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Version finale

41st Legislature, 1st Session
(May 20, 2014 au August 23, 2018)

Tuesday, November 17, 2015 - Vol. 44 N° 37

Self-initiated order – Aboriginal women’s living conditions as affected by sexual assault and domestic violence


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Table des matières

Auditions

Comité administratif de l'Administration régionale Kativik

Regroupement des centres d'amitié autochtones du Québec inc. (RCAAQ)

Mme Carole Lévesque

Mme Michèle Rouleau

Autres intervenants

M. Marc Picard, président

M. Michel Matte, vice-président

Mme Carole Poirier

Mme Marie Montpetit

M. Jean Boucher

M. David Birnbaum

Mme Nathalie Roy

Mme Manon Massé

M. Guy Bourgeois

M. Mathieu Lemay

*          Mme Caroline Hervé, Comité administratif de l'Administration régionale Kativik

*          Mme Annie Baron, idem

*          Mme Pascale Laneuville, idem

*          Mme Edith Cloutier, RCAAQ

*          Mme Tanya Sirois, idem

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Neuf heures sept minutes)

Le Président (M. Picard) : À l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des relations avec les citoyens ouverte. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.

La commission est réunie afin d'entreprendre les consultations particulières et auditions publiques dans le cadre du mandat d'initiative concernant les conditions de vie des femmes autochtones en lien avec les agressions sexuelles et la violence conjugale.

Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?

La Secrétaire : Oui, M. le Président. M. Bernier (Montmorency) est remplacé par Mme Tremblay (Chauveau); Mme Rotiroti (Jeanne-Mance—Viger), par Mme Nichols (Vaudreuil); M. Rochon (Richelieu), par M. Leclair (Beauharnois); et Mme Lavallée (Repentigny), par Mme Roy (Montarville).

Le Président (M. Picard) : Merci. Comme la séance a commencé à 9 h 7, y a-t-il consentement pour poursuivre nos travaux au-delà de l'heure prévue, soit jusqu'à 12 h 7? Consentement. Oui, Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve.

Mme Poirier : Étant donné l'horaire que nous aurons cet après-midi, est-ce que vous pouvez nous donner des indications comment vous comptez avoir nos travaux en après-midi?

Le Président (M. Picard) : En après-midi, suite à des consultations des différents bureaux de leader, nous avons convenu que les séances dureront une heure. Les témoins vont avoir quand même 20 minutes, et par la suite les échanges vont durer pour compléter l'heure. Donc, si nous terminons nos travaux au salon bleu à 16 h 30, nous allons siéger jusqu'à 18 h 30, mais c'est toujours en fonction, là... Parce qu'on a essayé de trouver d'autres arrangements, mais c'était difficile, avec tous les événements qui se sont passés. Ça va, Mme la députée?

Mme Poirier : Merci.

Auditions

Le Président (M. Picard) : Cet avant-midi, nous entendrons les représentants du Comité administratif de l'Administration régionale Kativik et du Regroupement des centres d'amitié autochtones.

Je souhaite la bienvenue au Comité administratif de l'Administration régionale Kativik. Mme Hervé, je vous invite à vous présenter ainsi que les personnes qui vous accompagnent. Vous disposez ensuite de 20 minutes pour votre présentation, par la suite il y aura des échanges avec les membres de la commission. La parole est à vous.

Comité administratif de l'Administration régionale Kativik

Mme Hervé (Caroline) : Bonjour. Mon nom est Caroline Hervé, je suis directrice de Saturviit, l'Association des femmes inuit du Nunavik. Je suis également anthropologue, j'ai eu mon doctorat à l'Université Laval en 2013. J'ai travaillé avec les Inuits du Nunavik depuis presque une dizaine d'années. Donc, je suis accompagnée de Pascale Laneuville, qui travaille comme assistante à la direction Saturviit, qui est également anthropologue, titulaire d'une maîtrise en anthropologie à l'Université Laval. Je suis également accompagnée d'Annie Baron, qui est une «Inuk» originaire de Kangiqsualujjuaq, sur la côte est de la baie d'Ungava, et qui est membre du bureau de direction de Saturviit. Donc, l'Administration régionale Kativik nous a demandé de les représenter aujourd'hui devant cette commission.

• (9 h 10) •

Donc, nous allons commencer notre présentation. Donc, Saturviit est une association qui a été créée en 2005 suite au regroupement de plusieurs dizaines de femmes inuites à Puvirnituq, dans la communauté de Puvirnituq. Donc, ces femmes avaient décidé de se regrouper pour discuter des problèmes qui agitent la région. Et, durant cette rencontre, qui avait été faite dans un camp de chasse à l'est de la communauté de Puvirnituq, elles avaient émis un certain nombre de recommandations, et ces recommandations touchaient la violence, la guérison, les questions d'éducation des enfants, d'abus sexuels face aux enfants, de suicide et également d'éducation et de langage. Et, durant cette réunion, elles avaient décidé qu'il était important, pour représenter leurs intérêts, de créer une association donc qui les représenterait, et c'est de là qu'est née Saturviit. «Saturviit» signifie «celles qui redonnent de l'espoir». Durant cette réunion également, elles avaient rédigé un manifeste, donc, qui avait été rédigé en inuktitut et qui s'appelait Arrêtons la violence, Stoppons la violence, donc un manifeste qui criait contre les problèmes de suicide dans la région et de violence conjugale, de violence sexuelle auxquels on va pouvoir discuter aujourd'hui.

Depuis 2005, Saturviit a le mandat de représenter les femmes dans les instances régionales, nationales, internationales. Nous avons également le mandat de défendre leurs droits et les droits des enfants, parce qu'une femme inuite n'est jamais qu'une femme, c'est aussi une mère, une mère de famille et une épouse. Nous avons aussi le mandat de développer des activités pour améliorer les conditions de vie des femmes au Nunavik.

Donc, maintenant, je vais laisser la parole à ma collègue Annie Baron, qui va vous présenter les conditions géographiques, historiques de son peuple.

Mme Baron (Annie) : Bonjour. Merci pour nous inviter. Et j'espère que, si vous ne comprenez pas, vous allez me le dire, hein? On va avoir une «question period» aussi.

Donc, je commence. Caroline le disait, mon nom est Annie Baron, je viens de Kangiqsualujjuaq. Je suis une maman de quatre enfants et grand-maman aussi.

Quand on regarde la vie des jeunes aujourd'hui et la vie de ma mère quand j'étais jeune, c'est très différent. Elle a grandi dans un... à Kuururjuaq, Tasiujaq, c'est à 30 kilomètres du village. Et, quand les gens sont allés à Kangiqsualujjuaq, c'était pour que les jeunes aillent à l'école; ma mère était trop vieille, donc elle a travaillé à l'école. Donc, elle n'a pas appris l'anglais comme les autres frères et soeurs. Et après ça les frères plus jeunes sont allés à l'école dans le village et ils sont allés ailleurs pour apprendre plus à l'école, ils pouvaient aller à Churchill, Manitoba; mon oncle, lui, est allé à Ottawa. Donc, ils parlent bien en anglais. Si tu veux leur parler, c'est très courant, leur anglais, c'est ça que je voulais dire. Quand ils sont revenus, la manière que mes grands-parents élevaient ces enfants n'était plus pareille parce qu'il y avait un «gap» de... ces enfants sont partis... Mon petit-fils, s'il va à l'école aujourd'hui, c'est notre choix, mais nos grands-parents n'avaient pas choisi que ces enfants aillent à l'école, c'est le fédéral qui a dit : «They're going to school», tu n'as pas de choix. Donc, ça, c'est quelque chose qui est très triste pour les grands-parents et les jeunes qui sont allés à l'école.

Après ça, je suis la deuxième génération, pour ceux qui sont allés à l'école en français. Donc, je suis contente que ma mère m'ait envoyée à l'école en français, parce que je suis trilingue. Après la convention de Baie James et du Nouveau-Québec, la commission scolaire Kativik est sortie, et on va à l'école en inuktitut de maternelle, première, deuxième année, juste en inuktitut. Après deuxième année, ils commencent à introduire l'anglais ou le français. En troisième année, c'est la moitié en français, en inuktitut ou anglais et inuktitut. Pour aller à l'école après le secondaire V, on va à Montréal, pour le cégep... ou à l'université.

Il n'y en a pas beaucoup, de jeunes qui finissent l'école. Ma théorie est que les gens qui ont souffert l'abus à l'école fédérale ne voient plus de la même façon l'école, ils ont vécu la mauvaise école, et aujourd'hui ça, c'est une des raisons que... c'est peut-être une des raisons que ça ne marche pas fort, l'école. Mais il faut dire aussi qu'il y a plus de gens qui finissent, comparé à il y a 15 ans, parce que, chez nous, quand j'ai gradué le secondaire V, il y avait moi et mon cousin, donc c'était beaucoup. Avant ça, c'était mon cousin, juste un, qui graduait. Donc, il y en a plus qui finit l'école, secondaire V.

Mais, pour dire ça, on a aussi l'école à Inukjuak, «technical school». Ça, c'est le fun aussi. On reste dans la communauté du Nord et on parle notre langue. Les gens sont gentils, mais, comparé à Montréal, les gens, quand tu souris, ils pensent que tu es en train de «cruiser» la personne. Pour dire ça aussi, quand je suis arrivée à Montréal, j'essayais de sourire à tout le monde, mais, non, ils ne souriaient pas. Chez nous, quand quelqu'un ne sourit pas, ça veut dire qu'il y a quelque chose qui ne va pas dans sa vie, c'est ça que je voulais dire.

Puis, les autres choses, pour les gens qui sont malades, on a des CLSC avec les infirmières, infirmiers qui sont là, le docteur vient à toutes les six semaines, le dentiste arrive de temps en temps aussi dans les plus petites communautés. Quand quelqu'un est très malade, ils vont les envoyer à Kuujjuaq ou à Puvirnituq, parce qu'il y a des hôpitaux dans ces deux communautés, mais, si c'est trop grave, ils vont nous envoyer à Montréal. Donc, si quelqu'un va à Montréal, c'est 2 700 $, hein, un billet d'avion. Si c'est un cas urgent, c'est un Challenger, un Medevac qui les envoie en avion. Donc, ce n'est pas facile pour la santé, pour donner le bon service de santé, parce que ce n'est pas comme à Québec : si j'ai mal à la gorge, je vais à l'hôpital et je vais attendre deux heures. Si quelqu'un est très gravement blessé, ils vont nous envoyer le lendemain à Montréal pour avoir le bon traitement. Les traitements de cancer, c'est pareil aussi, il faut aller à Montréal, c'est très loin de la famille. Donc, le service de santé pourrait améliorer aussi.

Les services sociaux, protection de la jeunesse, ce n'est pas facile non plus parce que les gens qui viennent travailler au nord, ce n'est pas les Inuits, ils ne connaissent pas la culture et ils imposent leur culture, leurs coutumes, leurs valeurs, ce n'est pas les mêmes. Tu connais les Inuits depuis longtemps, et tes valeurs et mes valeurs sont différentes. Donc, c'est pareil. Il y a toujours des gens qui sont comme : O.K., je vais régler les problèmes de ces gens, mais ça ne marche pas, il faut vouloir par nous-mêmes. Et ça va arriver bientôt, mais ça prend de l'aide de nos deux gouvernements, de vous autres.

Une des choses que je voulais dire aussi, c'est que ce n'est pas facile d'être une femme au Nunavik. Je suis à Québec depuis deux ans, mais ce n'était pas facile, il y a des bons et des mauvais côtés. J'étais contente d'être avec ma famille, mais, si quelqu'un veut se séparer avec son mari, je vais aller où? Je vais aller chez ma mère?

Il y a beaucoup de gens qui sont dans leur maison avec plusieurs personnes dans la maison. Dernière chose que je voulais vous demander : Vous êtes combien dans votre maison, chez vous? Oui, toi. Deux? Dans combien de chambres? Quatre? Oh! c'est... Tu devrais en prendre deux autres, personnes. Non, mais ce n'est pas par choix qu'on est cinq, six, sept, huit, neuf personnes dans un trois-chambres ou quatre enfants, deux parents dans un deux-chambres. Donc, c'est une chose à penser. Ce n'est pas tout le monde qui a les moyens de faire construire des maisons non plus, donc c'est ça que je voulais dire.

J'aurais bien aimé faire plus de... de vous donner plus d'informations, mais on va faire la présentation de recherche que Pascale avait faite.

• (9 h 20) •

Mme Laneuville (Pascale) : Merci, Annie. O.K., ça fonctionne. Bonjour, tout le monde.

Une voix : ...

Mme Laneuville (Pascale) : Comment?

Le Président (M. Picard) : Mme Laneville?

Mme Laneuville (Pascale) : Laneuville. Donc, oui, c'est ça, moi, je vais vous parler principalement de l'étude que j'ai menée pour Saturviit. Avant, je veux juste ajouter une chose. On avait préparé un petit PowerPoint, là, mais je vais juste... Pour ceux peut-être qui sont moins familiers avec la région, le Nunavik, ça comprend 14 villages qui sont séparés d'environ 200 kilomètres entre chaque village. Et donc, pour se connecter entre les villages ou aller dans le Sud, il faut prendre l'avion, mais, comme Annie a mentionné, un billet d'avion pour Montréal, aller-retour, c'est au-dessus de 2 500 $, donc c'est très dispendieux. Quand on dit que les personnes... qu'ils ont de la difficulté à... qu'ils ont des problèmes, disons, à la maison, dans leur communauté, ils ont peu d'options pour fuir ou trouver de l'aide. C'est qu'il y a peu de ressources dans les communautés, il y a peu de moyens pour en sortir. Et qu'est-ce que je voulais dire par rapport à ça, il faut dire aussi que les communautés du Nunavik, là, sont à 90 % composées d'Inuits, les Blancs sont principalement les travailleurs qui sont professionnels ou qualifiés, là.

Donc, l'étude en question, certains ont déjà pu voir le rapport, le lire. Il y a deux versions, rapport long et court, disponibles sur le site Web de Saturviit. Et puis donc c'est en 2013, l'association Saturviit a décidé de lancer une enquête. Donc, c'est moi-même qui l'ai menée, j'ai été très chanceuse d'avoir cette opportunité-là d'apprendre énormément sur la société inuite. J'ai été dans sept villages et à Montréal pour interviewer 108 femmes de façon individuelle, en entrevues semi-dirigées, là, donc le but, c'était vraiment qu'elles parlent d'elles-mêmes sur les enjeux dont elles avaient envie de parler, là, sur leurs expériences aussi. Les femmes étaient âgées de 18 à 85 ans.

Donc, c'est une recherche plutôt qualitative, là, tu sais, on est en anthropologie aussi. Donc, comme on l'a dit tout à l'heure, on est anthropologues puis on voulait laisser les femmes parler, mais on a quand même fait quelques statistiques, disons, selon le... parce qu'on avait quand même un gros échantillon, de 108 femmes. Pour donner une idée, vous en avez quelques-unes à l'écran, ça peut donner une image, là, de comment ça... qu'est-ce qui se passe là-bas. Donc, quand on parle de logements surpeuplés, il y a au moins 30 % des femmes qui vivent dans des logements surpeuplés, c'est-à-dire qu'il y avait plus qu'une personne par chambre, même en comptant les couples comme une personne. Donc, ça veut dire que des parents ou des enfants, des frères et soeurs, ou des oncles et des enfants, en tout cas, partagent une chambre ou dorment dans le salon, là. 40 % des femmes, des participantes à l'étude, avaient obtenu diplôme d'études secondaires. 38 % ne travaillaient pas au moment des entrevues. 49 % souffraient d'alcoolisme, que ce soit un alcoolisme qu'elles avaient guéri en quelque sorte à travers des thérapies ou des femmes qui buvaient encore de façon, disons, jugée excessive, là. 74 % avaient expérimenté de la violence à la maison, donc, que ce soit de la part d'un conjoint, d'un parent, d'un enfant ou tout autre résident d'une maison. Sans qu'elles ne soient des victimes directes ou indirectes, ça affecte évidemment tous les résidents de la maison quand il y a de la violence. Au moins 46 % des participantes avaient été sexuellement abusées, donc avaient vécu des expériences en lien avec... à caractère sexuel, des expériences d'abus. Quand on dit au moins 46 %, c'est qu'étant donné que c'était une recherche qualitative et que ce n'étaient pas des questionnaires systématiques, donc, on n'avait pas nécessairement abordé le sujet avec toutes les participantes, et certaines d'entre elles ne voulaient pas aborder certains sujets. Donc, c'est pour ça que je dis au moins 46 %, on peut juger que certaines personnes n'ont pas voulu parler de certaines choses intimes. Au moins 75 % avaient tenté de se suicider ou avaient perdu un proche parent ou un ami suite à un suicide. Donc, c'est pour dire que le suicide touche tout le monde de près ou de loin au Nunavik. 48 % des femmes étaient mères, des participantes. 34 % d'entre elles étaient monoparentales.

Donc, je sais que ça intéresse particulièrement la commission aujourd'hui, la question de la violence familiale et des abus sexuels. Donc, c'est évidemment des enjeux dont on a parlé beaucoup pendant l'étude, et c'est des questions qui préoccupent beaucoup les femmes, c'est des enjeux prioritaires. C'est connecté à beaucoup d'autres enjeux, comme vous pouvez vous en douter, par exemple les questions du logement, les questions de prendre de l'alcool, les questions d'abus sexuels — ça, on l'avait mentionné déjà — les questions de suicide, l'éducation, la protection de la jeunesse et le système de justice en général. Donc, on ne peut pas vraiment aborder en profondeur tous ces enjeux-là si on... Annie a déjà parlé... Bien, quand on parle de violence familiale, on veut évidemment mentionner toutes les formes de violence, là, qui sont physique, verbale, psychologique, économique ou sexuelle, qui surviennent la plupart du temps dans les maisons, dans les foyers dont Annie parlait, là, qui sont beaucoup surpeuplés. Donc, le problème de logement puis la surpopulation des logements, c'est vraiment un enjeu prioritaire, là. On en parle déjà beaucoup, mais on continue à en parler parce que c'est la première chose à laquelle il faut faire face, là, pour donner une chance aux familles.

Donc, il faut savoir que les logements sociaux, c'est la seule option viable dans le Nord. Il y a très, très, très peu d'Inuits qui ont acheté une maison privée, parce que c'est des prix faramineux, là. Donc, on estime le besoin actuel à à peu près 1 000 unités pour répondre aux demandes, là, de maison. Donc, toutes les participantes à l'étude ont expérimenté un jour dans leur vie ce problème-là, là, dans leur maison.

Puis ça affecte la santé physique, évidemment, problèmes d'hygiène certaines fois, manque d'eau parce qu'il n'y a pas d'eau courante, là, c'est des réservoirs d'eau. Ensuite, ça affecte la santé mentale aussi, de vivre dans des logements surpeuplés, puis ça favorise... le surpeuplement d'une maison provoque plus des comportements agressifs, hein, à cause du manque d'espace, là, surtout quand on ne vit pas ensemble par choix mais par obligation. Ça augmente, bien, les risques d'être affecté... d'être exposé à la violence et aux abus.

Aussi, comme on disait, une femme qui veut fuir une relation difficile, abusive n'a pas d'option pour déménager, là. Donc, c'est très difficile de faire le choix de quitter un conjoint, de laisser sa famille quand il y a des enfants et quand il n'y a pas de possibilité de trouver un autre logement dans sa communauté. Les refuges pour femmes, il y en a trois au Nunavik, à Kuujjuaq, Salluit et Inukjuak, puis toutes les femmes à qui j'ai parlé voudraient en avoir un dans leur propre communauté, parce que c'est fréquent que des femmes cherchent un refuge et n'en trouvent pas... ou ce n'est pas tout le monde qui veut les accueillir chez elles quand elles ont bu ou quand elles ont peur de la personne agressive. Donc, même si les refuges sont souvent des solutions temporaires, partielles, parce que ce n'est pas à long terme, bien c'est quand même important d'en avoir, puis de cette façon-là il faut apporter de l'aide aux victimes.

Le Président (M. Picard) : Il vous reste une minute.

Mme Laneuville (Pascale) : Une minute? Parfait. Donc, comme d'habitude, on a parlé beaucoup de logement, là. J'ai parlé aussi de la consommation d'alcool. On dit souvent que c'est relié à la violence. C'est une cause souvent directe, mais ce n'est pas une explication. Donc, la relation à l'alcool est très difficile dans le Nord, mais il faut comprendre toute la relation historique à l'alcool, le contexte social, le contexte dans le Nord.

Donc, la violence ne vient pas vraiment de l'alcool, mais ça vient d'un passé, des changements importants dans la société qui ont bouleversé les moeurs sociales et la culture. Donc, les relations conjugales, les relations parents-enfants sont très difficiles. Il y a beaucoup de communication, il faut travailler sur la communication. Les jeunes ne comprennent pas pourquoi il y a tant de misère aujourd'hui parce qu'ils ne connaissent pas leur passé. Souvent, comme une jeune m'a dit, elle a dit : Tu es anthropologue, tu en connais plus sur moi que moi-même, tu sais, parce que les parents ne vont pas nécessairement parler de leur histoire, de pourquoi ils sont comme ça aujourd'hui. Donc, ça, c'est un enjeu important.

Donc, pour terminer, comme Annie disait, les services, il y a beaucoup de travail à faire sur les relations avec les policiers, les relations avec la DPJ, avec les travailleurs sociaux...

• (9 h 30) •

Le Président (M. Picard) : En terminant, s'il vous plaît.

Mme Laneuville (Pascale) : Oui, c'est ça. Donc, bien, je vais vous laisser poser des questions, parce qu'il y a beaucoup de choses à dire encore, puis j'imagine que vous allez... on va pouvoir développer sur ce qui vous intéresse le plus.

Le Président (M. Picard) : Exact. Merci beaucoup. Nous allons entreprendre la période d'échange. Je vais vous donner la répartition du temps : le parti gouvernemental, 33 min 15 s; l'opposition officielle, 19 min 57 s; le deuxième groupe d'opposition, 13 min 18 s; et Mme la députée indépendante, 3 min 30 s. Ça va?

Du côté de Mme la députée de Crémazie.

Mme Montpetit : Je vous remercie. Permettez-moi d'abord, dans un premier temps, de saluer mes collègues, en ce début de mandat, mes collègues de la partie gouvernementale mais également de l'opposition.

Je vous remercie beaucoup de prendre le temps, aujourd'hui, de venir nous rencontrer, de venir partager avec nous du vécu personnel mais également de l'information plus factuelle. Et je me permettrai, là, d'entrée de jeu, de débuter par des chiffres que vous avez présentés, là, c'est difficile de demeurer insensible, là, aux chiffres que vous présentez dans votre étude, là, à savoir que 74 % des participants avaient expérimenté de la violence à la maison puis 46 % avaient été abusés sexuellement. Je pense que c'est exactement la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd'hui, pour aborder ces enjeux-là. Et je comprends, à la lumière de ce que vous nous dite, que c'est une problématique qui est complexe, qui est très complexe, qui est multifactorielle également, et qu'il est nécessaire d'intervenir à plusieurs niveaux, autant en amont qu'en aval, là, pour pouvoir s'y adresser, mais je voulais voir avec vous, dans le fond, à vos yeux, quels sont les aspects qui sont plus prioritaires ou plus urgents pour avoir des conditions incontournables, dans le fond, pour retrouver des milieux de vie qui sont sécuritaires, qui sont plus harmonieux pour les familles, là. Je sais que c'est une question large, mais on est vraiment là pour vous entendre, aujourd'hui, donc prenez du temps pour élaborer, pour nous répondre également.

Le Président (M. Picard) : Mme Baron.

Mme Baron (Annie) : Le prioritaire que je dirais, c'est les maisons. Je peux inviter ma fille pour venir chez nous la fin de semaine, mon petit-fils, mais je ne peux pas me voir vivre avec elle des semaines, des mois et des années de temps. J'ai essayé de... Non, ça ne marche pas. Donc, je pense que la priorité serait d'avoir des maisons pour les jeunes, qu'ils n'habitent pas avec les parents, les grands-parents.

Mme Laneuville (Pascale) : Si je peux rajouter quelque chose, c'est que la maison, c'est là vraiment que les liens affectifs se développent et on éduque les enfants, on apprend les bonnes manières, on crée les fondations pour une vie harmonieuse, des relations saines, mais, quand les parents vivent avec leurs propres parents, donc qu'ils élèvent leurs enfants avec des parents ou avec des oncles, tout ça, souvent il y a des personnes là-dedans qui ont des problèmes d'alcool ou des problèmes de violence... ou juste le fait de ne pas avoir assez d'espace pour tout le monde, ce n'est pas des conditions propices pour éduquer un enfant d'une bonne façon. Donc, souvent, les enfants se retrouvent seuls, à eux-mêmes, dans ce tourbillon-là de la vie difficile, là. Ce n'est pas pour rien qu'il y a beaucoup de dépressions. Les femmes reconnaissent la vulnérabilité des jeunes, il y a beaucoup de dépressions, de suicides. Donc, c'est ces jeunes-là qu'on perd, là, tu sais, dans cette situation-là.

Donc, c'est pour ça que... Le lien mère-enfant est important, la relation familiale. C'est pour ça qu'on parle beaucoup de la maison, c'est là que ça commence. C'est là qu'il faut donner de l'aide en premier.

Mme Hervé (Caroline) : Je vais donner du pouce à ce que disent mes collègues. Effectivement, c'est ce qui ressort le plus de cette rencontre avec les 108 femmes du Nunavik, elles ont toutes parlé de ça, et c'est l'aspect qui nous a frappées au départ, quand on a lu les premiers résultats de ces entretiens avec les femmes, elles ont toutes mentionné l'importance d'avoir des logements, plus de logements mais aussi des logements appropriés, donc des logements d'une taille respectable pour accueillir des familles nombreuses, parce qu'il y a beaucoup de familles nombreuses. En ce moment, ce qui se fait, au Nunavik, c'est beaucoup de logements avec deux chambres, donc, quand on a trois ou quatre enfants, déjà on est serrés dans ces logements-là. Et en ce moment c'est pratiquement les seules formes de construction. Donc, c'est probablement aussi pour désengorger un petit peu le surpeuplement, mais ça ne répond pas non plus totalement aux réels besoins.

Et aussi il y a toute la politique de construction de logement. On est dans des logements en rang d'oignons, dans des façons très linéaires de construire les logements. Pascale vous a dit que les logements sociaux sont pratiquement la seule forme d'accessibilité à un logement, ce qui fait que ça crée des grandes injustices aussi. Des femmes qui ont les moyens de se payer un logement n'auront peut-être pas assez de points pour acquérir un logement, et donc elles, ces femmes qui travaillent, qui ont des revenus réguliers, vont mettre des années à acquérir un logement.

Et aussi ce logement, bien, il va être attribué de façon assez aléatoire : Bon, vous, Mme Baron, on va vous donner la maison 18. La maison 18, elle se trouve à côté, par exemple, d'une famille à côté de qui Mme Baron et sa famille, depuis des générations et des générations, n'ont pas de lien d'affection. Donc, ils ne choisissent pas leur maison, ils ne choisissent pas l'emplacement de leur maison, et, pour des sociétés qui étaient habituées, donc, à nomadiser, à construire leurs habitats de façon volontaire, ils choisissaient là où ils voulaient habiter, avec qui ils voulaient habiter, ça crée des conflits au sein des communautés.

La sédentarisation date des années 1960, c'est tout récent, et ce qui fait que... En fait, ce sont des familles qui vivaient dans des camps plus ou moins éloignés des villages qui ont été mises ensemble dans ces villages, petit à petit on leur a attribué des logements. Et donc, en fait, toutes les relations sociales, qui étaient tournées vers l'harmonie sociale parce que les Inuits sont un peuple non violent à la base, un peuple qui privilégie l'harmonie sociale, en fait ils se sont retrouvés dans des situations de conflits sociaux, de relations sociales imposées, et c'est ce qui explique aussi parfois certaines violences dans les villages. Voilà. Merci.

Mme Baron (Annie) : L'autre chose que je dirais après le «social housing», je pense, ce serait de travailler sur le bien-être de la personne, comment on fait ça. Les travailleuses sociales, la DPJ devraient avoir plus de fonds pour faire plus de travail profond pour aider les familles, les femmes, les hommes. Après ça...

Mme Laneuville (Pascale) : ...sur les services, c'est ça, donner les ressources aux travailleurs, là, parce qu'ils n'ont pas beaucoup de moyens pour faire le travail. Puis les travailleurs ont besoin d'outils puis ont aussi besoin d'être informés sur la société inuite, peut-être qu'ils ne le sont pas nécessairement suffisamment, parce que c'est difficile de travailler avec une autre culture aussi, là.

Mme Baron (Annie) : Je dirais, la troisième chose que je trouve importante, c'est de créer des emplois dans notre région. Quand on reçoit un chèque à chaque deux semaines, c'est toujours bon pour le moral : Oh! je vais acheter telle chose. Les gens qui reçoivent un chèque de bien-être social après un mois : Oh! finalement je vais acheter... Mais tout est très cher. Donc, des petites entreprises dans le Nord, ce serait très bon pour les gens, leur estime de soi.

Le Président (M. Picard) : Merci. M. le député d'Ungava. J'aurais besoin d'un consentement pour permettre à M. le député... Ça va?

M. Boucher : ...je sais, bon, on parle souvent que l'expertise des Blancs n'est peut-être pas toujours au rendez-vous, là, en regard avec la culture, hein? Quelqu'un formé à l'Université Laval, dans un milieu du Sud, se ramasse travailleuse sociale ou travailleur social dans ton village, puis il n'a pas peut-être toujours le cadre de référence, puis des fois, sans vouloir mal faire, fait des choses qui ne conviennent pas ou...

Il y avait eu des initiatives locales comme les «community wellness workers» qui avaient été implantés il y a quelques années. Est-ce que vous avez des nouvelles de ça? Est-ce que ça a porté les fruits qu'on souhaitait avoir? Pouvez-vous nous en parler un petit peu?

• (9 h 40) •

Mme Laneuville (Pascale) : Quand j'y ai été, en 2013, il y en avait plusieurs, pas dans toutes les communautés mais dans au moins la moitié des communautés il y avait un ou deux «wellness workers», puis les gens voyaient ça comme quelque chose de très positif, parce que c'est des travailleurs inuits. Donc, elles partent des demandes, des envies de leur communauté à elles pour proposer des activités puis donner de l'aide aux gens qui en ont de besoin, comme je sais qu'il y avait des dons de vêtements, il y avait des soirées pour les femmes, des activités pour différents groupes, les jeunes aussi.

Donc, je ne sais pas à quel point en ce moment ça a atteint les attentes, je ne connais pas, évidemment, toutes les attentes de ces... les objectifs de ce projet-là, de ce programme-là, donc, mais je sais que c'est quelque chose... Oui, je pense que c'est une bonne initiative, il faut que ça continue.

Puis c'est de permettre aux jeunes, aux femmes qui sont des modèles souvent pour leur communauté de travailler pour leur communauté, mais ce que j'ai entendu dire, par contre, c'est que c'est difficile de recruter, parce que les personnes qui sont des modèles pour les autres sont très sollicitées pour plusieurs emplois, puis ce n'est pas le programme de bien-être qui a les meilleures conditions de travail à offrir. Donc, ça, c'est difficile aussi de recruter des bonnes personnes qui vont rester dans ces emplois-là.

