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Version finale

30th Legislature, 3rd Session
(March 18, 1975 au December 19, 1975)

Thursday, January 23, 1975 - Vol. 16 N° 8

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Étude du projet de loi no 50 — Charte des droits et libertés de la personne


Journal des débats

 

Commission permanente de la justice

Etude du projet de loi no 50 — Loi concernant les droits

et les libertés de la personne

Séance du jeudi 23 janvier 1975

(Dix heures quinze minutes)

M. Pilote (président de la commission permanente de la justice): A l'ordre, messieurs.

Avant que ne commence la séance, je voudrais vous indiquer les changements suivants à la liste des membres de la commission. Sont membres de la commission, M. Bellemare (Johnson); M. Perreault (L'Assomption) remplace M. Bienvenue (Crémazie); M. Burns (Maisonneuve); M. Choquette (Outremont); M. Faucher (Yamaska) remplace M. Ciaccia (Mont-Royal); M. Desjardins (Louis-Hébert); M. La-chance (Mille-Iles) remplace M. Levesque (Bonaventure); M. Morin (Sauvé) est membre de la commission; M. Brown (Brome-Missisquoi) remplace M. Pagé (Portneuf); M. Samson (Rouyn-Noranda) est membre de la commission; M. Bellemare (Rosemont) remplace M. Springate Sainte-Anne); M. Sylvain (Beauce-Nord) est membre de la commission; M. Lapointe (Laurentides-Labelle) remplace M. Tardif (Anjou).

Ce matin, nous allons entendre, à titre personnel, M. Donat Julien.

M. Choquette: M. le Président, avant de commencer, je voudrais signaler à la commission quelques communications que j'ai reçues. Une première nous vient de M. Harry Lautman et M. Charles Philips. Ils ont envoyé un télégramme au secrétaire des commissions et au ministre de la Justice qui se lit comme suit: "Le Conseil uni des droits de l'homme est de l'opinion que le projet de loi 50, à cause de lacunes inhérentes, ne constitue pas un projet de charte des droits de l'homme viable. Le Conseil, par la présente, requiert donc la convocation d'une conférence fédérale-provinciale dont le but serait d'inclure dans la constitution canadienne les droits et liberté fondamentaux des citoyens".

Il y a une deuxième communication adressée au secrétaire des commissions parlementaires de l'Assemblée nationale et qui provient de Mme Marian Ferstman, présidente, Montreal Section, National Council of Jewish Women: "We thank you for the prompt reply to our memoire on Bill 50 received January 22nd a.m. We acknowledge with appreciation the appointment for a hearing 10.00 a.m. January 23rd. We reg ret we can not be p resent and d ue to a misunderstanding we did not indicate this prior to mailing in our statement. We hope, however, that the commission will give serious consideration to the proposals therein and that this Bill will be in its final form a corner-stone for the protection of human rights and freedoms and the promotion of citizens' responsability. Sincerely, Mme Marian Ferstman".

Finalement, j'ai reçu une lettre du Conseil du civisme de Montréal, en date du 22 janvier 1975: "Monsieur le ministre, dans le cadre des séances publiques de la commission parlementaire de la jus- tice qui étudie actuellement le projet de loi no 50, Loi sur les droits et libertés de la personne, le Conseil du civisme de Montréal, qui groupe plus de 63 associations de diverses ethnies et des associations canadiennes et québécoises, se fait un devoir de vous soumettre un rapport succinct sur une partie de ce projet de loi qui rejoint spécifiquement l'un des objets prioritaires de notre conseil. Des circonstances indépendantes de notre volonté ne nous ont pas permis de présenter ce rapport dans les délais prévus. Toutefois, nous espérons que l'action que mène notre conseil, depuis plusieurs années, dans le domaine du civisme et dans celui de la sensibilisation de notre société montréalaise au phénomène de l'indifférence flagrante des individus face à des situations souvent pénibles et dramatiques sera prise en considération et que notre rapport sera accepté et discuté par la commission. "Confiants de l'appui que vous voudrez bien accorder à notre requête, nous vous prions, monsieur le ministre, d'agréer l'expression de nos sentiments les plus distingués". "Signé, M. Robert Attar, président du Conseil du civisme de Montréal". A cette lettre était annexé un mémoire qui, je le présume, est parvenu au secrétaire des commissions. Maintenant, comme l'organisme n'est pas représenté, nous ne l'entendrons pas, mais je pense qu'il n'y a pas d'objection à ce qu'on distribue copie de ce mémoire aux membres de la commission, si vous êtes de mon avis.

M. Burns: D'accord, mais ce sont des gens qui ne témoigneront pas, M. le ministre.

M. Choquette: Exactement, mais ils ont envoyé des représentations écrites.

M. Burns: On va prendre connaissance de leur mémoire.

M. Choquette: Exact! M. Burns: D'accord!

Le Président (M. Pilote): La parole est à M. Julien.

M. Donat Julien, à titre personnel

M. Julien (Donat): Je vous remercie, M. le Président. Je remercie, d'abord, M. Gérard Cadieux, député de Beauharnois, pour m'avoir enregistré auprès de votre commission. Il ne m'a rien demandé en retour.

M. Burns: Est-ce la première fois?

M. Samson: C'est un heureux précédent.

M. Choquette: Allons, allons, un peu de sérieux.

M. Julien: "Assemblée du conseil de la cité de Salaberry de Valleyfield, le 13 janvier 1975. Proposé par M. Roger Bélair et appuyé par M. Gérard La-londe que le mémoire de Donat Julien soit imprimé

aux frais de la cité. Adopté. Vrais extraits du livre de délibérations du conseil de la cité de Valleyfield, signé Léon Laberge, greffier."

J'ai entendu le président, hier, dire que nous n'avions droit qu'à vingt minutes. Sur ces vingt minutes, M. le Président, j'en demanderais deux pour défendre un accusé qui a été accusé à nouveau de meurtre, après plus de 25 ans de prison psychiatrique.

Même si je résume ici mon mémoire et que je vous présente un mémoire un peu différent des autres, c'est parce qu'en plus des accusations que j'ai à présenter, j'ai un message à livrer. Je vous arrive avec des idées, c'est pour cela que ça me fait un peu peur de me présenter devant vous.

A vous, législateurs, je dis que le salut ne vient pas uniquement de la justice, mais uniquement de la compétence. En ce qui me concerne présentement, je cite saint Jean de la Croix: "II n'y a plus de chemin par ici parce qu'il n'y a plus de loi pour le juste."

La vieille formule de nos cours de justice de dire la vérité, toute la vérité, et rien autre chose que la vérité, n'est bonne nulle part, même devant nos tribunaux. Vous me permettrez de citer le grand philosophe Jacques Maritain: "Menacée par une civilisation dégradée qui livre l'homme à l'indéfini de la matière, il est nécessaire que l'intelligence se défende, revendique son droit et son essentielle supériorité. Mais le mal est venu d'elle-même. Elle a essayé de retenir la vérité captive, méconnu ce qui dépasse le niveau de la raison et finalement, la raison même. Elle est châtiée par la chair d'avoir voulu s'affranchir — leur déniant l'existance — des réalités suprêmes qui sont à la mesure de Dieu et non de l'homme."

Tout ce mémoire est pour démontrer que si la liberté ne repose pas sur un bain de justice et de charité, les plus belles lois ne serviront à rien pour protéger l'individu. Un juge éclairé peut donner justice avec de mauvaises lois, mais un juge médiocre peut aussi rendre un mauvais jugement avec des lois justes.

Il me revient à la mémoire un discours que j'avais lu à 17 ans dans le livre du congrès eucharistique de Montréal en 1910. Henri Bourassa, en présence du légat papal, le cardinal Vanutelli, à la séance des jeunes, avait dit: "Un grand écrivain catholique et français parcourant un jour les rues de cette Rome éternelle dont vous nous apportez l'autorité, foulant aux pieds les ruines du palais des Césars et évoquant la mémoire de ceux qui l'avaient construit, disait: "En faisant raser le sol pour y bâtir cette maison, César avait dit: "Que l'herbe disparaisse," et le brin d'herbe avait répondu: "J'ai le droit de vivre." César avait dit: "J'ai le fer," et le brin d'herbe répondit: "J'ai le temps." Quinze ans ont passé depuis, plus dix ans auparavant, cela fait 25 ans d'ostracisme continu et le brin d'herbe demande toujours le droit à la vie et celui de respirer normalement.

Vers la fin de mars 1950, sur recommandation d'un médecin d'Ottawa et du docteur Genest, psychiatre de Montréal, j'étais forcé de demander ma sortie définitive d'une communauté. Etant à Mon- tréal et sans emploi dans la vie, j'ai vu au moins sept avocats. C'est alors que je me suis rendu à la bibliothèque Saint-Sulpice de Montréal pour consulter le code criminel. Mais oui, l'article 186 i) et ii) était clair pour moi, je pouvais faire des réclamations devant les tribunaux.

Le 24 février 1951, j'ai envoyé une lettre conjointe au premier ministre du Québec, au premier ministre du Canada ainsi qu'à tout l'épiscopat français; copies furent envoyées à tous les membres français du Parlement d'Ottawa et à tous les membres du Parlement provincial, ainsi qu'à tout l'épiscopat. Une seule réponse, celle de Mgr Roy, archevêque de Québec.

Le 10 mars 1954, je comparaissais en séance publique devant la commission Tremblay, immédiatement après l'Engineering Institute. Les journalistes ne furent pas invités et on empêcha par tous les moyens que les idées émises fussent répandues. Pendant ce temps, on refaisait un code criminel qui a été sanctionné le 24 juin 1954. J'étais curieux et j'avais hâte de prendre connaissance du nouveau code. Mais quel le ne fut pas ma surprise, en le lisant, de voir que toutes les belles espérances que me donnait l'article 186 avaient été enlevées pour faire place à l'article 192 qui précisait "cause la mort d'une autre personne". A l'article 193, "cause des lésions corporelles à autrui". On éliminait tous les autres droits.

Je me suis alors décidé à faire face au Parlement fédéral pour son affront et sa volte-face. Au printemps 1956, j'ai envoyé une lettre au ministre de la Justice qui se terminait à peu près comme ceci : Je déclare la guerre à cette corporation religieuse, et si le Parlement est impuissant, je me ferai justice moi-même. A la guerre, on peut tuer pour se défendre. Des copies furent envoyées à tous les sénateurs et députés, sans exception. Le ministre de la Justice accusa réception sur une carte écrite à la main par sa secrétaire. M. Coldwell, chef de la CCF, me remercia et me félicita pour ma lettre, rien de plus. En 1959, je me suis rendu voir M. Hilaire Beauregard, chef de la police provinciale, à son bureau. Sa réponse fut nette et claire: Va-t'en en Ontario, ne reste pas ici au Québec, c'est trop dangereux pour toi. En mars 1960, je l'admets, j'ai envoyé une lettre de menaces disant que je passerais à l'action si on n'agissait pas. Le dimanche, 20 mai 1960, par une belle température et après avoir assisté à la messe à l'église Notre-Dame de Montréal, j'avais posé un acte, il est vrai, il était sept heures du matin; mais j'affirme n'avoir blessé personne avec une carabine .303.

C'est en parfaite connaissance de cause et en toute lucidité d'esprit, et après mûre réflexion, que j'avais décidé de me mettre la tête dans la gueule du loup. Je me suis rendu au poste de police principal de la rue Gosf ord. Si vous me permettez, je vais résumer pour q ue cela se fasse un peu pi us vite. Après un bref interrogatoire, on m'a dit: C'est bien regrettable, maisilfauttegardersousobservation. Le lendemain, on m'a fait comparaître devant à peu près sept ou huit personnes. Ce qui voulait dire que ces personnes étaient à peu près assez bien déterminées pour juger si j'étais sain d'esprit ou si mon état était assez satisfaisant pour comparaître devant le tribunal.

Le mardi matin, la police — ceux qui connaissent un peu le système de la police municipale m'a fait entrer dans une grande salle où il y avait plein de monde et il y avait des journalistes. C'est là que j'ai appris que j'avais contre moi une accusation de tentative de meurtre. Cela ne me faisait rien. La police m'avait donné l'autorisation d'apporter mes documents pour me défendre.

Rendu à Bordeaux, on m'enleva mes documents. J'y ai passé à peu près sept semaines avant mon enquête préliminaire. Avant l'enquête préliminaire, mon avocat est venu me voir et m'a demandé si j'acceptais de me faire examiner. J'ai dit: Non, je suis sain de corps et d'esprit, je refuse de me faire examiner. Alors, on a fait toute l'enquête préliminaire; on a présenté la lettre en question en disant qu'on avait envoyé un photostat à la police provinciale et qu'elle avait refusé d'agir. J'ai demandé au juge Chevrette, à la fin du procès, d'avoir mes documents pour pouvoir me défendre à mon examen volontaire la semaine suivante. Il me les a refusés.

A Bordeaux, j'ai fait la même demande auprès de M. Beaudoin — on l'appelait le gros Beaudoin, c'est lui qui était en charge de la discipline — qui m'a fait venir à son bureau; il avait tous les documents et les lettres dont j'avais besoin pour mon examen volontaire. Une fois la séance terminée, je n'ai jamais revu ces documents de ma vie. Où sont-ils rendus? Je l'ignore.

La semaine suivante, pour mon examen volontaire, on nous afait comparaître cinq en face du juge. C'était la première fois que je comparaissais. Je me disais: J'aurai mon examen volontaire. On nous a demandé notre nom. On nous a dit:Tout ce que vous direz, ce sera retenu contre vous. L'avocat parlait tellement vite que cela s'est perdu dans les nuages.

Je pensais revenir pour mon examen volontaire. Mais non, c'était fini. Je suis retourné à Bordeaux. C'est seulement en décembre suivant que je me suis présenté devant le tribunal, devant le juge Lazure. Dans ce temps-là, quand on passait devant Lazure, il y avait seulement un juge des Assises, et il fallait être criminel. Au bout de cinq ou six semaines, je suis entré dans la salle des Assises et il y avait 100 personnes, des jurés, presque toutes à tête blanche. Le juge Lazure s'est assis et a dit: Messieurs les jurés, c'est bien regrettable, mais je n'ai pris connaissance du dossierde M. Julien que ce matin. Cela me rappelle le cas de Nogaret. Il a spécifié Nogaret. Il dit: C'est bien regrettable, mais on a été obligé d'arrêter le procès de Nogaret. à cause d'un examen mental. Je dois renvoyer l'accusé à un examen mental.

Je suis retourné à Bordeaux. J'ai vu deux psychiatres, le Dr Genest et le Dr Huard. Le Dr Huard avait sesdeux sécrétaires. Quand j'ai vu le Dr Genest, il était accompagné de sa secrétaire et de M. Dwyer, qui était le secrétaire du Dr Huard, donc, devant trois personnes. Je déclare que, dans les deux entrevues, j'étais entièrement sain d'esprit.

Lorsque le procès est arrivé, le 2 décembre 1960, en entrant dans la salle, les douze jurés étaient déjà en place, et les douze jurés avaient déjà entendu deux autres causes avant moi, qui étaient celles de Morin et de Cotroni. Il y avait deux avocats, un qui me faisait penser à Claude Wagner. Je ne sais pas si c'est lui, mais ça lui ressemblait, de bons avocats. Les deux avocats n'ont pas dit un mot. Le juge a fait venir le Dr Genest. Celui-ci dit: J'ai examiné M. Julien il y a dix ans. C'est vrai, je l'avais vu avant de quitter la communauté. Il dit: Je viens de le voir et c'est un "psychose", qui est inconscient de ce qu'il dit et de ce qu'il pense. Le juge Lazure lui a demandé de préciser davantage, et il a même osé dire: Mais, docteur, il y a dix ans de cela, en voulant dire que j'aurais été en... Comment cela se faisait-il qu'il m'avait examiné il y a dix ans passés, j'avais été dix ans en liberté à l'extérieur, inconscient de ce que je pensais et de ce que je disais?

Finalement, il a remercié le Dr Genest et le Dr Huard est venu corroborer sous serment ce que le Dr Genest avait dit. A ce moment, il s'est fait un silence dans la cour. Personne n'a dit un mot, personne. Cela a duré à peu près cinq minutes. Les douze jurés se sont levés, sans dire un mot, sans dire coupable ou non coupable, sans que les avocats ou le juge leur posent une question. Ils n'ont absolument rien dit. Finalement, le juge Lazure a brisé le silence et dit: Messieurs les jurés, je vous reverrai lundi. Un policier, qui était à côté de moi, dit: C'est le temps de sortir. C'est comme cela que j'ai été amené et classé, par la loi, inconscient mental.

En arrivant à Bordeaux, on était dans ce qu'on appelait l'hôpital no 1, ce qui veut dire que les malades ou les malades mentaux temporaires passaient par cet hôpital. Nous étions une vingtaine. J'étais un peu dans un moment dépressif, mais je n'étais pas malade. Les gens s'apercevaient de mon état et sympathisaient avec moi. Il y en a un qui m'a dit: Julien, je vais écrire à un avocat pour toi. J'ai dit: C'est très bien, j'accepte. Il a pris sa plume et, en quelques minutes, il m'a rédigé une très belle lettre que j'ai signée. La lettre a été envoyée à Me Claire Barrette. Si celle-ci a encore cette lettre dans ses fiches, elle pourra vérifier ce que je dis.

Le 7 décembre, la veille de l'Immaculée-Conception, j'ai envoyé une note à M. Beaudoin, mais dans les notes de la prison, on disaitd'indiquer pourquoi on voulait avoir une entrevue. J'ai indiqué: Pour faire reviser mon procès. C'était à dix heures du matin. A 11 h 30, il y a un garde de Bordeaux... Avant cela, je vais vous dire: La veille, il y avait un patient qui était allé à l'hôpital psychiatrique. Il m'a dit: Julien, je suis allé à l'hôpital psychiatrique et j'ai rencontré un gars qui est là depuis 28 ans. Il dit: Sois sans crainte. Il n'y en a pas un qui est entré dans l'hôpital psychiatrique sans avoir fini ses 30 jours.

Alors, le 7, comme je l'ai dit, on est venu me chercher pour me faire entrer officiellement dans l'hôpital psychiatrique. Je n'avais plus aucun moyen de recours devant les tribunaux.

Le premier que j'ai rencontré, c'était un dénommé Albert DeLelis. Cela faisait 25 ans qu'il était là.

Je vais vous citer le cas de mon ami Léo. Il vit en liberté maintenant, c'est pour cela que j'évite de nommer son nom de famille. Son vrai nom, c'est Léo. La veille de son procès, le Dr Plouffe l'a fait venir et lui a dit: Tu es libre de choisir. Si tu veux ton procès, tu l'auras. Je peux te soigner et lorsque tu seras guéri, tu pourras sortir et tu n'auras pas de dossier judiciaire.

Ce médecin devait prêter serment le lendemain

sur l'état mental de Léo. Mais comme il le laissait libre de choisir s'il était sain ou fou, il a dit: J'accepterai avec plaisir. C'était trop beau pour moi.

Il est entré dans l'aile des fous, la Rue K-Wing, le nom populaire de Bordeaux. Ce trou sale, mal famé, mal aéré et surtout, surpeuplé, il y demeura 24 ans, sans jamais prendre aucune pilule, ni de médication d'aucune sorte. Il fut 20 ans sans voir aucun psychiatre, le seul qui pouvait ouvrir son dossier.

J'en passe un peu. En 1963, on m'a envoyé à Saint-Jean-de-Dieu. J'ai été déclaré sain d'esprit par tous les psychiatres. Je suis retourné à Bordeaux pour subir mon procès. De juillet 1964 à la fin de septembre 1967, ce qui veut dire trois ans et deux mois, j'ai comparu tous les mois sans exception devant le tribunal, sauf les mois de juillet et août. Je suis passé devant environ 15 juges. J'ai eu un procès le 24 mai 1966. Sans le savoir, je suis arrivé un matin et on m'a dit: C'est ton procès.

Le Dr Daoust est arrivé, il est resté environ trois quarts d'heure dans la boîte et m'a classé: mental. Il disait que je n'étais même pas conscient, pas capable de conseiller mon avocat.

C'est alors que je me suis défendu. J'ai demandé à témoigner. Je n'irai pas plus loin parce que les témoignages exacts et véridiques ont été mis dans le Montréal-Matin et dans la Presse par Roger Gill et Maurice Morin.

Alors, j'ai été une heure dans la boîte aux témoins. Quand j'ai eu fini de parler, le juge s'est tourné du côté des jurés et a dit: Maintenant, MM. les jurés, délibérez. Le juge n'a dit absolument aucun mot au jury, les avocats non plus.

Les jurés se regardaient entre eux et se demandaient quoi faire. Ils ont dit: M. le juge... Il a répondu: MM. les jurés, sortez et délibérez. Ils sont sortis et sont revenus. J'ai trouvé, M. le Président, qu'ils avaient donné, ce matin-là, un jugement à la Salomon. Le Dr Daoust n'avait personne pour corroborer les affirmations qu'il lançait contre moi et moi, je n'avais personne pour corroborer les affirmations que je lançais contre le Dr Daoust. C'était en mai 1966.

J'ai écrit une lettre à la commission Prévost afin d'être entendu par celle-ci, parce que je n'étais pas condamné; j'étais suspendu j'étais devant le tribunal. J'ai reçu une lettre des avocats de la commission Prévost me disant qu'on était pour me faire comparaître. C'était en juillet 1966.

A la fin de septembre 1967, en vertu d'un mandat du lieutenant-gouverneur — j'ai à préciser ici que c'est le Dr Daoust qui me classait mental au procès — arrivé à mon procès, j'ai été sous la juridiction du Dr Daoust. Il me semble qu'on aurait pu prendre un autre jugement pour me faire réinterner, pour me faire entrer de nouveau à la prison de Bordeaux. C'est seulement le jugement du Dr Daoust qui a été contesté devant le tribunal. Je me suis battu; les deux témoignages sont écrits dans les journaux. On m'a rentré quand même à l'hôpital psychiatrique de Bordeaux. C'était à l'institut Pinel.

Je dois préciser qu'en arrivant, le mode de vie était changé. C'était un nouvel hôpital psychiatrique, on donnait de petits banquets, puis on avait commencé à avoir de l'argent. On avait amélioré l'affaire. Je dois féliciter de ce côté, pour ce qui est arrivé, le ministère des Affaires sociales. On était bien traité. Même, on avait quelques piastres. J'ai commencé à $2 par semaine et, au bout de quelques semaines, j'avais $4 par semaine. Ce qui veut dire que, depuis 1966 à aller à 1971, je me privais — vous le verrez dans quelques instants —je n'ai pas pris une bouteille de "coke"et je ne prenais pas un chocolat, pour ramasser mon argent.

Combien me reste-t-il de temps, s'il vous plaît?

Le Président (M. Cornellier): II vous reste environ deux minutes, peut-être trois.

M. Julien: Pas plus que cela?

Le Président (M. Cornellier): Non, malheureusement.

M. Julien: S'il ne me reste que deux minutes, je coupe court. Je vais passer à ma déclaration et ce que j'ai à faire sur le sujet en question.

Le juge Dansereau vient de publier un volume, "Les grands procès célèbres". Il commence son chapitre sur le procès de Nogaret en affirmant qu'Antonio Godon avait fait une déclaration qui avait été tenue secrète, à l'effet qu'il aurait avoué son crime. Il finit son chapitre en disant que Godon est mort depuis longtemps, même qu'il était mort peu après son entrée à l'hôpital psychiatrique.

Deux déclarations fausses et mensongères: J'accuse le juge Dansereau d'être un effronté menteur et un vulgaire calomniateur. Que la couronne prenne les meilleurs criminalistes du monde, seul et sans aide de personne, avec ma seule expérience des tribunaux et des prisons psychiatriques, après avoir lu attentivement les deux procès de Nogaret en 1931 et celui d'Antonio Godon en 1939, je déclare catégoriquement que Nogaret est le vrai meurtrier de la petite Simone Caron, âgée de sept ans et demi, et qu'Antonio Godon est innocent de ce crime.

Moi, je peux me défendre seul, mais lui, Godon, n'est pas capable. C'est pourquoi, en son nom, je réclame la plus élémentaire justice. Je crois que l'endroit est mal choisi pour faire un procès, mais je peux tout vous dire sur les événements qui ont envoyé Godon en claustration, si on me le demande.

M. le Président, j'ai terminé.

Le Président (M. Cornellier): Merci, M. Julien.

M. Choquette: Je vous remercie beaucoup, M. Julien.

M. Julien: Si vous me permettez, Messieurs, j'aurais des félicitations à faire au ministre de la Justice. Les événements d'octobre ont prouvé que c'est surtout aux heures difficiles d'un pays qu'on prouve la valeur d'un homme et M. Choquette l'a prouvé aux événements d'octobre. Excusez-moi.

Le Président (M. Cornellier): M. Julien, je vous remercie au nom des membres de la commission. J'appellerais maintenant les représentants de l'Association du Québec pour les déficients mentaux.

Vous pouvez procéder en vous identifiant, s'il vous plaît.

Association du Québec pour les déficients mentaux

M. Healy: M. le Président, M. le ministre, MM. les membres de la commission, je m'appelle A. Lawrence Healy. Je suis directeur général de l'Association du Québec pour les déficients mentaux.

J'ai le plaisir de présenter le mémoire de notre association, au nom de M. Pierre A. Gratton, président, qui, malheureusement, ne pouvait pas se présenter, être des nôtres aujourd'hui. Avant d'aller plus loin, j'aimerais vous présenter mes collègues. A ma gauche, M. Jean-Marie Bouchard, directeur général de l'Institut national canadien-français pour la déficience mentale, Mlle Agathe Allaire, coordina-trice de l'Association du Québec pour les déficients mentaux, l'AQDM.

L'Association du Québec pour les déficients mentaux doit louer le ministre de la Justice pour son initiative en présentant à l'approbation de l'Assemblée nationale le projet de loi no 50. La société québécoise souffre pratiquement et spirituellement depuis trop longtemps du manque d'une telle loi. La promulgation d'une loi forte garantissant les droits et libertés de la personne représentera un grand pas vers l'avant dans l'évolution de la société québécoise.

L'Association du Québec pour les déficients mentaux est heureuse de pouvoir apporter, par le truchement de ce mémoire, son étroite collaboration à l'élaboration de la version définitive de ce projet de loi si important. La voix officielle de 33 associations de parents et de bénévoles travaillant pour le compte de déficients mentaux dans toute la province, l'AQDM représente d'une façon non officielle les intérêts de tout groupe handicapé ou désavantagé puisque nos philosophies directrices de la normalisation et de l'intégration s'appliquent à toute personne handicapée ou désavantagée et non seulement aux déficients.

Ces philosophies s'expriment d'une façon pratique dans notre programme d'action, c'est-à-dire, la mise en place d'une gamme complète de services communautaires intégrés permettant à tout handicapé ou désavantagé de vivre et de continuer, dans la mesure du possible, de façon autonome, dans la communauté, et non pas clôturé dans les grosses institutions comme dépendant de l'Etat.

L'AQDM avec l'aide de l'Association canadienne pour les déficients mentaux s'occupe, depuis ses tout débuts, des droits et libertés des déficients mentaux et ce par divers moyens, à savoir: A) Programmes d'information pour les déficients mentaux, leurs parents, tuteurs, etc., leur expliquant leurs droits dans divers domaines sociaux; B) Présentation des mémoires traitant des droits des déficients mentaux aux divers ministères gouvernementaux aux niveaux municipal, provincial et national; C) Programmes génériques et spéciaux d'information pour le grand public ainsi que des publics particuliers tels que médecins, avocats, policiers, éducateurs; D) L'assistance particulière dans le cas où un déficient mental est particulièrement pris par une situation où ses droits ne se voient pas respectés.

Il est à rappeler que la déficience mentale est le handicap qui atteint le plus de personnes au Canada. D'après de nombreuses études, il est accepté que, statistiquement, 3% de la population en général est atteint d'un degré de déficience mentale.

La position de l'AQDM face au projet de loi 50. Ce mémoire fut préparé par l'AQDM après consultation avec l'Institut national canadien-français pour la déficience mentale, dont la collaboration fut précieuse.

Il est axé sur quatre points principaux: 1) L'AQDM considère que toute loi sur les droits et libertés de la personne promulguée par l'Assemblée nationale doit avoir le statut d'une loi fondamentale puisque son premier rôle, c'est de fixer un minimum de règles fondamentales qu'une société se donne, en conformité avec les valeurs humaines de base et les garanties de justice qu'elle reconnaît comme droits de tous et de chacun. Toutes les autres lois doivent obéir aux règles fixées dans la charte, ainsi que les règlements municipaux et scolaires, par exemple. Il en va de même des services d'intérêt public. Les comportements des citoyens comme personnes, comme groupes, comme organismes, comme pouvoirs publics sont inspirés par la charte, en connaissance de leurs droits et de leurs conditions fondamentales d'exercice, dans le triple but de les exercer en propre, de les favoriser chez les autres et de contribuer à la qualité de la société québécoise. Un tel statut s'impose si on veut réellement changer la situation actuelle au Québec et garantir les droits de tout Québécois, quelle que soit sa situation sociale, économique ou linguistique.

Deuxième point fondamental, l'AQDM estime que les déficients mentaux sont, au point de départ, des citoyens à part entière du Québec et devraient donc jouir des mêmes droits et libertés que tout autre citoyen, sans qu'ils soient stigmatisés par des statuts particuliers a cause de leur situation.

Les déficients mentaux et leur potentiel étaient sous-estimés depuis longtemps. Ce n'est que récemment que l'on commence à reconnaître leur potentiel et à les sorti r des coins cachés d u foyer et des institutions pour les intégrer dans la communauté où ils font preuve de leurs capacités de contribuer à la société.

Une petite digression. Vous avez lu dans les journaux récemment que, dans certains milieux, ce potentiel n'est pas reconnu et dans certaines institutions. Souvent, par le passé, les déficients mentaux se voyaient privés de leurs droits et libertés fondamentaux comme résultat de l'image fausse du potentiel des déficients que possédait le grand public.

Donc, troisième point. L'AQDM estime que la commission des droits de la personne doit être dotée de pouvoirs accrus par rapport à ceux que prévoit le présent projet de loi afin d'éliminer les abus et erreurs résultant du passé.

L'AQDM est contre un statut légal particulier et stigmatisant pour les déficients mentaux. Une charte des droits de l'homme bien respectée ne violerait pas les droits et libertés fondamentaux des déficients. Cependant, la pratique révèle qu'ils sont souvent victimes de préjudices qu'il faut dénoncer et finalement défendre.

Ce genre de préjudices se manifestent particu-

lièrement dans les domaines suivants: la sauvegarde de la dignité, le respect de la vie privée, le droit de se marier, le droit d'avoir des enfants, la protection de la propriété, le droit de voter, le droit à la liberté, le droit à l'éducation, le droit d'immigrer.

Des procédures permettant aux déficients mentaux ou aux personnes qui en tiennent lieu de réparer de tels préjudices sont donc indispensables à toute charte visant à assurer les droits et libertés fondamentaux de la personne. De plus, il nous faut souligner qu'il n'est plus question de considérer l'obtention des droits des déficients mentaux en termes de privilèges et de bonne grâce, mais plutôt en termes de droits fondamentaux qu'ils doivent exiger au même titre que tout autre citoyen, ceci étant l'hypothèse de base des principes de normalisation et d'intégration auxquels j'ai fait allusion tantôt.

Quatrième point. L'AQDM demande d'être consultée, ainsi que tout autre organisme concerné dans la formulation de tout règlement pouvant provenir de l'adoption de ce projet de loi. Un tel processus de consultation permettra que ces règlements soient plus représentatifs des attentes de la collectivité québécoise et facilitera leur acceptation populaire.

M. le Président, ces points se voient expliqués davantage par les modifications spécifiques proposées au projet. Ces modifications sont proposées en forme d'annexes, une annexe par article. Chaque annexe comprend trois parties. Premièrement, l'article tel que proposé dans le projet de loi, deuxièmement la modification de l'article. Avec votre permission, nous allons sauter la première partie et passer à la deuxième pour chacun des articles. D'accord?

Le Président (M. Cornellier): Très bien, M. Healy.

M. Healy: Annexe no 1, article 2. Nous proposons deux modifications ici. Premièrement, insérer dans le paragraphe: "Nul ne peut, sans motif raisonnable, refuser ou négliger de se porter au secours d'une personne dont la vie est en péril pour lui apporter l'aide physique et sociale nécessaire et immédiate que requiert son état".

Nous désirons ajouter ou reformuler ceci: "A défaut d'une personne qui accepte de se porter au secours d'une personne dont la vie est en péril pour lui apporter l'aide physique ou sociale nécessaire et immédiate que requiert son état, l'Etat doit endosser cette responsabilité ou reconnaître une personne compétente et consentante à l'assumer. Cette personne devrait jouir des pouvoirs d'exonération nécessaires pour l'accomplissement de sa tâche.

Commentaires. "Nul ne peut sans motif raisonnable" est un terme très vague qui n'implique aucune responsabilité et demeure assez ambigu et pourrait peut-être mener à certains abus. Dans la modification de l'article que nous proposons, on stipule qu'une personne peut être désignée, si l'Etat n'assume pas cette responsabilité.

A cet effet, nous avons un programme de parrainage civique; le parrain civique serait à notre avis une personne-ressource à laquelle on devrait se référer dans un tel cas. Pour donner une brève description du parrain civique, on entend un volontaire ou un bénévole compétent qui, avec l'appui d'une oeuvre de soutien indépendante, telle que l'AQDM ou une de nos associations filiales, veillera aux intérêts d'une personne en difficulté sur le plan social, affectif et légal en vue d'une intégration éventuelle à la société. Un tel programme prévoit un genre de collaboration entre les ministères et le ministère de la Justice, de l'Education et le ministère des Affaires sociales, ainsi que des associations bénévoles et de parents comme la nôtre.

