(Neuf heures trente-trois minutes)
Mme David (Gouin) : Aujourd'hui,
grand jour pour moi et pour Québec solidaire : début des auditions sur le projet
de loi n° 494, Loi voulant protéger les locataires aînés des évictions. Un
jour très positif pour la démocratie, puisque ce projet de loi est déposé par
un parti d'opposition, par Québec solidaire, et se rend jusqu'à une commission
parlementaire, ce qui est extrêmement rare. J'en profite pour saluer une fois
de plus le travail de collaboration qui a été fait depuis un an et demi maintenant
entre le ministère, le ministre de l'Habitation et moi, et Québec solidaire,
avec aussi la collaboration des autres oppositions. On en est à la deuxième
mouture d'un projet de loi pour protéger les locataires aînés, pauvres et/ou
handicapés de l'éviction, mais cette deuxième mouture vraiment est améliorée par
rapport à la première. Et on pense que, cette fois-ci, c'est la bonne.
Alors, de quoi est-ce qu'il s'agit? D'un
tout petit projet de loi, deux articles seulement. Ce qu'il dit, ce projet de
loi, c'est que, si une personne est âgée de 65 ans et plus, si elle est à
faibles revenus ou qu'elle est une personne handicapée, elle ne pourra être
évincée de son logement à moins que son propriétaire ne lui trouve un logement
équivalent dans un certain rayon, sept kilomètres en général, cinq kilomètres à
Montréal, donc un certain rayon à partir du logement qu'elle habite déjà.
Mon intention est claire, je ne m'en suis jamais
cachée et je continue de le dire : Je veux éviter au maximum ces
évictions. Est-ce que ça les empêche totalement? Non, puisqu'un propriétaire
qui y tient vraiment, qui veut reprendre possession de son logement, soit pour
un membre de sa famille, soit pour agrandissement et subdivision, pourra le
faire, mais il devra trouver un logement équivalent et répondant aux besoins de
la personne aînée, donc, dans un certain périmètre.
Pourquoi est-ce que j'ai déposé ce projet de
loi? C'est bien simple, c'est que dans mon bureau de comté et dans d'autres
bureaux de comté, surtout dans les quartiers centraux des grandes villes au
Québec, on reçoit des personnes âgées, parfois de 80 ans et plus, qui vivent
dans un logement 20, 25, 30 ans et qui, du jour au lendemain, se font
dire : Vous devez déménager, parce que je veux reprendre pour un membre de
ma famille ou parce que je veux agrandir et subdiviser, et, dans certains cas,
c'est bien pire, parce que c'est un nouveau propriétaire, il vient d'acheter,
il veut rentabiliser l'immeuble, il veut faire ça en copropriétés indivises, et
puis après, il va se transformer en condo. Ils vont revendre des logements, ils
vont faire beaucoup de profits. Ce genre de spéculation se fait dans mon comté
et se fait dans d'autres quartiers de Montréal.
Mais qu'est-ce que ça veut dire, pour une
personne aînée de devoir déménager? C'est ça, la question importante. Et
pourquoi j'accorde de l'importance au fait que là, là, on parle des aînés?
Bien, c'est que, souvent, les aînés... ce sont beaucoup des femmes, d'ailleurs,
des femmes à faibles revenus, des femmes seules, elles habitent depuis
longtemps dans un logement, donc le coût du loyer, tout en ayant augmenté au
fil des ans, demeure raisonnable, et là cette personne va devoir se trouver un
autre logement, et on sait que le prix des loyers à Montréal a augmenté de plus
de 35 % dans les 10 dernières années. Alors, ça va être,
premièrement, difficile pour elle au plan économique, mais,
deuxièmement — et ça, c'est très important pour moi — un
déménagement, pour une personne aînée, est toujours un drame. C'est un
déracinement, c'est la perte des réseaux sociaux, c'est la perte de services de
santé et de proximité auxquels elle était habituée, de services de maintien à
domicile qui étaient donnés chez elle. C'est un chambardement majeur de sa vie.
