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Version finale

32nd Legislature, 5th Session
(October 16, 1984 au October 10, 1985)

Tuesday, January 29, 1985 - Vol. 28 N° 5

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation générale sur l'avant-projet de loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic


Journal des débats

 

(Dix heures treize minutes)

Le Président (M. Lachance): À l'ordre! La commission du budget et de l'administration se réunit avec le mandat de procéder à une consultation générale portant sur l'avant-projet de loi traitant du régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic.

Les membres de la commission pour ce mandat sont les suivants: M. Leduc (Fabre), M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Biais (Terre-bonne), M. Pagé (Portneuf), M. Beaumier (Nicolet), M. Caron (Verdun), M. Gauthier (Roberval), M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges), Mme Juneau (Johnson), M. Lachance (Bellechasse), M. Laplante (Bourassa), M. Polak (Sainte-Anne), M. Scowen (Notre-Dame-de-Grâce), M. Tremblay (Chambly) et M. Clair (Drummond).

Je souhaite la bienvenue à tous les membres de la commission. J'espère que les travaux de cette commission seront fructueux.

Organisation des travaux

C'est la première de six journées qui sont prévues pour l'audition de mémoires en commission. La première journée, aujourd'hui, va se dérouler comme suit: de 10 heures à 12 heures, ce seront les déclarations d'ouverture du ministre délégué à l'Administration ainsi que du porte-parole de l'Opposition; de 14 heures à 16 heures, la Fédération des CLSC du Québec; de 16 heures à 18 heures, l'Association des centres de services sociaux du Québec; de 20 heures à 21 heures, le Syndicat des conseillers en gestion du personnel du gouvernement du Québec; finalement, de 21 heures à 22 heures, M. Denis Lebel.

Je laisse maintenant...

M. Pagé: M. le Président.

Le Président (M. Lachance): Oui, M. le député de Portneuf.

M. Pagé: Pourriez-vous rappeler l'horaire de nos travaux pour la présente semaine? On avait établi un horaire préliminaire et, en entrant à Québec, hier soir, j'ai pris connaissance d'un document que le secrétaire nous avait fait parvenir en regard de l'horaire définitif des travaux de la semaine prochaine. Devons-nous comprendre qu'on n'a pas eu d'autres demandes d'intervenants et que c'est définitif, c'est l'horaire qui présidera à nos travaux, qui guidera nos travaux d'ici le 7 février prochain?

Le Président (M. Lachance): Effectivement, M. le député de Portneuf, selon les informations qui m'ont été communiquées, si vous voulez avoir le détail...

M. Pagé: Tout ce que je veux savoir, M. le Président, c'est la confirmation de votre part que c'est définitif, qu'on n'a pas d'autres demandes pendantes et que cet horaire ne sera pas modifié au cours de nos travaux, peu importent les motifs.

M. Laplante: J'ai une question de règlement.

Le Président (M. Lachance): Oui, M. le député de Bourassa.

M. Laplante: Je pense que c'est prématuré de l'affirmer actuellement, même comme président de la commission, et de geler tout de suite dans le ciment l'horaire ou les groupes qui seront invités, parce qu'il peut arriver aussi qu'un groupe très important se manifeste à la dernière minute et qu'on soit obligé de l'entendre.

Avis de motion pour aller entendre M. Claude Brunet à Montréal

M. Pagé: De toute façon, M. le Président, vous avez très certainement reçu copie d'un télégramme qui a été envoyé à la commission par M. Claude Brunet, du Comité provincial des malades, demandant d'être entendu, indiquant son intention de se faire entendre devant cette commission; signalant d'ailleurs que le mémoire nous parviendrait au plus tard le 29 janvier, soit aujourd'hui. Il demandait la possibilité, compte tenu de son état de santé et des coûts inhérents à un tel déplacement, que notre commission se déplace vers Montréal pour aller l'écouter et entendre son comité sur place, un genre de commission rogatoire.

Je n'ai pas l'intention de retarder nos travaux ici ce matin, mais je voudrais vous indiquer déjà que nous avons, notre groupe

parlementaire, l'intention de présenter une motion devant cette commission à la lumière du précédent qui a été établi tout récemment par la commission parlementaire de l'agriculture qui a décidé par elle-même, comme c'est son droit, à la lumière de la Loi sur l'Assemblée nationale du Québec et des règlements, de se déplacer et de se transformer en commission rogatoire pour aller étudier, sur place, des problèmes vécus dans le monde de l'agriculture.

À la lumière de ce précédent, je vous indique, d'ores et déjà, notre intention de demander à cette commission, nous du Parti libéral du Québec, dans les meilleurs délais, après le 7 février, qu'on se déplace vers Montréal pour aller entendre M. Brunet, compte tenu de l'incapacité pour lui de venir ici.

Le secrétaire de notre commission m'informait ce matin que le télégramme a bel et bien été reçu et qu'il serait peut-être possible de se réunir dès ce midi pour voir les possibilités techniques d'en arriver à une telle opération. Alors, premièrement, nous sommes disponibles; deuxièmement, nous endossons cette demande; troisièmement, nous avons l'intention de vous présenter une motion. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Lachance): M. le ministre.

M. Clairs M. le Président, sur la demande d'une commission rogatoire de la part de M. Brunet, j'ai toutes les raisons de croire que la position de notre formation politique sera également d'accepter une telle commission rogatoire. Reste à savoir de quelle ampleur devrait être cette commission et à quel moment elle pourrait se déplacer. Maintenant, je pense qu'on pourrait en discuter en séance de travail plus tard aujourd'hui ou une autre journée cette semaine.

Pour répondre à la question du député de Portneuf, je lui indique que, selon les informations disponibles à mon ministère, un autre groupe, soit la Fédération des parents des commissions scolaires du Québec, aurait demandé à être entendu. Je n'ai pas le mémoire, non plus que les détails de cette demande, mais je pense que là aussi, on pourra en faire état en séance de travail.

M. Pagé: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Lachance): Très bien, merci. Nous en sommes maintenant aux déclarations d'ouverture et j'invite le ministre délégué à l'Administration et président du Conseil du trésor, le député de Drummond.

Déclarations d'ouverture M. Michel Clair

M. Clair: Merci, M. le Président. La commission parlementaire du budget et de l'administration est invitée aujourd'hui à procéder à l'étude de l'avant-projet de loi sur le régime de négociation des employés des secteurs public et parapublic du Québec. Permettez-moi d'insister sur l'importance de ce geste et sur sa signification.

Restaurer un régime de négociation est, pour l'Assemblée nationale et le gouvernement, une entreprise importante. C'est là un domaine complexe et sensible qui touche les employés de l'État de manière directe et durable et qui intéresse tous les contribuables, tous les bénéficiaires des services publics, finalement, l'ensemble de notre société. Restaurer un régime de négociation des conditions de travail c'est surtout toucher à ce que l'on qualifie communément de règles du jeu. Or, chez nous, ces règles du jeu sont devenues tellement importantes, elles ont pris tellement de place au cours des dernières années, elles ont eu une telle portée qu'elles déterminent une large portion du contrat social québécois. C'est donc prioritairement notre responsabilité politique que nous nous apprêtons à exercer en procédant à l'examen de cet avant-projet de loi et en recevant des partenaires sociaux, des groupes et des individus engagés dans l'action syndicale ou assumant des responsabilités d'employeur qui désirent nous faire entendre leur point de vue et nous transmettre leurs suggestions à l'endroit de cet avant-projet de loi. D'entrée de jeu, je remercie donc tous les parlementaires et vous-mêmes de votre collaboration et de votre assistance dans l'étude de cet avant-projet de loi. Je remercie également tous ceux et celles qui voudront se faire entendre et qui contribueront ainsi à l'amélioration de cet avant-projet et à la qualité du processus démocratique.

La rénovation du régime de négociation des secteurs public et parapublic est certes un projet très important en soi. Il ne serait cependant pas compris, sans le situer et nous situer dans un contexte beaucoup plus général et sans qu'on rappelle l'arrière-plan du secteur public québécois tel que nous le connaissons aujourd'hui. Décrire cet arrière-plan ce n'est pas procéder à une séance d'autocongratulations ou d'autoflagellation, c'est rappeler brièvement d'où nous sommes partis vers les années cinquante et où nous en sommes dans les années quatre-vingt. C'est reprendre rapidement le fil de l'histoire de manière à bien situer cette réforme que nous entreprenons dans un domaine qui a peu évolué depuis 1964, celui des relations du travail des secteurs public

et parapublic québécois. À la fin des années 1950 le Québec connaissait un retard inacceptable et criant dans le développement de ses services publics. La population réclamait de plus en plus fortement, et à juste titre, l'amélioration de la situation et le développement rapide de tels services. Ainsi donc, au cours des années soixante, et pendant la première moitié de la décennie qui a suivi, le Québec a effectué un rattrapage remarquable et a édifié une infrastructure de services publics considérée aujourd'hui comme quasi complète et de qualité fort enviable.

La croissance des effectifs et du rôle du secteur public au cours de cette période, le développement des services, leur multiplicité, leur déploiement sur l'ensemble du territoire québécois ont été proprement phénoménaux. Quelques indices démontrent bien l'ampleur de ces phénomènes. De moins de 100 000 qu'ils étaient en 1960, les employés des secteurs public et parapublic passaient à 335 000 en 1976. En 1960, les dépenses du gouvernement du Québec représentaient 8% du produit intérieur brut québécois; ce taux passait à 18% en 1970, soit plus du double, et à 25% en 1980. En vingt ans, le secteur public québécois avait donc triplé. Au moment où je vous parle, les dépenses publiques du Québec représentent 26. 5% de son économie, à peine plus de 1. 5% qu'il y a cinq ans, mais plus du quart de tout ce que nous produisons est, toujours confié à l'État québécois pour des dépenses et services publics. C'est dire qu'avec la venue des années 1980, la taille du gouvernement du Québec, l'ampleur de ses services publics, ont en quelque sorte plafonné et que l'étape, de réallocation des ressources - du développement par l'intérieur comme on le dit parfois - a sonné. Est-ce dû au fait que le gouvernement aurait décidé de laisser dépérir les services publics, de renoncer à ses idéaux de justice sociale, de répondre à des besoins nouveaux? Non, cela veut dire simplement que l'époque de construction des services publics est à peu près terminée. Il s'agit maintenant d'en assurer le maintien et d'en augmenter, par tous les moyens raisonnables, le rendement et la compétence; de répondre aux nouveaux besoins qui s'expriment sans cesse et qui s'exprimeront toujours avec les ressources existantes. C'est maintenant procéder à des choix de réallocation de ressources plutôt qu'à des ajouts. À la gestion par sédimentation succède, en quelque sorte, la gestion par substitution.

Continuer l'élan des vingt dernières années dans le développement du secteur public, maintenir son rythme de croissance des effectifs, y consacrer une part sans cesse plus grande en produit intérieur brut serait aussi irresponsable que démentiel. L'augmentation des impôts, du déficit qui devrait supporter une telle entreprise, déséquilibrerait rapidement l'économie du Québec et engendrerait chômage et pauvreté. Le Québec ne saurait jouer ainsi à l'apprenti sorcier et plonger son économie dans le déséquilibre. Nous nous sommes dotés d'un appareil administratif d'un trop haut niveau d'excellence pour en faire, par irresponsabilité, un tonneau sans fond.

Mais revenons un instant sur le développement des services publics au Québec au cours des années soixante. Un tel développement, nécessaire bien sûr, a été rendu possible grâce, notamment, à l'accroissement rapide des ressources financières de l'État. En effet, notre base économique, quoique moins développée, moins sophistiquée et moins diversifiée qu'aujourd'hui, était alors solide par rapport à l'époque et la croissance économique très forte. Le produit intérieur brut, en termes réels, croissait à un rythme supérieur à 5% par année. De plus, le gouvernement ne prélevait que 9, 5% du revenu personnel des citoyens du Québec, alors que nos voisins en exigeaient bien davantage: l'Ontario, 12%, les États-Unis, 12, 5%. Le taux de chômage oscillait pendant cette période de 4% à 7%, à cause de différents phénomènes socio-économiques, comme l'exclusion forcée des femmes du marché du travail, le grand besoin de main-d'oeuvre manuelle dans les secteurs primaire et secondaire, etc.

Le gouvernement du Québec disposait donc de ce que l'on pourrait appeler un espace fiscal considérable qui lui permettait d'accroître graduellement l'effort fiscal des contribuables, des citoyens et des corporations. Ajoutons à cela que le Québec, à l'aube de cette décennie, n'avait, à toutes fins utiles, pas utilisé ses possibilités d'emprunt.

En 1960, la dette nette du Québec ne représentait que 3, 7% du produit intérieur brut, soit tout au plus quelques centaines de millions de dollars, alors qu'elle était, en 1984, de 17 000 000 000 $, soit environ 19% du produit intérieur brut.

Le développement accéléré du secteur public québécois pouvait donc se financer à même trois sources: la croissance de la production intérieure, la croissance de l'effort fiscal, l'utilisation plus grande de notre potentiel d'emploi. Nous ne nous sommes pas privés de telles possibilités, au moment même où les retards étaient sentis et exprimés avec force, tant par les citoyens que par leurs dirigeants.

Un bref rappel des réalisations de cette époque nous permet, d'ailleurs, de constater l'ampleur des bouleversements qu'a alors connus le Québec. Dans le domaine de l'éducation, deux mots résument tout le projet: accessibilité, gratuité. Le Québec était alors aux prises avec un défi stimulant: scolariser les enfants de l'après-guerre qui

formaient, en raison de leur grand nombre, ce que l'on a surnommé alors la génération du "baby boom".

Au-delà de cette exigence démographique, l'on constatait à cette époque la nécessité d'accroître le niveau de scolarisation des Québécois, afin de participer pleinement au progrès que sollicitait l'ensemble de l'Amérique du Nord.

Nous n'avons pas le temps d'entrer dans les détails, mais rappelons-nous la grande réforme de l'enseignement primaire et secondaire, la mise en place du réseau d'enseignement collégial, le développement de l'enseignement universitaire et de la recherche qui ont suivi les travaux de la commission Parent et, de façon complémentaire, la mise en place d'un régime d'aide aux étudiants rendant possible l'accessibilité à l'éducation post-secondaire, devenue rapidement une priorité pour un très grand nombre de Québécois.

Il est remarquable de constater que la proportion des Québécois âgés de 20 à 24 ans, ayant fait des études secondaires, soit passée de 59% en 1961 à 95% en 1981. Il est intéressant également de rappeler qu'en 1961, 7% des jeunes de 25 à 34 ans avaient fréquenté l'université. En 1981, cette proportion triple et elle atteint 20%.

C'est donc dire qu'aujourd'hui, globalement, le Québec se compare avantageusement aux autres provinces canadiennes, aux États-Unis et à l'Europe pour ce qui est de la scolarisation de ses citoyens. Bref, cet objectif légitime et de première importance est maintenant atteint dans des niveaux qui nous placent dans le peloton de tête des sociétés modernes. Tout en y consacrant 6 000 000 000 $ par année, soit près du quart de notre budget, nous en oublions parfois l'importance et nous n'apprécions pas à sa juste valeur cet investissement dans notre ressource humaine. (10 h 30)

Parce que ce choix de "prioriser", si vous me permettez l'expression, le développement des cerveaux et des intelligences a été fait il y a maintenant plusieurs années, nous sommes portés à le tenir pour acquis comme neige en hiver et è rechercher d'autres biens, d'autres priorités de développement moins multiplicateurs, moins porteurs d'avenir et dont, bien souvent, la plus grande vertu consiste dans leur nouveauté.

Les secteurs des services sociaux et de la santé ont été touchés également par ce vent de réforme et de mise à jour du Québec. Il n'y a qu'à rappeler la réorganisation des services hospitaliers, la mise en place de l'assurance-maladie, de l'assurance-hospitalisation ainsi que le développement des services sociaux. Ici encore, les thèmes de l'accessibilité et de la gratuité ont servi de base à la réforme et d'objectifs à ceux qui l'ont pilotée.

Très rapidement, le développement des services de base a connu le rattrapage nécessaire et c'est vers la qualité de la vie, la prévention, l'éducation à la santé que se sont tournés les gouvernements successifs. Si d'importants ajustements restent à faire dans le domaine de la santé, il serait injuste de ne pas admettre que nous avons atteint, dans ce domaine également, un niveau et une qualité de services qui font l'envie de beaucoup d'autres pays et même de nos puissants voisins du sud: les États-Unis d'Amérique. Nous y consacrons 6 000 000 000 $ supplémentaires annuellement. Ces deux seuls secteurs accaparent donc près de la moitié du budget de l'État québécois et plus de 80% de ces 12 000 000 000 $ sont versés aux employés qui dispensent et administrent ces services.

Les gouvernements successifs du Québec ont voulu aller plus loin et protéger les citoyens contre les risques économiques en leur assurant un minimum de revenus. Sont alors apparus le Régime de rentes du Québec, Ies allocations familiales et l'aide sociale et, plus récemment, toute une panoplie de programmes de sécurité du revenu dont le coût total se compte aussi par milliard de dollars. Enfin, au-delà de ces investissements majeurs dans les hommes et les femmes du Québec, l'État est intervenu pour faciliter et stimuler le développement économique. Citons en guise d'exemple le développement de politiques agricoles qui ont permis à l'agriculture de passer d'un stade artisanal à celui d'une véritable industrie hautement spécialisée, contrainte, bien sûr, par les règles du marché mais capable d'y faire face.

À cet exemple, on pourrait en ajouter de nombreux autres s'appliquant à l'aide industrielle et à l'entreprise, à la création de sociétés d'État, au développement de ressources hydroélectriques et des autres richesses naturelles du Québec, à la recherche, au transport, au réseau routier. Autant d'actions du gouvernement qui ont forcé l'émergence d'infrastructures industrielles et financières et permis au Québec d'occuper, sur l'échiquier socio-économique, la place qu'il a aujourd'hui.

L'intervention décisive de l'État a donc donné aux Québécois l'accès à une gamme de services publics qui se comparent avantageusement à ceux des autres pays industrialisés. Les Québécois y tiennent, le gouvernement aussi.

Cependant, force nous est de constater qu'un tel rythme de développement du secteur public ne pouvait se poursuivre indéfiniment sans risquer de fausser les règles du jeu économique et sans créer même de graves déséquilibres. D'autant plus que la croissance de la richesse collective, au Québec comme ailleurs, s'est amenuisée

peu à peu au cours des années soixante-dix sous les coups de plusieurs secousses. Cette période des années soixante a été marquée dans le domaine des relations du travail du secteur public par plusieurs transformations qui ont accompagné le développement des services publics. Ainsi, le phénomène de la syndicalisation des employés du secteur public sur le modèle du syndicalisme pratiqué dans le secteur privé, la centralisation progressive et totale des négociations, les premiers affrontements entre l'État employeur et les syndicats du secteur public, etc.

Les gains des employés du secteur public ont été massifs pendant cette période: sécurité d'emploi, régime de retraite avantageux, suppression des disparités régionales, évolution des salaires, lesquels rattrapent puis dépassent ceux du secteur privé, nivellement par le haut des conditions générales de travail, etc. Pendant ce temps, l'État employeur augmente sans cesse le niveau de compétence et la qualité générale de ses effectifs, bâtit de nouveaux programmes, de nouveaux services publics et absorbe le coût de tout cela en accaparant une part de plus en plus grande de la croissance économique, en augmentant l'effort fiscal et d'emprunt.

Le début de la décennie soixante-dix est marqué, pour l'ensemble des pays industrialisés, par plusieurs chocs qui poussent l'inflation à des niveaux jamais connus depuis les années cinquante: croissance des prix à la suite des graves pénuries alimentaires de 1972, flambée des prix des matières premières en 1973 et, finalement, quadruplement du prix du pétrole en 1974. En l'espace de trois ans, soit de 1971 à 1974, le taux de croissance de l'indice des prix à la consommation au Canada passe de 2, 8% à 10, 9%, un saut de plus de 8 points. Cette inflation a touché durement les coûts de production et, en conséquence, le prix des biens de consommation. La demande a diminué, la production aussi. C'est le début de ce qu'il est convenu d'appeler "stagflation", soit la présence simultanée d'un taux élevé d'inflation et d'un taux élevé de chômage. On constate au cours de cette période que l'inflation sévit de façon plus forte au Québec qu'aux États-Unis. En effet, entre 1971 et 1977, l'indice des prix à la consommation à Montréal croît à un rythme supérieur d'environ 1% par an à celui des États-Unis. Comme le Québec est fortement dépendant des marchés internationaux et ne peut se permettre des prix moins compétitifs, nos entreprises ont dû réduire leur marge bénéficiaire puis leur production, d'où un chômage plus élevé.

Nous n'étions pas au bout de nos peines. En 1978, le prix du pétrole croît à nouveau de 150%. La demande est resserrée et les politiques monétaires deviennent restrictives. La hausse spectaculaire des taux d'intérêt entraîne les États-Unis et l'Occident dans la récession. Pour les économies canadienne et québécoise, le début des années quatre-vingt est marqué par la pire récession depuis 1929. Depuis 1982, le ralentissement marqué de l'inflation, conséquence du resserrement monétaire, s'est fait au détriment d'une baisse très douloureuse de la production et de l'emploi.

D'autres événements se sont aussi révélés défavorables aux économies canadienne et québécoise. Par exemple, la hausse des avantages comparatifs des producteurs du Japon et de d'autres pays nouvellement industrialisés a affecté nos industries traditionnelles comme le textile et le vêtement. Le secteur primaire a durement ressenti la baisse de la demande pour le fer, l'acier, le cuivre, l'amiante. Les barrières tarifaires protégeant les manufacturiers québécois et canadiens ont été réduites de plus de 60% depuis 1967. La compétition avec la production étrangère ne se fait donc plus uniquement sur nos marchés d'exportation mais aussi sur nos propres marchés. Enfin, la difficulté de certains pays à assumer le fardeau de leur dette extérieure a entraîné un mouvement de repli sur les marchés financiers internationaux et ralenti le commerce international.

Pendant toute cette période, l'assiette fiscale croît au ralenti. Les gouvernements successifs, à Québec, doivent exiger encore plus d'impôts de leurs contribuables et utiliser davantage leur capacité d'emprunt.

En 1976, la part du revenu personnel prise par les différents paliers de gouvernement au Québec a plus que doublée par rapport à 1961. La situation des Québécois, par rapport à leurs principaux concurrents économiques, s'est donc inversée. De sous-taxés, ils deviennent surtaxés au début des années soixante-dix. Le Québec se retrouvait donc dans une situation économique bien éloignée de celle des années soixante. Il pouvait capitaliser sur des nouveaux acquis, des services publics bien développés, mais il devait aussi compter avec le poids inhérent à ses propres choix de développement, au moment même où la croissance économique ralentissait, une trop forte utilisation de son potentiel fiscal et de son pouvoir d'emprunt.

Une situation nouvelle était donc née, à laquelle il fallait s'ajuster, parfois en rechignant, mais de manière inéluctable. À compter du milieu de la décennie soixante-dix, le gouvernement du Québec a donc été contraint de tenir compte de cette réalité nouvelle. On ne pourrait plus faire bondir les dépenses publiques de 15% ou 20%, et même de 26% par année comme on l'a fait en 1974, sans risquer de jeter par terre l'économie du Québec. Réduire les dépenses de l'État, c'est en même temps réduire les

services de l'État à ses citoyens. Lapalissade, direz-vous. Mais surtout expression du dilemme politique bien connu. Les citoyens, pris collectivement, réclament la réduction des coûts des services publics. Les mêmes citoyens, pris individuellement, demandent sans cesse à l'État d'intervenir pour les aider et combler leurs besoins de toute nature.

Bien sûr, les dépenses de l'appareil peuvent se comprimer, comme on l'a fait ces dernières années. Bien sûr, des mesures énergiques comme celles qui furent prises en 1982 dans les secteurs public et parapublic peuvent redresser en partie la situation tout en pesant lourdement sur les acquis des employés de l'État. Mais peut-on appliquer un remède aussi chevalin à l'aide sociale? aux soins de santé? Peut-on ralentir le service de la dette? Peut-on toucher au Régime de rentes? Sûrement pas. Peut-on alors imaginer l'arrêt de tout développement, la mise au neutre de l'État administrateur, du gouvernement "développeur", de l'État planificateur, de l'État pourvoyeur de biens et de services? Sûrement pas. Les efforts entrepris depuis 1977 et accentués depuis 1980 ont porté fruit et permettent une réponse partielle à ces difficiles questions.

L'excédent de la croissance annuelle des dépenses budgétaires sur celle du PIB, qui était en moyenne de 6% entre 1960 et 1977, a pu être ramené à 1, 6% en moyenne depuis 1977. Cette réalisation est d'autant plus remarquable que, pendant cette dernière période, l'assurance-maladie, le service de la dette, l'aide sociale et les régimes de retraite des employés, qui représentaient à eux seuls, en 1977-1978, 17% du budget, ont crû à un taux annuel moyen de 19, 5%. À elles seules, ces dépenses représentent aujourd'hui 28% des dépenses du gouvernement.

Ce changement de tendance est le résultat de l'adoption de diverses mesures de restriction budgétaire dont l'effet aura été d'augmenter l'efficacité dans l'ensemble de l'appareil gouvernemental. À titre d'exemple, depuis 1978-1979, les effectifs autorisés des ministères et organismes ont été systématiquement réduits et les autres dépenses de fonctionnement des ministères ont fait l'objet d'une sous-indexation par rapport à l'inflation.

Dans le réseau de la santé et des services sociaux, diverses mesures de réallocation d'effectifs et de budgets ont été appliquées, en plus des plans de redressement financier imposés aux établissements qui étaient en situation de déficit budgétaire.

Le réseau de l'éducation, en plus de l'application des mêmes normes de contrôle, s'est vu appliquer des mesures particulières, notamment l'augmentation de la tâche des enseignants, de façon à améliorer la productivité du système d'enseignement québécois.

Cette diminution des personnels et la contraction des dépenses générales n'ont cependant pas empêché les ministères et organismes de continuer à offrir des services de qualité et de répondre aux besoins de la population. La productivité du secteur public s'est donc améliorée.

Tout cela a été particulièrement difficile, voire même pénible, à réaliser. Mais cela était essentiel et continuera de l'être pour plusieurs années si l'on veut conserver notre potentiel économique, les services des programmes publics très développés que sont les nôtres.

Tous les efforts fournis par les ministères et les réseaux dans le contrôle de leurs dépenses, la réduction des effectifs, l'augmentation de la productivité dans l'ensemble du secteur public, la politique de rémunération des employés de l'État, c'est tout cela qui a permis au gouvernement du Québec de continuer à répondre à de nouveaux besoins en affectant une partie des économies aux domaines social et économique, tout en maintenant à un niveau élevé les impôts et les emprunts.

C'est de là et de cette réallocation des ressources budgétaires qu'est venu, par exemple, le financement de nouvelles places en garderie, des programmes destinés aux personnes handicapées, l'amélioration des soins de santé dans les régions éloignées et d'autres mesures sociales. C'est aussi de cette façon que le gouvernement a pu trouver le moyen de lancer un vigoureux programme de relance économique, que ce soit dans le soutien aux exportations, le financement des entreprises publiques et privées, le soutien à la construction domiciliaire; c'est par cet effort de rationalisation et de réallocation des dépenses que le gouvernement peut soutenir financièrement le virage technologique, celui des écoles et des entreprises, stimuler fortement le développement des mines, des pêcheries et de l'agriculture et l'implantation au Québec de grandes entreprises, sans compter les programmes de développement de l'accessibilité des jeunes au marché du travail. (10 h 45)

Mais tous ces efforts ne sont pas venus à bout de la pire séquelle de la dernière crise économique: le chômage. Même si la situation continue de s'améliorer, l'obsession du gouvernement et du Québec tout entier est et doit demeurer l'emploi. Pour soutenir la lutte au chômage, le gouvernement du Québec devra continuer à gérer les dépenses publiques et les services publics avec rigueur.

En effet, puisque la croissance de l'emploi ne saurait venir de l'accroissement des effectifs dans les services publics ce qui, à cause des coûts, conduirait à une augmentation des impôts et, par voie de conséquence, au chômage dans le secteur privé, c'est donc du côté du secteur privé et

dans les sociétés d'État, mais surtout du secteur privé, que viendra la création d'emplois. Puisque notre effort fiscal et notre recours aux emprunts sont très élevés, c'est donc en continuant d'agrandir par en-dedans qu'on pourra libérer les montants d'argent nécessaires pour soutenir une politique orientée vers l'emploi.

Il serait illusoire de travailler à l'atteinte du plein emploi si, globalement, le coût de nos services publics, et donc le niveau de nos impôts, est beaucoup plus élevé que celui de nos principaux concurrents économiques alors que l'Amérique se dirige de plus en plus vers le libre échange et que nous exportons 40% de tout ce que nous produisons. Il faudra donc contrôler constamment le coût de nos services publics. Viser le plein emploi en maintenant des coûts plus élevés globalement pour les services publics au Québec que chez nos principaux concurrents économiques, ce serait croire que plus on charge le dos d'un cheval, plus il courra allègrement.

Le gouvernement est déterminé à travailler à l'atteinte de cet objectif exigeant du plein emploi. Il ne peut cependant y atteindre seul. Il aura besoin que la collectivité québécoise fasse consensus autour d'objectifs communs et que le dialogue entre les grands agents économiques - l'État, les travailleurs, les syndicats et les employeurs - soit centré avec détermination, entêtement même, sur cet objectif. Nous avons déjà bien assez à faire avec nos adversaires naturels qui jouent sur les marchés de l'exportation sans nous déchirer entre nous. C'est à cette condition que nous pourrons trouver les moyens, à même nos ressources existantes, d. e moderniser nos entreprises, de raffermir notre position sur le plan technologique, d'accroître les exportations, finalement, et en peu de mots, de créer les emplois qui manquent si cruellement, en particulier pour les jeunes.

Ainsi, si l'un des grands défis des 20 dernières années a été de bâtir des services publics diversifiés et accessibles et que nous avons relevé ce défi avec succès, le défi de la prochaine décennie pourrait être celui du plein emploi pour peu qu'on veuille prendre les moyens pour l'atteindre et non pas croire uniquement dans les vieilles recettes.

Il ne s'agit aucunement de renoncer à des services publics variés et de qualité. II ne s'agit pas non plus de renoncer à des objectifs de justice, d'équité et de sécurité sociale. Au contraire, si l'on veut que l'État québécois puisse continuer dans la prochaine décennie à améliorer la quantité et la qualité des services publics, à poursuivre avec dynamisme des objectifs de justice, d'équité et de sécurité sociale, cela exige la solution préalable d'une grande iniquité: le chômage, qui est aussi un fardeau pour l'économie.

Comment pourrions-nous, comme société, prétendre, en effet, avoir des orientations socialement valables si elles ont pour résultat d'entretenir dans le chômage et l'aide sociale, des centaines de milliers de nos concitoyens? Comment pourrions-nous bâtir une économie solide, si son dynamisme est hypothéqué par la non-production de centaines de milliers de travailleurs potentiels et des charges sociales très lourdes pour les soutenir pendant qu'ils sont en chômage? Comment pourrions-nous demander au gouvernement du Québec de soutenir le développement de l'économie et de l'emploi, s'il consacre à l'augmentation des coûts des services publics les marges de manoeuvre péniblement dégagées?

Ainsi, la façon dont nous gérerons collectivement la croissance des coûts des services publics et celle des dépenses publiques influencera grandement notre capacité d'atteindre le plein emploi et les possibilités réelles pour le gouvernement du Québec de pouvoir continuer à intervenir dans les orientations économiques de notre société.

Si le gouvernement du Québec en était réduit à devenir un simple gouvernement de services, comme je l'ai lu avec étonnement dans un document officiel récent de la CSN, je vois mal comment un gouvernement du Québec, devenu un gros dispensaire, pourrait infléchir les orientations économiques, politiques et sociales de la nation en matière d'emploi.

Il importe donc au plus haut point que les règles du jeu concernant cette gestion collective des services publics soient claires, qu'elles facilitent l'atteinte de cet objectif et ne soient pas l'occasion d'enfouir nos énergies dans d'interminables affrontements stériles, mais qu'elles soient plutôt l'objet d'un consensus suffisamment large dans notre société pour nous employer collectivement à relever d'autres défis.

C'est donc dire que, sans aucunement en être la seule pièce, on peut voir le lien direct entre la réforme du régime de négociation et ce défi de l'emploi. D'abord, parce que dans la gestion collective des services publics, ce régime de négociation est la pierre angulaire; deuxièmement, parce que, si ce régime fonctionne mal et draine les énergies de tout le monde pendant une année, tous les trois ans, pour un grand affrontement, ce gaspillage d'énergies retarde l'atteinte des objectifs économiques et sociaux du Québec; finalement, parce que l'un des grands acteurs essentiels, tant dans la gestion collective des services publics que dans la recherche du plein emploi, c'est le syndicalisme québécois présent tant dans le secteur public que dans le secteur privé.

C'est donc pour être mieux en mesure de relever les défis de l'avenir en matière de justice sociale et économique, avec

dynamisme et confiance en nous-mêmes, qu'il faut réformer notre régime de négociation dans le secteur public, pour nous sortir de ces affrontements systématiques, inutiles et coûteux pour tout le monde et travailler à notre développement plutôt qu'à notre déchirement. Il ne s'agit pas d'affaiblir qui que ce soit, mais de canaliser les énergies dans la direction du développement du Québec. Il ne s'agit pas d'enlever des droits, mais de s'assurer que les droits collectifs et individuels que nous avons sur le plan social et économique non seulement vont demeurer, mais vont continuer de grandir. Voilà l'un des défis de la réforme du régime de négociation dans le secteur public. Je sais qu'il ne sera pas facile de sortir des vieilles ornières, de changer les bonnes vieilles habitudes, de remettre à jour les dogmes et la doctrine, mais cela devra se faire tôt ou tard, et le plus tôt ce sera, le plus facile ce sera. Je suis convaincu que nous y réussirons si toute la société québécoise est dans le coup et si le gouvernement et les associations patronales et syndicales y travaillent avec ouverture d'esprit, franchise et modération.

Pour bien comprendre où nous en sommes actuellement dans notre régime de négociation dans le secteur public, il est sans doute important d'en décrire sommairement l'évolution et les principales caractéristiques. Essentiellement, le mode de négociation choisi à l'époque des années soixante a été calqué sur celui existant dans le secteur privé, lequel s'inscrit dans ce qu'il est convenu d'appeler le modèle nord-américain. Les caractéristiques principales en sont le monopole de représentation syndicale, l'obligation de convenir, de conventions collectives et un mode de résolution des différends permettant aux parties de s'imposer mutuellement des sanctions économiques. Vingt ans plus tard, après six rondes de négociation, de multiples modifications et d'importants soubresauts, force est de constater que le régime actuel de négociation comporte des défaillances structurelles majeures, favorise la confusion quant au rôle de l'État, conduit régulièrement à des affrontements et n'a pas la souplesse nécessaire pour s'adapter aux profonds changements que vit actuellement notre société.

Un bref bilan factuel s'impose. En six rondes de négociation, si l'on excepte les amendements de 1964 au Code du travail et l'adoption de la Loi sur la fonction publique de 1965, pas moins de quatre lois générales et douze lois spéciales sont venues soit modifier le régime de négociation, soit permettre de régler les différends qui, en tout état de cause, se sont soldés par la perte de millions de jours de travail.

Évoluant au rythme du développement accéléré d'un secteur public adéquat au

Québec et bénéficiant des situations économiques et financières favorables de la fin des années soixante et du début des années soixante-dix, le régime des relations du travail du secteur public a développé des caractéristiques qui le différencient nettement tant de celui du secteur privé que des régimes des autres secteurs publics nord-américains. Les deux principales sont la centralisation et la confusion quant au statut des parties négociantes.

Nécessaire au moment où l'on mettait sur pied et développait les grands réseaux de l'éducation et des affaires sociales, la centralisation a permis d'établir des règles de financement, des conditions de travail équitables à l'échelle de tout le Québec et un rattrapage à ce niveau.

Avec le temps, cependant, la centralisation a donné des conventions collectives extrêmement complexes qui restreignent de façon considérable la capacité des gestionnaires et des employés à convenir des aménagements éventuellement nécessaires pour ajuster l'organisation du travail aux caractéristiques de chacun des établissements ou organismes. Aujourd'hui, même sur des questions qui intéressent d'abord les intervenants sectoriels, régionaux ou locaux, la négociation est centralisée. Cela ne facilite pas l'existence d'un climat de travail qui favorise l'excellence des services et des conditions de vie au travail.

En corollaire de cette centralisation, du fait que tous négocient au même moment, surtout dans un système où l'utilisation du rapport de force est un aboutissement inhérent, l'analyse des négociations depuis 1972 démontre l'existence d'un immense malentendu, né de la confusion entre le rôle de l'État gouvernement et le rôle de l'État employeur. Par conséquent, ont été inclus dans le champ de la négociation et l'exercice du rapport de forces, des questions qui relèvent ultimement de la responsabilité du gouvernement, particulièrement en ce qui concerne les choix budgétaires fondamentaux qui reflètent ces politiques économiques et sociales.

Au Québec, s'est donc ajoutée, au mécanisme de relations du travail américain, une portée européenne à la négociation des conditions de travail. Le tout a eu pour conséquence de déséquilibrer la négociation et de faire en sorte que la solution des différends se situe en dehors du système par l'adoption répétitive de lois spéciales qui, en principe, se devraient d'être exceptionnelles.

Dans le secteur privé, le mécanisme de négociation suppose l'égalité des parties et la présence de contraintes économiques et financières qui délimitent les actions des intervenants.

Dans le secteur public, cela ne saurait être le cas. L'histoire l'a démontré, et ce, dans n'importe quel pays industriel

occidental. La négociation, avec le temps, suppose donc, au minimum, une responsabilisation sociale des intervenants et une acceptation de certaines contraintes propres à la nature de l'État gouvernement, gouvernement employeur.

Lorsqu'il a entrepris le processus de réforme du régime de négociation, le gouvernement s'est rapidement rendu compte que le point névralgique en était la recherche d'un équilibre qui permettrait de maintenir un régime de négociation qui, tout en respectant les standards démocratiques internationaux, serait adapté à la situation québécoise et permettrait d'aborder, de façon dynamique, les défis de la prochaine décennie. Un premier grand choix se ferait alors, soit s'inscrire carrément dans un système similaire à ceux existant en Europe ou soit maintenir, en l'adaptant aux besoins et à la réalité du Québec, un système nord-américain. Le premier signifiait, substantiellement, la modification des droits de représentation syndicaux en abolissant l'accréditation et le monopole et en lui substituant l'adhésion individuelle et un mécanisme de reconnaissance aux fins de négociations et de discussions basées sur la représentativité proportionnelle des syndicats. Le deuxième impliquait de ne modifier, en aucune façon, les droits de représentation syndicaux, mais plutôt un changement substantiel du mécanisme de négociation permettant de resituer les caractéristiques décrites ci-haut dans un cadre susceptible d'atteindre l'équilibre recherché.

Cet équilibre recherché, il importe de le définir de manière assez élaborée. Pour le gouvernement, un régime de négociation équilibré dans le secteur public signifie ceci: Premièrement, que les employés de l'État auront des conditions de travail équitables en matière normative comme en matière de rémunération et que celles-ci devront évoluer d'une manière comparable à l'évolution de leurs vis-à-vis du secteur privé. (11 heures)

Deuxièmement, que les employés du secteur public auront suffisamment de garanties dans le nouveau régime qu'ils n'auront pas besoin de recourir à la grève pour sauvegarder ou affirmer leur droit à une évolution normale de leurs conditions de travail actuelles et de leur rémunération par rapport à l'ensemble des travailleurs du Québec.

Troisièmement, qu'en tout état de cause, le recours à la grève redevienne l'ultime moyen de solution des différends et qu'on introduise plutôt des mécanismes de médiation, de négociation permanente, de négociation locale, de médiateur arbitre pour assurer que dans chaque établissement du secteur public comme dans l'ensemble du réseau, il y ait davantage d'occasions de régler les problèmes au lieu d'attendre le grand affrontement, tous les trois ans.

Quatrièmement, un régime équilibré devrait prévoir que le gouvernement n'est pas appelé une fois tous les trois ans à négocier son niveau de déficit ou de taxe et ses priorités gouvernementales avec les seuls représentants des employés du secteur public.

Cinquièmement, ce régime devrait permettre de s'attaquer aux problèmes actuels et à venir dans le secteur public et parapublic plutôt que de se livrer à des matchs revanches, toujours sur les mêmes enjeux, une fois tous les trois ans.

Sixièmement, un régime équilibré devrait permettre à l'État d'exercer les responsabilités ultimes que sont les siennes en matière politique, financière, fiscale, économique et sociale et lui permettre de maintenir à des niveaux concurrentiels ses dépenses publiques par rapport à ses concurrents économiques.

C'est là un exercice délicat et exigeant que de rechercher un tel équilibre, mais je le crois sincèrement possible. Prenons par exemple la question fondamentale de la rémunération. Je ne connais aucun parti politique, aucun organisme ou mouvement qui préconise aujourd'hui que les employés du secteur public et parapublic soient moins bien traités que ceux du secteur privé comme c'était le cas au début des années soixante. Il n'y a plus grand monde non plus pour défendre l'ancienne théorie de la locomotive, c'est-à-dire que les employés de l'État devraient être mieux payés et mieux rémunérés que ceux du secteur privé pour créer un effet d'entraînement quant à l'amélioration des conditions de travail dans le privé. Tout le monde sait aujourd'hui que la fameuse locomotive a tiré jusqu'à ce que le public rejoigne le privé. Par la suite, cette locomotive s'est mise à peser lourdement sur les taxes dans le secteur privé, pendant qu'elle filait avec ses passagers en toute sécurité d'emploi et s'éloignait sans cesse des travailleurs du secteur privé, atteignant 16% d'écart en rémunération globale en 1978, sans tenir compte de la sécurité d'emploi. Ainsi, si plus personne, ou à peu près, ne croit qu'un salarié de l'État devrait recevoir moins ou plus qu'un salarié qui fait un travail équivalent dans le secteur privé, quelqu'un pourrait-il m'expliquer pourquoi il faudrait s'entre-déchirer, débrayer, s'affronter une fois tous les trois ans sur cette question? Ne serait-il pas plus profitable, plus utile et satisfaisant pour tout le monde de rechercher ensemble les données comparatives, secteur public secteur privé, de négocier sur cette base qu'après trois mois de négociation le gouvernement informe l'Assemblée nationale de l'entente ou de ses conclusions, que celle-ci puisse juger si la proposition du gouvernement est conforme au consensus

social sur la question et que, finalement, le gouvernement fasse ce qu'il finit toujours par faire, même dans le système actuel, c'est-à-dire assume la lourde et ultime responsabilité de trancher?

Je pourrais passer ainsi en revue de nombreux chapitres de l'avant-projet et des conditions de travail des employés du secteur public et parapublic. Je me contenterai pour le moment d'indiquer que tout le travail effectué par le gouvernement pour définir un nouveau régime de négociation à été orienté dans cette direction fondamentales rechercher un équilibre qui permette au régime de négociation de générer en soi les solutions au défi que poseront les prochaines années en tenant compte de la situation actuelle et à venir plutôt qu'orienté vers le passé.

