To use the Calendar, Javascript must be activated in your browser.
For more information

Home > Parliamentary Proceedings > Committee Proceedings > Journal des débats (Hansard) of the Commission spéciale sur le problème de la liberté de la presse

Advanced search in the Parliamentary Proceedings section

Start date must precede end date.

Skip Navigation LinksJournal des débats (Hansard) of the Commission spéciale sur le problème de la liberté de la presse

Version finale

29th Legislature, 3rd Session
(March 7, 1972 au March 14, 1973)

Wednesday, September 13, 1972 - Vol. 12 N° 87

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Commission spéciale sur le problème de la liberté de la presse


Journal des débats

 

Commission spéciale sur le problème de la liberté de la presse

Séance du mercredi 13 septembre 1972

(Dix heures cinq minutes)

M. GIASSON (président de la commission spéciale de la liberté de la presse): A l'ordre, messieurs !

Préliminaires

M. LE PRESIDENT: La commission parlementaire sur la liberté de la presse siège ce matin tel que convenu lors de sa dernière séance et, entrant immédiatement dans le débat, je cède la parole au député de Saint-Jean, président de la commission.

M. VEILLEUX: M. le Président, tel que spécifié lors de la dernière réunion de la commission, nous avions dit que nous convoquerions les organismes par ordre de présentation de leur mémoire. Alors, les premiers qui avaient déposé un mémoire étaient les Hebdos du Canada. J'ai communiqué avec eux, ils m'ont fait part qu'ils étaient en congrès et qu'ils n'étaient pas disponibles avant le 27 septembre. Le deuxième groupe à avoir présenté un mémoire était L'ACRTF et eux aussi sont en congrès et ne sont pas disponibles avant le 27 septembre. Le troisième était M. Demers du Soleil et au moment où je cherchais un des groupes pour venir ici, M. Demers était en vacances; alors, j'ai communiqué avec la Fédération professionnelle des journalistes du Québec et le président de la fédération est en vacances jusqu'au 27 septembre lui aussi.

Alors, je suis revenu à la charge et M. Demers était revenu de vacances et il était disponible pour venir parler de son mémoire ce matin. Comme le 27 septembre trois organismes sont prêts, je suggérerais aux membres de la commission que le 20 septembre nous entendions Hubert Reid et Kathleen Beausoleil qui ont fait un travail sur le secret professionnel, que le 27 septembre nous rencontrions SORECOM et qu'aux réunions subséquentes, nous reprenions dans l'ordre les gens qui ont déposé un mémoire.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, est-ce que le député de Saint-Jean pourrait nous dire s'il a reçu des nouvelles du Conseil de presse, si le président de cet organisme a manifesté le désir de se faire entendre avec ses compagnons?

M. VEILLEUX: Personnellement, je n'ai reçu aucune nouvelle du président du Conseil de presse. Je ne crois pas non plus que le secrétariat des commissions en a reçu.

M. TOBIN: M. le Président, mon nom est

Edmond Tobin, je suis procureur des Journaux quotidiens du Québec. Si cela peut intéresser les membres de votre commission, une réunion est cédulée pour demain, le 14 septembre, à laquelle justement le projet des règlements généraux du Conseil de presse doit être étudié par toutes les parties ainsi que, peut-être, le choix du président. Etant donné que c'est un renseignement qui vient compléter ceux que vient de donner le député de Saint-Jean, il me fait plaisir de vous le donner.

M. LE PRESIDENT: Nous invitons M. Demers à nous livrer son message.

Mémoire de M. François Demers à titre personnel

M. DEMERS: Il faudrait peut-être d'abord que je répète certains des renseignements que j'ai donnés tout à l'heure verbalement, en privé, à M. Veilleux. Il s'agit bien d'un document personnel qui est demeuré personnel, mais qui a été effectivement livré à tous les membres du Syndicat des journalistes de Québec.

Il devait être étudié et des propositions devaient être votées par l'assemblée, mais les événements nous ont bousculés à cette époque. Si c'est un document personnel, c'est essentiellement parce qu'à cette époque, le syndicat n'était pas équipé techniquement pour mettre une équipe au travail ou faire faire une enquête qui nous aurait coûté pas mal d'argent.

Je pense que ces précisions peuvent vous permettre de voir qu'aujourd'hui c'est encore un document personnel même si cela date d'un an et quelques mois. Même si aujourd'hui je le réécrivais, il y a certainement des choses que je raffinerais.

Cela m'amène donc à vous le résumer brièvement dans l'esprit où je suis et en soulignant qu'aujourd'hui le problème de la liberté de la presse, le rôle des journalistes et tout ça est un problème qui a moins d'acuité qu'il semblait en avoir au moment où...

M. HARDY: Quand vous dites que c'est un problème qui a moins d'acuité, est-ce dans votre esprit ou si vous pensez que c'est dans notre esprit?

M. DEMERS: Je ne parle pas de votre esprit car je ne le connais pas. Je parle de l'opinion générale ou des courants. On a l'impression — en tout cas, on en parle moins — que c'est moins important. Dans mon esprit, c'est toujours aussi important.

M. HARDY: Parce qu'on en parle moins, vous pensez que c'est moins important.

M. DEMERS: C'est ça. Ce que je voulais dire et ce que je continue de vouloir dire, c'est qu'il me semble dangereux que le Québec continue, dans le domaine de l'information, à s'abandon-

ner totalement au jeu de la libre entreprise. Parce que, si en un premier temps, en deça d'un certain niveau, la liberté de la presse, en autant qu'elle permet aux individus ou aux groupes de mettre sur pied des instruments d'expression, de leurs idées, de leurs visions du monde, peut permettre à tous les groupes — théoriquement au moins — de se mettre sur le marché et de se faire entendre des autres groupes, des autres individus, au-dessus de ce niveau, en un second temps, il se produit deux phénomènes qui, compte tenu de la pauvreté québécoise, peuvent être extrêmement dommageables pour la démocratie.

D'un côté, c'est notamment le cas des quotidiens, s'installent des situations de quasimonopole qui font que certains individus ou groupes d'individus détiennent des instruments d'expression qui, à leur niveau, sont seuls sur le marché. A ce moment, cela pose tous les problèmes soulignés par les groupes populaires, notamment, et qui voudraient s'insérer dans la définition du contenu de l'information de ces quotidiens.

D'un autre côté, et je pense que c'est notamment le cas des postes de radio, la libre concurrence fait qu'il y a une multiplication des postes de radio, même si, sur le plan financier, il peut y avoir des espèces de consortium. Chacun des postes n'a plus l'équipement technique, n'a plus la capacité de se doter de l'équipement technique nécessaire à la recherche de l'information. Bien sûr, derrière cela, il y a deux conceptions, si on veut, de l'information. L'une veut que les media soient de simples intermédiaires passifs pour les groupes suffisamment forts pour s'organiser, se diffuser eux-mêmes, c'est-à-dire se doter d'agents de presse, organiser les conférences de presse et payer des petits voyages aux journalistes, des choses de ce genre ou avoir des figures publiques qui sont suffisamment prestigieuses pour être connues de tout le monde. Une conception plus dynamique des media voudrait que les entreprises d'information soient aussi, d'une certaine façon des entreprises de recherche de l'information c'est-à-dire qu'elle dépasse ce qu'offrent les organismes déjà organisés, déjà structurés pour fournir l'information.

C'est dans cette perspective que j'avais soumis une solution peut-être possible qui, sans empêcher les concentrations de capitaux peut-être nécessaires au Québec compte tenu de notre pauvreté, permettrait aux communautés, aux collectivités de prendre en charge non pas l'appareil financier ou l'infrastructure technique qui sous-tend les media mais le contenu des entreprises qui sont en situation de quasi-monopole. Je pense, quant à moi, —je pense aussi pour beaucoup de journalistes — que la situation ne peut pas continuer longtemps comme cela sans qu'il y ait des dommages graves au plan de la recherche et de l'information et également au plan de la superficialité de plusieurs entreprises qui, à cause de la concur- rence, ne peuvent faire les concentrations de capitaux humains nécessaires. En disant cela, je pense que j'ai dit l'essentiel de ce que je voulais dire en d'autres mots dans mon texte.

M. VEILLEUX: M. le Président, je tiens à remercier M. Demers pour avoir accepté de casser la glace, puisqu'il est le premier des groupes qui viendront se présenter ici. Cependant, j'ai lu avec attention le mémoire qu'il a déposé devant la commission et j'ai plusieurs points d'interrogation concernant ce travail, du fait comme le disait d'ailleurs M. Demers dans l'introduction de son travail, que c'est un travail sujet à discussion entre les journalistes, puisqu'à l'époque vous étiez négociateur en chef pour la partie syndicale. Est-ce que des journalistes, effectivement, ont étudié ce document? Si oui, quelle a été leur réaction?

M. DEMERS: Le document leur a été remis et je n'ai eu là-dessus que des réactions individuelles. Les réactions individuelles que j'ai eues m'indiquaient qu'un certain nombre d'individus au moins l'avait regardé. Elles ont été positives, négatives, de tous ordres. J'ai eu l'impression aussi — mais là c'est au niveau de l'impression — que certaines des grandes lignes, des inspirations qui y sont contenues ont motivé, par la suite, des décisions de l'assemblée générale sur des points connexes. Mais je ne peux pas aller plus loin en vous disant que, effectivement, tout le monde l'a étudié, car je ne le sais pas. Je n'avais pas les instruments techniques pour aller vérifier.

M. VEILLEUX: Vous écartez, à la page 1, toute solution corporatiste visant l'autocensure professionnelle pour des raisons de plus grande démocratie et de pluralisme. Pourriez-vous expliquer davantage ces deux lignes?

M. DEMERS: Les solutions corporatistes, du moins tel que je l'entendais par le mot "corporation", auraient été, par exemple, d'avoir un bureau composé de journalistes et qui censure des journalistes. Il me paraissait plus important et plus démocratique que la censure des journalistes soit faite par le public, quel que soit le mécanisme qu'on mettrait en place à ce sujet, que de demander aux journalistes de se censurer eux-mêmes, avec les dangers que cela comporte, qu'elle ne soit pas efficace ou que certains individus ou certains groupes de journalistes prennent le pouvoir au sein de cet organisme de corporation et, à ce moment-là, censurent, parmi les journalistes, ceux qui ne sont pas de leur propre courant et excluent peut-être de la profession certains courants sociaux extrêmement significatifs en excluant les journalistes qui les représentent.

M. VEILLEUX: Un peu plus loin dans votre mémoire, vous parlez de comité de gestion, aux pages 12 et suivantes. Dans ce comité de

gestion, on retrouve des journalistes et du public tout en faisant abstraction complète des propriétaires de mass media.

M. DEMERS: Il ne me paraissait pas important, quant à la définition du contenu de la matière à lire, par exemple, un quotidien, que le propriétaire soit représenté plus qu'un autre. Il me parait important que le propriétaire soit représenté pour autant qu'il porte légalement et juridiquement le poids des lois du libelle et de la diffamation mais pas plus que cela. Il peut très bien être représenté par le biais du public ou autrement. Mais il ne me semble pas qu'il ait plus de droits qu'un courant social, par exemple l'Orchestre symphonique de Québec — d'être représenté au conseil de gestion dans la mesure où on est intéressé à ce que le contenu d'information du medium soit remis aux mains de la collectivité qu'il dessert.

M. VEILLEUX: Est-ce qu'il y a des membres de la commission qui ont des questions à poser? Je pourrai y revenir un peu plus tard. J'en ai d'autres.

M. LE PRESIDENT: Le député de Terrebonne.

M. HARDY: Vous avez fait allusion tantôt à ce danger que représente l'entreprise privée, si je vous ai bien compris?

M. DEMERS: A partir d'un certain niveau, oui.

M. HARDY: Je pense que c'est un danger inévitable. Je ne sais pas si nous le concevons de la même façon, mais quand je vois certains media s'emparer de certains faits, les grossir démesurément, faire ce que l'on appelle communément du jaunisme parce qu'on sent bien que c'est une façon excellente de grossir le tirage et, par conséquent, d'augmenter les profits, je reconnais que c'est un danger qui provient de l'existence de l'entreprise privée. Cette dernière a pour fonction de faire des profits; or, si un propriétaire de journal conçoit son entreprise comme n'importe quelle autre entreprise, en visant uniquement le profit, laissant tomber...

M. DEMERS: Comment pourrait-il faire autrement?

M. HARDY: C'est cela. C'est un danger. Mais ce qui m'inquiète un peu, c'est que vous ne semblez voir le danger que de ce côté. J'aimerais que vous me parliez un peu de l'autre danger, de l'autre côté de la barricade, les journalistes. Il y a deux problèmes qui se posent vis-à-vis des journalistes. Un qui découle de ce premier, parce que le propriétaire a pour principal objectif de faire des profits.

Le journaliste qui, dans ce système, voudra avoir des promotions exercera son métier en fonction du tirage, c'est-à-dire que lui aussi accentuera le jaunisme et tout ce qui en découle. Premier danger qui se pose chez le journaliste. L'autre danger également qui n'a plus rien à voir avec la structure de l'entreprise ou lié au profit et qui me semble aussi dangereux pour la qualité de l'information, c'est que, un moment donné, un groupe de personnes ne poursuivent pas, elles, un objectif de profit, mais poursuivent un objectif idéologique et, à cause de leur objectif idéologique, évidemment, grossissent les nouvelles, les colorent. Alors, j'aimerais, comme vous m'avez parlé de ce danger que je reconnais avec vous — je le reconnais que la collusion profit-information, ça peut amener des dangers à la qualité de l'information — que vous me parliez un peu de la collusion idéologie-information quant à la qualité de l'information.

M. DEMERS: Mon impression sur cette question, c'est de répondre de deux façons. Dire, par exemple, que quand il n'y a pas de situation de monopole et dans la mesure où on reste avec le système de liberté de la presse, c'est-à-dire les entrepreneurs définissent le contenu du produit, il peut très bien exister un medium qui, lui, est une idéologie systématiquement fasciste, pour prendre un exemple. Cela, ça m'apparaît le problème posé par la liberté de la presse au sens où n'importe qui a le droit de publier à peu près n'importe quoi, en autant qu'on ne touche pas au libelle et à la diffamation. De ce côté-là, je n'ai rien à dire. Les journalistes, il est bien entendu, qui vont travailler dans cette entreprise vont être pris dans un certain nombre de contraintes qui vont faire qu'ils vont être obligés de faire ce que dit l'entreprise. Peut-être pas dans chaque cas précis, mais de façon générale.

Dans les entreprises, disons, qui à partir d'un certain niveau prétendent, non pas tant valoriser les opinions, mais valoriser l'information, les faits, dans ces entreprises, je prétends que les mécanismes actuels de contrôle dans les entreprises, mécanismes techniques... Je vais prendre un exemple concret: le Soleil pour lequel je travaille. Il existe au Soleil une page éditoriale, il existe une déclaration de principe quant à la politique d'information, il existe une politique d'embauche qui appartient à l'entreprise, il existe une politique de promotion qui appartient à l'entreprise.

