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Version finale

33e législature, 2e session
(8 mars 1988 au 9 août 1989)

Le vendredi 17 juin 1988 - Vol. 30 N° 27

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Débat sur l'Accord de libre-échange entre le Canada et les Etats-Unis


Journal des débats

 

(Onze heures trente-deux minutes)

Le Président (M. Charbonneau): À l'ordre s'il vous plaît, la commission de l'économie et travail reprend ce matin son débat, si on peut dire, ou sa discussion sur l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. Je vais d'abord demander au secrétaire de la commission s'il y a des remplacements.

Le Secrétaire: Oui, M. le Président, il y a un remplacement. M. Philibert (Trois-Rivières) est remplacé par M. Doyon (Louis-Hébert).

Le Président (M. Charbonneau): Ce matin, nous commençons notre travail avec une discussion sur les impacts de l'Accord de libre-échange sur les emplois et la main-d'oeuvre au Québec. Nous aurons, après les déclarations d'ouverture de cinq minutes pour chacun des quatre groupes représentés ici, une discussion ouverte d'environ cinquante minutes. Alors, je vous rappelle que les déclarations d'ouverture sont de cinq minutes chacune. M. le ministre de la Main-d'oeuvre et de la Sécurité du revenu, je présume que ce sera vous qui, au nom du gouvernement ou...

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Le ministre de l'Industrie et du Commerce.

Le Président (M. Charbonneau): Ah! M. le ministre de l'Industrie et du Commerce alors. Est-ce que vous comptez vous partager les cinq minutes ou est-ce que vous allez faire les cinq minutes au complet?

M. Paradis (Brome-Missisquoi): II a été décidé après une longue et dure négociation que le ministre de l'Industrie et du Commerce accaparerait les cinq minutes au complet.

Le Président (M. Charbonneau): Et vous n'êtes pas trop frustré?

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Non, cela a été négocié. Quand c'est négocié, cela va.

L'emploi et la main-d'oeuvre

Le Président (M. Charbonneau): Parfois, cela prend du temps avec vous.

Alors, M. le ministre de l'Industrie et du Commerce, cinq minutes de déclaration d'ouverture.

Remarques préliminaires

M. Daniel Johnson M. Johnson: Écoutez, M. le Président, je donne avis tout de suite que j'aurai deux annonces à faire pendant ces cinq minutes. Donc, il va falloir y aller rondement.

Dès le lancement des pourparlers canado-américains sur l'accord de libéralisation des échanges, le Québec a donné son appui à cette négociation, parce que nous y voyons pour nos entreprises une occasion d'accès amélioré à ce vaste marché ainsi qu'un moyen de rendre notre économie plus moderne. L'appui du gouvernement se fondait sur notre conviction de la capacité de l'économie de s'adapter favorablement aux changements ainsi prévisibles. Notre objectif demeure de bâtir une économie capable d'offrir de meilleures possibilités de création d'emplois et de s'adapter avec flexibilité à son environnement. Pour atteindre cet objectif, le gouvernement du Québec a défendu la nécessité, dès le départ, d'une assistance gouvernementale à cet effort d'ajustement sous la forme de mesures d'adaptation appropriées, de façon à encourager les changements les plus rapides pour promouvoir l'efficacité économique et s'assurer que les bénéfices du libre-échange soient équitablement partagés. Il en a même fait, depuis le début de cette négociation, une condition de son appui à la démarche fédérale. C'était, de mémoire, la quatrième condition que nous avions énoncée.

L'action de nos gouvernements doit viser donc autant à permettre aux entreprises, par le biais des programmes actuels ou améliorés ou nouveaux, de tirer le meilleur parti des nouvelles perspectives de marché qu'à aider les entreprises et les travailleurs oeuvrant dans les secteurs qui auront à supporter des coûts plus importants d'ajustement à ce nouvel environnement commercial. Afin de bien articuler en un tout cohérent et efficace nos interventions et mesures devant servir à soutenir l'adaptation de nos entreprises et de notre main-d'oeuvre, le gouvernement du Québec a formé un groupe de coordination interministérielle qui relève du Conseil exécutif et où les divers ministères participants acheminent leurs travaux. Ce groupe sera en mesure rapidement de dresser un inventaire des mesures appropriées et ainsi d'entreprendre le cas échéant les discussions avec le gouvernement fédéral pour que ces mesures soient diponibles au Québec.

J'annonce ici et confirme à nouveau, je devrais plutôt dire que, dans le cadre de cette coordination, j'ai constitué un secrétariat à l'adaptation industrielle rattaché directement au sous-ministre de l'Industrie et du Commerce et chargé de la coordination générale du dossier, en appelant les contributions de toutes les directions, services et sociétés d'État, qui relèvent du ministère ou du ministre. La structure de travail légère ainsi constituée doit pouvoir mener tout à la fois la poursuite de travaux d'analyse des

besoins d'adaptation et la consultation pertinente des représentants des secteurs particuliers de notre économie. Toute cette infrastructure a pour mission d'en arriver à proposer les conditions et moyens utiles pour optimiser l'impact de la libéralisation des échanges pour les divers secteurs de l'économie du Québec. Les intervenants divers ont déjà démontré leur très grande capacité de s'inscrire dans un processus d'adaptation et les gouvernements doivent pouvoir créer les conditions pour tirer le meilleur parti de cette adaptation.

Nous nous sommes donné un ambitieux plan de travail devant nous mener, à l'automne, à des propositions concrètes dans ce dossier. Connaissant maintenant les résultats de la négociation, une des tâches prioritaires à laquelle nous nous sommes attaqués fut de compléter des études sur l'évaluation des besoins selon les secteurs et, parallèlement, nous avons procécé à l'inventaire des programmes du ministère, du Centre de recherche industrielle du Québec, de la Société de développement industriel, qui pourraient avoir un effet direct ou indirect en matière d'adaptation. Nous avons également prévu des rencontres de consultation avec les associations et entreprises concernées. Nous ne saurions, évidemment, travailler sur ces questions en vase clos. La contribution des intéressés est essentielle et nous devons stimuler le dialogue entre le gouvernement, les entreprises et les travailleurs. De telles rencontres ont d'ailleurs déjà eu lieu et d'autres restent à venir. Durant toutes ces consultations, notre intérêt est de nous enquérir, auprès des industriels, des efforts d'adaptation qu'ils auraient à consentir et des besoins d'assistance qu'ils pourraient rencontrer. Lors de telles rencontres, nous cherchons à connaître précisément les effets prévisibles de l'accord entre le Canada et les États-Unis sur les secteurs industriels. Ainsi, nous suggérons aux intervenants de se pencher sur les questions de marché, de compétitivité et de main-d'oeuvre, pour mieux envisager l'avenir dans un contexte commercial nord-américain libéralisé.

Que des gains soient à la portée de nos industries ou que l'on croit devoir affronter une concurrence plus vive, il faut aussi se demander de quel genre de soutien l'on a besoin. Les programmes actuels, qui ont une incidence sur l'ajustement et qui sont fort nombreux, sont-ils adéquats? Devraient-ils être modifiés, sont-ils accessibles, devrait-il y en avoir de nouveaux, tout cela, évidemment, dans une perspective d'adaptation? Nous ne nous arrêterons cependant pas là. Travaillant toujours avec nos collègues de la Main-d'oeuvre et de la Sécurité du revenu, du Commerce extérieur, du Travail, de l'Énergie et des Ressources, de l'Agriculture ainsi qu'avec les représentants de la SDI et du CRIQ, nous utilisons d'autres canaux pour avoir une perception exacte et la plus complète possible de la situation, eu égard à l'adaptation industrielle et de la main-d'oeuvre. Ainsi, en juillet et août, grâce à la structure de la commission de formation professionnelle, nous serons en mesure de poursuivre de tels travaux.

La dernière partie de ce vaste plan de travail sera complétée, deuxième annonce, l'automne prochain avec la tenue d'un important colloque sur l'adaptation organisé par le Département des sciences économiques de l'Université de Montréal en collaboration avec le ministère de l'Industrie et du Commerce. Les experts, dont nous avons déjà sollicité la contribution, devraient venir compléter la réflexion déjà menée à d'autres niveaux. Nous aurons alors, à coup sûr, une perception beaucoup plus claire des besoins d'adaptation des entreprises et des travailleurs selon leurs secteurs d'activité et aussi une meilleure idée des mesures qui s'imposeront. Le tout culminera avec une proposition d'un plan d'action visant à améliorer l'efficacité des interventions soit par des changements d'orientation et des regroupements, si cela s'avérait nécessaire.

Voilà donc, brièvement mentionnés, les quelques gestes concrets que nous avons déjà posés et l'annonce de ceux que nous entendons poser.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le ministre. Je cède maintenant la parole d'abord au député de Bertrand et ensuite à la députée de Maisonneuve. Vous avez à peu près trois minutes chacun parce que le ministre a dépassé un peu son temps.

M. Jean-Guy Parent

M. Parent (Bertrand): Rapidement, M. le Président. Je suis heureux d'entendre le ministre de l'Industrie et du Commerce, ce matin, nous faire part des annonces, quoiqu'elles soient, à mon avis, déjà quelque peu en retard, mais le dicton dit: Vaut mieux tard que jamais. Vous savez l'importance qu'ont toutes ces mesures concernant l'emploi, la réadaptation au niveau de la main-d'oeuvre. C'est crucial, la façon dont nous allons traverser la période de transition, c'est-à-dire à compter du 1er janvier prochain. Ce que nous annonce le ministre ce matin, à mon avis, nous l'avons réclamé depuis septembre dernier de façon très officielle, ici, au Salon rouge. Cela arrive aujourd'hui. Je comprends mal qu'on ait pratiquement un an de retard. D'autant plus que les mesures qui vont être entreprises et que nous a annoncées le ministre vont apporter des résultats quelque part à l'automne, très tard, c'est-à-dire à la toute veille de l'entrée en vigueur, soit en janvier 1989. Je trouve cela un peu dommage parce qu'il va nous falloir négocier avec le gouvernement fédéral pour être capables d'obtenir non seulement notre juste part, mais d'obtenir du gouvernement fédéral la responsabilité et l'engagement qu'ils ont pris. Ces propos que le ministre de l'Industrie et du Commerce nous tient ce matin sont passablement

différents de ceux qu'il tenait en Chambre le 3 juin dernier alors qu'il mentionnait qu'il n'y avait pas d'urgence de ce côté et que les négociations avec le gouvernement fédéral, nous n'en étions pas là. Alors, dans ce sens, je pense qu'il y a eu de la part du ministre une prise de conscience. Tout ce que j'espère, c'est qu'il y aura, comme le mentionnait le Conseil économique du Canada le 14 avril dernier par la voix de sa présidente, Mme Maxwell, il y a assurément urgence à établir le plus rapidement possible des programmes d'aide, non seulement pour la main-d'oeuvre par le recyclage et la formation, mais aussi pour les entreprises. Je terminerai, puisque je voudrais que ma collègue de Maisonneuve puisse dire aussi quelques mots là-dessus. J'espère que le ministre pourra aussi nous dire quel genre de mandat il entend donner aux principaux organismes qui sont là pour aider les entreprises. Je pense particulièrement à la Société de développement industriel, la Caisse de dépôt, à la SGF, à SOQUIA, à SOQUEM, ces organismes gouvernementaux qui sont là pour aider nos entreprises, particulièrement dans la période qui s'en vient. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Charbonneau): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Louise Harel

Mme Harel: Merci, M. le Président. Le ministre de l'Industrie et du Commerce nous annonce ce matin un secrétariat et un colloque, mais pas de politique ni de choix politique dans ce secteur qui est pourtant névralgique et qui peut nous amener à des stratégies gagnantes. Je rappelle au ministre ce qu'il sait déjà, que tous les scénarios qui nous sont connus - je ne parlerai pas des scénarios pessimistes, du scénario pessimiste du Conseil économique du Canada de 76 000 emplois en dix ans, mais du scénario optimiste... J'espère souscrire à ce scénario optimiste pour dire au ministre que le Conseil économique rappelait que ce scénario était basé sur l'hypothèse d'une croissance de la productivité et que, si les industries négligeaient d'assurer le perfectionnement de leur main-d'oeuvre, ce serait 17 des 36 industries étudiées qui allaient accuser une diminution de l'emploi et de la production. C'est donc une stratégie gagnante que les travailleurs et travailleuses attendent du gouvernement. Rien n'a autant justifié et intensifié l'inquiétude à l'égard du projet de libre-échange que cette impression de mollesse, de timidité, de passivité du gouvernement à l'égard des mécanismes d'ajustement, de transition, de recyclage, de formation.

M. le Président, je pense que le ministre doit, ce matin, nous donner l'heure juste, notamment s'il a l'intention de déposer une politique-cadre d'adaptation de la main-d'oeuvre ou s'il a plutôt l'intention d'attendre que les victimes soient connues avant d'agir. Est-ce qu'il prétend obliger les travailleurs et travailleuses à prouver que leur perte d'emploi résulte, hors de tout doute raisonnable, et directement au fur et à mesure de son application de l'accord lui-même avant d'offrir un recyclage ou une formation spécialisée? Comment peut-il expliquer le retard injustifié à mettre en vigueur le programme d'adaptation pour les travailleurs âgés? Depuis l'élimination du programme PAT en août 1986, aucune nouvelle forme d'aide aux travailleurs et aux travailleuses âgés n'a encore été instaurée. Le gouvernement entend-il participer au financement d'un tel programme? Où en sont les négociations avec le gouvernement fédéral? Conçoit-il que ce programme devrait être exclusivement financé par Ottawa? Est-ce que le ministre et son gouvernement entendent légiférer en matière de licenciement collectif et de fermeture partielle ou totale d'établissement, notamment en obligeant à justifier les décisions de fermeture prises devant un organisme qui pourrait être mandaté à cette fin.

En d'autre termes, M. le Président, nous nous attendons, ce matin, à avoir l'heure juste et ce, certainement au nom des travailleurs et des travailleuses qui souhaitent connaître quelle sera la stratégie gagnante de ce gouvernement à leur égard.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, Mme la députée. Au nom de la coalition, M. Larose.

Coalition contre le libre-échange M. Gérald Larose

M. Larose: Merci, M. le Président. Depuis que nous menons le débat sur cet Accord de libre-échange, la principale préoccupation que nous avons est celle qui concerne l'emploi. Je pense que l'annonce du ministre confirme qu'il y a turbulence, qu'il y a perturbation à l'horizon et qu'il faut procéder à des opérations pour s'ajuster. C'est le minimum qui est dit dans les annonces qui nous sont données. La question que nous posons, c'est: Où est-ce qu'on s'en va? Je ne reviens pas sur les chiffres. On a eu beaucoup de difficulté et on a encore beaucoup de difficulté à suivre les chiffres, y compris ceux successifs du Conseil économique du Canada et du ministre Bouchard qui a déjà dit qu'on aurait la création de 500 000 emplois. Mais c'est dans les raisonnements qu'on a le plus de difficulté à suivre.

On sait que la tarification existante nous protège sur deux fois plus de produits et deux fois plus fortement que les Américains. Si cela nous protège, cela doit nous protéger sur quelque chose, notamment sur l'emploi. L'abolition de ces tarifs, normalement - surtout qu'hier on plaidait que cela devrait favoriser les consommateurs -je suppose que cela va avoir des effets quant à l'achat de ces produits. Est-ce que cela va favoriser l'achat des produits américains? Si c'est

le cas, cela doit signifier des choses pour les emplois. Si c'est une meilleure productivité pour abaisser les coûts de production, qui est-ce qui va payer? On pense que ce seront encore les travailleurs et les travailleuses qui vont payer, notamment au chapitre de leurs conditions.

Pour nous, l'Accord de libre-échange est effectivement une perturbation majeure dans le domaine de l'emploi. Plus tard, dans le débat, on pourra peut-être illustrer la chose par les différents secteurs. Mais si on ajoute à cela, je dirais, la libre propriété, si on ajoute la libre circulation, si on ajoute l'impossibilité de conditionner la propriété étrangère ou de conditionner les subventions en favorisant l'achat chez nous, etc., ce sont les règles du marché qui vont jouer. Il me semble que le poids de ces règles va faire que les marchés vont se restructurer et se réorganiser en fonction des bassins de consommation. Le monde ne s'amusera pas à ouvrir des usines à Sainte-Anne-de-la-Pocatière ou à Mistassini ou à Barraute en Abitibi parce que c'est Barraute, parce que c'est Mistassini ou parce que c'est Sainte-Anne-de-la-Pocatière. Ils vont restructurer leur économie en fonction des bassins de consommation. L'Accord de libre-échange pour nous, sur la moyenne portée, va être la régionalisation de l'économie canadienne et québécoise, et sa marginalisation. On va reproduire au niveau du continent ce qui existe au niveau du pays. L'économie canadienne, dans ce cadre, sera a la remorque des centres de décisions qui ne seront plus de ce côté-ci, mais qui vont être de l'autre côté. Cela ne sera pas sans conséquence, précisément pour l'emploi, d'autant plus que dans cette réorganisation, on ne se le cachera pas, il y a des incitatifs intéressants pour les employeurs. Le salaire minimum aux États-Unis, vous savez que dans neuf États il n'y en a pas. Dans douze États, le salaire minimum n'atteint pas 3 $. Dans vingt États, la formule Rand est interdite et illégale. Les normes minimales de travail font que c'est beaucoup plus intéressant pour un employeur de se restructurer et d'aller aux États-Unis que de rester ici.

Ce qu'on dit depuis le début, c'est que nous avons fait des choix, des choix de société qui veulent dire des choses précises en termes de "bread et butter", des choses précises en termes de respect des travailleurs et des travailleuses. On pense que, sur la moyenne portée, c'est remis en question, y compris au niveau de l'emploi. C'est pourquoi, et ce n'est pas nous qui le disons, mais la Chambre de commerce - on nous a donné son mémoire, hier - elle rappelle que pour être vraiment efficace cette révision législative doit viser non seulement les dispositions légales ou réglementaires, incompatibles avec les termes du traité, mais aussi celles qui étouffent la compétitivité de nos entreprises. On pourrait citer à titre d'exemple les offices de mises en marché - c'est pour M. Proulx - certaines lois du travail - c'est plus pour nous - trop favorables aux privilèges syndicaux - on va reprendre les termes qu'ils empruntent - la réglementation fédérale des institutions financières qui empêche les entreprises canadiennes de croître sur le marché intérieur, une fiscalité encore trop lourde au Canada.

Le p.-d.g. du Conseil du patronat, lors de sa conférence terminale de l'année, nous disait qu'il faudrait que les syndicats s'ajustent pour négocier en tenant compte du marché américain. L'AMC nous a dit exactement la même chose en parlant plus spécialement de la loi "antiscab". Bref, au niveau de l'emploi, oui, il y a perturbation; oui, il y a turbulence à l'horizon.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M Larose. Mme Fecteau.

Regroupement pour le libre-échange Mme Louise Fecteau

Mme Fecteau: M. le Président, l'amélioration et la sécurité de l'accès au marché américain sont des priorités pour le secteur manufacturier. L'élimination des tarifs devrait permettre, par exemple, de réduire les prix de biens intermédiaires importés des États-Unis. Le climat protectionniste des Américains constituait une menace pour nos industries qui exportent déjà une large part de leur production aux États-Unis. Il freinait, par ailleurs, dans leur expansion, nos entreprises les plus dynamiques qui hésitaient à miser sur leur possibilité de croissance à l'intérieur d'un marché aux règles aussi incertaines. Qu'en est-il maintenant de la relation entre la mise en oeuvre des dispositions du traité de libre-échange Canada-États-Unis et ses répercussions sur la situation de la main-d'oeuvre?

N'étant pas du côté de ceux qui prédisent une mort lente et inéluctale de la population travailleuse du pays à compter de janvier 1989, l'expérience d'un passé récent nous porte à croire que les entreprises, les travailleurs et travailleuses du Québec devraient être en mesure de s'adapter plus facilement que la croyance populaire ne le laisse entendre. Certes, le spectre du chômage plane autour des discussions sur le libre-échange, les uns soutenant la thèse de la perte irrémédiable de milliers d'emplois, les autres, dont nous sommes, nuançant leur position dans l'optique suivante: Le secteur manufacturier est sans cesse en butte à des défis beaucoup plus menaçants allant des changements soudains dans les taux de change aux variations dans les préférences des consommateurs et sans compter les aléas de cycles économiques dits normaux. Lors de la dernière récession économique de 1981, le secteur manufacturier a enregistré une diminution de 300 000 emplois au cours d'une période de quinze mois et a réussi à s'en remettre après quelques années. Dans ce contexte, les déplacements éventuels d'emplois résultant de

l'élimination graduelle des droits de douanes semblent manoeuvrables.

Prenons l'expérience canadienne de 1970 à aujourd'hui. À cause du GATT, les tarifs canado-américains ont autant baissé qu'ils ne baisseront pas de 1989 à 1998 avec le libre-échange. Or, depuis 1970, avez-vous souvent entendu parler des pertes d'emplois provoquées par les réductions des tarifs contre les produits américains? Un spécialiste de la presse économique nous répond non, parce que l'ajustement à cette libéralisation a été virtuellement neutre. Il n'y a aucune raison pour que les futures coupures de tarifs soient plus difficiles à absorber que les précédentes déclarait Richard Lipsey du CD. Howe Institute. Selon Charles Barrette du Conférence Board, les manufacturiers canadiens sont plus en mesure de concurrencer avec les Américains aujourd'hui que ce n'était le cas en 1970, si l'on prend en considération les salaires, les taux de profits et la productivité. En 1976, les salaires au Canada étaient plus élevés qu'aux États-Unis dans 54 secteurs sur 63. En 1986, dans près de 80 % des secteurs canadiens, les salaires sont moins élevés qu'aux États-Unis.

