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Version finale

30e législature, 3e session
(18 mars 1975 au 19 décembre 1975)

Le jeudi 12 juin 1975 - Vol. 16 N° 134

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Etude des recommandations du rapport Cliche


Journal des débats

 

Commission permanente du travail,

de la main-d'oeuvre

et de l'immigration

Etudes des recommandations du rapport Cliche

Séance du jeudi 12 juin 1975 (Onze heures vingt minutes)

M. Séguin (président de la commission permanente du travail et de la main-d'oeuvre et de l'immigration): A l'ordre, messieurs!

Commission du travail et de la main-d'oeuvre et de l'immigration sur les recommandations du rapport Cliche, séance du 12 juin. Les membres de la commission pour la séance d'aujourd'hui sont: M. Bellemare (Johnson), M. Bérard (Saint-Maurice), M. Boudreault (Bourget), M. Burns (Maisonneuve), M. Charron (Saint-Jacques), M. Brown (Brome-Missisquoi), M. Cournoyer (Robert-Baldwin), M. Déziel (Saint-François), M. Harvey (Charlesbourg), M. Lachance (Mille-Iles), M. Lecours (Frontenac), M. Malépart (Sainte-Marie), M. Roy (Beauce-Sud), M. Verreault (Shefford). Le rapporteur est le même, comme pour nos séances précédentes, M. Boudreault (Bourget).

Nous entendrons ce matin le ou les représentants de la FTQ, la Fédération des travailleurs du Québec. M. le ministre.

M. Cournoyer: M. le Président, nous avons entendu deux centrales syndicales, les associations patronales ont décidé de ne pas venir. Je laisse immédiatement la parole à la Fédération des travailleurs du Québec qui a voulu se faire entendre et avec laquelle, d'ailleurs, nous avions convenu qu'il y aurait des auditions.

Fédération des travailleurs du Québec

M. Daoust (Fernand): M. le Président, messieurs les ministres, messieurs les députés, je voudrais en premier lieu vous présenter la délégation qui m'accompagne ce matin. M. Jacques Savage, Union des chaudronniers, M. Maurice Pou-Mot, local 144 des plombiers, M. Guy Dumoulin, président du Conseil des métiers de la construction, M. Roméo Nadeau des frigoristes, ainsi que différents confrères de travail venant de plusieurs syndicats de la FTQ-Construction.

Nous avons évidemment beaucoup à dire à l'égard des recommandations de cette commission d'enquête sur l'exercice des libertés syndicales dans l'industrie de la construction. Nous avons un mémoire qui contient la plupart de nos vues et, si vous me le permettez, je vais commencer par le lire, quitte à faire certains commentaires ici et là.

Au lendemain de la parution du rapport de la commission d'enquête sur l'exercice de la liberté syndicale dans l'industrie de la construction, nous avons fait quelques commentaires, nous attachant surtout aux droits et pouvoirs syndicaux qui étaient bafoués par ses principales recommandations.

Les commissaires ont imploré tout le monde de considérer leurs suggestions globalement, comme un tout et non comme une série de mesures indépendantes les unes des autres. Nous nous sommes livrés à ce genre d'exercice. C'était là un effort un peu naïf, parce que, pendant que nous nous adonnions à ces considérations académiques, le gouvernement québécois tirait du rapport les recommandations les plus oppressives pour le mouvement syndical, adoptait à la vapeur les projets de loi 29 et 30 et se préparait à déposer le projet de loi 24.

Dans cette perspective, la discussion ne peut être la même. Vous avez devant vous les parties dont le rapport de force est modifié en profondeur par les deux nouvelles lois. Il est illusoire d'entreprendre une étude rationnelle sur les réformes de l'industrie de la construction lorsque le mouvement syndical est déjà, dans son travail quotidien, assujetti à des restrictions, des contrôles et des menaces de représailles judiciaires telles que leur acceptation équivaudrait pour lui au suicide.

La mise en tutelle de trois de nos principaux syndicats regroupant plus du tiers du membership de la FTQ-Construction, les mesures rendant inhabiles à occuper des postes des gens coupables, entre autres, de méfaits, de voies de fait simple, d'intimidation et de complot, la présomption de culpabilité en cas de ralentissement ou d'arrêt de travail illégal, les restrictions imposées aux délégués de chantier et le retrait du champ de la négociation de tout ce qui les concerne sont autant d'entraves profondes à l'action syndicale, autant de facteurs majeurs qui débalancent le rapport de force en faveur du patronat de la construction.

On prétendait s'attaquer au banditisme, on enchaîne le mouvement syndical. On prétendait corriger des abus, on restreint la liberté de tous ceux qu'on prétend arbitrairement susceptibles d'en commettre. A ce niveau, la présomption de culpabilité n'est que la moins hypocrite d'une série de mesures contraires à toutes les traditions légales de ce qui reste de notre démocratie occidentale.

Le gouvernement peu à peu adopte des attitudes qui l'identifient aux régimes totalitaires, où les seules luttes syndicales possibles sont celles de la clandestinité.

Nous n'en sommes pas étonnés puisque depuis quelques années, le choix du gouvernement libéral, ses priorités législatives et les déclarations de ses principaux chantres, (Bourassa, Choquette, Saint-Pierre, Garneau) expriment l'intention de mettre au pas tout ce qui empêche la grande roue économique de tourner. On sait, depuis le rapport Fantus, qui a dicté cette mise au pas.

Nous ne nous présentons donc pas devant cette commission parlementaire avec le naïf espoir de mettre la main à la pâte en collaboration avec un gouvernement de bonne volonté, pour réformer l'industrie de la construction et en faire un milieu viable, où, comme en rêve le juge Cliche, tout le monde, employeurs, travailleurs, gouvernement" sont capables de trouver en eux de nouvelles raisons de travailler ensemble dans une paix retrouvée."

L'une des erreurs fondamentales de l'analyse à laquelle s'est livré le juge Cliche, réside dans cette croyance qu'il y a, qu'il suffit de multiplier le nombre d'honnêtes citoyens qui besognent durement et espèrent en des "lendemains qui chantent", pour que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes. "Les lendemains qui chantent" pour un entrepreneur en construction, ça n'a rien à voir avec "les lendemains qui chantent ' d'un travailleur.

Le premier veut faire la "piasse vite " et a, pour le faire, des matériaux de construction et de la main-d'oeuvre. Indépendamment de sa moralité individuelle et des méthodes qu'il prendra pour l'atteindre, son objectif essentiel, c'est le profit maximum.

Le Président (M. Séguin): A l'ordre, on va laisser terminer le pelletage de charbon, si vous voulez, pour deux ou trois minutes. Je profite de l'interruption pour souligner que j'ai omis de mentionner parmi la liste des membres, M. Bédard (Montmorency).

M. Daoust: Comme le secteur est insécure parce qu'instable, il sera plus porté que d'autres employeurs à prendre des raccourcis: économiser sur la qualité des matériaux, économiser sur les mesures de sécurité, réduire les effets du décret, acheter les consciences syndicales ou gouvernementales, etc..

Le travailleur, lui, recherche une certaine stabilité d'emploi, un revenu décent, des conditions de vie et des conditions de sécurité physique raisonnables. Il sait que tout cela est menacé quotidiennement et qu'il ne peut l'obtenir et le conserver seul. Il sait que seul un syndicalisme fort et vigilant peut le défendre contre toutes les tares de l'industrie.

L'urgence des situations, l'insécurité généralisée et la violence patronale l'empêchent de regarder d'aussi près qu'un travailleur oeuvrant dans un secteur économique stable à la qualité de vie démocratique de son syndicat et au comportement individuel de ses dirigeants. Il demande surtout à ces derniers de savoir se battre. Il souhaite que ce soit le plus honnêtement possible. Mais lorsqu'il apprend que des accrocs sérieux sont faits à la moralité, il ne se scandalise pas toujours avec la même intensité qu'un autre travailleur. Quand on a quotidiennement sous les yeux des crapules patronales qui peuvent en toute légalité mettre sa vie en danger; quand on expérimente quotidiennement le viol de ses droits fondamentaux: droit au travail, droit à des conditions humaines, droit à un revenu stable; quand on constate quotidiennement la complaisance gouvernementale et judiciaire à l'égard de ces brutalités patronales; quand on apprend que les plus proches collaborateurs du premier ministre ont été mêlés à du favoritisme et à du traffic d'influence; quand on voit la famille du premier ministre compromise dans des histoires de patronage et des conflits d'intérêts flagrants; quand enfin, on est baigné dans un système économique où la notion de profit passe avant toute autre chose, on est peut-être moins ému en apprenant que certains des nôtres ont tiré profit de la situation.

L'erreur du juge Cliche a été d'ignorer cette toile de fond et de se limiter à trier les gens entre crapules et honnêtes citoyens. Il a ignoré les intérêts collectifs contradictoires qui génèrent ces comportements moraux, inacceptables. Il a conçu l'industrie de la construction comme un amalgame d'individus ayant au départ des droits et des pouvoirs égaux.

Il s'agit là d'un humanisme naïf et dangereux. On refuse de voir que les individus font partie de groupes sociaux opposés, certains aux commandes de l'économie qui leur profite, d'autres tentant de minimiser par leur force collective les conséquences désastreuses du fonctionnement de cette économie.

En s'obstinant à ne voir que les bons et les méchants, sans rechercher les causes sociales de leur comportement, on projette l'image d'une société où — pour employer les termes du juge Cliche — les valeurs morales se dégradent. On ouvre la voie ensuite à l'action des rénovateurs de la morale qui, —pour employer les termes de Jérôme Choquette—doivent démontrer un leadership extrêmement vigoureux, sans aucun compromis.

Paradoxalement, l'humanisme naïf et presque sympathique du bon juge appelle le totalitarisme froid et effrayant du ministre de la police.

Plusieurs facteurs conditionnaient et limitaient au départ le travail de la commission Cliche: — le type de preuve bâtie par la police et comprenant des masses de renseignements puisés quasi exclusivement du côté syndical;

Le choix qu'a fait par la suite la commission de faire une enquête de type judiciaire, en misant de façon jamais égalée jusque-là sur les media et le sensationnalisme qui les caractérisent, lorsqu'ils traitent de "faits divers"; le genre de conseillers et d'enquêteurs dont ils furent entourés, aucun d'eux n'ayant une connaissance pratique du secteur de la construction, sauf deux personnes venues du monde patronal, aucun d'entre eux non plus n'ayant une expérience de la lutte syndicale dans le secteur de la construction; le refus conséquent de la commission de consacrer du temps à discuter rationnellement des causes de la violence, des conditions propres à l'industrie, des problèmes fondamentaux de cette industrie et du réalisme de ces recommandations avec les parties intéressées.