Est-ce que tu voulais rajouter par rapport à ça? Non?

Le Président (M. Picard) : Ça va?

M. Boucher : J'avais une autre petite question. Bon, on sait qu'au Nunavik, puis souvent, dans plusieurs villages, il y a beaucoup de gens qui ont des dossiers criminels, sauf que, de mon avis à moi, il n'y a pas vraiment, tu sais, de criminels comme tels, des gens se ramassent avec un dossier suite à une bataille, un acte posé soit sous le coup de la colère ou sous le coup de l'émotion, ou suite, bon, à une consommation de substances. Dans le village d'Annie, il y avait justement un comité de justice réparatrice ou de justice communautaire qui est présentement en train d'être implanté, qui souvent, bon, de mon avis à moi, pourrait très bien pallier des fois à un système judiciaire modèle du Sud qui ne convient peut-être pas toujours à la réalité. Comment vous voyez ça? Puis comment ça performe? Et puis pouvez-vous me parler de ça un petit peu, là?

Le Président (M. Picard) : Mme Baron.

Mme Baron (Annie) : Je fais la traduction pour la cour. Je pleure souvent avant d'aller... de partir en avion, parce que, ces gens-là, je les vois, hein, je traduis qu'est-ce qu'ils ont fait, qu'est-ce que le juge, les avocats vont dire, je vois la famille qui sont affectés. Je ne pense pas qu'on va changer les lois, les lois sont là pour la sécurité de tout le monde, mais il y a des juges qui sont très «compassionate» aussi, ils comprennent notre culture aussi. Il y a des gens dans la cour qui comprennent moins aussi notre réalité.

Mais il faut dire aussi que, les gens qui travaillent là, c'est un numéro de dossier, il ne connaît pas la personne. Si j'ai besoin d'un avocat, je ne vais pas aller à ces gens-là, parce que je suis juste un numéro. Ça prend quelqu'un qui a le temps pour voir. Ces avocats n'ont pas le temps d'étudier les cas, c'est qui, c'est quand, qu'est-ce qui s'est passé.

Donc, ce n'est pas mauvais, le... mais ils ont besoin de plus de personnes, plus de temps à passer dans le Nord pour finir les dossiers, parce que la loi est là pour nous protéger, mais... «They have to come more often to do the judging.» Donc, si je vole, j'aimerais que la loi me dise : Ce n'est pas correct, qu'est-ce que tu as... mais il n'y a pas assez de temps pour qu'ils viennent juger. Donc, c'est ça que je voulais dire.

Il y a beaucoup de gens qui sont dans le système, ils sont là pour quelque chose qu'ils ont fait, ça date de longtemps, il y a un an, deux ans. Ça prend plusieurs mois, même années avant qu'ils sont jugés. J'ai vu quelqu'un qui a été «acquitted» parce que ça faisait trop de temps qu'il avait été «charged» avec un crime qu'il a fait. Ce n'est pas de leur faute non plus, parce que c'est une journée par trois mois qu'ils viennent, mais, à cause de la météo, ils ne viennent pas dans mon village. Donc, ça, c'est un exemple.

La traduction, pour les gens qui sont dans la cour, ce serait bon, parce que ce n'est pas tout le monde qui va comprendre l'avocat. Donc, les gens qui vont à la cour ont besoin de leur traductrice, traducteur quand ils voient leur avocat, parce que moi, je suis là pour la cour seulement.

Pour les jeunes qu'ils vont faire sortir de leur maison, la DPJ dit : Il faut avoir une bonne maison, les enfants sont en sécurité, manger, tout ça, oui. Le temps qui est donné aux parents pour dire : O.K., je me prends en main, ce n'est pas beaucoup, O.K.? Si je prends beaucoup de drogue, alcool ou, un exemple, je suis «in pain» quand la DPJ prend mon enfant, tu as six mois de s'en sortir. Six mois, ce n'est pas beaucoup parce que la première chose, quand la DPJ prend ton enfant, tu es fâché, et tu vas être fâché pour des mois. Et j'ai vu des parents qui ont commencé à boire parce que la DPJ avait pris ses enfants, donc c'est triste.

La réalité, pour nous, j'avais dit tantôt : Les gens qui travaillent dans le Nord viennent imposer leur culture, leurs coutumes, leurs valeurs. Il faut penser aussi à la famille qui veut aider aussi, inclure toutes les possibilités de notre culture aussi quand ils prennent les enfants.

Le Président (M. Picard) : Merci. Je vais céder la parole à M. le député de D'Arcy-McGee.

M. Birnbaum : Merci, M. le Président. Bonjour, Mmes Hervé, Baron et Laneuville, et merci pour votre exposé à la fois douloureux mais très important. Et, j'espère, ça risque de nous aider dans le coeur de notre mandat, qui est d'alimenter un plan d'action gouvernemental contre les agressions sexuelles, et de nous assurer que ce plan va avoir des mesures qui répondent à votre situation très difficile.

Nous avons à apprendre que les défis sont énormes et les solutions ne sont pas très facilement à la portée. Dans cette optique, je vais vous inviter, surtout Mme Baron, si je peux, de nous parler plus de... et peut-être de nous dresser un portrait d'une famille, sans les identifier, évidemment, mais pour qu'on puisse comprendre l'enjeu du problème du logement dans deux optiques.

Dans un premier temps, on va en convenir, ce problème-là ne se réglera pas demain, il n'y aura pas des logements qui vont apparaître d'ici demain. On parle d'un problème qui ne peut pas attendre, évidemment, on parle de femmes en détresse, et il faut mutuellement parler des façons de venir à son aide tout de suite.

Alors, compte tenu qu'on parle beaucoup, beaucoup du problème de logement, il me semble qu'il faut qu'on le comprenne davantage, mais aussi dans l'optique de vraiment comprendre ce qui se passe dans une famille, où les enfants sont devant ça, et il n'y a pas de porte de sortie, ou la conjointe est dans la présence du conjoint qui vient de perpétrer cet acte-là, est-ce que vous pouvez, ça doit être douloureux, mais nous faire comprendre comment c'est difficile pour une telle famille lorsqu'un tel incident se présente? Il me semble que c'est important qu'on comprenne comme il faut.

Mme Baron (Annie) : Sorry, I didn't understand your question.

M. Birnbaum : What I'm getting at is it's so clear that the problem of housing is central to the problems of dealing with sexual and physical aggression, you know as I do that we'll have to deal with that problem, but it won't be tomorrow that it gets solved, with new housing appearing in every one of your 14 communities. For us to understand, it seems, to me, essential that you help us, it will be painful, but really understand, maybe giving us an example of one family, how this terrible dynamic happens and is lived out, with the children there, present, with the woman there, in the presence of the man who beat her or sexually abused her, and having to live there. We need to understand exactly what happens.

• (9 h 50) •

Mme Baron (Annie) : OK, I'll give you an example of someone I know in my community. She had a child, and then they eventually got married...

O.K., je vais dire ça en français, je m'excuse. Il y a une femme dans ma communauté, je vais dire son exemple. Elle a eu un enfant plus jeune, sa mère l'a adopté, et elle s'est mariée avec le bonhomme, ils ont eu d'autres enfants. Mais, quand ils se sont séparés, c'est lui qui a eu la maison. Et donc maintenant elle se promène d'une famille à l'autre, et, quand ça ne va pas dans la famille, elle va à quelqu'un d'autre, chez les amis, au point qu'elle pense de déménager à Montréal pour avoir sa place à elle avec ses enfants. Donc, ça, c'est un exemple de quelqu'un... Elle est sortie de sa relation de violence conjugale, verbale, mais ce n'est pas correct, qu'est-ce qu'elle vit.

M. Birnbaum : Et, dans ces circonstances, souvent, comment réagissent les voisins? Est-ce que cette femme est écartée de la communauté, même de ses amies femmes? Est-ce que, les hommes, ça se parle? Il y a un silence?

Mme Baron (Annie) : Les hommes, ça ne se parle pas. Les femmes, comme ça, ne voient pas l'espoir. Le bonhomme qui bat sa femme va en prison, et après son «bail hearing» il va sortir, il va revenir à la maison. Donc, c'est un cercle vicieux, elle ne va pas s'en sortir jusqu'à temps qu'elle dise : C'est assez. On a besoin de plus de support pour ces femmes, pour qu'elles arrivent à réussir à dire : C'est assez, c'est assez, parce qu'on voit des femmes qui font ça, il y a des femmes qui ont dit : Non, je ne veux pas être enterrée par cette... pour être battue, mais ça prend plus de support pour ces femmes-là.

M. Birnbaum : Et, si je peux, M. le Président, dans une telle situation, on pense aux enfants qui ont à vivre ça. Y a-t-il de l'aide quelconque pour les enfants dans une telle situation? Est-ce que l'école risque d'être avisée du fait que, bon, ces enfants auraient témoigné un acte de violence ou même pire? Y a-t-il de l'accompagnement d'une sorte ou une autre pour ces enfants dans une telle situation?

Mme Baron (Annie) : Dans les écoles, on a des conseillères aux étudiants, ils vont faire... On va savoir c'est qui qui a battu qui parce qu'on voit un beurre noir. Donc, les conseillères aux étudiants vont rencontrer les jeunes, mais ce n'est pas assez.

Mme Laneuville (Pascale) : Il manque de ressources, là, c'est beaucoup d'enfants qui vivent dans des maisons surpeuplées qu'il y a des problèmes. Avec un conseiller à l'école, ce n'est pas suffisant.

Puis souvent c'est la DPJ qui va intervenir, et là rentrent des problèmes de communication, de compréhension entre une famille qui ne parle pas nécessairement anglais ou français et l'agent de la DPJ. Des fois, il y a des travailleurs inuits qui travaillent avec la DPJ, pas toujours. Donc, souvent, c'est la DPJ qui va entrer, puis donc on sait où ça mène, puis ça blesse beaucoup les gens. C'est un problème important.

C'est dur de comprendre c'est quoi, le quotidien des gens qui vivent là-bas dans des maisons surpeuplées. Ce n'est pas toutes les familles, tu sais, qui vivent ça, mais c'est dur de comprendre quand on ne l'a pas vu ou on ne l'a pas expérimenté. Pour ça, je vous invite à lire le rapport que j'ai écrit, parce qu'il y a beaucoup de citations puis de récits de vie qui peuvent vous amener à comprendre tout ce qui découle de ça. Et on en connaît, des femmes, tu sais, on en connaît plein, des femmes qui sont restées dans des relations abusives parce que notamment il n'y avait pas de logement, là, tu sais. Il y a plein d'autres raisons qui entrent là-dedans, il y a beaucoup de tabous, il y a beaucoup de silence. Annie le dit, on sait qui se fait battre, les gens le sentent ou l'apprennent, mais il y a beaucoup... les gens ne parlent pas, souvent il manque de ressources ou de places de confiance où ils peuvent aller pour parler, où qu'il y a un respect de la confidentialité, il y a un respect de la culture, parler dans leur langue. Pour ça, il faut impliquer les Inuits, les conseillers, les leaders, les aînés, dans les services. C'est pour ça qu'on parle beaucoup de Maison de la famille. Maison de la famille, ça va intégrer les... dans chaque communauté il faudrait avoir quelque chose comme ça ou un service en inuktitut où il y a des spécialistes qui peuvent aider, où les enfants peuvent aller, où les familles entières peuvent être conseillées, parce qu'on veut des interventions axées sur la famille, pas sur l'individu.

Donc, c'est tout le contexte actuel qui laisse des trous partout, qui ne répond pas aux besoins puis qui n'est pas adapté aux familles inuites.

Le Président (M. Picard) : Merci. Mme la députée de Crémazie, il reste huit minutes.

Mme Montpetit : Je vous remercie. Vous avez abordé tour à tour la question du manque de ressources. Pour aller un petit peu plus loin, pour valider, là, mon collègue a abordé aussi la question des différences culturelles, puis je voudrais juste bien comprendre entre le manque de ressources et le lien de confiance avec ces ressources-là qui sont présentes. Les femmes, justement, qui sont victimes de violence conjugale ou d'agression sexuelle, est-ce que le lien de confiance est présent avec... vous parliez des travailleurs sociaux, avec la DPJ, si nécessaire? Est-ce que ce lien-là est présent ou est-ce que justement les différences culturelles posent certains problèmes? Pouvez-vous nous éclairer davantage là-dessus, là?

Mme Laneuville (Pascale) : Bien, tu pourrais peut-être parler, Annie, de ton expérience, là, mais certaines personnes, oui, font confiance, vont parler. Par contre, vraiment de suivi avec un travailleur social, qui est vraiment débordé, il y a rarement un suivi sur un dossier, sur une personne. Il y a un gros roulement de personnel, donc ça, c'est difficile de construire la confiance sur le long terme à ce moment-là. Donc, beaucoup de gens n'ont pas envie de recommencer à conter leur histoire, s'ils ont des problèmes. Il y a tellement de placements d'enfants dans des familles d'accueil que les gens hésitent énormément à aller voir un travailleur social, un agent de la DPJ, parce qu'ils ne veulent pas se faire enlever leurs enfants. Donc, c'est une raison pourquoi beaucoup de gens ne parlent pas.

Puis donc, quand on parle... Problèmes de communication, oui, problèmes de communication à cause de différence de la langue, différences de culture. Manque de confiance qui... développé aussi à cause de toutes les relations historiques entre les Blancs puis les Inuits, on ne se le cachera pas, là. Donc, il y a beaucoup de choses à faire pour améliorer la relation, puis il faut supporter les travailleurs blancs en leur donnant... peut-être en les outillant mieux, en donnant plus de ressources.

Mme Baron (Annie) : La DPJ, les travailleuses sociales, les gens de l'extérieur ne vont pas rester très longtemps, peut-être quelques années, ils vont partir quand leurs enfants vont aller à l'école en maternelle. Ça, c'est la plupart que j'ai vus. Parce que l'école est moins forte chez nous, ils vont retourner au Sud. Donc, oui, ils investissent mais pas permanent, donc ça, c'est une chose qui joue contre nous aussi. Donc, les gens ne sont pas permanents.

Les gens locaux qui travaillent à la DPJ ou travailleuses sociales sont une ou deux personnes, et ils travaillent avec les gens dans leur famille, donc ce n'est pas facile. Il y en a qui sont très fatigués parce qu'ils reçoivent... si quelqu'un est suicidaire, ils vont appeler la travailleuse sociale, et ça pourrait être à 1 heure le matin, à 3 heures. Donc, ils sont très courageux de travailler... Je parle de quelqu'un dans mon village. Ils ont besoin de plus de personnel.

Mme Laneuville (Pascale) : ...ça prend un service 24 heures aussi, les femmes ont beaucoup mentionné ça, avoir un service au moins téléphonique de soutien 24 heures, parce que c'est à tout moment de la journée qu'ils peuvent avoir besoin d'aide, questions de violence ou de pensées suicidaires. Donc, ça, c'est un besoin aussi.

Le Président (M. Picard) : Mme la députée de Crémazie.

Mme Montpetit : Ou, bien, pour continuer, Mme Laneuville, sur ce que vous abordiez, là, vous dites, dans le fond... Puis c'est vraiment pour nous aider à identifier des pistes de solution très concrètes, là. Quand vous dites : Il faut mieux outiller les ressources qui sont présentes pour renforcer ce lien de confiance là, pour le mettre en place ou pour le renforcer, là, l'un ou l'autre, est-ce que vous avez des idées en tête sur ce qui peut être mis en place, justement, comment on peut les outiller davantage, ces professionnels...

• (10 heures) •

Mme Laneuville (Pascale) : Bien, une idée simple, là, que... Je ne sais pas à quel point les travailleurs du Sud... Ça dépend dans quel secteur ils travaillent, peut-être en éducation je sais qu'il existe déjà des formations. Donc, seulement une formation, parce qu'il y a beaucoup de préjugés, veux veux pas, tu sais, dans les peuples québécois, les Canadiens, il y a beaucoup de préjugés envers les autochtones. Si on va travailler là-bas puis on arrive avec des préjugés, c'est difficile. Puis il y a beaucoup d'Inuits qui se sentent jugés puis pas respectés, puis des fois c'est peut-être inconscient aussi. Ça fait que juste avoir une meilleure formation sur l'histoire, pourquoi ils sont comme ça aujourd'hui, qu'est-ce qu'ils vivent, sur la réalité quotidienne des Inuits, donc une formation culturelle et sociale, historique sur... ça, je pense que c'est important, là, pour un travailleur qui va dans le Nord.

Ensuite de ça, bien, les ressources, je ne connais pas assez bien comment fonctionnent, comment travaillent les policiers ou les travailleurs sociaux, mais, le personnel, évidemment, c'est un problème, là, justement, de garder le personnel plus longtemps. D'augmenter le nombre de personnel, ça aussi, parce que c'est difficile pour un travailleur social qui est tout seul dans une communauté à travailler sur beaucoup de cas, des fois, s'il y a des appels la nuit, tout ça. Donc, ils ont besoin de soutien.

Mais il faut travailler sur la formation et l'embauche de travailleurs inuits. Ça, c'est une priorité, si on veut améliorer les services, parce qu'eux, ils vont rester dans leur communauté, eux, ils parlent la langue inuite.

Donc, ça, ça ramène au problème d'éducation, au problème aussi de rigidité des pratiques des institutions occidentales. Donc, c'est difficile pour un Inuit de devenir assistant, disons, d'un agent à la DPJ s'il sent que ce qu'on lui demande de faire, c'est contre ses valeurs, c'est contre sa façon d'être en société ou... tu sais, donc, il y a beaucoup de barrières là-dessus. Donc, il faudrait peut-être faire de la place aux travailleurs inuits, il faut les former.

Quand on parle d'éducation, il y a beaucoup d'efforts à faire pour améliorer le système d'éducation au niveau secondaire, primaire, secondaire, et beaucoup de femmes voudraient voir la création d'une institution d'enseignement collégial ou universitaire dans le Nord parce que, comme Annie disait, le taux de décrochage scolaire est énorme au secondaire et encore plus énorme au cégep, au collège. Ceux qui viennent à Montréal pour étudier, il n'y en a pas beaucoup, puis la plupart décrochent, pour plusieurs raisons, là. C'est très difficile pour elles de venir ici. Si elles ont des enfants, elles viennent toutes seules, c'est difficile d'étudier. Elles ont du retard à reprendre, elles sont... Elles ont un choc culturel aussi, tout ça.

Donc, on fait le tour de plein de choses, mais, je pense, ça répond à la question, là.

Mme Montpetit : Effectivement, ça répond à la question, là. C'est très concret, là, comme pistes de solution puis comme portrait, là, que vous tracez. Puis j'en profiterais également pour venir à une autre... Oui?

Mme Baron (Annie) : Les organisations du Nord, la régie régionale de la santé et services sociaux et la commission scolaire Kativik donnent les services essentiels pour la région du Nunavik. Quand ils vont venir demander de l'argent, tu ne devrais pas couper l'argent qu'ils demandent. Ce n'est pas pour : Ah oui! on veut, on veut, on veut, c'est les services essentiels qu'ils donnent. L'argent qu'ils demandent, ça devrait être respecté.

Mme Hervé (Caroline) : Je voudrais également ajouter que, quand on parle de services, on parle aussi de... pas seulement de services pour répondre à des urgences, là, donc arrêter quelqu'un, enlever un enfant d'une famille, mais on parle aussi de services qui apportent un support à long terme. Et c'est ça qui manque, en fait, au Nunavik aujourd'hui. C'est-à-dire qu'une fois que, par exemple, un homme a été arrêté dans une famille parce qu'il a frappé sa femme, parce qu'il est alcoolique, il va en prison, il revient, et après il n'y a plus rien, il n'y a plus aucun soutien pour lui... ou pratiquement pas. Une femme qui souhaite quitter une relation malsaine va avoir beaucoup de difficultés à trouver un support, rien qu'un support, un groupe de support pour lui donner des conseils, pour l'aider à guérir elle-même, parce qu'en général...

Le Président (M. Picard) : En terminant, s'il vous plaît. Le temps...

Mme Hervé (Caroline) : Bien oui, mais là, excusez-moi, je vous dis quelque chose de très important qui peut bénéficier à tout le monde, je pense.

Le Président (M. Picard) : Mais vous pourrez poursuivre aussi lors des échanges.

Mme Hervé (Caroline) : Bon, bien j'arrête.

Une voix : ...

Le Président (M. Picard) : O.K., c'est beau, on recommence. Allez-y.

Mme Hervé (Caroline) : Merci. Et donc une femme qui souhaite quitter une relation conjugale malsaine n'a aucun soutien après. Ça veut dire, concrètement, qu'elle va être obligée de payer son billet d'avion, parfois c'est les services sociaux qui vont l'aider, parfois ils n'ont pas les programmes pour ça, elle va être obligée de payer son billet d'avion, aller à Kuujjuaq ou Montréal pour aller rencontrer un psychologue, qu'elle va voir une fois, ou deux, ou trois dans sa vie, en fonction de ses moyens. Et ça, c'est des histoires qu'on nous a racontées, des femmes qu'on connaît.

Il y a un psychologue, un et demi poste de psychologue au Nunavik, donc ils ne font que du travail de... on met des pansements, et ça ne marche pas, on ne peut pas construire une relation s'il n'y a pas de travail sur le long terme, en profondeur, d'accompagnement de ces personnes qui sont en souffrance et qui demandent de l'aide. Et parfois, nous, même, parfois il y a des gens qui viennent voir l'association et qui disent : Mais aidez-nous, on... voilà, une femme qui vient : Aidez-nous, je veux sortir de cette relation de brutalité avec mon mari, mais je n'ai pas de logement, je ne sais pas où aller, qui est-ce qui va m'aider?, et en fait on est impuissantes, nous, à répondre à ces demandes.

Donc, je pense que, s'il y avait, comment dire, des structures qui permettraient un suivi à long terme, un accompagnement des personnes qui sont en souffrance, ça pourrait aider énormément.

Le Président (M. Picard) : Merci. Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve.

Mme Poirier : Merci, M. le Président. Bonjour, mesdames. Bonjour, chers collègues. Très heureuse que l'on puisse débuter nos travaux.

Dans votre rapport, qui est fort intéressant et très nourrissant pour notre commission, je lis un paragraphe puis j'aimerais ça que vous puissiez aller plus loin à partir de ce que vous avez écrit, c'est à la page 69, qui est Difficultés dans les relations conjugales : «La dispute, l'infidélité, l'instabilité et la méfiance définissent trop souvent les relations conjugales aujourd'hui. Selon les participantes, cette situation est en partie causée par le manque de communication et les sentiments d'impuissance et de colère chez les hommes, sentiments ancrés dans un déséquilibre des rôles dans la société inuite moderne.» Pouvez-vous m'expliquer ça?

Mme Laneuville (Pascale) : C'est un sujet qui a été discuté par d'autres chercheurs, travailleurs, le fait qu'il y a beaucoup de changements dans la vie des Inuits, hein, dans les modes de vie, le fait que les femmes seraient mieux adaptées que les hommes à la nouvelle vie moderne. Les femmes sont, disons, sorties de la maison, comme elles nous ont dit, ne sont plus seulement des femmes qui éduquent les enfants, qui s'occupent de la maison et tout. Les femmes travaillent, gagnent de l'argent, s'impliquent beaucoup dans la vie, même si elles n'ont pas nécessairement des grands postes de décideur, tout ça, tandis que beaucoup d'hommes sont un peu... ils n'ont pas les capacités de continuer à... d'être pourvoyeurs de leur famille.

Donc, encore aujourd'hui, l'image d'un homme, un modèle d'homme, c'est un chasseur, par exemple. Beaucoup d'hommes n'ont pas les moyens d'aller à la chasse, parce que c'est très dispendieux. Tout pour dire que les femmes sentent que les hommes ont de la misère à communiquer, qu'ils ont beaucoup de souffrance, de colère aussi à cause de l'histoire, à cause... Les tueries de chiens, ça, ça a affecté beaucoup les hommes, parce que c'est comme si on les attaquait eux-mêmes. Ils ont perdu leur moyen de vivre, d'être des hommes, d'aller à la chasse, de voyager. Donc, les femmes sentent ça chez les hommes et reconnaissent que les hommes communiquent très peu. Donc, quand ils expriment, c'est souvent par la violence, pour reprendre un peu de... tu sais, donner un peu plus de valeur. Donc, c'est ça aussi qu'on veut dire par là, là. C'est un problème... C'est un sujet assez complexe à parler, là. Je ne sais pas si, Caroline, tu veux ajouter quelque chose.

• (10 h 10) •

Mme Hervé (Caroline) : Oui. Effectivement, les rôles masculins sont en difficulté aujourd'hui, les modèles sont... les hommes ont du mal à se trouver un modèle, un rôle masculin qui est valorisé au centre de cette société qui est en changement, donc... Et on a du mal aussi à impliquer les hommes dans la guérison de la société. Donc, il y a, par exemple, une association des hommes à Inukjuak qui est une association locale, ça s'appelle Unaaq. Alors, ils font un travail fantastique auprès des jeunes, des jeunes hommes, qui sont souvent plus susceptibles de se tourner vers le suicide parce que justement ils ne savent pas comment s'exprimer en dehors qu'à travers des gestes, autrement que par des gestes, mais cette... Les hommes ne sont pas habitués à parler, donc c'est vrai que ce n'est pas eux qui vont forcément créer une association régionale où ils vont aller exprimer la voix des hommes dans les instances régionales, nationales. Donc, je pense que c'est vrai qu'il y a un vrai soutien à faire à ce niveau-là pour les aider à se revaloriser.

Et en fait il y a aussi des projets, des projets qui sont dans la région, sur lesquels on travaille en ce moment, par exemple que les hommes qui réagissent, enfin, qui deviennent violents ne soient pas systématiquement emmenés en prison, mais qu'on les emmène dans un centre pour dégriser, en fait, pour jusqu'au lendemain matin, parce que, sinon, un homme qui est ivre et qui fait un peu le bordel dans sa maison, sans pour autant être violent, va parfois... s'il est incontrôlable, il va aller passer la nuit en prison, donc là on criminalise déjà ce type de comportement. Donc, on réfléchit beaucoup, en ce moment, à des types, en fait, d'alternatives, d'actions alternatives dans lesquelles la question de l'alcool ne serait pas directement liée à la criminalité. Donc, ça, je pense, c'est des choses qui pourraient aider les hommes aussi.

Mme Poirier : Est-ce que ce type de centre de dégrisement existe pour les femmes?

Mme Hervé (Caroline) : Non, de tels centres, au Nunavik, n'existent pas. Il n'y a aucune alternative, pour l'instant, à la prison, quand on est intoxiqué.

Mme Poirier : Pour le bénéfice de tous, quand vous me parlez de la tuerie des chiens, pouvez-vous nous parler de quoi on parle?

Mme Laneuville (Pascale) : Oui. Donc, je n'ai pas étudié ce sujet-là, moi, j'ai seulement récolté des témoignages, là, des gens qui ont parlé de ça. J'ai parlé à des femmes, donc des jeunes femmes, qui m'ont dit : Ah! j'ai entendu dire par mes grands-parents ou mes parents... il s'est passé quelque chose, ça a été vraiment dur. Donc, on ne veut pas... C'est un sujet politisé aussi, là. Il y a déjà une étude qui a été faite là-dessus par un collègue, là, au postdoctorat, Francis Lévesque, qui a une thèse là-dessus, donc, très intéressante. On ne croit pas qu'il y a eu des tueries systématiques mais plusieurs expériences dans une même période de temps par différentes familles. L'important, c'est que l'acte qui a été causé, que ça ait été causé dans différents contextes, par les agents de la GRC dans le Nord ou autres, là, le fait important, c'est que, quand les chiens ont été tués parce qu'ils étaient dangereux, malades ou parce qu'ils n'étaient pas attachés, à cause... malgré les lois, des règlements, le fait de tuer des chiens était très, très difficile pour les Inuits parce que les chiens étaient une partie d'eux-mêmes, étaient leur façon de survivre. Donc, quand c'est arrivé, ça a gravement marqué les hommes surtout mais toutes les familles.

Mme Poirier : Il y a un rapport qui est sorti récemment, et c'est un rapport qui parle de La judiciarisation et le non-recours ou l'usurpation du droit du logement  Le cas du contentieux locatif des HLM au Nunavik. On parle qu'il y aurait un taux inexpliqué d'éviction des locataires dans les HLM. Pouvez-vous nous parler de ça?

Mme Hervé (Caroline) : En fait, moi, je n'ai pas lu ce rapport, donc je vais juste réagir par rapport à ce que je connais. C'est que les HLM, il y en a quelques-uns, il n'y en a pas beaucoup, donc il y en a dans quelques communautés. C'est souvent des logements... des nids explosifs, comme des poudrières, en fait, et c'est vrai qu'il y a cette idée que c'est souvent dans ces HLM qu'il va y avoir beaucoup de problèmes sociaux. Donc, c'est tout à fait possible qu'il y ait un fort taux d'éviction dans ces logements, où finalement sont placés souvent, bien, peut-être des gens qui ont aussi des problèmes mentaux, qui ne sont pas forcément diagnostiqués. Enfin, je m'exprime mal, là, mais souvent, dans ces logements sociaux... Je ne connais pas les politiques d'attribution, mais moi, je pense que le fait que ce soit... l'entassement de personnes les unes sur les autres, en fait, ça aggrave encore ce qui existe déjà dans les maisons.

Mme Poirier : Vous avez, tout à l'heure, mentionné que le modèle linéaire d'attribution des logements ne respectait pas, dans le fond, la façon de vivre. Selon vous, quelle serait la façon de faire pour régler, dans le fond, cette imposition des Blancs d'un certain modèle, versus un modèle qui serait acceptable?

Mme Hervé (Caroline) : Je pense qu'il faudrait qu'il y ait des grosses discussions dans la région entre les décideurs, donc ceux qui décident des critères d'attribution des logements sociaux, et des organismes communautaires comme le nôtre. Il faudrait qu'il y ait un plus gros travail de discussion sur... Justement, par exemple, on pourrait très bien demander à ce que des femmes qui souhaitent quitter une relation malsaine aient accès plus facilement à un logement. Ça, c'est des choses sur lesquelles on va devoir travailler.

Et une des solutions serait aussi d'envisager des alternatives au logement social. Donc, il y a la possibilité d'accéder au logement privé, à la propriété privée, il y a des programmes de la SHQ qui financent à 75 % le prêt nécessaire à la construction d'un logement au Nunavik, donc ce qui est énorme. Le problème, c'est que les 25 % restants sont très difficiles à obtenir parce que les banques ou les assureurs sont assez frileux à prêter ou à assurer aux Inuits, parce que, là encore, on est dans un système qui n'est pas bien connu et pratiqué par ces peuples inuits, qui ne vivaient pas selon l'épargne mais plutôt selon un mode de vie où on consomme ce qu'on a tout de suite, ça fait qu'il y a un problème. Et je pense qu'il faudrait imaginer des types d'attribution de logement ou des types de logement différents.

