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(Dix heures quinze minutes)
Le Président (M. Lachance): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission du budget et de l'administration entreprend sa
deuxième journée de travaux avec le mandat de procéder
à une consultation générale sur l'avant-projet de loi
traitant du régime de négociation des conventions collectives
dans les secteurs public et parapublic.
Les membres de la commission pour la séance d'aujourd'hui sont
les suivants: MM. Leduc (Fabre), Bisaillon (Sainte-Marie), Biais (Terrebonne),
Pagé (Portneuf), Beaumier (Nicolet), Caron (Verdun), Gauthier
(Roberval), Rivest (Jean-Talon), Mme Juneau (Johnson), MM. Lachance
(Bellechasse), Laplante (Bourassa), Polak (Sainte-Anne), Scowen
(Notre-Dame-de-Grâce), Tremblay (Chambly), Clair (Drummond).
Nous entendrons tour à tour des représentants des
organismes suivants: d'abord, la Chambre de commerce du Québec; ensuite,
de 14 heures à 16 heures cet après-midi, l'Association des
administrateurs des services de santé et des services sociaux du
Québec; finalement, de 16 heures à 18 heures, l'Ordre des
infirmières et infirmiers du Québec.
M. Clair: M. le Président...
Le Président (M. Lachance): Oui, M. le ministre.
Matières qui pourraient être
agréées à l'échelle locale ou
régionale
M. Clair:... très rapidement, tel que je m'y étais
engagé hier, je voudrais - je ne sais pas si c'est déposer ou
distribuer - en tout cas, rendre disponible, tant aux intervenants qu'aux
membres de la commission, une avant-liste de matières qui seraient
l'objet de stipulations négociées et agréées
à l'échelle locale ou régionale. On se souviendra qu'hier
on a fait état du fait que l'annexe A était une page blanche dans
le projet de loi. On a expliqué pourquoi; on a dit que c'était
volontaire et qu'on avait travaillé à une liste
préliminaire, et j'avais pris l'engagement de la rendre disponible
aujourd'hui. Je voudrais le faire dès maintenant.
Le Président (M. Lachance): Très bien, M. le
ministre. En vertu de l'article 158 de nos règles de procédure,
c'est avec plaisir que j'accepte que ce document soit déposé en
commission.
M. Clair: J'en ai des copies. On est en train d'en distribuer. Il
s'agit, M. le député de Portneuf, de la liste des matières
qui pourraient être agréées à l'échelle
locale ou régionale.
M. Pagé: D'accord.
Auditions
Le Président (M. Lachance): II nous fait plaisir
d'accueillir ce matin, pour commencer cette journée, les
représentants de la Chambre de commerce du Québec à qui je
souhaite la bienvenue. Sans plus tarder, je cède la parole au
président, M. François Paradis, à qui je demande de bien
vouloir identifier les personnes qui l'accompagnent en commençant par sa
gauche et en lui rappelant, tel qu'entendu, afin de faciliter les
échanges avec les parlementaires au niveau des questions, de bien
vouloir s'en tenir à une période de 20 minutes pour son
exposé ou pour l'exposé que ses collègues voudront bien
nous présenter. M. Paradis.
Chambre de commerce du Québec
M. Paradis (François): M. le Président, M. le
ministre et MM. les députés, au nom de la chambre de commerce, je
tiens à vous remercier de votre accueil et aussi de nous avoir permis de
faire des représentations auprès de cette commission.
J'aimerais vous présenter les membres qui m'accompagnent.
À mon extrême gauche, M. Marcel Tardif, qui est directeur
général des affaires publiques à la chambre. À ma
gauche immédiate, Me Eugène Turmel, de Lévis, qui est
vice-président des ressources humaines à la chambre. À mon
extrême droite, M. Jean-Paul Létourneau, qui est
vice-président exécutif de la chambre. À ma droite, Me
Louis Lagassé, qui est vice-président de premier rang de la
chambre et qui s'occupe du dossier de la révision des lois du
travail.
Sans plus tarder, vous me permettrez de passer la parole à Me
Lagassé qui fera le résumé de la position de la chambre
de
commerce sur la question qui nous intéresse.
Le Président (M. Lachance): Merci. Me Lagassé.
M. Lagassé (Louis): Merci, M. le Président.
L'avant-projet de loi sur le régime de négociation des
conventions collectives dans les secteurs public et parapublic, qui a
été présenté le 20 décembre 1984 par M. le
ministre délégué à l'Administration et
président du Conseil du trésor, M. Michel Clair, commandait, de
la part de la Chambre de commerce du Québec, analyse et commentaires et
ce, pour trois raisons.
Premièrement, par la nature même des secteurs public et
parapublic, toute réforme du mode de négociation qui les touche
ne saurait s'engager sans l'étroite collaboration de tous les
partenaires sociaux: gouvernement, employeurs locaux, syndicats et corps
intermédiaires représentant les contribuables et les entreprises.
L'impasse dans laquelle, de l'avis général, s'enlisent les
relations du travail dans ces secteurs ne trouvera de solution durable qu'au
terme d'une réflexion loyale, courageuse et réaliste qui
affirmera clairement les objectifs poursuivis compte tenu de leur incidence sur
l'économie et de la capacité limitée de payer des
Québécois.
La Chambre de commerce du Québec n'a pas l'intention de se
dérober à la responsabilité qui lui incombe, même si
ses recommandations risquent, du moins a priori, d'être moins populaires
que certaines solutions éphémères, c'est-à-dire de
type "fast food" (le tout pour tout le monde et tout de suite), dont l'effet
est agréable et, cependant, de courte durée.
La deuxième raison' qui découle de la première: le
secteur public étant ce qu'il est, tous les partenaires sociaux sont
à la fois utilisateurs et payeurs des services produits. Il n'est donc
pas besoin d'insister longuement pour montrer comment leurs
intérêts et leurs responsabilités y sont
engagés.
Finalement, la distinction entre secteur public et secteur privé,
commode au niveau théorique, ne s'avère pas aussi étanche
dans la pratique quotidienne. En fait, l'interrelation des secteurs
privé et public est constante malgré les
spécificités de l'un et de l'autre.
Les modifications apportées au régime de
négociation dans les secteurs public et parapublic créeront de
nouvelles conditions qui auront un impact sur le secteur privé. Pour
s'en convaincre encore davantage, il suffit de rappeler que ce sont les
mêmes centrales syndicales qui sont présentes dans les deux
secteurs et que leur dédoublement devient alors une notion purement
abstraite.
Pour ces raisons, nommément la nature publique des secteurs
considérés, le fait que l'implication de tous les partenaires
sociaux se situe autant dans leur fonction de payeurs que dans celle
d'utilisateurs des services dispensés et l'interrelation des secteurs
public, parapublic et privé, la chambre désire soumettre à
l'attention de la commission un ensemble de recommandations qu'elle regroupe en
cinq volets: 1) la nécessité de décentraliser les
négociations; 2) la nécessité de circonscrire la
capacité de payer de l'État employeur; 3) le droit de
grève, les services essentiels et les mécanismes alternatifs; 4)
les autres droits syndicaux et leur réciproque en termes de
responsabilité; 5) les moyens dissuasifs pour maintenir
l'intégrité du régime de négociation public.
Revenons à chacun des points. La nécessité de
décentraliser les négociations. La chambre n'a pas l'intention de
reprendre ici tout l'historique des relations du travail dans les secteurs
public et parapublic. Il semble bien acquis pour tous que l'État, en
s'affirmant comme premier responsable du développement économique
et social de la collectivité québécoise, a lui-même
fortement contribué à centraliser les négociations dans
ces secteurs.
Il n'est toutefois pas sans intérêt de rappeler que les
phénomènes de centralisation, de même que la politisation
qui en découle, trouvent leur origine dans une volonté d'abord
véhiculée par l'État. Ceci nous amène, étant
donné les résultats constatés depuis 20 ans, à
questionner les assises qui supportent une telle position.
À l'origine, le principal argument invoqué a
été l'obligation que l'État se créait de traiter
également tous ses salariés en instaurant un régime
uniforme. Par la suite, le besoin de contrôle du bailleur de fonds est
venu consolider ce postulat.
La nécessité de décentraliser les
négociations dans les secteurs public et parapublic s'impose aujourd'hui
d'elle-même. Vouloir régler, en même temps et par un seul
décideur, toutes les conditions de travail de plus de 350 000
syndiqués est une entreprise vouée à l'échec et
elle ne peut conduire qu'à l'impasse que nous connaissons où la
politisation des débats a faussé les mécanismes,
transformant la négociation d'un contrat de travail en
négociation d'un contrat social. Toutefois, si la
nécessité d'une décentralisation est manifeste, la remise
en question des postulats qui ont soutenu le mouvement inverse nous permet
d'entrevoir de nouvelles avenues, évitant ainsi un retour du balancier
qui nous fasse tomber dans l'excès contraire.
Ainsi, nous croyons que la première prémisse quant
à l'égalité de traitement doit se comprendre comme un
énoncé de justice et d'équité, sans que cela
présuppose une uniformisation de toutes les conditions de
travail. À notre avis, la décentralisation au profit des
paliers locaux et régionaux doit être l'occasion de
responsabiliser les secteurs public et parapublic, de leur donner les moyens
d'accroître leur productivité, de revaloriser et de
reconnaître les conditions d'opération locales et
régionales.
Actuellement, l'hypercentralisation des négociations favorise des
négociations au sommet, où une poignée d'experts
s'entendent sur les bénéfices d'emploi, pour ensuite conclure des
ententes, plus ou moins opérantes, parfois, quant aux conditions de
fonctionnement quotidien. Nous croyons que les instances locales sont de bien
meilleurs juges de ces conditions, étant beaucoup plus au fait des
problèmes vécus quotidiennement.
Dans un cadre décentralisé, le palier central aurait pour
fonction principale de définir les grands objectifs tant en termes de
contenu que d'efficacité et les paliers locaux et régionaux
auraient la responsabilité de s'organiser pour rencontrer ces objectifs,
cette responsabilité étant circonscrite par l'enveloppe
budgétaire définie par l'État. Dans un tel contexte,
l'étanchéité entre les paliers devient essentielle, car si
le palier supérieur constitue une instance d'appel la
décentralisation n'est qu'illusoire.
Quant à la deuxième prémisse, soit le besoin de
contrôle par le bailleur de fonds, nous croyons que l'État a la
responsabilité absolue de définir sa capacité de payer.
Cependant, une fois l'enveloppe budgétaire et les principales conditions
de travail définies, le gouvernement doit céder la place à
ses partenaires employeurs locaux et régionaux.
Deuxième point, la nécessité de circonscrire la
capacité de payer de l'État employeur. La Chambre de commerce du
Québec est d'accord avec le principe contenu dans l'avant-projet de loi
déposé par M. Clair quant à soustraire l'enveloppe
budgétaire globale des objets de la négociation. Nous croyons que
le gouvernement élu est le seul responsable de la ponction fiscale faite
sur les contribuables. Près de 50% du budget de la province ne peuvent
être soumis aux impératifs d'un groupe d'intérêts
particuliers. Les secteurs public et parapublic doivent s'astreindre aux
mêmes règles économiques qui jouent dans le secteur
privé. Il est inéquitable qu'un groupe de salariés
accapare une rente économique en prétextant que l'État
employeur ne peut faillir puisqu'il lui suffit de reporter son déficit
ou d'augmenter taxes et impôts.
Par ailleurs, le retrait du champ de négociation de l'enveloppe
budgétaire globale doit être compensé par un
mécanisme équitable. L'idée d'un organisme de recherche
sur la rémunération dont la direction sera reconnue pour sa
compétence et sa crédibilité, nous apparaît une
solution alternative valable. Toutefois, la modalité proposée
dans l'avant-projet de loi, soit la création d'un organisme ayant une
structure paritaire, nous semble inappropriée. En effet,
l'expérience de telle structure paritaire nou3 démontre que les
deux formations aux intérêts opposés ont trop fortement
tendance à s'affronter et à se paralyser mutuellement pendant que
la direction effective revient à la direction permanente. Il ne s'agit
pas ici de mettre en cause la bonne foi des personnes, mais plutôt de
constater qu'une structure non fonctionnelle est trop souvent paralysante. (10
h 30)
L'objectif fondamental qui est recherché est celui d'assurer la
plus grande crédibilité possible, tout en impliquant activement
les parties concernées. Or, lorsqu'il est question de reconnaissance de
crédibilité, il faut bien admettre qu'il s'agit d'abord d'une
question d'attitude et qu'aucune structure ne saurait garantir une
crédibilité à 100%.
Dans l'état actuel des choses, il nous apparaît peu
vraisemblable qu'aucune centrale syndicale n'accepte de se commettre dans un
organisme qui, à court terme tout au moins, devrait avoir pour mission
de rééquilibrer les salaires entre le secteur privé et les
secteurs public et parapublic. À cet égard, les premières
réactions syndicales sont assez explicites.
Nous croyons donc que l'objectif de crédibilité et de
probité professionnelle doit être recherché par rapport
à l'ensemble de la population et non biaisé par la recherche
hautement improbable d'un accord syndical.
Ainsi, nous pensons qu'un conseil de recherche sur la
rémunération, composé de personnalités reconnues
pour leur compétence et leur honnêteté en provenance de
divers milieux tant publics que privés, serait une meilleure garantie
d'efficacité. Ce conseil pourrait, évidemment, s'appuyer sur un
secrétariat professionnel dont l'expertise et l'intégrité
sont reconnues.
Cette formule a, de plus, le mérite de ne pas limiter aux deux
seules parties immédiatement en cause le mandat confié à
l'organisme. Cet aspect nous semble d'autant plus important qu'il permet une
interrelation plus systématique entre les secteurs privé, public
et parapublic.
À cet égard, nous déplorons que l'avant-projet de
loi ne soit pas plus explicite quant aux objectifs sur lesquels se fonderait le
mandat d'un tel organisme. Il est certain, d'une part, que le gouvernement n'a
pas à couler dans le ciment le mandat d'un organisme qu'il veut, par
ailleurs, rendre indépendant. D'autre part, il lui revient, cependant,
de définir les grands objectifs de sa gestion. Ainsi, la volonté
nouvelle qu'il a manifestée à plusieurs reprises d'ajuster les
conditions globales d'emploi et de rémunération des secteurs
public et privé devrait être énoncée comme l'un
des
objectifs à atteindre sans qu'il soit nécessaire de
procéder par normes.
Dans cette même veine, nous croyons qu'il serait judicieux de
préciser dès le départ l'orientation fondamentale du
gouvernement dans sa recherche de comparabilité et
d'équité entre les secteurs privé et public. Pour sa part,
la chambre croit que le gouvernement doit cesser de se comparer uniquement
à la grande entreprise privée, notamment les 500 employés
et plus, cette option offrant un biais vers le haut particulièrement
nuisible aux PME.
Un troisième point que nous désirons toucher: le droit de
grève, les services essentiels et les mécanismes alternatifs. La
dynamique du rapport de forces entre deux parties et son éventuel
aboutissement en une grève, propre au régime d'économie
libérale, ne nous apparaît pas transférable au secteur
public. Ainsi, contrairement au secteur privé où s'exerce le
libre jeu de la concurrence, le secteur public se retrouve en situation
monopolistique d'exclusivité. Les services qu'il produit n'ont pas leur
substitut et deviennent de ce fait irremplaçables. De plus, étant
donné la capacité de l'État employeur de taxer ou de
reporter son déficit sur un très grand nombre de contribuables
actuels ou à venir, il n'est pas soumis aux règles
économiques du marché, ni aux contraintes rigoureuses des profits
et pertes.
Dans ce contexte, la dynamique de l'affrontement, inopérante au
niveau économique, se traduit par une politisation du conflit. Cette
politisation modifie radicalement le sens et ta portée de toute
grève dans les secteurs public et parapublic, l'affrontement réel
devenant l'opposition entre les droits d'un groupe de syndiqués, d'une
part, et le droit aux services publics d'un segment ou de l'ensemble de la
population plus ou moins captive, d'autre part.
La polarisation des intérêts des groupes a
été au coeur de tous les conflits vécus dans les secteurs
public et parapublic d'une manière plus ou moins évidente selon
les circonstances depuis 20 ans. Le dépôt d'un avant-projet de loi
sur les négociations dans ces secteurs nous semble l'occasion pour
l'ensemble de la société de redéfinir clairement ses
choix.
La situation qui prévaut dans les secteurs public et parapublic a
toujours été ambiguë, aucun gouvernement n'ayant
accepté de se positionner par rapport aux enjeux véritables,
optant pour une politique d'interventions à la pièce (lois
spéciales, décrets, etc. ) plutôt que pour une politique
globale bien définie. Ce type d'intervention où la règle
courante s'est révélée être celle des cas
d'exception n'a suscité, depuis vingt ans, qu'affrontements et
frustrations de part et d'autre.
Pour certains, retirer le droit de grève du secteur public
constitue une proposition futile puisque, même sans ce droit, des
grèves risquent d'être déclenchées de façon
illégale. Tel que formulé, l'argument nous semble
spécieux. Il remet en cause la pertinence de toute législation
lorsque celle-ci peut être transgressée. Si ce critère
était retenu, combien de nos lois actuelles trouveraient encore droit de
cité? Par ailleurs, ne l'oublions pas, le simple retrait du droit de
grève ne réglera pas tous les problèmes de relations du
travail dans les secteurs public et parapublic, pas plus que la reconnaissance
d'un droit de grève sans cesse nié dans les faits par des
interventions spéciales.
Pour sa part, la Chambre de commerce du Québec a soutenu,
jusqu'en 1960, qu'il fallait retirer le droit de grève dans les secteurs
où la santé et la sécurité des personnes
étaient manifestement compromises et conserver ce droit en le civilisant
par le maintien de services essentiels dans les secteurs moins
névralgiques.
L'expérience des dernières années nous a
amenés à reconsidérer notre position. À cause de sa
nature même, tout service public devient, à plus ou moins long
terme, un service essentiel. La différence se situe dans le temps qui
peut s'écouler avant que la situation devienne inacceptable. Permettre
un droit de grève, sous réserve d'assurer les services
essentiels, revient donc finalement à octroyer un certain laps de temps
durant lequel une grève pourra durer qui se terminera quasi
invariablement par un retour forcé au travail. À l'usage, ce
compromis ambigu crée plus de problèmes qu'il n'en résout,
d'autant plus que les critères utilisés pour définir ce
que devront être les services essentiels sont insuffisants et peu
opérationnels, comme on l'a vu récemment dans le cas de la CTCUM.
Ils créent des zones grises qui, tout compte fait, sont soumises
à l'arbitraire.
Nous croyons qu'il est préférable de renoncer clairement
au droit de grève dans les secteurs public et parapublic et de
s'attacher dès maintenant à définir des mécanismes
alternatifs valables et équitables. Le fait de décentraliser une
partie des négociations et de les ramener à un niveau local et
régional est une étape préliminaire essentielle à
la mise en place de tels mécanismes. La négociation au niveau
local et régional permettra d'améliorer les conditions de travail
qui, sans avoir une incidence monétaire, sont souvent source de griefs
lorsque réglées au niveau central. Ce faisant, la table centrale
s'en trouvera, pour sa part, allégée et son efficacité
accrue.
Par ailleurs, les périodes de négociation prévues,
les mécanismes de médiation préventive, la mise sur pied
d'un organisme neutre de recherche sur la rémunération,
l'intervention d'une tierce partie et une information publique
adéquate nous semblent des garanties de protection des droits des
salariés des secteurs visés.
Quatrième point: les autres droits syndicaux et leur
réciproque en termes de responsabilité. L'avant-projet de loi
déposé par M. Clair en décembre dernier est
particulièrement silencieux au chapitre des droits et des devoirs
syndicaux. Pourtant, les problèmes liés à la
responsabilité syndicale, aux conditions d'exercice de la vie
démocratique, à la représentativité et aux mandats
des représentants syndicaux ont été maintes fois
soulevés. Ainsi, la chambre croit que le droit d'association devrait
trouver son équilibre dans le droit de désassociation et
qu'obligation devrait être faite à un syndicat de tenir un vote de
désaccréditation lorsque 45% des syndiqués le
réclament.
De plus, les représentants syndicaux devraient avoir l'obligation
de faire connaître par écrit les offres finales de l'employeur et
de les soumettre à un vote avant de rompre les négociations. Nous
croyons que cette mesure devrait éliminer la pratique des mandats en
blanc confiés à un exécutif syndical avant même le
début des négociations, sans que ce dernier soit tenu de revenir
devant l'assemblée des syndiqués avant d'y mettre fin.
La Chambre de commerce du Québec croit que ces mesures peuvent
limiter les effets abusifs d'une situation de monopole syndical et permettre un
meilleur 'exercice de la délégation de pouvoir.
Cinquièmement, les moyens dissuasifs pour maintenir
l'intégrité du régime de négociation.
L'avant-projet de loi propose un certain nombre de mesures de redressement
lorsqu'il y a contravention à une disposition de la loi. Nous croyons
que ces mesures sont insuffisantes et n'auront pas nécessairement
l'effet dissuasif recherché. Entre autres, lorsqu'il est question de
réparer monétairement le préjudice causé par
l'interruption ou la diminution de services, les sommes peuvent atteindre un
montant tellement faramineux que la mesure devient inapplicable.
Sans éliminer complètement ce type de redressement dans la
loi, la chambre pense qu'il faut y ajouter des mesures dont l'efficacité
dissuasive est plus élevée. Ainsi, les pénalités
encourues pour le non-respect de la loi pourraient recouvrir un éventail
de mesures allant de la perte de la retenue syndicale obligatoire
effectuée par l'employeur à la décertification de
l'unité syndicale dans un cas grave.
Nous croyons que ces mesures devraient s'ajouter à celles
déjà énumérées dans l'avant-projet de loi,
afin de disposer de mesures flexibles et réalistes qui trouvent leur
pleine justification dans le contexte d'évolution
économico-sociale que vit actuellement le Québec. Il faut, en
effet, cesser de voir dans ces mesures une ultime menace, mais plutôt la
conséquence naturelle et logique de gestes posés par des
contrevenants à la loi. Si un syndicat viole systématiquement et
de propos délibéré les dispositions de la loi, c'est qu'il
ne reconnaît plus le cadre législatif. La perte des avantages ou
de la protection liés à celui-ci s'ensuit logiquement.
Conclusion. La Chambre de commerce du Québec est donc, dans
l'ensemble, favorable aux principes contenus dans l'avant-projet de loi. Par
ailleurs, elle soutient qu'il faut profiter de l'occasion de repenser les
négociations dans les secteurs public et parapublic pour encadrer de
façon cohérente et rationnelle ces négociations.
La chambre recommande donc: 1) que les négociations soient
décentralisées à différents paliers,
étanches les uns par rapport aux autres; 2) que l'on crée un
organisme de recherche sur la rémunération, indépendant,
formé de personnes issues de différents milieux, dont la
compétence et la probité soient reconnues, qui s'appuie sur un
secrétariat disposant de l'expertise requise; 3) que le droit de
grève soit supprimé dans les secteurs public et parapublic et
remplacé par des mécanismes alternatifs propres à
protéger les droits des salariés et ceux de la population; 4) que
les autres droits syndicaux soient reconsidérés en fonction de
responsabilités qui incombent aux représentants syndicaux; 5) que
les pénalités prévues pour le non-respect des dispositions
de la loi incluent également la perte éventuelle des
privilèges liés à cette même loi. Merci, M. le
Président. (10 h 45)
Le Président (M. Lachance): Merci, Me Lagassé. Nous
allons maintenant entreprendre la partie des échanges avec les
parlementaires. Je vous rappelle que, selon nos règles de
procédure, cela doit être fait en alternance par chacune des
formations politiques représentées de chaque côté de
la table. J'invite d'abord le ministre délégué à
l'Administration et président du Conseil du trésor à
prendre la parole.
M. Clair: Oui, M. le Président. Permettez-moi, dans un
premier temps, au nom de ma formation politique, de remercier la Chambre de
commerce du Québec d'avoir accepté de se pencher sur cet
avant-projet de loi concernant une réforme du régime de
négociation dans les secteurs public et parapublic, d'avoir pris le
temps de préparer un mémoire et d'être venue nous faire
connaître son opinion sur cette question aujourd'hui.
La Chambre de commerce du Québec aborde dans son mémoire
cinq thèmes. J'aimerais avoir l'occasion d'échanger avec ses
représentants sur au moins quatre d'entre
eux, en les abordant dans l'ordre où ils sont
présentés dans le mémoire.
Le premier thème concerne la décentralisation des
négociations au niveau local ou régional. Bien sûr, on peut
difficilement traiter de l'une des parties de la réforme sans avoir
l'ensemble du portrait. Mais, si on fait abstraction pour l'instant de toute la
question du droit de grève dans les secteurs public et parapublic on y
reviendra - sur le strict plan de la décentralisation, il y a deux
grands modèles, au fond, qui s'offrent à nous. Un premier
modèle e3t celui proposé par l'avant-projet de loi: compte tenu
de la centralisation progressive des négociations, compte tenu aussi
qu'il existe un grand nombre d'établissements dans le réseau
social notamment où il n'y a jamais eu de négociations locales,
on a comme orientation dans l'avant-projet de loi de dire que la
décentralisation se fera sur les questions qui sont davantage
reliées à l'organisation du travail, aux mouvements de personnel,
aux droits syndicaux. Donc, une expression qui recouvre tout cela, c'est la vie
au travail. On doit essayer de faire en sorte que la spécificité
de chaque établissement soit davantage prise en compte par le
système de négociation. La décentralisation se fait donc
sur des questions qui ont un impact budgétaire très
réduit, voire nul. Une fois qu'on a convenu que la semaine de travail
est de 35 heures et que la rémunération est de X dollars, que
l'hôpital fonctionne de manière plus intensive l'avant-midi ou
l'après-midi, ce n'est pas tellement l'affaire du gouvernement. C'est
plus l'affaire du conseil d'administration de savoir de quelle manière
il répond le mieux aux besoins de sa clientèle. C'est
l'orientation proposée par l'avant-projet de loi.
Je ne connais pas encore la position du Parti libéral. On aura
l'occasion de la connaître bientôt, selon ce qu'on m'a
indiqué. Mais une autre théorie - c'est peut-être
celle-là qui est valable aussi - qui semble être celle qui va nous
être proposée et qui nous est d'ores et déjà
proposée, par exemple, si ma mémoire est fidèle, par le
Fédération des cégeps, c'est de dire qu'il faut aller
beaucoup plus loin en termes de décentralisation. L'État fixe
d'abord, par des mécanismes sur lesquels on reviendra, la masse
salariale. Une fois que la masse est fixée, on envoie cette masse, soit
dans une fédération d'employeurs ou dans un établissement
et chaque établissement s'arrange avec. Autrement dit, san3 faire de
raccourci, c'est ce qu'on pourrait appeler le modèle université
au Québec. On sait que les universités reçoivent une
enveloppe globale et, jusqu'à un certain point, s'arrangent avec, dans
le sens qu'elles déterminent leur propre politique salariale. Bien
sûr qu'il y a de la coordination entre les universités, mais c'est
à partir d'une enveloppe budgétaire fermée que chaque
établissement prend ses orientations, théoriquement du moins.
Ce sont deux grandes avenues. Une avenue qui dit: On décentralise
et, compte tenu de la centralisation progressive, on va décentraliser
progressivement, et on va commencer par le faire sur des questions non
financières, en termes de vie au travail, d'ajustement des conditions de
travail à la réalité vécue. Vont demeurer
centralisées ou sous-sectorialisées dans certains cas les grandes
questions financières, qu'il s'agisse des régimes de retraite ou
de la rémunération comme telle ou de tout autre grand enjeu
à incidence financière. C'est la direction de l'avant-projet de
loi. L'autre, c'est une tout autre approche.
Votre mémoire n'est pas très explicite; il n'y a qu'une
phrase qui dit: "Cependant, une fois l'enveloppe budgétaire et les
principales conditions de travail définies, le gouvernement doit
céder la place à ses partenaires employeurs locaux et
régionaux. " C'est assez général, ça n'indique pas
dans laquelle des deux écoles vous vous inscrivez.
M. Létoumeau (Jean-Paul): M. le Président, nous
nous sommes penchés sur ces alternatives. Effectivement, nous sommes
d'avis qu'il faudrait décentraliser le plus possible. Cependant,
lorsqu'on aborde la décentralisation sous le deuxième aspect que
vient d'expliquer M. le ministre, nous voyons là la possibilité
de revenir à une situation qui a existé dans le passé et
qui constitue, en fait, une occasion de surenchère entre les
institutions habilement menée par une stratégie de
négociation syndicale. C'est-à-dire que si on peut
négocier à l'intérieur d'une enveloppe à peu
près tout ce qu'on veut dans un établissement, il est possible
que la partie syndicale, comme stratégie, décide d'obtenir dans
certains établissements des conditions particulièrement
avantageuses pour certains types d'employés; dans un autre
établissement, des conditions particulièrement avantageuses pour
un autre type d'employés. Quand les négociations sont
terminées, on se met à faire des comparaisons sur le traitement
donné à tel type d'employés dans tel établissement
par rapport à tel autre et là commence un phénomène
de surenchère.
On n'a pas trouvé de solution pour éviter cette
possibilité. On s'est dit: Partir d'une table centrale et
décentraliser plus brusquement, ce serait peut-être s'embarquer
dans de nouveaux problèmes. C'est pourquoi nous avons plutôt
opté pour la première recommandation - nous n'avions pas cette
liste, mais maintenant nous avons la liste, le ministre nous l'a
distribuée ce matin - de négocier sur les questions concernant la
qualité de vie.
Vous avez remarqué que nous avons ajouté à cela
l'étanchéité, c'est-à-dire rendre
vraiment responsables, sur ces questions, les parties et ne pas leur
permettre de retourner ces questions à la table centrale. On pense que,
ce faisant, dans un premier temps, on va nettoyer un tas de choses au niveau de
la table centrale qui sont peut-être plus embarrassantes - la table
centrale n'est pas vraiment très compétente pour en
débattre ou en décider - on va renvoyer ça au niveau local
en leur disant: Réglez ces questions au niveau local; parce qu'elles
n'ont pas de conséquences financières, réglez ces
questions au niveau local.
M. Clair: Si je comprends bien, vous êtes davantage
favorable à une orientation de décentralisation où on
minimise les risques de surenchère. D'ailleurs, la surenchère
peut venir d'un côté comme de l'autre. Dans le secteur public
comme dans le secteur privé, il y a toujours des patrons et des
syndicats qui sont plus ou moins "volontaires", entre guillemets, ou
revanchards. Je pense que, à cet égard, personne n'a le monopole
de la bonne conduite.
L'orientation du gouvernement, c'est justement celle-là. Afin de
favoriser l'émergence d'un contenu de convention qui, sur le plan de
l'organisation du travail, de la vie au travail, soit le plus adéquat
possible pour un milieu sans que le débat tourne rapidement à la
surenchère dans un sens ou dans l'autre sur des questions d'enjeux
monétaires, nous avons préféré l'orientation de la
décentralisation, aller le plus loin possible sur ce qui n'a pas
d'impact financier, plutôt que de prendre le risque d'envoyer des
enveloppes budgétaires fermées, par exemple, à chacun des
871 établissements du réseau des affaires sociales au
Québec et de leur dire: Nous, une fois qu'on est à l'aise sur le
plan de nos équilibres financiers avec telle masse, arrangez-vous avec,
le risque étant, effectivement, qu'on mette de la pression dans le
système, dans chacun des 871 établissements et qu'on
recrée aussi des disparités régionales qui ne favorisent
ni les conditions de travail équitables, ni l'harmonie d'un
système.