Annexe 2, article 11: II s'agit ici d'insérer une phrase — les conditions physique, mentales et intellectuelles — de sorte que cet article nous permette de couvrir les déficients mentaux par un genre d'article générique, plutôt de leur donner un statut particulier, un statut légal particulier. Nous jugeons capital ici d'ajouter "conditions mentales, physiques et intellectuelles", éliminant ainsi les possibilités de discriminations non pertinentes quelles qu'elles soient, permettant ainsi à toute personne en difficulté, à cause d'une inadaptation, de n'être pas stigmatisée dans une loi spécifique, mais plutôt de bénéficier d'une loi générique, favorisant ainsi son intégration sociale. Nous entendons par: a) conditions mentales: maladie mentale, difficulté ou désordre d'ordre psychologique et psychiatrique, b) conditions physiques: tout handicap physique et sensoriel (aveugle, sourd-muet), c) conditions intellectuelles: déficience mentale à tous les niveaux: profond, moyen, léger.

Article 3: II s'agit de reformuler la phrase, de préciser davantage la phrase: "Les aptitudes exigées pour un emploi" par une phrase qu'on estime être peut-être un peu plus précise: "Les qualités et une exigence professionnelle réelle". C'est important. Cette clause pourrait permettre ou mèner à une discrimination non pertinente. C'est important que ce soient des exigences réelles pour un emploi. Nous sommes de l'avis que certaines des phrases de cet article peuvent donner libre cours à diverses formes de discrimination. Par exemple, la phrase "le caractère éducatif d'une association ou corporation pourrait être largement utilisé pour justifier une discrimination non pertinente d'un employé. Par exemple, cet article pourrait permettre à un organisme ayant pour but d'éduquer le public... Les déficients mentaux ne devraient pas être intégrés dans la société. Cela permettrait une discrimination. Sinon cet article devrait être reformulé plus strictement afin d'éviter un surcroît de demandes d'enquête à cet effet pour la Commission des droits de la personne.

Annexe 4, article 23. Les annexes 4 et 5 vont ensemble. Nous désirons insérer "l'obligation de l'Etat de fournir des services psycho-sociaux et de santé nécessaires... sinon la condition physique, mentale ou intellectuelle de toute personne arrêtée ou désignée". Ces services sont aussi importants que le service d'un avocat et peut-être même plus importants. Nous apportons ces modifications afin que les personnes en difficulté, à cause d'une inadaptation, aient les traitements requis par leur état,

lors d'une période possible de détention. Une évaluation profonde est souvent nécessaire puisque chez un délinquant déficient, jeune ou adulte, son état de déficience peut être dissimulé par la manifestation d'autres problèmes d'ordre physique ou social. Ceci couvre l'annexe 5.

A l'annexe 6, nous proposons de changer le terme "tout enfant a droit à la protection et à la sécurité que doit lui apporter sa famille ou les personnes qui en tiennent lieu", par la phrase "toute personne". Nous modifions l'article par "toute personne", car dans bien des cas et spécifiquement en déficience mentale, une condition de minorité prolongée doit être considérée.

Cet état de minorité permanente exige donc une protection dépassant les normes régulières prévues par la loi, majorité à 18 ans. Cette protection devra être d'abord exercée premièrement par la famille et toute personne substitut qui pourrait intervenir ici, en l'occurrence le parrain civique, tel que défini dans les commentaires suivant les modifications de l'article 2. *

II est à rappeler qu'à l'heure actuelle on considère que seulement 12% des déficients mentaux, ou cinq personnes sur 2,000, ne peuvent vivre indépendamment et ont besoin d'une telle protection. Ce pourcentage tombe avec le développement de nouvelles techniques de traitement et de soins.

Annexe no 7, article no 41 : Ici, il s'agit d'insérer une phrase "assistance et/ou sociale" et non seulement l'assistance financière susceptible de lui assurer un niveau de vie décente. Ces modifications ont pour but de ne pas limiter l'aide à la personne exclusivement à un appui financier, mais en vue d'assurer une prise en charge globale de la personne, particulièrement en ce qui a trait à la personne handicapée et défavorisée.

Annexe no 8, article no 45: Les modifications que nous proposons ici sont des modifications qui ont été proposées par la Ligue des droits de l'homme et qui visent à ce que cette loi ait le statut d'une loi fondamentale.

A l'annexe no 9, c'est un commentaire à l'article no 49 qui dit: La commission est composée d'au moins trois membres dont le président, nommé par l'Assemblée nationale sur la proposition du premier ministre, pour un mandat n'excédant pas dix ans. Voici notre commentaire: A notre avis, l'article 49 ne spécifie pas suffisamment quelles personnes pourraient être nommées à la commission. Il est important que ladite commission soit réellement représentative de la collectivité québécoise. A cette fin, l'AQDM suggère une de deux modifications possibles: 1) que l'article 49 spécifie que l'Assemblée nationale devrait choisir un nombre de personnes de la commission parmi des groupes, classes ou organismes sociaux spécifiques représentatifs de la collectivité québécoise, ou; 2) que l'article 49 prévoie la participation de ces groupes, classes ou organismes représentatifs de la collectivité québécoise dans le choix des membres de ladite commission, c'est-à-dire de donner le droit de vote non seulement à l'Assemblée nationale mais à ces groupes.

Article no 58: II s'agit de préciser davantage, d'insérer la phrase "établir et exécuter un programme d'information et d'éducation destiné à faire comprendre et accepter l'objet de ces dispositions". Le paragraphe e), ce n'estqu'une précision à apporter au rôle de la commission.

Annexe no 11:On parle encore du pouvoir de la commission. La modification que nous proposons, c'est que la commission peut en tout temps remettre au président de l'Assemblée nationale, qui les dépose à l'Assemblée nationale, des rapports spéciaux sur des questions particulières qui appellent sinon la commission à des interventions urgentes dans la période où l'Assemblée nationale ne siège pas, mais permettent à la commission de rendre publics de tels rapports par d'autres voies, c'est-à-dire de ne pas attendre jusqu'au 30 mars de l'année pour avoir un rapport. Si la commission estime qu'on doit faire quelque chose rapidement, elle devra pouvoir le faire.

Dernière annexe, 12: L'article 61 proposé par le texte traite de la forme des demandes, des requêtes que peut faire une personne devant la commission. J'aimerais lire notre modification parce qu'elle pourrait être facilement mal comprise. "Tout groupe de personnes voué à la défense des droits et libertés de la personne ou au bien-être d'un groupe de personnes, qui a raison de croire que s'est commise une discrimination visée à l'article précédent, peut également, par écrit, ou par tout autre document audio ou audio-visuel, faire une demande d'enquête". Le reste de la phrase aurait dû être rayé, c'est une faute de frappe.

Nous considérons que cette modification donnerait la possibilité à toute personne de faire une demande d'enquête à la commission, même s'il lui est impossible de présenter une requête écrite, à cause d'une impossibilité physique ou intellectuelle.

J'aimerais spécifier un cas particulier, au cas où ce serait mal compris. Je ne veux pas entrer dans la polémique de l'écoute électronique. Vous pourriez avoir un cas où un déficient mental se voit exploité dans un spectacle dans une boîte de nuit. Cette personne qui ne pourrait pas être capable de lire pourrait demander l'aide d'une personne pour faire un ruban magnétoscopique de l'acte qu'elle présentait; elle n'aurait pas le droit d'insister pour que ceci soit enregistré dans le club, mais pourrait se référer à une association comme la nôtre et montrer ceci dans une salle. Il n'est pas question qu'on viole le droit de la vie privée du club qu'elle exploite. C'est tout simplement qu'on lui demande d'être en mesure d'utiliser d'autres moyens que des moyens écrits, pour faire une demande d'enquête.

Nous remercions grandement la Ligue des droits de l'homme pour son appui à la préparation de ce document, nous vous remercions de votre attention et soyez assurés, messieurs, qu'en tant qu'association chien de garde des intérêts des déficients mentaux, nous suivrons avec intérêt tout ce qui proviendra de cette commission. Merci beaucoup.

Le Président (M. Cornellier): Merci bien, M. Healy. J'invite maintenant le ministre de la Justice à poser les questions.

M. Choquette: M. le Président, tout d'abord, avant de poser quelques questions et de faire des commentaires sur les aspects particuliers qui ont été soulevés par le groupe qui comparaît ce matin, je voudrais féliciter M. Healy et l'Association des déficients mentaux pour le mémoire qu'ils nous présentent. Ce mémoire, je crois, s'inscrit sous le titre de la dignité qu'il faut reconnaître et qu'il faudrait que la législation reconnaisse à ceux qui souffrent de maladies mentales, et aussi, faut-il dire, d'autres infirmités, parce que vous n'avez pas limité votre intervention exclusivement aux cas de maladies mentales, si je m'en réfère à vos commentaires à l'annexe 2.

M. Healy: Excusez-moi, M. le ministre. Est-ce que je peux intervenir? Il y a une forte distinction entre la déficience mentale et la maladie mentale. La déficience mentale, c'est un état permanent, tandis que la maladie mentale, c'est un état temporaire qui peut être guéri.

M. Choquette: Je vous remercie d'apporter cette précision. Elle n'apparaît nulle part, je crois, dans votre texte. Si je m'en réfère même aux commentaires sur l'annexe 2, vous avez circonscrit un peu le cadre de ceux qui vous intéressent par une définition qui comprend condition mentale, maladie mentale, difficulté ou désordre d'ordre psychologique et psychiatrique, condition physique, tout handicap et sensoriel, aveugle, sourd et muet, et finalement, condition intellectuelle, déficience mentale à tout niveau, profond, moyen, léger.

J'avais pris ceci comme étant un peu le cadre des personnes dont vous cherchiez à plaider la cause ce matin.

M. Healy: Excusez-moi. J'avais mal compris votre intervention.

M. Choquette: Est-ce que c'est exact?

M. Healy: Ça va.

M. Choquette: Je crois qu'il est heureux que l'association qui est ici souligne à la commission l'intérêt qu'il y a de donner une reconnaissance juridique valable à ces personnes, pour qu'elles ne souffrent pas de plus de discrimination ou d'un traitement juridique différent de celui des autres personnes de la société, ou autre que celui qui est réellement rendu nécessaire par leur état.

Je crois que M. Healy reconnaîtra facilement que, pour les cas de maladie mentale, il n'est pas possible de traiter ces personnes comme si elles n'avaient pas de maladie mentale.

M. Healy: Sûrement, je pense...

M. Choquette: Je ne crois pas que le plaidoyer de M. Healy aille jusqu'au point de demander, malgré que j'aie vu une référence à la nomination d'un parrain, je pense que ce parrain, dans l'esprit de ceux qui nous présentent le mémoire ce matin, rem- placerait possiblement ou, enfin, serait l'équivalent du curateur ou du conseil judiciaire qui peut être nommé en vertu du code civil à l'égard de personnes qui ont des affections mentales.

M. Healy : Oui. M. Bouchard aimerait répondre à votre question.

M. Bouchard: C'est-à-dire qu'en parlant de parrainage civique, à l'expérience, nous nous sommes rendu compte que les professionnels, par exemple, qui s'occupaient du handicapé, nécessairement s'occupent du handicapé habituellement de 9 heures le matin à partir du lundi matin jusqu'à 5 heures le vendredi soir. Mais le handicapé a besoin d'un support pour toute la semaine et pour toute l'année. Donc, à ce moment, pour compléter le travail du professionnel, au niveau du service social, de l'aide légale, etc., par exemple, l'officier de probation, nous pensons pouvoir utiliser des bénévoles en organisant un bureau qui pourrait être en relation avec la commission ou avec un pouvoir délégué de la commission, également du ministère de la Justice, ainsi que des Affaires sociales, parce que tout l'aspect social... pour organiser la protection et l'aide de cet individu dans la société, non pas uniquement au point de vue financier, au point de vue légal, mais également au point de vue social, de manière à compléter le travail des professionnels qui l'aident à se normaliser dans la société. Par exemple, actuellement, si on développe ces programmes de parrainage civique, il y a plusieurs handicapés, entre autres, des déficients mentaux, qui vivent dans des hôpitaux psychiatriques, qui sont pris pourdes malades mentaux, mais qui sont des déficients mentaux, ce qui est différent, qui pourraient sortir et vivre dans la communauté, gagner leur vie. Nous avons des expériences très positives dans ce domaine. Donc, cet aspect est important pour nous, c'est-à-dire que les personnes qui pourraient s'occuper d'un handicapé d'une façon bénévole auraient peut-être besoin d'une immunité.

M. Choquette: Une immunité de quel ordre?

M. Bouchard: Une immunité légale, c'est-à-dire qu'à un certain moment, elle puisse ne pas avoir de recours en justice contre elle si elle le fait de bonne foi, si elle l'aide à prendre une décision de bonne foi.

M. Choquette: Oui. Je crois qu'en fait, ce que vous demandez là est déjà implicite dans le droit civil québécois. Vous savez que le mandataire ou vous savez peut-être que le mandataire, en général, n'est pas responsable pour les actes qu'il a posés de bonne foi et qui n'indiquent pas une négligence grossière de sa part. J'imagine facilement, malgré que je n'aie pas vérifié auprès des autorités et les causes récemment dans ce domaine, qu'un curateur ou enfin le parrain civique auquel vous référez dans votre mémoire ne serait pas responsable, s'il a pris des précautions d'un bon père de famille, enfin, qui n'a pas montré de négligence grossière, il ne souffrirait pas de responsabilités dans un cas comme celui-là.

M. Healy: Puis-je apporter une précision à ce que disait M. Bouchard?

Le concept des droits limités de la personne comprend le concept des responsabilités de la personne. C'est sûr que certains déficients mentaux ne sont pas en mesure de prendre la pleine responsabilité dans la vie, mais ce nombre est très petit par rapport au groupe des déficients mentaux, puisque 88% vivent indépendamment dans la société, et on ne devrait pas limiter dès le départ les droits d'un déficient mental tout simplement parce qu'il est déficient mental. C'est pourquoi on propose une modification d'ordre générique et non pas un statut particulier pour les déficients mentaux.

M. Choquette: Mais je voudrais quand même un peu corriger votre impression. Le droit actuel présume que tout le monde est mentalement sain au départ. Il y a une présomption, au départ, suivant laquelle toute personne est saine d'esprit et que toute personne agit de bonne foi.

Par exemple, si une personne déficiente mentale signe un contrat, elle pourra faire annuler ce contrat seulement en faisant la preuve qu'elle n'avait pas la capacité mentale de donner un consentement valable, au moment de la signature du contrat, ce qui démontre qu'il y a une présomption générale, à savoir que les personnes sont en général saines d'esprit. Il ne faudrait pas exagérer sur la portée du droit actuel.

M. Healy: C'est très juste. Il s'agit de le souligner pour que ce soit dans le projet de loi. C'est la raison pour laquelle nous l'avons modifié de cette façon.

M. Choquette: Je vous signale l'article 4 du projet de loi qui énonce le grand principe suivant: Que toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation. Le mot "dignité", je crois, touche à tous les groupes et à toutes les personnes sans exception, incluant les déficients mentaux, de telle sorte que, fondamentalement, le projet de loi reconnaît la valeur des principes que vous énoncez ce matin.

Maintenant, vous avez cherché, dans une des annexes à votre mémoire, à obtenir un amendement à l'article 11 qui interdirait la discrimination à l'égard des déficients mentaux. Je me demande si cela est possible, dans l'état du droit actuel, parce qu'on pourrait bien imaginer soit une personne internée dans une institution, soit une personne qui a un curateur. Peut-on donner ou reconnaître à cette personne une pleine capacité juridique pour la signature des actes juridiques qui peuvent être visés par l'article 15 qui suit?

M. Healy: Non. Il s'agit d'une question de discrimination non pertinente. S'il est déficient profond, il n'est sûrement pas capable de vivre indépendant. Il a besoin d'une certaine protection. Il n'est pas en mesure de remplir ses responsabilités, en tant que citoyen. La raison pour laquelle nous voulons insérer cette modification... Je vais vous passer Mlle Allaire.

Mlle Allaire (Agathe):C'est surtout face aux principes de normalisation et d'intégration, parce qu'on veut intégrer les déficients mentaux sur le marché du travail régulier par des programmes de plateaux de travail et de centres de travail de transition. Un déficient veut travailler dans une industrie régulière. Il suit le processus régulier pour l'embauche et on s'aperçoit qu'il a un déficit intellectuel. Souvent, on lui dit: Nous n'engageons pas de déficients mentaux ici. La même chose pour un handicapé physique qui a des problèmes de mobilité ou un sourd-muet qui veut s'intégrer au marché du travail et non pas nécessairement dans un secteur protégé. Un secteur protégé est nécessaire pour une partie de la population handicapée, mais ce prolongement serait pour des droits génériques, afin que les déficients mentaux aient le droit d'utiliser les services génériques qu'offre la société, à l'heure actuelle.

M. Choquette: Madame, je souscris entièrement aux objectifs de votre association et au mémoire que vous nous avez présenté. Je ne mets en cause, en aucune façon, l'intérêt qu'il y a de traiter, dans la mesure du possible, tous les degrés de déficience mentale avec toutes les distinctions qui s'imposent, de façon à faciliter, justement, la réinsertion sociale, faciliter des rapports humains normaux et cela, en prenant en considération la situation particulière de chaque cas.

Donc, sur le plan de la philosophie générale, je ne crois pas qu'il y ait aucun membre de cette commission qui puisse être en désaccord. Vous soulignez dans votre exposé la dimension sociale — et j'entendais tout à l'heure, M. Healy et M. Bouchard, ainsi que vous-même, nous parler d'institutions qui permettent d'atteindre à une meilleure insertion dans la société pour ces gens-là.

Je suis parfaitement d'accord, mais remarquez qu'en ce moment, il s'agit de moyens à employer pour réaliser cet objectif. Je voudrais attirer votre attention sur le fait qu'ici nous sommes sur un texte de loi qui vise, non pas tellement la dimension sociale ou les moyens qui doivent être mis en oeuvre pour réaliser votre objectif, malgré qu'il ne les exclut pas, au contraire, je crois qu'il veut justement faire certaines relations avec toute cette dimension sociale qui vous intéresse. Mais nous sommes, à proprement parler ici, dans un domaine où il s'agit de définir les droits fondamentaux essentiels, ceux qui appartiennent à tous les individus, à quelque groupe qu'ils appartiennent. Ceux qui sont, en somme, le patrimoine commun de tous les citoyens québécois. Là, nous sommes obligés d'oeuvrer dans certaines limites juridiques, dans ce sens que, même si on voulait étendre les droits d'une certaine façon, même si c'est, je pense bien, la tendance générale parmi ceux qui sont autour de la table, il faut quand même tenir compte des contingences particulières qui s'attachent à chacun des groupes et de leur cas particulier, de telle sorte que les cas particuliers dont on nous parle parfois à la barre, que certains groupes représentent, il n'est pas toujours possible de les intégrer dans les règles générales qui s'appliquent à chacun, sauf peut-être en fai-

sant, à l'occasion de certains articles, certaines références à d'autres lois qui apporteraient des limites à la portée des principes en rapport avec ces groupes particuliers.

A ce moment-là, vous comprenez que c'est tout un défi pour le législateur que de dire: On pose de grands principes, mais tout de suite après on fait des exceptions à l'égard d'un tel, à l'égard d'un tel. A ce moment-là, d'un côté, c'est presque un processus un peu "self defeating" et on est pris entre notre désir de conférer les droits dans toute leur extension, le plus possible, et d'un autre côté, notre réalisme nous dit: Devant des cas de maladie mentale, on ne peut pas dire qu'une personne, devant un malade mental, est obligée de s'engager à signer un contrat avec elle. Parce qu'en fait, si on doit amender, dans le sens que vous nous le suggérez, l'article 11 pour dire que les déficients mentaux ne doivent pas souffrir de discrimination, cela veut dire que cela impose la réciproque à un citoyen d'entrer dans un acte juridique ou un bail, etc., tous les actes juridiques de la vie courante, cela entraîne l'obligation, pour cette personne, de ne pas discriminer cette personne parce qu'elle est malade mentale. Est-ce que c'est raisonnable d'exiger, de la majorité des citoyens, un tel fardeau de dire: Je vais être obligé de contracter avec telle personne?

M. Healy: Je comprends très bien vôtre intervention et j'ai beaucoup de sympathie pour le législateur parce que nous avons eu pas mal de difficultés à préparer ce document, mais il reste un fait que — la décision pour être un citoyen à part entière — s'il est travaillant, s'il travaille, s'il a une position, s'il a une bonne job comme on dit, s'il paie des taxes, il est indépendant, mais si dans son dossier il est stigmatisé comme étant un déficient mental, il peut y avoir un genre de discrimination non pertinente. C'est une question de discrimination non pertinente.

M. Choquette: Je suis parfaitement d'accord avec cet objectif, mais qu'est-ce que c'est que la discrimination non pertinente? Vous savez que, quand vous arrivez dans ce domaine, cela devient une question d'appréciation et de jugement. Je vois, dans votre mémoire, que vous parlez de facteurs réels. Qu'est-ce qui est réel? Cela peut être réel pour vous et cela peut ne pas être réel pour moi.

M. Healy: Nous sommes tous prêts à apporter notre collaboration à la commission des droits de la personne pour les aider à prendre des décisions justes et valables dans un tel cas.

M. Choquette: D'accord, mais vous ne pouvez pas vous faire le juge de chaque cas particulier, comme nous, nous ne pouvons pas le faire. Mais je conçois que l'on doive viser et à ce point de vue, je suis très reconnaissant à votre groupe de souligner la situation particulière dans laquelle se trouve toutes les catégories de personnes que vous représentez à des degrés divers. J'ai constaté que parmi les annexes, il y a des suggestions qui sont faites, qui sont très intéressantes.

Par exemple, ici à l'article 23, vous suggérez, dans le cas des personnes qui sont détenues, non pas exclusivement en état d'arrestation mais qui sont en état de détention, qu'elles doivent être traitées suivant un régime approprié à leur sexe, leur condition mentale, physique ou intellectuelle. Je crois que ceci est une contribution intéressante qui permettrait de préciser le traitement qu'on doit accorder aux personnes, en prenant ces facteurs en considération.

Aussi, à l'article 25, vous ne vous êtes pas contenté de la personne qui est arrêtée par les soins de l'administration de la j ustice, mais de la personne qui, pour une raison ou pour une autre, est détenue dans un service psychiatrique ou une autre institution de cette sorte, d'indiquer sa présence à ses proches et de recourir aux services d'un avocat pour faire valoir ses droits devant les tribunaux. Je crois que cela est très intéressant.

A l'article 36, vous avez élargi cet article. L'article 36 porte sur le droit des enfants d'exiger sécurité et protection de la part de leur famille. Vous, vous l'avez élargi à toute personne. Vous avez évidemment tenu en considération le cas des personnes que vous représentez, par le soin de votre association, c'est-à-dire, présumément, les déficients mentaux. Mais est-ce qu'on peut, juridiquement, faire une obligation aux familles ou aux personnes qui en tiennent lieu d'apporter sécurité et protection à l'égard des membres de la famille, même majeurs qui sont des déficients mentaux?

Voyez-vous, c'est une obligation légale que vous imposez et qui ne se trouve pas dans le droit actuel. Je ne dis pas que tout ce qu'il y a dans le droit actuel est bon. Parce qu'il y a bien des choses, dans le droit actuel qui méritent d'être changées, c'est incontestable. Est-ce qu'on peut aller imposer cette obligation, alors que l'obligation actuelle c'est plutôt entre membres d'une même famille, c'est-à-dire entre conjoints, mari et femme, entre parents et enfants. Même notre code civil, autrefois et même encore, a laissé subsister des devoirs alimentaires, même entre belle-fille et beau-père et même peut-être frère et soeur, si je me rappelle bien, malgré que mes notions de droit sont un peu estompées. Avec la sécurité sociale, l'extension des obligations personnelles à l'égard des membres de la famille tend à se réduire, parce que c'est l'Etat qui a pris en charge une large partie des responsabilités sociales qui, autrefois, étaient inscrites dans le cadre non pas de la famille nucléaire actuelle, mais dans une famille plus élargie, une famille un peu plus patriarcale dont la société actuelle se défait largement, à cause des phénomènes d'urbanisation, d'industrialisation et tout cela.

Je me demande si votre amendement, même s'il est présenté avec conviction, cadre dans l'évolution de la société actuelle.

M. Healy: Au sujet de la phrase "ou les personnes qui en tiennent lieu", c'est parce que nous ne voulons pas donner aux familles la responsabilité pour toute la vie d'un enfant ou d'un déficient mental profond qui est vraiment un genre de minorité prolongée, du point de vue intellectuel. On ne veut

pas qu'elles endossent le fardeau financier des responsabilités, mais nous avons compris, et c'est peut-être par manque de compétence dans ce domaine de la loi, que la famille "ou les personnes qui en tiennent lieu" cela encadrait comme il le fallait. M. Bouchard a un commentaire là-dessus, M. le ministre.

M. Bouchard: Actuellement, on a parlé du projet d'organisation de services communautaires normalisation et, de plus en plus, vous avez des handicapés, des déficients mentaux actuellement, comme on l'a mentionné tout à l'heure, qui sont dans des hôpitaux psychiatriques, qui sont considérés comme des malades mentaux et, d'une part, ont besoin de la signature du psychiatre pour sortir de là, d'autre part, qui n'ont pas de famille. A ce moment, il n'y a qu'une seule possibilité, c'est la curatelle publique, je crois, et la curatelle publique va s'occupersurtout des affaires légales et administratives de l'individu. Mais, d'autre part, l'aspect de la dimension sociale n'est pas nécessairement assumée, ce qui veut dire que ce pourquoi on a dit "toute personne", cela implique, à ce moment, que l'Etat développe une loi qui va permettre à cette personne d'avoir la protection et la sécurité tout au long de sa vie, sans nécessairement se référer, par exemple, à la curatelle publique ou à la tutelle, qui sont des aspects plus spécifiquement administratifs et légaux. Quand on parlait tout à l'heure du parrainage civique, d'une part, on ne veut pas que ce soit intégré dans la loi, mais, d'autre part, dans les règlements qui vont accompagner la loi, on veut qu'il y ait peut-être une reconnaissance de ce fait.

M. Choquette: En somme, vous dites que, pour cette classe de personnes, ces catégories de personnes, la société doit assumer des responsabilités financières et sociales, parce que j'ai apprécié le fait que vous avez suggéré un amendement à l'article 41, je crois, en introduisant, en plus des mesures d'assistance financière, des mesures sociales. Justement, l'article 41 a pour but de, d'une façon un peu... Peut-être qu'il manque un peu de... Pas qu'il manque, mais parce que c'est obligatoire d'après les circonstances. On ne peut pas astreindre l'Etat ou les ressources de l'Etat sans condition. Il faut les astreindre à certaines conditions. Je crois que votre demande, en rapport avec l'article 36, est satisfaite par l'article 41, qui dit: Toute personne dans le besoin a droit à des mesures d'assistance financière. Dans le besoin, cela inclut, évidemment, des personnes affectées de maladies mentales ou d'autres affections de cet ordre qui les empêchent, par exemple, de gagner leur vie.

Vous avez, dans cet article, la reconnaissance du principe que vous sollicitez, sauf qu'évidemment, c'est dans la mesure des dispositions prévues par la loi. A ce point de vue, il faut quand même limiter la portée de cet engagement, en fait, de l'Etat.

M. Healy: Considérez-vous le fait qu'on accorde l'assistance financière suffisante, puisque pour moi, l'assistance financière veut dire l'assurance-chômage ou le statut d'être assisté social?

M. Choquette: Je trouve que votre idée d'introduire le mot "social" après "les mesures d'assistance financière" est une idée des plus intéressantes. Je ne m'engage pas à l'accepter, mais je vais sûrement y réfléchir sérieusement, parce qu'on sait qu'en général, dans tout le domaine social, cela n'inclut pas seulement les déficients mentaux. Je m'adresse aux cas des enfants, de la délinquence, les cas de protection, enfin, tout les cas qui intéressent le domaine social, il n'est pas suffisant de donner des mesures d'assistance financière. Il faut à ce moment, avoir des groupes spécialisés, un personnel spécialisé qui va faire des interventions qualitatives et non pas seulement donner un chèque à tous les mois pour aider les gens à sortir des difficultés dans lesquelles ils sont.

Je trouve qu'à ce point de vue, vous introduisez une dimension très valable, très intéressante.

M. Healy: Nous devons, ici, louer le ministère des Affaires sociales qui a fait beaucoup dans ce domaine et qui en fait beaucoup. Il reste encore beaucoup à faire, mais le ministère présente certaines structures qui sont très intéressantes. Nous louons le ministère des Affaires sociales, et nous profitons de cette occasion pour le dire.

M. Choquette: A ce propos, je vais envoyer votre mémoire au ministre des Affaires sociales, parce que je crois qu'il est très susceptible de l'intéresser

L'article 41, nous en avons parlé. Sur l'article 45, je ne ferai pas de commentaire parce que ce sujet a déjà été très longuement discuté, à savoir: la force transcendante de la charte. Quant à la composition de la commission, vous pouvez être assuré que le gouvernement et, je suis sûr, l'Opposition, voudraient que les membres de la commission n'aient peut-être pas toujours un caractère représentatif des milieux, dans le sens qu'ils vont à la commission comme les mandataires de milieux particuliers. Je suis sûr qu'il n'y aura pas de difficulté à convenir avec nos collègues qu'il faut que la composition de la commission soit suffisamment étendue pour s'occuper efficacement des principaux problèmes que soulève l'administration de la charte, en rapport avec des groupes particuliers.

Là encore, je vous suis, malgré que je ne dise pas qu'il va falloir amender cet article pour inclure cette idée de représentativité. Je ne l'exclus pas, mais on peut quand même souligner l'intérêt de vos observations à ce sujet.

A l'article 59, vous suggérez que la commission puisse faire des rapports de temps à autre et non pas seulement annuellement. Nous allons étudier cette suggestion.

J'attire votre attention finalement sur l'article 62, relativement à certaines fonctions de la commission. "La commission, ses fonctionnaires et employés doivent prêter leur assistance pour la rédaction d'une demande d'enquête à toute personne ou tout groupe de personnes qui le requiert", ce qui fait que la commission n'est pas purement passive devant des demandes d'intervention. Elle doit faire un peu plus qu'agir d'une façon bureaucratique. Je pense que s'il s'agit de déficients mentaux, il est évident que l'obligation qui se trouve à l'article 62 a

toute son application, de façon à faciliter une demande d'enquête par une telle personne.

M. Healy: On vit à l'ère des media électroniques et je pense que notre avis était qu'un document audio ou audio-visuel pourrait avoir beaucoup plus d'impact, sans violer les droits de qui que ce soit. Est-ce que vous voulez dire que vous tenez vraiment à ce que ce soit une demande écrite? Vraiment, je ne vois pas la nécessité de limiter la formule de demande de requête à un document écrit.

M. Choquette: II n'y a rien dans la loi qui dit qu'une demande écrite est fondamentale. Je pense bien que si on ouvre un dossier quelconque à la commission, il faut quand même qu'il y ait un écrit, au départ. Cela ne veut pas dire que c'est très formaliste, d'autant plus qu'avec l'article 62, les fonctionnaires de la commission peuvent prêter leur aide. Cela ne veut pas dire qu'elle est signée ou rédigée par l'intéressé. On peut la rédiger pour l'intéressé, quitte à ce qu'on dise: II est intervenu, il a fait sa demande personnellement. Cela ne veut même pas dire qu'il est obligé de la signer lui-même. D'abord qu'on a une preuve qu'il a fait une demande d'intervention.

M. Healy: Est-ce que ceci veut dire que vous acceptez qu'un tel document puisse faire partie du dossier qu'on a soumis, si ce n'est pas nécessairement la forme pour la demande d'enquête?

M. Choquette: II n'y a pas de forme prescrite dans la loi. Cela peut être très simple. Supposons le cas d'une personne qui aurait subi une discrimination en rapport avec sa condition. La personne pourrait l'exprimer verbalement. Un fonctionnaire de la commission pourrait rédiger: Elle se plaint de telle, telle chose.

M. Healy: Mais s'il demande de le faire par un document audio-visuel, est-ce que la commission accepterait de le voir?

M. Choquette: Une demande pourrait prendre une forme verbale. Vous dites: par cassette. Je n'ai pas d'objection de principe. Cela pourrait être transcrit par les fonctionnaires de la commission qui diraient: Voici la demande qui émane de M. Untel ou de Mme Unetelle.

M. Healy: Oui.

M. Choquette: II n'y a aucun formalisme. Je crois qu'il faudra que la commission fonctionne sans formalisme excessif. Alors, je vous remercie, madame et messieurs.

M. Healy: Je devais vous remercier, M. le ministre, pour l'intérêt que vous manifestez à notre cause et que manifestent vos questions. C'est nous qui vous remercions.

Centre homophile urbain de Montréal et autres

Le Président (M. Cornellier): Merci bien, M. Healy, Mlle Allaire et M. Bouchard. J'inviterais maintenant les représentants du Centre homophile urbain de Montréal, de l'Association homophile de Montréal, de CHAL Inc., Service d'entraide pour homophile à Québec, qui ont manifesté le désir de passer... On m'a informé que vous vouliez faire votre présentation, les trois organismes ensemble. Pour le bénéfice de la commission, voulez-vous nous dire si c'est votre intention de faire votre présentation d'une façon globale pour les trois organismes ou si chacun de vos organismes fera sa présentation individuellement?

M. Doré: Ce qui s'est passé, c'est que les trois organismes ont présenté des mémoires individuels, mais qui se recoupaient, de sorte que, pour vous éviter des répétitions, on s'est concerté hier et on a décidé de faire des présentations individuelles, mais sur des points différents, de sorte qu'il n'y aura pas de répétition. Je peux vous présenter mon monde: A l'extrême droite, il y a André Dion, qui se trouve être notre agent de presse; à ma droite, il y a Denise Goyette, qui est la présidente du CHAL et la responsable du Service d'entraide homophile de Québec, qui vous a présenté le mémoire 16 M, sur votre rôle; à ma gauche, Roger Bellemare, que vous avez probablement rencontré déjà, qui vous a présenté le mémoire 6 M; à mon extrême gauche, Gilles Viger, représentant du Centre homophile urbain de Montréal, qui est signataire du mémoire 16 M.

