(Quatorze heures)
Mme
Hivon
:
Alors, on dit : Enfin et pourquoi. Donc, enfin, une annonce! Enfin, après
des mois de demandes, des mois d'inaction, d'immobilisme, enfin, des moyens qui
sont annoncés, mais pourquoi? Pourquoi a-t-il fallu attendre que la crise soit
hors de contrôle? Pourquoi a-t-il fallu attendre, depuis des mois, non
seulement avant l'arrêt Jordan, mais depuis l'arrêt Jordan pour avoir des
mesures concrètes? Pourquoi a-t-il fallu attendre à deux jours de la fin de la
session pour voir un projet de loi déposé? Vous l'avez vu qu'il est
excessivement simple, qu'il tient en quelques articles pour augmenter le nombre
de juges, alors que, de l'aveu même de la ministre, c'est des demandes d'augmentation
qui datent de mois, qui étaient même présentes à l'ouverture des tribunaux en
septembre dernier.
Donc, pourquoi autant d'inertie quand
cette crise-là, elle était annoncée, quand cette crise-là était déjà présente
depuis des mois? C'est vraiment la manière de faire de ce gouvernement qui
attend d'être acculé au pied du mur avant de bouger, qui attend qu'on soit face
une crise avant de prendre les moyens que notre système puisse fonctionner correctement,
avec toutes les conséquences négatives que cela comporte en termes de perte de
confiance de la population parce que je pense qu'on a réellement atteint un
point de rupture au niveau de la confiance qui est exprimée par la population
envers son système judiciaire.
Qu'est-ce qu'il serait arrivé si on
n'avait pas posé toutes ces questions-là? Qu'est-ce qu'il serait arrivé si, il
y a neuf jours, jour pour jour, ici même, on n'avait pas interpellé
formellement la ministre de la Justice et qu'on avait augmenté la pression pour
que quelque chose se passe?
Alors, aujourd'hui, je dois vous dire que
c'est assez particulier d'entendre la ministre nous dire que tout ça était en
travail depuis des mois, qu'il n'y a aucune improvisation, alors que, vous
l'avez vu comme moi, à la suite de notre sortie de lundi dernier, ce sont tous
les acteurs qui, tour à tour, sont sortis sur la place publique, y compris les juges
en chef, d'une manière complètement sans précédent. Alors, si ces juges-là, si
ces partenaires-là de la table justice avaient toutes ces assurances que les
choses allaient tellement bien débloquer, allaient tellement bien se passer,
comment peut-on expliquer qu'ils ont senti le besoin urgent de se saisir des
médias, ce qu'ils ne font jamais?
Donc, ça montre bien sûr qu'il a fallu
encore une fois une crise pour qu'il y ait déblocage, enfin, parce qu'on voit
qu'il va y avoir, comme on l'a demandé, ajout de juges, ajout de procureurs, de
greffiers, de personnel de soutien dans le système, de salles. Donc, ce sont
toutes des choses qui commandent des réinvestissements majeurs et à très court
terme.
De notre côté, nous allons collaborer
clairement à l'adoption de ce projet de loi là avant la fin de la session. Ceci
dit, nous souhaitons pouvoir connaître le point de vue des acteurs de la table
justice dont on nous parle toujours, donc de ces acteurs de la magistrature, du
DPCP, des acteurs, donc, de l'administration de la justice, du Barreau, tout
ça, pour être certains que ça répond à leurs demandes parce qu'il faut de la
transparence. Et c'est comme ça qu'on va être en mesure de savoir que le projet
de loi, pour l'aspect très précis et isolé du projet de loi, peut répondre, là,
aux demandes de la magistrature.
Par ailleurs, je dois vous dire qu'il y a
des questions importantes qui demeurent. D'abord, qu'est-ce qu'on fait à très
court terme? Alors, les juges, de l'aveu même de la ministre, dans le meilleur
des cas, ça va prendre trois mois avant qu'on ait des nouveaux juges. Les
nouveaux procureurs qui sont annoncés, c'est d'ici l'été. Alors, qu'est-ce
qu'on fait à très court terme pour que chaque jour qui passe n'ait pas encore
son lot d'arrêts de procédures et d'accusés qui sont libérés? Dans quelle
séquence de temps de nouvelles salles vont pouvoir recevoir, donc, des procès?
Et, bien sûr, quel est l'état de situation?
