(Treize heures trente et une minutes)
Mme David (Gouin) : Mesdames,
messieurs, bonjour. On commence une semaine importante à l'Assemblée nationale,
début de la commission parlementaire sur le projet de loi n° 10, le projet
de loi qui se veut une grande réforme du ministre de la Santé et des Services
sociaux. Et, chose très intéressante, au moment où on commence à faire des
débats sur ce que, moi, j'appellerai plus une contre-réforme qu'une réforme,
mais qui est quand même un grand dérangement et un grand bouleversement dans
les services sociaux et de santé, tout ça soi-disant pour rapprocher les
services des citoyens, que nous disent les citoyens? Un sondage, dont j'ai pu
obtenir copie il y a à peine quelques minutes, un sondage Léger & Léger
commandé par l'Institut du Nouveau Monde sur la question des inégalités
sociales au Québec nous apprend vraiment des choses intéressantes et nous dit
que veulent nos concitoyennes et nos concitoyens.
Ils nous disent d'abord, à hauteur de 70 %,
qu'ils veulent que la réduction des inégalités soit une priorité pour le
gouvernement du Québec. C'est une très bonne nouvelle pour un parti comme
Québec solidaire, chez qui c'est vraiment une obsession, la réduction des
inégalités. On demandait aux gens : Choisissez comment on pourrait réduire
les inégalités. Ce qui ressort le plus fortement, c'est, un, avoir une
meilleure progressivité du système fiscal et imposer davantage les plus
riches — cela est très doux à mes oreilles — mais viennent
ensuite deux questions tout aussi importantes : la santé et l'éducation.
Autrement dit, ce que les gens nous disent, c'est : Réduire les
inégalités, ça passe, bien sûr, par l'imposition des plus riches, la
progressivité de l'impôt, mais ça passe par un accès égal, équitable de tout le
monde au système d'éducation et au système de santé. Il me semble que ça
devrait nous interpeller et nous faire réfléchir au moment où on commence une
commission très importante, là, sur le système de santé.
Il y en a aussi 57 % des gens, donc c'est
quand même pas mal, qui nous disent : Il ne faut pas que la future réforme
de la fiscalité du gouvernement du Québec vienne augmenter les inégalités.
Donc, les gens disent : Attention, on ne fait pas ça n'importe comment.
Eh bien, devant toutes ces réflexions fort
intéressantes de la part de mes concitoyennes, de mes concitoyens, ce que je
veux leur dire, dans le fond, c'est : Ça va être ça en bonne partie, en
grande partie, ma préoccupation tout au long de la commission parlementaire.
Moi, ce que je vais essayer de faire, là, c'est, bien sûr, d'écouter l'ensemble
des voix qui vont s'élever des groupes qui vont venir nous voir puis, à chaque
fois, être attentive aux meilleures manières de rendre le système de santé
vraiment accessible à tout le monde, tout le monde, là, partout, dans toutes
les régions, dans les grandes villes, accessible aussi aux gens qui n'ont pas
beaucoup de sous ou qui en ont, en fait, pas du tout, accessible également.
Je vais me préoccuper, par exemple, de la
place du privé dans la santé, chose qui n'apparaît même pas dans la supposée
réforme du ministre Barrette. C'est comme si cette question-là n'existait pas,
alors que le privé prend de plus en plus de place. Je vais m'interroger sur le
côté que, moi, je considère très antidémocratique des nouvelles fusions qu'on
nous propose, où les citoyennes, les citoyens, dans leurs localités, dans leurs
comtés, dans leurs villages, dans leurs villes, n'ont plus de pouvoir. C'est
aussi simple que ça, tout le pouvoir appartient au ministre, il nomme lui-même
ses exécutants, dans le fond, sur les conseils d'administration dans chacune
des régions, puis après ça, bien, il n'y a plus rien. Après ça, il y a des
exécutants et puis il y a la population qui regarde, impuissante, se détériorer
le système de santé, et là on est en train de renforcer les inégalités.
