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Commission permanente du travail,
de la main-d'oeuvre
et de l'immigration
Etudes des recommandations du rapport Cliche
Séance du jeudi 12 juin 1975 (Onze heures vingt
minutes)
M. Séguin (président de la commission permanente du
travail et de la main-d'oeuvre et de l'immigration): A l'ordre,
messieurs!
Commission du travail et de la main-d'oeuvre et de l'immigration sur les
recommandations du rapport Cliche, séance du 12 juin. Les membres de la
commission pour la séance d'aujourd'hui sont: M. Bellemare (Johnson), M.
Bérard (Saint-Maurice), M. Boudreault (Bourget), M. Burns (Maisonneuve),
M. Charron (Saint-Jacques), M. Brown (Brome-Missisquoi), M. Cournoyer
(Robert-Baldwin), M. Déziel (Saint-François), M. Harvey
(Charlesbourg), M. Lachance (Mille-Iles), M. Lecours (Frontenac), M.
Malépart (Sainte-Marie), M. Roy (Beauce-Sud), M. Verreault (Shefford).
Le rapporteur est le même, comme pour nos séances
précédentes, M. Boudreault (Bourget).
Nous entendrons ce matin le ou les représentants de la FTQ, la
Fédération des travailleurs du Québec. M. le ministre.
M. Cournoyer: M. le Président, nous avons entendu deux
centrales syndicales, les associations patronales ont décidé de
ne pas venir. Je laisse immédiatement la parole à la
Fédération des travailleurs du Québec qui a voulu se faire
entendre et avec laquelle, d'ailleurs, nous avions convenu qu'il y aurait des
auditions.
Fédération des travailleurs du
Québec
M. Daoust (Fernand): M. le Président, messieurs les
ministres, messieurs les députés, je voudrais en premier lieu
vous présenter la délégation qui m'accompagne ce matin. M.
Jacques Savage, Union des chaudronniers, M. Maurice Pou-Mot, local 144 des
plombiers, M. Guy Dumoulin, président du Conseil des métiers de
la construction, M. Roméo Nadeau des frigoristes, ainsi que
différents confrères de travail venant de plusieurs syndicats de
la FTQ-Construction.
Nous avons évidemment beaucoup à dire à
l'égard des recommandations de cette commission d'enquête sur
l'exercice des libertés syndicales dans l'industrie de la construction.
Nous avons un mémoire qui contient la plupart de nos vues et, si vous me
le permettez, je vais commencer par le lire, quitte à faire certains
commentaires ici et là.
Au lendemain de la parution du rapport de la commission d'enquête
sur l'exercice de la liberté syndicale dans l'industrie de la
construction, nous avons fait quelques commentaires, nous attachant surtout aux
droits et pouvoirs syndicaux qui étaient bafoués par ses
principales recommandations.
Les commissaires ont imploré tout le monde de considérer
leurs suggestions globalement, comme un tout et non comme une série de
mesures indépendantes les unes des autres. Nous nous sommes
livrés à ce genre d'exercice. C'était là un effort
un peu naïf, parce que, pendant que nous nous adonnions à ces
considérations académiques, le gouvernement
québécois tirait du rapport les recommandations les plus
oppressives pour le mouvement syndical, adoptait à la vapeur les projets
de loi 29 et 30 et se préparait à déposer le projet de loi
24.
Dans cette perspective, la discussion ne peut être la même.
Vous avez devant vous les parties dont le rapport de force est modifié
en profondeur par les deux nouvelles lois. Il est illusoire d'entreprendre une
étude rationnelle sur les réformes de l'industrie de la
construction lorsque le mouvement syndical est déjà, dans son
travail quotidien, assujetti à des restrictions, des contrôles et
des menaces de représailles judiciaires telles que leur acceptation
équivaudrait pour lui au suicide.
La mise en tutelle de trois de nos principaux syndicats regroupant plus
du tiers du membership de la FTQ-Construction, les mesures rendant inhabiles
à occuper des postes des gens coupables, entre autres, de
méfaits, de voies de fait simple, d'intimidation et de complot, la
présomption de culpabilité en cas de ralentissement ou
d'arrêt de travail illégal, les restrictions imposées aux
délégués de chantier et le retrait du champ de la
négociation de tout ce qui les concerne sont autant d'entraves profondes
à l'action syndicale, autant de facteurs majeurs qui débalancent
le rapport de force en faveur du patronat de la construction.
On prétendait s'attaquer au banditisme, on enchaîne le
mouvement syndical. On prétendait corriger des abus, on restreint la
liberté de tous ceux qu'on prétend arbitrairement susceptibles
d'en commettre. A ce niveau, la présomption de culpabilité n'est
que la moins hypocrite d'une série de mesures contraires à toutes
les traditions légales de ce qui reste de notre démocratie
occidentale.
Le gouvernement peu à peu adopte des attitudes qui l'identifient
aux régimes totalitaires, où les seules luttes syndicales
possibles sont celles de la clandestinité.
Nous n'en sommes pas étonnés puisque depuis quelques
années, le choix du gouvernement libéral, ses priorités
législatives et les déclarations de ses principaux chantres,
(Bourassa, Choquette, Saint-Pierre, Garneau) expriment l'intention de mettre au
pas tout ce qui empêche la grande roue économique de tourner. On
sait, depuis le rapport Fantus, qui a dicté cette mise au pas.
Nous ne nous présentons donc pas devant cette commission
parlementaire avec le naïf espoir de mettre la main à la pâte
en collaboration avec un gouvernement de bonne volonté, pour
réformer l'industrie de la construction et en faire un milieu viable,
où, comme en rêve le juge Cliche, tout le monde, employeurs,
travailleurs, gouvernement" sont capables de trouver en eux de nouvelles
raisons de travailler ensemble dans une paix retrouvée."
L'une des erreurs fondamentales de l'analyse à laquelle s'est
livré le juge Cliche, réside dans cette croyance qu'il y a, qu'il
suffit de multiplier le nombre d'honnêtes citoyens qui besognent durement
et espèrent en des "lendemains qui chantent", pour que tout aille pour
le mieux dans le meilleur des mondes. "Les lendemains qui chantent" pour un
entrepreneur en construction, ça n'a rien à voir avec "les
lendemains qui chantent ' d'un travailleur.
Le premier veut faire la "piasse vite " et a, pour le faire, des
matériaux de construction et de la main-d'oeuvre. Indépendamment
de sa moralité individuelle et des méthodes qu'il prendra pour
l'atteindre, son objectif essentiel, c'est le profit maximum.
Le Président (M. Séguin): A l'ordre, on va laisser
terminer le pelletage de charbon, si vous voulez, pour deux ou trois minutes.
Je profite de l'interruption pour souligner que j'ai omis de mentionner parmi
la liste des membres, M. Bédard (Montmorency).
M. Daoust: Comme le secteur est insécure parce
qu'instable, il sera plus porté que d'autres employeurs à prendre
des raccourcis: économiser sur la qualité des matériaux,
économiser sur les mesures de sécurité, réduire les
effets du décret, acheter les consciences syndicales ou
gouvernementales, etc..
Le travailleur, lui, recherche une certaine stabilité d'emploi,
un revenu décent, des conditions de vie et des conditions de
sécurité physique raisonnables. Il sait que tout cela est
menacé quotidiennement et qu'il ne peut l'obtenir et le conserver seul.
Il sait que seul un syndicalisme fort et vigilant peut le défendre
contre toutes les tares de l'industrie.
L'urgence des situations, l'insécurité
généralisée et la violence patronale l'empêchent de
regarder d'aussi près qu'un travailleur oeuvrant dans un secteur
économique stable à la qualité de vie démocratique
de son syndicat et au comportement individuel de ses dirigeants. Il demande
surtout à ces derniers de savoir se battre. Il souhaite que ce soit le
plus honnêtement possible. Mais lorsqu'il apprend que des accrocs
sérieux sont faits à la moralité, il ne se scandalise pas
toujours avec la même intensité qu'un autre travailleur. Quand on
a quotidiennement sous les yeux des crapules patronales qui peuvent en toute
légalité mettre sa vie en danger; quand on expérimente
quotidiennement le viol de ses droits fondamentaux: droit au travail, droit
à des conditions humaines, droit à un revenu stable; quand on
constate quotidiennement la complaisance gouvernementale et judiciaire à
l'égard de ces brutalités patronales; quand on apprend que les
plus proches collaborateurs du premier ministre ont été
mêlés à du favoritisme et à du traffic d'influence;
quand on voit la famille du premier ministre compromise dans des histoires de
patronage et des conflits d'intérêts flagrants; quand enfin, on
est baigné dans un système économique où la notion
de profit passe avant toute autre chose, on est peut-être moins
ému en apprenant que certains des nôtres ont tiré profit de
la situation.
L'erreur du juge Cliche a été d'ignorer cette toile de
fond et de se limiter à trier les gens entre crapules et honnêtes
citoyens. Il a ignoré les intérêts collectifs
contradictoires qui génèrent ces comportements moraux,
inacceptables. Il a conçu l'industrie de la construction comme un
amalgame d'individus ayant au départ des droits et des pouvoirs
égaux.
Il s'agit là d'un humanisme naïf et dangereux. On refuse de
voir que les individus font partie de groupes sociaux opposés, certains
aux commandes de l'économie qui leur profite, d'autres tentant de
minimiser par leur force collective les conséquences désastreuses
du fonctionnement de cette économie.
En s'obstinant à ne voir que les bons et les méchants,
sans rechercher les causes sociales de leur comportement, on projette l'image
d'une société où pour employer les termes du juge
Cliche les valeurs morales se dégradent. On ouvre la voie ensuite
à l'action des rénovateurs de la morale qui, pour employer
les termes de Jérôme Choquettedoivent démontrer un
leadership extrêmement vigoureux, sans aucun compromis.
Paradoxalement, l'humanisme naïf et presque sympathique du bon juge
appelle le totalitarisme froid et effrayant du ministre de la police.
Plusieurs facteurs conditionnaient et limitaient au départ le
travail de la commission Cliche: le type de preuve bâtie par la
police et comprenant des masses de renseignements puisés quasi
exclusivement du côté syndical;
Le choix qu'a fait par la suite la commission de faire une enquête
de type judiciaire, en misant de façon jamais égalée
jusque-là sur les media et le sensationnalisme qui les
caractérisent, lorsqu'ils traitent de "faits divers"; le genre de
conseillers et d'enquêteurs dont ils furent entourés, aucun d'eux
n'ayant une connaissance pratique du secteur de la construction, sauf deux
personnes venues du monde patronal, aucun d'entre eux non plus n'ayant une
expérience de la lutte syndicale dans le secteur de la construction; le
refus conséquent de la commission de consacrer du temps à
discuter rationnellement des causes de la violence, des conditions propres
à l'industrie, des problèmes fondamentaux de cette industrie et
du réalisme de ces recommandations avec les parties
intéressées.