Qu'en est-il toutefois de nos industries les plus vulnérables, celles qui ont été, jusqu'à présent, protégées par les barrières que nous avions nous-mêmes placées à l'entrée de nos marchés, celles qui ne sont pas encore équipées pour suivre le rythme des entreprises les plus dynamiques dans leur recherche de productivité et leur expansion? Les industries menacées sont pour la plupart déjà vulnérables et ce qu'elles risquent de perdre, ce sont surtout des acquis obtenus dans un climat de protection. Est-ce à dire qu'il faut se résigner à les laisser disparaître, ces industries et les emplois qu'elles soutiennent. L'Association des manufacturiers croit que les secteurs de notre industrie qui ne sont pas encore prêts à la concurrence de calibre international peuvent s'ajuster à ce nouveau contexte et s'y adapter pour autant qu'on leur donne le temps et les moyens. Et c'est ce que prévoit le traité du libre-échange en étalant sur dix ans l'élimination des tarifs dans différents secteurs. Si les délais prévus pour réaliser la transition sans heurt nous apparaissent réalistes, il est cependant essentiel que nos gouvernements nous épaulent dans nos efforts pour relever le défi, en mettant en place des programmes d'adaptation adéquats. Le fait de savoir par exemple que des fonds appropriés seraient destinés à la formation des travailleurs et travailleuses et au soutien de l'investissement de capitaux aiderait sans aucun doute à relever le défi. Le conseil consultatif, formé par le gouvernement fédéral devant, d'ici juin 1989, faire rapport sur les programmes conjoints de transition qu'Ottawa et les provinces mettront en place pour aider les entreprises des secteurs les plus fragiles à' s'ajuster est là un dossier extrêmement important pour l'entreprise.

De même, la fiscalité doit favoriser davan- tage notre industrie manufacturière déjà handicapée par des coûts de fabrication comparativement élevés, dûs aux taux d'intérêts et au caractère de moins en moins concurrentiel de nos matières premières. Le présent régime fiscal fédéral décourage l'investissement et se répercute aussi sur le prix de nos produits. Nous entrons de plain-pied dans une véritable économie de marché, à laquelle certaines de nos entreprises n'ont pas toutes été habituées jusqu'à présent. Le choc est cependant programmé, planifié, et nous sommes en mesure de nous y préparer. Chose certaine, le statu quo, ni pour les entreprises, ni pour les gouvernements, ni pour les syndicats quand il y en a, n'est plus possible.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, Mme Fecteau. J'ai d'abord comme intervenant, Mme Dussault, de l'Institut de recherche sur le travail. Alors, pour les gens qui n'étaient pas ici hier et qui ne connaissent pas le fonctionnement de la commission, je vous rappelle que l'objectif c'est de faire un échange de vues le plus fructueux possible et de permettre au maximum de personnes d'intervenir. Donc, des commentaires et des questions les plus courtes possible; même chose pour les réponses, pour qu'on puisse avoir le meilleur débat possible. On a environ 50 minutes pour cette discussion ouverte.

Alors, Mme Dussault, d'abord.

Discussion générale

Mme Dussault (Ginette): Merci, M. le Président. Je pense que personne ne va contester que l'accord de libre-échange change les conditions de concurrence au Québec, et donc que les chocs vont se répercuter sur la production et l'emploi. Il y a toujours une possibilité de s'ajuster à cette concurrence, en essayant de faire pression à la baisse sur les coûts de production. Il y en a une autre plus difficile à planifier, et c'en est une d'augmentation de la productivité et de gain de marchés.

Dans l'annonce que le ministre a faite dans sa déclaration d'ouverture, il me semble vouloir mettre sur pied des programmes de façon à ce que la formation professionnelle des gens à l'emploi aide à l'émergence des gains de productivité. Ce que je voudrais demander, c'est si l'action du gouvernement est cohérente dans son ensemble, et je voudrais souligner le risque que je trouve de faire le lien avec la réforme de l'aide sociale, qui a été largement débattue récemment. Par la baisse des barèmes de base et l'incitation, pour ne pas dire la coercition, des gens de l'aide sociale à aller sur le marché du travail de façon à atteindre à nouveau le niveau de revenu qu'ils ont actuellement - pendant les neuf premiers mois, c'est 100 $ ou 150 $ par mois qu'ils doivent aller gagner en occupant un emploi régulier - d'une part, et par les activités pour augmenter l'employabilité, d'autre part, vers lesquelles on va les diriger et qui se retrouvent

essentiellement aussi dans le secteur privé, mais sans que ces travailleurs aient un statut d'emploi et un salaire décent, je trouve que la réforme de l'aide sociale envoie aux employeurs le message que c'est un beau bassin de main-d'oeuvre, les bénéficiaires actuels de l'aide sociale, pour diminuer les coûts de production et pour rendre rentables des productions qui ne le sont que si les salaires sont ridicules. Dans l'ensemble des programmes d'employabilité, tels qu'ils existent maintenant, les bénéficiaires ne reçoivent pas un vrai salaire. Je trouve que, avec l'importance que prend la réforme de l'aide sociale dans l'ensemble des interventions du gouvernement auprès de la main-d'œuvre et d'une catégorie particulière de la main-d'oeuvre, la réforme va permettre le développement d'emplois non productifs, de "cheap labour" mais pas productif.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui, très brièvement, pour répondre à Mme Dussault, il est évident que le libellé même de la question indique que vous n'avez pas pris connaissance de certains amendements que nous avons déposés avant le dépôt du projet de loi comme tel. Lorsque vous parlez de la période des neuf premiers mois, il y avait, dans le document d'orientation que nous avons produit au mois de décembre dernier, une catégorie qui visait les neuf premiers mois et les refus de travail. Après une longue commission parlementaire où plus de 125 groupes ont eu l'occasion de se faire entendre, nous avons apporté des modifications substantielles à la politique de sécurité du revenu, modifications qui ont été généralement bien accueillies, entre autres, en partie, par l'Opposition à l'Assemblée nationale du Québec. Les modifications ont fait en sorte que ce barème des neuf premiers mois ainsi que cette pénalité pour refus de participation sont disparus.

Dans un deuxième temps, je vous indiquerai que les programmes, qui sont actuellement à la disposition des moins de 30 ans, seront mis à la disposition des 30 ans et plus lorsque la personne sera considérée à la fois apte et disponible. Cela vise à peu près 170 000 chefs de ménage dans la province de Québec. Maintenant, de quel type de programme s'agit-il et de quel type de clientèle s'agit-il?

Le Président (M. Charbonneau): Je vous arrête tout de suite. J'ai laissé aller la question et une bonne partie de la réponse, mais là je ne voudrais vraiment pas qu'on en vienne à faire de cette commission parlementaire la commission qui a déjà eu lieu sur l'aide sociale. Je pense que l'objectif de la rencontre, c'est de voir l'impact de l'Accord de libre-échange sur l'emploi, les politiques d'emploi, mais l'emploi en général.

Donc, je ne veux pas qu'on dévie du sujet. Alors, si vous me le permettez, est-ce que vous avez une question, madame, ou un autre commentaire mais... (12 heures)

Mme Dussault: Précisément, ce serait...

Le Président (M. Charbonneau): ...sur l'accord, là, c'est-à-dire en relation avec l'accord?

Mme Dussault: En relation avec l'accord, quels moyens le gouvernement entend-il prendre pour éviter que l'ajustement à la nouvelle concurrence se fasse par des pressions à la baisse sur les salaires?

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je pense que la question rejoint un point qui a été soulevé, je pense, par M. Larose de la CSN, entre autres: les impacts sur le salaire minimum. Le point a été soulevé. Vous en faites mention dans les documents qui ont été déposés. Je vous dirai que, après avoir été gelé pendant cinq ans, soit de 1981 à 1986, le salaire minimun a été augmenté à trois reprises, au Québec, au cours des trois dernières années. Je devrais, pour être exact, dire augmenté à deux reprises et l'annonce d'une troisième augmentation a été effectuée au mois de juin; elle entrera en vigueur seulement le 1er octobre.

Donc, si l'on compare le niveau du salaire minimum, parce que, chaque fois que nous l'avons haussé, nous avons pris soin de mesurer la position concurrentielle du Québec avec les provinces voisines, avec ce qui se passe à l'intérieur du Canada, mais également avec certains États américains, notre base de comparaison, et surtout les États avec qui nous transigeons davantage, avec qui nous sommes davantage en compétition. Ce que je peux vous indiquer aujourd'hui, c'est que le niveau de salaire minimum avec les États américains où nous transigeons fait en sorte que le Québec se retrouve dans une situation, avec le salaire minimum à 4,55 $ l'heure, comparable à ce qu'on retrouve dans ces États avec qui nous échangeons des biens, des services et des produits.

Le Président (M. Charbonneau): M. Chevalier, vice-président de la FTQ.

M. Chevalier (Michel): J'aurais quand même deux commentaires puis une question. Je suis un inspecteur en hygiène des viandes. On a parlé de différences entre les deux pays, mais je peux vous dire qu'il en existe une très grande. Je vois un danger extrême avec ce qui se passe aux États-Unis, surtout en alimentation, avec les normes qu'on a au Canada, ici. Actuellement, il y a déjà des effets négatifs qui se font... même si elle était déjà faite cette entente. Je peux vous dire qu'au niveau de la productivité - je ne sais pas si au niveau des services communautaires, au

niveau de la santé il va y avoir des améliorations - vous pouvez vous attendre à avoir des gens beaucoup plus malades qu'on n'avait avant si cette entente est signée et si on peut faire des échanges de nos produits alimentaires avec les États-Unis. Nos normes sont beaucoup trop élevées pour les Américains. Pour ce qui est de l'industrie, en ce qui me concerne, pour arriver à ce qu'on veut arriver, j'ai l'impression qu'au Québec tout ce qu'on a sur les lignes américaines va déménager du côté américain plutôt que de rester de ce côté-ci où la majorité de ces industries, travaillant à l'intérieur de ces industries, sont subventionnées du côté américain actuellement.

Mais ma question n'est pas là. Cela, c'était un commentaire. C'est qu'actuellement au Québec, après ce qu'on vient de dire et qui sonne faux dans ma tête, il y a un certain décret qui existe depuis à peu près 50 ans qui avait pour but d'éliminer la concurrence déloyale et d'améliorer les conditions de travail des travailleurs et des travailleuses. Je crois qu'il reste environ 37 de ces décrets encore en vigueur, touchant à peu près 145 000 travailleurs et travailleuses, qui sont en majorité des femmes, dans le textile, le vêtement ou d'autres domaines similaires. Si la politique de libre-échange est acceptée - on dit qu'elle serait en vigueur en janvier 1989 et que les décrets, eux, vont être abolis en décembre 1988 - ma question c'est: Est-ce que la politique actuelle du ministre Paradis de ne pas renouveler les 37 décrets d'extension des conventions collectives suivant les recommandations 54 et 55 du rapport Scowen, recommandant l'abolition de tous les décrets pour décembre 1988, ne tend pas à rabaisser les paliers québécois à 4,65 $ l'heure pour ne pas être en concurrence déloyale avec nos pauvres petits Américains qui travaillent dans le textile à un salaire qui est entre 2,00 $ et 3,00 $ l'heure dans le Sud des États-Unis?

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Le plus brièvement possible. En effet, il y a 37 décrets actuellement en vigueur qui découlent de l'application de la Loi sur les décrets de convention collective. Vous avez parlé du nombre d'employés que ces décrets couvraient. Oui, c'est à peu près 145 000 travailleurs et travailleuses au Québec. Là où on retrouve le plus grand nombre de travailleurs ou travailleuses concernés dans ces décrets, ce sont entre autres, de mémoire, dans les décrets d'agences de sécurité, qui sont représentées, chez vous, par les métallos et dans les décrets d'entretien ménager. J'ai déjà eu l'occasion d'indiquer très clairement que ce n'était pas l'intention de l'actuel gouvernement d'abroger ou de modifier la Loi sur les décrets de convention collective, mais de l'appliquer strictement, et ce, dans un avenir prévisible et au nom de celui qui vous parle, tant que je suis titulaire du ministère du Travail. Quant au renouvellement desdits décrets, 36 de ces 37 décrets contiennent une clause de renouvellement automatique. Un seul ne contient pas de clause de renouvellement automatique: II s'agit du décret d'entretien ménager à Québec. Je viens de le renouveler pour un mois additionnel de façon à permettre aux parties de fournir au ministère des informations nécessaires pour qu'on puisse se prononcer en toute connaissance de cause sur ce décret. Nous comptons recevoir ces informations au cours du mois qui suivra. Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Est-ce que vous avez une question additionnelle, M. Chevalier?

M. Chevalier: En ce qui concerne les décrets, est-ce que des pourparlers ont été entrepris pour accepter toutes les recommandations qui vont être faites par les différents paliers?

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Je vais tenter de relier le plus possible votre question à l'objet qui nous concerne aujourd'hui, la question de la concurrence. L'article 6 de la Loi sur les décrets de convention collective - et je cite de mémoire, ce peut être l'article 7, mais je pense que c'est l'article 6 - demande au ministre, lorsqu'il considère le renouvellement d'un décret de convention collective de tenir compte de l'aspect concurrentiel. Cet aspect concurrentiel s'applique même à l'intérieur de certaines régions au Québec. Je peux vous donner l'exemple des décrets de garage - dans certains secteurs, on en a, dans d'autres il n'y en a pas - et des décrets de métallurgie; présentement, nous sommes à réviser les zones où s'applique le décret de métallurgie. Donc, ce libre-échange est même appliqué à l'intérieur de la province de Québec. Lorsqu'on parle d'un décret d'agents de sécurité, je ne vois comment le libre-échange avec les États-Unis affecte directement ce décret.

Le Président (M. Charbonneau): M. Landry.

M. Landry (Bernard): Merci, M. le Président. Je prends la précaution oratoire de dire que je sais très bien que c'est plus facile de donner des conseils au ministre que d'occuper la fonction ministérielle, mais il me permettra de lui dire que ses annonces m'apparaissent manquer un peu de mordant et être à la limite du tardif. Le conseil que je lui donnerais modestement, c'est d'activer sa machine beaucoup plus qu'il ne semble le faire. Un colloque à l'automne, si dans la meilleure hypothèse le colloque rapporte le dixième de ce que rapportent les colloques généralement, cela me paraît un peu timide pour l'immense défi qui nous attend.

Les partisans sincères du libre-échange ont toujours dit qu'il ne s'agissait pas d'une panacée.

Si ce traité peut nous empêcher de perdre un certain nombre d'emplois en nous mettant à l'abri du protectionnisme, les emplois à gagner seront le fruit de notre dynamisme. Or, le 1er janvier 1989, les secteurs susceptibles de gagner au libre-échange, car ce sont les premiers ouverts, ceux qui passent à zéro, c'est le 1er janvier 1989, ce sont nos grandes forces, ce sont nos grandes spécialités. Il faut qu'ils se bougent. C'est seulement un mois et demi après votre colloque. En d'autres termes, je pense que c'est le temps du branle-bas de combat, si on veut profiter a fond du traité.

J'ajoute que, pour les secteurs libéralisés en dernier, ceux qui vont être à douane zéro en l'an 2000, ce n'est pas le libre-échange avec les États-Unis d'Amérique qui va les menacer de perte d'emplois, ce sont deux autres phénomènes qui sont présentement en cours. L'Uruguay Round, négociation présente du GATT, et les modifications au système de préférences généralisées en faveur des pays du tiers monde.

Je m'explique pour ceux qui ne sont pas familiers avec cette notion. Il fut un temps où on soulageait notre conscience occidentale en envoyant des Pères blancs d'Afrique et l'ACDI dans le tiers monde. Ce n'est pas cela qu'il faut faire aujourd'hui. Il faut acheter leurs produits. Par le système des préférences généralisées, on donne accès à leurs produits et ces produits viennent littéralement déloger du marché du travail des travailleurs beaucoup plus riches, évidemment, que des Sénégalais ou des Mexicains, mais qui sont des Québécois et qui ont besoin de mesures qui les empêchent de porter sur leurs épaules le fardeau du rééquilibrage Nord-Sud. Tout le monde est pour équilibrer le Nord-Sud, mais il ne faut pas que ce soient des pauvres gens à Granby ou à Coaticook qui aient simplement ce fardeau sur leurs épaules. Alors, je pense qu'il faut un branle-bas de combat beaucoup plus considérable et qu'il doit tourner autour de l'investissement dans les cerveaux et dans la formation des travailleurs et des travailleuses.

Je conclus mon intervention en disant ceci: Les deux pays qui réussissent le mieux actuellement sur la scène mondiale, en termes de croissance, de thésaurisation et de commerce extérieur, sont la République fédérale d'Allemagne et le Japon. Or, ces deux pays ont en commun d'être les deux champions de la formation des personnels, de la formation de la main-d'oeuvre, de la qualité de vie au travail et de la motivation de la force ouvrière.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre de l'Industrie et du Commerce.

M. Johnson: Merci, M. le Président. Le format de nos discussions m'oblige quand même presque à ramasser, non pas au fusil, mais au rouleau, les interventions qui ont précédé celle-ci. Dans l'ordre, je voudrais remercier le député de Bertrand pour ses félicitations, toutes nuancées qu'elles aient été. Quant aux autres intervenants, je dirais tout de suite, et notamment pour reprendre ce que la députée de Maisonneuve a indiqué, se plaignant de l'absence de choix politique dans les prises de position gouvernementales ou les déclarations que nous faisons depuis quelques mois, je veux dire et redire que le choix politique fondamental qui a été fait a été celui d'appuyer une démarche de libéralisation des échanges entre le Canada et les États-Unis pour la bonne et simple raison que notre conviction profonde est que le dynamisme de l'entreprise québécoise, que nous observons, que nous avons soutenu et que d'autres gouvernements ont soutenu avant nous, nous permet d'envisager à l'horizon un avenir beaucoup plus prometteur pour les entreprises et les travailleurs du Québec. Je dirais qu'à l'horizon, et c'est là que M. Larose et moi n'écoutons pas le même météorologiste, il y a de la turbulence, oui, mais qui est attribuée non pas à un vent du sud, mais à un tourbillon qui nous vient de partout.

Les turbulences et les perturbations qui peuvent affecter les entreprises québécoises et, évidemment, les travailleurs, viennent des changements technologiques quotidiens, de la bataille, je dirais de minute en minute, que nos entreprises doivent mener sur la scène internationale. Nous introduisons maintenant, de façon organisée, planifiée sur dix ans, dans un cadre connu où il y a du libellé, des numéros d'article, des mécanismes de règlement différents, une dimension additionnelle avec laquelle les entreprises peuvent composer avec plus de certitude maintenant. J'irais jusqu'à dire que l'Accord de libre-échange que nous connaissons maintenant est une dimension qui facilite l'adaptation des entreprises, car elles peuvent maintenant prévoir ce qui vient avec nos voisins américains, après avoir été l'objet, je dirais victimes, de comportements protectionnistes de nos voisins du Sud. (12 h 15)

À ce titre, lorsqu'il est question d'adaptation, j'y vois, quant à moi, et j'y ai toujours vu une connotation positive et non pas négative. Lorsqu'on sait que, l'an dernier, si nous avons 100 000 emplois de plus de recensés au Québec qu'il y a douze mois, c'est le résultat de plus 400 000 moins 300 000. Il n'y a pas 300 000 chômeurs de plus et il y a quand même 100 000 personnes de plus qui travaillent. La question est de savoir comment ceux qui sont déplacés, je dirais quotidiennement, dans une économie dynamique, peuvent, à l'égard de la dimension qu'introduit la libéralisation des échanges, être soutenus s'ils sont effectivement affectés. Je suis disposé à présumer que les travailleurs seront affectés parce que cette dimension nouvelle créera certains changements. Je n'invoque pas le dynamisme normal et les rotations d'emploi normales observés pour ne rien faire, je dis plutôt: Voyons ce que cela introduit comme dimension nouvelle et quels sont les défis

maintenant créés pour les entreprises et leur main-d'oeuvre. À l'occasion des consultations, nous avons découvert que l'adaptation pour les entreprises est un facteur positif, est une réaction salutaire afin de conquérir de nouveaux marchés.

Le Président (M. Charbonneau): M. Larose, sur le même sujet.

M. Larose: Je donne totalement raison au ministre quand il dit qu'on est déjà pris dans une turbulence qui est due aux changements technologiques et aux modifications dans les structures industrielles, etc. Dans ce sens, je suis tout à fait d'accord pour que le gouvernement développe le branle-bas de combat pour effectivement pouvoir faire face à ces nouveaux défis. Mais ce dont le ministre doit se rendre compte, c'est qu'il s'enfarge les pieds dans l'article 2011. Il ne pourra pas faire n'importe quoi. Il ne pourra pas investir pour restructurer l'économie, restructurer les secteurs industriels. L'Accord de libre-échange le corsète férocement. Il ne pourra pas intervenir de telle sorte que cela puisse rééquilibrer des avantages escomptés d'une partie ou d'une autre. Il va jouer une "game" défensive, c'est-à-dire qu'il va ramasser les pots cassés des travailleurs et des travailleuses qui sont sur le carreau et il va s'ingénier à les recycler autrement. Mais il ne pourra pas intervenir dans la restructuration des secteurs pour faire en sorte que le Québec ou le Canada puisse ne pas perdre au change dans l'Accord de libre-échange. Or, dans ce sens, je le comprends très bien qu'il ne se soit pas très bien pressé à venir jusqu'à maintenant parce qu'effectivement il n'y a pas mer et monde à faire dans ce domaine. Il y a une "game" à jouer pour pouvoir s'ajuster, mais à la suite des déploiements des règles du marché. C'est ce qu'on dit depuis le début.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre du Commerce extérieur.

