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Version finale

29th Legislature, 3rd Session
(March 7, 1972 au March 14, 1973)

Tuesday, June 20, 1972 - Vol. 12 N° 60

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Politique forestière


Journal des débats

 

Commission permanente

des Richesses naturelles

et des Terres et Forêts

Politique forestière

Séance du mardi 20 juin 1972

(dix heures vingt minutes)

M. PILOTE (président de la commission permanente des richesses naturelles et des terres et forêts): A l'ordre, messieurs!

Au début de la séance, le député de Laviolette, M. Carpentier, sera rapporteur officiel. M. Arsenault de Matapédia est remplacé par M. Giasson de L'Islet. Le ministre va faire un exposé. Puis les partis d'Opposition feront leur exposé, pour ensuite entendre les organismes qui sont ici aujourd'hui, à savoir Murdock Lumber et la Corporation des ingénieurs forestiers de la province de Québec.

M. BELAND: M. le Président, si vous voulez faire le changement à l'effet que je remplace aujourd'hui M. Tétrault.

M. LE PRESIDENT: M. Béland de Lotbinière remplace M. Tétrault d'Abitibi-Est. M. Lessard, vous êtes sur la liste. La parole est au ministre des Terres et Forêts.

Politique forestière

M. DRUMMOND: M. le Président, je profite de l'occasion de cette première séance de la commission parlementaire des Richesses naturelles et des Terres et Forêts, qui étudiera le document de la politique forestière du gouvernement, pour souhaiter que le travail de la commission soit des plus positif et nous permette de connaître le point de vue des principaux intéressés au milieu forestier — dont la population en général par ses représentants élus — mes collègues de cette commission.

La publication d'un document, comme "l'Exposé sur la politique forestière", a suscité un intérêt certain à travers le Québec. Je n'ai pour cela qu'à me référer aux réactions qui nous sont parvenues de tous les milieux, depuis le mois de novembre dernier. Etant donné que, pour la première fois au Québec, un gouvernement s'attaque de front au problème de la ressource forêt, qui occupe une place prépondérante chez nous, un exposé, comme celui que nous avons présenté, n'a pas manqué de soulever un tas de questions auxquelles les séances de la commission nous permettront de répondre, du moins, je l'espère.

En premier lieu, pour une meilleure compréhension des politiques énoncées, je voudrais vous entretenir des raisons qui ont motivé la préparation d'un document, comme celui que vous avez en main.

La forêt étant une de nos principales riches- ses naturelles alors que des centaines de nos villes et villages dépendent de son exploitation, il est devenu nécessaire aujourd'hui d'agir de façon plus directe sur cette ressource, à cause de l'impact économique et social engendré par toutes les activités reliées à son utilisation. Le territoire forestier est immense au Québec. Ceci est bien connu. La forêt est renouvelable — c'est vrai — contrairement aux mines, par exemple. Mais on ne peut pas l'exploiter sans limite, sans contrôle, justement pour qu'elle puisse servir à nouveau.

Depuis toujours, au Québec, on tenait pour acquis que la forêt était abondante et inépuisable. Les gouvernements dont une des responsabilités est de conserver le patrimoine national ont adopté l'attitude de laisser faire. Au Québec, il y a du bois en masse, disait le dicton. Il y a à peine vingt ans, on a commencé à craindre que la regénération naturelle de nos forêts et sa disponibilité soient mises en danger par l'action de l'homme. Les limites de la forêt reculaient rapidement, on déboisait pour faire de l'agriculture. Les compagnies forestières en pleine expansion coupaient sans arrêt, non préoccupées par les autres utilisateurs qui se faisaient de plus en plus nombreux. Les forêts les plus productives sont, à toutes fins pratiques, disparues et la matière ligneuse n'est disponible aujourd'hui, dans bien des régions, que loin des usines de transformation.

Ajoutez à cela les besoins grandissants en espaces boisés pour la récréation en plein air et vous verrez que "du bois accessible" au Québec, il en reste de moins en moins. Déjà, ce seul fait est suffisant pour justifier une action directe de l'Etat dans l'administration des forêts. Réaménager le territoire forestier pour accroître son potentiel de matière ligneuse et d'espace est devenu urgent.

Par ailleurs, d'autres motifs aussi importants appellent une intervention rapide du gouvernement dans le milieu. Certains prétendent que les grosses compagnies, comme on dit, forcent la main du gouvernement. J'appelle cela faire de l'électoralisme. Il est trop facile de lancer des paroles en l'air qui peuvent avoir un fond de vérité, mais que les adversaires politiques négligent d'expliquer à la population.

Si nous avons préparé cette réforme, c'est que nous avons justement tenu compte aussi des graves problèmes de l'industrie. Mais contrairement à ceux qui veulent donner l'image d'un gouvernement subordonné aux décisions de celle-ci, je voudrais vous faire remarquer qu'en tant que responsable du bien-être de la population, l'Etat doit éviter qu'un secteur important de l'économie ne menace son équilibre.

Or, les difficultés que traverse en ce moment l'industrie — en passant, il semble que les derniers mois ont vu une reprise de l'activité chancelante des pâtes et papier — peuvent perturber cet équilibre précaire, ce qui aura pour conséquence malheureuse d'affecter des

milliers de nos concitoyens qui vivent de cette industrie.

C'est à cela que le gouvernement doit penser quand il vise à corriger une situation dangereuse, peu importe qui en est responsable. Notez que mon ministère a la responsabilité de l'administration de la politique forestière et que, de ce fait, il peut influencer l'industrie. Son rôle se limite toutefois aux cadres de la gestion et de la location de la matière ligneuse quant aux besoins des utilisateurs.

Dans la réforme proposée, nous tenons justement compte des possibilités que le ministère des Terres et Forêts a d'aider l'industrie en lui procurant la matière première dont elle a besoin à un meilleur coût, afin de diminuer ses coûts de production. Je ne vous dis pas que nous avons trouvé la solution miracle mais les mesures que nous proposons, au niveau de l'administration des forêts publiques et de toutes les forêts commerciales du Québec, auront pour résultat, je crois, de réduire les coûts afférents à l'exploitation des bois.

Au moment de la publication du second tome de notre livre blanc intitulé "Réforme et programme d'action", les journaux ont fait grand état de ce qu'ils ont appelé "le tronquage du tome II", se référant à un chapitre que nous avions préparé pour étude, concernant la croissance et le développement de l'industrie forestière. Je crois qu'il est important aujourd'hui de démystifier, vis-à-vis de la population, cette affirmation qui peut avoir pour effet de laisser croire que le gouvernement a voulu laisser de côté ce problème.

Je commencerai en expliquant à ceux qui en ont besoin que, lors de la préparation d'un document aussi exhaustif que celui que la commission va étudier, il est élémentaire que l'on identifie tous les problèmes auxquels on veut apporter des remèdes par une réforme quelconque. Comme je le soulignais tantôt, une des raisons qui ont motivé la rédaction et l'élaboration d'une politique forestière se rattache aux difficultés de l'industrie au Québec.

Dans le cadre de l'administration et des responsabilités du ministère des Terres et Forêts, il fallait tenir compte des différents utilisateurs de cette forêt, en particulier l'industrie forestière, qui fait vivre des milliers de Québécois et qui participe au développement économique de la province.

Nous avons alors étudié tous les aspects de cette industrie, en fonction de son influence sur le milieu forestier. Ayant identifié les problèmes dans le premier tome des documents, intitulé "Prospective et problématique", nous avons ensuite — ce qui était très logique — préparé un document, qui a été soumis au gouvernement, où l'on proposait certaines mesures qui pourraient être prises pour aider ce secteur. Qu'un tel document ne soit pas inclus dans le tome II sur la politique forestière ne devrait pas surprendre ceux qui connaissent l'administration gouvernementale.

Quant aux industries relevant du ministère de l'Industrie et du Commerce, il est normal que ce soit ce dernier ministère qui se préoccupe davantage des problèmes des compagnies forestières, dans le cadre de ses responsabilités vis-à-vis de l'ensemble de l'industrie québécoise.

Ce n'est pas parce que ce chapitre ne fait pas partie de la politique forestière que le gouvernement est décidé de mettre de côté les mesures qu'il pourrait prendre pour venir en aide à l'industrie des pâtes et papier. La preuve en est que le comité économique et interministériel se penche déjà, depuis un certain temps, sur les mesures que nous avons proposées.

Ceci étant dit, revenons aux considérations qui ont amené le gouvernement à définir une politique forestière. Sur le plan législatif, les lois existantes, amendées sans arrêt depuis vingt ans, ont besoin d'être repensées en fonction de l'avenir et non en regard de ce qui existait dans le passé. La réforme, déjà amorcée à mon ministère depuis quelques années, nous démontre bien le besoin de mise à jour du cadre législatif qui est devenu trop étroit pour nous permettre d'intervenir efficacement sur les ressources. Exemple: la loi 87 adoptée en décembre dernier et concernant les réserves cantonales qui ne servent plus nécessairement les fins pour lesquelles elles avaient été établies.

Quand je parle d'une amorce de réforme, je me réfère évidemment au livre vert, préparé en 1965, à la suite des audiences publiques qu'avait présidées le ministre d'alors. Notre politique forestière ne tombe pas du ciel; elle est le fruit d'une longue période d'incubation qui a, quand même, permis le déblocage de certaines mesures, prises successivement à intervalles depuis le début des années soixante. Les politiques désormais adoptées par le gouvernement étaient discutées au ministère et dans tous les secteurs d'activité forestière depuis passablement de temps.

C'est ce qui a amené d'ailleurs la création rapide des forêts domaniales et la mise sur pied des sociétés de conservation par exemple.

Certaines réformes ont donc été apportées à l'administration des forêts publiques depuis dix ans. Aujourd'hui, nous considérons que le temps est venu de procéder à une réforme globale et de nous doter d'instruments souples qui nous permettront de planifier et de mieux organiser le secteur en fonction d'un développement harmonieux de la ressource.

Dans cet ordre d'idées, la croissance très rapide des besoins en espaces boisés pour la récréation en plein air nous oblige à modifier sensiblement la philosophie d'utilisation qui prévalait jusqu'à maintenant.

Comme le dit le livre blanc, "la conjugaison de phénomènes comme l'accroissement de la population, de l'urbanisation des revenus et de la mobilité des individus entraîne des pressions croissantes sur l'utilisation de la forêt pour fins de récréation. "Ces deux tendances nous permettent de

prévoir qu'il y aura dans les prochaines années une vive concurrence dans l'utilisation des espaces boisés."

Plus loin, l'on écrit qu'il est "peu probable que la superficie des terres boisées s'accroisse de façon appréciable dans l'avenir, car les besoins en espace pour l'expansion des réseaux routiers, des barrages hydro-électriques, des lignes de transport d'énergie et des zones urbaines augmentent aux dépens des surperficies actuellement consacrées à l'agriculture et, dans certains cas, à même celles appartenant au domaine forestier."

Pour ces raisons, il est urgent d'aménager nos espaces en conséquence et de prendre les mesures pour accroître la production des superficies qui restent.

Dans "Prospective et problématique", nous constatons que les forêts du Québec n'ont jamais été exploitées à leur pleine capacité, c'est-à-dire que le volume de la récolte annuelle a toujours été inférieur et de beaucoup à la possibilité de coupe calculée pour l'ensemble de ces forêts".

Il faut bien comprendre évidemment que certains bois ne sont pas utilisés parce que le coût de leur extraction en est prohibitif, pour le moment. Il y a aussi le fait que les concessions forestières gèlent des volumes importants de matière ligneuse qui pourraient être utilisés par d'autres entreprises ou exploitants.

Toutefois, il existe encore un écart marqué entre la possibilité naturelle de la forêt et l'utilisation que l'on en fait. A court terme, cet écart sera comblé à cause des utilisations nouvelles que l'on fait de la forêt.

Ceci veut dire que les besoins que nous aurons en espaces boisés pour la récréation feront reculer les limites de la forêt commerciale. Raison de plus d'accélérer l'implantation de mesures visant à accroftre la production soit par des traitements sylvicoles, le reboisement, pour améliorer le rendement des peuplements, raccourcir le processus de régénération et redonner à la forêt certains espaces dénudés. Jusqu'à maintenant, le ministère des Terres et Forêts était à peu près seul avec quelques compagnies à faire certains efforts dans ce domaine. Les pressions nouvelles exercées sur la forêt nous obligent à repenser notre action et à l'orienter vers les secteurs les plus productifs là où ce sera le plus économiquement et socialement rentable. Ce n'est pas tout de produire, il faut également protéger la ressource. Les méthodes modernes de protection contre les agents destructeurs sont plus efficaces, mais la coordination des efforts de protection est devenue nécessaire afin de réduire les coûts et faciliter les tâches. Une meilleure protection de nos forêts a donc été aussi un facteur important dans l'élaboration de notre politique.

M. le Président, j'ose croire que tous les membres de cette commission ont pris connaissance du document à l'étude. Je m'arrêterai donc là pour ce qui est des raisons qui ont motivé sa rédaction.

J'ai dit, lors de la publication du tome II sur les moyens de mettre en application la politique forestière que "plusieurs mesures qui ont été inscrites découlent de principes sur lesquels le gouvernement a pris une position ferme". J'ajoutais également que "les modalités d'application de ces principes pourront varier à la lumière des discussions de la commission parlementaire".

Ces principes sont les suivants: 1) Les forêts publiques du Québec étant la responsabilité de son gouvernement; ces forêts étant désormais soumises à une grande concurrence et face à la nécessité d'organiser ce territoire au profit de l'ensemble des utilisateurs, le gouvernement doit se doter d'instruments flexibles lui permettant d'éliminer le morcellement que représente aujourd'hui la carte forestière du Québec et de satisfaire à tous les besoins. 2) L'allocation du bois doit se faire en fonction des besoins réels des utilisateurs. De plus, pour réaliser des économies au niveau de l'exploitation des forêts, le gouvernement doit voir à ce que toute la matière ligneuse exploitée soit utilisée pour une transformation optimum.

A partir de ces principes, plusieurs décisions ont été prises et seront mises en application le plus rapidement possible. L'abolition des concessions forestières en est une.

Pourquoi abolir les concessions?

A la lumière des changements importants survenus au Québec depuis une dizaine d'années, le mode de tenure du type "concessions forestières" nécessite une remise en question.

En effet, ces différents changements, tels que la demande accrue en qualité et en quantité pour la matière ligneuse, l'accroissement du rôle polyvalent de la forêt et des responsabilités globales de l'Etat ont incité le gouvernement à reprendre en main la gestion des forêts publiques.

Pour que celle-ci s'occupe de la gestion complète de sa forêt, principe de base du livre blanc, il devient nécessaire de procéder à l'abolition progressive des concessions forestières.

En effet, l'abolition des concessions est un élément clé pour la réalisation de la nouvelle politique qui consiste surtout à modifier en profondeur les mécanismes traditionnels de gestion et d'allocation de la matière ligneuse au Québec.

Le gouvernement du Québec a donc décidé de les abolir dans le but d'avoir une plus grande flexibilité dans sa façon d'administrer la forêt publique.

Si l'augmentation de la demande suit la même tendance que par le passé, il y aura rareté de bois dans l'avenir. Pour satisfaire à cette demande accrue, la forêt est appelée à fournir beaucoup plus que sa production actuelle. Pour ce faire, elle doit être aménagée de façon adéquate, opération que les utilisateurs hésitent à effectuer en raison des investissements considérables qui ne sont récupérables qu'à longue échéance.

Nous savons, de plus, que l'utilisation actuelle de ces concessions ne correspond qu'à 65 p.c. de leur possibilité. Pour remédier à cet état de choses, le gouvernement pourra faire en sorte que les modes d'allocation de la matière ligneuse des forêts publiques optimalisent l'utilisation de la ressource forestière en garantissant aux utilisateurs un approvisionnement concentré et suffisant, en modifiant le mécanisme de fixation des redevances exigibles, en favorisant l'exploitation intégrée de toutes les essences, en établissant des systèmes de contrôle, de mesu-rage et d'aide technique et finalement, en mettant au point un réseau de chemins d'accès en forêt auquel tous les usagers de cette ressource seront appelés à contribuer.

La garantie d'approvisionnement serait octroyée en fonction des besoins de l'utilisateur. Tous les territoires boisés qui appartiennent aux concessionnaires et qui ne servent pas à alimenter les usines de ceux-ci seraient alors disponibles, afin de satisfaire â l'approvisionnement et la finition de plusieurs usines dont celles de sciage et de contre-plaqué.

Les territoires forestiers qui reviendront à l'Etat feront partie des forêts domaniales dont le système d'allocation de la matière ligneuse est beaucoup plus flexible.

Un réaménagement des approvisionnements sera alors possible et permettra au système d'allocation alors en vigueur de mieux correspondre à la distribution géographique des usines, car le problème de la matière première au Québec est plus un problème d'ordre économique (i.e. de redistribution du territoire) qu'un problème d'ordre physique. Ce réaménagement pourrait réduire énormément les problèmes de concurrence que se livrent les industries pour la matière ligneuse.

Par ailleurs, pour satisfaire des besoins accrus en espaces boisés et en matière ligneuse, des investissements importants devront être réalisés au cours des prochaines années au chapitre des travaux sylvicoles. Les concessionnaires forestiers hésitent à assumer cette responsabilité car cela risquerait d'augmenter indûment le coût du bois.

De plus, les détenteurs de concessions affermés avant 1963 ont l'exclusivité sur tous les bois que ceux-ci peuvent aménager et disposer à leur guise pour leur approvisionnement. Forts de cette situation, plusieurs concessionnaires ont abusé de leur position privilégiée vis-à-vis des utilisateurs d'essences' secondaires.

Cette spéculation à même un bien public et la hausse du coût d'exploitation qu'elle entraîne pour le concessionnaire ont été vertement critiquées dans le rapport de la commission Bélanger publié en 1965 et je cite: "Si des sociétés concessionnaires acceptent de céder à des tiers le droit de couper les essences qu'elles n'utilisent pas, elles leur imposent l'obligation de payer un droit de coupe deux ou trois fois plus élevé que le coût ordinaire du droit. Il est vrai qu'elles doivent acquitter la prime d'affer- mage, la rente foncière annuelle, en plus d'assumer les frais des chemins d'accès, mais pas toujours, et la protection contre l'incendie. Mais, en pratique, ces sociétés réalisent ainsi des gains sur des terrains boisés qu'elles n'exploitent pas tout en contribuant à hausser le coût d'exploitation du permissionnaire".

Un autre rapport sur la politique forestière pour le Québec préparé par la Fédération canadienne des travailleurs des pâtes et papier et de la forêt énonce le problème ainsi: "Comment expliquer le gaspillage inouï des essences secondaires sur les concessions forestières des compagnies de pâtes et papier, alors que l'industrie du sciage est réduite souvent à la mendicité ou la banqueroute pour obtenir du bois quand le concessionnaire accepte de lui accorder la permission d'en couper à un prix exorbitant? "

On est forcé d'admettre que, pour empêcher cet état de choses, le gouvernement doit reprendre la gestion de ses forêts dans le but de placer toutes les industries utilisatrices de matière ligneuse à un même niveau de concurrence pour l'obtention du bois.

M. le Président, je dois souligner aussi que l'une des raisons pour lesquelles le gouvernement a décidé de reprendre la gestion des forêts qu'il a concédées est de libérer les concessionnaires de plusieurs obligations onéreuses telles que par exemple la responsabilité civile sur les réseaux de chemins ouverts désormais au public pour fins de récréation.

Si on se réfère aux citations précédentes, on peut se rendre compte que les privilèges considérables accordés par l'acte d'affermage — droit sur tous les arbres et sur le terrain — ne sont pas compatibles avec les aspirations légitimes de la population et les exigences de la planification de l'usage des ressources naturelles.

En effet, en tant que mode d'allocation des bois du domaine public, la concession forestière accorde un droit exclusif de couper les bois situés sur un territoire donné.

Or, les concessionnaires n'emploient pas toutes les essences disponibles et les revendent souvent, au prix fort, à d'autres utilisateurs, les rendant ainsi tributaires d'un intermédiaire.

Le gouvernement du Québec, en reprenant le contrôle des ressources forestières de la province, pourra garantir, en tant qu'unique gestionnaire des terres publiques, un approvisionnement en quantité suffisante aux utilisateurs et cela au meilleur compte possible, empêchant ainsi la spéculation pour l'obtention d'un approvisionnement adéquat.

D'autre part, nous ne sommes pas sans savoir que l'industrie, qui transforme les bois ronds, fait actuellement face à de sérieux problèmes au point de vue concurrentiel avec les autres pays et les autres provinces.

Pour augmenter cette capacité de concurrence, l'Etat devra assurer, aux industries de déroulage et de placage, de meilleurs approvisionnements en bois feuillu de qualité.

Du côté de l'industrie des pâtes et papier, la meilleure contribution que l'Etat peut apporter est d'aider â réduire le coût de la matière ligneuse.

Tel que déjà mentionné, le gouvernement a l'intention d'assumer la responsabilité de la construction et de l'entretien des chemins d'accès en forêt et d'en absorber une partie des coûts. Par ailleurs, les frais de protection et certains autres frais de gestion seront éventuellement partagés par un plus grand nombre d'usagers, au lieu d'être défrayés presque exclusivement par l'industrie forestière.

Plusieurs de ces mesures, requises pour relever le niveau financier de l'industrie, exigent du gouvernement la prise en main de la gestion des forêts publiques.

Bien que la qualité et la quantité de la ressource ligneuse occupent une place prépondérante dans les objectifs que poursuit le ministère des Terres et Forêts, ce dernier tiendra compte de l'importance des autres ressources que recèle le milieu forestier, en même temps qu'il reconnaît les liens d'interdépendance qui s'établissent entre chacune de ces ressources. En effet, la forêt, autrefois considérée prioritairement pour la production de la matière ligneuse, nécessite maintenant un aménagement qui tient compte de la multiplicité des usages du milieu forestier. La planification de l'utilisation des ressources forestières ne peut donc plus être laissée à la discrétion d'un utilisateur unique, préoccupé par ses seuls intérêts.

Compte tenu du fait que la population urbaine montre un intérêt de plus en plus marqué pour les activités récréatives en forêt, il importe de faciliter l'accès aux aires de boisées et d'intensifier l'implantation des facilités et des installations nécessaires aux loisirs en forêt. Une planification globale de l'usage des ressources s'impose pour coordonner les activités d'exploitation et de récréation, de façon à ce que l'une n'entrave pas l'autre et vice versa. La réalisation de cette tâche implique que le gouvernement a pleine juridiction sur le territoire boisé. Dès lors, il sera possible d'établir un certain zonage, afin d'assurer une intégration consciente et soigneusement préparée des différentes utilisations de la forêt.

D'autre part, les concessionnaires, ayant pleine juridiction sur leurs territoires, doivent supporter seuls les coûts supplémentaires découlant des activités récréatives en forêt, telles que chasse, pêche, camping. L'utilisation des chemins et les contraintes imposées aux exploitations forestières sont, de ce fait, d'autant plus difficiles à accepter pour eux. C'est anormal que l'entreprise privée ait à défrayer la totalité de ces coûts.

La prise en charge entière de la gestion des forêts permettra donc d'assurer le libre accès de la population à la forêt.

Le gouvernement du Québec, afin de répondre aux besoins du public, est devenu beaucoup plus interventionniste. Ses nouvelles fonctions lui imposent d'exercer une prise plus ferme sur ses moyens d'action parmi lesquels la forêt occupe une place importante. C'est dans ces dispositions que le gouvernement du Québec a décidé de faire lui-même l'administration, la gestion et certaines activités d'exploitation de la forêt publique.

Enfin, à titre d'exemple, il convient de signaler que la création des forêts domaniales, à la suite de transactions foncières réalisées au cours des dix dernières années, a permis de consolider les approvisionnements d'usines de sciage, de faciliter l'accroissement de leur production et — élément plus important — de favoriser l'implantation d'usines à la haute capacité de production, efficaces et offrant des emplois stables et rémunérateurs.

Les motifs que je viens d'énumérer de façon exhaustive suffisent amplement à justifier l'abolition du système actuel de tenure connu sous le nom de concessions forestières.

Nous savons que l'abolition coûtera plusieurs millions à l'Etat, que ce soit de façon directe ou indirecte, mais nous estimons que les économies d'échelle, tant au niveau des coûts fixes de gestion, qui seront répartis sur une superficie boisée considérable, qu'au niveau des coûts variables de gestion qui, eux, seront répartis sur un volume élevé de matière ligneuse, contribueront à rendre stable une telle opération.

Au moment de la préparation du livre blanc, nous avons étudié plusieurs moyens qui nous permettraient de procéder à cette réorganisation. Après une étude approfondie de la question, je considère que le moyen le plus logique de procéder à l'abolition des concessions forestières est le suivant: 1)Abolition des concessions par voie de législation, sur une période maximum de dix ans. 2)Octroi de garanties d'approvisionnement en bois à moyen et long termes aux usines de transformation, ceci contre le paiement d'une redevance unique. Par exemple, cette redevance pourrait être ramenée uniquement à la valeur du bois sur pied, laquelle comprendrait à la fois des frais fixes tels que des frais de gestion et des frais variables ajustés selon les conditions du marché, les difficultés d'exportation, etc. 3)Paiement d'une indemnité sur la valeur non encore dépréciée des améliorations.

Disons tout d'abord que cette abolition ne risque pas de compromettre le fonctionnement des usines existantes, car celles-ci recevront en retour des garanties d'approvisionnement suffisantes à leurs besoins.

Pour les détenteurs de concessions régulières n'ayant pas d'usine, compte tenu du mode original d'acquisition et des engagements contractés avant le 31 mai 1972, ils pourraient avoir accès aux forêts domaniales pour couper un volume marchand correspondant à ces droits et engagements.

Enfin, les détenteurs de concessions spécia-

les, dont l'échéance survient après 1982, devront récolter le volume marchand résiduel sur leur concession durant la décennie qui suivra la date de leur abolition.

Ceci couvre, je crois, tous les types de concessions.

Pourquoi, maintenant, le gouvernement est-il justifié de ne pas rembourser directement le droit d'affermage, tel qu'il est proposé dans la formule que je vous ai soumise?

Tout d'abord, une garantie d'approvisionnement est tout aussi bien hypothécable pour fins de financement qu'une concession. Certains détenteurs de concessions ont déjà d'ailleurs réclamé à l'impôt toutes les déductions auxquelles ils avaient droit, ce qui leur a permis de récupérer une bonne partie de cette mise de fonds que représentent les primes d'affermage.

De plus, étant donné le caractère même du système de concessions dans le passé, c'est-à-dire son exclusivité, et indépendamment du fait que le gouvernement ait déjà remboursé la prime d'affermage en reprenant certains territoires, nous croyons que les concessionnaires ont joui amplement de leurs privilèges et se sont remboursés déjà par des profits bien des fois supérieurs à ce qu'ils avaient payé initialement. Une concession n'est pas une propriété privée et le droit qui leur était accordé de jouir du territoire concédé ne leur a jamais été que loué, à toutes fins pratiques.

Pour ce qui est de l'indemnité que nous payerons sur les améliorations non dépréciées, nous avons étudié les coûts de cette opération basés sur la valeur résiduelle de l'infrastructure des concessions, soit la voirie forestière, les ponts-camps et autres améliorations.

En divisant les concessions dans quatre catégories de superficies, nous pourrions étendre la période de remboursement de cinq à 25 ans, selon que les unités d'aménagement sont petites ou grandes.

Ces indemnités pourraient être remboursées par des annuités égales et la durée de ces paiements sera en fonction de la superficie totale du concessionnaire.

Enfin, nous proposons comme forme de remboursement l'émission de notes de crédit déduites des redevances exigées sur le volume de bois récolté annuellement.

Il va sans dire que chaque concessionnaire devra couper une quantité minimum annuellement. Cette quantité sera fixée suivant l'entente prise entre les parties suite aux négociations lors de l'abolition de la concession. Certains critères de base seront établis afin de faciliter les négociations, car il existe, à l'intérieur des contrats d'affermage, différents modes d'acquisition.

Je pense que la formule ainsi présentée peut être satisfaisante pour tout le monde, même si certaines modalités peuvent être discutées davantage. Qu'il suffise de vous dire que le gouvernement veut que la forêt soit considérée comme un bien public où les intérêts des particuliers trouveront leur compte.

Plusieurs craignent d'ailleurs que la prise en main par l'Etat de la gestion de ses propres forêts ne nuise plutôt aux utilisateurs à cause de la réputation des gouvernements d'être de mauvais gestionnaires. Cette crainte, nous la partageons et c'est pourquoi nous avons proposé la création d'une Société de gestion des forêts.

Il est évident que, pour améliorer une situation, en l'occurrence l'utilisation de la ressource forêt, il est essentiel d'examiner de quelle façon on peut influencer directement ou indirectement cette même situation. Plusieurs plans sont préparés, plusieurs formules sont suggérées et, comme tout gouvernement au service d'une société, nous avons retenu davantage ceux qui nous semblent les mieux adaptés aux besoins de notre population. Exemple: la création d'une Société de gestion forestière.

Cette proposition créant un organisme autonome responsable au ministère des Terres et Forêts de la gestion de toutes les forêts publiques du Québec, c'est-à-dire le territoire actuel des forêts domaniales, y inclus éventuellement les concessions forestières, cette proposition, dis-je, est une des plus discutées actuellement dans les milieux forestiers.

Les arguments pour et contre ne manquent pas et déjà il nous est possible de voir dans quelle direction s'orienteront les discussions de la commission parlementaire sur le sujet.

Je répète ici que nous sommes à la recherche des meilleurs instruments qui nous permettront de rationaliser l'utilisation de la forêt.

La suggestion visant à créer une société d'Etat pour administrer les forêts a justement été inscrite au document dans ce but. Nous aurions pu tout simplement suggérer que la gestion des forêts demeure comme elle l'a toujours été sous la direction du ministère des Terres et Forêts. En apparence, cela allait de soi.

Nous avons voulu aller plus loin parce que nous n'avons pas encore la conviction que tout peut se trancher aussi facilement que cela. Devant les difficultés inhérentes à l'administration publique par l'entremise des ministères, et surtout — je dois avouer — devant l'inefficacité, jusqu'à maintenant, de notre propre administration des forêts domaniales, il fallait trouver une ou des formules qui nous éviteraient justement de maintenir une situation qui risquait de s'assombrir davantage.

Je dois expliquer toutefois que les difficultés éprouvées par notre service des forêts domaniales sont dues dans bien des occasions au fait que ce service est à la remorque des nombreux autres services du ministère. Dans ce cadre, les énergies sont inévitablement dispersées. Un organisme plus autonome pourrait concentrer plus facilement ses efforts â l'administration de ces tâches, croit-on.

Nous avons donc suggéré une formule: la Société de gestion forestière. Les sociétés d'Etat ne sont pas des panacées, loin de là dans certains cas. Mais dans plusieurs domaines, ces

sociétés ont fait preuve d'une efficacité qui ne se retrouve pas dans les rouages de l'administration gouvernementale traditionnelle.

Donc, deux raisons principales: l'expérience décevante de l'administration ministérielle des forêts domaniales et la lourdeur de l'administration gouvernementale.

J'invoquerai, si vous me le permettez, les motifs soutenant la création de la Société de gestion.

Une étude interne au ministère des Terres et Forêts portant sur l'administration en régie de quelques 37,000 milles carrés de territoires placés en forêt domaniale a mis en évidence les points suivants: a) le sous-développement chronique de toutes les activités de gestion réalisées par le ministère des Terres et Forêts, particulièrement des fonctions de conception, d'exécution et de contrôle; b) la multiplicité des centres de décision doublée d'une incompatibilité de fonctions au sein de plusieurs unités organisationnelles, le ministère des Terres et Forêts ayant à la fois la responsabilité de surveiller l'application de la législation forestière et de s'y conformer en tant que gestionnaire; c.) l'absence de gestion proprement dite; dans l'exercice de sa fonction le gestionnaire, le ministère des Terres et Forêts s'est comporté comme le moins efficace des concessionnaires en ne remplissant pas les conditions qu'il exige de ces derniers.

Le maintien des règles strictes de la gestion du personnel, du matériel et des finances de l'administration de l'Etat, inadapté à la gestion d'un capital productif de plusieurs dizaines de milliers de milles carrés, permet difficilement au ministère des Terres et Forêts de respecter les engagements qu'il a contractés envers les permissionnaires dans les forêts domaniales (programmes de coupe, voirie forestière, protection, etc).

La gestion forestière constitue une activité à caractère industriel et commercial du fait qu'elle a pour mission de produire des arbres sur pied; la sylviculture est assimilable à l'agriculture ou à toute autre production du genre. Au Québec, on a pu, jusqu'ici, se contenter de récolter les arbres rendus à maturité; l'état actuel des peuplements et l'augmentation prévisible de la demande pour les produits ligneux nécessitent une véritable culture de la forêt, de manière à approvisionner aux coûts les plus bas les usines de transformation du bois.

La consolidation de l'administration actuelle des forêts domaniales et la nécessité d'assurer une gestion efficace aux territoires forestiers qui seront graduellement libérés par l'abolition des concessions forestières nous obligent aussi à rechercher une formule permettant d'assumer cette responsabilité en évitant les inconvénients qui gênent l'administration des ministères.

Le recours à un organisme paragouvernemental existant, soit Rexfor, pour assurer la gestion des forêts publiques, a été abandonné du fait qu'elle était déjà impliquée dans une activité tout à fait différente de la gestion, soit l'exploitation forestière.

L'exécution par le ministère des Terres et Forêts des actes de puissance publique (conception, animation et contrôle de la politique forestière) et des actes de gestion (administration des forêts appartenant à l'Etat) entrante la confusion des rôles. L'Etat a alors tendance â négliger ses responsabilités de propriétaire forestier.

Par ailleurs, après de longs mois d'étude et de discussions, le gouvernement a commencé, depuis quelque temps, une réforme administrative en profondeur qui s'imposait depuis très longtemps, ce qui pourrait améliorer la situation actuelle.

Un gouvernement démocratique ne fonctionne généralement pas par "diktat" et le gouvernement actuel est soucieux au plus haut point de satisfaire les aspirations et besoins de l'ensemble de la population et non pas de groupes particuliers. Cela explique le pourquoi d'un livre blanc, la convocation de la commission parlementaire et l'ouverture au dialogue sur les énoncés de politique; c'est pourquoi aussi la suggestion d'une formule telle que la société de gestion forestière était nécessaire pour permettre d'examiner une modalité de réalisations et permettre sans doute de provoquer des suggestions constructives.

Surtout n'allons pas conclure à la faiblesse de nos politiques. Si le dialogue, la recherche de solutions logiques sont de la faiblesse, mieux vaut alors fermer boutique immédiatement.

Le livre blanc sur la forêt en est l'exemple parfait. Nous avons établi des principes de base sur lesquels est appuyée fermement la réforme. Un exemple de cela est le principe d'abolition des concessions forestières. Là-dessus, il ne fait pas de doute dans mon esprit ou dans celui du gouvernement qu'à la base d'une meilleure répartition de la ressource et d'une meilleure utilisation, le gouvernement doit pouvoir effectuer, sans une infinité d'obstacles, un réaménagement qui nécessite la disparition du système actuel de tenure.

Nous acceptons de discuter des modalités du transfert actuel au nouveau, mais le principe demeure.

D'autre part, certaines propositions du livre blanc, telles la société de gestion, doivent provoquer un dialogue qui nous permettra par la suite de prendre une décision définitive.

Au sein de mon ministère, justement, les arguments pour et contre une telle formule ont été mis de l'avant au cours de nombreuses séances de travail que nous avons eues. Cette formule de discussion est à mon sens la meilleure pour en arriver à une décision qui tiendra compte de toutes les possibilités.

On a beaucoup discuté ces derniers mois de l'abolition des concessions forestières, de la société de gestion, mais il est un aspect du document qui à mon sens indique davantage jusqu'à quel point le gouvernement est prêt à

prendre les moyens pour améliorer l'utilisation de la ressource et je veux parler de l'organisation de la forêt privée.

Comme son nom l'indique, la forêt privée ne fait pas partie du territoire public administré par l'Etat. Mais son importance au Québec justifie que le gouvernement intervienne de façon indirecte dans son administration quand l'intérêt général l'exige et quand les propriétaires forestiers peuvent influencer l'économie forestière.

Pour ce faire, nous agirons au niveau de la mise en valeur de ce secteur. C'est à ce chapitre que le document apporte le plus de changement à une politique traditionnelle qui veut que l'Etat ne s'immisce pas dans le domaine privé.

La forêt privée au Québec est la plus riche en matière ligneuse et fournit annuellement plus du quart des approvisionnements en bois des usines, en plus de ce qu'elle produit en biens de consommation.

Comme l'indique le tome II, "ces terres sont les plus productives, les plus accessibles et les mieux placées par rapport aux usines de transformation du bois et aux agglomérations urbaines".

De plus, la main-d'oeuvre nécessaire à leur mise en valeur est abondante et habite à proximité. "Tous ces éléments contribuent à faire des forêts privées un atout précieux pour la production de matière ligneuse, pour la fourniture d'espaces boisés aux fins de la récréation de plein air et pour la conservation de l'environnement", lit-on dans l'introduction de ce chapitre.

La forêt privée est encore plus importante sur le plan humain parce que, dans presque tous les coins de la province, des milliers de personnes en vivent directement.

A mon arrivée au ministère, en 1970, le phénomène de retour à la forêt, amorcé dans certaines régions jusque-là considérées comme agricoles, commençait à s'amplifier pour apparaître aujourd'hui comme une des solutions valables au problème des paroisses marginales et des régions défavorisées du Québec.

Mon ministère a pris au sérieux la situation qui prévaut dans ce secteur de la population et réalisé pleinement la nécessité d'accroître l'action des pouvoirs publics dans un domaine où l'Etat ne voulait pas et surtout ne pouvait pas intervenir jusqu'à maintenant.

Les opérations Dignité, les Manneville et autres nous rappellent de façon dramatique que cette population a le désir et la volonté de s'organiser elle-même avec l'aide et non pas la dictature de l'Etat. Cet Etat ayant des responsabilités collectives, il est bien évident que ces interventions doivent prendre en considération les facteurs inhérents et au groupe et à l'ensemble de la société.

C'est pourquoi le tome II propose des méthodes d'intervention qui tiendront compte des privilèges de la propriété privée. Il s'agit de mesures institutionnelles, fiscales, financières, techniques et législatives. Pour vous permettre de vous situer dans ce contexte, je vais vous exposer d'abord les principes généraux d'intervention. Après quoi, j'aimerais expliquer davantage les propositions du tome II sur les associations régionales de sylviculteurs et la Régie des produits forestiers, deux instruments importants dans le développement des forêts privées.

Les principes généraux sont les suivants:

Les forêts publiques et les forêts privées doivent, ensemble, participer à la réalisation des objectifs de production de matière ligneuse et de maintien d'espaces boisés parce que toutes les deux contribuent à la formation du patrimoine forestier et à l'approvisionnement en bois des usines;

L'ingérence directe dans la gestion des forêts privées n'est pas de la compétence juridique de la vocation naturelle du gouvernement;

Le développement forestier ne peut être réalisé sans la participation volontaire des propriétaires forestiers;

La politique forestière doit laisser aux particuliers la libre administration de leurs bois, sauf dans les forêts de protection. Elle ne doit leur prescrire ni leur interdire aucun mode de gestion particulier;

L'Etat est justifié de prendre les moyens incitatifs nécessaires pour stimuler le développement forestier, chaque fois que l'intérêt général l'exige;

L'Etat doit maintenir le minimum d'obstacles institutionnels et fiscaux au développement des forêts privées;

Et enfin, l'aide gouvernementale, pour la mise en valeur de la forêt privée, ne peut être accordée aux propriétaires forestiers, sans que ces derniers ne donnent, en contrepartie, des garanties sérieuses.

A partir de ces principes, nous suggérons aux propriétaires de boiser une structure d'organisation qui leur permettra de généraliser les pratiques les plus efficaces d'aménagement de protection de sylviculture et de mise en marché. Cette structure devra posséder certaines prérogatives de puissance publique si elle veut être efficace et remplir son rôle.

Comme on le lit dans le document, l'organisation est nécessaire dans ce domaine, le ministère des Terres et Forêts pouvant tout au plus contrôler l'application de la pratique forestière et apporter une aide quelconque aux détenteurs de massifs boisés.

Le nombre important de propriétaires forestiers, la diversité de leurs besoins et l'intérêt majeur qu'ils portent à la gestion de leurs biens nécessitent la mise sur pied d'un système d'autogestion que l'on appellera les associations régionales de sylviculteurs. L'organisation de ces associations se fera à partir des offices et syndicats de producteurs de bois existants à cause de l'expérience qu'ils ont déjà acquise auprès de leurs membres. La mise en place de ce système unique de coopération vise une meilleure rentabilité des tâches de production.

Comme je parlais tantôt de la nécessité de doser les interventions de l'Etat vis-à-vis du domaine privé — les offices ou syndicats de producteurs étant issus du milieu rural — ils sauront peut-être mieux que l'Etat préparer les esprits à une rationalisation des activités de gestion forestière.

En procédant de cette façon, le gouvernement déléguera évidemment des pouvoirs accrus aux offices et syndicats qui pourront se regrouper en une fédération provinciale, laquelle constituera l'interlocuteur privilégié du gouvernement pour toutes les questions concernant la propriété forestière privée. Les tâches confiées à ces organismes sont clairement définies dans le tome II.

L'exposé sur la politique forestière propose de plus quatre moyens de financement des associations régionales: 1) paiement par les propriétaires d'une redevance sur les bois récoltés, mode actuel de financement des organismes chargés de l'exécution des plans conjoints; 2) cotisation annuelle des propriétaires qui adhéreraient volontairement à une telle association en vue de bénéficier des services offerts; 3)subvention gouvernementale de fonctionnement; 4)revenus d'exploitation.

On voit ici que le gouvernement considère qu'il ne peut financer entièrement toutes les activités de ces organismes puisqu'ils continueront d'exercer leurs activités à caractère syndical et pourront conserver une certaine autonomie dans leurs relations avec le gouvernement.

La vocation traditionnelle des offices ou syndicats de producteurs de bois, soit la mise en marché des produits forestiers continuera d'être une préoccupation des nouvelles associations de propriétaires. Ce rôle sera cependant exercé en vertu d'une loi de mise en marché des produits forestiers qui contiendra des dispositions semblables à celles de la Loi des marchés agricoles. La régie des produits forestiers que nous entendons créer sera appelée à contrôler l'application de plans conjoints relatifs, tout particulièrement, à la mise en marché de la production forestière privée des bois de récupération, des copeaux et autres résidus.

Ces plans conjoints permettront de mettre en oeuvre une partie importante des plans de distribution qui seront préparés par le ministère des Terres et Forêts à partir des besoins en bois de chaque usine de transformation. Nous savons déjà que cette proposition ne fera pas l'unanimité et qu'elle sera même fortement contestée autant par les producteurs que par les utilisateurs.

Les forces actuelles du marché nous obligeant trop souvent à intervenir pour régler des cas particuliers, il nous a fallu rechercher une solution intermédiaire qui permettrait de régulariser l'offre et la demande, dans une optique de justice distributrice. Vous admettrez avec moi que la présente Loi du prix du bois à pâte vendu par des agriculteurs et des colons, soit le bill 41, n'était qu'un palliatif législatif en attendant une refonte de nos lois forestières. Depuis deux ans, à mon ministère, j'ai dû trop souvent avoir recours à cette loi d'exception qui ne nous permet pas encore de régler le problème de vente du bois des forêts privées.