Mme Poirier : À la page 65 de votre rapport, vous nous parlez de la nécessité de développer des cercles de guérison collective. Qu'est-ce que c'est?

Mme Laneuville (Pascale) : Bien, «cercle», c'est un terme utilisé beaucoup chez les autochtones, mais le but, c'est des activités de guérison, des ateliers, des conférences, comment on peut les appeler. L'important, c'est d'avoir la communauté qui est toute invitée, tu sais, toutes les générations.

Évidemment, la société inuite, les familles, les communautés ont besoin de guérison, là, tu sais, à cause de tout ce qui s'est passé. Guérison, ça veut dire surtout parler, tu sais, parler de ce qui s'est passé, de parler de leur souffrance, tu sais, donc ils ont besoin d'avoir... Tu sais, de temps en temps, il arrive d'y avoir des ateliers comme ça, des gens qui vont dans le Nord, qui organisent ça, que ce soit la régie de la santé ou d'autres qui organisent des ateliers comme ça, mais les Inuits aimeraient ça en avoir plus, tu sais, plus d'activités, d'occasions d'aller sur le territoire, parce que disons que la sortie sur le territoire est toujours bénéfique, pour les Inuits, et c'est plus propice aussi à la guérison et au bien-être, donc des activités intergénérationnelles pour inviter les gens à se confier, à parler, à partager, c'est ça qu'on veut dire par la guérison. Il y a plein de gens, Inuits ou non-Inuits, qui sont formés pour ça, pour accompagner, pour soutenir. Quand ça arrive, ça prend des gens qui vont soutenir, tu sais, parce que c'est difficile, ce qui va se passer. Donc, c'est ça dont on parle. Il faut soutenir. Pour un gouvernement ou pour les administrations, je pense, il faut soutenir les initiatives pour créer des occasions comme ça, tu sais, des programmes de... des ateliers de guérison dans les communautés inuites.

Mme Poirier : Vous nous parlez que le...

Mme Baron (Annie) : ...chose que je voulais dire aussi, il y a une organisation à Kuujjuaq, c'est les femmes locales de Kuujjuaq, Martha Greig, Mary Mesher, Eva Lapage, Lena Metuq qui est retraitée maintenant depuis quelques mois. Ces femmes ont été engagées, et ça a suivi «the federal day school compensation», pour aider à guérir les plaies qu'elles ont vécues. Quand les femmes sont invitées dans les communautés, elles vont rencontrer la famille pour travailler sur les personnes qui sont en peine.

Leurs programmes vont finir l'année prochaine ou en 2017. Donc, ce serait bon de continuer ce programme-là.

Mme Poirier : Il s'appelle comment, le programme?

Mme Baron (Annie) : Inuit values.

Mme Laneuville (Pascale) : ...à la régie, ça?

Mme Baron (Annie) : Oui.

Mme Laneuville (Pascale) : C'est le programme pour l'école résidentielle ou...

Mme Baron (Annie) : Oui.

Mme Laneuville (Pascale) : Bien, c'est un programme de soutien aux pensionnaires des écoles résidentielles. Donc, il y a des conseillères inuites qui sont payées, elles ont un local à Kuujjuaq, donc, elles ont une ligne d'écoute, donc elles sont là pour aider les gens qui ont à guérir, là, c'est des conseillères, des thérapeutes un peu, là. Donc, c'est ça, ce serait bon que ça, ça continue, là.

Et juste mentionner une chose. Ça peut paraître simple, quand on dit : Il faut qu'on aille sur le territoire pour parler, là, mais, si on dit que c'est important que ça arrive puis on demande de l'aide, c'est que ça coûte très cher, là, tu sais, je veux dire, on ne peut pas dire juste : On va sur le territoire, on va parler. Le gaz pour aller sur le territoire, un campement, la nourriture, payer les professionnels, je veux dire, ça, c'est beaucoup d'organisation et de sous, donc c'est pour ça que ce n'est pas... les communautés ont besoin de soutien pour réaliser ces choses-là.

Mme Poirier : Vous nous dites que le suicide touche particulièrement les adolescents. Donc, si, à partir de l'adolescence, on souffre déjà, on va le répercuter dans sa vie d'adulte et tout au long de sa vie, donc on va avoir un taux de décrochage plus élevé, on va avoir les problèmes psychologiques qui vont s'ensuivre, etc.

Pourquoi à l'adolescence on a un taux de suicide... Est-ce qu'il est plus élevé que le reste du Québec? Est-ce qu'il a les mêmes causes? Est-ce qu'il a des causes différentes?

• (10 h 20) •

Mme Hervé (Caroline) : Oui, il est définitivement plus élevé. Je n'ai pas les chiffres en tête, mais c'est sûr que...

L'adolescence, c'est une période qui est plus fragile, donc il faut bien... Imaginez-vous vivre dans un petit village de 200, 300 habitants. Vous ne pouvez pas en sortir à moins de prendre l'avion et d'avoir de l'argent pour acheter un billet. Votre mère a été violée, votre soeur a été violée par un oncle; cette personne-là, vous la croisez tous les jours quand vous allez faire des courses. Vous êtes un jeune homme, et votre père est un alcoolique. Comment envisager le futur, son avenir, en ayant des paysages un peu traumatisants comme ça autour de soi et qui se multiplient tout le temps?

Donc, je pense qu'effectivement les jeunes femmes et les jeunes hommes plus particulièrement trouvent dans le suicide une façon de... bien, de s'exprimer et de dire : Non, moi, je ne veux pas vivre là-dedans. Et moi, j'ai une amie qui a décidé de ne pas avoir d'enfant, parce qu'elle ne veut pas mettre au monde un enfant au Nunavik dans les conditions actuelles, donc...

Et, ces jeunes-là, je connais une jeune fille qui s'est suicidée. Elle était allée voir la travailleuse sociale les semaines d'avant, elle avait demandé de l'aide, et la travailleuse sociale lui avait dit : Bien, je n'ai pas de place pour toi en ce moment. Cette jeune fille voulait aller dans le Sud, dans une institution du Sud. La travailleuse sociale lui a dit : Je n'ai pas de place pour toi, il faut que tu attendes quelques semaines, je vais finir par t'en trouver une. Bien non, c'était maintenant qu'il fallait réagir. Il était trop tard.

Mme Poirier : Vous nous parlez de la vente illégale d'alcool dans votre rapport. Pouvez-vous élaborer?

Mme Hervé (Caroline) : Je veux bien réagir là-dessus. En fait, l'alcool, c'est l'un des principaux problèmes... Vous nous demandiez tout à l'heure quels étaient les principaux problèmes : le logement, mais l'alcool, c'est le multiplicateur de tout. Les gens qui font des violences conjugales, enfin, qui perpétuent des violences de toutes sortes, souvent c'est parce qu'ils sont intoxiqués, c'est des choses qu'ils ne feraient pas s'ils n'étaient pas intoxiqués, pas forcément.

Depuis un an, la police, le corps régional de police Kativik a doublé ses saisies d'alcool illégal au Nunavik. La criminalité a baissé. Je n'ai plus les pourcentages, mais je vous invite à lire ces articles dans le Nunatsiaq News, donc, qui est le journal hebdomadaire qui couvre tout l'Arctique canadien, il y a des articles qui sont très parlants sur la relation entre l'alcool et la criminalité.

Mme Poirier : Donc, pour vous...

Mme Baron (Annie) : Si on veut arrêter n'importe quelle addiction dans la vie de quelqu'un, ça prend le vouloir de... que lui, il veut arrêter, hein? Même si on lui dit comme membre de famille, il ne va pas vouloir arrêter. Donc, il faut faire des préventions à des jeunes, des un petit peu plus vieux et offrir les services pour aider les gens qui sont alcooliques ou qui prennent de la drogue.

Le Président (M. Picard) : Merci. Je cède maintenant la parole à Mme la députée de Montarville.

Mme Roy (Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président. D'entrée de jeu, permettez-moi, mesdames, et vous tous, membres de la commission, de m'excuser pour mon retard de ce matin, c'était impossible pour moi d'être ici à 9 heures. Cela dit, c'est important d'être ici et de vous écouter. Philippe a pris plein de notes, et on lit avec beaucoup d'intérêt votre mémoire. Ce que vous nous dites est extrêmement important.

Et j'aimerais poursuivre, faire du pouce sur ce que ma collègue la députée d'Hochelaga-Maisonneuve disait à l'égard de l'alcool. Vous disiez qu'il y a eu une diminution du taux de criminalité, compte tenu du fait qu'on s'est attaqué à la problématique de l'alcool. Pourriez-vous poursuivre un petit peu là-dessus? Puis j'aurai d'autres questions par la suite.

Mme Hervé (Caroline) : Donc, dans les communautés du Nunavik, juste pour vous resituer le contexte, alors il y a un bar dans une seule communauté, qui est Kuujjuaq. Il y en a un deuxième qui va probablement s'ouvrir à Puvirnituq...

Une voix : ...

Mme Hervé (Caroline) : Et il y a un bar également à Kuujjuarapik.

Dans les autres communautés et dans ces communautés aussi, la seule façon d'acquérir de l'alcool, c'est de s'en faire... enfin, d'en acheter à distance, donc. On peut s'en faire envoyer par la poste, on peut s'en faire envoyer par cargo, par avion.

Ensuite, dans certaines communautés, il y a des règlements municipaux, donc il y a des listes de personnes qui sont autorisées à commander et des listes de personnes qui sont non autorisées à commander de l'alcool.

À partir de là, il y a eu toute une réflexion dans la région à savoir est-ce que ces freins à la commande d'alcool étaient aussi un multiplicateur de vente par contrebande. Donc, on essaie aujourd'hui de faire des expériences. À Kuujjuaq, la coopérative, qui est l'un des trois magasins de Kuujjuaq, vend actuellement de la bière, donc, en vente libre, on est en train d'observer les répercussions de ces ouvertures-là.

Et le problème de la vente illégale d'alcool, c'est que quelqu'un qui va revendre de l'alcool, il vend à n'importe qui, donc il va vendre à des jeunes de 10, 12 ans. Et c'est quelqu'un qui veut se faire de l'argent, visiblement, parce qu'il vend de l'alcool de façon illégale, alors il ne va pas avoir de... pas forcément de barrières qui vont l'empêcher, donc il n'y a aucun contrôle sur à qui cet alcool est vendu, donc.

Alors, je voudrais bien répondre à votre question, à votre attente. Après, donc, ce que les policiers, en fait, font depuis un an, un an et demi, c'est qu'ils vont chercher des mandats et donc ils vont chercher les boîtes d'alcool qui arrivent, donc ils vont stopper l'alcool illégal. Et ça, on voit des répercussions, et les gens le disent dans les villages. Il y a moins d'appels à la police, moins de gens qui sont envoyés en prison, les villages sont plus tranquilles. Et en fait ce groupe-là qui discute à l'ouverture de centres de dégrisement, c'est aussi des gens qui discutent avec le ministère de la Justice pour adapter aussi certaines peines. Au lieu d'envoyer quelqu'un en prison, on va lui demander plutôt de faire des travaux d'intérêt général ou autre chose. Donc, je ne sais pas si je réponds...

Mme Roy (Montarville) : Bien, ce qui est intéressant, c'est que vous nous dites qu'on pourrait commencer à voir un lien de cause à effet entre le contrôle de l'alcool et justement la façon de se procurer de l'alcool, de façon légale, contrôler, vérifier que des mineurs n'en achètent pas. Donc, déjà, il y a un effet bénéfique. Alors, ça, c'est une bonne chose.

Est-ce que c'est bien vu dans la communauté, ce contrôle-là, le fait qu'on pourra retrouver, par exemple, la bière sur des tablettes à tel endroit et qu'on interdit à des contrebandiers de vendre à qui que ce soit? J'imagine... Je présume, mais je ne veux pas présumer. Dites-moi comment c'est reçu de la population. Vous dites : On en parle. Comment est-ce que c'est reçu?

Mme Hervé (Caroline) : Moi, je n'ai pas entendu de mot négatif vis-à-vis de ça. Je ne sais pas si toi, Annie, tu as entendu vent de... par rapport à ce qui se faisait à Kuujjuaq, comment réagissaient les gens, ou à Puvirnituq.

Mme Baron (Annie) : Ça dépend d'une personne à l'autre toujours. Quand ils ont ouvert la coop qui vend la bière, une bonne chose, c'était : On va pouvoir boire de la bière ou du vin à la maison au lieu d'aller au bar, mais en même temps il y a des gens qui ont dit : Ils ont trop d'accès. Donc, c'est comme ma fille qui, à l'Halloween, elle a eu plein de bonbons, elle veut tout le temps. Donc, il y a des bons et des mauvais côtés.

• (10 h 30) •

Mme Laneuville (Pascale) : C'est ça, c'est sûr que c'est ambigu. Des gens ont peur d'un plus grand accès à l'alcool, voudraient moins d'alcool, et d'autres, au contraire, croient que c'est ça qui va changer un peu la relation abusive à l'alcool, tu sais, de dire : Bon, bien, si tu as accès à l'alcool tous les jours, tu ne vas pas vouloir... tu n'as pas l'impression que tu as juste une occasion dans le mois pour boire, tu peux boire quand tu veux, donc ta consommation va devenir moins excessive. Parce qu'on voyait aussi que la communauté où l'alcool est accessible deux fois par mois, aux deux semaines seulement... on voit que la violence augmentait à ce moment-là parce que, quand les gens reçoivent leur alcool, ils vont tout boire ce qu'ils ont pendant deux jours, puis là il y a des excès de violence. Donc, c'est un cycle. Là, s'il y a de l'accès à l'alcool tout le temps, il va y avoir des changements.

C'est pour ça qu'à Puvirnituq ils ont éliminé les contraintes, tout le monde peut commander de l'alcool quand il veut, il n'y a pas de limite, tu sais. Donc, beaucoup de gens, ça leur faisait peur, ils disaient : Il y a plus de gens qui conduisent intoxiqués.

Mais tout ça, c'est comme des essais, disons, on essaie, voir est-ce que ça va améliorer la situation. Par exemple, aussi, certaines personnes m'ont dit que, d'après elles, avoir un bar, c'est une bonne chose. Oui, ça donne accès à l'alcool quotidiennement, mais au moins les gens boivent dans le bar et non à la maison avec les enfants. Donc, il y a différentes façons de voir les choses, différentes situations, donc c'est quelque chose à creuser, je pense, et à analyser, surtout avec les changements qui arrivent en ce moment. C'est difficile de trouver une solution, surtout que les Inuits eux-mêmes ne s'entendent pas sur ce qu'il faut faire selon les générations, l'expérience des gens.

Mme Roy (Montarville) : Ça répond bien à la question. Maintenant, j'aimerais aller un petit peu plus loin à l'égard des autorités policières. D'abord, quelles sont les ressources policières qui sont présentes chez vous, au Nunavik? Puis quelle est la relation des citoyens avec ces ressources policières là? Oui, oui, allez-y.

Mme Baron (Annie) : Mon père aime bien la police qui est dans notre communauté, mais les plus jeunes qui arrivent ont moins d'expérience, il y en a qui sont comme un petit peu machos. Comme je disais, les gens qui ne connaissent pas la culture... Il y a des bonnes polices qui travaillent avec les gens, mais, je pense, ils devraient être sensibilisés de notre culture, parce qu'il y a des polices qui parlent du Nord, ils pensent que tous les Inuits sont mauvais parce que tous les gens qu'ils ont vus, ils les ont arrêtés. Donc, c'est ça.

Mme Laneuville (Pascale) : ...juste rapidement, les travailleurs blancs, policiers et autres, même enseignants, sont souvent jeunes, c'est des jeunes sans enfant souvent qui vont travailler dans le Nord, donc ils ont moins d'expérience de vie, de travail. Ça, les Inuits le reconnaissent aussi. Ça affecte leur travail aussi, là.

Mme Roy (Montarville) : D'où viennent ces policiers-là? Est-ce que ce sont des gens qui viennent de l'extérieur... ou y a-t-il des gens de la communauté aussi qui joignent les rangs des forces policières?

Mme Baron (Annie) : C'est des gens qui viennent de l'extérieur, parce qu'on a eu des policiers qui venaient de notre village, mais c'est trop, pour les gens, d'arrêter leurs membres... la famille, donc ils ne toffent pas. Le plus longtemps, je pense, c'est un gars de Tasiujaq, qui est un policier depuis longtemps, mais, je pense, la plupart de mon village, ils ne toffaient pas plus que deux ans.

Mme Roy (Montarville) : Et, si je...

Mme Baron (Annie) : Arrêter ton frère, ton oncle et... Ce n'est pas fait pour tout le monde.

Mme Roy (Montarville) : C'est trop intime, c'est trop personnel.

Mme Baron (Annie) : Oui.

Mme Roy (Montarville) : Si vous aviez des recommandations à faire pour les futurs policiers qui iraient travailler chez vous, ce serait quoi? Allez-y, vous avez tout le plancher.

Mme Baron (Annie) : Faire de la promotion aux jeunes, jeunes et qu'ils ne voient pas la police comme les méchants qui vont arrêter mon père ou ma mère, que les polices soient... qu'ils jouent avec les jeunes. Donc, ça, c'est la première chose à faire «so they won't be seen» négatif. Si c'est des «role models», les jeunes vont vouloir faire le travail. Et promouvoir le... Si tu habites à Kangiqsualujjuaq, tu peux aller travailler à Tasiujaq plus.

Mme Roy (Montarville) : Promouvoir, pour les policiers, même le déplacement à l'intérieur des...

Mme Baron (Annie) : Quand les jeunes Inuits sont rendus plus vieux, oui.

Mme Roy (Montarville) : Parfait. Je vais poursuivre. Il me reste du temps, M. le Président?

Le Président (M. Picard) : ...

Mme Roy (Montarville) : Parfait. Je vais poursuivre. Vous dites dans votre document : Une des priorités, c'est «retrouver un milieu de vie sécuritaire et harmonieux». C'est vraiment... L'importance du foyer, pour les femmes, on le sait, mais pour toutes les générations à la maison.

Concrètement, vous avez besoin de quoi? Vous nous dites : Il y a une pénurie de logements sociaux. Qu'est-ce que ça prendrait? Qu'est-ce que vous avez besoin pour retrouver ce milieu de vie sécuritaire?

Mme Baron (Annie) : «House». La maison, la nourriture, le travail pour tout le monde, l'amour. Comment montrer la bonne vie aux jeunes... Pour survivre, on a besoin de nourriture, de bien dormir, l'éducation, la bonne santé mentale, physique. Donc, je pense, c'est les nécessités qui nous manquent souvent.

Mme Laneuville (Pascale) : Oui, parce que, c'est ça, le foyer, quand on n'a pas un foyer sécuritaire, là, où on se sent bien, tout ça... Beaucoup de jeunes ne mangent pas à leur faim aussi, ne dorment pas assez, donc c'est très difficile pour les enseignants et les élèves à l'école ensuite. Donc, c'est des trucs de base mais qui sont simples, là. Construire une maison, c'est plus simple que de guérir du passé, même si ça prend beaucoup de travail pour construire une maison aussi, là. Donc, oui, c'est ça, il faudrait augmenter la construction des logements sociaux puis supporter l'éducation; l'économie, comme elle disait, créer plus d'emplois, là. C'est quelque chose qui est difficile mais sur lequel il faut travailler dans le Nord, là.

Mme Roy (Montarville) : C'est vraiment les nécessités de base, là, qui sont manquantes, qui sont déficientes puis qui pourraient, là, donner un coup de pouce pour aller vers l'avant, aller vers des jours meilleurs, là.

Mme Laneuville (Pascale) : Puis aussi c'est dur de guérir, là, mentalement quand tout ce qu'on pense, c'est la question de survie quotidiennement, là, survie matérielle même.

Mme Hervé (Caroline) : Mais c'est les nécessités de base mais à chaque fois des programmes culturellement appropriés, parce qu'on peut importer 10 000 programmes dans le Nord, s'ils ne sont pas adaptés à la réalité du Nord, à la culture inuite, ça ne fonctionnera pas. Et il y a bien des gens qui travaillent à la régie de la santé ou dans d'autres institutions du Nunavik qui veulent vraiment faire des belles choses et aider, mais souvent ils apportent des modèles du Sud. Et même si sur, parfois, ces modèles-là ils vont dire qu'on va les adapter culturellement, ils ne le sont pas, parce que personne n'est formé. Les policiers ont zéro formation sur la culture inuite, ils arrivent du jour au lendemain dans les villages. Les enseignants, je pense qu'ils ont cinq jours de formation à Kuujjuaq quand ils arrivent, dont un après-midi sur la culture inuite, et ce n'est pas assez, ce n'est pas assez.

Nous, on travaille depuis des années avec les Inuits et on voit le décalage entre des tentatives de faire fonctionner des modèles, imposer des modèles, et la réalité, et en fait nous, à Saturviit, on essaie de développer des programmes... enfin, des activités qui sont faites par les femmes pour les femmes. Ils ont l'expertise. Les Inuits ne seraient pas là aujourd'hui s'ils n'avaient pas l'expertise de régler leurs propres problèmes, ils ont toute leur expertise, c'est juste que parfois on essaie de... La régie essaie de développer, par exemple, des programmes de «parenting», donc d'éducation, apprendre à élever ses enfants. Est-ce qu'ils ont vraiment...

Le Président (M. Picard) : Mme Hervé...

Mme Hervé (Caroline) : Merci.

Le Président (M. Picard) : Merci. Je cède maintenant la parole à Mme la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques, 3 min 30 s.

Mme Massé : Bonjour. Merci d'être là. Bonjour, chers collègues. Je repars sur cette idée de programmes culturellement adaptés, besoin de ressources, logement, je pense que c'est... Vous avez nommé d'entrée de jeu qu'il y avait sur l'ensemble du territoire trois maisons d'hébergement pour femmes en difficulté, je crois, pas nécessairement victimes de violence conjugale mais en difficulté — vous me rectifierez si je me trompe, là — et ce que je me demandais, c'est : Est-ce qu'effectivement ces maisons ont été culturellement adaptées ou, dans le fond, les femmes n'y vont pas parce qu'elles ne s'y reconnaissent pas, dans notre approche du Sud, comme vous dites? Ça, ça serait ma première question. Je vais vous les poser tout de suite parce qu'après vous aurez le temps.

Et vous avez nommé aussi quelque chose de majeur tantôt, c'est la question des préjugés, donc la nécessaire formation chez les non-autochtones pour arriver à travailler intelligemment ensemble pour relever ces défis-là. Est-ce que vous croyez qu'une des choses que pourrait faire notre gouvernement, c'est de s'attaquer de façon spécifique à la question du racisme et à la discrimination face au peuple inuit ou aux Premières Nations en général? Deux questions.

• (10 h 40) •

Mme Laneuville (Pascale) : Rapidement, si on veut s'attaquer au racisme, c'est facile à dire, mais ce n'est pas juste une question d'individus. Donc, on peut essayer de former les individus, les éveiller un peu à... ou les ouvrir à la différence, mais c'est tout un système, là, tu sais, c'est toutes les pratiques, les procédures auxquelles les Inuits sont... ils ont de la misère à fonctionner avec ça.

Donc, pour ça, je ne sais pas vous avez une réponse pour ça, mais finalement c'est faire plus de place aux Inuits, éduquer les Inuits pour qu'ils soient capables de prendre en main leurs propres institutions, leur faire plus de place, plus les intégrer dans les interventions. C'est les pratiques du quotidien qu'il faut changer, tu sais, puis ce n'est pas juste les préjugés des individus.

Mme Baron (Annie) : Le système de logement pour les femmes battues, c'est un modèle du Sud. Ils essaient fort de travailler avec les femmes pour remonter son estime de soi. Traditionnellement, s'il y avait une violence conjugale, c'était le monsieur qui était rencontré par les personnes aînées. Ça ne se fait pas comme ça aujourd'hui, c'est ça.

Mme Hervé (Caroline) : Je pense... Les refuges pour femmes, moi, je ne connais pas bien comment ça se passe à l'intérieur, donc je ne serais pas capable de répondre spécifiquement à votre question. Je n'ai jamais entendu vraiment de... Les femmes se retrouvent entre elles, et c'est souvent des femmes inuites qui sont à la tête de ces refuges, donc je pense qu'à l'intérieur elles aménagent bien le travail qu'elles font ensemble. Je n'ai pas entendu tellement de réticences de la part des femmes à aller dans ces structures-là.

Quant à la formation, je n'ai pas parlé de discrimination mais d'un réel besoin, effectivement, de former les travailleurs qui viennent à une vision beaucoup plus holistique, de laquelle ils sont très éloignés. Et ça, je pense, ça passe... je suis anthropologue, mais je pense que ça passe par une formation, une sensibilité plus anthropologique et historique aux conditions de vie des Inuits.

Le Président (M. Picard) : Merci. Merci, Mmes Laneuville, Baron et Hervé, pour votre apport aux travaux de la commission.

Je vais suspendre quelques instants afin de permettre au Regroupement des centres d'amitié autochtones de prendre place. Merci.

(Suspension de la séance à 10 h 42)

(Reprise à 10 h 48)

Le Président (M. Picard) : Nous reprenons nos travaux en recevant les représentantes du Regroupement des centres d'amitié autochtones, Mme Edith Cloutier et Mme Tanya Sirois. Vous disposez d'une période de 20 minutes pour faire une présentation, il va s'ensuivre des échanges avec les parlementaires. La parole est à vous.

Regroupement des centres d'amitié
autochtones du Québec inc. (RCAAQ)

Mme Cloutier (Edith) : Merci. (S'exprime dans une langue autochtone). Merci beaucoup de nous recevoir aujourd'hui, on accepte humblement cette invitation. Je sais que le temps se fait court. Alors, j'ai aussi avec moi la directrice générale du Regroupement des centres d'amitié autochtones qui pourra complémenter la présentation. Je n'ai pas de document officiel de ce que je vais vous présenter, on aura l'opportunité de déposer un mémoire lors des travaux de la commission. Toutefois, on va vous remettre un document de référence qui est un document qui porte sur la prostitution en Abitibi-Témiscamingue, une étude qui a été produite par un partenaire du centre qui est le Gîte L'Autre porte. J'en ferai référence dans ma présentation.

Je ne peux pas débuter cette présentation sans faire référence à ce qui a secoué le Québec, ce qui a secoué les femmes autochtones, ce qui a secoué Val-d'Or le 22 octobre dernier, lors de la diffusion de l'émission Enquête, qui a mis au grand jour la grande vulnérabilité des femmes autochtones mais surtout un cri du coeur de femmes qui souhaitent briser le silence et de dire que c'est assez, c'est assez, la violence, c'est assez, les abus, c'est assez, les abus de policiers. Et donc c'est évidemment teintée encore de toute cette réalité que je me présente à vous aujourd'hui.

• (10 h 50) •

J'aimerais souligner aussi que ces femmes, dans leur courage, à travers leur grande fragilité mais leur grand courage ont pris la parole publiquement, ont osé prendre la parole publiquement pour dénoncer des abus. Eh bien, elles ont déjà maintenant tracé un sentier d'espoir pour d'autres femmes autochtones, parce qu'à peine deux semaines... je perds la notion du temps depuis, mais, depuis presque trois semaines maintenant, d'autres femmes se manifestent, d'autres femmes dénoncent les abus provenant d'autorités, de personnes en autorité, des femmes non seulement de Val-d'Or, de l'Abitibi, du Témiscamingue, mais aussi de la Côte-Nord et d'ailleurs au Québec.

Lorsque nous avons tenu la conférence de presse, le lendemain du reportage, nous avons demandé l'assurance que ces femmes soient en sécurité, que toutes les femmes, que tous les citoyens et citoyennes du Québec, qu'ils soient autochtones ou non, soient protégés, protégés par la sécurité publique, protégés comme tout citoyen a le droit et protégés dans leurs droits et libertés. On a posé la question, le 23 octobre dernier, en disant : Combien de femmes autochtones doivent être abusées ou assassinées et combien doivent encore disparaître pour sortir le Québec et le Canada de l'indifférence face à ces femmes-là? On a demandé aussi combien d'enfants autochtones doivent trouver la mort avant qu'une commission d'enquête publique au Québec se tienne pour parler des conditions de vie des enfants, mais maintenant surtout de la relation de l'autorité policière et les femmes autochtones. Le cumul d'histoires violentes d'enfants et de femmes autochtones traduit une réalité qui est insupportable, insupportable et inconcevable, et inacceptable pour un Québec où tout le monde vit librement et devrait se sentir protégé et être égaux comme citoyens. On avait dit à ce moment-là que ne pas agir, qu'on soit l'État québécois, les Premières Nations, la société civile, ne pas agir équivaut à se rendre complice d'un génocide culturel qui est perpétré à l'encontre des peuples autochtones, dont le régime des pensionnats indiens en a été l'instrument privilégié.

Plusieurs enjeux ont donc été soulevés à travers ce volcan, comme un aîné nous l'a si bien ramené, ce qu'on a vécu, ce qui a secoué le Québec. Donc, les enjeux qui ont été soulevés, évidemment, la violence faite aux femmes autochtones, toute la question, je l'ai mentionné, de l'autorité policière, de la protection de ces femmes-là, de leur grande vulnérabilité, mais ça a soulevé aussi toute la question du racisme systémique, des facteurs systémiques qui maintiennent en marge les autochtones et qui font que nous sommes malheureusement trop souvent considérés comme des citoyens de seconde zone au Québec et au Canada.

Un autre enjeu, c'est qu'on a été face à la question des autochtones et la ville, parce qu'on parle beaucoup des autochtones, des Premières Nations, des réserves, de la responsabilité fiduciaire du gouvernement fédéral, du gouvernement canadien à l'égard des peuples autochtones, mais la violence et l'abus des femmes autochtones s'est passé à Val-d'Or, s'est passé en ville. Ce sont des femmes qui vivent en ville, qui sont des citoyennes du Québec, dont la responsabilité relève du gouvernement du Québec pour assurer leur sécurité pleine et entière. Il n'y a aucune, aucune ambiguïté juridictionnelle autour de la question des autochtones en milieu urbain au Québec ou ailleurs au Canada.

Pour vous parler de cette réalité très brièvement, je sais que le temps est compté, les autochtones qui vivent en ville ne sont pas assujettis à la Loi sur les Indiens, contrairement à ceux qui vivent dans les réserves. Je l'ai mentionné, la juridiction pleine et entière revient au gouvernement du Québec, quoique les Premières Nations, les chefs et les autorités représentent l'ensemble de leurs citoyens, peu importe où ils vivent. Au Canada, c'est 60 % des Indiens statués qui vivent à l'extérieur des réserves. En Ontario, on parle même de 70 %, 75 % des Indiens statués qui vivent à l'extérieur des réserves, donc qui se retrouvent dans les villes. Au Québec, la tendance va en augmentant. On a des études, des recherches, vous allez recevoir Carole Lévesque, avec qui on travaille, de l'INRS, depuis quelques années, on parle de... près de 50 % des autochtones vivent dans les villes du Québec. Dans une ville comme Val-d'Or, la population autochtone a augmenté de 270 % entre 2001 et 2006. Ces chiffres-là reposent sur Statistique Canada, on est à mettre à jour les récentes données, mais, juste pour vous dire, 270 % d'augmentation de la population autochtone dans une ville comme Val-d'Or, sans parler que Val-d'Or est un lieu de convergence et de rencontre pour les Cris du Nord, les Anishnabe du territoire, et donc il converge annuellement 15 000, 20 000 autochtones à l'année pour différentes raisons. Et évidemment le centre d'amitié autochtone... les centres d'amitié autochtones du Québec, parce qu'il y en a 10, sont donc au coeur de l'action urbaine autochtone.