M. MacDonald: J'ai de la difficulté à ne pas me rappeler certaines de vos paroles, M. Larose, lorsque vous parliez de démagogie hier. Lorsque vous établissez ainsi votre constat, on dirait que vous tenez pour acquis qu'en premier lieu il n'existe aucun programme quelconque qu'on peut utiliser au ministère de l'Industrie et du Commerce. Je prends seulement ce ministère, je ne prends pas le fédéral, je ne prends pas les responsabilités de M. Paradis ni les miennes. Il y a 28 programmes que les entreprises peuvent utiliser et utilisent. Certains ne les utilisent pas souvent peut-être parce qu'ils sont mal renseignés ou qu'ils se renseignent mal, mais il y a 28 programmes qu'il n'est absolument pas question de mettre de côté ou de faire disparaître. On dirait que vous pensez également que les chefs d'entreprises qui savent qu'ils vont être affectés dans un délai bien précis de tant d'années, pour un pourcentage d'accroissement de productivité bien précis, ce qu'ils n'ont pas le luxe d'avoir lorsque ce sont des effets de compétition internationale ou des changements technologiques qui leur arrivent sur la gueule et qu'ils ne savent pas d'où cela vient... Là, ils le savent. Il y a un pourcentage. Vous avez l'air de prétendre que ces entreprises qui, aujourd'hui, celles qui ont le plus de succès d'ailleurs, travaillent intelligemment avec leurs employés pour faire face à ces défis, n'ont rien fait depuis deux ans, sachant que le libre-échange s'en vient, et qu'elles n'ont rien fait depuis la fin de l'année 1987 alors qu'elles savent exactement quels sont les barèmes.

Je vous rappellerai juste un petit élément, par exemple. Dans la majorité des industries, le délai de cinq ans ou de dix ans a été déterminé à partir d'une consultation avec les représentants de ces industries qui ont dit: Nous sommes capables de faire face à ces changements dans les proportions mentionnées dans la période mentionnée. Alors, le point que je veux souligner et mon collègue l'a fait, c'est qu'il y a un bouleversement journalier. Il y a au fédéral, au provincial et dans différents organismes des programmes d'adaptation. Je suis particulièrement en accord avec la thèse de M. Landry que cela doit être principalement orienté vers la main-d'oeuvre, mais cela existe.

Ce qui arrive à l'heure actuelle, c'est que nous allons avoir dans un temps donné un pourcentage de productivité à améliorer. Il faut savoir s'il faut, d'une part, prendre les programmes tels qu'ils sont ou les modifier et, d'autre part, ce qu'il faut ajouter. C'est ce qu'on fait à l'heure actuelle, en consultant les premiers intéressés, c'est-à-dire les entreprises et leurs travailleurs, qui vont avoir à faire face au défi.

Le Président (M. Charbonneau): M. Larose.

M. Larose: Moi, j'entends le discours, mais je voudrais qu'on revienne au texte. Le 2011, qu'est-ce qu'il dit? "Si une partie estime que l'application d'une mesure, contraire ou non aux dispositions du présent accord, semble annuler ou réduire un avantage qui devrait raisonnablement découler directement ou indirectement du présent accord, elle peut, en vue de régler la question de façon satisfaisante, invoquer les dispositions de l'article 1804..." Là, nous voilà dans un mécanisme d'arbitrage. Alors, dans ce sens - là-dessus, vous ne m'avez pas contredit - les programmes existants vont continuer, oui, à s'appliquer, mais des opérations spécifiques pour contrecarrer des effets de l'accord, on ne pourra pas en faire à la tonne. C'est ce qu'on dit tout simplement. C'est sûr que les programmes existent, que le monde va en profiter, etc., mais qu'on ne nous fasse pas accroire qu'on a la liberté de pouvoir s'organiser pour contrecarrer les effets de l'accord. En tout cas, l'article 2011 ne nous dit pas tout à fait cela. C'est tout ce que je dis.

M. MacDonald: Bien, alors, je vais vous référer au passé, à ce qui a été fait depuis qu'on a cherché à civiliser les relations commerciales entre les pays, c'est-à-dire, nommément, depuis 1947, le GATT, les articles 22 et 23, la flexibilité que cela nous donne.

M. Larose: ...le premier janvier 1989.

M. MacDonald: Premier janvier 1989. Non, revenez en arrière. Nous, on dit ce que le gouvernement peut faire. Vous, vous dites que nous ne pourrons rien faire. Moi, je vous dis qu'il n'y a aucun des programmes que nous avons, il n'y a aucun des programmes qui ne puisse être changé ou être rendu pointu pour faire face à un défi particulier dans un délai particulier. Je suis d'accord avec vous que, si on décidait de mettre un montant de centaines de millions de dollars pour profiter de l'occasion, par exemple - et je le prends parce qu'il ne s'applique pas - pour devenir les leaders mondiaux dans le domaine de la micro-électronique et, particulièrement, dans le domaine des "chips" les plus avancés, ah! là, on aurait un problème. Là, on aurait un problème, c'est bien certain. Mais si vous me dites, par exemple, que, dans l'industrie du meuble, pour le prendre spécialement, nous allons pointer les efforts du centre de recherche que nous avons sur l'informatisation de la production - c'est un centre qui existe, qui a été formé par le gouvernement dans les années 1980, d'accord? - si vous me dites que nous allons concentrer les programmes vers l'industrie du meuble pour développer ce que nous appelons la conception assistée par ordinateur et la fabrication assistée par ordinateur, aucun problème quelconque. Et c'est exactement, justement, un exemple pratique de l'orientation que le gouvernement voudrait faire de programmes existants, les rendant plus pointus sur un défi précis, dans un délai précis.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand, c'est sur le même sujet ou...

Mme la députée de Maisonneuve, est-ce que c'est sur le même sujet?

Mme Harel: Oui.

Le Président (M. Charbonneau): Bien...

Des voix: Ha! ha! ha!

Le Président (M. Charbonneau): ...si ce n'est pas sur le même sujet, je redonne la parole au député de Bertrand.

M. MacDonald: Si cela ne l'est pas, je n'aurai pas de réponse.

Mme Harel: En fait, M. le Président, je pense que, à ce stade-ci, peut-être je puis reposer les questions au ministre. Entend-il déposer une politique-cadre en matière d'adaptation? Et je repose mes questions concernant ces mesures qui sont attendues pour les travailleurs âgés: Quand sera instauré le programme d'adaptation pour les travailleurs âges? Est-ce que le gouvernement québécois conçoit qu'il doit être financé exclusivement par Ottawa? Est-ce que le gouvernement va légiférer en matière de licenciement collectif ou de fermeture partielle ou totale, pour resserrer ces dispositions? M. le Président: Considérez-vous que c'est dans le sujet, oui? Je peux continuer?

Le Président (M. Charbonneau): Cela va.

Mme Harel: Ha, ha, ha! Le ministre nous a dit: On a fait le choix politique. Le ministre de l'Industrie et du Commerce a dit: On a fait le choix politique de la libéralisation. Mais il ne faut quand même pas s'aveugler, à moins que... C'est peut-être un choix politique, finalement, qu'ils font de penser que les vertus du libre-échange seront suffisantes non seulement pour créer la prospérité, mais pour la partager; cela, ce n'est pas certain. Il faut aussi une volonté politique pour la partager et elle ne semble pas évidente. En l'absence de programmes, ce que l'on a sous la main présentement, ce sont des réalités comme celles-ci: Un adulte sur deux, au Québec n'a pas complété ses études secondaires, un sur quatre a moins de huit années de scolarité. Il y a comme du rattrapage à faire. Où est la campagne de scolarisation que le gouvernement entend mener?

Ce que l'on a sur la table présentement, c'est 170 000 ménages, M. le ministre de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu, 170 000 ménages qui vont effectivement voir leurs prestations réduites, et qui vont se voir offrir des mesures, dites-vous, d'employabilité, maintenant qu'elles seront offertes aux ménages de plus de 30 ans. Et là il faut voir que les études que vous avez réalisées ont permis de démontrer que l'offre même de ces mesures n'avait pas été possible à plus de 17 % des ménages de moins de 30 ans. Comment est-ce que cette offre va se transformer soudainement dans une capacité illimitée aux plus de 30 ans? Et en plus, qu'est-ce qu'il y a comme mesures? Ce sont là des ménages... M. le Président, et je voudrais terminer là-dessus.

Le dernier CT que nous avons pu avoir du Conseil du trésor révèle notamment qu'en matière de programmes, je pense au programme Hyundai, un des programmes finalement, c'est de faciliter l'implantation au Québec de l'usine d'assemblage d'automobiles Hyundai, par la formation des personnes qui y trouveront un emploi. Clientèle visée: 1200 personnes sur une période de trois ans, et c'est considéré comme des activités de formation pour des personnes assistées sociales. Les programmes de formation font partie des programmes approuvés le 13 avril de cette année

par le Conseil du trésor. Est-ce que c'est ce genre de programme? Parce que pour tout de suite c'est ce qu'on a sous la main. Est-ce que c'est à cela qu'on doit s'attendre? Je vous rappelle qu'une étude publiée aujourd'hui et subventionnée par le ministère considère que l'une des conséquences les plus graves des solutions d'attente est la perte de compétence pour les personnes qui participent à ces programmes. Alors, avez-vous d'autres propositions à nous faire que celles qui sont sur la table présentement?

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Oui, très rapidement. Vous aurez compris, M. le Président, que la question de Mme la députée de Maison-neuve comporte plusieurs volets. Je vais tenter de m'adresser aux principaux qu'elle a soulevés, bien que certains ne fassent pas l'objet de la commission ici aujourd'hui, mais il me fait toujours plaisir de réengager le débat avec Mme la députée de Maisonneuve sur la question de la politique de sécurité du revenu.

Elle mentionne les carences de la population en général sur le plan de la scolarisation et de la formation. Lorsque nous proposons d'investir comme gouvernement quelque 450 000 000 $ comme argent frais et nouveau par année pour former davantage, scolariser davantage les plus démunis de la société, elle s'oppose. Les statistiques sont inquiétantes chez les gens qui sont à l'aide sociale et à qui on veut offrir des mesures de relèvement de l'employabilité. Vous avez oublié de mentionner qu'une partie importante de cette clientèle, soit 36 %, est composée d'analphabètes fonctionnels. Les statistiques quant au pourcentage de personnes qui n'ont pas complété leur secondaire sont encore plus élevées chez cette clientèle: 60 %. Les gens qui n'ont aucune expérience antérieure de travail reconnue, c'est encore plus élevé chez cette clientèle: 40 %. Et on pourrait continuer.

Maintenant, je dirais à Mme la députée de Maisonneuve, parce que c'est la deuxième fois qu'elle soulève le programme, qu'il est important, et je pense qu'il s'inscrit dans le cadre de nos discussions sur le libre-échange, ce programme PAT ou PATA du gouvernement fédéral pour les travailleurs âgés licenciés collectivement. Comme vous le savez, Mme la députée de Maisonneuve, le gouvernement fédéral a décidé unilatéralement, au mois d'août 1986, de mettre fin à ce programme qui s'appliquait au Québec dans des secteurs d'activité fragiles. L'intention du gouvernement fédéral était d'étendre ce programme à l'ensemble des activités économiques dans tout le pays. Deux ans plus tard, je peux faire le point sur les négociations, si vous le désirez, quant aux modalités. Il y a des ententes ad hoc sur à peu près l'ensemble des modalités d'application d'un nouveau programme entre le gouvernement du Québec et le gouvernement fédéral. Mais il y a achoppement majeur sur le plan du financement dudit programme. Lorsqu'il a été interrompu par le gouvernement fédéral, le programme était financé à 100 % par le gouvernement fédéral. 85 % de l'argent sur le plan national était récupéré par la province de Québec. Au moment où nous nous parlons, nous sommes en négociation avec le fédéral. Nous n'exigeons pas du fédéral qu'il paie 100 % de la facture. Ce que je peux vous dire, c'est qu'il devra payer la majorité de la facture pour en arriver à une entente négociée. (12 h 30)

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): Sur un autre sujet, M. le Président, et rapidement puisque le temps fuit. J'ai souvent mentionné depuis la dernière année l'importance du coffre d'outils que les entreprises ou les chefs d'entreprise devront avoir pour faire face au libre-échange. Il semble, à toutes fins utiles, qu'on en est actuellement à faire des inventaires et ce, à six mois de l'Accord de libre-échange. On est au stade des consultations et des inventaires, ce que je trouve carrément inadmissible.

Cependant, il y a des études qui ont été rendues publiques partiellement. Il y en a d'autres qui n'ont pas été rendues publiques pour des raisons que le ministre nous a données hier, que je ne partage pas, mais qui n'ont pas été rendues publiques. Il y en a d'autres qui auraient ou qui seraient sur le point d'être rendues publiques puisque le 16 décembre dernier, en commission, un éminent conseiller du ministre du Commerce extérieur et du Développement technologique d'alors, M. Michel Audet, qui est devenu depuis lors sous-ministre au ministère de l'Industrie et du Commerce, disait qu'au ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu, effectivement, on venait de commencer à étudier, et cela fait un bon moment. Là, il nous mentionne qu'il y a des études. Est-ce que les études dont on parlait le 16 décembre 1987 sont complétées et est-ce que le ministre est prêt à les rendre publiques? Est-ce qu'on peut me répondre précisément à ces questions?

Le Président (M. Charbonneau): Lequel des ministres veut répondre? M. le ministre de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Comme ministre responsable du ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu, je peux indiquer que les études, bien qu'avancées, ne sont pas terminées et que n'étant pas terminées, vous comprendrez qu'elles ne peuvent être rendues publiques.

M. Parent (Bertrand): Je comprends et cela

confirme mon inquiétude qu'on est encore en train de faire des études et que le gouvernement est drôlement en retard. Alors, c'est un point et s'il y en a d'autres qui veulent parler sur ce point, mais à ma connaissance, M. le Président, on est encore à compléter des études au ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu pour savoir quels seront les secteurs sur lesquels il y aura des impacts et on nous dit qu'avant le 31 décembre prochain la quatrième condition va être remplie, c'est-à-dire qu'on va être capable de mettre sur pied des programmes parce que c'est la quatrième condition. Je me demande comment le gouvernement va faire.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): M. le Président.

Le Président (M. Charbonneau): Oui.

M. Paradis (Brome-Missisquoi): Peut-être rapidement, en réplique. Le député de Bertrand tient pour acquis qu'il n'existe aucun programme au ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu. Il existe des programmes d'adaptation de la main-d'œuvre au ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu, il existe des programmes de formation professionnelle, des programmes de formation en entreprises, des programmes de recyclage du personnel. Nous avons un accord fédéral-provincial d'une importance capitale en matière de formation en établissements. Le programme fédéral de la planification de l'emploi s'applique au Québec et nous y participons dans le domaine de nos juridictions. Nous avons des programmes de temps concerté. Nous avons une foule de mesures qui sont déjà en marche. Ce que nous vous disons, c'est que nous sommes en train de faire les dernières évaluations de façon à apporter le pointu là où il doit être apporté quant à ces programmes.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre de l'Industrie et du Commerce, vous aviez un complément de réponse?

M. Johnson: Oui. M. le Président, cela m'apparaît fondamental, pour lever une confusion qui est entretenue à cause de l'utilisation des termes. Il y a maintien, il y a à demeure des programmes de soutien à la main-d'oeuvre et aux entreprises, donc à l'équipement, si on veut utiliser cette appellation, qui ne sont pas remis en cause par l'Accord de libre-échange. Cela m'apparaît clair. La deuxième étape, la deuxième chose qui se produit, c'est qu'on ne peut quand même pas faire un relevé des défis que les entreprises ont identifiés dans le cadre de la libéralisation des échanges avant que l'accord n'ait été un peu attaché et rédigé.

Ceci étant fait, nous avons déjà commencé à regarder, avec les secteurs industriels, leurs représentants, quelle est la nature des défis qui les attendent, selon les plans d'entreprise, selon les perspectives de développement des secteurs industriels. Je dirais que, à mon agréable surprise, même des secteurs qui, en théorie, sur papier, auraient pu être menacés selon certains, ont indiqué avec une agressivité, je dirais, exemplaire et qu'on doit voir se multiplier, que c'était une occasion en or pour ces entreprises, avec la libéralisation des échanges, de connaître une croissance qui devra se réaliser avec un soutien non pas financier, non pas d'adaptation, mais de ressources techniques, d'intelligence, de découverte des marchés, d'accession à des marchés et à des créneaux que nous sommes disposés - c'est notre mandat, notre rôle - à identifier avec ces entreprises. La nature des consensus qui s'établissent dans les secteurs industriels dans les discussions que comme gouvernement nous pouvons avoir avec des représentants de toutes sortes d'entreprises indique que nous pouvons travailler ensemble à très peu de frais, à condition de savoir qu'il y a des occasions d'affaires au Sud et que nous pouvons les saisir si nous y mettons du temps et non seulement de l'argent.

Le Président (M. Charbonneau): En réplique, M. le député de Bertrand, M. Larose et après j'ai deux questions principales d'annoncées. Ce seront les deux dernières compte tenu du temps, M. Boudreau et M. Bakvis. M. le député de Bertrand.

M. Parent (Bertrand): À la suite des propos du ministre de l'Industrie et du Commerce et du ministre de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu, je suis pleinement conscient que les programmes existants ne sont pas tous abandonnés. Je suis pleinement conscient de cela. La roue va continuer à tourner et, le 1er janvier 1989, le Québec n'arrêtera pas de tourner, sauf que le gouvernement ne semble pas saisir que premièrement, avant que n'entrent en vigueur le libre-échange et les nouvelles conditions, il y a un problème actuellement au Québec qui fait qu'on a 9,5 % de chômage, pendant que dans la province voisine, dans le même contexte, il y en a la moitié moins. Il y a un problème déjà là et c'est un problème de formation, de recyclage de main-d'oeuvre. Avec les nouvelles règles du jeu que nous amène le libre-échange, je suis aussi conscient que, le 1er janvier 1989, ce ne sont pas toutes les entreprises américaines qui vont venir ici, je suis conscient que, l'accord étant signé depuis ie 2 janvier dernier, il y a déjà des entreprises américaines qui sont en train de s'organiser, comme il y a des entreprises québécoises qui sont en train de s'organiser. Sauf que le rôle du gouvernement est d'avoir des aides incitatives pour soutenir les entreprises.

Le ministre de l'Industrie et du Commerce nous disait tantôt: Cela va bien, je fais confiance. Oui, mais on sait que cela n'ira pas toujours bien de cette façon. Dans ce sens, il faut immédiatement rendre cela incitatif. Il faut

que les entreprises sachent dans quelle direction elles vont pouvoir aller. Dans le contexte actuel, il faut être capables de leur donner d'autres outils, puisque il s'avère que les outils qu'on a actuellement, en formation, en recyclage de la main-d'oeuvre, ne sont pas complètement efficaces, puisqu'en regardant le taux de chômage le problème est là. Le problème va empirer à partir des nouvelles règles du jeu. C'est dans ce sens que, quand le gouvernement a mis la quatrième condition qui s'appelait l'obtention des périodes de transition, cela a été négocié. Mais l'autre partie, les programmes d'assistance aux entreprises et aux travailleurs dans les secteurs moins compétitifs, on ne les a pas mis sur pied et, de la façon que cela va, on ne sera pas capables de les mettre sur pied à temps pour être capables... Lorsqu'on met un programme sur pied, il ne faut pas s'imaginer que c'est le lendemain matin que les entreprises seront capables de mettre cela en marche. Cela va prendre une autre année avant que tout le monde commence à prendre le virage. C'est dans ce sens qu'il faut absolument arriver à des conclusions et à des programmes beaucoup plus rapidement qu'on ne le prévoit actuellement.

M. Larose: On plaide long comme le bras que tous les programmes existants ne sont pas du tout touchés. Où est-ce qu'on lit cela dans l'accord? Où y a-t-il une clause pour les acquis? C'est curieux, mais à partir du moment où un accord s'applique au 1er janvier 1989 et qu'il n'y a pas de clause qui nous dise que ce qui existe va continuer à exister, je veux seulement le savoir.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre de l'Industrie et du Commerce.

M. MacDonald: C'est le contraire.

M. Larose: Le contraire, il est à l'article 2011.

M. MacDonald: Permettez-moi de continuer.

M. Larose: Le contraire est à l'article 2011. Si vous me dites qu'il n'y a pas de clause qui change cela, vous avez un problème.

M. MacDonald: Non. On ne s'entend pas et vous n'avez pas écouté ce que je vous ai dit. Mais on a la chance...

M. Larose: Vous n'avez pas répondu à ma question, il faut dire.

M. MacDonald: Je vous répète... et peut-être que je vais ouvrir sur d'autres choses. Subvention. Le mot "subvention".

M. Larose: Le terme de modernisation par exemple.

M. MacDonald: Non, je vais prendre subvention. Il n'y a pas eu dans la négociation, comme on l'a souhaité, l'établissement d'un lexique et de règles de pratique, si vous voulez, de coopération gouvernementale entreprise-employés. Ce lexique, ce règlement n'a pu être fait parce que les Américains n'ont pas voulu l'accepter. Nous non plus, nous n'avons pas accepté certaines de leurs pratiques, et on n'est pas capables de s'entendre sur une définition de subvention acceptable. On a donc établi qu'on ne touche pas à cela. Ce qui existe existe. On se donne cinq ans. Même si on ne réussit pas dans cinq, on va se donner deux ans de plus, pour justement établir des règles, des règles uniformes, un langage identique d'un côté ou l'autre de la frontière de façon à faciliter, justement, les différends qu'on pourrait avoir lorsque l'un ou l'autre plaide la pratique déloyale. Je ne fais que vous conter l'histoire et le contexte de ces négociations. Le reflet de ceci se retrouve dans le texte.

Ce qu'il est important de se rappeler, M. Larose - et je pense qu'on dit la même chose -et ce qu'il est important de dire, c'est que maintenant et demain, avec ou sans l'entente et selon l'exemple .que je vous ai donné tantôt des centaines de millions qui pourraient être consacrés à faire de nous les meilleurs en matière de fabrication de "chips", on n'a pas un chèque en blanc et les Américains n'ont pas un chèque en blanc pour fausser les règles du jeu en intervenant de façon massive pour créer une compétition déloyale. On ne l'a pas aujourd'hui, on ne l'aura pas demain. Mais, le gouvernement américain, avec des dizaines de millions de dollars, développe ces industries sous le couvert souvent de l'appellation "sécurité nationale" en leur donnant des contrats de recherche et de développement et même de cofrabrication à coût de centaines de millions de dollars. C'est bien souvent leur façon de faire face au défi international dans le domaine du commerce. Nous autres, on a d'autres programmes. De part et d'autre, on a réalisé ce qu'on avait. Dans la période des négociations, on n'a pas pu s'entendre sur une définition uniforme de cette intervention. Mais, je le répète, on va le faire. En attendant, on a nos programmes et ils ont les leurs.