Ce qu'on entend faire, c'est, d'une part, que je vais poser le problème, qui est fort simple, comme vous le savez. Par la suite, M. Bellemare va présenter les fondements juridiques à notre requête. Mlle Goyette va exposer l'importance et la nature de la discrimination contre laquelle on aimerait que vous preniez action. A la fin de tout cela, je ferai une conclusion. La position du problème est très simple, c'est qu'on aimerait qu'à l'article 11...

Le Président (M. Cornellier): Vous nous avez présenté vos collaborateurs, mais vous avez oublié de vous présenter vous-même.

M. Doré: Je m'excuse, malgré que j'ai été édu-qué dans un collège de Jésuites, je suis resté modeste. Je m'appelle Luc Doré.

Le Président (M. Cornellier): Très bien, M. Doré.

M. Burns: C'est gentil pour les autres qui sont déjà allés là.

M. Doré: Vous avez étudié chez les Jésuites? M. Burns: Oui, j'ai étudié chez les Jésuites.

M. Doré: Bon, à la section II du projet de loi 50: dispositions particulières concernant la discrimina-

tion, à l'article II, le législateur, en l'occurrence M. Choquette, énumère certains types de...

M. Choquette: Le législateur, c'est tout le Parlement.

M. Doré: Je vous flatte un peu. A l'article 11, vous précisez que toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la religion, les convictions politiques, la langue ou l'origine ethnique, nationale ou sociale. Notre requête, c'est qu'à quelque part, à l'intérieur de cette énumération, vous ajoutiez l'orientation sexuelle. Tel que l'article 11 est rédigé présentement, cela nous apparaît restrictif, comme le Barreau vous l'a indiqué hier, du fait qu'il n'y a pas ce que lui vous asuggéré, que j'ai trouvé fort séduisant, c'est-à-dire l'inclusion entre la déclaration de principes et les divers groupes dont vous avez déjà constaté qu'ils étaient victimes de discrimination, le petit mot "notamment".

Cet article restreint la protection de la loi aux groupes que vous avez mentionnés, de sorte que nous autres, ce qu'on aimerait, c'est être inclus là-dedans.

Il y a deux autres petites choses qu'il faudrait que je vous précise dans l'introduction: C'est, d'une part, que la Ligue des droits de l'homme, dans son mémoire d'il y a deux jours, vous a indiqué qu'elle était favorable à l'inclusion d'une clause qui nous protégerait contre la discrimination, mais que, selon son opinion à elle — et elle nous l'avait déjà manifesté, parce qu'on est membres de la ligue — les termes "orientation sexuelle" posaient des problèmes, parce que, d'une part, elle ne les considérait pas comme une formulation valable de ce qu'on voulait et, d'autre part, selon elle aussi, cela présentait des problèmes de rédaction juridique.

A la fin d'un de nos mémoires, je pense que c'est celui du Centre homophile urbain de Montréal, le mémoire 22 M, vous pourrez trouver une lettre en annexe, de Jean-Marie Laurence, notre linguiste le plus célèbre probablement, qui indique son opinion sur l'expression "orientation sexuelle". Vous pourrez aussi vous référer au mémoire 16 M, le mémoire conjoint...

M. Bellemare (Roger): C'est 22, M le mémoire du Centre homophile urbain de Montréal.

M. Doré: Vous pourrez consulter la fin d'un des mémoires, cela vous fera un petit peu d'exercice, il y a quelques exemples de précédents au niveau de la législation américaine où on a précisé la lutte contre la discrimination contre les homosexuels, en termes d'orientation sexuelle. Quant à Jean-Marie Laurence, "orientation sexuelle", c'est une traduction valable.

L'autre petite précision qu'il faudrait que je vous fasse, c'est que cela se peut qu'on s'échappe une fois de temps en temps et qu'à la place de "homosexuel", on emploie l'euphémisme "gay", qui est une espèce de synonyme d'homosexuel et qui devient de plus en plus populaire. C'est un peu comme le Mad des femmes d'hier, quoique vous ne soyez pas obligés de nous appeler Mad malgré cela.

Si on s'échappe aussi et que l'expression "straight" se glisse dans la réponse à une de vos questions, "straight", c'est l'équivalent d'hétérosexuel; cela devrait en rejoindre quelques-uns parmi vous, on espère qu'il en reste.

Là-dessus, je passe la parole à mon collègue Bellemare qui va vous dire ce qu'il vous a probablement déjà dit en allant vous voir dans vos bureaux respectifs.

M. Bellemare (Rosemont): M. le Président, je tiens à préciser qu'il n'y a aucun lien de parenté avec le député de Rosemont.

M. Doré: Hélas! pour le député de Rosemont.

M. Bellemare (Roger): M. le ministre, je crois savoir que vous avez été personnellement sensibilisé à plusieurs reprises à cette question des droits des citoyens et citoyennes homosexuels.

J'aimerais cependant préciser ici mes propos pour l'ensemble des membres de la commission. Les trois organisations homosexuelles du Québec ont déposé trois mémoires distincts qui voulaient répondre, d'ailleurs, à leur propre façon, à des aspects différents. Celui du CHAL c'est le 16 M, et c'est ainsi que j'ai compris le mémoire de ma collègue Denise Goyette, insiste principalement sur le partage des compétences entre nos deux paliers de gouvernement, pour bien signifier, sans équivoque, que le code criminel ne peut avoir, en soi, d'incidence civile, donc, que les amendements pénaux de 1969 — et en ce qui nous concerne, c'est l'article 158, où les actes sexuels, entre adultes consentants ne sont plus criminalises — n'ont pas changé nos lois provinciales en matière d'emploi, de logement et de services.

En somme, s'il s'agissait d'un pas important, qui a d'ailleurs amené une plus grande acceptation sociale, ce n'est manifestement pas suffisant, puisque les lois antidiscriminatoires, elles, n'ont pas été amendées. Il fallait donc faire ici cette distinction fondamentale pourque le débat se situe bien dans la perspective actuelle et non dans les termes où il s'est posé il y a six ans.

Le mémoire de l'Association homophile de Montréal, que j'ai l'honneur de représenter aujourd'hui, traite de la discrimination et des préjugés dont souffrent les homosexuels. Plusieurs cas de discrimination dont plusieurs membres ont été victimes sont énumérés dans ce mémoire et le type des préjugés les plus répandus y sont examinés à la lumière d'un ouvrage américain du docteur George...

Plusieurs cas de discrimination dont plusieurs membres ont été victimes sont énumérés dans ce mémoire et les types de préj ugés les plus répand us y sont examinés à la lumière d'un ouvrage américain du Dr George Weisberg, Society and the Healthy Homosexual. C'est sur le troisième mémoire que je voudrais insister, celui du Centre homophile urbain de Montréal, soit le 22M. Je crois qu'il est parvenu à un certain point à situer les homosexuels dans le contexte juridique québécois et mieux dans cette

question des droits et libertés de la personne. Ce qui se veut une réponse au projet de loi no 50, projet qui est, pour nous — notre présence et nos efforts en témoignent — d'une très grande importance.

Nous expliquons, à la page 4 du mémoire, la position de notre droit québécois en matière des droits des homosexuels. Vous savez comme moi qu'avant le dépôt de cette loi ou de ce projet de loi, le Québec n'avait que quelques lois et surtout certains articles spécifiques qui prohibaient la discrimination dont étaient victimes ces minorités. Je voudrais attirer votre attention sur la définition proposée dans la loi sur la discrimination dans l'emploi à l'article 1a), la définition proposée du mot "discrimination": Toute distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la religion, l'ascendance nationale ou l'origine sociale. Cet énoncé, tout comme les autres bases de discrimination contenues dans cette pièce de législation, est limitatif et restrictif, et en aucune façon l'orientation sexuelle, l'orientation que les individus donnent à leur sexualité, n'est couverte dans ces énoncés. On connaît le sort de cette malheureuse loi, peu efficace, et d'ailleurs trouvée ultra vires. Par ailleurs, en dehors de ces lois ou ces articles, les tribunaux ont pu, par le code civil, c'est-à-dire la notion d'ordre public et de bonnes moeurs qu'il contient, statuer sur des formes illégales de discrimination. Le cas auquel j'aimerais me référé rest celui de dame Goo-ding versus Anglo Investment Corporation. Cette personne de race noire s'est vu refuser, il y a seize ans, un logement à cause de la couleur de sa peau. Le juge Nadeau a décrété que cette discrimination était illégale, parce qu'il la trouvait contraire à l'ordre public et aux bonnes moeurs. Il parle aussi de violation des règles couramment admises de la morale applicable à la vie en société.

La discrimination basée sur l'orientation sexuelle serait jugée sur la base de l'acceptation sociale croissante de l'homosexualité, des amendements de 1969 et du respect de la vie privée qui est d'ailleurs inclus comme principe à l'article 5 de la Loi sur les droits et libertés de la personne.

Vous me permettez de citer deux cas de jurisprudence américaine, Norton versus Missi et Scott versus Missi — je pourrai vous fournir ultérieurement des références plus précises — où les juges ont été clairs à ce sujet. En soi, il n'y a pas de lien entre l'homosexualité d'une personne et l'efficacité au travail. Donc, cette discrimination sur la base de la sexualité est inadmissible et elle donne droit, elle a d'ailleurs donné droit aux Etats-Unis, à des dommages et à la récupération du poste perdu ou de la fonction perdue. Je suis convaincu que les tribunaux québécois utiliseraient le même type d'arguments que ceux-là.

Je n'ai pas l'intention de m'attarder sur les cas de jurisprudence mentionnés par la suite, mais je vous dirais qu'ils constituent la preuve que les principes qui sont énoncés dans la charte peuvent être et seront sûrement utilisés par des homosexuels victimes d'une atteinte à leurs droits. C'est d'ailleurs ce à quoi j'aimerais en venir, M. le ministre. Ce sont les principes qui sont énoncés dans la charte, et nous en parlons à partir de la page 13, qui commande une protection adéquate pour les homosexuels.

Les articles 3, 5 et 10 sont, à cet égard, les plus pertinents. L'article 3 traite des libertés fondamentales, l'article 5, du respect de la vie privée et l'article 10 du principe de l'égalité devant la loi.

Je voudrais parler quelque peu sur le respect de la vie privée. Vous savez bien comme moi, M. le ministre, l'importance que nous accordons, chacun d'entre nous, au respect de notre vie privée. C'est assurément là un concept fondamental, un principe sacro-saint que nous nous acharnons à défendre et qu'il nous faut préserver. Je ne crois pas, cependant, qu'il doit être l'apanage de certains groupes de personnes alors que d'autres souffrent d'interférence et d'immixtion continues. Le principe de l'article 5 est clair à ce sujet. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.

Tel que dans Norton, je crois pouvoir affirmer que la discrimination sur la base de l'orientation sexuelle constitue une intrusion dans la vie privée, une ingérence inacceptable. Je ne vois pas comment, à cet égard, nos tribunaux québécois pourraient statuer. D'ailleurs les amendements de 1969 témoignent encore d'un changement de mentalité et du respect croissant que nous accordons à la vie sexuelle privée.

Mais toute notre argumentation repose, en fin de compte, sur le principe de la classification raisonnable. Plusieurs groupes sont venus ici vous suggérer d'inclure, à l'article 11, d'autres formes de discrimination que celles qui y sont annoncées. Je pense qu'il serait bon de réunir toutes ces formes de discrimination pour voir si, sur la base de la classification raisonnable, il y a des faits qui nous pousseraient à les inclure. Ce principe, comme nous le soulignons à la page 20, est basé sur la justification, c'est-à-dire sur les preuves que l'on peut fournir pour soutenir ce qu'on avance. Je vous dis qu'exclure l'orientation sexuelle sur la base de la classification raisonnable n'est pas possible. Ce serait céder à des hypothèses jamais prouvées et à des slogans.

Alors, il faut se demander s'il faut procéder à son inclusion. C'est là que je vous dis que des faits ont été assemblés et sont énumérés à la page 21. Vous pouvez y lire qu'en tant qu'êtres humains, les homosexuels ne peuvent, en aucune façon, avoir des droits inférieurs aux autres êtres humains. Nous constatons qu'une discrimination s'exerce à leur égard, discrimination la plus grosse, bafouant des droits aussi élémentaires que celui du droit à l'emploi et au logement. L'état actuel du droit positif de la société québécoise évolutive est à l'effet de trouver illégale cette forme de discrimination. Une jurisprudence favorable se dessine dans un pays qui partage foncièrement nos objectifs d'égalité et de justice. Enfin, les principes proposés dans le projet de loi sur les droits et libertés de la personne consacre les droits des homosexuels en ce qui concerne l'emploi, le logement et les services. C'est donc sur la base de ce principe qu'il faut inclure l'orientation sexuelle et c'est sur cette base que toutes les formes de discrimination doivent être jugées.

M. Doré (Luc): Denise Goyette va maintenant

vous parler des expériences qu'elle a acquises au Service d'entraide pour homophile qui est maintenant autonome du CHAL où elle a été en contact direct avec la discrimination vécue tous les jours.

Mlle Goyette (Denise): M. le Président, honorable ministre, messieurs les membres de la commission. Après les quelques exposés que vous venez d'entendre ici, je ne trouve rien de mieux, en guise d'introduction au message que je veux vous laisser, que de vous référer au mémoire présenté par le Centre homophile urbain de Montréal. Je vous invite donc à la page 1 dudit mémoire.

Introduction. Nature du problème. La société réserve à ses citoyens et citoyennes homosexuelles un véritable traitement de parias tant: 1 ) sur le plan social, par le rejet, la réprobation et la condamnation qu'ils subissent que 2) sur le plan légal, par les interdictions, les restrictions et les limitations qui les visent.

Sur le plan social, les femmes et les hommes homosexuels forment le groupe humain le plus méprisé, le plus dédaigné de notre société. Leur sexualité suscite de l'hostilité, de la malveillance, de l'animosité et engendre des attitudes de dénigrement, de dépréciation, de calomnie et d'agressivité. Des jugements sévères sont portés, et des préjugés défavorables sont nourris à leur égard. Dépourvus, laissés à eux-mêmes, les homoxuelles se réfugient dans la crainte et l'appréhension d'une pénalité sociale qu'entraine la découverte de leur homosexualité. Ils souffrent donc d'injustices flagrantes trop méconnues et sous-estimées.

Sur le plan légal, conséquemment à ces rapports discriminatoires, des différentiations arbitraires et injustes sont faites: des interdictions leurs sont jetées, malgré les amendements pénaux de 1969, et une inégalité de traitement se dessine dans l'attribution de leurs droits civils.

Ainsi, dans les domaines de l'emploi, du logement et des services, aucun recours ne leur est actuellement réservé, aucun droit ne leur est concédé pour combattre la discrimination. Or, il arrive que des hommes et des femmes homosexuels se voient congédiés, postes abolis, et le reste, ou refuser un logement ou l'accès à des services à cause de leur homosexualité. Nous allons examiner ici toute cette question des droits des citoyens et citoyennes homosexuels.

De fait, nous devons distinguer ici deux types de discrimination, la discrimination purement individuelle et la discrimination sociale. Nous sommes à même de juger de ces discriminations à partir des données et témoignages recueillis au cours de nombreux interviews et de relations d'aide entreprise auprès des homosexuels en détresse, ceci par le centre d'aide qu'avait créé d'abord le CHAL, l'Association homophile de Québec, légalement constitué depuis juin 1972, mais bientôt le service ne pouvait plus suffire à supporter une aide à tous les homosexuels masculins et féminins, victimes de problèmes relatifs à la discrimination. Le centre devait acquérir alors son indépendance et cela, depuis janvier 1975, et porter le nom Service d'entraide pour homophiles à Québec. A raison de deux soirs par semaine réservés pour les entrevues et un service téléphonique d'urgence de 24 heures, dans les quatre mois, de janvier à mai 1974, 360 cas étaient portés à notre attention, concernant soit des problèmes purement discriminatoires et les conséquences d'une discrimination constante qui les avait alors portés vers l'alcoolisme, la drogue, avait provoqué des déséquilibres d'ordre émotif et psychologique.

Dans ces cas, la discrimination purement individuelle comptait à son actif les congédiements et mises à pied sous le simple prétexte d'homosexualité, le refus ou le renvoi d'un logement, le renvoi d'un collège ou d'une institution d'enseignement. D'autre part, la discrimination sociale, si elle n'atteint pas l'homosexuel physiquement, ne lui est pas moins préjudiciable sur le plan émotif et spycholo-gique. Cette discrimination s'exercera d'abord par la retransmission des tabous et préjugés aléatoires, sinon purement mensongers, grâce à une publicité fausse qui porte atteinte à l'individu et à l'ensemble des homosexuels. Par contre, on leur refusera le droit d'expression par les mêmes voies d'expression. Nombre de journaux, par exemple, certaines stations de radio et de télévision permettront de véhiculer des erreurs discriminatoires mais ceux-là mêmes refuseront qu'un homosexuel ou un groupe d'homosexuels se servent des mêmes moyens pour arriver à rétablir la vérité et aussi assurer, du même coup, leur défense.

De la même façon, certains homosexuels souffriront du refus d'allégeance à des groupes, associations à caractère social ou professionnel, pour les mêmes raisons discriminatoires. De plus, on interdira souvent l'entrée aux homosexuels de certains lieux publics, à moins que tout simplement la porte leur soit ouverte mais pour faire place, finalement, à un harcèlement inconsidéré. Finalement, l'homosexuel, en demandant l'inclusion des termes "orientation sexuelle" à l'article 11, afin d'éliminer toute discrimination à son égard, ne manifeste que son désir d'être reconnu comme un être humain à part entière, afin de s'épanouird'abord personnellement et servir, en tant que citoyen libre et productif.

Il ne reste plus qu'à réfléchir sérieusement au fait que la discrimination entraîne la discrimination. Si l'homosexuel en est victime, il ne faut plus se surprendre que celui-là même l'engendre envers ceux qui lui sont préjudiciables. Nous invitons donc la commission à voir que cette charte a annihilé toute source possible de discrimination.

Sinon ce serait nier le principe de la justice, la plus élémentaire. Par l'inclusion des "termes orientation sexuelle", vous saunez assurer la justice fondamentale à laquelle a droit tout homosexuel comme tout hétérosexuel. Consciente de l'intégrité du ministre de la Justice et des membres de la commission, je vous remercie au nom du CHAL, au nom du service d'entraide de Québec et en mon nom personnel. Merci.

M. Doré (Luc): C'est le temps de ma conclusion, enfin. Le ministre de la Justice a fait un petit discours intéressant à un moment donné au Canadian Jewish Congress. Le discours est en anglais. Ce-

pendant, c'est cité dans le mémoire du CHAL à la page 2. Je ne lirai pas l'anglais parce que, mardi, après l'intervention du Provincial Association of Protestant Teachers, le ministre a déjà montré qu'il savait encore parler anglais, de sorte que je vais faire une traduction libre et relater le sens de la législation, tel que vous l'avez décrit quand vous avez parlé au Jewish Congress. Entre parenthèses, je n'ai pas de texte non plus, j'en aurai un demain matin, à partir du journal des Débats.

Quand vous êtes allé au Canadian Jewish Congress, le 31 mars dernier, vous avez dit, à un moment donné, que le sens de la législation des droits humains était de protéger les choix des individus et non imposer aux individus les choix de la majorité. Vous avez bien dit ça, n'est-ce pas, en anglais par exemple? Ce que vous avez précisé aussi, c'est que ce que vous vouliez dire, c'est que le développement des principes de droits humains a été de donner une défense adéquate à l'individu, contre le gouvernement, contre la majorité et contre les manifestations discriminatoires de la majorité par rapport à des choix individuels un petit peu marginaux.

Dans les faits, ce que ça veut dire, selon moi, le sens de la législation des droits et libertés humaines, c'est que ça garantit un traitement égal des libertés fondamentales pour tous. Et quand vous dites tous, à ce qu'il me semble, c'est que vous devez penser tous, mais, tel que l'article 11 est rédigé, c'est un peu restrictif, c'est que, dans les faits, vous garantissez pour les minorités que vous avez énumérées un traitement égal et juste en matière de travail, de logement, de santé, de droits économiques et sociaux, tout cela. Mais, vu que vous n'avez pas indiqué l'homosexualité à l'article 11, nous ne nous considérons pas comme suffisamment protégés, surtout que l'article 11, tel qu'il est rédigé, est restrictif.

Ce qu'on est en train de demander, ce n'est pas quelque chose qui va changer le statut de l'homosexualité dans la société d'aujourd'hui. Ce qu'on demande, ce n'est pas que vous légalisiez ça, vous, vous le savez, vous avez rédigé le projet, mais pour l'ensemble des membres de la commission, ce qu'on est en train de demander, ce n'est pas qu'il y ait un changement qui soit fait au statut de l'homosexualité, ce n'est pas que des comportements qui sont maintenant considérés comme criminels soient décriminalisés. De toute façon, je pense que ça ne relève pas de votre juridiction.

Ce qu'on demande, c'est q ue vous garantissiez, par le projet de loi no 50, la jouissance de droits et de libertés à n'importe qui, dont nous, à n'importe qui qui, par ailleurs, ne commet rien de répréhensible au sens du code criminel, de sorte que, pour moi, si vous votez en faveur de l'incorporation des termes "orientation sexuelle" au niveau de l'article 11, cela n'a rien à faire avec votre jugement personnel, votre jugement moral sur l'homosexualité. Dans le sens où le ministre le précise au Jewish Congress, c'est que des individus font des choix qui leur sont propres, qui sont privés, et ces choix, quand ils ne contreviennent pas aux dispositions du code criminel, ne doivent pas empêcher ces individus de jouir de droits qui n'ont par ailleurs rien à faire avec leur choix personnel comme, par exemple, le travail, la jouissance d'un logement ou l'accessibilité aux services de santé, cela n'a rien à faire avec l'homosexualité.

L'homosexualité, c'est quelque chose qui se passe au niveau de la personne, d'habitude dans sa chambre à coucher ou quelque chose comme ça ou dans celle des autres. A un moment donné, il faut varier le décor. C'est quelque chose qui ne devrait normalement pas entrer en conflit avec la jouissance de ces garanties.

N'importe qui, peu importe son jugement personnel moral vis-à-vis de l'homosexualité, doit permettre à d'autres d'avoir des choix personnels quand cela n'entrave pas ses libertés personnelles, de sorte qu'à mon sens, cela devrait être possible, même pour le député de Rouyn-Noranda, de voter en faveur ce qu'on est en train de demander pour cet amendement. Il est assez bien placé pour comprendre.

M. Samson: Vous allez être obligé de me flatter longtemps.

M. Doré: Je pense que j'ai l'argument pour vous rejoindre. Vous voyez, il y a de moins en moins de créditistes. Cela devient de plus en plus marginal. Je pense que, même maintenant, il y a moins de créditistes que d'homosexuels au Québec.

M. Samson: M. le Président, vous voyez les avantages parfois d'être en minorité.

M. Doré: ...de sorte que, dans le même sens, personne ne trouverait acceptable qu'on vous empêche de travailler, ou en tout cas, de faire quelque chose qui ressemble au travail, qui est au moins sur la liste de paye du gouvernement, de même que personne ne voudrait empêcher cela, parce que vous êtes créditiste ou voudrait vous mettre dehors de votre logement ou de vous empêcher de vous prévaloir des services des hôpitaux; de la même façon, vous devriez être sensible, à ce qui me semble, au fait que, nous autres aussi, on a le droit à ces choses, que nous autres aussi, quand l'homosexualité n'entre pas en conflit avec des choses de ce type, on a le d roit à ces choses qui sont tout à fait élémentaires.

Un autre point qui m'a touché d'assez près — j'en ai parlé vaguement tantôt — c'est l'amendement qui a été proposé par le Barreau, un amendement que je trouve ultra-séduisant, c'est l'ajout de "notamment" avant rénumération des diverses minorités qui sont protégées contre la discrimination à l'article 11. Comme le Barreau vous l'a indiqué hier, c'est qu'on ne peut pas prévoir tous les cas de discrimination. Quant à moi, faire une liste exhaustive de tous les cas de discriminations, cela prendrait un bon 18 pages. Avec l'inflation, l'anarchie, comme on en a parlé hier lors de la présenta-tiondu mémoire de la Fédération des journalistes, je pense qu'il faut sauver un peu sur le papier, de sorte que "notamment" fait assez notre affaire.

Il y a une petite anecdote dont j'aimerais vous

parler. Vous avez entendu parler de Watergate probablement, je sais que le député de Maisonneuve y a fait allusion à quelques reprises en Chambre. Depuis Watergate, aux Etats-Unis, les hommes politiques sont perçus encore plus négativement que les homosexuels. Quant à nous, cela fait notre affaire, enfin la réalité est rétablie. Il y a une tendance qui va dans ce sens, entre autre chose, les hommes politiques, y compris les ministres sont perçus de plus en plus négativement dans le public. L'adjonction ou l'addition de "notamment" à l'article 11, il me semble, vous protégerait dans le sens que vous ne seriez pas obligés, d'ici quelques mois ou un an ou quelque chose comme cela, de voter un amendement pour vous protéger contre la discrimination au niveau de l'article 11. C'est un exemple de discrimination qu'on sent qui approche, mais qui n'est pas encore prévue. Comme le barreau l'a indiqué hier, la discrimination ou les sujets de discrimination qu'une société se donne, évolue avec le temps et quasiment tous les jours, de sorte que cela pourrait probablement vous éviter une situation pénible comme celle que vous avez connue récemment. Vous vous êtes votés vous-mêmes une augmentation de salaire. Là, vous votez une clause antidiscrimination. Cela deviendrait peut-être un peu embarassant dans la même année ou quelque chose comme cela. L'addition de "notamment" pourrait vous protéger, en plus des autres minorités qui sont appelées à être discriminées.

Au niveau des autres dispositions du projet de loi no 50, qui, quant à nous, nous ont extrêmement plu, comme d'autres groupes l'ont indiqué avant nous autres, par rapport à la déclaration — je pense qu'elle porte allègrement son nom — canadienne des droits de l'homme, il y a un aspect qui nous plaît beaucoup dans cette loi, c'est qu'il y a une possibilité de l'appliquer. Elle est opérationnalisée au niveau des sanctions et au niveau du redressement des préjudices qui pourraient être infligés par cause de discrimination.

Il y a quelque chose qui nous chicote nous autres aussi — là-dessus on ne vous fera pas de laius, vous en avez entendu plusieurs — c'est à propos de la primauté de la loi à l'article 45. Quant à nous autres, cette loi devrait avoir priorité sur les autres. On pense même que, dans une période peut-être de cinq ans — le Parlement, cela ne travaille pas vite — il y aurait même moyen de réviser les lois qui sont en contradiction avec la Loi sur les droits et libertés de la personne.

Quant à nous, on n'est pas spécialement d'accord sur ce que d'autres groupes ont demandé, c'est-à-dire la majorité aux deux tiers, quant à l'amendement de certaines dispositions de la loi, parce qu'il y a des choses qu'on ne peut pas prévoir, compte tenu de la vitesse de l'évolution d'une société. Il me semble que les deux tiers — avec l'espoir que le prochain Parlement ne sera pas aussi majoritaire, je sais que là, cela ne vous poserait pas de problème — je trouve cela un peu sclérosant. Comme on le sait, la constitution des Etats-Unis date de 1784, et le processus d'amendement est tellement compliqué que les Américains — je parle par osmose à propos de celui avec qui je suis — sont pris avec une charte qui est maintenant tout à fait désuète, c'est-à-dire que ce qui est avant-gardiste aujourd'hui, dans 150 ans ou quelque chose comme cela ce sera rendu bigot. C'est le problème des Etats-Unis. Le processus de changement est tellement compliqué qu'ils sont pris avec cette espèce de carcan qui, comme Claude-Jean Devirieux le disait hier, les obligent à faire des miracles d'acrobatie d'interprétation pour continuer à se maintenir en paix.

Quant au projet de loi no 50, j'ai à peu près fini, je vais être prêt bientôt à répondre à vos questions, mais vu qu'on a la chance de passer ce coup-ci, je voudrais attirer votre attention sur quelque chose qui n'est pas pertinent à cette loi. Vous avez un office de révision du code civil qui est en train d'examiner diverses dispositions dont la disposition du mariage. Cet office — ce que j'ai entendu par mes connections "underground"— a été au-devant des coups dans le sens qu'il a déjà prévu le cas des couples hétérosexuels non formels, en termes populaires, des gars et des filles qui sont accotés ensemble. Qu'arrive-t-il quand on a vécu ensemble pendant dix ans, sans la sanction d'un mariage civil ou d'un mariage religieux, qu'on a acquis des biens considérables ensemble, et qu'à un moment donné on se laisse? Qu'arrive-t-il? Il semble que la tendance du comité de révision du code civil soit dans le sens d'offrir à ces gens la même protection qui est offerte aux femmes ou à l'autre membre d'un couple formel qui a participé, lui aussi, à l'acquisition des biens communs, comme dans le cas Mur-dock dont il a été question, hier. Peut-être qu'il serait bon d'aller un peu plus au-devant des coups et de rédiger les articles de façon que cela n'exclue pas les autres couples marginaux, autrement dit, que cela ne nous exclue pas, nous, quand on est pris dans une situation parallèle. Avec ce que j'ai entendu, avec les précisions qui sont données au niveau des enfants, les précisions qui sont données au niveau des genres dans la rédaction des principes du code civil révisé, il y a des chances que cela nous exclue.

Peut-être que vous pourriez faire quelque chose pour éviter que l'on revienne se présenter, la prochaine fois, avec un amendement. C'est tout ce que j'ai à dire. Est-ce qu'il y a des questions?

Le Président (M. Cornellier): Merci bien, M. Doré.

Le ministre de la Justice.

M. Choquette: Je remercie les trois associations qui se sont présentées devant nous, ce matin, pour nous exprimer leur point de vue et faire état des problèmes qu'ils subissent, par suite de discrimination à différents échelons et dans différentes activités.

Vous avez fait allusion, tout à l'heure, et vous l'avez approuvée, à la position du Barreau, relativement à l'introduction du mot "notamment" à l'article 11. Je dois vous dire que, à mon sens, ce n'était pas ce qu'il y avait de plus fort dans le mémoire du Barreau, parce que l'on ne peut pas exclure toutes les formes de discrimination. Tenter de le faire serait ramener tous les individus à un niveau d'égalité mathématique, chose qui n'est pas réaliste. Je vais

vous donner un exemple. Si, dans certains des articles, par exemple, il est interdit de discriminer à l'occasion de la conclusion d'un bail ou d'un autre acte juridique, un propriétaire qui loue un logement a le droit de s'assurer que le locataire représente une solvabilité suffisante pour payer le montant du loyer.

Si on introduisait à l'article 11 le mot "notamment", cela voudrait dire qu'un propriétaire ne pourrait même pas exercer un choix relativement à un locataire qui se présente pour louer un logement. Je ne crois pas que le législateur, le Parlement, puisse aller aussi loin que dénier aux personnes qui signent des contrats une certaine liberté de choix.

Par conséquent, quand nous excluons la discrimination pour certains motifs particuliers, c'est parce qu'il a été démontré que socialement cette discrimination est faite d'une façon négative. Elle a des effets négatifs. C'est la raison pour laquelle on ne pourrait pas introduire une clause générale de non-discrimination. Il y a quand même des discriminations qui sont légitimes, je viens de vous en donner un cas, par exemple, la solvabilité du cocontrac-tant à l'occasion de la signature d'un acte juridique, et je vous ai donné le cas d'un bail en particulier. Ce n'est pas vraiment possible d'introduire ce mot "notamment".

D'autre part, vous soulevez votre situation personnelle. Je crois que les membres de la commission ne vous le reprocheraient en aucune façon. Evidemment, les décisions que nous prendrons sur cela vont mériter d'être pesées. Il s'agirait sans doute d'une innovation législative importante pour le Parlement actuel en regard de toute la législation passée. Mais cela n'est pas exclu. C'est ce que je veux vous dire. Vous introduisez parmi les facteurs de non-discrimination celui de l'orientation sexuelle, alors nous allons réfléchir aux arguments et au pour et au contre d'un tel amendement.

M. Doré: Je ne suis pas spécialement d'accord avec vous quant à l'objection que vous posez à l'addition du mot "notamment ' à l'article 11. Je pense que vous pourriez rédiger quelque chose. Même il me semble que cela fait partie du bon sens commun que de refuser un bail à quelqu'un qui n'est pas solvable; ce n'est pas une discrimination puisqu'il ne peut pas respecter les termes du contrat. Quand quelqu'un ne peut pas respecter les termes d'un contrat, il me semble évident que si le contrat n'est pas conclu ce n'est pas parce qu'il y a discrimination, d'une part.

M. Choquette: On ne le sait pas.

M. Doré: D'autre part, à l'article 17, vous pourriez faire un petit effort aussi en incluant peut-être un article dans le sensdu bon sens. Vous dites: "Une distinction, exclusion ou préférence fondée sur les aptitudes exigées pour un emploi, ou justifiée par le caractère charitable, philanthropique, religieux ou éducatif d'une association ou corporation sans but lucratif ou qui est vouée exclusivement au bien-être d'un groupe ethnique n'est pas réputée discriminatoire".

Peut-être pourriez-vous ajouter un autre petit article quelque part, où vous prévoiriez ces cas de gros bon sens. Par exemple, dans le cas d'un contrat où une des parties n'est pas capable de respecter les termes du contrat, dans ce cas, la non-conclusion du contrat ne représente pas un acte de discrimination. Ne pensez-vous pas?

M. Choquette: II y a ce cas, évidemment. On pourrait le faire de cette façon, mais je vous signale qu'immédiatement avant vous le groupe qui représentait les déficients mentaux a comparu devant la commission parlementaire, et, justement, j'ai signalé à ce groupe que là encore la déficience mentale, dans certaines conditions, peut être une des raisons pour lesquelles on peut refuser de contracter. C'est un autre groupe à l'égard duquel, qu'on le veuille ou non, il y a une forme de traitement particulier sur le plan juridique. C'est pour cela que j'hésite beaucoup à introduire un mot comme "notamment", qui aurait une portée absolument générale et qui pourrait, en fait, introduire énormément de confusion dans les contrats qui peuvent être signés.

