(Onze heures vingt-quatre minutes)
Mme Lamarre : Bonjour. Alors,
très contente de vous voir ce matin. On aborde le dossier que le ministre a
présenté hier, qui concerne, dans le fond, une espèce de pseudojustification
que, pour évaluer, pour arriver à faire une évaluation à l'acte, on doit passer
par des cliniques privées qui vont faire des actes.
Alors, d'abord vous dire que ça m'apparaît
être clairement un subterfuge, subterfuge parce qu'on n'a pas besoin de lier le
financement à l'activité avec le fait que des activités soient faites dans des
cliniques privées. Et je vous donne deux angles. Si vraiment, l'objectif, c'est
d'augmenter l'accès, bien, l'argent donné aux cliniques privées pour des
spécialistes, et on se rend compte, encore des spécialistes, radiologie,
chirurgie, bien, cet argent-là devrait être donné dans les hôpitaux.
Clairement, à plusieurs occasions, que ce soit avec l'AQESSS, l'Association
québécoise des établissements de santé, avec la FIQ, on nous dit : Les
plateaux techniques dans les hôpitaux sont sous-utilisés, on doit les utiliser
plus longtemps déjà dans les plages horaires où ils sont supposés être
disponibles entre 8 heures et 16 heures, mais on peut les rendre
disponibles entre 16 heures et 22 heures le soir. Et, à ce moment-là,
on va offrir à la population un meilleur accès. Donc, l'argument de l'accès, il
n'est pas là.
Maintenant, son autre argument, qui
m'apparaît encore plus farfelu, c'est de vérifier le vrai coût. Comment on peut
prétendre que, dans une clinique privée, on va vérifier le vrai coût d'une
intervention qui, normalement, est faite dans un établissement de santé? Alors,
ce qui est certain, si on parle de la chirurgie de la hanche, si on parle de
différents types de chirurgies, bien, les cas qui vont se retrouver dans une
hospitalisation d'un jour vont être des cas simples, des cas de patients qui
n'ont pas d'autres maladies, qui n'ont pas d'autres complications.
Par exemple, un patient anticoagulé, s'il
a besoin d'une chirurgie, il est beaucoup plus à risque. Est-ce que ce sont ces
patients-là qu'on va faire voir dans les cliniques privées? On va probablement
dire : Non, ça, ça va à l'hôpital. Les patients qui ont des comorbidités,
qui ont du diabète, qui ont toutes sortes d'antécédents qui sont beaucoup plus
complexes, bien, on va les voir à l'hôpital. Les complications des opérations,
et on le voit déjà, là, avec la clinique de l'Institut de l'oeil des
Laurentides... Alors, c'est le volume facile et, quand les gens ont des
complications, par exemple, sur une cataracte, bien, c'est l'Hôpital de
Saint-Jérôme qui voit la complication. Alors, comment on peut comparer des
pommes et des raisins alors qu'on n'a pas la même clientèle, on n'a pas le même
contexte de travail?
Donc, la question qu'on se pose, c'est :
Pourquoi le ministre prétend-il que de faire passer des gens dans une clinique
privée, ça va lui permettre de trouver le vrai coût? C'est drôle, en Suède, on
a trouvé des vrais coûts puis on l'a fait que dans les hôpitaux, on n'a pas
fait ça avec des cliniques privées.
Alors, il y a vraiment un faux étalonnage
quand on utilise les cliniques privées. C'est vraiment... ce n'est pas le bon
laboratoire pour mesurer le coût réel des infrastructures. En plus, les
hôpitaux ont énormément d'obligations de toutes sortes, qui sont des obligations
qui, au fil des ans, ont démontré qu'elles protégeaient la population. Je vous
donne quelques exemples. Il y a un comité d'éthique clinique, un comité de
pharmacologie, un CMDP, un comité des médecins... un conseil des médecins,
dentistes et pharmaciens. Il y a énormément de comités qui sont nécessaires
pour assurer la protection des citoyens que la clinique privée ne sera pas
tenue d'avoir et d'offrir.
Donc, c'est clair, le choix du ministre,
c'est qu'on privatise. On se donne des moyens. Moi, je peux déjà vous dire la
conclusion à laquelle il va arriver, c'est que ça coûte moins cher au privé
qu'au public parce qu'il donne le volume facile au privé, et tous les cas sur
mesure, complexes et risqués vont se retrouver au public. Alors, c'est vraiment
deux poids, deux mesures.
