(Onze heures vingt et une minutes)
Mme Lamarre : Bonjour. Alors,
je suis ici pour commenter le dernier rapport du Commissaire à la santé et au
bien-être, Apprendre des meilleurs : étude comparative des urgences du
Québec. Je vous dirais que c'est triste parce que le bilan qu'on en tire,
c'est que les Québécois sont victimes, victimes de l'improvisation et du mépris
du ministre. De toute évidence, il ne réussit pas à faire ce qu'il dit, et ce
sont les Québécois qui écopent.
Quatre angles. Le premier, je vais vous
dire, l'abolition du commissaire. Avec la qualité du rapport qu'on a reçu aujourd'hui,
avec la pertinence des données qu'on a, leur proximité avec les Québécois, parce
qu'on peut bien se fier sur des rapports internationaux, mais, quand on a des
données du Québec, comment le ministre peut-il justifier qu'on n'ait pas besoin
de ce rapport-là et du Commissaire à la santé et au bien-être? Moi, je ne vois
qu'une façon, c'est que le ministre a peur des rapports du Commissaire à la
santé et au bien-être. C'est parce qu'il en a peur. Parce qu'autrement, là,
n'importe qui qui croit au Québec, qui croit à améliorer sincèrement le système
de santé convient qu'on a besoin de façon essentielle d'avoir accès à ce genre
d'analyse là, qui est faite de façon objective et qui nous positionne.
Donc, premièrement, l'abolition du
commissaire, qui m'apparaît… Il est encore temps pour le ministre de reculer,
je pense que ce serait faire preuve de lucidité de reconnaître qu'on a vraiment
besoin du Commissaire à la santé.
Deuxième élément, vous avez sûrement vu dans
les documents… je vous dirais, le document qui présente la performance des
autres endroits dans le monde. Moi, je vais vous dire, j'en ai visité plusieurs,
de ces autres pays. Alors, ailleurs, c'est possible, c'est possible de réduire
le temps des urgences, c'est possible d'avoir un système de santé plus
performant. En France, en Norvège, en Nouvelle-Zélande, en Australie, aux États-Unis,
en Allemagne, en Suisse, aux Pays-Bas, plus de 90 % des adultes sont vus
en moins de cinq heures à l'urgence. Plus proche de nous, en Ontario, en
Alberta, c'est plus de 85 % des gens qui sont vus en moins de cinq heures.
Au Québec, on est à peine à 65 % des gens qui sont vus en moins de cinq
heures.
Alors, il y a un problème d'organisation et
de priorisation. La solution à l'attente aux urgences, elle se situe avant les
urgences. Elle se situe dans le soutien à domicile efficace. Elle se situe dans
des cliniques d'infirmières praticiennes spécialisées, qui vont répondre, qui
vont multiplier les points d'accès. Elle se situe dans un service de garde
entre les GMF pour garantir que, sur un territoire donné, il y ait toujours une
clinique, un GMF, qui soit ouvert et disponible. Ça se fait en France depuis 50
ans ça, et ça fonctionne. Et ça se situe également, les solutions, dans des
heures d'ouverture étendues, en dehors des hôpitaux.
Mais ce que le commissaire nous révèle
aussi, c'est que les choix qu'on fait, les choix que le ministre fait, non
seulement ils ne sont pas performants, mais ils coûtent cher, ils coûtent très,
très cher. Et donc on utilise pour rien le service le plus cher, le service le
plus luxueux, la Porsche, la Ferrari, c'est toujours ça qu'on utilise pour entrer
dans notre système de santé quand on fait que les gens entrent à l'urgence d'un
hôpital. C'est ça qu'on fait, alors qu'on doit utiliser de façon optimale
chacune des portes d'entrée et on doit les multiplier, ces portes d'entrée là.
Donc, je l'ai déjà dit, quand on va à
l'urgence de l'hôpital, c'est entre 250 $ et 500 $ que ça coûte juste
ouvrir un dossier, et on a vu... 10 % des situations, là, les gens
quittent sans avoir vu un médecin de famille. Et l'autre conséquence, qui a été
révélée par le commissaire, c'est le coût. Donc, 1,5 million de visites
hors normes, 13 millions d'heures perdues par les Québécois qui sont assis
sur des chaises à l'urgence, qui attrapent toutes sortes d'autres microbes,
mais 300 millions en salaire horaire moyen, par année, perdus en attente
dans les urgences.
Alors, vraiment, je pense que le ministre
doit se requestionner sur ses approches. Il a privilégié la coercition et le
mépris et ça engendre de la résistance et du cafouillage. Alors, on a besoin de
faire beaucoup mieux, les Québécois méritent mieux. Maintenant, les questions.
Mme Richer (Jocelyne) : Ça
fait quand même deux ans que le gouvernement est élu, que le ministre est en
place, et une de ses priorités, c'était justement ça, d'éliminer le problème
des urgences, les délais d'attente. Il y a eu des réformes importantes :
la loi n° 10, la loi n° 20. Est-ce qu'il y a un constat d'échec, dans
ce rapport-là, aujourd'hui?