Le Président (M. Charbonneau): Deux interventions rapides et finales. M. Boudreau d'abord.

M. Boudreau (Denis): J'aimerais faire seulement une petite mise au point au sujet de la comparaison des concessions du GATT et de la comparaison du libre-échange qu'on nous propose. Au GATT, lors de la dernière ronde, on a abolit les tarifs d'à peu près 40 %. On a ouvert la frontière. On a ouvert la porte y compris avec les États-Unis. Ce qu'on nous propose, aujourd'hui, ce n'est pas d'ouvrir la porte, c'est de l'enlever. Ce n'est pas tout à fait pareil. Quand

on dit que cela va être aussi facile, que c'est la même chose, ce n'est pas tout à fait pareil. Si Mme Fecteau n'a eu personne qui s'est plaint de perte d'emploi due au GATT, je me demande s'il y a toujours des manufacturiers de chaussures, de textiles et de vêtements dans l'Association des manufacturiers canadiens. Je voudrais enchaîner avec les politiques d'adaptation dont on discute depuis tantôt; on semble tenir pour acquis que, dans le secteur manufacturier au Québec, on va sortir gagnants de la mise en place du libre-échange. Je le regrette, dans le secteur manufacturier, les entreprises qui vont bien se tirer d'affaires sont déjà sur le marché américain. Les politiques d'adaptation n'en feront pas des gagnants. Tout ce que cela peut faire au mieux, ce sont des survivants. C'est à ceux-là qu'ils vont s'adresser.

Je reviendrais à un dernier commentaire. D'où vient l'idée que, dans le secteur manufacturier au Québec, on va faire des gains avec le libre-échange, quand partout à l'échelle canadienne on en perd? Comment se fait-il qu'on ne puisse pas quantifier ces gains au Québec? Dans quelles industries va-t-on en gagner? Dans quelles industries va-t-on en perdre? Contrairement à ce que nous disait M. MacDonald hier, il nous manque la conclusion des études d'impact. On n'a pas les chiffres. Je fais le lien avec hier. Si on ne peut pas mesurer ni garantir la baisse des prix a la consommation, comment peut-on véhiculer la certitude qu'il va y avoir une création nette d'emplois, comme le fait le Conseil économique, à partir du nouveau pouvoir d'achat découlant de la baisse des prix? Vous allez me permettre une comparaison légère. Quand on n'est pas sûr des hypothèses, on n'est pas sûr des conclusions. Quand on ne met pas de viande dans le moulin à saucisses, c'est de l'air qui passe. En tournant la manivelle, on n'obtient pas de la charcuterie, on obtient des ballons.

Le Président (M. Charbonneau): Mme

Fecteau.

Mme Fecteau: Oui. Je vous dirai que je suis tout à fait d'accord avec monsieur, en ce sens que le secteur manufacturier n'est pas un secteur créateur d'emplois. Il n'est plus un secteur créateur d'emplois. Cependant, deux emplois sur trois créés au Canada ou au Québec proviennent directement du secteur manufacturier. Le secteur manufacturier crée des emplois, mais dans le secteur des services. Donc, s'il n'y avait pas un secteur manufacturier fort, plusieurs emplois ne seraient pas créés dans le secteur des services. Pour répondre également à votre question sur le fait que le GATT n'aurait pas créé ou qu'il aurait fait perdre des emplois ou je ne sais quoi, je vais vous donner l'exemple de l'industrie de la chaussure, où les quotas aux importations de chaussures pour hommes et pour garçons ont été abolis subitement en 1985. Quel en fut l'effet au Québec? On a eu une baisse de 280 postes seulement. Les vrais pertes d'emplois dans ce secteur ont eu lieu plutôt lorsque l'entreprise était protégée. Alors, j'espère que cela répond un peu à votre question. (12 h 45)

Le Président (M. Charbonneau): M. Bakvis, une dernière intervention. Par la suite, nous passerons aux remarques des parlementaires.

M. Bakvis (Peter): La question que je voulais aborder, mais enfin s'il y a entente autour de la table qu'il n'y aura pas de création d'emplois, qu'il n'y aura pas de secteur favorisé... Une voix: Dans le secteur manufacturier...

M. Bakvis: Dans le secteur manufacturier, c'est bien. D'accord. J'ai quand même pu faire quelques lectures et M. Rabeau, qui n'est pas intervenu beaucoup aujourd'hui, s'est permis de faire une liste, dans une présentation qu'il a faite il y a quelques mois, des secteurs perdants. Ils sont assez nombreux. Les secteurs qu'il identifie emploient actuellement plus 100 000 personnes au Québec. Il y a sûrement lieu de s'inquiéter. Mais s'il y a déjà entente qu'il n'y aura pas de secteurs gagnants dans le secteur manufacturier, tant mieux. Je n'ai presque pas besoin de compléter. Mais lui, il se permet tout de même d'identifier quelques secteurs qui, d'après lui, gagneraient. C'est principalement en page 34: "Les exportateurs canadiens de matières de base et de produits semi-transformés devraient bénéficier de l'accord." Quand je regarde les exemples qu'il donne, ce qui m'inquiète, c'est ce sur quoi on se base pour prétendre qu'il va y avoir de la création d'emplois. Il parle du secteur du bois, du secteur des pâtes et papiers, du secteur de l'aluminium.

Je vous informe, et d'ailleurs je vois que M. Landry a devant lui le cahier qui explique quels seront les tarifs qui tomberont, qu'actuellement le tarif américain pour le bois est de 0 %. Il y a une taxe spéciale canadienne de 15 %. L'article 2009 de l'accord dit que cela en reste là, que ce n'est pas affecté par l'entente. Le tarif actuel du papier journal est de 0 %. Il n'y a pas de barrière tarifaire pour ce produit aux États-Unis. Quant à l'aluminium, qui est aussi identifié comme un secteur gagnant, le tarif varie en 0 % et 2,6 %. Donc, les tarifs sont pratiquement minimes. L'augmentation du dollar canadien, depuis quelques mois, a absolument le même effet que celui d'appliquer, si vous voulez, un tarif de 2,6 %. On parle donc d'un effet très mineur.

Les partisans du libre-échange prétendent qu'il va y avoir des secteurs perdants. Oui, mais il y aura aussi des secteurs gagnants. Il s'agit de déplacer les gens. C'est très facile, sauf pour les secteurs gagnants. Où sont-ils? Je poserais la question à M. MacDonald.

Le Président (M. Charbonneau): Je pense

que M. Rabeau veut répondre parce que je pense qu'il a été directement mis en cause. De toute façon, le ministre aura l'occasion de répondre dans ses remarques finales. M. Rabeau.

M. Rabeau (Yves): Oui. Les commentaires qu'on me prête, en fait, ne sont pas directement de moi, mais ils peuvent se retrouver tels quels. C'est du domaine public. C'est le document 344 du Conseil économique qui vient d'être récemment publié et qui donne une liste de secteurs gagnants et perdants, à la lumière des hypothèses que le Conseil économique a retenues pour faire ses simulations.

Je voudrais simplement mentionner ici que ce que nous fournit le Conseil économique, c'est une base de discussion très modeste, en ce sens qu'on a voulu mettre ici ce qu'on pourrait appeler des hypothèses très modérées sur les effets du libre-échange. Dans le document, si on le lisait au complet, on verrait que le Conseil économique a laissé de côté toute une série d'impacts favorables au libre-échange parce qu'il dit que ce ne sont pas des choses facilement mesurables. On sait que cela aura des effets positifs, mais il vaut mieux les laisser de côté puisqu'on ne sait pas exactement quelle sera l'ampleur de ces effets.

Je vous donne quelques exemples pertinents pour le Québec. Dans le document, il n'est pas question de nouveaux investissements dans le secteur de l'énergie. Or, le traité permet au Québec de gagner en matière énergétique. On l'a clairement établi hier. Il n'y a pas non plus d'investisseurs étrangers qui vont venir s'installer au Québec ou ailleurs. Cette question n'est pas traitée dans le document. Cela aussi serait une source de création d'emplois. Dans le document, on ne parle pas du tout de la libéralisation des services et de l'intermédiation financière. Or, tous les nouveaux investissements que l'on fera dans l'économie auront un impact important sur les services rendus aux entreprises. Quant à l'intermédiation financière, c'est-à-dire tous les secteurs financier, bancaire, etc., il n'en est pas question dans le document. Ce sont autant d'emplois qui ne sont pas comptabilisés. Également, on ne fait pas d'hypothèse quant aux stratégies d'entreprises concernant l'acquisition de réseaux de distribution. Cela demeure un sujet difficile et délicat.

Dans la mesure où nos entreprises vont bien se débrouiller dans l'acquisition de réseaux de distribution aux États-Unis ou ailleurs, là également, il y aura des effets positifs très favorables qui ne sont pas comptés dans le document du Conseil économique. On ne tient pas compte non plus dans le document des nouveaux investissements qui vont se faire de part et d'autre de la frontière à cause des nouvelles règles concernant le mouvement du capital entre le Canada et les États-Unis. Je pourrais continuer la liste comme cela; elle est beaucoup plus longue, de sorte que les résultats que l'on obtient sont des résultats évidemment très modestes, comme j'ai dit, très modérés. Le Conseil économique prend une position très conservatrice de ce point de vue. C'est un document public qui est pour discussion et pour nous éclairer, mais ce n'est pas en soi quelque chose d'où on peut, en somme, conclure que le libre-échange aura des effets négatifs sur le secteur de l'emploi au Québec.

Le Président (M. Charbonneau): Merci. Maintenant, pour les remarques finales, Mme la députée de Maisonneuve d'abord.

Remarques finales Mme Louise Harel

Mme Harel: D'accord. M. le Président, nous nous attendions à des annonces ce matin. Je dois vous dire que je m'attendais, ce matin, surtout dans ce secteur névralgique et compte tenu de l'habitude que le ministre de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu, entre autres, a prise de faire des annonces lors de discussions en commission parlementaire, je m'attendais donc à des annonces, mais évidemment plus substantielles que celles de tenir un colloque et de mettre sur pied un secrétariat.

M. le Président, si le ministre de l'Industrie et du Commerce veut mettre fin définitivement à la controverse qui règne sur la perte ou la création d'emplois, selon les secteurs, il devra rendre publiques les vraies études d'impact, celles qu'il a menées sur le nombre d'emplois qui sera gagné ou perdu dans chacun des secteurs dans le contexte du libre-échange. Il ne devra pas se contenter du simple inventaire statistique qu'il a déposé jusqu'à maintenant.

Cela dit, tenons pour acquis qu'il y aurait globalement surtout des gagnants. Est-ce que cela nous justifie pour autant d'inscrire les perdants au chapitre des profits et pertes de notre société? Ce que l'on a appris ce matin de la part du ministre du Commerce extérieur et du ministre de l'Industrie et du Commerce, c'est qu'il fallait se déclarer contents, satisfaits, puisque gagner, c'était ne pas perdre; que l'on allait pouvoir garder les programmes que l'on avait et qui allaient continuer à pouvoir s'appliquer et que la victoire qu'on nous proposait d'une certaine façon, c'était celle qui consistait à gagner de ne pas les perdre.

Je pense, M. le Président, qu'on s'attend à bien d'autres choses pour pouvoir relever ce nouveau défi. Je vous rappellerai que, notamment, à l'occasion des grandes rondes du GATT, à l'avance, le gouvernement canadien avait d'ailleurs pris l'habitude d'annoncer des modes d'aide à la fois aux entreprises et à la main-d'oeuvre, ce qui permettait à l'avance de tranquilliser considérablement les appréhensions. Il faut constater que cela n'est pas le cas présentement. Il n'y a pas de politique de main-d'oeuvre.

M. le Président, vous allez me permettre - ce n'est pas dans mon habitude - d'utiliser une expression consacrée "business as usual". En matière d'adaptation, de formation et de recyclage, c'est "business as usual". C'est évidemment profondément inquiétant parce que c'est le coeur même de ce qui pourrait permettre de déclencher une dynamique positive en faveur de la libéralisation.

Évidemment, je pense à ce stade-ci - j'espère qu'il restera quelques minutes à mon colllègue... Non?

Le Président (M. Charbonneau): Vous êtes en train, dans les secondes qui suivent, de prendre entièrement le reste du temps.

Mme Harel: Je termine simplement en vous disant que les appréhensions à savoir que les coûts élevés - je pense aux 4 500 000 000 $ dont on parlait hier, consacrés à l'assurance-chômage au Québec et à l'assistance sociale pour les personnes aptes au travail - peuvent continuer à progresser au fur et à mesure que certains travailleurs et travailleuses verront l'aggravation des difficultés à trouver un emploi ou à le garder et qu'il y aura une pression finalement sur ces coûts de manière - la tentation sera là, en tout cas - à les réduire en coupant et la durée et le niveau des prestations.

Le Président (M. Charbonneau): Pour la partie gouvernementale, quel est le ministre qui...

M. Johnson: Oui.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre de l'Industrie et du Commerce.

M. Daniel Johnson

M. Johnson: Merci, M. le Président. Voyons dans quel environnement tous ces processus se déroulent, un environnement où, selon la députée de Maisonneuve et d'autres intervenants, régnerait beaucoup d'appréhension, d'inquiétude. Au 31 mai dernier, à un rythme de création de près de 90 000 nouveaux emplois au Québec, dont près de la moitié dans le secteur manufacturier, je n'ai, quant à moi, à l'égard de ce qu'on pourrait appeler notre clientèle, découvert aucune espèce d'inquiétude ou d'appréhension. Je peux concevoir qu'il y ait, néanmoins, des questions qui demeurent sans réponse ou dont les réponses sont en voie de définition, mais cela vient du fait qu'on envisage, à long terme, que certaines adaptations seront nécessaires. Lorsqu'il y a un rapport de météo qui annonce de la turbulence pour le 1er janvier prochain, je veux reconnaître que c'est une date de départ d'une période de dix ans où on connaîtra certains changements particuliers.

Je ne vois en rien, pour le 1er janvier prochain, un orage de grêlons gros comme des balles de golf contre lequel il faudrait tout de suite fournir un parapluie aux entreprises où sont les travailleurs québécois. De toute évidence - déjà, nos premières consultations l'ont indiqué - les perspectives qu'entrevoient les entreprises québécoises sont celles de marchés accrus et non pas celles de reculs appréhendés, ni celles de retranchement dans les marchés déjà desservis; bien au contraire, elles sont l'expression d'une ambition de création additionnelle de production, d'emplois, d'envahissement de nouveaux marchés.

De toute évidence, nous avons procédé à des analyses. On a déjà répondu quant à la disponibilité de certains des documents. Je dois dire - enfin, c'est purement anecdoti-que - qu'après avoir été passés au crible, au tamis, de la Commission d'accès à l'information, comme il se devait, nous avons rendu disponibles il y a plus d'un an les études que nous avions menées. Je fais une troisième annonce, M. le Président: Personne n'est venu les consulter.

La mise en oeuvre et les aspects constitutionnels

Le Président (M. Charbonneau): Ces dernières remarques mettent fin à la discussion sur le thème de l'emploi et de la main-d'oeuvre en regard de l'accord sur le libre-échange. Nous allons maintenant passer au dernier thème qui est la mise en oeuvre de l'accord et les aspects constitutionnels. J'inviterais ceux et celles qui doivent prendre place à le faire. (13 heures)

Nous reprenons notre travail, maintenant, sur le thème de la mise en oeuvre de l'accord et les aspects constitutionnels.

Je vous indique immédiatement qu'après les déclarations d'ouverture, encore une fois, de cinq minutes par groupe, nous aurons un débat général d'environ 35 minutes qui sera suivi des remarques finales.

Alors, sans plus tarder, je présume que le ministre des Relations internationales doit être celui qui représente le gouvernement. Alors, M. le ministre.

Remarques préliminaires M. Gil Rémillard

M. Rémillard: M. le Président, merci. Mesdames et messieurs, qui participez à cette commission, messieurs de l'Opposition. L'Accord de libre-échange, qui a été signé entre le Canada et les États-Unis, le 2 janvier dernier, par le premier ministre du Canada et le président des États-Unis, doit entrer en vigueur, donc, le 1er janvier 1989. Mais, d'ici là, il y a une étape essentielle qui reste à franchir, sort celle de la ratification de l'accord et de l'adoption de la législation de mise en oeuvre par le Congrès américain, par le Parlement canadien et par les provinces, pour les domaines relevant de leurs

compétences législatives.

Le gouvernement du Québec a appuyé la négociation et la conclusion de l'accord. L'appui du Québec était lié à sept grandes conditions, sept conditions principales, M. le Président, dont le respect intégral de ses compétences législatives. Or, dans l'ensemble, l'accord satisfait le gouvernement du Québec. À cet égard, le gouvernement du Québec a donné son appui officiel en adoptant, cette semaine, le décret sur l'Accord de libre-échange. Par ce décret, M. le Président, pris en vertu de l'article 15 de la Loi sur le ministère des Relations internationales, le gouvernement a aussi confirmé que le Québec est le seul compétent pour assurer la mise en oeuvre de cet accord dans les domaines relevant de sa compétence législative. De même, nous nous engageons, par ce décret, à prendre les mesures nécessaires, y compris les mesures législatives et réglementaires, pour en assurer la mise en oeuvre avant son entrée en vigueur.

Le gouvernement fédéral a déjà entamé la procédure de mise en oeuvre de l'accord, en déposant au Parlement, le 24 mai dernier, le projet de loi de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange. Après en avoir pris connaissance, nous sommes arrivés à la conclusion que ce projet de loi est généralement conforme au contenu de l'accord auquel le Québec adhère. Cependant, l'article 9, portant sur les vins et les alcools, constitue une ingérence du fédéral dans un domaine de compétence provinciale. Or, même si cet article ne vise pas directement le Québec, n'implique pas le Québec, puisque nous souscrivons aux dispositions de l'accord sur les vins et les alcools, le gouvernement du Québec ne peut, en aucune façon, reconnaître ni la légitimité ni la légalité de cette disposition législative, et nous la dénonçons.

Dès le 25 mai, soit le lendemain du dépôt du projet de loi, le premier ministre du Québec a fait connaître la position du Québec sur cette question de la mise en oeuvre du traité de libre-échange. J'ai moi-même, M. le Président, informé le ministre du Commerce extérieur du Canada de notre position sur le sujet dans une lettre que je lui ai fait parvenir le 6 juin I988. Je lui ai également signalé que l'article 6 du même projet était aussi inacceptable dans la mesure où il pourrait permettre au gouvernement fédéral de faire adopter d'autres lois de mise en oeuvre de l'accord dans les domaines de compétence provinciale. Cependant, M. le Président, il est important de préciser que cet article 6 ne constitue pas pour le moment un danger pour les compétences législatives du Québec, puisque, du strict point de vue juridique, cette disposition est de nature simplement déclaratoire et n'est donc pas source de droit.

Nous ne pouvons accepter l'intrusion du gouvernement fédéral dans les domaines relevant de la compétence législative du Québec, par le biais d'un traité international, et c'est la raison pour laquelle nous allons procéder à la mise en oeuvre des dispositions de cette entente de libre marché relevant de notre compétence, et en adoptant nos propres lois ou règlements selon le cas. Le gouvernement du Québec, conscient de sa responsabilité, va donc adopter les lois, les règlements, prendre les mesures qui s'imposent pour appliquer lui-même les aspects du traité qui relèvent de sa compétence législative.

Vous me permettez en terminant de dire quelques mots sur la question de la participation des provinces au mécanisme de règlement des différends et à la question de l'Accord de libre-échange. Le Québec a réclamé une coopération étroite entre le gouvernement fédéral et les provinces en ce qui a trait notamment à la gestion de l'accord et au processus de règlement des différends, lorsqu'une juridiction ou un intérêt économique majeur d'une province serait en cause. L'une des conditions d'appui du Québec à l'accord était, et je cite: "La mise en place d'un mécanisme de règlement des différends auquel seront associées les provinces". Or, l'accord contient, M. le Président, un tel mécanisme. De plus, si l'on se fie à l'étroite coopération qui a existé entre les provinces et le gouvernement fédéral au cours des négociations de l'accord, la participation des provinces au mécanisme de règlement des différends et à la gestion de l'accord devrait se poursuivre.

En effet, dans une lettre récente, le ministre du Commerce extérieur du Canada faisait part au premier ministre du Québec des intentions du gouvernement du Canada sur cette importante question, et selon le ministre Crosbie, le ministre du Commerce extérieur, M. le Président, la position qu'entend adopter le gouvernement fédéral sur ce sujet serait la suivante: premièrement, et je termine dans quelques mots: accorder aux provinces la possibilité de jouer pleinement sur le plan intérieur un rôle consultatif important en ce qui concerne la gestion générale de l'accord; deuxièmement: maintenir après le 1er janvier 1989 le comité permanent des négociations commerciales, lieu de consultation et d'information pendant le déroulement des négociations bilatérales; troisièmement: consulter les provinces lors de la poursuite des négociations en vue d'améliorer l'accord ou d'en élargir la portée; quatrièmement: en ce qui a trait au mécanisme de règlement des différends, consulter étroitement les provinces sur les questions qui les concernent ou qu'elles soulèvent, et enfin cinquièmement, M. le Président: dans les différends concernant les droits antidumping, et les droits compensateurs, les provinces pourraient agir conformément au règlement de la loi sur le mesures spéciales d'importation.

Voilà. Cette proposition du ministre Crosbie, M. le Président, répond aux principales attentes du Québec. Cependant, afin de ne pas dépendre de la bonne volonté du gouvernement fédéral, le Québec souhaite-Le Président (M. Charbonneau): Je vous

invite à conclure...

M. Rémillard: ...qu'un mécanisme...

Le Président (M. Charbonneau): Parce que...

M. Rémillard: J'ai vraiment terminé.

Le Président (M. Charbonneau): Bon, d'accord.

