(Douze heures quarante-cinq minutes)
M. Khadir
: Bonjour, tout
le monde. Merci d'être là.
Trafic d'influence. Trafic d'influence,
c'est le mot utilisé par le témoin que nous avons entendu hier à la commission
Charbonneau, c'est-à-dire le P.D.G. d'une firme de génie-conseil, M. Georges
Dick, lorsqu'il décrivait les activités de Marc Bibeau, grand collecteur de
fonds du Parti libéral et proche conseiller de M. Jean Charest. C'est sûr que,
dans ce contexte, la question qui est dans la tête de milliers de Québécois,
c'est : Qu'est-ce qu'on attend? Qu'est-ce qu'on attend pour aller plus
loin?
Parce qu'après tout, quand on parle de
Marc Bibeau, malgré toute l'importance qu'il a pu avoir comme chef d'orchestre
pour ramasser des fonds, pour convaincre les entreprises de construction de
donner des retours d'ascenseur au Parti libéral en retour de juteux contrats
publics, c'est quand même un exécutant. Il répondait d'abord à une commande
politique qui devait venir, comme au PQ d'ailleurs, qui devait venir, donc, des
instances décisionnelles du parti. Et, quand on parle d'un parti, celui qui, en
dernier lieu, est responsable des décisions, des orientations, c'est le chef du
parti et, à l'époque, c'était Jean Charest.
Alors, je m'adresse solennellement à la
commission Charbonneau et à la juge de la commission, Mme Charbonneau, pour
dire que les Québécois ont des attentes, que nous sommes dans une situation où
nous ne pouvons pas nous permettre d'être déçus par les activités de la
commission Charbonneau. La commission Charbonneau a une responsabilité qui
émane du fait que, pendant des années, des journalistes, des femmes et des
hommes libres et courageux sont venus dénoncer la situation, et, ensuite, il y
a eu des milliers de gens qui ont signé des pétitions, qui ont marché dans la
rue. Il y a une commande politique. Oui, il y a une commande politique qui
vient de la mobilisation de la population qui a forcé le gouvernement Charest à
accepter une commission. Et nous avons une commission pas pour identifier des
exécutants ou des boucs émissaires.
Je pense qu'on a assez entendu les Nathalie
Normandeau, les Guy Chevrette, sur leur part de responsabilité, mais, après
tout, comme M. Marc Bibeau, ce ne sont que des exécutants d'une orientation
décidée dans les plus hautes sphères de ces partis. Et donc il y a un grand
absent encore… il y a des grands absents : les chefs des différents
partis, les plus hauts responsables des partis du Québec, c'est-à-dire le Parti
libéral et le Parti québécois. Et donc nous nous attendons à la comparution de
M. Charest ou, à tout le moins, une explication. Si M. Charest est impliqué
dans une enquête de l'UPAC ou une enquête judiciaire qui l'empêche d'être
présent, bien, au moins, il faudrait que, dans le travail de la commission, ce
soit transparent et qu'on comprenne bien que la commission s'attaque aussi aux
plus hauts responsables du Parti québécois et du Parti libéral dans les
décisions qui ont été prises.
Ensuite, M. Couillard porte une responsabilité
maintenant. Quand on parle du trafic d'influence, on parle des contrats donnés
en retour d'argent sale avec lesquels les partis ont gagné leur élection, ont
gagné des votes, ont gagné des élections. Si M. Couillard veut bien nous
montrer que l'époque du trafic d'influence est terminée, nous nous demandons
pourquoi est-ce qu'on continue des projets qui nous ruinent, qui ruinent les finances
publiques comme la Romaine. Il y a deux autres phases qui restent à la Romaine.
Déjà, les deux premières phases de la Romaine, plus les minicentrales, qui sont
des contrats donnés aux amis du parti pour les amener à financer la caisse du
parti, c'est des contrats qui nous coûtent 500 millions parce qu'on
produit de l'électricité à perte. Ça, même la direction d'Hydro-Québec en a
convenu. Donc, il est temps de suspendre ces grands chantiers qui sont des
chantiers ruineux. On n'a pas les moyens de jeter l'argent des Québécois par la
fenêtre juste parce qu'il y a eu trafic d'influence pour la réalisation de ces
projets.
Je voudrais terminer en posant une
question à la direction du Parti québécois, à M. Bédard, aux différents
prétendants de la course à la chefferie : Mais où est-ce qu'ils sont pour
réclamer que la commission Charbonneau, d'abord, enquête et demande la
comparution de M. Charest? Moi, je me serais attendu à ce que la direction du
PQ déchire sa chemise, la direction de la CAQ déchire sa chemise pour s'assurer
que M. Jean Charest comparaisse devant la commission Charbonneau. Puis où
est-ce qu'ils sont pour justement mettre fin aux décisions qui ont été prises à
cause de ce trafic d'influence, notamment les chantiers de la Romaine et les
minicentrales électriques?
