(Treize heures trente minutes)
Mme Maltais : Alors, bonjour à
tous et à toutes. Parce que la liberté d'expression est fondamentale pour une
démocratie, je suis ici ce matin pour demander, au nom du Parti québécois, le
retrait du projet de loi n° 59 sur le discours haineux.
Le projet de loi n° 59 a été remis
malgré lui à l'avant-plan avec la saga entourant la censure d'un numéro lors du
récent Gala des Olivier. En effet, une compagnie d'assurance a demandé le
retrait d'un numéro d'humour parce que le risque de poursuite était trop grand.
Il s'agit d'un avant-goût amer du sort réservé au débat public si le projet de
loi n° 59 était adopté.
Ce projet de loi interdit les discours
haineux et permet à toute personne ou organisme, même s'il n'est pas visé
directement par le discours, de porter plainte à la Commission des droits de la
personne et des droits de la jeunesse pour qu'elle impose des amendes sévères,
des milliers de dollars, non seulement aux auteurs de ces discours, mais à
toute personne qui, et je cite la loi, agit de manière à ce qu'un tel discours
soit tenu. Il s'agit d'un élargissement considérable du concept de diffamation.
Nos lois sur la diffamation et le Code
criminel interdisant les discours incitant à la haine sont déjà suffisants pour
baliser les discours publics sans pour autant créer un climat d'autocensure. Je
veux citer Julius Grey et Julie Latour, deux avocats qui nous disaient en fin
de semaine, dans un média bien connu, que le projet de loi n° 59
aggraverait considérablement la situation en mettant une chape de plomb sur la
liberté d'expression. Le projet de loi, d'après nous aussi, ouvrira la porte à
une judiciarisation extrême du débat public.
Selon le projet de loi n° 59, dans
l'état des discussions où on en est, à ce qu'on comprend, toute personne ou
organisme, même s'il n'est pas visé directement par les propos, pourra saisir
la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse en toute
confidentialité, confidentialité, d'une plainte pour déclencher une enquête sur
l'auteur d'un discours. Une plainte pourra même être déposée avant que le
discours soit tenu. Les mineurs sont assujettis à la loi, malgré les plaidoyers
qu'on a faits pour soutirer les mineurs de cette loi-là. Et, selon les
amendements proposés par la ministre — parce qu'elle va vous dire :
J'ai proposé des amendements — il reviendra à la commission des
droits de la personne, après enquête, de décider si leur dossier doit être
transmis aux tribunaux ou à la DPJ. Rappelons les délais d'enquête de plus d'un
an à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.
Une plainte pourra viser toute personne qui
permettrait la tenue d'un discours dérangeant, incluant le propriétaire d'une
salle de spectacle, et cela, la ministre l'a précisé en commission
parlementaire. Il ne s'agit pas... Par exemple, vous engagez un humoriste. Cet
humoriste, vous connaissez son propos. À la fin du propos, à la fin du
spectacle, quelqu'un décide de poursuivre l'humoriste. Comme propriétaire,
locateur de salle de spectacles, comme diffuseur, tout le monde peut être
poursuivi, du moment où, après le fait, une personne juge que le propos est
haineux.
Cette responsabilité élargie, notamment
pour des discours qui n'auront pas été tenus, imposera un climat d'autocensure
encore plus grand et néfaste que ne l'est la situation actuelle. Le Parti
libéral nous propose un régime de police de la pensée. Toute personne sera
constamment susceptible d'être poursuivie par les défenseurs autoproclamés de
la rectitude politique.
Je vous rappelle que les délais d'enquête
à la commission des droits de la personne et de la jeunesse s'étendent sur plus
d'un an et qu'il n'y a pas de ressources additionnelles actuellement qui n'ont
été dégagées aux crédits pour faire face à l'augmentation de poursuites qui
résultera de l'adoption du projet de loi n° 59.