Je comprends que vous êtes davantage d'accord avec une telle
approche qu'avec une approche consistant à décentraliser des
enveloppes budgétaires.
M. Létourneau: C'est cela. Maintenant, remarquez qu'on
aurait aimé aller plus loin, mais c'est parce qu'on n'a pas
trouvé de solution pour éviter la surenchère, d'une part;
d'autre part, on ne veut pas, non plus, éviter complètement toute
différenciation ou reconnaissance de besoins régionaux. Mais,
à ce moment-là, ils seront discutés à la table
centrale où on pourra avoir un contrôle au moins de leur impact
budgétaire global.
Autrement, on ne l'a pas. C'est ce qui nous a amenés à
cette position.
M. Clair: Je vous remercie. Le deuxième thème
abordé par votre mémoire porte sur la question centrale,
fondamentale de la rémunération. Sur cette question, vous dites
à la page 7: "Nous croyons que le gouvernement élu est le seul
responsable de la ponction fiscale... " Près de 50% du budget sont
consacrés à la rémunération des employés de
l'État. Vous affirmez par la suite ce qui suit: "Les secteurs public et
parapublic doivent s'astreindre aux mêmes règles
économiques qui jouent dans le secteur privé. Il est
inéquitable qu'un groupe de salariés accapare une rente
économique en prétextant que l'État employeur ne peut pas
faire faillite et qu'il lui suffit de reporter son déficit ou
d'augmenter taxes et impôts".
Je pense que, si l'on veut avancer en termes de discussion, de consensus
social et d'entente avec les syndicats et des travailleurs des secteurs public
et parapublic, la question de l'évolution, de ce qui nous paraît
équitable, acceptable comme traitement des employés de
l'État traitement autant en termes de rémunération que de
conditions de travail - c'est fondamental. En effet, si, dans notre
société, avait cours une opinion assez développée
dans le sens que les employés de l'État se doivent d'être
moins bien rémunérés que ceux du secteur privé, par
exemple, tout le monde s'imagine fort bien à quel point, à ce
moment-là, les employés des secteurs public et parapublic
percevraient comme une volonté de les écraser d'introduire de
nouveaux mécanismes de négociation de la
rémunération de toute la masse salariale.
Vous savez sans doute, puisque vous êtes du milieu patronal et que
vous surveillez sûrement ces choses-là, que, par exemple, dans
certains pays occidentaux qui ne sont pas les moindres, au Royaume-Uni, en
Angleterre et aux États-Unis, une orientation du gouvernement
fédéral américain consiste à moins
rémunérer les employés du secteur public que ceux du
secteur privé pour un travail équivalent. Telle n'est pas la
position du gouvernement actuel. La position du gouvernement actuel, c'est que,
tant en termes de niveau de traitement qu'en termes de croissance de la
rémunération des employés des secteurs public et
parapublic, nous pensons qu'il y a un consensus au Québec dans le sens
que, tant en termes de niveau qu'en termes de croissance, cela devrait se
comparer à ce qui se passe dans le secteur privé.
Je pense qu'il est très important de savoir, du côté
patronal privé, si le principe, tant en termes de niveau que
d'évolution de la rémunération, que cela se fasse en
comparaison, d'une manière comparable, équitable par rapport
à ce qui se passe dans
le secteur privé, est un principe que vous acceptez ou que vous
n'acceptez pas. Je pense que c'est la première question dont on doit
disposer. Dans la mesure où on élargira le consensus sur le fait
que c'est équitable, qu'il est normal au Québec que les
employés du secteur public, tant en termes de niveau de traitement qu'en
termes d'évolution de traitement, évoluent de manière
comparable à ce qui se passe dans le secteur privé, je pense que
c'est quelque chose sur quoi on pourra tabler.
Je vous indique, simplement pour éclairer ou faciliter votre
réponse, deux éléments additionnels. Premièrement,
selon les comparaisons qui ont été menées jusqu'à
maintenant - c'est vrai - avec des entreprises de 500 employés et plus,
à la lumière des données dont nous disposons, il nous est
permis de croire qu'à la fin de 1985 les secteurs public et parapublic,
dans l'ensemble, se situeront à environ 2% ou 3% d'écart plus
avancé ou plus élevé que la rémunération
dans le secteur privé. (11 heures)
Comme ces comparaisons sont toujours, même si elles sont faites
scientifiquement, sujettes à caution pour une marge d'erreur faible, on
peut dire que globalement le secteur public serait à peu près en
parité avec le secteur privé. Je dis bien globalement parce qu'il
faudrait distinguer toute une série de corps d'emploi. C'est la
première chose que je voulais vous indiquer.
La deuxième, c'est qu'en termes d'évolution dans l'avenir
de la rémunération dans le secteur public, il nous semble que les
ajustements devraient se faire annuellement et non pas sur la base de
prévisions économiques qui, malheureusement, ont eu comme
principale caractéristique, au cours des dernières années,
de ne pas se matérialiser et, donc, de piéger l'une ou l'autre
des parties.
Si l'on a connu au Québec les problèmes de 1982 et que
cela n'a pas été connu, par exemple, aux États-Unis, une
bonne partie de l'explication résulte dans notre façon de
convenir des salaires. Je rappelle, par exemple, qu'aux États-Unis il
n'y a qu'une demi-douzaine d'États sur les 50 États
américains qui négocient sur une base triennale à peu
près semblable à la nôtre les traitements, la
rémunération. Je pense que ce sont deux éléments
dont il faut tenir compte dans la réponse à la question que je
vous pose.
M. Lagassé: M. le Président, je dois indiquer que
la position de la Chambre de commerce du Québec est sans doute semblable
à celle que vous avez énoncée, elle s'en rapproche
certainement. Parlant de consensus, je vous reporte à un sondage que
nous avons fait auprès de nos sociétés membres il y a
quelques mois sur la rémunération dans les secteurs public et
parapublic. Sur un échantillonnage de 575 réponses qui avaient
été reçues, 98, 18% d'entre elles indiquaient une opinion
semblable à celle que vous venez d'émettre, c'est-à-dire
qu'on était d'accord pour dire qu'on ne voulait pas que les
employés des secteurs public et parapublic aient des conditions de
travail et de rémunération supérieures à celles des
tâches comparables du secteur privé.
Je veux simplement attirer votre attention sur le fait que, pour le
secteur privé, la rémunération n'est pas simplement
l'enveloppe salariale, comme vous le savez bien, mais bien d'autres choses
telles que la sécurité d'emploi, le régime de retraite,
les horaires, les vacances et les responsabilités. C'est une gamme de
points auxquels il faut également s'attacher et ne pas simplement
regarder l'aspect salarial.
M. Clair: D'accord. Vous dites: Nos membres disent que les
employés de l'État ne devraient pas être
rémunérés de façon plus généreuse ou
que les traitements ne devraient pas être supérieurs. Le sens de
ma question est plus engageant que cela. Est-ce que vous vous inscrivez, oui ou
non, dans le mouvement, pour lequel je n'ai pas d'autre épithète
que "de droite", actuellement, qui a cours dans certains pays visant à
rémunérer les employés du secteur public à un
niveau inférieur? Je pense que c'est une question importante parce que,
s'il y a un consensus social à savoir que tel n'est pas le cas au
Québec, je pense qu'on a des chances d'avancer plus facilement quant aux
nouveaux mécanismes à mettre en marche pour la négociation
de la rémunération.
M. Létourneau: M. le Président, je pense que nous
serions satisfaits que les travailleurs des secteurs public et parapublic
soient traités de manière équivalente. Il y a toutes
sortes de façons de considérer ça. Vous avez
signalé tantôt la comparaison avec les employeurs du secteur
privé de 500 employés et plus. Dans notre mémoire nous
disons qu'on doit aller plus loin que ça et qu'on doit regarder, en
dessous de ça, ce qui se passe dans le secteur privé. On pourrait
avoir aussi la théorie que le gouvernement est le meilleur employeur. On
regarde ce qui se passe dans le secteur privé et on voudrait que le
gouvernement soit un employeur modèle, c'est-à-dire qu'il donne
à peu près ce qui se fait le mieux dans le secteur privé,
en regardant à l'intérieur des 500 ou en regardant à
l'intérieur des 150 à 500, etc.
Nous aimerions que le gouvernement se situe dans la moyenne des
employeurs du secteur privé. Ce serait l'objectif. On sait qu'on ne peut
pas arriver à ça du jour au lendemain; ce sera l'objet de
négociation, d'une part. C'est un objectif qui peut être
atteint avec le temps parce qu'il faudra dégrader.
Il y a d'autres facteurs qu'a mentionnés Me Lagassé, comme
la sécurité d'emploi qui existe dans le secteur public et qui
n'existe pas dans le secteur privé, ou à peu près pas.
Concernant cette question, je dois vous dire que notre sondage auprès de
nos membres dit ceci: "Croyez-vous que la sécurité d'emploi des
employés des secteurs public et parapublic doit être
augmentée, maintenue, réduite ou abolie? Des 552
répondants, 53, 44% ont dit "réduite" en matière de
sécurité d'emploi, 41, 84% ont dit "abolie", à peu
près 5% ont dit "maintenue" et aucune personne, 0, n'a dit
"augmentée". Donc, l'orientation de notre base est très claire
sur ce point, mais il faudra, encore une fois, comme l'a mentionné M.
Lagassé - ce sera la tâche des experts - mesurer la valeur de
certaines conditions qui existent dans le secteur public et qui n'existent pas
dans le secteur privé. Par exemple, la sécurité d'emploi,
qu'est-ce que cela vaut au point de vue salarial quand on fait une comparaison
avec le secteur privé?
M. Clair: Tantôt, vous avez fait référence au
mandat de l'institut de recherche, à l'article 64. L'une des raisons
pour lesquelles l'article 64 n'est pas plus spécifique, c'est
précisément - je vous l'indique - pour lui laisser toute la
liberté de pouvoir faire des comparaisons diverses et non pas de
l'enfermer dans un type de comparaison plutôt qu'un autre. Je pense que
cela répond en partie à vos préoccupations.
M. Létourneau: Quand on dit "comparaisons diverses", c'est
parce qu'on s'imagine, nous, que cela pourrait être des comparaisons avec
d'autres secteurs publics ailleurs. Là, on perd notre objectif. Si
l'objectif - il semble bien connu de la part du gouvernement; vous l'avez
très bien exprimé, M. le ministre - c'est un alignement sur le
secteur privé, je pense que la loi ou, enfin, un règlement, je ne
sais pas, le mandat de cet institut de recherche devrait indiquer que
l'objectif est de faire des comparaisons avec le secteur privé.
Autrement, on peut arriver à faire des comparaisons avec des gens,
d'abord, de l'extérieur du Québec, avec d'autres fonctions
publiques, et c'est très vaste, c'est très vague. Je pense que
l'objectif gouvernemental que vous avez bien exprimé devrait se
retrouver dans le projet de loi.
M. Clair: Je ne voudrais pas vous corriger, mais, à
l'article 63, c'est clairement indiqué: "comparés de la
rémunération globale des salariés du gouvernement - on
nomme l'ensemble des employeurs - et de la rémunération globale
des autres salariés québécois de toute catégorie
qu'il détermine, d'autre part. " Il est assez évident que des
comparaisons avec des employés du secteur public d'autres provinces de
la fédération canadienne ou d'autres États avec lesquels
nous sommes en concurrence économique peuvent être, jusqu'à
un certain point, utiles, mais je pense que c'est l'évolution de
l'économie du Québec dans son ensemble qui doit être
prioritaire puisqu'il peut se produire qu'une société X, Y ou 2
soit plus riche ou moins riche, ait un niveau de développement, de
chômage, etc., plus ou moins élevé. En conséquence,
si quelqu'un veut aller chercher des comparaisons avec un État plus
pauvre que le Québec et qu'un autre du côté syndical va
chercher des Etats beaucoup plus riches que le Québec, je pense que,
là, on risquerait de fausser le débat.
Quant à l'Institut de recherche sur la
rémunération, nous avons longuement hésité avant de
proposer l'une ou l'autre des deux formes d'institut de recherche, à
savoir s'il devait être paritaire ou être neutre. La raison
fondamentale pour laquelle nous avons préféré, dans
l'avant-projet, un organisme paritaire, c'est la suivante. Nous pensons que,
dans l'esprit de la négociation permanente, si l'organisme est
paritaire, les chances sont plus grandes qu'au niveau même des
représentants syndicaux et patronaux gouvernementaux à la table
de l'institut de recherche, un consensus se dégage quant à la
comparaison à retenir et quant à la conclusion éventuelle
d'une entente, alors que, si on retient le mécanisme d'un institut de
recherche purement indépendant, ça n'est pas là que la
négociation "permanente" -entre guillemets - pourrait se faire, que la
discussion permanente de la politique de rémunération du
gouvernement pourrait se faire, mais ce serait en dehors. Donc, on
maintiendrait le double système, à savoir un institut de
recherche neutre qui fait des comparaisons et les remet aux parties, qui est
crédible à 60%, 80% ou 100% idéalement, mais la
négociation se ferait encore pendant une période
déterminée dans l'année.
Même si l'avant-projet de loi prévoit une période de
négociations, en gros, de décembre à mars, jusqu'à
ce que le gouvernement dépose son projet à l'Assemblée
nationale et finalement prenne sa décision à la lumière
des débats qui auraient sûrement lieu, on espérerait, quand
même, que la discussion puisse se faire de plus en plus dans un esprit de
négociation permanente et non pas par à-coups.
Une fois que je vous ai exprimé cette préoccupation,
est-ce que vous maintenez toujours votre préférence pour un
organisme paritaire plutôt qu'un organisme neutre? M. Paradis.
M. Paradis (François): M. le Président,
je crois que la chambre va maintenir sa position pour la simple raison
que ce qu'on a voulu retrouver, c'est réellement un institut où
des recherches objectives seraient faites sur la rémunération
entre le secteur public et le secteur privé. Quand vous parlez de
négociation permanente au niveau de cet institut, je pense que vous
prolongez le débat qui doit se faire à la table centrale par
d'autres mécanismes qu'on a suggérés dans d'autres parties
de notre mémoire.
Nous pensons que, si vous maintenez seulement un comité
paritaire, vous allez prolonger des affrontements continuellement parce que ce
sera là que le débat va se faire sur la
rémunération. À mon sens, cet institut devrait être
un organisme aussi objectif que possible dans ses recherches d'un
équilibre entre la rémunération du secteur privé et
du secteur public.
M. Clair: M. le Président, vous m'indiquez qu'il ne me
reste que trois minutes. Ma dernière question sera brève et avec
de très courts commentaires. La fameuse question du droit de
grève dans les services publics au Québec. Vous indiquez que la
chambre de commerce a évolué. Autrefois, elle réclamait
l'abolition du droit de grève dans le secteur hospitalier; maintenant,
elle le réclame partout. Certains diront qu'il ne s'agit pas d'une
progression, mais plutôt d'une réaction plus grande.
Je voudrais vous poser la question suivante qui porte tant sur la
question du droit de grève que sur la question des services essentiels.
Vous faites référence vous-mêmes à
l'expérience du conseil des services essentiels à la CTCUM et on
pourrait ajouter aussi les expériences dans le milieu municipal. Ne
pensez-vous pas qu'il est un peu excessif de réclamer l'abolition du
droit de grève dans l'ensemble du secteur public au même moment
où on essaie, par de nouveaux mécanismes, de faire évoluer
les mentalités? Est-ce qu'il n'y a pas là un risque de braquage
évident et qui condamne à l'avance toute tentative de
modification des mentalités? Deuxièmement, ne pensez-vous pas un
peu excessif - sans vous choquer - un peu trop court le jugement que vous
portez quant aux mécanismes de services essentiels qui, après
avoir péniblement cheminé, ont donné des résultats
qui, à mon avis, ont été très satisfaisants dans le
milieu municipal? En tout cas, c'est ce qu'on a entendu dire par les
élus municipaux, le plus gros exemple étant sans doute celui de
la CTCUM où, pendant une période de plusieurs semaines, les
services essentiels, à un niveau qu'on n'avait jamais connu, ont pu
être maintenus. Comment pouvez-vous porter un jugement aussi dur sur la
notion des services essentiels alors qu'il me semble que les faits ont
évolué dans le sens contraire à votre
mentalité?
M. Létourneau: Si vous le permettez, M. le
Président, comme il est indiqué, pendant plusieurs années
nous avons accepté le droit de grève dans le secteur public, mais
petit à petit la position a été de plus en plus difficile
à maintenir dans nos réunions et nos assemblées
générales, parce qu'elle était révisée
à étapes régulières, jusqu'au point où,
à un moment donné, le vent a changé complètement et
où les membres ne se sont plus satisfaits de la façon dont le
droit de grève 3'exerçait dans le domaine public. (11 h 15)
Notre hypothèse de départ lorsqu'on a accepté que
la grève dans le secteur public puisse se produire, c'était que
ce serait des grèves civilisées ou qu'on trouverait un moyen de
civiliser les grèves avec le temps. Le temps s'est écoulé
et pas nécessairement de plus en plus, mais des grèves sauvages
ont continué d'avoir lieu et la population a continué
d'être prise en otage. Il est arrivé des cas encore
récemment. Inutile de parler de l'histoire de Saint-Ferdinand et des
tactiques très habiles utilisées pour créer des
problèmes considérables concernant la question de la santé
et de la sécurité des personnes sans être officiellement en
grève dans l'histoire des ambulanciers à Montréal
récemment.
Nous évoquons la question de la CTCUM parce qu'il y a des gens
qui ont pu vous dire qu'ils étaient satisfaits, mais les utilisateurs,
qui n'ont pas beaucoup de voix, étaient loin d'être satisfaits de
la situation de grève qu'on a connue dans les transports publics
à Montréal. Lorsque les services essentiels sont entrés en
cause, on s'est demandé sérieusement s'ils avaient vraiment le
mandat de trancher comme ils l'ont fait sur la nature des services essentiels
à maintenir. En fait, le mandat qu'ils ont, c'est de protéger la
santé et la sécurité des personnes. Mais dans quelle
mesure l'obligation d'opérer, à certaines heures, un service de
transport en commun est-elle reliée à cette fameuse question de
la protection de la santé et de la sécurité des personnes?
Est-ce que, au contraire, cela n'aurait pas été plus utile, en
fonction de la santé et de la sécurité des personnes, de
faire opérer les services d'autobus, de transport en commun et de
métro à des heures tardives où il y a peut-être plus
de danger pour des personnes d'être obligées de circuler sur la
rue ou pour des gens qui travaillent à des heures qui ne sont pas
régulières? À ce moment, on était dans une
situation fort ambiguë à savoir si cette fameuse décision
des services essentiels tiendrait si elle était amenée en cour.
En effet, il avait été décidé, comme cela, de
fournir des services à certaines heures de points tout simplement pour
accommoder un public qui était pris en otage, mais la
fameuse question de la santé et de la sécurité des
personnes pouvait certainement être mise en doute.
Il y a donc des situations où vraiment il faut maintenir les
services publics, où la population est prise en otage, où on peut
difficilement invoquer la santé et la sécurité des
personnes. Il pourrait y avoir, par exemple, la menace de dommages
matériels très importants, mais le conseil des services
essentiels serait inhabile à agir parce que les dommages
matériels, ce n'est pas son domaine. Donc, il y a bien des zones grises.
La population pourrait certainement être tenue en otage de bien des
façons et de manière très négative, très
coûteuse et très pénible sans que la question de la
santé et de la sécurité des personnes soit mise en
cause.
D'où, finalement, pour nous, la décision de dire: Ce n'est
qu'une question de temps, parce que, dans le fond, c'est seulement une question
de temps pour déterminer si un service est vraiment essentiel. Des
services de protection policière, des services de protection contre
l'incendie, des services hospitaliers qu'on dit ne devoir jamais
s'arrêter, on sait qu'en pratique il arrive des fois qu'ils ne sont pas
tellement disponibles et que peu de gens s'en aperçoivent, mais cela ne
peut pas durer bien longtemps, c'est sûr. Par contre, si le
ministère du Revenu était en grève, il y aurait beaucoup
de gens qui seraient très heureux, probablement, pendant un certain
temps. Après un certain temps, cela pourrait causer au gouvernement et
à la population des embêtements très sérieux et cela
deviendrait essentiel.
Maintenant, comment est-ce qu'on va définir cela? Il y a un tas
de zones grises là-dedans et on s'aperçoit qu'en fin de compte on
serait mieux de maintenir une position qui n'est pas tellement, comment
dirais-je, originale puisque c'est celle qui existe un peu partout en
Amérique du Nord, où les services publics n'ont pas le droit de
grève.
Le Président (M. Lachance): D'accord. M. le
député de Portneuf.
M. Pagé: Merci, M. le Président. M. Paradis, M.
Lagassé, M. Létourneau, M. Turmel et M. Tardif, au nom de mes
collègues de l'Opposition officielle, je voudrais vous souhaiter la plus
cordiale bienvenue ce matin à cette commission dans le cadre des
auditions relatives à l'avant-projet de loi déposé par le
ministre en décembre dernier et portant sur le régime de
négociation dans les secteurs public et parapublic.
C'est avec beaucoup d'attention et beaucoup d'intérêt que
notre groupe a étudié votre mémoire. Vous
représentez au-delà de 41 000 personnes et 3700 entreprises qui
font partie du privé que le ministre qualifie de droite, mais on passera
le moins de temps possible, si vous voulez, sur les qualificatifs, les
préjugés ou les imputations.
M. Clair: En disant les personnes de droite, je voulais
simplement qualifier ce qui pourrait être une attitude et on m'a
indiquée qu'elle ne l'était pas.
M. Pagé: Quelle distinction!
M. Rivest: Qualifiez cela d'orthodoxe.
M. Pagé: Essentiellement, vous êtes -je vais
être obligé de présider - ceux qui donnez du travail au
Québec, vous représentez les donneurs d'ouvrage, vous
représentez ceux qui investissent, ceux qui ont des petits commerces,
ceux qui ont des entreprises, ceux qui, dans le régime économique
dans lequel on vit et où on évolue, doivent batailler ferme tous
les jours pour faire face à des obligations nombreuses: financement
d'entreprise, marchés etc. J'irais même jusqu'à dire que,
jusqu'à il y a quelques années, la majorité de vos membres
travaillaient très probablement pour faire de l'argent - c'est
légitime - alors qu'aujourd'hui on constate que de plus en plus dans
l'entreprise privée on travaille très fort et on fait tout ce qui
est humainement possible non pas pour faire de l'argent mais surtout pour ne
pas en perdre. Avec les nombreux contrôles qu'il y a, avec la concurrence
à laquelle les entreprises québécoises ont à faire
face, ce n'est certainement pas facile d'évoluer et de vivre
aujourd'hui.
Vous venez vous positionner en regard d'un vécu qui, depuis au
moins une génération, depuis une vingtaine d'années, est
au coeur même de la problématique gouvernementale au
Québec, soit la proportion des secteurs public et parapublic, les
services qui y sont donnés, la qualité de ces services, le
coût et l'effet sur l'entreprise privée et sur l'ensemble de
l'économie du Québec de ce qui s'est fait depuis 20 ans. Il a
été clairement établi de part et d'autre, et tout le monde
est unanime à le constater, qu'on avait un rattrapage significatif
à faire au niveau de la qualité de vie des travailleurs des
secteurs public et parapublic au début des années soixante, au
niveau salarial, au niveau des conditions de travail, au niveau du droit
d'association, du droit de défendre leurs propres intérêts,
de s'organiser et de négocier finalement leurs conditions. Tout cela a
coïncidé avec la Révolution tranquille, avec l'explosion des
services gouvernementaux donnés par le gouvernement du Québec
notamment aux citoyens.
Aujourd'hui, après quelque 20 années, que ce soit du
côté de la majorité ou de
notre côté, on est conscient que des réenlignements,
si je peux utiliser le terme, doivent être faits. C'était quand
même assez remarquable que le ministre responsable du Conseil du
trésor et nous hier évoquions le fait que les secteurs public et
parapublic ne pouvaient plus servir de locomotive au secteur privé. On
retient que près de 14% des employés québécois qui
reçoivent un salaire payé par l'État ont à se
distribuer entre 18% et 19% des salaires payés au Québec. On
retient comme diagnostic que 50% du budget de l'État
québécois vont aux salaires et au coût de la main-d'oeuvre
de ces travailleurs. Si on se compare à d'autres provinces, si on se
compare à des États américains, on doit retenir que cela
diminue d'autant la marge de manoeuvre du gouvernement québécois
pour intervenir dans d'autres secteurs.
Vous posez un jugement qu'on peut qualifier de tranchant, si je peux
utiliser le terme. Je me réfère, entre autres, à la page 4
de votre mémoire où vous signalez que la centralisation des
négociations dans les secteurs public et parapublic fait en sorte que
l'exercice est presque voué à l'échec à chaque
ronde de négociations. Vous souhaitez une décentralisation. Je
reviendrai plus spécifiquement, par des questions que j'ai à vous
poser tantôt, sur votre recommandation au niveau de la
décentralisation, même si le ministre a eu l'opportunité de
l'aborder, tout à l'heure. Toujours dans ce jugement que vous portez,
vous évoquez la limite que l'État a de payer et de
dépenser, compte tenu que l'État a non seulement l'obligation de
dispenser des services, mais aussi une responsabilité budgétaire,
et tributaire évidemment de son budget devant ceux qui payent et qui
défrayent les coûts des services publics.
Sur le droit de grève et l'utilisation du recours à la
grève, votre diagnostic est assez tranchant, lui aussi, il est durement
exprimé, mais c'est vrai, il faut le constater, la dynamique se doit
d'être remise en cause et d'être complètement
réévaluée. En fait, de la façon dont je le
comprends, vous dites à peu près ceci: À quoi bon accorder
un droit de grève dans la perspective du respect par le gouvernement du
droit légitime de ses travailleurs de négocier leurs propres
conditions de travail, quand on sait pertinemment que ce même
gouvernement a l'obligation de donner des services, sur une base continuelle,
à ses clientèles? C'est ce qui fait que le ou les gouvernements
qui se sont succédé ont toujours eu à vivre dans ce
dilemme ou cette dualité continue qui fait qu'ils donnent le droit de
grève, qu'ils le maintiennent, qu'ils ont tenté de le corriger
par des services essentiels et des mécaniques pas toujours utiles,
puisqu'en même temps ils ne peuvent pas maintenir ce droit-là. Le
recours aux nombreuses lois spéciales depuis vingt ans en
témoigne. C'est vivre dans "l'artificialité", si je peux utiliser
le terme, et le moment est tout désigné, à la
lumière de la pression, à la lumière de différents
constats comme l'aspect budgétaire et économique, pour
réévaluer l'ensemble de cette question, et votre mémoire
est certainement très contributif ce matin.
La première question que je voudrais vous poser est la suivante.
Est-ce que vous vous êtes penchés sur un aspect qui n'a pas
été touché jusqu'à maintenant, qu'on aura
peut-être l'opportunité d'aborder ce soir, entre autres, avec les
infirmières ou demain avec les représentants de la CSN? Est-ce
que vous avez analysé l'impact des coupures budgétaires sur les
relations du travail, sur l'aspect contentieux ou conflictuel de ces relations
du travail? Je peux me tromper et nous pouvons nous tromper, mais nous sommes
d'avis... C'est ce qu'on voulait dire quand on évoquait hier que le
climat est de plus en plus propice à la concertation chez les
travailleurs et chez les travailleuses. Ce qu'on soutient, ce qu'on
allègue, c'est à la suite d'un constat. Les travailleurs
syndiqués au Québec, dans le public et le parapublic, leur
préoccupation n'est plus portée évidemment sur le revenu,
sur les avantages sociaux, sur ces questions-là, sur la qualité
de vie au travail, leur préoccupation est de plus en plus portée
sur la nature du service qu'ils donnent à leurs citoyens. Nous sommes
convaincus que les resserrements budgétaires ont un effet palpable et
visible sur l'agressivité, si je peux utiliser le terme, de ces
travailleurs lorsque vient le temps de négocier. (11 h 30)
Je vais vous donner deux petits exemples. Il y a douze ans, lorsque
j'entrais dans un centre d'accueil pour personnes âgées, la part
du budget qui allait aux salaires, à la rémunération, aux
avantages sociaux et à tout cela, c'était 62%, 63%. Aujourd'hui,
dans plusieurs établissements, ça va à 74%, 75%, 77%, de
sorte qu'aujourd'hui, alors qu'on a un vieillissement de la population, alors
qu'on a dans chacun de nos comtés des listes d'attente longues comme
ça de personnes qui sont dans la condition pour recevoir un service de
l'État, on entre dans certains établissements et les lits sont
fermés. Les directeurs nous disent: M. le député, ce n'est
pas compliqué, si on ouvre ces lits, ça implique un
quinzième de tel poste, un huitième de tel poste, un
seizième de tel poste et on n'a pas les moyens. Donc, on garde les lits
fermés.
Exemple de cela: alors que le coût moyen pour nourrir une personne
dans un centre d'accueil au Québec est de 1061 $ par année, on a
des centres d'accueil où ça coûte seulement 660 $ par
année. Cela, ça veut dire quoi? Cela veut dire que la croissance
de la masse devant être affectée
aux services gouvernementaux a impliqué des coupures et ça
a eu quoi comme effet? Cela a créé des problèmes de
distorsion dans plusieurs établissements du Québec.
Ce qu'on doit retenir de l'analyse, aujourd'hui, c'est que la
préoccupation des travailleurs, quand ils parlent de piastres, de cents,
de postes, c'est autant, sinon plus, pour plaider la cause des gens à
qui ils donnent des services que pour plaider leur propre cause. Quand une
préposée aux bénéficiaires, dans plusieurs
établissements du Québec, doit donner huit bains dans l'espace de
trois heures ou de deux heures et demie dans une matinée, en plus des
repas du matin, et qu'elle a un temps limité pour les donner, quand on
va dans le réseau de l'enseignement et que le temps se calcule
maintenant en minutes et que les enseignants, pour remplir leurs minutes,
doivent garder des bouts de corridor même s'il y a pas un chat, il ne
faut pas se surprendre qu'à peu près tout le monde soit
malheureux, en tout cas qu'il y ait pas mal de monde qui soit malheureux et que
ça se témoigne par de l'agressivité quand vient le temps
de négocier. Il ne faut pas se surprendre qu'on vive, comme
collectivité, des problèmes comme ceux vécus à
Saint-Ferdinand d'Halifax où, dans une population d'environ 2000
habitants, 750 décident de faire une grève illégale
générale. Ce n'est certainement pas pour le plaisir de la faire
qu'ils l'ont faite. Il y a des problèmes à ce chapitre.
Ma première question: Vous faites des études
régulières, vous faites des analyses, vous nous soumettez
aujourd'hui en annexe à votre mémoire le document que vous aviez
déposé, le 26 avril 1982, à la commission spéciale
de l'Assemblée nationale sur la fonction publique. Ce document
témoigne d'une analyse rigoureuse et exhaustive que vous avez faite, la
Chambre de commerce du Québec. Est-ce que vous avez eu l'occasion de
vous pencher sur toute cette problématique des relations du travail
engendrée par les coupures budgétaires et les compressions
budgétaires?
Le Président (M. Tremblay): M. Paradis.