Une formule comme la régie des produits forestiers ne plaira pas à tout le monde mais pourrait nous permettre d'établir un mécanisme de distribution de bois plus logique. "L'analyse des problèmes liés à la distribution du bois", précise le tome II, montre à l'évidence que le gouvernement doit repenser son action et la situer dans un cadre général de planification de cette distribution". Toutefois, cette planification ne sera possible que si un même organisme, soit la régie proposée, est habilité à contrôler tous les bois mis sur le marché. Ce contrôle s'étendra à l'ensemble de la production des forêts publiques et privées, de même qu'aux copeaux, et s'appliquera à toutes les usines qui utilisent le bois comme matière première. Le ministère des Terres et Forêts surveille déjà la destination des bois récoltés dans les forêts publiques par l'émission des permis de coupe. Cependant, pour les bois soumis aux plans conjoints, pour ceux qui sont vendus directement aux usines ou par l'intermédiaire de courtiers, pour ceux que les utilisateurs récoltent sur leur propres terrains, pour les bois importés ou exportés et enfin, pour les copeaux produits par les scieries, le gouvernement n'exerce pratiquement aucun contrôle sur leur utilisation. Le ministère des Terres et Forêts prendra donc à l'avenir la responsabilité de planifier l'approvisionnement de toutes les usines forestières.

La planification de la distribution de tous les bois en grumes et les copeaux nécessitera la mise en place d'instruments adéquats. Ces instruments seront principalement constitués par des plans de distribution des bois établis par chaque usine de transformation. Ces plans seront confectionnés par le ministère des Terres et Forêts en collaboration avec les producteurs et les utilisateurs. Ils tiendront compte notamment des besoins des usines, de l'offre de matière ligneuse et des contraintes actuelles qui lui sont reliées, copeaux, bois de récupération, bois venant des forêts privées et publiques, etc., des sources extérieures de matière ligneuse et enfin d'une distribution optimale des bois, eu égard à la localisation des usines et aux moyens de transport.

Ces plans de distribution seront en général revisés tous les cinq ans. Advenant une contraction de la demande, les utilisateurs eux-mêmes et les producteurs privés, sauf pour les copeaux et les bois de récupération, et ce pour des raisons évidentes d'économie de la matière ligneuse, devront absorber cette diminution dans une proportion équivalente à leur capacité de production.

Précisons ici que nous avons cru bon d'exclure les copeaux et bois de récupération d'une diminution de la production advenant contraction, mais qu'à la lumière des discussions de la commission parlementaire, nous pourrions réexaminer ce point précis.

Il restera aux parties impliquées, soit les producteurs et les utilisateurs, à conclure des accords sur les prix. Ces ententes pourront donner lieu à des contrats entre les utilisateurs et les différents fournisseurs.

Dans l'éventualité d'un désaccord sur les variations de prix, des mécanismes basés sur des indices appropriés seraient utilisés par un organisme gouvernemental de contrôle pour fixer le prix du bois et des copeaux.

Le chapitre VI consacré à la recherche forestière n'est pas satisfaisant aux yeux de plusieurs. Il faut bien comprendre qu'il n'était pas dans notre intention d'établir un programme précis de recherche pour les cinq ou dix prochaines années, mais bien plutôt de donner une orientation permettant ensuite l'élaboration d'un plan précis à partir de ce schéma.

Nous avons dégagé les priorités qui sont la production et récolte de matière ligneuse, la mise en marché, la consommation et l'utilisation du bois et des produits forestiers. Les programmes de recherche devront être établis en conséquence.

M. le Président, j'ai gardé pour la fin les questions financières, parce que les coûts de la réforme que le gouvernement entend consacrer à la forêt sont basés évidemment sur le montant d'argent disponible. Sans argent, on ne peut pas vraiment réaliser les réformes, c'est bien évident.

Pour pouvoir planifier notre programme, nous avons établi notre action sur une base de dix ans. Déjà, une partie du budget annuel du ministère est consacrée à des programmes qui s'inscrivent dans la réforme proposée par le livre blanc. Exemple, l'opération 2000, soit le programme de revalorisation sociale et forestière qui nous permet d'effectuer des travaux sylvicoles, un des aspects importants de notre action sur la production forestière.

Les travaux de reboisement et de restauration forestière que fait le ministère depuis plusieurs années font aussi partie du programme de la réforme.

La création des sociétés régionales de conservation, presque terminée, l'opération de régionalisation de l'administration du ministère, l'aide technique et financière à la forêt privée sont toutes des programmes s'inscrivant dans la politique forestière de l'avenir que nous proposons dans notre document et qui sont déjà en marche.

Toutes ces activités sont inscrites au budget actuel du ministère et vous n'avez qu'à relever les crédits pour l'année 72/73 pour constater qu'en gros $14 millions sont consacrés à des programmes qui feront partie de la nouvelle politique.

A l'intérieur même de notre enveloppe budgétaire, il nous sera donc possible de procéder à la mise sur pied d'activités prévues dans le livre blanc, sans pour cela devoir attendre des fonds additionnels qui pourraient grever d'autres programmes prioritaires du gouvernement.

De plus, selon les modalités qui seront retenues pour l'abolition des concessions forestières, il sera possible d'atténuer considérablement l'impact de déboursés massifs, surtout si l'on retient la formule du paiement des indemnités à partir d'une diminution des redevances.

Je ne puis vous donner aujourd'hui des détails précis sur les coûts de cette réforme, nous avons préparé des études à ce sujet, mais ce sont des choses à discuter avec le Conseil du trésor et le cabinet. Je peux dire cependant qu'avec la collaboration des intéressés et la volonté ferme du gouvernement de mettre en application les réformes proposées, nous parviendrons sûrement à améliorer sensiblement le milieu forestier au Québec.

M. le Président, un dernier point avant de conclure ce long exposé, je voudrais parler de la main-d'oeuvre forestière.

Plusieurs s'étonnent de ne pas retrouver dans notre livre blanc un chapitre consacré à la main-d'oeuvre forestière qui sera impliquée dans la réforme proposée.

Les travailleurs de la forêt — que ce soit au niveau de l'exploitation ou de la transformation du bois, sont sans doute préoccupés par la réforme qui s'amorce dans ce secteur où ils gagnent leur vie.

Remarquez tout d'abord qu'une politique forestière, comme je l'ai expliqué au début, touche particulièrement la ressource et les activités qui y sont reliées. Encore une fois, c'est un autre ministère que celui des Terres et Forêts qui s'occupe de la main-d'oeuvre au Québec, et à ce titre, il y a déjà en préparation une étude importante sur le sujet à ce ministère. De même, le ministère de l'Education s'occupe de la formation de cette main-d'oeuvre et de son recyclage, ces deux organismes travaillent en collaboration étroite avec le ministère des Terres et Forêts.

Je puis ajouter également que l'intensification des travaux de restauration de toutes sortes à mon ministère nous permettra d'offrir aux travailleurs forestiers la possibilité de gagner honorablement leur vie dans ce domaine particulier de l'activité forestière appelé à se développer davantage dans l'avenir.

M. le Président, nous entreprenons aujourd'hui un long processus de discussions qui seront suivies d'ici quelques mois de la présentation d'une loi qui nous permettra de mettre en application les mesures énoncées dans notre document.

Je pense avoir toujours été très franc avec tous mes collègues de l'Assemblée nationale, dont mes amis d'en face, et j'ose espérer que le climat de confiance mutuelle que les membres de cette commission entretiennent facilitera

davantage un dialogue positif. Après tout, M. le Président, nous travaillons tous pour le même patron, le public québécois. Merci.

M. LE PRESIDENT: La parole est au chef de l'Opposition officielle, le député de Bellechasse.

Commentaires des représentants des partis

M. LOUBIER: M. le Président, mes premiers mots seront tout d'abord pour souhaiter la bienvenue aux délégués des différents organismes qui sont ici ce matin, et également pour remercier le ministre de nous avoir fourni quelques instants avant la séance son discours. Il a pris soin de souligner que c'était un long, très long exposé. Je vous avouerai, M. le Président, que la longueur du discours du ministre, la litanie des voeux qui y sont insérés, également les esquisses de solutions à court terme — on en retrouve beaucoup moins à long terme — nous donnent l'impression que le discours du ministre annonce un autre livre blanc qui viendrait compléter ou aboucher ceux qui ont eu un enfantement assez douloureux. On n'a qu'à se rapporter aux différents articles des journaux, qui, à une autre époque, signalaient que le ministre traversait une crise de conscience, quant à la rédaction de son livre blanc, et que, selon ces mêmes rapports — je me garde de questionner le ministre qui est lié et soudé à la solidarité ministérielle — au sein même du cabinet l'unanimité était loin d'être faite quant à la teneur, quant aux objectifs envisagés par le livre blanc.

Je sais que le ministre ne peut pas dire si ces rumeurs qui ont été rapportées partout sont oui ou non fondées, parce qu'encore une fois, il est lié par son serment d'office. Mais de toute façon, nous avons ce matin l'occasion, tant les députés des différentes formations politiques que le monde des affaires intimement lié au développement de cette richesse naturelle extraordinaire et que les corporations professionnelles, de pouvoir essayer — je dis bien essayer — d'analyser les implications, les conséquences et la philosophie qui animent le livre blanc et le discours du ministre.

Dès 1970, le ministre des Terres et Forêts avait annoncé qu'il "répondrait au besoin d'une planification du développement économique des ressources forestières en publiant un livre blanc". Ce document devait aborder tous les problèmes qui se posent aujourd'hui dans le secteur forestier et suggérer un certain nombre de solutions, de façon à permettre aux intéressés et à l'opinion publique de s'exprimer.

M. le Président, je pense qu'à l'époque le ministre avait souligné d'une façon non équivoque que ce livre blanc permettrait de déboucher sur des solutions à court terme, solutions extrêmement urgentes, pour essayer d'éviter le balancement complet de cette industrie extraordinairement importante dans notre économie. Et ce livre blanc devait également esquisser ou profiler des structures, des mécanismes et des objectifs à atteindre.

Or, en principe, je n'ai rien contre la technique des livres blancs — je dis bien en principe — qui offrent à un gouvernement, surtout lorsqu'il est incertain de la route à suivre ou lorsqu'il est tiraillé par différents intérêts, l'avantage de pouvoir sonder les réactions de la presse, du public et des parties intéressées avant de soumettre une loi concrète.

Mais dans le cas présent, je me demande très sérieusement, comme plusieurs collègues sans doute, si cette technique était bien indiquée. Et je serais tenté, d'une façon très respectueuse, de rappeler les propos tenus dans le Nouvelliste dernièrement; j'y décelais l'observation suivante: "Il en est des livres blancs comme des bikinis; ce qu'ils dévoilent importe bien moins que ce qu'ils cachent".

Et je le dis sur un ton très amical, me servant de cette citation. Mais nous avons nettement l'impression que le livre blanc officiel, soumis à la Chambre, dans sa rédaction et dans la litanie de toutes les mesures (cinq ans, dix ans, service de recherche, coût, par exemple, du rachat de certaines concessions, la fameuse société dont parle le ministre et dont le rôle est plus ou moins nébuleusement défini, le rôle ou la destinée des forêts privées, la régie des produits forestiers, à la recherche forestière elle-même, le financement) et littéralement le livre blanc, le discours du ministre de ce matin, nous laissent avec infiniment de points d'interrogation.

Je me demande si véritablement ce livre blanc, qui était attendu avec tellement d'impatience tant de la part des producteurs, des corporations professionnelles et du grand public, que de la part de tous les partis, apporte cette note sécurisante, cette lueur d'espoir, et s'il dégage des horizons encourageants tant pour les producteurs et les corporations professionnelles que pour le grand public du Québec.

De toute façon, M. le Président, à la faveur des indiscrétions et des fuites, peut-être volontaires, qui ont précédé la publication du document à l'étude, nous avons pu nous rendre compte des hésitations, des doutes, des flottements et même des frottements qui se sont multipliés à ce sujet à l'intérieur même du gouvernement. De sorte que nous sommes aujourd'hui bien obligés de nous demander si, au lieu d'être l'amorce d'une nouvelle politique forestière, le livre blanc du ministère des Terres et Forêts n'a pas plutôt pour but de camoufler une lamentable absence de politique.

Les problèmes de notre industrie forestière sont multiples. Avec toute l'activité économique qu'elle commande, l'industrie forestière a toujours été notre grande industrie. Or, voici qu'elle connaît, depuis quelques années, et surtout depuis deux ou trois ans, particulièrement dans le domaine des pâtes et papier, une

situation plus que difficile, une situation très grave sans être dramatiquement désespérée, mais une situation telle qu'il est important pour les Québécois, les corporations professionnelles, les producteurs et les politiciens, au lieu d'intellectualiser le problème et d'essayer de faire un peu de démagogie autour de cette situation extrêmement difficile, que les approches soient beaucoup plus sereines, beaucoup plus objectives tenant compte, évidemment, du problème à l'intérieur de nos frontières québécoises mais en ne perdant jamais de vue que nous sommes actuellement dans un tourbillon de concurrence qui pourrait rendre absolument inopérants, inutiles et superflus différents désirs ou voeux manifestés par le ministre des Terres et Forêts.

Il y a de ces mythes, M. le Président, qu'il est important d'écarter dans le Québec. On a l'impression et depuis des années on a voulu laisser croire que le Québec était la terre la plus riche au monde, on a voulu laisser croire également que nous étions littéralement les seuls à posséder des richesses forestières enviables, on a voulu laisser créer ce mythe voulant que nous aurions ces richesses de façon éternelle et que c'était pour les Québécois une garantie absolue de prospérité et de bien-être. C'est faire abstraction complète de cet internationalisme qui se développe sur tous les plans, que ce soit sur le plan social, que ce soit sur le plan économique, c'est faire abstraction également du fait qu'il n'y a plus de frontières, c'est faire abstraction également du fait que, universellement, il y a un mouvement de regroupement, il y a une mouvance telle que, sur le plan de la compétition et de la concurrence, même si nous avions hypothétiquement les richesses les plus vastes au monde, même si nous avions hypothétiquement un coût de revient assez abordable, il ne faut pas oublier que, humainement et économiquement, du bois, ça ne se mange pas par les individus et il faut entrer dans le jeu d'une commercialisation bien ordonnée et surtout d'une concurrence extrêmement réaliste.

M. le Président, cette crise que nous traversons actuellement, sans la dramatiser — je l'ai dit — elle est extrêmement difficile et elle est stigmatisée entre autres par la fermeture d'usines aux Trois-Rivières, à Mont-Laurier, au Témiscamingue et le suspense tragique qui plane sur celles des Cantons de l'Est, du Lac-Saint-Jean, de la Gaspésie ou d'ailleurs.

D'où l'importance d'envisager les politiques gouvernementales, l'action des producteurs et des corporations professionnelles, non pas avec du sentimentalisme, avec une approche électoraliste mais d'une façon aussi sérieuse qu'est difficile la situation actuelle.

Et cet affaissement, dans un domaine aussi vital pour la prospérité québécoise, n'est pas sans créer de très sérieux problèmes, tant sur le plan économique que sur le plan social. Principales victimes d'un déclin qu'ils souhaitent de courte durée, nos milliers de chômeurs espèrent que ce livre blanc ne servira pas de prétexte au gouvernement pour différer un redressement urgent et nécessaire. Ce qui frappe quand on essaie de percer le mur des apparences et d'aller au fond des choses, c'est que la stagnation, dont l'industrie forestière québécoise est présentement le théâtre, lui vient en grande partie du dynamisme — comme je le disais tout à l'heure — de ses concurrents à l'étranger. En effet, 90 p.c. ou environ de notre production de pâtes et papier est exportée. Or, le développement d'usines modernes dans le sud des Etats-Unis et en Colombie-Britannique, l'introduction du papier-journal de la Scandinavie sur le marché concurrentiel européen, l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun et les fluctuations du cours du dollar sur le marché des changes sont autant de facteurs qui ont contribué — il faut l'avouer — et peu importe — je le dis en toute franchise — le système économique ou constitutionnel qui serait en place, nous avons à faire face à des problèmes réels, concrets auxquels nous devons nous attaquer d'une façon extrêmement audacieuse mais rapide, en même temps, tenant compte du fait que nous vivons sur le continent nord-américain, que le Québec ne peut pas, dans un coin de la patinoire, jouer avec ses propres petites règles du jeu mais qu'il doit faire équipe avec tous ceux qui sont de la partie dans ce secteur.

Et pour regagner la faveur du marché, il nous faudra, évidemment, dans plusieurs secteurs et dans plusieurs régions, moderniser nos usines, éveiller notre imagination créatrice, augmenter notre productivité. Bref, il nous faudra, sous toutes formes, investir davantage. Il est inutile, M. le Président, d'essayer de lécher nos plaies, de se contenter ou de se retirer dans le passé et de faire jouer toute la gamme des fautes qui seraient imputables, parfois au gouvernement, parfois aux producteurs, aux entreprises, parfois à certaines corporations, parfois à différents gouvernements. Eh bien! je pense qu'on devrait aller de l'avant et essayer, le plus rapidement possible, de trouver des solutions concrètes. Il est bien évident et il est reconnu, je pense, que la répartition des ressources laisse, souventefois, à désirer.

Et pendant ce temps, chez nous au Québec, deux importantes associations, qui groupent un nombre considérable d'industriels, ne peuvent maintenir leur croissance et assurer leur rentabilité à cause d'une répartition douteuse de ces ressources.

L'Association des manufacturiers de bois de sciage se plaint, avec raison, d'être privée d'un approvisionnement assez abondant et régulier pour permettre de stabiliser le présent et de planifier l'avenir. Et de son côté, l'Association des fabricants de meubles du Québec souffre d'une pénurie de bois d'oeuvre, qui gêne très sérieusement ses efforts de modernisation et de croissance. Or, groupées dans ces deux associations, il y a une foule d'industries, petites et moyennes, entièrement québécoises et canadiennes-françaises pour la plupart, situées en

milieu rural surtout, dont le maintien et l'expansion pourraient nous aider puissamment à faire de l'aménagement régional autre chose que des théories nébuleuses et à stimuler l'économie de régions qui en ont un impérieux besoin.

Il y a de ces aveux du gouvernement qui sont assez révélateurs, parce qu'on trouve dans les chiffres du gouvernement la preuve, un jugement à l'effet que la situation est aussi pénible, peut-être plus pénible, que celle que je viens de décrire. On n'a qu'à se référer au dernier rapport sur la situation économique du Québec pour l'année 1971, publié sous la responsabilité et l'autorité du ministère de l'Industrie et du Commerce, rapport qui confirme que dans l'ensemble de notre secteur primaire, par suite de la situation qui existe tant sur le plan des forêts que sur ceux des mines et de l'agriculture, la valeur brute de notre production est à la baisse. Elle a diminué — je me réfère à ce rapport publié par le ministère de l'Industrie et du Commerce — de 4 p.c. en 1971, comparativement à une augmentation de 3.1 p.c. en 1970. La valeur de la production baisse parce qu'en grande partie les investissements baissent également. Dans le domaine précis des forêts, les immobilisations qui avaient été de $19 millions en 1967, de $14 millions en 1968, de $15 millions en 1969 sont tombées à $9,500,000 en 1970 et à $7 millions seulement en 1971. Le rapport du ministère de l'Industrie et du Commerce à la page 53 dit ceci et je cite: "Les investissements relatifs à l'exploitation forestière reflètent assez bien la situation détériorée qui prévaut dans cette industrie. Ils sont à la baisse pour une deuxième année consécutive." On lit, dans le même ouvrage sur la situation économique du Québec en 1971, que la production de bois à pâte a subi une baisse de 17.3 p.c. en volume et de 15 p.c. en valeur.

Voici, M. le Président, d'une façon plus précise où se situe mon inquiétude face à ce que j'appellerais cette opération ou cette situation d'étatisme et d'investissements, devant la situation catastrophique de notre principale industrie, situation due en très grande partie, dans plusieurs milieux et dans plusieurs régions, à un manque de renouveau, à un manque de modernisation assez rapide, à un manque de productivité accélérée, c'est-à-dire, en dernière analyse, à un manque d'investissements.

Que fait exactement le livre blanc devant ce fait? Est-ce qu'il encourage les investisseurs à infuser de nouveaux capitaux dans notre industrie forestière? Est-ce qu'il essaie de stimuler l'initiative privée, puisque l'initiative de l'Etat conduit en ce domaine à des déconfitures que l'on pourrait essayer de cristalliser par l'expérience de Sogefor? Est-ce que le livre blanc nous parle d'un certain crédit forestier? Est-ce que le livre blanc nous dit quelle sera son attitude, et de façon articulée, à l'endroit des investisseurs et des investissements nouveaux? Est-ce que le livre blanc donne des garanties au moins morales que les producteurs pourront compter sur une coordination et une collaboration non seulement verbeuses, mais réalistes du gouvernement? Il est bien difficile, à travers ces documents, de découvrir exactement le fond de la pensée du ministre.

Je ne voudrais pas, évidemment, porter de jugement définitif et c'est pourquoi je pose tout cela sous forme interrogative. Avant d'entendre les parties intéressées, il est bien difficile de porter un jugement définitif.

D'autre part, à première vue, je crains fort que le livre blanc ne soit interprété, par les investisseurs éventuels, comme une menace plus ou moins camouflée d'une étatisation plus poussée, plus accélérée, comme la menace d'une intervention encore plus directe et profonde de l'Etat.

A ce moment, si le gouvernement pousse à fond cet objectif à atteindre, ne serait-ce pas une façon d'intéresser les investisseurs à moderniser davantage, à assurer une plus grande productivité? Qu'on le veuille ou non, peu importe le système économique, le système constitutionnel et tout ce que vous voudrez, des investissements de l'ordre de plusieurs centaines de millions de dollars sont absolument essentiels pour rééquilibrer, moderniser et relancer nos industries. Partant de là, qu'on cesse de rêver en couleur. Il faudra — comme je l'ai dit à maintes reprises — tenter, d'abord, d'intéresser les Québécois et les Canadiens eux-mêmes dans leur propre développement économique. Il faudra canaliser des investissements étrangers à la condition qu'on puisse, autant que possible, conditionner et s'assurer que le Québec puisse véritablement avoir un droit non seulement de surveillance et encore moins de complaisance mais que le gouvernement puisse protéger les intérêts de la collectivité.

Sans doute un effort de planification est-il devenu nécessaire, surtout quand il s'agit de ressources, en grande partie du domaine public. Sans doute faut-il s'aviser des moyens à prendre pour que la population québécoise tire un plus grand bénéfice de richesses qui lui appartiennent en propre, non seulement à la génération actuelle mais, avec autant plus d'importance, à la génération et aux générations futures.

Encore faut-il se garder de faire de l'intervention de l'Etat une panacée, un dogme, un absolu. Une administration envahissante, paralysante, autocratique en serait le résultat le plus net. Déjà l'administration gouvernementale s'avère un engrenage de plus en plus compliqué, de l'aveu des ministres, des fonctionnaires, enfin de presque tous les Québécois. On se rend compte que cette administration est devenue extrêmement complexe et souvent de plus en plus mal huilée, lourde et que ces centres de décision ou d'autorité sont tellement multipliés que l'on vit dans une demi-paralysie.

On sait par expérience et on devrait savoir que le pyramidage des structures et les contrôles multipliés, à tous les échelons de la hiérar-

chie, sont loin d'être des garanties absolues et même relatives de rentabilité. Une superstructure, formée d'organismes gouvernementaux et paragouvernementaux dans le domaine forestier, n'aurait-elle pas pour effet de retarder, de façon indue et assez alarmante, les décisions, de différer les réformes nécessaires et de démanteler les responsabilités? Ce sont des questions que l'on doit se poser d'une façon très sérieuse. Il ne faudrait tout de même pas que le ministère des Terres et Forêts soit, à toutes fins pratiques, amputé et paralysé au profit d'immenses unités administratives où personne ne se retrouverait, où les voies de communication seraient inexistantes et où les décisions appartiendraient toujours, rituellement et mythologiquement, aux autres. Le remède est plutôt dans une certaine concertation que l'on doit apporter. Qu'il faille rendre notre industrie forestière concurrentielle, tout le monde le reconnaît. Mais comment peut-on y arriver? Il s'offre différentes formules. Mais comment peut-on y arriver de la façon la plus rationnelle, la plus réaliste? Croit-on abaisser les coûts de production — le croit-on honnêtement — par la création de nouveaux organismes d'Etat?

Est-ce qu'on le croit véritablement? A l'étatisme stérile, je préférerais, pour ma part, une formule beaucoup plus souple, mais beaucoup plus réaliste, celle d'une véritable économie de concertation où l'Etat et les organisations professionnelles, les organisations syndicales et l'entreprise agiraient enfin comme de véritables partenaires, définissant ensemble les nouveaux objectifs et bâtissant d'un commun effort de nouveaux instruments de progrès économique, qu'il y ait véritablement entre ces différents agents de l'économie forestière, un sentiment de — si on me permet l'expression, je ne sais pas si le ministre va me permettre ce mot anglais — véritable "partnership", comme dirait le ministre, que ces différentes forces deviennent positives et tirent dans le même sens, à la condition qu'il y ait véritablement concertation et qu'à cette concertation s'ajoutent des mesures incita-trices pour encourager les investisseurs à multiplier chez nous les entreprises de transformation et nous aurons alors un climat vraiment plus proprice à la relance du secteur forestier.

Encore une fois, je ne voudrais pas, ce matin, porter de jugements définitifs et c'est avec un esprit très ouvert que mes collègues et moi écouterons toutes les suggestions qui pourront être faites devant cette commission. Je veux bien que le gouvernement se donne une période de réflexion et je pense qu'il a 100,000 fois raison de vouloir se donner une période de réflexion, mais avant de plonger à fond de train le gouvernement devrait prendre la température véritable de l'eau. Cependant cette période de réflexion ne doit pas se prolonger trop longtemps et créer à notre industrie forestière de nouvelles, d'inextricables et peut-être de fatales difficultés.

Les deux pires choses qui peuvent se présenter, ce serait que le gouvernement continue à hésiter, que le gouvernement continue à louvoyer, que le gouvernement donne non seulement l'impression mais la certitude qu'il ne sait pas exactement où il va, ou qui parlotte constamment pour se donner bonne conscience et donner l'impression de faire quelque chose.

En second lieu, un débat public qui, d'autre part, lâcherait contre les compagnies existantes et contre les investisseurs éventuels, la meute de ce que j'appellerais les socialistes en redingote ou ces révolutionnaires de salon qui tout simplement, pour essayer de vendre d'autres marchandises pourraient profiter de ces difficultés, pourraient profiter de l'état de fléchissement que nous connaissons, pour essayer d'une façon plus ou moins rationnelle et sincère, de faire un faux débat, d'intellectualiser la question au dernier degré et tout simplement, pour tenter de soulever les passions des Québécois, ou encore pour brandir le spectre que le Québec devient de plus en plus sclérosé, de plus en plus dans l'esclavage, de plus en plus colonisé.

Or, je pense, M. le Président, que la situation étant de la gravité reconnue par les professionnels de l'industrie, par les députés de toute formation politique, quant au livre blanc — discours blanc du ministre — j'espère que la commission parlementaire, que les interventions et les mémoires des différents groupements nous permettront d'avoir une meilleure perception du problème, d'envisager peut-être de nouvelles approches, mais également, vont permettre aux gouvernants, aux députés, à toute la population de connaître les dimensions du problème.

En même temps, nous espérons que le ministre des Terres et Forêts sera plus vigilant, plus diligent dans la présentation de ses réformes qu'il ne l'a été dans la présentation surtout du deuxième volume. Nous espérons aussi que nous aurons, à brève échéance, des conclusions pratiques, de nature à relancer cette économie forestière, pour faire en sorte que cette richesse renouvelable continue à être une des pierres d'assise de l'économie québécoise, tenant compte des facteurs que j'ai énumérés tout à l'heure. Je vous remercie, M. le Président, d'avoir été aussi obligeant à mon endroit et je remercie mes collègues de m'avoir écouté d'une façon aussi intéressée. Je regarde du côté ministériel, on se rend compte que certaines remarques que j'ai faites ont porté et attirent même l'assentiment des députés ministériels. Je souhaite, M. le Président, ne pas ressuciter des querelles à l'intérieur du gouvernement, des membres du gouvernement et des députés, mais je souhaite ardemment que l'on puisse aboutir aux solutions les plus réalistes possibles dans le plus court délai possible.

M. LE PRESIDENT: Le député de Lotbinière.

M. BELAND: M. le Président, ce matin, nous entreprenons l'étude du livre blanc des terres et

forêts. Je me permettrai, au tout début, d'oser féliciter le ministre pour son aventure de ce matin, non pas pour ce qu'il nous a présenté dans les deux premiers livres blancs, mais pour ce qu'il nous a présenté d'une façon beaucoup plus accentuée dans son discours de ce matin. Je ne sais s'il a été inspiré par ses voyages ou ses promenades dans les forêts de Westmount, de toute façon, c'est une nette amélioration sur ce que nous avons vu jusqu'à maintenant dans les deux livres blancs. Il est bien entendu que la distribution actuelle des forêts du Québec, nous pourrions en parler d'une façon très longue, mais je pense qu'à ce moment-ci, il s'agit de se limiter à quelques observations. D'abord, en ce qui concerne le zonage — je crois que c'est le mot que je devrais employer ici — de territoires d'une façon complète, des forêts privées du Québec et compte tenu des forêts publiques, il a été plus ou moins fait ou on en a tenu compte d'une façon plus ou moins grande dans le passé. Je crois qu'à l'avenir, il faudra en tenir compte davantage.

En ce qui concerne l'utilisation de nos forêts, à ce jour, je crois que je n'ai pas besoin de faire de dessin pour illustrer de quelle façon les forêts du Québec, surtout les forêts publiques, ont été utilisées, parfois à outrance, à certains endroits. A d'autres endroits, on a tout simplement laissé pourrir la forêt, alors qu'il y aurait eu possibilité de faire des récoltes rentables, non pas par des industries que l'on appelle "les industries papetières", mais peut-être par d'autres petites industries qui ont ou qui ont eu, à ce jour, une certaine difficulté à s'approvisionner de matière ligneuse près de leurs usines.

Il est entendu qu'en vue d'une meilleure utilisation, il faut tout repenser. Disons que certaines idées assez précises ont été émises dans les deux livres blancs et également dans le livre préparé par le Dr Lussier pour le compte de la Fédération des offices et syndicats des producteurs de bois. Il y a de ces enumérations qui sont très bonnes, valables, qui méritent d'être regardées de près, qui méritent que l'on s'y attarde d'une façon très nette, afin de pouvoir aller plus avant dans ce domaine.

En ce qui concerne ce niveau de reconstitution des forêts du Québec où il y a possibilité, d'une façon plus nette, à l'intérieur du 52e parallèle, jusqu'à maintenant, ç'a été plus ou moins laissé de côté. D'ailleurs — le ministre l'a dit tantôt — on était censé avoir du bois en masse, pour employer son expression; c'était dit partout; c'était vrai qu'il y en avait beaucoup. Cela a fait en sorte qu'il y a eu de grands territoires dénudés de la forêt. Cela a causé des problèmes d'eau, des problèmes d'une non-possibilité d'établissement pour plusieurs fermiers. Cela a été néfaste pour une certaine quantité de raisons.

Mais il ne faut pas seulement s'apitoyer sur le passé parce qu'on n'avancerait pas. Ce qu'il faut, c'est regarder l'avenir bien en face. C'est pour ça que, dès le début, j'ai félicité le ministre d'avoir osé et là, probablement qu'il aura des difficultés lui-même avec certains membres de sa députation. Je l'encourage à continuer parce qu'il semble être dans la bonne voie.

Au niveau de l'exploitation, les entreprises privées, jusqu'à maintenant, n'ont pas fait fausse route, sauf de très rares exceptions et, lorsqu'elles étaient le moindrement placées sur un pied d'égalité avec les autres entreprises, ces entreprises privées pouvaient aller de l'avant. C'est là qu'on pouvait obtenir le plus de motivation et le plus d'esprit de conservation, de reconstitution de la forêt naturelle et, en somme, une forêt forcée ou accentuée.

En ce qui concerne ce vaste domaine public que constituaient les terrains de la couronne, il faut tenir compte du travail bénéfique qu'ont fait les compagnies papetières dans une foule de sphères données. Il faut tenir compte qu'elles ont donné et qu'elles donnent encore du travail à une grande quantité d'hommes ou d'employés dans la province de Québec. Lorsqu'on songe qu'il y a environ 45,000 hommes qui travaillent dans le domaine du bois, on ne peut laisser ce phénomène de côté. Et de ce nombre, environ 17,000 travaillent d'une façon plus accentuée dans la forêt même.

Il faut regarder de très près, compte tenu de la situation alarmante, dans certains cas, que nous avons constatée l'an passé, il y a deux ans, parmi ces compagnies. Nous devons regarder de très près, non pas avec des lunettes noires où il n'y a pas possibilité de voir, mais compte tenu de l'ensemble des besoins humains, sociaux de la population, dans son entier. Le devoir d'un gouvernement responsable est justement à cet endroit précis.

Or, M. le Président, pour ce qui est maintenant du domaine privé des entreprises papetières ou d'exploitation, d'utilisation, de transformation, je disais tantôt que c'étaient celles qui étaient les mieux placées. Les mieux placées parce que c'était là que l'on voyait le plus de motivation et, heureusement, ça existe encore aujourd'hui, la motivation dans nos entreprises privées. C'est probablement une des causes qui ont motivé le ministre à regarder de très près les entreprises privées, si petites soient-elles dans certains cas.

Rexfor a apporté aussi, dans le passé, ou a joué un rôle relativement important dans certains cas. Ce rôle aurait-il été plus rentable pour les Québécois, s'il avait été plus accentué? Je n'ai pas tous les chiffres ici pour les analyser et je ne les ai effectivement pas analysés, de façon nette.

Sur ce que j'ai analysé, Rexfor justement a joué un rôle important dans certains cas. Par contre, dans d'autres cas, je ne sais si ce fut à cause de placements bien spécifiques, politiques, mais justement il y a eu des anomalies qui ont existé dans certains cas, je pense, entre autres, à la faute ignominieuse, à la déficience qui a existé relativement à l'entreprise Sogefor.

Il est bien clair qu'il ne faut pas penser

seulement d'une façon pessimiste en ce qui concerne Rexfor mais seulement il y a eu quand même cet aspect humanitaire l'an passé relativement à l'opération 2000. Une partie de son geste a été, dans certains cas, humanitaire, a été éducative, a été, pour ce qui est des personnes qui ont pu se faire recycler dans bien des domaines, très humaine, et ce rôle qu'elle a joué à ce moment-là a été bénéfique.

Il ne faut pas laisser sous silence non plus le rôle qu'ont joué dans le passé, au niveau de notre forêt québécoise, les chantiers coopératifs forestiers. Je pense qu'ils ont apporté ou ils ont bouché le trou béant qui existait pour resituer d'une façon meilleure les travailleurs forestiers dans certains cas où certains — je ne dirai pas tous, loin de là — employeurs abusaient du physique de nos travailleurs forestiers.

Sur ce plan précis, le rôle des chantiers coopératifs a été très bénéfique et ils pourraient encore aujourd'hui jouer leur rôle dans bien des cas. Il y a également un autre rôle que pourrait jouer dans l'avenir, s'il était créé, un organisme réel de crédit forestier pour les entreprises forestières à différents paliers. Ce rôle que pourrait jouer un organisme forestier quelconque, je ne suggérerai pas ce matin quelque chose de précis dans ce domaine, mais cela devrait être regardé de très près car le regard bien précis en vaut beaucoup plus que la chandelle.

Il y a eu dans le passé très peu de développement dans les activités paraforestières, que j'appellerai ainsi justement au sens large. Je veux dire par là les activités fauniques, les activités récréatives qui s'appliquent en 1972 et même depuis plusieurs mois et c'est appelé à s'accentuer. Le rôle des activités récréatives durant quatre saisons qui doit être intégré dans une politique globale forestière peut être à ce moment-là attaché ou intégré comme faisant partie du rôle ou d'une partie du rôle du ministère du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche.

De plus en plus, la population regarde pour se recréer du côté des forêts publiques, y compris certaines rivières de la province, qui ont été fermées dans le passé au plubic et où on ne permettait pas d'aller à cause de droits exclusifs de personnes d'outre-frontières. La population n'avait pas droit d'aller pêcher dans les eaux du Québec, aussi invraisemblable que cela puisse paraître. A ce moment-ci, je pense qu'il fait bon regarder de près cette possibilité que le ministre nous tend ce matin pour que la population puisse réellement profiter, globalement parlant, du patrimoine forestier qui, en quelque sorte, lui appartient.

La population québécoise, en dépit du fait qu'elle a été dépossédée de toutes les façons, par des impôts, taxes, des empêchements de toutes sortes, par des personnes qui avaient des priorités, cette population en 1972 — nous l'avons vu en fin de semaine à Cabano — est prête, démesurément, je devrais dire, à se saigner encore une fois pour participer à l'élabo- ration d'une ou de quelques usines de transformation des produits de la forêt.

Il est bien clair que le ministre des Terres et Forêts subit des pressions très fortes. Je les vois d'ici, même s'il y a des voiles qui nous séparent, je les vois, mais le ministre, dans la démarche qu'il a entreprise ce matin, devra y regarder de très près pour que la population qui veut s'aider puisse profiter de deniers qui lui appartiennent puisqu'elle a été, dans certains cas, dépossédée sur plusieurs plans, non seulement au plan financier, mais également au plan social et moral et cela a été néfaste dans certains cas.

Il vaut également la peine de regarder de près le rôle qu'on joué divers clubs, diverses associations. Je pense aux clubs 4-H et à d'autres clubs analogues. Je pense aux associations forestières québécoises, à d'autres associations qui ont essayé de s'implanter un jour, qui ont vécu un petit bout de temps, qui ont aidé la population d'une façon éducative mais qui, faute de fonds et d'encouragement, sont mortes. Elles auraient pourtant pu faire beaucoup pour la population. Aujourd'hui, on pourrait faire participer ces associations d'une façon plus accentuée au développement éducatif de la revalorisation de nos forêts.

C'est peut-être à cause de cette lacune bien précise que la tentative de Sogefor n'a pas été concluante pour l'ensemble de la collectivité québécoise.

Il s'agit aussi de regarder ce qui a pu être fait du point de vue de l'accessibilité de la forêt par le gouvernement. Il y a eu différentes formes d'aide dans le passé et, dans certains cas, elles ont contribué à sortir cette matière ligneuse en vue d'une utilisation ou d'une transformation.

Mais ceci s'est fait dans certains cas précis seulement. Certaines organisations, certaines entreprises privées, qui étaient globalement moins fortes, moins grandes, elles qui ne demandaient qu'à bénéficier au même titre que les autres, eh bien, n'ont pu bénéficier dans le passé de possibilités d'aide gouvernementale pour une plus grande accessibilité aux forêts limitrophes.

Il est entendu qu'en même temps que ces routes ont été construites, il est bien clair que ç'a été organisé, ç'a été construit pour aider aussi à la protection. En aidant à la protection, c'était bénéfique pour l'ensemble des Québécois pour conserver cette richesse naturelle dont on ne connaît pas encore l'évaluation exacte tellement elle est immense. Par contre, toujours à l'intérieur de cette surveillance, de cette protection de la forêt, à un moment donné la science a voulu — et ç'a été bénéfique — que l'on fasse, que l'on produise, je dirai tout simplement ces mots-là, des pluies artificielles afin de pouvoir protéger notre forêt. Mais seulement l'on n'a pas à ce moment-là protégé que notre forêt, mais étant donné que ce n'était pas dirigé, que c'était laissé à la va comme je te pousse, que c'était laissé au bon loisir de quelques individus qui souvent s'amusaient avec ces phénomènes,

eh bien, on a laissé détruire des champs agricoles. C'était néfaste pour l'agriculture et ça existe encore, même si le ministre, il y a un certain temps, pas très longtemps, m'a dit que ça n'existait plus dans la province de Québec. C'est faux, ça existe encore. Ces états de choses existent encore. On peut créer de la pluie artificielle qui, n'étant pas contrôlée d'une façon bien précise, continue à être néfaste pour les agriculteurs et entame d'une façon démesurée dans certains cas le budget qui va à l'assurance-récolte.

Pour ce qui est du phénomène de l'amélioration de la valeur de nos boisés, il est bien clair que pour améliorer la valeur de nos boisés, on pense immédiatement aux travaux sylvicoles. Il y a eu des recherches, des travaux de faits, peut-être principalement dans le Bas-Saint-Laurent, des travaux qui ont été concluants et qui méritent qu'on les regarde de très près. Possédant moi-même une ferme forestière et pratiquant sur ma ferme forestière depuis plusieurs années ce métier de sylviculture, eh bien, je suis à même de dire que ce métier ou cette possibilité d'amélioration de notre potentiel forestier est véritablement valable. On peut non pas seulement doubler, mais quasiment tripler dans bien des cas la possibilité de pousse annuelle de nos forêts ou de certaines de nos essences forestières.

A ce moment-là, dans la partie de la province où il y a une possibilité naturelle, compte tenu du climat, d'augmenter d'une façon très sensible la pousse annuelle de notre forêt, je pense qu'il vaut alors la peine de regarder de très près cette possibilité. Cela aidera certainement le premier ministre même à créer ses 100,000 emplois qu'il n'a jamais pu réaliser. Cela permettra au ministre des Terres et Forêts de pouvoir voir de près, de pouvoir toucher du doigt, les possibilités qu'il y a dans ce domaine d'améliorer très sensiblement la valeur de notre personnel forestier et, par ricochet, de la matière qu'on sort de ce potentiel forestier.

Maintenant, j'ai remarqué que le ministre avait touché ce matin, d'une façon très brève, le phénomène de la recherche. Jusqu'à maintenant, il y a eu des travaux faits dans ce sens au niveau provincial, mais je pense qu'il n'y a peut-être pas eu suffisamment de collaboration, de montants alloués à ce domaine précis. Parce qu'il y a tellement de possibilités dans ce domaine que, même s'il y a eu, il y a quelque temps de ça, une couple de mois, une énumération dans un journal de Québec à l'effet que dans vingt ans il n'y aura plus possibilité pour le Québec de pourvoir la population de matières ligneuses suffisantes, c'est de la foutaise, c'est absurde. Parce que si la personne qui a dit cela s'était basée sur la recherche telle qu'elle existe, telle qu'elle est possible au Québec, non seulement le Québec serait en mesure de fournir aux Québécois ce dont il a besoin pour suffire en papier-journal et le reste — toutes les possibilités secondaires que l'on peut sortir de la forêt — mais on pourrait continuer à exporter d'une façon très grande et très longtemps.

Il y a aussi ce phénomène de l'avancement qui fait que le développement hydro-électrique du Québec prend un espace de forêt de plus en plus grand dans certains coins précis de la province où il y a possibilité d'aménagement hydro-électrique. Et de cet aménagement, il faut lancer des lignes électriques pour approvisionner les villes où le besoin se fait sentir.

M. le Président, ce manque d'orientation qu'il y a eu dans le passé est flagrant. Il a été néfaste pour les Québécois dans plusieurs domaines. Cela va sans dire, cette parution du livre blanc et ce complément ce matin apportent une lueur d'espoir aux Québécois; je me plais à le dire. Lorsqu'il est temps de féliciter un ministre pour un geste donné, je pense que, dans le passé, nous nous sommes exécutés de cette façon; ce n'est pas pour l'encenser outre mesure, absolument pas, car je diffère d'opinion sur une foule de choses avec lui. Mais quand il pose des gestes positifs, cela me fait plaisir de le lui dire.

A l'avenir, il faudra qu'il y ait des politiques forestières pensées davantage sur le plan canadien. Il faudra des politiques forestières pensées en matière de possibilité québécoise de développement québécois. Au Québec, nous n'en avons aucune présentement.