C'est donc à partir de ces choix et de ces considérations que le gouvernement a entrepris, dès janvier 1983, le processus de réforme du régime de négociation. Les souhaits qu'il faisait alors étaient que ce processus générerait, d'une part, une nouvelle forme de consultation formelle et régulière par le gouvernement auprès des divers agents socio-économiques, quant à ses priorités de développement social et économique, à sa capacité de payer, au niveau de ses dépenses, aux taxes, aux emprunts, à la qualité et au niveau des services et, d'autre part, permettrait d'atteindre un consensus sur un nouveau régime de négociation, plus responsabilisant et plus rationnel. Ces souhaits demeurent mais ils ne se sont pas encore concrétisés, d'où la nécessité de la tenue d'une commission parlementaire de l'institution démocratique qu'est l'Assemblée nationale.

Avant d'aborder le contenu de l'avant-projet de loi et d'expliquer en quoi il correspond aux objectifs recherchés, il est utile de faire état du cheminement du processus de réforme. Le 21 janvier 1983, le premier ministre faisait une proposition offrant, en cours de négociation, de mettre sur pied des comités paritaires sur la rémunération, l'emploi, etc. Depuis lors, les syndicats non affiliés ont accepté de siéger au comité paritaire sur la rémunération. Quant aux autres comités sectoriels, seule la Confédération des syndicats nationaux refuse d'y participer. Certains d'entre eux, comme le comité mixte sur la tâche des enseignants et le comité sur la sécurité d'emploi des enseignants, ont donné des résultats concrets.

Le 23 mars 1983, le message inaugural annonce la création d'un groupe de travail sur le renouvellement du régime de négociation dans le secteur public. En juin 1983, rencontre des syndicats par le groupe de travail spécial. À cette occasion, il est précisé aux syndicats que le gouvernement envisage deux voies pour réformer le régime de négociation. La première: une réforme négociée où le consensus entre les parties est garant du bon fonctionnement de la négociation et rend moins nécessaire la limitation à la négociation et au mécanisme de règlement des différends. La deuxième: une réforme unilatérale beaucoup plus stricte.

Malgré un accueil initialement positif, les centrales n'ont malheureusement pas accepté, par la suite, d'entreprendre des discussions sur ce sujet. Le 1er mai 1984, a été lancé le document de consultation sur la réforme du régime de négociation du secteur public intitulé "Recherche d'un nouvel équilibre". J'ai reçu alors le point de vue de plusieurs associations patronales et syndicales. Les centrales n'ont pas fait connaître le leur. Elles ont, par ailleurs, proposé de confier la réforme à la commission consultative sur le travail ou au Conseil consultatif du travail et de la main-d'oeuvre, ce qui n'a pas été accepté par le gouvernement.

Le 14 juin 1984, je proposais, cependant, aux centrales syndicales, de mener, si elles le désiraient, une démarche complémentaire à la mienne, pour définir leur proposition de réforme et, éventuellement, de le faire conjointement avec les syndicats non affiliés et les associations patronales du secteur public.

En juin et juillet 1984, les centrales syndicales, lors de rencontres avec le premier ministre, ont demandé une réouverture des négociations. Le 11 octobre 1984, j'ai soumis aux syndicats du secteur public, une proposition visant à devancer la négociation, à la condition qu'un accord-cadre établissant un nouveau régime de négociation convenu entre les parties soit conclu au préalable. Les associations patronales, malgré certaines réticences, étaient d'accord avec la proposition du gouvernement et certains syndicats non affiliés semblaient, à ce moment, également favorables à cette proposition.

Le 5 novembre 1984, les centrales syndicales soumettent une proposition, en réponse à la proposition précédente du gouvernement. La proposition des centrales, bien que manifestant des ouvertures, démontrait qu'elles n'acceptaient pas deux des trois conditions essentielles incluses dans notre proposition, c'est-à-dire qu'elles voulaient mener, en parallèle, la renégociation des conditions de travail dans la perspective de remplacer le décret par une convention négociée, ainsi que des échanges formels sur le régime de négociation. Deuxièmement, leur proposition avait pour effet d'entraîner le chevauchement de deux blocs de négociation, à savoir une négociation devancée qui se serait déroulée du 1er janvier au 31 mars 1985 et, à défaut d'entente, le processus actuel des lois 55 et 59 qui aurait été mis en branle à partir du début d'avril.

Préalablement, les centrales suggéraient d'établir un protocole définissant le cadre de travail. Toutefois, pour elles, il n'était pas question de discuter du fond, à cette occasion, mais tout simplement d'établir un ordre du jour pendant cette période.

Quant aux syndicats non affiliés, la position variait. Ainsi, entre autres, le SFPQ était contre une réouverture et deux des syndicats d'infirmières, le SPHQ et le FIL) semblaient prêts à discuter de la proposition du gouvernement. Devant cette impasse, le gouvernement a décidé de proposer un nouveau modèle de négociation en déposant un avant-projet de loi et en tenant une commission parlementaire où tous pourront s'exprimer ouvertement.

En effet, il paraît essentiel pour le gouvernement que cette question fasse l'objet d'un large débat public et que celui-ci soit d'autant plus serein et positif qu'il se doit de toucher le coeur, le fond des choses en cette matière.

La société québécoise ne saurait se satisfaire d'un jeu de cache-cache sur ces questions, non plus que d'un débat escamoté par quelques esclandres et deux ou trois changements de virgules. Le régime de négociation ne concerne pas seulement les associations patronales-syndicales et le gouvernement employeur. Ce n'est pas un contrat privé entre deux ou trois parties, mais bel et bien une partie importante de notre contrat social collectif et qui mérite donc d'être traitée comme telle.

Cet avant-projet de loi met de l'avant, quant au gouvernement, certains objectifs et principes qui ne briment ni ne nient, en aucune façon, le droit à la négociation de conditions de travail équitables pour les salariés du secteur public.

Voyons-en les principales directions. Premièrement, la décentralisation. En effet, le régime incite à une décentralisation progressive des négociations et la favorise. Cette décentralisation se ferait en douceur et pourrait être adaptée à la situation de chacun des secteurs ou sous-secteurs. Elle visera principalement les questions d'organisation du travail, les mouvements de personnel et les droits syndicaux, donc, des sujets aux répercussions importantes sur la vie au travail au niveau local.

Elle permet la négociation et la solution des problèmes concrets de relations du travail qui sont vécus quotidiennement dans chacun des établissements ou organismes des réseaux, et ce, sur une base de négociations permanentes.

Il s'agit là d'une grande amélioration qui permettra aux employés, aux syndicats et aux administrateurs de résoudre les problèmes rapidement et en fonction de leur vécu. C'est là un changement nécessaire, car qui voudrait perpétuer la situation actuelle où on ne négocie officiellement que tous les trois ans et où le moindre problème local, si on a le temps de le discuter, ne peut être résolu que selon le plus bas dénominateur commun susceptible d'être accepté par tous?

Qui voudrait, également, perpétuer l'incapacité légale de s'entendre localement, parce que la convention collective nationale ne le permet pas, ne l'a pas prévu ou le prévoit différemment?

Bien sûr, on argumentera qu'il n'y a pas de droit de grève sur ces sujets. Mais il lui a été substituée une chose qui n'existe nulle part ailleurs: la garantie du statu quo, à moins que les parties ne conviennent de le modifier ou de permettre auxmédiateurs d'arbitrer le différend.

Ce mécanisme devrait permettre un échange mutuel et dynamique entre les parties dans un cadre où seraient pris en compte les problèmes et nécessités de chacun.

Je suis convaincu que l'immense majorité des salariés préférerait un tel régime à celui qui prévaut actuellement. Enfin, ils auraient, sur le plan local, la garantie du statu quo, mais surtout la possibilité de le faire évoluer en fonction du vécu de leur établissement, plutôt que d'attendre trois ans, en accumulant de la frustration et en espérant que quelqu'un voudra bien, quelque part, dans une salle d'hôtel, à une table de négociation, s'attarder à son problème. Un tel système ne peut faire l'affaire que de ceux qui en vivent, certainement pas de ceux qui en subissent les conséquences. (11 h 15)

Deuxième sujet, la rémunération globale et la rémunération. La mise sur pied d'un institut de recherche vient consacrer le principe de la comparabilité. C'est un point important, d'autant plus qu'actuellement la tendance de certains grands pays occidentaux est de rémunérer globalement les employés du secteur public, considérés comme protégés, moins que ceux du secteur privé. Telle n'est pas la politique du gouvernement du Québec ni, comme je l'ai indiqué, et sauf erreur, d'aucun parti politique.

De plus, le mécanisme, qui emprunte beaucoup aux anciens "Pay Research Unit" et "Pay Research Bureau" britanniques, devrait favoriser le dialogue permanent entre les parties et, éventuellement, permettre d'aborder des sujets importants qui n'ont jamais été pleinement discutés et négociés comme la discrimination salariale, la hiérarchie des salaires, l'attraction, la rétention et la protection des bas salariés.

Quant à la rémunération qui recouvre essentiellement les salaires et les échelles de salaire, elle est négociable annuellement pendant au moins quatre mois, ce qui est plus long qu'aucune des rondes passées. Les autres aspects de ce qui est généralement conçu comme faisant partie de la

rémunération globale sont négociables selon les mêmes règles que la négociation nationale, y compris le droit de grève.

Pourquoi cette modification? Essentiellement, parce qu'elle permet de suivre fidèlement et sans à-coup, une fois tous les trois ans, le principe de la comparabilité parce qu'elle assure que des ententes ne seront pas conclues en fonction de prévisions triennales que la conjoncture se charge généralement de modifier défavorablement pour l'une ou l'autre des parties. Mais il y a un autre point. Le mode de détermination de la rémunération permet à l'Assemblée nationale de prendre connaissance d'un élément qui touche une partie fondamentale du budget, et surtout elle survient au cours de la période où sont adoptés les crédits du gouvernement et peu avant le dépôt du budget. Ce mécanisme devrait favoriser la mise en place éventuelle d'une forme de consultation formelle par le gouvernement des divers agents socio-économiques concernés par les orientations du gouvernement qui touchent l'ensemble de la société.

La négociation nationale. Quant à la négociation nationale, elle demeure sous la forme traditionnelle, mais sera désormais restreinte à un nombre limité de sujets ayant un impact considérable. Ceci devrait permettre une négociation où seront considérés l'ensemble des facteurs et des contraintes reliés à ces sujets. De plus, les travaux de l'institut de recherche viendront jeter un éclairage nécessaire sur certains aspects de cette négociation.

Pour éviter le recours à la grève comme moyen de règlement des différends, l'avant-projet propose différentes formes de médiation, des moyens d'assurer la diffusion d'information et des délais de réflexion aux deux parties afin de favoriser l'émergence d'un point d'équilibre à l'intérieur du régime de négociation.

En ce qui concerne les services essentiels, le Conseil des services essentiels verrait ses pouvoirs augmentés particulièrement avec l'ajout du pouvoir d'émettre des ordonnances de faire ou de ne pas faire ce qu'on appelle en anglais "Seize and Desist Order", lors de pratiques déloyales, grève, lock-out et ralentissement, d'activités illégales et de non-respect des listes, par exemple. Ce sont là des mécanismes viables de relations du travail, du moins si on se fie aux expériences du Canada anglais.

Somme toute, et contrairement à ce que certains pourraient affirmer, cet avant-projet ferait que notre régime de négociation demeurerait toujours un des plus libéraux du monde occidental. Il ne renie pas l'expérience québécoise en matière de négociation dans le secteur public; il tente plutôt de la faire évoluer en s'inspirant finalement des concepts suivants: la décentralisation, la négociation permanente, la médiation, la déjudiciarisation et, en ce qui concerne la rémunération, une négociation assise sur un consensus social plutôt que sur l'affrontement.

Ce que reflète cet avant-projet, c'est donc à la fois des orientations et des moyens pour les atteindre. Sortir le Québec des ornières de l'affrontement, voilà une orientation très largement partagée. Les moyens proposés sont-ils les bons? Le gouvernement est toujours convaincu qu'il n'y a pas de vérité absolue en ces matières et qu'il est disposé à recevoir les opinions de chacun avant d'arrêter un projet de loi pour la session du printemps. Une seule chose est absolument nécessaire, c'est d'éviter de replonger le Québec dans l'affrontement à la prochaine négociation en n'ayant rien changé dans les règles du jeu qui nous y conduisent.

En terminant, je voudrais m'adresser aux employés des secteurs public et parapublic ainsi qu'à leurs syndicats. Aux employés du secteur public, je veux dire que c'est largement pour eux aussi que le gouvernement propose cette réforme du régime de négociation. Pour eux, parce que le gouvernement sait fort bien combien ont été pénibles, démotivantes et de plus en plus insatisfaisantes les dernières rondes de négociation. Le gouvernement ne veut plus leur faire revivre de telles frustrations. Pour eux aussi, parce que le gouvernement sait, comme eux, qu'il serait inacceptable de remettre en cause des principes aujourd'hui reconnus en matière de rémunération équitable en comparaison avec le secteur privé, de sécurité d'emploi, de régimes d'assurances et de retraite, d'équité régionale. Ce sont là des acquis et ce ne seront pas là les défis des prochaines négociations.

Dans l'avenir, les défis seront plutôt reliés aux impacts des changements technologiques, au recyclage et au perfectionnement, à la souplesse dans l'organisation du travail, aux préoccupations légitimes de mobilité et de carrière personnelle, à la place que les jeunes peuvent avoir dans le secteur public, à la lutte aux discriminations en emploi et dans les régimes de retraite. Ce sont ceux-là, les défis de l'avenir, et le gouvernement le sait bien. Pour les relever adéquatement, le gouvernement est cependant convaincu que ces défis font bien davantage appel à la compréhension dans le sens de l'intelligence des situations et des données, à la recherche conjointe de solutions plutôt qu'à la force brutale qui tente d'imposer un point de vue dans un affrontement où tout est à recommencer, tous les trois ans.

Enfin, aux associations syndicales qui ont refusé jusqu'à maintenant de venir témoigner devant cette commission, je dirai

simplement ceci: À mon avis, elles ont manqué une bonne occasion de venir dire aux parlementaires comment elles voient l'avenir des négociations dans le secteur public. Il est tout à fait légitime que les associations syndicales aient des points de vue différents de ceux du gouvernement sur bien des questions. C'est justement pour tenir compte de leur point de vue que le gouvernement a déposé un avant-projet de loi en indiquant bien qu'on ne prétendait pas qu'il s'agissait là d'un bloc solide de vérité absolue. Il me semble qu'il aurait été de l'intérêt de la démocratie, mais aussi des membres de ses syndicats, que leurs dirigeants viennent ici dire tout haut ce qu'ils souhaitent, et pourquoi, comme régime de négociation.

Je suis tout de même optimiste, M. le Président, et j'ai confiance de voir ce3 syndicats contribuer positivement à ce débat public. En effet, il semble qu'après plusieurs mois d'hésitation, sinon même de refus chez certains, de considérer même la possibilité de modifier le régime de négociation, tous les syndicats du secteur public travaillent maintenant à définir une proposition commune de réforme. Cela est très positif, car une semblable invitation de ma part en juin dernier était restée lettre morte. De plus, au lendemain du dépôt de l'avant-projet, les trois principales centrales se déclaraient en faveur du statu quo. Voilà maintenant qu'une coalition de tous les syndicats du secteur public annonçait, il y a quelques jours, qu'ils présenteraient un projet commun de réforme du régime. Lentement, les choses avanceraient donc positivement.

Je puis vous assurer, M. le Président, que si ces syndicats sont prêts à me soumettre rapidement une telle proposition, le gouvernement du Québec la considérera. Je dis bien rapidement, car s'il s'agissait d'une simple mesure dilatoire, cela deviendra vite évident, compte tenu que c'est dans deux mois, soit le 5 avril prochain, que la mécanique infernale de l'ancienne machine à produire les affrontements se mettrait en marche.

En tout cas, je souhaite vivement que les centrales syndicales et les syndicats non affiliés de cette coalition déposent un tel projet de réforme. C'est bien beau de s'opposer à un avant-projet, de refuser de participer à une commission parlementaire sur un avant-projet, mais c'est beaucoup plus responsable, en effet, dans un tel débat public, sur un sujet aussi fondamental, de dire tout haut ce que l'on a à proposer ce que l'on a à mettre sur la table. Je demeure convaincu que si les syndicats définissent ainsi rapidement une proposition qui tient compte de la réalité d'aujourd'hui, un terrain d'entente sera possible à trouver. Si, par malheur, une telle proposition n'était qu'une astuce pour éviter le débat ou si elle n'était qu'un renforcement du statu quo, chacun portera son jugement. Mais le gouvernement proposera de toute façon, ce printemps, un projet de loi qui tiendra compte, autant que faire se peut, des commentaires et opinions de chacun. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Lachance): Merci, M. le ministre. La parole est maintenant au porte-parole de l'Opposition officielle, M. le député de Portneuf.

M. Michel Pagé

M. Pagé: Merci, M. le Président. Comme j'avais l'occasion de l'indiquer au moment du dépôt de l'avant-projet de loi à l'Assemblée nationale du Québec par le ministre responsable du Conseil du trésor, le député de Drummond, c'est avec beaucoup d'intérêt que nous amorçons aujourd'hui la procédure de consultation, ici en commission parlementaire, en regard des propositions formulées dans cet avant-projet de loi.

Depuis maintenant deux décennies, plus précisément depuis septembre 1964, le gouvernement du Québec a adopté une série de dispositions législatives qui ont déterminé le cadre légal des relations du travail des secteurs public et parapublic. Ce nouvel encadrement permettait aux travailleurs et aux travailleuses de ce secteur d'exercer des droits nouveaux: droit de syndicalisation, de négociation de conventions collectives, droit de grève, droit d'arbitrage, etc. On se rappellera qu'à cette période les salariés de l'État se trouvaient très nettement en retard en termes de rémunération et de conditions de travail comparativement au secteur privé. Il existait, en fait, un écart considérable, notamment entre les salaires du privé et ceux du public, qui justifiait à l'époque un tel rajustement. Il convenait de plus de créer des conditions propices pour attirer dans le secteur public les compétences requises à l'effort de modernisation de l'appareil de l'État, ce qui était et qui a été l'un des grands objectifs de la révolution tranquille des années soixante.

C'est donc dire que, dans l'élan d'une nouvelle législation du travail et d'une demande sans cesse croissante d'effectifs publics nécessaires à la mise en oeuvre et à l'accomplissement de la modernisation du Québec, les salariés des secteurs publics et l'État se sont engagés sur la voie de l'amélioration des conditions de travail pour en arriver à un certain équilibre. De telle sorte qu'aujourd'hui tous reconnaissent que les travailleurs et travailleuses de l'État ont rattrapé et même dépassé, à plusieurs égards, ce qui se fait de mieux en termes de conditions de travail dans le secteur privé de notre économie. Ce faisant, la masse salariale des employés de l'État a augmenté au point de représenter aujourd'hui environ 50% du budget de l'État. C'est donc dire un

nombre très important d'employés, une capacité de payer sans cesse déclinante de l'État et une mécanique de négociation qui, progressivement, a été centralisée, tout cela pour déboucher sur une cartellisation presque totale.

C'est ce qui constitue les caractéristiques majeures du contexte des négociations dans le secteur public, lesquelles procèdent pourtant toujours en vertu des mêmes règles de base adoptées il y a 20 ans.

Au fil des ans, le problème fondamental de l'exercice du droit de grève et du maintien des services essentiels revient régulièrement à la surface. Cette expérience des 20 dernières années démontre que ce régime de relations du travail a favorisé très souvent des affrontements qui privaient les citoyens de services pourtant reconnus comme essentiels et forçaient le ou les gouvernements à intervenir à de nombreuses reprises, presque sur une base régulière.

Pour ne citer que quelques-unes de ces interventions par lois spéciales qui ont été adoptées ici à l'Assemblée nationale, mentionnons d'abord que la première a été adoptée le 17 février 1967 et avait pour but d'assurer le droit de l'enfant à l'éducation tout en instituant un nouveau régime de conventions collectives dans le secteur scolaire. En avril 1972, c'était la loi assurant la reprise des services dans le secteur public. En juin 1976, c'était la Loi modifiant la Loi sur les tribunaux judiciaires, le chapitre 8. En avril 1976, c'était la loi concernant le maintien des services dans le domaine de l'éducation et abrogeant différentes dispositions législatives. En juillet 1976, on s'en souviendra, c'était la loi concernant les services de santé ' dans certains établissements et le problème plus particulier des infirmières. En novembre 1979, c'était la loi sur les propositions aux salariés des secteurs de l'éducation, des affaires sociales et de la fonction publique. C'est le chapitre 50. Le ministre s'en souvient très certainement. (11 h 30)

En décembre 1979, c'était la loi assurant le maintien des services d'électricité et prévoyant les conditions de travail des salariés d'Hydro-Québec. Cette grève avait affecté des milliers et des milliers de Québécois au mois de décembre de l'année 1979. En mars 1980, c'était la loi assurant la reprise de certains services de la ville de Montréal et de la Communauté urbaine de Montréal. En octobre 1980, c'était la loi sur certains différends entre les enseignants et les commissions scolaires; si ma mémoire est fidèle, c'était plus particulièrement dans la région de la Mauricie. En janvier 1982, une autre loi, celle concernant les services de transport de la Communauté urbaine de Montréal. En juin 1982, c'était la loi sur la reprise des soins médicaux au Québec, chapitre 20. En novembre 1982, c'était la loi assurant la reprise du service de transport en commun sur le territoire de la Communauté urbaine de Montréal. En décembre 1982, la loi concernant les conditions de travail dans le secteur public. En mai 1983, c'était la loi assurant la reprise du service de transport en commun sur le territoire de la Communauté urbaine de Montréal. Toute une série de mesures législatives qui sont survenues, qui nous ont été présentées ici à l'Assemblée nationale du Québec, à la suite de conflits, de problèmes, parfois généraux, parfois particuliers, soit en cours de convention ou en cours de négociation, mais toujours concernant cette question combien importante, non seulement pour notre société, mais aussi pour l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec, des services qu'un gouvernement doit donner à sa population.

Qu'on se réfère pendant quelques minutes au nombre de jours-hommes, de jours-femmes perdus dans le cadre de conflits au Québec dans les secteurs public et parapublic depuis l'adoption de ces lois en 1965 et 1966. On constate qu'à chaque année la société québécoise a eu à souffrir d'un nombre significatif et important de jours perdus en raison de tels conflits. Je n'en ferai pas toute la nomenclature mais qu'il me suffise de vous dire qu'en 1972, il y eut 1 993 860 jours-hommes-femmes perdus au Québec, à la suite de conflits. En 1976, c'était 1 394 000 jours, du capital humain qui n'a pas été investi dans la dotation de services à des clientèles qui sont les citoyens contribuables et qui ont droit à ces services. En 1979, c'était 1 004 000 jours; en 1980, 1 438 000 jours-hommes-femmes perdus; en 1983, c'était 1 278 000 jours. Ce sont des statistiques qui proviennent du Centre de recherche et de statistiques sur le marché du travail.

En 18 ans, ce sont près de 10 000 000 de jours-hommes-femmes qui ont été perdus en raison des conflits. Est-ce que notre société québécoise peut se permettre, peut continuer ou souhaite continuer à vivre avec une moyenne annuelle de 500 000 jours-hommes-femmes perdus en raison des conflits dans les secteurs public et parapublic? Cette question, en plus de tous les autres aspects de la négociation, l'aspect budgétaire, l'aspect de la comparabilité au secteur privé, doit être posée et soulevée dans le cadre des travaux de notre commission.

C'est donc dire que des situations aussi malheureuses qu'inacceptables ont trop souvent dû être constatées, et surtout dans le domaine de la santé et des services sociaux, à l'occasion de telles grèves ou de lock-out. Consciente des problèmes vécus lors des différentes rondes de négociation, notre formation politique, à la suite d'une

réflexion, proposait des changements basés sur la primauté du droit des bénéficiaires à des services publics suffisants et de qualité sur tout autre droit par ailleurs reconnu à un groupe particulier de citoyens. Malheureusement, le présent gouvernement n'a pas fait sienne cette recommandation. De plus, on doit constater qu'il aura attendu à la fin d'un deuxième et possiblement d'un dernier mandat pour afficher ses couleurs.

Au début du premier mandat de ce gouvernement, les milieux syndicaux entrevoyaient un nouveau climat de relations entre l'État employeur et ses employés. On s'en souviendra, ce gouvernement péquiste faisait pompeusement étalage d'un soi-disant préjugé favorable pour les travailleurs. Les employés des secteurs public et parapublic ont eu l'occasion, il faut en convenir, de profiter, en 1979 et 1980, de l'échéancier référendaire et électoral pour obtenir des conditions de travail plus avantageuses. Mais lors de la dernière négociation, le gouvernement a renié sa signature et il a ainsi bafoué ses employés.

Cette façon de procéder du gouvernement a été et est toujours préjudiciable non seulement au climat de travail des employés des secteurs public et parapublic mais aussi à la crédibilité même du gouvernement comme gestionnaire et employeur négociant de bonne foi.

On s'en souviendra, l'illusion de climat de confiance et de concertation à coup de déclarations fracassantes, tant du côté des relations du travail dans le secteur privé que dans dans les secteurs public et parapublic, aura été créé artificiellement de toutes pièces par le gouvernement.

En parlant de l'illusion de climat de confiance et de concertation véhiculée par le gouvernement, regardons d'un peu plus près la dernière ronde de négociation. Mal engagée dès le départ, celle-ci a été menée de façon irresponsable par le gouvernement, ce qui n'est pas sans avoir eu des conséquences sur la signification même du processus de négociation dans le secteur public. Pour la première fois durant cette période, l'idée d'une masse monétaire globale, non négociable, était imposée sans savoir s'il s'agissait d'une volonté politique ou le simple fruit et résultat de la pression des événements.

Les lois 70 concernant la rémunération dans le secteur public et 68 modifiant différentes dispositions législatives en regard des régimes de retraite, et ce en juin 1982, sont venues établir le prédédent d'une modification unilatérale des termes d'une convention collective dûment signée et en vigueur. Nulle part ailleurs en société démocratique pareille chose ne s'était produite. L'obstination du gouvernement de vouloir à tout prix équilibrer ses comptes d'une manière arbitraire et injuste pour une catégorie de citoyens, soit les employés de l'État, à qui l'on demandait, et l'on a finalement demandé, de payer seuls les dégâts de la politique financière du gouvernement, tout cela devait mener tout droit à un affrontement débouchant sur la loi 105, laquelle est venue fixer les conditions de travail dans le secteur public. Tout le monde, sauf le gouvernement, est unanime à constater que cela a été mal engagé.

Les lacunes de notre régime de négociations dans les secteurs public et parapublic sont devenues encore plus évidentes dans le contexte de la crise économique de 1982 et de la panique, la véritable panique qui s'est emparée d'un gouvernement financièrement aux abois.

Ce qui précède établit clairement que notre formation, le Parti libéral du Québec, partage avec une grande majorité de Québécois et de Québécoises l'opinion qu'une réforme d'envergure de notre régime et du régime de négociation des secteurs public et parapublic s'impose plus que jamais. D'ailleurs, d'ici à quelques jours, nous aurons l'occasion de rendre public - cela ne prendra ni des semaines ni des mois; c'est strictement d'ici à quelques jours. Très probablement qu'on pourra y revenir en cours de travaux ou à la fin de nos travaux en commission parlementaire - nous aurons l'occasion de nous référer à un document de réflexion qui a été élaboré par notre commission politique et qui sera soumis aux membres de notre congrès, lequel se réunira les 1er, 2 et 3 mars prochain. Ce document touchera à la plupart des grands dossiers économiques, politiques et sociaux du Québec d'aujourd'hui, y compris, bien entendu, celui des relations du travail dans le secteur privé et celui des relations du travail dans les secteurs public et parapublic.

Puisque l'occasion m'est aujourd'hui offerte d'expliquer la position ou l'orientation de notre groupe politique sur la réforme du régime de négociation des employés de l'État, j'en profiterai pour lever le voile sur la partie du document de réflexion qui en traite spécifiquement. Sans aller dans les détails évidemment, la plomberie, j'entends exposer les principes de base et les grandes orientations de notre projet de réforme.

Notre groupe politique entend s'associer à une réforme, entend réformer, si la population lui donne le mandat de le faire, le régime de négociation des secteurs public et parapublic en s'appuyant sur quatre principes de base. Premièrement, ces modifications devront reconnaître et établir clairement la primauté du droit des citoyens à la santé et à la sécurité, laquelle primauté doit, en toutes circonstances, primer et passer avant toute autre considération. C'est pour nous un principe élémentaire et fondamental dans une société démocratique

évoluée. Cette primauté est aujourd'hui reconnue dans le cas des services, entre autres, de pompiers et de police, auxquels la loi ne reconnaît pas de droit de grève ni de lock-out. Mais elle est malheureusement remise en cause fréquemment dans le cas notamment des services de santé, services pourtant réputés essentiels en tout temps. Qu'il suffise de me référer à la situation combien malheureuse qu'on a vécue comme société dans une région spécifiquement affectée, qu'on a vécue comme collectivité en regard d'un non-respect de nos lois. Je me réfère évidemment à la situation qu'on a vécue cet automne à Saint-Ferdinand d'Halifax, avec toutes les conséquences que le règlement intervenu peut avoir sur les prochaines négociations.

Deuxièmement, pour nous, les employés de l'État ont ie droit de s'associer librement pour négocier les conditions de travail dans le cadre prescrit par la loi. C'est une question d'équité et de justice à l'égard d'un important groupe de travailleurs et travailleuses de notre société. C'est aussi la reconnaissance que le syndicalisme peut jouer un rôle fort positif pour le maintien et l'amélioration des conditions de travail des employés.

Troisièmement, l'État employeur et les syndicats concernés doivent reconnaître que le cadre dans lequel s'inscrivent les relations du travail des secteurs public et parapublic ne peut être le même que celui qui s'applique au secteur privé. Il y a trop de caractéristiques particulières au secteur gouvernemental pour qu'il soit souhaitable d'y appliquer sans nuances les dispositions du Code du travail et de ses compléments législatifs.

Si on précise davantage, on doit retenir qu'il est frappant de constater comment, au Québec, nous avons opté pour une forme de négociation de plus en plus centralisée. Contrairement à la plupart des autres administrations de taille comparable en Amérique du Nord, nous avons choisi d'aborder les négociations collectives entre l'État et ses employés à l'intérieur d'une opération unifiée de très grande envergure qui met en présence l'État employeur et les représentants syndicaux réunis en cartel intersyndical, soit en front commun.

Cette approche a eu deux grandes conséquences plus ou moins désirables: la centralisation à outrance et la bureaucratisation excessive des services publics par le biais de conventions collectives extrêmement complexes et détaillées et aussi la politisation du processus de négociation, celui-ci dégénérant le plus souvent en affrontements où la paix sociale est régulièrement mise en péril.

Face à ce système qui devient de moins en moins contrôlable à chaque ronde de négociation, nous avons deux choix: décartelliser, si je peux utiliser le terme, morceler le processus de négociation selon le modèle de l'Ontario ou du fédéral, par exemple, ou encore conserver le processus centralisé mais en réduire la portée, en diminuer le potentiel d'affrontement.

Conscient qu'il serait difficile, après 20 ans, de réécrire l'histoire à rebours, c'est dans la seconde voix que notre groupe politique, le Parti libéral du Québec, entend s'engager. Nous voulons et nous souhaitons que le cadre centralisé de la négociation soit maintenu, mais nous insistons pour que le domaine, le territoire de négociation qui lui est ouvert soit considérablement réduit. Autrement dit, nous croyons fermement que la partie syndicale doit accepter, et les syndicats doivent accepter, qu'en contrepartie du rapport de force très avantageux que lui confère le cartel intersyndical, le nombre et l'étendue des sujets ouverts à la négociation doivent être restreints. C'est dans ce sens que les relations du travail des secteurs public et parapublic ne peuvent être envisagés dans la même optique des relations du travail dans le secteur privé. (11 h 45)

Le quatrième principe que nous retenons, c'est la responsabilité du gouvernement à l'égard de l'équilibre des finances publiques, la capacité de payer des contribuables et la compétitivité de l'économie québécoise. On conçoit facilement que l'État ne peut soumettre la détermination de la moitié de son budget deux ou trois ans à l'avance aux résultats d'une opération conventionnelle de négociation de conventions collectives. C'est non seulement la paix sociale, mais la marge de manoeuvre financière du gouvernement, la taille de son déficit budgétaire et le fardeau fiscal dans l'économie tout entière qui y sont en cause. De plus, les conditions de travail du secteur public ont tendance à influencer, comme on le sait, les conditions de travail du secteur privé par effet d'osmose, d'imitation ou de débordement. Les syndicats l'ont compris depuis longtemps puisqu'ils invoquaient encore, il y a quelques années, la thèse de la locomotive pour justifier leurs revendications face à l'État employeur. Dans le contexte économique difficile d'aujourd'hui, il est bien évident que cette thèse n'a plus sa place. En concédant à ses employés des conditions plus avantageuses que celles qui prévalent dans le secteur privé, l'État, il faut en convenir, compromet la position concurrentielle des entreprises et la création d'emplois au Québec, deux priorités auxquelles aucun gouvernement responsable ne saurait se soustraire?

Quelles sont les conséquences pratiques de l'application de ces quatre principes à la réforme du cadre de négociation des secteurs public et parapublic? Elles sont nombreuses, et nous aurons l'occasion de les préciser au

cours des prochains jours et des prochaines semaines. On peut cependant dégager dès maintenant la première et la plus importante: c'est qu'une réforme d'envergure s'impose depuis longtemps. Le fait que le gouvernement actuel en prenne conscience aujourd'hui, après huit ans, au début de sa neuvième année de pouvoir et à sa troisième ronde de négociation, en dit long et témoigne de sa compréhension du problème et de sa capacité d'y faire face.

Nous, de l'Opposition officielle, le Parti libéral du Québec, constatons que les travailleurs syndiqués et leurs dirigeants font aujourd'hui preuve d'une ouverture d'esprit, d'une compréhension des problèmes beaucoup plus grande qu'il y a quelques années. Il suffit d'être en contact, dans les régions, avec les travailleurs et les travailleuses, avec leurs représentants, pour constater que le discours a changé, que les intérêts ne sont plus les mêmes, que Ies revendications ne sont plus les mêmes, qu'ils sont conscients et conscientes de la crise économique qui a frappé plus durement le Québec que toutes les autres provinces et des écueils qui résultent des négociations et des conventions collectives qui sont signées, plus particulièrement en ce qui concerne la comparabilité avec le secteur privé. Les syndicats ne parlent plus de casser le système, de refaire la société selon un modèle idéologique étranger à notre environnement nord-américain. Il y a donc là les germes d'un consensus éventuel, d'une possibilité de s'asseoir et de s'entendre pour le plus grand bien du Québec et de ses citoyens.

En contrepartie, cependant, nous comprenons parfaitement leur méfiance à l'endroit du gouvernement actuel, de ses méthodes autoritaires et des lois matraques qui ont été adoptées ici à l'Assemblée nationale après que des contrats furent signés. Nous comprenons aussi leur réticence bien normale à aborder une telle réforme avec, comme interlocuteur, un gouvernement qui, il faut en convenir, est essoufflé, profondément divisé - tout le monde le voit à tous les jours - et qui est pratiquement rendu au bout de son mandat. De ce point de vue, nous pourrions avoir, d'ici à quelques mois, après l'élection très probablement, une conjoncture politique bien meilleure pour s'asseoir, échanger et surtout s'entendre.

En attendant toutefois, il est souhaitable de faire progresser le dossier d'une manière constructive et positive en vue, notamment, de la reconnaissance du premier principe que nous avons invoqué précédemment, soit la primauté absolue du droit du citoyen et des bénéficiaires aux services publics qui conditionnent leur santé et leur sécurité. Ce principe vient en premier lieu car il définit un droit fondamental, un absolu à l'égard duquel aucun compromis n'est possible. Et si ce droit à la santé et à la sécurité des citoyens doit primer toute autre considération, il ne peut être mis en parenthèse, être suspendu provisoirement, le temps d'une négociation, d'une grève ou d'un lock-out.

Ce que la population attend de nous tous, participants à cette commission parlementaire, des deux côtés de la table, c'est que nous fassions finalement progresser les esprits et les coeurs vers des positions de consensus qui déboucheront éventuellement sur des mesures concrètes et réalistes à la lumière de la fin de la décennie 1980. C'est que nos conclusions ouvrent la voie à une réforme qui mettra un terme, une fois pour toutes, au cortège des affrontements stériles qui ne servent présentement ni les intérêts du gouvernement quels qu'ils soient, ni ceux de ses employés, ni ceux des syndicats, ni ceux du public en général.

M. le Président, nous comprenons, évidemment, la position, l'attitude adoptée par plusieurs intervenants de première ligne dans ce dossier. Vous aurez compris que je réfère aux syndicats qui nous ont, malheureusement il faut en convenir, signifié qu'ils ne participeraient pas à nos travaux. Nous comprenons leur réticence, nous comprenons leur réserve, nous nous expliquons le pourquoi d'une telle attitude, compte tenu que ce projet vient en fin de mandat, compte tenu que ce projet vient à quelques mois du début d'une prochaine ronde de négociation et compte tenu aussi des lois qui ont été adoptées ici à l'Assemblée nationale.

Au nom de notre groupe politique, je me permettrai de les inviter à reconsidérer leur décision. Il a été convenu au début de nos travaux et en commission préparatoire que l'ordre du jour de nos travaux n'était pas terminé, qu'on pouvait toujours ajouter des séances. Ce serait faire oeuvre utile pour les employés que ces syndicats représentent et pour le public, pour les citoyens et pour les citoyennes du Québec de venir s'asseoir à la table avec nous et nous dire en quoi le projet de loi se devrait d'être considéré, et aussi et surtout en quoi et pourquoi et comment il devrait être modifié, avec comme objectif d'en arriver avec un consensus que de plus en plus de gens... Et si ce n'est pas l'unanimité, c'est la très grande majorité des citoyens du Québec qui souhaitent, en ce début d'année 1985, à quelques mois d'une autre négociation pour le renouvellement de ces contrats de travail, c'est la très grande majorité des citoyens qui souhaitent que le gouvernement et ses employés et les autres intervenants puissent s'asseoir et s'entendre et ce, pour le plus grand bien du Québec d'aujourd'hui et de demain.

Motion proposant que la commission puisse siéger à Montréal

M. le Président, avant d'ajourner - on sait qu'il est 11 h 52 - j'ai référé au début de nos travaux à la requête qui avait été formulée par M. Brunet. Je vous avais indiqué que j'ai donné un préavis d'une motion que j'entendais déposer. On sait qu'on devra se réunir en comité restreint à l'ajournement de nos travaux ce midi. On sait, de plus, que la commission de l'Assemblée nationale du Québec doit se réunir le jeudi 31 janvier prochain, soit dans deux jours. Je dépose la motion suivante -on pourra peut-être la débattre à un autre moment ou encore l'adopter à l'unanimité compte tenu des échanges que nous aurons:

Que, conformément au paragraphe 3 de l'article 114 de nos règles de procédure, la commission du budget et de l'administration de l'Assemblée nationale demande à la commission de l'Assemblée nationale l'autorisation de siéger en dehors de l'Assemblée nationale et plus particulièrement à Montréal, à une date à déterminer pour entendre la Coalition pour les droits des malades sur l'avant-projet de loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic.

Nous souhaitons vivement que ces gens puissent être entendus, ces gens qui, trop souvent malheureusement, sont durement frappés par des conflits et ne peuvent se déplacer pour venir aussi.

Le Président (M. Lachance): Merci, M. le député.

M. Pagé: Je conviens qu'elle pourra être débattue ultérieurement, mais avant jeudi si possible, parce que cela doit passer à la commission de l'Assemblée nationale qui se réunit jeudi. Merci.

Le Président (M. Lachance): M. le ministre.

M. Clair: M. le Président, j'indique immédiatement que notre formation politique appuiera cette résolution ou cette motion du député de Portneuf, quitte cependant à s'entendre sur les modalités, la date et aussi à bien confirmer, je pense que c'est là l'intention des parlementaires, que cette commission rogatoire aurait pour unique mandat actuellement de rencontrer le président du regroupement des malades, M. Claude Brunet, et non pas de partir en commission rogatoire sur un grand nombre de sujets ou d'intervenants quitte à ce que la commission reconsidère cela plus tard.

Maintenant, M. le Président, je voudrais revenir, très très rapidement sur l'invitation qu'a lancée le député de Portneuf aux centrales syndicales de venir en commission parlementaire, indiquant que celle-ci pourrait prolonger ses travaux. Je pense que son invitation va exactement dans le sens de ce que j'ai dit en conclusion, à l'effet que le gouvernement, quant à lui, non seulement est toujours prêt, mais désireux de connaître, de recevoir, de prendre en considération le point de vue des syndicats des secteurs public et parapublic sur ces questions. Effectivement, j'avais indiqué, au moment d'une séance de travail, que nous serions ouverts, quant à nous, à ce que la commission puisse siéger à d'autres dates que celles prévues jusqu'à maintenant pour entendre ces syndicats. Encore une fois, je pense que le député de Portneuf en conviendra, malgré ses propos quelque peu partisans qu'on ne peut lui reprocher - il fait son travail - je pense qu'il conviendra cependant que si l'on voulait faire du travail utile, compte tenu que c'est le 5 avril prochain que la mécanique des lois 55 et 59 se met en branle, il faudrait que cette comparution devant cette commission soit rapide si l'on voulait faire un travail utile, et non pas la convoquer en septembre prochain.

Comme dernier point, M. le Président, je ne peux pas m'empêcher de dire ceci au député de Portneuf! En ce qui concerne le non-respect de la signature, je veux bien qu'il ait cette opinion du gouvernement du Québec, mais je lui dirais simplement que le Bureau international du travail n'a pas partagé son avis.

Le Président (M. Lachance): Alors à ce moment-ci, je comprends que la motion du député de Portneuf est déposée et qu'elle sera soumise pour discussion et adoption à un moment qui se situe ou bien aujourd'hui ou demain, soit avant jeudi où la commission de l'Assemblée nationale devra se réunir.

À ce moment-ci, je désire me prévaloir des dispositions de l'article 158 de nos règles de procédure qui concernent le dépôt de documents pour déposer officiellement l'exposé d'ouverture du ministre délégué à l'Administration, ainsi que celui du député de Portneuf.

La séance est terminée pour la matinée et je suspends les travaux de la commission jusqu'à 14 heures, alors que nous recevrons les porte-parole de la Fédération des CLSC du Québec.

(Suspension de la séance à 11 h 58)

(Reprise à 14 h 12)

Le Président (M. Lachance): À l'ordrel La commission du budget et de l'administration poursuit ses travaux afin de procéder à une consultation générale portant sur l'avant-projet de loi traitant du régime de négociation des conventions collectives

dans les secteurs public et parapublic.

