demain, s'il y a
eu des contacts entre les...
M. LEVESQUE: On m'informe, je ne sais pas si l'information est juste,
mais ce projet fédéral n'a pas été plus loin qu'au
feuilleton et qu'il est mort.
M. BOURASSA: Bon, c'est une question inutile.
M. MORIN: Oui, il est mort avec le récent Parlement, mais il va
sûrement revenir sous une forme ou sous une autre.
M. LEVESQUE: Vous reviendrez vous aussi.
M. BOURASSA: Cela dépend de l'application...
M. MORIN: Est-ce que l'on peut compter quand même sur une
réponse là-dessus, demain? Oui, demain?
M. LEVESQUE: Oui.
M. MORIN: Bien. Le Québec et cela va peut-être
intéresser le premier ministre avait fait des recommandations,
des représentations au gouvernement fédéral au sujet du
tamisage des investissements étrangers. Ces représentations ont
été ignorées.
M. LEVESQUE: Non, cela n'a pas été ignoré.
M. MORIN: Que compte-t-on faire maintenant à ce sujet?
M. BOURASSA: Je ne crois pas, c'est faux de dire cela. Le chef de
l'Opposition le dit d'une façon catégorique.
M. CHARRON: Vous perdez votre équilibre tout de suite sur cette
question. Continuez.
M. BOURASSA: Non, je veux dire que le chef de l'Opposition dit que c'est
représentations ont été ignorées.
M. MORIN : C'est ce que le ministre Tetley a dit en Chambre.
M. BOURASSA: On connaît la position. Oui, mais vous faites dire un
tas de choses au ministre depuis le début de la séance, quand
même, en sortant cela du contexte.
M. MORIN: C'est ce qu'il a dit.
M. BOURASSA: On connaît la position du gouvernement sur les
investissements étrangers, je l'ai dit à plusieurs reprises, on a
besoin d'investissements étrangers si on ne veut pas que la jeunesse,
dont parlait le député de Saint-Jacques, tantôt, à
l'Assemblée nationale, soit forcé de quitter le Québec. Il
parlait de la jeunesse des années soixante mais il devrait
vérifier ce qui est arrivé à une partie de cette jeunesse
qui ne pouvait pas trouver de débouchés au Québec. C'est
pourquoi nous avons besoin d'investissements étrangers...
M. CHARRON: Dans le régime fédéral.
M. BOURASSA: Vous croyez que, dans le régime d'un Québec
séparé, les jeunes pourraient trouver des
débouchés?
M. CHARRON: Certainement.
M. BOURASSA: M. le Président, c'est in- croyable de faire une
affirmation comme celle-là.
M. MORIN: Reprenons la chose à zéro. Quelles
étaient exactement les représentations que vous avez faites au
pouvoir fédéral?
M. BOURASSA: Ou c'est de la naiveté ou c'est de l'inconscience
absolue.
M. MORIN: M. le premier ministre? M. BOURASSA: Oui.
M. MORIN : Quelles sont les représentations que vous aviez faites
au pouvoir fédéral au sujet du tamisage, du contrôle, comme
on le dit quelquefois, des investissements étrangers?
M. BOURASSA: II va y avoir une consultation. D'abord, si le chef de
l'Opposition est bien informé, il y a des critères dans la loi,
ou s'ils ne sont pas strictement dans la loi, qui peuvent être
appliqués et qui tiennent compte des disparités
régionales. Ils ne sont peut-être plus inscrits dans la loi, mais
c'est évident que les disparités régionales vont jouer un
rôle dans le critère des investissements étrangers,
c'est-à-dire des économies où le taux de chômage est
plus élevé à cause de la croissance de la main-d'oeuvre et
à cause de la croissance de la main-d'oeuvre féminine. Il y a eu
une augmentation très importante de la main-d'oeuvre féminine, au
Québec, depuis quelques années.
M. MORIN: Vous faites tout un baratin. Je vous écoute aller.
Répondez donc à nos questions, ce serait plus simple. Je vous ai
demandé quelles sont...
M. BOURASSA: Le chef de l'Opposition ne veut pas entendre la
vérité, chaque fois que l'on arrive avec des arguments
convaincants, persuasifs.