La politique qui a existé dans le passé — c'est malheureux de le dire, on ne devrait même pas être obligé de le dire — cela a été, dans plusieurs cas, des politiques de récompense, selon la grosseur du porte-monnaie qui versait à la caisse électorale. Cette façon de procéder est révolue. Il faut penser tout autrement. Non pas en fonction de besoins immédiats ou de besoins dans un an, six mois ou deux mois, rendement politique, mais il faut penser pour l'ensemble des Québécois ou pour les générations futures.

M. le Président, notre patrimoine forestier, à qui appartient-il? Au sortir de cet exposé, notre patrimoine forestier appartient aux Québécois. Nous ne devons penser qu'en fonction des besoins des Québécois, ensuite des possibilités d'exportation, de transformation que l'on peut faire avec nos produits du Québec. Les politiques de marchandage, qui ont existé dans le passé, politiques au profit de quelques individus ont été néfastes pour les Québécois. Eh bien! dans l'avenir, il faut laisser cela de côté et penser en fonction de l'ensemble de la collectivité.

Tout le principe d'allocation de limites forestières, il va sans dire, est mis en cause. Le ministre les met en cause et je le félicite. Il les met en cause mais il ne faut pas que ce soit n'importe comment. Il faut que ce soit bien pensé, bien réfléchi. Et je crois que nous nous permettrons, en temps et lieu, de suggérer des choses assez précises au ministère des Terres et Forêts de façon que notre opinion soit bien nette à ce sujet. Il ne faut pas oublier non plus— et je le disais au début, j'en faisais une

petite énumération — si on regarde les statistiques, au point de vue des possibilités dans le passé, d'approvisionnement en papier-journal, lorsque l'on songe aux dix millions de tonnes de papier-journal consommées en Amérique du Nord, que, dans cette quantité très grande, on voit que le Québec a fourni 2,900,000 tonnes environ, cela laisse à réfléchir et très fortement.

Il faut penser aussi, si on continue troujours à bâtons rompus, à la coupe de 12 millions de cordes de bois de papier au Québec, approximativement, en 1970. Il faut penser aussi aux 1,800,000 cordes environ, tout près de 2 millions de cordes, qui ont été coupées par les petits producteurs de bois, 33,500 à 34,000 producteurs de bois, le boisés privés. Lorsque l'on pense à cela, on ne peut que chercher, d'une façon précise à encourager les intérêts privés dans ce domaine, à stimuler les possibilités de développement privé dans ce domaine.

M. le Président, lorsque l'on regarde globalement, avec quelques petits chiffres à l'appui, l'industrie québécoise des pâtes et papier en 1970 et sa production de 6,800,000 tonnes de papier, de carton, il faut penser à tout cela, essayer d'agir en conséquence, de façon précise et aller plus loin que le ministre n'a osé aller ce matin. C'est entendu que le ministre ne pouvait peut-être pas aller plus loin ce matin, il n'a fait qu'aborder le sujet mais c'est déjà un départ. Lorsqu'on part pour quelque part, c'est déjà une nette avance sur le fait de dire : Nous allons partir sans effectivement partir jamais. Le ministre est parti, le ministre a osé faire quelques pas en avant. Ira-t-il plus loin? Je l'espère pour la collectivité québécoise. De plus en plus, il y a possibilité avec le bois, de diverses façons, par toutes sortes de transformations, de créer une infinité de produits nouveaux. Le Québec le pourrait, grâce à l'immensité de son territoire, grâce à l'immensité de son potentiel forestier. Mais, est-ce que le ministre osera aller plus loin? J'espère qu'il osera. J'espère qu'il ne placera pas, qu'il ne continuera pas de placer ou ne laissera pas dans certains cas, dans la mendicité les industries de sciage, les industries de déroulage, d'autres industries analogues ou complémentaires. J'espère qu'il ne les laissera pas dans la mendicité à côté des compagnies papetières qui jouissent de droits bien spécifiques acquis il y a quantité d'années.

C'est à cause de ces droits que ces petites industries, il y a cinq ou dix ans, ont prôné ou suggéré au ministère des Terres et Forêts de se fusionner. Qu'est-ce que la fusion a amené dans certains cas, sinon une faillite plus grande, à cause de l'impossibilité d'accès à nos forêts? Cela laisse à réfléchir également.

M. le Président, est-ce qu'on ajourne à 12h 30?

M. LE PRESIDENT: Oui.

M. LOUBIER: On va aller y réfléchir à la salle à manger.

M. LE PRESIDENT: Est-ce que vous en avez encore pour longtemps?

M. BELAND: J'en aurais encore pour cinq minutes environ.

M. LE PRESIDENT: Cinq minutes. Est-ce que les membres seraient d'accord pour qu'on termine le rapport du député?

M. LOUBIER: Est-ce que cela finira avec la Banque du Canada?

M. BELAND: M. le Président, je n'ai pas de permission ou de commentaire à recevoir du chef de l'Unité-Québec, car je sais où je vais.

M. LOUBIER: Vous êtes parti.

M. BELAND: Le gouvernement doit intervenir lorsque l'intérêt général d'une partie de la population est placé sur un pied nettement inférieur à l'ensemble de la collectivité ou l'ensemble des situations qui existent dans un domaine précis. Cela vaut pour la forêt. Je l'ai brièvement dit autrement tantôt, mais je me permets de l'accentuer ici.

Il y a un autre rôle où le ministre ose s'embarquer, dans lequel le ministre ose faire un pas en avant, c'est la suggestion qu'il y ait des associations régionales de sylviculteurs. Il va sans dire que les offices et syndicats de producteurs de bois ont apporté un correctif nécessaire, un correctif qui s'est avéré bénéfique dans plusieurs cas.

En ce qui concerne les associations régionales de sylviculteurs, il faudra quand même commencer par faire des sylviculteurs, parce qu'il n'en existe encore que très peu dans la province et ils sont très peu reconnus. On ne les a regardés que très peu jusqu'à maintenant, on ne leur a donné que très peu la possibilité de s'extérioriser ou la possibilité de se développer par des crédits suffisants.

Or, à ce moment-là, lorsqu'on a parlé de la possibilité de crédits forestiers ou d'un organisme quelconque dans ce domaine, je pensais à ce domaine précis des sylviculteurs, parce que c'est un métier qui connaîtra une quantité de plus en plus grande d'adeptes dans l'avenir.

Cela va de soi car c'est de cette façon, dans bien des cas, qu'il y aura possibilité d'améliorer notre potentiel forestier et fournir, à ce moment-là, à toutes nos industries, peu importe quel genre d'industrie, il y aura possibilité de la part des sylviculteurs de fournir en qualité et en quantité plusieurs produits et plusieurs matériels ligneux.

Un peu plus, ce matin, et je dirais que le ministre avait envie de dénoncer le gouvernement sur ses activités passées. Je pense qu'il a fait ce pas en avant. Le ministre a osé, comme je l'ai dit tantôt et on est d'accord, préconiser que l'Etat contrôle d'une façon entière les activités forestières mais les contrôles non pas à la suite de pressions de quelques individus mais

dans le but d'un plus grand respect de l'ensemble des citoyens.

Lorsqu'il parle de gestion des forêts publiques, des terres publiques, de gestion des forêts privées, là j'irais avec beaucoup plus d'attention. Par contre, lorsqu'il parle de contrôle des forêts publiques par l'Etat, disons que cela dépend où il va, cela dépend dans quelle direction il va. A ce moment-là, en ce qui nous concerne, nous du Ralliement créditiste, nous regarderons de près cette possibilité qu'il a émise ce matin.

Pour ce qui est de l'achat à coût peut-être abusif de la part du gouvernement des territoires qui ont été concédés dans le passé aux compagnies papetières ou à diverses compagnies, à ce moment-là je suis nettement contre le fait qu'il y ait achat à coût abusif. C'est bien net. Disons qu'il est entendu qu'à cause des possibilités spéciales, des réductions spéciales de divers coûts, que ce soient taxes, impôts, ou possibilité de subventions bien spécifiques pour accès à ces territoires de la couronne ou pour diverses autres raisons, cela doit être regardé de très près.

Je suis nettement contre le fait que les Québécois, après s'être privés de ces territoires sur plusieurs paliers aussi bien au point de vue faunique qu'à divers autres points de vue dans le passé, à cause de ces raisons bien spécifiques, je suis absolument contre le fait qu'il y ait rétribution d'une façon abusive de remboursement, à cause de cette reprise par le gouvernement de ces territoires concédés dans le passé.

M. le Président, nos petits producteurs forestiers, nos chômeurs, nos travailleurs forestiers désirent que la situation change et il est temps. Ils désirent faire bénéficier leur famille de l'argent dont ils n'ont pu bénéficier dans le passé à cause de trop grandes restrictions, parce qu'ils n'avaient pas leur place dans la société, ils n'avaient pas accès d'une façon égale aux autres secteurs, aux autres professions. Eh bien, ces petits producteurs, ces chômeurs, ces travailleurs forestiers, il leur faut leur place présentement. Et le ministre doit regarder, de façon très nette, au développement des entreprises forestières, des entreprises privées, ou autres entreprises, pour que les droits de ces personnes soient sauvegardés beaucoup plus dans l'avenir qu'ils ne l'ont été dans le passé.

Je termine là-dessus étant donné l'heure. Je me permettrai de revenir lorsque le moment sera opportun, lorsque nous irons plus avant, lors de l'étude du livre blanc de la forêt.

M. LE PRESIDENT: La séance suspend ses travaux jusqu'à 4 heures. Le député de Saguenay aura la parole à ce moment. La séance est ajournée.

(Suspension de la séance à 12 h 37)

Reprise de la séance à 16 h 3

M. PILOTE (président de la commission permanente des richesses naturelles et des terres et forêts): A l'ordre, messieurs!

La parole est au député de Saguenay.

M. LESSARD: M. le Président, ce matin le ministre nous a exposé un discours qui m'apparaît assez intéressant et qui vient préciser certains points d'interrogation du tome II du livre blanc. Malheureusement, je ne peux dire la même chose pour les exposés du chef de l'Unité-Québec et du Ralliement créditiste. J'aimerais bien que le chef de l'Unité-Québec soit ici, et ce n'est certes pas parce qu'il est absent que je dis ces paroles, au contraire, même si le chef de l'Unité-Québec était ici, je ferais exactement le même exposé.

M. le Président, nous avons pu constater ce matin que, pour l'Unité-Québec, la politique forestière est aussi ambiguë que sa politique constitutionnelle. Ce parti ne sait plus où aller. Aucune politique sérieuse. Partout, dans tous les domaines, c'est le patinage de fantaisie. Nous avons eu cette démonstration ce matin.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre, messieurs! Je voudrais demander au député de Saguenay de s'en tenir à la critique du livre blanc et de ne pas faire une guerre de partis. Aussi souvent qu'il s'attaquera à un parti, je le rappelerai à l'ordre.

M. VINCENT: Sur le même point d'ordre, M. le Président, que le député de Saguenay fasse exactement la même chose que toutes les autres formations politiques ont voulu faire ce matin, sans faire de petite politique partisane comme les Péquistes ont l'habitude d'en faire depuis quelques mois. Personne n'a mentionné le PQ ce matin et Dieu sait qu'on aurait eu raison de le faire.

M. LESSARD: Je crois, M. le Président, qu'en faisant ces remarques je traite exactement de ce dont nous avons à traiter aujourd'hui, c'est-à-dire du livre blanc. Il y a eu certaines remarques qui ont été faites ce matin concernant le livre blanc et j'ai l'intention de reprendre très brièvement certaines de ces remarques.

M. VINCENT: M. le Président, je demande une directive. A ce moment-là, cela signifierait que nous pourrions revenir et faire des remarques sur les commentaires que va tenir le député de Saguenay. Je ne pense pas que ce soit l'intention des membres de la commission de faire un tour de table et d'en refaire un autre par la suite. Ce matin, la décision qui a été prise même avant que le député de Saguenay n'arrive — il était en retard comme d'habitude — a été que chaque formation politique...

M. LESSARD: Cela vous fatigue de vous faire dire vos vérités.

M. VINCENT: ... faisait un exposé. Par la suite, nous entendions les représentants, les corps intermédiaires, les représentants des professionnels ou des compagnies qui sont ici devant nous. Je ne pense pas que ce soit le moment de faire de la petite politique comme veut en faire le député de Saguenay. Autrement, nous allons avoir l'obligation de revenir chacun à tour de rôle et réfuter des arguments parce qu'on aura répondu à d'autres arguments qu'une formation politique aurait conclu faire ce matin.

M. LESSARD: M. le Président, j'ai l'intention et ce n'est pas parce que cela fatigue l'Unité-Québec...

M. VINCENT: Sur une question de règlement.

M. LESSARD: M. le Président, j'ai la parole. M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. LESSARD: Il a soulevé sa question de règlement tout à l'heure.

M. LE PRESIDENT: Il y a une autre question de règlement et la parole est au député de Nicolet.

M. VINCENT: Ce n'est pas une question de fatiguer qui que ce soit. C'est une question de bonne marche de nos travaux. Si le député de Saguenay a l'intention de réfuter ce qui a été dit par un tel ce matin, réfuter ce qui a été dit par le représentant du Ralliement créditiste, réfuter toutes les affirmations qui ont été faites, nous nous verrons alors dans l'obligation de revenir et de réfuter également ce que le député de Saguenay va dire cet après-midi. Nous allons faire alors de la petite politique pendant que des messieurs attendent d'être entendus devant la commission parlementaire. Qu'il s'en tienne également dans la même sphère où nous nous en sommes tenus ce matin sans attaque partisane.

M. LESSARD: De toute façon, M. le Président...

M. LE PRESIDENT: A l'ordre! J'inviterais le député de Saguenay à s'en tenir aux discussions sur le livre blanc et de ne pas faire de politique avec la commission. Ce matin, je ne pense pas qu'il y ait de parti qui ait fait de la politique, du moins on n'a nommé aucun parti ce matin. Si vous pensez qu'il y a eu des insinuations...

M. LESSARD: M. le Président, j'ai l'intention d'apporter certaines critiques au livre blanc du ministère des Terres et Forêts et il m'apparaît que c'est à juste titre que je peux apporter certaines critiques concernant les vues générales qui ont été exposées ce matin, en particulier; le principe même du livre blanc a été mis en cause ce matin sous prétexte que ce n'était probablement pas opportun d'élaborer ou de publier ce livre blanc parce qu'on apporte une certaine crainte chez les investisseurs.

M. le Président, je crois que c'est justement l'absence de politique actuelle dans le ministère des Terres et Forêts qui devient un danger pour les investisseurs. Il est absolument important qu'on puisse se brancher en ce qui concerne le domaine forestier et qu'on puisse se brancher, non pas en colportant des chimères qui sont le rêve de quelques partis politiques et qui sont devenus leur marque de commerce.

Le livre blanc, M. le Président, nous a permis, au moins à ce ministère, de faire l'élaboration d'une politique générale. Le ministère doit être l'agent moteur, l'agent pilote pour le développement des ressources forestières. En publiant le livre blanc, je crois que c'est exactement ce que le ministre actuel a pensé et, pour cela, je suis complètement d'accord avec lui. Je ne peux pas être d'accord avec ceux qui pensent que le livre blanc est l'oeuvre d'intellectualisme.

M. le Président, avant d'aborder les problèmes et les solutions, il faut conceptualiser, identifier ces problèmes. Par la suite, il faut élaborer une certaine politique globale. Le livre blanc, même s'il m'apparaît incomplet, me semble, du moins, être un effort considérable dans ce domaine. Ceux qui ne veulent pas, dans ce niveau comme dans d'autres, atteindre une certaine vue générale des problèmes, c'est parce qu'ils voudraient, encore une fois, nous administrer à la petite mitaine, à la petite semaine, comme on l'a vu dans le passé. Ou encore, ce sont ceux qui ne veulent peut-être pas de politique, parce qu'ils veulent tout simplement être à la remorque des autres, se contenter de suivre le courant et d'essayer de se tenir difficilement en surface. En tout cas, j'aime mieux une politique non encore complète ou une politique imprécise qu'une absence de politique.

Il faut, M. le Président, en ce qui concerne le domaine forestier, trouver autre chose que le moyen des subventions, pour sortir l'une des industries fondamentales du Québec de la situation déplorable dans laquelle elle est actuellement. De plus, M. le Président, les séances de cette commission parlementaire vont nous permettre de pouvoir, au moins, sentir le pouls de la population en ce qui concerne le développement forestier. Non seulement le pouls de ceux qui utilisent la forêt mais de ceux, par exemple, qui vivent, aussi, indirectement de la forêt, par le travail que cette industrie donne. M. le Président, il importe et il est nécessaire, pour une fois, que cette population soit sonsultée. Pour ma part, j'espère que les séances de cette commission nous permettront, non seulement d'entendre les représentants des compagnies forestières mais également les représentants de

la population, des coopératives, des différents milieux forestiers et ainsi, savoir véritablement ce qu'on pense et ce qu'on veut comme élaboration de la future politique forestière. Il est certain que ces solutions à long terme ne doivent pas nous faire oublier qu'il faut aussi apporter des solutions à court terme, parce qu'actuellement cette industrie vit dans une situation assez difficile.

M. le Président, c'est justement ce que j'ai l'intention de discuter. Je n'ai pas l'intention de discuter strictement de la maladie, parce que je pense que le tome I et d'autres études de la Confédération des syndicats nationaux ainsi que l'étude du Dr Lussier ont déjà traité des problèmes forestiers. Pour ma part, je veux particulièrement me limiter au tome II, qui apporte certaines solutions au problème forestier et qui demande cependant certaines précisions. C'est surtout dans ce sens que je veux maintenant faire les remarques suivantes.

Il est certain qu'une véritable réforme de la politique forestière s'impose depuis longtemps au Québec. Déjà, on le sait, en 1965, la commission Bélanger s'intéressait à ce problème. En 1965 aussi, l'Union nationale a publié le livre vert, malheureusement, à la suite de quelques séances de la commission parlementaire, ce livre vert, qui a apporté certaines solutions, dont les forêts domaniales, n'a cependant apporté aucune solution globale. C'est peut-être parce que nous sommes passablement en retard qu'il importe aujourd'hui, dans le plus bref délai possible, d'apporter des solutions radicales, mais des solutions globales, aux problèmes forestiers.

Les difficultés que connaît actuellement l'industrie forestière ne font qu'accentuer le caractère impérieux d'un tel changement en profondeur. Déjà, quelques milliers de travailleurs liés au développement de l'industrie de la forêt et de ses produits dérivés ont perdu leur emploi. Sans vouloir dramatiser la situation ou jouer au prophète de malheur, on ne peut écarter l'hypothèse que non seulement l'emploi risque d'être stagnant dans les industries de la foresterie, du bois, des papiers et autres produits connexes, mais que d'autres Québécois oeuvrant dans ce secteur connaissent à brève échéance un sort identique.

Voilà pourtant une chance unique pour le gouvernement actuel de concrétiser ses idéaux de relance économique. C'est en effet dans une industrie comme celle de l'exploitation et de la transformation des produits de la forêt que l'Etat, en tant que grand gestionnaire des richesses naturelles, possède ses moyens d'intervention les plus importants. C'est là également un domaine où l'Etat dispose d'un atout considérable, celui de pouvoir faire épauler ses efforts par un groupe de citoyens et d'entreprises qui, depuis plus d'un siècle, a fait preuve d'une compétence et d'un "know how" mondialement reconnus. Enfin, c'est un domaine où les richesses naturelles présentement sous- exploitées peuvent faire l'objet d'une exploitation économiquement rentable, si elle est bien dirigée.

Sur la base de tels éléments, il nous faut élaborer une politique forestière qui comporte plus que des amendements au régime actuel. La réforme devra être globale et nécessairement radicale. Elle devra viser deux objectifs essentiels; d'abord, celui de relancer l'industrie du bois et des produits de la forêt afin que celle-ci devienne véritablement concurrentielle sur son seul marché naturel, le marché mondial.

Ensuite, nous ne devons pas perdre de vue un objectif tout aussi vital, objectif dont, malheureusement, on fait peu mention dans le livre blanc du ministère, soit celui de redonner aux Québécois le contrôle de leurs richesses naturelles pour qu'enfin ils participent aux bénéfices découlant de leur exploitation.

Pour atteindre ce double objectif, nul doute qu'il faut aller plus loin et plus vite que ce que le gouvernement actuel nous propose comme réforme et programme d'action. Nul doute qu'il faut tempérer l'absolu crédo libéral en l'entreprise privée; nul doute qu'il faut impliquer tous ceux qui peuvent faire preuve d'imagination, aussi bien l'Etat que les sociétés, que les groupes de travailleurs capables d'une action collective efficace. Nul doute qu'il faut éviter le défaitisme traditionnel que l'on entend trop souvent: La conjoncture nord-américaine n'est pas favorable, il n'y a rien à faire. Ou encore: L'industriel étranger viendra bien nous sortir du trou.

Il nous faut également éviter le danger des changements de vocabulaire tenant lieu de changements de politiques, tout autant que celui de l'inflation verbale du type: reprise en main par l'Etat de la gestion de nos forêts, ou du type: un rôle accru à Rexfor en tant qu'agent moteur pour le développement des ressources forestières, sans que cela ne se traduise dans les faits par un rôle vraiment dynamique et nouveau de l'Etat.

Dans son projet de réforme, le ministre nous propose, comme point de départ, de délimiter clairement la partie du domaine public qui sera prioritairement affectée à la production forestière. L'objectif visé n'est pas sans intérêt. D'une part, avant d'entreprendre une réforme majeure, il est important de connaître son champ d'application. D'autre part, il faut le faire en intégrant les usages multiples que présente l'utilisation du domaine public: récréation, chasse et pêche, coupe de bois pour l'industrie de transformation, sylviculture, sans oublier la nécessité d'intégrer cette partie du territoire constituée en propriétés privées sur laquelle il nous faut agir, afin de lutter contre la spéculation et de conserver un bassin à l'agriculture.

L'instrument que nous propose le tome II pour mener à terme cette opération est celui du zonage. Cet instrument, sans être mauvais en soi, risque toutefois d'être inefficace dans le contexte proposé. Le zonage conçu de façon

sectorielle pèche au départ contre l'objet même de son application.

Comment imaginer qu'un zonage forestier puisse être efficace si on n'a pas pris soin de prévoir dès le départ les besoins des secteurs concurrents? Seul un office de planification véritablement efficace serait en mesure d'intégrer les divers besoins de récréation, de réserve écologique, d'agriculture et ceux de tous les autres utilisateurs.

A défaut d'un tel organisme, le ministre nous parle de consultation avec les autres utilisateurs intéressés. Il ne faudrait pas se faire d'illusion quant au résultat d'un tel procédé car une planification à long terme de l'allocation du territoire public nécessite la confrontation de perspectives sectorielles sur une base de quinze à vingt ans.

Ce n'est pas par de simples consultations qu'on pourra déterminer la part de territoire nécessaire à la récréation en 1990. Un tel zonage sectoriel est donc voué à l'échec, la perspective étant faussée au départ. Le fait de ne pas intégrer les alternatives concurrentes rend inévitable que le plan original soit remis en question à la première occasion.

Dans ce cas, le zonage perd toute sa portée et, par le fait même, tout son intérêt. En ce qui concerne le zonage, le ministre nous a fait part, lors de la discussion des crédits du ministère, qu'en collaboration avec le gouvernement fédéral, soit dans le programme de l'inventaire des terres, ce zonage était presque actuellement complété.

D'ailleurs, le ministère lui-même ne semble pas avoir trop confiance en cette planification puisqu'il parle, à la page 19 du livre blanc, de mobiliser au départ les forêts nécessaires à la production de matières ligneuses. Ce genre de démarche va à l'encontre de l'objectif visé par la planification territoriale. C'est-à-dire celui d'une allocation optimale de l'espace disponible.

Il ne s'agit pas de protéger la forêt pour protéger la forêt mais bien de voir comment il est possible de concilier différents usages de l'espace de façon à en tirer le maximum de bénéfices pour la société. C'est en ce sens qu'on comprend assez mal comment le ministre peut en venir à une telle démarche sectorielle après avoir affirmé dans le tome I la nécessité d'intégrer les usages alternatifs du sol québécois.

Il n'est plus possible aujourd'hui de définir des objectifs de production ligneuse ou de mobiliser à cette fin les espaces boisés, écrit-on dans le tome I du livre blanc, sans se préoccuper de l'influence des pressions sociales qui pourraient faire que la forêt serait plus utile sans qu'on y conduise des exploitations plutôt que d'y faire des coupes intensives.

C'est pourquoi il importe de mesurer l'importance des pressions diverses s'exerçant sur le milieu forestier et de déterminer en quoi l'utilisation de la forêt à d'autres fins que la production de bois affecte cette dernière activité.

La mise en valeur des bassins hydrographiques, la conservation des sols, l'aménagement de la faune, le développement de la récréation et l'expansion de la trame urbaine constituent les principaux facteurs qui influent, en définitive, sur le volume et la qualité de matière ligneuse disponible pour la consommation.

En un mot, nous devons conclure que l'exercice de planification quant à l'utilisation du domaine public que nous propose le ministre risque d'être stérile faute de pouvoir s'appuyer sur une démarche sérieuse. La mort lente provoquée et acceptée par l'actuel gouvernement de l'office de planification prohibe toute ambition sérieuse du genre de celle que nous propose le ministère des Terres et Forêts. Tout au plus engage-t-on timidement l'office de planification à conseiller, au jour le jour, le gouvernement lorsqu'il y aura conflit entre les usagers. Rien de très nouveau, ni de très prometteur.

L'abolition des concessions. Le tome I de l'exposé du ministère sur la politique forestière faisait largement état du caractère désuet de l'allocation des forêts publiques. En page 185, on décrivait ainsi les problèmes liés aux concessions en tant que principal mode d'allocation: "Une utilisation incomplète de la possibilité de coupes, une multitude de petites concessions et une trop grande rigidité du système de concession lui-même."

Il aurait peut-être fallu ajouter également qu'un tel mode de tenure allait contre le principe du contrôle par la collectivité des richesses naturelles qui lui appartiennent. Il aurait fallu également appuyer le projet d'abolition des concessions forestières d'une analyse économique portant à la fois sur les coûts d'exploitation aussi bien que sur des économies réalisables par une meilleure répartition des aires de coupe.

Cependant, M. le Président, le ministre nous a assurés ce matin dans son exposé que cette étude avait été faite et qu'il était malheureusement impossible pour le moment de la rendre publique. Et je pense qu'avant d'entreprendre une réforme il est important d'en connaître le coût.

Les seules données disponibles sur ce sujet sont celles que nous livre l'Association canadienne des pâtes et papier dans son mémoire à la commission. Suite à une étude, il a été évalué que la distance moyenne sur laquelle le bois de toute provenance doit être transporté au Québec est de 156 milles, près de deux fois plus que dans l'Ouest du Canada et près de trois fois plus que dans le sud des Etats-Unis. Si l'on tient compte de l'approvisionnement auprès des offices de producteurs, nul doute que la distance que doit parcourir le bois en provenance des territoires en concession est supérieure à cette moyenne de 156 milles. Il est certain qu'on peut attribuer une partie de ces coûts élevés de transport â une faible densité des forêts québécoises.

Toutefois, il n'en demeure pas moins qu'une redistribution des aires de coupe aurait pour effet de réduire les distances entre les lieux de coupe et les entreprises utilisatrices et, par le fait même, une partie appréciable des coûts d'approvisionnement en bois.

A titre d'exemple, on peut se demander combien coûte à la compagnie Domtar le transport de quelque 60,000 unités de 100 pieds cubes de Quévillon à son usine de Donnacona ou les quelque 260,000 unités de 100 pieds cubes voyageant entre Sault-au-Cochon et l'usine de l'Anglo Canadian Pulp à Québec. Les distances à parcourir sont supérieures à 350 milles, dans le premier cas, et à plus de 200 milles, dans le second.

Outre le fait d'entraîner des coûts élevés de transport, et partant de coûts moyens du bois à l'usine plus élevés, un tel régime a pour effet de créer un vaste système de privilèges et nuit grandement à l'équilibre de l'industrie. Que le ministère n'ait pas véritablement réussi au cours des dernières années à susciter des échanges de territoires entre entreprises n'est pas étonnant: les entreprises les plus favorisées, la CIP. par exemple, ne sont nullement intéressées à ce genre de rationalisation puisque leurs privilèges acquis sont la meilleure garantie qu'elles pourront concurrencer les entreprises rivales sans pour autant être plus efficaces.

Sans prétendre résoudre ainsi tous les problèmes du même coup, il semble donc que l'abolition des concessions forestières constitue un élément essentiel de toute réforme de la politique forestière visant à relancer l'industrie secondaire, â ouvrir la porte à une reprise par la collectivité du contrôle de ces richesses naturelles, aussi bien qu'à faire disparaître certains privilèges qui nuisent à l'industrie dans son ensemble. Certains diront qu'il est inutile de revenir sur ces questions puisque l'abolition des concessions est à toutes fins pratiques décidée et acceptée par le gouvernement actuel. Toutefois, il nous apparaît important d'exprimer un certain nombre de réserves quant à la façon, d'une part, dont on entend opérer ce changement de régime de tenure et, d'autre part, quant aux chances de réalisation de ce changement. Ces réserves sont de deux ordres.

En premier lieu, une réforme aussi importante aurait dû être présentée avec beaucoup plus de précision. Comment peut-on parler sérieusement de prise en main par l'Etat de la gestion des forêts publiques en se référant vaguement à un échéancier qui devrait conduire à l'abolition progressive des concessions, mais que l'on ne retrouve nulle part dans le texte de l'exposé.

Il y a là aussi, M. le Président, dans ce texte, une certaine absence de précision en ce qui concerne le mode d'indemnisation prévu. Cependant, ce matin, le ministre nous a exposé assez clairement le mode d'indemnisation et, en grande partie, pour le moment du moins, nous sommes d'accord.

En second lieu, l'hypothèse retenue de l'abolition progressive des concessions sur une pério- de de dix ans est carrément inacceptable car, en agissant de la sorte, on rend pratiquement impossible l'atteinte de l'objectif principal de la réforme, soit celui de procéder à une redistribution des aires de coupe. Comment pourrait-on, en effet, redistribuer de façon logique les aires de coupe sans avoir au préalable repris en main le contrôle de l'ensemble du territoire? H nous faudra donc attendre au moins dix ans, peut-être quinze ou vingt, avant d'en arriver à ce que le ministre appelle prudemment "une éventuelle redistribution". Il nous faudra attendre fort longtemps avant d'en arriver à une allocation optimale qui permette d'améliorer véritablement les rendements de l'exploitation forestière. A ce sujet, il est intéressant de rappeler certaines affirmations contenues dans le premier tome, à la page 130 : "La production de matière ligneuse tend à ne plus dépendre exclusivement des seules limites de la nature, mais d'une structure qui s'avère de jour en jour plus déficiente. En effet, l'amélioration de la productivité forestière se heurte à de très nombreux obstacles. Au premier rang, il convient de mentionner l'inadaptation des unités de production qui empêche de réaliser un aménagement rationnel de la forêt et de bénéficier d'économies d'échelle au niveau de l'exploitation."

On concluait à la page suivante: "L'examen de la mosaïque du territoire forestier laisse apparaître de nombreuses lacunes telles la variété des régimes de propriété et de gestion, la multiplicité, la dispersion et l'exiguité des unités d'aménagement et enfin, l'existence d'enclaves et d'unités de forme irrationnelle." Il s'agit de voir la carte de 1970 pour le constater. "La correction de ces éléments constitue un prérequis indispensable pour organiser, sur une base efficace, la production forestière québécoise."

Comment peut-on alors justifier, en invoquant de simples contraintes administratives et budgétaires, un délai aussi long pour l'établissement de ce prérequis à l'amélioration de la productivité de l'industrie?

C'est au cours des années présentes que la situation concurrentielle de l'industrie des pâtes et papier est particulièrement mauvaise. Plus nous allons retarder — c'est un commentaire — plus cela va coûter cher au gouvernement. Il nous semble évident que c'est par un réaménagement immédiat des modes de tenure qu'il est possible à l'Etat du Québec d'agir efficacement pour réduire les coûts de production et améliorer la position de l'industrie sur. les marchés internationaux; c'est par l'amélioration immédiate des conditions d'exploitation et de coupe qu'il nous est possible de réduire substantiellement les coûts d'approvisionnement des entreprises de pâtes et papier.

Le tome I est fort révélateur à ce sujet. Il nous apprend que les coûts de la matière première sont de $7 plus élevés par tonne de papier produite au Québec que dans le sud des Etats-Unis et sur la côte du Pacifique; cet écart

de $7 représente plus des deux tiers de l'écart estimé sur le prix de revient total d'une tonne de papier par rapport au sud américain et près de la moitié de l'écart entre les coûts de production au Québec et ceux de la côte du Pacifique.

C'est probablement sur ces coûts qu'il est le plus facile et le plus urgent d'agir; contrairement à toute action visant à réduire les coûts de transformation et de transport du produit fini. C'est pourquoi nous ne saurions trop insister pour que cette réforme s'applique le plus tôt possible. Au lieu de l'abolition progressive des concessions sur une période de dix ans, suivie d'une "éventuelle" redistribution dans douze ou quinze ans, il est nécessaire de prévoir un jour prochain où toutes les concessions seraient abolies et où serait instaurée une nouvelle carte des territoires forestiers. Ce jour devrait être prévu d'ici 1975.

Sinon, on risque que cette réforme acceptée en principe ne se traduise jamais dans les faits ou survienne trop tardivement, alors que les dommages seront faits. A moins, évidemment, que les forces du statu quo qui s'exercent déjà — les déclarations du ministre des Finances en témoignent — aient déjà réussi à faire avorter avant terme la réforme. 3. La gestion des forêts publiques. La création des grandes unités d'aménagement d'environ 1,000 milles carrés dont l'essentiel de la gestion doit relever de l'Etat constitue certes un des principes les plus positifs du tome II de l'exposé sur la politique forestière. Toutefois, la portée pratique du principe est largement compromise tant on y introduit de nuances et d'éléments de dilution et de confusion.

Après avoir affirmé, à la page 32, qu'"il est tout à fait naturel que l'Etat veuille aujourd'hui assumer lui-même la gestion des forêts qui lui appartiennent", on s'empresse d'affirmer que "toutes les terres forestières qui ne seront pas soumises à la gestion publique seront considérées pour fin d'aménagement comme des forêts privées et incorporées dans des unités de gestion de plus faible superficie, c'est-à-dire soumises en pratique au régime mixte de gestion". Quelle serait l'étendue de ces territoires exclus de la gestion publique? Cette gestion mixte pourra-t-elle s'appliquer à des territoires autres que ceux qui appartiennent à la zone habitée? Ce type de gestion mixte s'adresse-t-il à des partenaires autres que des coopératives de travailleurs forestiers et agriculteurs? Ces territoires seront-ils cédés à long terme ou s'agira-t-il d'allocation de droits de coupe sur une base annuelle? Autant de questions qui mériteraient des éclaircissements.

Un second point, soulevé au chapitre de la gestion des forêts, risque également de restreindre la portée du principe original de la reprise en main par l'Etat de l'ensemble de la politique forestière. Cette seconde entorse, vient du désir, légitime en soi, de se servir des cadres compétents en gestion forestière, relevant actuelle- ment de l'entreprise privée. Dans la mesure où l'Etat assumera désormais les fonctions de conceptualisation des plans d'aménagement, d'exploitation et d'inventaire, il nous semble tout à fait normal de faire appel à ceux qui ont acquis de l'expérience, pendant toute la période où ce genre d'activité relevait de l'entreprise privée. Mais pourquoi procéder de façon contractuelle et continuer à traiter avec ces travailleurs comme employés de l'entreprise puisque l'essentiel des fonctions qui leur ont été attribuées relèveront désormais de l'Etat? Ces travailleurs, en bonne partie des ingénieurs forestiers, ne devraient-ils pas relever, pour des raisons évidentes d'efficacité et d'impartialité, d'une seule et même structure administrative chargée de la gestion de l'ensemble du territoire forestier? Cette question est d'autant plus vitale, pour sauvegarder le principe de la reprise en main par l'Etat de la gestion, qu'il ne s'agit pas d'une délégation de pouvoirs qui serait marginale, comme voudrait le laisser entendre le ministre lorsqu'il parle de limiter l'étendue de la. délégation de pouvoirs en raison de son caractère dérogatoire. En fait, le ministre parle de restreindre la portée du geste, en réservant cette possibilité à la seule catégorie des utilisateurs bénéficiant d'approvisionnement à long terme. Il faut toutefois se rendre compte que ce pouvoir dérogatoire pourrait s'appliquer à tous les industriels de pâtes et papier et, par le fait même, à la presque totalité des utilisateurs actuels des forêts publiques en concession. A la limite, la majorité des territoires, actuellement en concession, continuerait à être gérée par les employés d'entreprises de pâtes et papier; ceci nous semble aller directement à l'encontre de l'objectif visé, soit celui de remettre la gestion du domaine public entre les mains d'un organisme public impartial où les notions de gestion et d'exploitation sont considérées séparément.

D'autre part, même si l'allocation des bois, sous forme de droits de coupe, nous semble plus respectueuse de l'intégrité du domaine public que l'allocation d'un fonds de terrain — comme cela se faisait dans le passé — il n'en demeure pas moins que le nouveau régime proposé, soit celui des contrats d'approvisionnement, reprend de nombreux éléments du système de concessions. C'est ainsi qu'en page 61 on trouve le paragraphe suivant : "Le contrat d'approvisionnement à long terme ne sera accessible qu'aux industriels des pâtes et papier à cause de l'imposant volume de capitaux que ceux-ci investissent. Il accordera à son détenteur le droit de récolter annuellement un volume donné de bois d'une nature déterminée, sur une superficie particulière et ce, pour une période donnée".

Sans doute indique-t-on, à la page suivante, que le droit de récolte n'accordera pas un droit d'usage exclusif du territoire décrit. Mais cela peut fort bien s'interpréter comme étant une autorisation donnée aux utilisateurs d'essences de bois, qui ne servent pas aux fabricants de

pâtes et papier, de venir couper sur les superficies particulières accordées à ces derniers. En somme, des superficies particulières sont accordées, pour au moins vingt ans, aux compagnies de pâtes et papier qui, d'autre part, pourront être chargées d'opérations spécifiques de gestion sur les mêmes superficies. Le moins que l'on puisse demander au gouvernement, c'est de faire la preuve qu'en vertu de ces dispositions il ne recrée pas de concessions forestières après avoir annoncé qu'il les abolissait. Cette question est d'autant plus importante qu'en introduisant ainsi la notion de superficie particulière, on risque de compromettre toute chance d'atteindre à une utilisation optimale du domaine public.

En un sens, la concession d'une zone réservée de 27,000 milles carrés sur la Côte-Nord à ITT, à même la forêt domaniale, ne peut que nous inciter à insister sur l'importance d'introduire un système d'allocation plus souple. L'exemple de ITT introduit de nombreux éléments qui ont conduit le ministre à recommander l'abolition des concessions forestières: région fermée à toute nouvelle implantation industrielle importante, impossibilité de réaménager les aires de coupes dans le sens d'un rendement optimal advenant de nouveux utilisateurs, rigidité de toute sorte et surtout une sous-utilisation du potentiel de nos forêts; sous-utilisation qui pourrait avoir pour effet de rapprocher cette échéance prévue pour 1985 d'un déficit de la capacité naturelle de production des forêts québécoises par rapport au volume de coupe commandé par les besoins.

La planification de la production. La planification de la production de bois constitue peut-être le thème le plus important de la réforme; c'est également cette partie de l'opération qui s'avère la plus délicate et la plus complexe. La plus délicate en ce sens que le mode d'approvisionnement se répercute directement sur la structure économique de l'industrie, particulièrement sur cette partie (près de la moitié) des coûts de production de l'industrie des pâtes et papier que représentent les approvisionnements. C'est aussi la partie la plus importante dans la mesure où elle touche à des degrés divers, mais quand même directement, plus de 30,000 travailleurs qui tirent une partie ou la totalité de leurs revenus de l'exploitation forestière sur des terres privées; d'autant plus délicate également que la majorité de ces travailleurs vivent dans des régions où les options de travail sont les plus limitées et où le niveau moyen de revenu est particulièrement bas.

L'expérience des dernières années est fort révélatrice quant à la difficulté de planifier la production. En effet, la conciliation des intérêts de l'entreprise intégrée de transformation des produits forestiers avec ceux des propriétaires des boisés privés s'est toujours révélée pénible et rarement fructueuse, et il en est souvent résulté des pertes de production élevées. La raison d'un tel insuccès ne saurait toutefois être difficile à identifier; c'est qu'on n'a jamais véritablement tenté d'intégrer l'apport respectif des forêts publiques et des forêts privées. Le plus surprenant, c'est que la nouvelle politique forestière n'apporte à ce sujet aucune nouvelle solution. On se contente plutôt de tenter d'améliorer une formule qui n'a jamais vraiment fonctionné. Je le dis, même si le ministre ce matin a tenté d'apporter certaines précisions.

Pourtant, nul doute que bon nombre de forêts privées pourraient, à condition d'être exploitées rationnellement, approvisionner l'industrie à des coûts comparables à la matière première exploitée par l'entreprise intégrée sur le domaine public. Comment en conclure autrement alors que les prix du bois récolté sur les boisés privés s'approchent de ceux de ses concurrents sans qu'il y ait eu de tentative réelle d'exploitation rationnelle? A ce sujet, M. le Président, le mémoire du Conseil des producteurs de pâtes et papier du Québec donne $30 pour le coût du bois par les entreprises et $33.50 par les producteurs privés.

Nul doute également que les territoires du domaine privé présentent déjà et pourront présenter dans l'avenir des avantages croissants aussi bien en termes de proximité des centres de transformation qu'en termes de conditions climatiques et pédologiques propres à la sylviculture. Quant aux avantages socio-économiques qu'en retireraient les populations rurales, ils sont non seulement évidents, mais importants.

Dans l'élaboration de sa politique, le ministre a reconnu qu'il est urgent de repenser complètement les mécanismes de distribution des bois.

A la page 53 de l'exposé, on peut lire: "Les modes actuels de distribution de la matière ligneuse ne favorisent pas la pleine utilisation des forêts et ne permettent pas non plus de répartir la production forestière de façon optimale entre les divers usagers. C'est pourquoi le gouvernement entend corriger la situation en planifiant l'approvisionnement des usines utilisant le bois comme matière première".

La solution avancée au chapitre 2 de l'exposé du ministère repose sur le contrôle, par le ministère des Terres et Forêts, de tous les bois mis sur le marché: les bois extraits des forêts publiques, les bois en provenance des forêts privées via le réseau des plans conjoints ou des courtiers, les copeaux et aussi les bois importés.

La planification ultime de la production serait réalisée par le ministère des Terres et Forêts qui surveillerait l'exécution de "plans de distribution" des bois à chaque usine de transformation. Ces plans seraient confectionnés par le ministère en collaboration avec les utilisateurs et producteurs. Quant aux prix, ils feraient l'objet d'accord entre les parties impliquées et les utilisateurs. En cas de désaccord, un organisme gouvernemental portant le nom de Régie des produits forestiers fixerait le prix suite à un arbitrage.

Nous ne croyons pas qu'une telle solution

soit plus efficace que la formule qui existe à l'heure actuelle et qui force l'entreprise à s'approvisionner hors de ses concessions. Essentiellement, ce genre de formule, améliorée ou pas, peut difficilement réussir parce qu'on attribue ainsi au ministère des Terres et Forêts des fonctions de conciliation et d'intégration incompatibles avec ses pouvoirs et sa constitution.