A partir de là, pas étonnant que plusieurs de ces
recommandations rayent d'un trait de plume des droits collectifs. Toutes les
mesures ayant pour effet de retirer du champ de la négociation des
acquis syndicaux (délégués, sécurité
physique, étiquette syndicale, statuts des contremaîtres
salariés et le reste), toutes les suggestions retirant aux parties le
contrôle de leurs affaires (office de la construction, placement
syndical, sécurité physique, formation professionnelle,
qualification) toutes les suppressions de libertés loi 30
sont autant de manifestations dans cet esprit "bon en-tentiste" candide qu'a
imprimé la commission à
ses travaux: "Chassons les crapules", quitte à tuer les syndicats
qu'ils contrôlent, les "honnêtes gens" s'entendront bien
ensuite.
Le type de recommandations qui en résulte a pour effet direct
d'encarcaner, jusqu'à la nier, la force syndicale sans réduire en
rien la force patronale. Les mesures touchant le monde patronal (dont le bill
33) n'entravent en rien sa capacité de faire des profits. Pas plus
qu'elles ne les empêcheront de perpétuer l'instabilité
économique avec tout ce qu'elle entraîne d'abus. Le syndicalisme
ainsi matraqué pourra-t-il continuer à assumer son rôle de
chien de garde devant cette catégorie particulièrement cupide
d'employeurs? Les travailleurs, privés de leur instrument de
défense légale, ne vont-ils pas chercher ailleurs les moyens
d'empêcher la machine économique de la construction de les broyer?
Les modes d'actions qu'ils choisiront ne risquent-ils pas alors de mettre
davantage en cause la paix industrielle et sociale si chère au
gouvernement libéral?
C'est à tout cela que nous vous demandons de
réfléchir. Nous ne réclamons pas de vous que vous
endossiez les objectifs syndicaux ou que vous écrasiez la force
patronale. Nous connaissons trop les contingences et les attachements propres
au parti au pouvoir. Nous vous demandons seulement de ne pas céder
à la tentation totalitaire. Nous vous demandons de ne pas marquer
d'illégalité toute lutte collective pour la protection et
l'accroissement des droits collectifs.
Ceux dont la conception de l'ordre passe par l'écrasement des
structures légales de défense collective présument un peu
vite de la capitulation des travailleurs. Ceux qui chérissent avant tout
l'ordre doivent savoir que les travailleurs québécois posent
comme prérequis à la paix, la justice sociale. Ceux qui
l'ignorent risquent de subir sous peu un réveil
désagréable.
C'est avec l'espoir que vous voudrez bien vous pencher sur les
conséquences profondes des recommandations de la commission Cliche que
nous vous présentons ce mémoire. Nous n'avons pas d'autre
intention que de donner une première réaction à ces
recommandations. Nos positions sont, bien sûr, basées sur des
principes liés à notre conception de la lutte syndicale, mais
elles s'inspirent surtout de la connaissance pratique exceptionnelle que nos
syndicats ont acquise dans ce secteur particulier de l'économie
québécoise.
Nous suivrons, pour ce faire, l'ordre des recommandations de la
commission, quitte à y intégrer des commentaires plus
généraux, au fur et à mesure. Nous joignons aussi à
ce mémoire des copies du mémoire que nous vous remettions
à la commission Cliche, en septembre dernier: Le droit au travail. Vous
y trouverez une analyse factuelle qui aurait pu servir de base à un
débat de fond sur les réformes de l'industrie. Le ton et
l'information du mémoire convenaient évidemment mal au battage
publicitaire dont s'entourait déjà la commission. Le juge Cliche
et ses collègues préférèrent donc, dès le
départ, dans leurs conversations avec ceux qui leur présentaient
le mémoire comme d'ailleurs lors des témoignages
d'André Desjar- dins et de Louis Laberge de croiser le fer sur la
criminalité qu'ils qualifiaient de systématique et voulue par la
FTQ.
Nous reprenons dans le présent mémoire les recommandations
que nous faisions alors, mais nous souhaitons que les législateurs
voudront aussi prendre connaissance de l'analyse qui les soustendait.
Démocratie syndicale et le droit d'exister. Contrairement
à la commission, nous ne croyons pas que le garant de la
démocratie syndicale doive être le gouvernement. Nous nous
opposons à l'obligation à l'incorporation, (no. 1) parce
qu'es-sentiel'ement, nous croyons que l'existence d'un regroupement
émane de lui-même et non d'une sanction législative. Les
juristes occidentaux s'entendent généralement pour affirmer que
la personnalité civile n'est pas une création de la loi, mais
qu'elle appartient en principe à tout groupement pourvu d'une
possibilité d'expression collective pour la défense de ses
intérêts légitimes.
Tout travailleur a droit d'appartenir à l'Association de
travailleurs de son choix et toute association de travailleurs ou syndicat non
incorporé tire son existence ou son souffle de vie, du groupement
même de ses membres réunis pour la poursuite de buts communs.
C'est au mouvement syndical de déterminer les modalités de
son fonctionnement. Loin d'être en désaccord avec toutes les
mesures de consultation démocratique (de 2 à II des
recommandations), la FTQ se donnait à son congrès de I97I des
principes d'action régissant le vote de grève. L'immense
majorité de ses affiliés s'y conforment, comme ils sont
d'ailleurs périodiquement renseignés sur l'utilisation de leu s
fonds. Cependant, ce sont les travailleurs eux-mêmes qui, selon leur
conception propre et selon les circonstances dans lesquelles ils se trouvent,
décident des modes de consultation auxquelles ils veulent
participer.
Dès les premières pages de son rapport, la commission
indique le style simpliste qu'elle va prendre. Pour justifier l'incorporation
obligatoire des syndicats, elle parle des accrocs à la
démocratie, saute aux statuts des plombiers, conclut qu'il nie des
droits fondan.entaux des travailleurs et s'appuie sur un texte d'experts du
Bureau international du travail dont elle ne donne pas la
référence exacte qui semble décrire comme
acceptable l'inhabilité à occuper des fonctions.
Il s'agit là ou bien d'un travail d'amateurs ou bien d'une
mauvaise foi grossière. Se scandaliser du fait que les statuts d'un
syndicat priviligient les recours internes plutôt que les recours
légaux, c'est assumer un peu vite que la démocratie syndicale
n'existe pas, et que les tribunaux sont impartiaux. On affirme
cavalièrement, par la suite, que tout ceci constitue une atteinte au
droit fondamental que possède tout citoyen de demander justice aux
tribunaux, surtout que le recours syndical s'exerce obligatoirement à
l'assemblée syndicale qui se tient aux USA.
On oublie que les membres québécois des syndicats
internationaux sont membres de plein droit de ces syndicats, qu'ils participent
par voie de délégation au congrès où s'amendent les
sta-
tuts, qu'ils peuvent s'y faire entendre et que rien n'oblige que les
assemblées générales ou congrès soient tenus aux
Etats-Unis.
Là où les commissaires y vont un peu fort, c'est
lorsqu'ils soutiennent que plusieurs syndicats internationaux posent comme
principe que leurs statuts et règlements ont préséance sur
les lois du pays. Il s'agit là d'une affirmation fausse: au contraire,
la plupart des constitutions ou statuts des syndicats internationaux
spécifient que les lois du pays où ils s'appliquent ont
priorité. L'exemple puisé dans la constitution des plombiers et
cité par la commission est bien mal choisi. Il est clair que lorsqu'on y
parle de "laws conflicting with the constitution", il s'agit de
règlements locaux, décidés au niveau d'une section locale
et non des lois du pays.
Lorsque la commission justifie ensuite les mesures d'inhabilité
en reproduisant un texte du BIT, elle va plus loin dans l'effronterie. Le
Canada, qui signe peu de conventions internationales du BIT, a signé, le
23 mars 1972, la convention 87 sur les libertés syndicales et la
protection du droit.
Nous reproduisons en annexe le texte complet de cette convention. Des
recherchistes de l'Université du Québec à Montréal
ont pointé du doigt cette convention et des commentaires d'experts du
BIT, bien vérifiables ceux-là. Dans le rapport de la 58e session
(1973). Conférence internationale du travail, rapport III, partie 4 b)
"liberté syndicale et négociation collective", au paragraphe 92
de la page 39, on lit notamment, après un exposé des faits qui
ressemble à celui reproduit par la commission à la page 19 de son
rapport de la conclusion suivante, très curieusement oubliée par
la commission Cliche: "On peut considérer que les condamnations pour les
délits qui ne sont pas tels que l'exercice correct de fonctions
syndicales soit mis en danger ne devraient pas constituer des motifs
d'inéligibi-lité et que les dispositions légales qui
interdiraient l'exercice de telles fonctions à toute personne qui a des
antécédents judiciaires, quels qu'ils soient, ne seraient pas
compatibles avec la convention."
Le Québec fait encore partie du Canada, pays libéral
d'occasion, qui se donne de temps à autre un visage progressiste sur le
plan international. Si le gouvernement du Québec veut appliquer les
mesures proposées par la commission Cliche, il doit faire pression sur
le gouvernement d'Ottawa pour qu'il dénonce la convention 87 et s'excuse
de l'avoir signée par erreur. En effet, une simple lecture de ce texte
nous fait constater que: l'incorporation obligatoire, la ratification
obligatoire des statuts des syndicats par le lieutenant-gouverneur en conseil
le mode d'acceptation ou de rejet des conventions collectives les
inhabilités à exercer des fonctions syndicales, la mise en
tutelle par l'Etat de quatre syndicats la présomption de
culpabilité, toutes ces mesures violent les articles 2, 3, 4, 7 et 8 de
la convention internationale
Quelques citations des textes d'experts, reproduites à la suite
de la convention en annexe, vous éclaireront à ce sujet.
La commission montre son peu de souci des droits collectifs lorsqu'elle
recommande, sans nuance, la protection des dissidents. A première vue,
on est évidemment sympathique à ce travailleur qui, exprimant des
points de vue inacceptables à l'établissement syndical est
déchu de ses droits syndicaux et vomi hors de l'industrie. La
commission, qui a constaté certains accrocs à la liberté
syndicale, en conclut qu'il faut interdire à un groupe de décider
collectivement de sévir contre un dissident, même si ce dernier va
à l'en-contre des intérêts collectifs.
Il est déjà prévu au décret qu'aucun
travailleur ne peut être privé de son droit au travail pour avoir
violé les statuts et les règlements de son association, sauf au
cas où il a refusé de payer le montant de sa cotisation
syndicale.
Dans cette perspective, il y a lieu de concilier les besoins de
cohésion et de solidarité des membres de l'association par
rapport au refus individuel de participer à l'action collective. Pas
plus qu'un travailleur ne peut être tenu de participer à une
action collective, pas plus le syndicat ne peut être tenu d'accepter dans
ses rangs les personnes qui refusent de participer aux activités de
l'association. Ainsi perçu, le droit à la dissidence devrait
être sanctionné par la sauvegarde du droit au travail des
dissidents, mais non pas dans l'obligation pour les associations syndicales de
maintenir dans leur rang des dissidents.