A partir de là, pas étonnant que plusieurs de ces recommandations rayent d'un trait de plume des droits collectifs. Toutes les mesures ayant pour effet de retirer du champ de la négociation des acquis syndicaux (délégués, sécurité physique, étiquette syndicale, statuts des contremaîtres salariés et le reste), toutes les suggestions retirant aux parties le contrôle de leurs affaires (office de la construction, placement syndical, sécurité physique, formation professionnelle, qualification) toutes les suppressions de libertés — loi 30 — sont autant de manifestations dans cet esprit "bon en-tentiste" candide qu'a imprimé la commission à

ses travaux: "Chassons les crapules", quitte à tuer les syndicats qu'ils contrôlent, les "honnêtes gens" s'entendront bien ensuite.

Le type de recommandations qui en résulte a pour effet direct d'encarcaner, jusqu'à la nier, la force syndicale sans réduire en rien la force patronale. Les mesures touchant le monde patronal (dont le bill 33) n'entravent en rien sa capacité de faire des profits. Pas plus qu'elles ne les empêcheront de perpétuer l'instabilité économique avec tout ce qu'elle entraîne d'abus. Le syndicalisme ainsi matraqué pourra-t-il continuer à assumer son rôle de chien de garde devant cette catégorie particulièrement cupide d'employeurs? Les travailleurs, privés de leur instrument de défense légale, ne vont-ils pas chercher ailleurs les moyens d'empêcher la machine économique de la construction de les broyer? Les modes d'actions qu'ils choisiront ne risquent-ils pas alors de mettre davantage en cause la paix industrielle et sociale si chère au gouvernement libéral?

C'est à tout cela que nous vous demandons de réfléchir. Nous ne réclamons pas de vous que vous endossiez les objectifs syndicaux ou que vous écrasiez la force patronale. Nous connaissons trop les contingences et les attachements propres au parti au pouvoir. Nous vous demandons seulement de ne pas céder à la tentation totalitaire. Nous vous demandons de ne pas marquer d'illégalité toute lutte collective pour la protection et l'accroissement des droits collectifs.

Ceux dont la conception de l'ordre passe par l'écrasement des structures légales de défense collective présument un peu vite de la capitulation des travailleurs. Ceux qui chérissent avant tout l'ordre doivent savoir que les travailleurs québécois posent comme prérequis à la paix, la justice sociale. Ceux qui l'ignorent risquent de subir sous peu un réveil désagréable.

C'est avec l'espoir que vous voudrez bien vous pencher sur les conséquences profondes des recommandations de la commission Cliche que nous vous présentons ce mémoire. Nous n'avons pas d'autre intention que de donner une première réaction à ces recommandations. Nos positions sont, bien sûr, basées sur des principes liés à notre conception de la lutte syndicale, mais elles s'inspirent surtout de la connaissance pratique exceptionnelle que nos syndicats ont acquise dans ce secteur particulier de l'économie québécoise.

Nous suivrons, pour ce faire, l'ordre des recommandations de la commission, quitte à y intégrer des commentaires plus généraux, au fur et à mesure. Nous joignons aussi à ce mémoire des copies du mémoire que nous vous remettions à la commission Cliche, en septembre dernier: Le droit au travail. Vous y trouverez une analyse factuelle qui aurait pu servir de base à un débat de fond sur les réformes de l'industrie. Le ton et l'information du mémoire convenaient évidemment mal au battage publicitaire dont s'entourait déjà la commission. Le juge Cliche et ses collègues préférèrent donc, dès le départ, dans leurs conversations avec ceux qui leur présentaient le mémoire — comme d'ailleurs lors des témoignages d'André Desjar- dins et de Louis Laberge — de croiser le fer sur la criminalité qu'ils qualifiaient de systématique et voulue par la FTQ.

Nous reprenons dans le présent mémoire les recommandations que nous faisions alors, mais nous souhaitons que les législateurs voudront aussi prendre connaissance de l'analyse qui les soustendait.

Démocratie syndicale et le droit d'exister. Contrairement à la commission, nous ne croyons pas que le garant de la démocratie syndicale doive être le gouvernement. Nous nous opposons à l'obligation à l'incorporation, (no. 1) parce qu'es-sentiel'ement, nous croyons que l'existence d'un regroupement émane de lui-même et non d'une sanction législative. Les juristes occidentaux s'entendent généralement pour affirmer que la personnalité civile n'est pas une création de la loi, mais qu'elle appartient en principe à tout groupement pourvu d'une possibilité d'expression collective pour la défense de ses intérêts légitimes.

Tout travailleur a droit d'appartenir à l'Association de travailleurs de son choix et toute association de travailleurs ou syndicat non incorporé tire son existence ou son souffle de vie, du groupement même de ses membres réunis pour la poursuite de buts communs.

C'est au mouvement syndical de déterminer les modalités de son fonctionnement. Loin d'être en désaccord avec toutes les mesures de consultation démocratique (de 2 à II des recommandations), la FTQ se donnait à son congrès de I97I des principes d'action régissant le vote de grève. L'immense majorité de ses affiliés s'y conforment, comme ils sont d'ailleurs périodiquement renseignés sur l'utilisation de leu s fonds. Cependant, ce sont les travailleurs eux-mêmes qui, selon leur conception propre et selon les circonstances dans lesquelles ils se trouvent, décident des modes de consultation auxquelles ils veulent participer.

Dès les premières pages de son rapport, la commission indique le style simpliste qu'elle va prendre. Pour justifier l'incorporation obligatoire des syndicats, elle parle des accrocs à la démocratie, saute aux statuts des plombiers, conclut qu'il nie des droits fondan.entaux des travailleurs et s'appuie sur un texte d'experts du Bureau international du travail — dont elle ne donne pas la référence exacte — qui semble décrire comme acceptable l'inhabilité à occuper des fonctions.

Il s'agit là ou bien d'un travail d'amateurs ou bien d'une mauvaise foi grossière. Se scandaliser du fait que les statuts d'un syndicat priviligient les recours internes plutôt que les recours légaux, c'est assumer un peu vite que la démocratie syndicale n'existe pas, et que les tribunaux sont impartiaux. On affirme cavalièrement, par la suite, que tout ceci constitue une atteinte au droit fondamental que possède tout citoyen de demander justice aux tribunaux, surtout que le recours syndical s'exerce obligatoirement à l'assemblée syndicale qui se tient aux USA.

On oublie que les membres québécois des syndicats internationaux sont membres de plein droit de ces syndicats, qu'ils participent par voie de délégation au congrès où s'amendent les sta-

tuts, qu'ils peuvent s'y faire entendre et que rien n'oblige que les assemblées générales ou congrès soient tenus aux Etats-Unis.

Là où les commissaires y vont un peu fort, c'est lorsqu'ils soutiennent que plusieurs syndicats internationaux posent comme principe que leurs statuts et règlements ont préséance sur les lois du pays. Il s'agit là d'une affirmation fausse: au contraire, la plupart des constitutions ou statuts des syndicats internationaux spécifient que les lois du pays où ils s'appliquent ont priorité. L'exemple puisé dans la constitution des plombiers et cité par la commission est bien mal choisi. Il est clair que lorsqu'on y parle de "laws conflicting with the constitution", il s'agit de règlements locaux, décidés au niveau d'une section locale et non des lois du pays.

Lorsque la commission justifie ensuite les mesures d'inhabilité en reproduisant un texte du BIT, elle va plus loin dans l'effronterie. Le Canada, qui signe peu de conventions internationales du BIT, a signé, le 23 mars 1972, la convention 87 sur les libertés syndicales et la protection du droit.

Nous reproduisons en annexe le texte complet de cette convention. Des recherchistes de l'Université du Québec à Montréal ont pointé du doigt cette convention et des commentaires d'experts du BIT, bien vérifiables ceux-là. Dans le rapport de la 58e session (1973). Conférence internationale du travail, rapport III, partie 4 b) "liberté syndicale et négociation collective", au paragraphe 92 de la page 39, on lit notamment, après un exposé des faits qui ressemble à celui reproduit par la commission à la page 19 de son rapport de la conclusion suivante, très curieusement oubliée par la commission Cliche: "On peut considérer que les condamnations pour les délits qui ne sont pas tels que l'exercice correct de fonctions syndicales soit mis en danger ne devraient pas constituer des motifs d'inéligibi-lité et que les dispositions légales qui interdiraient l'exercice de telles fonctions à toute personne qui a des antécédents judiciaires, quels qu'ils soient, ne seraient pas compatibles avec la convention."

Le Québec fait encore partie du Canada, pays libéral d'occasion, qui se donne de temps à autre un visage progressiste sur le plan international. Si le gouvernement du Québec veut appliquer les mesures proposées par la commission Cliche, il doit faire pression sur le gouvernement d'Ottawa pour qu'il dénonce la convention 87 et s'excuse de l'avoir signée par erreur. En effet, une simple lecture de ce texte nous fait constater que: l'incorporation obligatoire, la ratification obligatoire des statuts des syndicats par le lieutenant-gouverneur en conseil le mode d'acceptation ou de rejet des conventions collectives les inhabilités à exercer des fonctions syndicales, la mise en tutelle par l'Etat de quatre syndicats la présomption de culpabilité, toutes ces mesures violent les articles 2, 3, 4, 7 et 8 de la convention internationale

Quelques citations des textes d'experts, reproduites à la suite de la convention en annexe, vous éclaireront à ce sujet.

La commission montre son peu de souci des droits collectifs lorsqu'elle recommande, sans nuance, la protection des dissidents. A première vue, on est évidemment sympathique à ce travailleur qui, exprimant des points de vue inacceptables à l'établissement syndical est déchu de ses droits syndicaux et vomi hors de l'industrie. La commission, qui a constaté certains accrocs à la liberté syndicale, en conclut qu'il faut interdire à un groupe de décider collectivement de sévir contre un dissident, même si ce dernier va à l'en-contre des intérêts collectifs.

Il est déjà prévu au décret qu'aucun travailleur ne peut être privé de son droit au travail pour avoir violé les statuts et les règlements de son association, sauf au cas où il a refusé de payer le montant de sa cotisation syndicale.