Donc, je vous ai entendus poser la question
à la ministre. On doit vous dire qu'on est excessivement déçus de ne pas être
capables, aujourd'hui, d'avoir un état de situation clair. Pour nous, et on le
dit aussi depuis le début de la semaine dernière, pour savoir si les mesures
qu'on espérait voir mises de l'avant, ce qu'on a finalement aujourd'hui, sont
adéquates, bien sûr qu'il faut savoir l'état de la situation, l'ampleur de la
crise des procès qui sont à risque. Il faut faire cet examen-là pour
maintenant, pour dans une semaine, dans un mois, dans trois mois, dans six mois.
Donc, ça, on le demande de manière pressante à la ministre.
On lui demande : Est-ce qu'elle peut
nous garantir qu'avec les annonces qu'elle fait aujourd'hui il n'y aura plus
d'arrêt de procédures, qu'il n'y aurait pas plus de procès avortés? On se doute
de la réponse, que c'est non. Alors, si elle n'est pas capable de nous garantir
ça, est-ce qu'elle peut au moins nous expliquer comment le tri des dossiers est
fait, comment on décide, à la Direction des poursuites criminelles et pénales,
ce qui est mis de l'avant, ce qui est priorisé entre ce qui est grave, très
grave, excessivement grave comme je le dis depuis la semaine dernière? Parce
que la direction nous a informés, par la voie de son porte-parole, qu'en ce
moment on faisait ce tri-là, ce qui, vous en conviendrez avec moi, n'est pas
rassurant du tout pour la population, de savoir qu'en ce moment on est en train
de décider ce qu'on conteste, ce qu'on ne conteste pas.
Vous avez vu, hier dans la cause des
coaccusés de l'ex-juge d'Outremont, M. Harbour, il n'y a pas eu de
contestation, même, de la part du Directeur des poursuites criminelles et
pénales, même chose la semaine dernière pour Luigi Coretti tellement la maison
brûle.
Alors, on veut savoir comment tout ça se
fait. Malheureusement, on n'a pas de réponse de la ministre. Plus largement, on
lui demande une reddition de comptes. Donc, on veut qu'à chaque mois elle nous
dise où nous en sommes, où nous en sommes, d'une part, en termes de requêtes en
arrêt de procédures, en termes de procès qui ont avorté, parce qu'évidemment ce
qu'on voit dans les médias n'est qu'un petit nombre, et l'association des
procureurs a déclaré elle-même, vendredi dernier, que ce n'était que la pointe
de l'iceberg. Donc, on veut l'état de situation le plus exhaustif possible
aujourd'hui, ce qu'on n'a toujours pas. Mais ce qu'on veut, c'est vraiment une
reddition de comptes pour les prochains mois, à chaque mois, autant du côté
d'où on en est dans la gestion de la crise, combien d'arrêts de procédures nous
pendent au bout du nez, mais aussi comment ça va dans le recrutement des
ressources additionnelles.
Ce qu'on veut aussi, c'est entendre, puisque
la ministre ne nous a toujours pas donné cette information-là... C'est elle qui
est la responsable, c'est d'elle qu'on l'attend, mais, minimalement, ce qu'on
souhaite, c'est pouvoir entendre le Directeur des poursuites criminelles et
pénales. Donc, il va y avoir une demande qui va partir aujourd'hui pour un
mandat d'initiative de la Commission des institutions pour que le Directeur des
poursuites criminelles et pénales puisse venir s'expliquer sur comment on gère
toutes ces demandes d'arrêt de procédures. Si la ministre ne veut pas nous
donner l'heure juste, eh bien, on va se tourner vers le Directeur des
poursuites criminelles et pénales. Et on espère que, minimalement, le
gouvernement va accepter cette demande-là pour qu'on puisse l'entendre dans les
meilleurs délais, compte tenu de l'ampleur de la crise et de l'attention, bien
sûr, qui y est accordée.
Et, pour la période, je vous dirais, à
laquelle on fait face, les prochains mois, sans que les ressources puissent
être injectées parce qu'il y a une période de transition, parce que le
gouvernement n'a pas vu venir, on demande que l'examen… j'ai entendu ce que la
ministre a dit, mais on demande que la question de l'examen de la clause
dérogatoire soit faite très rapidement et qu'elle nous dise, d'ici la fin de la
semaine, ce qu'elle entend faire pour éviter qu'il y ait toujours plus de
procès qui avortent. Parce que vous savez très bien qu'à partir de la semaine
prochaine nous ne siégerons plus, donc nous n'aurons pas la ministre face à
nous pour lui poser toutes ces questions-là.