Cet après-midi, nous entendrons tour à tour la Fédération des CLSC du Québec, l'Association des centres de services sociaux du Québec, le Syndicat des conseillers en gestion du personnel du gouvernement du Québec et M. Denis Lebel; vous aurez compris que, à ce moment-là, nous sommes rendus en soirée.

J'inviterais le premier groupe, la Fédération des CLSC du Québec à prendre place, et son porte-parole est M. Marcel Sénéchal, le président, à qui, d'abord, je souhaiterai la bienvenue - ainsi qu'à ses collègues - et à qui je demanderais de bien vouloir nous présenter les personnes qui l'accompagnent en commençant par sa gauche.

Auditions Fédération des CLSC du Québec

M. Sénéchal (Marcel): Je vous présente M. Maurice Charlebois, directeur général de la Fédération des CLSC; M. Denis Perras, conseiller au secteur des relations du travail de la fédération; à ma droite, M. Yves Léveillée, membre du comité exécutif de la fédération et M. François Lebeau, vice-président de la fédération.

Le Président (M. Lachance): Alors, M. le président, pour bien clarifier la façon dont nos travaux vont maintenant se dérouler, une période de deux heures vous est allouée, si possible, d'ici à 16 heures. Je vous demanderais de nous faire un exposé qui ne durera pas plus d'une vingtaine de minutes afin de faciliter les échanges des parlementaires qui auraient des questions à vous poser. Est-ce que ça vous convient?

M. Sénéchal: Parfait.

Le Président (M. Lachance): Alors, allez-y, M. le président, nous sommes tout ou Te.

M. Sénéchal: M. le Président, M. le ministre, messieurs les membres de la commission, je ne ferai pas une lecture complète du mémoire que vous avez reçu, j'en lirai un certain nombre de passages, si vous me permettez.

La Fédération des CLSC est heureuse, au même titre que les CLSC qui en font partie, d'être associée au processus de refonte du régime de négociation dans les secteurs public et parapublic. Nous estimons que l'occasion qui nous est offerte par le gouvernement de venir livrer le résultat de notre réflexion sur ce sujet est une occasion privilégiée que tous et chacun des intervenants dans ce domaine ne peuvent se permettre de laisser passer.

II nous apparaît indéniable que la réflexion qui nous est proposée aujourd'hui s'imposait grandement. L'avant-projet de loi, à l'étude devant cette commission parlementaire, comporte des éléments fort valables qui permettront aux parties de se responsabiliser davantage, notamment en modifiant le lieu de discussion des problèmes au niveau où ils pourront davantage être réglés.

Avant d'aborder l'essentiel de notre position sur l'avant-projet de loi, il nous semble opportun de bien situer les CLSC en regard de la dynamique de négociation de convention collective. Nous exposerons par la suite nos points de vue sur trois questions: la décentralisation, la rémunération et le droit. de grève.

L'expérience des CLSC et de leur fédération est plus récente que celle d'autres intervenants du fait que les CLSC ont vu le jour dans les années soixante-dix. Pour ainsi dire, les CLSC n'ont pas connu l'ère de la négociation locale qui prévalait avant l'entrée en vigueur de la loi 46 de 1971 qui préconisa alors une certaine forme de regroupement aux fins de négociation des conventions collectives.

En effet, la première véritable ronde de négociation des conventions collectives que vécurent les CLSC fut celle de 1975-1976 sous l'empire de la loi 95 qui cartellisa les groupements d'établissements sous le parapluie d'un comité patronal de négociation des Affaires sociales. Depuis lors, les CLSC ont participé aux négociations de 1979-1980 et de 1982 lesquelles se déroulèrent sous le couvert de la loi 55.

Le réseau des CLSC compte actuellement 124 établissements dont 110 ont des salariés qui sont syndiqués, pour un total d'environ 10 000 employés. Tout nous porte à croire que la syndicalisation s'étendra a presque tous les CLSC de même qu'à ceux qui entreront en service au cours des prochains mois qui deviendront alors syndiqués à brève échéance, ne serait-ce que par le biais du transfert de ressources des Centres de services sociaux (CSS) et des Départements de santé communautaires (DSC). Ce sont donc environ 130 CLS qui entameront bientôt des discussions sur le renouvellement des conventions collectives.

Dans la très grande majorité des CLSC syndiqués, soit 92 sur 110, l'on dénote deux syndicats et plus. Au total, 307 accréditations ont été émises dans les 110 CLSC en cause. Comparativement à d'autres catégories d'établissements, cela peut paraître bien peu mais il faut toutefois garder à l'esprit que la presque totalité de ces CLSC ont en moyenne de trois à quatre cadres seulement et que, règle générale, un seul de ces cadres s'occupe des relations du travail en plus d'autres fonctions qu'il doit assumer.

Les CLSC sont des établissements de petite taille dont le mode de fonctionnement est à la fois diversifié et original. Ils poursuivent des objectifs de souplesse au niveau de leurs services de façon à bien les harmoniser avec les besoins de la population qu'ils desservent.

La décentralisation de la négociation nous apparaît comme l'un des éléments les plus intéressants de la présente réforme. En effet, comme nous l'avons déjà souligné, les instances locales ont été plusieurs fois désabusées face aux résultats de la négociation nationale en ce sens que les stipulations négociées à ce niveau étaient peu adaptées à leur réalité.

Cela était dû principalement au fait que les catégories d'établissements étaient regroupées et que la négociation se faisait sectoriellement. Or, tant les travailleurs que Ies employeurs du réseau des CLSC n'ont pas nécessairement les mêmes préoccupations sur tous et chacun des points d'une convention collective que leurs homologues du réseau hospitalier ou de celui des centres d'accueil, par exemple. Les CLSC désirent donc emprunter une avenue qui rapproche la négociation de leur réalité mais ils ne se considèrent pas aptes à en prendre maintenant la responsabilité localement.

En conséquence, la proposition contenue à l'avant-projet de loi concernant la création de comités patronaux sous-sectoriels investis de responsabilités accrues en ce qui a trait à la détermination des niveaux de discussion des différents éléments de la convention collective nous semble une voie prometteuse.

Les CLSC étant regroupés sous l'égide d'un comité sous-sectoriel CLSC pourront donc mieux faire valoir leur point de vue et les objectifs qui leur sont propres et ne seront pas noyés à l'intérieur d'objectifs poursuivis par d'autres catégories d'établissements. De ce fait, même si dans un premier temps la négociation se fera à l'échelle nationale, les CLSC se retrouveront davantage dans les textes négociés et la nécessité d'adapter ces dispositions au niveau local sera moins impérative que sous le régime actuel.

Si nous nous réjouissons de ce premier effort de décentralisation, nous nous étonnons toutefois que l'avant-projet de loi conserve toujours, comme sous le régime actuel, l'obligation pour les comités sous-sectoriels de requérir leurs mandats de négociation du Conseil du trésor. Bien que nous soyons d'accord avec le fait que le Conseil du trésor puisse émettre des mandats de négociation sur des sujets d'intérêt gouvernemental, nous ne croyons quand même pas utile, si l'on veut vraiment opérer une décentralisation, que le Conseil du trésor autorise des mandats sur tous les sujets de la convention collective qui seraient négociés au niveau sous-sectoriel.

En ce qui concerne l'appellation des comités patronaux de chacune des catégories d'établissements, nous estimons que l'avant-projet de loi devrait parler de "comité sous-sectoriel patronal" et non pas de "sous-comité patronal".

Au même effet, il nous semble que le texte de l'article 13 devrait être modifié en inversant les deux paragraphes qui le composent car tel qu'il est libellé dans l'avant-projet de loi, il aurait pour effet de créer un gigantesque comité patronal sectoriel puisque les membres des comités sous-sectoriels devraient être issus dudit comité sectoriel. Lors de la dernière ronde de négociation, les CLSC comptaient deux représentants au CPNAS. Si l'on devait suivre la formule proposée, le comité sous-sectoriel CLSC ne serait composé que de deux représentants des CLSC à moins que l'on élargisse leur représentation au CPNAS. Or, il va de soi qu'un tel élargissement pour chacune des catégories d'établissements créerait une structure lourde au CPNAS.

En somme, la décentralisation au niveau sous-sectoriel rencontre les attentes des CLSC. Elle est progressive et elle permet, dans un premier temps, d'adapter les conventions collectives actuelles à la réalité des CLSC en offrant aux parties de négocier réellement des solutions propres aux problèmes des CLSC et des travailleurs qui y oeuvrent. Qui plus est, elle constitue un moyen terme entre l'hypercentralisation et la négociation intégrale au niveau local à laquelle les CLSC ne se sentent pas prêts à l'heure actuelle, compte tenu de leurs particularités et contraintes, particulièrement au niveau des ressources limitées qui sont les leurs et que nous vous avons exposées précédemment.

L'avant projet de loi propose également une décentralisation au niveau local concernant certaines matières prévues dans une annexe qu'il reste à définir et relatives à l'organisation du travail, aux mouvements de personnel et aux droits syndicaux.

Cette modification au régime actuel va dans le sens préconisé par les CLSC qui désirent rapatrier, à moyenne échéance, une certaine juridiction sur la négociation des conventions collectives. En pratique toutefois, un transfert trop accéléré vers le niveau local peut provoquer certaines difficultés, voire même certaines impasses, qui ne seraient guère moindres que celles qu'ont vécues les CLSC sous l'empire des lois 95 et 55.

Certes, nous l'avons dit auparavant, les CLSC n'ont pas connu l'ère de la négociation locale à proprement parler. Ils sont donc un peu devant l'inconnu et c'est avec une prudence légitime qu'ils envisagent la négociation locale. Ils sont peu armés puisque leurs équipes de direction, peu nombreuses d'ailleurs, s'interrogent à savoir si elles ont

les ressources humaines et financières pour absorber d'un coup les responsabilités de négocier localement sur une liste de sujets peut-être trop considérable, d'autant plus que cet exercice se dédoublera par le nombre de syndicats présents dans leur établissement -Qui trop embrasse, mal étreint, dit le proverbe - C'est pourquoi ils souhaitent dans un premier temps que la négociation se décentralise vers le sous-sectoriel, là où ils pourront ensemble aménager une convention collective qui reflète leur réalité.

Mais pour favoriser tout de même l'amorce d'une décentralisation au niveau local, ils jugent que l'avant-projet de loi doit éliminer les contraintes aux arrangements locaux de manière que les parties locales aient le pouvoir de convenir d'arrangements locaux qui pourraient, au besoin, se démarquer de certaines dispositions négociées sous-sectoriellement sans que ces dernières y pourvoient.

Concrètement, nous proposons donc que l'annexe A, au lieu de prévoir certaines matières devant être négociées et agréées exclusivement au niveau local, traite plutôt de matières négociées et agréées sous-sectoriellement, susceptibles de faire l'objet d'arrangements locaux dans la mesure où les parties locales en conviennent et ce, sans que les stipulations agréées au niveau sous-sectoriel ne le prévoient. En ce sens, la négociation d'arrangements locaux serait moins contraignante sur le plan du temps et des énergies à y consacrer car, souventefois, croyons-nous, les parties locales ne ressentiraient pas le besoin de recommencer la négociation sur tous les sujets en annexe mais seulement sur ceux qui le nécessitent, compte tenu de la situation particulière de chaque CLSC. À titre d'exemple, il se peut que les textes agréés sous-sectoriellement, concernant l'aménagement des heures et de la semaine de travail, puissent satisfaire les parties locales dans un CLSC alors que dans un autre, les parties sentent le besoin de les adapter.

Un autre avantage de l'arrangement local est le fait que les parties auront déjà un modèle mieux adapté à leur catégorie d'établissements à la suite d'une négociation sous-sectorielle. De plus, dans la mesure où les parties au niveau sous-sectoriel constateront qu'une disposition qu'elles ont agréée à l'échelle nationale a fait l'objet d'arrangements locaux dans la majorité des établissements, il leur sera plus facile, l'exercice aidant, de convenir, comme l'article 21 de l'avant-projet de loi le leur permet, que cette matière sera dorénavant objet de négociation locale et évacueront ainsi le champ.

Sous un autre aspect, nous estimons qu'il faut également conserver aux parties locales la faculté de convenir d'arrangements locaux sur des sujets autres que ceux prévus à l'annexe A, dans la mesure toutefois où les stipulations agréées à l'échelle nationale y pourvoient, que ce soit au niveau sectoriel ou sous-sectoriel. En ce sens, l'article 22 de l'avant-projet de loi conserve sa raison d'être.

Enfin, nous mettons de l'avant certains principes et modalités concernant les arrangements locaux. Premièrement, les parties locales pourront en tout temps convenir d'arrangements locaux au cours de la durée d'une convention collective. Toutefois, lors de l'entrée en vigueur d'une nouvelle convention collective, les parties bénéficieront d'un délai de 90 jours pour reconduire chacun des arrangements locaux, à défaut de quoi, la stipulation pertinente agréée à l'échelle nationale s'appliquera jusqu'à ce que les parties conviennent d'un nouvel arrangement. Ce principe de reconduction expresse et non tacite nous apparaît primordial pour sauvegarder la cohérence des textes. En effet, il se peut qu'à la suite de la renégociation d'un texte au niveau national, l'arrangement local convenu en fonction d'une ancienne disposition n'ait plus la même portée ou confère à l'une des parties un double avantage non prévu au moment de sa conclusion ou encore qu'il place les parties dans une impasse ou finalement qu'il entre en contradiction avec d'autres dispositions.

Deuxièmement, et cela nous apparaît aussi important, les parties locales devront être d'accord pour entamer les discussions sur un sujet d'arrangement local de façon à éviter que l'une ou l'autre des parties ne cherche à obtenir ce qu'elle n'a pu avoir ailleurs sans que l'autre partie n'y consente. À défaut d'entente sur une matière donnée, c'est la stipulation agréée à l'échelle nationale qui s'appliquera.

Certains seront tentés de croire que les CLSC ne désirent pas la décentralisation à la suite des propositions que nous venons de vous présenter. Il ne faut cependant pas se méprendre mais plutôt prendre en considération la situation bien particulière des CLSC. Tout comme l'adolescence constitue une étape essentielle entre l'enfance et l'âge adulte dans le développement de l'être, nous sommes d'avis que l'étape sous-sectorielle est une voie sage qu'il nous faut emprunter avant d'assumer pleinement nos responsabilités de négociation et ce, le temps que les parties locales, tant syndicale que patronale, n'acquièrent l'expertise et les moyens nécessaires pour ce faire. À ce titre, procéder par étapes nous apparaît essentiel pour que la réforme proposée par le gouvernement ait le maximum de chances de succès dans l'atteinte des objectifs qu'il poursuit et avec lesquels nous concourons d'ailleurs.

En conséquence, les dispositions contenues dans la sous-section 2 de la

section III du chapitre I relative à la négociation locale conservent toute leur importance et serviront bien Ies parties locales lorsque des sujets de négociation locale leur seront dévolus.

Au chapitre de la rémunération, quant à la volonté du gouvernement de rendre le plus objectives et neutres les données de base pour la négociation des salaires, nous l'appuyons totalement puisque cela devrait, encore une fois, améliorer le système. Conséquemment, la Fédération des CLSC souscrit à la création d'un Institut de recherche sur la rémunération. Le fait que cet organisme soit dirigé paritairement ajoutera plus de crédibilité à ses observations et. recommandations et préservera sa neutralité.

Quant au principe de la négociation annuelle de la rémunération, cela nous semble une voie prometteuse vers l'amélioration du régime. Le fait que les données soient connues et publiques, que les instruments de mesure soient clairement établis et que la négociation ne porte que sur une année laisse présager une meilleure attitude des parties négociantes qui discuteront à partir d'éléments concrets, évitant ainsi de se perdre dans d'autres objectifs tels que de se prémunir contre l'avenir incertain. En quelque sorte, cette négociation étant distincte de celle des autres conditions de travail, les enjeux apparaîtront plus clairs et la solution plus facile à déterminer. (14 h 30)

Puisque cette négociation se déroulera annuellement, nous concevons que l'avant-projet de loi instaure un échéancier relativement court de négociation et qu'il donne au gouvernement la responsabilité ultime, qui lui appartient d'ailleurs, de fixer par règlement les stipulations relatives à la rémunération, compte tenu de ses orientations budgétaires et de la capacité de payer de l'État. À cet égard, le gouvernement est toujours légitimé d'intervenir pour trancher un litige et il a dû le faire à plusieurs reprises dans le passé. Le projet de loi rendra ce recours plus facile et surtout plus explicite, ce qui n'est pas sans améliorer les règles du jeu. Actuellement, cette issue naturelle est toujours présentée comme exceptionnelle et spéciale bien qu'elle ne le soit pas.

Quant au droit de grève et aux services essentiels, tout comme lors des deux consultations précédentes, la Fédération des CLSC du Québec n'entend pas remettre en question le droit de grève dans les secteurs public et parapublic, étant entendu qu'un tel droit ne saurait exister en matière d'arrangements locaux. L'on observe actuellement, dans les établissements de santé et de services sociaux, un changement marqué dans l'attitude des salariés qui y oeuvrent. Compte tenu de la nature des services offerts, ceux-ci sont davantage sensibilisés aujourd'hui à leurs obligations envers les bénéficiaires et ce, en tout temps.

Sans être une panacée, nous croyons que: premièrement, la formule de médiation suggérée; deuxièmement, la révision et la négociation annuelle de la rémunération et la création de l'Institut de recherche sur la rémunération; troisièmement, la décentralisation vers le sous-sectoriel; quatrièmement, la flexibilité qu'auront les parties locales de convenir d'arrangements locaux sur les aspects de l'organisation du travail, les mouvements de personnel et les droits syndicaux; cinquièmement, à moyen terme, une décentralisation effective vers le niveau local et finalement la possibilité pour les parties de discuter, de façon permanente, de certaines problématiques constituent des moyens nouveaux qui pourront avoir pour effet d'atténuer les conflits en centrant l'énergie des parties sur la recherche de solutions à leurs problèmes là où ils se vivent.

Qui plus est, nous croyons que les modifications apportées au Code du travail relativement aux services essentiels par le chapitre 37 des lois de 1982 et par le présent avant-projet de loi, notamment en ce qui concerne les responsabilités et pouvoirs accrus confiés au Conseil des services essentiels, civiliseront davantage l'exercice du droit de grève en l'encadrant suffisamment pour que les bénéficiaires reçoivent, en cas de conflit, les services que leur état requiert. Soulignons, en passant, que ces mécanismes, jusqu'à maintenant, expérimentés dans le secteur du transport à Montréal ont donné des résultats et contribuent, à notre avis, à civiliser davantage le processus de négociation.

Comme vous avez pu le constater, à la lecture du présent mémoire, la Fédération des CLSC du Québec concourt en grande partie avec les principes contenus dans cet avant-projet de loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic, présenté par le ministre délégué à l'Administration et président du Conseil du trésor. Pour l'essentiel, les mesures proposées vont dans le même sens que celles formulées par la Fédération des CLSC lors de la récente consultation qu'a faite le gouvernement sur son document de réflexion intitulé "Recherche d'un nouvel équilibre".

Il doit se dégager enfin de nos commentaires la conviction que les négociations dans les secteurs public et parapublic évolueront essentiellement dans le sens que les acteurs voudront bien, que progressivement, la négociation décentralisée sera apprivoisée par les parties afin de redonner aux intéressés le contrôle sur les choses qui les concernent mais qu'il serait

illusoire de donner un grand coup de barre sous prétexte que des correctifs doivent indiscutablement être apportés. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Lachance): Merci, M. Sénéchal.

Pour permettre les échanges et dans l'intérêt des parlementaires, je vais lire l'article 164 de nos règles de procédure: "Le président partage entre les députés de la majorité et ceux de l'Opposition le temps que la commission consacre à chaque personne ou organisme. Sous réserve de l'alternance, chaque député peut parler aussi souvent qu'il le désire, sans excéder dix minutes consécutives. " Nul doute que je peux compter sur votre collaboration. Je cède d'abord la parole au ministre.

M. Pagé: Je m'excuse, M. le Président.

Le Président (M. Lachance): Oui, M. le député de Portneuf.

M. Pagé: Lors de la rencontre préparatoire de mardi dernier, on n'avait pas évoqué cette question spécifique. Je n'aurais aucune objection à ce qu'en termes de partage du temps on établisse comme règle initiale peut-être 20 minutes pour le ministre et 20 minutes pour le porte-parole de l'Opposition et ensuite on irait à 10 minutes plutôt que de s'enfarger dans des questions de règlement et de procédure.

M. Clair: Je suis tout à fait d'accord, M. le Président, mais sous réserve que je puisse céder mon temps de parole en partie à mes collègues de la majorité ministérielle.

M. Pagé: Non.

M. Clair: Par après.

M. Pagé: Dans votre enveloppe de 20 minutes initiales?

M. Clair: Dans mon enveloppe de 20 minutes initiales, par après.

M. Pagé: Par après, après que l'Opposition soit intervenue.

M. Clair: Si je prends 10 minutes, vous pouvez prendre vos 20 minutes.

M. Pagé: D'accord.

M. Clair: Et je donne les 10 minutes de mon temps à mes collègues.

M. Pagé: Qu'on s'entend bien ici quand vous manifestez de la bonne foi!

Le Président (M. Lachance): Bon, si je comprends bien, on est d'accord sur la procédure pour faire preuve de souplesse. Je cède immédiatement la parole au ministre.

M. Clair: Oui. M. le Président, juste quelques mots pour remercier M. Sénéchal et les gens qui l'accompagnent - de la Fédération des CLSC du Québec - d'abord, d'avoir accepté pendant tout le processus de consultation que j'ai eu la responsabilité de mener au cours des derniers mois, d'avoir accepté de nous rencontrer et de nous communiquer leur point de vue et de toujours l'avoir fait avec beaucoup d'ouverture d'esprit et de disponibilité de leur côté en matière de temps.

Puisque le temps est court, je voudrais immédiatement en venir à l'un des trois grands thèmes qui est traité par le mémoire de la Fédération des CLSC. Il s'agit de la question de la rémunération. Il me semble que je ne suis pas certain de comprendre clairement - on voit qu'il y a un appui général à une orientation d'une négociation annuelle de la rémunération. J'ai de la difficulté à concilier, au milieu de la page 4, où on indique en introduction que: "... toutefois, certains moyens envisagés, notamment la suppression du droit de grève au chapitre de la rémunération, nous apparaissent trop sévères et de nature à compliquer l'atteinte d'un concensus sur un système amélioré... " Par la suite, aux pages 17, 18 et suivantes, on semble accorder un appui à l'idée de rechercher conjointement des données neutres et objectives pour la négociation. À la page 18, on indique et je cite: "Puisque cette négociation se déroulera annuellement, nous concevons que l'avant-projet instaure un échéancier relativement court de négociation et qu'il donne au gouvernement la responsabilité ultime, tel qui lui appartient d'ailleurs, de fixer par règlement les stipulations relatives à la rémunération, etc. "

J'aimerais être sûr de comprendre la position de la Fédération des CLSC du Québec là-dessus. Est-ce que je devrais comprendre que la Fédération des CLSC du Québec est d'accord avec l'orientation d'un bureau de recherche en rémunération indépendant mais cependant, considère qu'un droit de grève annuel sur cette question devrait être maintenu pour les syndicats des secteurs public et parapublic?

Le Président (M. Lachance): M.

Sénéchal.

M. Sénéchal: Le droit de grève pour ce qui est de la rémunération doit être maintenu à notre avis.

M. Clair: Et la négociation se ferait annuellement.

M. Perras (Denis): La négociation se ferait annuellement...

M. Sénéchal:... selon des échéances à fixer.

M. Clair: En termes d'évolution des modalités, est-ce qu'il n'y aurait pas à craindre que l'on ne donne pas beaucoup de chance à ce nouveau système de produire des résultats satisfaisants pendant une, deux ou trois années et que l'on connaisse annuellement le rapport de forces qu'on connaissait antérieurement à tous les trois ans dans le système actuel et que de cette manière-là, on mine les chances de réussite d'un institut de recherche en rémunération, en termes de rapprochement des parties?

Il faut bien comprendre l'objectif fondamental du gouvernement en matière de rémunération. C'est celui de réduire, autant que faire se peut, les écarts qui séparent traditionnellement les parties au moment de la négociation, et que le travail d'un institut de recherche en rémunération soit utile dans ce sens-là, sur la base toujours de la comparabilité en termes de rémunération dans le secteur public par rapport au secteur privé. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de réfléchir à cette question.

M. Perras: Mais le problème, comme vous le posez, c'est de ne pas prendre en considération, selon nous, tous les avantages qu'apportent les nouvelles règles, notamment la mise en place de l'institut et la publication d'un rapport annuel. Le fait que la négociation se déroule également à tous les ans, fera en sorte que la partie syndicale n'essaiera pas de se prémunir contre un avenir incertain et négocier sur des choses qui se dérouleront dans un environnement qui est absolument inconnu de telle sorte que le fait que l'entente ne dure qu'une année, on considère que c'est une amélioration très importante qui devrait réduire, d'une certaine façon, l'importance de l'enjeu du contrat. Le contrat ne dure qu'un an.

Ces deux aspects, quant à nous, nous apparaissent contenir des bénéfices absolument importants qui réduiront l'éventualité d'une grève annuelle. Bien sûr, on peut dire: S'il y a négociation à tous les ans, si le droit de grève est maintenu durant la négociation, il va y avoir une grève à tous les ans. Ce n'est pas nécessairement le cas. Je pense que là aussi, c'est oublier l'énergie, si l'on veut, que cela peut prendre pour mobiliser tout le secteur public et parapublic pour effectivement faire une grève. On ne pense pas que cela puisse raisonnablement se produire tous les ans.

Il y a un autre élément, je pense, qu'il faudrait ajouter: On considère, à notre point de vue, que le gouvernement est légitimé, en bout de ligne, de prendre une décision. Si on instaure vraiment un mécanisme de négociation avec la partie syndicale, il n'est pas très réaliste de penser que même si le droit de grève est enlevé, que si, effectivement, il y a des enjeux très importants, du point de vue de la partie syndicale, il n'y aura pas déploiement de moyens de pression pour faire en sorte que le gouvernement, dans sa décision, fasse droit aux demandes des syndicats.

Alors, ce qu'on se dit, c'est s'il y a un temps de négociation qui est prévu, que durant ce temps, on maintienne les règles actuelles de la négociation.

M. Clair: Parce que vous avez suffisamment confiance à l'efficacité des autres mécanismes pour que le travail de l'Institut de recherche en rémunération soit vraiment utile pour l'objectif qui serait créé, soit de réduire les écarts. C'est ça, dans le fond?

M. Charlebois (Maurice): Dans le fond, c'est ça. 11 faut vraiment se rendre compte que c'est un pas de géant, si l'institut voit le jour et si les parties acceptent de jouer le jeu. C'est un pas de géant qu'on sorte à tou3 les ans des études sur la rémunération, pilotées par un comité paritaire.

M. Clair: D'accord. J'aimerais maintenant aborder la question de la décentralisation et de la négociation locale. Votre fédération se prononce en faveur de ce qu'elle appelle, je pense, dans le texte, une décentralisation sous-sectorielle - j'y reviendrai tantôt - mais ne va pas très loin sur le plan de la décentralisation au niveau local.

Je ne vous cache pas que certains faits qui sont rapportés dans votre mémoire me semblent militer à rencontre de l'argumentation que vous développez et je m'explique là-dessus.

Vous dites, par exemple, à la page 6 -ce qui est fait, je pense - "Les CLSC sont des établissements de petite taille dont le mode de fonctionnement est à la fois diversifié - c'est important, c'est un fait -et original. Ils poursuivent des objectifs de souplesse au niveau de leurs services, de façon à bien les harmoniser avec les besoins de la population qu'ils desservent. "

Peut-être, dans l'intérêt de tous les parlementaires, qu'il serait utile de faire état de la constitution du nombre de personnes employées dans un CLSC moyen, d'une part. D'autre part, il me semble que dans la mesure où on fait état, justement, de cette très grande diversité de la nécessité de répondre aux besoins de la clientèle avec souplesse et dans tout près de 130 CLSC, si je ne fais pas erreur, un réseau qui devient l'un des plus importants dans le domaine des services sociaux.

Est-ce qu'il ne s'agit pas là d'un argument de fait qui milite en faveur d'une décentralisation plus poussée au niveau local, alors que vous vous arrêtez, dans votre démarche, à proposer une décentralisation sous-sectorielle?

Dernière sous-question: Est-ce qu'il n'y aurait pas un risque, je dirais, que se sous-centralisent les négociations et que, finalement, la souplesse recherchée en termes d'organisation du travail, le mouvement de personnel et autres sujets ne se fassent pas réellement très rapidement, mais qu'on fasse simplement déplacer le niveau de centralisation d'une table centrale vers une table sous-sectorielle?

M. Sénéchal: Je pense que ce serait mal comprendre notre position que d'interpréter que nous voulons nous arrêter au niveau sous-sectoriel. On veut se donner des garanties d'effectuer une décentralisation au plan local, mais dans de bonnes conditions, compte tenu des problèmes qu'on énumère et qui sont, par exemple, le fait qu'on ait peu de ressources qui sont actuellement affectées dans ce secteur, à l'intérieur des CLSC et que le personnel cadre, par exemple, est très réduit et a peu de ressources également au plan financier. (14 h 45)

Effectivement, vous avez raison de dire qu'il y a un besoin de souplesse; c'est ce qu'on reproche au processus actuel de négociation de ne pas nous assurer au bout de la ligne des conditions qui sont suffisamment souples et adaptées au plan local. Mais il nous semble qu'il y a moyen d'aménager une décentralisation qui va correspondre à la fois aux capacités et à la volonté des CLSC de' décentraliser la négociation. Pour des CLSC qui se sentiraient capables et qui sentiraient la nécessité d'aménager des conditions qui sont négociées au plan sous-sectoriel, ils pourraient le faire, selon les mécanismes que nous proposons, selon les mécanismes avec lesquels nous sommes d'accord. Mais ce que nous voulons éviter, finalement, c'est qu'on ne rencontre pas dans un processus de négociation les objectifs qu'on poursuit par une décentralisation. Ce serait le cas si, effectivement, on rendait immédiatement les parties locales complètement responsables de négocier des ententes sans leur donner les effectifs et les ressources pour ce faire.

M. Léveillée (Yves): Personnellement, je dirige un CLSC dit moyen, une centaine de personnes et, avec moi, j'ai deux autres cadres. Si on avait cette responsabilité du jour au lendemain, ou je ferais affaire avec une firme extérieure, ce qui n'est pas l'objectif, surtout si l'objectif est une participation, une adaptation locale pour négocier une convention collective plutôt que... Je ferais probablement affaire avec une firme extérieure plutôt que de laisser partir un cadre et de le mettre là-dessus, je ne pourrais pas continuer à bien gérer l'organisation.

C'est là qu'on est. C'est plus un aspect pratique. On dit: Donnez-nous du temps, on sera capable de le faire éventuellement, mais, pour l'instant, on n'est pas en mesure de le faire.

M. Clair: D'accord. Avant de passer aux arrangements locaux ou à la négociation locale, du point de vue de la Fédération des CLSC, quels seraient les sujets ou les objets de décentralisation sous-sectorielle?

M. Charlebois: Ce sont toutes des questions générales. Sans énumérer les clauses des conventions collectives, ce sont des questions relatives à l'organisation du travail, l'organisation syndicale, mobilité du personnel, affichage, etc.

M. Clair: II s'agirait des termes qui sont déjà prévus dans l'avant-projet de loi, mais qui se retrouveraient davantage au niveau sous-sectoriel plutôt qu'au niveau local?

M. Charlebois: C'est ça.

M. Clair: D'accord. Maintenant, venons-en aux arrangements locaux dont vous traitez. L'avant-projet de loi, dans le fond, s'inspire du concept de la négociation permanente au niveau local assises sur le statu quo actuel du contenu des conventions collectives afin de permettre, justement, d'éviter que, tous les trois ans, tout soit renégocié et que chacun ait l'impression de repartir à zéro. On parlait déjà d'un budget zéro, mais repartir d'une convention zéro. Comme j'ai eu l'occasion de l'indiquer ce matin, en compensation du droit de grève qui n'existerait pas au niveau local, il y aurait, d'une part, je dirais, maintien du statu quo en termes de contenu, et également la possibilité de faire intervenir un médiateur arbitre.

J'aurai un commentaire et deux questions. Le commentaire sera le suivant. Je craindrais que dans la mesure où on ne maintient pas le droit de grève, qu'il n'y a pas de droit de grève au niveau local et que l'employé salarié n'est pas assuré que, par votre mécanisme de dénonciation d'au moins 90 jours que vous avez expliqué tantôt... je craindrais que, à ce moment-là, on ne fasse pas disparaître cette mentalité, justement du "à tous les trois ans, tout est remis en cause" et qu'on s'éloigne du concept de la négociation permanente pour retomber dans le bon vieux système peut-être d'arrangements locaux, me direz-vous, mais qui, vu qu'il serait remis en cause une fois

tous les trois ans, aurait tôt fait de reconduire à l'affrontement et au processus traditionnel.

Mes deux questions sont les suivantes. La première, qu'est-ce qui différencie fondamentalement, en termes d'objectif, la proposition que vous faites en termes d'arrangement local par rapport à la négociation permanente, tel qu'elle est proposée dans l'avant-projet de loi. Autrement dit, qu'est-ce que vous recherchez par cela? En quoi la mécanique proposée dans votre mémoire vous apparaît-elle plus avantageuse que celle qui est proposée? Deuxièmement, actuellement sur le plan local, c'est un fait connu que les conventions collectives dans le secteur de la santé et des services sociaux sont surtout, dit-on, alignés en fonction des centres hospitaliers qui dominent le CPNAS - le Comité patronal de négociation - et, du côté syndical, cela est évident, la Fédération des affaires sociales, qui a surtout des membres dans le secteur hospitalier, domine, elle aussi, en termes d'importance numérique et d'enjeu de sorte que les CLSC ne font que l'objet d'une annexe, si ma mémoire est fidèle, à la convention principale. D'ores et déjà dans le système actuel, fait-on des arrangements locaux même si, en vertu de l'esprit des conventions, c'est non légal pour ne pas dire illégal? Si oui, sur quel sujet, sur quelle matière. S'il s'en fait déjà - et là je reviens à la décentralisation vers le niveau local -en quoi, si, d'ores et déjà, il se fait des arrangements locaux sur le plan légal qui ne sont pas prévus par les conventions, serait-il plus difficile d'avoir le pouvoir de le faire dans l'avant-projet de loi alors que, sans avoir le pouvoir, vous le faites déjà, si je me fie à ce qu'on me dit?

M. Charlebois: Je dirais qu'il y a différents éléments dans cela. À la question précise: Se fait-il des arrangements locaux dans les CLSC? Il s'en fait mais, cependant, pas des tonnes. Comme catégories d'établissements, il s'en ferait possiblement moins que dans d'autres. Effectivement, faire des arrangements locaux dans le contexte actuel, c'est illégal, de telle sorte qu'il n'y a pas une propension à en faire puisque, à l'échéance de la convention collective ou au renouvellement, ces arrangements peuvent continuellement être défaits ou dénoncés.

Pourquoi un arrangement plutôt que négociation locale? Parce que, après une longue réflexion, on veut se diriger vers la négociation locale. On vous propose une espèce de virage en douce. Vous avez posé des questions tantôt sur ce qu'est le CLSC et sur son organisation. Il ne faut jamais le perdre de vue. C'est une organisation qui est en développement. Il n'y a pas beaucoup de personnel d'encadrement et les gens qui sont là n'ont pas été embauchés pour faire des relations du travail, prendre en charge la négociation collective sur une liste de sujets qui peut être assez considérable avec deux, trois ou quatre syndicats. Cela ne veut pas dire que cela ne peut pas se faire éventuellement, mais il faut apprivoiser cela. Dans les CLSC, il faut, d'une part, je dirais, établir une espèce de convention type qui se rapproche plus de nos problèmes. Ce qui est inscrit dans l'avant-projet de loi c'est qu'on a le statut quo comme base, mais il faut bien comprendre que c'est le statu quo hospitalier. Il ne correspond pas nécessairement à la réalité désirée par les CLSC. On se dit! Allons-y! Dans un premier temps, faisons une convention collective qui corresponde à notre catégorie d'éta-blissements! Ce sera déjà un pas très important vers la décentralisation. On aura une espèce de convention maîtresse pour les CLSC. Le réseau des CLSC, au début des consultations, si vous vous souvenez au mois de mai, résistait aux négociations locales, ne voulait pas se rendre jusqu'à cette étape. Après une réflexion qui s'est faite quand même dans les derniers mois, on arrive à la conclusion qu'effectivement, il y a lieu de mettre les parties en présence et de se rendre à la négociation locale. C'est pour cela qu'on est arrivé avec la proposition d'arrangement. La proposition d'arrangement ouvre la discussion au niveau local, si les parties sont d'accord, sur une foule de sujets. Cela sera très certainement l'occasion d'expérimenter la négociation, de se dessiner des clauses qui correspondront aux besoins et aux réalités. Comme on l'indique également dans le mémoire: dans une étape ultérieure, les parties au niveau sous-sectoriel... Il y a des matières comme, par exemple, l'administration des listes de rappel, où c'est pratiquement impossible de faire une disposition provinciale. Les parties au niveau local feront des arrangements assez rapidement et les parties provinciales évacueront ce champ et le laisseront au local.

En conclusion, je répète que c'est un virage en douce qu'on vous propose et qui vise à tenir compte des ressources actuelles des CLSC. Il ne s'agit pas uniquement des ressources financières; il s'agit des ressources humaines. Les gens qui sont là n'ont pas été embauchés pour faire la négociation de conventions collectives. Je rappelle que dans un CLSC, il n'y a généralement qu'une seule personne à l'administration qui a à couvrir tous les aspects: gestion financière, gestion matérielle et gestion de personnel. La gestion financière dans les CLSC souffre de la même lourdeur, je dirais, que dans les centres hospitaliers. Ce sont les mêmes lois, les mêmes règlements, le même environnement réglementaire en somme. C'est très lourd et, demain matin, les CLSC ne sont pas capables de prendre cela en

charge.

M. Clair: Merci. Je voudrais passer au troisième sujet que vous avez abordé, c'est-à-dire la question des services essentiels et la question du droit de grève. Bien des gens qui prennent connaissance de votre mémoire seraient portés à penser: Ah! Voilà une fédération d'employeurs, donc sûrement favorable à l'abolition du droit de grève dans le secteur de la santé et des services sociaux. C'est ce à quoi bien des gens s'attendent normalement. Tel n'est pas le cas. Vous ne proposez pas de remettre en cause le droit de grève dans le domaine de la santé et des services sociaux. Est-ce que cette position est assise sur la conception, non pas limitée au sens péjoratif, mais, autrement dit, est-ce que votre position s'applique uniquement au réseau des CLSC ou si elle vise l'ensemble des services de santé et des services sociaux, d'une part? D'autre part, en ce qui concerne les services essentiels, dans quelle mesure et quels sont -même si je sais qu'on ne peut pas en faire une énumération détaillée ici, aujourd'hui -mais dans votre esprit, en termes de concept, quels sont les services essentiels à la population dans les services que vous offrez et quels sont ceux qui ne le sont pas? Comment pouvez-vous distinguer ce qui représente des services essentiels de ceux qui n'en sont pas dans un réseau comme celui des CLSC? Voilà mes deux questions en ce qui concerne cette partie de votre mémoire.

M. Sénéchal: Je laisserai à d'autres le soin de répondre à la deuxième question. Quant à la première question, il est sûr que la position qu'on défend dans notre mémoire vaut pour l'ensemble du réseau.

M. Clair: Le réseau des affaires sociales et de tout le secteur public?

M. Sénéchal: De tout le secteur public. Cela s'appuie sur les raisons suivantes qu'on précise dans notre mémoire. Vous disiez tout à l'heure que le fait qu'on ne propose pas l'abolition du droit de grève fait de nous une partie patronale un peu curieuse ou un peu bizarre dans le contexte.

M. Clair: Je n'ai pas affirmé cela. J'ai dit que des gens peuvent se poser des questions.

M. Sénéchal: C'est peut-être dû au fait aussi que, dans les CLSC, on a appris à développer une approche préventive. Ce qu'on dit en matière de relations du travail, c'est un peu la même chose. Ce qu'on dit, c'est que, si on améliore les conditions dans lesquelles se font les négociations, cela a une chance d'avoir un impact sur ce qui peut se passer au terme d'une négociation comme moyen de pression ultime. Ce que je veux dire, c'est que, si on améliore et, il y a plusieurs moyens prévus dans l'avant-projet de loi pour améliorer ce processus de négociation, on pense que ces conditions vont avoir un impact sur les négociations et vont diminuer d'autant le recours au droit de grève. C'est une première raison.

Une deuxième raison, c'est que je ne sais pas si c'est dû au fait que les travailleurs et travailleuses des CLSC oeuvrent auprès de la population et qu'ils ont à rendre compte à cette population, mais il reste qu'au cours des dernières années, on s'est aperçu que la mentalité avait beaucoup changé et que ce n'est pas très souvent qu'on a recours au droit de grève, particulièrement dans les CLSC. (15 heures)

Je pense que c'est aussi une attitude pratique qui nous inspire et qui explique pourquoi on ne fait pas de bataille sur le principe du droit de grève. Ce qu'on se dit, en pratique, c'est qu'on pourrait bien avoir une législation pure, mais qu'il y aura des grèves et qu'il y aura probablement encore des grèves illégales. Ce qu'on prétend, nous, c'est qu'il vaut mieux travailler - c'est ce qu'on vous suggère - sur des conditions qui vont faire qu'on aura le moins possible recours à cet exercice ultime du droit de grève qui peut arranger les choses. Si on ne fait pas porter notre attention principalement là-dessus, ce qui arrivera finalement c'est qu'on aura, comme on en a eu, les pires grèves qu'on connaisse. Ce sont des grèves illégales et le poids social de ces grèves illégales est encore beaucoup plus lourd, à notre avis, qu'une grève qui se fait dans les règles et dans le cadre d'un droit de grève aussi dont les règles sont précises et mieux réglementées. Enfin, c'est une attitude pratique qui nous inspire à ce niveau-là. Sur la deuxième...

M. Charlebois:... pratique et stratégique...

M. Sénéchal: Oui, c'est cela.

M. Charlebois:... vouloir modifier plusieurs règles du jeu et que les nouveaux mécanismes qu'on introduit fassent appel à la bonne foi des parties, forcément, dans un régime de relations du travail, à la collaboration aussi, eh bien, concentrons-nous là-dessus. C'est un peu d'ailleurs ce qu'on vous avait transmis comme réaction au printemps dernier et qu'on veut véhiculer ici encore une fois.

