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(Onze heures trente-deux minutes)
Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre s'il vous
plaît, la commission de l'économie et travail reprend ce matin son
débat, si on peut dire, ou sa discussion sur l'Accord de
libre-échange entre le Canada et les États-Unis. Je vais d'abord
demander au secrétaire de la commission s'il y a des remplacements.
Le Secrétaire: Oui, M. le Président, il y a un
remplacement. M. Philibert (Trois-Rivières) est remplacé par M.
Doyon (Louis-Hébert).
Le Président (M. Charbonneau): Ce matin, nous
commençons notre travail avec une discussion sur les impacts de l'Accord
de libre-échange sur les emplois et la main-d'oeuvre au Québec.
Nous aurons, après les déclarations d'ouverture de cinq minutes
pour chacun des quatre groupes représentés ici, une discussion
ouverte d'environ cinquante minutes. Alors, je vous rappelle que les
déclarations d'ouverture sont de cinq minutes chacune. M. le ministre de
la Main-d'oeuvre et de la Sécurité du revenu, je présume
que ce sera vous qui, au nom du gouvernement ou...
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Le ministre de l'Industrie et du
Commerce.
Le Président (M. Charbonneau): Ah! M. le ministre de
l'Industrie et du Commerce alors. Est-ce que vous comptez vous partager les
cinq minutes ou est-ce que vous allez faire les cinq minutes au complet?
M. Paradis (Brome-Missisquoi): II a été
décidé après une longue et dure négociation que le
ministre de l'Industrie et du Commerce accaparerait les cinq minutes au
complet.
Le Président (M. Charbonneau): Et vous n'êtes pas
trop frustré?
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Non, cela a été
négocié. Quand c'est négocié, cela va.
L'emploi et la main-d'oeuvre
Le Président (M. Charbonneau): Parfois, cela prend du
temps avec vous.
Alors, M. le ministre de l'Industrie et du Commerce, cinq minutes de
déclaration d'ouverture.
Remarques préliminaires
M. Daniel Johnson M. Johnson: Écoutez, M. le
Président, je donne avis tout de suite que j'aurai deux annonces
à faire pendant ces cinq minutes. Donc, il va falloir y aller
rondement.
Dès le lancement des pourparlers canado-américains sur
l'accord de libéralisation des échanges, le Québec a
donné son appui à cette négociation, parce que nous y
voyons pour nos entreprises une occasion d'accès amélioré
à ce vaste marché ainsi qu'un moyen de rendre notre
économie plus moderne. L'appui du gouvernement se fondait sur notre
conviction de la capacité de l'économie de s'adapter
favorablement aux changements ainsi prévisibles. Notre objectif demeure
de bâtir une économie capable d'offrir de meilleures
possibilités de création d'emplois et de s'adapter avec
flexibilité à son environnement. Pour atteindre cet objectif, le
gouvernement du Québec a défendu la nécessité,
dès le départ, d'une assistance gouvernementale à cet
effort d'ajustement sous la forme de mesures d'adaptation appropriées,
de façon à encourager les changements les plus rapides pour
promouvoir l'efficacité économique et s'assurer que les
bénéfices du libre-échange soient équitablement
partagés. Il en a même fait, depuis le début de cette
négociation, une condition de son appui à la démarche
fédérale. C'était, de mémoire, la quatrième
condition que nous avions énoncée.
L'action de nos gouvernements doit viser donc autant à permettre
aux entreprises, par le biais des programmes actuels ou améliorés
ou nouveaux, de tirer le meilleur parti des nouvelles perspectives de
marché qu'à aider les entreprises et les travailleurs oeuvrant
dans les secteurs qui auront à supporter des coûts plus importants
d'ajustement à ce nouvel environnement commercial. Afin de bien
articuler en un tout cohérent et efficace nos interventions et mesures
devant servir à soutenir l'adaptation de nos entreprises et de notre
main-d'oeuvre, le gouvernement du Québec a formé un groupe de
coordination interministérielle qui relève du Conseil
exécutif et où les divers ministères participants
acheminent leurs travaux. Ce groupe sera en mesure rapidement de dresser un
inventaire des mesures appropriées et ainsi d'entreprendre le cas
échéant les discussions avec le gouvernement
fédéral pour que ces mesures soient diponibles au
Québec.
J'annonce ici et confirme à nouveau, je devrais plutôt dire
que, dans le cadre de cette coordination, j'ai constitué un
secrétariat à l'adaptation industrielle rattaché
directement au sous-ministre de l'Industrie et du Commerce et chargé de
la coordination générale du dossier, en appelant les
contributions de toutes les directions, services et sociétés
d'État, qui relèvent du ministère ou du ministre. La
structure de travail légère ainsi constituée doit pouvoir
mener tout à la fois la poursuite de travaux d'analyse des
besoins d'adaptation et la consultation pertinente des
représentants des secteurs particuliers de notre économie. Toute
cette infrastructure a pour mission d'en arriver à proposer les
conditions et moyens utiles pour optimiser l'impact de la libéralisation
des échanges pour les divers secteurs de l'économie du
Québec. Les intervenants divers ont déjà
démontré leur très grande capacité de s'inscrire
dans un processus d'adaptation et les gouvernements doivent pouvoir
créer les conditions pour tirer le meilleur parti de cette
adaptation.
Nous nous sommes donné un ambitieux plan de travail devant nous
mener, à l'automne, à des propositions concrètes dans ce
dossier. Connaissant maintenant les résultats de la négociation,
une des tâches prioritaires à laquelle nous nous sommes
attaqués fut de compléter des études sur
l'évaluation des besoins selon les secteurs et, parallèlement,
nous avons procécé à l'inventaire des programmes du
ministère, du Centre de recherche industrielle du Québec, de la
Société de développement industriel, qui pourraient avoir
un effet direct ou indirect en matière d'adaptation. Nous avons
également prévu des rencontres de consultation avec les
associations et entreprises concernées. Nous ne saurions,
évidemment, travailler sur ces questions en vase clos. La contribution
des intéressés est essentielle et nous devons stimuler le
dialogue entre le gouvernement, les entreprises et les travailleurs. De telles
rencontres ont d'ailleurs déjà eu lieu et d'autres restent
à venir. Durant toutes ces consultations, notre intérêt est
de nous enquérir, auprès des industriels, des efforts
d'adaptation qu'ils auraient à consentir et des besoins d'assistance
qu'ils pourraient rencontrer. Lors de telles rencontres, nous cherchons
à connaître précisément les effets
prévisibles de l'accord entre le Canada et les États-Unis sur les
secteurs industriels. Ainsi, nous suggérons aux intervenants de se
pencher sur les questions de marché, de compétitivité et
de main-d'oeuvre, pour mieux envisager l'avenir dans un contexte commercial
nord-américain libéralisé.
Que des gains soient à la portée de nos industries ou que
l'on croit devoir affronter une concurrence plus vive, il faut aussi se
demander de quel genre de soutien l'on a besoin. Les programmes actuels, qui
ont une incidence sur l'ajustement et qui sont fort nombreux, sont-ils
adéquats? Devraient-ils être modifiés, sont-ils
accessibles, devrait-il y en avoir de nouveaux, tout cela, évidemment,
dans une perspective d'adaptation? Nous ne nous arrêterons cependant pas
là. Travaillant toujours avec nos collègues de la Main-d'oeuvre
et de la Sécurité du revenu, du Commerce extérieur, du
Travail, de l'Énergie et des Ressources, de l'Agriculture ainsi qu'avec
les représentants de la SDI et du CRIQ, nous utilisons d'autres canaux
pour avoir une perception exacte et la plus complète possible de la
situation, eu égard à l'adaptation industrielle et de la
main-d'oeuvre. Ainsi, en juillet et août, grâce à la
structure de la commission de formation professionnelle, nous serons en mesure
de poursuivre de tels travaux.
La dernière partie de ce vaste plan de travail sera
complétée, deuxième annonce, l'automne prochain avec la
tenue d'un important colloque sur l'adaptation organisé par le
Département des sciences économiques de l'Université de
Montréal en collaboration avec le ministère de l'Industrie et du
Commerce. Les experts, dont nous avons déjà sollicité la
contribution, devraient venir compléter la réflexion
déjà menée à d'autres niveaux. Nous aurons alors,
à coup sûr, une perception beaucoup plus claire des besoins
d'adaptation des entreprises et des travailleurs selon leurs secteurs
d'activité et aussi une meilleure idée des mesures qui
s'imposeront. Le tout culminera avec une proposition d'un plan d'action visant
à améliorer l'efficacité des interventions soit par des
changements d'orientation et des regroupements, si cela s'avérait
nécessaire.
Voilà donc, brièvement mentionnés, les quelques
gestes concrets que nous avons déjà posés et l'annonce de
ceux que nous entendons poser.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le ministre. Je
cède maintenant la parole d'abord au député de Bertrand et
ensuite à la députée de Maisonneuve. Vous avez à
peu près trois minutes chacun parce que le ministre a
dépassé un peu son temps.
M. Jean-Guy Parent
M. Parent (Bertrand): Rapidement, M. le Président. Je suis
heureux d'entendre le ministre de l'Industrie et du Commerce, ce matin, nous
faire part des annonces, quoiqu'elles soient, à mon avis,
déjà quelque peu en retard, mais le dicton dit: Vaut mieux tard
que jamais. Vous savez l'importance qu'ont toutes ces mesures concernant
l'emploi, la réadaptation au niveau de la main-d'oeuvre. C'est crucial,
la façon dont nous allons traverser la période de transition,
c'est-à-dire à compter du 1er janvier prochain. Ce que nous
annonce le ministre ce matin, à mon avis, nous l'avons
réclamé depuis septembre dernier de façon très
officielle, ici, au Salon rouge. Cela arrive aujourd'hui. Je comprends mal
qu'on ait pratiquement un an de retard. D'autant plus que les mesures qui vont
être entreprises et que nous a annoncées le ministre vont apporter
des résultats quelque part à l'automne, très tard,
c'est-à-dire à la toute veille de l'entrée en vigueur,
soit en janvier 1989. Je trouve cela un peu dommage parce qu'il va nous falloir
négocier avec le gouvernement fédéral pour être
capables d'obtenir non seulement notre juste part, mais d'obtenir du
gouvernement fédéral la responsabilité et l'engagement
qu'ils ont pris. Ces propos que le ministre de l'Industrie et du Commerce nous
tient ce matin sont passablement
différents de ceux qu'il tenait en Chambre le 3 juin dernier
alors qu'il mentionnait qu'il n'y avait pas d'urgence de ce côté
et que les négociations avec le gouvernement fédéral, nous
n'en étions pas là. Alors, dans ce sens, je pense qu'il y a eu de
la part du ministre une prise de conscience. Tout ce que j'espère, c'est
qu'il y aura, comme le mentionnait le Conseil économique du Canada le 14
avril dernier par la voix de sa présidente, Mme Maxwell, il y a
assurément urgence à établir le plus rapidement possible
des programmes d'aide, non seulement pour la main-d'oeuvre par le recyclage et
la formation, mais aussi pour les entreprises. Je terminerai, puisque je
voudrais que ma collègue de Maisonneuve puisse dire aussi quelques mots
là-dessus. J'espère que le ministre pourra aussi nous dire quel
genre de mandat il entend donner aux principaux organismes qui sont là
pour aider les entreprises. Je pense particulièrement à la
Société de développement industriel, la Caisse de
dépôt, à la SGF, à SOQUIA, à SOQUEM, ces
organismes gouvernementaux qui sont là pour aider nos entreprises,
particulièrement dans la période qui s'en vient. Je vous
remercie, M. le Président.
Le Président (M. Charbonneau): Mme la
députée de Maisonneuve.
Mme Louise Harel
Mme Harel: Merci, M. le Président. Le ministre de
l'Industrie et du Commerce nous annonce ce matin un secrétariat et un
colloque, mais pas de politique ni de choix politique dans ce secteur qui est
pourtant névralgique et qui peut nous amener à des
stratégies gagnantes. Je rappelle au ministre ce qu'il sait
déjà, que tous les scénarios qui nous sont connus - je ne
parlerai pas des scénarios pessimistes, du scénario pessimiste du
Conseil économique du Canada de 76 000 emplois en dix ans, mais du
scénario optimiste... J'espère souscrire à ce
scénario optimiste pour dire au ministre que le Conseil
économique rappelait que ce scénario était basé sur
l'hypothèse d'une croissance de la productivité et que, si les
industries négligeaient d'assurer le perfectionnement de leur
main-d'oeuvre, ce serait 17 des 36 industries étudiées qui
allaient accuser une diminution de l'emploi et de la production. C'est donc une
stratégie gagnante que les travailleurs et travailleuses attendent du
gouvernement. Rien n'a autant justifié et intensifié
l'inquiétude à l'égard du projet de libre-échange
que cette impression de mollesse, de timidité, de passivité du
gouvernement à l'égard des mécanismes d'ajustement, de
transition, de recyclage, de formation.
M. le Président, je pense que le ministre doit, ce matin, nous
donner l'heure juste, notamment s'il a l'intention de déposer une
politique-cadre d'adaptation de la main-d'oeuvre ou s'il a plutôt
l'intention d'attendre que les victimes soient connues avant d'agir. Est-ce
qu'il prétend obliger les travailleurs et travailleuses à prouver
que leur perte d'emploi résulte, hors de tout doute raisonnable, et
directement au fur et à mesure de son application de l'accord
lui-même avant d'offrir un recyclage ou une formation
spécialisée? Comment peut-il expliquer le retard
injustifié à mettre en vigueur le programme d'adaptation pour les
travailleurs âgés? Depuis l'élimination du programme PAT en
août 1986, aucune nouvelle forme d'aide aux travailleurs et aux
travailleuses âgés n'a encore été instaurée.
Le gouvernement entend-il participer au financement d'un tel programme?
Où en sont les négociations avec le gouvernement
fédéral? Conçoit-il que ce programme devrait être
exclusivement financé par Ottawa? Est-ce que le ministre et son
gouvernement entendent légiférer en matière de
licenciement collectif et de fermeture partielle ou totale
d'établissement, notamment en obligeant à justifier les
décisions de fermeture prises devant un organisme qui pourrait
être mandaté à cette fin.
En d'autre termes, M. le Président, nous nous attendons, ce
matin, à avoir l'heure juste et ce, certainement au nom des travailleurs
et des travailleuses qui souhaitent connaître quelle sera la
stratégie gagnante de ce gouvernement à leur égard.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, Mme la
députée. Au nom de la coalition, M. Larose.
Coalition contre le libre-échange M.
Gérald Larose
M. Larose: Merci, M. le Président. Depuis que nous menons
le débat sur cet Accord de libre-échange, la principale
préoccupation que nous avons est celle qui concerne l'emploi. Je pense
que l'annonce du ministre confirme qu'il y a turbulence, qu'il y a perturbation
à l'horizon et qu'il faut procéder à des opérations
pour s'ajuster. C'est le minimum qui est dit dans les annonces qui nous sont
données. La question que nous posons, c'est: Où est-ce qu'on s'en
va? Je ne reviens pas sur les chiffres. On a eu beaucoup de difficulté
et on a encore beaucoup de difficulté à suivre les chiffres, y
compris ceux successifs du Conseil économique du Canada et du ministre
Bouchard qui a déjà dit qu'on aurait la création de 500
000 emplois. Mais c'est dans les raisonnements qu'on a le plus de
difficulté à suivre.
On sait que la tarification existante nous protège sur deux fois
plus de produits et deux fois plus fortement que les Américains. Si cela
nous protège, cela doit nous protéger sur quelque chose,
notamment sur l'emploi. L'abolition de ces tarifs, normalement - surtout
qu'hier on plaidait que cela devrait favoriser les consommateurs -je suppose
que cela va avoir des effets quant à l'achat de ces produits. Est-ce que
cela va favoriser l'achat des produits américains? Si c'est
le cas, cela doit signifier des choses pour les emplois. Si c'est une
meilleure productivité pour abaisser les coûts de production, qui
est-ce qui va payer? On pense que ce seront encore les travailleurs et les
travailleuses qui vont payer, notamment au chapitre de leurs conditions.
Pour nous, l'Accord de libre-échange est effectivement une
perturbation majeure dans le domaine de l'emploi. Plus tard, dans le
débat, on pourra peut-être illustrer la chose par les
différents secteurs. Mais si on ajoute à cela, je dirais, la
libre propriété, si on ajoute la libre circulation, si on ajoute
l'impossibilité de conditionner la propriété
étrangère ou de conditionner les subventions en favorisant
l'achat chez nous, etc., ce sont les règles du marché qui vont
jouer. Il me semble que le poids de ces règles va faire que les
marchés vont se restructurer et se réorganiser en fonction des
bassins de consommation. Le monde ne s'amusera pas à ouvrir des usines
à Sainte-Anne-de-la-Pocatière ou à Mistassini ou à
Barraute en Abitibi parce que c'est Barraute, parce que c'est Mistassini ou
parce que c'est Sainte-Anne-de-la-Pocatière. Ils vont restructurer leur
économie en fonction des bassins de consommation. L'Accord de
libre-échange pour nous, sur la moyenne portée, va être la
régionalisation de l'économie canadienne et
québécoise, et sa marginalisation. On va reproduire au niveau du
continent ce qui existe au niveau du pays. L'économie canadienne, dans
ce cadre, sera a la remorque des centres de décisions qui ne seront plus
de ce côté-ci, mais qui vont être de l'autre
côté. Cela ne sera pas sans conséquence,
précisément pour l'emploi, d'autant plus que dans cette
réorganisation, on ne se le cachera pas, il y a des incitatifs
intéressants pour les employeurs. Le salaire minimum aux
États-Unis, vous savez que dans neuf États il n'y en a pas. Dans
douze États, le salaire minimum n'atteint pas 3 $. Dans vingt
États, la formule Rand est interdite et illégale. Les normes
minimales de travail font que c'est beaucoup plus intéressant pour un
employeur de se restructurer et d'aller aux États-Unis que de rester
ici.
Ce qu'on dit depuis le début, c'est que nous avons fait des
choix, des choix de société qui veulent dire des choses
précises en termes de "bread et butter", des choses précises en
termes de respect des travailleurs et des travailleuses. On pense que, sur la
moyenne portée, c'est remis en question, y compris au niveau de
l'emploi. C'est pourquoi, et ce n'est pas nous qui le disons, mais la Chambre
de commerce - on nous a donné son mémoire, hier - elle rappelle
que pour être vraiment efficace cette révision législative
doit viser non seulement les dispositions légales ou
réglementaires, incompatibles avec les termes du traité, mais
aussi celles qui étouffent la compétitivité de nos
entreprises. On pourrait citer à titre d'exemple les offices de mises en
marché - c'est pour M. Proulx - certaines lois du travail - c'est plus
pour nous - trop favorables aux privilèges syndicaux - on va reprendre
les termes qu'ils empruntent - la réglementation fédérale
des institutions financières qui empêche les entreprises
canadiennes de croître sur le marché intérieur, une
fiscalité encore trop lourde au Canada.
Le p.-d.g. du Conseil du patronat, lors de sa conférence
terminale de l'année, nous disait qu'il faudrait que les syndicats
s'ajustent pour négocier en tenant compte du marché
américain. L'AMC nous a dit exactement la même chose en parlant
plus spécialement de la loi "antiscab". Bref, au niveau de l'emploi,
oui, il y a perturbation; oui, il y a turbulence à l'horizon.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M Larose. Mme
Fecteau.
Regroupement pour le libre-échange Mme Louise
Fecteau
Mme Fecteau: M. le Président, l'amélioration et la
sécurité de l'accès au marché américain sont
des priorités pour le secteur manufacturier. L'élimination des
tarifs devrait permettre, par exemple, de réduire les prix de biens
intermédiaires importés des États-Unis. Le climat
protectionniste des Américains constituait une menace pour nos
industries qui exportent déjà une large part de leur production
aux États-Unis. Il freinait, par ailleurs, dans leur expansion, nos
entreprises les plus dynamiques qui hésitaient à miser sur leur
possibilité de croissance à l'intérieur d'un marché
aux règles aussi incertaines. Qu'en est-il maintenant de la relation
entre la mise en oeuvre des dispositions du traité de
libre-échange Canada-États-Unis et ses répercussions sur
la situation de la main-d'oeuvre?
N'étant pas du côté de ceux qui prédisent une
mort lente et inéluctale de la population travailleuse du pays à
compter de janvier 1989, l'expérience d'un passé récent
nous porte à croire que les entreprises, les travailleurs et
travailleuses du Québec devraient être en mesure de s'adapter plus
facilement que la croyance populaire ne le laisse entendre. Certes, le spectre
du chômage plane autour des discussions sur le libre-échange, les
uns soutenant la thèse de la perte irrémédiable de
milliers d'emplois, les autres, dont nous sommes, nuançant leur position
dans l'optique suivante: Le secteur manufacturier est sans cesse en butte
à des défis beaucoup plus menaçants allant des changements
soudains dans les taux de change aux variations dans les
préférences des consommateurs et sans compter les aléas de
cycles économiques dits normaux. Lors de la dernière
récession économique de 1981, le secteur manufacturier a
enregistré une diminution de 300 000 emplois au cours d'une
période de quinze mois et a réussi à s'en remettre
après quelques années. Dans ce contexte, les déplacements
éventuels d'emplois résultant de
l'élimination graduelle des droits de douanes semblent
manoeuvrables.
Prenons l'expérience canadienne de 1970 à aujourd'hui.
À cause du GATT, les tarifs canado-américains ont autant
baissé qu'ils ne baisseront pas de 1989 à 1998 avec le
libre-échange. Or, depuis 1970, avez-vous souvent entendu parler des
pertes d'emplois provoquées par les réductions des tarifs contre
les produits américains? Un spécialiste de la presse
économique nous répond non, parce que l'ajustement à cette
libéralisation a été virtuellement neutre. Il n'y a aucune
raison pour que les futures coupures de tarifs soient plus difficiles à
absorber que les précédentes déclarait Richard Lipsey du
CD. Howe Institute. Selon Charles Barrette du Conférence Board, les
manufacturiers canadiens sont plus en mesure de concurrencer avec les
Américains aujourd'hui que ce n'était le cas en 1970, si l'on
prend en considération les salaires, les taux de profits et la
productivité. En 1976, les salaires au Canada étaient plus
élevés qu'aux États-Unis dans 54 secteurs sur 63. En 1986,
dans près de 80 % des secteurs canadiens, les salaires sont moins
élevés qu'aux États-Unis.