M. Rémillard: Nous souhaitons qu'un mécanisme permanent de consultation fédérale provinciale soit mis en place. Nous demandons donc que cette importante question soit discutée à la prochaine conférence fédérale-provinciale des premiers ministres. Voilà, M. le Président, mes principales observations.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Jacques Brassard

M. Brassard: On se rappellera que le premier ministre du Québec, dans les premiers mois de la négociation sur un accord de libre-échange, et j'ai plusieurs déclarations à cet effet, je vous en fais grâce, parlait très nettement d'une implication du Québec lui-même dans le processus de ratification, considérant cela comme la police d'assurance, et je le cite, "ultime pour le Québec et irremplaçable". Également, à une autre occasion, en période de questions, évoquant le jugement de 1937, il indiquait que c'est évident qu'on a besoin du concours des provinces pour que le traité puisse être appliqué, faisant état encore une fois d'une implication du Québec dans le processus de ratification. Ce fameux jugement de 1937 établit, rappelons-le, que la mise en oeuvre des traités internationaux dans des sphères de juridiction provinciale revenait aux Parlements des provinces. Ce principe prévaut encore en 1988 à défaut de jurisprudence significative à l'effet contraire. Un exemple qui vient à l'idée c'est la loi concernant l'enlèvement international d'enfants, adoptée en 1984 par l'Assemblée nationale et qui faisait suite à un traité international sur le même sujet.

Les propos du premier ministre à l'Assemblée étaient donc conformes à l'état du droit et de la pratique constitutionnelle et s'appuyaient sur des précédents suffisamment solides pour justifier l'apparente fermeté qui s'en dégageait à l'époque. Comment donc expliquer qu'on se contente finalement de si peu? Comment expliquer une telle volte-face? Il n'y a pas l'ombre d'un début de processus de ratification par les provinces dans l'accord final ainsi que dans le projet de loi fédéral de mise en oeuvre. Une erreur fondamentale au point de vue du droit constitutionnel a été commise à notre avis, soit celle de laisser le traité se conclure sans que le

Québec occupe une place formelle au cours des négociations et surtout au niveau de sa signature et de sa mise en oeuvre ultérieure.

À partir du moment où on a choisi au gouvernement du Québec - est-ce tactique, faiblesse, insouciance ou les trois à la fois? - de s'écarter de la voie qu'avait lui-même tracée le premier ministre, on s'est condamné à être sur la défensive et de continuellement être obligé de plaider, lors de futures contestations judiciaires, contre le poids formidable de l'exercice concret par le gouvernement fédéral de sa compétence constitutionnelle en matière de relations internationales et de commerce extérieur. Lorsqu'un tribunal aura à se prononcer sur l'essence même d'une loi fédérale de mise en oeuvre du traité, à savoir s'il s'agit d'un accessoire du pouvoir fédéral en matière de commerce extérieur ou, au contraire, d'une loi visant essentiellement à régir un domaine de compétence provinciale, il y a gros à parler que les représentants du Procureur général du Québec se retrouveront en piteux état face au rouleau compresseur du traité. Donc, grosse erreur de commise, aucune ratification formelle par le Québec. C'était une des conditions les plus fondamentales qu'il fallait qu'Ottawa respecte.

Maintenant que le Québec a abdiqué, on est en position de faiblesse perpétuelle en partant. Maintenant que le mal est fait et qu'on est pris avec un accord conclu sans le Québec, que dire du projet de loi C-130, lui-même? L'article 6 a été une sorte de révélation pour tout le monde. Admettons, comme l'affirme le premier ministre et pour des fins de discussion, qu'il n'est pas créateur de droit. Il reste qu'il est drôlement révélateur des intentions du fédéral en matière de mise en oeuvre du traité. Et n'allons pas laisser entendre qu'il n'y a pas de problèmes parce que le Québec n'est pas partie à l'accord et qu'il n'est pas touché par le contenu de celui-ci. Il l'est de façon directe par l'article 6 qui parle du pouvoir du Parlement fédéral d'adopter la législation nécessaire à l'exécution des obligations du gouvernement du Canada qui en découlent. Et la première des grandes obligations de l'accord pour le Canada est celle mentionnée à l'article 103 de l'accord: "Les parties au présent accord veilleront à ce que toutes les mesures nécessaires soient prises pour donner effet aux dispositions de l'accord, y compris à leur observance"... "par les gouvernements des États et des provinces et les administrations locales."

Cette obligation imposée au Canada par rapport aux provinces est très vaste et s'ajoute à celles qui sont nommément imposées aux provinces en matière de traitement national, en matière d'énergie, en matière de services, en matière d'investissement et d'autorisations de séjour temporaire. Si l'article 6 n'a été ajouté que pour plaire aux Américains, il doit être retiré parce que complètement inutile. S'il constitue une nouvelle base d'empiétement, notamment au niveau des obligations créées par

l'article 103 qui viennent s'ajouter au poids constitutionnel même de l'accord, il doit être encore plus combattu avec vigueur, surtout qu'il est dans un projet de loi sur lequel le fédéral a l'entier contrôle et qu'il peut modifier à loisir. Ce n'est pas tout de le dénoncer. (13 h 15)

Le premier ministre a préféré une attitude défensive - c'est confirmé par le ministre. Le Québec fera adopter ses propres lois et attendra les contestations judiciaires. Au soutien de sa position, il invoque souvent l'attitude du Québec en 1975 face à la loi fédérale sur le contrôle des prix. Ce n'est pas un précédent exemplaire, je vous le dis. On s'est donné à ce moment-là, et il me semble qu'on veuille le faire encore, un coup de marteau sur la tête avant d'en recevoir un. Ne vous dérangez pas, je m'assomme moi-même. On se dépêche de s'appliquer l'accord et de se faire oublier en espérant que le gouvernement fédéral ne viendra pas un jour nous bousculer.

Que dire de l'article 9 du projet de loi C-130 concernant l'alcool qui constitue du jamais vu sur le plan constitutionnel et qui mériterait plus qu'une simple dénonciation. L'alcool est un domaine que la jurisprudence a maintes fois reconnu comme de compétence provinciale. Le fait que nous nous sentions peu touchés par le chapitre 8 de l'accord ne doit pas nous faire perdre de vue que l'article 9 est une attaque directe contre les provinces au niveau constitutionnel. Peut-on tolérer un tel affront et laisser passer le tout, tout en espérant plus tard plaider avec crédibilité contre un empiétement fédéral? La maxime "qui ne dit mot consent" vaut aussi en droit constitutionnel. De plus, même si le Québec se fait toujours fort aujourd'hui de satisfaire aux normes de l'article en matière de respect du traité concernant l'alcool, il reste soumis au jugement de valeur du gouverneur en conseil, qui, lui, pourra évoluer.

La question de savoir quelle attitude le Québec entend prendre face à l'article 9 ou à un règlement pris en vertu de celui-ci est donc des plus préoccupantes. Je m'arrête ici en indiquant que, quant à nous, quant à l'Opposition, la première condition de respect intégral de ces compétences législatives posée au départ par le gouvernement du Québec, quant à nous, nous jugeons et nous estimons qu'elle n'est pas respectée. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le député de Lac-Saint-Jean. Maintenant, M. Proulx, brièvement... Je pense que vous voulez donner la parole, par la suite, à M. Binette. C'est cela?

Coalition contre le libre-échange M. Jacques Proulx

M. Proulx: Oui, M. le Président. Une entrée et ensuite je partage avec Me Binette. M. le Président, le projet de loi C-130 déposé à la

Chambre des communes constitue, selon nous, un des pires coups de force fédéral dans les champs de compétence provinciale. Depuis au-delà des 50 dernières années, en dehors de toute partisanerie politique, les partis au pouvoir ou dans l'Opposition, à une exception près, ont toujours défendu jalousement les pouvoirs de la province.

Malheureusement, à la lumière du projet de loi et aux réactions préliminaires qu'on a à l'heure actuelle, cette tradition semble vouloir s'effriter. Je ne reprendrai pas complètement l'article 9. On vient d'en parler. Cela montre passablement le danger qu'on voit autour de l'article 9 avec l'exemple des vins, c'est bien évident. Mais il y a beaucoup plus que cela. C'est le pouvoir que le Conseil des ministres se donne au gouvernement fédéral, en fait, le pouvoir de passer par-dessus un certain nombre de discussions à la Chambre des communes.

L'article 6, comme il a été dit, traduit les obligations et portées de l'entente bilatérale. Pour nous, c'est l'épine dorsale d'une centralisation progressive des pouvoirs d'Ottawa au détriment des provinces. Par cet article d'une portée sans précédent, le Parlement fédéral s'approprie, selon nous, les pouvoirs exclusifs de mettre en place les moyens nécessaires à la mise en oeuvre du traité.

Je demanderai à Me Binette de compléter notre entrée.

Le Président (M. Charbonneau): Me Binette, constitutionnaliste.

M. André Binette

M. Binette (André): Merci, M. le Président. Toute analyse juridique de la mise en oeuvre en droit canadien de l'Accord de libre-échange doit commencer par une constatation fondamentale et incontournable. Cette constatation est que l'Accord de libre-échange canado-américain entraînera une centralisation graduelle et croissante des pouvoirs économiques dans la fédération canadienne.

Autrement dit, les provinces devront payer un coût constitutionnel pour l'Accord de libre-échange et ce coût constitutionnel ira en s'ac-croissant avec les années. Ceci n'est pas une position farfelue ou extravagante. Le comité des affaires étrangères du Sénat canadien convoquait le 23 février dernier quatre sommités constitutionnelles de toutes les régions du Canada: le professeur Petter de l'Université de Victoria, le professeur Fairiey de l'Université d'Ottawa, le professeur Morris de l'Université de Toronto et le professeur Bernier de l'Université Laval.

Tous étaient unanimes pour dire qu'il y aurait dépérissement graduel et significatif des compétences économiques des provinces à la suite de la mise en oeuvre de l'Accord canado-américain de libre-échange. C'est une position qui fait consensus chez les constitutionnalistes. La fédération canadienne est nettement plus décen-

tralisée que la fédération américaine. Elle est l'une des deux fédérations les plus décentralisées au monde avec celle de la Suisse. Cette situation risque d'être remise en cause avec l'accord.

Nous voyons les premiers fruits de cela avec les articles 6 et 9 du projet de loi C-130. Mais le problème remonte à l'article 103 de l'Accord de libre-échange qu'on nous a lu tantôt. Il faut savoir que l'article 103 est une clause inusitée en droit international, qu'elle impose aux parties, c'est-à-dire au gouvernement fédéral canadien et au gouvernement américain de prendre toutes les mesures nécessaires pour s'assurer que les États fédérés des deux côtés de la frontière respectent les dispositions de l'accord. Le terme "moyens nécessaires ou mesures nécessaires" est inusité en droit international. La clause fédérale classique parle plutôt de moyens raisonnables et, généralement, cela veut dire que ces mots sont interprétés pour dire qu'on respecte la diversité interne dans une constitution fédérale. Ici, il y a déjà un élément de contrainte qui est sous-entendu. Il y a déjà une politique constitutionnelle agressive qui est implicite à l'article 103. Les premiers fruits de cette politique constitutionnelle centralisatrice se trouvent aux articles 6 et 9 du projet de loi fédéral. Il y en aura d'autres parce que cet accord est appelé à se ramifier et à étendre sa portée avec le temps, notamment au sujet des subventions, comme on l'a déjà dit.

Ce qu'il faut savoir également, c'est que la Cour suprême est en train de faire un virage très important dans sa lecture du partage des compétences économiques, un virage nettement plus favorable au gouvernement fédéral. Le gouvernement fédéral en est parfaitement conscient. C'est pour cela que le ministre du Commerce fédéral, M. Crosbie, est si confiant devant la menace de contestation judiciaire du gouvernement de l'Ontario et c'est également pour cette raison que le premier ministre, M. Peter-son, ne met pas cette menace à exécution. La contestation judiciaire risquerait de durcir les positions de la Cour suprême, d'accélérer son cheminement vers la centralisation et de donner une victoire déterminante au gouvernement fédéral, qui affaiblirait non seulement l'Ontario, mais également toutes les autres provinces, y compris celles, comme le Québec, qui sont favorables au libre-échange. C'est pour cette raison que la seule façon de préserver l'autonomie décisionnelle des provinces en matière économique, est une opposition politique à l'accord. Comme l'ont fait dans un autre dossier, M. Claude Castonguay ainsi que le président du Mouvement Desjardins et le ministre délégué aux Finances et a la Privatisation québécois, M. Pierre Fortier, dans le dossier de l'intrusion fédérale dans les pouvoirs économiques provinciaux au sujet de la réglementation des institutions financières.

Le gouvernement du Québec devrait au minimum exiger le retrait des articles 6 et 9 pendant qu'il est encore temps de le faire, c'est-à-dire avant les élections fédérales et avant l'entrée en vigueur de l'accord.

Je termine par une question: pourquoi le projet de loi fédéral ne contient-il pas une disposition qui protège les compétences économiques des provinces? On pourrait imaginer, par exemple, qu'une clause stipulerait: Rien dans l'accord de libre-échange et rien dans l'article 103, en particulier, ne doit être interprété de manière à porter atteinte aux compétences législatives des provinces canadiennes, telles qu'elles sont interprétées en 1988. Cette clause n'existe ni dans l'accord ni dans le projet de loi C-130 et, je pense qu'en soi c'est très révélateur. Je pose cette question au gouvernement.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, Me Binette. Maintenant, pour le regroupement, Me Bernier de l'Université Laval.

Regroupement pour le libre-échange M. Ivan Bernier

M. Bernier: Merci, M. le Président. Simplement pour clarifier le débat sur le thème de la mise en oeuvre et des aspects constitutionnels, j'aimerais commencer en apportant quelques précisions qui sont les suivantes.

La mise en oeuvre au sens large fait référence à l'ensemble des mesures législatives réglementaires ou purement administratives destinées à permettre la pleine réalisation des objectifs de l'accord. Certaines de ces mesures ont un caractère essentiellement économique, telles les mesures destinées à faciliter l'adaptation qui ont été discutées ce matin. D'autres ont un caractère politique. On peut songer, par exemple, à la mise en place de structures de concertation fédérale-provinciale pour le bon fonctionnement de l'accord. Finalement, il y a, dans ce dernier groupe de mesures, les mesures les plus urgentes dans le temps et les plus visibles, celles à caractère législatif.

Parmi ce dernier groupe de mesures, la très vaste majorité relèvent de la compétence du Parlement fédéral. Des quelque 153 articles que contient le projet de loi fédéral de mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange, pas moins de 140 traitent des modifications apportées aux lois fédérales. Donc, c'est essentiellement un texte qui vise à modifier des lois fédérales pour faciliter la mise en oeuvre de l'accord.

Ceci ne veut pas dire pour autant que l'accord n'aura aucun impact sérieux sur l'exercice des compétences des provinces. Si tel était le cas, on pourrait certainement douter de l'utilité réelle d'un tel accord. L'obligation d'octroyer le traitement national, même lorsqu'elle ne vaut que pour le futur, comme c'est le cas assez souvent dans l'accord, implique une renonciation à certains comportements discriminatoires. Il s'agit ici, pour les provinces, de

renoncer d'elles-mêmes à certains comportements qui seraient incompatibles avec la philosophie et les objectifs de l'accord.

J'en profite pour préciser, M. le Président, que je n'ai jamais devant le comité du Sénat fait valoir qu'il y aurait un transfert majeur de compétence du côté du Parlement fédéral. Ce que j'ai dit et ce que j'affirme encore, c'est que les provinces vont devoir elles aussi s'adapter aux exigences et à la philosophie de l'Accord de libre-échange.

Enfin, les problèmes de droit constitutionnel proprement dits se soulèvent dès lors que l'on affirme que cette renonciation à certains comportements repose sur un abandon forcé ou un transfert de compétence appartenant de par la constitution aux provinces.

Ces clarifications étant faites, permettez-moi maintenant de vous faire part de mes propres convictions sur le sujet. Pour simplifier et être le plus bref possible, je vais prononcer en énonçant essentiellement quatre propositions sur lesquelles nous pourrons revenir si cela est souhaité. Ma première proposition est en ce sens que la notion de commerce international dans les documents juridiques internationaux a considérablement évolué depuis une trentaine d'années et englobe maintenant, au-delà des droits de douane, une foule de comportements étatiques jugés discriminatoires ou autrement incompatibles avec l'objectif de libéralisation des échanges internationaux. C'est là l'évolution que l'on retrouve dans le GATT et de façon encore plus prononcée dans la Communauté européenne. Au moment où cette dernière en est à la phase ultime de la réalisation d'un véritable marché unique entre les États membres, il serait pour le moins paradoxal qu'à la façon de l'autruche nous refusions de notre côté de reconnaître cette réalité.

Ma deuxième proposition est que le droit constitutionnel canadien reconnaissant au Parlement fédéral la compétence sur le commerce international, il serait pour le moins étonnant que la conception que se font les tribunaux du partage des compétences dans ce domaine, sans égard à l'Accord de libre-échange, reste figée dans le temps. Plutôt que de s'accrocher à une conception passée il vaudrait beaucoup mieux de s'appliquer à cerner les nouveaux contours de ce concept de commerce international.

Ma troisième proposition est que l'Accord de libre-échange offre à cet égard une chance peut-être unique de dégager un nouveau consensus, avant même que des actions ponctuelles ne viennent brouiller les cartes. Ce qui ressort de cet accord, en effet, est que tant les provinces que le fédéral doivent renoncer à exercer leur compétence de façon discriminatoire. Pour les provinces, cette obligation qui se traduit particulièrement par l'obligation d'octroyer le traitement national équivaut à renoncer d'elle-même à de tels comportements. Mais entre renoncer à la perte de pouvoirs à discriminer et la perte de pouvoirs dans un domaine donné il y a une différence. Ce qu'il importe donc avant tout de faire reconnaître c'est que toute intervention des provinces dans le domaine du commerce intraprovincial, dès lors qu'elle ne discrimine pas manifestement à l'endroit des produits étrangers, doit être considérée comme constitutionnelle.

Ma quatrième proposition est que le texte de la loi de mise en oeuvre de l'accord à ses articles 6 et 9 ne contredit pas fondamentalement cette vision, encore que l'un et l'autre auraient pu facilement être laissés de côté et auraient dû préférablement l'être, pour l'article 9, sans mettre en danger la mise en oeuvre de l'accord. L'article 6 doit être interprété de façon conforme au partage des compétences. Il ne peut, en soi, enlever quoi que ce soit aux compétences des provinces; son rôle dans l'économie du projet de loi est de servir de clause résiduaire. L'article 9, limité dans son application au chapitre 8 de l'accord, laisse aux provinces la responsabilité de se conformer aux engagements qui y sont prévus d'éliminer toute forme de discrimination à l'égard des produits américains. À défaut pour elle de ce faire, l'article 9 autorise le Parlement à agir. Cette façon de procéder est non nécessaire: Les tribunaux étant en mesure de régler la question; maladroite, car il est difficile de voir comment le gouvernement pourrait parvenir à se substituer aux provinces et, surtout peu conforme à l'esprit de l'accord. Elle devrait disparaître.

En conclusion, je considère que les provinces ne sont pas dépourvues de moyens d'action si l'évolution de la mise en oeuvre de l'accord devait aller dans un sens différent de ce qu'elles souhaitent. Le fédéral est très au courant du fait que par les pouvoirs exécutifs qui leur appartiennent les provinces de différentes façons pourraient très bien rendre fort difficile une application intégrale de l'Accord de libre-échange. Il ne peut être dans son esprit de pousser les provinces à aller dans cette direction. Par ailleurs, les provinces, au-delà des renonciations découlant de l'accord, demeurent libres de légiférer de façon innovatrice pour stimuler le dynamisme de leur économie; j'irais jusqu'à dire que c'est un élément important du succès de l'accord qu'elles agissent de cette façon. Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, Me Bernier. J'ai deux intervenants déjà d'inscrits, M. le député de Lac-Saint-Jean et Me Binette. Alors, M. le député de Lac-Saint-Jean. (13 h 30)

Discussion générale

M. Brassard: Merci, M. le Président. Je pense qu'il est important de le dire et de le répéter. Dans cet Accord de libre-échange, sur le plan du partage des compétences et sur le plan de la protection des compétences du Québec, il y a, à mon avis, une dynamique centralisatrice qui comporte des dangers très graves et très réels

pour les compétences et les juridictions québécoises. Je pense que cela semble faire l'unanimité des observateurs. Il y a une dynamique centralisatrice qu'il convient de contrer si l'on veut protéger et préserver les compétences et les pouvoirs du Québec.

Je dirais, avant de poser une question, M. le Président: C'est bien joli un décret - une petite nouvelle que nous apporte le ministre - du gouvernement. Remarquez que, quant à moi, j'aurais préféré une résolution adoptée à l'Assemblée nationale. Cela aurait eu sans doute plus de force qu'un décret adopté par le Conseil des ministres. Mais je pense qu'il est important de noter que l'erreur s'est faite au départ. Au départ, le premier ministre a toujours parlé et a toujours insisté pour que le Québec soit partie prenante au processus de ratification. Cela ne s'est pas fait et il a reculé à ce point de vue. Il a battu en retraite. Il n'a pas insisté, il n'a pas exigé que le Québec soit partie prenante au processus de ratification. Je pense que c'est l'erreur de départ pour ce qui est des compétences du Québec. Il aurait dû au moins insister et exiger l'introduction dans l'Accord de libre-échange d'une clause dite fédérale qu'on retrouve dans beaucoup de traités.

Tantôt, je faisais référence au traité sur l'enlèvement international des enfants. Il y a avait une clause fédérale qui disait que, dans le cas d'un État constitué en régime fédératrf comme c'est le cas du Canada, il est mentionné dans le traité que sa mise en oeuvre en tout ou en partie relèvera d'une ou de plusieurs autorités provinciales selon le partage des compétences prévues dans la constitution de cet État fédéral. Il n'y a même pas de clause fédérale dans l'Accord de libre-échange. On aurait pu, à tout le moins, exiger l'introduction d'une telle clause. Cela aurait pu servir de garanties pour les compétences même du Québec.

