Journal des débats (Hansard) of the Committee on Labour and the Economy
Version préliminaire
43rd Legislature, 1st Session
(November 29, 2022 au September 10, 2025)
Cette version du Journal des débats est une version préliminaire : elle peut donc contenir des erreurs. La version définitive du Journal, en texte continu avec table des matières, est publiée dans un délai moyen de 2 ans suivant la date de la séance.
Pour en savoir plus sur le Journal des débats et ses différentes versions
Wednesday, March 19, 2025
-
Vol. 47 N° 90
Special consultations and public hearings on Bill 89, An Act to give greater consideration to the needs of the population in the event of a strike or a lock-out
Aller directement au contenu du Journal des débats
11 h 30 (version non révisée)
(Onze heures quarante minutes)
Le Président (M. Allaire) : Alors,
à l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de
la Commission de l'économie et du travail ouverte. Je vous souhaite à tous la
bienvenue. Et je demande, naturellement, comme à l'habitude, d'éteindre la
sonnerie de vos appareils électroniques, s'il vous plaît, toujours important.
La commission est réunie afin de
poursuivre les consultations particulières et auditions publiques sur le projet
de loi n° 89, Loi visant à considérer davantage les besoins de la population en
cas de grève ou de lock-out.
Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des
remplacements?
La Secrétaire : Oui, M. le
Président. Mme Lakhoyan Olivier (Chomedey) est remplacée par Mme Prass
(D'Arcy-McGee) et M. Fontecilla (Laurier-Dorion) est
remplacé par M. Leduc (Hochelaga-Maisonneuve).
Le Président (M. Allaire) : Merci,
Mme la secrétaire. Alors, je vous donne un aperçu de l'ordre du jour de ce
matin. On a deux présentations, donc deux groupes. On va débuter avec la
Fédération... la Fédération, pardon, des travailleurs et travailleuses du
Québec, on va enchaîner ensuite avec l'Association du transport urbain du
Québec.
Alors, je souhaite la bienvenue à notre
premier groupe. Merci d'être là. Je vais vous laisser vous présenter à tour de
rôle, peut-être avec votre titre, et vous pouvez débuter votre exposé de 10 minutes,
va s'ensuivre une période d'échange avec les parlementaires.
Mme Picard (Magali) : Merci.
Merci, M. le Président. Magali Picard, présidente de la FTQ. Je suis
accompagnée...
Mme Picard (Magali) : ...de
Denis Bolduc, secrétaire général de la FTQ, et de Me Guillaume Lavoie, qui est
avocat et, bien sûr, conseiller à la FTQ. Je tiens à vous dire d'entrée de jeu
que c'est rare, que Denis Bolduc et moi siégeons en même temps dans une
commission parlementaire, mais, vu l'importance du projet de loi et de la
situation, on a décidé d'être ensemble aujourd'hui.
M. le ministre, je dois... «M. le
ministre», pardon, M. le Président, je dois vous dire que, plutôt gênée d'être
ici aujourd'hui et de voir qu'on occupe autant le temps des parlementaires pour
s'occuper d'un projet de loi qui est complètement inutile, antidémocratique
et... au lieu de s'occuper des travailleurs et travailleuses de la population
en général. On vit actuellement une période sans précédent. Un président
américain qui nous menace, hein, des tarifs dans des secteurs économiques
névralgiques. Les chiffres du gouvernement nous disent que jusqu'à 160 000 travailleurs
et travailleuses qui sont à risque de perdre leur emploi, plusieurs l'ont déjà
perdu. On est dans une période inflationniste où la population a de la misère à
joindre les deux bouts. Alors, on devrait être en train de travailler tous
ensemble ici, là, les partis de l'opposition, les syndicats, le monde des
affaires. On devrait être en train de faire Équipe Québec et d'être capable
d'amener des solutions, des stratégies pour répondre aux besoins de la
population et des travailleurs et des travailleuses. Au lieu de ça, bien, on
est obligés d'être ici aujourd'hui pour venir débattre d'un projet de loi qui
est complètement, je le répète, inutile, un projet de loi qui ne tient pas la
route des tribunaux, un projet de loi qui est une menace, un affront total,
brutal envers les travailleurs et travailleuses. On a un code du travail au
Québec qui fait l'envie de toutes les provinces canadiennes. Moi, je suis
convaincue que René Lévesque doit se retourner dans sa tombe aujourd'hui quand
il voit ce qu'on est en train de faire avec son code du travail.
Ça, au nom de quoi? Bien, ça, le ministre
ne nous l'a pas encore dit. C'est quoi, le besoin du ministre? Qu'est-ce que le
ministre a besoin qu'il n'était pas capable de faire avec nous? Depuis deux
ans, un peu plus de deux ans que je suis présidente de la FTQ, il n'y a pas de
discussion qu'on n'a pas été capables d'avoir. Quand ça a été le temps de
demander à la FTQ de laisser un siège à la CNESST pour accueillir un autre
partenaire syndical, parce qu'on parlait de prévention en santé et sécurité
puis qu'il fallait que le secteur public soit représenté, le ministre du
Travail m'a appelé pour me dire : Magali, t'accepterais-tu? Ce n'est pas
facile d'enlever un poste, mais il m'a promis ça pour quelques mois seulement,
puis : On va revenir, puis je vais doter un poste de chaque côté, on a
accepté ça, on a été bons joueurs. Finalement, le «quelques mois» est rendu à
près d'une année, puis on n'a toujours pas de projet de loi omnibus qui nous
donne ça, là. Ça fait que, de toute évidence, on va faire un autre débat tantôt
là-dessus.
Mais, chose certaine, c'est qu'on nous
envoie des projets de loi. On nous dit, hein, on nous dit être les rois du
dialogue social. Le ministre Boulet nous dit souvent ça : C'est important,
le dialogue social. On est... Il y a bon puis con, là, tu sais. Moi, d'avoir un
dialogue social sur des projets de loi afin de savoir si tout le monde a de la
tarte aux pommes, on risque de s'entendre, mais, quand c'est un projet de loi
comme celui-là, c'est drôle, il n'y en a pas, de dialogue social. Par contre,
on apprend, de la part d'un journaliste de Trois-Rivières, le 23 décembre,
qu'il y a une entrevue, puis, tout d'un coup, le chat sort du sac, là, notre
ministre s'en vient avec un projet de loi épouvantable, la pire attaque depuis
2003. Puis je pense que 2003, c'était de l'article 45, n'allait même pas
aussi loin que l'article... que le projet de loi qu'on a devant nous
aujourd'hui. Et là, bien, c'est drôle, là, au nom, bien sûr, de travailler avec
les collègues du cabinet, on ne peut pas partager, puis il y a un niveau de
confidentialité qu'on doit garder. C'est drôle, sur d'autres, on est capables
d'avoir un dialogue intelligent. Là, on n'en a pas, bien sûr parce qu'il n'y a
rien d'intelligent dans ce projet de loi là.
On nous dit : Ce n'est pas comme le
107 du fédéral. Le 107 du fédéral, c'est du n'importe quoi. Non, bien sûr, mais
on ne parle pas, bien entendu, du volet du pouvoir spécial du ministre. Ça, on
n'en parle pas beaucoup. Ça, ça va plus loin que le 107. Moi, j'apprends que le
ministre du Travail dit, à micro fermé, à bien des gens : Pourtant, la
présidente de la FTQ, Magali, a été d'accord que le ministre du Travail au
fédéral utilise le 107. Peut-être que je n'ai pas expliqué assez longuement mon
raisonnement au ministre, peut-être qu'on ne s'est pas compris. Ce que j'ai
expliqué et ce qu'on a jasé, le ministre et moi, c'est qu'il n'a pas le choix,
le ministre, d'agir et d'intervenir quand il y a un 107 dans un code du
travail. Pourquoi? Parce qu'il y a des employeurs qui se présentent en
négociation collective. Et ce qu'ils souhaitent, c'est d'avoir l'intervention
d'un ministre pour venir... et d'un arbitre pour venir décréter des conditions.
Ils ne négocient pas. Ils s'assoient sur leurs deux mains, arrivent avec des
reculs épouvantables, avec des offres lamentables, puis ils se disent :
Moi, j'attends, là, les travailleurs n'auront pas d'autre choix, ils n'auront
pas d'autre choix que de prendre la rue. Et là la pression ne sera plus sur
nous, va être sur le ministre pour qu'il intervienne. Là, on nous dit :
Bien non, mais ce projet de loi là va faire en sorte que, pour... pour que ce
soit moins long, les débats, hein, que la...
Mme Picard (Magali) : ...sois
plus rapide, plus efficace au nom de la population. Au nom de la population, on
a besoin de ce projet de loi là.
Je pense que c'est tout simplement de la
diversion pour tout le travail qui n'a pas été fait par ce gouvernement-là pour
la population. On vit une crise de la vie chère, où les gens ont de la misère à
se loger, à payer leur panier d'épicerie, où ils ont de la misère à joindre les
deux bouts. Elles sont où, les mesures structurantes pour la population? C'est
drôle, on n'en parle pas. Bien non, on amène un projet de loi, vous, qui va
venir aider la population. Dans quelles circonstances? Dans quelles... Et là
arrêtez de me parler du cimetière, s'il vous plaît, venez me parlez, là, d'un
conflit qui n'a pas eu de raison d'être, là, et que... Dans quelles
circonstances, combien de fois le ministre est venu cogner à la porte des
centrales syndicales ou des syndicats pour dire : Il y a un enjeu très
précis, là, où on ne parle pas de la sécurité puis la santé, de ça, mais qu'on
a un besoin puis qu'on doit en parler? Combien de fois il s'est fait dire non,
le ministre, de la part des syndicats? On ne nous a jamais consultés. Jamais.
Et je suis la première, au CCTM, qui a dit : Ça se peut, ça se peut, dans
des circonstances, qu'on doit et qu'on devrait négocier des services
essentiels. Le ministre le sait très bien, je l'ai dit ouvertement. Jamais on
n'a eu de demande puis qu'on s'est assis pour des demandes particulières.
Jamais.
Par contre, là, on fait plaisir à qui? On
fait plaisir au patronat. Vous avez eu combien d'associations patronales qui
sont venues ici? Combien vous ont dit que ce projet de loi là n'était pas
utile? Zéro. Non, parce que j'ai compris qu'il y en a que, hein, leur femme de
ménage ne pouvait pas venir, c'était ben épouvantable, là, hein, ça, au nom de
laisser des travailleurs dans la rue, là, puis de dire aux travailleurs qu'on
va venir sabrer dans leur pouvoir et leur droit le plus légitime, enchâssé dans
notre Constitution.
Et là, bien, on n'a pas non plus d'avis
juridique de la part du ministre, hein, il ne nous en a pas déposé. Moi, je
vais vous dire quelque chose, puis ça devrait... c'en est un, avis juridique,
puis, d'après moi, le ministre est très conscient de cet avis juridique là. Ce
que ça dit, c'est : «On estime que les dispositions du chapitre 5.3.1 du
Code du travail, qui limitent le droit de grève en cas d'atteinte
disproportionnée à la sécurité sociale, économique et environnementale sont
susceptibles de contrevenir aux principes établis par la jurisprudence.» Et là,
bien, il parle de chef Dickson, du renvoi relatif à l'Alberta. Donc ça, c'en
est un. Dans le même avis, on dit également qu'au niveau du droit, ça déborde,
c'est trop large, le projet de loi, que ça déborde du cadre établi par le droit
international.
Le ministre est très, très au fait de ça,
très au fait de ça. On fait diversion ici. C'est insultant, puis c'est
insultant pour les travailleurs, c'est insultant pour l'intelligence de la
population de leur dire qu'on leur vient en aide. En quoi on aide la
population? Et depuis quand que les travailleurs syndiqués qui décident de se
prévaloir de leur droit de grève ne font plus partie de la population? C'est ça
que le ministre nous dit : Ils ne font pas partie de la population, ce
monde-là, qui vivent une crise inflationniste, qui sont obligés, parce qu'ils
font affaire avec des employeurs qui ne respectent pas au minimum
l'augmentation du coût de la vie puis qu'ils veulent se battre, qui doivent se
battre? Il n'y a personne qui est content d'aller prendre la rue, personne
n'est content d'aller prendre la rue. Et on leur dit quoi? Vous êtes
dérangeant, vous empêchez la vie sociale. Puis ça ne sera pas politique, non,
non, non, on va y aller par décret, puis, après ça... Des décrets, là, il y en
a un, voisin, aux États-Unis, qui s'amuse à faire des décrets, actuellement,
puis ça, ça va complètement à l'encontre de nos valeurs, au Québec, et de cette
fierté qu'on a d'avoir un code du travail, qui n'est peut-être pas parfait mais
qui fait quand même l'envie d'une grande population et de d'autres pays qui
regardent ce qu'on a au Québec. Vraiment, c'est ça qu'on avait besoin,
présentement, d'arriver avec un projet de loi comme celui-là?
Moi, je vous dirais, là, je suis
extrêmement, personnellement, déçue, déçue de voir qu'on en est là, déçue parce
que je suis arrivée à la FTQ, il y a deux ans, en me disant : J'ai envie
d'avoir un ton différent, j'ai envie de faire des entrevues différentes, j'ai
envie qu'on élève, on élève notre dialogue puis qu'on travaille différemment.
Puis force est de constater, là, qu'on n'est pas rendu là. Il faut encore
sortir les gros bras, il faut encore venir ici puis s'engueuler parce qu'on
n'est pas capables de travailler différemment. Moi, qu'on ne me parle plus de
dialogue social, quand on arrive avec un coup bas comme celui-là, qui sort de
nulle part, qu'on ne vienne plus me parler de ça. Puis c'est dommage. Et là je
parle beaucoup de la CAQ et de l'absence du travail qu'ils ont fait pour la
population, puis que ça, c'est du tape-à-l'oeil. Il y a quand même certains
ministres, à la CAQ, avec qui on est capable de s'asseoir et de faire du
dialogue social, donc je ne veux pas mettre tout le monde dans le même bain,
mais là, là, présentement, ça, pour moi, c'est une atteinte, c'est... Il y a
plein d'hypocrisie qui vient avec ça, c'est frustrant, ce n'est pas à la
hauteur de ce qu'on s'attend d'un ministre du Travail qui a tellement à faire.
Il me reste 30 secondes... ça va... qu'il reste autant à faire pour 160 000
personnes, et toute la population du Québec est inquiète. On serait plus utile
à faire autre chose, présentement.
• (11 h 50) •
Le Président (M. Allaire) : Merci.
Merci, Mme Picard. On va débuter la période...
Le Président (M. Allaire) : ...échange
avec la partie gouvernementale. M. le ministre, comme je l'ai dit tantôt, vous
avez 11 minutes.
M. Boulet : Merci, M. le
Président. D'abord, vous remercier, Mme Picard, pour votre présence, M. Bolduc,
Maître Lavoie, pour la présentation que vous venez de faire. Je comprends la
déception. En même temps, je vais y aller de façon un peu télégraphique parce
que je suis limité dans le temps, pour mes commentaires.
Mais la conjoncture d'instabilité actuelle
est un motif additionnel d'intervenir justement pour donner de la stabilité à
une population qui est souvent affectée par des conflits de travail. Puis je
vous donnerai un exemple qui est manifeste, vous en connaissez plusieurs, et
c'est ce qui intéresse ce projet de loi là, que les besoins de la population,
particulièrement les personnes qui sont vulnérabilisées par les grèves,
puissent être considérées. C'est cet équilibre-là que nous recherchons. Ce
n'est pas pour les travailleurs, ce n'est pas pour les employeurs, c'est pour
la population que ce projet de loi là a été conçu.
Il n'y a pas eu, évidemment, de
consultations formelles, Mme la Présidente, Mme Picard. Mais, souvenez-vous, au
Comité consultatif du travail et de la main-d'oeuvre, le 12 septembre,
l'année dernière, on a parlé de mon intérêt, de ma réflexion pour le maintien
de services dans les conflits de travail, dans la foulée du conflit
ferroviaire. Je me souviens des échanges que nous avons eus. Et je n'ai pas
prêté d'intentions à personne à l'égard de cet échange-là. Mais vous saviez
tous que je réfléchissais.
Évidemment, à Québec, il y a un privilège
pour les parlementaires. C'est un projet de loi qui a 11 articles. Donc,
je ne pouvais pas identifier et dire précisément ce qu'allait être le contenu
du projet de loi. Et, le 7 février 2025, donc avant le dépôt, parce qu'il
y avait eu l'entrevue avec les médias, avec Radio-Canada, j'ai eu un échange
avec les quatre, la CSN, la FTQ, la CSQ et la CSD, et on a parlé de maintien de
service. Pas dans un contexte de conflit de travail qui pouvait avoir des
impacts préjudiciables sur la population. Il y a eu le dépôt, deux semaines
plus tard, et il y a eu un échange téléphonique suite au dépôt, là où vous
aviez pu prendre connaissance du contenu.
Quand vous dites, dans vos conclusions,
«pouvoir discrétionnaire», je suis en désaccord avec ça. Le gouvernement ne
décide pas. C'est le Tribunal administratif du travail qui est indépendant et
impartial. Suite à l'adoption d'un décret, le tribunal peut décider si les
critères prévus dans la loi sont rencontrés. Il pourrait décider que non. Et,
s'il décide que oui, les parties vont négocier des services minimums à
maintenir en cas de conflit de travail. Ce tribunal-là, il est reconnu, il est
aussi présidé, et c'est des personnes qui sont objectives. Donc, ce n'est pas
une discrétion gouvernementale.
Il y a des concepts qui sont clairs, c'est
le bien-être de la population, qui ça s'exprime par une sécurité qui ne doit
pas être affectée de manière disproportionnée.
Le «préjudice grave ou irréparable», c'est
imprécis, «importante incertitude», nous dites-vous. Si c'est imprécis,
faites-nous des recommandations. Il y a des recommandations qui ont été faites
par d'autres groupes.
C'est des concepts reconnus. Moi, de me
dire : C'est des concepts flous, c'est faux. La jurisprudence a... et dans
le corpus jurisprudentiel québécois, c'est des termes qui ont fait l'objet
d'interprétations.
Notion de services essentiels.
L'intégralité du régime des services essentiels est maintenue, Mme Picard, en
santé, en services sociaux, pour les organismes gouvernementaux et ministères.
On crée un régime parallèle, vous le savez, on en a déjà parlé, de maintien de
service minimum en cas de conflit. La France l'a fait en éducation. Puis c'est
en éducation, parce que, si vous ne voulez pas que je vous parle du cimetière,
ou de transformation alimentaire, ou de transport scolaire, ou de transport
collectif, mais en éducation, l'interruption de services éducatifs pour des
enfants à besoins particuliers, ça a des répercussions permanentes sur leur
développement. Est-ce qu'on peut discuter de maintien de service minimum? Ce
n'est pas tout dans le champ gauche, ce qui est dans ce projet de loi là. Et,
les services essentiels, c'est un critère qui n'était pas suffisamment...
M. Boulet : ...clair ou
suffisamment large pour nous permettre de maintenir des services minimums dans
d'autres secteurs où il n'y a aucune couverture, aucune obligation de maintien
de services essentiels.
Vous nous parlez de l'Organisation
internationale du travail. Vous le savez, vous m'avez entendu le dire, le
Comité des libérations syndicales le reconnaît, ce concept-là de services
minimums ou services minima. Il est appliqué en France dans tous les conflits
en matière d'éducation.
Vous nous référez aussi à
l'article 107 du Code canadien du travail. Vous l'avez lu, Mme Picard,
l'article 107 du Code canadien du travail. Ça, là, moi, je trouve que
c'est un article qui est libellé de façon extrêmement large, beaucoup moins
précis que notre projet de loi, qui n'utilise aucun critère pour guider et qui
permet des pouvoirs au ministre fédéral du travail qui peuvent être considérés
comme étant discrétionnaires, mais je ne me mêlerai pas des débats qui sont
amorcés devant les tribunaux concernant l'article 107. C'est la raison
pour laquelle on a utilisé des critères pour le maintien des services minimums
et des critères qui nous permettent aussi de demander un arbitrage, mais après
que la conciliation-médiation aura été infructueuse et évidemment sous réserve d'une
démonstration d'un préjudice grave ou irréparable.
107, Mme Picard, c'est : «Le ministre
peut prendre les mesures qu'il estime de nature à favoriser la bonne entente
dans le monde du travail et à susciter des conditions favorables au règlement
des désaccords ou différends qui surgissent.» Puis, à ces fins, «il peut
déférer au conseil toute question ou lui ordonner de prendre les mesures qu'il
juge nécessaires». On n'a pas ça dans le projet de loi n° 89. On a un 107
qui est ordonné, qui est respectueux des critères jurisprudentiels, qui
contient des balises, qui permet que ce projet de loi là permette l'utilisation
d'outils dans des circonstances exceptionnelles, au cas par cas, une fois, deux
fois, quelques fois par année, peut-être même pas. Et le dialogue social nous
permet de régler la plupart des dossiers. Et je le sais, vous le faites, vous
utilisez beaucoup les services de conciliation-médiation qui sont dans notre
ministère, avec aussi de l'expertise pour améliorer les climats de relations de
travail.
Alors, Mme Picard, moi, je suis convaincu
qu'il faut continuer de dialoguer. Puis le dialogue, ce n'est pas à sens
unique. J'ai voulu discuter de défis économiques, de défis communs vendredi
dernier, j'ai été contraint de ne pas le faire. Il faut se respecter. Il faut
faire nos débats de manière ordonnée, de la manière la plus saine possible.
Et, ceci dit, il y a des avis
juridiques... évidemment, mais qui sont protégés par le sceau de la
confidentialité, là. Je ne sais pas ce à quoi vous faites référence, mais tous
les projets de loi sont analysés, font l'objet d'un examen des risques
constitutionnels. Ce projet loi... de loi là n'en fait pas exception. C'est la
raison pour laquelle on a mis beaucoup de barrières, beaucoup de balises pour
éviter que ce soit considéré comme une règle. C'est véritablement exceptionnel.
C'est dans des circonstances où, à chaque dossier... puis ce n'est pas des
secteurs qui vont être concernés par le maintien de services minimums, c'est
cas par cas, négociation par négociation, et ce devra être justifié pour le
bénéfice d'une démonstration devant le Tribunal administratif du travail.
Alors, voilà, en gros, c'est... c'est ce
que je voulais partager avec vous. Je ne sais pas combien...
Mme Picard (Magali) :
...est-ce que je peux répondre?
Le Président (M. Allaire) : Il
reste une minute 40. C'est la prérogative du ministre. Est-ce que vous
souhaitez...
Mme Picard (Magali) :
Oui, mais c'est parce que... (panne de son) ...n'ont pas le droit de répondre
aux questions. Si c'est ça, on va quitter, là.
Le Président (M. Allaire) : Ce
n'est pas le cas. Ce n'est pas le cas du tout. En fait, c'est... c'est...
M. Boulet : Non, non, mais
c'est parce que vous ne faites pas de recommandations. Ça fait que c'est
difficile pour moi d'embarquer...
Mme Picard (Magali) :
...
M. Boulet : Non, mais...
Le Président (M. Allaire) :
Juste...
M. Boulet : Puis je vais vous
laisser le reste du temps, mais...
• (12 heures) •
Le Président (M. Allaire) :
Wô! Juste un instant. Un instant. Un instant, M. le ministre, là. Juste vous
rappeler les règles parlementaires. Il appartient aux différents groupes
parlementaires de gérer leur propre temps comme ils le souhaitent. Donc, ce
n'est pas une question que vous... que personne ne souhaite que vous répondiez,
c'est les règles parlementaires. Vous avez eu votre exposé de 10 minutes.
Maintenant, c'est le temps du ministre. Donc, il peut utiliser le temps comme
il le souhaite. M. le ministre, la parole est à vous...
12 h (version non révisée)
M. Boulet : …puis, Mme Picard,
c'est parce que vous recommandez le retrait pur et simple, alors que le
dialogue implique de faire des recommandations puis de proposer des précisions.
Alors, moi, c'est complété. Puis, Mme Picard, vous pouvez utiliser bien sûr le
reste.
Le Président (M. Allaire) : Il
vous reste 1 min 25 s. La parole est à vous, Mme Picard.
Mme Picard (Magali) :
Très bien. Merci beaucoup. Alors, M. le Président, le ministre nous dit d'entrée
de jeu qu'il fait ça pour raccourcir, qu'il fait ça au nom des travailleurs qui
sont pris dans des conflits interminables, d'autant plus avec la situation
économique actuelle et les menaces, tout ça. C'est comme si c'était pour
vraiment raccourcir les conflits.
Êtes-vous en train de me dire que le 107,
avec le rail, les ports et Poste Canada… que ça a raccourci, que ça a fait en
sorte que nos gens ont des contrats de travail décents, qu'ils sont de retour
au travail, qu'ils sont motivés, qu'ils sont dans des situations qui sont… qui
sont favorables? Actuellement, ça ne fait qu'allonger les conflits. Pourquoi?
Parce que les partis se présentent aux tables, puis il y en a une qui ne
négocie pas et qu'ils attendent que la pression soit sur le ministre. Donc, ça,
d'entrée de jeu, c'est complètement erroné comme affirmation.
Ensuite, vous dites que les avis
juridiques, bon, ça reste confidentiel. Tant mieux. Sauf que je pense que votre
devoir, c'est quand même de les lire et de les analyser avant d'amener un
projet de loi. Là, je comprends que vous le savez très bien. Vous savez très
bien que ça ne tiendra pas la route devant les tribunaux. Les avis que vous
avez reçus vous le disent tous.
Par contre, la décision va arriver dans 10,
12 ans, vous ne serez plus là. Pendant ce temps-là, il y a un paquet de
travailleurs, eux, qui vont être frustrés puis qui n'auront pas des conditions
de travail à la hauteur de ce qu'ils méritent d'avoir et qui ne suivront pas le
coût de la vie… puis va continuer à s'appauvrir. Je comprends qu'après pris
votre carrière vous allez revenir probablement un avocat patronal, puis qu'ils
vont être contents de vous accueillir, mais là, pour l'instant, votre travail,
c'est de le faire pour tout le monde et vous laissez tomber une grande partie
des travailleurs actuellement, puis c'est insultant.
Le Président (M. Allaire) :
Merci. Merci. Ça met fin à ce bloc d'échange. Je cède la parole à l'opposition
officielle. Mme la députée de Bourassa-Sauvé, vous avez six 6 min 56 s.
Mme Cadet : Merci. Bonjour,
Mme Picard, bonjour, M. Bolduc et Maître Lavoie. En fait, je commencerais
justement par l'avis… L'extrait de l'avis juridique que vous avez lu plus tôt.
Je ne sais pas si vous pouvez élaborer aussi. Est-ce que c'est un avis que vous
êtes en mesure de déposer à la commission?
Mme Picard (Magali) :
Non, malheureusement, c'est un avis qu'on a reçu.
Mme Cadet : O.K. Je comprends.
Mme Picard (Magali) :
Il y en a par contre qu'on va pouvoir vous faire parvenir. Mais là, pour l'instant,
non. C'est une information privilégiée que j'ai reçue, alors, mais tous les
avis, hein, on a consulté un paquet de groupes, tout le monde est de la… est à
la même… au même endroit, là. Ce projet de loi là, autant… Puis je pense que,
Guillaume, tu peux confirmer que la journée… Si jamais vous allez de l'avant
avec ce projet de loi là puis qu'il était adopté, la première journée, il y a
une plainte qui va être déposée à l'OIT' là. On est prêt, là.
Mme Cadet : O.K. Oui, Me
Lavoie.
M. Lavoie (Guillaume) :Oui, effectivement, bien, parce qu'il a beaucoup été question…
on a été à l'écoute hier des commissions parlementaires. Et notamment, madame,
vous avez posé des questions relativement au comité de la liberté syndicale.
Mme Cadet : Oui. C'était la
prochaine que j'allais poser.
M. Lavoie
(Guillaume) :Et ce qu'il faut
retenir, à notre avis, c'est que le Comité de la liberté syndicale, c'est
facile un peu de faire notre propre interprétation ou d'essayer de voir comment
il s'applique dans les pays, où le modèle de relation de travail n'est pas le
même. Mais ce qu'il faut surtout retenir, c'est que la Cour suprême du Canada a
interprété les décisions du Comité de la liberté syndicale. Elle les a interprétées
dans le contexte canadien, à la fois dans le renvoi sur l'Alberta et à la fois
dans l'arrêt Saskatchewan. Et je vais laisser la Cour suprême, parce que c'est
ce que prévoit le Code du travail actuellement, La Cour suprême nous dit que le
Comité de la liberté syndicale de l'OIT tient pour essentiel les services qui
préviennent une menace évidente et imminente pour la vie, la sécurité et la
santé, dans tout ou partie de la population. Alors, les notions imprécises,
trop larges que le ministre amène avec le projet de loi débordent totalement de
l'interprétation qu'a faite la Cour suprême des décisions du Comité de la
liberté syndicale.
Mme Cadet : Oui, bien là, je
pense que vous référez, donc, aux décisions du Comité de la liberté syndicale,
donc, sur les services essentiels. Ce que j'ai saisi, de certains intervenants
hier, c'est qu'il y a aussi eu des travaux du Comité de la liberté syndicale
sur les services minimalement requis, avec, bon, une interprétation différente.
Est-ce que vous vous êtes penchés sur ces travaux-là?
M. Lavoie
(Guillaume) : Bien, c'est que ces mêmes décisions là
ont été interprétées par la Cour suprême, et la Cour suprême a limité au
contexte canadien, au contexte de vie, de sécurité et de… et de santé.
Mme Cadet : D'accord. Merci. Un
peu plus tôt, Mme Picard, donc vous disiez… donc vous avez énoncé, donc, que le
projet de loi est inutile. En fait, j'aimerais vous entendre sur les
dispositions actuelles du Code du travail qui permettraient, selon vous, d'atteindre
les objectifs du projet de loi.
Mme Picard (Magali) :
C'est le Code du travail qui nous régit depuis plus de 40 ans. Donc, je
pense qu'il a fait ses preuves, hein? Quand on regarde, au Québec, que plus de
95 % des négociations collectives se terminent avec une poignée de main.
Alors, on parle d'une minorité des fois où c'est des conflits. Lorsqu'on a des
conflits, parce que justement le ministre n'a pas ces prérogatives-là, et qu'il
n'y a pas ce pouvoir spécial là, bien, autant la partie patronale que
syndicale, lorsque les discussions achoppent, oui, il y a des lock-out, il y a
des grèves, mais le seul moyen d'y arriver, c'est de s'asseoir, puis de
négocier, puis de trouver une voie de passage. Et là, on essaie d'éviter ça
avec ce projet de loi là, de donner un pouvoir, une force extraordinaire aux
patrons, hein, de justement arriver là de mauvaise foi. Donc, je ne sais pas
si…
Mme Picard (Magali) : ...tu
veux ajouter quelque chose, mais il n'y a rien dans notre code actuel qui a
besoin d'être amendé. Il répond parfaitement à nos besoins. C'est clair que...
on le sait que les patrons sont très, très excités de tout ça, là, mais
j'aurais voulu entendre, de leur côté, autre que des périodes de grève, en quoi
notre Code du travail ne répond pas aux attentes actuelles.
Mme Cadet : Me Lavoie.
M. Lavoie
(Guillaume) :Bien, en fait, ce
qu'on demande, c'est que, s'il y a des besoins particuliers auxquels le Code du
travail ne répondrait pas, que le ministre les identifie, qu'il s'assoit avec
nous, on est prêt à travailler. Mais actuellement, dans le projet de loi, le
ministre n'identifie pas un besoin particulier. Le projet de loi tire dans
toutes les directions. Encore une fois, les notions qui sont introduites sont
trop larges, on vise l'ensemble des secteurs d'activité, à quelques exceptions
près. Donc, le projet de loi faillit à la tâche d'identifier un besoin réel et
urgent qui serait celui visé par le projet de loi. On ne sait pas ce qu'il
vise. Si on nous dit ce que le projet de loi vise...
Mme Picard (Magali) : La
porte est ouverte, on l'a dit à maintes reprises. Et là j'entends encore ces
enfants qui sont... qui ont des mesures d'adaptation, pour qui c'est vraiment
extrêmement pénible de vivre et d'être désorienté, de ne pas être capable de
suivre le pictogramme. Je les ai tous entendus, mais la porte est ouverte. On
n'a pas besoin d'un projet de loi comme celui-là pour être capable de s'asseoir
puis en avoir un, dialogue social, mais un vrai dialogue social.
Donc, vraiment, là, pour moi, c'est une
insulte de se faire dire qu'on a besoin de ça pour être capable de répondre à
des besoins ciblés qui sont très rares et avec lesquels on a déjà dit qu'on
était prêt. Et je pense que vous avez entendu nos collègues des autres centrales
également dire la même chose. La porte est ouverte. Jamais on n'est venu nous
voir pour nous dire, de façon réelle : Il faut s'asseoir puis régler cette
situation-là. Donc, oui.