Il y a aussi une autre considération qui n'a pas été mentionnée et ce sont les nouvelles dispositions de la Loi sur les services essentiels, loi adoptée en 1982, qui n'ont jamais été appliquées dans le secteur des affaires sociales, de telle sorte que ce

que nous maintenons comme point de vue, c'est qu'on devrait tenter de fonctionner avec le système de détermination des services essentiels. Parce que bien qu'on dise que le droit de grève devrait exister, il faut se rappeler qu'on maintient que la Loi sur les services essentiels est là, que la commission est là et qu'il y aura détermination des services essentiels. Donc, les règlements, d'ailleurs, qui devraient être adoptés dans le secteur des affaires sociales, ne l'ont pas été et on n'a pas puexpérimenter dans le secteur des affaires sociales ce qui a été expérimenté ces dernières années dans d'autres domaines d'activité comme le secteur municipal ou le secteur du transport en commun. On doit bien admettre que, dans ces domaines, bien que la grève reste un événement indésirable, les grèves ont été plus "tolérables", entre guillemets, ces dernières années. Donc, que ces nouvelles dispositions s'appliquent dans le secteur des affaires sociales, et on verra.

M. Clair: Cela vous paraît possible dans le réseau des CLSC de déterminer ce qui est un service essentiel et ce qui ne l'est pas.

M. Charlebois: Oui, comme il a été mentionné tantôt, il n'y a pas eu, dans le réseau des CLSC - contrairement peut-être à ce que certains auraient pu penser - de grèves importantes et il n'y a pas eu non plus de difficulté dans le réseau des CLSC à déterminer les services essentiels, à déterminer les listes. On n'a pas eu non plus de grèves sauvages, de grèves illégales de telle sorte que nous nous situons dans un environnement où on considère que nous devrions améliorer les règles du jeu, mettre le paquet pour désynchroniser la négociation, pour multiplier les lieux de discussion, rapprocher la discussion, pour les parties qui sont en présence, des lieux de travail, etc. Faisons ce virage d'une façon sérieuse. Faisons-le en douce, en fonction de nos capacités, et on améliorera le régime. On arrivera très certainement à ce nouvel équilibre qui est tant recherché.

M. Clair: Je vous remercie.

Le Président (M. Lachance): M. le député de Portneuf.

M. Pagé: Merci, M. le Président. D'abord, je voudrais remercier M. Sénéchal et ses collègues du mémoire qu'ils nous ont présenté aujourd'hui. Vous représentez la Fédération des CLSC du Québec, CLSC qui, comme on le sait, ont été implantés à la suite de l'adoption de la loi 65 de 1971 et qui s'inscrivaient directement dans une dotation de services de santé et de services sociaux à la population, plus particulièrement au niveau des régions.

Je peux témoigner, aujourd'hui, comme député siégeant à l'Assemblée nationale depuis bientôt douze ans, de l'importance des CLSC dans la vie des citoyens et des citoyennes du Québec. Vous avez fait allusion à quelques reprises dans votre mémoire au caractère spécifique en termes d'objectifs, d'activités et de services d'un CLSC à l'autre. Ce serait mal connaître cette structure des services de santé au niveau de la première ligne que d'ignorer cet état de fait. Vous vous fondez sur cette distinction pour plaider la cause ou votre requête ou votre position au regard d'une négociation que vous voulez plus décentralisée possible et nous y souscrivons.

Dans votre mémoire, vous êtes donc en accord avec ce qui est évoqué au chapitre de la décentralisation, vous êtes en accord avec le mode de détermination de la rémunération ainsi que la mise sur pied d'un institut de recherche. Vous êtes d'accord avec une négociation annuelle, pour ne pas dire continue, de la rémunération à partir des paramètres qui sont indiqués dans le projet de loi bien que vous souhaitiez, et j'en suis surpris, que ce droit de grève soit annuel, que l'exercice du droit de grève puisse être utilisé annuellement.

Vous vous dites, enfin, d'accord avec les différentes formules de médiation qui auront évidemment comme objectif de prévenir des conflits. Cependant, vous indiquez vos réserves et vos réticences à ce que les comités sous-sectoriels doivent requérir leur mandat du Conseil du trésor. C'est là un volet qui est important. Quant à moi, je pensais que le ministre, ce matin, profiterait de son intervention d'ouverture pour définir ou répondre à la question qui a été posée à plusieurs reprises depuis le mois de décembre, à savoir: Dans l'esprit du gouvernement du Québec et, particulièrement, du président du Conseil du trésor, jusqu'où va la notion de rémunération? Que comprend la rémunération? Vous avez abordé cela.

Comme première question, j'aimerais vous demander quelle est votre perception de la définition de la rémunération. On sait que cela risque d'avoir des effets sur ce qui sera négocié à l'intérieur de la décentralisation. Quelle est votre perception? Comment la définissez-vous? Aussi et surtout, comment concilier cette définition avec les réserves que vous exprimez au regard des mandats à aller chercher et vraiment quérir du Conseil du trésor?

M. Charlebois: Pour la définition de la rémunération, ce qu'on pourrait avancer c'est évidemment: salaires, primes et principaux régimes d'avantages sociaux. Comment concilier cela maintenant avec le fait qu'on pense qu'on ne devrait pas requérir du Conseil du trésor tous les mandats? Il faut

se rapporter à d'autres dispositions de la toi qui sont reconduites et qui existent déjà dans la loi 55 - je pense que c'est le numéro actuel de la loi - selon lesquelles, lorsqu'un comité patronal est créé, il y a un protocole qui est établi, il y a une entente qui est établie entre le gouvernement et l'association. L'entente porte sur les matières qui sont réputées, aux fins de décision, appartenir à l'une ou l'autre des parties de telle sorte que ce qu'on considère c'est qu'une fois que cette entente est établie, on devrait déjà avoir disposé de la question de savoir sur quoi le Conseil du trésor a un mot à dire.

Les autres matières qui sont réputées être de prépondérance - on appelle cela des matières sur lesquelles le vote prépondérant appartient aux associations - sur ces autres matières, on ne voit vraiment pas pourquoi il faudrait aller requérir un mandat du Conseil du trésor. Je pense, par exemple, à l'aménagement des horaires de travail.

C'est un peu en ce sens... Cette réserve que nous mettons dans notre mémoire doit se comprendre à la lumière des autres dispositions de la loi et elle doit se comprendre à la lumière de cette entente, finalement, qui est établie entre le gouvernement et les associations ou chacune des associations s'il y a des sous-comités.

M. Pagé: Si je comprends bien, ce que vous considérez comme devant être négocié au niveau de la décentralisation, ailleurs qu'au niveau des tables centrales, ça se limiterait à ce qu'on pourrait qualifier de normatif léger, c'est-à-dire l'organisation du travail, les droits syndicaux, en fait comme c'est indiqué dans le projet de loi. Tout le reste...

M. Charlebois: II y a d'autres sujets. On peut penser au régime de retraite. Par exemple dans le projet, toutes les matières autres que la rémunération qu'on a définie un peu tantôt, sont remises au sous-sectoriel. Les organismes ou les comités patronaux sous-sectoriels peuvent négocier eux-mêmes ou former un cartel, parce que la loi le prévoit et on est d'accord avec ça, sur certaines matières. Dans l'ensemble de ces matières, il y a du léger et du lourd. Il y a des matières sur lesquelles il y a un vote prépondérant qui appartient aux associations ou au Conseil du trésor, selon une entente. Il y a une entente qui crée le comité. Une fois que l'entente est établie, pourquoi le comité retourne-t-il continuellement au Conseil du trésor? C'est un peu ça, notre point de vue.

M. Pagé: Cela permet de mieux définir ce que vous avez cité dans votre mémoire et je vous en remercie.

Vous avez évoqué à plusieurs reprises la décentralisation au niveau sous-sectoriel en plaidant et en soutenant que les CLSC se distinguent des autres établissements du réseau, des autres éléments de la structure. Compte tenu du caractère distinctif d'un établissement, d'un CLSC par rapport à un autre, c'est évident qu'on prenne dans la région de Québec, le CLSC de la Basse-Ville et le CLSC de Portneuf, c'est bien différent. Le CLSC de la Basse-Ville comprend peut-être cinq ou six établissements hospitaliers, et je ne sais combien de cliniques externes et de cliniques médicales sur son territoire. Le côté dit social est davantage développé que le côté santé. C'est explicable et c'est normal qu'il en soit ainsi.

Par contre, dans d'autres régions du Québec, parce qu'il n'y a pas seulement les centres urbains au Québec, il n'y a pas seulement Québec et Montréal, Sherbrooke, Trois-Rivières et Laval, la priorité a été mise davantage sur la santé. À cet égard, ne croyez-vous pas qu'il serait préférable d'envisager une décentralisation au niveau des régions plutôt que des secteurs où les CLSC, au niveau d'une région, pourraient voir jusqu'où leurs activités s'intègrent avec tout le reste des services sociaux dispensés au niveau de la région et les services de santé? Il faut convenir aussi qu'au niveau des régions, il y a une distinction qui se fait naturellement en termes de besoins. C'est évident que dans la région de Québec, dans l'agglomération de Québec, on n'a pas les mêmes problèmes, par exemple, au niveau de la prévention, qu'on peut avoir dans les régions forestières, dans les régions minières, etc. J'aimerais bien vous entendre sur votre perception si on décentralisait au niveau des régions plutôt qu'au niveau des secteurs.

M. Sénéchal: Je ne vous cache pas que cette hypothèse de la régionalisation, de négociation au plan régional, c'est une hypothèse qui a été avancée et étudiée lorsque l'ensemble des CLSC du Québec se sont rencontrés pour voir quels avis formuler dans le cadre des consultations qui ont été faites au printemps dernier. Cependant, ce qu'il faut savoir, c'est qu'à ce niveau-là il y a peu de structures, peu d'outils existants. C'est quelque chose qui peut être envisagé mais on s'est rabattu finalement, lorsque est arrivé le temps de décider des hypothèses à privilégier, sur des outils et des structures qui existaient déjà.

Les CLSC sont donc déjà regroupés à l'intérieur de la fédération. C'est là un mécanisme qu'ils utilisent déjà pour les négociations actuelles. C'est une avenue tout à fait nouvelle, qui n'est pas à exclure pour le futur mais il reste qu'actuellement, si on voulait quand même respecter les choses qui étaient déjà là, les outils existants, il nous semblait plus pratique et plus réaliste, à court et à moyen termes, de privilégier une négociation à l'intérieur de la fédération et

sur un plan provincial. (15 h 15)

M. Léveillée: Je pense qu'on peut dire aussi - si on peut ajouter à cela - que, nécessairement, si on arrive à une déconcentration, à une décentralisation locale, il va certainement y avoir des regroupements régionaux qui vont se faire automatiquement. C'est parce qu'on part d'une très grande centralisation et qu'on s'en va vers le local, mais, même localement, on va avoir certainement entre CLSC le même environnement pour se regrouper et pour espérer des conventions semblables qui répondent aux besoins qu'on a.

M. Charlebois: D'ailleurs, j'ajouterais que les dispositions de la loi sur les arrangements locaux, c'est-à-dire les propositions qu'on fait pour les arrangements locaux - on emploie "locaux" ou "régionaux" il va très certainement y avoir des regroupements régionaux. Je pense, par exemple, aux frais de déplacement, pas aux frais, mais aux procédures pour calculer les déplacements. Très certainement que les gens des régions éloignées comme en Gaspésie, en Abitibi ou sur la Côte-Nord, vont tous être aux prises, quand ils voudront faire des arrangements, avec des situations semblables et, assez spontanément, ils vont se réunir et ils vont essayer d'élaborer une espèce de canevas ou de position qui va être semblable. Pour les gens des régions urbaines, la problématique va être complètement différente. Ce que nous faisons, c'est de tenir exactement le même raisonnement pour la négociation locale ou la négociation régionale. Une fois que les conventions collectives se seront adaptées le plus possible à la réalité de la catégorie d'établissement, la dynamique des aménagements et, éventuellement, de la négociation locale, va faire en sorte que ce sera local ou... non pas régional, mais par type d'établissement, soit urbain soit rural. Il n'y a rien qui interdit cela dans les dispositions de l'avant-projet de loi.

M. Pagé: C'est ce qui est souhaitable dans une perspective de décartelliser - si je peux utiliser le terme - et d'en remettre le plus possible aux instances locales ou sectorielles.

Je dois vous dire que j'ai été surpris de la position que vous adoptez au regard du droit de grève. Tout comme le ministre a eu l'occasion de le signaler, vous représentez un groupe dit patronal. Vous avez une réaction qui est peut-être le résultat de l'habitude ou du fatalisme quand vous dites: Ce n'est pas parce que le droit de grève sera enlevé qu'il n'y aura plus de grève illégale. Vous savez, il y a certainement des moyens pour faire en sorte, à la lumière soit de consensus, soit de lois, soit d'ententes, que, si le droit de grève est enlevé dans certains secteurs, il n'y en ait effectivement pas, parce que ce serait, finalement, manquer complètement l'objectif. La position que vous adoptez est certainement le résultat d'une consultation que je présume la plus large possible auprès de tous vos établissements.

Sans vouloir - et je veux être bien clair - miner la crédibilité de la position que vous adoptez, pourriez-vous m'indiquer s'il y avait une tendance différente selon que l'établissement avait comme vocation principale les services sociaux par rapport à d'autres établissements qui, comme je vous le disais au début, entre autres, dans mon comté, mettent davantage l'accent et dont les budgets, les orientations et les activités sont, finalement, davantage orientés vers les services de santé que les services sociaux?

M. Sénéchal: Ce que je peux dire là-dessus, en tout cas pour ma part, c'est que la majorité des CLSC sont des établissements qui, dans la pratique, privilégient, si on veut, l'aspect santé à l'aspect social pour la simple raison que les CLSC sont peu développés au plan socio-communautaire. Il y a donc une préoccupation. Actuellement, la préoccupation des CLSC est majeure dans ce domaine parce que le gros de leurs effectifs sont des effectifs de santé. C'est toute une bataille que nous menons maintenant pour que les CLSC soient mieux outillés pour répondre à l'ensemble des besoins de la population, et vous êtes sans doute au courant. Ce que je peux dire, c'est que sur le processus même de consultation, c'est, comme vous dites, la majorité des établissements qui a été prévue. Il n'y a pas, sur le droit de grève, deux et trois tendances. Très majoritairement, dans l'ensemble des CLSC, l'ensemble de nos membres étaient pour la position qui vous est présentée dans notre mémoire.

M. Charlebois: Une question nous a été posée tantôt par le ministre et à laquelle on n'a pas répondu. Il voulait savoir quels étaient les services que nous considérions essentiels. Il faut toujours se rappeler que ce que nous... Bien sûr, on ne demande pas l'abolition du droit de grève, mais on indique dans notre mémoire qu'on s'inscrit dans les règles du jeu qu'on connaît maintenant. Et les règles du jeu qu'on connaît maintenant, c'est qu'il y a détermination de services essentiels. La totalité des CLSC administrent le programme de maintien à domicile. Pour la majorité des CLSC, ce programme est un programme absolument névralgique et dans lequel il devrait y avoir un minimum ou, même, pas de perturbation de service. Cela, c'est la position que les CLSC tiendraient devant la commission des services essentiels au moment où, si les règles n'étaient pas changées, elle déterminerait les règlements

s'appliquant dans le secteur des CLSC.

M. Pagé: Vous venez de prendre, et je l'apprécie, un exemple particulier: les services à domicile. Tout le monde est unanime à constater au Québec que les budgets consentis aux centres locaux de services communautaires, dans le cadre du programme de services à domicile sont bien peu, comparativement aux besoins nombreux. Là se pose toute la problématique des CLSC qui ont un territoire juridictionnel qui est très vaste avec des distances à parcourir, etc.

Dois-je comprendre que la perception que vous en faites c'est que dans le réseau actuellement, compte tenu des ressources que vous avez, les services à domicile doivent être considérés... la représentation que vous faites, c'est que le tout est essentiel et qu'il ne doit y avoir aucune coupure de personnel dans un service comme celui-là. Est-ce cela?

M. Charlebois: Assez spontanément, si on consultait les CLSC pour déterminer une position devant la commission, si, ce serait la position des CLSC. D'ailleurs, lorsqu'on a déterminé des listes dans le passé, soit par négociations ou autrement, habituellement dans les services à domicile, assez spontanément, même les syndicats n'y touchaient pas.

M. Pagé: Ce qui est regrettable c'est que M. Chevrette ne soit pas ici, cela aurait peut-être pu contribuer à le sensibiliser à la faiblesse des budgets.

M. Charlebois: II y a un phénomène important. Par exemple, dans un programme comme le maintien à domicile, les employés: infirmières, médecins, auxiliaires familiaux font des visites à domicile chez des gens et, contrairement, peut-être, à ce qui peut se produire dans un milieu hospitalier où ce n'est pas un roulement, où la durée d'hospitalisation est d'une journée, deux journées, il y a des attaches qui se développent. Laissez nous vous dire que, spontanément, les syndicats, les employés, avec leur association syndicale, ne déclencheront pas facilement une grève dans ce domaine.

Pour toutes ces raisons qui existent dans le milieu des CLSC, c'est un contexte très particulier qui n'existe peut-être pas dans un autre milieu parce qu'on n'est pas dans un environnement qui va faciliter cette relation qui va se développer.

M. Pagé: Le sentiment d'appartenance au besoin, ce n'est pas partout dans le réseau.

M. Charlebois: "Imputabilité" à l'égard des personnes.

Une voix: Elles se sentent responsables. M. Pagé: Merci.

Le Président (M. Lachance): La parole est maintenant au député de Fabre.

M. Leduc (Fabre): Merci, M. le Président. Je voudrais vous faire préciser davantage vos positions sur la négociation locale, la décentralisation. J'ai un peu de difficulté à comprendre votre position. Est-ce que j'ai bien compris si je dis que, c'est au niveau du sous-comité sectoriel qu'on définirait les matières sur lesquelles il pourrait y avoir des arrangements locaux et non pas au niveau du comité national? Cela, c'est ma première question. Dans votre esprit, ce serait au niveau du sous-comité sectoriel qu'on définirait les matières, et les arrangements au niveau local seraient limités aux sujets définis par le sous-comité sectoriel. Est-ce que c'est juste comme perception?

M. Charlebois: Ce n'est pas juste, mais je vais demander à M. Perras de vous préciser la technicité.

M. Perras: Au niveau des matières qui peuvent être susceptibles de faire des arrangements locaux, ce qu'on dit là-dedans, c'est l'annexe A dont le contenu n'est peut-être pas encore totalement déterminé, mais je pense qu'on en a une assez bonne idée quand on regarde les sujets, l'organisation du travail, etc., les droits syndicaux et les mouvements de personnel. C'est vis-à-vis de cela, les arrangements locaux, ce n'est pas au niveau sous-sectoriel qu'on va dire: Vous pouvez en faire. Les parties locales vont avoir, automatiquement, le droit de convenir d'arrangements locaux sur ces sujets qui apparaîtront dans une annexe à la loi.

Au niveau des arrangements locaux, dans un premier temps, c'est cela. Dans un deuxième temps, il y a d'autres aménagements locaux, dans les arrangements locaux ou régionaux, à l'échelle locale ou régionale, comme l'avant-projet de loi le dit, qui seront possibles sur des matières qui seront négociées sectoriellement ou d'autres matières qui n'auront pas été prévues dans l'annexe A, dans la mesure où les parties à l'échelle nationale vont prévoir que les parties locales sur ces sujets peuvent également convenir d'arrangements locaux.

M. Clair: Les parties signifiant...

M. Perras: Les parties sectorielles ou sous-sectorielles selon le niveau où les dispositions en question vont se négocier.

M. Leduc (Fabre): J'ai l'impression d'avoir dit la même chose que vous sans

préciser cet aspect sur les mouvements de personnel, droits syndicaux qui sont spécifiés à l'article 21. Si on prend les sujets spécifiés à l'annexe A et qu'on retrouve à l'article 21, et qu'on ajoute à cela la possibilité qui est donnée à l'article 22 de faire des arrangements relatifs à la mise en oeuvre des stipulations négociées et agréées à l'échelle nationale dit, l'article 22; vous dites plutat à l'échelle sectorielle.

M. Perras: L'échelle nationale sectorielle ou nationale sous-sectorielle. On sait qu'il y a un autre article, je m'excuse.

M. Leduc (Fabre): Cela pourrait être national et sectoriel, est-cela?

M. Charlebois: C'est embêtant sectoriel ou sous-sectoriel. En fait c'est au niveau national, affaires sociales ou national CLSC. Le national CLSC, c'est le sous-sectoriel et national, les affaires sociales seraient le sectoriel. Ce qui est trompeur c'est qu'on n'a pas la liste.

M. Clair: Je veux intervenir tout de suite sur cela. Effectivement, ce que M. Charlebois vient d'indiquer peut être embarrassant ou embêtant pour les parties concernées par l'avant-projet de loi. Ce que je peux indiquer, c'est que, dès demain, nous serons en mesure de rendre disponible un document préliminaire de ce que pourrait être l'annexe A. Mais si l'avant-projet est un avant-projet, je vous dirai que la liste sera une avant-liste dans le sens qu'il y a encore du travail à effectuer sur cela. Si la page était blanche, c'était que plutôt que de publier quelque chose qui n'était pas suffisamment avancé, nous avons préféré retarder, les orientations fondamentales apparaissant quand même dans le projet de loi soit: organisation du travail, mouvement de personnel, droits syndicaux. Il reste à traduire dans une annexe ce que cela pourrait signifier pour chacun des secteurs et sous-secteurs. Laissez-moi vous dire qu'après 20 ans de centralisation, faire un tel travail, cela devient exigeant d'essayer de préciser ce qui devrait se retrouver dans chacun des sous-secteurs en termes d'annexe.

M. Sénéchal: II faudrait revenir après-demain.

M. Leduc (Fabre): Je continue, M. le Président. Je regarde la modification que vous appportez à l'article 22 où vous suggérez une réécriture de l'article 22. Je ne vois vraiment pas beaucoup de différence entre ce qui est proposé dans l'avant-projet et ce que vous proposez. Il y a cette distinction que vous faites, vous dites: Les parties à une convention peuvent convenir de négocier. Vous pourriez peut-être nous préciser la nuance que vous faites puisque dans l'article 22, on dit tout simplement: Les parties à une convention collective peuvent négocier. Vous, vous dites "peuvent convenir de négocier". Précisez-nous donc la nuance, s'il vous plaît?

M. Perras: La nuance existe parce qu'il s'agit d'un arrangement local et non pas de négociations locales au sens de l'avant-projet de loi, des articles 28 et suivants. C'est une différence qu'on pose entre l'arrangement local et la négociation locale. L'arrangement local, on a dit tantôt que les parties ont déjà un texte en main, un texte négocié à l'échelle nationale sectorielle ou sous-sectorielle et, à ce moment, ce texte est là. Les parties locales ne sont pas nécessairement obligées d'entreprendre de la négociation sur ces sujets; c'est seulement si les deux parties, à un moment donné, s'aperçoivent que, par exemple, sur les heures de travail, la disposition qui apparaît au niveau provincial s'adapte mal à leur réalité. Je pense que les parties au niveau local vont souvent identifier un problème commun en ce qui concerne le fonctionnement ou encore les droits des salariés par rapport à une clause contenue dans une convention collective dite nationale et, à partir de là, les parties vont convenir d'entamer des négociations sur un sujet d'arrangement local. (15 h 30)

M- Leduc (Fabre): Oui, enfin, à l'article 22 du projet de loi c'est "peuvent négocier". En tout cas, je ne m'attarderai pas à cette nuance. De toute façon, vous aussi vous précisez "négocier et convenir de négocier et d'agréer à l'échelle locale", donc, vous parlez également de négociation. Etes-vous d'accord avec l'intervention du médiateur arbitre sur les questions qui ont trait à la négociation locale, s'il y a désaccord évidemment entre les parties, ou bien est-ce que vous seriez d'accord avec un droit de grève au niveau local puisque vous êtes d'accord avec le droit de grève sur la rémunération? Donc, est-ce que ce ne serait pas, si vous voulez, concordant ou conforme à vos positions, est-ce que vous ne devriez pas être d'accord sur un droit de grève au niveau local également, s'il y a désaccord entre les parties?

M. Charlebois: Nous sommes d'accord avec les dispositions qui prévoient l'intervention du médiateur et, effectivement, notre position est cohérente. Si nous sommes d'accord avec le droit de grève au niveau de la négociation de la rémunération, après l'intervention du médiateur arbitre, nous serions d'accord pour qu'il y ait droit de grève. Mais il s'agit d'un contexte de négociation locale et non pas de discussion sur les arrangements locaux.

Là aussi, un peu comme pour la

rémunération au tout début, on nous dit qu'on ne voyait pas l'utilité de retirer le droit de grève pour ce qui est des dispositions qui seraient négociées localement. Il faut se rendre compte que la discussion peut se faire en tout temps, il faut se rendre compte que les conventions collectives auront été adaptées à la couleur de l'établissement, il faut se rendre compte qu'il y aura eu intervention d'un médiateur, il faut se rendre compte qu'il ne s'agit pas très souvent de sujets qui peuvent entraîner une catastrophe nationale. Pour toutes ces raisons, on se dit, encore une fois: Investissons sur l'amélioration des règles du jeu, gardons nos règles actuelles détermination de services essentiels et droit de grève - et nous courons les meilleures chances d'avoir effectivement une amélioration des règles du jeu et la collaboration de tout le monde pour qu'on se dirige sur une autre voie.

M. Leduc (Fabre): Je vous remercie.

Le Président (M. Lachance): M. le député de Vaudreuil-Soulanges voudrait intervenir en vertu de l'alternance. M. le député de Vaudreuil-Soulanges.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Merci, M. le Président. J'aimerais peut-être demander ici aux gens qui représentent la Fédération des CLSC du Québec de nous faire part de leur expérience quant à l'effet d'un modèle organisationnel ou un mode de gestion sur l'espèce de degré de civilisation qu'on semble avoir atteint. Vous avez dit tout à l'heure, qu'il n'y avait pas tellement de grèves et c'est remarquable. Vous avez allégué l'attachement, à cause de la nature des services rendus, l'attachement que le personnel peut avoir quant à la nature de son travail qui, quant à moi, se traduit par une satisfaction du travail qui est assez extraordinaire.

Quand on parle du mode de négociation, on est en train de parler simplement d'un des aspects, un des éléments objectifs qui assure la facilité, la qualité du fonctionnement d'une institution. Il y a également la structure organisationnelle que vous pouvez vous donner à l'intérieur d'un établissement. Il y a le genre de service, vous l'avez évoqué, vous avez tout simplement donné cet exemple-là. J'essayais de voir si, à la lumière de votre expérience... Il y en a un tas, des dizaines et des dizaines de CLSC; en général, on y retrouve, comme chez les individus, une distribution en forme de cloche: il y a ceux qui sont des modèles du genre, il y a la grosse moyenne et il y a ceux où, franchement, il y a des améliorations à apporter, pour employer un euphémisme.

À la lumière de votre expérience, pourriez-vous nous indiquer ce qu'ils ont de particulier, vos établissements qui marchent particulièrement bien? Est-ce qu'il y a des caractéristiques quant à la forme de gestion qui a été instaurée? Est-ce qu'il y a plus de gestion participative? Est-ce qu'il y a des politiques de porte ouverte et d'accessibilité à la direction qui, ailleurs, manquerait? Est-ce que c'est simplement - peut-être est-ce pour cela que vous avez donné l'exemple, à cause de la qualité du genre ou, je devrais plutôt dire, de service qui est rendu, un service de première ligne, à des gens qui ont besoin, peut-être plus que d'autres membres de la société, de l'aide ponctuelle ou à terme que vous pouvez rendre au-delà des services de santé, on s'adresse à une condition physique où, selon mon expérience, c'est un peu plus polyvalent que cela, il y a un degré d'ouverture d'esprit sur les problèmes des gens qu'on retrouve dans les CLSC qui peut être dû à la façon dont cela a été implanté, ce qui dans le milieu a créé le besoin, ce qui tient à la qualité des professionnels qu'on y retrouve... Je reviens au début de ma question: Souvent, c'est le modèle organisationnel, quant à moi, qui m'a frappé comme étant un gage de succès, un gage d'embarquer tout le monde dans une tâche, un objectif où on recherche presque naturellement de la productivité dans le terme d'efficacité dans l'atteinte des objectifs.

Je me demandais si, dans les dizaines de CLSC que vous représentez, vous êtes capable de dégager, à même votre expérience, un modèle à suivre - on déborde un peu du cadre législatif, mais on pourra y revenir - quant aux autres éléments qui font qu'à des endroits, ça va bien et, à d'autres, ça va moins bien.

M. Sénéchal: C'est sûr que nous sommes dans le domaine des hypothèses. Il n'y a pas eu de recherches qui ont été faites là-dessus; donc, c'est tiré de notre expérience. Je pourrais essayer trois ou quatre raisons, mais j'aimerais dire au départ que vous avez tout à fait raison de concevoir que le processus de négociations qui s'amorce dans un établissement, c'est un élément dans un vécu beaucoup plus global; une approche préventive par rapport à ce secteur consisterait à améliorer bien d'autres choses dans l'organisation et travailler sur un modèle d'organisation, par exemple, peut avoir un impact sur la façon dont des négociations peuvent être menées à l'intérieur d'une organisation.

Cela dit, je pense qu'il y a plusieurs facteurs qui peuvent jouer en faveur de ce phénomène qu'on tente d'expliquer, le fait qu'il y a eu très peu de grèves dans les CLSC depuis cinq ans. Il y a la grosseur de l'établissement. Un CLSC, ça regroupe peut-être 70 employés, ce qui veut dire que, dans

un CLSC, tout le monde se connaît. L'administration connaît son monde et on connaît les forces et les faiblesses de chacun. Cela crée un environnement un peu particulier où le réseau de communications est de beaucoup facilité par le fait que, finalement, ce ne sont pas de grosses boîtes. Ce sont de petites boîtes où tout le monde se connaît. Quand il y a des problèmes, ils sont connus aussi; on peut plus facilement identifier les problèmes et, par conséquent, en identifier les causes et apporter des correctifs.

La deuxième chose, c'est ce qu'on disait dans notre mémoire: c'est un fait, il y a peu de personnel cadre dans les CLSC. Ce n'est pas une boîte très hiérarchisée, encore. Cela veut dire que les équipes de travail ont beaucoup plus d'autonomie que dans une grosse boîte où on aurait un, deux ou trois niveaux de contrôle. Il y a beaucoup plus d'autonomie et les travailleurs et travailleuses ont beaucoup plus d'initiative dans la conception et l'élaboration des programmes, et leur actualisation.

Un troisième facteur, c'est que les CLSC se voient attribuer un territoire précis et épousent un peu ce territoire, ses valeurs, sa culture. En ce sens, les travailleurs se sentent interpellés quotidiennement par la population. Si les gens à l'intérieur du CLSC ne travaillent pas comme des groupes ou des ressources dans le milieu l'entendent, ils se le font dire. La proximité de la population fait qu'ils ont à répondre quotidiennement aux besoins de cette population ou des ressources qui sont là.

Finalement, c'est dû, comme vous le dites, je pense, à la nature des tâches, aux approches aussi. Les CLSC ont une approche communautaire et doivent absolument obtenir la collaboration des ressources qui sont là. Sinon, ils sont ignorés et ils deviennent un peu inefficaces et inutilisés dans le milieu. Ce n'est pas que les CLSC recherchent et aiment, bien entendu.

Alors, c'est un ensemble de facteurs qui fait, à mon avis, qu'ils tiennent aux modèles d'organisation qu'on retrouve à l'intérieur des CLSC, qui font qu'il s'est développé là une problématique un peu différente de ce qu'on retrouve dans d'autres établissements.

M. Léveillée: Je pense que vous avez mentionné aussi la qualité du personnel. Il ne faut pas minimiser cela, c'est très important. Il s'est ramassé dans les CLSC des gens qui étaient un peu "tannés", pour ne pas dire écoeurés, des systèmes bureaucratisés, des gens qui voulaient innover et humaniser un peu leur action et leurs fonctions. C'est un peu le ton qu'ils ont donné. Il y a les fonctions de gestion, je crois, qui sont importantes pour permettre ça. Quand vous parlez de participation, j'y crois, moi, j'en fais. Mais, ce sont eux qui sont les plus importants et ce sont eux qui ont réussi, je pense, à rapprocher la population des services publics, parce que, finalement, un CLSC, c'est probablement l'endroit où c'est le plus près du réseau privé dans les institutions.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Dans ce sens-là, ce que vous voulez dire, c'est que vous êtes beaucoup plus sensible aux besoins de votre clientèle. Pour continuer dans cette veine un petit peu, est-ce que le cadre législatif, depuis quelques années, constitue, dans certains cas, un obstacle aux modèles organisationnels que vous avez développés? C'est-à-dire est-ce que vous avez quand même, comme administrateur, les coudées franches à l'intérieur des virgules, des points-virgules, des sous-paragraphes, et tout ce que vous voulez, des conventions collectives pour optimiser votre gestion, pour aller chercher le plus possible, dans le genre de gestion dont on vient de parler, les ressources?

Est-ce qu'il y a des exemples précis où, vraiment, c'est un carcan qui vous empêche d'être meilleur administrateur, compte tenu des besoins, compte tenu des ressources, compte tenu de la satisfaction que retirent vos gens de faire tel genre de travail de telle façon?

M. Sénéchal: Je serais plutôt porté à dire qu'effectivement ce qui nous fait préconiser une plus grande décentralisation dans ce domaine, c'est que, sur certains points, les conventions collectives actuelles -on l'a expliqué auparavant - comportent des modalités, des mécanismes qui valent mieux pour de grosses boîtes, tels les centres hospitaliers. C'est évident que quand vous vous retrouvez à 80, si on se retrouve, par exemple, à cause d'une convention collective, avec six ou sept comités, on est très mal servi. On va chercher du monde pour composer les comités et ça devient un obstacle à notre fonctionnement. On a besoin de mécanismes plus souples, au plan de l'affectation des tâches, au plan des heures supplémentaires, par exemple, pour mieux s'adapter à des programmes qu'il faut mettre de l'avant pour répondre aux besoins de la population.

Dans ce sens, on n'a pas avantage, souvent, à adopter les mêmes mécanismes qu'on retrouve dans les centres hospitaliers qui sont ceux qu'on retrouve, à toutes fins utiles, dans les conventions qui sont actuellement négociées, parce qu'elles sont négociées à un plan international.

M. Charlebois: Ou toute l'orientation pour l'éclatement des tâches où on arrive à des définitions de tâche très précises, très parcellisées dans les grands ensembles industriels. Cela a été importé dans le

secteur hospitalier ou dans le secteur de l'éducation. C'est tout à fait inadéquat dans un CLSC où une plus grande polyvalence est recherchée. De façon générale, on a le plus possible tenté de résister à importer les définitions de tâche qui vont exister ailleurs.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Je vous remercie. C'est à dessein que je vous ai, dans le fond, permis de réitérer, comme vous l'avez vous-même souligné, des choses que vous avez dites un peu plus tôt, dans la mesure où ça m'apparaît un modèle assez particulier que je voulais mettre en regard. Le modèle particulier que vous avez développé, la proximité de la clientèle, les résultats probants du degré de civilisation assez élevé dans les rapports entre l'administration et les employés, les travailleurs dans les CLSC, c'était important à mon sens de réitérer cela et je vous remercie de l'avoir fait.

Le Président (M. Lachance): M. le ministre.

M. Clair: M. le Président, je voudrais revenir seulement à une question soulevée par la Fédération des CLSC. Il s'agit de la question des mandats à obtenir du Conseil du trésor. Il ne s'agit aucunement pour moi de défendre le Conseil du trésor, mais d'être bien sûr que je comprends l'impact de ce qui est proposé.

Dans l'avant-projet de loi, ce qu'on indique, c'est que, d'abord, plutôt que l'ancien CPNAS comme fondé de pouvoir, ce serait ce que vous appelez - on ne s'entend pas sur les termes - comité sous-sectoriel ou sous-comité sous-sectoriel, je ne me souviens plus, qui soit fondé de pouvoir; d'autre part, que les sujets en annexe soient des sujets de négociations locales et ne fassent donc pas l'objet d'un mandat du Conseil du trésor en termes de contenu, j'entends.

Si, par ailleurs, il y a une entente ou une demande pour décentraliser au niveau local un sujet qui n'est pas prévu dans la liste, cela requerrait l'autorisation du Conseil du trésor. Reste le protocole d'entente à intervenir au niveau des deux grands comités patronaux - éducation - affaires sociales -avec prépondérance de vote sur certaines matières pour l'une ou l'autre des parties, le ministre des Affaires sociales ou les associations patronales. (15 h 45)

Pourquoi c'est conçu comme ça? J'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, il ne peut pas y avoir plusieurs conseils du trésor dans un gouvernement, pour la bonne et simple raison qu'il n'y a qu'un seul gouvernement qui perçoit une seule série de taxes - et c'est bien assez - et qui gère une seule série de dépenses; il ne peut pas en gérer deux, il n'en gère qu'une. Il doit y avoir nécessairement au niveau central du gouvernement un lieu, un endroit, un forum où le gouvernement, d'une part, est saisi de toute l'information et, d'autre part, donne des orientations ou des mandats et, à tout le moins, sait dans quelle direction un secteur, un sous-secteur s'en va par rapport à un autre, afin d'être bien sûr que l'on mesure tous les impacts financiers, budgétaires ou autres de telle ou telle décision qui se prend.

Est-ce que je comprends que votre charge contre le Conseil du trésor va jusqu'à dire que, sur les matières, dans le fond, où les associations patronales auraient prépondérance, une fois le protocole d'entente signé, en termes de contenu, ce serait, à toutes fins utiles, puisque vous auriez prépondérance, les associations patronales qui se donneraient elles-mêmes un mandat sur les matières qui, même si elles sont normatives - vous le reconnaissiez tantôt - peuvent être tantôt lourdes, tantôt légères, parce que ce n'est pas facile de discriminer et de dire: On va mettre dans un paquet ce qui est léger et dans un autre ce qui est lourd? C'est plutôt en termes de modulation et de résultat final qu'on peut distinguer ce qui est lourd de ce qui est léger. Est-ce que je comprends de votre proposition que cela irait jusqu'à faire en sorte qu'au niveau du CPNAS, ou du comité sous-sectoriel, à toutes fins utiles, ce serait sur les matières à prépondérance patronale, des associations patronales elles-mêmes qui, en termes de contenu, définiraient, sans l'obtention d'aucun mandat de la part du Conseil du trésor, non plus que du Conseil des ministres, le contenu des mandats? Je vois mal comment qui que ce soit au niveau des élus de l'Assemblée nationale ou du gouvernement pourrait assurer cette tâche de coordination. J'aimerais que vous nous précisiez l'étendue de votre proposition.

M. Charlebois: Vous exposez bien notre point de vue dans votre question. Effectivement, on pense qu'une fois l'entente signée pour la création du comité patronal...

M. Clair: L'entente serait-elle exactement de la même nature que celle qu'elle est maintenant ou prévoirait-elle, en termes de contenu de mandat, des planchers et des plafonds, ou un corridor?

M. Charlebois: L'entente qui existe actuellement prévoit que la partie ministérielle a un vote prépondérant sur certaines matières, cela va. Pour les autres matières, c'est la partie des associations. On considère que, pour cette partie, la source des mandats, ce devraient être les établissements qui donnent mandat à l'association.

M. Clair: Comment concilier cela? M. Charlebois: Comment concilier...

M. Clair: Vous acceptez sûrement... parce que, sur le plan de la gestion des services publics et de la gestion budgétaire et fiscale du gouvernement, il m'apparatt essentiel qu'il y ait un lieu de coordination pour l'ensemble gouvernemental. Cependant, ce n'est pas contradictoire avec une volonté de décentralisation au niveau local ou sous-sectoriel sur les trois thèmes indiqués dans le projet, mais dans la mesure où il s'agit d'aller au-delà de cela...

M. Charlebois: Je comprends difficilement les craintes que vous exprimez, surtout que dans le projet de loi il est prévu qu'un ensemble de matières vont être négociées au niveau local où la source du mandat va être le conseil d'administration de l'établissement.

M. Clair: C'est exact.

M. Charlebois: En quoi y a-t-il danger de perte de contrôle de la part du Conseil du trésor si, au niveau sous-sectoriel, dans les matières sur lesquelles le vote prépondérant appartient aux associations, la source des mandats, ce sont les établissements? D'autant plus que dans les ententes que avons avec le Conseil du trésor, il est prévu, en fin de compte, en vertu de l'article 18 de la loi, que le Conseil du trésor peut toujours juger qu'un sujet devient d'intérêt gouvernemental et il s'arroge alors le mandat. On considère que la loi donne suffisamment de poigne au Conseil du trésor pour qu'à un moment' donné, s'il juge nécessaire d'intervenir, il intervienne, qu'il n'est pas nécessaire d'en rajouter dans ces domaines.

M. Clair: Mais entendons-nous bien: ce que l'avant-projet de loi favorise, c'est la décentralisation au niveau local et les matières qui seraient décentralisées au niveau local ou au niveau sous-sectoriel dans la direction que vous proposez ne feraient pas l'objet d'un mandat du Conseil du trésor. Ce serait dans la mesure où on viendrait y ajouter - et quand on se pose la question, à savoir ce qu'on peut ajouter, c'est là que les matières apparaissent vite comme nécessitant une coordination et... Remarquez qu'on a longuement réfléchi à cette question du pouvoir d'invoquer l'intérêt gouvernemental par rapport à une liste, mais il faudrait éviter, je pense, de placer le Conseil du trésor dans une position où il a très fréquemment... où, finalement, il fait comme la dernière fois, il déclare à peu près tout d'intérêt gouvernemental et il fait par la porte arrière ce qu'on ne semble pas vouloir faire par la porte avant. À ce compte-là, je tiens à préciser que les sujets qui feraient l'objet de négociations locales ou sous-sectorielles, s'il s'agit de la même liste que celle dont on parle dans l'avant-projet, ne feraient pas l'objet d'un mandat du Conseil du trésor, mais aller au-delà, c'est là que le point d'interrogation se pose.

M. Charlebois: II faut bien se rendre compte qu'il va y avoir des circonstances où le Conseil du trésor va intervenir et je suis convaincu que cela va se produire même dans une négociation locale, là où les parties sont soi-disant totalement responsabilisées. Pour revenir aux nouvelles matières qui pourraient s'ajouter et qui ne sont pas prévues à la liste, l'entente qui a été signée par le gouvernement et les associations d'établissements pour créer le CPNAS - et je présume que l'entente qui serait signée entre les comités sous-sectoriels et le gouvernement serait de même nature - dans la mesure où on prévoit sur quelles matières le gouvernement a le droit de prépondérance sur les établissements et dans ia mesure où on a même prévu un mécanisme pour trancher les zones grises, on considère qu'il y a tout dans l'entente pour disposer de ces questions. Si vous avez en mémoire cette entente, dans les cas où ce n'est pas clair à qui appartient le vote, il y a tout un mécanisme d'appel qui, en fin de compte, remet au ministre le pouvoir de déclarer que c'est d'intérêt gouvernemental. Je pense que la Fédération des CLSC, en souhaitant s'associer aux négociations, en souhaitant participer à un comité sous-sectoriel, maintient une attitude qu'elle a eue dans le passé, mais il est bien évident qu'en fin de compte c'est le gouvernement qui peut déclarer des matières d'intérêt gouvernemental. Lorsque cela s'est produit - vous avez évoqué ce qui s'est produit à la dernière négociation - que je sache, dans le secteur des affaires sociales, il n'y a pas nécessairement eu de hauts cris. C'est une espèce de dynamique qui va se produire de toute façon. Je répète que, même dans des négociations locales - et on l'a vu récemment - cela se produit. Il arrive à un moment donné une situation où, qu'on le veuille ou non, cela devient d'intérêt gouvernemental.