Au moment où on se parle, on voit des différences de solvabilité, on voit des différences de capacité sur le plan mental, mais il peut y avoir une foule d'autres circonstances qui justifient l'exercice d'une discrimination. Et là, j'emploie le mot discrimination sans connotation péjorative.

Mais ceci ne veut pas dire — et je tiens à vous l'affirmer — que nous n'examinerons pas votre suggestion d'introduire dans l'article 11 la mention que vous avez suggérée, de l'orientation sexuelle.

Je note qu'à l'annexe 3, vous nous citez des cas où la législation américaine a reconnu qu'il était prohibé de discriminer en raison de ce facteur. Vous citez les Etats de New York, le District of Columbia, l'Etat de Washington, j'ai l'impression, ou la ville de Seattle, je ne le sais pas, la ville de San Francisco et la ville de Détroit.

Est-ce que c'est une liste exhaustive des dispositions américaines, relativement à l'emploi du mot "orientation sexuelle"?

M. Bellemare (Roger): En fait, M. le ministre, il y a 16 municipalités ou 16 villes américaines de très grande importance qui ont adopté des ordonnances à ce niveau-là, prohibant la discrimination basée sur l'orientation sexuelle. Il y a également, la ville de Toronto qui, en octobre 1973, a voté une ordonnance et on y définit également l'orientation sexuelle.

M. Choquette: Je présume qu'il y a d'autres Etats américains, en plus de ceux qui sont cités ici, à votre liste, qui ont des dispositions semblables?

M. Bellemare (Roger): M. le ministre, il n'y a pas d'Etats américains qui ont inclus cette notion-là. Il y a le Massassuchetts...

M. Choquette: Ah!

M. Bellemare (Roger): ...l'Etat de New York et l'Etat du Minnesota qui s'apprêtent à le faire.

M. Choquette: Ah! bon.

M. Bellemare (Roger): Je voudrais également attirer votre attention sur le fait qu'il y a présentement un projet de loi devant le Congrès américain, qui aété déposé il y a huit jours — parce que la lutte se fait également sur le plan international — HR-166 et il a été introduit par cinq membres de la Chambre des représentants, deux de Californie, un de Philadelphie et deux de New York. Un sondage a d'ailleurs révélé, à New York, que 70% des gens favorisent l'adoption de cette législation.

M. Choquette: Et dans les législations antidiscriminatoires des provinces canadiennes, est-ce qu'il y a des dispositions semblables? Est-ce que vous êtes au courant?

M. Bellemare (Roger): Comme vous le savez, M. le ministre, pour avoir étudié vous-mêmes à fond les chartes des droits de l'homme des autres provinces, il n'y a mention d'orientation sexuelle dans aucune province canadienne.

M. Choquette: Je vous remercie.

M. Doré: Est-ce que je peux vous dire quelque chose d'autre?

M. Choquette: Allez.

M. Doré: D'une part, à propos de ce que Bellemare dit, au niveau de la législation de la Saskatchewan, il y a une intention écrite du procureur général d'inclure les termes "orientation sexuelle" au niveau de l'équivalent de la loi de cette province sur les libertés et droits de la personne. Il y a cela.

D'autre part, toujours sur votre objection à "notamment", la raison pour laquelle on avait demandé "orientation sexuelle", c'est qu'on considérait que, pour nous, "notamment" n'était pas suffisant, dans le sens que cela laissait la discrétion au juge ou à la commission de décider, si, dans ce cas-là, il y avait effectivement discrimination ou si ce n'était pas une distinction, exclusion ou préférence justifiée. C'est le rôle des juges, mais il me semble qu'il y a cette espèce de pondération, dans le sens que, par exemple, refuser un emploi de "shipper" dans une manufacture d'industrie lourde à une femme de 110 livres, personne se considérerait cela comme une discrimination. C'est qu'elle n'a pas les aptitudes exigées pour l'emploi, c'est une chose qui a du gros bon sens.

M. Choquette: Oui, mais c'est la raison pour laquelle on introduit cette disposition, également pour les associations philanthropiques, religieuses ou charitables, parce que, dans ces groupes, il peut être tout naturel de vouloir engager des gens qui participent à ce genre de charité, de philanthropie, de religion ou d'éducation. Il faut quand même admettre que là, la discrimination, elle a sa place.

Le Président (M. Cornellier): L'honorable député de Maisonneuve.

M. Burns: Sur le dernier point que le ministre de la Justice a soulevé, relativement au fait que d'autres provinces n'incluent pas de telles mesuresdans leur charte des droits de l'homme, j'ose avancer une hypothèse, que ces chartes des droits de l'homme ont, pour la plupart, été adoptées avant les amendements au code criminel qu'on a appelés le bill Omnibus. Peut-être qu'à l'époque où ces chartes des droits de l'homme étaient adoptées, elles se seraient insérées à l'encontre d'une disposition du code criminel, chose qui n'est plus vraie maintenant, depuis l'adoption du bill. En tout cas, c'est une hypothèse que j'émets; on pourra vérifier quand on examinera le projet article par article.

Je veux remercier MM. Doré et Bellemare et Mlle Goyette pour ces mémoires, à mon avis, très bien étoffés, bien appuyés de jurisprudence. En ce qui me concerne, je vous dis tout de suite, sans aucunes ambages que je serai favorable à l'amendement que vous suggérez. D'autre part, j'ai tendance à accepter l'argumentation du ministre de la Justice relativement à ses réticences à inclure le mot "notamment" à l'article 11. Je préférerais que justement, un cas de discrimination qui existe, l'homosexualité étant un fait, étant quelque chose qui existe, étant reconnue, n'étant plus illégale lorsque exercée dans le cadre du code criminel, il me semble que le seul fait qu'on soit en mesure de démontrer qu'il y a de la discrimination à l'endroit des homosexuels, le seul fait de reconnaître, comme la Ligue des droits de l'homme le faisait il y a deux jours, que l'homosexualité peut être considérée comme une des minorités de notre société, personnellement, je suis favorable à l'inclusion d'une formule qui s'appellerait l'orientation sexuelle dans l'article 11. D'autre part, j'aimerais avoir une précision, peut-être de la part de Mlle Goyette. Vous avez référé, au cours de votre intervention, à de la discrimination dans l'emploi et dans le logement, qui sont peut-être les deux cas les plus évidents. Je pense qu'on peut facilement le concevoir. Mais vous avez référé aussi à de la discrimination dans le domaine des services. Est-ce qu'il y aurait moyen que vous nous donniez, parmi les 360 cas dont vous avez eu connaissance au cours des mois de janvier à juin 74, nous avez-vous dit, des exemples précis de services, par exemple, qu'on refuserait à des gens, purement et simplement, en fonction du fait que ce sont des homosexuels?

Mlle Goyette: Je vois tellement de cas qu'il faut faire une hygiène mentale pour que ce soit quelque chose de bien précis. On en a gardé ici. Voici: Le plaignant qui souffrait d'un ulcère d'estomac se rendit, aux premières heures du matin, à la clinique d'urgence d'un hôpital du centre-ville. Voyant qu'il portait une boucle d'oreille, le médecin lui posa cette question: "Etes-vous homosexuel"? Cela se passe à Montréal, entre autres, il vient ici à Québec. L'individu lui répondit que ça ne changerait rien et que cela n'avait rien à voir avec l'objet de sa visite. Le médecin sortit alors pour une autre pièce et revint. Il posa alors la même question: "Etes-vous homosexuel"? Oui, répondit le patient. "Je n'aime pas beaucoup les homosexuels", rétorqua le médecin. L'individu fit savoir au médecin qu'il se devait de le soigner. Ce dernier sortit et une infirmière lui

donna alors les premiers soins. Et c'est l'infirmière qui lui a donné les médicaments. Il n'a pas revu le médecin.

M. Doré: Entre parenthèses, cela est dans le mémoire 6M qui est signé par Roger Bellemare. C'est dans les annexes. Le cas 6.

Mlle Goyette:Les plaignantes se sont vues refuser des services de santé dans un des plus gros hôpitaux de la ville. Il s'agit, en l'occurrence, d'un couple de femmes lesbiennes qui voulaient obtenir une consultation au département de psychiatrie de l'hôpital. Elle se présentèrent à l'enregistrement et firent savoir en toute franchise ce dont elles avaient besoin. On leur fit savoir que l'hôpital ne leur fournirait pas les services qu'elles réclamaient parce que, en tant que lesbiennes, elles n'avaient pas droit à une consultation. Plusieurs responsables réitérèrent le même refus. Plusieurs autres ont eu le même problème.

Je vais vous dire. Les premiers mois où j'ai commencé à avoir certaines plaintes, tant du côté médical que du côté de l'emploi et ces choses-là, je me suis entourée d'un groupe de personnes que j'ai rencontrées, médecins, de toutes les spécialités, de certains hôpitaux, de cliniques privées et j'ai une collaboration entière de ces médecins, des spécialistes qui ne sont pas des homosexuels et d'autres qui peuvent l'être aussi.

Nous ne voulons pas avoir un médecin homosexuel pour soigner des homosexuels. Ce n'est absolument pas cela. Mais quand même, j'ai des spécialistes homosexuels, parce que j'ai certaines personnes qui sont plus à l'aise avec un homosexuel. Exemple: Quelqu'un qui a des problèmes médicaux dans une relation sexuelle où il a eu des petits accrochages au point de vue des gars, il va être gêné d'aller parler de leurs problèmes avec le médecin hétérosexuel.

Mais j'en ai de ces bonshommes qui ne sont pas homosexuels, et j'en ai d'autres qui sont homosexuels chez qui on peut aller et on est très bien reçu et ce n'est pas de la façade. J'ai des psychologues qui sont très bien. J'ai des psychiatres des deux catégories, qui sont très bien. Moi, ici, je suis chanceuse. J'ai une collaboration très étroite.

Du côté des emplois, c'est beaucoup plus sévère. Autrefois, je travaillais comme bénévole. D'ailleurs, je suis encore bénévole, mais à temps plein, à partir de janvier. J'attends les réponses d'un peu partout. Si je ne suis pas rémunérée, je serai une assistée sociale, mais enfin, il reste une chose, c'est qu'étant donné que je suis responsable d'un service d'entraide pour homophiles, quelqu'un se rend quelque part: Je suis référé par Mlle Goyette. Ah! Service d'entraide pour homophiles! Je commence à être connue. C'est bien malcommode, mais, en tout cas, que voulez-vous que j'y fasse? Il faut qu'il y en ait qui s'impliquent en quelque part.

M. Doré: J'aimerais que cela m'arrive, moi.

Mlle Goyette: Ce qui arrive, c'est que certains employeurs ont peur du gars ou de la fille homo- phile. Je pense que, chez nos homophiles, tant hommes que femmes, il y en a qui ont de gros problèmes, mais ils n'ont pas tous des problèmes. Ecoutez! Je pense qu'il y a des gens qui sont bien corrects. Mais savez-vous ce qui fait le problème de ces personnes, tant les professionnels de toutes catégories? Ce que je vous dis là, ce n'est pas du chantage. Si j'avais le droit, aujourd'hui, de mettre des noms, je le ferais donc! Aujourd'hui, la salle aurait pu être bondée de gens de Québec, mais je n'en ai pas un seul, si je ne me trompe, à moins qu'il soit arrivé après, pas un. C'est incroyable. Je n'ai pas une personne de Québec. Pourquoi ont-ils tous peur? Ils ont tous peur. Personne n'était capable de venir aujourd'hui. C'est incroyable. Ils ne se sentaient pas capables. Je rencontre, ici, dans l'édifice, à l'extérieur et autour dans les restaurants, des personnes qui, en dehors, si je les rencontre à leurs bureaux, dans leur affaire, vont me direbonjour, vont me parler. A part de cela, ces gens doivent passer comme cela à côté de moi, parce qu'ils sont homosexuels et ils ont peur que s'ils sont en conversation avec moi, ils vont se dire: Ma "job", mon patron, et toutes mes affaires! Ce n'est pas ordinaire!

Vous savez, moi, quand je vois ces gens bien équilibrés, bien corrects, leur souffrance a été que, dans la famille quand les parents disent: La tapette, la lesbienne, la ci, la ça, ils ont bien des noms, déjà, cela traumatise la personne. Ils arrivent dans le milieu social, cela se continue, et cela se suit toujours. Moi, j'ai reçu des gens bien équilibrés — je me répète — des professionnels, de bons ouvriers, de bonnes ménagères, de femmes mariées qui se sont mariées pour sauver la face, des gars mariés qui se sont mariés pour sauver la face, parce que le bon curé lui disait: Ecoute, marie-toi, cela va changer. Là, on est pris avec des familles de deux, trois enfants, ils n'en ont pas trop. J'en ai un qui a neuf enfants. Celui qui a neuf enfants, c'est un homme qui a des professionnels de différentes catégories chez sesenfants. Maiscequ'il peut avoir souffert! Je vais vous donner l'exemple de ce gars. Moi, en tout cas, cela me... Ce bonhomme, à la fête des mères, l'année passée, a reçu toute sa famille, il est sorti avec son épouse. Le midi, c'était le dîner à la maison le soir, c'était le souper à l'extérieur, et on revenait à la maison. On se séparait, parce qu'ils avaient déjà passé la journée ensemble. Le gars me téléphone à une heure moins quart. Il dit: Denise, il me raconte toute sa journée, comment tous avaient eu du plaisir. Les enfants étaient fins, tout le monde a fait de la musique, en tout cas, c'est très bien, une famille très unie. Mais te dire, Denise, ce que, moi, je peux souffrir, comment je me suis senti seul aujourd'hui, avec tout cela, parce que, que veux-tu, sa femme, c'est froid. Il lui donne tout. Ils ont une maison. Ils ont tout, ils ont de l'argent, ils ont tout. Cet homme est un industriel. Ils ont tout, mais lui n'a pas l'amour. Que voulez-vous? C'est un homosexuel. C'est très difficile pour vous, qui n'avez peut-être pas vécu, parce qu'on est homosexuel ou on ne l'est pas. Moi, je suis une homosexuelle. Je n'ai pas à le dire, mais je vous le dis. Je me dévoile depuis trois ans, à peine trois ans, parce que j'ai toujours vécu... J'ai des gens, ici, dans la salle, qui me connaissent depuis

des années. Qu'est-ce que cela change, aujourd'hui, que je sois homosexuelle ou que je sois hétérosexuelle? Pourquoi suis-je arrivée au service d'entraide? C'est que j'ai mis sur pied, avec un équipe de quatre autres personnes — nous étions cinq — le service d'écoute Tel-Aide Québec, subventionné par la Plume rouge, qui fait partie d'Action 24 aujourd'hui. C'est quand je me suis mise à l'écoute des personnes et que j'avais de ces bon-hommes, surtout les hommes, c'est beaucoup plus difficile pour l'homme de vivre son homosexualité que pour la fille. C'est très différent. Des filles qui dansent ensemble, qui vivent dans le même appartement ne sont pas toutes des homosexuelles. Mais combien le sont, mais qui ne le disent pas? Le pire, c'est que chez nos responsables d'industries, d'hôpitaux, de services bien spécialisés, combien sont des femmes homosexuelles? Cela ne paraît pas, elles ne le disent pas et font bien attention, mais ce sont nos gens les plus engagés, les plus disponibles.

C'est incroyable. En tout cas, plus j'avance dans cela, je trouve cela formidable, c'est de voir... Cela sera plus formidable quand les gens pourront s'identifier, pourront dire qui ils sont. Je me suis engagée. Cela n'est pas facile, laissez-moi vous dire que ce n'est pas facile. J'ai eu la chance de vivre dans un milieu familial où on comprend, où on a eu des parents bien particuliers. C'est bien particulier, en tout cas. Au point de vue social, c'est la même chose. J'ai été peut-être gâtée. C'est pour cela qu'à Aéro Service, Tel-Aide, quand j'ai reçu autant d'appels de bonshommes très bien qui me disaient.un, entre autres: "Qu'est-ce que tu veux, je suis tout seul ce soir", qui parlaient de toute leur solitude, je me suis dit: Je n'ai plus le droit de faire le silence et de me cacher.

J'ai demandé au conseil qui était avec moi, des gens engagés, des professionnels — je ne suis pas professionnelle — j'ai dit: Qui voudrait faire quelque chose pour les homosexuels à Québec? Il faut absolument qu'on fasse quelque chose. Une a répondu: Je ne peux pas parce que cela va engager, on va me faire passer pour cela; le garçon, la même chose, en tout cas, et le reste. Le religieux qui était avec nous, la même affaire. J'ai décidé de rencontrer des homosexuels. J'ai dit à deux personnes, deux filles que j'avais rencontrées dans des entrevues, parce que j'avais affaire à cela, je les ai fait venir et je leur ai dit: Est-ce que je peux vous recevoir? Elles ont dit: Pourquoi? J'ai dit: Au téléphone, je ne voudrais pas vous parler de cela, mais venez me voir. Elles sont venues me voir le matin à 10 h 30, je leur avais donné rendez-vous pour 13 heures. A 10 h 30, elles sont venues et elles sont parties à 11 heures le soir, parce que, dans la journée, j'avais été dérangée dans l'appartement chez moi. Il y avait une vieille grand-mère de 80 ans qui était mourante et que personne ne voulait faire hospitaliser. J'ai appelé un médecin de Québec qui n'est spécialiste dans rien, mais qui fait tout, et qui m'a dit: Amène-la-moi tout de suite à tel hôpital et on va s'en occuper. Alors, j'ai transporté ma vieille et le reste.

C'est pour cela que cela a retardé notre entrevue avec nos deux filles. Alors, les filles m'ont dit:

Qu'est-ce qui t'a fait dire que je pouvais être homosexuelle? J'ai dit: Ton comportement, je pense, tu semblais énormément protéger l'autre, il y avait quelque chose de spécial. Mais je ne savais pas si elles l'étaient. Quand elles m'ont répondu: Qu'est-ce qui t'a fait dire qu'on pouvait être homosexuelles?, j'ai dit: Merci, mon Dieu, parce que là, j'ai deux filles qui vont m'aider. Ces deux filles m'ont aidée. Elles ont dit: Maintenant, es-tu capable d'aller n'importe où, où on va vouloir t'amener? J'ai dit: Cela dépend, où est-ce que vous voulez m'amener? Elles ontdit: Dans les bars. C'est dans les bars, j'y ai passé six mois. Je ne suis pas une fille de club, ce n'est pas mon genre, mais j'y suis allée pendant six mois, deux à trois soirs par semaine. Je sortais de là avec une laryngite. Là, on me mettait dans un petit coin. Qui est-ce que j'avais autour de moi? Des gars et des filles qui parlaient, qui avaient une attitude tout à fait spéciale au bar. Ils avaient pris un peu de drogue, ils avaient pris un peu de boisson, ils étaient désabusés. Le soir, je me tenais deux heures à deux heures et demie à la porte pour voir sortir ces gens désabusés, tannés, écoeurés. J'ai pris quelques-unes de ces personnes. Sur cela, on avait des gens qui étaient un peu, au point de vue psychologique... J'ai essayé de prendre les mieux du groupe, j'avais des infirmières, j'avais des aides-malades, j'avais des filles de bureau et le reste, des gars mariés, enfin, toutes les sortes. Alors, j'ai essayé de me joindre à ces personnes et j'ai essayé de faire quelque chose avec elles et de leur demander qu'est-ce qu'il fallait faire. J'ai été empathique à leur affaire, je les ai écoutées. Aujourd'hui, on a un service d'entraide à Québec. C'est moi qui sais ce que je vis.

Mon prochain projet, c'est de faire quelque chose pour nos prêtres homosexuels, religieux, c'est encore une autre souffrance terrible. Si vous en connaissez, référez-les-moi, qu'on m'appelle sans se nommer. On leur dira ce qu'on fait et on veut travailler. Je veux aller auprès de ces marginaux. Je m'excuse, mais j'aurais tellement de choses à vous dire. J'ai l'impression, je sens — je ne sais pas si je me trompe — mais je sens vraiment une écoute de votre part. Je sens une empathie qui est vraiment forte. Je comprends et je dis encore que ceux qui sont hétérosexuels, c'est difficile pour vous autres de comprendre ce groupe de personnes. Je ne vous en veux pas. C'est bien normal, on ne peut pas comprendre quelque chose qu'on ne connaît pas et où il y a tellement eu de tabous.

M. Burns: Merci, Mlle Goyette. Mlle Goyette: Je m'excuse.

M. Doré: Je sais que vous êtes empathique, mais, quand Mlle Goyette dit qu'elle se dévoile depuis trois ans, comprenez-la au sens du strip-tease mental.

M. Burns: D'accord.

Le Président (M. Cornellier): Le député de Mille-Iles.

M. Lachance: M. Doré, pour les fins du journal

des Débats, dans l'expression "orientation sexuelle" ou "homosexualité", vous excluez, vous ne pensez pas à ceux qui souffrent de pédérastie ou de pédophilie?

M. Doré: C'est une question à laquelle je m'attendais. Je vous remercie de la poser. Comme je l'ai indiqué tantôt, ce qu'on demande, c'est que nos droits humains soient reconnus. Ce qu'on demande, ce n'est pas que les dispositions du code criminel soient modifiées. On le demandera peut-être à une autre instance, mais ce qu'on demande, c'est cela. Présentement, la pédérastie est considérée comme une offense criminelle, d'une part, au sens du bill omnibus et, d'autre part, au sens de la Loi de la protection de l'enfance.

Ce que nous demandons n'inclut pas la pédérastie dans le sens où quelqu'un commet un acte criminel, s'il est poursuivi, nous ne considérons pas cela comme une discrimination. Mais ce que nous considérons, c'est qu'un pédéraste, est pédéraste comme vous, vous êtes hétérosexuels et vous ne violez pas de femme. Supposons que la société soit généralement homosexuelle. Ce que je demande, c'est l'équivalent, dans le contexte que j'ai expliqué. Si vous étiez un hétérosexuel, vous auriez le droit de jouir de toutes les libertés de la personne jusqu'au moment où vous ne violez pas de femme. Dans le même sens, quelqu'un peut être pédéraste, dans son identité, et s'il ne le pratique pas, il n'a pas le droit de se voir refuser les droits fondamentaux.

Je sais à quoi vous faites allusion, vous parlez du milieu de l'enseignement et des choses comme ça. Vous vous demandez à propos de...

M. Lachance: Les camps de vacances. Aujourd'hui, comme vous le savez, il n'y a aucune loi, aucun règlement, aucun arrêté en conseil qui existe; un homosexuel ou un malade pédéraste peut ouvrir une base de plein air pour enfants et il n'y a aucune loi qui peut l'en empêcher.

M. Doré: Je pense que c'est une excellente question. Il y a autant de danger à ce qu'un pédéraste ouvre un camp de vacances qu'à ce qu'une femme hétérosexuelle parte une colonie de vacances pour garçons, c'est-à-dire que vous considérez cela comme une maladie, quant à moi, ce n'est pas exactement mon sens, je suis un praticien de santé mentale. Ce que je veux dire, c'est que c'est un mythe souvent véhiculé dans la société, dans les journaux, et je vais vous donner des chiffres, j'en ai quelques-uns pour le député de Rouyn-Noranda aussi, parce qu'il n'a pas encore l'air convaincu.

Mlle Goyette:Ce sont des déviations, il faut que les gens le sachent.

M. Doré: Je ne suis pas d'accord là-dessus. M. Samson: Votre recrutement a l'air difficile.

M. Doré: Au niveau de la pédérastie et au niveau de l'homosexualité, en général, il y a le même type de contrôle personnel que le gars exerce sur lui- même que vous, vous exercez sur votre comportement sexuel hétérosexuel. Vous ne sautez pas sur la première femme venue, même sur la première femme venue qui est de votre goût. Vous vous retenez un peu et vous le faites dans une chambre, quelque chose comme ça, vous vous assurez, d'habitude, que ça la tente, des choses de ce genre. C'est la même chose au niveau de l'homosexualité, nous avons des critères de sélection, nous autres aussi. Je ne pourrais coucher avec les membres de cette commission-ci, il n'y a personne qui me plaît. Il y a des contrôles, de la même manière que l'exemple que je vous donnais, qu'une femme hétérosexuelle qui travaille dans une école, qui est professeur, est un danger aussi considérable pour les enfants qu'un homosexuel. Dans les faits, ce qui se produit, c'est que les homosexuels se retiennent autant que les maîtresses d'écoles.

Nous sommes à peu près du même âge, mais vous avez quelques mois de plus que moi, alors, vous devez...

M. Lachance: De moins.

M. Doré: De moins, je m'excuse, ce sont des défauts de perception. Vous devez vous rappeler que vos parents ont dû vous dire, il y a à peu près 40 ans, qu'une femme mariée ne pouvait pas enseigner dans une école parce qu'elle représentait un danger pour la moralité, du fait qu'elle était mariée et que le mariage faisait appel au seul mode de vie sexuelle qui était admis dans le temps. C'était un danger pour les enfants. Il n'y a plus personne, aujourd'hui, qui admettrait cela.

Pour l'homosexualité, le problème se pose exactement dans les mêmes termes, le problème est encore le même.

M. Lachance: En somme, la pédérastie et la pédophilie, vous admettez que c'est immoral à toute forme d'homosexualité.

M. Doré: Je ne vous répondrai pas là-dessus. Quant à moi, c'est la même chose qu'au niveau de l'homosexualité, c'est une question de jugement moral. Je vais vous donner quelques chiffres, par exemple, là-dessus. D'une part, en proportion, vous savez qu'il y a moins d'homosexuels que d'hétérosexuels, mais il y a un pourcentage plus faible, en proportion, d'homosexuels qui violent des petits gars que d'hétérosexuels qui violent des petites filles. Ce sont des chiffres absolus que je vous donne. Deuxièmement, il y a plein de mythes qui circulent sur les enfants. Cela, c'est mon domaine de recherche. Il y a une étude extensive qui a été faite à l'université de Californie de tous les cas de viols d'enfants qui ont été rapportés, une étude auprès des enfants.

Ce qui a été démontré dans cela c'est que, d'une part, il arrivait plus souvent qu'un enfant séduisait un adulte que l'inverse. D'autre part, qu'il y avait moins de cas de relations homosexuelles avec des enfants que de relations hétérosexuelles avec des enfants.

Troisièmement — et c'est assez impor-

tant — parmi tous les enfants qui sont réputés avoir été violés, il n'y en a que 4% qui ont trouvé l'expérience désagréable, de sorte que, à un moment donné, il faut se poser des questions là-dessus.

Quant à moi, je ne porte pas de jugement, je ne fais que constater des faits. Quant à moi, la pédérastie, comme l'homosexualité, ou comme n'importe quel autre type de pratiques... Vous savez qu'il y a vingt ans, dans les principes de l'Eglise, la seule position sexuelle acceptable était la position du missionnaire et seulement quand il fallait faire des enfants, c'est un jugement moral, aujourd'hui, il n'y a plus beaucoup de gens qui acceptent cette affaire-là. Vous vous imaginez le "fun" que nos grands-parents ont perdu!

C'est un jugement essentiellement moral. C'est quelque chose qui tient de l'individu. Vous pouvez avoir votre opinion. C'est une question d'opinion. Cela ne se tranche pas en termes scientifiques. Là-dessus, je ne me prononce pas, mais je vous dis que si vous considérez la pédérastie ou même l'homosexualité comme des choses immorales...

M. Lachance: Je vous demandais votre opinion concernant la pédérastie.

M. Doré: Je ne vous la donnerai pas.

M. Lachance: C'est certain, vous ne m'avez pas répondu.

M. Doré: Je vous donne seulement les faits. Mais comme je vous dis, ce que nous sommes en train de demander, ce n'est pas que vous reconnaissiez aux pédérastes le droit de coucher avec des petits enfants, c'est que vous reconnaissiez à n'importe qui, qui a un comportement non criminel, la jouissance des droits civils élémentaires.

M. Lachance: C'est dans cet esprit que je vous posais la question, si vous reconnaissez cela.

M. Doré: II y a une autre chose que je voudrais donner, qui est partiellement en réponse au député de Maisonneuve, à la question de Mme Goyette. Je pourrais vous donner des exemples. Cela touche directement ma pratique clinique. Je vais vous donner des chiffres, par exemple, c'est plus éloquent.

J'ai fait une petite étude qui n'est valable, hélas, que pour la population homosexuelle de Montréal. Si jamais le ministère de la Justice a des fonds pour qu'on fasse une étude à l'échelle du Québec, on saura les utiliser. C'est une allusion discrète, en passant. Mais, au niveau de la population de Montréal — cela, même le député de Rouyn-Noranda admettra que Montréal est probablement la ville la plus libérale au niveau des moeurs sexuelles, au niveau de l'ensemble des homosexuels...

M. Samson: Je savais qu'elle était libérale.

M. Doré: Mais comme le député de Maisonneuve disait hier au ministre de la Justice, c'est libéral dans le bon sens!

Par rapport à cela, vous savez que l'homosexua- lité aussi, ce n'est pas écrit dans la face d'un gars. Peut-être que, si je m'étais habillé comme vous, complet bleu marin, cravate bleue un peu plus pâle, et chemise blanche, vous ne m'auriez pas reconnu. On ne me reconnaît pas à l'université. Croiriez-vous cela? Hélas, c'est le problème de ma vie!

M. Samson: Ce n'est pas croyable!

M. Doré: Je n'ai pas entendu ce que vous avez dit.

M. Samson: J'ai dit: Ce n'est pas croyable!

M. Doré: C'est le problème de ma vie! Malgré les "kits" de cette discussion, c'est tout à fait inefficace. En tout cas, toujours est-il que ce n'est pas comme le sexe ou la couleur, ou des choses comme cela. Vous ne l'avez pas écrit dans la face, votre homosexualité. Si vous vous promenez avec des choses qui sont un peu inhabituelles — comme si j'étais venu ici avec un complet rose en chiffon, là, c'est recon-naissable, mais la majorité des homosexuelles n'est pas repérable, je dirais dans à peu près 80% des cas, ils auraient l'air aussi normaux que vous, à condition qu'on considère que vous avez l'air normal. Dans ce sens, et malgré cela...

M. Samson: J'aimerais mieux laisser les considérations à la majorité.

M. Doré: On sait ce que la majorité en a pensé déjà. Mais, toujours est-il que, malgré que cela ne paraisse pas à l'oeil nu, il y a 68% de l'ensemble des homosexuels qui ont déjà souffert de discrimination. Parmi les homosexuels visibles, la pointe de l'iceberg, c'est 86%. Cela veut dire que la discrimination est vraiment évidente. Il y a vraiment motif à légiférer là-dessus, à condition, comme je vous le suggérais tantôt, de dissocier le droit des autres à certaines libertés et à certains droits fondamentaux de ses conceptions morales à soi. Etes-vous convaincu?

M. Samson: Pas encore!

M. Doré: J'irai vous voir à votre bureau. Je ne vous ferai pas de passes!

Le Président (M. Cornellier): A l'ordre!

M. Samson: Le député de Beauce-Nord acceptera d'être témoin.

Le Président (M. Cornellier): Mlle Goyette, messieurs, la commission vous remercie de la présentation que vous êtes venus faire ce matin. La commission entendra encore cet après-midi trois organismes, l'Association de paralysie cérébrale du Québec, l'Association canadienne des compagnies d'assurance-vie et la Chambre de commerce de la province de Québec.

M. Doré: Est-ce qu'on peut vous remercier, nous aussi? On est content. Quant à moi, c'était ma

première expérience à la commission parlementaire et j'ai aimé cela comme un fou. J'aimerais encore mieux cela, par exemple, si je sentais que j'avais été écouté au niveau de la Législature. Je suis sûr que toutes les tapettes du Québec vont être contentes d'avoir eu l'attention que vous nous avez portée ce matin.

Le Président (M. Cornellier): La commission suspend ses travaux jusqu'à quinze heures.

(Suspension de la séance à 12 h 56)

Reprise de la séance à 15 h 15

M. Kennedy (président de la commission permanente de la justice): A l'ordre, messieurs! La commission permanente de la justice reprend ses audiences sur le projet de loi no 50, Loi sur les droits et libertés de la personne.

Nous allons entendre l'Association de paralysie cérébrale du Québec. Les représentants sont-ils ici?

Si vous voulez vous identifier, monsieur.

Association de paralysie cérébrale du Québec

M. Gadreau (Rock): Je suis Rock Gadreau, délégué de l'Association de paralysie cérébrale du Québec, division Québec.

Le Président (M. Kennedy): Si vous voulez présenter le résumé de votre mémoire.

M. Gadreau: Est-ce que je le lis en entier ou si...?

Le Président (M. Kennedy): II n'est pas très long, vous pouvez le lire, si vous le voulez.

M. Gadreau: En réponse à la lettre de M. Jean Drolet, attaché de presse du ministre de la Justice, en date du 2 décembre 1974, c'est avec plaisir que nous communiquons notre point de vue à la commission parlementaire de la justice en vue de l'étude du projet de loi no 50, instituant une charte québécoise des droits et libertés de la personne.

Considérant que le gouvernement du Québec s'est fixé comme objectif de reconnaître et de faire respecter les droits et libertés de tout être humain pour "assurer sa protection et son épanouissement", qu'il reconnaît aussi que "tous les hommes sont égaux en valeur et en dignité", que nous osons croire que le gouvernement du Québec, de même que la société québécoise dans son ensemble, reconnaît que les handicapés physiques sont des personnes au même titre que n'importe qui et qu'aucune disposition de la loi ne vient garantir que les principes établis dans le préambule de la loi seront respectés dans le cas des handicapés physiques, nous avons cru qu'il était de notre devoir d'intervenir dans l'étude de ce projet de loi.