Mme Cadet : Justement, sur
ces besoins, donc, très précis, effectivement, vous l'avez mentionné,
l'article 4 du projet de loi est rédigé dans des termes, donc, extrêmement
larges et généraux. Est-ce que, donc, vous pouvez, donc, donner, donc, quelques
exemples de comment un tel article, donc, pourrait être mieux ciblé? Puis je
pense que, Mme Picard, vous avez mentionné qu'au CCTM, vous avez dit, donc
ça se peut que, dans certaines circonstances, qu'on devrait négocier des
services essentiels. Là, avec le temps qu'il nous reste, là...
Mme Picard (Magali) : Bien,
c'est clair que je ne ferai pas ça en commission parlementaire parce que ça
implique des travailleurs et travailleuses qui sont syndiqués avec d'autres
syndicats, d'autres centrales, mais on est quand même tous unanimes. L'exemple
qui a été donné par le ministre plus tôt, on en est très conscients, là. Tu
sais, donc, c'est clair qu'on n'est pas prêts à faire en sorte qu'il n'y en ait
plus, de moyens de pression, que les travailleurs n'aient plus... c'est encore
le droit le plus légitime avec lequel on est capables de faire évoluer et
d'arriver souvent avec des ententes qui sont respectables. Mais il demeure qu'à
l'intérieur de ce code-là, il y a effectivement, hein, des petites parcelles.
Il y a des fois où, avec du gros bon sens puis avec des bonnes volontés, on est
capable de dire : Dans ce cas-là, hein, on est capables. Mais je ne
voudrais pas... j'en ai, des exemples, mais que je ne partagerai pas, mais il y
a certainement lieu d'être capable de s'asseoir à une table intersyndicale avec
le ministre, on le fait dans d'autres circonstances, puis être capables
d'adresser ces situations-là puis de s'entendre. C'est clair qu'on est prêtes à
ça. On a cette maturité-là.
Mme Cadet : Merci beaucoup,
Mme Picard. Je laisse la parole à... je cède la parole à ma collègue de
D'Arcy-McGee.
Le Président (M. Allaire) : Mme
la députée, la parole est à vous.
Mme Prass : Merci, M. le
Président. Vous mentionnez, bien, comme vos collègues l'ont fait, qu'il n'y a
pas eu de consultation de façon préalable, pas grande recommandation à part
retirer le projet de loi. Donc, si ces consultations auraient eu lieu,
qu'est-ce que... quelle aurait été votre ouverture? Quelles sont les
discussions que vous auriez ou les suggestions et les recommandations que vous
aurez faites en amont de la production du projet de loi?
Mme Picard (Magali) : Bien,
les discussions se seraient arrêtées à ce qu'on vient de parler présentement,
là, aux quelques cas d'exception où on doit porter une attention particulière,
ou, même si ce ne met pas la sécurité ou la santé de la population en danger,
qu'il y a des effets, hein, qui sont très graves, qui auraient des préjudices
graves sur ces individus-là, ces enfants-là. C'est la seule discussion qu'on
aurait pu avoir parce qu'on ne créera pas un problème où n'y en a pas, il n'y
en a pas, de problème avec le code actuel. C'est qu'on n'est pas en train de
dire, là, que... puis, je le répète, là, que les femmes de ménage ne peuvent
pas prendre les transports en commun. Tu sais, je veux dire, il y a des choses
qui se sont dites ici qui démontre à quel point c'est dangereux d'amener un
projet de loi comme celui-là.
Le Président (M. Allaire) : Merci.
Ça termine ce bloc d'échange avec l'opposition officielle. On poursuit avec le deuxième
groupe d'opposition. M. le député d'Hochelaga-Maisonneuve,
2 min 19 s.
M. Leduc : Merci beaucoup, M.
le Président. Bonjour à vous trois et à la belle délégation qui nous accompagne
derrière vous. Le ministre du Travail, j'ai appris à bien connaître, ça fait à
peu près sept ans de collaboration, une douzaine de projets de loi, puis ce
n'est pas tout noir ou tout blanc. Tu sais, j'ai voté contre plusieurs de ses
projets de loi, mieux il y a eu des réformes, comme le RQAP, le travail des enfants
à 14 ans, la reconnaissance des stagiaires, mais est-ce que vous pensez
qu'avec ce projet de loi là, il n'est pas un peu en train de gâcher son
héritage comme ministre du Travail?
• (12 h 10) •
Mme Picard (Magali) : C'est
très bien dit. M. le Président, c'est exactement ce qu'il se passe. Moi, le
ministre du Travail, depuis mon arrivée en poste depuis deux ans, je lui parle
régulièrement et je vais... très honnêtement, je lui texte, il me revient
rapidement. On avait vraiment un dialogue qui, selon moi, démontrait cette
ouverture-là du travail ensemble puis d'être capable d'évoluer. On n'est pas
toujours d'accord, mais on se parle. Mais là, il y aura eu un avant puis un
après le projet de loi n° 89. Moi, la confiance, elle
n'est plus là. Je ne peux pas concevoir, en 2025...
Mme Picard (Magali) : ...2025
qu'on nous dépose un projet comme ça, qui est une attaque épouvantable. Puis
n'essayons pas de dire que non, non, c'est moins pire que le 107, là. On ne
parle jamais du pouvoir spécial du ministre. Ça, c'est drôle, on n'en parle
pas. Alors, c'est vraiment décevant, vous avez raison, c'était censé être un
legs du ministre, mais il y a autre chose. Il y a un projet de loi en
prévention, également, qu'on attend désespérément, qui nous a été promis, hein,
avant l'hiver, mais là, bon, Santé puis Éducation ne sont pas d'accord, puis ça
coûterait trop cher, ce serait juste bon pour le privé, mais pas chez nous, tu
sais. C'est un peu ce qu'on voit aussi dans ce projet de loi là. Un arbitre
pourrait décréter les conditions d'emploi des entreprises privées, mais pas
celles du gouvernement. Donc, c'est bon pour tout le monde, sauf pour chez
nous. Finalement, la vérité, c'est que ce n'est pas bon pour personne, ce
projet de loi là, on n'en a pas besoin.
M. Leduc : Très rapidement,
qu'est-ce que ça va avoir comme influence dans les différentes tables de négo,
le fait d'avoir maintenant une espèce d'épée de Damoclès pour être imposé la...
Mme Picard (Magali) : Un
recul épouvantable. On revient en arrière, on revient plus de 40 ans en
arrière. On est en train d'enlever l'équilibre dans les relations de travail,
dans le droit de la négociation collective. Il y a des gens, actuellement...
Quand des travailleurs décident de se voter, hein, pour aller en grève, c'est
parce qu'ils ont tout essayé, et là ils se disent : On n'a plus rien à
perdre. Mais là, là, c'est là, habituellement, où les parties démontrent à quel
point elles sont rendues au bout du rouleau. On veut s'asseoir, c'est le temps,
là, on est à la fin du processus. Et là, en enlevant ça puis en laissant le
ministre faire un décret, qu'il y ait le tribunal qui s'en mêle, qu'il y ait un
médiateur qui s'en mêle, un arbitre qui décide...
Le Président (M. Allaire) : Merci.
Merci, ça met fin à ce bloc d'échange avec le deuxième groupe d'opposition. On
poursuit avec le député de Jean-Talon. Vous avez 53 secondes.
M. Paradis : Je vous
résume : absence totale de consultation, un projet de loi inutile parce
que le Code du travail a déjà ce qu'il faut faire, on confère d'importants
pouvoirs discrétionnaires au ministre, en violation de la liberté d'association
et en violation du droit international. Il y a des gens qui sont venus ici
dire : C'est merveilleux, ce projet de loi là, ça va être bon pour la
stabilité des relations de travail au Québec. Pour les quelque 800 000
travailleurs affectés, pourriez-vous nous dire, vous, ce que vous pensez de la
stabilité que ça va apporter dans les relations de travail?
Mme Picard (Magali) : C'est
complètement l'inverse. Il n'y en aura plus, de stabilité, parce que ce qu'on
est en train de donner à l'employeur, c'est exactement la stratégie pour faire
reculer les négociations collectives puis ne pas donner des augmentations ou de
suivre le coût de la vie, en s'assoyant sur leurs deux mains puis en mettant de
la pression sur le ministre. Parce qu'il y aura des conflits, et c'est un
recul. Donc, tous ces gens-là sont perdants, et les travailleurs syndiqués et
les non-syndiqués, parce que les non-syndiqués suivent souvent ce qu'on va
négocier dans les entreprises. Donc, c'est un recul pour tous les travailleurs
et travailleuses du Québec.
Le Président (M. Allaire) : Merci.
Ça met fin à ce bloc d'échange avec le député Jean-Talon. M. le député de
Saint-Jérôme, vous avez 53 secondes, également.
M. Chassin :Peut-être une question très simple, parce qu'évidemment on
se retrouve à avoir une perspective sur un projet de loi qui est peut-être
partagée, mais. En même temps, on ne veut pas reculer, d'accord. Est-ce que
vous vous dissociez des événements de la Chambre de commerce du Montréal
métropolitain?
Mme Picard (Magali) : On
n'est... jamais encouragé la violence, d'aucune façon, mais d'aucune façon. On
ne soutient pas ça. Il y a un vidéo qu'on pourra...
M. Chassin :Vous la dénonceriez?
Mme Picard (Magali) : Bien,
on l'a fait depuis, depuis... à chaque entrevue que j'ai fait depuis ce
temps-là. Mais ce qu'il y avait de violent, cette journée-là, c'était un projet
de loi, hein, ce n'est pas les travailleurs qui se sont rassemblés, je
m'excuse.
L'autre chose : il y a un vidéo qui
circule, actuellement, on voit la personne qui a brisé la fenêtre. Elle n'est
pas... Aucun des syndicats n'est capable d'identifier cette personne-là, donc
elle n'est pas de notre gang. Elle est de quelle gang, je ne le sais pas, mais
elle n'est pas de la nôtre. Et c'est tout à fait dommage. Et ce n'est pas ce
que les travailleurs ont voulu démontrer, cette journée-là. Ne détournons pas
l'attention, s'il vous plaît.
Le Président (M. Allaire) : Merci
au député de Saint-Jérôme. Ça met fin à l'ensemble des blocs d'échange avec le
groupe qui était avec nous, la Fédération des travailleurs et travailleuses du
Québec. M. Bolduc, Mme Picard, M. Lavoie, merci pour votre présence.
Nous allons suspendre les travaux quelques
instants. Merci.
(Suspension de la séance à 12 h 15)
(Reprise à 12 h 20)
Le Président (M. Allaire) : Alors,
nous allons reprendre les travaux. Nous sommes prêts à poursuivre. Nous
accueillons notre prochain groupe, l'Association du transport urbain du Québec.
Alors, bienvenue! Je vais laisser vous... Je vous laisse le soin de vous
présenter, en fait, avec votre titre complet. Puis vous pouvez commencer votre
exposé de 10 minutes. Va s'ensuivre une période d'échange, là, avec les
parlementaires. La parole est à vous.
M. Chitilian (Harout) : Merci,
M. le Président. Donc, Harout Chitilian, directeur général de l'Association du
transport urbain du Québec, accompagné par Mme Véronique Lafond, qui est la
directrice adjointe. Et on va prendre le temps aujourd'hui de vous faire un
court exposé sur notre mémoire pour le projet de loi n° 89.
Avant tout, chers membres de la
commission, nous vous remercions de nous recevoir aujourd'hui afin de présenter
la position de l'ATUQ sur le projet de loi n° 89.
Nous représentons les neuf sociétés de
transport en commun du Québec, ainsi qu'EXO, qui desservent les principales
villes et assurent 99 % des déplacements à travers la province.
Nos membres transportent annuellement près
de 235 millions de passagers et parcourent 178 millions de kilomètres
pour offrir un service essentiel à des milliers de citoyens. Pour plusieurs, le
transport en commun est la seule option de mobilité : les gens qui vivent
dans la précarité économique, les personnes en situation de handicap, les
étudiants, travailleurs à faibles revenus ainsi que les aînés. Une interruption
prolongée des services aurait des conséquences immédiates graves et...
M. Chitilian (Harout) : ...et
irréversible parce qu'ils limiteront l'accès aux soins de santé pour les
patients et rendraient impossible pour les travailleurs du secteur de la santé
de se rendre au travail. Ils risquent également des pertes d'emploi pour les travailleurs
dépendants du transport collectif. Il y aura également un impact sur
l'éducation, notamment pour les élèves et étudiants qui utilisent le transport
en commun pour se rendre à l'école. Une hausse importante du trafic automobile
compromettant la circulation des véhicules d'urgence dans les grandes villes.
Et, surtout, les services de transport collectif sont appelés en cas de
catastrophe naturelle ou d'évacuation d'urgence pour agir comme une solution de
mobilité, donc cela compromettrait cette solution également.
Nous saluons l'initiative du législateur
visant à mieux protéger les besoins de la population lors des conflits de
travail touchant les services de transport en commun et nous croyons que le p.
l. 89 représente un pas dans la bonne direction pour concilier les droits des
travailleurs et les besoins essentiels des usagers, en particulier les plus
vulnérables. L'ATUQ réitère que nous ne remettons aucunement en question le
droit de grève, un droit fondamental et reconnu. Toutefois, ce droit ne doit
pas priver la population de services essentiels au bien-être collectif. Le p.
l. 89 établit un cadre où le Tribunal administratif du travail encadre les
services minimaux, garantissant ainsi un juste équilibre entre les droits des
travailleurs et la nécessité de préserver l'accessibilité au service minimum.
Le projet de loi propose un modèle équitable qui ne suspend pas le droit de
grève, mais impose plutôt le maintien des services définis par négociation
entre les parties ou, à défaut, par décision du tribunal. Ainsi, les
travailleurs peuvent exercer leur droit tout en évitant une rupture complète du
service public.
Par le passé, certains de nos membres ont
été reconnus comme offrant des services essentiels à la population. L'argument
alors retenu par les tribunaux est que l'absence de transport en commun durant
une grève créerait une augmentation importante de la circulation automobile,
compromettant l'accès des véhicules d'urgence et mettrait ainsi en danger la
santé et la sécurité publique. C'est souvent le cas dans les villes où opèrent
des sociétés de transport, comme à Montréal ou à Laval, parce que... mais nous
représentons neuf sociétés de transport dans différentes conditions, dans
différentes géographies, avec des différentes tailles de population, et l'enjeu
reste parce que force est d'admettre que, lorsque les sociétés du transport ne
sont pas reconnues comme offrant des services essentiels, l'absence complète de
service minimum durant une grève vient atteinte de façon disproportionnée et
injuste des droits de la population. Le législateur se devait donc agir pour
les protéger.
Le transport en commun répond à plusieurs
besoins de la population, évidemment au niveau de la mobilité, mais également à
des besoins économiques, sociaux et environnementaux. En ce sens, les
différentes mesures prévues au p. l. 89 pourraient être nécessaires dans un
conflit de travail au sein d'une société de transport. Plus spécifiquement,
pour les mesures relatives aux services à maintenir pour assurer le bien-être
de la population, bien que le p. l. 89 ne définit pas pour le moment ce qu'on
entend par «services assurant le bien-être de la population», les services
minimalement requis pour éviter que ne soit affectée de manière
disproportionnée la sécurité sociale, économique ou environnementale de la
population, notamment de celle des personnes en situation de vulnérabilité,
nous sommes d'avis, en considérant l'esprit du p. l. 89, que l'industrie du
transport collectif entre dans cette catégorie de services. En effet, n'avoir
aucun service minimum de transport en commun durant un conflit de travail
entraîne plusieurs atteintes.
Et là je vais vous donner quelques
exemples spécifiques. Les travailleurs qui gagnent moins de 30 000,
50 % de ces travailleurs, selon une étude d'IRIS, datant de janvier 2024,
prennent le transport collectif comme moyen de déplacement. Les personnes qui
utilisent nos services de santé et nos services sociaux, 15 % de ces
personnes utilisent le transport collectif comme moyen de déplacement, selon
l'Institut statistique du Québec. Plusieurs travailleurs qui travaillent dans
le réseau de la santé utilisent le transport collectif comme moyen pour se
rendre au travail, et on ne peut pas se permettre une situation d'avoir une
rupture de service complète pour cette population également. Dans les grands
centres, ce sont fréquemment les sociétés de transport qui offrent également le
transport scolaire intégré aux écoliers, notamment au niveau secondaire, et un
conflit de travail sans service minimum...
M. Chitilian (Harout) : ...de
transport en commun brimerait une partie des étudiants qui n'ont pas d'autre
alternative que le transport en commun pour se rendre à l'école.
Et la majorité des sociétés de transport
ont également des ententes avec des municipalités, des résidences pour aînés ou
des organismes comme la Croix-Rouge pour assurer le déploiement d'autobus et
d'un chauffeur en cas d'incendie, de force majeure ou de catastrophe naturelle
entraînant des évacuations. En cas de conflit de travail, sans service minimum,
ces services critiques et indispensables pourraient être compromis, mettant en
danger des vies humaines.
Ainsi, malgré que l'ATUQ reconnaît
l'importance du droit de grève, à la lecture de ces exemples concrets, nous
sommes d'avis que le législateur n'avait pas d'autre choix que d'intervenir
pour trouver une solution où les droits de la population sont respectés tout en
protégeant les droits des travailleurs. Pour cette raison, nous accueillons
positivement le p.l. 89.
En terminant, nous croyons toutefois qu'il
y a une opportunité d'amélioration de ce projet de loi, car présentement, une
période de moins 15 jours sans service minimum est possible entre la décision
du tribunal sur l'assujettissement aux services à maintenir et celle sur la
suffisance des services minimaux. Cette période sans transport collectif risque
de compromettre les objectifs du projet de loi.
Nous proposons une solution :
permettre aux syndicats de déposer une liste préliminaire des services minimaux
à maintenir dès la décision du tribunal sur l'assujettissement. Cela éviterait
une interruption complète des services pendant la période de négociation et
permettrait de protéger immédiatement les citoyens, surtout les plus
vulnérables.
En conclusion, l'ATUQ soutient l'adoption
du p.l. 89 car il constitue une avancée importante dans la protection des
usagers du transport en commun tout en respectant les droits des travailleurs.
Il est essentiel de garantir un cadre structuré supervisé par un organisme
indépendant afin d'assurer la continuité des services minimums. Nous affirmons
que le transport collectif joue un rôle clé dans la mobilité, l'économie et la
cohésion sociale. Nous encourageons donc la commission à adopter un cadre
législatif garantissant un équilibre entre le droit de grève et la nécessité de
maintenir les services minimums.
Nous vous remercions pour votre attention
et restons disponibles pour répondre à vos questions.
Le Président (M. Allaire) : Merci,
M. Chitilian. Nous allons débuter la période d'échange avec la partie
gouvernementale. M. le ministre. La parole est à vous pour 11 minutes.
M. Boulet : Oui, merci
beaucoup à l'ATUQ, M. Chitilian, Mme Lafond, pour, un, votre présence, deux, la
qualité de votre mémoire, le temps et l'énergie que vous avez consacrés
évidemment.
On voit que parfois il y a des projets de
loi qui polarisent. J'estime beaucoup l'approche que vous avez parce qu'elle
est totalement concordante avec les objectifs du projet de loi, M. Chitilian.
C'est une quête d'équilibre entre l'exercice d'un droit de grève ou d'un droit
de faire un lock-out dans les secteurs où c'est permis de le faire et des
besoins parfois fondamentaux d'une population. Et le transport collectif, vous
le dites bien, vous le considérez comme un service essentiel. En tout cas,
c'est certainement un service qui assure une cohésion humaine, sociale et
économique à tous égards.
• (12 h 30) •
Il y a des statistiques qui me... qui
m'impressionnent. Quand vous dites que plus de 50 % des individus qui
gagnent moins de 30 000 $ utilisent le transport en commun
quotidiennement - j'ai souvent utilisé cet exemple-là, mais sans m'inspirer de
la statistique, je disais, bon, des personnes à faibles revenus - c'est pour
aller au travail, c'est pour aller à l'hôpital, c'est pour recevoir un service
médical. Mais, pour tant de besoins qui sont nécessaires à combler, services
sociaux, 15 %, dans le secteur de la santé, beaucoup l'utilisent, le
transport scolaire. C'est aussi... Il faut penser aux parents des enfants qui
sont soit en situation de handicap ou des parents d'enfants qui ont des besoins
particuliers, qui ne peuvent pas aller travailler, qui doivent, des fois,
télétravailler puis qui ne peuvent pas subvenir, en télétravaillant, aux
besoins de leurs enfants. Il y a tellement d'exemples...
12 h 30 (version non révisée)
M. Boulet : ...mais ce qui
me... ce qui me réconforte dans votre mémoire aussi, c'est que vous revenez à
la base d'un projet de loi qui est humainement simple, c'est juste de s'assurer
que des conflits de travail ne blessent pas, n'irritent pas. Là, vous m'avez
parlé de vies humaines en danger, mais, au-delà de ça, il faut que la
population sache que le gouvernement les protège, protège cette population-là,
assure sa sécurité sociale ou économique. Donc, il y avait ce commentaire-là
que je voulais partager avec vous. Puis la liste syndicale, M. Chitilian, je
veux juste... Vous comprenez très bien le mécanisme du projet de loi, le
premier outil, là, c'est-à-dire le maintien de services minimums en cas de
conflit. Il y a un décret gouvernemental, mais, après ça, tout le processus
décisionnel appartient au parti et au Tribunal administratif du travail. Et,
dès le décret, il y a une période de temps. On a parlé de 15 jours. Est-ce qu'à
la fin de l'étude détaillée ce sera encore 15 jours? Mais c'est vraiment pour
que les partis s'approprient la définition des services essentiels. Ce n'est qu'à
défaut d'entente que le Tribunal administratif du travail, s'il a jugé que les
critères de la loi étaient rencontrés, aura la juridiction de déterminer ces
services essentiels là.
Évidemment, les parties peuvent s'entendre
et le tribunal peut décider que la suffisance des services ne répond pas aux
critères prévus dans la loi, mais la liste à laquelle vous faites référence,
puis je suis convaincu que vous avez la même compréhension que moi, ça s'applique
dans le contexte d'un régime de services essentiels, là, il n'est pas ici, dans
ce nouveau régime là de maintien de services minimums. Mais le transport en
commun, c'est un service public, il est soumis aux critères restreints d'atteinte
à la santé ou de menace à la santé et sécurité de la population, et là le
transport en commun va bénéficier d'un critère élargi, c'est-à-dire du
bien-être à la population. Et vous avez très bien mis le doigt dessus. C'est un
régime de maintien de services minimums en cas de conflit, quand la population
subit des préjudices qui sont, tel que prévu dans la loi, disproportionnés.
Dans les... Pour le reste, est-ce qu'il y
a d'autres pistes d'amélioration? Peut-être. Je ne le sais pas, M. Chitilian,
mais c'était surtout la liste syndicale, hein, qui vous préoccupait?
M. Chitilian (Harout) : Oui.
Je vais laisser Mme Lafond expliquer, justement, plus précisément.
M. Boulet : Oui, allez-y sur
la liste.
Mme Lafond (Véronique) : Oui.
En fait, notre préoccupation, c'était vraiment la période entre le moment où le
Tribunal administratif du travail décide que les parties sont assujetties. Et
le 15 jours où les parties ont la possibilité de négocier, quels seront les services
minimums au terme duquel, s'il n'y a pas entente, le tribunal peut se
prononcer. Donc, c'est un minimum 15 jours pour cette négociation-là et qui
peut être plus long si, éventuellement, il y a une audition au Tribunal
administratif du travail. Donc, pendant cette période-là, malgré que le
tribunal a considéré que les parties être assujetties, il n'y a pas de service
minimum. Et ce qu'on a démontré, là, ce qu'on a mis de l'avant dans le mémoire,
les dommages qui peuvent être faits vis-à-vis de la population, 15 jours, ça
peut être long puis ça peut être des dommages importants qui sont mis en place.
Ça fait que la proposition qu'on faisait,
c'était justement de s'inspirer du régime des services essentiels où il y a une
liste qui est déposée par le syndicat. Ce n'est pas nécessairement une entente,
celle-ci pourrait être négociée par la suite, mais il y a, au moins, un minimum
qui est mis en place tout de suite, dès que le tribunal détermine qu'il y a
assujettissement. J'ai entendu d'autres parties proposer d'autres solutions,
avoir un délai plus court que le 15 jours, et tout ça, nous, la proposition qu'on
faisait, c'était de s'inspirer de ce qu'il y a déjà au niveau des services
essentiels.
M. Boulet : O.K. Je comprends
très bien. Puis le délai le plus court est une recommandation qui mérite une
attention puis une réflexion de notre part. Je comprends très bien, puis c'est
une idée qui est intéressante, en fait, vous voulez éviter qu'il y ait des
dommages importants à la population pendant cette période-là. C'est sûr que,
quand il y a le décret gouvernemental, c'est une des parties qui peut demander
au tribunal de déterminer s'il y a un respect des critères obligeant le
maintien de service minimum. C'est sûr que ça peut être demandé par la société
de transport. Est-ce que le syndicat va se soumettre et présenter une liste de
services à maintenir? Je ne dis pas non, mais c'est sûr que ce n'est pas
parfaitement compatible...
M. Boulet : ...il faut savoir
que le tribunal a aussi le pouvoir, dans le projet de loi, de nommer un
accompagnateur des parties pour négocier cette liste de services essentiels là.
Puis, à la limite, s'il y avait des circonstances exceptionnelles, le tribunal
pourrait rendre une décision qui est compatible avec ce que vous dites, là.
Merci beaucoup, Mme Lafond. Merci beaucoup, M. Chitilian.
Le Président (M. Allaire) : Oui,
Mme la députée de Huntingdon, la parole est à vous.
Mme Mallette : Juste une
petite question de curiosité. Ce serait quoi les villes, dans le fond, que vous
représentez comme organisme de transport? Est-ce que paouvez-vous me nommer un
peu avos membres?
M. Chitilian (Harout) : Oui,
oui, certainement. Donc, on va aller systématiquement, donc, Saguenay, Québec,
Lévis, Trois-Rivières, Sherbrooke, Montréal, Laval, Longueuil, Gatineau, et Exo
représentent les 82 municipalités de la...
Mme Mallette : Exo fait
partie aussi de votre association.
M. Chitilian (Harout) : Exact.
Mme Mallette : Et je vous
remercie.
Le Président (M. Allaire) : Ça
va? Merci. Excellent. Donc, on poursuit avec l'opposition officielle, Mme la
députée de Bourassa-Sauvé, vous avez 6 min 56 s.
Mme Cadet : Merci, M. le
Président. Bonjour, M. Chitilian. Bonjour, Mme Lafond. Merci d'être avec nous
en commission, nous exposer votre perspective. Je vais y aller moi aussi, donc,
sur la recommandation que vous faites, donc, dans votre mémoire à la page 5,
sur la liste des services à maintenir que le syndicat pourrait déposer. Vous avez
dit, Mme Lafond, que, dans le fond, il y a un processus similaire, donc, qui a
lieu dans le cadre du maintien des services essentiels. Pouvez-vous, en fait,
étayer, donc, le processus actuel et de voir comment celui-ci pourrait
s'arrimer au nouveau régime qui est introduit par le projet de loi?
Mme Lafond (Véronique) : Oui,
en fait, le syndicat dépose une liste au niveau des services essentiels, une
liste de services minimums qu'il propose de mettre en place. Et donc il y a une
négociation, par la suite, pour déterminer la suffisance de cette liste-là.
Mais il y a déjà une base, et, sur cette base-là, l'employeur peut avoir
recours, en fait, aux ressources pour respecter ce service minimum là qui est
proposé, ce service essentiel là qui est proposé par le syndicat. Donc, il y a
une disposition dans le Code du travail qui fait en sorte que, quand on va
chercher des ressources pour répondre à cette proposition-là des services
essentiels, ce n'est pas contraire, ce n'est pas en termes de briseur de grève.
Donc, le dépôt de la liste donne ouverture à aller chercher ces ressources-là
pour donner ce service essentiel là.
Mme Cadet : Est-ce que c'est
un dépôt qui est systématique, je veux dire, est-ce c'est une mesure qui est
obligatoire, qui fait partie du processus actuel? Parce qu'ici vous dites,
donc, le syndicat pourrait déposer la liste, donc, aurait la possibilité de le
faire.
Mme Lafond (Véronique) : En
fait, au niveau des services essentiels, ma compréhension, tu sais, ce n'est
pas systématique, là, mais je ne suis pas une experte en droit du travail, mais
ma compréhension auprès de nos membres, c'est que ce n'est pas nécessairement
systématique. Mais c'était une possibilité qu'on trouvait intéressante,
considérant qu'elle provenait du syndicat, puis ça mettait la table pour
quelque chose, pour... durant la période... fans la période où on est en train
d'essayer de s'entendre.
Mme Cadet : O.K.
Effectivement, donc, ce ne serait, donc, imposé, donc, par l'employeur...
Mme Lafond (Véronique) : Tout
à fait.
Mme Cadet : ...étant donné,
donc, l'iniquité des relations entre les deux parties. Donc, c'est le syndicat
qui aurait la possibilité de pouvoir émettre cette liste avant qu'il y ait une
entente.
Mme Lafond (Véronique) : Exactement.
Mme Cadet : Et puis là, donc,
vous dites, en fait, au moins... la période serait d'au moins l15 jours. Ma
compréhension des dispositions du projet de loi, c'est qu'en fait cette
période-là serait plutôt d'au plus 15 jours, donc, de négociations.
Mme Lafond (Véronique) : Oui,
en fait, ce que ce qu'on veut dire par au moins 15e jours, c'est que, si on ne
s'entend pas, il y a nécessité de retourner auprès du Tribunal administratif du
travail. Donc, la nécessité d'avoir une date d'audience, la période d'audience,
et tout, donc, ça peut aller au-delà du 15 jours. C'était dans ce sens-là.
• (12 h 40) •
Mme Cadet : O.K. Je comprends
bien. Ensuite, donc, évidemment, nous, vous êtes arrivés, donc, dans votre
mémoire, avec quelques exemples, quelques exemples ici. Donc, comment est-ce
que vous distinguez, parce qu'évidemment, donc, bon, vous parlez, donc, des
travailleurs dépendant du transport en commun, l'accès aux soins médicaux et
services sociaux pour certains, bon, pour certains membres de la population qui
auraient besoin de transport en commun pour pouvoir y accéder, les travailleurs
hospitaliers, le transport scolaire qui est assuré par les sociétés de
transport dans les grands centres. Donc, ici, donc, selon vous, parce que je
sais que vous le donnez à titre d'exemple, mais pour bien saisir comment est-ce
que vous percevez l'article 4 qui est introduit dans le projet de loi.
Donc, tous ces exemples-là, donc, selon
vous, devraient se retrouver, donc, devant le Tribunal administratif du
travail, advenant, donc, un conflit de travail, donc, pour lequel, donc, il n'y
aurait pas d'issue, là, et qu'il faudrait négocier des services minimalement
requis. Donc, c'est ce type de service là que vous vous auriez en tête.
Mme Lafond (Véronique) : Bien,
en fait, c'est vraiment... c'est un exercice d'équilibriste, là, de trouver la
voie de passage entre les droits des travailleurs qu'on considère très, très
importants, mais les droits de la population qu'on considère importants aussi.
Ça fait que c'est sûr que, dans la définition de service pour le bien-être de
la population, les droits fondamentaux de cette population-là doivent être
considérés, donc, le droit de pouvoir travailler, le droit d'aller... pour une
partie de la population, c'est leur seule façon d'aller à leurs rendez-vous
médicaux. Donc, c'est ces droits-là qu'on considère quis doivent être
considérés. Et dans la...
Mme Lafond (Véronique) : ...qui
est introduit, là, on considère qu'effectivement ça répond à cette définition-là,
au niveau du transport collectif.
Sinon, la question de la suffisance des
services qui seraient requis, si on regarde au niveau, par exemple, des
services essentiels, donc, il y a certaines de nos sociétés, dans les grandes
villes, notamment Montréal, qui sont assujetties aux services essentiels, donc
on a un petit peu une idée de ce que sont ces services minimums là. Et puis ça
représente à peu près deux, trois heures, le matin, en pointe, deux, trois
heures à la fin de la journée, en pointe du soir, et, dans les grandes villes,
là, il y a aussi quelques heures complètement à la fin de la journée pour
ramener les travailleurs. Donc, c'est vraiment très, très ponctuel et très,
très précis. Donc, même s'il y a des gens qui ont des besoins de voyager le
reste de la journée, ce n'est pas couvert. Donc, il y a quand même, tu sais, un
certain... un certain inconvénient pour la population, mais, au moins, ils ont
une porte de sortie pour répondre à leurs besoins, ils ont une possibilité
d'avoir leur droit à la mobilité pour dans ces périodes très, très précises là.