Et on sait que, dans certains cas, ça apporte réellement des problèmes de santé
physique et psychologique. Alors, dans un but de protection des aînés, j'ai
donc déposé le projet de loi n° 492.
Je rappelle encore une fois que ce projet
de loi ne couvre que les personnes aînées à faibles revenus et/ou handicapées,
qui ont un problème de handicap. Donc, il ne s'agit pas de couvrir l'ensemble
des aînés, y compris des aînés qui peuvent être très à l'aise, mais qui sont
souvent, dans ces cas-là, propriétaires.
On me demande souvent combien il y en a,
combien il y en a, d'aînés qui, comme ça, ont été évincés malgré eux, malgré
elles et qui en ont beaucoup souffert? Moi, je ne peux pas donner de chiffre
global, parce que, comme la plupart du temps, les aînés ne vont pas à la Régie
du logement, ces chiffres sont inconnus. Je peux juste dire que dans mon comté,
depuis trois ans, c'est arrivé à au moins une vingtaine de reprises qu'on a eu
à traiter des situations de personnes aînées. Il n'y en aurait que quelques
dizaines, quelques centaines au Québec qui sont à risque d'éviction et qui sont
des personnes qui vivent depuis longtemps dans un logement, des personnes
pauvres, des personnes seules et/ou souvent des personnes handicapées, bien ça
vaudrait la peine quand même. Ça vaut toujours la peine, passer un projet de
loi, même s'il s'agit de le faire pour une petite minorité de gens, quand ça
rend service aux gens.
Alors, Mme Dufour, qui est ici, est une
locataire qui a donc été évincée de la sorte de son logement du
Plateau—Mont-Royal et elle est un parfait exemple des difficultés qui sont
vécues. Elle va donc vous en dire quelques mots.
Mme Dufour (Liliane) : Eh
bien, bonjour. Moi, j'habitais un appartement depuis 14 ans. C'était chez
moi. C'était dans mon quartier, près de chez mes soeurs. J'ai quatre soeurs qui
sont malades, je vais les voir très souvent, des amis, la bibliothèque, le
médecin. Je suis près de tout ça. Mais maintenant, je ne le suis plus parce
qu'on m'a chassée de chez moi, on m'a garrochée dehors. C'est ça qui est
arrivé. Et ce que j'ai pu trouver, c'est quelque chose à 300 $ de plus que
ce que j'avais parce que ça faisait 14 ans que j'allais voir souvent la
régie des loyers, je contestais.
Première des choses, ça me coûte
300 $ de plus. Je suis loin de toute ma famille, de tous mes amis, de tout
ce que je connaissais parce que j'ai vécu là presque toute ma vie, sur Le
Plateau, j'y suis née. Et maintenant, bien, je me vois encore en train de
contester. Ce que Mme David dit, ça m'aiderait beaucoup. J'aimerais
beaucoup qu'il y ait cette loi. J'aurais voulu la garder, cette maison-là,
c'était l'endroit idéal pour moi. J'avais cherché auparavant pour la trouver,
parce que, dans Le Plateau, c'est très difficile à trouver, des appartements à
un prix équitable, disons, modeste, parce que tout, en l'espace de 14 ans,
maintenant, j'ai revisité les appartements, essayé de m'en trouver d'autres, et
c'est augmenté d'une façon incroyable. C'est rendu dans les 1 200 $,
1 300 $, 1 400 $ et plus. Pas moyen de m'en trouver.
J'ai donc dû partir, aller dans
Hochelaga-Maisonneuve. J'aime bien les gens du quartier, mais ce n'est pas chez
moi et je veux encore repartir. La maison où j'habite, ce n'est pas celle que
je veux habiter. Je cherche quelque chose, encore une fois, sur Le Plateau, à
mon niveau à moi, près de ma famille, près de mes amis et près des médecins, et
tout. Voilà. Merci, Mme David, d'essayer de nous aider.