Un mot sur la question des femmes autochtones et la ville. Donc, la ville crée des conditions qui accentuent l'insécurité des femmes autochtones. Elles vivent déjà de l'insécurité dans leur propre communauté. Quand elles quittent la communauté et arrivent en ville, cette insécurité-là est accentuée. La vulnérabilité de ces femmes, parce qu'on parle beaucoup de vulnérabilité, en fait n'est que le constat d'une insécurité, et, dans ce constat d'insécurité et ce contexte, ces femmes ont très peu de chances de s'épanouir.

Arrivées en ville, elles sont déjà des personnes blessées par des conditions difficiles, des conditions sociales, économiques liées à la vie dans la réserve. Elles arrivent donc avec un héritage de souffrance. Elles sont des personnes à qui on a refusé de s'épanouir dans leur propre culture et leurs propres valeurs, on a refusé qu'elles s'épanouissent dans leur propre culture et leurs propres valeurs. Elles arrivent en ville avec un cumul de ruptures, de détresse, d'incompréhension face à leur réalité. L'addition de ces ruptures se fait au niveau des liens personnels, familiaux mais aussi communautaires. Donc, la solution, ça va prendre des solutions qui ne seront pas simples pour amener ces femmes à améliorer leurs conditions de vie et surtout à améliorer leur sécurité. Il faut les amener à retisser des liens dans l'ensemble de leurs relations, que ce soit les relations avec leurs enfants, les relations avec leur famille, les relations avec la communauté, les relations avec la société québécoise.

Ces femmes, arrivées en ville, sont enfermées dans une dynamique qui multiplie les blessures. Même, au lieu de parler de vulnérabilité, c'est insuffisant, parler de vulnérabilité, quand on parle des femmes autochtones, c'est même inadéquat, parce qu'on parle d'un enfermement identitaire. Elles sont prisonnières d'un état de vie à multiples barrures, à multiples barrures, ce qui veut dire que, pour sortir de cet enfermement, il faudra ouvrir plusieurs barrures et avoir plusieurs clés pour ouvrir ces barrures. Les autochtones se retrouvent dans une marge créée par cet enfermement mais créée par l'héritage colonial, cette histoire qui nous lie et dont on vit aujourd'hui encore des séquelles intergénérationnelles, mais également le racisme, la discrimination, les préjugés qu'on a à l'égard des autochtones, des Premières nations, mais aussi la grande pauvreté dans laquelle on maintient les peuples autochtones. Je l'ai mentionné, ça va prendre plus qu'une clé pour débarrer toutes ces barrures multiples que les femmes, que les autochtones, quand elles arrivent en ville, subissent.

En ville, on retrouve donc des centres d'amitié autochtones, un des secrets les mieux gardés au Québec, 45 ans d'histoire. Pour vous en parler, je vais laisser ma collègue, Tanya Sirois, vous définir rapidement ce qu'est un centre d'amitié autochtone, dans une ville, pour ces femmes.

• (11 heures) •

Mme Sirois (Tanya) : Oui, bonjour. Tanya Sirois, directrice générale du Regroupement des centres d'amitié autochtones. Je vous remercie de l'invitation.

Effectivement, comme Mme Cloutier disait, le secret le mieux gardé au Québec, mais j'ai envie de dire du Canada. Vous savez, les centres d'amitié autochtones sont la plus grande infrastructure de services urbains pour les autochtones dans les villes au Canada et au Québec. Ils ont été créés il y a 60 ans au Canada pour répondre à une demande des autochtones, de plus en plus présents dans les villes, qui avaient besoin d'un lieu, un lieu de rassemblement, un lieu pour vivre leur culture. Et vous comprendrez qu'en au-delà de 45 ans d'histoire au Québec les centres d'amitié autochtones sont devenus de véritables centres multiservices, à différents niveaux.

La mission d'un centre d'amitié autochtone a trois volets, mais la principale et non la moindre : améliorer la qualité de vie des autochtones dans les villes, un grand défi pour les centres d'amitié autochtones. Des infrastructures créées par et pour les autochtones, c'est important de le mentionner, donc des instances démocratiques dans les villes qui répondent à des besoins concrets. Donc, un centre d'amitié autochtone à Val-d'Or répond aux besoins de Val-d'Or, un centre d'amitié autochtone de Sept-Îles répond aux besoins spécifiques de la ville de Sept-Îles. Et, comme Edith disait, on est présents dans 10 villes.

Au cours des dernières années, les centres d'amitié, le mouvement des centres d'amitié autochtones a développé plusieurs programmations. Au début, on parlait de programmation culturellement pertinente, donc comment qu'on fait en sorte qu'un programme qui existe déjà... que nous pouvions lui donner la petite «twist» pour que ça puisse répondre concrètement à notre monde.

Ensuite, il nous manquait quelque chose : Pourquoi les gens viennent dans les centres d'amitié et ne fréquentent pas le réseau québécois? Avec nos collègues chercheurs, nous avons parlé de la sécurisation culturelle. Donc, le centre d'amitié autochtone ou autre organisation présente un espace sécurisant. Les gens passent au travers les portes du centre d'amitié autochtone. Elles ne sont pas jugées, malgré leur situation, leur condition, et elles se sentent respectées, et ce lieu de rassemblement, qui a été créé il y a 60 ans, il s'en ressent à ce niveau-là. Un centre d'amitié autochtone offre une réponse en termes de respect et d'écoute, et on crée et recrée ces conditions-là. Donc, il est important de le mentionner, que l'aspect de sécurisation culturelle est un incontournable quand on parle de politiques publiques.

Un espace de médiation également. Un des aspects de la mission d'un centre d'amitié autochtone est le rapprochement entre les peuples. Et, à la suite de l'émission Enquête à Val-d'Or, il y aura tout un travail de médiation, qui a débuté, mais ce fameux rapprochement entre les autochtones et les non-autochtones, il doit se faire et vient répondre à une grande problématique que nous vivons au Québec et ailleurs au Canada, tout ce qui est le racisme et la discrimination.

Les centres d'amitié autochtones sont en mesure de saisir la complexité des problématiques, des besoins de plus en plus complexes, des besoins de plus en plus nombreux, en 2015, en ce qui a trait à cette réalité-là des autochtones dans les villes. Quand on parle d'améliorer la qualité de vie des autochtones dans les villes, il faut comprendre que les organismes de première ligne, les organismes autochtones, ont une expertise, et cette expertise-là doit être reconnue. Quand on parle de mieux-être global, comment qu'on doit agir avec les autochtones face aux séquelles des politiques d'assimilation ou les séquelles des gens... des femmes quand elles arrivent dans les villes, qu'on parle de violence physique, psychologique, sexuelle, la consommation abusive de drogues, d'alcool, la pauvreté, taux de chômage élevé, taux de suicide élevé, déclin des compétences parentales, on est présentement dans un cercle qui fait en sorte que, si on n'agit pas, la situation n'ira pas en s'améliorant. La reconnaissance de cette réalité urbaine autochtone est un incontournable, en 2015, de faire en sorte que cette richesse, parce que la présence des autochtones dans les villes n'est pas un problème mais bien une richesse collective... l'importance de construire et définir des politiques publiques ensemble, pas le gouvernement d'un côté qui construit sa politique publique et vient la présenter ensuite à des organisations terrain, il faut construire maintenant ensemble ces politiques publiques là.

Également, tout ce qui est venu de cet héritage-là, des effets de la colonisation, des politiques d'assimilation, a porté atteinte directement à l'identité et l'estime de soi des femmes autochtones. Et là je vois le temps passer et je sais qu'on a d'autres sujets, mais les barrières systémiques telles que la langue, les autochtones qui arrivent dans les villes, la langue est un obstacle, le racisme et la discrimination empêchent les femmes autochtones, présentement, d'avoir accès à des logements décents et des emplois de qualité.

Donc, je vous ai fait un portrait très rapide, considérant le 20 minutes, pour repasser la parole à Edith.

Le Président (M. Picard) : Il vous reste deux minutes.

Mme Cloutier (Edith) : D'accord. Je vais juste compléter pour peut-être lancer une discussion sur, justement, toute cette question des facteurs systémiques qui nuisent, justement, aux relations entre les premiers peuples et les instances québécoises.

On parle de racisme systémique, mais, en fait, Tanya l'a souligné, il y a en fait des politiques et des programmes qui sont définis par les gouvernements, et, lorsque ces politiques et programmes ne tiennent pas compte de la spécificité des peuples autochtones, de leur histoire... Ça s'inscrit, à ce moment-là, dans une idéologie de l'égalité où toute la société devrait adhérer. Or, lorsqu'on ne prend pas en compte, justement, l'héritage, les effets de la colonisation, des politiques d'effacement, d'assimilation des peuples autochtones dans l'élaboration de programmes et politiques destinés aux peuples autochtones, eh bien, on vient créer de l'inégalité, on vient accentuer l'inégalité des autochtones. Donc, ça prend des changements systémiques, on commence à en parler, des changements systémiques qui doivent modifier les outils de gouvernance qui s'appliquent à la population. Il faut faire une distinction non pas pour privilégier les autochtones, mais de faire une distinction particulière à cause de cette histoire de colonisation qui nous lie et de ses impacts. Donc, oui, quand on parle d'éducation, de protection de la jeunesse, de justice, de logement, d'habitation, de santé, on ne doit pas reproduire les mêmes systèmes, on doit plutôt tenir compte, justement, de ces héritages et de cet effet de la colonisation sur les peuples autochtones, lorsque vient le temps de concevoir ces politiques publiques.

Alors, je vais juste terminer en disant qu'on vous a remis un portrait de la prostitution en Abitibi-Témiscamingue, c'est un travail très récent qui a été fait par des partenaires. Juste pour vous souligner l'envergure des problématiques, ça a été produit en avril 2015, et on a rencontré 395 femmes et jeunes filles en Abitibi-Témiscamingue. Ce qui ressort, c'est que 60 % des répondantes qui vivent de la prostitution, 60 % sont issues des Premières Nations, alors que la population totale de notre région représente 1,5 %. Donc, pour nous, c'est clair qu'il y a une problématique où les femmes se retrouvent justement dans la forme qui se retrouve au plus bas de l'échelle de la prostitution, celle de la rue. Et, dans la vision d'une organisation de services, elle doit davantage... Les collègues inuits l'ont souligné, vous allez en entendre probablement parler toute la journée, de toute la question d'être culturellement pertinent dans la façon de livrer ces services, de mettre au coeur de l'action les autochtones eux-mêmes. Nous sommes les mieux placés pour savoir quels sont nos besoins mais aussi comment faire pour qu'on puisse justement réduire et éliminer ces écarts.

Alors, je m'arrête là.

Le Président (M. Picard) : Merci, Mme Cloutier. Merci. Nous allons entreprendre avec la députée de Crémazie.

• (11 h 10) •

Mme Montpetit : Je vous remercie beaucoup, Mme Cloutier et Mme Sirois. On pourrait en parler extrêmement longtemps, là, je sens l'apport que vous faites à cette rencontre aujourd'hui. Vous avez abordé beaucoup de choses, puis je veux vous laisser le temps aussi de... Là, c'est un survol, hein, évidemment, quand on n'a que 20 minutes pour faire une présentation, mais il y a des choses sur lesquelles je souhaiterais que vous puissiez nous informer davantage, à commencer...

Mme Cloutier, vous abordiez la question du phénomène urbain qui accentue l'insécurité puis vous faisiez référence, bon, aux ruptures, au tissu social, dans le fond, qui est rompu. Et là j'imagine qu'il y a un lien qui peut être fait avec les centres de proximité, les centres d'amitié dont vous nous parliez, et je voulais voir comment ces centres-là exactement sécurisent les personnes qui sont à risque. Et, plus précisément aussi, est-ce qu'il y a des mécanismes de dénonciation qui sont mis en place dans ces centres-là? Et de quelle façon, dans le fond, concrètement, là... Puis prenez le temps d'y répondre pour qu'on comprenne bien l'apport qu'ils peuvent faire.

Et vous parliez aussi de l'adéquation, en fait à quel point ces centres-là sont adaptés aussi aux différentes régions où ils sont implantés. De quelle façon, justement, cette sensibilité-là est mise en place, là?

Mme Cloutier (Edith) : Bien, je vais commencer.

Le Président (M. Picard) : Mme Cloutier.

Mme Cloutier (Edith) : Bien, merci pour votre question. On l'a mentionné, les centres d'amitié autochtones, c'est des organismes communautaires créés par et pour les autochtones au Québec. Celui de Val-d'Or a été fondé en 1974, mais le plus ancien est à Chibougamau. En 1969, il a été fondé avec la mission d'améliorer la qualité de vie des autochtones dans les villes.

Au fil des ans — donc nous, on va souligner les 43, 44 ans à Val-d'Or — en fait, le centre d'amitié autochtone, les centres sont devenus davantage des espaces de manifestation citoyenne autochtone dans les villes. La particularité, dans les villes, de nos organisations, c'est que nous avons une politique portes ouvertes. Donc, dans les centres, on retrouve une diversité de Premières Nations, Inuits; Montréal, elle est très diversifiée sur le plan des Premières Nations également parce qu'on a des autochtones à travers le Canada, même des États-Unis, ce qui fait qu'un centre d'amitié autochtone est donc devenu un lieu de manifestation citoyenne, de construire une communauté autochtone dans la ville où on peut se retrouver et partager des valeurs.

Donc, le fait que... à travers le centre d'amitié, c'est à travers cet espace communautaire, démocratique, apolitique que s'est manifesté, justement, le collectif de femmes qui ont pris leur courage, combiné à différents autres éléments, là, il y a une série d'éléments qui ont mené à ce que cette journée-là de mai elles s'ouvrent sur la place publique à travers les médias, ça, c'est pour d'autres raisons, mais, ceci étant dit, les centres, donc, sont devenus ces espaces-là. Est-ce que c'est le fait qu'on se construit sur la base des besoins communautaires? Parce que, les centres, on retrouve des services de garde à la petite enfance, des CPE, on pilote des projets de logements sociaux, on développe des services en périnatalité, en passant par les aînés. Donc, il y a vraiment une communauté dans la ville qui ne veut pas vivre en marge ou se ghettoïser, loin de là. C'est de manifester notre spécificité à travers l'espace communautaire mais l'espace citoyen qu'on se donne également.

Mme Sirois (Tanya) : Et, pour bonifier la réponse à Edith, quand vous parliez au niveau de l'apport des centres d'amitié en ce qui a trait... les dénonciations, et tout ça, bien, vous le savez, depuis l'émission Enquête, dans les neuf autres villes, il y a eu des manifestations, et on travaille justement, présentement, à bien encadrer des manifestations de dénonciation, mais je dois vous dire qu'il y a eu beaucoup de manifestations de colère, les gens, les autochtones se présentaient au centre d'amitié et avaient envie de parler, et il y a eu plusieurs cercles de partage. Le centre d'amitié, par sa politique de portes ouvertes, par son lieu de sécurisation... C'est sûr que rarement on cogne à la porte puis on dit : Bien, moi, je viens au centre d'amitié, je viens dénoncer. Il faut créer ce lien de confiance, qui est beaucoup plus facile à créer via une organisation démocratique autochtone, versus toute la méfiance que les autochtones dans les villes ont envers le système québécois, il ne faut pas se le cacher, il faut nommer un chat un chat, je crois, donc cette méfiance-là qui a été accentuée à la suite de l'émission Enquête quand on parle de policiers, donc, en qui on doit avoir confiance. Donc, il y a cette méfiance-là, donc ça a afflué dans les centres d'amitié.

Au niveau de l'adéquation, en lien avec services offerts versus besoins, comme on disait, c'est des organisations démocratiques, donc à chaque année il y a une assemblée générale, les centres d'amitié s'assurent d'écouter les gens qui fréquentent l'organisation, et on est très près au niveau de l'évaluation des besoins, on connaît nos gens, ils viennent se confier. Pour ceux qui ont déjà été dans un centre d'amitié, même les directions font de l'intervention, je veux dire, c'est vraiment... C'est propre à nous, c'est propre à notre culture, la façon de donner les services, et c'est ce qui fait que les gens se reconnaissent en cette infrastructure de services là de première ligne.

Mme Montpetit : Je vous remercie. Et, pour revenir également à ce que vous abordiez, il faut comprendre qu'aujourd'hui, en fait, un des objectifs du travail, un des objectifs de ces rencontres-là, dans le fond, c'est d'enrichir et de bonifier le travail qui est fait sur la rédaction des... l'élaboration des plans d'action, notamment en matière d'agression sexuelle. Et vous faisiez référence... je pense que c'est Mme Cloutier qui faisait référence aux différents changements systémiques auxquels il faut porter attention. Est-ce que vous pouvez développer davantage et peut-être plus spécifiquement également sur ces enjeux-là auxquels il faut vraiment porter très, très, très attention pour s'assurer, justement, que ça ait une portée chez les communautés autochtones?

Mme Cloutier (Edith) : Oui. Vous savez, ce qui a mené à cette mise à l'écart des peuples autochtones, c'est justement... — et là je vais aller à l'échelle du Canada — ce sont des politiques d'effacement, des politiques d'aliénation, qui a commencé par la Loi sur les Indiens. Donc, c'est l'État qui adopte des lois, des règles, des politiques gouvernementales, et, dans ce cas-là, plusieurs ont mené à un effacement, à une aliénation culturelle, territoriale, identitaire et même parfois politique. Alors, l'État est responsable d'orienter des politiques pour assurer le mieux-être de tous ses citoyens. Alors, quand on développe des politiques publiques, et c'est ce qu'on dit, et je sais que vous allez l'entendre aussi dans d'autres présentations, c'est important que l'on tienne compte, justement, de l'héritage de ces politiques colonialistes, l'impact intergénérationnel du système des pensionnats indiens, dont on vit encore avec les séquelles, mais c'est qu'il faut tenir compte de cette histoire dans la manière de donner des services.

Je vais vous donner un exemple de politique publique. Notamment, il y avait celle sur l'intimidation où on a eu un forum distinct qui a été... dont on a offert aux Premières Nations pour justement se pencher de façon plus précise sur la question de l'intimidation. Maintenant, de réunir des représentants, des porte-parole des milieux autochtones à travers le Québec pour mieux définir et cerner une politique contre l'intimidation, qui est étroitement lié, en ce qui concerne les peuples autochtones, à la question du racisme et à la discrimination, eh bien, l'écoute doit se traduire par des plans d'action concrets qui justement offrent des réponses sur le terrain par la suite pour mieux, justement, cheminer dans une cohabitation harmonieuse.

Donc, oui, on est prêts à participer et à être entendus lorsqu'invités par le gouvernement en commission parlementaire, que ce soit dans le cadre de consultations publiques, mais encore faut-il qu'on sente que cette écoute-là se traduise clairement dans des orientations gouvernementales pour que nous, nous ayons les instruments ensuite en place pour agir concrètement, encore là, en fonction de nos réalités, de nos valeurs, de notre culture et qu'on tienne compte de cette histoire qui lie les peuples autochtones au Québec.

Le Président (M. Picard) : Oui, M. le député de D'Arcy-McGee.

• (11 h 20) •

M. Birnbaum : Merci, M. le Président. Merci, Mme Cloutier, Mme Sirois, pour votre exposé et pour votre courage et dévouement à la suite des événements mais, j'en suis sûr, bien, bien, bien avant ça.

Écoutez, il me semble qu'on est devant un contexte à la fois tragique mais, vous comprendrez le sens de mon mot, une opportunité aussi. La société civile est à l'écoute, les citoyens sont à l'écoute, nos forces policières doivent être à l'écoute et sont surveillées davantage suite à ces événements-là. Les problèmes sont énormes, les solutions ne seraient pas faciles.

Je veux vous entendre sur la suite, les dernières trois semaines, parce que je trouve qu'on a besoin de parler d'une façon chirurgicale des difficultés et des opportunités, parce que les solutions pan-Québec ne seront pas au rendez-vous pour demain malgré... on a besoin, évidemment, de continuer là-dessus. Durant les trois semaines, qu'est-ce qu'on a appris? De façon très spécifique, une femme qui s'est montrée courageuse dans l'extrême de se divulguer, de parler de la situation pas juste devant la société complète, devant ses pairs, qu'est-ce qu'on a appris dans ces dernières trois semaines? Comment ces femmes-là auraient été accueillies par leurs propres familles, par leurs voisins, par la communauté non autochtone? Qu'est-ce qu'on note, dans les dernières trois semaines, en termes du comportement des forces policières? Y a-t-il des petits indices, des pistes ponctuelles faisables dans le court terme, ajustements qui risquent d'avoir l'air banal mais qui sont faisables, des petites choses? J'aimerais vous entendre sur ces dernières trois semaines et ce qu'on aurait appris là-dessus.

Mme Sirois (Tanya) : Je vais y aller d'un niveau provincial, et ensuite Edith ira d'une façon... au niveau plus Val-d'Or.

Effectivement, suite au choc de l'émission Enquête et de plusieurs reportages qu'on est témoins dans les dernières semaines, on ne peut pas avoir les yeux fermés là-dessus, effectivement on essaie d'être aussi en mode solution. Et, au cours des trois dernières semaines, qu'est-ce que ça a permis, toute cette histoire-là, c'est de lever le voile, de lever le voile. On parle souvent, les autochtones, d'un peuple invisible, mais, dans les villes, c'est encore un peuple plus invisible. Donc, de lever le voile sur cette réalité, sur ces réalités urbaines, en ce qui a trait aux autochtones, ça, pour nous, c'est déjà un gros plus.

Ça fait 45 ans qu'on travaille, au Québec, sur ce dossier-là, mais je crois qu'il y a eu un réveil, et non pour jeter le blâme sur qui que ce soit, mais je crois que ça nous a forcés à trouver des solutions, ça nous a forcés à nous asseoir avec le gouvernement provincial, les gouvernements municipaux également, nous avons eu plusieurs rencontres à cet effet-là avec nos collègues au niveau des gouvernements des Premières Nations. Donc, s'il y a eu quelque chose qui a été soulevé au cours des trois dernières semaines, c'est ça, enfin nous levons le voile sur une réalité qui existe depuis longtemps au Québec.

Et pour un niveau plus...

Mme Cloutier (Edith) : Bien, en fait, je pense que sur le plan collectif, au Québec, autochtones et non-autochtones, Québécois, Québécoises, on a traversé une série d'émotions. On a eu un choc, on a ressenti de la colère, on a même récemment vu un déni total que ça s'est passé, et maintenant on est dans l'émotion. C'est ce qu'on ressent. On a une remise en question profonde sur nos relations, sur l'état de nos relations, sur la mise au grand jour des réalités des autochtones.

Vous savez, on parle... le contexte des femmes à Val-d'Or a levé le voile, comme disait Tanya, mais à à peine 120 kilomètres de Val-d'Or il y a une communauté qui s'appelle Kitcisakik, et Kitcisakik n'est pas une réserve indienne, c'est un établissement, au sens de la loi, qui... les familles vivent sans eau, sans électricité. Alors, on est au Québec, je vous rappelle, dans un Canada qui est un des pays les plus prospères au monde. Et c'est ça qu'il faut qu'on prenne conscience. Et, la réalité des femmes, ce témoignage des femmes est le témoignage d'un peuple qui est maintenu à l'écart, qui est mis à l'écart, et il n'est plus possible maintenant de fermer les yeux.

Il y a chez les femmes, parce que vous me posez la question... il y a encore énormément de peur, la terreur est présente. On ne corrige pas le bris, la rupture de confiance entre les autorités policières, la justice du Québec... on ne restaure pas une confiance que sur quelques actions et mesures d'urgence, quoique nous accueillions... Nous avons accueilli favorablement les mesures concrètes qui ont été mises en place par le gouvernement, je crois que ça traduit la volonté gouvernementale d'agir, de mettre en place des ressources à Val-d'Or, c'est un pas dans la bonne direction, mais ça va prendre plus que ça. Ça va prendre du temps, mais ça va prendre de l'écoute pour mener à des actions.

Bon, encore la semaine dernière, il y a un cri du coeur du chef innu McKenzie. Le chef McKenzie d'Uashat Mani-Utenam, à la suite du suicide de Nadeige Guanish, il a réitéré la demande qui est faite depuis les événements de Val-d'Or, où maintenant il est incontournable de tenir une commission d'enquête publique québécoise qui se penche sur les facteurs systémiques qui nuisent à la relation entre les Premières Nations, les peuples autochtones, et les instances québécoises. Et, de façon particulière, il faut se pencher à travers une commission d'enquête publique sur cette relation entre les autorités policières et les Premières Nations.

Le Président (M. Picard) : Autre question? M. le député d'Abitibi-Est.

M. Bourgeois : Bien, moi, je... Tantôt, vous parliez de la situation qui est vécue des autochtones qui viennent habiter en ville, et la question qui me venait à l'esprit, de la manière que vous l'avez mentionné, c'est : Est-ce que c'est un choix, qu'ils viennent en ville, ou c'est parce que dans la communauté ils ne retrouvent pas non plus les outils ou le support auxquels ils souhaiteraient avoir accès et ils espèrent donc avoir cette possibilité-là en ville? Tu sais, on a, dans le fond, des réalités en ville et dans les communautés qui sont différentes. Comment on peut mieux supporter les femmes là-dedans, dans ces deux enjeux-là qui sont la violence et les abus?

Mme Sirois (Tanya) : Il y a plusieurs facteurs qui fait en sorte que les gens quittent la communauté, mais on ne parle pas juste de quitter la communauté, parce qu'on sait que beaucoup de gens dans la ville retournent en communauté. Les autochtones sont mobiles, il y a une grande mobilité au sein du Québec, et nos collègues chercheurs l'ont démontré. Mais, oui, effectivement, il y a beaucoup de facteurs qui expliquent... que ce soit la recherche de logement — vous ne serez pas sans savoir la problématique de logement dans les communautés — aller à l'école aussi au niveau des études postsecondaires, donc le cégep, l'université, ce qui fait en sorte que dans des villes comme Trois-Rivières, Chicoutimi, Saguenay arrivent des jeunes familles qui veulent retourner au cégep, retourner à l'université; oui, fuir des situations de violence, ça aussi, c'est un des facteurs qui fait en sorte que les gens quittent la communauté; la recherche d'un travail. Donc, c'est différents facteurs qui font en sorte que les femmes, entre autres, et les jeunes familles... — parce qu'on ne peut pas parler de femmes sans parler de famille, une femme qui arrive en ville arrive avec ses enfants — donc qui font en sorte que, dans les villes, les besoins, comme on disait plus tôt, deviennent de plus en plus grandissants et de plus en plus complexes.

Mais il y a aussi ce rapport-là de : On retourne en communauté, on retourne dans la ville. Je crois que c'est dans la ville de Joliette, avec la communauté de Manouane, on pouvait estimer qu'en moyenne un autochtone faisait sept fois la transition. Donc, ce rapport-là à la communauté, il est toujours présent, les gens sont attachés à leurs communautés. Donc, ça, il faut prendre ça en compte.

Également, il faut prendre aussi en compte qu'il y a une génération d'autochtones qui est née dans les villes, qui n'a jamais connu la vie sur communauté. Donc, ces gens-là ont aussi des besoins à prendre en compte.

Donc, plusieurs facteurs fait en sorte que, oui, on quitte les communautés, mais il y a ce mouvement-là entre la communauté et la ville.

Le Président (M. Matte) : D'autres questions? Il nous reste deux...

• (11 h 30) •

M. Bourgeois : ...complément. C'est parce que je pense aussi à une initiative qui a eu lieu cet été, à la fin de l'été, avec la communauté de Lac-Simon, où on a facilité un service de transport entre la communauté et la ville pour justement permettre l'accès au niveau de la formation, au niveau du travail, au niveau, dans le fond, du quotidien, des besoins qui ne sont pas nécessairement répondus dans la communauté, donc de pouvoir venir à Val-d'Or. Et ça permet, par exemple, à une entreprise comme Tecolam qui a... La plus grande proportion de ses travailleurs sont des travailleurs algonquins.

Donc, je me dis, ça, on est-u sur des bonnes pistes, à travailler des projets, des initiatives complémentaires? Ça ne règle pas le problème des femmes au niveau des agressions, au niveau des abus, mais le fait d'avoir des modèles qui permettent aux individus de se réaliser... J'aimerais voir l'importance que vous attachez à, justement, ce phénomène-là, parce qu'on parle d'habitation, d'accès au logement, on parle d'accès à l'emploi, et, dans les communautés, le développement de ces réalités-là du logement et de l'emploi ne sont pas évidentes. Donc, faire autrement, est-ce qu'on est sur une bonne piste dans des initiatives de ce type-là?

Le Président (M. Picard) : En une minute, s'il vous plaît.

Mme Cloutier (Edith) : Bien, je dirais, oui, des bonnes pistes, mais il faut aller en amont de tout ça. Il y a une démographie qui est croissante dans les communautés, une surpopulation, une pénurie de logements, des conditions socioéconomiques qui ne permettent pas l'épanouissement économique des communautés, qui fait qu'il y a un débordement vers les villes, que l'attrait de la ville devient une option mais qui n'est pas toujours la bonne, mais, ceci étant dit, pour avoir accès à de l'emploi, pour avoir accès à la prospérité, et ça va être mon seul commentaire peut-être plus politique, c'est qu'il faut aussi avoir accès au territoire et aux ressources et partir de la base qu'il y a la reconnaissance des droits des peuples autochtones sur ce territoire traditionnel et ancestral. Et je ferme ma parenthèse politique parce que je ne fais pas de politique, moi.

Le Président (M. Picard) : Merci. Maintenant, je cède la parole à Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve.

Mme Poirier : Merci, M. le Président. Bonjour, mesdames. Ça me fait plaisir de vous revoir.

Dans le document, l'étude que vous nous avez déposée, le portrait de la prostitution en Abitibi-Témiscamingue, des données importantes sont nommées, particulièrement au niveau de la prostitution de rue, et on a vu dans le reportage que c'était un des facteurs importants. J'aimerais ça peut-être, pour le bénéfice de nous tous, que vous nous décriviez elle a l'air de quoi, la prostitution de rue, chez vous, qui sont ces femmes qui font de la prostitution de rue. Parce que faire de la prostitution de rue, ce n'est pas faire de la prostitution de bar, ce n'est pas faire de la prostitution d'escorte, c'est très différent, et vous le nommez comme étant — je vais prendre votre terme, là — première forme de prostitution la plus rencontrée, donc la prostitution de rue est la première. Qu'est-ce qui mène une femme... Et vous dites que principalement ce sont des femmes autochtones. Qu'est-ce qui mène une femme autochtone à se retrouver... Parce qu'on se retrouve... je suis persuadée que ce n'est pas un choix de vie, là... Qu'est-ce qui fait qu'on se retrouve à faire de la prostitution de rue à Val-d'Or? C'est quoi, le cheminement?