Et je précise aussi ce que c'est habituellement du lundi au vendredi. Donc, on
a un peu une idée de ce à quoi pourraient ressembler les services minimums, là,
si c'était applicable, là.
Mme Cadet : Donc, votre
perception de ce qui devrait se retrouver ici dans le projet de loi, donc, on
est loin du simple désagrément ou ce qui a été évoqué hier, par exemple, en
commission parlementaire, mais, vraiment, vous dites, donc, qu'il y a un cadre,
donc... peut-être, donc,qui serait un peu plus soutenu que ce que prévoit déjà
le Code du travail. Donc, vous voyez, donc, la pertinence d'ajouter des
dispositions supplémentaires, mais comprenez très bien, étant donné, donc,
l'exercice d'équilibrage, qui est essentiel, que ça ne couvre pas l'ensemble
des désagréments qui seraient causés par l'interruption des services de
transport.
Mme Lafond (Véronique) : Tout
à fait. Effectivement, un travailleur qui doit être au travail à midi mais qui
doit se présenter à 8 heures parce que les services minimums qui sont donnés,
c'est ça, ça, c'est un désagrément, pour nous. Un étudiant qui a un cours à 14
heures, mais qui doit être là à 8 heures parce que le service minimum, c'est
ça, c'est un désagrément, mais de ne pas pouvoir se rendre à son rendez-vous
médical, de ne pas pouvoir travailler, de ne pas pouvoir aller à l'école, ça,
ça va au-delà du désagrément, puid on pense que c'est important de le
considérer, qu'il y ait des dispositions qui considèrent ça puis qui permettent
à la population d'avoir des services minimums.
Mme Cadet : Merci. Je vais
laisser ma collègue de D'Arcy-McGee compléter.
Le Président (M. Allaire) : Mme
la députée, la parole est à vous.
Mme Prass : Merci, M. le Président.
Vous mentionnez dans votre mémoire que, par le passé, certains de vos membres
ont été reconnus comme offrant des services essentiels à la population. On sait
que ça n'a pas été le cas avec le RTC, par exemple, il y a quelques années. Je
suis curieuse, quelles sont les circonstances qui ont fait que certains ont été
reconnus comme un service essentiel et pas d'autres?
Mme Lafond (Véronique) : En
fait, dans le passé, là, avant le changement de loi, en 2019, c'étaient des
décrets. Les sociétés de transport étaient couvertes, étaient considérées comme
des services essentiels. Avec le changement de la loi puis la présentation, la
preuve qui doit être faite au tribunal administratif, le critère, en fait, pour
être considéré service essentiel, c'est que ça cause une congestion
suffisamment importante pour empêcher la circulation des véhicules d'urgence.
C'est ça, le critère pour être considéré service essentiel au niveau du
transport en commun. À Montréal, là, c'est assez clair que ça répond à ce critère-là,
donc, dans le passé, il n'y a jamais eu de discussion par rapport à ça. Il y a
même des ententes entre le syndicat et la société de transport qui
reconnaissent que c'est un service essentiel. Dans le cas du RTC, la preuve
qu'ils ont faite au tribunal, le juge a considéré...
Le Président (M. Allaire) : ...période
d'échange. M. le député d'Hochelaga-Maisonneuve, la parole est à vous pour 2min
19 s.
M. Leduc : Merci. Je ne peux
pas m'empêcher de prendre un pas de recul, parce que plus tôt, hier, la
Fédération des chambres de commerce viennent nous dire : On reconnaît le
droit de grève, mais, pour la construction, ça ne fonctionne pas. Après ça, les
municipalités sont passées, elles ont dit : On reconnaît le droit de
grève, mais pour les bibliothèques, pour les piscines, ça ne marche pas. Après
ça, les manufacturiers sont passés, ils ont dit : On reconnaît le droit de
grève, mais pour nos manufactures, nous, ça ne marche pas. Puis le gouvernement
a dit : Bien là, on reconnaît le droit de grève, mais en éducation puis
pour les CPE, ça ne marche pas. Là, vous venez nous dire, vous, aujourd'hui un
peu une autre étape : On reconnaît le droit de grève, mais, pour le
transport collectif, ce n'est pas possible. Ça fait que nous, on ne peut pas
s'empêcher de se dire : Coudon, si tout le monde dit ça, finalement, il
n'y en a plus, de droit de grève.
Mme Lafond (Véronique) : Bien,
je vais nuancer par rapport à nous, là, je ne peux pas parler pour les autres
qui sont venus hier, mais, par rapport aux sociétés de transport, ce qu'on dit,
ce n'est pas qu'il n'y a plus de droit de grève, c'est qu'il y a des services
minimums qui... de trouver la voie... Mais c'est différent. Il y a une nuance
entre ne pas avoir de grève du tout puis d'avoir des services minimums qui
répondent aux besoins de la population mais qui permettent quand même aux
travailleurs de faire valoir leurs droits.
Donc, comme je disais tout à l'heure, le
fait d'avoir des services minimums, c'est quand même contraignant, c'est quand
même des enjeux pour la population et pour les sociétés de transport. Puis les
gens, là, surtout post-COVID, là, voyagent beaucoup plus hors pointe, donc on a
beaucoup d'achalandage hors pointe, ça fait que, là, à ce moment-là, ça, ce
n'est pas répondu, mais c'est correct puis c'est quelque chose avec laquelle,
et les sociétés de transport, et la population peuvent et doivent vivre pour
considérer le droit de grève.
Ça fait que c'est dans ce sens-là que
nous, on dit : On considère qu'il doit être maintenu, mais on considère
ici qu'il y a aussi d'autres droits qui doivent être considérés, ceux de la
population, puis c'est de trouver un équilibre entre ces deux types de...
M. Leduc : Tu sais, dans le
milieu de la santé, ils ont, en théorie, le droit de grève, mais je pense que
c'est, quoi... il faut qu'ils assument, genre, 90 % des tâches. Il n'y en
a pas, de droit de grève, quand vous êtes...
M. Leduc : ...90 % des
tâches, il n'est pas effectif. Je ne sais pas qu'est-ce ça serait, là, à peu
près le pourcentage dans le transport, mais, on imagine, ce ne serait pas
5 %, 10 %. Ça fait que plus vous avez un élastique qui s'étire sur le
taux d'application pour les fameux services minimums, plus votre grève, elle
est ineffective et donc elle n'existe pas.
Mme Lafond (Véronique) : Bien,
comme je vous dis, de notre côté, là, ce qu'on voit au niveau des services
essentiels, c'est deux, trois heures le matin, souvent deux heures en fin de
journée, et c'est du lundi au vendredi. Ça fait qu'on est loin du 90 %
qu'on peut voir dans... aux services de santé. Il y a vraiment... Il y a
vraiment... Ça... En fait, le droit de grève atteint vraiment l'objectif de
mettre une pression, d'une pression sur la population...
Le Président (M. Allaire) : Merci.Malheureusement, ça met fin à ce bloc d'échange. M. le député de
Jean-Talon, vous avez 53 secondes.
M. Paradis : Vous dites dans
votre mémoire et dans votre témoignage que l'absence de services minimums porte
atteinte aux droits de la population. Vous nommez quelques cas qui paraissent
importants. Est-ce que vous avez des études sur l'ampleur de l'atteinte aux
droits de ces gens-là dans le cas où il y a eu des conflits? Parce que vous
parlez d'une étude de l'IRIS, mais l'IRIS dit, bien, que certains... ces
gens-là utilisent le transport en commun. Sur la portée de l'atteinte des
droits, est-ce que vous avez des études, notamment à la suite de la décision,
là, de novembre 2024, ici, pour le RTC, à Québec? C'est une grève qui a duré
quatre jours. Est-ce que vous avez des études sur l'ampleur de l'atteinte aux
droits?
Mme Lafond (Véronique) : On
n'a pas ce genre de données là, malheureusement, de façon précise, mais
effectivement le parallèle qu'on fait, c'est : si les gens utilisent le
transport en commun pour se rendre à leurs rendez-vous médicaux, par exemple,
bien, ça fait en sorte que, si ce service-là n'est pas offert, ils ne peuvent
s'y rendre. Ça fait que c'est... c'est dans ce sens-là qu'on apporte
l'argumentaire. Mais, de façon précise, avec des données, et particulièrement,
par exemple, pour le RTC, on n'a pas ce genre de données là. On a des
témoignages qualitatifs d'usagers qui ont eu des enjeux, mais pas de façon
chiffrée.
Le Président (M. Allaire) : Merci.
Merci. On enchaîne avec le député de Saint-Jérôme. La parole est à vous. 53
secondes.
M. Chassin :53 secondes. Parce qu'évidement je pense qu'on n'a pas
nécessairement besoin d'études, là, on a aussi notre logique pour voir quand ça
devient très, très difficile. Puis là, puisqu'on est dans le thème, est-ce que
la capacité, par exemple, de... je pense, c'est la FCCQ qui a fait cette
proposition-là, la capacité de négocier a priori des services qui seraient
suspendus en cas de moyens de pression, des services qui seraient maintenus
localement, est-ce que ça pourrait être une solution?
Mme Lafond (Véronique) : On a
vu cette proposition-là, mais c'est toute la question de la recherche de
l'équilibre, de dire : Pour le moment, le projet de loi répond aux besoins
qu'on a identifiés. Donc, il y a... il y a une marge qui est peut-être... qu'il
faut voir, à savoir si on peut aller plus loin. C'est sûr que d'avoir de la
prévisibilité puis de savoir que le transport en commun serait considéré puis
d'avoir la possibilité de négocier en amont dans un climat moins tendu pourrait
être intéressant, mais, encore là, le projet de loi tel quel répond quand même
à un besoin. Même s'il n'est pas parfait, il nous permet quand même de répondre
aux besoins qu'on a identifiés au niveau...
Le Président (M. Allaire) : Excellent.
Merci. Je vous invite, les parlementaires, à rester assis, là, on n'est pas
suspendus encore, là, s'il vous plaît. Mme Lafond, M. Chitilian, merci vraiment
pour votre participation à cette commission. Vous êtes de l'Association du
transport urbain du Québec. Alors, la commission suspend ses travaux
jusqu'à 15 heures. Bon dîner, tout le monde. Merci.
(Suspension de la séance à 12 h 49)
15 h (version non révisée)
(Reprise à 15 h 03)
Le Président (M. Allaire) : Alors,
à l'ordre, s'il vous plaît. La Commission de l'économie du travail reprend ses
travaux. Encore une fois, prenez le temps d'éteindre l'ensemble de vos
appareils électroniques, s'il vous plaît.
Nous poursuivons les consultations
particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 89,
Loi visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève
ou de lock-out.
Alors, l'horaire pour cet après-midi, nous
allons débuter avec le Dr Égide Royer, nous allons ensuite poursuivre avec
Thomas Collombat et ensuite poursuivre avec Me Gesualdi-Fecteau et Me
Charlebois. Et on va terminer la journée avec Gregor Murray et Mélanie Laroche.
Ça va pour tout le monde? Alors, on peut commencer.
Alors, on accueille notre premier groupe.
En fait, c'est un chercheur connu et reconnu. M. Royer, bonjour et
bienvenue à cette commission. Vous savez, je pense, comment ça se déroule
habituellement, donc je vous laisse vous présenter avec votre titre peut-être
plus complet et vous pouvez débuter votre présentation de 10 minutes.
M. Royer (Égide) :Merci, M. le Président. Mon nom, c'est Égide Royer, je suis
psychologue spécialisé sur la question de la réussite scolaire,
particulièrement des jeunes qui présentent des situations de handicap ou des
problèmes de comportement à l'école, professeur d'université pendant un certain
nombre de décennies aussi. J'en reparlerai dans quelques minutes.
Donc, essentiellement, la présentation,
vous allez vois, c'est très... c'est très factuel et c'est très précis...
(Panne de son)
M. Royer (Égide) :Voilà, vous l'avez toujours?
Le Président (M. Allaire) : Oui.
M. Royer (Égide) :Donc, ma présentation va se faire spécifiquement par
rapport à l'article 111. 22.3 où, entre autres, je l'ai mis en caractères
gras, c'est toute la question des services minimalement requis et pour les
personnes qui sont en situation de vulnérabilité. Et ce sur quoi je m'en vais
vous... ce sur quoi va porter ma présentation plus particulièrement, c'est
surtout la question des gens qui sont en situation de handicap lourd ou
handicap sévère et qui fréquentent des maisons d'enseignement, qui fréquentent
des écoles spécialisées plus particulièrement. Écoutez, ça va être très précis.
Je vais y aller de quatre observations et d'une recommandation. Sachant que...
j'ai participé à de nombreuses commissions parlementaires, mais après avoir
fait ces observations-là et cette recommandation-là, c'est vraiment dans une
perspective d'échange et de répondre à vos questions par rapport à ce qu'on vit
présentement au niveau des jeunes qui présentent des difficultés.
Donc, quatre observations. Et avant de
vous situer dans la première observation, je vais simplement vous rappeler
quelque chose, parce que ça rentre, en ligne de compte, dans l'argumentation
que je m'en vais faire ou la présentation que je fais. Ça fait plus de 50 ans
que je suis en adaptation scolaire, le terme générique pour parler d'intervention
auprès des élèves en difficulté, et je tenais simplement à situer les éléments
suivants. J'ai été cinq ans éducateur spécialisé en déficience mentale...
M. Royer (Égide) :
...moyenne et profonde, ce qui implique, carrément,
d'intervenir auprès d'enfants très lourdement handicapés. J'ai par la suite été
10 ans dans une commission scolaire comme psychologue scolaire et
responsable des services aux jeunes, entre autres les jeunes qui présentaient
des situations... en situation de handicap, quatre ans au ministère de l'Éducation
comme responsable, professionnel responsable du dossier des services éducatifs
aux gens présentant des troubles de comportement et plus de 30 ans à
l'université comme chercheur et formateur d'enseignants et spécialisé sur la
question des jeunes en difficulté.
Donc, ceci étant dit, la première
observation que j'ai à faire, c'est que les jeunes qui sont handicapés au sens
de la loi de l'instruction publique, c'est autour de cela dont on va parler
aujourd'hui, là, et du régime pédagogique, et même des conventions collectives
des enseignants sont les jeunes les plus susceptibles de régresser sur le plan
des apprentissages et des comportements lorsqu'il y a une situation d'un arrêt
prolongé des services éducatifs. Pour bien vous situer de qui on parle, on
parle des jeunes qui ont des troubles graves du comportement. Et, quand je
parle de troubles graves du comportement, je pense à des jeunes, donc, qui sont
difficilement encadrables et des jeunes qui, souvent, sont très agressifs
envers les autres ou envers eux-mêmes, là, par rapport à ce type de situation
là. On parle de jeunes qui ont une déficience motrice, organique ou sensorielle
grave. On parle de jeunes qui ont une déficience langagière sévère, soit non
verbale ou même, à la limite, en tout cas, très partiellement verbale,
déficience intellectuelle moyenne, sévère ou profonde. Et, quand on parle de
déficience mentale moyenne et profonde, écoutez, on rejoint même des situations
de jeunes, là, qu'on appelait, entre guillemets, dans le métier... des troubles
envahissants du développement, là, on parle du spectre de l'autisme et tout
particulièrement spectre de l'autisme, dont vous entendez parler fréquemment,
mais c'est un spectre de l'autisme... donc, j'ai des jeunes qui étaient très
lourdement handicapé là-dedans aussi, et des troubles relevant de la
psychologie psychopathologie, troubles de santé mentale grave, si vous aimez
mieux en termes de... en termes de définition. Pour que vous soyez vraiment au
fait de... vraiment au fait du contexte, il y a 54 000, j'arrondis les
chiffres, élèves handicapés au Québec selon la loi. On a ici des chiffres de
2022-2023. C'est environ... bien, à peu près 5 % des 1 135 000 élèves.
Mais portez bien attention à ceci, 45 % de ces jeunes-là handicapés sont
en classe ordinaire, 42 % fréquentent une classe spéciale, 10 %
fréquentent une école spécialisée, une école où l'ensemble, presque
exclusivement la clientèle, est composé de jeunes lourdement handicapés, et un
3.1 % fréquentent un autre type d'établissement. Ça peut être un centre
jeunesse, comme ça peut être, entre autres, particulièrement un centre
hospitalier. Ça, ça vous donne le portrait. Ce que je viens de vous dire, c'est
que ce sous-groupe de jeunes là, ce sous-groupe de jeunes handicapés, selon les
types d'identification que je viens de vous donner, sont nettement les plus
susceptibles de régresser en situation d'arrêt du service éducatif.
La deuxième observation, les écoles
spécialisées, puis c'est important, offrent de l'enseignement, mais vous vous
imaginez bien que ce n'est pas uniquement le programme de français, là, qu'on
applique dans ce type d'école spécialisée là, l'offre de l'enseignement au sens
de la loi en enseignement public, mais dispensent également des services de
réadaptation par rapport à des contextes de handicap lourd et offrent aussi des
services thérapeutiques. Là, comme psychologue, je peux vous parler, si je
travaille avec des jeunes qui ont une psychopathologie, je travaille avec des
gens, carrément, qui ont des problèmes de santé mentale grave, qui peuvent même
être dangereux pour eux-mêmes, dangereux pour autrui. Mais, écoutez, là, quand
on prend... On peut prendre les situations, entre autres, là, d'anorexie très
grave puis on peut prendre des situations en troubles de dépression, de tentative
de suicide ou autre, là, mais, quand je parle de psychopathologie, je parle de
situations, encore là, qui s'éloignent, qui touchent le sous-groupe particulier
de jeunes là qui ont vraiment des problèmes importants.
• (15 h 10) •
La troisième observation. En période de
pandémie, moi, j'ai fait partie d'un comité spécial avec un certain nombre de
spécialistes qui ont conseillé, entre autres, le ministre, puis on se
réunissait, je pense, aux six semaines, durant toute la période de la pandémie.
Il y avait des médecins, là, tu sais, il y avait toute sorte de monde, là, qui
guettait, qui avait... qu'ils avaient une préoccupation particulière pour les
jeunes en difficulté et l'impact de la pandémie sur les jeunes. Écoutez bien,
écoutez bien ceci, c'est que, de manière unanime, on avait convenu alors que
les écoles spécialisées seraient les dernières à fermer et les premières à
ouvrir, directement en fonction de mes deux premières observations concernant
l'impact de bris de services éducatifs et de réadaptation, voire de thérapie
avec des jeunes qui avaient ce type de difficultés là.
La quatrième intervention. Et là il faut
que je parle des parents, là, entre autres. Mais, lors de la dernière grève en
éducation, tout particulièrement celle qui a duré cinq semaines, le besoin des
services essentiels à offrir aux jeunes dont je viens de parler a été
clairement exprimé par des... par les regroupements de parents et par les
parents de ces jeunes-là lourdement handicapés. Écoutez, vous pouvez très bien,
là, revoir, dans chacun de vos comtés respectifs... il y a une liste d'écoles
spécialisées qui existent.
M. Royer (Égide) :
…échanger avec les parents qui ont des enfants lourdement handicapés puis
demandez-leur le… l'impact que peut avoir ce qu'on a vécu, là, en termes
d'arrêt prolongé, que ce soit la COVID ou que ce soit la situation d'une grève
prolongée, l'impact sur le comportement, le langage, écoutez, le contexte de
régression générale qu'on peut observer par rapport à un bris de service
éducatif. Ces parents-là seront à même de le dire. D'ailleurs, je mentionne une
des associations de parents qui a déjà fait des communications, là, publiques
là-dessus, la Coalition des parents d'enfants à besoins particuliers du Québec.
Donc, quatre observations qui m'apparaissaient
essentielles et une recommandation : «Que le projet de loi n° 89
prévoit que les services éducatifs adaptés, enseignement, réadaptation et
thérapie…» Donc, ça signifie que… je n'inclus pas uniquement les services
d'enseignement, mais j'inclus aussi les services complémentaires
professionnels, là, écoutez, ergothérapie, psychologie, orthophonie, et autres,
«que les services éducatifs adaptés offerts aux élèves handicapés dans les
écoles spécialisées en adaptation scolaire, les écoles publiques et privées…»
Je vous rappelle qu'il y a une douzaine, environ 12 ou 13 écoles privées
spécialisées pour jeunes lourdement handicapés, qui sont financées présentement
à 100 %, d'ailleurs, par le ministère de l'Éducation par entente, que,
pour toutes ces écoles-là, elles puissent… les services qu'elles offrent
puissent à être reconnus comme services essentiels.
Et je complète avec la liste officielle,
là, telle que décrite dans les conventions collectives et l'ensemble de la
documentation du ministère, là, au niveau de ce qu'on entend par élève
handicapé au sens de la Loi de l'instruction publique. Voilà.
Le Président (M. Allaire) :
Parfait. Merci, M. Royer, pour votre présentation. On va débuter la période
d'échange avec la partie gouvernementale. M. le ministre, je vous cède la
parole. Allez-y.
M. Boulet : Oui. Merci, Dr
Royer, vraiment apprécié que vous soyez avec nous par le biais de la
visioconférence. J'aimerais ça… Est-ce que c'est moi qui peux le demander, ou
vous, M. le Président, qu'on puisse recevoir une copie de sa présentation?
Le Président (M. Allaire) :
Assurément. M. Royer, si vous pouvez faire parvenir votre présentation à
l'adresse de la commission? Ah! nous l'avons déjà, imaginez-vous donc.
M. Royer (Égide) :
Oui, oui… c'était… c'était été envoyé depuis lundi, oui.
Le Président (M. Allaire) :
Donc, on va la mettre sur le Greffier, elle sera disponible pour l'ensemble des
parlementaires. Merci.
M. Boulet : O.K. Puis, Dr
Royer, bien, écoutez ce que vous avez mentionné, Bien, évidemment, je vais
avoir l'opportunité d'analyser de manière plus approfondie, mais je trouve que
vos propos sont sensés, qu'ils démontrent non seulement votre expérience, mais
qu'ils raffermissent votre réputation.
Parce que vous savez que c'était un des
guides qui nous a motivés à élaborer un projet de loi, parce que, dans le
secteur de l'éducation, il n'y en a pas, de services essentiels, en cas de
conflit de travail, il n'y en a pas de services à maintenir. Évidemment, dans
notre projet de loi, puis là, je ne vais pas utiliser trop des termes
techniques, là, mais le régime des services essentiels est maintenu dans son
intégralité, mais on crée un nouveau régime qui vise à maintenir des services
pour assurer le bien-être de la population. On parle de services minimalement
requis.
Et votre présentation est tout à fait
compatible avec les lectures puis les… ce que nous avions fait, là, en amont de
l'élaboration du projet de loi. Puis je voudrais tellement vous réécouter puis
vous poser des questions. Là, je suis un peu limité dans le temps, mais donc,
ce que vous dites, dans l'observation numéro un, c'est que les personnes les
plus susceptibles de régresser… Puis là je le dis de mémoire, dans les
apprentissages et dans les comportements, lors d'un arrêt des services
éducatifs… Moi, je dis souvent «quand les services éducatifs sont interrompus»,
c'est les enfants handicapés.
Est-ce que c'est bien ce que vous dites?
Puis vous dites plus spécifiquement, là, c'est des problématiques de
comportement puis des problèmes moteurs. J'aimerais ça que vous mettiez un peu
de chair autour de cette observation-là, s'il vous plaît.
M. Royer (Égide) :
Je peux donner l'exemple d'un enfant qui a un trouble du spectre de l'autisme,
là. Donc, on a… on a une situation, l'enfant a un trouble du spectre de
l'autisme. Il peut être à la limite non-verbal, il ne parle pas ou très, très
peu. C'est un jeune qui avait certains… À titre d'exemple, c'est un jeune qui…
vous le prenez à l'école en septembre, puis c'est un jeune qui est peut-être…
huit, neuf, 10 ans, est en école spécialisée. Et c'est un jeune qui… il a
besoin d'une routine absolument prévisible. Si vous le sortez de la routine,
pour ce jeune-là, en particulier, à titre d'exemple, ce n'est pas… C'est des
choses qu'on a vues assez fréquemment, ça peut...
M. Royer (Égide) :...peut générer... Le jeune se désorganise. Ça peut être un
jeune qui devient très agressif, c'est un jeune qui fait des crises, mais, dans
la mesure où il est inscrit dans une routine... dans un environnement
prévisible, une routine prévisible, il a un transport adapté le matin, il se
rend à l'école spécialisée, il va porter ses choses, il a son enseignant, tout
ça... plus on établit ce genre de routine là... puis on a eu des témoignages,
d'ailleurs, de l'automne 2024, là-dessus, là... de l'automne 2023 plutôt, plus
cette routine-là est bien établie... éventuellement, ça peut prendre quelques
semaines, même, à l'établir si vous êtes enseignant, mais, par la suite, on se
retrouve... on a quelque chose qui fonctionne relativement bien. Quand vous
brisez cette routine-là et qu'on n'est pas dans une situation de vacances d'été
puis ce n'est pas une situation de vacances de Noël, là, c'est le genre de
jeune qui va être susceptible de se désorganiser.
Autre exemple très bref, vous avez un
jeune qui a un problème énorme de langage, suivi en orthophonie, il a un
orthophoniste à l'école spécialisée, on est en rééducation par rapport à un
trouble grave de langage, quand vous arrêtez cinq... quatre, cinq semaines, six
semaines ce type de réadaptation là, vous avez à reprendre, l'enfant en perd
durant cette période-là, parce que les parents peuvent très bien... peuvent
très bien avoir à travailler durant cette période-là, et ce n'est pas n'importe
qui qui, en termes de gardienne... puis ce n'est pas le CPE, puis il n'y a
aucun autre organisme qui est capable de prendre la relève pour dire : Je
continue ce type d'intervention là.
Donc, dans la liste de tous les handicaps
que je viens de mentionner, et ça, la majorité... écoutez, la majorité de mes
collègues vont être d'accord avec ça, c'est établi dans la littérature, le
jeune qui va avoir... va manquer cinq semaines, là, d'enseignement en français,
c'est une chose, mais manquer cinq semaines ou quatre semaines ou trois
semaines de réadaptation, que ce soit en ergothérapie, en orthophonie ou en...
même, au niveau... en psychologie, au niveau du comportement, là, ça, ça a un
impact beaucoup plus grand. C'est de ça que je veux témoigner aujourd'hui, là,
par rapport à la situation.
M. Boulet : Oui, c'est très
clair. Puis, en termes de temps, vous dites, bon, cinq semaines, quatre
semaines, trois semaines. Si on prend l'exemple de l'enfant qui a le trouble du
spectre de l'autisme, après combien de temps, par exemple, avez-vous... est-ce
que vous pouvez nous donner un délai qui fait en sorte qu'il va régresser ou
qu'il va avoir besoin d'une réadaptation? C'est difficile à dire, hein?
M. Royer (Égide) :Ça va être... Ça va être évidemment... Ça va être
évidemment très variable, mais, écoutez, il y aurait... vous allez avoir deux
jours de tempête de suite, là, on ne parlera pas de régression, là. Vous allez
avoir... On a les vacances de Noël, la famille est préparée à ça, les parents sont
préparés, il y a une période de vacances de Noël. Il y a la période des
vacances d'été, on arrête pendant deux mois. On va observer même durant l'été
ce qu'on appelle la glissade de l'été, on va observer une forme de régression
l'été, mais vous avez des terrains de jeux adaptés, il y a des services qui
s'appliquent.
Ce qui pose problème, c'est que ces
jeunes-là sont 180 jours par année à l'école. Si on a... on est capable de
voir, on est capable de prévoir ou on observe qu'on risque d'avoir une période
d'enseignement et de réadaptation, là, qui va être... où ça va être... de
manière prolongée, on n'aura pas ces services-là, je vous dis simplement qu'on
va constater que ces jeunes-là vont régresser durant cette période-là. Donc,
est-ce que c'est quantifiable? Écoutez, entre un trouble de langage puis de la
déficience mentale profonde, là, on n'est pas dans le même... dans le même
environnement. Mais c'est un constat général que ça peut, pour ces jeunes-là,
un... ce type de perte de service là, causer carrément un genre de préjudice ou
un genre d'impact qui m'apparaît démesuré lorsqu'on a affaire avec des jeunes
lourdement handicapés en école spécialisée. Ça touche environ... En tout cas,
ce dont j'ai parlé aujourd'hui touche environ 7 000 jeunes, là, sur 1 100 000
au Québec.
• (15 h 20) •
M. Boulet : O.K.Ça me
va. Puis, quand vous disiez... il y avait des pourcentages, là, dans votre
première observation, 45 % des enfants handicapés sont dans des écoles
régulières, 42 % dans... puis vous... je pense, c'était 10 % dans les
écoles spécialisées. Est-ce que le 45 % dans les écoles régulières
bénéficie aussi de services... évidemment pas de même nature, là, mais de
réadaptation, d'accompagnement quelconque? J'aimerais ça vous écouter là-dessus.
M. Royer (Égide) :La question est bonne, parce que j'y ai réfléchi beaucoup,
parce qu'on a des... Une école X, mais je donne un nom comme ça, l'école
Sainte-Marie, primaire Sainte-Marie de tel endroit à Longueuil, là, c'est un
nom fictif, a deux classes spécialisées pour jeunes autistes qui... avec un
mandat régional, elle accueille les jeunes autistes de cette région-là, de ce
secteur-là. Ma réflexion est à l'effet suivant... était la suivante, c'est que,
logiquement, les services pour ces jeunes-là devraient être maintenus, mais, si
j'ai une grève ou un conflit de travail... lock-out ou conflit de... lock-out
ou grève qui éclate dans une école primaire ordinaire, qui accueille des
classes spécialisées, je vois mal comment des enfants lourdement handicapés vont
traverser une ligne de piquetage avec leurs enseignants pour se rendre en
classe. Donc, c'est pour ça que, pour le moment... parce que je ne suis pas un
spécialiste des relations de travail, moi, là, je suis un spécialiste des
jeunes qui sont...
M. Royer (Égide) :...en difficulté. Dans un premier temps, tout au moins, je
me disais qu'une école spécialisée, c'est une entité, ça, là, là. On peut
déterminer si elle offre des services essentiels ou non. Mais dans une école
primaire, en disant : Il y a 22 classes dans l'école primaire, mais
en lock-out ou en grève, il y a deux classes seulement qui vont être ouvertes,
les classes pour jeunes autistes, ça paraît difficilement réalisable ou
gérable, là.
M. Boulet : Il y a quand
même... là, là dessus, je vais vous parler un peu en avocat, oui, il y a un
droit d'accès, là. Tu sais, même dans une entreprise, quelle qu'elle soit,
quand il y a un conflit de travail, les personnes qui ont droit d'accès, les
cadres, par exemple, ou les personnes non salariées qui ont normalement accès
peuvent y accéder.
Ça fait que, c'est sûr que si c'est une
école ordinaire, qu'elle soit à Longueuil ou à Sherbrooke ou à Trois-Rivières,
s'il y a des classes spécialisées, les partis, selon le projet de loi, après
une décision du tribunal administratif déterminant qu'il y a un impact qui
n'est pas acceptable sur les élèves en situation de handicap, les partis, le
syndicat et le groupe scolaire auraient à déterminer quels seraient les
services à maintenir dans un contexte comme celui-là. Vous comprenez? Ça fait
que vous vois hocher de la tête. Donc, ça veut dire que... Mais quand vous
dites, là, quand vous les distribuez selon les types d'écoles, il y en a... il
y en aurait 54 000 au Québec, des élèves en situation de handicap qui
varient d'un niveau de gravité à un autre, docteur?
M. Royer (Égide) :Selon la liste... selon la liste comme telle que je vous ai
donnée en fonction des définitions, là, c'est les données les plus récentes que
j'avais identifiées clairement comme élèves handicapés, comptant même comme
plus qu'un élève dans la classe, dans une classe ordinaire s'ils sont intégrés,
là...
M. Boulet : Je comprends.
M. Royer (Égide) :...c'est ceux-là. Juste une parenthèse par rapport à votre
commentaire sur les ententes, là, d'accès, là. Rappelez-vous de mon grand gars,
de mon grand gars de huit ans, là, qui désorganise moindrement que son
environnement change, là, et vous êtes l'enseignant qui accueille et qui
amène... ou le parent qui va reconduire à l'école dans une situation de conflit
de travail son grand gars de huit ans autiste, là, souffrant d'un trouble du
spectre de l'autisme, là, vous voyez un peu l'environnement, ce n'est pas
exactement ce que j'ai de plus...
M. Boulet : Oui, c'est délicat.
M. Royer (Égide) :...de plus calme comme environnement, nécessairement, là,
par rapport à la situation du jeune. C'est pour ça que j'ai... pour le moment,
moi, je me suis... au minimum, il faut au minimum aller comme on a fait durant
la COVID, aller vers les écoles spécialisées au moins.