Qu'en est-il toutefois de nos industries les plus vulnérables,
celles qui ont été, jusqu'à présent,
protégées par les barrières que nous avions
nous-mêmes placées à l'entrée de nos marchés,
celles qui ne sont pas encore équipées pour suivre le rythme des
entreprises les plus dynamiques dans leur recherche de productivité et
leur expansion? Les industries menacées sont pour la plupart
déjà vulnérables et ce qu'elles risquent de perdre, ce
sont surtout des acquis obtenus dans un climat de protection. Est-ce à
dire qu'il faut se résigner à les laisser disparaître, ces
industries et les emplois qu'elles soutiennent. L'Association des
manufacturiers croit que les secteurs de notre industrie qui ne sont pas encore
prêts à la concurrence de calibre international peuvent s'ajuster
à ce nouveau contexte et s'y adapter pour autant qu'on leur donne le
temps et les moyens. Et c'est ce que prévoit le traité du
libre-échange en étalant sur dix ans l'élimination des
tarifs dans différents secteurs. Si les délais prévus pour
réaliser la transition sans heurt nous apparaissent réalistes, il
est cependant essentiel que nos gouvernements nous épaulent dans nos
efforts pour relever le défi, en mettant en place des programmes
d'adaptation adéquats. Le fait de savoir par exemple que des fonds
appropriés seraient destinés à la formation des
travailleurs et travailleuses et au soutien de l'investissement de capitaux
aiderait sans aucun doute à relever le défi. Le conseil
consultatif, formé par le gouvernement fédéral devant,
d'ici juin 1989, faire rapport sur les programmes conjoints de transition
qu'Ottawa et les provinces mettront en place pour aider les entreprises des
secteurs les plus fragiles à' s'ajuster est là un dossier
extrêmement important pour l'entreprise.
De même, la fiscalité doit favoriser davan- tage notre
industrie manufacturière déjà handicapée par des
coûts de fabrication comparativement élevés, dûs aux
taux d'intérêts et au caractère de moins en moins
concurrentiel de nos matières premières. Le présent
régime fiscal fédéral décourage l'investissement et
se répercute aussi sur le prix de nos produits. Nous entrons de
plain-pied dans une véritable économie de marché, à
laquelle certaines de nos entreprises n'ont pas toutes été
habituées jusqu'à présent. Le choc est cependant
programmé, planifié, et nous sommes en mesure de nous y
préparer. Chose certaine, le statu quo, ni pour les entreprises, ni pour
les gouvernements, ni pour les syndicats quand il y en a, n'est plus
possible.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, Mme Fecteau. J'ai
d'abord comme intervenant, Mme Dussault, de l'Institut de recherche sur le
travail. Alors, pour les gens qui n'étaient pas ici hier et qui ne
connaissent pas le fonctionnement de la commission, je vous rappelle que
l'objectif c'est de faire un échange de vues le plus fructueux possible
et de permettre au maximum de personnes d'intervenir. Donc, des commentaires et
des questions les plus courtes possible; même chose pour les
réponses, pour qu'on puisse avoir le meilleur débat possible. On
a environ 50 minutes pour cette discussion ouverte.
Alors, Mme Dussault, d'abord.
Discussion générale
Mme Dussault (Ginette): Merci, M. le Président. Je pense
que personne ne va contester que l'accord de libre-échange change les
conditions de concurrence au Québec, et donc que les chocs vont se
répercuter sur la production et l'emploi. Il y a toujours une
possibilité de s'ajuster à cette concurrence, en essayant de
faire pression à la baisse sur les coûts de production. Il y en a
une autre plus difficile à planifier, et c'en est une d'augmentation de
la productivité et de gain de marchés.
Dans l'annonce que le ministre a faite dans sa déclaration
d'ouverture, il me semble vouloir mettre sur pied des programmes de
façon à ce que la formation professionnelle des gens à
l'emploi aide à l'émergence des gains de productivité. Ce
que je voudrais demander, c'est si l'action du gouvernement est
cohérente dans son ensemble, et je voudrais souligner le risque que je
trouve de faire le lien avec la réforme de l'aide sociale, qui a
été largement débattue récemment. Par la baisse des
barèmes de base et l'incitation, pour ne pas dire la coercition, des
gens de l'aide sociale à aller sur le marché du travail de
façon à atteindre à nouveau le niveau de revenu qu'ils ont
actuellement - pendant les neuf premiers mois, c'est 100 $ ou 150 $ par mois
qu'ils doivent aller gagner en occupant un emploi régulier - d'une part,
et par les activités pour augmenter l'employabilité, d'autre
part, vers lesquelles on va les diriger et qui se retrouvent
essentiellement aussi dans le secteur privé, mais sans que ces
travailleurs aient un statut d'emploi et un salaire décent, je trouve
que la réforme de l'aide sociale envoie aux employeurs le message que
c'est un beau bassin de main-d'oeuvre, les bénéficiaires actuels
de l'aide sociale, pour diminuer les coûts de production et pour rendre
rentables des productions qui ne le sont que si les salaires sont ridicules.
Dans l'ensemble des programmes d'employabilité, tels qu'ils existent
maintenant, les bénéficiaires ne reçoivent pas un vrai
salaire. Je trouve que, avec l'importance que prend la réforme de l'aide
sociale dans l'ensemble des interventions du gouvernement auprès de la
main-d'uvre et d'une catégorie particulière de la
main-d'oeuvre, la réforme va permettre le développement d'emplois
non productifs, de "cheap labour" mais pas productif.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre de la
Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui, très
brièvement, pour répondre à Mme Dussault, il est
évident que le libellé même de la question indique que vous
n'avez pas pris connaissance de certains amendements que nous avons
déposés avant le dépôt du projet de loi comme tel.
Lorsque vous parlez de la période des neuf premiers mois, il y avait,
dans le document d'orientation que nous avons produit au mois de
décembre dernier, une catégorie qui visait les neuf premiers mois
et les refus de travail. Après une longue commission parlementaire
où plus de 125 groupes ont eu l'occasion de se faire entendre, nous
avons apporté des modifications substantielles à la politique de
sécurité du revenu, modifications qui ont été
généralement bien accueillies, entre autres, en partie, par
l'Opposition à l'Assemblée nationale du Québec. Les
modifications ont fait en sorte que ce barème des neuf premiers mois
ainsi que cette pénalité pour refus de participation sont
disparus.
Dans un deuxième temps, je vous indiquerai que les programmes,
qui sont actuellement à la disposition des moins de 30 ans, seront mis
à la disposition des 30 ans et plus lorsque la personne sera
considérée à la fois apte et disponible. Cela vise
à peu près 170 000 chefs de ménage dans la province de
Québec. Maintenant, de quel type de programme s'agit-il et de quel type
de clientèle s'agit-il?
Le Président (M. Charbonneau): Je vous arrête tout
de suite. J'ai laissé aller la question et une bonne partie de la
réponse, mais là je ne voudrais vraiment pas qu'on en vienne
à faire de cette commission parlementaire la commission qui a
déjà eu lieu sur l'aide sociale. Je pense que l'objectif de la
rencontre, c'est de voir l'impact de l'Accord de libre-échange sur
l'emploi, les politiques d'emploi, mais l'emploi en général.
Donc, je ne veux pas qu'on dévie du sujet. Alors, si vous me le
permettez, est-ce que vous avez une question, madame, ou un autre commentaire
mais... (12 heures)
Mme Dussault: Précisément, ce serait...
Le Président (M. Charbonneau): ...sur l'accord, là,
c'est-à-dire en relation avec l'accord?
Mme Dussault: En relation avec l'accord, quels moyens le
gouvernement entend-il prendre pour éviter que l'ajustement à la
nouvelle concurrence se fasse par des pressions à la baisse sur les
salaires?
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je pense que la question rejoint
un point qui a été soulevé, je pense, par M. Larose de la
CSN, entre autres: les impacts sur le salaire minimum. Le point a
été soulevé. Vous en faites mention dans les documents qui
ont été déposés. Je vous dirai que, après
avoir été gelé pendant cinq ans, soit de 1981 à
1986, le salaire minimun a été augmenté à trois
reprises, au Québec, au cours des trois dernières années.
Je devrais, pour être exact, dire augmenté à deux reprises
et l'annonce d'une troisième augmentation a été
effectuée au mois de juin; elle entrera en vigueur seulement le 1er
octobre.
Donc, si l'on compare le niveau du salaire minimum, parce que, chaque
fois que nous l'avons haussé, nous avons pris soin de mesurer la
position concurrentielle du Québec avec les provinces voisines, avec ce
qui se passe à l'intérieur du Canada, mais également avec
certains États américains, notre base de comparaison, et surtout
les États avec qui nous transigeons davantage, avec qui nous sommes
davantage en compétition. Ce que je peux vous indiquer aujourd'hui,
c'est que le niveau de salaire minimum avec les États américains
où nous transigeons fait en sorte que le Québec se retrouve dans
une situation, avec le salaire minimum à 4,55 $ l'heure, comparable
à ce qu'on retrouve dans ces États avec qui nous
échangeons des biens, des services et des produits.
Le Président (M. Charbonneau): M. Chevalier,
vice-président de la FTQ.
M. Chevalier (Michel): J'aurais quand même deux
commentaires puis une question. Je suis un inspecteur en hygiène des
viandes. On a parlé de différences entre les deux pays, mais je
peux vous dire qu'il en existe une très grande. Je vois un danger
extrême avec ce qui se passe aux États-Unis, surtout en
alimentation, avec les normes qu'on a au Canada, ici. Actuellement, il y a
déjà des effets négatifs qui se font... même si elle
était déjà faite cette entente. Je peux vous dire qu'au
niveau de la productivité - je ne sais pas si au niveau des services
communautaires, au
niveau de la santé il va y avoir des améliorations - vous
pouvez vous attendre à avoir des gens beaucoup plus malades qu'on
n'avait avant si cette entente est signée et si on peut faire des
échanges de nos produits alimentaires avec les États-Unis. Nos
normes sont beaucoup trop élevées pour les Américains.
Pour ce qui est de l'industrie, en ce qui me concerne, pour arriver à ce
qu'on veut arriver, j'ai l'impression qu'au Québec tout ce qu'on a sur
les lignes américaines va déménager du côté
américain plutôt que de rester de ce côté-ci
où la majorité de ces industries, travaillant à
l'intérieur de ces industries, sont subventionnées du
côté américain actuellement.
Mais ma question n'est pas là. Cela, c'était un
commentaire. C'est qu'actuellement au Québec, après ce qu'on
vient de dire et qui sonne faux dans ma tête, il y a un certain
décret qui existe depuis à peu près 50 ans qui avait pour
but d'éliminer la concurrence déloyale et d'améliorer les
conditions de travail des travailleurs et des travailleuses. Je crois qu'il
reste environ 37 de ces décrets encore en vigueur, touchant à peu
près 145 000 travailleurs et travailleuses, qui sont en majorité
des femmes, dans le textile, le vêtement ou d'autres domaines similaires.
Si la politique de libre-échange est acceptée - on dit qu'elle
serait en vigueur en janvier 1989 et que les décrets, eux, vont
être abolis en décembre 1988 - ma question c'est: Est-ce que la
politique actuelle du ministre Paradis de ne pas renouveler les 37
décrets d'extension des conventions collectives suivant les
recommandations 54 et 55 du rapport Scowen, recommandant l'abolition de tous
les décrets pour décembre 1988, ne tend pas à rabaisser
les paliers québécois à 4,65 $ l'heure pour ne pas
être en concurrence déloyale avec nos pauvres petits
Américains qui travaillent dans le textile à un salaire qui est
entre 2,00 $ et 3,00 $ l'heure dans le Sud des États-Unis?
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Le plus brièvement
possible. En effet, il y a 37 décrets actuellement en vigueur qui
découlent de l'application de la Loi sur les décrets de
convention collective. Vous avez parlé du nombre d'employés que
ces décrets couvraient. Oui, c'est à peu près 145 000
travailleurs et travailleuses au Québec. Là où on retrouve
le plus grand nombre de travailleurs ou travailleuses concernés dans ces
décrets, ce sont entre autres, de mémoire, dans les
décrets d'agences de sécurité, qui sont
représentées, chez vous, par les métallos et dans les
décrets d'entretien ménager. J'ai déjà eu
l'occasion d'indiquer très clairement que ce n'était pas
l'intention de l'actuel gouvernement d'abroger ou de modifier la Loi sur les
décrets de convention collective, mais de l'appliquer strictement, et
ce, dans un avenir prévisible et au nom de celui qui vous parle, tant
que je suis titulaire du ministère du Travail. Quant au renouvellement
desdits décrets, 36 de ces 37 décrets contiennent une clause de
renouvellement automatique. Un seul ne contient pas de clause de renouvellement
automatique: II s'agit du décret d'entretien ménager à
Québec. Je viens de le renouveler pour un mois additionnel de
façon à permettre aux parties de fournir au ministère des
informations nécessaires pour qu'on puisse se prononcer en toute
connaissance de cause sur ce décret. Nous comptons recevoir ces
informations au cours du mois qui suivra. Merci.
Le Président (M. Charbonneau): Est-ce que vous avez une
question additionnelle, M. Chevalier?
M. Chevalier: En ce qui concerne les décrets, est-ce que
des pourparlers ont été entrepris pour accepter toutes les
recommandations qui vont être faites par les différents
paliers?
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je vais tenter de relier le plus
possible votre question à l'objet qui nous concerne aujourd'hui, la
question de la concurrence. L'article 6 de la Loi sur les décrets de
convention collective - et je cite de mémoire, ce peut être
l'article 7, mais je pense que c'est l'article 6 - demande au ministre,
lorsqu'il considère le renouvellement d'un décret de convention
collective de tenir compte de l'aspect concurrentiel. Cet aspect concurrentiel
s'applique même à l'intérieur de certaines régions
au Québec. Je peux vous donner l'exemple des décrets de garage -
dans certains secteurs, on en a, dans d'autres il n'y en a pas - et des
décrets de métallurgie; présentement, nous sommes à
réviser les zones où s'applique le décret de
métallurgie. Donc, ce libre-échange est même
appliqué à l'intérieur de la province de Québec.
Lorsqu'on parle d'un décret d'agents de sécurité, je ne
vois comment le libre-échange avec les États-Unis affecte
directement ce décret.
Le Président (M. Charbonneau): M. Landry.
M. Landry (Bernard): Merci, M. le Président. Je prends la
précaution oratoire de dire que je sais très bien que c'est plus
facile de donner des conseils au ministre que d'occuper la fonction
ministérielle, mais il me permettra de lui dire que ses annonces
m'apparaissent manquer un peu de mordant et être à la limite du
tardif. Le conseil que je lui donnerais modestement, c'est d'activer sa machine
beaucoup plus qu'il ne semble le faire. Un colloque à l'automne, si dans
la meilleure hypothèse le colloque rapporte le dixième de ce que
rapportent les colloques généralement, cela me paraît un
peu timide pour l'immense défi qui nous attend.
Les partisans sincères du libre-échange ont toujours dit
qu'il ne s'agissait pas d'une panacée.
Si ce traité peut nous empêcher de perdre un certain nombre
d'emplois en nous mettant à l'abri du protectionnisme, les emplois
à gagner seront le fruit de notre dynamisme. Or, le 1er janvier 1989,
les secteurs susceptibles de gagner au libre-échange, car ce sont les
premiers ouverts, ceux qui passent à zéro, c'est le 1er janvier
1989, ce sont nos grandes forces, ce sont nos grandes
spécialités. Il faut qu'ils se bougent. C'est seulement un mois
et demi après votre colloque. En d'autres termes, je pense que c'est le
temps du branle-bas de combat, si on veut profiter a fond du traité.
J'ajoute que, pour les secteurs libéralisés en dernier,
ceux qui vont être à douane zéro en l'an 2000, ce n'est pas
le libre-échange avec les États-Unis d'Amérique qui va les
menacer de perte d'emplois, ce sont deux autres phénomènes qui
sont présentement en cours. L'Uruguay Round, négociation
présente du GATT, et les modifications au système de
préférences généralisées en faveur des pays
du tiers monde.
Je m'explique pour ceux qui ne sont pas familiers avec cette notion. Il
fut un temps où on soulageait notre conscience occidentale en envoyant
des Pères blancs d'Afrique et l'ACDI dans le tiers monde. Ce n'est pas
cela qu'il faut faire aujourd'hui. Il faut acheter leurs produits. Par le
système des préférences généralisées,
on donne accès à leurs produits et ces produits viennent
littéralement déloger du marché du travail des
travailleurs beaucoup plus riches, évidemment, que des
Sénégalais ou des Mexicains, mais qui sont des
Québécois et qui ont besoin de mesures qui les empêchent de
porter sur leurs épaules le fardeau du rééquilibrage
Nord-Sud. Tout le monde est pour équilibrer le Nord-Sud, mais il ne faut
pas que ce soient des pauvres gens à Granby ou à Coaticook qui
aient simplement ce fardeau sur leurs épaules. Alors, je pense qu'il
faut un branle-bas de combat beaucoup plus considérable et qu'il doit
tourner autour de l'investissement dans les cerveaux et dans la formation des
travailleurs et des travailleuses.
Je conclus mon intervention en disant ceci: Les deux pays qui
réussissent le mieux actuellement sur la scène mondiale, en
termes de croissance, de thésaurisation et de commerce extérieur,
sont la République fédérale d'Allemagne et le Japon. Or,
ces deux pays ont en commun d'être les deux champions de la formation des
personnels, de la formation de la main-d'oeuvre, de la qualité de vie au
travail et de la motivation de la force ouvrière.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre de
l'Industrie et du Commerce.
M. Johnson: Merci, M. le Président. Le format de nos
discussions m'oblige quand même presque à ramasser, non pas au
fusil, mais au rouleau, les interventions qui ont précédé
celle-ci. Dans l'ordre, je voudrais remercier le député de
Bertrand pour ses félicitations, toutes nuancées qu'elles aient
été. Quant aux autres intervenants, je dirais tout de suite, et
notamment pour reprendre ce que la députée de Maisonneuve a
indiqué, se plaignant de l'absence de choix politique dans les prises de
position gouvernementales ou les déclarations que nous faisons depuis
quelques mois, je veux dire et redire que le choix politique fondamental qui a
été fait a été celui d'appuyer une démarche
de libéralisation des échanges entre le Canada et les
États-Unis pour la bonne et simple raison que notre conviction profonde
est que le dynamisme de l'entreprise québécoise, que nous
observons, que nous avons soutenu et que d'autres gouvernements ont soutenu
avant nous, nous permet d'envisager à l'horizon un avenir beaucoup plus
prometteur pour les entreprises et les travailleurs du Québec. Je dirais
qu'à l'horizon, et c'est là que M. Larose et moi
n'écoutons pas le même météorologiste, il y a de la
turbulence, oui, mais qui est attribuée non pas à un vent du sud,
mais à un tourbillon qui nous vient de partout.
Les turbulences et les perturbations qui peuvent affecter les
entreprises québécoises et, évidemment, les travailleurs,
viennent des changements technologiques quotidiens, de la bataille, je dirais
de minute en minute, que nos entreprises doivent mener sur la scène
internationale. Nous introduisons maintenant, de façon organisée,
planifiée sur dix ans, dans un cadre connu où il y a du
libellé, des numéros d'article, des mécanismes de
règlement différents, une dimension additionnelle avec laquelle
les entreprises peuvent composer avec plus de certitude maintenant. J'irais
jusqu'à dire que l'Accord de libre-échange que nous connaissons
maintenant est une dimension qui facilite l'adaptation des entreprises, car
elles peuvent maintenant prévoir ce qui vient avec nos voisins
américains, après avoir été l'objet, je dirais
victimes, de comportements protectionnistes de nos voisins du Sud. (12 h
15)
À ce titre, lorsqu'il est question d'adaptation, j'y vois, quant
à moi, et j'y ai toujours vu une connotation positive et non pas
négative. Lorsqu'on sait que, l'an dernier, si nous avons 100 000
emplois de plus de recensés au Québec qu'il y a douze mois, c'est
le résultat de plus 400 000 moins 300 000. Il n'y a pas 300 000
chômeurs de plus et il y a quand même 100 000 personnes de plus qui
travaillent. La question est de savoir comment ceux qui sont
déplacés, je dirais quotidiennement, dans une économie
dynamique, peuvent, à l'égard de la dimension qu'introduit la
libéralisation des échanges, être soutenus s'ils sont
effectivement affectés. Je suis disposé à présumer
que les travailleurs seront affectés parce que cette dimension nouvelle
créera certains changements. Je n'invoque pas le dynamisme normal et les
rotations d'emploi normales observés pour ne rien faire, je dis
plutôt: Voyons ce que cela introduit comme dimension nouvelle et quels
sont les défis
maintenant créés pour les entreprises et leur
main-d'oeuvre. À l'occasion des consultations, nous avons
découvert que l'adaptation pour les entreprises est un facteur positif,
est une réaction salutaire afin de conquérir de nouveaux
marchés.
Le Président (M. Charbonneau): M. Larose, sur le
même sujet.
M. Larose: Je donne totalement raison au ministre quand il dit
qu'on est déjà pris dans une turbulence qui est due aux
changements technologiques et aux modifications dans les structures
industrielles, etc. Dans ce sens, je suis tout à fait d'accord pour que
le gouvernement développe le branle-bas de combat pour effectivement
pouvoir faire face à ces nouveaux défis. Mais ce dont le ministre
doit se rendre compte, c'est qu'il s'enfarge les pieds dans l'article 2011. Il
ne pourra pas faire n'importe quoi. Il ne pourra pas investir pour restructurer
l'économie, restructurer les secteurs industriels. L'Accord de
libre-échange le corsète férocement. Il ne pourra pas
intervenir de telle sorte que cela puisse rééquilibrer des
avantages escomptés d'une partie ou d'une autre. Il va jouer une "game"
défensive, c'est-à-dire qu'il va ramasser les pots cassés
des travailleurs et des travailleuses qui sont sur le carreau et il va
s'ingénier à les recycler autrement. Mais il ne pourra pas
intervenir dans la restructuration des secteurs pour faire en sorte que le
Québec ou le Canada puisse ne pas perdre au change dans l'Accord de
libre-échange. Or, dans ce sens, je le comprends très bien qu'il
ne se soit pas très bien pressé à venir jusqu'à
maintenant parce qu'effectivement il n'y a pas mer et monde à faire dans
ce domaine. Il y a une "game" à jouer pour pouvoir s'ajuster, mais
à la suite des déploiements des règles du marché.
C'est ce qu'on dit depuis le début.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre du Commerce
extérieur.
M. MacDonald: J'ai de la difficulté à ne pas me
rappeler certaines de vos paroles, M. Larose, lorsque vous parliez de
démagogie hier. Lorsque vous établissez ainsi votre constat, on
dirait que vous tenez pour acquis qu'en premier lieu il n'existe aucun
programme quelconque qu'on peut utiliser au ministère de l'Industrie et
du Commerce. Je prends seulement ce ministère, je ne prends pas le
fédéral, je ne prends pas les responsabilités de M.