Nous croyons plutôt que cette fonction d'intégrer globalement l'exploitation des forêts du domaine public et privé devrait plutôt relever d'un organisme mixte composé certes majoritairement de représentants gouvernementaux, mais également de représentants de l'entreprise de transformation réalisant ses propres coupes, de représentants de sociétés sylvicoles établies sur les forêts privées, ainsi que de représentants de la société d'exploitation publique.

Un tel organisme mixte serait le seul véritablement habilité de par sa composition à réaliser cette conciliation a priori des intérêts des producteurs et des utilisateurs. Sinon, on risque de mettre sur pied un mécanisme inefficace où le ministère doit, à la fois, administrer les forêts publiques, stimuler l'industrie et obliger l'entreprise à s'approvisionner auprès des producteurs propriétaires de boisés privés avec, comme résultat, que ni l'utilisateur, ni le producteur n'y trouve véritablement intérêt.

Il faudra également que les contrats d'approvisionnement accordés à l'entreprise de transformation sur le domaine public soient suffisamment souples et laissent place à des possibilités d'approvisionnement en provenance d'autres sources. Il nous semble illusoire de croire, et l'expérience passée le prouve, qu'il est possible, par un simple mécanisme de fixation des prix, d'écouler les bois en provenance du secteur privé, sans qu'on ait tenu compte, dès le départ, de ce que devra et pourra fournir le domaine public.

Il importe donc pour réaliser une exploitation optimale des forêts d'établir, au moins à moyen terme, l'apport qu'on attend des différents types de producteurs. Cela ne sert à rien, M. le Président, de produire du bois, simplement pour le plaisir d'en produire et que ce bois reste dans les cours.

C'est seulement dans la mesure où un organisme mixte, qu'on pourrait appeler "Régie des approvisionnements", serait en mesure d'élaborer de véritables ententes contractuelles en matière d'approvisionnement qu'il sera possible d'utiliser, de façon optimale, le potentiel de nos ressources forestières.

Déjà, des organismes établis, tels les plans conjoints, sont en mesure de conclure des engagements fermes en termes de quantité et de prix. Dans la mesure où il serait possible de les négocier dans le cadre d'un plan global et, dans la mesure où l'écoulement de leur production ne se ferait pas de façon résiduelle, c'est-à-dire simplement pour combler les vides des approvi- sionnements en provenance du secteur public, mais qu'il s'agirait plutôt de marchés d'écoulement garantis, il serait possible à ces organismes de développer des unités de production efficaces et concurrentielles sur le marché des bois primaires.

Tant qu'on ne prévoira pas pour les exploitants des forêts privées les mêmes conditions de continuité et de garantie de marché que celles dont jouissent les grandes entreprises de transformation, il est impensable qu'on puisse mettre sur pied des unités de production regroupées, mécanisées et dotées d'une main-d'oeuvre spécialisée.

Ce raisonnement vaut d'autant plus dans la mesure où le territoire privé recevrait éventuellement une vocation sylvicole nécessitant des investissements productifs à long terme.

A ce titre, encore faudrait-il souligner le silence incompréhensible du livre blanc quant à la rentabilité et à l'opportunité d'ajouter au potentiel des terres privées par une sylviculture intensive. Sans plus de prévision, il est pour le moins difficile d'avoir une perspective sérieuse de ce que pourrait être la participation du secteur des boisés privés au cours des prochaines années.

En un mot, autant nous reconnaissons la nécessité pour l'entreprise de transformation de planifier à long terme ses activités, autant nous estimons qu'il est nécessaire de prévoir des mécanismes permettant à tout le domaine coopératif ou collectivisé du territoire privé de profiter des mêmes conditions de développement. L'industrie forestière primaire aussi bien que secondaire ne pourra qu'en bénéficier.

Le rôle ambigu de l'Etat comme exploitant forestier: Il aurait été important de lever l'ambiguité qui a toujours existé quant à la vocation réelle de la Société de récupération et d'exploitation forestière. Cette société s'est occupée alternativement au cours des dernières années à faire prioritairement, tantôt la récupération en forêt rendue à maturité, tantôt de l'exploitation pour exportation, parfois de la revalorisation et, récemment, surtout de l'exploitation de bois exporté sur les marchés européens à l'état brut, tout en dirigeant des programmes sociaux en période de chômage.

L'exposé du ministre des Terres et Forêts n'est guère plus précis quant au rôle futur de l'Etat en tant qu'exploitant forestier. M. le Président, j'entendais ce matin une remarque concernant la déconfiture de Sogefor qui nous amènerait à être extrêmement pessimistes en ce qui concerne la possibilité d'une industrie forestière de l'Etat. Je ne pense pas que l'expérience de Sogefor soit véritablement concluante à ce sujet. Il s'agit de voir un peu l'histoire de Sogefor et les différentes erreurs techniques et aussi les erreurs du ministère en ce qui concerne les approvisionnements pour constater qu'il ne s'agit aucunement d'un effort qui peut se terminer là. Je crois au contraire que l'expérience de Donohue nous permet de parler de ce

point et de construire un véritable complexe forestier qui appartiendrait à l'Etat. On parle d'un rôle accru de Rexfor, d'un agent moteur pour le développement des ressources forestières, pour aussitôt affirmer qu'en aucun cas cette société ne devra se substituer à l'entreprise privée, mais bien plutôt lui servir de collaborateur particulièrement là où les activités de l'entreprise privée seront génératrices de dégâts sociaux — instabilité de l'emploi en forêt — et économiques — absence de coupe intégrée —.

Pourtant, il aurait été souhaitable, à l'occasion de la réforme, de dépasser le simple niveau de la gestion des forêts publiques et de tracer une nouvelle vocation à l'entreprise publique dans le domaine de l'exploitation forestière. Il aurait été souhaitable d'étudier diverses avenues possibles; il aurait été important d'évaluer les avantages, en termes d'économie réelle, d'exploitation intégrée et de recherche appliquée, d'un rôle joué par l'Etat en tant que véritable exploitant forestier. Il aurait été tout aussi important de tracer une voie à d'autres formules telles que celle des sociétés coopératives mieux articulées que celles qui existent actuellement. On a malheureusement l'impression qu'en ce domaine l'imagination manque et qu'on refuse au départ toute formule qui remettrait en cause le credo absolu du gouvernement dans l'entreprise privée et la loi bien établie de l'entreprise intégrée verticalement.

L'industrie secondaire. On comprend assez difficilement le peu d'intérêt que semble attacher le ministre au développement de l'industrie de transformation des produits de la forêt. On comprend d'autant plus mal qu'il s'agit justement d'une industrie hautement intégrée où les remèdes apportés au niveau primaire risquent de demeurer sans effet dans la mesure où on ne fait pas participer le secteur secondaire à ces transformations. Aussi, toute politique visant à améliorer les rendements au niveau primaire demeurera toujours limitée dans la mesure où l'industrie secondaire ne pourra les transposer en termes d'accroissement de production, d'exportation et d'emploi. On a l'impression de vouloir traiter un cancer généralisé en ne soignant que les jambes.

Certes, certaines mesures annoncées dans l'exposé du ministre auront des effets positifs sur la situation de l'industrie secondaire; certes, elles auront pour effet de réduire les coûts d'approvisionnement; les changements apportés aux modes de gestion et de tenure, le début de rationalisation des approvisionnements, la planification des infrastructures routières, la simplification des redevances constituent autant d'éléments en faveur de la relance de l'industrie de transformation.

Mais que fait-on du coeur du problème? De la modernisation des entreprises, de la nécessité de consolider celles-ci, de former des complexes intégrés? Qu'entend-on faire pour corriger ces vices de structures dont on a parlé si longuement au cours du premier tome? Qu'entend-on faire pour promouvoir de nouveaux marchés, pour faciliter la commercialisation et réduire les coûts de transport des produits finis? Pour donner aux Québécois la place qui leur revient dans cette industrie?

Ces réponses auraient dû être apportées dans le cadre de ce projet de réforme de la politique forestière; il aurait été particulièrement intéressant d'associer les questions relatives à l'abolition des concessions forestières et au redécoupage des unités de gestion de la forêt publique à l'objectif de modernisation de la structure industrielle. Il aurait été important, entre autres, de créer des mécanismes en vue de canaliser les sommes qui seront éventuellement versées à titre d'indemnisation aux entreprises dans le sens de la modernisation de leurs installations.

Et à ce sujet, M. le Président, je crois que le ministre de l'Industrie et du Commerce a fait dernièrement un discours qui confirme l'affirmation que je viens de faire, concernant la nécessité de moderniser les entreprises forestières du Québec.

Il aurait été aussi important de discuter de l'opportunité, pour l'Etat, de créer son propre complexe intégré; à l'exemple des réalisations du secteur public dans l'industrie sidérurgique, ne serait-il pas souhaitable qu'on crée l'équivalent dans l'industrie forestière où la coupe du bois, aussi bien que sa transformation en pâtes, papier, bois de sciage et contreplaqué, serait réalisée par une entreprise gouvernementale? Déjà, le Québec ne possède-t-il pas avec Rexfor et l'entreprise Donohue, contrôlée par la Société générale de financement à 51 p.c, certaines pièces composantes de cet éventuel complexe intégré?

Sans cette intégration des éléments d'un tout, sans ce souci de rompre avec l'étanchéité traditionnelle et le cloisonnement artificiel des structures gouvernementales, on aboutit encore une fois à une réforme incomplète et mal articulée parce que confinée à un seul secteur.

La réforme de la politique forestière que nous propose le ministère repose certes sur des éléments fort valables. Le diagnostic du tome I portant sur la gestion des forêts, la situation de l'industrie primaire et secondaire, ses difficultés et contraintes quant à la production et à la mise en marché des produits, aussi bien que l'identification des prérequis essentiels, telles l'abolition des concessions et la planification de l'usage du territoire forestier, constituent autant de prémisses nécessaires à toute démarché sérieuse pour relancer le secteur forestier au Québec.

Et à ce sujet, nous sommes extrêmement heureux que le ministre ait proposé son livre blanc.

Malheureusement, sur de nombreux points, on ne retrouve guère dans le programme d'action que nous présente le ministre de prolongement logique à ces éléments: le zonage tel que conçu dans le second tome de l'exposé n'est

certes pas le moyen idéal d'atteindre à une utilisation optimale du territoire; les délais prévus pour la redistribution des territoires de coupe contribueront à maintenir pour encore longtemps le chaos et l'inefficacité de l'exploitation forestière sur les territoires concédés; la dilution du principe de la reprise en main par l'Etat de la gestion des forêts publiques par la délégation à l'entreprise privée d'une partie importante de ces pouvoirs limite sérieusement la portée de la réforme; l'attribution de "superficies particulières", pour des périodes de 20 à 40 ans soulève l'hypothèse d'un nouveau système de concessions. Finalement, on ne peut que déplorer le manque de perspective quant à l'intégration du secteur privé; on est encore loin d'une solution qui nous permettrait d'associer les propriétaires de boisés privés au développement de l'industrie forestière; de même sommes-nous encore loin de ce que le ministre appelait, en page 7, une "nouvelle stratégie industrielle" où l'entreprise privée ou publique de transformation serait intégrée dans une politique globale de relance de l'industrie forestière.

Cependant, M. le Président, même si nous sommes encore loin de cette réforme, il est extrêmement important que le débat qui s'ouvre aujourd'hui suscite l'inquiétude, certaines interrogations et surtout l'intérêt de la population, comme je le soulignais précédemment, ainsi que des utilisateurs. Et je sais que le livre blanc du ministre est d'abord, essentiellement, un livre à discussion. Je sais que c'est quand même l'élaboration d'une politique globale qui provient du ministère, c'est l'élaboration des lignes centrales où se dirige le ministère. Mais à la lumière des différents exposés que nous pourrons avoir, je sais que le ministre sera capable d'accepter certaines réformes, d'accepter que son livre blanc aille plus loin s'il s'avère nécessaire de le faire.

En ce secteur, pour ma part, je suis particulièrement heureux qu'enfin on puisse discuter de façon démocratique — de façon que la population soit impliquée dans cette discussion — du problème d'une des industries fondamentales du Québec, l'industrie forestière. Merci.

M. LE PRESIDENT: La parole est au ministre des Terres et Forêts.

M. DRUMMOND: M. le Président, je pense qu'au lieu de faire une réplique à tous les commentaires faits aujourd'hui par les partis de l'Opposition, tel que convenu ce matin, il serait mieux de procéder à la présentation des mémoires étant donné qu'il y a certains groupes ici présents à cette commission, étant donné aussi qu'après avoir entendu les exposés faits par les représentants des divers groupements nous aurons l'occasion de discuter ensemble à la lumière des exposés faits tant par les membres de l'Opposition que par ceux du gouvernement.

Au lieu de discuter davantage, il serait préférable de commencer tout de suite à entendre les exposés des groupes intéressés qui, heureusement, sont ici avec nous cet après midi.

M. LE PRESIDENT: J'inviterais M. Paul Murdock de Murdock Lumber Inc., à venir présenter son mémoire.

Murdock Lumber

M. MURDOCK: M. le Président, messieurs, vous voudrez bien me permettre un court préambule pour vous expliquer un peu la façon dont nous avons fait notre mémoire. Il a été préparé en coopération avec M. Maurice Gérin, ingénieur forestier. Je me permettrai de lui demander de répondre à certaines questions s'il y a lieu.

Nous n'avons touché que la tenure forestière ou à peu près, question que nous considérons la plus importante. Nous suggérons une alternative au présent système. J'aimerais ajouter que cette alternative s'applique à notre industrie, qu'elle nous appartienne ou qu'elle appartienne au gouvernement.

Nous avons des opinions, naturellement, sur d'autres points du livre blanc. Il nous fera plaisir de les émettre s'il y a lieu.

Je me suis permis de faire un mémoire. Peut-être y a-t-il avantage de vous présenter un cas particulier? Je peux vous dire que c'est la deuxième génération chez nous qui fait de l'exploitation forestière. Ceux qui ont connu mon père peuvent dire que c'était un des pionniers. Si vous voulez, je vais lire ce mémoire qui n'est pas très long.

Murdock Lumber Inc. est une entreprise privée qui s'inscrit dans l'industrie du sciage. Dans la région administrative Saguenay-Lac-Saint-Jean, elle est une des plus importantes des 59 unités qui fonctionnaient en 1971. Elle compte une main-d'oeuvre d'environ 600 employés, une capacité de production annuelle de 75 millions de pmp, une masse salariale de $3 millions et une valeur d'expédition de $6,200,000. De plus, sa fabrication de copeaux s'est élevée jusqu'à 60,000 tonnes et sa production de bois à pâte a varié jusqu'à 10,000 et 20,000 cordes. A la fin de 1971 les immobilisations s'établissaient à $5,500,000 et les investissements au cours des trois dernières années se sont élevés à un peu plus de $1,500,000, soit une moyenne annuelle de $500,000, ce que nous devrons continuer encore pour certainement deux ou trois ans.

L'entreprise comporte deux complexes manufacturiers: un à Girardville et Dolbeau, l'autre à Saint-Fulgence. Le complexe de Girardville et celui de Dolbeau sont alimentés en matière ligneuse provenant des concessions forestières régulières et spéciales dans les bassins hydraugraphiques de la Mikoasas et de la Ouasiemska.

Les concessions forestières régulières forment une étendue de 220 milles carrés et les

spéciales, une étendue de 227 milles carrés. Quant au complexe de Saint-Fulgence, il est alimenté par une concession forestière de 240 milles carrés, localisée dans le bassin de la rivière Sainte-Marguerite et par une source d'approvisionnement garantie par contrat à même la forêt domaniale du Saguenay.

Le caractère particulier des marchés de l'entreprise l'incite à destiner à l'exportation près de 50 p.c. de sa production annuelle en sciage et de ce fait à maximaliser l'utilisation des grumes d'oeuvre transformées à ces usines. L'évolution constante des marchés amène l'entreprise à effectuer des réaménagements importants à ses dispositifs manufacturiers et forestiers au point que le rythme des investissements annuels devra être maintenu encore sur une période d'au moins quatre ans.

Là où se situent les complexes manufacturiers, l'entreprise joue un rôle de taille sur le plan communautaire. L'économie de ces milieux est fortement touchée par ses activités industrielles et même forestières. Inconstestablement, cette économie dépend du maintien de ses activités et de son accroissement.

Pour ce faire, l'entreprise doit pouvoir compter sur des sources convenables et suffisantes d'approvisionnement en matière ligneuse le plus à proximité possible de ses complexes.

Sources d'approvisionnement en matière ligneuse. Vu sous l'angle réel de l'aménagement forestier, les sources actuelles d'approvisionnement en matière ligneuse de l'entreprise, officiellement concédées, sont insuffisantes. Pour assurer la permanence de ses activités manufacturières, l'entreprise doit être capable de compter sur un rendement soutenu de forêts qui puissent s'identifier clairement et s'intégrer d'une façon ou d'une autre aux complexes industriels existants. Ainsi, au complexe de Girardville et de Dolbeau, un bloc forestier de 1,000 milles carrés doit être juxtaposé et à celui de Saint-Fulgence un bloc de 800 milles carrés. Ceci en tenant compte de tous les facteurs naturels limitant la production de la matière ligneuse.

La permanence de l'entreprise est étroitement liée au concept de pérennité du bloc qui doit l'alimenter en matière ligneuse. Le rendement soutenu de ce bloc est le but premier de l'aménagement, tout comme la production continue est une partie intégrante du concept de toute entreprise.

Pour ce qui est des propos tenus dans le livre blanc sur la possibilité annuelle, ils sont discutables. S'ils étaient suivis, il faut dire qu'ils contiennent en germe un élément susceptible de conduire à des résultats diamétralement opposés à ceux anticipés.

Le concept du rendement soutenu découle de celui de la forêt normale dans une unité d'aménagement donné. Or, comme il n'existe pas de forêt normale à l'échelle de la province, le problème que pose une forêt anormale à l'aménagement, c'est sa normalisation dans le plus court temps possible, du moins au cours d'une première révolution. La normalisation d'une telle forêt impose forcément des contraintes et des libérations essentielles tout le long de son développement pour atteindre éventuellement un capital forestier minimum et équilibré capable de fournir un rendement soutenu maximal.

Dans cette optique, quelle que soit l'étendue de l'unité d'aménagement, la forêt qui s'y trouve doit être avant tout normalisée et cela dans le plus bref délai possible. Il en résulte qu'optimaliser l'utilisation de la ressource dépend surtout de la solution apportée à la normalisation des forêts à vocation nettement commerciale.

Allocations et gestions. De toute évidence, les faits précités soulèvent la question des modes d'allocation dans les forêts publiques et celle de l'intention manifeste de l'Etat d'exproprier éventuellement l'entreprise privée pour transférer à la collectivité la conduite des affaires.

Sur le premier point, l'entreprise reconnaît aisément que les faits ont été plus vite que les idées et que les institutions sont en retard sur les pratiques. Que les modes d'allocation de matière ligneuse dans les forêts publiques soient inadéquats et même dépassés, elle veut bien en convenir. Cependant, elle soutient que les solutions apportées à ce problème éviteront plus sûrement l'abstraction et l'imprécision si elles sont construites à partir de l'entreprise, cellule de l'économie concrète, microcosme social.

Partant de cette considération et compte tenu des critères fondamentaux de l'aménagement forestier, il est possible de modifier le régime des allocations de matière ligneuse aux entreprises dans les forêts publiques en faisant jouer à l'Etat son véritable rôle de régisseur dans le sens d'instigateur de directives et de contrôleur des intérêts régis et gérés.

La prétendue aliénation de forêts par l'entreprise est un mythe détestable servi par les tenants en mal de socialisation, de nationalisation ou d'étatisation.

En somme, le reproche que l'on fait aux concessionnaires, c'est d'avoir affermé des blocs de forêt à long terme sans pour cela en être les propriétaires. En fait, ces concessionnaires ne sont que des locataires assumant non seulement quelques privilèges ainsi que des obligations parfois très lourdes imposées par l'administration. Jusqu'ici, on ne peut pas dire qu'ils ne se sont pas acquittés de ces charges avec efficacité.

De toute façon, il n'y a aucune objection à ce que l'on propose conséquemment le rachat des concessions forestières régulières sur la base des montants originaux versés en primes d'affermage et qu'en retour on offre des baux renouvelables annuellement pour une période indéfinie pourvu qu'ils se rapportent à des réserves forestières bien identifiées, juxtaposées aux complexes industriels existants et proportionnées aux besoins de l'entreprise. Ces baux

pourraient être sujets à une révision décennale et être susceptibles d'annulation, advenant que l'entreprise soit inopérante pour une période de trois années. Ces nouveaux locataires pourraient, par exemple, avoir à payer un loyer annuel de $75 par mille carré pour toute unité forestière sous location.

Ces blocs forestiers ne devront jamais être exploités au-delà de leur croissance. Bâtir une industrie crée un engagement social à long terme. Il faut la permanence de la localité, de l'industrie concernée et conséquemment de la forêt qui fournit l'approvisionnement. Agir contre ces principes est un crime envers les générations futures. Ceci nous semble de la plus grande évidence.

Outre cette obligation première, les locataires devraient être assujettis à des droits de coupe n'excédant pas au départ $1.50 par 100 pieds cubes. Ils devraient assumer la moitié des frais de protection et le quart des frais d'extinction des incendies. Ces dernières proportions sont ainsi conçues en vue de mieux partager ces coûts, selon les différents usagers possibles de la forêt.

Sur le second point, l'entreprise reconnaît difficilement à l'Etat de pouvoir jouer efficacement le rôle de gestionnaire. Le contrôle bien conçu n'est pas la substitution du contrôleur au contrôlé; c'est la vérification faite des intervalles de temps suffisamment grands, du droit de diriger, puis l'appréciation sanctionnée des actes accomplis plutôt que le visa préalable et le veto suspensif. Le bon contrôleur est une conscience et non un touche-à-tout.

L'idée de la planification et de la prospective provient du dirigisme. Elle a, certes, son importance pour la définition des grandes orientations. Par contre, s'occuper en détail des petites choses, sous prétexte qu'on ne peut pas s'occuper des grandes, conduit à une complication administrative qui risque d'entraîner la déchéance de nos sociétés.

Quoi qu'on dise, l'entreprise est l'antidote des défauts de la société, de son empoisonnement par sa complication, par sa déshumanisation. On parle toujours de l'autorégulation de l'entreprise sur le plan économique. On oublie de dire que, sur le plan humain, elle peut porter ce même mécanisme de régulation, qui permette d'éviter de grands affrontements. Le tout respectueusement soumis à Québec.

M. LE PRESIDENT (Giasson): Merci, M. Murdock. Maintenant, nous pourrions passer aux questions que les parlementaires voudront bien vous adresser ou à votre collègue qui vous accompagne. J'ai retenu la première demande de droit de parole du côté de la table, soit le député de Laviolette.

M. CARPENTIER: M. le Président, à la suite de l'exposé du mémoire que vient de nous faire M. Murdock, seulement quelques questions. Vous affirmez, au dernier paragraphe de la page 3 de votre mémoire, que les propos tenus dans le livre blanc sur la possibilité annuelle, s'ils étaient suivis, contiennent un germe, un élément susceptible de conduire à des résultats diamétralement opposés à ceux anticipés. Pour-riez-vous expliquer votre pensée et nous indiquer, dans l'exposé sur la politique forestière, les propos tenus qui contiennent un germe, un élément susceptible de compromettre la possibilité annuelle?

M. MURDOCK: On dit ici que des contrats de cinq, dix, vingt et même 40 ans ne sont pas réalistes. Dans les plantations forestières de 75 ans, il n'est pas question de faire de contrats de moins que la récolte. C'est pourquoi je propose plutôt des contrats sans date limite, c'est-à-dire qui se renouvellent automatiquement tant et aussi longtemps que l'industrie en question rend son rôle socio-économique. Si l'industrie ne fonctionne pas normalement ou selon les besoins, il s'agit tout simplement, pour le gouvernement, de reprendre ces forêts et de les distribuer à d'autres industries. Est-ce que cela vous semble raisonnable? Est-ce que je peux demander à M. Gérin s'il a quelque chose à ajouter?

M. GERIN : Si on se place au point de vue de l'aménagement forestier, encore là ces conditions qui seraient imposées des contrats à court et à long termes, il me semble que ça cadre mal avec les critères fondamentaux de l'aménagement proprement dit. On voit très mal qu'une unité d'aménagement, si on en a une conception le moindrement, qu'on puisse modifier constamment à des intervalles plus ou moins longs les cadres de cette unité d'aménagement. Si on a déploré dans le passé sur ce rapport des difficultés d'approvisionnement pour certaines industries, c'est que les supposées unités d'aménagement qui devaient répondre à des besoins très spécifiques, les limites de ces unités d'aménagement ont été constamment modifiées. Je ne crois pas qu'on puisse penser à faire de l'aménagement, si on ne respecte pas, une fois une unité bien établie, déterminée, ses limites. Il y a quelque chose qui me semble assez difficile à saisir quand on parle de contrats à dix ans d'approvisionnement ou de garanties d'approvisionnement à court terme, à dix ans, vingt ans, trente ans ou quarante ans. Il me semble que c'est contradictoire avec le principe même de l'aménagement forestier.

M. LE PRESIDENT (Giasson): Le député de Nicolet.

M. CARPENTIER: Un instant, s'il vous plaît.

M. LE PRESIDENT: Une question supplémentaire?

M. CARPENTIER: Plusieurs autres, avez-vous une objection?

M. LE PRESIDENT: Je n'ai pas d'objection, d'ailleurs, il semble y avoir consensus de l'autre côté de la table à l'effet que vous alliez au bout de vos questions, quitte à remettre la parole à un autre député lorsque vous aurez terminé.

M. CARPENTIER: A la page 6 de votre mémoire, vous proposez le rachat des concessions forestières régulières sur la base des montants originaux versés en primes d'affermage. Pourquoi l'Etat devrait-il rembourser ces montants, s'il offre en contrepartie une garantie d'approvisionnement, à moyen ou long terme à l'entreprise de transformation?

M. MURDOCK: Je considérais ces montants plutôt comme un dépôt qui a été versé à la province. Si réellement cela avait été un achat, vous pourriez dire que ça vaut beaucoup plus cher que ça valait dans ce temps-là; moi, du moins, je considérais ça comme un dépôt et qu'il reviendrait à l'industrie qui l'a fait auprès du gouvernement. Naturellement, le gouvernement peut bien reprendre ses forêts sans rien donner, mais je pense que ce serait bien normal que nous recevions les dépôts qu'on a faits et qu'on reçoive en même temps — je ne propose pas qu'on rachète les chemins et qu'on nous remette des intérêts depuis 40 ans ou depuis qu'on a acheté ces forêts — simplement leur dépôt tel qu'il était et qu'on nous donne des baux sans espace de temps qui sont basés sur le besoin de l'industrie, sur un plan d'aménagement tel que M. Gérin vient d'expliquer. A ce moment-là, je proposais de diviser les redevances plus sur une base de loyer et de droit de coupe afin que celui qui a une réserve pour son industrie qu'elle soit au gouvernement, qu'elle soit à n'importe qui, ne soit pas intéressé à en avoir plus grand que les besoins de l'industrie. Il en a besoin d'assez grand pour la possibilité de l'usine. Par exemple, si ça me prend 10 millions de pieds cubes pour l'industrie de Girardville, ça nous prend mille milles carrés, c'es bien dommage mais c'est ce qu'il faut. Il faut que je planifie pour 75 ans d'avance. Je ne serai pas ici quand ce sera le temps de recouper la forêt, mais quand même, c'est de cette façon-là que je pense. J'ai été habitué comme ça depuis mon enfance et je ne changerai pas d'idée.

M. CARPENTIER: Est-ce que certains montants payés ne sont pas amortis au cours des activités d'une certaine période?

M. MURDOCK: Non, c'était du capital et aucun amortissement n'a été fait, excepté ceux qui avaient un terme. Disons que j'avais un terme de trente ans, je pouvais l'amortir sur trente ans. Mais pour ceux qui ont des limites indéfinies, il n'y a pas eu d'amortissement.

M. CARPENTIER: Aux pages 5 et 7, deuxième paragraphe, vous proposez que l'Etat limite son rôle à celui d'instigateur de directives, bon contrôleur comme conscience et non touche-à-tout. A titre de propriétaire forestier et producteur de bois debout, l'Etat ne doit-il pas gérer sa forêt pour mettre ses bois à la disposition des transformateurs?

M. GERIN: Je n'invente rien. Nous sommes dans le concept de l'entreprise privée. On pense que le rôle de l'Etat est un rôle de contrôleur et non de gestionnaire. On donne plusieurs interprétations au mot "gestionnaire", ici. Ce qu'on pense, c'est que, quand il voudrait s'attribuer ce rôle, c'est se substituer à l'entreprise privée. C'est-à-dire qu'on veut faire l'exploitation qu'actuellement l'entreprise privée effectue. Dans notre esprit, nous ne croyons pas que l'Etat soit plus efficace que l'entreprise privée. C'est notre opinion.

Maintenant, on n'a pas encore prouvé, jusqu'ici, que l'Etat était réellement plus efficace que l'entreprise privée. Qu'on cite des exemples. L'exception ne va que confirmer la règle. Mais on pense que ça irait beaucoup mieux, que ces grandes lignes de nouvelles politiques c'est parfait et qu'on contrôle les actes posés par l'entreprise privée, d'accord. Jusqu'à maintenant, l'entreprise privée, tant dans le secteur des pâtes et papier que dans l'industrie de sciage, s'est conformée à toutes ces normes nouvelles et, je dirais même, à ces tracasseries. Elles se multiplient au rythme de quatre et cinq par jour mais tout de même, on passe à travers. Mais tant que l'État reste à ce niveau, il y a moyen de s'entendre.

M. CARPENTIER: Une autre question. Au troisième paragraphe de votre page 6, vous proposez un loyer annuel de $75 par mille carré pour toute unité forestière sur location. Est-ce que vous incluez, dans ce montant, les frais d'inventaire forestier, d'aménagement, de programmation des coupes, d'infrastructure, chemins d'accès, entretien et le reste?

M. MURDOCK: Ce ne sont que des suggestions. Il y a naturellement quelques détails qu'il faudrait ajouter. Pour ma part, je pensais que $75 faisaient, à peu près, le même montant que nous donnons de redevances actuellement. Nous faisons nos routes et nous continuerons à faire nos routes. Il est question que l'Etat fasse certaines routes principales; je n'ai aucune objection; ça fait seulement notre affaire. Nous continuerons de faire nos routes comme avant. Pour ajouter à ce que M. Gérin vient de dire au sujet de l'Etat qui s'ingère, les intérêts de l'Etat et les intérêts que nous avons pour la perpétuité, la conservation de la forêt, sont les mêmes. Nous sommes, aussi, entrêmement motivés, lorsque nous avons une forêt à perpétuité, à ce qu'elle demeure à perpétuité.

La preuve est que nous avons des forêts où nous essayons de distribuer du bois proche, éloigné, enfin une distribution, une planification ce qui est impossible à faire sur un contrat

de dix ans, vingt ans ou de quarante ans. Si vous me donnez un contrat de dix ans et que je garde l'industrie, je vais couper le plus proche et je dirai: Au diable ce qui arrivera après moi.

Ce n'est pas notre idée; lorsque nous avons des concessions, appelons ça réserves forestières ou comme vous voudrez, nous avons des intérêts très poussés à la conservation.

M. CARPENTIER: Au début de la page 7, vous proposez des droits de coupe qui n'excéderont pas, au départ, $1.50 les cent pieds cubes. Est-ce que ce montant résulte de calculs basés sur une valeur équitable du bois rond mis en marché présentement?

M. GERIN: C'est tout simplement une suggestion. Actuellement, nous payons dans les concessions $4.50; je crois que j'avais calculé à peu près $6 distribués entre le loyer et le droit de coupe. Mais ce sont tout simplement des suggestions qui peuvent être changées et qui peuvent être diminuées ou augmentées selon l'endroit et la qualité de la forêt.

M. CARPENTIER: A la page 7, au dernier paragraphe, vous affirmez que l'idée de la planification est de la prospective au régime du dirigisme. Ce sont pourtant là deux techniques administratives qu'on retrouve sous toutes les formes de gouvernement; totalitaire, démocratique, libéraliste ou socialiste. Qu'est-ce qui vous fait dire que la planification est une prospective au régime du dirigisme?

M. GERIN: C'est ce à quoi ça mène, de toute façon. La prospective n'est pas au régime du dirigisme, mais ça mène à ça de toute façon. La planification vous amène à diriger.

M. LESSARD: Pour l'entreprise privée... M. Murdock a parlé de planifier sur une période de 75 ans. Vous n'en faites pas de planification, vous?

M. GERIN: Je ne comprends pas votre question.

M. LESSARD: M. Murdock, tout à l'heure, a parlé de la nécessité pour l'entreprise de planifier sur une période de 75 ans.

M. GERIN: Oui.

M. LESSARD: Alors, est-ce que l'entreprise privée ne fait pas de planification? Si l'entreprise privée en fait, pourquoi l'Etat ne devrait-il pas en faire?

M. GERIN : Nous ne lui reprochons pas de faire de la planification, ce n'est pas ce que nous lui reprochons. On émet simplement l'opinion ici que l'idée de planification est â l'origine du dirigisme. Si c'est poussé plus loin, ça devient du dirigisme d'Etat tout simplement et qui peut prendre plusieurs formes, comme on le connaît dans bien des pays.

M. CARPENTIER: M. le Président...

M. MURDOCK: Peut-être que nous voulons dire par la planification que nous prétendons que l'Etat pourrait établir les objectifs et non pas nous diriger par la main. C'est un peu, je pense, dans ce sens qu'on a voulu appuyer sur le mot planification; ce n'est pas un mauvais mot, au contraire, nous en faisons continuellement et c'est essentiel. Nous avons peut-être employé des mots un peu inexacts; nous voulons simplement dire que nous ne voulons pas que l'Etat vienne nous mener par la main. Il peut nous diriger, nous donner les objectifs et nous contrôler, mais pas venir nous donner l'ordre du jour.

M. BELAND: En d'autres mots, M. Murdock, vous voulez justement accepter que l'Etat regarde si vous n'outrepassez pas vos droits; mais dans le sens du respect de vos droits, vous tenez à demeurer dans cette sphère.

M. MURDOCK: Oui.

M. BELAND: A l'intérieur de cette sphère. Disons que nous sommes — pas besoin d'en faire l'image — des tenants de l'entreprise privée. Vous avez certaines choses à l'intérieur que j'aime énormément. J'y reviendrai plus tard.

M. CARPENTIER: Seulement une autre question, M. Murdock. Qu'est-ce qui vous fait croire que, par sa nouvelle politique forestière, l'Etat a l'intention d'exproprier éventuellement l'entreprise privée pour transférer à la collectivité la conduite de toutes ses affaires?

M. MURDOCK: J'exagère peut-être, mais si je voyais Rexfor décider de faire la coupe dans notre bois et nous le livrer à la scierie, je lui dirais tout simplement : Prenez donc mon usine et finissez. Parce que c'est un tout ça, la coupe du bois, la transformation, la mise en marché. Et lorsqu'on n'est pas capable d'en faire un succès, c'est un autre qui va le prendre. Mais ça ne se divise pas en trois ou en dix parties.

M. DRUMMOND: Est-ce qu'il n'y a pas une grande différence, M. Murdock, entre l'utilisation des forêts qui appartiennent à l'Etat et l'usine qui appartient à un individu, au propriétaire ou l'entrepreneur? C'est cela qui pose des problèmes, je pense. On parle de dirigisme, mais je pense que l'Etat a un mot à dire en ce qui concerne l'exploitation de ses propres forêts, n'est-ce pas?

M. MURDOCK: Oui, mais les ingénieurs au ministère sont les mêmes ingénieurs forestiers qui travaillent pour l'entreprise privée. Ils ont les mêmes lois et...

M. DRUMMOND: Nous n'avons pas les mêmes actionnaires.

M. MURDOCK: Je crois qu'ils ont les mêmes buts, j'espère.

M.DRUMMOND: Grosso modo, probablement, mais peut-être pas dans tous les cas.

M. MURDOCK: Si l'Etat nous donne un territoire — nous le prête — après cela, c'est à nous de le faire fructifier le plus possible sur une récolte indéfinie. C'est à l'Etat de surveiller si, réellement, nous faisons notre travail comme il se doit; si nous ne le faisons pas ou si l'industrie ne fonctionne pas, l'Etat doit reprendre sa forêt. Il n'est pas question que la forêt n'appartienne pas à l'Etat.

M. CARPENTIER : En un mot, vous voyez un manque de concordance du fait que l'Etat et l'industrie privée sont dans un même genre d'exploitation.

M. MURDOCK: Oui. Je dis que, si l'Etat veut prendre notre usine, je n'ai pas d'objection mais les mêmes problèmes que j'ai existeront. Le gérant dira: Cela me prend un territoire à exploiter.

M. LESSARD: A quel endroit du tome II avez-vous vu que l'Etat voulait s'emparer de votre usine? Y a-t-il un endroit du tome II où il est dit que l'Etat s'emparera de votre usine?

M. MURDOCK: Oui. Il prétend qu'il faudrait que ce soient des compagnies d'Etat qui exploitent la forêt, qui coupent le bois.

M.LESSARD: Il y a des plans d'aménagement...

M. DRUMMOND: M. Murdock, s'il vous plaît.

M. VINCENT: Le député de Saguenay dit dans son discours que l'entreprise gouvernementale qui réaliserait la coupe de bois et la transformation de ce bois, etc... C'est le discours du député de Saguenay, ce n'est pas le livre blanc.

M. LESSARD: Je regrette, M. le Président. Le discours du député de Saguenay parle de la possibilité d'un complexe secondaire. Je n'ai pas parlé de la nationalisation de toutes les entreprises québécoises. J'ai dit qu'il serait important, comme c'est le cas actuellement dans le pétrole, comme c'est le cas actuellement en ce qui concerne les mines, comme aussi c'est le cas en ce qui concerne Sidbec-métallurgie, que l'Etat ait son complexe forestier intégré. Mais jamais, dans l'intervention du député de Saguenay, il n'y a eu mention d'une espèce de nationalisation complète des entreprises québé- coises. Si je posais la question à M. Murdock tout à l'heure, c'est que je n'ai pas vu, non plus, dans le livre blanc, cette espèce d'étatisme à l'état pur que semble craindre M. Paul Murdock.

M. LE PRESIDENT: Autrement dit, vous avez été conservateur. Le député de Laviolette.

M. CARPENTIER : Je veux remercier bien sincèrement M. Murdock et son ingénieur pour les réponses qu'ils ont bien voulu fournir à nos questions. Je cède la parole au député de Nicolet.

M. VINCENT: M. le Président, une question préliminaire. M. Murdock nous dit en page 1 de son mémoire que son industrie compte actuellement environ 600 employés pour une moyenne de salaires d'environ $3 millions. Est-ce qu'au cours des années passées, votre industrie, Murdock Lumber Incorporated, a déjà compté plus d'employés et a payé plus de salaires?

M. MURDOCK: Peut-être pas plus de salaires mais il y a sûrement eu plus d'employés, parce que en forêt, nous avons 200 employés. Or, nous en avons déjà eu 400 et 600. Le nombre des employés forestiers, depuis cinq ou six ans, a certainement diminué du tiers au moins.

M. VINCENT: Est-ce à cause de la mécanisation ou parce que depuis quelques années vous achetez également des forêts privées?

M. MURDOCK: Non, c'est tout simplement la mécanisation.

M. VINCENT: Mais est-ce que présentement la compagnie achète du bois d'exploitants de forêts privées?

M. MURDOCK: Nous achetons quelque peu des coopératives à Saint-Fulgence et Sainte-Rose, une partie assez infime; l'an passé, nous avons acheté du bois de Rexfor. Cela a fait mon affaire, mais, si vous me permettez, je peux vous dire qu'on a coupé dans le bassin, à quinze milles de notre usine, bassin qui vient chez nous. Cela m'a déplu énormément, naturellement. C'est un bassin que je demandais depuis longtemps et que nous voulions rationaliser à un montant de coupe indéfini pour aider à la rentabilité de notre usine. Or, Rexfor a décidé d'aller couper là et a décidé de tout couper dans une prériode de — je ne sais pas — quinze ou vingt ans et il n'y aura plus de coupe dans ce temps-là, c'est tout. Or, on l'aurait fait à un prix raisonnable, qui aurait été facilement raisonnable pour nous aussi.

Je critique cette coupe commerciale que je ne vois pas utile pour nous. C'est un à-côté, je vous le dis; je ne dis pas que Rexfor n'est pas utile ailleurs, mais je ne voyais pas l'utilité ici. Je verrais l'utilité de Rexfor dans la sylviculture

exclusivement et dans la plantation. Si vous voulez employer là des gens du service social, c'est très utile. Vous n'emploierez jamais de gens du service social dans l'exploitation forestière mécanisée telle qu'elle est aujourd'hui. Cela prend des fameux bons hommes pour exploiter la forêt actuellement. Je ne dis pas que les gens du service social sont des mauvais gars, mais ils n'ont simplement pas la capacité physique, il y a aussi d'autres raisons.

M. VINCENT: M. Murdock, si je retourne à la page 6 de votre mémoire, je comprends qu'en principe vous n'êtes pas opposé â l'élimination des concessions forestières ou au rachat des concessions forestières, c'est sur les modalités que vous posez des questions. De quelle façon le gouvernement va-t-il compenser en allocations pour l'avenir des bois que vous possédez présentement à l'intérieur de ces concessions forestières? Donc, le principe de l'élimination des concessions forestières, vous l'acceptez pour autant que les modalités qui suivront viendront vous fournir un approvisionnement adéquat pour les prochaines années. Cette abolition des concessions forestières est visée sur une période évaluée à dix ans. Est-ce que vous croyez que, pour autant que les modalités vous conviennent, ça pourrait se faire dans cinq ans? Est-ce que vous auriez objection à ce que ça se fasse sur une période de cinq ans au lieu de dix ans?

M. MURDOCK: Je n'ai aucune objection. Je peux vous dire que je parle juste pour moi-même, je ne voudrais pas du tout impliquer d'autres industries. Pour ma part, ça peut se faire demain, ça n'a aucune importance.

M. VINCENT: Pour autant qu'on vous fournira de la matière première d'une autre façon?

M. MURDOCK: De la matière première pour fonctionner d'une autre façon, mais qu'elle soit bien définie. Tant que l'industrie va fonctionner, qu'elle m'appartienne ou qu'elle ne m'appartienne pas, c'est un besoin. Si vous voulez que cette localité vive et que cette industrie vive, il faut que les forêts contiguës soient réservées et assez grandes pour qu'on ne dépasse pas la possibilité de la coupe.

M. VINCENT: La proposition du livre blanc, c'est une loi qui, au maximum, donnera au gouvernement dix ans pour l'abolition totale des concessions forestières. C'est la proposition du livre blanc.

M. MURDOCK: Oui, mais les solutions qu'on apporte ne me blessent pas du tout.

M. VINCENT: Quant au coût de rachat — vous parlez du coût de rachat, le député de Laviolette en a parlé également — je pense que c'est la philosophie du livre blanc de compenser, quand on reprendra les concessions forestiè- res, les coûts aux compagnies de ces dites concessions en leur donnant des bons pour pouvoir, pour les années à venir, s'approvisionner sur des coupes qui leur seront dévolues. C'est la philosophie du livre blanc.

M. DRUMMOND: Il y a possibilité de payer pour des améliorations non dépréciées.

M. VINCENT: Ne pas payer comptant.

M. DRUMMOND: Non; note de crédit, grosso modo. Si je peux poser une question dans la même ligne à M. Murdock. M. Murdock, admet- triez-vous qu'un contrat à long terme soit monnayable et hypothécable?