M. Paradis (François): M. le Président, c'est une
question très valable qui est soulevée par M. Pagé, mais,
à ce moment-là, on touche l'ensemble de l'économie, la
récession qui s'est produite dans le produit brut. Vous savez, les gens
du secteur privé n'ont pas été à l'abri de ce
malaise, excepté que peut-être ils ont attaqué le
problème différemment. Il y a eu du chômage de
créé, nécessairement à cause des conditions
économiques. Les entreprises ont pris certaines mesures avec
l'assentiment de leurs employés pour pallier les conditions
économiques difficiles. Il y a des entreprises qui ont fait des gains
prodigieux sur la productivité durant cette période pour assurer
leur survie.
Dans le secteur public, on se demande quelle est la
responsabilité des syndicats, quelle est la responsabilité des
gens qui font partie du secteur public, qui ne sont pas à l'abri d'une
récession économique, qui ne sont pas à l'abri d'un
maximum à dépenser de la part du gouvernement. Le malaise vient
de là aussi. Quand on demande au gouvernement de réduire les
déficits, quand on lui demande de faire certaines choses, c'est pas mal
difficile d'aller lui reprocher les coupures budgétaires. Il est
évident que les coupures budgétaires vont faire mal à
quelqu'un; mais quelles options a-t-on réellement dans notre
société quand on vit une situation économique
extrêmement difficile? Il est évident que cela a eu un impact. Je
ne peux pas nier cela. Il est évident que cela a apporté un
malaise. Je ne le nie pas, mais il faut prendre nos responsabilités.
A-t-on trop de services sociaux au Québec? On peut peut-être se
poser la question aussi là-dessus. L'universalité dont on parle,
ne faudrait-il pas en discuter un jour? On a essayé d'en parler à
Ottawa avec les résultats qu'on connaît. C'est la question. Je ne
sais pas si un autre membre de la chambre aurait quelques observations à
faire.
Le Président (M. Tremblay): M. le député de
Portneuf.
M. Pagé: Vous dites essentiellement que le secteur public
a eu à vivre ce qu'on a vécu dans le secteur privé. On est
bien au fait de ce que vous avez eu à vivre dans le secteur privé
avec l'obligation de diminuer le prix de revient pour le produit que vous
vendez. Nous sommes bien conscients de cela, mais la question qui était
posée était la suivante - vous vous référez
beaucoup au caractère d'affrontement, au caractère conflictuel -
dans l'analyse que vous avez faite, avez-vous eu l'opportunité de vous
pencher et de faire une étude sur l'effet de ces coupures sur la
conflictualisation des relations? Vous me confirmez que non. Pas de
problème! Passons à autre chose.
Vous évoquez l'Institut de recherche sur la
rémunération. Tout le monde, autour de cette table, est unanime
à constater que le principe d'équité et de justice qui
doit animer le gouvernement quel qu'il soit doit se traduire au niveau de la
rémunération par l'établissement de conditions de travail
et de rémunération dans le public comparables au secteur
privé. Vous êtes en accord avec le principe qu'on ait un organisme
qui puisse se pencher sur cet aspect pour la préparation des
négociations et pour la préparation aussi de
l'établissement des niveaux de rémunération ou
d'augmentation. Nous
sommes d'accord avec vous quand vous demandez et soutenez que les
comparaisons devraient se faire avec d'autres types d'entreprises que celles
qui comptent 500 employés et plus. Avez-vous approfondi cette question?
Par exemple, avez-vous étudié des mécanismes en vertu
desquels on pourrait comparer tous les emplois du secteur public avec le
secteur privé?
Je m'explique. Je conviens que de comparer une infirmière du
secteur privé avec une autre du secteur public, ce n'est peut-être
pas facile, un professionnel dans le monde de l'éducation, ce n'est pas
facile non plus. Mais il y a quand même des États
américains qui ont dégagé des solutions assez
intéressantes que ce soit à partir: 1° de la formation;
2° de la compétence nécessaire pour faire tel type de travail
avec un calibrage de points; 3° du degré de prise de décision
que commande l'exercice de telle fonction ou de telle responsabilité,
etc. Avez-vous poussé dans ce sens-là? Avez-vous des choses
à nous proposer ou que vous pourriez éventuellement nous
proposer?
Un autre volet en regard de cet institut ou de ce bureau sur la
rémunération. Vous n'êtes pas d'accord avec le paritarisme.
On sait que le gouvernement favorise le paritarisme. On l'a vu avec la
Commission de la santé et de la sécurité du travail.
Est-ce que c'est à la lumière d'expériences comme celles
vécues à la Commission de la santé et de la
sécurité du travail que vous en venez à la conclusion que
cet organisme-là devrait être neutre, purement et simplement?
Le Président (M. Tremblay): M. Paradis.
M. Paradis (François): M. le Président, je vais
demander à M. Létourneau de répondre à cette
question-là, s'il vous plaît.
M. Létourneau: M. le Président, en ce qui concerne
cette façon d'établir les comparaisons entre les emplois dans le
secteur public et ceux dans le secteur privé, il existe
déjà plusieurs façons de le faire. Nous ne sommes pas
entrés dans ce débat parce que c'est un débat de
spécialistes. Les grilles d'analyse des tâches pour décider
combien de points on met pour l'effort physique, combien pour la formation,
combien pour l'effort intellectuel, combien pour l'ancienneté et ainsi
de suite dans l'emploi, il n'y a pas une de ces formules qui est absolument
à l'abri de critiques, qui est absolument objective. Mais il y a des
formules qui existent et qu'on utilise dans le milieu, qu'on va devoir utiliser
de plus en plus, d'ailleurs, en vertu de l'article de la Charte des droits et
des libertés de la personne qui dit salaire égal à travail
équivalent. Cela va se répandre. Cela a commencé. Ce n'est
pas très avancé encore, l'application de ce principe qui existe
dans la Charte des droits et libertés de la personnes, mais cela va
venir. On va développer ces formules, les experts vont le faire. Nous
n'avons pas posé de jugement là-dessus. On a examiné
certaines de ces formules. Il y en a qui sont plus utilisées que
d'autres, plus ou moins applicables selon les milieux, mais cela existe et cela
peut se faire. Donc, on pense qu'on doit laisser cela aux experts qui vont
être choisis.
À votre autre question concernant le paritarisme, oui, en effet,
c'est compte tenu d'expériences comme celle de la CSST et d'autres que
nous avons constaté que, finalement, lorsqu'il y a un grand enjeu, que
les parties qui ont un parti pris sont face à face et qu'elles
s'affrontent, ce qu'on risque très souvent et ce qu'on observe
très souvent dans ces structures, c'est que, pendant que les structures
s'affrontent et se neutralisent, à toutes fins utiles, ceux qui ont la
direction permanente doivent agir, faire quelque chose. Ce sont, finalement,
ces gens qui, très souvent, prennent le pouvoir pendant que les gens au
conseil d'administration se chicanent et n'arrivent pas à une entente.
Mais comme la vie doit continuer, ce sont des permanents qui prennent les
décisions dans ces organismes plus souvent qu'autrement. C'est pourquoi
nous avons un préjugé favorable face à une nouvelle
approche, c'est-à-dire à une approche qui serait plutôt
fondée sur la crédibilité des personnes en cause. Au fur
et à mesure qu'il y aura négociation et que les parties voudront
avoir plus d'information, elles retourneront vis-à-vis du groupe
d'experts et diront: Donnez-nous donc ceci ou cela. Il y aura peut-être
beaucoup plus de crédibilité qui se développera et il
sortira beaucoup plus d'efficacité de ce groupe d'experts. Le vrai
débat se fera au niveau de la négociation pendant les quatre ou
six mois déjà prévus.
M. Pagé: Merci. J'aurais beaucoup d'autres questions, mais
compte tenu qu'on doit évoluer avec une enveloppe de temps
limitée, mon collègue de Jean-Talon aurait des questions à
vous poser.
Le Président (M. Tremblay): Oui. Pour rassurer les gens du
côté ministériel, l'enveloppe de temps allouée aux
députés de l'Opposition - 20 minutes - n'est pas
épuisée et le député de Portneuf va laisser le
temps qui reste au député de Jean-Talon.
M. Rivest: Oui. D'autant plus que...
Le Président (M. Tremblay): M. le député de
Jean-Talon.
M. Rivest:... c'est sur le même sujet. Une très
courte question sur l'institut. Comme mon collègue de Portneuf l'a
souligné et voua l'avez indiqué vous-même, M.
Létourneau, sur l'aspect paritaire finalement, le rapport de forces peut
jouer à ce niveau - au fond, cela transférerait purement et
simplement les affrontements.
Par ailleurs, qu'est-ce que vous pensez de la perspective que les
conclusions d'un institut de recherche indépendant, complètement
sorti des parties, fassent purement figure de recommandations, un peu comme
pour d'autres organismes plus ou moins consultatifs, comme le Conseil
économique du Canada ou d'autres qui font des recommandations? J'admets
l'inconvénient que vous avez souligné, mais si les parties sont
directement associées au processus de détermination d'une
hypothèse quelconque d'équivalence de rémunération
entre le secteur privé et le secteur public dès le début
du processus et tout au long, si elles n'arrivent pas à un accord total,
il va y avoir en cours de route plusieurs choses dont elles vont convenir.
Est-ce que vous êtes conscient de cet avantage et est-ce que vous l'avez
souligné?
Le Président (M. Tremblay): M. Paradis.
(11 h 45)
M. Paradis (François): Pour nous, l'institut n'est pas un
endroit où on va faire de la négociation sur la
rémunération. D'abord, on l'a qualifié d'Institut de
recherche sur la rémunération, avec un mandat bien précis
qui est de déterminer quelle différence il y a entre le secteur
privé et le secteur public et d'en arriver finalement à une
recommandation. Si le mandat est assez clair pour dire: On veut arriver
à une parité de salaire équivalente, nous disons: Cela,
c'est précis. Nous ne voyons pas une négociation permanente qui
s'installerait dans cet institut. Ce n'est pas là que la
négociation va se faire, à notre point de vue.
Le Président (M. Lachance): M. le député de
Fabre.
M. Leduc (Fabre): Merci, M. le Président. Ma question va
porter sur le droit de grève. Il y a deux avenues possibles. D'abord,
l'abolition totale du droit de grève dans les secteurs public et
parapublic avec les risques que l'on court, c'est-à-dire de se retrouver
malgré tout avec une ou des grèves et devant la
nécessité pour le gouvernement d'adopter une ou des lois
spéciales pour mettre fin à des grèves illégales.
C'est ce qui a été vécu avant 1964, avant l'actuel
régime. On pourrait citer plusieurs cas de grèves
illégales. C'est ce qu'on a vécu également
récemment dans le cas de Saint-Ferdinand.
On peut choisir aussi la voie d'un meilleur encadrement du droit de
grève, avec recours au Conseil sur les services essentiels.
C'est l'objectif qui est poursuivi dans l'avant-projet de loi. Vous
adoptez la ligne dure. Le parti de l'Opposition, le Parti libéral,
adopte également cette ligne que je qualifie personnellement de
dure.
Une voix: Pure.
M. Leduc (Fabre): Pure et dure, oui. La ligne orthodoxe. Ne
croyez-vous pas que cette ligne comporte de grands risques? Au moment où
on cherche précisément à changer les mentalités
d'un côté comme de l'autre, est-ce que vous ne croyez pas que cela
risque de durcir les positions et de nous entraîner vers des
confrontations inévitables? Autrement dit, j'aimerais que vous
resserriez votre argumentation sur l'abolition pure et simple du droit de
grève que vous préconisez. Vous êtes prêts à
prendre le risque?
M. Létourneau: M. le Président, ce n'est pas nous
qui prendrions le risque; nous faisons la recommandation. Comme on l'a
indiqué au départ, nous sommes bien déçus. Nous
avons attendu bien longtemps, dans une position ouverte sur le droit de
grève dans le secteur public, que ces grèves soient
civilisées. Or, les grèves prennent toujours les citoyens en
otage et de plus en plus.
Il est évident que cette recommandation présume d'une
volonté gouvernementale très ferme - quand je dis
gouvernementale, j'inclus également un appui de l'Opposition - pour
l'application de la loi. Nous avons été bien déçus
de voir combien faibles étaient les pénalités
subséquentes à des grèves illégales qui avaient
terrorisé, à toutes fins utiles, des populations, qui avaient
causé des dommages considérables. Tout à coup, ça
se finit avec très peu de pénalités pour les personnes
responsables.
À un moment donné, je pense que toute l'Amérique a
été fort impressionnée d'un geste très osé
qu'a posé le président Reagan quand il est arrivé au
pouvoir, lorsqu'il a décidé, devant une grève
illégale des contrôleurs aériens, qu'il les mettait tous
à pied et qu'il les remplaçait. Ça prenait beaucoup de
courage, à notre avis, pour poser un geste semblable, mais ce geste
symbolique a eu des effets bénéfiques sur la paix sociale, la
paix, en tout cas, dans le domaine des relations du travail aux
États-Unis depuis ce temps-là.
Nous pensons qu'il est temps, chez nous, comme on dit, que le
gouvernement mette le pied à terre et décide qui mène dans
le domaine des relations du travail dans le secteur public. Qui mène,
dans le sens qu'il y a une loi et qu'il faut qu'elle soit respectée.
Là, on avait des lois qui ne sont pas respectées. Nous disons
que, si nous éliminons le droit de grève, comme c'est le fait
dans plusieurs autres juridictions en
Amérique du Nord, il y aura peut-être encore des
grèves qu'on devra arrêter par des lois spéciales, mais
elles seront sans doute de moins en moins - d'ailleurs, elles sont moins
nombreuses là où il n'y a pas de droit de grève -
nombreuses dans la mesure où le gouvernement fera respecter ses lois,
lorsqu'elles se produiront. Autrement, ça va continuer probablement
comme ça fonctionne actuellement.
M. Paradis (François): Est-ce que vous me permettez
d'ajouter quelque chose, M. le Président?
Le Président (M. Lachance): D'accord, M. Paradis.
M. Paradis (François): Quand vous qualifiez notre position
de dure, moi je la qualifierais de pragmatique. Les positions sont durcies,
elles sont là, on est rendu là. Elles ont durci. On est
passé d'un régime à l'autre. Les conditions ne sont pas
meilleures qu'avant 1964; elles ont même empiré sous certains
aspects. Les positions ont durci. Le seul risque que je vois est celui-ci: les
gens en place vont-ils faire face au défi de faire respecter les lois?
C'est le grand risque que je vois. Si on n'est pas prêt à relever
ce défi, aussi bien rester dans le même régime et continuer
à avoir des positions durcies.
M. Létourneau: Les positions, de toute façon, M. le
Président, sont très dures. On entendait hier soir, à la
télévision, un chef syndical traiter les membres de cette
commission, des deux côtés, de barbares. Quand on voit ce qu'ils
ont fait, eux, avec les services publics et la population dans plusieurs
grèves, c'est à se demander de quel côté ils sont,
les barbares.
Une voix: Tous dans le même sac.
M. Leduc (Fabre): Je vous remercie de votre réponse.
Le Président (M. Lachance): La parole est maintenant au
député de Sainte-Anne.
M. Polak: Deux courtes questions, M. le Président. C'est
peut-être M. Létourneau qui va répondre à mes
questions. À l'article 11 de l'avant-projet de loi, on explique que,
dans un secteur comme l'éducation, ce qui a été
négocié au plan qu'on appelle national, du moment que cela a
été agréé, accepté, cela lie toutes les
commissions scolaires. Tout à l'heure, vous avez fait
référence au fait qu'il y a un jeu de chantage qui peut avoir
lieu sur le plan local, parce qu'une unité obtient peut-être des
conditions plus favorables qu'une autre et que cela joue ensuite quand il y a
une négociation pour une autre unité. Ne pensez-vous pas que la
même objection que vous avez soulevée tout à l'heure sur le
plan local joue également sur le plan national et qu'à un moment
donné, si on est d'accord dans le secteur de l'éducation sur une
clause de nature nationale, ceci peut affecter les négociations, par
exemple, dans le secteur des affaires sociales? Je vois que le projet de loi
prévoit que les deux ministres en question doivent consulter le
président du Conseil du trésor, mais, en fait, ils ne sont pas
liés par cela. Ils signent directement leur entente. Ne croyez-vous pas
que le même danger existe et qu'on peut avoir dans le secteur de
l'éducation une clause normative d'ordre national qui va plus loin et
qu'ensuite, dans un autre secteur, on en prenne avantage?
M. Létourneau: Je pense, M. le Président, qu'en
effet c'est possible. Nous présumons qu'il y aura, comme l'a dit le
député, préalablement entente, échange entre les
ministres responsables de part et d'autre - disons Affaires sociales et
Éducation - pour que, dans des tâches qui pourraient se ressembler
dans les deux secteurs, on essaie d'avoir le meilleur appariement possible. Je
ne sais pas. Il ne faudrait pas non plus viser à une
égalité tout à fait étanche. Je pense que ce serait
même un objectif impossible de s'assurer qu'absolument toutes les
tâches vont être comparables et égales et d'arriver à
des rémunérations totalement égales. Il va toujours se
trouver quelque part des différences pour toutes sortes de raisons et il
va falloir vivre avec cela. Autrement, quand on cherche la perfection, les
derniers 5% coûtent trop cher. On arrête.
M. Polak: M. le Président, l'avant-projet de loi, à
l'article 44, parle de la politique de rémunération et de
conditions de travail qui sera approuvée par le Conseil du
trésor. Comment avez-vous compris cela en lisant cette section? Est-ce
que le Conseil du trésor va continuer à consulter ou si cette
politique va être établie sans qu'on soit au courant de ce qui se
passe? Comment avez-vous interprété cet article quand vous l'avez
lu?
M. Létourneau: Je m'excuse, M. le Président.
M. Polak: L'article 44 qui parle de la politique de
rémunération et de conditions de travail approuvée par le
Conseil du trésor. Avez-vous compris que le Conseil du trésor va
publier les opinions qu'il a reçues et ensuite peut-être
débattre sur la place publique les renseignements reçus avant
d'établir cette politique ou s'il va établir cette politique sans
même qu'on sache ce qu'elle sera? Pour moi, le texte n'est pas clair du
tout.
M. Létourneau: Nous n'avons pas analysé le
détail du mécanisme lorsque l'information est arrivée,
puis que le Conseil du trésor a pris ses décisions. Je dois vous
admettre qu'on n'a pas examiné de quelle façon cela va être
transmis aux parties. Que ce mécanisme soit perfectible, c'est fort
possible. Ce qui nous préoccupait avant tout et dont on a fait beaucoup
état dans notre mémoire, c'était de s'assurer que le
véritable pouvoir de dépenser appartient à
l'Assemblée nationale et que c'est là que cela se décide.
Ensuite, à l'intérieur de cela, on peut faire des
aménagements, mais c'est vraiment à l'Assemblée nationale
qu'appartient le véritable pouvoir de dépenser. Cela
dépend d'un ministre qui doit évidemment en débattre
à ce moment avec ses collègues et qui est soumis à des
questions à l'Assemblée nationale sur le sujet en cause.
À ce moment, vous de l'Opposition, êtes impliqués
dans le processus, tandis qu'autrement c'est un processus où - enfin,
jusqu'à ce qu'on change la loi - vous n'avez pratiquement rien à
dire ou rien à faire.
M. Polak: D'accord. Maintenant, ma dernière question.
Concernant cet Institut de recherche sur la rémunération, vous
avez expliqué que vous êtes contre l'idée d'avoir un
comité paritaire. Je comprends très bien vos objections
là-dedans, mais je crois que la fonction du président est
très importante dans un tel comité. On voit à l'article 58
qu'il a une voix prépondérante. En lisant le texte de la loi, on
voit que, parmi les treize membres, il y en a six du côté syndical
et six du côté patronal. Je suis certain que ce sont tous des
visages différents. Je ne pense pas qu'on aura quelqu'un, qui sera
acceptable des deux côtés en même temps. Donc, qui nommera
le président? C'est le ministre ou le gouvernement? Qui prendra-t-on
comme président? Je n'ai rien contre M. Sauvé, de la CSST, mais
on sait un peu où se trouve sa tendance.
Comment voyez-vous cette fonction du président et comment peut-on
garantir qu'on aura comme président peut-être quelqu'un d'une
qualité absolument acceptable par tout le monde? Il n'y en a pas
beaucoup.
M. Létoumeau: Justement, M. le Président, notre
proposition vise à ce que le président ne devienne pas ou un
arbitre ou le seul décideur parce que les parties présentes au
conseil d'administration s'affrontent et se paralysent mutuellement. On
voudrait un groupe où le président aura un rôle à
jouer, celui de réconcilier des gens compétents qui vont
probablement avoir des divergences de vues, mais qui devront à un moment
donné trouver un commun dénominateur et faire des propositions
concrètes. Le rôle du président ne sera pas de
décider à peu près de tout parce que tout le monde se
paralyse au niveau du conseil d'administration. C'est l'avantage de la formule
que nous proposons.
Le Président (M. Lachance): M. le député de
Jean-Talon. (12 heures)
M. Rivest: Je voudrais revenir, si vous me le permettez, M.
Paradis ou M. Létourneau, sur l'abolition du droit de grève dans
les secteurs public et parapublic. Vous signalez dans votre mémoire
qu'au début vous étiez plutôt pour une abolition
sélective dans le domaine de la santé et des services sociaux. Ma
première question est la suivante: Est-ce que vous n'admettez pas qu'il
y a eu une évolution très fortement sous la pression de l'opinion
publique? Par exemple, dans les hôpitaux, depuis quatre ou cinq ans, je
pense bien qu'on peut objectivement reconnaître qu'on n'a quand
même pas eu de situations barbares, pour reprendre l'expression qui a
été évoquée hier dans une autre circonstance. Il me
semble qu'il y a eu, quand même, une certaine modération sur ce
plan-là. Est-ce que vous constatez ça?
M. Paradis (François): M. le Président, il faudrait
réaliser que le changement de position de la Chambre de commerce du
Québec ne s'est pas fait du jour au lendemain; cela n'a pas
été subit. C'est un cheminement qui s'est fait. Nos membres en
assemblée ont accepté de plein gré le droit de
grève dans le secteur public. Cela s'est fait en assemblée. Le
débat a continué pendant trois ou quatre ans, je crois.
M. Létoumeau: C'est revenu tous les trois ans.
M. Paradis (François): C'est revenu presque tous les trois
ans dans les politiques de la chambre et, à un moment donné, on a
vu, pour faire suite à ce que vous avez dit, une évolution des
mentalités. Lors d'une assemblée, il n'y a pas eu moyen de
discuter; cela a été unanime. Personne ne pouvait se lever et
défendre le droit de grève. Cela s'est produit en 1980. C'est un
cheminement qui s'est fait au cours des années. On ne s'est pas
réveillé une journée pour dire: C'est fini.
M. Rivest: Donc, vous vous éloignez sur ce plan des
notions qui étaient évoquées -que nous aurons à
définir publiquement, à arrêter définitivement,
quant à nous, à notre congrès du début de mars - de
santé et de sécurité. La santé et la
sécurité, vous les étendez - je pense que M.
Létourneau l'a évoqué tout à l'heure - à des
conséquences économiques également. On pense sans doute au
transport en commun ou même à HydroQuébec. C'est ce qui
vous amène, autrement dit, à ne pas vous restreindre à la
notion
traditionnelle de santé et de sécurité qui, elle,
se justifie par elle-même - c'est mon point de vue, en tout cas - dans le
domaine hospitalier et des services sociaux.
M. Létourneau: Oui, en effet. C'est peut-être un fait que
les récents accrochages n'ont pas été moins vifs, moins
douloureux, ni moins difficiles pour la société. Ils ont
peut-être été un peu moins nombreux, mais nous les
attribuons plutôt à la situation de crise économique que
nous avons traversée. Nous sommes à peu près convaincus
que, dès que les choses remonteront, on va retomber dans le même
problème qu'on a eu il y a quelques années. C'est pourquoi nous
maintenons la position que nous avons.
M. Rivest: Un dernier élément. Vous parlez dans
votre texte des secteurs public et parapubiic. Est-ce que les entreprises
d'utilité publique qui relèvent de l'entreprise privée
vous préoccupent également?
M. Létourneau: M. le Président, ce dont nous
discutons ici est en fonction de services publics dispensés par
l'État. Si on veut embarquer dans le problème des
négociations dans le secteur privé, on va regarder cela
différemment. Je ne voudrais pas ouvrir cette question ici.
M. Rivest: Mais quand on se place du point de vue des
bénéficiaires, parce que c'est le point de vue de base, il y a
certaines entreprises d'utilité publique relevant du secteur
privé qui ont une importance également lorsque arrive une
situation de grève qui risque de causer des inconvénients. La
chambre ne s'est pas prononcée sur cet élément.
M. Létourneau: Non. Nous n'avons observé et
étudié que le secteur public et c'est sur lui que portent nos
recommandations parce que c'est là que sont les problèmes. Du
côté du secteur privé, on n'a pas encore vu de
problèmes majeurs se dessiner dans ce sens-là. On pense qu'il n'y
en aura pas tant et aussi longtemps qu'on ne décidera pas de
procéder par la négociation sectorielle. Si le législateur
décide d'instaurer la négociation sectorielle, là, on aura
des problèmes de cette nature.
M. Rivest: D'accord. Est-ce que la chambre - vous ne
l'évoquez pas dans ce mémoire-ci - dans d'autres mémoires
antérieurs, s'est préoccupée de maintenir, parce que le
gouvernement se situe à trois niveaux, une certaine parité du
régime de négociation dans ce que sont les secteurs public et
parapubiic entre la législation qui s'applique aux instances
municipales, provinciales et fédérales quant à l'exercice
du droit de grève, par exemple?
M. Létourneau: Je pense qu'il n'y a pas tout à fait
parité actuellement. Il y a certainement des différences
appréciables entre ce qui peut se passer à Ottawa, par exemple,
ou dans certaines municipalités et ce qui se passe au niveau
québécois. Je ne sais pas. Pour le moment, nous avons
réfléchi et fait des recommandations sur les services publics qui
sont de la responsabilité du gouvernement du Québec. C'est ce qui
nous intéresse. Évidemment, des problèmes peuvent surgir
au niveau municipal aussi. Évidemment, ils sont plus gros quand ils
surviennent à Montréal et, à ce moment-là, le
gouvernement provincial intervient, mais on n'a pas abordé la question
aux niveaux municipal et fédéral.
M. Rivest: Oui, très bien. Vous croyez, en ce qui concerne
les services publics du gouvernement du Québec, que la situation -c'est
votre analyse - est à ce point différente que le Québec
doit adopter un régime de négociation, un exercice en ce qui a
trait à la question du droit de grève qui soit différent
de la législation d'autres provinces, radicalement différent.
M. Létourneau: Nous n'avons pas hésité
à être différents des autres lorsqu'on a donné le
droit de grève. Je ne vois pas pourquoi on aurait à
hésiter lorsqu'on juge nécessaire pour le bien de l'ensemble de
la population de faire autrement.
Le Président (M. Lachance): M. le ministre.
M. Clair: M. le Président, je voudrais remercier MM.
Paradis, Létourneau, Lagassé et les gens qui les accompagnent
d'être venus se faire entendre ce matin devant notre commission
parlementaire. Je voudrais laisser un double message aux gens de la chambre de
commerce et non pas un message à double sens. Je pense qu'il est
légitime, compte tenu de leur rôle dans notre
société, qu'ils continuent à jouer un rôle de chien
de garde et à être vigilants à l'égard des actions
gouvernementales dans ce domaine fondamental de l'activité humaine, de
l'activité même du Québec que sont les négociations
dans les secteurs public et parapublic. Donc, une acceptation d'avance de leur
vigilance à l'égard de tout ce que le gouvernement peut faire
à cet égard, mais aussi un appel à leur sens de la
modération. Je pense que, si nous voulons vraiment que les choses
évoluent, il faut les bâtir patiemment. C'est par le compromis,
par l'ouverture d'esprit, par la modération qu'on peut donner les
assises les plus solides à cette réforme du régime de
négociation. J'espère que mon appel sera entendu. Je vous
remercie.
Le Président (M. Lachance): Merci, M. le ministre.
À mon tour, à titre de président de la commission, je
voudrais remercier M. Paradis, M. Létourneau, Me Lagassé et M.
Turmel de leur présence aux travaux de cette commission. Ceci
étant dit, les travaux de la commission sont suspendus jusqu'à 14
heures cet après-midi, alors que nous entendrons les
représentants de l'Association des administrateurs des services de
santé et des services sociaux du Québec.
(Suspension de la séance à 12 h 9)
(Reprise à 14 h 10)
Le Président (M. Lachance): La commission du budget et de
l'administration poursuit ses travaux avec le mandat de procéder
à une consultation générale portant sur l'avant-projet de
loi traitant du régime de négociation des conventions collectives
dans les secteurs public et parapublic.
J'inviterais les représentants de l'Association des
administrateurs des services de santé et des services sociaux du
Québec à bien vouloir prendre place à la table. Pendant ce
temps, je cède immédiatement la parole au ministre
délégué à la Forêt et député de
Laviolette qui a quelques précisions à nous donner.
M. Jolivet: En fait, c'est pour excuser le ministre responsable,
M. Michel Clair, actuellement retenu pour un dossier important au Conseil des
ministres. Il m'a demandé de le remplacer pour l'écoute du
mémoire. Les questions seront posées par l'équipe
ministérielle. Simplement une petite farce en passant, le sujet dont il
a à traiter n'est pas celui qui est devant vous aujourd'hui.
Une voix: Ce n'est pas le retrait du projet de loi?
M. Jolivet: C'est un simple remplacement du ministre pour
quelques minutes, il m'a demandé d'être à sa place pour
vous écouter et pour lui rapporter le contenu de votre
mémoire.
Le Président (M. Lachance): Merci, M. le ministre.
Je désire souhaiter la bienvenue au nom des membres de la
commission aux porte-parole de l'Association des administrateurs des services
de santé et des services sociaux du Québec et en particulier aux
personnes qui sont devant nous. Je demanderais à Mme Nicole Dion,
présidente, de bien vouloir nous présenter les personnes qui
l'accompagnent, en commençant par son extrême gauche, s'il vous
plaît.
Association des administrateurs des services de
santé et des services sociaux du Québec
Mme Dion (Nicole): À mon extrême gauche, M. Gilles
Lavoie; immédiatement à ma gauche, M. Robert Savard, directeur
général de l'association; à ma droite, M. André
Chagnon qui a été aussi le président de notre
comité, pour l'étude du sujet, en titre.
Le Président (M. Lachance): Merci, Mme Dion.
Tel qu'il a déjà été convenu, je vous
rappelle que la commission souhaiterait que l'exposé que vous allez
faire maintenant dure 20 minutes au maximum de façon à permettre
le plus grand nombre possible d'échanges avec les membres de la
commission parlementaire. Je vous laisse immédiatement la parole, Mme
Dion.
Mme Dion: Malgré que cela puisse peut-être vous
surpendre il est certain que, même par une femme, vous allez avoir cela
en moins de 20 minutes.
Le Président (M. Lachance): Ah oui?
Mme Dion: M. le Président, MM. les membres de la
commission, à titre de présidente de l'Association des
administrateurs des services de santé et des services sociaux du
Québec je tiens à vous présenter le point de vue de nos
membres concernant cet avant-projet de loi sur le régime de
négociation des conventions collectives dans les secteurs public et
parapublic.