Dans cette perspective, il y a lieu de concilier les besoins de cohésion et de solidarité des membres de l'association par rapport au refus individuel de participer à l'action collective. Pas plus qu'un travailleur ne peut être tenu de participer à une action collective, pas plus le syndicat ne peut être tenu d'accepter dans ses rangs les personnes qui refusent de participer aux activités de l'association. Ainsi perçu, le droit à la dissidence devrait être sanctionné par la sauvegarde du droit au travail des dissidents, mais non pas dans l'obligation pour les associations syndicales de maintenir dans leur rang des dissidents.

Nous sommes d'accord sur les recommandations suggérant que les statuts définissent clairement les responsabilités des administrateurs et des dirigeants syndicaux chargés de la gestion financière soient tenus de souscrire un cautionnement.

La commission, qui fut mise en présence de personnes (un nombre très restreint de responsables syndicaux) au comportement inadmissible, a très vite cédé à la tentation totalitaire. En effet, certains gestes posés par ces personnes s'appa-rentant à ceux de criminels et certaines personnes mêlées aux actes de violence ayant eu des démêlés antérieurs avec la justice, les commissaires ont cru éliminer le mal à sa source en suggérant que tous ceux qui seraient reconnus coupables d'une série de délits seraient décrétés inhabiles à exercer des fonctions syndicales.

Cette mesure excessive ne peut être expliquée par la preuve présentée à la commission. La thèse voulant que le syndicalisme soit passé aux mains de la pègre dans le secteur de la construction n'a jamais été prouvée autrement que par des analogies, des insinuations, des preuves de caractère et des interprétations rapides de gestes, de comportements et de relations. Le chapitre sur "le système et ses appuis" est et cet effet un chef-d'oeuvre de mise en accusation romancée. S'inspirant largement de conversations téléphoniques et du témoignage bien rémunéré de l'indicateur André Renaud, on dresse un tableau d'ensemble qui assimile au même phénomène le "shylocking", la vio-

lence physique, l'intimidation, l'extorsion, les débrayages et les luttes intersyndicales. Comme il s'agit uniquement d'un problème de comportement moral pour les commissaires, ils croient s'attaquer au coeur du problème en écartant de leurs postes ceux que la justice a frappés. Le juge et ses collègues oubliaient sans doute qu'ils ont aussi affirmé au cours des audiences publiques que l'immense majorité des agents syndicaux étaient honnêtes.

En lisant le rapport, on a l'impression que toute motivation syndicale est assujettie aux bénéfices personnels de quelques puissants caïds.

Nous avons reproduit en annexe une liste d'agents d'affaires vous indiquant leur provenance, leur qualification professionnelle, le temps qu'ils ont passé dans l'industrie. Vous constaterez que ce sont des travailleurs de la construction qui vivent dans cette industrie et travaillent à la défense des intérêts collectifs des travailleurs, non pas à la gloire personnelle de quelque méchant dirigeant.

Les commissaires n'ont pas inventé les mesures qu'ils proposent à la recommandation 12. Pour retracer leur origine, il faut refaire un bien triste historique. Ils ont copié quasi intégralement la loi Landrum-Griffin adoptée aux Etats-Unis en 1959. Cette dernière fut rédigée à la suite d'une enquête de deux ans au cours de laquelle les phénomènes de corruption et de violence physique en milieu ouvrier furent étudiées. On était encore mal sorti du McCarthyisme et de la lutte antisubversive, puisque l'inhabilité à exercer des fonctions frappait aussi les communistes. Cette dernière interdiction devait, quelques années plus tard, être jugée anticonstitutionnelle par la cour Suprême des Etats-Unis. Notons que la durée des interdictions prévues était de cinq ans. Des lois semblables avaient été adoptées aux USA en 1947, aux belles heures de la chasse aux sorcières et au Québec par le gouvernement Duplessis en 1954, mais elle visait surtout les communistes. En 1957, le gouvernement de Terre-Neuve, dirigé par Joey Small-wood, à la suite d'une grève des bûcherons, adoptait une loi affectant les dirigeant syndicaux ayant commis certains délits. M. Smallwood que personne n'oserait qualifier de progressiste a lui-même fait abroger cette loi discriminatoire

Comme pour la mise en tutelle, ces mesures s'inspirent d'une philosophie totalitaire qui consiste à frapper tout le monde pour toucher quelques coupables, plutôt qu'à tenter de prendre les coupables en risquant d'en échapper quelques-uns.

Cette conception étroite, qui s'inspire d'une justice punitive, a été vite doublée par la droite au ministère de la Justice du Québec: Dans la loi 30, on a allongé la liste des délits, on a indiqué que l'inhabilité pour certains délits serait éternelle, on a prévu des pénalités graves (de $100 à $1,000 par jour d'infraction et/ou deux ans d'emprisonnement) et on s'apprête à adopter le projet de loi 24 qui étend à tous les secteurs couverts par le code du travail, les mesures d'inhabilité.

Le gouvernement a joyeusement ajouté les délits de méfaits, voies de fait simple et intimidation.

Une connaissance pratique de la conjugaison de l'action patronale et policière en période de conflit, nous indique que ces ajouts sont taillés sur mesure pour faciliter des "frame-up". Il suffira d'une bousculade provoquée volontairement par des scabs ou des agents de sécurité pour qu'un délégué un peu trop revendicateur soit accusé de voies de fait, reconnu coupable et rendu inhabile à exercer des fonctions syndicales pendant cinq ans.

Les débrayages récents dans différents secteurs et les accusations qui sont systématiquement portées ensuite nous indiquent quelle définition les policiers et les juges donnent à l'intimidation: toute incitation verbale et pacifique au débrayage est mise dans le même sac que les menaces de violence physique. Quant aux méfaits, l'expérience pratique qui nous enseigne aussi comment une égratignure sur une auto, un carreau brisé, etc.. sont des méfaits faciles à fabriquer et comment les juges sont faciles à convaincre dans le contexte actuel, que tout accusé relié à l'action syndicale est un fier-à-bras.

Un communiqué émis par la Sûreté du Québec au lendemain des débrayages de solidarité à United Aircraft parle carrément de "fiers-à-bras" appréhendés, lorsqu'il s'agissait en fait de militants de l'alimentation, des postes, du textile, etc., des personnes de tous âges, des deux sexes, jamais mêlées dans le passé à des actions violentes et ayant un poids moyen bien inférieur à celui des agents de la paix.

De telles déclarations, que les journaux reproduisent sans sourciller, indiquent un peu comment la présomption de culpabilité s'est d'ores et déjà installée dans les faits, lorsqu'il s'agit d'activités syndicales.

La loi 30 officialise d'ailleurs cette injustice en renversant, dans le cas de grèves illégales et de ralentissements de travail illégaux, toute la tradition légale occidentale. La présomption de culpabilité contrevient au paragraphe f) de l'article 2 de la Déclaration canadienne des droits qui dit: "Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme (...) f) privant une personne accusée d'un acte criminel du droit à la présomption d'innocence jusqu'à ce que la preuve de sa culpabilité ait été établie en conformité de la loi, après une audition impartiale et publique de sa cause par un tribunal indépendant et non préjugé, ou la privant, sans juste cause, du droit à un cautionnement raisonnable;"

Loin de rétablir la paix industrielle, cette mesure incitera les travailleurs, exaspérés par des conditions de travail intolérables, à employer des méthodes moins disciplinées et moins ouvertes

que la cessation du travail. Elle encouragera de plus les dirigeants à renoncer à toute responsabilité dans des situations conflictuelles, faisant place à l'action spontanée et clandestine de ceux qui refuseront l'injustice.

Nous dénonçons la phisolosphie répressive qui inspire la loi 30 et nous vous demandons de retirer cette loi dans les plus brefs délais.

Quant à la recommandation 13, si elle nous est inacceptable parce qu'elle implique l'incorporation préalable des syndicats, elle n'est pas contraire à notre position sur les conflits d'intérêts. Nous croyons cependant qu'il faudrait préciser la notion de "marché" et la notion de "membres délégués". Finalement, nous nous demandons un peu comment un gouvernement dont le parti au pouvoir est tellement embourbé dans des conflits d'intérêts pourrait devenir la police de la moralité publique.

La FTQ a souvent soutenu que le pluralisme syndical instauré en 1969 par la loi 290 avait eu comme conséquence directe de nier le droit à la négociation, des salariés de la construction. En effet, dans notre régime de relations industrielles axé sur la signature de contrats collectifs, la cohésion des parties est essentielle pour que des accords soient possibles. La commission Cliche semble l'avoir compris partiellement puisqu'elle a recommandé un monopole patronal aux recommandations 34 et suivantes.

Elle n'a cependant pas jugé bon d'appliquer les mêmes règles au monde syndical. Nous avons démontré les conséquences néfastes de pluralisme syndical dans le secteur de la construction. Les associations syndicales regroupant les salariés sur des bases différentes, structures industrielles à la CSN, et à la CSD; structure de métier à la FTQ, recrutent des catégories de travailleurs différents, plus spécialisés, plus mobiles et donc, plus permanents à la FTQ, ayant développé des philosophies de négociation différentes au cours des années, l'enlignement sur des priorités et des revendications communes est très difficile.

Si l'on ajoute à cela la concurrence dans l'emploi provoquée par l'instabilité extrême de l'industrie, situation qui ne pourra pas être corrigée à court et moyen terme, on peut facilement parler d'un pluralisme néfaste.

Nous avons décrit dans le Droit au travail, comment le droit à la négociation s'en trouvait compromis, jusqu'à l'adoption de la loi 9. Nous avons signalé que c'est grâce à une syndicalisa-tion massive de la FTQ et aux négociations qui s'ensuivirent que le gouvernement fut forcé de légiférer.

Nous avions décidé, dans le document présenté aux commissaires de ne pas insister sur le monopole syndical, le bill 9 nous satisfaisant pour l'instant. Nous sommes forcés maintenant de réaffirmer la nécessité du monopole pour deux raisons:

I) parce que la commission recommande de poser comme préalable à la négociation et à la signature d'ententes une représentativité syndicale de 75%, des trois-quarts. Dans un tel contexte, il faudrait, aux associations représentatives, ou bien acquérir une majorité écrasante contraire à la philosophie du pluralisme, ou bien faire des fronts communs impensables dans le contexte de concurrence syndicale décrit plus haut; 2) le contexte de répression, le salissage public généralisé, les restrictions imposées par la loi vont rendre extrêmement difficile, sinon impossible, l'acquisition d'une majorité aussi forte et peuvent théoriquement favoriser la venue de nouvelles associations représentatives rendant encore plus illusoire la cohésion des organisations syndicales.