M. Clair: Alors, M. le Président, il ne me reste qu'à...

M. Charlebois: Et c'est notre fatalisme, peut-être, qui apparaît tout le long.

M. Clair: II ne me reste, M. le Président, qu'à remercier M. Sénéchal, le président, M. Charlebois et les autres personnes qui les accompagnent de leur présence en commission parlementaire. Merci.

Le Président (M. Lachance): Merci, messieurs de la Fédération des CLSC du Québec, d'abord, d'avoir commis un mémoire et, ensuite, d'être venus ici échanger avec les parlementaires. Merci beaucoup.

Association des centres de services sociaux du Québec

J'invite maintenant l'Association des centres de services sociaux du Québec à prendre place à la table pour venir à son tour nous faire part de ses remarques sur l'avant-projet de loi. Le porte-parole désigné est M. Louis-Philippe Thibeault, qui est président et à qui je vais demander de bien vouloir nous présenter les personnes qui l'accompagnent, en commençant par sa gauche. Comme vous voudrez, allez-y. De toute façon, il n'y aura pas d'équivoque.

M. Thibeault (Louis-Philippe): Si vous permettez, M. le Président, je vais commencer par la droite: Mme Lise Denis, directrice générale de l'Association des centres de services sociaux du Québec; à ma gauche, M. Jacques Paradis, qui est directeur des ressources humaines à l'Association des centres de services sociaux, et votre porte-parole, Louis-Philippe Thibeault, président de l'association.

Le Président (M. Lachance): Très bien. Comme pour le groupe précédent, je vous inviterais, M. Thibeault, à nous présenter votre mémoire au cours d'un exposé d'une durée maximale de 20 minutes. Vous avez la parole.

M. Thibeault: Merci, M. le Président. Chers membres de la députation, vous avez en main le mémoire qu'on a déposé ici, il y a quelque temps. C'est un mémoire qui n'est pas très long et, bien qu'il ne soit pas très long, on a tenu à en faire une présentation encore plus sommaire pour permettre plus d'échanges au niveau de la période des questions.

L'Association des centres de services sociaux est heureuse d'avoir à nouveau l'occasion de faire connaître aux législateurs ses positions quant aux modifications à apporter au régime de négociations dans les secteurs public et parapublic à la suite du dépôt de l'avant-projet de loi sur le sujet. Notre expérience à ce chapitre date de 1969, période où les agences sociales commençaient dans ces rondes périodiques de négociations. Par la suite, nous avons été impliqués régulièrement dans ce lourd et complexe processus. Lors de consultations antérieures du gouvernement, nous avons eu l'occasion de faire état publiquement de nos analyses et de nos recommandations. Les propos que nous tenons dans le présent mémoire sont en continuité avec ces dernières et suivent les pistes tracées dans le document de consultation du gouvernement publié au printemps dernier, sous l'autorité du président du Conseil du trésor, M. Clair. Les CSS ont participé à la démarche proposée lors de cette consultation. Comme le gouvernement le souhaitait, nous avons cru que tous les groupes intéressés à cette épineuse question y participeraient, chacun y allant de sa contribution en fonction de son vécu et de ses intérêts. Tel ne fut pas le cas.

Compte tenu de la nécessité d'apporter des changements significatifs au régime actuel, il y a lieu, tel que la présente démarche gouvernementale le propose, de procéder par vote législative aux modifications rendues nécessaires. De façon générale et sous réserve de quelques modifications, le contenu de l'avant-projet de loi rallie les centres de services sociaux tant par les nouveaux mécanismes introduits que par l'esprit qui l'anime. Le nouveau mode de détermination de la rémunération nous paraît ramener les choses à leur juste dimension. Il s'agit d'une prérogative gouvernementale importante. C'est plus de 50% du budget de l'État qui est en jeu et on ne saurait laisser à un groupe organisé la capacité de négocier avec une force de pression inouïe le niveau de taxation des contribuables, la marge de manoeuvre du gouvernement et les priorités de l'État.

En ce sens, les mécanismes proposés ainsi que les règles du jeu mis de l'avant permettront de concilier les différents intérêts présents. Un aspect important de la réforme proposée a trait à la décentralisation des objets de négociation. À plusieurs reprises, nous avons dénoncé ce cartel forcé des organisations patronales, au niveau des affaires sociales, qui a eu pour conséquence d'uniformiser les dispositions normatives des conventions collectives où un établissement, tel un CSS, a peine à s'y retrouver.

Nous croyons que la négociation par les comités sous-sectoriels endigue cette uniformisation excessive et permettra la conclusion d'entente tenant compte des réalités spécifiques aux Centres de services sociaux. Toutefois, l'article 15 de l'avant-projet de loi reconduit une stipulation de la loi actuelle prévoyant que les comités sectoriels et sous-sectoriels demeurent sous l'autorité du ministre des Affaires sociales et qu'ils doivent requérir du Conseil du trésor les mandats de négociation. Nous sommes d'avis qu'une véritable décentralisation devrait faire en sorte que les comités sectoriels et sous-sectoriels disposent de l'autonomie nécessaire à la conduite de leur négociation respective. L'actuel avant-projet de loi reconduit le statu quo à ce chapitre et reconfirme ainsi le contrôle gouvernemental à tous les paliers de négociation, ce qui nous paraît contraire à l'orientation

de cet avant-projet de loi. (16 heures)

La décentralisation au niveau des établissements est bien accueillie par les Centres de services sociaux. Toutefois, il est essentiel qu'elle soit progressive. Nous l'indiquons dans notre mémoire, la décentralisation doit permettre aux parties locales d'évoluer à leur rythme vers une prise en charge de plus en plus complète de leur devenir. Le système a fait en sorte que, depuis 20 ans, nous ayons assisté à une hypercentralisation progressive dont l'aboutissement a été vécu lors de la dernière ronde de négociations. Donnons-nous les moyens et le temps de renverser cette tendance sans provoquer de mouvement de ressac que nous ne pourrions que déplorer à nouveau.

Les établissements que nous représentons sont prêts à assumer leurs responsabilités. Ils veulent être en mesure d'y faire face progressivement, au fur et à mesure de leur intérêt et de leur capacité. C'est pourquoi notre association préconise plutôt que l'annexe A soit une liste indicative de sujets que les parties locales pourraient s'approprier à leur rythme.

Comme nous l'avons dit précédemment, les négociations, pour ce qui est des matières normatives à prépondérance d'établissement, devraient se dérouler au niveau des comités sous-sectoriels. Il y aurait déjà là une prise en charge significative de notre problématique particulière. Par la suite et en complément à cette étape, l'employeur local et le syndicat concerné pourraient, s'il y a lieu, voir à convenir d'autres ajustements en fonction de leur spécificité locale. À ce chapitre, nous croyons qu'un transfert trop brusque des champs de responsabilités risque sérieusement de compromettre une partie des objectifs recherchés par cet avant-projet de loi.

Quant à l'épineuse question du droit de grève, le gouvernement s'oriente vers une forme de compromis entre son abolition et son maintien intégral. Tout a été dit à ce sujet. Quant à nous, nous nous rallions derrière la solution avancée. Nous croyons que les mécanismes de médiation mis de l'avant, tant au niveau national que local, ne pourront que contribuer à la recherche du consensus désiré par les différentes parties en cause. Nous savons tous que malgré Ies meilleures formules que nous pourrions mettre de l'avant, une réforme du régime de négociations dans les secteurs public et parapublic n'est possible que si les différents intervenants s'associent dans un contexte de concertation. En ce qui concerne les centres de services sociaux, nous entendons y contribuer positivement. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Lachance): Merci. Je constate que vous êtes quelqu'un qui est bref. La parole est maintenant au ministre.

M. Clair: Oui. M. le Président, j'aimerais également aborder à nouveau, comme M. Thibeault... D'abord, je souhaite la bienvenue à M. Thibeault, ainsi qu'aux gens de l'Association des centres de services sociaux du Québec, et je les remercie pour les rencontres que j'ai eu l'occasion d'avoir avec eux ainsi que la politique de porte ouverte qu'ils ont pratiquée avec moi et les membres du Conseil du trésor sur l'avant-projet et la consultation que j'ai menée depuis le mois de mai.

J'entre immédiatement dans le fond de la question puisque les gens qui l'accompagnent étaient présents au moment du débat avec la Fédération des CLSC. Je voudrais revenir à la question du rôle du Conseil du trésor et, à partir des discussions que j'avais tantôt avec les gens de la Fédération des CLSC, dans le fond, leur reposer les mêmes questions et peut-être détailler un peu plus leur position, en quoi la présence, la nécessité, sur les questions autres que celles qui apparaîtraient en annexe selon le mécanisme de décentralisation qui serait retenu à un niveau local ou sous-sectoriel, sur ces questions, c'est établi clairement, il n'y aurait pas nécessité d'obtenir un mandat de la part du Conseil du trésor.

Sur les autres questions, en quoi la nécessité d'obtenir un mandat de la part du Conseil du trésor ne permet pas de satisfaire aux objectifs souhaités et sur lesquels l'Association des centres de services sociaux du Québec semble d'accord avec le gouvernement sur l'avant-projet, en quoi cela serait-il inopérationnel ou, encore, en quoi cela nuirait-il à l'atteinte des objectifs souhaités en termes de responsabilisation des intervenants, de processus de décentralisation? J'aimerais qu'on revienne sur cette question.

M. Thibeault: Je vais simplement partir de ce qu'on appelle l'annexe A qui prévoit une négociation au niveau local sur certaines matières. Ce qui est prévu dans l'avant-projet de loi, c'est que ces matières seraient de négociation locale. Par contre, il y est aussi prévu qu'au niveau sous-sectoriel les parties peuvent convenir d'ajouter ou de retrancher cette liste-là. Donc, il y a là tout de suite, dans son mécanisme, une disposition qui fait que le législateur prévoit des négociations au niveau local, donne les pouvoirs en conséquence, mais prévoit qu'une instance supérieure, qui est le sous-sectoriel, peut retrancher ou ajouter. Il nous est apparu, à la lecture de l'avant-projet de loi, à moins qu'on en ait fait une mauvaise lecture, que, finalement, les mandats venaient du Conseil du trésor, ce qui revient

à dire, comme résultat net, que, finalement, le Conseil du trésor, directement ou indirectement, a un pouvoir de contrôle ou d'influence à peu près sur toutes les matières.

M. Clair: Non pas sur les trois thèmes, sur les sujets ou les objets de négociations qu'on prévoyait locale dans l'avant-projet sur ces questions-là - on me corrigera si je fais erreur quant à l'interprétation de mon propre texte - mais il n'y avait pas de mandat de la part du Conseil du trésor. Il y aurait mandat de la part du Conseil du trésor quant à deux volets: s'il s'agit d'ajouter, de décentraliser beaucoup plus... C'est bien sûr que je donne un exemple simpliste, si le CPNAS décide de décentraliser les régimes de retraite, c'est évident que je pense que ça ne sera pas mauvais qu'un mandat soit vite déclaré d'intérêt gouvernemental. C'est une première série. L'autre série concerne des choses plus réalistes faisant l'objet d'un protocole d'entente entre le ministère et l'association patronale. Il s'agirait de savoir, une fois que le vote prépondérant est distribué, si les matières à prépondérance patronale ne porteraient que sur des questions qui ne sont absolument pas à impact financier, et, si oui, ce qui reste une fois qu'on a pris comme orientation de les envoyer au niveau local ou sous-sectoriel et au sujet desquelles on dit qu'il n'y a pas de mandat du Conseil du trésor. J'ai de la difficulté à voir ce qui resterait dans ce paquet-là sans aucune incidence financière. On peut en entrevoir, mais il est difficile de distinguer ce qui serait léger ou lourd. Cela ne me semble pas facile à réaliser.

M. Thibeault: Si vous me permettez, je pourrais demander à M. Paradis de répondre.

M. Paradis (Jacques); L'idée que nous retenons de l'avant-projet de loi, au-delà des mécanismes mis de l'avant, et on vous dit que nous les partageons dans leur ensemble, on y constate un esprit de décentralisation, une intention de décentralisation qui prend différentes formes, entre autres, en ce qui regarde la négociation locale, pour laquelle, d'ailleurs, nous avons quelques modifications à suggérer. Le Conseil du trésor se réserve le droit de disposer, de la façon dont c'est proposé dans l'avant-projet de loi, de la rémunération par l'institut de recherche, la négociation et un règlement qui découle du consensus éventuel.

Il y a les parties nationales qui continuent à négocier au niveau sectoriel en ce qui regarde les affaires sociales et sous-sectoriel plus particulièrement. Ce qu'on dit là-dedans, c'est, en quelque sorte, que le Conseil du trésor se réserve le droit strict de disposer avec les partenaires syndicaux concernés de la question de la rémunération, les parties locales auront la possibilité de s'approprier à leur rythme et en fonction de leurs capacités de certaines prérogatives qui ont trait à l'organisation du travail, mouvement de personnel et droits syndicaux. Il reste ce qui est négociable au niveau national. Dans notre esprit, le niveau national, il y a une étape là-dedans. Il y a le sous-sectoriel qui devrait avoir une partie - tout étant relatif - assez importante à ce niveau-là - dans un premier temps, du moins - nous donnant le soin de calquer quand même nos dispositions actuelles sur le modèle des établissements que nous représentons, par opposition à ce qu'on sait actuellement, que les dispositions tiennent davantage compte du milieu hospitalier, d'ailleurs, comme nous le disaient nos collègues des CLSC tout à l'heure.

Le ministère des Affaires sociales, au niveau du comité, tant sectoriel que sous-sectoriel, est présent. Le gouvernement, par le biais du Conseil du trésor - article 18 -permet au Conseil du trésor d'intervenir sur tout sujet qu'il juge d'intérêt gouvernemental. Effectivement, on comprend très bien que le gouvernement a le souci d'avoir une coordination en ce qui regarde, entre autres, certaines considérations à caractère financier. Ce qu'on dit là-dessus, c'est que le ministère des Affaires sociales, par ses représentants, est déjà présent à l'un et l'autre des comités, tant au comité sectoriel, ce qu'on appelle le comité CPNAS actuel, si on réfère à ce qu'on connaît déjà, qu'au sous-sectoriel.

Déjà, nos règles de fonctionnement, dans le contexte actuel prévoient un protocole qui laisse une prépondérance, d'une part, aux établissements en ce qui regarde certains aspects normatifs et, d'autre part, au gouvernement, au ministère des Affaires sociales, en ce qui regarde certains aspects normatifs qui pourraient avoir, entre autres, des incidences financières. Cet aspect est couvert déjà. Advenant un désaccord en termes d'émission de mandat à l'un ou l'autre de ces comités, évidemment, la partie gouvernementale, par le biais des représentants du ministère des Affaires sociales, pourrait faire valoir sa prépondérance et, éventuellement, se situer à l'intérieur des mandats que l'appareil gouvernemental pourrait émettre en fonction de ses prérogatives. Dans ce sens-là, ce qu'on dit, c'est: Donnons à chacune des parties, tant au niveau local qu'au niveau national, le soin de remplir pleinement son mandat. À ce moment-là, pourquoi le Conseil du trésor serait-il présent, comme le disaient nos collègues tout à l'heure, et aurait-il des poignées à deux endroits: à l'article 18, l'intérêt gouvernemental, et à l'article 15, l'autorisation des mandats, et à double titre, parce que le ministère des Affaires sociales est, je le répète, présent à ces comités où il

est partie aux décisions?

Mme Denis (Lise): Cela nous semble à tout le moins compromettre une partie de l'esprit de décentralisation qui est dans l'avant-projet de loi. On trouve dangereux que le Conseil du trésor, à toutes fins utiles, devienne juge et partie dans ce processus à la fois en donnant les mandats et en exerçant une forme de contrôle lorsqu'il déclare un sujet d'intérêt gouvernemental.

M. Clair: C'est-à-dire qu'il soit le moins partie possible pour être le meilleur juge possible en public.

Mme Denis: C'est cela, exactement. Une voix: Nous sommes d'accord.

M. Clair: J'aimerais maintenant aborder la question du mode de règlement des différends, le droit de grève et Ies services essentiels dans le secteur des services sociaux, qui est le vôtre. Vous avez comme position d'appuyer ce qui est contenu dans l'avant-projet de loi. Vous vous distinguez à certains égards de la position des CLSC. Pourtant, il s'agit là de services qui, sans être identiques, sont quand même dans une même famille de services par rapport à l'éducation, par exemple. J'aimerais mieux comprendre et poser la question directement: En termes de mécanismes de. services essentiels, est-ce donc à dire qu'il vous apparaît possible de déterminer ce qu'est un service essentiel, qu'est-ce qui est service essentiel et qu'est-ce qui ne l'est pas? Quelle est votre expérience des mécanismes que nous avions en 197, 9 qui ont joué en termes de liste de services essentiels? Je sais que les dispositions du Code du travail, telles qu'elles sont actuellement, n'ont jamais été utilisées. Quelle appréhension au sens positif du terme avez-vous des possibilités de fonctionnement de ces mécanismes-là dans le secteur, dans les centres de services sociaux? Pouvez-vous expliciter votre attitude en ce qui concerne ce sujet?

M. Thibeault: D'abord, les services que dispensent les centres de services sociaux, on peut les resituer par rapport à une évolution historique. Sans faire une histoire détaillée, ce qu'on peut constater aujourd'hui, c'est que les ex-agences de service social qui sont maintenant regroupées en quatorze centres de services sociaux ont été, pendant de nombreuses années, dans certains cas, voire même depuis 50 ans, les seules dispensatrices de services sociaux au Québec. Les agences donnaient, à ce moment-là, des services qu'on pourrait qualifier - en régions, du moins - de polyvalents et, dans les centres urbains, peut-être de plus spécialisés. La réforme de 1973 a privilégié qu'on fasse des 42 agences de l'époque 14 centres de services sociaux, avec une mission qu'on avait qualifiée à ce moment-là de plus en plus spécialisée à l'endroit de certaines clientèles, laissant ainsi le champ libre à la venue des CLSC.

Or, ce qu'on constate maintenant dans l'évolution des services des centres de services sociaux, c'est que les services que les CSS sont appelés à dispenser, on peut les qualifier de plus en plus de services de protection. À titre d'exemple, dans le domaine de la protection de la jeunesse, le législateur est venu confirmer cette mission en adoptant il y a quelques années - de façon unanime, d'ailleurs - une loi sur la protection de la jeunesse. Chez les adultes et les personnes âgées, bien qu'il n'y ait pas de loi de protection comme telle, les clientèles - pour nous, en tout cas s'apparentent de plus en plus à des clientèles en besoin de protection, soit des adultes exploités, des personnes âgées exploitées ou dans des conditions matérielles inacceptables. Dans ce sens-là, on peut dire que la grande majorité des services présentement dispensés par les centres de services sociaux, ce sont des services essentiels parce qu'ils s'adressent à des besoins fondamentaux chez les individus, autant chez les enfants en besoin de protection que chez les adultes et les personnes âgées.

Qu'est-ce que cela veut dire, une fois qu'on a dit cela? Demain matin, est-ce que les CSS peuvent s'acquitter de leurs devoirs légaux ou de leurs responsabilités sociales s'il y a une perturbation au niveau des relations du travail qui amène, je dirais, une grève? Il y a des secteurs qui sont plus névralgiques que d'autres. Le premier, naturellement, c'est le secteur de la protection de la jeunesse où le législateur nous demande d'ailleurs d'assurer la réception des signalements d'enfants battus, maltraités, abandonnés ou négligés, 24 heures par jour, sept jours par semaine. Déjà, là, il y a une obligation juridique. Je pense que c'est tout à fait correct, compte tenu des besoins exprimés lorsqu'on reçoit des signalements. Que ce soit durant la nuit ou en fin de semaine, lorsqu'on nous appelle pour nous dire que, dans tel lieu physique, il y a la présence d'un enfant maltraité, je pense que cela ne peut pas subir de délai. (16 h 15)

C'est un peu la même chose du côté de nos services d'urgence sociale disponibles en dehors des heures d'ouverture, c'est-à-dire le soir et les fins de semaine. Les gens qui nous appellent sont très souvent les policiers, parce qu'ils ont été mis au courant de situations familiales dramatiques ou de jeunes qui ont commis des délits et autres. Le service d'urgence sociale reçoit des demandes de services qui nécessitent une réponse immédiate. C'est là que j'en viens à définir

le concept des services d'urgence dans les centres de services sociaux. Ce n'est pas toujours défini par catégories de services, mais c'est beaucoup plus. Il faut, au minimum, assurer une réception et un accueil qui permette d'évaluer le besoin de la personne quand elle appelle ou lorsqu'elle se présente. Dès lors, on peut évaluer si la personne peut attendre le lundi matin pour recevoir le service ou si on doit intervenir tout de suite. Je dirais que la formule des services essentiels prend chez nous des couleurs très particulières à la lumière de cette réalité.

M. Clair: Tout ce que vous décrivez semble couvrir une large partie du mandat des CSS et c'est là que je veux vous forcer à faire le lien entre le maintien du droit de grève, l'acceptation de la notion de mécanismes visant à assurer la conservation des services essentiels en tout temps et, finalement, la description que vous faites de ce qu'est un service essentiel, définition qui semble couvrir à peu près l'ensemble des services. Quelqu'un pourrait poser la question que je posais tantôt à la Fédération des CLSC: Comment se fait-il qu'une telle démonstration n'ait pas comme conclusion l'abolition du droit de grève?

M. Thibeault: D'abord, dans l'avant-projet de loi, sur la rémunération, il n'y a pas de droit de grève qui y est associé. On souscrit à cette orientation non seulement parce qu'elle correspond à notre réalité, mais principalement parce que, un peu comme on le mentionne dans notre mémoire, cela devient de moins en moins acceptable dans une société démocratique qu'un groupe organisé puisse disposer de plus de 50% des fonds de tous les contribuables. C'est un peu l'argument défendu par le gouvernement, mais il y a aussi un autre élément qui peut nous... je dirais qu'on se situe dans une perspective. On dit à la fin de notre mémoire qu'effectivement l'avant-projet de loi, en plus de mettre de nouveaux mécanismes en place, force des changements de mentalité. Nous souscrivons beaucoup à cela. On a beau changer les mécanismes, si les mentalités ne changent pas, cela va avoir des résultats très limités. Dans ce sens, on pense que le fait d'abolir le droit de grève pour la rémunération - on ne se le cachera pas, pour être bien pragmatique, dans 90% des cas, c'est la cause principale de la mobilisation et du débrayage - est certainement un élément à ce niveau qui va forcer les parties à jouer selon les nouvelles règles du jeu et changer les mentalités. Par contre, on comprend aussi que le droit de grève est maintenu sur les matières nationales, normatives. On est d'accord aussi avec cela. Au niveau local, effectivement, il y a abolition du droit de grève. Nous y souscrivons, mais, de toute façon, ce ne sont pas des matières pour lesquelles les gens se mobilisent énormément et font des débrayages.

M. Clair: Vous faites référence à l'autre sujet que je voulais justement aborder dans la réponse que vous donnez: la question de la rémunération. Vous en venez à une conclusion opposée à celle de la Fédération des CLSC, qui nous a dit tantôt qu'en ce qui concerne la rémunération - je résume le plus honnêtement possible - quant à elle, de son point de vue d'administrateur, de son vécu, les mécanismes proposés étaient suffisamment valables pour ne pas justifier, rendre utile, l'abolition du droit de grève sur la question de la rémunération ou son remplacement par de nouveaux mécanismes.

De votre côté, vous en venez à la conclusion qu'en termes de services essentiels et d'autres questions, les mécanismes sont bons et qu'on peut maintenir le droit de grève. Par contre, tel n'est pas le cas en ce qui concerne la rémunération. Qu'est-ce qui vous amène à conclure différemment de la Fédération des CLSC du Québec? Est-ce que c'est sur le principe de la non-négociabilité du budget de l'État avec les syndicats des secteurs public et parapublic ou si c'est plutôt le manque de confiance dans les mécanismes proposés: Institut de recherche sur la rémunération, sur lequel, je pense, tout le monde autour de cette table est à peu près d'accord aujourd'hui pour solutionner le différend? Est-ce que c'est cette position de principe, la non-négociabilité du budget de l'État, ou le manque de confiance dans la valeur et dans la possibilité que les mentalités évoluent, que l'Institut de recherche sur la rémunération puisse donner des résultats satisfaisants? Je pose la question suivante: Comment expliquez-vous la différence de position avec celle de la Fédération des CLSC du Québec?

M. Thibeault: Il y a une chose qui est claire: ce n'est pas parce qu'on ne croit pas aux mécanismes. Je mentionnais tout à l'heure que la raison principale était le fait que, par ce droit de grève, on exerce une pression démesurée sur plus de 50%, finalement, des contributions de tous les contribuables du Québec. Pour nous, cela paraît un élément important.

L'autre élément, c'est l'objectif de mettre en place un régime qui va permettre un changement de mentalité. En tout cas, personnellement... je pourrais consulter, mais il nous apparaît que, tant que l'on maintient le principe du droit de grève, on ne force pas nécessairement les mentalités, même si on met en place de nouveaux mécanismes. On risque de jouer le jeu des nouveaux mécanismes...

M. Clair: Je vous interromps volontairement. Qu'est ce qui est le plus important? Faire changer les mentalités... À supposer que le retrait du droit de grève contribue à faire évoluer les mentalités - je prends ce que vous venez de dire - en quoi est-il plus important de faire évoluer les mentalités sur la rémunération plutôt que sur ce que mon collègue de Portneuf évoquait ce matin: le droit à la santé, à la vie qui est prioritaire par rapport au droit collectif des syndicats ou au droit individuel des salariés?

M. Thibeault: Je vais plutôt être terre-à-terre, M. le ministre. Si on regarde dans le passé sur quoi se sont fondés les syndicats pour exercer le droit de grève, c'est la dimension pécuniaire qui mobilise et qui fait qu'on en arrive à exercer le droit de grève; c'est très peu sur le normatif. C'est un constat, je pense, et c'est dans ce sens-là qu'on dit: Si c'est l'aspect pécuniaire qui amène les gens en grève, c'est là-dessus qu'il faut enlever le droit de grève.

Juste pour compléter; outre le fait que le droit de grève des syndicats exerce un pouvoir exagéré sur notre système démocratique, outre que c'est un élément qui, d'après notre analyse, est susceptible de forcer un changement de mentalité et de faire bien jouer les règles du jeu, je voulais ajouter, et là, je ne suis pas nécessairement en contradiction avec la Fédération des CLSC - mais on peut s'interroger: Si on croit aux nouveaux mécanismes, et en particulier au fait que les salaires vont être déterminés pour un an - donc, s'il y a une erreur, d'un bord ou de l'autre, on peut se rajuster huit ou neuf mois après - il m'apparaît que l'on vient d'enlever une pression énorme pour le recours à la grève. Dans ce sens-là, si on pense que les mécanismes mis en place sont de nature à faire recourir de moins en moins à la grève, on n'enlève plus grand-chose rendu là.

M. Clair: Parfaitl Je voudrais aborder un dernier sujet - je sais que cela fait davantage appel à l'expérience vécue qu'à des données officielles; du moins, je ne pense pas qu'il y ait eu de sondage de fait, je n'ai pas posé la question à la Fédération des CLSC - quant à l'évolution des mentalités. Vous y faites référence beaucoup parce qu'on aura beau, dites-vous, avoir les meilleurs mécanismes, si les mentalités ne changent pas, on n'aura pas avancé beaucoup et les mécanismes doivent favoriser l'évolution des mentalités. Il ne fait aucun doute dans l'esprit du gouvernement que projet de réforme doit viser cela, favoriser l'évolution des mentalités en termes de mécanismes. Simplement parce que les CLSC avant vous ont fait référence à cette question, en termes de changement de l'évolution des mentalités - on en parle beaucoup - avez- vous des données à partir de l'expérience vécue dans les CSS au cours des derniers mois? Affirmeriez-vous la même chose que les représentants de la Fédération des CLSC, tantôt, qu'il y a eu une évolution des mentalités quant au recours à la grève, quant à la situation des employés des secteurs public et privé, à la capacité de payer du gouvernement, au rattrapage effectué et non plus à effectuer? Qu'en est-il de cette question dans votre esprit? Avez-vous fait une enquête, des sondages ou quoi que ce soit sur ces questions?

M. Thibeault: Quant à l'enquête, je laisserai le soin à Jacques de répondre. Non, je peux vous donner tout de suite un premier élément de réponse et je demanderais à M. Paradis de compléter. On en a d'ailleurs parlé du côté des CLSC tout à l'heure et c'est la même évolution qu'on observe du côté des centres de services sociaux. Le régime de négociations actuel ne prévoit pas d'ententes locales et, pourtant, il y a un nombre de plus en plus grand d'ententes qu'on pourrait qualifier d'illégales, du moins, non dénoncées par les parties au plan local. Dans ce sens, c'est pour nous un indicateur que la voie de la décentralisation des négociations au niveau local correspond à une évolution amorcée depuis un certain temps et qui va aller en s'amplifiant parce que les gens constatent que, dans le régime actuel, en particulier dans des établissements un peu comme les CLSC et les CSS, les gens ne se retrouvent pas dans les conventions collectives négociées au plan national, parce que c'est calqué à la lumière d'établissements qui n'ont pas le même profil de services que nous. Quant à la question de savoir s'il y a eu une enquête ou un sondage...

M. Clair: Ou encore à partir des données auxquelles vous faites référence en termes quantitatifs d'appréciation. Vous dites qu'il y a de plus en plus d'ententes locales. Peut-on avoir une idée, en termes de nombre, de fréquence, de l'évolution des ententes locales et des sujets sur lesquels il y en a de plus en plus?

M. Paradis (Jacques): Je suis content que vous posiez la question, à savoir si on a fait un sondage scientifique ou quelque chose de semblable. Évidemment, non. Un changement de mentalité dans les comportements est difficilement mesurable. Cependant, à la lumière des expériences que nous vivons et avec le nombre d'établissements que nous représentons, nous pouvons plus facilement ramasser, étant un groupe plus restreint, nous pouvons constater qu'effectivement les groupements syndicaux locaux, de concert avec leur direction d'établissement, s'entendent de plus en plus

pour s'ajuster dans leur quotidien, et cela, malgré les mots d'ordre des dirigeants syndicaux qui, au niveau national, leur donnent des directives ou des indications par rapport à leur façon d'agir qui sont plus ou moins suivies. De plus en plus, les syndicats locaux et surtout leurs membres ont une certaine indépendance et sont davantage intéressés à la solution des problèmes concrets qu'ils vivent. Dans ce sens-là, le fait de leur donner des possibilités de jouer avec ces règles, mais à l'intérieur de mesures législatives permissives, cela ne ferait que consacrer la tendance de la pratique actuelle, qui devrait, quant à nous, s'accélérer.

En ce qui regarde le nombre d'ententes, évidemment, elles sont variées et sur différents sujets. J'ai un exemple précis: justement, hier, je jasais avec une personne d'un établissement, qui me disait qu'il avait 22 ententes pour l'application de la convention collective actuelle. C'est un nombre important, mais c'est un gros établissement et on a discuté de sujets variés. L'établissement voisin peut en avoir dix, mais cela peut porter sur dix sujets différents des 22 autres sujets d'ententes. Cela varie d'un établissement à l'autre en fonction des problématiques rencontrées et aussi de la capacité - on en parle dans notre mémoire - des gens de pouvoir effectivement convenir d'un modus vivendi adéquat à leur situation.

M. Clair: C'est un point qui est différent de ce qu'on nous rapportait tantôt au niveau de la Fédération des CLSC. On me disait: Oui, il se fait des ententes locales, mais pas en très grand nombre alors que du côté des CSS votre affirmation est plutôt contraire, dans le sens qu'elles ont tendance à se multiplier de plus en plus, justement à cause de l'inadéquation du cadre dans lequel vous fonctionnez à partir de la convention collective, bâti davantage sur le réseau hospitalier que sur le réseau des CSS ou CLSC. (16 h 30)

M. Paradis (Jacques): Je dois ajouter à cette réponse qu'on a une certaine expérience depuis un certain temps. Au début, nos établissements étaient nous aussi très peu friands de conclure des ententes. Les gens étaient un peu sur leurs gardes: Qu'est-ce qui va m'arriver? Est-ce que ce que je négocie est correct ou non? Finalement, de part et d'autre, autant au niveau syndical que patronal, les gens ont développé des habiletés, des capacités qui ont fait qu'ils en sont rendus là aujourd'hui. Sans doute que, sans vouloir parler pour d'autres, dans l'avenir, on pourra prévoir que d'autres types d'établissements seront en mesure de faire ce genre de choses. Nous aussi, on a évolué tranquillement là-dessus.

M. Clair: L'appétit vient en mangeant. M. Paradis (Jacques): Merci.

M. Clair: C'est tout pour le moment, M. le Président.

Le Président (M. Lachance): Merci. M. le député de Portneuf.

M. Pagé: Merci, M. le Président. Je voudrais remercier M. Thibeault, Mme Denis et M. Paradis de leur contribution à nos travaux d'aujourd'hui et au processus d'analyse, de réflexion qui déccule directement du dépôt, en décembre dernier par le ministre, de l'avant-projet de loi.

Vous avez abordé avec le ministre certains points que j'avais l'intention de soulever. Vous avez donc répondu à quelques-unes des questions que je voulais formuler, mais il y en a une sur laquelle je veux revenir. Vous vous êtes référés, entre autres, aux services essentiels et vous avez tenté d'informer cette commission et les auditeurs de ce qui était pratiquement intouchable en termes d'arrêt ou de ralentissement de travail dans les opérations courantes d'un centre de services sociaux. Vous vous êtes référés aux situations qui sont faites en présence d'enfants. Vous vous êtes référés au Protecteur de la jeunesse et aux services qui en découlent, etc.

Nous avions, avant 1982, une loi sur les services essentiels qui était - c'est le moins qu'on puisse dire - assez particulière. On se rappellera la fameuse notion de dépôt des listes. On se rappellera qu'en cas de mésentente le syndicat pouvait déposer sa liste purement et simplement. C'est celle qui primait et qui indiquait le nombre de personnes et le genre de services qui étaient jugés essentiels dans le cas d'un conflit dans cet établissement. Cette loi a été modifiée et ce n'est pas par plaisir que le législateur l'a modifiée. C'est parce que, dans certains cas, c'était complètement absurde. On a déjà vu au Québec, dans des établissements où il y avait toute une gamme de services qui, à leur face même, apparaissaient essentiels, des dépôts de listes ne comportant aucun travailleur ni aucune travailleuse. C'était le modus vivendi pour couvrir les services essentiels. Pourriez-vous nous indiquer, à la lumière de votre expérience de ces fameuses listes, comment cela a été vécu à l'intérieur des centres de services sociaux?

M. Thibeault: Je demanderais à M. Paradis de répondre à votre question, si vous le permettez.

M. Paradis (Jacques): Notre expérience à ce chapitre a été assez diversifiée. On a assisté effectivement à des ententes, à la satisfaction des parties, qui ont fait en sorte

que cela a pu être viable, et, même, on a ajusté ces ententes selon la longueur des conflits de travail. Dans d'autres situations, on n'a pas eu d'entente; dans certains cas, nous avons eu des listes qui étaient moindrement acceptables. Parfois, on a eu des listes comportant un seul salarié; dans d'autres cas, une liste comportait uniquement des cadres; donc, à toutes fins utiles, pas de liste. Mais les services essentiels dans les centres de services sociaux, en complémentarité avec ce que M. Thibeault disait tout à l'heure, c'est très complémentaire. Autant nos services complètent ce qui est fait dans d'autres établissements - je parle des centres d'accueil ou des CLSC - autant un arrêt de travail dans ces établissements aura des effets complémentaires graves sur nos clientèles. On parle, par exemple, des signalements pour la protection de la jeunesse où il faut, à un moment donné, faire une intervention. Si on n'a pas la ressource du centre d'accueil à notre disposition, parce que celui-ci est en grève, on a un problème. Les maintiens à domicile que les CLSC doivent faire, s'ils ne peuvent pas les assumer à cause d'un arrêt de travail, on est pris avec des clientèles de personnes âgées qui doivent avoir un traitement quelconque de la part du CSS, ou il doit compter lui-même sur une ressource comme un centre d'accueil, mais si lui-même est en grève... Il y a également des arrêts de travail qui durent une journée et avec lesquels on peut toujours composer.

On faisait référence tout à l'heure à nos services d'urgence ou aux services de 24 heures, qui font en sorte que nos services réguliers prennent en charge un bénéficiaire quelconque qui a été signalé durant la nuit. Lorsque nos services réguliers ne sont pas en fonction le lundi matin pour prendre en main le bénéficiaire en question, on a un service d'urgence qui mérite d'être modifié, parce que notre urgence doit absorber tout et non seulement les cas d'urgence. C'est élastique un peu. Cela dépend de la longueur du conflit et, également, de la situation de nos partenaires, les autres établissements, et de ce qu'ils peuvent faire par rapport à nos bénéficiaires qui sont les mêmes, finalement, d'une façon ou d'une autre.

M. Pagé: Mais, compte tenu de cette interdépendance des établissements et du caractère particulier du réseau des affaires sociales au Québec, compte tenu du droit fondamental pour le citoyen de recevoir le service auquel il a légitimement droit, et on sait comme cela peut être fondamental dans une société, pour un citoyen, de requérir et de recevoir en tout temps le service donné par le réseau des affaires sociales, ne croyez-vous pas qu'il serait plus opportun pour le législateur de rechercher et d'avoir comme objectif qu'il n'y ait pas de conflit ni de grève dans le réseau des affaires sociales? Comment réagissez-vous à cet égard, et je parle de tout le réseau?

M. Thibeault: Comme objectif, nous sommes tout à fait d'accord. Il faut chercher à ce qu'il n'y ait pas d'arrêt de travail. Sauf que, dès qu'on pose la question en termes de refonte du régime de négociations, effectivement, je pense qu'il faut apprécier l'ancien régime qu'on veut modifier. Ce que nous constatons, en tout cas, nous, c'est que les raisons qui amènent les gens à faire la grève se résument principalement à la dimension pécuniaire. Dans ce sens-là, je pense que d'enlever le droit de grève sur la dimension pécuniaire est de nature, je dirais, à faire disparaître en très grande partie les éventuels arrêts de travail, quoique nous n'y sommes pas complètement à l'abri. Effectivement, est-ce que l'abolition du droit de grève, purement et simplement, de façon générale, ne serait pas une meilleure formule? On s'interroge. Quant à nous, on s'est dit qu'à la lecture des événements du dernier régime, en l'abolissant sur la dimension pécuniaire, on vient de régler le problème peut-être à 80% et on ne fait pas disparaître un principe quand même relativement sacré du côté des associations syndicales.

M. Pagé: Ne trouvez-vous pas qu'il devient un peu contradictoire d'établir que -la rémunération se négocie évidemment au niveau des cartels, mandats du Conseil du trésor, etc. - la rémunération n'étant pas définie, on doit présumer qu'elle sera la plus large possible compte tenu de l'expérience où on peut facilement conclure que le Conseil du trésor a beaucoup d'emprise. Comment concilier tout cela avec une volonté de décentralisation et où la décentralisation portera essentiellement sur ce qui ne sera pas de la rémunération, avec l'obligation d'aller chercher ses mandats au Conseil du trésor dès que cela osera effleurer ou toucher quelque chose de monnayable ou qui risque d'avoir un effet financier, comment concilier tout cela? C'est donc dire que le droit de grève, compte tenu de la large définition de la rémunération, n'existera pratiquement plus.

M. Thibeault: Possiblement.

M. Pagé: Comment percevez-vous cela, vous?

M. Thibeault: D'abord, sur le principe de la décentralisation, nous y souscrivons entièrement. D'ailleurs, les établissements le réclament depuis plusieurs années. Je pense que les centres de services sociaux sont prêts à prendre des responsabilités dans ce

domaine, mais, comme on le soulignait dans notre mémoire, allons-y de façon progressive.

En ce qui concerne la dimension de la rémunération, là, effectivement, c'est la fameuse question: Peut-on accepter qu'un groupe organisé puisse, par un moyen de pression quelconque, finalement, disposer jusqu'à un certain point ou faire des pressions sur plus de 50% du budget de l'État? Sans compter que, quand on dit dans notre mémoire qu'il y a des pressions inouïes, c'est qu'on a vu en certaines circonstances que ce n'était même plus une question financière, ce jeu de rapport de forces en arrivait même à mettre en déséquilibre notre propre régime démocratique jusqu'à un certain point, au point où on arrivait à dire dans ces jeux-là, finalement, parce que les négociations, jusqu'à un certain point, ce sont des règles de jeu qu'on se donne, on en arrivait à remettre en question la légitimité même d'un gouvernement, de quelque parti qu'il soit. En tout cas, je pense que les citoyens ne peuvent plus accepter une telle situation.

Dans ce sens-là, je pense que c'est la raison pour laquelle nous souscrivons à une orientation qui va dans le sens de demander à l'État de distinguer jusqu'à un certain point son pouvoir ou son rôle d'employeur par rapport à son rôle de gouvernement et, dans son rôle de gouvernement, à partir du moment où on n'accepte plus dans nos règles démocratiques qu'on soit obligé de négocier ces choses-là, il faudra que le gouvernement se donne les mécanismes nécessaires pour être le plus équitable possible envers ses employés. Dans ce sens-là, les nouvelles règles de jeu invitent davantage les parties à une recherche d'un certain équilibre dans la redistribution plutôt qu'à un rapport de forces "au plus fort la poche", comme on dit.

M. Pagé: Monsieur, nous sommes d'accord avec vous, nous l'avons indiqué ce matin, compte tenu de la dualité État employeur, État qui représente les contribuables, pour ceux qui paient taxes et impôts, il n'y a pas de problème. Le ministre l'a établi, on l'a établi, on s'entend là-dessus.

Vous dites: Comment accepter? Mais, maintenant, comment le Conseil du trésor, le président du Conseil du trésor peut-il accepter de ne pas contrôler un objet de négociations qui risquerait d'avoir un impact budgétaire? C'est ce qui explique l'énoncé du projet de loi qui limite d'autant le champ d'application pour ce qui peut se négocier au niveau local.

M. Thibeault: Avant de répondre à votre question, on va devoir, peut-être, avec le gouvernement ou avec les gens qui ont préparé le projet de loi, revérifier des choses pour voir si on en a fait une bonne lecture. Là-dessus, notre mémoire va dans le sens suivant: c'est qu'on souscrit au fait que le gouvernement ait, dans son rôle de gouvernement, un certain droit de regard sur tout ce qui se dépense dans ces secteurs. Donc, cela déborde la pure rémunération ou le salaire. Il faut que cela aille au sens de ce qu'on appelle la rémunération globale.