Est-ce qu'une question est demandée, un
renvoi, une question va être posée à la Cour suprême, de savoir s'il peut y
avoir une période de transition? Je dois vous dire qu'après avoir examiné le
jugement, la Cour suprême, dans la majorité, elle est venue dire qu'elle
prenait compte du fait qu'il y avait une transition. Donc, elle a déjà parlé de
cette question-là. Donc, est-ce que les chances qu'elle puisse se reprononcer
là-dessus sont énormes? Je ne le sais pas. Mais on demande à la ministre de nous
revenir là-dessus d'ici la fin de la semaine. On comprend qu'elle parle avec
ses homologues. On aurait aimé que ces discussions-là aient lieu avant qu'on
lui demande formellement la semaine dernière. On aurait aimé que ça fasse des
mois que ces discussions-là se tiennent parce que Jordan a été rendu au début
du mois de juillet dernier. Mais là on lui demande, d'ici la fin de la semaine,
de nous dire ce qu'il en est de ses orientations pour ces questions-là. Voilà.
M. Bovet (Sébastien) : Est-ce
que c'est une bonne nouvelle, ce qui est annoncé aujourd'hui?
Mme
Hivon
:
C'est ce qu'il faut faire comme premier pas parce que, comme on le demande, il
faut des ressources additionnelles, c'est évident. Et c'est pour ça qu'on dit :
Enfin! Enfin, un geste concret après des mois d'immobilisme, enfin qu'il y a quelque
chose qui se passe. C'est des mesures qui sont adéquates sur le type de
ressources que nous, nous avions demandées, des procureurs, des juges, bien évidemment,
des greffiers, du personnel de soutien. Mais c'est très difficile aujourd'hui
de pouvoir juger si les montants annoncés, si les mesures qui sont annoncées
répondent parfaitement à la crise que l'on vit parce que nous n'avons pas
l'heure juste et la pleine transparence sur cette question-là malgré ce que la ministre
avait déclaré la semaine dernière, comme quoi elle avait cet état de situation
là et qu'en temps et lieu elle allait le dévoiler publiquement. On s'attendait aujourd'hui,
bien honnêtement, à ce qu'elle le dévoile. Je ne pense pas que c'est de nature
à inquiéter. Au contraire, ce serait de nature à rassurer, de savoir que cet
examen-là a été fait, et qu'on y répond adéquatement avec les bonnes mesures, et
qu'on nous explique comment on a pu arriver à cette adéquation-là entre les
mesures qui sont mises de l'avant et les besoins qui sont ressentis dans le
système.
M. Boivin (Simon) : Vous
avez dit que c'est une crise qui ne date pas d'hier, c'est un enjeu qui ne date
pas d'hier, l'engorgement des tribunaux, puis que la réponse est somme toute
assez simple dans un projet de loi de quelques pages. Est-ce que ce n'est pas quelque
chose que Bertrand St-Arnaud aurait pu faire quand il était à la tête du ministère
de la Justice?
Mme
Hivon
:
Alors, Bertrand St-Arnaud a été un ministre de la Justice excessivement
proactif. Il a nommé le plus grand nombre de juges pendant ses 18 mois et il a
été très actif au niveau de l'accès à la justice, des nouvelles manières de
faire. Et je vous rappelle que la juge Côté, sa sortie date de janvier dernier.
Nous n'avions pas eu de telles sorties de juges qui disaient qu'ils en
perdaient le sommeil tellement le système était engorgé. Il y a eu vraiment une
augmentation, dans les deux dernières années, du nombre de requêtes, notamment
à cause des mégaprocès, notamment à cause de la complexification de la justice.
Ça, je ne dis pas que c'est la faute du gouvernement, la complexification de la
justice, mais ce que je veux dire, c'est que c'est la responsabilité du gouvernement
de répondre à une situation qui naît, qui prend naissance, je dirais, avec une
ampleur nouvelle pendant son mandat. Et l'arrêt Jordan, il date du mois de
juillet. Et cet arrêt-là est venu non seulement mettre une pression énorme,
mais il est venu fixer des plafonds, ce qui n'avait jamais été le cas auparavant.