Dans les autres éléments, je vous dirais,
le projet pilote qui va jusqu'en décembre 2018, c'est un très, très long projet
pilote, là, ça m'apparaît être long. D'habitude, un projet pilote, au Québec,
c'est un an, deux ans, mais là il va vraiment très loin. Toute la capacité
d'extrapoler dans trois cliniques qui se font dans des régions urbaines ou
banlieues, comment on va déterminer les vrais coûts correspondants dans les
régions, c'est tout à fait un mythe. Pourquoi? Parce que, d'abord, comment on
va trouver les bons coefficients pour pondérer la distance, pour pondérer la
diminution de volume? Parce que c'est sûr que des fractures de hanche en
Abitibi-Témiscamingue, on en a moins qu'en Montérégie, à Longueuil. Et aussi la
notion de services essentiels. Quel que soit le coût, à un moment donné, il
faut avoir des services essentiels. Une césarienne au Lac-Saint-Jean, il faut
qu'on puisse la faire à l'intérieur d'un délai rapide.
Alors, ces façons de paramétrer sont
vraiment très différentes et ne donnent pas vraiment l'impact qu'il prétend que
ça va donner.
Je ne sais pas si vous avez vu, dans le
projet de loi, il y a également... parce qu'il nous a beaucoup parlé hier au
point de presse... il vous a parlé parce qu'on n'était pas invités, mais il
vous a parlé, les journalistes, du prix coûtant, du prix de revient. Mais,
quand je regarde ce qui a été déposé au niveau du projet pilote dans la Gazette
officielle, l'article 24 prévoit une marge de profit. Ah! c'est drôle, je
ne sais pas, est-ce que vous avez entendu un pourcentage de la marge de profit
raisonnable qu'il considérait accorder aux cliniques privées? Et, quand il dit
que ça ne coûtera rien de plus aux citoyens, bien, ça ne leur coûtera pas de
frais quand ils vont y aller, mais ça va coûter à l'ensemble du système de
santé de l'argent qui ne sera pas mis à l'intérieur des hôpitaux, clairement.
Alors, je pense qu'on a vraiment un
exemple d'une situation où le ministre fait exprès pour mélanger des dossiers,
mais ni un ni l'autre ne se justifie par les choix qu'il fait.
M. Chouinard (Tommy) : ...on
en a parlé au ministre Barrette, tout à l'heure, il a d'abord dit que les
cliniques ne feraient pas de profit pour ensuite reconnaître le contraire et
dire qu'il négociera, donc, la valeur des profits avec les cliniques privées. Ça
augure quoi?
Mme Lamarre : Ça ne ressemble
pas aux frais accessoires, un petit peu, ça? On ne sait pas où il s'en va, on
ne sait pas qu'est-ce que ça va donner, mais il y a de l'argent de plus et il y
a de l'argent pour qui encore? Il y a de l'argent pour des spécialistes qui ont
leur propre clinique au privé. C'est ça. C'est ça, la réalité, là. Il faut
bien, bien comprendre comment ça fonctionne. Les cliniques qui sont visées sont
des cliniques qui appartiennent à des médecins et principalement à des médecins
spécialistes.
Alors, écoutez, ce n'est jamais assez pour
le ministre. C'est un puits inépuisable, la capacité qu'il a de trouver des
façons de donner de l'argent aux médecins et de ne pas nécessairement avoir de
garantie pour la population. Quand est-ce qu'il va mettre un peu d'argent pour
les infirmières praticiennes spécialisées puis qu'il va leur permettre
d'offrir... qu'on en ait 2 300, comme il y en a en Ontario, au lieu d'en
avoir juste 300 au Québec? Quand est-ce qu'il va investir un peu? Il refuse aux
internes en psychologie de leur donner une petite rémunération pendant leur
stage, qui les aiderait. On pourrait lier cette rémunération-là au fait qu'ils
pourraient rester pendant deux ou trois ans dans le secteur public au lieu de
s'en aller au privé, alors qu'on a des enfants sur le Ritalin, qu'on a des
problèmes de personnes âgées avec des problèmes cognitifs. Il met tout
l'argent, incontestablement, à répétition, du côté des médecins et du côté du
privé, cette fois-ci. Vraiment, clairement, c'est une privatisation.
M. Caron (Régys) : Se
pourrait-il, Mme Lamarre, que les cliniques privées, en dépit des
contraintes que vous avez énumérées pour les hôpitaux, se pourrait-il donc que
les cliniques privées soient plus efficaces pour donner les soins?