M. Boulet : Oui, O.K. O.K.,
je comprends, il y a un équilibre à maintenir, mais l'impact de l'enfant en
situation de handicap, qui est dans une école régulière, qui a à être confronté
à un conflit de travail qui dure trois ans, quatre, cinq semaines, il va
régresser et va... Par la suite, qu'est ce qu'on fait? Tu sais, il va
régresser. Évidemment, les niveaux de régression varient en fonction de chaque
enfant en situation de handicap, mais après, par exemple, s'il y a eu un
conflit de cinq semaines, qu'est-ce qu'on fait avec un enfant qui a régressé?
J'imagine qu'on... Oui, je vous écoute.
M. Royer (Égide) :L'expression qu'on avait, qu'on entendait des enseignants,
entre autres, que j'ai entendu, c'est un peu comme si on recommençait l'année,
d'une certaine manière, là. On en... replacer des choses. Écoutez, je ne parle
pas de traumatismes, là, je ne parle pas d'enfants qui vont être marqués pour
la vie parce qu'ils ont manqué quatre, cinq semaines d'école, mais on va avoir
à reprendre des choses. C'est comme si on revenait un peu en arrière. Puis là,
ça dépend beaucoup des contextes, mais on va avoir à reprendre des choses.
J'avais tel grand gars qui commençait... tel grand gars avec une déficience
intellectuelle moyenne qui commençait à être propre, là, il commençait à aller
à la toilette, là, puis il commençait à être propre, mais là, il avait...
l'entraînement à la propreté, c'était à refaire. J'avais tel jeune qui avait
commencé à saisir quelques sons, quelques mots, quelques sons des... quelques
sons associés à des lettres, et dans un cas de dysphasie très grave, des choses
comme ça, bien là, on va être obligé de reprendre ça.
Donc, je ne parle pas de traumatismes, là,
je pense simplement que...
M. Boulet : De régression.
M. Royer (Égide) :...dans mon métier, on perd des acquis beaucoup plus... de
manière plus importante en termes de perte d'acquis pour ces jeunes-là que si
vous êtes assis dans une classe de quatrième secondaire puis qu'il n'y a peu eu
de mathématiques pendant cinq semaines.
M. Boulet : Puis, est-ce
qu'on peut inéluctablement en conclure que, pour les parents qui assistent à la
régression de leur enfant, il y a une conséquence psychologique aussi pour les
parents? Vous faisiez référence au regroupement des parents d'élèves
handicapés, mais aussi alors à leurs parents effectifs, là. Quel type de
conséquence ça engendre chez les parents ou quel type d'impact psychologique?
M. Royer (Égide) :C'est la conséquence de la perte d'un service. Parce que,
là, c'est pour ça que même je vous encourage à entendre les regroupements de
parents d'enfants lourdement handicapés. Vous savez, à 50 000,
50 000 enfants sur 1 million, ça sera toujours une minorité, ces
parents-là, là. C'est pour ça que je me sentais le devoir, entre autres, d'en
parler, et...
M. Royer (Égide) :...et, dans ce contexte-là, seulement pour vous souligner
que, du côté des parents, c'est évident qu'il y a une surcharge pour les
parents. Mais, l'autre élément, c'est de constater qu'on avait des acquis, qui
se perdent, qu'on va devoir reprendre et... Parce que n'oubliez jamais la
dimension de réadaptation offerte par ces écoles-là.
M. Boulet : O.K. Ça me va.
Moi, ça compléterait, docteur. Mais je veux encore une fois vous remercier
sincèrement pour la qualité de vos travaux, ce que vous faites comme chercheur
reconnu pour le bénéfice de la société. Puis c'est un des volets qui est
concerné par le projet de loi n° 89, c'est de s'assurer qu'on considère
les besoins de la population, notamment les élèves en situation de handicap,
quand il y a des conflits de travail. Puis ce se rend évidemment au Tribunal
administratif du travail à déterminer si effectivement il y a un impact qui
répond au critère qui est prévu dans le projet de loi. Bien, je vous dis merci,
bonjour et au plaisir de vous rencontrer, Dr Royer.
M. Royer (Égide) :Plaisir.
M. Boulet : Merci.
Le Président (M. Allaire) : Merci
à vous, M. le ministre. On enchaîne avec l'opposition officielle. Mme la
députée de D'Arcy-McGee, la parole est à vous.
Mme Prass : Merci, M. le
Président. Je veux sincèrement vous remercier, Dr Royer, pour cet exposé. Je
suis moi-même maman d'un petit garçon qui est lourdement atteint du spectre de
l'autisme. Et j'ai vécu tout ce que vous avez exposé aujourd'hui, surtout
durant la pandémie. J'ai été chanceuse durant la grève, l'école de mon fils n'a
pas été affectée. Aucun des professeurs n'a été... ne faisait partie des
syndicats qui étaient en grève. Mais j'ai vu, comme vous dites, la perte des
atouts que mon fils a... qu'il a pris des mois et des années justement pour
qu'il acquérisse ces atouts et qui, en l'espace de quelques semaines, on a
vraiment vu ces pertes-là. Et je vous dirais même, il y en a qui ne sont pas
revenus, on a essayé de travailler dessus, mais il y a des acquis qui sont
perdus.
Comme vous êtes bien au courant, chaque
élève avec des besoins particuliers ou avec un handicap a un plan
d'intervention personnalisé quand ils sont à l'école, qu'on fait le point avec
les parents au cours de l'année, etc. Mais je pense que vous serez d'accord
pour dire qu'en situation... un jeune... un jeune dans cette situation-là se
retrouve à la maison, à court, moyen, long terme, c'est très difficile pour les
parents de prendre la relève de ces plans d'intervention là. Justement parce
que, comme vous le mentionniez, que ce soit la routine, que ce soit
l'encadrement, que ce soient les connaissances, donc, et les spécialisations
dont ils... les services qu'ils offrent à ces jeunes-là, donc je pense que vous
serez d'accord, mais je voudrais vous entendre là-dessus, à quel point les
parents ne... les parents et la maison ne peuvent pas remplacer le rôle des
écoles et des plans d'intervention personnalisés dans cette situation-là.
• (15 h 30) •
M. Royer (Égide) :Moi, ça me semble évident, de toute façon. Votre
commentaire m'apparaît tout à fait juste. Écoutez, c'est comme... il y a une
question de surspécialisation, là, par rapport... C'est un peu comme quand,
là... comme quand... comme parents, si vous consultez un spécialiste d'une
spécialité médicale quelconque, de dire : Bien, je suis capable d'aider
mon enfant avec un mal de gorge, mais quand il a quelque chose qui relève
directement d'un spécialiste qui travaille directement ce type de problème
là... vous faites votre possible comme parents, mais quand vous avez un enfant
dysphasique ou un enfant qui a un trouble du spectre de l'autisme avec des
comportements qui sont à travailler et à apprendre, et quand vous savez que 1 $
en prévention équivaut à 6 $ en intervention...
C'est parce que ma fenêtre, moi, là...
Quand j'ai un petit bonhomme de cinq ans ou de six ans, par exemple, qui a un
trouble du spectre de l'autisme, j'ai une fenêtre d'intervention à cet âge-là,
cinq, six ans, qui est une grande fenêtre. Et je dois en profiter au maximum
parce qu'on peut surstimuler, intervenir, il y a toutes sortes de choses qu'on
peut faire. Mais, plus le temps passe, plus ça devient plus... un petit...
beaucoup plus... ça demande une intervention encore plus intensive. Donc, qu'un
spécialiste puisse soutenir... ou des spécialistes, soutenir une intervention
intensive dans les premières années m'apparaît quelque chose d'absolument...
c'est absolument essentiel. Mais que cette intervention-là cesse pendant
plusieurs semaines, il y a objectivement un impact... vous en avez parlé vous
aussi, il y a objectivement un impact sur les enfants. Et ça peut être assez
long à revenir. Et on aura beau avoir un plan d'intervention, je pense à un
plan d'intervention, comme un jeune, si je comprends bien, comme votre enfant,
c'est que j'ai plusieurs spécialistes dedans avec des expertises très pointues.
Tu sais, on a besoin d'un accompagnement professionnel, pas simplement
l'enseignement du français et des mathématiques, là. On a besoin dans un
encadrement puis un soutien professionnel. Et, selon moi, ça relève d'un
service essentiel que de le maintenir.
Mme Prass : Et, dans ce même
sens là, là on sort un petit peu du sujet, mais quand il y a des bris de
services pour ces jeunes-là, surtout ceux qui sont dans les écoles ordinaires,
disons, bien, ça a le même effet. Ce n'est pas le parent qui peut reprendre le
rôle d'offrir le plan d'intervention personnalisé à son jeune. Parce que, comme
vous venez de mentionner, il y a différents spécialistes, différents services
spécialisés qui leur sont offerts à l'école. Donc, un bris de services peut
avoir également les mêmes...
15 h 30 (version non révisée)
M. Royer (Égide) :…ah oui… peut avoir exactement les mêmes effets. Et ce qui
arrive, c'est que vous êtes… On n'est pas dans un contexte où… normalement, vous
devez gagner votre vie, là, comme parent au travers de ça. Ce n'est pas comme
si c'étaient les vacances de Noël ou les vacances d'été, où, tu sais, mon
conjoint prend un mois de vacances, je prends l'autre mois, puis on garde l'enfant.
Donc, il y a une question carrément d'organisation familiale là-dessus.
Et, vous savez, c'est parce que vous parlez
du mot «bris de service». Je dois faire une courte parenthèse. On a présentement…
puis là, je témoigne du secteur éducation, on a présentement 2 400 jeunes
en bris de service au Québec, ce qui est absolument… Écoutez, je ne sais pas
comment le dire. Je donne une conférence, là, vendredi midi à un congrès… d'apprentissage.
J'en reparle encore. 2 400 jeunes qui ne sont pas à l'école à temps plein…
qui ne sont pas à l'école du tout ou qui sont à l'école quelques heures semaine
à cause de la lourdeur des comportements ou des besoins qu'ils ont comme élève
handicapé. Et là, ça, ça a un impact majeur. Mais on a un peu ce même continuum,
là, on peut perdre des jours d'enseignement, de réadaptation par rapport à un
conflit de travail, mais même présentement, j'en ai 2 400, présentement,
où les parents sont obligés d'offrir eux-mêmes un service spécialisé. Et, en
tout cas, on est dans le même ordre de problèmes, là, en…
Mme Prass : Puis
on se comprend, justement, dépendamment de la lourdeur, de l'handicap de l'enfant,
il y a des parents, par exemple, qui vont devoir quitter leur emploi pour
devoir rester à la maison à temps plein, parce que leur enfant a… n'a pas d'autonomie.
Ils ont besoin d'une supervision 24… 24 sur sept, ce qui peut amener donc
perte de revenus, de l'isolement, des enjeux de troubles de santé mentale pour
ces parents-là. Donc, ce n'est pas juste les effets que ça a sur les jeunes,
mais sur leurs familles et leurs parents également.
M. Royer (Égide) :
Oui, je… j'avais avoir orienter mon intervention spécifiquement pour les
enfants, être capable de délimiter ce secteur-là. Mais vous avez raison au
niveau de l'impact pour les parents, c'est majeur. D'avoir une responsabilité… De
la même manière qu'on ne demande pas aux parents d'enseigner la lecture et l'écriture,
c'est le travail de l'enseignant, d'enseigner la lecture et l'écriture, le
parent appuie, mais imaginez lorsque vous avez un enfant lourdement handicapé,
c'est encore plus vrai, là, il y a une expertise qui doit être… qui doit être
offerte. Et, selon moi, pour ce sous-groupe de jeunes là, ça devrait
correspondre à un service essentiel, comme je le mentionnais. Et toute la
question de ceux qui reçoivent ces services-là en école ordinaire, classe
spéciale, école ordinaire, ça, normalement, si on était capable d'en venir à
une forme d'entente aussi, là, ce serait évidemment… parce que c'est les mêmes
besoins, là.
Mme Prass : Oui. Bien, je
pense que, comme la discussion que vous avez eue avec le ministre tantôt, les
écoles, normalement ont plusieurs entrées. Donc, si vous pouviez avoir un
aménagement pour que les jeunes arrivent par une entrée où les grévistes ne
sont pas présents, puis les perturbations sont moindres, je pense que ça
pourrait être une solution, avec chaque école, trouver une solution à cet effet
également.
Je suis curieuse. Dans le cadre de la
COVID, justement, les discussions que vous avez eues avec le ministère de l'Éducation,
le gouvernement, pour justement déterminer que les écoles spécialisées
devraient être les… les derniers à fermer, les premiers à ouvrir. Quelle était
cette logique qui a été mise de l'avant justement pour que le gouvernement
arrive à cette décision-là?
M. Royer (Égide) :Il y avait la… il y avait la logique, puis ça rejoint certains
des éléments que vous venez de mentionner, il y avait la logique de l'enseignement
à distance, avec un jeune qui a un trouble du spectre de l'autisme grave, ou
un… il a une forme de déficience mentale, bien, tu sais, écoutez, l'enseignement
à distance, ça ne peut pas… ça ne faisait pas de sens, là, tu sais, un zoom,
là, par rapport à un jeune qui a des besoins importants de réadaptation, là.
Et l'autre élément, c'est que c'était exactement
le même argumentaire dont on discute, là… dont je viens de discuter avec le
ministre et avec vous, c'est qu'on se retrouve dans une situation où ces jeunes-là
ont des besoins continus de réadaptation et de soutien et d'avoir un
environnement prévisible. Donc, c'est pour ça qu'autant le… autant le médecin,
autant les autres spécialistes qui siégeaient sur le comité… Puis nous autres,
on était un comité-conseil pour prendre des décisions. Écoutez, les dernières
écoles à fermer, ça devrait des écoles spécialisées et les premières à ouvrir,
même au secondaire, Écoles spécialisées aussi sur cet… sur cet argumentaire-là,
qui nous apparaissait évident. C'était unanime au niveau des huit ou 10 personnes
qu'on était au niveau du comité, c'est comme le soleil se lève à l'Est, là, c'est...
Mme Prass : Et justement,
quand on parle de service minimal requis, je pense qu'on se comprend, et avec
ce que vous avez mis de l'avant, que ce n'est pas question d'offrir un service
de… un service éducatif réduit pour ces jeunes-là, parce que c'est tout ou rien,
disons. Donc, ce n'est pas question de… Tu sais, durant une grève ou quoi que
ce soit, bien, ils vont recevoir deux journées d'éducation plutôt que cinq.
Parce que, comme vous dites, c'est la routine. C'est tellement fondamental à la
vie de ces jeunes-là et pour leur bien-être et pour leur parcours. Donc, pour
vous, un service minimal requis pour ces jeunes-là, ce serait vraiment de
continuer à recevoir un service à temps plein comme ils reçoivent durant…
Mme Prass : ...l'année
régulière, disons.
M. Royer (Égide) :Oui, il y a... bien, moi, dans ma perspective à moi, il n'a
pas commencé à négocier à la pièce en disant : Bien là, on va enlever deux
heures d'orthopédagogie puis on va rajouter une heure de... on va enlever une
heure sur deux de ci, une heure... Vous donnez le plein service maximal. En
fait, vous seriez chirurgien... vous êtes chirurgienne, à un moment donné, vous
dites : Bien là, compte tenu du contexte, on va avoir moins de personnel
puis on va faire tel type de... Ça n'a pas de sens. Vous y allez à
l'intervention maximale par rapport à des besoins qui sont vraiment importants
chez ces jeunes-là.
Ça n'empêche pas, dans l'ensemble du
système éducatif, là, de... écoutez, ça n'empêche pas l'ensemble de...
l'ensemble du système ou les écoles... l'ensemble des écoles d'un centre de
services scolaire d'avoir un conflit de travail de travail et de fermer la
majorité de ses écoles, mais vous dites : Ça, c'est un service privilégié,
un peu comme la DPJ ou autre type de service, il ne nous viendrait pas à l'idée
de diminuer les services en disant : On va juste prendre un appel sur
deux, là, d'enfants signalés, tu sais, ça ne fait pas de sens. Donc, ma
recommandation est d'y aller pour le service maximal, autant service
complémentaire professionnel que de services d'enseignement.
Mme Prass : Et comme vous
venez de mentionner, toute la question des services professionnels, l'école
pour des enfants avec des besoins particuliers, ce n'est pas juste une question
d'éducation, mais de recevoir des thérapies, également, que ce soit en
orthophonie, en ergothérapie, quoi que ce soit. Donc, c'est beaucoup plus large
que juste... Donc, ils reçoivent des services par rapport à leur handicap qui
vont au-delà de la question de l'éducation, également, donc d'autant plus
l'importance qu'ils continuent de recevoir ces services-là.
M. Royer (Égide) :Écoutez, moi, je suis psychologue, membre de l'Ordre des
psychologues du Québec, et, écoutez, moi, en milieu scolaire, je suis... je ne
sais pas, je suis une grande fille de 13 ans qui est suicidaire, écoutez,
comment est-ce que le milieu au complet se mettrait en grève, moi, si j'ai un
appel du parent, que je sois en grève ou que je sois... que je sois en grève,
je vais intervenir. Il y a une question d'éthique, là, une question de code de
déontologie, là. Donc, dans ce contexte-là, quand on parle des jeunes avec une
psychopathologie, j'ai des jeunes qui... c'est de l'automutilation, là-dedans,
j'ai des des dépressions importantes, j'ai toutes sortes de choses qui relèvent
carrément de la thérapie, comme vous venez de le dire. Et, dans ce contexte-là,
je ne suis toujours bien pas pour dire aux parents : Allez à l'urgence,
là. C'est quelqu'un que je suis comme professionnel, là, donc à qui j'offre un
service. Donc, ça va dans ce sens-là.
C'est vraiment un sou- groupe et ce n'est
pas... sur 1 million d'élèves, c'est... 1 100 000, c'est vraiment ce 50 000
élèves là, qui, selon moi, est plus susceptible d'avoir des conséquences qui me
semblent démesurées par rapport à un conflit de travail.
Mme Prass : Et, justement, en
tant que gouvernement, il y a un devoir envers ces jeunes-là, d'autant plus
qu'ils ont besoin de cet encadrement-là, de ce plan d'intervention là, de ces
services qu'ils reçoivent là. Donc, c'est vraiment... Et je pense que c'est
peut-être un petit peu ce qui vous a mené, durant la pandémie, à avoir cette
politique envers ces écoles-là, que c'est vraiment un devoir de l'État envers
ces jeunes et envers leurs familles de leur offrir un service continu.
M. Royer (Égide) :Hum-hum. Dans l'exemple que je viens de vous donner là, les
questions psychopathologie, c'est assistance à personne en danger, là, mon
exemple extrême, mais, pour l'ensemble des jeunes qui présentent une situation
de handicap, c'est évident que ça me semble être un devoir essentiel, là. Ça
relève quasiment de la loi naturelle de dire : Protégeons les jeunes les
plus vulnérables dans une situation de conflit de travail. Si j'ai à
l'exprimer, je l'exprimerai comme ça, là.
Le Président (M. Allaire) : Sept
secondes.
Mme Prass : Bien, je vous
remercie énormément, Docteur Royer, puis je pense que je ferai appel à vous
dans pas longtemps pour parler d'autres dossiers. Mais, merci beaucoup.
M. Royer (Égide) :Portez-vous bien.
• (15 h 40) •
Le Président (M. Allaire) : Merci,
Mme la députée de D'Arcy-McGee. On enchaîne avec le deuxième groupe
d'opposition. M. le député d'Hochelaga-Maisonneuve, 4min 8s, un peu plus de
temps.
M. Leduc : Bien oui, pour
récupérer ceux des collègues. Parfait. Bonjour, M. Royer, ça fait plusieurs
fois qu'on se voit en commission parlementaire sur le travail des enfants, sur
d'autres sujets. J'ai toujours apprécié vos contributions.
Le gouvernement, à ma connaissance, n'a
pas testé, pendant la grève, la longue grève des professeurs, il y a un peu
plus d'un an, l'argument de la sécurité physique des personnes. Il aurait pu le
tester devant les tribunaux, puis peut-être que je me trompe, puis on me
corrigera s'il l'a testé, mais, à ma connaissance, il ne l'a pas fait. Puis je
vous donne l'exemple de la ville de Québec, quand il y a eu l'arrêt des
autobus. Il existe, donc, dans le Code du travail, la possibilité d'aller
tester pour dire aux tribunaux : Je pense que c'est un service essentiel.
Et les tribunaux ont considéré, dans ce cas-là, que les atteintes n'étaient pas
assez importantes, versus le droit de grève, qui découle du droit
d'association, qui découle de la charte des droits de la personne. Mais, à ma
connaissance, le gouvernement... n'a pas essayé ça, même pas essayé de tester
si, par exemple, pour des classes avec des besoins particuliers, ça aurait pu
être considéré comme un service essentiel. Ça fait que ça me semble assez
particulier qu'aujourd'hui on fait un projet de loi pour réformer de manière, à
mon avis, illégale, parce que ça va être défoncé par les tribunaux plus tard,
excusez le terme «défoncé», là, mais remis en question par les tribunaux plus
tard. Il aurait pu le tester, il ne l'a pas fait. Moi, je ne m'explique pas ça,
encore aujourd'hui, qu'il ne l'ait pas fait...
M. Leduc : ...l'année passée,
puis là qui passe par un drôle de projet de loi qui jette de l'huile sur le
feu. Je ne sais pas si vous avez entendu les audiences plus tôt, avant vous,
aujourd'hui, des milieux syndicaux, ça ne passe pas très bien ce projet de loi.
Là où j'aimerais vous entendre aussi,
peut-être, M. Royer, c'est, on parle beaucoup de l'intérêt des enfants, avec
raison. Moi, je m'intéresse aussi à l'intérêt, bien sûr, des... puis on parle
beaucoup des parents aussi, avec raison. Puis je suis chanceux, dans mon comté,
j'ai l'Étoile de Pacho qui est installée dans Hochelaga-Maisonneuve, que j'aime
beaucoup. Mais j'aimerais qu'on parle aussi de l'intérêt des professeurs puis
du personnel scolaire. Est-ce que dans vos rencontres, études, votre terrain,
vous avez rencontré des enseignants, des enseignantes avec des groupes à
besoins particuliers qui ont voté la grève? Puis qu'est-ce que vous disaient
ces personnes-là? Parce que j'ai toujours l'impression qu'on sous-entend que si
on est un enseignant avec une classe de besoins particuliers, on n'a pas
l'intérêt réel de ces enfants-là à cœur, alors qu'ils passent des heures
innombrables par année avec les jeunes. Est-ce que vous avez rencontré, donc,
ces personnes-là?
M. Royer (Égide) :Moi, je donne encore beaucoup... Je donne encore beaucoup
de formation. Je vais encore beaucoup dans les écoles.
M. Leduc : Bien sûr.
M. Royer (Égide) :Et ça, c'est des échanges que j'ai eus et que j'ai eus avec
un certain nombre d'enseignants. Les enseignants et les professionnels, parce
que c'est des équipes. Écoutez, c'est des jeunes de classe, jeunes lourdement
handicapés. Souvent, vous avez cinq ou six jeunes dans la classe avec, souvent,
deux, trois, quatre adultes, dépendamment du contexte. C'est des gens
extrêmement impliqués. Il faut vraiment... avoir la vocation, il faut vraiment
avoir ça très à cœur. Et, dans ce contexte-là, je n'ai pas eu... Le mot
«régression»... ou quand je les ai repris, après un certain nombre de semaines,
mes jeunes, j'ai eu du travail à faire avec, j'ai eu ce commentaire-là de
manière informelle quand j'ai rencontré des enseignants. Mais dans la mesure où
les services sont là et sont disponibles, la plupart du temps, c'est des
gens... c'est des enseignants. Les professionnels qui travaillent dedans sont
véritablement, entre guillemets, là, dédiés, ils ont ls sont vraiment très
impliqués. Et ça ne peut pas faire autrement parce qu'on a... ces gens-là
travaillent avec des gens qui ont des besoins vraiment importants.
M. Leduc : ...
M. Royer (Égide) :Allez-y. Précisez votre question.
M. Leduc : J'allais juste
dire, dans ma circonscription, j'ai aussi l'école Irénée-Lussier. Puis, pendant
la grève, je suis allé à la ligne de piquetage d'Irénée-Lussier, puis les gens
qui étaient là, c'est des gens dévoués. Puis ils se sentaient délaissés par
leur gouvernement, délaissés par l'État du Québec. Ça fait que, moi, je veux
bien qu'on parle des enfants puis des parents, c'est important, mais qui
s'occupe de l'intérêt de ces professeurs-là qui prennent soin des enfants
aussi?
M. Royer (Égide) :Je suis tout à fait d'accord avec vous. C'est l'idée qu'on
a des situations, quand l'ensemble de l'équipe est là et que les ressources y
sont, normalement, on se retrouve dans un contexte où ça a un rôle relativement
bien. Mais dans un contexte de conflit de travail...
Le Président (M. Allaire) : Je
m'excuse. Malheureusement, c'est tout le temps que nous avons. Je suis vraiment
désolé d'être le gardien du temps quand c'est pertinent, naturellement, là.
Vous êtes quelqu'un qui a apporté beaucoup par votre expertise, M. Royer. Je
vous remercie beaucoup pour votre collaboration à cette commission.
Alors, nous allons suspendre les travaux
quelques instants. Merci.
(Suspension de la séance à 15 h 45)
(Reprise à 15 h 50)
Le Président (M. Allaire) : Alors,
nous allons reprendre les travaux. On accueille maintenant M. Thomas Collombat.
C'est un plaisir de vous avoir avec nous. Je vais vous laisser vous présenter
peut-être avec votre titre, là, plus complet, et après ça vous pouvez déjà
enchaîner, là, avec votre 10 minutes, là, pour l'exposé. La parole est à vous.
M. Collombat (Thomas) : Merci,
M. le Président. M. le ministre, Mmes et MM. les députés, merci de m'avoir
invité à vous rencontrer dans le cadre de l'examen du projet de loi n° 89. Je
m'appelle Thomas Colombat, et je suis professeur titulaire de science politique
et directeur du Département des sciences sociales de l'Université du Québec en
Outaouais. Je suis également directeur adjoint et responsable de l'Axe Travail
et Emploi du Centre de recherche sur les innovations sociales de crise. J'interviens
aujourd'hui à titre de chercheur qui, depuis bientôt deux décennies, se penche
sur le rôle sociopolitique du syndicalisme, et plus particulièrement sur la
place qu'il occupe dans le développement de la société québécoise. J'aborde cet
enjeu en privilégiant une approche à la fois historique et comparative
permettant de mettre le Québec en perspective par rapport aux autres sociétés
industrialisées.
C'est de ce point de vue que j'observe le
projet de loi n° 89 et c'est en raison de cette expertise que ce projet de loi
m'inquiète vivement. Mon propos s'articule en trois points. Tout d'abord, je
considère que ce projet de loi est une remise en cause fondamentale du droit de
grève. Ce faisant, et c'est mon deuxième point, ce projet vient attaquer de façon
frontale le syndicalisme comme institution sociale. De ce fait, et c'est mon
dernier point, ce projet de loi nuit au caractère distinct de la société
québécoise et à son identité...
M. Collombat (Thomas) : ...les
possibilités créées par ce projet de loi pour considérablement limiter l'impact
d'une grève, voire en imposer la fin, pour des raisons aussi larges que, je
cite, «la sécurité sociale, économique ou environnementale de la population»,
sont une claire atteinte à l'exercice du droit de grève. Elles pourraient même
le vider de sa substance en incitant les employeurs à systématiquement tenter
d'en arriver au point où l'intervention du ministre serait possible et ainsi
contourner le rapport de force établi par la partie syndicale.
Dans une perspective comparée, cette
tentative est d'autant plus surprenante que l'Amérique du Nord est déjà l'une
des régions du monde où l'exercice de ce droit est le plus limité. Rappelons
que, même au Québec, 60 % de la main-d'œuvre n'a pas accès au droit de grève
du fait qu'il n'est offert qu'aux seuls travailleurs et travailleuses
syndiqués. Ils et elles ne peuvent par ailleurs y avoir recours qu'à une
période limitée, au moment du renouvellement de leur convention collective, et
sur des thèmes limités liés à cette même convention.
Les grèves explicitement politiques,
sociales ou de solidarité sont ainsi proscrites, ce qui peut nous sembler une
évidence ici, mais qui est loin d'être le cas dans d'autres régions du monde.
Par ailleurs, les lois sur les services essentiels viennent contraindre encore
plus l'exercice de ce droit dans certains secteurs, et des lois spéciales
imposant le retour au travail ont été fréquemment adoptées dans les dernières
décennies, tel que documenté par les historiens Martin Robert et Martin
Petitclerc.
Difficile donc de voir l'urgence de venir
encore plus restreindre ce droit, en particulier à l'heure où, malgré une
timide recrudescence dans les dernières années, le nombre de conflits de
travail reste historiquement bas et où, comme cela est fréquemment rappelé,
95 % des conventions collectives se règlent sans y avoir recours.
Je me permets un commentaire rapide sur le
fait que le projet de loi s'applique tant aux grèves qu'aux lock-out. L'idée
d'une égalité entre ces deux moyens de pression est tout simplement factice.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le lock-out est interdit dans de nombreuses
juridictions qui autorisent par ailleurs le droit de grève. Dans une économie
capitaliste, il n'y a pas égalité entre le travail et le capital, et leur
donner les mêmes outils contribue donc à maintenir cette inégalité plutôt qu'à
la combattre. Les lock-out représentent d'ailleurs une proportion très faible
des conflits de travail. Et le simple fait que les organisations patronales
aient accueilli favorablement ce projet de loi montre bien que ses impacts se
feront ressentir de façon beaucoup plus forte sur la partie syndicale.
C'est ce constat qui me conduit à mon
deuxième point. Ce projet de loi constitue une attaque à l'égard du mouvement
syndical. En effet, le droit de grève n'est pas qu'un simple outil parmi tant
d'autres qu'un syndicat peut utiliser pour faire valoir son rapport de force.
Il est le moyen par excellence pour forcer un employeur récalcitrant à
reconnaître la validité des revendications syndicales, mais aussi la valeur du
travail effectué par les personnes salariées qu'il emploie. Cette notion de
valeur du travail est d'ailleurs au cœur de la logique même de la grève et de
l'activité syndicale de façon générale. La grève sert à illustrer le caractère
essentiel du travail des salariés, sans qui ni les profits du secteur privé ni les
services du secteur public ne peuvent exister.
À cet égard, il semble particulièrement
ironique, voire cruel, de vouloir encore plus limiter les droits fondamentaux
des travailleurs et travailleuses, dont on dit que l'activité est essentielle à
la sécurité de la population. La dégradation de leurs conditions de travail qui
pourrait en découler rendrait certainement encore plus difficiles leur
recrutement et leur rétention.
Il est important de préciser ici que ce
n'est pas uniquement la grève effective qui importe au syndicalisme, mais
aussi, et souvent surtout, la possibilité de la grève, la menace d'avoir
recours à cette arme ultime si la négociation n'avance pas. En sapant la
possibilité de la grève, ce projet de loi ne vient pas simplement tenter de
limiter d'éventuels excès de conflits particulièrement difficiles, il vient
remettre en cause l'ensemble de la logique même de la construction du rapport
de force syndical dans toute négociation, qu'il y ait recours à la grève ou
pas. Ce faisant, il dénature l'essence même de l'action syndicale et vient
redonner le dessus à la partie patronale plutôt que de contribuer à rétablir un
équilibre.
Rappelons par ailleurs que la décision de
partir en grève n'est jamais prise à la légère et que ses impacts sont considérables
pour les travailleurs et travailleuses elles-mêmes. Elle fait l'objet d'une
délibération et d'une décision collective qui est par ailleurs l'un des rares
exercices démocratiques présents dans les milieux de travail.
Même si son recours est relativement rare,
il me semble crucial de souligner le rôle essentiel qu'ont eu plusieurs grèves
dans le développement du Québec et du Canada, montrant ainsi le caractère
fondamental de ce droit dans la pratique syndicale. C'est par des grèves que
les allumettières de Hull ont pu, dès les années 1920, mettre en lumière
les enjeux de santé et de sécurité de leur travail et les spécificités des
conditions du travail des femmes. C'est paradoxalement à une grève de chômeurs
exploités dans des camps de travail forcé que nous devons l'établissement du
programme d'assurance-emploi au Canada. C'est grâce aux grèves de l'amiante, de
Murdochville, de l'Alliance des professeurs de Montréal et de bien d'autres que
les fondations du duplessisme furent ébranlées, créant ainsi les conditions
pour l'arrivée de la Révolution tranquille. C'est encore grâce à la grève des
travailleurs de la United Aircraft à Longueuil que le gouvernement du Québec
adoptera la loi antibriseurs de grève et l'inclusion de la formule Rand au Code
du travail.