Il y a énormément de gens qui ont été engagés à des époques successives de l'évolution du Québec et il m'apparaîtrait impossible ou du moins improbable qu'un groupe d'individus, idéologiquement structuré et différent de l'idéologie de l'entreprise elle-même, puisse prendre le pouvoir au Soleil, par exemple.

M. HARDY: Je suis d'accord avec vous, mais

ce n'est pas là ma principale préoccupation. Qu'il y ait différentes idéologies, encore là cela ne règle pas à mon sens le problème de la qualité de l'information, que vous ayez des gens d'extrême gauche, d'extrême droite, de centre, des fascistes, des communistes. Supposons par hypothèse qu'on a dans.,.

M. DEMERS: Une grande étendue.

M. HARDY: ... tous les media, des gens de toutes les idéologies possibles qui existent au Québec, à mon avis cela ne réglera pas l'affaire. Encore là, au point de vue de l'information, dans mon esprit je distingue très bien ce que beaucoup de journalistes ne semblent pas vouloir admettre. On prétend que c'est utopique, que c'est artificiel de vouloir faire cette distinction, mais je continue à la faire jusqu'au moment où on réussira à me prouver que cela ne se fait pas, c'est-à-dire bien faire la démarcation entre l'information et l'opinion. En d'autres termes, entre l'information, l'éditorial et le commentaire. Je me place strictement au niveau de l'information et je continue à me poser la question: Est-ce que ce n'est pas aussi dangereux, même en admettant que vous ayez tous les courants d'opinion représentés chez les journalistes d'information, que des journalistes à quelque école, à quelque idéologie qu'ils appartiennent, colorent l'information, l'orientent en fonction de leur idéologie? Est-ce que ce phénomène n'est pas aussi dangereux que la recherche du profit peut l'être quant à la subjectivité de l'information?

M. DEMERS: Brutalement, je vous répondrais non. Je vous donnerais en exemple comment, du moins dans une entreprise de la taille de celle où j'ai travaillé, où j'ai fait mon apprentissage, cela fonctionne. Si moi je veux faire un papier, il doit y avoir quelqu'un qui prend une décision pour m'y envoyer...

M. HARDY: Un papier d'information?

M. DEMERS: D'information, oui. Quelqu'un prend la décision de m'y envoyer, il y a quelqu'un qui décide des finances qu'il faut mettre là-dessus; donc, cela fait déjà deux personnes qui sont impliquées à part moi. Une fois que mon papier est fait, supposons qu'il est fait, il y a quelqu'un qui décide aussi; c'est peut-être la même personne dépendant de la taille de l'entreprise, de la longueur ou de l'espace et du temps dont je disposerai pour faire le papier. Une fois que le papier est fait, il y a des corrections techniques quant à là qualité du français, il est censé y en avoir, et ensuite, par exemple dans un journal comme le Soleil, il y a trois éditions, c'est-à-dire qu'il y a un chef de pupitre qui va décider; lui a un adjoint. Supposons que c'est un papier politique, il y a un adjoint qui décide quels papiers vont passer dans le secteur politique, dans le secteur des nouvelles nationales; alors cela fait déjà une quatrième personne. Le chef de pupitre peut toujours intervenir puisqu'il révise les pages, du moins il est censé le faire; cela fait une cinquième personne. Si une erreur est commise dans une des éditions, il y a une deuxième équipe qui est entrée, donc une sixième personne au moins qui peut réviser cela et, après cela, pour la troisième édition, il y a encore une septième personne qui peut intervenir dans le processus pour soit corriger le texte, soit le retirer purement et simplement, ou simplement jouer sur la présentation visuelle de telle façon qu'il va être noyé dans le reste.

Voyez-vous, le réseau technique est tellement complexe et implique tellement de personnes que c'est certain qu'il peut y avoir des colorations, mais pas au niveau où cela devient un danger.

M. HARDY: Je me replace dans le cadre que vous venez d'exposer. Une personne vous a délégué pour aller couvrir tel événement, considérant que l'événement était important. On a mis un budget et les corrections entre les éditions qui peuvent être faites et tout ça. Mais le journaliste "y" part et va couvrir cet événement. A cause de son idéologie qu'il veut promouvoir, il décide de prendre certains aspects de l'événement, de donner plus d'importance à cet aspect et de laisser les autres dans l'ombre. Il revient et fait son papier. Quelle que soit la personne qui va appliquer les mécanismes de contrôle, cette personne n'aura pas assisté à l'événement, ne pourra pas dire, à la lecture du papier, si le journaliste a laissé des choses dans l'ombre pour donner plus d'importance à d'autres. S'il s'agit de la déclaration de quelqu'un, il ne pourra pas dire s'il a sorti certaines phrases du contexte. Tous les bonhommes, qui vont faire le contrôle dont vous parlez, ne sont pas en mesure de faire une critique valable parce qu'ils n'y ont pas assisté. Il faudrait, pour que tout le mécanisme dont vous parlez soit vraiment efficace, que la personne qui a décidé de vous envoyer soit là également pour contrôler. C'est impossible, cela ne se fait pas.

M. DEMERS: C'est-à-dire qu'il existe une autre forme de contrôle. Les individus qui donnent les ordres en ce qui concerne les couvertures, autant que les individus qui prennent les décisions de faire paraître ou de ne pas faire paraître un texte, de le corriger ou de ne pas le corriger, sont en relation constante avec ce qui est diffusé dans les autres media. Ils écoutent, par exemple, tous les postes de radio. On a des types qui font ça. Par exemple, lorsqu'il s'agit d'événements québécois, la Presse Canadienne couvre les événements de façon générale et nous donne une autre version. Cela permet à ces individus, avec les multiples versions, de se faire une idée. Très souvent, quand s'il s'agit de déclarations d'hommes politiques, on a le texte d'avance en plusieurs copies qui passent dans plusieurs mains.

Bien sûr, s'ils allaient sur les lieux, si on envoyait quinze gars pour couvrir une déclaration politique, peut-être aurait-on des renseignements de première main qui permettraient, disons peut-être dans certains détails, de se faire une idée de témoignages plus précis. Il me semble que, compte tenu des contraintes techniques et financières, le mécanisme de renseignements, par le biais des autres media, de la Presse Canadienne, des textes qu'on a à l'avance, est déjà une information qui permet à quelqu'un, au pupitre, de se faire une idée de la pertinence. C'est la première partie de ma réponse.

La deuxième partie, c'est que, de toute façon, quand on écrit un texte ou quand on parle, on dit toujours quelque chose avant autre chose. On fait donc toujours un choix. C'est notamment le cas pour n'importe quelle personne qui écrit. La première phrase qu'elle écrit est un choix. On ne peut pas passer à côté du problème du choix. Et notamment, dans les journaux, puisqu'on fonctionne par une tradition de manchettes, on essaie de mettre les éléments de "nouvelle" dans le premier paragraphe. Ce qui fait qu'on grossit toujours un élément d'une situation, d'une déclaration ou de n'importe quoi. On est pris dans cette contrainte technique, il n'y a pas moyen d'en sortir, indépemdamment de l'idéologie, indépendamment des volontés personnelles, l'écriture est linéaire.

M. HARDY: Ce que vous venez de dire m'apparait d'une évidence absolue. Mais n'est-il pas vrai que justement, dans ce choix, cela sera soit la recherche du profit, via la sensation, qui fera que vous prendrez telle manchette et que vous donnerez de l'importance à telle chose ou ce que vous, journaliste X, voulez promouvoir, même peut-être sans arrière-pensée? A cause de votre formation, à cause de votre structure de pensée, à cause de vos intérêts, à cause de votre échelle de valeurs, c'est telle chose qui vous frappera et c'est ce que vous mettrez en valeur. C'est la raison pour laquelle je reviens à ma première question. Je n'ai pas de réponse. Je vous le dis tout de suite. Je ne prétends pas avoir la réponse. C'est une question que je me pose. Est-ce que l'échelle des valeurs, l'idéologie suivant différentes formes, tout cet aspect du bonhomme qui écrit, ce n'est pas un danger — je ne peux pas l'évaluer en termes qualitatif ou quantitatif — autant que la recherche du profit du côté du propriétaire? C'est la question que je me pose.

M. LE PRESIDENT: Le député de Saint-Laurent.

M. PEARSON: Pour illustrer cela, ce matin, justement, par accident, il me tombe dans les mains le journal de Québec, où on raconte à l'intérieur qu'il s'est produit un meurtre hier. Un père et une mère de famille se sont fait tuer.

Le titre dit: "Un débile mental tue ses père et mère". Pas de point d'interrogation. Cela veut dire que le titre par lui-même remplit le rôle du psychiatre, d'abord, pour dire que le bonhomme est un débile mental et, deuxièmement, il joue le rôle de la justice, car il n'y a pas eu de procès. On ne le sait pas. Troisièmement, dans les circonstances qui sont racontées à l'intérieur, on indique que l'individu est détenu comme témoin important. Alors, qu'est-ce qu'on fait dans des circonstances comme celles-là? Peut-être qu'éventuellement on prouvera que le bonhomme est un débile mental, que c'est vraiment lui qui a commis le meurtre. Mais un titre comme celui-là, dans un procès, je considère que cela n'est pas acceptable. S'il y avait un point d'interrogation, peut-être, mais il n'y en a pas. Cela signifie que celui qui a fait le titre pose immédiatement un jugement à la lumière tout simplement d'un article d'un journaliste. Que risque-t-il à ce moment-là? Il risque des poursuites. Supposons que cela ne soit pas lui, qu'il ait simplement été sur les lieux. Ma question était en ce sens.

A la page 11 de votre mémoire, vous mentionnez qu'il ne reste qu'une solution: l'intervention de l'Etat. Dans le quatrième paragraphe, vous dites: En intervenant non pas directement sur le contenu des media, ni en modifiant fondamentalement les structures mais en reconnaissant comme un fait accompli, par une loi-cadre, le caractère public de plusieurs entreprises privées. Qu'est-ce que cela implique dans votre esprit? Quelles principales conditions verriez-vous dans cette reconnaissance du caractère public de plusieurs entreprises privées?

M. DEMERS: Bien sûr, il s'agirait pour les techniciens de le préciser. Mais à vue d'oeil comme cela et dans les limites du texte que j'ai écrit, cela me faisait penser, par exemple, aux quotidiens, quand à leur niveau, ils sont seuls dans leur région, quand ils exercent une attraction non seulement déterminante mais presque totale sur le marché des annonces. Je pense à la région de Trois-Rivières, où, si je ne me trompe, il n'y a qu'un seul quotidien. C'est aussi le cas de la région de Sherbrooke.

M. BACON: Il y a trois journaux à Trois-Rivières.

M. HARDY: C'est un bon journal.

M. DEMERS: Je n'ai rien sur la qualité du quotidien en question, mais je souligne qu'il est en situation de quasi-monopole à son niveau. Il n'y a pas d'autre quotidien de la même taille pour lui faire une concurrence valable. Je pense qu'il s'agirait de préciser techniquement ce que des choses comme celles-là représentent, mais je pense que, à vue d'oeil, dans les limites du travail que j'ai fait, ce sont des choses que je pouvais avancer.

M. PEARSON: Si on reconnaît une institution privée à caractère semi-public, par exemple, dans l'enseignement, cela implique certains privilèges, comme par exemple, que le gouvernement la subventionne à 60 p.c. ou 80 p.c.

Mais dans votre esprit, la reconnaissance du caractère public de ces media impliquerait quoi, comme privilège spécial?

M. DEMERS: A mon sens, le seul privilège est que — je pense que je le souligne un peu plus loin — il s'agira à ce moment de prévoir les mécanismes nécessaires à ce que la remise en main de la communauté desservie du contenu du medium par le biais d'un conseil de gestion soit assortie de mécanismes qui permettront de juger de l'entrée du marché dans le même marché, par exemple, d'une autre entreprise qui, elle, fonctionnerait uniquement sur le modèle de l'entreprise privée et de la liberté de la presse telle qu'on la connaît.

M. PEARSON : Ah bon ! Alors, ça ressemblerait un peu à ce qui existe, au niveau de la télévision. Quand les canaux sont pris, il ne peut plus en arriver d'autres. Cela me fait penser à ça.

M. VEILLEUX: Votre comité de gestion dont vous parlez à la page 12, M. Demers, quel rôle peut-il jouer exactement à l'intérieur de, prenons comme exemple Le Soleil? Qu'est-ce que, concrètement, ferait ce comité de gestion comme travail à l'intérieur du journal qu'on appelle Le Soleil?

M. DEMERS: Bon, je pense que j'ai énuméré quelques-unes de ses tâches. Notamment il nommerait les directeurs exécutifs; il procéderait à l'embauche, aux promotions et ensuite à la répartition des budgets en fonction d'une politique d'information qui, elle, serait débattue par ce comité avec tous les instruments qu'il peut trouver.

M. VEILLEUX: Mais comment? Vous dites, par exemple, le budget et vous faites abstraction du propriétaire ou des propriétaires du journal en question. Le comité de gestion que vous mentionnez à la page 12 est formé de journalistes et de représentants de groupes, de sous-groupes sociaux, culturels, économiques, etc., et vous faites abstraction des propriétaires de journaux et vous dites : Ce comité de gestion va faire le partage du budget à l'intérieur du journal. Il ne paie pas, mais c'est lui qui décide de la répartition du budget.

M. DEMERS: Oui, mais c'est parce que ça se pose à deux niveaux. Le premier niveau est celui des investissements de l'entreprise. Or, de toute façon, à l'heure actuelle, Le Soleil décide de prendre X p.c. de son budget pour le mettre sur la question de l'information. Il le fait de toute façon. Or, c'est ce X p.c. qu'il s'agirait peut-être de déterminer dans la loi-cadre, qui est administré par le conseil de gestion. Le conseil de gestion devient comme un sous-entrepreneur — si on peut employer l'expression — chargé d'administrer ce X p.c. et de rendre des comptes d'une façon qu'il s'agirait de déterminer.

M. VEILLEUX: Oui, mais si ce comité de gestion administre cette partie du budget et que le patron ou les propriétaires ne sont pas satisfaits, est-ce que vous leur donnez...

M. DEMERS: Est-ce que vous parlez d'une satisfaction administrative ou d'une satisfaction quant au contenu, quant à ce qu'ils en font?

M. VEILLEUX: Je vous dis, je ne sais pas, moi, je construis ou je donne à contrat un édifice. L'entrepreneur a comme mission d'ériger l'édifice. Il se sert de sous-entrepreneurs mais les sous-entrepreneurs répondent du travail qu'ils font d'une façon ou d'une autre. De quelle manière verriez-vous, à l'intérieur de ce mécanisme que vous mentionnez dans un journal, que cet organisme pourrait répondre ou quels sont les...

M. DEMERS: Il faudrait à ce moment qu'ils répondent à un organisme gouvernemental quelconque qui, lui, serait le juge des griefs en question. Cela pose aussi le problème de savoir si les critiques de l'entrepreneur, qui fournit cette partie de budget, portent sur le fait que le conseil de gestion remplit son contrat, c'est-à-dire par exemple si le conseil de gestion assume la responsabilité de remplir pendant une année un nombre de page X avec de la matière. C'est une dimension strictement administrative. Par contre, l'entrepreneur peut très bien ne pas être d'accord sur le contenu de ces pages. Là, c'est un autre problème qui se pose.