Mme Cloutier (Edith) : D'abord, j'aimerais préciser qu'on travaille étroitement, justement, avec des femmes qui oeuvrent directement auprès des femmes en prostitution, je veux les nommer, le Gîte L'Autre porte qui est un organisme qui a piloté... qui est un partenaire étroit du centre d'amitié autochtone, qui en savent beaucoup plus que moi sur cette question-là.

Ceci étant dit, à Val-d'Or, la prostitution de rue est étroitement liée à l'itinérance des femmes. Encore là, nous sommes à finaliser, à réaliser et finaliser une recherche, une étude avec Carole Lévesque, qui vient vous rencontrer cet après-midi, sur la question de l'itinérance et les autochtones à Val-d'Or. Probablement qu'à l'intérieur des travaux et de ce qui ressort de ça on aura des précisions à cet effet pour mieux définir la question des femmes, itinérance et prostitution.

Ceci étant dit, je l'ai mentionné, ce sont des femmes qui ont un cumul de ruptures, qui sont des femmes qui vivent dans la grande pauvreté, qui ont eu des enfants, qui sont séparées de leurs enfants, souvent placés en famille d'accueil non autochtone à l'extérieur de la ville... pardon, à l'extérieur de la communauté, avec des contacts limités; des blessures, probablement aussi des femmes qui ont vécu les pensionnats indiens ou qui vivent... que leur mère ou leur père ont vécu des pensionnats indiens. Tout ce contexte de mise à l'écart, la discrimination, c'est tous des éléments qui amènent ces femmes-là à complètement s'oublier aussi à travers cette vie. Et le rapport nous l'indique clairement : quand on a parlé à ces femmes-là, 89 % de celles interrogées souhaitent une sortie de rue. Et c'est justement ce que... le travail, heureusement, avec les mesures d'urgence qui ont été déployées dans le contexte de Val-d'Or, que le centre d'amitié, avec les CALACS, parce qu'on travaille étroitement avec les instances québécoises, il faut s'unir, hein, dans ce travail-là, et le Gîte L'Autre porte... qu'on pourra mettre en place des services directs à ces femmes-là, mais des services qui sont culturellement pertinents et sécurisants et qui vont tenir compte de leur réalité. Et ça se fait à travers la participation, à mettre au centre de tout ça les autochtones eux-mêmes.

Mme Poirier : Dans la même étude, vous nous parlez de la criminalisation des femmes en situation de prostitution. Moi, je comprenais que, depuis la loi fédérale, les femmes étaient moins criminalisées.

Pourquoi les femmes sont particulièrement criminalisées à cause de la prostitution? Est-ce que c'est à cause de la prostitution? Est-ce que c'est à cause de la dépendance aux drogues ou à l'alcool ou la combinaison de tout cela ensemble qui crée une situation de violence, nommée comme ça, qui fait qu'elles sont criminalisées?

Mme Cloutier (Edith) : Je ne pourrais pas me prononcer parce que je n'ai pas suffisamment d'information autour de la criminalisation des femmes. Par contre, ce que je peux vous dire, c'est que, dans le contexte de l'itinérance, il y a clairement une surjudiciarisation de ces femmes et des hommes, qui se retrouvent à occuper l'espace public et qui évidemment viennent déranger la quiétude, hein, des citoyens et citoyennes. On est une petite ville, on a 32 000 habitants, un centre-ville «boomtown». Si vous êtes venus à Val-d'Or, vous connaissez la 3e Avenue. On sait que l'itinérance, dans les villes, est visible dans les centres-villes.

Alors, je vous dirais qu'actuellement ce qui mène à l'incarcération de ces femmes — là, je parle par expérience et de travailler auprès de ces hommes et ces femmes — c'est la surjudiciarisation liée à des infractions de règlements municipaux qui s'accumulent, avec donc des contraventions qui se cumulent et une incapacité de payer, alors on rentre dans un autre type de cycle qui n'aide pas personne, là. Alors, c'est ce que je pourrais vous apporter sur cette question-là.

Mme Poirier : Dans l'étude, on mentionne particulièrement qu'il y a des services pour les 18-35 ans, mais que les femmes qui se prostituent ont plus de 40 ans. Donc, je comprends, absence de services pour les femmes qui se prostituent, en tant que tel.

Une des recommandations du rapport est le fait de mettre en place un lieu de répit exclusif aux femmes ayant un vécu de prostitution. Vous en pensez quoi, d'avoir un lieu comme ça?

• (11 h 40) •

Mme Cloutier (Edith) : Non seulement on en pense quelque chose, on est en train de le mettre en place présentement avec les partenaires. Encore là, les mesures qui nous ont été déployées, à Val-d'Or, vont nous permettre d'ouvrir un lieu de répit spécifique aux femmes mais aussi avec un volet pour les personnes en situation d'itinérance, il y a effectivement une absence de services de jour, de centre de jour pour les personnes itinérantes, et davantage pour les femmes en prostitution, qui manifestent clairement une volonté de vouloir sortir de la rue et d'être accompagnées dans cette sortie de rue là, et d'être accompagnées sur du long terme, parce que, je vous le mentionnais, ce sont des femmes qui cumulent des blessures, des ruptures, plusieurs barrures, donc ça va pendre plusieurs clés pour débarrer et les sortir de cet enfermement, qui est lié pas juste à un mode de vie, mais un enfermement qui est lié à la rupture identitaire, à tous ces impacts que je vous ai parlé depuis le début de notre présentation.

Mme Sirois (Tanya) : Puis, si je peux me permettre, votre question est très pertinente, c'est un bel exemple de pourquoi qu'il faut travailler avec les autochtones, avec les organisations sur le terrain pour justement mettre en place des services qui répondent concrètement et des actions qui répondent concrètement à un besoin. Donc, la politique publique, une fois qu'elle descend, il faut qu'elle réponde à ce besoin-là.

Et, pour ajouter à ce que M. Bourgeois disait, qu'est-ce qui est bon, est-ce que c'est bon, qu'est-ce qu'on fait, tout ça, je vais vous dire, qu'est-ce qui est bon présentement, c'est d'inclure les organisations, les autochtones dans la création de programmes, et tout ça. Donc, à partir de cet élément de base là, je crois qu'on peut construire beaucoup de bonnes choses et qui vont répondre concrètement à des besoins sur le terrain.

Mme Poirier : Le groupe qui vous a précédés nous a parlé des problèmes de logement. Lorsque l'on vous a visités, vous nous avez parlé entre autres du fait que les enfants devaient quitter leur communauté pour, entre autres, aller à l'école secondaire et que bien des fois, bien, la famille aussi voudrait suivre, mais il y a un problème de logement. Est-ce que le problème est aussi criant que le groupe précédent qui nous a dit : Nous, c'est 1 000 logements, là, qu'on a besoin demain matin, là?

Mme Sirois (Tanya) : Tout à fait, tout à fait. Si on regarde une ville comme Sept-Îles où, dans les bonnes années, l'économie était à son plus haut... où le taux d'inoccupation était en bas de 0,01 %, et tout ça, c'est sûr que, suite à du racisme, à de la discrimination, les familles autochtones qui se retrouvaient dans la ville de Sept-Îles avaient de la difficulté à se procurer un logement et, j'ajoute, décent. Je crois que c'est important que nos familles aient accès à un logement décent qui réponde aussi aux réalités des familles autochtones, un trois et demie n'est pas suffisant. Donc, c'est à ce genre de réalité que sont confrontées quotidiennement les familles autochtones dans les villes.

Et on sait qu'ils n'ont pas le droit... un propriétaire n'a pas le droit de refuser un locataire, mais ça m'ouvre une porte de vous dire : Les autochtones ne portent pas plainte à la Commission des droits de la personne, à la Régie du logement. Donc, je crois que ça, c'est important d'en parler aussi, O.K? On va le subir et on retourne à la maison, on essaie de se trouver un logement, mais les systèmes actuels de dénonciation au niveau de la Commission des droits de la personne et de la Régie du logement... Et c'est pour ça que nous, on tient des ateliers pour dire : Vous avez des droits, c'est quoi, vos droits, en tant que citoyens dans les villes, et : Vous devez vous faire respecter. Donc, on part quand même, dans quelques occasions, assez loin par rapport à la question du logement, mais, comme je vous dis, qui va beaucoup plus loin par rapport à ça.

Mme Poirier : J'ai cité tout à l'heure une étude qui a été faite par Martin Gallié et Marie-Claude Bélair en lien avec les HLM au Nunavik. Il y a un taux très, très, très élevé, là, qui est 10 fois plus élevé que ce qui se fait comme évictions à Montréal au niveau des HLM. Est-ce que c'est quelque chose que vous retrouvez... Entre autres, je lis juste une ligne, là : «Par exemple, en 2011, la régie a rendu 791 décisions, dont 773 par un seul régisseur, et dont toutes les causes ont été entendues en quatre jours d'audiences.» Si on prend, par exemple... «À titre d'exemple[...], la régie a rendu 604 décisions impliquant l'Office municipal [...] de Montréal...» Alors, 604 pour Montréal, mais 791 décisions pour le Nunavik. Il me semble que juste des chiffres comme ça, ça parle, là. Il y a un problème d'accès au logement, mais la capacité de payer, en tant que telle... Est-ce que ce même type de problème... Parce que ça, c'est des femmes monoparentales, bien des fois, qui sont dans ces logements-là ou des familles qui sont évincées de leur logement. Alors, comment vous... Je n'ai pas de données pour chez vous, mais, chez vous, est-ce que c'est un problème qui se pose, en tant que tel?

Mme Cloutier (Edith) : Bien, je vais parler en Abitibi, puis probablement que ça a écho sur la Côte-Nord ou ailleurs où on retrouve une population autochtone importante. Pour Val-d'Or, actuellement, je crois qu'il n'y a aucune famille qui occupe un HLM qui est administré par un OMH. Depuis maintenant six ans, la communauté autochtone de Val-d'Or, via son centre d'amitié autochtone, a manifesté le souhait et le besoin clair d'avoir du logement social non seulement pour avoir une habitation, un logement adéquat, décent, qui leur permet de payer en fonction de leurs revenus, mais aussi pour se créer une communauté qui est en mesure de répondre pas juste à la question de l'habitation, mais à la question du soutien social, de créer un filet de sécurité, de créer une organisation de services qui tient compte des besoins des enfants en matière d'éducation, de santé; pour les mamans enceintes, de périnatalité. Et c'est sur une base d'un modèle innovateur, porté par les autochtones eux-mêmes que le projet de logement social Kijaté, qui finalement fait partie aussi des mesures... Mais ce projet-là était dans le système depuis six ans. Donc, le 6,1 millions, il y a 5 millions qui va via Kijaté, et on s'en réjouit, parce que c'est 24 unités de logements sociaux pour familles autochtones qui répondent donc, oui, à des besoins criants en matière d'habitation et de logement mais le souci dans lequel on veut travailler et le besoin avec lequel on veut répondre, c'est de garder les enfants unis avec leurs parents, de travailler avec les parents sur les problèmes de dépendance, sur les difficultés de la vie, à les accompagner vers du développement des compétences dans la perspective de mettre en valeur leurs talents et d'accéder à des emplois valorisants. Et c'est ce que nous faisons à travers... À Val-d'Or, c'est le centre d'amitié autochtone. Montréal, il peut y avoir d'autres organisations, mais c'est de concevoir dans une approche... Et nos collègues inuits l'ont souligné, c'est ça, l'approche holistique, une approche globale, une approche intégrée qui tient compte des réalités des Premières Nations dans la manière d'organiser, de concevoir des services qui répondent adéquatement à leurs besoins et, encore là, qui met au coeur des décisions des autochtones eux-mêmes.

Mme Poirier : Je suis un peu surprise, là. Vous me dites qu'il n'y a aucun logement social à Val-d'Or occupé par des autochtones?

Mme Cloutier (Edith) : Je vais... Administré par l'OMH...

Mme Poirier : C'est ça, il y a des logements sociaux...

Mme Cloutier (Edith) : ...parce qu'il y a des logements sociaux par une corporation qui s'appelle la Corporation Waskahegen, qui est une organisation.

Mme Poirier : C'est ça, effectivement. O.K.

Mme Cloutier (Edith) : Donc, c'est la nuance à faire.

Mme Poirier : Pourquoi, pourquoi, à ce moment-là, il y a une exclusion, je dirais, des communautés autochtones à l'intérieur des logements de l'office municipal, qui est l'office pour tout le monde, à ce que je sache, là? Oui, je comprends que Waskahegen administre... ils en administrent dans mon quartier, dans Hochelaga, là, des logements sociaux pour les autochtones, mais pourquoi l'office municipal de Val-d'Or n'est pas inclusif, justement, dans une question de mixité sociale, à faire en sorte que quelqu'un de... que des autochtones côtoient des non-autochtones? Je veux juste comprendre pourquoi il y a un choix de fait comme ça, alors on met les autochtones d'un côté, chez Waskahegen, puis les Blancs de l'autre côté.

• (11 h 50) •

Mme Cloutier (Edith) : Bien, je ne pourrais pas répondre, il faudrait poser la question à l'OMH, mais un élément qui est important, je crois, dans la façon de concevoir ou de comprendre... Vous savez, nous, on a une démographie qui est en pleine croissance. Les Premières Nations, on a une population qui est jeune. 60 % de la population, je pense, 60 % ont moins de 30 ans. Les familles, ce n'est pas rare d'avoir trois, quatre, cinq... On a deux familles en attente qui ont huit enfants chacune, sur notre liste. Il a fallu même travailler... Encore là, les cadres, on ne fittait pas dans la case de la SHQ, dans le programme AccèsLogis, il faut, encore là, toujours, travailler pour que le carré devienne un cercle, en ce qui nous concerne.

Mais donc cette réalité-là, quand on la transpose à la réalité des besoins de la population québécoise, bien on a développé du logement social — mon observation — autour d'une population vieillissante, des personnes à la retraite, des aînés, il y a eu beaucoup d'unités de logement, dans le cadre du volet 1 ou 3 du programme AccèsLogis à Val-d'Or, qui a répondu à ce besoin de la communauté. Donc, quand on est une jeune famille autochtone... Et on connaît la dynamique familiale, qui est une famille élargie où tu as souvent la grand-maman qui habite dans la famille. C'est pour ça que ça prend aussi des modèles conçus par les autochtones eux-mêmes pour répondre adéquatement à une réalité sociale du Québec dans les villes.

Mme Poirier : En tout cas, s'il y a un mot qu'on doit se rappeler de votre présentation, c'est «culturellement pertinent».

Mme Cloutier (Edith) : Et sécurisant.

Mme Poirier : Et je pense que ça devrait, en tout cas, faire partie de notre nouveau vocabulaire dans cette commission. Merci.

Le Président (M. Picard) : Vous avez terminé? O.K., merci.

Je vais prendre mon chapeau de député du deuxième groupe d'opposition, parce que ma collègue est indisposée. Vous parlez beaucoup de logement social, mais quelles sont les perspectives, pour les autochtones, d'accéder à la propriété? Comment peut-on créer un environnement social qui permettrait aux autochtones de véritablement acquérir leur indépendance, que ce soit en communauté ou hors communauté autochtone? Allez-y.

Mme Cloutier (Edith) : C'est tellement une grande question! Par où commencer?

Le Président (M. Picard) : Par où vous voulez.

Mme Cloutier (Edith) : Puis je n'ai pas toutes les réponses, hein? Quand on est autochtone... On ne peut pas être à la fois avocate, philosophe, fiscaliste, juriste. Et c'est souvent ce qu'on nous demande d'être quand on est devant des commissions parlementaires ou ailleurs, d'avoir toutes les réponses à toutes les questions, qui sont si complexes et multiples.

Par où commencer? La lutte à la pauvreté? L'exclusion sociale? L'accès au territoire, aux ressources? Reconnaître les droits des peuples autochtones? On peut lire le rapport de James Anaya, qui est le rapporteur spécial des Nations unies sur les questions autochtones, qui est venu au Québec, qui est venu au Lac-Simon en 2013, je crois, qui reconnaît qu'il y a effectivement, pour un Canada qui se dit un des pays les plus prospères au monde... Qu'on maintienne une population, et au Québec également, dans des conditions du tiers-monde... Quand on regarde l'indice du développement humain, le Canada se situe souvent dans un des cinq premiers rangs où l'indice du développement humain est à son meilleur. Quand on extrapole la population autochtone du Canada et du Québec dans les communautés et hors communauté, nous dégringolons au 68e rang de cet indice du développement humain.

Alors, par où commencer, l'accès à la propriété, lutte à la pauvreté, la prospérité? Bien, partage du territoire, les ressources, les redevances, la reconnaissance des droits. C'est à peu près tout ce que je pourrais dire en une minute.

Le Président (M. Picard) : Merci. Je cède maintenant la parole à Mme la députée de Montarville.

Mme Roy (Montarville) : Merci, M. le Président. Mesdames, merci d'être là. J'ai plusieurs chapeaux aujourd'hui, excusez-moi, je bouge, je bouge. J'ai pris des notes, par exemple, quand vous parliez, vous avez dit des choses fort intéressantes. Et vous avez dit une chose, et là vous pourrez nous aider, vous nous dites : C'est important que l'on tienne compte de l'impact des pensionnats indiens, il faut tenir compte de cette histoire sur les politiques publiques. C'est extrêmement important. Je pense que... Le coeur du mal se situe là, si je comprends bien. Alors, il faut absolument tenir compte de cette histoire sur les politiques publiques.

Ma question : Nous sommes les législateurs, donnez-nous des pistes de solution. Comment est-ce qu'on fait ça? Si on a des lois à écrire, si on a des choses à changer, comment on fait ça? Dites-nous comment faire.

Mme Sirois (Tanya) : Bien, votre question fait suite à la question de M. Picard, je trouve toujours une opportunité de faire une continuité, mais, quand vous parlez de politiques publiques puis comment qu'on peut les rédiger et faire en sorte... on en a parlé un peu plus tôt, on a parlé au niveau de mettre partie prenante les autochtones au coeur de cette rédaction-là, mais également on parlait, là, de, oui, l'héritage des pensionnats, et tout ça, mais c'est vraiment de le prendre d'une façon holistique, d'une façon globale. On aurait pu parler d'éducation, on aurait pu parler au niveau des mesures d'employabilité. Donc, il y a plusieurs choses à travailler en même temps. On ne peut pas traiter juste quelque chose... on ne peut pas parler juste de prostitution sans parler lutte à la pauvreté, on ne peut pas parler accessibilité à la propriété privée sans qu'on parle du haut taux de chômage ou du faible taux de diplomation chez les autochtones.

Donc, il faut... Je propose ça comme ça, mais, quand on parle de stratégie interministérielle, quand on parle... ce n'est pas la responsabilité d'un ministère, la question des autochtones dans les villes, c'est la responsabilité de tous les ministères du gouvernement du Québec. Donc, est-ce que c'est de monter... travailler ensemble à différents niveaux de responsabilité populationnelle, que ce soit le MSSS — on n'en a pas parlé encore — au niveau de la santé et services sociaux? Est-ce que c'est au niveau du Secrétariat à la jeunesse? Est-ce que c'est au niveau du ministère de l'Emploi, Loisir et Sport?

Donc, il y a beaucoup de travail à faire, il y a un grand chantier à démarrer, à mon sens à moi, et ce n'est pas non plus juste de la responsabilité du Secrétariat aux affaires autochtones. Ça a été longtemps l'automatisme du gouvernement, de balancer ça au niveau du Secrétariat aux affaires autochtones, mais chaque ministère a une responsabilité en ce qui a trait les autochtones dans les villes, on va parler de notre expertise. Et ça doit commencer par cette prise de conscience là, et ensuite on s'assoit et on bâtit des politiques publiques avec différents aspects, comme je vous dis : jeunesse, la santé, les services sociaux, l'éducation, l'emploi, le développement économique, l'économie sociale. Donc, il y a plusieurs choses à travailler. Je ne sais pas, Edith, si tu voulais rajouter.

Mme Cloutier (Edith) : Oui. Je voulais juste ajouter... Vous avez entendu parler de la Commission de vérité et réconciliation. Elle a remis son rapport, 93 recommandations. Je crois qu'il y a de grandes pistes à l'intérieur de ça qui pourraient justement vous donner des réponses.

Mme Roy (Montarville) : Je peux poursuivre, M. le Président?

Le Président (M. Picard) : Oui, madame.

Mme Roy (Montarville) : Vous avez dit également qu'on a besoin d'une commission d'enquête publique pour faire la lumière sur les relations... les activités policières et les Premières Nations, la relation entre les deux. Nous, de notre côté, la Coalition avenir Québec, on est d'accord avec l'idée, effectivement, d'une vaste commission pour faire la lumière entre pas juste les policiers mais tout le système judiciaire, parce que c'est particulier, avec les Premières Nations, les juges, les avocats qu'on envoie en avion, puis qui reviennent, puis qui ne sont pas là tout le temps, bon, et on est d'accord avec vous sur cette idée-là, vraiment d'accord, parce que c'est de juridiction provinciale également, donc on peut agir là-dessus. Et qu'est-ce que vous attendriez d'une telle commission?

Mme Cloutier (Edith) : Ce qu'on comprend d'une commission d'enquête publique québécoise, c'est que ça va au-delà de la question d'étudier un phénomène, hein? Ce que j'en comprends, parce que je ne suis pas juriste, mais les exemples qu'on a, il y en a eu un, entre autres, en Saskatchewan où il y a eu une commission d'enquête publique sur la mort de trois jeunes autochtones qui avaient été abandonnés en hiver sur des routes isolées par les policiers, Neil Stonechild, qui a donné des résultats extrêmement intéressants. C'est en se penchant sur ce modèle que cette volonté de vouloir faire cheminer, justement, la volonté gouvernementale à ouvrir une commission d'enquête comme celle-là permettrait, certes, d'entendre des policiers et d'entendre des femmes, d'entendre des individus, des institutions. Ce qu'on en comprend aussi, de ce type de commission, qui est différent d'une commission parlementaire, c'est qu'on oblige... je ne veux pas dire «obliger», mais il y a des gens qui sont convoqués, sommés à se présenter devant des commissaires; que découle de cette commission un rapport et des recommandations concrètes que le gouvernement met en oeuvre. Alors donc, oui, je crois que c'est aussi, effectivement, l'angle de la justice, pour avoir aussi entendu les chefs des Premières Nations sur cette question, qui est nécessaire devant le grand défi auquel nous sommes confrontés comme société au Québec.

Mme Roy (Montarville) : Je vais poursuivre. Le document que vous nous avez rendu concernant la prostitution en Abitibi, les chiffres sont troublants. Ce que vous nous avez dit, quand vous avez dit que 60 % des répondants sont issus des Premières Nations, 60 % des répondants, c'est plus que la moitié des femmes sur 300 quelques qui ont été interviewées, c'est énorme. Ça nous donne une idée...

Mme Cloutier (Edith) : La population autochtone compte pour 1,5 %.

• (12 heures) •

Mme Roy (Montarville) : Et voilà, c'est là que j'allais, la population compte pour 1,5 %. Je pense que ça dénote l'ampleur de la problématique, il y a vraiment quelque chose là. Et, quand on lit tous les facteurs qui mènent à... c'est épouvantable, ce qui est écrit là-dedans. Je pense que ça parle, ça parle en soi.

Alors, vous avez dit une phrase tout à l'heure, puis je fais le lien avec ça, on est dans un cercle, un genre de cercle vicieux, on est rendus là. Il y a eu enquête, il y a eu des révélations, ça a fait bouger les choses, mais vous dites : Si ça ne s'arrête pas maintenant, les choses ne vont pas en s'améliorant.

Est-ce qu'on est rendus à un point de non-retour?

Mme Cloutier (Edith) : Moi, je pense qu'on est à une croisée des chemins importante, historique. Je pense qu'il ne faut pas avoir peur des mots. La juge en chef de la Cour suprême du Canada a utilisé une tribune internationale pour parler du génocide culturel perpétré à l'encontre des peuples autochtones. Le premier ministre du Québec a parlé d'un génocide culturel perpétré à l'encontre des peuples autochtones. On a tous été secoués, autochtones, Québécois, Québécoises, par les révélations, qui ne sont que la pointe de l'iceberg, à travers la voix de quelques femmes courageuses qui tracent le sentier d'espoir présentement. Et, je l'ai mentionné, ne pas agir maintenant, c'est se rendre complice.

Le Président (M. Picard) : Trois minutes.

Mme Roy (Montarville) : C'est la raison pour laquelle vous êtes ici, d'ailleurs. Il faut agir. Puis on vous écoute puis on a tellement à apprendre, et je vois aussi, en vous écoutant puis en vous lisant, qu'il y a toute cette... nous devrions, nous, nous adapter ou comprendre minimalement. C'est la culture, il y a un clash de cultures ici. Alors, je pense qu'il faut s'apprivoiser, il faut comprendre la culture de l'autre pour savoir comment travailler ensemble, parce qu'elle est là, la différence, elle est vraiment à cet égard-là. Quand vous dites qu'il faut approcher la problématique d'une façon holistique, ce n'est pas des mots qu'on entend souvent au Parlement, ça. Alors, vous comprenez qu'il faut vraiment qu'on s'adapte puis qu'on nous l'enseigne aussi, cette culture, pour être capable, je pense, de trouver des solutions.

Outre ceci, vous nous avez dit... Le terme que vous employez, le sentier de l'espoir que ces femmes courageuses ont tracé, quand j'ai quitté, mon collègue du gouvernement vous posait la question, à savoir, bon, il y a d'autres femmes qui ont dénoncé, vous disiez, davantage de femmes qui se sont mises à dénoncer des abus provenant... qui auraient été commis de personnes en position d'autorité. Je ne sais pas si ma collègue a élaboré, mais a-t-on des chiffres, une idée de grandeur, combien de femmes se sont manifestées?

Mme Sirois (Tanya) : Non, pas pour le moment. Nous avons mis en place des plans d'urgence dans notre structure, qui est les centres d'amitié, mais beaucoup trop tôt pour voir l'ampleur du problème. Mais une chose est sûre : Val-d'Or était la pointe de l'iceberg.

Et vous disiez que vous aviez beaucoup à apprendre, justement, mais je crois que d'avoir cette ouverture-là — et je la sens, cette ouverture-là, autour de cette table — de vouloir connaître, pas juste de dire : Oui, il y en a, des autochtones, soit sur ou hors communauté... Mais je sens vraiment que le gouvernement a une volonté de vouloir non seulement connaître la culture, mais connaître les différentes réalités en lien avec les autochtones dans les villes, dans notre cas. Donc, c'est un premier pas à l'avant.

Mais, pour ce qui est des chiffres, beaucoup trop tôt, beaucoup... Tu sais, on parlait tantôt des logements, et tout ça. Il y a beaucoup de travail terrain. On en connaît un peu, nous, par notre expertise, mais il y en a beaucoup à connaître. Et, avec nos collègues de la recherche, on va continuer à démystifier beaucoup de questions sans réponse, mais on a des bons indices qui nous portent à croire qu'il y a beaucoup de choses à dénoncer ou à travailler sur ces dossiers-là.

Mme Cloutier (Edith) : Peut-être juste en complément, si je peux me permettre, de cette réponse, ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que le SPVM est en cours d'enquête, il y a un numéro qui a été diffusé, leur mandat ne se limite pas qu'aux femmes de Val-d'Or ou des communautés. Alors, ça, c'est d'autres éléments que nous, on n'a pas accès non plus. Donc, il y a aussi le SPVM qui accueille présentement des plaintes.

Le Président (M. Picard) : Je cède maintenant la parole à Mme la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques.

Mme Massé : Pour 3 min 30 s.

Le Président (M. Picard) : 3 min 30 s.

Mme Massé : Merci. Merci, mesdames, pour votre présentation. On voulait, comme commission, que ces premiers moments de rencontre soient des moments de formation, plusieurs questions extrêmement pertinentes ont été posées. Ce qui me frappe comme militante qui a milité toute sa vie et travaillé main dans la main avec les femmes pauvres de la société, ce qui me frappe, c'est comment, dans le fond, la pauvreté crée ces situations intolérables. Et je pense que vous avez à plusieurs moments donnés nommé l'impact particulier que vivent les femmes autochtones et les autochtones en général.

Moi, j'aimerais attirer le regard sur la question du racisme systémique, parce que je pense que j'ai été une de celles qui disaient : Bien, avant d'aller à la rencontre des autochtones, il faut qu'on déconstruise un certain nombre d'affaires. Dans ce sens-là, je sais qu'il y a déjà eu des démarches, par le passé, qui ont été faites pour voir, avec le gouvernement du Québec, d'agir sur ces questions-là. Est-ce que vous savez où on en est? Est-ce que vous savez où on s'en va? Et en fait quelles sont vos demandes spécifiques par rapport à ça?

Mme Cloutier (Edith) : Je ne suis pas certaine qu'on l'a nommé aussi clairement présentement dans le système, les systèmes gouvernementaux, de parler de facteurs systémiques qui nuisent à la relation entre les peuples autochtones et les instances québécoises, le gouvernement, de parler de racisme systémique qui existe à travers... Là, on parle de la justice et de l'autorité policière. Il y a un rapport fort intéressant, fort éloquent qui vient de l'Ouest sur la question du racisme systémique dans les réseaux de santé, une recherche extrêmement intéressante produite par une chercheure autochtone. On pourrait parler du système de la protection de la jeunesse. J'ai déjà fait une présentation en commission parlementaire, lorsqu'on a travaillé à l'amendement de la loi n° 125, et on avait titré à cette époque-là même notre mémoire conjoint avec Femmes autochtones du Québec Le système de protection de la jeunesse pour les enfants autochtones — Est-ce qu'on répète l'histoire des pensionnats au Québec?, et je vous dirais qu'à travers l'application de cette loi on est carrément à côté, complètement à côté de, justement, ce qu'on pourrait faire pour faire en sorte qu'on ne se retrouve pas avec des femmes qui témoignent de leur grande détresse et de leurs ruptures nombreuses à la télévision, dans le cadre d'une émission, si on n'était pas en train d'avoir ce regard beaucoup plus systémique sur le traitement, le traitement des peuples autochtones, et ça passe à travers la façon dont on traite les enfants de ces femmes-là dans le système.

Le Président (M. Picard) : Merci, Mmes Cloutier et Sirois, pour votre apport aux travaux de la commission.

Et la commission suspend ses travaux jusqu'après les affaires courantes, c'est-à-dire vers 15 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 8)

(Reprise à 16 h 32)

Le Président (M. Picard) : À l'ordre, s'il vous plaît! La Commission des relations avec les citoyens reprend ses travaux. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.

Nous poursuivons les consultations particulières et auditions publiques dans le cadre du mandat d'initiative concernant les conditions de vie des femmes autochtones en lien avec les agressions sexuelles et la violence conjugale.

Je comprends que nous avons le consentement pour permettre au député de Masson de remplacer la députée de Montarville pour cette partie de cette séance.

Nous entendrons cet après-midi Mme Carole Lévesque, professeure titulaire de l'Institut national de recherche scientifique, et Mme Michèle Rouleau, ancienne présidente de Femmes autochtones du Québec.