Le projet de loi n° 59 exigera de
protéger la confidentialité du plaignant, ce qui favorisera l'activisme
judiciaire et la multiplication des recours. La répression judiciaire n'est pas
la solution. Les organismes sont venus dire : Agissez par la prévention.
Et la grande majorité des analystes judiciaires et politiques déclarent que ce
projet de loi n° 59 ne devrait pas exister.
Alors, c'est la liberté d'expression
elle-même, en permettant d'argumenter et de débattre pour contrer et écarter
les discours haineux, qui demeure la solution, non la censure et les amendes
dissuasives. Les lois en matière de diffamation et le Code criminel sont
suffisants pour contrer les discours incitant à la violence et les discours
haineux. Le véritable danger actuellement au Québec, c'est la radicalisation de
nos jeunes qui partent combattre en Syrie et mettent ainsi leur vie en danger.
Le projet de loi n° 59 ne contribue
en rien à combattre cette radicalisation et à protéger nos jeunes. Nous
demandons donc à la ministre de la Justice d'abandonner le projet de loi
n° 59 et de s'attaquer à la radicalisation plutôt qu'à la liberté
d'expression.
M. Salvet (Jean-Marc) : Mais
est-ce que, Mme Maltais, cette police de la pensée que vous dénoncez, est-ce
qu'elle n'existe pas déjà selon vous? Certains plaideraient ceci puisqu'il y a
eu ce qui s'est passé avec les humoristes...
Mme
Maltais
:
Vous avez raison. Il existe déjà des mécanismes pour lutter contre la
diffamation, pour lutter contre les propos haineux et tout.
M. Salvet (Jean-Marc) :
Certains s'en plaignent déjà. Certains se plaignent de ça.
Mme
Maltais
:
Certains s'en plaignent déjà, mais imaginez-vous donc que le gouvernement
libéral veut ajouter une couche là-dessus. Ils veulent ajouter une nouvelle
possibilité de plaintes auxquelles ils ajoutent la confidentialité de l'auteur
de la plainte. Et pas seulement la plainte pour la personne touchée, mais toute
personne membre d'un groupe qui se sent touchée peut poursuivre. Tout organisme
qui représente un groupe qui se sent touché peut poursuivre en confidentialité,
avec des amendes à la clé, avec des délais d'enquête d'un an.
Écoutez, là, c'est ajouter un univers
d'autocensure. C'est ce que tout le monde est venu dire en commission
parlementaire, et plus on étudie la loi, plus on la fouille, plus c'est évident
qu'on se dirige vers ça.
M. Salvet (Jean-Marc) : Mais
la ministre Vallée plaide, si je ne m'abuse, que son projet de loi vise à protéger
les groupes vulnérables. Est-ce qu'il ne faut pas protéger les groupes
vulnérables?
Mme
Maltais
:
Les groupes vulnérables sont protégés aussi par les lois sur la diffamation et
sur les discours haineux qui sont déjà prévues dans le Code criminel. On ajoute
une couche à ce qui existe déjà, là. On n'est pas... On invente, dit-on, un
droit nouveau, mais ce droit-là, il existe déjà dans le Code criminel et il
existe déjà dans les travaux sur la diffamation. Il y a vraiment un problème.
M. Caron (Régys) : Mais, Mme
Maltais, vous aviez demandé, à l'été, de retirer une partie du projet de loi,
mais pas au complet.
Mme
Maltais
:
Oui. Tout à fait.
M. Caron (Régys) : Pourquoi,
là, tout le projet de loi, il doit passer à la trappe?
Mme
Maltais
: Je
ne fais pas de nuance. On avait demandé une scission à l'époque où on pouvait
encore faire des scissions. Ça a été retiré, ça a été refusé systématiquement
par le gouvernement. Alors, à ce moment-là, il nous reste à demander le retrait
de la loi, puisqu'ils ne veulent pas retirer la scission, pour en ramener
peut-être une nouvelle sur des impacts, par exemple, sur des sujets qui sont
importants, comme mariage forcé et autres choses.