M. VEILLEUX: Ce que je trouve curieux — je me fais un peu l'avocat du diable — c'est que, d'une part, vous n'acceptez pas ou vous ne semblez pas accepter que les propriétaires de journaux aient leur mot à dire quant au contenu de l'information à l'intérieur du journal. Par contre, vous, vous semblez vous arroger un droit d'administration sans que le patron puisse avoir son mot à dire.

Cela me fait penser un peu à un autre mémoire, que l'on va discuter un peu plus tard, le mémoire de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, qui demande que le gouvernement investisse $1,000,000 dans le conseil de la presse mais qu'il n'ait pas un mot à dire. Je trouve cela curieux.

M. DEMERS: Je ne sais pas, peut-être que vous pourriez préciser un peu ce que vous dites, parce que je ne dis pas que le patron n'aurait pas un mot à dire dans le contenu du journal, je dis que son mot à dire, son mot déterminant,

final, porte sur sa responsabilité juridique en tant que "publisher". Je dis aussi qu'il peut comme n'importe qui d'autre être représenté au conseil de gestion.

M. VEILLEUX: Vous soulevez un point très intéressant quand vous dites qu'il répond juridiquement. En d'autres mots, s'il y a un article susceptible de libelle, à ce moment-là le patron, lui, paiera la note et c'est le comité de gestion qui décide si on doit l'inscrire ou pas à l'intérieur du journal. Est-ce que c'est ça?

M. DEMERS: Je pense que j'ai précisé quelque part qu'il pouvait y avoir un représentant qui avait droit de veto en ce qui concerne les questions de libelle et de diffamation. Quant à l'autre partie de votre affirmation tout à l'heure, à l'effet que moi je m'arrogerais un droit, je ne m'arroge aucun droit, je le donne au conseil de gestion, parce que le conseil de gestion, ce n'est pas moi.

M. VEILLEUX: Quand j'ai dit: Vous vous arrogez un droit, je parlais du conseil de gestion aussi.

M. DEMERS: A ce moment, le conseil de gestion, cela se trouve à être un carrefour où se rencontrent les forces sociales. Pour moi, journaliste, travailler pour un entrepreneur privé qui a sa propre politique d'information, formelle ou informelle, ou travailler pour un conseil de gestion qui aurait une politique formelle, pour moi, techniquement, c'est exactement le même problème.

M. VEILLEUX: Au journal Le Soleil, d'après vous, combien de réunions et d'heures de réunions devrait tenir par semaine un conseil de gestion de cette nature?

M. DEMERS: Cela dépend comment il organiserait sa délégation de pouvoirs. Je n'en sais rien, cela dépend de ce qu'il donnerait à ses directeurs exécutifs, de ce qu'il s'arrogerait lui-même, je n'en sais rien. Techniquement, ce sont des modalités. Si jamais vous envisagez la possibilité d'adopter une telle loi-cadre, à ce moment, les technicalités à ce niveau, je peux en imaginer des choses, mais,...

M. VEILLEUX: Au point de vue de l'efficacité, c'est ça.

M. DEMERS: Il est certain qu'un conseil de gestion comme d'ailleurs le conseil d'administration de l'entreprise, ne passera pas son temps à intervenir à tous les niveaux de la fabrication du journal, sinon il va être complètement débordé.

M. LE PRESIDENT: Le député de Chicoutimi.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Prési- dent, je remercie M. Demers de se prêter à nos questions. J'aurais plusieurs questions à lui poser, mais je vais me restreindre à certaines qui m'apparaissent importantes. Ecartons pour le moment le problème des monopoles, la concentration des entreprises de presse dont nous avons déjà eu l'occasion de discuter et dont nous pourrons rediscuter longuement lorsque nous examinerons les documents qui se réfèrent à ce problème. C'est une chose qui existe, quelle est la nature de ces monopoles dont on parle ou de cette concentration, quels en sont les effets sur l'information? Nous avons déjà une bonne masse de documents sur le sujet. Ce qui m'intéresse personnellement ce matin, c'est le journal, mais davantage celui qui le fait, le journaliste. Vous dites, M. Demers, à la page 2 de votre mémoire, c'est le quatrième paragraphe: "Il semble, juridiquement parlant, que les libertés individuelles de foi, de pensée, d'opinion, de culte et d'expression de ses opinions soient clairement reconnues. De même, la loi protège l'individu du libelle, de la diffamation et de la discrimination raciale ou religieuse." Ne retenons que le terme de "libelle" ou celui de "diffamation", parce que là cela revient un peu au même. Est-ce que, selon vous — et à ce sujet-là j'indique tout de suite au président et au responsable de cette commission de la liberté de la presse qu'il nous faudrait avoir des études poussées sur ces problèmes juridiques — est-ce que vous croyez que, dans le Québec, les citoyens, vous, moi, n'importe qui, sont protégés contre le libelle, contre toute forme de diffamation, qu'elle se fasse par le moyen d'une accusation formelle, par le moyen d'une insinuation, par le moyen d'une rumeur? Est-ce que vous croyez vraiment que nous avons cette protection au Québec?

M. DEMERS: J'aime la précision que vous apportez quand vous dites: Est-ce que vous croyez? Je n'ai donc pas là-dessus de constat de quelque ordre scientifique valable, mais disons qu'au niveau de la croyance, et quand il ne s'agit pas des hommes publics, j'aurais l'impression que cela marche un peu avec la position sociale.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Que voulez-vous dire par là?

M. DEMERS: Je veux dire par là que, selon les capacités de riposte, nous sommes plus ou moins protégés contre le libelle et la diffamation, mais c'est une croyance, M. Tremblay.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Bien, je vais vous demander de ne pas vous référer à votre croyance mais bien à des faits. Tout à l'heure, justement, notre collègue de Saint-Laurent a apporté un exemple qui est tout frais, il est de ce matin. Voici que, dans un journal, en première page, on déclare qu'un malade mental tue ses père et mère. Bon. Reprenons ce que vous avez dit: cette personne, à supposer qu'elle

ne soit pas coupable, qu'elle ne soit pas débile mentale, quel recours a-t-elle? Aucun. Elle n'est pas protégée contre ce genre de libelle, parce que cela en est un, tant et aussi longtemps qu'on n'aura pas fait la preuve. Si c'est moi qu'on accusait ce matin, de la même façon: Le député X, débile mental — c'est peut-être vrai — tue ses père et mère — ils sont morts tous les deux, ne vous inquiétez pas — croyez-vous que, parce que je suis député, j'aurais plus de chance d'être protégé contre une pareille accusation? Alors, je veux en venir à ceci, M. Demers, ne pensez-vous pas — et c'est un aspect peut-être un peu circonscrit du problème — qu'une des préoccupations que nous avons, nous, comme législateurs, doit être justement de voir à ce que le citoyen, quel qu'il soit, soit protégé contre le libelle, l'insinuation, la rumeur, toute forme d'information qui vise à mettre en cause la réputation d'une personne? Est-ce que nos lois vous paraissent satisfaisantes dans ce domaine d'une liberté de presse qui vous protège vous, qui vous laisse la liberté d'écrire les choses que vous devez écrire, mais qui, d'autre part, doivent également me protéger, moi et tous les citoyens, individuellement?

M. DEMERS: Vous me demandez, en partie en tous cas, des opinions de juriste, notamment dans votre exemple. Vous affirmez, peut-être à raison ou peut-être à tort, que, jusqu'à preuve du contraire, il s'agit d'un libelle. Par exemple, dans l'exemple que vous avez choisi. Je n'en sais rien, je ne m'y connais pas suffisamment sur ce plan. Je ne suis pas un juriste et je ne connais pas suffisamment ce point-là. Quant aux possibilités de riposte de l'individu qui est mis en cause, à ce que je sache, il pourrait toujours, s'il en avait les moyens, se payer un avocat qui poursuivrait l'entreprise de publication. Je suppose que s'il s'agissait d'un député, a priori, il en aurait les moyens.

Quant à savoir si le monsieur en question, qui est affublé du titre de débile mental, en a les moyens, je ne le sais pas non plus.

Il me parait évident et certain que le gouvernement, plus exactement le Parlement, doit s'organiser pour protéger les individus contre le libelle et la diffamation. Peut-être que la question du libelle et de la diffamation dépend de la position plus ou moins publique de l'individu en cause et que, dans chaque cas, il peut y avoir des nuances entre ce qui est d'intérêt public, à savoir le comportement d'un homme public, et ce qui n'est pas d'intérêt public, je n'en sais rien, c'est un problème juridique. Peut-être aussi que, dans des cas comme celui que vous avez cité, une certaine inertie et une certaine tradition ont fait que les mécanismes juridiques de recours n'ont pas été employés ou ont été sous-employés jusqu'à maintenant et qu'ils seraient, au moins théoriquement, suffisants si on les employait. Je ne le sais pas. C'est trop juridique pour moi.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Demers, vous êtes journaliste. Supposons que vous soyez responsable de l'information ou directeur des nouvelles dans un quotidien, je ne sais pas exactement quelle peut être votre fonction au Soleil. Est-ce que, comme journaliste, vous ne vous êtes pas déjà interrogé sur ce problème de la protection du citoyen contre ce que peut écrire un journaliste ou ce que peut demander un journal à un journaliste d'écrire?

M. DEMERS: C'est certain. Ce ne sont peut-être pas des questions qui se posent tous les jours, mais ça se pose fréquemment. Nous avons au Soleil un conseiller juridique que nous pouvons rejoindre jour et nuit dès que se pose ce problème. C'est une des fonctions principales des chefs de pupitre que de s'interroger sur la pertinence, en termes de libelle et diffamation, de telle ou telle information. D'ailleurs, il y a eu plusieurs séances d'information qui ont été tenues là-dessus par la direction de la maison, sur les problèmes de libelle et de diffamation.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Est-ce que vous avez à votre journal, sans dévoiler de secret, une politique établie en ce qui concerne le rectificatif, dans le cas où un homme à qui on a prêté telle déclaration fait une mise au point, qu'un journal, s'il veut vraiment informer ses lecteurs et le public, doit rapporter? Est-ce qu'il y a un mécanisme rectificatif?

M. DEMERS: Le mécanisme rectificatif, à ce que je sache, est habituellement de publier la rectification avec la même importance visuelle que l'avait été l'accusation.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Cela se fait? M. DEMERS: Je pense que oui.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Vous lisez tous les journaux, vous pouvez affirmer ça?

M. DEMERS: Ah non! par exemple. Mon expérience personnelle ne s'étend pas à l'ensemble des quotidiens du Québec.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Maintenant, M. Demers, moi, je me place toujours dans l'optique du journaliste qui fait de l'information. Quelle est la conception que vous vous feriez si vous étiez cher de l'information dans un journal, de la nouvelle, du reportage, de l'éditorial, du commentaire, de l'analyse? Est-ce que vous êtes d'accord sur les formules, si vous voulez, mixtes, ce mélange de commentaires, d'analyses, de reportages qui fait que le lecteur, après avoir lu qu'il s'est passé telle chose en Chambre, qu'il s'est passé telle chose à Montréal ou à Munich, ne sait plus très bien où est la nouvelle dans tout ça? Il se demande quels ont été les faits qui ont donné naissance à

un long article dans lequel on trouve mélangés toutes sortes d'éléments, quel est en somme l'événement qui a donné naissance à cet article.

M. DEMERS: Je pense que notre tradition journalistique, quant au genre d'écriture, est relativement jeune en ce sens qu'il n'existait, il y a quelques années, que la matière éditoriale et la matière de nouvelle brute, non traitée, non aménagée. Un peu plus tôt que ça, à ce que je sache, il n'existait que de la matière éditoriale au moment où les entreprises de presse n'étaient que des feuilles d'expression.

En pratique, la possibilité pour un journaliste de mélanger les genres d'écriture dans un même article dépend de la politique de l'entrepreneur, cela dépend du secteur. Par exemple, vous avez ça couramment dans les sports, vous avez ça couramment dans la critique artistique qui sont des secteurs où c'est de tradition de mélanger les genres. Cela dépend donc de la politique de l'entreprise de laisser faire ou de laisser dire et même d'engager ce qu'on appelle des "columnists" qui vont le faire, systématiquement.

Pour le lecteur, il est bien certain que ça pose un problème de confusion à la longue — en tout cas, c'est mon impression — de la même façon que l'absence de distinction systématique entre la matière publicitaire et la matière d'information crée aussi une confusion. Là encore, ce sont les politiques des entreprises qui sont mises en cause et sur lesquelles on a une courte tradition de réflexion. C'est à peu près ce que je peux dire sur ce problème.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je ne parle pas de tout ce système de gestion, pour le moment, mais puisque vous parlez d'intervention gouvernementale, à divers paliers, dans un certain cadre, est-ce que vous accepteriez que le gouvernement établisse des normes dans ce domaine pour le traitement de la matière qui fait l'objet de l'information?

M. DEMERS: Il faudrait que je réponde là-dessus la même chose que ce que je dis dans mon mémoire en ce qui concerne l'entrepreneur privé. Ce serait peut-être possible à condition que le débat se fasse au niveau du marché desservi, au niveau de la collectivité desservie par le medium. Je ne sais pas à quoi vous songez exactement. Des normes générales et théoriques édictées par le gouvernement, c'est le même type de normes que nous avons dans une ligne autoritaire au sein des entreprises. Le problème est le même.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Tantôt, vous parliez du service à la collectivité par un journal, comment concevez-vous ce service à la collectivité? D'abord l'informer, etc., mais selon quel mode, selon quel schème, par quel mécanisme pratique cette collectivité peut-elle être servie comme vous l'entendez aux fins de satisfaire aux besoins du public, de faire se rencontrer les individus qui composent la société, de les faire en quelque façon dialoguer par le truchement d'un journal? Comment concevez-vous cela et, dans cette perspective-là, quel rôle auriez-vous déterminé en ce qui concerne l'Etat? Qu'est-ce que l'Etat pourrait faire dans cela?

M. DEMERS: Je vais commencer à reculons, c'est-à-dire par la dernière partie de votre question. Le rôle de l'Etat, dans la mesure où il admet qu'à partir d'un certain niveau il y a un problème quant au contenu des media, en autant que ce contenu continue d'appartenir à des entrepreneurs privés, son intervention à ce niveau m'apparaît être sa contribution. Quant à la première partie de votre question, je pense qu'en décrivant le conseil de presse ou plutôt le comité de gestion, j'ai souligné que, d'un côté, les organismes déjà organisés, déjà structurés qui auraient des délégués à ce conseil de gestion pourraient très bien représenter le groupement qui les mandate et, d'un autre côté, les journalistes professionnels, au sein de ce comité de gestion, pourraient se charger systématiquement d'aller découvrir les courants sociaux qui n'ont pas encore ou qui ne peuvent pas avoir les moyens de se faire entendre dans la concurrence des groupements sociaux déjà organisés et en place.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Puisque vous parlez de concurrence, et c'est à la page 11 de votre mémoire, on a déjà cité ce paragraphe, je le reprends: Notre proposition vise à ce que l'Etat modifie le jeu des forces en présence en intervenant non pas directement sur le contenu des media, ni en modifiant fondamentalement les structures de libre entreprise, mais en reconnaissant comme un fait accompli, par une loi-cadre, le caractère public de plusieurs entreprises privées.