Paradis ni les miennes. Il y a 28 programmes que les entreprises peuvent
utiliser et utilisent. Certains ne les utilisent pas souvent peut-être
parce qu'ils sont mal renseignés ou qu'ils se renseignent mal, mais il y
a 28 programmes qu'il n'est absolument pas question de mettre de
côté ou de faire disparaître. On dirait que vous pensez
également que les chefs d'entreprises qui savent qu'ils vont être
affectés dans un délai bien précis de tant
d'années, pour un pourcentage d'accroissement de productivité
bien précis, ce qu'ils n'ont pas le luxe d'avoir lorsque ce sont des
effets de compétition internationale ou des changements technologiques
qui leur arrivent sur la gueule et qu'ils ne savent pas d'où cela
vient... Là, ils le savent. Il y a un pourcentage. Vous avez l'air de
prétendre que ces entreprises qui, aujourd'hui, celles qui ont le plus
de succès d'ailleurs, travaillent intelligemment avec leurs
employés pour faire face à ces défis, n'ont rien fait
depuis deux ans, sachant que le libre-échange s'en vient, et qu'elles
n'ont rien fait depuis la fin de l'année 1987 alors qu'elles savent
exactement quels sont les barèmes.
Je vous rappellerai juste un petit élément, par exemple.
Dans la majorité des industries, le délai de cinq ans ou de dix
ans a été déterminé à partir d'une
consultation avec les représentants de ces industries qui ont dit: Nous
sommes capables de faire face à ces changements dans les proportions
mentionnées dans la période mentionnée. Alors, le point
que je veux souligner et mon collègue l'a fait, c'est qu'il y a un
bouleversement journalier. Il y a au fédéral, au provincial et
dans différents organismes des programmes d'adaptation. Je suis
particulièrement en accord avec la thèse de M. Landry que cela
doit être principalement orienté vers la main-d'oeuvre, mais cela
existe.
Ce qui arrive à l'heure actuelle, c'est que nous allons avoir
dans un temps donné un pourcentage de productivité à
améliorer. Il faut savoir s'il faut, d'une part, prendre les programmes
tels qu'ils sont ou les modifier et, d'autre part, ce qu'il faut ajouter. C'est
ce qu'on fait à l'heure actuelle, en consultant les premiers
intéressés, c'est-à-dire les entreprises et leurs
travailleurs, qui vont avoir à faire face au défi.
Le Président (M. Charbonneau): M. Larose.
M. Larose: Moi, j'entends le discours, mais je voudrais qu'on
revienne au texte. Le 2011, qu'est-ce qu'il dit? "Si une partie estime que
l'application d'une mesure, contraire ou non aux dispositions du présent
accord, semble annuler ou réduire un avantage qui devrait
raisonnablement découler directement ou indirectement du présent
accord, elle peut, en vue de régler la question de façon
satisfaisante, invoquer les dispositions de l'article 1804..." Là, nous
voilà dans un mécanisme d'arbitrage. Alors, dans ce sens -
là-dessus, vous ne m'avez pas contredit - les programmes existants vont
continuer, oui, à s'appliquer, mais des opérations
spécifiques pour contrecarrer des effets de l'accord, on ne pourra pas
en faire à la tonne. C'est ce qu'on dit tout simplement. C'est sûr
que les programmes existent, que le monde va en profiter, etc., mais qu'on ne
nous fasse pas accroire qu'on a la liberté de pouvoir s'organiser pour
contrecarrer les effets de l'accord. En tout cas, l'article 2011 ne nous dit
pas tout à fait cela. C'est tout ce que je dis.
M. MacDonald: Bien, alors, je vais vous référer au
passé, à ce qui a été fait depuis qu'on a
cherché à civiliser les relations commerciales entre les pays,
c'est-à-dire, nommément, depuis 1947, le GATT, les articles 22 et
23, la flexibilité que cela nous donne.
M. Larose: ...le premier janvier 1989.
M. MacDonald: Premier janvier 1989. Non, revenez en
arrière. Nous, on dit ce que le gouvernement peut faire. Vous, vous
dites que nous ne pourrons rien faire. Moi, je vous dis qu'il n'y a aucun des
programmes que nous avons, il n'y a aucun des programmes qui ne puisse
être changé ou être rendu pointu pour faire face à un
défi particulier dans un délai particulier. Je suis d'accord avec
vous que, si on décidait de mettre un montant de centaines de millions
de dollars pour profiter de l'occasion, par exemple - et je le prends parce
qu'il ne s'applique pas - pour devenir les leaders mondiaux dans le domaine de
la micro-électronique et, particulièrement, dans le domaine des
"chips" les plus avancés, ah! là, on aurait un problème.
Là, on aurait un problème, c'est bien certain. Mais si vous me
dites, par exemple, que, dans l'industrie du meuble, pour le prendre
spécialement, nous allons pointer les efforts du centre de recherche que
nous avons sur l'informatisation de la production - c'est un centre qui existe,
qui a été formé par le gouvernement dans les années
1980, d'accord? - si vous me dites que nous allons concentrer les programmes
vers l'industrie du meuble pour développer ce que nous appelons la
conception assistée par ordinateur et la fabrication assistée par
ordinateur, aucun problème quelconque. Et c'est exactement, justement,
un exemple pratique de l'orientation que le gouvernement voudrait faire de
programmes existants, les rendant plus pointus sur un défi
précis, dans un délai précis.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand, c'est sur le même sujet ou...
Mme la députée de Maisonneuve, est-ce que c'est sur le
même sujet?
Mme Harel: Oui.
Le Président (M. Charbonneau): Bien...
Des voix: Ha! ha! ha!
Le Président (M. Charbonneau): ...si ce n'est pas sur le
même sujet, je redonne la parole au député de Bertrand.
M. MacDonald: Si cela ne l'est pas, je n'aurai pas de
réponse.
Mme Harel: En fait, M. le Président, je pense que,
à ce stade-ci, peut-être je puis reposer les questions au
ministre. Entend-il déposer une politique-cadre en matière
d'adaptation? Et je repose mes questions concernant ces mesures qui sont
attendues pour les travailleurs âgés: Quand sera instauré
le programme d'adaptation pour les travailleurs âges? Est-ce que le
gouvernement québécois conçoit qu'il doit être
financé exclusivement par Ottawa? Est-ce que le gouvernement va
légiférer en matière de licenciement collectif ou de
fermeture partielle ou totale, pour resserrer ces dispositions? M. le
Président: Considérez-vous que c'est dans le sujet, oui? Je peux
continuer?
Le Président (M. Charbonneau): Cela va.
Mme Harel: Ha, ha, ha! Le ministre nous a dit: On a fait le choix
politique. Le ministre de l'Industrie et du Commerce a dit: On a fait le choix
politique de la libéralisation. Mais il ne faut quand même pas
s'aveugler, à moins que... C'est peut-être un choix politique,
finalement, qu'ils font de penser que les vertus du libre-échange seront
suffisantes non seulement pour créer la prospérité, mais
pour la partager; cela, ce n'est pas certain. Il faut aussi une volonté
politique pour la partager et elle ne semble pas évidente. En l'absence
de programmes, ce que l'on a sous la main présentement, ce sont des
réalités comme celles-ci: Un adulte sur deux, au Québec
n'a pas complété ses études secondaires, un sur quatre a
moins de huit années de scolarité. Il y a comme du rattrapage
à faire. Où est la campagne de scolarisation que le gouvernement
entend mener?
Ce que l'on a sur la table présentement, c'est 170 000
ménages, M. le ministre de la Main-d'Oeuvre et de la
Sécurité du revenu, 170 000 ménages qui vont effectivement
voir leurs prestations réduites, et qui vont se voir offrir des mesures,
dites-vous, d'employabilité, maintenant qu'elles seront offertes aux
ménages de plus de 30 ans. Et là il faut voir que les
études que vous avez réalisées ont permis de
démontrer que l'offre même de ces mesures n'avait pas
été possible à plus de 17 % des ménages de moins de
30 ans. Comment est-ce que cette offre va se transformer soudainement dans une
capacité illimitée aux plus de 30 ans? Et en plus, qu'est-ce
qu'il y a comme mesures? Ce sont là des ménages... M. le
Président, et je voudrais terminer là-dessus.
Le dernier CT que nous avons pu avoir du Conseil du trésor
révèle notamment qu'en matière de programmes, je pense au
programme Hyundai, un des programmes finalement, c'est de faciliter
l'implantation au Québec de l'usine d'assemblage d'automobiles Hyundai,
par la formation des personnes qui y trouveront un emploi. Clientèle
visée: 1200 personnes sur une période de trois ans, et c'est
considéré comme des activités de formation pour des
personnes assistées sociales. Les programmes de formation font partie
des programmes approuvés le 13 avril de cette année
par le Conseil du trésor. Est-ce que c'est ce genre de programme?
Parce que pour tout de suite c'est ce qu'on a sous la main. Est-ce que c'est
à cela qu'on doit s'attendre? Je vous rappelle qu'une étude
publiée aujourd'hui et subventionnée par le ministère
considère que l'une des conséquences les plus graves des
solutions d'attente est la perte de compétence pour les personnes qui
participent à ces programmes. Alors, avez-vous d'autres propositions
à nous faire que celles qui sont sur la table présentement?
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre de la
Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui, très rapidement. Vous
aurez compris, M. le Président, que la question de Mme la
députée de Maison-neuve comporte plusieurs volets. Je vais tenter
de m'adresser aux principaux qu'elle a soulevés, bien que certains ne
fassent pas l'objet de la commission ici aujourd'hui, mais il me fait toujours
plaisir de réengager le débat avec Mme la députée
de Maisonneuve sur la question de la politique de sécurité du
revenu.
Elle mentionne les carences de la population en général
sur le plan de la scolarisation et de la formation. Lorsque nous proposons
d'investir comme gouvernement quelque 450 000 000 $ comme argent frais et
nouveau par année pour former davantage, scolariser davantage les plus
démunis de la société, elle s'oppose. Les statistiques
sont inquiétantes chez les gens qui sont à l'aide sociale et
à qui on veut offrir des mesures de relèvement de
l'employabilité. Vous avez oublié de mentionner qu'une partie
importante de cette clientèle, soit 36 %, est composée
d'analphabètes fonctionnels. Les statistiques quant au pourcentage de
personnes qui n'ont pas complété leur secondaire sont encore plus
élevées chez cette clientèle: 60 %. Les gens qui n'ont
aucune expérience antérieure de travail reconnue, c'est encore
plus élevé chez cette clientèle: 40 %. Et on pourrait
continuer.
Maintenant, je dirais à Mme la députée de
Maisonneuve, parce que c'est la deuxième fois qu'elle soulève le
programme, qu'il est important, et je pense qu'il s'inscrit dans le cadre de
nos discussions sur le libre-échange, ce programme PAT ou PATA du
gouvernement fédéral pour les travailleurs âgés
licenciés collectivement. Comme vous le savez, Mme la
députée de Maisonneuve, le gouvernement fédéral a
décidé unilatéralement, au mois d'août 1986, de
mettre fin à ce programme qui s'appliquait au Québec dans des
secteurs d'activité fragiles. L'intention du gouvernement
fédéral était d'étendre ce programme à
l'ensemble des activités économiques dans tout le pays. Deux ans
plus tard, je peux faire le point sur les négociations, si vous le
désirez, quant aux modalités. Il y a des ententes ad hoc sur
à peu près l'ensemble des modalités d'application d'un
nouveau programme entre le gouvernement du Québec et le gouvernement
fédéral. Mais il y a achoppement majeur sur le plan du
financement dudit programme. Lorsqu'il a été interrompu par le
gouvernement fédéral, le programme était financé
à 100 % par le gouvernement fédéral. 85 % de l'argent sur
le plan national était récupéré par la province de
Québec. Au moment où nous nous parlons, nous sommes en
négociation avec le fédéral. Nous n'exigeons pas du
fédéral qu'il paie 100 % de la facture. Ce que je peux vous dire,
c'est qu'il devra payer la majorité de la facture pour en arriver
à une entente négociée. (12 h 30)
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): Sur un autre sujet, M. le Président,
et rapidement puisque le temps fuit. J'ai souvent mentionné depuis la
dernière année l'importance du coffre d'outils que les
entreprises ou les chefs d'entreprise devront avoir pour faire face au
libre-échange. Il semble, à toutes fins utiles, qu'on en est
actuellement à faire des inventaires et ce, à six mois de
l'Accord de libre-échange. On est au stade des consultations et des
inventaires, ce que je trouve carrément inadmissible.
Cependant, il y a des études qui ont été rendues
publiques partiellement. Il y en a d'autres qui n'ont pas été
rendues publiques pour des raisons que le ministre nous a données hier,
que je ne partage pas, mais qui n'ont pas été rendues publiques.
Il y en a d'autres qui auraient ou qui seraient sur le point d'être
rendues publiques puisque le 16 décembre dernier, en commission, un
éminent conseiller du ministre du Commerce extérieur et du
Développement technologique d'alors, M. Michel Audet, qui est devenu
depuis lors sous-ministre au ministère de l'Industrie et du Commerce,
disait qu'au ministère de la Main-d'Oeuvre et de la
Sécurité du revenu, effectivement, on venait de commencer
à étudier, et cela fait un bon moment. Là, il nous
mentionne qu'il y a des études. Est-ce que les études dont on
parlait le 16 décembre 1987 sont complétées et est-ce que
le ministre est prêt à les rendre publiques? Est-ce qu'on peut me
répondre précisément à ces questions?
Le Président (M. Charbonneau): Lequel des ministres veut
répondre? M. le ministre de la Main-d'Oeuvre et de la
Sécurité du revenu.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Comme ministre responsable du
ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu,
je peux indiquer que les études, bien qu'avancées, ne sont pas
terminées et que n'étant pas terminées, vous comprendrez
qu'elles ne peuvent être rendues publiques.
M. Parent (Bertrand): Je comprends et cela
confirme mon inquiétude qu'on est encore en train de faire des
études et que le gouvernement est drôlement en retard. Alors,
c'est un point et s'il y en a d'autres qui veulent parler sur ce point, mais
à ma connaissance, M. le Président, on est encore à
compléter des études au ministère de la Main-d'Oeuvre et
de la Sécurité du revenu pour savoir quels seront les secteurs
sur lesquels il y aura des impacts et on nous dit qu'avant le 31
décembre prochain la quatrième condition va être remplie,
c'est-à-dire qu'on va être capable de mettre sur pied des
programmes parce que c'est la quatrième condition. Je me demande comment
le gouvernement va faire.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): M. le Président.
Le Président (M. Charbonneau): Oui.
M. Paradis (Brome-Missisquoi): Peut-être rapidement, en
réplique. Le député de Bertrand tient pour acquis qu'il
n'existe aucun programme au ministère de la Main-d'Oeuvre et de la
Sécurité du revenu. Il existe des programmes d'adaptation de la
main-d'uvre au ministère de la Main-d'Oeuvre et de la
Sécurité du revenu, il existe des programmes de formation
professionnelle, des programmes de formation en entreprises, des programmes de
recyclage du personnel. Nous avons un accord fédéral-provincial
d'une importance capitale en matière de formation en
établissements. Le programme fédéral de la planification
de l'emploi s'applique au Québec et nous y participons dans le domaine
de nos juridictions. Nous avons des programmes de temps concerté. Nous
avons une foule de mesures qui sont déjà en marche. Ce que nous
vous disons, c'est que nous sommes en train de faire les dernières
évaluations de façon à apporter le pointu là
où il doit être apporté quant à ces programmes.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre de
l'Industrie et du Commerce, vous aviez un complément de
réponse?
M. Johnson: Oui. M. le Président, cela m'apparaît
fondamental, pour lever une confusion qui est entretenue à cause de
l'utilisation des termes. Il y a maintien, il y a à demeure des
programmes de soutien à la main-d'oeuvre et aux entreprises, donc
à l'équipement, si on veut utiliser cette appellation, qui ne
sont pas remis en cause par l'Accord de libre-échange. Cela
m'apparaît clair. La deuxième étape, la deuxième
chose qui se produit, c'est qu'on ne peut quand même pas faire un
relevé des défis que les entreprises ont identifiés dans
le cadre de la libéralisation des échanges avant que l'accord
n'ait été un peu attaché et rédigé.
Ceci étant fait, nous avons déjà commencé
à regarder, avec les secteurs industriels, leurs représentants,
quelle est la nature des défis qui les attendent, selon les plans
d'entreprise, selon les perspectives de développement des secteurs
industriels. Je dirais que, à mon agréable surprise, même
des secteurs qui, en théorie, sur papier, auraient pu être
menacés selon certains, ont indiqué avec une agressivité,
je dirais, exemplaire et qu'on doit voir se multiplier, que c'était une
occasion en or pour ces entreprises, avec la libéralisation des
échanges, de connaître une croissance qui devra se réaliser
avec un soutien non pas financier, non pas d'adaptation, mais de ressources
techniques, d'intelligence, de découverte des marchés,
d'accession à des marchés et à des créneaux que
nous sommes disposés - c'est notre mandat, notre rôle - à
identifier avec ces entreprises. La nature des consensus qui
s'établissent dans les secteurs industriels dans les discussions que
comme gouvernement nous pouvons avoir avec des représentants de toutes
sortes d'entreprises indique que nous pouvons travailler ensemble à
très peu de frais, à condition de savoir qu'il y a des occasions
d'affaires au Sud et que nous pouvons les saisir si nous y mettons du temps et
non seulement de l'argent.
Le Président (M. Charbonneau): En réplique, M. le
député de Bertrand, M. Larose et après j'ai deux questions
principales d'annoncées. Ce seront les deux dernières compte tenu
du temps, M. Boudreau et M. Bakvis. M. le député de Bertrand.
M. Parent (Bertrand): À la suite des propos du ministre de
l'Industrie et du Commerce et du ministre de la Main-d'Oeuvre et de la
Sécurité du revenu, je suis pleinement conscient que les
programmes existants ne sont pas tous abandonnés. Je suis pleinement
conscient de cela. La roue va continuer à tourner et, le 1er janvier
1989, le Québec n'arrêtera pas de tourner, sauf que le
gouvernement ne semble pas saisir que premièrement, avant que n'entrent
en vigueur le libre-échange et les nouvelles conditions, il y a un
problème actuellement au Québec qui fait qu'on a 9,5 % de
chômage, pendant que dans la province voisine, dans le même
contexte, il y en a la moitié moins. Il y a un problème
déjà là et c'est un problème de formation, de
recyclage de main-d'oeuvre. Avec les nouvelles règles du jeu que nous
amène le libre-échange, je suis aussi conscient que, le 1er
janvier 1989, ce ne sont pas toutes les entreprises américaines qui vont
venir ici, je suis conscient que, l'accord étant signé depuis ie
2 janvier dernier, il y a déjà des entreprises américaines
qui sont en train de s'organiser, comme il y a des entreprises
québécoises qui sont en train de s'organiser. Sauf que le
rôle du gouvernement est d'avoir des aides incitatives pour soutenir les
entreprises.
Le ministre de l'Industrie et du Commerce nous disait tantôt: Cela
va bien, je fais confiance. Oui, mais on sait que cela n'ira pas toujours bien
de cette façon. Dans ce sens, il faut immédiatement rendre cela
incitatif. Il faut
que les entreprises sachent dans quelle direction elles vont pouvoir
aller. Dans le contexte actuel, il faut être capables de leur donner
d'autres outils, puisque il s'avère que les outils qu'on a actuellement,
en formation, en recyclage de la main-d'oeuvre, ne sont pas complètement
efficaces, puisqu'en regardant le taux de chômage le problème est
là. Le problème va empirer à partir des nouvelles
règles du jeu. C'est dans ce sens que, quand le gouvernement a mis la
quatrième condition qui s'appelait l'obtention des périodes de
transition, cela a été négocié. Mais l'autre
partie, les programmes d'assistance aux entreprises et aux travailleurs dans
les secteurs moins compétitifs, on ne les a pas mis sur pied et, de la
façon que cela va, on ne sera pas capables de les mettre sur pied
à temps pour être capables... Lorsqu'on met un programme sur pied,
il ne faut pas s'imaginer que c'est le lendemain matin que les entreprises
seront capables de mettre cela en marche. Cela va prendre une autre
année avant que tout le monde commence à prendre le virage. C'est
dans ce sens qu'il faut absolument arriver à des conclusions et à
des programmes beaucoup plus rapidement qu'on ne le prévoit
actuellement.
M. Larose: On plaide long comme le bras que tous les programmes
existants ne sont pas du tout touchés. Où est-ce qu'on lit cela
dans l'accord? Où y a-t-il une clause pour les acquis? C'est curieux,
mais à partir du moment où un accord s'applique au 1er janvier
1989 et qu'il n'y a pas de clause qui nous dise que ce qui existe va continuer
à exister, je veux seulement le savoir.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre de
l'Industrie et du Commerce.
M. MacDonald: C'est le contraire.
M. Larose: Le contraire, il est à l'article 2011.
M. MacDonald: Permettez-moi de continuer.
M. Larose: Le contraire est à l'article 2011. Si vous me
dites qu'il n'y a pas de clause qui change cela, vous avez un
problème.
M. MacDonald: Non. On ne s'entend pas et vous n'avez pas
écouté ce que je vous ai dit. Mais on a la chance...
M. Larose: Vous n'avez pas répondu à ma question,
il faut dire.
M. MacDonald: Je vous répète... et peut-être
que je vais ouvrir sur d'autres choses. Subvention. Le mot "subvention".
M. Larose: Le terme de modernisation par exemple.
M. MacDonald: Non, je vais prendre subvention. Il n'y a pas eu
dans la négociation, comme on l'a souhaité,
l'établissement d'un lexique et de règles de pratique, si vous
voulez, de coopération gouvernementale entreprise-employés. Ce
lexique, ce règlement n'a pu être fait parce que les
Américains n'ont pas voulu l'accepter. Nous non plus, nous n'avons pas
accepté certaines de leurs pratiques, et on n'est pas capables de
s'entendre sur une définition de subvention acceptable. On a donc
établi qu'on ne touche pas à cela. Ce qui existe existe. On se
donne cinq ans. Même si on ne réussit pas dans cinq, on va se
donner deux ans de plus, pour justement établir des règles, des
règles uniformes, un langage identique d'un côté ou l'autre
de la frontière de façon à faciliter, justement, les
différends qu'on pourrait avoir lorsque l'un ou l'autre plaide la
pratique déloyale. Je ne fais que vous conter l'histoire et le contexte
de ces négociations. Le reflet de ceci se retrouve dans le texte.
Ce qu'il est important de se rappeler, M. Larose - et je pense qu'on dit
la même chose -et ce qu'il est important de dire, c'est que maintenant et
demain, avec ou sans l'entente et selon l'exemple .que je vous ai donné
tantôt des centaines de millions qui pourraient être
consacrés à faire de nous les meilleurs en matière de
fabrication de "chips", on n'a pas un chèque en blanc et les
Américains n'ont pas un chèque en blanc pour fausser les
règles du jeu en intervenant de façon massive pour créer
une compétition déloyale. On ne l'a pas aujourd'hui, on ne l'aura
pas demain. Mais, le gouvernement américain, avec des dizaines de
millions de dollars, développe ces industries sous le couvert souvent de
l'appellation "sécurité nationale" en leur donnant des contrats
de recherche et de développement et même de cofrabrication
à coût de centaines de millions de dollars. C'est bien souvent
leur façon de faire face au défi international dans le domaine du
commerce. Nous autres, on a d'autres programmes. De part et d'autre, on a
réalisé ce qu'on avait. Dans la période des
négociations, on n'a pas pu s'entendre sur une définition
uniforme de cette intervention. Mais, je le répète, on va le
faire. En attendant, on a nos programmes et ils ont les leurs.
