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Version finale

29th Legislature, 2nd Session
(February 23, 1971 au December 24, 1971)

Tuesday, February 2, 1971 - Vol. 11 N° 8

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Commission spéciale sur le problème de la liberté de


Journal des débats

 

Commission spéciale pour le problème de la liberté de la presse

Séance du mardi 2 février 1971

(Dix heures trente neuf minutes)

M. VEILLEUX (président de la commission spéciale sur le problème de la liberté de la presse): A l'ordre, messieurs!

La commission sur la liberté de la presse ouvre sa séance.

Historique du problème

M. LE PRESIDENT: Permettez-moi, messieurs de la commission, de faire la chronologie du problème de la liberté de la presse. Novembre 1968, achat par Power Corporation de plusieurs hebdomadaires. M. Yves Michaud, député de l'Opposition, propose la création d'une commission parlementaire sur la liberté de la presse. Le gouvernement acquiesce à cette demande et réclame, avant que ne commence la séance publique de la commission, un rapport au ministre de la Justice du Québec. Le 7 mai 1969 lors de la première séance publique de la commission sur la liberté de la presse, les membres de la commission proposent la création d'un conseil de presse. Ce conseil de presse est également demandé par Me Bureau, représentant la majorité des propriétaires de journaux. Me Bureau indique que les négociations au sujet de la formation d'un tel conseil remontent à mai 1968 et qu'elles n'ont été interrompues que pour favoriser la formation de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. Le 26 mai 1969 le Syndicat des écrivains propose, en rejetant l'idée d'une régie, celle d'une société générale de presse semblable à la Société générale de financement. M. Mi-chaud propose la création d'une société coopérative de messagerie en vue d'une meilleure distribution des journaux qui n'ont pas les moyens financiers d'assurer leur diffusion souhaitable et normale. Le 29 mai 1969 par la voix de Me Bureau, la majeure partie du bloc patronal du monde de l'information propose de nouveau la création d'un conseil de presse. Le 12 juin 1969 après la revue Maintenant, la CEQ et la FTQ ont réclamé la formation d'une commission royale d'enquête sur l'information au Québec. Le 10 septembre 1969 la Fédération professionnelle des journalistes du Québec présente son mémoire à la commission parlementaire. La fédération souligne la tendance monopolisante de Power Corporation et propose principalement deux choses: a) l'installation d'une commission de la liberté de presse structurée à la manière d'une régie; b) un conseil de presse tripartite chargé d'établir un code d'éthique professionnelle chez les journalistes et de recevoir et de donner suite aux doléances publiques. Le 11 septembre 1969 la FTQ et la

CEQ présentent un deuxième mémoire à la commission parlementaire et réclament spécifiquement la tenue d'une commission royale d'enquête aux fins d'étudier la possibilité de créer au Québec una agence de presse québécoise.

Le 24 février 1970, témoignant devant le comité du Sénat, qui étudie les moyens de communication, le président du journal La Presse s'oppose à tout contrôle de l'Etat sur l'information écrite. Des suggestions sont alors faites à l'organisme du Sénat. Le 10 avril 1970, le juge Louis-René Lagacé, doyen des juges de la cour Provinciale, s'est dit d'avis que les journalistes devraient jouir du secret professionnel devant les tribunaux au même titre qu'un avocat. Pour cela, il a toutefois proposé que les journalistes s'organisent en corporation pour exercer un droit de surveillance sur les membres.

Le 16 avril 1970, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec demande l'appui du comité sénatorial spécial sur les organes d'information afin d'obtenir une protection légale pour les journalistes qui reçoivent leur information de source secrète. Le 27 avril 1970, devant le comité sénatorial sur les moyens de communication de masse, les quotidiens du Québec proposent la formation du Conseil de presse qui agirait comme un tribunal d'honneur. Le 9 mai 1970, le bureau de direction de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec souhaite que le nouveau gouvernement québécois ressuscite le comité parlementaire sur la liberté de la presse. Il déplore notamment que le comité parlementaire n'ait pas terminé son travail et ne se soit pas réuni pour tirer ses conclusions.

Le 11 mai 1970, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, après un an de fondation, en est maintenant au stade de consolidation et est prête à affronter ce qui deviendra vraisemblablement la première occupation des journalistes québécois,, à savoir: le droit du public à l'information. Après onze ans de cogitation, de réflexion et de discussions, les journalistes se sont déclarés en faveur d'un conseil de presse. La décision historique a été rendue lors du congrès annuel de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec.

Le 14 mai 1970, les journalistes de l'information au Canada ne pourraient adhérer à la Fédération provinciale des journalistes du Québec, selon le nouveau vice-président général de la Fédération, M. Jean-Claude Picard. Le 27 mai 1970, le Syndicat des journalistes du Québec songe à un regroupement des syndicats dans le domaine des communications. Le 3 juin 1970, le ministre des Communications, M. Jean-Paul L'Allier, affirme que son gouvernement a l'intention, dans le domaine des satellites, d'assumer toute sa juridiction sans "s'enfarger" dans les franges du tapis.

Le 18 juillet 1970, des représentants du

gouvernement du Québec révèlent que la province a l'intention de développer son propre réseau de communication.

Le 1er août 1970, le cabinet Trudeau a finalement pris une décision en faveur de la société américaine Hughes Aircraft pour la construction du premier satellite canadien de télécommunication.

Le 5 septembre 1970, des mesures législatives concernant l'OIPQ, y compris la création d'une direction générale de l'information et de la documentation, Radio-Québec et d'autres services reliés aux communications, seront apportées devant le Parlement à l'automne.

Le 28 septembre 1970, le gouvernement du Québec est l'interprète le plus proche de la réalité socio-culturelle des Québécois, déclare le premier ministre Robert Bourassa, rappelant son intention d'entreprendre des négociations bilatérales avec le gouvernement fédéral en vue d'en arriver à une formule de participation effective du Québec à l'élaboration et à la définition d'une politique gouvernementale des communications.

Le 5 octobre 1970, le Syndicat des journalistes de Montréal a franchi une nouvelle étape en vue du regroupement syndical de tous les salariés travaillant dans le domaine des communications au Québec. Ce syndicat portera dorénavant le nom de Syndicat général des communications.

Le 15 octobre 1970, répliquant aux accusations du premier ministre canadien, M. Pierre Elliott Trudeau, qui a laissé entendre que les organes d'information avaient donné trop d'importance aux enlèvements de MM. Cross et Laporte, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec estime que dans l'ensemble, les journalistes ont jusqu'à présent assuré au public la livraison de l'information à laquelle il a droit en tout temps. La Fédération professionnelle des journalistes du Québec a décidé d'avoir recours à des moyens juridiques pour obtenir le libre exercice du travail d'information. La FPJQ a décidé d'encourager les journalistes qui, dans l'exercice de leurs fonctions, seraient victimes de mesures arbitraires et vexa-toires qui mettent en jeu le principe fondamental de la liberté de presse, de se prévaloir des recours juridiques dont jouissent tous les citoyens.

Le 28 octobre 1970, les journalistes de la tribune parlementaire de Québec commencent à s'inquiéter sérieusement du danger que la liberté d'information soit menacée au Québec en cette période de "tremblement démocratique".

Le 29 octobre 1970, les journalistes invités aux débats des étudiants en journalisme et information de l'université Laval ont fait état des conséquences de la Loi des mesures de guerre sur la liberté d'information. Ils ont déploré que cette loi engendre une autocensure de la part des journalistes et qu'elle donne lieu à certaines restrictions dans le domaine de l'information.

Le 9 novembre 1970, le Syndicat des journalistes de Montréal demande au gouvernement de "cesser toute mesure de pression pour censurer la liberté d'information" et de modifier la loi de manière à établir clairement que la diffusion par la presse et les moyens d'information des messages du FLQ ne soit en rien entravée.

Le 16 novembre 1970, la FPGQ est d'avis qu'une reconstitution du comité parlementaire sur la liberté de la presse mènerait à des débats plus sensés pour vider la question du comportement des journalistes dans la crise actuelle.

Le 18 novembre, le premier ministre du Québec annonce que la commission parlementaire sur la liberté de la presse sera reformée sous peu.

Le 21 décembre, le gouvernement du Québec a annoncé à l'Assemblée nationale l'institution d'une commission parlementaire spéciale pour étudier le problème de la liberté de la presse. Si on relit le journal des Débats on verra, à la page 2,596: "En attendant que le premier ministre prenne connaissance de la composition, je ferai, a dit M. Levesque, cette motion-ci: "Qu'une commission spéciale de onze membres soit instituée avec pouvoir d'entendre les témoins, de siéger après la prorogation pour faire un examen du problème de la liberté de la presse, des faits qui peuvent la mettre en danger et d'examiner si les lois de la province en assurent la protection."

Hier, un conseil de presse a été formé. L'entente a eu lieu entre les journalistes et les représentants des media d'information. Cet historique du problème de la liberté de la presse terminé, je laisserai maintenant la parole, tel que le veut la tradition dans les commissions parlementaires, aux différents partis siégeant à l'Assemblée nationale pour qu'ils puissent s'exprimer sur ce problème qu'est la liberté de la presse. Alors, je laisserai la parole à M. Bourassa.

M. BOURASSA: M. le Président, malheureusement je devrai m'absenter dans quelques minutes pour recevoir les représentants et le maire d'Asbestos au sujet d'un problème que vous connaissez. Très brièvement, je voudrais dire que j'ai accepté avec plaisir de convoquer cette commission parlementaire sur la liberté de la presse à la demande du président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. Les parlementaires pourront, dans quelques instants, discuter comme ils l'ont fait dans d'autres commissions du travail le plus utile qui peut être fait par cette commission. Je voudrais tout de même féliciter très chaleureusement, au nom du gouvernement, MM. Garié-py et Bureau pour la formation du conseil de presse qui a pris naissance hier. Je pense que c'est là un geste concret et très positif pour corriger ou améliorer une situation qui s'était un peu détériorée ces derniers mois.

Alors, je pense que nous sommes prêts à discuter toutes les questions qui paraissent

pertinentes, probablement le rôle de ce Conseil de presse, ses fonctions et son mandat. Je laisse maintenant la parole au député de Chicoutimi. Je pense qu'il représente l'Opposition à cette commission et il peut avoir des suggestions à faire sur le mandat de la commission.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, je remercie le premier ministre des propos qu'il a tenus et je me joins à lui pour féliciter les fondateurs du Conseil de presse. Avant que de proposer ce qui me paraîtrait devoir être notre programme de travail, vous me permettrez, M. le Président, d'énoncer quelques principes, d'établir quelques positions de doctrine en regard du problème de la liberté de presse.

Principes et doctrine

M.TREMBLAY (Chicoutimi): La commission parlementaire que vous avez convoquée, M. le Président, entreprend aujourd'hui d'examiner les problèmes que pose l'exercice de la liberté de la presse. Depuis longtemps déjà, des individus et des organismes, aussi bien que les membres du Parlement, s'interrogent sur le cas que font de la liberté qui leur est dévolue, les journalistes de la presse écrite et électronique. Les récents événements survenus dans le Québec ont aggravé encore l'état de tension qui existait entre, d'une part, certains qui revendiqueraient une liberté absolue et d'autre part, ceux qui voudraient qu'on définisse le champ de cette liberté en fonction de certains impératifs de sécurité, d'ordre et de bien commun. Il n'entre pas dans mon propos de mettre qui que ce soit en accusation, non plus que d'analyser des cas particuliers. Ces genres de procès aboutissent, la plupart du temps, à des impasses et les juges qui s'aventurent à jouer les Salomons ont tôt fait de renvoyer les parties dos à dos. Tout ce que je puis dire, c'est qu'il y a un malaise et que les citoyens n'ont pas toujours tort, qui pensent que l'information est souvent manipulée qu'à des niveaux qu'ils ne peuvent identifier — il y a des Césars tout puissants — et que des journalistes sont beaucoup plus des éditorialistes engagés que des témoins fidèles de l'actualité. C'est indiquer, M. le Président, l'ordre que j'entends suivre au cours de cet exposé qui vous paraîtra peut-être long mais qui me semble, à moi, nécessaire si l'on veut cerner la réalité fuyante et complexe de la liberté de la presse.