Qu'est-ce que c'est exactement tout cela? Qu'est-ce que cela veut dire au regard de l'existence actuelle d'un certain nombre d'entreprises de presse privées? Je mets de côté les chaînes d'Etat de radio et de télévision, mais je parle des chaînes privées de radio et de télévision et ensuite des journaux, quotidiens ou hebdomadaires ou quelque périodique que ce soit. Comment concevez-vous cette façon de donner un caractère public à plusieurs entreprises privées? Vous y revenez d'ailleurs un peu plus loin à la page 12. Vous dites: Ces trois groupes d'entreprises de presse pourraient donc être reconnus comme entreprises privées à caractère public. Est-ce que du fait qu'un journal est lancé chaque matin dans la société québécoise, il n'est pas déjà consacré comme quelque chose d'intérêt public et de caractère public?

M. DEMERS: J'aime beaucoup cette admission.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Non, mais voici: Cela n'est pas le fait, mais si cela est et si cela correspond à ce que vous avez dans l'esprit, quel rôle précis l'Etat peut-il ou doit-il jouer dans ce contexte?

M. DEMERS: Dans la mesure où l'Etat reconnaît le problème posé par les entreprises qui ont atteint une certaine taille chez les quotidiens, par les entreprises de radio et de télévision où le choix du consommateur est moins possible, en tout cas, à mon point de vue, qu'on le pense, dans la mesure où il reconnaît qu'il y a un problème, le rôle que je lui suggère est d'intervenir en confiant la définition du contenu et l'administration du budget qui serait de toute façon consacré à l'information dans ces entreprises à un comité de gestion qui représenterait le marché desservi.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Supposez que l'on applique ce système et que l'on mette en place les mécanismes dont vous parlez, qu'on aboutisse à une autre forme de monopole qui deviendrait en quelque façon, même avec les sourdines que vous y mettez et la présence de telle ou telle personne au sein de ce conseil de gestion... Est-ce que vous ne croyez pas que l'on aboutirait à la création d'une entreprise étatique de l'information et que les personnes mises en place dans ce conseil de gestion deviendraient en quelque façon les grands censeurs de toute l'information du Québec avec les dangers que cela peut comporter?

M. DEMERS: Je ne vois pas très bien la portée de votre question parce que, pour moi, le conseil de gestion est spécifique à chaque entreprise. Il ne s'agit pas d'un conseil national ou provincial. Et dans la mesure où sont présentes des personnes mandatées selon un mécanisme qu'il s'agirait de définir, il y a des possibilités de remplacement, de jeux d'influence et de réactions de groupes qui se sentiraient défavorisés et qui pourraient faire une certaine lutte pour être représentés au sein de ce conseil.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Réduisons le problème à la dimension que vous venez d'indiquer. Eliminons l'idée d'un conseil de gestion qui couvrirait, embrasserait tout le problème des entreprises de presse. Réduisons-le à quelques entreprises de presse au sein desquelles se retrouveraient des gens constituant un conseil de gestion. Est-ce que vous croyez que ce conseil de gestion ne finirait pas par définir une politique qui deviendrait à son tour une sorte de monopole et que l'on établirait une politique qui ne rencontrerait pas nécessairement mes vues? Je dis ici mes vues en parlant de l'ensemble des citoyens. Vous me dites: Les citoyens pourraient en appeler. C'est là-dessus que j'aimerais vous poser une question précise. Par quels moyens les citoyens pourraient-ils, soit dans le système actuel, soit dans le système que vous préconisez, en appeler de la qualité de l'information ou en appeler du jugement de ceux qui constitueraient ce conseil de gestion à l'intérieur d'entreprises de presse limitées?

M. DEMERS: Vous parlez des individus qui se sentiraient lésés par la politique édictée par ce conseil.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Les groupes sociaux, etc.

M. DEMERS: Quant aux groupes, le problème d'un cas précis, parlons d'un papier qui les frusterait, ils peuvent toujours recourir aux mécanismes déjà existants en ce qui concerne le libelle et la diffamation. Ils peuvent toujours se faire entendre en émettant un communiqué. Mais quant aux individus, j'avais lancé l'idée d'une régie qui entendrait les critiques de l'entrepreneur sur son conseil de gestion. Cette régie ou encore le conseil de presse tel que suggéré par la fédération pourrait aussi entendre les plaintes individuelles.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Mais ce genre de régie, de tribunal d'appel ou de protecteur du citoyen dans le domaine de la presse, est-ce que vous le voyez comme un moyen nécessaire?

Par conséquent, dans votre esprit, comme un moyen efficace pour satisfaire aux besoins de ces gens qui se sentiraient lésés comme groupes sociaux, par exemple, que ce soit un groupe politique, un groupe de citoyens, n'importe quel mouvement qui a une activité quelconque dans la société?

M. DEMERS: C'est certain que ça me parait suffisant, c'est-à-dire que ça me paraît nécessaire, mais ça ne me parait pas suffisant en ce sens que, pour les groupes sociaux inorganisés, pour les individus socialement, intellectuellement ou culturellement défavorisés, ce n'est certainement pas suffisant.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Alors, pour ces groupes dont vous parlez et qui existent et qui ont à se plaindre de l'information qu'on véhicule et de l'alimentation qu'on leur fournit, qu'est-ce que vous suggérez pour que ces gens-là aient partie liée à une entreprise dont ils sont, en somme, ou les victimes ou les bénéficiaires?

M. DEMERS: Ce que je suggère et qui ne m'apparaît pas, bien sûr, une panacée à tous les maux, c'est que l'entreprise de presse, par sa politique d'information, soit suffisamment dynamique pour aller dans ces cas au-devant de ces gens ou de ces groupes ou de ces portions de population inorganisées.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Alors, dans votre esprit, M. Demers, quand vous dites que l'entreprise de presse devrait aller au-devant de

cela, est-ce que cela veut dire que l'entreprise de presse devrait avoir des budgets qui permettraient d'affecter des journalistes à l'examen de ces problèmes de sorte que ces gens puissent s'exprimer par le truchement d'un journaliste qui nous parlerait de ces gens-là, de leurs problèmes et qui les porterait à l'attention du public?

M. DEMERS: C'est l'une des formules.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'est une des formules qui, si on la fignole, si on la raffine, pourrait être, sinon parfaite, du moins satisfaisante à mesure qu'on roderait les mécanismes, enfin le système.

M. VEILLEUX: Si vous permettez, à la page 6, vous dites, M. Demers: La définition du contenu informationnel à laquelle parvient un éditeur dans une entreprise privée parait être la résultante d'un compromis de ces quatre forces — et vous mentionnez les quatre forces —: la publicité, le pouvoir politique, le marché et ses opinions personnelles. Ne croyez-vous pas qu'un comité de gestion tel que vous le suggérez plus loin pourrait, lui, subir au moins trois de ces forces, à savoir le pouvoir politique, le marché et les opinions personnelles des individus qui sont là?

M. DEMERS: C'est certain qu'il subirait le même type de pression, sauf qu'à ce moment-là il y aurait, pour décider du contenu du compromis à faire, plusieurs courants sociaux de représentés alors qu'actuellement, par l'entrepreneur, il n'y en a qu'un seul.

M. VEILLEUX: Par exemple, dans un milieu donné, vous avez quatre centrales syndicales, trois ou quatre centrales syndicales, il y a un représentant syndical et supposons que le journal ait à traiter d'un conflit syndical quelconque ou intersyndical. Vous ne croyez pas à ce moment-là que les deux ou trois centrales syndicales qui n'ont pas effectivement un représentant donné à ce comité de gestion pourraient prévoir subir un préjudice? A ce moment-là, le pouvoir politique d'une centrale syndicale prévaudrait sur le pouvoir politique — quand j'entends pouvoir politique, c'est toujours politique syndicaliste — qui pourrait subir préjudice à ce moment-là.

M. DEMERS: Dans le problème que vous posez, vous présupposez qu'il y aurait un représentant de centrale syndicale, d'une ou de plusieurs centrales syndicales, à ce conseil de gestion. Moi je ne me suis pas avancé...

M. VEILLEUX: Il est possible.

M. DEMERS: ... jusque dans les modalités de définition, savoir qui va être qui à ce conseil.

M. VEILLEUX: Oui, mais je pense que c'est important lorsqu'on parle d'un comité de gestion où le public est représenté. Si on veut que le public soit réellement représenté, quel public, et qui, parmi le public, pourrait en être? Sont-ce des dirigeants d'organismes ou de groupes sociaux, économiques, culturels?

M. DEMERS: C'est une question qu'il faudrait débattre une fois qu'on a admis le principe qu'on intervient.

M. VEILLEUX: Si c'est la simple ménagère, à l'intérieur de sa maison, qui reçoit l'information à la journée longue, par exemple à la radio, à la télévision, qui pourrait être représentée... J'essaie de regarder le côté technique de la théorie que vous voulez mettre en valeur.

M. DEMERS: Pour moi, le problème se pose de telle sorte que dès le moment où le gouvernement décide d'intervenir, il peut affecter des experts ou se pencher lui-même sur la définition des modalités.

M. VEILLEUX: Vous admettez que nous, en tant que politiciens, nous devons nous poser des questions avant de suggérer telle chose.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. Demers, pour suivre les questions que j'avais commencé de vous poser, à la page 6, il y a une affirmation peut-être véridique, je ne la juge pas. Je vais simplement vous demander de l'expliciter en apportant des exemples, si tant est que vous puissiez ou que vous vouliez en donner. Au premier paragraphe, vous dites ceci: "Il semble en effet qu'il existe entre les annonceurs, les politiciens et l'éditeur une communauté spirituelle fondamentale: pour s'approprier un médium, il faut de l'argent; or, les annonceurs font partie comme les éditeurs de la minorité qui a de l'argent, et c'est cette minorité qui finance les partis politiques... "Evidemment, dans sa formulation, disons que ça peut être un peu simpliste et que ça relève drôlement d'une démagogie qu'on connaît bien. Je ne vous fais pas de procès, je vous demande simplement de m'expliquer comment, dans un journal comme le vôtre, telle réalité peut exister. Et pour vous permettre de me répondre plus explicitement, je reviens à la page 10 de votre mémoire où vous affirmez au premier paragraphe: "L'émergence de certains groupes politiques extrémistes a permis au pouvoir politique de mettre en branle contre tout ce qui n'est pas lui des moyens explicites de contrôle et de répression: censure directe; intimidation de certains journalistes; policiers se faisant passer pour des journalistes, ce qui crée la confusion des esprits; journalistes appelés à témoigner en cour ou à remettre leur matériel en preuve, ce qui contribue à la méfiance; et surtout, déclarations démagogiques diminuant la crédibilité du travail des rédacteurs."

J'admets, M. Demers, que bien des éléments de ce que vous énumérez là peuvent exister

dans l'une ou l'autre des entreprises de presse. Je ne suis pas là dans les boîtes, comme on dit dans le jargon. Mais, est-ce qu'à votre connaissance, dans le milieu où vous oeuvrez, ces réalités que vous décrivez à la page 6, que vous tentez de décrire sous forme d'affirmation et à la page 10, ça existe et que ç'a une influence telle que cela vous empêche de dire, par exemple en ce qui concerne l'Assemblée nationale, ce que vous pensez des hommes qui s'y trouvent et des gestes qu'ils posent?

Mettons de côté les événements un peu percutants qui ont pu se passer il y a un an ou deux, enfin des choses qui font tout à coup de grosses manchettes, et prenons dans la pratique courante du journalisme que vous faites, est-ce que ce que vous décrivez a pu se passer chez vous de la façon que vous le dites?

M. DEMERS: Le paragraphe de la page 10 était un paragraphe circonstantiel qui faisait référence explicite au dossier Z de la Fédération professionnelle des journalistes. Vous me permettrez de taire l'analyse que je pourrait faire des choses qui se passent au Soleil. Quant à ce qui est écrit à la page 6, je pense que je peux procéder en donnant un exemple, en soulignant que dans la mesure où je serais connu de vous plus que les autres journalistes, il me serait certainement plus facile d'obtenir des interviews, des explicitations et peut-être des déclarations "off the record".

Cette communauté des gens connus, il me semble facile, d'une part, et possible de supposer qu'elle existe aussi entre les gens qui ont accès au monde financier et qui ont investi des sommes.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Alors, M. Demers, je vais vous poser le problème à l'inverse. Vous dites, par exemple, que s'il y avait entre vous et moi des relations d'amitié ou de connaissance depuis un certain temps, il vous serait peut-être possible d'avoir de moi des interviews exclusives, etc. Mais comment expliquez-vous que des journalistes — et nous vivons quand même dans un milieu où nous voyons des journalistes tous les jours — ne cherchent à avoir des entrevues exclusives que de certaines personnes, n'interrogent jamais la presque totalité des membres de l'Assemblée nationale, se réservant des cas particuliers, des vedettes? A ce moment, je pense qu'il faudra prendre tout le problème et le poser — éléminons les questions personnelles que je viens d'évoquer — en terme d'éthique journalistique. En terme de l'éthique imposée à ces journalistes par une maison, par une entreprise de presse, quels seraient, selon vous, les ordres, appelons cela comme cela, ou les recommandations qui pourraient être faits par le responsable d'une boîte à ces journalistes, en ce qui concerne précisément les contacts avec des personnes qui ont quelque chose à voir à l'actualité qu'elle soit politique, social, économique ou autre?

M. DEMERS: C'est une question qui, comme vous le soulignez, relève de la politique générale de l'entreprise. C'est aussi une question qui relève de critères techniques. Actuellement, je pense que, dans les entreprises de presse, on traite autant des faits que des images. Et parmi les images, il y a des images plus images que les autres images et celles-là, bien entendu, on les retrouve plus souvent que les autres.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Alors, vous faites intervenir ici, justement, un facteur de subjectivisme qui va, très souvent, à l'encontre des intérêts que vous devriez normalement promouvoir, soit une information objective du public qui démythifie certaines images dont vous avez parlé.

M. DEMERS: Est-ce que vous aimeriez, M. Tremblay, que nous affections beaucoup de journalistes avec de gros budgets pour démythifier des images qui se promènent dans l'Assemblée nationale?

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Voici, monsieur, je vais vous poser la question. Est-ce que vous ne pensez pas que votre journal, vous consacrant un budget, ne pourrait pas donner des ordres pour que vous traitiez les députés de l'Assemblée nationale — pour prendre ceux-là — de la même façon que ceux qui sont traités de façon privilégiée? Je n'y vais pas par quatre chemins.