Il découle nécessairement des principes établis par la loi qu'on doive accepter le handicapé physique dans la société, au même titre que tous les autres citoyens. Pource, il ne s'agit pas simplement d'affirmer qu'on l'accepte. Reconnaître le handicapé physique comme un citoyen à part entière, c'est, avant tout, le prendre tel qu'il est, l'accepter au sein de la société, plutôt que de le garder sur le bord de la porte, toujours à la merci d'une comparaison dont il est et sera toujours le perdant. Tout cela implique qu'on lui accorde des chances égales — ici, chances égales, n'est absolument pas synonyme de chances identiques — c'est-à-dire qu'on lui accorde les outils nécessaires à son épanouissement que lui refuse une société qui s'est conten-

tée d'établir les règles du jeu pour la majorité, en excluant ceux que la nature a désavantagés par le nombre.

Pour lui accorder des chances égales, il faut qu'on lui accorde les moyens particuliers dont il a besoin lui, pour réaliser ses aspirations d'être humain. Comme tout être humain, il aspire à vivre dans une société à laquelle il apporte sa contribution en donnant le meilleur de lui-même.

Pour qu'il puisse développer ses capacités au maximum, la société doit, comme elle le fait pour tout le monde, lui ouvrir la voie vers le marché du travail en lui donnant accès, d'abord, à l'éducation, plutôt que de le confiner à un rôle dégradant de parasite de la société.

Pour qu'il puisse s'instruire, on doit permettre à l'enfant handicapé d'apprendre selon son rythme et aussi lui donner les instruments nécessaires à son apprentissage, que ce soit pour avoir accès à la connaissance, pour ceux qui ont des difficultés de perception, ou encore pour s'exprimer librement, pour ceux qui ne peuvent écrire ou qui ont des difficultés d'élocution, exactement comme on fournit aux enfants qu'on dit "normaux" des crayons et des livres.

De la même façon, pour qu'il ait accès au marché du travail, on doit accepter d'accorder au handicapé physique une période d'apprentissage qui peut être plus longue, lui fournir des instruments de travail particuliers.

Aussi dans le cas des handicapés physiques qui peuvent remplir certains emplois sans qu'il n'y ait aucun obstacle, on ne doit pas les empêcher d'obtenir ces emplois simplement parce qu'ils sont handicapés, de la même façon qu'on ne peut pas empêcher quiconque, selon le projet de loi, d'être embauché à cause de la race, de la religion, de la nationalité, etc. Il s'agit là de conditions fondamentales à l'épanouissement de la personnalité.

Il y a aussi une foule de petits détails de la vie quotidienne qui sont des sources de frustration et qui demanderaient un aménagement mieux adapté du milieu physique. Déjà on a tenté de sensibiliser la population aux problèmes des barrières architecturales, aux moyens de transport en commun. Il y a aussi énormément d'instruments de la vie quotidienne qui, en réalité, ne sont pas faits de manière que les handicapés physiques puissent s'en servir comme, par exemple, les verres de carton dans les distributrices de liqueurs douces. Tous ces petits détails contribuent à faire croire au handicapé physique qu'il est inférieur, qu'il vit dans un monde qui n'est pas le sien.

Il doit vous apparaître que le coût de la reconnaissance de ces droits est énormément onéreux et qu'une société peut difficilement se permettre de dépenser tant d'argent pour les handicapés physiques. L'article 21 de la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations unies stipule que la satisfaction de tous les droits individuels doit être réalisée "compte tenu de l'organisation et des ressources de chaque pays". Si le Québec n'a pas les ressources présentement pour réaliser tout ce qu'implique l'épanouissement des handicapés physiques au même niveau que tous les autres citoyens, il peut, tout au moins, apporter une amélioration sensible à la situation actuelle. Aussi, ce qui ne peut être réalisé dans l'immédiat, peut être inscrit dans les priorités pour les années à venir. Si le gouvernement du Québec veut vraiment reconnaître les droits et les libertés de la personne, s'il veut affirmer qu'au Québec, "tous les hommes sont égaux en valeur et en dignité", il n'a pas le choix.

A la suite de toutes ces considérations, il y aurait lieu de modifier l'article 11, définissant les causes de discrimination condamnables. Pour qu'il tienne compte des handicapés physiques, il pourrait éventuellement se lire comme suit: "Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la religion, les convictions politiques, les aptitudes physiques, la langue ou l'origine ethnique, nationale ou sociale..."

Toutes les autres dispositions de la loi, commençant par les expressions telles que "toute personne", sont applicables aux handicapés physiques. Il s'agit simplement qu'on leur donne une place dans la société, qu'on reconnaisse en eux, au-delà de leurs particularités physiques, des personnes humaines. Il restera toujours beaucoup de gens pour croire que les handicapés physiques sont des êtres inférieurs. C'est un trait de notre culture. Mais en ayant vraiment leur chance, ils arriveront sûrement à prouver le contraire.

Nous nous en remettons donc à votre jugement. Nous croyons avoir assez clairement démontré que vous n'avez le choix qu'entre une véritable charte des droits de l'homme, expression d'une authentique démocratie, et le maintien d'une société totalitaire sur le plan physique, qui se prive d'un potentiel humain énorme du simple fait de son intolérance.

Le Président (M. Kennedy): Merci, M. Gadreau. Le ministre de la Justice.

M. Choquette: M. Gadreau, je dois vous dire immédiatement que nous ressentons énormément de sympathie pour le point de vue que vous avez exprimé dans votre mémoire, et que ce mémoire, sans compter sa concision et le fait que vous ayez mis le doigt sur un problème de la société actuelle que vous vivez, un problème qui vous cause des inconvénients et des injustices, peut-être, que vous subissez, est à la fois clair et précis et direct, mais aussi très éloquent.

Je ne suis pas en mesure de vous dire, au moment où je vous parle, qu'il serait nécessairement possible d'introduire dans cet article 11, une disposition relativement aux aptitudes physiques comme cause de discrimination, mais je ne la rejette pas d'emblée, vous pouvez en être assuré. Vous pouvez être également assuré que nous allons voir s'il ne serait pas possible de satisfaire à votre demande d'une autre façon, à l'intérieur du projet de charte, pour réaliser, en somme, les objectifs que vous signalez comme désirables et que nous partageons aussi de notre côté.

Je vous remercie encore une fois et vous pou-

vez être assuré que nous allons donner toute la considération voulue à votre point de vue.

Le Président (M. Kennedy): Le député de Maisonneuve.

M. Burns: M. le Président, au nom de l'Opposition, je partage l'avis du ministre de la Justice. Je pense que ce que vous nous avez soulevé comme problème était une chose que, si vous n'étiez pas intervenu, risquait de passer inaperçue dans l'ensemble de l'étude de cette charte. Je sais — et je pense que vous en êtes un très bon exemple — qu'à un moment donné, les gens qui sont handicapés physiquement peuvent, avec l'assistance nécessaire, avec les moyens nécessaires, arriver à faire pratiquement une vie normale, et je pense que cela, nous sommes obligés, tôt ou tard, d'en tenir compte dans une charte des libertés et droits de la personne.

En ce qui me concerne, je vous avoue, avec les problèmes pratico-pratiques que peut poser la suggestion de M. Gadreau, qu'on devrait s'y pencher très sérieusement. En tout cas, on examinera le pro-jetde loi article par article. En cequi me concerne, je suis très heureux que vous soyez intervenu parce que c'est justement un des problèmes. Même si on a parlé des handicapés physiques en général, sous cet angle-là, je pense que c'est la première fois qu'on nous en parle. Personnellement, je suis très heureux de votre intervention; cela nous permettra de mieux nous éclairer au moment de l'examen du projet de loi, article par article. Je vous remercie de votre intervention, M. Gadreau.

Le Président (M. Kennedy): Est-ce qu'il y a d'autres questions qui s'adresseraient au représentant de l'Association de paralysie cérébrale?

Alors, M. Gadreau, suite aux remarques du ministre et du représentant de l'Opposition, nous vous remercions pour votre exposé.

Nous allons passer maintenant à l'Association canadienne des compagnies d'assurance-vie, représentée par Me Claude Girard.

M. Walters (Hubert): M. le Président, si vous permettez. Mon nom est Hubert Walters, de la même étude que Me Girard. La personne qui devait présenter notre mémoire, M. Oscar Mercure, président d'Assurance-vie Desjardins est en retard de quelques minutes. Il est arrivé de l'extérieur de la ville ce midi et il devrait être ici dans quelques minutes. Est-ce qu'on pourrait céder notre tour?

Le Président (M. Kennedy): Certainement. On pourrait entendre la Chambre de commerce. Je vois des représentants qui sont ici.

Chambre de Commerce de la province de Québec

M. Létourneau (Jean-Paul): M. le Président, M. le ministre, MM. les membres de la commission, mon nom est Jean-Paul Létourneau, je suis le vice-président exécutif de la Chambre de commerce de la province de Québec. Je suis accompagné, pour présenter notre mémoire, par M. Pierre Morin, notre directeur général des affaires publiques à la cham- bre et par Me Gilles Champagne, chef du contentieux de notre organisme.

Etant donné que ce document est, dans certaines de ses parties, relativement technique, si vous me le permettez, j'en ferai la lectsre le plus rapidement possible.

La chambre, à prime abord, se doit de louer l'initiative du ministre de la Justice. Longtemps attendue, cette charte est, par son essence, le reflet des principes dont nous sommes tous tributaires et dont l'Etat se doit de rester le gardien vigilant.

Depuis plus d'un demi-siècle, la Chambre de commerce est guidée par ces principes fondamentaux: "a) La liberté est essentielle au plein épanouissement de l'homme et au progrès de la collectivité; b) La liberté d'entreprise et la libre concurrence offrent la plus grande marge de liberté; c) La liberté impose à l'homme des responsabilités aux-quelles il ne saurait se soustraire sans la perdre ou la diminuer; d) L'Etat doit protéger les libertés des particuliers et de l'entreprise privée. Il a le devoir d'intervenir lorsque cette dernière ne peut suffire à la tâche de servir le bien commun; dans ce cas, son rôle est supplétif". Fin de la citation de nos principes de base.

C'est pourquoi la Chambre de commerce se réjouit d'une telle initiative.

Cependant, la chambre déplore le fait que ce n'est qu'après la 2e lecture que l'on ait convoqué la commission parlementaire. Eu égard à la nature du projet de loi présentement étudié, le geste est sans conséquence grave. Mais nous déplorerions que ce geste serve de précédent pour le dépôt d'un autre projet de loi dont les principes mêmes seraient à discuter.

L'on pourrait aisément comparer le cheminement suivi par le ministère de la Justice avec celui suivi par les rédacteurs de la Déclaration canadienne des droits, soit chercher à réunir sous un même toit, dans un même texte, les principes fondamentaux de justice et d'égalité dont nous pouvons, à juste titre nous vanter. Est-il utile de rappeler que les libertés fondamentales dont nous jouissons, ayant pris pour acquis qu'elles nous appartiennent, ne sont souvent appréciées que lorsqu'on les perd. A ce chapitre, bien des sociétés dites évoluées nous envient ces mêmes droits qu'elles ont fait disparaître.

Le projet de loi 50 cherche à synthétiser un développement séculaire des droits de la personne qui s'est fait de façon stratifiée. Mais, et c'est là un point positif du projet de loi, il ne s'agit pas d'une cristallisation définitive mais d'une fixation dans le temps (hic et nunc, comme diraient les juristes). Les droits et libertés de la personne continueront d'évoluer et les générations futures ajouteront aux libertés fondamentales consacrées par le projet de loi 50.

Actuellement, d'autres provinces canadiennes sont à se doter de chartes similaires au présent projet de loi (pensons à l'Ontario, par exemple) pour protéger les libertés fondamentales des individus. Or, qui dit: "libertés fondamentales", dans un système confédéral, ne peut s'empêcher de songer aux problèmes de chevauchement de juridictions. Comment concevoir une charte complète qui, par exemple, d'une part, ne protégerait pas le droit fondamental à la propriété (compétence provinciale)

ou qui laisserait de côté les droits du prévenu en matière criminelle (compétence fédérale)?

Or, ce chevauchement de compétences est précisément une contrainte de fond à faire de toute charte une déclaration prépondérante consacrant l'inviolabilité des droits de l'individu. Année après année, les onze gouvernements du Canada adoptent des législations uniformes, tant en matière de revenu (impôts), que de services sociaux (rentes, assurance hospitalisation, etc.). Serait-ce rêver en couleur que de souhaiter l'adoption d'une charte pancanadienne des droits de la personne identique par tous les gouvernements du Canada qui soit prépondérante?

L'impact économique. Si le présent projet, une fois adopté, ne changeait rien à la situation actuelle, on pourrait, dans une bonne mesure, soulever une question d'utilité. Or, tel n'est pas le cas, et le gros de l'impact de ce projet de charte se traduit par un coût économique difficile à évaluer. Lors de son dernier congrès annuel, la Chambre provinciale recommandait au gouvernement de "monter un dossier économique, c'est-à-dire une étude de coûts-bénéfices, simultanément à l'élaboration des projets de loi".

Dans quelle mesure l'adoption du présent projet de loi influera-t-elle sur les politiques salariales existantes? Sur des conventions collectives signées de bonne foi entre les parties et contenant des clauses présumées discriminatoires?

Sur les régimes supplémentaires de rentes ou d'assurance-hospitalisation et autres avantages sociaux? Comment l'économie du Québec peut-elle absorber cet impact et à quel rythme?

M. le Président, nous avons été particulièrement sensibilisés à ce type de conséquences lorsque nous avons examiné les travaux qui se font présentement en Ontario où on propose de se doter d'une charte semblable et où un "task force", si vous me permettez l'expression, est à l'oeuvre pour examiner, justement, les conséquences économiques de l'application d'une loi semblable à celle que nous examinons présentement.

Je porte à l'attention de cette commission certains échanges qui ont eu lieu entre les participants à l'examen de la question en Ontario. Je souligne qu'une firme du nom de Johnson, Higgins, Willis, Faber Ltd, qui est très bien connue comme consultants dans le domaine des fonds de pension et des avantages sociaux, s'est penchée sur l'impact économique de l'application d'une charte des droits de l'homme. Elle a soulevé un nombre considérable de questions qui ont des portées économiques relativement très importantes qui nous font nous demander, même si nous sommes d'accord sur le principe, dans quelle mesure nous avons les moyens d'appliquer, et avec quelle rapidité, cette charte, en pratique. Je ne puis malheureusement pas déposer ce document mais je vous souligne simplement son existence, il sera facile, je crois, pour le gouvernement, d'en obtenir un exemplaire.

Nous n'avons pas eu cette permission. Cependant, nous pouvons indiquer que le document existe. Il s'agit d'une lettre de la firme que je viens de mentionner, adressée au sous-ministre du Travail de la province d'Ontario, en date du 21 novembre 1974, lettre d'une douzaine de pages, où il y a l'énonciation d'une série de questions fort pertinentes par rapport à l'impact économique de l'application d'une charte des droits de l'homme sur, d'une façon particulière, les avantages sociaux dans les entreprises, quelles qu'elles soient, gouvernementales ou autres.

La chambre est d'accord — et je reviens au texte de notre mémoire, M. le Président — avec l'objectif du projet, mais elle croit que le législateur doit faire preuve de réalisme et, à la fois, prendre conscience du grand nombre d'impondérables qu'il soulève et surtout informer la population du rythme d'application qu'il entend donner à la loi, une fois celle-ci adoptée.

Nous avons, malheureusement, au Québec, trop de lois utopiques qui donnent au citoyen un faux sentiment de sécurité.

Appréciation spécifique: La Commission des droits de l'homme se veut être la protectrice de droits qui appartiennent à la justice naturelle et qui gouvernent toute l'organisation de notre société. Bien que les affirmant, le projet de loi ne semble guère les appliquer.

A l'article 70, la Commission se confère deux pouvoirs qu'elle juge importants à l'exercice de ses fonctions. Dans un premiertemps, elle est arbitre, et lorsque l'arbitrage ne suffit plus, elle se transforme, à l'article 71, en une sorte de procureur pour la partie plaignante. Il existe une règle de la plus élémentaire justice, à l'effet qu'on ne peut être juge et partie à une cause. Mais ce principe a purement et simplement été escamoté par le projet de loi.

Ce faisant, le législateur passe outre au principe qu'il propose à l'article 20 sur les tribunaux indépendants, et institue la Commission, à la fois, enquêteur et arbitre puis, procureur pour le plaignant devant une autre instance juridique. Comment concevoir un tel écart entre le principe et la réalité, dans un même texte?

D'ailleurs, nous devons constater que la philosophie qui inspire les articles 61 jusqu'à 71 inclusivement tient beaucoup plus du populisme que de la justice. En effet, les plaignants peuvent compter gracieusement sur toutes les ressources de la Commission alorsque le présumé contrevenant doit assumer les frais de sa défense. Et tous sont égaux devant la loi? La chambre croit que le rôle de la Commission devrait se limiter à l'enquête et laisser les parties donner suite à son rapport devant les tribunaux appropriés.

De plus, la commission, puisqu'elle reconnaît l'égalité de tous devant la loi, ne devrait pas avoir de statut particulier. Or, à l'article 74, l'on essaie de la soustraire à la portée des recours spéciaux prévus au code de procédure civile, ces recours étant les seuls moyens possibles aux individus pour se prémunir ou se défendre contre les agissements de la commission. Un tel article ne va-t-il pas contre ce que la charte prêche dans son ensemble? Si le projet de loi réclame de la justice, qu'a-t-il à craindre de la rencontrer?

Nous déclarons, par contre, une volonté dans le projet de consacrer l'autonomie de la commission. Il nous apparaît alors contradictoire de faire défendre la nomination de sa plus haute autorité de la

seule discrétion du premier ministre. Nous croyons plutôt que cette nomination devrait être conséquente a son adoption par l'Assemblée nationale.

La primauté de la Charte des droits et des libertés de la personne. Nonobstant la contrainte de fond mentionnée au deuxième chapitre du présent mémoire, la chambre croit que ce projet de charte doit se mériter un statut particulier parmi les lois du Québec.

L'Assemblée nationale est souveraine, toute loi qu'elle adopte aujourd'hui peut être défaite demain. D'autre part, malgré toutes les discussions et les interventions du législateur exprimées lors de son adoption, le juge qui, dans cinquante ans, en examinera les termes, sera limité par "the four corners of the Act", pour reprendre une vieille locution encore une fois peut-être plus familière aux juristes.

Cette souveraineté de l'Assemblée pose à la fois le problème et offre la possibilité d'y trouver une solution. Par n'importe quelle loi postérieure, l'Assemblée nationale pourrait contrevenir aux dispositions de la charte, sans même y faire allusion, et tout cela serait conforme à l'origine britannique de nos institutions démocratiques.

De plus, on a vu à quel point les tribunaux ont été réticents à appliquer la déclaration canadienne des droits depuis sa promulgation en 1960.

Sans abdiquer sa souveraineté, l'Assemblée nationale peut quand même assurer une suprématie relative — car législative et non constitutionnelle — à la charte surtout en ce qui a trait aux lois postérieures.

Il s'agirait en effet — et la chambre vous le recommande — d'édicter une procédure spéciale à être suivie par l'Assemblée nationale avant d'adopter une loi qui irait à l'encontre de la charte.

La chambre vous recommande donc d'incorporer au projet de la charte une disposition à l'effet que: "Nulle loi postérieure à la présente charte, nulle partie de loi, nul règlement ou partie de règlement ne saurait contrevenir aux dispositions de la présente loi sans avoir été approuvés par les deux tiers de l'Assemblée nationale. Le certificat du président de l'Assemblée fait foi que la procédure mentionnée a été suivie".

Par l'adoption d'une telle disposition, le citoyen pourrait tout au moins être averti et plus conscient de nouvelles restrictions venant limiter ses libertés et droits fondamentaux.

Certains paradoxes. Le ministre de la Justice, M. Choquette, le 29 octobre 1974, lors de la présentation du projet de loi déclarait et je cite: "Je n'ai pas la prétention de dire qu'il y a beaucoup de droits nouveaux qui sont contenus dans cette charte(...) je ne prétendrais pas d'aucune façon que ceci représente un changement de tradition par rapport à ce qui pouvait exister antérieurement (..) Ce qui est nouveau (...) c'est d'avoir (...) à l'intérieur d'un seul texte de loi, de façon à énoncer d'une façon précise, quelles sont les valeurs auxquelles la société québécoise tient, quelles sont les valeurs de civilisation, valeurs juridiques, valeurs sociales auxquelles les citoyens doivent être attachés".

Il semble que, dans l'esprit du ministre, M. Choquette, il soit clair que le projet de loi 50 cristallise, en substance, les principes de droit déjà existants. Par la présente, la Chambre de commerce de la province de Québec se permet de comparer certaines dispositions proposées ou déjà adoptées et celles énoncées dans le projet.

Dans cette nomenclature, M. le Président, nous ne désirons pas poser de jugement, c'est-à-dire déclarer que, dans nos commentaires, les situations que nous y relevons sont bonnes ou mauvaises. Nous ne posons pas de jugement dans ce sens. Nous voulons simplement faire remarquer à cette assemblée, à la commission, des difficultés pratiques d'application qui pourraient se présenter, compte tenu, eu égard a certaines coutumes ou valeurs couramment adoptées dans notre société présentement.

Donc, l'article 2 du projet de loi dit: "Toute personne dont la vie est en péril a droit au secours; nul ne peut, sans motif raisonnable, refuser ou négliger de se porter au secours d'une personne dont la vie est en péril pour lui apporter l'aide physique nécessaire et immédiate que requiert son état".

Notre commentaire est à l'effet, en conformité avec une remarque que nous avons faite précédemment, que, justement, on tombe dans des questions de juridiction, c'est que le secours à apporter aux gens en péril et tout acte criminel qui s'y relie sont du domaine pénal, lequel relève du gouvernement fédéral exclusivement.

Articles 4 et 5. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.

Notre commentaire dit ceci: Les commissions d'enquête qui, sans avoir de procédure précise et de statut judiciaire exprès, tiennent des séances publiques ou des affirmations non corroborées s'étalent à tout venant. Référence: Article 34, projet de loi 36, en particulier.

La loi modifiant la Loi des tribunaux judiciaires et certaines autres dispositions législatives ayant trait à l'administration de la justice et aux bureaux d'enregistrement.

Le citoyen, en vertu de la Loi de la protection du consommateur, a le droit de consulter son dossier de crédit. Or, plusieurs citoyens qui n'ont jamais contrevenu à la loi sont cependant fichés par les services policiers. La charte devrait imposer à l'Etat et à ses mandataires les mêmes contraintes qu'il impose aux entreprises et donner au citoyen le droit d'accès au dossier policier qui le concerne et, de plus, lui donner le droit d'y faire supprimer ou de corriger toute information fausse, incomplète ou non pertinente.

L'article 6 dit: Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens.

Notre commentaire: On vous rappelle les règlements municipaux de zonage qui sont adoptés continuellement. La Loi des biens culturels, articles 17, 18 et 19. Citons ici l'article 17: "Aucun bien reconnu ne peut être transporté hors du Québec sans la permission du ministre, qui prend l'avis de la commission dans chaque cas".

Encore une fois, nous ne posons pas de jugement, nous montrons simplement des cas concrets

de difficulté, de compatibilité, des cas concrets qui existent actuellement ou qui sont en voie d'être adoptés; là, se poseront des dilemmes.

Articles 7 et 8. La demeure est inviolable. Nul ne peut pénétrer chez autrui ni y prendre quoi que ce soit sans son consentement exprès ou tacite.

Notre commentaire: Qu'en est-il des perquisitions sans mandat? Encore une fois...

M. Choquette: M. Létourneau, où avez-vous déjà vu une perquisition sans mandat?

M. Burns: La Loi de police.

M. Choquette: Non, pas du tout. Il y a un mandat.

M. Burns: Le bill 51.

M. Choquette: Vous lisez trop d'éditoriaux du journal Le Jour.

M. Burns: Ah! non. M. Choquette: Ah! oui. M. Burns: Ah! non.

M. Choquette: Ah! oui. Il y a un mandat de prévu.

Une Voix: Cela achève.

M. Choquette: C'est prévu par la commission.

M. Burns: C'est un des projets de loi pour lesquels j'ai voté et que, maintenant, je regrette d'avoir appuyés.

M. Choquette: Vous avez trop lu... vous vous êtes fait "brain-washer" par M. Laplante.

M. Burns: Ah! non. Même pas. Je me suis penché sérieusement sur les remarques de M. Champagne, de la Ligue des droits de l'homme, qui a commencé une bataille épistolaire avec moi dans le Devoir du temps. Je me suis rangé à son opinion.

M. Choquette: Mais je vais vous dire que, quel que soit votre avis, il y a quand même une petite correction qu'il faut faire à l'affirmation ici, c'est qu'il y a un mandat dans le cas de la Commission de police.

M. Létourneau: M. le Président... M. Choquette: Oui.

M. Létourneau: Est-ce que nous devons répondre maintenant aux questions...

M. Choquette:... plus tard.

M. Létourneau: ... ou si nous les réservons pour...

M. Choquette: Je m'excuse de cette interruption.

M. Létourneau: Très bien. Je n'ai pas d'objection.

M. Choquette: Non, non. Continuez.

M. Létourneau: C'est une question de procédure, une façon de procéder. Article 9. Chacun a droit au respect du secret professionnel. Notre commentaire, c'est que toute personne, même liée par le secret professionnel, qui a des motifs raisonnables de croire qu'un enfant est soumis à de mauvais traitements physiques par suite d'excès ou de négligence est tenue de signaler sans délai la situation au comité.

Tout manquement à l'alinéa précédent constitue une infraction à la présente loi. Ceci est tiré de l'article 14j de la loi 78 intitulée "Loi concernant la protection des enfants soumis à des mauvais traitements".

L'article 9 dit encore, à ce sujet: Toute personne, tenue par la loi au secret professionnel, ne peut, même en justice, divulguer les renseignements confidentiels qui lui ont été révélés.en raison de son état ou profession, à moins qu'elle n'y soit autorisée par celui qui lui a fait ces confidences ou par une disposition expresse de la loi.

Le tribunal doit, d'office, assurer le respect du secret professionnel.

Article 10: "Toutes les personnes sont égales devant la loi". Commentaires: Aucun des recours extraordinaires prévus par les articles 834 à 850 du code de procédure civile ne peut être exercé et aucune injonction ne peut être accordée contre le directeur ou son adjoint agissant en leur qualité officielle.

Deux juges de la cour d'Appel peuvent, sur requête, annuler sommairement un bref, une ordonnance ou une injonction délivrés ou accordés à l'encontre des articles 67 ou 68. Je cite ici les articles 68 et 69 de la loi 89, intitulée: Loi sur la protection des acheteurs de maisons neuves et de terrains: Aucune action civile ne peut être intentée en raison ou en conséquence de la publication d'un rapport de la commission en vertu de la présente loi, ou de la publication faite de bonne foi, d'un extrait ou d'un résumé d'un tel rapport. Ceci est un article de l'article 74du projet de loi 50, Loi sur les droits et libertés de la personne. Ces commissions sont pourtant assujetties aux mêmes règles de justice, du moins en principe.

Nos recommandations: La Chambre de commerce de la province de Québec réitère son appui à l'objectif poursuivi par le projet de la charte sur les droits et libertés de la personne et recommande au législateur l'adoption des recommandations suivantes: 1 - Garantir la suprématie de la charte sur les lois postérieures, en incorporant un mécanisme procédural ou un autre prévoyant que l'Assemblée nationale, pour adopter une disposition contraire à la lettre ou à l'esprit de la charte, doit se soumettre à des modalités spéciales. 2- Calculer à l'avance des délais d'application

qui tiennent compte des incidences sociales et économiques des différentes dispositions de la présente charte. En fonction du mandat que nous avons reçu de nos membres, nous nous permettons d'appuyer particulièrement sur cet article 2. 3- Garantir l'autonomie de la commission en prévoyant que son président soit nommé par l'Assemblée nationale. 4- Inclure à l'article 13 une expression pour préciser que l'énumération qui y est faite ne limite pas la portée générale de l'article 11. 5-Abroger le deuxième alinéa de l'article 45 ou le remplacer car, dans sa rédaction actuelle, il réduit sensiblement la portée de la charte pour en fai re, à la limite une simple loi d'interprétation. 6-Inclure à l'article 46 les corporations municipales et scolaires non visées par l'expression "ses organismes et préposés". 7-Inclure à l'article 11 du projet de charte... Ici, je demande l'indulgence de cette assemblée pour faire une correction à notre mémoire et inscrire, au lieu des mots "le statut matrimonial", les mots "l'état civil". C'est une révision que nous avons jugée opportune en réexaminant le texte. Encore une fois, je demande l'indulgence de cette assemblée pour faire une autre correction, après les mots "et l'âge", inscrire les mots "d'une personne majeure", comme devant ne faire l'objet d'aucune distinction, exclusion ou préférence.

M. le Président, c'était notre opinion concernant le projet de loi 50, que nous approuvons en principe et que nous supportons avec les recommandations d'amendements que nous venons de proposer.

Le Président (M. Kennedy): Merci, M. Létour-neau. Le ministre de la Justice.

M. Choquette: M. le Président, je remercie la Chambre de commerce de s'être présentée devant nous et de nous faire part de son point de vue sur ce projet de loi. Un aspect du mémoire qui m'a particulièrement intéressé, c'est celui qui se trouve sous le titre de certains paradoxes. Dans ce chapitre, la Chambre de commerce aligne un certain nombre de dispositions de la charte et fait une comparaison, dans certains cas, avec certaines dispositions législatives existantes. La Chambre de commerce veut illustrer jusqu'à quel point les principes énoncés à la charte ne sont souvent pas suivis dans des lois particulières et spécifiques. Or, je crois bien que, dans la majorité des lois particulières et spécifiques auxquelles il est fait référence. Ici je fais une exception pour les mandats de la Commission de police, je ne veux pas entreprendre un débat sur cet aspect, mais sur d'autres aspects ou sous d'autres aspects en ce qui regarde des lois particulières.

On aura noté, je crois, qu'il peut y avoir des divergences assez importantes, même parfois des contradictions flagrantes, entre les principes énoncés à la charte et, d'un autre côté, ce que le législateur a été obligé de faire pour accomplir ou réaliser des objectifs particuliers, socialement nécessaires.-Par exemple, je vais prendre un cas qui va être, à mon sens, assez intéressant. Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens. Lu comme principe absolu, ceci voudrait dire qu'un propriétaire de bien possède des biens sans aucune contrainte juridique autre que ce droit à la libre disposition et à la libre jouissance de ses biens. Or, comme nous le signale la Chambre de commerce, il y a sans doute l'incidence des règlements municipaux, il y a la Loi des biens culturels, et on sait qu'il y a d'innombrables lois qui affectent le droit de propriété, à tel point qu'aujourd'hui, il faut quand même admettre que le droit de propriété est sérieusement battu en brèche par toutes les lois ou grand nombre de lois gouvernementales.

C'est la raison pour laquelle, devant ce dilemme de concilier à la fois des principes auxquels nous tenons — parce que, évidemment, je pense que nous tenons encore au droit de propriété — et, d'autre part, de concilier un certain nombre de mesures partielles qui affectent le droit de propriété et qui sont nécessaires, nous avions fait cette réconciliation par le biais de l'article 45, auquel la Chambre de commerce, à l'instar de beaucoup d'autres organismes, s'en prend à son tour.

Je me demande comment la Chambre de commerce fait pour réconcilier les difficultés du législateur à avoir des dispositions juridiques qui sont en contradiction et, d'un autre côté, avoir un système par lequel toute loi postérieure devrait se conformer à la charte, sauf, évidemment, en introduisant cette idée du "nonobstant". Mais cela va exiger d'avoir une police législative pour surveiller tous les projets de loi et vérifier s'il n'y a pas un principe qui peut être adopté dans une loi particulière subséquente et qui serait en contradiction avec ceux de la Chambre.

M. Létourneau: Puis-je répondre? M. Choquette: Oui.

M. Létourneau: M. le Président, en réponse aux remarques de M. le ministre, c'est justement parce que nous croyons en l'importance du projet de loi 50 que nous reconnaissons le dilemme et effectivement, c'est ce que nous avons essayé de montrer, soit qu'il y a et qu'il y aura souvent dilemme pour le législateur, s'il veut continuellement se remémorer cette loi dans ses législations futures.

Alors, nous avons choisi une voie moyenne, c'est-à-dire faire la loi et ne pas en tenir compte dans les lois subséquentes, pour nous, ce n'est pas tout à fait assez, parce que nous accordons de l'importance aux principes qui sont mis en évidence dans le projet de loi 50. Faire la loi et l'appliquer d'une façon intransigeante devient absolument pratiquement impossible. Nous avons cherché un moyen qui permette au législateur de se rappeler constamment qu'il a, à un moment donné, décidé que ces principes étaient importants. Pour se le rappeler constamment, il faudra que, lorsqu'il veut déroger a ces principes qu'il a consacrés dans une loi, il y ait un mécanisme qui le rend très conscient du fait qu'il va y déroger dans l'avenir. Cela a une signification ou cela n'en a pas d'adopter le projet de loi 50. On n'a pas voulu qu'il n'y en ait pas du tout. On n'a pas

voulu s'y accrocher sans nuances et c'est pour cela que nous proposons le mécanisme que nous avons suggéré, ou un autre.

Pour nous, ce qui est important, c'est que, dorénavant, puisqu'on accorde de l'importance à ces principes, à chaque fois qu'on légifère, on ait un mécanisme qui fait qu'on va se le rappeler. Et si on est pour continuer? comme vous l'avez reconnu vous-même, M. le ministre, à brimer les droits individuels dans des lois ou de les diminuer, que chaque fois qu'on le fera, on en soit bien conscient, que le législateur se le rappelle lui-même et le rappelle à tous ceux à qui les lois qu'il adoptera s'appliqueront.

Mon collègue, Me Champagne, je pense, aurait ses commentaires à ajouter.

M. Champagne (Gilles): M. le Président, le ministre, tantôt, parlait de paradoxes avec des lois qui existent déjà. Si vous me permettez de revenir un peu à notre mémoire et au contenu de la loi elle-même qui est à l'étude par la commission, vous avez, à l'article 10, prévu: "toutes les personnes sont égales devant la loi." On retrouve, un peu plus loin, à l'article 70, et je me permets de le lire: "La Commission doit tenter d'amener les parties à régler leur différend.