Je vais regarder très clairement aussi où
va l'argent. Ce n'est pas tout, ça, de faire des réformes de structure.
D'ailleurs, on se demande bien pourquoi on fait une réforme aussi énorme que
celle-là, qui va bousculer tout le monde pendant des années. La vraie question,
c'est la suivante : Où est-ce qu'on met l'argent dans le système de santé?
Est-ce qu'on le met d'abord et avant tout dans la première ligne et pas
seulement en santé, dans les services sociaux, dans la protection de la jeunesse,
dans le soutien aux personnes handicapées, dans le soutien aux personnes aînées
et autres personnes vulnérables? Est-ce que c'est là qu'on met l'argent? Est-ce
que c'est là qu'on met le plus de ressources humaines et financières ou si on
continue d'avoir un système centré sur l'hôpital, le pouvoir des médecins, les
médicaments, les chirurgies, les technologies qui, j'en conviens, sauvent des
vies, c'est vrai, mais
qui ne devraient prendre le pas sur tout ce qu'il
faut faire avant : la prévention, la promotion de la santé, le soutien aux
personnes qui vivent dans la pauvreté, combattre l'isolement des aînés, leur
assurer un logement, etc.? Quand on a de vraies politiques publiques, de vraies
politiques sociales et qu'on réduit les inégalités, c'est démontré partout dans
le monde où ça existe, on a une population en meilleure santé.
Alors, moi, vous comprenez que je ne ferai
pas seulement des débats de structure dans cette commission, je vais surtout me
préoccuper de à qui et à quoi sert le système de services sociaux et de santé,
et, à mon avis, il doit servir beaucoup à la réduction des inégalités. Je vous
remercie.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Justement, Mme David… donc, le projet de loi n° 10, le Dr Barrette dit
qu'il consiste, justement, à diminuer les dépenses liées à l'administration, à
revoir les structures, mais que le but est d'augmenter les services, de les
maintenir, mais surtout de déplacer l'argent vers les services.
Mme David (Gouin) : La
démonstration doit être faite. Je vous rappelle que l'autre réforme, celle de
M. Couillard, en 2004, n'a absolument pas produit ce genre d'effet,
c'est-à-dire offrir plus de services, être plus attentif aux besoins de la
population, aux besoins de proximité. Ça n'a pas donné ça du tout. Ça a donné
encore des structures, l'embauche de davantage de cadres un peu partout et ça a
donné, parce qu'il y a eu aussi plein de coupures, hein, toujours avec les
objectifs de déficit zéro. Donc, on est dans une espèce de logique où on dit :
Bien, on va avoir des meilleurs services pour les gens, donc couper dans
l'administration, créons des mégastructures, ça va tout régler. Mais ce n'est
pas vrai. Ce n'est pas vrai dans un contexte où, dans les faits, on ne fait que
des coupures, là.
Maintenant, moi, je ne suis pas en train
de défendre la bureaucratie. S'il y en a, qu'on s'en occupe, qu'on la diminue,
qu'on fasse cesser les gaspillages, c'est tout à fait évident. Mais, savez-vous
quoi? En fait, l'augmentation faramineuse des coûts de santé au Québec depuis
quelques années est due aux augmentations des revenus des médecins et à
l'augmentation fulgurante du prix des médicaments. Là-dessus, vous savez
aussi que Québec solidaire a des propositions. Donc, je pense qu'on met le
problème à la mauvaise place.
Je vous répondrai aussi, si je veux parler
bêtement de structure, qu'une fois qu'on aura aboli les agences et on les aura
remplacées par les centres intégrés de santé et de services sociaux… parce
que, dans les faits, là, on n'appelle pas ça «agence», mais c'est une structure
régionale. La différence avec avant, c'est que tous les membres du C.A. sont
nommés par le ministre, ce sont des exécutants. Une fois qu'on aura fait
ça, vous imaginez-vous vraiment, là, que, de Gaspé, on va régler tous les
problèmes à Sainte-Anne-des-Monts et à Chandler? C'est évident que, forcément,
la nature, ayant horreur du vide, on va recréer certainement des directions
sous-régionales et que, oui, il y aura des cadres et des employés pour s'occuper
des gens sur le terrain.