La liberté de la presse n'obéit pas à des règles différentes de celles qui régissent la liberté d'opinion, la liberté de parole, la liberté d'action, la liberté d'association, en somme, la liberté qui est reconnue à tous et à chacun dans les sociétés démocratiques. Elle est un usage et un droit. Un droit d'abord, un usage ensuite, ce dernier conditionné par toutes les règles qui déterminent l'usage de tout droit dont jouissent les citoyens. La liberté de la presse a donc des limites, et le journaliste n'a pas que des droits; il a aussi des obligations, ce qu'il sait et comprend très bien.

Il en va de même pour les journaux et ceux qui les possèdent ou les exploitent. Car, on ne peut dissocier le journal du journaliste, le propriétaire d'un organe de diffusion de ceux qui, par fonction, sont chargés de l'alimenter. C'est donc à ce double palier qu'il importe de situer notre recherche et d'orienter une démarche dont le but n'est pas, dans mon esprit, de condamner des hommes mais de rectifier, le cas échéant, des coutumes ou des habitudes, afin que les moyens de diffusion, quels qu'ils soient, servent la société toute entière et non pas seulement les fins de ceux qui en feraient les outils de leurs idéologies ou de leurs propagandes.

C'est donc dans l'optique du bien public et du droit public qu'il convient d'aborder ce délicat problème. Faut-il, au départ, définir la liberté? Rappeler les notions anciennes et le sens qu'elles ont pris depuis le moment où l'on s'est efforcé d'en élargir le champ, c'est immédiatement ranimer des querelles d'écoles et ouvrir la voie à des discussions académiques qui ne nous mèneraient pas loin ou très loin, pas en tout cas où nous voulons en venir, c'est-à-dire à des normes, à des critères, à des règles, à un code qui régisse chez nous l'usage de la liberté de la presse.

Je pense que l'on peut s'entendre pour dire que la liberté réside dans la faculté qu'a tout individu de choisir ce qui lui parait être un bien désirable et souhaitable, mais que ce choix ne peut être absolu si l'on admet du même coup que chaque individu aurait la même faculté de définir pour lui-même la liberté d'action qui correspond à ses appétits ou à ses intérêts.

Il y a dans l'usage de la liberté que fait chaque individu un conflit virtuel qui naît chaque fois que la façon dont il se sert de sa liberté heurte l'idée que son voisin s'en est faite et l'aire d'application qu'il a pour lui circonscrite. On peut donc concevoir que des individus laissés à eux-mêmes ne peuvent statuer sur l'ampleur de leur liberté et sur la dimension d'un droit, sans tenir compte, en même temps, du domaine réservé par d'autres individus en fonction du même droit.

Il faut qu'au départ, par une sorte de contrat librement consenti, les membres d'une collectivité s'engagent à restreindre leur propre liberté afin de faire coïncider leurs droits, leur intérêt et leur bien avec ceux d'un groupe plus large. C'est du reste ainsi qu'à travers les âges s'est définie en pratique la liberté et que son usage contrôlé et limité a fait disparaître la loi de la jungle qui sévissait chez les peuples primitifs et non civilisés. Conquête de civilisation, donc, mais combien fragile et toujours à recommencer.

Je sais qu'il n'est pas agréable de parler de contrôle, qu'il n'est pas séant même de pronon-

cer ce mot à une époque où, par un rare travers de l'esprit qui tient de l'aberration pure et simple, chacun revendique une liberté totale sans égard au risque que l'exercice d'une pareille liberté fait courir à celle que tout individu est, lui aussi, en droit et lieu de revendiquer. C'est qu'on ne fait plus de distinction entre droit et abus, liberté et licence, liberté individuelle et collective.

Retenons d'abord ces deux derniers termes: liberté individuelle et liberté collective. La première est la somme des droits de l'individu. Cette capacité qu'il a d'agir, de se mouvoir, de parler, de traduire ses sentiments et d'exprimer ses besoins ou ses exigences, on pourrait la dire, en principe, illimitée s'il n'y avait la réserve, combien sévère et restrictive à certains égards, de la liberté collective. Celle-ci est la somme des droits et privilèges qu'on s'entend à reconnaître à une collectivité organisée dont les membres ont accepté de vivre en commun et de se respecter en vue de la recherche d'un objectif qu'on peut qualifier de mieux-être et qui correspond, en fait, à la notion universelle de bien commun.

A supposer qu'on accepte ce postulat, on est obligé d'accepter du même coup que le champ de la liberté individuelle est limité par les impératifs de la liberté collective et que tout excès dans l'usage de la liberté par l'un des membres compromet la liberté collective en restreignant le champ de la liberté des autres membres de la collectivité. Ou l'on accepte cette limitation et l'on se soumet à des règles souvent exigeantes et contraignantes, ou l'on refuse cette limitation et l'on met en péril l'équilibre qui doit caractériser le dosage de la liberté individuelle en fonction de la liberté collective.

Ici intervient une notion qui a toujours prévalu chez les peuples civilisés, celle de l'éthique, d'un code que l'on désignera simplement, sans référence à aucune théologie, une morale. Morale à la fois individuelle et collective, acceptée par tous les individus comme un frein, une barrière qui marque la ligne de démarcation entre la liberté et la licence, cette dernière étant définie comme une dérogation aux règles communément acceptées comme devant régir le comportement des membres d'une collectivité.

Ainsi, du fait que l'on accepte de considérer la nécessité d'un code qui non seulement facilite mais permet tout simplement à l'établissement de rapports normaux et pacifiques entre les membres de cette collectivité, on reconnaît implicitement qu'il existe, pour l'individu, des droits, mais que le mauvais usage de ces droits donne lieu à des abus, ceux-ci d'autant plus graves et répréhensibles qu'ils mettent en cause le libre exercice du droit des autres. Ce qui implique qu'il existe également des sanctions pour réprimer ces abus, sanctions que de nos jours on a tôt fait de qualifier de répression.

Conclusion abusive, elle aussi, erronée en toute rigueur de doctrine puisque les sanctions, qu'elles soient légères ou graves, n'ont d'autre but que de corriger des situations dont dépendent à la fois la liberté individuelle et la liberté collective, sous toute réserve, bien entendu, que ces sanctions ne s'inspirent pas d'une volonté de brimer la liberté de ceux dont on ne partagerait pas l'avis ou dont on voudrait restreindre l'action.

On pourrait déclarer que tout homme est libre, qu'il a tous les droits, qu'il a la faculté de faire ce qui lui plaît quand il le veut et qu'il n'a, quant à sa conduite personnelle, aucun compte à rendre à qui que ce soit. Ce serait nier l'existence inéluctable de l'interdépendance des hommes et de l'obligation dans laquelle se trouve tout homme de recourir à son semblable. Ce serait nier l'existence d'une morale naturelle, si laxiste qu'elle soit, et nier aussi qu'il existe, pour des millions de personnes, une morale qui se fonde sur des croyances religieuses qu'on peut appeler, si on le veut, superstitions, mais qui sont nées avec le monde et ne disparaîtront qu'avec lui.

Sans compter que ces croyances ne sont, quand on les analyse en profondeur, que la manifestation de la pensée et des constats de l'homme qui n'a cessé de s'interroger sur son origine et sur sa fin, sur le monde et sur les mystères du cosmos.

Il faut bien reconnaître que tous les peuples obéissent collectivement aux règles d'un code qui régit leur comportement individuel et collectif et que toute infraction à ces normes de conduite compromet la sécurité de la collectivité. C'est pourquoi on retrouve même chez les peuples les plus primitifs de telles règles qui chez les peuples civilisés répondent aux termes généraux d'ordre public et de bonnes moeurs.

Ordre public et bonnes moeurs, voilà les termes irritants par excellence, ceux dont on veut restreindre au minimum le contenu sémantique parce qu'il contrarie les fausses notions de liberté qu'essaient d'imposer les rêveurs qui niant l'infirmité native de l'homme et sa débilité intellectuelle, s'acharnent à recréer un impossible paradis terrestre. Il est facile de constater que tous les hommes ne sont pas bons. Toutes les justifications qu'on peut inventer pour absoudre les individus des crimes les plus sordides, comme les plus ignobles, ne font pas pour autant disparaître ces crimes dont le résultat est de porter en définitive atteinte aux droits des gens et à leur liberté.

Qu'est-ce que l'ordre public? J'admets qu'il n'est pas facile de le définir et de cerner cette réalité mouvante qui évolue au rythme selon lequel évoluent les civilisations elles-mêmes. En ne retenant que l'essentiel de la notion, ce qu'elle peut avoir de moins contraignant, on est forcé d'accepter qu'il s'agit d'un code, d'une éthique, d'une réglementation, la plus large qu'on pourrait concevoir, mais qui a ce caractè-

re impérieux d'être un frein, une barrière, un ensemble d'interdits qui permettent aux membres d'une collectivité, aux citoyens de vivre dans la cité avec un minimum d'ordre et de sécurité. C'est d'ordinaire l'Etat qui définit l'ordre public et qui en assure le respect. Les plus anarchistes des anarchistes se soumettent eux-mêmes à une sorte de code simple et brutal, mais qui demeure, tout compte fait, une morale de l'anarchie, un ordre public que les membres des hordes les plus féroces respectent, acceptant ainsi de restreindre la liberté totale qu'ils revendiquent.

On retrouve, du reste, cet ordre public dans toutes les sociétés, qu'elles soient tribales, féodales, patriarcales, sédentaires, théocrati-ques, païennes, oligarchiques, monarchiques, militaires, démocratiques ou totalitaires. Ainsi, nos sociétés modernes n'échappent pas à cette exigence, pas plus qu'elles n'échappent à la règle des bonnes moeurs.

Cette dernière notion ne réfère pas nécessairement à une éthique fondée sur un credo imposé par les dogmes d'une religion, mais d'abord sur la religion naturelle qui interdit à l'homme de se conduire comme un animal, car il y a inscrit au plus profond de la conscience humaine des règles élémentaires comme celle qui interdit de tuer son prochain ou de s'approprier ses biens.

Ces règles se sont définies à mesure que progressaient les civilisations. Elles ont subi toutes les métamorphoses que leur ont imposées les divers types de sociétés et elles portent les marques des hommes qui les ont faites conformément à des croyances ou à des objectifs dépendant des Eglises et des Etats.

Sans référer à toutes et chacune de ces transformations, on peut rappeler pour mémoire l'évolution des moeurs des Spartiates, celle des Grecs et des Romains, des Egyptiens, des Gaulois, des Barbares, celle des Asiatiques, des Occidentaux influencées par les religions de l'Inde, de la Chine, du Japon, des Juifs et des Chrétiens, jusqu'à celle des peuples totalitaires d'aujourd'hui qui, on ne pourra le nier, ne badinent pas avec les moeurs.