Mme Lamarre : Bien, écoutez, c'est
comme si vous me disiez : Est-ce que je vais pouvoir servir plus de
personnes si je vais chez McDonald, où j'ai juste trois menus puis je sers
toujours la même chose, ou bien si je suis dans un restaurant où on a un menu
gastronomique? Alors, c'est sûr qu'il y a un volume, il y a un volume qui va se
dégager, ça, c'est certain, mais ce qu'on dit, c'est que ce volume-là est
possible dans l'établissement... dans les hôpitaux, actuellement. Il est très
possible... Et l'AQESSS, je vous le dis, l'Association québécoise
d'établissements de santé, c'était une recommandation qu'ils ont répété en
disant : Les établissements de santé peuvent utiliser et mettre au service
de la population les appareils d'imagerie médicale et ce qu'ils ont à beaucoup
plus d'heures. Donc, le même volume qu'on a, on serait capables de le faire si
on ne concentre pas juste les cas compliqués à l'hôpital puis les cas faciles
dans les cliniques privées.
M. Caron (Régys) : Mais
prenons deux chirurgies compliquées faites dans une clinique privée puis une
autre faite dans un hôpital spécialisé. Avez-vous l'assurance que...
Mme Lamarre : Elles ne
pourront pas se faire... La clinique privée ne pourra pas le faire. Il l'a dit,
ce sont des chirurgies d'un jour qui vont être faites, seulement. Des
chirurgies d'un jour, ça ne sera pas des chirurgies compliquées. Alors, les
chirurgies compliquées, elles vont se faire à l'hôpital seulement. Donc, s'il
ne voulait pas les comparer... mais il met ça comme son étalon de comparaison
et de référence. Alors, c'est deux poids, deux mesures.
Mme Richer (Jocelyne) :
Est-ce que vous avez l'impression, Mme Lamarre, qu'il se sert du changement de
mode de financement des hôpitaux pour accroître la présence du secteur privé en
santé?
Mme Lamarre : Tout à fait.
Tout à fait, le financement à l'activité, qui, en soi, peut être intéressant,
est quelque chose qui doit se faire à l'intérieur d'un milieu qui est le vrai
milieu, qui est le milieu réel qu'on veut évaluer et mesurer et non pas créer
un milieu artificiel avec lequel ensuite on va comparer. Alors, vraiment, il
est possible de faire toutes les extrapolations.
Quand je lis le projet qui est là, au
niveau de la Gazette officielle, là, il y a des paramètres qui
permettent de mesurer la valeur d'un pied carré dans un hôpital dans tel
contexte et de comparer entre deux hôpitaux. Mais tout ça, ça se fait, et là
son subterfuge, c'est vraiment de dire : Moi, je vais comparer le privé
parce que c'est le privé qui va me donner la vraie valeur. Alors, ce n'est pas
la même chose, ce n'est pas la même population, ce n'est pas les mêmes
coefficients de difficulté des chirurgies qu'il fait.
Alors, clairement, le financement à
l'activité... et puis vous voyez qu'il ne passe pas ça par une loi, il passe ça
dans la Gazette officielle, dans un projet pilote, parce que je pense
qu'il n'aime pas beaucoup ça, les projets de loi, là. Il s'est rendu que
c'était long puis c'était compliqué.
Mme Richer (Jocelyne) : Il
aurait dû faire le projet pilote dans le système public, à ce moment-là, dans
les hôpitaux.
Mme Lamarre : Bien, tout à
fait. Tout à fait. C'est là qu'il devait le faire. Si vraiment, son intention,
c'est de mesurer ce que ça coûte vraiment à l'hôpital, qu'il le mesure avec les
bons paramètres et la vraie vie.
M. Chouinard (Tommy) : Mme
Lamarre, vous dites que le ministre va vouloir comparer le coût d'une chirurgie
d'un jour puis appliquer le même tarif à des chirurgies avec hospitalisation.
C'est que...
Mme Lamarre : Bien, ce qu'il
va faire, ce qu'il nous dit, c'est qu'il va faire que des chirurgies d'un jour
dans les cliniques privées. Alors, quand il va vouloir comparer des coûts avec
l'hôpital, l'hôpital, lui, va avoir à assurer pas seulement les coûts pour des
patients simples, mais pour des patients complexes.
À la chirurgie d'un jour, il y a des
patients qui vont être exclus. Les patients à risque d'hémorragie, comme je
vous dis, on ne les traitera pas nécessairement dans une clinique privée, parce
que, s'il y a une complication, il faut qu'ils soient vus et qu'ils soient
monitorés à un autre niveau. Un patient qui a une maladie pulmonaire chronique
décompensée, ce n'est pas lui qu'on va mettre sous anesthésie dans une clinique
privée nécessairement. Alors, les cas complexes vont se retrouver
automatiquement plus...
Alors, s'il applique le même montant qu'il
va déterminer comme étant son montant d'étalon dans une clinique privée, s'il
applique ça dans un hôpital, l'hôpital ne réussira jamais à concurrencer avec
ça parce que l'hôpital a beaucoup plus de responsabilités.