Comme la séance a commencé à 16 h 32, y a-t-il consentement pour poursuivre nos travaux au-delà de l'heure prévue, soit jusqu'à 18 h 32? Consentement.

Je souhaite la bienvenue à Mme Carole Lévesque. Je vous invite à vous présenter et à faire votre exposé. Vous disposez d'une période de 20 minutes, va s'ensuivre des échanges avec les parlementaires. La parole est à vous.

Mme Carole Lévesque

Mme Lévesque (Carole) : Merci. Merci beaucoup de m'accueillir ici aujourd'hui. J'ai divisé mon propos en trois points. Évidemment, il y en aurait plusieurs autres à aborder, mais, de manière un peu synthétique, j'ai cru important de mettre en évidence ces trois aspects-là. Le premier, c'est de s'informer sur les conditions de vie actuelles des autochtones au Québec de manière générale; le deuxième, c'est vraiment de s'intéresser à l'ampleur des manifestations liées à la violence dans les villes et dans les communautés; et le troisième point, finalement, des pistes pour aller de l'avant avec certaines solutions, certaines idées, certaines perspectives.

Je dois d'abord vous dire que je suis anthropologue de formation et que je travaille avec les communautés et les organisations autochtones depuis 1972. J'ai vécu de très nombreuses années dans les communautés et je continue aujourd'hui d'être très active. Évidemment, sur le plan professionnel, j'ai travaillé sur beaucoup de thèmes, mais, ces dernières années, je me suis beaucoup intéressée à la question des autochtones en milieu urbain. J'ai travaillé sur ces questions notamment avec ma collègue Edith Cloutier, que vous avez entendue ce matin.

Lorsque l'on parle de la population autochtone au Québec et qu'on essaie de voir quels sont les points de similarité, comparaison avec la population québécoise, on a un portrait un peu désolant. Vous savez, le Canada se classe depuis de très nombreuses années parmi les 10 meilleurs pays au monde en fonction des indices de développement qui sont développés aux Nations unies. Lorsque l'on considère les populations autochtones au Québec, le score atteint est 70e rang, c'est-à-dire l'équivalent du Bangladesh.

Alors, dès leur naissance, les autochtones, de tous âges, hein, hommes, femmes, s'exposent à des risques nettement supérieurs que les Québécois, les Canadiens, et ce, dans toutes les sphères de leur vie, personnelle, familiale et sociale. Rapidement : incidence plus élevée de maladies chroniques et d'accidents, surpeuplement des maisons, problématiques psychosociales majeures, consommation accrue de drogues et d'alcool, agressions physiques et psychologiques, suicide — en hausse d'ailleurs actuellement chez les jeunes et les femmes — séquelles des pensionnats, traumatismes intergénérationnels, fréquence très élevée du placement d'enfant, décrochage scolaire — en hausse également — espérance de vie moindre.

De plus, les inégalités de genre, donc entre les hommes et les femmes, exacerbées par les violences, les agressions et les abus, dont les femmes et les jeunes filles font les frais bien plus que les hommes, ces violences, ces agressions sont encore plus marquées qu'ailleurs, non seulement au Québec, mais à l'échelle du Canada.

Non seulement font-ils face à ces difficultés de la vie, mais, lorsque les autochtones se retrouvent en ville aujourd'hui, dans les villes... Ce n'est pas rien, quand même, cette population. Si on parle des Premières Nations, des Inuits, de la population métisse, c'est 60 % de la population autochtone totale au Québec qui vit dans les villes. Il y a des difficultés supplémentaires qui s'ajoutent : accès limité aux services de santé, services sociaux du réseau québécois — bien souvent le réseau n'est pas capable de répondre à la pression exercée par cette présence des autochtones dans les villes — manque de soins et de ressources appropriés, isolement social, surreprésentation parmi la population itinérante, surreprésentation en milieu carcéral, conditions de logement insalubres, non sécuritaires, insécurité alimentaire. Donc, de très nombreux enfants, jeunes, femmes, hommes, aînés doivent sans cesse relever des défis importants pour répondre à leurs besoins immédiats.

En 2013, le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, James Anaya, annonçait une crise majeure au Canada, exacerbée par le non-respect de leurs droits, la violence envers les femmes, la faible scolarisation et le surpeuplement des maisons. La situation mise au jour récemment à Val-d'Or et dans d'autres villes du Québec est à l'image de cette crise qui était anticipée il y a à peine deux ans.

Alors, pour vous donner un aperçu de cette situation, il y a deux fois plus de familles monoparentales dirigées par des femmes en contexte autochtone. Les enfants de moins de 15 ans se retrouvent sept fois plus fréquemment en famille d'accueil. Parallèlement, le taux de croissance de la population autochtone est de quatre à cinq fois supérieur à celui de la population québécoise.

Les femmes autochtones sont plus nombreuses que les hommes à résider dans les villes. Alors que dans les communautés le ratio hommes-femmes est à peu près égal, dans les villes il y a une proportion supérieure de femmes. La perspective d'une vie meilleure, l'espoir de vivre dans un environnement plus sécuritaire, donc moins violent, de donner davantage de chances à ses enfants constitue la seconde raison, après les études, qui explique le départ des communautés. Ce contexte particulier explique aussi le nombre grandissant de familles monoparentales dans les villes.

• (16 h 40) •

D'un autre côté, de manière générale, les femmes autochtones sont plus instruites que les hommes. Elles sont également plus nombreuses que les hommes à effectuer un retour aux études après l'âge de 30 ans, et il faut tenir compte de ces caractéristiques-là dans l'optique de développer des moyens de prévention dans l'avenir.

On ne sait pas, en général, qu'il y a plus de 50 villes québécoises qui comptent une population autochtone significative au Québec. Et pourtant très peu de services et de ressources permettent de répondre aux besoins de ces personnes. 50 villes.

Alors, il faut savoir que, de nos jours, la présence autochtone dans les villes n'est pas un accident de parcours dans la trajectoire de la vie des femmes et des hommes autochtones, elle est une réalité incontournable et elle va en s'accroissant. Dans la même optique, les dynamiques de mobilité entre les communautés et les villes augmentent et se diversifient.

Le deuxième point que je souhaite aborder concerne plus directement les manifestations de la violence, mais vous avez déjà un portrait du milieu dans lequel ces violences se manifestent et s'expriment, et il ne faut jamais oublier ce contexte très particulier.

Alors, la violence en contexte autochtone, et je crois que les autres collègues, personnes qui prendront la parole ici, dans cette commission, iront dans le même sens, cette violence s'inscrit dans un continuum de pertes, de ruptures, de dépossessions et d'impuissance qui s'intensifie de nos jours avec la croissance démographique et la transformation des conditions objectives d'existence. Monoparentalité, grossesses adolescentes, par exemple, 18 fois plus de grossesses adolescentes de 15 ans et moins chez les femmes autochtones, chez les jeunes filles autochtones. Il y a au moins, sur un plan structurel, systémique, quatre types d'aliénation dont il faut s'informer, je dirais, dont il faut tenir compte : il y a une aliénation territoriale avec la mise en réserve; une aliénation culturelle avec le régime des pensionnats, l'éducation forcée; une aliénation identitaire dont les femmes ont été les premières concernées avec les dispositions de la Loi sur les Indiens, qui les privait de leur statut lorsqu'elles épousaient un non-Indien; une aliénation politique avec l'imposition de l'administration gouvernementale qui a mené à la sédentarisation.

Alors, cette violence en contexte autochtone, elle a des racines profondes qui tiennent aux systèmes et aux structures. Ça fait au moins 40 ans que les associations de femmes autochtones, au Canada comme au Québec, dénoncent la violence perpétrée à l'encontre des femmes; il est, je crois, temps de les écouter. Déjà en 1980, selon les statistiques de l'époque, il était établi que l'incidence de la violence envers les femmes autochtones était de trois à quatre fois supérieure que dans le cas des femmes non autochtones. 35 ans plus tard, la situation n'a pas changé, et, si elle a changé, c'est pour amener des constats sur une incidence qui peut aller jusqu'à cinq fois et six fois.

La violence à l'égard des femmes autochtones se caractérise par la fréquence des agressions et leur intensité. De nombreuses femmes sont confrontées à la violence sur une base quotidienne. Les blessures infligées sont également plus importantes et nécessitent davantage de soins.

Les impacts de cette violence se répercutent sur l'organisation familiale, sur la vie de la maisonnée, sur la qualité des relations entre parents et entre parents et enfants. Un climat de tension existe en permanence. La grande majorité des femmes concernées par la violence sont jeunes, elles ont entre 15 et 34 ans, et 90 % d'entre elles ont des enfants.

Sur un plan personnel, il existe deux formes de violence qui affectent les femmes autochtones. Celle qui met en cause les proches des personnes atteintes, ce qu'on appelle la violence latérale, c'est dans l'environnement familial, dans la parenté, dans les personnes qui évoluent à l'intérieur de la maison, dans le réseau familial que cette violence se manifeste, et il y a celle qui met en cause non seulement des autochtones, des non-autochtones, comme on l'a vu dans le cas de Val-d'Or. Et cette violence qui met en cause des non-autochtones, elle se produit à la fois dans les communautés et dans les villes. Cependant, tous les agresseurs, quels qu'ils soient, bénéficient d'une certaine impunité. Dans les communautés, la loi du silence prévaut sur les dénonciations et les réactions collectives, pourtant connues. De manière générale, on ne dénonce pas pour ne pas mettre en péril la cohésion de la communauté. À l'extérieur des communautés, dans les villes, le racisme exacerbe les abus de pouvoir et les rapports de domination entre hommes et femmes. La violence à l'égard des femmes autochtones, que ces dernières résident dans les villes ou les communautés, évidemment, ne peut être isolée des conditions auxquelles je faisais référence tout à l'heure, conditions socioéconomiques très défavorables, pauvreté, chômage chronique, autant de conditions qui contribuent à accroître le climat de tension déjà existant.

Mais, la violence, quand on parle de la violence en contexte autochtone, on a souvent tendance à penser que c'est une affaire de femmes. La violence ne concerne pas que les femmes. Elles en sont les victimes bien souvent, bien sûr. Ce n'est pas un problème de femmes, c'est une affaire de société. En conséquence, un nouveau projet de société serait à définir et à mettre en oeuvre.

Une campagne de sensibilisation mise de l'avant par Femmes autochtones du Québec en 1987 — ce n'est pas hier — avait commencé à donner des résultats encourageants à l'échelle des communautés autochtones au moins jusqu'au début des années 90. Cette campagne de sensibilisation avait été organisée alors que Michèle Rouleau était présidente de Femmes autochtones du Québec. Faute de ressources financières, les efforts n'ont pu être poursuivis, et pourtant il y avait déjà des manifestations positives à cette époque.

Alors, de nombreuses initiatives destinées à diminuer l'incidence de violence ou de soutenir les victimes ont vu le jour au cours des deux dernières décennies, des maisons d'hébergement ont été instaurées dans plusieurs villes à l'instigation de groupes de femmes et aussi de Femmes autochtones du Québec. Toutefois, dans tous les cas, le déploiement de ces initiatives, donc leur potentiel pour donner des résultats positifs et changer des comportements ou des pratiques, ce déploiement est sans cesse freiné par le manque de moyens financiers adéquats mais aussi récurrents, la difficulté à assurer une continuité dans les services offerts, le peu d'occasions de revoir et de renouveler les pratiques et la lourdeur des pratiques, auxquels le personnel est souvent sans moyens pour poursuivre le travail commencé.

• (16 h 50) •

Alors, face à tout ça, on peut sans doute se poser la question : Mais qu'est-ce qui fait que, dans l'histoire, la violence s'est ainsi installée en contexte autochtone?

Alors, à l'époque traditionnelle, mais dans certains cas «traditionnelle» veut dire il y a 40 ans, il y a 50 ans, la survie et la reproduction des groupes sociaux reposait sur l'existence de mécanismes de régulation sociale auxquels les membres du groupe adhéraient. Ces mécanismes ou pratiques permettaient d'intervenir lorsqu'il y avait des difficultés, des dissensions. C'est des pratiques, des mécanismes qui reposaient sur des valeurs et des principes qui favorisaient l'entraide, le partage, la cohésion, de préférence à l'individualisme ou à la compétition. Ces valeurs, ces principes étaient transmis d'une génération à l'autre, ils étaient valorisés à travers les obligations et les responsabilités quotidiennes et saisonnières.

La mise en réserves, l'épisode des pensionnats indiens, la sédentarisation ont profondément modifié l'ordre des choses, ont coupé les filières de transmission et ont érodé les pratiques qui favorisaient l'équilibre des groupes de même que les modes d'interaction et de collaboration qui présidaient aux relations entre les groupes au sein d'une même bande, mais les principes fondateurs, l'essence même des règles qui régissaient le vivre-ensemble et favorisaient la cohésion sociale existent toujours. Il devient essentiel de les régénérer, en tenant compte toutefois des impératifs de la vie moderne et des enjeux de la société contemporaine. Les mesures, ressources, pratiques à déployer à partir de maintenant, et je dis bien à partir de maintenant, pas dans un an, pas dans deux ans, pas dans cinq ans, à partir de maintenant, doivent s'inspirer de ces valeurs, de ces principes, sur lesquels ont peut aujourd'hui construire. Ce que je propose, tout en étant quelqu'un de l'extérieur des communautés mais qui a quand même beaucoup travaillé dans les communautés : Je crois qu'il serait important de créer des chaînes de protection pour les femmes autochtones et les enfants, des alliances de protection qui déborderaient le cadre communautaire.

Aujourd'hui, ce qu'on constate, c'est que les communautés autochtones sont atomisées, c'est-à-dire qu'elles fonctionnent presque en vase clos, et ça ne favorise pas les actions concertées. Et en plus cette atomisation contribue à neutraliser les efforts des intervenants, des intervenantes surtout, qui se retrouvent isolés et diminués devant de si lourdes problématiques. Il importe aujourd'hui d'identifier, et ça doit être identifié par les autochtones eux-mêmes, par leurs leaders, les vecteurs de la vie communautaire qui permettraient de transformer la réalité de la violence et mobiliser les savoirs et les pratiques sur lesquels il faudrait s'appuyer.

Il faudrait aussi reconnaître et respecter l'expertise de Femmes autochtones du Québec en matière de violence faite aux femmes et aux enfants et créer les conditions financières, matérielles et organisationnelles pour que cette expertise soit mise au service des communautés et de la population autochtone en général, ce qui veut dire aussi dans les villes. Il faudrait étendre et diversifier le réseau des maisons d'hébergement pour femmes autochtones et fournir à Femmes autochtones du Québec les moyens récurrents et suffisants pour remplir son mandat à long terme à cet égard. Il y a une quinzaine de maisons d'hébergement au Québec pour femmes autochtones, je crois qu'il faudrait qu'il y en ait déjà demain 30 au minimum.

Il faut évidemment soutenir les initiatives locales et communautaires en matière de lutte à la violence par une plus grande implication des leaders masculins et des conseils de bande au sein d'initiatives orchestrées par les femmes, favoriser, par exemple, l'adhésion à une déclaration d'engagement autochtone citoyen contre la violence dans toutes les communautés et les villes. Il faut former de nouvelles cohortes d'intervenantes autochtones en développant une formation sur mesure et continue qui repose autant sur la prévention que sur l'accompagnement et l'intervention.

Il faut mettre de l'avant une réelle culture de prévention au sein des communautés et des villes. Pour l'heure, la plupart des mesures mises en place au regard de la violence ciblent plutôt les symptômes et les situations conjoncturelles. Une culture de prévention agit en amont des situations et constitue un filet de protection et de sécurité. Une culture de prévention est à construire.

Il faut également accroître la participation des femmes autochtones à la prise de décision en matière de violence latérale et communautaire, et ce, à toutes les échelles de gouvernance. Il faut promouvoir la mise en oeuvre de démarches de sécurisation culturelle, en d'autres mots créer des environnements sécuritaires sur le plan sanitaire, éducatif, social et culturel et propices au plein épanouissement des individus de tous âges, à la fois dans les villes et les communautés.

Et il faut finalement s'inspirer des actions mises de l'avant au sein du Regroupement des centres d'amitié autochtones du Québec et des différents centres d'amitié établis dans la province en matière de compétences et de sécurisation culturelles. La présence permanente ou temporaire d'une population autochtone grandissante dans les villes vient transformer les dynamiques relationnelles et collectives de toutes les générations et engendre une nouvelle gamme de besoins inédits. Je vous remercie.

Le Président (M. Picard) : Merci, Mme Lévesque. Nous allons entreprendre les discussions avec les parlementaires du côté de la partie gouvernementale. Mme la députée de Crémazie.

Mme Montpetit : Oui, je vous remercie. Bonjour, Mme Lévesque, et bienvenue. C'est un privilège pour les membres de cette commission de vous recevoir aujourd'hui, puis on vous remercie, je pense que mes collègues se joignent à moi également pour vous remercier de prendre de votre temps pour venir nous partager votre expertise indéniable, quand on regarde la carrière exceptionnelle que vous avez sur le dossier des populations autochtones.

Et on s'excuse également, là, du retard, hein? Vous savez, les travaux parlementaires... C'est une journée un peu exceptionnelle aujourd'hui, et c'est pour ça qu'on vous laissait le plus de temps. Et je vais faire mes questions très courtes parce que je veux vous laisser le maximum de temps, justement, pour pouvoir continuer, si vous aviez d'autre chose à dire.

Je vous cite, puis je ne veux pas mal vous citer, mais vous disiez que, dans les communautés autochtones, les populations autochtones ne dénoncent pas pour ne pas mettre en péril la cohésion du groupe, là, de la communauté. Comment on peut favoriser, justement, un contexte qui va mettre les conditions en place pour favoriser, justement, cette dénonciation-là? C'est une question vaste, là, je le conçois, là, mais, si vous pouvez alimenter un peu notre réflexion à ce sujet-là, ce serait bien apprécié.

Mme Lévesque (Carole) : Oui. Je crois qu'on ne peut pas mettre de l'extérieur ces conditions propices, je crois que ça ne peut venir que de l'intérieur. Il y a de la violence dans les communautés, elle est régulière, j'aurais presque tendance à dire qu'elle est en hausse, et la balle est dans le camp des communautés à ce niveau-là. Et c'est vrai, les femmes le disent entre elles, c'est connu : Entre dénoncer... Et, vous savez, dans une communauté, même s'il y a 5 000 personnes, ça reste un univers assez fermé, d'une certaine manière, dans le sens où tout le monde connaît tout le monde. Vous ne pouvez pas gérer des situations de violence comme si c'était une ville de 2 millions d'habitants, où l'agresseur et la personne agressée peuvent être séparés et même évoluer dans la même ville mais sans jamais se rencontrer, il faut réfléchir à des modes différents de... je ne dirais pas «gérer», mais des modes différents de transformation des relations entre les hommes et les femmes. Il faut non seulement qu'il y ait davantage de femmes qui puissent prendre la parole et participer aux instances de gouvernance, il faut, je crois, une espèce de mobilisation communautaire, et ça ne peut venir que de l'intérieur.

Mais, quand je dis que ça ne peut venir que de l'intérieur, je ne parle pas nécessairement de la communauté, j'entends : Ça ne peut venir que de l'intérieur du monde autochtone. Les conditions propices, on peut les soutenir, on peut les favoriser lorsqu'elles sont définies, lorsqu'elles sont identifiées, mais je suis persuadée que les décisions doivent être prises par les autochtones eux-mêmes.

Le Président (M. Picard) : Mme la députée de Crémazie.

Mme Montpetit : Je vous remercie. Oui, on constate que c'est complexe, hein?

Mme Lévesque (Carole) : Très complexe.

Mme Montpetit : Et comme l'ensemble du dossier. Et, pour parler peut-être davantage en amont... Puis, encore là, je fais ma question très, très courte, là, pour vous permettre de développer, mais c'est très large aussi, là, donc vous faites ce que vous pouvez comme réponse. On essaie aujourd'hui, évidemment, avec les rencontres qu'on fait, de bonifier le plan en matière d'agression sexuelle. Et, spécifiquement sur les moyens de prévention qui pourraient être mis en place pour le futur, parce que, comme vous le dites, bon, c'est une situation qui n'est pas nouvelle non plus, et on cherche à la résoudre, est-ce que vous avez des pistes de solution qui pourraient nous alimenter aussi à cet effet-là, donc en amont vraiment du problème?

• (17 heures) •

Mme Lévesque (Carole) : Je parlais tout à l'heure de cette culture de prévention qui n'est pas vraiment là, c'est-à-dire que les problèmes sont tellement intenses et quotidiens qu'on est dans l'intervention de manière continue. On n'a pas le temps, je crois, parce qu'il manque de moyens, parce qu'il manque de ressources, parce qu'il manque d'intervenants, d'intervenantes, on n'a pas le temps de développer une réelle culture de prévention. Je ne parle pas seulement de moyens de prévention ou de mécanismes, je parle d'une culture, c'est-à-dire quelque chose qui va justement prendre sa source dans ces valeurs, ces principes qui existent et qu'il faut non pas reconstruire, rebâtir mais régénérer, dans le sens où ils sont là, ces valeurs, ces principes, on peut s'en inspirer.

Cette démarche dont je parlais tout à l'heure, la démarche de sécurisation culturelle, c'est quelque chose qui est très peu connu au Québec pour l'instant mais qui est beaucoup plus connu au Canada anglais, en Australie, en Nouvelle-Zélande, des pays... partout où il y a d'importantes populations autochtones. Cette démarche de sécurisation culturelle, «cultural safety» en anglais, contient des éléments pour intégrer, justement, ou définir cette culture de prévention. La culture de prévention ne va pas permettre de répondre à toutes les situations de violence, mais elle peut contribuer à construire des environnements à travers la collaboration, des environnements qui seraient plus favorables. Vous parliez de conditions propices tout à l'heure. Avant de parler de conditions propices, je crois qu'il faut créer des environnements propices, des environnements sécurisants.

Cette sécurité dont on parle, ce n'est pas une sécurité dans le sens juridique du terme, hein? Au Canada anglais, on a adopté... ou du moins à Ottawa, là, on a adopté, il y a quelques mois à peine, un plan d'action pour lutter contre la violence faite aux femmes autochtones, il n'y avait pas de contribution du Québec dans ce plan-là. Et ce qu'on observe, c'est qu'on met l'accent sur les agresseurs et on veut s'assurer que les agresseurs soit sont punis, entre guillemets, subissent des peines, des amendes, sont mis en prison, mais, quand on fait ça, on nourrit la machine qui est déjà là. Alors, avec une approche un peu plus large, plus intégrée, qui permet en même temps que de répondre aux demandes immédiates, hein... Lorsqu'une femme est en situation de violence, ce n'est pas le temps de faire l'examen de l'histoire, et du passé, et de demain et aujourd'hui qu'est-ce qu'on va faire, c'est le temps de répondre. Et les moyens sont si rares que, oui, on peut parfois répondre, mais on n'a pas le temps de dégager une réflexion collective qui permettrait justement d'assurer ces filets de protection, ces chaînes de collaboration autour des femmes. De quelle façon le faire? Je crois qu'il faut faire l'exercice, mais je crois qu'on est rendus là, au Québec, et qu'il y a des moyens pour faire ça, des moyens basés justement sur ces savoirs, ces valeurs, ces pratiques, qui existent toujours mais qui sont, je dirais, recouverts par cette gamme de problèmes, de problématiques auxquelles il faut faire face.

On ne pourrait pas non plus dire : Occupons-nous de la violence et laissons faire les problèmes de logement, laissons faire les problèmes de chômage, on ne peut pas. À l'échelle gouvernementale, je crois qu'il faut quelque chose de beaucoup plus intégré; non pas attendre d'avoir tout réglé ces problématiques pour parler de la violence, mais bien de parler et de réfléchir aux situations de violence en même temps qu'on fait d'autre chose, que le travail se fait à d'autres niveaux, et non pas un petit morceau de violence, un petit morceau de ceci, un petit morceau de ça.

Le problème, peut-être, par le passé, ça a été soit qu'on s'occupe de la violence seulement, sans tenir compte des autres problématiques, soit qu'on s'occupe des autres problématiques et on se dit : Bien, ça va avoir un impact sur la violence. Je crois qu'on est rendus à un stade où passer par des détours pour tenter de régler des situations de violence peut amener encore plus de violence, je crois qu'on est rendus à une étape... Parce que les situations de violence, elles augmentent. Les problèmes sociaux, dans les communautés autochtones, augmentent depuis moins de 10 ans. On pourrait penser, avec les investissements des gouvernements, que quelque chose commence à se passer. Non, c'est le contraire, c'est le contraire, parce que je crois que les politiques, les mesures mises en place sont trop calquées sur ce qu'on fait dans notre propre société. Ces mesures, ces politiques doivent être définies à partir des principes, des valeurs, des règles éthiques, des mécanismes qui pouvaient exister, qui sont disparus, d'une certaine façon, c'est-à-dire que ces mécanismes de régulation sociale n'avaient plus le contexte pour donner des résultats positifs. Tant qu'on va développer des réponses qui sont calquées sur nos façons de faire, on va se retrouver en porte-à-faux. Et je crois que cette hausse que l'on remarque dans plein de sphères de la société maintenant depuis une dizaine d'années, hausse du décrochage scolaire, hausse du placement d'enfant, des signalements, hausse du chômage, tout ça est l'expression, je crois, du besoin de reprendre les politiques publiques, les programmes et de les définir de l'intérieur.

Mme Montpetit : Je vous remercie. À ce stade-ci, je laisserais la parole à mon collègue le député d'Ungava.

Le Président (M. Picard) : M. le député d'Ungava.

M. Boucher : Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour, Mme Lévesque. Bienvenue à l'Assemblée nationale.

Écoutez, j'entends vos propos, puis c'est fort intéressant. Vous parliez... Woups! Un petit retour de son. Alors, c'était fort intéressant comme je vous entendais parler, bon, de votre expérience, votre vécu au sein des communautés autochtones.

Votre expérience, bon, au sein des communautés, combien d'années que vous avez vécu sur des communautés? Juste circonscrire ça un petit peu, là.

Mme Lévesque (Carole) : Au total, cinq années, à peu près.

M. Boucher : O.K., cinq années. Et puis c'est ça, c'est sûr que, du côté autochtone, souvent, bon... Vous parliez des autochtones en milieu urbain. Souvent, bon, des gens, souvent des femmes aussi idéalisent un peu peut-être la ville en disant : Bien là, écoutez, je vais quitter mon milieu, je vais quitter... je vais abandonner mes problèmes, peut-être un conjoint violent, je vais me retrouver en ville, me trouver un emploi, je vais avoir une belle petite maison ou un appartement, mes enfants vont aller à l'école, puis on idéalise ça, souvent, et puis la réalité de la ville est souvent aussi terrible, sinon plus que la réalité du milieu autochtone. Et puis souvent, bien, on sait que, dans le milieu des itinérants à Montréal, il y a un fort pourcentage de ces gens-là qui sont issus des Premières Nations. J'aimerais ça que vous élaboriez un petit peu là-dessus, sur votre expérience puis ce que vous en savez.

• (17 h 10) •

Mme Lévesque (Carole) : Oui. Dans le cas de... Les derniers mots que vous avez dits, une part importante de personnes autochtones parmi la population itinérante à Montréal, une part importante d'Inuits aussi qui se retrouvent à Montréal en situation d'itinérance. Ce sont des problématiques relativement différentes de celles des Premières Nations. Donc, on dit «autochtones» de manière globale, mais il y a des différences importantes.

C'est vrai que souvent, lorsque l'on quitte sa communauté, lorsque ce n'est pas pour les études, on pense améliorer ses conditions de vie. Ça arrive, mais, pour une majorité de gens, peut-être même la moitié, ça ne se produit pas comme ça, on fait face à encore plus de problématiques dans les villes, difficultés à se loger...

Et ce qu'on remarque, c'est que les personnes quittent la communauté sans connaître la ville, et je crois qu'il est temps, dans les communautés, d'envisager la ville non pas comme l'opposé de la communauté mais bien comme un prolongement. Il y a suffisamment... la population autochtone est suffisante en ville pour que ce ne soit pas, comme je disais, un accident de parcours, c'est une réalité qui est incontournable.

Maintenant, je me rappelle, il y a 20 ans, je parlais avec Marcelline Kanapé, une grande dame innue qui a été dans le milieu de l'éducation, et son projet à l'époque, elle a été chef de sa communauté à Pessamit, elle disait : Mon grand rêve serait de préparer les étudiants à aller étudier à l'extérieur, les préparer à ce que c'est que vivre dans une grande ville. Et parfois, au début, c'était Sept-Îles, hein, on n'était pas rendu à Québec, Montréal, mais elle était préoccupée par la nécessité de s'instruire de la ville avant d'y arriver.

On a longtemps vu les communautés comme étant le milieu à l'intérieur duquel grandissaient, s'épanouissaient et évoluaient les Premières Nations, les Inuits, mais, dans cette optique-là, tout ce qui concernait la ville, dans laquelle se retrouvaient notamment des femmes qui avaient perdu leur statut, des femmes dont les dispositions de la Loi sur les Indiens avaient amené une sortie de la communauté, on voyait la ville comme étant le lieu où on perdait sa culture, le lieu où on perdait ses valeurs, on était dans un monde de Blancs. On est en 2015, et la réalité est tout autre. Vous voyez, avec les mouvements d'affirmation citoyenne, que ce soient ceux qui sont développés à l'intérieur d'Idle No More, la prise de parole citoyenne des autochtones, le mouvement des centres d'amitié, qui contribuent à créer une société civile autochtone, on n'est plus dans cette logique où la ville est l'envers de la communauté et où la communauté est l'envers de la ville. Il y a un arrimage qui doit être fait et qui devrait permettre...

Le Président (M. Picard) : En terminant, s'il vous plaît.

Mme Lévesque (Carole) : ...qui devrait permettre aux gens, lorsqu'ils arrivent en ville, de savoir un peu ce qui va se passer.

Le Président (M. Picard) : Merci. Je cède maintenant la parole à Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve.

Mme Poirier : Merci, M. le Président. Bonjour, Mme Lévesque. Merci d'être là.

Vous savez que cette première partie de notre commission est pour que l'on apprenne, que l'on... on est en mode vraiment apprentissage. Ce matin, Edith Cloutier nous a dit qu'il fallait une approche holistique; vous, vous nous dites une démarche de sécurisation culturelle. Entre ces deux approches, qu'est-ce qu'on fait?

Mme Lévesque (Carole) : En fait, c'est la même approche, elle est appelée différemment. Permettez-moi d'être professeur. Donc, je parle de sécurisation culturelle. Holistique, du côté autochtone, ça signifie une approche intégrée qui s'adresse à la fois à l'individu mais aussi à la collectivité. La sécurisation culturelle est basée justement sur une sécurité collective et non pas seulement une sécurité personnelle. C'est l'avantage de ces démarches, disons, intégrées, et les deux termes sont finalement très complémentaires et signifient souvent la même chose.

Mme Poirier : Selon vous, la Loi sur les Indiens actuelle, est-ce qu'elle brime les femmes?