Nous réclamons donc que le gouvernement institue un vote d'allégeance syndical à l'issue duquel une association syndicale représentative se verrait dotée d'un monopole de représentation pour la négociation du prochain décret et pour toute sa durée. A l'expiration de chaque décret, un grand vote d'allégeance pourrait être à nouveau tenu, garantissant la liberté de choix des salariés de la construction.

Nous croyons qu'un tel monopole de représentation rétablirait le rapport de force entre les parties, permettrait de s'attaquer efficacement au contingentement de la main-d'oeuvre et permettrait à l'association de salariés choisie par les travailleurs comme représentative, de mettre à leur disposition sur une base permanente, des services, des équipements de formation et d'information, qui ne pourraient qu'entraîner une plus grande participation à la vie syndicale et, par voie de conséquence, un développement accru de la démocratie syndicale.

Le système de recrutement, décrit aux recommandations I5 et suivantes, est un bel exemple de recommandations bâclées, qui auraient gagné à être discutées avec les principaux intéressés. On nous parle du remplacement du recrutement proprement dit par une période de sensibilisation hors du milieu de travail. Il ne faut pas connaître beaucoup le milieu ou n'avoir pas réfléchi longtemps pour en arriver là. En prenant cette recommandation au pied de la lettre, on ferait de la sensibilisation en milieu de travail pendant trois ans moins trente jours! Dans le secteur de la construction, le contact direct avec le travailleur sur le chantier et la diffusion d'informations écrites au travail sont les seuls moyens efficaces de les mettre au courant de la vie syndicale et de leurs droits.

Quant à la substitution du recrutement par un enregistrement (17) secret (temporairement secret, puisqu'en communiquant ensuite aux syndicats leurs listes de membres, ils sauront qui a voté pour eux), il s'agit, là encore, d'une intrusion dans les relations des syndicats avec leurs membres. Le geste d'adhérer et le geste de recevoir une adhésion sont deux gestes libres posés par des gens supposément dotés de la liberté d'accepter ou de refuser de poser ces gestes.

En suggérant de sortir le statut et les fonctions du délégué du champ de la négociation, les commissaires et les rédacteurs de la loi 30 affichent encore le mépris qu'ils ont à l'égard des droits collectivement acquis. Les travailleurs de la construction ont dû faire des sacrifices en négo-

ciation, pour arracher, après de longues années, aux employeurs cet instrument de défense qu'est le délégué.

Nous vous référons aux pages 51 à 54 du document Le droit au travail pour que vous preniez conscience du rôle des délégués syndicaux sur les chantiers de construction. Certes, la commission a démontré que des abus de pouvoir étaient commis par certains d'entre eux. La FTQ n'a pas affiché alors et n'affiche pas plus maintenant de complaisance à l'égard de ceux qui veulent faire servir, à des fins personnelles, la force syndicale.

Cependant, la connaissance que nous avons du milieu nous indique que ces abus proviennent de deux causes principales qu'on ne corrigera pas en retirant du champ de la négociation le statut des délégués et en décrétant qu'ils seront désormais élus plutôt que nommés par le syndicat: 1)tentatives patronales de corruption; 2) le nombre subitement accru de nouveaux délégués inexpérimentés.

Nous prétendons que les mesures sévères prévues aux recommandations 46 et 47 n'élimineront pas la corruption patronale. Elles rendront plus prudents, voire plus habiles les agents patronaux chargés d'acheter des consciences, elle n'enlèvera pas aux compagnies le goût d'économiser sur la sécurité des travailleurs ou sur les bénéfices prévus au décret. Pour satisfaire leur faim de profit, les compagnies vont continuer à tenter d'acheter des silences et des complaisances de la part de ceux qui sont chargés de faire respecter les droits des travailleurs. Nous reviendrons là-dessus lorsque nous parlerons plus loin des comportements patronaux.

Quant à l'inexpérience des délégués, elle sera corrigée par la formation intensive des délégués entreprise par la FTQ bien avant l'ouverture des travaux de la commission, par des discussions avec les employeurs sur une définition plus complète du rôle des délégués et par l'adoption d'un code d'éthique du délégué sur lequel les syndicats de la FTQ ont déjà donné un accord de principe.

La proposition de la commission de soumettre les délégués à des votes sur chaque chantier, en plus d'en multiplier le nombre et d'en rendre difficile la formation, va faire en sorte qu'ils seront le reflet d'un rapport de force parcellaire, chantier par chantier. Comme la loi spécifie que sept travailleurs pourront élire le premier délégué et qu'il en faudra 50 autres pour en élire un second, il est fort probable que l'unique délégué sur une multitude de chantiers sera un "company-man" docile et "bonententiste" à qui l'employeur pourra passer toutes les entorses au décret et aux règles de sécurité physique.

Je vais demander à Guy Dumoulin de continuer pour seulement quelques pages, afin de me donner le temps de boire un peu.

M. Dumoulin (Guy): D'ailleurs, à ce niveau, les recommandations de la commission laissent entendre que le délégué n'aura plus de rôle à jouer dans la surveillance du respect des règles de sécurité. La tradition syndicale sur les chantiers de construction a toujours fait du délégué un chien de garde efficace des conditions de sécurité. Donner en exclusivité la responsabilité de cette préoccupation à un office gouvernemental nous paraît un recul.

Le nombre d'heures consacrées aux activités syndicales, le nombre de délégués permis, la définition de leurs tâches, le processus de leur nomination, tout cela doit continuer de faire l'objet de négociations entre les parties. Voilà une raison pour laquelle nous réclamons le retrait de la loi 30.

Nous sommes aussi en désaccord avec la commission et le législateur qui interdisent la conclusion d'ententes entre employeurs et syndicats, permettant aux travailleurs de refuser d'installer du matériel. Nous croyons que les commissaires ont eu le tort d'assimiler à du chantage et de l'extorsion une mesure qui ne vise qu'à dissuader les employeurs d'éliminer dans la construction des emplois remplacés par du "cheap labour" en atelier. Les commissaires ont été émus par les pauvres employeurs pris à la gorge par les méchants syndicats. Ils ne semblent pas s'être interrogés une seconde sur les conséquences massives du phénomène de la fabrication en atelier.

Dans tous les secteurs industriels, les travailleurs ont le réflexe légitime de se protéger contre des changements technologiques décidés par d'autres, pour les intérêts exclusifs des compagnies et à des rythmes désastreux pour la main-d'oeuvre. Dans tous les secteurs industriels, les travailleurs tentent de se protéger contre l'utilisation de main-d'oeuvre à bon marché effectuant des travaux relevant normalement de leurs fonctions.

Songerait-on à qualifier d'extorsion les clauses de convention collective portant sur les contrats à forfait? On ne se scandalise pas que tel syndicat de journalistes prévoie des pénalités frappant leur employeur, lorsqu'il embauche des pigistes. On trouve normal que des employés municipaux fassent dédommager ceux des leurs qui auraient été remplacés par les employés d'un entrepreneur privé effectuant des travaux normalement faits par eux. Dans la construction, des revendications légitimes et des gains normaux ont été assimilés à des activités quasi criminelles par les commissaires.

Nous vous demandons simplement de reconsidérer la situation en relisant le mémoire à ce sujet préparé par la section locale I44 des plombiers. Nous prétendons que la commission n'a pas su regarder froidement les arguments qui y sont développés et que le législateur a appliqué un peu rapidement les recommandations du rapport.

La FTQ a déjà exprimé ses positions sur les tutelles gouvernementales imposées à trois de ses syndicats de la construction. Nous considérons ces tutelles illégitimes parce que l'enquête de la commission n'en a pas démontré la nécessité.

Elle a, tout au plus, identifié dans ces syndicats un nombre restreint de dirigeants au comportement inacceptable. Ils ont tous quitté les postes qu'ils occupaient et rien dans la preuve de la commission ne justifie l'abolition des droits fondamentaux des membres de ces syndicats.

Les tâches fondamentales des syndicats ne sont pas d'ordre administratif. Elles consistent à faire vivre et à accroître la solidarité des travailleurs pour lutter contre le patronat. Nous ne croyons pas que des tuteurs syndicalement inexpérimentés et nommés par un gouvernement lié au monde patronal puissent assumer la globalité du mandat que le gouvernement leur donne dans la loi 29.

Les pouvoirs décrits par la loi sont démesurés et contraires au but officiellement recherché. Ainsi, la capacité qu'ont les tuteurs gouvernementaux d'amender les statuts, de faire fi de toutes les instances démocratiques du syndicat sous tutelle, vont à l'encontre de la vie démocratique qu'on dit rechercher. Comment peut-on imaginer que quelqu'un qui n'a pas à répondre de son mandat aux membres d'un syndicat répondra davantage à leurs aspirations qu'un dirigeant élu?

Nous ne reconnaissons aucune compétence à des gens détenant des mandats gouvernementaux quand il s'agit de "promouvoir l'épanouissement d'une véritable vie syndicale" et "d'assurer la formation" des permanents syndicaux et des délégués de chantier.

Depuis décembre 1974, la FTQ s'est vu confier par un congrès spécial du Conseil provincial des métiers de la construction, un mandat de tutelle. Le 24 avril dernier, nous rendions public un document intitulé "Une tutelle pour renforcer". Nous avons cru bon de le joindre au présent mémoire. Vous y verrez un bref bilan du travail accompli, les objectifs poursuivis et les projets de réformes en cours.

Nous croyons qu'une réforme, pour être profonde et durable, doit s'effectuer en mettant à contribution toutes les forces vives du mouvement, plutôt qu'en paralysant toutes les énergies et en suspendant le fonctionnement démocratique des syndicats. Si la tutelle de la FTQ n'a pas donné lieu aux gestes spectaculaires que certains réclamaient, ce n'est pas par complaisance, c'est par justice et honnêteté. C'est aussi parce que nous avons tenu à assumer toutes les tâches quotidiennes du syndicalisme, trouvant plus urgent de nous attaquer à la racine des malaises décrits par la commission.

Avec ou sans les tutelles gouvernementales, nous allons continuer ce travail. Nous demandons au gouvernement de retirer la loi 29 dans les plus brefs délais et de mesurer les conséquences de tous ces gestes sur le travail d'assainissement et de réforme qu'effectue présentement la FTQ. Les "décapitements" en série, les gels de fonds, les suspensions d'assemblées peuvent, selon leur intensité, affaiblir ou entraver gravement la vie d'un syndicat, ils ne la réforment pas.