Nous sommes d'accord sur les recommandations suggérant que les
statuts définissent clairement les responsabilités des
administrateurs et des dirigeants syndicaux chargés de la gestion
financière soient tenus de souscrire un cautionnement.
La commission, qui fut mise en présence de personnes (un nombre
très restreint de responsables syndicaux) au comportement inadmissible,
a très vite cédé à la tentation totalitaire. En
effet, certains gestes posés par ces personnes s'appa-rentant à
ceux de criminels et certaines personnes mêlées aux actes de
violence ayant eu des démêlés antérieurs avec la
justice, les commissaires ont cru éliminer le mal à sa source en
suggérant que tous ceux qui seraient reconnus coupables d'une
série de délits seraient décrétés inhabiles
à exercer des fonctions syndicales.
Cette mesure excessive ne peut être expliquée par la preuve
présentée à la commission. La thèse voulant que le
syndicalisme soit passé aux mains de la pègre dans le secteur de
la construction n'a jamais été prouvée autrement que par
des analogies, des insinuations, des preuves de caractère et des
interprétations rapides de gestes, de comportements et de relations. Le
chapitre sur "le système et ses appuis" est et cet effet un
chef-d'oeuvre de mise en accusation romancée. S'inspirant largement de
conversations téléphoniques et du témoignage bien
rémunéré de l'indicateur André Renaud, on dresse un
tableau d'ensemble qui assimile au même phénomène le
"shylocking", la vio-
lence physique, l'intimidation, l'extorsion, les débrayages et
les luttes intersyndicales. Comme il s'agit uniquement d'un problème de
comportement moral pour les commissaires, ils croient s'attaquer au coeur du
problème en écartant de leurs postes ceux que la justice a
frappés. Le juge et ses collègues oubliaient sans doute qu'ils
ont aussi affirmé au cours des audiences publiques que l'immense
majorité des agents syndicaux étaient honnêtes.
En lisant le rapport, on a l'impression que toute motivation syndicale
est assujettie aux bénéfices personnels de quelques puissants
caïds.
Nous avons reproduit en annexe une liste d'agents d'affaires vous
indiquant leur provenance, leur qualification professionnelle, le temps qu'ils
ont passé dans l'industrie. Vous constaterez que ce sont des
travailleurs de la construction qui vivent dans cette industrie et travaillent
à la défense des intérêts collectifs des
travailleurs, non pas à la gloire personnelle de quelque méchant
dirigeant.
Les commissaires n'ont pas inventé les mesures qu'ils proposent
à la recommandation 12. Pour retracer leur origine, il faut refaire un
bien triste historique. Ils ont copié quasi intégralement la loi
Landrum-Griffin adoptée aux Etats-Unis en 1959. Cette dernière
fut rédigée à la suite d'une enquête de deux ans au
cours de laquelle les phénomènes de corruption et de violence
physique en milieu ouvrier furent étudiées. On était
encore mal sorti du McCarthyisme et de la lutte antisubversive, puisque
l'inhabilité à exercer des fonctions frappait aussi les
communistes. Cette dernière interdiction devait, quelques années
plus tard, être jugée anticonstitutionnelle par la cour
Suprême des Etats-Unis. Notons que la durée des interdictions
prévues était de cinq ans. Des lois semblables avaient
été adoptées aux USA en 1947, aux belles heures de la
chasse aux sorcières et au Québec par le gouvernement Duplessis
en 1954, mais elle visait surtout les communistes. En 1957, le gouvernement de
Terre-Neuve, dirigé par Joey Small-wood, à la suite d'une
grève des bûcherons, adoptait une loi affectant les dirigeant
syndicaux ayant commis certains délits. M. Smallwood que personne
n'oserait qualifier de progressiste a lui-même fait abroger cette loi
discriminatoire
Comme pour la mise en tutelle, ces mesures s'inspirent d'une philosophie
totalitaire qui consiste à frapper tout le monde pour toucher quelques
coupables, plutôt qu'à tenter de prendre les coupables en risquant
d'en échapper quelques-uns.
Cette conception étroite, qui s'inspire d'une justice punitive, a
été vite doublée par la droite au ministère de la
Justice du Québec: Dans la loi 30, on a allongé la liste des
délits, on a indiqué que l'inhabilité pour certains
délits serait éternelle, on a prévu des
pénalités graves (de $100 à $1,000 par jour d'infraction
et/ou deux ans d'emprisonnement) et on s'apprête à adopter le
projet de loi 24 qui étend à tous les secteurs couverts par le
code du travail, les mesures d'inhabilité.
Le gouvernement a joyeusement ajouté les délits de
méfaits, voies de fait simple et intimidation.
Une connaissance pratique de la conjugaison de l'action patronale et
policière en période de conflit, nous indique que ces ajouts sont
taillés sur mesure pour faciliter des "frame-up". Il suffira d'une
bousculade provoquée volontairement par des scabs ou des agents de
sécurité pour qu'un délégué un peu trop
revendicateur soit accusé de voies de fait, reconnu coupable et rendu
inhabile à exercer des fonctions syndicales pendant cinq ans.
Les débrayages récents dans différents secteurs et
les accusations qui sont systématiquement portées ensuite nous
indiquent quelle définition les policiers et les juges donnent à
l'intimidation: toute incitation verbale et pacifique au débrayage est
mise dans le même sac que les menaces de violence physique. Quant aux
méfaits, l'expérience pratique qui nous enseigne aussi comment
une égratignure sur une auto, un carreau brisé, etc.. sont des
méfaits faciles à fabriquer et comment les juges sont faciles
à convaincre dans le contexte actuel, que tout accusé
relié à l'action syndicale est un fier-à-bras.
Un communiqué émis par la Sûreté du
Québec au lendemain des débrayages de solidarité à
United Aircraft parle carrément de "fiers-à-bras"
appréhendés, lorsqu'il s'agissait en fait de militants de
l'alimentation, des postes, du textile, etc., des personnes de tous âges,
des deux sexes, jamais mêlées dans le passé à des
actions violentes et ayant un poids moyen bien inférieur à celui
des agents de la paix.
De telles déclarations, que les journaux reproduisent sans
sourciller, indiquent un peu comment la présomption de
culpabilité s'est d'ores et déjà installée dans les
faits, lorsqu'il s'agit d'activités syndicales.
La loi 30 officialise d'ailleurs cette injustice en renversant, dans le
cas de grèves illégales et de ralentissements de travail
illégaux, toute la tradition légale occidentale. La
présomption de culpabilité contrevient au paragraphe f) de
l'article 2 de la Déclaration canadienne des droits qui dit: "Toute loi
du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du Canada ne déclare
expressément qu'elle s'appliquera nonobstant la Déclaration
canadienne des droits, doit s'interpréter et s'appliquer de
manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l'un
quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés
aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou
la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit
s'interpréter ni s'appliquer comme (...) f) privant une personne
accusée d'un acte criminel du droit à la présomption
d'innocence jusqu'à ce que la preuve de sa culpabilité ait
été établie en conformité de la loi, après
une audition impartiale et publique de sa cause par un tribunal
indépendant et non préjugé, ou la privant, sans juste
cause, du droit à un cautionnement raisonnable;"
Loin de rétablir la paix industrielle, cette mesure incitera les
travailleurs, exaspérés par des conditions de travail
intolérables, à employer des méthodes moins
disciplinées et moins ouvertes
que la cessation du travail. Elle encouragera de plus les dirigeants
à renoncer à toute responsabilité dans des situations
conflictuelles, faisant place à l'action spontanée et clandestine
de ceux qui refuseront l'injustice.
Nous dénonçons la phisolosphie répressive qui
inspire la loi 30 et nous vous demandons de retirer cette loi dans les plus
brefs délais.
Quant à la recommandation 13, si elle nous est inacceptable parce
qu'elle implique l'incorporation préalable des syndicats, elle n'est pas
contraire à notre position sur les conflits d'intérêts.
Nous croyons cependant qu'il faudrait préciser la notion de
"marché" et la notion de "membres délégués".
Finalement, nous nous demandons un peu comment un gouvernement dont le parti au
pouvoir est tellement embourbé dans des conflits d'intérêts
pourrait devenir la police de la moralité publique.
La FTQ a souvent soutenu que le pluralisme syndical instauré en
1969 par la loi 290 avait eu comme conséquence directe de nier le droit
à la négociation, des salariés de la construction. En
effet, dans notre régime de relations industrielles axé sur la
signature de contrats collectifs, la cohésion des parties est
essentielle pour que des accords soient possibles. La commission Cliche semble
l'avoir compris partiellement puisqu'elle a recommandé un monopole
patronal aux recommandations 34 et suivantes.
Elle n'a cependant pas jugé bon d'appliquer les mêmes
règles au monde syndical. Nous avons démontré les
conséquences néfastes de pluralisme syndical dans le secteur de
la construction. Les associations syndicales regroupant les salariés sur
des bases différentes, structures industrielles à la CSN, et
à la CSD; structure de métier à la FTQ, recrutent des
catégories de travailleurs différents, plus
spécialisés, plus mobiles et donc, plus permanents à la
FTQ, ayant développé des philosophies de négociation
différentes au cours des années, l'enlignement sur des
priorités et des revendications communes est très difficile.
Si l'on ajoute à cela la concurrence dans l'emploi
provoquée par l'instabilité extrême de l'industrie,
situation qui ne pourra pas être corrigée à court et moyen
terme, on peut facilement parler d'un pluralisme néfaste.
Nous avons décrit dans le Droit au travail, comment le droit
à la négociation s'en trouvait compromis, jusqu'à
l'adoption de la loi 9. Nous avons signalé que c'est grâce
à une syndicalisa-tion massive de la FTQ et aux négociations qui
s'ensuivirent que le gouvernement fut forcé de
légiférer.
Nous avions décidé, dans le document
présenté aux commissaires de ne pas insister sur le monopole
syndical, le bill 9 nous satisfaisant pour l'instant. Nous sommes forcés
maintenant de réaffirmer la nécessité du monopole pour
deux raisons:
I) parce que la commission recommande de poser comme préalable
à la négociation et à la signature d'ententes une
représentativité syndicale de 75%, des trois-quarts. Dans un tel
contexte, il faudrait, aux associations représentatives, ou bien
acquérir une majorité écrasante contraire à la
philosophie du pluralisme, ou bien faire des fronts communs impensables dans le
contexte de concurrence syndicale décrit plus haut; 2) le contexte de
répression, le salissage public généralisé, les
restrictions imposées par la loi vont rendre extrêmement
difficile, sinon impossible, l'acquisition d'une majorité aussi forte et
peuvent théoriquement favoriser la venue de nouvelles associations
représentatives rendant encore plus illusoire la cohésion des
organisations syndicales.