Le Président (M. Charbonneau): Deux interventions rapides
et finales. M. Boudreau d'abord.
M. Boudreau (Denis): J'aimerais faire seulement une petite mise
au point au sujet de la comparaison des concessions du GATT et de la
comparaison du libre-échange qu'on nous propose. Au GATT, lors de la
dernière ronde, on a abolit les tarifs d'à peu près 40 %.
On a ouvert la frontière. On a ouvert la porte y compris avec les
États-Unis. Ce qu'on nous propose, aujourd'hui, ce n'est pas d'ouvrir la
porte, c'est de l'enlever. Ce n'est pas tout à fait pareil. Quand
on dit que cela va être aussi facile, que c'est la même
chose, ce n'est pas tout à fait pareil. Si Mme Fecteau n'a eu personne
qui s'est plaint de perte d'emploi due au GATT, je me demande s'il y a toujours
des manufacturiers de chaussures, de textiles et de vêtements dans
l'Association des manufacturiers canadiens. Je voudrais enchaîner avec
les politiques d'adaptation dont on discute depuis tantôt; on semble
tenir pour acquis que, dans le secteur manufacturier au Québec, on va
sortir gagnants de la mise en place du libre-échange. Je le regrette,
dans le secteur manufacturier, les entreprises qui vont bien se tirer
d'affaires sont déjà sur le marché américain. Les
politiques d'adaptation n'en feront pas des gagnants. Tout ce que cela peut
faire au mieux, ce sont des survivants. C'est à ceux-là qu'ils
vont s'adresser.
Je reviendrais à un dernier commentaire. D'où vient
l'idée que, dans le secteur manufacturier au Québec, on va faire
des gains avec le libre-échange, quand partout à l'échelle
canadienne on en perd? Comment se fait-il qu'on ne puisse pas quantifier ces
gains au Québec? Dans quelles industries va-t-on en gagner? Dans quelles
industries va-t-on en perdre? Contrairement à ce que nous disait M.
MacDonald hier, il nous manque la conclusion des études d'impact. On n'a
pas les chiffres. Je fais le lien avec hier. Si on ne peut pas mesurer ni
garantir la baisse des prix a la consommation, comment peut-on véhiculer
la certitude qu'il va y avoir une création nette d'emplois, comme le
fait le Conseil économique, à partir du nouveau pouvoir d'achat
découlant de la baisse des prix? Vous allez me permettre une comparaison
légère. Quand on n'est pas sûr des hypothèses, on
n'est pas sûr des conclusions. Quand on ne met pas de viande dans le
moulin à saucisses, c'est de l'air qui passe. En tournant la manivelle,
on n'obtient pas de la charcuterie, on obtient des ballons.
Le Président (M. Charbonneau): Mme
Fecteau.
Mme Fecteau: Oui. Je vous dirai que je suis tout à fait
d'accord avec monsieur, en ce sens que le secteur manufacturier n'est pas un
secteur créateur d'emplois. Il n'est plus un secteur créateur
d'emplois. Cependant, deux emplois sur trois créés au Canada ou
au Québec proviennent directement du secteur manufacturier. Le secteur
manufacturier crée des emplois, mais dans le secteur des services. Donc,
s'il n'y avait pas un secteur manufacturier fort, plusieurs emplois ne seraient
pas créés dans le secteur des services. Pour répondre
également à votre question sur le fait que le GATT n'aurait pas
créé ou qu'il aurait fait perdre des emplois ou je ne sais quoi,
je vais vous donner l'exemple de l'industrie de la chaussure, où les
quotas aux importations de chaussures pour hommes et pour garçons ont
été abolis subitement en 1985. Quel en fut l'effet au
Québec? On a eu une baisse de 280 postes seulement. Les vrais pertes
d'emplois dans ce secteur ont eu lieu plutôt lorsque l'entreprise
était protégée. Alors, j'espère que cela
répond un peu à votre question. (12 h 45)
Le Président (M. Charbonneau): M. Bakvis, une
dernière intervention. Par la suite, nous passerons aux remarques des
parlementaires.
M. Bakvis (Peter): La question que je voulais aborder, mais enfin
s'il y a entente autour de la table qu'il n'y aura pas de création
d'emplois, qu'il n'y aura pas de secteur favorisé... Une voix:
Dans le secteur manufacturier...
M. Bakvis: Dans le secteur manufacturier, c'est bien. D'accord.
J'ai quand même pu faire quelques lectures et M. Rabeau, qui n'est pas
intervenu beaucoup aujourd'hui, s'est permis de faire une liste, dans une
présentation qu'il a faite il y a quelques mois, des secteurs perdants.
Ils sont assez nombreux. Les secteurs qu'il identifie emploient actuellement
plus 100 000 personnes au Québec. Il y a sûrement lieu de
s'inquiéter. Mais s'il y a déjà entente qu'il n'y aura pas
de secteurs gagnants dans le secteur manufacturier, tant mieux. Je n'ai presque
pas besoin de compléter. Mais lui, il se permet tout de même
d'identifier quelques secteurs qui, d'après lui, gagneraient. C'est
principalement en page 34: "Les exportateurs canadiens de matières de
base et de produits semi-transformés devraient bénéficier
de l'accord." Quand je regarde les exemples qu'il donne, ce qui
m'inquiète, c'est ce sur quoi on se base pour prétendre qu'il va
y avoir de la création d'emplois. Il parle du secteur du bois, du
secteur des pâtes et papiers, du secteur de l'aluminium.
Je vous informe, et d'ailleurs je vois que M. Landry a devant lui le
cahier qui explique quels seront les tarifs qui tomberont, qu'actuellement le
tarif américain pour le bois est de 0 %. Il y a une taxe spéciale
canadienne de 15 %. L'article 2009 de l'accord dit que cela en reste là,
que ce n'est pas affecté par l'entente. Le tarif actuel du papier
journal est de 0 %. Il n'y a pas de barrière tarifaire pour ce produit
aux États-Unis. Quant à l'aluminium, qui est aussi
identifié comme un secteur gagnant, le tarif varie en 0 % et 2,6 %.
Donc, les tarifs sont pratiquement minimes. L'augmentation du dollar canadien,
depuis quelques mois, a absolument le même effet que celui d'appliquer,
si vous voulez, un tarif de 2,6 %. On parle donc d'un effet très
mineur.
Les partisans du libre-échange prétendent qu'il va y avoir
des secteurs perdants. Oui, mais il y aura aussi des secteurs gagnants. Il
s'agit de déplacer les gens. C'est très facile, sauf pour les
secteurs gagnants. Où sont-ils? Je poserais la question à M.
MacDonald.
Le Président (M. Charbonneau): Je pense
que M. Rabeau veut répondre parce que je pense qu'il a
été directement mis en cause. De toute façon, le ministre
aura l'occasion de répondre dans ses remarques finales. M. Rabeau.
M. Rabeau (Yves): Oui. Les commentaires qu'on me prête, en
fait, ne sont pas directement de moi, mais ils peuvent se retrouver tels quels.
C'est du domaine public. C'est le document 344 du Conseil économique qui
vient d'être récemment publié et qui donne une liste de
secteurs gagnants et perdants, à la lumière des hypothèses
que le Conseil économique a retenues pour faire ses simulations.
Je voudrais simplement mentionner ici que ce que nous fournit le Conseil
économique, c'est une base de discussion très modeste, en ce sens
qu'on a voulu mettre ici ce qu'on pourrait appeler des hypothèses
très modérées sur les effets du libre-échange. Dans
le document, si on le lisait au complet, on verrait que le Conseil
économique a laissé de côté toute une série
d'impacts favorables au libre-échange parce qu'il dit que ce ne sont pas
des choses facilement mesurables. On sait que cela aura des effets positifs,
mais il vaut mieux les laisser de côté puisqu'on ne sait pas
exactement quelle sera l'ampleur de ces effets.
Je vous donne quelques exemples pertinents pour le Québec. Dans
le document, il n'est pas question de nouveaux investissements dans le secteur
de l'énergie. Or, le traité permet au Québec de gagner en
matière énergétique. On l'a clairement établi hier.
Il n'y a pas non plus d'investisseurs étrangers qui vont venir
s'installer au Québec ou ailleurs. Cette question n'est pas
traitée dans le document. Cela aussi serait une source de
création d'emplois. Dans le document, on ne parle pas du tout de la
libéralisation des services et de l'intermédiation
financière. Or, tous les nouveaux investissements que l'on fera dans
l'économie auront un impact important sur les services rendus aux
entreprises. Quant à l'intermédiation financière,
c'est-à-dire tous les secteurs financier, bancaire, etc., il n'en est
pas question dans le document. Ce sont autant d'emplois qui ne sont pas
comptabilisés. Également, on ne fait pas d'hypothèse quant
aux stratégies d'entreprises concernant l'acquisition de réseaux
de distribution. Cela demeure un sujet difficile et délicat.
Dans la mesure où nos entreprises vont bien se débrouiller
dans l'acquisition de réseaux de distribution aux États-Unis ou
ailleurs, là également, il y aura des effets positifs très
favorables qui ne sont pas comptés dans le document du Conseil
économique. On ne tient pas compte non plus dans le document des
nouveaux investissements qui vont se faire de part et d'autre de la
frontière à cause des nouvelles règles concernant le
mouvement du capital entre le Canada et les États-Unis. Je pourrais
continuer la liste comme cela; elle est beaucoup plus longue, de sorte que les
résultats que l'on obtient sont des résultats évidemment
très modestes, comme j'ai dit, très modérés. Le
Conseil économique prend une position très conservatrice de ce
point de vue. C'est un document public qui est pour discussion et pour nous
éclairer, mais ce n'est pas en soi quelque chose d'où on peut, en
somme, conclure que le libre-échange aura des effets négatifs sur
le secteur de l'emploi au Québec.
Le Président (M. Charbonneau): Merci. Maintenant, pour les
remarques finales, Mme la députée de Maisonneuve d'abord.
Remarques finales Mme Louise Harel
Mme Harel: D'accord. M. le Président, nous nous attendions
à des annonces ce matin. Je dois vous dire que je m'attendais, ce matin,
surtout dans ce secteur névralgique et compte tenu de l'habitude que le
ministre de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu, entre
autres, a prise de faire des annonces lors de discussions en commission
parlementaire, je m'attendais donc à des annonces, mais
évidemment plus substantielles que celles de tenir un colloque et de
mettre sur pied un secrétariat.
M. le Président, si le ministre de l'Industrie et du Commerce
veut mettre fin définitivement à la controverse qui règne
sur la perte ou la création d'emplois, selon les secteurs, il devra
rendre publiques les vraies études d'impact, celles qu'il a
menées sur le nombre d'emplois qui sera gagné ou perdu dans
chacun des secteurs dans le contexte du libre-échange. Il ne devra pas
se contenter du simple inventaire statistique qu'il a déposé
jusqu'à maintenant.
Cela dit, tenons pour acquis qu'il y aurait globalement surtout des
gagnants. Est-ce que cela nous justifie pour autant d'inscrire les perdants au
chapitre des profits et pertes de notre société? Ce que l'on a
appris ce matin de la part du ministre du Commerce extérieur et du
ministre de l'Industrie et du Commerce, c'est qu'il fallait se déclarer
contents, satisfaits, puisque gagner, c'était ne pas perdre; que l'on
allait pouvoir garder les programmes que l'on avait et qui allaient continuer
à pouvoir s'appliquer et que la victoire qu'on nous proposait d'une
certaine façon, c'était celle qui consistait à gagner de
ne pas les perdre.
Je pense, M. le Président, qu'on s'attend à bien d'autres
choses pour pouvoir relever ce nouveau défi. Je vous rappellerai que,
notamment, à l'occasion des grandes rondes du GATT, à l'avance,
le gouvernement canadien avait d'ailleurs pris l'habitude d'annoncer des modes
d'aide à la fois aux entreprises et à la main-d'oeuvre, ce qui
permettait à l'avance de tranquilliser considérablement les
appréhensions. Il faut constater que cela n'est pas le cas
présentement. Il n'y a pas de politique de main-d'oeuvre.
M. le Président, vous allez me permettre - ce n'est pas dans mon
habitude - d'utiliser une expression consacrée "business as usual". En
matière d'adaptation, de formation et de recyclage, c'est "business as
usual". C'est évidemment profondément inquiétant parce que
c'est le coeur même de ce qui pourrait permettre de déclencher une
dynamique positive en faveur de la libéralisation.
Évidemment, je pense à ce stade-ci - j'espère qu'il
restera quelques minutes à mon colllègue... Non?
Le Président (M. Charbonneau): Vous êtes en train,
dans les secondes qui suivent, de prendre entièrement le reste du
temps.
Mme Harel: Je termine simplement en vous disant que les
appréhensions à savoir que les coûts élevés -
je pense aux 4 500 000 000 $ dont on parlait hier, consacrés à
l'assurance-chômage au Québec et à l'assistance sociale
pour les personnes aptes au travail - peuvent continuer à progresser au
fur et à mesure que certains travailleurs et travailleuses verront
l'aggravation des difficultés à trouver un emploi ou à le
garder et qu'il y aura une pression finalement sur ces coûts de
manière - la tentation sera là, en tout cas - à les
réduire en coupant et la durée et le niveau des prestations.
Le Président (M. Charbonneau): Pour la partie
gouvernementale, quel est le ministre qui...
M. Johnson: Oui.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre de
l'Industrie et du Commerce.
M. Daniel Johnson
M. Johnson: Merci, M. le Président. Voyons dans quel
environnement tous ces processus se déroulent, un environnement
où, selon la députée de Maisonneuve et d'autres
intervenants, régnerait beaucoup d'appréhension,
d'inquiétude. Au 31 mai dernier, à un rythme de création
de près de 90 000 nouveaux emplois au Québec, dont près de
la moitié dans le secteur manufacturier, je n'ai, quant à moi,
à l'égard de ce qu'on pourrait appeler notre clientèle,
découvert aucune espèce d'inquiétude ou
d'appréhension. Je peux concevoir qu'il y ait, néanmoins, des
questions qui demeurent sans réponse ou dont les réponses sont en
voie de définition, mais cela vient du fait qu'on envisage, à
long terme, que certaines adaptations seront nécessaires. Lorsqu'il y a
un rapport de météo qui annonce de la turbulence pour le 1er
janvier prochain, je veux reconnaître que c'est une date de départ
d'une période de dix ans où on connaîtra certains
changements particuliers.
Je ne vois en rien, pour le 1er janvier prochain, un orage de
grêlons gros comme des balles de golf contre lequel il faudrait tout de
suite fournir un parapluie aux entreprises où sont les travailleurs
québécois. De toute évidence - déjà, nos
premières consultations l'ont indiqué - les perspectives
qu'entrevoient les entreprises québécoises sont celles de
marchés accrus et non pas celles de reculs appréhendés, ni
celles de retranchement dans les marchés déjà desservis;
bien au contraire, elles sont l'expression d'une ambition de création
additionnelle de production, d'emplois, d'envahissement de nouveaux
marchés.
De toute évidence, nous avons procédé à des
analyses. On a déjà répondu quant à la
disponibilité de certains des documents. Je dois dire - enfin, c'est
purement anecdoti-que - qu'après avoir été passés
au crible, au tamis, de la Commission d'accès à l'information,
comme il se devait, nous avons rendu disponibles il y a plus d'un an les
études que nous avions menées. Je fais une troisième
annonce, M. le Président: Personne n'est venu les consulter.
La mise en oeuvre et les aspects
constitutionnels
Le Président (M. Charbonneau): Ces dernières
remarques mettent fin à la discussion sur le thème de l'emploi et
de la main-d'oeuvre en regard de l'accord sur le libre-échange. Nous
allons maintenant passer au dernier thème qui est la mise en oeuvre de
l'accord et les aspects constitutionnels. J'inviterais ceux et celles qui
doivent prendre place à le faire. (13 heures)
Nous reprenons notre travail, maintenant, sur le thème de la mise
en oeuvre de l'accord et les aspects constitutionnels.
Je vous indique immédiatement qu'après les
déclarations d'ouverture, encore une fois, de cinq minutes par groupe,
nous aurons un débat général d'environ 35 minutes qui sera
suivi des remarques finales.
Alors, sans plus tarder, je présume que le ministre des Relations
internationales doit être celui qui représente le gouvernement.
Alors, M. le ministre.
Remarques préliminaires M. Gil
Rémillard
M. Rémillard: M. le Président, merci. Mesdames et
messieurs, qui participez à cette commission, messieurs de l'Opposition.
L'Accord de libre-échange, qui a été signé entre le
Canada et les États-Unis, le 2 janvier dernier, par le premier ministre
du Canada et le président des États-Unis, doit entrer en vigueur,
donc, le 1er janvier 1989. Mais, d'ici là, il y a une étape
essentielle qui reste à franchir, sort celle de la ratification de
l'accord et de l'adoption de la législation de mise en oeuvre par le
Congrès américain, par le Parlement canadien et par les
provinces, pour les domaines relevant de leurs
compétences législatives.
Le gouvernement du Québec a appuyé la négociation
et la conclusion de l'accord. L'appui du Québec était lié
à sept grandes conditions, sept conditions principales, M. le
Président, dont le respect intégral de ses compétences
législatives. Or, dans l'ensemble, l'accord satisfait le gouvernement du
Québec. À cet égard, le gouvernement du Québec a
donné son appui officiel en adoptant, cette semaine, le décret
sur l'Accord de libre-échange. Par ce décret, M. le
Président, pris en vertu de l'article 15 de la Loi sur le
ministère des Relations internationales, le gouvernement a aussi
confirmé que le Québec est le seul compétent pour assurer
la mise en oeuvre de cet accord dans les domaines relevant de sa
compétence législative. De même, nous nous engageons, par
ce décret, à prendre les mesures nécessaires, y compris
les mesures législatives et réglementaires, pour en assurer la
mise en oeuvre avant son entrée en vigueur.
Le gouvernement fédéral a déjà entamé
la procédure de mise en oeuvre de l'accord, en déposant au
Parlement, le 24 mai dernier, le projet de loi de mise en oeuvre de l'Accord de
libre-échange. Après en avoir pris connaissance, nous sommes
arrivés à la conclusion que ce projet de loi est
généralement conforme au contenu de l'accord auquel le
Québec adhère. Cependant, l'article 9, portant sur les vins et
les alcools, constitue une ingérence du fédéral dans un
domaine de compétence provinciale. Or, même si cet article ne vise
pas directement le Québec, n'implique pas le Québec, puisque nous
souscrivons aux dispositions de l'accord sur les vins et les alcools, le
gouvernement du Québec ne peut, en aucune façon,
reconnaître ni la légitimité ni la légalité
de cette disposition législative, et nous la
dénonçons.
Dès le 25 mai, soit le lendemain du dépôt du projet
de loi, le premier ministre du Québec a fait connaître la position
du Québec sur cette question de la mise en oeuvre du traité de
libre-échange. J'ai moi-même, M. le Président,
informé le ministre du Commerce extérieur du Canada de notre
position sur le sujet dans une lettre que je lui ai fait parvenir le 6 juin
I988. Je lui ai également signalé que l'article 6 du même
projet était aussi inacceptable dans la mesure où il pourrait
permettre au gouvernement fédéral de faire adopter d'autres lois
de mise en oeuvre de l'accord dans les domaines de compétence
provinciale. Cependant, M. le Président, il est important de
préciser que cet article 6 ne constitue pas pour le moment un danger
pour les compétences législatives du Québec, puisque, du
strict point de vue juridique, cette disposition est de nature simplement
déclaratoire et n'est donc pas source de droit.
Nous ne pouvons accepter l'intrusion du gouvernement
fédéral dans les domaines relevant de la compétence
législative du Québec, par le biais d'un traité
international, et c'est la raison pour laquelle nous allons procéder
à la mise en oeuvre des dispositions de cette entente de libre
marché relevant de notre compétence, et en adoptant nos propres
lois ou règlements selon le cas. Le gouvernement du Québec,
conscient de sa responsabilité, va donc adopter les lois, les
règlements, prendre les mesures qui s'imposent pour appliquer
lui-même les aspects du traité qui relèvent de sa
compétence législative.
Vous me permettez en terminant de dire quelques mots sur la question de
la participation des provinces au mécanisme de règlement des
différends et à la question de l'Accord de libre-échange.
Le Québec a réclamé une coopération étroite
entre le gouvernement fédéral et les provinces en ce qui a trait
notamment à la gestion de l'accord et au processus de règlement
des différends, lorsqu'une juridiction ou un intérêt
économique majeur d'une province serait en cause. L'une des conditions
d'appui du Québec à l'accord était, et je cite: "La mise
en place d'un mécanisme de règlement des différends auquel
seront associées les provinces". Or, l'accord contient, M. le
Président, un tel mécanisme. De plus, si l'on se fie à
l'étroite coopération qui a existé entre les provinces et
le gouvernement fédéral au cours des négociations de
l'accord, la participation des provinces au mécanisme de
règlement des différends et à la gestion de l'accord
devrait se poursuivre.
En effet, dans une lettre récente, le ministre du Commerce
extérieur du Canada faisait part au premier ministre du Québec
des intentions du gouvernement du Canada sur cette importante question, et
selon le ministre Crosbie, le ministre du Commerce extérieur, M. le
Président, la position qu'entend adopter le gouvernement
fédéral sur ce sujet serait la suivante: premièrement, et
je termine dans quelques mots: accorder aux provinces la possibilité de
jouer pleinement sur le plan intérieur un rôle consultatif
important en ce qui concerne la gestion générale de l'accord;
deuxièmement: maintenir après le 1er janvier 1989 le
comité permanent des négociations commerciales, lieu de
consultation et d'information pendant le déroulement des
négociations bilatérales; troisièmement: consulter les
provinces lors de la poursuite des négociations en vue
d'améliorer l'accord ou d'en élargir la portée;
quatrièmement: en ce qui a trait au mécanisme de règlement
des différends, consulter étroitement les provinces sur les
questions qui les concernent ou qu'elles soulèvent, et enfin
cinquièmement, M. le Président: dans les différends
concernant les droits antidumping, et les droits compensateurs, les provinces
pourraient agir conformément au règlement de la loi sur le
mesures spéciales d'importation.
Voilà. Cette proposition du ministre Crosbie, M. le
Président, répond aux principales attentes du Québec.
Cependant, afin de ne pas dépendre de la bonne volonté du
gouvernement fédéral, le Québec souhaite-Le
Président (M. Charbonneau): Je vous
invite à conclure...
M. Rémillard: ...qu'un mécanisme...
Le Président (M. Charbonneau): Parce que...
M. Rémillard: J'ai vraiment terminé.
Le Président (M. Charbonneau): Bon, d'accord.
M. Rémillard: Nous souhaitons qu'un mécanisme
permanent de consultation fédérale provinciale soit mis en place.