Donc, cette réforme de structure ne règle
rien, ni la réduction des inégalités, ni le développement de services de
proximité, ni la remise en question profonde qui doit se faire dans le système
de services sociaux et de santé, remise en question qui doit poser la question
suivante : Est-ce qu'il faut d'abord mettre l'essentiel de l'argent en
deuxième et troisième lignes, dans toutes les technologies, dans les soins très
aigus, etc., ou bien… très spécialisés, ou bien est-ce qu'il faut mettre,
d'abord et avant tout, l'argent dans tout ce qui est à la base et qui vient
aider les gens au quotidien pour éviter qu'ils se rendent malades et qu'on soit
obligés d'avoir toute cette panoplie de services ultraspécialisés? Ça, c'est un
grand débat, c'est un vrai débat et, à mon avis, c'est celui-là qu'il faut
faire.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Estimez-vous que le projet de loi aggrave le problème?
Mme David (Gouin) : Je pense
que le projet de loi, non seulement ne règle rien à partir des critères que je
viens de vous donner : accessibilité, suivi dans la communauté,
prévention, promotion de la santé; on ne règle rien du tout.
M. Bélair-Cirino (Marco) : Est-ce
qu'il l'aggrave le problème…
Mme David (Gouin) : Bien, il
l'aggrave dans le sens suivant…
M. Bélair-Cirino (Marco) :
…la qualité des soins?
Mme David (Gouin) : Les échos
que j'ai, moi, sur le terrain… Comme députée, je rencontre beaucoup de monde, y
compris dans le système de santé, des syndicats et des gestionnaires aussi. Les
gens me disent : On vient à peine de trouver notre vitesse de croisière
dans les CSSS, là, suite à la réforme de 2004, là, ça commence à bien aller. On
recommence tout ça? Dès qu'on fait ce genre de réforme, ou de contre-réforme, ou
de grand dérangement dans le système de santé, on en a pour au moins cinq, six
ans avant que chacun, chacune ait trouvé sa place, son fonctionnement, qu'on
ait des nouvelles équipes, des nouveaux cadres, etc. C'est beaucoup, beaucoup
de bouleversements pour très peu de choses.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Étiez-vous surpris, lorsque vous avez pris connaissance des résultats du
sondage? C'est quand même une majorité claire de répondants qui disent que le
gouvernement doit s'atteler à la tâche puis de réduire les inégalités dans une
période que plusieurs qualifient d'austérité. Quel est le message que doit comprendre
le premier ministre puis, bon, les ministres de la Santé et de l'Éducation
notamment?
Mme David (Gouin) : Moi, je
pense que le message est clair. Les gens disent à M. Couillard, pour 41 %
en tout cas : C'est vrai, on vous a élu le 7 avril dernier puis on
s'attend à ce que vous soyez un bon gestionnaire des finances publiques. Mais
attendez, là, on ne vous a pas élu pour couper partout, pour placer des gens
devant des choix impossibles, pour enlever des livres dans les écoles puis
l'aide aux devoirs et pour couper chez les plus pauvres — ce que
Québec solidaire a abondamment dénoncé la semaine dernière — couper
même dans des mesures d'insertion à l'emploi, ce qui est un contresens. Moi, je
pense que c'est ça que les gens disent à M. Couillard : Nous n'avons pas
voté pour ça, là. Là, vous allez vraiment beaucoup trop loin. Et ça donne
raison à des gens comme moi, à ceux et celles qui travaillent et militent au
sein de Québec solidaire et qui disent : Non, c'est inacceptable.