Nous nous opposons à l'abolition du statut du contremaître salarié. Une connaissance pratique de ses fonctions faisait sûrement défaut à la commission, lorsqu'elle a recommandé son exclusion. Nous résumons ici les principales raisons qui militent en faveur de son maintien dans l'unité de négociation:

Son rôle pratique a toujours été centré sur l'organisation du travail plutôt que sur la discipline;

La loyauté qu'il doit à son syndicat et à son employeur n'est pas plus concurrentielle que celle de tout travailleur appelé à fournir une somme de travail;

L'instabilité de l'industrie fait qu'il passe régulièrement du statut de simple salarié à celui de chef d'équipe ou de contremaître salarié et qu'il ne suffit pas qu'il recouvre son droit au service de placement pour ne pas perdre d'avantages. En effet, le non paiement de ses cotisations syndicales entraînera sa destitution de son union, le non paiement des prestations sociales le privera d'avantages sociaux et il n'accumulerait souvent pas, en tant que salarié, le nombre d'heures requises pour jouir de la préférence d'emploi, dans l'éventualité de la mise en place du système de placement proposé par le rapport de la commission;

Le nombre de travailleurs disponibles pour accomplir des fonctions qui entraînent autant de désavantages serait réduit;

L'embauche de contremaîtres salariés qualifiés deviendrait difficile, parce que personne n'aurait plus une connaissance exacte de leurs qualifications spécifiques, dans le cadre de tel ou tel métier;

Les employeurs ont déjà tendance à déformer la fonction de contremaître et à en faire un homme à tout faire, payé à forfait.

Exemple: les nombreuses plaintes assermentées portées par des travailleurs contre des employeurs oeuvrant sur l'autoroute est-ouest. Ces derniers les payaient parfois $175 par semaine, sans aucun bénéfice marginal. Le retrait du statut de contremaître salarié au décret permettrait tous les abus contre ce travailleur soudain privé des recours, quoique soumis à la même insécurité que l'ensemble de la main-d'oeuvre de la construction.

Soucieux de rétablir l'équilibre dans le système de relations industrielles et de redonner une certaine cohésion aux associations patronales, les commissaires proposent l'unification des associations patronales. Cette recommandation est d'autant plus étonnante que l'on refuse d'autre part d'envisager l'unification des forces syndicales, en vertu cette fois d'un principe de liberté de choix qui n'est appliqué dans aucun autre secteur industriel.

On continue de favoriser la réduction de la force et de la cohésion syndicale. Ce double stan-dard, qui dicte l'analyse de la commission, est un autre exemple du déséquilibre dans le rapport de force auquel l'application de l'ensemble de ses recommandations aboutirait nécessairement. Le plus court chemin vers la "justice sociale" serait-il celui qui passe par l'écrasement de l'une des parties en présence?

Cette association unique, fonctionnant pour fins de négociation sur la base des trois secteurs (industriel, commercial et domiciliaire) d'activité, serait en pratique, une vaste tour de Babel, regroupant du petit entrepreneur construisant un bungalow de banlieue jusqu'à celui en charge d'un chantier de 2,000 travailleurs, en passant par

la nuée de sous-entrepreneurs et gérants de projet de tout acabit.

Si cette diversité nous préoccupe à ce point, c'est que nous songeons aux victimes de cette réunification: les travailleurs.

Il nous semblerait relever d'une saine démocratie que les entrepreneurs qui ont mis en jeu des sommes plus considérables et embauchent des centaines de travailleurs se voient reconnaître une voix au chapitre proportionnelle à leur importance objective. Car les commissaires, en s'inspirant des principes, louables sous d'autres cieux, mais non pertinent ici, "un homme, un vote", veulent, en pratique, donner le contrôle de cette association patronale à la multitude de petits entrepreneurs, ceux-là mêmes qui font des apparitions souvent très rapides dans l'industrie de la construction. Ils n'enlèvent pas non plus le droit de vote à tous ces membres d'associations patronales qui n'ont aucun employé et qui jouissent d'un droit de vote illégitime en matière de relations de travail.

La très grande majorité des entrepreneurs sont petits et n'ont aucune politique d'aucune sorte — si ce n'est celle du profit maximum — la plupart d'entre eux, comme le soulignait le rapport sur l'instabilité cyclique dans l'industrie de la construction, ne s'étaient pas même fixé d'objectifs en tant qu'entrepreneurs; encore moins, en ont-ils en matière de relations industrielles.

Voilà donc à qui l'unification donnerait le pouvoir véritable en matière de négociation du côté patronal.

La FTQ estime, quant à elle, que toute formule de réunification ou regroupement patronal devrait nécessairement tenir compte, dans l'attribution des droits de vote, du nombre de travailleurs à l'emploi des divers entrepreneurs ainsi que de leur chiffre d'affaires respectif. Toute autre formule irait, pour nous, contre les intérêts des travailleurs, qui veulent négocier avec leurs véritables partenaires et non de minuscules et fugitifs figurants, et serait de plus illusoire.

Si le gouvernement devait suivre l'avis des commissaires, c'est notre conviction que le processus même de la négociation s'en trouverait entravé, car les gros entrepreneurs continueraient de se cacher derrière la majorité des entrepreneurs exploitant des chantiers d'envergure réduite, et d'entériner des offres patronales bien au-dessous de leur réalité propre et inacceptables pour le mouvement syndical.

Nous sommes d'accord sur les recommandations des commissaires à ce chapitre. La FTQ s'est d'ailleurs déjà prononcée en faveur du projet de loi 51 et nous continuons de demander son adoption. Nous avons déjà exprimé, à maintes reprises, notre insatisfaction, face à la situation actuelle, qui place, virtuellement, les travailleurs dans la plus grande insécurité.

M. Daoust: M. Maurice Pouliot.

M. Pouliot (Maurice): Suivant les recommandations 46 et 47, la loi 30 frappe de pénalités égales le corrupteur et le corrompu et elle parle, comme s'ils étaient égaux, d'agent patronal et d'agent syndical. Là réside toute l'illusion des commissaires: lorsqu'on disqualifie un dirigeant syndicat, on porte un coup à la structure et on affaiblit la force syndicale; il n'en va pas de même des agents patronaux qui agissent au profit de compagnies puissantes qui, elles, ne seront pas pénalisées autrement que par des amendes — souvent rentables si l'on tient compte des enjeux dans le secteur — et par la disqualification de leurs hommes de main les plus malhabiles.

L'agent syndical qui accepte un pot-de-vin, agit pour des fins personnelles contre les intérêts de ceux qu'il représente. Lorsqu'il est pris il est méprisé et rejeté par son milieu. L'agent patronal qui offre le pot-de-vin agit au nom d'intérêts patronaux et tente d'accroître la liberté de manoeuvre de la compagnie qu'il représente. Cette dernière ne sera pas prise parce que, comme le disent les commissaires, "seul un naïf pouvait penser retracer ces montants dans une colonne intitulée "pots-de-vin". Les commissaires qui reconnaissent que "la recherche de profit est la règle dujeu", que les employeurs trouvent souvent "leur compte" à la corruption et qu'ils ont une crédibilité aussi faible que les syndicalistes corrompus, ne peuvent s'empêcher de s'émouvoir sur le sort de ces pauvres compagnies victimes de chantage et d'extorsion. Ils assimilent même à de l'extorsion des sommes touchées à des fins collectives en vertu des clauses sur l'étiquette syndicale. Ils ne croient bon de réclamer aucune tête patronale, ni le retrait d'aucun contrat gouvernemental à des compagnies qu'ils ont reconnues coupables d'avoir budgété la corruption. La mise en tutelle des syndicats d'un côté, des amendes et des pénalités individuelles de l'autre.

L'impartialité apparente des mesures frappant corrupteurs et corrompus cache l'injustice et ne corrige pas la racine du mal. Les commissaires font encore preuve d'un humanisme naff lorsqu'ils affirment qu'il "est beaucoup moins honéreux de verser des pots-de-vin que de se donner la peine de rencontrer les travailleurs, de dialoguer avec eux et de tenter de comprendre leurs difficultés et d'y remédier" Ils devraient préciser que si les employeurs préfèrent les pots-de-vin au dialogue, ce n'est pas parce qu'ils sont insouciants ou paresseux intellectuellement, mais parce qu'il est payant d'acheter des silences sur l'irrespect des conditions de travail et de sécurité physique.

Depuis plusieurs mois, les parties patronales et syndicales travaillent à un projet de réforme des structures de la Commission de l'industrie de la construction (CIC). Les grandes lignes des changements projetés ont été livrées aux commissaires lors des audiences publiques par le président de la CIC, Fernand Morin. Ce dernier a indiqué que les lacunes administratives qui avaient pu être constatées, tant sur le plan des dépenses qu'au niveau des politiques d'embauche, allaient être corrigées par les réformes entreprises.

La FTQ refuse la formation d'un office de la construction qui retire aux parties la gestion et l'administration paritaire de l'organisme chargé d'administrer le décret. Aujourd'hui, nous sommes en mesure d'affirmer que la presque totalité des

parties s'entendent sur le fonctionnement et les normes auxquels on devrait assujettir la CIC. Les associations patronales, la FTQ et la CSN réclament aussi le maintien d'un organisme paritaire, administré en totalité par les parties. Seule la CSD, qui représente 5% des travailleurs, est dissidente parce que depuis le début elle réclame une régie d'état. Les positions de la majorité des parties sont identiques quant à la gestion du Comité des avantages sociaux de l'industrie de la construction, CASIC. Il appartient aux parties en cause d'administrer et de décider de l'utilisation des fonds considérables qui convergent dans ces régimes d'avantages sociaux.

Nous admettons cependant que la CIC soit présidée par un juge nommé par le gouvernement et habilitée à trancher les questions en litige lorsque le jeu des doubles votes majoritaires, patronaux et syndicaux, ne permet pas que des décisions importantes soient prises.

La FTQ s'est plainte à plusieurs reprises de l'inefficacité de la formule de grief prévue au décret.

Cette procédure, comme l'utilisation des tribunaux civils par le contentieux de la CIC, à cause de la nature spécifique de l'industrie de la construction, perpétue des injustices. Nous pensons corriger ces lacunes en instituant des recours justes et efficaces décrits à la recommandation II du mémoire Le droit au travail, page 70.

Toutes les mesures visant à regrouper au sein d'une instance spécialisée les pouvoirs décisionnels quant aux poursuites contre les employeurs qui violent le décret, toutes les mesures visant à rendre plus compétentes, plus rapides, plus efficaces les décisions sur les litiges survenant dans l'application du décret et à en élargir le champ sont évidemment accueillies avec satisfaction par la FTQ comme la simplification et la reformulation des lois et règles s'appliquant dans l'industrie de la construction.