On a parlé chez nous de puritanisme, de jansénisme, d'intégrisme, et que sais-je encore? Ce ne sont là que des manifestations de l'évolution des moeurs dans des sociétés à l'origine fermées, mais qui ont dû modifier leur conception en fonction du pluralisme qui s'est installé dans les Etats et qu'il serait puéril de vouloir ignorer. Encore que ce pluralisme ne doive point obnubiler dans les consciences l'exigence de la morale et des valeurs universelles de l'humanité en consacrant la licence à tous les paliers de la vie sociale.

Conséquemment, quand on parle de liberté il faut en même temps parler de l'usage de la liberté. Pour déterminer les règles de cet usage, il est essentiel d'évoquer les exigences péremptoires d'ordre public et de bonnes moeurs. Ce devrait être là le point de départ de notre recherche sur les fonctions de la presse, sur ses droits et sur les limitations de son action. Car la presse, en raison de son rôle d'information et d'éducation, a beaucoup à faire pour le maintien de l'ordre public et des bonnes moeurs. On ne saurait trop insister sur ce rôle d'information et de formation de la presse.

Cela nous servira, du reste, à esquisser les grandes lignes du code d'éthique qui doit régir le comportement de ceux qui utilisent l'instrument de la presse écrite et de la presse électronique dont il serait oiseux de rappeler l'extraordinaire puissance aussi bien que la terrible responsabilité.

On dit souvent — et combien de fois l'avons-nous entendu répéter en ces derniers temps — que le public a droit à l'information, ce que personne ne conteste. On a dit également que le journaliste, que tout individu, que l'homme politique avait droit à l'erreur, ce qui est un sophisme. L'homme est passible d'erreur, mais il n'a pas le droit de commettre sciemment des erreurs.

Mais il en est qui semblent moins se préoccuper de la façon dont le public doit être informé et du contenu de l'information. C'est peut-être ce qui a provoqué récemment les remous qui ont inquiété les journalistes eux-mêmes qui n'ont pas craint de soumettre leur action à l'examen du Parlement en acceptant l'idée de la convocation de cette commission dont le but ne doit pas être — j'y reviens avec insistance — de faire des procès et de chercher querelle à des hommes qu'on aurait désignés à l'avance comme boucs émissaires ou comme victimes expiatoires.

Notre rôle doit être essentiellement et rigoureusement positif. Il consiste, à mon sens, à travers un dialogue franc, à préciser avec les gens du métier les principes et les règles d'action qui servent la cause de l'information tout en respectant la liberté des journalistes, celle des individus, celle des collectivités en vue du maintien de l'ordre public et des bonnes moeurs.

Notre travail, M. le Président, n'a pas un caractère d'urgence tel qu'on doive procéder hâtivement. Il nous faut y mettre tout le temps nécessaire à l'audition des témoins et particulièrement à celle des gens de la presse, patrons et journalistes. En fait, notre objectif est le suivant: nous interroger sur la situation de la presse au Québec, sur son organisation, sur son rôle, sur ses droits et obligations.

Nous demander comment la presse sert le public, quelles sont les relations de la presse avec les gouvernements, les groupes organisés et les individus, pour en arriver à formuler des recommandations qui aident les entreprises de presse, les journalistes et l'Etat à définir un code qui serve la collectivité dans le respect de la liberté et du bien commun.

M. le Président, si j'ai insisté sur les princi-

pes, c'est qu'avant de déterminer les règles qui nous guideront dans l'examen du problème de la liberté de la presse, j'ai voulu évoquer certaines notions essentielles qu'il nous faudra sans cesse rappeler lorsqu'il s'agira d'analyser, de critiquer ou de juger le comportement de la presse au Québec. Notre but est de définir un objectif, d'examiner la situation de la presse en regard de cet objectif et de proposer des règles qui doivent régir chez nous l'usage de la liberté de la presse.

Mais comment aborder le problème? Comment le cerner? Cela doit faire l'objet de cette première réunion de la commission afin que nous n'allions pas au hasard des opinions, des sentiments et des préjugés. Je propose donc qu'on étudie la question de la façon suivante en vous priant de noter que les sujets que je vais énumérer n'épuisent pas le problème et qu'il sera loisible à qui que ce soit d'y greffer d'autres sujets, de proposer l'examen de questions plus spécifiques ou d'élargir le débat. On pourrait également intervertir l'ordre des sujets ou les regrouper, lo. Examen général du concept de liberté de presse. 2o. Formulation de ce concept en regard de la liberté tout court et des droits individuels et collectifs. 3o. La presse et la société, son rôle d'information et d'éducation. 4o. Le droit à l'information, ses exigences, ses limites. 5o. Le contenu de l'information, l'examen donc des critères sélectifs. 60. Les modes ou méthodes d'information. On examinerait alors les conditions de travail de l'informateur parce que les modes ou méthodes d'information sont fonction de ses conditions de travail, analysant le reportage, l'analyse, 1'éditorial. 7o. La presse et les pouvoirs publics: obligation d'informer, la propagande, la distortion, les omissions, la collusion, la conspiration du silence, les pressions indues, les pouvoirs clandestins, la censure, le libelle, la justice ou les tribunaux, parce qu'il nous faudra réexaminer ce problème du libelle, et du comportement des tribunaux en face de la presse. 80. L'entreprise de presse, son organisation, droits et obligations de l'entreprise, les cartels et monopoles, droits et obligations du patron. 9o. La profession du journalisme, son organisation, ses droits et obligations, son code. l0o. Le journaliste, formation professionnelle, écoles de journalisme, éthique, le droit d'association, l'association des journalistes, les cadres de la profession, relations avec l'entreprise, relations avec le patron, mobilité du journaliste, le journaliste libre ou pigiste. 11o. La presse et le public: le respect du public, le secret professionnel, les rumeurs, l'association du public à l'entreprise de presse, la publicité et la protection du consommateur, la surveillance, le Conseil de presse dont on a parlé tout à l'heure de la création. 12o. La presse et l'éducation: le journal, la radio, la télévision, une participation du public et de l'Etat, parce que l'Etat a aussi ses moyens d'information et d'éducation, l'OIPQ, par exemple, Radio-Québec, etc. 13o. Les agents d'information: l'entreprise privée, les agences, l'Association professionnelle des journalistes et l'Etat, auquel se greffera évidemment le problème de l'organisation, dans l'entreprise de presse, de la participation des journalistes et du public et des formules dont on a parlé, particulièrement la formule coopérative. 14o. La presse au Québec, journal, radio, télévision, son organisation, sa situation financière, ses formules de gestion, la participation du public et des journalistes. 15o. L'information au Québec, ses conditions, son public, sa qualité, ses informateurs.

M. le Président, je proposerais, pour l'examen des différents sujets que je viens d'énumérer, la formation immédiate — enfin, nous pourrons en discuter après la séance et examiner cette suggestion — d'un comité directeur de la commission parlementaire qui grouperait les représentants des divers partis, les représentants de la presse, particulièrement de la Tribune de la presse, ici au Parlement, un représentant des entreprises de presse, le public étant représenté par ses mandataires légitimement élus.

Voilà, M. le Président, quelques-uns des sujets qui devraient retenir notre attention. J'aurai l'occasion de préciser davantage au cours des auditions. Je reviens, en terminant, sur la nécessité de l'objectivité et de la sérénité de notre examen en soulignant que, pour ma part, je n'ai pas l'intention de mettre qui que ce soit en accusation, non plus que de laisser quelque membre de cette commission ou des témoins se permettre des diatribes qui transformeraient cette tribune en foire ou en tribunal. Je sais que vous vous montrerez sévère à cet égard, M. le Président, et que nous pouvons compter sur votre impartialité.

J'ajoute, en terminant, que la réserve que je fais n'implique pas que nous nous refusions pour autant à des études qui comporteront à certains moments, je le présume, des interrogatoires serrés, des prises de position nettes, franches, voire brutales. Voilà, M. le Président, la déclaration que j'avais à faire au début de cette séance. Nous pourrons revenir et discuter le programme que j'ai proposé, mais il me paraît que si nous voulons accomplir un travail sérieux, il nous faut examiner l'ensemble du problème et non pas nous accrocher à des questions trop particulières qui risqueraient de paralyser le travail de la commission et d'en réduire les dimensions. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé ces quinze sujets d'examen au début de cette séance. Merci, M. le Président.

M. LE PRESIDENT: Je remercie l'honorable député de Chicoutimi. La parole est maintenant à l'honorable député de Portneuf.

Commission objective

M. DROLET: M. le Président, mes remarques seront très brèves au début de cette réunion.

Tout d'abord, je voudrais remercier le président de la commission de nous avoir fait une rétrospective du problème car, pour nous, qui sommes de nouveaux venus au Parlement de Québec, ceci nous a permis de voir ce qui s'était fait dans les années passées et ce que nous nous apprêtons à faire avec cette commission parlementaire sur le problème de la liberté de la presse.

Nous sommes heureux de voir cette commission parlementaire réunie et nous la voulons sérieuse, objective. En ce qui nous concerne, nous, de notre parti, nous écouterons, discuterons et apporterons, comme nous l'avons toujours fait, des suggestions les plus objectives possibles. Toutefois, avec tout le respect que nous avons pour la Tribune de la presse, nous sommes obligés d'admettre qu'assez souvent certains journaux et même certains journalistes, à l'occasion, à l'occasion, veulent jouer à la vedette.

Lorsque des réformes sont demandées par des gens sérieux élus par la population, trop souvent la presse essaie de les ridiculiser et fait des manchettes avec des nouvelles à sensation comme nous en avons, hélas! trop vues depuis le mois d'octobre dernier.

M. le Président, c'est l'ensemble de la situation pour le moment et nous serons, à cette commission, des gens qui surveilleront tout ce qui va se dire, ce qui va se passer. Assez souvent, on nous demande à nous, les parlementaires, d'être sérieux et objectifs et nous demandons la même chose à la presse.

J'espère que le travail qui se fera à cette commission sera constructif. En ce qui concerne tous les points suggérés par l'honorable député de Chicoutimi, je pense qu'une bonne partie est très valable et devrait être discutée. Quant à former un comité comme il l'a suggéré, je me demande si cela vaut réellement la peine de former un comité dans un autre comité. Je pense que cela ne réglera pas grand-chose.

M. le Président, c'est tout ce que j'avais à dire pour le moment.

M. LE PRESIDENT: Je remercie l'honorable député de Portneuf. La parole est maintenant à l'honorable député de Bourget.

La presse: un témoin

M. LAURIN: M. le Président, c'est à la faveur de la crise qui secoue le Québec depuis octobre dernier que cette commission renaît de ses cendres. La commission précédente avait surtout étudié le problème de la concentration des entreprises de presse et la menace que ce monopole tentaculaire faisait peser sur cette pierre de touche de la démocratie que constitue la liberté de la presse.

La commission avait bien travaillé, accumulé de vastes et importants renseignements, mais elle n'avait pu faire rapport à l'Assemblée nationale et son action était ainsi demeurée sans effet. Cela est d'autant plus malheureux que ce problème n'a rien perdu de son actualité. Malgré qu'il ne traite qu'épisodiquement et superficiellement de la situation au Québec, le rapport de la commission fédérale Davey sur les moyens de communications de masse nous apprend en effet que 65 p. c. de la presse écrite du Québec sont actuellement aux mains de groupes financiers dont les principaux sont Power, Gelco, Gesca, Baribeau, Pratte, TransCanada, Télémédia et Radiomutuel.