Nous réclamons donc que le gouvernement institue un vote
d'allégeance syndical à l'issue duquel une association syndicale
représentative se verrait dotée d'un monopole de
représentation pour la négociation du prochain décret et
pour toute sa durée. A l'expiration de chaque décret, un grand
vote d'allégeance pourrait être à nouveau tenu,
garantissant la liberté de choix des salariés de la
construction.
Nous croyons qu'un tel monopole de représentation
rétablirait le rapport de force entre les parties, permettrait de
s'attaquer efficacement au contingentement de la main-d'oeuvre et permettrait
à l'association de salariés choisie par les travailleurs comme
représentative, de mettre à leur disposition sur une base
permanente, des services, des équipements de formation et d'information,
qui ne pourraient qu'entraîner une plus grande participation à la
vie syndicale et, par voie de conséquence, un développement accru
de la démocratie syndicale.
Le système de recrutement, décrit aux recommandations I5
et suivantes, est un bel exemple de recommandations bâclées, qui
auraient gagné à être discutées avec les principaux
intéressés. On nous parle du remplacement du recrutement
proprement dit par une période de sensibilisation hors du milieu de
travail. Il ne faut pas connaître beaucoup le milieu ou n'avoir pas
réfléchi longtemps pour en arriver là. En prenant cette
recommandation au pied de la lettre, on ferait de la sensibilisation en milieu
de travail pendant trois ans moins trente jours! Dans le secteur de la
construction, le contact direct avec le travailleur sur le chantier et la
diffusion d'informations écrites au travail sont les seuls moyens
efficaces de les mettre au courant de la vie syndicale et de leurs droits.
Quant à la substitution du recrutement par un enregistrement (17)
secret (temporairement secret, puisqu'en communiquant ensuite aux syndicats
leurs listes de membres, ils sauront qui a voté pour eux), il s'agit,
là encore, d'une intrusion dans les relations des syndicats avec leurs
membres. Le geste d'adhérer et le geste de recevoir une adhésion
sont deux gestes libres posés par des gens supposément
dotés de la liberté d'accepter ou de refuser de poser ces
gestes.
En suggérant de sortir le statut et les fonctions du
délégué du champ de la négociation, les
commissaires et les rédacteurs de la loi 30 affichent encore le
mépris qu'ils ont à l'égard des droits collectivement
acquis. Les travailleurs de la construction ont dû faire des sacrifices
en négo-
ciation, pour arracher, après de longues années, aux
employeurs cet instrument de défense qu'est le
délégué.
Nous vous référons aux pages 51 à 54 du document Le
droit au travail pour que vous preniez conscience du rôle des
délégués syndicaux sur les chantiers de construction.
Certes, la commission a démontré que des abus de pouvoir
étaient commis par certains d'entre eux. La FTQ n'a pas affiché
alors et n'affiche pas plus maintenant de complaisance à l'égard
de ceux qui veulent faire servir, à des fins personnelles, la force
syndicale.
Cependant, la connaissance que nous avons du milieu nous indique que ces
abus proviennent de deux causes principales qu'on ne corrigera pas en retirant
du champ de la négociation le statut des délégués
et en décrétant qu'ils seront désormais élus
plutôt que nommés par le syndicat: 1)tentatives patronales de
corruption; 2) le nombre subitement accru de nouveaux
délégués inexpérimentés.
Nous prétendons que les mesures sévères
prévues aux recommandations 46 et 47 n'élimineront pas la
corruption patronale. Elles rendront plus prudents, voire plus habiles les
agents patronaux chargés d'acheter des consciences, elle
n'enlèvera pas aux compagnies le goût d'économiser sur la
sécurité des travailleurs ou sur les bénéfices
prévus au décret. Pour satisfaire leur faim de profit, les
compagnies vont continuer à tenter d'acheter des silences et des
complaisances de la part de ceux qui sont chargés de faire respecter les
droits des travailleurs. Nous reviendrons là-dessus lorsque nous
parlerons plus loin des comportements patronaux.
Quant à l'inexpérience des délégués,
elle sera corrigée par la formation intensive des
délégués entreprise par la FTQ bien avant l'ouverture des
travaux de la commission, par des discussions avec les employeurs sur une
définition plus complète du rôle des
délégués et par l'adoption d'un code d'éthique du
délégué sur lequel les syndicats de la FTQ ont
déjà donné un accord de principe.
La proposition de la commission de soumettre les
délégués à des votes sur chaque chantier, en plus
d'en multiplier le nombre et d'en rendre difficile la formation, va faire en
sorte qu'ils seront le reflet d'un rapport de force parcellaire, chantier par
chantier. Comme la loi spécifie que sept travailleurs pourront
élire le premier délégué et qu'il en faudra 50
autres pour en élire un second, il est fort probable que l'unique
délégué sur une multitude de chantiers sera un
"company-man" docile et "bonententiste" à qui l'employeur pourra passer
toutes les entorses au décret et aux règles de
sécurité physique.
Je vais demander à Guy Dumoulin de continuer pour seulement
quelques pages, afin de me donner le temps de boire un peu.
M. Dumoulin (Guy): D'ailleurs, à ce niveau, les
recommandations de la commission laissent entendre que le
délégué n'aura plus de rôle à jouer dans la
surveillance du respect des règles de sécurité. La
tradition syndicale sur les chantiers de construction a toujours fait du
délégué un chien de garde efficace des conditions de
sécurité. Donner en exclusivité la responsabilité
de cette préoccupation à un office gouvernemental nous
paraît un recul.
Le nombre d'heures consacrées aux activités syndicales, le
nombre de délégués permis, la définition de leurs
tâches, le processus de leur nomination, tout cela doit continuer de
faire l'objet de négociations entre les parties. Voilà une raison
pour laquelle nous réclamons le retrait de la loi 30.
Nous sommes aussi en désaccord avec la commission et le
législateur qui interdisent la conclusion d'ententes entre employeurs et
syndicats, permettant aux travailleurs de refuser d'installer du
matériel. Nous croyons que les commissaires ont eu le tort d'assimiler
à du chantage et de l'extorsion une mesure qui ne vise qu'à
dissuader les employeurs d'éliminer dans la construction des emplois
remplacés par du "cheap labour" en atelier. Les commissaires ont
été émus par les pauvres employeurs pris à la gorge
par les méchants syndicats. Ils ne semblent pas s'être
interrogés une seconde sur les conséquences massives du
phénomène de la fabrication en atelier.
Dans tous les secteurs industriels, les travailleurs ont le
réflexe légitime de se protéger contre des changements
technologiques décidés par d'autres, pour les
intérêts exclusifs des compagnies et à des rythmes
désastreux pour la main-d'oeuvre. Dans tous les secteurs industriels,
les travailleurs tentent de se protéger contre l'utilisation de
main-d'oeuvre à bon marché effectuant des travaux relevant
normalement de leurs fonctions.
Songerait-on à qualifier d'extorsion les clauses de convention
collective portant sur les contrats à forfait? On ne se scandalise pas
que tel syndicat de journalistes prévoie des pénalités
frappant leur employeur, lorsqu'il embauche des pigistes. On trouve normal que
des employés municipaux fassent dédommager ceux des leurs qui
auraient été remplacés par les employés d'un
entrepreneur privé effectuant des travaux normalement faits par eux.
Dans la construction, des revendications légitimes et des gains normaux
ont été assimilés à des activités quasi
criminelles par les commissaires.
Nous vous demandons simplement de reconsidérer la situation en
relisant le mémoire à ce sujet préparé par la
section locale I44 des plombiers. Nous prétendons que la commission n'a
pas su regarder froidement les arguments qui y sont développés et
que le législateur a appliqué un peu rapidement les
recommandations du rapport.
La FTQ a déjà exprimé ses positions sur les
tutelles gouvernementales imposées à trois de ses syndicats de la
construction. Nous considérons ces tutelles illégitimes parce que
l'enquête de la commission n'en a pas démontré la
nécessité.
Elle a, tout au plus, identifié dans ces syndicats un nombre
restreint de dirigeants au comportement inacceptable. Ils ont tous
quitté les postes qu'ils occupaient et rien dans la preuve de la
commission ne justifie l'abolition des droits fondamentaux des membres de ces
syndicats.
Les tâches fondamentales des syndicats ne sont pas d'ordre
administratif. Elles consistent à faire vivre et à
accroître la solidarité des travailleurs pour lutter contre le
patronat. Nous ne croyons pas que des tuteurs syndicalement
inexpérimentés et nommés par un gouvernement lié au
monde patronal puissent assumer la globalité du mandat que le
gouvernement leur donne dans la loi 29.
Les pouvoirs décrits par la loi sont démesurés et
contraires au but officiellement recherché. Ainsi, la capacité
qu'ont les tuteurs gouvernementaux d'amender les statuts, de faire fi de toutes
les instances démocratiques du syndicat sous tutelle, vont à
l'encontre de la vie démocratique qu'on dit rechercher. Comment peut-on
imaginer que quelqu'un qui n'a pas à répondre de son mandat aux
membres d'un syndicat répondra davantage à leurs aspirations
qu'un dirigeant élu?
Nous ne reconnaissons aucune compétence à des gens
détenant des mandats gouvernementaux quand il s'agit de "promouvoir
l'épanouissement d'une véritable vie syndicale" et "d'assurer la
formation" des permanents syndicaux et des délégués de
chantier.
Depuis décembre 1974, la FTQ s'est vu confier par un
congrès spécial du Conseil provincial des métiers de la
construction, un mandat de tutelle. Le 24 avril dernier, nous rendions public
un document intitulé "Une tutelle pour renforcer". Nous avons cru bon de
le joindre au présent mémoire. Vous y verrez un bref bilan du
travail accompli, les objectifs poursuivis et les projets de réformes en
cours.
Nous croyons qu'une réforme, pour être profonde et durable,
doit s'effectuer en mettant à contribution toutes les forces vives du
mouvement, plutôt qu'en paralysant toutes les énergies et en
suspendant le fonctionnement démocratique des syndicats. Si la tutelle
de la FTQ n'a pas donné lieu aux gestes spectaculaires que certains
réclamaient, ce n'est pas par complaisance, c'est par justice et
honnêteté. C'est aussi parce que nous avons tenu à assumer
toutes les tâches quotidiennes du syndicalisme, trouvant plus urgent de
nous attaquer à la racine des malaises décrits par la
commission.
Avec ou sans les tutelles gouvernementales, nous allons continuer ce
travail. Nous demandons au gouvernement de retirer la loi 29 dans les plus
brefs délais et de mesurer les conséquences de tous ces gestes
sur le travail d'assainissement et de réforme qu'effectue
présentement la FTQ. Les "décapitements" en série, les
gels de fonds, les suspensions d'assemblées peuvent, selon leur
intensité, affaiblir ou entraver gravement la vie d'un syndicat, ils ne
la réforment pas.