Là où on s'est interrogé, c'est que dans l'avant-projet de loi qui est déposé, on ne voit pas clairement ces règles de jeu. Nous, dans le fond, ce qu'on propose, ce sont des négociations locales, une véritable décentralisation sur des objets qui n'ont pas d'effet financier et, au niveau sectoriel, il y a là une présence du gouvernement, des parties patronales; selon les règles qu'on se donnait dans le passé, on s'est dit que ce pourrait être les mêmes règles, c'est-à-dire que, d'une part, le gouvernement, par la présence des représentants des différents ministères, a une voix prépondérante sur les dispositions normatives à conséquence économique et, sur les dispositions normatives sans conséquence économique, ce seraient les établissements qui auraient un vote prépondérant sans avoir recours à un mandat du Conseil du trésor.

Ce qu'on lisait dans l'avant-projet de loi, c'est qu'on ne distinguait pas ces deux matières et on avait l'impression que, pour tout mandat à négocier au niveau sous-sectoriel, il fallait aller chercher un mandat au niveau du Conseil du trésor. C'est ce qui nous faisait dire qu'il semble y avoir une volonté de décentralisation, mais la mécanique ne le traduit pas correctement dans son fonctionnement.

M. Pagé: Je présume que le ministre profitera de son dernier propos au moment de la fin de votre comparution pour y répondre, je l'espère bien.

Au chapitre de la décentralisation, vous évoquez à la page 5, et je vais vous citer: "À plusieurs occasions, nous avons déploré la centralisation excessive de la négociation de stipulations ayant trait au caractère normatif des conventions collectives. Cette façon de faire a eu pour premier effet de soustraire progressivement du débat les parties réellement impliquées dans la distribution des services à la population et conséquemment de diluer leur responsabilité dans ce lourd et complexe processus. "

Tout le monde est unanime à constater que c'est devenu gros, que c'est devenu lourd, que c'est tellement lourd que cela prend du temps à s'articuler, à se développer et, évidemment, à conclure. Ce qu'on remarque, c'est que, finalement, les principaux acteurs, ceux qui vivent dans les réseaux, sont absents, ou presque, ou ne sont pas directement associés à l'ensemble de la démarche. (16 h 45)

Cet alourdissement fait en sorte - c'est là une conclusion personnelle à laquelle j'en viens; j'en suis venu là à la suite d'échanges et de rencontres dans ces milieux - qu'à peu près tout le monde est malheureux, finalement. Dans ces établissements, la direction a la responsabilité de voir à l'application de conventions collectives, de normes de travail, etc. Elle a la responsabilité de donner des services avec des budgets qui lui sont donnés, qui sont coupés occasionnellement, tant et si bien que, dans nos réseaux, l'administration se promène avec ses normes, ses coupures et son budget, puis le grand livre réglementaire des politiques gouvernementales, et les employés se promènent avec leur convention collective. Dans le réseau de l'éducation, cela se compte maintenant à la minute, et valse la marquise, tout le monde est malheureux et on continue à centraliser. Ce n'est pas drôle, ça; ce n'est pas drôle, mais c'est comme ça. Et, là, aujourd'hui, le gouvernement parle de décentralisation, nous en parlons, nos intervenants se disent heureux enfin de s'associer à une démarche de décentralisation, mais ce qu'on doit retenir, c'est que la décentralisation, ça va quand même être limité à des aspects de la vie à l'intérieur d'un service quand même très très limité: les droits syndicaux, etc.

Ne croyez-vous pas que, pour en arriver à une décentralisation utile, qu'on appelle ça au niveau - peut-être pas au niveau des établissements - mais des secteurs ou encore au niveau des régions, que le gouvernement serait plus légitimé, malgré les contraintes que cela impliquera, de définir, d'articuler une façon ou des façons qui permettront une plus grande prise en charge, en termes de reponsabilités des instances locales, au-delà de ce qu'on indique dans l'avant-projet de loi. Si vous êtes d'accord, comment concilier tout ça avec ce que vous indiquez à la page 8 quant aux deux premiers paragraphes, après avoir affirmé votre assentiment à la décentralisation, vous semblez émettre certaines réserves dans les deux premiers paragraphes quand vous dites: "... la décentralisation doit permettre aux parties locales d'évoluer à leur rythme vers une prise en charge de plus en plus complète de leur devenir. " Je peux me tromper, mais c'est comme si le jugement que vous portez, c'est que vous ne seriez peut-être pas réceptifs à la décentralisation, selon que vous êtes dans tel ou tel secteur, dans tel établissement, dans telle ou telle région.

M. Thibeault: Je pense que la décentralisation, il ne faut surtout pas voir qu'on n'y est pas favorable. Quand on dit que ça doit se faire progressivement, pour nous, c'est parce qu'il faut tenir compte des particularités de chaque centre de services sociaux. Là, on parle vraiment pour les centres de services sociaux et non pour d'autres catégories d'établissements.

Pour les centres de services sociaux, on sait très bien qu'un centre comme Montréal-Métro, qui a une direction de personnel très structurée, il peut en prendre peut-être beaucoup plus que ce qu'il y a dans la liste, mais, dans un centre de services sociaux comme le CSS Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, j'ai l'impression que quand il va avoir pris deux ou trois sujets dans la liste la première année, il faudra qu'il commence à développer des habiletés à négocier.

Dans ce sens-là, je pense que la liste proposée par le gouvernement est un pas dans la bonne direction, sauf que notre remarque principale sur cette liste-là j'attire votre attention là-dessus - c'est que, contrairement à ce que propose le projet de loi, au lieu d'en faire un objet obligatoire de négociations et que, du jour au lendemain, un établissement comme le CSS GIM se voit confier la responsabilité de négocier localement 34 sujets, on dit: Allons-y à notre rythme. La mécanique qu'on propose, c'est qu'on dit: Laissons l'annexe A en place, mais que les parties conviennent de se les approprier au fur et à mesure qu'elles sont prêtes à les négocier et que, dans l'hypothèse où elles ne les prennent pas, elles vont continuer à être négociées au niveau sous-sectoriel. C'est ce qu'on propose pour pouvoir arriver au rythme.

Par contre, l'autre dimension que vous avez soulevée dans votre exposé de départ, selon laquelle les gens étaient malheureux dans les établissements: le gouvernement se promène avec ses normes, les syndiqués avec leur convention, je dirais là-dessus que, souvent, on s'en plaint et, parfois, on exagère, mais, effectivement, je ne veux pas minimiser le fait qu'il y a des contraintes de part et d'autre, mais je ne voudrais pas non plus qu'on en fasse, je dirais, le principal portrait de nos établissements parce que les gens travaillent quand même dans nos établissements et on peut dire que, de façon générale, il y a un niveau de satisfaction; sinon, ils ne resteraient pas chez nous.

On peut mentionner que les objets qui ont été mis dans la liste, par contre, ce sont des objets, même s'ils n'ont pas une répercussion financière importante, pour les gens qui vivent au quotidien dans nos établissements et qui rencontrent des difficultés particulières, ce sont des objets qui ont beaucoup d'importance, qui ont été historiquement négociés au niveau sous-sectoriel ou national, mais qui ont dû, par la force des choses, et on parlait des ententes illégales, tout à l'heure, faire l'objet d'ententes presque illégales parce que mal appropriées.

Or, en ramenant au niveau local ce pouvoir d'entente, on pense que même si ce

sont des éléments qui n'ont pas de répercussion financière, qu'ils ont une très grande importance dans la qualité de vie au travail dans nos établissements.

Dans ce sens-là on pense que c'est un pas dans la bonne direction. Maintenant c'est une invitation à nous demander aussi: Pourquoi ne pas aller vers une décentralisation intrégrale, y compris la dimension financière? C'est une bonne question.

M. Pagé: Dernière question. En conclusion, vous dites: "Le changement dans les mentalités et les comportements nécessaires à cette réforme est déjà perceptible dans nos milieux de travail. " On le perçoit aussi. Comme je l'indiquais ce matin, le syndicalisme de combat s'est réorienté. On parle peut-être un peu moins de la rémunération, mais on parle peut-être davantage de la qualité de vie au travail, de l'emploi, du partage de l'emploi, etc. Comment concilier cela? C'est quoi votre perception? Comment concilier ce qu'on sent dans les milieux, chez les travailleuses et les travailleurs, avec l'absence de peut-être une quinzaine de syndicats autour de notre table?

M. Thibeault: Cela aussi, c'est une bonne question. Lorsqu'on regarde du côté des centrales syndicales ou du côté des travailleurs et travailleuses, ce qu'on pense, c'est qu'effectivement, si on décentralise au niveau local, on va ramener beaucoup plus plus près des travailleurs et des travailleuses le pouvoir de négociation sur un bon nombre d'objets. Dans ce sens-là, l'évolution des mentalités qu'on dit perceptible présentement dans nos établissements, c'est à ce niveau-là qu'on l'observe. Ce n'est pas au niveau des négociations tous les trois ans ou au niveau national. C'est vraiment dans le quotidien, dans les difficultés qu'on éprouve, où les parties patronale et syndicale s'assoient, examinent et essaient de trouver des solutions. Dans ce sens-là, les mentalités, c'est perceptible. Qu'on décentralise, cela va venir, je dirais, renforcer cette évolution. L'absence des centrales, ici, aujourd'hui devant cette commission, je pense, pose une question d'un autre ordre que celui du changement des mentalités dont nous parlons présentement.

M. Pagé: Merci.

Le Président (M. Lachance): M. le député de Bourassa.

M. Laplante: Oui, sur la décentralisation, à la page 8. Je ne comprends pas tout à fait les explications que vous avez données tout à l'heure au député de Portneuf. En somme, à la page 8, en donnant les arguments voulus, vous voulez qu'il y ait des listes à partir de la partie syndicale, au niveau local. Concernant les listes déjà établies au point de vue national qui vous sont présentées, vous avez un choix là-dedans, dans le projet de loi. Si la liste est déterminée et que vous ne vous entendez pas là-dessus, vous avez déjà le statu quo qui s'applique à cette liste. Pourquoi, vous autres, forcer le syndicat à confectionner une liste? C'est cela que je ne comprends pas au niveau local.

M. Paradis (Jacques): II y a peut-être une question de clarification avant tout.

M. Laplante: C'est cela que je ne comprends pas. Il me semble que cela vous attire des problèmes.

M. Paradis (Jacques): C'est que le projet de loi prévoit qu'il y aura une liste. Pour l'instant, la liste, c'est une page blanche. Le ministre, tout à l'heure, nous disait qu'il y aurait bientôt, demain peut-être, une liste de sujets qui devrait être une avant-liste de l'avant-projet de loi. On a fait des exercices effectivement en préparation des consultations que nous pourrons peut-être avoir sur le contenu de cette liste éventuelle. Ce que je comprends, c'est que la loi devrait contenir, pour les centres de services sociaux, une liste de X sujets qui seraient dorénavant de juridiction locale. C'est là que nous intervenons en disant: Oui, mais pas nécessairement négociables tout de suite. Nous sommes d'accord avec l'idée d'une liste pour que la décentralisation puisse effectivement être vécue dans les milieux de travail où les gens, tant employeurs que salariés, à leur rythme, pourraient puiser là-dedans et dire: Nous voulons modifier la disposition nationale qui n'est pas tout à fait à notre convenance pour différentes raisons. Donc, on ne force pas des parties à négocier si elles n'en ont pas besoin et, deuxièmement, si elles sont plus ou moins habilitées à le faire, eu égard au contexte immédiat. Par contre, ce sur quoi nous comptons, c'est que les parties locales vont développer ces habiletés et de plus en plus puiser dans cette liste, ce qui fera en sorte que, de plus en plus, la convention collective qui s'appliquera au niveau local sera davantage issue de leurs ambitions respectives plutôt que des ambitions de deux ou trois individus qui vont régler cela au niveau central, à un moment donné. Donc, ce serait en quelque sorte une liste indicative, une liste qui permettrait aux instances locales de négocier localement si tel était leur désir et leurs ambitions, indépendamment de ce que les organisations patronales ou syndicales pourraient dire au niveau national, parce que c'est à elles qu'on donnerait la possibilité de dire: On veut de la négociation locale. Ce que nous

prétendons, c'est que nos établissements veulent de la négociation locale, mais à leur rythme et en fonction de leurs besoins. Nous disons: Laissons-leur la possibilité de prendre elles-mêmes la décision en leur donnant dans la loi la possibilité de négocier si elles le veulent et si elles s'entendent pour le faire.

M. Laplante: Mais n'avez-vous pas peur à ce moment-là d'avoir des listes interminables?

M. Paradis (Jacques): Non. Évidemment, c'est un sujet qui demeure discutable, mais, dans notre esprit, c'est quelque 20 ou 25 sujets.

M. Laplante: II y a aussi moyen de bloquer des négociations au niveau local. On a vécu cela, à un moment donné, avec les commissions scolaires, avant que ce ne soit centralisé, comme à l'heure actuelle. Les listes deviennent tellement abondantes de part et d'autre que le statu quo reste, parce que les gens disent en somme; Je ne veux pas négocier ton bloc. Tu ne négocieras pas le mien. On en revient avec des frustrations énormes, parce que personne n'a pu avoir d'amélioration dans sa convention locale. C'est ma peur. J'aimerais comprendre cela. Comme partie patronale, dans le cas de négociations locales, pouvez-vous me dire ce qui arriverait s'il y avait trop de demandes de part et d'autre et que les vrais sujets nationaux pouvant apporter quelques améliorations locales seraient rendus à ce niveau? Qu'est-ce que cela amènerait au bout? Il y aurait encore plus de frustration. J'ai peur de cela et j'aimerais que vous puissiez me convaincre du contraire.

M. Paradis (Jacques): Très bien. En ce qui me concerne, c'est que la mécanique qu'on propose fait en sorte que les négociations au niveau du comité sous-sectoriel, au niveau national continuent d'avoir lieu sur l'ensemble des dispositions normatives des conventions collectives. L'objectif qu'on recherche là-dedans, du moins dans un premier temps - on le dit peut-être dans le mémoire - c'est de façonner le plus possible les stipulations au contexte des centres de services sociaux en ce qui nous concerne.

Donc, le lendemain de la signature d'une convention au niveau national, lorsque les parties locales se rencontreront au niveau local et diront: Maintenant, on va négocier; on va tenter de négocier peut-être l'article 3, l'article 4 ou l'article 10, selon la liste qui sera disponible, si elles ne s'entendent pas pour le négocier ou sur une solution avancée par l'une ou l'autre des parties, la mécanique suggérée dans l'avant-projet de loi suppose que c'est le statu quo qui s'applique et un statu quo qui, dans notre esprit, se vourdrait de plus en plus à notre couleur et à notre réalité plutôt que d'être du style de celui des centres hospitaliers, par exemple, et même des gros centres hospitaliers. C'est dans ce sens que la frustration à laquelle vous vous référez, quant à nous, sera largement diminuée par ce mécanisme. Encore une fois, au risque d'être angélique, on mise beaucoup sur le changement des comportements et des mentalités dans les milieux de travail. Dans ce sens, on pense que cette frustration, dans un second temps ou sous un second volet, si vous voulez, pourra effectivement trouver des satisfactions.

M. Laplante: Mais qu'auriez-vous pensé, par exemple... Ce n'est pas dans l'avant-projet de loi, c'est une initiative tout à fait personnelle que je vais vous suggérer... Lors de conventions, il y a des sujets à discuter. S'il y a, à un moment donné, 300 ou 400 articles - ce n'est pas rare dans les conventions collectives, il peut peut-être y avoir un millier d'articles à un moment donné - s'il y avait un pourcentage fixe des articles d'une convention collective qui seraient renégociables sur un base de 5% ou 10% au niveau local et que ce serait demandé autant par la partie patronale que la partie syndicale, comme sujets de négociation sérieuse dans une convention collective, que penseriez-vous d'une idée comme cela?

M. Paradis (Jacques): Ce que vous dites finalement, si je comprends bien votre question, c'est: Pourquoi tout est renégociable à nouveau alors que certaines dispositions pourraient très bien être reconduites sans qu'on en discute et qu'on pourrait plutôt concentrer nos énergies sur des sujets particuliers? Oui, c'est une formule, effectivement, qui est vécue à certains endroits, sauf que nous pensons que les différents niveaux de négociation, les différents paliers de négociation qui sont dans l'avant-projet de loi actuellement, d'une certaine façon, répondent à cette façon de faire, en ce sens que, d'une part, il y a le rite annuel pour la rémunération - donc, annuellement, on revoit la question. Au niveau national, c'est triennal. Tous les trois ans on recommence le processus, mais sur un nombre restreint de sujets, parce que, d'une part, on a oublié ou on a disposé autrement de la rémunération. On a également le local qui, progressivement, quant à nous, va prendre un place de plus en plus importante. Donc, au niveau local, c'est permanent et au gré des parties ou aux deux ans, selon les différentes situations qui peuvent se présenter, de telle sorte que la fameuse ronde aux trois ans - si on y va dans une perspective de deux rondes de négociation, va peut-être faire en sorte qu'on se

retrouverait sur dix, douze sujets au lieu d'en avoir quarante-deux comme c'est le cas actuellement et laissant au niveau local, de façon permanente et ad hoc, le soin de disposer d'autres questions plus terre à terre ou plus près des parties en cause. Dans ce sens-là, l'avant-projet de loi rencontre, d'une certaine façon, le genre d'objectif qui pourrait être recherché par la formule que vous émettiez comme hypothèse. (17 heures)

M. Laplante: Ce que je vois là-dedans, je le répète, c'est qu'au niveau national, on allège la négociation qui serait moins lourde, mais dans votre solution, on alourdit actuellement le niveau local qui, souvent, est mal préparé aussi au point de vue de conseillers. Ils n'ont pas les moyens, souventefois, d'avoir les conseillers en relations du travail qu'il faut au point de vue de la négociation. Si on pouvait limiter les sujets d'une convention à l'autre ou d'une année à l'autre, j'aurais moins peur d'apporter quelques sujets, de dire à la partie syndicale et à la partie patronale: Vous allez emmener tant pour cent de sujets. Actuellement, la proposition que vous faites revient à dire que cela va alourdir énormément, parce qu'on ne pourra pas l'appliquer seulement à vous autres, là-dedans, dans des cas particuliers. Si on prend la grosseur des commissions scolaires qui auront probablement 2500 ou 3000 élèves dans certaines commissions scolaires, on sait qu'ils n'ont pas les ressources humaines, à ce niveau, pour mener à bien les conventions collectives locales. Il leur faudra certainement de l'aide, soit de la Fédération des commissions scolaires ou d'autres instances gouvernementales. Si on arrive avec la formule que vous dites, on connaît les demandes qu'il peut y avoir au niveau syndical; à ce moment-là, elles sont énormes. Moi, c'est seulement là-dessus que j'ai des réserves au sujet de votre proposition. Peut-être que dans l'avenir, avec les années qui vont venir, avec cette nouvelle forme de négociation, on apprendra à mieux se comprendre au niveau local entre les instances. Il s'établira un climat de confiance entre ces parties et ce sera peut-être plus facile dans quatre ans, dans six ans, d'en arriver au principe que vous voulez adopter. Actuellement, vous le dites vous-mêmes, au niveau local, ce sera lourd en partant car vous n'êtes pas tout à fait prêts à cela encore.

M. Thibeault: C'est-à-dire, non, nous, on est prêts. Certains sont plus prêts que d'autres. Par contre, c'est un peu la critique qu'on fait de l'avant-projet de loi, c'est-à-dire que, si on rend obligatoire, à partir d'une liste qui s'appelle "l'annexe A", les négociations locales, du jour au lendemain, là, effectivement, on alourdit énormément parce que les gens ne sont pas prêts à cela, ni en termes de ressources humaines pour le faire, ni, peut-être, en termes d'habitude à négocier des ententes.

Dans ce sens-là, notre proposition va effectivement dans le sens d'éviter cette lourdeur spontanée qui pourrait se reproduire au lendemain de la réforme du régime. Ce qu'on propose, essentiellement, nous, c'est que, relativement à la liste à négocier localement, ce soit les parties qui conviennent au plan local de s'approprier les sujets au fur et à mesure qu'elles veulent se les approprier. Donc, théoriquement, la liste est là; elles peuvent tout négocier, comme elles pourraient, la première année, dire: On ne négocie rien, on laisse tout le sectoriel le négocier parce qu'on n'a pas les ressources, on n'a pas le temps ou cela ne nous intéresse pas. Le sens de notre proposition, non seulement va permettre, quant à nous, de respecter le rythme de chaque centre de services sociaux mais, à la limite, si elle était adoptée pour l'ensemble du secteur parapublic, elle permettrait même de respecter le rythme des hôpitaux, des commissions scolaires et autres. C'est qu'elle suppose au départ que la partie patronale et la partie syndicale au niveau local s'entendent pour rapatrier de cette liste-là, certains sujets qu'elles veulent négocier localement et une fois qu'elles les ont rapatriées, si elles n'en viennent pas à un accord, il y a le mécanisme du médiateur arbitre et, une fois que cela a joué, si vraiment les parties ne s'entendent pas, c'est toujours le statu quo. Dans ce sens-là, c'est ce qu'on appelle...

M. Laplante: Mais, je vais vous placer comme syndicaliste. Supposons que vous êtes le président de votre syndicat...

M. Thibeault: Pardon?

M. Laplante:... et que votre patron vous a créé un appétit en vous disant: Donne des listes, tous les sujets que tu penses bons à être négociés localement, puisque vous négociez de bonne foi, parce qu'on n'a pas à douter de la bonne foi de la partie syndicale de négocier les demandes que le patron lui a demandé de mettre sur la liste, et qu'à un moment donné, vous trouvez, comme syndiqués, que la partie patronale n'est pas de bonne foi, parce que après avoir créé des demandes, elle refuse en majorité ce que les syndicats demandent et vous retournez, telle que la loi vous le permet, au statu quo. Quelles réactions auriez-vous en tant que président de ce syndicat-là?

M. Thibeault: C'est-à-dire que j'ai l'impression que, dans ces règles de jeu-là, on se situe dans un rapport... Il peut arriver que, sur un objet, le syndicat soit intéressé à

conclure une entente locale. Le patron va dire: Moi, cela ne m'intéresse pas parce que la clause provinciale me convient. Mais, par contre, il pourrait arriver que sur un autre objet, la partie patronale soit en demande pour négocier localement certains objets que le syndicat, lui, ne voudrait pas voir négocier. J'ai l'impression qu'une dynamique locale va s'installer avec ces règles du jeu et va faire en sorte que: Tu me rends un service, je te rends un service et on règle nos problèmes de part et d'autre. Comme on le mentionnait tout à l'heure, il reste qu'on parle de changement de mentalité qu'on voit déjà apparaître dans nos établissements à ce chapitre-là. L'augmentation des ententes locales démontre très bien que les parties dans les centres des services sociaux peuvent s'entendre. À preuve, c'est qu'on conclut des ententes alors que c'est dans la pure illégalité. Donc, il y a vraiment une volonté de résoudre les problèmes tant du côté du patron que du côté du syndicat.

Je me souviens d'un problème qu'on a eu il y a quelques années où on avait importé chez nous, comme on le fait toujours, la convention collective des hôpitaux. Dans une convention collective d'hôpital, entre autres, quand on parle de transférer du personnel d'un département à l'autre, on ne se pose pas la question s'il va y avoir une distance de plus 50 kilomètres parce que cela passe du 11e au 8e étage. Cette convention, rendue chez nous, quand on transfère du personnel d'une filiale à l'autre, ce personnel part de Chicoutimi et s'en va à Chibougamau. On n'avait pas tenu compte de cette particularité. À ce moment-là, et le syndicat et l'employeur étaient prêts à conclure des ententes locales là-dessus parce que cela porte préjudice aux deux dans bien des cas aussi. Lorsqu'il y a une entente locale, c'est parce que la clause provinciale ne convient généralement pas ni à l'un ni à l'autre. Il y a une recherche de solution appropriée.

M. Laplante: Merci, monsieur.

Mme Denis: II faut voir aussi que lorsqu'on parle du statu quo, même provincial, ce qui est souhaité c'est que cela aussi soit le résultat d'une négociation. La même dynamique dont vous parlez au plan local, vous l'avez aussi au plan provincial.

M. Laplante: Elle part des tables de concertation, par exemple. Elle ne part pas comme cela. Arriver à la base syndicale et dire: Fais-nous tes propositions sur une négociation locale. Déjà, un cheminement a été fait au niveau national là-dessus, en tout cas... Je vous remercie.

Le Président (M. Lachance): M. le ministre.

M. Clair: M. le Président, je voudrais revenir brièvement à ce que disait M. Thibeault tantôt concernant les relations entre le Conseil du trésor et les comités patronaux. Je ne m'essaierais pas à répéter ce qu'il a dit, je me contenterai de dire que ce qu'il a rapporté est tout à fait exact, tant en terme d'objectifs poursuivis par le gouvernement dans ces matières qu'en termes de contenu de l'avant-projet. J'ajouterai cependant que, oui, il y a matière à réflexion sur cette question-là. Devrait-il être suffisant que le Conseil du trésor et le gouvernement aient le pouvoir d'invoquer l'intérêt gouvernemental ou, si on a une approche un peu plus préventive et qu'on demande d'avoir un mandat sur les questions autres que les sujets de négociation locale? Il y a matière à opinion là-dessus et l'avant-projet prévoit, effectivement, que, oui, il devrait y avoir demande de mandat, mais on peut très bien prétendre - et c'est matière à évaluation - qu'il pourrait être possible de dessiner une liste de sujets qui ne sont pas de négociation locale, mais qui font l'objet de l'accord entre l'association patronale et le ministère des Affaires sociales en l'occurrence, sur des sujets à prépondérance de l'association patronale, sans répercussion financière, pour lesquels il n'y aurait pas nécessité d'obtenir un mandat. Mon seul point, c'est de dire que c'est difficile d'établir une telle liste. Si c'est compliqué de trouver une liste de sujets à décentraliser éventuellement localement, cela l'est aussi tout autant de faire une telle liste à prépondérance patronale sans aucune conséquence budgétaire, sans mandat, mais en permettant, cependant, au Conseil du trésor de pouvoir revenir par une déclaration d'intérêt gouvernemental qui, sauf erreur d'ailleurs - je ne pense pas qu'il y ait de modifications là-dessus - ne se fait pas par le Conseil du trésor, mais par le Conseil des ministres, si ma mémoire est fidèle. La déclaration... C'est le Conseil du trésor? Vous avez bien raison.

Maintenant, je voudrais revenir - pour le progrès des travaux, ce serait important -sur la question de la rémunération. Je voudrais simplement indiquer au député de Portneuf que je pense qu'il a mal compris le discours que j'ai fait ce matin. La mise sur pied paritaire de l'Institut de recherche en rémunération entraînerait la négociation de la masse salariale par de nouveaux mécanismes mais sans droit de grève. Qu'est-ce qu'on entend par rémunération au sens de l'avant-projet de loi? Les salaires et les échelles de salaires. Ce qui demeurerait à la négociation nationale triennale, avec droit de grève, serait des questions qui peuvent être incluses dans le concept de rémunération globale mais qui sont différentes de celles des salaires et des échelles de salaires. Les régimes de retraite, par exemple, dans la

mesure où les assurances ou d'autres sujets qui ont fait tantôt l'objet d'une loi de négociation - on ne sait plus si c'était négociable ou non - mais toujours est-il qu'on en parlait. Alors, les éléments de contenu de la rémunération globale, autres que ceux des salaires et des échelles de salaires, donc des enjeux avec une répercussion financière mais qui, visiblement, seraient en nombre beaucoup plus limité, pourraient continuer de faire l'objet d'une négociation au niveau national avec droit de grève. Mais il est évident que les enjeux en seraient considérablement limités puisque, comme on l'a signalé tout à l'heure, quand on parle de rémunération ou de rémunération globale, la première réalité en cents et piastres qui nous vient à l'esprit, c'est celle des salaires et des échelles de salaires; c'est évident. Je tenais à préciser cela, parce que je pense que, pour les intervenants, c'est important qu'on le situe correctement.

M. le Président, quant à moi, je pense que le mémoire de l'Association des centres de services sociaux du Québec était clair et limpide quant aux prises de position de cette association patronale. Comme j'ai eu l'occasion à de multiples reprises de discuter de ces questions avec les associations patronales et que je pense que les points principaux ont été abordés par MM. Thibeault et Paradis et Mme Denis, je n'aurai pas d'autres questions pour le moment. J'ignore si, du côté de l'Opposition ou de mes collègues, il y a d'autres questions.

Le Président (M. Lachance): Je remercie les représentants de l'Association des centres de services sociaux du Québec et, d'une façon particulière, M. Thibeault, M. Paradis et Mme Denis de leur présence ici en commission parlementaire et de leur contribution à l'étude de ce régime de négociation qui, comme on peut le voir par l'expérience vécue, ne va pas pour le meilleur des mondes. Merci beaucoup.

M. Thibeault: C'est nous qui vous remercions.

Le Président (M. Lachance): Pardon?

M. Pagé: Vous voulez dire, M. le Président, que cela ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Le Président (M. Lachance): Quelque chose comme cela. Si on est ici, c'est pour essayer de l'améliorer et je vous en remercie.

Nous allons poursuivre nos travaux à 20 heures ce soir au moment où nous entendrons les porte-parole du Syndicat des conseillers en gestion du personnel du gouvernement du Québec. Auparavant, j'inviterais les membres du comité directeur à se réunir immédiatement à la salle 198 pour prendre certaines décisions inhérentes au fonctionnement de la commission.

Les travaux de la commission du budget et de l'administration sont suspendus jusqu'à 20 heures.

(Suspension de la séance à 17 h 14)

(Reprise à 20 h 10)

Le Président (M. Lachance): À l'ordre, s'il vous plaît! La commission du budget et de l'administration poursuit ses travaux avec le mandat de procéder à une consultation générale portant sur l'avant-projet de loi traitant du régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic.

Nous entendrons, ce soir, les porte-parole du Syndicat des conseillers en gestion du personnel du gouvernement du Québec que j'invite immédiatement à prendre place à la table. En fin de soirée, à partir de 21 heures, M. Denis Lebel viendra présenter son mémoire.

Je souhaite la bienvenue aux gens du syndicat des conseillers en gestion qui ont comme porte-parole M. Michel Lanouette, le président, à qui je demande de bien vouloir identifier pour nous les personnes qui l'accompagnent en commençant par son extrême gauche, s'il vous plaît!

Syndicat des conseillers en gestion du personnel du gouvernement du Québec

M. Lanouette (Michel): D'accord. Avec moi, les membres du conseil d'administration et du syndicat des conseillers en gestion du personnel. Â l'extrême gauche, M. Gill Gosselin, qui est directeur au conseil d'administration; ensuite, M. Bernard Lanctôt, qui occupe la fonction de secrétaire et M. Michel Carpentier, qui occupe la fonction de directeur. A ma droite immédiate, M. Pierre Cailloux, qui occupe la fonction de trésorier; M. Bernard Taschereau, directeur et M. Louis-Georges Brouillard, secrétaire exécutif.

Le Président (M. Lachance): Merci. Je vous invite immédiatement à nous faire l'exposé relatif à votre mémoire.

M. Lanouette: Merci. M. le Président, il me fait plaisir de vous présenter, au nom des membres que nous représentons, nos commentaires concernant l'avant-projet de loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic. Nous vous remercions sincèrement de l'occasion que vous nous offrez de nous faire entendre sur un sujet qui nous intéresse au plus haut point.

Laissez-moi d'abord vous expliquer brièvement ce qu'est le syndicat des conseillers en gestion du personnel. Notre syndicat est une association professionnelle qui a été autorisée par le ministère des Consommateurs, Coopératives et Institutions financières en vertu de la Loi sur les syndicats professionnels. C'est donc dire que ce n'est pas un syndicat reconnu en vertu du Code du travail ni en vertu de la Loi sur la fonction publique comme peut l'être, par exemple, le syndicat des fonctionnaires ou le syndicat des professionnels.

Par contre, le gouvernement, par arrêté en conseil, a reconnu le syndicat comme représentant, pour fins de relations du travail, de tous les employés du groupe des agents de la gestion du personnel dans la fonction publique. Il y en a actuellement 542 qui exercent leur profession dans les différents ministères et organismes; 80% des conseillers et conseillères admissibles sont membres actifs de notre syndicat sur une base volontaire. Le syndicat a une existence légale depuis 1975, donc est relativement jeune, et ses comités de travail sont assurés de façon bénévole par ses membres.

Le Syndicat des conseillers en gestion du personnel du gouvernement du Québec juge important de commenter l'avant-projet de loi en raison de l'impact quotidien des conventions collectives ou des documents qui en tiennent lieu sur l'activité de ses membres. C'est donc à titre de conseillers impliqués directement dans la gestion des ressources humaines, notamment dans la négociation et l'interprétation des conditions de travail, que nous soumettons ce mémoire.

Si vous permettez, M. le Président, j'ouvre ici une parenthèse avant d'aller plus loin. On serait tenté, à ce moment-ci, de se poser la question à savoir qui on représente, quelle position on veut défendre. Est-ce qu'on est ici pour défendre la position de la partie patronale, à laquelle nous pouvons être associés comme partenaires dans la gestion du personnel, ou encore celle de la partie syndicale, puisque nous sommes aussi un organisme voué à la défense et à la promotion des intérêts de nos membres? À cela nous répondons que, dans ce dossier, nos intérêts sont ceux d'un groupement professionnel qui s'interroge et qui est vivement intéressé par tout ce qui touche la gestion des ressources humaines.

Nos membres évoluent dans les différents domaines de la gestion des ressources humaines, que ce soit, par exemple, la sélection du personnel, la formation et le développement des ressources humaines, l'organisation administrative, les relations du travail, etc.

Plusieurs de nos membres sont impliqués directement dans la négociation et dans l'application des conventions collectives. Étant donné notre expertise, étant donné le rôle que nous jouons directement auprès des gestionnaires et auprès des employés, nous sommes bien placés pour voir les impacts que peuvent avoir des négociations, pour voir les difficultés que peut poser l'application des conventions collectives.

C'est donc dans cette optique que nous avons préparé ce mémoire et que nous vous le présentons.

Je passe la parole à mon collègue, Pierre Cailloux, qui va vous livrer la première partie de ce mémoire.

M. Cailloux (Pierre): Merci. M. le Président, M. le ministre, messieurs de la commission, mesdames et messieurs du public, le mémoire qu'on vous présente ce soir se compose de quatre grandes parties. Premièrement, la problématique; deuxièmement, les attentes des parties concernées; troisièmement, les changements proposés; quatrièmement, les forces favorables aux changements; auxquelles parties s'ajoute une conclusion.

La première partie, la problématique, nous tenons à le rappeler en premier, parce que ça sous-tend normalement le projet de réforme du régime de négociation du secteur public. Cette problématique, nous l'abordons sous deux chefs; en premier, à partir d'une reformulation de ce que nous trouvons important dans le document qui a été préparé par le Conseil du trésor intitulé, "Recherche d'un nouvel équilibre", et aussi, sous le chef de notre perception à titre de syndicat comme tel. Rappelons brièvement la problématique de ce document que nous avons étudié. Ce document traite de la question sous cinq thèmes qu'on assimile à des difficultés éprouvées dans le régime actuel, nommément, l'égalité des parties négociantes, l'hypercentralisation, l'affrontement systématique, le règlement des différends, les mentalités et l'avenir.

Au titre de l'égalité des parties négociantes, je dirais plutôt qu'on confond souvent le rôle de l'État employeur avec le rôle de l'État gouvernement et que les choix qui concernent l'ensemble de la société ne sauraient être négociés autour d'une table de négociation.

On touche l'hypercentralisation, à savoir qu'elle est nécessaire en certaines occasions, mais qu'elle n'a cessé de croître depuis 20 ans et qu'elle affecte même plusieurs matières d'intérêt, d'abord, local. On continue avec l'hypercentralisation en soulignant toutes les conventions collectives extrêmement complexes que cela a entraînées avec toute la restriction des marges de manoeuvre au point de vue local. Cette même hypercentralisation nuit à la création d'un climat de travail propice basé sur une qualité des services, objectif essentiel et primordial dans une fonction publique ou parapublique, et aussi sur la

qualité de vie au travail, fondement de la motivation, d'un bon rendement des ressources et des investissements humains. Il est difficile, avec toute cette hypercentra-lisation, de concilier les impératifs de contrôles budgétaires et financiers avec les rôles des différents partenaires et un régime adéquat de négociation. Enfin, sous ce chef, dans la perspective d'une décentralisation, dans un mouvement de pendule, on parle d'un retour en arrière et on craint que ce soit difficile et qu'on revienne à des disparités locales injustifiées.

Le troisième point de ce document, c'est l'affrontement systématique. Je pense que tout le monde connaît - ce document le souligne - les affrontements successifs, les crises politiques et sociales que cela a entraînés. Enfin, cela rappelle, je pense à juste titre, que la négociation porte inévitablement en soi des possibilités de conflits, et le mot "inévitable" est très fort.

L'affrontement systématique, c'est un des grands défauts du système que souligne ce document dans le sens que cela fonctionne par à-coups dans un rapport périodique de forces où il y a fatalement des gagnants et des perdants, ce qui entraîne dans la ronde suivante un match revanche où on a à régler tous les problèmes accumulés, en plus de prévoir tous les éventuels problèmes hypothétiques, les situations conflictuelles, etc.

Le règlement des différends. On dit que l'exercice des moyens de pression découle du processus même de la négociation, que le recours trop fréquent à des moyens de pression - c'est un jugement de valeur -découle soit du mauvais fonctionnement du régime, soit de la mentalité des parties ou des deux. Cela nous plaît de voir ça là.

Dans le réseau des affaires sociales, auquel on semble attacher une importance plus spéciale, on dit que l'exercice du droit de grève soulève inévitablement la question de la primauté de ce droit sur les droits à la vie, à la santé et à la sécurité du public. On parle également de ce même réseau en termes de caractéristiques et on dit qu'il est difficile de définir de façon pratique les services essentiels adéquats, encore pis, on dit qu'il est difficile de s'assurer, pendant le conflit, que ces mêmes services ont été bien définis et surtout qu'ils sont effectivement et adéquatement maintenus pendant une grève.

Depuis 1970, on souligne également les lois spéciales qui ont restreint le droit de grève et, enfin, on dit que l'abolition du droit de grève ne résout pas tous les problèmes. Il faut choisir un substitut adéquat, dit-on.

Enfin, dans ce document, qui est une toile de fond bien brossée, on parle des mentalités de l'avenir. On y dit textuellement, ou à peu près, qu'il ne suffit pas de mofifier les structures ou les délais pour qu'un régime de négociation fonctionne, qu'il faut également un changement des mentalités qui ne peut survenir du jour au lendemain.

C'est le document du Conseil du trésor que nous tenions à rappeler, parce qu'il était important pour nous comme toile de fond.

La problématique, telle que perçue par le Syndicat des conseillers en gestion du personnel du gouvernement du Québec. Tout en étant d'accord avec la majorité des constats proposés dans ce document "Recherche d'un nouvel équilibre", notre syndicat croit opportun d'ajouter quelques éléments à cette toile de fond sur laquelle on s'apprête à dessiner un nouveau régime de négociation. Nos réflexions nous amènent à vous faire part des quelques perceptions suivantes: Le gouvernement n'a et ne sera jamais un employeur comme les autres visés par le Code du travail, cela vaut la peine de le répéter même si je pense que c'est de notoriété publique.

Le régime actuel de négociation dans le secteur public est, sur le plan de l'encadrement légal, à notre avis et de l'avis de plusieurs, un des plus libéraux de tous les pays industrialisés. D'autre part, les conflits dans le secteur public ont et - pouvons-nous dire - auront toujours une saveur politique et pour le gouvernement et pour les syndicats. Enfin, tombons dans les choses plus concrètes, il y a les séquelles de la ronde de 1982. Ces séquelles se font encore sentir chez les employés de l'État et du parapublic - nous sommes bien placés pour le savoir -ce sont nos clients en grande partie avec les gestionnaires et nous les côtoyons en grande partie quotidiennement.

Les événements récents de Saint-Ferdinand d'Halifax nous laissent songeurs et laissent entrevoir des attitudes qui prévaudront vraisemblablement de part et d'autre lors de la prochaine ronde de négociation. Le régime de négociation actuel - pour nous c'est important parce que nous sommes venus ici l'an dernier à l'occasion de la loi 51 - ne correspond pas à l'esprit et aux principes que l'Assemblée nationale a voulu mettre de l'avant en votant l'actuelle Loi sur la fonction publique, la loi 51. Voilà donc, un peu la problématique à partir de laquelle nous avons bâti ce mémoire.

Nous avons voulu aussi rappeler les attentes des parties concernées, les attentes de différents groupes qui sont, nommément, la population sous plusieurs chefs, les salariés du secteur public, les gestionnaires de ces mêmes salariés, les attentes des syndicats, les attentes du gouvernement.

Les attentes de la population, quelles sont-elles? Sans faire de grandes recherches sociologiques on peut facilement dégager certaines perceptions. Le contribuable s'attend à recevoir le plus de services

possible, bien sûr, en retour de ses contributions, sans voir son fardeau fiscal augmenter, vérité de La Palice. Le bénéficiaire des services gouvernementaux souhaite évidemment que les services soient de bonne qualité et surtout qu'ils ne soient pas interrompus. Le salarié du secteur privé espère être traité équitablement en comparaison avec les conditions de travail consenties aux employés du secteur public et, depuis quelque temps, on se demande si cela ne pourrait pas être vice versa. Le chômeur doit souvent penser que le gouvernement est déjà trop généreux à l'égard de ses employés.

Quelles sont les attentes des salariés du secteur public? Ces employés désirent, bien sûr comme tout le monde, une bonification de leurs conditions de travail mais ils désirent entre autres choses une plus grande démocratisation, tant dans la vie syndicale que dans la vie au travail, le respect de l'employeur et c'est très important.

Les attentes des gestionnaires. Ces gestionnaires, pour gérer, ont besoin d'une marge de manoeuvre dans la gestion, dans leurs ressources, et moins de ces normes rigides et inefficaces inscrites souvent dans les conventions collectives actuelles.

Les syndicats. Leur préoccupation pour la conservation des droits acquis est presque légendaire. Ils cherchent à obtenir par une négociation libre, les meilleures conditions de travail possible pour leurs membres. Le vocabulaire utilisé par ces instances: luttes, combats, adversaires, etc., permet de penser que l'action syndicale se situe inévitablement dans une perspective de confrontation.

Les attentes du gouvernement. Le gouvernement fait part, dans le document, de la recherche d'un nouvel équilibre, d'un certain nombre d'attentes qu'il convient de mentionner. Le gouvernement veut faire les choix pour lesquels il a été élu, réduire les défaillances structurelles majeures du régime, clarifier le rôle de l'État, éviter les affrontements réguliers, pouvoir s'adapter avec souplesse au profond changement que vit notre société, bref, trouver un équilibre et des solutions.

Est-il nécessaire de le souligner ici que, pour un syndicat comme pour un gouvernement, il y a des élections au bout. Alors, à la lumière des attentes plus ou moins hypothétiques de ces différents groupes, nous allons maintenant aborder comme telle la position de notre syndicat face à l'avant-projet de loi en considérant, maintenant, les grandes lignes et les changements proposés dans ce même avant-projet. Pour ce faire, je passe la parole à M. Michel Carpentier.