Je constate que, sur l'article 9, il y a unanimité de toutes les parties. Je ne sais pas si c'est arrivé beaucoup depuis hier. Il y a unanimité pour dire que l'article 9 - même le ministre l'a dit - est une intrusion, une ingérence du gouvernement fédéral dans un domaine de juridiction provinciale, sauf qu'après avoir dit cela, le ministre s'arrête là. Dans beaucoup de domaines, comme c'est le cas de C-72, cela ne nous concerne pas directement, mais dans beaucoup de domaines, on est en face de ce que j'appellerais un gouvernement déclara-toire. Il fait des déclarations, il s'indigne et cela s'arrête là. Là-dessus, sur l'article 9, le ministre vient de nous dire: C'est une intrusion, c'est une ingérence. Le premier ministre l'avait dit aussi et c'est tout.

Je termine mon intervention par la question bien simple: Une fois que le gouvernement a dénoncé l'article 9, que faites-vous par rapport à cet article que vous jugez sans équivoque comme une ingérence et une intrusion du fédéral dans nos champs de compétence?

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.

M. Rémillard: Pour répondre à la question du député de Lac-Saint-Jean, il est bien sûr que j'ai dit et je le répète que l'article 9 est un article qui, à toutes fins utiles, signifie une ingérence du gouvernement fédéral dans un domaine de compétence provinciale. C'est un élément qui est très important, surtout dans le contexte d'un traité international. Négocier un traité international, le ratifier, c'est une compétence qui relève, selon la constitution canadienne, de la juridiction du gouvernement fédéral. Son application dépendra du partage des juridictions entre le gouvernement fédéral et les provinces. Si, par exemple, un traité est conclu en matière d'éducation, rien n'empêche Ottawa de le négocier, de le ratifier, mais l'application devra impliquer nécessairement le gouvernement provincial puisque l'éducation est une compétence exclusive des provinces.

Dans ce cas-ci, M. le Président, on s'entend pour dire que plus de 90 % de ce traité de libre-échange avec les États-Unis se réfère à des domaines de juridiction fédérale. En particulier, il faut bien comprendre que l'article 9 fait référence aux vins, aux alcools. Or, en ce qui nous concerne, nous, comme gouvernement du Québec, sommes d'accord avec le traité du libre marché. Nous sommes d'accord avec ce qui concerne spécifiquement la question des alcools et des vins. C'est donc dire que nous allons appliquer ce traité en fonction de l'utilisation de nos juridictions concernant ces matières de vins et d'alcools qui relèvent de notre juridiction comme gouvernement provincial.

Le député de Lac-Saint-Jean nous disait tout à l'heure qu'il n'y a eu aucune ratification formelle par le gouvernement du Québec. C'est faux, parce que le décret du gouvernement du Québec, pour ratifier cette entente eu égard à nos champs de juridiction, est justement le geste formel qui ratifie, au nom du gouvernement du Québec, cette entente entre les États-Unis et le Canada. Mais, évidemment, en fonction du champ de juridiction du Québec.

Le député de Lac-Saint-Jean me disait qu'il aurait mieux fallu avoir une résolution de l'Assemblée nationale. Mais nous en sommes au stade de l'exécutif gouvernemental, puisque la conclusion du traité, c'est la ratification du traité. Lorsqu'il s'agira de mettre en oeuvre ce traité par des mesures concrètes législatives, si on devait légiférer, à ce moment-là, l'Assemblée nationale sera amenée à légiférer.

Le Président (M. Charbonneau): Très bien...

M. Rémillard: Mais, dans un premier temps, en terminant, je dirai simplement que, lorsqu'on parle de ratification formelle, le décret gouvernemental est la ratification formelle de la part

du gouvernement du Québec.

Le Président (M. Charbonneau): M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Brassard: Simplement sur l'article 9, je voudrais bien qu'on se comprenne. Est-ce que le ministre est en train de nous dire, après avoir reconnu que c'était une intrusion, que le gouvernement du Québec va appliquer la procédure prévue à l'article 9? Qu'il va donc se soumettre et reconnaître du même coup cette ingérence du gouvernement fédéral dans un secteur de compétence exclusivement québécoise. C'est finalement un peu contradictoire. Dans un même souffle, il nous dit: C'est une ingérence. Quelle action le gouvernement du Québec va-t-il poser? On va appliquer la procédure prévue à l'article que l'on dénonce. C'est un peu contradictoire, ne trouvez-vous pas, M. le ministre?

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.

M. Rémillard: Ce que je pourrais répondre au député de Lac-Saint-Jean est ceci: L'article 9 est une ingérence du gouvernement fédéral dans un domaine de compétence provinciale, mais une ingérence en potentialité, c'est-à-dire que cela ne s'applique pas au Québec parce que nous appliquons nous-mêmes nos compétences législatives pour mettre en oeuvre ce traité. Potentiellement, cela pourrait l'être. Il ne faut pas se le cacher. Cet article 9 a été fait en fonction de l'Ontario. Le gouvernement ontarien qui, manifestement, a des hésitations très fortes en ce qui concerne l'application du traité de libre-échange d'une façon générale et en particulier, en ce qui a trait aux vins et aux alcools. Ce que nous disons nous, c'est que, de toute façon, on n'a pas besoin de se soucier de cet article 9 puisque nous allons appliquer nous-mêmes, en utilisant nos juridictions, notre capacité législative dans nos domaines de juridiction selon la constitution canadienne pour appliquer ce traité de libre-échange.

Il faut bien comprendre que, lorsqu'on parle de cette distribution de compétences entre les deux paliers de gouvernement, lorsqu'on insiste autant pour le respect des juridictions provinciales, ce n'est pas simplement pour faire des guerres de drapeaux. Il faut bien qu'on le comprenne. C'est une question d'efficacité. C'est une recherche d'efficacité. Chaque gouvernement pouvant agir dans sa sphère de juridiction, c'est ainsi que l'action des deux paliers de gouvernement sera coordonnée, que l'action gouvernementale tant au niveau fédéral que provincial sera la plus efficace possible et que nous allons pouvoir avoir des politiques qui vont s'appliquer de façon efficace.

Donc, M. le Président, je dis en concluant, en fonction de cette remarque du député de Lac-Saint-Jean: L'article 9, pour nous, on n'a pas besoin de s'en soucier dans son application puisque nous allons utiliser nos propres compétences pour appliquer le traité.

Le Président (M. Charbonneau): Me Binette.

M. Binette: J'aimerais réitérer la question que j'ai posée tout à l'heure et à laquelle je n'ai toujours pas obtenu de réponse. Je voudrais savoir pourquoi le gouvernement du Québec n'exige pas du gouvernement fédéral l'insertion dans le projet de loi fédéral d'une clause qui protégerait les compétences économiques des provinces afin d'éviter qu'il y ait d'autres articles 9 à l'avenir.

M. Rémillard: II n'y a aucune clause qui peut protéger la compétence législative du Québec si ce n'est la constitution même. Je dois vous dire que la constitution à ce niveau - on l'a expliqué tout à l'heure - vous la connaissez comme moi - fait ce partage dans l'application des traités entre la province et le gouvernement fédéral. Il n'y a aucune clause qui aurait de valeur politique comme telle... Je vois tout de suite le député de Lac-Saint-Jean de l'Opposition nous dire: Mais vous vous contentez des déclarations politiques. Mais, écoutez, il faudrait changer la constitution, il faut se référer à la constitution et nous, en ce qui regarde présentement cette situation du droit, pas le droit tel qu'il pourrait être éventuellement. On le verra dans son éventualité, mais tel que nous devons l'étudier présentement, tel qu'il se présente à nous, en fonction de cette entente qui a été signée le 2 janvier dernier entre le premier ministre du Canada et le président des États-Unis.

La conclusion qui s'impose, c'est que dans les champs de compétence provinciale, peut-être environ 8 % du traité, la province a compétence. Si le gouvernement fédéral, en ce qui nous regarde, devait utiliser sa capacité législative ou administrative pour légiférer dans un champ de compétence provinciale pour appliquer ce traité, on prendrait les mesures nécessaires devant les tribunaux pour faire déclarer un tel geste inconstitutionnel. On n'acceptera jamais que, par le biais d'un traité international, le gouvernement fédéral puisse modifier le partage des compétences législatives. Pour modifier le partage des compétences législatives, il faut utiliser le processus d'amendement qui est prévu dans la constitution. Dans ce contexte, M. le Président, il faut faire référence à la constitution. La seule garantie que nous avons, c'est la constitution du Canada et elle nous donne des garanties.

Le Président (M. Charbonneau): Merci. Me Binette.

M. Binette: Oui, je constate qu'il y a une ingérence dans l'article 9. Vous l'avez vous-même reconnue et, pourtant, vous ne contestez pas

cette ingérence devant les tribunaux. Vous ne défendez pas les pouvoirs actuels du gouvernement du Québec devant les tribunaux alors que cette ingérence existe.

À mon avis, M. le Président, le gouvernement Mulroney a deux politiques constitutionnelles, il y en a une qui est relativement décentralisatrice. Elle est contenue dans l'entente du lac Meech et est en rupture avec les attitudes plus rigides du gouvernement fédéral antérieur. Mais sur des questions économiques, parce qu'on sait que l'entente sur le lac Meech ne concerne pas ou très peu les questions économiques, le gouvernement Mulroney poursuit une politique constitutionnelle qui est en parfaite continuité avec celle du gouvernement Trudeau. Ce n'est pas seulement dans le dossier sur le libre-échange qu'on le voit. J'ai mentionné tantôt celui de la réglementation des institutions financières où on a vu des interventions très fermes du ministre délégué aux Finances et à la Privatisation, M. Pierre Fortier, du président du Mouvement Desjardins et de M. Claude Castonguay. Il y a aussi le dossier du droit de la concurrence, le droit de la réglementation des fusions et des acquisitions d'entreprises. Il y a une affaire très importante actuellement devant les tribunaux, l'affaire Alex Couture, devant la Cour supérieure ici, à Québec. C'est une affaire qui ira probablement jusqu'en Cour suprême et à laquelle les procureurs fédéraux attachent visiblement une grande importance puisque, selon mes informations, ils ont demandé de reporter les plaidoiries de plusieurs mois pour présenter des notes écrites, ce qui est une procédure inusitée au niveau de la Cour supérieure.

Il y a un lien entre cette politique constitutionnelle centralisatrice en matière économique et celle du gouvernement Trudeau. Ce lien, on le voit à partir du livre blanc du gouvernement Trudeau de 1980, qui a paru dans les circonstances que l'on sait à l'époque, et qui prônait un renforcement de l'union économique canadienne par des amendements constitutionnels. Évidemment, les premiers ministres des provinces n'ont pas consenti à un tel abandon de leur prérogative en matière économique, mais M. Trudeau a voulu que ses idées continuent de faire leur chemin - c'était la partie inachevée de son oeuvre constitutionnelle - et il a créé la commission sur l'union économique canadienne, c'est-à-dire la commission MacDonald pour que ces idées aboutissent un peu plus tard. C'est ce qui se produit: La commission MacDonald a retenu ses propositions de renforcement de l'union économique canadienne au moyen de modifications constitutionnelles et elle y a ajouté la notion de libre-échange. (13 h 45)

M. Mulroney, en arrivant au pouvoir, a recueilli cet héritage intellectuel direct du gouvernement Trudeau et le met en oeuvre, d'abord, avec l'article 103 de l'accord, les articles 6 et 9 du projet de loi et en comptant aussi sur l'interprétation élargie des compétences fédérales économiques qu'est en train de faire la Cour suprême du Canada. Vous savez que, depuis quelques années la Cour suprême du Canada donne des indications très sérieuses dans le sens qu'elle élargirait, qu'elle ferait une lecture du partage des compétences économiques nettement plus favorable au gouvernement fédéral. Alors, tout cela mène dans la même direction, tout cela est parfaitement logique. L'article 103 mène aux articles 6 et 9. Ces articles mènent plus loin à d'autres ingérences provinciales, et tout cela découle du livre blanc de MM. Trudeau et Chrétien de 1980.

Je pense qu'il faut faire une lecture dynamique et évolutive non seulement de l'accord parce que sa portée va s'étendre avec le temps. Il faut également faire une lecture dynamique et évolutive de la constitution canadienne qui est le produit non seulement du texte constitutionnel, mais de la jurisprudence, c'est-à-dire de l'interprétation que les tribunaux en ont fait au cours des années. L'avis du Conseil privé de 1937, on en a parlé et d'une certaine lecture de la Loi constitutionnelle de 1867 qui n'allait pas de soi et la Cour suprême peut revenir là-dessus un jour. Il n'y a pas de droit de veto, il n'y a pas de droit de retrait, il n'y a pas de droit d'opting out contre un jugement de la Cour suprême.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, Me Binette. Me Bernier.

M. Rémillard: Est-ce que je peux répondre à Me Binette?

Le Président (M. Charbonneau): Pas nécessairement. Oui, allez-y, Me Bernier.

M. Bernier: Je ne voudrais pas me transporter nécessairement sur le terrain du déterminisme juridique avec une analyse plus historique que celle qui vient d'être faite. Je pense que ce qui y est en cause ici, c'est l'Accord de libre-échange et sa portée concrète. Si on veut voir ce dont il est question dans cet accord en ce qui concerne les provinces, il faut regarder quelle est la nature exacte des engagements ou des obligations qui leur sont faites pour l'immédiat ou pour l'avenir. Ce qu'on constate, à la lecture de ce texte, c'est qu'essentiellement on leur demande d'éviter de discriminer à l'égard des produits étrangers les produits américains. Si vous interprétez les obligations en question, l'obligation de traitement national essentiellement, c'est celle qui revient constamment tout au long et lorsque vous regardez ce qu'il y a dans le chapitre sur les vins et alcools, ce dont il est question, c'est essentiellement une obligation d'accorder le traitement national, dites-le autrement, cela revient à dire ceci: Les provinces peuvent faire ce qu'elles veulent avec leur monopole sur les alcools, excepté discriminer à l'égard des produits étrangers.

Or, on peut se poser la question et il faudrait peut-être effectivement y songer sérieusement, dans quelle mesure, à l'heure actuelle, Accord de libre-échange ou pas accord, il est possible pour les provinces de mener des actions qui soient nettement discriminatoires à l'égard des produits américains puisqu'il s'agit d'un accord de libre-échange avec les États-Unis eu égard à la constitution canadienne? Ma réponse à ceci est que: Essentiellement ce qui est fait à l'heure actuelle dans l'Accord de libre-échange, c'est simplement de dire et de faire reconnaître que, dans un domaine donné, les provinces vont cesser volontairement certains types de comportements sans remettre en cause leur compétence générale d'agir, qu'il s'agisse du monopole sur les alcools ou d'autres domaines. C'est essentiellement le caractère discriminatoire qui est mis en cause dans cet Accord de libre-échange et les vastes transferts de compétences au Parlement fédéral ne sont pas des choses qui sont considérées en soi dans cet accord.

Le Président (M. Charbonneau): M. Larose.

M. Larose: II me semble qu'on avait eu un problème quand il y avait eu la loi C-73. Je sais que les Législatures provinciales avaient pris les devants. C-73 c'était pour bloquer les prix et les salaires et les provinces étaient allées au devant. Nous, on avait eu la loi 64, je m'en souviens, et il me semble que l'exercice avait été contesté en Cour suprême et finalement il avait été reconnu que le gouvernement fédéral, en cas d'urgence, pouvait effectivement empiéter sur les compétences provinciales. Alors, pour l'exercice, disons, on s'est fait planter. Dans le cas d'un traité, est-ce que pour l'exercice on gagnerait? Sans être un spécialiste, il me semble que lorsque c'est un traité entre pays c'est encore un peu plus fort qu'une disposition domestique. Alors, dans ce sens, je trouve qu'on ne s'inquiète pas beaucoup d'une disposition dans un projet de loi qui carrément, sans gêne, identifie que, oui, on le fait volontairement, on empiète.

Je voudrais rappeler qu'il n'y pas que l'alcool. Il y a sept autres négociations qui s'en viennent, dont une couple vont encore toucher les compétences provinciales. Alors, peut-être qu'il n'est pas inutile d'entretenir quelques questions et craintes quant à une centralisation. Si on se rattache au débat d'hier quand on disait se faire ingérer par les États-Unis, c'est peut-être également par là que cela passe. C'est que, finalement, au plan constitutionnel, les affaires vont finir par épouser la dynamique économique. On a droit de le choisir, mais il faudrait reconnaître que c'est par là que ça s'en va. Je suis sûr que cela doit poser une question ou l'autre à notre ami, Landry, qui poursuit un autre projet politique. C'est qu'en fin de compte, on sera indépendants de quoi? C'est une grosse question. Il me semble qu'on n'est pas très... En termes de solidarité provinciale, je ne trouve pas très fort de dire que, parce que cela ne nous touche pas immédiatement, on réagira quand cela nous touchera. J'avoue que, si tu laisses l'ennemi faire la trace, quand tu vas être au bâton, il se peut bien que tu tombes en même temps. Alors, là-dessus, j'aimerais savoir la stratégie un peu plus musclée du ministre.

Le Président (M. Charbonneau): Je vais donner la parole au ministre. Ce sera le point de vue fédéraliste. Si M. Landry veut intervenir, ce sera le point de vue indépendantiste. M. le ministre, d'abord.

M. Rémillard: M. le Président, vous présumez beaucoup de choses.

Le Président (M. Charbonneau): Ha, ha, ha!

M. Rémillard: On va laisser répondre M. Landry tout à l'heure.

M. Landry: Dans mon cas, il ne présume rien du tout. C'est vrai que je poursuis un autre projet politique; c'est rigoureusement exact et je pense que tout le monde se rend compte autour de cette table que, pour le peuple du Québec, avoir le statut d'une simple province du Canada comporte de très lourds inconvénients. Par le fait que le traité de libre-échange ait été négocié non pas par le gouvernement du Québec, mais par le gouvernement du Canada, il y a une série d'inconvénients.

Je crois qu'il aurait été, sans faire de politique-fiction, beaucoup plus efficace d'être nous-mêmes à cette table, de même qu'il serait beaucoup plus efficace si nous nommions à ce tribunal d'arbitrage, qui découle du traité, des représentants directs du gouvernement du Québec et choisis par son Conseil exécutif, sauf que, encore une fois, on n'est pas dans la politique-fiction. On est dans la réalité canadienne et, fort heureusement, nous sommes dans une démocratie. J'ai confiance que cette démocratie finira un jour par colmater tous les inconvénients liés à l'inféodation du peuple québécois à un système politique qui ne lui donne pas la pleine liberté.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre.

M. Rémillard: M. Larose, votre commentaire est très intéressant et vous vous référez, entre autres, à 1976 avec ces événements qu'on a vécus, avec l'inflation qui connaissait à un moment un haut niveau, comme vous le savez, et vous avez raison de dire que c'était une situation d'urgence. Or, présentement, le contexte est différent. Si la Cour suprême devait se prononcer, elle ne se prononcerait pas en fonction de l'urgence. Je pense qu'on est tous d'accord en fonction d'un contexte de traité international.

L'article 9 pose certainement un problème

quant à l'ingérence du gouvernement fédéral dans un domaine de compétence provinciale. Cependant, vous comprendrez que, pour nous, elle ne s'applique pas, cette ingérence potentielle. L'article 9 ne nous cause pas de difficulté. Donc, il faut avoir un intérêt pour aller devant la Cour suprême pour le soulever. Pour nous, elle ne pose pas de difficulté. Si cela posait de la difficulté, on irait, bien sûr.

Maintenant, il reste à voir, si c'est contesté, si on ne pourrait pas intervenir avec une autre province pour faire valoir notre point de vue. Mais sur le plan pratique quant à l'application, à la mise en oeuvre de ce traité international signé par le Canada et les États-Unis, pour nous, cela ne pose pas de problème, parce qu'on utilise nos propres compétences législatives. Alors, je réponds également à Me Binette en ce sens qu'il faut quand même avoir l'intérêt pour procéder devant les tribunaux. L'intérêt, lorsque nous allons l'avoir, à ce moment-là, nous allons procéder en conséquence.

Me Binette a également fait référence à la Commission MacDonald, la Commission MacDonald qui est arrivée à la conclusion qu'il fallait ce traité de libre-échange avec les États-Unis, la Commission MacDonald qui est fondée également sur le principe d'un fédéralisme coopératif, fédéralisme qui permet d'avoir un gouvernement central fort, mais qui travaille, qui établit cette force en fonction de sa collaboration avec les provinces.

Je dois dire que dans tout le processus de discussions, de négociations qui a eu lieu pour aboutir à ce traité de libre marché avec les États-Unis, les provinces ont été impliquées. Nous sommes très satisfaits de l'implication que nous avons eue. Nous avons eu l'occasion de faire valoir nos points de vue. Quand M. Proulx nous dit: Vous n'êtes pas tellement portés à faire valoir les compétences législatives du Québec, je vous rappelle un événement qui s'est produit la semaine dernière, la signature avec le gouvernement fédéral d'une entente de développement économique régional qui va impliquer l'agriculture, qui sera tout à fait exceptionnelle pour nos agriculteurs. Nous avons réussi à faire cette entente après une négociation qui a été sérieuse et, je ne vous le cache pas, difficile à certains égards, mais nous avons fait respecter les compétences du Québec. Nous avons fait en sorte qu'il n'y ait aucune action du gouvernement fédéral en matière de développement économique régional au Québec qui ne soit faite sans l'accord du Québec.

Ce n'est pas simplement une bataille de juridiction, comme je le mentionnais tout à l'heure - vous le savez autant que moi - si nous voulons respecter nos juridictions, c'est pour que notre efficacité soit la plus évidente possible lorsque nous travaillons en relation avec le gouvernement fédéral, avec nos agriculteurs, avec nos travailleurs dans tous les domaines d'activité, et nous voulons travailler avec le gouvernement fédéral pour avoir une action vraiment efficace. C'est cela, faire respecter les juridictions. Il ne faut pas faire des guerres de drapeaux pour le plaisir de faire des guerres de drapeaux, mais il faut faire respecter nos domaines de juridiction pour l'efficacité, pour faire en sorte qu'on puisse travailler en étroite collaboration pour le mieux-être de notre population.