Dans certaines régions du Québec, la presque totalité de la presse écrite et électronique est contrôlée par un seul groupe financier. Cette concentration progressive peut bien s'avérer utile et même nécessaire pour la survie de certains journaux et leur amélioration technique, mais elle n'en constitue pas moins, pour la liberté de la presse, un danger croissant sur lequel devrait se pencher à nouveau cette commission.

Les événements d'octobre sont venus ajouter une autre dimension au problème. Cette crise a amené une cristallisation, une polarisation et un durcissement des divers courants de l'opinion québécoise. La crise a touché chacun au plus profond de sa chair, de son âme et de son esprit. Chacun a réagi avec passion et a cherché le camp d'où il pouvait combattre ou se retrancher.

De ce chaos et de cet ébranlement, à la fois individuels et collectifs, la presse écrite et parlée a été le témoin, le révélateur, le reflet, le catalyseur mais aussi l'agent, sa puissance se trouvant du coup révélée.

Chacun a tenté de se l'approprier, de la neutraliser ou de la combattre. De tous les camps, ont alors fusé des accusations contradictoires: conservatisme, veulerie ou, au contraire: jaunisme, sensationnalisme, subjectivité, immaturité ou irresponsabilité. On reprochait aux journalistes d'utiliser leur tribune pour des combats politiques alors que ceux-ci accusaient les pouvoirs de les intimider, de les brimer, de leur imposer l'autocensure, de caviarder leurs textes et d'exercer un contrôle qui allait à l'encontre des exigences fondamentales de la profession. Il est évident que la commission devra se pencher également sur ce problème. D'abord pour rétablir les faits aussi bien pendant qu'avant ou après la crise. Il faudra ensuite remonter des faits aux structures. Quatre pouvoirs sont ici en cause: les propriétaires de journaux, les syndicats de journalistes, la profession journalistique elle-même et de plus en plus, l'Etat. Quel équilibre faut-il créer entre ces pouvoirs? Où commence et s'arrête la liberté de chacun? Les propriétaires des entreprises de

presse écrite et parlée ont-ils seuls le droit, ont-ils le droit absolu de choisir leurs éditorialistes et les directeurs de leurs services? Si l'on admet que tout citoyen a le droit de s'exprimer, a droit à une information impartiale, objective et complète, l'Etat peut-il permettre à un groupe financier de contrôler toutes les entreprises de presse parlée et écrite d'une région? Le journaliste a-t-il le droit d'écrire ce qu'il veut, de biaiser ou de tronquer l'information, de mélanger information et propagande? L'Etat a-t-il le droit de mobiliser l'opinion contre une presse qui ne partage pas ses conceptions? L'Etat a-t-il le droit d'utiliser son immense pouvoir caché auprès de l'entreprise et des journalistes pour gauchir leur action dans le sens de ses intérêts? L'Etat a-t-il le droit de laisser les puissants consolider une emprise qui assure le maintien de leurs privilèges de classe et de décourager sous la poussière des non-nantis l'exercice de la parole?

Il faudra examiner, à ce propos, ce que devrait être un véritable conseil de presse, sa structure, sa composition, son rôle, ses relations avec l'entreprise, l'Etat et la population, la définition qu'il doit donner du statut professionnel du journaliste, la conception qu'il doit se faire du secret professionnel et les principes dont doit s'inspirer le code d'éthique dont il doit doter la profession. Il faudra examiner de plus si le Québec doit créer pour lui-même ce conseil de surveillance de la propriété des entreprises de presse dont la commission Davey recommande la création pour le Canada. Il faudra examiner aussi les moyens que l'Etat pourrait prendre pour favoriser l'accès égal, économique et rapide de toutes les régions du Québec à une information complète, impartial et de qualité. Faudra-t-il pour cela créer ou subventionner une agence nationale de distribution, ou de messagerie, comme certains pays l'ont déjà fait? Faudra-t-il encourager la création de revues et journaux nationaux, ou régionaux, coopératifs? Faudra-t-il établir, en ce qui concerne l'entreprise, une distinction plus nette entre le droit de gérance financière et le droit de gérance professionnelle?

Par ailleurs, M. le Président, nous sommes des Québécois, et la presse écrite et parlée doit refléter cette particularité. La commission se devrait donc d'étudier — ce serait d'ailleurs la première fois — toutes les incidences du rôle essentiel qu'est appelée à jouer la presse québécoise dans l'évolution de notre collectivité. Il n'est pas suffisant qu'une loi de 1967 nous garantisse que le plus grand quotidien français d'Amérique ne puisse changer de main sans la permission de l'Assemblée nationale. Il y a plusieurs autres entreprises tout aussi importantes auxquelles il faudrait assurer la même protection. Les journaux francophones dépensent actuellement des sommes considérables pour leurs frais de traduction. Le monopole des agences de presse anglophones ne les défavori- se-t-il pas à cet égard? N'y a-t-il pas de multiples raisons économiques aussi bien que culturelles qui militent en faveur de la création subventionnée par l'Etat d'une agence de presse francophone proprement québécoise?

Face à l'invasion anglophone de nos ondes que nous promet la mise en orbite des satellites de communication canadiens et américains, n'y a-t-il pas lieu d'accélérer le processus de mise en orbite d'un satellite franco-québécois? L'évolution de la situation à Radio-Canada provoque actuellement, par ailleurs, de vives inquiétudes dans de vastes secteurs de la population. Le premier ministre du Canada a même parlé de mettre la clef sur la porte. Le projet de cours télévisés du professeur Bergeron a été annulé, et je ne sache pas que les démarches du ministre de l'Education du Québec y aient changé quoi que ce soit. On pense, en certains milieux, que les émissions de nouvelles privilégient l'actualité outre-Québec aux dépens de l'actualité québécoise.

Il faut alors se demander si la division québécoise de Radio-Canada, qui s'alimente au portefeuille des Québécois, doit refléter les aspirations, problèmes, tensions et activités des Québécois ou si elle doit devenir, au contraire, une officine du pouvoir central, vouée à la défense d'une variété de fédéralisme qui épouse étrangement les conceptions de l'actuel premier ministre du Canada. Etant donné l'omniprésence de Radio-Canada au Québec ainsi que son prestige et son influence, la commission devrait, à cet égard, constituer un dossier objectif sur lequel elle pourrait s'appuyer pour faire à qui de droit les recommandations appropriées.

Les doutes et les réticences que l'on peut entretenir sur l'orientation actuelle de Radio-Canada au Québec ne font que rendre plus urgent l'examen du rôle que devrait jouer Radio-Québec au triple plan de l'information, de l'animation et de la communication entre l'Etat et le citoyen. Avec l'Office d'information et de publicité du Québec, dont le statut devrait être également révisé, Radio-Québec doit devenir un moteur de changement social. Tous les partis ont souligné l'urgence qu'il y avait d'informer les citoyens sur les lois qui les régissent, les règlements et décrets qui en découlent, les services gouvernementaux auxquels ils peuvent recourir.

Il faut, de plus, sensibiliser l'opinion aux problèmes de l'heure, par exemple, débats constitutionnels, rénovation urbaine, pollution, mise en marché des produits agricoles, etc. La presse parlée et écrite, les colloques télévisés et les films sont absolument indispensables à cet égard. Si cela ne se fait pas ailleurs ou se fait mal, le Québec doit mettre sur pied, directement ou indirectement, ses propres productions. La commission devrait alors définir ce rôle, établir son ampleur et en indiquer les moyens.

La presse anglophone a connu, elle aussi,

récemment, ses soubresauts. Que l'on songe aux protestations des journalistes francophones du Montreal Star contre la politique éditoriale de la direction ou aux réactions suscitées en milieu francophone par les allusions à la guerre civile contenues dans un éditorial du Suburban, en avril dernier. Il y a là aussi matière à examen pour la commission. Y a-t-il lieu, à la lumière de ces événements et d'autres événements qui ont eu lieu dans les journaux francophones, d'instituer au Québec l'équivalent du CRTC canadien, de légiférer contre la littérature haineuse et contre la publicité tapageuse, d'exiger des stations de radio et de télévision un pourcentage défini d'émissions québécoises, de limiter l'accès des non-Québécois à la propriété des media québécois? Ce sont là des questions qui engagent d'une façon essentielle l'avenir de notre peuple. Il ne faudrait pas, maintenant que l'occasion nous en est donnée, que la commission se dérobe à ce devoir et néglige de les examiner. Il faudra, bien sûr, siéger souvent et longtemps, commander des études, instituer, peut-être, des comités spéciaux. Mais c'est la fibre même de notre culture ainsi que l'essence même de la démocratie qui sont en jeu. La population ne nous pardonnerait pas de reculer devant l'effort à faire ou les préjugés à dissiper. Au nom du Parti québécois, je souhaite que le gouvernement donne son accord à ce plan de travail et accepte d'aller intégralement au fond des choses pour le plus grand profit du Québec.

M. LE PRESIDENT: Je remercie l'honorable député de Bourget. Maintenant, je donne la parole au représentant du comté de Chicoutimi.

Comité directeur

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, après avoir entendu mes collègues, après avoir énuméré les divers sujets qui doivent faire l'objet de notre examen, je reviens, à la proposition que j'ai faite au départ. Je fais la proposition, appuyée par mon collègue, le député de Maskinongé, que nous constituions immédiatement, sans nécessairement tout de suite nommer les personnes, ce comité directeur dont le but n'est pas de mettre la commission en veilleuse mais simplement de préparer le calendrier de travail, l'ordre du jour de nos séances, afin que nous n'allions pas — comme je l'ai dit — au hasard. Ce comité pourrait être constitué d'un représentant de chacun des partis, d'un représentant des journalistes de la tribune de la presse ou un représentant que les journalistes voudront bien désigner eux-mêmes et d'un représentant des entreprises de presse. J'ai indiqué, tout à l'heure, que le public est représenté ici par les mandataires, les députés, sous toute réserve que l'on réexamine cette affaire, que l'on fasse des propositions pour que le public soit nommément représenté par d'autres personnes que les députés, encore que ceux-ci, siégeant à une commission parlementaire, sont vraiment les responsables à l'endroit du public.

Je fais cette proposition. J'imagine que le ministre des Communications aura quelques observations à faire là-dessus.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Deux-Montagnes.

M. L'ALLIER: M. le Président, face à l'exposé des problèmes qui a été fait, tant par le député de Chicoutimi que par le député de Bourget et le représentant du comté de Portneuf, on a pu constater la complexité et la multiplicité de ces problèmes. J'ai encore en mémoire la lecture des commentaires qu'avait suscités la commission parlementaire sur le regroupement des entreprises de presse qui a siégé l'an dernier. J'ai encore en mémoire le fait que plusieurs personnes s'interrogeaient sur la capacité et les moyens d'une commission parlementaire d'aborder efficacement l'étude de ces questions.

C'est pourquoi, avec les moyens dont nous disposons dans une commission parlementaire, afin de sérier les problèmes et d'établir véritablement un calendrier de travail, j'appuierais la proposition du député de Chicoutimi de former un comité directeur qui aurait une vocation probablement temporaire jusqu'à ce que les problèmes soient bien identifiés. Il pourrait faire rapport et recommander à la commission l'ordre des questions à étudier.