M. MORIN: J'attends la vérité toute nue de votre part.
M. BOURASSA: II voit des déficits, il voit des défaites,
des échecs. Je ne comprends pas. Evidemment, c'est sa
responsabilité d'essayer de nous faire obtenir le maximum du
régime fédéral. Je ne le blâme donc pas
là-dessus. Evidemment, il doit se dire: Cela va augmenter le pouvoir de
négociation, si je critique; c'est pour cela qu'il a le droit de poser
des questions.
M. MORIN: M. le premier ministre, je ne sais pas si je devrais vous
poser les questions. Je vais plutôt m'en tenir au ministre,
voulez-vous?
M. BOURASSA: Non...
M. MORIN: M. le ministre, on avait demandé là-dessus ou
vous aviez demandé là-dessus un
comité fédéral-provincial d'étude sur la
question du tamisage des investissements étrangers. Quelle a
été la réponse d'Ottawa?
M. LEVESQUE: La réponse d'Ottawa est que l'on a inscrit dans la
loi un processus de consultation avec les provinces, comme l'a mentionné
le premier ministre il y a quelques instants.
M. MORIN: Est-ce que c'est un comité conjoint?
M. BOURASSA: II parle de comité, c'est comme si c'était
tout ce qu'il a appris.
M. MORIN: C'est ce que vous aviez demandé, je veux dire.
M. CHARRON : Qu'est-ce que vous en faites des comités? On
pourrait peut-être vous le demander. Est-ce que vous en avez fait un
autre?
M. BOURASSA: Une commission ou un comité...
M. MORIN: Vous riez? Dois-je comprendre que vous riez de vos propres
propositions?
M. BOURASSA: Non, je ne ris pas. Tout ce dont le chef de l'Opposition me
parle depuis le début, c'est de la création de
comités.
M. MORIN: C'est vous qui en avez parlé. On vous demande ce qui
est arrivé à la suite...
M. BOURASSA: Vous passez le temps de la commission sur cette
affaire.
M. MORIN: ... de cette proposition-là?
M. LEVESQUE: II reste justement à définir les
modalités, mais le principe est inscrit dans la loi.
M. MORIN: D'une consultation ad hoc ou d'une consultation par un
comité permanent?
M. LEVESQUE: C'est justement ce que je dis, c'est que les
modalités restent à définir, mais ce qui est acquis, c'est
que la loi fédérale comporte le processus de consultation.
M. BOURASSA: Autre échec.
M. MORIN : Etes-vous satisfait de la réponse du pouvoir
fédéral?
M. LEVESQUE: Ce qui est important là-dedans, c'est que le
gouvernement central ne prendra pas de décision sur un investissement
étranger sans consulter la province impliquée.
M. MORIN: Bon. Autre question, toujours dans ce bilan? Est-ce que le
gouvernement estime que l'on devrait rapatrier à Québec tout le
secteur des assurances?
M. BOURASSA: Vous verrez la Loi des assurances.
M. MORIN: Non, ce n'est pas tout à fait la même chose.
Est-ce que vous voulez affirmer la compétence exclusive
québécoise dans le domaine des assurances? C'est la question que
je vous pose.
M. BOURASSA: Rapatrier quoi et pourquoi?
M. LEVESQUE: Qu'est-ce que vous voulez rapatrier?
M. MORIN: La compétence en matière d'assurances.
M. LEVESQUE: Nous avons sûrement une compétence en
matière d'assurances.
M. MORIN: Oui, mais figurez-vous qu'Ottawa en a une aussi.
M. LEVESQUE: Mes conseillers me disent que c'est une compétence
exclusive et j'ai autant confiance dans mes juristes que dans l'excellent
juriste que j'ai en face.
M. MORIN: II y a tout de même une loi fédérale des
assurances, M. le ministre, et il y a un département
fédéral des assurances, à moins que je ne m'abuse. Il
n'exerce jamais ses compétences au Québec? Jamais?
M. LEVESQUE: Nous avons notre propre loi des assurances.
M. MORIN: Bien sûr, mais ce que je vous demande c'est si la loi
fédérale ne s'applique pas au Québec.
M. BOURASSA: Dans certaines autres provinces, il n'y a pas de
surintendant des assurances, alors c'est une loi qui peut être
supplétive.
M. MORIN: Bien sûr, mais je me réfère à des
revendications québécoises au terme desquelles nous avons
réclamé, dans le passé, l'exclusivité, la
compétence exclusive dans le domaine des assurances. J'aimerais savoir
où c'en est.