M. DEMERS: Je pense que c'est exactement le cas, actuellement. La seule différence c'est que, quand quelqu'un, supposons un député X, n'a à dire qu'une répétition de ce que disait M. Y, cela ferait deux déclarations dans le journal et nous sommes déjà limités dans l'espace. Cela peut se poser.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Nous pouvons admettre cela. Mais je vais vous donner un exemple, M. Demers. Vous allez dire que je défends mon clocher mais je vais prendre un exemple qui m'a frappé parce que cela concernait le chef du parti dont je suis membre. Avant-hier, dans un quotidien de Québec qui n'est pas le vôtre, on donnait des nouvelles sur la politique fédérale, une déclaration disant de M. Trudeau, M. Stanfield, patati, patata, une déclaration d'un autre parti politique et à toute fin du journal on mettait ceci: Le chef d'Unité-Québec reprend une idée chère au Parti québécois. On lit le texte et on se rend compte, que le chef d'Unité-Québec ne reprenait pas une idée chère au Parti québécois mais reprenait une expression qu'avait utilisée l'ancien premier ministre, M. Johnson, à une conférence constitutionnelle à laquelle j'assistais, alors qu'il disait au gouvernement central: Les provinces ne sont plus que des régions administratives du Canada. Alors, je me suis dit: Voilà le traitement privilégié que l'on a accordé au chef d'Unité-

Québec pour diminuer l'impact d'une déclaration qu'il avait faite. Peu importe la valeur absolue ou relative de la déclaration qu'il avait faite. C'est au sujet de ce genre de traitement que je m'interroge. Je ne revendique pas un traitement privilégié pour tous et chacun des députés. Si un député dit une ânerie ou si je dis une ânerie, écoutez, rapportez-la comme une ânerie et tant pis pour moi et pour celui qui la fait.

Mais il reste qu'il nous apparaît évident et — nous sommes ici pour vous le dire et vous êtes ici pour l'entendre et ce n'est pas la première fois que vous allez l'entendre et ce n'est pas la première fois d'ailleurs que vous l'avez entendu — qu'il nous parait y avoir des failles dans ce qu'on appelle l'éthique professionnelle, dans l'organisation interne du journal, qui ne vous permettent peut-être pas d'avoir à votre disposition les moyens qui vous seraient utiles pour renseigner davantage les citoyens sur les gestes que posent une bonne majorité des députés de la Chambre. Je prends cet exemple de la Chambre non pas pour défendre la Chambre mais parce que cela nous frappe davantage, nous qui sommes quand même au niveau de l'actualité qui se fait tous les jours dans le domaine politique.

M. DEMERS: Si vous me permettez une petite remarque sur l'exemple que vous avez cité, le fait qu'on ait mis cette petite phrase à la fin du papier peut peut-être —je pense que nous ne sommes pas en mesure de faire des présuppositions là-dessus — relever...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Ce n'était pas à la fin du papier, c'était le titre.

M. DEMERS: C'était le titre? Je m'excuse. J'avais gardé l'impression que vous aviez dit que c'était à la toute fin du texte.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'était le titre.

M. DEMERS: Cela peut peut-être relever d'un problème d'éthique. Je n'en sais rien. Cela relève peut-être aussi tout simplement d'un manque de mémoire et, là-dessus, on revient au problème de l'organisation technique des entreprises pour souligner que, dans bien des cas, la volonté de profit, tout à fait normale, de l'entrepreneur ne lui permet pas de mettre sur pied un appareil technique rallongeant la mémoire des journalistes.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je vais vous poser une question au sujet de cette rallonge de la mémoire, comme dirait Cyrano de Bergerac, qui voulait mettre une rallonge à son épée. Il n'est pas nécessaire de rallonger la mémoire au journaliste. S'il a une formation de base, s'il a une culture, il doit avoir, comme tous les gens de culture qui ont une spécialité, ce qu'on appelle une mémoire de papier, c'est-à-dire des notes, un fichier, des dossiers qui lui permettent, lorsqu'il a à utiliser une citation, de s'en rapporter au texte, de bien l'identifier et de l'attribuer à la personne qui a prononcé cette parole. On touche ici le problème de la formation du journaliste. Vous voyez que, d'une question à l'autre, à partir de votre document, on en arrive à faire un examen général non seulement de l'entreprise de presse, mais j'ai voulu situer le problème sur le plan du journaliste comme tel, parce que vous êtes journaliste, on en arrive à poser le problème de la formation du journaliste. Je vous la pose la question. Selon vous — je ne vous demande pas de porter un jugement sur vos camarades, vos confrères de travail — est-ce que le temps n'est pas venu, indépendamment des écoles dites de journalistes, des méthodes d'information des journalistes, afin que ceux-ci qui sont responsables de l'information du public puissent travailler avec des moyens que l'entreprise peut fournir et même doit fournir, puissent travailler de façon à répondre à cet idéal que vous définissez dans votre mémoire?

M. DEMERS: Je serais certainement le premier heureux qu'on mette sur pied des mécanismes de recyclage, entre guillemets, de formation générale ou d'augmentation du bagage culturel des journalistes. Je pense que dans n'importe quelle profession, au rythme où cela roule présentement, c'est indispensable. J'aimerais cependant souligner que les mémoires individuelles, même en papier, dans une entreprise où les cadences de production sont fonction de la rentabilité, ont quelque fois des ratés, quelle que soit la formation générale du journaliste.

Quand vous écrivez quatre ou cinq textes sur quatre ou cinq sujets différents dans la même journée, il peut y avoir des ratés dans votre mémoire.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je suis d'accord avec vous, M. Demers, et cela pose un autre problème, le problème de la spécialisation du journaliste. Evidemment, il y a des gens qui sont affectés au reportage, qui doivent courir à droite et à gauche pour donner une information sur tel ou tel événement, majeur ou mineur. Mais il doit quand même exister et si cela n'existe pas — dans le cas de votre journal, je sais que cela existe — ... On doit tendre de plus en plus, je parle de l'entreprise de presse, à mon avis, à vous fournir des moyens qui vous permettent, qui permettent à un certain nombre d'entre vous, d'être des spécialistes des questions politiques, économiques, culturelles, éducatives, etc., tous les domaines, de façon qu'à l'intérieur de la boutique, même compte tenu de l'existence du conseil de gestion dont vous parliez, il puisse y avoir quelqu'un — une ou deux personnes — qui révise la matière qui va devenir l'aliment servi au public. Est-ce que, dans la boîte où vous vivez, un mouvement comme celui-là se dessine ou est-ce que l'infor-

mation que vous avez sur d'autres media d'information vous laisse croire que cela existe?

M. DEMERS: Pour ne parler que du Soleil, qui est relativement privilégié, il y a effectivement un mouvement qui se dessine, mais je vous soulignerai que cela coûte extrêmement cher en capital, cela coûte aussi cher en capital humain et technique. Cela me ramène à la question de la pauvreté générale du Québec qui fait qu'on n'est peut-être pas en mesure actuellement de reproduire cela dans 18 ou 20 entreprises comme, par exemple, la pénurie de personnel dans les postes de radio, pour ne citer qu'un exemple. J'en parle comme cela, c'est une rumeur publique; plus qu'une rumeur, c'est une espèce de constat.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Cette pénurie, cette pauvreté en argent et en capital humain...

M. DEMERS: Sans parler de la pauvreté des individus; de la pauvreté d'organisation.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Mais devant cette pauvreté dans le cas des entreprises de presse, des journalistes individuellement ou collectivement ou de notre société collectivement parlant... Est-ce que vous envisageriez, selon l'esprit qui anime votre mémoire, la participation financière de l'Etat à l'entreprise de presse aux fins d'atteindre ces objectifs que vous préconisez?

M. DEMERS: Faites une offre. Je ne peux pas faire autre chose que de juger sur pièce. Je ne sais pas du tout à quoi vous pensez.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Mettons en place tous les mécanismes dont vous parlez pour qu'il n'y ait pas de danger d'influence indue, etc. Est-ce que vous acceptez l'idée de subventions, par exemple, à des entreprises de presse qui seraient déficitaires ou qui n'auraient pas les moyens de donner une bonne information? Je parle, par exemple, au niveau régional. Est-ce que vous accepteriez l'idée de subventions gouvernementales à l'entreprise de presse?

M. DEMERS: Au niveau de l'idéalisme, au niveau de l'idée, je n'ai rien contre cette idée. Au niveau politique, je trouve cela dangereux.

M. TREMBLAY (Chicoutimi) : Si vous trouvez cela dangereux au niveau politique, il est assez difficile, à ce moment-là, d'accepter que vous demandiez à l'Etat de déclarer les entreprises privées d'intérêt public, puisqu'à partir du moment où une entreprise privée de presse sera déclarée d'intérêt public, elle sera juridiquement habilitée à demander des fonds au gouvernement. Comment conciliez-vous cela?

M. DEMERS: C'est un point d'information sur notre système juridique et législatif que je ne connaissais pas. Si c'est notre organisation juridique qui est telle, il y a peut-être moyen d'y faire des modifications.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je pense, M. Demers — on vous parle amicalement, remarquez bien que ce n'est pas un plaidoyer que je fais contre vous — que vous vous dérobez un peu. Je peux très bien vous dire que je ne connais pas non plus toutes les implications juridiques de toutes les lois, enfin la codification des lois du Québec. Je peux quand même avoir certaines idées sur des problèmes qui sont déjà touchés par des lois qui existent. Mais vous avez posé dans votre mémoire une sorte de principe, à savoir "une intervention de l'Etat qui permettrait de déclarer d'intérêt public, un entreprise privée". A partir de ce moment-là, moi, je vous dis, juridiquement, qu'une entreprise privée pourrait être habilitée à recevoir des fonds de l'Etat. Revenant au niveau des principes, éliminant les difficultés juridiques que vous évoquiez, est-ce que vous accepteriez l'intervention de l'Etat, à ce moment-là, sous forme d'aide financière?

M. DEMERS: Dès le moment où vous intervenez financièrement, vous intervenez aussi dans le jeu de la "free enterprise". Si vous intervenez pour remettre le contenu des media ou d'un certain nombre de media entre les mains des collectivités desservies, ce n'est pas du tout le même type d'intervention, à ce que je sache. Vous n'intervenez pas, à ce moment-là, au niveau de la "free enterprise", des profits de la concurrence financière et tout ça. Il s'agirait de définir les modalités de ces interventions.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Ce type d'intervention qui ne contrarierait pas ce qu'on appelle l'entreprise libre, l'entreprise privée, comment la concevez-vous en terme d'organisation de la presse, d'une entreprise de presse?

M. DEMERS: Qu'est-ce que vous voulez dire?

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Ce genre de journal idéal ou d'entreprise de presse idéale qui serait, en quelque façon, la propriété de vous, de moi, de toute la collectivité, comment en concevez-vous l'organisation?

M. DEMERS: La même qu'à l'heure actuelle, sauf que les décisions, quant au contenu de l'information, seraient remises, à un comité de gestion.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Puis la finance?

M. DEMERS: La finance est la même qu'aujourd'hui.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Alors la finance serait la même qu'aujourd'hui. Vous, M. Demers, vous investissez $1 million dans une entreprise de presse. Moi, je fais partie du comité de gestion et je prends des décisions à un moment donné qui vont compromettre vos investissements et ceux de vos partenaires de l'entreprise de presse. Comment concilier tout ça?

M. DEMERS: Cela dépend de l'ordre des décisions que vous prenez. Si vous prenez des décisions sur le contenu de l'information, je ne vois pas en quoi cela remet en question votre solidité financière.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): C'est ce que je voulais vous faire dire.

M. DEMERS: A moins qu'il y ait autre chose.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Supposons que ce conseil de gestion ne s'occupe que du contenu de l'information. C'est là une formule disons idéale, à défaut d'autres. Mais, comment conciliez-vous cette autorité qu'aurait le conseil de gestion sur le contenu de l'information et par ailleurs les intérêts bien évidents des messieurs qui investissent dans une entreprise de presse, pour qui investir, c'est poser un geste en vue de faire profiter l'argent, de lui faire faire des petits?

M. DEMERS: En quoi est-ce que cela remettrait en question l'expansion de l'entreprise et ses profits? Je ne vois pas très bien en quoi les décisions sur l'information, pour le type d'entreprise dont je parlais, rendu à un certain niveau de quasi-monopole, remettent en question la possibilité d'expansion des profits.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Vous me donnez une réponse qui m'amène à vous poser une autre question. Supposez que vous ou moi, nous nous lancions dans l'entreprise de presse, que nous y mettions de l'argent.

Outre les objectifs de rentabilité. On peut fort bien avoir l'intention, lorsqu'on lance une entreprise de presse, de promouvoir des idéaux sociaux, économiques etc, et cela est mon droit comme c'est votre droit. Or, si par un conseil de gestion comme celui dont vous parlez, l'éditeur, celui en somme qui est propriétaire d'une entreprise de presse, n'a pas d'autre chose à faire que de gérer l'entreprise, est-ce que vous ne le privez pas d'un droit qu'il a, lui, de promouvoir des idées par les moyens qui sont à sa disposition. Comme un parti politique a le droit de promouvoir des idées; il utilise de l'argent à ces fins.

M. DEMERS: Je pense que...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Tous les partis politiques en usent.

M. DEMERS: Je pense que j'ai bien précisé dans mon mémoire et tout à l'heure dans mon exposé qu'il y avait quand même deux niveaux. Je reconnais qu'effectivement le système ou l'organisation de liberté de la presse est non seulement une organisation pour permettre à quelqu'un de faire de l'argent avec l'information mais c'est aussi un instrument d'expression de ceux qui ont l'entreprise. Je le reconnais. Je souligne seulement que, rendu à un certain niveau de l'évolution structurelle des entreprises de presse, cela commence à poser un grave problème de démocratie quand il y a des situations de quasi-monopole. C'est à ce niveau que l'intervention du conseil de gestion m'apparaît nécessaire ou d'une formule analogue, de façon que, là aussi à ce niveau, une fois disparue la possibilité concrète pour d'autres d'avoir un instrument d'expression de même niveau et de même force, qu'on intervienne en remettant le contenu de médium unique à son niveau et qu'on le remette entre les mains de la communauté desservie.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Oui, cela est une formule idéale qui n'empêche pas l'existence des autres.

M. DEMERS: Bien oui. Quelles autres?

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Des autres formules qui existent actuellement.

M. DEMERS: Bien sûr. Dans la mesure où l'on reconnaît qu'à un certain niveau ou en deçà d'un certain niveau, un problème se pose. Et ce problème est qu'en situation de quasi-monopole, il n'y a plus vraiment cette espèce de concurrence des expressions qui existaient en dessous de ce niveau.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Ici, j'aimerais... Enfin, c'est toujours difficile parce qu'il faudrait, comme disent les philosophes, exemplifier votre théorie. Vous nous dites qu'en situation de quasi-monopole, il n'y a plus cette existence d'un service qui correspond à ce que vous décrivez comme étant l'idéal pour la communauté ou la collectivité. Cela peut être vrai, à certains égards, en certaines circonstances. Mais, de l'analyse que vous avez faite, de l'ensemble de nos media d'information et de la façon dont est traitée l'information, indépendamment des monopoles qui existent officiellement ou qui peuvent exister de façon occulte, est-ce que, selon vous, l'ensemble des journalistes du Québec à l'heure actuelle, indépendamment de l'existence de grandes entreprises de presse, financièrement puissantes, n'ont pas la liberté d'écrire ce qu'ils veulent, chez vous comme ailleurs, compte tenu de la faiblesse de certains moyens techniques etc.?