Mme Lamarre : Tout à fait, il
y a un constat d'échec parce que le ministre s'est inspiré simplement de sa
propre vision, il n'a pas pris modèle sur des expériences gagnantes ailleurs.
Si on regarde la Suède, si on regarde les Pays-Bas, on a des modèles où on a
fait le contraire du ministre, c'est-à-dire qu'on n'a pas centralisé tous les pouvoirs
à un seul endroit — au Québec, comme il le fait — mais on a
plutôt déployé plus de services, plus proches des patients, donc une première
ligne très forte, alors que le ministre ne réussit pas à faire ça. Et on le
voit, là, il a induit, par son caractère, par sa façon d'imposer des choses, il
a induit de la résistance. C'est sûr qu'il n'y a personne qui a envie de suivre
ce qu'il impose, il l'impose avec autorité et avec mépris, en blâmant tout le
monde.
Alors, moi, je crois qu'il y a des façons
de bien faire et il y a certains modèles qui fonctionnent bien avec l'accès
adapté, avec des façons mieux synchronisées, mais ça prend une coordination sur
le terrain et ça prend aussi un regard positif à l'endroit des autres
professionnels, ce que le ministre n'est pas capable de faire.
Mme Richer (Jocelyne) : Ce
qui est intéressant, je trouve, c'est qu'il dit que ça varie beaucoup d'un
endroit à l'autre. Il y a des hôpitaux où l'urgence fonctionne très bien; d'autres
endroits, ça fonctionne très, très mal. Et il dit que ça dépend beaucoup d'une
volonté des autorités en place, qui mettent en place les bons mécanismes, et
qu'on devrait s'inspirer de ça. Qu'est-ce qu'il faut retenir de ça, du fait
qu'on dirait que chacun fait ça un peu à la va-comme-je-te-pousse? Dans
certains endroits, ça fonctionne, dans d'autres, ça ne fonctionne pas.
Qu'est-ce qu'il faut retenir de ça?
Mme Lamarre : Mais je crois
aussi que le ministre a une approche mur à mur pour l'ensemble du Québec et
que, ça, ce n'est vraiment pas la bonne formule. Alors, il faut avoir une
certaine souplesse pour être capable de réagir à des besoins spécifiques, par
exemple sur la Côte-Nord par rapport à des besoins sur l'île de Montréal, en
Montérégie ou à Laval. Il y a des modèles qui doivent être ajustés. Et le
ministre ne veut rien savoir. Alors, par exemple, sur la Côte-Nord, il est
possible que des médecins aient besoin de faire un peu plus d'urgence parce
qu'on en manque tellement que les GMF ne sont pas assez nombreux pour offrir
les services de première ligne. Peut-être qu'on a besoin de ça, là, mais on n'a
pas besoin de ça en Montérégie. En Montérégie, il faut déployer beaucoup plus
de GMF, il faut permettre aux infirmières praticiennes spécialisées… Moi, ce
que j'ai vu dans le rapport du commissaire, c'est d'avoir des activités
autonomes. Même pour les infirmières qui font le triage à l'urgence, pourquoi
elles doivent toujours attendre l'autorisation d'un médecin? Il y a des
questions de rémunération là-dedans. C'est sûr, sûr, sûr qu'il y a des enjeux,
et ça, le ministre protège tous les anciens modes de rémunération et il n'a pas
d'ouverture pour donner la latitude à plein de nouveaux professionnels qui ont
des compétences.
M. Authier (Philip) : Il
parle aussi d'un manque de flexibilité de la part des médecins. Je vous ai
mentionné le chiffre dans le corridor, que les hôpitaux peuvent ajouter assez
facilement des infirmières, quand ça déborde, mais les horaires des médecins
sont inflexibles, puis, tu sais, c'est huit heures, je pense, l'attente, huit
heures pour voir le spécialiste. Ça, c'est à part de si vous êtes en attente
déjà pour rentrer dans l'urgence. Est-ce qu'il y a un certain blâme sur les
épaules des médecins aussi pour ce problème?
Mme Lamarre : Bien, moi, je
pense d'abord que, quand on veut la collaboration des médecins, on ne prend pas
l'attitude que le ministre a prise à leur endroit, là. Ça, c'est sûr. Quand on
a besoin des médecins, je pense qu'il faut commencer par les respecter. Mais,
ceci étant dit, dès l'étude du projet de loi n° 20, moi, j'ai déposé
plusieurs, plusieurs amendements pour demander que les GMF offrent des heures
d'ouverture plus longues. C'est sûr qu'on a des GMF où on a seulement six
médecins, mais, même à six médecins, on devrait être capable de couvrir des
plages horaires qui incluent le vendredi soir, les samedis et les dimanches.