Nous pourrions ainsi éviter de tomber dans des cas particuliers et passer d'un sujet à un autre. Nous pourrions en plus aborder directement le but premier d'une telle commission, qui est celui d'étudier tous les moyens à prendre, à quelque niveau que ce soit, pour que le droit absolu des citoyens à l'information soit respecté. Ainsi, je crois que la commission parlementaire pourrait faire un travail plus utile.

Par conséquent, j'appuierais cette proposition. A partir des exposés qui ont été faits, nous pourrions faire la synthèse des questions et des sujets que l'on veut inscrire à l'ordre du jour, de sorte que les travaux de la commission parlementaire se placent véritablement au niveau où ils doivent être, c'est-à-dire la protection des droits du citoyen à l'information.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Maskinongé.

M. PAUL: M. le Président, je n'ai pas à vous signaler certains sentiments de contentement que nous éprouvons devant cette quasi unanimité de plan de travail pour mener à bonne fin les délibérations de cette commission. Je me demande s'il ne serait pas nécessaire de connaître l'opinion des principaux intéressés soit, par exemple, le porte-parole de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec et égale-

ment un représentant du patronat, soit M. Bureau ou quelqu'un d'autre, afin de connaître leur opinion sur l'excellente motion du député de Chicoutimi, qui semble recevoir l'appui du gouvernement et de la presque totalité — sinon de l'unanimité — des membres de cette commission.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Terrebonne.

M. HARDY: Je voudrais ajouter que je trouve la proposition du député de Chicoutimi fort juste, mais je voudrais souligner une close à l'attention de ce comité directeur qui pourrait être formé, à savoir d'étudier la possibilité que la commission confie des travaux d'analyse à des experts. Cela pourrait également être demandé aux représentants de la profession, comme le député de Maskinongé l'a souligné tantôt. Je pense en particulier à un exemple. A la lumière des conversations que j'ai pu avoir avec mes commettants au sujet du problème de la liberté de la presse et de l'information en général, ce qui semble intéresser davantage l'ensemble de l'opinion publique est cette fameuse question à savoir si les journalistes rapportent fidèlement la réalité, donnent à leurs lecteurs un tableau exact de la réalité.

On sait les nombreuses accusations que ce problème peut susciter. Il n'y a à peu près pas de groupes de la société qui, un jour ou l'autre, n'aient eu à se plaindre de cette question. Une des closes que pourraient faire des spécialistes serait justement une analyse scientifique, dans un temps déterminé — évidemment, il ne s'agit pas de s'étendre sur une trop longue période, mais, d'une part, il faudrait que la période soit assez longue — si, évidemment c'est possible. Je sais que les techniques scientifiques permettent maintenant de faire des analyses de contenu, mais ce que j'ai à l'esprit serait plus qu'une analyse de contenu. L'analyse de contenu permet de voir exactement ce que les journaux ont rapporté pendant telle période. Ce que j'aurais à l'esprit serait que le comité directeur demande aux spécialistes, si la chose est possible, de faire une analyse pour vérifier scientifiquement si d'une façon évidente le journalisme d'information reproduit exactement ou non la réalité. Je vois la complexité d'une telle tâche, mais je pense, que les techniques scientifiques d'analyse sont suffisamment évoluées pour que l'on puisse arriver à un semblable travail.

La commission, ayant devant les yeux un travail semblable, pourrait, je pense, prendre des attitudes qui reposeraient sur des choses fondées plutôt que de continuer à dire: les journalistes disent la vérité ou non, reproduisent la vérité ou non; l'information est biaisée. Nous aurions là un travail scientifique qui, une fois pour toutes, pourrait clarifier la situation dans ce domaine.

Je fais simplement une suggestion à ce comité directeur d'étudier la possibilité de faire exécuter de semblables travaux; il pourrait y en avoir d'autres, mais c'est celui qui m'apparaït le plus urgent à cause de l'expérience vécue avec le public que je rencontre.

M. LE PRESIDENT: M. le député de Chicoutimi.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, je suis bien d'accord avec mon collègue de Terrebonne. Il s'agit simplement pour le comité directeur d'établir un plan de travail, au cours d'une séance ou deux de ce comité, nous examinerions évidemment la suggestion que vous avez faite, et qui avait été faite par le député de Bourget, de confier à des experts des études spécialisées. Lors de la prochaine réunion, le comité directeur pourrait faire rapport de ses travaux, proposer un ordre du jour pour un certain nombre de séances à venir et indiquer quelles sont les orientations générales du travail. C'est à ce moment-là que les membres de la commission pourraient suggérer que soient confiées à des experts des tâches spécifiques d'examen et d'analyse et en particulier, comme on l'a suggéré, cette sorte de clinique de la presse afin d'examiner quel a pu être, dans une période donnée, sur tel sujet donné, le contenu de l'information.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Saint-Jacques.

M. CHARRON: M. le Président, pour notre part, également, nous accepterons l'idée qu'un comité directeur dresse pour nous un plan de travail de la commission. C'est simplement parce que nous voulons favoriser le plus rapidement possible, le plus efficacement possible les travaux de la commission. Dans ce sens, l'idée d'un comité est excellente. Mais je ne voudrais pas qu'on interprète notre consentement à cette proposition du député de Chicoutimi comme l'acceptation de toutes les vérités, ou plus ou moins vérités, qu'il a dites au cours de son exposé ou même de son propre plan de travail, qu'il aura lui-même à soumettre au comité directeur lors de cette discussion.

Si nous optons pour le comité directeur, c'est donc parce que nous croyons à la possibilité que cette pointe de la commission permette de déblayer le travail avant que nous siégions.

Vous me permettrez une remarque, en même temps, sur la suggestion que vient de faire le député de Terrebonne concernant les analyses de contenu et sur les questions que se posaient ses commettants. Je pense que la technique d'analyse de contenu qui s'est développée de façon très efficace depuis une dizaine d'années dans les sciences sociales — serait-elle exploitée par la commission de l'Assemblée nationale —

ne résoudrait pas les problèmes du député de Terre-bonne.

M. HARDY: Pas tous mes problèmes!

M. CHARRON: Non. Mais celui que vous visiez. La technique d'analyse de contenu vous donnera le plus efficacement possible, le plus justement possible l'importance relative consacrée soit par les média d'information à certains événements, à certains personnages, des choses comme cela, mais aucune technique d'analyse de contenu ne vous dira jamais si, véritablement, le journaliste, à ce moment, rapportait ce que vous appelez la Réalité, avec un grand R. Parce que la Réalité, avec un grand R, il n'y en a pas. L'analyse de contenu vous dira que tel journaliste rapportait l'événement selon la réalité que, lui, voyait, et qu'un autre peut voir la réalité de façon tout à fait différente. Il y a des phénomènes sociaux qui sont appelés par les uns de l'exploitation, et par les autres la générosité d'une classe envers l'autre. Cela dépend bien plus du bloc idéologique dans lequel on se trouve ou, pour employer des termes de sociologues, également, du prisme par lequel nous voyons la réalité, et les analyses de contenu ne font que rapporter l'importance relative que tel prisme a donné à la réalité. Mais elles ne résoudront pas votre problème, à savoir: est-ce que le journaliste rapportait, à ce moment-là, la réalité ou non? Il rapportait la réalité que, lui, voyait, selon sa position à lui. C'est tout. Ce sont des questions que la commission aura à aborder avec ce comité.

M. HARDY: Vous me permettrez une précision sur ce que vient de dire le député de Saint-Jacques.

M. LE PRESIDENT: Un instant.

M. HARDY: Je pense que je n'ai pas été suffisamment clair. Ce que j'avais en tête, en donnant, comme exemple les techniques très avancées de l'analyse de contenu, c'est que l'hypothèse de travail que je me pose, cela irait au-delà de l'analyse de contenu, précisément. C'est la raison pour laquelle je me suis demandé — c'est une question qu'il faudrait se poser — s'il y a des techniques qui rendraient possible de déterminer précisément jusqu'à quel point l'idéologie personnelle du journaliste ou son prisme, comme vous l'appelez, peut — c'est-à-dire nous savons que cela se peut — mais dans quelle mesure, dans quelle marge le prisme du journaliste qui fait de l'information peut ou non colorer, déformer ou rendre la réalité différente.

Or, je sais aussi bien que le député de Saint-Jacques que les techniques que nous connaissons de l'analyse de contenu ne répondraient pas à la question que je me pose. Mais ce que j'ai voulu dire, c'est qu'il s'agirait pour la commission ou le comité directeur de se demander, ou de faire appel à des spécialistes et leur demander s'il existe des techniques, actuellement, qui nous permettraient précisément de faire cette analyse pour déterminer dans quelle mesure l'engagement d'un journaliste, son idéologie personnelle, influence la nouvelle qu'il est appelé à transmettre à ses lecteurs.

M. LE PRESIDENT: II y aurait peut-être lieu, pour les membres de la commission, de décider s'ils acceptent la formation de ce comité directeur qui aurait comme fonction d'établir un calendrier de travail à la commission parlementaire spéciale sur le problème de la liberté de la presse.

M. PAUL: M. le Président, tout à l'heure j'ai suggéré, sans que la commission soit appelée à se prononcer immédiatemennt, d'entendre un représentant des journalistes et un représentant du patronat de la presse. Je crois que c'est la plus élémentaire décence de ne pas leur imposer une décision sans connaître au moins leur point de vue ou leurs vues générales sur la portée du problème tel que nous voulons l'envisager.

M. LE PRESIDENT: Alors, nous pourrions demander au représentant de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, de même qu'aux représentants des entreprises de presse de dire à la commission parlementaire ce qu'ils pensent de la création de ce comité directeur qui étudierait l'établissement d'un calendrier de travail à la commission parlementaire.

Je laisse la parole à M. Gariépy, le président général de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec.

Conseil de presse

M. GARIEPY: Merci, M. le Président. Je veux d'avord préciser, en réponse à la suggestion de M. Rémi Paul, que nous avons mandat pour témoigner ici. Nous avons été convoqués pour venir ce matin. En ce qui concerne les représentants de l'association patronale qui sont ici, ils n'ont pas été convoqués et ils ne viennent pas comme tels déposer devant la commission. Leur présence ici ce matin est tout simplement une suite de la signature, hier matin, à Montréal, de l'accord donnant naissance au projet de Conseil de presse. Et, avant de commencer la déposition de la Fédération des journalistes devant cette commission, nous avions pensé que vous seriez intéressés à voir déposer sur votre table ce projet d'accord qui a été signé et au besoin avoir quelques explications sur le sens de l'initiative qui a été prise hier et qui délimite déjà, d'ailleurs, quelques champs de juridiction, si on le veut, parmi les choses qui peuvent se régler entre journalistes et patrons, avec la participation du public et des choses qui, à

notre avis, relèvent plus typiquement de la compétence de l'Etat.

Cela étant dit, M. le Président, je voudrais répondre à la question précise qui m'est posée en regard de l'opportunité d'un comité directeur. Ce n'est pas à moi de décider du mode de fonctionnement précis, bien entendu, du comité spécial. Cependant, tout le débat, depuis le début de l'audience, nous a intéressé parce que notre première préoccupation aujourd'hui porte précisément sur le mode de travail qu'entend suivre le comité.

Nous ne cachons pas avoir été fort déçus par les aventures du comité de l'année dernière, comité dont nous avions accueilli la création avec beaucoup d'enthousiasme, comité devant lequel nous avions présenté un mémoire qui avait nécessité énormément de travail de préparation, et surtout de consultation, afin d'assurer qu'il véhicule devant vous l'opinion de la plus grande majorité des journalistes.