Nous nous opposons à l'abolition du statut du contremaître
salarié. Une connaissance pratique de ses fonctions faisait
sûrement défaut à la commission, lorsqu'elle a
recommandé son exclusion. Nous résumons ici les principales
raisons qui militent en faveur de son maintien dans l'unité de
négociation:
Son rôle pratique a toujours été centré sur
l'organisation du travail plutôt que sur la discipline;
La loyauté qu'il doit à son syndicat et à son
employeur n'est pas plus concurrentielle que celle de tout travailleur
appelé à fournir une somme de travail;
L'instabilité de l'industrie fait qu'il passe
régulièrement du statut de simple salarié à celui
de chef d'équipe ou de contremaître salarié et qu'il ne
suffit pas qu'il recouvre son droit au service de placement pour ne pas perdre
d'avantages. En effet, le non paiement de ses cotisations syndicales
entraînera sa destitution de son union, le non paiement des prestations
sociales le privera d'avantages sociaux et il n'accumulerait souvent pas, en
tant que salarié, le nombre d'heures requises pour jouir de la
préférence d'emploi, dans l'éventualité de la mise
en place du système de placement proposé par le rapport de la
commission;
Le nombre de travailleurs disponibles pour accomplir des fonctions qui
entraînent autant de désavantages serait réduit;
L'embauche de contremaîtres salariés qualifiés
deviendrait difficile, parce que personne n'aurait plus une connaissance exacte
de leurs qualifications spécifiques, dans le cadre de tel ou tel
métier;
Les employeurs ont déjà tendance à déformer
la fonction de contremaître et à en faire un homme à tout
faire, payé à forfait.
Exemple: les nombreuses plaintes assermentées portées par
des travailleurs contre des employeurs oeuvrant sur l'autoroute est-ouest. Ces
derniers les payaient parfois $175 par semaine, sans aucun
bénéfice marginal. Le retrait du statut de contremaître
salarié au décret permettrait tous les abus contre ce travailleur
soudain privé des recours, quoique soumis à la même
insécurité que l'ensemble de la main-d'oeuvre de la
construction.
Soucieux de rétablir l'équilibre dans le système de
relations industrielles et de redonner une certaine cohésion aux
associations patronales, les commissaires proposent l'unification des
associations patronales. Cette recommandation est d'autant plus
étonnante que l'on refuse d'autre part d'envisager l'unification des
forces syndicales, en vertu cette fois d'un principe de liberté de choix
qui n'est appliqué dans aucun autre secteur industriel.
On continue de favoriser la réduction de la force et de la
cohésion syndicale. Ce double stan-dard, qui dicte l'analyse de la
commission, est un autre exemple du déséquilibre dans le rapport
de force auquel l'application de l'ensemble de ses recommandations aboutirait
nécessairement. Le plus court chemin vers la "justice sociale" serait-il
celui qui passe par l'écrasement de l'une des parties en
présence?
Cette association unique, fonctionnant pour fins de négociation
sur la base des trois secteurs (industriel, commercial et domiciliaire)
d'activité, serait en pratique, une vaste tour de Babel, regroupant du
petit entrepreneur construisant un bungalow de banlieue jusqu'à celui en
charge d'un chantier de 2,000 travailleurs, en passant par
la nuée de sous-entrepreneurs et gérants de projet de tout
acabit.
Si cette diversité nous préoccupe à ce point, c'est
que nous songeons aux victimes de cette réunification: les
travailleurs.
Il nous semblerait relever d'une saine démocratie que les
entrepreneurs qui ont mis en jeu des sommes plus considérables et
embauchent des centaines de travailleurs se voient reconnaître une voix
au chapitre proportionnelle à leur importance objective. Car les
commissaires, en s'inspirant des principes, louables sous d'autres cieux, mais
non pertinent ici, "un homme, un vote", veulent, en pratique, donner le
contrôle de cette association patronale à la multitude de petits
entrepreneurs, ceux-là mêmes qui font des apparitions souvent
très rapides dans l'industrie de la construction. Ils n'enlèvent
pas non plus le droit de vote à tous ces membres d'associations
patronales qui n'ont aucun employé et qui jouissent d'un droit de vote
illégitime en matière de relations de travail.
La très grande majorité des entrepreneurs sont petits et
n'ont aucune politique d'aucune sorte si ce n'est celle du profit
maximum la plupart d'entre eux, comme le soulignait le rapport sur
l'instabilité cyclique dans l'industrie de la construction, ne
s'étaient pas même fixé d'objectifs en tant
qu'entrepreneurs; encore moins, en ont-ils en matière de relations
industrielles.
Voilà donc à qui l'unification donnerait le pouvoir
véritable en matière de négociation du côté
patronal.
La FTQ estime, quant à elle, que toute formule de
réunification ou regroupement patronal devrait nécessairement
tenir compte, dans l'attribution des droits de vote, du nombre de travailleurs
à l'emploi des divers entrepreneurs ainsi que de leur chiffre d'affaires
respectif. Toute autre formule irait, pour nous, contre les
intérêts des travailleurs, qui veulent négocier avec leurs
véritables partenaires et non de minuscules et fugitifs figurants, et
serait de plus illusoire.
Si le gouvernement devait suivre l'avis des commissaires, c'est notre
conviction que le processus même de la négociation s'en trouverait
entravé, car les gros entrepreneurs continueraient de se cacher
derrière la majorité des entrepreneurs exploitant des chantiers
d'envergure réduite, et d'entériner des offres patronales bien
au-dessous de leur réalité propre et inacceptables pour le
mouvement syndical.
Nous sommes d'accord sur les recommandations des commissaires à
ce chapitre. La FTQ s'est d'ailleurs déjà prononcée en
faveur du projet de loi 51 et nous continuons de demander son adoption. Nous
avons déjà exprimé, à maintes reprises, notre
insatisfaction, face à la situation actuelle, qui place, virtuellement,
les travailleurs dans la plus grande insécurité.
M. Daoust: M. Maurice Pouliot.
M. Pouliot (Maurice): Suivant les recommandations 46 et 47, la
loi 30 frappe de pénalités égales le corrupteur et le
corrompu et elle parle, comme s'ils étaient égaux, d'agent
patronal et d'agent syndical. Là réside toute l'illusion des
commissaires: lorsqu'on disqualifie un dirigeant syndicat, on porte un coup
à la structure et on affaiblit la force syndicale; il n'en va pas de
même des agents patronaux qui agissent au profit de compagnies puissantes
qui, elles, ne seront pas pénalisées autrement que par des
amendes souvent rentables si l'on tient compte des enjeux dans le
secteur et par la disqualification de leurs hommes de main les plus
malhabiles.
L'agent syndical qui accepte un pot-de-vin, agit pour des fins
personnelles contre les intérêts de ceux qu'il représente.
Lorsqu'il est pris il est méprisé et rejeté par son
milieu. L'agent patronal qui offre le pot-de-vin agit au nom
d'intérêts patronaux et tente d'accroître la liberté
de manoeuvre de la compagnie qu'il représente. Cette dernière ne
sera pas prise parce que, comme le disent les commissaires, "seul un naïf
pouvait penser retracer ces montants dans une colonne intitulée
"pots-de-vin". Les commissaires qui reconnaissent que "la recherche de profit
est la règle dujeu", que les employeurs trouvent souvent
"leur compte" à la corruption et qu'ils ont une
crédibilité aussi faible que les syndicalistes corrompus, ne
peuvent s'empêcher de s'émouvoir sur le sort de ces pauvres
compagnies victimes de chantage et d'extorsion. Ils assimilent même
à de l'extorsion des sommes touchées à des fins
collectives en vertu des clauses sur l'étiquette syndicale. Ils ne
croient bon de réclamer aucune tête patronale, ni le retrait
d'aucun contrat gouvernemental à des compagnies qu'ils ont reconnues
coupables d'avoir budgété la corruption. La mise en tutelle des
syndicats d'un côté, des amendes et des pénalités
individuelles de l'autre.
L'impartialité apparente des mesures frappant corrupteurs et
corrompus cache l'injustice et ne corrige pas la racine du mal. Les
commissaires font encore preuve d'un humanisme naff lorsqu'ils affirment qu'il
"est beaucoup moins honéreux de verser des pots-de-vin que de se donner
la peine de rencontrer les travailleurs, de dialoguer avec eux et de tenter de
comprendre leurs difficultés et d'y remédier" Ils devraient
préciser que si les employeurs préfèrent les pots-de-vin
au dialogue, ce n'est pas parce qu'ils sont insouciants ou paresseux
intellectuellement, mais parce qu'il est payant d'acheter des silences sur
l'irrespect des conditions de travail et de sécurité
physique.
Depuis plusieurs mois, les parties patronales et syndicales travaillent
à un projet de réforme des structures de la Commission de
l'industrie de la construction (CIC). Les grandes lignes des changements
projetés ont été livrées aux commissaires lors des
audiences publiques par le président de la CIC, Fernand Morin. Ce
dernier a indiqué que les lacunes administratives qui avaient pu
être constatées, tant sur le plan des dépenses qu'au niveau
des politiques d'embauche, allaient être corrigées par les
réformes entreprises.
La FTQ refuse la formation d'un office de la construction qui retire aux
parties la gestion et l'administration paritaire de l'organisme chargé
d'administrer le décret. Aujourd'hui, nous sommes en mesure d'affirmer
que la presque totalité des
parties s'entendent sur le fonctionnement et les normes auxquels on
devrait assujettir la CIC. Les associations patronales, la FTQ et la CSN
réclament aussi le maintien d'un organisme paritaire, administré
en totalité par les parties. Seule la CSD, qui représente 5% des
travailleurs, est dissidente parce que depuis le début elle
réclame une régie d'état. Les positions de la
majorité des parties sont identiques quant à la gestion du
Comité des avantages sociaux de l'industrie de la construction, CASIC.
Il appartient aux parties en cause d'administrer et de décider de
l'utilisation des fonds considérables qui convergent dans ces
régimes d'avantages sociaux.
Nous admettons cependant que la CIC soit présidée par un
juge nommé par le gouvernement et habilitée à trancher les
questions en litige lorsque le jeu des doubles votes majoritaires, patronaux et
syndicaux, ne permet pas que des décisions importantes soient
prises.
La FTQ s'est plainte à plusieurs reprises de
l'inefficacité de la formule de grief prévue au
décret.
Cette procédure, comme l'utilisation des tribunaux civils par le
contentieux de la CIC, à cause de la nature spécifique de
l'industrie de la construction, perpétue des injustices. Nous pensons
corriger ces lacunes en instituant des recours justes et efficaces
décrits à la recommandation II du mémoire Le droit au
travail, page 70.
Toutes les mesures visant à regrouper au sein d'une instance
spécialisée les pouvoirs décisionnels quant aux poursuites
contre les employeurs qui violent le décret, toutes les mesures visant
à rendre plus compétentes, plus rapides, plus efficaces les
décisions sur les litiges survenant dans l'application du décret
et à en élargir le champ sont évidemment accueillies avec
satisfaction par la FTQ comme la simplification et la reformulation des lois et
règles s'appliquant dans l'industrie de la construction.