M. BOURASSA: Comme M. Johnson qui réclamait 100, 100, 100. Vous
vous souvenez des trois cents de M. Johnson?
M. MORIN: Encore la confiture.
M. BOURASSA: Ce n'est pas cela.
M. MORIN : Nous parlons du domaine des
assurances, non du domaine des impôts, M. le premier ministre.
D'accord?
M. BOURASSA: Non, je veux dire qu'il ne faut quand même pas tout
confondre, comme le fait le chef de l'Opposition.
M. LEVESQUE: Que le chef de l'Opposition consulte la Loi des assurances
et qu'il se prépare à en discuter en commission parlementaire et
il verra que le Québec a une compétence exclusive. Je ne crois
pas qu'on ait à...
M. MORIN: Le ministre affirme donc que la loi fédérale sur
les assurances ne s'applique pas au Québec?
M. LEVESQUE: Le premier ministre a donné une réponse, il
me semble, très juste là-dessus.
M. MORIN: Non, justement, ne vous cachez pas derrière cette
réponse. Cela n'en était pas une.
M. BOURASSA: Pas pour vous, mais pour mon ministre cela en était
une.
M. MORIN: Oui, je comprends.
M. LEVESQUE: II faut bien comprendre que la juridiction dont je parle,
au point de vue exclusif...
M. CHARRON: Vous avez l'air d'un "pickpocket".
M. LEVESQUE: ... et sur les contrats d'assurance eux-mêmes qui
sont de juridiction exclusive des provinces et du Québec, en
particulier.
M. MORIN: Oui.
M. LEVESQUE: II s'agit cependant, dans le cas de la loi
fédérale, des sociétés à charte
fédérale.
M. MORIN: Oui, c'est cela. On vous demande maintenant si, à votre
avis, le Québec devrait avoir la compétence exclusive en
matière d'assurances, c'est-à-dire sur toutes les
sociétés qui font de l'assurance au Québec, sur l'ensemble
du domaine des assurances.
M. LEVESQUE: Nous avons la juridiction du surintendant des assurances,
autrement dit sur le droit de regard du surintendant. Ce droit de regard
s'étend à toutes les compagnies d'assurance qui font affaires au
Québec.
M. MORIN: Ce n'est pas exact.
M. LEVESQUE: Non?
M. MORIN: Je pense que non.
M. LEVESQUE: Si ce n'est pas exact, en quoi ce ne l'est pas?
M. MORIN: Est-ce que vous pourriez consulter votre conseiller juridique?
Je pense qu'il cherche à attirer votre attention.
M. LEVESQUE: Voici ce que mon conseiller juridique me dit: Le rapport
Bouchard soulignait l'importance de récupérer ou de ramener les
sociétés à charte fédérale au
Québec...
M.MORIN: On y est là.
M. LEVESQUE: ... mais qu'il n'y a pas eu de désistement, de la
part des sociétés à charte fédérale, de leur
charte.
M. MORIN: Qu'est-ce que vous allez faire pour mettre en vigueur le
rapport Bouchard, en tout cas, les conclusions du rapport Bouchard?
M. LEVESQUE On me dit que c'est également à
l'étude.
M. MORIN: Vous avez beaucoup de choses à l'étude. Qui
l'étudié à l'heure actuelle?
M. LEVESQUE: Vous d'abord et ensuite les fonctionnaires
compétents du ministère et comme ils sont tous
compétents...
M. MORIN: Autrement dit, vous n'avez rien fait dans ce domaine?
M. LEVESQUE: Le ministère des Institutions financières qui
est le ministère sectoriel...
M. MORIN: Mais votre ministère...
M. LEVESQUE: ... se penche sur la question,
M. MORIN: Mais votre ministère, non.
M. LEVESQUE: Disons que ce n'est pas le dossier le plus actif du
ministère à l'heure actuelle.
M. MORIN : Bon, en sorte que le pouvoir fédéral continue
à surveiller, comme la loi l'y autorise, les portefeuilles, les
investissements des compagnies d'assurance à charte
fédérale. Vous n'avez aucun pouvoir à l'encontre de
cela.
Je suggère donc au ministre que c'est peut-être un dossier
plus important qu'il ne semble de croire.
M. PARENT: II faut croire qu'on n'est pas séparé.
M. MORIN: C'est à l'intérieur du
fédéralisme, je dirai au député de Hull.