Comme vous le savez sans doute, l'association regroupe l'ensemble des
cadres supérieurs qui oeuvrent dans le réseau des affaires
sociales, à l'exception des directeurs généraux. Nos
membres sont donc les cadres supérieurs tant des CLSC, des centres
d'accueil, des centres de services sociaux, des centres hospitaliers que des
conseils régionaux des services de santé et des services sociaux.
Notre association a donc le privilège de regrouper un ensemble de
ressources humaines très diversifiées et qui ont de nombreuses
années d'expérience tant comme négociateur pour la partie
patronale que comme ayant à vivre avec le résultat desdites
négociations. Nous croyons donc que les commentaires que nous vous
présentons devraient être retenus et vous seront utiles dans
l'élaboration des décisions que vous devrez prendre.
Les éléments majeurs de notre mémoire sont donc,
d'une part, des points que vous avez soulignés et que l'on
considère particulièrement intéressants, l'introduction de
l'Institut de recherche sur la rémunération parce que, comme vous
le savez sans doute,
dès le départ, nous étions très favorables
à l'idée de la réforme, cette réforme qui
annonçait un équilibre réel dans le régime des
relations de travail. Par contre, comme le bonheur n'est souvent pas sans
faille, il nous a fallu regarder certains désappointements et parmi
ceux-ci mentionnons que nous considérons que l'hypercentralisation,
à nos yeux, demeure, que la négociation locale est perçue,
en tout cas, du moins à nos yeux, comme l'exception à la
règle, plutôt que comme étant la planche même de base
sur laquelle nous voudrions que soit instauré le régime de
négociation.
Enfin, nous considérons que la négociation nationale
devrait être la résultante de l'ensemble de ce qui se fait sur le
niveau local et non inversement et contrairement peut-être à
d'autres avis qui vous ont été donnés, nous, on
considère que vous ne devriez pas maintenir le droit de grève,
nous préférerions aller à l'arbitrage obligatoire. En
gros, c'est la synthèse que je fais du mémoire que vous avez
déjà lu; maintenant, nous sommes disponibles à
répondre à vos questions.
Le Président (M. Lachance): Merci, Mme Dion. Je constate
que vous avez mis en pratique ce que vous nous aviez dit au début.
J'invite maintenant le député de Roberval et adjoint
parlementaire du ministre des Finances à amorcer cette période
d'échanges.
M. Gauthier: Merci, M. le Président. Je vais, dans un
premier temps, au nom du ministre, président du Conseil du trésor
et délégué à l'Administration, remercier les gens
de l'Association des administrateurs des services de santé et des
services sociaux du Québec d'avoir accepté de participer à
cette commission parlementaire et de nous avoir fait part, via un petit
mémoire, de leurs réflexions sur le sujet qui nous
intéresse aujourd'hui.
Il y a un aspect sur lequel le ministre aurait aimé vous entendre
et sur lequel il ne manquera pas, d'ailleurs, de consulter les réponses
que vous donnerez à la question que je vais vous poser, c'est cet aspect
de la centralisation. Vous dites dans votre mémoire... En tout cas, un
des aspects que vous avez soulevés d'ailleurs, tout à l'heure,
comme étant un élément de déception pour votre
part, c'est le fait que la négociation se fera encore de façon
très centralisée selon vous.
Il y a eu, hier, une association, l'Association des CLSC, si ma
mémoire est exacte, qui, au contraire, nous disait que les milieux
n'étaient pas nécessairement capables d'assumer dans un temps
très court et très rapide les responsabilités d'une
négociation locale. Il y a également certaines expériences
qui ont déjà été tentées dans d'autres
mondes que le vôtre. Par exemple, je pense au monde scolaire où
les regroupements locaux avaient une certaine difficulté à
assumer cette négociation locale.
Je voudrais savoir si, pour votre part -puisque vous êtes des gens
directement, je pense, dans le quotidien, chaque jour, dans le système -
vous avez des expériences que vous voudriez nous décrire du
vécu qui vous permet de nous demander, actuellement, de
décentraliser bien davantage que ce qui est prévu dans le projet
de loi.
Est-ce que vous avez des choses à nous raconter qui seraient de
nature à nous expliquer, à l'inverse de ce qui nous a
été expliqué hier, qu'on aurait avantage à vous en
donner beaucoup à négocier localement, plutôt que de
procéder comme on voulait le faire dans l'avant-projet de loi?
Mme Dion: On vous a annoncé le vécu. J'ai
amené mon expert qui l'a vécu, le vécu. Alors, M. Chagnon
va vous répondre.
M. Chagnon (André): L'avant-projet de loi établit
et propose un institut de recherche sur la rémunération. On vous
a souligné en introduction que c'était, à notre avis, un
des éléments très positifs que, déjà, nous
avons recommandés sur le document de réflexion du ministre qui a
circulé antérieurement à l'avant-projet de loi.
Ces données qui seront le résultat des recherches et
études de ce bureau de recherches impartial seront accessibles.
Actuellement, les données que les parties ont eues en cours
d'année... Je pense que ça fait une vingtaine d'années que
nous vivons dans les secteurs parapublics des négociations qui se sont
progressivement centralisées. En fait, on avait souvent des
données incomplètes, imparfaites et, aussi, c'étaient des
données que les parties ramassaient elles-mêmes et qui
n'étaient pas nécessairement impartiales. Même si, en soi,
elles pouvaient être impartiales, elles n'étaient pas
perçues comme des documents ou des données impartiales. Si on
rend ces données accessibles aux parties, d'abord, il y a tout de suite
là des éléments nouveaux que les régimes
antérieurs ne procuraient pas et n'apportaient pas aux parties.
La structuration du projet de loi dit: On se situe aux niveaux national
et provincial, mais au niveau de regroupements d'établissements. Encore
là, on est centralisé. Tandis que nous suggérons une
approche à partir du champ d'exercice des conditions de travail et du
fonctionnement des établissements. Si les parties se sentent
insuffisamment préparées pour procéder elles-mêmes,
elles peuvent toujours décider de se regrouper sur une base ou l'autre,
et cela peut être sur certaines matières au niveau des
regroupements d'établissements. C'est
une approche tout à fait différente et qui tient compte
d'une problématique qui avait été identifiée dans
le document de consultation du ministre, M. Clair, à savoir que la
négociation se faisait à un niveau tel que les parties les plus
concernées recevaient, par courrier, un document qui devait être
interprété par des experts. À ce moment-là, cela
devenait une approche et une application très techniques et très
centralisées et, souvent, les problèmes locaux étaient
perçus différemment de ceux qui les vivaient au niveau local.
Vous aviez en fait un vécu souvent fort différent de la
façon que les parties de niveaux hypercentralisés
négociaient des ententes.
M. Gauthier: Ce matin, on a fait état d'une liste d'objets
pouvant être négociés sur le plan local et le ministre
englobait cela en disant, si ma mémoire est exacte, que tout ce qui
touche la nature même de la vie de travail dans le milieu lui paraissait
suffisant comme mandat, dans un premier temps. Est-ce que votre demande de
décentraliser davantage va au-delà de tout ce qui s'appelle la
vie de l'organisation même du travail? Ou, est-ce qu'à
l'intérieur de ce qu'on appelle l'organisation du travail, il y a des
points qui vous semblent devoir faire l'objet d'une dénomination
spécifique dans la liste?
M. Chagnon: L'avant-projet de loi précise que ce sont les
parties au niveau provincial qui doivent former des comités et des
sous-comités qui, eux, négocient ce qui va être
négocié véritablement au niveau local. À ce
moment-là, il n'y a aucune garantie que ce que vous retrouvez dans
l'annexe au niveau de la gestion des effectifs, des droits syndicaux, de la
mobilité interne à l'intérieur des établissements,
vous le retrouviez en négociation locale. Il n'y a aucune garantie.
Notre approche précise nommément ce qu'on doit négocier au
niveau national. Mais la majorité de la négociation devrait se
resituer dans le contexte local et les parties au niveau local
décideront ce qui devra être regroupé à un autre
niveau.
M. Gauthier: Dans le cadre de l'avant-projet, à l'annexe
A, on m'indique que cela constitue la base de ce qui doit être
négocié sur le plan local avec une possibilité d'ajouter
à cela des éléments. Il n'y a peut-être pas un monde
qui sépare l'avant-projet de ce que vous souhaitez. Ce qu'on peut noter,
je pense, c'est ce désir et cette volonté très ferme que
vous exprimez de jouer au niveau local un rôle plus déterminant et
plus important dans la négociation. Vous souhaiteriez même que ce
soit le rôle le plus important qui soit joué au niveau local.
Est-ce que je traduis bien votre pensée lorsque je dis cela?
M. Savard (Robert): II faut dire, M. le Président, que
nous n'avions pas, dans notre exemplaire de l'avant-projet de loi, l'annexe
avec les sujets. Elle vient tout juste de nous être remise séance
tenante. Peut-être qu'effectivement, la liste qui a l'air très
longue pourrait ressembler au début de liste que nous avons pris la
liberté de mettre dans notre mémoire.
M. Gauthier: Ah! Bon! D'accord.
Le deuxième point sur lequel je voudrais avoir votre point de vue
est le suivant. On sait qu'il y a un sujet fort délicat, celui de
l'abolition du droit de grève. Je pense qu'on en a discuté avec
tous les intervenants qui sont venus ici et qu'on va en discuter avec tous ceux
qui vont venir. Le ministre parlait ce matin de ce nouveau climat de confiance
qu'il voulait voir s'installer dans les négociations, ce climat qui
serait effectivement la résultante d'un nouveau système de
négociation qui ferait probablement moins appel à une
confrontation sur des sujets comme la rémunération, par exemple,
ou sur des choses comme celle-là. Est-ce qu'il ne vous paraîtrait
pas normal qu'on puisse dans un premier temps, compte tenu du changement de
mentalité qui est anticipé, maintenir un droit de grève
dans les secteurs public et parapublic, lequel droit de grève est
déjà balisé avec les services essentiels? On peut supposer
que ce droit de grève se civilise avec le temps dans une
négociation où, peut-être, un certain nombre de sujets ne
sont pas l'objet d'enjeux majeurs, qu'il soit utilisé avec un peu plus
de discernement. Est-ce qu'il ne vous paraîtrait pas normal de laisser ce
droit de grève aux secteurs public et parapublic, compte tenu du
changement de climat qui est prévisible dans les négociations
à venir?
M. Chagnon: D'abord, cela fait 20 ans que nous avons un
régime qui s'est progressivement développé par des
expériences que nous vivons, en fait, dans le milieu parapublic. On a
tenté, à ma connaissance, cela fait depuis au moins 1971 qu'on
essaie de cerner ce qu'est un service essentiel, la notion des services
essentiels, et on n'a pas encore réussi à cerner cela. D'accord,
il y a une mécanique qui s'est perfectionnée mais on est toujours
dans la même problématique. À un moment donné, les
parties sont en négociation; elles ont des intérêts
différents, il faut l'admettre, et souvent les services qui devraient
être essentiels pour le patient, qui a aussi le droit de recevoir des
services de qualité, se font à son détriment de
façon générale.
Nous disons qu'avec un système qui prévoit maintenant
qu'on aura des données -l'Institut de recherche sur la
rémunération nous en fournira - accessibles aux parties, on
reconnaît et on accepte alors tous les mécanismes qui sont
suggérés dans l'avant-projet de loi, par exemple, la
médiation, la conciliation, etc. À ces intervenants, ces
données seront accessibles. Notre position est de dire: Comme ces
données n'existaient pas avant, on va prétendre du
côté syndical qu'on a déjà vécu dans le
passé le régime de l'arbitrage obligatoire, c'est exact mais
c'était avant 1964. À ce moment-là, c'étaient des
juges de tribunaux réguliers qui étaient souvent appelés
à trancher à brûle-pourpoint les conflits. On n'avait pas
à mettre à leur disposition les données que l'institut
pourra fournir aujourd'hui. À ce moment-là, on n'avait pas de
système structuré, organisé, de médiation et de
conciliation comme on le retrouve dans l'avant-projet de loi. Alors, il y a une
ou des garanties qu'on n'avait pas antérieurement qu'on donne, des
garanties d'objectivité, des données accessibles.
On se situe aussi dans le respect d'un autre droit qui est celui de
donner des soins de qualité, droit du bénéficiaire, d'une
population qui est extrêmement démunie, insécure et qui a
aussi droit au respect de ses soins et de sa vie, droit à sa
qualité de soins et à sa qualité de vie dans nos
établissements.
M. Gauthier: Ce que je comprends de votre réponse, c'est
que vous estimez que les garanties incluses dans l'avant-projet sont
suffisantes pour les employés du secteur public, du secteur hospitalier,
principalement, pour assurer la protection de leurs droits au niveau de la
négociation de leur régime de travail. En d'autres termes, c'est
ce que vous me dites.
M. Savard: En ce qui regarde l'Institut de recherche sur la
rémunération, vous avez certainement dû prendre
connaissance de notre mémoire et voir que nous
préférerions, que nous recommanderions que le président de
cet institut soit davantage protégé dans son caractère
inamovible plutôt que d'être nommé par le gouvernement. Nous
recommanderions qu'il soit nommé par l'Assemblée nationale et
qu'il ait ce caractère d'indépendance, je dirais, au-dessus de
tout soupçon, qu'ont, par exemple, le Protecteur du citoyen, le
Vérificateur général, etc.
Sur la base de ces données, effectivement, la réponse
à votre question est affirmative. Nous pensons que des experts,
chargés de trancher les différends après une
période de négociation, de conciliation, ayant à leur
portée les données nécessaires, pourront justement
trancher les différends et prendre les décisions qui s'imposeront
non seulement aux salariés mais aussi, bien sûr, aux
employeurs.
Ce que je voudrais faire ressortir, c'est qu'on voit tout de suite le
côté difficile de notre position, le côté difficile
de la position de l'association parce qu'on ne s'attend pas qu'il y ait
beaucoup d'employeurs qui veuillent se faire imposer ou d'associations
d'employeurs qui veuillent se faire imposer l'arbitrage obligatoire. Bien
sûr, on connaît déjà les positions des centrales
syndicales à ce sujet. (14 h 30)
Nous, comme managers d'un réseau de services
généralement essentiels, pour nous, vous savez, et pour les
cadres que nous représentons, des services de temps à autre
essentiels et de temps à autre moins essentiels, particulièrement
à la suite du dégraissage que nous avons connu, pour prendre une
expression consacrée, il n'y a plus beaucoup de services qui sont
devenus peu essentiels. Le gros des services sont généralement
requis. C'est probablement ce que vous diraient d'ailleurs des
bénéficiaires.
M. Gauthier: On aura l'occasion de se renseigner là-dessus
puisque nous allons rencontrer un peu plus tard le président de
l'association provinciale des malades qui aura certainement beaucoup de choses
à dire là-dessus.
Pour l'instant, ça va. Je vais laisser à l'Opposition le
soin de poursuivre.
Le Président (M. Lachance): J'invite le
député de Jean-Talon.
M. Rivest: Je voudrais discuter comme premier
élément de votre mémoire au niveau du sommaire, à
l'avant-dernier paragraphe lorsque vous dites... D'ailleurs, en réponse
à une question de mon collègue de Roberval vous avez
évoqué les hypothèses de décentralisation,
c'est-à-dire au niveau des matières à partir du document
que le ministre, M. Clair, a rendu public ce matin.
Une fois cette décentralisation réalisée,
dites-vous dans votre mémoire, comme pour la gestion des ressources
autres que les ressources humaines, les établissements pourront se
regrouper entre eux sur une base opérationnelle pour échanger des
informations stratégiques, se concerter entre eux et, s'il y a lieu,
pour se doter de services communs pour la négociation, et l'application
des conditions collectives de travail.
Une des questions que je voudrais vous poser est celle-ci. Dans la
démarche où à peu près tout le monde est d'accord
pour s'engager dans cette avenue, chacun peut discuter sur les modalités
ou sur les éléments du contenu de la décentralisation. Le
danger évoqué en contrepartie, enfin la préoccupation
qu'on doit avoir, c'est l'espèce de surenchère des conditions
négociées localement entre les divers établissements, par
exemple, dans le domaine des affaires sociales qui vous intéresse
plus
particulièrement. Lorsque vous parlez, pour les
établissements, de se regrouper, de se concerter - c'est un sommaire,
c'est dans une phrase; je ne voudrais pas faire dire plus à la phrase
que ce que vous voulez dire par ça - est-ce que vous voulez dire que les
établissements se concerteraient sur la manière ou les choses qui
pourraient être accordées aux demandes syndicales? Ce serait une
espèce de centralisation à rebours?
M. Savard: Je pense que votre question nous donne l'occasion d'apporter
une précision qui est très importante parce que si,
effectivement, l'avant-projet de loi demeure tel qu'il est et est
adopté, pour nous il s'agit très certainement d'une
négociation centralisée, à moins, comme je le mentionnais
tout à l'heure, que la liste de l'annexe A soit très
généreuse pour les paliers locaux. Sous réserve de cette
vérification de la liste que nous venons d'avoir, le fait de faire
déterminer par des parties nationales quels doivent être les
sujets de négociation risque, d'une part, de faire limiter
considérablement la liste des sujets qui pourront être faits de
façon locale.
Donc, une première centralisation, c'est certainement celle qui
nous paraît être dans le projet de loi, à savoir qu'il
pourrait y avoir des sujets très nombreux négociés
nationalement.
Pour nous, sont aussi de la centralisation les négociations qui
se tiendraient par secteurs mais au niveau national. Par exemple, les
établissements des services de santé et de services sociaux ou
tous les hôpitaux du Québec qui négocieraient ensemble,
pour nous, c'est une plate-forme de centralisation. Ce que nous voulons faire
ressortir par la remarque que vous avez citée, c'est que les managers
qui rendent des services concrets à la population dans les
établissements de santé et de services sociaux, ils travaillent
sur une base locale et aussi sur une base de plus en plus régionale
à la fois pour administrer des ressources et organiser des services.
Nous pensons que l'un des outils qui manquent précisément aux
managers locaux pour bien accomplir leurs fonctions, c'est la
possibilité réelle d'influencer sur leur base habituelle de
travail la détermination des conditions de travail qui s'appliquent aux
ressources humaines qu'ils sont chargés d'encadrer. On ne se fait pas
d'illusion, des grands ensembles nationaux, même si ce n'est pas tout
l'État ou même si ce n'est pas tout le secteur public, des
sous-secteurs, cela demeure, à notre avis, trop centralisé et
trop loin de l'influence possible et des adaptations que peuvent inspirer, que
peuvent arriver à produire les managers locaux dans les relations
ordinaires avec leurs ressources humaines et les associations dans lesquelles
ces ressources sont regroupées.
M. Rivest: Si je vous comprends bien, vous insistez pour dire que
cette concertation des établissements pour développer une
stratégie plus ou moins commune, compte tenu aussi des
particularités au niveau même des établissements, parce
qu'il y en existe, ce serait d'avoir une concertation plutôt au niveau
régional - c'est cela? - d'introduire cette dimension-là.
M. Savard: Ou sous-régionale.
M. Rivest: Ou sous-régionale. D'accord. Quand vous
introduisez cela... L'idée de la centralisation, si on se rappelle la
façon dont c'est survenu, ce fameux problème, il y avait, bien
sûr, une volonté de cohérence, d'éviter la
surenchère, etc., mais il y avait aussi, dans le phénomène
de la centralisation, une volonté d'assurer une répartition
équitable des ressources, des moyens, entre les diverses régions.
S'il s'opère une décentralisation d'un certain nombre d'objets de
négociation qui sont quand même importants au niveau des
établissements, que vous reveniez sur la base régionale, est-ce
que ce problème ne risque pas de resurgir?
M. Savard: Concernant la gestion des ressources autres que les
ressources humaines, je pense que l'expérience, au contraire,
démontre qu'il n'y a pas eu de surenchère. Le management de ces
ressources, le coût, les coûts publics de ces ressources, n'ont pas
diminué; au contraire, ils ont été mieux
contrôlé et cela a même été un des outils dont
ont pu se servir les managers pour faire face aux compressions
décidées par l'État.
D'autre part, il y a une autre chose qu'il faut remarquer. Un des
résultats de la centralisation à outrance qu'on a connue - il n'y
a pas eu juste des mauvais résultats - je pense qu'il y a eu un effet
d'harmonisation ou, en tout cas, les conditions sont pareilles d'un endroit
à l'autre. le danger que vous évoquez pourrait peut-être
être davantage terrible si nous commençions à zéro,
mais on peut vraiment raisonnablement penser que les administrations locales,
seules ou regroupées, les associations de salariés ne
recommenceront pas à zéro. Le contenu vraiment très
détaillé des conventions collectives actuelles ne sera pas
balayé du revers de la main. Je pense que l'investissement que ces
groupes vont faire, employeurs et employés, va davantage porter sur les
adaptations nécessaires. Il y a donc déjà un bon contenu
pour préserver un danger terrible de surenchère.
Troisièmement, j'ajouterais qu'il y a maintenant à la
disposition des parties,
surtout si les regroupements, soit les centrales syndicales, soit les
centrales patronales - si je peux dire une chose comme celle-là - ou les
associations patronales, acceptaient volontiers de jouer un rôle staff,
ils pourraient, en plus des ressources et des informations en provenance de
l'Institut de recherche sur la rémunération, mettre à la
disposition des parties des outils qui pourraient être utilisés
précisément pour faire ces adaptations qui sont
nécessaires.
M. Rivest: Oui, M. Chagnon.
M. Chagnon: J'aimerais ajouter ceci par analogie. Dans le cadre
de l'application des conventions collectives, chaque établissement,
chaque syndicat local est autonome dans son application. C'est beaucoup et
énormément à ce niveau-là que se prépare la
prochaine négociation et il s'est développé des expertises
à différents niveaux. Vous avez de la concertation dans le cadre
de l'application, même si chaque établissement est autonome dans
l'application de sa convention ou de ses conventions et, à ce
moment-là, il y a déjà des mécanismes. On a
vécu ce régime depuis 20 ans, je le soulignais tout à
l'heure. Dans le cadre de l'application, aussi, on s'est mieux organisé,
mieux structuré. À ce moment-là, la concertation peut se
faire aussi bien dans le cadre de la négociation que dans le cadre de
l'application.
M. Rivest: Je voudrais vous amener à commenter. Bien
sûr, on est dans un domaine de relations de travail où il y a un
rapport de forces, des intérêts particuliers sur lesquels il faut
en arriver à une espèce d'arbitrage final. Comme administrateur
d'institution ou d'établissement de services de santé, concernant
le facteur des coupures budgétaires qui est peut-être de nature
conjoncturelle, quelle est votre évaluation ou votre commentaire en
perspective des prochaines négociations ou même du régime
de négociation sur celui-ci comme élément introductif de
tensions additionnelles dans le domaine des relations de travail,
particulièrement dans le secteur de la santé?
Mme Dion: J'ai peu de commentaires sur ce sujet. J'avoue que,
pour donner une réponse qui m'apparaîtrait adéquate
à votre question, j'aurais besoin de plus de temps pour y songer. Je
n'ai absolument pas analysé le... Pour nous, les coupures
budgétaires ont été un processus qu'on a eu à vivre
et qui a eu des reliquats, cela va de soi. On sait que la fortune n'arrivera
à personne demain. Dans ce sens, on a essayé de penser au
régime de négociation dans un contexte économique que tout
le monde souhaite meilleur mais qui ne m'apparaîtra pas changer de blanc
à noir demain. Dans ce sens, ce qu'on a vécu est comme toute
expérience: des choses difficiles mais des choses qui ont aussi permis
un certain nombre d'acquis.
M. Rivest: Vous parlez des acquis sans doute au niveau de
l'accroisssement de la productivité, j'imagine.
Mme Dion: II y a ce côté mais il y a aussi le
côté de... Tout être humain qui a des défis, quand on
en a, il y en a qu'on choisit, il y en a qu'on est obligé de supporter
parfois lorsqu'ils nous sont imposés. Il n'en demeure pas moins que cela
a été un terrible défi à relever. Dans ce sens, je
pense que la plupart des gens doivent quand même dire qu'ils ont appris
des choses de ce défi.
M. Rivest: Oui. Vous donnez, bien sûr, le point de vue en
tant qu'administrateur. Ma question est: Est-ce que vous sentez venir, du
côté des employés des établissements, des
revendications, par exemple, au niveau de la charge de travail? Souventefois,
on a des porte-parole, des travailleurs qui nous disent... C'est dans ce sens
que je vous pose la question parce qu'on pourra mettre le meilleur
régime de négociation qu'on voudra bien, il va quand même
falloir tenir compte que ces éléments qui sont... Est-ce que vous
les ressentez dans les établissements actuellement?
M. Chagnon: En fait, ce n'est pas le régime de
négociation qui va changer parce que les administrations locales,
même dans un régime hypercentralisé, ont eu à faire
face localement à l'adaptation de ces coupures. Je pense que, à
l'avenir, on va être placé dans des situations semblables mais il
m'apparaît qu'on aura la même problématique.
M. Rivest: Très bien. Un dernier sujet, si vous le
permettez, M. le Président. Je voudrais m'intéresser davantage
à votre proposition au niveau de l'abolition du droit de grève,
à toutes fins utiles, dans... Est-ce que cela vise autant les
établissements des services de santé que ceux des services
sociaux?
M. Chagnon: La position du mémoire de l'association est
à l'effet de couvrir l'ensemble du secteur sociosanitaire. Comme je le
disais tout à l'heure, depuis 1971 on a essayé de définir
la notion de services essentiels et on n'a pas réussi valablement et ce,
à tous les niveaux. Je pense que, si on offre des mécanismes
raisonnables dans un secteur où, précisément, les
bénéficiaires sont des gens qui ont besoin des services qu'on a
à leur fournir, qu'on a l'obligation de
leur fournir, à ce moment, on devrait couvrir l'ensemble du
secteur sociosanitaire.
M. Rivest: Très bien.
M. Savard: C'est d'autant plus vrai, M. le Président, que
je pense qu'il est de commune renommée que dans une période de
crise économique comme celle que - je ne sais si je dois parler de cela
au passé; en tout cas, je me risque - nous avons traversée, les
services sociaux, leur importance et leur caractère essentiel, peuvent
apparaître davantage qu'en d'autres périodes où les choses
vont mieux.
M. Rivest: Le mécanisme même de l'arbitrage
obligatoire que vous mentionnez, toute la théorie, l'hypothèse
sur le dépôt des dernières offres finales, est-ce que vous
entrez dans cette dynamique, dans ce mécanisme? Quelle va être la
base de l'arbitrage? Est-ce qu'il y aura dépôt des offres finales?
(14 h 45)
M. Chagnon: En fait, dans notre proposition, il nous apparaissait
essentiel de discuter du fond de l'arbitrage obligatoire par rapport au droit
de grève, ce qui doit être relié, en fait, à ce
qui... Si on enlève le droit de grève, quelles sont les
conditions qu'on doit retrouver? Il nous apparaît que, si on donne la
possibilité au système d'échange de données tant
à ceux qui vont agir comme arbitres qu'à eux qui vont avoir
à négocier -c'est l'ensemble des parties, tant la partie
syndicale que la partie patronale - à ce moment-là, un
mécanisme de conciliation, de médiation sera prévu.
À ce moment-là, il nous apparaît que le régime comme
tel offre suffisamment de garanties. On n'est pas allé aussi loin que de
privilégier une formule plutôt qu'une autre.
M. Rivest: Oui, une technique ou une autre. D'accord. M.
Savard.
M. Savard: Ce que j'allais dire, c'est que nous avons tout
simplement étendu les dispositions de l'article 31 et des suivants de
l'avant-projet de loi qui prévoient que, bien sûr, l'arbitre se
fait éclairer par les parties. Nous avons d'ailleurs recommandé
qu'à la demande de l'une des parties l'arbitre tranche, alors que dans
le projet de loi, si je ne fais pas erreur, à l'article 33, on laisse
entendre que la demande devrait être faite par les parties. Nous pensons
que, si ce n'était pas corrigé, cela pourrait faire perdurer
longtemps un conflit, s'il fallait que les deux parties soient d'accord pour
demander l'arbitrage et, d'autre part, cela pourrait rendre cette formule de
règlement des différends inefficace.
M. Rivest: Un dernier élément sur lequel j'aimerais
avoir vos commentaires: l'abolition du droit de grève dans les services
de santé et les services sociaux avec les commentaires que vous avez
formulés inclus dans l'avant-projet de loi, l'arbitrage obligatoire. En
fin de compte, parce que c'est un changement qui a des implications et des
conséquences que tout le monde imagine, le régime de sanction du
respect de la sentence arbitrale, songez-vous à ce problème?
M. Savard: Je pense qu'il s'agirait des mécanismes de
sanction pour le respect de la sentence arbitrale, comme des mécanismes
existent pour le respect des conventions collectives. Ce ne serait plus,
à ce moment-là, un différend, mais un grief qui
naîtrait, parce que la convention collective ou la sentence arbitrale en
tenant lieu ne serait pas respectée.
M. Rivest: II y a déjà eu, d'ailleurs, dans
d'autres domaines des sentences arbitrales dites obligatoires, enfin non pas
dans beaucoup de cas, mais on en a à l'esprit alors qu'effectivement
même une sentence arbitrale obligatoire n'a pas été
respectée par l'une ou l'autre des parties. Croyez-vous que, si on
adoptait dans la loi cette avenue que vous suggérez, le régime
traditionnel des sanctions que vous évoquez serait suffisant? Par
exemple, d'autres groupes vont dire: II faudrait aller jusqu'à la
décertification en cas de refus, etc. C'est la partie syndicale, bien
sûr. Il y aurait d'autres sanctions de la partie patronale.
M. Savard: À vrai dire, puisque nous représentons
ici nos membres, effectivement, l'objet de notre consultation auprès de
nos membres n'a pas porté sur ce détail spécifique. Bien
entendu, de façon implicite cependant, nous pensons que
l'Assemblée nationale doit adopter des lois qui comportent en
elles-mêmes des mesures suffisantes afin qu'elles soient
appliquées.
M. Rivest: Ah! des mesures suffisantes afin qu'elles soient
appliquées. Donc, enfin, sans que vous ne soyez plus spécifique,
parce que...
M. Savard: D'autre part, sans être
exagérément optimistes, nous pensons qu'effectivement
peut-être il pourrait y avoir un changement des mentalités surtout
si on propose un changement des mentalités et si on est assez exigeants
à l'égard des parties. S'il y a une seule partie qui fait des
compromis ou si elle en fait beaucoup moins que l'autre ou si une autre en fait
beaucoup plus, peut-être qu'on n'assistera pas à un changement des
mentalités. Par exemple, l'arbitrage obligatoire étant
imposé aussi bien aux employeurs qu'aux salariés, cela nous
paraît être un changement important. Peut-être que, si
l'Assemblée nationale décidait d'imposer cela aux employeurs et
aux salariés du réseau des affaires sociales, effectivement ce
serait un défi suffisamment important pour qu'il soit relevé.
M. Rivest: Très bien, merci.
Le Président (M. Lachance): M. le député de
Bourassa, vous avez la parole.
M. Laplante: Merci, M. le Président. Je vais continuer un
peu dans le même esprit que le député de quel comté?