M. DEMERS: Si nous avions la liberté d'écrire ce que nous voulons, comment pourrions-nous faire de l'information? Comment pour-

rions-nous investir dans la recherche des faits? Dans les entreprises d'information — et c'est peut-être là la différence avec une entreprise d'opinion — c'est la recherche des faits qui compte, l'expression personnelle du journaliste étant une sourdine extrêmement secondaire. C'est notamment le cas des grandes entreprises de type monopolitique qui en même temps prétendent à une certaine forme d'objectivité et de recherche de l'information. Le journalisme au niveau de l'information n'est pas l'expression de soi-même. C'est une technique ou un art selon les catégories qu'on utilise.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Oui. M. DEMERS: C'est un métier.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Vous admettez avec moi qu'il faut quand même qu'il y ait des journaux qui fassent de l'information...

M. DEMERS: Bien sûr.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): ... et qui me disent qu'à Montréal, hier soir, il s'est passé telle chose et que, demain soir, il y aura telle autre chose, telle réunion à Québec ou ailleurs. Mais est-ce que vous voudriez que tous les journaux soient des journaux dits d'opinion, où la grande partie serait consacrée à l'analyse? Ou acceptez-vous qu'il y ait ce type de journaux dits d'information, un type de journal dit d'opinion, d'analyse? Ou acceptez-vous une formule mixte qui ferait que, dans les entreprises pour lesquelles vous travaillez, on vous donne des moyens techniques qui vous permettent d'accorder un traitement normal à l'information tout en vous laissant aussi la liberté de donner à ce journal une substance d'opinion qui nous le fasse considérer non pas simplement comme un bulletin de nouvelles mais bien une sorte de matière à réflexion? Quelle est votre position à ce sujet?

M. DEMERS: Dans la mesure où l'entreprise pour laquelle je travaille me permet l'expression de mes opinions, je suis intéressé — et c'est ce que je voudrais qu'on obtienne — à ce que non seulement les miennes mais celles d'à peu près tous les courants sociaux, par ses représentants ou autrement, soient représentées dans cette entreprise, si cette dernière exerce un quasi-monopole. Je ne suis pas du tout intéressé à m'exprimer si je suis le seul dans une entreprise qui a un quasi-monopole à m'exprimer. Cela m'apparaîtrait extrêmement dangereux pour la démocratie et vice versa pour les autres.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Comment pourriez-vous concevoir votre insertion dans une entreprise de presse qui vous permettrait une activité de la nature de celle que vous décrivez et que vous pourriez exercer sans danger?

M. DEMERS: Pour l'instant, le problème ne se pose pas puisque je suis essentiellement un technicien et un reporter, un analyste quelquefois, mais il faut bien s'entendre sur le mot analyse, c'est-à-dire la recherche par un processus intellectuel de certains faits. Cela ne va pas plus loin que cela. Mon pouvoir ne s'étend pas jusqu'à m'exprimer dans le journal Le Soleil. Il est donc possible d'imaginer une quantité considérable de techniciens dans une entreprise du type du Soleil qui se consacrent uniquement à la recherche des faits et d'autres individus qui expriment des opinions mais pour autant que ces individus soient nombreux et qu'ils expriment à peu près tous les courants d'une région et qu'ils aient une façon d'intervenir pour s'assurer — par exemple, le comité de gestion — que, effectivement, tous les grands courants sont représentés.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Oui.

M. DEMERS: Alors, dans la mesure où ce pouvoir de définition de la politique d'information appartient à un seul individu, il serait anormal que cet individu recherche l'expression de tous les courants y compris ceux qui lui déplaisent.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Vous pensez quand même à une sorte d'équipe dans le journal qui s'occuperait de tout cela.

M. DEMERS: Bien sûr.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je suis d'accord avec vous là-dessus.

Je ne veux pas abuser, parce que j'ai posé déjà pas mal de questions à M. Demers. Je le remercie beaucoup des réponses qu'il a bien voulu donner. Je crois que ce qu'il nous a dit est extrêmement intéressant et éclaire le mémoire qu'il a présenté. Alors, en ce qui me concerne, M. le Président, je remercie beaucoup M. Demers.

M. LE PRESIDENT: Je permets une courte question au député de Saint-Laurent, à condition que ce soit sur le même sujet.

M. PEARSON: C'est sur le même sujet, justement sur le point soulevé par le député de Chicoutimi lorsqu'il a mentionné le traitement donné, par exemple, â son chef dans un certain journal. Est-ce que ça ne viendrait pas du fait...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Remarquez que c'est bien accidentel.

M. PEARSON: Non, d'accord, mais je le prends comme exemple. Vous l'avez choisi.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je n'y attache pas plus d'importance qu'il ne le faut.

M. PEARSON: Mais est-ce que ça ne vient

pas du fait qu'un grand nombre de journaux sont plus ou moins engagés, tout comme, par exemple, Montréal-Matin l'a été en faveur de l'Union nationale un certain temps, tout comme c'est visible que le...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): On n'a pas pensé le contraire.

M. PEARSON: C'est peut-être pour ça que vous vous en êtes défait. Tout comme le Journal de Québec et le Journal de Montréal ont une certaine sympathie pour le Parti québécois, comme les journaux anglais de Montréal semblent en avoir pour le Parti libéral. Mais le point est celui-ci: Est-ce qu'on ne se rend pas compte qu'indépendamment de la volonté de certains journalistes qui peuvent essayer d'écrire des articles ou de soulever des points, le journal ne les publie pas, c'est-à-dire qu'il amplifie les âneries et les bourdes de certains partis ou de certains députés et qu'il ignore complètement les bons points qui pourraient être faits par d'autres? Alors, comment corriger ça? Est-ce que ça doit être corrigé et comment peut-on le corriger, indépendamment des questions de monopole?

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je pense que c'est une question que vous devriez poser à M. Demers, qui est un spécialiste, pas à moi. Moi, je suis un profane.

M. PEARSON: Il est certain qu'il y a des journalistes qui écrivent des articles et les articles sont complètement ignorés. Si la personne en question, si le journaliste, quelques jours plus tard, écrit un article qui montre dans quelles circonstances le député a été insignifiant, automatiquement, le même article non seulement va être publié, mais on va lui donner une certaine ampleur.

M. DEMERS: Voyez-vous, actuellement, il y a deux gros moyens utilisés par l'entreprise pour s'assurer que l'information et l'expression d'opinions vont aller dans le sens de ce qu'elle aime, c'est, d'une part, d'édicter une politique d'information et des règlements et c'est, d'autre part, le choix des hommes. Il est possible, dans la structure, qu'on choisisse, des hommes par exemple, pour être chef de pupitre — donc avoir le droit de publier ou de ne pas publier — pour être éditeur des nouvelles nationales — c'est-à-dire le droit de mettre en exergue, grossir quelque chose ou diminuer autre chose — puisqu'il s'agit de promotion pour ces individus de façon générale dans les entreprises, en fonction de ce qu'on pense que le gars est et qu'il va grosso modo dans la politique que l'entreprise veut avoir. Alors, il faudrait regarder dans chaque entreprise de quelle façon s'exerce le contrôle.

M. PEARSON: Mon impression franche et sincère vis-à-vis de ce problème qui en est un d'envergure, c'est qu'on rêve en couleurs si on croit éventuellement pouvoir corriger sensiblement ça, parce qu'il y aura toujours des gens, des propriétaires et des journalistes plus ou moins engagés. Il s'agit, d'après moi, d'essayer d'éviter le pire, mais corriger de façon que ça devienne très démocratique, je pense qu'on rêve en couleurs.

M. DEMERS: C'est votre opinion? M. PEARSON: C'est mon opinion.

M. VEILLEUX: Est-ce que vous croyez à l'objectivité complète, M. Demers, et des propriétaires de journaux et des journalistes?

M. DEMERS: Impossible. C'est même impossible dans les sciences physiques, alors pourquoi serait-ce possible dans les sciences humaines?

M. VEILLEUX: Non, je voulais vous le faire dire, parce que je pense que le problème réside là. Si le subjectivisme d'un propriétaire ou des propriétaires d'un journal ne correspond pas au subjectivisme d'un ou de quelques journalistes, c'est là que naissent les conflits. Prenez un exemple, parce que j'ai eu l'occasion d'assister, sur une invitation de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, à un congrès au CEGEP Edouard-Montpetit l'an passé.

J'ai constaté que des journalistes du Devoir, par exemple, n'étaient pas d'accord avec M. Ryan qui était au panel en avant, mais je n'ai pas rencontré de journaliste qui travaille à Québec-Presse en désaccord avec les propriétaires de Québec-Presse. Peut-être que, dans ce journal, les journalistes et les propriétaires ont une même idéologie et le subjectivisme est identique, tandis que vous arrivez dans d'autres média d'information où c'est différent.

M. DEMERS: Mais n'est-ce pas le rôle de la démocratie, d'une certaine façon, d'en arriver à un équilibre des subjectivismes en termes de présence, en termes de pouvoir, au lieu d'assurer la domination d'un subjectivisme sur les autres présences?

M. TREMBLAY (Chicoutimi): M. le Président, si vous me le permettiez, pour faire suite à la question qu'a posée le député de Saint-Jean, j'aimerais poser une question à M. Demers. Je ne suis pas d'accord en tous points sur ce qu'on peut dire ou ce qu'on peut penser — enfin, cela a été exprimé d'une façon un peu vague ici — sur la question du subjectivisme ou non. Grosso modo, d'une façon générale, nous travaillons tous de façon subjective. Mais lorsque nous sommes dans le domaine précis, strict de l'information, il peut fort bien n'y avoir aucun subjectivisme dans l'action de rapporter la nouvelle. Si, par exemple, vous avez été témoin

d'un accident ou d'un meurtre au coin de la rue, vous n'allez pas raconter que vous avez été témoin d'une scène d'amour. Vous allez dire: A telle heure, tel jour, tel endroit, M. Untel s'est rué sur M. Untel, l'a poignardé, paf ! , mort, à la morgue, fini. Si moi, j'arrive en Chambre, je fais une déclaration et je déclare: Le Gouvernement Bourassa n'a pas créé 100,000 emplois, vous ne me ferez pas dire le lendemain: Le gouvernement Bourassa a créé 100,000 emplois, quand j'ai dit le contraire. Alors, le subjectivisme ne joue plus au niveau de l'information. .A ce moment-là, vous me corrigerez. Ma déclaration sera peut-être subjective mais le journaliste qui la rapportera ne peut pas, lui, faire du subjectivisme ici. Je parle de celui qui rapporte strictement la nouvelle, ce qui s'est dit. Il est obligé de dire: Voici, M. Untel a dit ceci: "...".

Dans son commentaire sur l'analyse, il peut dire ce qu'il voudra, c'est son droit et là, le subjectivisme rentre en cause. Mais je ne suis pas d'accord pour dire qu'il n'y a pas d'objectivité du tout. A ce moment, je pourrais fort bien dire: Monsieur, vous n'êtes pas ici, devant nous, ce matin, alors que vous l'êtes et que vous vous défendez d'ailleurs avec beaucoup d'intérêt pour nous.

M. DEMERS: M. Veilleux avait demandé si une objectivité totale était possible. Je pense que les exemples que vous avez choisis sont des cas suffisamment clairs pour que les décisions et les choix soient relativement faciles à faire. Mais ce n'est pas toujours le cas et même dans ces cas, compte tenu des contraintes techniques, d'autres choix peuvent être faits. Par exemple, dans le cas de votre déclaration, si c'est la dixième fois que vous la faites en dix jours, cela...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): D'accord.

M. DEMERS: Si, par ailleurs, par rapport à la quantité totale d'espaces disponibles ce jour-là dans le journal en question, on a deux ou trois autres déclarations qui, elles, sont nouvelles, vous risquez que votre texte soit réduit à presque rien ou tout simplement qu'il soit reporté à demain.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je suis parfaitement d'accord avec vous qu'il faut quand même faire un choix. Si je répète invariablement, pendant dix jours de temps, la même chose, vous pouvez le rapporter une fois et après, dire: Un instant, il commence à radoter, c'est le même disque. Nous en entendons, nous aussi, des bobines répétées en Chambre et nous en faisons, nous aussi. Nous faisons la même chose.

Mais, ce que je voulais faire observer à mon collègue de Saint-Jean, c'est qu'il y a quand même, dans le domaine de l'information, une objectivité qui est stricte. Prenez, par exemple —ce n'est pas une question d'être subjectif ou objectif — si moi, comme reporter, délégué par mon journal, un grand journal, si vous voulez, favorable au Parti libéral comme le Journal de Montréal, je me rends à une assemblée du Parti québécois, j'arrive là et il y a 65 personnes. Le lendemain, je dis: Devant une foule de 400 personnes... A ce moment-là, monsieur, c'est du subjectivisme à un endroit où...

M. DEMERS: C'est non seulement du subjectivisme mais vous avez menti.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Oui, c'est juste. Or, des mensonges comme cela, nous en lisons tous les jours dans les journaux. Je veux l'objectivité lorsqu'on rapporte les faits. Le reste, les commentaires, des choux et des raves. Si je déclare que le gouvernement Bourassa est comme ci ou comme cela, vous rapportez ce que j'ai dit, point, si cela a de l'importance. Vous pouvez faire après cela tous les commentaires que vous voudrez.

M. DEMERS: Vous me permettez de mettre entre parenthèses...

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Cela ne me fait absolument rien.

M. DEMERS: ... votre affirmation à l'effet que des mensonges comme cela, on en voit tous les jours.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Oui, tous les jours.

M. LE PRESIDENT: Le député de Saint-Jacques.

M. CHARRON: M. le Président, depuis le début des séances de la commission, et en particulier depuis ce matin, nous recherchons, à partir du document présenté par M. Demers, le contrôle de l'information. Le débat latent se pose toujours à savoir si c'est, comme le dit une école de pensée là-dessus, majoritairement les propriétaires des entreprises, les monopoles, les gros financiers qui contrôlent l'information ou c'est comme une autre école, à l'opposé, qui trouve la latitude et la liberté laissées à la façon personnelle de voir, trop grande, d'un journaliste, ce contrôle de l'information lui appartenant désormais à cause de sa capacité par sa plume et par son vocabulaire de déformer —puisque le mot est employé — une situation, de mentir à l'occasion, comme on vient de le dire.