Nous demandons donc que cette importante question soit discutée à
la prochaine conférence fédérale-provinciale des premiers
ministres. Voilà, M. le Président, mes principales
observations.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Lac-Saint-Jean.
M. Jacques Brassard
M. Brassard: On se rappellera que le premier ministre du
Québec, dans les premiers mois de la négociation sur un accord de
libre-échange, et j'ai plusieurs déclarations à cet effet,
je vous en fais grâce, parlait très nettement d'une implication du
Québec lui-même dans le processus de ratification,
considérant cela comme la police d'assurance, et je le cite, "ultime
pour le Québec et irremplaçable". Également, à une
autre occasion, en période de questions, évoquant le jugement de
1937, il indiquait que c'est évident qu'on a besoin du concours des
provinces pour que le traité puisse être appliqué, faisant
état encore une fois d'une implication du Québec dans le
processus de ratification. Ce fameux jugement de 1937 établit,
rappelons-le, que la mise en oeuvre des traités internationaux dans des
sphères de juridiction provinciale revenait aux Parlements des
provinces. Ce principe prévaut encore en 1988 à défaut de
jurisprudence significative à l'effet contraire. Un exemple qui vient
à l'idée c'est la loi concernant l'enlèvement
international d'enfants, adoptée en 1984 par l'Assemblée
nationale et qui faisait suite à un traité international sur le
même sujet.
Les propos du premier ministre à l'Assemblée
étaient donc conformes à l'état du droit et de la pratique
constitutionnelle et s'appuyaient sur des précédents suffisamment
solides pour justifier l'apparente fermeté qui s'en dégageait
à l'époque. Comment donc expliquer qu'on se contente finalement
de si peu? Comment expliquer une telle volte-face? Il n'y a pas l'ombre d'un
début de processus de ratification par les provinces dans l'accord final
ainsi que dans le projet de loi fédéral de mise en oeuvre. Une
erreur fondamentale au point de vue du droit constitutionnel a
été commise à notre avis, soit celle de laisser le
traité se conclure sans que le
Québec occupe une place formelle au cours des négociations
et surtout au niveau de sa signature et de sa mise en oeuvre
ultérieure.
À partir du moment où on a choisi au gouvernement du
Québec - est-ce tactique, faiblesse, insouciance ou les trois à
la fois? - de s'écarter de la voie qu'avait lui-même tracée
le premier ministre, on s'est condamné à être sur la
défensive et de continuellement être obligé de plaider,
lors de futures contestations judiciaires, contre le poids formidable de
l'exercice concret par le gouvernement fédéral de sa
compétence constitutionnelle en matière de relations
internationales et de commerce extérieur. Lorsqu'un tribunal aura
à se prononcer sur l'essence même d'une loi fédérale
de mise en oeuvre du traité, à savoir s'il s'agit d'un accessoire
du pouvoir fédéral en matière de commerce extérieur
ou, au contraire, d'une loi visant essentiellement à régir un
domaine de compétence provinciale, il y a gros à parler que les
représentants du Procureur général du Québec se
retrouveront en piteux état face au rouleau compresseur du
traité. Donc, grosse erreur de commise, aucune ratification formelle par
le Québec. C'était une des conditions les plus fondamentales
qu'il fallait qu'Ottawa respecte.
Maintenant que le Québec a abdiqué, on est en position de
faiblesse perpétuelle en partant. Maintenant que le mal est fait et
qu'on est pris avec un accord conclu sans le Québec, que dire du projet
de loi C-130, lui-même? L'article 6 a été une sorte de
révélation pour tout le monde. Admettons, comme l'affirme le
premier ministre et pour des fins de discussion, qu'il n'est pas
créateur de droit. Il reste qu'il est drôlement
révélateur des intentions du fédéral en
matière de mise en oeuvre du traité. Et n'allons pas laisser
entendre qu'il n'y a pas de problèmes parce que le Québec n'est
pas partie à l'accord et qu'il n'est pas touché par le contenu de
celui-ci. Il l'est de façon directe par l'article 6 qui parle du pouvoir
du Parlement fédéral d'adopter la législation
nécessaire à l'exécution des obligations du gouvernement
du Canada qui en découlent. Et la première des grandes
obligations de l'accord pour le Canada est celle mentionnée à
l'article 103 de l'accord: "Les parties au présent accord veilleront
à ce que toutes les mesures nécessaires soient prises pour donner
effet aux dispositions de l'accord, y compris à leur observance"... "par
les gouvernements des États et des provinces et les administrations
locales."
Cette obligation imposée au Canada par rapport aux provinces est
très vaste et s'ajoute à celles qui sont nommément
imposées aux provinces en matière de traitement national, en
matière d'énergie, en matière de services, en
matière d'investissement et d'autorisations de séjour temporaire.
Si l'article 6 n'a été ajouté que pour plaire aux
Américains, il doit être retiré parce que
complètement inutile. S'il constitue une nouvelle base
d'empiétement, notamment au niveau des obligations créées
par
l'article 103 qui viennent s'ajouter au poids constitutionnel même
de l'accord, il doit être encore plus combattu avec vigueur, surtout
qu'il est dans un projet de loi sur lequel le fédéral a l'entier
contrôle et qu'il peut modifier à loisir. Ce n'est pas tout de le
dénoncer. (13 h 15)
Le premier ministre a préféré une attitude
défensive - c'est confirmé par le ministre. Le Québec fera
adopter ses propres lois et attendra les contestations judiciaires. Au soutien
de sa position, il invoque souvent l'attitude du Québec en 1975 face
à la loi fédérale sur le contrôle des prix. Ce n'est
pas un précédent exemplaire, je vous le dis. On s'est
donné à ce moment-là, et il me semble qu'on veuille le
faire encore, un coup de marteau sur la tête avant d'en recevoir un. Ne
vous dérangez pas, je m'assomme moi-même. On se
dépêche de s'appliquer l'accord et de se faire oublier en
espérant que le gouvernement fédéral ne viendra pas un
jour nous bousculer.
Que dire de l'article 9 du projet de loi C-130 concernant l'alcool qui
constitue du jamais vu sur le plan constitutionnel et qui mériterait
plus qu'une simple dénonciation. L'alcool est un domaine que la
jurisprudence a maintes fois reconnu comme de compétence provinciale. Le
fait que nous nous sentions peu touchés par le chapitre 8 de l'accord ne
doit pas nous faire perdre de vue que l'article 9 est une attaque directe
contre les provinces au niveau constitutionnel. Peut-on tolérer un tel
affront et laisser passer le tout, tout en espérant plus tard plaider
avec crédibilité contre un empiétement
fédéral? La maxime "qui ne dit mot consent" vaut aussi en droit
constitutionnel. De plus, même si le Québec se fait toujours fort
aujourd'hui de satisfaire aux normes de l'article en matière de respect
du traité concernant l'alcool, il reste soumis au jugement de valeur du
gouverneur en conseil, qui, lui, pourra évoluer.
La question de savoir quelle attitude le Québec entend prendre
face à l'article 9 ou à un règlement pris en vertu de
celui-ci est donc des plus préoccupantes. Je m'arrête ici en
indiquant que, quant à nous, quant à l'Opposition, la
première condition de respect intégral de ces compétences
législatives posée au départ par le gouvernement du
Québec, quant à nous, nous jugeons et nous estimons qu'elle n'est
pas respectée. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le
député de Lac-Saint-Jean. Maintenant, M. Proulx,
brièvement... Je pense que vous voulez donner la parole, par la suite,
à M. Binette. C'est cela?
Coalition contre le libre-échange M. Jacques
Proulx
M. Proulx: Oui, M. le Président. Une entrée et
ensuite je partage avec Me Binette. M. le Président, le projet de loi
C-130 déposé à la
Chambre des communes constitue, selon nous, un des pires coups de force
fédéral dans les champs de compétence provinciale. Depuis
au-delà des 50 dernières années, en dehors de toute
partisanerie politique, les partis au pouvoir ou dans l'Opposition, à
une exception près, ont toujours défendu jalousement les pouvoirs
de la province.
Malheureusement, à la lumière du projet de loi et aux
réactions préliminaires qu'on a à l'heure actuelle, cette
tradition semble vouloir s'effriter. Je ne reprendrai pas complètement
l'article 9. On vient d'en parler. Cela montre passablement le danger qu'on
voit autour de l'article 9 avec l'exemple des vins, c'est bien évident.
Mais il y a beaucoup plus que cela. C'est le pouvoir que le Conseil des
ministres se donne au gouvernement fédéral, en fait, le pouvoir
de passer par-dessus un certain nombre de discussions à la Chambre des
communes.
L'article 6, comme il a été dit, traduit les obligations
et portées de l'entente bilatérale. Pour nous, c'est
l'épine dorsale d'une centralisation progressive des pouvoirs d'Ottawa
au détriment des provinces. Par cet article d'une portée sans
précédent, le Parlement fédéral s'approprie, selon
nous, les pouvoirs exclusifs de mettre en place les moyens nécessaires
à la mise en oeuvre du traité.
Je demanderai à Me Binette de compléter notre
entrée.
Le Président (M. Charbonneau): Me Binette,
constitutionnaliste.
M. André Binette
M. Binette (André): Merci, M. le Président. Toute
analyse juridique de la mise en oeuvre en droit canadien de l'Accord de
libre-échange doit commencer par une constatation fondamentale et
incontournable. Cette constatation est que l'Accord de libre-échange
canado-américain entraînera une centralisation graduelle et
croissante des pouvoirs économiques dans la fédération
canadienne.
Autrement dit, les provinces devront payer un coût constitutionnel
pour l'Accord de libre-échange et ce coût constitutionnel ira en
s'ac-croissant avec les années. Ceci n'est pas une position farfelue ou
extravagante. Le comité des affaires étrangères du
Sénat canadien convoquait le 23 février dernier quatre
sommités constitutionnelles de toutes les régions du Canada: le
professeur Petter de l'Université de Victoria, le professeur Fairiey de
l'Université d'Ottawa, le professeur Morris de l'Université de
Toronto et le professeur Bernier de l'Université Laval.
Tous étaient unanimes pour dire qu'il y aurait
dépérissement graduel et significatif des compétences
économiques des provinces à la suite de la mise en oeuvre de
l'Accord canado-américain de libre-échange. C'est une position
qui fait consensus chez les constitutionnalistes. La fédération
canadienne est nettement plus décen-
tralisée que la fédération américaine. Elle
est l'une des deux fédérations les plus
décentralisées au monde avec celle de la Suisse. Cette situation
risque d'être remise en cause avec l'accord.
Nous voyons les premiers fruits de cela avec les articles 6 et 9 du
projet de loi C-130. Mais le problème remonte à l'article 103 de
l'Accord de libre-échange qu'on nous a lu tantôt. Il faut savoir
que l'article 103 est une clause inusitée en droit international,
qu'elle impose aux parties, c'est-à-dire au gouvernement
fédéral canadien et au gouvernement américain de prendre
toutes les mesures nécessaires pour s'assurer que les États
fédérés des deux côtés de la frontière
respectent les dispositions de l'accord. Le terme "moyens nécessaires ou
mesures nécessaires" est inusité en droit international. La
clause fédérale classique parle plutôt de moyens
raisonnables et, généralement, cela veut dire que ces mots sont
interprétés pour dire qu'on respecte la diversité interne
dans une constitution fédérale. Ici, il y a déjà un
élément de contrainte qui est sous-entendu. Il y a
déjà une politique constitutionnelle agressive qui est implicite
à l'article 103. Les premiers fruits de cette politique
constitutionnelle centralisatrice se trouvent aux articles 6 et 9 du projet de
loi fédéral. Il y en aura d'autres parce que cet accord est
appelé à se ramifier et à étendre sa portée
avec le temps, notamment au sujet des subventions, comme on l'a
déjà dit.
Ce qu'il faut savoir également, c'est que la Cour suprême
est en train de faire un virage très important dans sa lecture du
partage des compétences économiques, un virage nettement plus
favorable au gouvernement fédéral. Le gouvernement
fédéral en est parfaitement conscient. C'est pour cela que le
ministre du Commerce fédéral, M. Crosbie, est si confiant devant
la menace de contestation judiciaire du gouvernement de l'Ontario et c'est
également pour cette raison que le premier ministre, M. Peter-son, ne
met pas cette menace à exécution. La contestation judiciaire
risquerait de durcir les positions de la Cour suprême,
d'accélérer son cheminement vers la centralisation et de donner
une victoire déterminante au gouvernement fédéral, qui
affaiblirait non seulement l'Ontario, mais également toutes les autres
provinces, y compris celles, comme le Québec, qui sont favorables au
libre-échange. C'est pour cette raison que la seule façon de
préserver l'autonomie décisionnelle des provinces en
matière économique, est une opposition politique à
l'accord. Comme l'ont fait dans un autre dossier, M. Claude Castonguay ainsi
que le président du Mouvement Desjardins et le ministre
délégué aux Finances et a la Privatisation
québécois, M. Pierre Fortier, dans le dossier de l'intrusion
fédérale dans les pouvoirs économiques provinciaux au
sujet de la réglementation des institutions financières.
Le gouvernement du Québec devrait au minimum exiger le retrait
des articles 6 et 9 pendant qu'il est encore temps de le faire,
c'est-à-dire avant les élections fédérales et avant
l'entrée en vigueur de l'accord.
Je termine par une question: pourquoi le projet de loi
fédéral ne contient-il pas une disposition qui protège les
compétences économiques des provinces? On pourrait imaginer, par
exemple, qu'une clause stipulerait: Rien dans l'accord de libre-échange
et rien dans l'article 103, en particulier, ne doit être
interprété de manière à porter atteinte aux
compétences législatives des provinces canadiennes, telles
qu'elles sont interprétées en 1988. Cette clause n'existe ni dans
l'accord ni dans le projet de loi C-130 et, je pense qu'en soi c'est
très révélateur. Je pose cette question au
gouvernement.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, Me Binette.
Maintenant, pour le regroupement, Me Bernier de l'Université Laval.
Regroupement pour le libre-échange M. Ivan
Bernier
M. Bernier: Merci, M. le Président. Simplement pour
clarifier le débat sur le thème de la mise en oeuvre et des
aspects constitutionnels, j'aimerais commencer en apportant quelques
précisions qui sont les suivantes.
La mise en oeuvre au sens large fait référence à
l'ensemble des mesures législatives réglementaires ou purement
administratives destinées à permettre la pleine
réalisation des objectifs de l'accord. Certaines de ces mesures ont un
caractère essentiellement économique, telles les mesures
destinées à faciliter l'adaptation qui ont été
discutées ce matin. D'autres ont un caractère politique. On peut
songer, par exemple, à la mise en place de structures de concertation
fédérale-provinciale pour le bon fonctionnement de l'accord.
Finalement, il y a, dans ce dernier groupe de mesures, les mesures les plus
urgentes dans le temps et les plus visibles, celles à caractère
législatif.
Parmi ce dernier groupe de mesures, la très vaste majorité
relèvent de la compétence du Parlement fédéral. Des
quelque 153 articles que contient le projet de loi fédéral de
mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange, pas moins de 140 traitent
des modifications apportées aux lois fédérales. Donc,
c'est essentiellement un texte qui vise à modifier des lois
fédérales pour faciliter la mise en oeuvre de l'accord.
Ceci ne veut pas dire pour autant que l'accord n'aura aucun impact
sérieux sur l'exercice des compétences des provinces. Si tel
était le cas, on pourrait certainement douter de l'utilité
réelle d'un tel accord. L'obligation d'octroyer le traitement national,
même lorsqu'elle ne vaut que pour le futur, comme c'est le cas assez
souvent dans l'accord, implique une renonciation à certains
comportements discriminatoires. Il s'agit ici, pour les provinces, de
renoncer d'elles-mêmes à certains comportements qui
seraient incompatibles avec la philosophie et les objectifs de l'accord.
J'en profite pour préciser, M. le Président, que je n'ai
jamais devant le comité du Sénat fait valoir qu'il y aurait un
transfert majeur de compétence du côté du Parlement
fédéral. Ce que j'ai dit et ce que j'affirme encore, c'est que
les provinces vont devoir elles aussi s'adapter aux exigences et à la
philosophie de l'Accord de libre-échange.
Enfin, les problèmes de droit constitutionnel proprement dits se
soulèvent dès lors que l'on affirme que cette renonciation
à certains comportements repose sur un abandon forcé ou un
transfert de compétence appartenant de par la constitution aux
provinces.
Ces clarifications étant faites, permettez-moi maintenant de vous
faire part de mes propres convictions sur le sujet. Pour simplifier et
être le plus bref possible, je vais prononcer en énonçant
essentiellement quatre propositions sur lesquelles nous pourrons revenir si
cela est souhaité. Ma première proposition est en ce sens que la
notion de commerce international dans les documents juridiques internationaux a
considérablement évolué depuis une trentaine
d'années et englobe maintenant, au-delà des droits de douane, une
foule de comportements étatiques jugés discriminatoires ou
autrement incompatibles avec l'objectif de libéralisation des
échanges internationaux. C'est là l'évolution que l'on
retrouve dans le GATT et de façon encore plus prononcée dans la
Communauté européenne. Au moment où cette dernière
en est à la phase ultime de la réalisation d'un véritable
marché unique entre les États membres, il serait pour le moins
paradoxal qu'à la façon de l'autruche nous refusions de notre
côté de reconnaître cette réalité.
Ma deuxième proposition est que le droit constitutionnel canadien
reconnaissant au Parlement fédéral la compétence sur le
commerce international, il serait pour le moins étonnant que la
conception que se font les tribunaux du partage des compétences dans ce
domaine, sans égard à l'Accord de libre-échange, reste
figée dans le temps. Plutôt que de s'accrocher à une
conception passée il vaudrait beaucoup mieux de s'appliquer à
cerner les nouveaux contours de ce concept de commerce international.
Ma troisième proposition est que l'Accord de libre-échange
offre à cet égard une chance peut-être unique de
dégager un nouveau consensus, avant même que des actions
ponctuelles ne viennent brouiller les cartes. Ce qui ressort de cet accord, en
effet, est que tant les provinces que le fédéral doivent renoncer
à exercer leur compétence de façon discriminatoire. Pour
les provinces, cette obligation qui se traduit particulièrement par
l'obligation d'octroyer le traitement national équivaut à
renoncer d'elle-même à de tels comportements. Mais entre renoncer
à la perte de pouvoirs à discriminer et la perte de pouvoirs dans
un domaine donné il y a une différence. Ce qu'il importe donc
avant tout de faire reconnaître c'est que toute intervention des
provinces dans le domaine du commerce intraprovincial, dès lors qu'elle
ne discrimine pas manifestement à l'endroit des produits
étrangers, doit être considérée comme
constitutionnelle.
Ma quatrième proposition est que le texte de la loi de mise en
oeuvre de l'accord à ses articles 6 et 9 ne contredit pas
fondamentalement cette vision, encore que l'un et l'autre auraient pu
facilement être laissés de côté et auraient dû
préférablement l'être, pour l'article 9, sans mettre en
danger la mise en oeuvre de l'accord. L'article 6 doit être
interprété de façon conforme au partage des
compétences. Il ne peut, en soi, enlever quoi que ce soit aux
compétences des provinces; son rôle dans l'économie du
projet de loi est de servir de clause résiduaire. L'article 9,
limité dans son application au chapitre 8 de l'accord, laisse aux
provinces la responsabilité de se conformer aux engagements qui y sont
prévus d'éliminer toute forme de discrimination à
l'égard des produits américains. À défaut pour elle
de ce faire, l'article 9 autorise le Parlement à agir. Cette
façon de procéder est non nécessaire: Les tribunaux
étant en mesure de régler la question; maladroite, car il est
difficile de voir comment le gouvernement pourrait parvenir à se
substituer aux provinces et, surtout peu conforme à l'esprit de
l'accord. Elle devrait disparaître.
En conclusion, je considère que les provinces ne sont pas
dépourvues de moyens d'action si l'évolution de la mise en oeuvre
de l'accord devait aller dans un sens différent de ce qu'elles
souhaitent. Le fédéral est très au courant du fait que par
les pouvoirs exécutifs qui leur appartiennent les provinces de
différentes façons pourraient très bien rendre fort
difficile une application intégrale de l'Accord de libre-échange.
Il ne peut être dans son esprit de pousser les provinces à aller
dans cette direction. Par ailleurs, les provinces, au-delà des
renonciations découlant de l'accord, demeurent libres de
légiférer de façon innovatrice pour stimuler le dynamisme
de leur économie; j'irais jusqu'à dire que c'est un
élément important du succès de l'accord qu'elles agissent
de cette façon. Merci.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, Me Bernier. J'ai
deux intervenants déjà d'inscrits, M. le député de
Lac-Saint-Jean et Me Binette. Alors, M. le député de
Lac-Saint-Jean. (13 h 30)
Discussion générale
M. Brassard: Merci, M. le Président. Je pense qu'il est
important de le dire et de le répéter. Dans cet Accord de
libre-échange, sur le plan du partage des compétences et sur le
plan de la protection des compétences du Québec, il y a, à
mon avis, une dynamique centralisatrice qui comporte des dangers très
graves et très réels
pour les compétences et les juridictions
québécoises. Je pense que cela semble faire l'unanimité
des observateurs. Il y a une dynamique centralisatrice qu'il convient de
contrer si l'on veut protéger et préserver les compétences
et les pouvoirs du Québec.
Je dirais, avant de poser une question, M. le Président: C'est
bien joli un décret - une petite nouvelle que nous apporte le ministre -
du gouvernement. Remarquez que, quant à moi, j'aurais
préféré une résolution adoptée à
l'Assemblée nationale. Cela aurait eu sans doute plus de force qu'un
décret adopté par le Conseil des ministres. Mais je pense qu'il
est important de noter que l'erreur s'est faite au départ. Au
départ, le premier ministre a toujours parlé et a toujours
insisté pour que le Québec soit partie prenante au processus de
ratification. Cela ne s'est pas fait et il a reculé à ce point de
vue. Il a battu en retraite. Il n'a pas insisté, il n'a pas exigé
que le Québec soit partie prenante au processus de ratification. Je
pense que c'est l'erreur de départ pour ce qui est des
compétences du Québec. Il aurait dû au moins insister et
exiger l'introduction dans l'Accord de libre-échange d'une clause dite
fédérale qu'on retrouve dans beaucoup de traités.
Tantôt, je faisais référence au traité sur
l'enlèvement international des enfants. Il y a avait une clause
fédérale qui disait que, dans le cas d'un État
constitué en régime fédératrf comme c'est le cas du
Canada, il est mentionné dans le traité que sa mise en oeuvre en
tout ou en partie relèvera d'une ou de plusieurs autorités
provinciales selon le partage des compétences prévues dans la
constitution de cet État fédéral. Il n'y a même pas
de clause fédérale dans l'Accord de libre-échange. On
aurait pu, à tout le moins, exiger l'introduction d'une telle clause.
Cela aurait pu servir de garanties pour les compétences même du
Québec.