Mme David (Gouin) : On
travaille fort pour ça.
Mme Dufour (Liliane) : Oui,
merci.
Mme David (Gouin) : Alors,
écoutez, le souhait que j'ai, je le dis bien clairement, là, on va écouter
pendant deux jours, essentiellement, des associations de propriétaires, des
associations de locataires, des regroupements d'aînés et quelques autres
groupes. Après, il y aura l'étude article par article. Je souhaite qu'on
continue de travailler, M. Moreau et moi, dans le même esprit de
collaboration, avec l'appui de Mme Poirier du Parti québécois, qui est là
depuis le début. J'espère qu'on aura aussi l'appui de la Coalition avenir
Québec. Je voudrais que ce projet de loi soit adopté, y compris les règlements,
avant les fêtes pour qu'il puisse être mis en application le 1er juillet
prochain, le 1er juillet 2016. C'est souvent la date fatidique à
laquelle les gens doivent partir de chez eux. Donc, j'espère que nous allons
continuer dans la même excellente direction.
M. Bellerose (Patrick) :
Bonjour, Mme David.
Mme David (Gouin) : Bonjour.
M. Bellerose (Patrick) : Si
Mme Dufour n'a pas réussi à trouver un appartement à un prix similaire
dans un rayon de cinq kilomètres, qu'est-ce qui vous fait croire que le
propriétaire pourrait trouver un appartement?
Mme Dufour (Liliane) : Mais,
qu'il me remette dans mon appartement, qu'il le répare et que je retourne.
Mme David (Gouin) : Mais
j'ajouterais qu'à Québec solidaire on a fait une concession importante dans
tous les débats autour du projet de loi. Donc, si le projet de loi est adopté,
le propriétaire peut effectivement chercher un logement dans un rayon de cinq kilomètres.
Je fais tout de suite ici une admission : avec cinq kilomètres, on
déborde, dans le cas de Mme Dufour, du Plateau—Mont-Royal. C'est un fait.
Donc, ça veut dire que le projet de loi ne lui aurait pas nécessairement permis
de rester sur Le Plateau.
Par contre, le projet de loi, en
introduisant une obligation pour le propriétaire de tout de même trouver un
logement équivalent et qui répond aux besoins de Mme Dufour dans un rayon
de cinq kilomètres, ce qu'il vient dire, le projet de loi, aux propriétaires,
c'est : Écoutez, là, laissez donc faire. Parce que je le sais, que ce ne
sera pas facile si on parle d'un prix équivalent. «Équivalent» ne veut pas dire
«pareil», «semblable», «identique», hein? «Équivalent» veut dire... on peut
parler d'un plus ou moins 10 %, 15 %, là, bon. Et «équivalent» ne
veut pas non plus dire : si une personne était dans un six et demi, et là
elle est aînée et seule, il faut absolument lui
trouver un six et demi. Ça peut être un trois et demi si la personne est
devenue seule et ça répond à ses besoins. Tout ça, si le propriétaire, le ou la
locataire ne s'entendent pas, c'est évident, évidemment, à la Régie
du logement que va revenir la prérogative de trancher.
Donc, il y a une espèce d'équilibre dans
tout ça. D'une part, on n'interdit pas l'éviction, mais d'autre part, on la
rend plus difficile. On dit aux propriétaires : Vous voulez vraiment
évincer une personne âgée, là, vraiment, vous voulez faire ça, là? Bien vous
allez vous forcer puis vous allez tenter de lui trouver un logement équivalent
qui correspond à ses besoins dans un rayon de cinq kilomètres. Puis, si vous
n'en trouvez pas, bien madame, elle va rester chez elle parce qu'elle est chez
elle, dans le cas de Mme Dufour, depuis 14 ans.
Moi, j'ai rencontré des personnes âgées de
85 ans qui étaient dans le même logement depuis 30 ans. Alors, vous
imaginez le drame que c'est de devoir partir de chez soi, drame qui est moins
vécu quand il s'agit d'étudiants, par exemple, dont la vie est par essence un
peu nomade. Mais, quand on est une personne de 75, 80, 85 ans, ce n'est
pas du tout la même chose.