Mme Lévesque (Carole) : Oui, d'une certaine façon. Même s'il y a eu des amendements aux clauses discriminatoires de la Loi sur les Indiens, il continue d'y avoir des difficultés dans la reconnaissance du statut.

Mais cette loi, qui est quand même une loi coloniale, hein, il ne faut pas se le cacher, est toujours basée sur un système patrilinéaire, patriarcal, patrilocal, dans le sens où, si vous mariez un non-autochtone, vous quittez... Donc, l'autochtone, l'Indien inscrit, comme on disait, reste sur place, donc ça amène, au niveau des mariages et de la résidence, des choix.

Dans un système patriarcal, avec les conseils de bande, qui sont issus de la Loi sur les Indiens, on a peu de place pour les femmes. Elles ont gagné, après de longues batailles, elles ont gagné une place, mais je crois que ce n'est pas suffisant. Ça fait 50 ans que les femmes autochtones au Québec se battent pour être reconnues et que l'on respecte aussi leur savoir, leurs expertises. Elles sont connues pour des batailles au niveau du statut et de l'identité, mais ça veut dire aussi dans l'éducation. La parole des femmes, les savoirs des femmes sont importants. Sur le territoire, on ne parle jamais des liens. En matière de développement durable, par exemple, on ne parle jamais des liens de femmes avec le territoire. Le système actuel ne permet pas facilement d'écouter les femmes.

Mme Poirier : Entre autres, une des pistes de solution que vous avancez, là, c'est de soutenir les initiatives locales et communautaires en matière de lutte à la violence par une plus grande implication des leaders masculins des conseils de bande au sein d'initiatives orchestrées par les femmes.

Mme Lévesque (Carole) : Oui, les femmes.

Mme Poirier : Alors, on sait que les conseils de bande sont à forte majorité masculine. Donc, comment vous voyez cet arrimage-là d'un «empowerment» par les femmes mais à l'intérieur d'un conseil de bande gouverné par des hommes?

Mme Lévesque (Carole) : C'est pour ça que je crois qu'il est important que les femmes de chacune des communautés ne soient pas isolées. Je ne sais pas quelle organisation... en fait quelle culture organisationnelle il faut développer, mais les femmes, lorsqu'elles se retrouvent, à l'intérieur des communautés, à l'intérieur aussi de conseils de bande majoritairement masculins sont vites démunies. Est-ce qu'il est possible de créer — et il faudrait poser la question aux autochtones eux-mêmes — des formules qui protégeraient les femmes lorsqu'elles tentent d'agir à l'intérieur des communautés?

Vous savez... Vous dites : Il n'y a pas beaucoup de femmes qui font partie des conseils de bande. C'est encore drôle, il y a 40 % des conseillers du conseil de bande qui sont des femmes maintenant. Et, selon mes informations, il n'y a que 37 % de députées femmes à l'Assemblée nationale. Donc, si on veut comparer, il y a quand même des efforts qui sont faits de ce côté-là. Ce ne sont pas encore des postes de chef. Il y a eu quelques femmes qui ont été chefs, mais il faudrait qu'il y en ait davantage.

Donc, des structures, des pistes qui permettraient aux femmes, dans les communautés, de ne pas être isolées.

Mme Poirier : ...même avec mes collègues, nous sommes toutes d'accord que 27 % de femmes à l'Assemblée nationale, ce n'est pas assez.

Mme Lévesque (Carole) : 37 %, ce n'est pas assez.

Mme Poirier : On est 27 %, on est 27 %.

Mme Lévesque (Carole) : C'est 27 %? Ah bon! Bien, c'est...

Mme Poirier : Oui, oui, on a reculé. On a reculé, on est à 27 %.

Mme Lévesque (Carole) : Je n'ai pas les dernières statistiques.

Mme Poirier : Alors, vous voyez comment c'est. On n'a pas avancé, on a reculé.

Vous nous parlez, entre autres, de la culture de prévention. Cette culture de prévention là, moi, je fais un lien avec un des premiers points que vous avez soulignés, qui est le fait du manque de ressources en santé et services sociaux, mais surtout vous dites que le réseau n'est pas capable de répondre aux besoins mais tout particulièrement aux 60 %, dans le fond, de la population qui est...

Mme Lévesque (Carole) : Dans les villes.

Mme Poirier : ...qui est dans les villes. Alors donc, le système de santé que l'on a, est-ce qu'il répond mal aux autochtones qui vivent en ville ou il répond mal, point?

• (17 h 20) •

Mme Lévesque (Carole) : Je ne dirais pas qu'il répond mal, je dirais qu'il est dépassé. Je dirais aussi, ce que je constate des acteurs du réseau de santé et services sociaux québécois, c'est souvent une impuissance, manque d'information, bien sûr, mais une impuissance, en disant : Mais qu'est-ce qu'on pourrait faire? C'est plus de cet ordre que d'une question de mal ou pas.

Mais, avec une croissance importante de la population autochtone dans les villes, qui échappe aux possibilités de recevoir des services de la part des conseils de bande, puisqu'on est dans un autre type de territoire, la responsabilité populationnelle qui est au coeur des initiatives en santé et services sociaux au Québec, je crois qu'elle doit être repensée.

Mais c'est plus une impuissance. Je rencontre souvent des gens dans les ministères, et ce que je constate, ce n'est pas le manque de volonté, c'est l'impuissance, parce que, dès qu'on explique qu'on est face à des modes d'être différents, que ce sont des valeurs différentes... Lorsqu'on a comme réflexe de fonctionner avec nos propres valeurs, bien on ne sait pas comment faire. Et c'est là que l'input des autochtones eux-mêmes qui sont les personnes qui sont impliquées en intervention, qui ont une grande expérience dans les communautés ou dans les villes, peut avoir un impact pour aider à revoir les politiques.

Alors, ce n'est pas mal ou bien, ce n'est pas comme ça que je le vois, c'est une impuissance, parce que la réalité des autochtones dans les villes, c'est relativement nouveau, on ne s'en préoccupait pas. Il y a des questions de juridiction aussi, hein, entre le fédéral, le provincial. Mais je crois qu'aujourd'hui, avec toutes les possibilités qu'offrent les nouveaux modes de gouvernance, il y aurait moyen de répondre davantage à cette obligation populationnelle du gouvernement.

Mme Poirier : Mais, quand vous nous parlez de culture de prévention... Parce que, pour moi, il y a quelque chose là, il y a une résolution à l'énigme, là. Avoir du personnel mieux préparé à répondre mais à partir des valeurs de la communauté, c'est, pour vous, une façon d'avoir une culture de prévention?

Mme Lévesque (Carole) : Oui, mais c'est aussi un moyen... S'il y a plus d'intervenants, ou plus de ressources, ou plus de moyens de différents ordres, c'est aussi la possibilité de ne pas toujours être à la course après les problèmes, c'est une possibilité de cesser de jouer aux pompiers, finalement, parce qu'il y a un feu à éteindre. Vous savez, dans un centre d'amitié ou dans une communauté, les problèmes sont parfois si lourds, l'intensité des problèmes est telle que c'est un travail quotidien incessant, et vous avez des personnes qui interviennent, des travailleurs de rue, des travailleurs communautaires, différentes catégories d'intervenants qui peuvent très vite s'épuiser parce que c'est lourd. Alors, il faut, dans cette culture de prévention, prévenir aussi ces roulements de personnel, ces épuisements professionnels, il faut redéfinir ces choses. Et une culture de prévention, ça veut dire qu'on va penser au départ à prévenir les problèmes qui pourraient surgir demain, les situations qui pourraient permettre de pallier au départ à certaines difficultés.

Le Président (M. Picard) : Merci, Mme Lévesque. Je cède maintenant la parole à M. le député de Masson.

M. Lemay : Merci, M. le Président. Merci, Mme Lévesque, d'être ici avec nous. Vous avez plus de 40 ans auprès des communautés autochtones, c'est quand même assez exceptionnel. Donc, vous avez développé toute une expertise.

Et puis la députée de Crémazie l'a mentionné tout à l'heure, mais moi, je veux juste revenir sur un petit passage que vous avez... le même passage qu'elle a ciblé, là, tu sais, on ne dénonce pas pour ne pas mettre en péril la cohésion de la communauté. Puis, vous savez, ma réflexion, c'est : Mais comment... qu'est-ce qu'on peut faire de différent pour obtenir des résultats différents?, parce que, si on essaie toujours de faire les mêmes choses, on ne peut pas espérer d'avoir des changements.

Donc, avec votre expertise, là, dans les solutions que vous apportez, là, dans la dernière page de votre mémoire, est-ce que ce sont des solutions qui ont déjà été testées sur le terrain ou c'est des nouvelles solutions qui n'ont jamais été mises en application?

Mme Lévesque (Carole) : En fait, ce n'est pas tant des solutions que des pistes à explorer, je crois, mais ce sont... toutes ces possibilités-là ont été identifiées à un moment ou à un autre par des personnes avec lesquelles je travaille, par des situations que j'ai observées. Je crois que ça peut être indicateur de pistes à suivre, mais c'est mon point de vue.

Néanmoins, ce besoin d'aller chercher dans la culture autochtone même, les cultures autochtones, je devrais dire, des savoirs, des principes de vie qui permettraient d'éclairer différemment les situations, je crois qu'il faut se donner le temps d'identifier ces piliers, je dirais, de la transformation sociale, je les appelle comme ça, ce sont des piliers du changement social, qui dans certains cas est commencé. Il y a beaucoup d'initiatives qui ont été prises dans des communautés à l'égard de la violence, pour le placement d'enfant. Il y a des initiatives, on ne les connaît pas, il y en a plus qu'on pense, mais toutes font face à des difficultés de suivi, de continuité. Si on avait même une cartographie de ces initiatives, on pourrait être surpris, mais, comme c'est souvent isolé, hein, c'est éparpillé sur le territoire, l'information ne circule pas suffisamment, bien on a l'impression qu'il ne se fait rien. Mais, non, il se fait des choses. Et, dans les choses qui se font, dans les initiatives qui sont prises, à différentes échelles, parfois très petites, il y a là des pistes pour identifier ce que madame disait tout à l'heure sur les conditions propices. Elles sont là, il faut les faire apparaître.

M. Lemay : À ce moment-là... Demain, on va avoir un rapport qui va être déposé par la ministre de la Famille concernant la lutte à l'intimidation dont le ministre des Affaires autochtones a participé aussi, il y avait un volet sur la situation des autochtones au Québec. Donc, ça, ce que je comprends, par rapport à votre réponse, c'est que ça prend une mesure concertée équivalente, égale en même temps sur l'ensemble du territoire, et non des mesures isolées, pour parvenir à solutionner une fois pour toutes la situation? Est-ce que c'est ça que vous voulez nous dire, dans le fond, que les mesures isolées sont présentes mais pas suffisantes parce que ça reste... c'est isolé dans une communauté à un moment donné, alors que, si on y va de façon générale et globale, on aurait des meilleures chances de succès?

Mme Lévesque (Carole) : Pas tout à fait, peut-être que je me suis mal exprimée là-dessus. Ce que je propose, d'une certaine façon, c'est que ces mesures isolées, justement, ces initiatives, hein, qui sont nombreuses quand même, puissent se référer à quelque chose qui serait commun mais à une échelle... pas d'imposer une formule à tout le monde, mais... Si on est dans une approche holistique, comme madame disait tout à l'heure, ou de sécurisation culturelle, voilà un moteur qui peut être partagé par tous, mais chacune des Premières Nations pourra définir à l'intérieur de ça ses propres initiatives selon, d'abord, sa situation géographique, sa culture interne.

Mais, si les valeurs, les principes pouvaient être partagés différemment... Actuellement, ce n'est pas le cas. Et on essaie, hein? Ce que fait Femmes autochtones du Québec, c'est vraiment à l'échelle de la province, essayer de trouver des vecteurs qui seraient communs à tous, mais chacun, chaque groupe, chaque initiative peut s'y référer. C'est beaucoup plus d'appartenir à quelque chose qui est commun que de développer une approche qui serait collective. C'est de créer l'appartenance à une orientation beaucoup plus que de développer une politique qui s'appliquerait mur à mur à tout le monde.

M. Lemay : Merci. M. le Président, il me reste combien de temps?

• (17 h 30) •

Le Président (M. Picard) : 1 min 30 s.

M. Lemay : 1 min 30 s. Vous savez, vous vantez beaucoup les mérites de Femmes autochtones du Québec. On va les entendre après vous. Donc, on a bien hâte de les entendre.

Je vais revenir à vos principes fondateurs, parce que vous l'avez mentionné dans votre réponse, puis justement vous l'avez mentionné à la page 6 de votre mémoire, là, tu sais, que les principes fondateurs, c'est «l'essence même des règles qui régissaient le vivre-ensemble et favorisaient la cohésion sociale». Puis ces principes-là existent toujours, puis c'est vrai, parce que, pour avoir discuté avec plusieurs communautés, effectivement, c'est des beaux principes. Donc, vous dites : Basé là-dessus, dans le fond, c'est là qu'on doit baser pour fonder l'espoir, pour mettre en place nos solutions.

Mme Lévesque (Carole) : Oui, il faut se baser sur ces piliers. Mais maintenant ça prend des moyens et des ressources pour que ces piliers-là puissent se déployer à leur juste valeur.

M. Lemay : Merci beaucoup.

Le Président (M. Picard) : Merci. Mme la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques pour trois minutes.

Mme Massé : Merci, M. le Président. Bon... Bonsoir, je pense, madame. Merci pour votre présentation et en fait l'ensemble du regard que vous portez sur l'expérience de cohabitation, je dirais, pas seulement de...

J'avais quelques questions, plusieurs ont déjà été posées, notamment sur la question de mobilisation des leaders, et ensuite une question au niveau de... il ne faut pas que les femmes soient isolées. Alors, sur la mobilisation des leaders, vous avez déjà... mais, si vous aviez d'autre chose à nous dire, parce qu'eux autres aussi, et femmes et hommes, on va les rencontrer la semaine prochaine. Et, sur la question que les femmes ne soient pas isolées, je me disais, c'est ça, il y a FAQ, il y a Femmes autochtones du Québec qui a un réseau, qui a depuis, je pense, 42 ans maintenant ce réseau-là, il y a le réseau des femmes élues qu'on a rencontré ici même, à l'Assemblée nationale, l'an dernier, on a créé des liens, le réseau de maisons d'hébergement pour femmes autochtones, le réseau des centres d'amitié autochtones, alors j'imagine que vous référiez peut-être à autre chose quand vous disiez qu'il ne faut pas que les femmes restent isolées chacune dans les 52 communautés.

Mme Lévesque (Carole) : J'aime bien le terme «cohabitation» parce que, au-delà des communautés, ce qui se passe dans les villes, c'est aussi la rencontre de citoyens différents, hein? Il y a une société civile autochtone, mais il y a une société civile québécoise, et elles ne doivent pas être mélangées dans le sens où une absorberait l'autre.

Mais, pour revenir à Femmes autochtones du Québec, bien sûr, Femmes autochtones du Québec, qui est une des plus anciennes associations de femmes au Québec, d'ailleurs, toutes origines confondues, peut à peine, dans une année, faire le tour de la province. Donc, oui, il y a des possibilités mais, encore là, des coupures, manque de moyens. Et, quand une tournée se fait, ce n'est pas dans toutes les communautés, c'est impossible, c'est une communauté dans une première nation.

Donc, la volonté est là, l'expertise est là, mais les moyens ne permettent pas de réaliser, justement, ces types d'alliance, je dirais, entre femmes qui pourraient grandir, qui pourraient avoir un autre impact. Femmes autochtones du Québec n'a même pas, cette année, les moyens de faire une assemblée générale. Donc, hein, oui, il existe des mécanismes, des organisations, mais les moyens pour que ça puisse se déployer, hein... Ce n'est pas Montréal-Québec, là, c'est Montréal—Val-d'Or, Sept-Îles, Chibougamau. Vous allez à Chibougamau : pour aller à Val-d'Or, il faut quasiment revenir à Montréal. Ça demande beaucoup de sous, ça demande beaucoup de moyens.

Le Président (M. Picard) : En terminant, s'il vous plaît.

Mme Lévesque (Carole) : Donc, oui, c'est possible de valoriser ce que fait Femmes autochtones du Québec, mais encore faut-il qu'il y ait les moyens pour lui permettre de remplir son mandat autrement.

Le Président (M. Picard) : Merci, Mme Lévesque. Je vous remercie pour votre contribution aux travaux de la commission.

Je suspends les travaux quelques instants afin de permettre à Mme Rouleau de prendre place. Merci.

(Suspension de la séance à 17 h 34)

(Reprise à 17 h 37)

Le Président (M. Picard) : À l'ordre, s'il vous plaît! Nous reprenons nos travaux en recevant Mme Michèle Rouleau, ancienne présidente de Femmes autochtones du Québec. Mme Rouleau, vous disposez de 20 minutes pour faire un exposé, et après il va y avoir des échanges avec les parlementaires. Donc, la parole est à vous.

Mme Michèle Rouleau

Mme Rouleau (Michèle) : Merci. «Kuei». Bonsoir, bonne fin de journée. J'ai tenu à être ici aujourd'hui en tant qu'ancienne présidente de Femmes autochtones du Québec depuis... En fait, j'étais présidente depuis fort longtemps, il y a longtemps de ça, mais je pense que c'est important d'être ici aujourd'hui pour vous parler de cette question-là. J'ai bien peur que je vais sans doute répéter des choses que vous venez d'entendre, que vous avez entendues plus tôt ce matin, mais, que voulez-vous, c'est notre histoire, c'est notre situation. Et je pense qu'on a tous et toutes un point de vue de cette histoire-là et je voulais en profiter pour vous donner ma vision des choses et aussi vous parler d'un sujet, évidemment, qui me tient à coeur et qui est tout à coup arrivé sur la sellette, depuis quelques semaines, mais ce sont des questions qui sont là depuis fort longtemps, et il était temps qu'on s'en préoccupe.

Juste vous dire que j'ai été directrice du centre d'amitié autochtone de Senneterre en 1980, j'ai été présidente de Femmes autochtones du Québec de 1987 à 1992. Alors, je suis vraiment ce qu'on appelle une ancienne présidente et je vais vous parler peut-être de choses anciennes, en ce qui me concerne. Je sais que vous allez avoir une présentation de Femmes autochtones du Québec demain, mais je voulais quand même faire un petit rappel de l'historique de Femmes autochtones du Québec et du mouvement des femmes autochtones parce que ce qu'on voit, ce qui sort des communautés aujourd'hui, ce qui sort de certaines collectivités dans les villes aujourd'hui, ce n'est pas étranger à notre histoire, ce n'est pas étranger au mouvement des femmes non plus.

Le mouvement des femmes autochtones au Canada, je dirais, a débuté comme mouvement dans les années 70, au début des années 70. On a eu la création d'une association nationale qui s'appelle Femmes autochtones du Canada, et de là ont été créées des associations de femmes provinciales, de femmes autochtones.

• (17 h 40) •

Femmes autochtones du Québec a été fondé en 1974. Dans ces années-là, il y avait évidemment des femmes qui se plaignaient ouvertement de la discrimination qui leur était faite par la Loi sur les Indiens. La Loi sur les Indiens, à l'époque, on s'en souviendra, contenait entre autres un article, l'article 12.(1)b, qui faisait qu'une femme indienne qui épousait un non-Indien perdait son statut indien, était donc rejetée de sa communauté, était donc ignorée de sa communauté, et perdait ses droits, perdait le droit de résidence, perdait le droit à certains services qui étaient accordés aux familles autochtones. Le mouvement qui est issu des années 70 vraiment était autour de cette situation-là particulièrement. C'est un mouvement qui a été issu en partie dans les villes, puisque les femmes avaient dû quitter leurs communautés. C'étaient souvent des femmes qui avaient, de toute évidence, épousé des non-Indiens, qui vivaient dans les villes et qui ne pouvaient plus retourner chez elles, qui étaient carrément rejetées de leurs communautés.

En même temps, au Canada, il y a eu des femmes qui ont porté des causes devant les tribunaux contre la Loi sur les Indiens. Entre autres, je voulais vous parler de Jeannette Corbiere Lavell, qui se plaignait de discrimination quand elle s'est rendu compte qu'elle avait perdu son statut d'indien par rapport à son mariage avec un homme non indien. Elle avait perdu sa cause en première instance dans un tribunal de l'Ontario, le juge déclarant que de toute façon elle avait amélioré son sort du fait qu'elle avait épousé un Blanc. Il y a eu aussi des femmes comme Sandra Lovelace qui ont amené leur cause jusqu'à un comité des droits de l'homme des Nations unies. Il y a eu un énoncé du Comité des droits de l'homme, à cette époque-là, qui dénonçait la discrimination de la Loi sur les Indiens. En même temps, au Québec, il y a eu une femme mohawk qui a parti un mouvement, je dirais, dans sa cuisine, Mary Two-Ax Early, qui a parti le mouvement qui s'appelait Droits égaux pour femmes indiennes, et le but de ce groupe-là était uniquement de s'attaquer à la discrimination dans la Loi sur les Indiens.

C'étaient des femmes de peu de moyens financiers mais avec une très grande détermination. Pour Mary Two-Ax, de faire changer la Loi sur les Indiens, ça voulait dire de pouvoir retourner vivre dans sa communauté, de pouvoir être traitée de la même façon que les autres citoyens de sa communauté, et ça voulait dire aussi pouvoir être enterrée dans sa communauté à sa mort, puisqu'une femme non indienne, une femme non statuée ne pouvait être enterrée dans sa communauté à sa mort. Juste vous dire que Mary Two-Ax Early est décédée en 1996 et elle a bel et bien été enterrée chez elle, à Kahnawake.

Le mouvement des femmes autochtones a été un mouvement qui a lutté difficilement, avec peu de moyens contre une loi fédérale, contre un establishment autochtone qui était plutôt insensible à ces préoccupations, qui voyait les revendications des femmes un peu comme venant à l'encontre des revendications des Premières Nations en général. Ça n'a pas été une lutte facile, ça a été des années même extrêmement difficiles. Et finalement ce qui a fait changer les choses, au bout du compte, c'est l'avènement de la Charte canadienne des droits et libertés, en 1982, et la mise en vigueur de l'article 15 sur le droit à l'égalité, qui a forcé le gouvernement fédéral à retirer la discrimination de la Loi sur les Indiens. Le gouvernement fédéral, à l'époque, avait adopté le projet de loi C-31 qui éliminait une fois pour toutes cette discrimination dans la Loi sur les Indiens.

Je vous disais que ça a été une période difficile pour les femmes, pour les femmes qui militaient, parce que la Loi sur les Indiens a aussi amené son legs de discrimination même à l'intérieur des nations autochtones. Des femmes qui se sont battues contre la discrimination se sont souvent fait rabrouer dans leur propre milieu, par leur propre famille, et toutes les années qui ont suivi la réinscription aussi ont été difficiles, surtout pour des communautés qui étaient plus près des centres urbains, où il y avait eu un grand nombre de mariages avec des non-autochtones. La Loi sur les Indiens a implanté aussi une mentalité discriminatoire, et il n'est pas rare qu'on entende, en milieu autochtone, des gens qui s'interpellent de par leur catégorie de statut indien ou encore qui sont identifiés à une lutte ou à une autre. Le milieu autochtone n'est pas exempt de discrimination, le milieu autochtone n'est pas exempt de mesquinerie.

À l'association, comme le disait tout à l'heure Mme Lévesque, à la fin des années 80, nous avons entrepris une campagne contre la violence familiale, et c'était vraiment une première initiative où pour une première fois des femmes parlaient ouvertement de la question de la violence familiale chez elles. On avait entrepris une campagne très prudente, on avait commencé par des affiches, par des pamphlets et par quelques messages dans les radios communautaires. C'était tout simplement pour que les gens puissent en prendre conscience et qu'on réalise qu'on puisse en parler ouvertement.

Dans les mêmes années, les femmes autochtones de l'Ontario avaient fait une étude sur la question de la violence chez les femmes autochtones, et les femmes autochtones de l'Ontario estimaient à l'époque que 80 % des femmes avaient vécu une certaine forme de violence ou avaient vécu cette violence dans leur entourage. Sans avoir fait d'étude au Québec à l'époque, on ne doutait pas de cette donnée et on estimait que c'était sans doute semblable au Québec.

Il y a eu par la suite différentes initiatives de consultation sur la question de la violence faite aux femmes autochtones au Canada, je vous inviterais peut-être à consulter les recommandations de ces rapports. Vous savez, il y a eu, en 1992, un comité canadien sur la violence faite aux femmes, et, à l'insistance de Femmes autochtones du Québec, ce comité canadien sur la violence avait ajouté un cercle autochtone pour encourager et faciliter la participation des femmes autochtones, et ça a été vraiment, vraiment une initiative qui a ouvert la porte, qui a donné la parole à des femmes autochtones. Il y a eu évidemment la commission royale d'enquête sur les peuples autochtones qui a remis ses recommandations en 1996. 20 ans plus tard, nous parlons des mêmes sujets, des mêmes choses, des mêmes problématiques; rien n'a changé. En 2015, on a eu la Commission de vérité et réconciliation, qui vient de remettre son rapport. La commission a des recommandations qui sont fort pertinentes et qui auraient intérêt à être regardées de plus près.

Pour comprendre pourquoi on se retrouve devant de tels drames aujourd'hui — je pense que je ne viendrai pas vous révéler une vérité de La Palice — bien c'est qu'après 150 ans de colonisation tout ce qu'on peut récolter aujourd'hui, ce sont ces effets dévastateurs. Oui, la Loi sur les Indiens a créé cette négation, premièrement, des nations indiennes comme entités. Nulle part dans la Loi sur les Indiens on ne retrouve le terme «nation»; on retrouve les termes «Indien», «bande», «conseil de bande». Avec la Loi sur les Indiens est venue la création des réserves et tout ce qui s'en est suivi de dépossession, d'acculturation, de déresponsabilisation des individus et de dépendance : dépendance à des services, dépendance à un gouvernement local, dépendance à des drogues, dépendance à toutes sortes d'autres choses. S'en est suivie aussi l'histoire des pensionnats, des pensionnats où les enfants ont été arrachés à leurs parents, à leur milieu, où la plupart, je dis bien la plupart, pas tous, mais une très grande majorité ont subi des sévices, de la violence, des abus sexuels. Encore aujourd'hui, on peut comprendre quelles sont les suites de ces abus et de cette situation. On est trois générations plus tard, et la troisième génération en subit encore les séquelles. On a eu des adultes qui ont perdu des habilités parentales, on a eu des enfants qui ont été négligés. On a des gens qui sont polytraumatisés, qui peut-être ne s'en remettront jamais, qui tentent de s'en sortir mais qui vivent encore avec ces problèmes-là. Et c'est un peu ça, la toile de fond, dans les communautés autochtones. Je ne dis pas toutes les communautés autochtones, bien entendu, parce qu'elles ne se ressemblent pas toutes, mais, si on regarde en général, surtout dans les communautés isolées, éloignées, c'est le cas.

Alors, ces communautés-là sont aux prises avec de très graves problèmes sociaux, je pense que tout le monde vous les a énumérés, je vais les énumérer à nouveau, mais toute la question de la violence familiale est très, très répandue. On pensait qu'avec des campagnes de sensibilisation on viendrait à bout de changer des choses, les gens en ont parlé plus, et finalement ce dont on s'est rendu compte, après quelques années, c'est que cette violence-là, elle existe toujours, elle est peut-être parfois simplement plus sournoise. On a un taux de toxicomanie fort élevé, des problèmes d'alcoolisme très élevés dans les communautés, des suicides, des vagues de suicides, des suicides d'enfants, des suicides d'adolescents, des suicides de jeunes adultes, taux de chômage, faible niveau de scolarité, manque de logement, des maisons surpeuplées — ce qui engendre d'autres problèmes — manque d'infrastructures, manque de ressources.

• (17 h 50) •

Des solutions, c'est certain qu'il y en a. Il y a des petites solutions. Il n'y a pas une solution, mais il peut y avoir des solutions. Mais, comme, je pense, on vous l'a dit tout à l'heure, tout est interrelié, il faut agir sur plusieurs plans à la fois. Il faut un travail en continu, et évidemment c'est un travail de longue haleine. Il ne faut pas que la question de la violence en milieu autochtone soit quelque chose qu'on écoute au téléjournal pendant les trois prochains mois et qu'on oublie, et que ça disparaisse, et qu'on revienne. Moi, je ne serai pas ici pour venir vous le redire dans 20 ans, mais il ne faudrait pas que quelqu'un d'autre revienne vous dire les mêmes choses.

Sur la question de la violence familiale faite aux femmes, la violence faite aux femmes, ou encore toutes les problématiques sociales des communautés, il faut agir avec cohérence. Il faut un travail de concertation non seulement avec les organismes politiques, mais avec des organismes qui regroupent des intervenants du milieu, qui regroupent la société civile autochtone. Femmes autochtones du Québec est un organisme de la société civile. Le regroupement des maisons d'hébergement autochtones est un organisme de la société civile. Les centres d'amitié autochtones du Québec sont des centres qui sont fréquentés par les gens de la société civile autochtone.

Les centres d'amitié autochtones font un travail extraordinaire dans les villes. Ils se sont débrouillés de par leurs propres moyens, à l'époque, avec toujours peu de financement, et ils ont créé une véritable collectivité. Les gens qui fréquentent les centres d'amitié autochtones dans les villes ont souvent accès à des services et sont peut-être plus aptes à collaborer ou à participer à la vie en société et changer leur vie.

Il y a aussi des ressources québécoises qu'il ne faut pas ignorer, des ressources qui travaillent avec les autochtones. Quand on pense aux maisons d'hébergement québécoises, quand on pense aux CALACS, ce sont des organismes qui travaillent en collaboration et qui auraient sans doute besoin de plus de moyens pour travailler davantage en collaboration avec les autochtones.

Il faut des mesures pour contrer l'indifférence, élaborer des stratégies pour contrer l'ignorance et combattre le racisme, parce que le racisme aussi, il est omniprésent. Il est aussi sournois, il peut se faire discret, mais, quand on est dans les régions, quand on sort dans les régions, ce qu'on entend souvent, c'est du racisme pur et dur à l'égard des autochtones. Il faut aussi faire de l'éducation populaire. Entre autres, je vous signale cette merveilleuse brochure qui s'appelle Mythes et réalités, qui a été produite par Pierre Lepage pour la Commission des droits de la personne et droits de la jeunesse. Je pense que, déjà là, c'est un travail colossal qui a été accompli dans ce document, qui est toujours pertinent aujourd'hui. Il faut davantage de formation pour les professionnels qui interviennent auprès des autochtones.

Et, en terminant, je vous dirais que la question de la violence ne doit... — et c'est peut-être un peu ironique que je vous dise ça à vous — que la question de la violence faite aux femmes autochtones ne doit pas devenir un dossier politique. C'est un dossier de droits humains avant tout. C'est une question de justice sociale, une question de santé, une question de sécurité, et c'est une question de société.