Cependant, le fait que le comité n'ait pas siégé au-delà du mois de septembre et soit évidemment disparu avec la dissolution du Parlement, au printemps, nous a amenés à avoir quelques inquétudes sur le sens que l'on donne au travail d'un comité parlementaire, ici, au Parlement de Québec.

Je veux dire par là qu'il y a différents comités parlementaires qui peuvent porter des noms identiques, qui peuvent avoir des mandats très ressemblants sur papier, mais certains comités ne servent finalement et essentiellement, ici, comme dans d'autres provinces et même à Ottawa, qu'à recevoir des témoignages, autrement dit, ils servent de forum ou de tribune. Les gens viennent s'y exprimer, viennent saisir les parlementaires et le gouvernement de certaines questions, en débattent avec eux, retournent et le seul rapport qui s'ensuit c'est un rapport technique du genre: Le comité a siégé six fois et a entendu 28 témoins. Autrement dit, la valeur du travail du comité tient à ce moment-là toute entière dans le débat public que les audiences ont provoqué.

Nous admettons que pareils comités sont très souvent utiles dans les conflits syndicaux-patronnaux et dans plusieurs autres domaines. La tenue de séances de comités dans cette optique-là s'est souvent avérée fort utile et fort constructive.

Il y a aussi, bien entendu, les travaux en comité qui suivent le dépôt en deuxième lecture d'un bill à l'Assemblée nationale, lorsque l'on décide d'aller en comité pour entendre les intéressés. Mais, à ce moment-là, bien entendu, l'on discute d'une question très précise, d'un projet de loi et le comité apporte très souvent, au cours de son travail, des amendements de détails ou des amendements importants au projet de loi. Là, on voit l'action concrète immédiate du comité.

Il y a aussi des comités qui peuvent servir véritablement de commission d'enquête, non seulement entendre des témoins mais faire des recherches et produire des rapports. Je pense que le comité sénatorial à Ottawa, bien que le contexte soit différent, est un exemple de ce genre de comité parlementaire.

Ce n'était pas une commission royale d'enquête, c'était bel et bien dirigé par des parlementaires à Ottawa, des sénateurs en l'occuren-ce. Après avoir tenu des audiences, ce comité a commandité énormément de recherches, à l'aide de permanents. Un rapport substantiel, criticable, bien sûr, et loin d'être parfait, mais un rapport substantiel très précieux quant à la connaissance des faits, très révélateur aussi quant à certaines orientations suggérées, a été produit.

Or, pour notre part, nous avons demandé la convocation de cette commission parlementaire à deux reprises, comme on l'a rappelé, d'abord à notre congrès du mois de mai dernier. Nous avons d'ailleurs communiqué par écrit, en date du 17 juin, avec M. L'Allier, pour lui transmettre le sens de la résolution adoptée au congrès de la fédération. Notre motivation principale, à ce moment, était qu'on s'assure que les travaux menés par la commission parlementaire de l'ancien Parlement soient poursuivis et mènent à une conclusion.

Phénomème de concentration

M. GARIEPY: Dans notre esprit, il n'est pas nécessaire de recommencer, sur le phénomène de la concentration des entreprises de presse, toutes les audiences, sous prétexte que la commission est neuve. Neuve juridiquement, si on veut, par rapport à l'ancien. Neuve, par les hommes, les députés qui la composent. Les mémoires préparés par les organismes qui ont défilé devant la commission, les procès-verbaux des débats qui ont été tenus à l'occasion de ces audiences, de même que les travaux de recherche qui ont été effectués, notamment sous l'égide du ministère de la Justice, je pense, constituent déjà une première base de documentation; en outre, le rapport de la commission Davey ajoute à ce problème de la concentration une connaissance des faits et des situations très précieuses.

Nous croyons donc que la commission parlementaire devrait, en priorité, reprendre l'étude du phénomène de la concentration et conclure. La responsabilité de cette conclusion, bien entendu, est vôtre. Si vous concluez qu'il n'y a pas de problème et qu'il n'y a pas lieu de faire quoi que ce soit en termes de mesures législatives ou autres, bien, telle sera votre conclusion. On pourra la critiquer après. Mais, même si votre conclusion est qu'il n'y a pas de conclusion, au moins, ayez celle-là. En d'autres termes, ce n'est pas une question d'être vexé ou de se sentir frustré d'avoir travaillé, d'être venu devant la commission et de voir que tout ceci n'a donné que du papier dormant sur des

tablettes; ce n'est pas du tout dans cette optique que nous le prenons. C'est que la commission en question avait été créee,je pense, dans l'idée de son proposeur et de son président, justement davantage dans l'optique d'un comité de travail, d'un comité d'étude qui mènerait à des conclusions, plutôt qu'en vue d'un simple comité d'audience.

Par la suite, en octobre, au plus fort de la situation dramatique que le Québec a traversée, beaucoup de critiques ont été formulées, sur tous les tons et sur tous les modes, par des membres du gouvernement, de la députation ou ailleurs dans le public sur le travail de la presse et, inversement, dans les milipux de la presse — si vous me permettez, j'arrive immédiatement à l'idée du comité directeur — et à ce moment-là, nous avons fait une deuxième intervention pour dire que cette situation montrait, une fois de plus, l'urgence de recréer cette commission.

Ceci étant dit, M. le Président, la formule qui a été proposée d'établir un comité directeur nous rassure dans la mesure où elle indique qu'au sein des parlementaires des quatre partis il y a une intention, une volonté évidente de faire en sorte que cette commission ne serve pas uniquement à tenir quelques audiences. Elle dénote une intention de se fixer un plan d'action et d'aboutir finalement à des travaux, à des recherches, à des conclusions.

La remarque que je voudrais faire concerne la participation qui est offerte, dans la proposition du député de Chicoutimi, aux journalistes et aussi aux représentants des entreprises de presse. Eux pourront, s'ils en ont le mandat, répondre à ce point précis. En ce qui nous concerne, tout en étant sensibles à l'offre de participation qui nous est faite au sein de ce comité directeur, nous ne croyons pas que ce soit acceptable, en ce sens qu'il ne s'agit pas d'un comité mixte, conjoint, consultatif fonctionnant pour alimenter un ministère, comme il en existe de très nombreux, des douzaines, dans différents ministères. Il s'agit bel et bien d'une commission parlementaire. Et, dans une commission parlementaire, nous sommes, non pas des participants, mais des témoins. Bien sûr, nous avons des représentations à faire quant au mandat, quant aux objets de recherche, quant aux champs de problèmes à étudier.

Mais nous croyons qu'une participation directe et officielle des représentants des journalistes, que ce soit ceux de la Fédération des journalistes ou ceux de la Tribune de la presse, nous paraît contre-indiquée. Les camarades de la Tribune de la presse nous signifient, d'ailleurs, qu'il ne se considèrent pas comme les représentants de l'ensemble des journalistes; ils représentent les chroniqueurs attachés au parlement du Québec. Le seul organisme mandaté, en ce moment, sinon par la totalité, du moins par la grande majorité des journalistes de la province pour parler en leur nom devant le gouvernement est la Fédération professionnelle des journalistes.

Après rapide consultation avec mes collègues ici présents, mes collègues du bureau de direction, sans commenter le mode précis du comité directeur que vous proposez, le nombre de membres, la répartition des parties —je pense que cela relève tout à fait de votre compétence et de votre autorité — je soumets humblement qu'il ne me paraît pas souhaitable ou compatible avec l'esprit d'une commission parlementaire qu'un comité directeur soit composé de gens qui ont l'intention de se faire entendre devant la commission, de soutenir des positions précises et qui veulent garder vis-à-vis de la commission la plus complète liberté ou indépendance d'action et de pensée.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, j'ai noté avec intérêt les observations de M. Gariépy. Quand j'ai fait cette suggestion, j'avais à l'esprit l'autonomie des commissions parlementaires. Celles-ci sont autonomes. Eu égard à l'ampleur du problème que nous allons examiner, j'ai proposé que l'on vous demande d'y participer. Toutefois, cela est de votre responsabilité. Vous nous indiquez que vous n'avez pas l'intention de le faire. Nous vous remercions de nous avoir exprimé bien franchement votre avis. Donc, quant à moi, je retiens vos observations et votre refus bien sympathique et bien motivé de ne pas y participer. Evidemment, la commission parlementaire prendra ses responsabilités, puisqu'elle est autonome. Le but de ma suggestion était tout simplement de vous demander, pour deux ou trois réunions, de préparer avec nous le calendrier de travail, mais, si telle n'est pas votre intention, la commission parlementaire prendra à ce sujet ses responsabilités.

J'aimerais que nous entendions les représentants des entreprises de presse sur cette participation à un comité directeur dont le rôle ne sera que temporaire, ne visant qu'à établir un plan de travail.

M. LE PRESIDENT: Avant de céder la parole aux représentants des entreprises de presse, deux membres de la commission parlementaire ont demandé la parole. Alors, je vais la leur céder et, ensuite, on entendra M. Bureau.

Le député de Terrebonne.

M. HARDY: Je veux souligner, car il arrive tellement souvent que les hommes politiques critiquent les journalistes, le profond sens du parlementarisme de M. Gariépy et son souci de respecter l'autonomie des commissions parlementaires.

Maintenant, je me demande s'il n'y aurait pas possibilité, d'une part, d'atteindre l'objectif très louable que visait le député de Chicoutimi, c'est-à-dire d'avoir les lumières des journalistes à ce comité directeur et, d'autre part, de respecter l'autonomie des commissions parlementaires en demandant aux journalistes et aux autres groupes non pas d'agir comme membres, mais

comme conseillers techniques du comité directeur pour l'aider à préparer ce calendrier.

A ce moment-là, les représentants de la Fédération des journalistes et des autres organismes ne seraient pas membres de ce comité directeur. Ils respecteraient l'autonomie, ne seraient pas solidaires des décisions prises par le comité directeur, mais pourraient aider les membres du comité directeur à préparer plus efficacement leur travail.

M. LE PRESIDENT: Me André Bureau pourrait se faire le porte-parole des entreprises de presse.

M. BUREAU: Je regrette, je ne peux pas me faire le porte-parole des entreprises de presse sur ce sujet, M. le Président. Je le regrette infiniment. Je n'ai pas de mandat à ce sujet. Je peux parler, tout au plus, au nom du journal que je représente, mais si je dois être interrogé sur l'opinion des entreprises de presse, je n'ai aucun mandat pour en parler. Je ne suis moi-même que conseiller technique auprès des Quotidiens du Québec pour des objets bien spécifiques, dont le Conseil de presse. Je ne peux aller au-delà de ce mandat pour le moment.

Si l'opinion de notre entreprise vous intéresse, je peux vous la donner, mais celle des autres entreprises, je n'irai pas jusque là.

M. LE PRESIDENT: Je vais poser la question aux membres de la commission parlementaire. Est-ce que vous voulez connaître la position de l'entreprise que représente M. Bureau?

DES VOIX: Oui, oui.

M. LE PRESIDENT: M. Bureau.

M. BUREAU: M. le Président, je dois d'abord répéter devant la commission que nous souhaitons vraiment, si un travail doit avoir lieu et si on juge qu'il y a nécessité qu'il ait lieu, qu'il soit vraiment efficace. Il ne nous appartient pas, je pense, de participer à la détermination de la procédure de vos séances, non plus qu'à l'ordre du jour de ce que vous allez étudier.