Ceci m'amène à mon dernier point, à savoir
qu'en attaquant de la sorte le droit de grève et le syndicalisme, ce projet de
loi altère de façon significative la spécificité des arrangements
institutionnels à la base de la société québécoise moderne et nuit ainsi à son
identité distincte. Les particularités du Québec au sein de l'ensemble
nord-américain ne se limitent en effet pas à la langue française ou au Code
civil. En particulier, depuis la Révolution tranquille, le Québec s'est
développé...
M. Collombat (Thomas) : ...comme
une société où le capitalisme est régulé notamment par la valorisation
d'acteurs socioéconomiques de premier plan auxquels l'État accorde non
seulement un statut d'interlocuteur dans l'élaboration des politiques publiques,
mais aussi une vaste autonomie d'action dans leur domaine de représentation. On
pense ici, bien entendu, aux organisations syndicales, mais aussi aux
organisations patronales, qui ont dû, en raison de ce modèle, se structurer de
façon beaucoup plus importante au Québec que dans le reste du Canada. Ce modèle
de développement, parfois qualifié de modèle québécois, a eu un impact reconnu
sur de nombreux marqueurs de la distinction québécoise en matière de politiques
publiques, depuis les outils de développement économique adoptés par les
gouvernements successifs jusqu'aux politiques sociales qui nous caractérisent,
telles que notre approche de l'éducation à la petite enfance, de l'équité
salariale ou des congés parentaux. Au-delà de cela, il repose sur une autonomie
de la sphère des relations du travail au sein de laquelle l'État et, à travers
lui, la société québécoise démontrent leur confiance dans les acteurs sociaux à
exercer leurs rapports de force dans le cadre de règles établies et déjà fort
contraignantes, comme nous l'avons évoqué plus tôt.
C'est ici que le présent projet de loi
entre, d'après moi, en contradiction avec l'esprit même du développement du
Québec moderne. Non seulement il nuit à l'équilibre des forces en s'attaquant
de façon explicite à une seule des deux parties, mais il consacre également une
intrusion majeure du pouvoir politique dans la sphère des relations du travail.
Ce faisant, il fait des relations du travail un espace non pas seulement
politique, mais partisan, où l'autonomie des acteurs sociaux n'est plus
reconnue. Dans ce sens, il rompt avec la tendance historique de la société
québécoise pour plutôt se rapprocher de celle caractéristique des États-Unis,
telle qu'identifiée notamment par le sociologue Barry Eidlin. En effet, au sud
de la frontière, le National Labor Relations Board a historiquement été grugé
par les nominations et divisions partisanes et a nui à l'établissement de
relations du travail saines et autonomes, contribuant ainsi aux fortes
inégalités sociales et économiques qui caractérisent cette société. On peut
donc parler d'un risque d'américanisation des relations du travail, voire de
latino-américanisation, puisque, dans cette autre région sur laquelle j'ai
longtemps travaillé, se retrouvent aussi des législations permettant au pouvoir
politique de défaire des grèves, voire de les déclarer inexistantes, pour
reprendre le vocable mexicain en la matière. Je doute que, dans le contexte
actuel, il y ait un appétit réel de la société québécoise à se rapprocher à cet
égard des modèles présents dans le reste de notre continent.
Je terminerai en rappelant que l'histoire
nous montre que la paix sociale ou la paix industrielle relève rarement de la
contrainte. La légalisation de la classe ouvrière, comme l'a appelée l'éminent
juriste français Bernard Edelman, a toujours reposé sur un délicat équilibre.
Quand les activités syndicales ont été décriminalisées au Canada en 1872, ce ne
fut pas le fait d'un gouvernement progressiste mais bien de conservateurs
inquiets de voir le potentiel de désordre social pouvant découler d'une
restriction abusive des libertés syndicales. Je considère que le projet de loi
n° 89 pourrait être un point de rupture dans l'équilibre précaire recherché par
la société québécoise moderne. Il remet en cause un fondement essentiel de
l'activité syndicale et nuit à la spécificité de notre modèle au sein de
l'ensemble nord-américain et ainsi à ce qui nous définit comme société
distincte. Pour ces raisons, je recommande respectueusement à cette commission
de considérer le retrait de ce projet de loi. Je vous remercie beaucoup de
votre attention.
• (16 heures) •
Le Président (M. Allaire) :
Merci. On débute la période d'échange avec la partie gouvernementale. M. le
ministre, la parole est à vous.
M. Boulet : Oui.D'abord,
merci, M. Collombat, de votre venue, de votre présentation. De manière tout à
fait raisonnée, je pense que vous contribuez au débat. Vous allez peut-être
nous faire des recommandations, mais, bon...
Je pense que vous étiez ici, vous avez
écouté le Dr Royer aussi, l'impact des conflits de travail. Au-delà des aspects
académiques et historiques, je pense qu'il faut aussi penser en termes de
modernisation de nos régimes de relation de travail. Il y a eu une pandémie, il
y a eu des impacts spécifiques, il y a une pénurie de main-d'oeuvre, il y a un
vieillissement démographique. Et c'est constaté, c'est démontré, il y a des
impacts des conflits de travail, plus ils sont protégés, évidemment, c'est du
cas par cas, c'est circonstanciel, sur des populations. Et une des missions
essentielles de l'État, sans faire de jeu de mots, c'est de protéger la
population. Puis, si je reviens au Dr Royer, ça me donne l'opportunité de
redire qu'en éducation il n'y en a pas, de service essentiel. Il y a un régime
de services essentiels en santé, en services sociaux, pour des services
publics, ainsi que dans la fonction publique, mais, en éducation, il n'y en a
pas. Donc, c'est très clair qu'avec la présentation du Dr Royer on a besoin de
protéger les personnes ou les enfants en situation de handicap, leurs parents,
les familles à des régressions au niveau comportemental, au niveau des
apprentissages et au niveau moteur. Ça fait partie de ce qu'un État moderne
doit être. Et c'est... Encore une fois, vous avez fait un...
16 h (version non révisée)
M. Boulet : …de l'histoire,
un peu, une histoire très sommaire des relations de travail, puis j'ai beaucoup
de respect pour vos connaissances puis vos recherches. On s'intéresse vraiment
aux aspects puis aux répercussions pratiques des conflits de travail. Puis c'est
sûr que, 95 %, il faut augmenter ce pourcentage-là. La plupart des
conflits de travail sont évités aussi, pas la plupart, mais beaucoup grâce à
nos services d'amélioration des relations de travail, d'aide à la négociation
ou d'une première ou d'un renouvellement de convention collective de travail, à
l'expertise de nos brillants et brillantes conciliateurs, médiateurs, qui
aident, qui accompagnent, qui font bénéficier les parties de leur expertise. Et
le… puis, si on peut augmenter ce pourcentage-là, tant mieux.
Ceci dit, le nombre de conflits de travail
a quand même augmenté de façon plus importante que ce que vous sentiez… soulignez.
En 2020, c'était 34, 170
en 2021, 161 en 2022, 230 en 2023 puis 285 en 2024. Alors donc, nous, ce qui
nous intéresse, c'est de s'assurer que, notamment en éducation, il y ait la
possibilité, dans une loi éventuelle, de s'intéresser aux enfants en situation
de handicap, qui sont confrontés aux troubles du spectre de l'autisme ou aux
populations qui sont plus vulnérables. Dans le transport collectif, on a vu à
quel point les personnes à faibles revenus, en bas de 30 000 $, c'était
50 %, utilisaient le transport collectif pour aller à leur travail,
utilisaient le transport collectif pour bénéficier d'un service médical,
utilisaient le transport en collectif pour d'autres raisons.
Le transport scolaire, vous connaissez ou
vous… peut-être que vous êtes un parent, le transport scolaire, c'est
fondamental dans la vie quotidienne d'un enfant et d'un parent pour l'apprentissage,
pour la réussite scolaire, pour la persévérance scolaire. C'est super important
de s'intéresser à ces personnes-là. C'est important de s'intéresser aux
familles endeuillées, puis je le sais qu'il y en a qui n'aiment pas que je
fasse référence à ça. Il n'y avait pas de convention, depuis un certain nombre
d'années, mais il y avait une cessation des opérations depuis plus ou moins une
année. Les familles endeuillées, là, qui nous interpelaient, là, les dépouilles
qui s'accumulaient dans des frigidaires, faute de capacité d'intervention pour
procéder à l'inhumation, souvent, on faisait référence à la dignité humaine. C'est
ça qui nous intéresse, ces dossiers-là.
Les personnes qui ne peuvent pas aller se
recueillir dans un cimetière, parce qu'il n'est pas entretenu, puis c'est
dangereux. Il y a des problématiques de sécurité. Il y avait eu une crise de
verglas, ils ne peuvent pas aller se recueillir sur les pierres tombales parce
qu'il y a un conflit de travail. C'est ça qui nous intéresse.
C'est des aspects purement exceptionnels.
C'est du cas par cas. Il faut qu'on ait, au Québec, une loi qui nous permette
de s'adapter et de conjuguer avec les répercussions négatives sur la
population, sur les besoins fondamentaux de la population en cas de conflit de
travail. Je comprends les rapports de force. J'en ai souvent parlé avec mon
collègue d'Hochelaga-Maisonneuve. Inutile de répéter qu'une grève c'est un
moyen de pression pour inciter un employeur à accepter des conditions de
travail. Même affaire pour un lock-out, pour inciter un syndicat à accepter des
conditions de travail, mais, quand la population… puis vous comprenez le sens
commun du terme que j'utilise, est prise en otage, ça ne devient pas
admissible. Il faut avoir des mécaniques d'intervention pour s'assurer de
protéger les Québécois, Québécoises, assurer la continuité de leurs besoins.
L'interruption des services éducatifs, je
reviens au docteur Royer, pendant une certaine période de temps, il y a un
effet de régression sur un enfant en situation de handicap. Il y a un impact
important sur les parents qui doivent combiner avec du télétravail et qui
doivent se substituer à une expertise en matière d'intervention psychologique.
Sur la politisation, M. Collombat, vous me
permettrez d'être en désaccord avec vous. Tout ce qu'on fait, c'est dans le cas
du premier outil…
M. Boulet : ...c'est un
décret. Puis ce n'est même pas le gouvernement qui détermine si le critère
prévu à la loi est respecté, que les services minimalement requis pour assurer
la sécurité sociale, économique ou environnementale affectés de manière
disproportionnée. C'est un Tribunal administratif du travail, que vous
connaissez probablement très bien. C'est un tribunal indépendant, impartial,
des personnes hypercompétentes. Et je l'ai dit et je le répète, si la décision
est négative, on est dans un État de droit puis on respecte le pouvoir
judiciaire. Puis c'est une façon de confirmer que ce n'est pas un processus qui
est politique. On l'a voulu le plus apolitique possible et indépendant.
Avant d'aller devant le Tribunal
administratif du travail, les parties pourront discuter, auront négocié, auront
bénéficié des services de conciliation, médiation. Et, si le tribunal
administratif conclut à l'application du régime de services minimalement
requis, les parties ont le ballon entre les mains. Elles auront à s'asseoir, à
négocier pourront bénéficier d'un accompagnement du tribunal pour négocier les
services qu'on appelle minimalement requis pour assurer la sécurité de la
population. Là, je ne redirai pas le critère, qui est un critère... pas mur à
mur, mais qui est un critère écrit de façon suffisamment large pour permettre
au tribunal de s'adapter au cas par cas, d'avoir un projet de loi qui
s'applique en fonction de chacune des négociations. On nous demande, des
groupes, de l'appliquer par secteurs. Non. Ce n'est pas l'approche qu'on a
privilégiée parce que l'entrée en avant aurait pu être plus importante à la
liberté d'association.
Puis je le sais, c'est quoi, les
paramètres de la décision de la Cour suprême du Canada. Puis nous aussi, au
gouvernement, on lit la jurisprudence puis on connaît l'histoire des relations
de travail. Mais on vit avec des situations concrètes qui requièrent des
solutions adaptées. Donc, je suis une personne à faibles revenus, qu'est-ce que
vous pouvez faire pour moi? Je suis un enfant qui a le trouble du spectre de
l'autisme, qu'est-ce qu'on peut faire pour moi? Je suis une personne qui a des
besoins particuliers, qu'est-ce qu'on peut faire pour moi? Je suis quelqu'un
d'une famille endeuillée, qu'est-ce qu'on peut faire pour moi? Je pose... Je me
pose ces questions-là pour me dire quelle est la meilleure façon de gérer ce
type de problématiques là.
Puis, le rapport de force... ce n'est pas
de s'immiscer dans le rapport de force. Puis, vous le savez, depuis 2015, il y
en a eu, des conflits de travail, et les gouvernements ne peuvent pas faire de
lois spéciales. Puis je suis assez fier, puis mon collègue
d'Hochelaga-Maisonneuve le sait, depuis 2018, on n'en a pas fait, de lois
spéciales. On respecte la libre négociation des parties. Mais, en même temps,
on a constaté qu'à des tables de négociation il y a eu parfois des impasses.
Et, malgré l'intervention d'un conciliateur-médiateur, on demeure dans cette
impasse-là, et la population est indûment affectée, subit des préjudices.
• (16 h 10) •
Dans le cas du deuxième mécanisme, c'est
un préjudice grave ou irréparable. C'est des concepts qui ne sont jamais
parfaits. Puis, vous le savez, M. Collombat, toute loi est susceptible
d'interprétation puis d'application. Parlez à tous les avocats, les conseillers
en relations de travail qui sont spécialisés en relations de travail, ils
savent que tout est interprétable. Les meilleures conventions collectives de
travail, qui sont la loi des parties, sont susceptibles d'interprétations.
C'est pour ça qu'on a des griefs. C'est pour ça qu'ultimement, à la terminaison
d'un processus de négociation, il y a des différends.
Alors, je le répète, je pense que ce qui
résume le mieux ce projet de loi là, c'est son titre. On veut considérer
davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock-out. Et les
exemples sont multiples. Ce n'est pas d'avoir un impact. Ce n'est pas
d'empêcher l'exercice du droit de grève, comme plusieurs l'ont souligné. Ce
n'est pas parce que certains services sont à maintenir dans les services
publics, dans certains services sociaux, dans le réseau de la santé, dans la
fonction publique, que la grève ne peut pas s'exercer ou que le lock-out ne
peut pas s'exercer. Puis, effectivement, il y a moins encore de lock-out que de
grèves. Ça ne veut pas dire que...
M. Boulet : ...c'est parce
qu'on veut s'attaquer au droit de grève. Au contraire, on veut accélérer le
règlement puis on va fournir toute l'expertise qu'on a. Puis il y a des
personnes extrêmement compétentes en matière de négociation raisonnée et qui
ont des objectifs absolument louables et légitimes. Alors, j'arrêterais mes
commentaires, je sais que mon collègue de Nicolet-Bécancour aurait une
question. Donald...
Le Président (M. Allaire) : M.
le député de Nicolet-Bécancour, la parole est à vous.
M. Martel : Merci. Merci, M.
le Président. M. Collombat... Collombat, votre nom de famille?
M. Collombat (Thomas) : Oui.
M. Martel : Je ne suis pas
intervenu depuis le début de ce... les audiences parce que je trouve que le
ministre fait un travail remarquable, il est extrêmement attentif aux discours
qui sont prononcés. Il reprend chacun des arguments, puis je trouve qu'il est
très réfléchi, très... Ça fait que je ne sens pas mon rôle, nécessairement...
la pertinence d'intervenir parce qu'il fait un bon travail, mais là il y a
quelque chose qui m'achale un peu, puis je voudrais que vous m'expliquiez.
Vous venez ici à titre de professeur.
C'est exact? Pour moi, le professeur, c'est l'intellectuel qui regarde une
situation puis qui donne son opinion. Par exemple, le gouvernement va déposer
un budget, bien, il va y avoir des professeurs de fiscalité ou... qui vont...
qui vont émettre leurs opinions. Vous, vous faites votre présentation, qui est
votre avis professionnel, mais, à la fin, la dernière phrase que vous dites,
vous dites : Je vous demande de retirer le projet de loi. Là, moi, je me
dis : C'est qui qui parle? Est-ce que c'est le professeur qui vient donner
son opinion intellectuelle sur un sujet ou c'est un militant? Tu sais, que les
syndicats ou que les patrons viennent ici puis qu'ils disent : On est
d'accord avec le projet de loi, ou que le syndicat dit : On veut retirer,
je suis capable de comprendre ça, mais qu'un intellectuel se présente ici pour
donner son opinion honnête sur un projet de loi puis qu'à la fin il dise :
Je vous demande de retirer, moi, je vois une espèce de conflit entre le
militant puis... je ne vous accuse pas, je pose la question...
Des voix : ...
M.
Martel
:
...je pose la question très honnêtement puis je pense qu'elle est très
pertinente. Ça fait que je vous écoute.
Le Président (M. Allaire) : ...la
parole est à vous.
M. Collombat (Thomas) : Merci,
M. le député, et merci, M. le ministre, pour vos commentaires.
Par rapport à votre question, M. le
député, au risque de vous contredire, je ne viens pas présenter une opinion.
Mon opinion personnelle comme citoyen n'a pas véritablement d'importance dans
cette enceinte. Je viens présenter un avis, une perspective, une analyse du
fait de ma qualification professionnelle de politologue, avec une perspective
historique, avec une perspective comparée.
La conclusion à laquelle j'en suis arrivé
en vertu de l'analyse que j'en ai faite grâce aux outils professionnels et
intellectuels dont je dispose comme universitaire depuis plusieurs années est
que ce projet de loi n'a pas lieu d'être, et donc je... ma recommandation,
c'est de ne pas le considérer. Donc, non, ce n'est pas un avis militant que je
vous ai proposé, c'est un avis qui est nourri par les perspectives historiques,
sociologiques, politologues qui ont nourri ma réflexion et qui viennent de la recherche
en sciences sociales et en sciences humaines.
Pour revenir sur le commentaire du
ministre par rapport aux populations vulnérables, et je n'étais pas là pendant
l'intégralité de la présentation du docteur Royer, je m'en excuse, je n'ai
juste saisi que les derniers moments, j'entends tout à fait la préoccupation
pour les populations vulnérables. Personne n'est, évidemment, contre la
protection de ces populations-là. Toutefois, et là encore, en lien avec la
question de M. le député, la recherche en sciences sociales nous montre que, si
ces populations vulnérables là sont dans des situations critiques aujourd'hui,
ce n'est certainement pas en raison des quelques grèves qu'il a pu y avoir dans
les dernières années, c'est en raison de politiques publiques qui ont été
choisies et qui ont désinvesti dans les services à ces populations-là. Et ça,
c'est un résultat de la recherche, ça n'est pas une opinion personnelle.
Le Président (M. Allaire) : Merci.
Ça met fin à ce bloc d'échange avec la partie gouvernementale. On enchaîne avec
l'opposition officielle, Mme la députée de Bourassa-Sauvé, 12 minutes 23
secondes.
Mme Cadet : Merci beaucoup,
M. le Président. Bonjour, Pr Collombat. Merci pour votre présence en commission
parlementaire.
Je vais d'abord commencer avec, peut-être,
une question... Si vous avez suivi les travaux des deux dernières journées, là,
j'ai... je me suis beaucoup interrogée sur les travaux du Comité de la liberté
syndicale de l'Organisation internationale du travail, qui a, oui, donc, émis,
donc, des critères d'analyse qui sont internationalement reconnus...
Mme Cadet : ...en matière,
donc, de services essentiels, donc, ceux qui sont intégrés à notre
jurisprudence canadienne, donc, l'impact sur la santé, la sécurité de la
population, mais qui a aussi entamé, au cours des dernières années, des travaux
sur la question des services minimalement requis. J'aimerais savoir, avec votre
expertise, si vous vous êtes penché, donc, sur ces travaux-là et à voir, donc,
quelle est la légitimité de l'intégration de ce qui est en développement par le
comité des libertés syndicales en droit canadien et québécois, bien sûr.
M. Collombat (Thomas) : Merci
pour votre question, Mme la députée. Je vais être très honnête et transparent,
et, encore une fois, parce que je ne suis pas ici en ma condition personnelle,
mais comme universitaire. Je suis familier avec l'Organisation internationale
du travail et ses principales documentations, ses principales réglementations.
Toutefois, je ne suis pas juriste et je n'ai pas suivi de près... de
suffisamment près ces derniers développements pour vous donner un avis éclairé
et technique et détaillé sur ces éléments-là. Donc, je préfère laisser mes
collègues juristes vous répondre et vous éclairer sur ces points.
Mme Cadet : Parfait. Merci.
Merci beaucoup. IL n'y a pas de souci, bien sûr. La deuxième question que
j'avais, donc là, dans votre échange avec le ministre, vous avez confirmé que
vous n'étiez pas là pour l'intégralité des travaux du Dr Royer... en fait, la
présentation, plutôt, du docteur Royer, mais que, bon, vous en avez un peu
saisi l'essence. Grosso modo, donc, ce qu'il nous disait, c'est que, par
exemple, en fait, lui, sa recommandation comme psychologue et, bon, expert,
donc, des enjeux du monde de l'éducation, ce qui pourrait être des services
minimalement requis, selon une définition circonscrite dans ce cadre-là, donc,
serait d'offrir, donc, des services en continu, donc, ou à peu près, donc,
54 000 élèves sur les 1,1 million qui fréquentent le réseau scolaire,
donc, ceux avec des besoins particuliers qui pourraient subir, donc, des
régressions.
Je comprends, là, que vous n'avez pas
nécessairement, donc, le cadre juridique qui vient avec les travaux du comité
de la liberté syndicale, mais peut-être de vous entendre aussi sur, donc,
précisément, sur ce type d'exemple là. On en a eu d'autres au cours des
dernières journées. Mais puisque ça vient de nous être présenté de façon très
explicite, de voir, donc, quel pourrait être ce type de service là bénéficiant,
donc, d'un cadre d'analyse distinct de celui des services essentiels lorsqu'une
décision est apportée au TAT pour une entente entre deux parties.
M. Collombat (Thomas) : Alors,
encore une fois, là, je ne me placerai pas sur le plan de la psychologie de
l'éducation ou des sciences éducation. Ce n'est pas mon domaine.
Toutefois, je me permets quand même de
répondre à votre question par rapport précisément à ces populations vulnérables
ou particulièrement dépendantes de certains services publics pour leur
bien-être. Et je reviens au point que j'ai brièvement évoqué précédemment. Ce
que la recherche... alors, pas en psychologie de l'éducation, parce qu'encore
une fois ce n'est pas mon domaine, mais la recherche en politique sociale, et
la recherche sur les services publics, en sciences politiques, montre, c'est
que la dégradation des services publics dans les dernières décennies n'est pas
liée à des conflits de travail.
Est-ce qu'il y a ponctuellement des
situations dans lesquelles les gens sont mis dans des situations problématiques
en raison d'un conflit de travail? Très certainement. Mon rôle, c'est de
prendre une perspective beaucoup plus large, au risque d'être un petit peu trop
historique, et je m'en excuse. Mais concrètement, sur le long terme, les vrais
changements ne se font pas là. Les changements se font quand l'État assume
précisément sa responsabilité de protection des personnes vulnérables en
mettant en place des politiques publiques et des finances publiques adéquates
pour protéger ces populations-là.
L'autre préoccupation que j'ai, importante
- et le ministre a d'ailleurs évoqué dans ses commentaires les difficultés de
recrutement dans ce domaine - s'il y a une chose qui est certaine, c'est que
les conditions de travail de ce domaine-là sont en grande partie dues à la
mobilisation collective, à la syndicalisation, à la négociation, et parfois à
des grèves qui ont eu lieu dans le passé pour améliorer les conditions de
travail des travailleurs et travailleuses dans ce domaine. C'est ce qui fait en
sorte que ce domaine-là peut être encore attrayant pour des travailleuses et
travailleurs. Dans une période où on a de la difficulté à recruter des
professionnels dans ce domaine, si, en plus, on vient limiter leur capacité
d'améliorer leurs conditions de travail en exprimant véritablement leur
mobilisation collective, ça, ça me préoccupe aussi. Parce qu'on sait déjà que,
dans le secteur public, les conditions de travail font en sorte que plusieurs
professionnels préfèrent aller dans le secteur privé. Si, en plus, leur
capacité d'agir collectivement est encore plus limitée, ça me préoccupe par
rapport à ces populations vulnérables sur un terme beaucoup plus long et
significatif qu'étroitement sur un conflit de travail.
• (16 h 20) •
Mme Cadet : Merci. Soyez
rassuré, là, je n'émettais pas une hypothèse, là, comme parlementaire, que les
conflits de travail, donc, ont un lien de causalité, là, avec les impacts, les
conséquences que peuvent subir les populations vulnérables, là. J'entends...
J'entends très bien, donc, le recadrage que vous faites ici, mais ce n'était
pas une hypothèse, là. C'était... C'était simplement, donc, pour voir, donc,
comment, donc, l'article quatre, en fait, donc, du projet de loi, donc, tel que...
Mme Cadet : ...donc, pourrait
être structuré d'une manière à bien saisir quels pourraient être les services
minimalement requis, puisque le vocable «vulnérable» est employé dans le
libellé du projet de loi actuel.
Là, j'entends que vous n'êtes pas juriste
et vous l'avez mentionné, mais c'est sûr que, bon, on a un des cadres... et
vous n'êtes pas sans savoir que l'un des cadres qui nous mène, donc, à
redéfinir, bon, la notion, donc, d'équilibre, c'est le terme qui a été employé
ici par la partie gouvernementale, entre les partis. Bon, c'est la décision de
la Cour suprême de 2015, de l'arrêt Saskatchewan, donc, qui... bien, à ce
moment-là, donc, oui, donc, a constitutionnalisé le droit de grève, donc qui
est venu dire que c'était une composante essentielle de la liberté
d'association, et qui est aussi mentionné, bon, que, pour qu'une pièce
législative soit légitime, qu'elle porte, donc, le moins... le plus
minimalement possible, donc, atteinte, donc, à cette liberté d'association là.
Je comprends que, de votre analyse, donc
de votre point de vue, donc, le projet de loi ne rencontrerait pas ces
critères, mais ce n'est pas une analyse juridique puisque vous n'êtes pas
juriste. Mais est ce qu'au-delà, donc, de votre recommandation de retirer la
pièce législative. Est ce que vous auriez vu une autre... un autre moyen de
porter le moins atteinte à la liberté d'association, tout en souhaitant, donc,
rencontrer les objectifs du projet de loi?
M. Collombat (Thomas) : Je
vous remercie de la question et de la façon dont vous l'avez formulée. Je vous
dirais que ma perspective comme politologue d'analyse de ce genre de décision
là, et donc des fondements politiques et même parfois philosophiques de ce
genre de décision là, par rapport à l'exercice du droit de grève, est que
l'esprit de ces décisions, de cette jurisprudence et l'esprit général de
l'interprétation de plus en plus large, de la place du droit d'organisation
collective de syndicalisation et de grève dans l'appareil constitutionnel
canadien, est qu'effectivement la façon dont on a limité ces droits-là
auparavant, même avant la présentation de ce projet, mais, par exemple, avec la
Loi sur les services essentiels, est problématique et qu'elle vient brimer une
liberté syndicale qui est considérée comme étant fondamentale. Donc, j'ai de la
difficulté à penser que, dans ce contexte là, on vienne encore ajouter à des
restrictions qui existent déjà.
Donc, la raison pour laquelle je ne me
hasarde pas à proposer des modifications du projet tel qu'il est présenté, je
pense que, dans son essence, il risque d'être problématique par rapport à
l'esprit des décisions, telle que la décision Saskatchewan de la Cour suprême.
Mme Cadet : D'accord, je vous
entends. Maintenant, peut-être entrer justement sur peut-être un terrain plus
politique. Donc, dans mes remarques préliminaires hier, donc, je me disais que,
justement, donc, le législateur a dû apprivoiser ce nouveau cadre dans lequel,
donc, il est habilité à opérer et que ces années d'ajustement là, donc, ont
soulevé, au fil du temps, donc, quelques questionnements, dont la question de
la légitimité du gouvernement à intervenir. Donc, peut-être vous entendre comme
politologue ici. Selon vous, est-ce qu'un gouvernement dûment élu par la
population dispose de la légitimité pour intervenir entre deux parties lorsque
le conflit se trouve dans une impasse? Donc, est-ce qu'il peut disposer de
leviers d'intervention? On voit que c'est le cas dans le Code du travail actuel
avec la question des services essentiels. Donc, il en existe, donc, certains
leviers. Donc, selon vous, est-ce qu'un gouvernement peut se doter de ce type
de leviers là pour intervenir lorsqu'il un conflit se trouve dans une impasse?
M. Collombat (Thomas) : Je
vous dirais, et c'était un peu le sens de la présentation que j'ai faite au
début de cette rencontre, c'est que le gouvernement intervient déjà beaucoup.
En fait, le gouvernement est tout à fait légitime à établir les règles du jeu
des relations du travail, et c'est ce qu'il fait. Et, dans un contexte
nord-américain et dans un contexte québécois, il le fait de façon déjà très
intensive, en déterminant qui peut négocier, comment ils peuvent négocier,
quand, à quelle fréquence et à l'intérieur de quelles règles. Donc, on a déjà
un appareil de contraintes extrêmement important.
Par contre, ce qu'il est aussi important
de considérer, c'est que le Québec, mais aussi d'autres sociétés capitalistes
modernes se sont aussi développées suivant l'idée que le dialogue social
autonome entre les partis était une plus-value et qu'elle servait la société.
Et donc, on peut établir le cadre, mais, à l'intérieur de ce cadre-là, il
devrait y avoir une confiance et une autonomie laissée au parti pour négocier
afin de faire jouer le rapport de force, pour permettre à ce que des
déséquilibres créés par le système économique puissent être corrigés par ces
partis, et donc à minimiser l'intervention politique fréquente et au cas par
cas.
J'entends très bien que le projet de loi
propose de remettre la décision finale dans les mains du TAT, mais elle
nécessite au préalable l'intervention du ministre. Donc, à partir de ce
moment-là, pour moi, comme politologue, c'est une intervention politique. Je
comprends la logique et elle est d'ailleurs...
M. Collombat (Thomas) : ...très...
donc, pour le coup, encadré dans le modèle québécois de relations du travail
avec l'existence du TAT autonome. Mais cette idée que c'est le ministre qui
déclenche le processus fait en sorte que c'est une intervention politique, et
d'après moi ça ne va pas dans le sens dans lequel la société québécoise s'est
développée à cet égard depuis plusieurs années. C'est un... Ce n'est pas un
jugement personnel que je pose, c'est une analyse par rapport à ce qui est dit
en histoire économique ou en économie politique.
Mme Cadet : Bien là, vous
parlez donc précisément de ce qu'on retrouve à l'article 111.22.4, et que
c'est introduit par l'article 4 du projet de loi, où le gouvernement,
donc, peut par décret désigner donc l'association accréditée et l'employeur,
donc, qui seraient assujettis, donc... la décision du tribunal. Ici, ce qu'on
voit dans le régime des services essentiels, c'est que le... en fait, les
services publics et ceux qui y sont assimilés, donc, peuvent de par eux-mêmes
se rendre au tribunal. Donc, est-ce que... Je comprends que vous n'avez pas
voulu faire de propositions précises, mais est-ce que par exemple, pour vous,
il y aurait une atteinte moindre si les parties pouvaient elles-mêmes
solliciter le Tribunal administratif du travail, sans l'étape de l'émission
d'un décret de la part du ministre?
M. Collombat (Thomas) : On
serait à ce moment-là dans une situation où oui, de toute évidence,
l'intervention politique serait moins directe. Donc, sur ce volet-là du commentaire
par rapport au projet, il y aurait une autonomie plus large qui serait laissée.
Mais la décision, en partant, de permettre cette ouverture-là est une décision
politique et qui, d'après moi, vient déséquilibrer ou vient limiter de façon
plus importante le droit d'une des deux parties plutôt que de l'autre.
Le Président (M. Allaire) : 20 secondes.
M. Collombat (Thomas) : Donc,
à ce moment-là, c'est plus en amont que je considérerais que c'est une
intervention politique.
Mme Cadet : Donc, si... Donc,
juste... m'assurer, donc, que j'ai bien saisi, donc, si cette étape-ci, donc,
n'existait pas... Là, je comprends qu'on n'a pas eu le temps d'aborder, donc,
l'article 5 du projet de loi. Mais, pour vous, donc, il y a quelque chose
de fondamental dans l'émission du décret?
M. Collombat (Thomas) : Oui.
Le Président (M. Allaire) : Merci.
Malheureusement, ça fait fin à ce bloc d'échange. On poursuit avec le deuxième
groupe d'opposition. M. le député d'Hochelaga-Maisonneuve, 4 min 8 s.
M. Leduc : Merci beaucoup, M.
le Président. M. Collombat, bonjour. Je suis... Juste un petit mot sur le...
l'aspect, là, militant de votre présence ici. Tu sais, juste avant vous, il y a
M. Royer, professeur Royer qui est venu défendre une opinion qui était très
favorable au projet de loi, puis personne ne l'a traité de militant dans son
intervention. Donc, moi, je m'étonne qu'on ait souligné ça à votre égard, je le
regrette.