Si elle est incapable de conduire les parties à un règlement de leur différend, la Commission transmet aux parties le résultat de son enquête.

Elle peut recommander la cessation, dans un délai qu'elle fixe, d'un acte discriminatoire ou le paiement d'une indemnité ou les deux." Jusque là, la chambre trouve difficile qu'elle agisse comme enquêteur et ensuite comme conciliateur, mais le législateur va plus loin dans son projet, ou du moins dans la proposition. Il dit: "Lorsque la recommandation, — à 71 — prévue par l'article 70, n'a pas été, à la satisfaction de la Commission, suivie dans un délai fixé, la Commission peut, avec le consentement écrit de la victime, s'adresser à la cour Supérieure du domicile de la personne en défaut en vue d'obtenir une injonction contre cette personne". Là on dit que c'est l'assistance judiciaire. Parce qu'à ce moment-là, une personne qui est dans une situation de discrimination reçoit l'aide de la commission avec la batterie d'avocats qu'il y a là et elle s'en va devant un tribunal.

On présuppose, à ce moment-là, et je suis convaincu que c'est un gros qui a fait mal à un petit, qu'il a le moyen de payer des avocats, lui, de l'autre côté; mais supposons, à l'inverse, que ce sont deux personnes égales au point de vue des revenus, et que, d'une part, vous avez les ressources de la commission qui, elle, va devant les tribunaux et que l'autre personne est obligée de prendre un avocat, payer ses propres frais et assumer sa propre défense. Les deux sont de condition modeste. Nous revenons au principe no 10: "Toutes les personnes sont égales devant la loi". Ce n'est pas vrai, dans votre projet de loi, vous le contredisez. Vous allez plus loin. Le deuxième paragraphe de 71 dit: "Elle peut aussi, avec le même consentement, s'adresser au tribunal pour réclamer — là on ne parle plus d'une injonction contre la discrimination — en fa- veur de la victime, l'indemnité dont elle avait recommandé le paiement".

Elle va même jusqu'à chercher de l'argent pour une partie contre une autre partie qui n'a pas nécessairement les mêmes ressources. C'est une comparaison, M. le Président, que nous voulons faire, dans le même projet de loi no 50 où l'on dit, d'une part: Egalité devant la loi, et on s'aperçoit que ça n'arrive pas.

Nous disons que la commission ne devrait pas assumer la défense des personnes, elle devrait se contenter de faire enquête et de faire rapport, peut-être essayer de concilier les parties mais arrêter à ce stade-là. A ce moment-là, si la personne veut recourir contre une autre personne, elle le fait par ses propres moyens. Si elle n'en a pas les moyens, elle prend l'assistance judiciaire dont vous avez été un des promoteurs, M. le ministre, depuis plusieurs années, et la personne à faible revenu reçoit l'aide de l'Etat, quand elle en a besoin. Mais là vous pénalisez vraiment deux personnes d'égales ressources dans un cas où la Commission va appuyer, avec ses avocats, le recours contre les tribunaux. C'est un exemple que nous vous donnons sur les paradoxes de votre propre projet de loi.

M. Choquette: M. Champagne, je trouve vos observations très intéressantes. Je ne suis pas sûr qu'il y ait une contradiction absolue entre l'article 10 qui dit que: "Toutes les personnes sont égales devant la loi", et la procédure que nous avons élaborée pour la commission. Enfin, on peut peut-être le soutenir, comme vous l'avez fait, mais, pour ma part, je ne serais pas d'avis qu'on puisse aller jusqu'à cette conclusion.

Par contre, là où je suis prêt à admettre que votre point de vue mérite d'être examiné, c'est qu'il serait peut-être exact que la commission joue un rôle de conciliateur et même d'arbitre dans la première phase de ses activités et soit appelée, dans une deuxième phase, à prendre fait et cause pour son jugement, de telle sorte que là, elle devient un peu le procureur de la cause qu'elle a accepté de soutenir. Là, on peut peut-être dire que — oui — il y a une procédure très novatrice dans notre droit.

Je ne fais pas plus de commentaires que cela, mais c'est vrai que vous mettez le doigt... Mais cela illustre aussi la difficulté de concilier des grands principes de droit comme l'égalité de tous devant la loi.

Je crois qu'il n'y a personne qui veuille remettre cela en cause, enfin, comme grand principe. Mais, d'un autre côté, quand on arrive dans les applications, dans le règlement de problèmes particuliers, on est obligé de déroger ou de faire des exceptions qui deviennent de plus en plus importantes dans les conditions modernes où un gouvernement est appelé de plus en plus à intervenir dans la vie sociale et économique. C'est cela, le défi. Je crois que la Chambre de commerce l'a très bien saisi. C'est la difficulté à laquelle nous avons à faire face, nous, dans la rédaction de ce projet de loi. Je ne conclus pas aujourd'hui même, parce que je pourrais être obligé de me dédire plus tard. Je vais laisser la question en suspens pour le moment.

D'autre part, vous avez signalé, dans les exem-

ples que vous avez donnés, à la suite de la lecture d'un texte de loi que vous avez lu, qu'il y avait des articles qui étaient du droit nouveau, et je suis parfaitement d'accord avec vous qu'il y a certains articles du projet de loi qui sont d u droit nouveau. Mais je pense que, dans l'ensemble, il ne s'agissait pas du droit nouveau. Il s'agissait plutôt de droit qui existait déjà.

Vous avez attiré notre attention sur une lettre qui aurait été envoyée par la firme Johnson & Hig-gins au gouvernement ontarien, et qui fait état des effets d'une charte préconisant la non-discrimination ou, enfin, d'autres dispositions du même ordre et qui entraînent des conséquences sur le plan fiscal ou économique ou... Je serais vivement intéressé à voir cette lettre pour étude.

M. Létourneau: M. le Président, comme je l'ai signalé tantôt, nous n'avons pu obtenir la permission de déposer ce document. Cependant, nous avons la permission de mentionner son existence, et comme il a été adressé au sous-ministre du Travail du gouvernement de l'Ontario, je pense qu'il serait relativement possible de se procurer le document. Il est très révélateur particulièrement sur l'implication des systèmes de bénéfices sociaux à l'intérieur de toute entreprise, de quelque nature qu'elle soit. La tradition, enfin, le jugement, la société a accepté qu'il y ait des traitements qu'on pourrait qualifier, selon la charte, de discriminatoires pour les employés, même dans les plans de bénéfices sociaux les plus avancés que nous connaissons présentement. Il y a de la discrimination. Par exemple, entre les personnes, selon leur statut civil, mariées ou non mariées, les bénéfices sociaux varient. Les coûts de ces bénéfices sociaux varient également, que ce soient les plans de retraite, que ce soit l'assurance-vie, que ce soit l'assurance-maladie, s'il y a des dépendants ou des non-dépendants. Il y a des traitements qui, si on les regarde en fonction du projet de loi que nous avons devant nous, sont discriminatoires ou pourraient être qualifiés comme tels. Si on veut changer ces choses, il y a des implications économiques très sérieuses. C'est pour cela que nous disons qu'étant donné qu'il sera possible, après l'adoption de ce projet de loi, pour un employé qui pourrait se sentir victime de discrimination, d'avoir recours à la commission, d'apporter son cas à la commission et de créer, par la suite, de nouvelles pratiques en matière d'avantages, de bénéfices sociaux, là, cela pourra avoir des conséquences très sérieuses, et la seule consultation du document qui a été soumis par cette firme nous en montre la portée. Pour nous, c'est une révélation, mais, malheureusement, on ne peut pas en évaluer exactement l'impact économique.

Il y a aussi, provenant de la même firme, un bulletin adressé à des clients, j'imagine, daté du 3 décembre 1974 qui fait référence à cette même opinion qui vient, cette fois-ci, de la même firme, John-son& Higgins, Willis, Faber Limited, Place Victoria, à Montréal.

Cela nous fera plaisir de collaborer avec ceux qui sont responsables de la préparation de la loi pour donner de plus amples détails par la suite si nécessaire.

M. Choquette: Ce que vous dites illustre le point qu'il y a des points de discrimination voulue et désirable, exemple: Les contributions qu'on fait à l'impôt sur le revenu, qui peuvent dépendre de son statut de marié ou non marié, du nombre d'enfants qu'on a et des dépendants qu'on a. Comme vous dites, une application parfois littérale de principes antidiscriminatoires pourrait tout défaire ces structures. C'est un gros problème. De toute façon, je vais essayer de me procurer les documents que vous avez mentionnés.

Maintenant, seulement un dernier commentaire, vous mentionnez que le principe de légalité devant la loi serait battue en brèche par l'article 74 de notre projet de loi. Je ne suis pas d'accord. Tout ce que l'article 74 dit, c'est qu'une action civile ne peut être intentée en raison ou en conséquence de la publication d'un rapport de la commission en vertu de la présente loi ou de la publication faite de bonne foi d'un extrait ou d'un résumé d'un tel rapport. Ceci donne enfin une certaine immunité à ceux qui préparent un rapport de bonne foi et surtout ceux qui le publient et qui le propagent. Ceci donne une immunité aux média d'information qui peuvent rendre compte de rapports de la commission et ainsi ils ne sont pas exposés à des poursuites. Je ne vois pas en quoi ceci touche au principe de légalité devant la loi.

M. Létourneau: M. le Président, Me Champagne va parler plus longuement sur les raisons de notre position dans cette question.

M. Champagne: M. le ministre, vous avez dit vous-même: Une certaine immunité. Si je me permettais de dire des choses méchantes contre le ministre de la Justice de façon officielle en disant: II est ceci, il est cela, et que cela s'avère faux, ces choses. Vous avez un droit de recours devant les tribunaux contre moi, parce que je suis un individu et vous êtes un autre individu dans la société. Parce qu'on s'appelle la Commission pour, évidemment, la protection des droits des personnes, cette commission pourrait, par erreur, dire que telle personne a subi une discrimination qui peut lui occasionner de grands préjugés, de grands préjudices. On dit: Pourquoi limiter le droit d'action? Si des gens commettent vraiment une erreur, qu'ils soient responsables de leurs gestes, comme vous avez dit vous-même. S'ils écrivent un rapport, par exemple, qui est vraiment libelleux et qui est contraire à la réalité, pourquoi empêcherait-on une poursuite en dommages par la personne qui se sent lésée? Actuellement, vous permettez même que, lorsque des policiers, qui sont sous le contrôle de la police provinciale ou de d'autres corps policiers, font des choses qui ne sont pas correctes, arrêtent quelqu'un impunément sans aucune raison valable, les tribunaux accordent des dommages et intérêts contre les actions policières. Pourquoi ne pas le reconnaître contre la commission? C'est une première partie de notre position. Elle s'appuyait aussi sur le fait... D'ailleurs, on a déjà eu l'occasion d'entendre Me Burns nous donner un cours de droit administratif, en nous disant que les clauses de recours, les prohibitions qu'on empêche, dans les différentes lois,

contre les gens qui agissent de bonne foi dans leurs fonctions, que cela ne tenait pas, que c'était pour une jurisprudence, c'était pour ceci ou pour cela. Sans vouloir interpréter Me Burns, je dis simplement que vous mettez ces recours, vous prohibez souvent des recours. Non, vous ne l'avez pas mis dans celle-ci, nous l'avons mentionné dans notre mémoire, parce que vous l'écrivez souvent. On dirait que les rédacteurs de la loi, qui sont très compétents, souvent écrivent cette clause comme une habitude, sans vraiment se dire: Est-ce important, on va la mettre dedans, c'est normal. Je pense que c'est une position du gouvernement de vérifier ces choses.

M. Choquette: Vous allez admettre qu'on n'a pas mis la clause dans cette loi et que tous les recours, à l'égard de la commission, demeurent ouverts.

M. Champagne: M. le ministre, c'est pour cela qu'on l'a mentionné.

M. Choquette: Très bien. Je vous remercie beaucoup, messieurs.

M. Létourneau: M. le Président, mon collègue, M. Pierre Morin aimerait...

M. Morin (Pierre): M. le ministre, on a eu certains de vos commentaires sur les perquisitions sans mandat. Est-ce qu'on pourrait avoir certains de vos commentaires, à la même page, sur le deuxièmement?

M. Choquette: Le deuxièmement?

M. Morin (Pierre): Je parle de celui sur les dossiers policiers.

M. Choquette: Oh!

M. Morin (Pierre): Je sais que notre recommandation est conforme au comité de révision du code civil.

Pour ce qui est du fichier administratif, nous avons simplement étendu un peu le principe pour...

M. Choquette: Mais, voyez-vous, permettre aux gens l'accès à des dossiers policiers, cela leur permet...

M. Burns: Le leur. Une Voix: Oui, le leur.

M. Choquette: Même leur dossier, cela leur permettrait de voir quelle est la preuve disponible à leur égard, en rapport avec une accusation qui va être logée ou qui est logée devant les tribunaux.

M. Morin (Pierre): Non, M. le Président. M. Burns: Tôt ou tard...

M. Choquette: Ah! arrêtez.

M. Burns: Tôt ou tard, c'est une chose qui va leur être montrée devant les tribunaux. Voyons donc!

M. Choquette: II ne faut pas rêver en couleur.

M. Burns: Ce ne sont pas des cachettes, ces affaires-là.

M. Choquette: Oui, ce sont des cachettes. M. Burns: Voyons donc!

M. Choquette: Oui, je regrette, ce sont des cachettes.

M. Morin (Pierre): M. le Président...

M. Choquette: II arrive fréquemment que, dans un dossier qui peut concerner une personne, il y a d'autres noms de mentionnés. Il peut y avoir tout un système de réseau...

M. Burns: Ce n'est pas ce que la chambre demande; elle demande des choses qui concernent l'individu. Il me semble que c'est la chose la plus normale, si on consacre le principe de la vie privée d'une personne dans une société, c'est de lui permettre de connaître quel est son dossier dans les fiches policières. Il me semble que c'est une des très bonnes recommandations du mémoire de la chambre. Il me semble que c'est un minimum de décence.

Si, à un moment donné, dans mon dossier, c'est marqué que M. Burns a fait telle et telle chose illégales en présence de M. Jérôme Choquette, j'espère qu'àun moment donné, la fiche policière va faire en sorte que le nom de Jérôme Choquette n'apparaîtra pas dans ma fiche du moins celle...

M. Choquette: Pensez-vous qu'on a le temps de faire tout un triage à l'intérieur des dossiers de police pour dire qu'on n'affectera pas les... La police est trop occupée pour faire cela. C'est tout simplement pas possible.

M. Morin (Pierre): M. le Président, on consacre cela pour l'entreprise privée et on voit des phénomènes nouveaux. Par exemple, à la fonction publique fédérale, tout employé-cadre est soumis à un examen de sa vie privée, avant de devenir employé, par la Gendarmerie royale, ce qu'on faisait auparavant, ou ce que l'entreprise privée fait faire par une autre entreprise privée, les entreprises d'enquête, pour savoir essentiellement si l'individu a respecté à la fois la loi et la morale, et ces choses-là.

Ce qui est très drôle, c'est que moi, comme individu, je vais avoir le droit de consulter ce même dossier s'il est dressé par l'entreprise privée. Mais s'il est dressé par la Gendarmerie royale ou la Sûreté du Québec, non. Et c'est pour les mêmes fins, c'est pour des fins d'emploi.

Prenons les journalistes, ici, à la tribune de la presse...

M. Choquette: Ecoutez. Je pense bien qu'en principe, je suis prêt à accepter l'intérêt qu'il y a de permettre à une personne de contrôler son dossier, dans un certain nombre d'activités, dans certains ordres d'activités. Exemple: Vous avez cité le cas du crédit. On peut peut-être inclure dans cela le dossier d'un employé. Mais quand on arrive dans des dossiers de la police, ou des enquêtes faites par la police, c'est un autre secteur qui est très différent.

Je pourrais vous citer un cas qui est passé devant les tribunaux récemment où une personne visée par l'enquête sur le crime organisé a fait une requête à la cour Supérieure pour se faire livrer le contenu de la preuve qui était en la possession de la police. Cela n'était peut-être pas tellement en rapport avec l'enquête sur le crime organisé qu'en rapport avec d'autres accusations à être portées contre la même personne. Dans cette matière-là, il y avait plusieurs personnes de mentionnées et je ne vois pas, en fait, comment il serait possible de donner accès à des gens à des dossiers de police.

M. Morin (Pierre): M. le Président...

M. Choquette: Mais, de toute façon, ce n'est pas parce que je considère qu'il y a quelque chose de sacré dans les dossiers de police; ce n'est pas du tout à partir de ce point de vue là. C'est plutôt pour l'efficacité du travail de la police et pour faire en sorte que la preuve qu'ils peuvent avoir en main ou les enquêtes qu'ils sont en train de poursuivre et qui ne sont pas complétées, pour qu'on puisse aller voir ce qu'il y a là-dedans; c'est strictement à ce point de vue là.

De toute façon, je tiens à vous di re que tous ces sujets: la vérification des dossiers par les personnes, la vérification des données qui sont consignées dans les banques, des données des ordinateurs, font l'objet d'un examen par un comité au ministère de la Justice, à l'heure actuelle, dans le but de légiférer aussitôt que nous le pourrons.

M. Létourneau: M. le Président, mon collègue, Me Champagne, voudrait apporter une précision et une nuance sur notre position.

M. Champagne: M. le Président, M. le ministre a donné un point de vue, évidemment, en invoquant des arguments qui étaient vraiment la position du ministère de la Justice, à savoir que, dans le cas d'enquêtes, c'est peut-être difficile de donner accès au dossier, puisqu'on ne sait pas à quel stade les démarches sont rendues pour la poursuite d'un individu.

Notre position, M. le ministre, est plus à l'effet que c'est au niveau de l'ensemble des citoyens. Je pense que, quand on n'a pas été poursuivi — on n'a pas l'intention de me poursuivre, on n'a pas l'intention de le poursuivre ou de vous poursuivre — pourquoi n'aurait-on pas accès, dans ces cas, à notre dossier? A ce moment, on a des renseignements. Par exemple, combien de personnes savent qu'il y a un dossier à leur nom, qu'il y a telle activité qui a été mise dans le dossier par la police, à telle ou telle occasion? Même le ministère de la Justice, actuellement — et je pense que c'est à cause des lois récentes — est obligé d'aviser les citoyens lorsqu'il fait de l'écoute électronique, 90 jours après, si je me le rappelle bien. C'est déjà un pas dans le bon sens, puisqu'on informe le citoyen de ses droits. On lui dit: On vous a fait cela, monsieur, il y a tant de temps, et la personne sait ce qui est arrivé dans sa vie. Elle peut poser des questions.

M. le ministre, je pense que vous avez raison de soulever peut-être la difficulté au cas d'enquête, mais je dois vous mentionner aussi que, lorsque le gouvernement a voté une loi pour exiger que l'entreprise privée laisse à la disposition de tous les citoyens des fichiers de crédit, on ne s'est pas demandé si cela donneraif de l'ouvrage à l'entreprise privée ou si cela rendrait son travail plus difficile. On a dit...

M. Choquette: Ce n'est pas seulement de l'ouvrage; c'est que cela peut servir à contrecarrer l'action de la police.

M. Champagne: Mais il y a une différence, M. le ministre, entre les deux; quant à contrecarrer une enquête, nous sommes d'accord avec vous, mais l'autre nuance est qu'il y a des dossiers et des renseignements qui pourraient y être contenus. Je pense que c'est dans ce sens qu'il fallait préciser un peu notre position.

M. Choquette: Votre idée est généreuse, mais je crains bien qu'elle ne soit pas applicable.

Le Président ( M. Kennedy): Le député de Maisonneuve.

M. Burns: Sur ce point, non seulement l'idée est généreuse, mais je la pense très réaliste et je félicite la Chambre de commerce de sa recommandation dans ce domaine. Ce que je vois d'intéressant dans cette recommandation... Parce que la Chambre de commerce ne fait pas que de mauvaises choses; quand elle fait des bonnes choses, nous allons la féliciter. Je voyais Me Champagne qui se penchait vers son président et qui se disait: Pour une fois, il est avec nous!

M. Morin: Cela dépend des commissions!

M. Burns: Ce n'est pas ce que vous disiez. J'ai semblé lire cela sur vos lèvres!

M. Champagne: Vous seriez bon dans le théâtre!

M. Burns: En tout cas, je me prépare à une surdité éventuelle.

De toute façon, je pense que ce qu'il y a derrière la recommandation de la Chambre de commerce — et c'est cela, l'aspect réaliste — ce n'est pas nécessairement de vouloir contrecarrer une enquête policière; c'est au moins d'être en mesure de corriger des informations inexactes. Je pense que c'est le but définitif d'une telle recommandation.

M. Choquette: Oui, mais on ne combat pas le crime avec des bons sentiments. C'est un bon sentiment que vous avez.

M. Burns: C'est plus qu'un bon sentiment. M. Choquette: Oui, mais...

M. Burns: C'est, tout simplement, reconnaître véritablement qu'une personne a droit de connaître tout ce qui concerne sa vie privée, du moins en ce qui concerne ce que les dossiers de l'Etat peuvent en avoir et, entre autres, un des dossiers de l'Etat, c'est la police.

M. Choquette: Où allez-vous mettre la limite dans la consultation des dossiers de police, si on suit votre logique? Cela veut dire que n'importe qui peut aller à la Sûreté du Québec et dire: Je voudrais voir mon dossier. Je suis un membre du crime organisé, je suis classé, je suis le numéro S-236 dans l'organigramme, je voudrais voir mon dossier. Je veux voirtout ce que vous avez là-dedans, toutes les conversations que vous avez...

M. Burns: M. le ministre, vous savez fort bien... M. Choquette: Je vous donne un exemple.

M. Burns: Vous avez des applications pratiques à cela. Vous savez fort bien, et vous êtes bien placé pour le savoir, que même la Gendarmerie royale — je n'ai pas de cas pour la Sûreté du Québec — a dans le passé, à plusieurs reprises, bloqué des gens au niveau de nouveaux emplois qu'ils cherchaient à obtenir. Oui, M. le ministre, et vous le savez fort bien. Si vous le voulez, à un moment donné, je vous donnerai la preuve de cela.

M. Choquette: Vous m'en donnerez la preuve!

M. Burns: Oui. C'est arrivé à de nombreuses reprises dans le passé. Dans certains cas, c'était basé sur des renseignements inexacts. J'ai eu connaissance de cela dans le passé, comme procureur syndical. Je n'ai pas de preuves récentes de cela, mais je suis convaincu que cela existe toujours. Je suis convaincu qu'à un moment donné tel ou tel chef d'entreprise, qui est plus en amitié avec tel ou tel service de police, a souvent une ligne ouverte et qu'il dit: Vérifie-moi donc ce dossier. Même si le ministre me dit que cela ne devrait passe faire, cela se fait.

Mais oui. Vous vérifierez, M. le ministre; vous êtes bien plus à même que moi de vérifier cela.

M. Choquette: Je me demande où vous allez mettre la limite.

M. Burns: Je ne vois pas pourquoi j'aurais une limite à savoir quel dossier de police existe à mon sujet. Je ne vois pas de limite.

M. Choquette: Non, mais dans quelle circons- tance? Je vous ai donné l'exemple. M. Untel, c'est vrai, a un dossier.

Il y a des faits, nous savons à qui il est associé, avec qui il se tient, quels sont ses intérêts, à qui il commande, nous savons tout cela. Alors, M. Untel dit: Je vais demander un emploi, je veux entrer dans la Gendarmerie fédérale du Canada.

M. Burns: Je peux vous donner des cas d'anciens employés de votre propre ministère, M. le ministre.

M. Choquette: Qui, quoi?

M. Burns: Qui ont des problèmes à se replacer.

M. Choquette: Mais vous ne répondez pas à ma question.

M. Burns: Je vous dis, par exemple, que moi, si, à un moment donné, j'ai de la difficulté à me placer et que, systématiquement, dans le domaine de ma compétence, je ne peux pas me trouver d'emploi, je me pose une drôle de question. A ce moment-là, n'ai-je pas le droit de demander à la police si elle n'a pas un dossier sur moi? Tout à coup, je m'aperçois que c'est marqué: M. Burns est très sérieusement soupçonné d'être un "pusher" de drogue alors que je n'ai jamais touché à cela de ma vie. Imaginez-vous, à ce moment-là...

M. Choquette: Pensez-vous...

M. Burns: Mais, à ce moment-là, ne pensez-vous pas que j'ai le droit de me battre contre ce dossier-là?

M. Choquette: Mais, pensez-vous que la police passe son temps à divulguer le contenu de ses dossiers? Où avez-vous pris cela qu'on peut prendre le téléphone et dire à la police: M. le chef de police, dites-moi donc ce qu'il y a dans mon dossier? Il y a des choses qui restent à la police.

M. Burns: M. le ministre, faites donc enquête, même dans votre propre ministère, vous allez trouver que...

M. Choquette: Je n'ai pas besoin de faire d'enquête, je sais ce qui se passe dans mon ministère. Quelqu'un m'appellerait pour me demander...

M. Burns: Parlez en à votre sous-ministre, je lui ai souligné un cas, il n'y a pas tellement longtemps.

M. Choquette: Enfin, on verra pour le cas, mais je vous dis que...

M. Burns: Bien oui, bien oui!

M. Choquette: Je vous dis que ça ne se passe pas comme cela, on ne téléphone pas à la police pour lui demander des renseignements.

M. Burns: Je vous dis que ça se passe.

M. Choquette: A part cela, n'oubliez pas une chose. Il y a des renseignements qui sont à la disposition de la police, des corps de police et pas tous les corps de police, ce n'est pas dans tous les renseignements policiers que n'importe qui peut aller piger. Si je dis que je suis l'agent X, Y, Z, de la police de Sainte-Rose-du-Dégelé, je ne peux pas prendre le téléphone et dire à la Sûreté: Donnez-moi donc le dossier de M. Untel, du crime organisé. On va l'envoyer au balai, ce policier-là. Il n'a rien à faire là-dedans. Il n'est pas assez sûr, il n'est pas assez rassurant. Il y a un élément de sécurité là-dedans. Pensez-vous que ça se passe comme ça? Il y a des contingences matérielles là-dedans. C'est pour cela que lorsque je vois certaines suppositions, vous avez mentionné l'affaire des 90 jours dans le cas de l'électronique, que le Parlement fédéral a adoptée, c'est très discutable, comme...

Je ne vous dis pas que j'étais pour une loi de contrôle de l'écoute électronique, parce qu'il ne faut sûrement pas que la police ait le pouvoir d'abuser. C'est incontestable. Mais il y a quand même une certaine zone où il faut laisser la police faire son travail pour qu'il soit efficace. Qu'il n'y ait pas d'abus et qu'on introduise des notions de contrôle, je suis bien d'accord sur cette idée, mais il faut faire attention à quelles notions de contrôle.

M. Burns: Là où je vous suis, M. le ministre, c'est si la demande de la Chambre de commerce était à l'effet que moi, comme individu, je puisse aller voir le dossier de Jérôme Choquette à la police. Je vous comprendrais très bien, je vous nomme, mais je pourrais nommer n'importe qui, je pourrais parler du député de Beauce-Nord ou de n'importe qui, je vous citais comme exemple parce que vous êtes mon interlocuteur actuel. Je comprendrais très bien une réticence de la part d'un ministre de la Justice que n'importe qui ait accès au dossier de police d'une autre personne. Mais, mon dossier à moi, ou bien vous êtes sérieux ou vous ne l'êtes pas quand vous dites que la vie privée a un sens au Québec. Ou vous êtes sérieux ou vous ne l'êtes pas en édictant un certain nombre de choses dont ça, l'inviolabilité de la vie privée.

M. Choquette: Le député de Maisonneuve est trop sérieux pour soutenir cela et je ne connais aucune législation qui le permette, aucune. Qu'on me cite le casde la législation, même américaine, en ce qui concerne la sécurité, le travail de la police, ce n'est pas accessible, même à l'intéressé. Il y a certains dossiers qui doivent être accessibles, je suis parfaitement d'accord. Le dossier, par exemple, scolaire, comme on l'a mentionné, des dossiers, peut-être d'emploi, auprès d'employeurs, parfaitement d'accord. Mais quand on est dans le domaine du travail de la police, il s'agit d'un domaine très particulier. J'aimerais qu'on me cite un exemple où on peut aller dire à la police: Donnez-moi donc mon dossier, je veux le voir.

M. Burns: Même s'il n'y en a pas d'exemple, il me semble que c'est tellement logique. Je ne sais pas s'il y a des exemples, mais...

M. Choquette: Ce n'est pas trop logique quand on regarde la nature du travail de la police.

M. Burns: Autrement, soyez sérieux et ne mettez pas l'inviolabilité de la vie privée.

M. Choquette : Ce n'est pas de la vie privée, cela. M. Burns: Bien non, c'est quoi? M. Choquette: Ce n'est pas cela.

M. Burns: C'est tellement privé que même l'individu concerné n'a pas le droit d'en prendre connaissance.

M. Choquette: Mais on n'est pas pour nier le travail de la police.

M. Burns: On ne veut pas nier le travail de la police et je trouve qu'elle doit continuer, dans certains cas, à avoir des dossiers sur des gens, c'est bien normal, mais moi, j'ai le droit, par exemple, de faire corriger quelque chose qui apparaît indûment à mon dossier. Il me semble que cela aussi, c'est un droit minimum. Il n'y a pas de grand principe de sécurité d'Etat ni quoi que ce soit qui puisse passer par-dessus ça, à mon avis. Il n'y en a pas, ou on n'est pas sérieux.

M. Choquette: Ecoutez, on peut être de bon compte avec vous et dire qu'il est peut-être regrettable, s'il y a des inexactitudes dans un dossier, mais, à partir du moment où on ouvre la porte et qu'on dit que n'importe qui a accès à son dossier, à ce moment-là, elle va avoir beaucoup d'éléments de preuve qui peuvent être très pertinents à l'examen du travail de la police.

C'est le dilemme qu'il faut trancher. Moi, je dis que, si on introd uit le principe que vous mentionnez, vous niez le travail de la police.

M. Burns: Soyez de bon compte, vous aussi, M. le ministre. Pendant la crise d'octobre, il y a au-delà de 460 personnes qui ont été arrêtées. Il y a eu à peine une vingtaine ou une trentaine de plaintes de portées. Sur la vingtaine ou la trentaine de plaintes portées, je ne sais pas combien il y a eu de gens trouvés coupables. Je pense que cela descend en bas de dix.

M. le ministre, la conséquence? Pourquoi pensez-vous qu'à un certain moment il y a eu 460 personnes d'arrêtées? C'est à partir des dossiers de police qui, dans bien des cas, étaient absolument faux ou, dans bien des cas, étaient complètement mabouls. Parce que quelqu'un était membre d'un organisme et était un petit peu gauchisant, ce gars s'est fait embarquer. Ecoutez! J'ai eu des clients — je pratiquais à ce moment-là — qui ont tout perdu à cause de folies et de stupidités comme cela qui se trouvaient dans des dossiers de police. Quand on a réclamé au Protecteur du citoyen, une personne qui avait perdu et son emploi et sa réputation dans une petite ville de province, et sa femme et tout ce que vous voulez, le Protecteur du citoyen nous a recommandé un remboursement de $350.

Imaginez-vous si ce n'est pas ridicule! A cause de quoi, l'origine, vous pensez? Pourquoi ce monsieur en question auquel je pense actuellement était sur les fiches de police? C'est à cause de renseignements mabouls, de renseignements stupides que cette personne aurait pu, peut-être, faire corriger si, à un certain moment, elle avait eu accès aux dossiers de police en question.

M. Choquette: Vous donnez l'exemple de la crise d'octobre...

M. Burns: Je peux vous en donner plusieurs.

M. Choquette: Un instant! M. Burns: Je peux vous en donner 400 dans le cas de la crise d'octobre.

M. Choquette: Vous donnez l'exemple de la crise d'octobre. Je ne suis sûrement pas pour faire l'apologie de tout ce qui s'est passé dans cette période. Mais moi, je peux vous dire que nous avons des dossiers sur un certain nombre de personnages. Je ne les prendrai pas dans le domaine de la sécurité nationale, mais on va les prendre dans le domaine du crime professionnel, on va les prendre dans le domaine du crime organisé. Il est impensable de permettre à ces gens d'avoir un accès à leur propre dossier. C'est impensable. Ce serait la contradiction même du travail de la police.

M. Burns: Mais, M. le ministre...

M. Choquette: Je suis parfaitement prêt à admettre avec vous qu'il peut y avoir des cas d'inexactitudes. Il faudrait peut-être étudier des manières de corriger ces inexactitudes. Mais on ne peut pas permettre à des personnes d'avoir accès à leur propre dossier quand il s'agit du travail policier.

M. Burns: Comment pouvez-vous trouver une méthode? Vous dites: On peut peut-être trouver une méthode pour essayer de corriger ces inexactitudes. Comment les corriger, sinon par la personne immédiatement concernée, c'est-à-dire la personne au sujet de qui se trouve élaboré ce dossier?

M. Choquette: C'est...

M. Burns: II n'y a pas d'autre façon.

M. Choquette: Non. On est dans un dilemme quasi insoluble. La seule procédure que je verrais, c'est que la personne, si elle note qu'il y a des inexactitudes, parce qu'il y a des choses anormales qui se passent à son sujet, qu'elle le signale au Protecteur du citoyen ou à la direction de la police...

M. Burns: Qui va, encore une fois, déclarer son impuissance à cet égard et il a peut-être raison...

M. Choquette: N'importe...

M. Burns: II va avoir raison là-dessus.

M. Choquette: Ah non!

M. Burns: Non. Il a parfaitement raison.

M. Choquette: Le Protecteurdu citoyen peut le signaler à la direction de la police. Cela ne veut pas dire que la police veut avoir des dossiers mal tenus. Parce qu'autrement on ne peut pas...

M. Burns: J'ai l'impression, M. le ministre, que vous confondez deux choses. Vous nous parlez de certains criminels. Vous songez surtout aux gens qui font l'objet de préoccupation particulière devant la Commission d'enquête sur le crime organisé. Je pense que c'est surtout...