Nous voulons cependant exprimer des réserves: nous croyons que les questions de juridiction de métier doivent être discutées entre les parties elles-mêmes. Les statuts du Conseil provincial des métiers de la construction (FTQ) prévoient un comité spécial chargé d'étudier les divers aspects des conflits de juridiction et les trancher. A la suite d'une décision de ce comité, si une partie se sent lésée, il pourra avoir appel auprès d'une personne spécialisée dont les jugements seraient finals et exécutoires. La très longue expérience des syndicats des métiers de la FTQ qui, au fur et à mesure que la technologie de l'industrie évolue, discutent du partage des juridictions et concluent des ententes, doit continuer à être mise à contribution. Un effort supplémentaire pourrait être fait en formant un comité de travail mixte chargé de rédiger les bases techniques du partage des juridictions.

Nous souhaitons aussi que des personnes spécialisées entendent et décident des litiges ayant trait à l'hygiène, la sécurité et aux conditions de vie sur les chantiers.

Nous sommes évidemment en désaccord sur la présomption de culpabilité recommandée par les commissaires et intégrée à la loi 30. Il s'agit là d'une mesure d'injustice et répressive peu propice à assurer des relations de travail saines. Il en va de même de l'interdiction de retirer des plaintes pénales. Il s'agit là d'une intransigeance judiciaire qui élimine des relations patronales-syndicales cette souplesse si nécessaire lorsqu'il s'agit de désamorcer des tensions.

Enfin, nous croyons qu'on ne tient pas compte du caractère mouvant et instable de l'industrie de la construction en restreignant au décret les accords salariaux entre employeurs et salariés. Les besoins de main-d'oeuvre spécialisée et les conditions particulières variées dans lesquelles s'effectuent les diverses constructions forcent employeurs et salariés à rajuster parfois les ententes générales conclues par les associations représentatives.

C'est pourquoi la FTQ a toujours considéré les conditions prévues au décret comme des conditions générales minimales visant à assurer une équité et une justice généralisées aux travailleurs de la construction, quels que soient la région ou le secteur particulier du bâtiment qui les embauche. Toute entente particulière en deçà de ces conditions générales devrait être permise pour permettre à des groupes particuliers de jouir de bénéfices adaptés aux conditions spécifiques dans lesquelles ils oeuvrent.

Nous savons que si cette recommandation inclue dans la loi 30 est respectée à la lettre, certains employeurs verront leur type d'activités désertées par les travailleurs.

Nous vivons dans un système d'entreprise libre où le jeu de l'offre et la demande prévaut. Le non-respect de cette règle du jeu capitaliste, que ni les commissaires ni le gouvernement ne mettent en cause, risque de décourager le perfectionnement des travailleurs et l'accroissement de leur productivité, pourtant si chère au parti au pouvoir.

M. Oaoust: Les commissaires se sont dits, tout au long de leur rapport, préoccupés par la restauration de la démocratie syndicale. Nous croyons que de telles intentions passeront dans la réalité lorsqu'il sera possible pour les travailleurs de défendre à l'intérieur d'une structure unique leurs intérêts collectifs. Nous rappelons donc notre revendication de monopole syndical, seul régime capable de contrebalancer décemment la force patronale et d'enrayer la concurrence néfaste qui sévit dans la construction.

Cependant, nous croyons que le régime de représentativité actuellement en vigueur dans le secteur de la construction est un moindre mal. La commission vient cependant le détruire par sa recommandation 71. Dans un contexte de pluralité et de concurrence syndicale, d'instabilité économique et, par conséquent, d'instabilité de la main-d'oeuvre (des taux de roulement atteignant plus de 20% par année), l'exigence d'une majorité de 75% pour que soit entreprise et conclue une négociation constitue une négation pratique du droit à la négociation. Une ou plusieurs parties syndicales ou patronales pourraient, si elles réunissent une proportion de 26%, empêcher la conclusion d'accords.

Nous avons déjà réclamé que des tables sectorielles de négociation par métier puissent être formées pour permettre la négociation de particularités spécifiques à chacun d'entre eux. La division des tables suggérée par la commission est arbitraire et ne s'inspire d'aucune étude sérieuse.

Les sous-divisions de la table centrale devraient être décidées par les parties, le législateur se contentant de reconnaître la légalité de ces niveaux de négociation. La recommandation 74 est inacceptable au même titre que la recommandation 54. Nous sommes par contre en accord avec la recommandation 75 qui retire au ministre du Travail des pouvoirs d'exception niant le droit à la négociation.

Les commissaires ne semblent pas avoir mesuré parfaitement les conséquences de la recommandation 78. La formation d'une unité de négociation fourre-tout sur les chantiers isolés et l'introduction de la notion de pluralisme syndical dans le code du travail constituent des propositions irréalistes. Ont-ils songé que, sur des chantiers comme celui de la baie James, on trouvera entre autres des professeurs, des employés de soutien de commissions scolaires et des employés d'hôpitaux déjà régis par des conventions collectives négociées provincialement avec le gouvernement? Ont-ils songé aux difficultés d'application du pluralisme syndical dans un contexte où les divergences d'intérêt sont aussi nombreuses? Nous croyons cette recommandation irréaliste et invitons le gouvernement à l'ignorer.

Nous recommandons aussi d'ignorer la recommandation suivante, 79, les conditions particulières des travailleurs du verre plat militant en faveur du maintien d'un décret séparé pour eux.

Nous regrettons qu'une commission d'enquête dotée de moyens aussi importants n'ait pas fouillé davantage le problème de la sécurité physique sur les chantiers de construction. On aurait probablement constaté entre autres que l'insécurité généralisée, si elle entraîne des coûts sociaux exorbitants, est très souvent rentable à court terme pour les employeurs de la construction. On aurait peut-être par la suite envisagé des mesures plus draconiennes à l'égard des employeurs irresponsables qui assassinent les travailleurs sur les chantiers.

Nous sommes d'accord les trois premières recommandations, à quelques détails près. Relativement à la formation professionnelle, il faudrait prévoir l'obligation pour les journaliers de suivre une session d'information pratique sur la sécurité au travail, ces travailleurs n'ayant pas à s'engager dans quelque cours de formation professionnelle que ce soit.

La surveillance préventive sur les chantiers. Nous sommes d'accord avec les commissaires pour insister sur l'aspect de la prévention des accidents, qui, par le passé, a été trop négligée. Nous appuyons la recommandation concernant les agents de sécurité permanents, mais nous nous opposons formellement à ce que ces agents gouvernementaux soient les maîtres exclusifs de l'application des mécanismes de surveillance.

Les délégués de chantier doivent acquérir le pouvoir de faire interrompre les travaux jusqu'à ce que les correctifs nécessaires aient été apportés et de surveiller les installations de façon générale.

Il est d'autant plus essentiel pour nous que les délégués de chantiers soient de façon complémentaire habilités à appliquer le code de sécurité, que le rapport Cliche n'accorde des agents permanents de sécurité que sur les chantiers employant 125 travailleurs ou davantage.

Or, les statistiques révèlent que la plupart des accidents sont survenus sur des chantiers inférieurs à cette norme. Les délégués de chantier devraient recevoir une formation intensive, en matière de sécurité, aux frais de l'employeur.

Seuls les délégués peuvent assurer une permanence de surveillance stricte sur les chantiers. Il n'y a pas moins de danger pour cinq ou dix monteurs d'acier de structure travaillant sur un chantier de cinquante hommes que s'ils travaillaient sur un chantier de 126 hommes. L'année dernière, dans ce seul métier, quatorze travailleurs ont trouvé la mort sur les chantiers au Québec.

Nous faisons aussi remarquer que la norme des 125 travailleurs ne coïncide pas nécessairement avec celle déjà prévue au code de la construction du Québec, qui stipule qu'un agent de sécurité doit être affecté à tout chantier impliquant une mise de fonds de $5 millions ou plus.

Quant à la recommandation 87, nous appuyons la commission au niveau de la nécessité de confier à un organisme unique la responsabilité de la surveillance de l'application du code de la construction. Nous estimons toutefois que la CIC, avec son service d'inspection, devrait assumer cette responsabilité; son expérience en ce domaine, son personnel déjà formé, sont autant d'arguments militant en ce sens.

Cette responsabilité devrait être sans équivoque, de façon à éviter toute confusion de juridiction comme c'est actuellement le cas.

Nous approuvons sans réserve l'ensemble des recommandations 88, 89 et 90 qui visent à identifier clairement les premiers responsables en matière de sécurité.

Nous avons déjà indiqué notre accord de principe avec la recommandation d'un tribunal spécialisé pour oeuvrer dans le secteur de la construction. Nous insistons sur la nécessité de doter ce tribunal de mécanismes de fonctionnement adéquats qui permettent l'audition très rapide des causes ayant trait à la sécurité. Une mauvaise interprétation ou application du code de sécurité peut coûter des vies. Il ne faudra pas hésiter à doter cet organisme d'un personnel nombreux et expérimenté. En ce sens, il nous semblerait nécessaire de régionaliser dans une certaine mesure les opérations du tribunal, et donc d'appointer un commissaire-enquêteur spécialisé, par région économique.

Relativement à la recommandation 93, nous voudrions la pousser une peu plus loin en réclamant l'instauration d'un véritable système de mérite et de démérite englobant, lequel système couvrirait dans son application l'ensemble des recommandations en matière de sécurité dirigées vers les entrepreneurs et serait assorti de pénalités

allant jusqu'à l'interdiction de mettre en oeuvre des travaux. Les opérations de formation et de prévention devraient être soumises au système de points.

Quant aux recommandations 92 et 94, nous les approuvons sans réserve, à condition que la définition de ces infractions les limite aux délits mineurs, ne mettant pas la vie des travailleurs en danger.

Les chantiers éloignés. Nous comprenons bien que les commissaires ne pouvaient pas accumuler une série de détails techniques dans leurs recommandations concernant les chantiers éloignés. Nous voudrions toutefois rappeler trois grand principes qui compléteraient à nos yeux les recommandations du rapport.