Je constate que, sur l'article 9, il y a unanimité de toutes les
parties. Je ne sais pas si c'est arrivé beaucoup depuis hier. Il y a
unanimité pour dire que l'article 9 - même le ministre l'a dit -
est une intrusion, une ingérence du gouvernement fédéral
dans un domaine de juridiction provinciale, sauf qu'après avoir dit
cela, le ministre s'arrête là. Dans beaucoup de domaines, comme
c'est le cas de C-72, cela ne nous concerne pas directement, mais dans beaucoup
de domaines, on est en face de ce que j'appellerais un gouvernement
déclara-toire. Il fait des déclarations, il s'indigne et cela
s'arrête là. Là-dessus, sur l'article 9, le ministre vient
de nous dire: C'est une intrusion, c'est une ingérence. Le premier
ministre l'avait dit aussi et c'est tout.
Je termine mon intervention par la question bien simple: Une fois que le
gouvernement a dénoncé l'article 9, que faites-vous par rapport
à cet article que vous jugez sans équivoque comme une
ingérence et une intrusion du fédéral dans nos champs de
compétence?
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.
M. Rémillard: Pour répondre à la question du
député de Lac-Saint-Jean, il est bien sûr que j'ai dit et
je le répète que l'article 9 est un article qui, à toutes
fins utiles, signifie une ingérence du gouvernement
fédéral dans un domaine de compétence provinciale. C'est
un élément qui est très important, surtout dans le
contexte d'un traité international. Négocier un traité
international, le ratifier, c'est une compétence qui relève,
selon la constitution canadienne, de la juridiction du gouvernement
fédéral. Son application dépendra du partage des
juridictions entre le gouvernement fédéral et les provinces. Si,
par exemple, un traité est conclu en matière d'éducation,
rien n'empêche Ottawa de le négocier, de le ratifier, mais
l'application devra impliquer nécessairement le gouvernement provincial
puisque l'éducation est une compétence exclusive des
provinces.
Dans ce cas-ci, M. le Président, on s'entend pour dire que plus
de 90 % de ce traité de libre-échange avec les États-Unis
se réfère à des domaines de juridiction
fédérale. En particulier, il faut bien comprendre que l'article 9
fait référence aux vins, aux alcools. Or, en ce qui nous
concerne, nous, comme gouvernement du Québec, sommes d'accord avec le
traité du libre marché. Nous sommes d'accord avec ce qui concerne
spécifiquement la question des alcools et des vins. C'est donc dire que
nous allons appliquer ce traité en fonction de l'utilisation de nos
juridictions concernant ces matières de vins et d'alcools qui
relèvent de notre juridiction comme gouvernement provincial.
Le député de Lac-Saint-Jean nous disait tout à
l'heure qu'il n'y a eu aucune ratification formelle par le gouvernement du
Québec. C'est faux, parce que le décret du gouvernement du
Québec, pour ratifier cette entente eu égard à nos champs
de juridiction, est justement le geste formel qui ratifie, au nom du
gouvernement du Québec, cette entente entre les États-Unis et le
Canada. Mais, évidemment, en fonction du champ de juridiction du
Québec.
Le député de Lac-Saint-Jean me disait qu'il aurait mieux
fallu avoir une résolution de l'Assemblée nationale. Mais nous en
sommes au stade de l'exécutif gouvernemental, puisque la conclusion du
traité, c'est la ratification du traité. Lorsqu'il s'agira de
mettre en oeuvre ce traité par des mesures concrètes
législatives, si on devait légiférer, à ce
moment-là, l'Assemblée nationale sera amenée à
légiférer.
Le Président (M. Charbonneau): Très bien...
M. Rémillard: Mais, dans un premier temps, en terminant,
je dirai simplement que, lorsqu'on parle de ratification formelle, le
décret gouvernemental est la ratification formelle de la part
du gouvernement du Québec.
Le Président (M. Charbonneau): M. le député
de Lac-Saint-Jean.
M. Brassard: Simplement sur l'article 9, je voudrais bien qu'on
se comprenne. Est-ce que le ministre est en train de nous dire, après
avoir reconnu que c'était une intrusion, que le gouvernement du
Québec va appliquer la procédure prévue à l'article
9? Qu'il va donc se soumettre et reconnaître du même coup cette
ingérence du gouvernement fédéral dans un secteur de
compétence exclusivement québécoise. C'est finalement un
peu contradictoire. Dans un même souffle, il nous dit: C'est une
ingérence. Quelle action le gouvernement du Québec va-t-il poser?
On va appliquer la procédure prévue à l'article que l'on
dénonce. C'est un peu contradictoire, ne trouvez-vous pas, M. le
ministre?
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.
M. Rémillard: Ce que je pourrais répondre au
député de Lac-Saint-Jean est ceci: L'article 9 est une
ingérence du gouvernement fédéral dans un domaine de
compétence provinciale, mais une ingérence en
potentialité, c'est-à-dire que cela ne s'applique pas au
Québec parce que nous appliquons nous-mêmes nos compétences
législatives pour mettre en oeuvre ce traité. Potentiellement,
cela pourrait l'être. Il ne faut pas se le cacher. Cet article 9 a
été fait en fonction de l'Ontario. Le gouvernement ontarien qui,
manifestement, a des hésitations très fortes en ce qui concerne
l'application du traité de libre-échange d'une façon
générale et en particulier, en ce qui a trait aux vins et aux
alcools. Ce que nous disons nous, c'est que, de toute façon, on n'a pas
besoin de se soucier de cet article 9 puisque nous allons appliquer
nous-mêmes, en utilisant nos juridictions, notre capacité
législative dans nos domaines de juridiction selon la constitution
canadienne pour appliquer ce traité de libre-échange.
Il faut bien comprendre que, lorsqu'on parle de cette distribution de
compétences entre les deux paliers de gouvernement, lorsqu'on insiste
autant pour le respect des juridictions provinciales, ce n'est pas simplement
pour faire des guerres de drapeaux. Il faut bien qu'on le comprenne. C'est une
question d'efficacité. C'est une recherche d'efficacité. Chaque
gouvernement pouvant agir dans sa sphère de juridiction, c'est ainsi que
l'action des deux paliers de gouvernement sera coordonnée, que l'action
gouvernementale tant au niveau fédéral que provincial sera la
plus efficace possible et que nous allons pouvoir avoir des politiques qui vont
s'appliquer de façon efficace.
Donc, M. le Président, je dis en concluant, en fonction de cette
remarque du député de Lac-Saint-Jean: L'article 9, pour nous, on
n'a pas besoin de s'en soucier dans son application puisque nous allons
utiliser nos propres compétences pour appliquer le traité.
Le Président (M. Charbonneau): Me Binette.
M. Binette: J'aimerais réitérer la question que
j'ai posée tout à l'heure et à laquelle je n'ai toujours
pas obtenu de réponse. Je voudrais savoir pourquoi le gouvernement du
Québec n'exige pas du gouvernement fédéral l'insertion
dans le projet de loi fédéral d'une clause qui protégerait
les compétences économiques des provinces afin d'éviter
qu'il y ait d'autres articles 9 à l'avenir.
M. Rémillard: II n'y a aucune clause qui peut
protéger la compétence législative du Québec si ce
n'est la constitution même. Je dois vous dire que la constitution
à ce niveau - on l'a expliqué tout à l'heure - vous la
connaissez comme moi - fait ce partage dans l'application des traités
entre la province et le gouvernement fédéral. Il n'y a aucune
clause qui aurait de valeur politique comme telle... Je vois tout de suite le
député de Lac-Saint-Jean de l'Opposition nous dire: Mais vous
vous contentez des déclarations politiques. Mais, écoutez, il
faudrait changer la constitution, il faut se référer à la
constitution et nous, en ce qui regarde présentement cette situation du
droit, pas le droit tel qu'il pourrait être éventuellement. On le
verra dans son éventualité, mais tel que nous devons
l'étudier présentement, tel qu'il se présente à
nous, en fonction de cette entente qui a été signée le 2
janvier dernier entre le premier ministre du Canada et le président des
États-Unis.
La conclusion qui s'impose, c'est que dans les champs de
compétence provinciale, peut-être environ 8 % du traité, la
province a compétence. Si le gouvernement fédéral, en ce
qui nous regarde, devait utiliser sa capacité législative ou
administrative pour légiférer dans un champ de compétence
provinciale pour appliquer ce traité, on prendrait les mesures
nécessaires devant les tribunaux pour faire déclarer un tel geste
inconstitutionnel. On n'acceptera jamais que, par le biais d'un traité
international, le gouvernement fédéral puisse modifier le partage
des compétences législatives. Pour modifier le partage des
compétences législatives, il faut utiliser le processus
d'amendement qui est prévu dans la constitution. Dans ce contexte, M. le
Président, il faut faire référence à la
constitution. La seule garantie que nous avons, c'est la constitution du Canada
et elle nous donne des garanties.
Le Président (M. Charbonneau): Merci. Me Binette.
M. Binette: Oui, je constate qu'il y a une ingérence dans
l'article 9. Vous l'avez vous-même reconnue et, pourtant, vous ne
contestez pas
cette ingérence devant les tribunaux. Vous ne défendez pas
les pouvoirs actuels du gouvernement du Québec devant les tribunaux
alors que cette ingérence existe.
À mon avis, M. le Président, le gouvernement Mulroney a
deux politiques constitutionnelles, il y en a une qui est relativement
décentralisatrice. Elle est contenue dans l'entente du lac Meech et est
en rupture avec les attitudes plus rigides du gouvernement
fédéral antérieur. Mais sur des questions
économiques, parce qu'on sait que l'entente sur le lac Meech ne concerne
pas ou très peu les questions économiques, le gouvernement
Mulroney poursuit une politique constitutionnelle qui est en parfaite
continuité avec celle du gouvernement Trudeau. Ce n'est pas seulement
dans le dossier sur le libre-échange qu'on le voit. J'ai
mentionné tantôt celui de la réglementation des
institutions financières où on a vu des interventions très
fermes du ministre délégué aux Finances et à la
Privatisation, M. Pierre Fortier, du président du Mouvement Desjardins
et de M. Claude Castonguay. Il y a aussi le dossier du droit de la concurrence,
le droit de la réglementation des fusions et des acquisitions
d'entreprises. Il y a une affaire très importante actuellement devant
les tribunaux, l'affaire Alex Couture, devant la Cour supérieure ici,
à Québec. C'est une affaire qui ira probablement jusqu'en Cour
suprême et à laquelle les procureurs fédéraux
attachent visiblement une grande importance puisque, selon mes informations,
ils ont demandé de reporter les plaidoiries de plusieurs mois pour
présenter des notes écrites, ce qui est une procédure
inusitée au niveau de la Cour supérieure.
Il y a un lien entre cette politique constitutionnelle centralisatrice
en matière économique et celle du gouvernement Trudeau. Ce lien,
on le voit à partir du livre blanc du gouvernement Trudeau de 1980, qui
a paru dans les circonstances que l'on sait à l'époque, et qui
prônait un renforcement de l'union économique canadienne par des
amendements constitutionnels. Évidemment, les premiers ministres des
provinces n'ont pas consenti à un tel abandon de leur prérogative
en matière économique, mais M. Trudeau a voulu que ses
idées continuent de faire leur chemin - c'était la partie
inachevée de son oeuvre constitutionnelle - et il a créé
la commission sur l'union économique canadienne, c'est-à-dire la
commission MacDonald pour que ces idées aboutissent un peu plus tard.
C'est ce qui se produit: La commission MacDonald a retenu ses propositions de
renforcement de l'union économique canadienne au moyen de modifications
constitutionnelles et elle y a ajouté la notion de libre-échange.
(13 h 45)
M. Mulroney, en arrivant au pouvoir, a recueilli cet héritage
intellectuel direct du gouvernement Trudeau et le met en oeuvre, d'abord, avec
l'article 103 de l'accord, les articles 6 et 9 du projet de loi et en comptant
aussi sur l'interprétation élargie des compétences
fédérales économiques qu'est en train de faire la Cour
suprême du Canada. Vous savez que, depuis quelques années la Cour
suprême du Canada donne des indications très sérieuses dans
le sens qu'elle élargirait, qu'elle ferait une lecture du partage des
compétences économiques nettement plus favorable au gouvernement
fédéral. Alors, tout cela mène dans la même
direction, tout cela est parfaitement logique. L'article 103 mène aux
articles 6 et 9. Ces articles mènent plus loin à d'autres
ingérences provinciales, et tout cela découle du livre blanc de
MM. Trudeau et Chrétien de 1980.
Je pense qu'il faut faire une lecture dynamique et évolutive non
seulement de l'accord parce que sa portée va s'étendre avec le
temps. Il faut également faire une lecture dynamique et évolutive
de la constitution canadienne qui est le produit non seulement du texte
constitutionnel, mais de la jurisprudence, c'est-à-dire de
l'interprétation que les tribunaux en ont fait au cours des
années. L'avis du Conseil privé de 1937, on en a parlé et
d'une certaine lecture de la Loi constitutionnelle de 1867 qui n'allait pas de
soi et la Cour suprême peut revenir là-dessus un jour. Il n'y a
pas de droit de veto, il n'y a pas de droit de retrait, il n'y a pas de droit
d'opting out contre un jugement de la Cour suprême.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, Me Binette. Me
Bernier.
M. Rémillard: Est-ce que je peux répondre à
Me Binette?
Le Président (M. Charbonneau): Pas nécessairement.
Oui, allez-y, Me Bernier.
M. Bernier: Je ne voudrais pas me transporter
nécessairement sur le terrain du déterminisme juridique avec une
analyse plus historique que celle qui vient d'être faite. Je pense que ce
qui y est en cause ici, c'est l'Accord de libre-échange et sa
portée concrète. Si on veut voir ce dont il est question dans cet
accord en ce qui concerne les provinces, il faut regarder quelle est la nature
exacte des engagements ou des obligations qui leur sont faites pour
l'immédiat ou pour l'avenir. Ce qu'on constate, à la lecture de
ce texte, c'est qu'essentiellement on leur demande d'éviter de
discriminer à l'égard des produits étrangers les produits
américains. Si vous interprétez les obligations en question,
l'obligation de traitement national essentiellement, c'est celle qui revient
constamment tout au long et lorsque vous regardez ce qu'il y a dans le chapitre
sur les vins et alcools, ce dont il est question, c'est essentiellement une
obligation d'accorder le traitement national, dites-le autrement, cela revient
à dire ceci: Les provinces peuvent faire ce qu'elles veulent avec leur
monopole sur les alcools, excepté discriminer à l'égard
des produits étrangers.
Or, on peut se poser la question et il faudrait peut-être
effectivement y songer sérieusement, dans quelle mesure, à
l'heure actuelle, Accord de libre-échange ou pas accord, il est possible
pour les provinces de mener des actions qui soient nettement discriminatoires
à l'égard des produits américains puisqu'il s'agit d'un
accord de libre-échange avec les États-Unis eu égard
à la constitution canadienne? Ma réponse à ceci est que:
Essentiellement ce qui est fait à l'heure actuelle dans l'Accord de
libre-échange, c'est simplement de dire et de faire reconnaître
que, dans un domaine donné, les provinces vont cesser volontairement
certains types de comportements sans remettre en cause leur compétence
générale d'agir, qu'il s'agisse du monopole sur les alcools ou
d'autres domaines. C'est essentiellement le caractère discriminatoire
qui est mis en cause dans cet Accord de libre-échange et les vastes
transferts de compétences au Parlement fédéral ne sont pas
des choses qui sont considérées en soi dans cet accord.
Le Président (M. Charbonneau): M. Larose.
M. Larose: II me semble qu'on avait eu un problème quand
il y avait eu la loi C-73. Je sais que les Législatures provinciales
avaient pris les devants. C-73 c'était pour bloquer les prix et les
salaires et les provinces étaient allées au devant. Nous, on
avait eu la loi 64, je m'en souviens, et il me semble que l'exercice avait
été contesté en Cour suprême et finalement il avait
été reconnu que le gouvernement fédéral, en cas
d'urgence, pouvait effectivement empiéter sur les compétences
provinciales. Alors, pour l'exercice, disons, on s'est fait planter. Dans le
cas d'un traité, est-ce que pour l'exercice on gagnerait? Sans
être un spécialiste, il me semble que lorsque c'est un
traité entre pays c'est encore un peu plus fort qu'une disposition
domestique. Alors, dans ce sens, je trouve qu'on ne s'inquiète pas
beaucoup d'une disposition dans un projet de loi qui carrément, sans
gêne, identifie que, oui, on le fait volontairement, on
empiète.
Je voudrais rappeler qu'il n'y pas que l'alcool. Il y a sept autres
négociations qui s'en viennent, dont une couple vont encore toucher les
compétences provinciales. Alors, peut-être qu'il n'est pas inutile
d'entretenir quelques questions et craintes quant à une centralisation.
Si on se rattache au débat d'hier quand on disait se faire
ingérer par les États-Unis, c'est peut-être
également par là que cela passe. C'est que, finalement, au plan
constitutionnel, les affaires vont finir par épouser la dynamique
économique. On a droit de le choisir, mais il faudrait reconnaître
que c'est par là que ça s'en va. Je suis sûr que cela doit
poser une question ou l'autre à notre ami, Landry, qui poursuit un autre
projet politique. C'est qu'en fin de compte, on sera indépendants de
quoi? C'est une grosse question. Il me semble qu'on n'est pas très... En
termes de solidarité provinciale, je ne trouve pas très fort de
dire que, parce que cela ne nous touche pas immédiatement, on
réagira quand cela nous touchera. J'avoue que, si tu laisses l'ennemi
faire la trace, quand tu vas être au bâton, il se peut bien que tu
tombes en même temps. Alors, là-dessus, j'aimerais savoir la
stratégie un peu plus musclée du ministre.
Le Président (M. Charbonneau): Je vais donner la parole au
ministre. Ce sera le point de vue fédéraliste. Si M. Landry veut
intervenir, ce sera le point de vue indépendantiste. M. le ministre,
d'abord.
M. Rémillard: M. le Président, vous présumez
beaucoup de choses.
Le Président (M. Charbonneau): Ha, ha, ha!
M. Rémillard: On va laisser répondre M. Landry tout
à l'heure.
M. Landry: Dans mon cas, il ne présume rien du tout. C'est
vrai que je poursuis un autre projet politique; c'est rigoureusement exact et
je pense que tout le monde se rend compte autour de cette table que, pour le
peuple du Québec, avoir le statut d'une simple province du Canada
comporte de très lourds inconvénients. Par le fait que le
traité de libre-échange ait été
négocié non pas par le gouvernement du Québec, mais par le
gouvernement du Canada, il y a une série d'inconvénients.
Je crois qu'il aurait été, sans faire de
politique-fiction, beaucoup plus efficace d'être nous-mêmes
à cette table, de même qu'il serait beaucoup plus efficace si nous
nommions à ce tribunal d'arbitrage, qui découle du traité,
des représentants directs du gouvernement du Québec et choisis
par son Conseil exécutif, sauf que, encore une fois, on n'est pas dans
la politique-fiction. On est dans la réalité canadienne et, fort
heureusement, nous sommes dans une démocratie. J'ai confiance que cette
démocratie finira un jour par colmater tous les inconvénients
liés à l'inféodation du peuple québécois
à un système politique qui ne lui donne pas la pleine
liberté.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.
M. Rémillard: M. Larose, votre commentaire est très
intéressant et vous vous référez, entre autres, à
1976 avec ces événements qu'on a vécus, avec l'inflation
qui connaissait à un moment un haut niveau, comme vous le savez, et vous
avez raison de dire que c'était une situation d'urgence. Or,
présentement, le contexte est différent. Si la Cour suprême
devait se prononcer, elle ne se prononcerait pas en fonction de l'urgence. Je
pense qu'on est tous d'accord en fonction d'un contexte de traité
international.
L'article 9 pose certainement un problème
quant à l'ingérence du gouvernement fédéral
dans un domaine de compétence provinciale. Cependant, vous comprendrez
que, pour nous, elle ne s'applique pas, cette ingérence potentielle.
L'article 9 ne nous cause pas de difficulté. Donc, il faut avoir un
intérêt pour aller devant la Cour suprême pour le soulever.
Pour nous, elle ne pose pas de difficulté. Si cela posait de la
difficulté, on irait, bien sûr.
Maintenant, il reste à voir, si c'est contesté, si on ne
pourrait pas intervenir avec une autre province pour faire valoir notre point
de vue. Mais sur le plan pratique quant à l'application, à la
mise en oeuvre de ce traité international signé par le Canada et
les États-Unis, pour nous, cela ne pose pas de problème, parce
qu'on utilise nos propres compétences législatives. Alors, je
réponds également à Me Binette en ce sens qu'il faut quand
même avoir l'intérêt pour procéder devant les
tribunaux. L'intérêt, lorsque nous allons l'avoir, à ce
moment-là, nous allons procéder en conséquence.
Me Binette a également fait référence à la
Commission MacDonald, la Commission MacDonald qui est arrivée à
la conclusion qu'il fallait ce traité de libre-échange avec les
États-Unis, la Commission MacDonald qui est fondée
également sur le principe d'un fédéralisme
coopératif, fédéralisme qui permet d'avoir un gouvernement
central fort, mais qui travaille, qui établit cette force en fonction de
sa collaboration avec les provinces.
Je dois dire que dans tout le processus de discussions, de
négociations qui a eu lieu pour aboutir à ce traité de
libre marché avec les États-Unis, les provinces ont
été impliquées. Nous sommes très satisfaits de
l'implication que nous avons eue. Nous avons eu l'occasion de faire valoir nos
points de vue. Quand M. Proulx nous dit: Vous n'êtes pas tellement
portés à faire valoir les compétences législatives
du Québec, je vous rappelle un événement qui s'est produit
la semaine dernière, la signature avec le gouvernement
fédéral d'une entente de développement économique
régional qui va impliquer l'agriculture, qui sera tout à fait
exceptionnelle pour nos agriculteurs. Nous avons réussi à faire
cette entente après une négociation qui a été
sérieuse et, je ne vous le cache pas, difficile à certains
égards, mais nous avons fait respecter les compétences du
Québec. Nous avons fait en sorte qu'il n'y ait aucune action du
gouvernement fédéral en matière de développement
économique régional au Québec qui ne soit faite sans
l'accord du Québec.
Ce n'est pas simplement une bataille de juridiction, comme je le
mentionnais tout à l'heure - vous le savez autant que moi - si nous
voulons respecter nos juridictions, c'est pour que notre efficacité soit
la plus évidente possible lorsque nous travaillons en relation avec le
gouvernement fédéral, avec nos agriculteurs, avec nos
travailleurs dans tous les domaines d'activité, et nous voulons
travailler avec le gouvernement fédéral pour avoir une action
vraiment efficace. C'est cela, faire respecter les juridictions. Il ne faut pas
faire des guerres de drapeaux pour le plaisir de faire des guerres de drapeaux,
mais il faut faire respecter nos domaines de juridiction pour
l'efficacité, pour faire en sorte qu'on puisse travailler en
étroite collaboration pour le mieux-être de notre population.