M. Dutrisac (Robert) : Oui, c'est
ça. Donc, si vous étiez d'accord pour une partie du projet de loi...
Mme
Maltais
:
Oui, oui, on est encore d'accord avec une partie du projet de loi, mais là le
gouvernement ne veut pas scinder. Alors, il faut qu'ils retirent s'ils ne
veulent pas scinder.
M. Salvet (Jean-Marc) :
Pardon, mais il ne voudra pas non plus retirer le projet de loi, vraisemblablement.
Qu'est-ce qui va se passer avec ce projet de loi? Comment vous voyez les choses
aller? Parce qu'il est en commission parlementaire depuis belle lurette déjà.
Vraisemblablement, qu'est-ce qui peut se passer à partir de maintenant?
Mme
Maltais
: Je
pense qu'il faut poser la question à la ministre. D'ailleurs, j'ai commencé à
la poser en commission parlementaire, si vous... Les dernières séances
n'étaient pas télédiffusées, je ne peux pas vous demander de retourner les
voir. Mais j'ai commencé à dire : Écoutez, où est-ce qu'on s'en va? Il ne
peut pas y avoir de bâillon sur la liberté d'expression. Il faut que le
gouvernement...
M. Salvet (Jean-Marc) : ...
Mme
Maltais
:
Oui, je l'ai répété pendant quelques heures. Il faut que le gouvernement
s'entende avec les oppositions. Or, systématiquement, elle n'amène que des
arrangements mineurs. Il faut absolument que le gouvernement s'assoie avec les
oppositions ou au moins écoute les oppositions et introduise des amendements
qui vont vraiment faire un changement sérieux, là, très sérieux.
Mme Biron (Martine) : Mais
est-ce que c'est possible d'amener des amendements, là? Vous demandez le
retrait, vous...
Mme
Maltais
: On
est obligés de demander le retrait parce qu'il faut repartir sur une planche à
dessin vierge. On ne peut pas repartir à partir de l'article 1 tel qu'il est
adopté, actuellement. On ne peut pas repartir à partir de l'article 2 qui dit
que tu peux poursuivre le propriétaire d'une salle de spectacle en toute
confidentialité. Tu sais, vous savez, il y a des impacts, là, démesurés à cette
loi-là qui s'annoncent à chaque fois.
Mme Biron (Martine) : Mais
est-ce que finalement vous n'êtes pas en train d'annoncer que, de toute façon,
vous ne ferez pas ce qu'il faut pour qu'il passe? Vous demandez qu'il aille aux
poubelles, alors...
Mme
Maltais
:
Ah, mais c'est clair que la bataille que nous engageons, elle est sérieuse, là.
Je n'ai jamais vu, moi... Écoutez, je n'ai jamais vu une bataille aussi
sérieuse à l'Assemblée nationale. On est sur les fondements d'une démocratie. C'est
la liberté d'expression.
M. Caron (Régys) : Vous êtes
rendus à quel article dans l'étude détaillée?
Mme
Maltais
: 2.
M. Caron (Régys) : Article 2
sur combien, déjà?
Mme
Maltais
:
Oh, il y en a... Dans la première partie, il y en a à peu près 25 puis une
vingtaine dans l'autre. Donc, 45, à peu près. Il y en a eu un autre qui a été
adopté, il y a eu un article adopté dans l'autre, donc on a trois articles
d'adoptés.
M. Caron (Régys) : Donc, c'est
paralysé, Mme Maltais.
Mme Maltais : À toutes fins
pratiques, on peut l'exprimer ainsi, mais j'aimerais ça entendre la ministre
sur les solutions qu'elle veut nous proposer.
M. Salvet (Jean-Marc) : Vous
avez dit que vous faisiez, je pense, à un moment, de l'obstruction...
Mme Maltais : Intelligente.