Le Président (M. Lachance): Je m'excuse de vous interrompre. Je voudrais vous faire remarquer que le temps file rapidement. Si vous voulez permettre des échanges d'opinions avec les membres de la commission, il faudrait pouvoir vous restreindre au niveau de la compression de votre exposé. Ceci dit...

M. Cailloux: Nous prenons bonne note. Le Président (M. Lachance): Allez-y!

M. Carpentier (Michel): Je prends note. Disons, vous savez, comme nous autres, ce que l'avant-projet de loi propose, donc, je saute cette partie et je file directement aux commentaires que nous aimerions faire.

Si on essaie d'établir des liens entre le document "Recherche d'un nouvel équilibre" et l'avant-projet de loi, on constate que les dispositions de l'avant-projet se retrouvent globalement parmi les hypothèses et les interrogations proposées dans "Recherche d'un nouvel équilibre". Donc, dans le fond, il n'y a pas de surprise pour personne. Par exemple, le souci de modifier progressivement le régime paraît, d'un certain point de vue, avoir été respecté. En contrepartie, ce qui se présentait comme un compromis par le gouvernement ne manquera pas, à notre avis, d'être perçu par les syndicats comme une perte de droits acquis. Parce que nous sommes convaincus de la nécessité de procéder par étapes, nous craignons que certaines avenues proposées dans l'avant-projet et surtout leur rythme d'implantation aient des effets contraires à certains des objectifs énoncés dans la "Recherche d'un nouvel équilibre". Par exemple, les syndicats - on peut penser - se considéreront perdants dans cette réforme, surtout si elle est faite en une seule étape et nous ne pensons pas que ce soit, pour eux, une incitation à renoncer aux affrontements, bien au contraire.

Nous désirons souligner deux points qui nous apparaissent particulièrement intéressants. D'abord, la création de l'Institut de recherche sur la rémunération nous paraît, moyennant certaines conditions, moyennant que les gens acceptent d'y adhérer, devoir contribuer efficacement à l'amenuisement des tensions entre les parties et les tiers. D'autre part, nous souscrivons également entièrement à l'idée d'une négociation permanente qui permettrait de réduire l'accumulation des problèmes qui ne sont pas réglés.

Nous souhaitons apporter quelques précisions au niveau du texte. Tantôt on parle de rémunération globale, tantôt on parle de rémunération. Si une concordance n'est pas établie, selon nous, partout dans l'avant-projet, non seulement une concordance mais, comme disait Fernand Morin en fin de semaine, peut-être une définition de ces termes, nous entrevoyons le risque de tenter de comparer des pommes

avec oranges. C'est une chose que de comparer des salaires et c'est autre chose que de comparer un ensemble qui constitue la rémunération et, par conséquent, d'affaiblir sinon d'anéantir l'impact que pourraient avoir les données produites par l'institut. (20 h 30)

Aux articles 20 à 27 qui traitent de la négociation à l'échelle nationale, le texte ne nous paraît pas clair quant au mode de règlement des différends après l'intervention du médiateur. Dans les deux cas, on arrive avec un rapport rendu public, mais rien ne précise ce qui se passe après. De la même manière, lorsqu'on parle des négociations à l'échelle locale ou régionale, aux articles 31 à 39, on s'interroge sur la nature exacte de la juridiction du médiateur-arbitre et sur les façons d'exercer cette juridiction. Il me semble qu'il y a des précisions qu'il y aurait intérêt à apporter à ce niveau. On s'étonne également des dispositions qui confèrent à un individu des pouvoirs qui n'appartiennent généralement qu'à une cour de justice.

Plus loin, à l'article 43, lorsqu'on parle de la négociation au niveau des organismes gouvernementaux, on trouve que le rôle du ministre tel que défini semble, de prime abord, plutôt symbolique et à rebours par rapport aux intentions de décentralisation. On a l'impression que le ministre sert un peu de boîte aux lettres là-dedans et à pas grand-chose de plus.

Pour ce qui est des organismes gouvernementaux, aux articles 40 à 45, on regrette, dans notre cas, l'absence de référence directe aux recherches de l'institut. On est tenté de penser que le dicton deux poids, deux mesures pourrait être appliqué ici. Pourquoi ne profiterait-on pas, dans le secteur des organismes gouvernementaux, des données que pourrait fournir l'institut?

Enfin, aux articles 70 et 71, on trouve que le Conseil du trésor se retrouve encore dans la position délicate de juge et partie.

Dans une quatrième partie, on a essayé d'examiner quelles étaient les forces favorables aux changements. Voici quels points positifs on a trouvés. Il y a tout d'abord la frustration générale engendrée par les échecs consécutifs subis par l'une ou l'autre des parties au cours des six rondes de négociation qui nous semble assez élevée pour que la plupart des acteurs accueillent favorablement des propositions de réforme. D'autre part, on pense qu'une partie significative des attentes - on a énoncé hypothétiquement un certain nombre d'attentes en deuxième partie, des attentes de la population, des salariés du secteur public, des attentes des gestionnaires, des syndicats et du gouvernement - se verrait satisfaite au moins partiellement par l'adoption d'un projet de loi qui irait un peu dans le sens de l'avant-projet de loi. Une troisième force positive, le recours à l'arbitrage où l'ésotérisme de certains articles de conventions collectives, la difficulté d'administration de certaines clauses, les changements dans la conjoncture, les complicités plus ou moins tacites entre gestionnaires et employés, font que dans la pratique, les parties entretiennent des rapports continus, prélude à une négociation continue. Ce qu'on pense, c'est que, dans les faits, il existe actuellement une espèce de négociation continue. Finalement, à notre point de vue, les obligations et les responsabilités du gouvernement, de même que les pouvoirs dont il est investi, rendent légitime aux yeux de l'opinion publique et dans les faits son intervention par une réforme.

Cependant, on ne veut pas fermer les yeux sur certaines difficultés prévisibles. On en a évoqué quelques-unes tout au long de notre réflexion. Il y en a deux qui nous paraissent particulièrement significatives. Ce sont deux questions qu'on pose.

Premièrement, comment éviter l'affrontement avec les syndicats qui se sentiront à coup sûr lésés par la perte de droits acquis, le droit de grève, entre autres, et le droit de négocier certaines matières? Deuxièmement, comment rendre viable à court terme un régime dont l'efficacité repose en partie sur un changement de mentalité qui, lui, ne peut que se faire à moyen et à long terme?

M. Lanouette: En guise de conclusion, M. le Président, toutes les personnes de bonne foi reconnaissent que la réforme est inéluctable. Là où on est moins d'accord, c'est sur la nature de la réforme souhaitable et sur le choix de stratégies appropriées pour procéder à la satisfaction du plus grand nombre à cette réforme.

Nous n'avons pas de réponses toutes faites, ni de solutions miracles à proposer pour répondre à ces deux niveaux de préoccupations. Cependant, nous aimerions soumettre à cette commission deux considérations qu'il nous paraît utile d'examiner dans le contexte actuel.

La première considération: grâce au progrès de l'étude des sciences du comportement humain, nous disposons maintenant en gestion des ressources humaines de moyens relativement efficaces pour amener les gens à modifier leur attitude et leur comportement en regard de leurs intérêts qui ne sont pas nécessairement irréconciliables avec ceux de l'organisation à laquelle ils appartiennent. Autrement dit, l'évolution des mentalités peut être provoquée et encouragée par des techniques d'apprentissage et de développement si certaines conditions sont réunies. Par exemple, un bon climat de confiance, d'ouverture, de responsabilisation et d'interdépendance. Cette solution requiert

cependant beaucoup d'investissement en temps et en énergie.

Deuxième considération: si on choisit une démarche systémique pour faire le diagnostic d'une organisation, on est forcé de considérer le régime de négociation comme l'un des sous-systèmes qui favorisent ou nuisent à atteindre des objectifs organisa-tionnels. Ce qui revient à dire qu'un régime de négociation ne saurait être efficace s'il est défini sans référence aux autres composantes du système.

Les rapports entre êtres humains, même le milieu de travail, ne sauraient être exclusivement définis par l'encadrement juridique de lois du travail et des conventions collectives. On oublie trop souvent que certaines organisations fonctionnent à la satisfaction de leurs membres sans que ces derniers ne soient liés entre eux par un contrat de travail. Ignorer ces deux considérations, c'est-à-dire ne pas avoir de vision globale, et tourner le dos à des approches comme celle de la qualité de vie au travail et du développement organi-sationnel, c'est peut-être renoncer à des avenues qui contiennent des éléments de solution.

Pour terminer, j'ajoute quelques commentaires qui résument ou qui complètent la position que nous avons exprimée dans ce mémoire. Notre syndicat est, dans l'ensemble, d'accord avec la problématique telle qu'exposée dans le document du Conseil du trésor, "Recherche d'un nouvel équilibre". Par conséquent, nous sommes d'accord avec la nécessité d'une réforme.

Deuxièmement, les moyens préconisés par l'avant-projet de loi pour mettre de l'avant cette réforme sont avant tout d'ordre technique et légal. Cet avant-projet de loi contient des éléments intéressants et nous les avons soulignés dans notre mémoire. Nous nous sommes également interrogés sur d'autres éléments et nous avons, de plus, dénoté certaines imprécisions.

Cependant, quant à nous, le point majeur est le fait qu'une véritable réforme ne peut s'opérer que par un changement de mentalité, un changement d'attitude des intervenants concernés. Or, on constate notamment que les changements importants au régime sont au risque d'être imposés unilatéralement, qu'ils se feront en une seule étape et que l'une des parties concernées risque de se considérer la grande perdante, la victime d'un règlement de compte.

Le changement de mentalité dont on parle pourra difficilement se faire dans ce contexte. De nouveaux affrontements majeurs demeurent prévisibles et une foule de problèmes de relations du travail en découleront.

En terminant, je vous signale que, à notre avis, les problèmes liés à ce qu'on a appelé l'hypercentralisation dans le document du Conseil du trésor sont loin d'être réglés. Un effort de décentralisation est peut-être fait dans le cas des réseaux des affaires sociales et de l'éducation, mais ce n'est sûrement pas le cas pour la fonction publique. On devrait plutôt parler de statu quo en ce qui concerne la fonction publique.

Cela nous semble également aller à l'encontre de l'esprit de la nouvelle Loi sur la fonction publique, c'est-à-dire de la loi 51.

M. le Président, je vous remercie.

Le Président (M. Lachance): Merci, M. Lanouette. M. le ministre délégué à l'administration.

M. Clair: Oui, M. le Président. Dans un premier temps, je voudrais remercier le Syndicat des conseillers en gestion du personnel du gouvernement du Québec - tel est son nom officiel - d'avoir bien voulu se pencher sur l'avant-projet de loi en ce qui concerne le régime de négociation dans les secteurs public et parapublic et saluer M. Lanouette, son président.

Comme le président du syndicat en question l'a indiqué, ces gens représentent des gens qui sont effectivement impliqués dans la gestion des ressources humaines sur le plan quotidien et qui ont toutes les raisons de venir nous éclairer quant à leurs interrogations, leur point de vue sur la gestion des ressources humaines à partir des conventions collectives ou de l'absence de conventions collectives que produit le système de négociation dans lequel nous évoluons présentement.

Ils sont également régulièrement impliqués de manière directe ou indirecte dans les négociations à proprement parler et également dans l'application de ces conventions. C'est donc une expertise à partir de leur vécu qu'ils nous apportent - je pense qu'à ce point de vue, même s'il ne s'agit pas, à proprement parler, comme M. Lanouette l'a bien indiqué au départ, d'un syndicat au sens où on l'entend traditionnellement - d'avoir bien voulu accepter de se pencher sur l'avant-projet de loi.

Je voudrais immédiatement répondre à deux ou trois interrogations qui ont été soulevées par le mémoire du Syndicat des conseillers en gestion du personnel du gouvernement du Québec. En ce qui concerne les précisions à apporter au niveau des termes "rémunération" et "rémunération globale", il ne fait aucun doute dans mon esprit que vous touchez là un point important et que, effectivement, que ce soit au niveau du texte de l'avant-projet de loi ou de l'éventuel projet de loi ou encore au niveau ne serait-ce que du discours, il importe de bien distinguer ces deux notions-là et peut-être ne l'avons-nous pas fait

suffisamment jusqu'à maintenant. Au sens strict de l'avant-projet de loi, le terme "rémunération", lorsque l'on parle du rôle de l'Institut de recherche en rémunération, porterait essentiellement, comme j'ai eu l'occasion de le dire cet après-midi, sur les salaires et les échelles de salaires. Donc, un sen3 assez limité de la rémunération afin de faciliter l'établissement de multiples types de comparaison.

Quant à l'expression "rémunération globale" qui était employée dans le document "Recherche d'un nouvel équilibre" et qu'on a employée à plusieurs autres occasions, sans essayer de vous donner une définition au sens du dictionnaire, de la fonction publique, des secteurs public et parapublic et du Conseil du trésor, je dirai que de manière générale lorsqu'on parle de rémunération globale, d'abord on a la tradition de tout ramener en termes de rémunération horaire et d'y inclure tout autant le salaire, les primes, toutes les questions de congés fériés, chômés, avantages sociaux, assurances, régime de retraite et autres, donc, une conception très large de ce qu'est la rémunération, en termes de coûts pour le gouvernement, de la main-d'oeuvre et de la ramener sur une base horaire pour des fins comparatives. Ceci étant de manière non exhaustive, parce qu'on pourrait dresser toute une liste de ce que comprend et de ce que ne comprend pas la rémunération globale. Pour les fins de l'avant-projet de loi, donc l'Institut de recherche en rémunération se pencherait sur "salaire" et "échelle de salaire" et demeurerait dans le régime de négociation triennal tel qu'il existe présentement, toutes les autres questions indirectement reliées au salaire, je dirais...

Une autre question qui est soulevée dans le mémoire, si ma mémoire est fidèle, je ne me souviens plus à quelle page, c'est celle du secteur péripublic, certains organismes gouvernementaux qui ne sont pas couverts par l'avant-projet de loi.

Nous nous sommes longuement penchés sur cette question et je dirais qu'on est un peu en face d'une situation où on a à considérer la tradition, la logique et la différence entre les sociétés d'État et le gouvernement et les sociétés d'État en situation monopolistique et sociétés d'État en situation non monopolistique, dans le sens qu'il est bien évident que Hydro-Québec, par exemple, se compare davantage à Bell Canada comme entreprise quant à son importance, quant à la place qu'elle occupe. Même si Bell Canada n'a pas un monopole au Québec, c'est fort différent de parler d'Hydro-Québec que de parler de la filiale Louvem, de la Société québécoise de l'exploration minière qui est une entreprise en concurrence avec d'autres entreprises dans un marché beaucoup plus concurrentiel que dynamique au sens de la concurrence, que peut l'être Hydro-Québec.

On était un peu en face de situations multiples. Au point de vue de la tradition, on sait tous que celle-ci veut que par sédimentation il y ait des organismes paragouvernementaux ou sociétés d'État même qui doivent venir requérir des mandats de négociation ou faire approuver des mandats de négociation au Conseil du trésor. Si ma mémoire est fidèle, même HydroQuébec et la Société des alcools du Québec sont dans cette situation alors que, si je me souviens bien, REXFOR n'est pas dans une telle situation non plus que SOQUEM, non plus que Loto-Québec, je crois, qui est également dans une situation qu'on pourrait presque inclure dans une troisième catégorie. (20 h 45)

Pour l'instant on a limité aux seuls organismes gouvernementaux, je dirais, l'application de l'avant-projet. Quant aux sociétés d'État, celles qui sont en monopole comme celles qui ne sont pas en monopole, ce que nous avons considéré, c'est qu'il y avait précisément une commission, la commission Châtillon qui a maintenant changé de nom à cause de son président, qui est chargée de revoir les mécanismes, le Code du travail, dans le secteur privé. Il nous a semblé qu'il pouvait être préférable à ce stade-ci, sans fermer la porte à des considérations ultérieures, pour l'instant de ne pas les inclure dans le champ de nos travaux. C'est donc dire, M. le Président, que je suis conscient que les arguments que je fais valoir s'appuient sur des distinctions qui sont parfois, je dirais, ténues et, par ailleurs, à l'occasion, appuyées simplement sur la tradition. Ce que nous avons surtout voulu viser par l'avant-projet de loi, il s'agit principalement de ce qu'on pourrait appeler -entre guillemets - les "services publics", en sachant que cette définition n'était pas parfaite parce que quelqu'un pourrait fort bien prétendre qu'Hydro-Québec, c'est un service public. Quelqu'un employait aujourd'hui, dans un mémoire, l'expression "qui trop embrasse mal étreint", mais on a préféré aujourd'hui, dans l'avant-projet de loi, restreindre les travaux du Conseil du trésor sur ce qui était le plus spécifique au titre de services publics au sens où on l'entend généralement, c'est-à-dire les trois grands réseaux, fonction publique, réseau de l'enseignement et réseau des services de santé et de services sociaux.

Quant à l'autre question, je pense que je ne ferai pas de commentaires. Je préférerais en poser sur le Conseil du trésor juge et partie plutôt que de faire un commentaire. Le mémoire du SCGPGQ -pour employer l'abrégé - commence par établir la problématique et fait état d'éléments additionnels de problématique à ceux qui étaient publiés dans le document, "Recherche d'un nouvel équilibre", en mai

dernier. Si je ne me trompe pas, parce que, malheureusement, les copies qu'on nous a remises n'étaient pas paginées - j'ai paginé rapidement la mienne à partir d'une seule référence - à la page 10 du mémoire, vous dites que vos réflexions vous amènent à nous faire part des quelques perceptions suivantes. La première, c'est que le gouvernement n'est pas et ne sera jamais un employeur comme les autres visés par le Code du travail. Vous l'établissez comme un élément de problématique et je pense que c'est largement entendu, reçu dans l'opinion publique que le gouvernement n'est pas et ne pourra jamais être un employeur comme un autre puisque les sanctions économiques qui devraient s'ensuivre normalement, si on était dans le secteur privé, n'ont pas la même portée dans le secteur public. Lorsque le gouvernement employeur négocie, il ne peut pas oublier ses autres responsabilités. Oui, je pense que c'est un élément problématique important.

Nulle part dans votre texte je n'ai pu trouver de conclusion, découvrir de piste quant aux conclusions auxquelles cela doit conduire, que ce soit en termes de rémunération, de non-négociabilité de la rémunération ou de négociabilité. Au-delà des distinctions entre rémunération au sens strict et rémunération globale, etc., à quelle conclusion vous amène cet élément, je pense, fondamental de la problématique? Je vais y ajouter deux autres questions, puisque c'est à la page suivante, quant à des éléments de problématique qui, à mon sens, normalement, doivent amener une conclusion ou, en tout cas, une piste de solution. Au cinquième paragraphe, après avoir rappelé les séquelles de la ronde de 1982, vous indiquez que les événements récents de Saint-Ferdinand d'Halifax laissent entrevoir des attitudes qui prévaudront vraisemblablement de part et d'autre lors de la prochaine ronde de négociation. Sans prétendre que vous puissiez disposer d'une boule de cristal, je serais intéressé à connaître votre perception quant à ce que semble sous-entendre à l'égard du gouvernement des associations patronales ou des patrons du secteur public, parce qu'il y avait quand même un établissement géré par des patrons qui était en cause dans cette affaire. Qu'est-ce que vous voyez venir? À quoi voulez-vous nous alerter relativement à ce problème?

Finalement, au point 6, vous indiquez: "Le régime de négociation actuel ne correspond pas à l'esprit et aux principes mis de l'avant dans l'actuelle Loi sur la fonction publique. " M. Lanouette, je pense, est revenu sur ce point en conclusion. J'aimerais aussi que, sur ce point, vous nous indiquiez en quoi vous considérez que l'avant-projet de loi ne correspond pas à l'esprit et aux principes mis de l'avant dans la loi 51.

D'ores et déjà, je reconnais que, lorsqu'on parle de décentralisation, par exemple, il me paraît bien évident - j'ai eu l'occasion de le dire à M. Harguindeguy -que, tel que déposé, tel que mis de l'avant, l'avant-projet de loi ne vient pas faire de chacun des ministères l'équivalent d'un conseil d'administration d'un centre hospitalier ou encore d'une fédération des centres d'accueil, ou des CLSC, ou des commissions scolaires du Québec, mais si cette affirmation veut dire que peut-être que l'avant-projet de loi ne va pas aussi loin que vous ne le souhaitiez dans le sens de la loi 51, c'est une chose et s'il s'agit de dire que le projet de réforme, au contraire, contredit en quelque sorte la loi 51, cela en est une autre. Sur ces trois questions, j'aimerais connaître votre point de vue.

Le Président (M. Lachance): M. Lanouette.

M. Lanouette: Je peux peut-être commencer par le dernier point, la loi 51. L'un des principes, l'esprit de base de la loi 51, c'est la décentralisation, la responsabilisation des ministères et des organismes et surtout celle des gestionnaires qui ont effectivement à gérer des ressources humaines pour atteindre leurs objectifs: responsabilisation, imputabilité. On s'attarde surtout à l'aspect centralisation. L'un des éléments importants, peut-être un des outils importants du gestionnaire pour gérer ces ressources humaines, ce sont les conventions collectives qui définissent un peu les règles du jeu, les rapports entre les employés et les gestionnaires. Cette partie leur échappe complètement. Les conventions collectives sont entièrement, exclusivement négociées à un niveau central. Elles sont devenues extrêmement complexes avec le temps. On n'a qu'à regarder leur épaisseur et cela nous donnera une idée de tout ce qu'il peut y avoir là-dedans. On essaie de tout prévoir, de définir tous les rapports. Il faut pratiquement être expert pour être en mesure de comprendre ces conventions collectives. Nous disons qu'il y a peut-être des questions d'intérêt local à tout le moins qui devraient être négociées davantage sur le plan local, même dans la fonction publique. Pour les conventions collectives, le mouvement devrait être à l'inverse de ce qu'on a fait depuis quelques années. Au lieu de tenter de tout prévoir, il serait peut-être préférable de négocier davantage des paramètres ou les grandes lignes plutôt que tous les détails. À cette condition, les gestionnaires seraient davantage en mesure de comprendre ces conventions collectives et de les utiliser efficacement.

Concernant la loi 51, c'était surtout l'aspect centralisation-décentralisation.

En ce qui concerne les deux autres points, Michel, veux-tu répondre? Oui.

M. Clair: J'aimerais que vous parliez de la décentralisation dans la fonction publique.

M. Lanouette: Je pense qu'on devrait s'attarder davantage au niveau central à négocier de grands paramètres. Je pense qu'on s'entend concernant la rémunération. Compte tenu des conséquences que cela peut avoir, cela doit être négocié au niveau central, au niveau du Conseil du trésor. On pourrait, à titre d'exemple, prendre les horaires de travail. Qu'est-ce qui empêcherait, par exemple, de négocier au niveau central la question du 35 heures par semaine, négocier 35, 37 et laisser aux différents ministères et organismes le soin de définir les modalités par la suite. C'est un exemple très simple, il y en a d'autres.

M. Carpentier: Pour Saint-Ferdinand d'Halifax, on n'a pas de boule de cristal, effectivement, mais on se dit que c'est peut-être un excellent laboratoire pour tester les changements de mentalité et d'attitude de part et d'autre, et du gouvernement et des syndicats. Selon les décisions qui seront prises, on pense que cela va être une façon de voir si, vraiment, l'esprit qui était véhiculé dans le document "Recherche d'un nouvel équilibre", si on voit des manifestations de cela. On ne sait pas encore les résultats, il reste qu'il y a des choses qui ont été faites à ce jour, on a vu avec quel esprit les syndicats ont au moins abordé à cette confrontation et l'issue de cela sera pour nous précieuse, à titre de renseignement.

Pour ce qui est de la première question, puisque l'État n'est pas un employeur comme les autres, on peut examiner deux avenues possibles. D'une part, essayer d'en faire un employeur comme les autres, une façon serait de dire, par exemple, à une institution: Compte tenu de la capacité de payer du gouvernement et des citoyens, vous avez un budget global à administrer, gérez-le donc comme vous voulez, y compris la négociation des salaires. Vous avez 5 000 000 $ pour gérer cet hôpital, fonctionnez avec, arrangez-vous. Cela rejoindrait aussi la préoccupation qui était dans la loi 51.

L'autre hypothèse, c'est si on dit: Ce n'est vraiment pas un employeur comme les autres, sortons-le radicalement du Code du travail et soyons créatifs, essayons d'inventer de nouvelles règles du jeu, complètement différentes, parce que le Code du travail, initialement, il a été fait pour un rapport de force, complètement différent de celui qui existe au gouvernement. Donc, ce sont deux avenues possibles, il y en a peut-être d'autres à imaginer.

M. Clair: Par exemple, sur la rémunération, si le gouvernement n'est pas un employeur comme un autre, on a entendu ce matin des gens qui ont dit: La rémunération ne doit plus être négociable et donc être décrétée par le gouvernement. D'autres nous ont dit: Au contraire, ce serait plus de la nature d'un symbole, puisque les améliorations que vous proposez d'apporter en termes d'institut de recherche conjointe, paritaire des données, sont amplement suffisantes, ce n'est donc pas nécessaire -sans caricaturer - d'enlever du champ de la négociation, la rémunération. C'est pour cela que je posais la question tantôt, à savoir, quant aux cinq principaux thèmes que vous avez vous-même relevés dans notre document de consultation, à quelle conclusion cela vous amène-t-il sur une question aussi fondamentale que la négociabilité ou non de la masse salariale et selon quelles modalités?

M. Carpentier: On pense que l'avenue proposée est importante dans la mesure, comme on l'a précisé, où on arrive à une définition claire de la rémunération. Si on considère, par exemple, les avantages fiscaux qui sont concédés à des gens de l'entreprise privée et qui sont absolument inaccessibles à des fonctionnaires, cela devient quelque chose de juste, mais si on considère seulement les salaires, cela n'a pas beaucoup de signification. Un salaire de 40 000 $ dans la fonction publique cela équivaut peut-être à un salaire de 30 000 $ dans le secteur privé compte tenu des dégrèvements fiscaux que peut obtenir un employé du secteur privé et qui sont absolument inaccessibles au secteur public.

Il y a l'aspect, par exemple, de la gestion des régimes de retraite, le RREGOP administre, ou en tout cas les autres régimes administrent notre régime de retraite à des taux peut-être de 3%, alors que dans l'entreprise privée, la personne qui peut gérer son propre régime de retraite peut bénéficier d'avantages nettement supérieurs. Si donc, quand on étudie la rémunération, on considère aussi ces éléments, il me semble que la solution de l'institut est très intéressante. Si par contre on en fait fi, c'est plus ou moins équitable, nous semble-t-il.

M. Clair: Ce que je peux vous indiquer là-dessus, c'est ce que je disais tantôt, dans l'esprit de l'avant-projet, l'institut de recherche s'occupe de deux éléments, le reste demeure négociable. (21 heures)

M. le Président, je vois que le temps file, ma dernière question sera la suivante concernant le rôle du Conseil du trésor, à la page 20, si je ne fais pas erreur. On dit qu'avec les articles 70 et 71, le Conseil du trésor se retrouve encore dans la position délicate de juge et partie. Simplement, je veux dire là-dessus d'abord que le Conseil du

trésor n'existe pas en soi, ce n'est pas une créature de martien, élu par un sénat ou un suffrage particulier. Le Conseil du trésor, au fond, n'est qu'un sous-comité du Conseil des ministres qui, en vertu de la loi, a des mandats précis. Tout ce que disent les articles 70 et 71, c'est qu'après publication par l'institut - cela porte sur la rémunération - du rapport prévu de recherche annuel, le Conseil du trésor négocie - je résume - avec les groupements, les associations de salariés en vue d'en arriver à une entente et que c'est le président du Conseil du trésor qui dépose à l'Assemblée nationale l'entente ou les conclusions auxquelles en est venu le gouvernement.

Alors, quand on dit que le Conseil du trésor se retrouve encore dans la position délicate de juge et partie, dans la mesure où le Conseil du trésor n'est qu'un sous-comité du Conseil des ministres sur le plan juridique et que de toute manière c'est inhérent à la confusion du rôle de l'État employeur et de l'État gouvernement que de se retrouver juge et partie, je me dis: Que faudrait-il faire, Grand Dieu! pour sortir le Conseil du trésor de ces accusations d'être à la fois juge et partie? Qui d'autre, sur le plan de la rémunération, hormis qu'on dise que c'est le ministre des Finances plutôt que le président du Conseil du trésor, et encore là on dirait qu'il est en conflit d'intérêts lui aussi, qu'il est à la fois juge et partie... Qui d'autre que le Conseil du trésor devrait négocier avec les groupements de salariés une fois que l'institut de recherche a fait rapport? Comment éviter l'écueil, si vous avez des solutions là-dessus?

J'ai souvent l'impression, quant à moi, que c'est un peu inéluctable dans le sens qu'il appartient, en fin de compte, au gouvernement de négocier avec les représentants des salariés, donc les syndicats, et le gouvernement ne peut confier cette responsabilité à un tiers. À qui confie-t-il cette responsabilité? Il la confie, dans le fond, à un sous-comité du Conseil des ministres qui est mandaté, en vertu de la loi, pour ce faire. J'aurais aimé avoir des pistes là-dessus, si vous avez des idées.

M. Carpentier: En fait, c'est plus un constat qu'un reproche parce que, effectivement, des avenues il n'y en a pas. Il n'y en a pas des, tonnes d'avenues sinon peut-être celle, encore une fois, d'attribuer à des organismes la responsabilité de la gestion de la masse financière qui, elle, sera déterminée par un organisme central. C'est peut-être une hypothèse à examiner.

M. Clair: En tout cas, M. le Président, je peux terminer rapidement en disant qu'en ce qui concerne la fonction publique, je suis, effectivement, très préoccupé par toute la dimension et je suis conscient que je m'adresse surtout à des gens qui représentent le secteur de la fonction publique plus que le réseau en ce qui concerne toute la question du partage plus clair des rôles entre le Conseil du trésor, les ministères, en termes de gestion des ressources humaines, afin d'augmenter, au sens positif, la productivité, la motivation au travail, la responsabilisation et l'intérêt des gestionnaires. On est en phase de recherche et, sur cette question comme sur d'autres, malheureusement, il n'y a pas de vérité absolue. Tout ce que je peux souhaiter, c'est qu'on puisse continuer à bénéficier de la collaboration du Syndicat des conseillers en gestion du personnel du gouvernement du Québec pour tenter de continuer constamment à améliorer les orientations du gouvernement en ces matières. Si j'ai l'occasion, j'y reviendrai. Je vois que mon collègue, le député de Vaudreuil-Soulanges, est impatient.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Merci, M. le Président. Simplement un commentaire pour commencer. Le ministre vient de dire qu'on pouvait accuser le président du Conseil du trésor. On a accusé déjà, mais juge et partie, maintenant, on l'a constaté simplement. Le ministre lui-même a fait remarquer que si cela avait été le ministre des Finances la même accusation ou constat aurait pu être porté. On peut s'imaginer la nature du constat ou de l'accusation quand on se souvient que M. Parizeau avait les deux chapeaux sur sa tête. C'était le grand négociateur, le grand argentier, le grand payeur, le grand dépensier...

M. Clair:... d'une accusation.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges):... le grand contrôleur et tout ce que vous voulez. C'est peut-être un avantage, déjà, une amélioration qu'on ait, au moins, un arbitrage potentiel entre deux ministres qui ont des fonctions fort différentes.

Je souhaite la bienvenue, enfin, à des praticiens de la chose dont on parle ici, des gens qui, quotidiennement, sont obligés de vivre avec ce qu'un appareil bureaucratique centralisé a inventé pour leur causer des problèmes, manifestement. Des praticiens qui, selon toute apparence, n'ont jamais été consultés, n'ont jamais eu voix au chapitre, n'ont jamais eu un input pour que la machine qu'on leur demande d'administrer soit mieux conformée, soit mieux dessinée, soit le plus possible sensible aux gestionnaires, aux objectifs des gestionnaires, à la recherche des objectifs qui doivent être ceux des programmes, des ministères, des directions générales et ce que vous voulez. Je suis presque tenté de dire qu'on nous a presque représenté - et dans le fond, ce cera l'objet de la grande question, il y a peut-

être seulement une longue réponse - que les gens qui sont devant nous n'ont jamais pu faire de représentation quant à l'élaboration ultime du cadre juridique dans lequel ils sont obligés de fonctionner, au point de vue de la gestion des ressources humaines. C'est, à plus forte raison, important lorsqu'ils le soulignent, comme je l'ai déjà fait à l'égard d'un autre mémoire: le cadre juridique est simplement l'un des éléments qu'on doit avoir à l'esprit quand on parle de la gestion des ressources humaines. Vous en parlez comme dans un sous-système. Vous êtes condamnés, on dirait, à être des acteurs dans une grande pièce que vous n'avez même pas eu le temps de répéter avant de la jouer. C'est un peu les sons que j'ai entendus. Les décideurs centralisés et centraux nous arrivent avec un cadre à un moment donné qui vous est imposé. Il n'y a donc pas de consultation. En toute apparence, il n'y a pas de concertation. Toute votre capacité sur le cours des choses, d'influencer le comportement des ressources humaines, donc votre application des sciences de la gestion que vous évoquez ici comme étant, oui, une science à bien des égards, semble sous-utiliser dans le système qu'on connaît aujourd'hui pendant que - c'est presque le corollaire - le cadre juridique a été privilégié. On en a surestimé grandement les effets ou alors on les a ignorés totalement. On ne semble pas jamais s'être préoccupé de la façon dont les clauses des conventions collectives ont une influence quotidienne. Cela est vrai, à tel point que vous nous avouez qu'il y a de la négociation permanente en marge du cadre juridique, pour en arriver à faire quoi? À être de meilleurs gestionnaires, trouver le moyen de motiver les gens qui sont là, trouver le moyen de mesurer ce qu'ils font, trouver le moyen d'évaluer donc de la performance, c'est la seule façon de donner un peu de satisfaction aux gens, leur donner un objectif, mesurer l'atteinte de l'objectif à un moment donné, cela permet de faire une évaluation de la personne. Cela permet de voir quel genre de progrès elle a fait comme travailleur, comme personne responsable dans son cadre, petit ou grand, chargée d'en arriver à quelque chose, à rendre un service à la population à même les deniers publics. Ce souci s'est traduit à deux reprises: une fois dans la présentation et une fois en réponse à une question du ministre qui a demandé - cela m'a surpris dans le fond -comment pouvez-vous motiver les gens. C'était cela le fond de la question, mais les mots employés étaient: Comment décentralise-t-on dans la fonction publique? Décentraliser pour permettre à des unités pas trop grosses de ne pas être soumises à la pesanteur de l'appareil bureaucratique de sorte que le gestionnaire a un peu de contrôle plutôt que de se perdre dans les points-virgules et les sous-paragraphes de conventions collectives. On a répondu: Négociez donc des grands paramètres. On demande à ce moment-ci qu'il y ait de la flexibilité dans l'application, c'est que les objectifs soient raisonnables, compte tenu des circonstances, qu'on puisse s'adapter dans la gestion à des nouveaux programmes qui pleuvent de tous bords et de tous côtés, inventés par les politiciens, il n'y a aucun doute, pour de bonnes raisons dans tous les cas, mais qui semblent faire très peu de cas des gens qui doivent les administrer tous les jours.

Ce qu'on semble souhaiter, c'est qu'on se donne les moyens de donner aux gestionnaires la faculté de fixer des objectifs en ressources humaines et ensuite, de pouvoir mesurer cela. Il faut voir si dans l'appareil, aujourd'hui, cette capacité existe.

Ma première question: Est-ce que j'ai raison de prétendre que vous vous trouvez en marge du système et que, dans le fond, on vous demande d'administrer sans vous demander si cela a du bon sens ce qu'on vous demande d'administrer?

Ma deuxième question: Dans le système, aujourd'hui, de toute façon, quelle que soit la convention collective, quel que soit le programme à administrer, est-ce qu'il existe des façons de mesurer l'atteinte des objectifs?

J'ai cru comprendre que oui en lisant le rapport du Vérificateur général du Québec - non pas celui qui vient de paraître, mais le précédent qui m'avait frappé - où on avait tenté dans certains minsitères d'instaurer la vérification intégrée à l'interne avant que cela devienne une loi un bon jour. Les vérificateurs internes des différents ministères ont un mandat, apparemment, de faire de la vérification intégrée. Donc, ce sont des mesures d'efficacité, d'efficience, d'atteinte des objectifs, etc. Le Vérificateur général trouvait qu'il n'y avait pas eu de gros progrès là-dedans, qu'il y avait un manque de volonté politique. C'est comme cela que j'ai lu ses commentaires. Est-ce qu'il n'y a pas des choses, de toute façon, à part les récriminations que vous pouvez avoir sur la façon dont la centralisation a diminué votre capacité d'améliorer la gestion? Est-ce qu'il n'y a pas déjà, à l'interne, des façons de faire qui amélioreraient, justement, la gestion des services publics? J'évoque un exemple qui, par la bande, était mentionné par le Vérificateur général. Est-ce que cela existe, aujourd'hui? Donc, deux questions.

M. Lanouette: Si j'ai bien compris vos questions, je pense qu'effectivement, il y a eu quand même un pas de fait dans la bonne direction avec la nouvelle Loi sur la fonction publique qui a vraiment contribué à décentraliser la gestion, à donner aux gestionnaires des responsabilités en matière

de gestion de personnel. On reconnaît maintenant - c'est tout récent - que le gestionnaire est responsable de la gestion de ses ressources humaines et on lui donne les pouvoirs pour gérer. Là où cela accroche peut-être encore un peu, c'est surtout, malheureusement, dans le domaine des relations du travail, dans le domaine de l'administration des conventions collectives. Tout est tellement normalisé, tellement régi que les gestionnaires, finalement, ont très peu de marge de manoeuvre. Les gestionnaires sont contents d'avoir des responsabilités, d'avoir des pouvoirs mais, par contre, ils viennent nous dire en retour: Je ne peux pas faire grand-chose, je n'ai aucune marge de manoeuvre et, de plus, souvent les règles du jeu m'échappent.

En ce qui concerne la façon de mesurer l'atteinte des objectifs, effectivement, cela existe maintenant. Cela fait partie de la gestion quotidienne que de fixer des objectifs et d'en mesurer l'atteinte. Encore une fois, je pense que l'un des préalables à une saine gestion pour gérer par objectifs, c'est la marge de manoeuvre sur les moyens. C'est beau de fixer des objectifs, mais si tu n'as aucune marge de manoeuvre sur les moyens, cela ne donne pas grand-chose. Je ne sais pas si j'ai répondu à vos questions. Peut-être que quelqu'un d'autre voudrait ajouter des commentaires.

M. Carpentier: J'aimerais peut-être faire un commentaire à votre première question, à savoir si on est en marge du système. On a la possibilité d'intervenir dans des commissions parlementaires au même titre que n'importe quel regroupement mais, à l'interne, il faut avouer qu'il n'y a pas de mécanisme formel de consultation. C'est tellement vrai que je voudrais citer un exemple, celui des directeurs de personnel qui sont regroupés en comité consultatif de la gestion du personnel et qui ont présenté un mémoire en réaction au document "Recherche d'un nouvel équilibre". Ils faisaient des recommandations très concrètes par rapport à la décentralisation, par exemple, dans le secteur de la fonction publique. À notre connaissance, très peu de cas a été fait de l'opinion de ceux qui sont les directeurs de personnel dans les ministères et organismes du gouvernement. Donc, notre poids et le poids des directeurs de personnel n'est pas très pesant dans cet ensemble. On peut même dire - en tout cas, c'est une observation qu'on s'est faite en étudiant et le document "Recherche d'un nouvel équilibre" et l'avant-projet de loi - que c'étaient deux groupes de personnes qui avaient travaillé là-dessus, deux groupes de personnes avec des approches différentes. C'est un "feeling" qu'on avait en lisant le document. Une approche un peu plus sociologique, d'un côté, puis un peu plus légaliste de l'autre. À moins que la même personne ait changé de ton en cours de route. (21 h 15)

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Dans votre conclusion, vous soumettez deux considérations. J'aimerais y revenir, elles m'apparaissent absolument centrales. La première fait état des compétences qui existent, de la science qui existe et qui permet d'améliorer la gestion en faisant appel aux intérêts des gens. Vous parlez de façons de changer les mentalités et les attitudes qui, de l'avis de tout le monde, sont un prérequis à une discussion, à une conclusion, surtout à laquelle on pourrait arriver dans la sérénité quant au changement de régime de négociation.

Deuxièmement, évidemment, vous indiquez très clairement - à mon sens, c'est important aussi, je le répète - que le cadre juridique est simplement un des éléments qui entrent en ligne de compte quand on parle de gestion de ressources humaines. Est-ce que, dans ces deux cas, il y a des choses qui sont en marche? Est-ce qu'il y a une volonté quelque part qui s'exprime d'utiliser à des effets bénéfiques, d'une part, l'application des sciences du comportement pour changer les attitudes? On n'a pas besoin de commissinon parlementaire pour cela. Je ne peux pas croire. On n'a pas besoin d'avoir un avant-projet de loi devant nous. Cela devrait être du domaine des choses courantes à faire dans une administration. Est-ce que cela existe? Est-ce qu'on sent que cela pousse dans ce sens dans l'appareil? C'est votre vision de l'intérieur que je sollicite.

Par ailleurs, est-ce qu'il y a une conscience aussi chez les décideurs centraux, où que ce soit, dans les appareils - les niveaux sont assez différents - parce que cela dépend des gestionnaires, des gens qui sont en place? Est-ce qu'on sent cette sensibilité au fait que le cadre juridique est simplement une composante? Ce n'est pas la réponse. Le cadre juridique n'est pas la réponse, sauf s'il devient tellement lâche et large, qu'on fait vraiment confiance à tout le monde pour fixer des objectifs, fixer eux-mêmes des paramètres, des horizons pour atteindre des objectifs et tout ce que vous voulez. Est-ce qu'on sent, dans l'administration publique au Québec, sous votre impulsion ou autrement, parce que vous êtes des professionnels de cette chose, que ces idées font leur bonhomme de chemin? Est-ce qu'il y a une conscience que le cadre juridique est seulement un élément et non la réponse? Est-ce qu'il y a une conscience qu'il existe des professionnels dans l'appareil qui sont capables d'influencer le comportement des gens?

M. Carpentier: Ce qu'on peut dire là-dessus, c'est qu'il y a effectivement des mouvements pour tenir compte des autres

aspects. Le reproche qu'on peut faire, c'est que, à notre connaissance entre autres, il n'y a jamais eu de psychologues industriels qui ont été engagés pour faire la négociation dans le secteur public. Il n'y a jamais eu de psychologues industriels ou d'autres spécialistes des sciences du comportement qui étaient sur les tables, par exemple des spécialistes de la gestion des conflits, c'est une science, la gestion des conflits...