Cela dit, parlons du contenu de votre
présentation. J'ai été particulièrement accroché sur le bout... quand vous avez
dit : La possibilité de faire grève est déjà en soi un élément important
dans les relations de travail. Voulez-vous développer un peu là-dessus?
M. Collombat (Thomas) : Bien
sûr. Bien, on a parlé d'ailleurs de... et le ministre, dans son commentaire, a
évoqué le fameux pourcentage de conflits qui étaient réglés... ou de
négociations, pardonnez-moi, qui étaient réglées sans recours à un conflit de
travail et a mentionné de façon tout à fait juste le rôle important joué à cet
égard par le personnel du ministère du Travail.
Ceci étant dit, l'analyse nous montre
aussi qu'un très grand nombre de ces règlements sans recours à un conflit de
travail se font à une minute ou deux minutes du déclenchement d'une grève qui a
été adoptée, votée par les travailleurs et travailleuses. Donc, cet outil est
essentiel dans l'avancement même de la négociation et permet, par sa
possibilité, même quand il n'y a pas un exercice concret, de pouvoir enclencher
un processus et d'amener les parties à négocier.
Donc, à partir du moment où cette
possibilité-là n'existe plus, et sans présumer de la mauvaise foi de personne,
mais on peut présumer, surtout dans le contexte actuel des négociations
collectives, que plusieurs employeurs seraient tentés de dire : Bien, à
partir du moment où il n'y a pas cette menace-là, je ne vais pas avancer, je ne
vais pas continuer.
• (16 h 30) •
M. Leduc : Puis, même si la
menace, elle n'est pas disparue automatiquement, la possibilité - puis vous
faisiez référence à l'aspect politique de la chose - la possibilité d'aller
faire une pression à travers directement le ministre ou éventuellement le
député du parti au pouvoir de sa région pour dire : Là, moi, j'ai un
conflit qui s'en vient, puis ça va toucher la population, etc., cette
tentation-là, pour les patrons, elle va être forte, là.
M. Collombat (Thomas) : Je ne
généraliserais pas, dans la mesure où il peut y avoir des employeurs plus ou
moins enclins à la négociation. Mais le potentiel est là, et le potentiel est
là dans la mesure où c'est là aussi où ça va dépendre de la couleur du
gouvernement en place, et donc des arrangements, et des alliances, et des
proximités qui vont pouvoir exister avec ce gouvernement, d'où ma préoccupation
par rapport à l'aspect politique de ces interventions et au fait qu'elles ne
permettent... qu'elles nuisent à l'autonomie de la négociation. Elles
permettraient, effectivement, d'aller faire jouer le pouvoir politique dans ce
rapport de force là, et ça, ça serait quelque chose d'inquiétant.
M. Leduc : On a fait
référence du côté de la partie gouvernementale parfois au fait qu'en France, ça
existerait, cette limitation-là... du service minimal, etc., mais c'est comme
si on oubliait aussi tout le...
16 h 30 (version non révisée)
M. Leduc : …de choses qui
existent dans le droit du travail français. Puis vous dites que vous faites des
analyses comparées. Je pense entre autres au droit de grève en France, qui est
beaucoup plus large, là. On peut le faire à peu près n'importe quand, on peut faire
une grève de solidarité, même si ça ne concerne pas nos propres conditions de
travail. Est-ce que c'est quelque chose qu'on pourrait importer ici, tant qu'à
faire, si on ouvre la porte aux importations françaises?
Le Président (M. Allaire) :
Une minute.
M. Collombat (Thomas) : Je
suis toujours très prudent dans les comparaisons internationales de cet ordre,
parce que, si on commence à vouloir comparer avec ce qui se passe en France, on
va… il va falloir… Ce n'est pas, si vous voulez, un buffet où on peut choisir
ce qu'on veut, puis mettre de côté ce qu'on ne veut pas. Effectivement, il peut
y avoir une limitation à un certain conflit, mais on a aussi des conventions
collectives de branches qui couvrent l'ensemble des salariés, qu'ils soient
syndiqués ou pas. On a un droit de grève qui est constitutionnalisé, en France,
il est dans le préambule de la Constitution. On a effectivement eu des… aussi
des modes de représentation collective dans les entreprises, en plus des
organisations syndicales. Donc, il y a beaucoup d'autres choses qui viennent
expliquer que ce droit-là spécifiquement est traité de cette façon-là. Donc, il
faut être très prudent dans ce genre de grande comparaison et effectivement,
regarder la situation de façon beaucoup plus générale.
Le Président (M. Allaire) : Ça
termine?
M. Leduc : Ça termine. Merci
beaucoup.
Le Président (M. Allaire) : Merci
beaucoup, M. Collombat, pour votre contribution à cette commission. Nous allons
suspendre les travaux pour permettre à l'autre groupe de s'installer. Merci.
(Suspension de la séance à 16 h 33)
(Reprise à 16 h 39)
Le Président (M. Allaire) : Alors,
nous allons reprendre les travaux. On accueille notre prochain groupe.
Bienvenue. Là, je vais tenter de ne pas massacrer vos noms, je m'en excuse à
l'avance. Mme Rolland, Mme Gesualdi-Fecteau et
Mme Visotzky-Charlebois, bienvenue à cette commission. Alors, vous pouvez
vous présenter, peut-être mieux prononcer votre nom de famille si je l'ai magané
un petit peu, et je m'en excuse à l'avance. Et vous avez 10 minutes pour
faire votre exposé, et va s'ensuivre une période d'échange avec les
parlementaires. Donc, la parole est à vous.
Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) :
Parfait. Merci beaucoup, M. le Président. Merci de nous accueillir aujourd'hui.
Alors, écoutez, Dalia Gesualdi-Fecteau, je suis avocate, professeure de droit à
l'Université Montréal. Je suis accompagnée de ma collègue, Me Anne-Julie
Rolland, qui est aussi professeure de droit du travail à l'Université Montréal,
et ma collègue Maxine Visotzky-Charlebois, qui est avocate et professeure de
droit du travail à l'UQAM.
Alors, on est ici aujourd'hui pour vous
présenter un mémoire qui a été soumis et qui contient des observations de huit
juristes, experts et expertes du droit du travail national et international et
du droit constitutionnel. Je suis consciente que c'est un point intégral qu'on
vous a soumis de 40 pages. Vous nous en excuserez, on est bavards, les
juristes.
Alors, on aimerait d'entrée de jeu faire
part de peut être trois observations, d'entrée de jeu, et je dis d'emblée qui,
pour nous, il ne fait pas de doute, évidemment, de la volonté du législateur
ici de se conformer aux droits fondamentaux, mais de notre point de vue, les restrictions
qui sont posées au droit de grève dans ce projet de loi sont susceptibles
d'être contraires aux droits fondamentaux, à la liberté d'association, plus
spécifiquement, et vont au-delà de l'obligation de maintenir des services
essentiels lorsque l'arrêt de travail risque d'affecter la santé ou la sécurité
de la population. Et on pourra revenir à la période d'échange et de questions
aux décisions du Comité de liberté syndicale qui a été évoquée, évidemment,
pour comprendre un peu la nature et la portée du cadre juridique posé par le
droit international.
• (16 h 40) •
De notre point de vue, et c'est la
préoccupation qu'on met de l'avant dans le mémoire, c'est que ces restrictions
qui sont posées par le projet de loi, qui risquent de poser un défi en termes
de respect du droit fondamental de la liberté d'association qui est garanti par
les chartes, ouvrent très grand la porte à la prolifération de contestations
constitutionnelles et à une judiciarisation accrue des conflits de travail.
Parce que, M. le ministre l'a dit à de nombreuses reprises depuis le début des
travaux parlementaires, ce sera du cas par cas, mais ce cas par cas aussi va
donner ouverture à une analyse par les tribunaux et à une judiciarisation des
relations de travail.
Dans un deuxième temps, ce projet de loi
là, de notre...
Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) :
…points de vue contribuent à l'inflation, à ce que j'appelle, depuis plusieurs
années, l'inflation conceptuelle du droit du travail. L'ajout au Code du
travail de concepts comme le bien-être, la sécurité sociale est, de notre point
de vue, une source de confusion et d'instabilité juridique. Il y a un réel… il
y a un réel risque, de notre point de vue, de complexifier la résolution des
conflits de travail et de se tourner de plus en plus devant les tribunaux pour
connaître leur issue. Bien qu'on soit des juristes, on met quand même en garde
ce risque, parce que, de notre point de vue, c'en est un qui est réel.
Finalement, et je veux le souligner, le
projet de loi, de notre point de vue, donne d'importants pouvoirs au
gouvernement et au ministre, et ces pouvoirs-là, qui sont conférés au ministre
et au gouvernement, soulèvent des enjeux sur le plan de la primauté du droit et
de la prévisibilité du droit. M. le ministre, durant les travaux, a fait état
du caractère exceptionnel des interventions qui seront faites par le
gouvernement ou le ministre en exercice. Nous ne doutons nullement de cette
intention au jour d'aujourd'hui. Il subsiste malgré tout, et c'est là-dessus
qu'on insiste, une importante indétermination quant à la fréquence et au
contexte dans lesquels ces pouvoirs seront utilisés.
Je me permets de souligner que légiférer
et, M. le ministre le sait, parce qu'il l'a fait beaucoup, depuis le début de
ses mandats, c'est un acte pour la postérité et c'est un acte aujourd'hui qui
s'inscrit dans un important contexte d'incertitude. L'inclusion de notre point
de vue au Code du travail de pouvoir discrétionnaire, comme ceux qui sont
confiés au ministre et au gouvernement par ce projet de loi, pourrait, à terme,
avoir pour effet de normaliser les interventions du pouvoir exécutif à
l'intérieur des négociations des conflits de travail.
À cet égard, et ça me fera plaisir d'y
revenir durant la période de questions, les exemples de l'article 107 du
Code canadien du travail, même si on est très conscientes que c'est fortement
différent, ce qui est proposé aujourd'hui, sont quand même fort révélateurs. Je
passe la parole à ma collègue Me Rolland.
Mme Rolland (Anne-Julie) :
Merci. M. le Président, membres de la commission, permettez-moi d'attirer votre
attention sur certains éléments de notre mémoire. Et, bon, je vais me… je vais
tenter, là, de les résumer brièvement pour expliciter notre analyse juridique.
Je vais commencer avec les dispositions qui portent sur l'arbitrage
obligatoire. Et, en ce sens-là, trois éléments, à mon sens, méritent d'être
soulignés à grands traits.
D'entrée de jeu, il m'apparaît nécessaire
d'attirer l'attention de la commission sur le fait que la suppression totale du
droit de grève, à laquelle conduit inéluctablement la mobilisation du pouvoir
spécial du ministre de décréter l'arbitrage obligatoire, contrevient à la
liberté d'association, qui est protégée, comme vous le savez, par les chartes.
Et ce constat, membres de la commission, ne laisse place à aucun doute dans mon
esprit.
Le fait qu'un mécanisme de règlement des
différends se substitue à la grève ne fait pas en sorte que la liberté
fondamentale d'association est pour autant respectée. En fait, ce qu'il faut
retenir, c'est que ce n'est pas une alternative entre le respect de la grève ou
la mise en place d'un mécanisme des différends… de règlement des différends,
pardon. Et c'est ce que confirment plusieurs arrêts rendus par la Cour d'appel
dans les deux, trois, quatre dernières années, dans la foulée de l'arrêt phare
Saskatchewan, dont vous avez certainement entendu parler au cours de la journée
d'aujourd'hui.
Donc, les deux étapes pour conclure à la
violation de la liberté d'association sont : est-ce qu'il y a une entrave
substantielle? Et, le cas échéant, est-ce que cette atteinte-là, elle est
justifiée dans une société libre et démocratique? À notre avis, en ce qui a
trait à l'imposition de l'arbitrage obligatoire, la réponse à la première
question, elle est évidemment affirmative. Et, en ce sens, il y a un réel
enjeu à codifier, à inscrire dans notre droit une telle atteinte. À chaque fois
que ce pouvoir-là spécial sera mobilisé, pouvoir qui est exorbitant, il faudra
que l'État démontre de façon prépondérante que l'atteinte à la liberté
d'association, elle est justifiée. Et cela requiert de démontrer que
l'arbitrage obligatoire constitue une atteinte minimale
Et ce sera, à notre avis, un seuil
difficilement atteignable si le pouvoir spécial est mobilisé de façon
anticipatoire, comme le permet l'actuel article 111.32.2 du projet de loi.
À tout événement, dans tous les cas, c'est une évaluation qui sera éminemment
factuelle, de sorte que les modifications envisagées conduiront, nous pensons,
à une prolifération de contestations judiciaires.
Le… le deuxième élément, pardon, que je
veux mentionner est qu'il n'y a pas de limite temporelle à la liberté
d'association, de sorte que ce que je viens d'exposer vaut que l'arbitrage soit
décrété avant la grève, au début de la grève ou quelques… quelques instants
après le déclenchement de la grève, ou…
Mme Rolland (Anne-Julie) : ...après
un certain temps.
Le troisième et dernier point sur lequel
je veux insister est que l'imposition de l'arbitrage obligatoire en droit
international n'est admissible que pour les services essentiels au sens strict
et pour ceux qui exercent des fonctions d'autorité au nom de l'État. Or, ces
secteurs-là sont actuellement exclus du champ d'application du volet arbitrage
obligatoire.
Donc, ça nous amène à conclure que, par sa
portée générale, le projet de loi contrevient au droit international, en plus
de porter atteinte à la liberté d'association, atteinte à l'égard de laquelle
la justification n'ira pas forcément de soi.
Passons maintenant aux services assurant
le bien-être de la population. En premier lieu, il faut mentionner que
l'imposition du maintien de services minimaux est susceptible de contrevenir
aux chartes, en ce sens que des personnes salariées vont se voir retirer le
droit de participer pleinement à une action concertée dans le cadre de la
négociation de leurs conditions de travail.
Et, comme vous le savez, jusqu'à
maintenant, le Québec a toujours préconisé le critère de la santé et la
sécurité publique comme unique base pour déterminer les services à maintenir
durant un conflit de travail. Et c'est une position qui est conforme aux
enseignements du juge en chef Dickson dans le renvoi relatif à l'Alberta de
1987, dont les propos ont été avalisés sans réserve par la majorité de la Cour
suprême en 2015 dans l'arrêt Ford Saskatchewan. Pourtant, les critères qui sont
retenus dans le projet de loi en ce qui a trait à la sécurité sociale,
économique ou environnementale, qui ne trouvent pas d'écho d'ailleurs dans la
législation québécoise, vont bien au-delà de ce qui a été jugé jusqu'à
maintenant comme pouvant être maintenu durant un conflit de travail, à savoir
ce qui est nécessaire pour préserver la santé et la sécurité publique, pour
assurer la primauté du droit ou la sécurité nationale.
Eu égard au droit international, le projet
de loi ne se limite pas non plus à un service minima de fonctionnement pour
éviter une crise nationale aiguë ou pour préserver des services publics d'une
importance capitale. Et j'espère vraiment avoir l'occasion de revenir plus
amplement durant la période d'échange sur le cas particulier du secteur de
l'éducation qui a fait jaser ces derniers jours.
Donc, en ce sens, il y a un risque réel
que les nouvelles dispositions ne puissent pas justifier une atteinte à la
liberté d'association. Et, en définitive, de façon générale, les modifications
envisagées risquent de conduire à un accroissement considérable de la
judiciarisation des relations de travail quant à l'opportunité de maintenir des
services assurant le bien-être de la population, quant à la suffisance ou la
détermination de ces services, quant à l'existence d'un préjudice grave ou
irréparable qui permettrait au ministre d'exercer son pouvoir et, ultimement,
quant à la conditionnalité même de ces dispositions. Je vous remercie.
Le Président (M. Allaire) : Merci
à vous, Me Rolland. On débute la période d'échange avec la partie
gouvernementale. M. le ministre. Seize minutes 30 secondes.
M. Boulet : Oui. Merci.
Éloquente présentation. Merci de votre présence et de votre contribution.
Évidemment, je ne peux pas passer sous
silence que Me Gesualdi-Fecteau a contribué avec nous pour la préparation d'un
projet de loi pour lutter contre le harcèlement et les violences à caractère
sexuel en milieu de travail. Merci encore. Content de vous revoir.
Puis, évidemment, je me pose toujours la
question comment on peut aussi trouver un équilibre entre les personnes qui
définissent et les personnes qui doivent agir. Tu sais, une société est faite
de personnes. Et j'ai éminemment de respect pour les personnes qui font de la
recherche, qui travaillent de la façon dont vous le faites.
• (16 h 50) •
Je vais peut-être être un peu bavard, là,
Me Gesualdi-Fecteau. Vous m'avez ouvert la porte à parler, je vais parler un
peu, mais j'aimerais ça vous écouter quand même. Vous dites l'équilibre. Parce
que, vous le savez, puis je ne répéterai pas devant vous ce que vous m'avez
entendu dire à plusieurs reprises, il y a un équilibre entre l'exercice d'un
droit soit de grève ou de lock-out et les besoins de la population. Puis,
souvent, je me fais dire : Vous portez atteinte aux droits des
travailleurs, vous diminuez le rapport de force des syndicats. Comment vous me
suggériez, autrement, de trouver un équilibre entre les droits des travailleurs
et travailleuses et les besoins souvent fondamentaux d'une population qui est
souvent vulnérabilisée par des conflits de travail? Puis, on connaît tous
l'arrêt... là, la décision de la Cour suprême en 2015. Mais il y a eu des
événements particuliers comme la pandémie, des événements exceptionnels, il y a
le vieillissement démographique, il y a la pénurie...
M. Boulet : …main-d'oeuvre.
Puis il y a des conflits de travail qui malheureusement engendrent des
préjudices qui sont particulièrement sérieux. On reviendra sur les concepts,
mais je voudrais rapidement… parce que j'ai quelques questions, Me
Gesualdi-Fecteau, puis après ça avec Me Rolland. L'équilibre entre les droits
des travailleurs et les besoins de la population, si vous aviez un conseil à me
partager.
Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : Écoutez,
vous comprendrez que la position qu'on veut occuper aujourd'hui, en tant
qu'experts juristes, en tant qu'universitaires, ce n'est certainement pas de
faire des recommandations sur comment vous allez légiférer, parce que, je vais
vous dire pourquoi... Parce que ce n'est pas le mandat qu'on a aujourd'hui. Si
vous m'aviez mandatée pour présider un comité d'experts, j'aurais procédé autrement.
Là, ce que je vous propose comme analyse,
ce qu'on vous propose, et on est huit à s'être penchés sur la question, depuis
une semaine, c'est vraiment une analyse de la portée du projet de loi eu égard
aux droits en vigueur. C'est ça qu'on vous propose. Et ce qu'on pense, et c'est
le risque qu'on porte à votre attention, c'est les… ce que ça peut causer sur
le plan du climat des négociations et les risques de judiciarisation.
Le risque de judiciarisation est réel.
Vous le savez, c'est d'aller devant les tribunaux, c'est de contester, soit par
le biais d'une contestation de nature constitutionnelle ou pour définir des
nouveaux concepts qui n'existent pas dans notre Code du travail. Et ça, c'est
une empilade de décisions des tribunaux, d'allers-retours vers les tribunaux
supérieurs, vers les tribunaux de première instance. Et ça, ça crée un climat
d'instabilité. Et vous cherchez la stabilité d'un point de vue économique
présentement, la judiciarisation, ça crée de l'instabilité dans les négociations.
M. Boulet : Et c'est
exactement cette stabilité-là qui est revendiquée par les populations en
situation de vulnérabilité. Vous l'avez vécu, vous êtes à Montréal. Les
familles endeuillées qui ont invoqué la dignité humaine, qui voyaient les dépouilles
s'accumuler dans des frigidaires, des parents, des enfants, avec des besoins
particuliers, avec le trouble du spectre de l'autisme ou des enfants en
situation de handicap, des personnes qui ne pouvaient pas, parce qu'ils ont des
faibles revenus… On nous mentionnait ce matin que 50 % des personnes qui
gagnent moins de 30 000 $ profitent du transport collectif. Mais il y a
beaucoup d'exemples, Me Gesualdi-Fecteau, puis votre réponse est très claire,
puis je la respecte. Mais c'est tout le temps ce qu'un professeur d'histoire
m'avait déjà dit, tu vas voir, il y a des définisseurs de situation puis il y a
des gens d'action. Puis, dans la position que je suis, je dois agir, puis dans
votre position, vous devez définir, ce que vous faites super bien. Puis je
comprends que, s'il y avait eu un comité d'experts, vous auriez peut-être fait
des recommandations, mais il n'est jamais trop tard.
Le deuxième élément qui m'intéresse, vous
parlez d'inflation conceptuelle qui crée de la confusion. Si je vous disais, moi,
que ces concepts-là sont éprouvés, ont déjà été analysés puis ils visent à
réduire l'entrave, puis ils visent aussi à ce que l'atteinte soit la plus
minimale possible. Et entre la confusion, que je nie, et les préjudices à des
populations vulnérables, que nous devons atténuer ou éliminer, je choisis la
deuxième option. Qu'est-ce que vous me répondez à ça? Êtes-vous d'accord avec
moi ou non?
Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : Écoutez,
je vais peut-être laisser mes collègues ensuite réagir. Je ne veux pas monopoliser
le micro, là, mais la sécurité économique, prenons ce terme-là. De quoi
parle-t-on quand on parle de sécurité économique? De quoi parle-t-on quand on
parle de sécurité sociale? Ce sont des termes… et même la question de la
population vulnérable, M. le ministre, je vais me permettre de le dire, de mon
point de vue, des personnes endeuillées, des enfants lourdement handicapés, il
y a, il me semble là, une conceptualisation de la vulnérabilité qui obéit à des
principes, je vais me le… je vous le dis avec respect, à géométrie variable.
Et là, je pense que la notion même de
vulnérabilité ici est en jeu. De quoi parle-t-on? Et on superpose à ça les
trois formes de sécurité qui sont ajoutées dans le projet de loi. Ces termes-là
vont devoir être définis, et ce seront les tribunaux qui devront le faire et,
comme vous l'avez dit, au cas par cas.
M. Boulet : Mais il n'y a pas
une loi, maître, qui ne requiert pas des difficultés d'interprétation ou
d'application. Vous le voyez même avec les conventions collectives de travail.
C'est la raison pour laquelle il y a des griefs ou des différends, parce qu'il
y a des problématiques. Mais, ces termes-là, encore une fois, je veux vous
confirmer que ça vise à diminuer l'entrave et à s'assurer que l'atteinte soit
la plus minimale possible. Je veux faire des commentaires quand vous
dites : Il y a un risque de normalisation des interventions du pouvoir
exécutif. On a fait…
M. Boulet : ...extrêmement
attention à ce que le pouvoir exécutif ne s'exprime que de façon extrêmement
limitée. Vous l'avez vu, il y a deux mécanismes. Le premier, c'est un décret.
Mais ce n'est pas le gouvernement qui décide. C'est une des parties qui peut
demander au Tribunal administratif du travail, composé de personnes indépendantes
et impartiales, qui détermine si les critères sont rencontrés. Si elles ne le
sont pas, c'est la décision que nous allons respecter. On est dans un État de
droit. Si le tribunal décide que oui, les parties ont à négocier le contenu des
services minimalement requis pour assurer la sécurité ou pour éviter que la
sécurité de la population ne soit affectée de façon disproportionnée.
Donc, il n'y a pas d'intention et il n'y
aura pas de réalité de normalisation de l'intervention du pouvoir exécutif. Au
contraire, il faut que ce processus-là soit le plus apolitique possible, le
plus indépendant possible.
Et le deuxième mécanisme, c'est la même
chose, le préjudice grave ou irréparable. Vous savez que ça a été analysé. Il y
a des parties qui nous ont demandé que ce soit «sérieux» plutôt que «grave».
Mais, même dans les contextes d'injonction interlocutoire provisoire, c'est des
concepts qui ont été analysés fréquemment. Ce n'est pas nouveau. Et, encore une
fois, c'est consécutif à l'intervention d'un conciliateur-médiateur, et que ça
n'a pas donné de résultats.
Autre commentaire. Je vais aller à Me
Rolland après ça. Mais, quand on fait des comparaisons avec 107 du Code
canadien du travail, je regrette, là, puis je ne le lirai pas parce que vous
êtes trois personnes qui le connaissez bien, il y a tout un écart. En fait, on
a voulu donner une intelligence, on a voulu donner des balises. Puis on a
utilisé des concepts qui sont vraiment une dégénéralisation de 107 du Code
canadien du travail et une diminution considérable de ce qu'on peut appeler un
pouvoir discrétionnaire.
Me Rolland, vous dites : Suppression
du droit de grève. Je ne vois pas où on supprime le droit de grève. Il y en a
qui nous demandent que ça devrait l'être au départ. On n'en est pas là. Et, même
pendant la négociation, suivant le premier mécanisme des services minimalement
requis et même avant la déférence à un arbitre de différends, dans le deuxième
mécanisme, le droit de grève ou, il ne faut pas l'oublier, le droit de lock-out
peut s'exercer. Est-ce qu'on est... C'est parce que je veux juste qu'on se
comprenne bien. Il n'y a pas suppression du droit de grève.
Mme Rolland (Anne-Julie) : En
fait, tout dépend dans quand s'exerce le pouvoir discrétionnaire du ministre,
là. Quand on est dans le contexte de l'arbitrage obligatoire, au moment où le
ministre mobilisera son pouvoir spécial, il y aura à ce moment-là interruption
du conflit. Et c'est en ce sens-là que, tout à l'heure, je vous mentionnais
qu'il n'y a pas de limite temporelle à la liberté d'association.
Et, le cas qu'on vous a mentionné dans
notre mémoire à cet égard-là, c'est le cas de la loi spéciale qui a visé les
juristes de l'État et qui a été adoptée, vous le savez sans doute aussi bien
que moi, après plus de quatre mois de grève. Ce qui n'a pas empêché par
ailleurs la Cour supérieure et la Cour d'appel de confirmer qu'il y avait eu
atteinte à la liberté d'association, malgré le fait que la grève avait pu être
exercée pendant un certain temps. Et, en ce sens-là, il n'y a pas de limite
temporelle.
Donc, de mon point de vue, si le ministre
mobilise son pouvoir pour déférer à l'arbitrage obligatoire, et la conséquence
de cette décision-là, qui est discrétionnaire, entraîne l'arrêt de la grève, il
y a suppression du droit de grève.
Mais permettez-moi quand même de revenir
sur l'élément du Tribunal administratif du travail. Vous mentionnez que c'est
un organe indépendant, nous sommes tout à fait d'accord, organe qui a la
confiance des parties prenantes, des parties négociantes. Mais, cela dit, il
faut quand même mentionner que l'attribution de compétence du Tribunal
administratif du travail est tributaire de l'exercice d'un pouvoir spécial qui
est conféré, pour ce qui est de l'arbitrage obligatoire, au ministre du Travail
ou, pour ce qui est de l'assujettissement des services de bien-être, au
gouvernement.
• (17 heures) •
M. Boulet : ...avec vous.
Cependant, ce pouvoir-là est assujetti à un préjudice grave ou irréparable à la
population. Ce n'est pas un pouvoir qui est purement discrétionnaire, comme ce
qui est prévu à l'article 107 du Code canadien du travail.
Puis, autre commentaire, Me Rolland. Mais
je vous comprends, là, tu sais, je sais qu'il y a une cessation à ce moment-là
de l'exercice du droit de grève. L'entrave substantielle, vous nous partagez
votre commentaire, ça va prendre une justification au cas par cas. Moi, là, je
le répète, là...
17 h (version non révisée)
M. Boulet : …que sera
tellement exceptionnel qu'année après année ce sera très, très peu utilisé. C'est
ma conviction. Et je dis une fois, deux fois, trois fois, peut-être que je me
trompe, puis est des critères qui auront à être éprouvés, quand même, par le
Tribunal administratif du travail.
Vous référez à une atteinte minimale
difficilement atteignable. Puis je reprends votre concept. Vous avez dit «difficilement
atteignable». Je suis exactement du même avis que vous. C'est pour ça que le
projet de loi doit s'assurer de freiner les interventions, doit s'assurer de
limiter autant que possible l'utilisation d'un des deux mécanismes qui est
prévu dans le projet de loi. Ça fait que là-dessus, on se rejoint aussi assez
bien.
Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : Est-ce
que... Est-ce que vous me permettez? Juste peut-être sur 107, parce que je veux
brosser le parallèle du pouvoir discrétionnaire. Alors, l'article 107,
vous avez tout à fait raison, complètement différent de votre projet de loi. On
est d'accord. Maintenant, l'article 107 a été mis dans le Code canadien en
1986. la première fois qu'il a été utilisé pour intervenir pour… pour agir dans
une grève, c'était en 2011, une fois, 1986, 2011. En 2024 : Quatre fois.
M. Boulet : Je le sais. Je le
sais. Je le sais.
Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : Donc,
c'est là-dessus qu'on parle du pouvoir discrétionnaire et on ne doute pas de
vos intentions, M. le ministre. On ne doute pas des intentions du législateur
au jour d'aujourd'hui. Ce qu'on dit, c'est qu'un pouvoir discrétionnaire
conféré à l'exécutif, au gouvernement ou au ministre, qu'on met dans un code du
travail, pour agir sur un conflit de travail, c'est une boîte de Pandore qu'on
ouvre, qui peut être mobilisé. On ne sait pas à quelle fréquence et on ne sait
pas à l'égard de quel contexte.
Et j'insiste sur le principe de
prévisibilité, de primauté du droit qui exige que les citoyens, citoyennes, il
y ait une égalité devant la loi. Et là ce pouvoir discrétionnaire là pose ce
défi-là. Pourquoi? Parce que : Dans quel contexte on va utiliser le
pouvoir discrétionnaire? Dans quels secteurs? Pour quels conflits, à quel
moment? Bien, tout ça dépend, d'abord, l'activation de ça, c'est la discrétion
du ministre ou du gouvernement. Et c'est simplement ça qu'on veut soulever
comme étant un enjeu sur le plan des principes de primauté du droit.
M. Boulet : Je le comprends,
puis je le respecte, puis je suis assez d'accord. En même temps, c'est une
discrétion qui est contrôlée, je le répète, qui est soumise à un respect de
critères qui sont bien établis dans la loi, dans la loi en devenir, et qui vont
devoir être appliqués au cas par cas par le Tribunal administratif du travail.
Puis je le sais que, si c'était appliqué
trop sommairement, de manière trop discrétionnaire, un, ça ne passerait pas la
rampe du Tribunal administratif du travail. Et il y a un risque de contestation
judiciaire au cas par cas, si c'est appliqué de manière incompatible avec les
concepts qui sont dans le projet de loi. Encore une fois, on accroît les
risques constitutionnels. Mais je comprends que l'imposition de l'arbitrage
obligatoire est un mécanisme où il y a un peu plus un pouvoir discrétionnaire, mais,
je le répète, ça doit être précédé par la démonstration d'un préjudice grave ou
irréparable.
Et, au Québec, parce qu'il y a des
syndicats qui nous ont fait référence à l'importance d'améliorer les processus
de négociation en amont… c'est ce qu'on fait constamment par les services,
comme je l'ai mentionné, d'amélioration des relations de travail par l'aide à
la négociation d'une première ou d'un renouvellement de convention par une
expertise, maintenant, qui est reconnue partout, de nos… de nos hommes et
femmes qui font de la conciliation médiation.
Ça fait que je suis assez fier que la
majorité des dossiers se règlent. Ça appartient aux parties. On ne veut pas s'impliquer,
mais il y a une augmentation considérable de conflits et une augmentation
considérable de conflits qui ont des impacts malheureusement préjudiciables sur
des personnes qui crient parfois leur désarroi et leur vulnérabilité engendrés
par ces conflits-là. Ça fait que merci beaucoup, on aura certainement l'occasion
de vous reparler puis on… peut-être qu'on se parlera de recommandations
potentielles aussi. Me Rolland, merci, Me Gesualdi-Fecteau, aussi, et Me Visotzky-Charlebois
aussi. Merci de votre contribution.
Le Président (M. Allaire) : Merci.
Merci, M. le ministre. On enchaîne avec l'opposition officielle, Mme la députée
de Bourassa-Sauvé, 10 minutes, 24 secondes.