Nous pouvons nous borner à faire des suggestions à l'occasion, mais nous ne pouvons pas aller au-delà, je pense. Nous croyons vraiment qu'une étude sérieuse devrait être faite — avant que ce comité directeur ne soit appelé à siéger — du projet du Conseil de presse, ou enfin de ce qui était un projet jusqu'à hier, de façon que tous les membres de la commission connaissent les objectifs du Conseil de presse, qu'ils connaissent l'étendue de sa juridiction. Cela pourrait éventuellement aider à limiter ou à déterminer les sujets qui pourraient être étudiés en plus de celui-là. Je ne dis pas que le sujet d'un Conseil de presse ne doit pas être étudié, mais si on vidait d'abord cette question, on verrait ce qui reste à étudier ensuite.

On verra que les objectifs du Conseil de presse sont déjà très vastes et recouvrent une grande partie des sujets qui ont déjà été mentionnés ou suggérés par certains députés membres de la commission. Ma suggestion serait qu'au cours d'une séance ultérieure nous ayons l'occasion de discuter à fond de ce projet qui a été signé hier, afin que nous puissions à partir de là voir s'il y a d'autres sujets qui intéressent les membres de la commission et qu'ils veulent étudier plus particulièrement.

M. LE PRESIDENT: Nous vous remercions, M. Bureau. L'honorable député de Deux-Montagnes.

M. L'ALLIER: M. le Président, compte tenu des observations qui viennent d'être faites, j'ai un peu peur que le comité ne tombe, encore une fois, dans des vices de procédure et dans des difficultés techniques. Nous nous sommes entendus tout à l'heure sur le principe de la formation d'un comité directeur essentiellement pour faciliter les travaux de la commission parlementaire. Il ne s'agissait pas, je le répète —cela a été dit à plusieurs reprises — de remplacer la commission parlementaire.

Les représentants des différents partis ont fait part ici des sujets et des points qu'ils souhaitent voir aborder par la commission parlementaire. Si nous faisons l'addition de ces points, nous arrivons à 25, 30 ou 35 sujets. Je crois qu'il faut non seulement les classer par ordre chronologique d'inscription dans les débats, mais par ordre d'importance et par ordre de priorité. C'est dans cet esprit que le député de Chicoutimi, je crois, appuyé par le gouvernement, a proposé ou suggéré à un représentant de la presse de se joindre temporairement au comité. Ceci dit, nous pouvons très certainement, par les mécanismes normaux de la commission parlementaire, en arriver au même résultat.

Je proposerais donc que le comité directeur dont il a été question soit formé mais qu'avant qu'il ne se réunisse il entende, ici en commission, le point de vue de la fédération. De ce point de vue expliqué et détaillé nous pourrons, comme comité directeur, sortir les points qui doivent être inscrits à l'ordre du jour de la commission. Ainsi, nous assumons pleinement nos responsabilités.

Vous avez tout à l'heure proposé le dépôt du document qui constitue la création du Conseil de presse. Ce document devrait être déposé et —je crois que tout le monde sera d'accord — nous pourrons en prendre connaissance.

Son dépôt pourrait même être accompagné d'un exposé qui explique le sens du Conseil de presse de sorte que cet exposé, précisément, et cette information sur le Conseil de presse serve également à sérier les questions que nous

voulons inscrire à l'ordre du jour de la commission parlementaire. Or, si la commission est d'accord, nous porrrions suivre le calendrier suivant, à savoir: en commission, maintenant, entendre la Fédération des journalistes; ensuite, entendre un exposé sur le Conseil de presse; procéder, par la suite, au niveau des différents partis, à la formation d'un comité directeur lequel, à partir des éléments dont nous aurons pris connaissance et des sujets inscrits par les différents partis, dressera un ordre du jour et proposera un calendrier de travail à la commission.

M. LE PRESIDENT: L'honorable député de Montmagny.

Travail de déblaiement

M. CLOUTIER (Montmagny): M. le Président, j'ai écouté avec beaucoup d'intérêt les remarques de M. Gariépy. On me permettra, je pense bien, comme président de la première commission qui a siégé sur la liberté de la presse, de faire quelques observations. Je les ferai de façon aussi délicate qu'il l'a fait tout à l'heure et je reconnais la justesse de certaines de ses observations. Il est exact que cette commission a siégé jusqu'en septembre 1969, qu'elle a entendu, avec grand intérêt, des membres qui y étaient à ce moment-là et d'autres qui sont ici, dans cette salle, à d'autres titres, soit comme fonctionnaires ou autres.

Cette commission a entrepris un travail de déblaiement. Sauf erreur, c'était la première fois qu'un problème aussi complexe que celui de la concentration des entreprises de presse était soumis au Parlement, ou à une commission parlementaire, sauf à certains moments, auxquels on a fait allusion tantôt, où des législations spéciales ont pu être adoptées, mais je ne crois pas qu'une commission parlementaire ait été appelée à étudier en profondeur ce problème.

C'était une première expérience sur un sujet très vaste que nous n'avions pas pu très bien circonscrire — et on comprendra pourquoi — parce que les opinants venus présenter des mémoires à la commission et, d'autre part, les parlementaires, entrions dans un sujet qui n'avait, à toutes fins pratiques, jamais été exploré par le Parlement ou par une commission parlementaire.

Je voudrais dire mon appréciation personnelle — je crois bien traduire les sentiments des membres de la commission de ce temps-là — et notre satisfaction pour la qualité des mémoires et des représentations qui ont été faites devant la commission. La commission avait étudié, particulièrement, le problème de la concentration des entreprises de presse. Peut-être que, sur cet aspect particulier, la commission aurait pu faire des recommandations à l'Assemblée nationale mais cela n'a pas été fait pour toutes sortes de raisons que je n'ai pas à élaborer ici. D'autre part, est-ce que le recul du temps, les événements qui se sont passés, le problème qui est devenu plus aigu dans ce domaine, les travaux qui ont été faits à un autre niveau du gouvernement? ... Je dois dire, en passant, que nous avons contribué nous-mêmes, comme vous l'avez fait en produisant des mémoires à la commission fédérale, nous avons travaillé en collaboration avec ce comité fédéral en mettant à sa disposition la documentation que nous avions accumulée, les études spéciales faites par des experts et j'ai rencontré moi-même, en compagnie de l'ancien député de Saint-Hyacinthe, M. Bousquet, le sénateur Davey et le sénateur Beaubien qui, au niveau fédéral, travaillaient à ce problème...

Nous avions constaté, à l'audition des mémoires, qu'il ressortait ceci, très éloquemment: les opinants voulaient créer un conseil de presse.

Cela a été mentionné spécifiquement dans les mémoires. Nous avons eu l'occasion d'en discuter avec vous, M. Gariépy, à ce moment-là car vous agissiez comme président, et vous étiez favorable. Vous étiez à travailler à l'élaboration, en collaboration avec les propriétaires de journaux, de ce conseil de presse. Maintenant, nous constatons que c'est chose faite. Vous aurez l'occasion, plus tard au cours des travaux de cette commission, de nous expliquer davantage les modalités et les principes qui vont assurer, je crois bien, le succès de ce nouvel organisme.

Donc, le conseil de presse était, à ce moment-là, un voeu; c'était une possibilité. Les parties étaient d'accord. Je crois que c'était une bonne chose de la part de la commission de laisser ce geste s'accomplir, de ne pas intervenir à ce moment-là et de vous laisser toute la marge de manoeuvre suffisante pour vous permettre, par une entente, d'établir ce conseil de presse. Je ne crois pas que cela ait été le rôle du gouvernement à ce moment-là — et ça ne devait pas l'être — d'intervenir directement dans la création de ce conseil de presse. L'expérience a prouvé que nous avions raison. Il y avait une partie du problème que vous pouviez régler vous-mêmes sans l'intervention du gouvernement et c'est heureux que vous l'ayez fait.

A l'ordre du jour qui a été mentionné dans le travail très élaboré et très bien fait du député de Chicoutimi, s'ajoutent peut-être d'autres aspects du problème qui relèvent plus particulièrement de la compétence des parties en présence, soit des journalistes, des associations de journalistes ou des propriétaires de media d'information. Je pense, en particulier, à un domaine où vous avez beaucoup à dire, vous qui vivez la profession, le code d'éthique. Je ne crois pas que le gouvernement, pas plus qu'il ne l'a fait pour les corporations professionnelles, doive intervenir unilatéralement dans ce domaine-là et fixer un code d'éthique pour la profession des journalistes.

Avec l'expérience que vos membres possèdent, je crois que vous êtes capables, dans ce domaine-là, vous-mêmes de proposer, devant cette commission parlementaire ou ultérieurement, un travail de base très bien fait qui va, évidemment, remédier à un problème que vous connaissez au sein de la profession.

Ce sont des commentaires, M. le Président, que je voulais faire. J'aimerais dire aussi que ces commissions parlementaires se sont penchées bien plus souvent dans le passé sur des problèmes qui concernaient l'éducation, les affaires sociales, les loisirs, la justice. Mais c'était la première expérience, c'était la première fois que nous entrions dans ce domaine extrêmement important qui touche directement ceux qui assistent à tous nos travaux parlementaires, ceux qui sont chargés d'informer la population et le public consommateur. Il ne faudrait pas l'oublier, celui-là.

J'écoutais tantôt le député de Bourget qui faisait l'énumération des forces en présence: les journalistes, les associations de journalistes, les propriétaires de journaux et l'Etat. Il ne faudrait pas oublier, comme on le fait, ou comme on essaie de le faire quand on discute d'assurance-maladie ou d'autres choses, qu'au centre des discussions il y a aussi le malade. Il ne faudrait pas oublier qu'au centre de nos discussions sur la liberté de la presse il y a aussi le public qui est informé et qui est consommateur d'information. C'est pour lui que nous essayons à la commission et que vous essayez, vous, en venant devant cette commission, de trouver un juste équilibre.

Alors, c'est dans ce sens-là, je crois, que s'orientent les travaux de cette nouvelle commission. Constatant les bonnes dispositions de toutes les parties en présence, les excellentes suggestions qui ont été faites et surtout, avec un comité directeur qui va établir un plan de travail le plus précis possible et circonscrire les sujets en discussion, je crois que cette commission pourra accomplir un excellent travail.

M. LE PRESIDENT: Si je comprends bien, les membres de cette commission sont d'accord pour accepter la formation d'un comité directeur qui verrait à établir un calendrier de travail pour cette commission parlementaire.

Adopté?

DES VOIX: Adopté.

M. LE PRESIDENT: Je tiendrais ici, avant de poursuivre, à mentionner qu'à l'heure actuelle il y a quatre lois, à ma connaissance, qui pourraient servir de documents à cette commission.

C'est la Loi de la presse, les Statuts revisés du Québec, 1964, chapitre 48; la Loi des journaux, les mêmes statuts revisés, chapitre 49; la Loi des publications et de la morale publique, les Statuts revisés du Québec, 1964, chapitre 50; et finalement la Loi de la distribution du papier journal, les Statuts revisés du Québec 1955-1956, chapitre 26. Alors, le secrétaire de la commission, M. Gelly, fera parvenir aux membres de cette commission le contenu de ces quatre lois.

On pourrait demander à M. Gariépy de déposer, s'il y avait possibilité, son document constituant, si vous voulez, le Conseil de presse, tel qu'entendu entre votre fédération et les entreprises de presse.