M. Salvet (Jean-Marc) :
Intelligente, c'est votre expression. Combien de temps ça peut durer, ça,
techniquement? Est-ce que ça peut durer trois ans?
Mme Maltais : Techniquement,
oui. Techniquement, oui, mais ce n'est pas ce qu'on souhaite. On souhaite
qu'elle le retire puis qu'on revienne avec des éléments ensemble sur lesquels
on aura consensus, parce que ce n'est pas vrai que le gouvernement va s'en
aller attaquer la liberté d'expression sans l'aval des oppositions. Remarquez
que, là-dessus, j'ai aussi... nous avons été chercher l'appui de la CAQ maintenant,
qui, au début, a essayé d'amender la loi, mais, devant les refus répétés de la ministre
d'amender la loi, maintenant s'exprime vertement contre la loi.
M. Caron (Régys) : Donc, ça
va être un blocage systématique, Mme Maltais, que vous annoncez, là.
Mme Maltais : Non. Écoutez,
qu'ils retirent leur loi, tout simplement.
M. Caron (Régys) : Oui, mais,
vous savez, ils peuvent...
Journaliste
: S'ils ne
la retirent pas, vous allez bloquer?
Mme Maltais : S'ils ne la
retirent pas, je vais continuer le travail que je fais, de conviction et de
plaidoyer, ce que j'appelle une obstruction intelligente. C'est que j'ai encore
espoir que, de l'autre côté, on entende quelque chose.
M. Salvet (Jean-Marc) : Ça
empêche la neutralité religieuse de redescendre et d'être débattue?
Mme Maltais : Ça empêche ça, effectivement,
alors ça commence à empêcher beaucoup de lois de redescendre. Les ordres
professionnels sont à la Commission des institutions, le Code d'éthique est à
la Commission des institutions.
Là, actuellement, là, je ne comprends pas
les calculs du leader du gouvernement. J'ai été leader, vous le savez, je
connais un peu ce match-là. Actuellement, dans le pipeline de la Commission des
institutions, il y a d'importants projets de loi qui sont bloqués. Pourquoi? Je
ne comprends pas pourquoi ces projets de loi sont bloqués actuellement pour
simplement une loi qui n'a absolument aucun appui, à peu près, à toutes fins
utiles, aucun appui dans la société. Le gouvernement fait cavalier seul.
Mme Plante (Caroline) : Mrs. Maltais, do you have any indication that the Government wants to go ahead and use closure
on this bill?
Mme Maltais : We really don't know what the Government wants to do. We do actually demand… we request that they… comment
dit-on retirer?
Journaliste
:
Drop.
Mme Maltais : OK. We do hope that they will drop this bill, yes, which is really bad
for a society, for an advanced society, bad for the democracy.
Mme Plante (Caroline) : What would be the consequences of using closure on this type of legislation?
Mme Maltais : Of?
Mme Plante (Caroline) : What would be the consequences of using «le bâillon», closure, on
this type of bill?
Mme Maltais : Ah! Closure. It's impossible to use the closure on this type of
bill because it's on the basics of democracy. You cannot… Vous ne pouvez
pas museler la liberté d'expression sans l'aval des oppositions.
Mme Johnson
(Maya) : Why do you find this «projet de loi», this bill to be so offensive
and so counter to values of a democratic society?
Mme
Maltais
:
C'est très difficile pour moi de vous répondre en anglais là-dessus parce que c'est
de multiples raisons et je n'ai pas tout le vocabulaire nécessaire.
Mme Johnson (Maya) : Je
comprends, mais peut-être juste une petite phrase, est-ce que ce serait
possible? You were saying, in French, that it is...
Mme
Maltais
: Well, in fact, it adds a new rule, a new way to «poursuivre»… it
adds a new way to make in place «poursuites». Bon, écoutez, c'est pour
ça que je ne veux pas vous répondre en anglais, je n'ai pas un très bel accent.
Merci beaucoup.
(Fin à 13 h 43)