M. BOURASSA: On prend note de la suggestion du chef de l'Opposition.
M. MORIN: On y reviendra peut-être l'année prochaine dans
ce cas.
Prenons le secteur de l'eau. Le bilan mentionne qu'il y a un certain
flottement dans la position du Québec.
M. LEVESQUE: Pardon?
M. MORIN: Dans le secteur de l'eau, il y a un certain flottement dans la
position du Québec. On semble mettre en veilleuse des droits
constitutionnels du Québec en échange de contributions
fédérales pour l'aménagement de la ressource eau et pour
la lutte à la pollution.
Mais quand on fait le bilan, on s'aperçoit que le Québec a
reçu bien peu d'argent de sorte qu'il se trouve perdant des deux
côtés. Le pouvoir fédéral s'immisce dans la
compétence relative aux eaux, et d'autre part le pouvoir
fédéral dépense très peu pour aider le
Québec à résoudre ses problèmes. Quelle est la
position du Québec à l'égard par exemple du Canada Water
Act?
M. BOURASSA: C'est M. Taillon qui avait le dossier, vous devez le
savoir.
M. MORIN: Je ne sais pas qui l'a eu, mais je demande la position du
ministère.
M. LEVESQUE: Le Québec s'est opposé à l'adoption en
1970 de la loi fédérale qui, d'après nous,
empiètait sur la compétence des provinces.
M. MORIN: Oui. Et qu'est-ce qui est arrivé?
M. LEVESQUE: Depuis lors, le Québec a toujours refusé,
dans ses relations avec le fédéral, de poser un geste qui
pourrait être interprété comme étant une
reconnaissance de cette loi.
M. MORIN: Autrement dit, le fédéral a décidé
de procéder malgré votre opposition, et depuis lors, vous vous
croisez les bras et vous le regardez faire. Cela fait un beau bilan,
ça.
M. LEVESQUE: II ne procède pas au Québec en vertu de cette
loi.
M. MORIN: Est-ce que le pouvoir fédéral ne dépense
pas beaucoup d'argent dans les autres provinces à l'égard des
eaux?
M. LEVESQUE: Je ne crois pas, s'il le fait, que ce soit en vertu du
Canada Water Act.
M. MORIN: Je regrette, oui.
M. LEVESQUE: Peut-être des sommes modestes, mais on m'informe
qu'il n'y a pas de sommes considérables de dépensées en
vertu de cette loi.
M. MORIN: Sur quels cours d'eau le Québec accepte-t-il une
compétence fédérale quant à l'aménagement et
au contrôle de la pollution?
M. LEVESQUE: Aucune compétence quant à
l'aménagement des eaux.
M. MORIN: Donc, M. le ministre, il n'y aura pas d'entente entre
Québec et Ottawa au sujet du Canada Water Act. C'est ça
votre...
M. LEVESQUE: C'est la position actuelle du moins. Ce que je veux dire,
c'est qu'il y a évolution, nous ne prenons pas d'engagement
éternel. Il y a certainement une compétence
fédérale dans le domaine de la navigation par exemple.
M. MORIN: Oui.
M. LEVESQUE: Elle pourrait être plus nuancée dans le
domaine de la pollution.
M. MORIN: Mais en ce qui concerne les normes de pollution justement,
est-ce qu'il y a eu des échanges entre les deux gouvernements?
M. LEVESQUE: Oui.
M. MORIN: Et comment en arrivez-vous à concilier les deux
séries de normes, celles émanant d'Ottawa et celles
émanant de Québec?
M. LEVESQUE: C'est présentement en discussion, mais nous n'avons
pas l'intention de nous faire imposer des normes. Mais encore une fois, je vois
que le chef de l'Opposition est en train de faire le tour de tous les
ministères du gouvernement, ce qui a été fait dans
l'étude des crédits de chacun des ministères.
M. MORIN: Non, c'est fédéral-provincial.
M. LEVESQUE: On a eu l'occasion avec le ministre des Affaires
municipales de passer un certain temps dans ce secteur et on reprend la
discussion sous une autre forme...
M. BOURASSA: Comme pour les tarifs...
M. LEVESQUE: ... en se rattachant aux Affaires intergouvernementales.
Autrement dit, si on poursuit la procédure du chef de l'Opposition, on
va reprendre l'étude de tous les crédits de tous les
ministères parce qu'il y a dans chacun des ministères une
certaine facette ou un volet qui touche les relations avec le gouvernement
fédéral.
