(Quatorze heures vingt-quatre minutes)
M. Khadir
: Bonjour. Merci
pour votre présence. Je suis en compagnie d'Émilie Nicolas, présidente de
l'organisme Québec inclusif, et de Will Prosper, documentariste, fondateur et porte-parole
du mouvement citoyen Montréal-Nord Républik, pour lancer un appel pour la mise
sur pied d'une commission de consultation sur le problème de racisme systémique,
sur le racisme systémique en général, qui sévit dans nos institutions, dans
notre société, de toutes sortes de façons.
Nous ne sommes, à cet égard, pas uniques
dans le monde occidental, mais nous pourrions être uniques et prendre une
initiative pour être parmi les sociétés qui prennent les devants et qui
agissent avec responsabilité, de manière ouverte, de manière responsable pour
trouver des solutions à un problème qui affecte nombre de sociétés qui sont
pourtant réputées être une société de droit, où la discrimination est interdite,
en vertu des principes de la charte, contre les personnes sur la base de
considérations raciales, d'origines ethniques, basées sur leur couleur, sur le
sexe.
Or, on sait que, dans notre société, des
personnes racisées, depuis longtemps, subissent une série de discriminations,
qui finissent par constituer un ensemble, dans les institutions, dans les... par
exemple, sur les lieux d'embauche, dans les grands ministères, dans les sociétés
publiques, dans le secteur municipal, mais aussi dans le secteur privé, qui
finissent par constituer une espèce de système qui discrimine systématiquement,
c'est-à-dire ça agit systématiquement de manière prépondérante comme autant de
barrières qui excluent, qui diminuent les chances de ces personnes à s'intégrer
de manière adéquate dans la société, à obtenir, à juste titre, les droits et
les privilèges qui leur reviennent.
Je vais passer la parole très rapidement à
mes deux invités. Il est certain que la première question qui peut survenir, c'est :
Qu'est-ce qu'une personne racisée? Alors, d'ores et déjà, pour bien commencer
l'introduction et la présentation, une personne racisée au Québec, c'est comme
les trois personnes que vous voyez ici. C'est comme nous trois, qui sont, pour
les uns, nés à l'extérieur, comme moi, pour les autres, nés ici, comme Émilie
et comme Will, qui portent des noms plus ou moins familiers aux gens, qui
portent des noms à consonance différente des autres, qui sont parfois... qui
sont originaires des Premières Nations, des peuples autochtones et pourtant
qui, dans la société, sont regardés parfois comme des étrangers, des personnes
qui ne font pas partie de l'ensemble et qui, par le regard qu'on porte sur eux,
teinté de ces différences, subissent une série de discriminations. Merci de
votre attention, et je passe la parole à Émilie.
Mme Nicolas (Émilie) : Merci
beaucoup. Donc, juste pour faire une remise en contexte, la pétition qui a été
déposée ce matin à l'Assemblée nationale a été lancée au printemps, autour
d'une campagne qui était là pour rassembler, donc, des milliers de citoyens,
des milliers de communautés de toutes les origines. La campagne est également
appuyée par non seulement Québec solidaire, mais également Alexandre Cloutier
et Paul St-Pierre Plamondon, qui sont candidats à la chefferie du Parti
québécois, et également par plusieurs militants du Parti libéral du Québec.
Ce qu'on demande, comme commission, c'est
un objectif qui soit participatif et qui soit ouvert tant aux experts, mais
surtout aux citoyens pour qu'ils puissent être entendus et pour qu'ils puissent
mettre de l'avant leurs préoccupations par rapport au racisme systémique. C'est
important de dire qu'un exercice comme celui-là, ce n'est pas un procès de la société
québécoise, c'est tout le contraire. C'est une question, comme société, de
prendre le leadership et de prendre les devants, démontrer qu'on est sérieux
dans la lutte à la discrimination et au racisme systémique qui est un phénomène
quotidien, qui affecte les personnes racisées en éducation, en santé, dans
l'emploi, dans leurs interactions avec le système de justice.
Donc, pour nous, c'est très clair, refuser
de se pencher sur le racisme systémique, de façon démocratique et
participative, donc refuser de faire une commission sur le racisme systémique,
c'est vouloir continuer à éclipser les réalités qui sont vécues par des
milliers de Québécoises et de Québécois. Qu'ils soient arrivés ici depuis
quelques mois ou qu'ils soient ici depuis des siècles, ils ne sont
malheureusement pas encore traités comme des citoyens à part entière.
M. Prosper (Will) : Il faut
s'entendre aussi que le racisme systémique, ce n'est pas une fabulation. Il y a
plusieurs études qui vont dans ce sens-là. D'ailleurs, juste au sein de la fonction
publique, il y a un manque de 25 000 postes à combler. Donc, on s'entend
que c'est un problème qui est assez grave. Qu'on pense à des endroits comme
Hydro-Québec, sur 20 000 employés, il y en a seulement 312 qui sont des
personnes racisées. On pense aussi à la Sûreté du Québec, il y a juste... moins
de 1 % de ces gens-là sont issus des communautés racisées.
Maintenant, on regarde aussi que les gens
sont aussi absents des postes de pouvoir. Donc, ça, c'est autant au public
qu'au privé qu'il y a ces absences-là. Donc, c'est un véritable système
d'appauvrissement économique qu'on fait envers ou à l'égard des communautés
racisées.