Donc, c'est pour ça qu'on est dans une telle situation de crise aujourd'hui.
M. Lecavalier (Charles) :
Mme Vallée affirme que les problèmes d'accès à la justice datent de
compressions du Parti québécois, je pense... en tout cas, avant 2003, là, je
pense, en 1998. Est-ce que vous êtes d'accord avec cette analyse-là?
Mme
Hivon
:
Mme Vallée est dans un gouvernement qui a été au pouvoir pendant 16 ans
depuis 2003. Donc, je trouve ça assez particulier... avec un intermède de 18
mois dans lequel nous avons été très, très actifs. Alors, je trouve ça
particulier que... S'il y avait de tels problèmes tellement graves quand ils
sont arrivés, en 2003, qu'est-ce qui explique qu'ils attendent au 7 décembre
2016 pour apporter des réponses?
M. Bélair-Cirino (Marco) :
La ministre a dit que 10 000 dossiers supplémentaires pourront être
traités par année. Il y en aurait 100 000 à l'heure actuelle. Bon, on ne
sait pas il y en a combien qui posent problème, là, en vertu de l'arrêt Jordan.
Est-ce qu'à la lumière des ressources qui ont été annoncées aujourd'hui ça
semble réaliste?
Mme
Hivon
:
Bien, écoutez, c'est très difficile d'évaluer. C'est une bonne chose qu'on nous
dise qu'il puisse y avoir 10 000 dossiers de plus de traités, mais quels
types de causes? Je veux dire, c'est ça qu'on n'a pas aujourd'hui. Puis il y a
eu un problème similaire en Ontario dans les années 90, et il y a eu
50 000 causes qui ont été en jeu et des milliers de causes de facultés
affaiblies. Moi, c'est le genre d'information que je veux recevoir de la ministre
parce qu'on priorise des causes qui sont plus graves, c'est normal, et puis ce
qui tombe souvent, c'est les causes qu'on va remettre parce que le rôle est
engorgé. Donc, on va faire passer d'abord... évidemment, une cause d'agression,
d'agression sexuelle, de voie de fait, bon, le meurtre, tout ça, ça va au
niveau de la Cour supérieure, mais de crimes qui sont jugés objectivement plus
graves que, par exemple, du sommaire, bon, des facultés affaiblies. Mais c'est
ça qu'on veut savoir. On veut savoir c'est quoi, ce travail-là qui est en train
de se faire.
Donc, moi, on me
dit 10 000 dossiers. Je dis : Fort bien, mais 10 000 dossiers,
c'est quoi? C'est quels dossiers qui vont pouvoir être traduits plus
rapidement, qu'on ne va pas échapper? Combien on en échapperait, sinon? C'est
ça qu'on n'a pas comme information. Est-ce que c'est parce que la ministre ne
l'a pas parce qu'elle ne l'a toujours pas demandée? Parce qu'avec le temps que
ça a pris pour réagir, je ne vous cacherai pas qu'on se demande quel travail a
été fait avec tous ces partenaires-là pour bien évaluer les choses. Ou bien
c'est parce qu'elle l'a puis elle ne veut pas le donner parce que c'est une
véritable hécatombe puis elle ne veut pas qu'on le sache?
M. Bélair-Cirino
(Marco) : C'est peut-être irresponsable, malhabile de dévoiler ces
données-là. Ça pourrait être de l'information stratégique pour, notamment, les
avocats de la défense, s'il y avait toute cette ventilation-là.
Mme
Hivon
:
Moi, je pense qu'on est rendus à un point tel que c'est l'inverse qui doit être
fait. C'est-à-dire que ce qui serait responsable, c'est de donner l'heure juste
à la population. Vous savez, les avocats de la défense ont déclaré
publiquement, plusieurs d'entre eux, la semaine dernière, qu'en ce moment
depuis l'arrêt Jordan ils n'avaient pas le choix de parler de cette
possibilité-là avec leurs clients, que certains de leurs clients pourraient
même revenir contre eux s'ils n'évoquaient pas l'arrêt Jordan. Je ne pense pas
que c'est ce que la ministre peut nous dire en étant transparente qui va faire
en sorte que, soudainement, les avocats de la défense vont se dire : Ah!
oui, c'est vrai. On pourrait peut-être évoquer ça.