M. BOURASSA: Et qui a touché dans le cas des tarifs notamment, le
chef de l'Opposition l'avait soulevé avec l'Industrie et le Commerce. Il
reprend toutes ses questions.
M. MORIN: Bon. Nous allons... M. BOURASSA: D'accord.
M. MORIN: M. le premier ministre, je regrette que vous ayez
manqué la séance qui a précédé, mais nous
avons dit que nous ferions le tour de toutes les relations
fédérales-provinciales.
M. BOURASSA: D'accord.
M. MORIN: Parce que c'est notre devoir de le faire dans le cadre de ce
ministère.
M. BOURASSA: Je vous félicite d'accomplir votre devoir.
M. MORIN: Merci, M. le premier ministre. Je suis très sensible
à ces félicitations.
Alors, au sujet des normes, Québec n'entend pas laisser les
normes fédérales s'imposer au Québec. C'est bien
ça? Au Québec, ce sont les normes québécoises qui
s'appliquent. C'est ça votre position.
M. LEVESQUE: Nous essayons de nous entendre avec l'ensemble des
provinces sur certaines normes minimales.
M. MORIN: Certaines normes communes?
M. LEVESQUE: Communes, minimales, mais nous préservons les normes
québécoises.
M. MORIN: Oui, mais les normes fédérales, elles
s'appliquent au Québec. Vous ne pouvez pas les empêcher de
s'appliquer au Québec.
M. LEVESQUE: Je vous ai répondu là-dessus.
M. MORIN: Vous m'avez répondu là-dessus?
M. LEVESQUE: Nous essayons de faire en sorte que le gouvernement
fédéral ait des normes minimales dans tout le Canada, mais pour
l'essentiel ce sont les normes québécoises qui s'appliquent.
M. MORIN: Oui, mais on vous demande si vous avez réussi. Parce
que le pouvoir fédéral, lui, impose ses normes.
M. LEVESQUE: Mais c'est présentement en négociation avec
le gouvernement fédéral.
M. MORIN: Autrement dit...
M. LEVESQUE: C'est un dossier très actif, mais c'est
présentement en négociation.
M. MORIN: ... les normes fédérales s'appliquent, et vous
faites ce que vous pouvez pour essayer d'expliquer à ces gens que
ça ne devrait pas.
M. LEVESQUE: Elles ne s'appliquent pas pour l'instant.
M. MORIN: Elles ne sont pas appliquées. M. LEVESQUE: En ce
moment.
M. BOURASSA: On peut ajourner à demain.
M. MORIN: Je vous cite maintenant, pour ce qui est de l'eau toujours, un
extrait de ce qui prétendait être le bilan. "Si on essaie de faire
la part des choses entre le constitutionnel et l'économique, on peut
dire que pour le Québec le relâchement du premier"
c'est-à-dire du constitutionnel "n'a pas encore produit de
résultat financier concret". "Le gouvernement fédéral est
beaucoup plus présent, mais le Québec n'a pas beaucoup plus de
ressources qu'auparavant pour agir dans le secteur de l'eau". Est-ce que ce
bilan est toujours exact?
M. LEVESQUE: Je vous ai dit et je vous répète, que ce que
vous lisez là, soit l'article du Soleil, c'est ça que vous lisez
encore, vous avez passé la soirée à lire ça...
M. MORIN: Bien, donnez-nous le bilan.
M. LEVESQUE: Et je vous ai dit que ce n'était pas le bilan, qu'il
s'agissait de matériaux de base recueillis, qui ont fait l'objet d'une
fuite, que ces jugements de valeur que vous ressortez là-dedans sont le
fait d'un fonctionnaire probablement, d'un ministère sectoriel, mais
ça ne fait pas partie du bilan qui est présentement à
notre disposition.
M. MORIN: C'est inexact.
M. LEVESQUE: Et qui est le document de travail que nous utilisons.
M. MORIN: Bien, voulez-vous consulter le bilan maintenant, que vous avez
en votre possession et que je n'ai pas en la mienne, et me dire si cet extrait
correspond au bilan que vous avez devant vous aujourd'hui?
M. LEVESQUE: En plus, on me dit que c'est complètement inexact,
pour votre information.
M. MORIN: Voulez-vous me dire ce qu'il y a dans votre bilan sur ce
point?
M. LEVESQUE: Je n'ai pas l'intention de publier le bilan, et surtout pas
par pièces détachées. Je l'ai dit ça.