Que ce soit l'article 9 dans cette loi de mise en oeuvre du
traité par le gouvernement fédéral, que ce soit cette
entente que nous avons faite avec le gouvernement fédéral la
semaine dernière sur le développement économique
régional, que ce soit le projet de loi 72, comme le mentionnait le
député de Lac-Saint-Jean tout à l'heure, la politique du
gouvernement du Québec est toujours la même: le respect
intégral des compétences législatives du Québec en
fonction de cette recherche d'efficacité, de cette recherche de
collaboration avec le gouvernement fédéral, pour le
mieux-être de notre population.
Le Président (M. Charbonneau): Brièvement, parce
qu'il reste à peu près trois ou quatre minutes, une
réplique de Me Binette, qui a été un peu interpellé
par le ministre...
M. Binette: Ce serait plutôt une question...
Le Président (M. Charbonneau): ...gentiment
interpellé, et également M. Larose, brièvement, et M.
Loubier, en finale. Par la suite, ce sera le député de
Lac-Saint-Jean et, finalement, on terminera avec le ministre. Je vous
demanderais, M. le ministre, compte tenu qu'il reste peu de temps, de permettre
aux trois intervenants de poser les problèmes comme ils les voient et,
dans vos remarques finales, vous pourrez peut-être donner une
réponse globale, en même temps, sur l'ensemble du dossier.
D'abord, Me Binette, M. Larose et M. Loubier.
M. Binette: J'aurais plutôt une brève question
à poser au ministre.
Le Président (M. Charbonneau): II y répondra dans
la période... Le problème, c'est qu'on a presque
écoulé le temps. Allez-y.
M. Binette: Est-ce que le ministre reconnaît qu'il y a un
consensus chez les constitutionnalis-tes - M. Rémillard est
lui-même constitution-naliste - sur le fait que l'Accord de
libre-échange aura définitivement un impact sur la
compétence des provinces canadiennes et que - je cite les propos du
professeur Ber-nier - "les provinces canadiennes peuvent à juste titre
s'en inquiéter, mais qu'elles ne peuvent pas se soustraire à la
réalité"?
Le Président (M. Charbonneau): Cela va? M. Larose.
M. Larose: Moi, ce serait plutôt sur le
caractère d'urgence. Je rappellerai au ministre que cette
négociation s'est faite très rapidement, sans que personne n'ait
de mandat et, pourtant, les élections avaient eu lieu quelques mois
auparavant. On nous a toujours dit qu'il y avait péril en la demeure
compte tenu des politiques de protectionnisme américain. Il fallait
régler au plus sacrant bon nombre de questions. Je ne connais pas les
juges, mais je suis sûr que cela pourrait avoir sa petite influence.
Pourquoi prendrait-on fa peine de pondre un tel accord aux conséquences
dont on a débattu pendant deux jours s'il n'y avait pas un
caractère d'urgence? Dans ce sens, cela me surprendrait que ce soit
comme une lettre à la poste.
Le Président (M. Charbonneau): M. Loubier, un dernier
commentaire ou une question.
M. Loubier (Yvon): Je vais essayer d'être bref parce qu'il
y a eu beaucoup de discussions autour des articles 6 et 9. J'écoute les
discussions depuis le début du thème sur la constitution, et il
m'apparaît qu'il y a un problème évident, en particulier
avec l'article 9 et l'article 6. Je suis à la fois surpris et non
surpris de ce que j'ai entendu de la part des représentants
gouvernementaux et du regroupement pour le oui, compte tenu du discours un peu
dogmatique qu'on a eu durant ces deux journées d'audiences sur le
libre-échange. On nous dit - et cela, c'est
généralisé du côté des adhérents
à ce projet de loi C-130 - ne prenez pas nos pouvoirs ou notre autonomie
relative, on va vous les donner; ne grugez pas nos compétences
provinciales, nous les grugerons nous-mêmes. J'en suis à me
demander, à partir de l'événement de 1982, la nuit des
longs couteaux où on se déchirait les chemises sur le dos,
où on en est rendus avec cela. Aujourd'hui, l'atmosphère semble
optimiste, comme s'il n'y avait pas de problème. Pourtant, c'est
évident, dans au moins deux articles de ce projet de loi C-130, que les
compétences provinciales sont attaquées. J'aimerais aussi poser
une autre question. Où est la société distincte dans cet
accord? On ne la voit pas. (14 heures)
Un autre petit commentaire qui s'adresse particulièrement
à M. Landry. M. Landry a la capacité d'évacuer le
problème en parlant de ce qu'il devrait être et non pas de ce
qu'il est. On fait face à un accord de libre-échange à
l'heure actuelle avec un projet de loi C-130 où les compétences
des provinces sont attaquées. Il ne s'agit pas de savoir ce qu'on aurait
fait si on avait été à la table des négociations,
mais le projet est là. Avant qu'on amène votre projet de
société, j'ai l'impression qu'on sera moins qu'une province dans
dix ou quinze ans d'ici.
Le Président (M. Charbonneau): Comme il y a eu trois
interventions de l'opposition, je vais donner à M. Landry et à M.
Bernier un bref temps de réplique. Ensuite, le député de
Lac-
Saint-Jean et le ministre pourront conclure. M. Landry et M. Bernier,
rapidement, s'il vous plaît.
M. Landry: Un mot seulement. Les États peuvent renoncer
par traité, qui est une opération contractuelle, à une
partie de leur souveraineté. C'est ce qu'ont fait les deux grands entre
eux en limitant leurs possibilités de défenses nationales
vis-à-vis les armements stratégiques. C'est ce que fait le
gouvernement du Canada et ce que feront les gouvernements des provinces du
Canada qui renonceront de façon contractuelle, dans les pouvoirs qui
leur sont dévolus, à une partie de leur souveraineté pour
un mieux-être supérieur.
Une société souveraine n'est pas une société
bloquée. Une société souveraine n'est pas celle qui, de
par sa souveraineté même, renonce à la coopération
poussée avec les autres. La manifestation la plus grandiose de la
souveraineté des deux d'ailleurs, c'est le dernier article qui dit que,
sur avis de six mois, le présent traité n'aura plus effet.
Le Président (M. Charbonneau): Bien. Rapidement.
M. Bernier: J'abonderai simplement dans le même sens que ce
qui vient d'être dit. Les provinces, en s'associant à un accord
sur le libre-échange, ne renoncent pas nécessairement à
leur souveraineté dans le domaine des compétences; elles exercent
leur souveraineté plutôt en acceptant de limiter leurs
interventions à ce qui est compatible avec un système
économique qui doit rapporter des bénéfices.
Le Président (M. Charbonneau): Merci.
Trois minutes de remarques finales et je vous demanderais de vous en
tenir au temps puisque nous aurons, par la suite, de toute façon, dix
minutes pour chacun des groupes dans les conclusions finales et que des gens
ont déjà des engagements pour 15 heures. Alors, M. le
député de Lac-Saint-Jean.
Remarques finales M. Jacques Brassard
M. Brassard: M. le Président, si on me permet d'employer
une image tirée du hockey, je dirais que le ministre est un joueur de
défense pas pire, mais que c'est un bien mauvais "sco-reur". S'il est
vrai qu'il patine bien, il patine toujours à reculons, comme un joueur
de défense, et il dépasse rarement la ligne bleue. Ceci pour dire
que le gouvernement a strictement une stragégie purement
défensive sur ce dossier en matière de protection des
compétences et des juridictions du Québec. Est-il trop tard pour
réagir et modifier cette stratégie? Sûrement pour ce qui
est de l'accord. L'accord est négocié, conclu et signé.
Mais, pour ce qui est de la Loi
de mise en oeuvre, elle n'est pas encore adoptée par le Parlement
fédéral et II y a des choses qui devraient être faites et
des actions qui devraient être posées par le gouvernement, qui
devrait exiger, entre autres, le retrait de l'article 6, tout le monde en
convient. Il devrait exiger formellement le retrait de l'article 9; tout le
monde considère que c'est une intrusion inacceptable. Il devrait, et la
suggestion m'apparaît intéressante, reprendre la suggestion en
provenance de la coalition à l'effet d'introduire dans le projet de loi
de mise en oeuvre une clause garantissant le respect intégral des
compétences et des juridictions du Québec.
M. le Président, ils nous annoncent par surprise que le
gouvernement a adopté un décret et ils considèrent que
c'est une ratification du traité. Je dis: Là, vraiment, c'est
fort. Le ministre responsable du dossier a toujours affirmé que le
gouvernement ne donnera pas son approbation, et je le cite, à l'Accord
de libre-échange tant et aussi longtemps que nos conditions ne seront
pas respectées. Je lui signale que des conditions majeures ne sont pas
respectées, celles concernant les programmes d'adaptation de la
main-d'uvre - on en a parlé précédemment - celles
concernant le mécanisme de règlement des différends auquel
devront être associées les provinces; cela non plus n'est pas
respecté. Il devrait exiger que l'article 12 de la loi de mise en oeuvre
prévoie la présence et la participation des provinces à
l'instance qui est mise en place pour examiner les litiges. Cela, c'est dans la
loi de mise en oeuvre et elle n'est pas adoptée.
Je trouve étonnant et surprenant qu'il nous annonce qu'ils ont
adopté un décret et qu'il nous dise en même temps que cela
doit être considéré comme la ratification du traité
de libre-échange par le gouvernement du Québec, alors que les
conditions exigées ne sont pas toutes respectées et alors que le
ministre responsable du dossier a toujours mentionné, a toujours
affirmé, que le Québec ne ratifierait pas, n'adopterait pas, ne
donnerait pas son approbation tant et aussi longtemps que les conditions ne
seraient pas respectées. Qu'est-ce que c'est que cette
histoire-là? Vraiment là on est en face d'un gouvernement dont
l'attitude en cette matière et en matière de préservation
des compétences - je termine là-dessus - est on ne peu plus
réservée, timorée, timide, molle, résignée
et cela comporte des dangers réels à notre avis pour l'avenir et
pour ce qui est de l'intégrité de l'État
québécois.
Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre. De votre
côté, trois minutes également.
M. Gil Rémillard
M. Rémillard: M. le Président, nous avions sept
conditions et ces sept conditions ont été réalisées
dans le traité que nous avons. C'est donc dire que nous avons
utilisé l'article 15 de la Loi sur le ministère des relations
internationales et que nous avons donc utilisé la voie qui se retrouve
dans cet article et, par un décret, le gouvernement du Québec
applique le traité, le ratifie en ce qui regarde son domaine de
juridiction. On n'a pas à sanctionner le traité pour des
juridictions qui ne sont pas de notre ressort. Mais en ce qui regarde nos
domaines de juridiction, par ce décret, nous ratifions l'entente et nous
mentionnons que nous allons légiférer pour appliquer le
traité dans nos champs de compétence législative. Et c'est
le processus que nous utilisons pour tous les traités internationaux que
nous voulons appliquer chez nous sur le territoire du Québec parce que
ces traités ont des implications directes sur des champs de
compétence qui relèvent de la province.
M. le Président, il est évident, et je le dis le plus
fermement possible, que le gouvernement du Québec ne laisserait pas le
gouvernement fédéral s'ingérer dans un domaine de
compétence provinciale par le biais d'un traité international. Ce
serait là modifier la compétence de la province par le biais d'un
traité international. Si on veut modifier la constitution, on prend la
formule d'amendement qui existe dans la constitution. Cependant, M. le
Président, pour nous il n'y a absolument pas de problème quant au
respect de la juridiction du Québec. Il y a cet article 9, mais en ce
qui nous concerne cet article 9 n'a pas d'application. Donc, il ne nous cause
pas d'ennuis. Et, d'autre part, nous situons le contexte général
de ce traité de libre marché avec les États-Unis dans un
contexte de relations fédérales-provinciales qui nous a permis de
participer de façon active et satisfaisante aux discussions, aux
négociations. On doit souligner tout cela, M. le Président, car
c'est vraiment une première.
Pendant tout le temps des négociations entre le gouvernement
d'Ottawa et le gouvernement de Washington, il y a eu une participation des
provinces. En particulier, en ce qui nous regarde, le Québec a
été consulté. Le Québec a été
impliqué. Nous avons fait valoir nos points de vue. Nous avons
même fait en sorte que certains points soient changés dans le
traité de libre marché pour accommoder notre situation
économique ici. Dans ce contexte, M. le Président, nous pouvons
dire que ce traité de libre marché avec les États-Unis
répond à nos sept conditions. Et, par ce décret, nous,
gouvernement du Québec, exprimons formellement notre accord et, par la
voie législative ou administrative, nous allons maintenant le mettre en
oeuvre en ce qui regarde nos propres compétences
législatives.
Conclusions
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le ministre. Cela
conclut la discussion sur les impacts constitutionnels et nous arrivons
maintenant à la dernière partie de nos travaux, les
déclarations de fermeture. Chaque groupe repré-
sente à la table a dix minutes pour les faire, dans l'ordre
suivant: d'abord le regroupement pour le libre-échange, par la suite la
coalition d'opposition au libre-échange, l'Opposition officielle et le
gouvernement.
Donc, M. Ducros, pour le Regroupement en faveur du
libre-échange.
Regroupement pour le libre-échange M. Pierre
Ducros
M. Ducros: Merci. M. le premier ministre, MM. les ministres, MM.
les membres de l'Opposition, M. le Président, mesdames et messieurs.
Nous avons insisté, lors de ce débat, pour que le Canada et le
Québec établissent des stratégies pour
bénéficier au maximum des échanges internationaux. Nous
avons démontré, je le crois, que le traité du
libre-échange est notre instrument privilégié pour avoir
accès à ces marchés internationaux, pour obtenir notre
croissance économique à moyen terme et pour diminuer le
chômage.
Soyons pratiques. Nous savons qu'au 1er janvier 1989 le traité va
être signé. Il va être approuvé par le Congrès
américain à l'automne et au Parlement canadien aussi à
l'automne. J'ai senti, dans cette journée et demie de travail, que nous
avons un accord au niveau des principes et que les grandes questions ont
porté beaucoup plus sur les approches et sur les moyens d'implantation,
le coffre à outils que mentionnait M. Parent, par exemple.
Nous allons faire face à des défis importants qui vont
être amenés par l'augmentation de la concurrence. Nous du
regroupement pour le libre-échange sommes très optimistes pour
deux raisons fondamentales. Nous avons des exemples historiques et nous en
avons parlé, ceux de la Suède, ceux de l'Autriche, pays
sociaux-démocrates qui se sont lancés dans la libération
non seulement sectorielle, mais globale des marchés, et qui l'ont faite
en protégeant leur identité culturelle et en protégeant
leur priorité en matière sociale. Nous sommes optimistes aussi
parce qu'il y a plusieurs entreprises québécoises qui ont
exporté déjà sur le marché international les
étoiles filantes que mentionnait M. Laberge, dans les pâtes et
papiers, dans le bois, dans les minerais, dans les produits transformés,
tels que télécommunications, transport, aéronautique,
équipements de bureau, etc.
Cependant, cette concurrence accrue va nous apporter des défis
importants et la seule façon de les résoudre, c'est par une
coopération de tous les agents économiques du Québec vers
un intérêt national partagé par les entrepreneurs, les
travailleurs, les syndicats et le gouvernement. Je vais vous donner quelques
exemples de ceci.
La concurrence accrue va nous amener à avoir une utilisation des
technologies modernes. Cette utilisation des technologies modernes va nous
amener à avoir une main-d'oeuvre de mieux en mieux qualifiée. Il
va falloir ensemble, gouvernements, entreprises, syndicats, donner cette
éducation technique et technologique à nos travailleurs.
Deuxième exemple. La concurrence accrue va nous amener à
rationaliser nos opérations dans les entreprises. Il va falloir avoir
des acquisitions, des utilisations de nouveaux réseaux de distribution.
Il va falloir augmenter la recherche et le développement pour avoir ces
nouvelles technologies. Cela va nécessiter des sommes importantes. Il va
falloir favoriser ensemble les apports de capitaux au Québec. Il va
falloir que le gouvernement stimule l'épargne vers l'économie et
la création de capitaux de risque.
Troisième exemple. Nos relations du travail qui ont
été améliorées au Québec depuis quelques
années, il va falloir les continuer encore davantage. Participation
possible des travailleurs au capital des entreprises. Un exemple chez nous, 66
% de notre population chez DMR possède des actions de la firme.
Rémunération associée à la performance des
entreprises.
Quatrième exemple. Il va nous falloir une coopération
entre les divers paliers de gouvernement. On vient tout juste d'en parler,
depuis deux décennies on travaille au partage des champs de
compétence. Je suis conscient que nous sommes en démocratie et
qu'on ne sera pas capables de résoudre tous les problèmes. Mais
si nous pouvions avoir un consensus plus étroit, un "focus" de tous les
paliers de gouvernement vers le secteur international pour appuyer les
entreprises et les travailleurs dans ce domaine de concurrence, pour pousser la
recherche et le développement, pour procéder au recyclage de la
main-d'oeuvre et nous donner des appuis à la restructuration des
entreprises. (14 h 15)
J'aimerais peut-être conclure très rapidement pour vous
dire que nous sommes devant un défi. Oui, il va y avoir un choc. Mais
c'est un choc salutaire, c'est un choc nécessaire et c'est un choc que
nous voulons. Nous sommes capables de l'absorber ensemble. On a vu bien
d'autres. Le choc pétrolier des années soixante-dix, par exemple.
Deux décennies de négociation au GATT qui ont diminué les
barrières tarifaires autant que ce qui va être diminué par
ce traité du libre-échange. Dans la dernière année,
10 % d'augmentation du taux de change est à peu près égale
à la baisse moyenne des tarifs sur dix ans; 70 % de nos échanges
sont déjà libres, 50 % de la production nationale et l'industrie
des services sont peu ou pas touchées.
On ne pourra pas avoir tous les chiffres qui vont nous démontrer
exactement tous les effets sur les dix prochaines années. Ce qu'il nous
faut, c'est une attitude positive. Il faut concevoir que le verre est plein aux
trois quarts plutôt que vide au quart. Il faut avoir confiance en
nous-mêmes et il faut avoir la coopération de tous les
intervenants. Nous devons accepter les principes du libre-échange. Nous
devons résoudre
les problèmes ensemble, chaque intervenant. Il nous faut aller de
l'avant et, par cette attitude positive, on ne peut que gagner. Merci.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Ducros.
Maintenant, pour la coalition, M. Larose.
Coalition contre le libre-échange M.
Gérald Larose
M. Larose: À deux, nous partagerons le temps. Après
deux jours de discussions et d'interventions devant cette commission sur ce
sujet grave qu'est l'accord Mulroney-Reagan, qu'avons-nous entendu? Notre
coalition, élargie à des groupes comme la FNACQ,
Solidarité populaire Québec, le Mouvement Québec
français, avait demandé en décembre dernier qu'un tel
forum se tienne. Nous espérions vivement qu'à cette occasion l'on
dépasse les affirmations vagues ou gratuites. Nous espérions
beaucoup de sérieux, beaucoup d'analyse chiffrée et, plus encore,
quelques prises de position du gouvernement du Québec qui puissent
permettre aux Québécoises et aux Québécois d'y voir
un peu plus clair.
On se réfère souvent aux sondages. Il faudrait
peut-être en parler un peu. Les sondages, les uns après les
autres, dénotent cette constance que la population se dit peu ou mal
informée à propos du libre-échange. Bien sûr, et
spécialement au Québec, une certaine majorité d'opinants
se déclarent en principe favorables à cette entente. Mais les
politiciens qui savent très bien lire juste quand il faut n'ignorent
certainement pas que dès que l'on détaille ce que contient
l'accord, là les appuis baissent plus que sensiblement. Ainsi, il n'y a
pas beaucoup de gens qui prêtent confiance aux Américains dans nos
futurs rapports, tels qu'établis par l'entente Mulroney-Reagan, car le
passé reste toujours garant de l'avenir et nos compatriotes savent dans
quelle société ils vivent et à quoi ressemble celle de
leurs voisins du Sud.
Qu'est-ce qu'on nous a proposé autour de cette table? Des
études systématiques sur les effets du libre-échange? Des
programmes d'adaptation ou de développement de nos secteurs
économiques? Des garanties fermes pour demain et après-demain?
Des engagements quant au pouvoir même de notre Parlement
québécois? Pas grand-chose de tout cela. Le gouvernement, il faut
le dire, est plutôt optimiste. On a entendu beaucoup: Faites-nous
confiance, on est bons et peut-être qu'on est les meilleurs. Il y a
quelques disciples de Jean-Marc Chaput, je pense, autour de cette table. On a
vu des ministres nous affirmer que les téléviseurs japonais vont
baisser de prix; d'autres prétendent que le fait français sera
protégé parce qu'on est des consommateurs. On nous a même
déclaré qu'il n'y a pas trop d'importance que le Québec
abandonne ses pouvoirs au fédéral puisque l'Assemblée va
devancer les voeux d'Ottawa. Nous retrouvons, politiquement parlant, des
fédéralistes qui affirment que le libre-échange va
renforcer le lien canadien. Il y a un indépendantiste dans le camp
patronal qui dit que le libre-échange, cela va être bon pour faire
l'indépendance. Au fond, le libre-échange n'est pas une
panacée, nous a-t-on dit, mais cela va finir par en être une.
Du même souffle, on nous demande dans bien des dossiers et avec
raison d'appuyer les démarches ministérielles face au
fédéral. Il y a des ministres qui se plaignent de ne pas avoir
leur dû dans le développement technologique et ils ont raison. Il
y en a d'autres qui se plaignent de ne pas avoir d'équité dans le
secteur agricole et ils ont raison. D'autres disent qu'il faudrait
protéger l'enseignement supérieur, et il y a le premier ministre
qui voudrait bien qu'on fasse des démarches pour infléchir la
politique monétaire de la Banque du Canada. Mais où est donc la
logique quand on nous dit qu'il faut faire confiance au gouvernement
fédéral pour la défense de nos intérêts de
Québécois face à la véritable mainmise
américaine sur notre économie et ultimement sur notre âme?
Car lorsqu'on nous parle d'internationalisation du commerce, nous l'avons dit,
tout le monde constate qu'il s'agit en fait de son américanisation. Le
monde, pour reprendre une formule célèbre, se situerait
exclusivement entre la rivière La Grande et le Rio Grande. Pour
atteindre la planète, nous n'avons qu'un seul choix, passer par les
États-Unis. Il s'agit là d'un manque flagrant de confiance en ces
capacités qu'on nous vante tant. Ensuite, c'est faire fi naïvement
ou inconsciemment du poids réel des États-Unis face au Canada.
Que nous sachions, la Suède, on en a parlé un peu, dont on nous
agite tant l'exemple, ne s'est pas liée à un
éléphant. La CEE - et qu'on cesse de nous comparer à
l'Irlande ou au Portugal - regroupe des économies au pluriel qui sont
variables et c'est le cas de tous les regroupements du genre sur cette
planète, mis à part l'Union Soviétique et ses satellites
avec le bonheur que l'on sait pour la Pologne et la
Tchéchoslovaquie.