M. MURDOCK: Je ne crois même pas qu'on devrait hypothéquer la forêt.

M. DRUMMOND: Je ne parle pas d'hypothéquer les ressources de la forêt. Je demande seulement si, à votre avis, une garantie à long terme, au point de vue de la compagnie, est monnayable, c'est-à-dire avec une telle garantie que vous pourriez emprunter d'une banque ou de n'importe quel autre bailleur de fonds.

M. MURDOCK: Sûrement que la banque avec laquelle je ferai affaires, à qui je demanderai de m'avancer des fonds, la première chose qu'elle va me demander, c'est: Est-ce que tu as des ressources forestières? Que ce soit un contrat annuel tant que l'usine va fonctionner, je crois qu'elle va être bien satisfaite. Je ne crois pas être obligé de déposer mon contrat avec le gouvernement. Je pense que c'était autrefois un défaut d'engager indirectement le gouvernement dans une entreprise. Peut-être que ce n'est pas tout à fait acceptable. Pour autant que la banque est au courant que j'ai une entente avec le gouvernement, j'aurai mon bois tant que l'usine va fonctionner. Elle va être assez satisfaite pour m'avancer les fonds de roulement dont j'ai besoin.

M. DRUMMOND: Merci.

M. VINCENT: M. Murdock, vous avez mentionné tout à l'heure que vous achetiez quelque peu de producteurs ou de propriétaires de forêts privées. Ce qui provient de la forêt privée peut représenter quel pourcentage de l'utilisation de la matière première?

M. MURDOCK: A peu près 10 p.c.

M. VINCENT: Et jusqu'à maintenant, il n'y a pas eu de problème dans votre région avec les propriétaires de boisés privés.

M. MURDOCK: Ce n'est pas nécessairement privé; ce sont plutôt des syndicats qui sont dans les forêts domaniales.

M. VINCENT: Ils sont quand même régis par la Régie des marchés agricoles.

M. MURDOCK: Nous n'avons pas de problème actuellement. Ils sont libres d'aller ailleurs s'ils peuvent avoir plus cher. Je ne les oblige certainement pas à me vendre. Je me base passablement sur nos propres coûts pour leur offrir les prix nécessaires.

M. VINCENT: Est-ce que ce serait indiscret de vous demander quel a été le montant d'argent que votre compagnie a consacré à la recherche en foresterie?

M. MURDOCK: En recherche pure, je pourrais vous dire : Rien. Nous essayons de rester à l'avant-garde. Est-ce que vous voulez dire forestière dans le sens de la botanique?

M. VINCENT: Oui. Et après ça, il faudrait peut-être ajouter...

M. MURDOCK: Non, ce qu'on fait, c'est dans l'industrie de la transformation, la coupe et tout ça. Nous n'avons pas fait de plantation sous ce rapport. Si le gouvernement nous obligeait à faire certains travaux là-dedans, nous participerions. Mais nous n'en avons pas fait.

M. GERIN: C'est surtout dans la recherche opérationnelle et non pas dans la recherche de base. Ce que vous entendez, si je comprends bien, c'est sur le plan de la forêt, si on a fait des recherches ou si on a dépensé des sommes d'argent dans ce domaine. Non, pas du tout.

M. VINCENT : Mais, est-ce que la compagnie s'est adonnée au cours des dernières années à du reboisement ou des travaux de sylviculture.

M. GERIN: Dans notre cas, cela ne s'est pas avéré nécessaire.

M. DRUMMOND: Pourquoi?

M. GERIN: Là où l'on coupe, dans nos territoires boisés, je ne crois pas qu'actuellement à ce stade-ci on soit dans l'obligation, ou que ce soit nécessaire, d'aller au reboisement. Le reboisement se fait naturellement. On est dans des forêts à maturité et même dépassées la maturité, là où se situent ces forêts, je ne vois pas qu'on doive actuellement pratiquer du reboisement intensif.

M. VINCENT: Vous pratiquez la coupe sélective dans ces concessions ou si c'est une coupe...

M. MURDOCK: Une coupe à blanc.

M. COITEUX: Qu'est-ce qui se produit dans la superficie derrière Notre-Dame-de-la-Dorée où il y a eu un feu assez intense? Est-ce la régénération de ce territoire qui fait partie de vos concession depuis dix ou onze ans?

M. GERIN : Nous ne sommes pas touchés par cette partie.

M. COITEUX: Vous n'êtes plus touchés par cette partie.

M. GERIN: Non, Notre-Dame-de-la-Dorée est...

M. COITEUX: Quand M. Murdock faisait du bois pour Price Brothers, j'allais mesurer moi-même dans les concessions qu'il échangeait avec Price Brothers à la rivière à Mars.

M. GERIN: Du côté ouest?

M. COITEUX: Cela a brûlé. Comment était la régénération là-dedans?

M. GERIN: La partie du feu de 1921 sur la Mikoasas est très bien reprise. D'ailleurs il y a des repeuplements qui ont...

M. COITEUX: C'était vers 1946 ou 1947.

M. MURDOCK: La pousse est excellente. Maintenant, il y a certainement des endroits où il y aurait lieu d'y faire de la plantation mais je pense que ce serait là l'oeuvre d'un organisme comme...

M. COITEUX: Rexfor ou un autre.

M. MURDOCK: ... qui pourrait le faire; je crois que nous, comme entreprise privée, n'avons pas de profits assez fantastiques pour les investir dans la plantation. De toute façon ce sont toutes des forêts vierges, c'est-à-dire que c'est la première coupe et, comme on l'a dit tout à l'heure, la normalisation va se faire après, quand on viendra dans la deuxième coupe, on n'y sera pas mais c'est seulement à ce moment-là qu'on pourrait dire que la forêt est normalisée complètement.

M. LE PRESIDENT: Le député de Lotbinière.

M. BELAND: Est-ce que vous avez fait des essais de coupe sélective à l'intérieur de votre bloc forestier quelque part? Est-ce que vous avez fait des essais dans ce sens-là? Vous avez dit tantôt que c'était principalement la coupe à blanc mais est-ce que vous avez tenté quelque chose d'autre?

M. MURDOCK: Au Lac-Saint-Jean, la forêt est toute du même âge. Il n'est pas question de forêt, de coupe sélective. Il y a eu de grands feux il y a quelques années et la forêt est à peu près toute du même âge. Mais sur les monts Sainte-Marguerite, nous avons tenté certaines

coupes sélectives mais les règlements des Terres et Forêts, actuellement, sont passablement pour la coupe à blanc.

Sur les monts, je pourrais vous dire que, parfois, il y a des touffes de jeune bois que nous pouvons laisser et qui, certainement dans quelques années, vont normaliser la forêt, dans le sens qu'il va y avoir des âges différents.

M. BELAND: Vous parlez d'un point auquel je n'aurais peut-être pas pensé. Vous laissez des parties qui, présentement, sont encore intéressantes à laisser pousser en vue de les récolter dans trois ans, dix ans. Si le tout appartenait véritablement à l'Etat et si c'était l'Etat qui décidait du moment où vous couperiez, où vous auriez à couper, où d'autres pourraient les couper, est-ce que vous les laisseriez quand même là ou si vous les couperiez ou les récolteriez immédiatement?

M. MURDOCK: En fait, c'est l'Etat. Les surveillants du gouvernement nous disent ce qu'on peut faire ou ne pas faire. Nous faisons notre plan de coupe, mais il faut qu'il soit accepté au ministère. Nous faisons un plan de coupe annuel de dix ans ou de cinq ans et celui-ci est accepté par le ministère qui fait son inventaire et qui peut nous dire, à ce moment: Il ne faut pas aller couper là; il faut faire ça. Alors si on ne le suivait pas — naturellement nous voulons les suivre — nous aurions des amendes.

M. BELAND: Si le tout, la coupe elle-même, était géré par l'Etat, est-ce que vous y verriez immédiatement une différence ou une diminution dans la possibilité. Sur le même territoire, d'avoir le bois coupé exactement comme vous voulez l'avoir pour votre usine?

M. MURDOCK: Il n'y aurait aucun changement; je ne crois pas. Je ne crois pas que les gens qui travaillent pour le ministère auraient la même motivation, au point de vue du coût, que l'on a. Pour atteindre les mêmes buts, il y a certainement une question de coût. Est-ce qu'il pourrait nous subventionner? A ce moment si l'Etat me subventionne jusqu'à ce point, je ne vois pas mon utilité dans l'industrie.

M. BELAND: Puisque vous parlez d'une différence de coût, est-ce que vous avez déjà pensé à une différence exacte, disons par exemple $2 les mille pieds ou je ne sais trop? Est-ce que vous avez pensé à une différence approximative, compte tenu de ce qui se fait ailleurs, dans d'autres pays?

M. MURDOCK: Il y aurait une différence qui pourrait être minime la première année, mais qui viendrait s'accentuer, qui deviendrait prohibitive, à moins que l'Etat ne nous subventionne énormément. Cela deviendrait du dirigisme, de l'étatisme... Je n'ai plus alors ma raison d'être comme industriel.

M. LE PRESIDENT: Le député de Saguenay.

M. LESSARD: M. Murdock, dans le livre blanc, aux pages 162 et 163, le ministère des Terres et Forêts fait une analyse des problèmes de l'industrie du sciage. Dans cette analyse, on dit que l'industrie du sciage affronte, en particulier, deux problèmes. D'abord la difficulté de s'approvisionner de certaines espèces.

M. LE PRESIDENT: M. le député de Saguenay, pourriez-vous approcher votre microphone pour l'enregistrement des débats?

M. LESSARD: Je m'excuse, M. le Président. D'ailleurs, cette difficulté, vous l'avez soulignée à la page 3 de votre mémoire. Le deuxième problème, c'est le morcellement des entreprises inefficaces. Est-ce que vous pouvez faire certains commentaires concernant ces deux problèmes qu'affronte actuellement l'industrie du sciage? D'abord, la nécessité de l'approvisionnement.

M. MURDOCK: Je crois qu'à ce moment-là...

M. LESSARD: La difficulté, dis-je.

M. MURDOCK: J'ai malheureusement le droit de ne parler ici que de mon industrie, puisque vous aurez un mémoire de l'industrie du sciage. Dans mon cas, du moins, je n'ai pas le problème en ce moment de ne pas avoir assez de matière première. Ce dont je me plains à la page 3, c'est que ces territoires sont seulement officieusement réservés et j'aimerais bien qu'ils le soient officiellement, d'une façon ou d'une autre, j'aimerais qu'ils soient réservés afin que nous puissions faire de la planification.

M. LESSARD: En un sens, vous n'êtes pas assuré d'avoir, sur une période de cinq ou dix ans, un approvisionnement suffisant, parce que l'Etat peut toujours vous retirer ce territoire?

M. MURDOCK: Que l'Etat puisse toujours le retirer, je n'y suis pas opposé du tout. Je voudrais simplement que ce qui est fait officieusement soit tout simplement ratifié officiellement. Il y a certainement des industries de sciage pour qui c'est encore pire que pour moi, où il y a des contrats de cinq ou dix ans. Mais, comme je vous le dis, je ne voudrais pas parler pour une autre industrie que la mienne.

M. LESSARD: Non. Vous, dans le moment, vous n'avez aucun problème d'approvisionnement; vous avez un assez grand territoire pour vous approvisionner.

M. MURDOCK: Exactement.

M. LESSARD : Cependant, vous voudriez que cette possibilité d'approvisionnement vous

soit assurée pour une période qui vous permette de planifier votre production.

M. MURDOCK: Exact.

M. LESSARD: Vous parlez de baux au lieu de contrats d'approvisionnement et vous semblez un peu craindre les contrats d'approvisionnement. Quelle serait la différence, pour vous, entre un contrat d'approvisionnement et les baux dont vous parlez à la page 6?

M. MURDOCK: Un contrat d'approvisionnement sans terrain, pour moi, c'est un chèque en blanc, cela ne veut rien dire pour moi. Cela veut dire que cette année, tu peux aller là, l'autre année, aller là. Cela ne veut rien dire, si vous n'avez pas le territoire destiné.

M. LESSARD : Il est certain que si nous avons comme objectif la diminution des coûts de production et des coûts de transport, il va falloir que ces territoires d'approvisionnement soient redistribués, de façon que ce soit le plus près des usines.

Je pense que l'Etat n'agit pas de façon irrationnelle à ce point que l'accord des contrats d'approvisionnement soit fait à des compagnies situées sur des territoires très éloignés de leur entreprise de transformation.

M. MURDOCK: Je suis pleinement d'accord avec vous là-dessus, mais ça implique qu'il y ait un territoire réservé. J'ai trop vu de forêts domaniales où une usine sciait du bois là et où une autre usine sciait du bois ici.

C'était un méli-mélo inacceptable. En tout cas, c'est mon point de vue.

M. LESSARD : Est-ce que ce méli-mélo ne provient pas du fait que les concessions forestières ont été abusivement accordées, par exemple, à certaines compagnies qui se réservent exclusivement la coupe de leur bois sur ce territoire? Si on prend CIP, par exemple, qui a un territoire de 25,000 milles carrés, ceci ne laisse rien pour des entreprises comme la vôtre ou très peu.

M. MURDOCK: Notre proposition dit que la carte des réserves doit être refaite. Si le gouvernement achète un territoire et en redonne une partie, naturellement, il va donner la superficie nécessaire pour l'usine en question.

M. LESSARD: Vous êtes d'accord que la carte du territoire soit refaite? Est-ce que vous pensez que le temps que se donne le ministère, la période de dix ans, peut vous permettre à vous, comme industrie de sciage ou à l'entreprise forestière — parce que vous êtes quand même dans le domaine et vous connaissez ça — dans les circonstances actuelles d'en arriver à une diminution des coûts de transport? Je me place sur une période de dix ans.

M. MURDOCK: Sûrement cela va forcer certaines industries à fermer leurs portes malheureusement. Il y a une question. Si vous voulez — comme on veut d'ailleurs — que les usines qui ont des forêts à distance raisonnable soient protégées, il y en a qui n'auront plus leur raison d'être. Et ça va être un malheur.

M. LESSARD: Mais la redistribution des concessions forestières a justement pour but de rapprocher la source de l'entreprise de transformation. On sait actuellement, par exemple, que la moyenne de transport — c'est plutôt dans l'industrie des pâtes et papier — est de 156 milles, ce qui apporte des coûts de transport assez considérables.

Est-ce que vous pensez que le temps qu'on se donne, une période de dix ans, va permettre véritablement de pouvoir utiliser les forêts plus rationnellement pour l'industrie du sciage, par exemple?

M. MURDOCK: Quand vous dites au-dessus de 156 milles, je pense que vous parlez des endroits surtout où il y a du transport par bateau. C'est un autre problème.

M. LESSARD : La moyenne.

M. MURDOCK: Il y a un problème aussi pour les endroits où il y a du flottage. A ce moment-là, les distances sont aléatoires.

M. LESSARD: Je parle d'une moyenne de 156 milles. De toute façon, à la page 5, vous dites que "les modes d'allocation de matière ligneuse dans les forêts publiques sont inadéquats et même dépassés". Pourriez-vous expliquer dans quel sens ces modes d'allocation sont dépassés?

M. MURDOCK: C'est justement ce que vous venez dire. Il y a des forêts qui ont été allouées à 1,000 milles d'une usine ou 500 milles. Il y a certainement un découpage à refaire de toute la...

M. COITEUX: J'aurais une question, M. Murdock.

M. MURDOCK: Oui.

M. COITEUX: Je constatais votre réticence à un contrat d'approvisionnement. Si à ce contrat on attachait une description territoriale dans laquelle l'inventaire serait compris vous assurant que, dans un territoire donné qui possède par les inventaires forestiers tant de bois qui couvrirait votre possibilité avec un facteur de sécurité, pour prévenir les insectes ou les feux de forêts de 10 p.c., à 15 p.c, à ce contrat que le gouvernement vous donnerait comme garantie et ajouterait cela, quelle serait votre réaction?

M. GERIN: Qu'on décrive pour une usine donnée...

M. COITEUX: C'est cela.

M. GERIN: ... pour un complexe donné...

M. COITEUX: C'est la raison pour laquelle je pose la question.

M. GERIN: ... créant des possibilités d'expansion. Il est absolument essentiel que cette descrition du territoire, du globe forestier qui l'alimentera, soit faite.

M. COITEUX: C'est cela,

M. GERIN: Et qu'on ne fasse pas des accrocs et que, par la suite, tous les cinq ans et tous les dix ans, l'on dise: Il faut espacer ici et il faut espacer là.

M. COITEUX: Est-ce que vous visez l'accroc de Rexfor dans le territoire que...

M. GERIN: Oui, c'est un accroc. On parlait tout à l'heure de redistribution. On n'a pas parlé pour tout le monde. Il faut une redistribution de la forêt. Nous sommes d'accord. Comment doit-elle se faire? Là, nous sommes dans un cas particulier. Mais cela me fait penser à l'image qui dit ceci — dans certains secteurs, cette distribution sera difficile à faire — parce que le fromage est trop petit pour les rats qu'il y a.

M. LESSARD: Je suis bien d'accord. Dans certains coins. Mais, par contre, vous avez d'autres territoires qui sont actuellement sous concession et qui sont sous-exploités parce que les compagnies les conservent comme réserve. Je suis d'accord avec vous que tant qu'il n'y aura pas de redistribution du territoire, le fromage sera trop petit pour les rats qu'il y a. A la page 5, vous dites ceci: "La prétendue aliénation de forêts par l'entreprise est un mythe détestable servi par les tenants en mal de socialisation, de nationalisation et d'étatisation". En somme, le reproche que l'on fait aux concessionnaires, c'est d'avoir affermé des blocs de forêts à long terme sans pour tout cela en être les propriétaires.

En fait, ces concessionnaires, ajoutez-vous, ne sont que des locataires assumant non seulement quelques privilèges, mais aussi des obligations parfois très lourdes imposées par l'administration. Donc, dans ce texte, vous semblez favoriser encore le système de concessions. Non?

M. GERIN: Ce que nous voulons dire est qu'on semble mal poser le problème. On semble dire et répandre dans l'opinion publique que les concessionnaires forestiers se sont accaparés du patrimoine québécois. C'est ce qu'on veut dire. Mais en fait, ce n'est pas ça. Qu'on dise donc honnêtement que les concessionnaires forestiers ne sont purement que des locataires.

M. LESSARD: Justement vous parlez que, ce qu'on reproche actuellement, c'est d'avoir affermé des blocs de forêts sans être propriétaires et que ce serait pour ça qu'on ferait — semble-t-il, je conclus peut-être vite.— disparaître les concessions. Ne pensez-vous pas que si le gouvernement tente ou, en tout cas, s'attaque en partie aux concessions, c'est justement pour éviter certains abus que vous avez vécus, vous autres, l'industrie du sciage, par suite du fait que vous aviez de la difficulté à vous alimenter parce que les concessions forestières appartenaient à d'autres compagnies.

M. LE PRESIDENT: Si le député de Saguenay me permet, on fait remarquer à la présidence qu'il est six heures. Puis-je lui demander s'il a encore beaucoup de questions?

M. LESSARD: Non.

M. LE PRESIDENT : Nous pourrions terminer avec Murdock Lumber.

M. LESSARD: M. le Président, je pense bien qu'il ne faudrait pas faire revenir M. Murdock ce soir, uniquement pour quelques questions. Je ne sais pas si vous êtes prêt à répondre à ma question. Vous semblez...

M. MURDOCK: On semble blâmer beaucoup les industries pour leur passé. A ce moment, c'était probablement une bonne idée ou du moins une façon de le faire le plus adéquatement. Je ne voudrais pas qu'on blâme ce qui a été fait dans le passé. A une autre page, nous disons que cette façon est dépassée. Nous suggérons des améliorations. Nous sommes d'accord avec vous qu'il faut faire un nouveau découpage des concessions.

M. LESSARD: Vous n'avez aucune opposition à la disparition des concessions pour autant que vous pourrez avoir un contrat d'approvisionnement sur un territoire donné et non pas éparpillé dans tout le Québec.

M. MURDOCK: Exact!

M. LESSARD: Vous parlez beaucoup d'étatisation. Cela semble très dangereux pour vous, peut-être dans l'optique du livre blanc tel que vous le voyez. Moi, je ne le vois pas de cette façon. Vous parlez d'entreprises, d'engagement social et de responsabilité envers les générations futures. Le fait que l'entreprise crée un engagement social et qu'elle a des responsabilités envers la génération future, n'est-ce pas d'autant plus vrai du gouvernement qui, lui, est responsable de tout le domaine public et de l'aménagement du domaine public?

On parlait tout à l'heure d'objectifs. Vous semblez douter de la nécessité pour l'Etat de gérer l'administration des forêts. Est-ce que ce ne serait pas plus nécessaire pour l'Etat de gérer l'administration de ces forêts, puisque, lui, il a

une responsabilité envers les générations futures? Non seulement envers la génération de vos employés à vous, mais envers les générations futures de tout le Québec.

M. MURDOCK: Je suis tout à fait d'accord avec vous. Mais je pense que les activités commerciales et tout ça sont peut-être mieux et plus efficaces dans l'entreprise privée. Cela n'empêche pas la gérance de l'Etat sur nos activités.

M. LESSARD: Quand vous parlez d'exploitation commerciale, vous parlez probablement de coupe de bois, de transformation, mais vous ne parlez pas de la nécessité pour l'Etat de faire des plans d'aménagement pour la forêt, de faire de la sylviculture. Vous avez dit tout à l'heure que cela devrait relever de Rexfor parce que cela coûte trop cher et qu'on ne fait pas assez d'argent. Est-ce que l'entreprise n'a pas une certaine responsabilité dans ce domaine, puisque si on lui cède un territoire, elle doit s'assurer de pouvoir faire renouveler ce territoire? Si vous l'épuisez en l'espace de quinze ou vingt ans, on ne sera peut-être pas capable de vous en donner un autre plus tard, tout près de vous. En collaboration avec l'Etat, est-ce que vous n'avez pas une responsabilité de ce côté?

M. MURDOCK: Je connais une compagnie américaine qui plante un arbre ou deux par arbre qu'elle coupe. Peut-être qu'elle est d'une profitabilité beaucoup plus forte. Elle détient le fonds de la forêt probablement.

M. LESSARD: Pour vous, tout ce qui est de plan d'aménagement, de coupe sélective, de reboisement, de sylviculture, cela devrait être donné à une société qui serait une société d'Etat?

M. MURDOCK: Pas nécessairement; peut-être pas à la société d'Etat. Le gouvernement a déjà en place des ministères qui sont très adéquats pour remplir cette fonction.

M. LESSARD: Cela doit revenir au gouvernement?

M. MURDOCK: Certainement.

M. LESSARD: De ce côté, vous n'avez pas peur du socialisme?

M. MURDOCK: Non. M. LESSARD: Merci.

M. LE PRESIDENT: MM. Murdock et Gérin, nous vous remercions d'avoir voulu apporter vos commentaires à l'intérieur du projet de réforme dans le monde forestier; merci également d'avoir répondu avec autant d'obligeance aux questions qui vous ont été posées de chaque côté de la table.

La commission suspend ses travaux jusqu'à huit heures et quinze ce soir.

(Suspension de la séance à 18 h 5)

Reprise de la séance à 20 h 25

M. GIASSON (président de la commission permanente des richesses naturelles et des terres et forêts): A l'ordre, messieurs!

Tel que convenu lors de la suspension de nos travaux pour le souper, nous continuons. Je pense que le deuxième groupe à être entendu ici est la Corporation des ingénieurs forestiers, sauf erreur. J'inviterais donc les représentants de ladite corporation à s'avancer près de la barre et à nous soumettre le message de la corporation.

Avant d'intervenir, nous vous invitons à vous identifier.

Corporation des ingénieurs forestiers

M.MERCIER: Mon nom est Jean-Claude Mercier. Je suis président de la Corporation des ingénieurs forestiers de la province de Québec. A ma gauche, M. Hervé Lizotte, secrétaire de la corporation; à ma droite, M. Jean-Paul Nadeau, vice-président de la corporation, et, à mon extrême droite, M. Gilbert Paillé qui a dirigé le comité qui a préparé le mémoire que nous vous présentons et qui a dirigé l'analyse des tomes I et II de l'exposé sur la politique forestière.

La Corporation des ingénieurs forestiers de la province de Québec est heureuse de l'occasion qui lui est offerte d'exprimer ses voeux sur la politique forestière du Québec. Les ingénieurs forestiers sont particulièrement heureux, puisque enfin, après six ans de gestation, un document exprimant une politique forestière acceptée du gouvernement est présenté au public. Pendant les dernières années, les ingénieurs forestiers ont indirectement subi les pressions nouvelles et intensifiées pour l'utilisation des forêts. Ils furent souvent blâmés de leur manque de vision, alors qu'ils devaient continuellement se débattre dans un fouillis de lois et règlements faits pour le temps des calèches et de la coupe au godendard.

Le livre blanc est un exposé des politiques. Une nouvelle loi sera la bienvenue car c'est en fait, bien plus que le livre blanc, l'outil manquant qui nous permettra d'assurer une saine utilisation des forêts au Québec.

M. COITEUX: Pardon, M. le Président, est-ce que le président de l'Association des ingénieurs forestiers a préparé un autre mémoire que celui qu'il nous a donné, parce que je ne me retrouve pas du tout dans la patente? Est-ce que c'est un sommaire?

M. MERCIER: Ce n'est pas un sommaire, mais une présentation de notre mémoire. Je peux m'en tenir, tel que vous le désirez, au mémoire que je vous ai présenté.

M. COITEUX: Non.

M. LESSARD: Vous avez droit à des préliminaires.

M. MERCIER : Alors, ce sont des préliminaires au cas où quelqu'un ne l'aurait pas remarqué.

M. LESSARD: Extrêmement intéressants, d'ailleurs.

M. MERCIER: Il est quasi impossible de ne pas être d'accord sur les objectifs détectables parmi les longs textes de l'exposé du gouvernement. Sur les moyens, nous ne sommes pas toujours d'accord et la plupart de nos interventions sont en ce sens. Nous devons rappeler à cette commission que notre mémoire ne présente pas, sur tous les points, une unanimité de pensée parmi les ingénieurs forestiers.

Plusieurs de nos membres sont radicalement pour ou contre les moyens envisagés par le gouvernement pour réaliser la réforme de ces lois concernant les terres et forêts. Notre approche à l'analyse du texte nous permet cependant de dire que les opinions émises sont celles de la majorité de nos membres.

Le but de nos interventions est de présenter un point de vue simple, réaliste, qui permettra au gouvernement et aux spécialistes de la question forestière que sont nos membres, de travailler ensemble, rapidement, à la réalisation de l'objectif principal de cette réforme qui est la plus grande contribution possible du secteur de la forêt au bien-être de tous les Québécois.

Je passe maintenant à la lecture du document. Le présent document résume la philosophie de la Corporation des ingénieurs forestiers de la province de Québec face à la réforme et au programme d'action proposés dans le livre blanc du ministère des Terres et Forêts.

Il est bon de rappeler que chaque fois que ce fut utile ou nécessaire, la corporation, dans un grand souci du bien public, s'est prononcée et a présenté des rapports exposant ses opinions sur la fiscalité, l'expropriation et l'évaluation forestières, l'aménagement polyvalent, la recherche et la politique forestières.

Gestion des forêts. Le zonage de l'utilisation des terres forestières.

Le zonage territorial s'impose afin de permettre une planification intégrée de l'utilisation des terres; le zonage sectoriel facilite l'allocation, la gestion et l'aménagement des ressources d'un secteur.

La corporation encourage le gouvernement et le ministère à procéder à de tels zonages. Cette phase serait grandement facilitée si un ministère des Ressources naturelles était créé et définissait une politique globale de l'aménagement du territoire québécois, telle que proposée par la corporation en mai 1967 et en avril 1971.

La corporation favorise le zonage du territoire forestier, mais elle suggère: que les critères de zonage soient clairement définis en fonction de variables économiques, écologiques et sociales et qu'ils ne viennent pas à l'encontre des principes de l'aménagement polyvalent; qu'on n'identifie pas de "zones non aménagées" à

l'intérieur des zones forestières de production,

La corporation estime que le concept de zonage des forêts publiques proposé au niveau sectoriel, en forêts de protection et en forêts de récréation, peut entrer en conflit avec les concepts de parcs et réserves analogues.

Ceux-ci constituent des unités territoriales qui poursuivent déjà des objectifs de protection du milieu naturel, paysages, ou d'éléments de ce milieu, faune, flore, géologie, ainsi que les objectifs de loisirs de plein air. En effet, les motions de parcs et réserves analogues ne sont pas en soi liées à la présence de la forêt bien que celle-ci constitue un biome important au Québec. Leur établissement doit être envisagé au niveau d'un zonage étendu à l'ensemble du territoire dont la forêt ne constitue qu'un type de milieu.

Il y aurait donc lieu que le gouvernement, par une loi-cadre des parcs et réserves analogues, définisse d'abord les différents types de parcs et réserves qu'il désire établir au Québec. Il devra préciser clairement, pour chaque type, la nature, le degré de protection envisagé et le genre d'utilisation récréative qui sera poursuivi.

Les modes de gestion: La corporation encourage le ministère à ne retenir que deux modes de gestion des forêts publiques, soit la gestion publique, soit la gestion mixte, et à favoriser les modes de gestion de la forêt privée les plus susceptibles de hâter son développement et sa mise en valeur.

Gestion publique. Le régime de gestion. La corporation appuie, en principe, la proposition de réorganisation foncière du ministère. Elle voit d'un bon oeil la création de grandes unités d'aménagement dont les contours coïncideraient avec ceux des bassins hydrographiques, — je devrais ajouter ici les sous-bassins également — et la disparition progressive des réserves cantonales et spéciales. Cependant, elle s'oppose à la disparition systématique de toutes les concessions forestières. En effet, il n'apparaît pas nécessaire d'abolir toutes les concessions pour améliorer la gestion, l'allocation, l'accessibilité, l'utilisation et pour diminuer les coûts d'administration.

Elle suggère que d'abord les réserves cantonales et spéciales soient intégrées aux forêts domaniales ou associées aux terrains privés avoisinants et soumises au régime de gestion mixte. De plus, elle propose que les concessions forestières de faible superficie soient intégrées à d'autres concessions, ou abolies en suivant les normes précises et un échéancier connu à l'avance des intéressés pour que ceux-ci ne restent pas dans l'incertitude durant toute la période nécessaire à ce remaniement.

Si la superficie minimale des unités d'aménagement était de 500 milles carrés au lieu de 1,000 milles carrés, seuls les concessionnaires utilisant environ 50,000 cunits de bois par an ou 20 millions de p.m;p. seraient retenus. La disparition ou le regroupement des petites concessions pourraient alors se faire en deux phases: d'abord celles d'une superficie inférieure à 50 milles carrés, représentant 43 p.c. du nombre actuel, et ensuite celles de superficie inférieure à 500 milles carrés, 33 p.c. du nombre actuel. Ce changement n'affecterait — il y a une correction à apporter au mémoire ici — que 12 p.c. de la superficie présentement concédée et réduisant le nombre de concessions à une cinquantaine au lieu de 176.

Toutes les concessions devraient être assujetties aux dispositions adoptées par le ministère depuis 1963.

La responsabilité de la gestion. Cette proposition de ne conserver que les concessions de 500 milles carrés et plus coûterait moins d'argent au gouvernement que leur abolition totale. Elle aurait pour effet de faire porter par les industriels une partie des responsabilités de la gestion des forêts publiques du Québec. Ceux-ci pourront d'autant mieux remplir cette tâche — et j'insiste — que les contrôles gouvernementaux seront meilleurs.

L'autre part des responsabilités de la gestion devrait être portée par les unités régionales du ministère lui-même et non par une société paragouvernementale de gestion forestière.

L'action du gouvernement semble entravée par les lois et les règlements qu'il s'est lui-même donnés et la société de gestion est proposée pour contourner les contraintes administratives actuelles. De l'avis de la corporation, il serait plus logique et plus efficace que le ministère corrige une fois pour toutes la situation en enlevant ces contraintes plutôt que de tenter de les contourner par la mise en place de la société de gestion. Vraisemblablement, celle-ci ne ferait qu'augmenter les coûts d'administration, sans présenter de garantie quant à son efficacité et à sa rentabilité.

Gestion mixte. La corporation s'oppose à l'élimination totale des concessions et elle recommande que les grandes concessions forestières soient administrées sous un régime de gestion mixte. Il serait souhaitable que cette gestion soit confiée à un groupe formé d'ingénieurs forestiers au service du gouvernement et du concessionnaire. De cette façon, le ministère des Terres et Forêts se donnerait une structure lui permettant de mieux remplir ses obligations sans se ruiner à rembourser des sommes qui n'auraient pour tout effet pratique que l'élimination du mot "concession forestière" et son remplacement par "contrat d'approvisionnement à long terme".

Gestion des forêts privées. La corporation approuve sans réserve le ministère de vouloir poser des gestes concrets pour favoriser la gestion des forêts privées. Elle voit aussi d'un bon oeil l'utilisation des forces en place pour faciliter cette action. Toutefois, elle souhaite que le gouvernement prenne les dispositions nécessaires pour affranchir les offices de producteurs de bois de toute influence, avant de leur confier les responsabilités de gestion prévues dans le livre blanc. Elle souhaiterait aussi

une meilleure définition des pouvoirs des associations régionales de sylviculteurs; elle approuve l'opinion que de telles associations ne devraient pas avoir de capacité judiciaire.

Elle recommande que ces associations fassent davantage appel à la compétence des ingénieurs forestiers.

Dans le même domaine, la corporation félicite le gouvernement de vouloir instituer un crédit forestier pour aider financièrement les petits propriétaires à mieux gérer et aménager leur propriété forestière. Elle ne s'oppose pas à ce qu'un organisme gouvernemental intègre les crédits dépensés en milieu rural à un régime d'assistance. Cependant, elle recommande que ce crédit forestier soit clairement dissocié du crédit agricole et qu'il comporte des attaches susceptibles d'en assurer une utilisation rationnelle à long terme.

L'allocation de la matière ligneuse. Des changements s'imposent dans les modes d'allocation de la matière ligneuse, mais la corporation s'interroge sur l'efficacité de plusieurs méthodes proposées pour effectuer ces changements.

Les principes d'allocation. Les six principes d'allocation énoncés par le ministère sont acceptables, sauf en ce qui concerne la dissociation de la gestion et de l'exploitation qui n'est concevable que si une société gouvernementale gère toutes les terres publiques. L'expérience vécue dans ce domaine, par certains concessionnaires forestiers actuels, indique qu'il serait préférable d'associer ces deux phases du développement forestier.

Quant aux autres principes, ils pourraient être respectés sans nécessairement enlever à l'entreprise privée toute initiative de gestion. Seule une modification des ententes contractuelles serait nécessaire en suivant la pratique adoptée pour les concessions accordées depuis 1963.

Plans de production et de distribution des bois. La corporation croit que la planification provinciale de la production forestière est nécessaire, mais qu'elle est rendue difficile tant que le premier cycle du programme décennal d'inventaire en cours n'aura pas été complété. Le ministère devrait se donner les moyens nécessaires pour: 1.ne pas remodifier continuellement la limite des unités d'aménagement; 2.faire confectionner des plans d'aménagement fonctionnels; 3.en contrôler efficacement l'application. Ces plans devraient prévoir l'utilisation des bois importés, des bois coupés en régie et des bois en provenance des terrains privés.

Types d'allocation. En pratique, les trois types d'allocation suggérés ne diffèrent pas beaucoup des méthodes actuelles, sauf pour ce qui est de la durée officielle de l'allocation contractuelle. Si les concessions n'étaient pas abolies, ce premier type pourrait prendre la forme d'un contrat d'affermage et d'un contrat d'approvisionnement dont le terme serait fonction de la structure de l'industrie, de l'investissement et du caractère cyclique de la demande pour les produits manufacturés par celle-ci. La corporation émet l'opinion qu'une période de 40 ans est trop longue. Elle suggère un maximum de 20 ans pour l'industrie des pâtes et de 10 ans pour les autres. Il serait aussi concevable que les autres soient justifiées pour plus de 10 ans.

Quant au permis d'usage annuel demandé par les petits utilisateurs, la corporation considère qu'il ouvre la porte aux influences politiques; il pourrait être remplacé par une autre forme de contrat à court terme. Les quantités globales allouées en vertu de ces permis devraient être strictement limitées et contrôlées.

Redevances. Le système intégré de redevances n'est pas assez bien défini pour que la corporation puisse se prononcer sur sa validité. Toutefois, afin de rendre ce système équitable pour tous les utilisateurs de matière première, elle favorise la mise en vigueur d'un mode de redevances variables basé sur la valeur des bois sur pied.

Accès à la forêt. La corporation considère comme souhaitable que le gouvernement se propose de créer un réseau de chemins principaux d'accès en forêt, de confectionner des plans pour leur développement et leur entretien et d'en faire supporter le fardeau financier par tous les usagers. Cependant, elle souhaiterait que le ministère fournisse plus de détails sur la définition des chemins principaux, sur son mode de compensation pour l'usage des chemins existants, sur la proportion qui continuera d'être défrayée par les utilisateurs de la matière ligneuse.

Régie des produits forestiers. La corporation est favorable à la création d'une telle régie, mais elle souhaiterait que ses attributions soient précisées et son fonctionnement mieux défini avant de l'endosser.

Rexfor. La corporation s'interroge sur la fonction première de cet organisme qui est "d'exploiter les forêts de l'Etat rendues à maturité et ne faisant l'objet d'aucune exploitation, mais qui devraient quand même être récupérées". L'impact social d'une telle forme de récupération, sa nécessité et sa rentabilité financière devraient être considérées plus rigoureusement. De même, le gouvernement devrait tenir compte de la concurrence créée par cet organisme au niveau de la main-d'oeuvre forestière et de l'approvisionnement.

Les effets de la réforme sur l'aménagement des territoires forestiers. Compte tenu des remarques faites précédemment, la corporation considère que la réforme proposée est nécessaire et urgente. Le fait que le gouvernement se propose d'intensifier son action en matière d'aménagement des terrains publics et privés est très valable. Cependant, il aurait été plus facile à la corporation d'étudier techniquement ces propositions si, parallèlement aux mesures pro-

posées, on avait donné une indication des modifications probables de la Loi des terres et forêts, si on avait indiqué un ordre de grandeur des coûts et bénéfices qu'une telle réforme occasionnera. Cette dernière remarque s'applique spécialement à l'abolition des concessions, à la création d'une société de gestion, aux mesures de protection, aux travaux d'intensification de l'aménagement, à l'accès du public en forêt, à l'aide aux propriétaires des forêts privées.

La corporation déplore aussi le manque de propositions concrètes du gouvernement concernant le problème de la main-d'oeuvre forestière. Par ailleurs, la corporation trouve regrettable le fait que le ministère semble vouloir décliner ses responsabilités en matière d'aménagement et d'exploitation des ressources autres que la matière ligneuse. Cette attitude risque fort d'entraver l'aménagement intégré des ressources de territoires forestiers et de placer les ingénieurs forestiers derrière les autres professionnels qui se préparent à assumer cette tâche.

Sur l'industrie. La corporation souhaiterait grandement que le gouvernement adopte, à court terme, une série de mesures visant à aider l'industrie forestière en difficulté. Celle-ci a déjà informé le gouvernement des diverses mesures susceptibles d'atteindre cet objectif; les plus importantes visent à abaisser sensiblement le coût du bois.

La corporation souhaiterait également que le gouvernement établisse une politique dynamique de prospection des marchés étrangers, de promotion et de protection tarifaire des produits québécois.

Elle considère, de plus, que le fait de restreindre l'intérêt aux industries de pâtes et papier, de sciage, de déroulage et de contre-plaqués constitue une vision limitée dans la conception de l'industrie des produits forestiers.

Du côté de l'industrie du sciage, la corporation considère que la réalisation d'économies d'échelle devrait se faire moins par regroupement obligatoire que par mort naturelle, en accélérant le processus par des incitations appropriées. Elle déplore que cette notion ne soit ni quantifiée, ni qualifiée dans le livre blanc.

Sur la recherche. Avant de pouvoir établir les priorités en recherche appliquée et en innovations technologiques, le gouvernement devrait établir une stratégie de développement industriel; par la suite, il pourrait s'efforcer de faire le partage des responsabilités concernant les champs de recherche à confier aux divers organismes impliqués.

La corporation considère que les priorités que se donne le ministère en matière de recherche englobent des champs d'action trop vastes pour ses moyens.

Sur l'administration du ministère des Terres et Forêts. La corporation incite le ministère à accélérer son mouvement de régionalisation afin de lui permettre de contrôler plus efficacement l'application de la politique forestière en matière d'allocation, de gestion, de transformation et de mise en marché.

Qu'elles soient celles d'un ministère des Ressources naturelles ou du ministère des Terres et Forêts, ces unités régionales devraient être conçues de façon qu'elles puissent assumer les fonctions prévues pour les unités déconcentrées de la Société de gestion forestière.

Conclusions et recommandations. Dans le but de maintenir une saine concurrence dans l'utilisation des ressources, la corporation suggère qu'une partie de la gestion des forêts publiques du Québec reste confiée à l'entreprise privée et incite le gouvernement à se donner une structure appropriée pour continuer à diriger l'aménagement des territoires forestiers et à en contrôler plus efficacement l'application. En conséquence, la corporation recommande que:

Le zonage territorial soit fait par un ministère des Ressources naturelles ou par une structure gouvernementale équivalente;

Le zonage du secteur forestier soit poursuivi en tenant compte de variables économiques, écologiques et sociales et en respectant les principes de l'aménagement polyvalent;

Le gouvernement définisse par une loi-cadre les différents types de parcs et réserves analogues en précisant la nature, le degré de protection souhaitable et le genre d'utilisation récréative envisagé;

Les concessions forestières de 500 milles carrés et plus soient conservées et que les autres soient éliminées en suivant un échéancier précis, connu des intéressés;

La gestion mixte des grandes concessions forestières soit confiée à un groupe d'ingénieurs forestiers choisis par le gouvernement et par le concessionnaire;

La responsabilité de la gestion des terrains forestiers publics soit portée par les unités régionalisées d'un ministère des Ressources naturelles ou du ministère des Terres et Forêts;

Les offices de producteurs de bois soient affranchis de toute influence avant leur conversion en associations régionales de sylviculteurs et qu'alors ils utilisent les services d'ingénieurs forestiers;

Le crédit forestier soit dissocié du Crédit agricole;

Les plans d'aménagement de chaque unité de gestion soient conçus et contrôlés de façon à prévoir l'utilisation rationnelle des bois de toute provenance;

Les contrats d'approvisionnement soient émis pour une période ne dépassant pas vingt ans;

Les permis d'usage annuel prévus pour les petits utilisateurs soient remplacés par des contrats d'approvisionnement à court terme;

Le système intégré de redevances soit basé sur la valeur des bois sur pied ;

Le ministère des Terres et Forêts soit plus

explicite sur le mode de compensation pour l'usage des chemins forestiers existants et établisse la proportion des coûts de construction et d'entretien qui sera défrayée par l'industrie forestière et les autres utilisateurs;

Le ministère des Terres et Forêts précise les attributions et définisse le fonctionnement de la Régie des produits forestiers;

Le rôle de Rexfor soit réévalué;

Des mesures à court terme soient préconisées pour rendre l'industrie forestière plus concurrentielle;

Le gouvernement établisse une stratégie de développement industriel et une politique dynamique de prospection des marchés étrangers et de promotion des produits forestiers du Québec;

Le ministère des Terres et Forêts indique un ordre de grandeur des coûts et bénéfices impliqués dans la réforme proposée;

Le ministère des Terres et Forêts amplifie ses efforts en recherche appliquée tout en définissant plus rigoureusement les priorités.