Les conditions matérielles de vie sur les chantiers éloignés devraient être soumises à la négociation préalablement à l'ouverture des chantiers, et le résultat de la négociation devrait être sanctionné par un règlement ministériel. Il serait possible au conciliateur d'être présent lors de ces négociations et aucun chantier éloigné ne devrait être mis en oeuvre avant qu'une entente ne soit intervenue sur les conditions de vie. Cette revendication n'enlève toutefois pas, pour nous, la pertinence des recommandations 96 et 97 sur la réglementation gouvernementale des conditions de vie minimales. De même, les questions couvertes par les recommandations 99 et 100 devraient être négociées. Le respect des ententes ainsi conclues serait assuré par la procédure des griefs et d'arbitrage et par l'autorité judiciaire, le cas échéant.

Nous voudrions aussi qu'il soit bien clair que les dispositions spéciales prévues pour les chantiers isolés devraient être étendues à tout chantier qui inclut un campement.

Enfin, pour tout ce qui concerne l'organisation des loisirs sur les chantiers éloignés, un pouvoir décisionnel devrait être remis à un comité mandaté par les travailleurs de chaque chantier, et les spécialistes en loisirs devraient travailler sous la supervision de ce comité.

La politique de main-d'oeuvre: une analyse rapide. Le rapport Cliche escamote à notre avis plusieurs dimensions importantes de la discussion sur une politique de main-d'oeuvre dans la construction. Nous regrettons que les recommandations des commissaires témoignent d'une analyse parcellaire de la réalité.

La question de la planification économique en est une qui préoccupe à juste titre le mouvement syndical; l'industrie de la construction est, de son côié particulièrement fluctuante et il s'avère effectivement impérieux de considérer la possibilité de planifier les grands travaux. Cette nécessité deviendrait pressante si les parties décidaient de négocier une formule de sécurité du revenu pour les vrais travailleurs de la construction. Le laisser-faire total qui prévaut en cette matière pourrait rapidement mettre en péril tout régime éventuel de sécurité du revenu. Il serait en effet très plausible qu'une période d'expansion assez prolongée amène une croissance des effectifs de la main-d'oeuvre dans la construction et donc des travailleurs éligibles aux prestations; si un ralentisse- ment des travaux de construction venait par la suite, la caisse de sécurité du revenu pourrait fort bien s'assécher rapidement. Il est donc de première importance que la main-d'oeuvre s'accroisse de façon régulière et soit étroitement reliée aux besoins économiques réels à long et à moyen terme.

Nous ne pouvons donc qu'endosser le principe du bloc de recommandations concernant la planification des travaux de construction mis en oeuvre par le secteur public. Cet endossement appelle cependant une réserve importante. Même si nous sommes dépourvus — et c'est visiblement le cas aussi des commissaires et des corps publics — de statistiques précises sur le poids exact des investissements publics dans le secteur de la construction, ainsi que sur la proportion des investissements fédéraux et provinciaux, on peut affirmer, sans risque d'erreurs, qu'il est illusoire de planifier si l'on passe à côté du pouvoir décisionnel fédéral.

Et nous touchons ici le coeur du problème: toute velléité planificatrice des autorités québécoises, en supposant que telle volonté existe, se bute en pratique au problème constitutionnel. Le Québec peut-il sedoterd'une politique d'emploi, s'il ne possède pas les leviers économiques nécessaires, c'est-à-dire la maîtrise absolue de la politique fiscale et financière, de la politique d'immigration, de la politique budgétaire et douanière, des politiques d'investissement, et le reste?

Nous avons déjà exprimé notre conviction que telle chose était impossible.

Nous croyons donc que des recommandations concernant la planification des travaux publics répondent non seulement à un besoin réel, mais à une analyse rapide, et ne constituent donc qu'une réponse partielle aux problèmes qu'il faut ici résoudre. Sans doute l'OPDQ, une fois dotée de mécanismes de cueillette d'informations statistiques qui nous font grandement défaut à cette heure, une fois mis en place des liens fonctionnels entre l'organisme gestionnaire d'une éventuelle caisse de sécurité et ses structures propres, serait l'organisme le plus apte à établir des calendriers de travaux et des plans quinquennaux; mais cette aptitude ne s'exercerait que dans un cadre étriqué, et ne toucherait qu'une partie des investissements publics.

Nous nous interrogeons sur la portée exacte de la recommandation 104 concernant la législation qui découlerait des travaux de l'OPDQ et du Conseil du trésor; si chaque recommandation fragmentaire de l'OPDQ devait être sujette à discussion par l'Assemblée nationale, comme le libellé peut le laisser croire, il s'agirait d'une procédure beaucoup trop lourde.

Nous avons fréquemment émis des réserves importantes sur l'opportunité et le bien-fondé des politiques de subventions des gouvernements, qui sont autant de cadeaux non mérités, non rentables et distribués en l'absence de toute politique planificatrice. A court terme toutefois, nous ne pouvons pas désapprouver la recommandation 107 concernant la mise sur pied d'une politique incitative fondée sur ces politiques de subventions et de pri-

vilèges fiscaux. Mais nous nageons encore en pleine absurdité dans la mesure où le Québec n'a pas un contrôle absolu en la matière. Nous ne connaissons pas l'impact précis des subventions, des prêts originant d'organismes publics, des privilèges fiscaux; nous savons seulement qu'en l'absence de collaboration et de planification interne entre les deux niveaux de gouvernement, il s'agit encore ici d'une recommandation illusoire.

Nous recommandons donc pour notre part la création d'un comité interministériel fédéral-provincial chargé de planifier les travaux initiés directement par des organismes publics ainsi que de planifier l'ensemble des mesures incitatives à l'endroit des travaux privés, dans le cadre des programmes et plans définis par l'OPDQ. A long terme, nous croyons qu'il faudrait considérer la possibilité d'un dirigisme plus considérable de la part des autorités gouvernementales, lequel dirigisme pourrait prendre la forme d'une émission provinciale de permis de construction, parallèlement au système de permis municipaux, qui ne répond qu'à des critères d'urbanisme. Au contingentement de la main-d'oeuvre doit correspondre le contingentement des travaux et leur répartition sur des périodes assez longues pour stabiliser l'industrie.

Les victimes désarmées. La FTQ a souvent décrit l'insécurité d'emploi et la concurrence de main-d'oeuvre qu'elle entraîne comme la source principale des phénomènes de violence et de corruption qu'on retrouve dans le secteur de la construction. Les travailleurs sont les victimes de cette situation qu'entraîne un régime économique anar-chique, uniquement assujetti aux exigences de profit du capital privé.

Les travailleurs savent qu'ils ne peuvent pas compter sur les gouvernements à cause de l'asservissement des partis politiques qui les contrôlent. Bien plus, dans le secteur particulier de la construction, les gouvernements ont jusqu'ici contribué à rendre encore plus instable l'économie. Préoccupés qu'ils sont des exigences électorales, ils utilisent fréquemment les projets publics de construction comme des arguments de vente, insouciants des conséquences économiques parfois désastreuses.

Le contrôle partiel du placement par les syndicats devient donc un acquis important pour les salariés. Il leur permet de combattre les effets de l'instabilité de l'industrie en favorisant le placement des "vrais travailleurs" de la construction. Il s'agit là d'une arme imparfaite, mais unique, que la commission leur retire au profit d'un système sur ordinateur contrôlé par l'Office de la construction.

Nous croyons qu'un tel service ne pourra jamais rencontrer les avantages que garantissaient aux travailleurs leurs propres bureaux de placement: a) l'importance accordée au facteur humain: On peut y tenir compte de l'âge du travailleur, de la difficulté des travaux, de ses capacités physiques permanentes ou temporaires, de ses éventuelles allergies, de sa capacité ou de son incapacité à travailler en hauteur, dans certaines condi- tions climatiques, dans des régions éloignées, et de multiples facteurs qui ne sont peut-être pas énumérés ici. b) La connaissance des spécialités multiples à l'intérieur de sa qualification professionnelle. Des métiers comportent huit ou dix spécialités et certaines d'entre elles n'ont aucune similitude. Des travailleurs, ayant des connaissances théoriques sur l'ensemble de leur qualification, n'ont une connaissance pratique que d'une partie de leur métier et préfèrent se cantonner dans un type donné de travaux; c) La souplesse des bureaux de placement syndicaux, capables de répondre à des urgences de tout genre sept jours par semaine, vingt-quatre heures par jour, 52 semaines par année. Lorsque surviennent, par exemple, des explosions dans des raffineries, que des bouilloires ou des réservoirs sautent, lorsque des réparations urgentes doivent être effectuées, les bureaux de placement syndicaux, qui ne sont pas embourbés dans la bureaucratie des services gouvernementaux, répondent rapidement aux demandes. d) Le placement à l'extérieur du Québec, dans les autres provinces, aux USA et dans le reste du monde, devra continuer de s'effectuer. Dans des périodes de chômage important, comme nous risquons d'en connaître après l'euphorie des années 1975 et 1976, le placement extérieur prend l'allure d'une soupape fort importante pour le marché du travail québécois.

Nous comprenons mal que la commission, qui a surtout constaté des anomalies, du favoritisme et de la corruption dans le système gouvernemental de placement, abolisse le placement syndical et remette la totalité de cette responsabilité à un office contrôlé par l'Etat. Pour nous, le placement syndical est un droit acquis qui gagnerait à être généralisé. Nous formulions la proposition suivante dans "Le droit au travail":

Que l'acquisition et la protection du droit au travail soient assurées par les mesures suivantes: a) Obtention par les bureaux de placement syndicaux de la juridiction exclusive du placement dans le secteur de la construction; b) Publication, par les organismes syndicaux impliqués dans le placement, des règlements et critères de fonctionnement de leurs bureaux; c) Gel immédiat de la main-d'oeuvre autorisée à travailler dans le secteur de la construction. Cette main-d'oeuvre serait constituée exclusivement des membres de chaque centrale syndicale véritablement en règle au moment de l'adoption de cette mesure. Chacune des centrales serait tenue de publier une liste complète de ses membres; d) Formation d'un comité conjoint chargé d'évaluer les besoins en main-d'oeuvre et d'émettre sur une base temporaire des cartes de "droit au travail". Ce comité ne permettra l'émission de nouvelles cartes permanentes que lorsqu'il aura fait la preuve que les besoins à long terme de l'industrie le justifient; e) Mise sur pied d'un comité interministériel fédéral-provincial devant tenter de planifier l'injec-

tion de capitaux publics dans le secteur de la construction et devant informer le comité conjoint de ses projets.

Nous recommandons aussi, que les commissaires-enquêteurs puissent disposer, en plus du pouvoir de statuer sur des problèmes relatifs aux mouvements de main-d'oeuvre — congédiement, mise à pied, embauchage et suspension — du pouvoir de trancher les conflits relatifs au placement. Ainsi, tout salarié ou tout travailleur croyant avoir été lésé par les opérations de placement aurait un recours rapide et exécutoire.