M. Jacques Proulx
M. Proulx: Quant à l'âme de cette
société québécoise, le gouvernement et ses
alliés en font bon marché. Nos programmes sociaux et toute
l'armature qui a fait du Québec une société moins injuste
que celle de notre voisin du Sud sont maintenant devenus si solides dans un
contexte de libre-échange que le gouvernement américain, futur
président en tête, va les transposer aux États-Unis. Mais
qui donc va croire cela? Constitutionnellement parlant, le Québec a
littéralement fait un chiard et ses acteurs sont assis ici aujourd'hui
pour avoir sa place dans la Confédération canadienne.
Déchirant ses vêtements sur la place publique contre le
centralisme d'Ottawa, vouant l'ancien premier ministre Pierre
Elliott Trudeau aux enfers, nous nous demandons aujourd'hui à
quoi cela servira puisque, face au projet de loi 130, l'on se tait avec
élégance.
Le gouvernement prétendra dans quelques instants, j'en suis
persuadé, que ce forum a rapproché les points de vue et que tout
va pour le mieux dans le meilleur des mondes, que les emplois nous tomberont
dessus à la vitesse de l'éclair, que l'économie tournera
comme jamais, que nos 2 % de francophones en Amérique du Nord s'en
sortiront regaiilardis. On voit d'ailleurs ce qui se passe rien qu'au Canada et
que telle est la seule alternative.
Non, tel n'est pas le cas. Notre coalition propose, plutôt que de
se limiter au commerce canado-américain, que les gouvernements devraient
envisager selon la condition une politique de commerce international de
rechange qui vise comme premier objectif la création du plein emploi au
Canada et au Québec. Selon nous, cette politique devrait reposer sur
cinq éléments: la diversification des exportations, des
politiques industrielles pour promouvoir davantage l'auto-suffisance, dans
certains secteurs, des négociations sectorielles avec les
États-Unis - on pourrait faire, par exemple, un agropacte - la
création d'un forum bilatéral pour discuter des litiges
commerciaux possibles, l'utilisation accrue pour le Canada des
mécanismes multilatéraux du GATT.
Nous n'avons pas de grandes illusions quant à l'accueil de nos
propositions par le gouvernement parce qu'on est déjà tellement
engagés dans une autre proposition. C'est pourquoi le vrai débat,
la vraie bataille ne se jouera pas nécessairement ici dans ce Parlement
et nous le regrettons parce que nous tenons à cette institution. Force
nous est pourtant de reconnaître que l'Assemblée nationale
abandonne de bon coeur ses prérogatives. Il n'est pas en notre pouvoir
de les exercer à sa place. Ce qui est quand même encore en notre
pouvoir, c'est de poursuivre notre travail de conviction, d'information,
particulièrement auprès d'une couche de la société
qui sert constamment pour faire les expériences. Malheureusement, on
peut s'en prendre à nous aussi, car on n'en a pas telle-* ment
discuté ici. Cette couche n'aura pas à concurrencer, à mon
avis, la bourgeoisie américaine ou les nantis, mais va avoir justement
à concurrencer les illégaux, ceux et celles qui, on le voit
presque quotidiennement, travaillent dans le noir, ne font pas de bruit pour ne
pas être repoussés à l'extérieur. C'est ce que va
avoir à concurrencer une bonne partie de la population. Ce n'est pas
avec cela qu'on améliore notre salaire et nos conditions de vie. C'est
le travail qu'on va continuer en essayant d'être le moins négatifs
possible. On sait qu'il va rester, c'est bien évident, au bout de la
ligne, peut-être quand il sera passé, mais il va rester un
exercice qui, je pense, déterminera une fois pour longtemps qui avait
raison et qui sera celui de choisir, de garder ou de rejeter les promoteurs de
cet accord plus tard.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Proulx. Merci, M.
Larose.
M. le député de Bertrand.
M. Jean-Guy Parent
M. Parent (Bertrand): Oui, merci, M. le Président. Je dois
dire d'abord que j'étais heureux de participer à cette table de
concertation même si ce débat aurait dû se produire il y a
au moins six mois, en début de 1988, lors de la signature de l'entente
ou même avant. Je tiens quand même à remercier ceux qui ont
poussé les gens de la coalition pour avoir cette rencontre.
La première journée s'est relativement bien passée
et je dois dire qu'aujourd'hui les choses se sont relativement
gâtées. On a vu au cours des deux derniers jours, M. le
Président, huit ministres du gouvernement venir épauler le
ministre porteur du dossier, qui est le ministre du Commerce extérieur
et donner davantage d'explications. Je dois vous dire pour avoir
travaillé depuis un an et demi avec le ministre du Commerce
extérieur comme vis-à-vis que j'étais relativement
rassuré quant à ce que j'attendais et quant aux promesses et aux
engagements formels que le ministre avait pris au nom de son gouvernement. Sauf
qu'après avoir passé par le ministre des Affaires culturelles, le
ministre de l'Énergie et des Ressources, le ministre de l'Agriculture,
des Pêcheries et de l'Alimentation, le ministre responsable de la
Protection du consommateur et de la Déréglementation et le
ministre de l'Éducation, on a eu le ministre de la Main-d'Oeuvre et de
la Sécurité du revenu ce matin qui est venu jeter très peu
d'éclairage. Quant au ministre de l'Industrie et du Commerce, je dois
vous dire qu'il nous a déçus au plus haut point. Mais
voilà que le ministre des Relations internationales est venu mettre la
cerise sur le gâteau.
Qu'on vienne aujourd'hui, en ce 17 juin 1988, nous dire après
avoir convoqué sérieusement tous ces gens autour de la table que
la ratification finale s'est faite il y a quelques jours par un décret,
c'est une farce monumentale. Là, je n'embarque pas. Comment le ministre
du Commerce extérieur peut-il encore aujourd'hui être capable de
tenir les propos qu'il a tenus le 16 décembre dernier à la page
5218 quand il a pris l'engagement formel, au nom de son gouvernement, de
s'assurer que les élus du peuple, les membres de l'Assemblée
nationale et, que je sache, j'en fais partie de même que mes
collègues, les deux côtés soient saisis de la ratification
finale avant qu'on puisse la donner et d'autant plus que la condition sine qua
non, selon le ministre, était que les sept conditions soient remplies?
Que je sache, M. le Président, les sept conditions ne sont pas remplies.
(14 h 30)
Qu'on vienne nous dire et nous répéter
aujourd'hui, à la fin de cet exercice, sérieusement et
sans rire, que les conditions sont remplies, je ne marche pas. La plus belle
preuve de cela, c'est que le propre document du ministre du Commerce
extérieur publié il y a un mois disait ceci à la page 40:
"Restent cependant certaines conditions importantes auxquelles les
gouvernements du Québec et du Canada devront conjointement trouver
solution. Bien que ne faisant pas partie de l'Accord de libre-échange,
trois points relevant de la politique intérieure canadienne sont tout
aussi importants que les clauses de l'accord proprement dit." Bien, si ces
conditions étaient tout aussi importantes que l'accord, je comprends
mal. En fait, le premier de ces points a trait à la demande du
Québec concernant la nécessité d'établir des
programmes d'adaptation pour les travailleurs. Le second point concerne la
participation des provinces à la gestion de l'accord et au processus de
règlement des différends. Le troisième point a trait
à la mise en oeuvre de l'accord, c'est-à-dire qu'il s'agit des
points 4, 5, 6 et 7, qui ne sont pas les conditions spécifiées
par l'Opposition, mais les conditions du gouvernement. Comment le gouvernement
a-t-il pu nous endormir pendant un an et venir dire aux membres de
l'Assemblée nationale qui représentent l'ensemble de la
population: Dormez tranquille? Nous donnerons cette rectification lorsque ces
sept conditions seront satisfaites.
M. le Président, je dois dire que, ce matin, je suis très
déçu. Qu'on vienne nous dire que, en matière de
main-d'oeuvre, en matière de programmes pour aider les entreprises, de
recyclage, de formation, pour tous les programmes d'aide, on va attendre le
rapport de Grandpré. Avez-vous réalisé que le rapport de
Grandpré arrivera quelque part en juin 1989 et que si jamais on donne
des suites à ce rapport ce sera quelque part en 1990 ou 1991? Je trouve
tout à fait indécent de voir que l'exercice que nous avons fait
ce matin et l'exercice que nous avons fait hier, le temps qu'on y a
consacré, tout cela s'est fait un peu de façon inutile, puisque,
au dire même du ministre, il ne s'agit pas d'un simple décret,
mais de la ratification officielle. Ses termes, je les ai notés. C'est
là la ratification officielle. M. le Président, les
négociations avec Ottawa quant au quantum et au pourcentage des sommes
d'argent qu'on devra obtenir pour la négociation des conditions pour
être capables d'avoir la main-d'oeuvre, comment va-t-on les faire
maintenant? Comment le premier ministre pouvait-il, il y a quelques jours, dire
en Chambre qu'il avait des craintes concernant l'article 9 et
particulièrement concernant l'article 6 et, tout à coup, nous
dire que la condition 1 est remplie? Le ministre délégué
aux Affaires intergouvernementales canadiennes a tenté, en Chambre, tant
bien que mal, ces derniers jours et ce matin de calmer tout le monde. Mais je
pense qu'il est loin d'avoir réussi. En ce qui me concerne, comme
représentant de l'Opposition à l'Assemblée nationale, je
dis au ministre du Commerce extérieur et du Développement
technologique - c'est un fait connu, son ministère n'existera plus au
cours des prochains mois ou des prochaines semaines, puisqu'on a
décidé de le démanteler et je ne sais pas ce qui arrivera
du ministre - mais ce que je dis c'est qu'il a littéralement
imbriqué les gens de l'Assemblée nationale dans des engagements
qu'il n'a pas fait respecter par son gouvernement.
Je termine, M. le Président, en disant que cet exercice qu'on
vient de faire, s'il n'avait apporté que cela, que mettre cette
lumière, qu'on n'aurait pas eue autrement... On a appris des choses
pendant ces deux jours. J'en sors grandi, déçu bien sûr,
parce que je pense que le gouvernement a manqué à sa parole. Je
vous remercie.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le
député de Bertrand. M. le premier ministre.
M. Robert Bourassa
M. Bourassa: M. le Président, je voudrais d'abord vous
féliciter, au terme de cette réunion, pour la façon dont
vous avez dirigé les débats, d'une façon sobre et
intelligente qui, je crois, nous a permis de faire avancer la réflexion.
Je ne crois pas qu'on puisse accuser le gouvernement de refuser le débat
ou le dialogue sur cette question. Nous avons multiplié les
publications. C'est la troisième réunion à
l'Assemblée nationale. Il y en a eu une de plusieurs semaines, je crois,
en septembre 1987, une autre en décembre 1987 et une autre aujourd'hui,
ces jours-ci. Alors, je crois que le gouvernement a fait preuve de la plus
grande transparence pour discuter de ce dossier. Je n'ai pas l'intention de
répliquer à toutes les affirmations qui ont été
faites.
J'entendais, quand je suis arrivé tantôt, le
député de Lac-Saint-Jean essayer en vain, évidemment, de
tourner le ministre délégué aux Affaires
intergouvernementales canadiennes en ridicule en disant qu'il se comportait
comme un défenseur au hockey en reculant constamment. Je dirai, M. le
Président, et je prendrai plutôt un exemple qui est plus
d'actualité, c'est-à-dire le baseball plutôt que le hockey,
que l'Opposition frappe constamment des fausses balles et on en a eu un bon
exemple avec les propos du député de Bertrand. On doit se poser
quelques questions pour conclure, d'abord, sur le principe du
libre-échange. Je n'ai pas pu suivre tous les débats, puisqu'on
est au dernier jour de la session, mais j'ai essayé de les suivre au
maximum. J'ai l'impression qu'il y a un assez large consensus sur la question
du libre-échange et qu'on n'aborde pas cette question, sauf
peut-être en quelques rares exceptions, d'un point de vue
idéologique.
Je me permets d'examiner les faits depuis quelques années. Je
crois que, sur le principe du libre-échange, le Québec prend une
bonne décision parce que je ne connais pas d'exemple d'un pays qui s'est
associé soit à une zone de
libre-échange ou à un marché commun et qui a
décidé par la suite de s'en retirer, sauf le cas de l'Islande, si
ma mémoire est bonne, il y a quelques années et pour des raisons
qui n'étaient pas tellement économiques. Tous les autres, et il y
en a des dizaines et des dizaines, ont toujours trouvé qu'ils avaient
avantage à faire partie de zone de libre-échange ou de
marché commun. Donc, c'est quand même une expérience
pratique qui devrait nous inspirer un minimum de confiance dans la
décision que nous prenons puisque, jusqu'à maintenant, cela a
toujours été profitable à l'ensemble des pays. Cela
dépasse évidemment les orientations idéologiques des
partis. Je n'y reviens pas, on en a parlé beaucoup. On peut prendre
comme exemples M. Gonzalez, qui est chef d'un parti social-démocrate -
puisqu'on nous accuse d'être au centre plutôt que d'être
social-démocrate - M. Schmidt, M. Craxi, M. Callaghan et tous les
autres, qui ont endossé soit l'intégration économique sous
forme de libre-échange ou l'intégration économique sous
forme de marché commun. Donc, consensus assez important sur le
libre-échange au sein de la société
québécoise.
Pour le contenu de l'entente, évidemment, il y a plus de
divergences et c'est normal dans une démocratie comme la nôtre. Je
n'ai pas l'intention de répéter les demandes qui ont
été faites par le Québec et qui ont été
acceptées. Je l'ai dit, je l'ai mentionné dans mes remarques
préliminaires. Que ce soit pour l'électricité, alors que
j'ai un document et je pourrai en discuter avec M. Larose, s'il le veut, pour
répondre encore plus techniquement ou plus solidement si je puis dire,
à toutes ses questions sur l'article 904. Il est clair que nous ne
pouvons que consolider nos avantages dans le commerce de
l'électricité sur les trois fameux tests. Il y a un test qui
disparaît, mais un autre test, comme je l'ai dit hier, s'appliquait
à l'acheteur et non au vendeur. Dans les deux autres tests, nous gardons
toute la liberté d'action. En agriculture, on a parlé de
l'article 11 et de la question de la période de transition, etc.
Nous trouvons donc de notre côté, et c'est toujours sujet
à être débattu du côté de l'Opposition ou de
ceux qui ne sont pas d'accord avec nous, que les demandes du Québec ont
été respectées. Je discutais avec mes collaborateurs
tantôt et je leur disais: Est-ce qu'il y a un point sur le contenu
économique, dans les délais de transition ou dans la question des
vins ou d'autres secteurs, les ressources naturelles, est-ce qu'il y a un point
important où les demandes du Québec n'ont pas été
respectées? On sait qu'il y a des milliers et des milliers de pages. On
m'a dit: Non. On n'a pas d'exemple où le Québec aurait subi un
échec sur le contenu économique. C'est ce qui fait que, pour
nous, l'entente comme telle paraît acceptable, comme je pense pour le
parti de l'Opposition ou, à tout le moins, son chef.
Pour ce qui a trait à l'application, on veut faire tout un plat
aujourd'hui parce que le gouvernement a respecté son engagement. Durant
des jours et des jours, le député de Lac-Saint-Jean, qui nous
honore de sa présence, demandait: Quand allez-vous agir pour
protéger la juridiction du Québec? Qu'est-ce que vous entendez
faire? Avec un vocabulaire beaucoup plus vaste, si je puis dire, dans le
contenu de son affirmation ou de sa prise de position, on nous accusait de
mollesse, de timidité, etc. Quand allez-vous agir, disait-il? Nous avons
agi pour protéger la juridiction du Québec, en vertu de l'article
9. Mais où est la surprise? Alors que j'ai annoncé que nous
protégions la juridiction du Québec, comme nous l'avions fait en
1975, pourquoi cette triste comédie de la part de l'Opposition
aujourd'hui? Pourquoi soulever une question qui paraît tout à fait
conforme au bon sens politique des Québécois, à la
protection de leur juridiction. Si on ne l'avait pas fait, probablement que
l'Opposition aurait dit aujourd'hui: qu'est-ce que le gouvernement attend? Il
nous convoque aujourd'hui et il ne fait rien. Il laisse envahir sa juridiction
sans se protéger. C'est ce qu'on a fait, on s'est protégés
avec le décret que nous avons adopté.
M. le Président, en ce qui a trait à l'autonomie ou
à la souverainté du Québec dans ses juridictions, dans le
domaine économique - M. Landry le signalait tantôt - on doit faire
des associations et, à l'occasion, il faut céder temporairement
certains pouvoirs d'action. Je renvoie l'opposition ou mes amis de la coalition
au Traité de Rome. Vous avez là un regroupement de pays
souverains et, malgré cela, dans un regroupement de pays souverains,
alors que nous sommes une fédération d'États membres, vous
avez des articles du Traité de Rome qui permettent des décisions
à la majorité, c'est-à-dire qu'une majorité de pays
souverains peut prendre une décision et l'imposer à une
minorité de pays souverains. Cela serait un crime politique pour nous de
nous associer et de faire certaines concessions dans des traités
économiques, alors que c'est la norme de plus en plus répandue
dans les regroupements des peuples.
Tout cela pour vous dire, M. le Président, qu'il est très
difficile de prendre au sérieux certaines remarques ou certaines
critiques du parti d'opposition. D'autant plus que nous avons un climat qui
nous incite à un minimum de confiance avec l'actuel gouvernement; que ce
soit dans les négociations du GATT où le ministère du
Commerce extérieur et du Développement technologique a
été directement impliqué, que ce soit dans le cas du bois
d'oeuvre, que ce soit dans le cas de la préparation de la discussion,
une douzaine de réunions des premiers ministres ont eu lieu. Alors, on
ne peut pas reprocher au gouvernement canadien de ne pas recourir à la
consultation dans une décision économique aussi importante que
celle-là.
Je passe rapidement, M. le Président, sur des questions qui ont
été soulevées. Quant aux programmes sociaux, je crois
qu'on y a répondu
d'une façon très pertinente, notamment avec la discussion
de M. Ryan hier. On sait qu'actuellement, aux États-Unis, on s'oriente
vers le système canadien. À tout le moins dans l'État du
Massachusetts, cela a été adopté, et on sait que le
gouverneur de l'État du Massachusetts est candidat à
l'élection présidentielle et qu'il y a un mouvement aux
États-Unis actuellement vers l'élaboration de programmes sociaux,
notamment dans le secteur de l'assurance-santé, et c'est normal,
évidemment, qu'on s'oriente vers cet objectif aux États-Unis
puisque c'est l'un des rares pays, sur le plan des programmes sociaux, à
ne pas avoir ceux que nous possédons déjà dans la plupart
des autres pays.
Il y a évidemment la question des programmes d'adaptation. Du
côté du Québec, un effort énorme a été
fait avec les consultations. Nous serons prêts dans quelques mois. Il est
important, je l'admets, de connaître le plus tôt possible les
modalités de la part du gouvernement fédéral.
Je terminerai, M. le Président, parce qu'il me reste quelques
secondes, peut-être en commentant brièvement les propositions de
la coalition. Je les félicite d'avoir au moins proposé des
solutions, d'avoir pris le risque intellectuel, si je puis dire, de proposer
des contre-propositions. On parie de la diversification des exportations. On le
fait déjà. Le ministre de l'Industrie et du Commerce arrive de la
Chine et visite les pays constamment pour diversifier nos exportations. Les
politiques industrielles pour promouvoir l'avantage de l'autosuffisance, ce
n'est pas l'approche qui, dans tous les cas, est la plus réaliste.
AprèsÇtout, nous sommes un marché de 6 700 000 personnes,
nous ne sommes pas un marché de 250 000 000 de personnes pour promouvoir
à tout niveau l'autosuffisance.
Dans certains secteurs des négociations sectorielles avec les
États-Unis, on l'a fait dans le bois d'oeuvre, dans les bardeaux de
cèdre et cela n'a pas été facile de négocier
secteur par secteur. On a considéré que le Canada et le
Québec étaient plus protégés avec un accord-cadre,
avec un mécanisme, que de le faire secteur par secteur ou le rapport de
forces entre le Québec ou le Canada et les États-Unis nous est
beaucoup plus défavorable qu'à l'intérieur d'un
traité global.
Je termine avec la création d'un forum bilatéral. C'est
clairement moins contraignant que ce que nous offre dans le traité de
libre-échange. Quant au GATT, on sait qu'on y a recours beaucoup.
Je termine par la vraie question: Est-ce que, oui ou non, l'accord de
libre-échange contribue à une plus grande
prospérité du Québec? C'est cela la vraie question. C'est
la seule question finalement qu'on s'est posée. On voit que, partout
ailleurs, cela a été le cas. Cela devrait être le cas pour
le Québec, d'autant plus que, pour le Québec, cela va favoriser
l'équilibre interrégional qui n'existe pas quand on voit les
chiffres, actuellement, de l'état du chômage de l'Ontario et du
Québec.
Nous voulons combattre le chômage. Nous voulons plus
d'investissement. Nous voulons créer le maximum d'emplois, surtout pour
les jeunes. Dans cette perpective, le libre-échange est une voie pour la
prospérité québécoise.
Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le premier
ministre.
Oui, M. le dé...
M. Brassard: Est-ce que le ministre ou le premier ministre
pourrait déposer le décret de capitulation, de ratification,
pardon?
Des voix: Ha, ha, ha!
Le Président (M. Charbonneau): Le cirque continue.
M. Brassard: Est-ce qu'on pourrait déposer le
décret?
Le Président (M. Charbonneau): Bien, écoutez, la
question est posée. M. le premier ministre ou M. le ministre.
M. Bourassa: La procédure opportune sera suivie au
meilleur moment.
Le Président (M. Charbonneau): Sur cette réponse,
je voudrais, en terminant, vous remercier à toutes et à tous de
votre collaboration. Je pense que l'exercice que nous venons de faire, qui
était une première sur le plan parlementaire, donc une
expérience pilote, a été une expérience, à
mon point de vue, je pense, d'après l'opinion que j'ai eue un peu
partout, au cours des deux derniers jours, assez réussie. Je crois que
c'est une expérience qui devrait être retenue et être
répétée à d'autres occasions pour des débats
qui sont importants. Le Parlement, c'est le premier forum de la
démocratie. C'est souvent une arène de combat, mais cela peut
aussi être un lieu de réflexion et de débats en profondeur.
C'est ce qu'on a, je pense, réussi à démontrer au cours
des deux derniers jours et, quelles que soient les opinions des uns et des
autres sur le sujet en question et en discussion, j'espère simplement
que ceux qui ont suivi les travaux de la commission, comme ceux qui y ont
participé, en retireront des bénéfices intellectuels,
financiers et des avantages divers à tous points de vue.
En terminant, la Commission parlementaire de l'économie et du
travail ajourne ses travaux sine die, ayant accompli son mandat. Alors,
mesdames, messieurs, merci.
(Fin de la séance à 14 h 47)