La Corporation des ingénieurs forestiers remercie le ministre des Terres et Forêts de son invitation à participer à la mise en oeuvre des politiques visant à améliorer l'utilisation de la ressource forêt.

Elle assure le gouvernement de sa présence active chaque fois que l'intérêt public, les besoins de la forêt, ou le plus grand bien de ses membres l'exigeront. Son action ne s'arrêtera pas avec la remise du présent mémoire.

Elle souhaite être toujours en première place dans l'étude des problèmes forestiers.

Merci de votre attention.

M. LE PRESIDENT: Merci, messieurs. Le député de Duplessis.

M. COITEUX: Voici, à titre d'adjoint parlementaire du ministre et d'ingénieur forestier, je suis très heureux de la présentation de ce mémoire par la Corporation des ingénieurs forestiers, dont je fais partie. J'attache énormément d'importance à la présentation des membres de la corporation car, quelle que soit la teneur finale d'une loi éventuelle, il y a une chose certaine, c'est que les ingénieurs forestiers seront appelés dans différents domaines à faire de cette loi, de cette révision de la loi un succès s'ils sont convaincus du bien-fondé de la nécessité d'une révision de la loi forestière ou en feront une faillite, si on part, tout d'abord, avec une idée préconçue qu'on s'achemine vers un insuccès. Je puis aviser d'avance les gens de la corporation que mes questions seront assez nombreuses. Elles sont surtout axées non pas tellement dans un esprit de critique du mémoire, mais plutôt dans un esprit d'information pour que dans certains points précis on ait un éventail plus détaillé de ce que pense réellement la Corporation des ingénieurs forestiers qui elle, aura la responsabilité plus tard en très grande partie — et je me répète — de faire de cette loi un succès ou une faillite.

Ma première question est la suivante: J'aimerais savoir de la part du président de la corporation, le nombre de membres qui, je crois, actuellement est d'environ 800, si l'information qu'on m'a fournie à midi est exacte.

J'aimerais savoir, par une parole honnête et franche du président, quelle proportion des ingénieurs forestiers ont été mis au fait et ont donné leur assentiment à ce mémoire. C'est ma première question.

M. MERCIER: Dans la dernière livraison de la Chronique, qui est le bulletin périodique de la Corporation des ingénieurs forestiers, tous les ingénieurs forestiers ont été informés d'une étude préparée par le comité du livre blanc de la corporation sur les tomes I et II et en ont pris connaissance.

M. COITEUX: Combien vous ont fait parvenir leurs commentaires?

M. MERCIER: Nous avons reçu très peu de commentaires, il faut bien l'avouer.

M. COITEUX: Alors, en ce moment, je pense qu'il serait un peu préconçu d'oser dire que cela représente la mentalité existant actuellement au sein de la majorité de la corporation.

M. MERCIER : J'ai prétendu que ce mémoire représentait les vues de la majorité de la corporation et je maintiens cette affirmation. S'il faut aller à quelque chose comme un vote, nous l'obtiendrons.

M. COITEUX: Non, ce n'est pas ça du tout. C'est parce qu'il fallait tout de même établir, d'une façon bien complète, que ce n'était pas une affaire de cuisine, que c'était complet et que ça représentait du moins une grande majorité des ingénieurs. Mais je prends votre parole, M. le Président.

On va d'abord prendre votre mémoire paragraphe par paragraphe. Question de zonage, vous mentionnez dans votre mémoire que le zonage serait grandement facilité si un ministère des Ressources naturelles était créé et définissait une politique globale de l'aménagement du territoire québécois. Croyez-vous, M. le Président de la corporation, que les modalités de zonage préconisées dans l'exposé sur la politique forestière pourraient quand même conduire à des résultats acceptables si on ne réalisait pas la réorganisation de l'administration que vous suggérez?

Nous voulons des réponses, parce que nous voulons être éclairés et nous voulons faire une loi qui va emballer les ingénieurs forestiers, parce que le succès dépend d'eux.

M. MERCIER: Nous avons soumis, dans notre mémoire, que les critères de zonage que nous souhaitons voir utiliser par le ministère des Terres et Forêts ou par le ministère des Ressources naturelles que nous avons réclamé l'an

dernier soient de nature économique, écologique et sociale. Les variables économiques sont, par exemple, la valeur des ressources; les variables écologiques sont les faits de la nature qu'il faut accepter en partant et, parmi les valeurs sociales, je dirais qu'on peut parler de pressions de la population, des besoins des industries existantes ou à venir et de la présence de régions défavorisées.

Si le gouvernement, dans son livre vert, a cité ces variables, ce que nous n'avons pas retrouvé, nous sommes parfaitement d'accord sur les propositions du ministère.

M. LOUBIER: Avec la permission du député de Duplessis, vous soulignez ce membre de phrase au dernier paragraphe de la page 7 : "Cette phase serait grandement facilitée si un ministère des Ressources naturelles était créé et définissait une politique etc." Pour vous, dans votre esprit, quels ministères ou quelles juridictions appartenant à quels ministères un ministère des Ressources naturelles regrouperait-il?

M. MERCIER: L'an dernier, nous avons soumis un mémoire à ce sujet-là.

M. LOUBIER: Oui.

M. MERCIER : J'ai le mémoire en main. Alors, si vous voulez que je le cite?

M. LOUBIER : Non, je vous demande tout simplement...

M. MERCIER : Assurément, le ministère du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche...

M. LOUBIER: Oui.

M.MERCIER: ... il y a le ministère des Terres et Forêts, évidemment; celui des Richesses naturelles.

M. LOUBIER: Oui.

M. MERCIER: Et nous avions osé mentionner le ministère de l'Agriculture et de la Colonisation.

M. LOUBIER: Et lorsque vous dites ça, vous souriez.

M. MERCIER: Oui. M. LOUBIER: Ah bon!

M. VINCENT: Est-ce que c'est à cause de la colonisation ou à cause de l'agriculture?

M. LOUBIER: Ni plus ni moins, c'est une proposition de superministère que vous préconisez et vous croyez que cette superstructure comporterait des avantages, à ce moment-là, dans l'optique d'un développement plus rationnel de toutes les richesses naturelles.

D'autre part, vous prétendez que le mémoire rejoint plutôt une préoccupation économique pour le développement plus dynamique des richesses forestières.

M. MERCIER: Il est évident que, dans la situation actuelle, peu importe que ce soient les ambitions d'un ministère ou d'un autre, il reste que lorsqu'on veut parler du développement intégré de toutes les ressources forestières du Québec, on a confié à un ministère le rôle de développer le secteur du bois et à un autre, le rôle de développer les ressources comme les créations, faune, paysage. Alors qu'un zonage sectoriel, c'est-à-dire un travail sectoriel à l'intérieur d'un ministère intégré permettrait, à ce moment-là, à une équipe de se concentrer sur une approche globale de l'utilisation de toutes les ressources d'un même territoire.

M. LE PRESIDENT: Sur le même sujet.

M. COITEUX: J'ai trois autres questions sur le zonage et, quand j'aurai fini le zonage, je pourrai peut-être si je n'ai pas couvert par mes questions...

M. LESSARD: D'accord.

M. COITEUX: J'ai quatre questions à poser sur le zonage et quand j'aurai fini le zonage, si je n'ai pas touché le sujet qui vous concerne...

M. LESSARD: C'est-à-dire que le député de Duplessis...

M. COITEUX: Ma deuxième question. Vous savez qu'il faut nécessairement s'acheminer vers un aménagement polyvalent auquel vous faites allusion. Est-ce que ces principes d'aménagement polyvalent, dans votre esprit, peuvent être appliqués à un territoire aussi vaste que celui du Québec ou ne devraient-ils pas être limités à des superficies très restreintes?

M. MERCIER: D'après nous, M. Coiteux, c'est justement au niveau de l'ensemble du territoire québécois que doit s'appliquer cet aménagement polyvalent. Dans les superficies limitées, lorsqu'on va parler, par exemple, d'une utilisation récréative d'un territoire, on ne parle pas d'un aménagement polyvalent. C'est dans les zones où l'utilisation récréative est un peu plus extensive qu'il devient très important d'appliquer les principes de l'aménagement polyvalent.

M. COITEUX: Suivant la même ligne de raisonnement, vous suggérez que l'on ne devrait pas identifier de zones non aménagées à l'intérieur des zones forestières de production. Comment devrait-on classifier les terres forestières dont la vocation ne prévoit pas d'utilisation spécifique pour un avenir rapproché? Par exemple, parlons des forêts dans mon comté, en haut de la 52e parallèle. Vous parlez d'un aménagement dans toute la province.

M. MERCIER : Dans une vision à très court terme, il est évident que des territoires du Québec ne sont pas utilisés. Le simple fait qu'on les protège de façon extensive signifie que quelqu'un a assez de vision pour dire: Dans quelques années ou dans quelques décennies, ces territoires deviendront importants pour la province de Québec. Simplement le fait qu'on dise que sur ces terrains éloignés on va protéger la ressource, pour nous ça correspond à une forme d'aménagement. L'utilisation, au lieu d'être immédiate, est potentielle.

M. COITEUX: Une dernière question sur le zonage. Votre mémoire évoque la possibilité de conflit entre certaines catégories de zonage sectoriel et les concepts de parcs et de réserves. On ne nie pas ça; on doit reconnaître qu'effectivement ces notions ne sont pas tellement bien définies à l'heure actuelle. A votre avis, est-il nécessaire que le zonage forestier se confonde exactement avec celui du ministère du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche? Lui, il pourrait établir, par lui-même, ses propres besoins.

M. MERCIER: Que le zonage se confonde ou non entre les deux ministères, je ne pourrais répondre directement à cette question. Il reste que, si le zonage préconisé par le ministère du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche ou un autre ministère diffère de celui proposé par le ministère des Terres et Forêts, on retombe encore dans la situation actuelle où les deux ministères sont continuellement en conflit.

M. COITEUX: Je n'ai plus de question sur le zonage. On pourrait peut-être...

M. LESSARD: M. le Président, au sujet du zonage, j'aimerais savoir de la Corporation des ingénieurs si, actuellement, selon les connaissances que vous avez concernant l'aménagement forestier et les autres ressources, il est possible de faire un zonage â longue période et un zonage très déterminé, très spécifique, qui devra pas la suite être respecté.

Est-ce que c'est possible de faire une délimitation du territoire de telle façon que nous ayons un zonage qui soit respecté tant par le ministère du Tourisme, de la Chasse et de la pêche, tant par le ministère des Terres et Forêts ou encore par l'Hydro-Québec, étant donné qu'une certaine partie du territoire sera utilisée pour l'aménagement de lignes de transmission? Est-ce que c'est possible actuellement de faire ce zonage?

M. MERCIER: Est-ce que nous parlons ici en termes de cinq ans, dix ans ou quinze ans?

M. LESSARD: Je pense bien que l'on ne doit pas faire un zonage sur une période de cinq ans. Il faut prévoir ce que seront les exigences, les pressions sociales en ce qui concerne l'accessibilité du territoire. Je pense qu'actuellement, il faut quand même parler du zonage au moins sur une période de dix ans. Est-ce que c'est possible?

M. MERCIER: M. Paillé vous répondra.

M. PAILLE: Je pense que c'est la raison pour laquelle, dans les deux premiers paragraphes qui traitent du zonage, nous suggérons d'abord une distinction dans les formes de zonage et, ensuite, nous préconisons la création d'un ministère qui intégrerait tous ceux qui touchent de près ou de loin aux ressources renouvelables du territoire pour, d'une part, effectuer un zonage territorial qui, lui, à mon sens, peut être permanent ou avoir une permanence relativement forte et, ensuite, un zonage sectoriel à l'intérieur pour l'usage de chacune des ressources. Ce que le ministère propose actuellement dans son livre blanc, essentiellement, c'est un zonage sectoriel du secteur conservé ou réservé aux forêts, en priorité, ou à usage partagé avec d'autres ressources.

A mon avis, il y a moyen d'avoir un zonage qui soit permanent au niveau du territoire et un zonage sectoriel qui, lui, n'est pas nécessairement permanent, mais qui est beaucoup plus spécifique dans l'utilisation des différentes ressources.

M. LESSARD: Concernant le ministère des Richesses naturelles, je suis complètement d'accord avec vous. D'ailleurs, c'est l'objet d'un article du programme du Parti québécois. Sur cela, je suis complètement d'accord avec vous qu'il faudrait absolument associer un certain nombre de ministères qui comprennent l'aménagement du territoire et l'utilisation de nos richesses naturelles, mais, sans une politique globale, est-ce qu'il est possible qu'un zonage sectoriel soit efficace, tel que proposé actuellement par le ministère des Terres et Forêts?

M. MERCIER: Je pense qu'il y a certainement une réponse à donner à votre question. C'est que le zonage qui résisterait aux changements pendant dix ans, dans la situation actuelle de la province de Québec, l'augmentation des pressions sur l'utilisation de toutes les ressources, si jamais quelqu'un réussit à le faire, je lui donnerai une bonne poignée de main pour lui dire: Vous avez réussi quelque chose d'extraordinaire.

M. LESSARD: Donc, si je comprends bien, si on se limite exclusivement au zonage sectoriel, on ne peut pas véritablement parler d'aménagement polyvalent du territoire en ce qui concerne soit l'aménagement des terres et forêts, soit l'aménagement du tourisme, de la chasse et de la pêche. Il est, à tout le moins, très difficile de parler d'aménagement du territoire si on n'a pas un zonage territorial.

M. MERCIER: En fait, le zonage sectoriel

proposé dit bien qu'une utilisation sera prioritaire et les autres lui seront subordonnées. Dans certains cas, l'aménagement polyvalent s'accommode de cette définition. Mais, dans plusieurs cas, l'utilisation prioritaire change rapidement avec les années. Alors, si on a un zonage qui utilise vraiment les principes de l'aménagement polyvalent, l'aménagement n'est pas subordonné à une ressource principale mais, autant que possible, à l'ensemble de toutes les ressources qui proviennent de ces territoires. Je pense que, dans ce cas, on aurait plus de chances...

M. LESSARD: Est-ce que le programme d'inventaire des terres, qui a été fait en collaboration avec le ministère des Terres et Forêts du Québec et le gouvernement fédéral, n'a pas fait un zonage, non seulement sectoriel, mais un zonage territorial?

M. MERCIER: Cet inventaire ne fait pas de zonage, mais présente les capacités ou la possibilité, le potentiel d'un territoire pour chacune des ressources principales à retirer de la forêt.

A ce moment-là, on doit considérer autant la récréation, la faune...

M. LESSARD: Ce serait quand même une étude qui pourrait être efficace pour le ministère des Terres et Forêts en ce qui concerne le zonage territorial?

M. MERCIER: Absolument. D'ailleurs, dans le livre blanc, on dit qu'on va se servir de l'inventaire des terres du Canada.

M. LESSARD: Etant donné que nous n'avons pas de ministère des Richesses naturelles actuellement, selon vous...

M. COITEUX: Nous avons un ministère des Richesses naturelles.

M. LESSARD : C'est-à-dire le ministère des Richesses naturelles qui comprendrait ou qui engloberait le ministère du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche et le ministère des Terres et Forêts.

M. DRUMMOND: Et le ministère de l'Agriculture.

M. LESSARD : Le ministère de l'Agriculture et de la Colonisation — de la colonisation on n'en a plus, très peu en tout cas, pas dans mon comté — qui devrait, normalement, être actuellement responsable du zonage? Dans les circonstances, écoutez, nous sommes aux prises avec un problème, nous n'avons pas ce ministère que vous prônez depuis 1967, dit-on dans votre mémoire. Nous ne l'avons pas. Alors, qui devrait, au moins, être responsable de la coordination des différents ministères pour établir un zonage territorial à l'intérieur duquel pourrait s'intégrer le zonage sectoriel?

M. MERCIER: Tel qu'on se promet de le faire, par un groupement au moins qui va être formé de tous les ministres que nous, nous voudrions inclure dans un ministère de ressources naturelles.

M. LESSARD: Est-ce que l'Office de planification et de développement économique ne pourrait pas faire ce travail?

M. MERCIER : Il pourrait servir de chapeau à ce moment-là.

M. LESSARD: D'accord, M. le Président. M. LE PRESIDENT: M. Loubier.

M. LOUBIER : Je ne ferai pas de réclame pour les articles au programme de notre parti politique.

M. LESSARD: Vous n'en avez pas!

M. LOUBIER : Non, nous n'avons rien, nous, dans les nuages. Nous essayons d'être bien réalistes.

M. LESSARD: Vous n'avez rien dans les nuages, vous suivez le courant!

M. LE PRESIDENT: A l'ordre!

M. LOUBIER: M. le Président, j'espère que ceux qui sont présents...

M. LESSARD: On l'a vu ce matin!

M. LOUBIER: ... vont réaliser jusqu'à quel point les gens du Parti québécois sont dépolitisés et veulent discuter sérieusement de la question. Mais, de toute façon, j'ai bien aimé, M. le Président de la corporation, votre réponse tout à l'heure. On parlait d'un zonage de dix ans idéalisé et vous avez répondu de façon très spontanée que vous lèveriez votre chapeau si c'était réalisable de le faire de cette façon pour une période de dix ans. Lorsque vous prônez la création d'un ministère des Ressources naturelles, il y a évidemment l'Office de planification qui, non seulement pourrait, mais, à mon sens, devrait, comme vous l'avez dit, chapeauter toute cette coordination. Mais est-ce qu'il n'y a pas et est-ce qu'on ne devrait pas donner plus d'importance au comité interministériel qui éviterait, à mon sens, d'avoir une structure extrêmement lourde par le rapatriement, sous la seule juridiction d'un ministère donné, des ministères du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche, des Richesses naturelles, de l'Agriculture et de la Colonisation? Est-ce que vous ne prévoyez pas qu'en deux mouvements on pourrait réaliser les objectifs que vous poursuivez par, d'abord, un comité interministériel avec un pouvoir de décision beaucoup plus grand et par des réunions peut-être beaucoup plus positives

que celles qui ont cours depuis de nombreuses années? Car, vous l'avez souligné avec raison, dans les ministères du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche, des Terres et Forêts et des Richesses naturelles, il y a une mentalité de fief qui se développe et, à l'intérieur de chaque unité de fonctionnaires, on défend jalousement et de bonne foi, mais d'une façon assez rétrécie, tel ou tel fief ou telle ou telle juridiction. Est-ce que vous ne croyez pas que si on en arrivait à la création d'un comité ministériel valable et efficace, avec un pouvoir et des structures bien articulés et que, deuxièmement, il y ait référence du tout à cet office de planification, ça pourrait répondre dans le même sens que le voeu que vous avez exprimé par la création d'un ministère des Richesses naturelles?

M. MERCIER : On fait une recommandation. Si on n'a pas un ministère des Ressources naturelles, on mentionne que toute autre structure gouvernementale équivalente devrait être organisée pour faire ce zonage. Je ne crois pas être en mesure de dire exactement au gouvernement quelle structure il doit mettre en place pour ça.

Ce qui compte, c'est que, dans cette structure-là ou dans ce groupement de personnes, au moins tous les ministères intéressés à l'utilisation ou à la gestion d'une des ressources provenant de la forêt soient présents à l'élaboration des programmes et du zonage. La structure ou le nom nous importe peu. On laisse ça aux parlementaires qui sont assez bien organisés pour mettre en place ces structures.

M. LOUBIER: Si je vous comprends bien, chaque ministère donné, Tourisme, Terres et forêts, Richesses naturelles, pourrait favoriser et dresser des zonages sectoriels en fonction d'un zonage territorial qui serait établi par cette structure que vous mentionnez et que le tout soit coordonné. Est-ce que c'est le sens de ce que vous avez dit?

M. MERCIER: C'est qu'au moins, à la tête de cet organisme, il y ait un élément qui ait assez de puissance pour coordonner l'action de tous les ministères.

M. LOUBIER: Je pense que le ministre pourrait tenir compte de cette suggestion.

M. DRUMMOND: Disons qu'on a longuement discuté de toute cette question avec la corporation l'année dernière et, dans mon optique, on est pour une coordination, mais je ne vois vraiment pas le bien-fondé d'un autre superministère dans ce champ-là.

M. LOUBIER: Non, ce n'est pas...

M. DRUMMOND: Je suis d'accord avec...

M. LOUBIER: Ce n'est pas le sens de la proposition que nous avons littéralement rédigé ensemble. C'est qu'il y ait une structure gouvernementale telle que, sur le plan sectoriel, les ministères intéressés puissent avoir une certaine latitude de confection de ce zonage, mais qu'il y ait, par la suite, référence à cette structure gouvernementale qui intégrerait ces zonages sectoriels en fonction du zonage territorial qui avait été établi.

M. DRUMMOND: Disons que c'est ce qui a été suggéré dans le livre blanc du ministère; c'est d'avoir une coordination en collaboration avec les ministères impliqués. On a fait mention de l'IPDQ pour le chapeauter — si c'est l'expression — afin d'arriver à un système de zonage efficace.

M. LOUBIER: D'autre part, le ministre sait fort bien que des comités interministériels — je l'ai mentionné tout à l'heure — tels qu'ils fonctionnent depuis très longtemps n'ont pas d'efficacité et demeurent souvent sans lendemain dans les décisions de coordination. Est-ce qu'il n'y aurait pas lieu de l'articuler davantage pour le rendre véritablement efficace?

M. DRUMMOND: Les choses s'améliorent ces jours-ci.

M. LOUBIER: J'espère.

M. LESSARD: M. le Président, actuellement, dans le livre blanc, vous parlez plus particulièrement d'un zonage sectoriel. Est-ce que vous avez quand même l'intention, en collaboration avec d'autres ministères, soit le comité interministériel ou ce que vous voudrez, de vous pencher sur le problème du zonage territorial? Vous avez actuellement — il ne faudrait pas multiplier le travail — un travail qui a été assez bien fait en collaboration avec le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral concernant l'inventaire des terres. Est-ce que vous avez l'intention d'utiliser ce travail pour faire, non seulement un zonage sectoriel qui donnerait d'abord priorité aux ressources forestières, mais un zonage territorial à l'intérieur duquel l'aménagement forestier ne serait qu'un élément parmi d'autres facteurs ou d'autres éléments qui sont l'accessibilité à la forêt? Parce qu'il faut bien se dire une chose, M. le ministre, c'est que...

M. DRUMMOND: Evidemment, c'est l'intention du gouvernement de procéder plus rapidement à ce sujet-là.

M. LESSARD: Vous le faites, mais à chaque fois qu'il y a une discussion ou qu'il y a une demande, par exemple pour obtenir une concession forestière ou autre, si c'est dans une zone qui est reconnue comme zone récréative ou zone agricole, vous modifiez votre zonage et vous dites: On va le donner.

M. COITEUX: Il n'y a plus de concessions forestières. On n'en accorde plus.

M. LESSARD: On verra à ça tout à l'heure.

M. COITEUX: Non, on va venir à ça.

M. VINCENT: M. le Président, j'aurais une question supplémentaire à poser au ministre.

M. DRUMMOND: Nous sommes ici pour entendre les gens qui sont venus discuter ces sujets et c'était convenu ce matin, entre nous, qu'en ce qui concerne le livre blanc en soi, nous allions le discuter ensemble à la lumière des suggestions faites par eux. Nous sommes arrivés au zonage, nous avons tout un schéma des travaux à faire pour arriver aux objectifs donnés. Je pense que, c'est le moment propice pour questionner le ministre à ce sujet.

M. LESSARD: D'accord. Mais voici, M. le Président, je croyais, à la suite d'une discussion que j'avais eue avec le ministre des Terres et Forêts, que la première séance de la commission parlementaire se faisait presque exclusivement avec les membres de la commission. Cela nous aurait permis de défricher passablement le terrain et de savoir quelles étaient les vues du ministère concernant des problèmes particuliers. De toute façon je me plie à la décision du ministre.

M. DRUMMOND: Je suis d'accord avec le député de Saguenay; c'était un peu dans mon optique aussi de procéder de cette façon, mais après discussion ce matin, on avait décidé d'entendre les groupes qui se sont présentés ici et de retourner à cela plus tard.

M. COITEUX: Je suis d'accord avec le ministre, parce que ces gens qui sont ici ont présenté des mémoires constructifs. Et je pense que l'aération que nous sommes en train de faire devant les représentations de la Corporation des ingénieurs forestiers sera de nature, dans les discussions qui suivront, à éclairer, peut-être sur certains angles, nos lanternes et que nous aurons peut-être une autre optique à la lumière des informations que les gens qui viennent... Le but principal, c'est de nous éclairer d'abord, avant de discuter d'un processus légal.

M. LESSARD: M. le Président, il ne s'agit pas de m'opposer à ce que certaines personnes viennent présenter des mémoires ici; du tout. Cependant, quand ce matin j'ai constaté, à la suite de l'information du ministre, qu'il y avait deux groupes qui venaient présenter un mémoire, je me suis plié à la décision. Mais à la suite de la discussion que nous avions eue auparavant avec le ministre, nous devions d'abord avoir une session concernant le livre blanc pour les parlementaires, parce qu'il y a quand même certains points d'interrogation dans ce livre blanc qui nous laissent assez perplexes. De toute façon, M. le Président, il ne s'agit pas, ce soir, de bloquer certaines personnes qui viennent présenter un mémoire. Au contraire, comme je l'ai dit ce matin, la commission des terres et forêts doit d'abord étudier les mémoires qui nous sont présentés, mais j'aurais aimé quand même avoir une discussion où nous aurions pu défricher le livre blanc.

M. VINCENT: J'aurais une mise au point à faire. Le député de Saguenay vient de nous dire, dans, sa formule habituelle, que nous nous sommes entendus au préalable. Si je me souviens bien, ce matin, avant de débuter les travaux de la commission parlementaire, nous nous sommes consultés, les membres de la commission et ce que le ministre vient de dire, cela a été l'attitude que nous avons adoptée. Je ne crois pas qu'à 21 h 15 ce soir nous devions changer cette attitude.

M. LESSARD: Je n'ai pas l'intention de la changer.

M. VINCENT: La décision a été prise ce matin; nous nous sommes entendus ce matin avant le début des travaux de la commission parlementaire. Ce n'est pas notre faute si le député de Saguenay n'était pas présent.

Il y avait tout de même deux personnes qui étaient...

M. LESSARD: Comment? Le député de Saguenay était présent lors de l'ouverture de la commission parlementaire.

M. VINCENT: Dans les discussions préalables à l'ouverture.

M. LESSARD: Ecoutez — préalables à l'ouverture — j'étais présent à l'ouverture; je n'étais pas présent aux discussions préalables à l'ouverture, M. le Président.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre' Je suis prêt à rendre ma décision. Ce matin, nous nous étions entendus pour écouter les organismes qui venaient nous présenter des rapports et nous allons nous en tenir à ce que nous avons décidé ce matin.

M. COITEUX: Est-ce qu'il y a d'autres questions sur le zonage?

M. LE PRESIDENT: Le député de Duplessis.

M. BELAND: Sur le zonage, non; tantôt, sur d'autres sujets.

M. COITEUX: Alors, on va passer immédiatement aux modes de gestion. J'ai une question très courte et très précise; je demanderai à la Corporation des ingénieurs forestiers quelles sont les raisons qui motivent son opposition à l'abolition systématique de toutes les concessions forestières.

M.MERCIER: Dans le livre blanc, tome II qui est celui que nous avions pour travailler en arrivant à cette commission parlementaire, on suggère que l'abolition des concessions forestières soit rendue nécessaire, même essentielle, pour améliorer la gestion, la location, l'accessibilité, l'utilisation pour diminuer les coûts d'administration. Alors, nous ne voyons pas tellement bien comment une action comme celle-là peut changer quoi que ce soit à presque tous les articles qui sont mentionnés ici. La première raison pour s'opposer, bien entendu, en principe, c'est que nous ne croyons pas que le gouvernement devra encourir des dépenses extraordinaires pour remplacer les mots "concession forestière" par "contrat d'approvisionnement à long terme". Pour nous, ces deux expressions semblaient à peu près les mêmes et, pour passer de l'une à l'autre, nous ne croyons pas nécessaire qu'on parle d'abolition de concessions forestières. On devrait tout simplement assujettir les concessions forestières actuelles à de nouvelles modalités. Quant aux éléments qui ont été présentés dans le livre blanc concernant la dimension de certaines concessions ou leur dispersion, nous sommes d'accord que ces concessions devraient être éliminées.

M. COITEUX: En respectant votre suggestion, M. le Président de la corporation, de quelle façon pourrons-nous corriger les inconvénients qui résultent de la sous-utilisation des concessions forestières actuelles ainsi que de la distribution irrationnelle des aires d'exploitation? Vous prenez par exemple, une compagnie comme CIP, je suis bien d'accord que cette compagnie-là a besoin de bois et on veut lui en donner. Maintenant, la CIP est un exemple concret que je connais très bien; elle est notre voisine à Pentecôte. Elle veut garder ce qui lui appartient. Jusqu'à un certain point, elle est obligée d'utiliser 4,000 à 5,000 cordes et elle a un potentiel de 60,000 cunits par année. Si cette compagnie, a besoin de cette concession, elle ne l'a pas prouvé jusqu'à ce jour, mais elle peut en avoir besoin dans dix ans. Si elle nous le prouve, je suis d'accord qu'on lui en remette. Si on abolit les concessions à même son approvisionnement tout près de son usine, on n'épargnera pas sur le transport le prix de revient de la matière ligneuse qu'on devra aller chercher, pour Pentecôte, à 400 ou 500 milles de l'usine. C'est ça le but. Si on n'abolit pas toutes les concessions forestières on n'aura pas de jeu, on sera pris encore avec ces étaux. J'ai assisté aux discussions assez intenses en vue de la préparation de cette chose-là. On n'a l'intention de priver aucune industrie forestière privée, pâtes et papier ou bois de sciage, de sa vitalité et de son expansion future. Ce qu'on veut, c'est se donner un instrument qui fournira une certaine liberté d'action pour réduire les coûts et non pas faire les âneries qu'on fait là, de l'entrecroisement avec le transport du bois comme cela se fait actuellement à des coûts considérables.

Quand je vois la CIP — je pourrais citer beaucoup d'autres cas — on ne veut pas qu'elle manque de bois, jamais. Mais, par exemple, les endroits où on sait que les exploitants en ont trop, qu'ils ne l'utiliseront jamais, qu'ils gardent ça en réserve. On va se garder une certaine latitude pour pouvoir fonctionner et créer une politique d'ensemble valable. Si on exclut les grosses concessions forestières, comme vous dites, je pense qu'on les paralyse définitivement et on ne pourra pas faire un plan d'ensemble qui va se tenir. Si vous avez quelque chose à répondre à cela.

Ne prenez pas mes remarques, encore une fois, M. le Président, comme quelque chose de destructif. Ce qu'on veut de vous qui serez appelés à administrer cette loi-là, c'est de savoir l'éventail complet de vos opinions, afin que l'on puisse arriver avec un projet de loi qui va se tenir et que vous pourrez défendre en conscience professionnelle.

M. MERCIER: Voici la situation. On se présente ici en tant qu'ingénieurs forestiers, on n'a rien à faire au sujet des concessionnaires forestiers, s'ils ont envie ou non de garder leurs concessions, vous pouvez être assurés qu'ils vont venir vous le dire. Nous, nous soutenons que l'abolition des concessions, si elle est trop dispendieuse à faire, ne devrait pas être entreprise par le ministère des Terres et Forêts. Parler d'un exemple comme CIP à Pentecôte, je suis bien d'accord que c'est peut-être un exemple que vous considérez et connaissez très bien et peut-être avez-vous raison de suggérer son abolition. A notre avis, il n'est pas nécessaire d'abolir toutes les concessions forestières du Québec parce qu'un, deux ou trois concessionnaires forestiers n'utilisent pas leurs concessions. Il y aurait un moyen bien plus simple qui serait d'abolir ces concessions-là.

M. COITEUX: Lequel?

M. MERCIER: De tout simplement abolir particulièrement cette concession.

M. COITEUX: Ecoutez! Ce n'est pas non plus dans notre esprit d'abolir toutes les concessions. En fait, on change le système d'allocation, c'est-à-dire qu'on a un contrat d'approvisionnement. Je suis convaincu qu'une compagnie qui a des concessions tout près ne se les verra pas enlever. En fait, ça va encore rester son terrain d'exploitation. Ce qu'on veut corriger, ce sont les anomalies. Si la CIP a besoin de la quantité... Je parle de CIP, parce que je connais très bien l'endroit, mais, avec les années que j'ai passées à la Price Brothers et ces choses-là, je sais que ça se répète à plusieurs autres exemplaires.

Nous ne voulons pas priver les gens de leurs droits. Je suis convaincu que la majeure partie des grosses industries forestières vont continuer leur exploitation dans le secteur où elles le font

actuellement. C'est pour corriger la situation dans les endroits où ça ne marche pas, la patente.

M. MERCIER: Mais quand même...

M. COITEUX: Pour en arriver à une meilleure distribution.

M. MERCIER: Dans la Loi actuelle des terres et forêts, je crois qu'il y a une clause qui dit que, même si un terrain privé, dans certains comtés, qui se révèle une nuisance au développement de ce comté-là le gouvernement a pleine autorité pour faire une entente avec le propriétaire et lui enlever ses droits. Et on va même jusqu'aux droits du propriétaire privé. La Loi des terres et forêts contient cette clause.

M. COITEUX: Je ne veux pas éterniser les questions. Disons, comme conclusion, que vous connaissez exactement l'article visé dans cette mesure. Maintenant, une dernière question sur le sujet des gestions; sur quels critères vous êtes-vous basé pour fixer la superficie minimale des unités d'aménagement à 500 milles carrés au lieu de 1,000 milles carrés? Combien y a-t-il de concessions forestières entre 500 milles carrés et 1,000 milles carrés?

M. MERCIER: Dans notre mémoire, il est clairement établi que 43 p.c. des concessions...

M. COITEUX: Cela, je l'ai lu tantôt, je l'ai compris. Je vous demande combien il y a de concessions forestières au Québec entre 500 milles carrés et 1,000 milles carrés.

M. PAILLE: Il y en a quatorze, monsieur le député.

M. COITEUX: Il y en a quatre. Alors, je ne vois pas pourquoi on ferait une distinction aussi brutale entre 500 et 1,000 milles carrés et qu'on reproche au ministère de se baser sur 1,000 lorsqu'on a quatre concessions forestières.

M. PAILLE: Vous m'excuserez. Si l'information du livre blanc, tome I, est exacte, à la page 145, il y a une différence de quatorze concessionnaires entre ceux qui possèdent 500 milles carrés et ceux qui en possèdent 1,000. La superficie des concessions forestières de moins de 500 milles carrés représente 12 p.c. du territoire des concessions et la superficie des concessions de 1,000 milles carrés représente 24 p.c, donc le double.

Alors, si on va à 1,000 milles carrés, en gros sous, ça coûte deux fois plus cher à abolir que si l'on va à 500 milles carrés.

M. COITEUX: Nos sources d'information ne sont peut-être pas identiques mais au ministère des Terres et Forêts, on nous donne, pour le maximum de 900 milles carrés, quatre concessions. Alors, ça fait 3,600 milles carrés. De toute façon, ce n'est pas majeur, mais pour la distinction que vous voulez faire en voulant réduire les concessions de 1,000 à 500 milles carrés, je ne vois pas le critère. Je voudrais avoir des éclaircissements là-dessus. Peut-être que vous avez raison, c'est pour ça qu'on vous pose des questions.

M. MERCIER: En fait, la valeur employée ici est une valeur moyenne. Dans notre texte, il est également dit que ces concessionnaires utilisent 50,000 cunits de bois ou 20 millions de PMP. Ce sont ceux que nous suggérons de retenir. Nous croyons qu'un individu, un groupement ou une compagnie qui utilise 50,000 cunits de bois a intérêt à participer à la gestion du territoire où il s'approvisionne.

M. COITEUX: Je remercie M. le Président, c'est tout enregistré. A la lumière de vos explications, nous pourrons certainement avoir des discussions très constructives à cette commission. Je n'ai pas d'autre question à poser sur la gestion.

M. LE PRESIDENT: La parole est au député de Lotbinière.

M. BELAND: M. le Président, j'aurais également une question à poser au président de la corporation. Nous avons ici, dans votre mémoire, à la page 11, à l'article 2.22: "Que les grandes concessions forestières soient administrées sous un régime de gestion mixte. Il serait souhaitable que cette question soit confiée à un groupe formé d'ingénieurs forestiers au service du gouvernement et du concessionnaire."

M. COITEUX: Excusez-moi; on a dit qu'on prenait le mémoire paragraphe par paragraphe. Nous sommes aux modes de gestion et nous posons des questions sur les modes de gestion.

M. BELAND: Oui, mais la question que je veux poser se rapporte justement à ça. Enfin, vous allez voir!

Suite à cette énumération, je ne voudrais rien insinuer, mais je pose la question quand même. On est ici en somme pour poser des questions. Ma question est celle-ci: Au début, vous avez donné le nom de la personne qui était en charge du comité qui a préparé le mémoire. Les personnes qui ont préparé le mémoire, celui-ci, est-ce qu'elles travaillent de façon régulière pour des entreprises papetières ou des compagnies papetières? Est-ce leur profession habituelle, ou si ce sont des ingénieurs...

M. MERCIER: Je pourrais répondre à votre question et vous dire quelle est l'occupation de chacun des membres du comité dans la vie courante mais, lorsque nous les avons appelés pour étudier l'analyse des tomes I et II, nous

leur avons demandé de se présenter comme ingénieurs forestiers et non influencés par leur occupation actuelle.

M. BELAND: Je m'excuse, mais ça ne répond pas à ma question. J'aimerais savoir...

M. MERCIER: Je peux vous donner la liste des membres du comité.

M. BELAND: S'il vous plaît, avec la compagnie ou l'entreprise pour qui ils travaillent ou elles travaillent.

M. MERCIER: Je vais donner la liste des membres du comité. S'il y a une correction, Gilbert, tu l'apporteras, d'accord? D'abord Gilbert Paillé, professeur à l'université Laval; Jacques Carette, membre du comité et qui fait partie de l'Association des manufacturiers de bois de sciage; Pierre Dorion, au service de la recherche du ministère des Terres et Forêts; Adrien Dubé, pour la compagnie Consolidated Paper; Jacques Ethier, au séminaire de Québec; Gérard Lortie est venu représenter le Conseil des producteurs de pâtes et papier, c'est-à-dire qu'il travaille pour eux, il n'est pas venu les représenter, nous n'aurions pas accepté ses vues qui sont fonction de son emploi, comme celles de tous les autres d'ailleurs; François Matte, de la compagnie Domtar Morin, de Price; André McNeil, actuellement au service du ministère des Terres et Forêts; Jean-Paul Nadeau est également au service du ministère des Terres et Forêts; Jean Poliquin est professeur à l'université Laval; Jean-Félicien Rivard est à la CIP et Guy Veer est dans la pratique privée; Laurent Boulianne est au ministère du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche et il y a un dénommé Bourgault... C'est à peu près la liste de ceux qui ont composé le comité.

Le comité a fait rapport à l'exécutif de la corporation qui a présenté le rapport, version finale.

M. BELAND : Et la corporation a accepté majoritairement le rapport tel que présenté.

M. MERCIER: Oui, avec quelques modifications.

M.LESSARD: Sur ça, tout à l'heure, le député de Duplessis posait une question qui m'apparaît assez importante. Vous êtes 800 membres de la profession; vous avez fait une information par suite d'un journal que vous possédez. Le député de Duplessis a demandé, sans trop insister, quel était le nombre de réponses que vous aviez reçues concernant ce questionnaire. J'aimerais avoir un chiffre précis. Quel est le nombre de réponses que vous avez reçues parmi les 800 ingénieurs forestiers du Québec?

M. MERCIER : Il est assez difficile de préci- ser ce nombre parce que la consultation s'est faite par des individus dans les différentes régions de la province de Québec. Les personnes qui nous ont fait rapport ont consulté combien de membres au moment de nous envoyer leur impression? C'est difficile à établir.

M. LOUBIER: Sur un point de règlement, M. le Président...

M. MERCIER: A ce moment-là, je crois aussi qu'on entre dans les détails de la préparation du rapport.

M. LOUBIER: ... je pense qu'il est plus ou moins disgracieux de vouloir juger de la crédibilité du président de la corporation et de ceux qui ont travaillé à ce mémoire. Il est malvenu pour nous, en tout cas, de préjuger de la mauvaise foi de ces gens ou de certaines relations qu'ils pourraient avoir professionnellement avec différentes compagnies. Je pense que c'est complètement hors d'ordre et que les gens qui présentent ce mémoire le font, à mon sens, d'une façon très objective, d'une façon professionnelle et il est malvenu de mettre en doute, par le biais de toutes sortes de questions, la crédibilité ou la valeur du document soumis et de faire abstraction de la bonne foi et de la compétence des gens qui ont préparé le mémoire. C'est pour ça que je dis, M. le Président, que c'est une question hors d'ordre.

M. LESSARD: M. le Président, sur le point du règlement, c'est qu'il ne s'agit pas de mettre en doute la bonne foi du président de l'Association des ingénieurs du Québec. Il s'agit de savoir quelle est la représentativité de cette association, ce qui est normal, d'ailleurs, je pense, lorsque nous avons à étudier un mémoire comme celui-là.

Je trouve quand même curieux, M. le Président, que le chef d'Unité-Québec pose une question de règlement sur ce point parce qu'à maintes reprises, lors d'autres commissions parlementaires, en ce qui concerne particulièrement certains projets de loi relatifs au syndicalisme, le chef d'Unité-Québec ou encore ses représentants ont soulevé de telles questions. Je pense qu'il est normal que nous sachions de quel bois on se chauffe ici à cette commission parlementaire.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre, le député de Saguenay! Je considère que cette question...

M. BELAND: C'est moi qui ai soulevé cette question. J'ai le droit de dire un mot suite aux paroles qui ont été dites par le chef d'Unité-Québec. Quand j'ai soulevé la question, ce n'était pas pour mettre en doute les membres de la corporation, mais lorsque nous, nous nous faisons poser des questions, j'ai vu, par la réponse qu'il a donnée, que les personnes qui ont fait partie du comité provenaient d'un

éventail de champs d'activité. Or, à ce moment-là, cela me satisfaisait. Je n'ai rien insinué et je n'ai pas voulu que quelqu'un ose insinuer que je voulais penser, par exemple, telle ou telle chose, comme le chef d'Unité-Québec a osé prétendre de moi. Je tenais à faire cette clarification,

M. LESSARD: Sur l'abolition des concessions forestières, M. le Président, tel qu'avait commencé le député de Duplessis, j'aimerais savoir de la part de la Corporation des ingénieurs du Québec non pas pourquoi elle s'oppose à l'abolition des concessions forestières, parce que le député de Duplessis a posé la question tout à l'heure, mais si le fait du maintien d'exclusivité du territoire n'empêche pas une allocation souple et optimale des ressources. Tout à l'heure, le président de la corporation nous a dit que nous n'avions pas besoin d'abolir complètement toutes les concessions forestières pour faire une redistribution des ressources afin qu'elles soient plus rationnelles. Je suis d'accord en grande partie avec lui mais, cependant, je pense que le système des concessions, actuellement, par le maintien d'exclusivité du territoire, empêche justement cette optimalisation des ressources du territoire. On lui a posé la question tout à l'heure. Quel système propose-t-il pour permettre une meilleure redistribution? Parce qu'actuellement il s'agit de regarder une carte — et je suis assuré que le président de la Corporation des ingénieurs du Québec l'a regardée — des distributions des concessions forestières, pour constater que c'est absolument anormal. Quand on constate, par exemple, que la moyenne de transport est de 156 milles entre la source d'approvisionnement et l'entreprise, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas dans cette affaire et pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas? Parce qu'actuellement la source d'approvisionnement est trop loin de l'usine. Et en tout cas, pour moi, comme je l'ai dit cet après-midi, la seule façon, véritablement de faire une meilleure allocation des ressources qui amène une diminution du coût de transport, c'est d'abord de penser à une abolition des concessions forestières qui se ferait, par exemple, le jour "J" mais qui amènerait une meilleure distribution et en même temps, une utilisation optimale des ressources.