Je pense que le député de Terrebonne, qui a ouvert le débat, a voulu ramener cette question en la posant directement à M. Demers qui dit dans son texte que l'effet plus grand vient du propriétaire de l'entreprise en ce qui regarde le contrôle de l'information. Le député de Terrebonne a voulu ramener l'autre opposé. Et

pendant que j'écoutais la discussion et ensuite pendant les questions posées par le député de Chicoutimi, une question plus fondamentale m'est venue à l'esprit — je ne sais pas si elle l'est mais elle m'apparaît comme l'étant — et c'est celle-là finalement que je vous poserai. M. Demers, vous me permettrez de vous expliquer comment j'ai compris vos réponses et les intentions du député de Terrebonne. Je pense que la grande valeur de votre document déposé ce matin est le fait que vous posez le problème de la commercialisation de l'information. Je crois que c'est le facteur premier qui jouera dans la répartition de la qualité et du contrôle à l'intérieur de cette information.

Le facteur premier de la presse dans les pays comme le nôtre est qu'elle est un marché, un produit commercial et elle doit se vendre. Elle a comme premier effet — et vous l'avez très bien signalé — ce que vous appelez la massification. Je dis qu'un homme peut posséder une entreprise de presse pour deux raisons: La première sur laquelle je ne m'attarderai pas mais qui existe et dont on ne parle pas assez souvent, c'est pour des raisons purement politiques. Il y a des journaux qui sont déficitaires depuis des années et qui, si demain matin, on les mettait sur le marché, se trouveraient avec une série d'acheteurs incroyables. Comment expliquer autrement que par intérêt politique le fait de détenir une entreprise déficitaire et le fait que tant d'hommes se rendraient demain matin à la recherche d'un journal ou d'un quotidien, d'un hebdomadaire qui a une situation de monopole dans une région?

Je crois, M. le Président, qu'il y a des journaux, des entreprises de presse ou de radio et de télévision qui sont possédés non pas pour des raisons financières, parce qu'ils apportent un déficit, mais parce qu'ils ont un caractère de monopole dans une région, ce qui fait qu'ils deviennent à ce moment intéressants.

La deuxième raison pour laquelle on peut posséder une entreprise de presse est celle que M. Demers a mis en évidence dans ses réponses au député de Terrebonne. C'est évidemment pour la raison financière. C'est faire de l'argent avec cette entreprise. C'est un risque et le profit est au bout, à rechercher.

La massification est donc là. Il faut trouver la plus grande clientèle, il faut trouver pour ces gens-là le type d'information — je dis. bien le type d'information, parce qu'il y en a plusieurs — qui va rejoindre la plus grande masse possible, que ce soient des électeurs ou que ce soient des clients. Je dirais qu'il y a deux effets importants à cette massification. La première se fait dans l'esprit de l'employeur, dans l'esprit du patron. Ses critères quant à l'embauche de son personnel de journalistes vont être en conséquence. Il va rechercher le journaliste qui va répondre le mieux à la masse — pour reprendre l'expression que M. Demers a mise dans son document — celui qui va expliquer le plus simplement, celui qui ne complique pas, celui qui rapporte intégralement, fidèlement, sans commentaires, parce que c'est ce qui se vend, c'est ce qu'on mange.

Donc, quand des candidats à un poste de journaliste vont se présenter, il y a déjà un filtre de posé à l'effet que c'est une catégorie spéciale de journaliste qui est la plus rentable, soit politiquement, soit financièrement, selon les intérêts du propriétaire.

M. LE PRESIDENT: Le député de Saint-Jacques n'a pas l'impression qu'il devrait être de l'autre côté de la barre?

M. CHARRON: Pardon?

M. LE PRESIDENT: Vous n'auriez pas l'impression que vous devriez être de l'autre côté de la barre pour déposer votre mémoire?

M. CHARRON: Non. Je n'ai pas cette impression-là; j'ai l'impression que je vais le faire ici.

S'il doit chercher ce type de journaliste, cela ne l'empêchera pas, à un moment donné, d'engager des journalistes qui ont une plume très vive, qui sont connus pour avoir des opinions très personnelles et, à cet effet, de les laisser aller, parce que ça peut être aussi rentable d'avoir quelqu'un qui est remarqué dans son milieu pour ses idées personnelles et audacieuses, cela aussi peut devenir rentable. C'est pourquoi certains journaux vont littéralement courir après certains journalistes qu'on dit subjectifs. Le deuxième critère pour l'employeur, parce qu'il est à la recherche d'un marché, va être — vous l'avez signalé dans la réponse — dans l'affectation qu'il va faire de ses journalistes. Je pense que puisqu'il est à la recherche d'argent, il y a des moments où la publicité qu'il va mettre dans ses pages va être plus rentable que de couvrir un événement. Il y a un grand journal montréalais qui, le mercredi, peut être très volumineux mais c'est peut-être la journée de la semaine où il va comporter le moins d'information, l'espace étant pris par la publicité, "because" le marché au fond.

C'est un danger en même temps pour l'entreprise, je pense, que de laisser le critère financier déterminer complètement l'affectation des journalistes qu'elle fait. On ne couvre que ce que les gens veulent et les gens ne veulent que ce qu'ils connaissent. Ce qui fait qu'on reste toujours à l'intérieur du même jeu.

Je dirais que le deuxième effet de cette massification de l'information, la recherche du marché, se passe — c'est là que je voudrais répondre aux arguments du député de Terrebonne ce matin — aussi beaucoup plus qu'il ne pense sur le travail même du journaliste quel qu'il soit. Je pense que le phénomène dénoncé et regretté par plusieurs, et qui s'appelle l'autocensure des journalistes, est né de cette situation. Il sait lui-même, sans se le faire dire par personne, simplement par la boîte où il travaille

et en lisant lui-même le journal pour lequel il travaille, que ce journal est à la recherche d'une majorité, est à la recherche d'une masse de plus en plus grande et, sans qu'il se censure en enlevant des mots après avoir écrit un texte, la ponte même de son exte va en être marquée. Je pense que ce n'est pas porter atteinte à la réputation des journalistes, c'est chacun, et même à l'intérieur d'un parti politique c'est la même chose, parce que nous aussi recherchons une masse et une massification sans nous en appercevoir, très souvent, nous avons un filtre de nous-mêmes en sachant le genre d'entreprise auquel nous appartenons et que nous cherchons une masse, nous cherchons une majorité. L'autre critère a été habilement exposé par le député de Saint-Laurent ce matin, dans le travail du journaliste: parfois même sans s'en rendre compte, c'est l'élément sensationnel, l'élément vendable, l'élément "marketable" qui vont être mis en évidence. Et là, chacun d'entre nous, à son avantage ou à son désavantage, du côté de la table où l'on se trouve, pourrait dire que ce phénomène joue constamment contre lui, peu importe. Il est un phénomène qui joue pour ou contre nous. Le phénomène est que l'on va rechercher très souvent l'événement avec un grand E, le côté spectaculaire. Les partis politiques aussi recherchent le même marché.

On se rappellera lors du débat du bill 50, par exemple, l'événement qui est arrivé un soir où tout le monde était un peu surchauffé et qu'un député libéral et un député de l'Union nationale en étaient venus aux échanges verbaux. J'étais assez près de la scène pour dire que cela n'avait guère dépassé cette chose. J'avais été étonné le lendemain matin de voir comment les journaux avaient joué cet incident. Je ne parle pas simplement des journalistes ici, mais je parle aussi des titres, comme le démontrait le député de Saint-Laurent, qui avaient été joués, eux, dans les boîtes mêmes et je dis comment, finalement, au cours d'un long débat, cela va être la réaction brusque d'un député, ça va être une phrase plus vite lancée qu'une autre qui va finalement sortir. Le journaliste va être attiré â sortir ça parce que c'est ça qui se vend. Il faut qu'il ait quelque chose et c'est ça qu'on attend de lui dans l'entreprise de presse aussi pour qu'il soit un bon journaliste.

Le député de Chicoutimi a mentionné une autre chose qui, à mon avis, fait partie du fait que le journal est un produit commercial, c'est le choix des vedettes. Les partis politiques eux-mêmes s'en sont donné des vedettes. Nous-mêmes, nous nous donnons des structures, ce qui fait que nous voulons plutôt que ce soit tel homme qui parle en notre nom en lui donnant un poste bien précis plutôt que tel autre et nous nous donnons nous-mêmes ce qu'on appelle — et l'expression doit être prise à son sens le plus littéral — des porte-parole. Alors comment s'étonner, à ce moment, que les journalistes recherchent et créent eux-mêmes et vont retrouver ce que nous-mêmes nous leur tendons, soit des porte-parole. Il est important pour qu'un journal se vende qu'un bonhomme aitune image et vice versa, si nous nous en cherchons une, les journaux sont intéressés aussi à nous en donner une, parce que nous allons être vendables, un moment donné. Je pense que, M. le Président, après avoir fait ces remarques sur l'ensemble, la manière dont le conditionnement du journal, de l'information est fait par le fait que le journal est une entreprise d'abord et avant tout financière, cela fait que le débat porte sur bien autre chose, quant au rôle de la presse dans la société. Et c'est ça que j'aurais voulu retrouver à la fin de votre argumentation, M. Deniers. Sachant ça, même avec la structure que vous proposez et qui est discutable et intéressante, est-ce que le phénomène fondamental que j'ai essayé de décrire comme étant celui du fait que ça, ça doit se vendre dans les kiosques, quelle que soit la structure, que ce soit la vôtre ou celle que l'on connaît dans les entreprises de presse... Je vous dirai bien sincèrement qu'entre les deux je préférerais la vôtre parce je considérerais qu'il y a plus de chance avec ça; mais, est-ce que la loi du marché, la loi de l'offre et de la demande, la loi terrible du produit à écouler peut-être altérable au point qu'un conseil de gestion qui serait différent d'un autre ou une école de formation des journalistes qui serait différente d'une autre ou la culture d'un journaliste ou la spécialisation d'un journaliste ou la grande étendue de mémoire d'un journaliste, tous les phénomènes que la discussion de ce matin a permis de signaler... Tout cela devrait-il être corrigé et pour le mieux et devrions-nous nous appliquer à les corriger pour le mieux également? Le grand malaise de l'information n'est-il pas avant tout d'être un produit commercial et que cette nature lui impose des limites que nous ne pouvons pas... Je ne voudrais pas être pessimiste, c'est simplement pour retrouver à quel endroit il faut porter notre attention. Et je pense qu'une grande série des phénomènes dénoncés tiennent au fait que, que ce soit dans la façon de rapporter des événements ou que ce soit dans le choix des journalistes, le journal est un produit commercial. Peut-on changer ça, peut-on en faire autre chose?

M. DEMERS: Je ne crois pas qu'il soit possible par une formule comme celle que je propose ou n'importe quelle autre formule aussi partielle d'agir sur les moyens d'information de telle sorte qu'ils puissent renverser l'effet premier de la société de consommation-marché, c'est-à-dire la massification. Je ne crois pas que ce soit possible que cette formule devienne déterminante. J'ai cependant l'impression que, sans que ce soit déterminant pour l'ensemble de la société, un changement de formule de ce type permettrait à plus de monde d'embarquer dans un processus de décision qui est finalement déterminant pour la région.

M. CHARRON: Vous voulez dire que la

structure que vous proposez permettrait à plus de monde d'être à la recherche de la masse?

M. DEMERS: Si on veut.

M. CHARRON: D'accord. Vous ouvrez le combat à plus de gladiateurs. Mais le phénomène reste toujours qu'on est à la recherche d'une masse, que nous soyons des gens très différents à un conseil d'administration ou que nous soyons tous du même parti politique...

M. DEMERS: Oui, mais il faudrait peut-être corriger votre affirmation sur la recherche de la masse quand il s'agit d'une entreprise qui est déjà en situation de quasi-monopole et où véritablement il n'y a plus de concurrence véritable à son niveau.

M. CHARRON: Oui.

M. DEMERS: Alors, ce qui est recherché à ce moment-là, c'est une expansion interne, si on peut employer l'expression.

M. CHARRON: Oui, d'accord.

M. DEMERS: Le marché comme tel, voyons d'ailleurs les courbes statistiques sur la quantité de lecteurs, le marché pour les lecteurs reste sensiblement le même depuis dix ans quant à la somme totale, mais il y a une consommation interne qui est augmentée. Les gens achètent plus de journaux, mais le tirage n'a pas augmenté sensiblement. Des phénomènes comme cela font que, pour le type d'entreprise auquelle je m'attaquais — si on peut employer l'expression — le problème de ce courant déterminant de rechercher la masse et la commercialisation la plus étendue possible est peut-être moins déterminant à ce niveau qu'il l'est quand il s'agit de plusieurs entreprises concurrentes.

M. CHARRON: Et la situation de monopole qu'ont dans certaines régions certaines entreprises de presse ferait donc que cette loi de la recherche de la masse ne les affecterait plus puisqu'elles sont les seules?

M. DEMERS: Je ne dis pas que cela ne les affecte plus mais cela ne les affecte plus de la même façon.

M. CHARRON: En admettant cela, quelle que soit la structure juridique qui coiffe l'administration d'une entreprise de presse, est-ce que les critères d'embauche des journalistes, les affectations des journalistes aux événements à couvrir et ce que j'ai appelé tantôt le journalisme de masse, le journalisme pour consommation massive, l'idée de jouer les vedettes, de jouer des hommes, de s'intéresser à dix, douze ou quinze politiciens plutôt que 108, par exemple, l'idée de jouer des déclarations fortes comme titre, — ce sont tousdes phénomènes qui tôt ou tard un ou l'autre peut reprocher — est-ce que cela peut disparaître? Ou est-ce dans la nature même d'un journal que de le construire de cette façon? Prenons un exemple, si vous me le permettez.

M. DEMERS: Cela peut être temporisé, c'est tout ce que je peux dire.

M. CHARRON: Cela peut être temporisé...

M. DEMERS: ... selon les réactions du comité de gestion représentant une région donnée. Il est bien entendu que demain matin il n'y a pas de décision finale là-dessus qui peut être prise en ce sens qu'on peut inverser le processus demain matin. D'ailleurs, je me demande si finalement le processus global peut être inversé, mais il peut quand même être temporisé, être plus ou moins déterminant. Je pense notamment à un comité de gestion qui aurait entre ses mains l'embauche, les affectations et ces choses-là et qui pourrait graduellement, au fur et à mesure qu'il prendrait conscience du problème, mettre des touches, amoindrir certains effets, trouver des mécanismes. Autrement dit, c'est un processus de recherche, ce n'est pas un cataplasme.

M. CHARRON: Croyez-vous que cette dimension a été défendue comme elle devrait l'être par les syndicats de journalistes depuis le début?

M. DEMERS: Les syndicats de journalistes sont comme les autres organisations québécoises, c'est-à-dire qu'ils sont jeunes et ils n'ont pas une très forte tradition. Ils découvrent des choses au fur et à mesure.

Je ne peux pas dire qu'il y a dix ans ils auraient pu penser ce qu'ils pensent aujourd'hui.

M. CHARRON: Je crois que cette obligation qu'ont les journalistes et les entreprises de presse de revenir constamment à la moyenne, de rechercher ce qu'on appelle la "cloche" de la population et non pas ses extrêmes, l'amène à jouer à l'occasion des extrêmes pour se sensibiliser encore, aller chercher ce qu'il y a dans les extrêmes pour nourrir la masse de ces craintes ou de ces espoirs, cela dépend des positions que l'on veut jouer à ce moment.