Juste à titre d'exemple aussi — ça
se produit à plusieurs niveaux — si vous avez deux enfants, il y en a
un qui est noir, il y en a un qui est blanc, les deux ont un diplôme
universitaire de deuxième cycle, mais il y en a un, en sortant de l'université,
qui va faire 28 000 $ en moins en moyenne. Pour nous, on trouve ça
complètement impensable d'avoir une société qui bâtit des injustices, des
inégalités de la sorte. Donc, c'est pour ça qu'on trouve absolument important
de s'attarder à cette question-là et de mettre en place une commission qui
s'adresse à ces enjeux-là qui sont importants pour tous les Québécois et les
Québécoises, pas seulement les gens issus de la communauté racisée, vraiment
l'ensemble des Québécois.
Aussi, on peut parler de profilage racial,
on peut parler de dérives sécuritaires, on peut parler de surreprésentation
carcérale qui est en lien avec ce profilage racial et cette dérive sécuritaire
là aussi. Il y a des problèmes de logement, et, comme je le disais un peu plus
tôt, c'est notre devoir à tous et à toutes de combattre ces inégalités-là
envers nos concitoyens et concitoyennes. Si on regarde qu'est-ce qui se passe
juste chez nos voisins, en Ontario, présentement, eux, ils ont décidé de mettre
en place une série de consultations, à travers 10 villes, qui va s'adresser sur
le racisme systémique. Ils ont un ministre antiracisme. Ils ont même créé... Ça
a pris 10 ans, mais ils ont créé un bureau antiracisme en Ontario, et pourtant
le taux de chômage des personnes qui sont issues des communautés racisées est
beaucoup plus bas que celui du Québec.
Donc, si on regarde ça, on se dit :
Bien, l'Ontario est en train de prendre ça sérieusement, de manière très
sérieuse, et ils s'attardent à ces problématiques-là, et ils essaient de
trouver des solutions. Donc, le Québec devrait en faire autant. Je pense qu'on
peut être, justement, cette locomotive-là, cette locomotive-là qui démontre qu'on
est capables de se prendre en main puis qu'on prend en considération tous nos
concitoyens et concitoyennes.
Aussi, c'est important de mentionner qu'on
aimerait ça que les gens issus des communautés racisées soient directement
impliqués dès le début, en amont dans la fondation, la création de ce
processus-là. Si on regarde qu'est-ce qui s'est fait au fédéral, il y a la
commission des femmes autochtones. Mais qu'est-ce que le fédéral a fait? Bien,
ils ont décidé de consulter l'ensemble des peuples autochtones pour voir
comment qu'il pourrait mettre sur pied cette commission-là.
Donc, nous, on veut exactement la même
chose parce que, souvent, les gens qui sont issus des communautés racisées, c'est
des gens qui ne sont pas représentés, non seulement politiquement, non
seulement dans des postes de pouvoir, non seulement médiatiquement. Donc, c'est
des sans-voix. Donc, c'est important d'entendre ces voix-là dès le début, dès
l'amorce de cette création-là. Donc, voilà, puis j'aimerais aussi juste ajouter
que c'est important d'avoir une démocratie qui est participative et ouverte,
surtout quand on n'a pas l'habitude d'entendre certaines personnes. Donc, il
faut s'assurer que ça ne soit pas un cercle fermé d'élites qui prenne en main
cette commission sur le racisme systémique. Merci.
M. Khadir
: Pour
conclure, ce qu'on demande, ce qu'on lance comme appel, ici, c'est une amorce,
c'est que le gouvernement accueille favorablement cette proposition. M.
Couillard s'était montré favorable sur la possibilité qu'on se penche sur la
question des discriminations et du racisme systémique. Voilà, un appel est
lancé par des jeunes qui sont directement concernés. Et je tiens à le rappeler,
quand on parle de racisme systémique, c'est des phénomènes de discrimination,
des phénomènes d'exclusion qui touchent surtout les postes de commande, les
postes de pouvoir.
Ce n'est pas lorsqu'on applique sur un
emploi de manutention, ou d'ouvrier, de laveur de vaisselle habituellement qu'on
a ce problème-là, c'est partout où il s'exerce un pouvoir. Et plus on monte
haut dans la hiérarchie du pouvoir, plus cette discrimination devient
systémique. À preuve, on sait qu'il y a des discriminations à l'endroit des
femmes, mais ce rapport de discrimination est quatre pour un, c'est-à-dire que
des hommes, pour les postes de commande, ont quatre fois plus de chance que des
femmes.
Mais, pour une femme d'origine noire, ses
chances sont un sur 30 par rapport à une femme d'origine blanche. Et ça, ce n'est
pas une question qui relève d'individus, mais c'est une question qui relève de
nos institutions, des nos universités, de nos écoles, de nos banques, de nos gouvernements
et de nos cabinets ministériels.
Alors, l'appel est lancé. On demande une
commission de consultation sur la discrimination et sur le racisme systémique
au Québec.
Mme Nicolas (Émilie) : Si je
peux rajouter, en terminant, la campagne qu'on met de l'avant a passé par une
pétition qui a été déposée à l'Assemblée nationale. Donc, cette étape-là est
complétée.
La prochaine étape pour nous, c'est de
rassembler le plus d'organismes, d'associations, de membres de la société
civile possible autour de cette campagne-là. Donc, on appelle les gens qui font
partie des organismes, des associations à se joindre à notre campagne de façon
officielle. Vous pouvez nous contacter via le site Web racismesystemique.org,
qui a mis en ligne... qui explique la démarche derrière la campagne et dans
lequel on vous invite à se joindre à notre voix. Merci.
(Fin à 14 h 34)