Alors, est-ce que pour vous, le problème des concessions forestières amène un coût de transport, tel qu'il existe actuellement, plus élevé que dans d'autres régions du Canada? Est-ce que cela a une influence sur le coût de transport? Est-ce qu'on constate que le coût de tansport ici actuellement, est de $7 supérieur à ce qu'on voit aux Etats-Unis ou ailleurs?

M. MERCIER: Dans les 156 milles que vous proposez comme distance moyenne du coût de transport...

M. LESSARD: C'est actuellement le cas.

M. MERCIER: Oui. Je dis que si j'avais à administrer une unité d'aménagement qui serait située à 156 milles de mon moulin et que les moyens de transport qui me seront offerts seraient, par exemple, la drave, je les préférerais de façon logique à un transport par camion de 40 milles.

M. LESSARD: Ce n'est pas ça, M. le Président, ce n'est pas ça du tout; je me suis probablement mal expliqué. Est-ce que l'abolition des concessions forestières ne permettrait pas de diminuer ce nombre moyen de milles que nous avons concernant la distance entre la source d'approvisionnement et l'industrie forestière? Par exemple, j'ai donné cet après-midi l'exemple suivant concernant Domtar à Donnacona qui va chercher ses sources forestières de bois à Lebel-sur-Quévillon, ce qui donne une distance, je crois, de 250 milles. Alors, est-ce que, par l'abolition des concessions forestières, une meilleure distribution entre les utilisateurs qui leur permettrait d'avoir du bois tout près de leur usine, ne permettrait pas de diminuer le coût du transport?

M. MERCIER : Monsieur, si l'on parlait d'une usine, je répondrais, d'une façon très facile, oui à votre question. Si on donne à une usine une concession forestière à 50 milles de son territoire, on améliore probablement ses coûts de transport. Mais s'il s'agit de quatre ou cinq usines concentrées dans un secteur de la province, ça devient très différent. Les compagnies qui s'approvisionnent ont leur source d'approvisionnement depuis quelques années bien établie. Alors, elles ont rodé elles-mêmes des systèmes qui leur permettent de s'approvisionner aux meilleurs coûts possibles. Il est possible qu'une redistribution diminue ces coûts, mais pour l'ensemble, laissez-moi en douter.

M. LE PRESIDENT: Le député de Lotbinière.

M. LESSARD : Non; M. le Président, vous croyez qu'actuellement — et je veux avoir un oui ou un non — les concessions forestières ne posent aucun problème en ce qui concerne le coût de transport pour l'industrie des pâtes et papier du Québec?

M. MERCIER: Un seul mot: Non, je ne crois pas ça.

M. LESSARD: Vous ne croyez pas ça? M. MERCIER: Non.

M. LE PRESIDENT: Le député de Lotbinière.

M. BELAND: Alors, suite à la question que j'ai posée tout à l'heure et compte tenu de ce qui vient d'être dit, est-ce que votre corporation

irait jusqu'à proposer, peut-être à certaines compagnies papetières, une relocalisation de leur usine de transformation plus près des sources d'approvisionnement ou à l'intérieur des sources d'approvisionnement, étant donné le transport démesuré dans certains cas et le reste? Est-ce que vous iriez jusqu'à suggérer cela?

M. MERCIER: Je ne crois pas que, d'abord, je puisse prétendre donner une réponse à cette question ce soir, sans avoir analysé un problème d'une compagnie ou d'une industrie établie quelque part. De plus, je dois vous faire remarquer que la localisation de l'usine n'est pas fonction seulement de ses sources d'approvisionnement, mais également de ses marchés. Alors, c'est la somme des deux considérations qui doit décider de la localisation de l'usine et, de plus, une troisième considération doit entrer en ligne de compte, c'est qu'une usine est établie à un endroit donné et c'est généralement plus économique de la laisser là que de la transporter.

M. LE PRESIDENT: J'inviterais les membres de la commission à s'en tenir au chapitre, à savoir la responsabilité de la gestion.

M. LESSARD: M. le Président, on est actuellement aux concessions forestières, au mode de gestion, tenure.

M. LE PRESIDENT: Le mode de gestion; j'ai eu une mauvaise information.

M. LESSARD: Je suis d'accord. Tout à l'heure le député de Duplessis d'ailleurs a soulevé une question de règlement concernant la question du député de Lotbinière; alors probablement que bientôt on viendra à la gestion.

M. VINCENT: M. le Président, quand même, si le député de Saguenay, le député de Lotbinière, le député de Duplessis et les autres membres de la commission, pouvaient s'entendre pour qu'on pose seulement des questions très courtes, probablement que nous allons terminer notre travail ce soir, à minuit. Par la suite, nous ajournerons pour revenir en commission parlementaire seulement dans un mois peut-être. On va ajourner sine die. Alors, si nous pouvions entendre le plus de mémoires possible ce soir, poser des questions pour avoir des réponses pour clarifier certaines données à l'intérieur des mémoires et, par la suite, nous pourrons les analyser et faire nos commentaires à l'intérieur de la commission parlementaire. C'est simplement une suggestion. Si c'était acceptable par le député de Saguenay, le député de Lotbinière et les autres membres de la commission...

M. COITEUX: Je n'ai pas fait de commentaire sur les réponses qu'on m'a données.

M. VINCENT: Une fois! Si on pouvait se restreindre, tous et chacun de nous, à ne pas faire de commentaires, à simplement, poser des questions, on pourrait entendre plus de mémoires ce soir et, par la suite, à une commission parlementaire, faire des commentaires.

M. COITEUX: On est prêt à passer à la responsabilité de la gestion?

M. LE PRESIDENT: La responsabilité de la gestion.

M. COITEUX: La responsabilité de la gestion est à la page 10 et couvre aussi une partie de la page 11. J'ai deux questions à poser. MM. les membres de la corporation, croyez-vous que l'Etat devrait continuer à confier la responsabilité de gérer les forêts publiques à l'entreprise privée uniquement, alors qu'on sait que celle-ci ne montre pas tellement d'intérêt à assumer toutes les obligations qu'impose et qu'imposera à l'avenir l'aménagement polyvalent intensif des forêts? D'ailleurs, on a eu cet après-midi un mémoire qui prouvait à l'évidence les derniers avancés que je viens de faire, que les compagnies n'ont pas financièrement la possibilité de le faire. J'aimerais que vous expliquiez brièvement ce que vous pensez de ça. Devrait-on continuer la gestion des forêts publiques même si les compagnies négligent certaines de leurs obligations, pour des raisons économiques qui sont justifiables dans la plupart des cas, vu la grosseur de l'entreprise? Devant la demande d'usage polyvalent de la forêt, si on continue à confier ça uniquement à l'entreprise privée, est-ce que vous seriez d'avis qu'on donne des directives plus précises à l'industrie privée pour ça?

M. MERCIER: Voici la question, en fait: Est-ce que l'entreprise privée, selon nous, est capable d'appliquer la gestion ou d'aider à la gestion de l'aménagement polyvalent?

M. COITEUX: C'est ça.

M. MERCIER: Ma réponse est oui.

M. COITEUX: Est-ce que vous pouvez baser votre réponse sur ce qui s'est produit dans le passé?

M. MERCIER: Je pense qu'on peut en dire autant des concessionnaires que des gérants des forêts domaniales.

M. COITEUX: Parfait. Deuxième question, vous exprimez votre désaccord avec le gouvernement concernant la création d'une société paragouvernementale de gestion forestière. Dans votre optique, est-ce que vous ne croyez pas qu'il vaille la peine de prendre les moyens nécessaires pour doter les forêts publiques d'une gestion de haute qualité, tout en écartant

les risques que l'Etat législateur soit trop complaisant vis-à-vis de l'Etat propriétaire? Est-ce que vous pourriez préciser ou suggérer une formule par laquelle on pourrait se sortir du bois?

M. MERCIER: Il faut admettre que vous amenez ici un argument dont nous n'avons pris connaissance que ce matin à la lecture d'un document que j'appellerais le tome III du ministre des Terres et Forêts et que cet argument-là était essentiellement nouveau.

M. DRUMMOND: Parlons des précisions au lieu du troisième tome.

M. LESSARD: Il a négocié par la suite, mais en tout cas... C'était vraiment le tome III.

M. COITEUX: Ne prêtez pas d'intention. Je n'ai pas d'autre question à poser sur la responsabilité de la gestion.

M. LESSARD : M. le Président, concernant la gestion, est-ce que le fait que vous vous opposiez à la société de gestion proviendrait du fait que vous avez une certaine peur du patronage ou encore du fait que le ministère des Terres et Forêts est en train de délaisser complètement toutes ses responsabilités?

M. MERCIER : Nous avons mentionné les raisons qui, nous le croyons, forcent le ministère des Terres et Forêts à proposer une société de gestion. Ces raisons, nous les donnons, comme le gouvernement lui-même s'est entravé par ses lois, ses règlements, ses contrôles administratifs actuels. Nous demandons au gouvernement — parce qu'à ce moment-là on ne peut pas s'adresser au ministère — de se débarrasser une fois pour toutes de ces structures et je pense que nous avons plus confiance nous-mêmes dans le ministère des Terres et Forêts et dans ses capacités de gestion que la direction même du ministère.

M. LESSARD: Vous demandez, à la page 11, que les grandes concessions forestières soient administrées sous un régime de gestion mixte. Pourquoi?

M. MERCIER: Nous croyons — je pense que c'est très facile à prouver — que l'Etat n'a pas joué tout le rôle que la législation actuelle lui confiait dans le domaine de la gestion. Limitons-nous aux concessions forestières, si vous voulez. On a confié le rôle de gérant au concessionnaire et on avait inséré dans la loi un article qui disait: On va surveiller tout ça.

Si le gouvernement prend une position plus ferme et maintenant s'occupe de surveiller ou de participer en accord avec le concessionnaire à la gestion de ses forêts, on va avoir une structure qui va permettre au ministère des Terres et Forêts de participer de façon beau- coup directe à la gestion de ses forêts sans aller pour cela à la faire lui-même au complet.

M. LESSARD: Quand vous parlez de collaboration avec les concessionnaires, cela veut dire que le ministère des Terres et Forêts peut accorder à certains concessionnaires l'aménagement de leur territoire. Vous êtes d'accord sur cela.

M. MERCIER: Oui. Mais pas à 100 p.c, il doit participer à cet aménagement et en exercer le contrôle, surtout cet élément-là.

M. LESSARD: Cela se fait depuis pas mal de temps.

M. LE PRESIDENT: Paragraphe 3.

M. COITEUX: Seulement une question, parce que le député de Saguenay a touché la question mixte. Croyez-vous que les concessionnaires forestiers constituent les gestionnaires idéals à qui l'Etat devrait confier la mise en valeur complète d'une ressource publique dont le caractère multifonctionnel qui a été démontré avec la pratique d'une forêt... Est-ce que vous pensez qu'en donnant cela uniquement à des concessionnaires forestiers on va pouvoir assez facilement atteindre les buts visés que commande une organisation polyvalente de la forêt?

M. MERCIER: J'ai donné la réponse à cette question dans la réponse précédente. Je considère qu'on ne doit pas laisser complètement la gestion mais que l'Etat devrait participer à la gestion. C'est le minimum qu'il peut faire. Mais si un concessionnaire était meilleur gestionnaire de la forêt publique que le gouvernement lui-même, je n'hésiterais pas à vous répondre: Oui, laissons-le au concessionnaire.

M. COITEUX: Dans mon esprit, le gouvernement ne veut pas s'immiscer dans les programmes de coupe et dans l'administration des chemins et, la façon de procéder pour couper le bois, ce n'est pas ce qu'on entend ici par gestion. Ce qu'on entend, c'est une idée générale, une planification générale de l'organisation polyvalente de la forêt et loin dans notre esprit d'arriver et de dire à Quebec North Shore Paper ou à n'importe quelle compagnie. Vous allez couper de telle façon! Non, un droit de surveillance là-dessus, d'accord. La gestion, dans notre esprit, ne comprend pas — et je veux que ce soit très clair — le fait d'aller s'immiscer dans le bureau d'exploitation forestière d'une compagnie et lui dire comment procéder parce qu'en général elles sont beaucoup plus habiles que nous.

M. LOUBIER: Le président veut sans doute signifier par là — du moins c'est la compréhension que j'en ai — qu'il désirerait qu'il y ait une concertation entre l'entreprise privée, les con-

cessionnaires et l'Etat, une forme de cogestion tant dans l'exploitation que dans l'aménagement et que cela se fasse de concert avec le concessionnaire et l'Etat. C'est là l'explication qu'il donne de sa gestion mixte, si je comprends bien.

M. MERCIER: C'est bien cela.

M. LESSARD: C'est bien cela, à la suite de la question posée par le chef d'Unité-Québec, mais est-ce que vous ne pensez pas quand même qu'en consultation, d'accord avec les concessionnaires, en coordination et tout ce que vous voudrez, il appartient d'abord, en priorité, à l'Etat d'être le gestionnaire de nos forêts. Peut-être que ce n'est qu'une querelle de mots quand on parle de gestion mixte, il est certain que le ministère des Terres et Forêts, en tout cas, dans ma pensée, lorsqu'il fera un plan d'aménagement global du territoire, devra consulter les utilisateurs de la forêt. Mais je pense — et je vous pose la question — qu'il appartient d'abord au ministère des Terres et Forêts, par la société de gestion, si on l'accepte actuellement, de faire les plans d'aménagement globaux du territoire forestier, qu'il y ait concertation, il n'y a pas de problème. Lorsque vous parlez d'association mixte, est-ce que vous voulez dire l'Etat, d'égal à égal avec les concessionnaires, ou s'il appartiendra aux concessionnaires de faire les plans d'aménagement, après que l'Etat aura établi une politique globale?

M. MERCIER: Ici, on doit se placer au niveau où notre représentation est faite ici. On parle bien au niveau de la gestion d'une concession forestière ou d'une unité d'aménagement, on ne parle pas au niveau de l'aménagement global. J'admets que l'Etat doit être le premier à jouer ce rôle-là. En fait il doit être le seul avec consultation pour bien intégrer tous les utilisateurs.

M. LESSARD: Mais vous ne pensez pas que, lorsque l'Etat fait l'aménagement global par la société de gestion, il contribuera à faire l'aménagement des territoires de chacun des concessionnaires parce que ça va se reproduire sur chacun des concessionnaires?

M. MERCIER: Le rôle de l'ingénieur représentant l'Etat dans l'aménagement du territoire qui sera désigné au concessionnaire devient celui aussi de voir à ce que les plans d'aménagement régionaux globaux soient respectés par le concessionnaire.

M. LE PRESIDENT: Paragraphe 3, l'allocation de la matière ligneuse.

UNE VOIX: Cela ne rentre pas dans la responsabilité de gestion?

M. COITEUX: Non. Il y a une petite chose.

On a traité un peu de patronage tantôt, je voudrais savoir des ingénieurs forestiers où ils ont pris l'information, je voudrais savoir à quel type d'influences les offices de producteurs de bois seraient soumis, selon votre mémoire? Si c'est du patronage, dites-le carrément.

M. MERCIER: On parlait de l'office des producteurs. On sait que, dans la législation actuelle, les plans conjoints de producteurs de bois peuvent être gérés soit par un office, soit par un syndicat de producteurs. Les syndicats de producteurs sont généralement administrés par des représentants de l'UCC ou de, maintenant, l'UPA. Assurément, les producteurs de bois ne sont pas exclusivement des agriculteurs et, si les offices de producteurs ne sont pas dégagés de l'influence différente ou quelque influence que puisse avoir un organisme comme l'UCC — c'est un exemple que j'ai choisi, remarquez bien qu'il peut y en avoir d'autres — il y aura un risque de favoritisme au moment de la mise en marché.

M. COITEUX: Quelle disposition suggérez-vous? C'est que l'office des producteurs soit affranchi de cette influence que vous mentionnez.

M. MERCIER: Je pense qu'au minimum on devrait exiger que les administrateurs des plans conjoints ne soient pas également des représentants d'autres syndicats de producteurs d'autres matières.

M. GIASSON: A toutes fins utiles, qu'est-ce que ça fait que ce soient des gars qui ont des contacts avec l'UCC ou l'UPA ou qui soient dégagés du côté syndical que peut constituer l'UPA?

M. MERCIER: L'UPA représente l'idée d'agriculteur. C'est bien ce que leur nom définit. Alors, des producteurs de bois ont-ils intérêt à être membres d'un syndicat de producteurs agricoles, s'ils n'ont même pas de terre pour cultiver des betteraves ou des pommes de terre?

M. BELAND: En incluant la forêt à l'économie rurale, je pense que ce problème-là serait à être discuté par les personnes en cause, à savoir les producteurs typiquement agricoles et qui sont en même temps, dans la plupart des cas, aussi des producteurs forestiers. C'est à eux de défendre leur point de vue à ce sujet. Je m'excuse mais je ne crois pas qu'il appartienne aux ingénieurs forestiers de définir, de prévoir quoi que ce soit dans ce domaine-là, parce qu'en ce qui concerne les plans conjoints ou offices de producteurs, de bois ou syndicats de producteurs de bois, disons que ce sont des représentants des propriétaires de terrains boisés. Ce peut être un agriculteur comme ce peut être un membre de votre corporation qui a une

terre, qui a 1000 acres de terre à "Saint-En-Arrière", quelque part. Il peut être mandaté par les producteurs pour faire partie du bureau de direction. Disons que je pense qu'on s'éloigne.

M. LE PRESIDENT: Je crois qu'ils sont quand même venus ici pour donner leur opinion et il ne faudrait pas discuter de leur opinion, à ce moment-ci. On les questionne.

M. LESSARD: En ce qui concerne la forêt privée, j'aurais deux questions qui... Excusez, M. Coiteux.

M. COITEUX: C'est une question qui touche la profession. Vous semblez déplorer que l'office des producteurs ne fasse pas plus usage des ingénieurs forestiers. Je suis d'accord sur ça.

Cependant, il y a une chose certaine. Est-ce que notre groupe professionnel s'est donné la peine d'essayer de s'imposer dans ce domaine? Cela semble de plus en plus rare, un ingénieur forestier qui veut aller dans le bois, surtout parmi la jeune génération. Pour nous, les croulants, il n'y a pas de problème.

Je suis bien d'accord que vous fassiez cette recommandation, mais il faudrait tout de même aussi qu'il y ait de l'information de la part du secrétaire de votre corporation auprès des ingénieurs pour leur dire qu'il y a des domaines possibles. Je suis bien d'accord que vous preniez la place, mais que les gars s'imposent; qu'on n'impose pas ça par une loi.

M. MERCIER : Je ne vois, dans notre mémoire, aucune remarque disant que ça devrait être imposé par notre loi; mais je pense qu'il était de mise de suggérer que les offices de protecteurs utilisent plus d'ingénieurs forestiers parce que, selon nos chiffres, ils en ont actuellement deux qui leur sont fournis...

M. COITEUX: Je suis d'accord sur ça, mais est-ce que c'est réellement la faute de l'Office des producteurs, question salariale peut-être, ou la faute de notre corporation si les membres s'orientent plutôt dans des professions, dans des activités de génie forestier où on peut rester à l'université ou sur la rue Saint-Jean?

On déplore énormément dans les compagnies forestières, que des ingénieurs forestiers ne veuillent plus aller dans le bois. Je pense qu'on a mal choisi le métier.

M. MERCIER : Les principaux contacts que les membres de la Corporation des ingénieurs forestiers avaient avec des agriculteurs et des producteurs de bois étaient via le Service de la forêt rurale lorsque celle-ci possédait des unités décentralisées qui allaient dans les régions conseiller les propriétaires forestiers.

M. COITEUX: J'ai seulement une autre petite question à poser et je vais être assez vite. Quel degré d'autonomie pensez-vous qu'on de- vrait accorder au crédit forestier par rapport au crédit agricole?

M. MERCIER : Absolument indépendant, tout simplement.

M. LE PRESIDENT: Le député de Nicolet.

M. VINCENT: M. le Président, quand le président de la corporation parle de la disponibilité des ingénieurs forestiers, en ce qui concerne les offices de producteurs, est-ce qu'il y a, présentement, à l'intérieur de la Régie des marchés agricoles, une section où on retrouve des ingénieurs forestiers qui s'occupent plus spécifiquement des offices de producteurs de bois?

M. MERCIER: Il y a un seul ingénieur forestier à la Régie des marchés agricoles. La Régie des marchés agricoles, si je suis bien renseigné, ne fait pas de promotion auprès des cultivateurs ou des producteurs de bois.

M. VINCENT: C'est seulement pour la fixation des prix et l'élaboration du plan conjoint et le reste.

M. MERCIER: C'est ça. Elle a strictement un rôle administratif et législatif.

M. VINCENT: Maintenant, comme le député de Duplessis a soulevé la question du crédit forestier... Remarquez qu'au début de votre mémoire, c'est-à-dire dans les conclusions et recommandations, vous parlez d'un ministère des Ressources naturelles ou d'une structure gouvernementale équivalente qui regrouperait tous les services en ce qui concerne l'aménagement ou le zonage territorial.

A un moment donné, vous parlez de dissocier complètement le crédit agricole et le crédit forestier. Vous ne croyez pas qu'à l'intérieur d'une formule de crédit ou de financement agricole et forestier, avec une section bien spécifique pour le crédit forestier, l'Office du crédit agricole pourrait remplir ce rôle, au lieu de créer un autre office, un autre organisme de crédit? Ne pensez-vous pas qu'en apportant les modifications à la Loi du crédit agricole, en y ajoutant une section pour le crédit forestier et en incluant à l'intérieur de cet organisme du gouvernement la profession pour faire le travail, ça pourrait atteindre le même but ou les mêmes objectifs que vous proposez par la création d'un organisme complètement indépendant?

M. MERCIER : Dans les propositions du livre blanc, on suggère la création d'une Régie des produits forestiers qui est un organisme différent de la Régie des marchés agricoles.

M. VINCENT: D'accord, mais en ce qui concerne le crédit forestier lui-même, vous dites: "... le crédit forestier soit dissocié du crédit agricole."

M. MERCIER: C'est ça.

M. VINCENT: Bon, c'est bien entendu qu'à l'heure actuelle l'Office du crédit agricole n'est pas en mesure de mettre sur pied ou d'administrer un programme de crédit forestier. Mais si, à l'intérieur de l'Office du crédit agricole, avec un amendement, on ajoutait une section pour le crédit forestier, avec le personnel professionnel nécessaire, est-ce que cet organisme de crédit agricole et de crédit forestier pourrait jouer le même rôle qu'un organisme indépendant du crédit agricole? Est-ce que vous croyez qu'en greffant les deux ensemble, avec des professionnels, au lieu de créer un autre organisme, ça pourrait jouer le même rôle?

M. MERCIER: Dans notre mémoire, il est bien clairement dit que l'on ne s'oppose pas à ce qu'un organisme gouvernemental intègre les crédits dépensés en milieu rural.

M. VINCENT: Bon, d'accord.

M. MERCIER: Mais l'on demande que le crédit forestier et le crédit agricole soient séparés. Cela ne veut pas dire qu'ils doivent être dans deux offices complètement différents.

M. VINCENT: Vous acceptez que ce soit à l'intérieur d'un même office, mais avec deux sections différentes, avec des sections différentes.

M. MERCIER: Si c'est ce qui est le plus efficace, oui.

M. VINCENT: Parfait.

M. LE PRESIDENT: Le député de Saguenay.

M. LESSARD: M. le Président, à la page 11, la corporation approuve sans réserve le ministère de vouloir poser des gestes concrets pour favoriser la gestion des forêts privées. J'aimerais savoir à ce sujet, étant donné qu'il y a déjà une étude, le rapport Lussier, qui a été accepté par l'UCC, quelle est l'opinion de la corporation sur la politique suggérée par le rapport Lussier qui est déjà accepté par l'Union des cultivateurs catholiques.

M. MERCIER: Je pense que, de façon générale, les membres de la corporation ont très bien reçu le rapport Lussier. A un moment donné, par exemple, on présente une rentabilité au niveau de l'individu, au niveau de l'Etat; cette rentabilité, assez souvent, est très forte au niveau de l'Etat et on parle de sommes très importantes additionnelles au revenu, à l'Etat, amenées par l'addition d'une unité de protection injectée dans l'économie du Québec.

Il faut quand même, pour nous, rester sur la réserve et dire: Ce n'est pas la seule façon connue d'injecter une corde ou unité additionnelle de production dans l'économie québécoise.

M. LESSARD: Excepté quand même que le domaine privé participe au développement forestier.

M. MERCIER: Oui.

M. LESSARD: Pourriez-vous dire comment vous prévoyez établir les mécanismes d'intégration, par exemple, des producteurs privés au domaine public? On sait qu'actuellement les producteurs privés peuvent produire tant de milliers de cordes par année; par contre, les utilisateurs publics peuvent en produire tant. Comment intégrer dans le marché québécois ou le marché international la production des producteurs privés et la production des utilisateurs du territoire public?

M. MERCIER: Nous acceptons en réalité le principe de la gestion mixte. L'idée de toute l'approche de la production forestière en terrain privé que le gouvernement semble préconiser est que les producteurs privés ont les objectifs et les façons de remplir leurs objectifs qui sont rationnelles pour eux et irrationnelles pour l'ensemble ou la collectivité.

Par des moyens appropriés d'incitation, qu'ils soient financiers ou techniques, le gouvernement peut transformer les objectifs du propriétaire privé, les rendre un peu semblables à ceux de l'Etat. C'est dans ce domaine que nous approuvons l'attitude gouvernementale.

M. LESSARD: Vous approuvez donc le développement des territoires privés et l'intégration ou le regroupement des territoires privés. Maintenant, on sait que, par exemple, le rapport Lussier nous dit, selon l'étude qu'il a faite, après une certaine période de temps, soit 25 ans, que les producteurs privés dans une région de vingt milles des régions habitées, pourront produire autant — soit 11 millions de cunits — que ce qui se produit actuellement dans les territoires publics.

Cela veut dire qu'il faut intégrer la production des territoires privés avec celle des territoires publics. Parce que, comme on le disait, il ne s'agit pas de produire du bois pour le simple plaisir de produire du bois, de telle façon que le bois que les cultivateurs et les producteurs privés, par exemple, produiront, demeure sur leur terrain parce qu'ils ne sont pas capables de le vendre.

Dans ce marché-là, étant donné la possibilité du développement du secteur privé, comment pensez-vous intégrer la production des producteurs privés et la production des utilisateurs publics tant sur le marché québécois que sur le marché extérieur? Parce qu'il faut quand même établir des quotas. Alors, comment pensez-vous intégrer cette production?

M. MERCIER : De par ses fonctions actuelles, je pense que mon confrère Gilbert Paillé serait très bien placé pour vous répondre.

M. PAILLE: Je pense que la Régie des produits forestiers, préconisée dans le livre blanc, répond partiellement à votre question, pour régler la question de mise en marché du bois des forêts privées. D'autre part, le livre blanc préconise aussi un regroupement des territoires ou des morceaux de territoire publics enclavés en forêt privée, et préconise aussi l'utilisation de diverses formules de gestion, ferme forestière, groupement forestier et autres pour harmoniser la gestion des territoires privés. Alors, gestion, mise en marché étant réglées, je pense que le problème que vous soulevez est automatiquement réglé par les suggestions qui sont faites dans le livre blanc actuellement.

M. LESSARD: Je pense que la Régie des produits forestiers, actuellement, change très peu la situation telle qu'elle existe par l'association des producteurs. Et on sait que vous avez la loi 41 par laquelle le ministère peut obliger une compagnie à acheter du bois provenant du secteur privé. Mais il reste qu'actuellement on a quand même certaines revendications provenant du secteur privé qui nous disent que les gens ne sont pas capables de vendre leur bois, de telle façon qu'on fait de la production de bois qui reste tout simplement dans les terres. Je me demande si la corporation des ingénieurs a prévu un système d'intégration des différents utilisateurs de la forêt, soit, les coopératives forestières, parce que de plus en plus, je pense que ce secteur se développera, soit les producteurs privés qui sont actuellement, par l'UCC, en train de se regrouper pour revaloriser le territoire leur appartenant. Et en même temps, par suite de reboisement, par suite de politiques du ministère des Terres et Forêts, il pourra arriver que les utilisateurs du domaine public produisent encore plus de bois qu'ils n'en produisent actuellement. Alors, il faudra établir un genre de quota entre ces différents utilisateurs. De quelle façon quant à vous, cela devrait-il être établi? Par la Régie des produits forestiers?

M. MERCIER: Oui.

M. LESSARD: D'accord.

UNE VOIX: Il n'y en a pas.

M.DRUMMOND: M. le Président, étant donné que nous avons déjà discuté avec la corporation pendant deux heures, est-ce que je peux faire une suggestion, si le président de la corporation est d'accord, ainsi que tout le monde ici? Nous pourrions peut-être arrêter ici et soumettre nos questions par écrit à la corporation. Lorsque nous aurons reçu ses réponses, nous pourrions les discuter en com- mission plus tard, parce que je sais très bien que, de notre côté, nous avons toute une gamme de questions à poser mais par contre, il y a d'autres mémoires à entendre. Si tout le monde est d'accord sur cette façon de procéder, je pense que cela pourrait aller plus vite et nous pourrions obtenir les mêmes résultats que nous en attendons.

M. LESSARD: Simplement une remarque. Pour ma part, je considère que le problème que nous attaquons aujourd'hui est un problème véritablement important et que les membres de la Corporation des ingénieurs forestiers du Québec m'apparaissent des spécialistes de la question. Il est important que nous puissions les interroger de façon complète. Encore une fois, je n'étais pas aux discussions préalables. J'avais été convoqué à la commission à 10 heures ce matin...

M. DRUMMOND: Il n'est pas question de description.

M. LESSARD: ... et on m'avait dit qu'il y avait deux mémoires qui devaient être déposés et étudiés ce soir. Je pense que, pour moi, en tout cas, il y a certaines limites qui doivent exister à l'intérieur de cette commission parce qu'il faut en arriver à des solutions pratiques, mais il est quand même important de pouvoir contre-interroger tous ceux qui présentent des mémoires de façon exhaustive. Il est certain que, si vous avons à soumettre les questions par écrit, nous allons passer à l'étude d'autres mémoires plutôt que de présenter des questions écrites à ceux qui viennent nous présenter un mémoire.

M. COITEUX: Je comprends l'argumentation du député de Saguenay. J'ai moi-même toute une série de questions. Je suis rendu à la 19e question que j'ai à poser et nous en avons, au ministère des Terres et Forêts, jusqu'à 37. Avec le consentement des membres de la commission, mon intention est de soumettre d'abord les questions que je veux poser sur chaque article. Je ferai parvenir une copie de la réponse aux différents intéressés. Si, à ce moment-là — c'est une suggestion que je fais — il y a des questions supplémentaires à poser à la corporation sur certains articles, quand nous recommencerons nos séances au mois d'août, nous pourrons les convoquer de nouveau.

M. LESSARD: Est-ce qu'on a. l'intention d'étudier...

M. VINCENT: En ce qui me concerne, M. le Président, je pense qu'il serait très mauvais — remarquez bien, je ne veux pas du tout retarder les travaux de la commission — d'adopter une procédure...

M. COITEUX: Non, non.

M. VINCENT: ... semblable, parce qu'à l'avenir, les corporations pourraient dire: Envoyez-nous vos questions par écrit, on vous répondra par écrit et, après ça, vous nous contre-interro-gerez...

M. DRUMMOND: C'était seulement une suggestion, M. le Président.

M. COITEUX: D'accord!

M. VINCENT: Je pense que ce serait préférable que nous prenions le temps qu'il faut pour questionner ces messieurs, parce qu'il y a toujours une chose qui est certaine, c'est que la loi ne viendra pas avant le mois, d'octobre. A ce moment-là, je pense qu'il faudrait prendre plus de jours au cours du mois d'août, la deuxième période du mois d'août, quitte à faire revenir les membres de la corporation au moins pour que ces gens aient la conviction qu'on veut, en définitive, terminer la discussion avec la corporation; et même, peut-être, faudra-t-il revenir, au cours de l'été. Je pense donc qu'on serait mieux de terminer ce travail.

M. DRUMMOND: M. le Président, continuons.

M. LE PRESIDENT: J'inviterais les membres de la commission à poser leurs questions.

M. COITEUX: Nous sommes rendus au principe...

M. LE PRESIDENT: Ainsi que les réponses.

M. COITEUX: ... d'allocation de la matière ligneuse, pages 12 et 13. J'ai deux questions. Comment pouvez-vous, messieurs les membres de la corporation, vous opposer au principe de la dissociation de la gestion et de l'exploitation, alors que vous appuyez, dans une autre partie de votre mémoire, celui de la gestion publique? Cela voudrait-il dire que la prise en main par l'Etat de la gestion de toutes les forêts publiques ne serait valable que si elle s'étendait uniquement à l'exploitation forestière?

M. MERCIER: La question est pour le moins, si on peut dire, légèrement chargée. Je dois quand même vous citer la phrase où l'on dit que l'expérience vécue dans ce domaine par certains concessionnaires forestiers actuels indique qu'il serait préférable d'associer ces deux phases du développement forestier. L'endroit où il y a le plus de difficulté entre l'organisme qui s'occupe de la gestion du potentiel forêt et des concessions forestières, c'est où il y a le plus de dissociation entre un département dit forestier et un département dit d'exploitation. C'est à peu près tout ce que je peux ajouter sur cette question. Si vous voulez continuer dans l'autre sens, c'est-à-dire si l'Etat devrait faire la gestion et l'exploitation au complet, on est rendu un peu plus loin.

M. COITEUX: Ce n'est pas le sens de ma question. A un endroit, vous dites que vous approuvez la gestion publique et vous semblez vous opposer au principe de la dissociation de la gestion et de l'exploitation, c'est aux pages 12 et 13. La réponse à la question est peut-être un peu compliquée. Dans mon esprit, je pourrais faire lecture de votre mémoire, mais pour compléter, peut-être pourriez-vous nous expliquer les raisons que soutiennent les concessionnaires forestiers pour que l'on continue dans l'avenir, comme vous le suggérez, à associer les phases de gestion et d'exploitation et surtout de confier la responsabilité de la gestion à l'entreprise privée uniquement.

Je pense que cela donne un peu l'éventail de l'idée de ma question. Après cette réponse, je n'aurais plus d'autres questions à poser sur le principe d'allocation de la matière ligneuse.

M. MERCIER: Je m'excuse mais je n'ai pas saisi la question.

M. COITEUX: Pouvez-vous expliquer les raisons que soutiennent les concessionnaires forestiers pour que l'on continue d'associer les phases de gestion et d'exploitation et surtout de confier la responsabilité de gestion uniquement à l'entreprise privée? C'est ce que vous préconisez dans le règlement.

M. MERCIER : Si vous me demandez de répondre pour les concessionnaires forestiers, je ne suis pas autorisé ni intéressé à le faire.

M. COITEUX: En définitive, vous invoquez des raisons, dans votre mémoire, qui laissent sous-entendre que les concessionnaires forestiers sont opposés à ça. Je voudrais savoir pourquoi.

M. LESSARD: Ce serait préférable d'associer la gestion et l'exploitation. A la page 13, vous dites ceci: "L'expérience vécue dans ce domaine par certains concessionnaires forestiers actuels indique qu'il serait préférable d'associer ces deux phases du développement forestier".

M. MERCIER: Oui.

M. LESSARD: En fait, c'est l'argumentation lorsque vous parlez de la nécessité d'associer gestion et exploitation. Le seul argument que vous nous donnez, c'est que l'expérience nous l'a prouvé. Non seulement l'expérience l'a prouvé mais vous dites que les concessionnaires ont dit que c'était mieux d'associer gestion et exploitation. Le député de Duplessis demande quelles sont les raisons que vous ont apportées les concessionnaires forestiers pour associer gestion et exploitation.

M. MERCIER: Dans les éléments de gestion, certaines fonctions sont, actuellement dans l'industrie forestière, déléguées à un service qu'on appelle le service forestier. Il voit à la

préparation des plans d'aménagement, des inventaires d'exploitation et des plans d'exploitation. A l'autre extrême, dans certains cas, il y a un service dont le but unique est de récolter la matière ligneuse du secteur qui a été désigné par le service s'occupant de la gestion. Lorsqu'il n'y a pas d'entente ou de rencontre entre les deux, même à l'intérieur d'une seule compagnie, les difficultés surgissent. On considère que, même l'Etat, dans ces forêts domaniales, aurait avantage à associer gestion et exploitation du bois. C'est légèrement différent de ce que...

M. LESSARD: C'est-à-dire d'accorder la gestion aux concessionnaires?

M. MERCIER: On a demandé dans notre mémoire que, pour certains concessionnaires, la gestion soit encore laissée aux concessionnaires.

M. LESSARD: Quelles sont les objections à ce que l'Etat assure lui-même la gestion de l'ensemble du territoire, parce que nous avons vu — le député de Duplessis soulevait tout à l'heure le problème — cet après-midi, par la déposition d'un mémoire, que les objectifs des entreprises privées n'étaient pas du tout les mêmes que ceux de l'Etat et je les comprends. C'est tout à fait normal. Je pense que personne autour de la table ici refuse de croire que les objectifs des entreprises privées sont d'abord essentiellement de faire des profits. Mais pour l'Etat, c'est autre chose. C'est que les objectifs d'aménagement du territoire sont autre chose. Quelles sont les objections que vous apportez à ce que l'Etat lui-même fasse l'aménagement global du territoire et ensuite que les corporations privées devront exploiter la forêt en coordination avec ces plans d'aménagement qui ont été préparés par l'Etat selon les bases, selon les critères, selon les normes des plans d'aménagement qui ont été faits par l'Etat?

M. MERCIER: Encore ici, on se retrouve à deux niveaux d'aménagement. Vous parlez d'aménagement régional...

M. LESSARD: Je voudrais que vous le définissiez.

M. MERCIER: ... là-dessus, je vous affirmais tout à l'heure que l'Etat devrait en prendre l'entière responsabilité. Si l'on parle d'une grande région du Québec, c'est l'Etat qui doit définir les modes d'aménagement. Si on parle au niveau de la gestion d'une unité d'aménagement, notre proposition est un peu différente.

M. LESSARD: Est-ce que des unités régionales d'aménagement ne seraient pas vulnérables par exemple, par rapport aux aménagements régionaux?

Est-ce que ce ne serait pas moins apte à établir une politique globale de l'aménagement du domaine forestier? Vous dites: En ce qui concerne l'aménagement du territoire, l'aménagement global, c'est l'Etat qui doit s'en préoccuper. En ce qui concerne l'aménagement régional, on est mieux de laisser cela à l'entreprise privée. Comment concilier ces deux choses?

M. MERCIER: Le mot ce n'est pas "régional", c'est une unité d'aménagement qui aurait, selon ce que le ministère propose, 1,000 milles carrés. A ce niveau-là, je pense que l'Etat et le concessionnaire, ou toute autre formule que vous voulez donner, ont intérêt à travailler, à gérer en commun cette unité mais, pour ce qui est de définir les grandes utilisations d'un territoire, sauf une participation, ce n'est pas le rôle du concessionnaire ou de la personne qui reçoit un contrat d'approvisionnement.

M. LESSARD: Ce que vous voulez dire, c'est qu'en ce qui concerne l'aménagement global du territoire, cela revient à l'Etat. En ce qui concerne l'aménagement d'une unité d'aménagement, cela revient en fait à l'entreprise privée et à l'Etat, en collaboration; mais ce n'est pas nécessairement l'entreprise privée qui devra le faire, dans votre optique, quand vous parlez de collaboration.

M. MERCIER: Si l'entreprise privée veut s'en dégager complètement.

M. LESSARD: Si l'entreprise privée est plus efficace, elle le fera.

M. COITEUX: J'ai une autre question sur ce sujet. J'en ai seulement une au plan de la production et de la distribution des bois. Nous aimerions connaître votre pensée et avoir aussi un exposé de ce que vous croyez. Ma question se formulerait comme ceci: Serait-il nécessaire, dans l'avenir, de repenser, en profondeur, toutes les modalités traditionnelles de l'aménagement forestier, afin de mieux planifier la production forestière? Et si oui, quel genre de formule pourriez-vous nous suggérer?

M. MERCIER: De repenser les modalités de l'aménagement forestier?

M. COITEUX: Oui. La modalité traditionnelle, c'est-à-dire faire un arrangement forestier. On procède de la même façon depuis des années. Est-ce que cela a donné les résultats attendus?

M. MERCIER: Si on veut agir rapidement dans l'avenir, on ne doit pas nécessairement repenser ces modalités. Je pense qu'elles sont correctes. Il s'agit maintenant de donner des suites à ces propositions d'aménagement, c'est-à-dire qu'il faut absolument avoir un contrôle en place, très bien structuré et des objectifs clairement définis au niveau des grandes régions.

M. COITEUX: D'accord.

M. LESSARD: M. le Président, j'aurais deux autres questions. A la page 14, vous dites: "Les trois types d'allocations suggérés dans le livre blanc ne diffèrent pas beaucoup des méthodes actuelles." Pourriez-vous expliquer en quoi les trois types d'allocations suggérés ne diffèrent pas beaucoup des méthodes actuelles?

M. MERCIER: D'accord. Comparons, si vous voulez, concession forestière et contrat d'approvisionnement à long terme. Il est défini que pour une concession forestière, le concessionnaire a le droit de récolter, depuis 1963 en particulier, les essences qu'il utilise spécifiquement pour son usine. On lui laisse encore certaines responsabilités sur les chemins forestiers, mais je pense qu'on peut difficilement appliquer de façon rigide les affirmations qui disent que le public n'a pas accès aux terrains forestiers du Québec.

S'engager avec une compagnie forestière, quelle qu'elle soit, pour quarante ans, dans un contrat d'approvisionnement à long terme, avec un endroit bien spécifique, selon nous, c'est presque la même chose et c'est peut-être même un peu plus rigide que de continuer le régime actuel des concessions. Bien entendu les concessions accordent peut-être trop de droits aux concessionnaires, mais elles sont aussi très exigeantes envers les concessionnaires. Si on demandait au concessionnaire ce à quoi il s'est engagé exactement en obtenant la concession, on aurait des surprises et probablement des demandes assez importantes de la part des concessionnaires pour laisser aller leurs concessions.

M. LESSARD: Vous pensez que la définition de l'allocation, à long terme, ressemble énormément aux concessions forestières telles qu'elles existaient auparavant, par suite du fait qu'on parle de superficie particulière, et c'est un peu la concession du droit de terrain, tel qu'on le faisait auparavant dans les concessions.

M. MERCIER: C'est cela. On pourrait arriver à la même fin, c'est-à-dire à présenter le même genre de contrat d'approvisionnement à long terme, en modifiant légèrement la loi concernant les concessions forestières.