M. Choquette: II y a ce groupe-là.

M. Burns: ... à eux que vous songez. Il y en a peut-être d'autres, mais c'est surtout à ceux-là que vous songez. Mais ce qu'on vous demande, ce n'est pas de dévoiler la preuve que vous avez contre les gens. Dévoiler la preuve et dévoiler ce qu'il y a dans le dossier de quelqu'un, ce sont deux choses tout à fait différentes. Vous le savez fort bien, voyons donc!

M. Choquette: Pas du tout!

M. Burns: Vous êtes un avocat qui a déjà pratiqué...

M. Choquette: Ce ne sont pas deux choses différentes.

M. Burns: Bien oui!

M. Choquette: Dans un dossier de police, il peut yavoirun lotd'élémentsqui indiquent la naturede la preuve qu'on a à l'égard de quelqu'un. Même si on expurgeait ce dossier pour donner satisfaction à votre théorie et qu'on disait: On va mettre seulement le minimum dans le dossier, il en resterait une partie en dehors du dossier à laquelle la personne n'aurait pas accès...

M. Burns: Non.

M. Choquette: ... et qu'elle ne pourrait pas contredire. C'est évident.

M. Burns: Non.

M. Choquette: Même à cela, cela pourrait lui donner des indications sur des preuves que la police...

M. Burns: Je suis convaincu...

M. Choquette:... a mises en dehors du dossier.

M. Burns:... que la Chambre de commerce est passablement plus réaliste que cela et elle ne vient pas vous demander de...

M. Choquette: La chambre...

M. Burns:... soumettre d'avance la preuve à un éventuel accusé.

M. Choquette: La chambre...

M. Burns: Ce qu'elle demande, c'est de savoir comment M. X, Y ou Zest fiché à la police. C'est cela.

M. Choquette: Je ne considère pas que la Chambre de commerce est un expert en matières policières, malgré tout le respect que j'ai pour ses représentants aujourd'hui. Vous allez demander à n'importe quel policier normal, raisonnable, expérimenté, et ce n'est tout simplement pas possible. Le simple bon sens, la simple logique le dit.

Si on prend, par exemple, l'affaire du CIA aux Etats-Unis. Actuellement, il y a une enquête sur le CIA. Qu'est-ce qu'on reproche au CIA? On lui reproche d'avoir tenu des dossiers à l'intérieur des Etats-Unis, parce que ce n'était pas conforme à la loi, au mandat du CIA. On ne reproche pas cela au FBI. Le FBI a des dossiers sur des personnes aux Etats-Unis et il a le droit légalement. Personne n'a jamais pensé de faire un reproche de cela au FBI, parce que c'est sa fonction de faire des enquêtes de police à l'intérieur du pays. Il faudrait quand même rester dans des cadres raisonnables. Il faut certainement avoir une philosophie saine, une attitude qui n'est pas morbide dans le domaine des dossiers de police. Je suis bien d'accord, il ne s'agit pas d'avoir tout un appareillage et des contrôles policiers et d'avoir un dossier sur tout le monde. A ce moment, c'est quasi l'Etat policier. Il ne s'agit pas de cela. Que voulez-vous que j'y fasse? Il y a du crime dans la société et il y a des organisations criminelles dans la société...

M. Burns: M. le ministre...

M. Choquette:... si on leur donne accès... Même je vous donnais l'exemple tout à l'heure, que je réitère, c'est que ce ne sont même pas tous les policiers qui ont accès à ces dossiers. Souvent, c'est un petit groupe de policiers spécialisé pour ces fins et...

M. Burns: C'est vrai.

M. Choquette:... ils en ont besoin pour les fins de leur travail. On n'est pas pour se mettre à disperser cela.

M. Burns: M. le ministre, vous parlez d'attitudes morbides. C'est au contraire la vôtre qui est morbide, M. le ministre.

M. Choquette: La mienne est réaliste.

M. Burns: Je tiens à vous le souligner. Vous partez en disant: On va enlever ce droit à l'ensemble de la population qui, majoritairement, n'est pas criminelle. Autrement, à moins que vous ne m'annonciez le contraire, et que c'est nouveau dans vos statistiques; dans un tel cas, je m'inquiète sérieusement. Je pense que la majorité des citoyens du Québec n'est pas criminelle. On enlève ce droit à la majorité des non-criminels, c'est-à-dire la majorité de la population qui est non criminelle, tout simplement pour sauvegarder un droit de cachotterie de la police à l'endroit de la minorité de la population visée par les fiches de la police. Voyons donc!

M. Choquette: C'est exact.

M. Burns: Cela ne se tient pas, votre argument.

M. Choquette: Oui, cela se tient.

M. Burns: Bien, non.

M. Choquette: C'est exact, parce que vous opposez la quantité des gens intéressés. Je suis parfaitement prêt à convenir avec vous que la majorité des gens n'a pas d'affaire à avoir des dossiers de police. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas une minorité qui mérite un dossier de police et à qui il faut empêcher d'y avoir accès. Si vous conférez ce droit à la majorité, vous allez être, par le fait même, obligé de le conférer à cette minorité, et vous allez détruire le travail policier. Il me semble que le bon sens est là.

M. Lapointe: M. le Président, j'invoque le règlement.

M. Burns: Je ne partage pas votre appréciation du bon sens là-dessus.

M. Lapointe: Le but de la commission, c'était d'entendre des témoins. Normalement, il ne doit pas y avoir de discussions entre les membres de la commission. Les membres de la commission peuvent poser des questions...

M. Burns: Avez-vous hâte de vous en aller chez vous? Est-ce cela? C'est quoi, votre problème?

M. Lapointe: Absolument pas. Je pense que c'est une discussion...

M. Burns: On n'est pas pressé. On est ici pour... Justement, on discute...

M. Lapointe: J'ai posé une question de règlement. Est-ce que j'ai la parole?

M. Burns: ... d'un point de vue.

Le Président (M. Kennedy): Vous avez la parole. Je voudrais simplement souligner...

M. Lapointe: Je pense que cette discussion pourrait avoir lieu lors de l'étude du projet de loi article par article et à d'autres moments. Il y a des gens qui attendent ici pour exposer leur mémoire-

Le Président (M. Kennedy): Je pense que les opinants ont répondu à une question qui a été soulevée par un représentant de la chambre, laquelle suggestion est contenue dans leur mémoire. Ils sont ici pour en discuter. Je comprends que le dialogue se fait entre le ministre et le député de Maisonneuve, mais, tout de même, c'est un point qui est soulevé dans le mémoire de la chambre de commerce.

M. Létourneau: M. le Président, nous reconnaissons que nous ne sommes pas des experts en

matière policière. Nous reconnaissons avec le ministre que la requête que nous faisons, la recommandation que nous faisons, pose certainement des problèmes très sérieux, c'est sûr. Jusque dans quelle limite on pourrait accorder ce droit? Nous en sommes conscients. Nous sommes conscients que ce serait difficile. Encore une fois, est-ce qu'on croit, oui ou non, que les droits individuels existent et peuvent se matérialiser en ce domaine? Jusqu'à quel point, nous reconnaissons que c'est difficile de l'établir. Quand on constate qu'il est même parfois impossible pour un citoyen normal, ordinaire, qui n'a pas de dossier criminel, de savoir si, oui ou non, il a un dossier policier et dans quelle mesure cela peut lui nuire dans sa vie, le fait qu'il ait un dossier policier. Il y en a qui pensent que cela leur nuit. Il y a certaines gens qui ont cru avec certaines bonnes raisons que cela leur a nui dans le passé. C'est ce problème que nous amenons. Nous profitons du fait que nous faisons un acte légal, c'est-à-dire on étudie une loi qui reconnaît des droits à l'individu.

On se dit: Ce n'est pas possible de l'appliquer dans ce domaine-là. Nous ne sommes pas, encore une fois, des experts. Nous reconnaissons les problèmes que le ministre a soulevés et nous demandons au ministre: Voulez-vous, s'il vous plaît, considérer la possibilité de trouver un juste milieu entre ces deux positions qui s'affrontent?

M. Choquette: C'est ce qu'on recherche à cette commission et à l'occasion de ce projet de loi. Je ne vous reproche pas d'avoir soulevé le problème. Je vous donne la réaction de quelqu'un qui connaît un peu la question. Je ne me considère pas un grand spécialiste, mais après tout, cela fait quand même presque cinq ans que je suis ministre de la justice et j'ai vu ces problèmes. J'ai vu les manoeuvres qui se déploient, à l'occasion, justement pour aller chercher des informations, des éléments de preuve qui peuvent se trouver dans les dossiers policiers. Je vous dis que, malgré toute la bonne foi de votre organisme et celle du député de Maisonneuve, il y a une ligne à tracer qui fait qu'il faut qu'il y ait des éléments de sécurité autour de la possession d'un certain nombre d'informations entre les mains de la police. C'est tout ce que je veux.

M. Létourneau: II pourrait y avoir des...

M. Choquette: Et moi, je vous rassure sur un point. C'est que les dossiers de police ne sont pas accessibles à n'importe qui qui peut prendre le téléphone et demander: Est-ce que M. Untel a ceci, a cela? Je vous le dis, d'après mon expérience: Ce n'est pas le cas, et la police ne donne pas des renseignements de ce genre-là. Elle garde ses dossiers pour elle et souvent à l'intérieur de cercles relativement fermés de la police. Même le policier du commun des mortels n'a pas affaire à toucher des dossiers qui ne le concernent pas. Il faut que ce soit dans son travail.

Mais je prends note de votre interrogation sur cela et, malgré que nous sommes favorables à ce que la vérification des dossiers individuels puisse se faire, en principe... Vous avez mentionné le cas des compagnies de crédit et d'autres circonstances semblables. En principe, je suis bien d'accord; je fais une exception cependant, dans le cas actuel, dans le cas que nous discutons, le dossier de police.

M. Burns: Moi, M. Létourneau, je ne suis sûrement pas pour vous reprocher une attitude comme celle-là, que je trouve généreuse de la part de la chambre, parce que cela ne concerne pas immédiatement vos propres intérêts. C'est une réaction en faveur des libertés et des droits fondamentaux. Personnellement, ce n'est sûrement pas moi — même si vous n'êtes pas, comme moi non plus, desexperts en droit criminel, mais on peut peut-être être des gens qui sont intéressés aux libertés et aux droits fondamentaux — je ne peux que vous féliciter de votre attitude. Bien au contraire, je ne vous le reprocherai pas.

Je reviendrai à votre mémoire, maintenant qu'on a passé par-dessus ce problème-là, qui reviendra sans doute lors de l'étude du projet, article par article. J'aimerais avoir des précisions sur deux de vos recommandations. Je dois vous dire d'abord que sur l'ensemble de vos recommandations, je me déclare favorable, en particulier, à celle q ui veut que la charte des droits, un peu comme le Barreau est venu nous le dire, la Chambre des notaires, la Ligue des droits de l'homme... Soit dit en passant, cela me plaît beaucoup de voir cette attitude généralisée des groupements intéressés qui viennent tenir cette attitude que la loi se doit d'être une loi fondamentale, une loi transcendante. J'espère que le ministre de la Justice en tiendra compte éventuellement, en particulier, votre recommandation sur le fait qu'on doit rendre plus difficile l'amendement de droits ou la disparition de d roits qui se trouvent consacrés dans cette charte par un vote des deux tiers; également, cela me plaît de voir cela dans vos recommandations.

J'aimerais cependant que vous me donniez plus de précisions sur votre recommandation no 2, lorsque vous recommandez de calculer à l'avance les délais d'application qui tiennent compte des incidences sociales et économiques des différentes dispositions de la présente charte. Est-ce que, dans le concret, vous avez des exemples — mise à part la lettre à laquelle vous avez fait référence tout à l'heure — des cas concrets où vous pensez qu'il peut y avoir des incidences économiques de la mise en application de cette charte?

M. Létourneau: M. le Président, d'abord parce que j'ai eu l'avantage de consulter le mémoire qui va suivre le nôtre, c'est-à-dire celui des compagnies d'assurance. Il y a, dans ce mémoire, des exemples particuliers très concrets qui mentionnent des cas spécifiques où cela peut devenir un problème sérieux, un problème économique sérieux, en tout cas et un problème aussi, des réévaluation des valeurs acceptées jusqu'ici, en matière de bénéfices marginaux aux employés.

Dès que vous touchez à cela, que vous avez affaire à des centaines de milliers de travailleurs et que ce sont des bénéfices qui sont payés longtemps, qui peuvent être payés longtemps après qu'on a versé la prime pour les payer, dès que vous touchez à cela un peu, vous pouvez avoir des

conséquences très importantes. C'est comme lorsqu'on songe à imposer l'âge de la retraite à 60 ans au lieu de 65, la plupart des gens considèrent cela comme une chose tout à fait normale, mais dès que vous commencez à parler de cela à des actuaires, ils vont vous démontrer comme c'est extrêmement coûteux de refaire les fonds de pension, de sorte que les bénéfices soient les mêmes à 60 ans qu'à 65. De même, dans des bénéfices marginaux accordés à des employés, la façon dont on les a pensés actuellement, en fonction du projet de loi qu'on a devant nous, peut être interprétée comme discriminatoire, et si quelqu'un s'en plaint et q u'on est obligé de tout refaire en fonction de cela, on va tomber dans des choses qui peuvent être extrêmement coûteuses. Nous n'en connaissons pas exactement la portée. Je vous ai cité un document qui aborde cette question. Il est préparé par des spécialistes en la matière, des gens qui ne font que cela, examiner des bénéfices marginaux, fonds de pension, assurance-maladie, assurance-vie, et qui se rendent compte de l'impact économique considérable.

Nous ne voudrions pas que ce projet de loi, qui pourra permettre à des employés qui, dans l'avenir, se considéreront dans un état de discrimination, d'avoir recours aux services de la commission. La commission pourra statuer, enfin, selon les dispositions qui sont présentement là, et on aura alors des précédents et on sera obligé, peut-être, de refaire tous les systèmes de bénéfices marginaux qui existeront partout dans le secteur, qui sont généralement faits comme cela, parce qu'on a accepté que cette discrimination était acceptable. A ce moment, on pourra arriver à des situations vraiment coûteuses, et comme dans d'autres lois on se dit: N'adoptons pas des lois qu'on n'a pas les moyens de se payer, ou si on pense que c'est socialement juste et qu'il faut l'atteindre, établissons des échéanciers ou une période au cours desquels on pourra étaler les coûts pour les absorber plus facilement dans la société.

M. Burns: Je suis d'accord. Alors, si vous le signalez...

M. Létourneau: M. Morin veut continuer, si vous lui permettez.

M. Burns: Oui, d'accord!

M. Morin (Pierre): M. le Président, si on prend, par exemple, l'article 17, nous avons une question d'interprétation, peut-être, où la commission pourrait nous éclairer. On dit qu'une distinction, exclusion ou préférence fondée sur les aptitudes exigées pour un emploi n'est pas réputée discriminatoire. Je fais le lien de la phrase. L'article ne dit pas que l'ancienneté est nécessairement une aptitude exigée pour un emploi, alors qu'on retrouve, dans la plupart des conventions collectives qui ont été négociées de bonne foi, des clauses d'ancienneté, par exemple, que ce soit pour la mise à pied ou le réembauchage.

M. Burns: Pour la promotion.

M. Morin (Pierre): Ou pour la promotion. Si on prend, dans un cadre bien strict, les aptitudes exigées pour un emploi strictement à la compétence et si on met de côté la question d'ancienneté, vous pouvez voir immédiatement, à la fois, l'incertitude que cela peut créer...

M. Burns: Oui, mais, M. Morin, vous savez que la plupart des clauses, j'oserais même dire que la totalité des clauses de conventions collectives en matière d'ancienneté particulièrement ont une relation avec les aptitudes. Je pense que votre exemple a une valeur quant au réembauchage à la suite d'une mise à pied et quant à la promotion surtout...

M. Morin (Pierre): Ou à la mise à pied...

M. Burns:... la plupart de ces clauses, je dirais même la totalité, ont toujours une relation avec les aptitudes. On a la fameuse clause: A compétence égale, l'ancienneté primera, ou encore, l'ancienneté sera déterminante pour autant que l'employé ait les aptitudes requises, les exigences normales de la fonction, en tout cas, toutes les formules qu'on connaît dans les conventions collectives. Il me semble que c'est respecté dans les conventions collectives, ce que laisse entendre l'article 17, puisqu'il l'exclut pour les organismes philantropiques, religieux, etc. Il me semble que l'aspect de l'aptitude est déjà... J'ai assez négocié de conventions collectives et particulièrement de clauses d'ancienneté pour savoir que les employeurs sont réfractaires à accepter une clause d'ancienneté pure et simple. Ils ont parfaitement raison d'ailleurs. Je ne connais pas d'employeurs qui ont accepté de dire: L'employé le plus ancien de mon usine, quelles que soient ses aptitudes, aura droit au poste le mieux payé de mon usine.

Je n'en connais pas, à moins que vous ne me citiez un cas vraiment de gars qui sortirait de la ligne. Il me semble que c'est protégé, déjà, cet aspect-là.

M. Létourneau: Nous voulons parler surtout de l'ancienneté pour autant que l'accessibilité aux bénéfices marginaux peut être impliquée.

M. Burns: Sous cet angle-là, d'accord.

M. Choquette: Si on me permet d'ajouter quelque chose en réponse à la question posée, c'est que, si on devait inscrire, suivant certaines suggestions, à l'article 11, le mot "notamment" pour élargir le concept de discrimination, vous auriez peut-être raison de dire qu'à l'occasion d'une promotion l'employeur ne pourrait pas discriminer en prenant en considération l'ancienneté de l'un ou de l'autre de ses employés. Il ne pourrait pas tenir en considération ce facteur-là.

Mais remarquez qu'à l'article 11 — c'est justement ce qui me faisait hésiter à introduire le mot "notamment" — il faut que la discrimination soit relativement circonscrite pour qu'on puisse en apprécier la portée; vous voyez.

Alors, quand vous arrivez à l'article 17, vous

devez lire l'article 17 avec l'article 11. A l'article 17, il n'y a rien qui empêche l'employeur de tenir en considération l'ancienneté de ses employés dans l'octroi d'un autre emploi, c'est-à-dire qui représente une promotion par rapport à leur emploi antérieur.

M. Létourneau: Je répète, M. le Président, que nous avons surtout parlé en fonction d'accessibilité à des bénéfices marginaux. C'est une des choses sur lesquelles nous avons plus particulièrement insisté. Les clauses qu'on a soulevées dans les conventions collectives, nous sommes conscients que cela existe dans la forme que vous dites et qu'effectivement cela pourrait arriver. Je pense que c'est arrivé dans certains cas, mais nous ne sommes pas ici pour en débattre, parce que cela pourrait être plutôt minoritaire.

M. Champagne: M. le Président, j'aimerais donner deux exemples à M. Burns qui demandait, tout à l'heure, quel serait l'impact que cela va avoir. Je pensais, entre autres, aux coûts que le gouvernement a peut-être évalués dans la préparation du projet de loi.

Il y a quelques mois ou peut-être un an, le gouvernement a changé la Loi des tribunaux judiciaires, en permettant au veuf d'une femme juge d'obtenir la pension, ce qu'il n'avait pas le droit d'obtenir auparavant. A moins que je ne me trompe, M. le ministre, c'est un changement que vous avez fait, il y a peut-être un an, dans une loi qui disait que la pension était accordée dorénavant au mari, parce que, auparavant, la loi prévoyait seulement que c'était à la femme d'un juge qui mourait.

Seulement ce changement, qui aurait dû être obligatoire, en fonction d'une égalité maintenant, homme ou femme, combien a-t-il coûté ou combien coûterait-il maintenant? C'est un exemple de bénéfice marginal que vous avez accordé dans un cas...

Une Voix: Nouveau.

M. Champagne: ... nouveau et qui tiendrait compte de la loi.

Je prends un autre exemple. Vous avez la Régie des rentes où vous avez inclus dernièrement la notion de vie commune, la femme en vie commune; la personne qui vit avec le mari. Simplement ce changement-là pour respecter une certaine égalité, un statut ou un état civil, combien cela coûte-t-il? Cela peut être $5 millions, $1 million, $100,000, mais, sur une longue période, cela peut coûter beaucoup d'argent.

L'étude que M. Létourneau mentionnait tantôt est justement basée pour soulever ces points. Les conventions collectives, par exemple, qui assurent au mari $50,000 d'assurances et, quand c'est une femme, $25,000, cela deviendrait illégal, parce qu'il n'y aura plus d'égalité pour la même fonction dans les bénéfices marginaux.

C'est ce genre de points là qu'on vous demande de bien évaluer pour en connaître les impacts. Nous sommes d'accord sur le principe, mais cela peut peut-être prendre cinq ans avant de l'obtenir. Cela peut peut-être prendre sept, huit ou dix ans avant d'établir ces choses-là. Autrement, on arriverait à une conséquence économique qui serait peut-être plus importante et qui créerait peut-être un embêtement à bien du monde dans le domaine des affaires.

M. Burns: Autre question relativement à votre recommandation no 3. Vous voulez que la loi garantisse l'autonomie de la commission en prévoyant que son président soit nommé par l'Assemblée nationale. Déjà, dans le texte de la loi, les nominations des membres, qu'ils soient trois, cinq ou sept, comme d'autres suggestions nous ont été faites, seront faites sur recommandation du premier ministre, mais adoptées par l'Assemblée nationale.

Vous voulez précisément que le président soit nommé. Ce que vous craignez, je pense, c'est qu'il y ait trois, cinq ou sept personnes qui soient nommées et que, par la suite, suivant un autre processus, le président soit nommé parmi ces sept-là. Est-ce que je vous ai bien compris?

M. Létourneau: M. Champagne.

M. Champagne: M. le Président, c'est notre inquiétude et peut-être que c'est un souci, vu qu'on parle d'une charte ou d'une déclaration des droits des individus. On dit: La nomination du président ne devrait même pas être faite sur la recommandation du premier ministre, mais simplement de l'Assemblée nationale.

Ne pas mettre cette distinction précise que cela passe uniquement par la voie du premier ministre. On sait très bien qu'en pratique, cela arriverait à la même chose, de toute façon. Ce sera toujours le gouvernement majoritaire. On dit simplement une chose, que cela devrait être l'Assemblée nationale elle-même qui devrait... Cela va être la même procédure qui va arriver, mais quand même enlever cette particularité. C'est le premier ministre qui fait la suggestion à l'Assemblée nationale. Par exemple, on peut mettre un exemple, cela pourrait être le ministre de la Justice qui est responsable de l'application, qui fait la proposition à l'Assemblée nationale; cela ne change rien, mais simplement, ce qu'on dit, c'est une nuance qu'on apporte dans le texte.

M. Burns: Dans le fond, votre recommandation, c'est qu'on ne mette pas sur la recommandation de qui ces gens sont...

M. Champagne: C'est cela.

M. Burns:... et conserver, comme on l'a actuellement, la nomination par l'entremise de l'Assemblée nationale.

M. Champagne: C'est cela.

M. Burns: Je vous signale, en passant — en tout cas, c'est mon interprétation — à votre recommandation 6, je suis bien d'accord pour que vous la souleviez, mais j'ai l'impression que c'est déjà prévu

par le projet de loi. Je pense qu'il était essentiel qu'à l'article 46, on parle du gouvernement, des organismes et peut-être, éventuellement, à la suggestion du Barreau ou de la couronne. Je pense que cette loi, même si on ne nomme pas les organismes scolaires et municipaux, s'appliquera à eux, sauf erreur, M. le ministre. Je ne sais pas si c'est votre interprétation.

M. Létourneau: C'est que nous avions des interprétations contradictoires sur ce point. Si c'est bel et bien l'interprétation que vous avez de l'article 46, que cela répond à la recommandation que nous faisons à l'article 6, nous en sommes bien heureux.

M. Choquette: L'article 46 n'exclut pas d'autres personnes ou organismes publics ou privés. L'article 46 dit simplement que cette charte s'applique au gouvernement, mais entre autres, au fond, parce qu'il est évident que tous les corps publics et toutes les compagnies privées, toutes les personnes au Québec sont liées par l'application de la charte.

M. Létourneau: C'est évident, M. le ministre, d'après votre interprétation, que cela inclut les corporations municipales et scolaires. Notre seule préoccupation, c'est qu'on n'était pas certain que c'était...

M. Choquette: Oui, vous pouvez être sûr que cela a une application générale. C'est parce qu'en vertu de la loi d'interprétation, pour que le gouvernement ou, enfin, la couronne soit liée, il faut le dire spécifiquement dans une loi. C'est comme cela que nous avons référé spécifiquement au gouvernement, ses organismes et préposés.

M. Létourneau: C'est que nous avions remarqué que, dans le projet de loi 22, les organismes visés étaient spécifiquement mentionnés à l'annexe. Je ne sais pas s'il y avait une raison particulière.

M. Burns:... raison particulière que le projet de loi 22 peut avoir, eu égard à certains organismes, entre autres, dans le domaine scolaire.

M. Létourneau: Nous sommes satisfaits si le législateur nous dit que c'est inclus. Cela nous satisfait.

M. Choquette: Très bien.

Le Président (M. Kennedy): Le député de... Je m'excuse.

M. Burns: Encore une fois, le ministre de la Justice passe pour le législateur. Il va se sentir...

Le Président (M. Kennedy):... encore une fois. M. Choquette: Non, le fardeau est lourd. M. Létourneau: Excusez-moi.

M. Burns: Ce n'est pas vous que je taquine, M. Létourneau, c'est beaucoup plus le ministre de la Justice

M. Létourneau: C'est un lapsus, M. le Président.

M. Burns: Une dernière chose que je m'en voudrais de ne pas soulever, M. Létourneau. Evidemment, votre mémoire, dans son ensemble, me plaît beaucoup, mais il y a une chose qui me déplaît énormément dedans, c'est votre remarque à 3-4, c'est-à-dire à la page 4, lorsque vous voyez une attitude populiste dans les articles 61 à 71, ceux, en particulier, que Me Champagne a commentés tout à l'heure en disant qu'il voyait, à toutes fins pratiques, une inégalité devant la loi dans le fait que la commission assumait presque la défense de la personne qui se plaignait d'être l'objet d'une discrimination. Je ne sais pas, je ne partage pas du tout votre point de vue là-dessus. Je pense que, justement, pour être la cause d'une discrimination, il faut être capable de discrimination, c'est-à-dire qu'il faut être dans une position, habituellement, pour faire de la discrimination. Les cas les plus flagrants, les plus évidents qu'on va rencontrer, cela va être évidemment dans l'emploi; donc, cela va être l'employeur qui va être la cause de la discrimination; ou dans le logement, cela va être le propriétaire qui va être la cause de la discrimination; ou dans le cas de dispensation de services, comme ce matin, un certain groupe d'homophiles nous citaient les cas d'hôpitaux, ce sont des institutions.

Il peut arriver, comme le disait Me Champagne, certains cas où ce sera un petit, mais je pense que ça va être assez exceptionnel, un petit dans la société au point de vue de la puissance économique, qui va être la cause de la discrimination. Mais en ce cas, si cette personne n'est véritablement pas économiquement en mesure d'assumer sa propre défense, elle aura droit au recours à l'aide juridique. A ce moment-là, je ne vois pas comment, partant du principe général, c'est toujours le plus faible qui reçoit, qui est l'objet d'une discrimination. Autrement, je pense que c'est toute la philosophie qui est derrière une charte des droits de l'homme. Alors, pourquoi nous prendrions la peine de tenter de protéger des droits de certaines gens, si autrement ils pouvaient se défendre facilement?

C'est justement parce que vous avez très souvent dans une société une catégorie de gens, pour ne pas dire une classe de gens, qui sont placés dans une situation où ce sont nécessairement eux qui sont l'objet de la discrimination, qu'on prend la peine de dire qu'on va, par une loi, leur donner une protection. Pourquoi par exemple, a-t-on décidé, à un moment donné, de faire une loi qui s'appelle faussement d'ailleurs Loi favorisant la conciliation entre locataire et locateur? C'est, dans le fond, parce qu'à un moment donné, vers les années 1951 il y avait des propriétaires qui ambitionnaient sur quelqu'un qui n'était pas en mesure de se défendre, c'est-à-dire le locataire.

Moi, il me semble que c'est la même philosophie dans cette approche des articles 61 à 71 qui préside à cela. Je ne vous dis pas qu'autrement la loi

n'a pas son sens. Elle a son sens, même sans cela, mais, dans cette partie, je pense que c'est ça qui est l'intention qui est derrière en tout cas. Moi non plus, je ne suis pas le législateur tout seul, mais c'est comme cela que je l'envisage. En tout cas, je prends exception du fait que vous disiez que ces articles sont teintés de populisme plutôt que de justice. Je pense qu'au contraire, ils tiennent compte de ce phénomène de différence de niveau entre les gens qui sont l'objet de la discrimination en général, je ne dis pas que c'est toujours à 100% dans des cas, mais en général, les gens qui sont l'objet d'une discrimination sont dans une position d'infériorité dans la société, alors que ceux qui la causent sont habituellement en mesure de faire de la discrimination.

Que voulez-vous? Si je suis un assisté social et que j'habite un logement de cinq pièces qui me coûte $45 par mois — s'il en reste encore quelques-uns à Montréal — je ne suis pas placé dans une position pour causer de la discrimination à mon voisin, ni à mon propriétaire, ni à mes parents, ni à qui que ce soit. C'est ça, je pense, la philosophie qui est derrière ces articles.

Si je me trompe, en interprétant votre position, j'aimerais ça que vous me la précisiez.

M. Létourneau: M. le Président, nous avons justement remarqué que le projet de loi était inspiré d'une présomption, que celui qui est mis en cause, pour avoir soi-disant fait de la discrimination, serait presque toujours un gros et vraiment un gros. Parce que celui qui aura à se défendre.se défendra devant un appareil qui sera rodé avec le temps, un appareil judiciaire, je veux dire avec des moyens, ceux de la commission, qui seront évidemment rodés. Il aura alors à faire face à ces gens, des gens qui auront une qualification au moins égale, ce qui voudra dire certainement des dépenses considérables, s'il doit assumer lui-même les frais de sa défense, parce que l'autre qui a subi la discrimination a l'appui de la commission.

C'est donc une présomption que c'est toujours un gros, puis un gros. Le second aspect, c'est que la société évolue considérablement et que même des gens que vous appelez ou que vous voulez qualifier de gros commencent à sentir la discrimination envers eux. Quand on parle de discrimination raciale, ça ne connaît pas de limite sur le plan de la fortune des individus en cause.

Cela peut être des gens qui sont relativement fortunés ou modestes ou qui n'ont pas, de toute façon, les moyens de se procurer les services d'assistance juridique de très haute qualité qu'il faudra avoir, éventuellement, pour lutter contre l'appareil judiciaire que mettra en branle la commission contre les gens qui auront présumément fait de la discrimination à l'égard des autres.

Cette présomption, nous croyons qu'elle n'est pas tout à fait justifiée, compte tenu de l'évolution des choses. D'autre part, les gens à revenu modeste ont déjà et vont avoir le support de l'assistance judiciaire. Quelqu'un à revenu insuffisant, pour assurer sa défense lui-même, peut être en cause vis-à-vis des personnes qui n'ont pas nécessairement des revenus très élevés. Je pense, par exemple, à un cas qui, d'après ce qu'on m'a dit dans les recherches que nous avons faites, est actuellement devant les tribunaux, à Toronto, celui d'un locateur de chambres qui aurait, soi-disant, fait de la discrimination et qui doit, avec des revenus très modestes, assumer sa défense devant une affaire semblable et qu'il pourrait avoir contre lui un appareil judiciaire considérable, auquel il ne peut pas faire face. Il va probablement automatiquement décrocher, parce qu'il ne peut pas se prévaloir de services de personnes très qualifiées en la matière, sur le plan juridique.

Là aussi, un des articles de la loi qui parle de l'affichage. En matière d'affichage, on sait, avec les graffiti, et aussi, avec les moyens que se donnent des groupes populaires, des groupes de personnes qu'on appelle défavorisés, qu'il est assez facile de faire de la discrimination et qui peut être très dommageable pour des gens petits, moyens ou gros. Encore une fois, toute cette philosophie qui tient pour acquis que celui qui est poursuivi est automatiquement quelqu'un qui a la possibilité d'opposer des ressources pour se défendre aussi considérables que celles qui pourront être mises en branle par la commission, c'est ce principe qu'on n'accepte pas tout à fait. On pense que l'évolution des choses va faire en sorte que, très souvent, il pourra y avoir des gens à revenu modeste ou moyen qui seront mis en cause et qui seront, à ce moment, eux, les défavorisés, lorsqu'ils seront mis en cause.

M. Burns: Merci, M. Létourneau, encore une fois, je vous remercie pour votre excellent mémoire.

M. Létourneau: Je vous remercie, M. le Président, les membres de la commission...

Le Président (M. Kennedy): Le député de Mille-Iles aurait une question, je crois.

Je voudrais simplement demander aux intervenants d'être le plus bref possible, parce qu'on a déjà largement dépassé le temps qui est normalement alloué à chacun des groupes. C'est intéressant, donc on a permis de continuer.

M. Lachance: M. Létourneau, j'en reviens à votre recommandation no 2, les incidences sociales et économiques. Vous avez mentionné un document d'une firme de Toronto, mais vous ne nous en avez pas donné le contenu. Par contre, par déductions, est-ce que, dans ce même document, on fait une distinction entre un homme et une femme, à cause justement de ces incidences au niveau économique?

M. Létourneau: Oui.

M. Lachance: Oui, c'est cela le problème?

M. Létourneau: C'est un des problèmes.

M. Lachance: C'est un des problèmes, à cause des rentes, des pensions...

M. Létourneau: Oui.

M. Lachance: ... des assurances?

M. Létourneau: C'est cela, exactement.

M. Lachance: Ce serait cela qui serait le contenu?

M. Létourneau: Un parmi plusieurs. C'en est un qui revient souvent.

M. Lachance: En somme, cela toucherait la deuxième section de l'article 11 directement, ce rapport? En somme, l'incidence du rapport qu'on a actuellement, M. le ministre, on parle d'incidences sociales et économiques, c'est qu'on fait une distinction vis-à-vis du sexe, en somme, vis-à-vis d'un homme ou d'une femme? On ne les classe pas au même niveau.