Jean-Talon. Lorsque vous parlez des pouvoirs accordés aux arbitres dans
le régime proposé d'arbitrage obligatoire, vous dites dans votre
document que l'association considère - ce qui est vu comme fondamental -
cependant que, comme le soutient l'Organisation internationale du travail, en
l'absence du droit de grève, il doit y avoir des garanties
adéquates pour protéger les intérêts des
travailleurs. Ces protections doivent prendre la forme de procédures de
conciliation ou d'arbitrage adéquates, impartiales et rapides auxquelles
les parties concernées peuvent prendre part à chaque étape
et où les décisions lient dans tous les cas les deux parties et
sont complètement et rapidement mises en application. Comme
première question je vous demanderais quelle différence vous
faites entre l'État et le secteur privé en application dans cela,
en application de ce que vous appelez convention de l'Organisation
internationale du travail où on ne parle pas du rôle de
l'État payeur, où c'est un objectif général qu'on
donne. Vous, comme association, quelle différence faites-vous entre
l'État, travailleur-État, patron-État et patron-entreprise
privée pour en arriver à ces fins sur un arbitrage
obligatoire?
M. Savard: Je ne sais pas, M. le Président, si je
comprends bien votre question, mais vous me le direz de toute façon si
j'erre. Je crois que vous avez bien compris que notre proposition d'instaurer
un tel mécanisme de règlement des différends vise le
règlement des différends dans le réseau des affaires
sociales. Nous ne proposons pas que le droit de grève soit aboli dans
d'autres secteurs, même public, ou même dans le secteur
privé. Il nous apparaît que le caractère spécifique
des services de santé et des services sociaux et l'importance que cela
peut avoir pour la population qui a besoin de ces services font que nous
n'avons pas trouvé après une longue et douloureuse période
d'expérimentation des moyens de régler les différends et
peut-être qu'effectivement lorsque ce droit de grève a
été instauré la bouchée était trop grosse.
Mais combien faudra-t-il encore de périodes d'années, de 20
années, pour comprendre que, même si on raffine et même si
on arrive à des solutions très sophistiquées, il n'est pas
du tout garanti qu'en jouant avec le feu et en permettant le droit de
grève il va s'exercer d'une façon civilisée alors que
notre position, c'est qu'il ne doit pas y avoir d'arrêt de travail dans
le secteur des affaires sociales, dans le secteur des services de santé
et des services sociaux, à cause du caractère
généralement essentiel des services?
M, Laplante: La réponse que vous donniez tout à
l'heure au député de Jean-Talon, c'est que votre arbitrage
obligatoire serait exécutoire.
M. Savard: Pour les deux parties.
M. Laplante: Êtes-vous capable de donner sur la masse
salariale s'il n'y a pas entente et qu'on est obligé, en réponse
à votre désir, d'aller en arbitrage obligatoire et
exécutoire? Est-ce que cela aurait le même effet au point de vue
du budget de l'État qu'une entreprise privée?
M. Savard: De toute évidence, notre proposition ne
prévoit pas que les budgets de l'État et les orientations
gouvernementales en matière de budget pour les services publics soient
soumis à l'arbitrage. Cependant, dans une autre section où l'on
parle d'un rôle du gouvernement pour le gouvernement nous voulons
justement que l'État, le gouvernement, sous le contrôle de
l'Assemblée nationale détermine à la fois les ressources
qu'il entend mettre à la disposition de la mission affaires sociales,
par exemple, détermine aussi les standards généraux
applicables mais que tout le reste, comme il le fait pour - passez-moi
l'expression - l'huile à chauffage, il le laisse à la
volonté des parties de s'adapter aux besoins qui existent. Un employeur
ou un groupe d'employeurs devraient, bien sûr, continuer de fonctionner
à l'intérieur de la masse budgétaire locale ou
régionale qui est mise à leur disposition et utiliser cette masse
pour négocier une rémunération appropriée aux
ressources humaines qui sont au service des établissements.
M. Laplante: Oui, mais qu'est-ce qui arriverait des
priorités de l'État à ce moment si on allait dans votre
fonctionnement à vous et dans le comportement du budget, aussi, du
ministère des Affaires sociales? Avec les priorités de
l'État, à ce moment, qu'est-ce qui arriverait?
M. Savard: C'est très clair dans notre esprit que ces
priorités subordonnent et prédominent l'arbitrage qui sert
à régler des
différends particuliers. C'est très clair dans notre
position que le règlement de ces différends se fait dans le cadre
des priorités gouvernementales. Mais, voyez-vous le problème? Au
contraire, si vous dites que c'est l'État qui détermine le
salaire d'une sténodactylo, telle classe, là, évidemment,
vous vous trouvez dans la situation de dire: il y a un affrontement entre le
pouvoir de l'Assemblée nationale de voter le budget et la
décision d'un arbitre, mais cet affrontement n'est absolument pas
inévitable si l'État se contente - et c'est un rôle qui
n'est pas du tout sot, au contraire, je pense que c'est un rôle
très important - de définir des orientations, de voter les
budgets et de laisser les administrations, décentralisées ou
déconcentrées, faire leur travail. Les administrations, c'est
leur boulot d'opérer et de fonctionner à l'intérieur de
leur mandat.
M. Laplante: Comme cela, il pourrait y avoir une
différence de salaire d'un établissement à l'autre?
M. Savard: À la limite, théoriquement.
M. Laplante: Vous trouveriez cela sain, une compétition de
salaire d'un établissement à l'autre?
M. Savard: Nous ne pensons pas que cela va se produire, comme
cela ne se produit pas actuellement. ,
M. Laplante: Avant 1964, qu'est-ce qui arrivait?
M. Savard: Avant 1964, vous n'aviez pas forcément tout ce
bagage de conditions. Les vingt ans que nous avons passés nous ont
permis d'assister à la définition d'un bagage important de
conditions de travail, y compris sur les salaires, et les parties ne mettront
certainement pas cela par-dessus bord du jour au lendemain, à partir du
moment où elles ont le pouvoir de négocier. Nous ne pensons pas
non plus que les établissements, pour référer à une
intervention précédente, sont équipés pour faire
des négociations extrêmement compliquées sur des sujets
trop vastes. Ils vont tout naturellement se regrouper, comme ils le font, pour
faire face à d'autres problèmes qu'ils ont et dont ils sont
responsables.
M. Laplante: Cela devient compliqué si vous touchez
après cela à la sécurité d'emploi. Je ne voudrais
pas me retrouver avec une différence dans toutes les parties du
Québec, du Témiscouata jusque dans la Gatineau, où j'ai
connu des différences de salaire, où on payait un instituteur
3000 $ puis à Montréal on le payait 6000 $ où on
écrémait à peu près tout ce qu'il pouvait y avoir
partout au Québec pour les amener dans un même centre, les attirer
par la paie. Je ne voudrais pas, parce que c'est cela que ça
amène, en somme.
M. Savard: Évidemment, je pense que vous avez
théoriquement raison. Un système détourné de ses
fins, comme il le serait dans cette circonstance, pourrait effectivement amener
cela mais je pense que cela ne se produira pas à cause,
précisément, du vécu des parties et des résultats
concrets auxquels elles sont arrivées actuellement. N'oubliez pas qu'il
ne s'agit pas de négocier une première convention collective, il
s'agit de ta négociation, dans presque tous les cas, du renouvellement
des conventions collectives. D'autre part, aujourd'hui avec l'information qui
est disponible et qui ne l'était pas, je ne pense pas que ces
choses-là se produisent. Cependant, à la limite - je vais vous
répondre très honnêtement, même si cela peut
être une difficulté - nous pensons qu'un employeur ou des groupes
d'employeurs doivent être prêts à consacrer une partie plus
importante de leurs ressources budgétaires pour avoir tel type de
ressources si cela correspond à leurs besoins.
M. Laplante: Oui, c'est à long terme. M. Savard:
À la limite.
M. Laplante: C'est toujours à long terme que je veux
parler. Prenez un cas vécu au Québec actuellement et qu'on vivra
encore probablement si on ne change pas les règles, c'est le cas des
policiers municipaux. On donne le régime d'arbitrage obligatoire par un
juge, on fait trancher obligatoirement par un juge, la sentence qui est
donnée les villes sont obligées de l'appliquer. Ce qui est
arrivé, c'est que vous êtes rendus avec des policiers, comme
à Sorel, qui gagnent 40 000 $ par année. Je n'envie pas leur
situation, mais c'est le problème que cela cause entre toutes les
municipalités, d'autant plus que le juge ne regarde pas la
capacité de la ville de payer. C'est que le budget de la ville est rendu
aux mains d'un juge et c'est extrêmement dangereux, ces choses-là,
même pour n'importe quel gouvernement local, fédéral ou
provincial, appelez-le comme vous le voudrez. Il a à administrer les
deniers publics.
M. Savard: M. le Président, je pense que la loi
votée par l'Assemblée nationale pourrait prévoir des
dispositions qui feraient en sorte de circonscrire la juridiction des arbitres.
Je pense que cela n'a absolument pas de bon sens que "the sky" soit "the
limit", cela n'a absolument pas de bon sens, ce n'est pas cela du tout qu'on
propose. D'autre part, quand vous référez aux policiers, il y a
au moins deux distinctions importantes, je ne crois pas qu'ils
bénéficient
des données d'un institut de recherche sur la
rémunération et, d'autre part, nos établissements n'ont
pas un pouvoir de taxation. (15 heures)
M. Laplante: Oui, mais il reste que c'est dans les mains d'un
arbitre pareil, d'un juge. Les deux parties ont discuté d'une convention
collective devant un juge concernant la rémunération. La ville ou
les villes - parce qu'il n'y a pas seulement cette ville-là qui a
été prise avec ce problème, plusieurs villes l'ont
été - sont prises avec le problème et elles sont
obligées d'augmenter les impôts fonciers. Elles sont
obligées d'aller chercher l'argent ailleurs parce qu'elles n'ont pas les
moyens. D'autres ont tout bonnement cessé de faire travailler leur corps
policier ou la loi est obligée de replacer ces corps policiers avec un
nombre moindre pour essayer d'arriver avec cela. Ce qu'on ne peut pas faire,
nous autres.
Si vous vous en allez dans les entreprises privées, elles ont des
pouvoirs. Vous prenez Ménasco, qui n'a pas voulu négocier avec
ses employés, qu'ils aient tort ou qu'ils aient raison. Ces gens ont mis
la clé dans la porte, eux autres, et "bonjour". Ils ont laissé
les ouvriers là sur le parquet. C'est ce qu'un gouvernement ne peut pas
faire actuellement, avec tous les services qu'il a à distribuer au point
de vue de la santé, des services scolaires. Il y a tout un appareil
gouvernemental de services obligatoires là-dedans.
Je ne sais pas, c'est votre passage là-dessus qui m'effraie le
plus et j'ai beaucoup de misère à le comprendre, parce que,
déjà, vous commencez à me dire: Bien oui, il faudrait
baliser, pareil, par des lois à l'Assemblée nationale. Tout de
suite, il y a un changement d'orientation que vous prenez en vous servant de la
porte arrière de l'Assemblée nationale pour baliser, en somme,
les masses de disponibilité d'argent qu'il pourrait y avoir pour les
services.
M. Savard: M. le Président, je ne pense pas que ce soit un
changement. C'est écrit en toutes lettres dans notre document qu'il
revient au gouvernement de déterminer ça. La plupart du temps,
les arbitres ont des juridictions bien déterminées à
exercer.
M. Laplante: Mais les priorités de l'État, à
quel endroit les placez-vous dans tout ça?
Mme Dion: C'est l'État qui le fait.
M. Chagnon: C'est déterminé par l'État,
effectivement.
M. Laplante: Oui.
M. Savard: Oui, autant que possible en concertation avec les
agents socio-économiques.
M. Laplante: À quel coût? M. Savard: À
quel coût? M. Laplante: Oui. M. Savard: La
concertation?
M. Laplante: Oui, mais sur les priorités de l'État,
je vous demande les priorités de l'État, dans un arbitrage
obligatoire, à quelle place elles sont? À donner les services
obligatoires que l'État est obligé de donner dans les
hôpitaux.
Mme Dion: Nous autres, dans un premier temps, en tout cas, on ne
veut pas enlever tout le rôle de l'État. On dit: L'État,
dans un premier temps, détermine ses choix prioritaires,
détermine ses priorités. Une façon qu'il pourrait regarder
ces priorités qu'on suggère, c'est qu'il fasse une table de
concertation avec certaines balises et qu'on nous donne une enveloppe globale
qu'on a déjà utilisée pour d'autres secteurs qui ne sont
pas nécessairement ceux du régime de conditions de travail d'un
individu, mais des domaines dans la gestion des établissements où
on nous donne des portefeuilles avec tels types de services à remplir et
telle enveloppe budgétaire.
À partir de là, on a un certain nombre de choix et de
priorités à faire. C'est un peu ça qu'on transposait dans
l'autre. On disait: Déterminez des grandes balises, mais ne les
déterminez pas à un iota près. Donnez-nous les balises et,
à partir de ça, laissez aux interventions locales la
possibilité de fonctionner.
Tantôt, vous souligniez qu'il y avait un danger à
l'extrême qu'on vienne avec des disparités au niveau de la
province absolument abracadabrantes. C'est sûr qu'à la limite,
ça pourrait toujours être possible, mais même à
l'époque actuelle où c'est super balisé, je ne vous
apprends certainement rien, car vous connaissez les problèmes et,
justement, de la hyperbalisé qui se fait, des fois, dans certains
endroits vis-à-vis les régions éloignées, par
rapport aux cités urbaines.
De tout temps, dans la main-d'oeuvre, il y a des problèmes selon
cette province avec toutes ses balises. C'est plus facile de trouver des gens
pour travailler à Montréal que pour travailler aux
Îles-de-la-Madeleine, même si c'est bien beau aux
Iles-de-la-Madeleine.
Dans ce sens-là, des régimes comme ça, est-ce
qu'ils permettraient plus de disparités? A priori, en tout cas, pour
nous autres, la preuve n'est pas faite.
M. Laplante: Je vais vous donner un exemple concret. Vous avez un
centre d'accueil...
Mme Dion: Oui.
M. Laplante:... où il est réparti, selon la classe
de malades qui sont dedans ou de résidents et la moyenne est d'à
peu près 2. 4 heures ou 2. 6 heures par bénéficiaire qui
est dans le centre d'accueil. Vous avez une masse salariale. Actuellement, vous
l'avez décentralisée, la masse salaire.
Mme Dion: D'accord.
M. Laplante: Ce centre d'accueil, disons qu'il aurait 2 000 000 $
d'administration et que vous décidiez, vous autres, par une
négociation que vous feriez avec vos travailleurs, de dire: Moi, avec
ces 2 000 000 $, je favorise de payer encore plus mes employés, leur
payer 10% de plus qu'ailleurs, et que vous reconnaissiez ce principe.
Au bout de tout ça - c'est la même masse d'argent que vous
avez là - il faudra des employés de moins pour servir. Il
faudrait que vous diminuiez la qualité des soins et que vous les portiez
à 2 ou 2. 2 heures par bénéficiaire qu'il peut y avoir
là. Comment administreriez-vous un budget à ce moment-là?
Vous ne pouvez pas couper le chauffage; vous ne pouvez pas couper sur la
nourriture parce que ces gens doivent manger; il faut faire le lavage et
l'entretien et tout ce qui est socio-sanitaire dans une telle entreprise.
Comment arrangeriez-vous un budget à ce moment-là?
M. Savard: Vous pensez que des normes déterminées
sur une base provinciale et s'apptiquant uniformément à tous
peuvent du premier coup et sans aucune exception permettre que, dans un centre
d'accueil, les ressources soient idéalement organisées. Nous
pensons que non. Il est sûr que, dans l'ensemble, les centres d'accueil
se ressembleraient au niveau de l'organisation, mais des adaptations
tiendraient compte des caractéristiques de la clientèle à
desservir, ce qui n'est absolument pas possible actuellement.
Le Président (M. Lachance): Merci. Je cède
maintenant la parole à M. le député de Sainte-Anne.
M. Polak: Merci, M. le Président. À la page 8 de
votre mémoire, vous dites que vous êtes en faveur
d'éliminer le droit de grève dans les établissements des
affaires sociales. Il y a d'autres théories qui parlent
d'éliminer le droit de grève dans le secteur de la santé.
Ai-je bien compris que, pour vous, quand vous dites "les établissements
des affaires sociales", cela veut dire tous les établissements qui
tombent sous la juridiction du ministère des Affaires sociales?
Faites-vous une distinction à savoir qu'un certain secteur peut
être plus affecté qu'un autre? Je comprends que le problème
est toujours très grave. Je peux m'imaginer que, dans un hôpital
de soins aigüs ou psychiatriques, ce n'est pas exactement la même
chose que dans un établissement où les personnes sont
relativement en bonne santé. Pourriez-vous donner quelques commentaires
là-dessus?
M. Savard: Au-delà des apparences, les problèmes
que suscitent les arrêts de travail dans les établissements de
santé ne sont pas plus graves que dans les établissements des
services sociaux et vice versa, c'est-à-dire que les problèmes
sont aussi graves, au-delà des apparences, dans les services sociaux.
Évidemment, quelqu'un qui requiert un service social quelconque ne fait
peut-être pas d'hémorragie, mais il a des problèmes
très sérieux - je n'ai pas à exposer cela -qui peuvent
exister et qui ont besoin d'une solution immédiate. Donc, ils ne peuvent
pas souffrir l'arrêt de travail dans les établissements.
M. Polak: Nous connaissons tous M. Brunet. Il est venu devant la
commission et même devant d'autres commissions. Je me rappelle que, au
tout début, quand j'ai été élu député
et quand on a eu une commission toute spéciale justement sur les
services essentiels, j'étais très impressionné de la
manière dont il parlait du vécu. Existe-t-il des statistiques sur
les secteurs qui semblent moins graves au public, où les gens n'ont pas
de problème de santé? Par exemple pour les personnes
âgées qui souffrent de stress, sur le plan moral peut-il y avoir
un traitement psychiatrique après un grève? Y a-t-il des
statistiques sur des cas connus comme ceux-là dans vos
établissements?
M. Savard: Vous voulez dire des séquelles suivant les
arrêts de travail?
M. Polak: Oui.
Mme Dion: Scientifiquement prouvables et
méthodologiquement bien calculés, quant à moi en tout cas,
sur la foi du serment; je ne serais pas capable de vous donner des chiffres.
Nos prétentions sont à l'effet qu'effectivement ces perturbations
sont graves pour le public. Elles sont graves au niveau psychologique aussi
dans le sens qu'elles insécurisent la population. Si vous parlez
strictement... Les grèves au niveau des affaires sociales, je les ai
toutes vécues jusqu'à maintenant. Même si au niveau de la
qualité des services pour un certain nombre d'heures ou un certain
nombre de jours, cela n'a peut-être pas toujours été
catastrophique,
il n'en demeure pas moins que l'individu qui a à le subir vit une
insécurité importante. Il y a des rumeurs, il s'imagine toutes
sortes de choses et, dans ce sens, le public subit des tares difficilement
réparables, mais elles ne sont pas nécessairement anatomiquement
décelables.
M. Polak: Mais des dossiers existent. Dans ces
établissements, des dossiers existent sur le vécu dans une
grève, peut-être pas de la manière connue du public, comme
dans le cas de M. Brunet, mais tout de même, comme vous le dites, dans
des cas aussi graves qui affectent les usagers également.
Mme Dion: II y a aussi toute la problématique... Toute
votre clientèle de liste d'attente n'a pas été
mesurée avant. Conséquemment, c'est quoi le délai ou la
pertinence ou les résultats provoqués par le fait qu'il y a eu
huit jours au lieu de quatre jours d'attente? Cela non plus n'est pas
calculé méthodologiquement ou scientifiquement.
Une voix: Pourquoi dans une...
Mme Dion: Excusez-moi. Les droits de grève, pour les avoir
déjà vécus ou essayés, en tout cas, on ne pense pas
que c'est une réussite et on est prêt à essayer une autre
formule.
M. Chagnon: Vous avez eu encore ce matin des réclamations
à savoir - et on n'est pas dans une période de grève -
qu'il était nécessaire d'augmenter le ratio de personnel.
C'était essentiel pour la qualité des soins. Pourquoi cette
problématique change-t-elle parce qu'on est en période de
négociation ou de grève? À ce moment-là, c'est
justement une illustration que c'est difficile d'essayer de cerner cette
situation. Peut-être qu'à deux heures aujourd'hui une situation
n'est pas délicate et intolérable et que, deux heures plus tard,
elle peut le devenir. Quand on entre dans ces distinctions, on n'en finit plus
et on réussit à justifier que, dans tous les secteurs, le droit
de grève est nécessaire et qu'il n'y a jamais eu de situations
intolérables pour les soins et la sécurité des
bénéficiaires qu'on doit assumer.
M. Polak: Un autre point, c'est à la page 4 de votre
document où vous parlez de la rémunération globale, de la
politique salariale. Si j'ai bien compris vos documents, vous dites que c'est
l'État qui doit établir la politique salariale et, ensuite, vous
dites qu'un des principes de cette politique doit être la
rémunération globale. Ce n'est pas seulement le chèque de
paie, le salaire, mais aussi les bénéfices y inclus, tels que la
sécurité d'emploi et d'autres éléments. Ensuite,
vous suggérez au gouvernement de procéder avec un organisme
indépendant qui doit faire des études et comparer le secteur
privé avec le secteur public et ne pas étudier seulement le
facteur salarial mais également tous les autres éléments
tels que la sécurité d'emploi. Vous dites aussi que tout cela va
être évalué en dollars et en coûts relatifs
établis. Expliquez-moi cela.
Je suis avocat et je pratique à Montréal. J'ai une
secrétaire qui n'a aucune sécurité d'emploi. Je ne le
souhaite pas -elle travaille aujourd'hui et elle ne peut donc pas me voir
à la télévision - mais disons que je peux lui donner un
avis de quelques semaines et c'est la fin du contrat selon le Code civil et le
peu de protection qui existe pour cette employée, en vertu de la Loi sur
les normes du travail. J'ai une autre secrétaire qui travaille ici au
deuxième étage et qui a la sécurité d'emploi. Moi,
je vois la différence. Mais je vous demande comment un organisme peut
évaluer en argent, en dollars, le coût de cela. Comment
évaluer la sécurité d'emploi pour comparer? Moi, je peux
faire une comparaison, par exemple, au point de vue de l'initiative, au point
de vue de: Je veux garder mon emploi, au point de vue de dire: Je veux
améliorer ma situation parce qu'il va peut-être me payer plus. Il
y a toutes sortes de systèmes. On appelle cela en anglais l'"incentive",
qui joue un très grand rôle, et, pour quelqu'un qui a la
sécurité d'emploi, c'est beaucoup moins important. Je trouve
intéressante votre observation que cela peut être ramené en
dollars et en coûts relatifs. Comment un organisme pourrait-il faire
cela?
M. Chagnon: On demande justement à des experts de se
pencher là-dessus et d'analyser la question. Je vous renverrais la
balle. Il y a eu des propositions faites aux tables de négociation
antérieurement qui ont été déposées.
J'imagine qu'il doit y avoir des études qui ont été faites
sur les propositions qui ont été mises sur la table. Je ne le
sais pas, je ne les connais pas. Sauf qu'on a réussi à chiffrer
autre chose beaucoup plus difficile à chiffrer. J'ai l'impression que
les experts pourraient, en fait, identifier les hypothèses qui
resteraient à démontrer et à prouver pour identifier un
coût relatif. On identifie des coûts d'avantages sociaux dans
l'industrie sans la sécurité d'emploi. On réussit à
chiffrer un certain nombre de coûts relatifs à des congés
particuliers, par exemple, des vacances, etc. J'imagine que la
sécurité d'emploi devrait être chiffrable. Cela me
paraît possible de chiffrer cela. (15 h 15)
M. Savard: Je pense qu'on peut dire même qu'il y a
déjà des études qui existent et qui ont été
faites en particulier au Conseil du trésor pour chiffrer cet avantage.
D'ailleurs, pour faire une boutade, lorsque la période des compressions
budgétaires s'est
abattue, lorsque le gel des salaires s'est appliqué aux cadres,
on a dit aux cadres: Vous pouvez bien accepter cela parce que c'est
compensé par la sécurité d'emploi que vous avez. Mais nous
avons très mal reçu le message parce que nous avons la
particularité d'être le seul groupe de cadres, à la
différence de la fonction publique et de l'éducation, à ne
pas avoir la sécurité d'emploi. Je dis cela un peu en boutade
pour dire qu'effectivement le coût de ces avantages a déjà
été mesuré.
M. Polak: Je reviens sur l'abolition du droit de grève
dans tout le secteur des affaires sociales. On connaît les
réactions de ceux qui travaillent dans le milieu. Je ne parle pas des
travailleurs parce que je connais des travailleurs dans mon comté qui
penchent déjà de ce côté, qui voient très
clairement le fait que les services aux usagers sont peut-être
primordiaux. Il faut faire un choix à un moment donné. Disons
qu'à un moment donné cela devient une lutte et qu'il faut prendre
position. Il y a ceux qui disent: Oui, il faut l'abolir et d'autres qui disent:
Cela va être la fin de notre existence. Il ne sert à rien de
continuer. Qu'est-ce qu'on va négocier? Si on abolit cela, il ne reste
plus rien. En tout cas, comme on le dit en anglais: "Turn the clock back 25
years. "
Comment voyez-vous cela? Pensez-vous que l'opinion publique est assez
évoluée et que, si la population demande cela simplement, il faut
trouver un accord pour accepter cela? Croyez-vous qu'on fera peut-être
face à d'énormes conflits?
M. Chagnon: Les conflits, on y fait face actuellement. Dans les
hôpitaux, on vit les reliquats des conflits qui sont
générés et hypercentralisés. Les parties, au niveau
local, n'y peuvent rien; elles les vivent tant du côté syndical
que patronal.
Si on prévoit un système humanisé et rationnel, et
qu'on offre des données objectives accessibles aux parties - s'il y a
aussi des changements d'attitudes et de comportements qui doivent accompagner
ce changement - c'est certain qu'on a des chances. Mais il faudrait qu'on offre
certaines garanties en contrepartie dans un régime semblable.
M. Polak: Quant aux employés qui oeuvrent dans votre
secteur des services de santé et des services sociaux - je suis certain
que vous communiquez avec eux, parce que vous êtes des bons
administrateurs et que vous êtes censés avoir des bons contacts
avec vos employés - avez-vous l'impression qu'ils sont en
évolution vers cette façon de résoudre le problème
incluant l'arbitrage? Je crois que vous êtes pour le système
d'arbitrage. En parlant avec vos employés, notez-vous une
différence par rapport à il y a deux ans, disons, quand on
parlait des services essentiels?
M. Chagnon: Offrez des garanties et des objectifs aux gens et
consultez les gens individuellement, pas les "establisments" patronaux ou
syndicaux, mais les gens sur le terrain et vous allez peut-être avoir un
son de cloche différent. Mais offrez des garanties objectives que leurs
conditions de travail vont être établies de façon
sérieuse et, à ce moment-là, je pense que la position va
être clairement identifiable.
M. Polak: D'accord. Ma dernière question. Vous venez de
parler de conditions de travail sérieuses et d'un organisme
indépendant...
M. Chagnon: C'est cela.
M. Polak:... justement pour arriver à quelque chose de
plus objectif, de sorte que les employés vont dire: Ce n'est pas un
rapport de forces; c'est quelque chose que je peux accepter. Je comprends
très bien votre raisonnement. Est-ce que, par le fait même, vous
rejetez cette idée de l'institut de recherche, tel que
suggéré par le ministre, où on a treize membres, six du
côté syndical et six du côté patronal, dont les
visages sont connus partout, et un président?
M. Chagnon: D'abord, fondamentalement, nous sommes pour la
création d'un tel institut. On fait des suggestions pour enrichir cette
idée de base et obtenir un plus grand degré
d'impartialité. Entre autres, au niveau du président - on le
mentionnait tout à l'heure - on veut qu'il ait en fait, le même
statut que celui du Vérificateur général, qu'il soit
nommé par l'Assemblée nationale, qu'il soit non amovible et que
la composition du conseil d'administration soit faite à la suite de
l'établissement de listes qui ont été, en fait,
suggérées par les parties, que les membres soient choisis dans
ces listes.
M. Polak: Bon, je termine pour l'instant. Je suis certain qu'il y
a d'autres questions des autres membres.
Le Président (M. Lachance): Merci. M. le
député de Fabre.
M. Leduc (Fabre): Merci, M. le Président. Pour bien
comprendre le modèle de décentralisation que vous
préconisez, le rôle des établissements et le rôle de
l'État, je me réfère à votre mémoire,
à la page 4, où, d'une part, vous dites: "Nous préconisons
que l'État et le Conseil du trésor se retirent
complètement du champ de la négociation collective au profit des
établissements". Dans
un deuxième temps, un peu plus bas, vous dites:
"L'établissement des masses salariales et leur rythme d'accroissement
seraient du ressort exclusif de l'État et non sujets à la
négociation. " Au dernier paragraphe, vous dites: "D'autre part,
l'établissement de paramètres et de standards d'importance
nationale devrait être effectué par voie législative".
Il y a trois indications ici qui me semblent extrêmement
importantes. Là, vous donnez aussi, dans la dernière citation que
j'ai faite, l'exemple de la Loi sur les normes du travail. Est-ce que j'ai bien
compris? La Loi sur les normes du travail touche les conditions de travail
minimales dans les entreprises. Est-ce ce à quoi vous pensez,
c'est-à-dire une loi qui toucherait la fonction publique et parapublique
et qui établirait les normes minimales du travail, de la même
façon que la Loi sur les normes du travail le fait pour le secteur
privé? Est-ce que j'ai bien compris? Ce serait la façon pour
l'État... Enfin, par voie législative, cela veut dire que c'est
l'Assemblée nationale qui le fait. Ce peut être fait sur
proposition du gouvernement, évidemment. Ce serait une façon pour
l'État d'intervenir dans les négociations, mais sous forme de
normes minimales du travail dans les secteurs public et parapublic. Est-ce que
je comprends bien la référence que vous faites à la page
4?
M. Chagnon: Je pense que la réponse à votre
question est oui. Je ne sais pas si vous voulez un commentaire
là-dessus, mais la réponse est oui.
Je suppose que votre question n'inclut pas que nous pensons au contenu
même de la Loi sur les normes du travail comme étant les normes
minimales qui devraient s'appliquer aux affaires sociales; nous n'avons pas
examiné une à une les normes minimales qui sont dans la Loi sur
les normes du travail pour savoir si c'est suffisant. Nous avons
référé à la Loi sur les normes du travail
uniquement pour illustrer le mécanisme, pas le contenu.
M. Leduc (Fabre): Non, pas le contenu, je comprends, mais cela
pourrait éviter les abus que l'on craint, les excès d'un
établissement à l'autre, les disparités trop grandes d'un
établissement à l'autre. Cela pourrait, quand même,
signifier qu'il y ait des disparités dans le domaine salarial ou sur les
modalités de la sécurité d'emploi, de la tâche de
travail, en fait, mais il y aurait une base qui serait établie par voie
législative. C'est cela? Cela éclaire, cela précise votre
pensée.
Deuxième point: la question du médiateur arbitre. Je
m'interroge beaucoup sur votre proposition de laisser au médiateur
arbitre le soin de déterminer le normatif. Il me semble que, si
j'étais du côté de la partie syndicale, je
n'hésiterais pas à avoir recours au médiateur arbitre. Je
n'ai absolument rien à perdre et tout à gagner. C'est ma
première remarque.
Ma deuxième remarque est que le médiateur arbitre va
prendre des décisions qui touchent le budget de l'État. Quand on
connaît le budget dans le domaine de la santé et des affaires
sociales, c'est un budget qui touche les milliards. Cela veut dire que vous
laissez à une personne le soin de déterminer des masses d'argent
qui ont directement trait ou qui touchent directement le budget de
l'État. Ne trouvez-vous pas cela un peu excessif comme règlement
des différends?