M. DEMERS: Oui.

M. CHARRON: Croyez-vous que ce phénomène puisse disparaître ou puisse être temporisé? Est-ce que, par exemple, on va toujours jouer la violence dans les journaux comme on le joue constamment? Il y a à peu près un meurtre par jour et c'est toujours le journal de Québec qui l'a en première page.

M. DEMERS: Cela dépend de ce qu'on va

faire. Si on laisse filer les choses, cela peut continuer comme cela. De toute façon, cette loi de la moyenne peut être influencée par certaines formes de décisions, des décisions à découvrir.

M. CHARRON: D'accord.

M. VEILLEUX: J'aurais une dernière question.

UNE VOIX: Le député de...

M. VEILLEUX: J'ai déjà parlé. C'est à votre tour.

M. LAURIN: M. Demers, j'ai été intéressé par votre proposition de la création d'un conseil de gestion pour une entreprise de presse formé à partir d'éléments de la communauté. Je pense que c'est la première fois qu'on entend parler d'une suggestion comme celle-là et si elle était appliquée, on voit tout de suite quels effets cela pourrait donner. Je voulais vous demander si cette proposition s'inspire chez vous uniquement d'un souci de démocratisation, de participation du public qui est le consommateur, l'usager ou si cela s'inspire aussi de votre expérience de journaliste, expérience qui vous a amené à conclure qu'il y avait des pressions, d'autant plus fortes qu'elles sont silencieuses, qui s'exercent d'une façon directe ou indirecte sur les journalistes de la part des propriétaires de journaux, d'une part, ou des influences indirectes qui s'intéresseraient à influencer les propriétaires de journaux à partir des milieux politiques ou financiers pour gauchir la politique du journal dans le sens de leurs intérêts particuliers?

M. DEMERS: Dans la deuxième partie de votre question, celle qui traite de mon expérience ou de ma découverte des phénomènes, il y a deux parties et la première, celle qui...

M. LAURIN: Je ne parle pas de votre expérience personnelle mais de votre expérience de journaliste qui cause avec ses confrères, qui fait ses propres constatations.

M. DEMERS: Oui. Je pourrais caractériser certaines découvertes par des faits que tout le monde connaît. La montée créditiste quand elle s'est produite n'avait pas été prévue.

M. DROLET: Nous l'avions prévue.

M. DEMERS: Bien sûr, vous autres, vous l'aviez prévue. Mais dans les journaux et les media d'information, cela n'avait pas été prévu ce qui, à mon sens, indique assez clairement qu'il n'y avait pas de mécanisme de prévision des courants sociaux dans les entreprises de presse.

La même chose en ce qui concerne la crise d'octobre; je ne veux pas entrer sur le bien-fondé; il y a quand même des choses qui auraient pu être prévisibles là-dedans. Mais ce n'était pas le cas. Ce qui indique des ratés dans l'organisation et, à mon sens, qui indique, par exemple, que certains milieux vivent sans que les convulsions qu'ils vivent apparaissent au niveau des media d'information. C'est la première partie.

Quant à la deuxième, sur les pressions qui peuvent s'exercer au niveau des dirigeants des entreprises, les seuls témoignages que je pourrais apporter seraient confidentiels, pour ce que je sais. Pour le reste, je pense qu'il est évident que les dirigeants des entreprises ont des sympathies. C'est normal; tout le monde a des sympathies et des antipathies. C'est le cas au Soleil, à la Presse, partout. Tout le monde a des sympathies et ces sympathies, on les voit quand on côtoie ces gens dans les cocktails. Je pense que c'est accessible à tous ceux qui fréquentent les gens bien de la société, de voir que ces gens ont des sympathies.

M. LAURIN: A votre connaissance, est-ce que cela se manifeste, par exemple, non seulement dans l'expression d'éditoriaux, qui pourraient être dictés par ces pouvoirs, mais dans les politiques du journal, les règlementations, les nominations, les promotions, l'embauche, la critique, la censure et deuxièmement, est-ce que cela vous apparaît plus important comme poids que les excès qu'on peut reprocher aux journalistes dont certains députés se faisaient les échos ce matin?

M. DEMERS: Certainement. Cela me parait déterminant.

M. LAURIN: Déterminant.

M. DEMERS: Même des excès. Pour souligner rien qu'un fait, la volonté de commercialisation des postes de radio et peut-être la découverte, par les membres du FLQ, de la concurrence entre les postes de radio à Montréal, expliquent peut-être certains des excès auxquels se sont livrés ces postes de radio.

M. CHARRON: Je vous pose la question qui suit la sienne. Vous venez de répondre affirmativement à l'effet que les pressions émanant des sympathies que peuvent avoir les dirigeants des entreprises se font sentir. Les sympathies politiques, dans le sens large, les sympathies quant à leur conception de la société, sont-elles plus importantes dans la réglementation, dans l'affectation, dans les critères d'emploi que les lois du marché sur lesquelles je vous invitais à parler tantôt?

M. DEMERS: Cela dépend des entreprises. Il y a des entreprises qui fonctionnent à perte,

comme vous le soulignez, et il y en a d'autres qui visent surtout la commercialisation. Alors, pour faire le partage entre les deux, il faudrait regarder chaque cas.

M. VEILLEUX: Admettons que dans un journal le propriétaire vise la commercialisation. Vous dites dans votre mémoire que ce propriétaire est soumis à certaines forces, notamment la publicité. Advenant le cas où il y aurait, à l'intérieur de ce journal qui vise la commercialisation, un comité de gestion, comme vous le mentionnez, qui fait abstraction du côté publicitaire, qui ne veut pas subir les forces fantasmagoriques qui tournent au-dessus de ces gens, des mauvais propriétaires de journaux, etc., et que ce comité se détache de tout cela, ne croyez-vous pas qu'à un certain moment les gens n'annoncent plus dans le journal et que le journal ferme ses portes?

Qu'est-ce qui arrive au fameux comité de gestion et aux journalistes en question?

M. DEMERS: Je pense que votre position est très théorique. En pratique, des hommes dans un comité de gestion sont en position eux aussi pour faire des compromis avec la publicité.

M. VEILLEUX: Alors, eux aussi subiront...

M. DEMERS: C'est le niveau des compromis qui va changer.

M. VEILLEUX: ... l'influence de la force en question.

M. DEMERS: Bien sûr.

M. VEILLEUX: Bon, d'accord.

M. DEMERS: Comme l'influence de leur propre subjectivité.

M. VEILLEUX: D'accord.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Si vous me permettez, M. Demers; je vous ai interrogé, au sujet des paragraphes de la page 6 et de la page 12 de votre mémoire au sujet de ces influences politiques, rapport annonceur, fournisseur d'argent, etc. Je vous ai demandé — ce sont les pages 6 et 10 — de... Reprenant le terme que j'utilisais, j'ai dit: Pouvez-vous exemplifier cela? Et vous ne m'avez pas donné d'exemple. Je ne vous demandais pas de dire: M. Untel a fait ci, M. Untel a fait ça. Mais vous venez tout à l'heure de donner au député de Bourget des exemples en disant que cela a pu avoir des influences, qu'à votre connaissance — si je ne m'abuse — cela a eu des influences sur des nominations, des promotions, etc. C'est ce que je voulais savoir tout à l'heure. Pourquoi n'avez-vous pas répondu à ma question?

M. DEMERS: Je ne crois pas avoir donné d'exemple cette fois-ci non plus.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Vous venez d'en donner au député de Bourget.

M. DEMERS: Peut-être que j'avais mal compris votre question. J'avais l'impression que vous vouliez que je vous donne des exemples concrets.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Non, je voulais...

M. DEMERS: Ce sont quand même des exemples théoriques que j'ai donnés au député.

M. TREMBLAY (Chicoutimi): Je vous avais précisé que je ne voulais pas avoir d'exemple personnel.

M. DEMERS: Ah bon! Si ce n'était que cela, je m'excuse d'avoir mal compris le sens de votre question.

M. LE PRESIDENT: Le député de Bourget.

M. LAURIN: Est-ce que vous préconisez un conseil de gestion du genre de celui que vous proposez uniquement pour les journaux qui sont en situation de monopole ou pour des journaux qui sont quotidiens, des journaux qui sont importants ou si vous le préconisez d'une façon générale pour tout journal qui se prétend un journal d'information?

M. DEMERS: Je pense que j'opterais pour la deuxième version, mais à ce moment, il s'agirait d'établir des critères techniques très précis. Je ne me suis pas aventuré...

M. LAURIN : Donc, vous le préconiseriez d'une façon générale pour...

M. DEMERS: Pour toute entreprise de presse qui se prétend d'information d'abord.

M. LAURIN: Est-ce que vous le préconisez uniquement dans ce souci de démocratisation et de participation dont je parlais tout à l'heure ou pour d'autres impératifs qui tiennent à d'autres principes dont vous n'avez pas parlé dans votre mémoire? Est-ce que c'est uniquement parce qu'il s'agit d'information, par exemple, parce qu'il s'agit de la vérité, parce qu'il s'agit de l'objectivité, parce qu'il s'agit de la culture?

M. DEMERS: Je ne saisis pas très bien le sens de votre question, mais ce que je répondrais à cela...

M. LAURIN: Est-ce qu'il s'agit uniquement d'équilibrer les groupes de pression qui peuvent vouloir infléchir l'opinion dans le sens de leurs intérêts ou si vous vous placez d'un point de vue plus élevé comme, par exemple, la nécessité d'apporter une information vraie, une information, également, qui a une importance dynami-

que sur une culture en train de se faire, de se revitaliser constamment dans un pays?

M. DEMERS: Exactement. A un premier niveau, il y a une préoccupation de démocratiser les choix quant au contenu de l'information et au second niveau, cette démocratisation m'apparaît importante pour qu'on ne passe pas sous silence des courants sociaux qui, parce que passés sous silence, ne peuvent trouver comme expression que l'explosion à un certain moment. Cela me paraît une façon de coussiner un développement ou une marche en avant d'une société.

M. LAURIN: Donc, un certain rôle de prospection qui n'est pas joué actuellement par vos organes d'information.

M. DEMERS: Oui, c'est cela.

M. LAURIN: Un essai de coller davantage et toujours de plus en plus près à une réalité mouvante.

M. DEMERS: Bien sûr.

M. VEILLEUX: A ce moment, si le journal ne joue pas le rôle que vous mentionnez, c'est de connivence avec les journalistes à l'intérieur de ce journal. Je n'accepterais pas, de toute façon, de travailler pour un patron qui serait continuellement au-dessus de moi pour m'empêcher de poser tel ou tel geste que je juge essentiel, comme vous dites, pour le développement de la société. Un journaliste qui essaie de jouer ce rôle... Je ne sais pas, mais je ne serais pas capable de faire cela.

M. DEMERS: M. Veilleux, dans les entreprises de presse, il est très rare que le patron soit lui-même omniprésent.

M. VEILLEUX: Non, mais il l'est via les gens que vous mentionniez tout à l'heure qu'il nomme à des niveaux d'administration.

M. DEMERS: Bien sûr. Mais comme tout le monde, un simple employé compose.

M. LAURIN: M. le Président, j'aurais une dernière question à poser à M. Deniers. Est-ce que selon votre expérience, les exemples d'autocensure dont on a souvent parlé dans la presse constituent une conséquence toute naturelle d'un processus de censure directe ou indirecte exercée par les cadres supérieurs d'une entreprise de presse à l'endroit des journalistes?

M. DEMERS: A long terme, certainement.

M. LAURIN: Pourriez-vous expliciter un peu plus votre expérience?

M. DEMERS: Supposons quelqu'un qui n'est pas encore journaliste qui entre dans une entreprise de presse comme journaliste, il apprendra par le sourire ou par la face de bois de ses supérieurs immédiats dans quel corridor il doit marcher. Cela peut aller plus loin que cela. Cela peut aller jusqu'à des coupures de salaire, des mises en pénitence, des jobs salopes — excusez l'expression — qui vont lui être données.

Il y a toutes sortes de techniques, de moyens, enfin, tous les moyens de dressage qu'on utilise dans la pédagogie habituelle.

M. VEILLEUX: Ce sont eux les maîtres vis-à-vis des élèves.

M. DEMERS: Bien sûr! D'une certaine façon, c'est inévitable et c'est ce que je souligne implicitement dans mon mémoire. C'est inévitable. Tout le problème est de savoir qui va décider de l'orientation de ce dressage. Le dressage est inévitable, mais qui va décider de l'orientation du dressage?

M. VEILLEUX: Vous suggérez que ce soit le gouvernement par une loi qui règle ce problème-là?

M. DEMERS: Je suggère que le gouvernement donne aux communautés régionales, locales et mêmes nationales, les instruments pour que ces communautés décident de l'orientation de ce dressage.

M. VEILLEUX: Quel instrument?

M. DEMERS: L'instrument que j'ai proposé comme ça, pour avancer à quelque chose, c'est un conseil de gestion.

M. LAURIN: Est-ce que le conseil de presse dont on a parlé récemment, qui a été fondé, pourrait constituer, selon vous, un organisme qui pourrait surveiller d'une façon réaliste, efficace, ce dressage, pour l'empêcher ou l'atténuer?

M. DEMERS: Absolument pas. M. LAURIN: Pour quelle raison?

M. DEMERS: C'est un organisme qui, de par sa taille et de par sa présence, va pouvoir s'occuper de quelques cas exemplaires, maris quand il aura fait quelques cas exemplaires par année, pour le reste, les interventions, quand cela se joue hebdomadairement dans chacune des entreprises, il n'y a pas moyen...

M. LAURIN: Est-ce qu'un organisme genre collège professionnel pourrait constituer cet organisme?

M. DEMERS: Là, non plus, à mon sens. Il y aurait toujours cet aspect de défense des intérêts du groupe lui-même. Je pense qu'on peut

très bien voir que les collèges professionnels du type corporatisant finissent finalement par être inefficaces, excepté sur quelques cas exemplaires là encore. Pour l'ensemble, l'instinct de préservation du groupe est plus fort que le reste.

M. LAURIN: Est-ce qu'il y a un groupe communautaire quelconque à qui on pourrait assigner cette fonction?

M. DEMERS: J'avais pensé à la structure des conseils régionaux de développement ou quelque chose comme ça, pour autant que cette structure existerait encore et qu'elle serait prise au sérieux ou valorisée par le gouvernement.

M. LE PRESIDENT: Les parlementaires vous remercient d'avoir déposé votre mémoire et d'y avoir apporté les suggestions qu'on y retrouve. Merci également de vous être prêté si aimablement à toutes les questions venant de ce côté-ci.

Messieurs, la commission ajourne ses travaux jusqu'au 20 septembre prochain à 10 heures du matin.

M. VEILLEUX: Nous entendrons ceux qui ont fait le travail sur le secret professionnel, le doyen de la faculté de droit, Me Hubert Reid, et Kathleen Beausoleil.

(Fin de la séance à 12 h 28)

Document(s) related to the sitting