Mme Cadet : Merci beaucoup, M.
le Président. Bonjour, Mesdames, merci beaucoup de nous partager votre
expertise aujourd'hui. C'est très éclairant. Je pense que je vais commencer sur
la question d'arbitrage obligatoire parce qu'on a moins eu l'occasion de l'aborder
avec ceux qui vous ont précédés. Et c'est également le sujet sur lequel nous
nous sommes laissés… en fait, vous vous êtes laissé dans votre échange avec le
ministre, et notamment, donc, sur la question de l'emploi, donc, de… du…
Mme Cadet : ...du pouvoir
discrétionnaire. J'aimerais vous entendre donc sur la constitutionnalité de cet
emploi-là en droit du travail et surtout en regard du poids que ce pouvoir-là
occupe en regard de l'imposition unilatérale de conditions de travail. Je vous
explique. On le sait, donc, bon, depuis, bon, 2015, donc, la question, donc,
des lois spéciales... de la constitutionnalité des lois spéciales, donc, est de
plus en plus fragilisée, notamment parce qu'il y a l'exercice d'un pouvoir
discrétionnaire, mais aussi parce qu'il y a la question de... la question de
l'imposition unilatérale, donc, de conditions de travail. C'est ce qu'on a
d'ailleurs vu dans l'arrêt Saskatchewan, où, à ce moment-ci, donc, la décision
qui était contestée devant les tribunaux portait sur le projet de loi adopté et
ensuite sanctionné en 2008 au Saskatchewan... en Saskatchewan, où, en cas,
donc, de désaccord dans les services essentiels octroyés à la population,
l'employeur pouvait, de façon unilatérale, donc, imposer quels seraient ces
services. Et c'est d'ailleurs cet élément-là qui a été fortement remis en
question.
Donc, j'aimerais, donc, vous entendre,
donc, sur ce cadre-là et comment le... comment, donc, cet exercice-là, donc,
doit normalement être encadré et sa... le poids qu'il occupe, là, lorsqu'on...
lorsque ces décisions-là, donc, sont contestées devant les tribunaux en regard
de la question des positions unilatérales.
Mme Rolland (Anne-Julie) : En
fait... Merci pour votre question. La raison pour laquelle le droit de grève a
été constitutionnalisé en 2015, c'est justement parce qu'il permet aux
personnes salariées de négocier leurs conditions de travail. C'est une arme
économique de dernier recours. Et c'est pour cette raison-là que, d'entrée de
jeu, je vous mentionnais que l'imposition d'un arbitrage obligatoire - et
j'exclus les cas, les secteurs très restreints où on a jugé que c'était permis,
l'exemple évident, les policiers, par exemple - constitue une atteinte à la
liberté d'association. Et c'est pour cette raison-là que je vous mentionnais
qu'il ne faut pas considérer que c'est une alternative, soit l'exercice de la
grève ou la substitution de la grève par un mécanisme de règlement des
différends.
Et, en ce sens-là, selon ma compréhension
de l'état du droit actuel, si on décrète un arbitrage obligatoire, il y aura
donc atteinte à la liberté d'association, et c'est en suite de ça, dans un
deuxième temps, si on veut qu'il y aura une obligation pour l'État de justifier
le recours à l'arbitrage obligatoire. Et, bon, il y a un test, là, que vous
connaissez peut-être, là, qui devra être rempli. Pardon?
Mme Cadet : ...
Mme Rolland (Anne-Julie) : Oui,
exactement. Que, bon, l'État poursuit un objectif urgent et réel et que, l'atteinte,
elle est proportionnelle, et c'est à ce niveau-là que va s'évaluer le mécanisme
de substitution, le mécanisme de règlement des différends. Et là, la
jurisprudence est assez claire en termes de critères qu'il faut respecter pour
que ce mécanisme-là soit valable. Et c'est, entre autres, en raison des lacunes
des mécanismes d'arbitrage que les deux dernières lois spéciales qui ont été
adoptées au Québec, en 2017 dans l'industrie de la construction et le cas que
je mentionnais tout à l'heure, les juristes de l'État, les deux lois spéciales
ont été invalidées sur cette base-là, en raison des paramètres, disons,
insuffisants, là, si je simplifie, du mécanisme de règlement des différends.
Mme Cadet : D'accord. Oui, Me
Gesualdi-Fecteau.
Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : Je
vais peut-être passer la parole à ma collègue qui va peut-être vous éclairer
sur la question du comité de la liberté syndicale. Ça me semble important.
Mme Cadet : Oui. On peut...
On peut aller tout de suite là-dessus. Oui.
Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : Ça
me semble important, parce qu'on en a beaucoup parlé. Je pense qu'il faut
préciser certaines choses sur la portée des décisions du comité de la liberté
syndicale et comment il peut éclairer le législateur ici dans le cadre des
travaux parlementaires.
Mme Cadet : Merci.
• (17 h 10) •
Mme Visotzky-Charlebois
(Maxine) : Parce que c'est vrai qu'il est question, donc, devant le
CLS, du maintien des services… fonctionnement, mais c'est possible dans trois
situations. La première, c'est essentiellement les services essentiels, là,
qu'on connaît, au sens strict du terme. La deuxième situation, c'est des
services, donc, qui ne sont pas essentiels au sens strict du terme, mais où les
grèves atteignent une certaine ampleur et durée. Et on considère alors là que
ça pourrait provoquer une crise nationale aiguë qui menacerait les conditions
normales d'existence de la population.
Et la troisième situation, on parle de
services publics d'importance primordiale. Puis les activités qui sont
discutées devant le CLS, il est question d'activités portuaires, de débardage,
de transports en commun, de métro, de transport par rail, où ça, ce sont déjà
tous des éléments qui sont inclus, là, dans nos notions de service public, que ce
soit le Code canadien ou le Code du travail. Il est aussi question du secteur
de l'éducation, mais, dans ce cas-là, on parle d'une grève prolongée…
Mme Visotzky-Charlebois (Maxine) :
…c'est pour ça qu'on dit que les dispos envisagées dans le projet de loi,
telles qu'elles sont formulées, sont trop larges et débordent du cadre établi
par le droit international.
Mme Cadet : Merci beaucoup
pour ces précisions. Parce qu'effectivement je m'en allais, donc, sur cette
question-ci, puis je reviendrai peut-être avec des précisions quant à la
question précédente que j'ai posée. Ici, donc, je comprends, donc, bon, crise
nationale aiguë, donc les services essentiels tels que nous les connaissons,
Services publics d'importance primordiale. Et, pour le secteur de l'éducation,
en matière, donc, de grève prolongée, est-ce qu'il y a des... Bien, en fait,
est-ce qu'il y a un cadre lorsqu'on parle donc de grève prolongée selon le
droit international?
Mme Rolland (Anne-Julie) : En
fait, c'est une question de contexte, et je pense que c'est un bon exemple,
celui-là, pour illustrer les enjeux que posent les dispositions telles que
rédigées actuellement dans le projet de loi. Je prends l'exemple des dernières
grèves des enseignantes, à l'automne 2023, la durée de la grève a varié
d'une association à l'autre, variant de quelques jours à quelques semaines
selon l'association. Est-ce dire que le gouvernement, en tenant pour acquis
qu'il se conforme au droit international, là, aurait pu mobiliser le pouvoir
que lui confère l'éventuel article 111.22.4? Pour une association, mais
pas pour l'autre? Puisque, dans un cas, on n'est pas en présence de grèves
prolongées.
Et vous voyez que c'est un exemple concret
qui met en cause le principe d'égalité devant la loi, qui rejoint le principe
de primauté du droit qui est enchâssé dans la constitution. Parce qu'on se
retrouve avec des associations différentes, mais qui négocient dans le cadre
d'un même conflit de travail et qui négocient les conditions de travail d'une
même catégorie d'emploi, qui se verraient, hypothétiquement, bien sûr, là, mais
assujetties à un régime juridique différent. Et c'est pour cette raison-là
qu'on pense que le projet de loi met en cause des enjeux fondamentaux tels que
ceux de la primauté du droit et de l'égalité devant la loi.
Mme Cadet : Merci beaucoup.
Oui, vous vouliez… poursuivre.
Une voix : Non, allez-y.
Mme Cadet : Parfait. Merci. Je
vais revenir, donc, à la question de l'emploi du pouvoir exécutif, dont nous
avons discuté un peu plus tôt. Je ne sais pas si vous avez entendu, donc, votre
prédécesseur, donc, je lui posais la question sur laquelle… sur… je posais,
donc, la question, donc, concernant l'émission d'un décret. Donc, vous l'avez
mentionné à 111.22.4, qui est prévu à… qui est introduit par l'article 4
du projet de loi. Donc : «Le gouvernement peut, par décret, donc,
désigner l'association accréditée et l'employeur à l'égard desquels le tribunal
peut déterminer si les services assurant le bien-être de la population doivent
être maintenus en cas de grève ou de lock-out.»
Votre prédécesseur, pour lui, donc, la
question de l'émission du décret, pour cet article-ci, contribuait à une
certaine politisation du dossier. On le sait, donc, dans notre régime de
services essentiels, donc, ce mécanisme-là n'existe pas. Donc, le tribunal peut
d'office, s'il, bon, croit que… bon, le… que les conditions, donc, sont
remplies, ou les parties elles-mêmes peuvent saisir le tribunal, pour qu'il y
ait détermination de ces services essentiels, donc en regard, donc, des
critères qui sont bien établis. Donc, selon vous, est-ce que l'émission du
décret en tant que telle ajoute un risque accru quant à… bon, on a parlé de
politisation plutôt, là, mais est-ce que vous pensez qu'ici, donc, il y a… en
fait, quel mécanisme, selon vous, aurait une atteinte la plus minimale possible
à la liberté d'association en l'espèce?
Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : Dans
les deux interventions qui sont proposées, autant sur le plan des services de
bien-être que pour le… ce qui s'appelle… la section qui s'appelle sur le
pouvoir spécial, on assiste à un glissement. Historiquement, quand l'État a
voulu intervenir dans des conflits de travail, il le faisait par le biais d'une
loi spéciale, qui était débattue en Chambre et qui était l'issue d'un processus
démocratique. Ici, ce qui nous semble risqué, c'est qu'il y a un glissement
entre le pouvoir législatif vers le pouvoir exécutif, qu'on soit dans un décret
gouvernemental ou dans l'intervention du pouvoir du ministre de déférer à un
arbitre pour déterminer les conditions de travail, c'est ça, le problème. C'est
le glissement entre le pouvoir législatif vers le pouvoir exécutif, et, ce
faisant, le caractère discrétionnaire, c'est de ça… c'est de ça dont on parle.
Et la question de la primauté du droit, la prévisibilité du droit, l'égalité
devant la loi, ce sont des piliers de notre démocratie. Et on est conscients
que, oui, le TAT aura le pouvoir, en termes de services de bien-être, de se
prononcer, mais, en amont, ça part de l'activation d'un pouvoir de l'exécutif.
Mme Cadet : Oui…
Le Président (M. Allaire) :
20 secondes.
Mme Cadet : Merci. Donc, s'il
n'y avait pas l'émission d'un décret, selon vous, il y aurait une atteinte
moindre à la liberté d'association à cet article-là?
Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : C'est-à-dire
qu'on a déjà un régime de services essentiels, dans la loi, qui est encadrée.
Et là, ce qu'on fait avec cette première partie là, du projet de loi, c'est qu'on
superpose un nouveau régime…
Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : …et
qui… et j'insiste là-dessus…
Le Président (M. Allaire) :
Merci… merci, merci.
Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) :
…pourra se faire…
Le Président (M. Allaire) : Peut-être
poursuivre si le député d'Hochelaga-Maisonneuve souhaite que vous vous
terminiez votre réponse. La parole est à vous, M. le député, pour
3 min 28 s.
M. Leduc : Terminez donc
votre réponse.
Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : Alors,
je vais vous donner l'exemple, on en a… on entendu, ce matin, la question des
services de transport en commun. Alors, par exemple, à la STM, à Montréal, il y
en a, des services essentiels qui sont encadrés par les dispositions qui
existent présentement dans le Code du travail. Alors, on pourrait assister à un
cas où on essaie d'abord de faire avaliser des services essentiels dans ce qui
existe déjà dans le code, puis, si ça ne marche pas, on passe à la deuxième
étape, c'est-à-dire par le biais d'un décret, l'intervention du TAT. Quand on
parle… quand on fait état de la confusion, de la complexité, du risque de
judiciarisation, l'exemple des transports en commun est un exemple patent de
notre point de vue.
M. Leduc : Donc, en ayant
établi un régime parallèle, il vient un peu comme en contradiction avec le
régime principal des services essentiels, ou le dialogue n'est pas très clair
entre les deux, là.
Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : Bien,
c'est-à-dire que ce qu'il fait, c'est qu'il superpose un régime, hein, il
superpose un régime à... On avait des services essentiels balisés. Maintenant,
on a des services de bien-être avec trois formes de sécurité qui sont… Et, dans
certains secteurs, on pourrait imaginer que c'est l'un ou l'autre qui pourrait
intervenir, et voir les deux successivement.
M. Leduc : On y va à la carte,
finalement.
Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : Et
les deux… ou les deux successivement…
M. Leduc : …ou les deux en
même temps. Qu'est-ce qui va se passer, dans les prochains jours, prochaines
semaines, si, par malheur, le projet de loi est adopté, au niveau du TAT? Parce
que, là, on parlait tantôt des critères qui sont extrêmement larges. Comment ça
va marcher? Est-ce qu'ils vont au TAT devoir se pencher d'avance sur
l'interprétation de ces critères-là? Est-ce qu'ils vont attendre d'avoir un
cas? Est-ce que vous êtes familiers un peu, là, avec le milieu?
Mme Rolland (Anne-Julie) : À
entendre les propos du ministre, ça n'arrivera pas de sitôt, puisque c'est un
pouvoir qui ne sera exercé que de façon exceptionnelle. Donc, on peut penser
que ça prendra un certain temps, mais le Tribunal administratif du travail, en
tant que tribunal, se prononcera sur des faits qui lui seront amenés, et va donc
interpréter ces nouvelles dispositions là, qui n'ont pas d'équivalent dans la
législation, sauf peut-être, j'en conviens, la notion de préjudice grave ou
irréparable, et va devoir, à l'aune du cas qui lui sera soumis, interpréter ces
nouvelles dispositions là, ces nouveaux concepts.
M. Leduc : Quant aux délais,
moi, je mets mon petit 2 $ sur le fait que, s'il y a la grève de… générale
des éducatrices en CPE, ce délai va être appliqué extrêmement vite. On verra
bien. Qui vivra verra. Est-ce que c'est…
Le Président (M. Allaire) : …
M. Leduc : Merci. Est-ce que
c'est réaliste de penser… On a une annonce même aujourd'hui, par les collègues,
notamment, de la FTQ, ça va être contesté le jour un de son adoption, ce… cette
loi-là. On pense que ça va… Une Cour suprême, ça dure quoi, à peu près
10 ans avant de se rendre là, grosso modo, quelles sont les chances de
succès d'une contestation?
Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : Écoutez,
on ne va pas se prononcer sur les risques de succès d'une contestation. Ce
serait très mal avisé de notre part. Mais ce qu'on… ce qu'on sait, par contre,
c'est qu'à chaque décision du TAT, à chaque fois que le ministre active son
pouvoir spécial, ça pourra faire l'objet d'une contestation sur la base des
chartes. Et le cas par cas, c'est ça, le risque, et le ministre l'a évoqué à
plusieurs fois dans le cadre des travaux ici, ce sera du cas par cas, et c'est
ce cas par cas là, et on le voit avec l'article 107 du Code du travail, je
répète, pas du tout la même chose que le projet de loi qui est devant nous,
mais chaque intervention du ministre va donner l'objet à une décision sur le
plan de la conformité de cette action-là, qui a été prise aux chartes.
M. Leduc : Donc, en plus de
la contestation de la loi, il y aura aussi une possible contestation à chacune
des décisions du ministre.
Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : C'est
tout à fait possible. C'est ça, le risque de judiciarisation, et c'est à ça
qu'on vous met en garde.
Le Président (M. Allaire) : Merci.
M. Leduc : Merci.
Le Président (M. Allaire) :
Malheureusement, ça met fin à ce bloc d'échange. On poursuit avec la députée de
Jean-Talon, 2 min 38 s.
M. Paradis : Vous êtes trois ici
avec nous, mais, en réalité, vous êtes huit experts et expertes dans les
matières du projet de loi à nous informer aujourd'hui de risques très
importants si on adopte ce projet de loi là. Vous nous… vous attirez, en fait,
notre attention sur le troisième paragraphe de l'article 111.32.2, où on
dit que «la grève ou le lock-out en cours prend fin à la date et à l'heure
indiquée dans l'avis que le ministre a transmis s'il estime qu'une grève ou un
lock-out cause ou menace de causer un préjudice grave.»
• (17 h 20) •
Ça, vous nous dites… en fait, vous mettez
des mots là-dessus, puis je trouve ça intéressant. Vous dites que ça, c'est une
suppression du droit de grève. Et vous nous rappelez qu'en soi une suppression
du droit de grève, c'est une violation, c'est une… c'est une violation grave
d'un droit garanti par les chartes, comme l'ont répété la Cour suprême, la Cour
d'appel à quelques reprises. C'est exactement ce qui s'était passé dans
l'affaire Saskatchewan. Et vous dites que, si on fait ça dans un projet de loi,
c'est une banalisation d'une violation au droit. C'est bien ce que vous nous
dites?
Mme Rolland (Anne-Julie) : Tout
à fait. C'est une banalisation en ce sens qu'on vient codifier, on vient
inscrire dans notre droit une disposition qui a…
Mme Rolland (Anne-Julie) :
...le potentiel, si elle est mobilisée, de porter atteinte à la liberté
d'association, tout à fait.
M. Paradis : Le ministre nous
dit, c'est ça qu'il a dit dans l'échange avec vous, il a dit : Oui, mais,
croyez-moi, ça va être exceptionnel. Est-ce que vous vous voyez quelque part
dans l'article 111.32.2, que c'est écrit ça, que ça va être exceptionnel?
Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : C'est
le risque d'inscrire. Et je répète, c'est un risque, ce n'est pas un risque
avéré au moment où on se parle, mais c'est un risque d'ouvrir un pouvoir
discrétionnaire comme celui-là et qu'il soit mobilisé de façon indéterminée. Et
l'exemple de l'article 107 en est un excellent, adopté et introduit en
1986, utilisé une fois en 2011, quatre fois en 2024.
M. Paradis : Et vous nous
dites qu'à chaque fois que le ministre va prendre cette décision-là, ça va
entraîner une prolifération de recours judiciaires, et c'est l'État, donc ça va
donner beaucoup de beau travail aux avocats, parce qu'à chaque fois il va
falloir faire la preuve que c'était justifié, cette décision-là. C'est bien ce
que vous nous dites. Donc, ce n'est pas de la stabilité que vous prédisez,
c'est beaucoup, beaucoup d'activités devant les tribunaux.
Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : C'est
ce qu'on essaie de vous démontrer dans notre mémoire, qui fait près de
50 pages.
M. Paradis : Et non seulement
des tribunaux nationaux, mais aussi éventuellement internationaux parce que
c'est une violation du droit international que vous... à laquelle vous pointez
aussi.
Mme Gesualdi-Fecteau (Dalia) : Il
n'est pas impossible que le Comité de la liberté syndicale soit saisi.
D'ailleurs, une des décisions sur le secteur de l'éducation émane du Canada.
Le Président (M. Allaire) : Merci.
Merci. Ça met fin à l'ensemble des blocs d'échange. Me Rolland, Me
Gesualdi-Fecteau, Me Visotzky-Charlebois, merci énormément pour votre belle
contribution à cette commission.
On suspend les travaux quelques instants.
Merci.
(Suspension de la séance à 17 h 23)
(Reprise à 17 h 29)
Le Président (M. Allaire) : Alors,
nous allons reprendre les travaux. On accueille le dernier groupe de cette
journée. M. Murray, Mme Laroche et M. Jalette, bienvenue à cette
commission. Je vous laisse le soin de vous présenter avec votre titre complet
si vous le souhaitez et je vous cède la parole, là, tout de suite après, là,
pour votre 10 minutes d'exposé. Va s'ensuivre une période d'échange avec les
parlementaires. La parole est à vous.
Mme Laroche (Mélanie) : Bien,
M. le Président, M. le ministre, messieurs, mesdames les députés, merci d'abord
de nous recevoir dans le cadre de ces consultations particulières sur le p.l. n° 89.
Mon nom est Mélanie Laroche. Je suis accompagné de mes collègues Gregor Murray,
Patrice Jalette. Nous sommes tous les trois professeurs titulaires à l'École de
relations industrielles de l'Université de Montréal et nous sommes chercheurs
également au Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le
travail. Donc, nous ne sommes pas juristes, nous l'annonçant d'entrée de jeu et
nous venons, pour cette fin de journée, vous donner certaines observations très
axées sur nos recherches en matière de relations de travail, négociation collective
et très inspirée, je vous dirais, par la thèse du livre qu'on fait lire à tous
nos étudiants en relations industrielles, et ça s'appelle Why a balance is
best. Donc, nos commentaires vont être beaucoup axés sur l'équilibre des forces
dans le système de relations de travail.
Donc, je vais céder tout de suite la
parole à mon collègue Patrice, qui va exposer les principes fondateurs du
système de relations de travail, mais aussi vous montrer une analyse fine de la
performance du système de relations de travail sur plusieurs décennies et donc
pas basé uniquement sur quelques années récentes marquées par une conjoncture
particulière, mais vous montrez ce degré de performance là. Et j'enchaînerai
avec les implications, les grandes implications qui découlent de ce projet de
loi là. Et Gregor pourra terminer cette présentation.
M. Jalette (Patrice) : Merci.
Bonjour, tout le monde. Notre système de relations de travail est guidé par des
principes fondamentaux comme la négociation de bonne foi, la paix industrielle,
l'équilibre entre les parties ou l'encadrement des conflits d'intérêt public.
• (17 h 30) •
Le principe de la liberté des parties est
probablement le plus fondamental de tous. Cette liberté se concrétise dans la
négociation collective par la capacité des parties d'accepter ou de refuser les
propositions qui leur sont soumises par leur vis-à-vis et son corollaire, le
recours possible à un arrêt de travail. Selon ce principe, les parties les
mieux placées pour juger de ce qui est bon pour elles, ce sont les parties qui
sont à la table de négociation. D'après notre analyse des données du ministère,
le système québécois de négociation collective demeure performant et nous ne
voyons aucun dysfonctionnement qui pourrait justifier des changements comme ceux
préconisés dans le projet de loi n° 89.
Trois constats. Entre 2001 et 2022,
92.6 % des négociations se concluent sans arrêt de travail, soit à la
table de la négociation directe de la conciliation-médiation...
17 h 30 (version non révisée)
M. Jalette (Patrice) : …ou de
l'arbitrage. Quant à la proportion des négociations impliquant un arrêt de
travail, elle s'élève pour la période à 7,4 %.
Deux : bien que les arrêts de travail
demeurent le… demeurent toujours l'exception, leur fréquence varie dans le
temps. La remontée constatée au cours des dernières années est facilement
explicable par la pénurie de main-d'œuvre et l'inflation, et n'a jamais atteint
les sommets observés dans les années 1970 et 1980.
Trois : les… la variation des arrêts
de travail et des hausses salariales s'expliquent généralement par le contexte
économique. Les arrêts de travail seront moins fréquents et les concessions
syndicales les plus fréquentes au cours des périodes de ralentissement
économique, tandis que les arrêts de travail augmenteront et les gains
syndicaux surviendront durant les périodes de croissance. La négociation
collective, dans un contexte d'économie de marché comme le nôtre, obéit à des
cycles qui vont s'équilibrer à long terme. Bref, le système fonctionne. Il est
flexible, car il est capable de s'adapter aux conjonctures économiques et
sociales et de refléter les priorités des parties à la négociation.
Mme Laroche (Mélanie) : Merci
beaucoup. Donc, si j'enchaîne maintenant avec les principales implications qu'on
voit dans ce projet de loi là, en fait, j'ai axé mon intervention sur cinq
implications majeures. Et ces risques-là, qui découlent du projet de loi, s'inscrivent
dans une rupture du régime actuel de relations de travail, à notre sens. Donc,
on invite évidemment les membres de la commission, le gouvernement à une
prudence par rapport à ces risques-là.
Donc, première implication, prudence face
à un encadrement du droit de grève qui pourrait être excessif et qui va
distinguer le Québec à l'échelle internationale. Donc, dans notre mémoire, on a
insisté sur le fait que le droit de grève était plus encadré et beaucoup plus
limité ici, au Québec, qu'ailleurs dans le monde. Et on a aussi une obligation
de maintenir la paix industrielle pendant toute la durée de la convention
collective, qui est aussi la plus longue au monde, il faut se le dire. La durée
des conventions collectives, au Québec, c'est la durée la plus longue constatée
dans le monde. Donc, on a un exercice du droit de grève qui s'exerce moins
fréquemment qu'ailleurs sur la planète.
Avec le p.l. 89, en plus des professions
qui n'ont pas du tout le droit de grève, en plus de l'encadrement du régime des
services essentiels, on veut… finalement, on propose d'élargir le nombre de
conflits qui vont être considérés, mais on introduit aussi un flou, hein? Je
pense que nos collègues juristes, juste avant nous, ont quand même mis en
évidence, là, la… des notions imprécises qui sont dans le projet de loi.
Et, dans notre position, ce qu'on constate,
c'est qu'il y a un problème de mesure aussi, qui va être difficile à résoudre
avec le projet de loi. Qu'est-ce qu'on entend par «affecter de manière
disproportionnée la sécurité sociale, économique et environnementale»? Comment
on va mesurer les désagréments à ces formes de sécurité là de la population,
sans prendre en considération aussi dans l'analyse tous les bénéfices qui
découlent des conflits de travail et que la population en sera privée, en fait?
Donc, on a démontré que la négociation collective
et le droit de grève qui y est associé exercent un effet d'entraînement qui
permet d'améliorer les conditions de travail, pas seulement dans le milieu visé
par le conflit, mais aussi dans d'autres milieux syndiqués, et aussi dans des
milieux non syndiqués. Donc, il faut éviter, à notre sens, cette concurrence-là
entre les droits des travailleurs syndiqués, qui exercent leur droit de grève,
et ceux de la population, parce que la population bénéficie aussi ultimement
des gains qui sont générés par la négociation collective.
Deuxième implication, prudence face à un
niveau d'interventionnisme étatique et d'incertitude inégalé dans la dynamique
des négociations collectives. Donc, vous avez parlé beaucoup avec nos collègues
juristes des nouveaux pouvoirs octroyés au ministre du Travail dans le projet
de loi. Et ces principes-là vont à l'encontre du principe de la libre
négociation des partis. Règle générale, dans notre système, l'État s'immisce
très peu dans les négociations collectives et demeure à l'extérieur du conflit
de travail, surtout dans le secteur privé.
Là, ce qu'on constate, avec le p.l. 89,
c'est une nouvelle capacité du pouvoir exécutif de mettre, lorsqu'il va le
juger nécessaire, un chapeau de joueur et non plus uniquement d'arbitre, et ce,
de manière imprévisible à tout moment du processus de négociation. Ce qui va
dépouiller à notre sens les parties à la négociation de toute prévisibilité
stratégique possible. Et ça risque d'introduire beaucoup d'incertitudes dans le
processus de négociation collective. Par exemple, face au risque de la
suspension du droit de grève, ou du lock-out, ou de l'imposition d'un arbitrage
obligatoire, l'une des deux parties pourrait souhaiter ne pas négocier et
attendre une certaine intervention du ministre, ce qui pourrait contribuer,
finalement, à court-circuiter les effets d'un conflit de travail. Et c'est ce
qu'on a démontré dans le mémoire, c'est le fameux effet de…
Mme Laroche (Mélanie) : ...cause,
la négociation collective.
Troisième implication : prudence face
à une politisation accrue des relations de travail dans le secteur privé. Si le
projet est adopté tel quel, les représentations politiques auprès du ministre
du Travail vont inévitablement faire désormais partie de la stratégie de
négociation collective. Donc, et à ce propos, on a quand même déjà des études
qui portent sur un autre sujet, c'est sur l'adoption des lois spéciales qui
étaient beaucoup plus utilisées avant le fameux arrêt de 2015, mais qui nous
permettent déjà d'anticiper que l'interventionnisme étatique pourrait être plus
ou moins prononcé selon le caractère majoritaire ou minoritaire du
gouvernement, selon l'agenda, l'idéologie politique ou le programme politique
qui va être en place au sein du gouvernement. Donc, il faut se poser la
question : Est-ce qu'on veut vraiment d'un système de relations de travail
qui est plus politisé, et dont la dynamique pourrait varier selon la couleur du
gouvernement qui va être au pouvoir?
Quatrième implication : prudence face
à des mécanismes qui ne permettront peut-être pas de régler les véritables
problèmes des parties en matière de relations de travail. Donc, le projet de
loi impose ultimement un recours à l'arbitrage des différends, un mécanisme de
dernier recours parce qu'il prive les parties de leur droit de décider du
contenu des conventions collectives, mais surtout des solutions à apporter à
des véritables problématiques qui sont vécues dans les milieux de travail. En
règle générale, les arbitres sont assez disposés à aborder des questions sur
lesquelles ils peuvent aligner leurs recommandations, donc là où il y a des
comparables, c'est-à-dire sur les matières... les enjeux salariaux ou les
avantages sociaux, mais ils vont être beaucoup plus réticents à faire des
recommandations sur des questions comme l'organisation du travail ou toute
autre question qui se retrouve finalement au cœur de l'organisation des
performances des entreprises ou de la cohésion sociale qui est nécessaire pour
assurer une compétitivité durable. Donc, c'est précisément sur ces enjeux-là
que portent les longs conflits de travail, et c'est précisément sur ce type de
conflit qu'on pourrait demander l'intervention du ministre.
Donc, à l'issue du processus qui est
proposé, peut-être que le conflit va être terminé, peut-être qu'on aura moins
dérangé la population...
Le Président (M. Allaire) : En
terminant.
Mme Laroche (Mélanie) : ...mais
les personnes et les problèmes, eux, ne seront pas réglés.
Le Président (M. Allaire) : Merci.
Mme Laroche (Mélanie) : La
cinquième implication, bien, je pourrai la mentionner en période de discussion.
Le Président (M. Allaire) : Excellent,
parfait! Merci de votre collaboration. On débute la période d'échange avec la
partie gouvernementale. M. le ministre, vous avez 16 minutes.
M. Boulet : Merci. Merci de
votre présentation, de votre temps, de votre énergie, de votre intérêt aussi.
Je vais vous permettre, Mme Laroche, de parler de votre cinquième point,
là, en autant que ce soit limité dans le temps, par respect pour les autres
groupes qui étaient limités par 10 minutes, là. Je ne sais pas, une
minute, une minute et demie, là, mais j'aimerais vous entendre.
Mme Laroche (Mélanie) : Bien,
en fait, la dernière implication pour nous, c'est une prudence face à un
pouvoir accru qu'on laisse à l'exécutif, mais un pouvoir qui pourrait être
inutile dans un sens, parce qu'il y a déjà un coffre à outils ministériel qui
est déjà bien garni pour aider les partis à la négociation. Pour nous, c'est
clair, dans... il y a différents mécanismes qui permettent une intervention
proactive en matière d'aide à la négociation, et c'est là pour nous où il
faudrait le plus agir, donc en amont du conflit. S'il y a conflit de travail,
c'est parce qu'il y a des problèmes à la négociation et c'est là où il faudrait
mettre plus d'emphase pour régler ces problématiques-là. Donc, il y a
plusieurs... il y a plusieurs mécanismes qui sont prévus dans le Code du
travail et, à notre sens, il y a aussi des mécanismes institutionnels au Québec
qui existent, qui pourraient pourraient contribuer à aborder les problématiques
et les cas particuliers dont il est question depuis le début de cette
commission-là et qui pourraient être abordés entre partenaires sociaux. Et je
ne pense pas que ce projet de loi là soit nécessaire pour solutionner ces cas
particuliers. Voilà.
• (17 h 40) •
M. Boulet : O.K. Je comprends
bien. Au-delà de mes remerciements, vous me permettrez de faire un certain
nombre de commentaires, mais, encore une fois, je trouve, comme les personnes
qui vous ont précédés, c'est le ton que j'apprécie. C'est ça, la discussion,
c'est ça le dialogue. Puis j'aime bien, Mme Laroche, quand vous référez au
volume, le «why balance is best». En fait, c'est l'équilibre que nous recherchons
tous et toutes ensemble, et c'est ce qui nous a guidés, qui nous a motivés dans
la préparation de ce projet de loi là. L'équilibre, ce n'est pas de mettre les
uns contre les autres, c'est de...
M. Boulet : ...de s'assurer
d'une saine harmonie ou d'une saine symbiose entre les droits des uns et les
droits des autres. Et il y a les salariés, oui, parce que vous faites beaucoup
référence aux salariés, les syndicats font référence aux syndicats, mais il y a
aussi les employeurs dans cette équation-là. Puis, au-delà des grèves, même
s'il y en a plus, il faut aussi référer au lock-out. Puis le lock-out,
évidemment, il ne bénéficie pas de la même protection constitutionnelle que la
grève, mais n'oublions pas, parce qu'il y a des PME puis il y a beaucoup de
petits entrepreneurs puis beaucoup de petites entreprises syndiquées.