C'est possible, ça. C'est possible dans d'autres organisations. Alors, pourquoi
ce ne le serait pas avec les GMF? Ce qui est proposé par le Commissaire, qui
est tout à fait aussi logique, c'est de dire : Bien, mettez-vous deux ou
trois GMF ensemble puis assurez une garde. Alors, j'ai vu, en Colombie-Britannique,
par exemple, une situation où, si un patient d'un médecin d'un GMF est vu par
un autre GMF, bien, le lundi, l'autre GMF peut facturer au premier GMF qui
était fermé, lui, la fin de semaine, les honoraires qui ont été imputés à la
visite.
Alors, il y a une façon de créer d'abord
des liens, des liens de coopération réels, mais aussi une forme de saine concurrence,
je dirais, de saine émulation à être plus disponible, et ça, le ministre ne
fait que de la confrontation. Alors, c'est sûr qu'il braque littéralement les
médecins actuellement.
Pour ce qui est des spécialistes dont vous
parlez dans les urgences, je vous invite à regarder le projet de loi n° 20.
Le ministre n'a mis aucune condition coercitive à l'endroit des spécialistes
dans son projet de loi n° 20. Au contraire, il a adouci tout ce qu'il
avait prévu. Alors, il a remis une obligation qui devait être au départ,
l'obligation de voir des patients à l'intérieur de trois heures, entre
7 heures et 5 heures le matin, il a diminué ça en disant : Ce
sera seulement entre 8 heures et 4 heures. Et finalement, quand c'est
sorti, eh bien, ce n'était plus de voir un grand nombre de patients, c'était
réparti : 75 % pouvaient être vus en quatre heures; seulement
25 % en deux heures; et, attendez bien, seulement entre le lundi et
le vendredi. Alors, vraiment, on ne peut pas s'attendre...
Et les médecins de famille ont raison,
dans certains cas, de dire : Écoutez, on nous demande de faire l'urgence.
Si vous ne voulez plus que je fasse l'urgence, que je sois plus présent sur le
terrain, que je sois plus présent dans les GMF, dans les CLSC ou même à
domicile, bien là il faut que quelqu'un fasse le travail à l'urgence dans
l'hôpital. Et ça, on n'entend jamais le ministre relocaliser les spécialistes
différemment ou modifier, imposer certaines contraintes pour qu'on ait des
meilleures garanties de disponibilité et de services.
M. Chouinard (Tommy) : Est-ce
que vous avec eu l'occasion de répondre à une question sur les supercliniques,
par hasard?
Mme Lamarre : Pas encore.
M. Chouinard (Tommy) : Sur le
constat qui... en fait, le constat, c'est-à-dire qu'il est sceptique quant à
l'impact éventuel de ces supercliniques-là. Il dit notamment qu'on pourrait se
retrouver avec les mêmes problèmes qu'on a avec les urgences, à savoir que le
patient ne verrait pas son médecin dans ce cas-là et qu'il y aurait, pour
reprendre son expression, là, bris dans la continuité des soins. Est-ce que
vous êtes aussi... Je pense que vous aviez affiché du scepticisme par rapport à
ça, mais...
Mme Lamarre : Je suis aussi
sceptique sur la priorité à accorder aujourd'hui aux supercliniques, et, moi,
je crois profondément à la valeur ajoutée du médecin de famille. Le médecin de
famille, ce n'est pas juste quelqu'un qu'on voit... Il y a beaucoup de maladies
qui ont une connotation héréditaire. Si vous êtes un jeune adulte de 35 ans qui
avez de l'asthme et puis que vous avez un enfant de deux ans puis qui a une
toux qui persiste, il y a des bonnes chances que ce soit de l'asthme aussi.
Alors, ce n'est pas sain que finalement on aille à l'urgence d'une clinique qu'il
va voir vite, vite, vite, alors qu'on ne prendra pas toutes les mesures. Alors,
il y a un bénéfice clair à avoir un médecin de famille.
Les supercliniques pour moi, à ce
moment-ci, je ne vois pas la différence avec les 48 cliniques-réseaux qui
existent depuis 2003 et pour lesquelles on n'a pas été capables d'imposer les
heures d'ouverture puis la disponibilité. C'est du copier-coller, les
supercliniques, c'est du copier-coller avec les 48 cliniques-réseaux qui n'ont
pas donné. Alors, on ne peut pas se déployer partout. Moi, je pense que le
ministre aurait eu intérêt à garder un très bon lien de confiance avec les
médecins de famille, parce que c'est à eux qu'il met beaucoup de pression actuellement.
Au lieu de ça, il se les est mis à dos, il a manqué de respect envers eux, et
là il leur demande des choses, il a besoin d'eux, et là on voit que ça résiste.
Mais qui va payer, qui écope? Bien, ce sont les Québécois qui écopent.
La Modératrice
: Merci
beaucoup. Ça va être tout.
Mme Lamarre : Merci.
Journaliste
: ...
La Modératrice
: Mme
Lamarre doit quitter, je suis désolée.
Mme Lamarre : Je suis en commission
parlementaire. Désolée. Mais après, si vous voulez, d'accord?
Journaliste
: O.K.
Parfait. Merci.
(Fin à 11 h 35)