Que ce soit l'article 9 dans cette loi de mise en oeuvre du traité par le gouvernement fédéral, que ce soit cette entente que nous avons faite avec le gouvernement fédéral la semaine dernière sur le développement économique régional, que ce soit le projet de loi 72, comme le mentionnait le député de Lac-Saint-Jean tout à l'heure, la politique du gouvernement du Québec est toujours la même: le respect intégral des compétences législatives du Québec en fonction de cette recherche d'efficacité, de cette recherche de collaboration avec le gouvernement fédéral, pour le mieux-être de notre population.

Le Président (M. Charbonneau): Brièvement, parce qu'il reste à peu près trois ou quatre minutes, une réplique de Me Binette, qui a été un peu interpellé par le ministre...

M. Binette: Ce serait plutôt une question...

Le Président (M. Charbonneau): ...gentiment interpellé, et également M. Larose, brièvement, et M. Loubier, en finale. Par la suite, ce sera le député de Lac-Saint-Jean et, finalement, on terminera avec le ministre. Je vous demanderais, M. le ministre, compte tenu qu'il reste peu de temps, de permettre aux trois intervenants de poser les problèmes comme ils les voient et, dans vos remarques finales, vous pourrez peut-être donner une réponse globale, en même temps, sur l'ensemble du dossier. D'abord, Me Binette, M. Larose et M. Loubier.

M. Binette: J'aurais plutôt une brève question à poser au ministre.

Le Président (M. Charbonneau): II y répondra dans la période... Le problème, c'est qu'on a presque écoulé le temps. Allez-y.

M. Binette: Est-ce que le ministre reconnaît qu'il y a un consensus chez les constitutionnalis-tes - M. Rémillard est lui-même constitution-naliste - sur le fait que l'Accord de libre-échange aura définitivement un impact sur la compétence des provinces canadiennes et que - je cite les propos du professeur Ber-nier - "les provinces canadiennes peuvent à juste titre s'en inquiéter, mais qu'elles ne peuvent pas se soustraire à la réalité"?

Le Président (M. Charbonneau): Cela va? M. Larose.

M. Larose: Moi, ce serait plutôt sur le

caractère d'urgence. Je rappellerai au ministre que cette négociation s'est faite très rapidement, sans que personne n'ait de mandat et, pourtant, les élections avaient eu lieu quelques mois auparavant. On nous a toujours dit qu'il y avait péril en la demeure compte tenu des politiques de protectionnisme américain. Il fallait régler au plus sacrant bon nombre de questions. Je ne connais pas les juges, mais je suis sûr que cela pourrait avoir sa petite influence. Pourquoi prendrait-on fa peine de pondre un tel accord aux conséquences dont on a débattu pendant deux jours s'il n'y avait pas un caractère d'urgence? Dans ce sens, cela me surprendrait que ce soit comme une lettre à la poste.

Le Président (M. Charbonneau): M. Loubier, un dernier commentaire ou une question.

M. Loubier (Yvon): Je vais essayer d'être bref parce qu'il y a eu beaucoup de discussions autour des articles 6 et 9. J'écoute les discussions depuis le début du thème sur la constitution, et il m'apparaît qu'il y a un problème évident, en particulier avec l'article 9 et l'article 6. Je suis à la fois surpris et non surpris de ce que j'ai entendu de la part des représentants gouvernementaux et du regroupement pour le oui, compte tenu du discours un peu dogmatique qu'on a eu durant ces deux journées d'audiences sur le libre-échange. On nous dit - et cela, c'est généralisé du côté des adhérents à ce projet de loi C-130 - ne prenez pas nos pouvoirs ou notre autonomie relative, on va vous les donner; ne grugez pas nos compétences provinciales, nous les grugerons nous-mêmes. J'en suis à me demander, à partir de l'événement de 1982, la nuit des longs couteaux où on se déchirait les chemises sur le dos, où on en est rendus avec cela. Aujourd'hui, l'atmosphère semble optimiste, comme s'il n'y avait pas de problème. Pourtant, c'est évident, dans au moins deux articles de ce projet de loi C-130, que les compétences provinciales sont attaquées. J'aimerais aussi poser une autre question. Où est la société distincte dans cet accord? On ne la voit pas. (14 heures)

Un autre petit commentaire qui s'adresse particulièrement à M. Landry. M. Landry a la capacité d'évacuer le problème en parlant de ce qu'il devrait être et non pas de ce qu'il est. On fait face à un accord de libre-échange à l'heure actuelle avec un projet de loi C-130 où les compétences des provinces sont attaquées. Il ne s'agit pas de savoir ce qu'on aurait fait si on avait été à la table des négociations, mais le projet est là. Avant qu'on amène votre projet de société, j'ai l'impression qu'on sera moins qu'une province dans dix ou quinze ans d'ici.

Le Président (M. Charbonneau): Comme il y a eu trois interventions de l'opposition, je vais donner à M. Landry et à M. Bernier un bref temps de réplique. Ensuite, le député de Lac-

Saint-Jean et le ministre pourront conclure. M. Landry et M. Bernier, rapidement, s'il vous plaît.

M. Landry: Un mot seulement. Les États peuvent renoncer par traité, qui est une opération contractuelle, à une partie de leur souveraineté. C'est ce qu'ont fait les deux grands entre eux en limitant leurs possibilités de défenses nationales vis-à-vis les armements stratégiques. C'est ce que fait le gouvernement du Canada et ce que feront les gouvernements des provinces du Canada qui renonceront de façon contractuelle, dans les pouvoirs qui leur sont dévolus, à une partie de leur souveraineté pour un mieux-être supérieur.

Une société souveraine n'est pas une société bloquée. Une société souveraine n'est pas celle qui, de par sa souveraineté même, renonce à la coopération poussée avec les autres. La manifestation la plus grandiose de la souveraineté des deux d'ailleurs, c'est le dernier article qui dit que, sur avis de six mois, le présent traité n'aura plus effet.

Le Président (M. Charbonneau): Bien. Rapidement.

M. Bernier: J'abonderai simplement dans le même sens que ce qui vient d'être dit. Les provinces, en s'associant à un accord sur le libre-échange, ne renoncent pas nécessairement à leur souveraineté dans le domaine des compétences; elles exercent leur souveraineté plutôt en acceptant de limiter leurs interventions à ce qui est compatible avec un système économique qui doit rapporter des bénéfices.

Le Président (M. Charbonneau): Merci.

Trois minutes de remarques finales et je vous demanderais de vous en tenir au temps puisque nous aurons, par la suite, de toute façon, dix minutes pour chacun des groupes dans les conclusions finales et que des gens ont déjà des engagements pour 15 heures. Alors, M. le député de Lac-Saint-Jean.

Remarques finales M. Jacques Brassard

M. Brassard: M. le Président, si on me permet d'employer une image tirée du hockey, je dirais que le ministre est un joueur de défense pas pire, mais que c'est un bien mauvais "sco-reur". S'il est vrai qu'il patine bien, il patine toujours à reculons, comme un joueur de défense, et il dépasse rarement la ligne bleue. Ceci pour dire que le gouvernement a strictement une stragégie purement défensive sur ce dossier en matière de protection des compétences et des juridictions du Québec. Est-il trop tard pour réagir et modifier cette stratégie? Sûrement pour ce qui est de l'accord. L'accord est négocié, conclu et signé. Mais, pour ce qui est de la Loi

de mise en oeuvre, elle n'est pas encore adoptée par le Parlement fédéral et II y a des choses qui devraient être faites et des actions qui devraient être posées par le gouvernement, qui devrait exiger, entre autres, le retrait de l'article 6, tout le monde en convient. Il devrait exiger formellement le retrait de l'article 9; tout le monde considère que c'est une intrusion inacceptable. Il devrait, et la suggestion m'apparaît intéressante, reprendre la suggestion en provenance de la coalition à l'effet d'introduire dans le projet de loi de mise en oeuvre une clause garantissant le respect intégral des compétences et des juridictions du Québec.

M. le Président, ils nous annoncent par surprise que le gouvernement a adopté un décret et ils considèrent que c'est une ratification du traité. Je dis: Là, vraiment, c'est fort. Le ministre responsable du dossier a toujours affirmé que le gouvernement ne donnera pas son approbation, et je le cite, à l'Accord de libre-échange tant et aussi longtemps que nos conditions ne seront pas respectées. Je lui signale que des conditions majeures ne sont pas respectées, celles concernant les programmes d'adaptation de la main-d'œuvre - on en a parlé précédemment - celles concernant le mécanisme de règlement des différends auquel devront être associées les provinces; cela non plus n'est pas respecté. Il devrait exiger que l'article 12 de la loi de mise en oeuvre prévoie la présence et la participation des provinces à l'instance qui est mise en place pour examiner les litiges. Cela, c'est dans la loi de mise en oeuvre et elle n'est pas adoptée.

Je trouve étonnant et surprenant qu'il nous annonce qu'ils ont adopté un décret et qu'il nous dise en même temps que cela doit être considéré comme la ratification du traité de libre-échange par le gouvernement du Québec, alors que les conditions exigées ne sont pas toutes respectées et alors que le ministre responsable du dossier a toujours mentionné, a toujours affirmé, que le Québec ne ratifierait pas, n'adopterait pas, ne donnerait pas son approbation tant et aussi longtemps que les conditions ne seraient pas respectées. Qu'est-ce que c'est que cette histoire-là? Vraiment là on est en face d'un gouvernement dont l'attitude en cette matière et en matière de préservation des compétences - je termine là-dessus - est on ne peu plus réservée, timorée, timide, molle, résignée et cela comporte des dangers réels à notre avis pour l'avenir et pour ce qui est de l'intégrité de l'État québécois.

Le Président (M. Charbonneau): M. le ministre. De votre côté, trois minutes également.

M. Gil Rémillard

M. Rémillard: M. le Président, nous avions sept conditions et ces sept conditions ont été réalisées dans le traité que nous avons. C'est donc dire que nous avons utilisé l'article 15 de la Loi sur le ministère des relations internationales et que nous avons donc utilisé la voie qui se retrouve dans cet article et, par un décret, le gouvernement du Québec applique le traité, le ratifie en ce qui regarde son domaine de juridiction. On n'a pas à sanctionner le traité pour des juridictions qui ne sont pas de notre ressort. Mais en ce qui regarde nos domaines de juridiction, par ce décret, nous ratifions l'entente et nous mentionnons que nous allons légiférer pour appliquer le traité dans nos champs de compétence législative. Et c'est le processus que nous utilisons pour tous les traités internationaux que nous voulons appliquer chez nous sur le territoire du Québec parce que ces traités ont des implications directes sur des champs de compétence qui relèvent de la province.

M. le Président, il est évident, et je le dis le plus fermement possible, que le gouvernement du Québec ne laisserait pas le gouvernement fédéral s'ingérer dans un domaine de compétence provinciale par le biais d'un traité international. Ce serait là modifier la compétence de la province par le biais d'un traité international. Si on veut modifier la constitution, on prend la formule d'amendement qui existe dans la constitution. Cependant, M. le Président, pour nous il n'y a absolument pas de problème quant au respect de la juridiction du Québec. Il y a cet article 9, mais en ce qui nous concerne cet article 9 n'a pas d'application. Donc, il ne nous cause pas d'ennuis. Et, d'autre part, nous situons le contexte général de ce traité de libre marché avec les États-Unis dans un contexte de relations fédérales-provinciales qui nous a permis de participer de façon active et satisfaisante aux discussions, aux négociations. On doit souligner tout cela, M. le Président, car c'est vraiment une première.

Pendant tout le temps des négociations entre le gouvernement d'Ottawa et le gouvernement de Washington, il y a eu une participation des provinces. En particulier, en ce qui nous regarde, le Québec a été consulté. Le Québec a été impliqué. Nous avons fait valoir nos points de vue. Nous avons même fait en sorte que certains points soient changés dans le traité de libre marché pour accommoder notre situation économique ici. Dans ce contexte, M. le Président, nous pouvons dire que ce traité de libre marché avec les États-Unis répond à nos sept conditions. Et, par ce décret, nous, gouvernement du Québec, exprimons formellement notre accord et, par la voie législative ou administrative, nous allons maintenant le mettre en oeuvre en ce qui regarde nos propres compétences législatives.

Conclusions

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le ministre. Cela conclut la discussion sur les impacts constitutionnels et nous arrivons maintenant à la dernière partie de nos travaux, les déclarations de fermeture. Chaque groupe repré-

sente à la table a dix minutes pour les faire, dans l'ordre suivant: d'abord le regroupement pour le libre-échange, par la suite la coalition d'opposition au libre-échange, l'Opposition officielle et le gouvernement.

Donc, M. Ducros, pour le Regroupement en faveur du libre-échange.

Regroupement pour le libre-échange M. Pierre Ducros

M. Ducros: Merci. M. le premier ministre, MM. les ministres, MM. les membres de l'Opposition, M. le Président, mesdames et messieurs. Nous avons insisté, lors de ce débat, pour que le Canada et le Québec établissent des stratégies pour bénéficier au maximum des échanges internationaux. Nous avons démontré, je le crois, que le traité du libre-échange est notre instrument privilégié pour avoir accès à ces marchés internationaux, pour obtenir notre croissance économique à moyen terme et pour diminuer le chômage.

Soyons pratiques. Nous savons qu'au 1er janvier 1989 le traité va être signé. Il va être approuvé par le Congrès américain à l'automne et au Parlement canadien aussi à l'automne. J'ai senti, dans cette journée et demie de travail, que nous avons un accord au niveau des principes et que les grandes questions ont porté beaucoup plus sur les approches et sur les moyens d'implantation, le coffre à outils que mentionnait M. Parent, par exemple.

Nous allons faire face à des défis importants qui vont être amenés par l'augmentation de la concurrence. Nous du regroupement pour le libre-échange sommes très optimistes pour deux raisons fondamentales. Nous avons des exemples historiques et nous en avons parlé, ceux de la Suède, ceux de l'Autriche, pays sociaux-démocrates qui se sont lancés dans la libération non seulement sectorielle, mais globale des marchés, et qui l'ont faite en protégeant leur identité culturelle et en protégeant leur priorité en matière sociale. Nous sommes optimistes aussi parce qu'il y a plusieurs entreprises québécoises qui ont exporté déjà sur le marché international les étoiles filantes que mentionnait M. Laberge, dans les pâtes et papiers, dans le bois, dans les minerais, dans les produits transformés, tels que télécommunications, transport, aéronautique, équipements de bureau, etc.

Cependant, cette concurrence accrue va nous apporter des défis importants et la seule façon de les résoudre, c'est par une coopération de tous les agents économiques du Québec vers un intérêt national partagé par les entrepreneurs, les travailleurs, les syndicats et le gouvernement. Je vais vous donner quelques exemples de ceci.

La concurrence accrue va nous amener à avoir une utilisation des technologies modernes. Cette utilisation des technologies modernes va nous amener à avoir une main-d'oeuvre de mieux en mieux qualifiée. Il va falloir ensemble, gouvernements, entreprises, syndicats, donner cette éducation technique et technologique à nos travailleurs.

Deuxième exemple. La concurrence accrue va nous amener à rationaliser nos opérations dans les entreprises. Il va falloir avoir des acquisitions, des utilisations de nouveaux réseaux de distribution. Il va falloir augmenter la recherche et le développement pour avoir ces nouvelles technologies. Cela va nécessiter des sommes importantes. Il va falloir favoriser ensemble les apports de capitaux au Québec. Il va falloir que le gouvernement stimule l'épargne vers l'économie et la création de capitaux de risque.

Troisième exemple. Nos relations du travail qui ont été améliorées au Québec depuis quelques années, il va falloir les continuer encore davantage. Participation possible des travailleurs au capital des entreprises. Un exemple chez nous, 66 % de notre population chez DMR possède des actions de la firme. Rémunération associée à la performance des entreprises.

Quatrième exemple. Il va nous falloir une coopération entre les divers paliers de gouvernement. On vient tout juste d'en parler, depuis deux décennies on travaille au partage des champs de compétence. Je suis conscient que nous sommes en démocratie et qu'on ne sera pas capables de résoudre tous les problèmes. Mais si nous pouvions avoir un consensus plus étroit, un "focus" de tous les paliers de gouvernement vers le secteur international pour appuyer les entreprises et les travailleurs dans ce domaine de concurrence, pour pousser la recherche et le développement, pour procéder au recyclage de la main-d'oeuvre et nous donner des appuis à la restructuration des entreprises. (14 h 15)

J'aimerais peut-être conclure très rapidement pour vous dire que nous sommes devant un défi. Oui, il va y avoir un choc. Mais c'est un choc salutaire, c'est un choc nécessaire et c'est un choc que nous voulons. Nous sommes capables de l'absorber ensemble. On a vu bien d'autres. Le choc pétrolier des années soixante-dix, par exemple. Deux décennies de négociation au GATT qui ont diminué les barrières tarifaires autant que ce qui va être diminué par ce traité du libre-échange. Dans la dernière année, 10 % d'augmentation du taux de change est à peu près égale à la baisse moyenne des tarifs sur dix ans; 70 % de nos échanges sont déjà libres, 50 % de la production nationale et l'industrie des services sont peu ou pas touchées.

On ne pourra pas avoir tous les chiffres qui vont nous démontrer exactement tous les effets sur les dix prochaines années. Ce qu'il nous faut, c'est une attitude positive. Il faut concevoir que le verre est plein aux trois quarts plutôt que vide au quart. Il faut avoir confiance en nous-mêmes et il faut avoir la coopération de tous les intervenants. Nous devons accepter les principes du libre-échange. Nous devons résoudre

les problèmes ensemble, chaque intervenant. Il nous faut aller de l'avant et, par cette attitude positive, on ne peut que gagner. Merci.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Ducros. Maintenant, pour la coalition, M. Larose.

Coalition contre le libre-échange M. Gérald Larose

M. Larose: À deux, nous partagerons le temps. Après deux jours de discussions et d'interventions devant cette commission sur ce sujet grave qu'est l'accord Mulroney-Reagan, qu'avons-nous entendu? Notre coalition, élargie à des groupes comme la FNACQ, Solidarité populaire Québec, le Mouvement Québec français, avait demandé en décembre dernier qu'un tel forum se tienne. Nous espérions vivement qu'à cette occasion l'on dépasse les affirmations vagues ou gratuites. Nous espérions beaucoup de sérieux, beaucoup d'analyse chiffrée et, plus encore, quelques prises de position du gouvernement du Québec qui puissent permettre aux Québécoises et aux Québécois d'y voir un peu plus clair.

On se réfère souvent aux sondages. Il faudrait peut-être en parler un peu. Les sondages, les uns après les autres, dénotent cette constance que la population se dit peu ou mal informée à propos du libre-échange. Bien sûr, et spécialement au Québec, une certaine majorité d'opinants se déclarent en principe favorables à cette entente. Mais les politiciens qui savent très bien lire juste quand il faut n'ignorent certainement pas que dès que l'on détaille ce que contient l'accord, là les appuis baissent plus que sensiblement. Ainsi, il n'y a pas beaucoup de gens qui prêtent confiance aux Américains dans nos futurs rapports, tels qu'établis par l'entente Mulroney-Reagan, car le passé reste toujours garant de l'avenir et nos compatriotes savent dans quelle société ils vivent et à quoi ressemble celle de leurs voisins du Sud.

Qu'est-ce qu'on nous a proposé autour de cette table? Des études systématiques sur les effets du libre-échange? Des programmes d'adaptation ou de développement de nos secteurs économiques? Des garanties fermes pour demain et après-demain? Des engagements quant au pouvoir même de notre Parlement québécois? Pas grand-chose de tout cela. Le gouvernement, il faut le dire, est plutôt optimiste. On a entendu beaucoup: Faites-nous confiance, on est bons et peut-être qu'on est les meilleurs. Il y a quelques disciples de Jean-Marc Chaput, je pense, autour de cette table. On a vu des ministres nous affirmer que les téléviseurs japonais vont baisser de prix; d'autres prétendent que le fait français sera protégé parce qu'on est des consommateurs. On nous a même déclaré qu'il n'y a pas trop d'importance que le Québec abandonne ses pouvoirs au fédéral puisque l'Assemblée va devancer les voeux d'Ottawa. Nous retrouvons, politiquement parlant, des fédéralistes qui affirment que le libre-échange va renforcer le lien canadien. Il y a un indépendantiste dans le camp patronal qui dit que le libre-échange, cela va être bon pour faire l'indépendance. Au fond, le libre-échange n'est pas une panacée, nous a-t-on dit, mais cela va finir par en être une.

Du même souffle, on nous demande dans bien des dossiers et avec raison d'appuyer les démarches ministérielles face au fédéral. Il y a des ministres qui se plaignent de ne pas avoir leur dû dans le développement technologique et ils ont raison. Il y en a d'autres qui se plaignent de ne pas avoir d'équité dans le secteur agricole et ils ont raison. D'autres disent qu'il faudrait protéger l'enseignement supérieur, et il y a le premier ministre qui voudrait bien qu'on fasse des démarches pour infléchir la politique monétaire de la Banque du Canada. Mais où est donc la logique quand on nous dit qu'il faut faire confiance au gouvernement fédéral pour la défense de nos intérêts de Québécois face à la véritable mainmise américaine sur notre économie et ultimement sur notre âme? Car lorsqu'on nous parle d'internationalisation du commerce, nous l'avons dit, tout le monde constate qu'il s'agit en fait de son américanisation. Le monde, pour reprendre une formule célèbre, se situerait exclusivement entre la rivière La Grande et le Rio Grande. Pour atteindre la planète, nous n'avons qu'un seul choix, passer par les États-Unis. Il s'agit là d'un manque flagrant de confiance en ces capacités qu'on nous vante tant. Ensuite, c'est faire fi naïvement ou inconsciemment du poids réel des États-Unis face au Canada. Que nous sachions, la Suède, on en a parlé un peu, dont on nous agite tant l'exemple, ne s'est pas liée à un éléphant. La CEE - et qu'on cesse de nous comparer à l'Irlande ou au Portugal - regroupe des économies au pluriel qui sont variables et c'est le cas de tous les regroupements du genre sur cette planète, mis à part l'Union Soviétique et ses satellites avec le bonheur que l'on sait pour la Pologne et la Tchéchoslovaquie.