Ça fait que ce n'est pas de mettre en
confrontation les salariés avec la population ou de mettre en confrontation,
peut-être que vous le pensiez sans mentionner, les employeurs avec la
population. Non, c'est de s'assurer que l'exercice de droits fondamentaux ou
constitutionnels, dans le cas des syndicats, c'est la grève, dans le cas des
employeurs, c'est un lock-out, même si ce n'est pas constitutionnel, donc un
équilibre avec les droits de la population qui est souvent sans aucun outil
pour se débattre dans des conflits de travail qui engendrent des préjudices ou
des dommages importants. Puis je sais qu'il n'y en a pas beaucoup de cas
concrets, et c'est la raison pour laquelle je reviens sur la circonstance
exceptionnelle qui va permettre au législateur d'intervenir. Puis ce n'est pas
une loi spéciale, une loi spéciale, elle est inconstitutionnelle. Et on peut-tu
se permettre de réfléchir au Québec à des façons nouvelles d'aborder les
relations de travail? Vous avez vous-même fait référence à la pénurie de
main-d'œuvre puis à l'inflation, ajoutez aussi la pandémie. C'est quand même
des circonstances extraordinaires qui ont mis en exergue les répercussions que
des conflits prolongés pouvaient avoir sur une population. C'est ça qui nous
interpelle. Ce n'est pas de lutter contre un ou contre l'autre, c'est de
s'assurer d'avoir la meilleure harmonie possible.
Et je reviens, je pense que c'est vous qui
le mentionniez... non, c'est M. Jallette, on a un système de négociation
au Québec qui est performant. Vous avez dit : Un système de négociation
qui fonctionne au Québec. Ah! il y a des syndicats qui sont venus me
dire : Là où vous devriez mettre votre énergie, c'est améliorer le régime
de négociation. Mais j'apprécie votre commentaire parce que j'y adhère
totalement. On a mis en place une équipe au ministère, puis vous le savez, vous
les connaissez, amélioration des relations de travail, on fait de l'aide dans
les négociations. Nos conciliateurs, médiateurs, puis il n'y a pas des données,
mais il y en avait, entre 2014 et 2020, contribuent de façon importante à
éviter au Québec des conflits de travail. Vous le mentionniez,
M. Jallette, 74 % ou 7 % de conflits de travail, c'est ça qu'on
veut. Il faut même l'abaisser, ce pourcentage-là, il faut penser en termes
d'alternatives de négociations ou de règlement de litiges. On traîne la patte
sur d'autres pays. Ça, ça m'interpelle. Ça, ça m'intéresse. Puis ma
sous-ministre qui est avec moi travaille avec une équipe de renom qui fait un
travail extraordinaire. C'est comme ça qu'on se distingue au Québec, en évitant
les conflits, en faisant de la négo raisonnée. Ça fait que c'est important pour
moi de le mentionner.
Vous disiez : Bon, on se distingue au
Québec, puis ça, c'est vous, Mme Laroche. Quant à l'exercice du droit de
grève, vous pensez probablement à des grèves pendant les durées de conventions
collectives dans certains pays. Et quel pays? Pouvez-vous, peut-être, en
identifier deux ou trois où ils peuvent faire la grève pendant la durée de vie
de la convention?
Mme Laroche (Mélanie) : Bien,
dans le mémoire, on a mis certains exemples. Il y a la France notamment, il y a
l'Angleterre, il y a l'Italie, l'espagnol... l'Espagne, excusez, c'est le soir.
M. Boulet : C'est un nouveau
pays, ça.
Mme Laroche (Mélanie) : Oui,
voilà. Donc il y a différents pays, mais c'est complexe, hein, de comparer les
régimes de relation de travail. Donc, tu sais, si on veut prendre certains...
parce que j'entends depuis le début de la commission qu'en France on assure des
services minimums, mais en France ils peuvent sortir quand ils veulent en grève
aussi. Donc, il faut faire attention quand on compare les régimes de relation
de travail tellement.
M. Boulet : Tellement,
tellement. Puis vous avez raison, puis je suis d'accord avec vous, puis même
quand on se compare avec le reste du Canada, tu sais, il y en a qui
disent : 90 % des conflits sont au Québec, mais, en même temps, le
taux de syndicalisation est plus élevé au Québec que dans le reste du Canada.
Puis...
M. Boulet : ...est beaucoup
plus élevé au Québec qu'il l'est, par exemple, aux États-Unis, ça fait que
c'est sûr que ça a un impact sur le nombre de négos et sur le nombre de conflits
de travail. Puis je n'ai pas fait ce jeu de comparaisons là. Tu sais, on... je
ne peux pas dire on a eu 282 ou 200... ou 382 conflits en 2020, j'ai lu
des personnes qui référait à au-delà de 700 parce qu'ils tenaient compte des
conflits par accréditation syndicale. Ça fait que c'est sûr que faire des
comparaisons, Mme Laroche, je suis d'accord, c'est un jeu qui est
périlleux.
Je veux revenir, là. Les notions
imprécises, convenez avec moi, puis le groupe qui vous a précédés le
comprenait, là, mais, tu sais, il y a deux mécanismes. Le premier mécanisme sur
la notion de disproportionné, bien, je le dis, là : «l'effet sur la
sécurité sociale, économique ou environnementale de la population», moi, je dis
tout le temps, doit être significatif, puis ça ne peut pas être évidemment de
quoi qui est moins significatif. Puis, tu sais, il y en a qui pensent que ça
peut être un inconfort ou un désagrément, on s'éloigne beaucoup, beaucoup. Ce
n'est pas le but du projet de loi. Il faut que la population vive des répercussions
significatives. Puis je vais le répéter constamment.
Quant au deuxième mécanisme, la notion de
préjudice grave ou irréparable, vous la connaissez, c'est dans des contextes
d'injonction interlocutoire, provisoire. Ça a été interprété puis appliqué. Mais
Mme Laroche, puis M. Jalette, puis Gregor... M. Murray, toute
nouvelle loi, si elle est adoptée à l'Assemblée nationale, fait l'objet
d'interprétations. Que ce soit une convention ou peu importe le document
contractuel, ou l'accord commercial, ou la loi, il y a des mésententes. Le
français est une langue imparfaite. Toutes les langues le sont, d'ailleurs.
Je ne nie pas non plus que la négo fait en
sorte qu'on améliore des conditions de travail, je le sais. Pour ceux qui ont
mis la main à la pâte puis mon collègue d'Hochelaga-Maisonneuve en a négocié,
il en a même négocié des deux côtés. Puis on le sait, que ça génère une
bonification des conditions de travail.
Ceci dit, il y a un commentaire que vous
avez fait sur l'arbitrage. Évidemment, l'arbitrage ici, il est consécutif à une
conciliation-médiation infructueuse, il est soumis à la démonstration d'un
préjudice grave ou irréparable à la population, mais je vous ai entendu dire,
Mme Laroche, un arbitre ne peut pas s'impliquer au-delà. Tu sais, parce
que même quand des parties, là, indépendamment de notre p.l., font une demande
de nomination d'un arbitre au ministre du Travail avant de déférer, il y a un
formulaire qui est rempli, puis les deux parties indiquent les sujets sur
lesquels il y a un différend, et l'arbitre a l'autorité de déterminer le
contenu de la convention collective en s'intéressant aux sujets qui font
l'objet du différend et en utilisant des critères que vous connaissez, qui sont
dans le Code du travail ou dans la Loi sur le régime de négociation dans le
secteur municipal, mais il n'y a rien qui empêcherait un arbitre, ou un
médiateur, ou un tiers d'aider les parties à revoir une organisation de
travail, ça peut s'exprimer par des horaires, des mécanismes de plantation, et
tout ça fait généralement partie de la convention collective, des plans de
formation, qu'est ce qu'on fait dans le contexte de changement technologique?
Est-ce que je vous ai compris qu'un arbitre avait des pouvoirs limités à cet
égard là? Ah, O.K., O.K., je n'avais juste pas bien saisi. Mais l'arbitre, on
sait que c'est une personne qui fait l'objet d'une recommandation consensuelle
par les associations patronales et les centrales syndicales, des profils soumis
par le Comité consultatif du travail et de la main-d'œuvre, et donc ça nous
assure d'une impartialité puis d'une objectivité.
Le niveau... L'attentisme dans les négos,
ça, j'ai de la misère à le saisir. Puis là c'est soit un de vous trois, là,
mais qu'est ce que vous pensez que le projet de loi peut avoir comme impact sur
l'attentisme auquel, je pense, c'est vous Mme Laroche, les partis vont
attendre. Ils vont attendre quoi?
• (17 h 50) •
Mme Laroche (Mélanie) : Mais
il y a des exemples assez récents, là, qui nous montrent que cette stratégie-là
est utilisée par les employeurs.
M. Boulet : Comme?
Mme Laroche (Mélanie) : Le
dernier conflit ferroviaire. 107. Votre projet de loi, c'est différent, je le
sais.
M. Boulet : J'espère. Merci de
le dire.
Mme Laroche (Mélanie) : Mais
les employeurs, dans le ferroviaire, au moment du dépôt de l'avis de lock-out,
ont aussi demandé l'intervention du ministre la même journée. Donc, c'est un
exemple récent qui démontre qu'un changement ou un pouvoir qui peut être...
Mme Laroche (Mélanie) : …exercé
par un ministre, devient un élément de la stratégie de relations de travail et
de négociation collective.
M. Boulet : Je le comprends,
puis moi aussi, je l'ai pensé comme ça, que c'était une stratégie patronale de
décréter un lock-out, puis je le comprends, puis de ne pas négocier à la table,
mais 107, ce n'est pas notre projet de loi, puis notre projet de loi ne
pourrait pas générer la même application que 107, c'est… 107, c'est… il peut
décider tout ce qui est de nature à favoriser la bonne entente. Puis il peut
ordonner… il peut ordonner à peu près ce qu'il veut au Conseil canadien des
relations industrielles. On est dans deux univers, on est dans un univers, dans
ce projet de loi là, où il y a des balises, qui peuvent être précisées, j'en
conviens, ce n'est jamais d'une clarté absolue, mais on n'est pas dans le même
univers. O.K., mais je comprends l'attentisme. En fait, 107 peut générer des
stratégies, par exemple, patronales, d'attendre, de ne pas trop négocier en
attendant que le ministre utilise 107. Surtout que, oui, je comprends très bien
ce point-là. Oui, vous vouliez M. Murray, moi, je vous laisse vous exprimer.
M. Murray (Gregor) : Oui,
simplement pour revenir, et je conviens tout à fait que nous avons un excellent
service de médiation et de conciliation.
M. Boulet : Merci.
M. Murray (Gregor) : Et ça,
c'est clair, et depuis longtemps, on avait une approche proactive aux relations
du travail pour l'amélioration des relations du travail. Nous sommes très
portés sur les pratiques des négociateurs et des négociatrices, mais il faut
faire attention à… C'est ce que je vais décrire comme un peu de pensée magique
à l'égard de l'arbitrage. Vous vous mettez dans la position d'un arbitre ou
d'une arbitre, qui est là, et l'avenir de l'entreprise en dépend, du jugement,
parce qu'un conflit qui perdure, normalement, ce n'est pas : Moi, je veux
5 % et je vous offre 4 %. Il y a des questions plus graves, et les
arbitres hésitent à se substituer aux parties en mettant leur jugement. C'est
plutôt le travail de médiateur ou de conciliateur qui cherche à amener les
parties… Mais c'est ce que nous, nous incite à la prudence, et à votre lecture
de la prudence, c'est de dire : En quoi les parties perdent de l'autonomie
pour développer des solutions aux problèmes qu'ils sont en train d'identifier?
Et je pense qu'on est tous d'accord sur ce point-là, mais le recours à
l'arbitrage, dans un conflit, notamment de secteur privé, soulève cet enjeu de
manière importante et peut faire partie des stratégies de négociation, à
disons : Est-ce qu'on veut de l'arbitrage? Est-ce qu'on ne veut pas de
l'arbitrage?
M. Boulet : Mais c'est
intéressant ce que vous soulevez, parce que… pardon?
Le Président (M. Allaire) :
Une minute.
M. Boulet : …on est sur la
même longueur d'onde. Il faut mettre l'accent sur le processus de négociation,
vous l'avez dit, qui fonctionne bien, puis les alternatives de résolution de
litiges, c'est notamment la conciliation, médiation. Il faut mettre tous les
oeufs dans ce panier-là et se dire que la convention, ultimement, c'est la loi
des partis, ça leur appartient. Ce n'est que dans le cas… dans les cas
exceptionnels où il y a un préjudice grave ou irréparable à la population, que
là, ça s'imposerait. Donc, les cas stratégiques, à mon avis, sont pratiquement
impensables. La politisation accrue, on a voulu ça le plus apolitique possible,
le plus près des enseignements du jugement de la Cour suprême du Canada dans
Saskatchewan. Et c'était un projet de loi… On débute les consultations
particulières. On va faire une étude détaillée. Si vous avez des
recommandations, n'hésitez pas à échanger avec mon équipe. Merci beaucoup de
votre participation.
Le Président (M. Allaire) : Merci,
M. le ministre. On enchaîne avec la députée de Bourassa-Sauvé. Vous avez
10 min 24 s. La parole est à vous.
Mme Cadet : Merci, M. le
Président. Bonjour à vous trois, M. Murray, Mme Laroche et M. Jalette. Merci de
nous partager votre expertise en relations industrielles. Donc, je vais
essayer, donc, d'en tirer le mieux profit au cours de ces 10 prochaines
minutes. Je vais peut-être, donc, y aller, M. Murray, donc sur vos derniers
propos. En fait, donc, vous disiez que l'arbitre, donc, hésitera, donc, à se
substituer aux parties, si, d'aventure, donc, un conflit, donc, devait se
retrouver devant un arbitre, là, en vertu, là, de l'emploi de l'article 5
du projet de loi. Selon vous, quel est… Et c'est pour ça que je parle donc de
votre expertise en relations industrielles, quel rôle cet outil-là pourrait
jouer dans les stratégies de négociation…
Mme Cadet : ...des parties?
Sachant que, bon, il serait possible que cet outil-là soit utilisé dans les
circonstances exceptionnelles, donc, on a parlé donc de préjudices graves ou
irréparables, est-ce que les parties se diraient : Moi, je n'ai pas envie
que l'arbitre, justement, prenne cette décision-là à ma place, parce que, bien,
ça va être une décision assez insatisfaisante qui va se baser sur les
précédents? Donc, nous comme parties, on est mieux de s'entendre, si on en
arrive vraiment à ce moment-là de la négociation, plutôt que de se faire
imposer en fait, donc, une décision de la part d'un arbitre qui va être plutôt
timide dans les décisions, là, qu'il va prendre donc en se basant presque
exclusivement sur les précédentes conventions collectives négociées.
M. Murray (Gregor) : Je vais
passer votre question...
Mme Cadet : Parfait.
M. Murray (Gregor) : ...à Mme
Laroche, qui pense à la négociation collective 24 heures par jour.
Mme Cadet : Parfait, parfait.
Ça me fait grandement plaisir.
Mme Laroche (Mélanie) : Bien,
je l'ai annoncé tantôt, l'arbitrage de différends, c'est un mécanisme de dernier
recours, et c'est à l'encontre de l'autonomie des parties en matière de
négociations collectives, et, quand on regarde le recours à l'arbitrage de
différends dans le secteur privé, il n'est à peu près pas utilisé, hein, les
deux parties doivent être d'accord. On ne veut pas perdre le contrôle sur des
décisions qui sont souvent névralgiques pour l'entreprise, qui vont marquer
l'avenir de l'entreprise, on ne veut pas que ce soit un tiers... Puis j'ai
entendu des choses depuis le début de la commission qui m'ont vraiment
surprise. Tu sais, on a même suggéré d'aller plus loin dans l'arbitrage puis de
dire : Bien, on va y aller sur l'offre finale. C'est quelque chose qui à
mon sens va à l'envers du bon sens, là.
Donc, on a des questions complexes. Si on
regarde les derniers conflits dans le secteur public, là, ce n'est pas une
question d'enjeu salarial, là, c'était une question qui touchait sur les
questions d'évolution de la pratique, l'encadrement de l'organisation du
travail. C'est des questions puis des enjeux qui sont terriblement complexes.
Patrice, je pense que tu voulais ajouter
quelque chose sur l'arbitrage.
M. Jalette (Patrice) : Oui,
oui. Bien, simplement revenir avec le fait qu'il n'y a rien, effectivement, qui
empêche l'arbitre d'intervenir, il n'y a pas de limites, bien, posées, sinon
les critères qui sont dans le Code du travail. Et ce n'est pas une question
d'illégitimité, l'action des arbitres est très légitime, mais généralement,
pour le dire comme ça, c'est... les arbitres vont se garder une petite gêne...
Mme Cadet : Oui.
M. Jalette (Patrice) : ...c'est-à-dire,
avant d'imposer des changements, ils n'imposeront pas une réorganisation
complète de l'entreprise.
Puis mon collègue Gregor parlait de la
pensée magique par rapport à l'arbitrage. L'arbitrage, ça règle le problème de
la grève, ça grève... ça règle le problème peut-être aussi des... de la
population, mais ça ne règle pas le problème des parties, hein. Le problème, ce
n'est pas la grève, c'est un problème de négociations, et c'est là-dessus qu'il
faut jouer, et non pas sur les conséquences ou les symptômes, là.
Mme Cadet : Oui,
certainement, puis, parce que le ministre l'a mentionné dans l'échange qu'il a
eu avec vous, donc vous n'êtes pas le premier groupe à nous parler des mesures
qui... en fait, qui devraient être prises en amont, là, j'en ai bien pris note,
pour éviter, là, justement que les conflits, donc, généraient un... dégénèrent
donc à un point où il y a arrêt de travail, donc il y a impact sur la population.
Peut-être juste, donc, vous... non, donc
une précision sur la question précédente que je viens de poser ici. Donc, vous
le dites, bon, on l'a dit, donc, l'arbitre, donc, va se garder donc une petite
gêne ici. Donc, pour m'assurer, est-ce que vous pensez que ça peut être une
espèce de, bon, d'épée de Damoclès, là, si on veut se dire... Par exemple, on
dit, là, à 111.32.2 : «Le ministre peut - donc - s'il estime qu'une grève
ou un lock-out cause ou menace de causer un préjudice grave ou irréparable à la
population et que l'intervention d'un conciliateur et médiateur s'est avérée
infructueuse, déférer le différend à un arbitre.» Donc, j'imagine que le
ministre, à ce moment-là, donc, informerait les parties, disant : Bien,
écoutez, on en arrive à ce point-là, je... À ce moment-ci, attention, donc ça
se peut que je défère le différend à un arbitre, que j'utilise donc ce pouvoir,
donc, spécial, exceptionnel.
• (18 heures) •
Donc, jusqu'à quel point vous pensez, en
termes de relations industrielles — donc, je ne souhaite pas de poser
ma question sur le plan juridique ici — que, bien, pour les parties,
donc, quand elles arrivent donc à ce point-ci, se disent : Là, vous savez
quoi? Là, on va négocier, parce qu'on ne veut pas se rendre à un arbitrage? Ce
qu'on a bien compris de votre part, c'est qu'on... dans la grande majorité des
cas, donc, ça ne se rend pas à l'arbitrage, lorsque c'est possible de le faire.
C'est ce qu'on a vu d'ailleurs, donc, dans l'étude du projet de loi n° 88,
juste avant celui-ci, et... Donc, on fait tout pour éviter de se rendre donc à
cette étape-ci, qui... qui est plate, qui n'est pas à l'avantage d'aucune des
deux parties, parce que, vous l'avez dit, les éléments sur lesquels on négocie
et pour lesquels c'est plus difficile de s'entendre, ce ne sont pas des
éléments qui sont de nature salariale. Donc, jusqu'à quel point ça peut jouer
ce rôle-là d'épée de Damoclès de dire : Bien, nous, on va négocier, parce
qu'on veut utiliser notre recours à la libre négociation plutôt que d'avoir une
décision qui, oui...
18 h (version non révisée)
Mme Cadet : ...neutre,
indépendante de la part d'un arbitre. Donc, ce n'est pas une imposition d'une
loi spéciale avec la négociation, l'imposition, plutôt, là, de clauses de
conventions collectives, mais on veut s'assurer de nous-mêmes choisir quelles
seront les prochaines prochaines clauses de notre convention collective.
Mme Laroche (Mélanie) : Le
projet de loi n° 89 est déposé dans une conjoncture bien particulière. Donc
là, je vais prendre le temps de l'expliquer. En 10 minutes, ce n'est pas
toujours facile d'expliquer la logique inextricable d'un système de relations
de travail. Mais là, ce projet de loi là, il est déposé dans une circonstance
bien particulière, dans une circonstance où, oui, il y a une augmentation du
nombre de conflits de travail, dans une circonstance où, oui, il y a eu des
gains syndicaux dans les dernières... dans les dernières années, dans les
derniers mois récents, mais il faut aussi dire que les syndicats au Québec
sortent de 40 ans d'années, 40 années de négociation ultraconcessives,
O.K., et on n'a jamais intervenu pour essayer de rétablir le rapport de force
entre la partie patronale et syndicale. Donc, on est dans une circonstance
particulière où là, oui, il y a eu des gains syndicaux qui ont été formulés, là,
qui ont été réalisés dans les dernières années, et il faut faire attention à l'équilibre
fragile du système de relations de travail au Québec, parce que oui, il y a la
négociation décentralisée, mais il y a aussi tout un mécanisme de dialogue
social qui vient orienter les grandes orientations du Québec en matière de
développement des compétences de la main-d'œuvre, en matière de formation
professionnelle, et tout ça tient ensemble. Donc, c'est un système de nature
hybride. Donc, il faut faire attention à cet équilibre fragile, là.
Pour répondre à votre question directement :
Est-ce que ça va constituer une épée de Damoclès qui est suffisante? Ça va
dépendre comment ce pouvoir-là va être utilisé, et on ne le sera jamais tant et
aussi longtemps que le pouvoir exécutif va l'exercer. Qui sera au pouvoir aux
prochaines élections? Moi, je ne le sais pas, je n'ai pas de boule de cristal,
puis j'imagine que chacun d'entre vous avez une opinion différente à ce sujet
là, mais on ne sait pas qui aura ce pouvoir-là entre les mains, on ne saura pas
comment ce pouvoir discrétionnaire là va être utilisé. Et est-ce que ça va
devenir une stratégie pérenne de certaines parties pour éviter les conflits de
travail? Peut-être. Est-ce que ça sera si exceptionnel? Peut-être. Mais peut-être
que ce ne le sera pas non plus.
Et ce que mes collègues juristes faisaient
valoir dans leurs interventions tout à l'heure, c'est que l'article 107,
quand il a été écrit au niveau du fédéral, là, l'utilisation qui était
préconisée, ce n'était pas celle qui a été... qui a été en 2024, donc il n'a
pas été écrit dans cet esprit-là. Donc, peut-être qu'aujourd'hui on a un
article qui est plus clair que l'article, que l'article 107 au fédéral, peut-être
que, dans la tête du législateur, à ce moment précis, ce sera des utilisations
extraordinaires, mais les recherches puis l'expérience nous montrent qu'un
pouvoir discrétionnaire, bien, ça varie dans le temps puis, la façon dont tu
vas être utilisé, c'est dangereux. Donc, l'écrire dans un projet de loi, c'est
à notre sens aussi très risqué.
Mme Cadet : M. Murray, vous
voulez intervenir?
M. Murray (Gregor) : Et si
le temps me permet. Simplement pour dire que, depuis quelque temps, nous menons
des groupes de discussion auprès des travailleurs sur les transitions
climatiques. Sur les groupes de discussion, on était un peu ébahies par le
degré de cynisme et d'aliénation des personnes qu'on rencontrait, autrement dit
les travailleurs, votre électorat, nos collègues, nos concitoyennes, concitoyens
qui disent : Ah, mais c'est normal, les inégalités, les disparités de
pouvoir, ainsi de suite, on n'attend pas un retour. Très intéressant. Et moi, je
m'inquiète, si on est en train de leur dire en plus : Un des outils que
vous avez, à savoir le droit d'association et de grève, va être limité. Ils
vont dire : Ah, mais je le savais, c'est comme ça notre société. Et c'est...
Il y a un écart réel entre les recours constitutionnels, et la judiciarisation,
et le reste, et c'est ce qui se place... c'est ce qui se passe sur le plancher,
dans les cafétérias des lieux de travail au Québec. Et i y a un degré
d'aliénation et il faut faire attention dans les projets de s'assurer qu'on n'est
pas en train de limiter le droit d'association et le droit de grève des
personnes quand ils le voient. Et il faut le baliser, bien sûr.
Le Président (M. Allaire) : Merci.
Malheureusement, mais je suis désolé, M. Murray.
Mme Cadet : Merci beaucoup.
Le Président (M. Allaire) : Ça
met fin à ce bloc d'échange avec l'opposition officielle. On enchaîne avec le
deuxième groupe d'opposition. M. le député d'Hochelaga-Maisonneuve, 3 min 28 s.
M. Leduc : Merci, M. le
Président. Bonjour à vous trois. Merci d'être avec nous aujourd'hui. Tantôt, il
y avait un échange intéressant entre vous et le ministre sur la comparaison
avec le 107...
M. Leduc : ...le fédéral. Le
ministre disait : Non, non, non, mon projet de loi, ça ne va pas générer
les mêmes effets que le 107. Puis vous faisiez comparaison avec ce qu'on a
vécu, donc, dans le milieu de la grève du rail, si je ne me trompe pas. Est-ce
que vous partagez l'enthousiasme du ministre qui dit qu'il n'aura pas du tout
les mêmes effets que 107, son projet de loi?
Mme Laroche (Mélanie) : Bien,
on est d'accord que les deux mécanismes sont différents, là. Puis, je veux
dire, mes collègues juristes l'ont assez étudié puis ils m'ont convaincu que
c'était différent. Donc, je ne vais pas aller à l'encontre de mes collègues
juristes. Mais là où les deux univers parallèles se rencontrent, par contre,
c'est sur le pouvoir discrétionnaire qui est donné à l'exécutif. Là, ça, pour
moi, c'est l'élément de risque, puis j'ai déjà, dans ma réponse précédente,
fait état de ce risque très sérieux qu'on met dans l'engrenage puis dans le
système de relations de travail.
M. Leduc : Puis sur cette
évolution d'un réflexe patronal de s'asseoir en quelque sorte sur les mains en
espérant et souhaitant ou voir réclamant une intervention politique, c'est
quelque chose qu'on pourrait voir se multiplier suite à l'adoption du projet de
loi n° 89?
Mme Laroche (Mélanie) : Bien,
le risque, il est là. Le risque, il est évident. À partir du moment où il y a
un pouvoir discrétionnaire, bien, le système est fait d'une façon qu'on peut
être influencée, qu'on peut faire des représentations auprès du ministre, puis
le ministre va pouvoir décider s'il intervient ou pas, s'il décrète, hein, puis
s'il va de l'avant avec le pouvoir qui lui... que le projet de loi lui concède,
là.
M. Leduc : Je ne sais pas si
vous avez écouté les interventions depuis hier, mais tous les groupes patronaux,
sans exception, sont venus nous dire essentiellement la même chose : Oui,
oui, oui, c'est important le droit de grève, mais dans mon secteur, c'est
difficilement applicable, puis. etc. Mais quand vous additionnez ça, tout ce
beau monde là, les municipalités, les sociétés de transport, les
manufacturiers, finalement, il ne reste plus bien, bien de monde pour qui le
droit de grève va être respecté dans son intégralité. Donc, merci de nous
indiquer que c'est un danger imminent ou, en tout cas, quelque chose à vérifier
dans le futur.
Je voudrais qu'on parle un peu du fameux
tableau. Puis je pense que vous l'avez évoqué en ouverture, à la page 11,
tu sais, sur la recrudescence des fameux... le nombre d'arrêts de travail au
Québec, depuis un an ou deux, ça avait chuté avec la pandémie puis ça repart.
Puis vous joignez un autre tableau par la suite, qui est la hausse des salaires
négociés, qui suit essentiellement l'IPC, finalement, l'indice des prix à la
consommation. Est-ce que je comprends que vous faites, dans le fond,
l'argumentaire que le retour ou l'augmentation, la relative augmentation du
nombre d'arrêts de travail au Québec depuis quelques années s'analyse au regard
du retour de l'explosion du coût de la vie? On doit faire un lien entre ces deux
choses là?
M. Jalette (Patrice) : Bien,
pour moi, c'est clair. Puis même quand vous regardez le tableau qui part
peut-être dans les années 70 ou peut être avant, notamment les grèves,
c'est lié avec les périodes inflationnistes notamment. Et vous voyez aussi que
les augmentations de salaire sont beaucoup moins en période de récession, hein,
ça varie tout le temps. Les augmentations salariales sont liées au contexte
économique. C'est clair, là.
Mme Laroche (Mélanie) : Si on
peut... si on peut rassurer nos employeurs, c'est que le retour du balancier
dans le système de relations de travail se fait toujours. Donc, même sans
projet de loi, ils vont finir par retrouver des salaires qui sont augmentations
de salaire qui sont moins importantes que ce qui est négocié à l'heure actuelle
dans un contexte inflationniste.
Le Président (M. Allaire) : Merci.
Ça met fin à ce bloc d'échange. M, Murray, désolé. On enchaîne avec le député
de Jean-Talon. Vous avez 2 min 38 s.
• (18 h 10) •
M. Paradis : Vous êtes trois
experts en relations industrielles et en travail. Vous êtes indépendants. Vous
nous démontrer, chiffres et tableaux à l'appui, que les arrêts de travail
demeurent l'exception au Québec, que les hausses de salaire négociées suivent
en gros l'indice des prix à la consommation, donc s'adaptent à la conjoncture.
Vous dites qu'il y a déjà un encadrement fort du droit de grève et que, là, ce
projet de loi là nous amène vers un niveau... je vous cite, vers un niveau
d'interventionnisme étatique et d'incertitude inégalé et vers une politisation
accrue des relations de travail dans le secteur privé. Vous concluez en disant,
je vous cite : «Le gouvernement vient déstabiliser les rapports entre les
parties patronales et syndicales au Québec». Je vous cite toujours :
«Cette réforme va à l'encontre des objectifs recherchés du système de relations
de travail, soit la paix industrielle et la stabilité, l'équilibre entre les
parties, la négociation collective, la liberté de négocier, une intervention
étatique minimaliste». Je vous cite toujours : «Cette réforme législative
nous apparaît tout à fait inopportune car, en introduisant une grande
incertitude, elle constitue une distraction inutile par rapport aux priorités
auxquelles les parties patronales et syndicales sont confrontées actuellement»,
et là vous décrivez le contexte des relations de travail au Québec. C'est fort,
ce que vous dites. Mais donc, selon vous, pourquoi le ministre arrive avec un
tel projet de loi, si c'est ça, selon vous, les effets?
Mme Laroche (Mélanie) : Bien,
moi, je ne peux pas répondre à la place du ministre, mais vas-y.
M. Jalette (Patrice) : Bien,
exactement. La réponse courte, c'est : Demandez au ministre. Il va vous le
dire...
M. Paradis : bien là, je ne
peux pas interpeler le ministre, mais je… mais inquiétez-vous pas que, dans
l'étude détaillée, on va le faire, mais avez-vous… Mais avez-vous des
hypothèses? Qu'est-ce qui fait qu'on arrive avec un projet de loi qui a ces
effets-là aujourd'hui, là?
Mme Laroche (Mélanie) : Bien,
il y a… il y a un changement de paradigme en relation de travail depuis la
pandémie, là. Tu sais, il faut quand même l'avouer, il y a plus de conflits de
travail. Il y a eu la ronde de négociation dans le secteur public, aussi, donc
du… un dérangement probablement un peu plus grand qu'à l'ordinaire. Donc, c'est
un nouveau paradigme, parce que ce qui se passait, réellement, dans la… dans
l'univers des relations de travail, c'était… ça a été 40 années de
négociations ultra concessives. Puis là on n'a pas eu l'espace pour faire toute
la démonstration du compromis négocié dans le... dans le mémoire, mais il faut
savoir que les employeurs, pendant ces 40 années là de négociations
ultraconcessives, ont mieux tiré leur épingle du jeu que les organisations
syndicales, en termes de flexibilité, de compétitivité, et très peu de gains ou
de… de contreparties pour les parties syndicales.
Le Président (M. Allaire) : Merci.
Merci. Merci beaucoup. Restez assis tout le monde. M. Murray. Mme Laroche, M.
Jalette, merci énormément pour votre contribution à cette commission.
Alors, la commission ajourne ses travaux
au jeudi 20 mars 2025, après les avis touchant les travaux des
commissions, où elle poursuivra son mandat. Merci, tout le monde!
(Fin de la séance à 18 h 13)