M. Savard: Notre lecture n'est pas tout à fait la
même. Sans jouer sur les mots, nous pensons qu'un arbitre pourrait
prendre des décisions qui pourraient avoir un effet sur les affectations
budgétaires que ferait un employeur. C'est très différent
de déterminer les masses salariales que l'État mettrait à
la disposition de telle mission qui est la sienne, par exemple.
M. Leduc (Fabre): Oui, mais si un médiateur arbitre doit
trancher sur une question qui touche... Si je comprends bien, vous proposez que
le médiateur arbitre ait autorité sur les salaires aussi.
M. Savard: Sous réserve des résultats de l'Institut
de recherche sur la rémunération.
M. Leduc (Fabre): Oui, mais il reste que le tout serait remis
entre les mains du médiateur arbitre. Encore une fois, la partie
syndicale...
M. Savard: Les modalités.
M. Leduc (Fabre):... a tout à gagner et rien à
perdre là-dedans.
M. Savard: Ce n'est pas un projet antisyndical, notre
mémoire.
M. Leduc (Fabre): Non, je comprends, mais ça me semble
être un peu facile comme solution, surtout qu'il appartient à
l'État de déterminer la masse d'argent qui doit être
attribuée à tel ou tel secteur de la vie publique.
M. Savard: Mais vous avez bien compris qu'on est
entièrement d'accord avec ça.
M. Leduc (Fabre): II me semble y avoir contradiction, mais je
vous remercie pour vos réponses.
M. Rivest: Cet argument-là est souventefois
invoqué, contre l'arbitrage. Il
est bien clair que c'est à l'État, mais quand même,
finalement, ce que l'arbitre décide, ça peut être des
montants très importants, bien sûr, mais c'est juste le taux de
croissance des salaires et non pas la masse qui reste substantiellement la
même. C'est un ajout. On parle de 2%, 3% ou 4%.
M. Savard: Ce n'est pas à l'arbitre de déterminer
quel devra être le budget de l'établissement. C'est au
ministère des Affaires sociales, à l'intérieur du budget
qui lui est alloué. Cependant, un établissement employeur qui ne
réussirait pas à s'entendre pour savoir quelle affectation de
telle partie de son budget...
M. Rivest: J'amène cette précision-là parce
que les gens disent qu'ils sont contre l'arbitrage obligatoire parce que
ça donne à un tiers le soin de déterminer le budget de
l'État. Ce n'est pas tout à fait exact; c'est loin d'être
exact, d'ailleurs.
M. Savard: Non.
M. Caron: II faudrait être sûr...
Le Président (M. Lachance): M. le député de
Verdun, voulez-vous intervenir? Allez-y, M. le député!
M. Caron: Dans la même ligne de pensée, si jamais le
gouvernement, décidait d'aller à l'arbitrage, il faudrait
s'entendre avant pour ne pas avoir le même problème qu'on a eu
avec la Sûreté du Québec. Sans vouloir mettre le couteau
dans la plaie, il faudrait bien que ce soit clair avant de partir.
M. Clair: Justement, M. le Président, je pense que c'est
important dans ces matières-là d'avoir des règles claires
et que chaque partie les accepte. Puisque dans le cas auquel le
député se réfère, justement, il est
spécifiquement prévu dans la loi qu'il ne s'agit pas d'un
arbitrage qui lie les deux parties, l'arbitrage ne pouvait lier que les
policiers et non pas le gouvernement, ce qui, effectivement, compte tenu de la
nature très spécifique de ce genre d'arbitrage, a amené
toute l'ambiguïté qui a entouré cette question-là. Je
pense que ce qu'on peut en retenir aussi, c'est qu'avant de songer à
importer exactement ce mécanisme-là tel qu'il existe dans la loi
pour le régime de négociation à la Sûreté du
Québec, il faudrait autant que possible que les règles soient
claires.
M. Rivest: Je pense que vous serez d'accord également pour
convenir, M. le ministre, qu'il ne faudrait pas, non plus, que le recours
lui-même à l'arbitrage obligatoire soit laissé à
l'initiative du gouvernement qui l'utilise à des fins
stratégiques à l'occasion de visite papale et autres, comme dans
le cas de la sûreté, n'est-ce pas?
M. Clair: II y a un intervenant hier qui faisait état,
justement, non seulement pour l'une, mais pour toutes les parties dans toutes
les négociations dans le secteur public, de certaines distorsions dues
au fait que, lorsque quelqu'un n'utilise pas les tribunaux ou autre chose
à des fins stratégiques - il peut arriver qu'il le fasse -on
pense qu'il l'a fait. Là, on passe a un deuxième niveau, je
dirais, de présomption de mauvaise foi, ce qui vient compliquer le
système; d'où la nécessité de le
réformer.
M. Rivest: II faut être très orthodoxe dans ce
domaine-là.
M. Clair: En toute chose.
Le Président (M. Lachance): Ceci étant dit,
je...
M. Clair: M. le Président...
Le Président (M. Lachance): Oui, M. le ministre. (15 h
30)
M. Clair:... juste quelques mots pour m'excuser auprès de
l'Association des administrateurs des services de santé et des services
sociaux du Québec de mon absence pour la présentation de son
mémoire. Je n'ai pas voulu ajouter mes questions à celles des
collègues ministériels ou de l'Opposition. J'étais retenu
par d'autres fonctions au Conseil des ministres et je m'en excuse.
M. Rivest: Ça existe encore?
Le Président (M. Lachance): Merci, M. le ministre.
À mon tour, à titre de président de cette
commission, je désire remercier les représentants de
l'Association des administrateurs des services de santé et des services
sociaux du Québec d'avoir bien voulu rendre aux membres de la commission
le fruit de leur réflexion sur l'avant-projet de loi. Merci beaucoup
à Mme Dion et aux personnes qui l'accompagnent.
Je demanderais maintenant aux porte-parole du groupe qui doit suivre,
l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, de bien vouloir
se présenter.
Je souhaite la bienvenue aux représentants de l'Ordre des
infirmières et infirmiers du Québec ainsi qu'à leur
présidente, Mme Jeannine Pelland-Baudry à qui je demanderais de
bien vouloir présenter les personnes qui l'accompagnent pour les membres
de la commission et le Journal des débats. Mme Baudry, si vous
voulez bien nous présenter vos collègues à partir de
votre extrême gauche, s'il vous platti
Mme Pelland-Baudry (Jeannine); À ma gauche,
Mme Thérèse Guimond, directrice générale et
secrétaire, et Mme France Duchesne, conseillère; à ma
droite, Me Pierre Bourbonnais, conseiller juridique.
Ordre des infirmières et
infirmiers du Québec
Le Président (M. Lachance): Merci. J'apprécie votre
ponctualité puisqu'il était prévu qu'on devait vous
entendre à 16 heures. Il est environ 15 h 30 et vous êtes
là, ce qui nous permet d'anticiper. Si vous êtes prête, nous
serions prêts à vous entendre immédiatement.
Mme Pelland-Baudry: Nous sommes prêts. M. le
Président, M. le ministre et MM. les députés, notre
mémoire n'étant pas tellement long et comme vous nous avez offert
20 minutes de présentation, je pense que je vais le lire tout simplement
et, ensuite, nous répondrons aux questions que vous voudrez bien nous
poser.
C'est avec intérêt que l'Ordre des infirmières et
infirmiers du Québec a pris connaissance de l'avant-projet de loi
intitulé Loi sur le régime de négociation des conventions
collectives dans les secteurs public et parapublic. Cet avant-projet de loi
contient certaines dispositions qui démontrent la volonté du
gouvernement d'effectuer un meilleur encadrement des négociations des
conventions collectives dans les secteurs de l'éducation, des affaires
sociales et des organismes gouvernementaux. Toutefois, les changements
proposés, à notre avis, ne constituent qu'une amorce de
réforme du régime de négociation.
L'ordre transmet ses préoccupations aux membres de la commission
du budget et de l'administration quant aux droits de la population de recevoir,
en tout temps, des services de santé et des services sociaux que leur
état de santé exige, en rappelant la prise de position que le
bureau a émise en 1982 au sujet du retrait des services dans le secteur
de la santé, et apporte quelques commentaires spécifiques sur le
mode de négociation, l'Institut de recherche sur la
rémunération, le Conseil des services essentiels et l'information
à la population.
C'est dans le but de participer à l'effort collectif pour
modifier la situation qui prévaut actuellement et depuis les 20
dernières années dans le domaine des relations du travail, et en
tenant compte de l'intérêt de la collectivité, de la
protection du public et de la nature "essentielle" des services rendus par les
employés de l'État, surtout ceux du secteur des affaires
sociales, que l'ensemble de ces commentaires sont apportés.
L'ordre ne prétend pas détenir une expertise en relations
du travail. Par contre, ayant comme fonction principale la protection du
public, il croit qu'il est de sa responsabilité sociale de soumettre aux
membres de la commission ses commentaires concernant le sujet complexe et
controversé que constitue le droit de grève. Même si
l'avant-projet de loi assujettit la grève et le lock-out à des
conditions telles qu'il devient, à toutes fins utiles, très
difficile d'y recourir, l'ordre demeure déçu que le gouvernement
ne les ait pas interdits, surtout dans les services de santé. Le droit
de grève dans ces services a, en effet, été l'objet de
nombreuses discussions au cours desquelles l'opportunité de le maintenir
a été fortement remise en question. Interdire le droit de
grève, particulièrement dans les services de santé,
était en définitive le pas à faire de la part du
gouvernement et la décision normale à laquelle la population
pouvait s'attendre.
L'ordre réitère aux membres de cette commission la
position qu'il avait fait connaître en 1982 aux membres de la commission
permanente du travail et de la main-d'oeuvre. À cette époque, au
terme d'une réflexion ayant pris en considération, entre autres,
les paradoxes vécus par les employés du secteur de la
santé, l'impossibilité de définir les services essentiels
dans ce secteur et les préjudices subis par la population, le bureau de
l'ordre s'est prononcé contre le retrait des services dans le domaine de
la santé. Cette position était basée sur différents
faits qui sont encore d'actualité.
Un bref examen de la situation des employés du secteur de la
santé fait ressortir un certain nombre de paradoxes. Les employés
de ce secteur ont, par leur appartenance au secteur de la santé,
certaines obligations et, par leur allégeance syndicale, certains
droits. Ces différentes facettes ne sont pas toujours faciles à
concilier dans la réalité quotidienne et elles deviennent
inconciliables lors d'un conflit de travail alors que les négociations
se corsent et que la décision de devoir utiliser des moyens de pression
doit être prise. Il faut aussi se rappeler que les valeurs humanitaires
véhiculées dans le secteur de la santé ne furent pas
toujours reconnues sur le plan socio-économique. De plus, les
employés du secteur de la santé font partie intégrante
d'une société qui reconnaît à tout individu le droit
de négocier ses conditions de travail et de salaire et qui
reconnaît également la liberté d'action syndicale. Dans ce
contexte, les valeurs humanitaires s'opposent aux exigences de la confrontation
inhérente à la négociation.
En outre, tous les aspects de l'exercice des professions dans le domaine
de la santé sont régis par des responsabilités
déontologiques ayant comme raison d'être le
bénéficiaire, de sorte que toutes les activités
professionnelles sont subordonnées au droit qu'ont les
bénéficiaires et les usagers de recevoir les services que
requiert leur condition de santé. Par ailleurs, les professionnels
syndiqués ont, par ce statut, des droits et des privilèges,
lesquels, lorsqu'il y a conflit de travail, viennent en contradiction avec les
valeurs que ces professionnels véhiculent à travers le service
qu'ils rendent à la population... C'est là le principal paradoxe
qui les confronte lorsque, au cours des négociations, ils en viennent
à décider de retirer leurs services. Compte tenu de leurs
responsabilités déontologiques, la promotion de leurs
intérêts socio-économiques doit être
subordonnée aux droits des bénéficiaires de recevoir des
services. Dans ce contexte, le retrait de leurs services est difficile à
envisager comme moyen de pression acceptable.
En ce qui concene les services essentiels, la notion même de
services essentiels est ambiguë et prête à controverse. Pour
pouvoir obtenir une description des services essentiels dans un domaine aussi
complexe et diversifié que le domaine de la santé, il faudrait
être capable de dépasser le stade de données quantitatives
et développer des instruments qualitatifs valides pour vraiment
identifier dans toutes leurs ramifications les effets et l'impact des services
de santé sur la qualité de vie et le niveau de santé des
citoyens. Des critères objectifs n'ont jamais été
utilisés de façon rationnelle puisque ces variables n'ont pu
être identifiées.
Les services de santé comprennent un ensemble de facteurs et de
variables tous aussi complexes les uns que les autres et ne peuvent être
comparés à un autre type de services publics. L'identification
des services de santé dits essentiels suggère qu'il faille
procéder à une classification des besoins de santé
accordant une priorité à l'un par rapport à l'autre ou
encore déterminer des catégories de soins en portant un jugement
entre la valeur accordée à des soins à domicile, à
des soins aux malades chroniques ou bien à des soins en phase aiguë
de maladie.
Une autre dimension importante dans une tentative de clarifier des
services essentiels réside dans le fait que tout service jugé
essentiel à l'avance sera éventuellement soumis à des
impondérables tels que la durée du conflit, l'ampleur du rapport
de forces, le climat, le taux d'utilisation des services disponibles, la
variation du taux d'occupation, l'impossibilité de prévoir les
urgences et les modifications de l'état de santé des
bénéficiaires.
En somme, aucun des processus de détermination des services
essentiels déjà employés ne s'est avéré
valable et efficace.
La situation des bénéficiaires préoccupe l'ordre.
Les bénéficiaires des services de santé subissent les
répercussions non seulement des décisions des syndicats, mais
aussi de celles de l'employeur sans qu'il leur soit possible d'intervenir. Il
est difficile de connaître dans quelle mesure il est tenu compte de leurs
besoins par l'une ou l'autre des parties. On est même dans
l'impossibilité de mesurer les effets dévastateurs sur les
bénéficiaires, leur famille et la population des arrêts ou
des ralentissements de travail. De plus, ils sont actuellement tenus à
l'écart des mécanismes de négociation, n'y étant
même pas représentés.
Les citoyens du Québec ont un droit reconnu de recevoir les
services de santé nécessaires au maintien et à la
promotion de leur santé ainsi qu'à la prévention et au
traitement. Lorsque le retrait des services est utilisé comme moyen de
pression pour résoudre des conflits de travail dans le secteur de la
santé, la population est dépourvue des services auxquels elle a
droit, mettant ainsi en péril la santé et parfois même la
vie des citoyens. De plus, l'absence du public dans les processus actuels de
décision concourt à le faire percevoir comme otage de l'une et
l'autre des parties en cause.
Presque chaque renouvellement des conventions collectives dans le
secteur de la santé a donné lieu à des manifestations
publiques de conflits et à l'emploi de moyens de pression tels que des
mesures légales d'exception forçant le retour au travail des
syndiqués durent être utilisées dans le but
d'empêcher que la santé publique ne soit davantage menacée.
Là encore, tout porte à croire que le système des
relations du travail dans le domaine de la santé n'est pas doté
des instruments requis à un fonctionnement efficace et en accord avec
les besoins de la population et les droits des travailleurs. Somme toute, le
gouvernement n'a pas encore assez fait pour que le système de
négociations soit doté de mécanismes et d'instruments
appropriés.
C'est en tenant compte des paradoxes vécus par les
employés, de l'impossibilité de définir les services
essentiels et surtout de la situation des bénéficiaires des
services de santé qu'en 1982 le bureau de l'ordre s'était
prononcé contre le retrait des services dans le secteur de la
santé.
Or, dans le cadre de ce début de réforme du régime
des négociations collectives dans les secteurs public et parapublic,
l'avant-projet de loi constituait le véhicule idéal pour
concrétiser des convictions et des demandes de la société,
et même certaines volontés politiques ayant démontré
que le droit de grève dans le secteur de la santé n'est plus une
réalité désirée, tolérée et
acceptée. Sur ce point, la seule amélioration apportée est
d'interdire la grève ou le lock-out à l'égard d'une
matière définie comme faisant l'objet de stipulations
négociées et agréées à
l'échelle locale ou régionale, de même qu'à
l'égard de la rémunération.
L'ordre croit fermement que les gouvernements ne peuvent plus s'en tenir
uniquement à des considérations politiques, à des
dispositions mitoyennes et au recours à des décrets, les
syndicats poursuivre leur lutte au détriment des valeurs humaines
fondamentales et que les administrateurs du secteur de la santé ne
peuvent plus laisser les situations se détériorer et passer outre
aux insatisfactions souvent profondes des employés. (15 h 45)
II apparaît essentiel d'établir une ligne d'action
cohérente qui définirait, dans un cadre d'intervention souple,
les rôles de l'État, des administrateurs et des divers groupes de
professionnels. Cette ligne d'action devrait tenir compte des exigences
éthiques dans les rapports collectifs inhérents aux relations du
travail et du respect des droits aux services de santé de la
population.
C'est dans cette même perspective que nous abordons les sujets
concernant le mode de négociation, l'Institut de recherche sur la
rémunération, le Conseil des services essentiels et l'information
de la population.
Mode de négociation. L'ordre est sceptique quant à
l'application et à l'articulation des articles 20, 21 et 22. Il est vrai
qu'à l'article 21 des matières telles que l'organisation du
travail, les mouvements de personnel et les droits syndicaux sont explicitement
prévues comme devant être l'objet de stipulations
négociées et agréées à l'échelle
locale, mais il existe une ouverture qui permet aux parties de les
définir autrement. Les autres matières sur lesquelles portent les
stipulations négociées à l'échelle locale ou
régionale doivent être définies par les parties à
l'occasion de la négociation des stipulations négociées et
agréées à l'échelle nationale. L'on peut penser que
la définition même des matières que les gestionnaires et
les syndiqués au niveau local pourront négocier et agréer
pourrait être une occasion de litige entre les parties à
l'échelle nationale. Bien que ces dispositions démontrent une
préoccupation de favoriser la négociation permanente et d'amener
une certaine décentralisation, l'ordre croit que le gouvernement doit
établir un cadre législatif plus explicite en ce qui concerne les
matières qui font l'objet de stipulations négociées et
agréées à l'échelle nationale par rapport à
celles qui font l'objet de stipulations négociées et
agréées à l'échelle locale ou régionale.
Par ailleurs, les articles 23 et 25 qui permettent d'avoir recours
à l'intervention soit d'un médiateur, soit d'un conseil de
médiation ou d'un groupe d'intérêt public pour
régler un différend à l'échelle nationale
constituent une nette amélioration dans le processus de
négociation. Toutefois, étant contre le retrait des services,
l'ordre recommande que ces articles soient assortis d'une disposition qui rende
l'arbitrage obligatoire à défaut d'une entente.
La création d'un organisme sous le nom de "Institut de recherche
sur la rémunération" est un aspect positif de l'avant-projet de
loi sur le régime de négociation des conventions collectives. En
effet, les dispositions de la section I retirent du champ des
négociations la rémunération des employés de
l'État. L'ordre appuie ce nouveau mécanisme puisque le
gouvernement se réserve un pouvoir décisionnel conforme à
ses responsabilités. Cependant, une ambiguïté demeure quant
à la notion de rémunération. En effet, on peut se demander
si la rémunération comprend les salaires et les avantages
sociaux, et même d'autres avantages.
Tout en prévoyant la possibilité de négocier avec
les groupements d'associations de salariés et les associations de
salariés, en collaboration avec les comités patronaux, le Conseil
du trésor fixera les stipulations relatives à la
rémunération pour l'année en cours dans le cadre d'un
projet de règlement déposé devant l'Assemblée
nationale, et ce, après analyse du rapport publié par l'institut.
Ce rapport étant basé sur les résultats d'études et
de recherches, l'ordre considère que les décisions de
l'État pourront s'appuyer sur des faits et de l'information plus
objective, tout en tenant compte de la capacité de payer des citoyens du
Québec et des objectifs sociopolitiques et économiques poursuivis
par le gouvernement. Procéder ainsi permet d'éviter que des
décisions d'ordre économique soient prises à la suite
d'affrontements, de confrontations et de rapports de forces, ce qui ne saurait
exister dans une société où les services fournis
relèvent des secteurs public et parapublic.
L'avant-projet de loi confère des pouvoirs de redressement au
Conseil des services essentiels. Malgré ce pouvoir de rendre une
ordonnance s'il estime qu'un conflit affecte ou est vraisemblablement
susceptible d'affecter de façon préjudiciable un service auquel
le public a droit, l'ordre est en désaccord avec ces dispositions
législatives. Dans le secteur des affaires sociales, lorsque la vie et
la santé des bénéficiaires des établissements de
santé et des usagers des services connexes sont en danger, il
relève du gouvernement de prendre les mesures qui s'imposent pour que
ces citoyens reçoivent les services auxquels ils ont droit. D'ailleurs,
des dispositions devraient être ajoutées à l'avant-projet
de loi pour prévoir des sanctions exemplaires pour tout lock-out ou
fermeture de services ou pour toute activité de nature à causer
préjudice à la santé, que ce soit un ralentissement de
travail, une grève illégale,
un débrayage spontané, des absences collectives ou tout
autre moyen de pression utilisé tant par les administrateurs que par les
syndiqués.
L'avant-projet de loi prévoit qu'à défaut d'entente
le rapport d'un médiateur, celui des parties sur l'objet de leur
différend à l'échelle nationale et celui d'un
médiateur-arbitre doivent être rendus publics. L'ordre appuie ces
dispositions qui permettront à la population d'être mieux
informée des dimensions réelles des différends ou des
désaccords qui existent entre la partie patronale et la partie
syndicale, et de la dynamique du contexte des relations du travail dans les
secteurs public et parapublic.
Par ailleurs, l'avant-projet de loi n'est pas allé assez loin en
regard de la participation des bénéficiaires, surtout si l'on
considère qu'ils réclament d'être entendus depuis des
années. Cette participation pourrait prendre diverses formes soit: une
représentation au Conseil des services essentiels, une consultation des
groupes concernés, la nomination par ces groupes de personnes pour les
représenter. Chacune de ces modalités est susceptible de
permettre que leurs besoins soient mieux identifiés et leurs droits
davantage reconnus.
Conclusion. Il existe un fait indéniable. Les mécanismes
de négociations collectives doivent être améliorés,
et tout spécialement lorsque des conflits de travail surgissent, afin
d'éviter que la population soit prise en otage au moment où elle
nécessite de l'aide, du support et des services de santé. Dans de
telles circonstances, les citoyens nécessitant des services sont en
effet lésés dans leur droit le plus fondamental puisque atteints
dans leur intégrité de personne humaine libre et autonome.
En conséquence, l'ordre recommande que le gouvernement respecte
les engagements qu'il a pris à travers les déclarations et les
interventions de quelques-uns de ses ministres d'abolir le droit de
grève dans les services de santé et répondre ainsi aux
volontés exprimées par la population à travers les divers
groupes qui la représentent. L'ordre requiert du gouvernement qu'il
s'engage à doter le système des relations du travail dans le
domaine de la santé d'instruments requis à un fonctionnement
efficace et en accord avec les besoins de la population et les droits des
travailleurs. Enfin, l'ordre recommande que l'avant-projet de loi soit
doté de mécanismes ou de dispositions permettant que les
bénéficiaires soient consultés et entendus, et que leurs
intérêts soient pris en considération dans le processus de
négociation.
Nous répondrons, et mes collègues le pourront
également, aux questions que vous poserez.
Le Président (M. Lachance): Merci, Mme Baudry. Vous
êtes effectivement entrée dans les 20 minutes allouées pour
l'exposé. Je cède immédiatement la parole au ministre
délégué à l'Administration et président du
Conseil du trésor.
M. Clair: Merci, M. le Président. Je voudrais d'abord
remercier l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec de
s'être penché sur cette question du régime de
négociation dans les secteurs public et parapublic, de s'y être
intéressé depuis plusieurs années, d'ailleurs, puisqu'on
sait que l'ordre des infirmières a déjà eu l'occasion dans
d'autres commissions parlementaires de faire part de son point de vue quant
à certains éléments de ce régime et,
également, de s'être penché de manière plus
récente sur l'avant-projet de loi. Je suis d'autant plus heureux
d'entendre l'Ordre des infirmières et infirmiers aujourd'hui, M. le
Président, qu'en ce qui me concerne, comme président du Conseil
du trésor, je n'ai pas eu de contact officiel avec l'Ordre des
infirmières et infirmiers, depuis ma nomination, sur ces questions.
L'ordre peut effectivement apporter un point de vue et une contribution
importante à ces travaux. Donc, je remercie Mme Pelland-Baudry et les
gens qui l'accompagnent.
M. le Président, je voudrais rapidement aborder trois sujets qui
sont touchés par le mémoire de l'Ordre des infirmières et
infirmiers du Québec. Le premier est la fameuse question du droit de
grève. Déjà, en mai dernier, dans le document
intitulé "A la recherche d'un nouvel équilibre", le gouvernement,
sous ma signature, faisait état de deux principes - dont l'un a
été repris par mon collègue, le député de
Portneuf -qui sont en cause dans la question de la primauté des droits.
Tout le monde considère que le droit à la vie, à la
santé et à la sécurité est un droit individuel
fondamental dans notre société. L'immense majorité des
gens considèrent aussi que le droit à l'association syndicale, le
droit à la libre négociation de ses conditions de travail est, en
matière de droits collectifs, un droit fondamental. On est donc en
présence d'une question très difficile à résoudre
puisqu'il s'agit dans ce cas de déterminer quel droit l'emporte. Je
crois que je peux affirmer que n'importe quel gouvernant ayant une tête
sur les épaules et le coeur à la bonne place va vite en conclure
que le droit à la santé, à la vie et à la
sécurité de la personne est un droit qui doit l'emporter sur le
second. Cependant, il y a plusieurs façons de voir comment on peut
s'assurer que ce droit à la vie, à la santé et à la
sécurité prime sur le second. Il y a une manière
juridique, stricte de l'envisager. C'est de dire: Puisqu'en droit naturel, sans
faire de judiciarisme, cela paraît évident à tout humain
que le droit à
la vie l'emporte sur le droit à l'association, quelle est,
au-delà du juridisme, la meilleure façon de s'assurer
effectivement, non seulement au niveau des symboles et du droit, mais dans les
faits, que le droit à la santé, à la vie et à la
sécurité de la personne soit du plus haut niveau possible?
L'approche de l'Opposition - du moins ce qui semble avoir
été annoncé par le député de Portneuf et ce
qu'on a pu lire dans les journaux ce matin - c'est que le Parti libéral
va aller effectivement dans le sens que vous suggérez, en termes de
prise de position, soit le retrait du droit de grève. La position
retenue par le gouvernement et qui paraît dans l'avant-projet de loi est
plutôt de dire: Recherchons par tous les moyens possibles et imaginables
des mécanismes qui éloigneront le recours au droit de
grève et qui amèneront une situation où, dans les faits,
effectivement, prévaudra le droit à la vie et à la
santé sur celui de faire valoir ses intérêts par le biais
de la libre association, de la négociation et des moyens de pression
qu'on connaît.
Votre position est, je dirais, assise d'abord et avant tout sur la
déontologie et sur le droit naturel. Vous affirmez que le droit de
grève n'est plus une réalité désirée,
tolérée et acceptée par la société. On
pourrait se poser une première question: Est-ce que c'est le droit de
grève qui est dans cette situation ou si ce n'est pas davantage le
résultat, c'est-à-dire son exercice, qui est mis en cause par la
société dans son ensemble? Mais je pense, encore une fois, que
l'autre côté de la médaille, c'est-à-dire la
légitimité du droit d'association, le droit de négocier
les conditions de travail, etc., est, lui aussi, un droit légitime. Je
sais que vous avez indiqué que vous n'étiez pas des
spécialistes en matière de relations du travail et je ne vous
demande pas une opinion d'experts, mais je vous fais une demande quand
même. Si ce droit est légitime, une fois qu'on a dit: On abolit le
droit de grève, on fait déjà un premier pas et on
retranche un droit. Mais, dans votre esprit, quelle serait la solution pour ce3
travailleurs et travailleuses, les infirmiers et infirmières, par
exemple, quant au rapport de forces, au droit de grève pour,
effectivement, faire valoir leurs revendications et s'assurer qu'ils sont pris
en considération par les "décideurs" - entre guillemets?
Autrement dit, au-delà du consensus où tout le monde dit: Oui, la
vie avant des droits collectifs, un droit individuel fondamental avant des
droits collectifs, eux aussi fondamentaux, il y a deux grandes avenues. Nous,
on en emprunte une dans l'avant-projet de loi; vous en empruntez une autre.
Mais, dans les deux cas, on continue de se poser la question: C'est quoi la
solution pour ces salariés de faire valoir leurs points de vue, leurs
revendications, de défendre leurs intérêts collectifs? Je
vous pose la question. Est-ce que, selon vous, il s'agit simplement d'abolir le
droit de grève et de tomber dans ce qu'on nous reproche, et qui est
inexact, dans ce projet à certains égards, du point de vue
syndical, dans le sens de dire que le gouvernement va tout
décréter dorénavant, ce qui n'est absolument pas le cas?
J'imagine que ce n'est pas non plus votre recommandation. Quelle est-elle
alors? (16 heures)
Mme Pelland-Baudry: Oui, je vais commencer et mes
collègues pourront probablement continuer. Je me réfère
d'abord à votre intervention: Est-ce le droit de grève ou
l'exercice du droit de grève? C'est l'histoire de la poule ou l'oeuf.
Qu'est-ce qui vient avant? De toute façon, nous représentons une
corporation professionnelle et le législateur qui a décidé
de donner le droit de grève a aussi décidé de donner comme
principale responsabilité à une corporation professionnelle et
aux professionnels qui composent cette corporation la protection du public.
Pour revenir à votre question de savoir si c'est le droit de
grève ou l'exercice, je ne sais pas ce qui vient avant ou ce qui est le
plus pertinent de traiter. De toute façon, je vous dirai que les deux
dans la pratique, jusqu'à maintenant, nous ont amenés à
prendre l'attitude que nous vous présentons aujourd'hui parce que, dans
la pratique, que ce soit le droit de grève ou l'exercice de celui-ci,
cela a donné absolument les mêmes résultats,
c'est-à-dire que les bénéficiaires ont été
privés de services. Nous trouvons que c'est incompatible avec la
responsabilité du professionnel lui-même et nous avons le
témoignage de plusieurs de nos professionnels qui ont
énormément de difficultés à vivre cette situation
de savoir qu'ils ont la responsabilité de protéger le public et
de donner des services à ce public - ils sont, à l'occasion
d'ailleurs, bénéficiaires eux-mêmes - et de pouvoir exercer
leur droit de grève comme on leur demande de l'exercer à l'heure
actuelle.
Je ne sais pas si quelqu'une de mes compagnes voudrait intervenir. Non.
Quel serait les recours de ces travailleuses ou travailleurs? Je pense que
votre avant-projet en mentionne déjà quelques-uns. On parle
d'arbitrage obligatoire. On parle de conciliateur. On parle de
médiateur-arbitre.