Nous voulons cependant exprimer des réserves: nous croyons que
les questions de juridiction de métier doivent être
discutées entre les parties elles-mêmes. Les statuts du Conseil
provincial des métiers de la construction (FTQ) prévoient un
comité spécial chargé d'étudier les divers aspects
des conflits de juridiction et les trancher. A la suite d'une décision
de ce comité, si une partie se sent lésée, il pourra avoir
appel auprès d'une personne spécialisée dont les jugements
seraient finals et exécutoires. La très longue expérience
des syndicats des métiers de la FTQ qui, au fur et à mesure que
la technologie de l'industrie évolue, discutent du partage des
juridictions et concluent des ententes, doit continuer à être mise
à contribution. Un effort supplémentaire pourrait être fait
en formant un comité de travail mixte chargé de rédiger
les bases techniques du partage des juridictions.
Nous souhaitons aussi que des personnes spécialisées
entendent et décident des litiges ayant trait à l'hygiène,
la sécurité et aux conditions de vie sur les chantiers.
Nous sommes évidemment en désaccord sur la
présomption de culpabilité recommandée par les
commissaires et intégrée à la loi 30. Il s'agit là
d'une mesure d'injustice et répressive peu propice à assurer des
relations de travail saines. Il en va de même de l'interdiction de
retirer des plaintes pénales. Il s'agit là d'une intransigeance
judiciaire qui élimine des relations patronales-syndicales cette
souplesse si nécessaire lorsqu'il s'agit de désamorcer des
tensions.
Enfin, nous croyons qu'on ne tient pas compte du caractère
mouvant et instable de l'industrie de la construction en restreignant au
décret les accords salariaux entre employeurs et salariés. Les
besoins de main-d'oeuvre spécialisée et les conditions
particulières variées dans lesquelles s'effectuent les diverses
constructions forcent employeurs et salariés à rajuster parfois
les ententes générales conclues par les associations
représentatives.
C'est pourquoi la FTQ a toujours considéré les conditions
prévues au décret comme des conditions générales
minimales visant à assurer une équité et une justice
généralisées aux travailleurs de la construction, quels
que soient la région ou le secteur particulier du bâtiment qui les
embauche. Toute entente particulière en deçà de ces
conditions générales devrait être permise pour permettre
à des groupes particuliers de jouir de bénéfices
adaptés aux conditions spécifiques dans lesquelles ils
oeuvrent.
Nous savons que si cette recommandation inclue dans la loi 30 est
respectée à la lettre, certains employeurs verront leur type
d'activités désertées par les travailleurs.
Nous vivons dans un système d'entreprise libre où le jeu
de l'offre et la demande prévaut. Le non-respect de cette règle
du jeu capitaliste, que ni les commissaires ni le gouvernement ne mettent en
cause, risque de décourager le perfectionnement des travailleurs et
l'accroissement de leur productivité, pourtant si chère au parti
au pouvoir.
M. Oaoust: Les commissaires se sont dits, tout au long de leur
rapport, préoccupés par la restauration de la démocratie
syndicale. Nous croyons que de telles intentions passeront dans la
réalité lorsqu'il sera possible pour les travailleurs de
défendre à l'intérieur d'une structure unique leurs
intérêts collectifs. Nous rappelons donc notre revendication de
monopole syndical, seul régime capable de contrebalancer
décemment la force patronale et d'enrayer la concurrence néfaste
qui sévit dans la construction.
Cependant, nous croyons que le régime de
représentativité actuellement en vigueur dans le secteur de la
construction est un moindre mal. La commission vient cependant le
détruire par sa recommandation 71. Dans un contexte de pluralité
et de concurrence syndicale, d'instabilité économique et, par
conséquent, d'instabilité de la main-d'oeuvre (des taux de
roulement atteignant plus de 20% par année), l'exigence d'une
majorité de 75% pour que soit entreprise et conclue une
négociation constitue une négation pratique du droit à la
négociation. Une ou plusieurs parties syndicales ou patronales
pourraient, si elles réunissent une proportion de 26%, empêcher la
conclusion d'accords.
Nous avons déjà réclamé que des tables
sectorielles de négociation par métier puissent être
formées pour permettre la négociation de particularités
spécifiques à chacun d'entre eux. La division des tables
suggérée par la commission est arbitraire et ne s'inspire
d'aucune étude sérieuse.
Les sous-divisions de la table centrale devraient être
décidées par les parties, le législateur se contentant de
reconnaître la légalité de ces niveaux de
négociation. La recommandation 74 est inacceptable au même titre
que la recommandation 54. Nous sommes par contre en accord avec la
recommandation 75 qui retire au ministre du Travail des pouvoirs d'exception
niant le droit à la négociation.
Les commissaires ne semblent pas avoir mesuré parfaitement les
conséquences de la recommandation 78. La formation d'une unité de
négociation fourre-tout sur les chantiers isolés et
l'introduction de la notion de pluralisme syndical dans le code du travail
constituent des propositions irréalistes. Ont-ils songé que, sur
des chantiers comme celui de la baie James, on trouvera entre autres des
professeurs, des employés de soutien de commissions scolaires et des
employés d'hôpitaux déjà régis par des
conventions collectives négociées provincialement avec le
gouvernement? Ont-ils songé aux difficultés d'application du
pluralisme syndical dans un contexte où les divergences
d'intérêt sont aussi nombreuses? Nous croyons cette recommandation
irréaliste et invitons le gouvernement à l'ignorer.
Nous recommandons aussi d'ignorer la recommandation suivante, 79, les
conditions particulières des travailleurs du verre plat militant en
faveur du maintien d'un décret séparé pour eux.
Nous regrettons qu'une commission d'enquête dotée de moyens
aussi importants n'ait pas fouillé davantage le problème de la
sécurité physique sur les chantiers de construction. On aurait
probablement constaté entre autres que l'insécurité
généralisée, si elle entraîne des coûts
sociaux exorbitants, est très souvent rentable à court terme pour
les employeurs de la construction. On aurait peut-être par la suite
envisagé des mesures plus draconiennes à l'égard des
employeurs irresponsables qui assassinent les travailleurs sur les
chantiers.
Nous sommes d'accord les trois premières recommandations,
à quelques détails près. Relativement à la
formation professionnelle, il faudrait prévoir l'obligation pour les
journaliers de suivre une session d'information pratique sur la
sécurité au travail, ces travailleurs n'ayant pas à
s'engager dans quelque cours de formation professionnelle que ce soit.
La surveillance préventive sur les chantiers. Nous sommes
d'accord avec les commissaires pour insister sur l'aspect de la
prévention des accidents, qui, par le passé, a été
trop négligée. Nous appuyons la recommandation concernant les
agents de sécurité permanents, mais nous nous opposons
formellement à ce que ces agents gouvernementaux soient les
maîtres exclusifs de l'application des mécanismes de
surveillance.
Les délégués de chantier doivent acquérir le
pouvoir de faire interrompre les travaux jusqu'à ce que les correctifs
nécessaires aient été apportés et de surveiller les
installations de façon générale.
Il est d'autant plus essentiel pour nous que les
délégués de chantiers soient de façon
complémentaire habilités à appliquer le code de
sécurité, que le rapport Cliche n'accorde des agents permanents
de sécurité que sur les chantiers employant 125 travailleurs ou
davantage.
Or, les statistiques révèlent que la plupart des accidents
sont survenus sur des chantiers inférieurs à cette norme. Les
délégués de chantier devraient recevoir une formation
intensive, en matière de sécurité, aux frais de
l'employeur.
Seuls les délégués peuvent assurer une permanence
de surveillance stricte sur les chantiers. Il n'y a pas moins de danger pour
cinq ou dix monteurs d'acier de structure travaillant sur un chantier de
cinquante hommes que s'ils travaillaient sur un chantier de 126 hommes.
L'année dernière, dans ce seul métier, quatorze
travailleurs ont trouvé la mort sur les chantiers au Québec.
Nous faisons aussi remarquer que la norme des 125 travailleurs ne
coïncide pas nécessairement avec celle déjà
prévue au code de la construction du Québec, qui stipule qu'un
agent de sécurité doit être affecté à tout
chantier impliquant une mise de fonds de $5 millions ou plus.
Quant à la recommandation 87, nous appuyons la commission au
niveau de la nécessité de confier à un organisme unique la
responsabilité de la surveillance de l'application du code de la
construction. Nous estimons toutefois que la CIC, avec son service
d'inspection, devrait assumer cette responsabilité; son
expérience en ce domaine, son personnel déjà formé,
sont autant d'arguments militant en ce sens.
Cette responsabilité devrait être sans équivoque, de
façon à éviter toute confusion de juridiction comme c'est
actuellement le cas.
Nous approuvons sans réserve l'ensemble des recommandations 88,
89 et 90 qui visent à identifier clairement les premiers responsables en
matière de sécurité.
Nous avons déjà indiqué notre accord de principe
avec la recommandation d'un tribunal spécialisé pour oeuvrer dans
le secteur de la construction. Nous insistons sur la nécessité de
doter ce tribunal de mécanismes de fonctionnement adéquats qui
permettent l'audition très rapide des causes ayant trait à la
sécurité. Une mauvaise interprétation ou application du
code de sécurité peut coûter des vies. Il ne faudra pas
hésiter à doter cet organisme d'un personnel nombreux et
expérimenté. En ce sens, il nous semblerait nécessaire de
régionaliser dans une certaine mesure les opérations du tribunal,
et donc d'appointer un commissaire-enquêteur spécialisé,
par région économique.
Relativement à la recommandation 93, nous voudrions la pousser
une peu plus loin en réclamant l'instauration d'un véritable
système de mérite et de démérite englobant, lequel
système couvrirait dans son application l'ensemble des recommandations
en matière de sécurité dirigées vers les
entrepreneurs et serait assorti de pénalités
allant jusqu'à l'interdiction de mettre en oeuvre des travaux.
Les opérations de formation et de prévention devraient être
soumises au système de points.
Quant aux recommandations 92 et 94, nous les approuvons sans
réserve, à condition que la définition de ces infractions
les limite aux délits mineurs, ne mettant pas la vie des travailleurs en
danger.
Les chantiers éloignés. Nous comprenons bien que les
commissaires ne pouvaient pas accumuler une série de détails
techniques dans leurs recommandations concernant les chantiers
éloignés. Nous voudrions toutefois rappeler trois grand principes
qui compléteraient à nos yeux les recommandations du rapport.