Je pense, entre vous et moi, que, depuis
juillet, ils ont eu le temps de voir que cette option-là supplémentaire était
présente, et c'est normal, ce qu'ils déclarent. Mais il faut être conscient que,
juste ces requêtes-là, en termes de temps de cour, ça peut être une journée de
temps de cour de plaider une requête en arrêt de procédures. Donc, ça, ça fait
juste ajouter à l'engorgement.
Alors, c'est ça qui est particulièrement
paradoxal en ce moment. Moi, je ne comprends pas que la ministre, dans l'état
de crise dans lequel on est, dans les difficultés que ce gouvernement-là a
vécues dans les derniers jours pour expliquer où il s'en allait avec ça,
qu'aujourd'hui on ne nous donne toujours pas l'heure juste par rapport à ça.
M. Croteau (Martin) :
Comment vous vous expliquez ça? Est-ce que c'est parce que c'est embarrassant
pour la ministre?
Mme
Hivon
:
Bien, c'est sûr que je pense qu'on a été face à une crise qui était annoncée et
qu'on n'a pas été capables de gérer pour qu'elle se résorbe. On a été face à
une très mauvaise gestion de crise. Moi, je ne comprends pas que, dès la
semaine dernière, on ne se soit pas fait dire très clairement : Il y aura projet
de loi. Je veux dire, des fois, le gouvernement nous annonce ça des mois
d'avance, là. Le projet de loi qui a été déposé hier en matière municipale, ça
faisait des mois qu'on le savait. Comment ça se fait que la ministre de la
Justice ne nous a pas dit, il y a des mois, que ça s'en venait ou, minimalement,
la semaine dernière, quand on a vraiment demandé des comptes à la ministre,
suggéré des avenues, qu'elle ne nous ait pas dit : Regardez, un projet de
loi s'en vient, qu'elle ne nous ait pas dit : Il y a des ressources,
clairement, qui s'en viennent, il reste juste des petits fils à attacher? Je
vous le redis, je comprends que la ministre se défend d'avoir été dans
l'immobilisme et l'improvisation, mais comment expliquer que des juges en chef,
jeudi et vendredi, soient sortis dans les médias s'ils savaient que cette
annonce-là et que ce projet de loi s'en venaient?
M. Croteau (Martin) : Il
y avait quelque chose comme 222 requêtes en annulation qui avaient été déposées
la semaine passée, on était rendus à 288 cette semaine. Là, comme vous faisiez
allusion dans votre présentation, là, on parle de mois avant que les mesures
annoncées aujourd'hui entrent en vigueur et commencent à faire effet. Donc, je
ne sais pas, qu'est-ce qui va se passer, selon vous, dans les prochaines
semaines, dans les prochains mois? Est-ce qu'on va assister à de nouveaux
procès qui vont avorter à cause de ça?
Mme
Hivon
:
Clairement. Clairement. Puis c'est pour ça que, nous, ce qui est annoncé aujourd'hui,
je vous dirais que ça répond en partie à des impératifs de crise, mais là on
est dans la crise. Puis, nous, lundi dernier, ce qu'on disait, c'est... Les
juges suppléants, là, je comprends qu'il y en a eu un certain nombre qui a été
rappelé. Est-ce que tous les juges suppléants ont été rappelés? Est-ce qu'il y
a des procureurs de la couronne à la retraite qui ont été rappelés? Des
greffiers à la retraite? Dans le sens que ça, c'est des gens qui peuvent être
efficaces demain matin. On le voit parfois, là, c'est des choses qui se font.
Des salles, comment ça va se gérer, ça? Quand ces salles-là vont être
disponibles? Nous, on disait : Est-ce que des locaux peuvent être loués,
aménagés dans l'intervalle, comme on le fait pour des commissions d'enquête,
par exemple, qui siègent, qu'on adapte?
Donc, c'est ça, on veut sentir que le
maximum est fait, qu'on prend vraiment acte de l'urgence de la crise sans
précédent et que le maximum est fait pour éviter l'hécatombe. Et le maximum, ça
veut dire des moyens à très court terme, pour la semaine prochaine, pour dans
un mois. C'est pour ça qu'on demande une reddition de comptes aussi périodique,
pour savoir où on en est. Puis on demande que les autres moyens soient examinés
sur d'autres enjeux, je veux dire, sur d'autres avenues qui peuvent être plus
exceptionnelles, mais on est dans une situation exceptionnelle. La disposition
de dérogation, la question d'un délai, il y a beaucoup de questions juridiques.