On ne fait pas appel à ces gens à ces moments. On peut faire appel à d'autres moments à des spécialistes en science du comportement au niveau ministériel, organi-sationnel. Il y a aussi des politiques intéressantes qui sont annoncées, qui sont mises en oeuvre depuis une couple d'années et qui font appel à d'autres valeurs que la simple rémunération, qui tendent à valoriser le travail, qui tendent à motiver les gens. Ce qui nous semble manquer le plus, c'est un effort de coordination de tout cela. Ce sont des sous-systèmes mais qui fonctionnent en parallèle et sans se parler. C'est ce qui nous semble le défaut le plus criant à l'heure actuelle.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Dans les exemples de flexibilité que M. Lanouette mentionnait tout à l'heure en réponse à une question du ministre, on a dit: Bien, au moins, si on avait des paramètres généraux. Autrement dit, c'est une espèce d'appel, de cri du coeur pour dire: Laissez-nous de la marge de manoeuvre, laissez-nous nous adapter aux conditions de chaque environnement. Par exemple, vous avez donné l'exemple des heures de travail. Seulement pour vous donner une occasion de le préciser, est-ce que vous voulez dire que la convention collective pourrait prévoir un nombre d'heures de travail et que, à l'intérieur, on pourrait décider qu'il y aurait des heures flexibles, qu'il y aurait des heures qui ne soient pas les mêmes pour chaque service, que ça dépend du contact avec la clientèle, que ça dépend des heures d'ouverture, d'autres choses? C'est de ça que vous parliez, juste pour que ce soit bien clair parce que tout à l'heure c'était... Entre professionnels, je sais que vous vous compreniez...

M. Lanouette: Oui, c'est ça. C'est un exemple que j'ai donné pour illustrer un peu la façon dont ça pourrait fonctionner, mais c'est définitivement ça.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Merci. Sur cette précision, M. le Président...

Le Président (M. Lachance): Merci.

M. Clair: M. le Président...

Le Président (M. Lachance): Briève- ment, M. le ministre.

M. Clair: Oui. J'en aurais long à dire sur les affirmations du député de Vaudreuil-Soulanges qui n'a sûrement pas suivi les réorientations fondamentales en ce qui concerne la fonction publique qui ont suivi l'application de la loi 51 dans le laïus qu'il faisait. J'indique simplement qu'en ce qui concerne la centralisation et la décentralisation pour le secteur de la fonction publique, je ne parle pas ici des grands réseaux, oui la loi 51 vise à faire de plus en plus confiance aux gestionnaires. J'ai moi-même dit, et je le répète, que j'ai davantage confiance au jugement d'un gestionnaire faisant appel à son sens des responsabilités et engageant son jugement, sa responsabilité et sa crédibilité plutôt qu'à des normes tellement strictes qu'elles ne font plus appel au jugement mais simplement à l'obéissance et qu'il fallait conserver aux centrales, au niveau du Conseil du trésor, uniquement ce qui est essentiel, ce qui serait absurde de ne pas conserver au niveau central. Là-dessus, je pense que le député de Vaudreuil-Soulanges en avait peut-être manqué un petit bout. Je voudrais lui souligner qu'une des derières fois qu'on a fait appel à des psychologues industriels dans un service donné, les premiers à dénoncer et à tenter de ridiculiser la chose ont été les gens de sa propre formation politique à l'Assemblée nationale, juste dans la Chambre, de l'autre côté. Je voulais juste replacer ça, en passant, au député.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): C'est une affirmation gratuite.

M. Clair: C'était le député de Louis-Hébert. On peut lui pardonner.

M. le Président, puisque vous m'indiquez qu'il faut procéder, je ne voudrais pas allonger inutilement le débat. J'avais pris plusieurs autres notes, mais je pen9e que, effectivement, le temps nous est compté. Je termine en remerciant le Syndicat des conseillers en gestion du personnel du gouvernement du Québec, M. Lanouette, son président, d'avoir bien voulu se pencher sur l'avant-projet et venir faire profiter les parlementaires de leurs réflexions. Même s'il n'existe pas de mécanisme formel de consultation, je sais que ces gens savent trouver les moyens d'infléchir les orientations de leur directeur du personnel, de leur sous-ministre adjoint à l'administration et aux relations du travail, et qu'ils continueront à le faire pour le plus grand intérêt, j'en suis convaincu, de toute la fonction publique du Québec et du Québec en général. Je vous remercie.

M. Lanouette: Au nom de tous nos membres, nous vous remercions.

M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Au nom de l'Opposition, que votre voix soit entendue et vos talents utilisés.

Le Président (M. Lachance): Merci MM. du Syndicat des conseillers en gestion du personnel du gouvernement du Québec d'être venus en commission nous faire part de votre point de vue.

Je cède maintenant la parole au député de Portneuf. J'inviterais, pendant ce temps-là, M. Denis Lebel à prendre place à la table aussitôt que nous aurons entendu le député de Portneuf.

M. le député de Portneuf.

M. Pagé: M. le Président, à ce moment-ci de nos travaux je ne voudrais pas relever la remarque partisane du ministre. Il fallait qu'il succombe évidemment avant la fin de la journée dans les commentaires qu'il a formulés comme suite du propos de mon honorable collègue de Vaudreuil-Soulanges.

Le but de mon intervention à ce moment-ci est de préciser et finalement de reformuler la motion que j'avais déposée ce matin comme suite des échanges avec les gens de la majorité. Je dois présumer à ce moment-ci que la majorité acceptera la motion que je vous présente à l'instant.

Je fais motion pour que, conformément au paragraphe 3 de l'article 114 de nos règles de procédure, la commission du budget et de l'administration demande. à la commission de l'Assemblée nationale l'autorisation de siéger à Montréal, à une date à déterminer, pour entendre la Coalition pour les droits des malades sur l'avant-projet de loi traitant du régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic.

Et, qu'en vertu de l'article 146 de nos règles de procédure, ce mandat soit exécuté par une sous-commission composée de M. Michel Clair, président du Conseil du trésor et ministre délégué à l'Administration, de moi-même, comme porte-parole de l'Opposition et de M. Claude Lachance, président de la commission. Que M. Claude Lachance agisse à titre de président de la sous-commission et que M. Donald Chouinard en soit le secrétaire.

En espérant que cette sous-commission pourra se réunir dans les délais les plus brefs, après l'ajournement prévu des travaux de cette commission, soit le 7 février prochain. On souhaite évidemment le 8 février, dans l'après-midi, et le rapport sera ensuite produit à la commission ici.

Je remercie la majorité d'avoir accepté la proposition de l'Opposition qui vise à faire en sorte que M. Brunet, le groupe important qu'il représente et plus particulièrement ceux qui sont affectés par des services de santé puissent être entendus en regard des propositions formulées dans l'avant-projet de loi. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Lachance): M. le député de Portneuf, évidemment, votre motion est recevable. Je demanderais aux représentants du parti ministériel s'ils sont d'accord.

M. Clair: M. le Président, j'ai déjà eu l'occasion de l'indiquer à la séance de travail qui a précédé notre accord en ce qui concerne cette proposition et je remarque que n'est pas précisée la question de la télédiffusion des débats. J'imagine que c'est parce qu'il ne s'agit pas là d'une question qui doit être tranchée par la motion et qu'à la commission de l'Assemblée nationale il sera clairement établi que notre consentement est général et selon les modalités qui apparaissent dans la motion du whip en chef de l'Opposition. Quant aux modalités, nous avons clairement indiqué que s'il était tout à fait convenable, compte tenu de la circonstance, que la commission parlementaire délègue une sous-commission pour aller rencontrer M. Brunet et la coalition qu'il représente, il nous apparaissait qu'il serait cependant trop coûteux de déplacer les services de télédiffusion de l'Assemblée nationale et que seuls les services d'enregistrement du Journal des débats seraient suffisants. Si cette condition est acceptée par la commission de l'Assemblée nationale, il nous fera plaisir de concourir à cette motion. Quant à la date, nous devrions pouvoir en disposer demain.

M. Pagé: Une date prospective.

M. Clair: Une date prospective serait le 8 ou, éventuellement, au plus tard le 14 février, mais vraisemblablement ce qui semblait faire consensus, c'était davantage le 8.

M. Pagé: C'est bien cela.

Le Président (M. Lachance): Très bien, M. le ministre. Je comprends que la motion est acceptée. Donc, la motion est adoptée unanimement. Merci.

Nous entendrons maintenant, pour clore cette première journée des auditions publiques, M. Denis Lebel. J'aimerais souligner que M. Lebel est la seule personne à se présenter comme un seul homme à cette commission parlementaire parce que, comme vous avez pu le constater, les autres, c'étaient des groupes. Les membres de la commission ont regardé les mémoires qui nous ont été soumis et ils ont décidé, même s'il s'agissait d'une personne, de l'entendre en commission parlementaire.

M. Lebel, il nous fait plaisir de vous accueillir et la parole vous appartient.

M. Denis Lebel

M. Lebel (Denis): Merci, M. le Président. Je voudrais d'abord signaler mon appréciation pour le mode de consultation qui permet précisément à un simple citoyen de s'exprimer, de se faire entendre devant les plus hautes instances consultatives de l'État. J'essaierai d'être assez bref. J'ai assisté à la majeure partie des délibérations d'aujourd'hui et je comprends que le temps a passé peut-être un peu plus vite que vous le souhaitiez et que c'est vrai aussi pour le personnel qui entoure la tenue de vos travaux. J'essaierai de résumer mon mémoire plutôt que de le lire et de répondre assez brièvement aussi à vos questions. (21 h 30)

Le premier point sur lequel je vais insister, c'est qu'il y a consensus, enfin il y a un certain consensus pour réviser le mode de négociation dans la mesure où on se rend compte qu'il ne produit pas de solution négociée. À partir du moment où une institution ne produit pas le résultat qu'on attendait, c'est sûr qu'il faut changer des choses. Pour changer des choses, il faut s'attarder à identifier les causes de son non-fonctionnement ou de son mauvais fonctionnement. On peut être tenté de chercher dans le comportement des intervenants ou dans la structure stricte des négociations, mais personnellement je me suis attardé, peut-être par déformation professionnelle ou autre, à identifier dans le fonctionnement de l'État lui-même, ce qui met en cause les parlementaires bien sûr, les causes du mauvais fonctionnement du régime actuel de négociation. Le mémoire que j'ai déposé a strictement comme intention d'éclaicir cette dimension du problème. Il y a des opinions sur d'autres dimensions du problème, mais elles sont moins détaillées et possiblement moins arrêtées que celle que je m'apprête à vous donner. J'aurais pu aussi aborder le problème en observant d'autres dimensions spécifiques qui ne semblent pas être touchées dans la démarche suggérée, mais, entre autres, - lorsque je dis "la démarche suggérée", je fais référence aux documents de consultation qui ont été produits et aux déclarations publiques qui ont été faites - je pense que le rôle de la presse dans ce régime de négociation mériterait un examen particulier, comme celui aussi des formations politiques et des avantages stratégiques qu'elles peuvent chercher à retirer du régime de négociation actuel. J'ai volontairement mis cela de côté afin de ne m'intéresser qu'aux dimensions spécifiques du fonctionnement de l'État. Dans la mesure où on accepte l'existence de l'État, on lui reconnaît un certain nombre de fonctions: assurer la sécurité des citoyens, fournir des services publics, redistribuer une partie de la richesse nationale, contribuer au développement économique, culturel, social de la collectivité. Toutes ces choses sont généralement acceptées.

Dans le régime de type parlementaire, il y a un partage des fonctions. C'est là-dessus que je veux insister particulièrement. Je me réfère finalement à un modèle assez théorique, celui des sciences politiques traditionnelles. Autrement dit, finalement en caricaturant, je pourrais dire que mon approche est un peu créditiste. Il y a déjà un député créditiste qui a dit: Cela irait mieux dans les écoles si les étudiants étudiaient, si les professeurs enseignaient, si les administrateurs administraient. Je m'excuse, je ne veux pas être le porte-parole de l'idéologie créditiste, mais j'essaie de ramener au centre du débat les fonctions, les raisons d'être des institutions de l'État, entre autres, celle du Parlement qui est de voter les lois et les impôts. C'est un rôle que tout le monde lui reconnaît. C'est la raison d'être du Parlement. Le gouvernement est chargé d'administrer les affaires de l'État et les tribunaux sont chargés de faire appliquer les lois. En dehors de ce modèle théorique, il y a quelques aménagements par lesquels le législateur confie à des corps publics organisés la gestion de certaines activités de l'État. Je pense, entre autres, aux commissions scolaires, aux hôpitaux, aux cégeps, aux entreprises publiques en général à qui le législateur reconnaît la responsabilité de gérer une partie de ses responsabilités à cause du degré de spécialisation de ces activités. On s'imaginerait mal, par exemple, qu'un protocole d'une salle d'opération soit défini à l'Assemblée nationale. On s'attend plus à ce que ce soit le conseil des médecins et des chirurgiens qui décide cela. Il y a des responsabilités données par la loi a des instances décentralisées, à des corps publics organisés pour fournir certains services à la population. Tout cela, c'est le modèle théorique officiel; tout le monde dit: Oui, c'est cela. On pourrait prendre un document sur les institutions québécoises et on dirait: Oui, c'est un bon résumé que vous venez de faire. Le problème, c'est que, lorsque arrive le moment des négociations, tout cela devient mêlé, tout cela s'emberlificote; une chatte ne reconnaîtrait pas ses petits, comme disait l'autre. Mais je vais vous donner un certains nombre d'exemples qui ne sont pas nécessairement tirés d'événements récents ou de cas précis. Je vous demande simplement de les considérer comme plausibles. Je ne vous demande pas de me dire que cela ne s'est pas passé ainsi ou que cela ne se passe pas ainsi, je vous demande simplement de considérer que c'est plausible que cela se passe ainsi ou que cela se soit passé ainsi. Entre autres, lorsqu'il s'agit de négociation des conditions de travail, c'est le gouvernement qui négocie au nom des

institutions ou des établissements qu'il a mis en place, que l'Assemblée nationale a mis en place, donc qui sont des corps publics autonomes, à qui on a donné des responsabilités de gestion et c'est le gouvernement qui négocie des conditions de travail qui affectent le fonctionnement de ces institutions et qui limite, de façon significative, le pouvoir de gestion, à l'intérieur de ces institutions. Déjà, il y a une anomalie qu'on peut constater.

Le gouvernement, aussi en négociant les échelles salariales, ou n'importe quelles autres conditions de rémunération, détermine un niveau de fiscalité, un niveau de taxation et la taxation, par définition, c'est un acte qui revient à l'Assemblée nationale. Le pouvoir de lever des impôts revient à l'Assemblée nationale, les actes des tribunaux comme les injonctions ou la décision de poursuivre ou non devant un tribunal peuvent être utilisés comme des moyens de pression par des parties pour contrer d'autres moyens de pression, alors il y a une autre distorsion dans le système. Le gouvernement, par la tradition de ligne de parti - ça c'est un point sur lequel je vais revenir plus tard, le parti gouvernemental - fait voter des lois par l'Assemblée nationale qui détermine des conditions de travail. Déterminer des conditions de travail, c'est un acte administratif qui devrait normalement revenir au gouvernement, administrer les affaires de l'État, cela revient au gouvernement. Alors, le gouvernement fait voter des lois par l'Assemblée nationale pour administrer; c'est encore une autre anomalie. On pourrait rajouter aussi que le gouvernement peut convenir de réviser ou soumettre à l'arbitrage d'un tiers, des sanctions administratives prises par des organismes publics, juridiquement autorisés à poser de tels gestes par une loi du Parlement, autrement dit, encore une autre intervention qui vient à l'encontre du fonctionnement habituel des institutions démocratiques. Finalement, les décisions des tribunaux, comme les sentences, peuvent être révisées, ou comme les ententes sur les injonctions peuvent être révisées, par les gouvernements ou une des parties décentralisées, lors de négociations. Les décisions des tribunaux peuvent être négociées avec les regroupements de salariés concernés directement.

En résumé, on peut voir qu'il y a une certaine confusion dans les fonctions de l'État dès qu'il s'agit de négociations, de rapports collectifs avec les salariés de l'État ou les salariés indirects de l'État. Dans l'esprit de la population, tout cela devient absolument confus. Quand on entend dire: C'est de la faute du gouvernement, je n'ai pas l'impression, quand il s'agit de négociations, qu'on distingue Assemblée nationale, gouvernement et le pouvoir judiciaire, c'est-à-dire que tout cela c'est le gouvernement. À ce moment-là, ça donne l'impression que le gouvernement, dans l'ensemble de ces institutions, devient partie à l'affrontement parce qu'on aura posé dans le diagnostic que le régime de négociation amenait des affrontements et c'est l'ensemble de l'État qui devient partie, alors que l'État doit toujours conserver son rôle d'arbitre dans un conflit entre des citoyens, entre eux, ou entre des citoyens et le gouvernement.

Dans le cas des négociations entre le gouvernement de ces salariés, c'est l'État qui semble mis en cause comme partie. Je n'ai pas trouvé - je m'en excuse auprès du ministre délégué à l'Administration et président du Conseil du trésor - dans l'avant-projet de loi, des éléments qui me permettraient de croire que ces distorsions que je viens de mentionner et qui à mon avis perturbent non seulement le régime de négociation mais aussi le fonctionnement de l'État, je n'ai pas trouvé que ces distorsions étaient corrigées. La lecture que j'ai faite de l'avant-projet de loi m'amène à croire que dans la mesure où il va y avoir un enjeu, sur lequel les forces vont se cristaliser, qu'il va y avoir une espèce de concentration d'énergie de part et d'autre, que cela va nécessairement remonter au niveau politique, on va retomber dans les mêmes ornières qui vont remettre en cause, non seulement la légitimité du système de négociation, mais aussi la "légitimité" - entre guillemets - de l'État dans ses différentes composantes.

Par ailleurs, dans l'avant-projet de loi, on observe que la question de la rémunération serait retirée des matières sur lesquelles il pourrait y avoir droit de grève, ce qui veut dire que, dans l'intention de l'avant-projet de loi, on est prêt à faire une exception au principe de l'égalité des droits, c'est-à-dire qu'on est prêt à retirer à un groupe de citoyens le droit de s'associer pour négocier des conditions salariales. On reconnaît cela à tout le monde sauf que pour l'État, je suis tout à fait d'accord pour reconnaître que cela pose un problème particulier, mais ce que propose l'avant-projet de loi, c'est de leur retirer un droit. Or, retirer un droit, ce n'est pas nécessairement la seule solution pour régler un problème particulier.

En réfléchissant sur ces dimensions, il m'est apparu qu'il pourrait y avoir d'autres modes de solutions et en pensant, aussi, parce qu'à ce moment c'était déjà annoncé que la majeure partie des regroupements de salariés ne se présenterait pas devant la commission parlementaire, j'ai imaginé un certain nombre de correctifs qui pourraient s'appliquer de la stricte volonté de l'État en autant que l'État est d'accord pour changer des choses. Il y a des choses qui peuvent

être changées sans brimer des droits, mais en les aménageant et en changeant son propre fonctionnement seulement.

J'introduis, dans le projet que je j'apprête à vous présenter, la possibilité d'arbitrage. Je me suis attaché à donner à cet arbitrage une plus grande légitimité que l'arbitrage qu'on connaît de ces conflits, habituellement, c'est-à-dire qu'une des parties négociantes décide de décréter. C'est ce qu'on connaît actuellement.

La proposition que je m'apprête à vous soumettre permettra aussi de renouer avec la raison d'être, la signification profonde des principaux corps organisés qui sont impliqués dans ces négociations. Les éléments de la proposition, vous les retrouverez à la page 4. Devant l'institut de recherche sur la rémunération, je pense que c'est une chose qui s'impose actuellement. Après le dépôt du rapport de l'institut de recherche, il devrait y avoir négociation entre les parties au niveau du gouvernement et des centrales syndicales. Je ne vous ai pas annoncé cela encore, mais je vous l'annonce tout de suite, c'est que ma proposition en est une de décentralisation parce que cela aussi c'est un des objectifs, je pense, que devrait avoir la réforme, c'est de décentraliser vraiment. Ce que je propose, c'est de garder, au niveau de l'État, les fonctions relatives à la fiscalité. Donc, la négociation de la masse salariale devrait revenir au gouvernement.

Je propose de maintenir aussi, à ce niveau, le droit de grève et de lock-out, selon les mêmes dispositions que celles que prévoit l'avant-projet de loi, c'est-à-dire avec une médiation, une période de refroidissement après le rapport, etc. Après la période de médiation,, le droit de grève étant acquis, il pourrait s'exercer pendant une période limitée. J'ai indiqué cinq jours ici, mais ce n'est pas une disposition que je considère particulièrement de rigueur par rapport à l'esprit général de la proposition que je vous fais. Mais un droit de grève pourrait être maintenu de façon limitée au terme duquel n'importe quelle des deux parties pourrait demander l'arbitrage de l'Assemblée nationale, ce qui mettrait fin au droit de grève. Les parties ont dix jours pour déposer à l'Assemblée nationale leur proposition finale, leur dernière proposition. Les négociations peuvent se poursuivre encore, mais après dix jours, l'Assemblée nationale devrait se prononcer sur l'une ou l'autre des deux dernières propositions qui lui auraient été soumises; la durée du débat étant limité, bien sûr. C'est là que j'introduis un certain nombre de changements qui concernent moins les syndicats que les institutions de l'État. Le vote d'arbitrage sur la négociation entre le gouvernement et ses salariés ne devrait pas mettre en cause la survie du gouvernement et ne devrait pas non plus tenir compte de la ligne des partis, mais de l'intérêt des électeurs. Autrement dit, quand il y a un vote sur une question aussi controversée que celle des conditions de rémunération dans les secteurs public et parapublic, il faudrait que chacun des députés considère que l'opinion de ses électeurs importe davantage que l'opinion de son chef ou que celle du président du Conseil du trésor, le cas échéant. Il est important de revaloriser le rôle du député comme représentant de ses électeurs. Autrement dit, quand il y a un conflit où tout le monde invoque le bien commun, l'opinion générale, le bien-être de la société, il faut, à un moment donné, que cela se règle quelque part. Je me dis que cela pourrait se régler à l'Assemblée nationale, à condition que chaque individu votant à l'Assemblée nationale doive en répondre personnellement et non pas se cacher en arrière de la bannière d'un parti. Dans la réalité, vous qui êtes des parlementaires, savez que dans le comté du député de Louis-Hébert, par exemple, où il y a une université, deux cégeps, deux hôpitaux, un certain nombre de centres d'accueil et des choses comme cela, beaucoup de fonctionnaires demeurent là aussi, celui-ci pourrait avoir intérêt à voter dans un tel sens alors que le député d'Abitibi-Témiscamingue ou celui d'Arthabaska ou de n'importe où ailleurs, qui doit être confronté au moment de l'élection avec ceux qui paient pour les services que ces gens-là fournissent peut avoir des intérêts divergents qui ne tiennent pas compte à ce moment-là de la ligne de parti. Évidemment, peut-être que dans l'exemple que j'ai donné, cela se démarquait selon les partis, mais c'est un hasard historique.

Le Président (M. Lachance): Je m'excuse de vous interrompre. Serait-il possible de condenser votre exposé de façon qu'on puisse échanger des opinions avec vous.

M. Lebel: Oui.

Le Président (M. Lachance): Normalement, on alloue une période de 20 minutes pour l'exposé et, ensuite, une période de questions.

M. Lebel: D'accord. (21 h 45)

Le Président (M. Lachance): Vos 20 minutes sont déjà expirées, alors on va vous laisser un peu de temps pour conclure.

M. Lebel: D'accord. Vous arrivez à temps. Le point principal de mon argumentation venait de passer.

Toutes les conditions de travail devraient être négociées localement. Quand je dis localement, c'est là où il y a des réseaux. Pour l'appareil gouvernemental, je

suggère que cela soit négocié au niveau de chaque ministère, parce que les négociations centrales, pour reprendre l'expression qu'un syndicaliste me glissait, cela, c'est le principe du beurre de peanut, quand tu en mets un motion sur le coin de la tranche, il faut que tu en mettes égal partout. Les négociations centrales, cela donne cela. C'est-à-dire que cela donne des conventions épaisses, d'ailleurs, parce qu'on met des mottons un peu partout mais qui, finalement, sont là pour régler plusieurs cas particuliers et qui alourdissent le fonctionnement sans nécessairement rendre justice aux gens qui vivent les problèmes.

Le droit de grève, je suggère aussi de le maintenir au niveau des négociations locales. La différence que je fais, c'est au niveau du délai. Je pense que dans les négociations locales, il pourrait y avoir un délai plus long avant que le droit à l'arbitrage soit acquis par l'une ou l'autre des deux parties. L'arbitre pourrait être choisi d'un commun accord, sinon désigné par le ministre du Travail. Contrairement à l'arbitrage de la rémunération, les conditions de travail pourraient être arbitrées en tenant compte seulement des deux dernières propositions, mais sans se limiter à l'une ou à l'autre.

Je pense que je vous ai expliqué tout au long de la présentation le sens de la recommandation que je vous fais. Évidemment, c'est une suggestion qui ne provient pas d'un groupe d'intérêt impliqué dans ce jeu. Elle provient plutôt d'un observateur. Mon intention était de vous inviter à jeter un regard neuf sur cette situation problématique qui vieillit comme étant problématique aussi et à élargir l'éventail des possibilités de changement pour amener le changement qui est attendu par une majorité de personnes, je crois. C'est une façon aussi de rechercher un nouvel équilibre dans lequel... Quand on choisit une solution d'équilibre, on choisit aussi une solution de risque. Je pense que l'État et les représentants élus doivent prendre un certain nombre de risques dans cette situation si on veut arriver à une solution viable.

En terminant, un peu comme tout le monde, je me dis que si on parvient à un changement dans ce secteur, cela sera un événement mémorable et que si, comme dans n'importe quelle situation, on souhaite prendre une photo de famille à l'occasion d'un événement mémorable, je constate aussi qu'il manque un certain nombre de membres de la famille qui pourraient apparaître sur la photo si on parvient à un changement. Je vous avouerai qu'en me présentant ici, j'avais un peu l'impression de représenter les pays non alignés aux Jeux olympiques de Los Angeles, c'est-à-dire un groupe qui aurait décidé de ne pas participer, ce qui n'enlève rien à la valeur des olympiques sauf que cela amène à nuancer les résultats. Mon intention était d'élargir l'éventail d'options que vous pouvez avoir devant vous pour permettre de faire - vous êtes amenés à faire des choix de toute façon - un choix qui tiendrait compte de l'ensemble des dimensions et surtout des dimensions qui vous concernent plus directement. Donc, personne ne pourra vous accuser d'avoir fait quelque chose sur leur dos. C'est sur votre dos que je vous suggère de le faire. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Lachance): Merci, M. Lebel, pour votre exposé. M. le ministre délégué.

M. Clair: Oui, M. le Président, rapidement, puisque je pense que je n'ai que cinq minutes. Je voudrais d'abord dire à M. Lebel que les parlementaires apprécient toujours vivement et sont édifiés par le fait que de simples citoyens viennent à titre individuel apporter leur contribution aux travaux d'une commission parlementaire et, de cette façon, viennent permettre d'apporter des points de vue, un peu comme vous l'avez dit, de personnes non alignées, dans le sens de personnes qui, sauf erreur, n'ont pas d'intérêt direct dans les enjeux qui sont débattus en commission parlementaire.

Je vous dirai, M. Lebel, que ce qui m'a frappé dans l'analyse que vous en avez fait avec, à certains égards, passablement de justesse, cela porte surtout sur Ies distorsions introduites par le régime de négociation. Vous faites état de différents exemples réels ou plausibles, dites-vous, de distorsions dans le système de négociation tel qu'il existe présentement. Même si je pouvais être en désaccord avec certaines des affirmations, effectivement, dans une société démocratique comme la nôtre, on peut prétendre que des parties tentent, à l'occasion, de se servir des institutions démocratiques pour des fins de stratégie ou pour tenter de les utiliser en fonction du meilleur de leurs intérêts. Par ailleurs, cela n'est pas nécessairement toujours illégitime que de tenter de faire valoir son point de vue.

Fondamentalement quand même, vous soulignez les principales distorsions, des distorsions qui peuvent apparaître dans le régime de négociation actuel et vous dites que vous vous interrogez quant à savoir si le régime proposé est de nature à modifier certaines de ces distorsions. Je vous répondrai brièvement là-dessus que ce que nous pensons, du côté du gouvernement, c'est que la principale distorsion, la principale confusion provient de la confusion du rôle de l'État employeur et de l'État gouvernement chargé d'administrer les taxes et les impôts, élu pour gouverner, donc pour faire les choix budgétaires, sociaux, politiques, économiques et financiers au nom de la société et que

dans la mesure où on clarifiera, d'une part, cela, mais dans la mesure également où, d'autre part, nous aurons des mécanismes qui favorisent la solution des problèmes à l'intérieur du système plutôt qu'en dehors, nous aurons des chances d'atteindre un équilibre, d'une part, et, d'autre part, de faire en sorte que le régime lui-même génère des solutions plutôt que d'inciter en quelque sorte les parties à tenter de trouver en dehors du régime, devant les tribunaux, devant l'Assemblée nationale et, s'il y avait un Sénat au Québec, cela rebondirait probablement jusque devant le Sénat, la solution aux problèmes générés par les mécanismes que nous avons. Voilà pour Ies commentaires.

En ce qui concerne les questions, vous avez indiqué, je crois, que votre point fondamental consistait en une attente, à savoir qu'il soit possible que, éventuellement, ces questions puissent être débattues à l'Assemblée nationale, sans ligne de parti dites-vous, chaque député votant en fonction de ce qu'il perçoit être l'intérêt général de la collectivité qu'il représente dans son comté.

Vous faites référence effectivement à "l'arbitrage" - entre guillemets - de la rémunération sans ligne de parti par l'Assemblée nationale. Comment voyez-vous le rôle d'un ministre, par exemple, dans une telle circonstance, lui qui représente à la fois un comté et le gouvernement, comme on dit parfois, ministre de la couronne dans notre droit parlementaire, chargé de répondre, devant l'Assemblée nationale, des gestes et des actes qu'il pose et n'étant pas à l'Assemblée nationale pour dire: Voyez-vous, moi, je ne suis ni pour ni contre, bien au contraire, la position du gouvernement? Même si j'ai toute l'information sur telle ou telle dimension, je vote selon les indications qui me sont fournies par mes électeurs dans mon comté. Comment conciliez-vous ça, d'une part? D'autre part, je remarquais dans la proposition que vous avez faite en page 4 de votre mémoire que vous proposiez que s'écoule un certain nombre de jours de grève avant que l'on recoure à l'arbitrage tel que vous le décrivez. En quoi cela serait-il utile? Dans quelle mesure il serait utile de faire passer d'abord le processus de négociation par une période d'affrontement, c'est-à-dire grève ou lock-out, avec tout ce que cela signifie, pour, par la suite, recourir à l'arbitrage?

M. le Président, j'indique tout de suite que ce seront les deux seules questions. Je n'en aurai pas d'additionnelles, de sorte que je remercie immédiatement M. Lebel, parce que je voudrais être équitable et laisser le temps à mon collègue de Portneuf de pouvoir bénéficier de sa juste part du temps qu'il nous reste.

Le Président (M. Lachance): Très bien.

M. Lebel.

M. Lebel: Sur la première question concernant le rôle du ministre, celui-ci est évidemment un homme politique responsable d'un secteur d'activité gouvernementale. À ce titre-là, il est impliqué dans les négociations. Il doit agir comme quelqu'un qui a la charge d'administrer les affaires de l'État. C'est le rôle du gouvernement, mais le ministre est aussi député. Les ministres ne sont pas, sauf exception à peu près une fois tous les treize ans, choisis en dehors de l'Assemblée nationale.

M. Pagé:...

Une voix: II n'en reste plus.

Des voix: Ah! Ah! Ah!

M. Lebel: L'avant-dernière fois, c'était un gouvernement libéral qui était allé en chercher un à l'extérieur.

M. Clair:...

M. Pagé: C'est cela, et je n'étais pas là.

M. Lebel: Je ne me rappelle pas si vous étiez député à ce moment-là d'ailleurs.

M. Pagé: Pas encore.

M. Lebel: C'est peut-être pour cela.

M. Clair: II était comme moi; il n'était pas au monde. (22 heures)

M. Lebel: Mais le ministre est aussi un député, c'est-à-dire que le ministre a aussi la responsabilité - vous devez probablement le savoir et vous devez être aussi chargé des affaires de votre comté - de représentant de comté. Pour mon information personnelle, aujourd'hui je me suis acheté le vocabulaire des élections. Je suis un amateur de dictionnaires en général et de choses publiques aussi. Quand on parle d'élections, on dit "opération par laquelle les électeurs choisissent leur représentant". Le député qui devient ministre n'en demeure pas moins un représentant d'un certain nombre d'électeurs qui ont des intérêts, qui ont des problèmes, qui ont des besoins et qui ont une certaine vision aussi de la répartition des droits, des pouvoirs et des privilèges dans la société. Le ministre appelé à voter à l'Assemblée nationale sans tenir compte de la ligne de parti, évidemment, cela pose un problème nouveau, mais cela représente un risque par rapport à ses objectifs personnels et ses intentions personnelles. C'est sûr que, comme député, il est davantage redevable à ses électeurs qu'à l'appareil du parti ou à

l'appareil administratif gouvernemental. C'est cela le sens de la proposition que je fais.

La deuxième question portait sur un nombre limité de jours de grève avant l'arbitrage. Il y a deux motifs pour lesquels j'amène ce sujet. D'abord, le droit de négocier des conditions de rémunération a été acquis dans les secteurs public et parapublic il y a déjà un certain nombre d'années et c'est un élément, à mon avis, d'égalité entre les citoyens travailleurs. Avant de le retirer, il faut explorer d'autres possibilités. Ce pourquoi je le limite, je ne l'ai pas expliqué au moment de l'exposé, mais c'est contenu dans le mémoire. Dans le secteur privé, le droit de grève existe, mais il est limité naturellement par la survie de l'entreprise, c'est-à-dire qu'il n'y a pas un syndicat qui va mettre en cause la survie de l'entreprise par une grève de façon consciente, alors que, dans le secteur public, on sait que, de toute façon, au lendemain de la grève les hôpitaux devront fonctionner à nouveau, les écoles devront fonctionner à nouveau. Donc, à la limite, la grève pourrait durer jusqu'à ce que l'État ait plié sur tous les points. C'est pour cela que je limite. Pourquoi est-ce que je dis que le droit de grève peut être exercé? Je me dis que, lorsque les gens revendiquent quelque chose, la grève est un moyen pour eux de faire la preuve du sérieux de leurs intentions, de leurs revendications. En même temps, dans cette perspective, contrairement au; secteur privé, je me dis: II faut peut-être éviter que cela se prolonge indûment, parce que lorsque cela arrive, on en arrive à un niveau d'arguments - l'histoire est là pour en témoigner - entre syndiqués et représentants patronaux qui, à mon avis, déshonorent assez sérieusement tout l'appareil public québécois. On m'a dit: II y a eu des grèves difficiles dans le secteur privé, des grèves dommageables, mais jamais on n'a entendu un syndicat ou un patron dire: Les gens en face de moi sont des irresponsables. On a entendu cela lors des dernières négociations, lors des négociations précédentes et les autres avant celles-là aussi. Mais imaginez-vous que si les gens à la United Aircraft, avec la grosse grève qu'il y a eue il y a déjà plusieurs années, avaient discuté ainsi sur la place publique, il n'y aurait pas eu tellement de gens qui auraient acheté des avions après cela, parce que, normalement, les moteurs d'avion sont faits par des gens responsables. Je me dis que les gens qui veillent à la santé et à l'éducation des gens, que ceux qui travaillent dans les services publics devraient être aussi des gens responsables. Lorqu'on prolonge de façon absolue la possibilité d'affrontements, on court des risques de mettre en cause la qualité même des activités de l'État et même son prolongement dans les institutions publiques décentralisées.

Le Président (M. Lachance): Merci. M. le député de Portneuf.

M. Pagé: Merci, M. le Président. Je remercie M. Lebel d'avoir préparé un document comme résultat de sa réflexion concernant le problème très épineux, délicat, important qui touche notre société en rapport avec les négociations dans les secteurs public et parapublic. C'est enrichissant de constater que, malgré toute la lourdeur de notre système, malgré qu'à chaque occasion que l'Assemblée nationale a de s'asseoir et de discuter de ce problème-là, on voit généralement l'affrontement de systèmes qu'un simple citoyen - comme vous l'avez dit, M. le ministre - puisse faire son chemin parmi tout cela et venir nous livrer ses pensées.

Le premier élément de commentaire sera de parodier un peu comme vous l'avez fait quand vous avez référé aux créditistes, vous avez dit M. Lebel que ceux-ci soutenaient que cela irait mieux si les enseignants enseignaient, que les étudiants étudiaient et d'après votre théorie, et selon la mienne, cela irait peut-être mieux si le gouvernement gouvernait. Je ne suis pas convaincu que d'après votre proposition cela serait le gouvernement qui gouvernerait parce que vous confiez tout cela à l'Assemblée nationale et vous confiez un pouvoir très important, non pas seulement au niveau de l'échange, de la discussion et du débat sur la rémunération à l'Assemblée, mais vous confiez la responsabilité à l'Assemblée de trancher dans le concept de l'offre finale selon l'une des deux dernières propositions. Ce concept de l'offre finale, notre formation politique, nous la trouvons très intéressante, pas dans le même cadre évidemment que l'Assemblée nationale, mais on aura l'occasion d'y revenir comme je l'indiquais ce matin d'ici quelques jours et cela fera très probablement partie de la mécanique qui entourera les propositions qu'on formulera, c'est-à-dire, notre conception à nous, comme groupe politique, si demain matin, la majorité des citoyens nous désignait pour administrer les choses de l'État.

Vous évoquez quatorze propositions bien particulières, je n'ai malheureusement pas le temps, dans les quelques minutes qu'il nous reste, de faire le tour avec vous de ces propositions qui ont leur mérite et qui, j'en suis persuadé, seront étudiées attentivement par les membres de cette commission et plus particulièrement par le ministre délégué à l'Administration et responsable du Conseil du trésor.

Ce qui me surprend, cependant, quand j'ai vu lors de la séance préparatoire que quelques citoyens se proposaient de venir nous entretenir de leurs considérations sur le sujet, je m'attendais que ces gens, vous en

particulier, vous vous fassiez le porte-parole de l'utilisateur de service gouvernemental, la personne qui est en contact avec les hôpitaux, qui est en contact avec le milieu de l'enseignement, etc. Essentiellement, je me disais, on aura la réaction de ceux qui sont affectés par ces conflits et ces affrontements. Or, tel n'est pas le cas, puisque vous vous êtes inscrit directement dans un cadre de technique de négociation, d'approche, de système, de méthode, etc. Vous maintenez le droit de grève et de lock-out qui peut être acquis selon les mêmes dispositions que prévoit l'avant-projet de loi: médiation, période de refroidissement, etc. Cela me surprend, mais c'est votre droit le plus fondamental de le faire.

Ne croyez-vous pas que la primauté du droit du citoyen, en regard de tout droit qui peut être accordé à des groupes, doit inspirer l'action gouvernementale et que cela commanderait, éventuellement, la suppression de l'exercice du droit, de grève dans certains secteurs? Vous aurez très certainement compris que je réfère plus particulièrement au domaine de la santé.

Le Président (M. Lachance): M. Lebel.

M. Lebel: J'ai indiqué, au début de mon intervention, que j'allais limiter ma présentation au fonctionnement de l'État aux implications que le régime actuel de négociation a sur le fonctionnement de l'État. Là-dessus, je vais réagir rapidement au premier considérant que vous avez fait à propos de l'intervention de l'Assemblée nationale qui ferait que le gouvernement ne gouvernerait pas. Dans ma proposition, je n'ai pas l'impression de suggérer que le gouvernement ne gouverne pas. Cependant, ce que je propose, c'est une mesure d'arbitrage d'exception qui ramène, devant l'Assemblée nationale, un enjeu fiscal dont la responsabilité de la fiscalité revient à l'Assemblée nationale. Lever des impôts, c'est un droit des représentants des citoyens. Cela fait partie des principes de la démocratie parlementaire.

Maintenant, quant à la question du droit de grève, en particulier en ce qui concerne les services de santé, ce que je pourrais émettre, c'est une opinion tout à fait personnelle. Je ne suis pas un gros consommateur de services gouvernementaux ou paragouvernementaux. J'accumule, à l'occasion, des points de démérite et je paie mon permis de conduire, c'est à peu près la seule utilisation que je fais des services gouvernementaux. Je ne peux pas témoigner au nom des usagers. J'ai appris, aujourd'hui, que la commission s'apprêtait à aller entendre les représentants d'usagers des services de santé, mais mon opinion tout à fait personnelle, c'est que dans la mesure où on maintient des services essentiels dans la définition, il faudrait que les mots veulent dire vraiment ce qu'ils veulent dire, quand les services sont essentiels à la santé et à la sécurité physique des personnes, il faut que des mesures soient prises pour assurer cela. Dans l'avant-projet de loi, on indique qu'il y aura un renforcement des pouvoirs du Conseil des services essentiels qui aura le pouvoir d'ordonner que tel service soit rendu. C'est une gageure qui est aussi valable que - ce n'est pas une opinion d'usager; si j'étais un usager, peut-être que je dirais autre chose -de dire que les syndiqués des hôpitaux n'ont plus le droit de faire la grève, alors qu'ils l'ont depuis 20 ans. Quand ils ne l'ont pas, guelquefois ils la font quand même. Evidemment, c'est une gageure, cela ne se tranche pas comme cela. Dans les deux positions, il y a quelque chose de valable, mais je pense que ce qui est contenu dans l'avant-projet de loi, compte tenu de la conjoncture historique, me semble aller. Comme je le rappelle, je ne suis pas un témoin particulièrement valable des usagers, je suis plutôt un amateur de processus décisionnel et de fonctionnement d'appareil public.

Le Président (M. Lachance): Merci, M. Lebel. Au terme de cette première journée d'auditions publiques, je voudrais d'abord souligner le ton particulièrement non partisan qui a été tenu par les deux parlementaires des deux côtés de la Chambre, je l'apprécie personnellement. Cela facilite mon travail de président. J'espère que cela va continuer dans le même sens.

Enfin, à titre de président de la commission, je voudrais de façon non équivoque, comme l'ont fait précédemment au cours de la journée, au début de nos délibérations, tour à tour le ministre ainsi que le porte-parole de l'Opposition, le député de Portneuf, inviter les syndicats qui sont concernés par le sujet très important dont nous discutons, à reconsidérer leur décision et à faire valoir leur point de vue directement auprès des parlementaires, plutôt que de choisir uniquement la vois des conférence de presse ou d'autres moyens à l'extérieur de la Chambre. Je lance l'invitation. J'espère qu'il y aura reconsidération de la décision qui a été prise à ce niveau. Comme nous sommes au début de nos travaux, la commission pourrait revoir son calendrier. Je considère qu'il y aurait une porte ouverte dans ce sens.

Cela dit, la commission du budget et de l'administration ajourne ses travaux à demain matin, 10 heures, alors que nous entendrons les représentants de la Chambre de commerce du Québec. Bonsoir.

(Fin de la séance à 22 h 13)

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