M. COITEUX: Sur le même sujet, pour faire pendant un peu à la réponse du président, je crois qu'il y a réellement un changement majeur entre le contrat d'approvisionnement, de la façon que nous interprétons, nous, les contrats d'approvisionnement et le système des concessions forestières actuel. D'abord, l'allocation porte sur une nature de bois spécifique. Comme on le sait actuellement, les concessionnaires utilisent le sapin, l'épinette. Ce sont des producteurs de pâtes et on a exposé à quel point les autres usagers de la forêt en réserve étaient en quelque sorte pris dans un étau devant les exigences très souvent exorbitantes des conces- sionnaires pour l'usage et l'utilisation des autres essences, quelles qu'elles soient. Si on laisse les concessions forestières, d'après la loi actuelle, on va rester avec le même système. Si on a un contrat d'approvisionnement garanti, à ce moment-là, on pourra spécifier dans le contrat d'aménagement garanti s'ils veulent des essences spécifiques, c'est le but visé. Les autres, le bouleau, le sapin, le cèdre ou toutes sortes d'autres essences, à ce moment-là, le contrat d'approvisionnement n'en garantira pas l'usage exclusif et on évitera de cette façon l'exploitation éhontée qu'ont faite dans certains cas les compagnies en chargeant quatre droits de coupe sur des essences qui ne servent pas. C'est une différence majeure, je pense, dans le principe du contrat d'approvisionnement et de la concession forestière.

M. MERCIER: M. Coiteux, dans notre mémoire, il y a peut-être quelque chose qui a échappé à l'ensemble ici, c'est que, quand même, nous disons que les concessions forestières peuvent rester, mais il faut qu'elles soient assujetties aux prescriptions qui existent depuis 1963, c'est-à-dire l'allocation, une concession forestière. Le concessionnaire qui désire garder sa concession devra quand même accepter que sa concession est pour les essences qu'il utilise.

M. LESSARD: Une dernière question.

M. COITEUX: Cela me suffit. J'en ai une autre à poser là-dessus. Qu'est-ce qui vous fait dire qu'une période de 40 ans est trop longue? Vous avez touché le sujet un peu tantôt. Sur quoi basez-vous votre suggestion d'établir un maximum de vingt ans? Voici pourquoi je pose cette question. Vous prenez par exemple un investisseur dans le genre de Lebel-sur-Qué-villon, qui suit actuellement un système de forêts domaniales avec une garantie d'approvisionnement. Quant aux investissements que ces gens font, je pense qu'il y aurait peut-être hésitation de la part des prêteurs à ces compagnies, si on disait seulement vingt ans. Je pense que la période de vingt ans est courte pour une dépréciation aussi globale et aussi majeure que celle que fait une grosse compagnie dans un investissement d'installation d'usine. On a le cas d'abord de Rayonier Québec, qui va investir éventuellement dans trois usines, sur une période de dix ans, de quinze ans. Si on lui donne seulement vingt ans, je pense qu'elle aura une certaine difficulté à convaincre les actionnaires d'investir les montants proposés.

M. MERCIER: Si on regarde le fond de la loi actuelle, on remarquera que les concessionnaires forestiers ont légalement droit à l'utilisation du terrain pour une période d'un an. Pourtant, la confiance s'est bâtie dans cette période très courte. Je pense qu'une période de vingt ans est raisonnable. Le sens de notre proposition n'est pas de spécifier vingt ans exactement, mais on

croit que 40 ans, même pour une usine de pâtes et papier coûtant $150 millions, c'est très long pour attendre un profit. Je pense que l'usine aura été rentable avant ça et que je ne vois pas que le gouvernement soit justifié de s'engager pour plus longtemps que 20 ou 25 ans.

M. COITEUX: Merci de votre réponse.

M. LESSARD: M. le Président, une dernière question. La Corporation des ingénieurs forestiers du Québec, à la page 15, s'interroge sur la fonction première de Rexfor. Elle fait une définition selon la loi du rôle de Rexfor et nous dit: "L'impact social d'une telle réforme de récupération, sa nécessité et sa rentabilité financière devraient être considérées plus rigoureusement." D'une part, je voudrais que le président explique ça un peu. D'autre part, je désirerais que le président explique la deuxième partie: "De même, le gouvernement devrait tenir compte de la concurrence créée par cet organisme au niveau de la main-d'oeuvre forestière et de l'approvisionnement." Donc, je désirerais que le président de la Corporation des ingénieurs forestiers du Québec, précise un peu, à partir du texte du mémoire, le rôle qu'il entrevoit en ce qui concerne la Régie d'exploitation forestière du Québec.

M. MERCIER: Le texte, entre guillemets, est tiré directement du livre blanc.

M. LESSARD: D'accord.

M. MERCIER: Ici, on laisse supposer que des forêts rendues à maturité doivent nécessairement être exploitées. Il faut quand même admettre qu'il tombe plus de bois sans aucune intervention du Québec qu'il n'en tombe sous le coup de la hache ou de la scie mécanique des industries forestières.

Personne ne songerait à se préoccuper de ramasser tout ça, parce que ces arbres ont atteint la maturité. C'est un fait biologique que ces arbres tombent et sont remplacés; c'est parfaitement normal.

M. LESSARD: Mais vous ne pensez pas que cette dépense qui fait que plus de bois tombe du fait de la maturité que parce qu'il est coupé... Est-ce que vous ne pensez pas que l'Etat doit quand même se préoccuper de récupérer ce bois, si c'est rentable économiquement?

M. MERCIER: Vous avez dit la phrase qui est importante: Si c'est rentable économiquement. Nous sommes d'accord et nous demandons que les critères de rentabilité soient rigoureusement appliqués.

M. LESSARD: Alors, vous ne demandez pas de récupérer n'importe lequel bois; vous demandez de récupérer le bois qui est rentable.

M. MERCIER: C'est ça.

M. LESSARD: J'aurais envie de vous demander la baie James, mais en tout cas... Deuxième partie de ma question: Le gouvernement devrait tenir compte de la concurrence...

M. MERCIER: Absolument. Un organisme produisant du bois qui n'a pas une utilisation interne à cette production créera certainement un impact social lorsqu'il se présentera sur le marché. Et, de façon générale, Rexfor va faire tout en son possible pour éviter qu'il y ait des perturbations de marchés à cause de la production additionnelle en matière ligneuse.

M. LESSARD: Maintenant, est-ce que vous pensez que Rexfor peut avoir un rôle malgré les remarques que vous faites à ce sujet?

M. MERCIER: Je pense que Rexfor a assurément un rôle et ici, nous ne nous opposons pas à Rexfor au contraire. Mais il reste que ces critères, les genres de peuplement ou les endroits où ils doivent récupérer, les résultats à son action, les implications, les conséquences de ces actions devraient être analysés sur des bases très rigoureusement économiques.

M. LESSARD: Si je vous comprends bien, vous pensez que cette société d'Etat devrait être strictement une société rentable, c'est-à-dire qu'elle devrait s'occuper de la rentabilité de son exploitation, peut-être contrairement à ce qu'elle fait actuellement.

M. MERCIER: Oui, mais il ne faudrait quand même pas que vous interprétiez mes paroles comme une rentabilité telle qu'une industrie forestière devrait avoir. J'admets qu'il y a un aspect social qui peut être très important et nous l'encourageons de façon certaine. Mais cette rentabilité sociale peut être mesurée et elle doit faire partie des critères considérés comme rentables.

M. BELAND: Maintenant, il y aurait peut-être une question supplémentaire, toujours en ce qui concerne Rexfor. Pour ce qui est de la partie exploitation, vous venez de donner votre opinion quant à ce qui concerne la possibilité de rentabilité économique par une société comme Rexfor et peut-être, d'autre part, une entreprise privée qui prend à contrat une certaine superficie. A ce moment-là, est-ce que vous avez sorti des chiffres quelconques quant à la différence de rentabilité des deux façons de procéder; d'une part de Rexfor toujours au niveau de l'exploitation seulement et, d'autre part, de l'entreprise privée? Est-ce que vous avez des chiffres pour établir qu'il y a une différence de x piastres ou x cents; la corde, le cunit ou...

M. MERCIER: Ma réponse est très courte, c'est non.

M. BELAND: Ah bon! D'accord.

M. COITEUX: M. le Président, on a parlé de Rexfor qui était à la page 15; je voudrais revenir brièvement avec trois questions. Une sur les redevances, une sur l'accès à la forêt et une autre sur la Régie des produits forestiers. On est tombé à Rexfor et je n'ai pas de question à poser là-dessus.

Au point de vue des redevances, de quelle façon suggéreriez-vous au gouvernement de fixer la valeur des bois sur pied, lors du calcul des redevances exigibles des utilisateurs de matière ligneuse?

M. MERCIER: Je pense qu'il faudrait que le gouvernement travaille avec une équation très simple; d'ailleurs, nous sommes informés qu'il est déjà parti dans cette direction. Que le prix de vente de bois sur pied est une résultante du prix de vente du produit transformé moins les frais de transformation, moins une charge de profit qui sera jugée exacte par le gouvernement et la valeur résiduelle devrait représenter la valeur du bois sur pied.

Cela semble très simple sous forme d'équation et nous savons très bien que techniquement c'est très difficile d'application. Il y a quand même assez d'économistes et d'ingénieurs présents pour réussir ça.

M. COITEUX: J'aime votre dernière explication. L'accès à la forêt: A votre avis, quel critère devrait servir pour établir la valeur des chemins d'accès, le mode de compensation pour l'usage des chemins qui ont été construits par les compagnies? C'est à la page 15 du mémoire.

M. MERCIER: Lors d'une réunion précédente à laquelle nous avions invité le ministre à présenter son deuxième tome devant un groupe d'ingénieurs forestiers, je m'attendais un peu que cette question soit soulevée parce que je lui avais posé la même, à ce moment-là. Du ministre, je n'ai pas eu de réponse et... la corporation doit faire la réponse. A l'heure actuelle, nous n'avons pas de critère précis mais il reste que chaque utilisateur, c'est-à-dire, on parle de mode de compensation... Un chemin forestier actuel, qui a déjà été construit, implique généralement pour les concessionnaires qui l'ont fait certaines responsabilités civiles concernant les accidents. Je pense que, si le gouvernement, par une attitude positive, dégage les concessionnaires de cette responsabilité, ça va faire une partie assez importante de la compensation qui est exigée.

Maintenant, les modes de compensation et les montants de compensation seront établis selon ce que des concessionnaires, actuellement, ont reçu en compensation pour l'achat de leurs chemins forestiers. On partira de précédents qui sont déjà établis.

M. COITEUX: Justement, quant au précé- dent, je ne suis pas d'accord sur la raison. Il va falloir en venir à une entente là-dessus. Théoriquement, disons qu'on arrive à enlever les concessions forestières; il y a la question de négociations entre les anciens usagers. Lorsque je préparais, travaillant pour les industries forestières, un prix de contrat sur un bassin donné, il était bien compris qu'on avait tant d'amélioration à faire, dont les chemins. A ce moment-là, sur notre prix de revient, il fallait tenir compte, si on travaillait là pour trois, quatre ou cinq ans, du coût de notre chemin.

A ce moment-là, il était absorbé dans ce programme. Et je ne vois pas, à part le critère que vous avez invoqué au point de vue de la responsabilité publique, pourquoi l'on devrait payer un chemin qui a déjà été déprécié, pour lequel la compagnie n'a pas payé de taxes, qui est entré dans son programme normal si l'ancien usager n'en fait plus usage. Qu'on s'en serve pour des fins récréatives ou pour aller chercher du bouleau, pour aller chercher d'autres essences, à ce moment-là, je ne verrais pas pourquoi, si le concessionnaire ne s'en sert plus, étant donné qu'il a été déprécié, qu'il y a déjà eu une restriction de taxes là-dessus, à cause de son amélioration, c'est fait d'ailleurs... il n'y a pas une compagnie qui n'inclut pas son coût de construction de chemin ou d'autres améliorations dans le coût de revient de ses exploitations.

Je pense que pour les chemins qui servent, naturellement, c'est matière à négociation selon le pourcentage d'usage de chacun des utilisateurs possibles. Mais est-ce que vous seriez d'accord que si le chemin ne sert plus et, en enlevant la responsabilité publique, réellement, théoriquement, on n'est pas en conscience de donner quoi que ce soit parce qu'ils ont déjà été payés dans leur comptabilité de dépréciation?

M. MERCIER: Je suppose qu'à ce moment-là vous devez proposer votre mode de compensation au concessionnaire intéressé et, lui, vous dira s'il est ou non d'accord. Il reste que je peux ici, théoriquement, vous donner toute une approche technique au mode de compensation, il y aurait peut-être cinq ou six choix, et je ne crois pas que ça avancerait notre discussion à l'heure actuelle.

M. COITEUX: C'est justement pour faire éclairer nos lanternes que vous êtes ici ce soir.

M. MERCIER: Je pense, M. Coiteux, que les personnes qui vont le mieux éclairer la lanterne du gouvernement, lors de l'action précise de parler de compensation pour un chemin, ce sera celui qui l'a construit.

M. COITEUX: D'accord. La régie des produits forestiers, à la page 15, préconisée par le gouvernement, devrait-elle étendre son autorité à l'ensemble des produits ligneux exploités et transformés au Québec?

M. MERCIER: M. Coiteux, je m'excuse. Je ne peux pas trouver de référence dans le rapport. Probablement que...

M. COITEUX: La Régie des produits forestiers, page 15.

M. MERCIER: Oui, nous avons trois lignes sur cette question. Nous considérons que, dans le livre blanc, il n'y a pas assez de précision concernant le rôle de la Régie des produits forestiers. Nous sommes d'accord pour qu'il y ait une régie quelconque ou un organisme quelconque qui régisse la vente, la mise en marché, la fabrication de produits forestiers, mais aller plus loin ou l'appuyer, c'est impossible avec la présentation très courte ou peu détaillée qui est faite dans le livre blanc.

M. COITEUX: Nous ne faisons pas de reproche au sujet de la concision de votre mémoire sur cette question, mais nous voudrions tout de même savoir si vous êtes d'avis que son autorité doit s'étendre à l'ensemble des produits forestiers. Il ne faut pas que vous preniez cela dans le sens péjoratif.

M. MERCIER: Très bien.

M. COITEUX: C'est que nous voulons essayer de trouver une formule par laquelle... C'est pour cela que vous êtes ici.

M. MERCIER: La façon dont nous l'avons analysée en comité, c'est que nous l'avons considérée comme Régie des produits forestiers, comme servant d'approvisionnement aux usines de transformation. Est-ce que, oui ou non, nous pouvons aller plus loin dans d'autres domaines, c'est-à-dire que la régie s'occupe aussi des produits transformés? Cela, nous ne l'avons pas analysé parce qu'il n'y avait pas de proposition extrêmement concrète là-dessus dans le livre, sauf dans la section amputée.

M. LE PRESIDENT: Est-ce que nous pouvons passer à l'article Rexfor?

M. COITEUX: Je pense que nous avons discuté de cette question. Je n'ai pas de question.

M. LE PRESIDENT: Chapitre 4: Les effets de la réforme sur l'aménagement des territoires forestiers.

M. COITEUX: J'aurais trois questions à poser. M. le Président, vous déplorez le manque de propositions concrètes du gouvernement concernant le problème de la main-d'oeuvre forestière. Pouvez-vous préciser la nature et l'ampleur des problèmes auxquels votre mémoire fait allusion?

M. MERCIER: Disons que ces chiffres ne viennent pas du livre vert, mais nous avons quand même une idée assez précise. D'abord, tout le monde sait que le nombre de personnes employées dans la production de matières ligneuses diminue continuellement en raison d'une augmentation continuelle de la productivité des opérations. Alors, nous considérons que le moins que le gouvernement aurait pu faire dans ce domaine n'aurait pas été de dire: C'est un fait qu'il faut accepter, mais peut-être de proposer des programmes précis de relocalisation de la main-d'oeuvre déplacée. Il pourrait aussi concevoir le problème de la main-d'oeuvre forestière dans un contexte régional, c'est-à-dire, si on parle de déplacement de main-d'oeuvre, il y a peut-être moyen de se déplacer entre les régions ou simplement de concentrer la main-d'oeuvre déplacée dans cette région. Je ne sais pas si c'est du ressort du ministère des Terres et Forêts.

M. COITEUX: Je comprends mal. En pratique, c'est le contraire qui se produit. Nous avons des compagnies forestières, l'Anglo Canadian Pulp & Paper Ltd., Quebec North Shore Paper, et on a énormément de difficultés à se trouver du personnel forestier.

M. MERCIER: Oui.

M. COITEUX: Et c'est ce qui a amené une mécanisation. Et alors aujourd'hui, on semble vouloir faire le reproche au ministère des Terres et Forêts qu'il y a un problème de main-d'oeuvre qui est dû à ce ministère. Je pense que l'expérience vécue — je ne parle pas au palier de la province — sur la Côte-Nord, on manque de personnel et on a énormément de difficultés à remplir nos quotas de production de produits ligneux.

M. MERCIER: Ici, dans notre mémoire, vous dites qu'on reproche au ministère...

M. COITEUX: Vous dites que nous n'avons pas de politique de main-d'oeuvre.

M. MERCIER: Est-ce que vous prétendez en avoir une?

M. COITEUX: Non, mais je comprends. En définitive, la politique de main-d'oeuvre, c'est qu'il y a l'offre et la demande. Mais on n'a pas d'offre. Qu'est-ce que le gouvernement peut faire pour cela? Prendre des gars par le cou et les envoyer dans le bois?

M. MERCIER: C'est un problème régional. On sait très bien que la Côte-Nord a de la difficulté à recruter sa main-d'oeuvre actuellement et même elle ne réussit pas à intensifier sa mécanisation assez rapidement pour compenser. La première suggestion qui nous est venue à l'idée, c'est un programme de relocalisation qui serait à considérer. Mais on ne demande pas à une personne qui travaille dans le comté de L'Islet d'aller vivre pendant trois mois sur la

Côte-Nord sans, au moins, compenser pour ses dépenses ou...

M. VINCENT: M. le Président, est-ce que, dans le cadre de la politique de mobilité de la main-d'oeuvre, on a fait l'expérience dans le secteur forestier de cette politique de mobilité de la main-d'oeuvre qui avait été mise sur pied il y a quelques années par le gouvernement fédéral?

M. MERCIER: Je ne saurais répondre à cette question.

M. COITEUX: Je pense que j'ai posé la question et vous m'avez répondu 'avec satisfaction parce que ce n'est pas un problème forestier. C'est un problème du ministère de la Main-d'Oeuvre.

M. LESSARD: Simplement une définition. Lorsque vous parlez des problèmes de main-d'oeuvre forestière, vous parlez plus particulièrement d'une main-d'oeuvre technique et non pas d'une main-d'oeuvre non spécialisée: journalier, bûcheron. Actuellement, les différentes compagnies forestières ont de la difficulté à obtenir une main-d'oeuvre non spécialisée parce que les gens ne veulent plus aller en forêt. Mais, en ce qui concerne la main-d'oeuvre technique, là aussi ça devient difficile parce que je pense que, de ce côté-là — peut-être que c'est ça que vous déplorez — on ne s'est pas préoccupé de former véritablement une main-d'oeuvre technique qui s'adapte à la mécanisation actuelle dans des exploitations forestières.

M. MERCIER: Je pense que le but de la collaboration a moins d'envergure que ça. Il y a une affirmation à l'effet que la main-d'oeuvre forestière, de façon générale, est appelée à diminuer. On présente ce fait-là dans le tome I et dans le tome II.

M. LESSARD: Ah! je comprends. En fait, vous blâmez le ministère...

UNE VOIX: Non, non, il ne le blâme pas.

M. MERCIER: Je ne le blâme pas parce qu'il n'est pas responsable de ça.

M. LESSARD: ... du fait qu'actuellement la main-d'oeuvre, dans l'industrie forestière, est en train de diminuer et qu'on n'a pas de cours de récupération pour cette main-d'oeuvre-là.

M. MERCIER: A peu près ça. Oui. M. LESSARD: D'accord.

M. LE PRESIDENT: Le député de Charlevoix.

M. MAILLOUX: M. le Président, on constate que, dans les régions où il y a des problèmes forestiers, il y a un manque évident de main-d'oeuvre journalière partout. Est-ce, que vous me diriez quelle est la différence entre le coût de production d'une corde de bois par les moyens mécanisés et le coût de production faite par un bûcheron, avec les prix que l'ensemble des compagnies versent actuellement?

M. MERCIER: Voici la façon dont s'établit la rémunération, qu'elle soit journalière ou qu'elle soit à la pièce dans l'industrie forestière actuellement. Les négociations entre les syndicats et les compagnies, je pense, partent d'un certain salaire minimum journalier, que doit gagner la main-d'oeuvre forestière. On fixe une sorte d'entente. L'année passée, on visait un salaire moyen pour nos ouvriers de $32 par jour, alors, cette année, il faut obtenir ça. Certaines compagnies extrêmement mécanisées peuvent réussir facilement à procurer ce salaire-là à leurs personnes. S'il n'y avait pas de mécanisation, la production journalière réussissant à permettre à un individu de gagner $32 est peut-être quelque chose comme quatre cordes par jour ou cinq cordes par jour. Disons que je m'aventure dans des chemins où je ne suis pas tellement certain. Mais si la main-d'oeuvre n'avait pas d'outil, si on ne lui procurait pas de moyens techniques de devenir très, très productive, pensez à une production complètement manuelle, deux cordes par jour pour un salaire moyen de $32, ça voudrait dire qu'il faudrait payer $16 pour permettre de garder cette main-d'oeuvre forestière en place.

M. MAILLOUX: Il y a quand même un problème qui se pose. Evidemment, on demeure dans des régions marginales de la collectivité québécoise. Je vois ici M. Ethier du Séminaire de Québec. C'est une des entreprises qui se cherchent de la main-d'oeuvre, et l'on constate qu'à quelques pieds de ces exploitations forestières, la main-d'oeuvre est abondante, elle est accoutumée d'aller en forêt. Est-ce que les compagnies prétendent que les gens ont complètement démissionné? Ils se lancent dans les travaux de voirie à $20 et $22 par jour et, à quelque mille pieds plus loin, ils refusent $32, $34 et $36 par jour pour une journée semblable. Est-ce à dire que, quelles que soient les mesures que prendra le gouvernement, en aucune façon, malgré le chômage qui sévit, il est possible de retourner vers la forêt des gens qui n'ont d'autre métier que celui de bûcherons?

M. MERCIER: Je pense que si je partais d'un concept personnel, il est bien possible que, dans certains cas, je préfère avoir un salaire moindre et travailler dans des conditions préférables. Cela, c'est la liberté de l'individu de choisir entre les deux. Mais il reste que les capacités de gagner de gros salaires existent et, si ces gens-là choisissent de travailler pour le ministère de la Voirie, c'est un choix qui leur est propre.

M. MAILLOUX: Cela veut dire que, pour la voirie, il n'y a pas de mouches, et vous autres, il y a des mouches.

M. MERCIER: C'est probable. C'est un élément, mais ce n'est pas le seul.

M. LESSARD: C'est un élément très important.

M. COITEUX: J'aurais une question à poser sur l'aménagement des territoires forestiers. Ce sont peut-être des remarques. Il est assez surprenant de voir la Corporation des ingénieurs forestiers insinuer, dans son mémoire, que le ministère des Terres et Forêts veut décliner ses responsabilités en matière d'aménagement et d'exploitation des ressources autres que la matière ligneuse, alors qu'elle sait fort bien que les compétences relatives à la mise en valeur des ressources naturelles du Québec sont distribuées entre divers ministères. Vous ne pensez pas que les propositions dans notre tome concernant le zonage sectoriel, la gestion des forêts à vocation particulière, la production d'espaces boisés, l'accès à la forêt et bien d'autres de cette nature ne démontrent pas, hors de tout doute, que l'aménagement intégré des ressources du territoire forestier constitue une préoccupation majeure du ministère des Terres et Forêts? Je sais qu'il en reste à faire, mais je digère mal l'insinuation faite par la corporation à l'effet qu'on décline nos responsabilités lorsqu'on a fait ce bout de chemin-là.

M. MERCIER: Si vous voulez notre opinion sur le fait que le ministère des Terres et Forêts décline ses responsabilités dans l'aménagement de ressources autres que les ressources du bois, elles sont évidentes dans le tome II en pages 25, 26, 40 et 43. Est-ce que c'est décliner ses responsabilités que de faire du zonage? J'ose soumettre que c'est possible. On fait un zonage et on s'occupe de l'aménagement des zones où il n'y a pas d'autre utilisation que celle de la forêt. A ce moment-là, je crois que c'est un déclin de responsabilités.

M. COITEUX: Il faut tout de même que vous admettiez qu'il y a une amorce très sérieuse, à mon sens, depuis quelques mois vers une prise entière de responsabilités du ministère. On n'est pas ici pour porter des jugements sur les ministères des Terres et Forêts antérieurs. Mais je pense qu'on est peut-être quelque peu injuste, en raison des gestes concrets qu'on pose actuellement, dont on a discuté précédemment, de dire qu'on peut facilement venir à la conclusion que le ministère des Terres et Forêts décline ses responsabilités.

Cela explique peut-être ce reproche pour passer à votre autre chose. Vous semblez craindre que les ingénieurs forestiers se retrouvent derrière les autres professionnels pour réaliser l'aménagement intégré des ressources. Cela vient comme complément à votre remarque, à votre insinuation. Cette tâche ne devrait-elle pas être confiée à des équipes disciplinaires, étant donné que l'ingénieur forestier, au point de vue de la faune, a certainement de très bonnes notions de ça. Je pense qu'on devrait considérer non pas l'usage unique, pour un aménagement polyvalent efficace, des services des professionnels, des ingénieurs forestiers. J'en suis un et je ne pense pas que je sois capable d'aménager comme architecte paysagiste le tour d'un lac. Je pense qu'une équipe multidisciplinaire à l'intérieur desquelles vous avez certainement votre place, les ingénieurs forestiers, pourrait s'imposer par ses connaissances et surtout son expérience de la forêt. Je crois que cette conclusion est un préambule, lorsque vous faites des reproches au ministère, parce que vous prévoyez que, si on s'occupe seulement de la matière ligneuse, les ingénieurs forestiers vont passer à côté d'un domaine. C'est votre crainte, est-ce que je vous interprète bien?

M. MERCIER: Voici ce qui se passe. Dans l'aménagement d'un territoire, pour une utilisation récréative, il y a deux éléments, deux types de spécialistes complètement différents qui doivent contribuer. Un est celui qui va fournir la structure ou l'infrastructure nécessaire à cette récréation. L'ingénieur forestier, par sa formation, est capable d'élaborer cette infrastructure et est également capable de faire l'aménagement ou la manipulation des peuplements forestiers qui vont aider à satisfaire les besoins de récréation. En ce qui concerne la définition des besoins de récréation, la mentalité ou l'étude de la mentalité des gens qui veulent avoir la récréation ou la définition du type de récréation qu'ils désirent avoir, peut-être un sociologue aurait-il plus d'importance dans ça. Si, heureusement ou malheureusement, les ingénieurs forestiers se concentrent dans la fonction publique au ministère des Terres et Forêts, si le ministère des Terres et Forêts décline complètement cette responsabilité-là ou refuse de participer ou décide de ne pas participer, il peut avoir raison de le faire, les ingénieurs forestiers n'auront alors plus un mot à dire sur la préparation d'un...

M. COITEUX: Vous pouvez difficilement conclure qu'on ne veut pas participer par les amorces de suggestions qu'on fait, loin de là. Nous préconisons un comité multidisciplinaire où vous avez grandement votre place parce que, je pense, d'ailleurs vous venez de l'avouer vous-même, que cela va prendre d'autres disciplines. Je pense que l'intérêt que l'actuel ministre des Terres et Forêts apporte à tous ces sujets, est évident, parce que cela ne fait pas tellement d'années qu'on est arrivé dans le domaine forestier avec l'implication de l'usage polyvalent. Naturellement cela va énormément plus vite, les demandes se font de plus en plus pressantes, et cela va continuer à augmen-

ter, à cause de la civilisation des loisirs qu'on va connaître avec 24 heures de travail par semaine d'ici dix ans.

Je pense que le ministère est loin de décliner ses responsabilités. Vos suggestions, je pense, sont très constructives et encourageront de façon pertinente le ministère à continuer dans ce domaine afin que votre crainte soit dissipée et que les ingénieurs forestiers trouvent leur place dans l'organisation de l'usage polyvalent de la forêt.

M. LESSARD: J'ai l'impression qu'ils seront d'autant plus utiles à ce moment-là parce qu'ils s'intégreront certainement à l'intérieur de la société de gestion. Je ne vois pas que le programme actuellement proposé par le ministère des Terres et Forêts enlève la nécessité d'utiliser l'ingénieur forestier. Au contraire, on se préoccupe beaucoup plus maintenant de l'aménagement forestier, et ceci nous amènera à avoir des besoins bien plus considérables de main-d'oeuvre dans le secteur forestier et en ce qui concerne les ingénieurs.

M. VEZINA: M. le Président, si vous permettez, j'aurais une question à poser au président de la corporation. Est-ce que je dois conclure de vos propos que le ministère des Terres et Forêts est le principal débouché des diplômés en génie forestier?

M. MERCIER: A l'heure actuelle, si l'on parle des récents diplômés, oui.

M. VEZINA: Est-ce que vous considérez comme souhaitable ou normal que ce soit ainsi?

M. MERCIER: Je ne crois pas que l'on doive considérer que le seul débouché qui nous soit offert soit aux Terres et Forêts. Il serait parfaitement normal qu'on ait des débouchés dans d'autres domaines. Il reste que, pour quelqu'un qui dirait que ce serait normal qu'on ait des débouchés aux Terres et Forêts et qui vient d'un secteur comme la sociologie, il va avoir les mêmes problèmes parce qu'à l'intérieur des Terres et Forêts il y a des ingénieurs forestiers. C'est parfaitement clair qu'ils vont favoriser les leurs parce qu'ils les connaissent mieux; ils savent de quoi ils sont capables et ils ont des utilisations pour eux. Quand le candidat se présente au ministère du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche, si la majorité est constituée de biologistes ou de spécialistes de la faune, c'est parfaitement normal aussi qu'on utilise un minimum d'ingénieurs forestiers.

Alors, il y en a quand même dans les autres ministères, mais si on fait la proportion, c'est extrêmement faible.

M. VEZINA: M. le Président, j'ai un peu l'impression, selon les propos que vous tenez, je le dis sans méchanceté parce que je suis moi-même un fils d'ingénieur forestier, que vous faites jusqu'à un certain point une sollicitation d'emploi pour les membres de votre corporation. Si la corporation comme telle, par ses membres et par l'organisme, n'a pas réussi à imposer la nécessité, la qualité du service qu'elle peut offrir, je me demande si aujourd'hui on doit conclure que c'est une faiblesse d'un gouvernement ou d'un ministère ou de certains ministères qu'il n'y ait pas assez ou qu'il y ait des ingénieurs forestiers mal utilisés. Je me demande si cela ne relève pas plutôt de la corporation elle-même.

M. MERCIER: Il est possible que la corporation ait à prendre une partie des reproches que l'on fait ici, mais nous n'avons pas voulu passer cela comme un plaidoyer en faveur de l'emploi d'ingénieurs forestiers mais plutôt dans un autre sens. Il serait difficile, malgré les affirmations de M. Coiteux, de retrouver dans le livre blanc que le ministère des Terres et Forêts n'a pas décidé de prendre une position précise au sujet de l'utilisation des ressources autres que celles qu'on appelle bois. Il y a quand même quatre citations dans le texte qui disent: Cela, on ne s'en occupe pas, c'est en dehors de notre secteur. A ce moment-là, assurément, s'il s'agit de manipulation de peuplement forestier, que ce soit pour fins récréatives ou pour fins de production en matière ligneuse, il va être très difficile d'avoir une entrée quelconque dans l'administration de ces domaines.

On concevrait mal, par exemple, que, par force d'habitude ou force de profession installée dans un domaine ou un ministère, à un moment donné, les sociologues se mettent à faire de la manipulation en peuplement forestier afin de faciliter ou donner une infrastructure pour la récréation forestière. Il est possible que ça arrive à cause du cloisonnement, encore une fois, entre les différents ministères.

M. COITEUX: J'aurais une dernière question à poser, sur le mémoire, une question assez brève, concernant encore un petit reproche qu'on fait au ministère. Je voudrais vous demander jusqu'où s'étend votre conception de l'industrie des produits forestiers, puisque vous dénoncez la vision limitée du gouvernement et particulièrement celle du ministère des Terres et Forêts. Donnez-moi des explications à ça.

M. MERCIER: Les trois industries qui ont été citées dans le livre blanc sont celles des pâtes et papier, du sciage, du déroulage et des contre-plaqués. Ce sont des industries qui, pour la plupart, font subir à une matière première, qui est le bois, une transformation secondaire. On part de la bille et on finit avec un produit qui est utilisé encore par d'autres industries. Il y aurait une façon de les classer comme deuxièmes utilisateurs. Je pense qu'une politique dynamique de prospection des marchés, de promotion, devrait tenir compte des deuxièmes

utilisateurs comme la construction, l'industrie du meuble, les portes et chassis et autres catégories qui sont trop nombreuses pour être énumérées. Dans celles à peu près équivalentes à celle du contre-plaqué et qui sont à tenir en ligne de compte, il y a les compagnies de fabrication de panneaux de particules, des bardeaux de cèdre, des bois de tournage, et je pourrais en nommer une autre série. Il est évident que peut-être le ministère des Terres et Forêts ne pouvait pas prendre position ou offrir quelque chose à chacune. On voulait simplement rappeler qu'il y a plus que les quatre industries mentionnées.

M. COITEUX: Une question sur la recherche. En quoi la stratégie de développement industriel est-elle reliée à l'établissement des priorités en recherche forestière?

M. MERCIER: Si, dans le contexte du Québec, par exemple, on décidait que l'utilisation primordiale de la forêt porterait vers des utilisations autres que la production provenant de matière ligneuse, c'est un exemple que je tire des nuages, quelle serait la raison du ministère des Terres et Forêts de faire des recherches pour augmenter la productivité, les peuplements, ou la grosseur des arbres ou bien la disponibilité d'essences qui ne seront pas utilisées? Alors, il faudrait qu'une fois pour toutes, ce n'est pas le rôle essentiel du ministère des Terres et Forêts, le gouvernement dise: Dans l'industrie du bois, on a tel but, il y a telle chose qu'on veut favoriser. Notre recherche la plus urgente doit être orientée vers la solution de problèmes qu'on peut avoir dans ces domaines.

M. LESSARD: M. le Président, j'aurais une dernière question concernant l'industrie. A la page 17, la Corporation des ingénieurs forestiers du Québec regrette que le gouvernement n'ait pas prévu, à court terme, une série de mesures visant à aider l'industrie forestière en difficulté. On ajoute ceci: Celle-ci a déjà informé le gouvernement des diverses mesures susceptibles d'atteindre cet objectif. Les plus importantes visent à abaisser sensiblement le coût du bois. J'aimerais savoir, M. le Président, si, lorsqu'on parle de celle-ci, il s'agit du Conseil des producteurs de pâtes et papier du Québec qui soumettait, en janvier 1972, un mémoire au premier ministre Bourassa, mémoire qui devait normalement être soumis à la commission parlementaire des terres et forêts. S'il s'agit de ce mémoire, est-ce que la Corporation des ingénieurs forestiers du Québec appuie totalement ce mémoire?

M. MERCIER: La Corporation des ingénieurs forestiers ne prend pas parti dans la question du mémoire soumis par les industries forestières, mais nous sommes portés à croire que ces gens ont préparé un mémoire dans lequel ils disent quelles seraient les mesures qui leur seraient favorables. A ce moment-là, c'est au gouvernement de juger si, oui ou non, ces mesures sont exactes. Ensuite, je voudrais spécifier ceci. Nous avons déjà eu une remarque qui nous a été faite par les associations de manufacturiers de bois de sciage. Il est possible que notre paragraphe ait donné lieu à des interprétations différentes. Mais, par celle-ci, nous ne référons pas à un mémoire qui a été déposé, mais à l'ensemble des mémoires qui ont pu être déposés dans les dernières années par l'ensemble des industries.

Nous croyons qu'il faut aussi bien tenir compte des revendications d'une usine comme Maki que de l'ensemble des usines de pâtes et papier.

M. LESSARD: Vous reprochez au gouvernement de ne pas prévoir de mesures à court terme pour aider l'entreprise. Je vous pose la question: Est-ce que ça veut dire que vous appuyez le mémoire du Conseil des producteurs de pâtes et papier qui a soumis un mémoire, très bien préparé d'ailleurs, et dans lequel ces entreprises exigent des subventions gouvernementales? Et vous me dites: Voici, il ne s'agit pas de prendre position sur le mémoire du Conseil des producteurs de pâtes et papier du Québec.

Mais j'aimerais bien, étant donné que vous reprochez au ministère de ne pas prendre de mesures à court terme pour aider l'entreprise, que vous expliquiez un peu, quant à vous, ce qu'est l'aide à l'entreprise privée. Est-ce que c'est sous forme de subventions inconditionnelles comme ç'a été le cas dans le passé, ou est-ce que c'est sous forme de subventions indirectes, tel que demandé par le mémoire du Conseil des producteurs de pâtes et papier du Québec? C'est ça qu'on essaie de vous faire préciser.

Vous faites passablement d'affirmations dans votre mémoire, mais il faut quand même prouver et expliquer un peu ces affirmations-là. Je termine en disant: Quelles sont les mesures concrètes que vous, comme membre de la Corporation des ingénieurs forestiers du Québec, proposez pour aider l'industrie forestière à court terme?

M. MERCIER: D'accord. D'abord, on ne fait pas un reproche au gouvernement...

M. VEZINA: Le député a noté.

M. LESSARD : Vous ne faites pas un reproche mais...

M. MERCIER : Nous lui demandons de prendre des mesures à court terme.

M. LESSARD: ... vous souhaiteriez.

M. MERCIER: C'est ça. Nous souhaitons qu'il en prenne des mesures à court terme. Et dans le type d'interventions, s'il est jugé néces-

saire par le gouvernement d'accorder des subventions à l'industrie des pâtes et papier, nous sommes d'accord pour qu'il le fasse. Il doit y avoir une attache. C'est-à-dire que ces mesures doivent assurer que l'industrie des pâtes et papier demeurera établie pour une période plus ou moins longue, selon les barèmes que le gouvernement désire faire passer.

M. LESSARD: Vous êtes d'accord sur tout ce que propose le gouvernement, pour autant que c'est proposé par le gouvernement. Vous dites: Nous sommes d'accord, à un moment donné, sur cette politique-là, si le gouvernement juge que c'est bon d'apporter ces mesures-là. Vous me dites: A une certaine limite, à certaines conditions auxquelles l'entreprise devra s'assujettir, mais pas plus que ça.

M. MERCIER: C'est justement la condition importante dans l'intervention que je viens de faire. Il faut que ça assure une continuité à cette industrie. Par exemple, subventionner pour voir une usine disparaître deux ans plus tard; aucun intérêt.

M. LE PRESIDENT: Messieurs, dois-je comprendre qu'il n'y a pas d'autres questions qui s'adressent au président de la corporation? Sur ce, je remercie la Corporation des ingénieurs forestiers et son président de l'apport très valable qu'ils ont apporté à l'étude de la réforme forestière et je les remercie également de s'être prêtés de façon aussi aimable aux nombreuses questions qui sont venues de la table.

Je puis voir là la qualité du document que ces gens ont déposé, l'intérêt manifeste qui est venu dudit document. La commission ajourne ses travaux sine die; il n'y a pas de date déterminée. Les gens seront avisés, convoqués en temps et lieu.

M. VINCENT: Avant d'ajourner, M. le Président, est-ce qu'on ajourne sine die ou à une date qui sera fixée éventuellement par le gouvernement?

M. DRUMMOND: Il y aura une date fixée éventuellement.

M. VINCENT: Bon. Est-ce que la commission a reçu d'autres mémoires de corporations ou d'organismes? Est-ce qu'on a présentement ces mémoires en main?

M. DRUMMOND: Nous avons reçu à peu près une douzaine de mémoires jusqu'à maintenant.

M. VINCENT: Est-ce qu'on pourrait obtenir du ministre que chaque membre de la commission ait copie de ces mémoires?

M. DRUMMOND: On peut obtenir ça du secrétaire de la commission, on peut les envoyer à tous les membres de la commission.

M. VINCENT: Bon, d'accord. Nous exprimons le voeu que le secrétaire de la commission nous fasse parvenir à l'avance copie des mémoires qu'il a reçus ou qu'il recevra d'ici la prochaine séance.

M. BELAND: Il serait peut-être bon de savoir aussi, par exemple, jusqu'à quelle date il y a possibilité pour une association donnée ou un organisme donné d'être accepté dans la présentation d'un mémoire.

M. DRUMMOND: A la prochaine séance, je pense que ce serait bon de commencer avec l'Association des manufacturiers de bois de sciage qui est ici aujourd'hui et on peut confectionner la liste plus tard. Nous allons essayer d'obtenir une autre date avant la fin de la session; sinon il faudrait recommencer nos travaux au mois d'août.

M. VINCENT: Vers le 15 ou le 20 août?

M. DRUMMOND: Disons une trentaine de jours après la fin de la première partie de la session.

M. LOUBIER: Comme le demandait le député de Lotbinière, quelle est la date limite pour la présentation de mémoires avec assurance que ces mémoires seront présentés et étudiés à la commission?

M. DRUMMOND: D'une façon officielle, c'est aujourd'hui, mais si quelques-uns entrent d'ici quelques jours, je pense que tout le monde sera d'accord pour entendre ces mémoires.

M. LOUBIER: Quelle est la date limite? Hypothétiquement, c'était aujourd'hui, d'après ce que je peux voir, mais...

M. DRUMMOND: C'est officiellement aujourd'hui.

M. LOUBIER: Officiellement aujourd'hui, mais alors, quelle date limite le ministre accorde-t-il pour les organismes qui n'ont pas encore soumis de mémoire? Parce qu'on ne peut pas non plus attendre éternellement les mémoires?

M. DRUMMOND: D'accord, s'il faut se rencontrer au mois d'août, ce n'est pas grave, si quelqu'un envoie un mémoire d'ici une quinzaine de jours.

M. VINCENT: Est-ce qu'on pourrait déterminer dès aujourd'hui que, le 1er juillet, tous les mémoires devront être entrés? A ce moment-là, on établira la procédure de travail.

M. DRUMMOND: Je suis d'accord sur cela.

M. LEDUC: Si on me permet; cependant, pour la question du 1er juillet...

M. LE PRESIDENT: Un instant, monsieur le député de Taillon. J'avais réservé le droit de parole au député de Saguenay.

M. LESSARD: M. le Président, j'aimerais savoir, de la part du ministre combien il y a de mémoires à ce jour.

M. DRUMMOND: Il y en a douze.

M. LESSARD: Est-ce que nous pouvons espérer que le Conseil des producteurs de pâtes et papier du Québec qui a présenté son mémoire au premier ministre pourra venir présenter son mémoire à la commission parlementaire afin que nous puissions l'interroger? Je considère, M. le Président, qu'il s'agit de treize compagnies fort importantes au Québec.

M. VINCENT: Il l'a déposé officiellement.

M. LESSARD: Est-ce qu'il viendra, ici à la commission, pour que nous puissions l'interroger?

M. DRUMMOND: Il viendra.

M. LESSARD: Merci beaucoup.

M. LE PRESIDENT: Le député de Taillon.

M. LEDUC: J'aurais un commentaire, M. le Président. Si nous retardons la date pour la réception du mémoire — la commission est toujours maîtresse de ses décisions — il faudrait bien que nous nous entendions comme quoi c'est quand même une exception à la procédure normale, pour ne pas créer inutilement de précédent. Et si la commission décide de donner une extension jusqu'au 1er juillet, d'accord. Mais il y a quand même une procédure qui doit être suivie par nos règlements et il faudrait que cela soit considéré comme étant une exception et non pas un précédent que nous créons pour d'autres commissions auxquelles nous ne pourrions pas permettre, à certains moments, d'ajouter des jours pour recevoir des mémoires.

M. LE PRESIDENT: Merci, messieurs.

(Fin de la séance à 23 h 19)

ANNEXE Référer à la version PDF page B-3787 À PAGE B-3793

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