Lors des audiences d'il y a deux ans et demi, je crois, divers
organismes s'étaient référés à
différentes solutions. On avait mentionné l'offre finale. Je
pense qu'on y revient. Nous-mêmes, dans le document que nous avions
présenté, disions simplement être contre le retrait des
services à ce moment-là. Nous proposions une solution. Nous
proposions, entre autres, qu'un organisme permanent soit créé,
une espèce de régie, et
que cet organisme soit formé de spécialistes reconnus pour
leur impartialité et leur connaissance du domaine des relations du
travail dans le secteur de la santé et jouissant de
crédibilité auprès des parties en cause. Ce seraient des
moyens pour nos travailleurs et travailleuses, nos professionnels des soins
infirmiers, de se faire entendre. Je sais que certains organismes, à ce
moment-là, s'étaient référés à
certaines expériences faites aux États-Unis. Il y a des articles,
et je peux me référer à l'article de M. Martin, un
médiateur qui est assez connu, qui fait référence à
certaines expériences qui ont été faites aux
États-Unis. Je pense que nous avons dit que nous n'avions pas
l'expertise mais ce que nous demandons c'est de chercher sérieusement
des moyens pour permettre à nos professionnels de ne pas être pris
entre leur obligation de professionnel et la possibilité d'exercer leur
droit de grève, tel qu'ils sont amenés à l'exercer
à l'heure actuelle.
Est-ce que quelqu'un d'autre veut ajouter quelque chose?
M. Clair: Je pense que vous faites état d'autres
possibilités, d'autres substituts au droit de grève. Cette
question me paraît fondamentale. Au delà de la question du droit
naturel, de la primauté des droits sur le plan humain, je pense qu'il
faut, en matière de droits collectifs, trouver des substituts au droit
de grève. Ce n'est pas, je pense, en enlevant des droits et en ignorant
les conséquences de l'enlèvement de ces droits qu'on va faire
avancer les choses. C'est pour cela que l'avant-projet, par exemple,
prévoit, sur les questions locales décentralisées, comme
substitut au droit de grève, le statu quo dans la base des conditions,
la médiation, et la médiation-arbitrage, éventuellement,
la création d'un institut de recherche en rémunération et
tout un processus de négociation quasi continue, finalement, sur la
rémunération comme substitut au droit de grève et
l'acceptation d'un certain nombre de principes qui sont reconnus.
C'est, jusqu'à maintenant, mon opinion personnelle et je pense
bien qu'elle est largement partagée par tous les membres de ma formation
politique. On ne peut pas envisager le retrait du droit de grève, par
exemple, dans l'ensemble des services de santé sans qu'il y ait de
substitut valable, efficace, ayant des standards très
élevés de respect des règles du jeu, de la
démocratie et du droit des salariés de faire valoir leur point de
vue et leurs intérêts.
Sur le même sujet, avant d'aborder une autre question, l'Ordre des
infirmières et infirmiers du Québec doit regrouper combien? 50
000 membres, environ.
Mme Pelland-Baudry: 53 000.
M. Clair: 53 000 membres. Vous avez vous-même
affirmé tantôt, Mme Pelland-Baudry, que vos membres étaient
tiraillés par, dans le fond, une double allégeance ou une double
préoccupation; d'une part, leur serment d'office, en quelque sorte, ou
leur vocation, leur mandat en vertu de la Loi sur les services de santé
et les services sociaux et la Loi sur les infirmières et les infirmiers;
d'autre part, à cause des mécanismes de négociation du
secteur public et du genre de syndicalisme, de règles du jeu que nous
avons, à peu près tous vos membres ou l'immense majorité
d'entre elles et d'entre eux sont par ailleurs syndiqués dans l'un des
syndicats d'infirmières et d'infirmiers.
La question qui vient à l'esprit de toute personne et qui me
vient à l'esprit en vous entendant aujourd'hui demander, d'une part,
l'abolition du droit de grève dans les services de santé et,
d'autre part, vous entendant me dire que vos membres sont mal à l'aise,
la question qui me vient, c'est: Est-ce que je dois entendre et recevoir
davantage l'opinion de l'ordre, qui dit "abolition du droit de grève"
ou, de l'autre côté, celle des syndicats? Jusqu'à
maintenant, même si certains syndicats d'infirmières et
d'infirmiers ont évolué sur ces questions, il n'y a pas encore
une majorité qui me demande de retirer ce droit de grève.
Ma question est la suivante: En termes de
représentativité, est-ce que vous avez fait des sondages, est-ce
que vous avez recueilli l'opinion de vos membres ou si, quand vous faites cette
affirmation et que vous prenez cette position, c'est davantage le
résultat d'une réflexion au niveau de la direction de l'ordre et
que c'est basé également sur des impressions en ce qui concerne
le malaise que vous évoquiez chez les infirmiers et infirmières
du Québec au moment où vient le temps de prendre la
décision d'aller en grève ou pas? Est-ce que vous avez des
statistiques ou des sondages qui ont été faits là-dessus,
une consultation générale ou partielle? Qu'en est-il?
Mme Pelland-Baudry: Nous n'avons pas fait de sondage sur ce
sujet. Ce n'est pas uniquement une décision des représentants de
l'ordre, cependant. Depuis plusieurs années que le droit de grève
est exercé par nos membres, nous avons recueilli des témoignages
et nous continuons d'en recueillir continuellement.
Des statistiques, je n'en ai pas qui concernent uniquement les
infirmières, mais je pense qu'on peut se référer à
des statistiques qui avaient été fournies en 1982. Je pense
qu'elles sont encore très pertinentes parce que beaucoup de situations
sont encore très pertinentes à celles qui avaient
été décrites en 1982. En 1982, vous vous
rappellerez probablement le sondage CROP de la Presse qui avait
été fait et qui disait alors que l'ensemble des
Québécois s'opposait à l'exercice du droit de grève
dans les hôpitaux dans la proportion de 89%; dans les écoles, dans
la proportion de 85% et, dans les services de police et de pompiers, à
90%. On ajoutait un peu plus loin que les syndiqués eux-mêmes
étaient réticents au droit de grève dans les secteurs
publics et spécialement dans les hôpitaux, dans une proportion de
78%. Là, on le donne pour l'ensemble des services publics mais je pense
qu'on peut faire un parallèle avec l'ensemble des membres de la
profession, qui sont très mal à l'aise avec le droit de
grève et l'utilisation de celui-ci dans le secteur public et
spécialement dans le milieu des affaires sociales.
M. Clair: Merci. Je voudrais maitenant aborder un deuxième
sujet, la question...
Mme Pelland-Baudry: Je pense qu'un collègue veut...
M. Bourbonnais (Pierre): Je ne prétends pas
nécessairement répondre entièrement à la question
que vous nous posez mais celle-ci, en regard de la représentation de
l'ordre, pourrait peut-être également se poser à l'endroit
des représentants des différents syndicats.
Il est une réalité, je pense, l'infirmière, par son
code de déontologie et par ses valeurs professionnelles reconnues ou non
dans une loi ou dans un règlement, est en situation de conflits
vécus - je pense que Mme Baudry a pu faire référence
à cela tout à l'heure - lors de conflits qui
dégénèrent très souvent, comme on le sait. À
ce niveau-là, bien sûr, l'ordre suscite une réflexion et
tente, au sein de la présente commission, de parler pour les
silencieuses et les silencieux qui sont pris et qui ne peuvent pas toujours
s'exprimer et ce, même au sein du syndicalisme. C'est dans ce
sens-là que, bien sûr, nous avons nos limites en regard de la
représentation que nous avons aujourd'hui mais je pense que la question
peut aussi se poser à l'endroit des représentants des
différentes associations de salariés où nos membres sont
regroupés.
Mme Pelland-Baudry: Sans avoir de statistique, nous pouvons dire
cependant que lorsque nous avons à intervenir, malheureusement, parce
qu'en cas de conflits certains de nos membres sont accusés d'actes
dérogatoires... Cela a très souvent une importance non seulement
pour les personnes qui sont accusées mais pour énormément
d'infirmières qui sont sensibilisées à de tels actes. Les
réactions qui nous sont connues vont dans le sens de dire: C'est vrai,
nous sommes prises dans un étau, dans des situations où on n'a
vraiment pas le choix de penser à notre première
responsabilité. Nous sommes obligées d'intervenir, vous le
savez.
M. Clair: Merci. Je voudrais aborder la deuxième question.
J'ai encore un peu de temps, M. le Président. Il s'agit de la question
des services essentiels, et je vais tenter de faire vite. Au fond, ce que vous
indiquez et ce que sous-tend votre position sur la question des services
essentiels, c'est de dire, à toutes fins utiles, que tous les services
en matière de santé, en tout cas ceux dispensés par les
infirmiers et infirmières, sont de la nature des services essentiels, et
essayer de discriminer là-dedans c'est très très
difficile.
Une question qui vient immédiatement dans la bouche de quelqu'un
qui défendrait la thèse contraire serait de dire: Est-ce que le
niveau de services dans les hôpitaux, par exemple, est le même
à longueur d'année, douze mois par année, 24 heures par
jour? J'entends par là le niveau de services la nuit, le niveau de
services la fin de semaine, pendant les vacances estivales. Je me suis
moi-même fait poser la question dans de multiples occasions par des
syndiqués qui affirmaient: Si vous pensez à l'abolition du droit
de grève dans le secteur hospitalier, en prétextant
l'impossibilité de développer des services essentiels, comment se
fait-il que pendant l'été il y a tant de personnes absentes - je
n'ai pas de chiffres en tête mais disons 10% du personnel est absent -que
la nuit le niveau de services est moins élevé, etc., etc. ?
Qu'est-ce que vous répondez à cet argument? (16 h 15)
Mme Pelland-Baudry: Pour avoir fait le tour du sujet, je pense
qu'on s'est arrêtées nous aussi à dire: On va essayer de
voir s'il y a des endroits où les services pourraient être moins
essentiels et en quelle période de l'année. On regarde, par
exemple, dans les types d'institutions. Est-ce que dans les soins de courte
durée on pourrait dire que des types de services essentiels sont parfois
non nécessaires? Plus ça va, plus on sait, compte tenu des
orientations du gouvernement, des orientations du système de
santé, que les temps d'hospitalisation dans les soins de courte
durée sont courts. C'est de plus en plus court. Donc, c'est toujours des
malades en phase aiguë. Concernant les soins prolongés, il n'y a
sûrement pas moyen de penser que des malades en institution de soins
prolongés ne nécessitent pas toujours des soins essentiels. Dans
les centres d'accueil et d'hébergement, on répète à
longueur d'année, depuis quelques années, l'alourdissement de la
clientèle qui ne diminuera pas, mais qui va aller en augmentant. En
centres de réadaptation, c'est aussi une clientèle très
lourde, sans cela elle n'y serait pas. On serait peut-être
tenté de dire: Dans les CLSC. Mais, si on regarde le rôle
que veulent faire jouer aux CLSC, dans l'organisation et l'orientation du
système de santé, nos dirigeants, on pense que les CLSC devraient
s'en aller vers les satisfactions de besoins que ne donnent pas les autres
institutions et probablement augmenter non seulement en quantité sur le
nombre, mais en quantité sur les heures d'ouverture, ce qui nous
amènerait peut-être à dire 24 heures par jour,
éventuellement, sept jours par semaine. On parle beaucoup des urgences
à l'heure actuelle. Je pense que, dans l'orientation du système
de santé, on avait prévu que les CLSC pourraient aussi
alléger les urgences et être un moyen de contrer les
problèmes qu'on a dans les urgences à l'heure actuelle.
La question de l'été, elle nous est souvent amenée.
Pour les gens qui y ont travaillé - peut-être que mes
collègues de ma gauche pourront compléter à ce
moment-là - pour les gens qui connaissent le milieu hospitalier, pour y
avoir été en tant que soignante et en tant qu'organisatrice des
services, au moment où on diminue effectivement le nombre de lits, le
nombre de bénéficiaires dans les centres, on le fait
graduellement, ce qui n'est pas le cas en situation de conflit de grève.
C'est brusque, c'est radical, c'est souvent sans trop d'organisation et de
planification, ce qui n'est pas le cas l'été. C'est
habituellement planifié et pour un nombre assez limité, compte
tenu de ce que l'on vit en situation de conflit de travail.
Est-ce que vous avez quelque chose à ajouter?
Mme Guimond (Thérèse): Ce que j'ajouterais, c'est
qu'ayant vécu plusieurs grèves à l'intérieur des
centres hospitaliers de soins aigus et de soins prolongés, ayant
vécu aussi des fermetures de lits au cours de l'été ou
à d'autre périodes, par exemple le temps de Noël, je puis
vous affirmer que la situation est drôlement différente. Vous avez
le climat, et c'est facile à expliquer. La situation de
négociation au moment où les gens entrent en grève ou
décident d'entrer en grève, il y a toute une période
où on ne se préoccupe pas trop, parce qu'on est pris dans les
négociations au niveau du gouvernement et des tables de concertation.
Mais, dans les centres hospitaliers, nous vivons de 6 à 8 à 10
semaines de préparation de cet état de grève et le climat
est loin d'être celui qui accompagne les fermetures de lits pour le
bénéfice du personnel, soit les vacances à la
période de Noël ou à la période de
l'été. Je trouve facile cet argument et c'est rester en surface
que de penser que c'est le seul qui doit être retenu puisqu'à
toutes fins utiles on accuserait, finalement, l'administrateur ou le
gouvernement de ne pas imputer suffisamment d'argent pour que tous les services
soient ouverts douze mois par année. Il y a cela derrière
l'accusation qu'on fait; quand plusieurs personnes apportent à un
ministre, par exemple, cette accusation ou cette comparaison, il y a une
accusation derrière cela.
M. Clair: Vous dites que les vacances d'été, par
exemple, cela se planifie, cela se fait en termes de décroissance
progressive et non pas d'une manière brusque, non plus que totale. Si le
service essentiel reconnu c'est la présence de 2% du personnel, c'est
évident que les services essentiels dans une institution du type de
celui dont on a tellement parlé, par exemple, à Saint-Ferdinand
d'Halifax, récemment, cela ne peut être cela une définition
de services essentiels. Mais, dans la mesure où vous reconnaissez que
c'est effectivement possible de réduire le niveau de services sans pour
autant mettre en danger la vie, la sécurité et la santé de
qui que ce soit, si je renverse votre argument, n'est-ce pas
précisément un argument qui, objectivement, pourrait militer en
faveur du maintien d'une notion de services essentiels dans la mesure
où, effectivement, cela est une règle du jeu qui est
acceptée par les parties et où on s'assure qu'il n'y aura pas de
fermeture totale et brusque des services? Autrement dit, est-ce que l'argument
ne se revire pas en faveur de la notion de services essentiels?
Mme Guimond: M. le Président, il y a services essentiels
et services essentiels. Encore selon mon expérience de ce que j'ai vu,
les services essentiels qui, à toutes fins utiles, ne sont pas
décrits dans l'avant-projet de loi et qui n'ont jamais été
décrits, qu'est-ce que c'est des services essentiels? Je peux vous dire
ce que j'ai vécu. Ce sont d'abord des services essentiels qu'on fait.
C'est 80 jours avant qu'il faut les déposer. Déjà
là, il y a quelque chose d'assez comique. Quand on parle d'un
hôpital de soins prolongés et de centres d'accueil, on peut penser
que c'est la même clientèle. Mais, quand on parle d'un
hôpital de soins de courte durée, c'est absolument aberrant de
penser que 80 jours avant on va savoir exactement l'état de la
clientèle.
J'ai vu des listes de services essentiels...
M. Clair: Je m'excuse de vous interrompre.
Mme Guimond: Oui.
M. Clair: Mais quelqu'un pourrait argumenter que cela peut
être la même chose en été.
Mme Guimond: Oui, mais on réajuste en
été. On réajuste aussi... Je vais essayer de vous
parler d'une expérience que j'ai vécue, mais je ne peux prendre
toute la province. Je n'ai pas été partout dans la province.
M. Clair: Non, mais je pense que cela peut être utile. Je
ne pose pas toutes ces questions pour vous embarrasser mais, au contraire, pour
faire profiter les membres de vos expériences.
Mme Guimond: Non, non. Mais on essaie aussi de
réfléchir là-dessus et de comprendre ce que cela peut
être, des services essentiels. Une liste de services essentiels, cela
peut être celle-ci en situation de grève: deux infirmières
de jour pour une unité, pas d'infirmière le soir et pas
d'infirmière la nuit. Je vous défie de trouver cela pendant
l'été. Cela peut être un préposé aux deux
jours pour faire l'entretien ménager dans tout un hôpital de 300
lits. J'ai vu des listes de services essentiels comme cela. Vous savez que la
liste de services essentiels, c'est celle du syndicat qui l'emporte parce que
c'est ce qui est écrit.
C'est avec cela qu'on a vécu. Je sais qu'il y a des centres qui
ont réussi ce qu'on appelle des services essentiels mais ce
n'était jamais ce qu'on maintient l'été dans un certain
nombre d'unités données. Vous fermez des unités
complètes mais vous n'arrivez pas à discuter, au niveau des soins
intensifs, par exemple, des services essentiels pendant l'été. La
main-d'oeuvre est mise là prioritairement. C'est la même chose
pour l'hémodyalise. Quand on discute de services essentiels, je me dis
qu'on ne peut comparer cela du tout à une fermeture au moment de
l'été ou des fêtes. Pas du tout.
M. Clair: Je vous remercie. Le dernier sujet, à la page 8
de votre mémoire, de même qu'à la page 9. Vous indiquez,
à la fin de la page 8, en ce qui concerne l'information de la population
et la participation des bénéficiaires: "Par ailleurs,
l'avant-projet n'est pas allé assez loin en regard de la participation
des bénéficiaires, surtout si l'on considère qu'ils
réclament d'être entendus depuis des années. Cette
participation pourrait prendre diverses formes: une représentation au
Conseil des services essentiels - mais qui disparaîtrait dans la mesure
où votre proposition serait acceptée; en tout cas, il n'y aurait
pas de rôle, pas de mandat dans ce secteur - une consultation des groupes
concernés - ce n'est pas très élaboré - la
nomination par ces groupes de personnes pour les représenter. " Vous y
refaites allusion également à la fin de la page 9 en demandant
"que l'avant-projet soit doté de mécanismes ou de dispositions
permettant que les bénéficiaires soient consultés et
entendus, et que leurs intérêts soient pris en
considération dans le processus de négociation. "
C'est certainement un objectif louable, valable en soi. Je me souviens,
par exemple, à l'époque où j'étais dans un autre
secteur, celui des transports, d'avoir longuement réfléchi,
cherché moyen de faire en sorte que les usagers du transport en commun,
qui, dans certains cas, réclamaient une représentation au niveau
du conseil d'administration, soient impliqués. Mais, à part de
nommer quelqu'un, de l'obliger d'être un usager du transport en commun et
d'être sur la route à longueur d'année à consulter
les gens, je n'étais pas parvenu à trouver de moyens, à
part celui d'organiser une élection générale pour
élire les membres d'une commission de transport. Encore là, il
faudrait vérifier les tickets. Cela devient impossible. C'est un peu ici
le même problème. Jusqu'à maintenant les
bénéficiaires ont été impliqués dans la
gestion des soins de santé et des services sociaux par la nomination de
ce qu'on appelle les "socio-économiques" au niveau des conseils
d'administration des établissements, que ce soit le réseau
hospitalier ou les autres réseaux. Ma question est celle-ci: En dehors
de ce principe valable, généreux et qui serait souhaitable,
comment voyez-vous une implication plus articulée, plus
développée? Comment est-ce que l'implication des
bénéficiaires dans ce processus de négociation se
passerait sur le plan opérationnel? Avez-vous des idées plus
précises là-dessus à part celle de le souhaiter comme
objectif?
Mme Guimond: M. le ministre, je pense que le regroupement des
bénéficiaires du secteur de la santé est très
différent de celui des bénéficiaires des services publics
dans le domaine du transport, entre autres, même si vous vous y
référez.
M. Clair. Sûrement.
Mme Guimond: II n'y a probablement pas de regroupement
spontané ou organisé des gens qui voyagent. Par contre, des
regroupements de bénéficiaires du domaine de la santé
existent - ils sont très bien connus - qui sont prêts à se
faire entendre, je pense. Je n'ai pas besoin de les nommer. Ils sont assez
nombreux et très bien connus. On peut facilement les consulter. Comment
les amener à être entendus? Je pense qu'il y a différents
moyens. Je vais me référer encore au document que nous avons
présenté en 1982. C'est vrai que, si le droit de grève
n'existait pas, on n'aurait pas besoin de déterminer des services
essentiels à ce moment-là, mais on pense qu'il pourrait quand
même y avoir un organisme qui serait un mécanisme quelconque
où les parties se rencontreraient qui, obligatoirement, devrait
consulter des représentants de bénéficiaires,
lesquels pourraient se faire entendre par des personnes comme le Protecteur du
citoyen. Enfin, ils pourraient prendre qui ils voudraient comme
représentant de leurs intérêts ou eux-mêmes nommer
des personnes. Je pense qu'il y aurait moyen de trouver un mécanisme
quelconque, un organisme quelconque, à un niveau très près
du décisionnel, qui devrait avoir la responsabilité de consulter
et de penser aux bénéficiaires qui sont, dans le secteur de la
santé - je le répète - regroupés et facilement
identifiables.
M. Clair: Ce serait plus par le biais d'une consultation de ces
gens que par une implication des représentants des
bénéficiaires dans le processus même de négociation?
C'est plus en termes de consultation des bénéficiaires?
Mme Pelland-Baudry: L'organisme qui pourrait exister pourrait
avoir comme responsabilité de consulter continuellement ou d'impliquer
continuellement, à chacune des étapes de négociation, les
bénéficiaires. Il s'agirait de définir ce
mécanisme.
M. Clair: Comme je vous l'indiquais tantôt, je sais
à quel groupe vous faites référence, lorsque vous dites
que de tels groupes existent déjà. Il en existe aussi dans le
secteur des transports. ,
Mme Pelland-Baudry: II en existe plusieurs.
M. Clair: II en existe dans tous les secteurs des associations,
de bénéficiaires ou de consommateurs de certains services, qu'ils
soient publics ou privés d'ailleurs, mais il y a toujours,
premièrement, la question de la représentativité qui se
pose et, deuxièmement, la question d'opérationnaliser
l'implication de tiers qui ne sont pas partie prenante à une
négociation ou à la détermination de règles
budgétaires, de règles du jeu ou autres. Les impliquer
là-dedans, c'est très compliqué et c'est pour cela que je
vous demandais si vous aviez trouvé la solution à ce
problème.
M. le Président, quant à moi, ce sont les questions que je
voulais poser à l'Ordre des infirmières et infirmiers. J'aurai
peut-être l'occasion de revenir à la fin si les débats
suscitent d'autres interrogations. Peut-être que monsieur voulait...
M. Bourbonnais: J'aurai simplement une remarque à faire en
regard d'une représentation au Conseil des services essentiels. Je
comprends qu'il y a deux personnes actuellement qui peuvent être
nommées et agir comme représentants d'organismes
socio-économiques. On consulte, à ce moment-là, le
Protecteur du citoyen, le Comité de la protection de la jeunesse, etc.
Ce que je me dis, c'est qu'il devrait y avoir certainement, dans le cadre des
pouvoirs qui sont accordés au Conseil des services essentiels, une place
privilégiée pour les bénéficiaires lorsque c'est le
domaine de la santé qui est concerné, surtout que l'on sait que
le projet de loi accorde des pouvoirs surprenants et intéressants
à ce conseil dans le cadre de conflits. À ce moment-là,
pourquoi ne verrait-on pas des représentants des
bénéficiaires, également, prendre part aux
décisions du Conseil des services essentiels? (16 h 30)
M. Clair: C'est un bon exemple. Je vous remercie.
Le Président (M. Lachance): D'accord. Je cède la
parole au député de Sainte-Anne.
M. Polak: Merci, M. le Président. Au point de vue
pratique, on a l'intention de réserver quatre à cinq minutes de
notre temps au député de Verdun. Donc, voulez-vous m'avertir
quand on sera rendu là?
Le Président (M. Lachance): Très bien.
M. Polak: D'abord, au nom de l'Opposition, je voudrais
féliciter l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec
d'être venu ici, d'avoir préparé un mémoire. J'ai
d'ailleurs noté que le ministre vous a félicités pour
être déjà venus plusieurs fois, notamment en 1982. Dans
votre mémoire, vous vous référez à 1982. Il y a
déjà une grande différence entre le ministre et nous,
c'est que, moi au moins, j'ai appris quelque chose de vous depuis 1982 et lui
n'a pas encore appris beaucoup parce que je n'ai pas vu beaucoup de vos
suggestions qui ont été acceptées depuis 1982. C'est
très important pour la population. Très souvent, dans une
commission comme celle-ci, j'ai essayé depuis 1981, depuis que je suis
ici, de convaincre le gouvernement d'accepter d'autres opinions, et c'est
très difficile. De temps en temps, il faut les oublier. On parle devant
ceux qui nous écoutent et qui veulent savoir ce qu'il y a exactement
dans des termes faciles et logiques. Vous dites - et je trouve cela très
important - que vous êtes déjà venus; vous êtes tout
de même représentatifs d'un organisme très important, et
moi et ma formation politique, respectons énormément le travail
des infirmières et infirmiers...
Vous dites ici, d'abord à la page 2: II y a le droit de la
population de recevoir en tout temps - il faut bien comprendre, vous dites: de
recevoir en tout temps, pas de temps en temps, pas par des petits services
essentiels ici et là, pas seulement l'hiver et pas l'été,
pas quand c'est le temps de faire
des cadeaux ou de ne pas en faire, mais en tout temps - vous dites: "La
population a droit à des services de santé et des services
sociaux. " Vous allez beaucoup plus loin à la page 5 quand vous dites:
"Le droit de grève dans le secteur de la santé - on parle du
secteur de la santé - n'est plus une réalité
désirée, tolérée et acceptée. "
Peut-être qu'il y a une évolution depuis 1982, peut-être
étiez-vous des avant-gardistes en 1982 et que vous êtes maintenant
des réalistes en 1985, mais, à tout événement, vous
le dites très clairement. Le ministre a tenté d'expliquer que
c'était une question de terminologie. Vous êtes en faveur de
l'abolition du droit de grève dans le secteur de la santé. Mais,
vraiment, la solution dans l'avant-projet de loi ne diffère pas beaucoup
de ce que vous suggérez. C'est une question de terminologie. Et,
là, il vient de dire qu'il y a toutes sortes de manières d'agir,
qu'il n'y a presque plus de grève et que, s'il y a une grève, ce
sera une grève douce; cela va se régler à l'amiable.
Je veux répéter ici que j'étais devant la
commission tenue par la ministre Mme Marois quand on a parlé des
services essentiels. Je me rappelle très bien parce que les mêmes
points ont été soulevés par vous ou par d'autres
organismes et par le syndicat qui, heureusement, était présent
à ce moment-là et, malheureusement, ils sont absents aujourd'hui.
J'aurais bien aimé les questionner aujourd'hui, mais qu'est-ce qu'on
peut faire? La remarque a été faite par MM. Laberge et Rodrigue.
Je me rappelle bien: Une grève, pour réussir, doit faire du mal.
C'est un principe. C'est son métier, je le respecte pour son
métier. Mais il faut bien comprendre qu'il a dit: C'est le principe, il
n'y a pas moyen d'y déroger. Une grève, pour réussir, doit
faire du mal.
Le ministre parle d'une grève douce et des services essentiels.
Par exemple, la grève d'autobus qu'on a eue à Montréal
dernièrement, je peux vous assurer que c'était peut-être
une grève douce pour certaines catégories de travailleurs, pour
ceux qui prenaient l'autobus aux heures de pointe, mais ce n'était pas
une grève douce du tout. C'était une grève qui faisait
beaucoup de mal, dans le comté de Sainte-Anne et dans le comté de
mon voisin de Verdun, aux assistés sociaux qui n'avaient pas d'argent
pour prendre un taxi ou la grande limousine que le ministre utilise quand il
voyage. C'était une grève très dure pour les personnes
âgées et pour les étudiants. Il y a des catégories
de milliers et de milliers d'usagers. Pour eux, cette grève était
aussi dure que si cela n'avait pas été une grève douce.
Quand le ministre essaie de... Je suis très content que vous ayez
gardé votre position, parce que je pense comprendre que vous dites: Pas
de grève en tout temps. C'est ce que vous avez dit dans votre document
et vous le répétez. Lui, c'est un peu comme... II y a une
ancienne expression anglaise qui dit: "I think I am a little bit pregnant", "Je
pense que je suis un peu enceinte". Ce n'est pas possible, M. le ministre. On
est enceinte ou on ne l'est pas. Ou encore on va changer l'expression sur le
plan politique. De nos jours, un péquiste qui dit: Je suis
souverainiste-néofédéraliste, ce n'est pas possible non
plus.
M. Clair: Libéral-conservateur.
M. Polak: En tout cas, madame, je dois vous dire que,
peut-être vous êtes en face d'un mouvement qui essaie d'être
de tous les côtés de la clôture. Au moins, en ce qui nous
concerne, nous serons prêts à vous écouter, à
apprendre et à bien comprendre votre explication quand vous dites:
grèves prohibées dans le secteur de la santé.
Le groupe qui vous a précédés et à qui je
posais la question: Est-ce que cela veut dire que cela inclut tous les
établissements du secteur de la santé? a répondu oui. Pour
vous, est-ce que... Je comprends que vous travaillez plutôt dans le
domaine hospitalier, mais, les autres établissements du secteur social,
croyez-vous qu'ils sont inclus dans cette formulation?
Mme Pelland-Baudry: Je pense que la réponse que j'ai
donnée tout à l'heure en essayant de décrire l'exercice
que nous avons fait... Compte tenu des divers types d'institutions dans
lesquelles nous travaillons: centres de courte durée, soins
prolongés, centres d'accueil d'hébergement et de
réadaptation, CLSC, cela nous a amenés à dire oui dans
tous les types de milieux où nos services sont nécessaires et
dans les affaires sociales en général.
M. Polak: Évidemment, il y a la contrepartie de cet
élément de grève défendue, comme, d'ailleurs, le
groupe qui vous a précédés l'a expliqué, c'est
qu'il faut prendre aussi le côté syndical. Disons que le droit de
grève est prohibé dans ce secteur. Comment va-t-on être
certain et comment voyez-vous qu'il peut y avoir tout de même des
négociations, au moins l'établissement d'une manière
objective de conditions de travail? Je comprends qu'il y a
l'élément national, l'élément local et
régional et je ne veux pas aller dans tous les détails. Je veux
en rester aux grands principes. Comment pourriez-vous répondre, par
exemple, si M. Laberge était ici et vous posait la question: C'est bien
beau, madame, que vous recommandiez d'abolir cela, mais comment peut-on
retourner à nos membres pour leur dire: Voici un mécanisme du
système qui va vous garantir tout de même d'une manière
objective que vous aurez un résultat acceptable?
Mme Pelland-Baudry: II y a différents moyens. Je pense que
l'avant-projet de loi en prévoit quelques-uns. Entre autres, il y a
l'arbitrage obligatoire. On part du fait que, si on était
sérieux, de part et d'autre, on empêcherait certaines situations
de se dégrader et la négociation empêcherait des conflits
sérieux de s'installer qui mènent très souvent à la
grève. On dit: "Si on était sérieux, de part et d'autre",
pas seulement de la part des syndiqués; de la part également des
administrateurs. C'est ce que notre mémoire veut véhiculer
également. Si je l'applique maintenant aux infirmières, il y a
déjà tout le secteur des salaires que l'avant-projet de loi
prévoit pour un institut. Si j'applique maintenant le reste qui pourrait
être négocié pour nos infirmières,
c'est-à-dire les conditions de travail, le milieu de travail,
l'environnement, cela aussi pourrait être négocié
continuellement. À mesure que des situations difficiles sont
vécues, quel que soit le milieu de travail, si on y faisait attention et
qu'on essayait d'aller vraiment au coeur des vrais problèmes, je pense
qu'on n'arriverait pas à des conflits majeurs qui mènent à
des déclenchements de grèves.