Nous, nous avons toujours été convaincus
que la population du Québec, très majoritairement, désire vivre dans une
société où il y a le moins possible, disons, d'inégalités sociales. Moi, j'ai
toujours été convaincue de ça. Ça fait quatre ans que je travaille, que je
milite, que je suis sur la scène publique, et chaque année, année après année,
c'est ce que j'entends des gens. On peut parfois être en désaccord sur les moyens,
mais profondément, moi, je pense que les gens du Québec sont attachés à ce que
j'appellerais une forme de sociale-démocratie, puis c'est ça qu'ils sont en
train de dire, là, aujourd'hui encore.
Alors, si j'étais M. Couillard, je
réfléchirais très sérieusement parce que ce que je sens aussi et ce que je vois
sur le terrain, là, c'est que les gens ne vont pas se contenter de répondre à
des sondages, il y en a qui sont en train de regarder leur batterie de cuisine,
là.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Sur un autre sujet, rapidement, votre formation politique appuie une motion de
la Coalition avenir Québec demandant aux députés de l'Assemblée nationale, au gouvernement,
de se questionner sur des façons de renforcer la séparation entre quelqu'un qui
pourrait être détenteur ou propriétaire d'une entreprise médiatique ou quelqu'un
de son entourage, parce que la motion aborde également cet aspect-là, donc de
renforcer une espèce de pare-feu entre son ancienne entreprise, parce qu'il
devrait s'en départir, et ses responsabilités de député.
Bon, la personne qui se sent visée par
cette motion-là, le député de Saint-Jérôme, disait aujourd'hui que c'est une
motion illégale, qui... Bon, il accusait les partis, bon, le Parti libéral et
Québec solidaire par ricochet d'avoir appuyé, bon, une motion illégale. Il va y
avoir une commission parlementaire. Bon, je comprends que ce n'est pas de la
diversion, c'est plus qu'un jeu politique. Quelle est l'importance de cette
commission parlementaire là à venir puis quelles conditions posez-vous pour que
ce soit un exercice pertinent?
Mme David (Gouin) : Bon,
d'abord, je pense qu'il faut qu'on mette les choses au clair. Oui, Québec
solidaire pense qu'il doit y avoir une sorte de paroi étanche entre la fonction
de député, mais, bien plus, la fonction éventuelle de chef d'un parti
politique. Et alors, si on parle d'un premier ministre, là, il faut qu'il y ait
un coupe-feu de trois pieds d'épais, là, entre la fonction politique, et la
propriété, et la direction d'un empire médiatique. Ça nous paraît tellement
évident qu'on ne comprend même pas que certains ne comprennent pas.
Mais, deuxièmement, j'ajouterais qu'à
Québec solidaire on est très préoccupés de la concentration de la presse et que
ça devrait peut-être faire partie de la discussion. Là, je comprends que la
discussion est centrée sur peut-on être un élu et propriétaire d'un empire
médiatique ou d'un média, en fait, mais il va falloir élargir la discussion au
Québec, parce qu'on se retrouve dans une situation inégalée de concentration de
la presse, et ça, ça nous préoccupe aussi beaucoup.
Pour aller plus directement sur votre
question, s'il y a commission parlementaire, nous y participerons, et ce que je
souhaite, c'est ce que d'ailleurs nous allons dire, elle doit être vraiment le
moins partisane possible. Il faut entendre des experts indépendants. Il faut
inviter des personnes qui réfléchissent depuis longtemps et sur la
concentration de la presse et sur les liens entre les médias et les acteurs politiques.
Il faut qu'il y ait des gens qui viennent nous parler. Il faut qu'ensemble on
trouve des solutions. Il n'est pas question ici de vendetta contre qui que ce
soit, il est question de s'occuper d'un problème qui, en fait, se pose crûment,
disons, pour la première fois. Donc, c'est un peu normal, là, que des questions
se posent, mais profitons-en pour faire un débat le plus serein possible et vraiment
le moins partisan possible, et vous pouvez compter sur moi pour aller dans cet
esprit-là.
Merci à vous.
(Fin à 13 h 46)