M. Jacques Proulx

M. Proulx: Quant à l'âme de cette société québécoise, le gouvernement et ses alliés en font bon marché. Nos programmes sociaux et toute l'armature qui a fait du Québec une société moins injuste que celle de notre voisin du Sud sont maintenant devenus si solides dans un contexte de libre-échange que le gouvernement américain, futur président en tête, va les transposer aux États-Unis. Mais qui donc va croire cela? Constitutionnellement parlant, le Québec a littéralement fait un chiard et ses acteurs sont assis ici aujourd'hui pour avoir sa place dans la Confédération canadienne. Déchirant ses vêtements sur la place publique contre le centralisme d'Ottawa, vouant l'ancien premier ministre Pierre

Elliott Trudeau aux enfers, nous nous demandons aujourd'hui à quoi cela servira puisque, face au projet de loi 130, l'on se tait avec élégance.

Le gouvernement prétendra dans quelques instants, j'en suis persuadé, que ce forum a rapproché les points de vue et que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, que les emplois nous tomberont dessus à la vitesse de l'éclair, que l'économie tournera comme jamais, que nos 2 % de francophones en Amérique du Nord s'en sortiront regaiilardis. On voit d'ailleurs ce qui se passe rien qu'au Canada et que telle est la seule alternative.

Non, tel n'est pas le cas. Notre coalition propose, plutôt que de se limiter au commerce canado-américain, que les gouvernements devraient envisager selon la condition une politique de commerce international de rechange qui vise comme premier objectif la création du plein emploi au Canada et au Québec. Selon nous, cette politique devrait reposer sur cinq éléments: la diversification des exportations, des politiques industrielles pour promouvoir davantage l'auto-suffisance, dans certains secteurs, des négociations sectorielles avec les États-Unis - on pourrait faire, par exemple, un agropacte - la création d'un forum bilatéral pour discuter des litiges commerciaux possibles, l'utilisation accrue pour le Canada des mécanismes multilatéraux du GATT.

Nous n'avons pas de grandes illusions quant à l'accueil de nos propositions par le gouvernement parce qu'on est déjà tellement engagés dans une autre proposition. C'est pourquoi le vrai débat, la vraie bataille ne se jouera pas nécessairement ici dans ce Parlement et nous le regrettons parce que nous tenons à cette institution. Force nous est pourtant de reconnaître que l'Assemblée nationale abandonne de bon coeur ses prérogatives. Il n'est pas en notre pouvoir de les exercer à sa place. Ce qui est quand même encore en notre pouvoir, c'est de poursuivre notre travail de conviction, d'information, particulièrement auprès d'une couche de la société qui sert constamment pour faire les expériences. Malheureusement, on peut s'en prendre à nous aussi, car on n'en a pas telle-* ment discuté ici. Cette couche n'aura pas à concurrencer, à mon avis, la bourgeoisie américaine ou les nantis, mais va avoir justement à concurrencer les illégaux, ceux et celles qui, on le voit presque quotidiennement, travaillent dans le noir, ne font pas de bruit pour ne pas être repoussés à l'extérieur. C'est ce que va avoir à concurrencer une bonne partie de la population. Ce n'est pas avec cela qu'on améliore notre salaire et nos conditions de vie. C'est le travail qu'on va continuer en essayant d'être le moins négatifs possible. On sait qu'il va rester, c'est bien évident, au bout de la ligne, peut-être quand il sera passé, mais il va rester un exercice qui, je pense, déterminera une fois pour longtemps qui avait raison et qui sera celui de choisir, de garder ou de rejeter les promoteurs de cet accord plus tard.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. Proulx. Merci, M. Larose.

M. le député de Bertrand.

M. Jean-Guy Parent

M. Parent (Bertrand): Oui, merci, M. le Président. Je dois dire d'abord que j'étais heureux de participer à cette table de concertation même si ce débat aurait dû se produire il y a au moins six mois, en début de 1988, lors de la signature de l'entente ou même avant. Je tiens quand même à remercier ceux qui ont poussé les gens de la coalition pour avoir cette rencontre.

La première journée s'est relativement bien passée et je dois dire qu'aujourd'hui les choses se sont relativement gâtées. On a vu au cours des deux derniers jours, M. le Président, huit ministres du gouvernement venir épauler le ministre porteur du dossier, qui est le ministre du Commerce extérieur et donner davantage d'explications. Je dois vous dire pour avoir travaillé depuis un an et demi avec le ministre du Commerce extérieur comme vis-à-vis que j'étais relativement rassuré quant à ce que j'attendais et quant aux promesses et aux engagements formels que le ministre avait pris au nom de son gouvernement. Sauf qu'après avoir passé par le ministre des Affaires culturelles, le ministre de l'Énergie et des Ressources, le ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation, le ministre responsable de la Protection du consommateur et de la Déréglementation et le ministre de l'Éducation, on a eu le ministre de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu ce matin qui est venu jeter très peu d'éclairage. Quant au ministre de l'Industrie et du Commerce, je dois vous dire qu'il nous a déçus au plus haut point. Mais voilà que le ministre des Relations internationales est venu mettre la cerise sur le gâteau.

Qu'on vienne aujourd'hui, en ce 17 juin 1988, nous dire après avoir convoqué sérieusement tous ces gens autour de la table que la ratification finale s'est faite il y a quelques jours par un décret, c'est une farce monumentale. Là, je n'embarque pas. Comment le ministre du Commerce extérieur peut-il encore aujourd'hui être capable de tenir les propos qu'il a tenus le 16 décembre dernier à la page 5218 quand il a pris l'engagement formel, au nom de son gouvernement, de s'assurer que les élus du peuple, les membres de l'Assemblée nationale et, que je sache, j'en fais partie de même que mes collègues, les deux côtés soient saisis de la ratification finale avant qu'on puisse la donner et d'autant plus que la condition sine qua non, selon le ministre, était que les sept conditions soient remplies? Que je sache, M. le Président, les sept conditions ne sont pas remplies. (14 h 30)

Qu'on vienne nous dire et nous répéter

aujourd'hui, à la fin de cet exercice, sérieusement et sans rire, que les conditions sont remplies, je ne marche pas. La plus belle preuve de cela, c'est que le propre document du ministre du Commerce extérieur publié il y a un mois disait ceci à la page 40: "Restent cependant certaines conditions importantes auxquelles les gouvernements du Québec et du Canada devront conjointement trouver solution. Bien que ne faisant pas partie de l'Accord de libre-échange, trois points relevant de la politique intérieure canadienne sont tout aussi importants que les clauses de l'accord proprement dit." Bien, si ces conditions étaient tout aussi importantes que l'accord, je comprends mal. En fait, le premier de ces points a trait à la demande du Québec concernant la nécessité d'établir des programmes d'adaptation pour les travailleurs. Le second point concerne la participation des provinces à la gestion de l'accord et au processus de règlement des différends. Le troisième point a trait à la mise en oeuvre de l'accord, c'est-à-dire qu'il s'agit des points 4, 5, 6 et 7, qui ne sont pas les conditions spécifiées par l'Opposition, mais les conditions du gouvernement. Comment le gouvernement a-t-il pu nous endormir pendant un an et venir dire aux membres de l'Assemblée nationale qui représentent l'ensemble de la population: Dormez tranquille? Nous donnerons cette rectification lorsque ces sept conditions seront satisfaites.

M. le Président, je dois dire que, ce matin, je suis très déçu. Qu'on vienne nous dire que, en matière de main-d'oeuvre, en matière de programmes pour aider les entreprises, de recyclage, de formation, pour tous les programmes d'aide, on va attendre le rapport de Grandpré. Avez-vous réalisé que le rapport de Grandpré arrivera quelque part en juin 1989 et que si jamais on donne des suites à ce rapport ce sera quelque part en 1990 ou 1991? Je trouve tout à fait indécent de voir que l'exercice que nous avons fait ce matin et l'exercice que nous avons fait hier, le temps qu'on y a consacré, tout cela s'est fait un peu de façon inutile, puisque, au dire même du ministre, il ne s'agit pas d'un simple décret, mais de la ratification officielle. Ses termes, je les ai notés. C'est là la ratification officielle. M. le Président, les négociations avec Ottawa quant au quantum et au pourcentage des sommes d'argent qu'on devra obtenir pour la négociation des conditions pour être capables d'avoir la main-d'oeuvre, comment va-t-on les faire maintenant? Comment le premier ministre pouvait-il, il y a quelques jours, dire en Chambre qu'il avait des craintes concernant l'article 9 et particulièrement concernant l'article 6 et, tout à coup, nous dire que la condition 1 est remplie? Le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes a tenté, en Chambre, tant bien que mal, ces derniers jours et ce matin de calmer tout le monde. Mais je pense qu'il est loin d'avoir réussi. En ce qui me concerne, comme représentant de l'Opposition à l'Assemblée nationale, je dis au ministre du Commerce extérieur et du Développement technologique - c'est un fait connu, son ministère n'existera plus au cours des prochains mois ou des prochaines semaines, puisqu'on a décidé de le démanteler et je ne sais pas ce qui arrivera du ministre - mais ce que je dis c'est qu'il a littéralement imbriqué les gens de l'Assemblée nationale dans des engagements qu'il n'a pas fait respecter par son gouvernement.

Je termine, M. le Président, en disant que cet exercice qu'on vient de faire, s'il n'avait apporté que cela, que mettre cette lumière, qu'on n'aurait pas eue autrement... On a appris des choses pendant ces deux jours. J'en sors grandi, déçu bien sûr, parce que je pense que le gouvernement a manqué à sa parole. Je vous remercie.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le député de Bertrand. M. le premier ministre.

M. Robert Bourassa

M. Bourassa: M. le Président, je voudrais d'abord vous féliciter, au terme de cette réunion, pour la façon dont vous avez dirigé les débats, d'une façon sobre et intelligente qui, je crois, nous a permis de faire avancer la réflexion. Je ne crois pas qu'on puisse accuser le gouvernement de refuser le débat ou le dialogue sur cette question. Nous avons multiplié les publications. C'est la troisième réunion à l'Assemblée nationale. Il y en a eu une de plusieurs semaines, je crois, en septembre 1987, une autre en décembre 1987 et une autre aujourd'hui, ces jours-ci. Alors, je crois que le gouvernement a fait preuve de la plus grande transparence pour discuter de ce dossier. Je n'ai pas l'intention de répliquer à toutes les affirmations qui ont été faites.

J'entendais, quand je suis arrivé tantôt, le député de Lac-Saint-Jean essayer en vain, évidemment, de tourner le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes en ridicule en disant qu'il se comportait comme un défenseur au hockey en reculant constamment. Je dirai, M. le Président, et je prendrai plutôt un exemple qui est plus d'actualité, c'est-à-dire le baseball plutôt que le hockey, que l'Opposition frappe constamment des fausses balles et on en a eu un bon exemple avec les propos du député de Bertrand. On doit se poser quelques questions pour conclure, d'abord, sur le principe du libre-échange. Je n'ai pas pu suivre tous les débats, puisqu'on est au dernier jour de la session, mais j'ai essayé de les suivre au maximum. J'ai l'impression qu'il y a un assez large consensus sur la question du libre-échange et qu'on n'aborde pas cette question, sauf peut-être en quelques rares exceptions, d'un point de vue idéologique.

Je me permets d'examiner les faits depuis quelques années. Je crois que, sur le principe du libre-échange, le Québec prend une bonne décision parce que je ne connais pas d'exemple d'un pays qui s'est associé soit à une zone de

libre-échange ou à un marché commun et qui a décidé par la suite de s'en retirer, sauf le cas de l'Islande, si ma mémoire est bonne, il y a quelques années et pour des raisons qui n'étaient pas tellement économiques. Tous les autres, et il y en a des dizaines et des dizaines, ont toujours trouvé qu'ils avaient avantage à faire partie de zone de libre-échange ou de marché commun. Donc, c'est quand même une expérience pratique qui devrait nous inspirer un minimum de confiance dans la décision que nous prenons puisque, jusqu'à maintenant, cela a toujours été profitable à l'ensemble des pays. Cela dépasse évidemment les orientations idéologiques des partis. Je n'y reviens pas, on en a parlé beaucoup. On peut prendre comme exemples M. Gonzalez, qui est chef d'un parti social-démocrate - puisqu'on nous accuse d'être au centre plutôt que d'être social-démocrate - M. Schmidt, M. Craxi, M. Callaghan et tous les autres, qui ont endossé soit l'intégration économique sous forme de libre-échange ou l'intégration économique sous forme de marché commun. Donc, consensus assez important sur le libre-échange au sein de la société québécoise.

Pour le contenu de l'entente, évidemment, il y a plus de divergences et c'est normal dans une démocratie comme la nôtre. Je n'ai pas l'intention de répéter les demandes qui ont été faites par le Québec et qui ont été acceptées. Je l'ai dit, je l'ai mentionné dans mes remarques préliminaires. Que ce soit pour l'électricité, alors que j'ai un document et je pourrai en discuter avec M. Larose, s'il le veut, pour répondre encore plus techniquement ou plus solidement si je puis dire, à toutes ses questions sur l'article 904. Il est clair que nous ne pouvons que consolider nos avantages dans le commerce de l'électricité sur les trois fameux tests. Il y a un test qui disparaît, mais un autre test, comme je l'ai dit hier, s'appliquait à l'acheteur et non au vendeur. Dans les deux autres tests, nous gardons toute la liberté d'action. En agriculture, on a parlé de l'article 11 et de la question de la période de transition, etc.

Nous trouvons donc de notre côté, et c'est toujours sujet à être débattu du côté de l'Opposition ou de ceux qui ne sont pas d'accord avec nous, que les demandes du Québec ont été respectées. Je discutais avec mes collaborateurs tantôt et je leur disais: Est-ce qu'il y a un point sur le contenu économique, dans les délais de transition ou dans la question des vins ou d'autres secteurs, les ressources naturelles, est-ce qu'il y a un point important où les demandes du Québec n'ont pas été respectées? On sait qu'il y a des milliers et des milliers de pages. On m'a dit: Non. On n'a pas d'exemple où le Québec aurait subi un échec sur le contenu économique. C'est ce qui fait que, pour nous, l'entente comme telle paraît acceptable, comme je pense pour le parti de l'Opposition ou, à tout le moins, son chef.

Pour ce qui a trait à l'application, on veut faire tout un plat aujourd'hui parce que le gouvernement a respecté son engagement. Durant des jours et des jours, le député de Lac-Saint-Jean, qui nous honore de sa présence, demandait: Quand allez-vous agir pour protéger la juridiction du Québec? Qu'est-ce que vous entendez faire? Avec un vocabulaire beaucoup plus vaste, si je puis dire, dans le contenu de son affirmation ou de sa prise de position, on nous accusait de mollesse, de timidité, etc. Quand allez-vous agir, disait-il? Nous avons agi pour protéger la juridiction du Québec, en vertu de l'article 9. Mais où est la surprise? Alors que j'ai annoncé que nous protégions la juridiction du Québec, comme nous l'avions fait en 1975, pourquoi cette triste comédie de la part de l'Opposition aujourd'hui? Pourquoi soulever une question qui paraît tout à fait conforme au bon sens politique des Québécois, à la protection de leur juridiction. Si on ne l'avait pas fait, probablement que l'Opposition aurait dit aujourd'hui: qu'est-ce que le gouvernement attend? Il nous convoque aujourd'hui et il ne fait rien. Il laisse envahir sa juridiction sans se protéger. C'est ce qu'on a fait, on s'est protégés avec le décret que nous avons adopté.

M. le Président, en ce qui a trait à l'autonomie ou à la souverainté du Québec dans ses juridictions, dans le domaine économique - M. Landry le signalait tantôt - on doit faire des associations et, à l'occasion, il faut céder temporairement certains pouvoirs d'action. Je renvoie l'opposition ou mes amis de la coalition au Traité de Rome. Vous avez là un regroupement de pays souverains et, malgré cela, dans un regroupement de pays souverains, alors que nous sommes une fédération d'États membres, vous avez des articles du Traité de Rome qui permettent des décisions à la majorité, c'est-à-dire qu'une majorité de pays souverains peut prendre une décision et l'imposer à une minorité de pays souverains. Cela serait un crime politique pour nous de nous associer et de faire certaines concessions dans des traités économiques, alors que c'est la norme de plus en plus répandue dans les regroupements des peuples.

Tout cela pour vous dire, M. le Président, qu'il est très difficile de prendre au sérieux certaines remarques ou certaines critiques du parti d'opposition. D'autant plus que nous avons un climat qui nous incite à un minimum de confiance avec l'actuel gouvernement; que ce soit dans les négociations du GATT où le ministère du Commerce extérieur et du Développement technologique a été directement impliqué, que ce soit dans le cas du bois d'oeuvre, que ce soit dans le cas de la préparation de la discussion, une douzaine de réunions des premiers ministres ont eu lieu. Alors, on ne peut pas reprocher au gouvernement canadien de ne pas recourir à la consultation dans une décision économique aussi importante que celle-là.

Je passe rapidement, M. le Président, sur des questions qui ont été soulevées. Quant aux programmes sociaux, je crois qu'on y a répondu

d'une façon très pertinente, notamment avec la discussion de M. Ryan hier. On sait qu'actuellement, aux États-Unis, on s'oriente vers le système canadien. À tout le moins dans l'État du Massachusetts, cela a été adopté, et on sait que le gouverneur de l'État du Massachusetts est candidat à l'élection présidentielle et qu'il y a un mouvement aux États-Unis actuellement vers l'élaboration de programmes sociaux, notamment dans le secteur de l'assurance-santé, et c'est normal, évidemment, qu'on s'oriente vers cet objectif aux États-Unis puisque c'est l'un des rares pays, sur le plan des programmes sociaux, à ne pas avoir ceux que nous possédons déjà dans la plupart des autres pays.

Il y a évidemment la question des programmes d'adaptation. Du côté du Québec, un effort énorme a été fait avec les consultations. Nous serons prêts dans quelques mois. Il est important, je l'admets, de connaître le plus tôt possible les modalités de la part du gouvernement fédéral.

Je terminerai, M. le Président, parce qu'il me reste quelques secondes, peut-être en commentant brièvement les propositions de la coalition. Je les félicite d'avoir au moins proposé des solutions, d'avoir pris le risque intellectuel, si je puis dire, de proposer des contre-propositions. On parie de la diversification des exportations. On le fait déjà. Le ministre de l'Industrie et du Commerce arrive de la Chine et visite les pays constamment pour diversifier nos exportations. Les politiques industrielles pour promouvoir l'avantage de l'autosuffisance, ce n'est pas l'approche qui, dans tous les cas, est la plus réaliste. AprèsÇtout, nous sommes un marché de 6 700 000 personnes, nous ne sommes pas un marché de 250 000 000 de personnes pour promouvoir à tout niveau l'autosuffisance.

Dans certains secteurs des négociations sectorielles avec les États-Unis, on l'a fait dans le bois d'oeuvre, dans les bardeaux de cèdre et cela n'a pas été facile de négocier secteur par secteur. On a considéré que le Canada et le Québec étaient plus protégés avec un accord-cadre, avec un mécanisme, que de le faire secteur par secteur ou le rapport de forces entre le Québec ou le Canada et les États-Unis nous est beaucoup plus défavorable qu'à l'intérieur d'un traité global.

Je termine avec la création d'un forum bilatéral. C'est clairement moins contraignant que ce que nous offre dans le traité de libre-échange. Quant au GATT, on sait qu'on y a recours beaucoup.

Je termine par la vraie question: Est-ce que, oui ou non, l'accord de libre-échange contribue à une plus grande prospérité du Québec? C'est cela la vraie question. C'est la seule question finalement qu'on s'est posée. On voit que, partout ailleurs, cela a été le cas. Cela devrait être le cas pour le Québec, d'autant plus que, pour le Québec, cela va favoriser l'équilibre interrégional qui n'existe pas quand on voit les chiffres, actuellement, de l'état du chômage de l'Ontario et du Québec.

Nous voulons combattre le chômage. Nous voulons plus d'investissement. Nous voulons créer le maximum d'emplois, surtout pour les jeunes. Dans cette perpective, le libre-échange est une voie pour la prospérité québécoise.

Le Président (M. Charbonneau): Merci, M. le premier ministre.

Oui, M. le dé...

M. Brassard: Est-ce que le ministre ou le premier ministre pourrait déposer le décret de capitulation, de ratification, pardon?

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Charbonneau): Le cirque continue.

M. Brassard: Est-ce qu'on pourrait déposer le décret?

Le Président (M. Charbonneau): Bien, écoutez, la question est posée. M. le premier ministre ou M. le ministre.

M. Bourassa: La procédure opportune sera suivie au meilleur moment.

Le Président (M. Charbonneau): Sur cette réponse, je voudrais, en terminant, vous remercier à toutes et à tous de votre collaboration. Je pense que l'exercice que nous venons de faire, qui était une première sur le plan parlementaire, donc une expérience pilote, a été une expérience, à mon point de vue, je pense, d'après l'opinion que j'ai eue un peu partout, au cours des deux derniers jours, assez réussie. Je crois que c'est une expérience qui devrait être retenue et être répétée à d'autres occasions pour des débats qui sont importants. Le Parlement, c'est le premier forum de la démocratie. C'est souvent une arène de combat, mais cela peut aussi être un lieu de réflexion et de débats en profondeur. C'est ce qu'on a, je pense, réussi à démontrer au cours des deux derniers jours et, quelles que soient les opinions des uns et des autres sur le sujet en question et en discussion, j'espère simplement que ceux qui ont suivi les travaux de la commission, comme ceux qui y ont participé, en retireront des bénéfices intellectuels, financiers et des avantages divers à tous points de vue.

En terminant, la Commission parlementaire de l'économie et du travail ajourne ses travaux sine die, ayant accompli son mandat. Alors, mesdames, messieurs, merci.

(Fin de la séance à 14 h 47)

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