M. Chouinard (Tommy) : Le ministre
dit que ce n'est pas de la privatisation puisque... donc, les chirurgies sont toujours
financées par l'État. Ça va être donc... Ce n'est pas les patients qui vont
payer pour ça, donc ça va être financé par l'État. Vous, vous dites : C'est
tout de même de la...
Mme Lamarre : Mais il donne de
l'argent. Mais il va payer les cliniques privées, il va donner de l'argent à
des propriétaires de clinique privée dans un contexte où il coupe les hôpitaux
à raison de 400, 450 millions, là, 450 millions en avril, un autre
400 millions. Il coupe les hôpitaux, et là, tout à coup, il réussit à
générer de l'argent, des 4 millions dans quelques cliniques, trois
cliniques; étonnant, trois cliniques. Pourquoi ces trois-là? Moi, je me questionne
un peu.
Mais donc qu'est-ce que c'est... C'est
certain que l'argent qui va arriver... Et les gens vont pouvoir évoquer qu'ils
ont besoin de nouvelles technologies, qu'ils ont besoin d'autres choses, puis
sa marge de profit, là, bien, il va falloir la calculer. Tout ça, c'est de
l'argent qui n'ira pas dans les hôpitaux. C'est un modèle.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
Vous avez fait une espèce de comparaison, un peu plus tôt, entre les cliniques
privées et les soins qui étaient offerts avec de la restauration de malbouffe.
Donc, je pense que vous avez évoqué...
Mme Lamarre : Bon, c'était
plus le volume, là, le facile. Je ne voulais pas...
M. Bélair-Cirino (Marco) : O.K.
Mais est-ce à dire que la qualité des soins pour une opération simple, là, qui
peut être faite également dans un hôpital, est moindre, justement, que dans un hôpital?
Est-ce que justement les personnes sont... peut-être le personnel de soutien,
les infirmières sont moins rémunérés, le matériel utilisé est, disons, de moins
grande qualité?
Mme Lamarre : On n'a pas
d'indication, à ce moment-ci, que l'intervention faite en clinique privée
serait de moins bonne qualité que si elle est faite en établissement de santé,
mais, en cas de complications, c'est sûr qu'il y a des patients qu'on ne
choisira pas d'opérer dans une clinique privée sachant que ces gens-là sont à
risque de complications.
M. Bélair-Cirino (Marco) : Pourquoi
vous questionnez le choix des trois cliniques privées qui ont été sélectionnées
par le ministère?
Mme Lamarre : Bien, je ne sais
pas, mais, si vous me posez la question, moi, je regarde... dans le fond, il y
a laClinique
Dix30 qui est dans la circonscription de M. Barrette; la clinique Rockland, qui
avait déjà été ciblée par le gouvernement libéral comme une clinique avec laquelle
on voulait faire affaire. Et je vous dirais que le ministre... je voyais, là,
un article du mois d'août, où le ministre, clairement, à ce moment-là, disait
qu'il ne voulait plus faire affaire avec la clinique Rockland, puis tout à coup,
elle ressurgit dans ces trois lieux de choix. Et puis la dernière, bien,
Opmedic, écoutez, vous vérifierez, mais Opmedic, c'est sûr que c'est une
clinique qui, entre autres, est propriétaire de Procrea, les cliniques de
fertilité qui ont été, pouvons-nous dire, jusqu'à un certain point, dans celles
qui vont offrir des financements privés, qui ont été certainement favorisées
aussi. Alors, moi, je regarde ça puis je me dis : Il y a peut-être des
questions à poser au ministre sur le choix de ces trois cliniques.
M. Caron (Régys)
:
Quand M. Barrette dit : C'est pour désengorger les chirurgies d'un
jour dans les hôpitaux, pour rendre le système plus efficace, le croyez-vous?
Mme Lamarre : Bien, moi, je
pense que, si on rajoutait huit heures de chirurgie dans les hôpitaux aux huit
heures qu'on a actuellement, je vous garantis qu'on désengorgerait aussi, là.
M. Caron (Régys)
:
Donc, c'est un faux argument?
Mme Lamarre : C'est un faux
argument.
M. Caron (Régys)
:
Donc, il pose une question dont il connaît déjà la réponse, à savoir que les cliniques
privées vont démontrer qu'elles sont plus efficaces pour certaines choses parce
qu'elles ont moins de contraintes. Donc, ça va leur ouvrir la porte.
Mme Lamarre : Il connaît déjà
la réponse. Et c'est vraiment… je vous dis, c'est très, très clair, là, ça pave
la voie sur la privatisation. Il a beau répéter que ce n'est pas ça qu'il veut
faire, il pose vraiment toutes les pierres, les briques pour qu'on arrive à
cette conclusion-là. C'est très préoccupant.
(Fin à 11 h 40)