M. Létourneau: II y a l'état civil aussi. On a des traditions, en matière d'avantages sociaux, concernant, par exemple, une personne mariée à l'endroit d'un célibataire. Là, cela vient se compliquer par la permittivité de notre société, si on peut dire, qui reconnaît les personnes qui vivent ensemble. Cela vient compliquer toute l'affaire, parce qu'une personne peut être, à la fois mariée civilement et, par ailleurs, vivre avec une autre personne en concubinage.

Il y a toutes sortes de complications qui vont être introduites, qui peuvent être introduites à cause de cela.

M. Lachance: A ce moment-là, au point de vue économique, on parle aussi d'industries privées qui peuvent toucher au régime d'assurance des personnes...

M. Létourneau: Oui, oui. M. Lachance: ... comme tel... M. Létourneau: Oui, oui.

M. Lachance:... ainsi les incidences sociales au niveau du gouvernement.

M. Létourneau: C'est très complexe, cette situation, M. le Président. Tout ce qu'ont fait ces experts, c'est qu'ils ont identifié les points où, à leur avis, il y a une conséquence économique considérable. Ils ne l'ont pas chiffrée, cela demanderait des travaux plus approfondis. Ils reconnaissent qu'il faut absolument examiner cela pour savoir quel est l'impact de cette chose. Je crois qu'il y a un "task force" en Ontario qui, actuellement, est à examiner tout cet aspect de l'application d'une charte des droits de l'homme.

M. Lachance: C'est cela qui est tout le malaise actuellement. On ne sait pas si M. le ministre a pu voir ces incidences.

M. Choquette: Oui, oui.

M. Létourneau: M. le Président, nos successeurs à cette tribune pourront vous éclairer encore plus parce qu'ils ont une expertise en ce domaine.

Le Président (M. Kennedy): Nous remercions les membres de la chambre de commerce qui nous ont fait part de leurs remarques sur le projet de loi no 50.

M. Choquette: Si vous permettez, à l'article 43, vous n'avez pas d'objection?

M. Burns: Vous voulez travailler ce soir?

M. Choquette: Non, mais...

M. Létourneau Cela aussi... Evidemment, tout ce que nous demandons, c'est qu'on examine les implications. C'est nouveau, cette affaire-là, cela demande une reconsidération des politiques d'administration de personnel dans les entreprises. Les gens qui ont cette responsabilité commencent à se poser des questions très sérieuses et à se demander dans quelle mesure cela va les obliger à faire des changements et quel sera le coût de ces changements. On n'a pas eu le temps encore de donner des réponses valables. La seule chose qu'on constate, c'est qu'on s'aperçoit très vite que cela chiffre beaucoup. Et là, on dit: Une minute, peut-être que c'est valable, probablement qu'il faut appliquer ce principe, mais il faudra qu'on nous donne le temps, il faudra prévoir un calendrier; d'abord, prévoir ce que cela va coûter et, ensuite, si ce sont des sommes trop considérables, que le législateur nous fixe un calendrier, nous donne un peu de temps pour nous adapter.

Le Président (M. Kennedy): La commission en-tendra maintenant l'Association canadienne des compagnies d'assurance-vie.

M. Choquette: Est-ce que c'est le dernier organisme?

Le Président (M. Kennedy): Oui. Je demanderais au porte-parole de s'identifier, s'il vous plaît, pour les fins de l'enregistrement.

Association canadienne des Compagnies d'assurance-vie

M. Walters (Hubert): Je suis Hubert Walters, procureur de Saint-Laurent, Monast et Associés, à Québec; je suis accompagné, à mon extrême droite, de M. Stanbrock, le président de l'Industrielle, compagnie d'assurance de Québec; de M. Luc Plamondon, qui est directeur adjoint au contentieux de la Sun Life, et de M. Oscar Mercure, qui est président de l'Assurance-Vie Desjardins.

L'Association canadienne des compagnies d'assurance-vie représente un groupe de compagnies d'assurance-vie faisant affaires au Québec. Les compagnies membres perçoivent 99% des primes d'assurance sur la vie versées au Québec. Il peut peut-être, au premier abord, paraître surpre-

nant qu'un groupe comme le nôtre ait des représentations à faire concernant le projet de loi no 50. Cependant, ces représentations se limitent à un seul point et, d'ailleurs, nos prédécesseurs, peut-être d'une façon un peu imprévue, en ont touché quelques mots. Je demanderais maintenant à M. Mercure, qui est président de l'association pour la section du Québec, de vous faire également un bref exposé.

M. Mercure (Oscar): M. le Président, M. le ministre, MM. les députés, tout d'abord, je tiens à vous remercier de nous avoir acceptés devant votre commission. Les points que nous voulons soulever sont très importants, bien que facilement acceptables, nous croyons, et ils sont surtout des points qui touchent les différences ou la distinction que l'on ne veut pas faire dans le projet de loi no 50, c'est-à-dire des distinctions quant au sexe. Nous sommes, en tant qu'entreprises d'assurance-vie, d'accord sur le principe du projet de loi no 50, c'est-à-dire la non-discrimination.

Cependant, il est un fait reconnu que les femmes vivent beaucoup plus longtemps que les hommes.

Dans le passé et dans le présent, les entreprises d'assurance chargent des taux de primes moins élevés pour les femmes que pour les hommes, tenant compte du fait qu'elles vivent plus longtemps. En ce qui concerne l'assurance-santé, le phénomène joue un peu à l'inverse. L'expérience que nous avons de la santé des personnes nous prouve que les personnes de sexe féminin ont, règle générale, des taux de morbidité, si vous voulez, ou des taux de primes plus élevés, parce que les femmes, en général, sont plus malades que les hommes.

Pour ce qui concerne les régimes de rentes, le jeu dont je vous ai parlé des primes moins élevées pour les femmes que pour les hommes joue à sens inverse, c'est-à-dire que, comme les femmes vivent plus longtemps, et je crois qu'en Amérique du Nord en moyenne c'est entre cinq et sept ans de plus, il est évident que les taux de primes pour l'assurance-maladie sont plus élevés pour les femmes que pour les hommes. Autour de tout ça, il y a d'autres phénomènes aussi comme certains bénéfices ou certaines maladies qui s'appliquent aux femmes et qui ne s'appliquent pas aux hommes. Je pourrais tout simplement donner comme exemple la grossesse, mais bien que ce ne soit peut-être pas une maladie, des fois on dit que ça pourrait être un accident, mais disons que, règle générale, ce n'est pas considéré comme une maladie, mais nos polices d'assurance prévoient des bénéfices. Si on ne veut pas faire de distinction entre les femmes et les hommes, nous sommes alors pris dans une espèce de dilemme, soit que nous accordions aux hommes des avantages de grossesse ou des bénéfices ou que nous n'assurions pas les femmes pour ces genres de bénéfices.

Cela vous donne un assez bref point de vue sur le fait que nous considérons qu'il y a des distinctions et que ces distinctions ne sont pas discriminatoires, pas plus que nous faisons d'autres genres de distinction. Par exemple, nous assurons des groupes d'assurés qui ont des expériences de mortalité différentes d'autres. Par exemple, nous couvrons des gens qui ont des maladies spécifiques comme le diabète ou la maladie de coeur, etc., où nous chargeons des primes différentes. A ce moment-là, nous considérons les assurés par groupes d'âge, par groupes de profession aussi. Je pense que les policiers, dont on a beaucoup parlé tout à l'heure, sont des gens qui sont plus exposés au point de vue de la maladie, au point de vue des accidents, souvente-fois que d'autres types de personnes; à ce moment-là, on fait des distinctions quant aux primes d'assurance et aux bénéfices qu'on leur accorde.

Nos suggestions se limitent à trois choses. Premièrement, nous considérons que, dans l'article 17, il devrait y avoir et on devrait y ajouter, pour ce qui est des excl usions qui sont prévues à l'article 17, une possibilité de distinctions qui ne seraient pas discriminatoires si elles sont basées sur des données actuarielles.

Il y a un autre point que nous suggérons aussi, et le mémoire de la Chambre de commerce qui nous a précédés tout à l'heure en parlait. Nous considérons qu'il y a des problèmes assez considérables sur les régimes de rentes et nous croyons que la loi devrait permettre au lieutenant-gouverneur en conseil de faire des règlements en ce qui touche la discrimination dans les régimes de pension, de retraite, de rentes et d'assurance de personnes.

L'expérience s'est vécue en Ontario. On y a recommandé une chose semblable et le "task force" qui a été mis sur pied pour discuter en est venu à toute une multitude de points. Je crois qu'il y avait 85 articles sur lesquels on considérait qu'il pouvait y avoir des distinctions, sans qu'il y ait de discrimination.

Nous considérons aussi que l'application de la loi devrait être retardée pour ce qui est des régimes de rentes de retraite, parce qu'il existe actuellement une multitude de régimes de rentes de retraite qui, de par le sens de la nouvelle loi, seraient considérés peut-être comme discriminatoires.

Par exemple, dans beaucoup de régimes qui existent, et nous ne disons pas que c'est correct et que cela ne devrait pas être modifié, il existe chez beaucoup d'employeurs et employés des bénéfices qui sont différents pour les hommes et les femmes. Par exemple, on l'a donné tout à l'heure, l'âge de la retraite. Souventefois, chez un même employeur, les femmes peuvent prendre leur retraite à 60 ans et les hommes ne peuvent prendre leur retraite qu'à 65 ans. Ce sont des choses qui existent actuellement au Québec et, si on veut corriger cela, on est peut-être d'accord, nous, à ce que ce soit corrigé mais cela implique des frais, des dépenses beaucoup plus considérables, très considérables. A ce moment-là, nous croyons que, pour ce qui est de ces bénéfices, la loi devrait être retardée et le gouvernement ou l'Assemblée nationale devrait mettre sur pied un comité de travail pour étudier les implications qu'il pourrait y avoir à ce sujet. Il est évident que nous offrons notre collaboration en tant que spécialistes dans ces domaines.

Nous avons un très bref mémoire qui, lui, va spécifiquement en suggérant des modifications aux articles qui suivent les quelques commentaires que je vous ai donnés. Nous sommes disposés à vous en donner lecture si vous le croyez à propos; sinon,

nous sommes prêts à répondre aux questions que vous aimeriez nous poser sur ces aspects.

Le Président (M. Kennedy): Le ministre de la Justice.

M. Choquette: M. le Président, en autant que je suis concerné, il n'est pas besoin, je crois, de lire votre mémoire que nous avons et que nous allons lire attentivement. Maintenant, je conçois très bien la situation dans laquelle se trouvent les compagnies d'assurance-vie. Vous avez débordé, d'une certaine façon, le cadre strict de votre fonction d'assureurs-vie. Je pense qu'on pourrait prolonger vos observations, par exemple, au domaine de l'assurance-automobile où on fait des distinctions entre groupes d'âges. On sait qu'il est beaucoup plus coûteux, pour un assuré de sexe masculin de moins de 25 ans, d'obtenir une police d'assurance-automobile que pour une femme du même âge. En fait, il y a donc des distinctions qui découlent de l'expérience des sociétés d'assurance.

J'aimerais cependant vous demander ce que font les autres provinces devant ce problème, ce qui est prévu dans leurs lois, et comment ces lois ont fonctionné dans le domaine qui vous est propre, ainsi que tout le domaine des rentes, des plans de pension, des régimes de retraite dans l'assurance-vie, etc.

M. Mercure: M. Luc Plamondon, qui est conseiller juridique à la Sun Life et qui a étudié en particulier ces problèmes dans différentes lois, va vous faire des commentaires sur votre question, M. le ministre.

M. Plamondon (Luc): Pour ce qui touche l'Ontario, parce qu'on a cité tantôt le "task force" qui avait été mis sur pied par le gouvernement pour étudier cette question précise des avantages complémentaires à l'emploi, j'ai le rapport du "task force" en Ontario, ici, qui comporte 85 recommandations. D'une façon générale, on reconnaît des distinctions basées sur des données actuarielles, relevant soit du sexe ou de l'âge. Là, je n'ai rien, parmi les éléments discriminatoires dans la loi provinciale du Québec. On se concentre surtout sur la notion du sexe.

Au Nouveau-Brunswick, la commission a émis, il y a quelques mois, non pas des règlements mais des "guide-lines" et ils sont très près de ceux du rapport du "task force" en Ontario et reconnaissent, encore une fois, la validité de distinctions, exclusions ou préférences basées sur le sexe lorsqu'elles sont fondées sur des considérations d'ordre actuariel.

Dans les autres provinces, cela devient un peu plus difficile de faire des comparaisons. La première chose, c'est que peu de provincesc— il y a le Manitoba, l'Alberta et la Colombie-Britannique — où les lois sur les droits s'appliquent au contrat d'assurance; elles ne s'appliquent pas dans les autres provinces. Alors, le problème ne se pose pas pour nous.

Elles ne s'appliquent dans toutes les provinces — et c'est là que cela nous touche — qu'au deuxième aspect de notre mémoire, c'est-à-dire les avantages complémentaires à l'emploi et, à ce moment-là, cela a un effet d'influence sur nous. Mais c'est pour cela qu'on n'a pas à se préoccuper des autres provinces.

En Colombie-Britannique, cela s'applique aux contrats d'assurance de personnes et on y a ajouté une exemption, on a soustrait, quand on s'est rendu compte que cela s'appliquait aux assurances de personnes, les primes et les avantages à l'assurance de personnes. Mais le ministre nous dit que c'est à l'étude pour le moment; on l'a soustrait immédiatement parce que le problème était trop vaste et on étudie la question.

En Alberta, cela s'applique également aux contrats d'assurance de personnes. Je pense qu'elle vient de se rendre compte que cela s'applique, et nous sommes en contact avec elle. Effectivement, nous sommes en contact avec à peu près toutes les provinces sur ce point. Tout le monde parle de discrimination de nos jours et je ne peux pas vous dire comment cela se résout dans chacune des provinces, tout le monde est en train de se pencher sur cette question.

En Ontario, il y a eu le rapport d u "task force" ; le gouvernement n'a pas encore laissé savoir sa réaction aux recommandations du "task force"; nous l'attendons incessamment.

Aux Etats-Unis, j'ai apporté des documents que je peux vous laisser, si vous le désirez. Encore une fois, tout le monde parle de discrimination, surtout en matière de sexe. Ce sont des séries de documents, des mémoires présentés par l'association américaine qui fait pendant à la nôtre, par exemple en Oregon, où il y a des lois sur ce problème, au gouvernement fédéral, américain, qui étudie cette question. J'ai également un article qui s'intitule "The developing issue of sex discrimination in insurance an overview." C'est un résumé de la situation aux Etats-Unis, en mai 1974. Je peux vous laisser ce texte.

L'Association des surintendants américains d'assurance se penche sur cette question et le chef de file, c'est le surintendant Shepherd, de Pennsylvanie. C'est lui qui dirige le comité de travail de la National Association of Insurance Commissioners. Celle-ci est en train, encore une fois, de mettre sur pied d'autres comités de travail pour savoir toutes les implications — on parle de tables unisexes — de mortalité et de morbidité — et d'essayer de savoir si cela peut fonctionner. Effectivement, quant à nous qui sommes dans le métier, des tables unisexes, cela ne peut pas fonctionner. C'est discriminatoire contre un groupe de personnes que de vouloir uniformiser les risques, quand les risques ne sont pas uniformes dans ce groupe. Alors, c'est un peu la situation qui existe.

M. Choquette: Si je peux dégager un peu de votre point de vue, les éléments de discrimination qu'il y aurait lieu, selon vous, de maintenir pour la réussite de vos opérations, on pourrait dire que ce serait la distinction entre sexes, du point de vue des assurances des régimes de rentes et tout cela.

M. Plamondon: C'est cela.

M. Choquette: II y aurait lieu également de ne

pas avoir dans la loi de dispositions relatives à l'âge, ou d'exclure l'âge comme un facteur de discrimination.

M. Plamondon: C'est exact.

M. Choquette: Parce que vous savez que cela a été suggéré à la commission, par certaines personnes qui ont comparu devant nous, que d'introduire la notion d'âge comme un facteur de discrimination dans l'article 11, évidemment en faisant une exception pour les mineurs, parce qu'on se rendait bien compte que, pour les mineurs, il y avait quand même des facteurs dont il fallait tenir compte, en particulier. Mais vous allez plus loin. Vous dites: II faudrait quand même maintenir l'âge comme un facteur de discrimination légitime, parce que nous en tenons essentiellement compte dans nos calculs pour les fins des tables d'assurance.

M. Plamondon: Nous n'assurons pas les gens âgés de 80 ans aux mêmes taux que les gens âgés de 15 ans.

M. Choquette: Non.

M. Plamondon: Je pense que c'est d'une évidence...

M. Choquette: Oui.

M. Mercure: En acceptant comme étant non discriminatoires les données actuarielles, nous couvrons ces genres de problèmes.

M. Burns: C'est ce que je voulais vous entendre dire. En somme, ce que vous dites est que, si vous protégez les données actuarielles, par votre suggestion à l'article 17, vous n'avez pas objection à ce qu'on mette l'âge comme un facteur de discrimination.

M. Mercure: Et la santé aussi.

Une Voix: Nous n'avons plus besoin de cela, à ce moment-là.

M. Mercure: Je tiens aussi à souligner, M. le ministre, d'abord, que les remarques que nous faisons ne sont pas strictement pour notre commerce à nous. Je pense que c'est pour la population. Parce qu'en réalité, je pense qu'il est très important de souligner que c'est pour la population. Notre mémoire souligne aussi — et c'est vous qui avez touché le problème d'autres provinces — que des employeurs ont des employés dans plusieurs provinces. A ce moment-là, si on veut donner des bénéfices d'assurance, par exemple, il faut qu'il y ait une certaine entente. Nous poussons même plus loin et c'est pour cela que nous disons qu'il doit y avoir des règlements, c'est parce que, même une fois que les données actuarielles sont acceptées comme étant non-discriminatoires, il peut se soulever d'autres types de problèmes et je vais vous en donner un exemple. Prenons le cas des rentes. Les rentes, on pourrait dire, si on accepte les différences d'âges et de sexes, si on ne veut pas que les bénéfices soient différents, que la rente soit différente, évidemment, le taux va être différent pour les femmes et pour les hommes.

Si on ne veux pas que les taux soient discriminatoires entre les hommes et les femmes, c'est-à-dire si on veut que les hommes et les femmes paient la même prime, à ce moment-là, les bénéfices seront différents. Si les femmes paient la même prime, leur bénéfice sera moindre. C'est pour ça qu'on dit que, même si on ajoute les données actuarielles comme étant non discriminatoires, il faudra qu'il y ait une certaine réglementation qui dise, à notre point de vue, que ce sont les bénéfices. On ne voit pas pourquoi les femmes n'auraient pas, à 65 ans, les mêmes bénéfices de pension que les hommes. A ce moment-là, les coûts sont différents; elles devront payer plus cher.

M. Choquette: Je comprends, mais si on devait accepter votre suggestion de faire une exclusion à l'article 17 relativement aux données actuarielles, serait-il suffisant de dire: "données actuarielles limitées au sexe et à l'âge"?

M. Perreault: La santé.

M. Choquette: La santé n'est pas un motif de discrimination dans l'article 11.

Une Voix: Ce n'est pas adopté.

M. Choquette: Non, mais cela a été suggéré. Admettant que nous gardions l'article 11 tel quel et qu'on n'introduise pas l'âge comme un facteur de discrimination, serait-il suffisant de dire "une distinction, exclusion ou préférence fondée sur des données actuarielles et qui tienne compte du sexe ou sur les aptitudes exigées pour un emploi, etc." Est-ce que ça tiendrait suffisamment compte, parce que...?

M. Mercure: Je ne le crois pas, M. le ministre. C'est pour cela que je vous ai donné un exemple, tout à l'heure. Si on accepte les données actuarielles, l'actuaire qui fait les calculs peut les baser sur le coût et non sur les bénéfices. Sur le coût, il est juste, il exige la même prime de tout le monde, il n'est pas discriminatoire. A ce moment-là, ce sont les bénéfices, de sorte que, lorsque l'employeur voudra accorder un bénéfice à l'ensemble de ses employés, il voudra demander la même prime à tous et, en réalité, les bénéfices, à l'autre bout, seront différents. C'est pourquoi nous disons qu'il y aurait probablement lieu aussi de statuer sur des points précis.

Pour de telles données, dans le cas des régimes de rentes, ce sera peut-être le bénéfice qui devra être non discriminatoire, qui ne devra pas être différent entre l'homme et la femme. A ce moment-là, les primes pourront varier.

M. Choquette: Est-ce que je dois comprendre, de ce que vous venez de nous dire, que vous voulez que les employeurs et les assureurs aient toute liberté d'action de prendre en considération le sexe des personnes qui sont couvertes par ces plans ou de ne pas en tenir compte suivant le cas?

C'est-à-dire qu'un employeur pourrait, à un moment donné, considérer tous ses employés globalement, hommes ou femmes. Ou, dans certains autres plans d'assurance, un autre employeur pourrait dire: II y aura des distinctions entre hommes et femmes. Est-ce un peu cette liberté d'action que vous revendiquez?

M. Mercure: Non, c'est le contraire. M. Plamondon va vous expliquer.

M. Plamondon: Nous ne voulons pas aller si loin que ça. La seule liberté d'action serait quand il y a une distinction, exclusion ou préférence qui est réellement basée sur des données actuarielles, la loi des grands nombres et des choses comme ça. Nous trouvons très acceptable qu'on ne permette pas à un employeur de dire, entre autres, comme certaines caisses de retraite ou certains régimes d'assurance le stipulent maintenant: Les femmes seront admissibles à la caisse de retraite après trois ans de service et les hommes, après un an de service. Il n'y a aucun fondement actuariel pour faire cette distinction. Ce n'est pas ce que nous demandons.

M. Choquette: Alors, parmi les données actuarielles valables, il y a le sexe.

M. Plamondon: Oui, mais disons que ce sont des tables de mortalité, des tables de morbidité...

M. Choquette: Mais il faut toujours vous référer à l'article 11 qui, lui, énonce les causes de discrimination. Ne sortez pas du cadre de l'article 11.

M. Plamondon: Non, je suis d'accord.

M. Choquette: Alors, parmi les facteurs de discrimination mentionnés à l'article 11, il n'y a que le sexe?

M. Plamondon: Oui. Il n'y a pas de données actuarielles, disons, sur la religion ou...

M. Choquette: Ou la couleur de la peau.

M. Plamondon: Nous ne sommes certainement pas prêts à reconnaître, au Canada, de distinction sur la couleur de la peau, au niveau des tables de mortalité ou de morbidité.

M. Mercure: II s'en fait, mais...

M. Burns: M. Plamondon, si le ministre me permet, excusez-moi. Je ne sais pas si c'est fondé ou non, mais il existe une certaine croyance selon laquelle certains groupes ethniques — et je pense, en particulier, aux Esquimaux et aux Indiens, au Canada — sont, dit-on, de santé plus fragile. Est-ce un élément dont vous tenez compte dans vos données actuarielles?

M. Mercure: Je ne crois pas qu'il y ait de distinction au Canada, c'est ce que j'allais dire, je ne crois pas qu'au Canada, on fasse des distinctions. On peut faire des distinctions entre des types de profes- sions. Cela, c'est actuariel. Mais, par exemple, on ne fera probablement pas... En tout cas, je ne crois pas qu'il s'en fasse, peut-être qu'il y en a, mais je ne le crois pas... Mais, d'un pays à l'autre, il y a des distinctions. Il y a des assureurs canadiens, par exemple, qui assurent des gens au Mali ou dans différents pays où la possibilité de vie est très différente de celle du Canada. Mais, au Canada, je crois, à moins que mes collègues me confirment le contraire, que les tables utilisées sont des tables nord-américaines.

M. Burns: Pour un non-initié comme moi, quand on parle de données actuarielles, est-ce que je me trompe en pensant que ce sont des points de référence objectifs basés sur des calculs empiriques? C'est-à-dire basés sur une expérience.

M. Mercure: C'est sur la catégorie de gens, âge, sexe, santé ou...

M. Burns: Mais, ils ont un caractère d'objectivité, eu égard au fait qu'on se base sur des points de vue subjectifs, c'est-à-dire une expérience...

M. Mercure: Les tables sont établies selon l'expérience qu'ont eue les compagnies. Anciennement, par exemple, pour les gens qui travaillaient dans des mines d'amiante, qui souffraient de ce qu'on appelait l'amiantose, qui est maintenant presque disparue, les compagnies d'assurance, pour eux, imposaient des surprimes. C'était une catégorie de personnes qui, actuariellement, étaient considérées comme différentes de l'ensemble de la population.

M. Burns: Mais, au point de vue actuariel, vous n'avez pas... Disons, la compagnie X d'assurance et la compagnie Y d'assurance se réfèrent aux mêmes normes actuarielles? Cela ne varie pas d'une compagnie à l'autre.

M. Mercure: Les tables sont communes, il peut y avoir des distinctions. Il peut y avoir, par exemple, des entreprises d'assurance qui se spécialisent dans un certain type d'assurance, par exemple pour les gens qui ont des maladies cardiaques; il peut y avoir des compagnies qui ont, peut-être, un plus grand nombre d'assurés qui ont des primes qui peuvent être différentes. Mais les différences sont très très minimes, à mon point de vue.

M. Plamondon: II y a des compagnies qui vous donnent des taux réduits si vous ne fumez pas.

M. Mercure: II y en a d'autres qui ne le font pas. Une Voix: Ce n'est pas nous.

M. Plamondon: II y a déjà eu, par exemple, des entreprises qui ont changé les primes d'assurance pour ceux qui étaient Lacordaire ou pas.

Une Voix: Ce n'est pas nous non plus. M. Mercure: Cela ne vous touche pas.

M. Choquette: Que leur reste-t-il?

M. Burns: Ils ne vivent pas plus vieux, mais ils trouvent le temps plus long.

M. Mercure: C'est ça. Ils trouvent la vie plus longue.

Le Président (M. Kennedy): Le député de Mille-Iles.

M. Lachance: A la page 1 de votre mémoire, vous apportez un amendement à l'article 17. Vous marquez: "est réputée non discriminatoire", en ajoutant: "des données actuarielles". A la page 4, 17 a), vous faites un autre ajout, mais là, vous mentionnez les régimes d'assurance de personnes, et ces choses-là.

A ce moment-là, on n'aurait pas besoin d'amender l'article 11. Si l'article 17 est amendé.

M. Choquette: Oui. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'amender l'article 11.

M. Lachance: Non, mais l'article 17.

M. Choquette: Oui. C'est la suggestion. Mais, évidemment, les termes "données actuarielles" tiennent compte d'une foule de facteurs dont certains ne sont pas considérés comme discriminatoires dans l'article 11. C'est pour cela que je me demande si "données actuarielles" n'est pas un peu large et s'il ne faudrait pas le circonscrire pour prendre en considération les facteurs de discrimination pertinents dont le seul me semble être le sexe.

M. Lachance: Mais vous ajoutez l'article 17 a), aussi, à la page, 4, où il est mentionné: "Le lieutenant-gouverneur en conseil peut faire des règlements conciliables avec la présente loi pour déterminer quelles sont les conditions des régimes d'assurance de personnes, de rentes ou de pensions de retraite qui constituent des atteintes à un droit ou une liberté reconnue par la présente charte". A ce moment-là, l'article 11 ne change pas.

M. Choquette: Vous remarquerez que, dans cette loi, il n'y a pas de disposition qui permet au lieutenant-gouverneur en conseil de faire des règlements. Nous avons cherché à éviter l'adoption de règlements qui pourraient venir compléter la loi. Je ne dis pas qu'il ne sera pas nécessaire de le faire dans le cas de nos amis qui comparaissent cet après-midi. Mais si c'était possible d'éviter qu'une réglementation vienne s'ajouter à un texte qu'on considère fondamental, j'aimerais mieux ça.

M. Plamondon: J'aimerais poursuivre le point que vous souleviez. Si vous estimez que l'amendement que nous suggérons à l'article 17, avec seulement les mots sur des "données actuarielles", est trop vaste, en ce sens, disons, qu'il nous permettrait de tenir compte de données actuarielles relativement à la race, notre position officielle est que nous sommes prêts, au Canada, à ne pas en tenir compte, même s'il y a des chiffres qui nous permettraient d'établir des distinctions fondées sur la race, même au Canada. La position générale que notre association a prise au Canada, c'est que nous ne nous opposons pas du tout à ne pouvoir faire de distinction fondée sur la race.

Effectivement, dans le contexte de l'article 11, il n'y a que le sexe qui nous préoccupe. Si vous ajoutiez l'âge, il nous préoccuperait, évidemment, énormément. La santé, énormément, c'est l'essence même.

M. Giasson: C'est tout le concept de l'assurabi-lité.

M. Plamondon: C'est tout le concept de l'assu-rabilité. Mais, dans ce concept d'assurabilité, celui touchant la race, même si, objectivement, nous pourrions soulever des chiffres pour le supporter, la position générale a été d'être prêt à oublier cet aspect, au Canada.

Je présume que vous avez remarqué pourquoi nous avons voulu changer la fin de l'article 17 de, simplement, "n'est pas réputée discriminatoire" pour "est réputée non discriminatoire". C'est qu'il y a toute une distinction entre les deux et...

M. Choquette: Et je vais vous dire, M. Plamondon, en langage législatif, les termes "n'est pas réputés discriminatoire", c'est dit d'une manière très polie et, disons, euphémique, et ça veut dire que ce n'est pas discriminatoire. Cela veut dire qu'il est permis, dans ces cas, d'en tenir compte.

M. Burns: C'est plus français.

M. Plamondon: Oui, mais la distinction est que, si c'est simplement: Ce n'est pas réputé discriminatoire, la cour peut dire, dans ce cas-là, très bien, il n'y a pas de présomption. Mais le résultat est que, dans ce cas-là, ce l'est.

M. Choquette: Non, ce n'est pas ce que ça veut dire. Cela veut dire, en fait, que ce n'est pas considéré comme discriminatoire dans ce cas-là. C'est le sens que nous donnons...

M. Plamondon: C'est parce que, je m'excuse...

M. Choquette: C'est discriminatoire mais on ne le considère pas pour ces fins.

M. Plamondon: C'est que le mot "réputé" est utilisé, à l'Office de révision, pour les présomptions juris et de jure et présumé pour les présomptions juris tantum.

M. Choquette: Vous n'êtes pas dans un cas de présomption ici, vous êtes dans un cas d'interprétation.

Il ne s'agit pas d'application de présomption du tout. Si vous référez, je pense, à votre conseiller juridique, Me Walters, il vous dira que "est réputé non discriminatoire" autorise la discrimination en autant qu'elle tiendra compte du sexe, je crois.

M. Mercure: Dans la linguistique.

M. Choquette: D'ailleurs, en anglais, essayons de nous aider avec le texte anglais, même s'il y a le bill 22. "Is not deemed discriminatory", cela veut dire: N'est pas censé discriminatoire.

M. Plamondon: Mais, c'est tout à fait différent de dire: "Is deemed not discriminatory".

M. Choquette: En langage législatif, vous savez, cela a une portée très forte. Malgré que c'est, peut-être...

M. Mercure: Nous attachons beaucoup moins d'importance a cette partie-là qu'à l'autre partie.

M. Plamondon: J'ai offert tantôt les documents quant aux Etats-Unis.

M. Choquette: Oui, j'aimerais cela.

M. Plamondon: Je peux vous les laisser.

M. Choquette: J'aimerais cela, M. Plamondon, si vous pouviez nous les laisser, parce que ça va certainement nous aider.

M. Plamondon: Très bien. M. Mercure: Alors, M. le...

M. Choquette: Nous les ferons photocopier, je vais demander au secrétaire des commissions, peut-être de photocopier cela et de le faire parvenir aux membres de la commission.

M. Mercure: M. le Président, M. le ministre, MM. les députés, nous vous remercions infiniment de votre aimable accueil.

Le Président (M. Kennedy): Nous vous remercions de votre présentation, messieurs de l'Association canadienne des compagnies d'assurance-vie.

La commission ajourne ses travaux sine die?

M. Choquette: Je crois que c'est préférable, M. le Président, d'ajourner sine die.

Le Président: La commission ajourne ses travaux sine die.

M. Burns: Simplement avec la réserve suivante, M. le ministre, si jamais un des groupes, je pense, par exemple, au Jewish Labor Committee of Canada, qui ne s'est pas présenté et dont nous n'avons pas eu de nouvelle. Je pense que ça ne faisait pas partie de votre nomenclature d'hier. Si jamais il se ravisait, je pense que...

M. Choquette: II nous a envoyé un mémoire.

M. Burns: Mais s'il voulait se faire entendre, à un moment donné, il y aurait peut-être lieu de tenir une séance.

M. Choquette: Nous pourrons voir s'il y a lieu de faire un petit spécial.

M. Burns: II avait peut-être de très bonnes raisons de ne pas pouvoir se présenter.

M. Choquette: On va prendre en considération...

M. Burns: Sûrement qu'on va...

M. Choquette: Si la commission voyait que le mémoire donne ouverture à des choses que nous ne connaissons pas...

M. Burns: Des éléments nouveaux.

M. Choquette: ... qui auraient une certaine importance, nous pourrons reconsidérer. Mais j'aimerais mieux que nous mettions un terme aux séances de la commission.

M. Burns: Oui, je suis d'accord.

M. Choquette: Qu'on dise que nous avons entendu... Je crois que nous avons eu un éventail assez complet, et très intéressant.

M. Burns: Je pense que c'est tout à l'honneur des groupements et des personnes qui sont venus devant nous. Il y avait une qualité de mémoires, vraiment supérieure.

M. Choquette: Je crois qu'il y en a eu des bons, très fouillés, avec des perspectives des plus intéressantes dans différents secteurs qui peuvent être affectés par la charte.

Une Voix: Merci.

Fin de la séance à 17 h 48

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