M. Bellerose (Patrick) : Est-ce
que la location d'un appartement est un droit?
Mme David (Gouin) :
Certainement. Et là j'ai lu les mémoires des associations de propriétaires qui
vont venir aujourd'hui. En fait, ce qu'eux disent, c'est : On est dans un
marché privé, et les propriétaires de logements sont des propriétaires privés,
et le droit de propriété privée, c'est un droit qui est reconnu au Québec, oui,
mais le droit au maintien dans les lieux, c'est aussi un droit reconnu au
Québec, le droit au logement, c'est aussi un droit reconnu au Québec. Et depuis
30 ans, le législateur, par tous les aménagements qui ont été faits, là,
aux lois qui régissent le logement, a tenté de maintenir un équilibre entre les
droits des propriétaires et les droits des locataires. Moi, je m'inscris exactement
dans cette logique-là.
Oui, les propriétaires, théoriquement, ont
le droit d'évincer un ou une locataire dans le cas d'agrandissement,
subdivision ou reprise de loyer pour un membre de la famille. Oui, ils ont ce
droit, mais nous pouvons, comme société, décider que le droit au logement,
particulièrement pour une personne aînée vulnérable, c'est un droit dont on
doit aussi tenir compte. C'est vraiment une question d'équilibre.
Et là vous verrez, dans les deux
prochaines journées d'auditions, que, bien sûr, les propriétaires nous disent
que l'équilibre, franchement, est du côté des locataires, et les associations
de locataires, qui vont davantage venir mardi prochain nous rencontrer, vont
nous dire qu'au contraire les propriétaires ont le gros bout du bâton. Alors,
il faudra, dans tout ça, que nous, comme législateur, nous cherchions un
équilibre.
M. Bellerose (Patrick) : Vous
avez parlé d'une deuxième mouture et la question de cinq kilomètres. Est-ce
qu'il y a d'autres modifications qui ont été apportées par rapport à la
dernière mouture?
Mme David (Gouin) : Oui, on a…
Je ne veux pas rentrer dans des détails trop techniques, mais on a surtout
clarifié des termes, en fait. On a enlevé la notion de personne vulnérable, qui
n'existait juridiquement nulle part au Québec. On a clarifié de quelle façon
allait être calculé le faible revenu des gens, que les personnes vivant avec un
handicap… Toute la définition de personne vivant avec un handicap, c'est déjà
présent dans les lois québécoises. En fait, on a fait un travail
essentiellement technique.
J'ai dû faire des concessions. La plus
importante, c'est effectivement le rayon, le kilométrage. On peut permettre au
propriétaire de chercher jusqu'à combien de kilomètres du loyer initial. Moi,
j'aurais souhaité que ce soit dans le même arrondissement. Un arrondissement,
entre autres, à Montréal, c'est déjà assez grand, il faut que je vous le dise.
Mais finalement, on a dû s'ajuster parce qu'il y a des villes populeuses au
Québec, de plus de 100 000 habitants, qui n'ont pas d'arrondissement.
Alors, vous savez, c'est un certain nombre
de détails techniques. Je vous dirais que la concession la plus importante que
j'ai faite, c'est le périmètre. Mais, par contre, le ministre a accepté que, si
c'était à sept kilomètres du loyer initial partout au Québec, que ce soit à
cinq kilomètres à Montréal et dans les limites de la municipalité de Montréal.
Parce que, sinon, là, on se serait retrouvés avec des gens de Montréal qui
auraient été obligés d'habiter de l'autre côté du fleuve, du côté nord ou sud.
On a fait des compromis de chaque côté, puis c'est comme ça qu'on en arrive à
un projet de loi assez consensuel.
M. Bellerose (Patrick) :
Merci.
Mme David (Gouin) : Merci à
vous.
(Fin à 9 h 48)