Je ne suis pas en train de dire que c'est simple, parce que la question du
partage des compétences se pose, mais qui, en ce moment, vit avec tous les
effets de ce jugement-là? C'est le Québec, ce sont les provinces. C'est elles
qui sont responsables de l'administration de la justice. Donc, qui, en ce
moment, est responsable de modifier sa loi, d'amener des ressources supplémentaires?
Ce n'est pas de compétence fédérale, tout ça.
Alors, il y a clairement impact, il y a
clairement un enjeu d'administration de la justice. Comment on fait ce
départage-là? C'est elle qui a les experts pour le faire et nous le dire, mais
on lui a demandé lundi dernier puis on n'a pas de réponse.
M. Croteau (Martin) :
Est-ce que vous allez appuyer le projet de loi comme tel ou vous allez
introduire des amendements?
Mme
Hivon
:
Bien, on va se réserver ça demain. Moi, je vois ça vraiment comme un projet de
loi qui est un élément qui est très chirurgical. Le coeur de l'annonce aujourd'hui,
je ne pense pas que c'est la loi. Ça doit être les ressources, les moyens, ce
qui est mis en place pour faire face à la crise. Donc, en termes de nombre, il
va falloir savoir si ça reflète les demandes de la magistrature et qu'on estime
que ce sont ces ressources-là, en termes de magistrature, qui sont requises.
Donc, nous, on demande ça, d'avoir vraiment une correspondance, un retour des
acteurs du milieu pour nous dire si ça répond à la demande. Donc, ce sont eux
qui sont bien placés pour nous le dire.
Et puis l'autre chose qu'on demande à la
ministre par rapport à ça, c'est : Comment s'assurer que les nominations
vont être faites de manière diligente? Donc, tantôt, elle a parlé de trois
mois. En moyenne, en ce moment, ça prend neuf mois. Alors, dans le projet de
loi, tout ce qu'on a à cet égard-là, c'est un changement pour la publication
dans Le Journal du Barreau, là. Donc, ça, ça peut peut-être couper de
quelques semaines parce qu'on nous dit que, des fois, la publication est plus
tardive, donc tout ça, mais, des fois, on parle de mois. Alors, comment
va-t-elle s'assurer qu'on respecte cet horizon-là, du trois mois, quand, en ce
moment, la moyenne est de neuf mois? Ça, c'est des questions qu'on va avoir.
M. Bélair-Cirino (Marco) :
À ce moment-ci, avez-vous l'assurance que le processus de nomination des juges
sera et demeurera imperméable à toute influence?
Mme
Hivon
:
Oui. C'est évidemment une question qu'on a posée à la ministre. Le processus
n'est pas changé. Donc, ce sont les mêmes étapes, la même manière de
fonctionner, donc, qui est issue, là, des recommandations de la commission
Bastarache et du nouveau règlement qui avait été adopté dans la foulée. Mais
l'idée, c'est de comprimer, nous, c'est ce qu'on avait demandé aussi, de voir
si on peut comprimer les délais. Par exemple, est-ce que le poste peut être
affiché 30 jours? Des fois, il est affiché 60 jours, des fois, il est
affiché 30 jours. Je pense que, quand tu sais que tu as le goût de devenir
juge, 30 jours, c'est suffisant. Donc, c'est ce type d'éléments là. C'est
très technique, mais on se comprend que, là, on est dans une situation où
chaque semaine peut faire une différence, puis... que tout ça se mette en
branle rapidement.
M. Boivin (Simon) : Est-ce
que Mme Vallée et le gouvernement Couillard vont porter directement la responsabilité
des arrêts de procédures des prochaines semaines, prochains mois?
Mme
Hivon
:
Moi, je ne ferai pas de déclaration à l'emporte-pièce comme la ministre, qui
vient de vous dire que c'est d'avant 2003 que ces problèmes-là, de 2016, sont
attribuables. Moi, ce que je vais vous dire, c'est qu'il y a beaucoup
d'éléments qui font en sorte qu'aujourd'hui on est dans cette situation-là, mais
il y a certainement une partie de ces arrêts de procédures qui aurait pu être
évitée si elle avait entendu les cris d'alarme qui lui sont faits autant par
l'opposition depuis plus d'un an, autant par la magistrature depuis un an aussi,
par le Barreau, par, donc, tous les acteurs du milieu. C'est certain qu'il y a
une partie, très clairement, qui était évitable, et malheureusement on n'a vu
aucun geste concret posé pendant toute cette dernière année et depuis Jordan.