M. Gariépy.

M. GARIEPY: Merci, M. le Président. Pour ce dépôt, nous agissons conjointement avec les porte-parole, cette fois, les associations patronales en cause et qui sont les suivantes: Les Quotidiens du Québec, les Hebdos du Canada, l'Association canadienne des radiodiffuseurs et télédiffuseurs de langue française. Nous avons rendu public, hier matin, après avoir signé le document, l'acte d'accord, la constitution du Conseil de presse ainsi qu'un communiqué conjoint qui résume un peu le sens du projet. Si vous permettez, nous allons vous remettre ces documents. Nous en avons, j'espère, en nombre suffisant pour tous les députés. Il y en a 25 exemplaires. Le secrétaire des commission pourra peut-être procéder à la distribution.

Pour commencer, j'aimerais lire cette déclaration conjointe, et ajouter ensuite les commentaires de la fédération. Sans doute, MM. Bureau et Pelletier, qui étaient au nombre des négociateurs des entreprises patronales pour ce projet de Conseil de presse, voudront ajouter également leurs observations.

Le conseil de presse: pouvoir moral

M. GARIEPY: La déclaration conjointe est la suivante: "Les principales associations du monde de l'information au Québec ont signé, ce matin, à Montréal, un accord donnant naissance au Conseil de presse du Québec. Au nom des journalistes québécois, les dirigeants de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, à laquelle adhèrent treize syndicats et associations groupant plus de 700 journalistes, ont signé le projet d'entente avec les représentants des trois plus importantes associations patronales de presse de la province: les Quotidiens du Québec Inc., les Hebdos du Canada, l'Association canadienne des radiodiffuseurs et télédiffuseurs de langue française. "Composé, au point de départ, de six représentants des journalistes et de six représentants des entreprises de presse, le conseil comprendra, en outre, un troisième groupe de six membres représentant le grand public ainsi qu'un président neutre choisi en dehors du monde de l'information. "Organisme volontaire, le Conseil de presse n'aura aucun pouvoir exécutoire, son autorité découlant uniquement de son pouvoir moral,

garanti par sa composition et par les attributions que lui reconnaissent les responsables de la presse québécoise. "Le Conseil de presse aura pour mission première de protéger la liberté de la presse au Québec afin d'assurer au public son droit à l'information. A cet effet, le Conseil de presse définira et surveillera l'application des normes et l'éthique professionnelle, à la fois pour les journalistes et pour les entreprises de presse. "Il entendra et disposera des plaintes relatives à la conduite de la presse. Inversement, le Conseil de presse pourra enquêter sur la conduite de personnes ou d'organismes envers la presse. Il veillera au libre accès de la presse aux sources d'information ainsi qu'à la protection de ces dernières. Le Conseil de presse effectuera en outre des recherches et des études sur la situation de la presse et publiera un rapport annuel. Enfin, le Conseil de presse du Québec émettra annuellement aux journalistes des cartes d'identification attestant leur statut de journaliste. "En signant ce matin la constitution du Conseil de presse du Québec, les associations concernées concrétisent un projet déjà vieux de 16 ans qui a fait l'objet de nombreux congrès et colloques, de nombreuses réunions et de longs pourparlers. Un accord de principe sur le projet actuel est intervenu en mars 1970 au niveau des porte-parole des associations intéressées. Cet accord a été ratifié en mai par le congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, en septembre par le congrès des Heb-dos du Canada et par le congrès des radiodif-fuseurs et télédiffuseurs, en décembre par l'Assemblée des quotidiens du Québec. "Le texte définitif de l'accord a été convenu le vendredi 22 janvier entre les parties et soumis le samedi 30 janvier au conseil de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec pour vérification finale. "Etant donné les étapes nécessaires à la désignation, des 19 membres du conseil, celui-ci ne pourra commencer à siéger qu'au début de l'été prochain et n'assumera la totalité de ses responsabilités qu'à la fin de l'année 1971 ou au début de l'année 1972."

Voilà, M. le Président, pour la déclaration conjointe. Je voudrais ajouter quelques observations, le plus brièvement possible.

La première, c'est que ce n'est effectivement qu'une coincidence si le projet a été signé hier et si la commission parlementaire se réunit aujourd'hui. Le député de Montmagny a rappelé tantôt avec raison que ce projet était déjà en marche l'année dernière. Il a rappelé devant la commission parlementaire que la plupart des groupes s'étaient déjà dit d'accord sur le principe d'un tel conseil, du moins quant à ses objectifs essentiels et à ses modes de fonctionnement les plus importants et que les négociations se sont déroulées selon un calendrier tout à fait normal. Au début de décembre, nous avions déjà annoncé dans une conférence publique que la concrétisation du projet serait pour la fin de janvier ou le début de février.

La deuxième remarque, M. le Président, c'est que ce Conseil de presse — nous en sommes conscients de part et d'autre — n'est pas une panacée et ne règle pas tous les problèmes de l'information. Cependant, à notre avis, il constitue la formule la plus appropriée, à la fois respectueuse de la nécessaire liberté des journalistes et des entreprises de presse, à la fois aussi respectueuse du droit du public à l'information, pour trouver des réponses et des solutions à des problèmes qui, depuis des années, étaient précisément restés sans solution.

A notre avis — je parle là, bien entendu, pour la fédération — la création de ce Conseil de presse n'enlève pas aux gouvernements leurs responsabilités dans certains domaines de la presse. En particulier sur le phénomème de la concentration des entreprises de presse, nous avions souligné dans notre mémoire l'année dernière, qu'un organisme comme le Conseil de presse n'était pas en mesure de servir de chien de garde efficace pour empêcher la formation de monopoles ou pour freiner le phénomème de la concentration avant qu'il n'atteigne des proportions dangereuses.

Nous l'avions souligné, en l'expliquant, que ce Conseil de presse n'aurait pas de pouvoir exécutoire. Ce n'est pas un tribunal ni un organisme qui pourrait annuler les transactions, c'est un organisme qui, devant l'acquisition de certains journaux par certaines chaînes, ou la fusion de certaines chafnes, serait en face de faits accomplis. Ses recommandations ou ses inquiétudes sur le danger ou sur les problèmes que pareils gestes constitueraient n'auraient qu'une portée morale limitée parce que le conseil n'a, en aucune façon, autorité pour arbitrer ou pour empêcher des transactions où des millions sont en jeu.

C'est pourquoi, à notre avis, il n'est nullement incompatible, d'une part, de réaliser le Conseil de presse, d'entreprendre, nous les journalistes, avec les représentants des entreprises de presse et avec la participation des représentants du public, une étude de certains problèmes que nous pouvons régler nous-mêmes et nous devons régler nous-mêmes. Je pense qu'on a souligné tantôt avec raison, par exemple, que la déontologie ou l'éthique professionnelle ne pouvait pas être décrétée unilatéralement, pas plus dans le cas des journalistes que dans celui d'aucun autre groupe de métier ou de profession.

Nous voulons ajouter, aussi, relativement au projet de Conseil de presse, quelques précisions sur le travail qui reste à accomplir avant que ce Conseil de presse ne fonctionne complètement. La procédure de désignation des membres va s'étendre finalement jusqu'à la fin de juin puisque nous devons, d'abord, nous entendre de part et d'autre, c'est-à-dire la Fédération des

journalistes d'un côté et les trois associations patronales de l'autre, sur le choix d'un président, qui ne sera ni un journaliste, ni une personne liée de près ou de loin à une entreprise de presse. Une fois ce choix fait, nous devons, de part et d'autre — et cela surviendra au mois d'avril, c'est l'échéance que nous nous sommes fixée — désigner nos six représentants, les six représentants des journalistes et les six représentants des entreprises de presse.

Le président du Conseil de presse, une fois nommé, devra, ensuite, nous suggérer une liste de six citoyens québécois représentant les différents milieux socio-économiques, les différentes régions géographiques en tenant compte des diversités culturelles dans la province, et le choix de ces six représentants suggérés par le président devra être accepté aux deux tiers par chacun des deux premiers groupes contractants. Ce qui veut dire qu'au grand complet le Conseil de presse commencerait à sièger, je pense, au début de l'été et probablement au mois de juillet. Avant de commencer à recevoir des plaintes ou à examiner certains cas précis qui pourraient être portés à son attention, le Conseil de presse prendra quelques mois pour établir des normes et des mécanismes de procédure et pour fixer sa réglementation interne.

Voilà les explications, M. le Président, que je voulais ajouter sur le projet de Conseil de presse, qui n'est plus un projet comme on l'a souligné avec justesse tantôt, sur ce Conseil de presse qui vient de naître au Québec. Les représentants mandatés par les associations patronales pour négocier ce projet avec nous ont, sans doute, leurs commentaires aussi à ajouter, si vous décidez de les entendre.

M. LE PRESIDENT: Le représentant des entreprises de presse, M. Bureau, sur le Conseil de presse.

M. BUREAU: M. le Président, les remarques et les commentaires que vient de faire M. Gilles Gariépy, sont très justes. Il a noté que le Conseil de presse n'était pas un remède à tous les problèmes qui peuvent se poser au niveau de l'information, c'est évident, et nous sommes parfaitement d'accord là-dessus. Il y a des problèmes qui échappent à la juridiction même du Conseil de presse.

Nous avons d'ailleurs déjà souligné ces jours derniers quelques-uns de ces problèmes, désirant ainsi porter à l'attention de votre commission certains sujets qui pourraient peut-être faire l'objet d'études plus particulières au ni- veau de votre commission. Il s'agit, en particulier, par exemple, du statut de l'OIPQ, de l'avenir de Radio-Québec, du ministère des Communications, du statut professionnel des journalistes, d'un certain droit à un certain secret professionnel. Toutes ces questions ne peuvent évidemment pas entrer dans la juridiction d'un conseil de presse. C'est la raison pour laquelle nous croyons qu'une fois étudié, le projet lui-même de conseil de presse après avoir vu vraiment quelle est l'extension de ces objects, on pourrait peut-être en arriver à déterminer quelques sujets — je souhaite qu'on y arrive de façon bien précise — pour assurer l'efficacité du travail de votre commission. Les cinq ou six que je viens de mentionner, manifestement, ne font pas partie des objectifs d'un conseil de presse. Par ailleurs, beaucoup d'autres, comme les normes d'éthique professionnelle, comme la qualité régulière et continue de l'information au Québec, comme la situation de la presse au Québec, comme les responsabilités des éditeurs et des journalistes par rapport au public, comme la participation du public à l'amélioration de la qualité de l'information, sont déjà incluses dans les objectifs du conseil de presse. C'est la raison qui nous fait penser qu'il y aurait avantage, tout d'abord, à prendre le conseil de presse, à voir ce qui en est exactement et à voir ce qui reste à étudier. Cela serait peut-être de nature à vous épargner beaucoup de temps — je ne dirais pas perdu — mais que vous pouvez occuper à autre chose peut-être plus efficacement.

M. LE PRESIDENT: Nous vous remercions, M. Bureau. Je tiens à remercier, avant d'ajourner la séance, les membres de cette commission parlementaire qui ont fait la preuve, ce matin, de leur objectivité face au problème de la liberté de la presse, de même que les représentants des deux organismes que nous avons entendus.

La commission ajourne ses délibérations à mardi prochain, le 9 février, à dix heures trente. Nous prions les représentants de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, de même que les représentants des entreprises de presse d'être présents, mardi prochain, au cas où les membres de cette commission auraient des questions à leur poser soit sur le conseil de presse soit sur le problème de la liberté de la presse en général.

La commission est ajournée à mardi prochain, dix heures trente, le 9 février.

(Fin de la séance: 12 h 32)

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