M. BOURASSA: II vous a répondu tantôt à toutes ces
questions.
M. MORIN: Alors, allez-vous le publier? Vous voyez bien que ça
serait utile que vous le publiiez.
M. LEVESQUE: ... il n'y a pas eu de relâchement de la position
constitutionnelle.
M. MORIN: On peut peut-être passer...
M. BOURASSA: II est onze heures moins cinq.
M. MORIN: On peut peut-être discuter... il y a encore les droits
miniers sous-marins, l'agriculture, il y a passablement de choses.
M. BOURASSA: On fera ça demain matin.
M. MORIN: Vous voulez suspendre jusqu'à demain?
M. BOURASSA: II reste cinq minutes, quant à aborder un autre
sujet. A moins que ce soit très court, l'agriculture, les droits
miniers.
M. MORIN: Cela risque d'être plutôt long au contraire.
M. LEVESQUE: Demain matin à...
M. BOURASSA: C'est parce que c'est pour mes crédits, vous
prévoyez en avoir jusqu'à jeudi, je suppose.
M. MORIN: Je ne sais pas, ça va dépendre de la
précision et de la concision du ministre dans ses réponses.
M. BOURASSA: Cela voudrait dire que mes crédits pourraient aller
à la semaine prochaine.
M. LEVESQUE: ... concis.
M. MORIN: Oui, jusqu'à ce que le premier ministre arrive,
c'était pas mal concis, je dois concéder ça au
ministre.
M. BOURASSA: Je voulais demander au chef de l'Opposition... c'est parce
que je dois m'absenter pour Montréal jeudi après-midi, j'ai
quelque chose à Montréal jeudi soir. Cela voudrait dire que mes
crédits iraient à la semaine prochaine, si je comprends bien.
Vous en avez au moins pour...
M. MORIN: J'ai l'impression, quoique la semaine prochaine si nous sommes
pris devant la commission sur le bill 22, je doute que nous puissions
étudier les crédits du premier ministre en même temps.
M. BOURASSA: C'est assez bref habituellement mes crédits.
M. LEVESQUE: Nous pourrions peut-être commencer, parce que le gros
du Conseil exécutif, si on me permet, au point de vue budgétaire,
c'est l'OPDQ. Je puis être présent pour ça.
M. MORIN: Oui.
M. BOURASSA: A moins de commencer le soir pour donner une chance au chef
de l'Opposition d'être en commission l'après-midi, mais on pourra
s'entendre. On ne pourra pas les faire cette semaine et on ne peut pas
retarder...
M. LEVESQUE: II faut les adopter, il y a un délai qui...
M. MORIN: II faut les adopter, mais...
M. BOURASSA: Je m'arrangerai avec le chef de l'Opposition pour trouver
un moment. Est-ce qu'on vous fait une suggestion pertinente?
M. MORIN: Non. Il y aurait peut-être lieu d'essayer de
suggérer une solution concrète, mais j'en ai une à vous
suggérer. Si vous ne nous faisiez pas perdre tant de temps, M. le
premier ministre, cela irait plus vite, je pense, et nous aurions
déjà peut-être terminé ce soir l'Agriculture,
peut-être les droits miniers sous-marins...
M. BOURASSA: Mais cela vous fait mal que je mentionne les
bénéfices du fédéralisme !
M. MORIN: ... mais j'ose à peine à réfléchir
au temps que cela va prendre pour finir ces crédits, si vous venez
à chaque séance. Remarquez que vous êtes le bienvenu, mais
ne venez pas nous blâmer ensuite du temps que cela prend.
M. BOURASSA: Non. Le ministre des Affaires intergouvernementales m'a dit
que le chef de l'Opposition voulait m'interroger sur la révision
constitutionnelle. Alors, j'ai annulé tous mes rendez-vous à 9 h
30 pour être ici et attendre que le chef de l'Opposition m'interroge sur
la révision constitutionnelle.
M. MORIN: Vous auriez dû nous en parler, parce que j'ai
l'intention de le faire effectivement.
M. BOURASSA: Quand?
M. MORIN: Nous pourrions le faire tout de suite.
M. BOURASSA: J'ai reporté mes rendez-vous à 11 heures.
LE PRESIDENT (M. Picard): La commission ajourne ses travaux à
demain matin à 10 heures, à la même salle.
(Fin de la séance à 22 h 56)