Ce serait facile de blâmer la Loi sur les Indiens de tous les maux. On peut le dire aujourd'hui : Oui, la Loi sur les Indiens a causé énormément de problèmes, le système colonialiste de la Loi sur les Indiens a mis les autochtones à l'écart du contrôle de leur propre vie. Une fois qu'on a dit ça, on ne peut pas s'en laver les mains non plus. Alors, je pense qu'il n'en tient qu'à vous de trouver ensemble, avec les gens du milieu, des solutions qui permettront à ce qu'on ait une véritable relation de nation à nation, qui passera par des gestes concrets, qui passera par une reconnaissance de la nécessité de rétablir un équilibre entre nos sociétés, un équilibre qui nous permettra de ne plus faire ressortir le pire de nous mais peut-être le meilleur de nous. Merci.

Le Président (M. Picard) : Merci, Mme Rouleau. Nous allons entreprendre les échanges avec M. le député d'Ungava.

M. Boucher : Alors, bonjour, madame. Propos fort intéressants. Vous savez, pour moi, ma belle-famille... Ma conjointe est une autochtone, est une Innue de la Côte-Nord, et puis sa mère a connu les pensionnats, a connu... a été élevée par les religieuses. Et puis, pour vous donner une anecdote, par exemple, les plus vieux se souviennent qu'autrefois, quand on avait besoin de ce qu'on appelle aujourd'hui un certificat de naissance, mais dans le temps on appelait ça un extrait de baptême, il fallait aller dans la paroisse où on avait été baptisé, puis le curé nous faisait un petit... pour obtenir un passeport ou peu importe. Alors, sa mère avait besoin de son extrait de baptême, s'est donc rendue à l'église où elle avait été baptisée à l'époque dans sa réserve, et puis sur le papier c'était écrit, bon : Madame XY, née de monsieur ABC, là, je ne les nommerai pas, et de mère sauvage, pas de nom. C'était ça qui était son... Après ça, bien, elle a fait les démarches pour faire ajouter le nom de sa mère sur son certificat de naissance, pour que, bon, on régularise ça, mais c'était la façon, là... Donc, je comprends qu'aujourd'hui être dépossédé de votre identité... Et puis même ma conjointe, bon, a su à l'âge d'à peu près 10, 12 ans qu'ils étaient autochtones, c'était comme un secret de famille, c'était caché. Eux vivaient dans une ville qui n'était pas près d'une réserve, puis elle, aller jusqu'à l'âge de 10, 12 ans, elle n'avait aucune idée de ses racines et de ses souches. Donc, on comprend qu'aujourd'hui, là, tout ça peut laisser encore des traces. Même des fois on dit : Bien là, franchement, on est en 2015, il y a l'Internet, tout va bien, écoutez, rentrez dans le rang, puis ça va être tellement plus simple, mais c'est beaucoup plus complexe que ça.

Vous parliez, bon, de violence domestique, la violence familiale, qui souvent, là, prend des formes... bon, entre conjoints mais aussi envers les personnes âgées. Est-ce que c'est des choses qui sont observées, selon vous, ou...

Mme Rouleau (Michèle) : Bien sûr. C'est pour ça que j'utilise souvent l'expression «violence familiale», parce que... D'ailleurs, dans une communauté, quand on vit à 10 dans une maison, la violence, c'est tout le monde qui la subit, des grands-parents aux petits-enfants. Alors, oui, ça touche tout le monde.

M. Boucher : Une personne qui décide de casser ce cycle-là puis de dénoncer ça, comment elle sera perçue, là, dans la communauté? Souvent, bien, vu de l'extérieur, bon, ça brasse un peu, mais c'est quand même du bon monde, ils sont travaillants, ils font ci, ils font ça. Puis là woups! quelqu'un a dit : Bien là, regardez, là, moi, je suis victime de ceci, cela, puis je dénonce ça, je fais les démarches. Comment cette personne-là est perçue dans les communautés?

Mme Rouleau (Michèle) : Bien, c'est difficile de répondre à ça juste par une seule façon, parce qu'évidemment tous les cas sont différents, mais ce n'est pas plus facile... je pense, c'est le cas partout ailleurs, là, même au Québec, pour une femme québécoise, ce n'est pas facile, un, de briser le cycle de la violence, de dire : Non, il faut que ça arrête, et de dénoncer cette violence-là. Alors, c'est la même chose dans une communauté autochtone.

Si, par chance, il y a une maison d'hébergement pour femmes autochtones dans cette communauté-là, cette femme-là peut avoir un soutien, mais il n'en demeure pas moins que c'est difficile de dénoncer des agresseurs parce que les milieux autochtones sont très petits, tout le monde se connaît, tout le monde a un certain lien de parenté, souvent ça peut être même avec les gens qui sont au pouvoir ou même avec les policiers, alors ce n'est pas facile. Alors, c'est pour ça qu'il faut... Je pense que le défi qui se pose pour certaines communautés, c'est ça, c'est de trouver une façon d'intervenir, en cas de situation de violence ou de dénonciation, pour justement que ce ne soient pas les mêmes personnes qui aient à intervenir sur une situation où ils sont touchés peut-être plus directement. Alors, ce n'est pas facile, mais je pense que ça va demander davantage de discussion puis de se doter de moyens qui sont peut-être innovateurs.

M. Boucher : Merci beaucoup.

Le Président (M. Picard) : Mme la députée de Crémazie.

Mme Montpetit : Oui, bonsoir. Merci d'être avec nous pour nous aider à alimenter nos réflexions sur cette question.

Question relativement large. Vous soulignez le fait que c'est un travail de longue haleine, puis j'ai posé la question à d'autres intervenants qui étaient présents ce matin, je vous repose la même parce que ça fait partie des réflexions qu'on doit faire. Dans les pistes de solution à prioriser — puis je sais que c'est une question et large et complexe également, mais comme vous dites c'est ça, c'est de longue haleine — est-ce qu'il y a des pistes, selon vous, à court terme qui sont plus importantes que d'autres, dans le fond, à mettre en place?

• (18 heures) •

Mme Rouleau (Michèle) : Bien, écoutez, moi, je ne suis pas intervenante sur le terrain, mais je pense qu'il faut assurément bâtir sur les acquis. Il y a des groupes qui interviennent actuellement, il y a des groupes qui ont des projets en marche, et il y a des choses qui fonctionnent. Alors, je pense que c'est de s'allier avec ces personnes-là, ces ressources-là pour les aider, justement, à construire davantage sur des projets qui sont bien ancrés dans la communauté puis qu'ils puissent avoir une meilleure intervention, je dirais, ou rayonner davantage. Alors, je pense qu'il faut vraiment travailler avec les intervenants du milieu et aider ces gens-là, les soutenir dans leurs démarches, mais en même temps peut-être leur permettre d'étendre cette démarche-là à l'extérieur de leur communauté, je veux dire, peut-être à d'autres communautés aussi.

Mme Montpetit : Donc, éviter de réinventer la roue puis de construire sur les acquis présents, dans le fond.

Mme Rouleau (Michèle) : Bien, en fait, oui, sur les acquis, parce que, s'il y a des choses qui fonctionnent, mon Dieu, il faut vraiment qu'on les encourage et qu'on les aide, et plutôt que de tout simplement, souvent, élaborer un programme très large où peut-être les objectifs sont louables, mais qu'ils ne s'appliquent pas dans certaines communautés.

Alors, je pense qu'il faut vraiment faire confiance aux gens de la communauté, il faut vraiment prendre le temps d'entendre ce qu'ils nous disent. Je pense que, quand on parle de différences culturelles, quand on parle d'une approche particulière, c'est ça aussi, c'est... Il y a peut-être un rythme qui est différent, il y a peut-être une façon de faire, il y a peut-être une approche qui est différente, mais je pense qu'il faut l'entendre; il faut l'écouter, il faut l'entendre.

Et, oui, s'il y a des choses qui fonctionnent, habituellement, là, je vais utiliser une expression populaire, mais ça pogne aussi chez les gens. Alors, je pense que les gens sont avides, d'ailleurs, dans les communautés, de solutions. Si ça vient d'eux, si c'est fait en collaboration avec eux, c'est sûr qu'il va y avoir une plus grande participation.

Mme Montpetit : Je vous remercie, Mme Rouleau.

Le Président (M. Picard) : Ça va? Est-ce qu'il y a d'autres personnes? Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve.

Mme Poirier : Merci, M. le Président. Bonjour, Mme Rouleau.

Tout à l'heure, Mme Lévesque nous a dit la mise en réserves, l'épisode des pensionnats, la sédentarisation, vous nous avez répété exactement ces trois événements, ces trois moments, je dirais, de la génération adulte. La génération des jeunes, là, qui est là n'ont pas vécu cet épisode-là de se faire mettre... Ils sont nés là. Ils n'ont pas été dans les pensionnats, c'est leurs parents. La sédentarisation, c'est les années 70. Alors, les jeunes qui ont 15 ans, qui ont 20 ans présentement, pour ne pas que tout ce qui s'est passé avant ait de l'influence sur eux, qu'est-ce qu'on fait? Parce que, oui, il y a... ce qu'ont vécu leurs parents, ça fait partie de l'identité des familles, mais comment on peut essayer de faire que ces jeunes-là... Parce que tout à l'heure on nous a dit que toute la violence qui est reliée à l'ensemble de ces événements-là a causé des blessures importantes, mais, les blessures, c'est les parents qui les ont eues. Comment on fait pour que les enfants et pour que la prochaine génération qui est là ne soient pas les victimes de ces événements-là précédents? Comment on fait pour pousser par en avant et faire en sorte que... Sans oublier, sans penser que ces choses-là n'existent pas, mais eux ne sont pas les victimes directes de ces événements-là. Comment on fait pour mettre une coupure, là, dire : Oui, il s'est passé ça, on met une coupure et on se projette dans l'avant? Comment on fait ça pour ces jeunes-là?

Mme Rouleau (Michèle) : Bien, je pense que, dans un premier temps, je serais tentée de vous dire, c'est déjà un peu tard, parce qu'ils sont déjà les descendants de ces gens-là, ils ont déjà... Ils vivent dans les mêmes maisons. Parfois, ils ont vu ces situations-là, ils ont vu des parents alcooliques, ils ont vu des parents négligés. Alors, même si on parle de jeunes de 15 ans, ils en subissent déjà les répercussions.

Pour que ça arrête, je vous dirais bien naïvement, bien c'est le soutien aux familles, le soutien à la petite enfance, le soutien aux parents, le soutien aux jeunes parents. C'est aussi l'éducation, aussi simple que ça, c'est l'éducation, que les gens puissent se sortir de cette situation-là. Et je pense qu'ils ont besoin d'être encouragés à poursuivre des études, mais, pour être encouragé à poursuivre des études, encore faut-il vivre dans un milieu qui soit adéquat. Alors, je pense que le soutien aux jeunes familles, là, tout ce qui est habiletés parentales, tout ce qui peut venir en aide à des jeunes familles est important.

Mme Poirier : Et je comprends qu'il y a des organismes comme le centre d'amitié autochtone qui est sur le territoire, mais, lorsqu'on parle particulièrement... Parce qu'on a dit tout à l'heure que 60 % étaient en ville. Je prends une grande ville comme Montréal, où il y a des ressources. Est-ce que l'on croit sincèrement que ces jeunes-là ou ces familles-là vont aller s'adresser à ce que j'appellerais des ressources de Blancs, là, qui, on l'a vu tout à l'heure, n'étaient pas adaptées et, Mme Lévesque disait même, n'étaient pas, j'ai bien aimé ça... étaient impuissants?

Mme Rouleau (Michèle) : Bien, effectivement, je pense que ce n'est pas évident pour un autochtone qui se retrouve en ville, si on parle de Montréal particulièrement, d'aller chercher des services et de s'y retrouver, premièrement, dans un ensemble de services existants. Alors, je pense qu'il faut établir des ponts peut-être au lieu de départ de ces gens-là, établir davantage de services de liaison avec les communautés autochtones, parce que ce n'est pas... Et on en a parlé, je sais que Mme Lévesque en a parlé plus tôt, d'autochtones qui quittent leurs communautés, qui se retrouvent en ville et qui se retrouvent vraiment devant... qui se retrouvent démunis devant ça, et qui abandonnent, et qui se retrouvent à la rue, puis qui n'avaient pas de moyens et qui étaient mal préparés.

Alors, c'est sûr que, du côté autochtone, on a peut-être une responsabilité de préparer les gens, de préparer les jeunes étudiants qui vont dans les villes à ce qui les attend dans le monde extérieur, mais je pense qu'il devrait peut-être y avoir davantage d'arrimage avec la société non autochtone, c'est-à-dire créer des liens davantage que... Ce n'est pas parce qu'on vit dans une réserve qu'on vit sur une autre planète. Ce n'est pas normal qu'on quitte une communauté, qu'on arrive dans une ville et on est un étranger, pratiquement. Alors, je pense qu'il doit y avoir des choses qui soient bâties et qui soient en continu.

Mme Poirier : On a vu des gestes qui ont résulté, là, des événements de Val-d'Or, le projet de logements Kijaté, Chez Willie, le gîte... Alors là, c'est Val-d'Or. Tout le monde le dit, il y a des problèmes aussi ailleurs, ce n'est pas juste des problèmes à Val-d'Or, il y en a ailleurs. Comment on fait pour multiplier ces initiatives-là, à partir du moment où... Est-ce que ce sont les centres d'amitié autochtones qui sont les ancrages dans chacune des communautés qui vont faire jaillir les projets, les communautés elles-mêmes? Les projets en réserve, c'est autre chose. Comment on fait cette mixité-là? Le gouvernement du Québec n'ira pas faire un projet de logement social à l'intérieur d'une réserve, parce que c'est en réserve, ce n'est pas en ville. Comment on fait, là, pour sortir de ça, là, puis un peu abaisser les barrières qui font en sorte... qui nous limitent dans nos actions?

Mme Rouleau (Michèle) : Bien, c'est sûr que la situation des autochtones en milieu urbain est fort différente justement parce qu'on n'est plus sous la Loi sur les Indiens, on est carrément sur le régime provincial, si je peux le dire ainsi.

Il est évident que les centres d'amitié autochtones, c'est une communauté, et ce sont des gens qui se sont pris en main. Alors, c'est sûr que, quand on mise sur des organismes comme les centres d'amitié autochtones, ce n'est pas des énergies perdues, bien au contraire, parce que ces gens-là sont venus à bout de survivre et sont venus à bout de s'organiser et de se donner des moyens.

Le Centre d'amitié autochtone de Val-d'Or est un centre qui est des plus dynamiques au Canada. Ils n'ont rien eu de gratuit, c'est des gens qui ont travaillé fort, c'est des gens qui ont créé une communauté. Je pense que, presque heureusement pour les femmes qui sont là, heureusement il y avait le centre d'amitié autochtone pour les soutenir, parce que sinon je ne suis pas sûre de comment tout cela serait sorti et quelles suites on aurait eues à ça.

Alors, moi, je pense que, oui, les centres d'amitié sont vraiment ancrés dans la communauté puis je pense que c'est... on n'a pas à se poser la question. Quand on sort de la communauté, des organismes de services en place, ce sont les centres d'amitié. Certains sont à des rythmes différents, ils n'ont pas tous le même niveau d'organisation, mais par contre ce sont des gens qui travaillent vraiment sur le terrain et qui sont très près de la communauté autochtone urbaine.

Pour ce qui est des communautés, c'est plus complexe, effectivement, parce que, là, on tombe dans un régime fédéral de la Loi sur les Indiens, mais je pense que même encore il va falloir trouver des façons de... je ne dirais pas de contourner mais de quand même travailler avec les communautés. Et il y en a eu dans certains cas, je veux dire, il y a des garderies, des garderies qui sont sur réserve mais qui sont financées par le gouvernement provincial. Alors, il y a des initiatives qui fonctionnent déjà, et je pense qu'il faut aussi, à partir de là, je ne dirais pas copier mais peut-être reproduire certains exemples de certains projets qui fonctionnent.

• (18 h 10) •

Mme Poirier : Vous nous avez dit qu'il fallait agir avec cohérence mais entre autres avec la société civile. Vous nous avez donné des exemples de ce que, pour vous, représente la société civile.

Quand on est en réserve, la société civile, c'est qui?

Mme Rouleau (Michèle) : Quand on est en réserve, la société civile, c'est chacun de ses habitants. Par contre, la Loi sur les Indiens a instauré un système de gestion de la communauté qui se fait par le haut, le conseil de bande est redevable au ministre des Affaires indiennes avant d'être redevable à sa propre communauté.

Alors, il y a un système qui a été instauré depuis longtemps dans les communautés autochtones. La participation citoyenne n'a pas toujours été encouragée, dans les communautés autochtones, c'est quelque chose qui est relativement récent, et c'est avec les mouvements comme les mouvements de Femmes autochtones du Québec où, là, des citoyennes ont pris la parole. Je dois vous avouer que parfois ça dérange, mais aussi ça fait partie de l'évolution du monde autochtone. Et on ne pourra pas sortir de 150 ans de tutelle de Loi sur les Indiens du jour au lendemain, alors c'est sûr qu'il y a des accrochages en cours de route, mais il y a un mouvement qui est amorcé.

D'ailleurs, on en a glissé un mot tout à l'heure, sur le mouvement Idle No More, qui est issu de la ville mais qui a aussi des participants qui sont dans les communautés. C'est un mouvement qui est un peu flou, Idle No More, ce n'est pas une association comme telle. C'est des gens qui participent à des activités, et qui prennent la parole, et qui se donnent un rôle comme, justement, participants à la société civile.

Alors, il y a des mouvements qui s'amorcent. C'est pour ça qu'il ne faut pas, je dirais, se fier uniquement à des discours politiques, mais je pense que... Même comme on le fait pour le Québec, on fait souvent la distinction entre le Québec, son gouvernement et sa société civile, bien maintenant on devra faire la même distinction en milieu autochtone. Il y a le leadership autochtone et il y a la société civile.

Mme Poirier : Vous venez de dire quelque chose qui... Moi, j'apprends quelque chose. Donc, le conseil de bande est redevable au ministre et non à ses membres. Le conseil de bande, il est élu par ses citoyens, mais il n'a pas de... dans le fond, il n'a pas à donner des comptes à ses citoyens mais donner des comptes au ministre.

Mme Rouleau (Michèle) : Oui.

Mme Poirier : Est-ce qu'il peut donner des comptes différents?

Le Président (M. Picard) : En quelques secondes, Mme Rouleau.

Mme Rouleau (Michèle) : Non, mais en fait c'est que les conseils de bande sont des créatures de la Loi sur les Indiens et ils sont là pour gérer les affaires de la réserve, comme on dit dans la loi. Alors, un conseil de bande, ils le font, ils rendent des comptes à leur population, mais ne seraient pas tenus de le faire selon la loi.

Alors, c'est pour ça que le système de la Loi sur les Indiens est extrêmement malsain, parce qu'il n'y a pas de place à l'expression de la société civile, parce qu'il n'y a pas de place pour la vie démocratique autre que des élections. Alors, ce sont des effets pernicieux de la Loi sur les Indiens. Mais, comme je vous dis, il y a un mouvement qui tend maintenant à ce que les citoyens des communautés prennent plus de place, et on questionne évidemment les actions des élus. Mais, selon la loi, les comptes à rendre, ce sont au ministère des Affaires indiennes, sur les comptes à rendre de la gestion de la Loi sur les Indiens.

Le Président (M. Picard) : Merci. Je cède maintenant la parole à M. le député de Masson.

M. Lemay : Merci, M. le Président. Bienvenue, Mme Rouleau, à l'Assemblée nationale.

Vous savez, dans vos propos de la Loi sur les Indiens, vous avez parlé aussi du combat que les femmes ont mené dans les années 90, si je ne me trompe pas, par rapport à la discrimination, puis elles ont réussi à faire un bout, elles ont... dans le combat qu'elles ont fait, mais, dans le fond, qu'est-ce qui resterait à faire? Ce serait quoi, la prochaine étape?

Puis en même temps, si je peux faire un lien avec la nouvelle loi fédérale, là, la loi C-31, est-ce que, selon vous, c'est suffisant pour régler les problèmes reliés à la discrimination?

Mme Rouleau (Michèle) : Eh mon Dieu! Bien, écoutez, qu'est-ce qu'il reste à faire... Je pense qu'il reste tout à faire. Je pense qu'il reste à reconstruire la société, il reste à reconstruire la société autochtone, parce qu'elles ont été anéanties, un, par une loi fédérale, par des comportements colonialistes, alors il faut reconstruire l'ensemble des choses. Mais il faut aussi, pour les nations autochtones... et là je ne suis pas une politicienne, là, mais il faut aussi que les nations autochtones puissent reprendre leur place au Canada et au Québec, c'est-à-dire retrouver un certain contrôle sur le territoire, avoir accès au partage sur les richesses, sur la richesse, et avoir une participation pleine et entière sur ce qui les concerne. Alors, tout ça, ça doit changer, mais ça ne changera pas du jour au lendemain. Mais je pense qu'il faut, d'une part, reconnaître la place des autochtones, des Premières Nations, et ensuite commencer par des actions concrètes.

Est-ce que ça passe par l'abolition de la Loi sur les Indiens? Certains pensent que oui, d'autres pensent que non. Mais, chose certaine, c'est que les Premières Nations... puis là je ne veux pas parler au nom des Premières Nations, là, mais c'est que les gens ne veulent pas non plus perdre leur identité, et, pour certaines personnes, la Loi sur les Indiens, c'est le dernier retrait. Les gens ont tellement peur de perdre des acquis, de perdre le peu qu'il leur reste qu'ils en sont rendus à protéger le territoire de la réserve et de la Loi sur les Indiens. Et c'est ça qu'il faut qui change. Il faut qu'on ait accès à plus grand de territoire, accès à plus grand d'espace, plus d'espace pour construire des maisons. On a un manque de logements épouvantable dans les communautés autochtones, déjà là c'est inhumain pour certaines communautés.

Alors, il y a tellement de choses à faire! Si vous me dites : Par où commencer?, je vais vous dire que je ne le sais pas.

M. Lemay : Bon...

Mme Rouleau (Michèle) : Mais je pense qu'il faut commencer par un peu partout.

M. Lemay : Parfait. Justement, on va parler du logement, là, vous en avez parlé, qu'on a un problème de logement, c'est surpeuplé. Mais, si on veut favoriser l'accès à la propriété, est-ce que vous croyez que ça pourrait être des mesures intéressantes? Comme, dans les communautés autochtones, comment qu'on peut faire pour créer des situations, des conditions gagnantes qui faciliteraient l'accès à la propriété? Dans le fond, c'est quoi qu'on doit faire de différent, si on veut, pour qu'il y ait plus de propriétés dans nos réserves ou hors réserve, peu importe, là, pour que nos autochtones, ils puissent justement arrêter d'être surpeuplés?

Mme Rouleau (Michèle) : Bien, oui, l'accès à la propriété est déjà quelque chose dont on fait la promotion dans les communautés, je pense que la SCHL a déjà des programmes sur réserve qui visent à ça, mais encore faut-il avoir du terrain pour construire ces fameuses maisons, et c'est souvent le cas pour la plupart des communautés, il n'y a plus d'espace dans la réserve.

M. Lemay : Dans les réserves.

Mme Rouleau (Michèle) : Alors, dans un premier temps... Et ça, je pense que, là, c'est une question de territoire et ça concerne le gouvernement du Québec particulièrement. Je pense qu'il faut revoir la question de partage du territoire avec les communautés autochtones.

M. Lemay : Merci. Si je reviens à ce que vous avez mentionné tantôt, que certaines communautés, ils croient, là, dans le fond, qu'ils sont... ils ne veulent pas perdre leur identité, mais pourtant je regarde, il y a 30 ans de ça on a fait notre entente de nation à nation. Tu sais, de revenir encore aujourd'hui... Puis vous avez mentionné, là, tout ce qui a été fait, là : en 1992, le Comité canadien sur la violence faite aux femmes, un autre comité en 1996, le comité de vérité et conciliation.

Là, il va y avoir une nouvelle enquête nationale sur les femmes autochtones. Est-ce que vous fondez des espoirs différents avec cette nouvelle enquête? Dans le sens que, je veux dire, tu sais, au final, il me semble qu'il faut arriver puis de faire des solutions concrètes sur le terrain puis d'agir, il faut que les communautés autochtones soient consultées puis qu'elles participent à la prise de solution. Vous croyez qu'on est sur la bonne voie?

Mme Rouleau (Michèle) : En fait, il y a plusieurs choses dans votre... plusieurs éléments dans votre question. Oui, une commission d'enquête nationale sur les femmes autochtones disparues ou assassinées est nécessaire pour comprendre ce qui se passe dans le système canadien de justice, le système policier canadien, on a un sérieux problème. Je dirais la même chose pour une commission d'enquête publique au Québec sur la question, justement, aussi des femmes autochtones, sur la question des relations avec les autochtones, sur les questions policières.

Oui, il y en a eu plusieurs, enquêtes, dans le passé. Ça ne veut pas dire qu'on n'en a pas besoin, d'un nouvel éclairage, parce que les choses ont quand même... il y a des choses qui ont quand même changé, malgré tout. Mais, ceci dit, on peut avoir autant d'enquêtes qu'on voudra, s'il n'y a pas de volonté politique de faire quoi que ce soit par la suite, on va en faire encore pendant des décennies, des enquêtes.

Alors, d'une part, oui, il y a eu une résolution du gouvernement du Québec en 1985 sur la reconnaissance des nations. 30 ans plus tard, peut-être qu'on pourrait avancer un peu plus là-dessus et avoir des gestes plus concrets, peut-être.

Mais moi, je pense que, oui, il doit y avoir des commissions d'enquête, il faut qu'il y ait une réflexion générale, parce qu'à chaque fois qu'on parle devant une commission d'enquête on a l'impression de se répéter, mais je pense que vous apprenez aussi des choses sur la question autochtone, ce que personne n'a appris à l'école, ce que personne n'apprend jamais nulle part. Et, tant qu'on ne se connaîtra pas, tant que les élus ne connaîtront pas la question autochtone, tant que vous ne saurez pas de quoi on parle et ce qu'on vit, on va tourner en rond. Alors, oui, il faut qu'il y ait des commissions d'enquête, il faut qu'on se penche sur ces questions-là et de façon sérieuse, pas juste en parler pour dire : Ah! les pauvres Indiens, les pensionnats, la loi. Ce n'est pas ça. C'est vraiment de démontrer qu'est-ce qui ne fonctionne pas dans notre système et qu'est-ce qu'on peut changer.

• (18 h 20) •

M. Lemay : Merci beaucoup.

Le Président (M. Picard) : Merci. Je cède maintenant la parole à Mme la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques. Trois minutes.

Mme Massé : Merci. Merci beaucoup, Mme Rouleau, pour votre présentation. En fait, ce que j'ai beaucoup apprécié, c'est... en tout cas, pour moi, ma formation à moi, vous avez réussi à mettre en place des morceaux qui créent une toile de fond à tout ce qu'on a entendu avant et, j'ai bien l'impression, à tout ce qu'on va entendre après, et, dans ce sens-là, je trouve ça intéressant.

Il y a un élément qui n'a pas été ramené par mes collègues... Non, juste avant d'aller... Vous avez parlé de l'establishment autochtone, vous êtes la première qui en parlez. Je posais tantôt une question, à savoir : Comment arriver à mobiliser les leaders? Alors, si vous aviez quelque indication là-dessus, j'en serais intéressée.

Le colonialisme a eu des impacts sur vous et en a eu sur nous. Et la façon à nous de l'exprimer, c'est souvent par les préjugés et le racisme, et vous avez aussi parlé du combat urgent sur le racisme. Pouvez-vous — il vous reste probablement deux minutes, je suis sûre qu'ils vont vous en laisser trois — nous parler de ça, s'il vous plaît?

Mme Rouleau (Michèle) : Oui, bien, écoutez, quand j'ai dit «l'establishment autochtone», oui, je suis la première qui vous en parle et peut-être que je serai la seule.

Moi, je vis dans la ville, je n'ai jamais eu à subir de l'intimidation dans une communauté. Ça a été à l'époque des conférences constitutionnelles où on a parlé aussi... où on a posé certaines conditions à l'autonomie gouvernementale des peuples autochtones. À cette époque-là, on disait : Oui, l'autonomie gouvernementale, mais on doit avoir des garanties que notre vie sera meilleure par l'autonomie gouvernementale. À l'époque, on parlait de l'application de la Charte canadienne des droits et libertés sur toute entente de l'autonomie gouvernementale, jusqu'à ce qu'il y ait autre chose qui nous rassure.

Alors, oui, j'ai toujours été une de celles qui parlaient de l'establishment autochtone et je n'ai pas changé ma position là-dessus, il existe bel et bien un establishment autochtone comme il existe un establishment dans la société québécoise. Et on vous l'a dit tout à l'heure, il y a beaucoup de femmes qui sont conseillères sur les conseils de bande, cependant il y a très peu de femmes chefs. Et certains d'entre vous le savent pour avoir participé à la journée avec les femmes élues autochtones, certaines d'entre elles ont la vie dure simplement parce qu'elles sont des femmes et parce qu'elles ont dérangé l'establishment local. Alors, on aura beau dire ce qu'on voudra, on aura beau dire que Femmes autochtones du Québec a un siège à l'Assemblée des premières nations du Québec et du Labrador, c'est un siège qu'on a gagné, ce n'est pas un siège qu'on nous avait offert sur un plateau doré, à l'époque. Ceci dit, quand les femmes prennent la parole, habituellement ça dérange. Et ça, je n'ai pas de raison de nier ça. Et je pense qu'on n'est pas les seuls non plus, je pense que ça se passe dans d'autres sociétés, et ce n'est pas le propre de la société autochtone, d'être sexiste à certains égards.

Alors, l'establishment, comment les faire participer ou prendre part? Je pense qu'il y a une chose, on a toujours eu cette... il y a une méfiance entre nous du fait qu'on se connaît mal, et, sur le plan politique, il y a encore peut-être une plus grande méfiance du fait qu'il y a des enjeux qui sont quand même importants. Alors, je pense qu'il faut aussi peut-être parler de choses très concrètes, sans que ce soit menaçant pour un establishment autochtone, mais de voir qu'on veut travailler en collaboration. Et malheureusement je pense que les exemples qu'on a eus dans le passé n'ont pas toujours été très probants là-dessus, il y a eu beaucoup d'expériences de rendez-vous ratés ou de discussions qui n'ont pas abouti, mais je pense qu'il faudra vraiment travailler sur la base de projets concrets et de trouver une façon de travailler ensemble, en, autant que possible, s'éloignant des questions politiques.

Mais c'est sûr que... Je reviens là-dessus, malheureusement, mais tout est interrelié. Et c'est bête à dire, mais, tant qu'on n'aura pas de territoire plus grand où les gens pourront vivre confortablement, on aura toujours les mêmes problèmes.

Le Président (M. Picard) : Merci, Mme Rouleau. Merci infiniment pour votre participation aux travaux de la commission. Je remercie tous les députés et le personnel qui nous a accompagnés en cette belle journée.

Et la commission ajourne ses travaux au mercredi 25 novembre 2015, après les affaires courantes, afin de poursuivre son mandat. Bonne soirée à tous.

(Fin de la séance à 18 h 25)

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