Merci de votre attention.
M. Bergeron (Patrice)
:
Qu'est-ce que vous faites, M. Khadir, de l'indépendance de la commission qui ne
veut pas se faire dicter ses travaux?
M. Khadir
: La
commission n'est pas indépendante. La commission Charbonneau dépend de la
volonté populaire. Il y a eu une commande politique dictée par la volonté de la
population et le travail fait par l'opposition pour obtenir la commission. La
commission est libre, oui, de prendre les moyens à sa disposition, mais la
commande est une commande politique qui vient de la population. Nous avons
besoin d'identifier les responsables et les mécanismes. Et il est évident que
là on a un problème de crédibilité. Si, à la fin de tout ça, on n'a que des
menus larcins, on a des petits poissons, des exécutants ou des boucs
émissaires, il y a un problème.
M. Gagnon (Marc-André) :
Marc-André Gagnon du Journal de Québec. Donc, je comprends bien que vous
demandez, autrement dit, à la fois au Parti québécois et à la CAQ de joindre
leurs voix à la vôtre pour demander à ce que M. Charest…
M. Khadir
: Bien sûr,
à moins qu'ils aient quelque chose à se reprocher. Mais je pense qu'à tout le
moins les Québécois s'attendent à ce que Charest, un responsable du parti
politique, un ancien chef du Parti québécois, ou le chef actuel et Mario
Dumont, parce que tous ces partis-là ont été impliqués dans le financement
illégal, dans ces financements qui sont venus de firmes de génie-conseil pour
s'acheter de l'influence au pouvoir, sont impliqués. À tout le moins, ces
trois-là devraient être là. Il me semble que dans le travail qu'on mène depuis
quatre mois…
J'ai posé la première fois la question sur
Marc Bibeau… La première personne au Québec qui a posé la question directement,
c'était moi, en octobre 2010, à l'Assemblée nationale, à M. Charest. À
l'époque, son leader s'est levé pour me traiter d'adepte de complot, ce genre de
chose là, que c'était du vent. Bien, aujourd'hui, on voit que c'était très
crédible, que M. Marc Bibeau avait un rôle très proche dans le financement du
Parti libéral. Mais M. Marc Bibeau est un exécutant après tout, il opérait pour
la direction du PLQ. Qui était à la direction du PLQ à l'époque? C'était M.
Charest.
Alors, nous pensons qu'il faut que les
plus hauts responsables politiques répondent de ces affirmations.
M. Bergeron (Patrice)
:
Mais pourquoi la juge Charbonneau, selon vous, donc, n'a toujours pas convoqué
le grand chef?
M. Khadir
: Le
pourquoi, je pense, importe peu, est secondaire. Là, aujourd'hui,
collectivement, il y a une attente. Soit que ces gens-là sont sous une enquête
judiciaire, puis on juge plus opportun de ne pas les inviter, soit, mais on
peut nous l'expliquer, parce que, je vous le répète, la commission ne peut pas
nous décevoir. Après quatre ans de tout ça, après quatre ans de tous ces
efforts, après quatre ans où des gens sont venus mettre leur santé, leur vie,
leur commerce en jeu pour témoigner, on ne peut pas se satisfaire de juste
d'exécutant. Il faut identifier les responsables.
M. Bellerose (Patrick) :
Êtes-vous surpris par le fait que la commission a si peu abordé le volet politique
provincial?
M. Khadir
: Bien, je suis
surtout déçu pour le moment. Je ne peux pas en dire plus. Il y a toujours le
moyen de rectifier les choses, et peut-être qu'on n'a pas besoin de… C'est
possible, mais la commission peut nous expliquer, peut dire : Nous avons déjà
notre travail fait de ce côté-là, et ça va être dans les résultats de notre
rapport, soit. Mais je pense qu'à cette étape-ci la population a une question
lancinante, importante, qui est très, très pertinente : Pourquoi les
responsables, les plus hauts responsables du Parti québécois, de l'ADQ de
l'époque et du Parti libéral n'ont pas été convoqués? Mme Normandeau, là, comme
M. Couillard étaient des exécutants. C'étaient des ministres.
M. Gagnon (Marc-André) :
Êtes-vous aussi déçu de l'exercice qui a été mené par la commission avec M.
Accurso dans les derniers jours?
M. Khadir
: Non. Bien
là, je ne rentrerai pas dans ce détail-là. Ce qui importe, c'est d'identifier
les responsables dans toute cette… dans l'organisation du trafic d'influence.