Les conditions matérielles de vie sur les chantiers
éloignés devraient être soumises à la
négociation préalablement à l'ouverture des chantiers, et
le résultat de la négociation devrait être
sanctionné par un règlement ministériel. Il serait
possible au conciliateur d'être présent lors de ces
négociations et aucun chantier éloigné ne devrait
être mis en oeuvre avant qu'une entente ne soit intervenue sur les
conditions de vie. Cette revendication n'enlève toutefois pas, pour
nous, la pertinence des recommandations 96 et 97 sur la réglementation
gouvernementale des conditions de vie minimales. De même, les questions
couvertes par les recommandations 99 et 100 devraient être
négociées. Le respect des ententes ainsi conclues serait
assuré par la procédure des griefs et d'arbitrage et par
l'autorité judiciaire, le cas échéant.
Nous voudrions aussi qu'il soit bien clair que les dispositions
spéciales prévues pour les chantiers isolés devraient
être étendues à tout chantier qui inclut un campement.
Enfin, pour tout ce qui concerne l'organisation des loisirs sur les
chantiers éloignés, un pouvoir décisionnel devrait
être remis à un comité mandaté par les travailleurs
de chaque chantier, et les spécialistes en loisirs devraient travailler
sous la supervision de ce comité.
La politique de main-d'oeuvre: une analyse rapide. Le rapport Cliche
escamote à notre avis plusieurs dimensions importantes de la discussion
sur une politique de main-d'oeuvre dans la construction. Nous regrettons que
les recommandations des commissaires témoignent d'une analyse
parcellaire de la réalité.
La question de la planification économique en est une qui
préoccupe à juste titre le mouvement syndical; l'industrie de la
construction est, de son côié particulièrement fluctuante
et il s'avère effectivement impérieux de considérer la
possibilité de planifier les grands travaux. Cette
nécessité deviendrait pressante si les parties décidaient
de négocier une formule de sécurité du revenu pour les
vrais travailleurs de la construction. Le laisser-faire total qui
prévaut en cette matière pourrait rapidement mettre en
péril tout régime éventuel de sécurité du
revenu. Il serait en effet très plausible qu'une période
d'expansion assez prolongée amène une croissance des effectifs de
la main-d'oeuvre dans la construction et donc des travailleurs éligibles
aux prestations; si un ralentisse- ment des travaux de construction venait par
la suite, la caisse de sécurité du revenu pourrait fort bien
s'assécher rapidement. Il est donc de première importance que la
main-d'oeuvre s'accroisse de façon régulière et soit
étroitement reliée aux besoins économiques réels
à long et à moyen terme.
Nous ne pouvons donc qu'endosser le principe du bloc de recommandations
concernant la planification des travaux de construction mis en oeuvre par le
secteur public. Cet endossement appelle cependant une réserve
importante. Même si nous sommes dépourvus et c'est
visiblement le cas aussi des commissaires et des corps publics de
statistiques précises sur le poids exact des investissements publics
dans le secteur de la construction, ainsi que sur la proportion des
investissements fédéraux et provinciaux, on peut affirmer, sans
risque d'erreurs, qu'il est illusoire de planifier si l'on passe à
côté du pouvoir décisionnel fédéral.
Et nous touchons ici le coeur du problème: toute
velléité planificatrice des autorités
québécoises, en supposant que telle volonté existe, se
bute en pratique au problème constitutionnel. Le Québec peut-il
sedoterd'une politique d'emploi, s'il ne possède pas les leviers
économiques nécessaires, c'est-à-dire la maîtrise
absolue de la politique fiscale et financière, de la politique
d'immigration, de la politique budgétaire et douanière, des
politiques d'investissement, et le reste?
Nous avons déjà exprimé notre conviction que telle
chose était impossible.
Nous croyons donc que des recommandations concernant la planification
des travaux publics répondent non seulement à un besoin
réel, mais à une analyse rapide, et ne constituent donc qu'une
réponse partielle aux problèmes qu'il faut ici résoudre.
Sans doute l'OPDQ, une fois dotée de mécanismes de cueillette
d'informations statistiques qui nous font grandement défaut à
cette heure, une fois mis en place des liens fonctionnels entre l'organisme
gestionnaire d'une éventuelle caisse de sécurité et ses
structures propres, serait l'organisme le plus apte à établir des
calendriers de travaux et des plans quinquennaux; mais cette aptitude ne
s'exercerait que dans un cadre étriqué, et ne toucherait qu'une
partie des investissements publics.
Nous nous interrogeons sur la portée exacte de la recommandation
104 concernant la législation qui découlerait des travaux de
l'OPDQ et du Conseil du trésor; si chaque recommandation fragmentaire de
l'OPDQ devait être sujette à discussion par l'Assemblée
nationale, comme le libellé peut le laisser croire, il s'agirait d'une
procédure beaucoup trop lourde.
Nous avons fréquemment émis des réserves
importantes sur l'opportunité et le bien-fondé des politiques de
subventions des gouvernements, qui sont autant de cadeaux non
mérités, non rentables et distribués en l'absence de toute
politique planificatrice. A court terme toutefois, nous ne pouvons pas
désapprouver la recommandation 107 concernant la mise sur pied d'une
politique incitative fondée sur ces politiques de subventions et de
pri-
vilèges fiscaux. Mais nous nageons encore en pleine
absurdité dans la mesure où le Québec n'a pas un
contrôle absolu en la matière. Nous ne connaissons pas l'impact
précis des subventions, des prêts originant d'organismes publics,
des privilèges fiscaux; nous savons seulement qu'en l'absence de
collaboration et de planification interne entre les deux niveaux de
gouvernement, il s'agit encore ici d'une recommandation illusoire.
Nous recommandons donc pour notre part la création d'un
comité interministériel fédéral-provincial
chargé de planifier les travaux initiés directement par des
organismes publics ainsi que de planifier l'ensemble des mesures incitatives
à l'endroit des travaux privés, dans le cadre des programmes et
plans définis par l'OPDQ. A long terme, nous croyons qu'il faudrait
considérer la possibilité d'un dirigisme plus considérable
de la part des autorités gouvernementales, lequel dirigisme pourrait
prendre la forme d'une émission provinciale de permis de construction,
parallèlement au système de permis municipaux, qui ne
répond qu'à des critères d'urbanisme. Au contingentement
de la main-d'oeuvre doit correspondre le contingentement des travaux et leur
répartition sur des périodes assez longues pour stabiliser
l'industrie.
Les victimes désarmées. La FTQ a souvent décrit
l'insécurité d'emploi et la concurrence de main-d'oeuvre qu'elle
entraîne comme la source principale des phénomènes de
violence et de corruption qu'on retrouve dans le secteur de la construction.
Les travailleurs sont les victimes de cette situation qu'entraîne un
régime économique anar-chique, uniquement assujetti aux exigences
de profit du capital privé.
Les travailleurs savent qu'ils ne peuvent pas compter sur les
gouvernements à cause de l'asservissement des partis politiques qui les
contrôlent. Bien plus, dans le secteur particulier de la construction,
les gouvernements ont jusqu'ici contribué à rendre encore plus
instable l'économie. Préoccupés qu'ils sont des exigences
électorales, ils utilisent fréquemment les projets publics de
construction comme des arguments de vente, insouciants des conséquences
économiques parfois désastreuses.
Le contrôle partiel du placement par les syndicats devient donc un
acquis important pour les salariés. Il leur permet de combattre les
effets de l'instabilité de l'industrie en favorisant le placement des
"vrais travailleurs" de la construction. Il s'agit là d'une arme
imparfaite, mais unique, que la commission leur retire au profit d'un
système sur ordinateur contrôlé par l'Office de la
construction.
Nous croyons qu'un tel service ne pourra jamais rencontrer les avantages
que garantissaient aux travailleurs leurs propres bureaux de placement: a)
l'importance accordée au facteur humain: On peut y tenir compte de
l'âge du travailleur, de la difficulté des travaux, de ses
capacités physiques permanentes ou temporaires, de ses
éventuelles allergies, de sa capacité ou de son incapacité
à travailler en hauteur, dans certaines condi- tions climatiques, dans
des régions éloignées, et de multiples facteurs qui ne
sont peut-être pas énumérés ici. b) La connaissance
des spécialités multiples à l'intérieur de sa
qualification professionnelle. Des métiers comportent huit ou dix
spécialités et certaines d'entre elles n'ont aucune similitude.
Des travailleurs, ayant des connaissances théoriques sur l'ensemble de
leur qualification, n'ont une connaissance pratique que d'une partie de leur
métier et préfèrent se cantonner dans un type donné
de travaux; c) La souplesse des bureaux de placement syndicaux, capables de
répondre à des urgences de tout genre sept jours par semaine,
vingt-quatre heures par jour, 52 semaines par année. Lorsque
surviennent, par exemple, des explosions dans des raffineries, que des
bouilloires ou des réservoirs sautent, lorsque des réparations
urgentes doivent être effectuées, les bureaux de placement
syndicaux, qui ne sont pas embourbés dans la bureaucratie des services
gouvernementaux, répondent rapidement aux demandes. d) Le placement
à l'extérieur du Québec, dans les autres provinces, aux
USA et dans le reste du monde, devra continuer de s'effectuer. Dans des
périodes de chômage important, comme nous risquons d'en
connaître après l'euphorie des années 1975 et 1976, le
placement extérieur prend l'allure d'une soupape fort importante pour le
marché du travail québécois.
Nous comprenons mal que la commission, qui a surtout constaté des
anomalies, du favoritisme et de la corruption dans le système
gouvernemental de placement, abolisse le placement syndical et remette la
totalité de cette responsabilité à un office
contrôlé par l'Etat. Pour nous, le placement syndical est un droit
acquis qui gagnerait à être généralisé. Nous
formulions la proposition suivante dans "Le droit au travail":
Que l'acquisition et la protection du droit au travail soient
assurées par les mesures suivantes: a) Obtention par les bureaux de
placement syndicaux de la juridiction exclusive du placement dans le secteur de
la construction; b) Publication, par les organismes syndicaux impliqués
dans le placement, des règlements et critères de fonctionnement
de leurs bureaux; c) Gel immédiat de la main-d'oeuvre autorisée
à travailler dans le secteur de la construction. Cette main-d'oeuvre
serait constituée exclusivement des membres de chaque centrale syndicale
véritablement en règle au moment de l'adoption de cette mesure.
Chacune des centrales serait tenue de publier une liste complète de ses
membres; d) Formation d'un comité conjoint chargé
d'évaluer les besoins en main-d'oeuvre et d'émettre sur une base
temporaire des cartes de "droit au travail". Ce comité ne permettra
l'émission de nouvelles cartes permanentes que lorsqu'il aura fait la
preuve que les besoins à long terme de l'industrie le justifient; e)
Mise sur pied d'un comité interministériel
fédéral-provincial devant tenter de planifier l'injec-
tion de capitaux publics dans le secteur de la construction et devant
informer le comité conjoint de ses projets.