La commission Cliche, à propos du placement, comme de bien d'autres activités propres au secteur de la construction, a assimilé les pressions exercées parfois contre certains employeurs via les bureaux de placement, à du chantage et de l'intimidation. Si le placement syndical a été quelquefois utilisé comme une arme, c'est que l'abus des employeurs n'était soumis à aucun contrôle. Les fraudeurs de tout acabit, qui disparaissent avec les salaires et les bénéfices marginaux des travailleurs pour réapparaître sous de nouvelles raisons sociales, ne recevaient que la monnaie de leur pièce en se faisant refuser de la main-d'oeuvre. Il en était de même pour certains employeurs qui refusaient de respecter le décret ou les règles de sécurité. Aujourd'hui, on invite les travailleurs qui sont toujours les victimes d'un système anarchique à se désarmer et à faire confiance aux ordinateurs. Qu'on leur reconnaisse le droit de protester avant de mettre leur tête sur le bûcher.

Sécurité du revenu. La FTQ croit qu'un régime juste de sécurité d'emploi dans la construction devra être complété par un système de sécurité du revenu. Cependant, nous croyons qu'il appartient aux travailleurs de décider à quel moment un tel système devient une priorité de négociation. Lors des dernières négociations, certains avaient exprimé le désir de constituer des caisses de sécurité de revenu. Ils ont été forcés de changer d'idée et de convertir en salaire les fonds ainsi négociés. L'instabilité économique générale, qui prend plus d'acuité dans le secteur de la construction, jointe au phénomène de l'inflation que nous connaissons bien, a convaincu les travailleurs que les régimes à long terme sont fort coûieux à court terme.

Ils seraient plus facile à convaincre si leurs salaires n'étaient pas continuellement rongés par l'inflation, si un vrai régime de sécurité d'emploi s'instaurait et si une certaine stabilité d'emploi était acquise. Dans un tel contexte, les sacrifices à faire pour alimenter une caisse de sécurité de revenu seraient moins onérejx.

Quoi qu'il en soit, nous trouvons curieux que la commission parle de négociations alors qu'elle fixe elle-même le délai dans lequel elles devraient se tenir et les limites à l'intérieur desquelles elles devraient s'effectuer.

Ces précisions constituent pour nous une négociation du droit à la négociation.

Consciemment ou non, la commission d'enquête sur l'exercice de la liberté syndicale dans l'industrie de la construction a ouvert la voie à une accélération de la répression. Elle a été utilisée pour justifier l'adoption de mesures de contrôle dont rêvent depuis longtemps les possédants d'ici, mais surtout le capital étranger, qui risque gros chez nous. On donne sur un plateau d'argent aux inspirateurs du rapport Fantus les garanties de paix industrielle et sociale qu'ils réclament.

Pour y parvenir, on a réédité le coup de la Loi des mesures de guerre, mais en plus raffiné. On a d'abord multiplié les gestes de provocation répressive: Affrontement avec le front commun dans le secteur public; emprisonnement des chefs syndicaux; poursuites légales contre des centaines de grévistes, pourrissement des conflits, injonctions.

Pendant ce temps, les politiciens reviennent à la charge, mettant le doigt sur les conséquences dangereuses des troubles syndicaux sur l'économie.

Dans le secteur de la construction, où l'on vit de façon plus brutale l'instabilité économique et les rapports patronaux-syndicaux, l'exaspération monte plus vite. Le gouvernement n'agit pas sur les problèmes fondamentaux qui sont l'insécurité d'emploi, l'insécurité physique, la concurrence de main-d'oeuvre.

Très souvent, des conflits éclatent, des flambées comme celle de la baie James, des luttes généralisées comme celle pour l'obtention de l'indexation des salaires. La tactique gouvernementale est toujours la même: Laisser pourrir, provoquer des affrontements graves et répliquer par des mesures répressives qui lui donnent l'allure du législateur énergique.

Ces mesures, la plupart du temps, étaient exceptionnelles. La commission Cliche cristallisant avec les moyens qu'on sait l'image du désordre, de la corruption et de la violence généralisée, l'opinion publique est préparée à recevoir de? mesures de contrôle permanentes.

Les commissaires sont d'autant plus utiles au pouvoir que, tout au long, ils ont eu l'air de se porter à la défense des petits contre les gros. Ils n'ont semblé rechercher rien d'autre que la paix, l'harmonie, la fraternité entre les hommes enfin séparés des "crapules".

Ceux qui préparent l'instauration d'un régime totalitaire moderne au Québec n'eurent qu'à monter de quelques crans les interventions réclamées par les commissaires et ils avaient entre les mains des législations qui assurent une mainmise quasi totale de l'Etat sur le syndicalisme.

Et ils n'ont pas fini. Après les loi 29 et 30, le projet de loi 24. D'autres suivront. A chaque fois, froidement, on vérifie jusqu'où on peut aller trop loin.

Nous ne demandons pas aux membres de l'Assemblée nationale de partager nos analyses et nos conclusions. Nous demandons seulement à ceux qui veulent vraiment la paix sociale de ne pas se laisser endormir par ceux qui leur promettent un monde harmonieux dans l'ordre et la soumission. Cette paix serait hypocrite parce qu'elle présuppose le piétinement de droits collectifs durement conquis. Elle serait hypocrite parce qu'elle présuppose l'injustice. Nous demandons à ceux qui recherchent la paix de ne pas couvrir de bons

sentiments les mesures totalitaires et dictatoriales de ceux qui chérissent surtout le pouvoir.

Le Président (M. Séguin): M. Daoust, je constate...

M. Daoust: Vous avez, dans les documents qui suivent — seulement deux mots — les antécédents des gérants et des représentants d'affaires de la plupart de nos syndicats. Il y a peut-être des omissions ici et là. Elles ne sont pas dues au bill 30, mais elles sont dues à la rapidité avec laquelle on a dû préparer le document qui vous est soumis. Vous y verrez le nombre d'années que ces gens ont passé dans le métier et le nombre d'années qu'ils ont comme représentant syndical.

Il y a des bonshommes qui ont 30 ans et même 40 ans de pratique dans un métier et des dizaines d'années de pratique dans leur syndicat.

A la toute fin, il y a cette loi que certains n'avaient peut-être pas vue. Je m'excuse. Pas la loi, mais la convention 87 de l'Organisation internationale du travail qui peut être un document de chevet pour certaines personnes qui pourraient en faire leur utilité.

Je vous remercie beaucoup, M. le Président. Je vous remercie, M. le ministre.

M. Cournoyer: C'est avec beaucoup d'intérêt et d'attention que j'ai entendu la lecture du mémoire de la FTQ. Il y a un certain nombre d'endroits où j'ai sursauté, je pense que vous comprendrez. Ce n'est pas ma faute si cela ne marche pas. Il n'y a pas de haut-parleurs ici? Ah! si on me l'avait dit. C'est parce qu'il n'y a pas de haut-parleurs.

Il y a un certain nombre d'endroits où j'ai sursauté. Je pense bien que c'est l'analyse la plus complète et totale possible que la FTQ a faite en établissant son point de vue. D'autres ont déjà établi leur point de vue devant cette commission. Nous avons posé hier à la CSN, la compétitrice ordinaire et habituelle de la FTQ, des questions; malheureusement, la CSN n'avait pas un mémoire aussi précis et étayé que celui que vous avez lu ce matin. Je pense bien que recommencer les questions que j'ai posées hier à la CSN, compte tenu de la nature du mémoire qui est ici, les réponses s'y trouvent déjà du côté de la FTQ. Je ne crois pas qu'il y ait lieu de retourner et de recommencer ces questions.

Quand je sursaute, c'est quand vous accusez le gouvernement d'une tactique, toujours la même, laisser pourrir, provoquer les affrontements graves, répliquer des mesures répressives qui lui donnent l'allure du législateur énergique. Je sursaute alors. Je fais partie de ce gouvernement et je constate que certaines lois ne font pas l'affaire de tous les citoyens et que, par ailleurs, elles viennent au moins régler un certain nombre de situations. La place où vous me fatiquez le plus, c'est quand vous me dites que la loi 201 n'est pas bonne. Là, vous m'avez énervé parce que, celle-là, la dernière fois qu'on l'a utilisée, c'était quand même pour régler un problème suscité par de l'inflation dans la construction. Je ne peux pas dire que les gens de la FTQ en ont été les victimes, mais certains travailleurs en ont certainement bénéficié. Lorsque vous parlez de pourrissement des conflits, je vous rappelle que le conflit majeur que nous avons eu l'été passé a été l'objet de longues discussions devant la commission Cliche et que, dans ce conflit en particulier, il y a quelqu'un qui a utilisé le ministère du Travail à ses propres fins, beaucoup plus que le ministère du Travail n'a laissé pourrir le conflit de la construction. Je ne veux pas faire et refaire d'histoire, mais je vous assure que dans le conflit de la construction, si on parle toujours de négociation libre et qu'on dit qu'on a signé une convention collective, ce que le ministre du Travail et son ministère ont cherché, c'est de faire rouvrir la négociation libre, et c'est devant l'impossibilité de réussir que nous avons voté la loi 201. Si c'est une loi répressive, je m'engage formellement — si c'est, je le dis bien, une loi répressive — à la retirer, à la condition de la remplacer par quelque chose de mieux, c'est-à-dire une volonté de paix généralement retrouvée après que les lois qui s'inspireront sans doute du rapport Cliche, auront été votées.

Je n'ai pas d'autres questions à poser. C'était surtout un commentaire que je me devais de faire et que je croyais utile dans les circonstances.

Le Président (M. Séguin): Merci, M. le ministre. Est-ce qu'il y a d'autres membres de la commission qui ont des questions?

Alors, je remercie les représentants de la... M. Daoust...

M. Cournoyer: Je peux dire une chose, le mémoire de la FTQ, je tiens à vous dire que j'en tiendrai compte dans l'analyse du rapport Cliche. Vous comprenez ce que je veux dire? Ce n'est pas une fin de non-recevoir, je veux que ce soit compris que j'en tiendrai compte dans la rédaction des lois qui doivent être déposées au Parlement avant la fin de la présente session.

Le Président (M. Séguin): Je vous remercie M. Daoust, ainsi que vos collègues de la fédération. La commission ajourne ses travaux sine die.

(Fin de la séance à 12 h 53)

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