Maintenant, comment, dans le menu détail, la commission, disons, les procureurs
mènent leurs interrogatoires, je pense qu'on peut… tout le monde peut donner
son avis. Ce qui important, c'est qu'à la fin de l'exercice la commission capte
ce désir, cette volonté populaire et le mandat qui lui a été confié par la
population. Ce n'est pas M. Charest qui a donné le mandat réellement à Mme
Charbonneau et à la commission, c'est la population du Québec, c'est les
250 000 signataires de la pétition qui était sur le site de l'Assemblée
nationale, c'est les manifestants, c'est les journalistes, c'est ceux qui ont
pris des risques pour sonner l'alarme.
M. Bellerose (Patrick) : Si
les hauts dirigeants ne témoignent pas devant la commission, est-ce que la
commission aura failli à la tâche?
M. Khadir
: Non, mais
la commission peut en tirer des conclusions. La commission a bien d'autres
informations à sa disposition que juste les affirmations de Mme Normandeau, de
M. Chevrette ou éventuellement de M. Charest ou de Mme Marois. Mais il faut que
la commission accepte le fait qu'elle doit aller au bout et n'a pas à se gêner.
La commission n'a pas à se gêner de prendre de précautions, de faire des
calculs politiques, parce que, ce faisant, ce que ça nous coûte, ça va encore
être des milliards de dollars, parce que, si on est complaisants avec ça, le
système va continuer de bien d'autres manières.
M. Gagnon (Marc-André) : Donc,
à votre avis, M. Charest serait le grand responsable de ce présumé trafic
d'influence?
M. Khadir
: Bien, le
Parti libéral, personnifié par sa direction, M. Charest, si ça s'avère. Et tout
nous porte à croire aujourd'hui qu'il y avait un système de trafic d'influence
mis en place.
M. Bergeron (Patrice)
:
Dans un autre ordre d'idées, M. Khadir, ça fait des mois qu'on a un vaste débat
sur les projets de loi sur les retraites, les régimes de retraite. On ne vous a
pas entendu sur cette question-là, ce qui est assez surprenant.
M. Khadir
: Nous avons
émis plusieurs communiqués. Nous laissons le temps à tout ce débat d'être,
disons, ouvert sur la place publique. C'est un débat très complexe. Nous vous
reviendrons dès la rentrée parlementaire. Nous avons des choses à dire sur le projet
de loi, sur ce que le gouvernement pourrait faire. Mais ça va être à la
rentrée, dès…
M. Bellerose (Patrick) : …rentrée
parlementaire, par exemple?
M. Khadir
: Nous
allons participer en temps opportun.
M. Bellerose (Patrick) : Vous
n'avez pas participé…
M. Khadir
: Oui, mais
ça, c'était une audience publique, c'était des groupes qui étaient entendus. L'important,
c'est lorsque le projet de loi va être mis au vote d'abord sur son principe et
ensuite dans le processus d'amendement. Nous sommes en train de travailler tout
ça avec des partenaires. Nous allons rencontrer des gens dans le milieu
syndical, nous allons rencontrer des responsables politiques et, vous allez
voir, la semaine prochaine, nous allons tout vous décrire ça.
M. Bergeron (Patrice)
:
Pourquoi ça prend tant de temps pour que vous définissiez votre position
là-dessus?
M. Khadir
: Notre
position est très claire. Nous l'avons émise dans le communiqué déjà il y a
deux semaines. Nous sommes tout à fait contre le projet de loi n° 3. Nous
pensons qu'il faut que ça soit une solution négociée. Et aujourd'hui, de plus
en plus, notre position s'avère juste quant aux questionnements sur les
chiffres avancés. Le déficit de 3 point quelques milliards qu'on a brandi, là,
ça semble être très, très questionnable. Il y a même une firme comptable très
réputée qui est arrivée à la conclusion qu'on n'en est pas là, il n'y a pas vraiment
de déficit majeur. Il y a certains… oui, il y a des problèmes pour la
capitalisation de certains régimes de retraite, mais on reviendra en détail sur
toutes les solutions qui existent.
Mais il y a une chose. Depuis 2012, nous
suggérons un régime de retraite universel amélioré. Et vous savez quoi? Le gouvernement
ontarien, qui est un gouvernement libéral à côté de nous, c'est tellement bon,
notre projet, qu'ils sont en train de faire exactement la même chose. Donc, au
lieu de s'attaquer à des gens qui ont des retraites, ce qui ne réglera rien de
ceux qui n'en ont pas, le gouvernement ontarien a décidé d'améliorer le régime
de retraite de tout le monde. Et on va vous décrire comment et avec quelle orientation
la semaine prochaine. Merci.
(Fin à 12 h 58)