Ça a pris presque six mois pour y arriver.
M. Lecavalier (Charles) :
Lorsque vous regardez l'annonce de la ministre et son projet de loi, est-ce que
vous avez l'impression que tout ça a été dessiné la semaine dernière?
Mme
Hivon
:
La question qui se pose, c'est : Est-ce que la ministre avait travaillé
adéquatement et n'était pas entendue ou est-ce que le travail n'avait pas été
fait? Donc, moi, ça, je ne le sais pas. Mais moi, j'ai un très, très grand
sentiment d'improvisation, malgré que la ministre s'en défende, là. Je l'ai
entendue comme vous. Je ne peux pas m'expliquer qu'on arrive avec un tel projet
de loi à deux jours de la fin de la session, je ne peux pas m'expliquer qu'on
arrive avec toutes ces mesures-là maintenant, quand ça fait des mois qu'on sait
que c'était requis.
Vous savez, ce qui aurait pu être fait,
dans la mise à jour économique, il y aurait pu avoir déjà un investissement
d'annoncé, quitte à dire : Il va y en avoir d'autres dans un mois ou dans
deux mois, on est encore en évaluation. Mais, à partir de juillet, c'était
évident que la crise allait prendre une ampleur jamais vue. Donc, il fallait
agir dès ce moment-là pour se mettre en marche. Ce n'est pas ça qu'on a vu,
puis, je vous le répète, que des juges en chef sortent de leur réserve de cette
manière-là, c'est du jamais vu. Pourquoi seraient-ils sortis la semaine
dernière s'ils étaient tout confiants que leur demande allait être acceptée?
M. Hicks (Ryan) : Do you think this goes far enough?
Mme
Hivon
: I think that it's a first step that is really needed, but, at this
time, it's very hard to say if it goes far enough because we don't have a clear
state of the situation. We've been asking since the beginning of last week,
that was our first request to the Minister of Justice, to have all the data
that is available to know exactly what is the situation right now as to the stay of proceedings, motions that have been put
forward as to the lack of resources, and we still don't have that information.
M. Hicks (Ryan) : Do you get the impression that the Minister and Justice officials
or the Minister and the political officials put this all together really last
minute?
Mme
Hivon
:
Yes. I really have a feeling that this government really worked on a last
minute basis. It's symptomatic of this government. They work when a crisis
appears, when something is finally of interest in the media and when the
Opposition is really there to push and push. And we've seen this since last
Monday, we started to be very, very concerned and asking her to do very
specific things and we've been seeing, you know, every thing that was created
afterward, the Chief Justice that came in the media.
So, it's really how this Government
works, and it doesn't make any sense because, you know, a crisis of this
importance that we're going trough, it's going to take months, it can take
years to get beyond it. And, in the mean time, it's really the confidence of
the people in their justice system that is really being
damaged.
M. Hicks (Ryan) : When we ask the Minister about the sign that sent… the message that's
sent to have all these judges coming out, she said : Well, they're
independent, they are allowed to voice their opinion, that she's not going to
judge those comments. But what kind of message did it send you to see these
judges coming out when they don't, usually?
Mme
Hivon
: Like I said in the House last week, it showed that it is, like
we've been saying, an unprecedented crisis, you know? You've never seen this,
and it's normal. And why those judges? They have tables of discussion, you know.
The Minister's always talking about her action plan and the Justice Table. So,
they have this forum to be talking. How come they had the need to come out
publicly if it was going so well privately, if their requests were heard, if
they knew that something was coming?
You know, even last
Friday, the Judge Fournier was meeting with the Minister and he said he had no
idea what to expect, you know. It's really concerning to see a government in cases, in reality that is so important, that relates
to justice… the basic, you know, core responsibility of a State of law being
subjected to, you know, how far the opposition will be asking, how far we will
go, how loud we will be putting pressure and how far the media will translate
all that… So, it's really, really of great concern. And this government just
can't keep going handling things like this.
Une voix
:
Merci.
Mme
Hivon
:
Merci.
(Fin à 14 h 29)