M. Polak: D'accord.
Mme Pelland-Baudry: Je ne sais pas si mes collègues
veulent ajouter quelque chose.
Mme Guimond: De toute façon, nous sentons une certaine
volonté du gouvernement d'interdire la grève dans les centres
hospitaliers, entre autres. C'est ce que nous avons comme expérience
assez récente. Les hôpitaux ne sont pas allés en
grève la dernière fois, à quelques heures près. On
s'en souvient. On se dit: Le gouvernement qui laisse un droit de grève
et qui, à toutes fins utiles, utilise le décret et que c'est bien
inscrit dans le code, cela nous fait se demander si on peut vraiment exercer un
droit de grève, en réalité.
Je crois que si d'autres pays y arrivent - nous aimons beaucoup nous
comparer à la France, je pense que c'est un pays où le droit de
grève dans les hôpitaux n'existe pas ou n'est jamais
utilisé. Aux États-Unis, plusieurs des États ne
reconnaissent pas aux personnels des hôpitaux, du milieu hospitalier et
autres secteurs de la santé le droit d'exercer la grève. Ici,
nous l'avons donné croyant que notre population aurait cette sagesse de
ne pas l'utiliser. Mais ce n'est pas ce que nous avons vu.
M. Polak: On parle du droit de grève, de la période
qui précède la grève ou la menace de grève, et vous
avez fait référence tout à l'heure à la
négociation. Est-ce une négociation avec un couteau au-dessus de
la tête? Savez-vous qu'il peut tomber? J'ai toujours cru par la
description; je me rappelle que, dans le temps, je fus très
impressionné par M. Brunet qui était venu témoigner et qui
nous avait donné des exemples de quelqu'un qui passe une journée
dans une institution hospitalière et qui nous a décrit ce qui est
arrivé.
L'infirmière qui était encore mon amie hier et avec qui je
parlais, qui lisait la lettre que j'avais reçue de ma mère, etc.,
soudainement elle commence à devenir un peu plus timide et ne me parle
plus après deux semaines. C'est ce que je veux dire. Même avant
une grève. Donc, cela doit affecter la clientèle, le patient qui
est là.
Mme Guimond: Je pense que le gouvernement est bien au courant de
tout ce qui se passe dans les hôpitaux avant qu'une grève
éclate. C'est une période de plus en plus difficile.
M. Polak: D'accord.
Mme Pelland-Baudry: Est-ce que je peux ajouter quelque chose?
M. Polak: Oui.
Mme Pelland-Baudry: Et peut-être que ma collègue de
l'extrême gauche pourra compléter parce qu'elle a une
expérience très pertinente en milieu psychiatrique.
Vous parlez des temps de négociation. Les temps de
négociation, qui ne déboucheraient pas nécessairement,
puisque la négociation serait permanente, sur un conflit tel qu'une
grève, seraient vécus beaucoup plus facilement et avec beaucoup
moins d'anxiété par les bénéficiaires. Maintenant,
ces périodes de négociation, et encore plus en période de
grève, sont vécues par des bénéficiaires et par
plusieurs types de bénéficiaires de façon
désastreuse. Cela amène un certain nombre de personnels, à
leur corps défendant, un certain nombre de professionnels devrais-je
dire, à utiliser des moyens qui, en temps ordinaire, ne sont pas
utilisés. Je ne donnerai qu'un seul moyen, et je pense que ma
collègue va pouvoir en parler en toute connaissance de cause, c'est la
surmédicalisation qui précède un conflit anticipé
et des négociations qui peuvent aboutir à un conflit tel qu'une
grève. C'est vécu dans plusieurs secteurs et si France veut en
parler.
Mme Duchesne (France): Oui, je pense que Mme Baudry fait
référence à l'expérience qu'on vit en milieu
psychiatrique avant le déclenchement d'une grève, pendant la
grève et lors du retour au travail. Il est certain qu'en psychiatrie le
travail principal de l'infirmière est d'établir un rapport, une
relation de confiance avec les bénéficiaires. Les
bénéficiaires peuvent être constamment menacés, non
pas par l'infirmière mais par le
climat qui entoure le déclenchement d'une grève, de voir
ce rapport de confiance s'effriter. En psychiatrie, pendant les grèves,
on doit avoir recours automatiquement à une augmentation de
l'administration de tranquillisants. Ce n'est pas par mauvaise volonté
du personnel, mais simplement parce que l'anxiété des
bénéficiaires est à son comble et il faut bien, à
ce moment-là, reconnaître que leur état se
détériore en situation de grève. Cela ne facilite pas,
évidemment, lors du retour au travail des professionnels, le
rétablissement des bénéficiaires dans une situation de
confiance. (16 h 45)
M. Polak: D'accord. Dans un autre domaine...
Mme Pelland-Baudry: Je voudrais ajouter que ce qui est
vécu dans le milieu psychiatrique est vécu également dans
les centres d'hébergement avec les personnes âgées. On sait
ce que cela prend pour démédicaliser des personnes
âgées: une diminution graduelle de la quantité de
médicaments. Alors, quand on doit l'augmenter de façon drastique,
cela prend encore beaucoup plus de temps et c'est aux dépens d'un
organisme qui doit le supporter.
M. Polak: D'accord. Une autre question. Dans votre
mémoire, à la page 7, vous vous référez à un
aspect positif de l'avant-projet de loi. Vous voyez, M. le ministre,, qu'ils ne
sont pas toujours négatifs, ceux qui viennent ici, ils ont trouvé
un aspect positif dans l'avant-projet de loi, c'est-à-dire l'Institut de
recherche sur la rémunération.
Vous n'avez pas parlé de la composition de cet organisme. Vous
savez, il y a treize personnes dont six du milieu syndical et six du milieu
patronal et un président. On ne sait pas qui, mais il va jouer un
rôle très important. Ce matin, la chambre de commerce a
déclaré qu'elle ne préférait pas cette formule
paritaire, pensant peut-être à l'expérience de la CSST,
mais plutôt un organisme composé de gens experts dans le
milieu.
Avez-vous pensé à cette composition? L'avez-vous
étudiée ou pas du tout, ou si vous êtes d'accord avec la
suggestion de la composition de cet institut?
Mme Pelland-Baudry: Moi, je ne m'y suis pas arrêtée,
je ne sais pas si quelqu'un de mes compagnons ou de mes compagnes l'a fait. Je
voudrais simplement ajouter que cet institut, c'est un syndicat qui l'a
proposé en 1982. C'était une idée originale d'un syndicat
dans un des mémoires. Je me suis référée à
ce qui avait été préparé pour 1982 et je l'ai
retrouvé dans le mémoire de la CSD.
M. Polak: D'accord, dernière question, M. le
Président, avant que je passe la parole au député de
Verdun. À la page 8, vous parlez du Conseil des services essentiels qui
aura, selon l'avant-projet de loi, un rôle de redressement, un peu comme
une autorité policière, disons. Vous dites dans votre
mémoire que vous n'êtes pas d'accord avec cela parce qu'il
relève du gouvernement de prendre les mesures qui s'imposent pour que
les citoyens reçoivent les services auxquels ils ont droit.
Je ne sais pas si avant votre mémoire vous avez lu l'article
écrit par Mme Lysiane Gagnon, qui s'appelle "Encore la
lâcheté"; je l'ai ici devant moi. Elle parle de
lâcheté en parlant de l'avant-projet de loi. Je la cite. Je trouve
cela intéressant, c'est presque le mot-à-mot. Elle pense comme
vous ou vous pensez comme elle, c'est intéressant.
Elle dit ici: "C'est le Conseil des services essentiels qui
héritera des responsabilités que les politiciens n'ont pas eu le
courage d'exercer. " Elle va un peu plus loin. Je comprends que c'est difficile
pour vous de dire: M. le ministre, je vous accuse de lâcheté. Je
ne demande pas cela; il faut être un peu plus poli, évidemment,
quand on présente un mémoire. Mais n'est-ce pas ce que vous
voulez dire dans votre mémoire, que vraiment il ne faut pas essayer de
passer la responsabilité à un autre, que c'est le gouvernement
qui doit faire face à ses responsabilités? N'est-ce pas ce que
vous voulez dire?
Mme Pelland-Baudry: Oui, c'est ce que nous voulons dire. Le
redressement qui est donné au Conseil des services essentiels... Si on
part du fait qu'il est très difficile de définir les services
essentiels - on n'y est pas arrivé jusqu'à maintenant,
d'après nous -que c'est impossible à faire, cela nous
amène à dire qu'un Conseil des services essentiels ne
résoudra pas les problèmes; puisqu'il ne doit pas y avoir de
grève, donc, il n'y aura pas de définition de services
essentiels. Par contre, il devrait y avoir un organisme quelconque qui facilite
la rencontre des parties en cause et qui puisse entendre à l'occasion
les bénéficiaires.
M. Polak: D'accord. Je vous remercie, madame, d'avoir
répondu à ma question. M. le Président, je
transfère le temps qu'il nous reste au député de
Verdun.
Le Président (M. Lachance): Très bien, M. le
député. La parole est au député de Verdun.
M. Caron: Merci, M. le Président. Quelques mots seulement
parce que le ministre a posé des questions que j'aurais aimé vous
poser et mon collègue aussi. Je vous félicite aussi des
commentaires que vous nous faites sur l'avant-projet de loi qui sera
probablement modifié après avoir
entendu tous les groupes qui viendront ici.
La question a été posée ce matin concernant les
coupures qui ont eu lieu il y a deux ans. À quel point cela a pu
affecter le personnel?
Mme Pelland-Baudry: Dans certains milieux les coupures ont
été subies, je ne dirai pas en douceur parce que des coupures
c'est toujours un peu difficile parce que cela amène le personnel
à repenser un peu le service et les priorités dans le service. Il
y a des coupures qui ont été vécues de façon
dramatique. Là, je ne voudrais pas accuser uniquement le pouvoir
central, je pense qu'il y a eu aussi des problèmes d'organisation locale
et de gestion locale mais pour être très précise, sans
l'être trop trop, les coupures, après un certain temps, ne
pouvaient plus être augmentées. Je pense qu'à certains
endroits on a dû réajuster certaines coupures avec lesquelles on
ne pouvait pas vivre. À l'heure actuelle il n'y a plus de gras sur les
os où on peut couper de façon générale dans toute
la province. Au contraire, il y a des endroits où on doit injecter dans
les soins infirmiers.
M. Caron: Avec les coupures, cela a donné du travail
additionnel au personnel. Est-ce que le personnel qui est obligé de
traiter une trentaine ou une quarantaine de patients de plus... S'il n'y a
qu'une ou deux infirmières sur le plancher je pense que c'est anormal
qu'elles puissent donner les mêmes services qui se donnaient
auparavant.
Mme Pelland-Baudry: D'autant plus que la clientèle change
énormément. J'ai été amenée tout à
l'heure à mentionner que dans les soins aigus ce sont toujours des
bénéficiaires qui sont en phase aiguë de maladie. Je ne
saurais trop insister sur certains aspects qui sont très importants
à négocier pour les infirmières et qui seraient
peut-être plus facilement négociables. Je ne veux pas entrer dans
les responsabilités des syndicats, ils ont leurs responsabilités
et ils les ont prises jusqu'à maintenant. Par contre, le fait de se
joindre à certains autres travailleurs de la santé, certains
autres professionnels, ne les a pas toujours bien servis, je crois.
Nous représentons des infirmières et nous sommes certaines
que les infirmières doivent avoir un milieu, un environnement de travail
pour être capables de donner le meilleur service qui est beaucoup plus
indispensable que celui de certains autres travailleurs de la santé.
Elles sont toujours sur la ligne de feu, quel que soit l'endroit où
elles sont. Beaucoup plus dans certains secteurs mais je dirais que, de
façon générale, les infirmières sont toujours sur
la ligne de feu si on compare à d'autres professionnels de la
santé qui sont un peu plus loin de la ligne de feu.
On n'a qu'à voir en période de conflit; videz
l'hôpital des infirmières et ça va être la
catastrophe en gardant tous les autres professionnels de la santé. Par
contre, laissez les infirmières, faites disparaître la majeure
partie des professionnels de la santé et je pense qu'on pourra continuer
à fonctionner. On l'a déjà vécu. Il vaudrait la
peine qu'on puisse négocier pour des infirmières des conditions
de travail, des conditions de dispensation de soins qui soient très
particulières et, entre autres, pour répondre à votre
question, des conditions qui ne les amènenent pas à être
continuellement surchargées.
M. Caron: Si je comprends bien, le fait que les coupures... Vous
savez, on est dans les années quatre-vingt. Je pense que je n'irai pas
aussi loin que ce que mon collègue a souligné tout à
l'heure. Je ne blâmerai pas le ministre personnellement, parce qu'il est
une personne au Conseil des ministres et c'est un groupe. J'espère
qu'après avoir entendu votre exposé et les autres ils se
pencheront sur les problèmes dans les hôpitaux du Québec.
Il ne faut pas généraliser non plus. Il y a aussi des
hôpitaux qui ont moins de problèmes qu'ailleurs. Je suis
personnellement assez chanceux dans ma section de ne pas avoir de
problèmes majeurs comparativement à d'autres. Là-dessus,
il ne faut pas généraliser pour tout l'ensemble du Québec.
Où je pense que le gouvernement...
M. Clair: Vous passerez le message à votre chef et au
député de Brome-Missisquoi.
Une voix: II parle de la grève.
M. Caron: Écoutez! Je parle de la grève. M. le
ministre...
M. Clair: Je m'excuse de vous avoir interrompu.
M. Caron:... je veux être très délicat et je
voudrais essayer, dans mon exposé... Ici, on ne fera pas de politique
sur le dos des malades. J'ai été dans des hôpitaux et je
peux vous dire qu'il y a beaucoup de gens qui attendent. Samedi dernier, je
suis allé à une place et il y avait beaucoup de gens qui
attendaient dans le corridor, et ce n'était pas dans Verdun. Cela dit,
je pense que l'article de La Presse dit vrai, que les politiciens
doivent prendre leurs responsabilités. Personnellement - je parle en mon
nom personnel - les services essentiels dans les hôpitaux, cela comprend
tout, y compris le lavage des planchers, le lavage des draps, enfin, tout. Je
suis certain que vous aurez l'appui de notre côté pour mettre
fin... Il y a certains endroits qui ne sont pas
syndiqués et cela va très bien, aussi bien que dans
d'autres. Il faut vivre avec les syndicats. C'est tout à fait normal que
les paliers de gouvernement, quels qu'ils soient, doivent vivre avec les
syndicats. Nous autres, on vit avec eux. Eux autres aussi doivent vivre avec
nous autres. Mais s'il y a un endroit où on doit y mettre fin, je parle
en mon nom personnel, je pense qu'il est temps qu'on mette fin à ces
fameuses grèves dans les hôpitaux.
M. le ministre, vous avez dit quelque chose aussi ce matin. Je vais
sortir un peu du sujet. Cela concerne la grève du transport en commun
à Montréal. Je demeure à Montréal et je l'ai
vécue. Évidemment, vous ne demeurez pas à Montréal.
Vous vous basez sur des informations. Vous ne pouvez pas savoir tout ce qui se
passe et c'est tout à fait normal. Je représente un secteur
ouvrier, comme mon collègue de Sainte-Anne. On est voisins. Je peux vous
dire qu'il y a des gens qui étaient obligés d'aller travailler
les fins de semaine et d'y aller en taxi, aller-retour. Ils n'avaient pas les
moyens de le faire et ils ont été obligés de le faire.
C'est pour cela que durant les années quatre-vingt il va falloir - comme
Mme Gagnon disait dans La Presse - qu'on prenne nos
responsabilités. On est peureux souvent. On est peureux, pour avoir
quelques votes d'un bord ou de l'autre.
Personnellement, je les félicite de prendre la position qu'ils
prennent et j'espère pour tout le monde qu'ensemble, une fois pour
toutes, on en finira. C'est la vie des humains. Demain, ce sera peut-être
vous, ce sera peut-être moi. Le syndicat va le comprendre parce qu'avec
le temps les syndiqués comprennent et il faut aussi les comprendre.
À certains moments, il ne faut pas que les patrons ambitionnent sur eux
autres. Depuis quelques années, ils ont compris le contexte
économique difficile et je peux vous dire qu'il y a un rapprochement qui
se fait. Il s'agit de le faire. Il s'agit aussi de prendre nos
responsabilités. Je veux vous féliciter de votre travail et je
veux vous dire que tout dans les hôpitaux, quel que soit le travail
à faire, c'est essentiel. Je sais bien qu'une personne qui est dans un
lit 24 heures par jour, les draps et les taies d'oreiller doivent être
changés tous les jours. Je pense qu'il est assez difficile de se pencher
et donner un juste milieu. Pour régler ce problème une fois pour
toutes, qu'on abolisse donc le droit de grève dans les hôpitaux.
(17 heures)
Le Président (M. Lachance): Merci, M. le
député de Verdun. Je cède maintenant la parole au
député de Fabre.
M. Leduc (Fabre): Merci, M. le Président. Je pense que la
question qu'il faut se poser c'est de savoir si l'abolition du droit de
grève nous préserve de l'exercice du droit de grève.
À cette question, vous n'avez pas répondu, pas plus d'ailleurs
que le Parti libéral, qui s'imagine que le fait que
décréter l'abolition du droit de grève va nous
préserver pour toujours de l'exercice de cette grève. Le Parti
libéral ne nous a pas encore fait savoir les sanctions qu'on
réserverait aux syndicats qui ne respecteraient pas cette abolition. Il
faudrait peut-être, à un moment donné, qu'on connaisse ces
sanctions pour savoir s'il y a une efficacité au bout de ce
décret d'abolition du droit de grève.
Il me semble que c'est là une première
considération. Avant 1964, le droit de grève n'existait pas.
Pourtant, on a connu des grèves illégales. On a connu une
grève illégale encore cette année à
Saint-Ferdinand. Ce n'est donc pas le fait d'abolir qui nous préserve de
l'exercice. Je pense qu'on s'entend là-dessus. Cela peut avoir un effet
dissuasif. Mais, ce matin, la chambre de commerce est venue nous dire qu'il
faut que l'État prenne ses responsabilités et même, au
besoin, avoir recours à des solutions extrêmes. On nous citait
l'exemple de M. Reagan qui, effectivement, avait pris une solution
extrême pour régler un cas de grève, qui avait tout
simplement licencié les employés. Je pense que vous ne souhaitez
pas cela et je ne pense pas que le Parti libéral souhaite des mesures
aussi extrêmes. Quand il y a 5000 ou 10 000 personnes dans la rue, je
pense qu'il n'y a aucune sanction possible. On peut toujours tenter de les
appliquer mais en espérant que les syndicats vont se résoudre
à accepter de rentrer au travail. C'est tout ce qu'on peut souhaiter.
À un moment donné, devant une masse insatisfaite des conditions"
qui lui sont faites, je pense que les solutions préconisées sont
limitées à moins d'avoir recours, encore une fois, aux policiers
ou à l'armée. Je pense que personne ne souhaite ces
solutions.
Finalement, n'est-ce pas dans les mentalités qu'il faut changer?
Vous avez parlé de la France tout à l'heure. Or, en France, on ne
légifère pas sur la question du droit de grève. Dans ce
pays, la mentalité fait que les syndicats n'abusent pas du droit de
grève. C'est donc une question de mentalité.
Tout à l'heure, vous avez dit que les mentalités sont en
voie de changer dans les hôpitaux. Vous avez constaté - vous
êtes dans le milieu; on peut donc faire référence à
votre expérience. Vous avez dit: Les mentalités changent. Les
gens n'acceptent plus d'avoir recours à ce moyen. Vous avez parlé
de la dernière négociation. Dans les hôpitaux, on n'a pas
fait la grève. La question que je vous pose est: Est-on obligé
d'abolir, d'aller jusque-là ou ne doit-on pas amener un changement de
mentalité? Dans l'avant-projet de loi, c'est la solution qu'on
préconise. On limite le droit de grève. Il est aboli quant
à la rémunération, pour tout ce qui touche la
rémunération; il est maintenu pour ce qui touche le normatif. Si
on a, malgré tout, recours à ce droit, le Conseil des services
essentiels intervient et on sait ce que cela veut dire. On limite les effets
que pourrait avoir cette grève dans une institution.
Ne croyez-vous pas qu'une mesure comme celle-là, prévue
dans l'avant-projet, va dans le sens du changement des mentalités dont
vous parlez? Plutôt que d'aller à coups de sanctions dans un
projet de loi, je veux dire seulement préconiser l'abolition, cela ne
sert à rien, c'est un principe en l'air, il faut prévoir des
sanctions si on veut qu'il y ait une efficacité à cette
abolition. Mais, entre un recours qui me semble extrême et un recours qui
va dans le sens du changement des mentalités, ne croyez-vous pas que
l'avant-projet pourrait répondre à ce voeu de la
société entière qu'on change les mentalités au
Québec en rapport avec l'utilisation du droit de grève?
Mme Guimond: Oui, je peux commencer. On est fortement d'accord
avec vous pour penser que c'est un changement des mentalités qui est le
plus important. On n'est pas naïves et naïfs à ce point pour
penser qu'en enlevant le droit de grève les gens, dans certains
endroits, n'exerceront pas un droit de grève. Lorsque vous avez un
droit, vous êtes plus tenté de l'exercer que lorsqu'il n'est plus
là. Est-ce que nous avons du temps devant nous pour changer les
mentalités? Comment cela prend-il de temps pour changer les
mentalités? Dix ans? Quinze ans? Vingt ans? Nous ne sommes pas dans le
secteur du transport, nous sommes dans un secteur de vie et de mort, et je
n'exagère pas.
Je dis: C'est vrai, les valeursl nous avons grandi avec des valeurs
curieuses à certains points de vue. Lorsqu'on est rendu une
société - je pense que Claude Brunet nous l'a bien dit en 1982 -
qui se demande si on doit donner la primauté à la santé
plutôt qu'au droit d'association collective, je me dis: Où est-on
rendus? Avons-nous beaucoup de temps à donner à la population
pour l'amener à changer de mentalité? N'avons-nous pas une
population qui apprécierait - peut-être qu'on peut vérifier
les sondages en 1985 - tout compte fait, d'avoir un petit coup de fouet pour
changer les mentalités, parce, que je pense qu'on a commencé
à changer les mentalités?
Si vous avez un Conseil des services essentiels qui intervient, je peux
vous dire, par expérience, que celui-ci ne peut pas intervenir
immédiatement. Ce qui se passe avec les services essentiels, c'est que
vous avez à réagir à une situation d'une heure à
l'autre dans les hôpitaux. Nous avons des exemples. J'en ai
personnellement et nous en avons à l'ordre prouvant que des situations
morbides se présentent autant à 9 heures le matin qu'à 11
heures, 17 hereus ou minuit le soir. Pour les services essentiels, tout
conseil, et tout excellent conseil qu'il puisse être, ne peut pas
réagir dans des délais aussi courts et il ne peut pas non plus
réagir lorsqu'il a un territoire provincial à couvrir. C'est
cette réflexion, rapidement dite, qui nous amène à dire
que le Conseil des services essentiels, c'est bien, mais ce n'est pas pratique.
Ce n'est pas pratique dans les services de santé; ce n'est pas pratique
dans une unité de soins intensifs dans un hôpital. Cela ne peut
pas changer une mentalité d'infirmière; cela ne peut pas changer
une mentalité d'administrateur d'une minute à l'autre; ce n'est
pas vrai. En 1985, d'après ce que nous avons vécu depuis X
années, est-ce qu'il n'y a pas déjà un changement des
mentalités d'amorcé pour pouvoir penser que le gouvernement a un
geste officiel à poser pour appuyer cette partie de la population, qu'on
peut souhaiter une majorité, qui est prête à sacrifier ce
droit de grève dans les hôpitaux? Mais lorsque je dis cela, j'ai
un peu peur de ce pouvoir du gouvernement, de ce pouvoir de
l'État-employeur et je me dis, surtout avec le front commun et tout ce
que cela entraîne, notre façon de négocier ici dans la
province, que le gouvernement aussi, celui qui a le pouvoir, doit regarder
sérieusement les étapes de négociation. Le droit, il
l'enlève aux syndiqués, aux travailleurs, mais il demeure une
personne responsable, une personne morale responsable qui doit tenir compte que
ce droit de grève n'existe plus, si telle est sa décision. Il ne
peut pas continuer à fonctionner de la même façon que
lorsqu'il y a droit de grève, parce que je pense que le droit de
grève sert les deux parties. C'est mon expérience qui me fait
dire cela.
M. Leduc (Fabre): Merci. À cet égard, cela me
permet d'aborder un deuxième sujet qui ne l'a pas encore
été, qu'on retrouve à la page 6 de votre mémoire:
le fonctionnement des négociations, le rôle de l'État par
rapport au rôle des établissements. Plusieurs groupes sont venus
défendre ici la décentralisation des négociations. On a
même vu un groupe, le groupe qui vous a précédés,
préconiser, une décentralisation très poussée, vers
les établissements, de la négociation. Iriez-vous
jusque-là? Vous en parlez à la page 6, vous dites que vous
souhaitez l'établissement d'un cadre législatif plus explicite en
ce qui concerne les matières qui font l'objet de stipulations
négociées et agréées à l'échelle
nationale par rapport à celles qui font l'objet de stipulations
négociées et agréées à l'échelle
locale ou régionale. C'est une indication. Pourriez-vous
préciser votre pensée sur ta décentralisation?
Jusqu'où souhaitez-vous que cette décentralisation puisse aller?
Est-ce que cela peut jouer un rôle dans le nouveau fonctionnement que
vous souhaitez pour un meilleur équilibre des forces en vue
d'éviter le recours possible à la grève?
Mme Pelland-Baudry: Une certaine décentralisation est
déjà prévue, comme par exemple à l'article 21. On
se pose des questions sur la praticabilité et l'applicabilité de
ce qui est inclus dans cet article., On se demande si, vraiment, tout ce qui
est décrit ou mentionné comme pouvant être
négocié au niveau local, par exemple, en décentralisant
beaucoup, comme l'organisation du travail, les mouvements de personnel et les
droits syndicaux... Dans l'application, permettra-t-on que ce soit vraiment
à ce niveau que cela se fasse, compte tenu de ce que l'on connaît
actuellement? On a de grandes questions. C'est pour cela qu'on dit que le cadre
législatif devrait être beaucoup plus explicite parce qu'on croit
qu'il y aura des accrochages tout de suite au niveau de la définition de
ce qui pourra être négocié au niveau national et au niveau
local. On risque de rester accroché très longtemps.
M. Leduc (Fabre): Si je comprends bien, vous souhaitez que ce
soit clairement défini ce qui doit être du ressort de la
négociation locale, que ce soit clairement défini et que ce ne
soit pas négociable.
Mme Pelland-Baudry: Oui. Que ce soit très clair pour ce
qui devra être négocié au niveau national
également.
M. Leduc (Fabre): Oui. Donc, qu'on n'ait pas le choix.
Mme Pelland-Baudry: Pardon?
M. Leduc (Fabre): Qu'il n'y ait pas de choix. Que ce soit
clairement dans la loi.
Mme Pelland-Baudry: Oui. Pour éviter des lenteurs et des
réactions des parties adverses. On a l'expérience des
années antérieures. On peut rester accroché très
longtemps. À l'occasion, cela devient même des jeux, c'est dommage
d'être obligé de le dire. Ma collègue disait tout à
l'heure que les mentalités se changent lentement. Je vais
renchérir là-dessus: Cela se change très lentement. Par
contre, je serais prête à dire que des mentalités sont
changées, aussi bien du côté des individus, des
travailleurs que du côté des administrateurs. Il y en a encore qui
n'ont pas changé cela et qui jouent le jeu jusqu'au bout au point que
cela devient des situations presque intenables. Il semble qu'actuellement, avec
le droit de grève, il faille en arriver là. Tandis que, s'il
n'existait pas, peut-être que tout de suite on prendrait plus au
sérieux de véritables négociations, qu'on saurait entre
autres ce qu'on doit négocier au niveau national et ce qu'on peut
laisser au niveau local pour faire en sorte que cela fonctionne très
bien. On a l'impression quelquefois qu'on ne veut rien laisser au niveau local
parce qu'on sait que cela pourrait aller trop bien à certains endroits
de niveaux locaux. Des endroits sont moins durs que d'autres, localement
parlant.
M. Leduc (Fabre): Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de
voir la liste des sujets qui pourraient être négociés
localement. Cela touche l'organisation...
Mme Pelland-Baudry: L'organisation du travail, Ies mouvements de
personnel et les droits syndicaux, à l'article 21.
M. Leduc (Fabre): C'est cela. Est-ce suffisant, d'après
vous, ou si on devrait décentraliser davantage?
Mme Pelland-Baudry: Je vais vous répondre par une
question. Est-ce que ce sera vraiment négocié au niveau local? Il
faut entendre les deux parties en cause. Est-ce que cela sera
négocié au niveau local?
M. Bourbonnais: II faut dire qu'une nouvelle dynamique est
introduite dans le projet de loi qui est le fait qu'il n'y a pas de droit de
grève au niveau local mais qu'il y a un droit de grève au niveau
national. Quel sera l'effet de cette nouvelle dynamique?
Mme Pelland-Baudry: Vous savez, c'est important l'organisation du
travail. Pour qu'on laisse cela au niveau local - les mouvements de personnel,
c'est très important aussi - le cadre législatif devrait
être plus explicite.
M. Leduc (Fabre): Je vous remercie beaucoup.
Le Président (M. Lachance): Merci, M. le
député. Je cède maintenant la parole au ministre.
M. Clair: M. le Président, pendant tout près de
deux heures nous avons eu l'occasion d'échanger avec l'Ordre des
infirmières et infirmiers. Cela a été, je pense, un
échange fort intéressant avec ces professionnels de la
santé. Je pense qu'il ne me reste plus, après toutes ces
questions, qu'à remercier les gens de l'Ordre des infirmières et
infirmiers du Québec, notamment la présidente, Mme
Pelland-Baudry, ainsi que les gens qui l'accompagnent, d'être venus nous
faire part du point de vue de l'Ordre des infirmières et infirmiers en
commission parlementaire sur
l'avant-projet de loi. Je vous remercie.
Le Président (M. Lachance): Merci, M. le ministre. Je
voudrais à mon tour remercier les représentants de l'Ordre des
infirmières et infirmiers du Québec de leur présence
à notre commission parlementaire. Je voudrais dire aux membres de la
commission que, demain, nous entreprendrons une journée assez
chargée qui commencera, notez-le bien, à 9 h 30 avec l'audition
du mémoire du Conseil du patronat du Québec. Par la suite, il y
aura l'Association des centres hospitaliers et des centres d'accueil
privés du Québec, cela avant la suspension pour la période
du lunch. À 15 heures, ce sera au tour de la CSN, la
Confédération des syndicats nationaux. Finalement, de 20 heures
à 22 heures, ce sera l'Association des centres d'accueil du
Québec. Donc, à 9 h 30 demain matin, avec le Conseil du
patronat.
Sur ce, la commission du budget et de l'administration ajourne ses
travaux à demain matin, 9 h 30. Merci.
(Fin de la séance à 17 h 17) t