Nous recommandons aussi, que les commissaires-enquêteurs puissent
disposer, en plus du pouvoir de statuer sur des problèmes relatifs aux
mouvements de main-d'oeuvre congédiement, mise à pied,
embauchage et suspension du pouvoir de trancher les conflits relatifs au
placement. Ainsi, tout salarié ou tout travailleur croyant avoir
été lésé par les opérations de placement
aurait un recours rapide et exécutoire.
La commission Cliche, à propos du placement, comme de bien
d'autres activités propres au secteur de la construction, a
assimilé les pressions exercées parfois contre certains
employeurs via les bureaux de placement, à du chantage et de
l'intimidation. Si le placement syndical a été quelquefois
utilisé comme une arme, c'est que l'abus des employeurs n'était
soumis à aucun contrôle. Les fraudeurs de tout acabit, qui
disparaissent avec les salaires et les bénéfices marginaux des
travailleurs pour réapparaître sous de nouvelles raisons sociales,
ne recevaient que la monnaie de leur pièce en se faisant refuser de la
main-d'oeuvre. Il en était de même pour certains employeurs qui
refusaient de respecter le décret ou les règles de
sécurité. Aujourd'hui, on invite les travailleurs qui sont
toujours les victimes d'un système anarchique à se
désarmer et à faire confiance aux ordinateurs. Qu'on leur
reconnaisse le droit de protester avant de mettre leur tête sur le
bûcher.
Sécurité du revenu. La FTQ croit qu'un régime juste
de sécurité d'emploi dans la construction devra être
complété par un système de sécurité du
revenu. Cependant, nous croyons qu'il appartient aux travailleurs de
décider à quel moment un tel système devient une
priorité de négociation. Lors des dernières
négociations, certains avaient exprimé le désir de
constituer des caisses de sécurité de revenu. Ils ont
été forcés de changer d'idée et de convertir en
salaire les fonds ainsi négociés. L'instabilité
économique générale, qui prend plus d'acuité dans
le secteur de la construction, jointe au phénomène de l'inflation
que nous connaissons bien, a convaincu les travailleurs que les régimes
à long terme sont fort coûieux à court terme.
Ils seraient plus facile à convaincre si leurs salaires
n'étaient pas continuellement rongés par l'inflation, si un vrai
régime de sécurité d'emploi s'instaurait et si une
certaine stabilité d'emploi était acquise. Dans un tel contexte,
les sacrifices à faire pour alimenter une caisse de
sécurité de revenu seraient moins onérejx.
Quoi qu'il en soit, nous trouvons curieux que la commission parle de
négociations alors qu'elle fixe elle-même le délai dans
lequel elles devraient se tenir et les limites à l'intérieur
desquelles elles devraient s'effectuer.
Ces précisions constituent pour nous une négociation du
droit à la négociation.
Consciemment ou non, la commission d'enquête sur l'exercice de la
liberté syndicale dans l'industrie de la construction a ouvert la voie
à une accélération de la répression. Elle a
été utilisée pour justifier l'adoption de mesures de
contrôle dont rêvent depuis longtemps les possédants d'ici,
mais surtout le capital étranger, qui risque gros chez nous. On donne
sur un plateau d'argent aux inspirateurs du rapport Fantus les garanties de
paix industrielle et sociale qu'ils réclament.
Pour y parvenir, on a réédité le coup de la Loi des
mesures de guerre, mais en plus raffiné. On a d'abord multiplié
les gestes de provocation répressive: Affrontement avec le front commun
dans le secteur public; emprisonnement des chefs syndicaux; poursuites
légales contre des centaines de grévistes, pourrissement des
conflits, injonctions.
Pendant ce temps, les politiciens reviennent à la charge, mettant
le doigt sur les conséquences dangereuses des troubles syndicaux sur
l'économie.
Dans le secteur de la construction, où l'on vit de façon
plus brutale l'instabilité économique et les rapports
patronaux-syndicaux, l'exaspération monte plus vite. Le gouvernement
n'agit pas sur les problèmes fondamentaux qui sont
l'insécurité d'emploi, l'insécurité physique, la
concurrence de main-d'oeuvre.
Très souvent, des conflits éclatent, des flambées
comme celle de la baie James, des luttes généralisées
comme celle pour l'obtention de l'indexation des salaires. La tactique
gouvernementale est toujours la même: Laisser pourrir, provoquer des
affrontements graves et répliquer par des mesures répressives qui
lui donnent l'allure du législateur énergique.
Ces mesures, la plupart du temps, étaient exceptionnelles. La
commission Cliche cristallisant avec les moyens qu'on sait l'image du
désordre, de la corruption et de la violence
généralisée, l'opinion publique est préparée
à recevoir de? mesures de contrôle permanentes.
Les commissaires sont d'autant plus utiles au pouvoir que, tout au long,
ils ont eu l'air de se porter à la défense des petits contre les
gros. Ils n'ont semblé rechercher rien d'autre que la paix, l'harmonie,
la fraternité entre les hommes enfin séparés des
"crapules".
Ceux qui préparent l'instauration d'un régime totalitaire
moderne au Québec n'eurent qu'à monter de quelques crans les
interventions réclamées par les commissaires et ils avaient entre
les mains des législations qui assurent une mainmise quasi totale de
l'Etat sur le syndicalisme.
Et ils n'ont pas fini. Après les loi 29 et 30, le projet de loi
24. D'autres suivront. A chaque fois, froidement, on vérifie
jusqu'où on peut aller trop loin.
Nous ne demandons pas aux membres de l'Assemblée nationale de
partager nos analyses et nos conclusions. Nous demandons seulement à
ceux qui veulent vraiment la paix sociale de ne pas se laisser endormir par
ceux qui leur promettent un monde harmonieux dans l'ordre et la soumission.
Cette paix serait hypocrite parce qu'elle présuppose le
piétinement de droits collectifs durement conquis. Elle serait hypocrite
parce qu'elle présuppose l'injustice. Nous demandons à ceux qui
recherchent la paix de ne pas couvrir de bons
sentiments les mesures totalitaires et dictatoriales de ceux qui
chérissent surtout le pouvoir.
Le Président (M. Séguin): M. Daoust, je
constate...
M. Daoust: Vous avez, dans les documents qui suivent
seulement deux mots les antécédents des gérants et
des représentants d'affaires de la plupart de nos syndicats. Il y a
peut-être des omissions ici et là. Elles ne sont pas dues au bill
30, mais elles sont dues à la rapidité avec laquelle on a
dû préparer le document qui vous est soumis. Vous y verrez le
nombre d'années que ces gens ont passé dans le métier et
le nombre d'années qu'ils ont comme représentant syndical.
Il y a des bonshommes qui ont 30 ans et même 40 ans de pratique
dans un métier et des dizaines d'années de pratique dans leur
syndicat.
A la toute fin, il y a cette loi que certains n'avaient peut-être
pas vue. Je m'excuse. Pas la loi, mais la convention 87 de l'Organisation
internationale du travail qui peut être un document de chevet pour
certaines personnes qui pourraient en faire leur utilité.
Je vous remercie beaucoup, M. le Président. Je vous remercie, M.
le ministre.
M. Cournoyer: C'est avec beaucoup d'intérêt et
d'attention que j'ai entendu la lecture du mémoire de la FTQ. Il y a un
certain nombre d'endroits où j'ai sursauté, je pense que vous
comprendrez. Ce n'est pas ma faute si cela ne marche pas. Il n'y a pas de
haut-parleurs ici? Ah! si on me l'avait dit. C'est parce qu'il n'y a pas de
haut-parleurs.
Il y a un certain nombre d'endroits où j'ai sursauté. Je
pense bien que c'est l'analyse la plus complète et totale possible que
la FTQ a faite en établissant son point de vue. D'autres ont
déjà établi leur point de vue devant cette commission.
Nous avons posé hier à la CSN, la compétitrice ordinaire
et habituelle de la FTQ, des questions; malheureusement, la CSN n'avait pas un
mémoire aussi précis et étayé que celui que vous
avez lu ce matin. Je pense bien que recommencer les questions que j'ai
posées hier à la CSN, compte tenu de la nature du mémoire
qui est ici, les réponses s'y trouvent déjà du
côté de la FTQ. Je ne crois pas qu'il y ait lieu de retourner et
de recommencer ces questions.
Quand je sursaute, c'est quand vous accusez le gouvernement d'une
tactique, toujours la même, laisser pourrir, provoquer les affrontements
graves, répliquer des mesures répressives qui lui donnent
l'allure du législateur énergique. Je sursaute alors. Je fais
partie de ce gouvernement et je constate que certaines lois ne font pas
l'affaire de tous les citoyens et que, par ailleurs, elles viennent au moins
régler un certain nombre de situations. La place où vous me
fatiquez le plus, c'est quand vous me dites que la loi 201 n'est pas bonne.
Là, vous m'avez énervé parce que, celle-là, la
dernière fois qu'on l'a utilisée, c'était quand même
pour régler un problème suscité par de l'inflation dans la
construction. Je ne peux pas dire que les gens de la FTQ en ont
été les victimes, mais certains travailleurs en ont certainement
bénéficié. Lorsque vous parlez de pourrissement des
conflits, je vous rappelle que le conflit majeur que nous avons eu
l'été passé a été l'objet de longues
discussions devant la commission Cliche et que, dans ce conflit en particulier,
il y a quelqu'un qui a utilisé le ministère du Travail à
ses propres fins, beaucoup plus que le ministère du Travail n'a
laissé pourrir le conflit de la construction. Je ne veux pas faire et
refaire d'histoire, mais je vous assure que dans le conflit de la construction,
si on parle toujours de négociation libre et qu'on dit qu'on a
signé une convention collective, ce que le ministre du Travail et son
ministère ont cherché, c'est de faire rouvrir la
négociation libre, et c'est devant l'impossibilité de
réussir que nous avons voté la loi 201. Si c'est une loi
répressive, je m'engage formellement si c'est, je le dis bien,
une loi répressive à la retirer, à la condition de
la remplacer par quelque chose de mieux, c'est-à-dire une volonté
de paix généralement retrouvée après que les lois
qui s'inspireront sans doute du rapport Cliche, auront été
votées.
Je n'ai pas d'autres questions à poser. C'était surtout un
commentaire que je me devais de faire et que je croyais utile dans les
circonstances.
Le Président (M. Séguin): Merci, M. le ministre.
Est-ce qu'il y a d'autres membres de la commission qui ont des questions?
Alors, je remercie les représentants de la... M. Daoust...
M. Cournoyer: Je peux dire une chose, le mémoire de la
FTQ, je tiens à vous dire que j'en tiendrai compte dans l'analyse du
rapport Cliche. Vous comprenez ce que je veux dire? Ce n'est pas une fin de
non-recevoir, je veux que ce soit compris que j'en tiendrai compte dans la
rédaction des lois qui doivent être déposées au
Parlement avant la fin de la présente session.
Le Président (M. Séguin): Je vous remercie M.
Daoust, ainsi que vos collègues de la fédération. La
commission ajourne ses travaux sine die.
(Fin de la séance à 12 h 53)